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Langue française

La paraphrase entre la langue et le discours


Catherine Fuchs

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Fuchs Catherine. La paraphrase entre la langue et le discours. In: Langue française, n°53, 1982. La vulgarisation. pp. 22-33;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1982.5113

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1982_num_53_1_5113

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Catherine Fuchs, C.N.R.S.

LA PARAPHRASE
ENTRE LA LANGUE ET LE DISCOURS

La paraphrase est constamment invoquée dans les travaux sur le


langage. Elle sert bien souvent de test ou de critère aux linguistes pour
l'établissement de règles de grammaire. Et spontanément, tout le monde « sait »
ce qu'est la paraphrase. Pourtant, dès que l'on essaie de la caractériser
plus précisément, des difficultés surgissent, des contradictions apparaissent.
Chacun s'enferme alors dans sa théorie, et des conflits irréductibles opposent,
par exemple, linguistes et théoriciens du discours sur la « bonne » approche
du phénomène. Pourtant, tous ces points de vue demeurent partiels, et il
n'existe pas. à notre connaissance, de travaux qui essaient de faire le tour
de la question, de prendre la dimension d'ensemble du phénomène para-
phrastique. C'est l'esquisse d'une telle synthèse que nous proposerons ici.
en défendant l'idée que seule une approche globale du phénomène permet
de surmonter les contradictions dans lesquelles s'enferme nécessairement
toute approche partielle — nécessairement, car ces contradictions sont le
reflet d'une tension fondamentale, constitutive de l'activité de paraphrasage
elle-même.

1 . Approches linguistiques
et approches discursives de la paraphrase
Deux grands types d'approches de la paraphrase s'opposent dans les
travaux contemporains sur le langage : des approches purement
linguistiques, qui visent à appréhender la paraphrase comme un phénomène inscrit
en langue, et des approches discursives, qui entendent l'aborder en tant que
phénomène inhérent au discours.
Précisons d'emblée deux points. Tout d'abord le caractère récent des
approches linguistiques de la paraphrase. Historiquement, en effet, ce n'est
pas la grammaire, mais la rhétorique (c'est-à-dire l'étude de la production
des. discours en situation) qui s'était attachée à l'étude de la paraphrase,
entendue comme technique de reformulation d'un texte-source de référence.
La synonymie de phrases (la paraphrase) relevait donc de la rhétorique, et
la synonymie de mots de la grammaire : cette dernière n'étudiait, au moins
de façon systématique et explicite, que la sémantique lexicale. Au sein même

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de la linguistique, ce n'est qu'à date récente (il y a une vingtaine d'années)
que s'est manifesté un intérêt pour la paraphrase; cet intérêt s'alimente à
une triple source : le développement des recherches en matière de traitement
automatique du langage (pour lequel se pose de façon cruciale le problème
du repérage des formulations renvoyant à un même « contenu »), l'étude des
relations (d'abord syntaxiques, puis sémantiques) entre phrases,
massivement lancée et développée par les grammaires transformationnelles (la
paraphrase entre dans le domaine syntactico-sémantique à la suite de la notion
de transformation), et enfin l'élargissement des préoccupations sémantiques
des linguistes, qui ne se limitent plus au seul lexique (au mot), mais s'étendent
au niveau de l'énoncé, voire du texte entier.
Pourquoi un intérêt si tardif de la linguistique pour la paraphrase? Sans
doute le structuralisme a-t-il largement contribué à maintenir ce phénomène
hors du champ d'étude de la linguistique, soit en excluant purement et
simplement tout ce qui touche au sens, soit en conservant le point de vue
grammatical traditionnel, qui limitait l'étude du sens au seul plan lexical.
La sémantique de la phrase était donc exclue de l'analyse linguistique.
Certains « marginaux » du structuralisme, comme Benveniste ou Guillaume,
ont bien essayé de s'attaquer à ce problème, mais leur position n'est pas
exempte d'une certaine ambiguïté. D'une part en effet ils entendent intégrer
au champ de la linguistique l'analyse de la sémantique de la phrase, mais
d'autre part ils n'envisagent cette intégration que sur le mode d'une annexion
de l'étude du « discours », venant se surajouter, tout en s'en distinguant, à
l'étude de la « langue ». Ainsi Benveniste décrit-il la transition entre les « deux
modes de signifiance » du « sémiotique » (étude du sens des signes en langue,
relevant, selon lui, de procédures structuralistes) et du « sémantique » (étude
du sens des phrases en discours, relevant de procédures énonciatives).
Guillaume, de son côté, parle du passage continu de la « langue » (plan des
possibles, du fini des règles, de la « puissance », c'est-à-dire des virtualités
constituées par les paradigmes lexicaux et grammaticaux) au « discours » (plan
des attestés, de l'infini des réalisations particulières, de l'« effet », c'est-à-dire
de l'actualisation syntagmatique des unités en contexte, au sein de l'énoncé).
Le champ de la linguistique ne se trouve donc pas à proprement parler
reconfiguré, mais seulement déplacé, de façon à ré-intégrer ce que le
structuralisme rejetait (un aspect de la « parole »); mais l'opposition demeure entre le
système abstrait et sa mise en œuvre par le sujet, entre la potentialité des
valeurs sémantiques multiples associées aux unités isolées (aux mots) et la
sélection de valeurs particulières, filtrées par le contexte en fonction d'une
certaine visée signifiante, entre la dimension paradigmatique des catégories
morpho-lexicales et la dimension syntagmatique de la construction de
l'énoncé; bref, sémantique lexicale et sémantique de l'énoncé continuent à
relever de deux plans distincts. Et l'on voit ici que le terme « discours » est à
entendre à la manière des linguistes (comme combinatoire d'unités de
dimension supérieure aux unités de la langue, donnant lieu à un type de séman-
tisme particulier, de nature contextuelle) et non à la manière des analystes
de discours (au sens où nous l'envisagerons plus bas).
C'est précisément cette opposition entre sémantique du mot et sémantique
de la phrase qui tend à être dépassée par les diverses sémantiques
linguistiques formelles qui, depuis les grammaires transformationnelles, s'efforcent
d'étudier la sémantique de la phrase et les relations sémantiques entre
phrases comme constitutives du système même de la langue.
La seconde précision liminaire concerne la non-homogénéité des
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approches, tant linguistiques que discursives, de la paraphrase. Leur seul
point commun est de vouloir cerner la paraphrase soit comme phénomène
de langue, soit comme phénomène de discours. Mais ceci ne doit pas
masquer la diversité (souvent conflictuelle) des partis pris théoriques et
idéologiques : il n'y a pas une approche linguistique de la paraphrase, mais autant
d'approches linguistiques que de théories linguistiques s'intéressant au
phénomène, et la même chose est vraie pour les approches discursives. Qui plus
est, ces approches s opposent entre elles non seulement dans leurs
traitements théoriques du phénomène, mais dans les définitions mêmes qu'elles
donnent de la paraphrase.
Nous ne chercherons pas ici à détailler les diverses approches
linguistiques et discursives de la paraphrase, à en caractériser les spécificités
propres. Pour une présentation des principales approches linguistiques,
nous renvoyons à notre thèse Paraphrase et théories du langage (1980,
Université Paris VII), ainsi qu'à notre ouvrage La Paraphrase (1981, Paris,
P.U.F.); quant aux approches discursives, elles ressortent des divers travaux
consacrés aux analyses de discours, cf. en particulier les nombreux numéros
de la revue Langages portant' sur le discours.
Nous nous attacherons ici à essayer de préciser ce par quoi, globalement,
s'opposent approches linguistiques et approches discursives de la
paraphrase.
Nous avons dit que pour les premières, la paraphrase constitue un fait
de langue, et pour les secondes un fait de discours. Qu'est-ce à dire au juste?
Si l'on appelle paraphrase une certaine relation sémantique (de synonymie,
d'identité, d'équivalence ou de proximité de sens, peu importe ici) qui unit
certain(e)s (ensembles de) phrases ou (d')énoncés et pas d'autres, alors cela
revient à considérer, dans un cas, que cette relation sémantique se trouve
inscrite dans le système de la langue, dans l'autre qu'elle est inhérente au
discours.
Essayons de préciser. Une relation sémantique inscrite en langue vs.
une relation sémantique inhérente au discours, cela signifie une relation
sémantique qui laisse des traces en langue vs. une relation sémantique qui
se marque au niveau du discours. Et par conséquent, une relation sémantique
dont on peut référer les traces aux règles du système de la langue vs. une
relation sémantique dont on peut référer les traces aux opérations
constitutives du discours.
Cela signifie encore une relation sémantique dont les traces peuvent être
soumises aux procédures d'analyse de la langue vs. une relation sémantique
dont les traces peuvent être soumises aux procédures d'analyse du discours.
(On remarquera au passage que les deux types de procédures font, de fait,
appel à des techniques de nature linguistique, qu'il s'agisse de distributions-
concurrences ou de marques énonciatives, car le discours constitue, dans sa
matérialité, un objet linguistique.)
Cela signifie également une relation sémantique valable au niveau du
système de la langue vs. une relation sémantique valable au niveau du
discours. Et par conséquent une relation sémantique que tous les locuteurs de
la langue, en toute circonstance, s'accordent à reconnaître et à manier vs.
une relation sémantique qui ne vaut que pour un (ensemble de) sujet(s) dans
un(e) (ensemble de) situations(s) particulier(e)(s). Autrement dit, une
relation stable, universelle à l'intérieur dune communauté linguistique vs. une
relation variable, conjoncturelle. Relation stable invoquée, par exemple, par
Katz et Fodor : « En utilisant ses connaissances linguistiques [...] un locu-

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teur d'une langue peut décider, face à l'infinité des phrases de la langue,
quelles sont celles qui sont des paraphrases les unes des autres » (1963,
« The structure of a semantic semantic theory », Language, 39, p. 182), ou
par Apresjan : « Un locuteur qui connaît le sens des mots de la langue
manifeste ce savoir par sa capacité à exprimer le même contenu de différentes
façons, et un récepteur par sa capacité à reconnaître l'équivalence
sémantique entre expressions de formes différentes » (1973, Principles and methods
of contemporary structural linguistics, La Haye, Mouton, p. 275). Relation
variable invoquée, par exemple, par Haroche et al. : « Les mots changent de
sens en fonction des positions de ceux qui les emploient » (1971, « La
sémantique et la coupure saussurienne : langue, langage, discours », Langages, 24,
p. 71) et par Pêcheux : « Corrélativement, si l'on admet que les mêmes mots,
expressions et propositions changent de sens en passant d'une formation
discursive à une autre, il faut aussi admettre que des mots, expressions et
propositions littéralement différentes peuvent, à l'intérieur d'une
formation discursive donnée, " avoir le même sens " » (1975, Les vérités de La
Palice, Paris, Maspéro, p. 145).
Relation stable vs. relation variable, et par conséquent relation
sémantique prédictible, déductible a priori, et généralisable à un niveau
systématique vs. une relation sémantique non prédictible, que l'on ne peut que
constater a posteriori, à l'issue de l'analyse de corpus toujours particuliers
(à moins d'espérer arriver un jour à épingler le jeu des déterminations qui
président à cette variabilité).
Dans certains cas, l'opposition peut même aller plus loin encore, et
signifier une relation sémantique déterminée en langue, produite dans et par la
langue vs. une relation sémantique déterminée en discours, produite dans
et par le discours. Et par conséquent une relation sémantique qui constitue
une propriété intrinsèque des (ensembles d') énoncés en langue vs. une
relation sémantique qui relie pour l'occasion certains (ensembles d') énoncés dans
le discours. D'un côté, on affirmera que les règles d'une théorie sémantique
linguistique doivent permettre de relier entre elles les phrases de la langue
qui sont en relation paraphrastique (cf. Katz et Fodor, op. cit.), de l'autre
on dira que « l'équivalence (entre paraphrases) n'est pas inscrite a priori
dans les énoncés, elle est créée ad hoc par le discours et la situation dans
laquelle lesquels ils sont produits » (Kohler-Chesny, 1981, « Aspects
explicatifs de l'activité discursive de paraphrasage », Revue européenne des
sciences sociales et Cahiers Vilfredo Pareto, XIX 56, p. 101). En résumé :
une relation sémantique déterminée en langue parce que le sens et les
relations de sens sont produits dans et par la langue vs. une relation sémantique
déterminée en discours parce que le sens et les relations de sens sont produits
dans et par le discours. (On notera ici que la version « linguistique » des
faits est susceptible de nombreuses variantes, selon que l'on estime que le
sens produit en langue est justiciable, ou non, d'une analyse (linguistique), et
que celle-ci peut s'effectuer en termes « substantialistes » ou seulement
formels.)
Telle apparaît, brièvement caractérisée, l'opposition entre ces deux
grands types d'approches de la paraphrase. S'agit-il d'approches
antagonistes ou complémentaires? La question est extrêmement complexe. Elle
concerne, en définitive, la délimitation, en droit, du champ respectif de
l'analyse linguistique et de l'analyse de discours, en matière de sens et de relations
de sens. A cette question, il n'existe évidemment pas de réponse unique :
chaque théorie (linguistique ou discursive) a sa réponse, indissociable de ses

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presupposes; et pas de point de vue de Sirius d'où l'on puisse les départager.
S'opposent frontalement les « inconditionnels » des deux bords : ceux
pour qui la totalité du sens et des relations de sens peut, sinon de fait du
moins en droit, se laisser décrire par la linguistique, et qui visent à une
sémantique totale de l'énoncé (non seulement syntaxique, mais aussi
lexicale; non seulement du sens littéral, mais aussi du sens dérivé, second,
métaphorique, etc.); et ceux pour qui la totalité du sens et des relations de sens
relève des conditions extra-linguistiques (sociologiques, idéologiques,
politiques, psychanalytiques, etc.), de la production des discours en situation.
Les premiers tendent à réduire le sens et la paraphrase en les enfermant à
double tour dans le système de la langue, en les y « objectivant »
exagérément, tandis que les seconds tendent, à l'inverse, à dissoudre le sens et la
paraphrase hors de la langue, en en faisant de purs reflets de déterminations
totalement étrangères à la langue. De la langue démiurge, agent tout
puissant, producteur du sens, coupé des sujets qui l'utilisent, à la langue
support neutre, transparent, sorte de cire où s'imprimeraient des sémantismes
déjà donnés, surgis tout construits d'ailleurs.
On remarquera que l'opposition, ainsi frontalement posée, a quelque
chose d'un « dialogue de sourds » : est-on bien sûr en effet que les uns et les
autres parlent de la même chose? Linguistes et analystes du discours ont des
points de vue divergents, car leurs motivations et leurs objectifs ne sont pas
les mêmes. En témoignent les types d'exemples favoris de paraphrases
invoqués par les uns et les autres : le linguiste tend à privilégier la sémantique
résultant de la syntaxe de l'énoncé, en particulier des différents modes
possibles d'organisation de la relation predicative (il dissertera à l'infini sur la
synonymie entre actif et passif), tandis que le théoricien du discours tend à
privilégier la sémantique lexicale et l'étude des synonymes en discours
d'expressions « pivots » ou de mots « clés » (il relèvera que certains sujets
paraphrasent socialisme par liberté et d'autres par collectivisme).
Cette prédilection respective pour la syntaxe et pour le lexique
désignerait-elle un élément de solution au problème? Certains semblent le penser. En
1952, dans son célèbre article intitulé « Discourse analysis » (Language, 28),
Harris distinguait la « transformation textuelle » (définie comme
l'équivalence entre les phrases se trouvant dans des positions structurelles similaires
dans un texte donné) et la « transformation grammaticale » (définie comme
l'équivalence en langue entre les phrases contenant les mêmes morphèmes et
les mêmes rapports grammaticaux; définition qu'il devait généraliser par la
suite, en établissant la transformation grammaticale entre schémas de
phrases et non plus entre phrases particulières). Il jetait ainsi les bases d'une
distinction entre paraphrase discursive et paraphrase linguistique souvent
reprise, mais rarement définie. Dans cette perspective se dessinerait une
sorte de complémentarité entre d'un côté sens et paraphrase discursifs
(accrochés à une sémantique de la phrase en tant qu'expression de notions et
de relations entre notions, centrés sur le lexique et les « mots pleins ») et
de l'autre sens et paraphrase linguistiques (accrochés à une sémantique de la
phrase en tant que suite linéaire de catégories de langue, centrés sur la
syntaxe et les « mots grammaticaux »). A la variabilité du sens lexical lié aux
circonstances s'opposerait la stabilité du sens syntaxique lié au système de
la langue. Idée que l'on retrouve aussi bien chez certains linguistes qui,
comme Harris ou Culioli, caractérisent la paraphrase linguistique en termes
de structures syntaxiques vidées de tout lexique, que chez certains
théoriciens du discours. (A cet égard, la caractérisation de la langue comme « ins-

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tance relativement autonome, lieu matériel où se réalisent les effets de sens,
dont la source réside dans les processus discursifs » — caractérisation due
aux tenants de Г« analyse automatique du discours » autour de Pêcheux —
reste assez vague et ambiguë sur le point de savoir à quel niveau exactement
se manifeste la relative autonomie de la langue en matière de sens et de
relations de sens).
Il va sans dire que l'assimilation entre linguistique et syntaxique d'une
part, entre discursif et lexical de l'autre induit une répartition des rôles
beaucoup trop tranchée et simpliste : on se rappellera en effet l'impossibilité
pratique à laquelle se heurte toute tentative de séparation radicale entre lexique
et grammaire (existence de « mots pleins opérateurs » c'est-à-dire jouant un
rôle grammatical; passages constants d'un domaine à l'autre : lexicalisation
de structures syntaxiques, expression syntagmatisée de l'équivalent d'un
terme — cf. Tesnière, Pottier et Gross), et l'on remarquera par ailleurs que
les paraphrases dites discursives ne concernent pas que le seul lexique, mais
empruntent aussi des moyens grammaticaux, indissolublement liés aux faits
lexicaux.
Reste que, à notre connaissance, il n'existe aucune caractérisation
précise, aucune définition opératoire de la paraphrase linguistique vs. la
paraphrase discursive. Il est à cet égard frappant de constater que ceux des
linguistes qui tentent de tracer les frontières du champ d'étude linguistique en
matière de sémantique et de paraphrase se situent en général dans une
perspective autre que celle de « langue » vs. « discours » : ce que ces linguistes
placent en dehors de la langue, ils le rejettent non pas dans le discours, mais
dans le « non linguistique », l'« extra-linguistique » ou le « pragmatique ».
Et la problématique est assez clairement autre, même si l'on retrouve bien,
en définitive, l'opposition entre prédictibilité du sens et des relations de sens
stables en langue vs. non prédictibilité du sens et des relations de sens
variables hors de la langue. La paraphrase linguistique se fonde sur
l'existence d'un sens linguistique des énoncés, qui correspond ici à la fois au
« sens » (par opposition à la « référence »), et au « sens littéral » (par
opposition à tous les sens seconds, dérivés, impliqués, figurés, etc.). « Autant de
situations, autant de significations (et de paraphrases) différentes » : ainsi
Martin caractérise-t-il la pragmatique, c'est-à-dire, pour lui, le sens et la
paraphrase non linguistiques; exemple : II y a du courant d'air peut être
synonyme, dans une situation donnée, de Fermez la fenêtre, mais cette
relation est non prédictible a priori, contrairement à celle qui unit Jean a vendu
une maison à Paul à Paul a acheté une maison à Jean (1976, Inference,
antonymie et paraphrase, Paris, Klincksieck). De même Mel'cuk oppose la
paraphrase non linguistique qui nécessite le recours à des informations
extralinguistiques sur les objets, les situations du monde et les « lois d'univers » à
la praphrase linguistique qui ne nécessite que le recours à des informations
linguistiques concernant les mots et leurs constructions, mais aussi (et c'est
là que se manifeste à nouveau le désir du linguiste d'élargir le champ de la
sémantique linguistique) des « axiomes de sens »; ainsi un axiome de sens du
type « ce qui est déchiré a besoin d'être réparé » permet-il d'établir en langue
la relation de paraphrase entre Ses bottes étaient très déchirées et 5e* bottes
avaient sérieusement besoin d'être réparées (1970, Mel'cuk et Zolkovskij,
« Towards a functioning « meaning-text » model of language », Linguistics,
57).
La frontière entre la linguistique et son extérieur se trouve donc sans
arrêt déplacée, plus ou moins théorisée au sein de problématiques diffé-

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rentes et non comparables terme à terme, bien que tournant toujours autour
des mêmes questions. Cette situation épistémologique particulièrement
instable rend quelque peu suspects les fréquents appels à la linguistique lancés
par les analystes du discours. Que peut donc pour eux une linguistique au
champ si mal délimité, aux méthodes si peu assurées? Peu sans doute, et
certainement moins qu'ils n'en attendent. Le garant de scientificité escompté
participe en partie d'une certaine illusion positiviste, et l'on oublie vite les
artefacts de procédure qui font que l'on retrouve largement « à la sortie »
de l'analyse ce qu'on avait mis « à l'entrée »! Ainsi que le note Pêcheux en
introduction du n° 62 de Langages (1981) : « Entreprendre de faire de
l'analyse de discours, n'est-ce pas présupposer un manque (une défaillance,
carence ou paralysie) affectant la pratique " naturelle " de la lecture [...]
à laquelle une prothèse théorico-technique plus ou moins sophistiquée
prétendrait suppléer? » Pour limité et souvent réducteur qu'il soit, le recours à
des techniques linguistiques dans la pratique de l'analyse du discours n'en
demeure pas moins utile, indispensable même lorsqu'il s'agit de lutter contre
cette autre illusion : celle de la transparence du sens et du texte.
Pour en revenir à la paraphrase, et sans prétendre ici apporter de réponse
définitive au problème des frontières du champ de la sémantique linguistique,
il nous paraît possible d'avancer les points suivants, visant à préciser
l'apport possible de la linguistique à l'étude du phénomène paraphrastique (et
ses limites). Nous dirons que la linguistique permet une analyse formelle
de l'équivalence linguistique. Nous entendons « formelle » dans le double
sens d'une analyse des formes et d'une analyse recourant à des procédures
formelles : les transformations harrissiennes, les opérations predicatives et
énonciatives de Culioli sont des exemples de telles procédures formelles, et
nous pensons qu'il n'y a pas d'autre moyen pour le linguiste de « dire » le
sens d'un énoncé ou la relation de sens qui unit deux énoncés que de décrire
la constitution de cet (ces) énoncé(s) en termes de telles transformations ou
opérations. La quantité de faits décrits, et la finesse de la description
dépendront, bien entendu, du choix des procédures formelles les mieux adaptées.
Nous entendons par « équivalence linguistique » une relation qui, entre deux
énoncés, conserve stables certaines relations de base ou transformations
constitutives de ces énoncés, tout en en modifiant d'autres (les énoncés sont
donc toujours équivalents modulo quelque chose : « équivalence » ne
signifie pas « identité totale », mais « identité d'un certain point de vue »).
L'équivalence linguistique est donc une relation de parenté formelle, et le linguiste
ne dispose, à notre avis, d'aucun moyen (sinon le recours à son intuition de
sujet parlant, mais cela pose d'autres problèmes...) pour décider quels sont,
parmi les énoncés équivalents ceux qui sont synonymes, c'est-à-dire para-
phrastiques. Les transformationalistes (aussi bien harrissiens que chom-
skiens) se sont d'ailleurs heurtés à ce problème, c'est pourquoi ils n'ont cessé,
les uns et les autres, de redéfinir les rapports mutuels entre les deux notions
de « paraphrase » et de « transformation ».
Pour nous résumer : toutes les équivalences linguistiques ne sont pas des
paraphrases (car si Jean a écrit le livre et Le livre a été écrit par Jean sont
formellement apparentés, c'est également le cas de Jean a écrit le livre et
Jean n'a pas écrit le livre); et le problème demeure de définir les critères
permettant de cerner, dans l'ensemble des équivalents linguistiques, le sous-
ensemble des paraphrases linguistiques. Inversement, toutes les paraphrases
ne sont pas des équivalences linguistiques (nous pensons en particulier à
toutes les paraphrases qui sont établies sur des bases autres que le sens

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linguistique ou littéral — quelle que soit la définition que l'on en donne —
c'est-à-dire sur la base du sens figuré, impliqué, induit, caché, etc.).
De ce point de vue, la paraphrase « déborde » donc l'équivalence
linguistique. En fait la paraphrase déborde le champ de la linguistique non
seulement par le niveau du sens où peut s'établir la relation sémantique enjeu,
mais aussi par la tension même qui, à nos yeux, la constitue en tant
qu'activité langagière complexe : tension entre sa dimension discursive et sa
dimension méta-linguistique, tension entre la diversité des modes de restitution
du sens dans le discours et l'unité de la conduite méta-linguistique
d'identification des sémantismes. C'est ce que nous allons tenter de présenter
maintenant, en quittant désormais le champ strictement linguistique.

2. Le paraphrasage comme conduite discursive


de restitution du sens
Paraphraser, c'est se livrer à une activité de reformulation, par laquelle
on restitue le sens d'un discours (énoncé ou texte) déjà produit. Cette
dimension de reformulation d'un discours-source a été quelque peu occultée par
toutes les études formelles (tant du côté linguistique que du côté discursif),
qui ne se sont intéressées qu'à la dimension « paradigmatique » de la
paraphrase. Pourtant la reformulation est ici essentielle, et l'étude des
mécanismes de reformulation est particulièrement éclairante. Elle permet en
particulier de déplacer la traditionnelle et embarrassante question de la
synonymie.
Les approches linguistiques de la paraphrase se sont en effet heurtées,
à date récente, aux difficultés théoriques qu'avait rencontrées, pendant des
siècles durant, la grammaire, en matière de synonymie lexicale : qu'est-ce
qui fonde la synonymie (de mots, ou de phrases), est-ce la communauté de
référence ou l'identité de sens? mais comment caractériser ce dernier? y
a-t-il réellement identité de sens, ou seulement proximité plus ou moins
grande, et comment cerner celle-ci? Les solutions avancées ne font
généralement qu'adapter, au niveau de la phrase, celles qui avaient été proposées
pour le mot : une sorte d'identité de « sens dénotatif » alliée à la diversité
possible des sémantismes secondaires, « connotatifs » (cf. notre article, 1980 :
« Synonymie de mots autrefois, synonymie de phrases aujourd'hui », Modèles
Linguistiques, II 2).
S'il est clair que l'identité de référence ne constitue pas une condition
suffisante de la synonymie (on peut parler des « mêmes choses » en les
conceptualisant de façon différente : concevoir le même événement comme un miracle
ou comme une catastrophe, appeler « Vénus » l'étoile du matin ou l'étoile du
soir), il apparaît également qu'en discours, la reformulation paraphrastique
a pour support autre chose que l'identité de sens. On constate en effet que la
reformulation peut parcourir pratiquement tout le champ sémantique, du
Même (répétition littérale, apparente tautologie) au Tout Autre
(contradiction frontale), en passant par tous les degrés du Pareil/ Pas Pareil. Tout (mais
pas n'importe quoi!) peut reformuler un discours-source, pour un sujet, dans
une situation donnée.
Mais surtout, l'on s'aperçoit que ce qui pourrait passer, du point de vue
du strict « sens linguitique », pour une identité de sens, fonctionne toujours,
dans la pratique discursive concrète, comme une avancée, comme un
déplacement de sens. Il y a toujours progression discursive, argumentative, jamais

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de réelle répétition ou tautologie, ou simple calque du sens : le sens du texte-
source décodé, re-construit par le sujet n'est jamais reproduit identique,
mais toujours re-re-construit. De ce point de vue, la distinction proposée
par Pêcheux entre « substitutions orientées » et « substitutions symétriques »
est insoutenable, car dans le fonctionnement discursif concret, toutes les
substitutions sont orientées, toute restitution du sens est déplacement du
sens. Chacun sait que la distinction entre « définition » et « explication » est
difficile à tracer, et que des éléments « explicatifs » se glissent toujours dans
ce qui pourrait, superficiellement, passer pour du « redondant ». Dans son
article déjà cité, Kohler-Chesny prend l'exemple de l'énoncé Quand la
température augmente, l'agitation des molécules augmente et le commente ainsi :
« Supposons que cet énoncé s'adresse à un physicien uniquement préoccupé
de dynamique des gaz, il est vraisemblable que l'une des deux formulations
ne peut jouer le rôle d'explication pour l'autre puisqu'elles sont considérées
comme deux aspects du même phénomène (car la température d'un corps
n'est rien d'autre que le degré d'agitation de ses molécules). Mais, pour celui
qui s'interroge sur la sensation de chaleur, question ancrée dans le domaine
de la perception, la réponse renvoie à un domaine extérieur [...] aussi un
certain effet (dont on pourra toujours interroger les causes après coup) dans
un certain domaine de connaissance est cause d'un effet dans un autre
domaine de connaissance : alors de ce point de vue, il n'y a pas deux
formulations d'un même, mais processus explicatif» (p. 108). Considérations
très directement applicables dans le domaine du discours de vulgarisation :
ce qui est redondant pour le scientifique peut être explicatif pour le « non
initié », parce que rattachant du « non connu » à du « connu ».
Russell affirmait déjà, en 1905, dans son article « On denoting » {Mind,
14) que « seul un livre de logique éprouve le besoin de dire que x est x, et
pourtant des assertions d'identité sont souvent faites sous des formes comme
Scott était l'auteur de Waverley. Le sens de telles propositions ne peut pas
être établi sans la notion d'identité, bien qu'il ne s'agisse pas de la simple
affirmation que Scott était identique à un autre terme [...] En effet, dans de
tels cas, nous connaissons les propriétés d'une chose sans avoir connaissance
de la chose elle-même et, par conséquent, sans connaître une seule
proposition dont la chose peut fonctionner comme constituant ».
C'est précisément un tel «jeu » discursif sur l'identité qui fonde
l'existence, dans le discours de vulgarisation, de nombreux substituts au terme
scientifique. Pour le spécialiste, le terme scientifique exact désignant un
certain réfèrent, en tant qu'il se trouve précisément théorisé au travers de sa
discipline scientifique, fonctionne comme « unique » : c'est le seul, le vrai
mot pour désigner correctement le réfèrent en question. Au contraire, dans
la langue vulgaire, ce terme peut être paraphrasé de multiples façons, car
c'est le point de vue sur le réfèrent qui change du même coup; le sujet ne
parle plus à partir du même lieu, du même domaine de connaissance.
La paraphrase, en tant que reformulation intralinguale s'apparente à la
traduction interlinguale. Parenté bien souvent relevée par les auteurs : Quin-
tilien, dans son Institution oratoire (livre X) distinguait trois types de
« conversio » : la paraphrase, la traduction et la mise en prose de poésies;
Culioli, de son côté, parle de la « traduction comme cas-limite de la
paraphrase ». Il est intéressant à ce propos de remarquer que le discours de
vulgarisation semble vécu par les deux parties (le scientifique et le non initié)
comme une véritable activité de traduction. Pour le scientifique en effet,
comme nous le disions, le « vrai » mot n'a pas d'équivalent; il se comporte

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à cet égard comme le locuteur natif d'une langue à qui l'on demande de
traduire un mot ou une phrase dans une autre langue, et qui répond : « Je ne
peux pas, c'est intraduisible; si j'en donne un équivalent, ce ne sera que très
approximatif, et l'expression perdra toutes ses caractéristiques propres. »
Le non-initié, quant à lui, face à un discours scientifique rendu
incompréhensible par l'accumulation de termes savants, réclame « une traduction en
langage ordinaire » (« parlez donc comme tout le monde! »), c'est-à-dire le
passage à la langue vulgaire. L'un contre l'autre, ils ressentent la
non-homogénéité de la langue (p. ex. le français), qu'ils vivent comme clivée en autant
de « sous-langues » ou de « langages » (quotidien, technique, scientifique,
argot, etc.), entre lesquels la traduction est conçue soit comme impossible soit
comme indispensable, selon la place qu'occupe le sujet.
Un dernier mot à propos de l'activité discursive de restitution(-déplace-
ment) du sens. Cette perspective montre à l'évidence l'inadéquation de la
conception traditionnelle de la paraphrase (et de la synonymie) comme
conservation du « fond », du « contenu », du « signifié », et altération de la
« forme », de l'« expression », du « signifiant ». En fait, tout changement de
forme entraîne un changement de fond, toute reformulation modifie le
contenu. Mais l'activité de paraphrase a ceci de particulier qu'elle se
présente elle-même comme une reduplication fidèle du contenu par simple
modification de la forme. Comment cela est-il possible alors qu'en réalité, nous
venons de le voir, il ne peut en être ainsi? C'est ce que nous allons tenter
d'examiner à présent.

3. Le paraphrasage comme conduite méta-linguistique


d'identification des sémantismes
II arrive que l'activité de reformulation paraphrastique laisse des
traces explicites dans le discours : cas privilégiés où se trouve rappelé (ou
cité) le discours-source, suivi de la séquence discursive qui le paraphrase.
Discours-source et discours paraphrasant sont, dans de tels cas, reliés par
certaines marques linguistiques (du type : c'est-à-dire, cela veut dire que,
autrement dit, cela signifie, à savoir, etc.). L'étude de telles marques est, en
soi, intéressante, et éclaire sous un jour particulier le paraphrasage; elle
n'a retenu l'attention des linguistes et théoriciens du discours qu'à date
récente (cf. par exemple le travail de Rey-Debove sur l'« autonymie » : 1978,
Le Métalangage, Paris, Le Robert; ou encore l'article déjà cité de Kohler-
Chesny).
Un précurseur dans ce domaine a été Jakobson, qui s'est
particulièrement attaché à la « fonction méta-linguistique » et à ce qu'il a appelé les
« propositions équationnelles » (cf. 1960, « Closing statements : linguistics
and poetics », repris en 1963 dans Essais de Linguistique Générale, Paris,
Minuit); de telles propositions (ex : La jument est la femelle du cheval)
permettent au sujet de combiner séquentiellement des expressions qu'il présente
comme synonymes, c'est-à-dire de reformuler une première expression par
une seconde — ces propositions ont un statut méta-linguistique, elles sont ce
que Rey-Debove appelle des « prédications d'identité ».
Nous préférons pour notre part les appeler des « méta-prédications
d'identification », insistant par là sur le fait qu'elles ont un statut méta-
linguistique, et qu'elles constituent des mises en relation dynamiques, et non
des identités statiques, entre expressions qui seraient déjà, en soi, identiques.

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Ainsi ces marques privilégiées de l'activité de paraphrasage nous
renseignent-elles sur la dimension méta-linguistique de cette activité :
paraphraser X par Y, c'est faire comme si l'on identifiait le sémantisme de Y à
celui de X, c'est dire que l'on opère cette identification.
Une telle identification constitue bien entendu une réduction, eu égard
aux expressions X et Y; elle participe de cette « mise en scène » que le
langage présente de lui-même. Fait notoire : les sujets adhèrent assez
spontanément à de telles mises en scène — en témoignent non seulement les
conceptions dites « naïves » de la paraphrase et de la synonymie, mais aussi bien
souvent les théories mêmes de ces phénomènes.
Les traces de telles identifications sont nombreuses dans les discours de
vulgarisation. Quelques exemples, tirés du n° 41 (1981) de la revue Le
Courrier du C.N.R.S. :
— lagénétique, ou science de l'hérédité (p. 4),
— l'objet de la génétique est d'éluder la nature des mécanismes... (p. 7),
— la génétique se présente donc d'abord comme l'étude de ce qui est
héréditaire dans la variabilité (p. 7),
— les bactéries sont« haploïdes », c'est-à-dire qu'elles possèdent chaque gène
en un seul exemplaire (p. 14),
— les bactériophages sont des virus qui se développent dans les bactéries
(P; 15),
— (résumé de tout un paragraphe technique en : ) c'est ce que l'on appelle la
transduction de l'information génétique (p. 15),
— la technique des répliques consiste à appliquer un morceau de velours sur
un milieu recouvert de colonies... (p. 15),
— etc.
Une remarque à ce propos. On passe insensiblement d'une identification
clairement méta-linguistique (du type : <r X » c'est Y, avec les guillements
indiquant le statut autonymique de X) à une identification simplement
linguistique (X est Y); dans ce dernier cas, seule connaissance de la situation
discursive permet de décider s'il s'agit ou non d'une identification para-
phrastique, c'est-à-dire d'une reprise de X d'un discours antérieur (le
problème est d'autant plus difficile que le discours antérieur peut être
imaginaire!). Sur ce point, nous renvoyons à notre article (1978) « Paraphrase et
énonciation » (Stratégies Discursives, Lyon, P.U.F.) et au chapitre 7 de notre
thèse, tous deux consacrés à l'analyse de sermons paraphrasant le texte
évangélique des « Béatitudes ».
Les marques d'identification manifestent que le paraphrasage, en tant
qu'activité méta-linguistique, se présente comme l'identification des séman-
tismes respectifs de l'expression reformulée X et de l'expression
reformulante Y. Soit : (Sém. de X) = (Sém. de Y).
En réalité, cette présentation que le paraphrasage donne de lui-même
résulte d'une série d'annulations, de gommages et de réductions par rapport
à ce qui constitue la situation réelle de paraphrasage, et que l'on pourrait
figurer ainsi : (Sém. de X (siť)) = (Sem- de Y (Sit"))-
(Sit)
A savoir : le sémantisme de X (en tant qu'expression qui a été produite
en une situation Siť par un sujet S' en un temps T') est identifié (dans la
situation de paraphrasage Sit) au sémantisme de Y (en tant qu'expression
produite en une situation Sit" par un sujet S" en un temps T").
Dans le cas de la production de paraphrases, la situation Sit" coïncide
généralement avec la situation de paraphrasage Sit (« le sémantisme de

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l'expression X produite par Jean à tel moment est identifiable pour moi-
ici-maintenant, sujet paraphraseur, au sémantisme de Y, expression
produite par moi maintenant »). Dans le cas de la reconnaissance de paraphrases
les deux situations ne coïncident généralement pas (« le sémantisme de
l'expression X, produite par Jean à tel moment, est identifiable pour moi-ici-
maintenant, sujet établissant la relation de paraphrase, au sémantisme de
Y, expression produite par Paul à tel autre moment »; autrement dit
«j'estime, moi, que Jean et Paul ont dit la même chose »). Dans le cas d'une
autoparaphrase, Siť coïncide avec la situation de paraphrasage Sit (« Moi-ici-
maintenant, j'identifie le sémantisme de X, expression produite par moi à tel
moment, avec le sémantisme de Y, expression produite par moi à tel autre
moment / ou maintenant »; autrement dit : « quand j'ai dit X et quand j'ai
dit Y, j'ai dit la même chose / X que j'ai dit signifie Y »).
On pourrait dresser toute une typologie des situations de paraphrasage,
sur cette base, selon que les situations, les sujets et les moments coïncident
ou non.
Ce qui est vécu par le sujet paraphraseur comme « le sémantisme de X »
et « le sémantisme de Y » résulte en réalité d'une série d'annulations. En
effet pour établir ces sémantismes, le sujet gomme toutes les différences
qui peuvent exister entre l'intention de signification du sujet qui a produit
ces expressions (parfois lui-même), les sémantismes multiples et
éventuellement multivoques, voire ambigus, que la production même des séquences
entraîne avec elle (sans que le sujet ait prise dessus) et le sémantisme que le
sujet re-construit à partir de ces expressions (notons bien à ce propos que
même dans le cas de la production paraphrastique, c'est-à-dire de la
situation « je reformule X par Y », le sujet paraphraseur est à la fois producteur et
décodeur de l'expression Y). Pour arriver à épingler « le » sémantisme de X
et celui de Y, le sujet opère donc une série de réductions, qui sont
constitutives du processus même du décodage, de la lecture, en tant que re-construc-
tion du sens.
Quant au paraphrasage proprement dit, c'est-à-dire cette activité méta-
linguistique d'identification des sémantismes de X et de Y, elle repose elle
aussi sur une annulation spécifique, celle des différences sémantiques qui,
nous l'avons vu au paragraphe 2, ne peuvent pas ne pas exister entre X et
Y : elle fait comme si ces différences n'existaient pas. En effet pour le sujet
paraphraseur, dans la situation Sit, ces différences (si tant est qu'il les
perçoive) apparaissent comme négligeables, non pertinentes — et c'est là ce qui
fonde la possibilité même de l'identification (« X et Y, c'est pareil »).
Attitude qui, nous l'avons vu, s'oppose à celle qu'adopte, simultanément, le même
sujet paraphraseur sur le plan discursif, où, au contraire, il joue des
différences entre X et Y pour faire progresser le discours. Cette tension
contradictoire entre le Même et l'Autre nous paraît constitutive de l'activité de
paraphrasage.
C'est, sans nul doute, par une étude plus approfondie de cette tension,
et des domaines discursif et métalinguistique où elle se manifeste, que l'on
pourra espérer avancer dans la connaissance de ce phénomène complexe
qu'est la paraphrase, et éviter les impasses où s'enferment la plupart des
théories qui essaient d'en rendre compte.

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