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L'homme et son milieu: dépasser l'opposition


“nature/culture” dans une perspective
anthropopoiétique »
Compte rendu de l’intervention de
Claude Calame, (séance du mardi 18
janvier 2011, séminaire collectif “Le vivant et
son milieu").

Traditionnellement, dans la pensées


occidentale, les relations de l'homme avec
son environnement ont été pensées en
termes de "nature" et de "culture"; ceci avec
un double malentendu: d'une part la nature a
été objectifiée face à un être humain qui
pourrait agir sur elle, sans arrière-pensée,
d'autre part le concept de nature a été
reporté sur l'homme lui-même qui disposerait
lui aussi d'une nature.

En fait d'une part les sciences du vivant et les


sciences neuronales, d'autre part
l'anthropologie culturelle et sociale montrent
désormais la perméabilité de ces deux
"ordres", artificiellement distingués.

Les prémisses de l'argument sont à trouver Pierrick Naud


Dessin tiré de la série La mécanique du reflet. 2006.
dans les exposés préalables faits à Fusain et vernis sur papier 100 x 150 cm.
l'occasion de la journée de travail du 3
octobre 2010, puis du premier séminaire du
16 novembre.

D'une part les Grecs classiques ont défini, dans leur propre anthropologie, les paramètres d'une
"nature humaine" (to anthrôpinon ou hê anthrôpinê phusis). Elle est attachée non seulement à la
condition aléatoire du mortel. mais aussi à un certain nombre de dispositions et surtout de qualités
d'intelligence, une intelligence essentiellement pratique et artisane. De plus, dans la conception
hippocratique de l'homme, cette nature humaine se fonde sur un organisme qui non seulement est
animé par les quatre humeurs, mais qui partage avec l'environnement les qualités opposées du
chaud et du froid ainsi que du sec et de l'humide. Par ce biais qualitatif, le milieu influence la
"nature" des hommes et la nature des peuples selon le climat qu'ils subissent. En retour, la coutume
(nomos) peut modeler la nature humaine de manière permanente: l'acquis peut devenir inné.

D'autre part, sciences neuronales et génie génétique ont en quelque sorte confirmé ces
conceptions hellènes de l'interaction entre l'homme et son milieu. Du côté du génie génétique, le
fonctionnement du génome humaine ne saurait être envisagé dans les termes d'un code véhiculant
un message encodé puis décodé de manière mécaniste. Aussi bien l'intervention des facteurs
épigénétiques au niveau cellulaire que l'influence de l'environnement "naturel" et culturel sur
l'organisme humain soumet le génie génétique à un multidéterminisme où l'aléatoire jour un rôle
important. Par ailleurs, si le génome fonctionne vraiment comme un langage fondé sur un alphabet,
il est redevable de procédures d'ordre interprétatif, en dehors de tout déterminisme mécaniste.
C'est la raison pour laquelle Luciano Boi propose de concevoir les sciences de la vie sur la base
de "la plasticité complexe et multiéchelle" de l'organisme humain dans sa composante génétique.
Dans un tel contexte de plasticité et de
perméabilité de l'organisme humain avec
ses capacités neuronales et ses
potentialités génétiques, l'opposition tracée
par les anthropologues entre "nature" et
"culture perd de sa pertinence. Tracée dans
la mouvance du siècle des Lumières par
l'homme doué d'une raison qui serait
désormais capable de dominer une nature
réduite à l'état d'objet, l'opposition entre les
deux ordres de la nature et de la culture a
été consacrée dans une opposition binaire
par l'anthropologie structurale. Une brève
histoire de l'opposition entre nature et
culture dans la pensée anthropologique
européenne montre que Malinowski, par Pierrick Naud
exemple, proposait de concevoir la culture Dessins tiré de la série La mécanique du reflet. 2006.
comme un ensemble de réponses d'ordre Fusain et encre de chine sur papier 100 x 150 cm.
social et symbolique à des besoins (C) La galerie particulière.
élémentaires. Dans une perspective
fonctionaliste, il restitue ainsi le rôle joué par
un environnement diversifié quant au développement et à la survie des hommes, par l'intermédiaire
des pratiques culturelles. Elle implique aussi la rupture avec le paradigme évolutionniste qui,
pendant tout le XIXe siècle, a poussé les anthropologues à lire le développement des civilisations
comme un passage de la nature à la culture, du plus primitif au plus civilisé (identifié avec la culture
européenne, cela vs a sans dire). Par ailleurs, la valorisation de cultures différentes a montré que
dans les anthropologies indigènes, les relations entre "nature" et "culture" sont en général pensées
en termes d'interaction, de même que dans la pensée hippocratique.

En définitive c'est le concept de "nature humaine" que les sciences de la vie d'un côté et les
anthropologues. de l'autre nous conduisent à repenser. Herder déjà avait fait le constat de
l'incomplétude constitutive de l'homme, attachée en particulier à la néoténie pour devenir homme,
l'être humain a besoin d'une "Bildung", la formation qui lui est donnée par son environnement social.
Or en se fondant d'une part sur les recherches de la paléo-anthropologie (cf. Leroi-Gourhan),
d’autre part sur les découvertes récentes de la neurologie, quelques anthropologues
contemporains ont renoncé à situer l’incomplétude de l’homme dans la nature originaire de l'être
humain. Autant du point de vue phylogénétique que du point de vue ontogénétique, il apparaît que la
culture précède en quelque sorte la nature ; ou que la nature présuppose la culture.

En résumant les résultats des recherches récentes de ses collègues paléo-anthropologues sur le
processus de l’hominisation, Edgar Morin parvient par exemple à la conclusion qu’on doit au
développement des pratiques culturelles chez les hominidés un ralentissement progressif des
comportements innés, avec un accroissement concomitant de la plasticité des dispositions
créatives du cerveau. Le développement des capacités combinatoires du cerveau humain serait
dû, aussi bien dans le développement de l'espèce humaine que dans celui de chaque individu
serait redevable au développement de la culture des communautés humaines. L'évolution
phylogénétique de l'être humain par les pratiques d'ordre culturel aurait pour corollaire
ontogénétique l’allongement de la phase de plasticité de l’enfance et donc de l’apprentissage. Si
incomplétude de l’homme il y a, cet inachèvement réside essentiellement dans les facultés
adaptatives, dans les virtualités créatives et dans les possibilités d’innovation d’un cerveau qui se
caractériserait par son extrême malléabilité.

Par ailleurs, dans l’étude qu’il consacre au développement de


Par ailleurs, dans l’étude qu’il consacre au développement de
la culture en rapport avec l’évolution de l’ « esprit » de l’être
humain, l’anthropologue américain Clifford Geertz donne
comme erronée l’opinion courante qui attribue aux
dispositions mentales de l’homme la priorité sur la culture.
Loin de représenter des phénomènes d’ordre interne,
intracérébral, les processus de développement neuronal
dépendraient des ressources culturelles à disposition, en
interaction avec l’environnement. Il n’y a donc pas de nature
humaine de base, il n’y a pas de constitution innée de
l’homme à l’état pur, il n’y a pas d’en-soi de l’homme pensant.
Conclusion :"We are in sum incomplete or unfinished
animals who complete or finish ourselves through culture".

Ainsi, autant du point de vue de la phylogénèse que de


l’ontogénèse, tant physiquement qu’intellectuellement
(également du point de vue biochimique), l’homme se fabrique
et se façonne dans l’échange avec le monde naturel qui
constitue son environnement spatio-temporel et surtout avec le
réseau des pratiques culturelles qui en représente le milieu
social. Cet ensemble flou et instable de pratiques et de
manifestations symboliques en prise sur les relations et les Pierrick Naud
institutions de toute communauté humaine qu’il est convenu Dessin tiré de la série
d’appeler la culture n’est donc pas uniquement la La mécanique du reflet. 2006.
conséquence du développement phylogénétique et Fusain et vernis sur papier
ontogénétique du cerveau ; cette configuration modelante et
mobile est aussi la condition préalable du déploiement des
capacités cérébrales. Elle requiert le passage d'une conception philosophique à une conception
"anthropopoiétique" de l'homme: l'homme comme le résultat de constants processus de
construction sociale et culturelle.

Les conclusions à en tirer seraient au nombre de trois:

– Remise en cause de la distinction opérée par Uexküll de la distinction entre Umwelt (milieu
comme "monde ambiant") et Umgebung (environnement comme "donné objectif"); voir la
distinction opportunément commentée par Augustin Berque, à la suite de Watsuji Tetsurô, entre
fûdo (milieu humain) et shizen kankyô (environnement naturel); approfondissement de la notion de
"médiance".

– La construction organique sociale et culturelle


– La construction organique sociale et culturelle
de l'homme en interaction avec son
environnement entraîne, à des échéances plus ou
moins variables, des modifications
considérables dans cet environnement même.
Animal de culture désormais technique, l'homme
en société modifie constamment le milieu dont il
vit; il remodèle sa propre écologie. Ce nouveau
paradigme écologique exige le dépassement du
paradigme (économiste) fondé sur l'exploitation
(sans ménagement) aussi bien des "ressources
naturelles" que des "ressources humaines".

– En concomitance avec les sciences du vivant


telles que les envisage Luciano Boi,
l'anthropologie critique montre qu'il y a une
interaction incessante et forte entre le milieu et
l'homme avec son corps propre. Cet échange en
termes de réciprocité, dans son dynamisme
constructeur et destructeur, implique une nouvelle
théorie de la connaissance, à l'écart de tout néo-
kantisme, qui montre que connaître le monde Pierrick Naud
extérieur c'est le modifier tout en nous modifiant Dessin tiré de la série Le grand désordre. 2002.
nous-mêmes. Fusain et vernis sur papier 100x150cm.
collection musée des Beaux Arts de Nantes.
Références bibliographiques

– F. Affergan, S. Borutti, C. Calame, U. Fabietti, M. Kilani, F. Remotti, Figures de l’humain. Les


représentations de l’anthropologie, Paris (Editions de l’EHESS) 2003, 360 pp.

– C. Calame, «Nature et culture», in S. Mesure & P. Savidan (éds), Le Dictionnaire des sciences
humaines, Paris (PUF) 2006 : 818-821

– C. Calame (éd.), Identités de l’individu contemporain, Paris (Textuel) 2008, 160 pp.

– C. Calame, Prométhée généticien. Profits techniques et usages de métaphores, Paris (Les


Belles Lettres – Encre Marine) 2010, 204 pp.

(et également, de C. Calame et en ligne : Discours littéraires et biotechnologies: Les tekhnai


de Prométhée et le génie génétique)

ÉPILOGUE :

Comme suite à l'exposé de Claude Calame du 18 janvier, veuillez consulter "Identité et sujet de
discours de soi même", ainsi que, en résonance, l'article d'Augustin Berque "Point de parole et
paysage dans le haîku". Voir aussi le CR du 6 janvier sur la subjectité japonaise.

L'article de Claude Calame a été récemment publié, sous une forme légèrement différente, avec le
titre " Identité et sujet de discours : soi-même comme les autres " , in F. Gaudez (ed.), La
connaissance du texte. Approches socio-anthropologiques de la construction fictionnelle I, Paris,
L’Harmattan, 2010, p. 13-28. C'est une étape provisoire dans la préparation d'un essai sur la
question du sujet de discours poétique dans différentes cultures.

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