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Faculté

de théologie
Décembre 2015







Approche exégétique et théologique de la
vraie et de la fausse prophétie dans la
première lettre aux exilés de Jérémie.
Etude comparée du TM (Jr 29, 1-20) et de la LXX (Jr 36, 1-15).














Travail de master 2 de théologie
du fr. Olivier CATEL, op

Sous la direction du Pr. Philippe LEFEBVRE

Introduction
La prophétie, telle qu’elle apparaît dans l’Ancien Testament, est un phénomène
complexe à bien des égards. Si elle demeure un phénomène avant tout culturel et cultuel pour
le spécialiste des civilisations anciennes, elle est auto-communication mystérieuse et
surnaturelle de Dieu et Révélation pour le croyant. Elle est ancrée dans une réalité historique
et spirituelle, elle est expérience du prophète et expérience d’une communauté qui la reçoit.
Toute prophétie pose ainsi profondément la question de sa véracité et soulève ce problème
central dans l’interprétation de ce type de texte : comment distinguer le vrai du faux prophète,
le menteur du juste, le charlatan de l’envoyé de Dieu ? S’il est, dans le cadre du récit biblique,
plus aisé de distinguer le prophète de Yahvé du prophète des idoles, et de discréditer ce dernier,
la situation est beaucoup plus incertaine lorsqu’il s’agit de deux prophètes qui se réclament
tous deux du Dieu unique, Dieu d’Israël. A cela s’ajoute la difficulté que la prophétie nous
parvient dans une forme textuelle particulière, fruit d’un long et complexe travail d’élaboration,
ayant subi un processus historique de rédaction qui tend à rendre floue la figure du prophète
originel. La prophétie se trouve alors prise dans des formes diverses (oracles, récits narratifs,
…) elles-mêmes recueillies dans des livres et un corpus précis que l’hébreu désigne sous le
nom de Nevi’im, corpus qui ne saurait cependant épuiser à lui seul le phénomène prophétique
présent dans toute la Bible.

Pour se faire une idée de cette réalité complexe de la prophétie, nous avons choisi de
nous intéresser à la première lettre aux exilés du prophète Jérémie (TM Jr 29, 1-20 / LXX 36,
1-151), une lettre elle-même intégrée dans un chapitre qui est, nous le verrons, une
correspondance épistolaire synthétique. Ce court passage, inséré dans une collection (Jr 26-29)
sur les conflits prophétiques, pose précisément cette question des critères de la vraie et de la
fausse prophétie, de la réalité de l’acte prophétique et de sa transcription dans une forme qui
pourrait paraître inattendue, à savoir une lettre que le prophète envoie aux exilés de Babylone.

Ce passage, nous le verrons, a été différemment travaillé dans la LXX et le TM,


aboutissant à deux traditions textuelles autonomes. De fait, ce processus de formation et
d’élaboration doit faire partie intégrante de cette recherche sur la vraie et la fausse prophétie.
Ainsi, la complexité de la forme et du contenu doit être abordée de front avec la question de la
prophétie en tant que telle. Comment comprendre et évaluer la vérité de la prophétie en

1
Nous citerons le texte dans la traduction de la Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1973 (édition électronique).
Nous proposons aussi une traduction personnelle du TM (cf. annexe C) et de la LXX (cf. annexe D).
1
l’abordant non seulement sous l’aspect de l’acte prophétique mais aussi, et de manière
inséparable, sous l’aspect du processus historique et littéraire de rédaction et de mise en forme ?
Pour cela, nous nous proposons de faire un bref parcours de critique historique et littéraire pour
rendre compte de cette lettre dans ses formes, son contenu, son contexte et son cotexte.

Reste ensuite, par une étude littéraire précise du TM et de la LXX2, à entrer dans cette
lettre pour saisir sa cohérence propre, et montrer comment cette dernière formule, en acte, une
théologie de la vraie prophétie. Comment la parole prophétique se dit-elle comme vraie et
définit-elle, par opposition, la fausse prophétie ? Considérant la tonalité polémique de cette
lettre, nous aimerions tracer les portraits du vrai et du faux prophète et tenter de dégager, dans
la limite étroite de cette étude, quelques critères internes susceptibles de servir à la distinction
entre ces deux figures.

Cette recherche des critères, nous le verrons, a occupé et passionné nombre de


chercheurs depuis la naissance de l’exégèse moderne : critères internes au texte, critères
sociologiques, historiques, culturels, … Nous aimerions en donner un bref aperçu pour
finalement proposer une approche plus proprement théologique qui s’intéresse à la fois à l’acte
prophétique en tant que tel mais aussi à sa réception par une communauté croyante. Comment
peut-on théologiquement définir un acte prophétique authentique et comment le comprendre
dans une perspective croyante qui envisage la réalité de la Révélation et la constitution d’un
canon des Ecritures ?

Il ne s’agit pas de donner, bien évidemment, une vision exhaustive et globale de la


réalité prophétique dans le prophète Jérémie et moins encore dans toute la Bible. Il s’agit, à
partir de la lettre de Jr 29, de faire apparaître quelques grands traits significatifs qui ont pour
ambition de mieux cerner la prophétie dont l’enjeu principal est bien la bonne compréhension
de la vérité qui vient de Dieu, qui est en lui.

2
Nous ne reprendrons pas systématiquement tous les éléments communs au TM et à la LXX, tentant de montrer
la spécificité de cette dernière.
2
I- Quelques éléments de critique sur le livre de Jérémie
1. Les deux formes du livre de Jérémie (LXX & TM)

Le livre de Jérémie, tel qu’il nous est parvenu, pose, depuis le XIXe s. et la naissance
d’une exégèse moderne, de multiples questions quant à son organisation, son genre –ou plutôt
ses genres- et plus largement son origine. En effet, il est bien difficile de se repérer dans le
déroulement de ce livre qui, dans ses cinquante-deux chapitres, ne suit pas un ordre
chronologique3. De même, la variété des genres littéraires, généralement assez unifiés dans une
œuvre prophétique, peut dérouter le lecteur : narration, oracles, « confessions », …4 A
l’intérieur de ce tissu temporel et générique complexe vient s’ajouter « un changement fréquent
entre des sections de prose et des sections en vers. »5

Tout cela se complique encore un peu plus quand on essaie de comparer le texte grec
de la Septante (LXX) et le texte massorétique (TM). Non seulement le TM est plus long6 mais
il adopte un plan différent : les chapitres sont redistribués selon une logique qui leur est propre.
Cela permet de dire à Thomas RÖMER, en particulier, que « nous sommes aujourd’hui en
possession de deux livres de Jérémie », « sans forme finale du livre. »7 Le texte de la LXX
« s’est élaboré sur la base d’un texte hébreu différent du texte proto-massorétique »8, sur une
Vorlage bien différente9. En effet, la question a été de savoir s'il existait une source commune

3
Cf. RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », Les recueils prophétiques de la Bible : origines, milieux, et contexte proche-oriental, Genève, Labor
et Fides (Le Monde de la Bible 64), 2012, p. 255.
4
Sigmund MOWINCKEL distinguait ainsi une source A (Jr 1-25 : oracles de Jérémie rédigés en Egypte vers 580
ac), B (Jr 19-20 ; 26-44 : biographie de Jérémie écrite dans un milieu égyptien vers 480 ac), C (Jr 7 ;11 ; 18 ; 21
; 24 ; 25 ; 32 ; 34 ; 35 ; 44 : discours en prose écrits vers 400 ac), D (Jr 30-31 : oracles de salut attribués à Jérémie).
Cf. MOWINCKEL, Sigmund, Zur Komposition des Buches Jeremia, Kristiana, J. DYBWAD, 1914. Cf. aussi
HOOP, Raymond de, “Textual, literary, and Delimitation Criticism: the Case of Jeremiah 29 in M and S”, in
Impact of Unit Delimitation on Exegesis, Leiden, Brill, 2009, p. 29-62.
5
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 256. Cf. aussi RÖMER, Thomas, « Jérémie », Introduction à l’Ancien Testament, Genève,
Labor et Fides, 2004, p. 348-349. Cf. aussi HOLLADAY, William L., “Prototype and Copies. A New Approach
to the Poetry-Prose Problem in the Book of Jeremiah”, JBL, Vol. 79, 1960, p. 351-367.
6
Cf. SWEENEY, Martin A., “The Masoretic and Septuagint Versions of the Book of Jeremiah in Synchronic and
Diachronic Perspective ”, in Form and Intertextuality in Prophetic and Apocalyptic Literature, Wipf & Stock
Publishers, 2010, p. 65 : “the Masoretic Text (MT) is about one eighth longer than the Septuagint (LXX). ” / trad. :
«  le texte massorétique (TM) est environ un huitième plus long que le texte de la Septante (LXX).  »
7
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 256.
8
Ibidem.
9
Cf. SWEENEY, Martin A., “The Masoretic and Septuagint Versions... ”, art. cit., p. 66: “Examples of both
versions of the text have been discovered among the four fragmentary Jeremiah manuscripts found by the Dead
Sea at Qumran caves 4 and 2. ” / trad. : «  Des exemplaires des deux versions du texte ont été découverts parmi les
quatre manuscrits fragmentaires de Jérémie, près de la Mer morte, dans les grottes 4 et 2 de Qumran.  » & cf.
BOGAERT, Pierre-Maurice, « Le Livre de Jérémie en perspective : les deux rédactions antiques selon les travaux
en cours », Revue biblique, t. 101-3, 1994, p. 363 : « J.G. JANZEN répartissait les fragments jérémiens de la grotte
3
ou non ou si nous avions affaire à deux textes. Dominique BARTHELEMY pense que chaque
texte « est le résultat d'un développement littéraire spécifique, si bien qu'il n'était pas possible
de remonter à l'état textuel antérieur à ces deux développements littéraires spécifiques ».10 On
peut aussi dire que « les deux versions de Jérémie sont le fruit d’un long travail d’édition, de
réécriture, et même d’expansion bien au-delà des formes originales de leur Vorlage hébraïque
respective »11 , chacune répondant à une visée herméneutique différente, « le TM et la LXX
(sont) comme les témoins de deux traditions rédactionnelles distinctes bien qu’apparentées. »12
Ainsi, la LXX chercherait à montrer que « Baruch est le signataire et le garant de la réalisation »
tandis que le TM cherche « à mettre en évidence l'autorité de Jérémie. »13 Yohanan
GOLDMAN souligne ainsi que le TM « oriente la prophétie vers l'avenir et fait du prophète
celui qui annonce sans faille les grands tournants de l'histoire nationale. »14 Le c. 29, dans
l'étude de Y. GOLDMAN, joue, avec le c. 30, un rôle essentiel dans le réagencement opéré par
le rédacteur du TM qui « dans le premier bloc (c. 25-29) remet les prophètes au cœur de la vie
politique des nations, et dans le second (c. 30-33), fait de la royauté davidique la pierre d'angle
de la nation judéenne. »15

En matière de datation, le texte de la LXX est souvent considéré comme plus ancien et
Emmanuel TOV de conclure que « la Vorlage hébraïque de la LXX16 ainsi que 4QJerb

4 entre deux rouleaux : 4QJera, daté vers 200-175 av. J.-C., a déjà les particularités du TM, tandis que 4QJerb,
moins ancien, est sur les points contrôlables tout proche de la Septante. Il signalait aussi un troisième manuscrit
dans la grotte 4 et rappelait celui de la grotte 2, conforme au TM. »
Cf. aussi le travail d'Emmanuel TOV, « The Jeremiah Scrolls from Qumran », Revue de Qumran 14, n°54, 1989,
p. 189-206 & cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage
de l’espérance au temps de l’exil, Lugano, Facoltà di teologia di Lugano, 2005, p. 329-334.
10
BARTHELEMY, Dominique, Critique textuelle de l'Ancien testament, Fribourg et Göttingen, O.B.O., 50/1,
1982, p. 70.
11
SWEENEY, Martin A., “The Masoretic and Septuagint Versions... ”, art. cit., p. 66 : “ both versions of Jeremiah
have undergone extensive editing, reworking, and even expansion beyond the original forms of their respective
Hebrew Vorlagen. ”
12
TOV, Emmanuel, «  L’incidence de la critique textuelle sur la critique littéraire dans la livre de Jérémie  », Revue
biblique, 79, 1972, p. 191. Certains critiques, comme Tiberius RATA, pensent au contraire qu’il existe une seule
Vorlage hébraïque et que les différences entre la LXX et le TM viendraient des traducteurs de la LXX qui auraient
pris de très grandes libertés dans la traduction. Nous préférons l’idée selon laquelle il aurait existé deux Vorlagen
distinctes, les traducteurs de la LXX ayant la réputation d’être très fidèles au texte hébreu dont ils disposaient. (cf.
RATA, Tiberius, “ The History of the Text of Jeremiah ”, Scripture and Interpretation, II/1, Seoul, Torch Center
for Biblical Research Press, 2008, p. 51)
13
BOGAERT, Pierre-Maurice, « Le Livre de Jérémie en perspective : les deux rédactions antiques selon les
travaux en cours », art. cit., p. 376.
14
GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil : les origines littéraires de la forme
massorétique du livre de Jérémie, Fribourg, Saint-Paul, O.B.O., 118, 1992, p. 235.
15
Ibidem, p. 397.
16
Mais certains critiques, comme Shemaryahu TALMON ou Robert ALTHANN défendent la supériorité du TM
qu’il considère comme plus ancien et plus complet. Pour une discussion complète sur ce point, cf. RATA,
Tiberius, “The History of the Text of Jeremiah ”, art. cit., p. 48.
4
constituent une édition plus ancienne de Jérémie qui a été augmentée par l’éditeur du TM »17,
que « les amplifications du texte long (TM) sont une application des canons du style
deutéronomiste. » 18 Il y a donc eu deux formes du livre de Jérémie qui ont été éditées, « l'une
est celle qui survit dans le TM mais dont l'organisation (…) est déjà connue vers 200 ac » tandis
que « l'autre est (…) un texte reconnu, car le choix qu'en fit le traducteur alexandrin et sa
présence à Qumran supposent une certaine reconnaissance officielle dans des milieux
différents. »19 Le texte de la LXX « permet de se faire une idée assez précise du texte hébreu
court qui fut au départ de la rédaction longue (TM.) »20 Il existe donc bien deux livres de
Jérémie, deux versions entretenant cependant entre elles des liens certains. Se pose la question,
encore largement débattue, de savoir s’il existe un « texte d’origine » (Urrolle).

2. Eléments de critique historique

Toutes ces réécritures font qu’il devient ainsi difficile d’identifier qui se cache derrière
la figure de Jérémie21. Deux grandes lignes, chacune d’un côté de l’Atlantique, s’opposent pour
tenter de rendre compte de ce livre : alors que les Américains considèrent que le livre de
Jérémie est « la retranscription des oracles du prophète Jérémie par son scribe Baruch »22, les

17
TOV, Emmanuel, “Some Aspects of the Textual and Literary History of the Book of Jeremiah ”, Le livre de
Jérémie, Louvain, 1981, p. 150: “The Hebrew Vorlage of the LXX as well as 4QJerb represent an early edition of
Jeremiah which was expanded by the editor of MT. ”
18
BOGAERT, Pierre-Maurice, « Le Livre de Jérémie en perspective : les deux rédactions antiques selon les
travaux en cours », art. cit., p. 372.
19
Ibidem, p. 370 & Gerald JANZEN soutient ainsi que le texte de la LXX « doit être considéré comme un témoin
réellement fidèle du texte hébraïque présent à Alexandrie. » (cf. Studies in the Text of Jeremiah, HSM 6,
Cambridge : Harvard University, 1973, p. 128 : “G may be taken as a substantially faithful witness to the Hebrew
text at home in Alexandria.”). Cf. aussi HOOP, Raymond de, “Textual, literary, and Delimitation Criticism: the
Case of Jeremiah 29 in M and S”, art. cit., p. 42: “the Vorlage of M was expanded after the Vorlage of G had
gained an independent status as an authoritative text and for that reason could be translated into Greek for the
Jewish community of Alexandria”. / trad. : « la Vorlage du TM a été enrichie après que la Vorlage de la LXX a
acquis le statut de texte indépendant faisant autorité et, pour cette raison, a pu être traduite en grec pour la
communauté juive d’Alexandrie. »
20
BOGAERT, Pierre-Maurice, « Le Livre de Jérémie en perspective : les deux rédactions antiques selon les
travaux en cours », art. cit., p. 402.
21
Cf. HILL, John, “The Book of Jeremiah MT and Early Second Temple Conflicts about Prophets and Prophecy ”,
Australian Biblical Review, Vol. 50, 2002, p. 30: “In reading MTJer what we encounter is a literary construct, i.e.,
the figure of Jeremiah, which is founded on the life and deeds of Jeremiah ben Hilkiah in the years leading up to
the events of 587 and their aftermath. The literary construct Jeremiah is not identical with the historical Jeremiah
ben Hilkiah, but is a larger-than-life paradigmatic figure or persona, who expresses the theological concerns of a
particular group about such things as prophecy and the significance of the events of 587. ” / trad.: «  En lisant le
TM du livre de Jérémie, nous avons affaire à une construction littéraire, c’est-à-dire la figure de Jérémie qui est
fondée sur la vie et les actes de Jérémie ben Hilkiah dans les années menant aux événements de 587 et leurs
conséquences. La construction littéraire de Jérémie n’est pas identique au Jérémie ben Hilkiah historique, mais
est une figure ou un personnage paradigmatiques plus grands que nature, qui expriment les préoccupations
théologiques d’un groupe particulier concernant la prophétie ou la signification des événements de 587.  »
22
Les critiques européens, Thomas RÖMER en tête, refusent en effet largement cette approche qu’ils jugent
5
Européens sont plus circonspects et soutiennent qu’il « est délicat de reconstruire le ‘Jérémie
historique’. » 23

Thomas RÖMER distingue quatre positions principales qui ont émergé depuis plus
d’un siècle pour tenter de comprendre l’unité de ce livre biblique. Il rejette assez clairement
« le modèle des Fortschreibungen » (« mises à jour ») qui soutient que le livre de Jérémie est
une série d’additions successives, « sans perspective globale »24, de multiples rédacteurs au
cours de l’histoire –« de la chute de Jérusalem à l’époque gréco-romaine »25-, ce qui rend
impossible de définir et de cerner un quelconque projet rédactionnel. Le livre de Jérémie ne
serait alors, selon l’expression de W. McKANE, qu’un « rolling corpus ». Cette position,
désabusée26, n’est que très minoritaire. Thomas RÖMER écarte cette théorie en étudiant le
premier chapitre du livre de Jérémie dans lequel il réussit à distinguer « trois ou quatre niveaux
rédactionnels (…) ce qui rend difficile »27 ce modèle de Fortschreibungen.

A cette position qui ne conçoit aucun projet rédactionnel particulier s’oppose la position
« holistique » qui consiste à dire que « n’importe quelle confusion ou corruption peut
s’expliquer comme voulue par l’auteur28 » lui-même, ce qui fait du livre de Jérémie une œuvre
littéraire très élaborée que la complexité finale reflète bien. RÖMER, en héritier de la tradition

souvent anachronique et qui ne saurait rendre compte de la diversité stylistique du livre. Cf. “The Formation of
the Book of Jeremiah as a Supplement to the So-Called Deuteronomistic History”, The Production of Prophecy :
Constructing Prophecy and Prophets in Yehud, London, Equinox, 2009, p. 169 : “Behind this idea lies the
anachronistic assumption that with his scribe Baruch, the prophet composed more or less the entire book of
Jeremiah.” HYATT soutient ainsi que « l’école de rédacteurs que nous appelons deutéronomiste écrivirent
l’histoire dtr ainsi que Jérémie 1-45 (TM). » (“The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 169 : “the
school of writers we call the Deuteronomists wrote the Dtr history as well as Jeremiah 1-45 (MT).”) Au contraire,
William HOLLADAY (in Jeremiah 1, Hermeneia, Philadelphia/Minneapolis, Augsburg Fortress, 1986, p. 25)
défend l’idée selon laquelle le livre de Jérémie permet de comprendre et de saisir la vie réelle du prophète Jérémie.
Jérémie, très influencé par la réforme deutéronomique, aurait été imprégné de ces types de discours qui se
retrouvent ensuite, assez naturellement, dans sa propre œuvre. Cependant, il reconnaît que « le processus de
tradition orale, la nature contrastée des différents types de matériau littéraire dans le livre et les besoins religieux
de la communauté compliquent toute tentative de reconstruire un Jérémie historique. » (Jeremiah 2, Hermeneia,
Philadelphia/Minneapolis, Augsburg Fortress, 1989, p. 2 : “the process of oral tradition, the contrastive nature of
the various kinds of literary material within the book, and the religious needs of the community complicate one’s
attempt to reconstruct a historical Jrm.”)
23
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 257.
24
Ibidem, p. 259.
25
Ibidem, p. 260.
26
Cf. HARRINGTON, William, Nouvelle introduction à la Bible, Paris, 1971, p. 368 : «  Il ne nous reste qu’à
accepter le fait et à nous dire qu’en raison du temps qu’a pris sa composition et de la complexité des facteurs qui
sont entrés en jeu, il n’y a dans le livre de Jérémie ni suite ni plan bien arrêtés.  »
27
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 277.
28
Ibidem, p. 261.
6
historico-critique, refuse ces modèles qui « restent vagues » et qui ne permettent en aucune
manière « de reconstituer la formation du livre. »29

Ces dernières années, RÖMER, WANKE ou ALBERTZ, se fondant sur des travaux
antérieurs30, défendent plutôt « le modèle des rédactions dtr englobantes. »31 Il y aurait ainsi
eu, pour le TM, « deux ou trois rédactions dtr » successives32. Thomas RÖMER ou Gunther
WANKE pensent ainsi qu’il y aurait eu une première rédaction à l’époque exilique33 puis une
seconde au début de l’époque perse34 qui aurait ajouté, entre autres, les chapitres 27 et 2935, le
but de ce cycle étant « la vérité de la proclamation du prophète Jérémie. »36 Rainer ALBERTZ
souscrit aussi à ce modèle mais rajoute une rédaction post-dtr, soutenant que « les textes qui
s’expriment clairement en faveur de la Golah sont des ajouts post-dtr au livre »37, un travail qui
s’étend jusqu’au 3ème s. ac38. Contrairement à MOWINCKEL, on ne cherche plus à distinguer
différentes sources du livre mais bien plutôt de comprendre l’historique de la rédaction du livre.

29
Ibidem.
30
On peut citer l’œuvre de B. DUHM qui pensait que « 70% du livre devaient être attribués aux rédacteurs qui
écrivirent dans un style dtr et qui complétèrent le livre de la fin de la période babylonienne jusqu’au 1er s. ac. »
(RÖMER, Thomas, “The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 168 : “70 % of the book should be
attributed to redactors who wrote in a Dtr style and who supplemented the book from the end of the Babylonian
period until the first century BCE.”) DUHM pensait cependant que le livre «  s’était développé lentement, comme
une forêt laissée sans surveillance pousse et s’étend...  » (DUHM, Bernhard, Das Buch Jeremia, Tübingen –
Leipzig, J.C.B Mohr, 1901, p. xx).
31
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 257.
32
Contrairement à THIEL qui soutient qu’il n’y a eu qu’une rédaction deutéronomiste. (cf. THIEL, Winfred, Die
deuteronomische Redaktion von Jeremia 1-25, WMANT, Vol. 41, Neukirch-Vluyn, Neukirchener, 1973.)
33
Il y aurait eu, selon Joëlle FERRY (Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie, op. cit., p. 47)
deux temps dans cette rédaction exilique: «  1) un travail des disciples insère dans une 3ème édition des éléments
biographiques qui couvrent environ ¼ du livre : Jr 19,1 – 20,6 ; 27-29 ; 34, 1-7 ; 36 ; 37-44 ; 45 ; 51, 59-64. Ces
récits, souvent pourvus de dates précises, sont disséminés dans le livre actuel sans souci d’ordre chronologique.
Ils présentent Jérémie comme le vrai prophète, porteur authentique de la parole de Dieu face à ses adversaires qui
le persécutent. Ils soulignent également que Jérémie n’a jamais été hostile à Babylone mais a toujours prêché la
soumission. L’ensemble fut mis en forme dans une Palestine sous domination babylonienne. 2) L’édition
deutéronomiste pro-babylonienne et anti-Sédécias cherche, à la période exilique, à faire une relecture religieuse
des événements et présente le prophète comme un instrument de la parole de Dieu, le prophète à la manière de
Moïse, celui dont il faut écouter le message pour surmonter la crise que l’on n’a pas su éviter.  »
34
C’est aussi l’avis de Martin SWEENEY (“The Masoretic and Septuagint Versions of the Book of Jeremiah in
Synchronic and Diachronic Perspective ”, art. cit., p. 66): “ the Masoretic manuscripts (...) presuppose a version of
the book produced in the Jewish community of Babylonia at some point during the Second Temple period. ” /
trad.: «  les manuscrits massorétiques (...) présupposent une version du livre réalisée dans la communauté juive de
Babylone pendant la période du Second Temple. »
35
Cf. RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 258.
36
Cf. WANKE, Gunther, Untersuchungen zur sogenanten Baruchshrift, BZAW 122, Berlin, Walter de Gruyter,
1971, p. 155-156.
37
Ibidem, p. 259 & cf. RÖMER, Thomas, “The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 169 : “the so-
called Dtr texts of Jeremiah express the view that only the Babylonian gôlah, specifically those from the first
deportation in 597 BCE, have Yahweh’s favour.” / trad. : « les textes dits dtr de Jérémie soutiennent que seule la
gôlah babylonienne, à savoir ceux de la première déportation de 597 ac, ont la faveur de Yahvé. »
38
Cf. annexe B.
7
A ce modèle principal de rédaction dtr vient donc s’ajouter un modèle dit
« intermédiaire » qui soutient que tous les textes marqués comme « dtr » ne sont pas
nécessairement « dtr de base » et qu’ils sont l’œuvre de scribes plus tardifs n’appartenant pas
aux milieux rédactionnels dtr mais plutôt à un milieu « d’une histoire des traditions »39 dtr.
Pendant la période perse40, le livre de Jérémie fut composé par des « scribes appartenant au
cercle deutéronomiste pour l’intégrer dans une collection dtr existante de livres ou
‘bibliothèque’ qui se trouvait dans le temple reconstruit de Jérusalem. »41 Ces scribes de
« l’histoire dtr ne sont pas les mêmes auteurs que les textes dits dtr car l’annonce de la
destruction du temple en Jr 7 semble s’opposer à l’idéologie du temple de l’histoire dtr »42,
c’est pourquoi on parle plutôt d’une « histoire des traditions » ou de cercle dtr. En effet, il y a
bien donc des textes dtr en Jérémie mais avec une autre vision théologique : le texte n’est pas
centré sur le Temple et la promesse faite à David mais sur la destruction du Temple43.

Robert P. CARROLL va même jusqu’à affirmer qu’il est impossible d’atteindre le


Jérémie historique44 et que « la rédaction du livre de Jérémie est (...) l’œuvre de rédacteurs

39
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 262.
40
Sans doute vers 450 ac (cf. RÖMER, Thomas, “The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 171).
41
RÖMER, Thomas, “The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 168 : “the book of Jeremiah was
created in the Persian period by scribes belonging to the Deuteronomistic (Dtr) circle in order to become part of
an existing Dtr collection of books or ‘library’ housed in the rebuilt temple in Jerusalem.” & cf. RÖMER, Thomas,
« Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de Jérémie », art. cit., p. 281 :
« [ce cercle] préparait ainsi le canon prophétique qui regroupe les ‘Prophètes antérieurs’ et les ‘Prophètes
extérieurs’. » Cf. aussi RÖMER, Thomas, « La rédaction des trois grands prophètes comme réaction à la crise de
l’exil babylonien», Transeuphratène, 2012, p. 75.
42
RÖMER, Thomas, “The Formation of the Book of Jeremiah”, art. cit., p. 175 : “the authors of the Dtr history
are not the same as the authors of the so-called Dtr texts, because the announcement of the destruction of the
temple in Jr 7 is seen to be opposed to the temple ideology of the Dtr history.”
43
John BRIGHT soutient ainsi que le matériau d’origine, proprement jérémien, serait beaucoup plus important
que l’on pourrait le penser et que tout n’est pas l’œuvre des milieux dtr. (cf. Jeremiah, Introduction, Translation
and Notes, Garden City, New York, Anchor Bible, Vol. 21, 1965, p. LXIII-LXXIII).
44
Cf. CARROLL, Robert P., Jeremiah, Philadelphia, Westminster, 1986, p. 63 : “ It is assumed that Jeremiah did
exist (like Macbeth or Richard III) but that assumption does not underwrite the attribution of everything in the
book to his authorship.”  / trad. : «  On peut admettre que Jérémie a vraiment existé (comme Macbeth ou Richard
III) mais cette affirmation ne garantit pas que l’on puisse attribuer tout ce qu’il y a dans le livre à sa paternité
littéraire.  » ou encore “It is not clear that ‘historical’ prophets can be reconstructed from books associated with
their names, nor is it established that such ‘historical’ figures are not the products or even the epiphenomena of
the traditions in which they appear!” / trad. : « Il n’est pas évident que l’on puisse reconstruire les prophètes
‘historiques’ à partir des livres qui portent leur nom, et il n’est non plus pas établi que de telles figures ‘historiques’
ne soient pas les produits ou même les épiphénomènes des traditions dans lesquelles ils apparaissent. » & cf.
ALBERTZ, Rainer, Israel in Exile: The History and Literature of the Sixth Century B.C.E. Traduit par David
GREEN. Studies in Biblical Literature 3, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2003: “Carroll’s commentary
also posits a comprehensive Deuteronomistic shaping of the book of Jeremiah. The whole book is a collection of
interpretations of the catastrophe of exile. This exilic perspective so predominates that the person of the prophet
disappears entirely. In addition, Carroll transforms the Deuteronomistic redaction into work carried out by many
different groups: depending on the themes addressed, they represent very diverse interests. ” / trad.: «  Le
commentaire de Carroll postule une formation articulée du livre de Jérémie. Le livre tout entier est une collection
d’interprétations de la catastrophe de l’exil. Cette perspective exilique prédomine tellement que la personne du
8
deutéronomistes postexiliques qui ont construit une image du prophète proche de leur
idéologie. »45 Ainsi, SCHMID soutient qu’à l’époque perse des « rédacteurs intègrent des
narrations : celles dont le thème est Babylone : 26*, 27-28*, 29*, 36* », œuvre suivie d’une
« rédaction en faveur de la Golah babylonienne (…) ensuite corrigée dans une perspective de
diaspora : 23, 7-8; 29, 14*, 32, 42-44*, et ceci vers la fin du Ve siècle avant notre ère. »46
SCHMID distingue au moins dix étapes de rédaction. Un critique comme HOLLADAY
soutient au contraire que ce style dtr n’est pas le fait de milieux dtr particuliers : il parle de
« Kunstprosa »47 et soutient que tout le monde parlait de cette manière à l’époque de Jérémie,
le prophète parlant simplement comme les gens et les milieux dtr de son temps.

En étudiant de près le TM du chapitre 29, nous retrouverons bien ce travail de


composition et nous verrons que ces différentes couches rédactionnelles développent des
théologies bien différentes appartenant à des traditions et des époques différentes.

3. Différences textuelles

Pour donner un aperçu des différences textuelles majeures entre le texte des LXX et le
TM, nous nous appuierons sur le travail très fourni et renseigné d’Emmanuel TOV48 et nous
nous intéresserons plus particulièrement au TM 29 (et aux chapitres 27 & 28). Avec Emmanuel
TOV, nous parlerons, pour le TM, de « l’édition II ». « L’éditeur II n’a pas, de manière

prophète disparaît entièrement. De plus, Carroll transforme la rédaction deutéronomiste en un travail accompli
par de nombreux groupes : selon les thèmes abordés, ils représentent des intérêts très divers.  »
45
FERRY, Joëlle, Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie, op. cit., p. 48-49.
46
RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète : stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de
Jérémie », art. cit., p. 262.
47
HOLLADAY, William L., “Prototype and Copies. A New Approach to the Poetry-Prose Problem in the Book
of Jeremiah ”, JBL, Vol. 79, 1960, p. 351-367.
48
Cf. Emmanuel TOV, The Greek and Hebrew Bible: Collected Essays on the Septuagint, Volume 72, c. 24, Brill,
1999, p. 363-384. Emmanuel TOV considère que la LXX est une édition plus ancienne du livre sans clairement
expliquer ce qu’il entend par « édition », « rédaction textuelle » ou « réception ». Il a ensuite précisé ces termes
dans des travaux ultérieurs. Cependant, sans renoncer à l’idée qu’il existe deux Vorlage différentes, nous
souhaitons utiliser son travail pour donner un aperçu des différences existant entre les deux traditions textuelles.
Pour une étude encore plus approfondie, cf. Emmanuel TOV, The Septuagint Translation of Jeremiah and
Baruch, A discussion of an Early Revision of the LXX of Jeremiah 29-52 and Baruch 1 :1-3 :8, Missoula, Scholars
Press, Harvard Semitic Museum, Vol. 8, 1976. Dans cet ouvrage, Emmanual TOV défend l’idée selon laquelle un
premier traducteur aurait traduit tout Jérémie et Baruch en grec et qu’un second traducteur aurait ensuite retravaillé
Jr 29-52 pour rendre le texte plus proche de l’hébreu, corriger quelques erreurs, utiliser des expressions
stéréotypées. Ce serait ce texte retouché par un second traducteur que nous aurions aujourd’hui tandis que nous
aurions le texte du premier traducteur en Jr 1-28 (p. 6-7).
9
significative, déformé le message du prophète qui lui a été remis. »49 Il semblerait que l’éditeur
II a eu accès à « d’autres prophéties authentiques de Jérémie. »50

L’éditeur II changea tout d’abord l’aspect éditorial du texte en ajoutant par exemple des
titres aux prophéties, ce qui est le cas du chapitre 27 qui ouvre l’unité que forment les chapitres
27 à 29 :

Paroles de Jérémie, fils de Hilqiyyahu, l'un des prêtres résidant à Anatot, en territoire
de Benjamin. A lui fut adressée la parole de Yahvé, aux jours de Josias, fils d'Amon, roi
de Juda, la treizième année de son règne ; Jérémie puis aux jours de Joiaqim, fils de
Josias, roi de Juda, jusqu'à la fin de la onzième année de Sédécias, fils de Josias, roi de
Juda, jusqu'à la déportation de Jérusalem, au cinquième mois. (Jr 27,1-3)

Emmanuel TOV signale, comme nous l’avons dit, que ce titre est erroné mais il n’en reste pas
moins qu’il relève d’un choix de l’éditeur II.

L’éditeur II ajouta aussi des sections entières, d’inspiration deutéronomiste. Il semble


que l’éditeur II a eu accès à un matériau authentique, absent de la LXX, comme le montrent
certains détails et certaines informations nouvelles ajoutés dans le récit: « Ainsi parle Yahvé
Sabaot, le maître de l’univers, le Dieu d'Israël, au sujet d'Ahab, fils de Qolaya, et de
Cidqiyyahu, fils de Maaséya, qui vous prophétisent en mon nom des mensonges »
(Jr 29, 21) L’information « fils de Qolaya » et de « fils de Maaséya » n’apparaît nulle part
ailleurs51 et cela montre bien que l’éditeur II a eu accès à un autre matériau : c’est la théorie
d’une Vorlage hébraïque différente de la Vorlage de la LXX. Il semble en effet peu probable
qu’il ait purement inventé ces noms. Il existe cependant quelques cas, rares et isolés, où
l’éditeur II a, semble-t-il, librement réécrit des passages. On peut noter, dans le chapitre 29, le
cas du verset 25 :

LXX TM

Οὐκ ἀπέστειλά σε τῷ ὀνόµατί µου. καὶ πρὸς ֩‫ֲשׁר אַתָּ ה‬


֣ ֶ ‫ֵאמ ֹר ַ֡יעַן א‬
֑ ‫ְהו֧ה ְצב ָ֛אוֹת אֱֹלהֵ ֥י יִשׂ ְָר ֵ ֖אל ל‬
ָ ‫כֹּֽה־אָ ֞ ַמר י‬
Σοφονιαν υἱὸν Μαασαιου τὸν ἱερέα εἰπέ... ‫ֲשׁר בִּירוּשׁ ָ֔לַ ִם ְואֶל־‬
֣ ֶ ‫שׁ ְמ ָ֜כה ְספ ִָ֗רים אֶל־כָּל־ ָהעָם֙ א‬
ִ ‫שׁ ַ֨לחְתָּ ְב‬
ָ
ֵ ‫ְצ ַפנְ ָי֤ה בֶן־מַ ֽ ֲע‬
‫שׂי ָה֙ הַכּ ֹ ֵ֔הן וְאֶ ֥ל כָּל־הַכּ ֹ ֲה ִנ֖ים לֵאמֹֽר׃‬

Je ne t’ai pas envoyé en mon nom. Et à Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël.
Sophonie, fils de Maaséja, dis : ... Puisque toi, tu as envoyé de ton propre chef à
tout le peuple de Jérusalem et au prêtre

49
Ibidem, p. 365: “Editor II did not distort significantly the message of the prophet as handed down to him. ”
50
Ibidem: “ editor II did not rewrite a scroll that contained only authentic Jeremianic utterances. ”
51
Cf. ibidem, p. 369.
10
Cephanya, fils de Maaséya (et à tous les
prêtres) une lettre disant :


Le texte des LXX est ici librement réécrit pour, semble-t-il, éclaircir le propos52.

L’éditeur II a voulu, en effet, dans certains cas, « clarifier des passages qui l’ont frappé
comme étant peu clairs, rendant explicite ce qui était implicite, insistant sur des idées déjà
présentes dans le livre. »53 Ainsi, en Jr 29, 6, l’éditeur II rajoute une formule qui insiste sur
l’ordre de se multiplier en jouant sur les parallélismes : « prenez femme et engendrez des fils
et des filles ; choisissez des femmes pour vos fils ; donnez vos filles en mariage et qu'elles
enfantent des fils et des filles ; multipliez-vous là-bas, ne diminuez pas ! » Les ajouts disent
ainsi que c’est bien en Babylonie, « là-bas », «  ‫» ָ ֖שׁם‬, que les Juifs doivent marier leurs enfants
et que le but du mariage est bien la procréation, «  ‫»וְתֵ ַל֖דְ נָה ָבּ ִנ֣ים וּבָנ֑ וֹת‬.

Selon Emmanuel TOV, ce travail de clarification transparaît au plus haut point dans les
versets 16 à 20. Ces versets 16 à 2054, qui « abondent de phraséologie deutéronomiste »,
constituent ainsi une petite structure, d’inspiration deutéronomiste55, indépendante à l’intérieur

52
Nous préférons dire que cela est le signe de deux traditions textuelles différentes.
53
Cf. ibidem, p. 372: “ An important aspect of ed. II was an attempt to clarify passages which apparently struck
him as insufficiently clear. The editor read the book as an exegete and then revised the text, clarifying details in
the context, making explicit what was implicit, and stressing ideas already found in the book... ”
54
«  Ainsi parle Yahvé au sujet du roi qui trône sur le siège de David et de tout le peuple habitant cette ville, vos
frères qui ne vous accompagnèrent pas en déportation.
 Ainsi parle Yahvé Sabaot : Voici que je vais leur envoyer
l'épée, la famine et la peste; je les rendrai pareils à des figues pourries, si gâtées qu'on ne peut les manger. Je les
poursuivrai par l'épée, la famine et la peste. J'en ferai un objet d'épouvante pour tous les royaumes de la terre, une
exécration, un objet de stupeur, de dérision et de raillerie pour toutes les nations où je les aurai chassés.
 C'est qu'ils
n'ont point écouté mes paroles - oracle de Yahvé - bien que je leur aie envoyé sans me lasser mes serviteurs les
prophètes, mais ils ne les ont pas écoutés - oracle de Yahvé. Quant à vous, les déportés, que j'ai envoyés de
Jérusalem à Babylone, écoutez tous la parole de Yahvé ! » (Jr 29,16–20)
55
Cf. SMITH, Daniel L., “Jeremiah as Prophet of Nonviolent Resistance”, in JSOT, Vol. 43, 1989, p. 105 : “ It is
clear that vv. 16-20 are Deuteronomic in influence, if not origin. To begin with, the concept of the 'Throne’ ‫כסא‬
of David, as a symbol of authority, is Deuteronomic. (...) The trilogy of sword, famine, pestilence, and the
figurative use of ‫=תאנה‬figs, both relate directly to the prose section ch. 24, and obviously were either introduced
at the same time as ch. 24. (...) Finally, the charge of disobeying the many prophets that God sent (v. 19) is a
common Deuteronomic theme, frequent in Deuteronomic sermons. ” / trad. : «  Il est clair que les versets 16 à 20
sont d’influence deutéronomiste ou même alors d’origine deutéronomiste. Tout d’abord, le concept de 'trône’ ‫כסא‬
de David, comme symbole d’autorité, est deutéronomiste. (...) La trilogie 'épée, famine, peste’, et l’usage figuré
de ‫ =תאנה‬figues, renvoient tous deux à la section en prose du chapitre 24 et furent sans doute introduits en même
temps que le chap. 24. (...) Enfin, l’accusation de désobéissance à l’égard des nombreux prophètes que Dieu a
envoyés (v. 19) est un thème deutéronomiste fréquent dans les sermons deutéronomistes.  » William HOLLADAY
pense que la trilogie « épée, famine, peste » vient de Dt 32, 23-25 (cf. Jeremiah 1, Hermeneia, op. cit.,
“Introduction”, p. 55). Louis STULMAN soutient que les versets 16-20 ne sont pas réellement des ajouts du TM
mais qu’ils témoignent d’une Vorlage différente et qu’ils sont l’œuvre de l’école deutéronomiste (cf. The Prose
Sermons of the Book of Jeremiah, Atlanta, Society of Biblical Literature, Vol. 83, 1986, p. 90). Pour STULMAN,
« l’abondance dans les expressions données en série et la reproduction de Prophetenaussage dans les v. 17 à 19
montrent bien les liens que ce passage entretient avec la tradition deutéronomiste. » (ibidem, p. 93 : “the verbose
nature of the serial clauses and the reproduction of the Prophetenaussage in vv. 17-19 are also indicative of the
11
du chapitre 29, et viennent rompre la cohésion du texte. On se rend compte de cette rupture
dans le fil du récit si l’on veut bien lire à la suite les versets 15 et 21. Les exilés de Babylone
parlent à Jérémie en 29,15, lui disant que Dieu leur a donné des prophètes (« Puisque vous
dites : Yahvé nous a suscité des prophètes à Babylone ») ; au verset 21, il leur répond que Dieu
punira précisément ces prophètes : « Ainsi parle Yahvé Sabaot, le Dieu d'Israël, au sujet
d'Ahab, fils de Qolaya, et de Cidqiyyahu, fils de Maaséya, qui vous prophétisent en mon nom
des mensonges : Voici, je vais les livrer entre les mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone,
qui les frappera sous vos yeux. » Dans les versets 15 et 21, Jérémie s’adresse aux exilés de
Babylone tandis que dans les versets 16 à 20, il s’adresse aux gens de Jérusalem : « Ainsi parle
Yahvé au sujet du roi qui trône sur le siège de David et de tout le peuple habitant cette ville,
vos frères qui ne vous accompagnèrent pas en déportation » (Jr 29, 16). Cependant, il semble
ici difficile de parler d’un travail de clarification : il s’agit plutôt d’un ajout, de facture
deutéronomiste, qui a pour résultat une plus grande obscurité du texte, en tout cas, en ce qui
concerne sa cohésion.

Emmanuel TOV souligne que ces versets 16 à 20 ajoutés à la LXX ont pour fonction,
dans la plus pure tradition deutéronomiste, de dénoncer « la culpabilité du peuple. »56 Il existe
donc une idéologie pro-exil dans la Vorlage du TM et la LXX qui est comme modifiée par une
idéologie deutéronomiste dans le TM. Ces ajouts du TM révèlent l’œuvre de l’éditeur II :
nouvelles informations provenant d’un matériau authentique absent de l’édition I (LXX),
travail de clarification, ajout d’un matériau deutéronomiste qui condamne un peuple coupable
et rebelle. Ce sont donc plusieurs théologies qui sont en présence dans le texte canonique final
(TM) et qui appartiennent à des traditions et des époques différentes. Malgré l’étude de ces
différences et la théorie d’Emmanuel TOV, nous voulons continuer à soutenir l’existence de
deux traditions textuelles autonomes.

4. La lettre aux exilés (c. 29) au cœur du livre de Jérémie : cotexte et structure

Il semble important, dans un premier temps, de tenter de rendre compte de la structure


générale du TM du livre de Jérémie, dans son état final. Pour cela, nous reprendrons très
largement les analyses de Joëlle FERRY qui fondent ses conclusions sur les travaux de
KESSLER, CARROLL et HOLLADAY, eux-mêmes héritiers, à divers titres, des travaux de

passage’s association with Deuteronomistic tradition.”)


56
Cf. Emmanuel TOV, The Greek and Hebrew Bible, op. cit., p. 382.
12
DUHM et de MOWINCKEL. Le livre de Jérémie serait ainsi constitué de trois grandes parties
(que nos Bibles, suivant le TM, reproduisent souvent) :

I- Oracles contre Juda : ........................................................................................................ 1-25


1) 1-20
2) 21-25, 12
3) 25, 13-38

II- Textes narratifs & autobiographiques : ........................................................................ 26-45


1) 26-3557
2) 36-4558

III- Oracles contre les nations : ........................................................................................ 46-5259


1) 46-51
2) 52

La première partie se divise donc en deux sections principales : « les ch. 21-24
complètent 1-20 : un oracle contre Sédécias est en tête d’un livret sur les rois, le livret sur les
prophètes et la vision des corbeilles de figues expriment le jugement contre Israël-Juda. 25, 1-
12 est un résumé de 1-25, tandis que 25, 13-38 amorce la dernière partie : 46-51. » 60

57
Thomas RÖMER, lui aussi, défend cette «  macrostructure  » 26-35 (cf. RÖMER, Thomas, « Du livre au prophète
: stratégies rédactionnelles dans le rouleau prémassorétique de Jérémie », art. cit., p. 264.) Martin KESSLER
défend l’idée selon laquelle il existe bien un cycle narratif qui s’étendrait non pas des ch. 26 à 35 mais des ch. 26
à 36 et qui aurait son origine dans le milieu des exilés. Au cœur de ces ch. 26-36, il y aurait une «  collection  » de
trois chapitres (27, 28, 29). Le chapitre 26 fonctionnerait comme préface des chapitres 27-29. Dans cette collection
de trois chapitres, le chapitre 28 serait un chapitre d’articulation entre le plan de Dieu pour Juda et ses voisins
(chapitre 27) et la promesse de paix (chapitre 29) : cf. KESSLER, Martin, “Jeremiah Chapters 26-45,
Reconsidered”, in Journal of Near Eastern Studies, Vol. 27, 1968, p. 83: “Chap. 28 then forms the link between
the statement of Yahweh's plan for Judah and her neighbors (chap. 27) and the shalom messages in chaps. 29 ff.
We might almost say that chap. 28 is the catalyst for Jeremiah's shalom oracles; while Hananiah's brand of
imminent shalom is opposed, in Yahweh's plan as represented by his true prophet there is also shalom beyond
Judah's inevitable calamities which Yahweh had ordained as necessary punishment for their disobedience. ” / trad.:
«  Le chapitre 28 fait lors le lien entre l’affirmation du plan de Yahvé pour Juda et ses voisins (chap. 27) et les
messages de shalom dans le chapitre 29 et suivants. Nous pourrions aussi dire que le chap. 28 sert de catalyseur
aux oracles de shalom de Jérémie ; tandis que le style d’Hananya s’oppose à une shalom imminente, dans le plan
de Yahvé, tel qu’il est représenté par son vrai prophète, il y a de la shalom au-delà des calamités inévitables de
Juda que Yahvé a fixées comme une punition nécessaire pour leur désobéissance.  »
58
FERRY, Joëlle, Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie, op. cit., p. 284 : « la plupart des
commentateurs divisent l’ensemble 26-45 en deux sections : 26-35 et 36-45. »
59
Cette section 46-51, dans la LXX, vient après la 1ère section (1-25) :
TM LXX
1,1- 25,13 1,1- 25,13
25,14 – 45, 5 32, 1-51, 35
46,1- 51, 64 25, 14 – 31, 44
60
Ibidem, p. 289.
13
Quant à la deuxième partie, elle se divise elle aussi en deux sections : les ch. 26-35 et
« les ch. 36-45 qui, dans des récits, racontent les souffrances du prophète et le sort de Jérusalem
(37-39) et du reste de Juda (40-44). Deux oracles de salut (…) concluent ces sous-sections.
(45)  »61

La dernière partie, la troisième partie, se compose elle aussi encore de deux sections :
les oracles contre les nations (46-51) et l’appendice historique sur la chute de Jérusalem (52).

Martin SWEENEY, comparant le plan de la LXX avec celui du TM, en conclut que les
deux livres de Jérémie ont un projet herméneutique différent qui donne à chacun de ses livres
une dynamique bien différente : alors que « la perspective rétrospective de la LXX cherche
plus à expliquer la destruction de Jérusalem comme un acte de YHWH faisant partie d’un plan
divin plus général de punition des nations62 », « la version massorétique de Jérémie insiste plus
sur la chute des nations, particulièrement celle de Babylone, après la destruction complète de
Jérusalem, (...) sur la restauration d’une royauté davidique légitime63 », une perspective
« prospective ». Il faut donc garder à l’esprit, en lisant le TM, que les différents chapitres sont
tournés vers une promesse de restauration, dont le livre de la consolation (ch. 30-31), lui-même
pris dans une section plus large (26-36), est le cœur.

La section des ch. 26-36, au centre du livre de Jérémie, a sa cohésion propre car les ch.
26 et 36 se répondent dans un jeu d’inclusion : « Le ch. 26 raconte l’arrestation et le jugement
de Jérémie au début du règne de Joiaquim (...) Si nous lisons maintenant le ch. 36, nous
constatons qu’il n’est pas sans rapport avec le ch. 26. (…) Comme au ch. 26, la parole que
YHWH ordonne au prophète de dire est rejetée. »64

Joëlle FERRY propose alors une structure concentrique pour justifier de l’unité de cet
ensemble des ch. 26 à 36 (TM)65 :

61
Ibidem.
62
En effet, le livret contre les prophètes vient après les oracles contre les nations.
63
SWEENEY, Martin A., “The Masoretic and Septuagint Versions of the Book of Jeremiah in Synchronic and
Diachronic Perspective ”, in Form and Intertextuality in Prophetic and Apocalyptic Literature, Wipf & Stock
Publishers, 2010, p. 72: “ the retrospective perspective of the LXX form of the book places greater weight on
explaining the destruction of Jerusalem as an act of YHWH as part of a more general pattern of divine punishment
for the nations (...) The Massoretic version of Jeremiah places much more emphasis on the downfall of the nations,
particularly Babylon, after the destruction of Jerusalem is complete (...) on the restoration of righteous Davidic
kingship. ”
64
FERRY, Joëlle, Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie, op. cit., p. 285.
65
On peut garder cette même structure en l’appliquant rigoureusement à la LXX.
14
« A 26 Rejet de la parole de Jérémie et légitimation du prophète, serviteur que Yhwh
envoie pour prononcer les paroles qu’il lui a ordonné de dire
B 27-28 Action symbolique du joug et conflit avec Hananya. Jérémie est le
prophète envoyé par Dieu. Les autres prophétisent le mensonge : ne les écoutez
pas.
C 29 Lettre de Jérémie : message d’avenir et d’espérance pour les
exilés de Babylone entrecoupé d’allusions aux prophètes de mensonge qui n’ont
pas été envoyés.
D 30-31 : oracles adressés à Israël et Juda : « livret de la
consolation »
C’ 32-33 Message d’espérance pour ceux qui sont restés en Juda.
B’ 34-35 Des 2 attitudes opposées : la désobéissance à la parole donnée de libérer
les esclaves et l’obéissance des Rékabites, le récit dégage une leçon : écoutez
les paroles des prophètes envoyés par Yhwh.
A’ 36 Rejet de la parole et nouvelle légitimation du prophète. Le roi déchire le rouleau
mais Yhwh donne l’ordre à Jérémie d’en dicter un second. La lecture fait place à l’écriture mais
la parole demeure. »66

Le ch. 29 (LXX 36) doit, selon cette proposition, être lu avec les chapitres 27 et 28
(LXX 34-35) qui le précèdent, et avec lesquels, il a une cohérence thématique67, stylistique et
même formelle très forte68, et les ch. 32 et 33 (LXX 39-40). Nous ne manquerons pas, dans

66
Ibidem, p. 289-290.
67
Cf. ibidem, p. 287 : « les ch. 27-28 affirment nettement que Jérémie est prophète. Sa légitimation est encore
renforcée par l’accomplissement de l’oracle à Hananya qui clôt le ch. 28. Le ch. 29 est une lettre d’espérance aux
exilés de Babylone (…) Au milieu, dans la lettre aux exilés, et, à la fin du chapitre, dans la prophétie contre
Shemayahu, revient à nouveau la mention de conflits entre prophètes avec le même vocabulaire que
précédemment : “Cependant, le prêtre Sophonie lut cette lettre au prophète Jérémie.”(Jr 29, 29) On retrouve les
mêmes termes en 29, 21.23.31. Le ch. 29 est donc lié à la fois aux chapitres précédents, par la question du
discernement prophétique, et aux chapitre suivants, par son message d’espérance en l’avenir.  » Cf. William
HOLLADAY, Jeremiah 2, Hermeneia, op. cit., « Introduction », p. 22.
68
Parmi les éléments de style principaux que les critiques ont relevés, on peut mentionner la graphie du nom de « 
Nebuchadnezzar  » (‫)נבוכדנצר‬, orthographié avec un « ‫ » נ‬tandis que l’orthographe majoritaire dans le livre de
Jérémie est avec un « ‫» ר‬, plus proche du nom araméen « Nabû-kudurri-uṣur ». (Cf. OVERHOLT, Thomas,
“Jeremiah 27-29: The Question of False Prophecy ”, Journal of the American Association of Religion, Vol. 35, N°
3, 1967, p. 242.) Pour une étude complète de ces traits stylistiques, cf. GIESEBRECHT, Friedrich, Das Buch
Jeremia, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1894, p. 146 ssq.) On peut aussi noter que dans ces trois chapitres
les noms théophores yahvistes sont orthographiés « ‫» ־יה‬, «  -yah  » au lieu de « ‫» ־יהו‬, «  -yahou  » comme dans le
reste du livre (Cf. WBC, p. 35. On en a un bel exemple en Jr 29, 3: «  ‫» גְ ַמ ְר ָי֖ה בֶּן־ ִח ְל ִק ָיּ֑ה‬.); c’est particulièrement vrai
du nom du prophète Jérémie qui, dans ces trois chapitres, a la forme «  ‫» י ְִר ְמי ָה‬, « Jeremiah » (Jr 27, 1 / 28, 5; 10; 11;
12; 15 / 29, 1.). Sept fois sur onze (Jr 28, 5; 6; 10; 11; 15 / Jr 29, 1; 2), dans ces trois chapitres, le titre «  prophète  »
est attaché au nom de Jérémie ; cette fréquence est remarquable si l’on compare cet usage avec le reste du livre.
Ce terme de «  prophète  » est aussi accolé au nom de Hananya car ces trois chapitres questionnent en profondeur
la question de la vraie et de la fausse prophétie. Cf. aussi OSUJI, Anthony Chinedu, “True and False Prophecy in
Jer 26-29 (MT): Thematic and Lexical Landmarks”, Ephemerides theologicae Lovanienses, Vol. 82 / 4, décembre
2006, p. 437-452.
15
notre étude, de faire les rapprochements nécessaires. En outre, il semblerait que tous les
événements décrits dans ces trois chapitres se soient déroulés sur une période d’un an entre la
conquête de Jérusalem par Nabuchodonosor en 597 ac et la conquête et la destruction définitive
de Jérusalem en 588 ac69.

Mais ce modèle avancé par Joëlle FERRY n’est, évidemment, pas le seul et, très
récemment, Daniel EPP-TIESSEN70, propose d’étudier Jr 23, 9 - 29,3271 comme une seule
unité éditoriale, estimant que le livret de la consolation (ch. 30-31) inaugure une nouvelle
section, ce que récusait précisément Joëlle FERRY72. Cette unité éditoriale constitue un « livret
sur les prophètes » comme le montre la suscription de Jr 23, 9 : « Message concernant les
prophètes. » A son tour, Daniel EPP-TIESSEN propose une structure concentrique assez
convaincante de cette unité (cf. Annexe A) sur laquelle nous construirons plus spécifiquement
notre réflexion. Le ch. 29 serait alors à lire de près avec 23, 9-40 et 24, 1-10, qui traitent
respectivement de la condamnation des faux-prophètes et de la vraie prophétie de Jérémie qui
donne des oracles d’espoir pour les exilés et des oracles de malheur pour les non-exilés. Daniel
EPP-TIESSEN s’appuie sur des intuitions de MILLER, KEOWN, BRUEGGEMANN ou
LUNDBOM pour élaborer cette théorie. Les chapitres 23 à 29 constitueraient donc un livret des
prophètes, une unité rédactionnelle que la structure concentrique, avec en son centre la
question-clé de la réponse appropriée à apporter à la vraie prophétie.

Ces deux structures concentriques assez différentes au premier abord sembleraient


inviter à des lectures bien différentes du ch. 29 qui constitue l’objet de cette étude. Joëlle

69
Le chapitre 27 évoque une coalition anti-babylonienne qui est le seul événement réellement susceptible de
donner une datation. Les commentateurs reconnaissent cependant qu’il est bien difficile de trouver une date
précise. L’avènement de Psammétique II en Egypte en 594 ac a sans doute aucun nourri des espoirs de revanche
qui ont pu mener à cette conférence. Mais si l’on veut bien lier l’intervention de Jérémie devant les participants
de la conférence avec l’affrontement avec Hananya et la permanence du joug comme signe prophétique, on peut
sans doute dater cet événement de 593 et plus précisément du mois d’Av (mois d’été, juillet ou août). Cf. Abraham
MALAMAT, “The Twilight of Judah: In the Egyptian-Babylonian Maelstrom,” in Edinburgh Congress Volume,
VTSup 28, Leiden, Brill, 1975, p. 135-136: “But the smooth continuity of the events described in Jeremiah
XXVII-XXVIII (which latter chapter opens with the notation: “In that same year”), would point to Zedekiah’s
fourth regnal year, that is between Tishri 594 and Tishri 593. Moreover the date can probably be pinpointed even
more accurately -to only slightly prior to the clash between Jeremiah and the false prophet Hananiah which
occurred in the fifth month of that year, that is, in Ab 593 BC”. / trad.: «Mais la continuité évidente entre les
événements décrits en Jérémie 27-28 (ce dernier s’ouvrant avec la notation: « cette même année ») pointerait vers
la quatrième année du règne de Sédécias, à savoir entre Tishri 594 et Tishri 593. De plus, on peut sans doute
encore plus précisément définir la date comme étant à peine antérieure au conflit entre Jérémie et le faux-prophète
Hananyah qui a eu lieu durant le cinquième mois de cette même année, à savoir en Av 593.» Nous suivons plutôt
cette conjecture de MALAMAT, l’enchaînement des événements nous paraissant plus convaincant.
70
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy in Jeremiah 23:9-29:32, Eugene,
OR, Pickwick, 2012.
71
Cette structure ne saurait s’appliquer à la LXX du fait de la différence des répartitions des chapitres.
72
Cf. FERRY, Joëlle, Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie, op. cit., p. 284.
16
FERRY met plus l’accent sur le message d’espérance délivré à Juda et Daniel EPP-TIESSEN
semble plus insister sur la question de la vraie et de la fausse prophétie. En outre, nous nous
rendons compte, en analysant leurs propositions de près, que Joëlle FERRY inscrit clairement
le ch. 29 dans la suite des ch. 27 et 28 qui traitent de la vraie et de la fausse prophétie et que
Daniel EPP-TIESSEN met plus l’accent sur les promesses de bonheur faites aux exilés et les
oracles de malheur faits aux non-exilés. Il s’agit plus d’une différence d’accent que d’une
quelconque différence de fond. En croisant ces deux modèles, apparaissent ainsi les deux
thèmes principaux de ce ch. 29 : la question de la prophétie et les promesses de bonheur.

Reste à tenter de saisir ce qui fait l’unité et la cohérence de ce chapitre 29.

5. La lettre ou les lettres du chapitre 29 (LXX 36) ?

Dès le début du chapitre 29 (LXX 36), intitulé « lettre aux exilés » dans la plupart des
Bibles, nous changeons de cadre, passant de l’histoire du conflit entre Jérémie et Hananya à
une lettre comme le montrent les termes «  ‫ » ַה ֵ֔סּפֶר‬ou « ἐπιστολή ». Cependant, à la lecture de la
« lettre », il est bien difficile de reconnaître les caractéristiques principales du style épistolaire
telles qu’elles ont été établies à partir de lettres araméennes par quelques chercheurs73. Les
quatre temps fondamentaux sont normalement :

- praescriptio - Formule d’adresse - expéditeur / destinataire - salutations


- transition vers le corps de la lettre (souvent ‫)ואת‬
- corps de la lettre
- formule de conclusion.

Les commentateurs ne sont pas d’accord pour dire que la lettre de ce chapitre 29
respecte ou non les normes traditionnelles de la lettre. Si, d’après Dennis PARDEE, dans le
chapitre 29, « rien ne suggère que nous ayons une lettre »74, d’autres tiennent au contraire à
démontrer que ce passage est une lettre en bonne et due forme. William HOLLADAY, revenant
sur des premières considérations75, montre alors que la lettre contient finalement bien une

73
Cf. PARDEE, Dennis, “Formulaic Features of Hebrew Letters”, Handbook of Ancient Hebrew Letters, SBL,
15, Chico, 1982, chap. 4.
74
SMITH, Daniel, “Jeremiah as Prophet of Nonviolent Resistance ”, op. cit., p. 97: “ Nothing suggests a letter
form. ” Cf. aussi FISCHER, Georg, Jeremia 26-52, HthKAT, Freiburg, Herder, 2005, p. 88.
75
Cf. HOLLADAY, William, “God Writes a Rude Letter ”, Biblical Archaelogists, Summer 1983, p. 145: “But
Jeremiah’s letter lacks such a greeting; instead, the letter moves directly into the imperatives of the body of the
letter. ” / trad. : « Dans cette lettre, pas de salutations, juste les impératifs du corps de la lettre. »
17
adresse « ‫ » ְלכָל־ ַ֨הגּוֹ ָ֔לה‬suivie d’une formule de salutation quelque peu modifiée « ‫ » שְׁל֣ וֹם‬qui fait
déjà partie du corps de la lettre qui est parsemé d’impératifs qui ont une fonction parénétique76.

Ceci permet à de très nombreux critiques dont DUHM77 de penser que nous avons bien
là des morceaux d’une véritable lettre. Finalement la structure traditionnelle de la lettre subsiste
tout de même sous les ajouts des scribes et sous les remaniements successifs dont nous avons
donné un aperçu ci-dessus.

A la lecture de ce chapitre 29, il apparaît aussi clairement qu’il y a bien deux lettres. La
première lettre, si nous prenons le TM comme texte de référence, s’étend des versets 1 à 20
(LXX, 36, 1-15). Les versets 20 à 23 sont une transition et un résumé d’une autre lettre qui est
la réponse de Shemaiah78. En effet, on peut considérer que le v. 21 inaugure une autre section
puisqu’on y retrouve la traditionnelle formule : « 79‫ֱֹלהי יִשׂ ְָר ֵ֗אל‬
֣ ֵ ‫» כֹּֽה־אָ ַמ ֩ר י ְה ֨ ָוה ְצב ָ֜אוֹת א‬. « En 29, 24-
32, nous avons une trace de la réponse caustique de Jérémie aux lettres très critiques de
Shemaiah le Néhélamite -des lettres écrites en réponse à la première lettre du prophète. »80
Cette seconde lettre de Jérémie est encore plus conforme, de fait, aux critères épistolaires
établis ci-dessus:

- praescriptio - Formule d’adresse - expéditeur / destinataire – salutations : v. 24


- transition vers le corps de la lettre en citant la lettre de Shemaiah : v. 25-30
- corps de la lettre : v. 31-32
- formule de conclusion absente81

Le chapitre 29 serait alors une sorte de recueil épistolaire synthétique qui serait la trace
d’une correspondance entre Jérusalem et Babylone au sujet de la vraie prophétie. Cette

76
Cf. HOLLADAY, William, Jeremiah 2, Hermeneia, op. cit., p. 138.
77
Cf. DUHM, Bernard, Das Buch Jeremiah, Kurzer Handkommentar zum Alten Testament; Tübingen and
Leipzig, 1901, p. 229 ssq. DUHM défend ainsi que la lettre originale se réduirait aux versets 4a ; 5-7; 11-14, ce
qui accrédite bien l’idée selon laquelle la prophétie de Jérémie, mise en forme et en œuvre par le rédacteur, vise
bien à défendre la possibilité d’une vie religieuse authentique en exil. D’autres commentateurs, comme
RIETZSCHEL, considèrent que seuls les versets 4 à 7 appartiennent à la lettre originelle et que les versets 8 à 20
sont des additions plus tardives. D’autres encore, comme RUDOLPH, affirment sans hésitation que la lettre
originelle continue jusqu’au verset 23. (cf. HOLLADAY, William, Jeremiah 2, Hermeneia, op. cit., p. 137.)
78
Des commentateurs comme HOLLADAY rattachent ces versets 21 à 23 à la première lettre. Nous préférons les
considérer comme des oracles qui ne sont pas immédiatement dépendants de ce qui précède. Nous avons préféré
retenir les v. 1-20 qui, nous le verrons, ont une grande cohésion et cohérence thématique en structure concentrique.
79
Regina WILLY rapproche ainsi les v. 21-23 des v. 24-32 : « Le générique des v. 21-23, formulé de manière
autonome, est au niveau stylistique très proche des v. 24-32. » (WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu
pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 74) Elle considère que le v. 21 inaugure une nouvelle section, ce qui
justifie notre découpage (v. 1-20).
80
WILSON, Gerald, “The Prayer of Daniel 9: Reflection on Jeremiah 29”, JSOT, Vol. 48, 1990, p. 93: “ In 29.24-
32 we have evidence of Jeremiah’s caustic response to critical letters from Shemaiah the Nehelamite -letters
written in response to the prophet’s first letter. ”
81
Cf. DIJKSTRA, Meindert, “Prophecy by Letter (Jeremiah XXIX 24-32)”, Vetus Testamentum, Vol. XXXIII,
1983, p. 320-321.
18
dominante épistolaire permet de repérer ainsi un ensemble textuel autonome (Jr 29, 1-20) qui
sera l’objet de cette étude.

De ce bref parcours critique, nous pouvons retenir que ce chapitre 29 appartient à une
collection (chapitres 27 à 29). Elle est l’œuvre d’un ou de plusieurs rédacteurs qui l’a/ont sans
doute composée pendant la période de l’Exil : ce(s) dernier(s) défend(ent) une idéologie très
favorable à l’Exil. Il est possible de vivre sa vie religieuse juive en dehors de Jérusalem, il n’est
pas nécessaire d’y retourner. Un des deux éditeurs, celui du TM, a introduit des éléments
nouveaux, de facture plutôt deutéronomiste, insistant sur la culpabilité du peuple et sa juste
punition. Le texte final du chapitre 29, tel qu’il apparaît dans le TM, laisse difficilement voir
qu’il s’agit d’une lettre : il reste sans doute quelques morceaux de la lettre originelle de Jérémie
aux exilés, la trace d’une réponse à cette dernière et la réponse de Jérémie mais, globalement,
le chapitre 29 est bien plutôt une collection épistolaire qui résonne d’une correspondance entre
Jérusalem et Babylone sur laquelle viennent donc se surimposer des couches rédactionnelles et
des théologies variées.

6. Choix méthodologiques

Pour étudier ce chapitre 29, nous partirons non seulement du TM qui a servi de base à
la majorité des traductions en langue française et qui est le texte le plus long mais nous
étudierons aussi le texte de la LXX avant de les comparer pour saisir leurs spécificités. Pour
aborder ce texte, il paraît nécessaire, autant que faire se peut, de considérer Jr 29, 1-20 (LXX
Jr 36, 1-15) comme une unité littéraire autonome, que le genre et le format de la lettre
délimitent, en rendant compte du processus qui a présidé à cette même unité. En reprenant les
analyses des différentes couches rédactionnelles menées ci-dessus, nous souhaitons montrer
comment ces dernières procèdent d’une volonté des rédacteurs successifs de donner une
cohérence à ce passage, ou à ces passages oserait-on dire, puisque nous avons bien affaire à
deux versions (TM & LXX). Les rédacteurs n’ont pas seulement ajouté arbitrairement des
passages, ils ont fait œuvre de composition et le TM a une cohérence propre, avec son propre
centre et donc une portée spécifique. Ce texte de Jr 29, 1-20 (LXX 36, 1-15) développe des
théologies complexes, variées et parfois contradictoires tout en assurant une unité structurelle
voulue par le rédacteur final. Par comparaison, l’étude des couches rédactionnelles s’apparente
à l’étude des brouillons en littérature et doit ainsi permettre de reconstituer, génétiquement, la
naissance et l’évolution d’un texte littéraire jusqu’à sa forme finale.

19
Nous souhaitons adopter une démarche d’analyse littéraire en deux temps plus un.
Après avoir étudié le TM puis la LXX pour eux-mêmes, nous les comparerons pour souligner
non pas tant leurs ressemblances, somme toute assez évidentes, mais pour apprécier leurs
subtiles variations. Cette étude littéraire tiendra tout particulièrement compte du genre littéraire
qui donne au chapitre 29 son unité : le chapitre, nous l’avons vu, est à lui seul la trace d’une
correspondance synthétisée et elliptique entre le prophète Jérémie, les habitants de Babylone,
les habitants de Jérusalem et les faux-prophètes. En soulignant les effets propres au genre
épistolaire, il s’agira de montrer comment le projet herméneutique du chapitre 29 du TM est
d’adopter une « perspective prospective » de restauration et de promesse de bonheur en ayant
recours aux techniques de la rhétorique oratoire et oraculaire soutenue par la composition
littéraire globale, en structure concentrique, du chapitre tout entier. Nous verrons donc aussi
comment le chapitre 36 de la LXX modifie quelque peu cette prospective et élabore son propre
projet théologique, comment il propose une approche de la fausse prophétie, distincte ou non,
de celle du TM.

Tout en soulignant donc les éventuelles contradictions internes nées des additions et
des théologies successives mais en aussi en se référant au cotexte et à d’autres passages
bibliques, notre étude se propose de comprendre comment le texte met en œuvre, ici, dans ce
passage, un projet de restauration fondé sur une théologie de la vraie et de la fausse prophétie,
théologie qui est parfois bien différente dans le reste du livre de Jérémie. Il s'agira aussi
d’entrevoir quel portrait du vrai et du faux prophète le texte donne à voir, quels sont les critères
internes au texte qui président à l’élaboration de ce portrait mais aussi, du point de vue
générique, de mieux saisir le statut de la lettre dans ce passage.

20
II- Etude de la première lettre de Jérémie aux exilés

II-1 : Etude du texte massorétique : Jr 29, 1-20

Pour mener à bien cette étude littéraire et rendre compte de l’unité structurelle de cette
première lettre du chapitre 29 du texte massorétique, nous utiliserons le plan en structure
concentrique proposé par Jorge TORREBLANCA82 qui permettra, aussi, de retrouver les
étapes rédactionnelles. La question des conditions de la vraie et de la fausse prophétie servira
de fil conducteur pour comprendre le projet du rédacteur de Jérémie dans ces vingt premiers
versets. La structure de la première lettre de ce chapitre peut être ainsi schématisée :

A - 1-3 : la lettre à ceux qui sont exilés de Jérusalem, à Babylone : suscription

B - 4-7 : construire, bâtir, planter

C - 8-9 : les faux-prophètes rêveurs

D - 10 : promesse de restauration après soixante-dix ans

X : 11-14a : partir à la recherche de Dieu

D’ - 14b : promesse de retour d’Exil

C’ - 15 : « Dieu nous a donnés des prophètes! »

B’ - 16-19 : destruction et malédiction

A’ - 20 : appel à l’écoute

82
Cf. Jorge TORREBLANCA, «  Continuidad para el futuro del pueblo de Dios...  », Cuadernos de Teología,
vol. XXIII, 2005, p. 30. Un commentateur récent comme Georg FISCHER défend aussi l’idée selon laquelle la
première lettre s’étend des versets 1 à 20 mais ne dégage pas de structure particulière : v. 1-3 : rapport sur une
lettre de 597 aux exilés de Babylone / v. 4-7 : Dieu appelle à vivre à Babylone / v. 8 : avertissement contre les
faux-prophètes / v. 10-14 : Dieu promet une nouvelle communauté et le retour / v. 15 : Dieu cite les exilés /
v. 16-20 : réponse de Dieu (v. 16-19d : le sort de Sédécias et du peuple à Jérusalem / v. 19e : accusation envers
la Golah de ne pas avoir écouté / v. 20 : appel fait à la Golah d’écouter.)
(FISCHER, Georg, Jeremia 26-52, op. cit. p. 89).
De même, pour Klaas SMELIK, il existe une première prophétie des v. 4 à 14 et une deuxième prophétie des
v. 16 à 19, qui fonctionnent ensemble puis une troisième (v. 21-23) et une quatrième prophéties (v. 24-32) qui ont
leur propre cohérence. (“Letters to the Exiles. Jeremiah 29 in Context”, SJOT, Vol. 10, 1996/2, p. 282-295.)
Au contraire, un commentateur comme Jack LUNDBOM (Jeremiah 21-36, “A New Translation with
Introduction and Commentary”, New York, Anchor Bible, 2004, p. 347) considère que la première lettre s’étend
des v. 1 à 23 et propose la structure suivante :
Suscription
A Prospérité de Babylone (v. 4-9)
B Prospérité de Jérusalem (v. 10-14)
B’ Jugement à Jérusalem (v. 15-19)
A’ Jugement à Babylone (v. 20-23)
21
A - 1-3 : la lettre à ceux qui sont exilés de Jérusalem, à Babylone : suscription

Le chapitre 29 inaugure une nouvelle séquence textuelle que les premiers versets du
chapitre soulignent assez : « 83‫ » ֵ֙אלֶּה֙ דִּ ב ֵ ְ֣רי ַה ֵ֔סּפֶר‬et qui se termine par une pause, « setumah ». Le
rédacteur de Jérémie utilise le mot « ‫ » ַה ֵ֔סּפֶר‬pour désigner ce que nous appelons couramment
« lettre ». Ce mot «  ‫ » ַה ֵ֔סּפֶר‬est comme souligné dans le TM par l’emploi d’un zaqef qaton qui
invite, dans la lecture, à une pause. Ce premier verset inaugure donc une nouvelle section dans
le livre de Jérémie, le chapitre 29, en utilisant l’expression introductive «  ‫ֲשׁר‬
֥ ֶ ‫ֵ֙אלֶּה֙ דִּ ב ֵ ְ֣רי ַה ֵ֔סּפֶר א‬
 ‫ »שָׁלַ ֛ח י ְִר ְמ ָי ֥ה ַהנּ ִ ָ֖ביא‬mais aussi en définissant le genre littéraire, assez inhabituel, de la lettre, qui
n’a pas qu’une fonction purement informative mais qui devient le support et le medium de la
prophétie : la prophétie devient Ecriture, se révèle dans son processus de mise par écrit. Le
prophète réfléchit ainsi aux circonstances de la transmission de sa parole et il est intéressant de
se référer au chapitre 36, qui est un moment-clé, pour comprendre comment la formation du
livre de Jérémie se dit elle-même.

Si nous prenons le temps de regarder le chapitre 36 (TM) de Jérémie, nous y trouvons


le processus de mise par écrit des prophéties, le processus par lequel la Parole de Dieu devient
Ecriture84. Le processus se décompose en trois phases : la Parole de Dieu, puis la parole du
prophète et enfin la mise par écrit, chaque étape commandant une adaptation particulière. Dans
notre texte, nous trouvons bien le mot « ‫ »  דִּ ב ֵ ְ֣רי‬qui renvoie à une réalité orale qui se trouve
alors assumée par le prophète puis circonscrite dans le cadre d’un livre. Cette parole est le
noyau de ce que nous appelons la révélation : la parole entre dans un temps précis et rejoint
une personne humaine. Une parole divine devient présence dans l’écoute d’un homme qui
l’adresse, en sa qualité de prophète - «  ‫»י ְִר ְמ ָי ֥ה ַהנּ ִ ָ֖ביא‬- à d’autres hommes85, en utilisant ici le
support épistolaire. Cette entrée de la Parole de Dieu dans un temps précis, cette actualisation
d’une parole dans une situation concrète, est, nous le verrons, la pierre angulaire d’une véritable
prophétie.

De plus, que ce soit en Jr 29 ou en Jr 36, ce processus de mise par écrit passe par des
intermédiaires, les lettres ou les rouleaux sont dictés, confiés à d’autres. La Parole de Dieu,

83
Cette introduction rappelle l’introduction du livre du Deutéronome : « ‫שׂ ָר ֵ֔אל‬
ְ ִ ‫שׁה֙ ֶאל־כָּל־י‬
ֶ ֹ ‫שׁר דִּ ֶ ֤בּר מ‬
ֶ ֨ ‫» ֵ ֣אלֶּה הַדְּ ב ִָ֗רים ֲא‬
(Dt 1,1), ce qui donne d’emblée une « atmosphère » dtr à ce passage.
84
Dieu demande à Jérémie d’écrire un « ‫» ספר‬, un « rouleau » dans le contexte du chapitre 36, mais c’est bien le
même mot employé.
85
Nous empruntons ici des idées développées à un cours du Fr. Adrian SCHENKER, op sur «  la théologie de
l’Ecriture sainte dans l’Ancien Testament.  »
22
nous le verrons dans notre seconde partie, n’appartient donc pas seulement au prophète mais
aussi –et surtout- à ceux qui sont chargés de la transmettre, de la mettre par écrit, dans une
tradition86.

La parole est donc adressée depuis Jérusalem, où se trouve le prophète, mais, grâce à la
lettre, la Parole de Dieu peut parvenir en tout lieu : elle a quitté la Ville sainte et accompagne
les exilés qui en sont donc les destinataires. En effet, le TM utilise une expression
théologiquement complexe et controversée : « ‫»  ֶ֜יתֶ ר‬87, « le reste ». La question du « reste
d’Israël » et de l’identité des membres qui le constituent occupe une place éminente dans les
débats exiliques et post-exiliques. Quel est le peuple que le Seigneur a choisi ? Est-ce celui
qu’il a déporté, alors même qu’ils semblent être ceux qui sont condamnés, ou est-ce le peuple
resté en terre promise, le peuple qui semble avoir été préservé ?88 Comme le montre l’utilisation
de ce terme en Gn 49, 3 (« Ruben, tu es mon premier-né, ma vigueur, les prémices de ma
virilité, comble de fierté et comble de force »), faire partie du « reste » signifie faire partie de
l’élite. La liste des exilés et les notables confirme bien ces lectures puisque, parmi ces derniers,
on trouve les « anciens89 », les « prêtres » et les « prophètes ». Les exilés, désignés par le terme
de « ‫» גּוֹ ָ֗לה‬, un singulier collectif, sont présentés dans un ordre hiérarchique : ceux qui
détiennent le pouvoir politique, ceux qui assurent le culte du Temple, ceux qui parlent au nom
de Dieu et le peuple. Ils sont les destinataires habituels de Jérémie90. Le mot «  ֙‫»  ַהנְּבִיאִים‬, tout

86
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 174 : « Jérémie est le
messager, le porte-parole de Dieu, il confie le message à des messagers qui transmettent et diffusent ce message
prophétique – le portent, le lisent et l’annoncent. »
87
Le targum, quant à lui, utilise la racine « ‫ » שאר‬qui est plus concrète, «  le reste, ceux qui sont restés  ». Cf. DE
VAUX, «  Le ‘Reste d’Israël’ d’après les prophètes  », Revue biblique, n° 42, 1933, note 1, p. 528: «  Le
substantif  ‫   ֶ֜יתֶ ר‬sert à désigner le Reste d’Israël en quelques passages (...) mais ils sont rares car le mot comporte
une nuance qui s’accorde mal à cet usage : il dit plutôt ce qui est en surplus, ce qui excède (...), c’est-à-dire qu’il
tire l’attention non pas vers le reste qui subsiste mais vers l’ensemble auquel ce reste était adjoint.  » Le Père DE
VAUX montre ainsi que ce concept-clé des prophètes ne recouvre pas la même réalité : «  Pour Amos, Michée et
Isaïe, le reste c’est d’abord ce qui sera épargné par Salmanasar et Sargon en Ephraïm, par Sénnachérib en Juda ;
pour Jérémie et Ezéchiel, ce sont d’abord les exilés de Chaldée ; pour les prophètes de la restauration, ce sont
d’abord les rapatriés de Palestine.  » (Ibidem, p. 538)
88
Les emplois, dans d’autres passages de la Bible, indiquent plutôt qu’il s’agit du peuple qui a été déporté et se
trouve ensuite en exil : «  Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta le reste de la population laissée dans la
ville, les transfuges qui avaient passé au roi de Babylone et le reste de la foule. » (2R 25,11) / « Nebuzaradân,
commandant de la garde, déporta à Babylone le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui
s'étaient rendus à lui et le reste des artisans.
 » (Jr 39, 9) / «  Nebuzaradân, commandant de la garde, déporta une
partie des pauvres du peuple et le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui étaient passés au
roi de Babylone et ce qui restait des artisans. » (Jr 52, 15) Le chapitre 24 de Jérémie, sur les bonnes et mauvaises
figues, ne laisse aucun doute : les exilés sont bien le reste. Cf. McKANE, William, “Jeremiah 27, 5-8, especially
"Nebuchadnezzar, my servant"”, in Prophet und Prophetenbuch, éd. Otto KAISER, Berlin, Walter de Gruyter,
1989, p. 98-110.
89
Regina WILLI pense que les « anciens » sont nommés en premier car ils ont montré une attitude bienveillante
à l’égard de Jérémie en s’opposant à sa condamnation à mort au chapitre 26. (cf. WILLI, Regina, Les pensées de
bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 180).
90
Cf. «  Prêtres, prophètes et peuple entier entendirent Jérémie prononcer ces paroles dans le Temple de Yahvé.
 »
23
à fait neutre, ne permet pas de savoir qui sont les vrais ou faux-prophètes91. Cette présence des
« prophètes » ou « faux-prophètes » rappelle les conflits des chapitres 27 & 28 et annonce la
critique virulente des prophètes de la Golah (Jr 29, 8-9; 15; 21-23; 31-32).

De même, le TM traite, à sa manière, la question de l’origine de l’Exil, ce qui, en outre,


a affaire avec l’idée de « reste » choisi. Le TM rappelle le nom du roi Nabuchodonosor et
utilise, « ‫»  ֶהג ְָל֧ה‬, un hifil, à valeur causative : le roi est à l’origine de cet exil, voulu par Dieu,
sorte de cause première. Le TM va ainsi mettre en place une théologie de l’exil clairement
voulu par Dieu, à travers des moyens humains -le roi- en nommant clairement le roi babylonien.

La liste des exilés accompagnant Jéconia est intéressante car elle correspond très
exactement à la liste des exilés de Jr 24, 1, passage que Daniel EPP-TIESSEN, dans son
ouvrage, met précisément en parallèle avec Jr 29 :

Jr 24, 1 Jr 29, 2

‫ֵיכ֣ל ה ְִראַנִ ֮י‬


ַ ‫שׁנֵ ֙י דּוּדָ ֵ ֣אי תְ ֵא ִ֔נים מוּעָדִ֕ ים ִלפ ְֵנ֖י ה‬
ְ ‫י ְהו ָ֒ה ְו ִה ֵ֗נּה‬ ָ֨ ‫ ֵצ֣את י ְ ָכנְ ָי ֽה־ ֠ ַה ֶמּלְֶך ְו ַה ְגּב‬92‫אַח ֵ ֲ֣רי‬
” ‫ִירה ְו ַהסּ ִָרי ִ֜סים שׂ ֵָ֨רי‬
‫אצּ֣ר מֶ ֽלְֶך־ ָבּ ֶ֡בל אֶת־י ְ ָכנְ ָי֣הוּ בֶן־‬
ַ ‫ְהו֑ה אַח ֵ ֲ֣רי ַהגְל֣ וֹת נְבוּכַדְ ֶר‬
ָ ‫י‬ ‫ְהוּדה וִירוּשׁ ָ֛לִ ַם ְו ֶהח ָ ָ֥רשׁ ְו ַה ַמּס ְֵגּ֖ר מִירוּשָׁלִ ָֽם׃‬
֧ ָ ‫“י‬
‫י ְהוֹי ִ ָ֣קים מֶ ֽלְֶך־י ְהוּדָ ה֩ ְואֶת־שׂ ֵָ֨רי י ְהוּדָ֜ ה ְואֶת־ ֶהח ָ ָ֤רשׁ ְואֶת־‬
‫ַה ַמּ ְס ֵגּ ֙ר מ ִ֣ירוּשׁ ָ֔לִ ַם ַויְב ֵ ִ֖אם בָּבֶ ֽל׃‬

C’est ici la cour royale qui est décrite : « reine », « eunuques », « ministres »93. Les deux
derniers termes : « ‫»  ְו ֶהח ָ ָ֥רשׁ ְו ַה ַמּס ְֵגּ֖ר‬, sont plus difficiles à comprendre. On peut les traduire par
« artisans » et « charpentiers » ou, comme le pense MALAMAT94, « armuriers et
sapeurs/soldats du génie », c’est-à-dire que ce sont des ingénieurs militaires essentiels à la
défense de la cité. Cette liste montre ainsi bien que la ville est laissée sans roi et sans
protection95, qu’elle est d’ores et déjà défaite puisque ses protecteurs sont en exil.

Ce parallélisme avec l’épisode des bonnes et des mauvaises figues permet ensuite de
mettre en lumière les promesses de bonheur et de salut pour les exilés de Babylone. Le TM

(Jr 26,7)
91
Pour une étude complète de ces termes, cf. DE JONG, Matthijs, “Why Jeremiah is Not Among the Prophets:
An Analysis of the Terms ‫ נביא‬and ‫ נבאים‬in the Book of Jeremiah ”, Journal for the Study of the Old Testament,
Vol. 35.4, 2011, p. 483-510.
92
L’apparat critique de la BHS signale que ce début de verset serait une addition empruntée au verset 1 du chapitre
24.
93
On retrouve cette même liste en 2R 24, 12.14-16.
94
MALAMAT, Abraham, “The Twilight of Judah: In the Egyptian-Babylonian Maelstrom,” art.cit., p. 134.
95
Dans beaucoup de manuscrits manquent la mention de la ville de Jérusalem : le fait de la mentionner, en
opposition à Babylone, permet de donner le ton de cette lettre qui part de Jérusalem pour la ville d’exil mais qui
concerne aussi les résidents de Jérusalem qui ne sont pas encore partis.
24
réutilise très littéralement la même expression pour rapprocher les deux passages qui peuvent
ainsi s’éclairer l’un l’autre et se correspondre dans une structure concentrique. En Jr 24, le
prophète a reçu directement une parole de Dieu ; en Jr 29, le prophète est chargé de redonner
cette parole, sous une forme écrite et épistolaire, aux destinataires finaux du message.
Après la parenthèse chronologique du verset 2 qui, de fait, est essentielle pour assurer
la mise en relation avec le chapitre 24, le texte revient à la première narration, du verset 1, pour
préciser l’identité de ceux qui sont chargés de remettre cette lettre. Cette précision est un « effet
de réel » important qui insiste sur le caractère matériel de l’écrit ainsi remis et lui donne une
authenticité qui l’inscrit dans un espace-temps historique identifié. Les personnages impliqués,
principalement Hilkya96 et Guemaria, sont des personnages récurrents du livre de Jérémie
chargés d’accueillir97, de protéger98 ou de porter la parole de Dieu transmise par le prophète.

Ces trois premiers versets ne se contentent pas de donner un cadre historique ou de


simplement inaugurer une nouvelle section. Ils précisent le genre littéraire du passage qui se
retrouve investi d’une valeur théologique toute particulière : la lettre devient ainsi une forme
privilégiée d’expression de la prophétie, de mise par écrit de la révélation99. La lettre est
l’aboutissement d’un processus de révélation que le parallélisme avec Jr 24, moment de
révélation « orale », souligne et illustre. On retrouve ainsi les deux mouvements de la
prophétie : communication divine faite au prophète et message du prophète au peuple.

Les indications chronologiques, assez nombreuses dans ces trois versets, et la mention
des porteurs de la lettre cherchent à montrer que la dimension historique joue un rôle
proprement essentiel dans la processus de révélation prophétique : la parole prophétique est
une parole actualisée et inscrite dans un temps historique donné.

96
La grande massore indique ainsi que le nom de Hilkya apparaît dix fois et plus particulièrement dans le second
livre des Rois et les livres des Chroniques.
97
Cf. Jr 36, 10 : «  Alors Baruch lut dans le livre les paroles de Jérémie ; on était au Temple de Yahvé, dans la
salle de Gemaryahu, le fils du scribe Shafan, dans la cour d'en haut, à l'entrée de la porte Neuve du Temple de
Yahvé : tout le peuple pouvait entendre.  »
98
Cf. Jr 36, 25: « et pourtant Elnatân, Delayahu et Gemaryahu avaient insisté auprès du roi pour qu'il ne brûlât
pas le rouleau; mais il ne les écouta pas. » Ainsi, Shafan en 2R 22-23 est celui qui fait parvenir le rouleau du
«  Deutéronome  » au roi Josias, ce qui montre les rapports étroits de cette famille du Temple et l’élaboration des
textes canoniques.
99
Cf. EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 184: “ the use of a
letter or written document represents an expansion of the authority of the true prophetic word. ” / trad. :
«  l’utilisation de la lettre ou d’un document écrit constitue un accroissement de l’autorité de la parole prophétique
véritable. »
25
B - 4-7: construire, bâtir, planter

Les versets 4 à 7 forment le cœur de cette première lettre de Jérémie et le caractère


assez inattendu100 de cet oracle introduit les deux thèmes de la promesse de bonheur et de la
vraie prophétie en lien avec la vocation personnelle du prophète Jérémie. Le « sof pasuk » du
verset 7 délimite clairement cette unité textuelle et thématique.

Le verset 4, stéréotypé, introduit l’oracle des trois versets suivants et répète, presque
littéralement, le verset 1. La grande différence entre ces deux versets réside dans la mention de
Dieu au verset 4. Alors que, dans la verset 1, on expliquait l’exil par des événements et des
raisons historiques en présentant Nabuchodonosor comme le responsable majeur de la
déportation : « ‫שׁר ֶהג ְָל֧ה נְבֽוּכַדְ נֶאצַּ ֛ר‬
ֶ ֨ ‫ ; »  ְואֶל־כָּל־ ָה ָ֔עם ֲא‬dans le verset 4, l’explication est théologique :
c’est Dieu qui parle, par la voix du prophète, et qui se désigne comme cause première de cet
exil en employant la première personne du singulier : «  ‫» ְלכָל־ ַ֨הגּוֹ ָ֔לה ֲאשֶׁר־ ִהגְלֵ ֥יתִ י מִירוּשׁ ָ֖לִ ַם בָּבֶ ֽלָה‬.
Jérémie montre alors que, dans sa lettre, il ne parle pas en son nom, mais bien au nom de Dieu,
ou plus exactement que c’est Dieu lui-même qui parle, ce qui est le propre de la vraie prophétie.

Les versets 5 à 7, cœur de l’oracle et de la parole révélée, résonnent d’impératifs101 et


montrent ainsi qu’il en va de la volonté expresse et toute-puissante de Dieu : les demandes de
Dieu deviennent proprement des commandements que le peuple doit écouter et mettre en
pratique. Ces versets tranchent plus clairement avec les autres demandes et prophéties, plus
traditionnelles, et soulignent l’originalité de la prophétie de Jérémie par rapport à celle
d’Hananya par exemple.

Au verset 5, les exilés sont invités à s’installer, à bâtir des maisons, à cultiver la terre et
à vivre de ces biens. L’atnach du verset 5, « ‫»  ו ֵ ְ֑שׁבוּ‬, « installez-vous », porte bien tout le sens
de ces quelques versets : aux faux-prophètes qui demandent de ne pas s’installer car l’exil sera
de courte durée, Jérémie répond que, bien au contraire, il faut s’installer car l’exil sera long.
Ces ordres donnés aux exilés sont martelés par la polysyndète « ‫ » ְו‬qui coordonne tous les
verbes à l’impératif : cette coordination donne à l’ensemble l’aspect d’un programme

100
En effet, bien souvent, les prophéties de bonheur, comme celle d’Hananya par exemple au chapitre 28, sont
suspectes. Cf. RÖMER, Thomas, « Comment distinguer le vrai du faux prophète ? », in J.-M. DURAND, T.
RÖMER et M. BÜRKI, Comment devient-on prophète ?, Fribourg - Göttingen, Academic Press Fribourg -
Vandenhoeck & Ruprecht, OBO 265, 2014, p. 115: «  Les prophètes suspects sont ceux qui annoncent une ‘vision
de leur cœur’ et qui annoncent la paix et le bonheur (Jr 23, 17: « ils osent dire à ceux qui me méprisent: "Yahvé a
parlé; vous aurez la paix!" et à tous ceux qui suivent l'obstination de leur cœur : "Aucun mal ne vous arrivera!"
 »)
et séduisent ainsi le peuple (Jr 23, 32 : « Je vais m'en prendre à ceux qui prophétisent des songes mensongers -
oracle de Yahvé - qui les racontent et égarent mon peuple par leurs mensonges et leur vantardise. Moi, je ne les
ai pas envoyés, je ne leur ai pas donné d'ordres, et ils ne sont d'aucune utilité à ce peuple, oracle de Yahvé. » ) »
101
Cf. v. 5 : «  ,« ‫ » וְדִ ְר ֞שׁוּ‬,« ‫ » אַל־תִּ ְמ ָעֽטוּ‬,« ‫» וּרבוּ‬
ְ ,« ‫ » תְּ נ֣ וּ‬,« ֮‫ » וְהוֹלִידוּ‬,« ‫ »  ְקח֣ וּ‬,« ‫ »  ְו ִאכְל֖ וּ‬,« ‫ »  ְונִטְע֣ וּ‬,« ‫ » ו ֵ ְ֑שׁבוּ‬, « ‫בְּנ֥ וּ‬
‫  »  ְוהִתְ פַּ ֽלְל֥ ו‬.
26
clairement établi et organisé. Ce verset 5 a une résonance particulière car il renvoie très
directement à la vocation même du prophète Jérémie telle qu’elle est présentée dans le chapitre
1. Le Seigneur a appelé et envoyé le prophète Jérémie pour « bâtir et planter », «  ‫ִלבְנ֖ וֹת‬
 ‫» ְו ִלנְטֽוֹ ַע‬102, deux verbes que l’on retrouve très précisément ici, dans ce verset 5 : «  ‫בְּנ֥ וּ ב ִ ָ֖תּים ו ֵ ְ֑שׁבוּ‬
‫»  ְונִטְע֣ וּ‬. Cet écho vient comme confirmer la véracité de la parole prophétique ici donnée, une
parole qui pourrait paraître étrange, voire suspecte, car inattendue : le prophète accomplit ainsi
sa mission. Quand les mots qui désignent le prophète se retrouvent dans la prophétie elle-
même, on peut réellement parler de critère, interne au texte, de discernement de la vraie et de
la fausse prophétie.

Ce chapitre 29, qui pourrait paraître parfois un peu disparate, a cependant bel et bien sa
cohésion propre comme le montre l’inclusion assurée par le dernier verset du chapitre : « C'est
ainsi qu'il a pu nous adresser à Babylone cette recommandation : Ce sera long ! Bâtissez des
maisons et installez-vous ; plantez des jardins et mangez leurs fruits"
» (Jr 29, 28) qui reprend
très exactement les données du verset 5. Il s’agit ainsi de reconstruire un pays : alors que tout
avait été donné en Canaan103, il va falloir construire un pays en Babylonie. Alors que la vie
nomadique en Judée a pu être un modèle de vie104, la vie sédentaire et installée de Babylone
devient un autre modèle promu par Dieu.

Mais Dieu ne se contente pas de les inviter à un bien-être matériel et communautaire, il


invite les exilés à réellement construire des foyers, à avoir des enfants105. Le verset 6 insiste
tout particulièrement sur la succession des générations, ce qui montre que l’exil est bien une
réalité appelée à durer : il doit y avoir mariage puis génération et les enfants doivent eux-mêmes
se marier et avoir des enfants. Cette succession est mise en place par un jeu de parallélismes et
de chiasme qui vient souligner cet ordre des choses voulu par Dieu. Dans un premier temps,
on retrouve la succession « ‫ »  קְח֣ וּ‬et «  ‫ וְתֵ ַל֖דְ נָה ָבּ ִנ֣ים וּבָנ֑ וֹת‬/ ‫ָנוֹת‬
֒ ‫»  וְהוֹלִיד ֮וּ ָבּ ִנ֣ים וּב‬, puis on observe
aussi un jeu de chiasme :

‫ָנוֹת‬
֒ ‫וְהוֹלִיד ֮וּ ָבּ ִנ֣ים וּב‬ ‫נָשִׁ֗ ים‬ ‫קְח֣ וּ‬

‫נָשִׁ֗ ים‬ ‫ִל ְבנֵי ֶ֜כם‬ ‫קְח֣ וּ‬

102
Cf. Jr 1, 10.
103
Cf. Jos 24, 13: «  Je vous ai donné une terre qui ne vous a demandé aucune fatigue, des villes que vous n'avez
pas bâties et dans lesquelles vous vous êtes installés, des vignes et des olivettes que vous n'avez pas plantées et
qui sont votre nourriture. »
104
Cf. Jr 35 et l’épisode des Rékabites.
105
Cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 12 : « Si la
construction des bâtiments et la plantation des jardins est un acte plutôt communautaire, l’appel au mariage et à
l’engendrement d’une descendance réclame par contre une réponse plus personnelle et plus individuelle. »
27
L’atnach, qui porte sur «  ‫» וּבָנ֑ וֹת‬, montre bien que tout le sens de ce verset réside dans
cette prescription de la génération et de la multiplication que le verbe « ‫ »  ְרבוּ‬redoublé par son
antonyme nié « ‫ »  אַל־תִּ מ ְָעֽטוּ‬souligne tout particulièrement.

Dieu renouvelle ici les promesses faites à Israël : la malédiction de Dt 28, 30-32106 qui
parlait de la punition de l’exil est ici renversée et redevient une promesse de bénédiction. On
retrouve le vocabulaire et les promesses de Dieu faites au peuple d'Israël pour la terre promise.
Le verbe « ‫ »  ְרבוּ‬rappelle toutes les promesses faites à Dieu depuis la Genèse107. Dans un bel
hébraïsme, Jérémie exprime cet ordre divin en exprimant cette même pensée par une forme
affirmative et une forme négative : « ‫בוּ־שׁם וְאַל־תִּ מ ְָעֽטוּ‬
֖ ָ ‫» ְר‬. Dieu a retiré les malédictions qui
pesaient sur les exilés108. L'oracle de salut à propos des cieux nouveaux et de la nouvelle terre
dans Is 65, 21-23109 promet que les malédictions n'existeront plus. Cette suite d'impératifs que
nous avons dans ces trois versets est une promesse de succès et de réalisation. Dieu assure
l'existence d'une famille nombreuse en rétablissant les conditions de bénédiction et de
protection : protection du danger, de la mort, de l’esclavage, de l’exil. Les exilés qui ont été
arrachés à leur terre sont invités à établir leur vie dans ce nouveau royaume de bénédiction
divine. Babylone, paradoxalement, devient l’image et la réalité de la nouvelle terre promise,
teintée d’espérances eschatologiques.

John HILL montre comment les versets 5 & 6 utilisent un vocabulaire employé dans
l’Ancien Testament pour parler de la terre promise, ce qui vient donc rendre plus floue la
distinction entre la terre promise et Babylone110. Les verbes « se multiplier », « prendre

106
«  Tu prendras une femme comme fiancée, mais un autre homme la possédera; tu bâtiras une maison, mais tu
ne pourras l'habiter; tu planteras une vigne, mais tu n'en pourras cueillir les premiers fruits. Ton bœuf sera égorgé
sous tes yeux, et tu n'en pourras manger; ton âne te sera enlevé en ta présence, et il ne te reviendra pas; tes brebis
seront livrées à tes ennemis, et personne ne prendra ta défense. Tes fils et tes filles seront livrés à un autre peuple;
chaque jour tes yeux se consumeront à regarder vers eux, et tes mains n'y pourront rien.
 »
107
Cf. Gn 1, 22: “”‫וּר ֗בוּ וּ ִמל ְ֤אוּ ֶאת־ ַה ַ֙מּי ִם֙ ַבּיּ ַ ִ֔מּים ְוה ָ֖עוֹף ִי ֶ֥רב בָּאָ ֶֽרץ׃‬ ְ ‫ֵאמ ֹר פּ ְ֣רוּ‬ ֑ ‫ֹלהים ל‬ ֖ ִ ‫ ַוי ָ ְ֧ב ֶרְך א ָ ֹ֛תם ֱא‬/
Gn 1, 28: “ ‫שׂת‬ ֶ ֥ ֶ‫שּׁ ַ֔מי ִם וּ ְבכָל־ ַח ָיּ֖ה הָ ֽר ֹמ‬
ָ ‫וּר ֞דוּ בִּדְ ַג֤ת ַהיּ ָם֙ וּבְע֣ וֹף ַה‬
ְ ‫וּרב֛ וּ וּ ִמל ְ֥אוּ ֶאת־ה ָ ָ֖א ֶרץ ְו ִכב ֻ ְ֑שׁ ָה‬ ְ ‫ִים ו ַ֨יּ ֹא ֶמר ָל ֶ֜הם ֱאֹל ִ֗הים פּ ְ֥רוּ‬
֒ ‫ַוי ָ ְ֣ב ֶרְך א ֹתָ ם֮ ֱאֹלה‬
”‫עַל־הָאָ ֶֽרץ׃‬
Gn 8, 17: “‫שׂר בּ ָ֧עוֹף וּ ַב ְבּהֵמָ ֛ה וּ ְבכָל־ה ֶ ָ֛ר ֶמשׂ הָר ֹמֵ ֥שׂ עַל־ה ָ ָ֖א ֶרץ הוֹצֵא ] ַהי ֵ ְ֣צא[ ִא ָ ֑תְּך ְו ָשׁ ְֽרצ֣ וּ ָב ָ֔א ֶרץ וּפ ָ֥רוּ ו ְָר ֖בוּ עַל־‬ ָ ֗ ‫כָּל־ ַה ַח ָ֨יּה ֲא ֶשֽׁר־ ִאתְּ ָ֜ך ִמכָּל־ ָבּ‬
”‫הָאָ ֶֽרץ׃‬
Ex 1, 7: “‫שׁ ְרצ֛ וּ ַויּ ְִרבּ֥ וּ ַו ַיּ ֽ ַעצ ְ֖מוּ ִבּ ְמ ֣א ֹד ְמ ֑א ֹד וַתִּ ָמּלֵ ֥א ה ָ ָ֖א ֶרץ א ָֹתֽם׃ פ‬ְ ִ ‫שׂ ָר ֵ֗אל פּ ָ֧רוּ וַ ֽיּ‬
ְ ִ ‫”וּב ְֵנ֣י י‬
108
Dans le livre de la consolation, dans les mêmes termes, Dieu promet que c’est lui qui fera prospérer son peuple :
« ‫» ְוה ְִרבִּתִ ים֙ וְֹל֣ א י ִ ְמ ָ֔עטוּ‬. (Jr 30, 19)
109
«  Ils bâtiront des maisons et les habiteront, ils planteront des vignes et en mangeront les fruits.
 Ils ne bâtiront
plus pour qu'un autre habite, ils ne planteront plus pour qu'un autre mange. Car les jours de mon peuple égaleront
les jours des arbres, et mes élus useront ce que leurs mains auront fabriqué. Ils ne peineront pas en vain, ils
n'enfanteront plus pour la terreur, mais ils seront une race de bénis de Yahvé, et leur descendance avec eux.
 »
110
Cf. HILL, John, “‘Your Exile Will Be Long’: The Book of Jeremiah and the Unended Exile ”, in Reading the
Book of Jeremiah: A Search for Coherence, éd. Martin KESSLER, Winona Lake, Eisenbrauns, 2004, p. 151:
“After his meeting with Esau, Jacob goes to Succot and settles there: ‘But Jacob journeyed to Succoth, and built
himself a house, and made booths for his cattle; therefore the place is called Succoth.’(Genesis 33,17) This is the
first instance in the patriarchal journeys to settlements in the promised land. ” / trad. : «  Après sa rencontre avec
28
femme », « planter », « bâtir », ... tous ces termes font comprendre qu’il est possible de vivre
en exil comme dans la terre promise et que l’exil peut être plus -doit être plus- qu’une
expérience douloureuse de la punition divine. Elle peut devenir élection. On reconnaît dans ce
passage une théologie très favorable à la Golah qui montre qu’il n’est nul besoin de retourner
en Judée puisque Dieu commande justement de rester en Babylonie.

Mais, oserait-on dire, les demandes de Dieu ne s’arrêtent pas là. Babylone devient,
politiquement et religieusement, la nouvelle Jérusalem. Dieu demande en effet que les exilés
assurent la paix et prient pour la nouvelle cité où ils résident, c’est-à-dire qu’ils participent à la
vie cultuelle –certes à leur place- et politique. Ce ne sont plus les prophètes ou les prêtres du
Temple qui sont chargés d’intercéder mais le peuple tout entier qui se trouve ainsi investi d’une
dimension sacerdotale qui résonne déjà des promesses eschatologiques. Les deux verbes
« ‫ » וְדִ ְר ֞שׁוּ‬et « ‫» ְוהִתְ פַּ ֽלְל֥ וּ‬, dont le sens est redondant, ne laissent planer aucun doute sur le
commandement divin et la demande divine de prier pour Babylone. On retrouve, encore une
fois, au verset 7, l’expression: « ‫שׁמָּה‬ ֶ ֨ ‫»  ָה ִ֗עיר ֲא‬111. Il ne s'agit pas de se révolter
ָ ֔ ֙‫שׁר ִהג ְֵל֤יתִ י אֶתְ כֶם‬
comme le demandent les faux-prophètes. Au contraire, il faut s'installer, avoir des enfants, vivre
en paix et prier Dieu pour le bien-être de cette ville. Le mot «‫ »  שלום‬est employé trois fois dans
cet unique verset 7 et déploie la richesse de ses traits sémantiques. La « shalom » est tout à la
fois la paix de la ville, l’état de perfection, l’intégrité du corps social et la santé des exilés. Cette
équivalence entre la paix de la ville et le bien-être des exilés est remarquablement soulignée
par l’utilisation de la copule « ‫ »  י ִ ְה ֶי ֥ה‬et du chiasme: « ‫» בִ שְׁ לוֹ ָ֔מהּ י ִ ְה ֶי ֥ה ל ֶ ָ֖כם שָׁ לֽ וֹם‬. Le chiasme insiste
sur la réciprocité entre la paix de la ville et les promesses de bonheur et de bien-être de Dieu
pour son peuple en exil. Jérémie vient donc contredire l’affirmation principale des faux-
prophètes qui soutiennent qu’il faut s’opposer en toutes choses à Babylone112. Là encore,
Jérusalem est comme dépossédée de sa prérogative qui est d’être la cité de la paix pour le
peuple élu113. La véritable prophétie de Jérémie vient « miner les principes essentiels de la piété

Esaü, Jacob se rend à Succot et s’y installe: “Quant à Jacob, il partit pour Succoth. Il se construisit une maison et
fit des cabanes pour ses troupeaux. Voilà pourquoi l’on a appelé cet endroit Succoth.” (Genèse 33,17) C’est la
première occurrence dans les voyages des patriarches d’une installation dans la terre promise.  » La construction
de la maison se réfère donc très directement à l’installation qui fut, par excellence, celle dans la terre promise.
La Terre promise est ainsi en réseau avec d’autres : la Babylonie devient ainsi nouvelle Terre promise et elle
le restera longtemps pour les Juifs qui se trouveront bien, pendant des siècles, en Babylonie. De même, l’Egypte,
déjà condamnée (Jr 44), devient un nouveau lieu béni où Jérémie part finalement en exil. A Babylone et à
Alexandrie vont naître deux traditions textuelles parallèles : sous cet aspect, le texte biblique est ainsi le seul lieu
et la seule Terre promise qui reste.
111
Cf. v 4.
112
On pense bien évidemment à Babylone puisque la lettre est adressée aux exilés qui se trouvent dans la capitale
mais Jérémie utilise le mot « ville » : les exilés judéens, répartis dans de nombreuses villes du royaume babylonien,
doivent suivre cette même règle.
113
Cf. Ps 76, 3 : « sa tente s'est fixée en Salem et sa demeure en Sion;
 » / Psaumes 122, 6–8 : « Demandez la paix
29
et de la foi juives, à savoir la possession de la terre et la défense, par YHWH, de la cité sacrée
et de la nation. »114 Cette « shalom » promise montre bien que la malédiction de l’exil se
transforme en bénédiction, pour autant que le peuple obéisse aux commandements de Dieu
donnés par Jérémie, le vrai prophète. On peut relire les deux versets précédents, v. 5 & 6, à la
lumière de cette promesse de paix en les rapprochant de Dt 20, 5-7115 qui donne des cas
d’exemption en cas de guerre. Le contexte deutéronomiste, dans cet oracle de Jérémie, est clair
et vient confirmer les analyses de critique historique menées ci-dessus. « Jérémie ne conseille
pas seulement aux Judéens de vivre et de s’installer, mais en utilisant les exemptions
deutéronomistes concernant la guerre, il déclare un ‘armistice’ pour la communauté en exil. »116
Le langage de Jérémie s’oppose en effet clairement à celui d’Hananya par exemple : « Encore
juste deux ans, et je ferai revenir en ce lieu tous les ustensiles du Temple de Yahvé que
Nabuchodonosor, roi de Babylone, a enlevés d'ici pour les emporter à Babylone.
 De même
Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda, avec tous les déportés de Juda qui sont allés à Babylone,
je les ferai revenir ici - oracle de Yahvé - car je vais briser le joug du roi de Babylone!"
 » (Jr
28, 3-4)

Ces quatre versets, fruits d’une théologie pro-Exil, montrent ainsi que la communauté
doit apprendre à vivre en diaspora et qu’il faut relativiser la place de la monarchie, du temple
et de la terre117, trois institutions qui servaient jusqu’alors à distinguer le peuple élu des autres

de Jérusalem! Que ceux qui t’aiment jouissent du repos ! Que la paix règne dans tes murs, et la tranquillité dans
tes palais! A cause de mes frères et de mes amis, je dirai : ‘Que la paix règne chez toi!’ » / Is 52, 7: « Qu'ils sont
beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce
le salut, qui dit à Sion: "Ton Dieu règne."
 » / Is 66, 12: « Car ainsi parle Yahvé: Voici que je fais couler vers elle
la paix comme un fleuve, et comme un torrent débordant, la gloire des nations. Vous serez allaités, on vous portera
sur la hanche, on vous caressera en vous tenant les genoux.
 »
114
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 186: “Jeremiah
undercuts central features of Israelite piety and faith, such as possession of the land and YHWH’s defense of the
sacred city and nation. ”
115
« Puis les scribes parleront au peuple et diront : "Qui a bâti une maison neuve et ne l'a pas encore dédiée ? Qu'il
s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse au combat et qu'un autre ne la dédie ! "Qui a planté une
vigne et n'en a pas encore cueilli les premiers fruits ? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse
au combat et qu'un autre n'en cueille les premiers fruits ! "Qui s'est fiancé à une femme et ne l'a pas encore
épousée ? Qu'il s'en aille et retourne chez lui, de peur qu'il ne périsse au combat et qu'un autre ne l'épouse !"
 »
116
SMITH, Daniel L., “Jeremiah as Prophet of Nonviolent Resistance”, in JSOT, Vol. 43, 1989, p. 102: “ it is clear
that Jeremiah is not simply advising a settled existence, but using the Deuteronomic exemptions from warfare to
declare an 'armistice’ on the exilic community.”  / trad.: «  Il est clair que Jérémie ne conseille pas seulement de
s’installer, mais qu’il utilise les exemptions deutéronomistes concernant la guerre pour déclarer un 'armistice’
dans la communauté en exil.  »
117
Cf. ibidem, p. 187 & RIOS, Roberto, «  Estudio bíblico : Jeremías 29:1-14  », in Cuadernos de Teología, Vol.
VI, 1980, p. 26: «  (los judíos) pueden adorar a Dios aunque estén junto a los ríos de Babilonia, lejos del templo y
sin sacerdotes. Jeremías ha descubierto una nueva forma posible de comunión con Dios, constituida por oración,
obediencia y conciencia social, sin las instituciones oficiales: templo, sacerdotes y culto litúrgico.  » / trad.: «  (les
Judéens) peuvent adorer Dieu même s’il sont aux bords des fleuves de Babylone, loin du temple et sans prêtres.
Jérémie a découvert une nouvelle forme possible de communion avec Dieu, faite de prière, d’obéissance et de
conscience sociale, sans les institutions officielles : temple, prêtres et culte liturgique.  »
30
peuples. C’est bien Dieu et sa parole, médiatisée par le prophète et par le medium de l’écrit –la
lettre en l’occurrence ici- qui sont les seuls lieux véritables, la véritable Terre promise. Le livre
et le le Temple s’incarnent et prennent corps dans le prophète lui-même, dans une parole reçue
par une communauté.

C - 8-9: les faux-prophètes rêveurs

Après avoir donné un aperçu de ce qu’est la « vraie prophétie », en deux versets,


Jérémie, dans un nouvel oracle qui est précédé d’une « petuhah », s’en prend aux faux-
prophètes de Babylonie qui prêchent un retour rapide à Jérusalem118. Ces deux versets forment
une unité : à la formule oraculaire stéréotypée d’introduction, «  ‫ֱֹלהי‬
֣ ֵ ‫ְהו֤ה ְצבָאוֹ ֙ת א‬
ָ ‫ִכּ ֩י ֨כ ֹה אָ ַ֜מר י‬
 ‫»יִשׂ ְָר ֵ֔אל‬, répond, dans un jeu d’inclusion « ‫»  נְאֻם־י ְהוָ ֽה‬, que la pause « setumah » souligne.

En effet, Jérémie ne donne pas le contenu de ces prophéties données par les faux-
prophètes mais on peut facilement imaginer que ces faux-prophètes s'opposaient à la paix avec
Babylone119. Le verset 8 est structuré autour de deux interdictions de type apodictique comme
le montre l’utilisation de la particule adverbiale « ‫»  אַ ֽל‬, formulation qui rappelle celle des dix
commandements par exemple. Après la formule oraculaire d’introduction, on trouve la
première interdiction : «  ‫»  אַל־י ִ ַ֧שּׁיאוּ‬. Le combat est donc bien un combat pour la vérité qui
engage deux paroles qui s’opposent : d’un côté, celle de Jérémie qui parle au nom de Dieu ; de
l’autre, celle des faux-prophètes qui mentent. Le verbe utilisé est intéressant car ses occurrences
tissent un réseau intertextuel significatif. Ce même verbe, « ‫)נשא( »  י ִ ַ֧שּׁיאוּ‬, est ainsi utilisé dans
le récit de la Genèse120 pour qualifier l’attitude trompeuse du serpent qui a déformé la parole
de Dieu et qui a parlé en son propre nom. Le faux-prophète devient ainsi une figure de séduction
qui cherche à détourner l’homme de Dieu. Jérémie conseille ensuite, dans la seconde
interdiction, de ne pas écouter, « ‫שׁמְע ֙וּ‬
ְ ִ‫»  אַ ֽל־תּ‬, ce qui rappelle très précisément l’attitude d’Eve
qui a écouté le serpent alors qu’elle n’aurait pas dû. On retrouve aussi ce verbe « ‫ »  י ִ ַ֧שּׁיאוּ‬dans
d’autres passages de Jérémie121 où il a bien ce sens de « se bercer d’illusion », « tromper ».

118
Il faut rapprocher ces versets de Jr 23, 17 où, par la voix de Jérémie, Yahvé dénonce les faux-prophètes qui
annoncent la paix : « ils osent dire à ceux qui me méprisent : ‘Yahvé a parlé ; vous aurez la paix (‫» ’! )שלום‬
119
Cf. Jr 28, 11 : «  Et Hananya dit, devant tout le peuple: "Ainsi parle Yahvé. C'est de cette façon que dans juste
deux ans je briserai le joug de Nabuchodonosor, roi de Babylone, l'enlevant de la nuque de toutes les nations." Et
le prophète Jérémie s'en alla.  » La lettre du chapitre 29 est en cela une réponse aux prophéties d’Hananya au
chapitre 28.
120
Cf. Gn 3, 13 : “‫יאנִי וָא ֹכֵ ֽל׃‬
ַ֖ ‫שּׁ‬
ִ ‫שּׁה ַהנּ ָ ָ֥חשׁ ִה‬
ָ ֔ ‫ה־זּ ֹאת ע ִ ָ֑שׂית וַתֹּ֙א ֶמ ֙ר הָ ֽ ִא‬
֣ ‫ֹלה֛ים ָל ִא ָ ֖שּׁה ַמ‬
ִ ‫ְהו֧ה ֱא‬
ָ ‫”ו ַ֨יּ ֹא ֶמר י‬
121
Cf. Jr 37, 9 : «  Ainsi parle Yahvé. Ne vous abusez pas vous-mêmes en disant : "Les Chaldéens s'en iront pour
de bon de chez nous", car ils ne s'en iront pas !
 »
31
La charge contre les faux-prophètes est dirigée ad hominem, contre les faux-prophètes
et les exilés, et ce verset prend des allures de rhétorique judiciaire, accusant l’interlocuteur. La
répétition de l’adjectif possessif suffixé de la deuxième personne du pluriel, « ‫כם‬- »122, devient
un homéotéleute frappant créant un effet d’insistance et soulignant le caractère accusateur de
ce qu’il convient de qualifier de diatribe, ou de rib. Le fait qu’un de ces suffixes porte l’atnach
souligne d’autant plus ce jeu d’allitération porteur de sens. Au vrai prophète Jérémie qui se
trouve encore à Jérusalem s’opposent ainsi les faux-prophètes qui sont en Babylonie, au sein
des exilés, « ‫»  ְבּק ְִר ְבּ ֶ ֖כם‬.

Les rêves dont parle ici le prophète ne sont pas faux en eux-mêmes. Le rêve, de
nombreuses fois dans la Bible, peut constituer une source de révélation véritable, il suffit de se
rappeler l’histoire de Joseph, celui de la Genèse ou celui des évangiles. Mais, dans la bouche
de Jérémie, « rêve » semble plutôt dépréciatif car il est systématiquement utilisé à propos des
faux-prophètes comme le montre Robert DAVIDSON123, comme l’atteste aussi le
Deutéronome124. Jérémie préfère la parole donnée directement par Dieu au songe, révélation
indirecte125. Ici, les faux-prophètes sont associés aux « ‫ֵיכ֑ם‬
ֶ ‫»  ֽק ֹ ְסמ‬, c’est-à-dire aux « sorciers »
ou aux « devins », pratiques très largement condamnées en Israël. Ce ne sont donc pas tant les
rêves qui sont condamnés mais bien plutôt ceux qui n’ont pas été envoyés par le Seigneur qui
sont condamnés126. On retrouve ainsi le fondement de toute parole prophétique : n’est prophète
que celui qui a été envoyé par Yahvé, que celui qui a été institué comme tel.

122
“ ‫ֲֹלמ ֹתֵ י ֶ֔כם ֲא ֶ ֥שׁר ַא ֶ ֖תּם ַמ ְחלְמִ ֽים׃‬
֣ ‫שׁ ְמע ֙וּ ֶאל־ח‬
ְ ִ‫יכם וְאַ ֽל־תּ‬
֑ ֶ ‫שׁר־ ְבּ ִק ְר ְבּ ֶ ֖כם ו ְֽק ֹ ְס ֵמ‬
ֶ ‫יכ֥ם ֲא‬
ֶ ‫אַל־י ִ ַ֧שּׁיאוּ ָלכֶ ֛ם נְבִ ֽי ֵא‬...” Cependant, on doit noter
que l’établissement du texte est complexe. Certains manuscrits lisent « ‫ֲֹלמ ֹתיהם‬ ֣ ‫» ֶאל־ח‬. De même, « ‫ » ַמ ְחלְמִ ֽים‬, au
hifil, est un hapax et de nombreux manuscrits lisent « ‫» הֵם ח ֹלמים‬. Ce passage a de toute évidence posé des
problèmes aux scribes. Nous retenons cependant la version de la BHS.
123
Cf. DAVIDSON, Robert, “Orthodoxy and the Prophetic Word : A Study in the Relationship between Jeremiah
and Deuteronomy”, in Vetus Testamentum, Vol. 14, 1964, p. 413-414.
124
Cf. Dt 13, 2-3: «  si quelque prophète ou faiseur de songes surgit au milieu de toi, s'il te propose un signe ou un
prodige et qu'ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s'il te dit alors: "Allons à la suite d'autres dieux (que
tu n'as pas connus) et servons-les" »
125
Cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 219 : « En Jr 27,
9 et 29, 8b les songeurs et les songes sont mentionnés ensemble avec les prophètes et les devins. Que Jérémie
conteste entièrement le caractère de révélation au songe ne peut pas être affirmé, cependant il refuse que des
oracles prophétiques à la suite des songes et basés sur leur autorité soient annoncés comme parole de Dieu. Les
songes et la parole de Dieu sont clairement à séparer. L'existence prophétique et l’engagement prophétique ne se
caractérisent pas par des songes, mais par l’écoute de la Parole de Dieu. » Dans ce contexte du livre de Jérémie,
il est intéressant de constater que l’un des critères de la vraie et de la fausse prophétie serait celui du medium par
lequel le prophète reçoit la révélation : quand le prophète reçoit un message dans une parole de Dieu qu’il écoute,
le risque d’erreur est bien moindre que lorsqu’il s’agit d’un songe, plus ambigu ou plus symbolique, nécessitant
une interprétation susceptible d’erreurs.
126
Cf. Carl Heinrich CORNILL, Das Buch Jeremia, Leipzig, 1905, p. 316 : « Les explications en 23, 25-28, cf.
également Dt 13, 2-6, montrent clairement qu’il ne s’agit pas d’un rêve de n’importe qui auquel il accorde de
l’importance, mais qu’on pense ici aux rêves comme moyens officiels pour recevoir des révélations de la part de
Dieu : ‫ חולם חלום‬désigne soit le prophète lui-même, soit quelqu’un qui serait placé au même niveau que lui Dt 13,
2.4.6. »
32
Les prophètes et les rêves n'étaient donc pas faux en eux-mêmes mais les messages
obtenus par ces méthodes étaient faux et trompeurs car ceux qui les prononçaient n’étaient pas
envoyés par le Seigneur. Le verset 9, en quelques mots, définit, redit, ce qu’est un vrai prophète
et ce qu’est un faux-prophète, c’est-à-dire un menteur. Après avoir mis en garde les exilés de
Babylone contre les faux-prophètes, le prophète explique pourquoi ce sont des faux-prophètes,
des menteurs. Le terme de « ‫שׁקֶר‬
ֶ ֔ ‫»  ְב‬, « mensonge », est ici placée en tête de verset et porte un
zaqef qaton qui renforce là aussi l’accusation. La grande massore signale que l’expression
« ‫שׁקֶר‬
ֶ ֔ ‫ » ְב‬se retrouve en Jr 3, 10 dans un contexte de rib prophétique où le Seigneur accuse
Israël d’être infidèle et de se tourner vers les idoles et le mensonge127. Cela donne à notre
passage cette couleur de rib et montre que ce thème de la fausse prophétie est lié aux idoles, à
la prostitution et à la fausse religion (sens de « ‫ֵיכ֑ם‬
ֶ ‫)» ֽק ֹ ְסמ‬. Le Seigneur, par la voix de Jérémie,
appelle les exilés à vivre dans la vérité et à revenir à lui. Ce terme « ‫ »  שקר‬est utilisé maintes
fois dans les chapitres 27-29128 pour parler des prophètes en exil dans un même contexte et
avec les mêmes expressions que dans ce verset 9 : ces prophètes sont des menteurs car ils disent
parler « en mon nom », or « je ne les ai pas envoyés ».

Ce leitmotiv, dans les chapitres 27 à 29, montre bien que la question de la véritable
prophétie est une question centrale dans ces trois chapitres129 qui ont été pensés ensemble. Le
premier oracle (v. 4-7) explique aux exilés ce qu’ils doivent faire en Babylonie, ce deuxième
oracle (v. 8-9) dénonce les faux-prophètes, le troisième oracle (v. 10) promet la délivrance et
la restauration.

127
‫ְהוּדה ְבּכָל־ל ָ ִ֑בּהּ ִכּ֥י ִאם־בּ ֶ ְ֖שׁ ֶקר נְ ֻאם־י ְהוָ ֽה‬ ֖ ָ ‫חוֹתהּ י‬ ֛ ָ ‫ָגוֹדה ֲא‬
֧ ָ ‫שׁבָה ֵא ַ֜לי בּ‬ ָ ֨ ‫ָל־ז ֹאת ֹלא־‬֗ ‫ְוגַם־ ְבּכ‬
128
Cf. Jr 27, 10 : “”‫שׁ ֶקר ֵ ֖הם נִבּ ִ ְ֣אים ל ֶ ָ֑כם ְל ַ֨מעַן ה ְַר ִ ֤חיק ֶאתְ כֶם֙ ֵמ ַ ֣על אַדְ ַמתְ ֶ֔כם ְוהִדַּ ח ִ ְ֥תּי ֶאתְ ֶ ֖כם ַו ֲאבַדְ ֶתּֽם׃‬ ֶ ֔ ‫ִכּ֣י‬
Jr 27, 15 : “”‫יחי ֶאתְ כֶם֙ ַו ֲאבַדְ תֶּ֔ ם ַאתֶּ֕ ם ְו ַהנְּב ִ ִ֖אים הַ ֽנִּבּ ְִא֥ים לָכֶ ֽם׃‬ ֤ ִ ִ‫שׁ ִ ֖מי ַל ָ ֑שּׁקֶר ְל ַ֨מעַן הַדּ‬
ְ ‫ִכּ֣י ֹל֤ א שְׁ לַ חְ תִּ ים֙ נְ ֻאם־י ְה ֔ ָוה וְהֵ ֛ם נִבּ ְִא֥ים ִבּ‬
Jr 27, 16 : “‫ֵאמ ֹר ִה ֵ֨נּה כ ְֵל֧י בֵית־‬ ֔ ‫שׁ ְמ ֞עוּ ֶאל־דִּ ב ֵ ְ֣רי נְבִ ֽי ֵאי ֶ֗כם הַ ֽנִּבּ ִ ְ֤אים ָלכֶם֙ ל‬ ְ ִ‫אָמר י ְהו ָ֒ה אַ ֽל־תּ‬
֣ ַ ֮‫ֵאמ ֹר כּ ֹה‬ ֗ ‫ְו ֶאל־הַכּ ֹ ֲהנִים֩ ְו ֶאל־כָּל־ ָה ָ֨עם ַה ֶ֜זּה דִּ ַ ֣בּ ְרתִּ י ל‬
”‫שׁ ִ ֥בים ִמבּ ֶ ָ֖בלָה ע ָ ַ֣תּה ְמה ָ ֵ֑רה ִכּ֣י שֶׁ֔ קֶר ֵ ֖ה ָמּה נִבּ ְִא֥ים לָכֶ ֽם׃‬
ָ ‫י ְהוָ ֛ה מוּ‬
Jr 28, 15 : “”‫ַל־שׁ ֶקר׃‬ ֽ ָ ‫ֽע־נ֣א ֲחנַנְ ָי֑ה ֹלֽא־שְׁ לָ חֲ ָך֣ י ְה ֔ ָוה ְו ַאתָּ֗ ה ִהב ַ ְ֛טחְתָּ ֶאת־ה ָָע֥ם ַה ֶזּ֖ה ע‬ ָ ַ‫שׁמ‬ ְ ‫ו ַ֨יּ ֹא ֶמר י ְִר ְמ ָי֧ה ַהנּ ִָב֛יא ֶאל־ ֲחנַנְ ָי ֥ה ַהנּ ִ ָ֖ביא‬
On peut aussi faire un parallèle avec Za 13, 3 : « Si quelqu'un veut encore prophétiser, son père et sa mère qui l'ont
engendré lui diront : "Tu ne vivras pas, car ce sont des mensonges que tu prononces au nom de Yahvé", et pendant
qu'il prophétisera, son père et sa mère qui l'ont engendré le transperceront.
  »
129
Un certain nombre de commentateurs (SEIDL, NICHOLSON, CARROLL) pensent que ces versets sont
comme «  hors de propos  » dans ce chapitre et qu’ils ont été ajoutés pour introduire dans la lettre le conflit entre
vraie et fausse prophétie. Cf. EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit.,
p. 188.
33
D - 10 : promesse de restauration après soixante-dix ans

֣ ַ ֙‫»  כִּ ֽי־כ ֹה‬130. Il y a


Ce troisième oracle est introduit par la formule habituelle : « ‫אָמר י ְה ֔ ָוה‬
ici un changement de perspective. Alors que les premiers versets semblaient vouloir dire que
l'exil serait définitif, ici Dieu annonce que cet exil ne durera que soixante-dix ans. Cependant
le retour d'exil est conditionné par l'obéissance des Judéens aux commandements de Dieu : il
faut noter que ce n’est pas un retour immédiat comme le promettent les faux-prophètes mais
un retour « différé »131, après soixante-dix ans: «  ‫שׁב ְִע֥ים שׁ ָָנ֖ה‬
ִ ‫» ְל ֞ ִפי מ ְֹ֧לאת ְלבָבֶ ֛ל‬. Plusieurs
commentateurs, on fait remarquer que l’expression « ‫ » ְל ֞ ִפי‬+ infinitif construit (« ‫)» מ ְֹ֧לאת‬
comporte une nuance conditionnelle que l’on pourrait traduire par « seulement quand132 ». Les
exilés doivent abandonner leurs idées, leur projet d'échapper à la tyrannie babylonienne, et
accepter le plan de Dieu sur eux et le temps de l’exil. Le verset 10 pourrait donc, à première
vue, sembler tout à fait contradictoire avec le premier oracle puisqu’il promet un retour à
Babylone. Le chiffre « soixante-dix » représente ainsi un temps plein où s’exerce le jugement
de Dieu et où demeure la promesse, pleine d’espérance, de restauration133 : « l’annonce du
retour, bien que ce retour n’ait lieu qu’après deux ou trois générations, maintient le peuple dans
une nostalgie réelle et dans une attente vigilante. »134 Cet oracle de restauration n’est pas du
tout isolé dans le livre de Jérémie, bien au contraire. De très nombreux autres passages viennent
appuyer cette promesse135.

130
La grande massore relève 19 emplois de « ֙‫ » כִּ ֽי־כ ֹה‬dans le seul livre de Jérémie. (cf. Mm 2049)
131
Cf. WILSON, Gerald, “The Prayer of Daniel 9: Reflection on Jeremiah 29”, art. cit., p. 95: “A period of seventy
years is announced as the duration of the exile, removing any question of an early return. ” / trad. : « On annonce
que l’exil durera pendant soixante-dix ans, écartant ainsi la question d’un retour rapide.  »
132
Cf. HOLLADAY, William, Jeremiah 2, Hermeneia, op. cit., p. 141. « ‫ » ְל ֞ ִפי‬aurait ce même sens en Nb 9, 17 :
« ‫שׂ ָר ֵ ֑אל‬
ְ ִ ‫» וּ ְל ֞ ִפי ֵהעָֹל֤ ת הֶ ֽ ָענָ ֙ן ֵמ ַ ֣על ה ָ֔א ֹהֶל ו ְ֣אַח ֲֵרי־ ֵ֔כן יִס ְ֖עוּ בּ ְֵנ֣י י‬, « C’est seulement quand la nuée s’élèvera au-dessus de la tente
qu’alors les fils d’Israël partiront… »
133
Pour une analyse complète du symbolisme de ces soixante-dix ans de captivité, cf. WHITLEY, C. F., “The
Term Seventy Years Captivity”, in Vetus Testamentum, Vol. 4, 1954, p. 60-72 & cf. WBC, p. 76. Cf. aussi
LEUCHTER, Mark, “Jeremiah’s 70-year Prophecy and the ‫ששך‬/‫ קמי לב‬Atbash Codes”, Biblica, vol. 85 / 4, 2004,
p. 503-522.
134
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 302.
135
Jr 31,16 : «  Ainsi parle Yahvé : Cesse ta plainte, sèche tes yeux! Car il est une compensation pour ta peine -
oracle de Yahvé - ils vont revenir du pays ennemi.
  »
Jr 31,17 : «  Il y a donc espoir pour ton avenir - oracle de Yahvé - ils vont revenir, tes fils, sur leur territoire.  »
Jr 25,11-12 : «  Tout ce pays sera réduit en ruine et en désolation, et ces nations seront asservies au roi de Babylone
pendant soixante-dix ans. (Mais quand seront accomplis les soixante-dix ans, je visiterai le roi de Babylone et
cette nation - oracle de Yahvé - à cause de leur crime, ainsi que le pays des Chaldéens, pour en faire une désolation
éternelle.)
  »
Jr 27, 22 : «  Ils seront emportés à Babylone (où ils resteront jusqu'au jour où je les visiterai), oracle de Yahvé.
(Alors je les ferai remonter et revenir en ce lieu !)"
 »
Jr 33, 14 : « Voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où j'accomplirai la promesse de bonheur que j'ai prononcée
sur la maison d'Israël et sur la maison de Juda.
  »
34
Cette promesse de restauration, tout à la fois jugement, espérance et délivrance, est
particulièrement soulignée par un verbe-clé du livre de l’Exode136 mais aussi des prophètes :
«  ‫» ֶאפ ְ֣ק ֹד‬. Ce terme, tout particulièrement dans le livre de l’Exode, est employé pour parler de
l’intervention divine en faveur des Hébreux pour les délivrer de la main des Egyptiens, de la
captivité et de la « maison d’esclavage ». Au verset 10, ce verbe résonne donc de cette histoire
égyptienne et la promesse faite à Moïse est ici renouvelée par la bouche de Jérémie. L’atnach,
qui porte sur « ‫»  אֶתְ ֶכ֑ם‬, montre bien que la promesse divine d’intervention sera en faveur des
exilés. De même, cette promesse de restauration, Dieu en parle en usant d’une expression
significative, métadiscursive : « ‫ »  דְּ ב ִ ָ֣רי ַה ֔טּוֹב‬qui désigne cette même promesse en la soulignant
par un zaqef qaton.

Le retour est bien un retour à Jérusalem, le lieu d’où parle le Seigneur comme le montre
le déictique : « ‫»  ַהמּ ָ֖קוֹם ַה ֶזּ ֽה‬. Le Seigneur parle depuis Jérusalem, depuis le «  ‫ »מּ ָ֖קוֹם‬qui est un
terme qui désigne d’une manière générale tout lieu mais aussi, plus spécifiquement, dans la
littérature rabbinique par exemple, le Temple et le Saint des saints.

Dieu va agir en toutes choses pour ramener les déportés à Babylone : ce court oracle
est à la première personne du singulier («  ‫ » דְּ ָב ִ ֣רי‬,« ‫ »  ֲהקִמ ֹ ִ ֤תי‬,« ‫ )» ֶאפ ְ֣ק ֹד‬et les deux verbes au hifil
(«  ‫ »  ְלה ִ ָ֣שׁיב‬,« ‫ )» ֲהקִמ ִ ֹ֤תי‬désignent Dieu comme la cause première, que ce soit de la déportation
(cf. v. 4: «  ִ‫ )» ִהגְלֵ ֥ית‬ou bien de la restauration. Dieu est le maître de l’Histoire.

Si l’on reprend la construction concentrique de Daniel EPP-TIESSEN qui met en


relation ces dix premiers versets avec Jr 24, 1-10 (cf. Annexe A), il est intéressant de retrouver
la même promesse énoncée au verset 10 dans le verset 6 du chapitre 24, presque verbatim :
« ‫שׂמְתִּ֨ י עֵי ִנ֤י ֲעלֵיהֶם֙ לְטוֹ ָ֔בה ַו ֲהשִׁב ִ ֹ֖תים עַל־ה ָ ָ֣א ֶרץ ה ַ֑זּ ֹאת וּ ְבנִיתִ ים֙ וְֹל֣ א ֶאה ֱ֔ר ֹס וּנְ ַטע ִ ְ֖תּים וְֹל֥ א אֶתּֽ וֹשׁ׃‬
ַ ‫ ְו‬. » Au terme
«  ‫ » דְּ ב ִ ָ֣רי ה ַ֔טּוֹב‬du verset 10 répond «  ‫» לְטוֹ ָ֔בה‬. On retrouve le même verbe « ‫ »  הישיב‬ou deux
expressions très proches : « ‫ »  ָ ֣א ֶרץ ה ַ֑זּ ֹאת‬et « ‫»  ַהמּ ָ֖קוֹם ַה ֶזּ ֽה‬. L’oracle du chapitre 24 est intéressant
car il montre que c’est bien en terre promise que Dieu veut construire des maisons et planter
son peuple : « ‫ »  וּ ְבנִיתִ ים֙ וְֹל֣ א ֶאה ֱ֔ר ֹס וּנְ ַטע ִ ְ֖תּים וְֹל֥ א אֶתּֽ וֹשׁ‬et pas en Babylonie. Le chapitre 24 ne fait,
quant à lui, pas mention des soixante-dix ans.

Cette promesse de délivrance est donc semblable, in fine, à celle des faux-prophètes, si
ce n’est qu’elle implique un retardement passant par l’obéissance des Judéens. « C’est à
Babylone, avec Babylone et sous Babylone que Dieu travaille. L’erreur des opposants de

136
Ex 3, 16 : “ ‫ֵאמ ֹר פּ ָ֤ק ֹד ָפּ ַ֙קדְ תִּ ֙י‬ ֑ ‫ֹלהי אַב ְָרהָ ֛ם יִצ ָ ְ֥חק ְויַע ֲ֖ק ֹב ל‬
֧ ֵ ‫ֹלהי ֲאבֹֽתֵ יכֶם֙ נ ְִר ָ ֣אה ֵא ַ֔לי ֱא‬ ֤ ֵ ‫שׂ ָר ֵ֗אל וְאָ ַמ ְר ָ ֤תּ ֲא ֵלהֶם֙ י ְה ָ֞וה ֱא‬
ְ ִ ‫ֵלְ֣ך וְאָ ֽ ַספ ְ֞תָּ ֶאת־זִ ְק ֵנ֣י י‬
”‫ֶאתְ ֶ֔כם ְו ֶאת־ ֶהע ָ֥שׂוּי ל ֶ ָ֖כם ְבּ ִמצ ָ ְֽרי ִם׃‬
Ex 4, 31 : “‫שׁתַּ ֲחוּֽוּ׃‬ ְ ֽ ‫שׂ ָר ֵ֗אל ו ְִכ֤י ָראָה֙ ֶאת־ ָענְ ָ֔ים וַ ֽיּ ִ ְקּ ֖דוּ ַו ִיּ‬ְ ִ ‫שׁ ְמ ֡עוּ כִּ ֽי־ ָפ ַ֨קד י ְה ֜ ָוה ֶאת־בּ ְֵנ֣י י‬
ְ ִ ‫”וַ ֽיּ ַ ֲא ֵ ֖מן ה ָ ָ֑עם וַ ֽיּ‬
35
Jérémie n’est pas qu’ils ne croyaient pas et n’avaient pas confiance en Dieu, mais c’est qu’ils
essayaient de tenir Dieu en dehors des événements du monde de leur temps. »137 Le prophète
est donc bien celui qui tient compte, dans les prophéties qu’il reçoit, des circonstances
politiques particulières dans lesquelles il donne sa prophétie. Ainsi, les prophéties de
restauration, d’un prophète comme Hananya ou bien de Jérémie, ne diffèrent pas, stricto sensu,
car elles reposent toutes sur la foi en la bienveillance de Dieu pour son peuple. Cependant,
Hananya ne prend pas en compte les circonstances de son temps et risque ainsi de causer la
chute définitive de Juda138. Hananya, héritier d’Isaïe, est attaché à l’idée selon laquelle Dieu
habite le temple de Jérusalem et protège ainsi cette dernière contre tous ses ennemis.
Cependant, un « héritage religieux ne peut pas rester figé, mais doit être constamment
réinterprété à la lumière des changements de situation du peuple dans le monde. »139 L’attitude
du faux-prophète est donc celle qu’Alexander GORDON, dans un article très ancien, taxait de
« traditionalisme »140. Au contraire, Jérémie est plus « créatif », il agit en homme qui analyse
finement la situation géopolitique du moment et qui montre, et démontre, dans son discours,
qu’il n’y a pas d’autre alternative : se livrer à Babylone et vivre ou résister à Babylone et
disparaître. En recherchant la paix avec Babylone, le peuple pourra survivre et donc, un jour,
retourner en Judée. La structure serrée de ces quelques versets révèle une argumentation solide
fondée sur une personnalisation de la pensée de Jérémie : Dieu a bien le dessein de sauver son
peuple mais il veut le faire d’une manière qui corresponde aux exigences géopolitiques. Nous
avons donc ici des postures prophétiques contraires pour des théologies variées et des
rédactions espacées dans le temps.

Ces trois oracles convergent vers le centre de la structure concentrique établie par Jorge
TORREBLANCA qui porte ainsi toute la signification de ces vingt premiers versets.

137
BRUEGGEMANN, Walter, A Commentary on Jeremiah: Exile and Homecoming, Grand Rapids, Eerdmans,
1998: “It is in, with, and under Babylon that God is at work. The falseness of Jeremiah’s opponents is not that
they did not believe in and trust Yahweh, but that they tried to keep Yahweh apart from the world processes of
their time. ”
138
Cf. OVERHOLT, Thomas, “Jeremiah 27-29: The Question of False Prophecy ”, art. cit., p. 247: “their message,
however valid it may be as an abstract principle, is in its historical context potentially very dangerous, for it
obscures the real political situation. ” / trad. : «  leur message, aussi valable fût-il comme principe abstrait, est, dans
son contexte historique, potentiellement très dangereux car il cache la situation politique réelle.  » Cf. aussi
MARTIN-ACHARD, Robert, « Ésaie et Jérémie aux prises avec les problèmes politiques : contribution à l’étude
du thème, prophétie et politique. », Cahiers de la revue de théologie et de philosophie, janvier 1984, p. 306-322.
139
Ibidem, p. 248 : “ religious heritage can not remain static, but must constantly be reinterpreted in the light of
the people’s changing situation in the world. ”
140
Cf. GORDON, Alexander, “A Study of Jeremiah II ”, The Biblical World, Vol. 22, N° 3, 1903, p. 199.
36
X: 11-14a : partir à la recherche de Dieu

Ces trois versets, au cœur de la lettre, reprennent, synthétisent, explicitent et amplifient


les thèmes mis en place dans les dix premiers versets. Ainsi, au verset 11, l’expression utilisée
« ‫ »  שָׁלוֹם֙ וְֹל֣ א ל ְָר ָ֔עה‬renvoie directement au verset 7 et aux promesses de paix ainsi qu’au verset
10 : « ‫»  דְּ ב ִ ָ֣רי ה ַ֔טּוֹב‬. Dans ce verset 11, Dieu parle en son nom, comme le souligne la répétition
de «  ‫» אָנ ֹ ִ֨כי‬, et révèle ses desseins pour son peuple comme le montre le polyptote repris dans
un rythme ternaire: «  ‫ » ַמ ְחשְׁב֤ וֹת‬,« ‫ » ח ֵ ֹ֥שׁב‬,« ‫» ַה ַמּ ֲחשׁ ָ֗ב ֹת‬. Là encore, ce verset est un métadiscours
puisque Dieu parle de ses propres pensées, et donc de ses propres paroles, en les désignant
comme une promesse qui donne un futur et de l’espoir, « ‫»  אַח ִ ֲ֥רית וְתִ קְוָ ֽה‬. Ce verset 11 annonce
Jr 31, 17, et le livre de la consolation (“”‫ְהו֑ה ו ָ ְ֥שׁבוּ ָב ִנ֖ים ִלגְבוּלָ ֽם׃ ס‬
ָ ‫יתְך נְאֻם־י‬
֖ ֵ ‫) ְוי ֵשׁ־תִּ קְוָ ֥ה לְאַח ֲִר‬, presque
dans les mêmes termes. Ce livre de la consolation redit cette même promesse pour le futur, un
futur plein d’espoir. Au verset 11, l’expression « ‫» אנכי ידעתי‬, comme le souligne la grande
massore, apparaît en Dt 31, 27141, dans le contexte du don de l’Alliance et des mises en garde
du Seigneur contre les ruptures d’Alliance à venir. Ici, malgré les révoltes et l’exil, le Seigneur
promet bonheur et restauration, une nouvelle Alliance que les chapitres 30 & 31 expliciteront.
Ce dessein bienveillant de Dieu pour son peuple, ce dessein d’Alliance, au cœur de cette lettre,
est illustré par le verset 12.

Ce futur et cet avenir pleins d’espérance à venir, que les verbes à l’inaccompli évoquent,
ne peuvent devenir réalité que dans la relation d’Alliance entre Dieu et son peuple. Cette
relation, cette réciprocité entre un « vous » et un « je », est soulignée par le parallélisme que le
verset 12 met en place entre Dieu et son peuple :

‫וַ ֽ ֲה ַלכְתֶּ֔ ם‬ ‫א ֹתִ ֙י‬ ‫אתם‬


֤ ֶ ‫וּק ְָר‬

‫שׁ ַמע ִ ְ֖תּי ֲא ֵליכֶ ֽם‬


ָ ‫ְו‬ ‫אֵ ָל֑י‬ ‫ְוהִתְ ַפּ ַלּל ֶ ְ֖תּם‬

Il est intéressant, dans ce jeu de parallélisme, de remarquer que l’initiative est ici au
peuple qui « appelle » et « prie142 » le Seigneur, conditions pour que le Seigneur les fasse partir
et les écoute. De même que les exilés doivent bâtir des maisons, avoir des enfants, ils doivent
partir à la recherche de Dieu. L’hysteron proteron qui consiste à mettre le départ des Judéens
avant la prière et la réponse de Dieu montre bien que, dans le dessein de Dieu, tout est déjà
donné et prévu d’avance. L’appel et la prière des exilés sont une condition pour que le Seigneur

141
“‫”כּ֣י אָנ ִֹכ֤י י ַ ָ֙דעְתִּ ֙י אֶ ֽת־ ֶמ ְרי ְָ֔ך וְאֶ ֽת־ע ְָרפְָּך֖ ַה ָקּ ֶ ֑שׁה‬
ִ
142
Pour une étude complète du rôle de la prière dans ce passage et le rapprochement fait avec la prière de Daniel,
cf. WILSON, Gerald, “The Prayer of Daniel 9: Reflection on Jeremiah 29”, art. cit., p. 96.
37
les fasse partir et les écoute143. Il faut qu’ils partent à la recherche de Dieu, destinataire des
prières comme le souligne l’atnach « ‫»  א ֵָל֑י‬.

Là encore, ce verset et ce passage rappellent la situation et les paroles du livre de


l’Exode, le cri des Hébreux et l’oreille attentive du Seigneur144. Le verset 13 est une
réduplication du verset 12 en développant le même sens mais en adoptant aussi la même
construction parallèle. On peut le considérer comme une sorte de glose de Dt 4, 29 : « De là-
bas, tu rechercheras Yahvé ton Dieu, et tu le trouveras si tu le cherches de tout ton cœur et de
toute ton âme145 », une promesse du Deutéronome qui survient, là aussi, dans un contexte de
détresse et de difficultés146. Le début du verset 14 (14a147) vient comme conclure cette
recherche de Dieu et répondre très directement au verset 13. Au verset 13, les exilés trouveront
Dieu, « ‫ָאתם‬
֑ ֶ ‫ ; »  וּ ְמצ‬au verset 14, c’est bien Dieu qui est le sujet et qui se laisser trouver par son
peuple : « ‫ »  ְונִמ ְֵצ֣אתִ י‬comme le montre l’emploi du nifal. Au verset 13, il est intéressant de se
demander comment on doit traduire le « ‫ » כ י‬: doit-on le traduire par une conjonction temporelle
ou doit-on le traduire par un conjonction conditionnelle qui poserait alors la repentance comme
une condition de l’écoute bienveillante de Dieu148 ? Il nous semble, en lisant les versets 12 &
13 de concert, que la conjonction conditionnelle est plus appropriée : la promesse de Dieu est
conditionnée à l’obéissance du peuple149.

Dieu, qui ne ramènera les déportés qu’après soixante-dix ans, leur propose cependant,
dès maintenant, un « renouveau spirituel comme une possibilité à vivre dès maintenant. »150
Grâce à la prière, les exilés peuvent goûter par avance aux promesses de salut, renouveler

143
Cf. WILSON, Gerald, “The Prayer of Daniel 9: Reflection on Jeremiah 29”, art. cit., p. 97: “The prayer is best
understood as an attempt to have Daniel fulfil the conditions for restoration set out in Jer. 29, 12-14. ” / trad. : «
La prière est comprise comme une tentative pour Daniel de remplir les conditions de restauration exposées en Jr
29, 12-14.  » 
144
Cf. Ex 2,23–25 : «  Au cours de cette longue période, le roi d'Egypte mourut. Les Israélites, gémissant de leur
servitude, crièrent, et leur appel à l'aide monta vers Dieu, du fond de leur servitude.
 Dieu entendit leur
gémissement ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu vit les Israélites et Dieu
connut...
 »
145
La grande massore (Mm 926) rapproche explicitement ces deux passages, traitant l’expression « ‫» ובקשתם‬.
146
Cf. Dt 4, 30-31 : «  Dans ta détresse, toutes ces paroles t'atteindront, mais à la fin des temps tu reviendras à
Yahvé ton Dieu et tu écouteras sa voix ;
 car Yahvé ton Dieu est un Dieu miséricordieux qui ne t'abandonnera ni
ne te détruira, et qui n'oubliera pas l'alliance qu'il a conclue par serment avec tes pères.
  » On peut aussi penser à
Is 55, 6 : « Cherchez Yahvé pendant qu’il se laisse trouver, invoquez-le pendant qu’il est proche. »
147
La partie du verset (14a), que Jorge TORREBLANCA et nous séparons donc ici de la suite du verset 14,
correspond en fait très précisément au verset 14 de la LXX où manquent toutes les promesses de salut, que nous
verrons dans la suite de notre étude : « καὶ ἐπιφανοῦμαι ὑμῖν. » En utilisant le verbe « ἐπιφανοῦμαι » /
« apparaître », la LXX ne crée pas un écho, comme le TM, entre « chercher / et se laisser trouver » (‫ ְונִ ְמ ֵ ֣צאתִ י‬/‫ָאתם‬
֑ ֶ ‫)וּ ְמצ‬.
148
Cf. Henri LALLEMAN –de Winkel, Jeremiah in Prophetic Tradition. An Examination of the Book of Jeremiah
in the Light of Israel’s Prophetic Traditions, Biblical Exegesis and Theology, Vol. 26, Leuven 2000, p. 146.
149
Cf. idem, p. 148.
150
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 189: “This physical
restoration lies seventy years in the future, but the spiritual renewal is offered as a present possibility. ”
38
l’Alliance avec Dieu et se repentir des erreurs et des péchés qui ont mené à la colère de Dieu
et à l’exil. La prière du peuple n’a pas besoin du temple, du culte, de sacrifices, d’une ville
sainte, ou d’une terre précise. L’attitude spirituelle, du cœur, permet de renouer les liens de
l’Alliance entre Dieu et son peuple dans un esprit de repentance et de culpabilité surmontée151.
Les faux-prophètes qui annoncent un retour rapide « veulent panser la plaie du peuple de
manière précipitée et empêchent ainsi les déportés d’entrer dans la vérité sur eux-mêmes et sur
leur péché »152.

Au cœur de cette lettre, de cette structure concentrique mise à jour, se développe ainsi
la théologie des rédacteurs deutéronomistes qui soulignent la culpabilité du peuple mais qui la
dépassent en rappelant la toute-puissance miséricordieuse d’un Dieu qui se laisser chercher et
trouver et qui a un dessein bienveillant à l’égard du peuple qu’il s’est choisi. La prophétie de
restauration est liée à la conversion du peuple : la prière devient ainsi le moyen privilégié de
rétablir la relation entre Dieu et les hommes, une prière qui n’a pas besoin des institutions
religieuses traditionnelles que sont le temple, les sacrifices et la terre.

D’ - 14b : promesse de retour d’Exil

La seconde partie du verset 14 est propre au TM. En effet, 14a se termine par
l’expression « ‫»  נְאֻם־י ְהו ָ֒ה‬, expression stéréotypée qui conclut bien souvent un oracle. Le segolta
sur le nom divin, accent disjonctif, indique une pause forte.

On peut donc soutenir que 14b a été disposé ainsi pour faire le pendant à D, c’est-à-dire
au verset 10, dans la structure dégagée par Jorge TORREBLANCA. En 14b, on retrouve en

151
Cf. ALBERTZ, Rainer, Israel in Exile: The History and Literature of the Sixth Century B.C.E. Traduit par
David GREEN. Studies in Biblical Literature 3, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2003, p. 438: “The exilic
discussion is instead a successful example of how a nation can deal creatively with its own guilty past. (...) All
the groups of exilic theologians were well aware that a new beginning could not be conjured up simply by
admission of guilt and repentance. A new beginning could be vouchsafed only by God’s merciful forgiveness of
all guilt (Jer 29:10-14).”  / trad. : «  La discussion exilique est au contraire un exemple réussi de la capacité d’une
nation à gérer, de manière créative, sa propre culpabilité passée. (...) Tous les groupes de théologiens exiliques
étaient bien conscients qu’un nouveau départ ne pouvait uniquement se produire que par la reconnaissance de leur
culpabilité et par la repentance. Un nouveau départ ne pouvait être garanti que par le pardon miséricordieux de
toute culpabilité par Dieu. » & cf. STULMAN, Louis, “ Jeremiah as a Messenger of Hope in Crisis ”, Interpretation,
Vol. 62, 2008, p. 17 : “ As counterintuitive as it may seem, the exiles will find God in their place of risk. There
they will participate in God’s new creation, and there they will discover seeds of hope. ” / trad. : «  Aussi paradoxal
que cela puisse paraître, les exilés trouveront Dieu dans ce lieu risqué. Là, ils participeront à la nouvelle création
de Dieu, et là, ils découvriront les semences de l’espoir. » Cf. aussi BOGAERT, Pierre-Maurice, « La fin des
jours, catastrophe, retour d’exil ou nouveauté dans les éditions conservées du livre de Jérémie », in Les prophètes
de la Bible et la fin des temps, éd. Jacques VERMEYLEN, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2010, p. 73-98. Cf.
aussi SEITZ, Christopher R., “The Crisis of Interpretation over the Meaning and Purpose of the Exile: A
Redactional Study of Jeremiah XXI-XLIII”, in Vetus Testamentum, Vol. 35, 1985, p. 78-97.
152
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 310-311.
39
effet la même promesse de salut qu’au verset 10 dans des termes très proches. 14b est une
reprise et une amplification du verset 10 mais s’insère plus largement dans un réseau de
prophéties similaires153. Le verbe « ‫ »  שב‬du verset 10 est ainsi repris deux fois en 14b, au qal
et au hifil, («  ‫ »  ַו ֲהשִׁב ִ ֹ֣תי‬,« ‫שׁב ִ ְ֣תּי‬
ַ ‫ )» ְו‬pour souligner l’action de Dieu. En 14b, Dieu est le sujet de
tous les verbes154 et les exilés sont l’objet de tous ces verbes: « ‫»  ֠ ֶאתְ כֶם‬. L’expression « ‫שׁב ִ ְ֣תּי‬
ַ
[‫שׁבִיתְ כֶם ]שְׁבוּתְ ֶ֗כם‬
ְ ‫ » אֶת־‬idiomatique n’est pas aisée à traduire mais, « dans la majorité des cas,
dans ses formes diverses, signifie changer de sort, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un acte de
profonde restauration et d’un renouvellement radical, opéré par Dieu au moment de l’affliction
et de la détresse. »155 Dieu, par cette parole, ouvre la possibilité du retour aux exilés : « comme
l’histoire des Pères, l’histoire du peuple débute par une parole de Dieu, qui ouvre un avenir au
peuple. »156

14b est réellement une amplification du verset 10 puisqu’il insiste sur le rassemblement
« ‫ »  ְו ִק ַבּצ ִ ְ֣תּי‬et qu’il multiplie les groupes prépositionnels introduits par la préposition « ‫»  מן‬157.
Ainsi rassemblés, les déportés retourneront vers Jérusalem d’où parle Dieu : « ‫»  אֶל־ ַהמּ ָ֖קוֹם ַה ֶזּ ֽה‬
(v. 10) / «  ‫( »אֶל־ ַ֨המּ ָ֔קוֹם‬v. 14). Le texte passe ainsi « des lieux » au « lieu » unique qu’est
Jérusalem. D et D’ développent ainsi une théologie qui n’est plus celle de B (v. 4-7), une
théologie qui n’est pas favorable à la Golah. Il s’agit bien de revenir, certes après un certain
temps, à Jérusalem. Assez étonnamment, 14b ne reprend pas le délai de soixante-dix ans. Mais
29, 14, contrairement à 24,9, ne concerne pas que les Judéens babyloniens :

La différence essentielle entre 24, 9 et 29, 14 est que l'expression des lieux où Dieu les
chasse figure en 24, 9 dans un oracle condamnant les Judéens non babyloniens à l'exil
et à l'anéantissement alors qu'en 29, 14 elle fait partie au contraire d'une promesse de
retour qui leur est adressée, à eux aussi, à la suite des Judéens babyloniens.158

Il est surprenant, somme toute, de constater que Jr 29, 14 reprend Jr 24, 9 mais pour dire le
contraire : les Judéens, condamnés en Jr 24, 9, deviennent eux aussi bénéficiaires de la
promesse de restauration en Jr 29, 14 : « le compositeur introduit ainsi dans la promesse de
retour adressée aux Judéens de Babylone une dimension nationale beaucoup plus large et sans

153
Cf. Jr 16, 15 : «  mais : "Yahvé est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays du Nord et de tous les pays où
il les avait dispersés!" Je les ramènerai sur la terre que j'avais donnée à leurs pères !
 »
Jr 32, 37 : «  Moi, je vais les rassembler de tous les pays où je les ai chassés dans ma colère, ma fureur et ma grande
indignation; en ce lieu je les ramènerai et les ferai demeurer en sécurité.
  »
154
« ‫ »  ִהגְלֵ ֥יתי‬,« ‫שׁב ִ ֹ֣תי‬
ִ ‫ »  ַו ֲה‬,« ‫ » ה ַ ִ֧דּחְתִּ י‬,« ‫ »  ְו ִק ַבּצ ִ ְ֣תּי‬,« ‫שׁב ִ ְ֣תּי‬
ַ ‫»  ְו‬.
155
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 255. Pour la discussion
sur cette expression, on peut consulter avec profit l’excursus des p. 249-255.
156
Idem, p. 308.
157
« ‫שּׁם‬ֽ ָ ‫ »  ִמ‬,« ‫קוֹמוֹת‬
֗ ‫ »  ִמכָּל־ ַה ְמּ‬,« ‫» מִ ֽכָּל־הַגּוֹ ֞י ִם‬.
158
GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 72.
40
exclusive »159, qui désamorce par avance la condamnation de Jr 29, 18 à l'encontre des Judéens
non-babyloniens160. On comprend alors que le Sitz im Leben du contexte historique doit être
différencié du Sitz im Leben du contexte rédactionnel : cette promesse concerne tout Israël et
prend ainsi une dimension théologique plus large161.

Verset après verset, il apparaît de plus en plus clairement que le stylème de ce passage
est l’opposition binaire peuple/Dieu, exil/retour, multiplicité/unité, bonheur/malheur qui
traduit tout à la fois le caractère dialogique de ce passage mais aussi une théologie
deutéronomiste des deux voies et confirme ainsi les ajouts deutéronomistes successifs.

Ce verset 14b a donc sans doute été disposé ainsi pour être le pendant du verset 10
comme le montre l’amplification des thèmes de ce même verset 10. L’amplification est
tellement appuyée qu’elle semble, in fine, peu naturelle et précisément destinée à soutenir la
structure concentrique. De plus, elle reprend la même formule que Jr 24,9 mais pour l'orienter
différemment et inclure les Judéens non babyloniens dans la promesse de retour. Cet ajout
répond à une motivation unique qui est de « corriger le discours de Jr 29, 18 qui exclut de
l'histoire sainte, et donc des promesses de retour, les Judéens qui ne sont pas partis en exil à
Babylone. »162 Cela permet de dater ce verset 14b à une époque ultérieure aux versets 16-20
qu'il corrige.

C’ - 15: « Dieu nous a donnés des prophètes! »

Au verset 15, le texte revient sur la question des faux-prophètes de Babylone, question
qui occupait les versets 8 & 9 (C). Ce verset 15, qui surgit sans transition après les promesses
de restauration, vient répondre aux versets 8 & 9163 tout en ajoutant un argument nouveau dans

159
Ibidem, p. 74
160
Cf. ibidem, p. 75 : « Jr 24, 9 est la source de Jr 29, 18 et c'est aussi l'autre sévère condamnation des non
babyloniens par contraste avec les Judéens de Babylone. En associant les deux passages, l'auteur du 'plus'
désamorce, en même temps que 29, 18 la source principale de celui-ci. Par cette promesse apparemment neutre,
il ouvre la voie à une exégèse de l'espoir pour les Judéens qui ne reviennent pas de Babylone. »
161
Cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 320.
162
Cf. ibidem.
163
Beaucoup de commentateurs et de critiques pensent que ce verset 15 est un ajout et qu’il est très mal placé et
proposent plusieurs solutions. Cf WBC, p. 64 : “ (1) THIEL (Redaktion 14) argues that v. 15 was accidentally
omitted, but retained in the margin, and then reinserted in its present position. (2) Move v. 8-9 after v. 15
(RUDOLPH). This rearrangement allows v. 10-14 to follow immediately after v. 5-7. (3) Move v. 16-20 between
v. 14-15 (HOLLADAY, 2:135; JANZEN, Studies 118). This rearrangement allows v. 15 to form a unit with v.
21-23. ” / trad. : «  (1) THIEL (Redaktion 14) soutient que le v. 15 a été accidentellement omis, gardé dans la marge,
puis réinséré où il est maintenant. (2) Déplacer les v. 8-9 après le v. 15 (RUDOLPH). Ce réarrangement permet
aux versets 10-14 de suivre immédiatement les v. 5-7. (3) Déplacer les v. 16-20 entre les v. 14-15 (HOLLADAY,
2:135; JANZEN, Studies 118). Ce réarrangement permet au v. 15 de former une unité avec les v. 21-23 . »
Les discussions sont donc très nombreuses et les avis divergents. Nous voudrions noter la position de RUDOLPH
(2) qui constate que les versets 8-9 et 15 fonctionnent ensemble, ce que la structure concentrique de Jorge
41
la discussion sur les vrais et faux-prophètes. En effet, les exilés soutiennent que Dieu leur a
donné des prophètes à Babylone mais ils utilisent une construction assez rare : le verbe « ‫»  קום‬
au hifil n’est presque jamais utilisé avec « prophète » comme complément d’objet direct. Les
deux seules autres occurrences de cette construction dans la Bible hébraïque apparaissent dans
le livre du Deutéronome164: Dieu promet aux Hébreux qu’il suscitera parmi eux un prophète
aussi grand que Moïse, figure aux allures quasiment messianiques165. Ainsi, de même que Dieu
a suscité Moïse en Egypte, les exilés pensent que Dieu a suscité un grand prophète à Babylone,
peut-être même le grand prophète promis par Dieu dans le Deutéronome166. Pourquoi écouter
un prophète qui parle depuis Jérusalem alors que les exilés se trouvent à Babylone ? Pourquoi
écouter un prophète qui ne connaît pas concrètement la situation des exilés ?

La prétention des exilés à avoir parmi eux de vrais prophètes cristallise les tensions
entre Jérémie et ces derniers. Dans ce simple verset, on comprend que la lettre est faite de
plusieurs prophéties, de questions et de réponses, de controverses quant à l’identité du vrai
prophète. Les exilés ne pensent pas qu'ils ont besoin des paroles prophétiques données par
Jérémie. Le Seigneur, alors, leur répond par la bouche de Jérémie. Encore faut-il qu’ils
reconnaissent la parole de Jérémie, mise par écrit, comme une parole venant réellement de
Dieu ; tout le monde prétend en effet parler au nom de Dieu. C’est donc un combat parole
contre parole comme le souligne l’atnach qui porte sur le verbe « dire » : « ‫»  ֲאמ ְַר ֶ ֑תּם‬. Ce combat
« parole conte parole » fait écho au combat du chapitre 28.

Le verset 15 (C’) est comme la réponse des exilés à la charge contre les faux-prophètes
de Jérémie aux versets 8 & 9 (C). Jérémie a attaqué ces faux-prophètes : les exilés lui répondent
qu’ils ont parmi eux les vrais prophètes envoyés par Dieu pour les guider et les aider à
comprendre sa volonté.

TORREBLANCA montre assez. (cf. RUDOLPH, Walter, Jeremia, Tübingen, Mohr (Siebeck), 1968.) Nous
voudrions aussi évoquer la position de Yohanan GOLDMAN qui conclut que « la place originelle du v. 15 était
probablement devant les vv. 21 sq., mais dans l'état présent du TM la seule lecture possible du v. 15 est à la suite
des vv. 10-14a, comme une finale de cet oracle de salut. » (Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., . p.
83)
164
Cf. Dt 18, 15 : “”‫שׁ ָמעֽוּן׃‬ ְ ִ‫ֹלהיָך ֵא ָל֖יו תּ‬
֑ ֶ ‫ְהו֣ה ֱא‬
ָ ‫נָ ִ֨ביא ִמ ִקּ ְרבְָּך֤ ֵמאַ ֙ ֶחי ָ֙ך כּ ָ֔מ ֹנִי י ִ ָ֥קים לְָך֖ י‬
֖ ֶ ‫אָקים לָהֶ ֛ם ִמקֶּ ֶ֥רב ֲאח‬
Dt 18, 18 : “‫ֵיהם כּ ָ֑מוָֹך ְונָתַ ִ ֤תּי דְ ב ַָר ֙י ְבּ ִ֔פיו וְדִ ֶ ֣בּר ֲאלֵי ֶ֔הם ֵ ֖את כָּל־ ֲא ֶ ֥שׁר ֲאצַוֶּ ֽנּוּ׃‬ ֥ ִ ‫”נָ ִ֨ביא‬
165
Le christianisme reprend volontiers ces versets pour évoquer la figure de Jésus-Christ.
166
Et si Jérémie était le nouveau Moïse ? cf. RÖMER, Thomas, “From Prophet to Scribe: Jeremiah, Huldah and
the Invention of the Book”, in P. R. DAVIES et T. RÖMER, Writing the Bible. Scribes, Scribalism and Script
(Bible World), Durham - Bristol, CT, Acumen, 2013, pp. 86-96.
42
B’ - 16 - 19: destruction et malédiction

Les versets 16 à 20 constituent un ensemble assez identifiable puisque le destinataire


de cet oracle diffère du reste de cette première lettre. Cet oracle est destiné au roi et au peuple
de Jérusalem : « ‫שׁ ֙ב אֶל־כּ ֵ ִ֣סּא דָ ֔ ִוד ְואֶל־כָּל־ ָה ָ֔עם‬
ֵ ‫ »  אֶל־ ַה ֶ֙מּ ֶל ְ֙ך הַיּוֹ‬et non plus aux exilés à Babylone. Cette
nouvelle séquence est introduite par la formule stéréotypée de l’oracle et marquée par une
pause, « setumah », au verset 16. Ces versets, selon Daniel SMITH, sont clairement de facture
deutéronomiste comme le montre la triade « épée, famine, peste »167 et ont été ajoutés par la
communauté en exil168. Au verset 16, le prophète oppose clairement les exilés aux résidents de
Jérusalem. Au « ‫ »  שם‬répété de nombreuses fois pour désigner Babylone s’oppose le déictique
de proximité « ‫ »  בּ ִ ָ֣עיר ה ַ֑זּ ֹאת‬que l’atnach vient renforcer. Les résidents de Jérusalem sont bien
ceux qui n’ont pas été déportés : «  ‫» ֹלֽא־יָצ ְ֥אוּ אִתְּ ֶכ֖ם בַּגּוֹלָ ֽה‬169. Il est intéressant de noter ici que le
prophète continue de s’adresser, par le biais de la lettre, aux exilés mais qu’il donne un oracle
destiné aux habitants de Jérusalem, un oracle qu’il fait connaître à tous. Il existe donc un double
destinataire : les exilés comme destinataires de la lettre, les habitants de Jérusalem comme
destinataires de l’oracle.

Aux promesses de bénédiction pour les exilés qui obéiraient aux commandements de
Dieu de « construire, s’installer, planter » aux v. 4-7 (B) s’oppose ici en B’ des promesses de
malédiction adressées aux habitants de Jérusalem qui se sentent en sécurité dans la ville sainte
protégée par Dieu. Ce texte résonne, là encore, du récit de l’Exode et plus particulièrement des
plaies envoyées par Dieu aux Egyptiens. L’expression de Jérémie : «  ‫ » ִהנְנִ ֙י ְמשׁ ֵ ַ֣לּ ַח ָ֔בּם‬est
littéralement reprise au récit d’Exode 8, 17170 quand Dieu s’apprête à envoyer les mouches
venimeuses. Les habitants de Jérusalem, par un retournement inattendu, deviennent la figure
des Egyptiens, c’est-à-dire de ceux qui n’écoutent pas la Parole de Dieu et qui ne laissent pas
le peuple quitter l’Egypte pour se rendre dans le désert pour prier le Seigneur, en route vers la
terre promise171. Les habitants de Jérusalem sont ainsi comme invités à quitter la ville du « siège

167
Cf. note 52 ci-dessus.
168
SEITZ, Christopher R., Theology in Conflict: Reactions to the Exile in the Book of Jeremiah, Walter de Gruyter,
1989, p. 211-212: “ It is likely that this insertion was made by the exilic community under the prophetic authority
of Ezekiel. Its language closely mirrors the condemnatory litanies found in the Book of Ezekiel ‘sword, famine,
pestilence; horror, curse, terror, hissing, reproach’. ” / trad. : «  Il est probable que cette insertion ait été faite par la
communauté en exil sous l’autorité prophétique d’Ezékiel. Les expressions utilisées ressemblent de très près aux
litanies de condamnation que l’on trouve dans le livre d’Ezékiel : épée, famine, peste ; horreur, malédiction,
terreur, moquerie, reproche.  »
169
Cette expression, selon Yohanan GOLDMAN, est une conflation de Jr 48, 7 (‫ & ) ְוי ָ ָ֤צא בַּגּוֹ ָ֔לה‬de Jr 7, 15 où «
frères désigne la partie du peuple que le Seigneur a rejetée loin de lui. » (Prophétie et royauté au retour de l'exil,
op. cit., . p. 84)
170
« ‫שׁ ִ֨לי ַח בּ ְָ֜ך‬
ְ ‫שׁ ֵ ֣לּ ַח ֶאת־ ַע ִמּי֒ ִהנְנִ ֩י ַמ‬
ַ ‫» כּ֣י ִאם־ ֵאינְ ָ֮ך ְמ‬.
ִ
171
Cf. Jr 21, 8-9 : « Et à ce peuple tu diras : "Ainsi parle Yahvé. Voici, je place devant vous le chemin de la vie
43
de David » pour se rendre à Babylone qui apparaît donc ici, paradoxalement, comme la
nouvelle terre promise. On revient ici à une théologie pro-Golah que les versets 4-7 (B),
parallèles, illustraient tout particulièrement. Le rapprochement entre les versets 4-7 et 16-19
est ainsi tout à fait justifié puisque ces deux passages résonnent des mêmes conceptions
théologiques et idéologiques.

Daniel EPP-TIESSEN, dans la présentation de sa structure de Jr 23, 9 - 29, 32,


rapproche la section Jr 29, 1-19 de Jr 24, 1-10, qui prend l’image des bonnes et des mauvaises
figues. Or, précisément, au verset 17, réapparaît cette image de figues « avariées172 » que l’on
ne peut pas manger. Il ne s’agit pas d’un simple écho mais plutôt d’une volonté claire de mettre
en parallèle Jr 29, 17 et Jr 24, 2 puisque c’est très exactement la même expression qui est
utilisée dans ces deux versets173 :

Jr 24, 2 Jr 29, 17

‫ֽאָכ ְלנָה מ ֵֽר ֹ ַע‬


֖ ַ ‫ֹלא־ת‬
ֵ ‫ֲשׁר‬
֥ ֶ ‫תְּ ֵאנִים֙ ָרע֣ וֹת מ ְ֔א ֹד א‬ ‫אָכ ְלנָה מ ֵֽר ֹ ַע‬
֖ ַ ֵ‫ֲשׁר ֹלא־ת‬
֥ ֶ ‫תְּ ֵאנִים֙ ה ַ֣שּׁ ֹע ִָ֔רים א‬

Jr 24, 1-10 développe en effet la même idée que Jr 29 : les bonnes figues, ce sont les
exilés de Juda qui bénéficient des promesses de bénédiction de Dieu174 ; les mauvaises figues,
c’est le roi et les habitants de Jérusalem175:

Jr 24, 9 & 10 Jr 29, 18 & 17

֙‫שׁל‬
ָ ‫וּנְתַ תִּ ים֙ ִלזְ ָועָה ל ְָר ָ֔עה ל ְ֖כ ֹל ַמ ְמלְכ֣ וֹת ה ָ ָ֑א ֶרץ ְלח ְֶר ָפּ֤ה וּ ְל ָמ‬ ‫ו ָ ְֽרדַ פְתִּ ֙י אַ ֽח ֲֵרי ֶ֔הם בּ ֶ ַ֖ח ֶרב בּ ָָר ָ ֣עב וּב ָ ַ֑דּבֶר וּנְתַ תִּ֨ ים ִלזַ ֲו ָ֜עה‬
ֵ ִ‫שׁנ ִָינ֣ה ְו ִל ְק ָל ָ֔לה ְבּכָל־ ַהמְּק ֹ֖מוֹת א ֲֶשֽׁר־אַדּ‬
‫יח֥ם ָשֽׁם‬ ְ ‫ִל‬ ‫שׁמָּה֙ ְו ִלשׁ ְֵר ָ ֣קה וּ ְלח ְֶר ָ֔פּה‬
ַ ‫ְאָל֤ה וּ ְל‬
ָ ‫ל ְ֣כ ֹל ׀ ַמ ְמלְכ֣ וֹת ָה ָ֗א ֶרץ ל‬
‫ְבּכָל־הַגּוֹ ִי֖ם ֲאשֶׁר־הִדַּ ח ְִתּ֥ים ָשֽׁם‬

‫ְושׁ ַ ִ֣לּחְתִּ י ָ֔בם אֶת־ה ֶ ַ֖ח ֶרב אֶת־ה ָָר ָ ֣עב ְואֶת־ה ָ ַ֑דּ ֶבר‬ ‫ִהנְנִ ֙י ְמשׁ ֵ ַ֣לּ ַח ָ֔בּם אֶת־ה ֶ ַ֖ח ֶרב אֶת־ה ָָר ָ ֣עב ְואֶת־ה ָ ַ֑דּבֶר‬

et le chemin de la mort. Qui restera dans cette ville mourra par l'épée, la famine et la peste ; mais qui en sortira et
se rendra aux Chaldéens, vos assaillants, vivra, il aura sa vie comme butin. »
172
« ‫ » ה ַ֣שּׁ ֹע ִָ֔רים‬est un hapax legomenon.
173
Cf. GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 85 : « la parenté formelle entre
ces versets, la curieuse gradation créée par l'assemblage de ces matériaux et la nécessité de passer par Jr 24 pour
comprendre 29, 17, sont autant d'éléments qui confirment cette dépendance rédactionnelle. »
174
Cf. Jr 24, 5-6 : « Ainsi parle Yahvé, Dieu d'Israël. Comme à ces bonnes figues, ainsi je veux m'intéresser pour
leur bien aux exilés de Juda, que j'ai envoyés de ce lieu au pays des Chaldéens.
 Je veux fixer les yeux sur eux pour
leur bien, les faire revenir en ce pays, les reconstruire au lieu de les démolir, les planter au lieu de les arracher.
  »
Ici, le texte utilise très exactement des expressions déjà vues dans les versets précédents de Jr 29 : «  s’intéresser
pour leur bien », « faire revenir en ce pays  », «  les planter  ».
175
Cf. Jr 24, 8 : « Mais comme on traite les mauvaises figues, si gâtées qu’elles en sont immangeables - oui, ainsi
parle Yahvé - ainsi traiterai-je Sédécias, roi de Juda, ses princes et le reste de Jérusalem : ceux qui sont restés dans
ce pays comme ceux qui habitent au pays d’Egypte.
  »
44
Les versets 16 à 18 du chapitre 19 sont en fait empruntés au chapitre 24176, presque mot
pour mot, ce qui montre bien qu’ils ont été précisément ajoutés pour faire le pendant de Jr 24,
1-10.

Les versets 17 & 18 utilisent les mêmes expressions dans un jeu de reprise et
d’amplification qui martèle les malédictions177. On retrouve la triade « épée, famine, peste »178
ainsi que le verbe « ‫ »  ְונָתַ ִ ֣תּי‬mais aussi, et surtout, au verset 18, le prophète décline toutes les
malédictions –empruntées donc à Jr 24179- qui sont amplifiées par la double expression de la
totalité introduite par le déterminant indéfini « tout »: «  ‫ »  ְבּכָל־הַגּוֹ ִי֖ם‬,« ‫»ל ְ֣כ ֹל ׀ ַמ ְמלְכ֣ וֹת‬.

Cependant, au verset 19, la distinction entre exilés et non-exilés s’estompe et le texte


fait comprendre que les deux groupes ont sort lié. La question des destinataires évoquée ci-
dessus est posée par le texte lui-même et ses variantes. En effet, de très nombreux manuscrits
portent180 : « ‫שׁ ַ֨לחְתִּ י ֲאלֵי ֶ֜כם‬
ָ  » et non « ‫שׁ ַ֨לחְתִּ י ֲאלֵי ֶ֜הם‬
ָ  » et « ‫שׁ ַמעְי ֶ֜כם‬
ְ  » et non « ‫שׁ ַמ ְע ֶ ֖תּם‬
ְ  » : « C'est
qu'ils n'ont point écouté mes paroles - oracle de Yahvé - bien que je vous/leur aie envoyé sans
me lasser mes serviteurs les prophètes, mais ils ne les ont pas/vous ne les avez pas écoutés -
oracle de Yahvé. » Ainsi, on ne sait plus si la désobéissance est le fait des résidents de Jérusalem
ou bien celui des exilés. Cette accusation de désobéissance est récurrente dans le livre de
Jérémie181 mais ici le texte se démarque du reste du livre : « non seulement la conjonction

176
Par exemple, la grande massore (Mm 290) souligne l’expression « ‫ » תאכלנה‬et dénombre quatre occurrences
qui sont toutes en Jr 24 et Jr 29 (Jr 24, 2.3.8 Jr 29, 17).
177
Le Targum insiste sur le fait que ces malédictions sont mortelles en utilisant la racine «  ‫» קטל‬, «  tuer  », et le
mot, «  ‫» מות‬, «  mort  »  : « ‫» דקטלין בחרבא כפנא ומותו‬.
178
Cf. GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 88 : « 18a présente des
caractéristiques formelles et contextuelles qui le rapprochent beaucoup de l'annonce des trois fléaux en Jr 42,
17.22 (Tous les hommes qui prendront la décision d’aller en Egypte avec l’intention de s’y réfugier mourront par
l’épée, la famine ou la peste. Il n’y aura aucun survivant, aucun rescapé, suite au malheur que je ferai venir sur
eux. (…) Sachez-le maintenant, vous mourrez par l’épée, la famine ou la peste là même où vous désirez tant vous
rendre pour vous y réfugier. »). C'est le seul endroit où l'on a l'idée de poursuite avec les trois fléaux et où ces
fléaux sanctionnent le refus de la parole du (des) prophète(s). »
179
La grande massore (Mm 2593) souligne l’expression « ‫ » את־חהרב את־הרעב‬qui apparaît précisément en Jr 24,
10 & Jr 29, 17, ce qui montre bien la proximité de ces deux passages.
180
Cf. GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 93 : « Une douzaine de
manuscrits massorétiques proposent un suffixe 2ème personne. » Cependant, Yohanan GOLDMAN construit sa
réflexion en ne prenant pas en compte cette possible variante, la considérant plutôt comme une possible habitude
du livre de Jérémie qui alterne 2ème et 3ème personnes du pluriel pour créer des effets polémiques et d'interpellation.
Pour lui, les vv. 16-20 opposent clairement les Judéens babyloniens aux Judéens palestiniens : « Autour des vv.
16-19, les deux communautés sont donc opposées. Celle qui n'est pas sortie en Golah, Dieu lui envoie les fléaux
après avoir envoyé ses prophètes, celle que Dieu a envoyée en Golah est devenue apte à accueillir les prophètes. »
(ibidem, p. 104)
181
Jr 7, 25–26 : « Depuis le jour où vos pères sont sortis du pays d'Egypte jusqu'à aujourd'hui, je vous ai envoyé
tous mes serviteurs, les prophètes ; chaque jour je les ai envoyés, sans me lasser.
 Mais ils ne m'ont pas écouté, ils
n'ont pas prêté l'oreille, ils ont raidi leur nuque, ils ont été pires que leurs pères.
  »
Jr 26,4–5 : « Tu leur diras : Ainsi parle Yahvé. Si vous ne m'écoutez pas pour suivre ma Loi que j'ai placée devant
vous, pour être attentifs aux paroles de mes serviteurs les prophètes, que je vous envoie sans me lasser mais que
vous n'avez pas écoutés,
 … »
Jr 35, 14-15 : «   On a observé les paroles de Yonadab, fils de Rékab; il a défendu à ses fils de boire du vin et
45
(écouter mes paroles/envoyer mes serviteurs) est un fait inhabituel, mais cette façon de
souligner l'identité entre parole de Dieu et paroles des prophètes, par des formes suggérant
l'équivalence, est assez remarquable. »182 Si le verset 15 se trouvait après le verset 19, il serait
clair que le prophète parle aux exilés mais dans la version finale du texte, rien ne permet de
tirer cette conclusion. Les résidents de Jérusalem sont maudits mais les exilés, qui écoutent les
faux-prophètes à Babylone, risquent un sort semblable. « Ainsi, la destruction décrétée au sujet
des ‘non-exilés’ constitue aussi un message de jugement pour les exilés, car il anéantit tout
rêve de retour rapide à une vie normale dans la terre natale. »183 Cet oracle du verset 19 a sa
propre unité du fait de sa structure concentrique184 qui le fait ressortir au milieu de ces oracles
successifs :

A- Parce qu’ils n’ont pas écouté mes paroles (‫שׁמְע֥ וּ‬


ָ ‫)ֹלא־‬, déclare YHWH,

B- alors que je leur ai envoyé, (‫שׁ ַ֨לחְתִּ י‬


ָ )

B’- envoyé encore et encore, mes serviteurs les prophètes (‫) ְושׁ ָֹ֔ל ַח‬

A’- et vous n’avez pas écouté déclare YHWH. (‫שׁ ַמע ֶ ְ֖תּם‬
ְ ‫)ֹל֥ א‬

Ces deux thèmes de l’envoi et de l’écoute, inlassablement répétés, nous l’avons vu,
dans Jérémie trouvent ici une nouvelle expression dans une unité oraculaire qui vient s’insérer
dans un discours centré sur la question de l’écoute du peuple (cf. X, v. 11-14a).

Ces versets 16 à 19 estompent donc, nous semble-t-il, les différences jusque-là très
claires entre exilés et non-exilés. L’exil et la destruction deviennent ainsi le creuset dans lequel
l’expérience d’Israël pourra s’approfondir, le creuset dans lequel pourra s’opérer une
renaissance spirituelle voulue par Dieu, dans son dessein divin. Ces quatre versets, comme une
cauda, reprennent des thèmes développés dans tous ces versets et portent la marque
deutéronomiste. Ces versets ne « s’adressent pas seulement à un groupe sociologique mais
fonctionnent comme un avertissement à quiconque écoute de faux-prophètes, refuse d’accepter

jusqu'aujourd'hui ils n'en ont pas bu, obéissant à l'ordre de leur ancêtre. Et moi qui vous ai parlé sans me lasser et
avec insistance, vous ne m'avez pas écouté.
 Je vous ai envoyé sans me lasser et à bien des reprises tous mes
serviteurs les prophètes pour vous dire : Revenez chacun de votre voie mauvaise, améliorez vos actions, ne suivez
pas d'autres dieux pour les servir, et vous demeurerez sur le sol que j'ai donné à vous et à vos pères. Mais vous
n'avez pas prêté l'oreille, vous ne m'avez pas écouté.  »
182
GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 92.
183
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 192: “Thus, the
destruction decreed for the non-exiles also constitutes a message of judgement for the exiles, because it dashes
any dreams of returning soon to resume life in the homeland. ”
184
Cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 265.
46
la réalité de l’Exil et s’attache à un monde pré-exilique en Juda. »185 Les versets 4 à 7 présentent
un avenir radieux à qui écoute et obéit à Dieu : c’est le chemin qui mène à la vie ; les versets
16 à 19 présentent un chemin sombre à qui n’écoute pas : c’est le chemin vers la mort.

A’ - 20 : appel à l’écoute

Le verset 20 est un dernier appel à l’écoute et à l’obéissance : « ‫שׁמְע֣ וּ‬


ִ ‫»  ְוא ֶ ַ֖תּם‬. Il doit être
mis en parallèle avec 24, 5 qui utilise le même verbe « envoyer » avec pour compléments les
bonnes figues : «‫ »שִׁלַּ ֥חְתִּ י‬186. Il répond au verset 1 (A) rappelant que la lettre est envoyée aux
exilés mais il sert aussi de transition vers la seconde lettre (Jr 29, 21-32). Cette adresse du v.
20 est non seulement destinée aux exilés à Babylone et aux habitants de Jérusalem mais aussi
à tout lecteur qui se trouve ainsi interpellé par la parole divine.

185
Ibidem, p. 194: “ 29:16-18 is not only directed at one sociological group but functions as a warning to anyone
who listens to false prophets, refuse to accept the reality of exile, and clings to Judah’s pre-exilic world. ”
186
Cf. GOLDMAN, Yohanan, Prophétie et royauté au retour de l'exil, op. cit., p. 96.
47
II-2 Etude du texte de la LXX : Jr 36, 1-15

Le texte de la LXX est sensiblement différent du TM et nous voulons donc, comme


annoncé, l’étudier pour lui-même avant de procéder à une étude comparée des deux versions
de cette première lettre de Jérémie aux exilés. Les commentaires du texte grec sont très peu
nombreux, la majorité des commentateurs préférant étudier le texte massorétique et citer,
incidemment, à titre de remarques parfois anecdotiques, le texte de la LXX. Nous voulons au
contraire l’étudier pour lui-même, estimant qu’il « doit être considéré comme un témoin
réellement fidèle du texte hébraïque présent à Alexandrie. »187 Ne possédant pas un
hypothétique texte primitif (Ur-roll), nous voulons le traiter comme une version à part entière
du livre de Jérémie. Nous ne reprendrons pas toutes les explications données pour l’étude du
TM mais nous aimerions tout particulièrement faire ressortir l’originalité du texte grec,
défendant l’idée selon laquelle les quinze versets qui composent cette première lettre ont leur
propre logique, leur propre mouvement et leur propre centre : cette organisation particulière
devrait ainsi nous permettre de mieux comprendre quelle est la pointe du message de cette lettre
de la LXX quant à la question de la vraie et de la fausse prophétie et des promesses de bonheur
de YHWH.
Nous nous proposons de dégager la structure suivante :

v.1-3 : la suscription de la lettre

A – 4-7 : la promesse de la fondation de la nouvelle terre promise

X – 8-9 : mise en garde contre les faux-prophètes

A’ – 10-14 : la promesse de retour en terre promise ?

v. 15 : transition et nouvel oracle

Cette première lettre du chapitre 36 de la LXX est ainsi articulée entre deux promesses
de bonheur qui sont conditionnées par une mise en garde. Le v. 15 dans le texte de la LXX,
dont nous avons déjà abondamment parlé188, appartient déjà, de fait, à la section suivante et
nous ne l’étudierons pas plus avant.

187
Gerard JANZEN, Studies in the Text of Jeremiah, HSM 6, Cambridge : Harvard University, 1973, p. 128 : “G
may be taken as a substantially faithful witness to the Hebrew text at home in Alexandria”.
188
Cf. p. 41-42.
48
1-3 : la suscription de la lettre

Le grec utilise deux termes pour définir le genre littéraire de ce passage « βίβλου » et
« ἐπιστολὴν », littéralement « rouleau, livre » et « lettre », reflétant ainsi la possible ambiguïté
du TM mais définissant clairement l’objet littéraire comme étant une lettre. Le destinateur de
la lettre est clairement présenté, il s’agit du prophète, et ce premier verset donne toutes les
indications concernant l’origine « ἐξ Ιερουσαληµ », la destination « εἰς Βαβυλῶνα » (v. 1-3) et
les destinataires de la lettre qui sont très nombreux comme le montrent la polysyndète et la
répétition « καὶ πρὸς ». Le texte, dans un effet de réel, précise qui sont les porteurs de la lettre,
porteurs eux-mêmes envoyés189 en mission diplomatique par le roi de Jérusalem auprès du roi
de Babylone. Ce « double envoi » crée une impression de dynamisme et montre comment la
parole prophétique est réellement confiée à des envoyés, comment la Parole s’inscrit dans une
réalité humaine et historique incarnée. La parole prophétique est attestée par tous les éléments
historiques qui lui donnent une épaisseur. Les versets 1 & 3 sont ainsi tous deux construits sur
une dynamique de l’envoi et ils encadrent le verset 2 qui traite de la déportation et apparaît
ainsi comme la raison de cet envoi : il faut une initiative politique et religieuse pour répondre
à cette tragédie. De ce point de vue, Jérusalem reste encore le centre d’où part la parole
prophétique et royale.
Les destinataires de la lettre sont présentés dans un ordre hiérarchique « les anciens »,
« les prêtres », « les faux-prophètes » et « tout le peuple ». Ainsi, même s’il garde l’ordre du
TM, le texte grec est sensiblement différent dans sa présentation des destinataires puisqu’il
omet l’expression « reste ». En revanche, il utilise, de manière assez inattendue, le mot
« ψευδοπροφήτας », un mot péjoratif qui nous introduit au thème de la lettre -la fausse
prophétie-, mot qui fait figure d’intrus dans la liste traditionnelle des édiles et des notables de
Juda. Le mot de « ψευδοπροφήτης » est présent neuf fois dans le livre de Jérémie grec et huit
fois dans les seuls chapitres 33 à 36 (TM 26-29) qui traitent tout particulièrement de la question
de la vraie et de la fausse prophétie. L’utilisation de ce terme par les traducteurs grecs nous fait
entrer au cœur du problème et de la définition du phénomène prophétique. Alessandro
CATASTINI, étudiant ce terme de « ψευδοπροφήτης » montre que le « pseudo-prophétisme »
est lié à une certaine survivance de tradition cananéenne, donc condamnée par les
traducteurs190. Nous verrons dans notre seconde partie quel rôle les hagiographes jouent dans
la définition du vrai prophétisme.

189
Le grec emploie le même verbe « ἀπέστειλεν » : Jérémie envoie une lettre et le roi de Jérusalem envoie les
deux porteurs de la lettre.
190
CATASTINI, Alessandro, “Who were the False Prophets ?”, Henoch, Vol. 34, 2012, p. 333-334: “The usage
49
Au verset 2 se situe donc le centre du problème historique et religieux d’Israël : l’exil.
Dans le corpus prophétique, l’emploi du terme « ἀποικία » est spécifique au prophète Jérémie
qui l’utilise deux fois ici. Ce terme est employé de manière impersonnelle et ne dit rien de
l’agent, ni le roi ni Dieu. Que ce soit parce que c’est évident ou un par un choix délibéré, l’exil
est un état de fait. Historiquement, en effet, le texte se déroule très clairement après l’exil du
roi Jéconia et de la cour royale (« ἐξελθόντος », « ἐξ Ιερουσαληµ »). La liste ici donnée est
intéressante car elle fait mention des « hommes libres » et « des prisonniers » / « esclaves »
reflétant sans doute une réalité plus parlante à des lecteurs vivant dans le monde
hellénistique191.
Ces trois premiers versets répondent à tous les critères d’une suscription épistolaire
traditionnelle, indiquant clairement le destinateur, les destinataires, la situation historique, le
trajet de la lettre, les porteurs de la lettre. Les échos entre l’envoi de la lettre et des envoyés
soulignent les liens étroits entre situation politique et religieuse et cherchent à légitimer, par
avance, la parole prophétique qui va être prononcée et qui s’oppose à celle des pseudo-
prophètes de l’exil.

A – 4-7 : la promesse de la fondation de la nouvelle terre promise

Le v. 4 est une formule oraculaire traditionnelle qui reprend le contexte historique, en


utilisant le polyptote « ἀποικίαν / ἀπῴκισα » et en précisant justement, grâce à ce dernier verbe,
la cause de l’exil : c’est bien Dieu qui a déporté son peuple et non pas le roi Nabuchodonosor,
ce dernier étant au mieux un instrument du vouloir divin. Il est intéressant de souligner que
nulle part, dans ce chapitre 36, n’est cité Nabuchodonosor qui est simplement désigné par

of ψευδοπροφήτης in the LXX is self-explanatory because it refers to prophets whose context depicts them
negatively: in Jer 33 (TM 26) the term recurs in vv. 5, 7, 8, 11, 16: in v. 5 the sense is favourable and so is
translated as προφήτης; in the remaining vv. the context is negative and is therefore translated as ψευδοπροφήτης;
in Jer 34 (TM 27) the term recurs in vv. 9, 14, 15, 16, 18, all negative contexts; the rendering ψευδοπροφήτης is
employed only in v. 9: that is enough to bring in a negative judgement that implicates the other prophets mentioned
in the chapter; (…) in Jer 36 (TM 29) the term recurs in vv. 1, 8, 15, 19, 29; ψευδοπροφήτης is employed only in
vv. 1 and 8, where 1-7 and 8-32 are two autonomous pericopes: therefore, the same procedures of Jer 34 (TM 27)
and 35 (TM 28) are reproduced.”/ trad. : « L’utilisation de ψευδοπροφήτης dans la LXX est évidente d’elle-même
parce qu’elle renvoie à des prophètes que le contexte décrit négativement : en Jr 33 (TM 26) le terme apparaît
dans les v. 5, 7, 8, 11, 16 : au v. 5, le sens est positif et est par conséquent traduit par προφήτης ; dans les autres
versets, le contexte est négatif et ils sont par conséquent traduits par ψευδοπροφήτης ; en Jr 34 (TM 27) le terme
revient aux versets 9, 14, 15, 16, 18, à chaque fois dans un contexte négatif ; la traduction ψευδοπροφήτης est
seulement utilisée au v. 9 : c’est assez pour porter un jugement négatif qui implique les autres prophètes
mentionnés dans ce chapitre ; (…) en Jr 36 (TM 29) le terme revient aux versets 1, 8, 15, 19, 29 ; ψευδοπροφήτης
est seulement employé aux versets 1 et 8, les v. 1-7 & 8-32 étant deux péricopes autonomes : par conséquent, les
mêmes règles que celles de Jr 34 (TM 27) et 35 (TM 28) sont utilisées. »
191
Cf. WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., note 227 p. 112.
50
l’expression « roi de Babylone ». Alors que le texte cherche à ancrer la lettre dans une réalité
historique définie, le roi n’est pas nommé.
L’ordre de Dieu de s’installer à Babylone devient, dans ces quelques versets, une
promesse et une promesse de bénédiction : par une parole, Dieu donne une terre et promet le
bonheur à son peuple. Le polyptote « Οἰκοδοµήσατε οἴκους / κατοικήσατε », en début de
verset, établit clairement le projet divin : il faut s’installer, transformer ce pays en une demeure
stable. Le verbe « οἰκοδοµέω » est utilisé dans la Bible pour parler de la construction d’autels
(Gn & Ex) ou bien de villes (Dt) : il s’agit bien de recréer une ville sainte, de reconstruire une
réalité politique et religieuse pour le peuple juif. Le peuple qui a avait hérité en Canaan de
« villes qu’il n’avait pas construites »192 peut maintenant, avec l’aide de Dieu et sur son ordre,
construire des villes. Dans le texte grec, ce n’est pas que la ville de Babylone qui redevient la
terre promise mais tout le pays d’exil, « γῆ » (v. 7).
Au cœur de cette nouvelle terre, on trouvera des jardins que les hommes planteront, sur
l’ordre de Dieu : en grec, le terme-clé et significatif de « παραδείσους » est tout à la fois
générique mais évocateur. Ce terme est très largement employé dans la LXX pour désigner le
jardin en Eden et il va sans dire que son utilisation, dans l’oracle de Jérémie, est pleine de
réminiscences paradisiaques. En effet, les hommes doivent commencer par le commencement,
bâtir des maisons, cultiver le jardin, en récolter les fruits. Mais cette fructification ne s’arrête
pas là : eux-mêmes doivent fructifier, peupler la terre, se marier et engendrer. Tout s’enchaîne,
dans ces quelques versets, grâce aux nombreux impératifs193 et à une polysyndète « καὶ » qui
montrent que dans le projet divin tout s’enchaîne inexorablement, d’une manière sure et assurée
par Dieu lui-même. L’ordre de se multiplier dans ce nouveau paradis (« πληθύνεσθε ») rappelle
l’ordre de la Genèse : « καὶ ηὐλόγησεν αὐτὰ ὁ θεὸς λέγων Αὐξάνεσθε καὶ πληθύνεσθε καὶ
πληρώσατε τὰ ὕδατα ἐν ταῖς θαλάσσαις, καὶ τὰ πετεινὰ πληθυνέσθωσαν ἐπὶ τῆς γῆς. » (Gn 1,
22)
Dans ce verset 6, l’enchaînement des générations que le prophète décrit montre bien
que l’exil sera long, que plusieurs générations d’enfants naîtront en terre étrangère. Comme
nous l’avons déjà dit à propos du TM, nous trouvons dans ces versets une théologie très
favorable à la Golah, à tous ces Juifs restés en Babylonie mais aussi à tous ces Juifs vivant en
dehors de Juda, les Juifs d’Alexandrie au premier chef. Cette question, aussi vieille que le
peuple juif, qui est de savoir si l’on peut vivre sa foi juive en dehors de la terre promise ou

192
Dt 6, 10 : « Καὶ ἔσται ὅταν εἰσαγάγῃ σε κύριος ὁ θεός σου εἰς τὴν γῆν, ἣν ὤµοσεν τοῖς πατράσιν σου τῷ
Αβρααµ καὶ Ισαακ καὶ Ιακωβ δοῦναί σοι, πόλεις µεγάλας καὶ καλάς, ἃς οὐκ ᾠκοδόµησας, … »
193
« Οἰκοδοµήσατε / κατοικήσατε / φυτεύσατε / λάβετε / τεκνοποιήσατε / λάβετε / δότε / πληθύνεσθε /
σµικρυνθῆτε »
51
seulement en terre promise trouve une esquisse de résolution dans ces quelques versets : Dieu,
en requalifiant la (les) terre(s) d’exil comme terre(s) promise(s) ouvre la voie à un judaïsme
qui échappe aux institutions traditionnelles de la monarchie et du culte du Temple, centralisées
à Jérusalem.
Les versets 4 à 7 forment une unité de sens autonome que souligne discrètement
l’inclusion assurée par le verbe « ἀπῴκισα ». Dieu a déporté son peuple mais au cœur de cet
exil, au cœur de ces versets, il révèle un projet de bonheur. Demeures, prospérité des récoltes,
générations nombreuses, tout cela est conditionné à une attitude fondamentale que doivent
adopter les exilés et qu’un mot résume : « εἰρήνη », « la paix ». Ce mot revient trois fois dans
ce seul verset 7 : le peuple juif doit politiquement rechercher la paix de la terre d’exil mais,
comme peuple sacerdotal, il doit aussi prier et intercéder : « προσεύξασθε ». Se profile ainsi
un nouveau culte qui n’est pas le culte du Temple mais un culte tout spirituel où les exilés sont
investis des prérogatives des prêtres et des prophètes : ils doivent intercéder, prier et ainsi
retrouver le chemin de Dieu.
Ainsi, les Juifs ne doivent pas mener la guerre contre Babylone, mieux encore, ils
doivent tout faire pour assurer à cette nouvelle terre la paix, une paix dont ils bénéficieront en
retour.
Cette première promesse de Dieu est donc bien inattendue puisqu’elle requalifie la terre
d’exil, « terre étrangère » et terre de désolation, de terre promise et qu’elle inverse ainsi toutes
les valeurs. Le vocabulaire choisi dans ces quelques versets évoque tout à la fois le jardin en
Eden et les promesses liées à la Terre promise. Rien ne permet de juger de la véracité de cette
prophétie sinon peut-être son caractère inattendu : elle reprend, par un subtil jeu
d’intertextualité, des éléments de la tradition pour les subvertir, les retravailler et leur donner
un sens neuf. Nous sommes ici aux antipodes d’un discours prophétique traditionnaliste qui se
contente de répéter un message ancien sans l’adapter aux circonstances historiques.

X – 8-9 : mise en garde contre les faux-prophètes

Au cœur de cette première lettre apparaît, par la bouche du prophète, l’avertissement


du Seigneur qui offre, de plus, un critère de définition interne et simple de la vraie et de la
fausse prophétie.
Le verset 8 adopte un rythme ternaire marqué par la répétition anaphorique de la
particule négative « µὴ » qui introduit successivement trois impératifs présents. L’oracle utilise
deux fois dans ce groupe ternaire le verbe « ἀναπείθω », rare dans la LXX, qui signifie

52
« persuader » dans le sens de « se détourner de Dieu » pour se tourner vers les dieux païens194.
Ce verbe résonne avec « µάντις »195 qui est utilisé dans la LXX pour désigner les devins païens
ou les prophètes infidèles à la volonté de Yahvé. Ainsi, les faux-prophètes, « ψευδοπροφῆται »,
qui sont à Babylone, invitent les exilés non pas tant à se tourner vers les dieux babyloniens,
qu’à se tourner vers leurs rêves et leurs fantasmes de retour rapide en terre promise : c’est ainsi
le sens du polyptote « τὰ ἐνύπνια ὑµῶν, ἃ ὑµεῖς ἐνυπνιάζεσθε ». L’interpellation du prophète
est au présent et cet oracle en forme d’interdiction s’adresse aux destinataires en répétant, tel
un martèlement, le pronom « ὑµᾶς » six fois.
Le verset 9 donne le critère de fausse prophétie. En effet, dans ce court passage, Dieu,
par la bouche du prophète Jérémie, n’attaque pas le contenu des prophéties, ne rentre pas dans
des controverses. Le texte utilise le terme de « ἄδικα » pour désigner les prophéties des faux-
prophètes, un terme avant tout axiologique mais qui ne dit rien, en soi, du contenu de ces mêmes
prophéties. Ainsi, les prophètes de Babylone sont désignés comme des « faux-prophètes » pour
la simple raison qu’ils ne sont pas envoyés par Dieu, « οὐκ ἀπέστειλα αὐτούς ». On retrouve,
une fois encore ce verbe « ἀποστέλλω ». Jérémie envoie une lettre (v. 1), les porteurs de la
lettre sont envoyés (v. 3) et les vrais prophètes doivent être envoyés par Dieu (v.9). Ces
quelques versets, les uns après les autres, tracent en filigrane une théologie de la vraie prophétie
reposant sur la notion-clé et fondatrice de l’envoi en mission. Le prophète est envoyé par Dieu,
le prophète envoie une lettre, donne un oracle, et le prophète confie cette lettre, envoie des
porteurs, les représentants de la communauté, vers le peuple pour lui faire connaître la Parole
du Seigneur. Dieu, à différents niveaux, choisit ainsi des médiations et des médiateurs : sa
Parole se fait parole humaine, une parole confiée à l’écrit pour ensuite être portée par une
communauté. Ce verset 9 ne développe pas tout un appareil critique pour discerner la vraie de
la fausse prophétie mais il se focalise tout entier sur ce critère de l’envoi196 que toute une partie
de la littérature prophétique adopte.

194
Cf. 1M 1, 11 : « Ἐν ταῖς ἡµέραις ἐκείναις ἐξῆλθον ἐξ Ισραηλ υἱοὶ παράνοµοι καὶ ἀνέπεισαν πολλοὺς λέγοντες
Πορευθῶµεν καὶ διαθώµεθα διαθήκην µετὰ τῶν ἐθνῶν τῶν κύκλῳ ἡµῶν, ὅτι ἀφ᾿ ἧς ἐχωρίσθηµεν ἀπ᾿ αὐτῶν,
εὗρεν ἡµᾶς κακὰ πολλά. » Il s’agit bien ici de persuader le peuple de se détourner de Dieu pour se tourner vers
des dieux païens.
195
Cf. Jos 13, 22 où « µάντις » est utilisé pour parler de Balaam. Cf. 1S 6,2 : « καὶ καλοῦσιν ἀλλόφυλοι τοὺς
ἱερεῖς καὶ τοὺς µάντεις » / cf. Mi 3, 7 : « καὶ καταισχυνθήσονται οἱ ὁρῶντες τὰ ἐνύπνια, καὶ καταγελασθήσονται
οἱ µάντεις, καὶ καταλαλήσουσιν κατ᾿ αὐτῶν πάντες αὐτοί, διότι οὐκ ἔσται ὁ εἰσακούων αὐτῶν. » Ce passage de
Michée est intéressant car il reprend très exactement les mêmes termes que Jérémie : « Les voyants de songes
seront dans la honte, les devins rougiront, ils se couvriront tous la barbe, car Dieu ne répondra pas. » On retrouve
bien la mention des « µάντεις » (devins), des songes « ἐνύπνια » et de l’écoute qui est ici celle de Dieu.
196
CATASTINI, p. 340 : “In the remaining passages we get a significant equation: a prophecy is false if stated by
a prophet that is not sent by Yahweh, as can be seen
in 14:14; 23:32; 27:15; 28:15; 29:9; 29:23, 31; 43:2.” /
« Dans les versets restants nous arrivons, de manière signifiante, à l’équation suivante : une prophétie est fausse
si elle est donnée par un prophète qui n’est pas envoyé par Yahvé, comme on peut le voir en Jr 14,14; 23, 32; 27,
15; 28, 15; 29, 9; 29, 23, 31; 43, 2. » & aussi p. 349 : “A distinction is made between true and false prophets on
53
A’ – 10-14 : la promesse de retour en Terre promise ?

Après avoir dénoncé les faux-prophètes, l’oracle prophétique revient aux promesses de
Dieu. En effet, maintenant que Jérémie a bien différencié sa parole de celle des menteurs et des
devins, de leurs rêves, il peut continuer à prophétiser. Ces versets 10 à 14 répondent, assez
clairement, dans la construction du texte grec, à l’oracle des versets 4 à 7 qu’ils viennent
compléter ou plutôt contrebalancer. Grâce à cette construction, on comprend que non
seulement deux théologies s’affrontent –une théologie pro-Golah et une théologie du retour-
mais que ces deux temps reflètent deux attitudes fondamentales internes à la théologie du
judaïsme naissant. Le texte de la LXX, traduit et mis en forme dans un contexte alexandrin de
diaspora, défend la théologie pro-Golah et promet donc un retour d’exil d’une manière
finalement assez sobre. Les quelques versets promettant le retour le disent sans emphase ni
envolées lyriques.
Le texte annonce donc un retour d’exil après soixante-dix ans en se servant de verbes
au futur : « ἐπισκέψοµαι / ἐπιστήσω / λογιοῦµαι », ce premier verbe étant la traduction du verbe
« ‫» פקד‬, que l’on retrouve dans l’Exode pour parler de Dieu qui visite son peuple. Dieu va
accomplir sa promesse, accomplir sa parole, « ἐπιστήσω τοὺς λόγους µου » mais ces « paroles »
ne sont en rien qualifiées, ni définies par un adjectif particulier. Dieu ramènera son peuple vers
ce lieu, c’est-à-dire Jérusalem, même si la ville n’est pas nommée197. En écho au verset 7, le
verset 11 promet la paix à son peuple, « λογισµὸν εἰρήνης ». La paix revient ainsi comme un
leitmotiv dans ces quelques versets : paix de Babylone, paix du peuple et paix à venir. Il est
intéressant de noter que « εἰρήνη » est ici mis en opposition avec « οὐ κακὰ », et pas avec un
terme comme « guerre », ce qui montre que la conception de la paix est bien une conception
juive où ce terme a une amplitude sémantique beaucoup plus grande.
Dieu ordonne à son peuple de le prier comme le montrent les impératifs aoristes
« προσεύξασθε / ἐκζητήσατέ » placés en début de versets. L’effort doit surtout venir du peuple
comme le montre les trois verbes à la 2ème personne du pluriel. On peut noter, dans le jeu des
prépositions verbales, le dialogue qui s’établit, l’échange qui s’opère, entre le peuple et Dieu

the basis of the categories “sent / unsent by Yahweh”: 1:5; 14:13, 15, 18; 23: 9, 11, 13, 15, 16, 21, 28, 30, 31, 33,
34, 37; 26:7, 8, 11, 16; 27:9, 14, 15, 18; 28:1, 5, 6, 9-12, 17; 29:1, 8, 15, 19, 26, 29; 37:19.” / trad. : « Une
distinction est faire entre vrais et faux prophètes sur la base des catégories ‘envoyé/pas envoyé’ par Yahvé : : 1 :
5; 14:13, 15, 18; 23: 9, 11, 13, 15, 16, 21, 28, 30, 31, 33, 34, 37; 26:7, 8, 11, 16; 27:9, 14, 15, 18; 28:1, 5, 6, 9-12,
17; 29:1, 8, 15, 19, 26, 29; 37:19. »
197
Regina WILLI, s’appuyant sur le travail de GUNNEWEG, fait remarquer que le texte grec écrit : « τοῦ τὸν
λαὸν ὑµῶν ἀποστρέψαι », « prenant note du fait qu’après les soixante-dix ans d’exil ce ne sera plus la même
génération qui pourra revenir dans le pays, mais les générations à venir. » (WILLI, Regina, Les pensées de bonheur
de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 116) En effet, contrairement aux versets précédents, Dieu n’utilise
plus la 2ème personne du pluriel pour s’adresser à son peuple.
54
qui se cherchent mutuellement : « προσεύξασθε / εἰσακούσοµαι ». Le verset 13 illustre bien,
dans sa construction même, l’effort que le peuple doit produire pour trouver son Dieu.
« ἐκζητήσατέ » avec la préposition « ἐκ- » souligne bien les efforts considérables que le peuple
doit déployer pour trouver Dieu, « εὑρήσετέ », effort qui est repris, explicité et amplifié par la
dernière partie du verset « ζητήσετέ µε ἐν ὅλῃ καρδίᾳ ὑµῶν » qui utilise la même racine verbale
qui est complétée par un complément de manière. La recherche de Dieu sera longue, dure, mais
avec la ferme espérance de la présence de Dieu. Ce Dieu, au verset 14, promet d’apparaître,
dans une formule laconique « ἐπιφανοῦµαι ». La première lettre se termine ici198.
Une promesse de retour dans ces quelques versets ? Sans doute aucun. Cependant, il
faut noter l’extrême sobriété de ce texte qui tranche avec bien d’autres passages beaucoup plus
développés sur le retour d’exil. La comparaison entre ces quelques versets et les versets 4 à 7
qui sont en miroir dans la structure que nous avons établie montre combien cette première
lettre, dans le texte grec, insiste avant tout sur les promesses inattendues d’installation en
Babylonie, en exil. Si le retour est bien présent, il apparaît bien pâle vis-à-vis du séjour en
diaspora. Cette première lettre est donc clairement dominée par une théologie pro-Golah,
favorable aux communautés juives en diaspora, ce qui n’a rien d’étonnant puisque le texte de
la LXX appartient à une tradition alexandrine de diaspora.

15 : transition et nouvel oracle

Le verset 15 joue un rôle différent du verset 15 dans le TM car il annonce réellement


un second temps de la lettre et ne fonctionne pas avec la première lettre, ce qui montre toute la
complexité de ce verset si discuté.

198
Dans les pages qu'il consacre au verset 29, 14 (Prophétie et royauté au retour de l'exil: les origines littéraires
de la forme massorétique du livre de Jérémie, op. cit., p. 65-76.), Yohanan GOLDMAN estime plutôt que le
rédacteur de la LXX a abrégé le texte présent dans la version hébraïque plus ancienne, texte que le TM a conservé.
55
Comparaison entre le TM & la LXX : théologies, conceptions et pratiques de la prophétie

Nous nous proposons de comparer les deux versions de cette même lettre pour mieux
comprendre les théologies à l’œuvre mais aussi tenter de saisir les conceptions de la vraie et de
la fausse prophétie qu’elles sont susceptibles de donner.
Tout d’abord, les destinataires de la lettre ne sont pas identiques dans les deux versions.
La lettre de la LXX présente un message bien différent puisqu'elle s'adresse exclusivement aux
Judéens exilés qu'elle invite à écouter la parole de Dieu et les paroles des prophètes : il faut
s'installer en Babylonie, s'y établir, chercher et écouter Dieu qui les ramènera. Rien n'est dit
des Judéens restés à Jérusalem. L’absence de comparaison entre Babylone et Jérusalem
explique sans doute l’utilisation de « εἰς εἰρήνην τῆς γῆς » au verset 7. Dans la LXX, la lettre
de ce chapitre est vraiment destinée « aux exilés ».
Beaucoup de commentateurs soulignent que les versets 16 à 20 sont manquants dans la
LXX et se tournent donc vers le TM qu’ils considèrent comme étant un texte plus complet199.
Nous avons plutôt voulu considérer que nous sommes en présence de deux versions ayant
chacune leur logique propre et que cette différence de versets déplace le centre de chaque texte
pour lui donner un sens et un relief particuliers. Les versets 16 à 20 du TM, polémiques,
adressés aux Judéens restés à Jérusalem, interviennent dans un contexte où le prophète dénonce
donc les faux espoirs de retour et « consistent à montrer que l'histoire sainte ne peut se continuer
que si l'on écoute les prophètes envoyés par Dieu. C'est cela même qui garantit justement le
retour des Judéens de Babylone. »200 Ces quatre versets, de facture deutéronomiste, changent
donc le centre de ce passage en mettant l’écoute des commandements divins au centre, thème
deutéronomiste par excellence. Au contraire, dans la LXX, l’accent est mis, en son centre, sur
l’installation en Babylonie et sur la condamnation des faux-prophètes qui s’y opposent : le
thème de la désobéissance n’est ainsi que peu, voire pas, évoqué, ce qui donne à la lettre un
aspect et des orientations théologiques bien différents. Dans la LXX, le prophète met en garde
les exilés contre les faux-prophètes mais, à aucun moment, ne brandit une quelconque menace
contre les récalcitrants.

199
Il est intéressant de noter que, systématiquement, les commentateurs raisonnent en termes de « manques »
quand ils abordent la LXX : « Jr 20, 16-20 – les paroles adressées à ceux qui ne sont pas partis en exil- manquent
entièrement dans la version de la LXX. » (WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon
Jr 29, op. cit., p. 117) Cela témoigne d’une primauté et d’une supériorité, dans leurs esprits, du TM sur la LXX,
cette dernière n’étant considérée que comme un texte moins complet, plus imparfait. Personnellement, nous ne
partageons pas ce point de vue et voulons plutôt l’aborder comme un témoin fiable et authentique d’une tradition
textuelle différente.
200
Ibidem, p. 105.
56
En son centre, la lettre de la LXX donne ainsi une définition minimale de la vraie
prophétie en soulignant seulement qu’un faux-prophète est un prophète que Dieu n’a pas
envoyé. Dans le TM, on trouve aussi une définition assez semblable mais qui apparaît moins
clairement du fait de la forme beaucoup plus emphatique du texte. Le verset 15 du TM, inclus
dans la logique même du développement et de la structure de la lettre, fait apparaître les faux-
prophètes comme de faux successeurs de Moïse qui vont tomber sous le coup des
condamnations prévues par le Deutéronome. De plus, la LXX, contrairement au TM qui
n’utilise qu’un seul terme, neutre, pour le vrai prophète et le faux prophète « ‫» נביא‬, utilise deux
termes antinomiques : « προφήτης » et « ψευδοπροφήτης ». Ainsi, nous y reviendrons dans
notre seconde partie, on peut observer le travail des hagiographes grecs qui ont voulu inscrire
dans le texte –qui donne de fait peu de critères objectifs- leur propre discernement de la vraie
et de la fausse prophétie. Est implicite, dans la LXX, le critère d’accomplissement : Jérémie
n’est appelé « prophète » que lorsque Jérusalem est tombée et donc que sa prophétie s’est
accomplie201.
Ensuite, les deux lettres adoptent deux styles très différents qui reflètent aussi des
conceptions théologiques et une conception contrastée de la prophétie. Le TM adopte un style
souvent emphatique, très travaillé, fondé sur des effets de répétition, de chiasmes, de subtiles
variations où le stylème dominant de l’opposition binaire rappelle les deux voies
deutéronomistes. Par ses développements dans les versets 16 à 20, sa rhétorique judicaire dans
la plus pure tradition du rib prophétique, la lettre se veut une menace, un avertissement solennel
qui prend une valeur quasiment universelle, adressée à tout lecteur. L’impression générale
donnée par ces vingt versets du TM est que le texte a subi de très nombreuses additions, de très
nombreux amendements pour adopter un ton solennel et fonctionner en écho avec le chapitre
24 qui traitent des exilés à Babylone et des résidents de Jérusalem comparés à des corbeilles
de bonnes et de mauvaises figues. Au contraire, le texte de la LXX adopte un ton sobre, peu
emphatique, d’une simplicité oraculaire qui peut paraître plus originelle et qui contraste
fortement avec le TM. Pour comparer plus précisément et objectivement les deux textes, nous
pouvons nous intéresser aux versets 11 à 14 qui sont les plus à mêmes de témoigner de ces
différences de styles.
Dans le TM, au verset 11 par exemple, Dieu précise l’intention qui accompagne sa
promesse de retour : « ‫» אַח ִ ֲ֥רית וְתִ קְוָ ֽה‬, « futur et espoir ». Rien de cela dans la LXX où le verset

201
Cf. CARROLL, Robert P., Jeremiah, Old Testament Guides, Sheffield, 1986, p. 23 : “LXX seems to know
Jeremiah as a prophet only after the fall of Jerusalem.” / trad. : « La LXX semble reconnaître Jérémie comme un
prophète seulement après la chute de Jérusalem. »
57
11 « ne spécifie pas l’intention de Dieu de donner un avenir et une espérance à son peuple. »202
Mais c’est sans doute le verset 14 qui est le plus remarquable à cet égard : alors que le TM
développe abondamment les promesses de retour en terre sainte, reprenant toute une tradition
prophétique, la LXX se contente de dire que le Seigneur « apparaîtra ». Nous voyons alors, en
comparant cette série de versets relatifs au retour en Terre sainte, que se sont développées deux
traditions textuelles et théologiques différentes. Le TM, fidèle à une théologie où le judaïsme
ne peut se vivre qu’en terre sainte, donne toute sa place et toute son importance au retour en
Juda, en fait un élément majeur qu’il caractérise comme « l’espoir et l’avenir » plein de
« bonté » de Dieu pour son peuple. Le texte de la LXX, au contraire, composé par une
communauté en diaspora, à Alexandrie, « n’attend plus le retour avec la même ardeur que
pendant l’exil ou même durant la période post-exilique. »203 Alors que le TM présente deux
théologies en tension, une théologie pro-Golah et une théologie pro-terre sainte, la LXX est
plus homogène et laisse toute sa place à une théologie pro-Golah. La tension entre deux
approches théologiques peut, d’une certaine manière, jeter quelques doutes sur la fiabilité de
la prophétie dans le TM. Au contraire, la plus grande homogénéité théologique de la LXX
assoit plus aisément la prophétie et lui donne une fiabilité, de toute évidence, plus grande et
plus immédiatement saisissable.
En résumé, le TM, traversé par deux théologies en tension, adopte un style plus
empathique dans le genre prophétique du rib, où l’accent est mis sur l’écoute de la parole de
Dieu et sur le jugement qui doit s’opérer entre ceux qui écoutent et ceux qui n’écoutent pas.
C’est parole contre parole que s’opposent le vrai prophète et le faux-prophète, le texte
soulignant cependant que le vrai prophète est envoyé par Dieu. La LXX, sobrement, donne
toute son importance à l’installation en Babylonie, fait entrevoir un possible retour mais reste
très vague à ce sujet. La LXX opère, en son sein, par un usage lexical différencié, à une
distinction entre vraie et fausse prophétie.

202
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 116.
203
Ibidem, p. 117.
58
Conclusion de l’étude littéraire

Ce chapitre 29 (LXX 36) adopte le genre épistolaire et en fait un usage théologique : le


texte décrit un processus de mise par écrit de la parole révélée qui met au jour une théologie de
l’Ecriture sainte204. Cette première lettre, qui occupe les vingt (ou quinze) premiers versets,
donne ainsi toute son importance au temps et à l’ancrage historique, non seulement pour donner
toute sa réalité au document présenté, mais aussi parce qu'elle définit ce qu’est, par essence,
une parole prophétique : une parole actualisée qui tient compte des circonstances politiques,
sociales et économiques. La lettre de Jérémie, qui traduit l’abondance et la complexité des
discussions et des controverses, n’échappe ainsi en rien au contexte historique qu’elle souligne
plusieurs fois. Cet ancrage dans la réalité et l’épaisseur de la vie réelle évoquée est une charge
contre une parole prophétique désincarnée, atteinte de psittacisme et de traditionalisme
religieux. Le prophète n’est en aucun cas chargé de répéter des promesses de salut, celles
d’Isaïe par exemple. Il a pour mission de donner une parole actualisée. Quiconque répète n’a
pas été envoyé par le Seigneur, parle en son propre nom et est donc un menteur et un faux-
prophète. La lettre devient ainsi le vecteur par lequel Jérémie affirme sa condition de prophète
contre les faux-prophètes. C’est par sa prophétie en acte, réaliste et inspirée, qu’il veut réduire
à rien les prétentions des autres prophètes. La lettre devient, si ce n’est un traité, tout du moins
un avertissement contre la fausse prophétie et a un rôle pédagogique. Cet avertissement passe
par des promesses de bonheur (TM & LXX) mais aussi parfois de malheur (TM).

Dans cette lettre, Jérémie promet le bonheur aux exilés qui écouteront les ordres de
Dieu transmis par le vrai prophète qu’il incarne. La lettre est traversée de références à l’Exode
qui font de Jérémie un nouveau Moïse tout à la fois prophète et intercesseur. La sortie d’Egypte
ici n’est pas, dans un premier temps, une fuite loin de Babylone, c’est au contraire un exil
généralisé vers Babylone requalifiée, pour un temps, de « terre promise ». Babylone doit
devenir le lieu de la renaissance spirituelle du peuple élu, racheté par le dessein bienveillant et
miséricordieux de Dieu et délivré de toute culpabilité. Cette renaissance spirituelle que Dieu
veut et exige, et que l’exil permet205, relativise les institutions juives traditionnelles que sont la
monarchie, le temple et la terre.

204
Cette importance de l’écrit montre que la parole divine passe par le livre. Cela s’accorde avec la théorie de la
fin de la prophétie que l’on trouve dans le Talmud par exemple : après la destruction du Temple, l’esprit divin a
été retiré aux prophètes et donné aux scribes (Talmud Baba Bathra 12b).
205
NEHER, André, L’essence du prophétisme, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 196 : «  tout passe comme si la chute
d’Israël étaient indispensable à sa survie, comme si la perspective pessimiste était nécessaire à la remontée. Tout
se passe également comme si le monde reposait tout entier sur Dieu et Israël et comme si les problèmes de sa
destinée se résumaient dans cette polarité, dans laquelle on voit apparaître, dans sa signification brute, la portée
de l’alliance, la berit.  »
59
Le texte même de Jérémie donne un critère de définition de la vraie et de la fausse
prophétie en insistant sur l’envoi du prophète, le thème de l’envoi étant, comme nous l’avons
vu (v. 1-3), majeur dans la LXX. Le texte de la LXX, sans donner plus de précisions, utilise
deux termes qui disent qui est le vrai et qui est le faux prophète. Cependant, nous devons
admettre que cela reste quelque peu obscur. Les critères pour identifier la vraie prophétie sont
peu clairs dans le texte même et demandent à être mieux compris, éclaircis.

60
III- Vraie et fausse prophétie : entre exégèse et théologie

Cette première lettre du chapitre 29 (LXX 36), qui n’est qu’un court passage du livre
de Jérémie, est exemplaire des difficultés et des questions qui peuvent se poser concernant la
prophétie. Les chapitres 27 à 29 (LXX 34-36) de Jérémie qui mettent successivement en relief
les oppositions entre les prophètes, d’abord entre Hananya et Jérémie puis entre Jérémie et les
prophètes de Babylonie, posent la question essentielle d’éventuels critères permettant de
distinguer les vrais des faux prophètes -explicitement désignés de la sorte dans la LXX. Le seul
critère de l’accomplissement, traditionnel mais un peu trop évident et superficiel206, ne saurait
suffire et il nous faudra tenter, entre exégèse et théologie, entre critères scripturaires et critères
théologiques, de mieux comprendre ce qui fonde la véracité de la prophétie et ce qui, en outre,
permet de reconnaître un imposteur pourtant désigné par le texte comme prophète de Yahvé.
Nous essaierons d’effectuer un rapide survol des critères développés par les exégètes depuis
un siècle avant de les compléter par une approche théologique. Pour cela, nous aurons
principalement recours au traité de la prophétie de saint Thomas qui, en huit questions, aborde
l’acte prophétique comme une partie de l’agir humain de certaines catégories de personnes.
Nous garderons aussi à l’esprit le rapport, toujours en tension, entre charisme et institution :
quel rapport le charisme de prophétie entretient-il avec l’institution de son temps mais aussi
avec les institutions d’aujourd’hui, l’Eglise en particulier ?

Mais la complexité de ce texte de Jérémie, son histoire, ses deux versions (LXX & TM),
ses théologies parfois contradictoires (pro-Golah et deutéronomiste entre autres, très visibles
dans les vingt versets du TM analysées ci-dessus), la figure à la fois bien réelle, construite et
littéraire du prophète Jérémie, les contradictions et les revirements de ce dernier à l’échelle des
cinquante-deux chapitres du livre… nous obligent à revenir au texte pour dépasser une
approche trop plate qui donnerait à croire que nous avons affaire aux seules prophéties
retranscrites du prophète Jérémie. L’approche à partir d’une théologie de la prophétie, tout en
restant valable, doit être remise en perspective avec le texte et sa richesse pour voir s’il est
possible ou non de concilier des théologies apparemment contradictoires issues d’étapes
rédactionnelles successives : cela nous amènera à poser la question de la canonicité, qui est
certes une problématique scripturaire, mais qui touche de fait à la théologie de la Révélation, à
l’inspiration, à l’ecclésiologie et nous fait revenir, par une autre route, à la théologie de

206
Cf. Dt 13, 2 ssq.
61
l’Ecriture comprise dans une perspective croyante et communautaire. La canonicité devrait
nous permettre de mieux saisir comment une prophétie complexe, parfois ambiguë, devient
universelle et comment la question de la vraie et de la fausse prophétie peut être remise en
perspective.

1. Les critères de la vraie prophétie : entre exégèse et théologie

La littérature exégétique foisonne, depuis plus d’un siècle, d’approches variées,


complémentaires et parfois contradictoires qui cherchent à définir d’éventuels critères pour
distinguer la vraie de la fausse prophétie. Les exégètes utilisent ainsi des outils relevant de
l’historico-critique, de la sociologie ou de l’herméneutique pour tenter de discerner des critères
susceptibles de distinguer la vraie de la fausse prophétie. Nous ne saurions honorer tous ces
critères les uns après les autres mais, pour en donner un aperçu, nous aimerions nous référer à
l’article de Andrés IBANEZ ARANA qui les résume ainsi207 :

Les ‘vrais’ prophètes sont envoyés par Dieu, reçoivent sa parole, assistent à son
conseil208, s’appuient toujours sur la parole de Dieu. Les ‘faux’ ne sont pas envoyés,
n’ont pas reçu la parole de Dieu ni assisté à son conseil. Ils parlent de leur propre chef,
racontent leurs rêves. Les ‘vrais’ agissent en pleine possession de leurs facultés. Les
‘faux’ le font en état d’extase. Les ‘vrais’ ne sont pas des prophètes de profession, ne
se préparent pas ex professo pour ce ministère ; ils sont surpris par l’appel divin. Ils ne
sont pas liés aux institutions, au culte, à la cour. Ils agissent de manière désintéressée,
adoptent une attitude critiques envers les puissants. Ils dénoncent le péché et annoncent
le jugement de Dieu. Les ‘faux’ sont des professionnels de la prophétie ; ils se préparent,
techniquement, à l’exercer. Ils sont liés au culte et à la cour. Ils vivent de ce travail. Ils
sont opportunistes, bienveillants envers la société et ses dirigeants : ce sont des
prophètes de ‘paix’209. Les ‘vrais’ prêchent la conversion. Les ‘faux’, avec leurs
207
IBANEZ ARANA, Andrés, “Los criterios de profecía”, Lumen, 39, 1990, p. 194-195: “Los profetas
‘verdaderos’ son enviados por Dios, reciben su palabra, asisten a su consejo, se apoyan siempre en la palabra de
Dios. Los ‘falsos’ no son enviados, ni han recibido la palabra de Dios, ni asistido a su consejo. Hablan de su
propio corazón, cuentan sus sueños. Los ‘verdaderos’ actúan en pleno dominio de sus facultades. Los ‘falsos’ lo
hacen en estado de éxtasis. Los ‘verdaderos’ no son profetas de oficio, no se preparan ex profeso para ese
menester; son sorprendidos por la vocación divina. No están vinculados a las instituciones, al culto, a la corte.
Actúan desinteresadamente, adoptan une actitud critica ante los poderosos. Denuncian el pecado y anuncian el
juicio de Dios. Los ‘falsos’ son profesionales de la profecía ; se preparan técnicamente para ejercerla. Están
vinculados al culto y a la corte. Viven de su oficio. Son contemporizadores, benévolos con la sociedad y sus
dirigentes: son profetas de ‘paz’. Los ‘verdaderos’ predican la conversión. Los ‘falsos’ con sus ilusorias
seguridades, son un estorbo para la conversión. Los ‘verdaderos’ hacen honor a su profecía con la integridad de
su vida. Los ‘falsos’ son inmorales. Los ‘verdaderos’ tienen una doctrina teológica y moralmente irreprochable.
Los ‘falsos’, una doctrina falsa, que lleva al olvido de Yahvé. Lo que anuncian los ‘verdaderos’ se cumple; lo de
los ‘falsos’ no.”
208
Ibidem, p. 204 : “KRAUS se pregunta si Jeremías asistió al consejo de Yahvé, ya que, a diferencia de Isaías y
Ezequiel , no se atribuye ninguna visión del mundo divino.” / trad. : « KRAUS se demande si Jérémie a assisté au
conseil de Yahvé, étant donné que, contrairement à Isaïe et Ezéchiel, on ne lui attribue aucune vision divine. »
209
Ibidem, p. 207 : “los profetas verdaderos anunciaban el juicio de Dios; los falsos, la ‘paz’.” (KUENEN,
VALETON, WILKE, HÖLSCHER, GUNKEL, AUERBACH, DAVIDSON, VOLZ).” / trad. : « les prophètes
62
sécurités illusoires, empêchent de se convertir. Les ‘vrais’ font honneur à la prophétie
par leur vie intègre. Les ‘faux’ sont immoraux. Les ‘vrais’ défendent une doctrine
théologiquement et moralement irréprochables. Les ‘faux’, une fausse doctrine qui
conduit à l’oubli de Dieu. Ce que les ‘vrais’ annoncent s’accomplit ; ce que les ‘faux’
annoncent, non.
Ces critères, concernant notre lettre de Jérémie et son contexte, ne fonctionnent
qu’imparfaitement. Hananya n’a pas reçu la parole de Dieu ? Bien difficile à dire. Hananya ne
parle pas en « état d’extase ». Quels sont les liens exacts de Jérémie et d’Hananya avec les
institutions ? Jérémie semble être proche des milieux du temple (cf. Jr 36), il a été appelé très
jeune pour être prophète, n’est-ce pas devenu sa profession ? Hananya n’a pas spécialement
une vie déréglée ou immorale, le texte ne nous en dit rien. La doctrine d’Hananya, au chapitre
28, s’appuie sans doute sur des « sécurités illusoires » mais rien ne nous dit, dans sa prédication,
que cela pourrait directement conduire « à l’oubli de Dieu », tout est question d’interprétation.
On ne peut pas dire, dans cette lettre, que Jérémie est un prophète de malheur : ces deux
promesses concernant l’installation en Babylonie et le retour en Judée sont bien au contraires
ce que l’on peut appeler des « prophéties de paix ». Andrés IBANEZ ARANA, dans son article,
reprend ainsi chacun de ces points en détail pour monter qu’en effet rien n’est si simple.

Certains évoquent aussi « un critère peu mentionné par les études et qui est pourtant
fondamental, particulièrement dans le livre de Jérémie, c’est l’humilité et la souffrance du
prophète. »210 Jérémie a bien souffert mais quid d’Hananya qui meurt apparemment
soudainement. Là encore, tout est bien fragile.

Il est intéressant qu’au-delà du critère d’accomplissement donné par Dt 18211, lui aussi
très diffus212, les critiques –parmi lesquels VON RAD, BUBER, SANDERS- aient, outre tous

véritables annonçaient le jugement de Dieu ; les faux, la paix. (KUENEN, VALETON, WILKE, HÖLSCHER,
GUNKEL, AUERBACH, DAVIDSON, VOLZ). »
210
WILLI, Regina, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29, op. cit., p. 225. Cf. VON RAD,
Gerhard, Théologie de l’Ancien Testament, tome 2, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 236-239.
211
Dt 18, 22 : « Si ce prophète a parlé au nom de Yahvé, et que sa parole reste sans effet et ne s'accomplit pas,
alors Yahvé n'a pas dit cette parole-là. Le prophète a parlé avec présomption. Tu n'as pas à le craindre. » Cf.
VOGELS, Walter, « Comment discerner le prophète authentique ? », NRT, 99/5, 1977, p. 686 : « Mais à y regarder
de plus près on perçoit bien des réserves à formuler à son sujet. D'abord il ne s'applique qu'aux prédictions, donc
à des prophéties portant sur l'avenir, ce qui ne constitue qu'une partie des messages prophétiques. Les prophètes
parlaient avant tout aux gens de leur temps, ils parlaient du présent. Utilisable uniquement pour une part réduite
de la prédication prophétique, notre critère soulève encore d'autres problèmes. Il se peut très bien qu'une prédiction
émanant d'un personnage tenu pour ‘faux’ prophète se réalise ‘par hasard’. En revanche parmi les prédictions de
prophètes réputés ‘vrais’ il en est qui ne se sont jamais vérifiées, ou du moins pas sous la forme désignée par leur
annonce, comme par exemple la grande vision de la conversion de l'Egypte et de l'Assyrie. »
212
Cf. IBANEZ ARANA, Andrés, “Los criterios de profecía”, art. cit., p. 228-229 : “la palabra profética admite
pluralidad de sentidos. (…) En todo caso, ese criterio no servía para resolver en el momento el conflicto entre
profetas o para juzgar de la autenticidad de un profeta contemporáneo.” / trad. : « la parole prophétique admet une
pluralité de sens. (…) En tout cas, ce critère ne servait à rien pour résoudre, sur le moment, le conflit entre les
prophètes ou pour juger de l’authenticité d’un prophète contemporain. »
63
les critères précédemment cités, insisté sur le critère du temps. En effet, comme le fait
remarquer VON RAD, Jérémie lui-même, dans son discours et son attitude dans les chapitres
27 à 29, n’est pas en mesure de donner des critères sûrs : ni la forme, ni le contenu des
prophéties ne sauraient constituer des critères universellement valables. Jérémie, comme nous
l’avons vu, se méfie des prophètes qui reçoivent les révélations sous forme de rêves et non de
paroles213 mais il existe bien de vrais prophètes dans la Bible qui reçoivent la révélation sous
forme de rêves, le patriarche Joseph étant un bon exemple.

Reste alors le critère du temps que l’on pourrait autrement appeler « critère
d’actualité ». Il ne s’agit pas de répéter les prophéties de jadis mais de saisir quel est le plan de
Dieu hic et nunc, ce qui fait dire à Martin BUBER : « il [Hananya] imite Isaïe (…) mais la
situation n’est pas la même », « Hananya ne savait pas que l’histoire est un processus
dynamique »214 : « les vrais prophètes sont les vrais politiques de la réalité, car ils proclament
leurs déclarations politiques en prenant en compte la réalité historique complète, qui leur est
donnée à voir. »215 Ce critère de discernement est aussi avancé par Martin SWEENEY qui
considère que :

La vérité de la prophétie ne se résume pas uniquement à la question de


l’accomplissement mais dépend de quand et comment l’accomplissement survient. Le
conflit parmi les prophètes et le fait que la vérité donnée par les premiers prophètes
dépend de la manière dont elle s’applique et se réalise dans des circonstances
historiques nouvelles signifient que la vérité doit être considérée comme une catégorie
contingente…216

213
Cf. VON RAD, Gerhard, “Jeremiah” (chapitre), Message of the Prophets, Londres, SCM Press, 1968, p. 178:
“We can see him searching deliberately for practical criteria to identify the false prophet. At one moment, he
compares the content of their message with the prophetic tradition, at another he is suspicious of the forms in
which they received their revelations, because they appealed to dreams, and not to a word from Yahweh, and were
therefore in danger of self-deception.” & p. 179: “Jeremiah could not point to any criterion that might in principle
answer the question… there could be no such criterion in respect of form or content…” / trad. : « Nous le voyons
chercher résolument des critères pratiques pour identifier le faux prophète. Parfois, il compare le contenu de leur
message avec la tradition prophétique, parfois, il se méfie des formes dans lesquelles ils reçoivent leurs révélations
car ils font appel à des rêves, et pas à une parole de Dieu, et risquaient donc de tromper eux-mêmes. » & p. 179 :
« Jérémie était dans l’incapacité de définir un critère susceptible, en principe, de répondre à cette question… il ne
saurait y avoir aucun critère eu égard à la forme ou au contenu. »
214
BUBER, Martin, "False Prophets [Jeremiah 28]", in On the Bible: Eighteen Studies by Martin Buber, éd.
Nahum N. Glatzer, New York, Schocken, 1982, p. 168: “he parrots Isaiah. (…) But the situation was not the
same.”
215
Ibidem, p. 169 : “He did not know that history is a dynamic process.” & “The true prophets are the true
politicians of reality, for they proclaim their political tidings from the viewpoint of the complete historical reality,
which is given them to see.”
216
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 33: “Truth in prophecy
lies not just in the issue of fulfillment but depends on when and how the fulfillment occurs. The conflict among
prophets and the fact that the truth of earlier prophets is relative to how it applied and realized in new historical
circumstances means that truth must be recognized as a contingent category…”
64
James SANDERS, très attentif à ce critère de l’actualisation, développe une théorie
fondée sur la question du texte, du contexte et de l’herméneutique. Lorsqu’on étudie un
prophète, il faut ainsi se demander sur quel texte il s’appuie, quel est le contexte dans lequel il
utilise ce texte et quelle est la théologie utilisée par le prophète pour justement contextualiser,
actualiser cette tradition. S’appuyant sur l’étude de CRENSHAW, il conclut avec ce dernier
que « le vrai prophète doit être capable de distinguer si un moment historique est sous la colère
ou l’amour de Dieu. »217 Ainsi, le prophète doit à la fois posséder « une connaissance intime
des traditions ou ‘textes’ qui parlent des chemins de Dieu en Israël dans le passé et une capacité
dynamique à percevoir les faits saillants d’un moment particulier. »218 Concernant Jérémie, il
est ainsi possible de dire que le prophète, dans la situation historique qui lui était donnée, a pu
relire Isaïe et d’autres prophètes pour ensuite comprendre que ce moment particulier, sous la
colère de Dieu, demandait à ce que les gens de Jérusalem partent en Babylonie, s’y installent
et y prospèrent. Il se fondait aussi sur une théologie –ou herméneutique- en appliquant un
theologoumenon précis insistant sur « les attentes divines et l’obéissance du peuple fondées sur
une théologie de la grâce conditionnée » contrairement à Hananya qui insistait sur « la grâce
divine et la fidélité de Dieu malgré le péché humain»219.

On a ainsi « tenté de comprendre le conflit et le discernement entre les prophètes en


termes de prophétie donnée à temps et à contretemps, de flexible et d’inflexible, le vrai
prophète étant celui qui applique des traditions religieuses existantes au moment présent, tandis
que le faux prophète est celui qui a recours à une tradition religieuse existante d’une manière
rigide et insensée. »220 Ainsi, Jérémie et Hananya seraient les parfaits exemples de ces deux
figures de la prophétie : tous deux, face à une situation semblable, adoptent deux attitudes

217
SANDERS, James, “Hermeneutics in True and False Prophecy”, in Canon and Authority: Essays in Old
Testament Religion and Theology, éd. George COATS & Burke LONG, Philadelphia, Fortress, 1977, p. 27.
218
Ibidem : “Such discernment requires both intimate knowledge of the traditions or ‘texts’ of the ways of God in
Israel past and a dynamic ability to perceive the salient facts of one’s own moment in time as they move through
the fluidity of history.” & cf. aussi VOGELS, Walter, « Comment discerner le prophète authentique ? », art. cit.,
p. 688-689: « On a pu le caractériser comme l'homme qui puise à deux sources : la tradition et sa rencontre
personnelle avec Dieu. Il vient à des moments précis pour réagir, donc pour introduire des changements. En lui il
y a de l’ancien et du nouveau. Il ne proclame pas seulement les grandes vérités comme l'existence du vrai Dieu.
Mais il intervient dans les conjonctures concrètes de la vie : dans des situations politiques ; dans des conditions
économico-sociales ; dans des problèmes religieux, non seulement de doctrine, mais de vie morale et de culte.
Dans tous ces domaines, ce n’est pas chose facile de trouver ce qui est conforme à la tradition. »
219
Ibidem : “one emphasizing divine grace and faithfulness in and through and despite human sinfulness, and the
other stressing divine expectations and obedience of the people in a theology of conditioned grace, the
hermeneutical question arises precisely at the point of why they chose the theological theme they did choose.”
220
MOBERLY, Walter, Prophecy and Discernement, Cambridge Studies in Christian Doctrine 14, Cambridge
University Press, 2006, p. 18 : “the attempt to understand prophetic conflict and discernment in terms of the
difference between the well-timed and the mis-timed, the flexible and the inflexible; the true prophet is the one
who aptly applies existing religious tradition to the present moment, while the false prophet is the one who appeals
to existing religious tradition in a rigid and insensitive way.”
65
contradictoires en fonction de leur lecture des événements et de la théologie qu’ils appliquent.
Jérémie serait bien le vrai prophète car il sait « lire les signes des temps » et respecte la volonté
divine qui s’adapte en fonction des circonstances car « à chaque fois que la liberté de Dieu est
oubliée ou bafouée lorsqu’il s’agit d’adapter un ‘texte’ traditionnel à un contexte donné, il y un
risque de fausseté. »221

Ce critère nous paraît bien fragile en soi car le livre de Jérémie, avec des prophéties
changeantes et contradictoires, risque de le mettre en danger. Lors de la prise de la ville,
Jérémie refuse de partir en exil à Babylone alors qu’il a prêché, pendant tout le livre, le départ
pour cette même ville. Nous pourrions bien sûr dire que, les circonstances ayant changé,
Jérémie adapte sa lecture des événements et prend donc une autre décision. Cependant, les
revirements successifs donnent bien plutôt l’impression, in fine, d’une contradiction que d’une
continuité qui serait le signe de la véracité des propos du prophète. Des critiques comme
QUELL, CRENSHAW ou même CARROLL222 sont beaucoup plus sceptiques sur les moyens
permettant de discerner entre vraie et fausse prophétie. QUELL fait ainsi remarquer que le
public de Jérémie et d’Hananya n’avait aucun critère à sa disposition pour discerner qui était
le vrai prophète et CRENSHAW223 d’ajouter que « puisqu’aucun critère ne permet de distinguer
à chaque fois entre la vraie et la fausse prophétie, il existe inévitablement un certain degré de
porosité entre les deux. »224 LANGE, quant à lui, insiste largement sur le fait que les
deutéronomistes « ne firent aucun effort pour établir des critères (…) car leur rejet de toute
prophétie, présente ou future, rendait les critères inutiles. »225 Toute l’œuvre du prophète
Jérémie pour donner des critères de vraie et fausse prophétie au cœur même du texte (question
des rêves, de l’envoi, des promesses de bonheur, …) semble vouée à l’échec226.

221
SANDERS, James, “Hermeneutics in True and False Prophecy”, op. cit., p. 38: “Whenever the freedom of God
as creator is forgotten or denied in adapting traditional ‘text’ to a given context, there is the threat of falsehood.”
222
Cf. EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 25: “Carroll is
completely skeptical about the usefulness of any criteria for true and false prophecy, but he recognizes that the
biblical text does not share his skepticism.” / trad. : « Carroll fait preuve d’un scepticisme total à l’égard de l’utilité
d’un quelconque critère pour distinguer la vraie de la fausse prophétie, mais il admet que le texte biblique ne
partage pas son scepticisme. »
223
Cf. ibidem, p. 13.
224
CRENSHAW, James, Prophetic Conflict: Its Effect upon Israelite Religion, BZAW 124, Berlin, De Gruyter,
1971, p. 62: “Since no single criterion serves to distinguish in every instance the true from the false prophet, a
degree of fluidity between the two in inevitable.”
225
Cf. EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 30: “The
Deuteronomists made no effort to establish criteria for true and false prophecy, because their rejection of all
present and future prophecy made criteria unnecessary.”
226
Cf. VOGELS, Walter, « Comment discerner le prophète authentique ? », art. cit., p. 639 : « Jérémie surtout a
voulu épuiser tous les critères possibles, mais tous ses efforts n'ont pas abouti à démontrer que le vrai prophète,
c'était lui, à l'exclusion des autres. Le fait même qu'il ajoute toujours de nouvelles ‘preuves’ montre bien comment
lui-même en percevait les limites. »
66
MOBERLY critique sévèrement ces approches séculières qui font l’économie de la
grille de référence qui est celle de la Bible, ou de son métarécit, « au profit de catégories
historico-critiques qui s’intéressent à l’identité de l’auteur, des auteurs, et à son contexte
d’origine. »227 En effet, de telles approches ne prennent pas en compte le phénomène de la
prophétie lui-même, tel que la Bible le décrit, c’est-à-dire l’auto-communication de Dieu par
des moyens humains. En effet, il convient de revenir à la prophétie comme phénomène
surnaturel pour en saisir la profondeur, la complexité et la substance, ce que NEHER décrit en
écrivant : « La prophétie implique, à quelque titre que ce soit, une relation entre l’éternité et le
temps, un dialogue entre Dieu et l’homme »228, elle « recouvre tout le vaste champ d’expérience
humaine qui s’étend de la magie à la mystique. »229 Il ne s’agit ainsi pas de répondre à la
question de la vraie et de la fausse prophétie mais bien plutôt de déplacer, pour un temps, la
question vers cette expérience intime de la communication de Dieu avec sa créature dans une
relation très spéciale230. En mettant trop exclusivement l’accent sur le contexte historique,
social, psychologique, sur les étapes rédactionnelles et la construction littéraire de la figure du
prophète, on risque d’oublier la nature même du phénomène prophétique tel qu’il a été et est
encore compris dans une lecture croyante. Si la prophétie répond à un ensemble de règles fixes
et figées, on peut légitimement en conclure que ce n’est plus une prophétie, une Parole de Dieu
qui entre dans l’histoire et qui est relayée par un homme. Ainsi, les deutéronomistes eux-
mêmes, à l’origine des ajouts, des compositions, étaient des croyants conscients des enjeux de
la prophétie et de sa nature. Les références à la prophétie sont multiples mais nous aimerions
proposer la lecture de Karl RAHNER :

Si l’Ecriture, à travers Dieu lui-même, (…) ne rendait pas témoignage à Dieu, elle ne
parlerait que de réalités distinctes de Dieu. En ce cas, le contenu de ses affirmations ne
différerait pas fondamentalement d’un contenu qui, en principe, pourrait aussi être
obtenu en utilisant des mots humains, sans aide extérieure. Et ainsi, cette différence
essentielle avec les autres mots humains, dont l’Ecriture témoigne, n’existerait plus.
(…) Les mots de l’Ecriture sont, quand on les lit dans la foi, à nouveau animés par cette
auto-communication de Dieu. Ainsi, ce ne sont pas seulement des mots à propos de

227
MOBERLY, Walter, Prophecy and Discernement, op. cit., p. 14 : “Questions of ‘authenticity’ have
overwhelmingly been addressed in historical-critical categories of identity of authorship and context of origin, not
in the Bible’s own preferred frame of reference.”
228
NEHER, André, L’essence du prophétisme, op. cit., p. 9
229
Ibidem, p. 11.
230
Cf. ibidem, p. 99 : « Il y a quelque chose de douloureux dans le fait que la vraie prophétie ne se distingue de la
fausse que par l’intuition du vrai prophète. Aucun signe extérieur de discrimination. Rien ne manifeste à
l’observateur que la ruah est mensonge. Seul le prophète connaît, dans l’intimité de son expérience, que la ruah
est vraie. On a bien tenté, à différents moments de l’histoire biblique, de codifier la prophétie et d’énoncer une
théorie de la prophétie fausse. Mais on n’a jamais pu établir le code de la prophétie vraie. Celle-ci est restée
confiée à l’expérience du prophète. Seulement, cette expérience avait suffisamment de force, elle était si
pleinement réelle, qu’elle ne pouvait tromper. »
67
Dieu (bien qu’autorisés par Dieu) et donc seulement des mots humains. Ce sont en effet
des mots de Dieu. 231
On ne saurait donc traiter de la prophétie sans une théologie de la Révélation en
considérant que les paroles données par les prophètes, aussi étranges et contradictoires qu’elles
puissent parfois paraître, sont bien Parole de Dieu, c’est-à-dire communication de paroles
divines mais plus exactement auto-communication de Dieu lui-même232. Il convient, en lisant
les prophètes et l’Ecriture, dans une approche croyante, de considérer que cette prophétie a été
écrite dans l’Esprit et qu’elle doit par conséquent être lue dans l’Esprit pour révéler son sens
plénier233. Si l’on perd cette notion de communication divine par une médiation humaine, si
l’on considère que cet axiome n’est ni valide ni cohérent, la structure même de la foi, fondée
sur la Révélation et l’inspiration, s’écroule et ne devient, au mieux, qu’une projection humaine,
une « curiosité historique » ou une poésie attendrissante. Nous aimerions remonter à la nature
même de la prophétie en abordant la question de l’inspiration ou plutôt de la communication
divine pour tenter de trouver un critère interne à l’acte prophétique susceptible de servir de
critère de distinction entre vraie et fausse prophétie. Pour ce faire, nous partirons de la théologie
de la prophétie telle qu’elle a été développée par saint Thomas d’Aquin.

2. Approche théologique de la prophétie selon saint Thomas

Dans la IIa IIae de la Somme théologique, saint Thomas d’Aquin définit et explicite les
moyens qui permettent de parvenir à la béatitude présentée, au début de la deuxième partie de
la Somme, comme la fin de l’homme. Après avoir développé les vertus théologales et morales
(IIa IIae, Q. 1-170) qui concernent tous les hommes, Thomas présente d'autres réalités qui ne
concernent qu'un petit nombre en fonction de leur vocation, notamment les dons ou charismes

231
RAHNER, Karl, “Book of God – Book of Human Beings’”, in Theological Investigations, vol. XXII, London,
DLT, 1991, p. 222 : “If Scripture did not, through God himself (…), bear witness to God, (…), it would speak
only of realities that are distinct from God, even if it spoke of them in their relation to God. In that case the content
of its statements would not differ basically from content that, in principle, might also be reached by unaided human
words. And then that essential difference from other human words, which Scripture itself attests, would no longer
exist. (…) The words of Scripture are, when we read them with faith, once more animated by this self-
communication of God. Thus they are not only words about God (although authorized by God) and thus only
human words. They are indeed words of God.”
232
On se souvient de la parole de l’apôtre Pierre : « ce n'est pas par une volonté d'homme qu'une prophétie a jamais
été apportée, mais c'est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu. » (2P 1, 21)
233
Cf. Verbum Domini, §19 : « Comme les Pères synodaux l’ont affirmé, il apparaît à l’évidence combien le thème
de l’inspiration est décisif pour s’approcher de façon juste des Ecritures et pour en faire une exégèse correcte, qui,
à son tour, doit être effectuée dans l’Esprit même dans lequel elles ont été écrites. Lorsque s’affaiblit en nous la
conscience de son inspiration, on risque de lire l’Ecriture comme un objet de curiosité historique et non plus
comme l’œuvre de l’Esprit Saint, par laquelle nous pouvons entendre la voix même du Seigneur et connaître sa
présence dans l’histoire. »
68
(Q. 171-189). Pour les dons et charismes, il commence par ceux qui ont trait à la connaissance,
assimilés au charisme de prophétie (Q. 171-175). Nous aimerions partir de ces quatre questions
de la Somme pour voir comment notre passage (Jr 29, 1-20) illustre cette théorie thomasienne
qui, en retour, pourrait venir authentifier Jérémie comme un vrai prophète.

Lorsqu’il s’agit de donner une définition de l’acte prophétique, Thomas se réfère à la


tradition biblique, patristique et théologique mais la dépasse en précisant que celui-ci ne saurait
se résumer à la seule connaissance des choses futures234. En Jr 29, la prophétie de Jérémie ne
se résume pas à la seule annonce du retour d’Exil, après soixante-dix ans de captivité, c’est-à-
dire d’un futur : elle demande aux Judéens de s’établir en Babylonie, d’y prospérer, ce qui n’est
pas en soi une annonce du futur mais une prescription contemporaine de la transmission de
l’oracle. Toute la partie centrale du passage sur l’obéissance à la parole de Dieu et sur la réponse
de ce dernier fait entrer le peuple dans une connaissance de vérités « qui sont du domaine de la
foi », qui touchent aux « hauts mystères ». La présentation d’Hananya semble quant à elle se
réduire à une simple évocation « d’événements humains futurs ». De ce point de vue-là, la
prophétie de Jérémie est plus riche, et conforme à l’essence de la prophétie telle qu’elle est
donnée par Thomas.

Pour Thomas, « la prophétie est premièrement et principalement un acte de


connaissance ; en effet les prophètes connaissent les réalités qui échappent à la connaissance
ordinaire des hommes. » (Q. 171, a. 1, resp.) Thomas reprend une étymologie héritée d’Isidore
de Séville, complètement fantaisiste, qui est de dire que « prophétiser », c’est « voir de loin » ;
en fait c’est « parler à la place de ». Mais cette étymologie est stimulante parce qu’elle permet
de caractériser la prophétie comme vision et que la vision est le modèle de la connaissance dans
la noétique thomasienne.

Mais Thomas ne réduit pas la prophétie à cette seule vision, il lui donne un second sens
en la définissant comme « discours ». La prophétie est donc premièrement acte de connaissance
et secondairement discours. Cette définition de la prophétie est intéressante car, dans les études
exégétiques235, on insiste sur le discours prophétique, sur la forme et le contenu de celui-ci, sur
la manière dont il a été composé et dont il a été reçu par un auditoire donné (à différentes

234
Prologue de la Q. 171 (THOMAS D’AQUIN, «  La prophétie  » (IIa IIae Q. 171-178), Somme théologique, éd.
Jean-Pierre TORRELL, Paris, Cerf, 2005) : « Car la révélation prophétique s'étend non seulement aux événements
humains futurs, mais encore aux réalités divines, tant aux vérités qui sont proposées à la croyance de tous et qui
sont du domaine de la foi, qu'aux plus hauts mystères qui sont l'apanage des plus parfaits et se rapportent à la
sagesse. »
235
Cf. notre précédente sous-partie.
69
époques par ailleurs) ; en théologie, on réintroduit l’acte de connaissance lui-même, c’est-à-
dire la révélation que Dieu fait au prophète, un acte de connaissance qui échappe, en soi, au
lecteur. Le critère de vraie et de fausse prophétie ne réside donc pas, en théologie, sur la seule
forme et réception du message, mais sur l’acte de révélation même que Dieu fait au prophète.
L’insistance du texte de Jérémie sur « l’envoi »236 des prophètes, sur son propre envoi, sur la
révélation reçue, correspond bien à ce premier temps qui concerne l’acte de connaissance avant
sa transmission, sa diffusion, dans un message qui apparaît sous la forme d’un oracle ou d’un
message consigné dans le texte biblique. On en arrive ainsi à cette définition donnée par
Thomas qui correspond au premier temps de l’acte prophétique : « la prophétie est une
connaissance imprimée par la révélation divine dans l’intelligence du prophète, sous la forme
d’un enseignement. » (Q. 171, a. 6, resp.)

Cependant, après notre parcours exégétique sur Jr 29, il nous est apparu que
l’enseignement de la prophétie semble parfois, sur un passage très bref, être contradictoire voire
incohérent, ce qui rend difficile d’établir un critère sûr pour identifier la vraie prophétie.
Thomas, et ses prédécesseurs, fins lecteurs de la Bible, avaient perçu cette difficulté. En effet,
il arrive souvent des problèmes en ce qui concerne le futur : il arrive qu'un prophète annonce
une chose à venir et que celle-ci ne se réalise pas. Ainsi, Jonas annonce la destruction de Ninive
mais celle-ci n'est pas détruite. Ainsi Jérémie annonce qu’il faut partir en Babylonie mais, lors
de la chute de Jérusalem, il restera. Or, Thomas a dit dans le resp. de l’article 6 de la Q. 171
que la « connaissance du prophète était l'empreinte de la connaissance de Dieu ». Comment
tenir ensemble que la connaissance est une et vraie et en même temps que le prophète semble
se tromper ? Il faut donc distinguer deux manières de concevoir la connaissance que Dieu a du
futur : soit Dieu connaît les événements futurs comme réalisés, ainsi l’oracle prophétisé par
Isaïe à propos de la Vierge qui enfantera, soit il connaît les événements futurs en tant que
conséquences de causes présentes. Ainsi, tantôt la connaissance prophétique connaît le futur
en tant que réalisé, tantôt la connaissance prophétique ne connaît le futur que comme
conséquence logique d'une cause déjà connue comme réalisée. Mais si la cause vient à changer
–et c'est souvent le but de la prophétie- alors le futur change. Les apparents retournements, les
apparentes contradictions reposent sur ce double mode de connaissance. La promesse de
restauration et de retour à Jérusalem, reprise comme un leitmotiv dans tout le livre de Jérémie,
appartient au premier type de connaissance : dans le projet de Dieu, cette restauration est déjà
assurée même si elle doit s’appuyer sur un effort de conversion du peuple. En ce qui concerne

236
Cf. Jr 29, 9.19.
70
le temps en Babylonie, il appartient au second mode de connaissance : quand le peuple se sera
converti en Babylonie, aura trouvé le Seigneur dans le dénuement et l’éloignement,
l’installation en Babylonie ne sera plus nécessaire et le retour à Jérusalem sera possible. En Jr
29, nous avons bien ce double mode de connaissance : la restauration, comme certitude et
prophétie déjà réalisée ; l’installation pacifique en Babylone, comme condition passagère pour
la conversion du peuple237. Le problème qui était réglé par certains exégètes en termes
d’actualisation est réglé par Thomas en termes de connaissance divine du futur. Mais à cette
possible hésitation du lecteur quant à la cohérence de la prophétie résolue par un
théologoumène répond un autre problème lié à la nature de l’acte prophétique comme acte de
connaissance qui est la certitude que le prophète a de sa propre prophétie. A l’article 5 de la Q.
171, resp., Thomas pose une question très pertinente pour la compréhension psychologique et
théologique de la conscience que le prophète a de sa propre connaissance prophétique238 et
tranche très clairement. En citant le prophète Jérémie comme illustration et argument, Thomas
nous apprend que la véritable révélation prophétique est certaine et que Jérémie en était le
parangon : « "C’est en vérité, dit Jérémie (26, 15), que le Seigneur m’a envoyé vers vous, pour
faire entendre à vos oreilles toutes ces paroles." Autrement, si les prophètes eux-mêmes
n'avaient cette certitude, la foi qui s'appuie sur leurs allégations ne serait pas certaine. » Nous
sommes forcés de reconnaître que la conscience certaine que le prophète Jérémie a d’être un
vrai prophète joue un rôle majeur mais cependant insuffisant car il apparaît qu’Hananya, qui
se trompe peut-être, a sans doute aucun cette même conscience d’être un vrai prophète.

Mais il s’agit, au-delà de la connaissance certaine, de comprendre comment cette


connaissance s’imprime dans l’esprit du prophète, comment ce dernier reçoit cette
connaissance prophétique. Dans l’acte prophétique, l’Esprit de Dieu doit élever les modes
humains de perception pour ensuite donner la révélation elle-même. En aucun cas, le prophète
ne peut prophétiser à partir de ses seules capacités humaines239. L’esprit de Jérémie est ainsi

237
THOMAS D’AQUIN, «  La prophétie  », op. cit., p. 46 : « Le changement apparent dans l’exécution de la
volonté divine ne mettait pas seulement en cause l’infaillibilité de la prophétie, mais au-delà l’immutabilité divine
elle-même. » La première réponse apportée par les théologiens médiévaux est d’ordre ‘économique’ : quand il
change sa décision (sententia) de détruire Ninive par suite de la pénitence des Ninivites, Dieu ne change pas son
dessein (consilium), car c’est précisément le salut par le repentir des Ninivites qu’il voulait obtenir. La seconde :
Thomas amorce sa réflexion en comparant la connaissance prophétique ‘imprimée’ (impressa) par Dieu à celle
qu’un enseignant communique à son disciple ; s’il en est ainsi ‘la vérité de la connaissance est la même dans le
disciple que dans le maître, car le savoir du disciple est une reproduction de celui du maître (…) Voilà pourquoi
Jérôme dit que la prophétie est comme une ‘empreinte de la divine prescience’.’ Il faut donc que la vérité de la
connaissance et du message prophétiques soit la même que celle de la connaissance divine, dont nous avons
montré qu’elle ne peut être sujette à l’erreur. Il s’ensuit que l’erreur ne peut pas se glisser non plus dans la
prophétie. » (Q. 171, a. 6)
238
« Les prophètes distinguent-ils toujours entre ce qui vient de Dieu et ce qui vient de leur propre esprit ? »
239
Cf. Q. 171, a. 1, sol. 4 : « l’esprit humain est incapable de se hausser par lui-même au niveau des réalités
71
surélevé par l’Esprit de Dieu qui lui permet de voir des réalités que son seul œil humain ne peut
lui permettre de voir. Est-ce que le prophète perçoit tout des réalités divines ? Non, « toutes les
réalités dont la connaissance pourra être utile au salut rentreront dans l’objet matériel de la
prophétie. »240 Ainsi, Jérémie ne connaît pas nécessairement la nature même de Dieu, ne connaît
pas tous les secrets célestes, il ne connaît que le projet et la volonté de Dieu qui sont, dans notre
passage, que le peuple reste en Babylonie, y prospère, pour ensuite, grâce à sa fidélité, revenir
à Jérusalem.

En ce qui concerne l’acte prophétique comme acte de connaissance, il faut distinguer


deux « moments » qui ne sont pas, bien évidemment, chronologiques mais logiques : le mode
de représentation ou de réception des réalités et le jugement. Normalement, les réalités sont
représentées à l'esprit par des species (idées). Ces species viennent de la sensibilité, passent par
l’imagination pour aboutir dans l'intellect possible ou passif qu'elle modifie où elles y déposent
des images ou fantasmes à partir de quoi l’intellect agent va travailler. La manière d’ordonner
les fantasmes influe sur les species. Thomas compare cela avec les lettres d'un mot : si on en
change l'ordre, on change le sens du mot. Il y a une forme d'orthographe ou de grammaire des
fantasmes, il faut que ce soit la raison qui les ordonne dans l'intellect possible pour que les
idées puissent naître. L’esprit est ainsi surélevé dans la réception pour être hissé, peu ou prou,
à la hauteur de celui du maître. Il existe différentes manières pour Dieu de parler au prophète :
par un signe extérieur ou par des formes imaginatives. Soit Dieu imprime directement ces
formes imaginatives dans l’intellect possible sans être reçues par les sens, soit Dieu arrange
particulièrement les formes reçues par les sens (Jérémie qui vit « bouillir une chaudière venant
du septentrion »). Dieu peut aussi parler au prophète par des species imprimées dans l’esprit
du prophète, comme pour ceux qui reçoivent la science ou la sagesse infuses. Ces différentes
manières pour Dieu de parler au prophète se font grâce au lumen propheticum, « la lumière
prophétique », qui est le medium de réception des réalités. Dans les limites de la lettre du
chapitre 29, en ce qui concerne le mode de réception des réalités, il est bien difficile de dire
comment le prophète reçoit les réalités. Il nous semblerait que Dieu arrange particulièrement
des formes reçues par les sens : le prophète perçoit les réalités que sont l’exil à Babylone, la
situation à Jérusalem, l’attitude des rois, et Dieu les arrange, les informe pour amener le
prophète à comprendre ce qu’il faut dire et faire, c’est ainsi l’acte de jugement qui va compter
au plus haut point.

divines : il faut donc que l’Esprit-Saint vienne au secours de l’esprit humain ».


240
THOMAS D’AQUIN, «  La prophétie  », op. cit., p. 230.
72
Car, en effet, la réception des réalités ne suffit pas, encore faut-il que le prophète
comprenne le sens de ces réalités et c’est là l’œuvre du jugement, lui aussi illuminé par le lumen
propheticum. C’est en effet une lumière intellectuelle venue de Dieu qui permet le jugement :
cette surévélation-là est la plus importante car c’est dans « le jugement que s’achève la
connaissance. » C’est seulement pour celui qui reçoit la lumière divine que l’on peut parler
réellement de don de prophétie : certains peuvent avoir les images ou les « similitudes
corporelles », mais s’ils n'ont pas la lumière divine qui permet d'en juger, alors il n’y a qu’une
prophétie imparfaite. Le jugement, surélevé par la lumière intelligible, peut s’exprimer de trois
manières différentes : elle permet de juger de ce qui a été vu par d'autre, et c’est là le don
d'interprétation ; elle permet de juger selon la vérité divine ce que l’homme perçoit avec ses
facultés naturelles ; elle permet enfin de juger de ce qu’il convient de faire.

Dans les limites de la lettre de Jr 29, le jugement de Jérémie s’exerce selon les deuxième
et troisième manières. Tout d’abord, la lumière prophétique que reçoit Jérémie lui permet de
juger selon la vérité divine ce qu’il perçoit avec ses facultés naturelles241. Il voit qu’une partie
des habitants de Juda est en exil, que quelques-uns restent encore à Jérusalem, et Dieu lui
permet de savoir que cet exil sera long, que Jérusalem sera détruite. Seule cette lumière
prophétique lui permet de savoir cela et le critère d’actualisation, d’un point de vue
théologique, semble bien faible face à cette connaissance donnée par la lumière divine.
Hananya, qui ne voit qu’avec des yeux humains, sans cette lumière prophétique, ne juge pas
selon Dieu et prédit le retour rapide à Jérusalem. Mais, ce n’est pas tout, la lumière divine
permet au prophète de juger ce qu’il convient de faire : il faut s’installer en Babylonie, y
prospérer, prier pour ce peuple étranger et ennemi. Alors qu’on pouvait peut-être encore
maintenir qu’à vue humaine un prophète pouvait prédire un long exil, il semble impossible de
concevoir, à vue humaine, une telle soumission au joug babylonien. Le jugement de Jérémie
s’exerce donc sous l’action de l’Esprit de Dieu pour signifier aux Judéens ce qu’ils doivent
faire : se soumettre et s’intégrer sans s’assimiler. Cette motion de l’Esprit-Saint242 est le

241
Thomas distingue deux types de « révélation complète ». Soit le lumen illumine le jugement mais forme aussi
les concepts préalables en imprimant directement des species intelligibles dans l’esprit du prophète ou en
imprimant des formes sensibles que le prophète devra abstraire pour former des idées qui lui serviront pour son
jugement : on parle alors de « révélation ». Soit le lumen n’intervient que dans le jugement et pas dans la formation
des idées : Dieu laisse le prophète user du donné acquis naturellement par l’exercice des sens, de son imagination
et de son jugement : on parle alors d’« inspiration ». Il nous semble que, dans le cas de Jr 29, le prophète juge
d’idées naturelles (inspiration) et non d’idées surnaturelles (révélation). Jérémie observe la réalité historique, et
produit un jugement surélevé par le lumen propheticum qui lui permet de discerner le projet de Dieu. La vision
du chaudron, au chapitre 1, s’apparenterait quant à elle au type de la révélation. L’insistance de Jérémie sur les
paroles reçues du Seigneur et sa critique des prophètes qui « rêvent » ancrent plutôt ce dernier dans une théologie
prophétique de l’inspiration, les paroles étant une forme de jugement exprimé.
242
Q. 173, a. 4 : « Dans la révélation prophétique l'esprit du prophète est mû par l'Esprit Saint comme un instrument
73
fondement même de l’acte prophétique et de la connaissance prophétique qui, on le voit, ne
saurait se réduire à la seule prédiction d’événements futurs.

Ce bref parcours dans la théologie de la prophétie selon saint Thomas d’Aquin donne
quelques éclairages nouveaux sur notre compréhension de Jr 29 et dans notre recherche de
critères pour juger de la prophétie. Jérémie répond aux critères élaborés par le théologien qui
s’est par ailleurs servi du grand prophète scripturaire pour les élaborer. La prophétie ne saurait
être réduite à la seule prédiction d’événements humains futurs : elle révèle avant tout la volonté
divine, attribut divin qui permet d’accéder à la vérité divine de Dieu. Ainsi, Jérémie, en Jr 29,
ne se contente pas d’annoncer le retour d’exil, il invite les Judéens à s’installer en Babylonie
mais, comme l’a montré notre commentaire exégétique, les oracles divins sont avant tout une
invitation à la conversion, c’est-à-dire à une orientation au salut qui participe du dessein divin.
Le parcours théologique que nous venons de faire insiste en outre sur la prophétie comme acte
de connaissance, et d’abord comme acte de révélation. La théologie de la prophétie, avant de
nous renvoyer au discours, au texte biblique, oriente nos regards vers l’acte de révélation
même, c’est-à-dire la communication du message divin au prophète. Dieu, grâce à une
« lumière prophétique » qui est la lumière de l’Esprit, surélève les modes humains de réception
mais aussi le jugement du prophète pour le faire parvenir à la connaissance. Jérémie est un
« envoyé » car il reçoit cette connaissance et, ayant une conscience certaine d’être envoyé, il
peut ensuite communiquer les oracles du Seigneur au peuple. Cette illumination de
l’intelligence ne se réduit pas à la prédiction de l’avenir donc mais est aussi prescriptive : la
volonté divine de voir les Judéens s’installer en Babylonie participe de cette révélation de l’agir
à tenir. Les contradictions apparentes dans les prédictions qui pourraient discréditer les
prophéties de Jérémie –et d’autres prophètes- sont résolues par la théorie des deux modes divins
de connaissance du futur qui donne souplesse et cohérence au texte.

Cette approche de Thomas d’Aquin a été très largement reprise et renouvelée par les
théologiens de l’époque moderne, en particulier par Karl RAHNER qui place l’expérience du
prophète au niveau transcendantal, non-thématique, c’est-à-dire à un niveau proprement
irreprésentable, en amont de toute communication ou discours de type catégorial243, ce qui
correspond à l’impression d’une connaissance dans l’esprit du prophète dans Thomas d’Aquin.

déficient par rapport à l'agent principal. Or le Saint-Esprit pousse l'esprit du prophète, soit à comprendre, soit à
annoncer, soit à faire quelque chose. »
243
Cf. RAHNER, Karl, Traité fondamental de la foi, Paris, Centurion, 1983, p. 185 : « Ces hommes que, selon la
terminologie établie, nous qualifions de prophètes, en tant que porteurs originaires d’une telle communication de
révélation de la part de Dieu, sont à saisir comme des hommes chez qui vient à effectivité et à expression l’auto-
74
Cependant, force est de reconnaître qu’il est bien difficile, en appliquant ces analyses
et ces critères, de pouvoir juger de la vraie et de la fausse prophétie. Cette connaissance acquise
dans l’acte prophétique est toute intérieure, intime, subjective –transcendantale dirait Karl
RAHNER- et il est impossible de dire que Jérémie a bien reçu cette connaissance prophétique
et Hananya non. Hananya avait de toute évidence une conscience certaine d’être prophète,
pensait avoir une certaine connaissance du futur et de la volonté divine, pensait avoir son esprit
illuminé par Dieu. Les critères exégétiques, comme le critère d’actualisation, qui concernent le
discours prophétique, ou les critères théologiques, comme ceux développés par Thomas et qui
tentent de remonter à l’expérience du prophète lui-même, possèdent un intérêt que nous avons
essayé de mettre en avant mais ne sont pas définitifs. De plus, le critère thomasien n’honore
pas, époque oblige, l’analyse plus scientifique, historico-critique du texte. S’il est difficile donc
d’établir des critères externes (discours prophétique) ou des critères internes (expérience
prophétique) capables de juger avec sûreté de la véracité de la prophétie, il nous faut sans doute
appliquer d’autres critères.

Thomas dit que la prophétie « permet enfin de juger de ce qu'il convient de faire » :
dans la tradition, on a ainsi inclus les hagiographes et le phénomène d’inspiration de l’Ecriture.
Jérémie a ainsi appris de Dieu, dans l’acte prophétique, qu’il devait mettre les révélations par
écrit244 et donc commencer à élaborer ce qui deviendra le canon. Mais cet appel fait à Jérémie
ne s’arrête pas à lui, il se continue à travers les rédacteurs successifs qui deviennent aussi, à
leur tour, prophètes et participants de l’œuvre de canonisation. Nous aimerions donc explorer,
certes rapidement, cette dimension du canon pour considérer si elle ne constitue pas le critère
ultime qui permette de juger de la prophétie.

3. Légitimation intra-biblique

Le texte biblique, en lui-même, et en plusieurs endroits, se dit comme canonique et se


légitime lui-même. Dans notre étude du TM, nous avions vu comment les paroles qui
caractérisent le prophète lors de son appel se retrouvent dans la prophétie même. Ces paroles
attestent alors que la prophétie est véridique parce qu’elle correspond à la consécration
prophétique. Jérémie est appelé pour « bâtir et planter » (Jr 1, 10) et il ordonne aux Judéens en
exil de « bâtir et de planter » (Jr 29, 5). Le livre de Jérémie donne ainsi un critère interne qui

explication de l’expérience transcendantale surnaturelle et de son histoire. »


244
Cf. Jr 36.
75
nous paraît très important et significatif, critère qu’un livre beaucoup plus tardif comme le
Siracide cite comme étant tout à fait valide : « Les ennemis brûlèrent la ville sainte élue,
rendirent désertes ses rues, selon la parole de Jérémie. Car ils l’avaient maltraité, lui, consacré
prophète dès le sein de sa mère pour déraciner, détruire et ruiner, mais aussi pour construire
et pour planter. » (Si 49, 6-7) Nous avons ici un argument intéressant qui non seulement
légitime le critère interne que nous avions dégagé mais qui montre aussi comment certains
livres bibliques en canonisent d’autres. Nous aimerions donc maintenant plus largement
considérer comment la Bible elle-même a canonisé le livre de Jérémie et donc reconnu le
prophète comme un vrai prophète.

HOLLADAY considère qu’« à la fin du 6ème siècle, au moins dans les cercles
prophétiques, Jérémie était, de toute évidence, considéré comme un vrai prophète ; c’est
l’impression que donne la lecture de Za 1, 12245 qui contient un appel à la repentance proche
de celui de Jérémie. »246 On retrouve quelques allusions dans d’autres livres prophétiques247
mais c’est bien plutôt dans les livres des Chroniques, appartenant au canon des « ketouvim » -
une partie qui se constitue généralement, dit-on, après la clôture du canon des prophètes- que
l’on a la mention la plus explicite de la canonicité de Jérémie :

Puis Nabuchodonosor déporta à Babylone le reste échappé à l’épée ; ils durent le servir
ainsi que ses fils jusqu’à l’établissement du royaume perse, accomplissant ainsi ce que
Yahvé avait dit par la bouche de Jérémie : « Jusqu’à ce que le pays ait acquitté ses
sabbats, il chômera durant tous les jours de la désolation jusqu’à ce que soixante-dix
ans soient révolus. » Et la première année de Cyrus, roi de Perse, pour accomplir la
parole de Yahvé prononcée par Jérémie, Yahvé éveilla l’esprit de Cyrus…248
Le livre des Chroniques canonise donc la prophétie de Jr 29, 10 et souligne ainsi que
cette prophétie s’est réalisée et donc qu’elle était vraie : « accomplissant ainsi ce que Yahvé
avait dit par la bouche de Jérémie ». Cette première lettre de Jr 29 qui parvient difficilement,
par elle-même, de manière interne, à prouver sa véracité est ainsi canonisée par la suite de la
Bible elle-même, par des textes plus tardifs qui la jugent et l’authentifient. Dans ce passage, on

245
Za 1, 12 : « Alors l’ange de Yahvé prit la parole et dit : Yahvé Sabaot, jusques à quand tarderas-tu à prendre
en pitié Jérusalem et les villes de Juda auxquelles tu as fait sentir ta colère depuis soixante-dix ans ? » La mention
des « soixante-dix ans » nous renvoie directement à Jr 29, 10.
246
HOLLADAY, Jeremiah 2, op. cit., p. 81 : “by the end of the 6th century, at least in prophetic circles, Jrm was
evidently considered a true prophet: this is the impression one gains from Za 1:12 which cites an appeal to
repentance close to 25:5.”
247
Cf. idem : “Later OT literature continues to draw on Jrm’s phrases, sometimes in distinctive ways: thus in
Jonah 3:8-9 the king of Niniveh uses phrases for repentance reminiscent of Jrm’s.” / trad. : « La littérature plus
tardive de l’AT continue à reprendre des expressions de Jérémie, parfois de manières particulières : ainsi en Jonas
3, 8-9, le roi de Ninive utilise des expressions de repentance qui rappellent Jérémie. »
248
2Chr 36, 20-22a.
76
a une citation presque mot pour mot de la prophétie de Jr 29, 10, en particulier dans
l’expression : « ‫שׁב ְִע֥ים שָׁנָ ֽה‬
ִ ‫» ְלמ ַ֖לּ ֹאות‬. De plus, la décision de canonisation du second livre des
Chroniques est elle-même confirmée par un autre livre, celui d’Esdras, qui reprend le texte de
2Chr 36 : « Or la première année de Cyrus, roi de Perse, pour accomplir la parole de Yahvé
prononcée par Jérémie, Yahvé éveilla l’esprit de Cyrus… » On voit ainsi comment une parole
reconnue comme vraie, celle du prophète, est ensuite conservée, répétée, reprise dans le reste
de la Bible.

A d’autres endroits, le second livre des Chroniques renvoie au livre de Jérémie et atteste
ainsi que ce livre était connu, lu et reconnu par les hagiographes des deux livres historiques
composés à une époque plus tardive :

2Chr 29, 8-9 Jr 29, 18


La colère de Yahvé s’est appesantie sur Juda Je les poursuivrai par l’épée, la famine et la
et sur Jérusalem ; il en a fait un objet peste et je ferai d’eux une source de terreur
d’épouvante, de stupeur et de dérision, pour tous les royaumes de la terre, de
comme vous le voyez de vos propres yeux. malédiction et de consternation et de
Aussi nos pères sont-ils tombés sous l’épée, ricanement et de honte dans toutes les nations
nos fils, nos filles et nos femmes sont-ils où je les chasserai, au loin.
partis prisonniers.

‫ְהוּדה וִירוּשׁ ָ ָ֑לִם ַויּ ִתְּ ֵנ֤ם ִל ַז ֽו ֲע ֙ ָה‬


֖ ָ ‫ַוי ְ ִה ֙י ֶ ֣קצֶף י ְה ֔ ָוה עַל־י‬ ‫”ו ָ ְֽרדַ פְתִּ ֙י ֽאַח ֲֵרי ֶ֔הם בּ ֶ ַ֖ח ֶרב בּ ָָר ָ ֣עב וּב ָ ַ֑דּבֶר וּנְתַ תִּ֨ ים ִלזַ ֲו ָ֜עה‬
‫אַתּ֥ם ר ִ ֹ֖אים ְבּעֵינֵיכֶ ֽם׃‬ ֶ ‫ֲשׁר‬ ֛ ֶ ‫ְלשׁ ָ ַ֣מּה ְו ִלשׁ ְֵר ָ֔קה ַכּא‬ ַ ‫ְאָל֤ה וּ ְל‬
‫שׁמָּה֙ ְו ִלשׁ ְֵר ָ ֣קה וּ ְלח ְֶר ָ֔פּה‬ ָ ‫ל ְ֣כ ֹל ׀ ַמ ְמלְכ֣ וֹת ה ָ֗אָ ֶרץ ל‬
‫ְנוֹתינוּ ְונ ֵ ָ֛שׁינוּ ַבּשּׁ ִ ְ֖בי‬ ֧ ֵ ‫ֲבוֹתינוּ בּ ָ ֶ֑ח ֶרב וּ ָב ֵ֨נינוּ וּב‬
֖ ֵ ‫ְוהִנֵּ ֛ה נָפְל֥ וּ א‬ “‫ְבּכָל־הַגּוֹ ִי֖ם ֲאשֶׁר־הִדַּ ח ְִתּ֥ים ָשֽׁם׃‬
‫עַל־ז ֹֽאת׃‬

Nous avons ici choisi le TM pour montrer les similitudes de vocabulaire et les
thématiques communes entre le second livre des Chroniques et notre lettre, mais aussi avec Jr
25 dont notre lettre, comme nous l’avons vu, est très proche. Ces différentes considérations
intertextuelles concernant notre lettre –mais aussi tout le le livre de Jérémie- montrent
clairement comment la section des « ketouvim », plus tardive que celle des prophètes, a
canonisé le livre de Jérémie et reconnu les promesses de malheur et de retour après soixante-
dix comme de vraies prophéties pour la seule raison qu’elles se sont réalisées. Ces exemples
textuels nous invitent à aborder, dans un dernier temps, le problème du canon.

77
4. Canonisation et inspiration

Nous aimerions, dans ce dernier temps, revenir au premier temps de notre étude, à
l’étude critique du texte, pour tenter une synthèse théologique qui soit plus satisfaisante et pour
tenter de réorienter notre questionnement. La théologie catholique et avec elle nombre
d’exégètes –même non-catholiques- s’intéressent au contenu et à la forme de la prophétie ou à
la figure du prophète en tentant de reconstruire le contexte théologique, social et culturel de la
prophétie ou en essayant de retrouver la voix du prophète sous les accumulations de couches
rédactionnelles successives, insistant sur l’expérience personnelle de ce dernier, sur la
révélation directe, solitaire, surnaturelle d’un personnage parfois entrevu à travers un certain
filtre romantique.

Nous pouvons, avec profit, repartir de saint Thomas d’Aquin qui présente le prophète
comme celui qui, sans recevoir de révélation directe, est chargé de réorganiser des images qu’il
n’a pas reçues lui-même249. En effet, ce que l’Eglise tient pour inspiré est le texte biblique, fruit
de l’inspiration et de la mise par écrit. La constitution dogmatique Dei Verbum du second
Concile du Vatican, dans la continuité du Concile de Trente qui fixa définitivement le canon,
rappelle ainsi :

Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans
le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux
et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir,
et cela seulement.250
Dieu a non seulement inspiré les prophètes mais aussi les rédacteurs, deutéronomistes
et autres, dans la composition des livres. Le livre canonique n’est ainsi pas un livre incréé mais
un livre qui a petit à petit pris forme par l’intermédiaire d’hagiographes inspirés. C’est aux
rédacteurs prophétiques qu’« il revint de mettre en forme la parole de Dieu non seulement à
l’adresse de leur génération mais aussi de toutes les générations. »251

Ces rédacteurs, comme nous l’avons vu, disposaient d’un matériau authentique,
disposaient sans doute d’oracles de Jérémie, d’un matériau jérémien organisé, agencé
différemment dans le TM et la LXX. La spécificité de la LXX et du TM relève de ce travail
inspiré des rédacteurs devenus eux-mêmes, sous l’action de l’Esprit, des prophètes. Dominique

249
Cf. JANTHIAL, Dominique, «  Livre et révélation: le cas d’Isaïe  », NRT, 126/1, 2004, p. 18 : « Saint Thomas
y ménage une place éminente à ceux parmi les prophètes qui, sans recevoir eux-mêmes des images ou des oracles,
sont chargés d’agencer les images ou les oracles reçus par d’autres. Or, c’est bien dans cette catégorie que nous
retrouverions nos ‘rédacteurs prophétiques’ ! »
250
Dei Verbum, §11. La parole de Dieu ne peut se transmettre aux hommes qu’en devenant parole humaine.
251
JANTHIAL, Dominique, «  Livre et révélation: le cas d’Isaïe  », art. cit., p. 29.
78
JANTHIAL souligne ainsi que les rédacteurs, partant d’un matériau qu’ils considéraient déjà
comme parole de Dieu, devaient faire preuve tout à la fois de respect des contraintes et de
créativité. La créativité ne pouvait donc s’exercer « qu’à l’intérieur d’une tradition, laquelle
véhicule un certain nombre de textes qu’elle tient pour inspirés par Dieu. »252 Le scribe, le
rédacteur, appartient à une communauté croyante « avec laquelle il partage un catéchisme
commun »253 et va donc créer du neuf à l’intérieur de cette tradition. Dominique JANTHIAL
insiste sur la foi du rédacteur prophétique stimulé par l’idée selon laquelle « la totalité du sens
n’a pas été dévoilée lorsque la parole de Dieu a été révélée pour la première fois. »254 Cette foi
s’accompagne d’une expérience spirituelle profonde de ces rédacteurs qui, sans renier la figure
du prophète dont ils écrivent le livre canonique, témoignent aussi de leur propre expérience de
la prophétie, c’est-à-dire de leur propre expérience de la communication divine255. Les
apparentes contradictions qui peuvent apparaître dans un texte aussi court que celui qui est le
nôtre, contradictions et ambiguïtés que l’étude critique du texte vient révéler et souligner,
relèvent de ce processus de canonisation, de révélation prophétique continue et marquée dans
l’histoire. Cette intervention des rédacteurs prophétiques a cependant pris fin à un certain
moment, « pendant un long laps de temps, il est resté possible d’introduire dans le texte des
compléments qui, plus tard, auraient trouvé une place distincte hors du texte, dans les marges
ou les commentaires. »256 Cette longue élaboration du texte de Jérémie, dont Jr 29 témoigne
admirablement, nous permet d’entrevoir ce processus d’élaboration qui se clôt à un moment de
l’histoire –c’est la fin du processus de canonisation- pour ensuite prendre d’autres formes :
commentaires, … Le critère d’actualisation que nous avons étudié ci-dessus, qui permet de

252
Ibidem, p. 30.
253
Ibidem.
254
Cf. ibidem.
255
NISSINEN, Martti, “How Prophecy Became Literature”, Scandinavian Journal of the Old Testament, vol.
19:2, 2005, p. 157 : “The people involved in this literary enterprise were not prophets but scribes, who prolonged
the prophetic process of communication by reusing and interpreting older prophecies for the concerns of their
own community.” / trad. : « Les personnes impliquées dans cette entreprise littéraire n’étaient pas des prophètes
mais des scribes qui prolongèrent le processus prophétique de communication en réutilisant et en réinterprétant
d’anciennes prophéties au service des problèmes de leur propre communauté. » & p. 160 : “From the point of
view of the prophetic process of communication, one might ask whether the scribal interpretation of prophecy has
anything to do with prophecy centuries after the prophets themselves were dead and buried. Here we come to the
point where the Hebrew Bible differs from all other documents of prophecy. The scribes’ work was a literary
prolongation of the prophetic process. It was not a merely technical procedure of copying and reproducing texts
but it was understood as being inspired by God.” / trad. : « Du point de vue du processus prophétique de
communication, on pourrait se demander si l’interprétation, faite par les scribes, de la prophétie a quelque chose
à voir avec avec la prophétie des siècles après que les prophètes eux-mêmes sont morts et ont été enterrés. Nous
touchons là au point sur lequel la Bible hébraïque diffère de tous les autres documents prophétiques. Le travail
des scribes était une prolongation du processus prophétique. Ce n’était pas seulement un travail de copie et de
reproduction de textes mais un travail inspiré par Dieu. »
256
BOGAERT, Pierre-Maurice, « Le Livre de Jérémie en perspective : les deux rédactions antiques selon les
travaux en cours », art. cit., p. 404. On pense ici aux pesharim ou à certains targumim. Cf. aussi NISSINEN,
Martti, “How Prophecy Became Literature”, op.cit., p. 157.
79
juger de l’instabilité apparente des prophéties, et donc des éventuelles contradictions,
hésitations entre vrai et faux prophète, prend un tout autre visage : « c’est la nature même du
canon d’être adaptable et stable. »257

Le canon, comme tel, résout d’une certaine manière la question que nous nous sommes
posés tout au long de cette étude. Nous n’aurions plus à nous poser la question de savoir si
Jérémie est un vrai ou un faux prophète : le canon en a décidé258. Le critère de la vraie et de la
fausse prophétie, in fine, est, dans une perspective croyante, le canon qui est le terme d’un
processus d’élaboration et de rédaction qui témoigne d’une parole confiée à des hommes
institués comme prophètes par Dieu et reconnus comme tels par une communauté croyante. Le
livre de Jérémie est ainsi, comme tous les livres prophétiques, une mystérieuse synthèse entre
la parole reçue par un prophète historique et les ajouts, interprétations, réorganisations des
hagiographes successifs eux-mêmes institués comme prophètes, ce que l’on appelle parfois
« l’école » du prophète259. Ce n’est donc pas le travail de mise en forme des scribes et la
canonisation officielle d’un texte par une instance religieuse qui font de lui un texte sacré, une
Ecriture sainte, c’est le contraire : « la canonisation d’un livre n’a pas élevé un livre au rang
d’Ecriture sainte mais a reconnu que c’était déjà de l’Ecriture sainte »260 ou, pour le dire

257
SANDERS, James, “Hermeneutics in True and False Prophecy”, op. cit., p. 28 : “But it is the very nature of
‘canon’ to be adaptable as well as stable.”
258
Cf. EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 15 : “We are no
longer in the position of Jeremiah’s hearers, who have to decide whether he or Hananiah is the true prophet. The
canon has made that decision for us. (…) It puts an end to precisely such uncertainty.” / trad.: « Nous ne sommes
plus dans la position des auditeurs de Jérémie, qui doivent décider si c’est lui ou Hananya qui est le vrai prophète.
Le canon en a décidé pour nous. (…) Cela met fin précisément à une telle incertitude. »
259
Cf. IBANEZ ARANA, Andrés, “Los criterios de profecía”, art.cit., p. 247-248 : “HOSSFELD/MEYER
(Jeremia gegen die Propheten, Fribourg, O.B.O. 13, p. 162) se fijan en la intervención de la ‘escuela’ de los
profetas. Entre la posición de extraños a la comunidad en que se encontraban los profetas y su recepción en el
canon está como mediadora ‘su escuela’. Aunque ésta no puede ser descrita sino vagamente, hay que postular su
existencia: sin ella las palabras del profeta habrán sido relegadas al olvido. El trabajo de la escuela no tendería a
encapsular la profecía en círculos esotéricos sino a conseguir para ella el reconocimiento general. La escuela trató
de demostrar, con la ayuda de criterios, la legitimidad del maestro, …” / trad. : « HOSSEFELD/MEYER
s’attachent à l’intervention de l’‘école’ des prophètes. Entre la position extérieure à la communauté où se
trouvaient les prophètes et leur réception dans le canon, leur école joue un rôle de ‘médiation’. Bien qu’on ne
puisse la décrire que très vaguement, il faut postuler son existence : sans elle, les paroles du prophète auraient été
reléguées dans l’oubli. L’école voulait démontrer, à l’aide de critères, la légitimité du maître… »
260
GRIFFITH, William, The Principles of Theology, Wipf & Stock Publishers, 2005, p. 108 : “So that Canonicity
did not raise a book to the position of Scripture, but recognized that it was already Scripture.” Cette position
traditionnelle est actuellement très largement discutée parmi les exégètes. La « communauté canonique » croyante
serait bien celle qui rend les textes canoniques : il s’agirait d’imposer tel ou tel texte pour répondre à une situation
politique ou sociale particulière. La canonisation serait alors un instrument de pouvoir. Cf. BRENNEMAN, James,
Canons in Conflict: Negotiating Texts in True and False Prophecy, New York, Oxford University Press, 1997, p.
69-80 ; cf. BRUNS, Gerald, “ Canon and Power in the Hebrew Scriptures ”, Critical Inquiry, Vol. 10, No. 3 (Mar.,
1984), p. 462-480; cf. NISSINEN, Martti, “How Prophecy Became Literature”, op. cit., p. 164 : “The driving
force behind writing prophecies down was neither the need to write every prophecy down nor the desire for
historical knowledge, but it was motivated by a religiopolitical objective.” / trad. : « La raison derrière la mise par
écrit des prophéties n’était ni le besoin de mettre par écrit toutes les prophéties ni le désir de connaître l’histoire,
mais tout ce travail était motivé par un objectif religieux et politique. »
80
autrement, des écrits « sont jugés canoniques parce qu’ils sont reconnus comme inspirés,
l’inspiration précède et fonde le canon (…) le texte est lu comme inspiré, parce qu’il appartient
au canon. »261 Dire qu’un texte est inspiré revient à dire, en théologie, qu’il est nécessairement
vrai et frappé d’inerrance.

C’est donc une communauté croyante qui juge de la vraie et de la fausse prophétie : le
centre de gravité se déplace ainsi du cercle des auditeurs de Jérémie à un cercle plus large qui
regroupe des croyants sur plusieurs siècles qui reconnaissent dans ces textes, qu’ils complètent
et réorganisent, la Parole de Dieu et donc la vraie prophétie. Les éditeurs deutéronomistes, dont
nous avons pointé le « travail » dans cette étude de Jr 29, « savaient qui étaient les vrais et les
faux prophètes et établirent la tradition en sorte de donner des normes et des règles pour
discerner entre les deux. »262 Dans une étude plus longue, et qui dépasse largement l’étude de
Jr 29, il faudrait tenter d’identifier les critères qu’une communauté croyante utilise,
consciemment ou non, pour adopter certaines paroles prophétiques, certains textes
prophétiques, certaines histoires prophétiques comme autorisés et finalement comme
canoniques tout en en rejetant d’autres. Il ne s’agit donc pas de tenter de reconstituer les critères
supposés d’un groupe d’auditeurs du Jérémie historique ou de s’instituer, soi-même, comme
lecteur, juge de la vraie et de la fausse prophétie263. Il faut bien plutôt, dans une perspective
croyante et théologique, interpréter les textes au sein de cette même communauté264. La
polémique de Jérémie contre les prophètes en Babylonie qui « rêvent leurs rêves » et qui égarent
les Judéens doit être comprise dans le cadre de cette légitimation du prophète à l’intérieur d’une
communauté donnée, qui est celle d’Israël, contre des prétentions concurrentes265. Mais cette
histoire du texte canonique ne s’arrête pas à la communauté croyante antique, elle continue de

261
SESBOUË, Bernard, « La canonisation des Ecritures et la reconnaissance de leur inspiration. Une approche
historico-théologique », RSR, 2004/1, p. 14.
262
EPP-TIESSEN, Dan, Concerning the Prophets: True and False Prophecy..., op. cit., p. 25 : “The
Deuteronomistic editors ‘knew’ who the true and false prophets were and constructed the tradition in such a way
as to provide norms and guidelines for discerning between the two.” L’opinion de Daniel EPP-TIESSEN diffère
en cela radicalement de celle de LANGE.
263
Cf. BRENNEMAN, James, Canons in Conflict, op. cit., p. 29-51, chapter 2 : “Reader Response and Community
of Interpretation”. Les théories d’analyse critique du XXe s. comme le structuralisme en particulier, sont des
théories qui mettent en avant les structures du texte sans référence à un contexte extérieur.
264
Cf. ibidem, p. 105 : “It is within the canonical community that canonical hermeneutics of true and false
prophecy provide the forum for necessary critique and support.” / trad. : « C’est à l’intérieur de la communauté
canonique que l’herméneutique canonique de la vraie et de la fausse prophétie peut trouver la critique et le soutien
nécessaires. »
265
Cf. ibidem : “Even the great Old Testament polemics against the nations, foreigners, and other external to the
community serve primarily as rhetorical devices of legitimation for the prophet in making his case within ancient
Israel against competing views.” / trad. : « Même les grandes polémiques de l’Ancien Testament contre les nations,
les étrangers, et d’autres personnes extérieures à la communauté servent d’abord de moyens rhétoriques de
légitimation pour le prophète qui défend sa cause au sein de l’Israël ancien contre des vues concurrentes. »
81
fait dans les communautés croyantes qui le reconnaissent comme tel : « la particularité du texte
canonique, ce n’est sans doute donc pas le texte et son histoire mais la particularité des
communautés croyantes. »266 Le canon se définit ainsi dans des oppositions, des choix
d’interprétation d’une communauté : « il y un changement du centre d’intérêt, on passe de ce
que le texte signifie vers ce que le texte fait. »267 Ainsi, telle communauté d’interprétation
choisit tel prophète, Jérémie dans ce cas, contre tel prophète, Hananya, pour dire quelque chose
d’elle-même, de son expérience et de ses choix en opposition à telle ou telle autre communauté.
Elle effectue ainsi un acte de tradition propre à son approche théologique. Mais si la
communauté reconnaît un livre comme inspiré, il n’est pas certifié que cette prise de décision
elle-même soit inspirée, « l’attestation de l’inspiration n’est pas elle-même inspirée. »268
Chaque livre est comme autorisé par une communauté croyante canonique dont le rôle est par
conséquent très important : elle reconnaît un livre comme inspiré, elle l’autorise et elle clôt le
canon.

La question n’est peut-être donc pas tant de savoir si Jérémie est un vrai prophète car
si le livre remplace le prophète, le canon remplace parfois l’histoire269. En Jr 29270, ce n’est
donc pas tant le Jérémie historique qui parle, c’est sa lettre qui se trouve investie, d’un point de
vue littéraire, de qualités nouvelles. D’un point de vue littéraire et d’étude des genres, la lettre
de Jérémie acquiert un statut inédit : elle n’est plus simplement un texte chargé de transmettre
une information ou même une lettre ouverte, elle devient oracle d’avertissement,
soigneusement composé, et, in fine, œuvre canonique reconnue comme telle. Cette lettre,
canonique, peut donc encore aujourd’hui, dans une communauté juive ou chrétienne, être reçue
par des croyants qui la reconnaissent comme Parole de Dieu. Cette lettre en forme
d’interpellation et d’avertissement peut ainsi résonner très fortement dans l’oreille d’un Juif en
Diaspora, à New York ou en Afrique du Sud, ou encore d’un chrétien habitant un pays
fortement sécularisé. La demande de Jérémie de vivre en exil, physique et/ou spirituel, et de
contribuer au bien de la société dans laquelle le croyant vit a encore du sens aujourd’hui. La

266
Cf. ibidem, p. 46 : “(…) what is truly peculiar to the Bible’s history is not so much the product accounting for
that history as it is the peculiarity of its believing communities.”
267
Ibidem, p. 137 : “a shift in focus from what a text means to what it does.”
268
SESBOUË, Bernard, « La canonisation des Ecritures et la reconnaissance de leur inspiration », art. cit. p. 24.
269
Cf. SANDERS, James, Canon and Community: A Guide to Canonical Criticism, Augsburg Fortress Pub., 1984,
p. 32 : “History and canon are not coextensive terms. Something may be canonically true without having been
historically true. Or vice-versa.” / trad. : « L’histoire et le canon ne sont pas des termes coextensifs. Quelque chose
peut être vrai canoniquement parlant sans avoir été historiquement vrai. Et vice-versa. »
270
C’est Jr 36 qui est le modèle par excellence de ce remplacement du prophète par son livre. Le prophète ne parle
plus, c’est le rouleau, relayé par Baruch dans la posture de l’hagiographe, qui fait autorité. La destruction de ce
rouleau et sa « ré-édition » complétée et augmentée traduit admirablement le processus de canonisation à l’œuvre.
82
promesse de restauration prend des allures historiques ou messianiques qui continuent de
résonner encore aujourd’hui. La vie de la communauté croyante et le canon se répondent d’une
manière complexe mais fondamentale : la communauté croyante, obéissant aux demandes du
prophète Jérémie considérées comme parole canonique, et mettant en pratique ce
commandement, authentifie, par son comportement éthique et moral, la vérité du canon qu’elle
reconnaît comme tel271.

Le canon permet ainsi de déplacer notre question initiale qui se trouve soudainement
mal posée ou un peu hors de propos. Il nous semble que cette question n’a de sens réel que si
on l’aborde hors d’une perspective croyante et que l’on considère le texte biblique comme un
objet historique, un texte parmi d’autres en faisant abstraction du phénomène de la Révélation,
de la foi et de la réception par une communauté croyante perdurant jusqu’à ce jour. La question
dépend, en bonne épistémologie, de l’objet formel que l’on se donne : un texte témoin d’une
réalité culturelle ou religieuse ou la présence de la Révélation divine à l’intérieure de l’Histoire
humaine. La question du canon, que nous aurions aimé développer plus avant, permet de
remettre en perspective l’expérience collective et communautaire qui a présidé, depuis les
paroles reçues par Jérémie, à l’élaboration du texte par une communauté croyante où certains
se sont trouvés investis de la fonction prophétique.

271
Cf. BRENNEMAN, James, Canons in Conflict, op. cit., p. 76 : “How a community lives under the influence
of its canon may be the key to any acceptance of what its canon proclaims as true.” / trad. : « la manière dont une
communauté vit sous l’influence de son canon peut être la clé pour accepter ce que son canon proclame comme
vrai. » & cf. Gerald T. SHEPPARD, “True and False Prophecy within Scripture”, Canon, Theology, and Old
Testament Interpretation (Essays in honor of Brevard S. CHILDS), ed. Gene TUCKER & alii, Philadelphia,
Fortress Press, 1988, p. 267: “The criteria for evaluating an instance of ‘prophecy’ make sense only within the
domain of a socially defined support group and its marginal sympathizers, with their own recognized ‘true’
prophets and idiosyncratic role expectations.” / trad. : « Les critères pour évaluer une instance prophétique n’ont
de sens qu’à l’intérieur d’un groupe social porteur défini et de ses partisans qui sont aux marges, avec leurs propres
prophètes reconnus comme tels et leurs attentes de rôles idiosyncratiques. »

83
Conclusion
Au terme de cette étude de Jr 29, 1-20 (LXX 36, 1-15), il apparaît assez clairement que
la compréhension de la prophétie ne saurait en aucun cas être séparée du processus
rédactionnel. Il existe bien deux livres de Jérémie comme le révèle la courte étude de cette
lettre. Ces deux livres de Jérémie ont des projets herméneutiques différents fruits de théologies
et de traditions variées. La lettre du TM, plus clairement de facture deutéronomiste, procède de
façon binaire en opposant ceux qui écoutent la Parole de Dieu et ceux qui la refusent, ceux qui
obéissent à Jérémie le vrai prophète et ceux qui suivent les voies des faux prophètes : cette
écoute de la Parole de Dieu transmise par le prophète est ainsi au cœur de son unité structurelle.
Le texte de la LXX, quant à lui, donne une autre image de la parole prophétique et insiste sur
les promesses en Babylonie et les promesses de restauration. Le phénomène prophétique doit
donc être avant tout considéré dans la réalité du processus rédactionnel qui l’informe et lui
donne sa réalité scripturaire. Ces deux textes, canoniques, témoignent de traditions différentes
et du travail d’hagiographes qui vécurent leur relation à la Parole de Dieu dans des contextes
historiques et religieux différents.

Le genre épistolaire, tel qu’il est illustré dans le passage étudié, joue un rôle tout à fait
spécifique et particulier. La lettre n’est pas utilisée, premièrement, pour transmettre une
information, elle a avant tout un rôle théologique. Elle sert à avertir, à éduquer non seulement
ses destinataires premiers (exilés ou habitants de Jérusalem) mais aussi les lecteurs postérieurs.
Elle participe en outre d’un processus de mise par écrit de la Parole : le prophète reçoit une
parole de Dieu qu’il fixe par écrit. La Révélation orale et historique se fait Ecriture et inscrit
cette Parole dans une tradition littéraire et religieuse plus large. Le genre épistolaire, dans ce
court passage, est redéfini théologiquement : le genre littéraire se fait Ecriture.

Devenue Ecriture, cette lettre peut ainsi dessiner, théologiquement, les traits de la vraie
et de la fausse prophétie et donner des critères de discernement. Au cours de cette étude, nous
avons plusieurs fois parlé du critère d’actualisation, dans des acceptions différentes, sur
lesquelles nous aimerions revenir pour tenter de les unifier. De l’étude de la lettre, il ressort
tout d’abord que le faux prophète est un « traditionnaliste » qui répète des prophéties anciennes
sans les actualiser, sans prendre en compte les circonstances historiques, sociales et
économiques. D’un point de vue théologique, cette actualisation participe de l’expérience
mystérieuse où Dieu se communique au prophète, imprime en lui une connaissance non
seulement des événements à venir mais aussi des réalités sacrées. Jérémie, bénéficiant ainsi

84
d’une « lumière prophétique » est, quant à lui, à même de saisir la volonté de Dieu à travers les
images de la réalité qui lui sont données et de délivrer un message ad hoc, un message qui
tienne compte des signes des temps. Cette actualisation permanente, articulée avec les modes
de connaissance divine du futur, pourrait expliquer les apparentes contradictions qui, d’un point
de vue exégétique, sont aussi le fruit des différentes couches rédactionnelles. Notre étude a
permis de montrer que ces deux acceptions de l’actualisation ne permettaient pas de donner
une réponse suffisante à la question de la vraie et de la fausse prophétie. D’une part, la seule
analyse du contenu ou de la forme de la prophétie ne permet pas de constituer un critère
définitif : les revirements, les contradictions et la multiplicité des oracles rendent ce critère
externe trop instable et incertain. D’autre part, la considération de l’expérience du prophète,
séparée du processus rédactionnel, même envisagée dans une perspective croyante, ne permet
pas de juger efficacement de la véracité de la prophétie : comment prouver que le prophète
Hananya n’avait pas une « vision prophétique actualisée » par Dieu, n’était pas envoyé ?

Ces deux acceptions de l’actualisation doivent donc être articulées à une troisième qui
est l’actualisation permanente du texte prophétique dans le canon. La canonicité honore le
processus rédactionnel et l’expérience prophétique : une communauté croyante reconnaît dans
un texte –le livre de Jérémie en l’occurrence- une parole venant de Dieu. La canonicité est cette
reconnaissance, par un groupe, de la véracité d’une parole prophétique. La parole prophétique
est vraie car elle est canonique ou plus exactement, parce que cette parole est reconnue comme
vraie, elle est canonisée. L’actualisation prend ainsi une autre dimension, une dimension
« externe ». Il ne s’agit plus de savoir si la parole de Jérémie, dans la lettre, est actualisée ou
pas, si le prophète, en prédisant la chute de Jérusalem, en promettant le bonheur en exil et la
restauration en terre promise, a raison, est vrai. Il s’agit de savoir comment cet avertissement
de Jérémie, cette invitation à écouter Dieu, à suivre ses commandements, s’actualise dans une
communauté croyante passée mais aussi une communauté hic et nunc. L’actualisation est un
aujourd’hui de l’écoute par une communauté croyante. Les scribes deutéronomistes étaient des
hommes de foi qui ont consigné l’Ecriture pour que le peuple juif se mettre à l’écoute de cette
parole qui leur était donnée. La lettre de Jérémie, remaniée, composée, a été actualisée par les
hagiographes pour devenir parole susceptible de s’actualiser à leur époque mais aussi aux
époques suivantes. Cette lettre, qui est un écrit, un genre écrit, devient ainsi parole donnée.
Dans une lecture croyante, il n’est plus vraiment question de vraie et de fausse prophétie, le
canon a comme réglé la question -il n’en reste pas moins que l’étude précise du texte permet
une meilleure intelligence de cette parole.

85
Le critère d’actualisation, complexe et multiforme, opérant à différents niveaux, permet
de mieux saisir la richesse de la réalité prophétique. Il existe bien évidemment d’autres critères
mais, dans le cadre de cette lettre, il ressort qu’il permet de mieux comprendre comment cette
lettre, qui témoigne de conflits prophétiques, les dépasse pour porter l’attention vers une autre
dimension : celle d’une Ecriture qui, dans son processus de révélation et de canonisation, se
fait parole actuelle.

86
ANNEXES

ANNEXE A : structure de Daniel EPP-TIESSEN pour le TM

EPP-TIESSEN, Daniel, Concerning the Prophets: True and False Prophecy in Jeremiah
23:9-29:32, Eugene, OR, Pickwick, 2012, p. 44.

87
ANNEXE B : tableaux de Rainer ALBERTZ

Tableaux tirés de ALBERTZ, Rainer, Israel in Exile: The History and Literature of the Sixth
Century B.C.E. Traduit par David GREEN. Studies in Biblical Literature 3, Atlanta, Society
of Biblical Literature, 2003.

p. 321:

p. 333:

88
ANNEXE C : proposition de traduction de Jr 29, 1-20 (TM BHS)

1. Et voici les paroles de la lettre qu’envoya Jérémie le prophète, de Jérusalem, au reste


des anciens de la déportation et aux prêtres et aux prophètes et à tout le peuple
qu’emmena en déportation Nabuchodonosor, de Jérusalem à Babylone.
2. C’était après le départ de Jéconia le roi et de la reine et des eunuques, des princes de
Juda et de Jérusalem, des armuriers et des soldats du génie1 de Jérusalem.
3. Elle fut dans les mains d’Eleasa, fils de Shaphan, et de Guemaria, fils de Hilkiyah
qu’avait envoyés Sédécias roi de Juda à Babylone auprès de Nabuchodonosor roi de
Babylone et elle disait : Pause
4. « Ainsi parle YHWH Sabaot, le Dieu d’Israël, à tous les déportés que j’ai emmenés en
déportation de Jérusalem à Babylone :
5. Construisez des maisons et installez-vous et plantez des jardins et mangez-en les fruits !
6. Prenez des femmes et donnez naissance à des fils et à des filles et donnez à vos fils des
femmes et, vos filles, donnez-les à des hommes et qu’elles donnent naissance à des fils
et à des filles et multipliez-vous là-bas et ne diminuez pas !
7. Et recherchez la prospérité de la ville où je vous ai emmenés, là-bas, en déportation, et
priez pour elle YHWH car c’est dans sa prospérité que vous sera votre prospérité.
8. Car, ainsi parle YHWH Sabaot, le Dieu d’Israël : Ne vous laissez égarer ni par vos
prophètes qui sont parmi vous, ni par vos devins et ne prêtez pas attention aux rêves
que vous rêvez !
9. Car, c’est dans le mensonge qu’ils prophétisent, pour vous, en mon nom : je ne les ai
pas envoyés déclare YHWH.
10. Car ainsi parle YHWH : seulement quand seront accomplies, à Babylone, soixante-dix
années, je vous visiterai et je réaliserai pour vous ma parole de bénédiction : vous faire
revenir en ce lieu-ci.
11. Car, moi, je connais les projets que, moi, je projette pour vous, déclare YHWH, des
projets de prospérité et non de malheur afin de vous donner un avenir et une espérance.
12. Et vous m’appellerez et vous vous en irez ; vous me prierez et je vous écouterai.
13. Vous me chercherez et vous trouverez car vous me rechercherez de tout votre cœur.
14. Je me laisserai trouver par vous déclare YHWH et je rapporterai vos biens et je vous
rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai chassés, au loin,
déclare YHWH, et je vous ferai revenir vers le lieu d’où je vous ai emmenés en
déportation.

1
Cf. note 78.
89
15. Mais vous dites : YHWH a suscité pour nous des prophètes à Babylone ! Pause.
16. Ainsi parle YHWH au roi installé sur le trône de David et à tout le peuple installé dans
cette ville, vos frères qui ne sont pas partis avec vous en déportation.
17. Ainsi parle YHWH Sabaot : Voici que j’envoie contre eux l’épée, la famine et la peste,
et je les rendrai semblables à des figues pourries qui ne peuvent être mangées car elles
sont de mauvaise qualité.
18. Je les poursuivrai par l’épée, la famine et la peste et je ferai d’eux une source de terreur
pour tous les royaumes de la terre, de malédiction et de consternation et de ricanement
et de honte dans toutes les nations où je les chasserai, au loin.
19. Parce qu’ils n’ont pas écouté mes paroles, déclare YHWH, alors que je leur2 ai envoyé,
encore et encore, mes serviteurs les prophètes et vous n’avez pas écouté déclare
YHWH.
20. Et vous, écoutez la parole de YHWH, vous, tous les déportés que j’ai renvoyés de
Jérusalem à Babylone ! »

2
Var. « je vous ai envoyé (…) et ils n’ont pas écouté déclare YHWH. » (cf. BHS apparatus : a nonn Mss ‫|| —יכֶם‬
b
GOLS 3 pl).

90
ANNEXE D : proposition de traduction de Jr 36, 1-15 (LXX)

1. Et voici les paroles du livre qu’envoya Jérémie, de Jérusalem, aux anciens de la


déportation et aux prêtres et aux faux-prophètes, une lettre à Babylone, à la déportation,
et à tout le peuple
2. après le départ de Jéconia le roi et de la reine et des eunuques et de tous les hommes
libres et prisonniers et artisans de Jérusalem,
3. dans la main d’Eleasa fils de Shaphan et de Guemaria fils de Hilkiyah, qu’avait envoyés
Sédécias roi de Juda chez le roi de Babylone, à Babylone, disant :
4. Ainsi parla le Seigneur Dieu d’Israël à la déportation que j’ai déportée de Jérusalem.
5. « Bâtissez des maisons et habitez-y et plantez des jardins et mangez de leurs fruits.
6. Prenez des femmes et enfantez des fils et des filles et prenez pour vos fils des femmes
et donnez vos filles à des hommes et multipliez-vous et ne diminuez pas.
7. Et cherchez la paix du pays où je vous ai dépotés, là-bas, et priez pour eux le Seigneur
car dans la paix de ce pays sera votre paix. »
8. Car ainsi parla le Seigneur : « Qu’ils ne vous influencent pas les faux-prophètes qui
sont parmi vous, et qu’ils ne vous influencent pas vos devins : n’écoutez-pas vos rêves
que vous rêvez,
9. car, eux, c’est l’injustice qu’ils vous prophétisent en mon nom, et je ne les ai pas
envoyés. »
10. Car ainsi parla le Seigneur : « Quand seront sur le pont de s’achever soixante-dix ans à
Babylone, je vous visiterai et je réaliserai mes paroles prononcées sur vous : je
ramènerai votre peuple vers ce lieu ;
11. et j’aurai pour vous un projet de paix et non de malheur pour vous donner ceci.
12. Et priez-moi, et je vous écouterai ;
13. Et recherchez-moi, et vous me trouverez, car vous me chercherez de tout votre cœur,
14. et je vous apparaîtrai. »
15. Quand vous avez dit : « Le Seigneur a établi des prophètes pour nous à Babylone. »

91
Bibliographie

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Textes du magistère:

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Verbum Domini, exhortation apostolique post-synodale, 2010.

97
Table des matières

INTRODUCTION .............................................................................................................................................. 1
I- QUELQUES ELEMENTS DE CRITIQUE SUR LE LIVRE DE JEREMIE ............................................... 3
1. LES DEUX FORMES DU LIVRE DE JEREMIE (LXX & TM) .......................................................................................... 3
2. ELEMENTS DE CRITIQUE HISTORIQUE ......................................................................................................................... 5
3. DIFFÉRENCES TEXTUELLES ........................................................................................................................................... 9
4. LA LETTRE AUX EXILÉS (C. 29) AU CŒUR DU LIVRE DE JÉRÉMIE : COTEXTE ET STRUCTURE ........................ 12
5. LA LETTRE OU LES LETTRES DU CHAPITRE 29 (LXX 36) ? ................................................................................. 17
6. CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ........................................................................................................................................ 19
II- ETUDE DE LA PREMIERE LETTRE DE JEREMIE AUX EXILES .................................................... 21
II-1 : ETUDE DU TEXTE MASSORETIQUE : JR 29, 1-20 ............................................................................................. 21
A - 1-3 : la lettre à ceux qui sont exilés de Jérusalem, à Babylone : suscription ................................ 22
B - 4-7: construire, bâtir, planter ........................................................................................................................... 26
C - 8-9: les faux-prophètes rêveurs ........................................................................................................................ 31
D - 10 : promesse de restauration après soixante-dix ans .......................................................................... 34
X: 11-14a : partir à la recherche de Dieu ........................................................................................................... 37
D’ - 14b : promesse de retour d’Exil ...................................................................................................................... 39
C’ - 15: « Dieu nous a donnés des prophètes! » ................................................................................................. 41
B’ - 16 - 19: destruction et malédiction ............................................................................................................... 43
A’ - 20 : appel à l’écoute ............................................................................................................................................. 47
II-2 ETUDE DU TEXTE DE LA LXX : JR 36, 1-15 ........................................................................................................ 48
1-3 : la suscription de la lettre ................................................................................................................................ 49
A – 4-7 : la promesse de la fondation de la nouvelle terre promise ........................................................ 50
X – 8-9 : mise en garde contre les faux-prophètes .......................................................................................... 52
A’ – 10-14 : la promesse de retour en Terre promise ? ................................................................................. 54
15 : transition et nouvel oracle ............................................................................................................................... 55
COMPARAISON ENTRE LE TM & LA LXX : THEOLOGIES, CONCEPTIONS ET PRATIQUES DE LA PROPHETIE .... 56
CONCLUSION DE L’ETUDE LITTERAIRE ......................................................................................................................... 59
III- VRAIE ET FAUSSE PROPHETIE : ENTRE EXEGESE ET THEOLOGIE ....................................... 61
1. LES CRITERES DE LA VRAIE PROPHETIE : ENTRE EXEGESE ET THEOLOGIE ....................................................... 62
2. APPROCHE THEOLOGIQUE DE LA PROPHETIE SELON SAINT THOMAS ................................................................ 68
3. LEGITIMATION INTRA-BIBLIQUE ............................................................................................................................... 75
4. CANONISATION ET INSPIRATION ............................................................................................................................... 78
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 84
ANNEXES ........................................................................................................................................................ 87
ANNEXE A : STRUCTURE DE DANIEL EPP-TIESSEN POUR LE TM ..................................................................... 87
ANNEXE B : TABLEAUX DE RAINER ALBERTZ ....................................................................................................... 88
ANNEXE C : PROPOSITION DE TRADUCTION DE JR 29, 1-20 (TM BHS) ............................................................ 89
ANNEXE D : PROPOSITION DE TRADUCTION DE JR 36, 1-15 (LXX) ................................................................... 91
BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................................... 92
TABLE DES MATIERES ............................................................................................................................... 98

98

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