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FRUTAZ
--
LES ORIGINES
DE LA
LANGlJE FRANCAISE
DANS LA VALLÉE D'AOSTE
A OSTE
IMPRIM�;RJE JOSEPH l\IAR(fUERETTAZ
191:-l
F.-G. FRU'T'AZ
LES ORIGINES
DE LA
IjANGlJE FRANCAISE
DANS LA VALLÉE D' AOS11E
AOSTE
IMPRJM!;;RIE .JOSRPH MARGU!;;RETTAZ
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'
cinquan te ans à fouiller nos a rchi ves, qui a laissé plus de vi ngt
vo l um es t o u s m a n us cri ts , po urra it nous répéte1· à cette heure le
de les séparer - Les Comtes ile Snrnie " portiers des AlÎ1fls " -:-
Les Audiences Générales - Ln viabilité et les communications
au moy11n fige.
Hii1·11ig, Zeuss, Ebel, etc. en Allemagne, ont fixè à peu p1·ès définiti
vement les origines de la langue française. L'application de la phoné
lcu1·s reche1·ches, mais nous devons les faire précedet• d'un aperçu
sur les vicissitudes politiques de la Vallée d'Aoste depuis la domi -
nation romaine jusqu' à l'avènement de la Maison de Sa\•oie.
Notre Vallee a été pour les Romai ns et les barbat•es un
pays de passages fréquents. L'l tiné raire d·Antonin et la Table de
Peutinger nous ont conse1·vé des indications et un tracé fort pri
mitif sur les gt·andes voies de communication et leurs relais. De
Plaisan�e, deux grandes routes consulaires conduisai ent dans la
Gaule transalpine. L'une a llait à Turin, Suse et tra ve1·sait les Al
pes Cottiennes. L'autre passait pa r Vercei l , Clavaxium (Ch i vasso) ,
Epoi·edia, Augusta P1·œtoria, Amebi·igiurn (Pré-Sai nt-Did ier?),
Ariolica (La-Thuile ou Pont-Serran) , in Alpe Gi·aia (Petit-Saint
Bernard), Axima ( Ai m e) Damntasia (Moùtiers ?) , etc. Un autre
,
roi de France Louis VH, ses domaines n'étaient qu'un grand fief.
Ils deviennent depuis lo rs u n état et, ce qui est i nté ressant pou r
nous, cet état prend p l u s ta1·d u n e div ision ethnographique com
pre nant les cinq pat1·ies de Savoie, de Vaud, d'Aoste, de Pié mont
et de Nice. De là la nécessité d'entretenir les routes et de proté
ger les hospices des Alpes.
En 1422, l'empereur Sigis mond, intéressé à ménager le por
tier des Al pes, comme on appelait le comte de Sa voie, inféoda
le Genevois à Amédée VIII, et, en 1518, François I fit adresser
au duc Charles Ill ce sa nglant reproche : « Jfauvais p01·tie1· qui
a laschè ses clefs aux mains des Suisses ! » Le prince se re
dressa sous l' injure et fit celte fière réponse au héra ut d'armes
qui lui si gnifia i t la ruptu re: « Mon amy, dis à ton maistre que
s'il luy plait p1·end1·e mes païs, je me trouveray à l'ent'l'·ée et
qu'avec l'ayde de Dieu et de ce1·tains amys que j'ay j'espè1·e les
garde1·. »1 Plus de qua rante fois, nos comtes et nos ducs, escortés
par la fleur de la noblesse sav oisienne, sont venus, pa r le Petit
Saiut-Bernard, tenir à Aoste les A udiences Génér11les. Notons ce
fait i mportant que les comtes de Sa voie, pour se rend1·e a ux
Grands Jours d'Aoste, devaient enti·er dans notre vallée par la
route d u Petit-St-Berna rd, s'ils voulaient èb·e reçus avec les
honneurs dûs à leu1· mng. S'ils y pénétraient du côté du Pie
mont, les autorités locales n'etaient pas ten ues à les 1·ecevoil' avec
ce céremonial. A Aoste, le premier acte que le prince dev ait faire,
a vant de se 1·end1·e chez lui, etait d'aller prêter ser ment sur l'au
tel de la Cathédrale, de respecte1• les franchises, les libertes e t les
pi·i vilèges du pays. La Va llée d'Aoste 1·eco1rnaissait a lors dans la
Savoie son centre politique, adminisll'atif et j udiciaire. Aussi, nos
dée VIII s'en tfraient si bien que l'un d'eux n'était plus connu
que sous le nom significatif de Tranche-Montagpe. C'était au
1 Parmi les travaux les plus sérieux sur les colonies allemamles eu
Italie, nous avons ceux d'Albert Schott, de H. l:lrcsslautl, tic P:rnl Kiml,
de Charles et François Cipolla et d'Arthur Galanti.
Il.
2
18
rai re qui, chaque siècle, s'a l térait dans les mots, les constructions
et les règles grammaticales, avec un mélange bizarre d'expressions
populaires. Ducange l'a collectionné en gr·ande pa rtie dans son
Glossaire monumen tal . On s'en servait dans les actes publics, mais
la flex ion ·e t l a grammaire étaien t étrangement mutilées. Des frag
ments de cha1·tes du xu· siècle que nous avons retrouvés dans
nos archives sont écrits en u n lati n barba re qui n'a plus conservé
que deux cas. N o tons q ue les caractères, les abréviations et les
s igles de notre paléographie sont ceux. des anciens Etats de Sav oie
et de l a Suisse Romande.
Ce fut non pas ce bas latin du clergé, des scribes et des
tabe l lions, mais ce fu t le latin du peuple q u i donna naissance a u
1·oman, p1·emiè1'e forme du fmnçais mode1·ne. Cette thèse a été
développée dans la G1 ·amm ai re des langues romanes, de F. Diez
(traduction de Gaston Pâris et Morel-Fatio), dans celle de Meyer
Lubke (tra duction de Habiet et Doutrepont), dans les Grammaù·es
1 Revue savoisienne, 1 11 1 U e t 1 9 1 1 .
Schizzi franco-p rovenzali - V. Dictionnaire Savoyard, p . XVII.
22
bou rguignons dans l e u r ensembl e, nous voyons déjà l' i n fil trati o n
de nos dialectes, une observa tion parfa i tement exacte, qui a été
reprod uite par Mgr. Duc dans son Histoù·e de l'Eglise d'Aoste : 1
verrait se relever tout d' un bloc et pour la quatrième fois l' ancien
royaume de Bourgogne.
1 1 l.
la nt, les V a l l a ise, les N us, les d'A v ise, q u i frèq uentaient la Com·
de Savoie, q u e nous voyons so u v e n t dans l ' a r mée, la magistrature
1 ! , ::l75.
25
comm e le comte René, p lusi eurs langues, mais leu r correspo ndanc e
é tai t toujours en fra nçais qu' i ls éc1·ivaient pa l'fait ement. Galéas
Visconti lui-mê me, en 1:173, éc rivai t de Pavie en f rançais au
Com te Ver t. 1 Avan t le XIII" sièc le, la la ngue usuel l e dans l es clas
s es cu ltivées devai t ê tre l e ro man, avant que les troubadours et
l es trouvères eussen t c hanté en ce fra nçais qu e popular isè ren t
da ns nos c hàteaux les romans d e c h evaler ie et l es c hansons de
ges tes, av ec l es souv eni rs d es C1·oisades. No tons que l es Assises
de Jél'usaleni son t déjà réd igées en un français pri miti f, l equ el
deva it être connu d e Godefroy d e Bouil lon et probab lement de
sa int Ans elme, a mi de sa fami l l e.
La Loir e, ou mieux une lign e qui v i endrai t de la Roc hel le
à G1·cn o b l e et à Sai u t Jean d e M auri enn e , pou r1·ai t, vers le x··
siècle, servil' d e dé ma1·cation e ntre l e roman welcho, ou wallon
et le roman prnvençal ou limousin. Par te1·ri toir e. la Va llé e
d'Aost e appar tiend ra it à l a langue d'oll o u d'ouï et à u u e d e ses
quatre for mes, c 'est-à-dire a u d ial ect e bourguignon qu i fut l ente
m en t absorbé et supp lan té par le fi ·ancien d e !' Il e de France
qua nd, à par tir du X J 1 • sièc le, l es g ran ds ro is Capé ti ens él evèr ent
la puissance roya l e a u -d essus d es pouvoi1·s féod aux et quand, dans
une s phè re p lus modes te, nos co m tes de Savoie, avec A mé V, co m
mencè ren t à organis er l eur p et i t état des Alpes. Mais no tr e vallée a
charmer les loisirs des Visconti et des Sforza. Parmi les trouba
dours i taliens, qui chantaient en provençal au xrn· siècle et par
couraient la haute Ital ie, nous rappellerons Nicoletto de Turin et
Cal v i de Gênes. 1 Les troubadours d'Aix et de Toulouse visitaient
la Lomba rdie et le Pié mont et rentraien! souvent en France par
les vallées d'Aoste et de Suse. Ar naud de Marveil et le fameux
Bertrand de Born ont certainement visité nos contrées où nous
retrouvons encore des fragments de l eurs poésies au xv· siècle.
Pa rmi les trouvères, nous savons que le vagabond Rutebeuf a
traversé le Grand-Saint-Bernard en revenant du Canavais.2 Il y a
environ trente ans, nous avons pu encore relever d'un graffite,
sur un des m u rs du chàteau de Quart, le quatrain suivant :
a ussi exercé une grande i nfluence pou r la cul ture l ittérai re et ar·tis
tique dans la Vallée d'Aoste au X I V• et au XV e siècl e. P é n J trons
hasard :
Pw souffrir
· va on au besoingn
trouvons en t1·e autres une Vie de Sainct J.egieJ '.1 Dans les biblio
thèques de Fènis et d' Issogn e, nous voyons figurer u n e Vie de
1 I l s ' a gi t probable ment d ' u ne chron ique des fai ts d ' armes en Syrie
contre S al a d i n , dans lesquels s'est i l l ustré le marquis G u i l la u m e I V de
Mon t ferrat, surnommé Longaspada, mort en 1 1 83.
2 A rchives du chàteau d e Chàti l lon, vol. 4, n. i .
31
IV.
3
cl ' A r meC)' et p r i t ses gr·ades a ux u n i v e rsi tés de Louv a i n et de
croyable que vous dési reriez a vo i r u n a utre p rédica teu r pou r ces
poste et les récl ames d ' hùtels. li faud rai t un voca b u l a i 1·e qui en
fixe de nouv ea u l' orthog1·a phe primiti ve et exacte, car si ces a ltè
l V. r' R I TZ Ct-I A HLtlZ : Les subriq ni>fs de CQ l//, 1/1 / 1. / / tl,� dans la Su i.�se '/'0·
lice mons Lhoiti, pe1 · ai ·1 ·estmn seu c1·istam dicti montis usq ue
V.
les archi ves des Co m mi s est l ' édit d ' E m manuel-Ph i l ib e r t au sujet
des j u ges ecclésiastiq ues, du 22 décembre ·I 072, mais nous avons
de nouveau en fra nçais l'édit do la D u chesse d e Savoie, Marguer i te
son D uché, e n 1 5tl7 et 1 578, a bolissaient l ' usage d u l a tin dans les
actes p u b l i cs, à cause des abus et des procès qui en déri v aien t.
Le président F a v re, une gloire d u S é n a t de Savoie, signa l a i t ces
i ncon vénients dont p ro fi ta i e n t les leguli ( pro.cureurs de m u ra i l les
du code valdùta i n , ètaient tous en fra nçais, comme a ussi les dècrets
d' E m m a n uel- P h i li bert i nsé1·és dans le procès- verbal.1 La fo1· m e
claire et prècise de not1·e Coûtwniet· nous dénote dans les mem
parfai te et l h abi tude de la l a ngue fra nça ise et des for m u les j u r i
d'a ul tre, e t aya n t l e peu ple e t sujects dudict pais a ver ti e t accous
tumè de pa1·ler ladicte l a n gue pl us aise m e n t que tou tte a u l tre, au
rions entendu que, non obsta n t nos dicts sta t u ts et ordonnances,
aulcuns désobéissa n ts usent en leurs pi·océdures, ta n t de justice
quelle qu'elle soit, ait à user, tant ès procèdu res et actes de j us
tice que a tous conlracts, instruments, enquestes et aul tres sem
blables, daul tre langue que française, a pei ne de nullité desdicts
con t1·acts et procedu res et de cent livres damende. »
Jlèmorial du i9 decernb1·e 137 2. - A u dernier paragraphe,
nous lisons : « Finalement q u' il plaise à Sa dicte A ltesse ordon
n e r et permettre que tous escrits et procedu res qui se feront au
dict pais, tant en jugement que dehors, seront esc1·its et couchés
en latin, comme souloint estre auparavant et de toutte antiqui tté,
et ce pou r eviter p rolixité et confusion de langage mesme que le
la ngage patoys dudit pais n 'est entendu par les dits ill ustres se
n a ts, mesme cel l uy de piémont par devant lequel ressortent la
plus part des causes pa i· appel, lequel n'en tend souv antes fois le
dit langage, et par ce les pa 1·ties se treuvent frustrées <le leurs
droits, aussi que l e latin est universellement entendu . »
A cette dema nde, le prince fit répondre en marge : « Au
cinquiesme (a rticle) requérant pe nnission de coucher en latin tous
escrits et procédures, néa nt. Fait à Turin le dix-neuf décembre
mille cinq cen t septante deux:. Emman uel-Philibert - Stroppiana
- La Creste. » 1
Cette demande et la réponse négative méritent une expli
cation.
Les hommes de loi et les anciens notaires qui rédigèrent leurs
actes en l a ti n jusque vers 1550, etaient tous munis de formula ires
pour l es differentes espèces d'actes a uxquels ils ne faisaient q u'a
joute1· le nom des prop1·iétès et des parties contractantes. A p1·ès
l a redaction de l 'acte, le notai re en expliquait verbalement le
c ontenu en français ou en dialecte aux interessés qui e n général
ne connaissaien t pas le latin. Le mandier en faisait de même pour
l es ci ta tions, les mesures de police et l es sen tences de la Com· des
sage à une feu ille volante i n ti tulée : Pét ition mt Sén at dn Roynume itn
lien par le col lège des notaires de l ' a r rondissement d'Aoste pou1· le main
tien de la langue fl'ançaise dans les actes publ ic.� - Aoste, 26 aoù l 1 868.
Impr. Men s i o .
comme de Pièmont sinon ceux que nous constit uerons pour le
bien de nostre service de devoir publier a u di t pais, les quels
nèan tmoi ns se feront a part et tout expres pour icelluy, signès de
nostre main p 1·opre e t en langage et termes de parler français et non
italien pour estre entendu d ' un chaqu' un et qu' iceux s' entendront
encore qu' i l n'en soit faitte 1 expresse men tion suivant et à la for
me des coutumes et franchises du dit pais, ce qui nous semble rai
sonnable, et partant dècla rons et ordonnons, par ces prèsentes de
nostre certaine science, pl eine puissance et au torittè souve1·ai11e,
qu' i l ne sera loisi ble <1 aucun de quelque qualittë que ce soit de
publier ny fa i re publier au pais aucuns èdi ts ny commandemen ts
gènèra ux p1·ocèdants de nos di ts magistrats, ta nt de Sa voye com
me de Piemout, si non ceux que no11s constituerons pour le bien
de nostre se1•v ice de Savoie au dit pais, les quels nèan tmoins se
feront a part tout expres pour icelluy, signès de not1'e main prop1·e
et, en nostre absence hors de nos Etats, pl1 r nos lieutenants génè
ra ux et en langage et termes de parler français et non italien, le tout
suivant et à la forme de leurs coutumes et franchises. Si donnons e11
mandement a tous nos magistra ts, m i nistres et officiers et mesme
a notre G�nd Chancell ier, Sénats, magistrats de la santé et
Cha m bre des Comptes, ta nt deça que dela les monts, qu' ils ayent
a garder, entreten i r et observer in violablement to ut le contenu
aux présentes sa ns jamais y con trevenir e n tan t quils craignen t
nous désobeir, ca r tel est nostre vou loir, non obsta n t tous éd its,
loix, statuts, droi ts, reglements et autres choses a ce contraires
aux quelles, pour ce regard, avons dèrogè et dérogeons par les
présen tes signèes de nostre main, données a Turin le vingt quat
trieme jour du mais de julliet mille cinq cent septa nte huit.
« Em manuel-Philibel't - Ottav iano Osasco - La Creste. » 2
4
50
1 Archives de La Tour.
5f
traité cette question sous rli v ers points de vue. Nous citerons les
noms de l'avt. Bobba , de Gi useppe Cassa no, Napoleone Colajanni,
Benedetto C1·oce, A l'tUro Graf, Robel't He1·z, Annibale Pastore,
Silvio Pollini, Gi useppe P 1·ezzoli11 i , Guido Rey, Francesco Ruffini,
Lino Vacca ri et de Mg1· T . Valfrè di Bonzo. Tous se sont élevés
au-dessus du cri tèl'C des co n ven ances pol itiques et ont in voquè le
respect du ca ractè1·e, des traditions et des souvenil'S.
Nous av ons dit, en commençant cette étude, que les Valdô
tai ns se sont fait un devoi1· de réclamer eux-mêmes l 'enseigne
men t de l' ital ien. C'est ce qu'ont affi rmé presque tous nos repré
sentants poli tiques quand ils prirent la défense de la langue locale
et de l 'enseignemen t simultané de l ' italien et du français et sur.:.
tuut les députés Ca rntli, Berti , Compans, De Rolland et Rattone.
Voici ce qu'on en pensait à Aoste en 1 84 1 . I l s'y publiait
alors une Feuille d' A n nonces, un journal littérai re et poly
chrome, une tribune publique oil s' escri maient les meilleures
pl umes de l'époque, le percepteur Ferd ina nd et l'a voca t Alcide
Hochet, les chanoi nes Géra rd , Can·el, Gorret, Orsiè res, le spiri
tuel F. Dela pierre, l'a vocat Ma rtinet, le professeur Mellé, le mé
decin Vagneur, le baron Emmanuel Bich, l'a bbé Ca vagnet, !' In
génieur Joseph A lby , etc. On y pa rlait du pays, de ses monu
ments, de ses gloires, de ses espérances, et toutes ces p1·oduc tions
sen ta ient bon la terre natale. Lam·ent Pléoz y foul'Ilissait aussi sa
prose un peu te1•ne et terre-à-terre, mais assaisonnée de bon sens
et de con sidé1·ations p ratiq ues. Nous en publions quelques extra its,
en laissa nt à l'auteur la responsabi lité de certai nes observations.
Ce sont des documents qui nous révèlent l 'état des esprits à Aoste
il y a soix ante-douze ans, l'attachement à la la ngue maternelle
et le dèsir· de connaître en même temps la langue nationale. On
n'était pas plus sépara tistes alors que 1_10us ne le sommes aujour
d' hui où des fol l icules et des Congrès qui n'ont ri�n à voir chez
nous osen t nous la ncer· des accusations aussi inj ustes que peu loyales.
_
53
«
I l n'est, dit-il, aucune réponse plus facile à donne!', car
mille moti fs mi litent · en faveur de la langue française et la récla
ment dans tous les coins de cette Vallée. Le Vald<ltai11 s'y habi
tue dès l'enfance ; adolescent, il apprend ses prières en fra nc:a is ;
a l ' école, à l' église, partout on l u i parle en fra nçais, tandis que
lïta lien n'a jamais eu une école publique a u chef lieu cle la P 1·0-
v i nce ou au Collège. Le patois même du pays n 'est que l'ancien
gaulois avec quelques inflexions et les modifications qu'ont adop
tées certaines localités 1 ou q u'ont i ntroduites les relations sociales
-
et commerciales. Depuis la suppression du latin dans les actes p u
blics, la langue française fut constaminent celle qu'ont employée
tous les fonctionnaires. Avant et pendant la Révol ution fra nçaise,
les lois, les instructions et les règlements pou 1· ce D uché ont été
constamment écri ts en français. La langue italien ne, toute belle,
toute riche qu'elle est, n'a trouvé que très peu d'am a teurs dans
ceux qui se sont liv rés aux sciences, ou que des ci 1·constances ont
tirés du sein nata l pour exercer leur métier ou leur emploi dans
une partie du Piémont ou de l'Italie. li est vrai que dans la ville
d'Aoste la plupart des employés con naissent l ' italien parce qu' i ls
viennent de l'Italie, ainsi qu' une bonne partie des négociants et
des a rtisans qui y sont domiciliés, et q ue dans les bou rgades qui
sont traversées pa l' la l'ou te provinciale, depuis Chàti llon j usqu'aux
confins d' lvrée, ceux qui ont des 1·elations commel'ciales avec le
Piémont comprennent et parlent le piémontais ; mais c'est la frac
tion la p l us petite des communes dont le chef-l ieu est s u r· la l'oute
p rovinciale . . . . .
« L' ignorance de l a langue italienne est complète dans tou
tes nos communes ru r·ales et montagneuses, de sorte qu'on voit
avec étonnement que, lorsqu'on publie des actes du Gouvernement
en italien, les assista nts abandonnent incontinent le publicateu1· qui
ou règl emen ta i res. L'on peut a ffi rmer q u e ce r t ai ne s lois n'ont été
connues et o bs e 1 · v é es dans celte P rovince q u ' à l'appui de nom
breuses a m endes encourues pa r les pa r t i culie rs . T � ll e est la loi
du 18 j u i n 1 82 1 é tab l i ss a n t les redevances da n s l es successions,
et celle· du 8 j a n vi e r '183D re la t iv e a u x mu t a ti o n s de cadastre . . . . »
fra nçaise i n v ite ha u teme11t les a u tori tés qui ont pris n aissance
d a n s cette Vallée, les admi nistrateurs de la V i l l e , tous les per
sonnages de con s i d è 1·atio11 qui s' in téressent pou 1· ce pays à pren
d 1·e l ' in i t i a t i v e pour obtenir du Souve1·a i n ce privilège .... Heureu
24 j u i l l e t 1 5î8. pu i s i l ajo u te :
« lTne circonstance de poids a détermi11é à J ' égard de cette
Province (<l'Ao5te) l ' usage de la la ngue i talienne dans les l ois,
•
cution des amen des tr•ès fortes, ces lois, dis-je, a i nsi que les nom
b reuses explications qu'elles ont nécessité pour leur i ntell igence,
mème en langue italienne, n'ont point été com prises par les a<l
ministrations comm unales : les rîiles dressés en force cle ces dis
posi tions législatives offrent des i rrégu lari tés sans fiu et lèsent l a
pl upart iles individus q u i y figurent comme cotisables. li est v rai
que l'art . 20 du décret du 1 2 septembre donne la faculté de r·é
clamation en cas de su rcharge, mais nous l'evenons ab oi;o : cet
article-là le cont1·i buable l ' ignore ; il ignore peut-être même, s' il
n'en reçoit ! "avis en fra nçais, d'ùtre porté au rôle, car celui-ci est
encore d ressè en i talien. Supposon s poul'ta11t la pleine connaissance
de la fa veu1· portée pa1· cet a rticle. Maintena nt que, grùce à la
classification de 11ot1·e D uché parmi les provi nces de dernier rang,
nous dépendons de I ' Intenda nce Générale d' I vr ée, l e co11t1'ibuable
lésé ne devra pas moins fafre à g rands frais 20, .1 0 et même 56
milles pour obtenir de 1 · Inte ndant Géné 1·al à qui seul i l appartient
de statuer, la répara tion d'une erreur qui ne provient n u llement
de sa faute, pour laquelle il n'en peu t mais.
« N'y a-t-il pas là <le quoi s'aliéne1· le cœur de la population
e n lui rendant si gravatoi res des lois dont une con naissa nce plus
précise l ui fera it senti r qu'elles ne sont pas si rigou reuses qu'elles
l u i paraissent par suite d'une fa usse i11te1·prétation : et si le pau
v re public murmure, n'en a-t-il pas l e droit ? Est-ce sa fa ute à
lui, si sa langue n'est pas celle q u'emploie le Mi nistère pour l u i
.
dicter la l o i , pou 1' l u i prescrire ses devoirs ? Et poui'q uoi, s i à
Turin l 'o n ne veut pas se donner la pei ne de rédiger dans les
deux langues l es lois, les décrets, les circu la i res, enfin tout ce qui
dema nde u ne publici té, l e Gouvernement n'en a u toriserait-i l pas à
Aoste méme, comme à Chambéry, la ti·aduction dans notre lan
gi;e, pour les mander ensuite en publication et en assurer de cette
manière la fidèle et régulière exécution, anêtant ainsi de la part
du public tout sujet de mécon tentemen t et de plai n te ?
111
admi nist1·ation, de bien d i 1•e et repete1· que, si l ' o n v eut que nous
soyons Italiens, not1·e langue n'en est pas moi ns la franç.aise, que
c'est en français qu'on doit nous parler, et non en ita l i en, s u 1· tout
q u a n d il s'agit de lois financières, fisca les, administrati v es, com m i
natoi res, dont on ne saurait assez se pene t1·er du conte n u . Qu' ils
ad resse n t col lecti v e ment l e u 1·s l egiti mes plai ntes à. ce sujet au
b1·e dern ier vi ent d'ètre trans mise aux secretaires com m u n a u x
l'on veut e v i te1· les mille qui proquo, les bévues, les fa usses i n ter:
lèe d'Aoste doit, elle aussi, en jouir, parce qu'elle se l 'est réservé
en se 1·éunissant a u Piémon t sous le sceptre de l a Maison de
Savoie, et qu' il lui a è té ga ranti. Elle a rempli religieusement
les devoirs que l u i i m posait son ag1·égation, et de leur cùté les
Rois et les Princes de la Maison de Savoie ont confii · mè à di
verses époques la ga ran tie de ce droit precieux : edit du 22 sep
tembre 1 fi 6 1 , lettl'es patentes du 24 j u i llet '1 578 et bil let royal du
2 f) octobl'e 1 721 . Euco1·e e11 1 832 ce pays reçut en langue fran
çaise, ent1·e aut1·es lois, le Règlement sur les bois et forèts.
« L'on objecte ordi nairement que la Valle e d'Aoste, ètant d u
tratifs ou j u rl iciai res, les 1·èglemen ts, les circu l a i res, etc., la lan
19 juin 'f 850, arl ressée à son coll è g u e L a u rent V a lerio, Ma rtinet,
qui n ' éta i t ni clé rica l ni a n li-uni tai re, mais qui pa r l a i t l e l a ngage
Ces articles étonneront ceux qui n'ont pas une notion exacte
de l ' histoire de la Vallée d'Aoste, indignemen t travestie par des
plagiaires qui l'adaptent à leurs étroites conceptions et à un soi
disant patriotisme que nos ancêtres ont comp1·is d ' une autre façon.
Nous les avons reproduits - nous le répétons - pour documenter
une étude absolument objecti v e sur l 'origine et les v icissitudes d u
fra nçais dans notre pays. Depuis lors, chaque année, les journaux
d'Aoste, sans disti nction de couleur et de parti, sont revenus sur
cet a rgument.
Depuis l a mort de Jean-Baptiste de Tillier, en 1 7 H , notre
histoire est à peu p rès i nconnue et nous nous permettons de citer
encore quelques-uns des décrets les plus i m portants relatifs à no
tre Vallée à la fin du X V I l l " siècle. Tous ont été impri més et
publiés en français.
Edit de 8. M. et Règlement pour la conservation des forêts,
28 a vr i l 1 757 - E dit de S. M. au sujet du Conseil des Commis,
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Notre tâche est finie, car nous n'avons pas pour b u t de nous
occuper des difficultés su l'gies depuis la cession de la Savoie à la
France. Une étude sur l es origines de la langue dans u n pays,
qui a une histoire et une configuration spéciales comme la Vallée
d'Aoste, exigerait un plus ample développeme�t et nous pourrions
consolide1· notre thèse avec de nombreux documents i nédits qui exis
tent aux a rchi ves de Turin, de Sion (Valère) et de Genève, mais
c ela dépasse les limites de n otre modeste brochu re où nous a vons
essayé de démoutrer la formation na turelle, len te et progl'essive
du fra nçais dans notre pays a vec l es tl'ansformations politiques
qui ont suivi l'ancien royau m e <le Bou 1·gogne. Ce fut l 'œuv re des
siècles, reconnue et sanction n ée par Emmanuel-Phil ibe1·t et ses
successeurs qui n'ont pas oublié l'attachement sécu laire des Val
dôtains à la Maison de Savoie, ni ce qu'ils ont fait pour le Pié
mont et ! ' I talie.
Nous ne parlons pas des v i cissitudes de la langue depuis la
cession de la Savoie à la France. Nous nous sommes occupés es
sentiellement <les origines et puisqu'on a osé publier cette a ménité,
q u' u n p1·ince de la Maison de Savoie a impose aux Valdôta i ns la
ÎO
estes mis dung commung accord, tant selon Dieu que selon le
moncie, pour vous ga rde1· des en ne mys et mainteni1· soubs nostre
obeissance, d'ond avons prins le plaisir que pouvès penser et vous
en sçavons le bon grez que mérités. De mesme heussiés vous desja
heu nouvelle de la bonne souvenance qu'avons de vous et l' inten
tion en laquel le som mes de v ous preserver et deffe ndre, ne fust
estè l'empeschernent d'une i ndisposition qui nous a tenu environ
qui nze jours . Mais puisque la Dieu mercy en sommes resso1·t, nous
entrerons en besoigne de si bonne sol'te que vous en ape1·cevrès.
Car v eritablemen t nous voulons mettl'e tout le demeurant avant
que v ous défaillir, voire la personne propre, estan t bien tout as
seurè de v ostre sincere affection, qu'exposerés l es propres vies
pour llOUS. Or vous sç.a vès asses a qui havés a faire : c'est enfin
a vos mortels ennemys et dau tant plus a craindre quils feignent
l estre moi ngs quils ne sont, l'effo rt des quelz ne fa u t point trop
estimer que les ruses. Vous estes cloz et environnés d'aultes et
puissa ntes murailles et de portes non moings estroites que aspres.
Vous n'estes point petit nombre de gens et croyons avès tous bon
courai ge et grand, et <laultant plus que serès aydès et secou rus.
Par q uoy nous reste ta nt seulement v ous a<lviser si l'ad versaire
s'ava nce s u r v ous, sil vous v ient assail li1·, souvenez-vous que c'est
a son grand desavantaige. Vous estes eu vostre tanniere pour
soustenir votre foy, vostre serment, pou r deffe nse1• vostre patrie,