Você está na página 1de 10
AGORA —Papetes de Filosofia (2000), 1911: 6-14 sss 0211.02 PEUT-ON PARLER AUJOURD’HUI DE LA FIN DE LA METAPHYSIQUE? Pierre Aubenque ‘Les fins de sidcle te millénaire, si fortuites soientelles du point de vue de Ia chronométrie, sont une occasion, qui n'est pas toujours bienvenue, de ‘commémorations ef de bilans. Ala fin du XIXe site, anticipant sur la fin ds millénaire, Nietzsche simpatientait: "Déja deux mille ans et Yon ne voit toujours pas apparattre de nouveau diou!", De fait, il se pourrait bien que le XXe sitee ait marque & ien des égards plus un achevement que les prémices ‘un nouveau commencement. Ce nest en tout cas pas un hasard si Heidegger ‘a chaisi cette citation comme exergue de ses legons sur Nietzsche, prononcées entre 1984 et 1998 et publiges en 19617. Cest dans oes legons qu’apparaissent, pour la premitre fois chez Heidegger, les themes conjoints de la “fin de Ia etaphysique” et de exigence de son “dépassement” (UBerwindung). Un peu avant, dds 1992, Carnap avait utilisé la méme expression Uberuindung dans son artile eélébre sur “Le dépassement de la métaphysique et Panalyse Togique du langage’ Si différents qu aient pu étre les points de vue des deux auteurs (Varticle de Carnap est du reste dirigé contre Heidegger), la coincidence dans expression atteste du sentiment commun de la fin d'une poate et de son corrélat:Vinévitabilité Heidegger) ou la nécessitélorique (Cgenap) dun tournant dans Phistoire de la philosophic. Ty a deux manidres dinterpréter Vexpcession “fin de la métaphysique”, correspondant & deux connotations différentes du mot “fin”. On peut comprendre en premier lieu (et ces ainsi que Tentendait Carnap) une“ort”, tune disparition, consécutive @ une maladie essentielle qui priverait progressivement la métaphysique de toute prétention légitime a existe. La tnélaphysique serait le produit d'une erreur ou dun ensemble d'erreurs, denonsées par une grando partie de la philosophie des XVITIe et XIXe siécles, de sorte que la moxt de cette discipline serait la sanction des ambigultés, paralogismes ou contradictions, voiee des “non-sens”, que Thistoire de cette "Der Antichst (3888), 6, Krone, VI, 285/286, 2 Nitzshe I pl. 2 “Dberwind wag der Motaphysie durch die loglache Analyze der Sprache", Brkenntnis 2 (198192) pp. 20094 Pierre Aubengue Peut-on parler aujourhui dela fn de a mitohpysique discipline véhicule, elle est la position de ce qu'on pourrait appeler la vulgate “positiviste”: préparée par la eritique de Kant, qui parle d'une “euthanasie de Ja raison pure” radicalisée par Auguste Comite, elle se prolonge dans le _néopositivisme contemporain. Mais de quelle métaphysique le positivisme annoace-til la fin? Selon la définition aristotélicienne de la philosophic premitre, appelée plus tard “meétaphysique’, celle-ciest la science de 'étre en tant qu'étre ou la science des premiers principes et des premitres causes. Létre est ce qui fait que les Gtants que nous reneontrons dans Vexpérience, que nous percevons, que nous nous représentons, et dont nous parlons, sont précisément des “étants”, Heidegger caractérise corroctement la métaphysique en disant qu'elle est, dans son fond, la recherche du sens de Vétre de Fétant. Ce sens recherché est entendu parla :étaphysique comme le principe, la premiére cause ou, selan ane métaphore deja présente chez Aristote, comme le “fondement” de ce qui est, Cest-a-dire doce dont nous disons que cs? ou que cest quelque chase. Mais Ie fondement, Ie principe, In cause premiére de ce qui est, ne sont pas eux-mémes des étants, “empiriques Ts sont au dela de ces étants, ils sont dans le meilleur des eas plus intelligibles, mais en tout eas moins aecessibles a Vexpérience sensible que les étants eux-mémes, Cette situation est ce qui a donné naissance & expression “métaphysique”, nom d'une discipline qui, dans l'ordre de Venseignement comme de la recherche, vient “apres” la physique, parce que ses objets sont au- dessus des objets physiques ou cachés derriére eux. La métaphysique présuppose la connaissance de la physique, mais elle exige son “dépassement” (cette idée de dépassoment est inhérente au “méta.” de “métaphysique”) afin ‘acebder & une sphere supra-phySique, monde intelligible, monde des Tdées ‘ou simplement Dieu, pour reprendre quelques-uns des noms que 1a ‘métaphysique traditionnelle a donnés au Principe premier et transcendant de toutes choses. Malheureusement, mis & part un certain consensus sur ce schéma trés général, les métaphysiciens n’ont pu se mettre d’accord sur Je contenu de ces entités abstraites du sensible, mais affirmées plus “étantes” que lui ni davantage sur la nature de la relation entre le principe et le monde qui est censé dériver de lui La eritique de cette métaphysique dogmatique est bien connue depuis Kant. Selon lui, tout ce qui excéde la double condition de Vintuition de Vespace ct du temps d'une part, et des rbgles des catéyories dautre part, échappe & notre entendement, Tel est notamment le cas d'un premier principe éternel, est-idire échappant & toute détermination spatio-temporelle, et libre, Cest- A-dire non soumis a la loi de la causalité, comme 'est Dieu tel que se le représente la métaphysique classique. La conséquence en est que les, propositions métaphysiques, qui n'ont pas objets assignables, mais traitent dentités transcendantes inaccessibles comme si elles étaient objectivables, ‘manguent de toute vérifiabilité et sont théoriquement arbitraires. “ir W, ranuzendentaleDilaktle,B 44, A 407 6 AGORA (2000, ol 19, n° LL Pierre Aubonaue Peut-on pater enjourd?ha de afin dew wdeaysigue [Est-ce tne raison pour renoncer i la métaphysique? On pourrait penser que oui dans une perspective positiviste, mais qui n'est finalement pas celle de Kant. Pour Kant, une proposition qui n'est pas vérifiable et qui, par ‘manque de prémisses empiriques, n'est pas davantage démontrable, comme par exemple "Dieu existe", n'est pas pour autant dénuée de sens. Bien que vérité soit théoriquement indécidable, elle peut faire Fobjet dune adhésion rrationnelle, et ce pour des raisons non pas théoriques, mais pratiques. La ‘métaphysique comme “disposition naturelle de la raison”, comme “tendance infatigable”, pour reprendre quelques expressions kantiennes?, résiste & tous les efforts de réfutation théorique. Mais elle demeure comme attitude {ntellectuelle ct spirituelle, comme aspiration, comme idéal de la raison, qui rréside précisément dans un effort toujours renouvelé de dépassement des limites de Pexpérience, On pourrait dire avec le Heidegger de Sein und Zeit qu'elle subsiste comme “ontologie fondamentale”, si Yon considére que le “fondement” de la comprehénsion de T'étre est Yhomme. Bile subsiste done comme herméneutique du Dasein, de Vexistence humaine. Mais elle ne peut Subsister sous la forme d'un ensemble systématique de propositions théoriques. tae ‘Mais, d'un autre c6té —et ainsi arrivons-nous a la seconde manitre entendre aujourd'hui la “fin” de la métaphysique—, cet ensemble de propositions théoriques existe historiquement comme corpus de textes, come archive seripturale, qui, des Présocratiques & Hegel et méme au dela, ‘conserve la mémoire des étapes successives de Ia compréhension de l'etre par Vhomme, On peut reconnaitre & divers signes, comme la domination planétaire actuelle de modes de pensée scientifico-techniques et leur extension & tous les domaines de la vie humaine, que l'époque de la métaphysique triomphante et régnante comme “reine des sciences”, selon le titre que Ini reconnaissait encore Kant, est achevé. il ne sagit pas seulement de la place aujourd'hui modeste qui est celle de la métaphysique dans la société et, par voie de conséquence, dans Penseignement scolaire et universitaire. Il s'agit beaucoup plus du fait préoccupant que les sources de invention métaphysique paraissent épuisées, hon par perte d'inguiétude métaphysique ou d'intérét pour les problémes meétaphysique de la paxt du public comme des philosophes professionnels, mais comme conséquence un phénombne de saturation. Tout a été dit dans Ie domaine de la métaphysique et il ne reste dauitre possibilité que celle de la répétition, une répétition qui pout tre innovante dans le sens de Pinterprétation, mais non au sens de découvertes nouvelles. ‘Tout ce gui peut se dire aujourd'hui en matiére de métaphysique est inévitablement récupéré Tir V, transzendentale Methodenlehe, B 877, A840. C.Polegomena, 60,188,180, 7 AGORA 2000), ol 19, n° 5:14

Você também pode gostar