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Différence ontologique et différence ontothéologique: Introduction à la pensée de Gustav

Siewerth. I
Author(s): Emmanuel Tourpe
Source: Revue philosophique de Louvain, Vol. 93, No. 3 (AOÛT 1995), pp. 331-369
Published by: Peeters Publishers
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26341261
Accessed: 15-12-2018 15:47 UTC

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Différence ontologique
et différence ontothéologique
Introduction à la pensée de Gustav Siewerth. I

L'un des plus grands auteurs du néothomisme allemand est aussi


l'un des plus mal connus.
Gustav Siewerth est pourtant, de l'avis même de Heidegger, l'«un
des esprits les plus spéculatifs de la philosophie présente»1, «le seul
dont il pourrait encore apprendre quelque chose»2. Interlocuteur qualifié
du philosophe de la Forêt Noire, excellent connaisseur de Hegel, disciple
congénial de l'Aquinate, ce penseur enflammé surgit, solaire, pour éclai
rer de sa splendeur nos temps de détresse métaphysique. Il fallait offrir
aux puissantes modulations de son œuvre quelque écho en langue fran
çaise, qui laisse soupçonner, dans un éclat étouffé et lointain sans doute,
quelle impérieuse voix s'est tue, — et quel «astre brûlant»3 s'est éteint
avec lui.
Siewerth (1903-1963) restera d'abord dans l'histoire de la philoso
phie comme l'un des disciples les plus enthousiastes et les plus malheu
reux du Heidegger des années trente. Candidat à l'habilitation en philo
sophie, il s'était notamment fait, à l'occasion de la célèbre retraite aux
flambeaux du 29 mai 1930, un porte-parole enjoué de la ferveur
régnante pour le nouveau seigneur de la pensée allemande: «Nous vous
prions de croire que l'étincelle divine de l'enthousiasme, étincelle créa
trice des esprits, prend sa part cachée à la ronde des lumières devant vos
yeux, qu'est exprimé ici au grand jour dans ce mouvement collectif ce
qui a grandi dans le silence de votre action, à savoir une émotion res
pectueuse devant les grandes valeurs et les fondements du logos qui
règne divinement, aussi bien dans le précoce génie de la langue que dans
l'éternelle création des Grecs, dans la spiritualité, émue en Dieu, du

1 Cf. H. Heinrichs, in Neue Wege; 14 (1963), p. 327.


2 Cf. D. Wendland, in Deutsche Tagepost, 30 août 1963, p. 8.
3 H.U. von Balthasar, Abschied von Gustav Siewerth, in Hochland, 56 (1963-64),
p. 182. «Puisse un monde à venir profiter de ce que ses contemporains ont laissé pas
ser...» (id., p. 184).

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Moyen-Age et dans la puissante lutte spirituelle de l'idéalisme alle


mand»4. A ce ton jubilatoire et presque excessivement laudatif, à cette
conviction jamais démentie jusque trente ans plus tard5, le destinataire
allait répondre avec une ingratitude et un arbitraire inouïs: puisque Sie
werth ne s'était pas tenu dans la lutte «universellement liante» du natio
nal-socialisme, ni ne s'était prémuni de l'a priori théologique du tho
misme dans sa thèse sur la métaphysique de la connaissance selon
Thomas d'Aquin6, il convenait, au goût de Heidegger, de briser sa car
rière, de même d'ailleurs, et pour les mêmes raisons, que celle de Max
Müller7...
Siewerth dut alors poursuivre son activité philosophique en même
temps qu'une profession, brillante, de pédagogue (directeur en 1946 de
l'Académie pédagogique d'Aix-la-Chapelle, directeur en 1962 de l'É
cole Supérieure de Pédagogie de Fribourg-en-Brisgau), sans jamais par
venir à renouer avec sa vocation première8. Chacun de ses travaux phi
losophiques, en particulier Der Thomismus als Identitätssystem (1939) et
Das Schicksal der Metaphysik von Thomas zu Heidegger (1959)9,
témoigne avec une puissance extraordinaire d'une intuition unique:
déployer «daimonisch» l'ontologie de l'Aquinate, que Thomas lui
même n'avait pas suffisamment systématisée, par un dialogue soutenu

4 In H. Ott, Martin Heidegger. Éléments pour une biographie (coll. Bibliothèque


Historique), Payot, Paris, 1990, p. 285.
5 Cf. Siewerth (1959) [cf. bibliographie infra],
6 «On ne peut reprocher à ce travail de faire de la science dénuée de présupposés;
mais ces présupposés sont d'un type particulier. Leur représentation scientifique est
garantie à l'université par le concordat. Mais attendu qu'une science et surtout la philo
sophie ne se déterminent qu'à partir de la nature de leur conception de l'être en général,
de l'essence de la vérité et de la position de l'homme; et comme ces présupposés idéolo
giques prédéterminent non seulement le contenu, mais aussi le mode de traitement d'une
science et a fortiori la philosophie, il en ressort, pour la situation présente [i.e. la thèse de
Siewerth] une situation univoque», qui implique le refus. Cf. Ott, op. cit., p. 284.
7 Heidegger rédigea donc en 1937 un rapport politique à ses collègues de l'associa
tion des professeurs, pour refuser leur habilitation au professorat.
8 Cf. Cabada (1971), p. 15 n. 2: «Il serait pourtant juste de remarquer ici que Sie
werth — en dépit de son impressionnante activité scripturaire — ne pouvait consacrer que
peu de temps à l'activité philosophique proprement dite, tout en ne se ménageant pas. Sie
werth lui-même en fut profondément éprouvé et s'est ouvert de ses regrets à des amis.
D'autres ont pu écrire: «Que ... aujourd'hui encore les universités allemandes, en dépit
du fort lamentable manque de professeurs d'université compétents, se refusent à un pen
seur si clairement exilé, voilà qui donnera quelques énigmes aux futurs critiques de l'his
toire culturelle allemande des deux décennies d'après-guerre» (W. Warnach, Zum 60.
Geburstag Siewerths, in Frankfurter Allgemeine Zeitung, Nr. 125, 31 mai 63, p. 42)».
9 Bibliographie complète in Pöggeler et al. (1964).

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avec Hegel et Heidegger en particulier10, élargir à l'extrême les possibi


lités du souffle thomasien.

L'espace problématique qu'il parviendra à découvrir a reçu dans la


pensée allemande un accueil contrasté11, mais extrêmement fécond12,
puisque Siewerth est parvenu, non seulement à susciter une puissante
«école» (Kaliba, Ulrich...) mais encore à imprimer une direction nou
velle au néothomisme allemand dans son entièreté13.
L'obstacle majeur, si toutefois l'on veut bien considérer que l'inté
gration puissante du thomisme qui la fonde n'en est pas un, de l'œuvre
siewerthienne, procède sans doute de la difficulté tout à fait exception
nelle de sa langue14: celle-ci se tient toujours dans la totalité elle-même,
repoussant les limites du logos vers un idiome particulier, que l'on peut
caractériser comme l'embrassement unitotal du sens dans son déploie
ment. L'univers de la pensée siewerthienne nécessite une initiation coû
teuse à la verbalité originaire de l'allemand, son dire primai: l'espres
sion siewerthienne, pour être correctement traduite, obligerait à la
convocation conjointe d'une profonde érudition étymologique, d'un sens
spéculatif que n'effrayent pas les perspectives abyssales aux limites du
dicible, et d'une subtilité esthétique, notamment poétique, affinée.
Ce langage est symbolique de la totalité indéductible et indécons
tructible. Cabada a parfaitement compris ce sens décisif de la difficulté
du langage de Siewerth15: «Prendre le Tout au sérieux signifie que le

10 Neidl (1990), pp. 250-251.


11 CF. Przywara (1940); Rüttiman (1945); Ilting (1960); Müller (1964); Kel
ler (1968); Puntel (1969); Lötz (1961; 1974; 1985) etc.
12 Cf. Puntel (1969), pp. 112-113 n. 2.
13 La grande Trilogie du plus grand théologien de ce siècle s'inspire également de
façon très insistante de l'œuvre siewerthienne. Cf. par exemple Balthasar (1965; 1983) etc.
14 Cf. Cabada (1971), pp. 23ss. Keller, dans son ouvrage sur le néothomisme,
renonçait à traiter la pensée de Siewerth pour cette raison même: «... wir können auf
seine weiteren anregenden Ausführungen hier nicht eingehen, zumal seine überaus eigen
willige Sprache nur zu leicht zu Missverständnissen Anlass gibt» (Keller (1968), p. 221).
15 Note sur les sigles employés par Cabada, concernant des ouvrages non-repris
dans les Eléments bibliographiques: «AP» dans ce texte renvoie à un inédit de Siewerth;
Antwort auf Ρrzywaras Kritik am «Identitätssystem» als Auseinandersetzung mit Przy
waras «Analogia Entis» daté de 1950; «Le» renvoie à l'article Gedanken und Aphoris
men zum guten Lesen, in Erbe und Entscheidung, 11 (1957), pp. 95-104; «MW» à l'in
troduction de Siewerth pour l'anthologie de textes thomasiens, traduits par P. Wehbrink:
Thomas von Aquin: Die menschliche Willensfreiheit, Dusseldorf, pp. 9-134; «Ρ» désigne
l'ouvrage Philosophie der Sprache, Johannes Verlag, Einsiedeln, 1962; «PÄ» renvoie à
l'article de Siewerth: Grundlegung und Gestalt der Pädagogischen Akademie, in Päda
gogische Rundschau, 1 (1947), pp. 158-156; «SuW» à l'article: Sprache und Wahrheit
— Sprache und Predigt, in Arbeitsgemeinschaft katholischer Homiletiker Deutschlands,
Cahier 3 (1963), pp. 13-39.

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mot doit toujours être renvoyé au Tout s'il veut rester vrai. Mais cette
référence comme telle doit constamment demeurer modeste et respec
tueuse devant ce qui est plus grand, plus étendu, plus originel qu'elle».
Cette pensée est familière à Siewerth: «Il y a toujours... devant toute
parole et toute connaissance analytique une plénitude d'intuition, une
unité d'une richesse inouïe, cette unité et cette richesse est si grande et
si intuitivement ramassée qu'aucun mot et qu'aucune phrase simple
n'est assez puissante pour elle...» (SuW 17). C'est pourquoi il n'y a
«dans tout le domaine de l'étant et du divin ... plus aucune définition
mais seulement une approche, c'est-à-dire que l'on fait des logoï qui
relient, mais qui ne définissent pas... Aucun mot sur Dieu, aucun mot
sur l'être n'est définissable. Aucun des transcendentaux n'est définis
sable. Toutes les définitions valent dès lors par un Indefinitum qui est
ainsi le fondement à la base de notre compréhension totale de l'être, de
notre totale compréhension de la réalité (SuW 27, 47ss). Il est alors
compréhensible «qu'il n'y a... pour l'être de l'homme dans la vérité,
pour la mise en lumière intuitive de l'étant, aucune expression 'adé
quate' ou 'ad-aequierante'»16. C'est donc le destin du mot ou de la
langue que de devoir d'une certaine façon être 'obscur', et ceci à mesure
que la langue s'approche de son propre fondement. On comprend que
pour Siewerth le désir absolu de la vérité conceptuelle est d'une certaine
façon déjà suspect. Une telle clarté peut aussi être «une pseudo-clarté
irréfléchie» (MW 119) qui laisse de côté le véritable problème et qui est
souvent plus obscure qu'on ne le pense: «Des livres aussi superficiels
sont souvent impénétrables au penseur et préparent un labeur sans fin»
(Le 103). «De telles œuvres sont dans leur compréhension rationnelle
presque populaires, presque impénétrables spéculativement et ne prépa
rent à l'intellect que des difficultés»17... Il suffirait ici, en rapport à la
Totalité dans la pensée de Siewerth, de renvoyer à la problématique de
la langue comme expression de l'être. Quoi qu'il en soit, il devrait être
clair que le verbe de Siewerth, si obscur, nouveau et original qu'il
semble de prime abord, ne veut être qu'une expression de la vérité com
plexe et totale. Siewerth est également convaincu «que l'intelligence ne
se mesure pas à l'ivresse passionnelle, à l'éclat de la langue, à Γ «origi
nalité» et au «sens profond», ou encore à la géniale «puissance créa
trice» mais uniquement et seulement au zèle pour la vérité qui est objec

16 Ρ 79. Cf. Ρ 81; Siewerth (21961), p. 223; Siewerth (1963b), p. 13.


17 AP 65ss. Cf. aussi SuW 26, où Siewerth se tourne avec une grande sévérité
contre la «clarté» d'une langue rationnellement définie.

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tif, désintéressé, juste et attentif et qui sait se taire — peut-être une vie
entière — lorsqu'il est capable de faire progresser Γ «ancienne vérité»
de façon adéquate, indépendamment de sa problématique immanente».
(Pä 162). Le service de la totale vérité de l'être, dont il s'agit ici, est bien
ce qui est décisif dans la langue: il la libère en même temps de chaque
abstraction vide. A propos de Siewerth, B. Welte peut dire avec raison:
«Siewerth pensait certes de temps en temps d'une manière compliquée,
et sa langue était tout à fait nouvelle; toutefois, ni sa pensée, ni son lan
gage n'étaient abstraits»18. Une abstraction mal comprise, une logique
pure avec une langue qui se donne comme formalisée, s'éloignent dans
le fond du tout de la vérité, dans lequel elles veulent inconsciemment
construire un monde isolé pour soi. La vérité comme 'le tout' ne serait
pas atteinte de cette manière»19.
Nous proposons donc d'introduire aux axes principaux de la pensée
siewerthienne, d'une manière qui envisage la totalité sans verser (et de
loin!) dans l'exhaustif. Ces travaux sont inévitablement déficients, en
regard de la profondeur à laquelle se tient le génie de Siewerth. Peut
être même notre interprétation, plus large par endroits, s'égare-t-elle?...
Nous espérons toutefois susciter la lecture de ce maître oublié, ou voir
prolonger nos suggestions par les travaux meilleurs d'auteurs plus
avisés.

Éléments bibliographiques

Balthasar von H.U., La Gloire et la Croix, I (Apparition), Aubier, Paris, 1965,


pp. 333-338.
— La Gloire et La Croix, IV-3 (Les héritages), Aubier, Paris, 1983, pp. 369
406.
Bieler M., Freiheit als Gabe. Ein schöpfungstheologischen Entwurf, Herder,
Fribourg-Bäle-Vienne, 1991.
Brito E., Dieu et l'être d'après Thomas d'Aquin et Hegel (coll. Théologiques),
PUF, Paris, 1991.
Cabada M.C.C., Sein und Gott bei Gustav Siewerth, Patmos, Dusseldorf, 1971.
Caser Β., Der Systemgedanke in der späten Tübinger Schule und in der deut
schen Neuscholastik, in Philosophisches Jahrbuch, 72 (1964), pp. 161-179.
Corona N.A., Ser y trascendencia segun Gustav Siewerth, in Stromata, 37
(1981), pp. 59-66.

18 Β. Welte, Gedenkrede für Gustav Siewerth, inédit p. 6.


19 Cabada (1971), pp. 25-26.

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— Ser y verdad segun Gustav Siewerth, in Stromata, 3


Heinrichs K.H., Metaphysik und Seinsgeschichte, in P
schau, 8 (1960), pp. 233-261.
Keller Α., Sein oder Existenz? Die Auslegung des Seins
in der heutigen Scholastik (coli. Pullacher philosop
VII), Berchmanskolleg Verlag, Munich, 1968.
Lacoste J.Y., Siewerth Gustav, in J.Fr. Mattei & al., E
phique Universelle — Les œuvres philosophiques
p. 3736a.
Lötz J.B., Scholastische Urteilslehre und Hegeische Seinsdialektik. G. Sie
werths Stellungnahme zu meinem Buch «Das Urteil und das Sein», in
Scholastik, 36 (1961), pp. 550-565.
— Zur Thomas-Rezeption in der Maréchal-Schule, in Theologie und Philoso
phie, 49 (1974), pp. 375-394 (surtout pp. 381-383).
— Das Sein als Gleichnis Gottes. Grundlinien der Ontologie und Gotteslehre
von Gustav Siewerth, in Theologie und Philosophie, 60 (1985), pp. 60-76.
Muck O., Die transzendentale Methode in der scholastischen Philosophie der
Gegenwart, Rauch, Innsbruck, 1964.
Müller M., Existenzphilosophie im geistigen Leben der Gegenwart, Kerle, Hei
delberg, 31964.
— Ende der Metaphysik?, in Philosophisches Jahrbuch, 72 (1964), pp. 1-48
(srt. pp. 40ss).
Neidl W., Gustav Siewerth, in E. Coreth, W.M. Neidl & G. Pfilgersdorfer
(éd.), Christliche Philosophie im katholischen Denken des XIX. und XX.
Jahrhunderts, III, Styria, Graz, 1990, pp. 249-272.
Oeing-Hanhoff L., Wesen und Formen der Abstraktion nach Thomas von
Aquin. Gustav Siewerth zum 60. Geburtstag, in Philosophisches Jahrbuch,
71 (1963-64), pp. 14-37.
Poggeler F. et al., Innerlichkeit und Erziehung. In Memoriam Gustav Siewerth,
Herder, Fribourg-Bâle-Vienne, 1964.
Przywara E., Die Reichweite der Analogie als katholische Grundform, in Scho
lastik, 15 (1940), pp. 339-362; 508-532. Traduction partielle par Ph. Secre
tan in E. Przywara, Analogia Entis (coll. Théologiques), PUF, Paris,
1990, pp. 14-16.
Puntel L.-B., Analogie und Geschichtlichkeit, I, Herder, Fribourg-Bäle-Vienne,
1969.
Rüttimann J., Illuminative oder abstraktive Seinsintuition. Untersuchung zur
Gustav Siewerth: «Der Thomismus als Identitätssystem», Räber, Lucerne,
1945.
Siewerth G., Thomas von Aquin. Die menschliche Willensfreiheit, Einleitung,
Verlag L. Schwann, Dusseldorf, 1954, pp. 9-134.
— L'homme et son corps, trad. R. Givord, Plön, Paris, 1957.
— Das Sein als Gleichnis Gottes, Kerle Verlag, Heidelberg, 1958a.
— Die transzendentale Selbigkeit und Verschiedenheit des ens und des verum
bei Thomas von Aquin, in Philosophisches Jahrbuch, 66 (1958b), pp. 22
33.
— Ontologie du langage, trad. M. Zemb, DDB, Bruges, 1958c.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 337

— Das Schicksal der Metaphysik von Thomas zu Heidegger, Johannes Verlag,


Einsiedeln, 1959a.
— La doctrine du péché originel, in M. Oraison & al., Le péché, DDB, Paris,
1959b, pp. 169-248.
— Die Freiheit und das Gute, Herder, Fribourg, 1959c.
— Die transzendentale Selbigkeit des ens und des bonum, in Philosophisches
Jahrbuch, 68 (1960), pp. 370-381.
— Der Thomismus als Identitätssystem, Schulte-Bumke, Francfort sur le Main,
21961.
— Die Differenz im System des absoluten Geistes, in Philosophisches Jahrbuch,
71 (1963a), pp. 59-81.
— Grundfragen der Philosophie im Horizont der Seinsdifferenz, Schwann, Dus
seldorf, 1963b.
— Metaphysik der Kindheit, Johannes Verlag, Einsiedeln,21963c.
— Wagnis und Bewahrung, Johannes Verlag, Einsiedeln, 21964.
— Analogie des Seienden, Johannes Verlag, Einsiedeln, 1965.
— Gott in der Geschichte, Schwann, Dusseldorf, 1971.
— Gesammelte Werke,*, (sous la direction de W. Behler & A. Stockhausen),
Patmos, Dusseldorf, I (1975), II (1979), III (1975), IV (1987)...
Tilliette X., note sur La démarche des cinq voies d'après Gustav Siewerth, in
Archives de Philosophie, 23 (1963), pp. 105-116.
Thum B., Der reine Seinsakt und das subsistierende Sein. Bemerkungen zu Gus
tav Siewerths «Der Thomismus als Identitätssystem», in Salzburger Jahr
buch für Philosophie, 7 (1963), pp. 209-216.
Ulrich F., Homo Abyssus. Das Wagnis der Seinsfrage, Johannes Verlag, Ein
siedeln, 1961.

'Ein jeder Engel ist schrecklich '20

«L'absolue différence entre Dieu, les possibilités vides et les choses


offre... deux voies d'accès. L'une éclaire à partir de Dieu la nature de la
différence, l'autre a comme résultat la consistance de l'étant créé. Si la
première est essentiellement orientée sur la Parole et Γ «événement de la
Révélation» (Théologie21), la seconde est une tentative, nécessitée par le
destin de l'être et de Dieu, de se porter au fondement, à partir des étants
subsistants, c'est-à-dire, à partir du «fini» ou du «sensible» question
nant et pensant (finitum est receptum et recipiens)»22.
L'amphibologie, ici esquissée, du projet siewerthien se tient en effet
entre la proposition (trinitairement éclairée) de l'être idéel, 1 'actus

20 R.M. Rilke, Duineser Elegien, I.


21 Sur les limites de cette assimilation de la première voie au «théologique», cf.
Puntel (1969), p. 118.
22 Siewerth (1963), p. 157. Cf. Puntel (1969), pp. 113ss.

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essendi scolastique, et la positivité de l'être à travers l'étant, manifestée


par le reditus de la chose à son exemplaire divin. La cohérence, dans la
présentation du système de Siewerth, oblige donc à considérer conjointe
ment les deux directions citées. La «voie d'en haut», catabatique, veut
exprimer la désarticulation de l'être et du néant hégéliens par une exposi
tion de la différence intradivine entre la subsistance et l'acte: l'Être
absolu y nécessite le néant non pas immédiatement, mais rationnelle
ment, au titre de la déhiscence réflexive propre à la réflexion de soi intra
divine. L'être créé est possibilisé dans cet écart à soi comme néant idéel
plénier, c'est-à-dire comme acte non subsistant qui se déchire et revient à
soi à travers les essences finies subsistantes. L'être est donc ici le médiat
idéel de l'identité exemplaire (et non pas dialectique) entre l'infini et le
fini: il pose le premier comme l'archétype du second qui en est le reflet.
La «voie d'en bas», anabatique, exprime la même réalité sous le
mode de l'analogie: de l'être créé au créateur, par la médiation déjà
exposée de l'être idéel médiateur, il y a une identité exemplaire qui auto
rise l'exploration de la «remontée au fondement» comme mouvement
«dans» l'identité. Ainsi, l'être fini s'adornant comme métaphore divine
peut reproduire le mode spéculatif de la Raison divine, qui est néantisa
tion intuitive de l'étant («jugement» thomasien de negatio) pour aperce
voir l'être dans sa plénitude non-subsistante, et, par-delà, l'origine sub
sistante dont provient la plénitude aperçue par la grâce non dialectique,
mais analogique, du néant rationnel. A partir de l'expérience fondamen
tale de l'enfance, le langage, fondé sur sa base imagée et préréflexive,
sur le caractère métaphorique de l'identité exemplaire, peut en effet
s'engouffrer dans la voie ouverte par le contraste négatif dans deux
directions: une voie probatoire (Quinque Viae) et la voie proportionnelle
(Analogia Entis) qui en rend compte métaphysiquement.
L'analyse approfondie de ces deux «accès» désignés par Siewerth,
dont on a pu deviner dans ces linéaments l'ajointement essentiel, s'im
pose ainsi pour une compréhension totale du propos.

1. La différence réale en Dieu de la subsistance et de l'acte

Simplicité et substantialité du Dieu thomasien

L'une des difficultés majeures de la métaphysique thomasienne


tient, on le sait, à l'incapacité dans laquelle l'Aquinate se tient, de pen

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Différence ontologique et différence ontothéologique 339

ser l'événement ontothéologique à partir du déploiement uni-différen


tiel de la relation intratrinitaire: le De Deo trino n'a pas à la longue
déterminé le De Deo uno23. Hegel, — mais à quel prix?24 — a mieux
articulé l'unité de la substance et le mouvement tri-personnel de la Vie
divine.
Le Dieu de Thomas, en effet, tend exclusivement à être considéré
sous les aspects de l'unité, de la simplicité et de la substance (comme
actus purus)25, face auxquels la modalité participée du fini apparaît défi
ciente: l'Hydre de l'Unité anhypostatique néoplatonicienne détermine
davantage cette théologie26 que la circumincession intradivine des hypo
stases! L'Aquinate, dans son traité sur le Dieu unique, tend, somme
toute, à dissocier un Dieu de philosophie pure et le Dieu de la Révéla
tion: or, même la création ex nihilo, dont on voit bien qu'elle soutient la
métaphysique de Thomas dans son entièreté, si elle n'est pas possibilisée
par une possibilité de nihil intradivin, demeure impensable sinon en ce
mode ontico-ontique27 ou «synthétique», sous quoi la différence comme
telle est annexée par l'identité survalorisée.

23 Cf. Ε. Pousset, Une relecture du traité de Dieu dans la Somme Théologique de


saint Thomas, in Archives de philosophie, 39 (1976), pp. 85ss. Pas davantage que Sie
werth, nous ne nous basons donc sur la critique par les heideggériens de l'entité (étantité)
du Dieu thomasien: cf. par ex. B. Welte, La métaphysique de saint Thomas d'Aquin et
la pensée de l'histoire de l'être chez Heidegger, in Revue des sciences philosophiques et
théologiques, 50 (1966), pp. 601-614; J.L. Marion, Dieu sans l'être (Quadrige), PUF,
1991, pp. 109ss. Le problème n'a pas à être défini à partir de Heidegger et ne concerne
pas la primauté de l'Ens. Cf. Puntel (1969), pp. 238-240 etc...; Siewerth (21961),
p. 97.100.127; (1959), pp. 127.403.452_462; J.D. Robert, Autour de Dieu sans l'être de
J.L. Marion, in Laval théologique et philosophique, 39 (1984), pp. 341-347; Brito
(1991), pp. 96ss.
24 Hegel a, selon Siewerth, déployé la réalité sous «la plus géniale et la plus épaisse
apparence (Schein) qui ait jamais obscurci la pensée humaine» (Siewerth (1971), p. 112;
cf. Siewerth (1963a); Brito (1991), p. 206 n. 163).
25 Cf. E. Coreth, Identität und Differenz, in Gott in Welt, Festgabe für Karl Rah
ner, H. Vorgrimmler éd., t. 1, Herder, Fribourg-Bâle-Vienne, 1964, pp. 180ss; Puntel
(1969), pp. 171-302. Brito (1991), pp. 87ss, 182ss... permet de nuancer cette affirmation
abrupte, qui appelle des nuances.
26 Cf. Κ. Kreper, Die neuplatonische Seinsphilosophie und ihre Wirkung auf Tho
mas von Aquin, Brill, Leyde, 1971.
27 C'est la raison pour laquelle, sans doute, l'effort formel de Thomas pour penser
la creatio à rebours de la catégorie poïeutique de productio (J.B. Lötz, Martin Heidegger
et Thomas d'Aquin, (Théologiques), PUF, Paris, 1988, pp. 150ss) échoue finalement
materialiter (L. Dümpelmann, Kreation als ontisch-ontologisches Verhälnis. Zur Meta
physik der Schöpfungs-theologie des Thomas von Aquin, Karl Alber, Fribourg-Munich,
1969 etc.).

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340 Emmanuel Tourpe

La positivité siewerthienne de la différence

Siewerth, pour sa part, est conscient qu'à thématiser de cette


manière succincte la simplicité divine, on n'échappe pas à la critique par
Hegel28 de la Vorstellung. Dans cette abstraction formelle l'universalité
reste indéterminée (cf. la «simplicité» dans la «religion immédiate hin
doue»29): l'unité indifférenciée n'expose, soit qualitativement que
l'être-pour-soi abstrait («L'Un, ce qui est en soi indifférencié, excluant
ainsi de soi l'Autre»30), soit, au mieux, quantitativement la continue
mêmeté de «nombreux uns»31, la grandeur continue de la discrétion du
multiple: la suppression de l'Un immédiat dans le déchirement de l'at
traction et de la répulsion. Mais le Dieu trine reste donc impensé comme
tel si l'identité à soi de l'Absolu n'a que la forme simple de l'égalité
(c'est le lieu de la célèbre critique au «premier» Schelling dans la pré
face à la Phénoménologie de l'esprit), ou de V«indifférence»32 si cet
attribut n'est pas considéré dans la connexion totale aux autres «noms
divins», dans la différence même. De plus, redoublant le défi hégélien,
s'est imposée l'insistance heideggérienne à explorer la différence
comme telle (Identité et Différence)33. Toujours davantage avec les
années34, Siewerth va chercher la positivité de la différence, «ce mode
d'unité par quoi la différence comme telle non seulement se «supprime»
mais aussi, comme différence, se manifeste comme unité originelle»35.
Si Dieu en effet n'était que «l'unité immobile, transcendante ou inces
samment assujettie, soit il ne lui adviendrait aucune différence, soit
encore elle la dissolverait dans les affres de son abîme»36.
Dans Γ Identitätssystem, le thomisme encore trop ancillaire (et sans
doute trop idéaliste) de Siewerth maintient fortement Γ Ununterschieden
heit37 de Dieu, en n'introduisant comme différence que la négativité

28 Cf. Siewerth (1963). Cf. L.-B. Puntel, Die Seinsmetaphysik Thomas von Aquins
und die dialektisch-spekulative Logik Hegels, in Theologie und Philosophie, 49 (1974),
pp. 343-374.
29 Cf. Brito (1991), pp. 99-107.
30 F. Hegel, Précis de l'Encyclopédie des sciences philosophiques, §96, trad. Gibe
lin, Vrin, Paris, 41978, p. 83.
31 Id. §100, p. 84.
32 Ib.
33 Siewerth (1959), pp. 463-464.
34 Siewerth (21961), pp. xix; 52 n. 76a; Thum (1963), pp. 119ss; Puntel (1969),
pp. 440ss; Brito (1991), pp. 107-108 η. 138.
35 Siewerth (21961), pp. 22-23.
36 Siewerth (1959), p. 498.
37 Cf. Siewerth (21961), pp. 29.31.50.67.107.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 341

rationnelle qu'on verra, tandis que dans Das Schicksal et dans les
Grundfragen, la différence de l'unité divine elle-même est amplement
thématisée38. Dieu n'est plus alors pris en vue comme l'Un plotinien39.
Si la différence suppose l'identité40, l'identité divine, en effet, pour que
l'altérité du multiple participé soit effectivement possibilisée, doit com
prendre la différence elle-même. La «nature de la différence»41 onto
théologique se laisse éclairer comme différence de l'être et de l'étant en
Dieu même: «car l'être n'est pas l"Un' mais 'l'être de l'étant', dans
lequel la différence éclaire aussi originellement que l'être. Aussi la dif
férence de l'être est à penser fondamentalement dans l'être, de même
que l'être dans la différence»42.
Comprendre cette différence dans l'être divin exige de réfléchir
dans leur ajointement essentiel, ce que Siewerth nomme la «différence
réale», et ce néant qu'il appelle le «transcendental oublié». Ces deux
éléments forment les aspects réel et rationnel de la différence ontothéo
logique dans sa plénitude.

Les éléments de la différence réale: Acte et Subsistance

La différence en Dieu est pensée par Siewerth comme «différence


réale»: sous cette expression se cache, de l'avis de Siewerth, l'une des
possibilités métaphysiques les plus puissantes et les plus oubliées de
l'histoire de la métaphysique. La différence réale est la différence en
Dieu entre son Acte d'être et sa Subsistance, à partir de laquelle seule,
comme Urdifferenz, sera fondée tout à l'heure la différence de l'être créé
et de l'étant fini43.

Qu'est-donc, au sens de Siewerth, cette archétypale distinctio realis,


cette absolue différence ontologique? Elle concerne la distinction révélée

38 Siewerth (1959), pp. 377, 390 etc; (1963b); pp. 153ss. «Dans Schicksal der
Metaphysik le «caractère spéculaire de l'être» est parvenu à une nouvelle dimension par
la distinction «réale» ... de l'acte et de la subsistance... Dans ce travail [Der Thomismus
als Identitätssystem] cette différence comme telle est mise en lumière à travers les termes
d'actualité et de réalité, sans atteindre l'importance décisive ultérieure» (Siewerth
(21961), p. 100 n. 30a; cf. id. p. xix).
39 Siewerth (1959), pp. 102.105.390.497-498.
40 Siewerth (1959), p. 453.
41 Siewerth (1959), p. 497.
42 Ib. Pour Siewerth, «une spéculation ... qui se condense sur une... unité simple,
fait courir à la pensée le risque de la simplification négative, et porte nécessairement au
rationalisme» (id., p. 390).
43 Siewerth (1959), pp. 506-507; Brito (1991), pp. 112-113. Cf. infra.

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342 Emmanuel Tourpe

des Personnes et de la Nature divine; en Dieu donc s'est ouverte de toute


éternité la différence ontologique de la subsistance (des hypostases) et de
l'acte (connaturalité des hypostases)44, du pli et du dépli par quoi s'éploie
la périchorèse de l'Être divin. Cette auto-différenciation en Dieu de
l'acte et de la subsistance demande à être réfléchie jusqu'en sa perspec
tive dernière: elle présente en effet la dimension proprement dramatique
de la puissance siewerthienne, la scène où s'épuisent les jeux réciproques
de sa fécondité et de sa faillite, du dévoilement et de l'oubli de l'être.
La «différence réale» d'acte et de subsistance comprend et explique
toute néantisation dans la résolution immanente de Dieu à soi, qu'il
s'agisse de son auto-réflexion ou de l'hétéro-réflexion de l'acte non-sub
sistant: en elle se tient la possibilité ultime de l'exemplarité visée dans
l'être créé.

La «différence réale» en Dieu de l'acte et de la subsistance, pour


ne pas être une thématique développée par l'Aquinate, s'autorise pour
tant de deux intuitions authentiquement thomasiennes. Nous avons déjà
relevé la première d'entre elles, qui vise à penser Dieu comme le
simple, l'identique et le subsistant45: Dieu est ipsum esse subsistens. Le
second élément, auquel l'interprétation actuelle est très attachée, se rat
tache au Thomas de la maturité et vise à circonscrire Y esse thomasien

comme actus essendi46, potentialisé du point de vue créé de la partici


pation, mais apuré éternellement en son ek-stase divine («métaphysique
de l'Exode»). Les vecteurs principaux de cette lecture de Thomas sont
Gilson47 et Fabro48, mais également, et peut-être même prioritairement,
Siewerth. L'être ainsi conçu sursume l'essence en son sens créaturel
(Gilson la traite de «sous-produit» de l'être!49); l'Essence de Dieu
réside dans son Acte d'être et s'y résout. Le spectre, agité par Heideg
ger, d'une ontothéologie essentialiste a motivé cette relecture, assez lit
térale, quoique insuffisante50, des textes thomasiens: la métaphysique

44 Siewerth (1959), pp. 389.499 etc.


45 Cf. Siewerth (1959), p. 458: «On ne peut pas penser» et assumer «la doctrine
thomiste relativement au «est», sans subsistance».
46 Cf. Keller (1968); Lacoste (1992).
47 É. Gilson, L'être et l'essence, Vrin, Paris, 21987.
48 C. Fabro, Participation et causalité selon S. Thomas d'Aquin, Publications uni
versitaires-Nauwelaerts, Louvain-Paris, 1961.
49 In Introduction à la philosophie chrétienne: cf. B. Montagnes, La doctrine de
l'analogie de l'être d'après S. Thomas D'Aquin, Publications universitaires-Nauwelaerts,
Louvain-Paris, 1963, p. 161.
50 Cf. L.B. Geiger, La participation dans la philosophie de saint Thomas d'Aquin,
Vrin, Paris,21953; Puntel (1969), pp. 34ss; 228ss etc.; Brito (1991), pp. 62ss.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 343

de l'Aquinate est ainsi déployée de telle manière que son ontologie


échappe à l'oubli de l'être. L'être de Dieu est la première ένέργεια,
actus purus, non pas cependant au sens dérivé (haut-scolastique) de
Yexistentia factuelle produite par l'abstraction (en opposition ration
nelle à Γ essentia de la concrétion), mais au sens absolument fondateur
de l'événement, de la positivité pleinement donatrice de la réalité sub
stantielle. L'originalité métaphysique de Thomas tient justement à l'on
tologisation, qui est une validation, du premier moteur (ontique) aristo
télicien (à partir, Kremer l'a montré, du schéma néoplatonicien). Cette
compréhension de l'être divin comme «acte pur» participé permet sur
tout, au sens de Siewerth, de faire pièce à la sursomption hégélienne de
l'être dans l'essence: l'éviction (la solution) de l'essence dans l'acte
supprime toute potentialité51 en Dieu et dévoile sa perfection immé
diate, l'hymen éternel en Lui de l'excès et de la mendicité, son intime, et
unique, dialectique «de gloire et de pauveté» (Ulrich), de la gloire dans
la pauvreté qu'est l'acte d'être tendant infiniment à sa subsistance, sans
jamais cesser de s'y reposer.

L'articulation de la différence réale52 en Dieu

La nouveauté de l'interprétation siewerthienne ne tient pas tant, par


rapport à Fabro notamment53, à cet inventum purement historique de
l'actualisme thomasien qu'à la manière dont, plus puissamment, elle
articule l'une à l'autre les deux thématiques, de la subsistance et de
l'acte divins. Siewerth est parvenu à viser leur différence comme telle,
au lieu de les laisser inchoatives et suggérées dans le champ «som
maire» de la métaphysique thomasienne. Leur ajointement rejoint l'in
jonction de la différence dans l'identité divine et, comme nous l'avons
dit, le lieu même des possibles et du créé.
L'être, dans l'Absolu, est toujours déjà «Être de l'étant» divin et se
tient dans cette différence: il est au sens propre la résolution éternelle de
la tension entre l'actualité qui exerce la plénitude du don et la subsis

51 Siewerth (1963a). Cf. aussi G. Siewerth (1971), pp. 96ss.; Siewerth (1959),
pp. 263ss; Cabada (1971), p. 292.
52 «Réal» «est à penser spéculativement, et n'a rien à voir avec la représention
physique ou conceptuelle de la 'réalité', qui relève de l'étant... En vérité, ce qui peut être
appelé 'réal' ne peut être pensé qu'à partir de l'être» (Siewerth (1959), p. 375). Cf. aussi
id., p. 377; Siewerth (1958a), p. 34.
53 Bien que, à son avis, son Identitätssystem ait influencé, peut-être même directe
ment, les travaux de Gilson à ce sujet: Siewerth (21961), p. xxvii.

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344 Emmanuel Tourpe

tance qui la recueille54. «Ainsi l'être est-il à penser au fondement dans


l'être, de même que l'être dans la différence»55. La différence de l'acte
et de la subsistance est donc la plus haute différence, qui cache en son
recès toutes les autres différences. L'être, en tant que fondement actuel
simple, ne peut être pensé «sans que, d'abord, le non-être au sens de la
potentialité et de la limitation soit exclu, et ensuite, inclus au sens de la
non-subsistance»56: elle a donc un caractère transcendental, absolu57.
Il importe ici de voir que cet être différencié, altéré de soi, ne doit
pas être pensé en carence de soi: la différence visée est toujours déjà
assumée, par l'exclusion d'une quelconque puissance essentielle dans la
coïncidence paradoxale de la réalité substantielle et de l'actualité plé
nière. Le néant appartient ici à l'être mais lui est soumis: pure altérité,
l'être-acte subsistant comprend une néantité différentielle, mais cette
négativité appartient au surgissement de la positivité immédiate de l'être
intensif divin. Nulle trace ici de la tyrannie hégélienne de la contradic
tion et du manque: la Wissenschaft der Logik est alors inversée, puisque
les déterminations sub-ontologiques reviennent à l'être comme à leur
fondement: être et néant s'enlacent effectivement en les noces de la dif
férence intradivine mais au bénéfice de l'absolue positivité et plénitude
de l'Être absolu altéré en soi58. Cette différence dans l'être infini nous
dispense de la nécessité de faire avec Hegel de la différence entre l'acte
et l'essence une différence absolue, divine, et d'achever l'être et Dieu
dans l'absence de différence. La «différence substantivée» (Adorno) du
Diktat heideggérien est du même coup dégagée de sa gangue aporétique,
exhaussée au plan absolu qui justifie et corrige l'intuition de YEreignis,
sans crainte que l'Ouvert ne se résorbe en la geste idéaliste.

2. Raison divine, être et néant. Le domaine intradivin des possibles

Le néant dans la Raison divine

L'une des conséquences majeures de cette vision concerne la corré


lation que Siewerth découvre entre les principes de causalité et de

54 Non pas donc simplement entre l'«acte» et la «puissance» — polarité classique


dont Siewerth a marqué l'insuffisance spéculative (Siewerth (1959), pp. xvn-xvm)).
55 Siewerth (1959), p. 497.
56 Siewerth (1959), pp. 385s.
57 Cf. à ce sujet Cabada (1971), pp. 289-296.
58 Cf. A. Léonard, Métaphysique, SIC, Louvain-La-Neuve, 21985, pp. 120ss.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 345

contradiction. Siewerth montre en effet que la causalité, qui est réalisa


tion, constitue l'aspect positif de ce que signifie négativement le principe
de contradiction. L'être comme tel (qu'il s'agisse de l'être créé ou de
l'être divin n'importe pas ici) s'exerce comme 'raison', elle-même «sans
raison», en se posant comme étantité (divine ou créée): se posant, l'être
causateur exprime son intrinsèque opposition au non-étant, puisque ce
qu'il détermine causalement ne peut pas à la fois, et sous le même rap
port, être et n'être pas.
Siewerth suppose ici la causalité à soi de Dieu, déjà évoquée, en
laquelle de toute éternité la différence réale, dans sa résolution identi
taire, est expression du principe de non-contradiction de l'être comme
tel, car l'être de Dieu se réalisant se pose dans l'opposition au non-être
de Dieu: «ce qui devient est réel — principe de causalité», «l'être
exclut le non-être — principe de non-contradiction»59. Cette con-ception
des deux principes s'éclaire en Dieu par la double et identique articula
tion de la positivité de l'être, et de la nécessaire compréhension du néant
dans l'intelligence divine.
Dieu, en effet, est dans son Essence «Esprit pensant qui s'exprime
en s'engendrant, et se pénètre tant en se pensant qu'en s'aimant. Qu'il
pénètre sa profondeur essentielle infinie, la différence alors par là est
«infinie», de même qu'elle se trouve émancipée dans sa nature simple.
S'il y a cependant dans la différence trinitaire le «précédent» et 1 ' « être
plus grand» du principe devant le principiatum, son Esprit pénétrant son
infinité ne doit alors pas être pensé sans concevoir en même temps qu'il
laisse également surgir par la pensée son «altérité», en raison de sa dif
férence ontologale. Si Dieu est Γ «être simple même» dans sa subsis
tance simple se pénétrant, son «altérité» ne peut être conçue que comme
«non-être» et «non-unité».

Dans cette mesure, tant le non-être que le néant, sont un produit de 1


l'Esprit divin lui-même, sans quoi Γ auto-pénétration divine demeurerait
dans un amour engendrant et aimant qui ne pourrait dépasser le cercle de
son absolue différence et simplicité. Dieu serait le Père de son Fils, et
l'Esprit d'eux deux, mais ne serait ni Créateur ni Seigneur, ni le roi
paternel de son Royaume éternel»60. Métaphysiquement parlant, Dieu,
comme plénitude subsistante de l'être, ne peut pénétrer cette plénitude
sans la médiation du néant idéel, projeté par contraste. Il n'appréhende

59 Siewerth (1958c), p. 129. Cf. Siewerth (21961), pp. 189.194ss; Puntel (1969),
pp. 126-127; Cabada (1971), p. 246.
60 Siewerth (1963b), p. 153.

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346 Emmanuel Tourpe

sa propre positivité et sa perfection infinies qu'en les démarquant de la


non-positivité et de l'imperfection du néant. «La Raison est Raison seu
lement par là qu'elle laisse jaillir le néant en soi»61. La Raison divine
dévoile la positivité de l'Être divin comme la différence de l'être et du
non-être qu'implique l'inclusion plénière (victorieuse) du négatif dans la
distinction réale: la Raison montre la positivité comme non-néantité de
l'imminence du transcendant dans l'immanent, elle repousse de l'abso
lue résolution compréhensive de l'écart à soi l'absolue incoïncidence
négative.
La Raison appartient d'ailleurs au déploiement interne de l'être
(compréhensif du néant au titre de la pure équivocité posée dans la
réflexion) comme événement de sa positivité62: «Dans la mesure où la
Raison laisse jaillir le non-être en elle-même, afin de pouvoir être réel
lement Raison, l'être se représente en même temps à travers elle comme
identité pure, absolue, inaffectable de néant»63. L'identité de l'être à soi,
conçue plus tard sous le mode différentiel que nous avons décrit, néces
site donc la réflexion de soi pour émerger de l'identité abstraite à l'iden
tité concrète, au Concept: étant entendu, versus Hegel, que cette concré
tion de l'Être divin soumet à sa positivité immédiate cette réflexion
rationnelle et le travail contre-négatif de celle-ci.
Cette inclusion idéelle du néant dans l'être, comme pénétration pen
sante de la distinction réale absolue, ne doit pas être comprise comme si
l'être et le néant appartenaient au même événement: le non-être est sou
mis à l'être, la différence appartient à la positivité de l'être. C'est pour
quoi, lorsqu'il s'agit de penser le mysterium intime de l'être, le néant est
projeté comme détermination, mais détermination la plus extrinsèque de
l'être (quodam extremum)M. L'être est non-non-être, sa positivité, qu'il
s'agisse de l'être divin ou de l'être créé, est inamissible: «puisqu'il est
absolument le réel du réel, il s'ensuit... qu'il [l'être] ne peut être irréel
et néant, puisque cela s'oppose au premier principe de la subsistance, au
principe de contradiction. De là le fait que l'être, comme réel de tout
réel, est qualifié en ce qu'il exclut le non-être.
Si nous nous tenons à cette réflexion, l'être est alors dans l'étant
l'énergéia maîtresse, la réalisation efficiente de toutes les choses réelles,
la raison, par quoi elles sont et s'opposent au néant. Il est pure positivité,

61 Siewerth (21961), p. 41. Cf. Siewerth (1959), pp. 389ss.


62 Cabada (1971), p. 97.
63 Siewerth (21961), p. 41.
64 Cf. Püntel (1969), pp. 116-117.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 347

existant immédiat, qui ne désigne rien d'autre que lui-même, lorsque


nous disons que les choses sont»65.
Le mystère ici décrit est profond, et sa portée contre l'idéalisme ne
doit pas cacher l'assomption, plus profonde encore, du rapport que la
Logique hégélienne laisse entrevoir entre l'être et le concept. On le voit,
si l'être n'est pas ici la détermination la plus immédiate du concept, la
relation d'inclusion réciproque est toutefois maintenue: Siewerth dévoile
la production du réflexif dans l'être même, et par l'être en direction de
sa positivité supra-négative, déjà exercée, mais non réfléchie, au plan de
la distinction, non-rationnelle mais réale, de l'acte et de la subsistance de
l'être. La négativité n'est pas absolue, elle est au service plus grand de
la positivité de l'être qui se médiatise par sa formation dans la Raison,
comme identité différenciée.

On remarquera bien ici l'absence de tension dialectique entre l'être


et le néant, le second ne conversant pas avec le premier, mais apparte
nant à la réflexion de soi, afin de dévoiler que la part réale de non-être
dans la distinction d'acte et de subsistance est supprimée par sa sur
somption dans la positivité plénière de l'être. Le néant est donc ici un
pur 'possible' de la vérité produit par la liberté divine, dans l'intime
connexion de l'être, de la connaissance et de la liberté qui caractérise le
déploiement transcendental de l'Absolu66.

65 Siewerth (1958a), p. 29.


66 Siewerth (1958b); Siewerth (1960); Siewerth (21961), p. 51; Puntel (1969),
pp. 117ss. Cf. H.U. von Balthasar,/^ Dramatique Divine, II-l, Lethielleux-Culture et
Vérité, Paris-Namur, 1986, p. 230 n. 36. E. Brito a bien résumé ce philosophème siewer
thien: «Mais comment l'intelligence divine peut-elle penser sa propre infinité comme
non-finité? S. Thomas lui-même n'a pas répondu à cette question. Mais, dans le prolon
gement de sa pensée, G. Siewerth a bien montré qu'il appartient à l'essence de l'intelli
gence d'inclure le néant: sans le non-être, l'absolu serait une pure égalité avec soi qui non
seulement ne pourrait rien poser de fini hors de son infinité, mais ne pourrait même pas
pénétrer sa propre plénitude. (L'imitabilité ne se fonde dans l'essence que dans la mesure
où il appartient à Dieu de se pénétrer soi-même comme intelligence et d'ouvrir la dimen
sion du néant.) Dieu ne peut penser sa propre perfection infinie qu'en se démarquant de
l'im-perfection du néant. Cf. Siewerth (21961), 38ss; M. Cabada (1971), 177ss. En
connaissant la plénitude de l'esse, Dieu connaît l'oppositum ou la negatio de l'esse, le
nihil... Mais dans cette approche le néant est un produit de l'intelligence absolue et non
une «entité» qui lui serait opposée originairement. La mesure de l'infinité divine n'est
pas l'altérité négative du néant comme telle, mais bien cette infinité elle-même; c'est
celle-ci qui se mesure positivement par elle-même mais, dans cette mensuration, laisse
cependant surgir l'altérité contrastée du néant (Siewerth (21961), 45). L'intelligence
absolue est fondamentalement et positivement intelligence de soi de l'être divin et, par là
seulement, principe formateur de ce néant. Certes, ce néant qu'est le possible appartient
nécessairement à la connaissance divine, mais il ne se tient pas devant Dieu comme une

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348 Emmanuel Tourpe

L'actualité dans l'idéalité de Dieu et sa Subsistance réelle

Le problème suivant est d'apercevoir dans leur connexion les deux


thématiques, de la différence réale, et de la négativité rationnelle. Il
semble que, pour le dernier Siewerth, elles expriment sous deux modes
différents mais intimement conjoints, la même réalité: la négation
rationnelle est un moment de l'autopénétration pensante divine.
Le néant produit comme «pur possible» dans la médiation de l'être,
donne en effet ce dernier à voir comme pensée67 divine (dont le néant est
précisément rejeté parce que dépassé dans la positivité ontologique). Si
véritablement l'être se donne en partage rationnel à la réflexion de soi, il
est dès lors cette idéalité que nous annoncions plus haut: il est idéel, en
tant que le procès de la différenciation de la mêmeté et de la simplicité
originaire dans l'intension de l'acte et de la subsistance implique sa pro
jection rationnelle telle que nous l'évoquions. L'être-comme-raison
appartient au procès total de la différenciation réale, puisque l'acte est
ici justement l'idéalité projetée par devant la subsistance comme l'autre
qui n'est pas le non-être mais la possibilité absolue de l'identité projetée
réflexivement par la substance comme «advenir à soi» altéré. L'actua
lité de l'Être divin est ici (en dépit de sa susception «pré»-réflexive)
cette idéalité nécessaire à la conception de l'absolu positif: l'acte
comme non-autre est ultimement idéel mais pour la subsistance qui le
réalise différentiellement et réflexivement, par-delà le néant médiateur
rationnel subsumé dans la réalisation que prend en vue, comme contre

nécessité qui affecterait en lui-même l'être divin et lui imposerait une détermination quel
conque. Par contre, la conception hégélienne de l'être comme non-étant détruit la positi
vité de l'être en l'épuisant dans sa tension dialectique avec le néant comme si le non-étant
définissait exhaustivement l'être, comme si, à la manière de deux réalités en tension,
l'être et le néant, mis sur un pied d'égalité, n'avaient d'effectivité que l'un par l'autre...
Contre Hegel, il faudrait souligner que le néant n'entre pas dans l'être, on ne peut l'y
«injecter», il est sans rapport dialectique avec lui. L'être exclut le néant de sa positivité,
et donc ne peut l'inclure que pour mettre rationnellement en évidence sa positivité. Le
néant est seulement une émanation de la raison que l'être requiert pour concevoir sa
propre positivité. La raison, avec son moment de néant, assure l'absolue positivité de
l'être en y incluant son absolue intelligibilité. Certes, Hegel l'a vu: l'être doit se mettre à
distance de soi et laisser le néant se produire dans la raison négative. Mais à la différence
de ce qui se passe chez Hegel, la médiation de l'être par la raison et le néant reste incluse
en lui au lieu de se conjuguer dialectiquement avec lui : la positivité se ratifie elle-même
par l'exclusion du néant. Cf. M. Cabada (1971), 98-100)» Brito (1991), p. 233.
67 Les propos qui suivent, sur l'être comme «idéalité», doivent être complétés par
les considérations sur l'«effectivité» de l'être (en rapport donc avec la Volonté de Dieu)
que nous donnerons dans la troisième partie de notre Introduction à Gustav Siewerth.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 349

néantisation, l'auto-réflexion. La différence réale implique donc essen


tiellement cette médiation rationnelle, puisque, au bout du compte,
l'être-acte est l'idéalité68 réalisée dans la subsistance, l'aspect altéré de
l'identité à soi de l'Absolu. Ici s'éclaire donc l'Être divin comme le
domaine de l'absolument possible, résolu mais indissolvable. Toute pos
sibilité ultérieure trouve place dans cet écart de l'idéel et du réel, de
l'acte et de la subsistance divine: l'exemplarité de l'être créé sera
d'ailleurs exactement, et moyennant la mise en coïncidence temporelle
(via les essentiae, par le fait de la participation) de Y actus essendi et du
subjectum étant, la ré-flexion spéculaire de l'absolue mêmeté réflexive
dans la différence réale divine.

L'actualité de l'être peut donc être conçue comme l'«Idée des


Idées»69 qui «subsiste» davantage en Dieu que dans les choses70: il y a
donc une identité dans l'être entre Dieu et la créature, identité sur le
mode de l'imitation, identité exemplaire.

3. De l'infini au fini: Identité exemplaire médiatisée dans l'actus


essendi idéal

Philosophie et Révélation

La réflexion de Siewerth que nous citions en liminaire nous avertis


sait déjà: la «voie d'en haut» est indécidable s'il n'y pas unité des pen
sées de l'être et de la Révélation71. Tel sera d'ailleurs le lieu exact de la
critique adressée par notre auteur à Heidegger: en vertu de quelle auto
rité la pensée découvrante, l'ouverture à l'être, s'enclorait-elle contre la
Parole même de l'Être? «Heidegger ne demeure-t-il pas quelque peu à
l'intérieur d'une circonscription implicite née de la Critique kantienne et
de sa démonstration de la «limite de la pensée?» D'où tire-t-il le droit
d'affirmer, à propos de la «Vérité de l'être» nulle part éclaircie dans ses
limites, que la pensée, laquelle «renvoie dans la vérité de l'être», ne
peut être «théiste», en considération des limites qui sont posées à la pen
sée comme pensée?»72. Une fois que l'on a posé la différence méthodo

6S Cf. Cabada (1971), pp. 177ss.


69 Siewerth (21961), p. 80, 111. Cf. Cabada (1971), pp. 200ss.
70 Siewerth (1959), p. 394.
71 Cf. Cabada (1971), pp. 302ss.
72 Siewerth (1963b), p. 248.

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350 Emmanuel Tourpe

logique des deux disciplines philosophique et théologique, rien encore


n'a été dit.

Siewerth s'inscrit dans la direction de pensée commune à Przy


wara73 et Balthasar74, en exigeant, fondée sur la théologie thomasienne
du surnaturel75, une inspiration réciproque, une communauté de vue, du
théologique et du philosophique. L'auto-monstration de Dieu promeut la
pensée de l'être, dont la note, historiquement, est toujours théologique76.
E. Brito exprime exactement la pensée de notre auteur lorsqu'il dit que
«Révélation et philosophie (ou métaphysique) ne peuvent se maintenir
simplement juxtaposées: la Révélation ne peut devenir événement que
dans l'être de l'étant; et par la Révélation, la philosophie se rapproche
du fondement. Depuis l'Incarnation du Logos, on ne peut parler d'une
séparation entre la Révélation et la pensée de l'être»77.
La différence ontologique, au sens de Siewerth, n'est même pen
sable dans sa foncière plénitude, qu'en regard de l'injonction biblique à
penser une «métaphysique de créature»: «n'aurait-il pas été possible
que précisément cette parole [«au commencement Dieu créa le ciel et la
terre»] fasse accéder la pensée à une unification et à une implication
approfondie, et ait contrarié l'oubli de l'être, qui s'enracine dans l'abîme
non irréductible de la différence de l'être et de l'étant?»78. L'instance
dans le délaissement de l'être (laisser-être) comme être, l'écoute du
pouls de la différence, oblige à se tenir sans aversion (Abwehr) dans l'in
time du Verbe là, où, et comme il parle. La préférence du logos héracli
téen au Fils de Dieu n'est pas fondée sur l'être-même. L'Aquinate au
contraire {«Thomas a creatore»19\), pour peu qu'on parvienne à systé
matiser ses intuitions éparses, fournit la démonstration historique de
l'émergence d'une pensée copropriée à la différence de l'être, à partir de

73 Cf. Ε. Przywara, Schriften I, Frühe religiöse Schriften, Schriften II, Religions


philosophie Schriften; Johannes Verlag, Einsiedeln, 1962.
74 Cf. par exemple: H.U von Balthasar, Apokalypse der deutschen Seele. Studien
zu einer Lehre von Letzten Haltungen, Salzbourg, 1937-1939; et al., Pour une philoso
phie chrétienne, Lethielleux-Culture et Vérité, Paris-Namur, 1983 (srt cf. Une philosophie
requise par la théologie) etc.
75 S iE werth (1959), p. 29. Cf. H. de Lubac, Surnaturel. Études historiques, Aubier,
Paris, 1946.
76 Cf. Siewerth (1971), pp. 126-127.
77 Brito (1991), p. 21.
78 Siewerth (1959), p. 27. Les Archives Siewerth de Weilheim (Fribourg) recèlent
un petit texte de 1958 intitulé, symptomatiquement: Christliche Philosophie (cf. Cabada
(1971), p. 337).
79 Siewerth (1958a), p. 15. Le mot est de Chesterton.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 351

l'Exigence révélée80: cet «Être est le réel du réel; il est la totalité et


l'unité de la diversité. Il est Acte, Energéia, et tout simplement réalité
réalisante, dont le réel fondateur et la réalisation régnent dans l'étant,
mais qui n'est pas borné ou appauvri pour cela. Ainsi n'est-il pas misé
rablement limité ou finalement réduit à la réalité chosale que nous expé
rimentons.

En vertu de cette ampleur et de cette profondeur intrinsèques infi


nies, il ne demeure pas pleinement à l'extérieur du Dieu se révélant. Un
divin mystère illumine et demeure manifestement en lui. Dieu ne
devrait-Il pas aussi être nommé «l'Étant», «Qui est ce qu'il est», ou
l'«Être même», duquel émane tout étant? N'est-Il pas l'Océan de l'Être,
et comme tel l'«Être de tout étant»? La pensée de l'Être ne signifie-t
elle pas une participation ou un avoir-part à la lumière de l'Être ou du
Vrai divins? Dès lors cependant que l'Être est reconnu comme unique et
incréé, cette première illumination ne peut plus s'éteindre. Il s'agit d'une
dot mystérieuse, qui advient par la lumière éclaircissante de la Grâce et
de la Foi dans la clarté. Ainsi la sacra doctrina, la théologie comme
savoir n'est plus anti- ou aphilosophique. Ainsi la parole de la Révéla
tion: «Au commencement Dieu créa le ciel et la terre», ne peut pas être
un argument contre la pensée de l'Être; elle lui est au contraire d'une
transparence lumineuse.
Il ne s'agit pas toutefois avec Scot et Suarez de mettre simplement
Dieu à la place de l'Être, de faire de lui 1 'essentialité absolue et esseulée
du Créateur, et de convertir l'Être de l'Étant en un genre idéel supradi
vin ou en un concept universel issu de l'abstraction du sujet pensant.
Notre pensée oblige plutôt à dire, à travers l'extraction de tout étant
hors du Dieu un et unique, que la connaissance originaire de l'Être de
l'étant n'est pas une monstration qui s'affaiblirait avec la révélation du
fond, mais bien au contraire qu'elle consiste dans le plus originaire, le
plus infranchissable et le plus inaltérable fondement de possibilité de la
pensée, dont toute connaissance ultérieure procède»81.
Le procès historique du dévoilement ontologique est donc positive
ment corrélé avec l'explication théologique du révélé: à la vérité de
l'être appartiennent la pensée croyante et la pensée pensante, sans confu

80 Siewerth (1959), pp. 25-26. On peut légitimement demander si Heidegger n'est


pas devenu le penseur contre-chrétien par excellence, en constituant ultimement le projet
le plus systématiquement théologique de ce siècle, par l'insistance de son opposition au
verbum crucisl «Dionysos contre le Crucifié»: répétition du même...
81 Cf. Siewerth (1958a), pp. 16-18.

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352 Emmanuel Tourpe

sion ni antinomie. La relation des deux constitue le vivant paradoxe de


la détermination réciproque du credere et de Yintelligere: cette polarité,
du point de vue de la philosophie, assigne donc un «a priori théolo
gique» au fondement du «développement historique de la pensée occi
dentale»82.
A côté, ou plus justement, intérieurement à la trinitologie, se déploie
ainsi pour une métaphysique chrétienne l'exigence révélée de la creaîio
ex nihilo. Siewerth s'est exercé avec génie à penser la possibilité de cette
création dans l'Être divin, en évitant les écueils de la différence absolue,
de l'identité absolue83 et le manque de systématicité des solutions tho
masiennes. Dans l'intuition centrale de l'auteur de 1 'Identitätssystem,
«la pensée de la différence comme intérieure à Dieu lui-même implique
que les différences créées ne sont pas juxtaposées à la simplicité divine,
mais sont encloses dans la résolution interne de Dieu à sa propre diffé
rence immanente»84. Cette «résolution interne» constitue véritablement
la clef du système siewerthien: en elle se condensent les possibilités thé
matiques de l'identité exemplaire entre le fini et l'infini, et de l'exem
plarité médiatrice de l'être dans leur lien avec l'idéalité au fondement
(cf. infra).

Création et Résolution à soi de Dieu

Le surgissement du néant dans la Raison absolue, à l'intérieur de


Γ autodéploiement de la différence réale en subsistance réelle et en acte
idéel, détermine, nous l'avons dit, une possibilisation interne à l'Absolu,
qui n'est pas une carence de soi mais l'exercice de la différence unitaire
propre à la positivité supranégative de Dieu. L'altérité en Dieu trouve
donc un fondement dans l'instance, idéelle, de l'acte en Lui. Il faut aussi
se rappeler que cette idéalité altérante interne à l'Être divin est du
domaine de la volonté absolue, puisque Dieu se veut Lui-même comme
cette différence unitaire pensée par-delà le néant dans l'idéalité réalisée:
nous l'avions suggéré, cette différence que met en lumière la Raison
divine est du domaine de la Liberté divine {verum, bonum et ens conver
tuntui•85). Dans cette volonté de soi, qui est une résolution immanente,

82 Siewerth (1959a), p. 28.


83 Cf. Puntel (1969), pp. 114-115.
84 Brito (1991), pp. 112-113. Cf. Siewerth (21961), pp. 48-49; Cabada (1971),
pp. 184-188.291; Lötz (1985), pp. 63-64.
85 Cf. Siewerth (1958b; 1960).

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Différence ontologique et différence ontothéologique 353

Dieu s'enquiert donc de l'autre en Lui pensé dans sa réalisation. La


Création, dira Siewerth, trouve ici sa possibilité la plus propre: créer,
pour Dieu, sera donc au sens propre penser son imitabilité86 dans un acte
de volition efficiente, produire un acte (idéel) qui médiatise par voie
d'imitation l'Être divin dans une auto-scission qui sera une subsistance
réelle, non pas certes une subsistance immédiate comme pour Lui
même, mais cette subsistance temporalisée dans la résistance à la pure
actualité que constituent les essences. Nous verrons plus loin (dans 4.) le
mode concret de cette exemplarité, qu'il nous faut d'abord prendre en
vue formaliter, dans le cadre modal de l'identité de Dieu et du monde, à
partir de cette résolution à l'autre dans la résolution à soi.
Un article prétendant exposer de façon sommaire la pensée de Sie
werth n'est pas le lieu pour traiter plus avant cette problématique fasci
nante, plus riche en conséquences87 que nous ne saurions ici le dire. Il
suffit pour l'instant d'avoir pris en vue cet approfondissement d'une
authentique proposition thomasienne88 par Siewerth dans l'envisagement
de V«Entschluss Gottes zu sich selbst»*9: «l"autre' apparaît comme
création par là que Dieu se résout à sa positivité, c'est-à-dire qu'il se
veut Lui-même comme volonté infinie et créatrice. Cette volonté est ...
identique avec la position du créé»90.

L'exemplarité du rapport entre l'Être infini et l'être fini

Cabada a donné sur ce sujet de l'exemplarité un exposé auquel nous


nous confierons91. Nous ne saurions, au mieux, qu'imiter ces développe
ments parfaitement renseignés, qu'il convient de traduire in extenso.
«Siewerth parle fréquemment de l'être comme 'similitude' (Gleich
nis') et 'reflet' (Abbild) de Dieu. [...]. Cette vision de l'être comme
'similitude' était déjà exposée dans Yldentitätssystem. Siewerth voit
l'acte d'être comme «la simple et globale similitude de l'Absolu» (Sie
werth (21961), p. 111). Ceci est en rapport avec le fait que l'acte «à la
fois comprend 1 'altérité en lui-même, et se trouve élevé par-dessus elle,
c'est-à-dire qu'il est la pure et commune fluidité vers ses détermination

86 Puntel (1969), p. 119.


87 Cf. par exemple Léonard, op.cit., pp. 152-154 etc.
88 Cf. De pot. 5,4; CG 1.76 (Siewerth (21961), pp. 48.139ss).
89 Cabada (1971), p. 184.
90 Siewerth (21961), p. 48.
91 ... en dépit de leur caractère rhapsodique et laborieux, trop peu systématique
aussi (cf. Lötz (1985), p. 61).

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354 Emmanuel Tourpe

et altérité, sans jamais être simplement et réellement saisissable à travers


elles»92 [cf. infra, 4], L'être n'est toutefois pas seulement similitude,
mais aussi 'reflet' de Dieu. De fait, pour autant que l'être 'indique l'ori
gine elle-même, il n'est pas seulement similitude au sens de la simili
tudo, mais aussi un reflet de Dieu (similitudo et imago dei)m. Cette
expression trouve sa justification et son éclaircissement ultime dans la
'structure exemplaire' de l'être, qui joue un rôle central dans la pensée
de Siewerth. L'être est par là aperçu dans sa profondeur plénière et der
nière. L'unité, dont nous avons déjà traité, de Dieu avec sa création se
trouvera d'autre part plus justement déterminée.
La citation suivante montre que pour Siewerth la 'structure exem
plaire' de l'être est d'une signification décisive: «Rien n'a moins été
pris en considération, depuis la philosophie scolastique médiévale, que
la structure exemplaire, l'empreinte, qui tout atteint, de l'être, sans
laquelle il n'y a aucune connaissance de Dieu et toute ontologie suc
combe au formalisme sceptique de Kant ou au panthéisme» (Siewerth
(21964), p. 204 [cf. aussi Siewerth (1958b, p. 105]). Les raisons qui
sont ici données apparaîtront par la suite plus clairement. (...).
La «structure exemplaire» de l'être ou son «identité exemplaire»
est pour Siewerth le milieu entre l'identité absolue et la différence abso
lue. Aucune des deux n'explique, ni le problème de la transcendance, ni
la nature de Dieu. Soit (dans 1'«identité absolue») chaque différence est
supprimée, de sorte que les choses finies et infinies et conséquemment la
pensée de la transcendance, restent inexplicables, soit (dans la «diffé
rence absolue») il se crée un tel fossé entre les deux qu'un tel dépasse
ment devient impossible et Dieu Lui-même est présenté de manière non
spéculative, à côté d'une réalité qui lui est extérieure. L'explication
métaphysique de la possibilité de la connaissance, d'une part, et la
conception spéculative d'un Dieu qui n'est pas séparé de la réalité
d'autre part, déterminent intérieurement Γ «identité exemplaire» ou
Γ «unité exemplaire» de Siewerth94. Les moments se complètent l'un
l'autre et ne peuvent pas être métaphysiquement séparés. La possibilité
d'une connaissance transcendante (ce qui vaut d'une certaine façon pour
chaque connaissance, en particulier lorsque l'on pense que chaque

92 Siewerth (21961), p. 111. Cf. Siewerth (1958a), pp. 44ss, 59ss, 65ss. Siewerth
(1963b), p. 194. F. Ulrich a dans le même sens particulièrement mis en lumière, à la suite
de Thomas, l'être comme «similitudo divinae bonitatis»; voir Ulrich (1961), pp. 26.455.
93 Siewerth (1958a), p. 46.
94 Cf. à ce propos Siewerth (21961), pp. 1-27.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 355

connaissance est une connaissance de Dieu «non déployée») est préci


sément, et finalement, fondée en ce que Dieu n'a rien en dehors de Lui,
et donc imprègne tout intérieurement et tout élève par dessus soi-même.
Le mode de cette imprégnation par Dieu est Γ «unité exemplaire». Dieu
n'a rien «à côté» de Lui, de sorte que sa création advient dans «la réso
lution de Dieu en Lui-même». [...]
C'est seulement parce qu'il en est ainsi que l'être de la Création
peut être empreint (geprägt) par voie de modélisation. «Être empreint
par voie de modélisation» signifie en fait chez Siewerth «tout bonne
ment «être à partir du fondement (conformément à l'être et l'essence)»
et avoir son être comme cet être «rayonné», «médiatisé», «se médiati
sant soi-même», projeté à partir du fondement et développé dans sa
direction» (Siewerth (21961). C'est pourquoi «l'altérité, au travers de la
vue originaire de l'unité exemplaire sur le fondement dans son altérité
elle-même n'est pas absolue mais analogue, c'est-à-dire déterminée
comme moment relationnel ou (maintenue) sous la préséance de l'Iden
tité absolue, et par là d'une certaine façon supprimée, ou posée dans une
transcendance réfléchissante»95.
Siewerth remarque que cette unité de Dieu avec le monde a «un
caractère incomparablement originaire et simple» (Siewerth (21961),
p. 176). «Elle n'est pas simplement une unité substantielle distendue ou
une pure unité de relation de deux essences qui subsistent pour elles
mêmes; elle est une «unité de substance explicative», quoique Dieu soit
plus proche de la créature que la substance ne l'est de ses accidents ou
d'elle-même» (ibid.). L'empreinte archétypique ne pose en fait pas une
«'relation extérieure' entre un 'modèle' et une 'reproduction'; elle signi
fie au contraire une essentielle unité ontologique de fondation des deux,
qu'on ne doit pas dissocier» (ibid.).
Cette unité propre est aussi exprimée par la «réalité» ou la «positi
vité» de l'être lui-même, que Siewerth nomme le «lien interne de l'unité
exemplaire» (Siewerth (21961), p. 187). La positivité est en fait vue
dans un lien étroit avec Γ «identité exemplaire», de sorte que Siewerth
peut écrire dans un ouvrage inédit: «Ce fait que la positivité de l'être est
dicible, non seulement de façon négative, mais aussi toujours positive
ment, à propos de Dieu, dans la négation du mode d'expression de signi
fication et que rien ne peut alors le supprimer, a donné sa justification au

95 Siewerth (21961), p. 176. Les derniers mots «ou ... réfléchissante» ont été
rajoutés dans la deuxième édition.

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356 Emmanuel Tourpe

titre d"identité exemplaire'.» (AP 12). Dans le même ouvrage Siewerth


remarque finalement: «dans chaque ressemblance reflétée règne une
similitude cachée et modifiée, dans chaque άναλογίζεσθαι: c'est-à-dire
que dans chaque transcendance du reflet au modèle règne un mode de
l'être un et même, parce qu'en effet le reflet comme tel ne peut pas être
relié au modèle lorsque celui-ci n'est pas aperçu en lui» (AP 12ss). [...]
L'identité, ou l'unité, exemplaire n'est donc en aucune manière iden
tité ou mêmeté absolue, mais elle suscite originellement tout mode
d'unité et de différence et les fonde tous deux. Siewerth précise cela plus
exactement encore: «elle n'est pas simple mêmeté, non plus qu'un
'dépli' conciliant, qui se défait dans sa diversité et se 'conserve' dans sa
soi-mêmeté (Selbstgleicheit). Elle n'est pas une 'explication' immédiate,
non plus qu'une unité de rapport, exercée comme action et passion, de
deux êtres absolument différents, mais le déploiement de l'altérité
comme telle, de la pure soi-mêmeté à T'image', à la 'copie', à l'unité
exemplaire avec le fondement. Le rapport d'altérité ne relie donc pas
'extérieurement' au fondement, mais possibilise, aussi bien, finalement,
qu'il interdit, l'être comme autre» (Siewerth (21961), p. 171). [...]
A vrai dire, le traitement de Γ «identité exemplaire» est chez Sie
werth en rapport étroit avec le débat sur l'idéalité [...]. Elle ne doit donc
pas être traitée à part de cette question. Leur commune considération
mène à une compréhension bien plus profonde de Γ «identité exem
plaire». Siewerth rend compte déjà de cette cohérence intime de l'«iden
tité exemplaire» et de l'idéalité, lorsqu'il écrit la phrase suivante: «Sai
sir quelque chose d"idéel' veut dire ... l'articuler dans l'unité avec son
fondement. Penser l'étant dans l'idée divine signifie saisir son essence,
en tant qu'elle est, pour ainsi dire, identique à lui dans son fondement...
De même, la 'médiation' de l'idée à l'altérité a autant de sens que l'éta
blissement originel d'une unité interne avec 1"autre', cependant que le
caractère de modèle de l'idée ... est simultanément le 'fondement de la
connaissance'» (Siewerth (21961), p. 73). On peut déjà conclure de ces
propositions que Γ «unité exemplaire» est une «unité idéelle». Siewerth
parle effectivement ici de Γ «unité idéelle de la cause et de l'effet» (ib.).
Ceci se montre plus clairement encore, lorsqu'on a devant les yeux la
définition siewerthienne de Γ «idéalité»: «L'idéalité ... désigne non
seulement chez la déité mais aussi chez l'homme ce mode d'être par
quoi l'étant fini est médiatisé dans sa possibilité et dans sa positivité à
partir du fondement infini» (Siewerth (21961), p. 58 ss). Cette défini
tion est encore citée littéralement dans VAvant-propos. Siewerth conclut

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Différence ontologique et différence ontothéologique 357

en disant: «L'idéalité de la pensée et de l'être est en même temps son


identité exemplaire, le propre point d'unité de la systématique philoso
phique totale» (SieWerth (21961), p. xxxn). L'idéalité se trouve par
conséquent com-posée avec Γ «identité exemplaire». La raison précise
en est que l'«identité exemplaire» n'est possible et compréhensible
qu'à travers l'idéalité et en elle. L'idéalité est la profondeur de l'être
même, qui ne peut en être séparée, et qui se montre dans la pensée96. A
travers l'idéalité l'homme s'élève par-dessus lui-même. Ce «s'élever
par-dessus-soi-même» est à l'origine rendu possible parce que Dieu,
d'une certaine manière, tient tout dans l'unité de son idéalité, parce
qu'il ne peut rien créer d'autre que dans la résolution à soi-même97.
C'est pourquoi Siewerth dit également: «L'empreinte exemplaire ou
originale est médiatisée par l'idée en Dieu» (Siewerth (21961), p. 26).
En raison de cette cohésion intime de l'unité exemplaire et de la média
tion idéelle, Siewerth parle autre part d'une certaine différence entre
l'expression «participation» et «unité exemplaire»: «la 'participation'
est un autre mot pour l'unité exemplaire: en elle seulement parvient à
l'expression l'unité réelle du posé (des Gesetzten) avec son fondement,
alors que la modélité et la réflectivité (die Ur- und Nachbildlichkeit)
visent en premier lieu la médiation idéelle» (Siewerth (21961), p. 178.
[...]
Dans la seconde édition de 1 'Identitätssystem, Siewerth a souligné
dans différents passages la signification de cette médiation idéelle pour
l'unité exemplaire. Il s'oppose à une représentation «symbolique» de
l'identité exemplaire, qui ne tient pas compte du fait que la «spécula
tion» exemplaire et idéelle est médiatisée98.

96 «Pensée» ne signifie, selon Siewerth, rien d'autre que Γ «être dans son idéalité»
(cf. Siewerth (21961) p. 121).
97 II n'est aucunement dit par là que l'idéalité humaine et l'idéalité divine sont iden
tiques. Bien plutôt, la seconde rend possible et imprègne la première. On ne peut parler
de ceci qu'à partir de l'hypothèse de la création. On ne doit pas, à la vérité, et malgré la
différence, parler d'une «séparation» réelle. La raison précise pour laquelle la pensée est,
d'une certaine façon, «infinie», et pour laquelle Dieu doit se penser comme «in-fini», et
pour laquelle Dieu doit se penser comme «in-fini» se trouve ici. Siewerth a écrit, à pro
pos de la différence dans l'idéalité, dans un texte de jeunesse inédit (où il explique une
proposition thomiste (Ver. q.l, a.4, ad. 5)): «Cette sphère de l'idéalité modélisée (vorge
bildeten Idealität) n'est ... pas à confondre avec l'idéalité divine elle-même, mais elle a
le sens d'une 'émanation', d'une 'extase' 'reflétable' qui cependant représente immédia
tement le modèle» (WW I, 51). Cf. Siewerth (21961), pp. 72ss.
98 Cf. la proposition correspondante dans VIdentitätssystem: Siewerth (21961),
p. 190.

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358 Emmanuel Tourpe

De même, lorsqu'il remarque dans une autre proposition: «L'ex


pression 'identité' a pris le sens le plus éloigné par le fait de sa précom
préhension panthéiste, qui lui donne le sens d'une 'mêmeté' ontologale
('seinshaft') de Dieu et de l'homme. Le caractère de la médiation idéelle
interdit pourtant une telle signification» (Siewerth (21961), p. 171).
C'est pourquoi nous voulons tenter de préciser une fois de plus
l'identité exemplaire en rapport avec la «médiation idéelle». Ce n'est
pas une identité exemplaire entre l'étant et Dieu, mais une identité
exemplaire qui «ne règne (se trouvant alors modérée) qu'entre l"être
même' et Dieu»99. Cette «modération» de l'identité est essentiellement
déterminée par la «médiation idéelle». Cela est visible en particulier
dans les phrases suivantes, qui proviennent d'un travail inédit de Sie
werth. Elle sont, dans un tel contexte, particulièrement importantes:
«On ne doit cependant pas négliger le fait que dans Γ «identité exem
plaire» le discours ne porte pas sur l'être et Dieu, mais sur Γ «esse
exemplatum» et Γ «esse exemplare» ou Γ «être comme idée», qui est en
fait dans une identité «réale» avec Dieu, parce que Dieu la voit dans son
essence et dans son unité, sans toutefois coïncider avec elle. C'est un des
résultats les plus décisifs de Yldentitätssystem que l'être n'est en aucune
manière un «donné», mais un «produit de la Raison», laquelle essen
tiellement modélise et laisse jaillir les «Idées» de la connaissance de soi.
Dans la «relative» multiplicité des idées, dont l'unité simple est propre
ment le regard modélisant de Dieu, est seule fondée l'identité exem
plaire: non pas donc dans l'acte d'être même de Dieu. La relation à Dieu
est médiatisée à travers le «modèle» idéel même»100. [...] L'analyse de
l'idéalité divine a justement montré qu'il n'y a face à Dieu aucun
«donné», de telle manière aussi que le «néant» jaillit de la raison
divine. On ne peut donc non plus concevoir 1 ' « identité exemplaire»
comme si elle était une unité surajoutée entre un être fini et Dieu, unité
qui, pour ainsi dire, serait posée en équilibre. L'«identité exemplaire»
est bien plutôt l'espression de l'événement de la médiation idéelle, à tra
vers laquelle en priorité nous pouvons parler de Γ «être», qui est alors le
propre vecteur de cette identité. L'être comme «médiation», comme être
«non subsistant» est d'une certaine manière l'identité exemplaire elle
même. [...]

99 Cf. Siewerth (1959), p. 92 (et note 4). Voir aussi Siewerth (1959), p. 55.
100 AP p. 13. A propos du néant comme «produit» de la Raison divine, cf. notre
développement sur l'idéalité divine chez Siewerth: 2° partie, II. Sur la signification et le
sens du «modèle», cf. Siewerth (21961), pp. 143ss.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 359

L'«être» est pour Siewerth le «milieu médiateur» originel, la pro


fondeur de la pensée et de la réalité. Il ne peut «être» que tel, parce qu'il
«est» le vecteur, le milieu, et l'expression de Γ «identité exemplaire»
elle-même. La difficulté qu'il y a à préciser ce qu'est Γ «être» par des
mots, tient précisément à cette profondeur métaphysique qui excède
toute catégorie. Siewerth écrit d'ailleurs dans Yldentitätssystem: «il n'y
a rien d'autre que l'être ... si ... la créature même doit être déterminée à
partir de la modélisation, ou lorsqu'on se demande à partir de là ce qui
unifie le modèle et le reflet dans l'unité d'une harmonie de natures fon
datrice ... L"être' est ainsi conçu comme le premier contenu de la pen
sée, en même temps que la forme de la médiation de l'idéalité.»101. Avec
de telles expressions Siewerth est bien éloigné de penser l'être comme
«concept englobant» (ce qu'il a toujours refusé fermement). Il souligne
au contraire la caractéristique profonde de l'être à travers Γ «identité
exemplaire», qui détermine sa spécificité métaphysique.»102

4. Subsistance et essence ontiques dans l'auto-scission de l'acte idéel

Que recouvre concrètement cette exemplarité de l'être, quelles


conséquences son exercice concret a-t-il sur l'ontologie?

L'exemplarité comme différence ontologique

Provenant, comme on a vu, du procès idéatif de Γ autoconnaissance


et de l'autovolition («résolution à soi») de Dieu, l'être créé est un acte
idéel par lequel Dieu veut son imitabilité. Acte, actus essendi, l'être pro
prement «émané»103 exerce cette imitation de Dieu qui fonde l'identité
exemplaire entre l'Être infini et lui. Rappelons-nous ce qu'il en est du
«modèle» divin: l'Absolu est cette positive unité dans la différence qui,
se pensant par-delà le néant comme acte idéel, se réalise volontairement
comme subsistance (triple). L'archétype est donc l'éternité de la résolu
tion voulue à l'identique de la différence pensée dans l'acte idéel. L'être
acte ne sera donc «similitude et reflet» qu'en tant que manifestation

101 Siewerth (21961), p. 75. Cf. aussi Siewerth (21961), pp. 192ss, où Siewerth dit
que «l'être ... est représentable comme «identité»». Voir aussi Siewerth (21961),
pp. 149, 194ss.
102 Cf. aussi Puntel (1969), pp. 123ss; Lötz (1985), pp. 67-70.
103 Cf. Lötz (1985), pp. 65-66.

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360 Emmanuel Tourpe

dans le fini de l'unité différentielle infinie. Cette exigence que nous


dégageons de la prima rerum creatarumm idéelle (sans préjudice de la
concréation de l'acte et de la chose actuée), l'être-acte en tant que pen
sée de l'imitabilité de Dieu, pose donc que cette idée, née de Vidée des
idées (l'être acte divin) comme idée idéative (spéculaire), porte en elle
un néant à surmonter, une différence à identifier sans résorption (sinon
rationnelle: l'être n'est pas non-être): «l'être est puissance, ou force, à
l'unité»105. Ce néant est sa «non-subsistance», ce qui signifie très préci
sément deux choses106.
Premièrement, à la différence de l'Être divin, acte idéel toujours
déjà réalisé, pensée toujours voulue, identité différenciée par l'exclu
sion du néant, cet être réfléchi est maintenu à l'écart de la subsistance
immédiate. Une multitude de réalisations ontiques n'épuisera pas son
mystère incommensurable de non-subsistance, de pure médiation
idéelle.
Ensuite, semblablement à l'Être de Dieu, cette idéalité est puis
sance à la réalité: cette pure différence en soi, ce «néant», pour être
similaire à Dieu, doit faire sortir de soi, comme non-soi, des réalisa
tions essentielles et substantielles107. A travers elles (et non pas, cela
est important, en elles108), l'acte d'être réflexif revient à soi comme
identité différenciée. L'être se divise pour être l'acte de sa réalité,
pour se réaliser comme unité et mêmeté109: «Ce mode de l'être, à lais
ser sortir de soi son essence comme fondement, et à se conserver en
soi-même et à être, d'une certaine façon, cette essence, et finalement
à être l'essence comme possibilité distincte de l'actualité simple»110
définit donc de façon concrète l'exemplarité que Cabada n'avait expo
sée pour nous que dans son cadre formel. Ici se dévoile au sens le plus
précis l'identité exemplaire, en tant que celle-ci lie l'être-acte fini à
l'Être acte-réalisé infini: l'identité de Dieu et du monde est dans la
différence de l'être et de l'étant, distinction réale en Dieu du réel et de
l'idéel, différence ontologique par la médiation des essences et la par
ticipation pour le créé. Cette identité dans la différence emprunte

104 Puntel (1969), p. 444.


105 Siewerth (21961), p. 91.
i°6 voir Siewerth (1959), pp. 373ss.
107 Cf. notamment Siewerth (1959), pp. 23ss etc.
108 Siewerth (21961), p. 110: l'être se réfléchit «durch die Wesen».
109 Puntel (1969), p. 120.
110 Siewerth (21961), p. 194.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 361

donc le chemin de l'idéalité ontologique, laquelle se scinde en l'alté


ration111 ontique à travers laquelle elle revient à soi, différenciée
comme l'est (mais absolument résolu, sans écart essentiel et formes
intermédiaires) l'Être de Dieu. La venue (non pas temporelle certes,
mais essentielle) à la subsistance de l'acte d'être idéel est donc l'em
preinte du divin dans l'être112.
Ce que l'on pourrait ainsi appeler la «subsi-stance» de l'acte peut
encore s'éclairer en parlant de ceci comme d'un paradoxe de l'enraci
nement de l'étant dans l'être113, et de la suressentialitenA contempo
raine, de l'être. Heidegger est ici, évidemment, remémoré, mais
l'anamnèse vise davantage encore l'Aquinate («Thomas dit: l'être
'habite les étants', car ils ne sont pas lui, mais Γ'ont' seulement»115)
puisque dans cette version siewerthienne de la différence ontologique
(similaire, du point de vue de l'acte, à la différence réale intradivine)
l'étant est positivé dans son altérité à l'être comme un moment réel,
non subsumé, de son déploiement et de son reploiement. VEreignis,
parce qu'elle est originée dans YUrdifferenz ontothéologique, nécessite
ici l'étant116 sans s'y résoudre: la différence ontologique est différence
dans l'unité. Ainsi, la Raison et la Logique, même si elles sont Γ «autre
de l'être»117, appartiennent pourtant positivement à son déploiement,
sans que le caractère poématique de l'advenance supraconceptuelle de
l'être soit nié pour autant. L'être, précisément, n'est pas le temps, mais
sa propre possibilité supratemporelle: nous verrons plus loin dans
quelle mesure, non heideggérienne, une negatio est nécessaire à son
aperception118.

111 Cf. par exemple Siewerth (1959), pp. 387ss (Die Andersheit des Sein oder das
Wesen).
112 Siewerth (1959), pp. 389-391; Puntel (1969), p. 121 etc.
113 Cabada (1971), pp. 163-166.
114 Cabada (1971), pp. 159-163.
115 Siewerth (1958a), p. 31. Cf. De Pot. 7,2-7; CG II 53 etc~
1,6 Sans ni le délaisser ni le nécessiter. Cf. Balthasar (1983), p. 192: «Là où
l'analogie immanente d'être entre actus essendi et essentia ne s'approfondit pas en analo
gie trancendantale entre Dieu et le monde, elle se supprime elle-même en se transformant
en identité, et le prix qu'elle doit verser pour cela est qu'elle doit — comme chez Gior
dano Bruno — réconcilier en elle les termes les plus contradictoires. Le «En diapheron
eautô» de Hölderlin est là aussi le dernier mot»; Puntel (1969), pp. 504ss (Heidegger:
5. Die Differenz und das Denken des Seins «ohne Rücksicht auf die Beziehung des Seins
zum Seienden»),
117 Siewerth (1959), p. 391.
118 Sur tout ceci cf. II.2.

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362 Emmanuel Tourpe

Ce paradoxe nous amène à préciser la médiation des essences dans


le cadre de la participation"9, et de la subsistance de l'acte et de l'es
sence dans un sujet.
En effet, les essences apparaissent bien ici comme ce mode altéré de
l'être-idéel par quoi s'exprime sa similarité à l'Être absolu dans la réso
lution divine à soi: elles surgissent comme la médiation à la positivité de
l'idéalité, qui à la fois autorisent cette positivation par le retour à soi dif
férencié de l'être, mais qui en même temps font payer ce prix par leur
résistance «énergique» à l'actualité, leur opacité à l'idéal. Aucune
d'entre elles n'a de quoi «accueillir» tout l'espace de l'être qui se
déploie en elle, en aucune l'être ne trouve le repos de son identité. Dans
cette «urgence» temporalisée de s'identifier dans sa différence, précisé
ment, se reconnaît le caractère créé de l'être par rapport à son archétype
modélisant (rappelons-nous: l'être subsiste davantage en Dieu que dans
les essences...). L'essence ici joue donc un rôle fonctionnel par sa
potentialité dans le venir-à-soi de l'être comme actualité, mais sa contra
riété à l'acte correspond à l'événement de l'être dans sa positivité.
L'étant n'est pas exténué par cette perspective essentielle, qu'il faut
compléter par un mot sur la subsistance120 dans un sujet, de l'essence
réceptrice et de l'être donateur: elle est le terme du procès vers la
mêmeté-différentielle de l'actualité non-subsistante exemplaire; en elle
seulement se conclut (pour être relancé, puisqu 'aussi bien aucune
essence subsistante, aucun étant, n'épuise l'être121) le «déploiement de
l'altérité comme telle à partir de la soi-mêmeté en «image», en «reflet»,
en unité exemplaire avec le fondement, par quoi le rapport à l'altérité ne
lie pas extérieurement, mais à la fois rend possible et empêche l'être
comme autre»122.

L'homme et l'être

L'événement de la différence ontologique, puisqu'il est médiatisé


par les essences, s'exerce donc comme «participation» par composi
tion123, du fait que la perfectio essendi est déterminée à partir de Vactus

119 Siewerth (1959), pp. 379ss. Puntel (1969), pp. 446-450.


120 Cf. Siewerth (1959), pp. 458ss.
122 Le terme de la création est en effet, selon Siewerth, «la réalité comme le tout
des étants particuliers» (Puntel (1969), p. 124).
122 Siewerth (21961 ), p. 171.
123 Cf. Fabro, op.cit.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 363

essendi; cette composition toutefois, résultante d'une «coupe horizon


tale» de l'événement fondateur, ne dirime aucunement la participation
par «similitude»124 pour laquelle, relativement à une lecture «verticale»
du plan événementiel, la dés-/appropriation de l'être dans son altération
substantielle est hiérarchisée par rapport à un «premier» qu'est l'Es
sence d'Acte, subsistante, de Dieu. Le mouvement, interne à l'être
exemplaire, de son objectivation différenciante, n'est à proprement par
ler événement que lorsque l'étant manifeste cette automotion, cette
extase qui est enstase de l'être en son autre positif, que lorsque la multi
plicité de formes possibles est traversée par l'événement lui-même: c'est
pourquoi le don de l'être établit une hiérarchie de formes, témoignant en
degrés diversifiés de l'impatience de l'être, de sa médiation à soi événe
mentielle. Ainsi la gradation qui va, dans la nature, du minéral au vivant,
dans le vivant, du végétal au conscient125 est-elle une exposition de la
différence ontologique comme identification événementielle. Rejoignant
ici les profondes intuitions de Hans André126, Siewerth s'oppose à une
pure évolution «par en-bas»127: bien plutôt, elle provient de Γ être-même.
Il faut considérer «que, dans la 'création unique'», c'est «l'Idée des
idées comme raison d'être la plus participée et la plus épuisée» qui «est
'dévolue' (begabt) et 'infléchie' (geneigt) dans sa profondeur surgissante
au ressortissement de nouvelles formes»128. Ainsi donc, «le premier
effet, l'être créé, qui est à la base comme acte de toutes les productions,
recèle toutes ces formes dans sa profondeur»129 à partir de l'Idée divine.
L'être-là en qui l'événement amorce effectivement son retour à soi
est l'homme existant et pensant, en tant que cet existant veut et pense la
différence de l'être et de l'étant, au moyen de la négation qui appartient
en propre à l'existence et à la pensée humaine. Le Dasein humain est le
là de l'être dans la mesure où il pense ce «là» en indiquant l'être comme
différence dans son identité. Le reploiement de l'être en lui-même néces
site cette idéalisation réflexive de soi dans l'esprit130 qu'il produit contre
sa différenciation trop encore immédiatement identitaire des formes

124 Cf. Geoger, op.cit., pp. 64ss etc...: cf. Cabada (1971), p. 223 n. 16.
125 Cabada (1971), pp. 147ss.
126 Cf. par exemple H. Andre et al., Vues sur la psychologie animale, Vrin, Paris,
1930; Natur und Mysterium, Johannes Verlag, Einsiedeln, 1959. Voir G. Siewerth,
André Philosophie des Lebens, n.c., Salzbourg, 1959.
127 Cf. Siewerth (1963b), p. 165.
128 Id. p. 164.
129 Id., p. 165.
130 Cabada (1971), p. 37.

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364 Emmanuel Tourpe

naturelles et des existants irréfléchis. L'homme est le lieu de l'être où se


réfléchit son exemplarité comme identité différenciée, puisqu'en lui
s'exerce l'idée du néant, qui appartient, depuis Dieu, à la vérité de l'être
dans sa positivité... «La nature authentique de la différence de l'être est
l'advenue productrice et créatrice de la subsistance personnelle. Sa
nature est une scission dans le principe d'être actual lui-même, qui se
médiatise à soi-même dans l'identité indissoluble de lui-même par l'être
différent subsistant, dans le rapport relationnel de la communication
totale ou participative d'être ou d'essence»131.
Mais cette «réflexion» interne à l'être qu'effectue l'esprit de
l'homme doit appartenir à la totalité de l'événement ontodifférentiel:
surgir de la chair de l'être, de l'existant pensant, de sa corporéité132, de
sa naturalité en laquelle seule l'homme se tient dans l'instance de soi, de
son être-au-monde-naturel133. La réflexion interne de l'être en l'homme
adviendra donc à la faveur de la raison134 qui est «formation en soi du
non-être», mais à partir du néant existentiel de l'événement en totalité
tel qu'il se résume en l'homme, à partir notamment de l'être-pour-la
mort135.
L'homme est donc en lui-même événement de l'être comme sub
stance potentielle136: potentialité dans l'accueil du don, dans ses capaci
tés de réception et sa différence à soi. Il est substance dans sa sponta
néité, sa conceptualisation réflexive (pensée, spéculation, identification).
L'homme est donc ce mystère en lequel l'identité et la différence de
l'être se manifestent: il assure la garde de l'être, non seulement comme
différence mais comme identité dans la différence, l'homme est donc la
plus propre image de Dieu dans l'être137. «La nature de l'homme est

131 Siewerth (1963b), p. 173.


132 Cf. surtout Siewerth (1957).
133 Cabada (1971), pp. 114-117.
134 Siewerth (21961), pp. 37ss.
135 S iE werth (1959), pp. lOss.
136 Cabada (1971), pp. lllss.
137 «Dans cette vue seule s'éclaire la différence entre la «similitudo de l'être à
Dieu» et de l'essence de l'homme comme «imago», qui, selon Thomas, est désignée par
rapport à la «similitudo» par là qu'elle «tient à soi l'origine (origo)». Car l'homme n'est
que cette «image» qui donne à voir l'origine, puisqu'il est «actué» ontologalement et
dans son pouvoir par l'être en tant qu'être, de sorte que le déploiement de l'être en tant
que la «plus haute ressemblance» à la subsistance personnelle conduit l'«imagéité» au
fondement spirituel subsistant. Où n'a pas lieu un tel retour à soi-même, au sens de la per
sonnalité, il n'y a aucune «reflet» de Dieu, mais seulement une «trace» (vestigium) séé
garant, de l'être, en quoi ce mode d'expression s'illumine également métaphysiquement
et est compris dans sa nature. Les substances des choses dénuées d'esprit ne sont donc pas

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Différence ontologique et différence ontothéologique 365

d'être ... une 'substantia potentialis', c'est-à-dire un étant-en-soi, qui


essentiellement et à partir de l'origine vient à l'acte, dans la réalisation
ou l'existence à travers un autre... Il n'est donc fondamentalement pas
par soi même, mais il ne s'appartient et ne possède sa vie que dans la
mesure où il s'est dépassé en direction de 'l'être de l'étant'. Il s'ensuit
que l'homme 'est', 'à partir de l'être et vers l'être'»138.
L'être, dans sa donation, est désappropriation de l'acte en essence
subsistante, altération en sa différence posée positivement (altération
pensée par-delà le néant par la Raison référée: il est bonum, par le désir
de lui qu'il suscite dans l'homme; il est verum en tant qu'il manifeste
spéculativement son reflet spéculaire de l'être divin; il est également
amor139, de par cette perte de soi dans l'autre qu'est sa «réalisation»
dans la création positive, et singulièrement dans l'homme. Le mouve
ment vers sa réalisation de l'idéalité actuelle procède du même amour
qui fait se rejoindre les termes de la différence réale archétypique:
«l'être, en son ultime détermination, est 'amour'»140. L'amour, «qui
conjoint la réalité de l'être, la vérité, et le bien» est donc «l"absolu
transcendental'»141 de l'être...

La différence chez Gustav Siewerth

Nous citerons, par manière de conclusion, un texte extrêmement


important de Siewerth, qui récapitule en sept points sa pensée de la dif
férence. Ces lignes rassemblent, en les justifiant, nos interprétations, et
ouvrent déjà des perspectives plus amples, dont on pressent la gravité et
la portée... Siewerth y distingue toutes les «différences» métaphy
siques, à partir de la «différence réale» absolue. On trouve donc, dans
l'ordre: la différence d'acte et de subsistance (1), la différence du projet
rationnel (2), la différence de la créature par rapport au Créateur (3), la
différence des facultés par rapport à la substance humaine (4), la diffé
rence peccamineuse du fini en regard du Bien divin (5), la différence

non plus «reflets de Dieu», conformément à leur être; l'«âme», en tant que forme de part
en part potentielle, sans la lumière actuante participée ou sans l'éclaircissement et
l'actuation par l'être de l'étant se rapporte également seulement de façon potentielle
(analogue) au «reflet», et représente comme tel un milieu entre vestigium et imago»
(Siewerth (1959), pp. 391-392).
138 Siewerth (21964), p. 39.
139 Cabada (1971), pp. 135ss.
140 Siewerth (1959), p. 397.
141 Siewerth (21963c), p. 63. Cf. Ulrich (1961); Brito (1991), p. 260.

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366 Emmanuel Tourpe

comme différence de l'être unifiant (6), la différence comme ordination


des différences ou bien subjectivation historiale (7).
«1. La nature authentique de la différence de l'être est l'advenue
productrice et créatrice de la subsistance personnelle. Sa nature est une
scission dans le principe d'être actual lui-même, qui se médiatise à soi
même dans l'identité indissoluble de lui-même par l'être-différent sub
sistant, dans le rapport relationnel de la communication totale ou partici
pative d'être ou d'essence. Cette différence ne peut pas être sursumée.
Son image apparaît toujours davantage dans l'histoire de l'humanité par
«habilitation» [«Ermächtigung»)142 grandissante, dans la transpropria
tion progressive du principe uni d'être.
2. A côté d'elle, la différence du projet idéel de l'altérité est radica
lement déterminée par «négativité», et se trouve toujours sursumée dans
la pensée de l'Esprit absolu. Elle a cependant un caractère médiateur
(positif), dans la mesure où, en elle, est fondée la possibilité du produit
créaturel de l'étant.
3. A côté de ces différences, il y a par conséquent la différence de
la déchéance-d'être (de l'acte à la forme et à la matière), ou la finitisa
tion de l'être, laquelle néanmoins, comme toute différence, a également
des traits positifs. Ceux-ci sont constitués par le déploiement de la plé
nitude de l'être dans le cosmos des essentialités, la possibilisation de la
réalisation constitutive de l'être dans les substances particulières, la pos
sibilisation de la production matérielle, ainsi que de la modification
auto-causale et auto-maturante, des natures, en l'élément unitaire du
principe universel de devenir et de réception de la matière.
4. Cet amoindrissement de l'être, ou cette possibilisation positive,
a son contraire dans la figure d'être ou de substance de l'étant indivi
dualisé et particularisé. A la minoration et multiplication potentielle
correspond le produit résultatif de facultés multiples, qui, en tant
qu'«accidents», ont le degré d'être le plus bas, si l'on mesure leur
sorte d'être à l'en-soi-même de la subsistance. Néanmoins, en regard
de la possibilisation transcendante, ils sont des modes de la perfection
en acte de l'étant, et peuvent (selon Thomas) être supérieurs à la pro
fondeur d'actuation du principe formel de substance, dans le mode de

142 Le concept de «Ermächtigung», complexe, signifie pour Siewerth la possibilité


ontologique, pour le non-être substantiel, de «retourner» à son fondement unitaire d'être.
Il est donc intimement lié à la notion de «pouvoir», ou «faculté» (pensée, volonté...). Il
constitue, selon notre auteur, le moteur transcendental de l'histoire, vue comme «habili
tation progressive au fondement» (Ndt).

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Différence ontologique et différence ontothéologique 367

l'habilitation participante, particulièrement dans la communication


divine.

5. Finalement, la différence absolue perdomine [durchwaltet] éga


lement l'habilitation onto- et divinohistorique [seins- und gottges
chichtliche Ermächtigung] des esprits existants et des personnes, même
lorsque la «personne» insursumable [unaufhebbare «Person»] se
tourne vers le particularisations finies et les desseins apparents,
dénuées d'être, de l'esprit, grâce à l'indifférence de sa liberté — au lieu
de rentrer dans l'être —, détournant ainsi en un sens contraire à l'être
l'ordre de la Création. La particularisation absolue de l'existence, qui
se produit ainsi, caractérise, en tant que le mal réalisé, l'ultime dimen
sion de déchéance du non-être. Son orientation vers la vie est redevable
de la divine Rédemption, de la victoire sur la mort et sur le péché, par
l'offrande d'amour de l'Agneau, massacré éternellement et dans le
temps.
6. Toutes les différences susnommées, ainsi que leur accomplisse
ment d'unification et d'habilitation constituent toutefois une concilia
tion unifiante de la différence d'être, dont les stades ont été spéculati
vement signifiés ci-dessus. Il y a donc en même temps, dans la
déchéance d'être des essentialités et de la matière individualisante, le
fondement de possibilité de la personnalisation et de la subsistance de
l'être dans la finitude, de même que la personne humaine est habilitée à
l'œuvre morale dans la production matérielle et Γ auto-disposition du
principe cordial [des Herzgrundes]m. C'est la raison pour laquelle
toutes les différences ont aussi part à l'état insursumable de la personne
spirituelle, et sont entrelacées dans le processus historique, tant de la
divinisation que de la corruption. Aussi la modification de la tendance
naturelle sensible s'achève-t-elle dans l'affermissement et la fluidifïca
tion pneumatiques de la matière organisée, de même que celle-ci
obtient, dans son éclaircissement comme «charnellité imputrescible» la
vie éternelle.

7. Tant l'ordination interne des différences que leur nature possibi


lisée et pensée à partir de l'unité de Dieu, et de l'être restent décisives
pour leur conciliation. Si l'on détruit cette connexion spéculative, les
différences réaies sont posées en même temps avec les différences
idéelles, ou bien les étants deviennent précairement et absolument sin

143 La question morale, à laquelle appartient la thématique siewerthienne du


«cœur», sera examinée dans la troisième partie de cette Introduction.

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368 Emmanuel Tourpe

gularisés et isolés par une différence absolue, insursumable, et se tien


nent alors antinomiquement face au fondement, de telle sorte que l'évé
nement de l'habilitation unifiante doive en même temps apparaître
comme une «subjectivation» qui s'accroît. Cette histoire de l'esprit
comme «errance oublieuse de l'être» ne peut être éclaircie que par la
pénétration spéculative de la différence de l'être dans sa nature véritable.
La profonde réflexion de Heidegger, qui saisit la «métaphysique» au
sens de Γ «oubli de l'être» comme «errance» et «subjectivation» pro
gressive, ainsi que sa tentative de penser la différence de Γ «être et de
l'étant», trouve ainsi philosophiquement sa solution, par-delà un pro
gramme, dans l'achèvement, spéculativement accompli, de la pensée
thomiste»144.

Louvain-la-Neuve, Emmanuel Tourpe.

Université catholique de Louvain,


Institut supérieur de philosophie.

Résumé. — La pensée de Gustav Siewerth représente l'un des


essais les plus fructueux pour déployer l'ontologie sommaire de l'Aqui
nate dans la direction systématique qu'indique Hegel, en regard de l'exi
gence heideggérienne à penser rigoureusement la différence de l'être.
Dans ce premier article d'une série de trois études consacrées à Sie
werth, est réfléchie YUrdifferenz ontothéologique du subjectum et de
Vactus essendi divins, fondatrice ultime de la distinctio realis entre
l'esse et Yens. Il est alors possible de penser sans contradiction une unité
(exemplaire) de Dieu et du monde et l'événement de la différence onto
logique, auquel l'homme appartient comme substantia potentialis, à par
tir de l'être et vers l'être.

Abstract. — The thought of Gustav Siewerth is one of the most


successful attempts to develop St. Thomas' implicit ontology in the sys
tematic direction indicated by Hegel, and in relation to Heidegger's
demand to rigorously think the ontological difference. This first article
of a series of three studies devoted to Siewerth, thematizes the ontotheo
logical Urdifferenz between the divine subjectum and actus essendi, the
ultimate foundation of the distinctio realis between esse and ens. Thus,
it would be possible to conceive together, without contradiction, an
(exemplary) unity between God and the world, on the one hand, and the
event of the ontological difference to which man belongs as substantia

144 Siewerth (1963b), pp. 173-175.

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Différence ontologique et différence ontothéologique 369

potentialis, coming out of being and moving back towards being, on the
other.

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