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Sauve qui peut la ville

Logiques Sociales
Collection dirigée par Bruno Péquignot

En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si


la dominante reste universitaire, la collection Logiques Sociales entend
favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale.
En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à
promouvoir les recherches qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une
expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes
sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique,
voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels
classiques.

Dernières parutions

A. AJZENBERG, H. LETHIERRY, L. BAZINEK, Maintenant Henri


Lefebvre. Renaissance de la pensée critique, 2011.
Alexandru GUSSI, La Roumanie face à son passé communiste, 2011.
Cédric FRETIGNE, Exclusion, insertion et formation en questions, 2011.
Frédérique SICARD, Agencements identitaires. Comment des enfants
issus de l'immigration maghrébine grandissent en France, 2011.
Rahma BOURQIA, Culture politique au Maroc, A l’épreuve des
mutations, 2011.
Louis MOREAU DE BELLAING, Claude Lefort et l’idée de société
démocratique, 2011.
Elisabetta RUSPINI (sous la dir. de), Monoparentalité, homoparentalité,
transparentalité en France et en Italie. Tendances, défis et nouvelles
exigences, 2010.
T. DJEBALI, B. RAOULX, Marginalité et politiques sociales, 2010.
Thomas MIHCAUD, La stratégie comme discours, 2010.
Thomas MICHAUD, Prospective et science-fiction, 2010.
André PETITAT (dir.), La pluralité interprétative. Aspects théoriques et
empiriques, 2010.
Claude GIRAUD, De la trahison, Contribution à une sociologie de
l’engagement, 2010.
Sabrina WEYMIENS, Les militants UMP du 16e arrondissement de
Paris, 2010.
Damien LAGAUZERE, Le masochisme, Du sadomasochisme au sacré,
2010.
Eric DACHEUX (dir.), Vivre ensemble aujourd'hui : Le lien social dans
les démocraties pluriculturelles, 2010.
Hugues LETHIERRY (dir.)

Sauve qui peut la ville


Études lefebvriennes

Préface de A. MERRIFIELD
Avant-propos de A. BIHR
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54192-4
EAN : 9782296541924
Sommaire

(Les premières réactions) Jusqu’à quand ? ............................... 11


Avant-propos par Alain Bihr .................................................... 13
Préface par Andy Merrifield .................................................... 17

INTRODUCTION : Ecce homo ............................................. 25

PREMIÈRE PARTIE : Les mots de la ville .......................... 29


L’espace .................................................................................. 33
Rythmes et quotidien urbain .................................................... 41
L’urbain ................................................................................... 49
La ville .................................................................................... 57

DEUXIÈME PARTIE : Une autre ville pour une autre vie ..... 67
Le territoire d’Henri Lefebvre .................................................. 69
H. Lefebvre, modernité urbaine et exploration des possibles .... 77
Droit à la ville et planétarisation de l’urbain ............................. 91
Fragments d’une totalité .......................................................... 99
Un analyste de la société urbaine ............................................. 103
Les “conditions” du maire de Mourenx .................................... 111
Filmologie et bibliographie sur la ville ..................................... 115

TROISIÈME PARTIE : Ségrégation dans l’espace éducatif .. 121


Une rupture dans la vie ............................................................ 123
La ghettoïsation dans l’espace urbain et scolaire ...................... 131

CONCLUSION : « Certains naissent de façon posthume » ..... 143

Bibliographie ........................................................................... 147


Liste des collaborateurs

P. Baringou dessinateur
A. Bihr université de Strasbourg, professeur
G. Busquet université Paris X
A. Cazetien maire honoraire de Mourenx (64)
L. Costes université d’Evry
D. Lesage dessinateur
H. Lethierry université Lyon 1 (IUFM)
J.-Y. Martin docteur en géographie et élu local
A. Merrifield université de São Paulo, professeur
A. Mutuale université Paris 8
A. Querrien urbaniste
C. Revol doctorante Lyon 3
S. Sangla docteur en philosophie

Remerciements
• Archives de l’INA (BNF)
• P. Ariès et la mairie de Vaulx-en-Velin (69) qui m’ont invité à
intervenir dans le colloque sur l’urbain du 30 janvier 2010 à Vaulx-en-
Velin.
• Fonds Ricœur (visite lors du colloque de décembre 2010 à la Faculté
de Théologie protestante).
• M. Mokozlow, le musée des Arts modernes et l’université
Warszawski de Varsovie (Pologne) qui m’ont invité à intervenir dans
le colloque sur « Ville et profit » des 13 et 14 novembre 2009.
• Le colloque « Territoires du communisme », université de droit de
Paris (15/16-12-2010).
• Le séminaire « Communismes » de l’IHS Panthéon-Sorbonne.
• Le colloque de Paris 8 sur Lapassade (du 23 au 26-6-2009).
• La fondation Gabriel Péri.
• Les archives nationales de Fontainebleau.
• L’association Maitron.
• Le colloque d’Albi du CALS du 8 au 13-6-2009.
• Mmes M. Matrat, secrétaire,
C. Lefebvre, veuve de H. Lefebvre,
N. Beaurain, ancienne compagne de H. Lefebvre
• J.P. Lefebvre, urbaniste
• R. Hess, université Paris 8 (auteur d’ouvrages sur Lefebvre)1.
• M. Politzer, fils de G. Politzer (entretien aux archives nationales).
• Les librairies Colette, Point du jour, etc.
• A. Wieviorka, directeur de recherche au CNRS

1
À l’origine de nombreuses préfaces et rééditions d’ouvrages de Lefebvre
chez Anthropos.
• Les universités populaires d’Annemasse et Genève (interventions en
novembre 2009).
• Les rencontres des universités populaires (de Villeurbanne à
Bruxelles).

NB : sont suivis d’un astérisque les termes définis soit dans la


première partie de ce livre, soit dans la première partie de Maintenant
Henri Lefebvre (L’Harmattan 2011).
(Les premières réactions)
Jusqu’à quand ?

« Dany Lejaune a eu la sagesse, vu son âge, de quitter le débat


politique pour le foot. Lethierry, autre élève de Lefebvre, fera-
t-il de même ? » .
Comme dit le héros de la célèbre bande dessinée de
Christophe, François Baptiste Éphraïm Camember, fils
d’Anatole Camember et de Polymnie Cancoyotte, sapeur à
Besançon et grand délivreur de sentences : « Quand la borne est
franchie, il n’est plus de limites ! ».
Quand on pense que ce livre pèse à peine une livre (alors
que L’Être et le néant de Sartre plus d’un kilo !).
Au lieu de faire, comme tout le monde, un livre sur Lévi-
Strauss, voilà qu’H. Lethierry nous inflige un nouvel ouvrage
sur un célèbre inconnu ! (Après avoir voulu désopiler la rate des
pédagogues dans ses livres sur l’humour).
On raconte que B.H.L., à la lecture du premier, a reconnu
qu’au lieu de traîner ses fonds de culotte à l’ENS de la rue
d’Ulm, il aurait mieux agi en se faisant voir à Nanterre. Et que
Sollers, au lieu de ruminer sur Céline, regrette de n’avoir pas
médité sur Perec. Quant à d’Ormesson, cette nouvelle idole des
jeunes et vieilles marquises, il se serait converti illico au
« matérialisme dialectique ».
Bref, le petit « monde des livres » serait – paraît-il – sur les
dents. Le Tout Paris prend peur : « Et si Lethierry supplantait
Comte-Sponville ? Au secours, il revient, déguisé en bon apôtre
du nouvel évangile altermondialiste ! ».
Comment empêcher cette cervelle de fonctionner ? Qu’il
laisse la place à de jeunes auteurs pleins d’espoir ! Qu’on tire
sur sa barbe de prophète de malheur, Cassandre des temps
nouveaux, vieux beau à la retraite.
Ce « déconstructeur » notoire, cet avocat du militantisme, a
osé verser les droits d’auteur de son livre Apprentissages
militants aux désobéisseurs de l’Éducation nationale !
Grassement subventionnés par leurs éditeurs, récemment
invités en Pologne, Lethierry et ses collaborateurs devraient
maintenant choisir entre la sébile et le cocktail Molotov
(comme le disait l’ancien ministre Druon).

11
La bibliographie des ouvrages écrits ou coordonnés par
Lethierry est désormais aussi longue que le casier judiciaire
d’un multirécidiviste.
On souffre de trouver ses ouvrages à la Fnac, au rayon
philosophie (classé par ordre alphabétique), son nom entre celui
de Leibniz et celui de Levinas ! Ces philosophes doivent se
retourner dans leur tombe.
Ou encore, à côté de Le Corbusier lorsqu’il est classé en
sociologie urbaine.
Bref, Lethierry nous joue son numéro d’homme orchestre.
Le rôle du lecteur est alors réduit à l’acte rituel consistant à
mettre la main dans son portefeuille !
Mais depuis quand subventionnerait-on un auteur pour qu’il
nous vilipende, nous les occidentaux blancs, civilisés et
– oserai-je ajouter – normaux ?
Et jusqu’à quand, grands dieux, polluera-t-il notre paysage
intellectuel ?
Pourquoi cette fureur à vouloir reconstruire l’avenir en
fouillant dans les détritus du passé ?
Il est temps de mettre un terme à tant de désordre et prendre
des mesures de nature à faire reculer les ventes :
– acheter les stocks d’invendus
– provoquer des scandales dans les Fnac
– voler ses livres en bibliothèques
– le déclarer publiquement ennemi public de l’intellectuel
bon teint
etc.
Alors le lecteur, la conscience enfin tranquille, pourra se
regarder en face dans la glace le matin, en disant (comme le
célèbre poète Neruda) : « J’avoue que j’ai vécu ».
Des collègues et « amis »

12
AVANT-PROPOS
par Alain Bihr

On lira dans les pages suivantes une présentation détaillée


des riches analyses qu’Henri Lefebvre a consacrées à la ville, à
l’urbain et à la révolution urbaine, à la production de l’espace,
etc., assortie de quelques éléments de discussion de ces
analyses. Sans vouloir revenir directement sur elles – je laisse
au lecteur le soin de les découvrir par lui-même – qu’il me soit
permis de les compléter par quelques remarques visant à pallier
des omissions plus ou moins préjudiciables quant à
l’appréciation à porter sur ces éléments de la pensée d’Henri
Lefebvre.
J’ose remarquer qu’aucune de ces contributions n’a souligné
l’importance de l’ouvrage qu’Henri Lefebvre fait paraître en
1972 chez Casterman sous la titre La Pensée marxiste et la
ville. L’ouvrage lui-même est cité à deux reprises, sans qu’il
soit fait mention de son contenu propre. Or Henri Lefebvre ne
s’y contente pas de revisiter un certain nombre de textes
d’Engels et de Marx pour mettre à jour ou rappeler combien les
questions relatives à la ville, aux rapports ville-campagne, au
logement, à la propriété et à la rente foncières, etc., traversent
l’œuvre de deux fondateurs du matérialisme historique. En
commentant différents passages de L’Idéologie allemande et le
fameux développement des Grundrisse consacré aux formes
ayant précédé la production capitaliste, Henri Lefebvre
parvient notamment à montrer qu’il y a chez Marx l’esquisse
d’une thèse originale sur la ligne d’historicité propre aux
sociétés d’Europe occidentale qui mène du féodalisme au
capitalisme : la subversion de la propriété foncière par le capital
marchand dont naîtra finalement le capitalisme n’a été rendue
possible que par l’exclusion de la ville de la structure de la
propriété foncière qui est le propre du féodalisme. Autrement
dit, au cœur de la formation des rapports capitalistes de
production gît le conflit entre la ville et la campagne qui n’a pu
être mené à bout que sur la base et dans le cadre, dès lors
subverti comme tel, du féodalisme. C’est en suivant cette
inspiration qu’il m’a été possible de renouveler l’analyse de la
naissance des rapports capitalistes de production, en rompant

13
délibérément avec la mythologie faisant naître ces rapports des
effets du seul développement des rapports marchands2.
Les contributions qui suivent permettent de prendre
connaissance d’un grand nombre des aspects des analyses
lefebvriennes sur la ville et l’urbain. Ne faut-il pas s’arrêter
cependant davantage sur un concept central au sein de cette
thématique : la forme urbaine ? Lefebvre y consacre un chapitre
dans Le Droit à la ville et un autre dans La Révolution urbaine ;
et c’est à chaque fois pour lui l’occasion de souligner
l’importance du concept de forme en général et d’esquisser
cette théorie générale des formes, dont on sent bien qu’elle l’a
tentée alors, sans qu’il parvienne cependant à dépasser le stade
de l’esquisse. Là encore, l’inspiration marxienne est évidente et
déclarée comme telle, puisque le concept de forme s’entend ici
au sens de cette abstraction concrète par laquelle Marx définit
la valeur dans Le Capital, en en déployant la phénoménologie,
depuis la simple marchandise jusqu’au capital fictif. Ce concept
de forme urbaine qui, selon Lefebvre, se définit socialement par
la centralité et mentalement par la simultanéité, est en
particulier important pour comprendre ce qu’il entend par
phénomène urbain ou par l’urbain, dont la centralité constitue
au sens propre l’essence – pour utiliser un terme que Lefebvre
lui-même n’aurait sans doute pas employé sans guillemets.
Jean-Yves Martin rappelle à juste titre la fécondité de la
triade lefebvrienne pratique spatiale – représentations de
l’espace – espaces de représentation, que recoupe mais ne
recouvre pas cette autre triade, espace perçu – espace conçu –
espace vécu, s’agissant de l’analyse de la production de
l’espace. Il en est cependant une troisième qui, si elle se trouve
mentionnée, n’est pas davantage explorée comme telle alors
que sa fécondité me paraît a priori supérieure : c’est celle que
Lefebvre met en œuvre dans Le Droit à la ville lorsqu’il fait de
cette dernière à la fois un objet spatial, une médiation (entre
l’ordre proche et l’ordre lointain) et une œuvre. Il me semble en
effet que cette dernière triade est plus à même que les deux
précédentes de rendre compte, à tous ses niveaux et dans toutes
ses dimensions (autres concepts éminemment lefebvriens), de la
production de l’espace et de l’espace comme produit de la
praxis sociale. Notamment, à travers l’idée que la ville est un

2
La Préhistoire du capital, p. 2, Lausanne, 2006.

14
ordre médiateur entre l’ordre proche du quotidien et l’ordre
lointain de l’historique (mêlant l’économique, le politique,
l’idéologique), s’esquisse cette idée centrale, qui affleure à
plusieurs reprises dans le texte lefebvrien, que l’espace social
est à la fois le produit global et le support global des rapports
sociaux.
On tient là alors peut-être le point où se joue l’articulation
entre deux thématiques lefebvriennes majeures, celle de la
critique de la vie quotidienne et celle de la production de
l’espace, signalée par plusieurs des contributions suivantes.
Dans les deux cas, ce que Lefebvre vise à percer sans
clairement le concevoir, au moins dans un premier temps, c’est
le secret de La Survie du capitalisme, pour reprendre le titre
d’un autre des ouvrages d’Henri Lefebvre. Ce que Lefebvre
croit trouver dans le quotidien aux lendemains de la Seconde
Guerre mondiale et jusqu’au plein cœur des années 1960, c’est
le socle (c’est l’image qu’il utilise à plusieurs reprises) à partir
duquel se reconstitue, jour après jour, dans le clair-obscur des
pratiques les plus banales, l’ordre global du capitalisme. Après
quoi, à partir de ces mêmes années 1960, il va chercher ailleurs
le noyau générateur (autre image employée par lui) de la
reproduction des rapports capitalistes de production, en
l’occurrence dans l’espace social tel qu’il se trouve transformé
et approprié, en un mot : produit, par ces mêmes rapports et
qu’il nomme l’espace abstrait. L’une et l’autre tentatives ne
seront cependant pas satisfaisantes, sous ce rapport, comme en
témoignera un ultime essai lefebvrien qui fera, dans la seconde
moitié des années 1970, de l’État le démiurge de la pérennité
du capitalisme. À chaque fois, Lefebvre saisit incontestable-
ment une médiation particulière d’un processus global qu’il
peine cependant à identifier clairement comme tel et qui n’est
autre en définitive que le procès global de reproduction du
capital comme rapport social de production, procès par lequel
ce rapport se subordonne et s’approprie, par médiations
(quotidien, espace, État, etc.) interposées, la totalité de la
pratique sociale. Tel aura été l’horizon ultime de la pensée
d’Henri Lefebvre qui reste encore le nôtre.

Strasbourg, décembre 2010

15
Couverture des livres chez Maspero

En ce temps-là « le fond de l’air est rouge » (Chris Marker).


Lefebvre défend l’éditeur menacé, mais du fait du contentieux
avec Nizan – et Althusser – il ne publiera pas chez lui.
PRÉFACE

par Andy Merrifield3

2009 a été une année significative dans l’histoire des études


lefebvriennes françaises, peut-être même le tournant crucial, la
redécouverte de l’un des penseurs français les plus longtemps
méconnus dont la légitimité ne valait que pour l’export ! Il
fallut pas moins que le cinquantième anniversaire de la
réédition du chef-d’œuvre de celui-ci La Somme et le reste, un
des plus grands travaux du XXe siècle philosophique et le plus
grand texte du marxisme « pénitentiel » (seul L’Avenir dure
longtemps d’Althusser s’en rapproche) un texte dans lequel
s’épanche le cœur de Lefebvre et dans lequel il débarrasse le
passé, mettant à plat les problèmes avec le parti, avec le
stalinisme, avec le fascisme, avec lui-même.
L’autre moment significatif a été la parution de textes
importants sur Lefebvre lui-même, notamment une
monographie de Rémi Hess sur la « théorie des moments » de
son maître, une exégèse de Laurence Costes sur Le Droit à la
ville (commentant la réédition de l’original de Lefebvre) et la
biographie intellectuelle d’Hugues Lethierry Penser avec Henri
Lefebvre. Tout cela a été accueilli avec un intérêt considérable
dans la sphère anglo-saxonne, comme dans la grande
distribution. Il semblait enfin que les Français venaient à bout
d’un philosophe trop communiste pour l’institution
philosophique et trop philosophe pour le parti communiste.
De l’autre côté de la Manche et de l’autre côté de l’océan
Atlantique, le passé politique de Lefebvre était peu cité,
rarement compris complètement – et c’est peut-être une des
raisons de son fréquent succès, dépolitisé, une vie académique
comme urbaniste novateur, un postmoderniste prototypique,
inventeur du concept de « vie quotidienne », géant de la pensée
de l’espace, un théoricien de l’état, le meilleur ami de

3
Andy Merrifield est chercheur indépendant et auteur plus récemment de
Guy Debord (Reaktion, 2005), d’Henri Lefebvre : A critical introduction
(Routledge, 2006), et de L’Âne de Schubert (Actes Sud, 2008). Son dernier
livre, Magical marxism, paraîtra plus tard dans l’année chez Pluto Press
(Londres).

17
l’architecte utopique. En France, au contraire, il était
simplement un communiste démodé, un homme de parti et,
après l’écroulement du mur de Berlin, une indécrottable relique
marxiste.
Dans un effort pour comprendre le pourquoi de ce sursaut
d’études lefebvriennes et, en particulier pourquoi, maintenant,
j’ai écrit un essai dans Society and Space, la revue anglo-
américaine bimestrielle, elle-même modelée sur le journal de
Lefebvre lui-même Espaces et Sociétés (bien que Lefebvre eut
désapprouvé sans doute le retour de son titre !)4.
Je n’ai pas mis longtemps pour noter le mérite remarquable
d’un de ces textes, présenté par Hugues Lethierry, parce que, à
mon avis, c’était le seul livre qui parlait de cette voix joueuse,
iconoclaste, qui était celle de Lefebvre, une voix plus proche de
Rabelais que de Descartes, plus près de Vailland que de
Marchais, plus inspirée par Rimbaud et la Commune de Paris
que par Lénine et la tempête du palais d’hiver. Souvent ce
marxisme lefebvrien était tourné vers le groucho-marxisme et le
vieil Henri ne voulait appartenir à aucun des clubs dont il avait
été membre.
Ce n’était pas l’étude la plus exhaustive sur Lefebvre
– quelques chapitres de Penser avec Henri Lefebvre sont
rapidement ébauchés – mais certainement le livre le plus aérien
sur Lefebvre à cette date dans sa propre langue, et certainement
le plus exubérant. Lethierry, me semble-t-il, a amené aux études
lefebvriennes quelque chose qui avait été laissé de côté dans les
études lefebvriennes françaises : un sens de l’humour, un sens
de l’ironie (et de l’auto-ironie), une langue « pas dans la
poche » adaptée au sujet en question (peut-être est-ce
hautement surprenant pour un auteur qui est un esprit libre et
indépendant et qui a déjà appelé un de ses livres Se former dans
l’humour : mûrir de rire ?)5. Lethierry s’est débarrassé des
lourdeurs que nous, les anglophones, associons à la France
académique, et il a osé aller au-delà d’une lecture strictement
textuelle de Lefebvre, nous donnant une profonde interprétation
politique, une avec des dents, dont une qui mord.

4
Voir Andy Merrifield, “The Whole and the rest : Rémi Hess and les
lefebvriens français”, Society and space, 2009, vol. 27, pp. 936-949.
5 e
3 édition, Chronique sociale, Lyon, 2011

18
Aussi, cela fait sens, compte tenu des intérêts politiques de
Lethierry et de sa sensibilité marxiste. J’aime à penser que nous
appartenons tous les deux au même Parti imaginaire et que
nous sommes tous les deux des apprentis militants – et qu’il
veut maintenant passer de la pensée à l’acte, du penser à l’agir,
sachant très bien, d’un point de vue marxiste, que ces deux
volontés s’interpénètrent, sont ontologiquement reliées : une
pensée critique exige une action politique, agir politiquement
nécessite une pensée critique, une manière de stratégie critique.
Aussi une théorie marxiste de la connaissance « prouve » la
vérité pratiquement, dans l’action, à travers la praxis collective :
l’action, en bref, vérifie toute affirmation marxiste, les notions
de vérité et d’erreur, les idéaux sur le possible et l’impossible.
Dans cette publication, les autres études rejoignent Lethierry
dans l’action, essayant ensemble de mettre en pratique les
vérités lefebvriennes. Ils ont ensemble essayé de déposer le
moment lefebvrien pour se battre aujourd’hui, lorsque c’est le
plus nécessaire, lorsque c’est le plus urgent. Plutôt que de
simples interprètes de Lefebvre, ici nous avons des tentatives de
dépasser Lefebvre et se dépasser soi-même et le monde, un
monde qui a désespérément besoin de changement. Comme le
livre l’affirme : « Il s’agit ici de dialoguer avec Henri Lefebvre,
de prendre notre parole, impulsée par la sienne, pour penser
l’agir non seulement comme action mais aussi comme
décision ; c’est-à-dire expression du mouvement intérieur de la
liberté dans le quoi faire ».
On nous offre maintenant un lexique de termes clés de
l’urbanisme lefebvrien, un abécédaire entendant être un manuel
d’usage pratique pour les acteurs, un guide pour l’action
immédiate, pour prendre des décisions et des risques, d’autres
sections du livre discutent du droit à la ville, de la production de
l’espace, etc. mais il y a aussi des interprétations neuves, les
angoissantes réinterprétations dans la France de Sarkozy avec
sa fragile hégémonie, des solutions que Lefebvre a seulement
indiquées : la question de la citoyenneté, de l’exclusion sociale
et spatiale dans les banlieues, la « ghettoïsation dans l’espace
urbain et scolaire ».
Outre tout cela, les idées de Lefebvre sur la « nouvelle
citoyenneté » nous renvoient à un « Lefebvre écologiste », à un
Lefebvre qui semble virer vers André Gorz, jusqu’à ce que, tout
d’un coup, il s’arrête, puisque nous avons affaire à un penseur

19
qui combat toujours dans une lutte de classe, qui croit toujours
aux capacités révolutionnaires du prolétariat, qui n’accepte pas
que ce capitalisme soit devenu « immatériel ».
Un autre thème est l’école et la pédagogie, un aspect
fascinant et sous-estimé d’un enseignant dévoué qui a touché
des jeunes, beaucoup d’étudiants, dont Lethierry lui-même,
Dany Cohn-Bendit inclus, et le récent défunt Daniel Bensaïd,
les radicalisant tous, laissant quelque chose en eux qui peut
difficilement être oublié6.
Au-delà, les idées de Lefebvre agissent sur la scolarisation
elle-même ou plutôt sur la déscolarisation : apprendre à
réapprendre et désapprendre les doctrines bourgeoises,
déprofessionnaliser le processus éducatif ; ses crédos sur la
place de chacun, son curriculum qui brise la créativité et
réprime la pensée et l’expression libre.
Comme le livre le montre clairement, les concepts de
Lefebvre sont pratiquement vivants, prêts à être « exploités »
pratiquement, à l’école, dans le voisinage, la vie quotidienne,
prêts à « éclater » (un des termes favoris de Lefebvre) dans les
rues. Par-dessus tout ils sont prêts à remplir la vie intellectuelle
qui paralyse la France d’aujourd’hui. Comme les banlieues
suburbaines en lutte contre la coercition, et comme la
« racaille » résidente demande son « droit à la ville »,
l’urbanisme de Lefebvre tranchant avec le morne consensus.
Comme la longue marche néo-libérale à travers le globe
continue, les propos lefebvriens sur l’État et sur la production
de l’espace ne semblent jamais plus vrais. Comme le pouvoir
devient plus centralisé dans les mains de quelques
décentralisateurs, les idées de l’autogestion conquièrent le cœur
et l’imagination de ceux qui cherchent quelque chose d’autre,
une autre signification à leur vie, une autre sorte de praxis,
d’autogestion de leur quartier, un autre système d’éducation
dans lequel ils se sentiraient agissant. Aucun système de
contrôle ne peut être total, Lefebvre argumente toujours, ne

6
On doit rappeler cependant que la relation de Lefebvre à la France
académique était loin d’être solide. Longtemps il fut dedans et dehors, à la
recherche de postes et devint seulement titulaire à l’université de Strasbourg
en 1963, à l’âge de 63 ans. À 65 il muta vers Paris X-Nanterre, participa au
mouvement étudiant du “22 mars” et finalement se retira en 1973. C’est une
longue carrière inégale, interrompue, qui donne espoir à des sceptiques
comme moi !

20
peut être sans possibilités, contingence, sans brèches, sans
étincelles de lumière, plaisanteries discrètes et poches d’air
frais.
Il y a toujours des issues vers la culture et la société, même
dans le capitalisme, même dans le capitalisme de Sarkozy, les
circonstances enfermées dans le quotidien, des moments de
subversion en perspective. Hugues Lethierry note justement que
Lefebvre ne voit pas de réelle distinction entre anarchisme et
marxisme, et se bat pour un marxisme relâché – un alter
marxisme – qui pose l’autogestion des citoyens et travailleurs,
plutôt qu’une stricte dictature du prolétariat.
Lefebvre déteste l’État et les institutions établies, parlant
souvent de l’État comme Nietzsche a parlé, dans Ainsi parlait
Zarathoustra, de « l’État le plus froid de tous les monstres
froids ». Il ment froidement et ce mensonge sort de sa bouche :
« Moi, l’État, je suis le peuple ». Lethierry a noté quelque
apparents détails mineurs et peu connus de la vie personnelle de
Lefebvre qui ont des conséquences politiques de longue durée,
comme son amitié avec le romancier et prix Goncourt Roger
Vailland, un temps son camarade de parti, renégat du
surréalisme, résistant, et à l’âme libertine. Vailland et Lefebvre
maintinrent des liens étroits et une « grande complicité »
(comme le note Lefebvre dans Le Temps des méprises, p. 55)
jusqu’à ce que le premier meurt en 1965. Ils partageaient des
penchants communs pour les femmes et la politique radicale,
l’alcool et la bonne vie.
Le goût chevaleresque de Vailland et Lefebvre pour
philosophie et politique fusionne avec leur goût commun pour
les femmes. Tel est le « style » lefebvrien, un style situé entre
fluidité et remous, quand la pensée devient telle un
vagabondage, telle une balade dans la ville ou dans la
campagne un dimanche après-midi : plus rhapsodique et
musicale que fixée et analytique. Penser avec Lefebvre, comme
Lethierry l’a fait dans son premier livre, est penser
capricieusement, c’est être un semeur capricieux qui jette les
semences dans le vent, sans gestuelle manuelle, sans se soucier
du fait qu’elles germent ou pas. Une image politiquement
incorrecte pour sûr, cependant plus juste que les théories
crispées et jargonneuses constructions que nous rencontrons si
souvent dans les études académiques, cela nous amène plus près
de Lefebvre, de sa personne vivante et de sa pensée d’homme.

21
Cela nous amène plus près, en bref, du philosophe dont nous
avons le plus besoin, de celui qui a, toute sa vie, agi (souvent
quand la route était très dure) et qui peut encore aujourd’hui
nous montrer comment agir dans les débris laissés par la crise,
avec ses dépressions économiques et notre apathie politique
prévisible7.
Ensemble, nous les lefebvriens francophones ou autre chose
(nous sommes tous lefebvriens ?) nous pouvons apprendre à
faire quelque chose de significatif aujourd’hui, quelque chose
de nécessaire politiquement, de même que le vieil homme fit
avec les contradictions formelles de l’hégélianisme hier.
Lefebvre ne se contentait pas de savoir seulement ce que Hegel
pensait, ce que Marx pensait, ce que Nietzsche pensait, il
voulait toujours tirer les conséquences politiques de leurs idées
dans son vieil âge, appliquant leurs propositions au présent, aux
événements courants, à la société réelle d’aujourd’hui. Nous
devons faire ce pari nous-mêmes, poursuivre La Somme et le
reste, nous devons continuer à examiner « la somme » de ce
qu’a réalisé Lefebvre en même temps comme pionnier du
chemin pour le « reste », pour l’inaccompli, pour l’aspect
encore inédit de cet héritage. Le livre nous fait franchir un pas
important le long de cette route politique. Pour cela un livre au
sous-titre officieux : Éloge de la politique.
Comme Lefebvre pour Vailland, Lethierry et ses
compagnons plaident pour quelque chose de terriblement
moderne :
« J’en ai par-dessus la tête qu’on me parle de planification,
d’études de marché, de prospective, de cybernétique,
d’opérations opérationnelles : c’est l’affaire des techniciens.
Comme citoyen, je veux qu’on parle politique, je veux
retrouver, je veux provoquer l’occasion de mener des actions
politiques (des vraies), je veux que nous redevenions tous des
politiques. Qu’est-ce que vous faites, les philosophes, les
écrivains, moi-même, les intellectuels comme on dit ? Les
praticiens ne manquent pas, ce monde en est plein. Mais les

7
L’ancien ami et co-conspirateur de Lefebvre, Guy Debord, le nota dans ses
Commentaires sur la société du spectacle (Gallimard, Paris, 1988, p. 37) :
« C’est la première fois, dans l’Europe contemporaine, qu’aucun parti ou
fragment de parti n’essaie plus de seulement prétendre qu’il tenterait de
changer quelque chose d’important. »

22
penseurs politiques ? En attendant que revienne le temps de
l’action, des actions politiques, une bonne, belle, grande utopie
(comme nous pensions en 1945 que “l’homme nouveau” serait
créé dans les dix années qui allaient suivre) ce ne serait peut-
être déjà pas si mal »8.

São Paulo, Brésil, mars 2010.

8
Éloge de la politique de Roger Vailland (Le temps des cerises, 1999, p. 27-
28). L’appel passionné de Vailland pour l’engagement politique – pour le
“combat politique” – pour dépasser l’inaction et la désillusion personnelle a
d’abord été publié en 1964 dans Le Nouvel observateur. Faisant une relecture
fascinante aujourd’hui, dans notre propre « fin de la politique», l’essai parle
beaucoup de ce que Lethierry et al. essaient de faire avec l’utilisation d’Henri
Lefebvre : « Se conduire en politique, c’est agir au lieu d’être agi, c’est faire
l’histoire, faire la politique au lieu d’être fait, d’être refait par elle. C’est
mener un combat, une série de combats, faire une guerre… » (p.18).

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INTRODUCTION

Ecce homo9

« Penser dialectiquement*, en rendant vivante la dialectique*. Ne renoncer ni


au Logos, au clair, au discours, au rationnel – ni à la praxis* – ni au rêve.
Récupérer à travers la Raison claire les éléments égarés de la totalité :
spontanéité et connaissance. Interdire à la forme d’oublier l’informel, au signe
d’omettre le rêve, à l’abstrait de dédaigner le reste du monde. »
H. Lefebvre, La Somme et le reste, 2e éd., p. 293.

« L’avenir / Ne viendra pas tout seul


Si nous / Ne prenons pas des mesures. »
Maïakovski, Désembourber l’avenir.

« Si l’on prétend que “les masses” entraînent l’indifférence, que la “société de


masse” est nécessairement sans qualité, il est facile de répondre en montrant
que les masses luttent aussi pour la différence (en Amérique latine, en
Afrique, en Asie, mais aussi en Europe et en Amérique du Nord). Seule cette
idée relie entre eux les combats des Noirs et ceux des étudiants, ceux des
intellectuels et ceux des peuples hongrois, tchèque, yougoslaves, vietnamien,
etc. »
H. Lefebvre, Manifeste différentialiste, p. 98.

« On n’est jamais trompé par les faits, on ne fait que se tromper sur eux. Trop
de militants déçus considèrent que la révolution les a faits cocus. […] Le
monde continue d’exister sans eux. Et si son histoire est faite de boue, de sang
et de merde, il n’est pourtant pas d’autre issue que de la regarder en face si
l’on veut continuer à vivre avec les hommes et pas seulement avec son écran
de télévision… »
F. Maspero, préface à la nouvelle série de Tricontinentale, 1981.

« Pour Lefebvre vivre est politique […] Sans le politique, il n’y a pas de
Lefebvre. »
coll., Key writings, p. 217.

« Je ne fus pas multiplié par les miroirs envieux qui transforment en choses
les hommes, en nombre les choses : ni commandement ni profit. »
O. Paz, Œuvres, Pléiade, 2009.

« La paroisse de Lefebvre, c’est le mondial. »


R. Hess, préface à Penser avec Henri Lefebvre, op. cit.

9
Pilate livre Jésus à la foule : « Voici l’homme », dit-il. L’expression « Ecce
homo » a été reprise par Nietzsche dans un ouvrage où il se « livre » au
lecteur.

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