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Il s’ensuit que l’homme ne peut plus se définir d’abord et essentiellement par ses fonctions
cog-ni-tives : ce qui est essentiel et premier en lui, c’est le vouloir.
Ce sont nos désirs qui conditionnent l’exercice de nos fonctions cognitives, et non l’inverse.
La lutte des forces en pro-ve-nance du vou-loir, du reste, ne se li-mite pas au règne du vi-vant mais
concerne l’univers entier : par-tout, des forces na-tu-relles entrent en conflit les unes avec les
autres, comme en at-testent par exemple les trem-ble-ments de terre ré-sul-tant des pres-sions
exer-cées sur les roches. Le vou-loir, en s’objectivant dans la multiplicité des êtres du monde,
entraîne un conflit universel. Le mal réside à l’origine dans le passage de l’unité du vouloir à la
multiplicité des forces à travers lesquelles il s’exprime. Cette vision pessi-miste*, ac-cor-dant
au mal une positivité, contredit radicalement le point de vue opposé, celui de l’optimisme,
qui repose sur l’idée d’un divin auteur du monde.
le monde que nous connaissons résulte selon notre philosophe d’un écla-te-ment du vou-loir en
une plu-ra-li-té de forces en conflit les unes avec les autres : loin d’être l’œuvre d’un Dieu bon et
bienveillant, il procède du Mal, de la division de l’un en une multiplicité d’étants luttant
in-di-vi-duel-le-ment pour se maintenir dans l’être.
Ici toutefois, liberté* n’est pas synonyme de choix mais d’absence d’empêchement : rien
n’empêche le vouloir de s’objectiver, de s’exprimer dans le multiple. On ne peut donc pas
véritablement parler d’une « faute » au sens mo-ral du terme, puisque cette ob-jec-ti-va-tion est
non délibérée et non consciente. Il s’agit plutôt d’un drame métaphysique originel, qui
consiste sim-ple-ment dans le pas-sage mys-té-rieux – et à vrai dire in-com-pré-hen-sible – de l’un au
multiple, de l’unité du vouloir à la pluralité des forces na-tu-relles en lutte les unes avec les
autres
Af-fir-mer le vou-loir-vivre, c’est d’une part souffrir : c’est vivre sous la tyrannie de désirs qui, une
fois satisfaits, cèdent bientôt la place à l’ennui, qui ne cesse qu’avec l’apparition de nouveaux
dé-si-rs, et ainsi de suite. C’est d’autre part être porté à l’égoïsme, à la réalisation de nos
intérêts propres au mépris de ceux d’autrui. Schopenhauer expose plusieurs voies permettant
de s’affranchir de ce vouloir, comme source de souffrances et d’injustices.
Les modernes (Corneille, Racine, Shakespeare, etc.) montrent que l’existence humaine contient
un caractère nécessairement funeste tant que l’individu s’attache à affirmer ses désirs (M,
1171). Le malheur n’est plus la conséquence d’un destin particulier, agissant comme une force
extérieure à l’homme. Il est inhérent à la condition humaine comme vie désirante, aspirant au
bonheur à travers l’affirmation du vouloir-vivre.
Aus-si Scho-pen-hauer en-vi-sage-t-il une autre voie de li-bé-ra-tion, plus du-rable et plus ef-fi-cace,
qui offre en outre l’avantage de contri-buer à faire re-cu-ler le mal comme « in-jus-tice ». Cette voie
est celle de l’agir compassionnel. Schopenhauer articule d’une certaine manière l’esthétique
à l’éthique en soulignant que la fréquentation des tragédies éveille en nous le sens de la
com-pas-sion. En nous fai-sant par-ti-ci-per aux mal-heurs du hé-ros, en sus-ci-tant notre
in-di-gna-tion face aux coups qui le frappent in-jus-te-ment, la tra-gé-die consti-tue une
re-mar-quable pré-pa-ra-tion à la mo-rale com-pas-sion-nelle.
Ce décentrement est source d’un bonheur négatif, consistant dans la suspension de mon
vou-loir-vivre individuel, à quoi s’ajoute, si mon aide s’avère efficace, un profond sentiment de
sa-tis-fac-tion.
La li-bé-ra-tion par la com-passion n’est réservée qu’à ceux qui, au-delà des
apparences,perçoivent l’unité fondamentale de tous les êtres.
Ce qui échappe à notre conscience, dans cette perspective, c’est 1) l’influence des fins du vouloir
(conser-va-tion, adap-ta-tion, évitement de la peine) sur l’exercice de notre pensée ; 2) l’exercice
de cette pen-sée lui-même, c’est-à-dire le traitement de l’information, le plus souvent
in-cons-cient, qui pré-pare nos dé-ci-sions et nos ac-tions vo-lon-taires.