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LUMINIŢA CIUCHINDEL

RELAIS NARRATIFS
DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE
DU MOYEN ÂGE ET DE LA RENAISSANCE
Troisième édition

Universitatea SPIRU HARET


Coperta: Pol de Limbourg
Les Très Riches Heures du Duc de Berry
Calendrier: Avril XVe siècle
Chantilly, Musée Condé
Clichè Giraudon.
RH04

© Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007


Editură acreditată de Ministerul Educaţiei şi Cercetării
prin Consiliul Naţional al Cercetării Ştiinţifice din Învăţământul Superior

Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României


CIUCHINDEL LUMINIŢA
Relais narratifs dans la littérature française du Moyen Age et de
la Renaissance, ediţia a III-a / Luminiţa Ciuchindel. – Bucureşti,
Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007
Bibliogr.
ISBN 978-973-725-983-7
821.133.09''04/15''

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Tehnoredactor: Marcela OLARU
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Format: 16/61×86

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Bulevardul Timişoara nr. 58, Bucureşti, Sector 6
Tel./Fax: 021/444.20.91; www.spiruharet.ro
e-mail: contact@edituraromaniademaine.ro

Universitatea SPIRU HARET


UNIVERSITATEA SPIRU HARET
FACULTATEA DE LIMBI SI LITERATURI STRĂINE

Conf. univ. dr. LUMINIŢA CIUCHINDEL

RELAIS NARRATIFS
DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE
DU MOYEN ÂGE ET DE LA RENAISSANCE
Troisième édition

EDITURA FUNDAŢIEI ROMÂNIA DE MÂINE


Bucureşti, 2007

Universitatea SPIRU HARET


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TABLE DES MATIÈRES

AVANT PROPOS ............................................................................. 7


Les fabliaux ........................................................................................ 9
Le conte et le roman au XVe siècle ................................................. 23
Antoine de la Sale et le paradoxe romanesque au XVe siècle ........ 31
L’évolution du genre narratif bref du XVe au XVIe siècles ............ 47
Les conteurs de la Renaissance, Marguerite de Navarre ................ 59
L’Heptaméron ..................................................................................... 60
Bonaventure des Périers .................................................................... 98
Les nouvelles récréations et joyeux devis ........................................ 100
Fonctions et motifs du modèle d’encadrement des récits
dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre .............................. 108
Mythe et réalité dans l’éthique de L’Heptaméron .......................... 115
Aspects du rapport discours/récit chez les conteurs français de la
Renaissance ...................................................................................... 120
Bibliographie ..................................................................................... 120
Les fabliaux ................................................................................. 124
Antoine de la Sale ....................................................................... 126
Le conte et le roman au XVe siècle ............................................ 127
Marguerite de Navarre ................................................................ 128
Bonaventure des Périers .............................................................. 131
Ouvrages généraux sur le conte et la nouvelle du XVe au XVIe
siècles et d’autres études consacrées au genre narratif bref ............. 132
Manuels d’histoire littéraire ............................................................ 135

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AVANT – PROPOS

Les études de ce volume se proposent de donner un aperçu de


quelques étapes importantes dans l’évolution du genre narratif dans la
littérature française, des fabliaux jusqu’aux contes du XVIe siècle.
L’analyse se circonscrit autour des créations qui, par leurs origines,
thématiques et structures, établissent des rapports de filiation, tant sur le
plan de la synchronie que sur celui de la diachronie. Il convient de
comprendre, dans la même perspective, l’attention particulière que nous
avons prêtée au roman du XVe siècle, notamment à Antoine de la Sale, vu
le développement du genre romanesque à une époque d’essor du conte et
de la nouvelle en quête d’un statut original et plus stable. Les valeurs
éthiques et esthétiques promues par ces productions littéraires témoignent
des nombreuses virtualités formatives de la littérature du Moyen Âge et de
la Renaissance.
La démarche méthodologique à laquelle nous avons recours se
réclame des orientations modernes de l’histoire et de la critique littéraires,
ayant pour principal objectif l’approche textuelle.
La contribution de la critique littéraire et de l’esthétique roumaines à
l’approfondissement du processus littéraire envisagé nous ont été d’une
très grande utilité.
Ce recueil d’études s’adresse tant aux étudiants qu’aux professeurs
de français désireux d’élargir leurs connaissances dans le domaine de la
narratologie médiévale et renaissante.

L’Auteur

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LES FABLIAUX

Le fabliau, cet „enfant terrible” d’une littérature affranchie des


canons de la casuistique rigide des productions qui le précèdent et qui lui
sont contemporaines, émerge au XIIe siècle et sa vogue s’étend jusqu’au
seuil du XVe siècle. Son grand mérite est d’abord celui de rassembler et de
niveler un public divers, des cours seigneuriales jusqu’aux foires
populaires, toutes les catégories sociales se retrouvant réunies dans le loisir,
pour le divertissement de même que pour la culture. Pour tenter de mieux
comprendre l’esprit des fabliaux, l’hétérogénéité de leurs thèmes, sujets et
personnages, il faut rapporter la ventilation des registres littéraires à
l’époque, au brassage du public, dans ce sens que la même histoire était
écoutée par le seigneur, le bourgeois et l’homme du peuple. Peu de genres
littéraires médiévaux posent autant de problèmes complexes que le fabliau,
oeuvre éminemment destinée à se recréer pour et par le public, dans
l’intention de répondre à certaines exigences appréciatives qui sont celles
de l’auditoire des XIIe – XIVe siècles.
Il devient donc nécessaire, avant de tenter une caractérisation du
fabliau, de tenir compte autant de la relation auteur-médiateur-public que
de la spécificité structurale, formelle et intentionnelle de cette création. Cela
signifie qu’il faut chercher, comme dans tout texte médiéval, ce qui le rend
susceptible d’être intégré dans une „grille” correspondant à une distinction
génétique, à partir d’un ensemble de règles préexistantes ou émanées du
texte même, cette ossature paradigmatique de tout type littéraire. La
mobilité du fabliau, fondamentale et intrinsèque, se traduit par son
actualisation dans des sphères sociologiques très diverses, et sa fixité,
notion équivoque pour une création virtuellement changeable et sujette à
des différenciations, c’est la cristallisation de la matière narrative dans une
„discipline” à l’intérieur même de la mobilité, c’est-à-dire du colportage par
déplacement des fabliaux.

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Le faisceau de constantes du fabliau doit être cherché dans un
certain type de créateur et de public, dans sa thématique, ses structures, son
but, autant de „signaux” susceptibles d’en prévoir les combinaisons
possibles et d’en faciliter une définition.
L’originalité du fabliau s’explique aussi génétiquement, par un
retour à sa spécificité en tant que production appartenant à une époque:
XII-XIV-e siècles.
Des facteurs socio-historiques, comme la montée de la bourgeoisie
et l’évasion de l’esprit de sous la tutelle ecclésiastique, ont déterminé
l’apparition, au milieu du XIIe siècle, d’une littérature bourgeoise au nord
de la France, nettement distinguée par son caractère anti-courtois, même si
le fourrier de cette production reste en partie l’esprit dominant qui la
précède et qui est contemporain, d’où la défense des valeurs sociales et
morales propagées par la littérature courtoise dans bon nombre de fabliaux.
Malgré ce vague coloris aristocratique, la plupart de ces récits acquièrent
une connotation popularisante, résultat de l’émancipation de la littérature en
dehors des cours seigneuriales, où elle continue d’être tolérée même, faisant
figure de divertissement qui n’ignore pas le but moralisateur, même si
celui-ci s’efface derrière le comique le plus savoureux.
L’approche du fabliau exige en premier lieu un éclaircissement,
même sommaire, du rôle détenu par les auteurs, point de rencontre des
courants du public dont ils assurent la synthèse au niveau culturel. Cela
devient possible par un essai d’esquisser ce type complexe de créateur et
d’interprète qu’est le jongleur. Par leur double rôle littéraire, celui de
conserver et de transmettre les textes d’une riche diversité, de même que
celui d’être responsables de la fixation des procédés artistiques dans les
productions qu’ils propagent, les jongleurs dont le répertoire est
multiforme, sont les intermédiaires naturels entre la production littéraire et
les classes sociales à une certaine époque. Les jongleurs recrutés des clercs,
qui avaient acquis une culture cléricale, mais sans avoir reçu les ordres,
couraient le monde connus sous le nom de „goliards” – „clerici vagantes”,
„vagi scolares” ou „vagants”1. Ces gens de lettres apportaient leurs
connaissances grecques et latines assimilées à la suite des traductions
effectuées dès le XI-e siècle et propagées par la poésie morale qu’ils

1
Voir à ce propos: Olga Dobiache-Rojdestvensky, Les Poésies des goliards,
Paris, Les Editions Rieder, 1931.
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cultivaient. Aussi les gestes et les poèmes anonymes leur restent-ils
redevables.
L’art des jongleurs et des clercs s’exerce également à la cour
seigneuriale, ce qui leur impose une subordination aux goûts de
l’aristocratie qui les imite peu ou prou. C’est le contact avec le peuple qui
reste tout de même permanent et d’une haute importance pour
l’enrichissement de leur répertoire. Participant à la réjouissance populaire,
dans les foires et pendant les fêtes, ce sont les jongleurs qui organisent et
conduisent les manifestations artistiques jusque dans les églises même, où
ils étalaient leurs talents de musiciens, acteurs et danseurs.
Ágents de la frivolité mondaine, il était naturel que l’église les
décriât.
Les fabliaux ouvrent une page très intéressante sur la condition
sociale, la culture des jongleurs et des clercs, leur répertoire, leur public:
„Mais ge sai aussi bien conter,/Et en romanz et en latin,/Aussi au soir
comme au matin,/Devant contes et devant dus.../Ge sai contes, ge sai
flabeax;/Ge sai conter beax diz noveax,/Rotruenges viez et noveles,/Et
sirvents et pastoureles...”(M.R.I.,I)1. L’inventaire complet de la matière
jongleresque y est passé en revue: chansons de geste, romans bretons, lais,
pièces de théâtre, récits hagiographiques, pièces placées dans la mouvance
du Grand Chant Courtois.
A côté du jongleur et du clerc, un autre nom dont se parent souvent
les auteurs de fabliaux est celui de ménestrel. Ce n’est que vers le XIIIe
siècle que la distinction entre la jonglerie et la ménestrandie devient plus
nette: le ménestrel acquiert un statut plus particulier, d’officier de cour et de
poète attitré et permanent auprès d’un seigneur2.
Les fabliaux occupent une place de choix dans la masse des
productions que les jongleurs, les clercs et les ménestrels colportaient et qui

1
L’édition Anatole de Montaiglon et Gaston Raynaud, Recueil général et
complet des fabliaux des XIII-e et XIV-e siècles, New York, Burt Franklin, 1878, 6
vol., sera désignée par le sigle M.R.; le premier chiffre indique le tome, le deuxième
celui de fabliau.
2
Voir à propos des traits spécifiques de la jonglerie les études suivantes:
Edmond Faral, Les Jongleurs en France au moyen-âge, Paris, Librairie Honoré
Champion Editeur, 1910; Antonio Viscardi, Le Letterature d’Oc e d’Oil, Milano,
Sansoni, Firenze ed Edizioni Accademia, 1967, Capitulo quarto: „Le letterature
romanze, la tradizione clericale e la tradizione giullaresca”, p.51-75; Paul Zumthor,
Jonglerie et langage, dans „Poétique”, no.11/1972, p.321-336.
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témoignaient de leur culture. Par leur souci d’authenticité, ces créations
étaient les „faits divers”, parfois les „actualités” que le public attendait entre
deux récits „sérieux”.
L’auteur du fabliau s’éclipse derrière le texte, d’où le nombre réduit
de manuscrits signés (une quarantaine de fabliaux sur 160 sont signés) et
l’absence de répertoires complets de fabliaux. Ce qui compte c’est l’histoire
en elle-même, jugée suffisamment réussie pour qu’elle circule seule.
Derrière les auteurs anonymes de fabliaux, genre littéraire longtemps
dédaigné et considéré mineur, se cachent des noms d’écrivains illustres
dont l’art poétique est coulé dans le moule d’une langue qui prend
conscience de sa valeur littéraire. Les quelques manuscrits signés étayent
cette affirmation. Parmi les jongleurs artistes et artisans, auteurs attestés de
fabliaux, on retrouve le nom de Rutebeuf sur cinq manuscrits: L’âme au
vilain, Charlot le Juif, La Dame qui fist trois tors entor le mostier, Frère
Denise, Le testament de l’âne. D’autres jongleurs, comme Gautier Le Leu,
Guérin, Guillaume le Normand, Jean le Chapelain Cortebarbe, Huon le
Roi, Hugues Piauceles, et surtout Jean Bodel, un „rimoiere de fabliaus”,
comme il se présente lui-même, n’en restent pas moins célèbres. Des
ménestrels – Jacques de Baisieux, Watriquet de Couvin, Jean de Condé –
ou de grands clercs – Henri d’Audeli ou Philippe de Beaumanoir – ont
également laissé leur signature sur les fabliaux.
Le plus ancien fabliau attesté est Richeut, composé entre 1174 et
1177, et les textes les plus tardifs semblent être les fabliaux de Jean de
Condé, composés vers 1340. L’aire de répartition des fabliaux comprend,
pour la plupart, les provinces du nord de la France, notamment: la Picardie,
l’Artois, le Ponthieu, l’Île-de-France, l’Orléanais, la Normandie, la
Champagne. Bon nombre de ces productions ont éclos, dans la seconde
moitié du XII-e siècle, en Angleterre.
La terminologie que les auteurs de fabliaux emploient pour désigner
leurs oeuvres est fluctuante, et les témoignages qu’apportent les textes
rendent compte également de l’origine et de la signification du fabliau, de
sa „muance” et de son osmose avec les genres qui le confinent. On retrouve
dans les textes, et plus particulièrement dans leur „prologue”, des
désignatifs dont nous avons recensé un certain nombre: fabliaus (60
fabliaux), fablel, fableau, istoire ou fable (il arrive que ce désignatif soit la
conséquence d’une „contamination” avec les fables d’Isopet, qui figurent
parfois à côté des fabliaux dans le même manuscrit), voir, dit, romanz,
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reverie, conte, proverbe, essanple, lays, reson, roman, traité, distié,
chanson, serventois, reclaim, rime, truffe, risée, mensonge, merveille1.
La dominance de certains traits pertinents et récurrents dans la masse
des fabliaux permet de déceler leurs traits caractéristiques. La plupart de ces
récits débutent par une formule destinée à attirrer l’attention de l’auditoire.
Les auteurs affirment leur intention de raconter une „aventure”:
„D’une aventure que je sai/.../Vos conterai briemant la some” (MR,
V, XXXXI).
„Or vous voudrai avant passer/Et dire toute l’aventure” (MR, III,
LXXII).
„Qui d’aventure velt traiter,/II n’en doit nule entrelaisser/Qui bonne
soit à raconter” (MR, II, XXXV).
On y reconnaît facilement un résidu de la littérature courtoise,
surtout des romans bretons et des lais. De ce point de vue, le fabliau est
„une matière mise en forme, et la matière de prédilection c’est l’aventure...
Elle en est aussi le moteur”2. A la différence de l’acception que le mot
„aventure” a pour les récits arthuriens ou pour les lais, où l’exploit
chevaleresque est subordonné à la quête d’un idéal de perfection morale
mise au service de l’amour courtois, dans les fabliaux „l’aventure” est
l’événement vraisemblable, dépouillé du vernis féerique et transcendantal.
Il est très rare que le merveilleux s’y mêle, et le principal souci du conteur
est de souligner l’authenticité des faits, de la „matire aprise”.
La récurrence du terme „matière”, dans laquelle le fabliau puise son
sujet, pose le problème de la circulation de ces récits. D’après les
témoignages textuels, la principale voie de transmission des fabliaux est
celle mémorielle:3
„Une fable vueil comencer,/Que je oy l’autr’er counter” (MR, II,
XLVIII).

1
A propos des termes par lesquels les auteurs médiévaux nommaient leurs
oeuvres de même que pour le concept de genre au Moyen-Age voir Paul Zumthor,
Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, chap. 4: „L’organisation
hiérarchique”, p.157-185.
2
Roger Dubuis, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la tradition de la nouvelle
en France au moyen-âge, Grenoble, Presses Universitaires, 1973, p.175-176.
3
Cf. Jean Rychener, Contribution à l’étude des fabliaux, Genève, Librairie
Droz, 1960, vol. I, p.99-141.
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„...Commencier vous vueil un fablel/
Por ce qu’il m’est conté et dit” (MR, III, LVIII).
„Rien en ai la matire aprise’’ (MR, III, LXXV).
Le fabliau est essentiellement „conté et dit”, ce qui implique la
reconnaissance du folklore comme source primordiale de ce type de récit.
Le mérite du poète consistera, par conséquent, dans l’enjolivement dû à la
réélaboration artistique du sujet conformément aux exigences d’une
captatio benevolentiae du public. Le souci d’un „art poétique” rejoint celui
de „rimer” une action digne d’être racontée: „Quiconque veut bien
rimoier,/II doit avant estudier/A bone matire trouver/Si qu’il ne soit au
recorder/De nului blasmer ne repris/Et par ce me sui entremis/De fere I dit
dont j’ai matiere” (MR, II, XXXVII).
Quelle qu’en soit la circulation du fabliau, orale ou écrite1, les
qualités de l’histoire semblent être devenues de véritables lois du „genre”.
La première règle est l’authenticité des faits narrés: „Por ce que n’est pas à
droit dite, /Vous vueil dire la vérité” (MR, III, LV).
„Segnor, je n’ai de mentir cure/Ançois dirai une aventure...” (MR,
V,CXXIII).
Au critère de la vraisemblance des événements s’ajoute celui de la
nouveauté du sujet:
„Uns joliz clers.../Vous vueil dire chose novelle” (MR, II, XXVI).
„Seignor, ciez I. noviau conte/Que ma fable dit et raconte” (MR, III,
LXV).
Et comme un corollaire de ces qualités du conte, sa brièveté
obligatoire, qui réside dans la subordination du récit à l’anecdote, autrement
dit à l’unité du sujet, du caractère, et parfois même du lieu et du temps, ce

1
Parfois l’auteur avoue avoir trouvé sa „merveilleuse aventure” en
„escriture”. On peut même supposer l’existence des répertoires” de fabliaux d’où la
riche tradition manuscrite de certains récits qui nous sont parvenus par de
nombreux remaniements: par exemple le fabliau CVI, Constant du Hamel, s’est
transmis par cinq manuscrits. (Cf. Per Nykrog, Les fabliaux, étude d’histoire
littéraire et de stylistique médiévale, Copenhague, Ejnar Munksgaard, 1957, p. 36.
L’auteur de cette étude suppose aussi l’existence à l’époque respective des
„collectionneurs” de manuscrits dans des codices-bibliothèques, „les fabliaux étant
considérés des créations artistiques au même titre que les lais, romans, pièces
lyriques, etc.” (idem, p.51).
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qui confère aux fabliaux un cachet de „classicisme” au sens du XVIIe
siècle, qui rend ces productions plus susceptibles d’être encadrées dans un
type littéraire ayant une certaine stabilité en dépit de toute terminologie
flottante.
„Que li fablel cort et petit/ Anuient moins que li trop lonc” (MR, III,
LVIII).
„Je vous dirai trestot briément/La fin et le commancemant” (MR,
V,CXXVIII).
L’économie narrative assure l’effet de surprise, même si l’on
enchaîne des détails qui retardent „en suspens” le dénouement. Dans ce cas,
l’auteur coupe brusquement la narration par des assertions du type: „Que
vous feroie plus lonc conte?” (MR,I, VI).
La longueur de quelques fabliaux, composés le plus souvent d’une
mosaïque d’événements hétéroclytes, ne contrevient pas aux exigences du
„genre”. Le volume du conte s’explique dans ce cas, d’une part, par les
concessions qu’une littérature de projection orale doit faire à l’auditoire,
selon ses goûts, son niveau de culture, et d’autre part, du point de vue du
récitant, son besoin de „tenir tête” à la concurrence de ses confrères. Le
„record” en matière de raconter n’est pas sans relation avec une tradition du
conte à laquelle le fabliau emprunte la charpente narrative. Un aperçu de
ses possibles origines, bien qu’un pareil examen doive être abordé avec
beaucoup de prudence, facilite l’approche du genre narratif bref, du fabliau
en l’occurrence, et ouvre ce double volet constitué par la „moralité” et la
portée comique du fabliau.
En Espagne et en France, des récits édifiants d’origine orientale sont
traduits, dès le XII-e siècle, par les érudits arabes et hébreux, connaissant
vite une large diffusion. Il s’agit d’abord de l’ouvrage de Petrus Alphonsi,
Disciplina clericalis, qui date du début du XII-e siècle, livre fait „en partie
des proverbes et des exemples des Arabes, de fables et de vers, et
finalement de ressemblance des animaux et des oiseaux”.
Les fabliaux sont redevables à ce livre de sagesse qui, sous la forme
de l’exemple et du raisonnement, fournit des thèmes fort goûtés par la
narration qui lui succède: les défauts de l’individu (hypocrisie, envie,

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bassesse, abjection, mensonge, duplicité, malice, ruse) constamment
opposés aux véritables vertus1.
Dès la première moitié du XIIIe siècle, on traduit et on adapte les
Mille et une nuits, dont le recueil bagdadien, connu sous le titre de Syntipas
ou Le Livre des sept sages jouira d’une immense fortune dans toutes les
littératures européennes. En France cet ouvrage est traduit vers 1225 et
quelques sujets de fabliaux lui sont redevables (par exemple: D’Auberée, la
vieille maquerelle, Le Lai d’Aristote, et d’autres contes dont le thème est
principalement la ruse des femmes). En Espagne, il circulait à la même
époque, sous le titre de Libro de los engannos y assayamentos de las
mujeres. Il faut y ajouter la traduction du célèbre texte de Calila et Dimna
et l’adaptation en français de Robert le Diable, à la fin du XIIIe siècle, ce
qui témoigne de l’importance de la littérature édifiante et de la vogue du
conte à l’époque qui précède l’apparition des premiers fabliaux. L’essor de
l’exemplum2 n’est pas sans rapport non plus avec la tradition des fabliaux,
même si, dans ce cas, on peut constater une influence réciproque, étant
donné le développement parallèle de ces deux types de récits au XIII-e
siècle. Instruire et divertir sont les impératifs des auteurs des exempla, qui
s’adressent à toutes les catégories sociales, trouvant pour chacune un
enseignement concentré dans un dicton ou un proverbe illustré par une
brève histoire. L’aspiration moralisante et l’habit comique de ces contes
rejoignent la quintessence du fabliau.
Dans des textes qui semblent être éminemment religieux, comme les
contes pieux du recueil de La Vie des anciens pères, du XIIIe siècle, on
remarque la même ouverture aux aspects de la vie quotidienne.
L’étymologie même du mot fabliau, diminutif de fabula3 nous met
sur une voie où il est possible qu’on retrouve de profondes traces

1
Voir à propos de l’évolution de la narration médiévale en Espagne, E.
Ramelin Marsan, Itinéraire espagnol du conte médiéval (VIIIe – XVe s.), Paris,
Klincksieck, 1974.
2
L’exemplum, récit prononcé en langue vulgaire et écrit en latin, dont la
vogue s’étend du IVe jusqu’au XVI-e siècle, était l’histoire moralisatrice d’origine
antique et folklorique, qui servait au prédicateur pour illustrer une vérité morale et
pour éveiller l’attention de l’auditoire pendant le sermon.
3
Voir, à propos de l’étymologie du mot fable et des ses connotations en
ancien français, Paul Demats, Fabula – trois études de mythographie antique et
médiévale, Genève, Droz, 1973 coll. „Publications romanes et françaises fondées
par Mario Roques”, dirigées par Jean Frappier.
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d’inspiration pour le genre en question. Dès la deuxième moitié du XIIe
siècle, on fait la connaissance des „fabliaux” latins en France, par le
truchement des ouvrages, tel le Geta de Vital de Blois (reprise du thème
d’Amphytrion, satire de l’enseignement théologal parisien) et bien avant,
vers 1170, l’Alda deviendra un modèle de conte réaliste qui n’épargne pas
le ton licencieux. L’Ovide moralisé, traduction du XII-e – XIII-e siècles des
Métamorphoses auxquelles s’ajoutent les interpolations des copistes – des
fables ayant pour source les gloses latines – rend à la fable son vrai sens,
qui est celui de corriger la nature humaine en dénonçant la vérité. Dans
Richeut, premier fabliau attesté, la femme du personnage principal
s’appelle Hersant, ayant le même nom et les mêmes attributs que la femme
d’Isengrin, le héros du Roman de Renart dont les histoires étaient connues
par les auteurs des fabliaux.
Les contes de l’Isopet de Marie de France et certains épisodes du
roman occitan de Flamenca sont très proches des sujets des fabliaux.
Genre burlesque, le fabliau appartient à une littérature objective, où
le grotesque se joint à l’humour, relevant de cet esprit de satire
caractéristique aux productions du XIII-e siècle, qu’on retrouve chez les
auteurs du Roman de Renart, dans la première branche du Roman de la
Rose ou chez Rutebeuf.
La recherche de la pointe n’est que l’apparence derrière laquelle la
plus banale anecdote suscite une réflexion. Robert Guiette souligne la
valeur des fabliaux, ces „petits récits réalistes”, qui sont vrais parce qu’ils
sont justifiés par une vérité profonde1. Les attaques dont la cible sont la
monarchie et la féodalité surprennent par la hardiesse du ton. Le jongleur,
héritier des „fous” qui disent la vérité, conseille au monarque absolu la
tempérance: „Sire, moun counsail vus dirroy:/Si vus vostre estat veillez
bien garder, /Ne devrez trop encrueler,/Ne trop estre simple vers ta
gent;/Mes vus portez meenement...”(MR, II, LII, Le Roi d’Angleterre et le
jongleur d’Ely). Une vieille paysanne connaît la manière dont on peut
obtenir la faveur d’un seigneur:”...riches hommes hauts,/Qui plus sont
desloiaus et faus;/Lor san et lor parole vandent,/A nule droiture

1
Robert Guiette, Fabliaux, Divertissement sur le mot fabliau. Notes
conjointes, dans Questions de littérature, Gent-Gand, „Romanica Gandensia”, VIII,
1960, p.74.
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n’entandent,/Chacuns à prandre s’abandonne:/Povres n’a droit, se il ne
done”. (M.R., V, CXXVII, De la vieille qui oint la palme au chevalier).
Même si le divertissement du public reste le premier objectif, il
conviendrait de juger le fabliau d’après ses thèmes, ses sujets, ses
personnages, motivés dans leur ensemble par un engagement du narrateur
dans la réalité qu’il vit et qu’il transfigure selon l’exigence d’instruire qui
régit ce type de récit.
Le but moralisateur, impératif de la plupart des fabliaux est atteint
soit d’une manière implicite, par un dicton placé au début ou à la fin de la
narration, qui s’appelle souvent „essample” ou „proverbe”, soit d’une
manière explicite, la morale étant contenue dans le développement même
du thème. Fort goûté plus de deux siècles par les gens de toutes les
catégories sociales et de tous les âges, le fabliau faisait figure maintes fois
de „leçon publique”: „Vos qui fableaus volez oir,/Peine metez à
retenir;/Volontiers les devez aprendre,/Les plusors por essample
prendre,/Et les plusors por les risées/Qui de maintes gens sont amées”.
(M.R., VI, CXL).
Le comique, quelque gratuit qu’il puisse paraître, touche à l’ironie
qui n’épargne aucun aspect de la réalité, que cela vise la hiérarchie sociale
dans sa totalité ou simplement l’individu, cette entité placée au milieu des
préoccupations d’une époque qui amorce l’éclosion de l’esprit humaniste.
Malgré l’impression d’inconsistance et d’hétérogénéité constatée au
niveau de la structure narrative et du style, l’univers des fabliaux découvre,
peut-être paradoxalement, son unité par un écart voulu aux „normes”
épousées par les autres productions littéraires de la même époque. A cela
s’ajoute aussi la polarité thématique de certains groupes de fabliaux, qui se
laissent de la sorte facilement réunis en „familles” d’une remarquable
variété et complexité1.
1. Un très grand nombre de fabliaux accusent un caractère nettement
anticlérical. Les auteurs y daubent sur les prêtres, les prévôts, les ordres
monastiques: Le testament de l’asne, Du provos a l’aumuche, Du prestre
qui fut mis au lardier, Du frere Denise, etc.

1
Voir à ce propos les classifications des fabliaux proposées par: Per
Nykrog, Les fabliaux – étude d’histoire littéraire et de stylistique médiévale, op. cit.,
pp.53-66; Omer Jodogne, Considérations sur le fabliau, dans: ”Mélanges offerts à
René Crozet”, Poitiers, 1966, tome II, pp.1045-1054.
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2. Un des thèmes de prédilection des fabliaux est la ruse des femmes,
la mysoginie restant un trait fondamental de cette littérature: Des trois boçus,
La Houce partie, De la borgeoise d’Orliens, Le Cuvier, Le Dit des perdriz,
De l’Espervier, Le lai d’Aristote, D’Auberée, la vieille maquerelle, etc. Un
volume très restreint de fabliaux défendent les femmes vertueuses: De
Constant du Hamel, D’Estormi, De la Dame escolliée, Du prestre et de la
Dame, etc.
3. Encyclopédie vivante de leur temps, mosaïque sociale où toutes les
classes se retrouvent dépeintes avec un excellent sens de la réalité, les
fabliaux dénoncent les abus commis contre les gens simples – paysans,
artisans, bourgeois moyens, jongleurs, clercs, ménestrels: Du vilain Mire,
Du vilain qui conquist paradis par plait, De Brunain, la vache au prestre,
Du vilain au buffet, De la vieille qui oint la palme au chevalier, De trois
aveugles de Compiègne, Du povre Mercier, De Saint-Pierre et du jongleur,
Des deux Bordeors ribauz, La Contre-gengle, etc.
4. Bien qu’exclues souvent des fabliaux, quelques historiettes
sentimentales, qui gardent le cachet des récits d’aventure et des lais, dans le
thème, le décor, le goût pour le merveilleux, la défense de l’idéal
chevaleresque, des topoï propres à la littérature courtoise, peuvent être
retenues en tant que fabliaux, tout en se situant „en contrepoint” avec les
types de narrations apparentées: Du vair pelefroi, De Guillaume au faucon,
Du mantel moutaillé, Des trois chevaliers et del chainse, Du chevalier à la
corbeille, Du chevalier qui recouvra l’amour de sa Dame, Des Tresces.
Quoiqu’ils voisinent parfois, dans les manuscrits, avec les lais et les
légendes d’amour, preuve de leur coexistence, ces fabliaux en prennent le
contre-pied par leur intention parodique et moralisatrice qui prime. Le récit
bascule souvent dans un vaudeville. Au -delà de la ligne de clivage qui
sépare ces types de narrations, il y a eu contamination réciproque, élément
essentiel dans la compréhension de la littérature médiévale1.
1
Voir à ce propos les opinions sur le lai et le fabliau de Jean Frappier,
Remarques sur la structure du lai. Essai de définition et de classement, dans „La
littérature narrative d’imagination des genres littéraires aux techniques
d’expression”, colloque de Strasbourg, avril 1959, Paris, PUF, 1961, p.25; – sur les
critères de distinction entre la littérature courtoise et les fabliaux: Omar Jodogne,
Considérations sur le fabliau, op. cit., p.1045 et Henri Coulet, Le roman jusqu’à la
Révolution, Paris, A. Colin, 1967, p. 77; – sur la fin’amor et les fabliaux, voir en
particulier Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, pp.223-226.
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5. Un groupe considérable de fabliaux opèrent une section dans la vie
sociale de l’époque, et se présentent, dans leur ensemble, comme de
véritables „almanachs” populaires. On pourrait les subdiviser en plusieurs
catégories selon l’aspect de l’actualité qu’ils visent:
a. Les „états du siècle”: Des Estats du siècle, De Grognet et de Petit,
Le Roi D’Angleterre et le jongleur d’Ely, Une branche d’armes, etc.
b. Les „faits divers”: Des vins d’ouan, etc.
c. Les „leçon pratiques”: De l’oustillement au villain, Le dit des
marchéans, De la dent, etc.
6. Il y a des fabliaux qui ne servent qu’à illustrer un proverbe sous
une forme anecdotique. Ils prêchent la modération et essayent de corriger
les travers de l’individu par l’intermédiaire de l’exemple édifiant: Del
convoiteux et de l’envieus, De fole larguece, De Jonglet, Le meunier
d’Arleux, Du faucon lanier, etc.
7. La fin de certains fabliaux nous autorise à les inclure dans une
sous-classe qui s’articule à la précédente, tout en se distinguant par la
structure ouverte aux procédés comiques les plus divers. Il y a des
historiettes qui rappellent les „jugements des cours d’amour”, et qu’on
pourrait classer dans la catégorie des „jeux-partis”: Des trois Dames qui
trouverent l’anel au conte, Du bouchier d’Aberville, Des deux chevaus, etc.
Dans d’autres récits, les auteurs manient le dialogue subordonné à l’auto
caractérisation des personnages, à la manière des farces, accentuant le côté
„théâtral” grâce à l’habileté de la trame dramatique, au niveau des jeux de
mots, des calembours, des tours d’esprit, des qui pro quo ou des
homophonies. Des deux Angloys, Du prestre qui fu mis au lardier, La Patre
– Nostre farsie, Du prestre qui dist la passion, Estula, La Male Honte, etc.
Les personnages des fabliaux sont des types, chaque croquis
psychologique s’assumant, le plus souvent, des prérogatives caricaturales.
Leurs attributs restent identiques tout au long du récit et la principale
fonction du personnage est de représenter exclusivement un défaut ou une
qualité. Il se manifeste quelquefois par son nom descriptif, suggérant à lui
seul le type respectif (Baras, Haimes, Travers, Tassel, Sire Hain, Dame
Anxieuse, Brifaut1, etc). Il serait intéressant aussi d’établir les oppositions
fonctionnelles, d’ordre social et moral, qui sous-tendent l’univers
psychologique des fabliaux. Ce procédé de groupement de ces récits est

1
Baras – ruse, tromperie; (h)ames-piège; travers – fig.ennemi; Tassel – nom
d’un traître renommé; haineus ennemi; brifalt – glouton.
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suggéré par Per Nykrog1, qui remarque la tendance des conteurs à se situer
sur un plan purement social, opposant les différents types de personnages:
le vilain et le bourgeois au clergé et à tout l’appareil d’oppression féodale,
l’amant au mari, le jeune au vieux, la courtoisie à la vilenie, etc.
La structure narrative des fabliaux relève de deux types de récit: les
fabliaux simples, qui recouvrent pratiquement la majeure partie des
narrations, et les fabliaux élaborés, dont on peut mentionner: Du prestre
qu’on porte ou de la longue nuit (ou Le dit du Soucretain), Du bouchier
d’Aberville, Du prestre et du chevalier, Le meunier d’Arleaux, De Saint-
Pierre et du jongleur, Le Dit des perdriz, De Barat, de Haimet ou Des trois
larrons, De Constant, du Hamel, etc. L’intérêt du conteur y est centré sur
l’intrigue et le fabliau se présente comme un conte développé, voire „à
tiroirs”, empruntant souvent aux modèles des récits orientaux la technique
de l’enchâssement des intrigues. Il s’agit de ce type de conte caractérisé par
la juxtaposition des récits dont les motifs et les personnages servent de
charnières, par la multiplication des conséquences, chaque narration
conservant son autonomie et pouvant „circuler” seule. Il ne faut pas exclure
en ce qui concerne ce dernier type de fabliaux le facteur qui a joué un grand
rôle dans l’élaboration et la diffusion de cette littérature: la transmission
mémorielle doublée de la tradition écrite, qui exigeait en quelque sorte de la
part du colporteur, auteur et récitant, une virtuosité dans la recherche de
nouveaux effets autour d’un seul événement, afin de maintenir l’attention
de l’auditoire, au risque même de rendre parfois l’histoire touffue. Le propre
des fabliaux qui s’approchent du type de récit élaboré est de rechercher l’effet
de surprise, l’auteur s’évertuant à préparer l’inattendu par une remarquable
gradation de la tension jusqu’au point de bascule, résultat des malentendus
plaisants fondés sur les jeux de mots ou sur les calembours spécifiques au
comique burlesque. Les principales qualités du fabliau s’en dégagent plus
facilement: la gauloiserie, l’acuité de la satire, l’ironie parfois enjouée, parfois
mordante, la malice, le ton facétieux, l’esprit de caricature, la capacité de
comprendre la réalité et d’en saisir l’essentiel.
Même s’ils n’ont pas laissé un „art poétique”, les auteurs des
fabliaux ont la conscience artisanale de leur métier, du moment que toute
technique est une prise de conscience. Récit de 20 à 1000 vers, en
décasyllabes à rimes plates sans coupure strophique, parce que telle était la

1
Cf. Per Nykrog, Les Fabliaux..., op.cit., pp.107-109.
21

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forme originaire du XII-e siècle1, le fabliau reste la cheville ouvrière du
genre narratif bref.
Retrouvables dans les contes russes et nordiques, perpétués jusqu’à
nous jours, dans le folklore universel, par la tradition des facéties, des
thèmes, des motifs et des personnages pareils à ceux des fabliaux, ont été
voiturés aussi au-delà des frontières de la France. En Allemagne, au XIIIe
siècle, on assiste à l’éclosion du conte en vers en moyen haut allemand. A
la même époque, la vogue de la „nouvelle” se répand en Italie. Il ne s’agit
d’une imitation servile dans aucun de ces deux cas mais d’un cheminement
parallèle, et souvent d’une certaine influence réciproque.
Récits divertissants et édifiants, repris pour la plupart dans le recueil
des Cent Nouvelles Nouvelles et dans les productions narratives de la fin du
XVe siècle, les fabliaux sont vite devenus une source intarissable
d’inspiration pour les conteurs illustres de la Renaissance, qui les ont
transposés: Boccace, Marguerite de Navarre, Bonaventure Des Périers,
Chaucer, Stricker, Pogge, Domenichi, Malespini, Saccheti, Molière2, La
Fontaine et Le Sage y empruntent certains sujets.
Présent dans les recueils indiens, comme Şukasaptati et Hitopadeça,
dans la Bible, sous la forme de la parabole, dans les légendes homériques et
dans les apologues ésopiques, le moule du fabliau se pare d’une
universalité de tout conte, de tout temps, de toute littérature. Remonter à ses
sources signifie retracer l’acheminement du genre narratif bref, quelles
qu’en soient les données spatio-temporelles. Aussi s’explique-t-il mieux les
coïncidences thématiques des récits qui viennent des quatre coins du mode,
et la voie orale reste essentiellement la première source du fabliau en tant
que conte: „L’essentiel du récit, sa forme organique, joue sur des situations,
des intérêts, des mobiles communs à toute l’humanité... Cette
indétermination culturelle rend compte de l’universelle diffusion de certains
thèmes: ce sont des passe-partout adaptés à toutes les serrures”3.
Dans la perspective de l’universalité de sa valeur, toute approche du
fabliau devient une opération aussi délicate que celle de séparer le minerai
précieux de sa gangue.

1
Excepté le fabliau: Prestre mis au lardier.
2
Voir, à ce propos, l’étude de Sorina Bercescu: Le Vilain Mire si Le
Médecin malgré lui dans „Analele Universităţii Bucureşti”, – Literatură universală
şi comparată, No.1, 1972, p.87-95.
3
Claude Bremond, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973, p.52.
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LE CONTE ET LE ROMAN AU XVe SIÈCLE

S’il y a des formes littéraires dont la „biographie” échappe aux


données les plus exactes, le conte en serait une, vu que sa date et son lieu de
naissance se retrouvent dans la mémoire même de l’homme de tout temps
et de toute contrée. Le statut du conte, jouissant d’une indépendance bien
que relative, lui confère la capacité protéiforme de se soustraire à la
poursuite dans les frontières du territoire narratif, à l’habitude contraignante
des canons littéraires. Ses dons mimétiques lui prêtent la force de
dissimuler et de s’adapter aux „masques” les plus divers.
Dépôt inépuisable de sagesse, chronique immémorielle et
pourvoyeur de pratiques vitales, le conte possède une destinée qui se
confond avec celle de l’homme même, son créateur et maître. Dans la
conscience de ceux qui l’ont inventé à leur profit, le conte a parcouru un
trajet initiatique par sa projection même dans un temps mythique, étant
donné la manière de le concevoir comme moyen de communiquer une
expérience1. D’où le caractère éminemment oral de son registre littéraire
dans lequel le message transmis refait l’itinéraire de la genèse et de la
réception de toute création littéraire.
Le fonctionnement du conte, en tant que „modèle offert à notre
réalité concrète”2, se vérifie par voie mémorielle, dans un processus où
émetteur et récepteur se confondent souvent dans la fixation des archétypes
narratifs. C’est par sa double portée, éthique et esthétique, qu’il convient de
saisir le conte, défini comme faisceau convergent de tendances propres au

1
Cf. Dicţionar de termeni literari, Bucureşti, Editura Academiei, 1976,
p. 345.
2
Voir à ce propos l’article de Mircea Anghelescu, Simbolul Şeherezadei în
cărţile populare, dans „Berichte im Auftrag der Internationalen
Arbeitsgemeinschaft für Forschung zum romanischen Volksbuch”, nr.3, 1976, p. 8.
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genre épique, comme „modalité” par laquelle se réalisent toutes les espèces
narratives, leur élément commun, d’où se développent, conformément aux
lois spécifiques de composition, les variantes du genre”1.
,,Sous des formes multiples et variées, primordiales dans la réalité
médiévale”2, le conte est le signe générique des récits en prose du XVe
siècle, tant par la haute tradition à laquelle il remonte, que par la quête
d’une expression originale du génie créateur. Ceci ouvre d’emblée une
double perspective:
1. L’adhésion à la tradition narrative, richement illustrée par un
remarquable héritage médiéval.
2. L’effort de refléter la réalité avec plus de rigueur, d’opposer des
„tranches” de vie palpables et des personnages en chair et en os aux
formules anachroniques de l’idéalisme sentimental. Ce n’est qu’un
complément requis par la finalité primordiale du conte destiné en égale
mesure à la relaxatio animi et à docere, dessein qui ne fut guère abandonné
par les conteurs du XVe ou du XVIe siècles.
Quelle que soit la sphère thématique à laquelle ressortissent les
productions en prose du XVe siècle, pour lesquelles on pourrait adopter le
qualificatif d’„oeuvres mêlées”3, ou de recherche, vu leurs hésitations à
définir un statut plus stable, il est significatif qu’elles marquent une
transition et qu’elles enregistrent un progrès incontestable dans l’évolution
du genre narratif. Appuyés sur une tradition éclairante à cet égard, les récits,
devenus plus aptes à évoquer les mutations d’ordre social et historique dont
témoigne l’époque, précisent davantage leur orientation réaliste, exigence
objective, d’ordre éthique et esthétique, qui ne connaît pour l’instant que
des tâtonnements, des fluctuations sur le plan de la réalisation artistique,
mais qui surplombe l’ensemble des créations.
Les recueils de récits brefs, à côté des ouvrages qui revendiquent
l’appellatif de „romans”4, recèlent des implications sociales bien profondes.

1
Dicţionar de termeni literari, op. cit., p.343.
2
Roger Dubuis, La Nouvelle en France au moyen-âge, Grenoble, Presses
Universitaires, 1973, p. 560.
3
Idem, p. 525.
4
Le mot est toujours employé par les écrivains dans son sens étymologique
dont se dégagent des connotations encore faibles renvoyant à la conscience d’un
„genre”.
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Lucien Febvre leur attribue une fonction commune: „ – [Les Cent nouvelles
nouvelles, Le Grand Parangon..., Les Joyeux devis] – ravitaillent en réalité
des hommes largement nourris d’abstractions aux écoles... Ils voulaient,
eux, du réel non truqué, du réel en vrac et nature”1.
Pour dresser un relevé, même très sommaire, du répertoire pré-
existant aux récits brefs du XVe siècle, on peut suivre deux coordonnées
fondamentales:
1. La tradition autochtone.
2. La part de contribution due à ce que l’on pourrait appeler
„importation” d’ouvrages littéraires originaux, terme encore trop coûteux
pour la „valeur d’échange du livre à l’époque qui précède la diffusion de
l’Imprimerie et, partant, le commerce du livre2.
Le fonds oral autochtone, talonné par la tradition manuscrite,
assimile bien des „genres” littéraires dont le conte constitue le „noyau”:
chansons de geste, récits hagiographiques, chroniques, lais, romans
d’aventures, dont la vogue est attestée par le grand nombre de dérimages au
cours du XVe siècle, exempla, fabliaux, créations dramatiques, vidas et
razos3, etc., productions véhiculées par les jongleurs, les clercs et les
ménestrels, colporteurs et, à la rigueur, créateurs de leurs propres
„récitals”4. Un exemple de la permanence des rapports étroits entre la

1
Lucien Febvre, Amour sacré. amour profane, autour de l’Heptaméron,
Paris, Gallimard, 1971, p.260.
2
L’apport italien et espagnol occupe une place importante dans les
traductions effectuées à partir de la seconde moitié du XVe siècle. (Voir à ce propos
le chapitre consacré à l’Evolution du genre narratif bref au XVI-e siècle).
3
Les vidas et les razos sont des narrations brèves, en prose, composées aux
X III-e – XIV- e siècle, en guise d’ „introduction” aux chansons des troubadours.
Les premières tiennent de la „chronique” indifférente quant à l’authenticité des
faits; les secondes „reconstruisent”, à la manière d’un puzzle, une aventure du
troubadour à partir des „témoignages” disséminés dans une ou plusieurs chansons.
(Voir, à ce propos, J. Boutière, A. H. Schutz, Biographies des troubadours, Paris,
Nizet, 1964, et Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, p.175-180.)
4
Nous renvoyons pour des détails relatifs aux origines et à la diffusion des
récits brefs jusqu’au début du XVe siècle, au chapitre Les Fabliaux du présent
ouvrage.
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narration littéraire et le récit oral1 est offert par les contes répertoriés à
l’occasion des veillées, circonstances propices à diffuser les récits brefs à
caractère plaisant et édifiant.
Trois sont les principales voies dans lesquelles les auteurs s’engagent
à mobiliser les moyens techniques du genre:
A. Les histoires inspirées des événements de la réalité immédiate, et
qui frôlent souvent la chronique ou l’histoire:
B. La narration sentimentale, panachée d’accessoires de l’arsenal
courtois;
C. Les remaniements des poèmes ou des „romans” médiévaux, dans
lesquels une constante se fait jour: le souci de brièveté, dont le „triomphe2”
garantit l’audience auprès des lecteurs.
La Fille du Comte de Pontieu, version amplifiée d’une histoire du
XIII-e siècle, qui retrace une intrigue localisée dans un cadre historique et
géographique moderne, forme la deuxième partie d’un ouvrage dans lequel
nous signalons la présence d’un procédé, d’ailleurs fréquent à l’époque, que
l’on pourrait nommer „collage”, vu la juxtaposition de plusieurs récits: Le
Roman de Jean D’Avesnes.
Le Roman de Jehan de Paris vient confirmer le mieux ce que Le
Petit Jehan de Saintré illustre brillamment dans sa seconde partie: la
montée du réalisme dans la relation d’un événement qui fait figure
d’histoire „vraie”, eu égard l’appel à des personnages réels, et qui, selon la
tradition, aurait très bien formé la matière d’un roman d’aventures.
L’ambivalence de cette narration anonyme de la fin du XVe siècle3
émane de son caractère à la fois comique et satirique, burlesque et sérieux,
divertissant et documentaire, le tout rehaussée par „l’importance de ce
roman dans une perspective politique et sociologique”4.
L’auteur encore méconnu de cette „histoire joyeuse” et pseudo-
chronique, qu’on a tenté d’identifier dans la personne de Pierre Sala,

1
Cf. Eikhenbaum, Sur la théorie de la prose..., dans Théorie de la
littérature, Paris, Seuil, 1966, p.198-199.
2
Cf. R. Dubuis, La Nouvelle en France au moyen-âge, op. cit., p. 537.
3
Le Roman de Jehan de Paris est daté vers la fin de novembre 1494 et le
début de décembre 1495.
4
Roger Dubuis, La nouvelle en France au moyen-âge, op. cit., p. 544.
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prétend l’avoir „translaté d’espagnol en langue françoise”1, avec la seule
intention de „faire passer le temps aux lisants qu’ilz vouldront prendre la
peine de le lire”, justification des éventuelles „inadvertances” dans la
description des faits.
Le récit démarre par des événements précipités qui succèdent à la
mort du roi de France-début qu’on pourrait classer parmi les procédés
traditionnels d’„embrayage” dans le conte. L’action bascule dans un tour
d’opérette avec le déguisement du jeune roi Jehan en bourgeois pour aller
conquérir l’Infante d’Espagne. Le rival de Jehan de Paris c’est... le roi
d’Angleterre! Le départ simultané et l’acheminement parallèle des deux
rivaux vers la cour d’Espagne structure le roman sur deux plans
antithétiques conformément à un contre-point narratif, correspondant à
l’imbrication des deux niveaux sémantiques du roman: le pouvoir de la
riche bourgeoisie en ascension opposé à l’appauvrissement et au déclin de
la classe seigneuriale.
Tout en défendant le code courtois mondain, le récit reflète un
transfert de mentalité dans le sens que la catégorie sociale en essor se
montre digne non seulement du respect unanime, mais aussi d’une alliance
avec la chevalerie „vu qu’il – [le bourgeois] – a si noble estat”.2
Il convient de mettre l’aspect héroï-comique de la compétiton en
rapport avec la tradition des fabliaux ou du Roman de Renart; mais il faut
en même temps reconnaître une „dénotation” de la réalité socio-historique
du XV-e siècle, ce „signifié” chargé de multiples contradictions, „riche en
nuances, en efforts..., en révoltes..., mais aussi en pressentiments: les
disparates se multiplient, mais aussi les contrastes, les ombres
s’épaississent, mais les clair-obscurs deviennent plus fréquents”3.
Cette nouvelle, car c’est plutôt dans cette acception que nous
jugeons l’histoire de Jehan de Paris, relève de quelques particularités du
genre affinées par des siècle d’apprentissage, de ces nécessités propres au
genre narratif bref, dont nous retenons:
1
Italo Siciliano parle d’un véritable „lignage” du roman qui remonte, selon
la remarque de Gaston Paris, au Pèlerinage de Charlemagne. (Cf. I. Siciliano,
François Villon et les thèmes poétiques du moyen-âge, Paris, Librairie A. Colin,
1934, p.119.)
2
Le Roman de Jehan de Paris, dans Poètes et romanciers du Moyen Âge,
texte établi et annoté par Albert Pauphilet, Paris, Gallimard, 1952, p. 741.
3
Italo Siciliano, François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Âge, op.
cit., p. 169.
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1. La brièveté, ce topos de la concision transmis par toute la
littérature narrative du Moyen Âge, dont l’appel se fait entendre plusieurs
fois au long du récit: „... que je laisse pour cause de briefvté”; „...pour
abreiger”; „pour abreger la matiere”, „si m’en passe aussi pour cause de
briefvete”; „je m’en passe pour eschever la matiere”.
2. La théâtralité qui découle de la matrice orale du conte, technique
non seulement du dialogue, mais surtout formulée explicitement grâce à ce
lien fonctionnel établi entre le narrateur et son „public”, résidu d’une
expression de projection essentiellement orale, à ses origines: „comme voz
orrez”; „comme avez ouy”, etc.
Le clinquant et le panache épatants du cortège de Jehan ne touchent
pas au raffinement des descriptions, quelque fastidieuses qu’elles soient, du
Petit Jehan de Saintré.
Mais un certain goût baroque, dont on peut retrouver les traces dans
les tableaux fastueux du triomphe de la richesse (voir: les cadeaux pour la
fiancée, l’entrée de Jehan à Burgues, la toilette de la reine, etc.) anticipe
l’application d’un principe largement embrassé par les écrivains de la
Renaissance: le caractère ouvert de la langue en tant qu’instrument de la
connaissance du monde dont elle ne parvient jamais à épuiser les aspects.
Faisceau polysémique vers lequel converge la vision du monde de
l’auteur, le récit pourrait être situé dans une nouvelle perspective: celle des
plans juxtaposés, ou de l’alternance dialogues-”miniatures”1 .
Et comme le thème sous-jacent du roman reste celui du mariage
consenti et fondé sur l’amour réciproque, il convient de mentionner que
toute une littérature narrative en tirera profit, à partir de l’auteur de
l’Heptaméron, défenseur acharné de l’émancipation de la femme au temps
de la Renaissance. C’est comme un prélude à la victoire du „camp
féministe” dans la „querelle des femmes”, déclenchée presque cinquante
ans auparavant2: „Comme vous sçavez, c’est une chose que doit venir de

1
Pour l’aspect de l’impact de la miniature sur la littérature du XVe siècle
nous renvoyons au chapitre consacré au Roman du Petit Jehan de Saintré
d’Antoine de La Sale, p.39 – 40.
2
Cette polémique littéraire, dont la cible étaient les principes exposés par
Jean de Meung dans la seconde partie du Roman de la Rose, a entraîné certains
écrivains pendant presque un siècle, parmi lesquels: Christine de Pisan, auteur de
l’Épître au Dieu d’amour (1399), du Dit de la Rose (1400) et du Livre de la Cité
des Dames (1405), où elle prend la défense des femmes contre les partisans de Jean
de Meung; Martin le Franc, auteur du Champion des Dames (1442); et Alain
28

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franche voulenté, car c’est une longue chance que mariage”; „nul mariage
ne se doit faire si les parties ne s’y consentent et qu’elles y viennent par
bonne et vraye amour, aultrement il en vient de grans inconveniens”1.
Nous sommes ramenés par là à considérer d’une double perspective
un ouvrage qui fait pendant au Roman de Jehan de Paris: le recueil de
récits composée pendant le premier tiers du XVe siècle, Les Quinze Joyes
de mariage, titre voué à parodier Les Quinze joyes de Notre-Dame,
nouvelle preuve de transposition du sacré dans le profane, phénomène
spécifique au Moyen Âge, avec la démythification du premier qui en
découle.
Jouissant de nombreuses réimpressions de 1480 à 1520, le recueil est
une pierre de touche dans l’évolution du genre narratif. Quinze contes
retracent l’histoire du mariage, avec quelques étapes „obligatoires” pour ce
qui est des six premiers récits.
L’encadrement qui réunit les „nouvelles” et leur succession quasi-
chronologique permet de ranger l’ouvrage parmi ces productions dont le
statut narratif est ambigu. Comme nous le verrons, cette „norme” de
l’assemblage des contes, qui vient de loin et qui jouit d’une remarquable
fortune, à côté de l’unité des caractères et de l’action confèrent au recueil
une cohérence qui pourrait le situer soit „dans une histoire du roman”2, soit
dans celle du théâtre.
Le „scénario” réalisé de main de maître rappelle tout un répertoire
des „motifs” de la littérature antiféministe: du Livre des sept sages a
Célestine, de Calila et Dimna au fabliau D’Auberée, la vieille maquerelle,
de la Disciplina clericalis à la deuxième branche du Roman de la Rose, de
Matheolus à Eustache Deschamps.
Un souci de symétrie et de mesure régit l’ensemble, suppléant à
l’insuffisante profondeur psychologique, qui réduit les personnages à des
silhouettes souvent caricaturales. Cet équilibre de la structure narrative se met
d’ailleurs au service du contraste, procédé fondamental de l’analyse
caractérologique des deux protagonistes, archétypes du mari et de la femme.

Chartier, dont le bref poème dramatique La Belle Dame sans mercy (1424) marque
aussi une rupture avec la tradition de l’amour courtois, que la poésie lyrique, depuis
plus de deux siècles, s’efforçait de maintenir. An milieu du XVIe siècle,
l’Heptaméron de Marguerite de Navarre témoigne encore des mêmes
contradictions.
1
Le Roman de Jehan de Paris, op. cit., p. 708.
2
Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, A. Colin, 1975, p. 88.
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Le rythme narratif en trois „temps” marque la technique du narrateur
anonyme d’un cachet personnel: – un mouvement lent accompagne
l’exposé de la situation; – les arguments se développent par la suite dans
une trame serrée, dont l’intérêt dramatique atteint le maximum de force
dans les „saynètes” où le couple se confronte; – la narration clôt en
symétrie avec le début, et prépare un „tremplin” – hypothèse pour un
nouveau récit. Ce procédé de l’ouverture à la fin du conte, prétexte pour en
relancer un autre, inscrira ses titres de noblesse dans L’Heptaméron de
Marguerite de Navarre.
Lez Quinze Joyes de mariage dépassent les simples limites d’une
littérature satirique dont la morale est implicite. Aussi ne paraît-il pas
hasardeux de l’appeler „du Maupassant médiéval”1.
Le récit du XVe siècle, mélange diffus de „roman” et de „nouvelle”,
ne dédaigne pas la veine d’inspiration courtoise. Des personnages auréolés
de toutes les vertus chevaleresques, comme dans Le Roman du Comte
d’Artois (composé vers 1460), ou des „parangons” des „arts d’aimer”, tel ce
recueil de Martial d’Auvergne, Les Arrêts d’amour (vers 1465), collection
d’imaginaires „cours d’amour” rompues dans les débats de casuistique
amoureuse, perpétuant un idéal devenu tout aussi factice que les aventures
sentimentales des romans „populaires”, tels Paris et Vienne, de Pierre de la
Sipade, écrit en 1432, et L’Histoire de Pierre de Provence et de la belle
Maguelonne, ouvrage anonyme de 1453 ou de 1457.
Avec les Cent Nouvelles nouvelles, recueil achevé en 1461, dont la
paternité n’est pas encore établie, il est nécessaire de placer le genre sous
l’incidence d’une nouvelle étape qui groupera les conteurs dans une
véritable „école”, capable de systématiser l’héritage de la tradition en lui
offrant un lustre nouveau, et de formuler ses propres exigences issues du
même mouvement dialectique qui, mutatis mutandis, avait réuni et séparé
François Villon et Charles d’Orléans, à une époque de „feux croisés” dans
l’esthétique médiévale.
Nous tenterons d’ordonner les coordonnées narratives du conte, dans
leurs convergences et divergences, prenant pour repère les Cent nouvelles
nouvelles, dans une vue d’ensemble de l’évolution du genre narratif bref
jusqu’à la Renaissance2.
1
Cf. Pierre Jourda, Préface aux Conteurs français du XVIe siècle, Paris,
Gallimard, 1965, p. XVII.
2
Voir le chapitre de cet ouvrage consacré à L’évolution du genre narratif
bref du XVe au XVIe siècle, p.47 – 58.
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ANTOINE DE LA SALE ET LE PARADOXE
ROMANESQUE AU XV-e SIÈCLE

Provençal par sa mère. Antoine, le fils naturel du Gascon Bernard de


la Sale, condottière de souche noble, est né vers 1388, aux environs
d’Arles, dans les contrées qui avaient vu éclore plus de deux siècles
auparavant la fin’amor sublimée dans le chant des troubadours. A l’âge de
14 ans, après avoir achevé ses premières études dans un collège humaniste
du midi de la France, La Sale trouve un protecteur dans la personne du duc
Louis II, roi de Sicile. La maison d’Anjou s’était montrée favorable vis-à-
vis du jeune page, récompense due au père. Le guerrier mentionné par
Froissart pour ses exploits, mis au service de cette riche et puissante
famille. Jusqu’en 1429, quand il est nommé viguier d’Arles, La Sale a
l’occasion de déployer son talent d’ „acteur” et de guerrier. Aussi participe-
t-il à la „cour amoureuse” de Louis d’Orléans et de Philippe de Bourgogne
pendant la démence de Charles VI et les malheurs qu’entraîne une
épidémie de peste; à la même époque il se fait remarquer dans quelques
combats contre les Anglais, et s’engage, sous Jean Ier de Portugal, pour une
croisade contre les Maures. Le nouveau protecteur, Louis III d’Anjou, qu’il
avait accompagné dans ses voyages en Italie, lui offre le bénéfice du
château de Séderon dans les Baronnies. Les séjours en Italie élargissent
l’horizon de culture de La Sale et ouvrent la perspective d’un monde
nouveau, témoin à l’ébranlement du vieil édifice de la féodalité, naguère
toute puissante, processus qui n’échappe pas à une projection sur le plan
artistique et littéraire, dans les „actualités” au jour le jour que la prose
narrative d’un Boccace, par exemple, n’épargne pas. En 1436, à la mort du
duc, son successeur, René Ier engage La Sale comme précepteur de son fils
aîné, Jean de Calabre. Le pédagogue fait, dix années plus tard, ses débuts
littéraires: La Salade, manuel ad usum delphini, réunit des textes
hétéroclites d’histoire, de géographie, de politique, etc., destinés à

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transmettre au futur roi le savoir de bien gouverner ses terres. L’humaniste
La Sale, cent ans avant Rabelais, enseigne au prince la tolérance: „Le
peuple ne soit point oppressé ne plus pillé”. Une seule partie de cet
ouvrage, tout en contrevenant au principe éducatif qui avait présidé à
l’ensemble, consacre un écrivain de talent. Il s’agit de la transposition d’une
légende, Le Paradis de la reine Sibylle. Ce récit débute comme un
„reportage” minutieux de l’excursion faite par La Sale dans la Marche
d’Ancône, aux monts de la Sibylle, en 1420. Dans cette narration qui
valorise les remarquables vertus de la prose française à l’époque de son
affirmation littéraire, on admire chez La Sale son goût du détail et son art
de paysagiste. C’est l’histoire merveilleuse d’un chevalier1 qui, réfugié dans
la grotte réputée de Sibylle, y reste prisonnier pour un an, par le pacte
conclu avec les habitants étranges de ce paradis souterrain de volupté, et
qui, libéré au terme où expire l’enchantement, se voit contraint d’y revenir,
parce que le pape refuse de l’absoudre; il se perdra à jamais dans le
domaine sibyllique, cet au-delà d’où personne ne revient. Deux tendances
qui vont jalonner la création romanesque de La Sale s’y dessinent déjà en
filigrane: d’une part la concession qu’il fait encore au goût des anciens
romans de chevalerie, où l’idéal émaillé d’onirisme pousse le héros à quêter
l’aventure afin d’accomplir des exploits méritoires: „la estoit-il venu pour
les choses merveilleuses de ce monde, comme son estat le requeroit, pour
acquerir honneur et mondaine gloire”.2
D’autre part, le souci de véracité, dans la description du voyage de
même que dans les échos du grand Schisme de l’Occident, événement avec
un sérieux impact politique, surpris avec ironie et sarcasme même par La
Sale, cet observateur placé au carrefour de l’histoire bouleversée de la
France, au crépuscule d’un monde en pleine crise politique et spirituelle, et
à l’aube d’un renouvellement inhérent.
L’image même de la Sibylle, Janus qui maîtrise le passé et l’avenir,
fonctionne comme une „mise en abyme”, procédant du réel et du virtuel, de
l’ancien et du nouveau, du symbole et du signe, prophétie de la
contradiction dialectique sur laquelle sera bâti Le petit Jehan de Saintré.
Relativement au passage du symbole au signe, opéré dans la représentation

1
Dans les légendes allemandes, ce héros porte le nom de Tannhäuser.
2
Antoine de la Sale, Le Paradis de la reine Sibylle, dans Poètes et
romanciers du Moyen Âge, op. cit., p. 679.
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artistique du XVe siècle, Julia Kristeva affirme: „De ce monde-ci sans au-
delà, la Sibylle parle toutes les langues, possède le futur, effectue dans et
par la parole des réunions invraisemblables. Les possibilités illimitées du
discours, telles que le signe (le roman) tâchera de les représenter sont
symbolisées dans cette figure transitoire réalisée par l’art du moyen-âge
finissant”1.
Serait-il hasardeux de voir dans l’aventure du chevalier une allégorie
qui renferme une constatation de fait, à savoir l’impossibilité de s’engager
dorénavant dans la voie de la quête absurde d’un idéal déjà banni par une
réalité qui exige un autre engagement, dans le matériel, le concret, le
signifié? La réponse, voilée d’amertume et de regret pour cet idéaliste qui
fut La Sale, sera donnée par lui-même dans l’histoire de son propre destin,
si l’on admet qu’en écrivant le Saintré, le narrateur se dédouble et s’écrit en
s’y retrouvant.
En 1451, retiré à Châtelet sur Oise, Antoine de La Sale écrit encore
un traité d’éducation, La Salle2 (il s’agit de la salle de l’édifice de la
Morale) pour ses élèves, Jean, Pierre et Antoine, les fils de son nouveau
protecteur, Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol. Jusqu’à cette date
où La Sale renonce à sa vie publique, il s’était fait connaître et apprécier
comme un grand héraldiste, organisateur de tournois et de pas d’armes à la
Cour de France. Ses connaissances de l’art et des lois du combat
chevaleresque, il les synthétise dans un manuel écrit en1459, Des anciens
tournois et faicts d’armes.
En 1457, Le réconfort de Madame Du Fresne contient deux récits
qui préfigurent, selon Henri Coulet, „ce qu’on appellera les nouvelles
tragiques”3. Ces contes pathétiques, qui retracent le sort de deux mères
obligées au sacrifice de leurs fils, dépassent par la réalisation artistique
l’intention première de l’écrivain: consoler une mère de la perte de son

1
Julia Kristeva, Le texte du roman, approche sémiologique d’une structure
discursive transformationnelle, The Hague-Paris, Mouton, 1970, p. 30.
2
Etrange coïncidence du nom de l’écrivain et des titres qu’il donne à ses
ouvrages, La Salade et La Salle: Simple jeu de mots ou allusion ironique à lui-
même, à sa culture livresque et à cette responsabilité qu’il avait assumée de
défendre un idéal éthique de pureté, de prouesse „du temps jadis”?
3
Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, Armand Colin,
1967, p.95.
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unique enfant. Le poème allégorique, La journée d’Onneur et de Prouesse,
daté de 1459, dans lequel résonnent encore les échos de la première
branche du Roman de la Rose, achève en „chant de cygne” l’œuvre de La
Sale dont les traces se perdent vers 1461, comme celles de son grand
contemporain François Villon.
Pour dresser „le dossier” de la parution et des éditions de cet original
roman en prose, il faut remonter au milieu du XVe siècle, et retenir la date
de 6 mars 1455, contenue dans la dédicace de l’écrivain à Jehan de Calabre,
suivie d’une lettre d’envoi au même seigneur, qui, selon la déclaration de
La Sale, l’avait prié d’écrire ce livre. Les indications de datation du Petit
Jehan de Saintré sont remplacées dans un autre manuscrit par „Genappe,
1459”, mention respectée par les éditions du XVI-e siècle. Pour ce qui est
du titre, les éditions gothiques, assez nombreuses entre 1502 et 1553 grâce
à l’activité prodigieuse des éditeurs Michel et Philippe Le Noir, Jean
Trepperel, Jean Bonfons, respectent celui donné par la première édition du
livre (environ 1502-1511): L’hystoire et cronicque du petit Jehan de
Saintré et de la jeune Dame des Belles Cousines sans autre nom nommer1.
Ce titre subira une légère intervention de la part des éditeurs entre 1518 et
1523, quand on y ajoute le qualificatif de „plaisante” auprès de
„cronicque”, trait d’union entre les deux parties du livre jointes dans un
inspiré mariage de mots.
Les neuf manuscrits du roman copiés du vivant de l’écrivain offrent
la satisfaction de pénétrer dans „le laboratoire” de création d’un romancier
soucieux jusqu’à la manie de motiver même graphiquement cet ensemble
de matériaux lexicaux et syntaxiques dégagés des contraintes prosodiques,
mais rigoureusement ordonnés dans une discipline qui fonde de la sorte ses
propres lois. Pour se corriger, La Sale emploie deux encres, noire et rouge,
selon qu’il conseille aux copistes l’arrangement graphique du texte (“Allez
à la ligne”, „Soulignez”) ou l’usage qu’il faut faire de certains alinéas ou
chapitres2. Les annotation de La Sale relatives à l’alternance des deux
couleurs d’encre, au caractère de l’écriture (par exemple: copier le mot

1
Charles A. Knudson, Les anciennes éditions du Petit Jehan de Saintré,
dans „Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à
Maurice Delbouille”, Gembloux, Duculot, 1964, t. II, p.337-348.
2
Voir F. Desonay, Comment un écrivain se corrigeait au XVe siècle, dans
„Revue Belge de Philologie et d’Histoire”, VI, 1927.
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acteur en lettres plus petites ou plus grosses selon sa place au début ou au
milieu du chapitre), à la ponctuation, à la valeur musicale de tel couple de
mots ou de telle phrase, prennent leur importance plénière dans le contexte
où se situe le Saintré qui, pour la poétique du roman, au sens moderne du
mot, trace des coordonnées et requiert un statut personnel.
Le moment marqué par le livre de La Sale dans l’histoire de la
littérature française réclame d’emblée une compréhension de ce que
signifie au milieu du XVe siècle un roman en prose, afin de pouvoir par la
suite déceler la part de contribution de cet ouvrage à la constitution d’une
rhétorique romanesque.
Sans remonter aux sources du roman, terme qui depuis le XIIe siècle
jusqu’à l’époque de Saintré n’avait pas encore perdu son sens initial de
„récit en langue vulgaire”, il faut chercher, quelque risquée que cette
démarche puisse paraître, à esquisser les contours du moule de la
narrativité, tel qu’une tradition le mettait à la portée de l’écrivain. L’étude
se réclame nécessairement du texte même, dans la mesure où le roman de
La Sale présente une „forme matricielle, actualisant cette intention, et dont
le contenu, variable, sera emprunté à un répertoire de termes socio-
historiquement déterminés, mais mobiles, et en incessante mutation le long
de la durée”1.
De nombreux changements enregistrés dans la „biographie” du
roman atteste l’originalité du livre de La Sale, placé au carrefour de
l’évolution d’un genre littéraire.
L’éclosion de la prose à partir du XIII-e siècle avec les traductions
du pseudo-Turpin et culminant par les dérimages2 après 1450, ainsi que le
passage de la littérature de projection orale à celle destinée à la lecture,
témoin du goût croissant du livre et, implicitement, du développement d’un
commerce, suivi d’une accumulation de livres dans les bibliothèques, ce
sont autant de phénomènes qui prouvent le penchant pour la modernisation
propre au XVe siècle.
L’introduction de l’imprimerie en France, à partir de 1470, inscrit „la
ligne de démarcation entre l’époque archaïque et les temps modernes. La
diffusion rapide de la prose est liée à l’accroissement des tendances
didactiques, moralisantes, allégorisantes, qui prévalent, dans certains

1
Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, p. 248.
2
Mouvement de mise en prose des œuvres écrites en vers.
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milieux du nord de la France, dès les dernières années du XIIe siècle et,
généralement, à partir du premier tiers du XIIIe siècle”1.
Permettant un mode d’expression plus dégagé, la prose, adoptée
simultanément par l’histoire et le roman, semble mieux répondre au souci
d’authenticité et de rigueur vis-à-vis des faits évoqués. Elle assure pour un
certain temps la „symbiose” de ces deux types de discours qu’un but
commun anime: prouver et recréer une réalité, saisir et dominer le
mouvement foisonnant des multiples aspects de l’existence.
Sous cet éclairage, le titre même du roman de La Sale associant deux
notions quasi-redondantes pour un lecteur moderne, l’”hystoire” et la
„cronicque”, ouvre une nouvelle perspective sur le sens d’une expérience
romanesque.
En effet, se réclamant du filon épique des chansons de geste et de la
chronique dans leurs interférences sémantiques, et de la veine lyrique du
grand chant courtois, le roman, dès son émergence, fait fusionner dans son
creuset, d’une part, le respect du serment d’hommage féodal en provenance
des gestes avec sa survivance et sa transposition en pacte d’amour chez les
poètes courtois; d’autre part, l’impératif qui découle de la fonctionnalité
primordiale du roman, à savoir son envoi didactique, édifiant, loi à laquelle
se soumet la plus grande partie de la littérature médiévale conçue avant tout
comme un „enseignement”.
Il reste à voir comment Le petit Jehan de Saintré réussit à fondre les
matières premières dont il dispose dans un alliage cohérent et, dans quelle
mesure, le produit fini marque l’avenir du roman.
Greffé sur un manuel d’éducation chevaleresque, premier dessein de
La Sale, qui répond à la „commande” de son protecteur, l’histoire de Jehan
de Saintré dépasse l’intention de son auteur.
La trame romanesque épouse deux tendances contradictoires, qui
sont celles d’une époque de décadence de la féodalité, de changements
dans les principes rangés trois siècles auparavant en „code éthique”,
devenus anachroniques: la défense, du moins pour les hautes valeurs qu’il

1
Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 365 .
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avait prônées, de l’idéal d’héroïsme chevaleresque et de son corollaire
sentimental, l’amour courtois1.
Comme un correctif de la thèse exposée dans la première partie du
roman, le thème développé par la suite trace une ligne de clivage entre
l’ancien et le nouveau, la convention et la réalité. Non seulement qu’il ne
s’agit pas d’inconséquence entre les deux parties du roman, mais il faut voir
dans ce jeu de miroirs d’une réalité que La Sale oppose si manifestement,
une contradiction dialectique: roman qui se plie au goût de l’aristocratie, Le
petit Jehan de Saintré affiche d’abord le ”bric-à-brac” chevaleresque légué
par la tradition, avec son clinquant et son panache vétustes. L’adoption,
dans la deuxième partie, d’une forme narrative apparentée au fabliau,
teintée de farce burlesque, de satire mordante et de vivacité dramatique,
installe légitimement le spectacle de la réalité.
Ce choc brutal entre deux modes d’existence, auxquels correspond
une dichotomie narrative, assure, paradoxalement peut-être, l’équilibre du
roman. „Le génie de La Sale est d’avoir, en excellent réaliste, noté aussi
bien ce qui était contraire à son idéal et ce qui en attestait la décadence que
ce qui en faisait le réel: aussi le meilleur de son roman est-il dans les
passages où la complexité du réel, la confrontation et le conflit des
tendances sont subjectivement montrés”.2
Ce n’est que dans l’entrelacement de ces deux lignes de force qu’il
faut chercher le principe unitaire assurant la fonte de la réalité dans une
fresque de mœurs conforme au mot d’ordre de La Sale: „veoir ce que veoir
se porroit”. Il y a au bout de l’histoire de Saintré une rupture dans ce qui
s’était constitué en un tout: idéal d’héroïsme et d’amour courtois
deviennent incompatibles, et ces deux concepts éthiques et esthétiques se
mettent en relation antinomique.
Au diptyque narratif qui structure le roman, une mosaïque de types
de discours contribue à soupeser l’expérience romanesque et à éclaircir la
portée de ce roman d’un destin, qui n’en est pas moins une étape
constitutive dans le destin du roman.

1
Voir à ce propos Johann Huizinga, Amurgul evului mediu, Bucureşti,
Univers, 1970, capitolele: „Concepţia ierarhică a societăţii”, „Ideea cavalerismului”,
„Visul de eroism si dragoste”.
2
Henri Coulet, op. cit., p. 94.
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Le livre de La Sale relève des multiples catégories littéraires, telles
que l’historiographie, le roman antique, la fin’amor, le roman courtois, le
conte édifiant, le fabliau, le théâtre comique, ainsi que de ces formes
„hérétiques” du discours oral de la cour et surtout de la ville, de la foire, du
carnaval, „documentaire” qui enregistre sur le vif la manière de parler
d’une époque, procédé tellement prisé par les conteurs du XVIe siècle, qui
en feront un remarquable usage.
Le petit Jehan de Saintré s’ouvre sur un récit à caractère nettement
didactique, propre au roman d’une formation, ce qui justifie son appellation
de „Télémaque du XVe siècle”. Le petit (il faut lire „jeune” tout au long du
roman) Saintré, élevé à la Cour du roi, parachève son éducation de page et
d’écuyer sous la protection et les préceptes de la jeune veuve nommée
discrètement la Dame des Belles Cousines. Le caractère éducatif accentué
de cette première partie du livre est donné par les longues digressions où la
Dame enseigne au jeune homme la manière d’acquérir la valeur qui fasse
mériter l’amour et l’honneur, à travers les conseils des philosophes grecs et
latins – Socrate, Cathon, Sénèque, Épicure, Ovide, ainsi que par la morale
des „gestes des nobles du temps passé” et des „vaillances, des grans
emprises et des chevalereux fais... des preux de la Table Ronde”. Pour se
réaliser en tant que „renommé homme” et „chevalier sans reproche”, Jehan
de Saintré parcourt des étapes prévisibles, jalonnées par toute une tradition
des romans de chevalerie dont la vogue augmente au XVe siècle avec
l’engouement pour les adaptations en prose ou les traductions des vieux
récits d’exploits chevaleresques: Perceforest, Le Petit Artus de Bretagne,
Isaïe le Triste, Mélusine, le cycle des Amadis, etc., dont la diffusion
recouvrira les cinquante premières années de l’imprimerie en France,
ressuscitant l’intérêt pour les hauts faits d’armes et les tournois, le respect
de l’idéal de prouesse et d’amour qui dominent cette littérature vouée,
paraît-il, à modeler le présent sur le passé.
La ligne de la fin’ amor, filtrée et assimilée par le roman courtois,
suppose l’alliage de la doctrine et de l’action, exigences auxquelles Saintré,
poussé par l’aspiration à la performance, s’évertue à répondre. Depuis
l’„arsenal” de formalités de la casuistique raffinée: „L’amant, pour acquérir
la tres desirée grace de sa dame, s’efforcera d’estre douls, humble,
courtoys et gracieux, ... toujours...joyeuls, espérant que, par bien et
loyaulment servir, en amours et en sa très desirée dame il trouvera mercy”;
jusqu’à l’épreuve édifiante dans la confrontation de la valeur militaire
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acquise dans des compétitions à degré de difficulté croissant: du simple
tournois à la cour et à l’étranger, où Saintré affronte des experts dans le
maniement des armes, à sa consécration de champion des croisés.
A côté de l’apologie du service courtois, au maintien duquel la cour-
le roi et la Dame-contribue par ses subventions (voir les nombreuses
mentions relatives au coût d’entretien de cette étiquette), la première partie
du roman accorde une large place à la chronique soucieuse moins de retenir
le sens de l’histoire que le coloris fastueux dont le chevalier du XVe siècle
se pare encore. Cette contradiction entre la forme de la vie et la réalité1 à
l’époque apparaît comme élément de la crise que traverse la société
féodale, dans certains aspects d’une analyse, même succincte, de la manière
dont La Sale conçoit l’histoire du point de vue de la classe au service de
laquelle il se met, et de son reflet sur le plan romanesque.
Loin de respecter le rythme d’une alternance symétrique avec les
„nœuds” de l’action proprement-dite, l’écrivain déploie dans un
assemblage hétérogène ses connaissances encyclopédiques, en accord avec
ce qu’on pourrait appeler les „bienséances” du XVe siècle, sans prêter
attention au dosage des passages éducatifs et de ceux qui détaillent, selon
une technique d’amplification rencontrée dans les chroniques, les divers
blasons et emblèmes, marchandises et effets militaires incorporés en larges
intermèdes au développement de l’intrigue.
Bréviaire à l’usage de ceux qui s’intéressent aux goûts et aux mœurs
d’une période, les descriptions dans le roman de La Sale témoignent de la
même fantaisie bigarrée, de la technique du détail et du sens de la couleur
que la miniature. La parenté du roman et de la peinture de l’époque ne
s’arrête pas là: dans l’emplacement des troupes, selon les règles d’une
stratégie rigide, dans l’énumération des marchandises, costumes, bannières,
blasons et présents, dans le respect du cérémonial de la joute ou du „pas
d’armes”, qu’un ancien chef du protocole connaissait parfaitement, on
retrouve deux aspects importants: d’une part, ce qui résulte de l’impact de
l’histoire sur le roman, à savoir un penchant plus prononcé pour
l’authenticité des faits narrés, d’où l’un des côtés du réalisme indéniable du

1
Cf. Johann Huizinga, op. cit., p. 165.
39

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roman, que Pierre Daix caractérise comme „le plus sensationnel
documentaire du XVe siècle”1.
D’autre part, les mêmes descriptions cumulatives, à valeur de
„reportage”, restent confinées dans leur caractère purement visuel, faute
d’avoir reçu de l’écrivain un commentaire sur lequel on puisse fonder son
point de vue à l’égard des „actualités” évoquées. Seule transparaît son
admiration pour les symboles héraldiques, formes artificielles de se
représenter la réalité dans lesquelles la chevalerie avait figé son idéal
éclatant d’honneur et de vaillance. C’est là une fois de plus que la technique
de miniaturiste de La Sale laisse voir un des traits majeurs du paysage
artistique de l’époque; non seulement le rôle dominant détenu par la
miniature, comme on le constate dans les manuscrits qu’elle accompagne
admirablement, mais aussi l’influence que les arts et la littérature s’exercent
réciproquement. Malgré le manque de perspective propre à la miniature et à
ce type de description, qui garde le contour du geste accompli et la
psychologie sur le même plan sans autre motivation outre celle esthétique,
l’adoption d’une certaine technique picturale par la prose du XVe siècle „a
dû”, comme l’affirme Gustave Reynier, „correspondre à un changement
dans les idées et dans les goûts. Elle révèle dans la société une préférence
de plus en plus marquée pour la réalité voisine et concrète”2.
La teneur des descriptions se rattache aussi à une technique du
„montage” en vue de créer un cadre et de lui prêter une signification. La
partition du roman de La Sale dans cette section qu’on pourrait appeler „le
manuel du parfait chevalier”, n’est pas une suite incohérente d’épisodes de
la vie du héros que de longs interludes descriptifs ou didactiques
estompent: avec plus de vigueur, à partir du XIII-e siècle, les descriptions
„remplissent deux fonctions dans le récit. Elles fixent une tonalité générale,
et comme la lumière sous laquelle il convient de considérer l’aventure
narrée... [Elles] particularisent soit l’un des actants du récit, soit l’action
même”3.

1
Daix, Sept siècles de roman, Paris, Presses de l’Union Typographique,
1955, p. 109.
2
Gustave Reynier, Les origines du Roman Réaliste, Paris, Hachette, 1912,
p. 32.
3
Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 354.
40

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En effet, il faut y chercher la signification des coordonnées spatio-
temporelles sur lesquelles est bâti le roman de La Sale, suite et
développement d’une technique narrative qui remonte aux romans courtois.
Pour rester dans les contours du type-cadre que l’écrivain a choisi
pour „patron” de sa narration, il est nécessaire de chercher le sens du roman
dans l’aventure, concept à multiples facettes, qui assure l’unité
fonctionnelle du récit.
Il y a dans le Saintré quête et voyage, épreuve et acquisition d’une
valeur. Quel en est le trajet afin de saisir l’originalité de La Sale par rapport
à ses devanciers?
Il s’agit, comme dans la plupart des romans de chevalerie, d’un
départ délibéré pour une épreuve connue d’avance, mais qui n’en réserve
pas moins sa part de surprise quant à son résultat. La cour du roi, d’où le
héros se lance dans l’aventure et qui est l’aboutissement de son voyage,
cautionne sa victoire et consacre une donnée morale qu’elle prône en idéal
éthique. L’espace clos du déroulement de l’épreuve, ce ”tournois” au sens
étymologique du mot, correspond, comme dans les romans arthuriens, à
une mentalité, celle de la superstructure féodale, qui exige que la
collectivité dont l’individu est issu décerne le „prix” de reconnaissance à
son élu. L’„arène” où provocation et débat prennent souvent l’allure d’un
jeu, c’est l’espace circulaire inscrit par l’„itinéraire” du héros. D’abord à la
Cour, dans les joutes, ensuite à l’étranger devant des adversaires réputés, et
enfin dans la confrontation qui proclame sa performance, le théâtre de la
valorisation morale de Saintré s’élargit dans une juxtaposition de séquences
narratives relatées à la manière d’une histoire écrite selon le principe de la
morale courtoise.
Apparemment décousue dans l’enchaînement de plusieurs instants
de prouesse, même si l’on peut détacher un de ces „tiroirs” du récit sans
que la logique narrative en soit bouleversée, l’accumulation de l’expérience
du héros, qui affronte les différents degrés du combat, se soumet à une
dialectique propre de la valeur chevaleresque progressivement acquise.
La brèche opérée dans l’espace „géographique”, partant
psychologique, dans la deuxième partie du roman, traduit la signification
ultime de l’aventure conçue comme une prise de conscience du héros:
l’initiative de se lancer dans une épreuve „à son compte” sera un acte à
peine excusé par ses parents en chevalerie, le roi et la dame. Cette
émancipation de Saintré, ce grand écart, non pas des normes courtoises,
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qu’il respecte et dont il authentifie la légitimité, mais d’une compréhension
étroite de la tutelle exercée par ses souverains, étaye notre hypothèse selon
laquelle le roman de La Sale est le Don Quichotte du XVe siècle. Ce revers
inattendu apparaît dans le contexte de la deuxième partie du roman et tout
spécialement à la fin.
Le roman se termine brusquement, là où cesse l’histoire du „petit”
Saintré, donc au moment où la „leçon” de vie que La Sale voulait enseigner
confirmait la maturation de son héros. Le résumé de la vie du seigneur de
Saintré sera rehaussé par une double épitaphe, clôture emblématique du
récit: l’inscription de l’écrin trouvé dans la sépulture de Saintré semble
marquer le crépuscule d’un idéal, celui des Lancelot et des Perceval, qui
découvrent de leur vivant la prophétie de leur destin singulier inscrite sur la
pierre tombale, projetée dans un futur prospectif où tout est à réaliser, à se
réaliser1 . Pareille à ces prédictions symboliques, l’épitaphe de Saintré
invite plutôt à une rétrospection, malgré l’annonce qu’elle renferme:
„Cy reposera le corps du plus vaillant chevalier de France, et plus,
qui pour lors sera”.
Conjecture qui s’est confirmée, car, poussé par le même souci
d’authentifier sa „cronicque”, et comme pour justifier ce „reliquat” de
merveilleux incorporé à dessein en fin de narration, l’écrivain atteste son
histoire. Mais les mots entaillés sur la pierre tombale de Jehan de Saintré
ont perdu leur éclat, et avec cette épitaphe réelle, s’éteint également le
nimbe qui auréolait les quêteurs du Graal.
La seconde partie du Petit Jehan de Saintré représente, rapportée au
récit cerné du halo chevaleresque, ce que l’œuvre de Jean de Meung
oppose à celle de Guillaume de Lorris dans la suite qu’il donne au Roman
de la Rose. Quelque peu fondée qu’elle puisse paraître au premier abord,
cette analogie s’appuie sur un argument pertinent qui tient du renversement
de situation et de l’ambivalence de situation dans la structuration narrative,
et de la transgression implicite de la ligne thématique du roman.
De proportions plus réduites, l’ „histoire gracieuse” des amours de la
Dame et d’un abbé ramène l’action dans le plan de la réalité banale,
impliquant une modification du point de vue de l’auteur, qui précise le but

1
Voir à ce propos l’article de Regine Colliot, Les épitaphes arthuriennes,
dans „Bibliographical bulletin of the International Arthurian Society”, t. XXV,
1973, p.155-175.
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poursuivi: accordant à l’intrigue le rôle dominant, La Sale construit un récit
à facture dramatique apparentée au fabliau, dans lequel il cherche à donner
une motivation plus nuancée de la causalité psychologique.
La narration se développe sur une anecdote, au début piquante, d’un
comique retentissant, et tourne au drame vers sa fin. Cette „incision” dans
l’univers narratif soulève d’abord deux aspects propres à la littérature
bourgeoise de l’époque: son caractère antiféministe et anticourtois auquel
se joint une satire véhémente à l’adresse du clergé. C’est par le personnage
de la Dame des Belles Cousines que La Sale réussit le mieux à crayonner
une psychologie plus complexe. La Dame protectrice, sage, généreuse et
animatrice des hautes vertus devient „faulce et desloyalle”, empruntant ses
traits aux personnages féminins des fabliaux, des Cent Nouvelles nouvelles
et des Quinze Joies de mariage. Damp (seigneur) Abbé appartient à la
même galerie de personnages; dans le portrait d’“ung ribault (débauché)
moynne”, La Sale raille toute une catégorie sociale:
„Damp Äbbez, qui pour lors estoit, fut filz d’ung tres riche
bourgeoys de la ville, qui, pour dons et pour prieres de seigneurs, aussi des
amys de la court de Rome, donna tant que son fils en fut Abbez, qui de
l’aage de vingt cinq ans estoit; grant de corps, fort et abille pour luicter,
saillir, gecter barres, pierres, à paulme jouer, ne trouvoit moyne, chevalier,
ne escuyer, ne bourgeoys, quant il estoit à son privé, qui son maistre en
feust. Que vous diroy-je? En toutes joyeusetés s’employoit, affin qu’il ne
fust trop oyseuly”.1
C’est toujours l’abbé qui se fait le porte-parole de l’attitude nouvelle
vis-à-vis de la chevalerie, dont il fait un impitoyable réquisitoire:
,,Ils sont plusieurs chevaliers et escuyers en la court du roy et de la
royne, et d’aultres seigneurs et dames, et aussi d’aucuns aultres, qui dient
estre des dames si loyaulx amoureux; et pour acquerir voz graces, s’ilz ne
les ont, pleurent devant vous, souspirent et gemissent, et font si les
douloureux que par force de pitié, entre vous, povres dames qui avez les
cuers tendres et piteuz, fault que en soyez deceues, et que tombez en leurs
desirs et leurs lacs; et puis s’en vont de l’un à l’autre, ... Hé! povres dames,
comment estes vous abusées de vos amoureuz en plusieurs faitz... Alors le

1
Antoine de la Sale, Le petit Jehan de Saintré, Paris, Jean Gillequin, La
Renaissance du livre, s.d., p.190.
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roy et la royne et tous les seigneurs les louent et les prisent, et donnent de
leurs biens largement, dont ilz se mectent bien en point...”.1
Une action alerte, où l’écrivain ménage l’économie du récit, réunit
les trois protagonistes, la Dame, l’abbé et le chevalier dans une tragi-
comédie dont la trame se retrouve dans le genre narratif bref de l’époque,
notamment dans les fabliaux.
La propension au dialogue et au gestuel pour faire ressortir les
psychologies, dans les scènes burlesques où la bonne chère se substitue à la
quincaillerie chevaleresque, confère à la deuxième partie du roman une
puissante note théâtrale. D’où les qualités plus marquées du récit vers son
dénouement: la concentration et l’accélération, l’alternance bien équilibrée
du dialogue et du style indirect. La volonté de l’écrivain de prêter à sa
narration un caractère oral se traduit dans l’emploi de certaines formules
qui servent à faire avancer ou à couper le fil de l’action:
„je diray...”, „je parleray...”, „que vous dirois-je?”
Le rôle que le romancier détient lui-même dans l’histoire de Saintré
est assumé par l’ACTEUR (il faut lire „auteur”) sollicité à commenter et à
sanctionner l’action.
Dans la perspective d’une littérature qui, tout au long du Moyen Âge
garde sa „théâtralité”2, Julia Kristeva saisit la double fonction que le mot
„acteur” acquiert dans le roman:
„Pour La Sale, l’écrivain est à la fois acteur et auteur, ce qui veut dire
qu’il conçoit le texte romanesque à la fois comme pratique (acteur) et
produit (auteur), processus (acteur) et effet (auteur), jeu (acteur) et valeur
(auteur)”3 .
Cet acteur qu’on pourrait ranger parmi les héritiers des ménestrels et
des clercs, semble être le récitant de sa „cronicque” et le relais des
différents épisodes.
Le souci de brièveté gouverne, comme de juste, le „propos”, parole et
projet, situé à la jonction du genre narratif bref et organisé, au cours du XV-e
siècle, dans un type de récit long, régi par des lois propres. Cette nécessité
découle de la nature même du „propos”, que Roger Dubuis considère
comme déterminant:

1
Idem, p. 213.
2
Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, op. cit.., p. 429.
3
Iulia Kristeva, op. cit., p.47.
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„Le «propos» c’est l’histoire, telle que la conçoit l’auteur, c’est non
seulement la substance, la «mater», mais aussi sa mise en oeuvre, la
manière dont elle est élaborée, découpée, taillée, enjolivée”1.
Ce n’est que dans la lumière de cette transition du „conte” au
„roman” qu’il faut justifier les inconséquences dans la réalisation de ce but
subordonné au plaisir de la lecture et qu’on retrouve dans Le roman du
comte d’Artois, écrit entre 1453 et 1467, et dans Le roman de Jehan de
Paris, vers la fin du XV-e siècle.
Même s’il coupe souvent l’histoire avec des injonctions du type:
„pour abregier l’histoire, je m’en délaisse pour venir au fait”, „pour abreger
le conte, je me passe”, „... que je nommeroye se je avoie temps”, etc.,
l’auteur ne réalise la vraie économie de son récit que dans la deuxième
partie du roman, qui fait place aux scènes quotidiennes, effaçant le vernis
des convenances dont était imprégné le traité de morale courtoise, dans
l’esprit duquel Saintré est élevé et auquel il reste virtuellement fidèle.
C’est grâce à cette infusion du code chevaleresque au sein même de
l’histoire grivoise, concession faite aux goûts de la bourgeoisie qui tourne
au ridicule un idéal tombé en désuétude, que l’unité du roman est
récupérée. „Le cas d’amour” exposé par Saintré à la Cour renoue les deux
fils de la narration: la faute de la Dame des Belles Cousines est démasquée
et sanctionnée publiquement. L’abbé débauché et insolent sera puni par
Saintré, ce héros qui ne renonce aucun instant à défendre les principes
moraux qu’il respecte et qu’il tâche d’imposer dans une société qui feint de
les garder, mais qui n’en étale que la forme.
Aussi Jehan de Saintré, défini pourtant mieux par opposition à l’abbé
et comme protagoniste du drame provoqué par la dame infidèle, reste-t-il
plus conventionnel, plus statique tout au long du roman dont la dominante
reste moralisatrice. Ce chevalier exemplaire2 s’identifie à son modèle, le
jeune Boucicault3 compagnon de Saintré dans ses premiers exploits, dont la
probité indéniable a été immortalisée dans Le livre des faicts, daté de 1409

1
Roger Dubuis, Les Cent Nouvelles nouvelles et la tradition de la nouvelle
en France au moyen-âge, Presses Universitaires de Grenoble, 1973, p. 541.
2
Jehan de Saintré a réellement existé; au XIVe siècle, ce guerrier réputé était
sénéchal d'Anjou et du Maine, chambellan du duc d'Anjou.
3
Jean Le Maingre, surnommé Boucicault, maréchal de France, participe à
Nicopole (1396) et à plusieurs combats en Espagne, Prusse, Afrique, et mourra en
captivité six ans après la bataille d’Azincourt (1415).
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et dans Les heures du Maréchal de Boucicault à l’usage de Paris, livre de
miniatures, à pleine page, auquel La Sale semble emprunter la minutie du
dessin et la vivacité du coloris. Saintré devient à côté de Boucicault un
LIVRE des formes et des règles courtoises de la vie. Quelques lignes
suffisent à tracer le contour de ce chevalier parfait:
„Estant Saintré en la grace du roy, de la royne, des seigneurs, de ma
dame et de tous les aultres, pour abreger, le plus aymé et honnouré escuyer
de France, à cause de sa grant doulceur et humilité, et aussi de sa largesse,
qui ayde bien; car oncques pour gloire d’armes, d’amour de roy ne
d’aultres, ne d’honneur qu’il eust, ung seul semblant d’orgueil ne fut
oncques en luy”.1
L’unité narrative du roman est assurée par ces aspects
contradictoires que la réalité même engendre, ce liant qui rassemble les
reflets épars de la vie dans une image unique et irrépétable. „Il est donc
équitable de reconnaître que dans cet ouvrage, composé d’éléments si
divers, se maintient du moins une certaine unité de direction. Il comporte
jusqu’au bout un enseignement, fondé sur l’expérience de la vie aussi bien
que sur la doctrine”2.
A l’échelle de l’histoire de la littérature française, le diptyque qui
équilibre la balance des tendances créatrices de l’époque, est offert par Les Cent
Nouvelles Nouvelles et les Quinze joies de mariage, pour ce qui est de la
„nouvelle” – le genre le plus aimé à l’époque –, et par Le petit Jehan de Saintré
et Le Roman de Jehan de Paris, pour le roman français original en prose.
L’œuvre de La Sale refait jusqu’ à un certain degré le trajet du roman, le
processus de son détachement des différents types de discours qui le précèdent
et le secondent, participant à la concrétion de sa matière dans un „genre” dont la
„formalisation” avait commencé trois siècles auparavant.
„[Le roman] parle du monde, il s’adresse à la communauté pour, en
quelque manière, l’instruire, approfondir, dans la direction de son passé, de
manière imprévisible la conscience qu’elle a d’elle-même et du monde”3 .
Toute définition ne reste dans ce cas qu’une hypothèse de travail,
une invitation à fouiller dans les replis du roman le sens secret de sa genèse,
les repères de son développement futur.

1
Antoine de La Sale, Le Petit Jehan de Saintré, op. cit., p. 148.
2
G. Reynier, op. cit., p. 87.
3
Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, op. cit., p. 244.
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L’ÉVOLUTION DU GENRE NARRATIF BREF DU XVe AU
XVIe SIÈCLES

„Le siècle des conteurs”1 tend un relais à travers le temps, permettant


de tenter une saisie de la technique du conte, par cet incessant regain de
faveur dont celui-ci a joui et qui jalonne le cours du Moyen Âge et de la
Renaissance.
Louvoyant parmi les écueils, le conte français cherche à définir son
statut narratif plus stable à la fin du XVe siècle, quand on peut déceler la
tendance du récit en prose à fixer un cadre propre, fût-il encore très
élastique et placé constamment dans la mouvance du conte médiéval. Aux
lisières de ce qu’on appelle déja „nouvelle”, le conte met en fusion la
tradition et l’innovation, à un degré tel qu’on doive jeter des coups de sonde
à travers les genres narratifs tels qu’ils se présentent au début du XVIe siècle
et essayer de descendre tant soit peu le cours du temps, afin d’établir la part
de contribution des conteurs français du XVIe siècle à l’élaboration d’une
poétique du récit bref. Les questions que soulève la situation du conte en
France dans la première moitié du XVIe siècle, ont en vue deux aspects
liminaires qui s’épaulent et s’impliquent: 1. L’état de la prose française,
sourtout pour ce qui est du conte, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle;
2. L’impact réciproque du conte français et italien, leur apport dans le
développement de la nouvelle moderne.
A la cour de François I-er (1515-1547) et à celle de Henri II (1547-
1559) on mène une vie mondaine, à laquelle le code éthique chevaleresque
ressuscité exige une reprise du genre sentimental, cultivé par le court récit
en prose aussi bien que par le roman. Les histoires des cycles courtois
trouvent un débouché sûr auprès du public.

1
Cf. Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, Armand Colin,
1975, p. 99.
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Près de cinquante ans après son introduction en France, l’Imprimerie
prend un vif intérêt à publier les mises en prose des récits de chevalerie
(Lancelot du Lac, Perceval, le Gallois, Tristan Giglan, fils de Gauvain,
Parceforest, etc.) de même que d’autres histoires de prouesse fondues dans
le moule des chansons de geste. La recrudescence de ce genre de lectures
est marquée vers 1540 par les adaptations françaises du cycle d’Amadis de
Gaule, ouvrage de l’Espagnol Ordonez de Montalvo, daté de 1508. Les
versions françaises de ces récits chevaleresques que réalise Herberay des
Essarts, pour ce qui est des huit premiers livres jusqu”en 1548, imbus
d’aventures empruntées aux anciens romans de la Table Ronde, non
exempts de l’influence des recueils de contes italiens plus récents (Boccace,
Bandello, etc.). offrent aux lecteurs désireux de suivre un modèle de
raffinement un véritable code de conduite mondaine, pareil à celui qui
s’était bien avant épanoui aux cours italiennes et dont les Français avaient
fait la connaissance à la fin du XVe siècle. Dans ce contexte, le „manuel de
civilité” qui en fut extrait un jour, sorte de compilation, de „recettes” de
lettres ou de discours pour le bon usage des „gens de bien”, n’a plus rien
d’étonnant.
C’est le même public qui apprécie au plus haut degré le conte, en
tant que lieu d’un passe-temps dialogué et genre adéquant au goût pour la
conversation, les entretiens philosophiques et les problèmes éthiques, où se
mêlent la vison romanesque du monde et l’étalage d’érudition.
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre en fournit le meilleur exemple
dans sa partie consacrée aux commentaires des devisants. Cet aspect
autorise la critique à ajouter au recueil le qualificatif de „manuel de
conversation civile”1. Le commentaire dialogué revêt également l’habit de
l’anecdote facétieuse. Le mérite en revient à Bonaventure Des Périers et à
Noël Du Fail. La propension aux entretiens, aux „devis” et à la compétition
en matière de bien trousser un récit, définit par excellence une société qui
poursuit, à travers les discussions élevées, un but toujours présent chez les
conteurs: d’assurer le caractère édifiant du récit. Chez Marguetire de
Navarre cet idéal se trouve subordonné à l’amour en tant que principe
moral dominant. Le recours à la conversation, „ce moyen d’action si

1
Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’ „Astrée”, Paris, Librairie
Armand Colin, 1908, p. 135.
48

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puissant au XVIe siècle”1, comme „enveloppe” des recueils de narrations
brèves à l’époque, prête à la „nouvelle”, cette espèce de narration
développée, née en filigrane au sein même du conte traditionnel, une teinte
d’oralité qui remonte aux origines lointaines du genre. C’est là qu’on
découvre les germes d’une „structure rituelle” aux racines plongées dans
l’épopée homérique et dans les cycles de contes orientaux, quand l’acte de
raconter devenait un „cérémonial inébranlable officié avec solennité”2.
Oralité, brièveté, véracité – traits caractéristiques à la nouvelle –
ressortissent au penchant pour l’entretien, noyau de ce genre „sans pays
d’origine”, qui , au XVIe siècle, „prend volontiers l’allure d’une
conversation, soit que le conteur, présent visiblement dans son oeuvre,
s’adresse directement à son lecteur, soit que l’oeuvre soit liée par les
répliques et les récits d’un nombre de gens qui s’entretiennent”3. Nous y
reviendrons, au cours de l’analyse. Notons, pour l’instant, qu’on touche là
au problemè de l’avènement en France de cette „forme savante”4 du récit
bref appelée nouvelle, processus complexe que recouvrent plusieurs siècles
de tradition et dont la destinée connaît un tournant surprenant au seuil de la
Renaissance, à une étape de „mutations, d’une énorme perméabilité aux
motifs, sujets, héros et histoires” et dont le „critère esthétique” est de „re-
narrer”5
Le recueil consacrant le terme de „nouvelle”, bien avant qu’on
prenne conscience d’une technique narrative qui lui soit propre, avait paru
vers 1461. Les Cent nouvelles nouvelles, coupées et assemblées sur le
patron boccacien dont elles voulaient donner une réplique française,
faisaient allure d’„anthologie” du conte médiéval à quelques exceptions
près, „raffraîchissant” une matière narrative dans sa majeure partie
autochtone: des récits puisés aux fabliaux, aux moralités, aux exempla, aux

1
Abel Lefranc, Grands écrivains de la Renaissance, Paris, Librairie
Ancienne Honoré Champion, 1914, p. 242.
2
Cf. Ion Vlad, Descoperirea operei, Cluj, Ed. Dacia, 1970, p. 127.
3
Histoire de la littérature française, t. I – Du Moyen Âge à la fin du XVII-e
siècle, sous la direction de Jacques Roger et Jean-Charles Payen, Paris, Librairie
Armand Colin, 1969, p. 245.
4
Cf. André Jolles, Formes simples, Paris, Seuil, 1972, p. 180.
5
Ion Vlad, Povestirea, destinul unei structuri epice, Bucureşti, Ed. Minerva,
1972, p. 43.
49

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Quinze Joyes de mariage côtoient des sujets empruntés à la Disciplina
clericalis, aux Gesta Romanorum ou aux Facéties de Pogge. Un
engouement pour cette nouvelle technique d’ „encadrement” des contes ne
tarde pas de se faire jour. Cent nouvelles (,,chiffre rituel”1) réunies dans un
recueil contemporain à Rabelais, celui des contes encore inédits du
chaussetier de Metz Philippe de Vigneulles, n’apporte rien de nouveau
quant aux sujets. Il en va de même du Grand Parangon2 des nouvelles
nouvelles (1535-1536), l’oeuvre du sellier champenois Nicolas de Troyes.
Le relevé des emprunts dressé par G. Reynier établit sur l’ensemble de 180
nouvelles retrouvées, le chiffre de 55 emprunts à Boccace, 59 aux Cent
Nouvelles nouvelles, 10 aux Gesta Romanorum, 2 aux 15 Joyes de Mariage
et un à la Célestine3. Un recueil de récits antérieur poursuit le même but: de
divertir par des contes facétieux, très prisés à la cour de François I-er, et
notamment à celle présidée par sa soeur, la reine de Navarre: Le Parangon
des Nouvelles honnestes et délectables (1531), composé d’après les mêmes
principes de l’imitation des conteurs italiens et du recours au fonds
commun médiéval que l’ouvrage resté anonyme sous les initiales A.D.S.D.
des Comptes du monde adventureux (1555). Le mystérieux auteur, serait-il
un familier de l’entourage de Marguerite de Navarre? Le dessein que se
propose l’écrivain „pour réjouir la compagnie et éviter la mélancolie” nous
conduit à cette hypothèse, Il nous fait penser à Bonaventure Des Périers.
Rappelons les mots du prologue des Joyeux Devis: „Et en un jour plein de
mélancholie,/Mêlons au moins une heure de plaisir”. Certes, il n’y a là
qu’une „parenté” de „compagnonnage” de devisants, et la paternité du
recueil pourrait aussi bien être attribuée à quelque autre conteur4, qui ait
connu les récits du Novellino de Masuccio ou des Nouvelles de Sabadino
degli Arienti, qui en constituent la principale source d’inspiration.

1
Cf. P. Jourda, Préface, dans Conteurs français du XVI-e siècle, Paris,
Gallimard, 1965, p. XXII.
2
Le terme de parangon doit être pris dans son acception du XVI-e siècle,
celle de modèle.
3
Cf. G. Reynier, Les Origines du roman réaliste, Paris, Librairie Hachette,
1912, p. 159.
4
Félix Franck, cité par G. Reynier, y croit déchiffrer la nom d’Antoine de
Saint-Denis, curé de Champfleur (cf. G. Reynier, Les Origines du roman réaliste,
op. cit. p.204-205).
50

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A la même époque où affluent les imitations et les compilations de
recueils d’histoires, dont nous n’avons mentionné que les plus répandus,
s’est dans des ornières plus profondes et dans des sillages bien féconds
qu’il faut suivre l’acheminement du conte et de la nouvelle en France.
L’espèce fait école avec trois des écrivains qui l’ont cultivée: Marguerite de
Navarre, Bonaventure Des Périers et Noël Du Fail.
Dans l’espace d’une cinquantaine d’années1 ces conteurs évoluent
vers ce qu’on pourrait nommer l’esthétique du genre. Le grand écart dans
l’arrangement de la matière narrative se réduit d’abord à deux invariantes
régies par des lois propres de fonctionnement: la nouvelle et l’anecdote.
Cette distinction formelle s’appuie sur la complexité des facteurs
structuraux qui sont à la base du discours narratif. La terminologie toujours
instable, qu’on retrouve chez les écrivains eux-mêmes pour désigner leurs
récits, rend plus difficile l’adoption d’un critère unique dans la séparation
des divers types de narrations au XVIe siècle. Le problème semble être
„tranché” si, à la suite d’un bref examen de la récurrence des désignatifs
pour les récits en question, on se contenterait de constater que trois sont les
termes d’emploi plus fréquent: „compte”, „histoire”, „nouvelle”, tous les
trois retrouvables, comme nous le verrons plus loin, sous la plume de
Marguerite de Navarre. Pourquoi chez elle? Le fait ne doit plus surprendre,
compte tenu du progrès de l’art narratif chez l’auteur de L’Heptaméron.
L’aspect est d’autant plus révélateur que dans ce recueil se rejoignent dans
un ensemble polyphonique des récits brefs, à tonalité plaisante, voire
facétieuse, et des récits plus élaborés, tragiques pour la plupart, qui se
mettent plutôt au rang des nouvelles.
Si l’on admet qu’au XVIe siècle „la nouvelle s’est séparée du
conte2”, affirmation qui allègue des arguments similaires à ceux exposés
plus haut, on remarque à cette époque deux types de récits:

1
Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis paraissent en 1538-1558, Les
Propos rustiques en 1547, 1548, 1585, L’Heptaméron en 1542-1549 et 1559.
2
Cf. Henri Coulet, qui en formule également une possible distinction: „Le
conte traite des sujets plaisants, il est oeuvre de fantaisie, il recourt à
l’invraisemblance, il ne perd jamais son caractère oral”. „La nouvelle traite des
sujets sérieux, sentimentaux ou tragiques, elle raconte des événements vrais ou du
moins vraisemblables, elle perd de son caractère de narration orale qui ne lui est
plus essentiel”. (Cf. H. Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, op. cit., p. 134.)
51

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I. Le conte différencié en:
1. Anecdote plaisante – „récréation ou „joyeux devis” chez Des
Périers
2. „Propos” dialogué, chez Noël Du Fail.
II. La nouvelle, qu’on pourrait encore qualifier de „psychologique” et
„romanesque” chez Marguerite de Navarre,
Le long chemin suivi par le conte, du „fait divers” et de la „leçon
morale” à la nouvelle, connaît au XVIe siècle une étape d’accumulation et
de maturation qui président à son rapide et remarquable développement
ultérieur.
La nécessité de dresser un constat même très sommaire, de la
manière dont le conte et la nouvelle de la Renaissance ont acquis leur
concrétion d’ordre esthétique, devient impérieuse dans les circonstances où
ce processus est par excellence itinérant.
Le problème de la tradition et de l’innovation dans la technique du
conte français au XVIe siècle tombe, naturellement, sous l’incidence de la
„nouvelle toscane”1, telle qu’on a appelé le conte à partir du Décaméron
(1352). Dorénavant, le conte requiert soit le statut de circuler seul, ce qui est
moins recommandable, soit celui de l’appartenance à un recueil et jouir, par
conséquence, du privilège d’être assimilé par un cadre forgé de toutes
pièces d’après le patron boccacien. Nous avons déjà mentionné les recueils
français les plus importants qui revendiquent ce type d’agencement des
récits. Nous reviendrons sur cet aspect dans l’analyse de l’ „ordonnance”
des narrations qui composent L’Heptaméron.
Le premier conte du Décaméron traduit en français est celui de
Griselidis2, le dernier du recueil; la traduction a été faite d’après une
version latine de Pétrarque par Philippe de Mézières, vers 1384. Une
traduction française intégrale du Décaméron a été d’abord tentée, en 1414
par Laurent de Premierfait, toujours d’après une version latine. Le chef-
d’oeuvre de Boccace passe pour un des livres les plus appréciés à la cour de
François I-er. Marguerite de Navarre, dans le Prologue de L’Heptaméron
exprime une conviction (,,je croy qu’il n’y a nulle de vous qui n’ait lu les
cent Nouvelles de Boccace”) fondée sur l’événement culturel qu’a produit
la parution de la traduction, commandée par elle-même, du livre de

1
Cf. André Joles, Formes simples, op. cit., p. 180.
2
La légende de Griselidis avait été connue par Marie de France.
52

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Boccace, par le conseiller du roi Antoine Le Maçon, en 1545, suivie d’un
immense succès reflété dans les nombreuses éditions successives, en 1548,
1551 et 1553.
En même temps que la localisation spatio-temporelle de l’événement
particulier du cadre, Boccace enseignait une leçon de technique narrative:
les devisants, „hommes-récits”1, se proposent de divertir, mais le résultat en
dépasse beaucoup le but. Le commentaire qu’entraîne chaque histoire,
quelque réduit qu’il soit, réalise le chaînon des parties composant cet
organisme vivant qu’est le Décaméron.
C’est toujours ce commentaire qui contient un exposé moralisant
ajouté au dessein initial et servant de tremplin au lancement d’un nouveau
conte. Le groupement thématique des récits par journées, raffermit l’unité
de l’ensemble et se constitue en principe d’organistion du matériel narratif.
Boccace possédait un riche répertoire de récits appartenant au fond
médieval, et dont les fabliaux français ne manquaient pas. Mais à côté de
ces contes qui avaient vite franchi les Alpes, ou que Boccace avait connus
pedant ses voyages en France, la haute tradition du récit bref offrait des
ressources qu’on voit sourdre simultanément dans la création des conteurs
français et italiens. On est par là amené au seuil du problème longuement
débattu des origines de la nouvelle française au XVIe siècle. Le floraison
plus rapide des recueils de contes en Italie (surtout après l’anonyme Il
Novellino, ossia Libro di bel parlare gentile, à la fin du XIII-e siècle,
imprimé en 1525 sous le titre Le ciento novelle antike), et le Décaméron
(1352), dont les réverbérations se prolongent sur plus de deux siècles, la
consécration du terme même de nouvelle renvoient aux relations entre la
création originale et la tradition. Les recueils de contes italiens sont connus
tant dans leurs éditions originales, que par les traductions multipliées au
cours du XI-e siècle, dont nous mentionnons celle parue en 1515, Les
Facéties de Pogge et le premier livre des Facétieuses nuits de Straparole,
publié par Jean Loveau, à Lyon, en 1560. Les trois cents nouvelles de
Francisco Sacchetti et le recueil de nouvelles Le Porretane par Giovani
Sabadino degli Arienti témoignent de l’influence exercée par le Décaméron
de Boccace.

1
Cf. Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, Les
hommes-récits, p.78-91.
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Ce rapport, dans le cas de la nouvelle italianne et française est bi-
directionnel. La ventilation des productions littéraires entre les deux pays
est un fait incontestable. Un argument, parmi tant d’autres, le prouve
suffisamment, et il nous fait revenir sur le terme de nouvelle, remis au jour
en France par le recueil des Cent nouvelles nouvelle, titre qui suscite un
intérêt particulier. L’auteur ne fait que remener en son pays un mot de large
emploi en français et dont les sens, glosés aujourd’hui par les dictionnaires,
se retrouvent dans la littérature du Moyen Âge. Le processus
d’enrichissement sémantique du mot s’est produit dans l’acte même de
raconter: de l’acception initiale de „parole”, réplique”, (anc. fr. novele) à
celle de „nouveauté”, „changement” (anc. fr. noveleté, novelerie,
novelure)1, le mot élargit son sens en occitan, vers le XIIIe siècle, où NOVA
désigne un récit, une histoire déjà connue et racontée de nouveau, remise
au goût du jour. L’italien novella se réclame de cette forme littéraire
provençale2 sur laquelle un riche héritage narratif vient se greffer tant en
Italie qu’en France. L’adoption du mot par l’auteur des Cent nouvelles
nouvelles signifie plutôt un témoignage sur la prise de conscience relative
aux caractéristiques d’un „genre” littéraire qui se constitue de matériaux
anciens sur une nouvelle charpente. C’est d’ailleurs à un sensible
glissement de sens que l’auteur des Cent nouvelles nouvelles fait allusion,
lorsqu’il justifie le titre de son recueil dans la dédicace au duc de
Bourgogne: si les histoires des Cent Nouvelles (le Décaméron) „advinrent
la pluspart des marches et metes /limites/ d’Italie, ja long temps a,
neantmoins toutesfois, portant et retenant nom de Nouvelles, se peut très
bien et par raison fondée en assez apparente vérité ce présent livre intituler
de Cent Nouvelles nouvelles, jasoit que /bien que / advenues soient es
1
Pour les différents sens de ces termes, voir: Dictionnaire de l’ancien
français jusqu’aù milieu du XIV-e siècle, par A. J. Greimas, Paris, Librairie
Larousse, 1972, p.443- 444.
2
Voir à ce propos: Gaston Paris, La Nouvelle française aux XV-e – XVI-e
siècle, dans Mélanges de littérature française du moyen-âge publiés par Mario
Roques, Paris, Champion, 1912, p.627-557; Frédéric Deloffre, La Nouvelle en
France à l’âge classique, Paris, Didier, 1967, p.7-9; Krystyna Kaspryk, Nicolas de
Troyes et le genre narratif en France au XVI-e siècle, Panstwowe Widawnictwo
Naukowe, Warsawa/ Paris, Librairie C. Klincsieck, 1963; Roger Dubuis, Les Cent
Nouvelles Nouvelles et la tradition de la nouvelle en France au moyen-âge,
Grenoble, Presses Universitaires, 1973.
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parties de France, d’Alemaigne, d’Angleterre, de Haynau, de Brabant et
aultres lieux.”
Par conséquent, une „jonction” sémantique s’est réalisée. À contenu
plus ou moins nouveau, une forme nouvelle. C’est toujours l’auteur des
Cent nouvelles nouvelles qui nous le fait savoir à la fin de la Dédicace: il est
en droit d’appeler nouvelles ses récits tant pour l’authenticité que „pource
que l’estoffe, taille et fasson d’icelles est d’assez freche memoire et de
myne beaucoup nouvelle”. L’absorbtion de sujets plus anciens dans le livre
de Boccace, tant „d’Italie” que de ses „limites” (retenons cette remarque!)
témoignait de la reconnaissance d’une re-valorisation sémantique de la
nouvelle.
La ratification de cette forme littéraire par un écrivain français remet
en question un aspect que nous avons déjà envisagé à propos du brassage
des genres et des registres littéraires médiévaux: la quête d’une
terminologie plus stable dans le cas de certaines productions de l’époque
(par exemple: le fabliau, le lai, le dit, le roman, etc.) ne signifie nullement
que les auteurs médiévaux n’aient eu la conscience d’une „authentique
spécificité des genres”, employant à bon escient les termes génériques1.
Une esthétique en marche caractérise la littérature du moyen âge et
de la Renaissance. Aussi le texte de la „Dédicace” des Cent nouvelles
nouvelles devient-il, selon nous, un premier essai de poétique de la
nouvelle, bien qu’en France le „genre” ait acquis sa notoriété plus de
soixante ans après le recueil qui l’avait „préfacé”.
Les traits spécifiques de la nouvelle française du XVI-e siècle
renvoient à deux aspects: 1) les conséquences qui découlent de sa
dépendance du conte, qui, nous l’avons vu, en reste le noyau; 2) le
fonctionnement, au cadre des genres littéraires, d’une véritable loi: celle des
connexions et des interférences, remarquée déjà à l’époque médiévale, au
niveau de l’ensemble des „genres” littéraires.
En effet, les fabliaux, les lais, les récits hagiographiques, les
„intermèdes” dramatiques des „miracles”2 , et surtout l’exemplum cette

1
Cf. Roger Dubuis, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la tradition de la
nouvelle en France au moyen-âge, op. cit., p. 561.
2
„Pièces brèves, d’inspiration religieuse ou profane, qui servaient de
compléments aux grandes pièces” (R.Dubuis, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la
tradition de la nouvelle en France au moyen-âge, op. cit., p.558.
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espèce de conte édifiant, dont les „sèmes” narratifs se retrouvent dans les
formes littéraires mentionnées 1, offrent une matière pléthorique aux
nouvellistes de la Renaissance. Certes, il s’ajoute là l’apport occitan, ces
narrations servies par les jongleurs en tête des canzos troubadouresques,
appelées vidas et razos2, récits dignes d’être inclus parmi les modèles de la
nouvelle, et non seulement en France, mais aussi en Italie, où bon nombre
de ces „introductions” aux chansonniers des troubadours facilitant
l’audience des chansons occitanes du XIIe siècle, étaient copiées ou même
composées.
Le premier conte de la 4-e journée du Décaméron raconte les
amours tragiques du chevalier Guiscard et de Gismonde, princesse de
Salerne; le père de Gismonde, le roi Tancredus, fait tuer Guiscard et envoie
son coeur dans une coupe d’or à sa fille. Dans la 32-e Nouvelle de
L’Heptaméron, Marguerite de Navarre traite ce „thème majeur pour les
origines du Roman noir”3: un mari punit sa femme adultère en lui donnant
à boire le vin dans le crâne de son amant. Le sujet remonte d’après nous à
la Vida de Guilhem de Cabestanh, où le mari jaloux fait tuer le chevalier et
donne son coeur à manger à sa femme. L’analogie du sujet de ces trois
récits n’est qu’un exemple de l’étroite filiation établie entre la nouvelle
française et italienne par l’intermédiare d’un „chaînon” de la tradition
médiévale du conte. Ce serait faire fausse route que de tenter une
identification entre l’élaboration d’une esthétique propre à la nouvelle et la
circulation des thèmes et des motifs parmi les écrivains. Viktor Chklovski
conclut, en ce sens, que „pour l’écrivain, respecter la tradition, c’est
dépendre d’un ensemble qui, tout comme la tradition des inventions, est
constitué par les possibilités techniques du moment”4 .

1
„Sans doute l’exemplum constitua-t-il la matrice principale de la nouvelle”.
(Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 393).
2
Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, chap.
Autobiographie au Moyen Âge?, p.173-178.
3
Yves Le Hir, Introduction, dans Marguerite de Navarre, Nouvelles, Paris,
Presses Universitaires de France, 1967, p. 371.
4
Viktor Chklovski, La constructuion de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits
par Tzvetan Todorov, Paris Seuil, 1966, p. 187.
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En ce sens, quelques principes repérables dans la construction du
récit bref au XVIe siècle relèvent des rapports très étroits que la nouvelle
continue d’entretenir avec le conte traditionnel. Dans cette symbiose, le
transfert des tendances narratives propres au conte est profitable au
développement d’une configuration esthétique de la nouvelle. Une série
d’éléments détachables après un aperçu général de la structure de ces deux
types de récit, témoignent de leur dépendance registrale:
1) – La fonction rituelle initiale du conte comporte, dans l’ordre de la
communication, trois exigences, d’ailleurs respectées par le récit du XVe au
XVIe siècles:
a) L’oralité1 se retrouve dans le caractère dialogique que le narrateur
prête à son récit, tant par la „captation” du lecteur dans l’acte de raconter, ce
qui l’entraîne et l’implique même dans l’action, que par la „théâtralité”
prononcée du récit, soit qu’il s’agisse d’un large emploi du discours direct,
d’un penchant pour le dialogue, soit que la contraction de la parole dans le
discours indirect confère à la nouvelle, par endroits, l’aspect de „résumé”
d’une scène de pièce de théâtre2.
b) Le souci de véracité le besoin d’authentifier les faits narrés, soit
par la garantie du témoignage personnel de l’auteur-personnage de son
récit, soit par le coloris de véridicité historique (appel à des personnages et
événements historiques), soit par le „certificat” de crédibilité attribué au
récit par des témoins dignes de toute confiance3. D’où une dominante
subjective confine encore la nouvelle dans les frontières du conte, qui
possède par excellence ce caractère, vu „la situation même d’émetteur du
conteur”4.
c) L’effort vers la brièvete, vers la concentration du discours narratif,
conforme au topos hérité toujours de la tradition médiévale „que vous
feroy-je plus lonc compte”, ce qui entraîne la présence très réduite des

1
Voir à ce propos: Dicţionar de termeni literari, Bucureşti, Editura
Academiei, 1976, p. 344.
2
Voir à ce propos: Boris Tomaşevski, Teoria literaturii – Poetica, Bucureşti,
Univers, p. 340.
3
Pour la signification du topos médiéval „je dis vrai”, nous renvoyons à Paul
Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, chap. Roman et histoire, p.
246.
4
Dicţionar de termeni literari, op. cit., p.300.
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descriptions et un schématisme plus ou moins marqué au niveau de la
motivation compostionnelle et psychologique.
2) Les conteurs manifestent une indifférence, parfois même déclarée,
quant à l’originalité des sujets qu’ils traitent. L’emprunt n’apparaît
nullement comme un plagiat, pas même comme une imitation, mais ce qui
est en grand crédit pour la qualité du récit, c’est surtout sa „myne nouvelle”,
comme le remarquait l’auteur des Cent nouvelles nouvelles.
3) Cela explique l’exigence accrue pour la qualité de la construction
du récit. Les narrateurs s’évertuent à ménager „l’effet de surprise”, à bien
mener l’action1 qui l’emporte sur l’analyse psyhologique.
4) L’espace de l’événement narré est aussi celui de la „senefiance”.
La portée édifiante du récit, autre survivance médiévale, se constitue d’une
manière implicite (la morale se dégage de la contexture narrative) ou
explicite (la narration est le développement d’un proverbe énoncé au début
ou dans les conclusions du récit).
5) Le besoin de cohérence semble consacrer l’esthétique renouvelée, en
dépit de l’hétérogénéité de la matière narrative, besoin d’intégration vouée,
semble-t-il, à arrêter les possibles „errances” des récits, et manifestée dans
l’arrangement de l’oeuvre entière soit dans un „cadre”, soit, tout
simplement, sous un titre unificateur.
A partir des Cent nouvelles nouvelles, chaque recueil de récits brefs
rend compte des difficultés que soulève l’établissement d’une esthétique
déterminée pour un genre littéraire auquel l’avenir réserve une si brillante
fortune.

1
P. Zumtrhor saisit l’unité de l’événement narré dans ce type de récit, et
conclut sur la technique qui l’actualise: „L’ensemble narratif se construit d’éléments
combinés en vertu d’une idée directrice évidente ou autour d’un facteur d’intérêt
affectif élémentaire (surprise, admiration, crainte),d’où procède le dynamisme
enchaînant les parties et les projetant vers la pointe terminale”. (Paul Zumthor,
Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 400).
58

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LES CONTEURS DE LA RENAISSANCE,
MARGUERITE DE NAVARRE

Marguerite, fille de Louise de Savoie et de Charles, comte


d’Angoulême, est née le 11 avril 1492. Le 2 décembre 1509, le roi Louis
XII décide le mariage de Marguerite d’Angoulême avec Charles, duc
d’Alençon. Après l’avènement au trône de son frère François I-er, (le l-er
Janvier 1515), Marguerite d’Alençon exerce un véritable mécénat à la cour,
protégeant les érudits: Clément Marot, Etienne Dolet, Lazare de Baïf,
Guillaume Budé, Bonaventure Des Périers. Veuve depuis 1526, Marguerite
devient reine de Navarre, à la suite du mariage avec Henri d’Albret, en
janvier 1527. Leur fille, Jeanne d’Albret, future mère de Henri IV, naît le
16 novembre de la même année.
La sympathie que Marguerite de Navarre manifeste pour le
mouvement de la Réforme notamment lors de l’ „affaire des placards”
(1534), l’oblige à se retirer à Nérac, où elle conçoit le projet d’un
Décaméron français. Une année après la mort de François I-er (avril 1545),
Marguerite de Navarre écrit le „Prologue”, destiné à recueillir les contes du
futur Heptaméron. Elle meurt le 21 décembre 1549 au château d’Odos.
L’oeuvre poétique de Marguerite de Navarre comprend: deux
poèmes, dont le cadre est médiéval, Dialogue en forme de Vision nocturne
(1524), Le Miroir de l’âme pécheresse (1531); – L’Oraison de l’âme fidèle
(1531); – le recueil de poésies Les Marguerites de la Marguerite des
Princesses (1545); – deux pastorales, La Fable du Faux Cuyder et La
Complainte pour un detenu prisonnier; – deux poèmes dans l’esprit néo-
plationicien, Les Epîtres des quatre dames et des quatre gentilshommes et
Le Coche; – un poème allégorique, Les Prisons. De 1542 à 1549,
Marguerite de Navarre écrit quelques pièces de théâtre dans la tradition du
théâtre médiéval, mais originales par leur esprit humaniste, véritables
réquisitoires dressés contre le fanatisme et les abus de l’Inquisition: Les
deux filles, Le Malade, L’Inquisiteur, La Comédie sur le trépas du Roy, La
Comédie jouée à Mont-de -Marsan.

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L’HEPTAMÉRON

Marguerite de Navarre déploie, après 1535, une féconde activité


littéraire, accompagnée d’études phiosophiques et d’entretiens avec les
humanistes français et étrangers, ce qui lui attire la renommée de „Seule
Minerve de la France”. Le témoignage laissé par un célèbre dizain de
Marot donne encore à réfléchir sur la forte impression que produisait la
soeur de François I-er parmi les esprits éclairés à la cour littéraire et critique
qu’elle présidait: „Corps féminin, coeur d’homme et tête d’ange”.
Les récits qui devaient former son Décaméron sont écrits pendant de
longues années, parachevés dans l’entourage des lettrés et des philosophes
dont les entretiens aiguisaient le sens d’observation du monde et de la
nature humaine, dans cette effervescence d’idées et de projets que la
princesse encourageait et protégeait. La plupart des contes sont écrits
jusqu’en 1546, date d’élaboration du Prologue, et quelques-uns même
postérieurs au second mariage de sa fille, survenu en 1548. Des événements
historiques ou culturels auxquels l’écrivain fait allusion l’attestent. La
mention spéciale de la traduction du Décaméron faite par A. Le Maçon –
conseiller du roi et trésorier de l’extraordinaire des guerres, – en 1545, situe
le Prologue après cette date.
Le nombre des récits composés après la mort de François I-er a été
vraisemblablement bien réduit, mais il faut placer la création du recueil
jusqu’en 1548, car la 66e Nouvelle s’ouvre sur le mariage de Jeanne
d’Albret qui précède de 14 mois la mort de Marguerite de Navarre.
Sur la manière dont les contes ont pris corps, on peut s’imaginer que
bon nombre de sujets étaient „dans l’air”, et que, partiellement, c’est dans
l’ambiance des conversations présidées par la reine (espèce de „salons
littéraires” avant la lettre) qu’ils ont trouvé un climat favorable faisant
figure assez souvent de chronique mondaine sous le règne de François I-er.

60

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Certaines histoires sont restées dans les manuscrits sans être
numérotées, ce qui nous fait penser à leur possible existence en tant que
„feuilletons” voués à la lecture des familiers du cercle de la reine, „sorte de
placards qui pouvaient circuler entre amis, avant la mise en place des titres
courants”1.
Un témoignage plus sûr qu’il faut écouter sur les conditions dans
lesquelles écrivait la reine de Navarre est celui de Pierre de Bourdeille,
abbé de Brantôme2, qui détient ses renseignements de sa mère, Anne de
Vivonne, dame d’honneur à la cour de Nérac et de sa grand-mère,
Françoise de Vivonne: „Elle – Marguerite de Navarre – composa toutes ses
Nouvelles la plupart dans sa litière en allant par pays; car elle avait de plus
grandes occupations étant retirée. Je l’ai ouï ainsi conter à ma grand’ mère
qui allait toujours avec elle dans sa litière comme sa dame d’honneur, et lui
tenait l’écritoire dont elle écrivait, et les mettait par écrit aussi tôt et
habilement ou plus que si on lui eût dicté”.
Les récis acquièrent une significtion d’autant plus profonde qu’ils
témoignent de la simultanéité et de l’homogénéité des productions
littéraires de Marguerite de Navarre appartenant aux genres tellement
différents. Les contradictions même qu’on y saisit, résultat de l’inquiétude
d’une nature qui cherche à se définir en se rapportant à l’humanité entière,
ne font qu’affirmer l’unité dialectique de l’oeuvre narrative dont nous
tenterons à surprendre le dessin architectural et la structure de profondeur.
D’abord, pourquoi L’Heptaméron? L’explication du titre touche de
près le problème des principaux manuscrits et des premières éditions du
recueil. Une incursion dans le Prologue de l’ouvrage nous informe sur
l’intention de Marguerite de Navarre „d’en faire autant, sinon en une chose
différente de Boccace”. Retenons, pour l’instant, la situation du but narratif
dans le modèle boccacien, le choix d’un prétexte qui réunisse cent récits,
chiffre que l’écrivain n’a pas atteint, du moins apparamment, les éditions

1
Yves Le Hir, Introduction, dans Marguerite de Navarre, Nouvelles, Paris,
Presses Universitaires de France, 1967, p. VIII.
2
Pierre de Bourdeille, abbé de Brantôme (né vers 1540, mort en 1614),
diplomate et historien, auteur des Vies des Capitaines français et étrangers, des
Vies des colonels, des Dames galantes et des Mémoires, dont la valeur est
rehaussée par l’art du conteur dans la plupart des récits, qu’on pourrait intégrer dans
la catégorie des nouvelles romanesques.
61

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successives de l’ouvrage, à quelques exceptions près, adoptant pour titre
L’Heptaméron à la suite de celui donné par Claude Gruget, l’éditeur de
1559, qui clôt le recueil de 72 récits soit sept journées et deux contes de la
huitième, avec la formule: „Cy finent les comptes et nouvelles de la feuë
Royne de Navarre, qui est ce que l’on a peu recouvrer”. Précisons tout de
même, que des recherches ultérieures ont jeté une nouvelle lumière sur le
nombre des contes composés par Marguerite de Navarre. Michel François,
dans l’édition de 1969 de L’Heptaméron, ajoute une nouvelle et un
fragment de dialogue découverts par lui dans deux manuscrits, l’un de la
Bibliothèque Nationale de Paris et l’autre de la Biliothèque Pierpont
Morgan à New York1. D’ailleurs, Claude Gruget lui-même avait fait appel
à un „fonds de réserve”, quant il remplace dans son édition trois contes,
dont l’attitude trop courageuse” aurait pu indigner la censure royale2. Si
l’on y ajoute les allusions de Brantôme aux „Cent nouvelles de la royne de
Navarre”, quand il y emprunte des témoignages sur les événements de
l’époque à l’appui de ses évocations, on est mis devant un aspect qu’il faut
aborder dorénavant avec prudence: celui du caracère „inachevé” du recueil
de Marguerite de Navarre. C’est une confirmation, tenant de la
„matérialité” même de l’oeuvre, qui contribue à corroborer une opinion que
nous tâcherons d’approfondir par la suite, à savoir la qualité foncière de
L’Heptaméron d’être une oeuvre ouverte. En effet, comme dans le cas de
tout recueil organisé selon le principe unitaire d’un cadre qui enchaîne
logiquement un nombre déterminé de récits, nous sommes ramenés à la
même question: qu’est-ce qui a préexisté – le cadre ou les récits? Les
épopées homériques ou les Mille et une nuits pour n’en choisir que deux
exemples traditionnels, nous apprennent la même leçon que celle suivie par
la reine de Navarre: un cadre unificateur est venu absorber et rendre
cohérente une création, dont les titres de noblesse remontent à l’élaboration
collective. Ceci nous facilitera la voie d’accès à un problème de haute

1
Michel François dans son édition de L’Heptaméron de Marguerite de
Navarre (1969), cite à ce propos son étude, Adrien de Thou et l’ „Heptaméron” de
Marguerite de Navarre, dans Humanisme et Renaissance, t. V, 1938, p.16-36.
2
Cinq nouvelles figurent en appendice, dans l’édition Michel François,
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, Paris, Editions Garnier Frères, 1969, dont la
dernière y est publiée pour la première fois.
62

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importance pour définir la spécificité de L’Heptaméron: la place occupée
par Marguerite de Navarre entre la tradition et l’innovation.
Plusieurs manuscrits de L’Heptaméron ont été transcrits tout de suite
après la mort de Marguerite de Navarre. Parmi ceux-ci une mention
spéciale revient au mss. copié en 1553, par Adrien de Thou, conseiller au
Parlement de Paris. Le titre donné au recueil est plus fidèle à l’intention de
son auteur: Le Décaméron de très haute et trés illustre princesse, Madame
Marguerite de France, soeur du Roy Françoys premier, Royne de Navarre,
duchesse d’Alençon et de Berry. Ce mss., suivi par bien des éditeurs du
recueil comprend 72 récits, et s’arrête au commentaire des devisants juste
au moment où l’on donne la parole à celui qui doit continuer par la 73-e
Nouvelle. Vingt-huit feuillets blancs achèvent le mss. dans l’attente des
histoires, que la reine avait peut-être écrites, et qui seraient un jour
retrouvées afin de „parfaire la centaine”. Adrien de Thou se propose de
rendre son manuscrit plus conforme au dessein de l’auteur, intention
déclarée dans l’avant-propos daté „le 8 août 1553”, et qui transparaît
d’ailleurs du titre: „Pour faire conformer ces Nouvelles de la Royne de
Navarre, soeur unique du Roy Françoys premier, à celles de Jean Boccace,
j’ai mis à chacune son sommaire ou argument, tirant le premier du proëme
(lisez: prologue), le second de la fin du discours de la première nouvelle, et
ainsi subsèquement des autres, sans toutesfois riens omettre de ce qui y
était, mais plus tot aioutant au commencement et à la conclusion des
nouvelles, pour donner telle grace, qui si elles se lisent tumultuèrement, le
commencement ne semble aiouté, ny la fin tronquée, si tout d’une tire, on
les trouve si conzues et lyées ensemble, que la fin de la précédente donne
demuye intelligence à la subséquante”1.
Unité et clarté dans l’enchaînement des nouvelles, c’est la grande
réussite d’Adrien de Thou. Six ans plus tard, Claude Gruget procède
pareillement. Son édition de 1559, la première qui soit conforme au projet
de Marguerite de Navarre2 -L’Heptaméron des Nouvelles de trèsillustre et
trèsexcellente Princcesse Marguerite de Valois, Royne de Navarre, réunis

1
Adrien de Thou, Au lecteur, dans Marguerite de Navarre, Nouvelles, texte
critique établi et présenté par Yves Le Hir, Paris, Presses Universitaires de France,
1967, p. II.
2
En 1558, Pierre Boaistuau publie les Histoires des amants fortunez, titre
sous lequel il réunit 67 nouvelles, sans division par journées.
63

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en son vray ordre, confus auparavant en sa première édition – celle de
Boaistuau -; et dédié à tresillustre et trevertueuse Princesse Jeanne, Royne
de Navarre, par Claude Gruget, parisien. – Cette édition, de même que le
mss. d’Adrien de Thou et l’édition Boaistuau, opère quelque modifications
dans la forme initiale des récits: ils omettent les passages contenant des
attaques à l’adresse du clergé et, pour les mêmes raisons, Claude Gruget
remplace trois nouvelles, „audacieuses” pour l’attitude critique et la satire
violente affichées sans détour, par des récits à tonalité plus tempérée1.
L’attitude de ceux qui défrichent les textes du XVIe siècle, les copistes et
notamment les pionniers de l’imprimerie, les réserves qu’ils manifestent
dans la diffusion des textes originaux, surtout dans la seconde moitié du
siècle, s’expliquent par les mesures très sévères que la censure du roi avait
introduites alors que l’on freinait par des moyens violents le mouvement de
la Réforme.
Dix-huit récits manquaient aux éditeurs pour conférer au recueil le
titre souhaité par l’auteur. C’est d’ailleurs un chiffre diminué, comme on l’a
vu, par une découverte, qui nous situe sur la piste prometteuse de
l’existence virtulle des nouvelles complétant le „Décaméron” de
Marguerite de Navarre. Que l’on admette le „montage” posthume de
l’oeuvre sous un titre générique, ceci n’enlève rien à l’intention de grouper,
„après coup”, les parties assez composites de l’ensemble narratif. On est
ramené par là à l’aspect complexe des liens qui rattachent L’Heptaméron à
la tradition médiévale. La division par journées, ce premier argument
formel, n’est pas tout simplement un souci de „stylisation”. Là où l’on
accepte superficiellement un effet d’imitation, il est plutôt naturel de voir
fonctionner un principe esthétique, assimilé par l’auteur de L’Heptaméron

1
La première édition de L’Heptaméron, établie d’après les manuscrits,
paraîtra en 1853, soignée par A. – J. Le Roux de Lincy: L’Heptaméron des
nouvelles de... Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, pour la Sociéte des
bilbiophiles français, Paris, C. Lahure, 1853-1854, 3 vol. Cette édition est
introuvable. Le texte d’après lequel M. François établit son édition est celui d’un
manustrit copié, paraît-il, peu de temps après la mort de Marguerite de Navarre;
c’est le mss 1512 de la Bibliothèque Naţionale, dont le titre a été ajouté au XVIIe
siècle: Eptaméron ou Nouvelles de la Reine de Navarre.
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et propre à une „culture sociale ayant un sentiment prégnant de la forme
architectonique”1.
Une première „pièce” en faveur de l’originalité à laquelle accède
Marguerite de Navarre est sa propre déclaration en tête de l’ouvrage: „faire
autant, sinon en une chose différente de Boccace”. En effet, c’est
l’argument qu’elle ajoute: „c’est de n’escripre nulle nouvelle qui ne soit
véritable histoire”, confronté avec l’appel aux emprunts, qui rend plus
délicat le débroussaillement de la question concernant le rapport entre la
tradition et l’innovation dans L’Heptaméron. L’engagement de l’auteur
renferme une double signification contenue dans l’emploi de l’épithète
„véritable”. Un premier sens touche de près l’espèce, c’est-à-dire
l’acception du mot „nouvelle” pour désigner les récits, et nous y
reviendrons dans la discussion autour de l’esthétique du recueil. Un
deuxième sens semble être incompatible avec l’originalité des sources
d’inspiration, vu la puissante survie des formes médiévales à certains
endroits de L’Heptaméron. Le choix du type-cadre, d’abord, construit selon
un modèle dominant dans la littérature du XIIIe jusqu’au XVe siècles,
adopté non seulement par la prose, mais aussi par la poésie2. Le prologue
général réunit les „protagonistes” et expose les „règles” du „jeu”: dix
voyageurs, empêchés de continuer leur chemin à cause de la crue du gave
de Pau, s’engagent pour dix jours à raconter chacun une histoire par jour,
„depuis midy jusques à quatre heures”, de manière qu’„au bout de dix jours
[ils auront] parachevé la centaine”, destinée à être offerte au roi et à sa
compagnie. L’ensemble s’y trouve, par conséquent, „programmé”. A la
différence de son „patron” boccacien, l’histoire de la peste qui oblige le
même nombre de conteurs à une „réclusion” provisoire dont l’objectif soit
avant tout de divertir, la présentation des circonstances favorisant la
propulsion des récits acquiert, chez Marguerite de Navarre, la valeur de
présentation du but esthétique et éthique qui régit l’entreprise. Le prologue

1
Cf.Oskar Walzel, Conţinut şi formă în opera poetică, Bucureşti, Univers,
1976, trad. roum., p. 411 (n.t.).
2
La pastourelle et l’aube, pour n’en donner que deux exemples, sont
essentiellement construites sur une „rencontre”: l’envoi est „positif” pour la
première (la rencontre est un prétexte d’idylle au dénouement tragique ou
comique), et „négatif” pour la seconde (on s’y lamente sur la séparation des
amants).
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amorce l’esprit du recueil: les propositions que se disputent Oisille et
Hircan pour trouver un passe-temps utile à toute la compagnie situe
idéologiquement l‘ouvrage entre deux tendances contradictoires, le „sacré”
et le „profane”1, opposition apparamment tranchée par l’attitude tempérée
de Parlamente, initiatrice du „jeu”. Cette dualité dans l’attidude éthique
adoptée par les devisants au terme de chaque histoire se constitue en axe
principal de la portée édifiante du livre. Si chez l’écrivain italien le cadre
„forme un contrepoint aux histoires enchâssées, ayant des propriétés
différentes qui servent le contraste”2, l’événement qui ouvre L’Heptaméron
détermine son climat moral et intègre organiquement les courants d’idées
les plus différentes qui sont le ressort fondamental du recueil. Les
prologues des journées et les discussions suscitées par chaque récit lui font
suite: „moments précurseurs”, qui „avertissent” par „le commentaire
réflexif apportant une méditation sur l’homme”3, les prologues et les débats
qu’entraînent les récits jouent le rôle de „signaux” thématiques assurant la
succession logique des narrations et l’unité du recueil.
Le sillage médiéval est retrouvable, d’une manière beaucoup plus
frappante, dans la reprise de certains sujets et „formules” narratives, que le
riche répertoire des contes mettait à la disposition de l’écrivain. Marguerite
de Navarre en avait fait la connaissance par voie livresque et orale. La cour
littéraire qu’elle entretenait en facilitait le contact. Mentionnons également
que sa bibliothèque contenait, à côté des belles reliures des histoires de la
Table Ronde, du Roman de la Rose4 et des recueils de poésies qu’elle avait
découvertes dès son enfance, des exemplaires reçus en hommage ou qu’elle
avait fait venir de l’étranger, et d’Italie surtout: Dante, Pétrarque, Boccace,
Ficin, Castiglione, etc. La reine connaissait l’italien, l’espagnol, le latin et

1
Ces seux directions de la pensée de Marguerite de Navarre font l’objet de
l’étude de Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane Autour de l’Heptaméron”,
Paris, Gallimard, 1971.
2
Tzvetan Todorov, Grammaire du Décaméron, The Hague-Paris, Mouton,
1969, p. 13.
3
Cf. Ion Vlad, Povestirea, destinul unei structuri epice (Dimensiunile
eposului), Bucureşti, Minerva, 1972, p.33 (n.t.).
4
Marguerite de Navarre y fait allusion, dans les arguments soutenus par des
„citations d’autorité” de Jean de Meung, dans la 24-et la 29-e Nouvelles.
66

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l’hébreu. Ceci lui donnait accès à des ouvrages dont il reste toujours à
retrouver les traces dans son oeuvre.
Il est à remarquer, en premier lieu, l’appoint substantiel qu’apportent
les fabliaux sur l’ensemble de L’Heptaméron.Quant aux sujets de
provenance directe il en est, peut-être, très peu représentatif: La Sixième
Nouvelle1 emprunte son sujet à La Male Dame, la Trente unième au fabliau
de Rutebeuf Frère Denize, la 35e présente de vagues ressemblance avec Du
Chevalier qui fist confesser sa fame, la 34e avec Estula, la 8e avec Le
Meunier d’Arleux, la 47e Nouvelle avec Li Lays de l’Espervier2. La
contribution des fabliaux, cette véritable plaque tournante du conte
médiéval, est plus sensible dans la structure d’une trentaine des récits de
L’Heptaméron, dont la technique narrative ressortit du genre, mais touche à
son degré de virtuosité – on peut mentionner les nouvelles: 5, 6, 7, 8, 11,
27, 28, 29, 31, 34, 35, 38, 39, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 52, 54, 58, 62, 65, 66,
69, 71, etc. Une filiation plus directe, en ce qui concerne les sujets, avec le
Décaméron3, avec Pogge4 ou avec Les Cent nouvelles nouvelles5, dans un
nombre réduit de sujets témoigne de la circulation des contes sur une aire si
large qu’il devient très difficile d’établir avec exactitude l’ „itinéraire” d’un
conte d’extraction folklorique jusqu’à sa concrétion chez l’un ou l’autre des

1
L’ordre des nouvelles est celui des éditions: Pierre Jourda, Conteurs
français du XVI-e siècle, Paris, Gallimard, 1965, (pp.701-1131) et Michel François,
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, Paris, Edition Garnier Frères, 1969.
2
La parenté avec les lais est toujours décelable dans le thème de quelques
nouvelles tragiques (9-e, 24-e, 64-e), qui rappellent les histoires de Guillaume au
faucon (v. A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil général et complet des
Fabliaux des 13-e et 14-e siècles, New York, Burt Franklin, 1878, t. II. Fabliau
XXXV) et Du chevalier qui recovra l’amor de sa dame (op.cit., t. IV, Fabliau CLI).
3
Trois nouvelles offrent une certaine ressemblance avec l’oeuvre de
Boccace: la 8-e Nouvelle au sujet similaire avec la 4-e Nouvelle (8-e Journée du
Décaméron), la 6-e Nouvelle plus proche du sujet de la 7-e Nouvelle (6-e Journée
du Décaméron) et la 32-e Nouvelle semblable à la 1-ère Nouvelle (4-e Journée du
Décaméron).
4
Le sujet de la 8-e Nouvelle se retrouve dans les Facéties.
5
La 69-e Nouvelle de L’Heptaméron reprend le sujet de la 17-e des Cent
nouvelles nouvelles, la 8-e celui de la 9-e nouvelle, et la 6-e celui de la 16-e du
même recueil.
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écrivains1. Le meilleur fournisseur de sujets authentiques, plus ou moins
vite coulés dans le moule des contes de L’Heptaméron, reste l’échange
d’„actualités” puisées à la vie de la cour ou aux événements parvenus de
l’étranger. La mémoire des faits racontés dans la 12-e Nouvelle (l’histoire
de Lorenzaccio), par exemple, est encore très fraîche, quand Marguerite de
Navarre la met par écrit2. Nous avons déjà relevé l’influence des Vidas des
troubadours dans le Décaméron et dans L’Heptaméron3. Directement ou
par l’intermédiaire des fabliaux, plusieurs nouvelles de L’Heptaméron
ressortissent des exempla ou de la Disciplina clericalis. Des productions
narratives françaises antérieures au XVIe siècle prolongent leurs échos
atttestant également une riche tradition qui agit sans discontinuer dans le
recueil de Marguerite de Navarre. Rappelons le texte du Prologue à
l’endroit où l’écrivain exprime sa volonté de rompre avec un „patron” du
conte qui le précède: les devisants choisis pour réaliser le „Décaméron”
français sont les „plus dignes de racompter quelque chose, sauf celux qui
avoient estudié et estoient gens de lettres”,... „de paour que la beaulté de la
rhétorique fait tort en quelque partye à la vérité de l’histoire”. La primauté
du principe de la véracité sur l’adoption d’un style trop recherché
n’empêche que l’appel au style indirect et les longs plaidoyers des
personnages confirment la survivance, dans le discours narratif, de la
rhétorique médiévale tellement redoutée par l’auteur de L’Heptaméron. Les
quelques lignes du Prologue, essentielles pour la définition d’une poétique
de la nouvelle au XVIe siècle, touchent à un problème capital pour les
recueils de contes de la Renaissance aussi bien que pour ceux du XVe
siècle, celui de leur signification et de leur fonction dans la société: „ils
ravitaillaient en réalité des hommes largement nourris d’abstractions aux
écoles”4. Plus de fidélité dans la peinture du réel, moins de souci pour le

1
La 8-e Nouvelle de L’Heptaméron en fournit un exemple: le même sujet
est traité par les fabliaux, le Décaméron, les Facéties et les Cent nouvelles
nouvelles.
2
Alexandre de Medicis fut assassiné par son cousin Lorenzino en 1537;
celui-ci fut tué en 1548. La nouvelle de Marguerite de Navarre est datée de 1547.
Le même sujet sera traité par Alfred de Musset, dans son drame Lorenzaccio.
3
Voir la similitude du sujet entre la Vida de Guilhem de Cabestanh, la I-e
Nouvelle (4-e Journée du Décaméron) et la 32-e Nouvelle de L’Heptaméron.
4
Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane, op. cit., p. 260.
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raffinement artistique – c’est la leçon qu’il faut tirer de la déclaration du
Prologue.
Marguerite de Navarre fait des concessions à la mode littéraire de
son époque dans la manière d’insérer au cadre du récit des poésies, soit
d’inspiration originale (v. l’épître en vers de la 13e Nouvelle) soit des
traductions (v. l’épître en vers traduite de l’italien dans la 19e Nouvelle, et
les deux traduites de l’espagnol dans la 24e et la 64e Nouvelles)1.
Les rapports que les récits de L’Heptaméron entretiennent avec la
tradition ne font que rehausser les mérites de l’écrivain dans le sens de
rajeunir les vieux sujets, de rénover la technique du conte. Cette volonté se
fait constamment sentir dans la reprise des modalités narratives, telle la
manière d’enchâsser un épisode qui relate un fait historique au cours de la
nouvelle. C’est, par exemple, le cas de la 10e Nouvelle, où la narration est
par deux fois interrompue pour faire place à l’évocation des combats
pendant lesquels Amadour se fait couvrir de gloire, ou la description de
l’exploit accompli par un vaillant capitaine, héros de la 13e Nouvelle. Le
procédée avait été cultivé par A. de la Sale, qui encombre le roman du Petit
Jehan de Saintré de longues chroniques guerrières. Marguerite de Navarre
comprend l’utilité d’alléger la narration, même lorsqu’elle recourt à de
pareilles digressions. Ce n’est plus de l’histoire plaquée sur le récit; les
brèves références aux exploits de quelque héros, ce „réliquat”
chevaleresque, sert la motivation psychologique, quelque schématique
qu’elle reste.
Le plus révélateur exemple de valorisation complexe de l’héritage
médiéval dans L’Heptaméron le fournit un récit qui, selon l’auteur même,
1
A propos de l’insertion des épîtres versifiées dans les récits de
L’Heptaméron, Yves Le Hir conclut: „En fait, c’est une référence à un genre dont
les titres de noblesse remontent à Horace et à Ovide (dans les Héroîdes et les
Pontiques). La Deffence et Illustration de la langue françoyse (II, 4),les proposera
pour modèles. Les grands Rhétoriqueurs avaient aimé ce genre. On citera au moins
les Epistres de l’Amand verd dues à Jean Lemaire de Belges, les épîtres morales et
familières de Jean Bouchet, celles de Roger de Collerye, Hugues Salel,
Bonaventure Des Périers, Mellin de Saint-Gelais, Marot surtout. La tradition
imposait les décasyllabes et des rimes plates à Marguerite de Navarre” (Yves Le
Hir, „Introduction à Marguerite de Navarre”, Nouvelles, op. cit., p. XVI). Certes, le
modèle boccacien n’est pas à négliger non plus: chaque journée du Décaméron clôt
sur une chanson.
69

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contrevient aux règles proposées en tête du recueil: c’est la 70e Nouvelle,
l’histoire de la Châtelaine de Vergi. Marguerite de Navarre s’explique dans
ce cas sur l’écart des normes qui régissent le choix du sujet dans le
commentaire préludant le récit. Le conteur qui a la parole hésite à aborder
le sujet „pour deux raisons: l’une pour sa grande longueur; l’autre pour ce
que n’est pas de notre temps; et si a été escripte par ung autheur qui est bien
croyable, et nous avons juré de ne rien mectre icy qui ayt esté escript”.
Le volume du conte et son „ancienneté” sont des arguments
discutables, vu que d’autres nouvelles sont aussi longues sinon davantage,
et que la localisation temporelle de l’action est également assez relative
dans plusieurs récits. Un retour à l’esthétique de la nouvelle dans
L’Heptaméron sera nécessaire pour mieux révéler la justesse de ce point de
vue. La nouveauté dans la position adoptée par Marguerite de Navarre dans
le préambule de la nouvelle réside plutôt dans la reconnaissance, d’ailleurs
l’unique dans le recueil, d’un fait d’ „exception”: la circulation par écrit du
sujet, ce qui mettrait en doute sa „nouveauté”, condition essentielle de
l’existence du „genre”. Il est certain que Marguerite de Navarre fait allusion
à la version du XIII-e siècle, donc la plus ancienne qui soit parvenue, d’un
poème d’amour connu sous le titre même de La Chastelaine de Vergi1,
quand Parlamente plaide en faveur du récit: „il – le conte – a esté escript en
si vieil langaige, que je croys que, hors mis nous deux, il n’y a icy homme
ne femme qui en ayt ouy parler; parquoy sera tenu pour nouveau”. Par cette
motivation, Marguerite de Navarre semble ignorer l’existence d’une
transposition en vers dialogués du poème, parue à Paris en 1540 sous le
titre: Livre d’amours du chevalier et de la dame chastellaine du Vergier
comprenant l’estat de leur amour et comment elle fust continuée jusques à
la mort. Mais on est plutôt disposé à croire, à la suite de Michel François,
que la narratrice a eu connaissance de la rédaction plus récente, d’où le nom
légèrement modifié de l’héroïne2.

1
Le poème est reproduit dans Poètes et romanciers du moyen âge, texte
établi et annoté par Albert Pauphilet, Paris, Librairie Gallimard, 1958, p.347-372.
2
Michel François ne refuse pas une raison de prudence qui ait déterminé le
changement du nom: une illustre famille de Vergy étant représentée à la cour de
François I-er, la discrétion de l’auteur s’imposait (cf. Michel François, Marguerite
de Navarre, L’Heptaméron ,op. cit., Notes et variantes, p. 497).
70

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Le processus de „modernisation” de la matière narrative offre, dans
une large mesure, suffissamment d’atouts à la nouveauté requise par le
récit. Le traitement du sujet ancien sous la plume de Marguerite de Navarre
subit un renouvellement sémantique spécifique à la nouvelle de type
boccacien et post-boccacien qui revêt assez souvent d’un énoncé nouveau
un contenu événementiel traditionnel1. En effet, il n’y a pas de
modifications dans le sujet du conte chez Marguerite de Navarre. C’est
dans la structure du récit bref que l’auteur prouve se maîtrise. L’Histoire de
la Châtelaine de Vergi acquiert un statut narratif plus stable2 grâce au
dosage judicieux des „temps” du récits, qui se développe selon une
progression au début lente, ensuite accélérée vers le dénouement, à partir
du moment de „bascule” représenté par la trahison du duc et la vengeance
de sa femme. Marguerite de Navarre construit sa nouvelle avec la pleine
conscience d’une exigence absolue: suppléer au manque de motivation
compositionnelle et enrichir la facture morale du récit sans, pour autant,
changer d’attitude vis-à-vis des faits relatés. La narratrice satisfait au
premier impératif par le recours à une analyse plus approfondie de la
psychologie des personnages, ce qui lui permet de souligner la valeur
édifiante de la nouvelle: le respect du secret d’amour, loi de la fin’amor sur
laquelle le trouvère anonyme du XIIIe siècle avait bâti son poème, nourrit
cet idéal éthique cultivé par Marguerite de Navarre dans une large partie de
son oeuvre et contenu dans les concepts de „vraye amityé” et „parfaicte
amour”. Dans l’oeuvre du XIIIe siècle, cette obligation qu’incombe aux
amants, n’est pas trop explicite; on peut supposer que la dame est mariée et
cela réclame la discrétion, mais le plus sûr argument se retrouve dans la
motivation extérieure, dans le fonctionnement des normes imposées par la
fin’amor. Chez Marguerite de Navarre l’obligation du secret ne découle pas

1
Cf. Viktor Şklovski, Despre proză. Meditaţii şi analize, Bucureşti, Univers,
1975 (trad. roum.), p. 133 et p. 138 (n.t.).
2
Après en avoir rappelé la ressemblance avec les lais de Lanval et de
Guingamor, Roger Dubuis remarque le caractère d’ „oeuvre mêlée” qu’on pourrait
attribuer au récit du XIII-e siècle, dont le statut hésitant entre plusieurs „genres”
narratifs (poème, roman, lai, nouvelle), „marque une transition”, un „désir de
l’auteur de renouvellement”. (cf. Roger Dubuis, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la
tradition de la nouvelle en France au moyen-âge, Grenoble, Presses Universitaires
de France, 1973, p. 524-525).
71

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du statut social de la jeune femme, qui est veuve, mais de l’impossibilité de
rendre publique une relation entre personnes de rang différent: la
justification du jeune homme (,,pour ce que n’estois de maison pour
l’espouser, je me contentois d’estre receu pour serviteur”) rejoint une ligne
thématique fondamentale de L’Heptaméron concernant les implications
sociales et morales du mariage à l’époque. La capacité d’élargir le cadre
narratif et de renforcer le dramatisme du récit confère à la nouvelle de
L’Heptaméron, comme d’ailleurs à l’ensemble du recueil qui se trouve
dans la mouvance du conte médiéval, un remarquable potentiel créateur.
Le terme qui semble le mieux convenir à l’auteur de L’Heptaméron
pour désigner ses récits est celui de „nouvelle”. Cette option est formulée
dans le Prologue général (“c’est de n’escripre nulle nouvelle qui ne soit
véritable histoire”) et elle est maintenue dans le recueil (“Je sçay bien... que
ceste longue nouvelle pourra estre à aucuns facheuse” [10-e Nouvelle];
„pour dire la seconde nouvelle” [ I-e Nouvelle]; „pour dire la huictiesme
nouvelle” [7-e Nouvelle]; „après ces deux tristes nouvelles „[13-e
Nouvelle]; „je diray doncques ceste nouvelle” [29-e Nouvelle]; „croire en
toutes les nouvelles que l’on vous vient de compter” [32-e Nouvelle];
„dictes-nous ceste nouvelle” [54-e Nouvelle]; etc.). L’emploi récurrent des
désignations „compte”, „histoire”, „exemple” rappelle plutôt une
terminologie traditionnelle déjà inclue dans la sphère sémantique du genre
pour lequel Marguerite de Navarre manifeste un choix préférentiel. Le
rappel constant à la nouvelle est justifié par l’élaboration d’un code de
normes auquel doit obéir le récit, et qui témoigne d’une volonté d’obéir à
une esthétique dont les principes sont exposés dès le départ, se constituat en
système de référence obligatoire. Au double sens du mot nouvelle,
événement inédit ou frappant1, la narratrice ajoute une exigence, qui
proclame son originalité vis-à-vis des „modèles” (lisons, en l’occurrence, le
modèle boccacien): la vérité du sujet (“faire autant, sinon en une chose
différente de Boccace”; „c’est de n’escripre nulle nouvelle qui ne soit
véritable histoire”). La reponsabilité du conteur, qui se fait garant de
l’authenticité de son récit, dérive de son engagement de ne relater qu’une
histoire „qu’il aura veue ou bien oy dire à quelque homme digne de foy”.
Parfois, le narrateur impliqué directement dans l’action rend compte de la

1
Cf. H. Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, Armand Colin,
1975, p. 123.
72

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crédibilité de son récit pour avoir donné des précisions autobiographiques1;
„une histoire que je sçay, pour en avoir faict inquisition véritable sur le
lieu” [4-e Nouvelle]. D’où le souci de placer le récit dans un cadre
véridique, parmi des personnages dont on certifie l’existence à tel point
qu’il devient nécessaire de garder toute la discrétion sur leurs noms réels. Il
y a dans quelques récits de L’Heptaméron des témoignages ou des
allusions à des événements réels, comme dans les Nouvelles: 1, 2, 4, 12, 21,
26, 67. Il est à mentionner également l’abondance des personnages dont
l’historicité n’est guère „déguisée”: Anne de Bretagne, Marie Heroët,
l’amiral Bonivet, chanceliers, chambellans à la cour de France, à qui
s’ajoute François I-er et Marguerite de Navarre, héros de quelques récits.
Plusieurs narrations débutent par ce „topos” de la discrétion: „un gentil
homme, duquel je congnois si bien le nom que je ne veulx point nommer”
[15-e Nouvelle]; „tout cela est véritable, hormys les nom, le lieux et le
pays” [9-e Nouvelle]; „En la cour du Roy Charles, je ne diray poinct la
quantiesme pour l’honneur de celle dont je veux parler, laquelle je ne veulx
nommer par son nom propre...” [49-e Nouvelle]. La nouveauté sera donc
tenue pour sous-jacente à la véracité du conte, doublement motivée: en tant
que „vraisemblance interne au système textuel” et „enseignement”,
„transmission de sens”2.
L’obéissance à la loi de la vérité est maintes fois soulignée par des
rappels au cours des commentaires: „Souvenez-vous qu’il fault icy dire
vérité. – Je vous prometz, dist Dagoucin, que je vous la diray si purement,
qu’il n’y aura nulle couleur pour la desguiser” [62-e Nouvelle] „là il doit
apporter une preuve... si grande qu’elle ne puisse estre remise en doubte”
[33-e Nouvelle]. Le principe de la brièveté du récit, à l’exception d’un
nombre restreint de nouvelles, est souvent émis par les narrateurs dans la
formule: „Mon compte ne sera pas long”.
Par les trois conditions qu’elle pose, nouveauté, véracité, brièveté,
l’esthétique de la nouvelle, telle qu’on la trouve d’une manière explicite et

1
Parmi les „constituants structuraux du conte traditionnel”, Ion Vlad situe
des „réflexions” et des „références personelles du narrateur” comme „solution de la
totale identification” et du contrôle exercé sur la „réaction de l’auditoire” selon la
discipline imposée par le récit” (cf. Ion Vlad, Povestirea -destinul unei structuri
epice, op. cit. p. 33).
2
Cf. Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975, p.245-246.
73

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implicite réalisée dans L’Heptaméron constitue le point d’aboutissement
d’une théorie de l’espèce littéraire, qui au, XVI-e siècle, arrive à définir sa
spécificité: refléter la réalité” „fixant une partie de l’univers” et donner à
l’image qu’elle en surprend une „figure solide, particulière, unique”1. Au-
delà de l’intérêt suscité par les événements rapportés, depuis les histoires
tragiques qui renferment les incidents les plus frappants (meurtres, suicides,
enlèvements, etc.) jusqu’aux farces les plus banales, le recueil de
Marguerite de Navarre doit être jugé en premier lieu dans son ensemble.
L’Heptaméron fonctionne comme un organisme unitaire, cohérent
dans toutes ses connexions, grâce au remarquable équilibre de construction
et à la dialectique intérieure du recueil. Marguerite de Navarre avait pensé
son „Décaméron” comme un „contrepoint” narratif pour ce qui est de la
construction essentiellement classique. Bien que prématurément
interrompu, le finissage de cette oeuvre réalisée par un graveur au burin si
net tient compte du dosage thématique et du groupement des récits
tragiques et comiques d’une manière plus originale que les recueils
antérieurs. Les principes de l’alternance et de l’antithèse ne sont pas à
négliger dans la réalisation du tapis narratif de L’Heptaméron. La
disposition thématique de l’ensemble n’est pas aussi rigoureuse que celle
des autres recueils construits sur le principe de l’encadrement, le
Décaméron ou les Contes de Canterburry, dont on peut rapprocher
l’oeuvre de Marguerite de Navarre par „l’idée de caractériser le conteur par
le conte et la juxtaposition de plusieurs personnages entre lesquels il y a des
tensions d’ordre psychologique et social”2. Un critère assez arbitraire régit
l’assamblage des récits de L’Heptaméron: des interférences thématiques3
ou un choix de thèmes hétéroclites4 sont le propre des titres qui précèdent
chaque journée. Cependant, il faut juger cette alternance thématique au
cadre de la même journée comme une manière d’harmoniser la succession

1
Cf. André Jolles, Formes simples, Paris, Seuil, 1972, p.184-185.
2
R. Wellek, A. Waren, Teoria literaturii, Bucureşti, Editura pentru
Literatură Universală, 1967 (trad. roum.), p. 293.
3
Voir, par exemple, l’ „annonce” de la 1-e, 3-e, 5-e et 6-e Journées.
4
„De ce qui promptement tombe en la fantaisie de chacun” (2-e Journée).
(Boccace ouvrait pareillement le Décaméron): „De ceux qui ont fait le contraire de
ce qu’ils devaient ou voulaient”. (7-e Journée); „Des plus grandes et plus véritables
folies dont chacun se peut aviser” (8-e Journée).
74

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des contes, afin d’éviter la monotonie. L’équilibre du clavier thématique est
plutôt saisissable à un inventaire plus détaillé du recueil qui permet d’établir
huit groupes principaux de récits:
1) La ruse et les vices des femmes: environ 14 nouvelles (1, 2, 29, 32,
35, 36, 49, 55, 58, 59, 60, 61, 71).
2) Les abus des hommes: environ 2 nouvelles (14, 45).
3) La défense des femmes: environ 12 nouvelles (2, 4, 13, 15, 27, 37,
38, 42, 47, 53, 54, 69).
4) La défense des maris: environ 2 nouvelles (6, 63).
5) L’amour et ses adversités: environ 8 nouvelles (9, 12, 16, 26, 43,
50, 57, 70).
6) Le mariage et ses implications morales et sociales: environ 8
nouvelles (10, 19, 21, 24, 40, 51, 64, 67).
7) L’anticléricalisme: environ 11 nouvelles (5, 22, 23, 31, 41, 44, 46,
48, 25, 56, 72),
8) L’illustration d’une sentence: (anecdotes, facéties): environ 1o
nouvelles (7, 8, 11, 28, 34, 52, 62, 65, 66, 68).
La même proportionnalité se remarque au niveau de la tonalité des
récits: environ 27 nouvelles tragiques, une trentaine de nouvelles comiques
et environ 33 nouvelles tragi-comiques.
Ce „bilan” quelque approximatif qu’il soit, relève de l’architecture
narrative conçue d’après une rigoureuse géométrie de l’ensemble, dont
l’unité et le mouvement dialectiques se réalisent dans la forme-cadre choisie
par l’auteur. Les versions du livre des Sept sages – Syntipas -, répandues en
France au XIIIe siècle, les Mille et une Nuits et leur pendant, les Mille et un
Jours, le Décaméron, Les Cent nouvelles nouvelles, Les Quinze Joyes de
mariage, etc. structurent un cycle de récits, parfois de caractère très
composite, selon le procédé de connexion par enchâssement, c’est-à-dire
par l’intermédiaire d’une nouvelle - cadre qui introduit le motif du conte1.
Le Prologue de L’Heptaméron remplit cette fonction exigée au
départ, comme le récit d’encadrement des contes de Shéhérazade ou des
nouvelles de Boccace, par un prétexte valable temporairement: ajourner
l’exécution, dans les Mille et une Nuits, fuir les dangers de l’épidémie, dans
le Décaméron, attendre des circonstances favorables pour échapper à la

1
Cf. Boris Tomaşevski, Teoria literaturii – Poetica, Bucureşti, Univers,
1973 (trad. roum.), p. 341 (n.t).
75

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claustration involontaire dans l’Heptaméron. L’„espace” du conte, la durée
qu’il peut recouvrir pour l’auditoire, devient unité de mesure du temps,
propre au „système de retardement”1 qu’elle „inaugure”, et lieu de „rappel”
pour un nouveau récit. Cette structure épique de „film à épisodes”, dont les
noyaux narratifs autonomes s’organisent d’une manière convergente, „jouit
„d’une exceptionnelle fortune en Europe, et nous en trouvons des
„schémas” narratifs similaires dans notre littérature, chez Sadoveanu et V.
Voiculescu2.
Dans le recueil de Marguerite de Navarre les modalités
d’„emboîter” la série de contes, „les motifs d’encadrement”3, se constituent
en „paliers” de passage entre les nouvelles, formés par: le Prologue
général, les prologues à chaque journée et les „épilogues” ou les
commentaires des devisants, qui fonctionnent en même temps comme
prologues à chaque nouvelle, et qui multiplient les motifs d’enchâssement
d’après les modalités de transition d’un récit à l’autre. L’enchaînement des
contes s’effecttue, dans ce dernier cas, à travers un jugement porté par
l’auditoire sur les événements rapportés, et l’on pourrait déceler quelques
motifs principaux pour lancer une nouvelle narration:
1. L’alternance exigée par la compagnie, suivant le contenu tragique
ou comique du récit, principe qui n’est par respecté sur l’ensemble du
recueil. C’est le choix du conteur qui reste fondamental pour la portée de la
nouvelle. À ce propos, Marguerite de Navarre enregistre un grand progrès
réalisant des rapports étroits de déterminisme moral et psychologique entre
le narratteur et son récit. Le personnage-conteur n’est plus un simple
„porteur” de narration (un „homme-récit”4) dépourvu de „signalement”
psychologique; ses relations avec le récit qu’il rapporte sont transitives: il se
définit par le conte, et il sera réclamé en conséquence: „Géburon, „ le plus
saige d’entre nous”, Simontault, „lequel, je scay bien qu’il n’épargnera

1
Cf. V. Chklovski, La construction de la nouvelle et du roman dans Théorie
de la littérature, textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits par
T.Todorov, Paris Seuil, 1966, p. 189.
2
Voir à propos, Ion Vlad, Desoperirea operei, Cluj, Dacia, 1970, chap.
Treptele povestirii, p.120-152.
3
Cf. Boris Tomaşevski, Teoria literaturii – Poetica, op. cit., p. 342.
4
Cf. Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, Les
hommes-récits, p.78-91.
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personne”, Dagoucin, „qui est si sage, que pour mourir, ne vouldrait dire
une folie”, etc. Le commentaire de la nouvelle devient le lieu du contre-
rythme psychologique, aspect qui est le mieux illustré par l’opposition
Parlamente/ Hircan. A l’anthithèse vertu, mesure / vs/ légèreté, mondanité
correspond une antinomie d’esprit et de morale1.
Les autres motifs d’enchâssement découlent naturellement du
premier:
2. Le heurt d’opinions contradictoires suscitées par un récit, ce qui
entraîne une „collision” thématique, et très souvent une rupture de
connexion au niveau de l’éthique défendue par l’un ou l’autre des
devisants; on rencontre cette modalité dans le moment préparatoire des
nouvelles où le débat porte sur les problèmes de l’amour et du mariage.
3. Le désir de „compétition” dans l’illustration ou la confirmation
d’une réflexion morale avancée au cours du commentaire, par le biais de
l’exemple édifiant d’un conte.
4. Le divertissement conçu comme un passe-temps ou plutôt comme
un „entracte”, besoin satisfait par des histoires anecdotiques, des facéties
qui contrebalancent la tonalité grave, voire tragique, adoptée dans certaines
nouvelles.
Les „chaînons” de l’ensemble sont donc forgés dans cette partie
d’une exceptionnelle signification de L’Heptaméron, véritable formulaire
éthique et philosophique, que représentent les commentaires des dix
conteurs. En tant que liant et stimulent du mouvement narratif, la
conversation des devisants prête au recueil une disponibilité marquée: c’est
le caractère ouvert de construction qu’elle engendre. Le choix de la
conversation comme manière de valoriser la pluralité des points de vue,
n’est pas une technique nouvelle dans L’Heptaméron. Au XVIe siècle, cette
„forme supérieure de la sociabilité”, comme l’appelle Jacob Burchardt2, est
cultivée par la plupart des recueils de nouvelles3.

1
Parlamente raconte les nouvelles 10, 13, 21, 40, 42, 57, 64, 71; Hircan
raconte les nouvelles 7, 17, 30, 35, 49, 56, 69.
2
Cf. Jacob Burchardt, Cultura Renaşterii în Italia, Bucureşti, Editura pentru
Literatură, 1969, trad. roum., t. II, p. 127 (n.t).
3
Henri Coulet distingue cinq types de conversation dans les recueils de
récits du XVIe siècle: I. des grands seigneurs (L’Heptaméron); II. des
gentilshommes de province (Le Printemps de Jaques Yver); III. des étudiants
77

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Les reparties de l’auditoire, cette „enveloppe” de L’Heptaméron1,
constituent la création la plus originale et la plus réaliste, offrant le terrain
propice à la polémique, l’endroit où l’auteur se met au frais pour étaler
nûment ses convictions sur la réalité appréhendée. Les commentaires
faisant suite aux nouvelles sont entés sur les récits, et ils glosent sur le sujet
exposé ou, plutôt, sur sa portée morale. Textes de longue haleine, ces
dialogues, conçus en style de constatation axiomatique, s’inscrivent en
incision dans la structure du recueil et ils servent de prémisse à un système
de démonstration, éclairant la teneur du récit. Il est significatif que, dans cet
échange d’opinions, le narrateur ne donne jamais gain de cause à l’un ou
l’autre de ses personnages-conteurs, et la „clôture” du commentaire n’est,
au fond, qu’une option individuelle qui se doit illustrer par un récit. Le
propre du contenu des commentaires est d’expliciter, de „programmer” une
morale, de joindre l’élément psychologique et la circonstance, l’expérience
humaine et celle familiale, locale, historique, sociale2. Aussi la signification
sentencieuse du conte n’est-elle pas dissimulée: elle est à saisir à la fin du
récit, et on la reprend, pour un éclairage complet, dans la conclusion du
conteur et les controverses qu’elle suscite. C’est là qu’il faut chercher la
relation dialectique établie entre les commentaires et les nouvelles de
L’Heptaméron: elle correspond à la nécessité d’objectiver le „rapport
émotionnel du narrateur”3 en élargissant l’espace de l’expérience. Ceci
exige une implication du narrateur dans l’action initiatique du récit. La voix
de l’auteur se fait entendre dans les commentaires, ce qui confère à
L’Heptaméron le caractère d’une oeuvre idéologique, dans le sens d’un
traité de normes éthiques à l’usage des contemporains, et même davantage,
une somme éthique de l’Humanisme, à valeur universelle.

(L’Esté de Bénigne Poissenot); IV. des bourgeois (Les Serées de Guillaume


Bouchet); V. des paysans (Les Propos Rustiques de Noël du Fail). (Cf. H. Coulet,
Le Roman jusqu’à la Révolution, op. cit., p. 128.).
1
Gustave Reynier, Les Origines du roman réaliste, Paris, Librairie Hachette,
1912, p. 218.
2
Cf. Salvatore Battaglia, Mitografia personajului, Bucureşti, Univers, 1976,
(trad. roum.), p. 49 (n.t.).
3
Cf. Viktor Chklovski, La construction de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, textes des formalistes russes, réunis, présentés et traduits
par T. Todorov, op. cit., p. 177.
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Les structures épiques des récits et la psychologie des personnages
se trouvent subsumées par la volonté de l’écrivain de livrer un „sens”, une
morale, un enseignement qui constituent la motivation essentielle de la
narration. Le discours didactique traverse le recueil dans ses deux
„registres” fondamentaux: les commentaires des devisants et le langage des
personnages. Ce qui les unit sur le plan de la parole est le recours à la
rhétorique, au „style prédicatoire”, „proverbial”1 qui convient à
l’exemplarité du recit et qui confirme la continuité d’une tradition agissante
tout le long du moyen âge. Le message du discours éthique, unitaire et
constructif par ses propres contradictions, prête au livre de Marguerite de
Navarre „la noblesse et la dignité d’une d’éducation et de culture morale”,
qui se propose d’entreprendre „ une enquête psychologique” sur des „cas
de conscience” ayant pour but principal de „connaître et de maîtriser la
passion”2. Le didactisme, parfois affiché ostensiblement dans des
observations axiomatiques, ne peut pas être compris seulement comme une
survie des formules médiévales. Au carrefour des chemins littéraires, le
bréviaire d’éthique protejé par Marguerite de Navarre doit être jugé dans
une double perspective: comme reflet d’un courant philosophique avec ses
implications sur le plan de la morale – le néo-platonisme –, et comme
hypostase littéraire du débat à caractère social suscité par le statut de la
femme et, implicitement, du mariage au XVIe siècle. La complexité du
processus littéraire d’assimilation et de transformation de ce matériel dans
L’Heptaméron, par rapport aux autres productions littéraires antérieures ou
contemporaines, provient du fait que l’imbrication des deux aspects
envisagés plus haut se réalise d’une manière naturelle et cohérente.
Le platonisme pénètre en France, dans la première moitié du XVIe
siècle, par filiation italienne. Vers 1450, ce courant connaît une vague
accrue par les traductions des commentaires de Platon effectuées en Italie
par Marsile Ficin; une Académie platonicienne est fondée à Florence. La
doctrine platonicienne, d’abord à l’usage des clercs, se met en service de la
civilité et de la courtoisie, après 1530, par les dialogues et les traités de
Castiglione (le Courtisan, 1537), de Caeviceo (le Pérégrin, 1527),
d’Alberti (l’Hécatomphile, 1534), de Bembo (les Asolaius, 1545), de Leone

1
Cf. Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 382.
2
Cf. Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane – Autour de L’Hepta-
méron, op. cit., p. 260 et passim.
79

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Ebreo (les Dialogues d’amour, 1535). Quelques traductions de Platon en
français, avant 1550,contribuent pleinement au revirement d’une vogue
sentimentale en poésie aussi bien qu’en prose. Marguerite de Navarre et
son entrourage ont pu faire la connaissance de cette philosophie soit par les
traductions italiennes, soit par celles françaises: Bonaventure Des Périers
traduit le Lysis, Antoine Heroët, le Banquet. Un commentaire de Platon par
Champier, Philosophie platonicienne, avait été édité vers 1507.
Aux cours italiennes et françaises, on cultive une nouvelle courtoisie
réduite au code d’une morale hédoniste, qui prêche la civilité et la politesse,
la „mondanité” enseignée par les traités de Bembo et de Castiglione. La
littérature s’évertue à exprimer une conception selon laquelle l’amour est
source de perfection, d’élévation aux plus hautes vertus: „un amour qui
s’est dépersonnalisé, ou impersonnalisé – qui ne s’adresse plus à une
créature de chair mais à une qualité, ou à un ensemble de qualités, à une
abstraction dont la femme vivante n’est plus que le symbole”1. Consacrant
la victoire de la raison sur les sens, l’union platonique de deux êtres arrive à
proclamer la consommation de l’amour uniquement sur le plan de l’esprit,
d’où la tentative d’établir une analogie avec une autre forme de stylisation
de l’érotisme, la fin’amor des troubadours du XIIe siècle. La manière
intellectualiste de concevoir l’amour propre au platonisme rejoint
l’ancienne doctrine d’éthique sentimentale, d’abord par un culte de la
femme, qui jouit d’une valorisation remarquable après quelques siècles de
dépréciation à travers toute une littérature antiféministe.
Par le biais de la tradition littéraire qui perpétue les concepts de la
fin’amor, ceux-ci connaissent un regain de faveur, en même temps que le
„rituel” correspondant à leur manifestation virtuelle. Pour mieux interpréter
la transcription de la nouvelle doctrine esthétique dans l’oeuvre de
Marguerite de Navarre, et surtout pour apprécier la souplesse de son
expression, quelque notes liminaires sont nécessaires: – l’acheminement et
la véhiculation des idées platoniciennes dans l’entourage de l’écrivain; – la
fusion des influences „marginales”, italiennes et espagnoles dans le courant
littéraire sentimental, et la littérature „féministe”, en France, au XVIe siècle.
Des gens „rompus à la conversation”, mais avant tout des érudits
réputés, qui fréquentent la cour littéraire de la reine de Navarre, facilitent le
contact avec le courant platonicien propagé en France dans les milieux des
1
Idem, p. 295.
80

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poètes et des littérateurs grâce aux soins d’E. Dolet, d’A. Héroët ou de Des
Périers, tous familiers de Marguerite de Navarre. La doctrine, qui promeut
les valeurs pures de l’amour, du respect et de la vérité, trouve une adepte
passionnée dans la personne de la reine et, par la suite, elle attire des
partisans acharnés, tels le philosophe Ramus, les poètes M. Scève,
Corrozet, Habert et l’illustre représentant de la Pléiade1, Joachim du Bellay.
Aussi faut-il comprendre l’impact du platonisme sur la poésie lyonnaise par
l’intermédiaire du groupe de Marguerite de Navarre, de même que par la
variété plus moderne de la doctrine platonicienne, le pétrarquisme2 dont
l’influence se fait également sentir dans quelques nouvelles tragiques de
L’Heptaméron. L’amour pétrarquiste ajoute une forte note tragique à
l’amour platonique: la femme auréolée de perfection est la „dame sans
merci” qui dédaigne l’amour et pousse son soupirant au désespoir et même
à la mort. Platonisme et pétrarquisme fusionnent dans un même creuset
littéraire en tant que „tendance plutôt psychologique”; cet alliage de
doctrines relève d’une „manière de penser et de sentir, – d’une conception
générale des choses et de la vie qui s’applique à l’homme tout entier”3.
Au confluent de la tradition et de l’innovation, l’oeuvre de
Marguerite de Navarre procède de la synthèse des doctrines platonicienne
et pétrarquiste dans la mesure où elle lui sert d’adjuvant dans l’exposé des
principes moraux qu’elle avance.
L’accueil favorable du platonisme est longuement préparé par
l’essor du genre sentimental dans la nouvelle et le roman après 1440. Les
récits tragiques de Boccace, le Filostrato, l’histoire de Griselidis, celle de
Guiscard et de Gismonde, et surtout la Fiammette et le Philocope, à côté de
l’Histoire des deux Amants, par Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur pape
Pie II4, et les traités italiens d’amour, en forme dialoguée, déja mentionnés

1
„[Toute la Pléiade] – usera largement des nouvelles sources d’inspiration,
des mythes et des symboles mis à la portée par la propagande des platonisants”
(Abel Lefranc, Grands écrivains de la Renaissance, Paris, Librairie Ancienne
Honoré Champion, 1914, p. 246).
2
La première traduction de Pétrarque est donnée par Clément Marot.
3
Abel Lefranc, Grands écrivains de la Renaissance, op. cit., p. 84.
4
Ces oeuvres littéraires avaient été mises en français à partir du XV-e siècle,
et les traductions en abondent au XVI-e siècle. Nous pouvons mentionner à la suite
de Gustave Reynier, quelques dates importantes à ce propos: Le Filostrato de
81

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(de Castiglone, Bembo, Caeviceo), tendant à poser en termes nouveaux la
condition de la femme, l’amour et le mariage, à une époque où la „querelle
des femmes” déclenchée après 1393, par les défenseurs et les opposants de
Jean de Meung, connaît une reprise plus violente des hostilités, manifestée
pendant plusieurs siècles dans un „véritable genre littéraire”, dont le thème
se développe autour de la vertu ou de la méchanceté des femmes1. Traduits
en français après 1526, les romans sentimentaux espagnols propagent une
tendance féministe prononcée: Les Amours d’Amalte et de Lucenda (en fr.
1539), La Prison d’Amour (en fr, 1526), attribués avec moins de certitude
pour le premier, à Diego Fernandes de San Pedro; Le Jugement d’Amour
(tr.fr.1530) et La Déplorable fin de Flamette de Juan de Flores (traduction
française par Maurice Scève, en 1554); La Complainte que fait un Amant
contre Amour et sa Dame, par Juan de Segura (traduction française, 1534).
C’est surtout à l’apport espagnol qu’on doit une nouvelle vision de la
passion tragique et un culte de la femme capable des plus hauts sacrifices.
L’itinéraire de la littérature sentimentale, italienne et espagnole,
esquissé plus haut prépare la voie à l’épanouissement d’un genre
romanesque cultivé en France dans la première moitié du XVI-e siècle, et
qui n’en sera guère une imitation des „modèles” étrangers. Intégrée plutôt à
une tendance qui développe la „conception romanesque de la vie”, la prose
française du XVI-e siècle, et L’Heptaméron, par excellence, s’attarde sur
„la peinture de la vie affective” dont l’intensité dicte le principal problème
moral posé par l’amour, et qui subordonne toutes les autres valeurs morales
que l’individu peut reconnaître2”.
Des notions comme „parfaite et honnête amitié”, „parfaite amour”,
„vrai amant”, prônées par l’éthique de L’Heptaméron, se constituent, dès le

Boccace est mis en prose française entre 1442 et 1445. Le Décaméron traduit par
Laurent de Premierfait en 1414, est imprimé en 1485 et vers 1503; l’histoire de
Griselidis est traduite en français d’après la version latine de Pétrarque, en 1484; le
Traicté tres plaisant, et recreatif de l’amour parfaicte de Guiscardus et Sigismunde,
fille de Trancredus, prince des Solernitiens est traduit en 1493; la Fiammette est
mise en français en 1532, etc. (cf. G. Reynier, Le Roman sentimental avant
l’Astrée, Paris, Armand Colin, 1908, ch.II: Premières influences italiennes, p.12-55.
Voir pour les influences espagnoles le Chapitre VI, p.55-75).
1
Cf. Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée. op. cit., p.62.
2
Cf. Henri Coulet, Le Roman avant la Révolution, op. cit. p. 103.
82

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XV-e siècle, en réplique des écrivains, au déclin évident des valeurs
courtoises; d’où l’enlisement dans l’une ou l’autre des tendances
contradictoires, l’effort voué à l’echec de sauvegarder l’idéal chevaleresque
périmé, ce qui s’exprime, par exemple, dans le caractère ambigu de
certaines oeuvres littéraires, tel Le Petit Jehan de Saintré d’A. de La Sale
(1459) ou le poème d’Alain Chartier La Belle Dame sans mercy (1424),
document qui intéresse notamment l’histoire de cette polémique littéraire1.
Le croquis moral de l’Amant contient déjà les traits essentiels du
gentilhomme parfait qui requiert la grâce d’une dame „sans merci”2. „Loyal
cuer et voirdissant (véridique) bouche/ Sont le chastel de l’homme parfait”.
Le retour à la mode des Arts d’aimer au début du XVIe siècle est
illustré en France par les Arrêts d’Amour de Martial d’Auvergne, recueil
intéressant de contes et d’anecdotes, proposés comme „solutions” aux
problèmes de casuistique amoureuse, qui préoccupent les participants au
procès des personnages allégoriques (le bailli de joie, le vignier d’amour,
etc.) touchant aux „cas d’amour”. Sans doute suscitée par une longue
tradition française dans le genre littéraire des „questions d’amour”, de
même que par des ouvrages plus récents, tel l’épisode du procès présidé par
Fiammette dans le 5-e livre du Filocolo de Boccace, l’oeuvre de Martial
d’Auvergne, malgré l’affectation dans le style volontairement juridique,
offre un modèle de construction narrative unitaire et approfondit les
problèmes de psychologie amoureuse, ce qui sera d’un profit incontestable
pour le dévelopement de l’analyse morale dans la narration du XVIe siècle.
L’exemple donné par La Fiammette et Les Arrêts d’Amour ne tarde
pas à être suivi: Les Contes Amoureux de Jeanne Flore parus en 15323 usent

1
Marguerite de Navarre soumet le poème de Chartier au commentaire des
devisants, dans la 12-e Nouvelle, et plus amplement dans la discussion suscitée par
la 56-e Nouvelle. Pour le texte du poème de Chartier nous renvoyons au recueil
Poètes et romanciers du Moyen Âge, texte établi et annoté par Albert Pauphilet, op.
cit., p.1009-1034.
2
Le topos de la mort – par – amour provoquée par le refus d’une femme
d’octroyer sa grâce au soupirant est présent aussi dans la trame de quelques récits
de L’Heptaméron (les nouvelles: 9, 10, 13, 24, 64).
3
Gustave Reynier signale l’édition perdue des Comptes amoreux par
Madamme Jeanne Flore, touchant la punition que faict Venus de ceulx qui
contemnent et meprisent le vray Amour, une édition incomplète de 1541, et trois
83

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du même artifice de „mise an scène”: quelques femmes, à qui se joignent
six gentilshommes, racontent des „cas d’amour”, où se mêlent les échos
livresques les plus divers: Ovide et Guillaume de Lorris sont réclamés
comme maîtres de la doctrine amoureuse adoptée par la compagnie. Une
tendance nouvelle, qui aura une large audience auprès des autres conteurs,
s’y fait jour: c’est une conception épicurienne de la vie, une optique
différente de l’amour si bien illustrée dans L’Heptaméron par Hircan.
Le pendant des Comptes Amoreux est un roman autobiograhique
paru en 1538, écrit à la manière d’un „journal intime” presque en même
temps que les contes de la reine de Navarre, par un auteur qui vit à la cour
de François I-er: Les Angoysses douloureuses d’Hélisenne de Crenne1. Cet
ouvrage préludant le roman de confession cultive le thème de la passion
dévastatrice, mais l’auteur paye tribut à la tradition qui exige le ton
moralisateur, et la dernière partie du roman prêche la résignation et la
soumission à la raison.
L’éthique de L’Heptaméron, dont les problèmes-centres sont
l’amour et le mariage, se réclame des principales tendances philosophiques
de l’époque. Les opinions des devisants, quelques divergentes qu’elles
soient à ce propos, permettent à Marguerite de Navarre d’exposer une
morale universelle, faite de justice et de modération, exprimée avec habileté
dans les controverses plutôt que dans les récits proprement-dits. Dans les
histoires les plus terrifiantes (la 12e, la 22e, la 31e, ou la 32e nouvelles),
capables de purifier l’esprit, comme les tragédies antiques, par l’effroi et la
pitié, aussi bien que dans les récits burlesques, Marguerite de Navarre
valorise et approfondit l’opinion des devanciers en y ajoutant le souffle de
l’humanisme, de la morale naturelle et de la mesure. Dans ce qui peut
apparaître comme ambigu dans la conception éthique de L’Heptaméron, il
faut apprécier la synthèse remarquable de la tradition courtoise, du
néoplatonisme et de l’épicurisme.

éditions complètes qui se sont succédé au XVIe siècle: 1543, 1555, 1574 (cf. G.
Reyner, Le Roman sentimental avant l’Astrée, op. cit., p. 123).
1
V.L.Saulnier établit l’identité de cet écraivain dans la personne de
Marguerite de Briet, fille d’un échevin d’Abbeville, mariée au seigneur de Crennes
(Craone), Philippe Fournel (cf. V.L. Saulnier, Quelques nouveautés sur Hélisenne
de Crenne, „Lettres d’Humanité ”, XXIII, 1964, apud. H. Coulet, Le Roman avant
la Révolution, op. cit., p. 104).
84

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Les mots-clefs qui définissent la conception de l’amour dans
L’Heptaméron sont l’ ”amour parfait”, „ferme et loyal”, la „vraye honeste
et parfaicte amitié”, l’amour très sage et raisonnable”, le „parfaict homme
de bien”, la „damme aymable et saige” le „plus parfaict serviteur”, mots de
ralliement des platonisants. La trahison, la révélation du secret d’amour, la
démesure, l’impossibilité d’accéder à l’amour autrement que par la patience
et les plus dures épreuves entrainent des drames de l’arsenal courtois, telles
les histoires de Floride et d’Amadour (Dixième Nouvelle), de la châtelaine
de Vergi (70-e Nouvelle), de la 9e , de la 64e Nouvelles, de Lorenzaccio
(12-e Nouvelle), etc. Les normes auxquelles obéit la „parfaicte amour”, et
dont les défenseurs s’avèrent être surtout Parlamente et Dagoucin, sont
toutefois combattues par les partisans de la morale épicurienne, les
raisonneurs, libertins et modérés, par l’intermédiaire de qui Marguerite de
Navarre dénonce l’anachronisme de pareils récits. La confirmation vient
dans les épilogues qui démythifient cet idéal: „aussi les doibt-on mectre au
ranc du viel temps, car au nouveau, ne seroient-elles [les histoires] poinct
receus” (24-e Nouvelle); „vous usez encore des termes, dont nous avons
accoutumé tromper les plus fines et d’estre escoutez des plus saiges”; ou la
parodie de la „parfaicte” et „perpetuelle amityé”, dans le commentaire à la
16-e Nouvelle et la condamnation de la „servitude d’amour”, dans la
conclusion à la 24-e Nouvelle. La souplesse et le naturel de la morale dans
L’Heptaméron ressortissent avec plus de clarté du débat porté par
Marguerite de Navarre autour du mariage aristocratique, hobereau ou
bourgeois. Liaison mal assortie, affaire d’argent, intérêt de cour, etc., „rien
d’étonnant à ce que le mariage, dans ces conditions, revête des aspects
particuliers et assez sinistres à l’occasion”1. Quelques nouvelles s’offrent
dans ce cas comme de véritables procès du mariage: 10-e, 15-e, 19-e, 21-e,
26-e, 40-e, 64-e Nouvelles (notons que de ces 7 nouvelles, quatre
appartiennent à Parlamente!). L’épilogue à la 40-e Nouvelle, l’histoire de
Catherine de Rohan, qui se marie en secret et subit la persécution de la
reine et de sa famille, met en présence les opinions contraires: la morale de
Parlamente est fondée sur la sagesse et l’obéissance à la volonté de la
famille („car mariage est ung estat de si longue durée, qu’il ne doit estre
commencé legierement ne sans l’opinion de noz meilleurs amys et

1
Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane – Autour de l’Heptaméron,
op. cit., p.310.
85

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parens”). La présence de plusieurs interlocuteurs permet la libre expression
des points de vue. A la question de Saffredent („pourquoy l’on trouve
mauvais que ung simple gentil homme; ne usant d’autre force que de
service et non de supposition, vienne à épouser une femme de grande
maison...?”), Dagoucin réplique: „Pour ce, que pour entretenir la chose
publique en paix, l’on ne regarde que les degrez de maisons, les aages des
personnes et les ordonnances des lois, sans peser l’amour et les vertuz des
hommes, afin de ne confondre poinct la monarchye”. Dans la volonté de
remédier aux moeurs de son époque, en tant que moraliste convaincue,
Marguerite de Navarre n’épargne pas le libertinage (voir l’histoire de
Lorenzaccio) défini comme „mondanité”, et qui concerne en égale mesure
les artistocrates et le clergé. Les abus de toutes sortes, les intérêts les plus
mesquins répugnent à l’écrivain, qui raille avec une subtile ironie les
conventions d’une société dominée par le profit soutenant le jeu de
contrastes tant sur le plan des psychologies que sur celui de la composition.
En pleine aventure sentimentale, le ressort des actions est l’argent:
Amadour épouse Aventurade „tant pour l’honnesteté qu’il trouva en elle
que pour ce qu’elle avoit trois mille ducatz de rente en mariage” (10-e
Nouvelle); le jeune amoureux de la 15-e Nouvelle „se tint content d’avoir
eu les quinze cens escuz et ung dyamant, et demeuré asseuré de la bonne
grâce de s’amye”.
Le facteur moralisant de L’Heptaméron n’enlève rien à son art
compositionnel. Dans sa partie la plus élaborée, le recueil de Marguerite de
Navarre s’organise d’une manière supérieure d’après un système de normes
bien établi, tant pour ce qui est de „la dimension intérieure (analytique) que
pour son discours épique”1. Aussi le progrès net dans l’analyse
psychologique est-il, dans ce cas, le résultat d’un long processus de
maturation enregistré par le genre narratif bref. Si chez les prédécesseurs
[Boccace et la nouvelle post-boccacienne], l’action l’emporte sur l’analyse
psychologique, la motivation événementielle prévaut, et l’accent tombe sur
l’effet de surprise que réserve le dénouement du récit, chez Marguerite de
Navarre dans un nombre considérable de narrations l’action devient indice
du caractère, et la préoccupation du conteur est, cette fois-ci, de respecter la
réalisme psycho-physiologique dans l’affabulation de la nouvelle.

1
Cf. Ion Vlad, Descoperirea operei, op. cit., p.44.
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Il faut délimiter, dans L’Heptaméron, deux lignes actantielles
convergentes: les personnages des commentaires et ceux des nouvelles,
entre lesquels s’établissent des liens de communication formelle dans
l’arrangement de l’ensemble narratif, mais qui se conforment à „deux styles
différents1” correspondant aux registres parallèles du recueil, la
conversation des devisants et le récit, dont le premier se veut un dialogue
pris sur le vif, simple et naturel, tandis que le deuxième use largement de
l’appareil oratoire pesant”, du „discours captieux et pathétique”, sacrifiant
le naturel à la rhétorique2. L’effet de stylisation se fait sentir surtout dans les
péroraisons, les complaintes, les plaidoyers des personnages, procédé déjà
rencontré dans d’autres ouvrages antérieurs (dans Le Petit Jehan de Saintré,
par exemple). Le langage réaliste des devisants est plus apparenté au style
dramatique, d’où la théâtralité prononcée de ces „séquences” dialoguées,
où Marguerite de Navarre met en scène des personnages familiers, pourvus
d’une certaine spontanéité et même prévisibilité dans l’expression, vu qu’ils
sont „taillés” sur un patron réel, selon le prétexte invoqué par l’écrivain
dans le cadre général du recueil. Il serait tout de même plus convenable
d’accepter, pour les deux catégories de personnages de L’Heptaméron, le
terme de fiction à coefficient fonctionnel différent. L’appel à une
caractérologie variée, pour les devisants, permettait à Marguerite de
Navarre la réalisation du contre-rythme narratif adéquat aux multiples
aspects de la réalité sociale et morale qu’elle voulait embrasser. Cette
technique assure le mouvement et l’unité dialectiques du recueil. Le recours
à la rhétorique3 ne doit pas être qualifié d’afféterie stylistique ou de
maniérisme, quand nous nous rapportons aux conteurs de la Renaissance.
Pour Marguerite de Navarre, comme pour Boccace, Rabelais, Du Fail, ou

1
Voir à ce propos les remarques de Frappier, Elin et Ricatte en marge de la
commnication de Raymond Lebègue, Réalisme et apprêt dans la langue des
personnages de L’Heptaméron, dans La littérature narrative d’imagination, des
genres littéraires aux techniques d’expression, Colloque de Strasbourg, 23-25 avril
1959, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, p.84-85.
2
Cf. Raymond Lebègue, Réalisme et apprêt dans la langue des personnages
de L’ „Heptaméron”, op. cit., p.75 et 78.
3
Raymond Lebegue remarque la parenté des monologues ou des longues,
tirades de certains personnages de L’Heptaméron avec la déploration, genre
littéraire pratiqué par les Rhétoriquers (cf. Raymond Lebègue, op. cit., p. 82.).
87

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Des Périers, la rhétorique était d’abord une „arme universelle”, capable de
démontrer la justesse d’une cause1, de connaître „cet autre monde qui est
l’homme”. Les longs discours que tiennent certains personnages (Amadour
et Floride, X-e Nouvelle, Rolandine – XXI-e Nouvelle, le comtesse de
Jossebelin – 40-e Nouvelle, etc.) les monologues tragiques (Bonnivet – 4-e
Nouvelle, le comtesse du Vergier et son amant – 70-e Nouvelle, etc.)
contribuent à bâtir une psychologie cohérente, à décrire un caractère dans
son évolution et dans sa connexion étroite avec l’action. Ce progrès dans
l’analyse psychologique est décelable dans les nouvelles de Marguerite de
Navarre, où il est possible de suivre le processus encore lent de
détachement, de la description statique, du „clichage” caractérologique vers
la corrélation des mouvements affectifs du personnage avec l’action.
L’excès de rhétorique n’en est qu’une étape intermédiaire, dans l’effort
visible de l’écrivain d’éviter la stéréotypie. Le souci de construire des
caractères exemplaires explique l’appel constant de Marguerite de Navarre
à un procédé traditionnel, lieu commun de la littérature courtoise, dans la
présentation des portraits, qui se recommandent comme des modèles de
perfection: honnêteté, prouesse, beauté, sagesse se constituent en
constellation de vertus qui conviennent au „parfaict homme de bien”. C’est
du moins, ce que déclarent les personnages („Pour ce que j’ay trouvé en
vous plus de beaulté, de grace, de vertu et de hardiesse que l’on ne m’avoit
dict et que la paour n’a eu puissance en riens de toucher à votre cueur, ny a
reffroidir tant soy peu l’amour que vous me portez, je suis délibérée de
m’arester à vous pour la fin de mes jours” – (16-e Nouvelle) et les
devisants: „un gentil homme si parfaict en toutes beaultés et bonnes
conditions, qu’il ne trouvait poinct son pareil en toutes les Espaignes” (24-e
Nouvelle); „or estoyt ce gentil homme tant honneste, beau et plain de toute
grace” (15-e Nouvelle); „ung gentil homme beaucoup plus riche de vertu,
beauté, honnesteté que d’autres biens” (9-e Nouvelle), etc.
On peut considérer comme une réussite du genre narratif bref la
technique selon laquelle Marguerite de Navarre harmonise le
développement de l’intrigue et l’approfondissement d’une psychologie,
maîtrise à laquelle l’écrivain aboutit dans les plus élaborées nouvelles (10-
e, 15-e, 26-e, 70-e, 21-e, 40-e). La 10-e nouvelle, l’histoire de Floride et

1
Cf. Viktor Şklovski, Despre proză – Meditaţii şi analize, Bucureşti,
Univers, 1975, trad. roum., p. 157.
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Amadour, est un virtuel roman, non seulement par ses proportions (la 70-e
Nouvelle – de la châtelaine de Vergier la rivalise à ce propos) mais surtout
par la construction sur des coordonnées narratives plus étendues que ne le
permet le cadre étroit d’un conte. Nouvelle moderne, sinon roman déjà
pour son époque, la Dixième Nouvelle débute sur le schéma des romans mi-
chevaleresques, mi-édifiants du type Jehan de Saintré. Un long préambule
suffit à motiver, par l’éducation et la tradition familiale, la perfection
d’Amadour, digne de figurer à côté des héros courtois les plus renommés.
Son évolution ultérieure ne démentit pas les données primordiales du
personnage, mais son intégration dans un système social et moral accomplit
son profil psychologique. La structure compositionnelle rend compte des
modifications dans le comportement d’Amadour: les variations dans le
rythme du récit, l’alternance des „temps” comprenant une série d’épisodes,
rapprochant successivement les deux protagonistes dans les intervalles
entre les combats, rend compte des contradictions du héros.
La cassure dans la ligne de conduite d’Amadour se produit dès qu’il
contracte un mariage de raison. La mort de sa femme et le veuvage de
Floride ramènent Amadour auprès de la jeune femme dont la vertu est
immuable. Amadour et Floride mis en présence, dans une scène digne de
figurer parmi les modèles précurseurs du théâtre racinien, deviennent deux
éthiques qui se confrontent: la „folle” et la „parfaicte” amour. Une analogie
frappante s’établit avec le poème d’Alain Chartier. A l’appel de la Dame
(“Vous mesmes vous povez reprendre / Et avoir à Raison secours / Plus tost
qu’en fol espoir attendre / Ung tresdesesperé secours”), la réplique de
l’Amant anticipe les paroles d’Amadour: „Raison, avis, conseil et sens /
Sont soubz l’arrest d’Amours scellez”). Les tourments d’une conscience
aux prises avec la passion amplifiée jusqu’à la violence se heurtent à la
force de caractère, à l’énergie et à la constance dans la vertu. Ce jeu sur le
contraste, procédé fréquent dans L’Heptaméron, laisse croire à une certaine
ambiguïté de l’oeuvre1. Les passions dévastatrices revêtent des formes
violentes allant jusqu’à la maladie et au suicide. C’est à cet endroit que le
récit de Marguerite de Navarre anticipe le théâtre racinien: „La passion ne
donne lieu à la raison” déclare Amadour; une jeune femme tombe malade
„ne povant porter la guerre que l’amour et l’honneur faisaient en son

1
Voir à ce propos Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, op.cit.,
pp.126-128.
89

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coeur....” (26-e Nouvelle). Le geste désespéré de Floride qui se fait blesser
pour ne plus être désirée par Amadour, le suicide du jeune homme qui
cherche une compensation dans la guerre, où „sa trop grande hardiesse fut
esprouvée par la mort” soutiennent une morale de la vertu et de la dignité,
synthétisée au terme de la 26-e Nouvelle dans les paroles de Parlamente en
train de préparer les esprits pour accueillir la leçon cartésienne: „La vertu
fut si grande que jamais son désir ne passa sa raison”.
Bien que la motivation psychologique soit encore soumise à l’action,
et que l’écrivain approfondisse, par conséquent, un seul trait
caractérologique, la technique narrative évolue, grâce à un principe
largement cultivé par Marguerite de Navarre: l’antithèse sémantique au
niveau des personnages participant au conflit, ce qui assure l’équilibre
psychologique du récit. Il en résulte que la psychologie linéaire, de surface,
exigés uniquement par le déroulement de l’action, telle qu’on la rencontre
dans les productions similaires antérieures, gagne des aptitudes sélectives
dans la mesure où elle justifie les actes des personnages et contribue au
développement d’un caractère surpris dans ses replis et ses contradictions
les plus initimes. A ce point, la „leçon” des nouvelles psychologiques de
L’Heptaméron n’en sera pas perdue; La Princesse de Clèves et le roman de
confession en tireront largement profit. C’est une raison de plus d’accepter
le qualificatif de „chef-d’oeuvre du roman psychologique”1 attribué au
recueil de Marguerite de Navarre.
Une véritable vocation „théâtrale” entraîne l’emploi des procédés
spécifiques à la mise en scène, conséquence de l’intérêt porté par la
narratrice à la véracité de la trame psychologique et, dans le cas des récits
plus brefs, au fait divers dramatique. La vivacité de l’action est servie par
les effets de „suspens” que ménagent les trappes, les déguisements, les qui
pro quo, les attitudes spontanées et les réactions les plus inattendues des
personnages.2 L’Heptaméron s’offre comme une comédie des moeurs
valorisant à la fois les techniques de la tragédie, du mélodrame ou de la
farce burlesque. Les tours d’opérette, le comique de situation, la parodie du
panache courtois voisinent avec l’art plus raffiné, plus complexe, du

1
Henri Coulet, op. cit., p. 121.
2
Nous renvoyons à quelques exemples qu’on peut tirer des nouvelles: 4, 15,
26, etc., de même qu’à un grand nombre de récits facilement comparables aux
saynètes: les nouvelles: 7, 8, 15, 69, 66, 45, 21, 29, 31, 38, 39, etc.
90

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mélange des genres: les tensions les plus dramatiques réservent des
moments de relâchement, „entractes” de l’esprit, où de courtes notations
font basculer le récit dans une comédie. Voici, par exemple, les deux
amoureux qui se revoient dans la chapelle: „Quand Poline le veid en tel
habillement où sa beaulté et grace estoient plustost augmentés que
diminuées, fut si esmue et troublée, que, pour couvrir la cause de la couleur
qui luy venoit au visage, se print à tousser. Et, son pauvre serviteur, qui
entendoit mieulx ce son-là que cellui des cloches de son monastère, n’osa
tourner sa teste...” (19-e Nouvelle); ou les scènes des rencontres
dissimulées et le tour joué par la jeune femme au mari jaloux (15-e
Nouvelle).
Parfois, le procédé touche à la structure du récit, dont le début ne
laisse pas pressentir le changement de tonalité qui se produit dans le
déroulement de l’intrigue: l’action de La 26-e Nouvelle, à dominante
comique dans sa première partie, tourne en tragédie. La rupture du ton peut
être également enregistrée dans les conclusions que tirent les devisants en
marge de leurs propres récits. L’ironie dans la pointe finale sert d’habitude
à détruire une idée préconçue, comme dans la 16-e Nouvelle, plaidoyer du
parfait amour et de la parfaite amitié: „Et comme si la volunté de l’homme
estoit immuable, se jurèrent et promirent ce qui n’estoit en leur puissance:
c’est une amityé perpetuelle, qui ne peult naistre ne demorer au coeur de
l’homme; et celles seulles le sçavent, qui ont expérimenté combien durent
telles opinions!” Ce genre d’humour conventionnel situe, à son tour, les
récits de L’Heptaméron au-dessus des fabliaux, „par la distance artistique
marquée qu’il crée entre la narratrice et son récit”1.
La „perméabilité”, autre caractéristique fonctionnelle de la narration
dans L’Heptaméron, est doublement justifiée. D’abord, on l’a constatée par
le pontentiel de la sollicitation au niveau des commentaires. Mais, c’est
aussi à l’intérieur même de certaines nouvelles plus élaboréés, qu’on
pourrait catologuer de rapides raccourcis de romans2, que Marguerite de

1
Krystina Kasprzyk, Nicolas de Troyes et le genre narratif en France au
XVI-e siècle, Paris, Librairie Klincksieck, 1963, p. 341.
2
„De fait, avec [Marguerite de Navarre], la nouvelle cesse d’être simplement
une anecdote lestement enlevée. Elle devient une réduction (ou une ébauche?) de
roman, et toute la curiosité de la princesse porte sur son intérêt psychologique et sa
91

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Navarre utilise efficacement un procédé de large emploi dans la tradition du
genre narratif: l’introduction de nouvelles péripéties, de développements
enchâssés dans le noyau principal de l’intrigue. K. Kasprzyk explique cette
particularité par „une tendance très commune, pour ne pas dire générale,
dans l’histoire du conte: à force de répétition fréquente une narration s’use
et on éprouve le besoin d’en renforcer l’effet; on y joint une autre,
apparentée pour les raisons les plus diverses”1. Ainsi serait-il possible d’y
voir un trait d’union entre le conte écrit et sa forme originaire, le conte oral.
Le souci d’oralité est, naturellement, une des lois esthétiques de
L’Heptaméron. Cet objectif est surtout atteint dans les dialogues des
commentaires, qui gardent la spontanéité de la parole et introduisent le
lecteur directement dans l’acte de raconter, de même que dans les
anecdotes, les facéties, les „mots d’esprit”, les „bourdes”, dont Baltazar
Castiglione, dans Le Courtisan, opinait qu’ „il semble quasi que l’on
raconte une nouvelle”2.
Le lien avec les auditeurs maintenu par les formules de captation au
cours même du récit, est également créé par les narrations insérées dans les
nouvelles où plusieurs actions enchaînées élargissent le cadre du conflit
initial. Dans L’Heptaméron, ce procédé n’est pas une simple „astuce” du
narrateur, comme dans les recueils traditionnels de contes enchâssés; il tient
soit à la motivation psychologique, soit à celle compositionnelle du récit.
L’histoire des amours de Floride et Amadour (10-e Nouvelle) est deux fois
„interrompue” par les épisodes de chronique guerrière qui font prévaloir les
qualités du jeune héros. Une technique analogue est adoptée dans la 13-e
Nouvelle: le récit pourrait s’achever, avec la leçon morale de rigueur, sur le
geste de générosité de la femme qui, fidèle à son honneur, envoie le
diamant, don du capitaine, à sa femme, se contentant, „par un si proffitable
moyen” de „réunir le mary et la femme en bonne amityé”. Un récit de

signification morale” (Pierre Jourda, Préface aux Conteurs français du XVI-e


siècle, Paris, Gallimard, 1965, p. XXXVIII).
1
Krystyna Kasprzkyk, Nicolas de Troyes et le genre narratif en France au
XVI-e siècle, op. cit., p. 296.
2
Henri Coulet cite une édition du Parfait Courtisan du compte Baltazar, es
deux langues [...], de la traduction de Gabriel Chapuis Tourangeau, à Lyon, 1580.
(Cf. Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, op. cit., p. 129.) L’oeuvre de
Baltazar Castiglione fut connue par Marguerite de Navarre en original.
92

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„transition” s’attarde sur les circonstances des exploits accomplis par le
capitaine et sa mort héroïque. Il paraît, au premier abord, que cette aventure
est superflue pour la logique compositionnelle de la nouvelle, fondée sur la
morale de la générosité et de la vertu. Elle constitue toutefois une parfaite
motivation pour l’épilogue de la nouvelle: le regret de la cour rehausse la
valeur du vaillant capitaine, et la douleur de sa veuve fait accroître le noble
geste de la femme qui vit la satisfaction de „faire oeuvre qui vint à aussy
bonne fin”. La „boucle” est fermée: les commentaires vont peser les „pour”
et les „contre” de la leçon de Parlamente. La parabole de la femme
vertueuse et de la femme légère est réalisée grâce au même procédé, dans la
26-e Nouvelle: les deux récits de l’expérience amoureuse vécue par le jeune
homme illustrent, par le contraste psychologique, l’enseignement sur „la
différence d’une folle et saige dame, auxquelles se monstrent les différentz
effectz d’amour”.
Dans la majeure partie de ses récits, Marguerite de Navarre recourt à
la technique traditionnelle de la narration brève, actualisée dans l’anecdote,
espèce littéraire profondément ancrée dans le conte oral. Le talent
prodigieux de la narratrice se déploie dans les „plaisanteriers” qui revêtent
soit la forme de la facétie intéressée à détendre l’esprit, mais également à
amender les vices humains visant la psychologie collective1, soit le
dévoppement d’un proverbe qui particularise une vérité d’ordre général
dans une historiette à caractère épigrammatique. De cette dernière
catégorie, abondamment illustrée dans L’Heptaméron, nous signalons
quelques récits terminés par une sentence placée à la fin de la narration: la
28-e Nouvelle („ne faire à aultrui chose qu’on ne voulait estre faicte à soy-
mesme”); la 68-e Nouvelle („il recogneust avoir esté pugny de faire tumber
sur luy la mocquerie qu’il préparoit à aultrui”); la 5-e Nouvelle – en
appendice – („ainsy que l’homme sçavant se juge ordinairement ignorant,
ainsy l’ignorant, en deffendant son ignorance,veult estre estimé sçavant”),
etc. La charge burlesque sert en égale mesure la moraliste et la satirique
dans les narrations où la thématique est axée principalement sur

1
Cf Marian Popa, Comicologia, Bucureşti, Univers, 1975, p. 395. Pour la
définition de l’anecdote, largement cultivée aussi dans la littérature roumaine (v.
Creangă, Caragiale, Slavici, etc., et une illustration remarquable dans le folklore – le
cycle de Păcală, par exemple), nous renvoyons au: Dicţionar de termeni literari,
Bucureşti, Editura Academiei R.S.R., 1976, p. 25.
93

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l’anticléricalisme et l’antiféminisme largement cultivés par les devanciers.
L’Heptaméron ne puise pas ses sujets uniquement dans la vie des
„seigneurs de la maison du Roy François Premier”, „nobles de grandes et
bonnes maisons”, bien que les aspects de la cour soient plus familiers à
l’auteur. Les principales classes et catégories sociales du XVI-e siècle se
retrouvent dans le recueil de Margueite de Navarre: à côté des nobles,
riches et puissants, il y a des gentilshommes appauvries (les Nouvelles:
10,15, 19, 70), les valets de chambre, les secrétaires (par exemple, les
Nouvelles: 5, 27, 28), les prévôts de la royauté (N.53), les avocats (N.25) et
les juges (N.46); certaines couches de la hiérarchie ecclésiastique servent de
cible aux railleries du conteur: évêques, curés, prieurs, Cordeliers etc. La
mosaïque sociale de L’Heptaméron est remarquable aussi par le choix des
types représentatifs de la bourgeoisie: le marchand (les Nouvelles: 7, 28, 55,
68), l’artisan (les Nouvelles: 8, 45, 67, 71, etc.), le boucher (Nouvelle 34),
l’écuyer (Nouvelle 69), le muletier (Nouvelle 2), la batelière (Nouvelle 5), le
tabourin (Nouvelle 8), etc.; des laboureurs et des métayeurs (par exemple,
les Nouvelles: 29, 38, 48) viennent compléter le sectionnement opéré par
L’Heptaméron dans la société française du XVIe siècle.
Dans la conception de Margueite de Navarre, le récit est un
document historique véridique, qui impose le respect du principe de la
localisation spatio-temporelle à témoigner de l’authenticité des faits narrés.
Les devisants prêtent une attention particulière à situer la relation des
événements à une époque très proche du moment où ils se placent, et c’est
pourquoi ils sont souvent protagonistes de leurs histoires: „Je vous en voys
dire ung très veritable [exemple] et dont la memoire est si freche, que à
peyne en sont essuyez les oeilz de ceulx qu’on veu ce piteulx spectacle”
(Nouvelle 51); „de mon temps [l’histoire] est advenue” (Nouvelle 23),
„depuis dix ans en ça, en la ville de Florence...” (Nouvelle 12); „En la ville
de Cremonne, n’a a pas longtemps qu’il avoit ung gentil homme”
(Nouvelle 50), etc. La plupart des nouvellles se passent, naturellement, à la
cour de François I-er, et dans certains cas le roi, à côté de qui apparaît sa
soeur, en est même le héros (par exemple, les nouvelles 17, 25, 28, 42, 53).
La participation plus ou moins directe du souverain, de la narratrice ou
l’allusion à quelque autre nom prestigieux (Louis XI – Nouvelle 57 -;
Charles VIII – Nouvelle 32 -; Louis XII – Nouvelles 26, 30, 60; Anne de
Bretagne – Nouvelles: 21, 30) ont pour fonction non seulement de prouver
la vérité en fixant un temps et un lieu réels de référence, mais aussi, comme
94

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dans les vieux cycles épiques placés sous l’autorité d’un Charlemagne ou
d’un Arthur, ceci implique l’unité narrative du discours „romanesque”1, qui
reste profondément ancré dans l’actualité. Aussi la situation temporelle de
certaines nouvelles permet-elle soit de reconstruire l’atmosphère de
l’époque (par exemple, la Nouvelle 41 débute par la référence à la „Paix des
Dames” de 1529: „l’année que madame Marguerite d’Autriche vint à
Cambray, de la part de l’Empereur son nepveu, pour traicter la paix entre
luy et le Roy Très Chrestien, de la part duquel se trouva sa mère madame
Loïse de Savoie”), soit de dater la composition des derniers récits du
recueil, comme c’est le cas de la Nouvelle 66, écrite sans doute peu de
temps après le 20 octombre 1548, quand on avait célébré l’événement
annoncé au début de l’histoire: „L’année que monsieur de Vendosme
espousa la princesse de Navarre [Jeanne d’Albret], après avoir festoyé à
Vendosme les Roy et Royne, leur père et mère, s’en allèrent en Guyenne
avecq eulx...”
La dimension temporelle du récit est, comme dans tout conte, la
durée élastique, convenable à élargir ou à comprimer l’action: sept ans,
terme imposé par l’épreuve d’amour, séparent les deux parties de la 24-e
Nouvelle; Amadour passe „trois ou quatre années sans revenir à la court”;
et il se propose de revoir Floride „au bout de deux ou trois ans” (sic), après
avoir fait „tant de belles choses que tout le papier d’Espaigne ne le sçaurait
soustenir” (10-e Nouvelle).
La situation géographique des récits est, à quelques exceptions près,
tout aussi exacte que la localisation temporelle. La répartition des
coordonnées spatiales indique la France pour 54 nouvelles, l’Italie pour 8
nouvelles, l’Espagne pour 4 nouvelles, Flandre pour 2 nouvelles,
l’Allemagne, la Navarre, l’Angleterre et le Canada2 pour une nouvelle. Si le
nom de la ville, du village ou du comté n’est pas mentionné, la narratrice
recourt à un lieu commun du conte qui place l’action dans un espace vague,
procédé motivé dans la plupart des cas par le souci de discrétion des
devisants: „En une des meilleures villes de France (Nouvelle 72)”; „En une
des meilleures villes de Touraine” (Nouvelle 42), „En une des bonnes villes
du royaume de France” (Nouvelle 18 ), „En ung très beau chasteau

1
Cf. Paul Zumthor, Langue, texte, énigme, op. cit.,pp.245-246.
2
L’action de la 67-e Nouvelle est confirmée par le géographe André Thévet
dans la Cosmographie de Levant, publiée à Lyon, en 1554.
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démoroit une grande princesse et de grande auctorité...” (Nouvelle 43),
„Entre Dauphiné et Provence...” (Nouvelle 9), „Entre les monts Pyrenées et
les Alpes...” (Nouvelle 54), „Aux terres subjectes à l’empereur Maximilian
d’Autriche...” (Nouvelle 31), etc.
L’auteur de L’Heptaméron excelle dans l’art de savoir construire
une intrigue, d’harmoniser les dialogues savamment gradués avec le
discours indirect, de polariser les lignes de force de l’action vers une
conclusion éthique. Modèle de technique narrative, le recueil n’en ofrre pas
pour autant une „leçon” de style. Procédant conformément au même
principe de l’économie narrative, l’écrivain ne procède pas à une
poétisation de la réalité. Une certaine rudesse de l’expression trahit le refus
d’enjoliver le langage prêtant au style de Marguerite de Navarre un cachet à
la fois renaissant et bien personnel. Les comparaisons jouent d’habitude le
rôle de renforcer le pathétique du récit par leur exceptionnelle force
suggestive. En voici quelques-unes dont le sémantisme porte sur la férocité
des animaux ou sur le vocabulaire cynégétique: „en lieu de faire fin de
pasteur, il devint loup” (Nouvelle 22, III-e Journée); „la crainte...qu’on lui
ostas sa proye, lui foisoit emporter son aigneau, comme un loup sa brebis
pour la manger à son aise” (Nouvelle 31, IV-e Journée); „elle le fuyoit
comme le loup fait le lévrier, de quoy il doibt estre prins” (Nouvelle 16, II-e
Journée); „....ainsy comme la bische navrée à mort cuyde, en changeant de
lieu, changer le mal qu’elle porte, avecq soi, ainsi m’en allais-je...” (idem);
„tout ainsy que ung sanglier, estant navré d’un espieu, court, d’une
impétuosité contre celluy qui a faict le coup, ainsy s’en alla le duc chercher
celle qui l’avoit navré jusques au fondz de son âme” (Nouvelle 70, 7-e
Journée); „Et pour ce, mes dames, si vous saiges, vous garderez de nous,
comme le cerf, s’il avoit entendement, feroit de son chasseur” (Nouvelle 16,
II-e Journée). Le vocabulaire féodal fournit de la matière aux comparaisons
tirées de l’„arsenal” guerrier: „onques place bien assaillye ne fut, qu’elle ne
fust prinse”. (Nouvelle 22, III-e Journée); „tout ainsy que ung bon
gendarme, quand il veoit son sang, est plus eschauffé à se venger de ses
ennemys et acquerir honneur, ainsy son chaste cueur se renforcea
doublement à courir et fuyr des mains de ce malheureux” (Nouvelle 2, I-ère
Journée). Une riche tradition livresque est également exploitée à ce propos,
témoignant de la formation intellectuelle de Marguerite; l’admiratrice
fervente des ballades de Charles d’Orléans, son ancêtre, paraphrase le sujet
du célèbre „Concours de Blois”: „et me semble que ce soyt folie ou
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cruaulté à celluy qui garde une fontaine, de louer la beaulté de son eaue à
ung qui languyt de soif en la regardant, et puis le tuer, quand il en veult
prendre” (Nouvelle 40, 4-e Journée).
Dans les récits fondés principalement sur l’humour verbal, l’écrivain
recourt, sans en abuser toutefois, au jeu de mots, procédé stylistique dans
lequel les conteurs de l’époque, notamment Rabelais et Des Périers,
excellent.
Le cordelier nommé De Valé est chassé par une femme avec les
paroles moqueuses: „Devallez, devallez, monsieur!” (Nouvelle 46, 5-e
Journée; une variante note: „Monsieur De Valé, devalez!); plusieurs fois,
l’ambiguïté du mot „compte” fait place au comique subtil, comme dans
cette allusion à la Chambre des Comptes de Paris, du Prologue à la 8-e
Journée”: ils allèrent en leur chambre de comptes (lisez: contes), sur le
bureau de l’herbe verte”. L’homonymie est d’ailleurs largement exploitée à
ce dessein: „voyant que son mary en estoit marry qu’il en debvoit estre
joieulx” (Nouvelle 61, 7 -e Journée), etc.
Le paysage est très réduit dans les nouvelles de L’Heptaméron.
Marguerite de Navarre en avertit le lecteur dans le „Prologue” général: [le]
pré...qui estoit si beau et plaisant qu’il avoit besoin d’un Boccace pour le
dépeindre à la vérité”. La manière d’”expédier” la description (“mais vous
contenterez une jamais n’en feut veu ung plus beau”) est un lieu commun
du récit médiéval, et la narratrice se limite, bien que rarement, à créer une
atmosphère, plutôt que d’utiliser la chromatique variée d’un Boccace par
exemple.
La „génération des conteurs” a eu, par Marguerite de Navarre, sa
technicienne accomplie dans l’art du récit. La moraliste et la satirique se
sont retrouvées dans la nouvelle sentimentale aussi bien que dans
l’anecdote, afin de parachever une synthèse requise par le genre narratif
bref, au moment où il évolue d’une manière évidente vers l’enquête
psychologigique et sociale, accusant un caractère nettement réformateur.
L’oeuvre de Marguerite de Navarre se situe sur les méridiens universels de
la Renaissance, définie comme lieu de convergence du pluralisme médiéval
et du besoin d’homogénéité propre à l’esprit moderme1.

1
Cf. Marshall Mc. Luhan, Galaxia Gutenberg. Omul şi era tiparului,
Bucureşti, Editura Politică, 1975, p. 234.
97

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BONAVENTURE DES PÉRIERS

Bonaventure Des Périers est né vers 1500, à Arnay-le-Duc, en


Bourgogne. Ses vastes connaissances de rhétorique et de langues
anciennes, notamment de grec et de latin, lui permettent d’occuper une
chaire de lecteur dans un collège et, par la suite, celle de maître-ès-arts à
l’Université de Bourges. A l’époque de son affirmation dans la vie littéraire
à côté de Calvin, Etienne Dolet, Rabelais, Clément Marot, Lefèvre
d’Etaples, il est un fervent partisan de la Réforme. Pourtant, Des Périers ne
tarde pas de changer d’attitude, avouant son scepticisme à l’égard du
véritable esprit philosophique du mouvement réformateur. Le Cymbalum
mundi, en français, contenant quatre dialogues poétiques fort antiques,
joyeux et facétieux, paru secrètement (1537), devient l’expression de cet
esprit libertin qui dirige ses flèches satiriques contre la foi chrétienne.
Signés sous les pseudonymes de Sarcomoros et de Thomas de Clevier, La
Prognostication des prognostications, ainsi que les dialogues du
Cymbalum mundi ont été brûlés sous l’accussation d’hérésie. A
l’intervention de sa protectrice, la reine de Navarre, l’auteur n’en subit pas
de conséquences.
A partir de 1532, Des Périers est valet de chambre de Marguerite de
Navarre. Apprécié pour sa haute culture et son talent de conteur et de poète,
le secrétaire de la reine corrige les copies des récits qui seront réunis dans
L’Heptaméron. Cependant, Des Périers met sa plume au service de
l’activité intense déployée par les linguistes et les traducteurs: il collabore
avec Etienne Dolet à son traité Commentarii linguae latinae (en 1536 il
corrige une partie de la Bilble, traduite de l’hébreu en français (1533-1534),
il traduit l’Adrienne de Térence en „ryme française” (1537), le Lysis de
Platon et la I-e Satire d’Horace (1544).
Esprit vivace et audacieux, ce „Dédalus qui vole”, comme il
s’appelle lui-même, Bonaventure Des Périers inscrit son nom dans

98

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l’histoire de la littérature française surtout grâce à ses dons de conteur. Ses
récits, composés la plupart dans l’entourage de la reine de Navarre, seront
réunis, après sa mort, survenue vers 1544, sous le titre de Nouvelles
Récréations et Joyeaux Devis, dont l’édition soignée par Antoine du
Moulin, est datée la même année que la première impression de
L’Heptaméron, le recueil intitulé L’Histoire des Amants fortunés, éditié par
Boaistuau, en 1558.

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LES NOUVELLES RECREATIONS
ET JOYEUX DEVIS

Peu de recueils de contes ont connu une audience si large auprès du


public dès leur parution. En effet, les récits de Bonaventure Des Périers ont
joui d’une fortune retentissante, ce qui justifie leurs nombreuses
réimpressions: quatre jusqu’en 1568, quand on ajoute 39 contes nouveaux
aux 90 narrations de 1558, et neuf éditions jusqu’en 16151. Ce succès de
librairie pose d’emblée le problème de l’originalité dont témoigne cette
oeuvre qui doit être jugée dans une triple perspective:
1. L’apport substantiel à une tradition richement illustrée aussi bien
par le conte oral que par le développement du genre narratif bref, cultivé
depuis le Moyen Âge par de véritables artisans, tels les auteurs des fabliaux
et leurs héritiers, dans un illustre lignage narratif2.
2. La technique narrative novatrice inaugurée par Les Nouvelles
Récréations et Joyeux Devis, et dont il faut tenir compte pour retracer les
principales directions d’une poétique de la prose au XVI-e siècle.
3. Le caractère exemplaire du récit comique, catégorie narrative
éminemment adoptée par Des Périers, ce qui range ses récits parmi les
modèles de composition revendiqués par le conte français postérieur.

1
Voir à ce propos nos chapitres consacrés aux fabliaux et au conte du XV-e
siècle.
2
Vu la mention dans certains récits à quelques événements postérieurs à la
mort de Des Périers, on a mis en doute la paternité du recueil, attribué parfois à
Jacques Pelletier ou à Nicolas Denisot. Les recherches ont conclu en faveur de Des
Périers, et les interventions ultérieures, allant jusqu’à „moderniser” les narrations, se
sont limitées à des corrections et à des „finitions” dans le cas des contes inachevés.
100

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Il convient de saisir d’abord deux principes auxquels se conforme le
tissu narratif du recueil, dans l’engagement de l’auteur avoué en guise de
„préambule”, dans l’avant-propos des récits.
Solidement ancré dans la tradition autochtone, Des Périers ne fait
plus de concessions à l’imitation, refusant de se plier à la „mode” des
emprunts qui préside du moins à la configuration sinon aux sujets mêmes
de quelques recueils illustres qui le précèdent ou qui lui sont
contemporains, tels les Cent Nouvelles Nouvelles et L’Heptaméron1:
„...je ne suis poinst allé chercher mes Contes à Constantinopole, à
Florence, ni à Venise, ni si loin que cela”. Il affirme avoir pris „les
instruments que nous avons à notre porte”, car „les nouvelles qui viennent
de si lointains pays son sujettes à mille inconvenients”.
Au dessin de rafraîchir le profil du conte, son habit comique ajoute le
plus fort argument plaidant pour sa diffusion rapide. Fidèle aux préceptes
épicuriens, Des Périers abandonne les chagrins („J’ai oublié mes tristes
passions”) pour entraîner son lecteur à jouir avec lui du loisir offert par ses
récits: „Et en un jour plein de mélancholie / Mêlons au moins une heure de
plaisir”. L’effet escompté s’annonce déjà dans le titre. Car la „récréation”,
premier impératif, est une invitation au repos, qui acquiert un sens
particulier dans le contexte, vu la nécessité du „passe-temps” au sein des
débats philosophiques caractéristiques pour l’atmosphère intellectuelle de
la Renaissance.
L’anecdote prime, sous l’apparence d’un désir de communiquer un
„fait divers” qui fasse participer le lecteur au „devis”, à un dialogue
spontané et toujours ouvert, qui joue sur la pointe aiguisant l’esprit versé
dans l’ironie, et la satire. Le maniement subtil des procédés comiques dans
Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis se ressent souvent des
techniques mises à la disposition du conteur par le contact avec des maîtres
en matière: traduisant Térence, il s’était exercé dans la comédie. Les
Saturnales de Macrobe, les Comentarii in dictis et factis Alphonsi regis

1
Rappelons, tout de même, que les récits de Margueritte de Navarre, conçus
dans leur forme originaire à l’intention de réaliser un Décaméron français, étaient
connus par Des Périers, qui, en tant que „correcteur” aurait stimulé sinon influencé
leur rédaction, dans l’ambiance de l’échange incessant d’opinions qui caractérisait
les „veillées” littéraires de la reine.
101

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d’Aeneas Sylvius1 ont développé son goût pour la satire mordante et
l’acidité du langage dans les contes aussi bien que dans le Cymbalum
mundi. Boccace, Pogge2, Castiglione3, Parabosco4, dont l’écho se fait sentir
dans les Nouvelles Récréations avaient prêté au conte anecdotique la
rigueur exigée par la concentration de l’essence comique. La sagacité
érasmienne de L’Eloge de la Folie et le cachet tragicomique de la
Célestine5 ne sont pas étrangers au recueil de Des Périers. Mais un retour
aux sources autochtones de la gauloiserie éclaircit davantage l’achemi-
nement de cette „forme simple”, „trait d’esprit”6 ou „compétition dans l’art
de „deviser” par les habiles pirouettes de la pointe. Aussi devient-il
indispensable de retracer les repères de la démarche narrative du conteur,
tel qu’A. Darmsteter le suggère: „Des Périers semble relever plus
directement de la tradition gauloise des farces et des fabliaux. Le caractère
de ses nouvelles7 est plus populaire, par le choix du sujet, par la nature des
personnages et par la simplicité du récit8”.
Le contact avec plusieurs régions de la France, pendant ses voyages
en Poitou, Normandie, Bretagne, Anjou, révèle à Des Périers cette source
féconde dont il tire la plus profitable leçon: défendre et illustrer la langue
française, dans un effort conjugué avec le travail des humanistes tels

1
Erudit italien, (1405-1464), connu sous le nom de Piccolomini (le pape Pie II).
2
Poggio Bracciolini, conteur italien (1380-1459), auteur des Facéties.
3
Baltazar Castiglione, écrivain italien (1478-1529, auteur du traité intitulé II
Corteggiano (Le Courtisan).
4
Girolamo Parabosco (1525-1557), auteur du recueil de 17 nouvelles, I
Diporti (Les Divertissements).
5
La Célestine, tragi-comédie de l’écrivain espagnol Fernando de Rojas,
rédigée vers 1500, est traduite en français, en 1527, d’après la version italienne
d’Alfonso Ordognes; c’est en 1577 que Jacques de Lavardin traduit la pièce sur le
texte espagnol.
6
Voir à ce propos, André Jolles, Formes simples, Paris, Seuil, 1972, p.197-
207.
7
Nous acceptons ce désignatif sous la réserve que la „nouvelle” garde
encore au XVI-e siècle une signification flottante, et que dans ce cas son acception
est celle originaire de „nouveauté”, quelle que soit la catégorie narrative brève à
laquelle on attribue ce terme.
8
A. Darmsteter, A. Hatzfeld, Le seizième siècle en France, Tableau de la
littérature et de la langue, Paris, Ed. Delagrave, 1876, p. 64.
102

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Rabelais, Marot, Vaugelas, les poètes de la Pléiade désireux d’enrichir et de
ciseler la langue nationale.
Sous cette enveloppe de „divertissement”, on doit déceler par
conséquent une double volonté de l’écrivain: contribuer à l’affirmation
d’une culture nationale de souche populaire et mise à la portée du peuple,
de même que trouver la modalité pour démasquer les tares d’un monde
défini avec sarcasme dans un ingénieux jeu de mots:
„Monde mondain, trop mondainement monde,
Monde aveuglé, monde sot, monde immonde”
Impliqué directement dans la trame de ses récits, Des Périers
propose un type de narration qui rappelle de loin le partimen1 médiéval. La
propriété „competitive” que revêt la structure de ses facéties, par l’aiguillon
des rappels aux répliques tire son essence de la dualité propre à la
composition des contes.
Leur structure est plus souvent conforme à un moule d’allure
traditionnelle: peu de souci à la localisation spatio-temporelle, insistance
sur les principaux indicateurs caractérologiques des portraits-croquis,
placés dans un cadre adéquat, introduction brusque dans le sujet par de vifs
reparties, „emboîtement” fréquent d’autres récits au cadre de la même
histoire, dénouement précipité apportant ou non une réflexion morale, par
un retour „en boucle” à la proposition initiale.
Les contes de Des Périers acquièrent une puissante note originale par
leur propension au dialogue, ce qui leur confère, outre l’aspect moins
significatif de „jeu de société”2, un caractère nettement théâtral, sensible
également dans „le goût de l’animation et de la hâte, la réduction du récit à

1
Genre poétique dialogué, cultivé au XII-e siècle par les troubadours sous le
nom de partimen ou joc partit, et par les trouvères (le jeu-parti), où deux
interlocuteurs se proposent un échange de répliques controversées autour d’un
problème qui sera tranché par un „juge” ou „arbitre”, désigné dans la persoanne
d’un spectateur à leur débat.
2
Pierre Jourda conclut à ce propos que l’unité du recueil est assurée par la
tradition orale, et que „Des Périers a „essayé” oralement ses histoires avant de les
écrire. D’où l’unité de ton et d’allure: l’auteur parle plus qu’il n’écrit, et s’adresse à
son auditioire”. (P. Jourda, Préface aux Conteurs français du XVI-e siècle, Paris,
Gallimard, 1965, p. XXVIII).
103

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une fonction subordonnée et didascalique”1. C’est toujours là que se situe le
terrain privilégié où l’écrivain déploie la gamme variée de procédés
techniques, orientés essentiellement vers deux plans convergents: un
comique de caractères est fréquemment talonné par la „jonglerie”, résultat
de la virtuosité linguistique qui dissout parfois tout noyau narratif sans
aucune autre motivation qu’un pur exercice verbal, un gratuit jeu de mots.
Une remarque s’y impose: nous employons ici la notion de „jonglerie”
dans son acception esthétique de „jeux, procédés, trucs, trouvailles
sérieuses ou saugrenues, apparaissant au fil et au niveau du discours, et y
suspendant l’effet de „déjà connu” propre au langage pragmatique
commun”....., jeu „avec le sens du discours comme tel, qu’elle pervertit
dans son ensemble, distord et, virtuellement, dévie”2.
Pour ce qui est du comique de situation, afin de mettre en évidence
la psychologie des personnages, et du jeu des mots, Des Périers est
tributaire du théâtre médiéval – des farces et des soties – ainsi que des
fabliaux et des Cent Nouvelles Nouvelles3. Le retour aux „mêmes idées par
un mortèlement qui aboutit, à la fin, à une véritable obsession verbale”4, le
recours à l’hyperbole, surtout dans les croquis caricaturaux, constituent
autant de procédés que la littérature orale mettait à la disposition de
l’écrivain. Deux en sont les principales directions: l’une vise au portrait
proprement dit, l’autre tire ses effets de la prolifération du vocabulaire (des
adjectifs et des verbes surtout) et des antithèses entre ce que le personnage
est en réalité et ce qu’il veut paraître. Certes, une remarquable parenté de
„confrérie” artisanale s’établit à ce propos entre Des Périers et Rabelais.

1
Lionello Sozzi, Les contes de Bonaventure Des Périers. Contribution à
l’etude de la nouvelle française de la Renaissance, Torino, G. Ciappichelli editore,
1965, p. 279.
2
Paul Zumthor, Jonglerie et langage, dans Langue, texte, énigme, Paris,
Seuil, 1975, p.42 et 52.
3
Voir à cet égard dans Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, les
nouvelles: I, XIX, XXII, XXXIII, XLVI,LXXXV, XCVIII, où les procédés servent
à la critique sociale dont la cible sont les riches, le clergé et la royauté. Pour les
rapprochements des fabliaux des Cent nouvelles nouvellles et du théâtre médiéval,
nous renvoyons à notre étude Bonaventure Des Périers, continuator al tradiţiei
medievale franceze, dans „Analele Univertităţii” Bucureşti, Limbi romanice, 1971,
pp.81-91.
4
L. Sozzi, Les contes de Bonaventure Des Périers..., op. cit., p. 338.
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Un portrait grossi jusqu’aux proportions fabuleuses et grotesques est
offert par la Nouvelle LXVIII, De l’honnêteté de M. Salzard: „Il avait la tête
comme un pot à beurre, le visage froncé comme un parchemin brûlé, les
yeux gros comme les yeux de boeuf, le nez qui lui dégouttait,
principalement en hiver, comme la poche d’un pêcheur...”.
La synonymie et le vocabulaire „technique” répondent le mieux au
besoin de ridiculiser; tels les efforts stériles des alchimistes: „après qu’ils
ont bien fournagé, charbonné, lutté, soufflé, distillé, calciné, congelé, fixé,
liquéfie, vitrifié, putréfié, il ne faut que casser un alambic pour les mettre au
compte de la bonne femme qui portait une potée de lait au marché”
(Nouvelle XI); ou cette allégorie, qui rappelle le conte roumain de Ion
Creangă , Ivan Turbincă , où les diables sont emprisonnés dans un vase
„pour que les gens soient joyeux, contents, sains, gais, drus, gaillards,
vivaces, allègres, galants, galois, gents, frisques (dispos), mignons, poupins,
brusques” (Nouvelle XII).
La dialogue est parfois le support psychologique ou, très souvent, un
simple prétexte, un artifice dans la trame comique du récit. Abel Lefranc
distingue deux types de „conversations” à la fin du Moyen Âge, sur
lesquels les écrivains pouvaient modeler les techniques du dialogue: „la
conversation des seigneurs campagnards” et „la conversation des foires”1.
Les deux catégories mentionnées usent du langage familier, des
expressions saisies „sur le vif”. „L’élément de jeu, de conversation,
d’amusement littéraire”2 est à son aise dans les récits médiévaux.
La Renaissance enregistre „le progrès décisif que les cercles polis
vont bientôt accomplir dans l’art de la conversation”3. Il ne faut pas
conclure pour autant que Des Périers ou les autres conteurs se soient
conformés à quelque préciosité courtoise. Les dialogues spontanés, vivaces,
naturels des Joyeux Devis miment le langage quotidien dont ils puisent un
grand potentiel expressif, et cette particularité de la facétie, en tant que jeu

1
Abel Lefranc, La vie quotidienne au temps de la Renaissance, Paris,
Hachete, 1930 (La conversation française. Le dialogue chez Rabelais et les
conteurs, p.81).
2
J. Huizinga, Amurgul evului mediu, Bucureşti, Univers, 1970, p. 196 (Trad.
roum.).
3
Abel, Lefranc, La vie quotidienne au temps de la Renaissance, op. cit.,
p. 81.
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d’esprit, d’offrir une fin „ouverte”, capable d’absorber un développement
illimité de la chaîne dialogique: „– Il y a un monsieur qui la vint voir tout à
l’heure. – Cela est mauvais. – Pas trop mauvais pourtant. – Et pourquoi? –
Il me donne toujours quelque chose. – Cela est bon. – Pas trop bon aussi. –
Et pourquoi? – Il m’envoie toujours deçà, delà. – Cela est mauvais. – Pas
trop mauvais pourtant. – Et pourquoi? – Il me baille de l’argent de quoi je
fais grand’chère par les chemins. – Cela est bon. – Pas trop bon aussi. – Et
pourquoi? – Je suis à la pluie et au vent...”, etc. (Nouvelle LXXV)1.
L’effet comique est amplifié par l’appel au dialecte, et la
psychologie des provinciaux est mieux définie par la teinte de couleur
locale que lui prête le patois. Cette virtualité lexicale, propre au conte du
XVI-e siècle, „pousse le souci des détails pittoresques jusqu’à tenir compte
des particulatirés linguistiques de ses personnages, de leurs expressions du
terroir”.2
La fin du récit néglige les règles „classiques” de la composition et
adopte fréquemment des tours interrogatifs ou exclamatifs qui annulent la
loi de l’authentification des faits narrés: „Mais le trouva-t-il? – Et qu’en
sais-je? Mon ami, je n’y étais pas”. (Nouvelle CXVII).
L’équivoque, le calembour, le qui pro quo, la polysémie aboutissent
à des résultats qui dépassent les simples artifices comiques: l’alchimie est
„art qui mine. Art qui n’est mie (Nouvelle XI); les prêtres s’asseoient à table
„selon leurs indignités”, et réservent des emplois „à un neuveu de leur
frère” (Nouvelle II); un fainéant répond aux reproches: „Ma foi, Monsieur,
sauf votre grâce, je ne fais rien, non plus qu’un prêtre” (Nouvelle XLVIII).
Les inventions lexicales, domaine où Rabelais excelle, situent Des
Périers parmi les créateurs de langue: le langage du bouffon Caillette est
„cailletois”, celui d’un vilain, „villenois”, celui d’un rustre „jurois”, celui
d’un bègue, „béguois”, etc.
Les règles de motivation compositionnelle ou psychologique sont
subordonnées aux objectifs comiques, apparemment à caractère spéculatif:
„car quel ordre faut-il garder, quand il est question de rire „(Préambule).
Mais la „thérapeutique” que propose le conte anecdotique („Au moyen de
la soudaine et inopinée joie, les esprits se revigorent, le sang se rectifie, les

1
Voir aussi les Nouvelles: XXXIII, et LVII.
2
L. Sainéan, Problemès littéraries du XVIe siècle, Paris, éd. E. De Baccard,
1927, p. 275.
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humeurs se remettent à leur place”. – Nouvelle LXXXIX), devient, telle
l’allégorie rabelaisienne, une manière plus sûre de plaider la cause des
humanistes confiants dans la perfectibilité de l’homme.
Si le conte facéteux acquiert un statut plus original et plus stable par
les récits des Nouvelles Récréation, il n’est pas moins vrai que le recueil
correspond, par sa configuration, au principe de l’organisation unitaire
généralement adopté par les conteurs du XVIe siècle. Bien que loin de se
conformer à un cadre unificateur, l’oeuvre de Des Périers se coagule dans
une „comédie sociale“ qui ajoute aux récits le liant absent des recueils
antérieurs, à savoir l’”unité d’une vision du monde, d’une imagination
réaliste capable de s’élever jusqu’au mythe, comme celle de Rabelais”1

1
Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, A. Colin, 1975,
p.132.
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FONCTIONS ET MOTIFS DU MODÈLE
D’ENCADREMENT DES RÉCITS
DANS L’HEPTAMÉRON
DE MARGUERITE DE NAVARRE

L’étude de l’encadrement des récits dans les recueils qui font appel à
cette modalité d’intégration et d’ordonnance d’une thématique variée peut
suivre deux étapes:
1. Le prélèvement des invariants fondamentaux du système narratif
(contes réunis par un schéma-cadre);
2. La récupération du diagramme d’un type-cadre susceptible
d’offrir un modèle adéquat au recueil de récits.
Une prémisse du „modelage” de l’oeuvre littéraire est fondée sur
l’acceptation du modèle en tant que système et structure, topos et archétype,
„système de signes”, polysémie réduite à l’unité par stabilité sémantique et
référentille”, description d’une structure et de son système de
fonctionnement”1.
L’Heptaméron offre un système unitare, cohérent, dont les parties
constitutives – les contes –adhèrent au type-cadre selon une logique
immanente. Ceci réclame le respect de deux principes: la stabilité et
l’autoréglage. L’adoption d’un modèle, comme facteur ordonnateur et
normatif, satisfait au besoin d’optimiser la fonctionnalité de l’organisme
narratif de recueil. L’aspect qui fait l’objet de notre étude est le modèle-
cadre des récits, modèle générique, réalisé „à l’intérieur d’une structure qui
peut être en principe schématisée, totalisée et construite, donc modelée”2.
Le but de la démarche herméneutique sera de proposer une formule
heuristique responsable de l’organisation, de la fonctionnalité et de la

1
Cf. Adrian Marino, Critica ideilor literare, Cluj, Editura Dacia, 1974,
p.150-153.
2
Idem, p. 31.
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finalité de la structure modelée, d’établir une corrélation entre le système –
somme des textes groupés par leurs invariants dans une macrostructure
d’organisation – et le modèle, en perspective rétro – et prospective,
touchant à sa valorisation maximale dans L’Heptaméron.
Le processus conscient du modelage initial de l’oeuvre est
essentiellement un autoréglage normatif du modèle, qui empêche ses
possibles „errances” par rapport à la norme, contribuant à parachever le
pré-modèle (pattern) et à dresser un „inventaire” d’invariants récupérés
dans une perspective synchronique et disposés en configuration stable.
L’Heptaméron est une oeuvre ouverte par le modèle même de sa
structure. Le type-cadre auquel l’auteur recourt – le modèle boccacien- est
soumis à des règles d’adéquation à l’ordonnance formelle du recueil. Le
modèle témoigne dans ce cas de sa capacité, d’autocontrôle et
d’autoréglage ; de „dessin sur un patron”, il devient modèle autonome,
intégrateur pour une nouvelle réalité littéraire.
Quelques principes repérables dans la structure de la narration brève
au XVIe siècle relèvent des rapports étroits que la nouvelle continue
d’entretenir avec le conte traditionnel. Dans cette „symbiose”, le transfert
des tendances narratives propres au conte est profitable au développement
d’une configuration esthétique de la nouvelle. Une série d’éléments
détachables après un aperçu général de la structure de ces deux types de
récit, témoignent de leur dépendance registrale:
1. La fonction rituelle initiale du conte comportant, dans l’ordre de la
communication, trois exigences: l’oralité, la véracité et la brièveté.
2. Le recours à l’emprunt des sujets de circulation, tout en adoptant
une „mine nouvelle” pour le récit, comme l’affirme l’auteur des Cent
Nouvelles nouvelles (vers 1461).
3. L’exigence accrue pour la qualité de la construction du conte. Les
narrateurs s’évertuent à ménager „l’effet de surprise”, à bien mener l’action
qui l’emporte sur l’analyse psychologique.
4. La préoccupation constante pour la portée édifiante du récit – sa
„sénéfiance”.
5. Le besoin de cohérence, en dépit de l’hétérogénéité de la matière
narrative, manifestée dans le souci de l’agencement de l’oeuvre soit dans
un „cadre”, soit, tout simplement, sous un titre unificateur.
Le type-cadre de L’Heptaméron constitue un modèle intégrateur,
postérieur aux recueils de recits, mis à la disposition de l’écrivain par une
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tradition richement illustrée, tels Les Mille et une nuits, Le livre des sept
sages, L’Histoire du sage Ahikar, les épopées homériques, Le Décaméron.
Les quinze Joies du Mariage, Les Cent Nouvelles nouvelles, etc. Le
„montage” posthume de l’oeuvre sous un titre générique n’enlève rien à
l’intention de l’auteur de grouper les parties composites de l’ensemble
narratif. La division par journées, première constante du modèle
d’encadrement, n’est pas tout simplement un souci de „stylisation”. Là où
l’on accepte superficiellement un effet d’imitation, il est plutôt naturel de
voir fonctionner un principe esthétique, assimilé par l’ecrivain et propre à
„une culture sociale ayant un sentiment prégnant de la forme
architectonique”1.
L’option pour le type-cadre (pré-texte, lieu de genèse et de
propulsion des récits) est vouée à établir les règles du „jeu”: dix voyageurs,
empêchés de continuer leur chemin à cause de la crue du gave de Pau,
s’engagent pour dix jours à raconter chacun une histoire par jour, „depuis
midi jusqu’à quatre heures”, de manière qu’ ”au bout de dix jours ils auront
parachevé la centaine”. L’ensemble s’y trouve, par conséquent,
„programmé”. A la différence de son „patron” boccacien, l’histoire de la
peste qui oblige le même nombre de conteurs à une „réclusion” provisoire
dont l’objectif soit avant tout de divertir, la présentation des circonstances
favorisant le „lancement” des récits acquiert, chez Marguerite de Navarre,
la valeur de présentation d’un but esthétique et éthique. La dualité dans
l’attitude éthique adoptée par les devisants au terme de chaque histoire se
constitue en axe principal de la portée du livre. Si chez l’écrivain italien le
cadre „forme un contrepoint aux histoires enchâssés, ayant des propriétés
différentes qui servent le contraste”2, l’événement qui ouvre L’Heptaméron
détermine son climat moral et intègre organiquement les courants d’idées
les plus différentes qui sont le principal ressort du livre. Les prologues des
journées et les discussions suscitées par chaque récit lui font suite:
„moments précurseurs”, qui „avertissent” par „le commentaire réflexif

1
Cf.Oskar Walzel, Conţinut şi formă în artă, Bucureşti, Univers, 1976, p.
1411.
2
Tzvetan Todorov, Grammaire du Décaméron, The-Hague-Paris, Mouton,
1969, p.13.
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apportant une méditation sur l’homme”1, les prologues et les débats
qu’entraînent les récits jouent le rôle de „signaux” thématiques assurant la
succession logique des narrations et l’unité du recueil.
L’Heptaméron fonctionne comme un organisme unitaire, cohérent
dans toutes ses connexions, grâce au remarquable équilibre de construction
et à sa dialectique intérieurs. L’écrivain avait pensé son Décaméron comme
un contrepoint narratif pour ce qui est de son tissu essentiellement
classique. L’acceptation et, en même temps, la rupture du modèle (“en faire
autant, sinon en une chose différente de Boccace”, déclare l’auteur dans le
Prologue général) sont un premier indice de la confrontation dialectique
entre le „modèle” et le „postmodèle”.
Les principes de l’alternance et de l’antithèse ne sont pas à négliger
dans la réalisation du tapis narratif de L’Heptaméron. La disposition
thématique de l’ensemble n’est pas aussi rigoureuse que celle des recueils
auxquels il s’apparente par la règle de l’encadrement – Le Décaméron ou
Les Contes de Canterburry – et dont on peut rapprocher l’oeuvre de
Marguerite de Navarre par l’idée de caractériser le conteur par le conte et la
juxtaposition de plusieurs personnages entre lesquels il y a des tensions
d’ordre psychologique et social”2. Un critère assez arbitraire régit
l’assemblage des récits de L’Heptaméron: des interférences thématiques3
ou un choix de thèmes hétéroclites4 sont le propre des titres qui précèdent
chaque journée. Cependant, il convient de juger cette alternance thématique
au cadre de la même journée comme une manière d’harmoniser la
succession des contes, afin d’éviter la monotonie. On retrouve la
„géométrie” du modèle au niveau de la tonalité des récits: environ 27
nouvelles tragiques, une trentaine de nouvelles comiques et environ 33
nouvelles tragi-comiques.

1
Cf. Ion Vlad, Povestirea, Destinul unei structuri epice (Dimensiunile
eposului), Bucureşti, Editura Minerva, 1972, p.33.
2
R. Wellek, A. Warren, Teoria literaturii, Bucureşti, Editura pentru
Literatură Universală, 1967, p. 293.
3
Voir, par exemple, l’ „annonce” de la 1-e, 3-e, 5-e et 6-e Journées.
4
De ce qui promptement tombe en la fantaisie de chacun” (2-e Journée;
Boccace ouvrait pareillement le Décaméron); „De ceux qui ont fait le contraire de
ce qu’ils devaient ou voulaient” (7-e Journée); „Des plus grandes et plus véritables
folies dont chacun se peut aviser (8-e Journée).
111

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Le Prologue de L’Heptaméron remplit cette fonction exigée au
départ, comme le récit d’encadrement des contes de Shéhérezade ou des
nouvelles de Boccace, par un prétexte valable temporairement: ajourner
l’exécution, dans Les Mille et une nuits, fuir les dangers de l’épidémie, dans
Le Décaméron, attendre des circonstances favorables pour échapper à la
claustration involontaire, dans L’Heptaméron. L’„espace” du conte, la
durée qu’il peut recouvrir pour l’auditoire, devient unité de mesure du
temps, propre au „système de retardement”1 qu’elle „inaugure”, et lieu de
rappel pour un nouveau récit. Ce modèle structural épique de „film à
épisodes”, dont les noyaux narratifs autonomes s’organisent d’une manière
convergente, jouit d’une exceptionnelle fortune en Europe, et nous en
trouvons des schémas similaires dans la littérature roumaine, chez
M. Sadoveanu et V. Voiculescu2.
Dans le recueil de Marguerite de Navarre, les modalités
d’ „emboîter” la série de contes, „les motifs d’encadrement”3, constituent
des „paliers” de passage entre les nouvelles, formés par le Prologue
général, les prologues à chaque journée et les „épilogues” ou les
commentaires des devisants, qui fonctionnent en même temps comme
prologues à chaque récit, et qui multiplient les motifs d’enchâssement
d’après les modalités de transition d’une narration à l’autre,
L’enchâssement des contes s’effectue, dans ce dernier cas, à travers un
jugement porté sur les événements rapportés, et l’on pourrait déceler
quelques motifs principaux pour lancer une nouvelle histoire:
1. L’alternance exigée par la compagnie, suivant le contenu tragique
ou comique du récit, principe qui n’est pas respecté sur l’ensemble du
recueil. C’est le choix du conteur qui reste fondamental pour la portée de la
nouvelle. A ce propos, Marguerite de Navarre enregistre un grand progrès,
réalisant des rapports étroits de déterminisme moral et psychologique entre
le narrateur et son récit. Le personnage-conteur n’est plus un simple

1
Cf. V. Chklovski, La Construction de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits
par T. Todorov, Paris, Seuil, 1966, p. 189.
2
Voir à ce propos Ion Vlad, Descoperirea operei, Cluj, Editura Dacia, 1970,
chap. Treptele povestirii, p.120-152.
3
Cf. Boris Tomaşevski, Teoria literaturii – Poetica, Bucureşti, Editura
Univers, 1973, p.342.
112

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„porteur” de narration (,,un homme-récit”1), dépourvu de „signalements”
psychologiques; ses relations avec le conte qu’il rapporte sont transitives, il
se définit par le conte et il sera réclamé en conséquence. Le commentaire
de la nouvelle devient le lieu du contrerythme psychologique, aspect le
mieux illustré par l’opposition Parlamente/Hircan. A l’antithèse vertu,
mesure/légèreté, mondanité, correspond une antinomie d’esprit et de
morale.
Les autres motifs d’enchâssement découlent naturellement du
premier:
2. Le heurt d’opinions contradictoires suscitées par un récit, ce qui
entraîne une „collision” thématique, et très souvent une rupture de
connexion au niveau de l’éthique défendue par l’un ou l’autre des
devisants, modalité qu’on rencontre dans le moment préparatoire des
nouvelles.
3. Le désir de „compétiton” dans l’illustration ou la confirmation
d’une réflexion morale avancée au cours du commentaire, par le bias de
l’exemple édifiant d’un conte.
4. Le divertissement conçu comme passe-temps ou comme
„entracte”, besoin satisfait par des histoires anecdotiques, des facéties qui
contrebalancent la tonalité grave, voire tragique, adoptée par certaines
nouvelles.
Les „chaînons” de l’ensemble sont donc forgés dans cette partie
d’une exceptionnelle signification de L’Heptaméron, véritable formulaire
éthique et philosophique que représentent les commentaires des dix
conteurs, valorisés par la conversation, cette „forme supérieure de la
sociabilité”, comme l’appelle Jacob Burchardt2, cultivée par la plupart des
recueils de contes de la Renaissance. Les reparties de l’auditoire, cette
„enveloppe” de L’Heptaméron”3, constituent la création la plus originale et
la plus réaliste, offrant le terrain propice à la polémique, l’endroit où
l’auteur se met au frais pour étaler nûment ses convictions sur la réalité

1
Cf. Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, Les
Hommes-récits, p.78-91.
2
Cf. Jacob Burchardt, Cultura Renaşterii în Italia, Bucureşti, Editura pentru
Literatură, 1969, t.II, p. 127.
3
Cf. Gustave Reynier, Les Origines du roman réaliste, Paris, Librairie
Hachette, 1913, p. 218.
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appréhendée. Ces dialogues, conçus en style de constatation axiomatique,
s’inscrivent en incision dans la structure du recueil et ils servent de
prémisse à un système de démonstration éclairant la teneur des récits. Il est
significatif que, dans cet échange d’opinions, le narrateur ne donne jamais
gain de cause à l’un ou l’autre de ses personnages – conteurs, et que
la”clôture” du commentaire n’est au fond qu’une option individuelle qui se
doit illustrer par un récit. Le propre du contenu des commentaires est
d’expliciter, de „programmer” une morale, de „joindre l’élément
psychologique à la circonstance, l’expérience humaine à celle familiale,
locale, historique, sociale”1. Aussi la signification sentencieuse du conte
n’est-elle pas dissimulée: elle est à saisir à la fin du récit, et on la reprend,
pour un éclairage complet, dans la conclusion du conteur et dans les
controverses qu’elle suscite. C’est là qu’il faut chercher la relation
dialectique établie entre les commentaires et les nouvelles de
L’Heptaméron: elle correspond à la nécessité d’objectiver „le rapport
émotionnel du narrateur”2 en élargissant l’espace de l’expérience. Ceci
exige une implication du narrateur dans l’action initiatique du récit. La voix
de l’auteur se fait entendre dans les commentaires, ce qui confère à
L’Heptaméron le caractère d’une oeuvre idéologique, dans le sens d’un
traité de normes éthiques à l’usage des contemporains, et même davantage,
une éthique de l’Humanisme à valeur universelle.
La „génération des conteurs” du XVI-e siècle a eu Marguerite de
Navarre sa technicienne accomplie dans l’art du récit. La moraliste et la
satirique se sont retrouvées dans la nouvelle sentimentale aussi bien que
dans l’anecdote, afin de parachever une synthèse requise par le genre
narratif, au moment où il évolue d’une manière évidente vers l’enquête
psychologique et sociale, accusant un caractère nettement réformateur.
L’Heptaméron, oeuvre-modèle, se situe sur les méridiens universels de la
Renaissance, définie comme „lieu de convergence du pluralisme médiéval
et du besoin d’homogénéité propre à l’esprit moderne”3.

1
Cf. Salvatore Battaglia, Mitografia personajului, Bucureşti, Editura
Univers, 1976, p. 49.
2
Cf. Viktor Chklovski, La construction de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, op. cit., p. 177.
3
Cf. Marschall Mc Luhan, Galaxia Guttenberg, Omul şi era tiparului,
Bucureşti, Editura Politică, 1975, trad. roum. p. 234.
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MYTHE ET RÉALITÉ
DANS L’ETHIQUE DE L’HEPTAMÉRON

Par sa fonction sociale et normative, le mythe établit les mêmes


rapports avec la création littéraire et avec la vie sociale, des rapports
dialectiques, exigés par la reprise d’une tradition et son assimilation par la
société, de même que par la transmission d’un code éthique. L’oeuvre
littéraire rend au mythe son actualité, sa fonction culturelle, d’une manière
rétrospective et prospective, par le „décodage” de la réalité, grâce à son
„caractère éthique”, „directement palpable dans le mythe” et qui prend une
„allure didactique et éducative” en tant que „partie intégrante du système de
transmission des traditions”1.
Le point de départ de cette recherche se trouve dans la situation de
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre entre la tradition et l’innovation,
tant du point de vue de la technique narrative que de l’idéologie promue par
l’écrivain, vu la puissante survie des valeurs médiévales dans le recueil de
récits du XVI-e siècle. De quelle manière le mythe du „parfait amour” de
provenance platonique s’intègre-t-il organiquement et se valorise-t-il dans
le système de connexions dialectiques du recueil?
Le sillon médiéval se retrouve dans l’Heptaméron dans la reprise de
certains sujets et „formules” narratives, que le riche répertoire des fabliaux
et des poèmes lyriques mettait à la disposition de l’écrivain, de même que
dans la réadaptation de quelques normes éthiques de la pensée médievale,
convenables aux circonstances historiques et sociales qui leur attestent un
rôle formatif. L’adaptation du poème d’amour La Chastelaine de Vergi du
XIII-e siècle2 offre un pareil exemple.

1
Cf. C. I. Gulian, Mit şi cultură, Bucureşti, Editura Politică, 1968, p. 90.
2
Le poème est reproduit dans Poètes et romanciers du moyen-âge, texte
établi et annoté par Albert Pauphilet, Paris, Librairie Gallimard, 1958, p. 357-372.
Une version en vers dialogués, de 1540, Livre d’amours du chevalier et de la dame
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Dans le récit de Marguerite de Navarre, le processus de
„modernisation” de la matière narrative relève d’un renouvellement
sémantique spécifique à la nouvelle de type boccacien et post-boccacien,
qui revêt assez souvent d’un énoncé nouveau un contenu événementiel
traditionnel. L’histoire de la Châtelaine de Vergi aquiert un statut narratif
plus stable et l’auteur construit sa nouvelle avec la pleine conscience d’une
exigence absolue: suppléer au manque de motivation compositionnelle et
enrichir la facture morale du récit sans pour autant changer d’attitude vis-à-
vis des faits relatés. La narratrice satisfait au premier impératif par le
recours à une analyse plus approfondie de la psychologie des personnages,
ce qui lui permet de souligner la valeur édifiante de la nouvelle: le respect
du secret d’amour, loi de la fin’amor, sur laquelle le trouvère anonyme du
XIII-e siècle avait bâti son poème, nourrit cet idéal éthique cultivé par
Marguerite de Navarre dans une large partie de son oeuvre et contenu dans
les concepts de „vraye amityé” et „parfaicte amour”. Dans l’oeuvre du
XIII-e siècle, cette obligation qui incombe aux amants n’est pas trop
explicite; on peut supposer que la dame est mariée, et cela réclame la
discrétion, mais le plus sûr argument se retrouve dans la motivation
extérieure, dans le fonctionnement des normes de la fin’amor. Chez
l’auteur de l’Heptaméron, l’obligation du secret ne découle pas du statut
social de la jeune femme, qui est veuve, mais de l’impossibilité de rendre
publique une relation entre personnes de rang différent. La justification du
jeune homme („pour ce que n’estois de maison pour l’espouser, je me
contentois d’estre receu pour serviteur”) rejoint une ligne thématique
fondamentale de l’Heptaméron concernant les implications sociales du
mariage à l’époque.
Dans quelle mesure les donées du mythe platonique et celles du
mythe de la fin’amor, se retrouvent-elles au niveau du recueil de
Marguerite de Navarre? C’est là qu’il faut chercher également la relation
dialectique établie entre les commentaires et les récits de l’Heptaméron:
elle correspond à la nécessité d’objectiver le „rapport émotionnel du

chastellaine du Vergier comprenant l’estat de leur amour et comment elle fust


continuée jusques à la mort, a été, paraît-il, connue par l’auteur de la Nouvelle LXX
de l’Heptaméron.
116

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narrateur”1 en élargissant l’espace de l’expérience. Ceci exige une
implication du narrateur dans l’action initiatique du récit. La voix de
l’auteur se fait entendre dans les commentaires, ce qui confère à
l’Heptaméron le caractère d’une oeuvre idéologique, dans le sens d’un
traité de normes éthiques à l’usage des contemporains, et même devantage,
d’une somme éthique de l’Humanisme, à valeur universelle. Au carrefour
des chemins littéraires, le bréviaire éthique projeté par Marguerite de
Navarre doit être compris dans une double perspective: comme reflet d’un
courant philosophique avec ses implications sur le plan de la morale-le néo-
platonisme-et comme hypostase littéraire du débat à caractère social suscité
par le statut de la femme, impliticement du mariage, au XVI-e siècle. La
complexité et l’originalité de l’Heptaméron résident dans l’imbrication des
deux aspects envisagés plus haut, réalisée d’une manière naturelle et
cohérente.
A la fin du XV-e siècle et au début du siècle suivant, aux cours
italiennes et françaises, on cultive une nouvelle courtoisie réduite au code
d’une morale hédoniste, qui prêche la civilité et la politesse, la
„mondanité”, enseignée par les traités de Bembo et de Castiglione. La
littérature s’évertue à une conception selon laquelle l’amour est source de
perfection, d’élévation aux plus hautes vertus: „un amour qui s’est
dépersonnalisé, ou impersonnalisé, qui ne s’adresse plus à une créature de
chair mais à une qualité, à un ensemble de qualités, à une abstraction dont
la femme vivante n’est plus que le symbole”2. Consacrant la victoire de la
raison sur les sens, l’union platonique de deux êtres arrive à proclamer la
consommation de l’amour uniquement sur le plan de l’esprit, d’où la
tentation d’établir l’analogie avec cette forme de stylisation de l’érotisme, la
fin’amor des troubadours du XII-e siècle. La manière intellectualiste de
concevoir l’amour propre au platonisme, rejoint l’ancienne doctrine de
l’éthique sentimentale, d’abord par un culte de la femme, qui jouit d’une
valorisation remarquable après quelques siècles de dépréciation à travers
toute une littérature antiféministe. Par le biais de la tradition qui perpétue

1
Cf. Viktor Chklovski, La construction de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits
par Tzvétan Todorov, Paris, 1966, p. 177.
2
Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane-Autour de l’Heptaméron,
Paris, Gallimard, 1971, p. 295.
117

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les concepts de la fin’amor, ceux-ci connaissent un regain de faveur, en
même temps que le „rituel” correspondant à leur manifestation virtuelle.
La doctrine platonicienne, propagée dans l’entourage de Marguerite
de Navarre par le soin des humanistes réputés, comme Etienne Dolet,
Antoine Héroët, Bonaventure Des Périers, est embrassée avec
enthousiasme par l’écrivain, ce qui attire bientôt d’autres adeptes: Ramus,
Scève, Corrozet, Habert, Joachim du Bellay. D’ailleurs, comme le
remarque Abel Lefranc, „toute la Pléiade usera largement des nouvelles
sources d’inspiration, des mythes et des symboles mis à la portée des poètes
par la propagande des platonisants”1. Aussi faut-il comprendre l’impact du
platonisme sur la poésie lyonnaise, par l’intermédiaire du groupe de
Marguerite de Navarre, de même que par son reflet moderne, le
pétrarquisme, dont l’influence se fait également sentir dans certaines
nouvelles tragiques de l’Heptaméron. L’amour pétrarquiste ajoute une forte
note tragique à l’amour platonique: la femme auréolée des prérogatives de
la perfection est la „dame sans mercy”, qui dédaigne l’amour. Platonisme et
pétrarquisme fusionnent dans un même creuset littéraire. Au confluent de la
tradition et de l’innovation, l’oeuvre de Marguerite de Navarre procède de
la synthèse des doctrines platonicienne et pétrarquiste, dans la mesure où
elles lui servent d’ajuvant dans l’exposé des principes moraux qu’elle
avance. Combien originale est la manière de traiter ces principales
tendances philosophiques et éthiques dans l’Heptaméron?
Dans les commentaires du recueil, les opinions des devisants sur
l’amour et le mariage, quelques divergentes qu’elle soient, permenttent à
l’écrivain d’exposer une morale de la modération, exprimée plutôt dans les
controverses que dans les récits proprement-dits. Les mots-clefs, qui
définissent la conception de l’amour dans l’Heptaméron sont l’ ”amour
parfaicte”, „ferme et loyale”, la „vraye, honneste et parfaicte amityé”,
l’„amour très sage et raisonnable”, le „parfaict homme de bien”, la „dame
aymable et saige”, le „plus parfaict serviteur”, mots de ralliement des
platonisants. La trahison, la révélation du secret d’amour, la démesure,
l’impossibilité d’accéder à l’amour autrement que par la patience et par les
plus dures épreuves entraînent des drames de l’arsenal courtois, telles les
histoires de Floride et d’Amadour (Nouvelle X), de la Châtelaine de Vergi

1
Abel Lefranc, Grands écrivains de la Renaissance, Paris, Librairie
Ancienne Honore Champion, 1914, 246.
118

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(Nouvelle LXX), de Lorenzaccio (Nouvelle XII), etc. Les normes
auxquelles obéit la „parfaicte amour”, et dont les défenseurs s’avèrent être
surtout Parlamente et Dagoucin, sont toutefois combattues par les adeptes
de la morale épicurienne, les raisonneurs, libertins et modérés, par
l’intermédiaire de qui Marguerite de Navarre dénonce l’anachronisme de
pareils récits et démythifie cet idéal. La confirmation vient dans les
épilogues: „aussi les doibt-on mectre au ranc du viel temps, car au nouveau,
ne seroient-elles [les histoires] poinct receues” (Nouvelle XXIV); ou la
,,parfaicte” et „perpetuelle amityé”, dans les commentaires à la Nouvelle
XXIV. La souplesse et le naturel de la morale ressortent avec plus de clarté
du débat autour du mariage aristocratique, hobereau ou bourgeois. Liaison
mal assortie, affaire d’argent, intérêt de cour, etc., „rien d’étonnant que le
mariage, dans ces conditions, revête des aspects particuliers et assez
sinistres à l’occasion”1. Quelques nouvelles s’offrent comme de véritables
procès du mariage: X-e, XV-e, XIX-e, XXVI-e, LXIV-e nouvelles. Dans la
volonté de remédier aux moeurs de son époque, en tant que moraliste
convaincue, Marguerite de Navarre n’épargne pas le libertinage, défini
comme „mondanité” (voir l’histoire de Lorenzaccio), et qui concerne en
égale mesure les aristocrates et le clergé.
Par son considérable impact „sur la sphère de l’éthique de la vie
sociale”2, le mythe de l’„amour parfait” est décodé et approprié au langage
de l’Heptaméron, grâce à sa structure souple et dynamique, réalisé par
l’écrivain à travers une enquête psychologique et sociale, qui accuse un
caractère nettement réformateur.

1
Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane..... op. cit., p. 310
2
Cf. Denis de Rougemont, Les mythes de l’amour, Paris, Gallimard, 1967.
p.29
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ASPECTS DU RAPPORT DISCOURS/RÉCIT CHEZ LES
CONTEURS FRANÇAIS DE LA RENAISSANCE

Sans qu’on puisse établir, au point de vue littéraire, une nette


dichotomie entre le discours et le récit1, d’autant plus que le lexème
discours est parfaitement synonyme, au XVI-e siècle, avec histoire, conte,
fable, propos, devis, tous au sens de récit dans l’acception moderne, les
recueils de contes de la Renaissance, élaborés d’après les normes d’une
tradition ancienne, celles de l’encadrement, offrent la situation particulière
de l’imbrication des deux niveaux narratifs; leur jonction s’effectue, d’une
part dans le plan du cadre unificateur, suivant les „paliers” d’encadrement
d’une variété surprenante, d’autre part dans le plan actantiel, là où l’auteur
entre en relations transitives avec les récits enchâssés. C’est conformément
a cette double perspective que nous allons essayer de retracer, pour ce qui
est des ouvrages les plus représentatifs soumis au type-cadre –
„dénominateur commun d’un code unique”2 -, certains repères du
diagramme de l’encadrement et de la convergence actantielle, comme
schémas logiques et opérationnels de la <<programmation>> de ces
recueils: L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Les Propos rustiques de
Noël du Fail, Le Printemps de Jacques Yver, L’Été de Bénigne Poissenot.
La distinction linguistique discours-objectivité/vs/ récit – subjectivité3 s’y
trouve une fois de plus transgressée, à la suite de la „contamination” des
deux types d’expression narrative; on pourrait voir dans les procédés
auxquels la technique de l’encadrement a eu recours, un témoignage de la
manière dont cette littérature a essayé d’organiser, à l’interieur de sa propre

1
Cf. Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p.65
2
Cf. Adrian Marino, Critica ideilor literare, Cluj, Dacia, 1974, p.167
3
Nous renvoyons, à cet égard, aux opinions d’Emile Benvéniste, Problèmes
de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p.237-250.
120

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lexis, les rapports délicats qu’entretiennent les exigences du récit et les
nécessités du discours1.
Une approche du diagramme de l’encadrement en rapport avec les
récits permet d’en dégager une „géométrie” rigoureuse: un
développement en spirale dans L’Heptaméron; une succession de plans
sécants, dans Les Propos rustiques; une alternance de triangles isoscèles,
selon l’ordre des „paliers”: récit + argumentation (sentence introductive +
récits [„tiroirs”] + sentence conclusive), dans Le Printemps; une chaîne
rectiligne aux anneaux égaux, dans L’Été.
Configuration ou figures du discours, garanties de sa spécificité, en
tant que formes d’organisation du sens, les commentaires compacts ou
disséminés dans la masse des récits rendent compte des migrations inter-
textuelles des motifs, et partant, de l’organisation pluri-isotope du discours2.
Cela découle aussi du fait que les narrateurs-commentateurs sont en même
temps auteurs et acteurs, leur rôle sémantique étant celui d’être générateurs
de discours et d’offrir des modèles de prévisibilité du récit, des hypothèses
présentées sous forme d’articulations logiques qui, une fois projetées sur les
textes, peuvent en augmenter la lisibilité ce qui leur confère également un
rôle thématique3. Dans le cadre d’une grammaire du discours, ce type de
narrateurs pourrait être intégré aux catégories suivantes4: les personnages –
embrayeurs (marques de la présence de l’auteur et/ou du lecteur dans le
texte), qui sont autant de propulseurs de l’action: des personnages
référentiels, dans la mesure où l’on évoque des figures historiques (tels les
correspondants réels des commentateurs dans L’Heptaméron), ou
allégoriques (tels les narrateurs dans Le Printemps); des personnages
anaphores, dont les informations s’incrivent en tant que signes
mnémotechniques du lecteur.

1
Voir à ce propos: Gérard Genette, Figures II, op. cit., p.67.
2
Cf. A. J. Greimas, Les Actants, les Acteurs et les Figures, dans Sémiotique
narrative et textuelle (ouvrage collectif), Paris, Librairie Larousse, 1973, p.170-171,
173.
3
Idem, p.175-176.
4
Pour la classification que nous avons adoptée, voir l’article de Philippe
Hamon, Pour un statut sémiologique du personnage, dans „Littérature”, no.6, mai
1972, p. 95-96
121

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La perméabilité, caractéristique fonctionnelle des recueils qui
adoptent la technique de l’encadrement, est justifiée par le potentiel de la
sollicitation au niveau des commentaires de même qu’à l’intérieur des
récits plus élaborés. L’Heptaméron en fournit le meilleur exemple, l’auteur
utilisant un procédé de large emploi dans la tradition du genre:
l’introduction de nouvelles péripéties, de développements enchâssés dans le
noyau de l’intrigue. Krystyna Kasprzyk explique cette particularité par
„une tendance très commune, pour ne pas dire générale, dans l’histoire du
conte: à force de répétition fréquente, une narration s’use et on éprouve le
besoin d’en renforcer l’effet: on y joint une autre, apparentée pour les
raisons les plus diverses”1. Ainsi serait-il possible d’y voir une motivation
de l’auto-enchâssement, souvent illustré par une „mise en abyme”. Il s’agit
de certaines séquences-mannequins, signaux d’avertissement sur le
dénouement du récit dont ils constituent une sorte de miniature; par leur
présence sur le trajet du discours des commentaires (le procédé jouit d’une
grande récurrence et d’une adaptation remarquable dans Le Printemps), on
pourrait les considérer des récits de second degré. Au moyen de cette
technique, destinée à „accentuer la redondance globale de l’énoncé et la
prévisibilité du récit”, „l’oeuvre se cite elle-même, se referme sur elle-
même et se rapporche de la tautologie ou de la construction
anagrammatique”2. Les références à des récits mis en circulation par la
mythologie, les chroniques ou le folklore, l’insertion des poèmes, des
épitaphes, des facéties, etc. autant d’„accidents” dans le parcours de la
narration, soit comme excroissances du récit dans le discours, soit comme
incursions discursives dans le récit (voir l’attitude explicite du narrateur
relative à ce qu’il raconte), témoignent de l’habileté dans l’utilisation du
topos de la captatio benevolentiae, mais aussi et surtout, de la mise en
oeuvre d’un prodédé qui vise à souligner la détermination psychologique
des personnages et la motivation compositionnelle de l’ensemble narratif
tout entier.

1
Krystina Kasprzyk, Nicolas de Troyes et le genre narratif en France au
XVI-e siècle, Pánstwowe Wydawnictwo Naukowe, Warsawa; Paris, Klincksieck,
1963, p. 298
2
Cf. Philippe Hamon, Pour un statut sémiologique du personnage, op. cit.,
p. 109
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Les remarques suivantes se réfèrent à l’impact de la dimension
actantielle sur le déroulement syntagmatique du discours. Celui-ci prend, en
l’occurrence, l’aspect d’une surface „parsemée de figures polysémiques,
chargées de virtualités multiples, réunies souvent en configurations
discursives continues ou diffuses”1. Entre les deux lignes actantielles, les
commentateurs et les personnages des récits, s’établissent des liens de
communication formelle dans l’arrangement de l’ensemble narratif, qui se
conforment aux deux registres parallèles des recueils: la conversation des
devisants et le récit, „le premier comme dialogue pris sur le vif, simple et
naturel, le deuxième usant largement de l’„appareil oratoire pesant”, du
„discours captieux et pathétique”2. L’effet de stylisation se fait sentir
surtout dans les péroraisons, les complaintes, les plaidoyers des
personnages. On pourrait attribuer aux deux catégories d’actants le terme
de fiction à coefficient fonctionnel différent. L’appel à une caractérologie
variée pour les commentateurs permet aux conteurs de réaliser un contre-
rythme narratif adéquat aux multiples aspects de la réalité sociale et morale
qu’ils veulent embrasser, et garantit en même temps le mouvement et
l’unité dialectique des recueils. Pour revenir sur l’une des motivations qui
président à la constitution de ce type d’ouvrages d’après le modèle de
l’encadrement, omni tulit punctum qui miscuit utile dulci, exigence des
manuels de civilité, des livres de sagesse de haute tradition, ajoutons aussi
que le privilège même de raconter (= conseiller) est accordé en fonction du
statut éthique des actants-acteurs. Tel est, pour n’en donner qu’un exemple,
le cas éclairant des Propos rustiques, où la récurrence des récits des quatre
devisants, pendant trois jours fériés, n’est pas proportionnelle avec leur
nombre, mais elle dépend de leur statut social et moral.
Situés sur le terrain d’une apparente dichotomie du champ
conceptuel discours (les commentaires des prologues et des épilogues), /vs /
récit, les recueils des conteurs français du XVI-e siècle, qui recourent au
procédé de l’encadrement, témoignent, comme la littérature de toutes les
époques, de l’osmose évidente des deux coordonnées d’expression
narrative.

1
Voir A. J. Grimas, Les Actants, les Acteurs et les Figures, op. cit., p. 175
2
Cf. Raymond Lebègue, Réalisme et apprêt dans la langue des personnages
de „L’Heptaméron”, dans La littérature narrative d’imagination; des genres
littéraires aux techniques d’expression, Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1959,
Paris, P.U.F., 1961, p.75-76.
123

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BIBLIOGRAPHIE

LES FABLIAUX
Bibliographie sélective

I. Édition critique
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fabliaux des XIII-e et XIV-e siècles, New-York, Burt Franklin, 1878,
6 volumes.
II. D’autres éditions
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Paris, éd. Picard, 1959-1960 (2 tomes).
Pierre Nardin, Jean Bodel, Fabliaux, Paris, Nizet, 1965.
Martha Walters-Gehrig, Trois fabliaux (Saint-Pierre et le jongleur ; De
Haimet et de Barat et de Travers ; Estula) – éditions critiques,
Tübingen, Max Niemeer Verlag, 1961.
III. Ouvrages de critique littéraire consacrés aux fabliaux
Bédier, Joseph, Les fabliaux. Etudes de littérature populaire et d’histoire
littéraire du Moyen Âge, Paris, Champion, 1925.
Ciuchindel Luminiţa, Les Fabliaux, în Luminiţa Ciuchindel, Aspects de
l’évolution du genre narratif dans la littérature française. Moyen Âge
– Renaissance, Universitatea din Bucureşti, I.C.P.P.D., 1979.
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Filologie, n. 8, Bucureşti, Editura „Hyperion” XXI, 1999.
Livigston Charles, Le jongleur Gautier Le Leu, étude sur les fabliaux,
Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1951.
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médiévale, Copenhague, Ejnar Mumksgaard, 1957.
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Rychener Jean, Contribution à l’étude des fabliaux (variantes,
remaniements, dégradations), Genève, Libraire Droz, 1960, 2
volumes.
Williams Clem C., The Genre and Art of the Old French Fabliaux, A
preface to the Study of Chaucer’s Tales of the Fabliau Type, Yale,
Univ. New Haven, 1961.
D’autres études sur les fabliaux:
Bercescu Sorina, Le Vilain Mire şi Le Médecin malgré lui, dans „Analele
Universităţii Bucureşti” – Literatură universală şi comparată, no. 1,
1972, p. 87-95.
Coppin Joseph, Amour et mariage dans la littérature française du nord au
Moyen Âge Paris, Libraire d’Argence, 1961 (Chapitre XI: L’esprit
gaulois. Les fabliaux, p. 114-122.)
Coulet Henri, Les fabliaux, dans: Le roman jusqu’à la Révolution, Paris,
Librairie Armand Colin, 1967, p. 76-79.
Dubuis Roger, Les Cent Nouvelles Nouvelles et la tradition de la nouvelle
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chapitre Les Fabliaux, p. 133-303.
Guiette Robert, Fabliaux, Divertissement sur le mot fabliau. Notes
Conjointes. Note sur le fabliau „Du mari confesseur”, dans:
Questions de littérature, Gent-Gand, Romanica Gandensia VIII,
1960, p. 61-86.
Jodogne Omer, Considérations sur le fabliau, dans „Mélanges offerts à
René Crozet”, Poitiers, 1966, t. II, p. 1043-1055.
Lecoy Felix, A propos du fabliau de Gautier Le Leu „De Dieu et dou
pescour”, dans „Mélanges Delbouille”, Gembloux, Duculot, 1964,
p. 367-379.
Roussel J., Le Roman de Renart et les fabliaux, dans: Histoire de la
littérature française, t. I „Du Moyen Âge à la fin du XVII-e siècle”,
sous la direction de Jacques Roger et Jean-Charles Payen, Paris,
Librairie Armand Colin, 1969, p. 93-102.
Rychener Jean, Les Fabliaux: genres, styles, publics, dans: „La littérature
d’imagination, des genres littéraires aux techniques d’expression”,
Colloque de Strasbourg, 23-25 avril, 1959, Paris, P.U.F., 1961, p. 42-51.
Vàrvaro Alberto, I fabliaux e la società, dans: „Studi mediolatini e
volgari”, VIII, 1960, p. 275-299.
Vàrvaro Alberto, Il „segretain moine” e il realismo dei „fabliaux”, „Studi
mediolatini e volgari”, XIV, 1966.
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ANTOINE DE LA SALE
Bibliographie sélective

1. Principales éditions:
Antoine de La Sale, Histoire et plaisante chronicque du petit Jehan de
Saintré et de la jeune Dame des Belles Cousines sans autre nom
nommer, Paris, Desonay et Champion, 1926.
Antoine de La Sale, Oeuvres complètes, Paris, Desonay, 1930.
Antoine de La Sale, Le Paradis de reine Sibylle, Paris, Desonay, 1930, et
dans: Poètes et romanciers du Moyen Âge, texte établi et annoté par
Albert Pauphilet, Paris, Librairie Gallimard, 1958, „Bibliothèque de
la Pléiade”, p. 671 – 688.
Antoine de La Sale, Jehan de Saintré, Genève, J. Mirahi et Ch. A.
Knudson, 1965.
Antoine de la Sale, Le Petit Jehan de Saintré, Paris, Jean Gillequin, s. d.,
coll. „La Renaissance du Livre”.
II. Etudes consacrées à Antoine de La Sale:
Auerbach Erich, Mimesis. Reprezentarea realităţii în literatura
occidentală, Bucureşti , EPLU, 1967, p. 250-281.
Bercescu Sorina, „Paradisul reginei Sibylle”, legendă de circulaţie
europeană, dans „Analele Universităţii Bucureşti ” – Literatură
universală şi comparată – nr. 1, 1971, p. 7-14.
Ciuchindel Luminiţa, Antoine de La Sale et le paradoxe romanesque au
XVe siècle, in Luminiţa Ciuchindel, Aspets de l’évolution du genre
narratif dans la littérature française. Moyen Âge – Renaissance,
Universitatea din Bucureşti , I.C.P.P.D., 1979.
Coulet Henri, Le Petit Jehan de Saintré, dans Le Roman jusqu’à la
Révolution, Paris, Armand Colin, 1967, p. 92-96.
Coville A., Le petit Jehan de Saintré. Recherches complémentaires, Paris,
Librairie E. Droz, 1937.
Daix Pierre, Pour le demi-millénaire d’Antoine de La Sale, fondateur du
roman moderne, dans Sept siècles de roman, Paris, Les Editeurs
Français Réunis, 1955, p. 103-129.
Desonay F., Comment un écrivain se corrigeait au XV-e siècle, dans
„Revue Belge de Philosophie et d’histoire”, VI, 1927, p. 81-121.
Desonay F., Antoine de La Sale, aventureux et pédagogue. Essai de
biographie, Liège-Paris, 1940.
126

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Kundson Charles A., Les Anciennes éditions du Petit Jehan de Saintré”,
dans „Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale
offerts à Maurice Delbouille”, Gembloux, éd. Duculot, 1964, t. II,
„Philologie médiévale”, p. 348-357.
Kristeva Julia, Le texte du roman, appoche sémiologique d’une structure
discursive transformationnelle, The Hague-Paris, Mouton, 1970.
Nève Joseph, Antoine de La Sale, sa vie et ses ouvrages, Paris Bruxelles,
1903.
Reynier Gustave, Le Petit Jehan de Saintré, dans Les Origines du roman
réaliste, Paris, Hachette, 1912, p. 71-119.
Santucci Monique, Variations sur le thème de la joie dans Jehan de
Saintré, dans Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts
à Alice Planche, in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences
Humaines de Nice, Centre d’Etudes Médievales, n. 48, Nice, Les
Belles Lettres, 1984.

LE CONTE ET LE ROMAN AU XVe SIÈCLE


Bibliographie sélective

I. Principales éditions:
Les Quinze Joyes de Mariage, dans Poètes et romanciers du Moyen Âge,
texte établi et annoté par Albert Pauphilet, Paris, Librairie Gaillimard,
1952, collection „Bibliothèque de la Pléiade, p. 591-670.
Le Roman de Jehan de Paris, dans Poètes et romanciers du Moyen Âge,
op. cit., p. 689-758.
Les Cent nouvelles nouvelles, Paris, Garnier, 1885.
Les Cent nouvelles nouvelles, dans Conteurs français du XVIe siècle textes
présentés et annotés par Pierre Jourda, Paris, Gallimard, 1965,
collection „Bibliothèque de la Pléiade”, p. 1-358.
Les Cent nouvelles nouvelles, avec une introduction et des notes par F.- P.
Swetser, Paris, Droz, 1967.
II. Études critiques:
Les Introductions aux éditions citées.
Ciuchindel Luminiţa, Le conte et le roman au XVe siècle, în Luminiţa
Ciuchindel, Aspects de l’évolution du genre narratif dans la
littérature française. Moyen Âge Renaissance, Universitatea din
Bucureşti, I.C.P.P.D., 1979.
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Chiuchindel Luminiţa, Forme narative în literatura franceză din secolele
al XV-lea si al XVI-lea, În Comunicările „Hyperion”, Bucureşti,
Editura „Hyperion” XXI, 1992.
Coulet Henri, Le Roman jusqu’a la Révolution, Paris, Armand Colin, 1975,
chap.: Les Quinze Joyes de Mariage (p. 86-88), Les Cent nouvelles
nouvelles (p. 88-92), Le Roman de Jehan de Paris (p. 96-97).
Dubuis Roger, Les Cent nouvelles nouvelles et la tradition de la nouvelle
en France au Moyen Âge, Grenoble, Presses Universitaires, 1973,
chap. Les Cent nouvelles nouvelles. – Essai de définition du genre de
la nouvelle, p. 9 -127.
Küchler Walter, Die Cent Nouvelles Nouvelles. Ein Beitrag zur Geschichte der
französischen Novelle, dans „Zeitschrift für französische Sprache und
Literatur”, t.XXX, 1906, p. 264-331 et t. XXXI, 1907, p. 39-101.
Reynier Gustave, Les Origines du roman réaliste, Paris, Librairie
Hachette, 1912, chap. Les Cent nouvelles nouvelles, p. 143-160.

MARGUERITE DE NAVARRE
Bibliographie sélective

I. Principales éditions de L’Heptaméron:


Marguerite d’Angoulême, L’Heptaméron des nouvelles. Publié sur les
manuscrits par les soins et avec les notes de Le Roux de Lincy et A.
de Montaiglon, Eudes, 1880, 4 vol.
Marguerite d’Angoulême, L’Heptaméron, Paris, éd. Garnier Frères, 1888.
L’Heptaméron des Nouvelles de très haute et très illustre princesse
Marguerite d’Angoulême, Reine de Navarre, collationné sur les
manuscrits avec préface, notes, variantes et glossaire – index, par
Benjamin Pifteau, Paris, Librairie des Bibliophiles, E. Flammarion
successeur, 1924, 2 vol.
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, dans Conteurs français du XVIe
siècle, textes présentés et annotés par Pierre Jourda, Paris, Gallimard,
1965, collection „Bibliothèque de la Pléiade”, p. 701-1131.
Marguerite de Navarre, Nouvelles, texte critique établi et présenté par Yves
Le Hir, Paris, Presses Universitaires de France, 1967.
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, texte établi sur les manuscrits avec
une Introduction, des notes et un index des noms propres par Michel
François, Paris, Édition Garnier Frères, 1969.
128

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II. Études critiques:
Les Introductions des éditions citées.
Cazauran Nicole, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris,
SEDES/CDU, 1977.
Cazauran Nicole, La Nouvelle exemplaire ou le roman tenu en échec, in
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Actes de la Journée
d’Étude Marguerite de Navarre, 19 octobre 1991, réunis et présentés
par Simone Perrier, Cahiers „Textuels”, n. 10, 1992.
Ciuchindel Luminiţa, Aspects de l’évolution du genre narratif dans la
littérature française (Moyen Âge Renaissance), Universitatea
Bucureşti, I.C.P.P.D., 1979.
Ciuchindel Luminiţa, Mythe et réalité dans l’éthique de l’Heptaméron, in
Colloques de la Chaire de langue et de littérature françaises, nr.1,
T.U.B.,1979.
Ciuchindel Luminiţa, Fonctions et motifs du modèle d’encadrement des
récits dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, in Colloques
de la Chaire de langue et de littérature françaises, nr. 2, T.U.B.,
1979.
Ciuchindel Luminiţa, Aspects du rapport discours/récit chez les conteurs
français de la Renaissance, în Analele Universităţii Bucureşti, seria
Limbi si literaturi străine, 1984.
Ciuchindel Luminiţa, Un Decameron francez incomplet: Heptameronul de
Marguerite de Navarre, în Comunicările „Hyperion”, Bucureşti
Editura „Hyperion” XXI, 1996 (p. 139-144).
Coulet Henri, Le Roman jusqu’à la Révolution, Paris, Armand Colin,
1975, chap. Marguerite de Navarre, p. 121-128.
Delègue Yves, Autour de deux Prologues: L’Heptaméron, est-il un anti-
Boccace?, dans „Travaux de Linguistique et de Littérature”, IV, 2,
Strasbourg, 1966, p. 23-37.
Delègue Yves, La signification du rire dans L’Heptaméron, in
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Aspects de la Journée
d’Étude Marguerite de Navarre, 19 octobre 1991, réunis et présentés
par Simone Perrier, Cahiers «Textuels», nr. 10, 1992.
Febvre Lucien, Amour sacré, amour profane. Autour de L’Heptaméron
Paris, Gallimard, 1971.
Gelernt J., World of Many Loves: The Heptaméron of Marguerite de
Navarre, Université de la Caroline du Nord, XII, 1966.
Jourda Pierre, Une princesse de la Renaissance, Marguerite d’Angoulême,
reine de Navarre, Paris, Desclée de Brower et Cie Editeurs, 1931.
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Lajarte Philippe de, L’Heptaméron et la naissance du récit moderne: essai
de lecture épistémologique d’un récit narratif, dans „Littérature”, nr.
17, février 1975, p. 31-43.
Lebègue Raymond, Réalisme et apprêt dans la langue des personnages de
L’Heptaméron, dans La Littérature narrative d’imagination: des
genres littéraires aux techniques d’expression, Colloque de
Strasbourg, 23-25 avril 1959, Paris, Presses Universitaires de France,
1961, p. 73-83.
Lefranc Abel, Grands écrivains de la Renaissance, Paris, Librairie
Ancienne Honoré Champion, 1914, chap. Marguerite de Navarre et
le platonisme de la Renaissance, p. 139-249.
Mathieu – Castellani Gisèle, La Conversation conteuse. Les Nouvelles de
Marguerite de Navarre, Paris, P.U.F., 1992.
Oţetea Andrei, Renasterea şi reforma, Bucureşti, Editura Ştiinţifică , 1968
(chap.: Problema Renaşterii (p. 23-40), Renaşterea intelectuală.
Umanismul (p. 179-228), Umanismul în registrul Europei (p. 229-
248), Reforma (p. 249- 282).
Palermo J., L’Historicité des devisants de L’Heptaméron, dans „Revue
d’Histoire littéraire de la France”, nr. 2, mars-avril 1969, p. 193-202.
Reynier Gustave, Le Roman sentimental avant l’Astrée, Paris, Librairie
Armand Colin, 1908, chap. Les Contes amoureux de Madame
Jeanne Flore. – L’Heptaméron, p. 123-136.
Reynier Gustave, Les Origines du Roman réaliste, Paris, Librairie
Hachette, 1912, chap. Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis. –
L’Heptaméron de la reine de Navarre, p. 205-218.
Telle Emile, L’Oeuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, et
la Querelle des Femmes, Toulouse, Imprimerie toulousaine Lion et
fils, 1937.
Tetel Marcel, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre: thèmes, langage
et structures, Paris, Klincksieck, 1991 (trad. fr.).

BONAVENTURE DES PÉRIERS


Bibliographie sélective

I. Principales éditions des Nouvelles Récréations et Joyeux Devis:


Les Contes ou les nouvelles récréations et joyeux devis de Bonaventure Des
Périers, avec un choix des anciennes notes de B. de La Monnoye et
130

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de Saint-Hyacinthe, revues et augmentées par P.L. Jacob, bibliophile,
et d’une notice littéraire par Ch.Nodier, Paris, 1843.
Bonaventure Des Périers, Oeuvres françoises, revues sur les éditions
originales et annotées par L. Lacour, Paris, 1856, 2 vol.
Bonaventure Des Périers, Contes ou nouvelles récréations et joyeux devis,
suivis du Cymbalum Mundi, Paris, Garnier- Frères, 1872 (,,Notes”
sur Des Périers par P.L. Jacob, bibliophile).
Bonaventure Des Périers, Nouvelles récréations et joyeux devis, suivis du
Cymbalum Mundi, réimprimés par les soins de J. Jouaust, avec une
notice, des notes et un glossaire par L. Lacour, Paris, 1874, 2 vol.
Bonaventure Des Périers, Nouvelles récréations et joyeux Devis.
Reproduction en fac-similé de l’édition de Lyon, 1588, Robert
Granjon, Paris, 1914.
Bonaventure Des Périers, Les nouvelles récréations et joyeux devis, dans
Conteurs français du XVIe siècle, textes présentés et annotés par
Pierre Jourda, Paris, Gallimard, 1965, collection „Bibliothèque de la
Pléiade”, p. 359-594.
II. Études critiques:
Les Introductions aux éditions citées.
Ciuchindel-Paştină Luminiţa, Bonaventure Des Périers, continuator al
traditiei comice medievale franceze, dans „Analele Universităţii
Bucureşti” – Limbi romanice – , 1971, p. 81-91.
Lefranc Abel, La Vie quotidienne au temps de la Renaissance, Paris,
Librairie Hachette, 1938, chap. La conversation française, Le
dialogue chez Rabelais et chez les conteurs.
Reynier Gustave, Les origines du roman réaliste, Paris, Librairie Hachette,
1912, chap. Les Nouvelles récréations et joyeux devis;
L’Heptaméron, p. 195-205.
Sainéan Lazare, Problèmes littéraires du XVIe siècle, Paris, E. De Boccard,
1927, p. 185-275.
Sozzi Lionello, Les Contes de Bonaventure Des Périers. Contribution à
l’étude de la nouvelle française de la Renaissance, Torino, G.
Giappichelli Editore, 1965.
Vianu Tudor, Studii de literatură universală si comparată , Bucureşti,
Editura Academiei, 1963, chap.: Arta lui Rabelais, p. 113-123.
Vianu Tudor, Postume, Bucureşti, Editura pentru Literatură Universală ,
1966, chap. Modelul rabelaisian, p. 49-51.

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Théorie de la littérature, textes des formalistes russes, réunis, présentés et
traduits par Tzvetan Todorov, Paris, Éditions du Seuil, collection
„Tel Quel”, 1966, p. 170-196.

OUVRAGES GÉNÉRAUX SUR LE CONTE ET LA NOUVELLE


DU XVe AU XVIe SIÈCLES ET D’AUTRES ÉTUDES
CONSACRÉES AU GENRE NARRATIF BREF

Bibliographie sélective:

Batany Jean, Approches du «Roman de la Rose», Paris, Bordas, 1973.


Battaglia Salvatore, La Conscienza letteraria del medioevo, Napoli,
Liguori, 1965.
Pierre Bec, Écrits sur les troubadours et la lyrique médiévale, Caen,
Paradigme, 1992.
Bergson Henri, Le Rire, essai sur la signification du rire, Paris, Quadrige,
P.U.F., 1983.
Bezzola Reto R., Les Origines et la formation de la littérature courtoise en
Occident (500-1200), Paris, Honoré Champion, 1960.
Bloch Marc, La Société féodale. La formation des liens de dépendance,
Paris, Albin Michel, 1939.
Booth Wayne C., Retorica romanului, Bucureşti, Univers, 1976, chap.
«Povestirea» autorizată din primele naraţiuni; Două povestiri din
Decameron (trad.roum.).
Bremond Claude, Logique du récit, Paris, Éditions du Seuil, 1973
Buşulenga Dumitrescu Zoe, Valori si echivalente umanistice. Excurs critic
şi comparatist, Bucureşti, Ed. Eminescu, 1973.
Buşulenga Dumitrescu Zoe, Renaşterea. Umanismul şi destinul artelor,
Bucureşti, Univers, 1975.
Bruyne, Edgar de, Études d’esthétique médiévale, Genève, Slatkine
Reprints, 1975 (3 vol.).
Chklovski Victor, La construction de la nouvelle et du roman, dans
Théorie de la littérature, textes des formalistes russes, réunis,
présentés et traduits par Tzvetan Todorov, Paris, Éditions du Seuil,
1966.
Ciuchindel Luminiţa, Convergences ou coïncidences dans le folklore
roumain et français, in „Analele Universităţii Bucureşti“, seria Limbi
şi literaturi străine,1985.
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Ciuchindel Luminiţa, Esthétique et rhétorique dans la poésie lyrique des
premiers troubadours, Bucureşti, T.U.B., 1986.
Ciuchindel Luminiţa, Relais folkloriques roumains et occitans, in Actes du
IIIe Congrès International de l’Association Internationale d’Études
Occitanes, t.II, Contacts de langues, de civilisations et intellectualité,
Montpellier, Presses de l’Imprimerie de Recherches de l’Université
„Paul Valéry”, 1992.
Ciuchindel Luminiţa, Forme narative în literatura franceză din secolele al
XV-lea şi al XVI-lea, în Comunicările ”Hyperion”, Bucureşti,
Editura ”Hyperion” XXI, 1992.
Dubuis Roger, Les cent nouvelles nouvelles et la tradition de la nouvelle
en France au Moyen Âge, Grenoble, Presses Universitaires, 1973.
Fossier Robert, Histoire sociale de l’Occident médiéval, Paris, Armand
Colin, 1970.
Genette Gérard, Figures II, Paris, Éditions du Seuil, 1969, chap. Frontières
du récit.
Genette Gérard, Figures III, Paris, Éditions du Seuil, 1972, chap. Discours
du récit.
Huizinga Johan, Amurgul evului mediu, Bucureşti, Univers, 1970,
(trad.roum.).
Jauss Hans-Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard,
1978.
Jolles André, Formes simples, Paris, Éditions du Seuil, 1972, chap. Le
conte; Le trait d’esprit.
Ion Angela, sous la direction de, Dicţionar istoric şi critic de literatură
franceză , Bucureşti, Editura Ştiinţifică şi Eciclopedică, 1982.
Ion Angela, sous la direction de, Dicţionar de scriitori francezi, Bucureşti,
Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică , 1982.
Kasprzyk Kristina, Nicolas de Troyes et le genre narratif en France au
XVIe siècle, Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, Warsawa, Paris,
Librairie Klincksieck, 1963.
Le Goff Jacques, Civilizaţia Occidentului medieval, Bucureşti, Editura
Ştiinţifică , 1970 (trad. roum.).
Miclău Paul, Le signe linguistique, Paris, Klincksieck, 1970.
Miclău Paul, Semiotica lingvistică , Timişoara, Editura Facla, 1977.
Marino Adrian, Critica ideilor literare, Cluj, Editura Dacia, 1974.
Pânzaru Ioan, Introduction à l’étude de la littérature médiévale française,
Bucureşti, T.U.B., 1999.

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Paris Gaston, La nouvelle française aux XVe et XVIe siècles, dans Mélanges
de littérature française, publiés par Mario Roques, Paris, Champion,
1912.
Pérouse Gabriel, A., Nouvelles françaises du XVIe siècle. Images de la vie
du temps, Service de reproduction des Thèses, Université de Lille III,
1978.
Pérouse Gabriel, A., Le Parangon des Nouvelles, édition critique par le
C.L.E.H., Université de Lyon II, coordination par G.A. Pérouse,
Paris – Genève, Librairie Droz, 1979.
Pérouse Gabriel, A., Contes amoureux par Madame Jeanne Flore, texte
établi d’après l’édition originale avec Introduction, notes, variantes et
glossaire par le C.L.E.H., sous la direction de G.–A. Pérouse,
Éditions du C.N.R.S. Lyon, P.U. Lyon, 1980.
Plattard Jean, La Renaissance des lettres en France de Louis XII à Henri
IV, Paris, A. Colin, 1967.
Rougemont Denis de, L’Amour et l’Occident, Paris, Union Générale
d’Éditions, 1962.
Rougemont Denis de, Les mythes de l’amour, Paris, Gallimard, 1967.
Sartre Jean – Paul, Questions de méthode, Paris, Gallimard, 1973.
Söderhjelm Werner, La nouvelle française au XVe siècle, Paris, Champion,
1910.
Soutet Olivier, La Littérature française de la Renaissance, Paris, P.U.F.,
1994.
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