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Alors que les premières traces d'occupation du sol de la Suisse remontent au Moustérien (-
100 000) et que plusieurs pièces archéologiques du Magdalénien, de l'Azilien, du Sauveterrien
et du Tardenoisien ont été mises au jour, les principaux vestiges datent du Néolithique et de
l'introduction de l'agriculture au VIe millénaire av. J.-C. La période du Néolithique moyen à
l'âge du bronze est caractérisée par les habitats lacustres et les villages littoraux dont en
particulier la civilisation campaniforme qui s'implante notamment au bord du lac de
Neuchâtel et dans la baie de Zurich où les plus anciennes roues d'Europe, datant de 2500 av.
J.-C., ont été découvertesnappey 1. Ces villages, dont certains peuvent alors compter jusqu'à une
centaine d'habitants, seront abandonnés à la fin du IXe siècle av. J.-C. avec la civilisation de
Hallstatt.
Dès le début de l'Âge du fer, les Celtes occupent le territoire, apportant avec eux le travail du
fer ainsi que les arts de la poterie et des bijoux. La seconde partie de l'Âge du fer a d'ailleurs
été appelée « période de La Tène » du nom du site éponyme situé dans l'actuel canton de
Neuchâtel et découvert en 1857. Certains noms de lieux actuels tels que Nyon ou Yverdon
sont d'origine celte.
À la suite de la migration de la tribu germanique des Cimbres qui quitte le Jutland vers -115
en direction du suddurrenmatt 1 et de celle des Teutons qui les rejoignent quelques années plus tard1,
la plus grande partie du plateau suisse est occupée à partir de 100 av. J.-C. environ par les
cinq tribus des Helvètes qui sont mentionnées pour la première fois par l'historien latin
Tacite2.
1
Campagne de César pendant la guerre des Gaules
Originellement nomades, les tribus se sont progressivement sédentarisées bien que deux
d'entre-elles se fussent jointes aux Cimbres dans leur expédition en 107 av. J.-C. dans le sud-
ouest de la France actuelle. Poussée par les Cimbres, la tribu helvète des Tigurins descend la
vallée du Rhône sous le commandement du jeune chef Divico. Arrivés au bord de la Garonne,
ils affrontent et défont en -107 une armée romaine dont les soldats survivants doivent ensuite
passer sous le joug en signe de défaite. En réaction, Rome envoie une nouvelle armée
commandée par Caius Marius qui rattrape les Germains en -102 et les extermine presque lors
de la bataille d'Aix ; les Tigurins sont alors forcés de faire demi-tour et se fixent dans la
région d'Avenchesdurrenmatt 2.
Vers le milieu du Ier siècle av. J.-C., les Helvètes décident d'émigrer vers le pays de la tribu
gauloise des Santons, dans l'ouest de la France actuelle. Bien que les raisons de cette décision
ne sont pas connues avec certitude, les diverses motivations qui auraient pu pousser à une
telle migration, on a notamment invoqué le manque de terres et l'ambition de leur chef
Orgétorixbouquet 2. Quelle qu'en soit la raison, ces derniers brûlent leurs villes et leurs villages et
plus de 360 000 Helvètes prennent la route4. Jules César, alors proconsul de la Gaule
narbonnaise, les repousse lors de la bataille de Bibracte (58 av. J.-C.) et les contraint à
retourner chez eux où ils doivent défendre la frontière du Rhin contre les invasions des
Germains. En 52 av. J.-C., selon César, les Helvètes envoient des renforts à Vercingétorix.
2. Suisse gallo-romaine
2
Répartition géographique et migrations
Au Ier siècle av. J.-C., le territoire de la Suisse actuelle abrite une grande diversité culturelle :
si la plupart des populations sont celtes, les Ubères et les Rhètes, qui occupent respectivement
le Haut-Valais et les Grisons, ainsi que les Lépontiens peuplant le Tessin, viennent de souches
différentes. Les tribus celtes identifiées de cette époque sont les Rauraques dans la région
bâloise, les Séquanes à l'ouest du Jura, les Allobroges dans la région de Genève, les Nantuates
dans le Chablais vaudois et le Bas-Valais jusqu'à Saint-Maurice, les Véragres dans la région
de Martigny et les Sédunes dans celle de Sionflutsch 1.
À la suite de la migration de la tribu germanique des Cimbres qui quitte le Jutland vers -115
en direction du suddurrenmatt 1 et de celle des Teutons qui les rejoignent quelques années plus tard1,
la plus grande partie du plateau suisse est occupée à partir de 100 av. J.-C. environ par les
cinq tribus des Helvètes qui sont mentionnées pour la première fois par l'historien latin
Tacite2. Les Helvètes sont surtout décrits par Jules César qui, s'il n'a jamais pénétré en
territoire helvète, décrit celui-ci dans ses Commentaires sur la Guerre des GaulesGDG 1 comme
étant délimité « d'un côté par le Rhin [...], d'un autre par le Jura [...] et du troisième par le
lac Léman et le Rhône »GDG 1.
Poussés par les Cimbres, la tribu helvète des Tigurins descend la vallée du Rhône sous le
commandement du jeune chef Divico. Arrivés au bord de la Garonne, ils affrontent et défont
en -107 une armée romaine dont les soldats survivants doivent ensuite passer sous le joug en
signe de défaite. En réaction, Rome envoie une nouvelle armée commandée par Caius Marius
qui rattrape les germains en -102 et les extermine presque lors de la bataille d'Aix ; les
Tigurins sont alors forcés de faire demi-tour et se fixent dans la région d'Avenchesdurrenmatt 2.
En 58 av. J.-C., 368 000 HelvètesGDG 2 accompagnés de Rauraquesfellmann 1quittent leur territoire
après avoir brûlé leurs villes, estimées à une douzaine mais jamais identifiées3 et se mettent en
route en direction de la Saintonge, poussés par leur chef Orgétorix et emportant avec eux de la
farine pour trois moisfelber 1. Différentes raisons sont données à cette migration, parmi lesquelles
la pression constante des peuplades germaniques, le manque de place disponible4 ou les
souvenirs positifs que les participants au voyage précédent gardaient du climat du suddurrenmatt 3 .
Les émigrants se présentent en mars -58 dans les environs de Genève, dernier oppidum des
Allobroges récemment conquis par les RomainsGDG 3.
3
Jules César, alors proconsul de la Gaule narbonnaise, parvient à les précéder à Genève où il
coupe l'unique pont permettant de franchir le Rhône. Il oblige ainsi les Helvètes à effectuer un
large détour par le Jura pour rejoindre la Saône. Ils sont rejoints par les légions romaines qui
attaquent victorieusement l'arrière-garde de l'armée émigrante, constituée par la tribu des
Tigurins. Le chef helvète Divico tente de négocier avec César, mais sans succès ; la guerre,
devenue inévitable, se joue notamment lors de la bataille de Bibracteflutsch 2. Victorieux, César
lie les Helvètes par un fœdus et les renvoie sur leur ancien territoire pour empêcher les tribus
germaniques habitant de l'autre côté du Rhin de s'y installer, tout en ordonnant aux Allobroges
de les ravitailler en blé pour le voyage de retourGDG 4. Revenus sur leurs terres, les Helvètes
vont rebâtir les oppidums de Berne, Yverdon-les-Bains, Zurich ou Windisch entre autres.
L'accord passé ne sera cependant respecté que quelques années par les Helvètes. En effet, en
52 av. J.-C., près de 8 000 d'entre eux sont réquisitionnés lors du soulèvement Gaulois mené
par VercingétorixGDG 5,5 contre les Romains qui se terminera par la défaite gauloise lors du
siège d'Alésia. Les Helvètes ne sont pas punis à la suite de cette insurrection, mais à nouveau
renvoyés sur leur territoire, qui est ensuite progressivement colonisé et incorporé dans
l'Empire romain.
Ce n'est qu'au XIXe siècle que la Suisse va redécouvrir les Helvètes qui vont être
progressivement incorporés à l'imagerie populaire des ancêtres fondateurs de la nation, que
cela soit dans la peinture avec, par exemple, le tableau de Charles Gleyre commémorant la
victoire helvète sur les Romains en 107 av. J.-C. ou celui de Karl Jauslin représentant le chef
helvète Divico et Jules César sur la Saône, ainsi que dans les évocations historiques, très à la
mode dans la seconde moitié du siècle6.
Le terme même d’helvète sera largement utilisé comme synonyme de suisse au travers des
époques[réf. souhaitée], avec par exemple la République helvétique, le corps helvétique, la
Confédération helvétique (Confoederation helvetica en latin) qui est un terme littéraire, le
nom officiel de la Suisse étant Confédération suisse7 ou l’Helvetia au détriment des autres
peuplades celtes ayant habité sur le territoire de la Suisse actuelle.
4
Bien qu'occupant une position stratégique centrale, le territoire de la Suisse actuelle n'est que
très peu touché par les différentes campagnes gauloises de César : seules la rive gauche de
Genève en 58 et l'Ajoie, peuplée par les Séquanes qui sont soumis en 50 av. J.-C. sont
conquises. Cependant, en 57 av. J.-C., la XIIe légion romaine sous le commandement de
Servius Galba est envoyée dans la région de Martigny pour y contrôler l'accès au col du
Grand-Saint-Bernard « où les marchands ne circulaient jusque là qu'au prix de grand dangers
et en payant de lourds péages »GDG 6. Les peuples autochtones vont profiter de l'hiver pour
attaquer la légion stationnée qui va devoir battre en retraite sur Genèveflutsch 3.
Dans les premières années de notre ère, le territoire actuel de la Suisse est réparti par
l'empereur Auguste sur quatre provinces : Genève et ses environs restent dans la Gaule
narbonnaise, le Valais et le Tessin sont attribués à la Gaule cisalpine, la Suisse orientale et les
Grisons rejoignent la province de Rhétie ; le reste du territoire, à savoir l'ensemble du Plateau
du lac Léman au lac de Constance devient un territoire appelé « Germania superior » et
dépendant de la province de Gaule belgiquedurrenmatt 4.
L'Empire romain
Jules César ne fait pas vraiment confiance aux Helvètes, et il installe sur leur territoire une
colonie appelée Colonia Julia Equestris, basée à Nyon et s'étendant d'Aubonne à l'est jusqu'au
Rhône, sur l'ensemble des terres allant du Jura au lac Lémanfelber 2. Cette colonie est remise à
des vétérans de l'une des légions de cavalerie, la legio X equestris, d'où son nomfellmann 2.
Parallèlement, César demande à l'un de ses lieutenants, Lucius Munatius Plancus, de créer une
seconde colonie sur le territoire des Rauraques8 dans le but de bloquer le passage entre le Rhin
et le Jura. Cette colonie sera, sous Auguste, nommée Colonia Augusta Raurica et également
confiée à des vétérans qui vont ainsi progressivement commencer la romanisation du
territoire, alors rattaché à la province romaine de Gaule belgique. Toujours sous Auguste, une
importante campagne militaire envoyée à la conquête des Alpes entre 25 et 7 av. J.-C. va
permettre aux Romains de se rendre maîtres du Valais actuel qui est rattaché à la nouvelle
province des Alpes Grées et Pennines, tout comme la colonie nouvellement fondée de
Augusta Praetoria qui deviendra par la suite Aoste de l'autre côté des Alpesfellmann 3.
Dès la fin de la campagne des Alpes, l'empereur Auguste initie une nouvelle phase de
conquête en préparant l'invasion de la Germanie par plusieurs axes, dont l'un, à partir du Rhin
supérieur, devait passer par Zurzach en direction de la Baar comme en témoignent les restes
du camp militaire datant de -12 découverts en face de Zurzachfellmann 4.
5
La route du col du Grand-Saint-Bernard, alors appelé Jupiter Mons, traduit plus tard en Mont-
Joux9, est carrossée sous l'empereur Claude Ier et l'ancienne cité d’Octodurus (Martigny) est
reconstruite sous le nom de Forum Claudii Vallensium.
La révolte de 69
Selon l'historien Tacite10, la révolte éclate en 69, dans le contexte troublé de « l'année des
quatre empereurs ». Les Helvètes, excédés par le comportement de la XXIe légion romaine
(dont le nom de legio XXI Rapax témoigne de l'avidité) qui s'est emparée de fonds destinés à
l'entretien d'une garnison. En guise de rétorsion, les Helvètes retiennent quelques soldats en
prison. C'est l'occasion qu'attendait le général Alienus Caecina, au service de Vitellius, lui-
même engagé dans une lutte pour le pouvoir suprême contre Othonfellmann 6. Caecina lève
aussitôt le camp, se met à ravager les campagnes et pille Aquae Helveticae. « Les Helvètes,
arrogants avant l'épreuve de force, et, dans le danger, tremblants, bien qu'ils eussent, au début
de l'alerte, choisi pour chef Claudius Severus, ne connaissaient rien aux armes, ne respectaient
pas les rangs, ne formaient pas un plan de concert. »11 L'intervention romaine est massive,
appuyée par des Rhètes, des Thraces et des Germains. Pris en tenaille, les Helvètes se font
massacrer par milliers lors d'une bataille dans la région de Baden. Alors que les Romains
s'apprêtent à détruire la ville d'Aventicum, ils parviennent in extremis à intercéder pour sauver
leur capitale. Considéré comme l'instigateur de la révolte, Julius Alpinus, un des premiers
citoyens, est supplicié, mais la ville est épargnée. Des milliers d'Helvètes sont cependant
réduits en esclavage. Pendant quelque temps, le sort des Helvètes en tant que nation est en jeu.
Les soldats réclament leur anéantissement et le nouvel imperator Vitellius ne semble pas y
être opposé ; mais les Helvètes sont finalement sauvés par l'éloquence de Claudius Cossus,
l'un de leurs envoyés12.
À partir de 89, le territoire helvète est rattaché à la province de Germanie supérieure dont la
capitale est l'actuelle Mayence, alors que le sud-est du territoire, occupé de nos jours par les
cantons des Grisons et du Tessin, fait partie de la Rhétie, conquise en -15.
Pax Romana
6
Entre le IIe siècle et le IIIe siècle, la Pax Romana règne sur l'empire, les frontières ayant reculé
vers le nord et le Rhin n'étant plus une zone frontalière ; les camps fortifiés sont
progressivement abandonnés par la troupe dès 101 pour se transformer, dans certains cas, en
petites agglomérations civiles de quelques milliers d'habitants comme dans le cas de
Vindonissa (aujourd'hui Windisch, dans le canton d'Argovie), où une garnison fortifiée garnie
d'une légion avait été installée entre 16 et 17 ap. J.-C.fellmann 7, non loin de la jonction entre l'Aar
et la Reuss et au carrefour des deux routes principales qui traversent le paysdurrenmatt 5 Pendant
cette même période, des Rhètes, des Rauriques et des Helvètes sont intégrés dans différentes
troupes de l'empire et en particulier dans les unités de cavalerie (alea)fellmann 8.
Dès la fin du IIIe siècle, ce que l'historien Edward Gibbon nommait l'âge d'or de l'humanité13
va prendre fin, en particulier à la suite des premières incursions barbares des Alamans (ou
Alémans) en Germanie puis en territoire suisse, notamment en 260 où les villes sont pillées et
de nombreux vici détruitsfelber 4. Pendant la même période, une peste venue d'Éthiopie et qui tue
des dizaines de milliers de personnes s'abat sur l'Empire entre 249 et 251, suivie par un
tremblement de terre qui ravage Augusta Raurica et la région attenanteflutsch 5 ; signe révélateur
de temps troublés, plusieurs trésors enterrés durant cette période ont été mis au jour dans la
région d'Augst : de la vaisselle et des statues accompagnent des dépôts de monnaie dont les
pièces les plus tardives ont été frappées dans les années précédant immédiatement l'an
260fellmann 9.
Avenches, en particulier, ne se remettra pas de ces pillages. Environ un siècle plus tard,
Ammien Marcellin visite la ville « qui était jadis fort illustre, comme l'attestent aujourd'hui
ses édifices à moitié ruinés. »14 ; dans plusieurs cas, les populations abandonnent leurs villages
impossibles à défendre et se réfugient sur des collines ou derrière des murailles, comme c'est
le cas par exemple à Genève, Lausanne ou Yverdon. La grande offensive des Alamans prend
fin à la suite d'une bataille défensive livrée en 260 dans la région actuelle de Saint-Maurice,
comme en témoignent deux inscriptions retrouvées sur une tombe et sur un monument
triomphal érigé au-dessus de la colline de Saint-Léonard, près de Sionfellmann 10.
Progressivement, et malgré les victoires des empereurs Probus en 281 et Julien en 357 qui
repoussent les Germains « au delà du Neckar et de l'Alb »fellmann 11, la frontière de l'Empire
revient sur le Rhin, le long duquel les empereurs successifs du IVe siècle font construire des
lignes défensives (forteresses appelées castra et tours de guet) et réactivent le camp militaire
de Vindonissa. Dans le même temps, sous l'empereur Dioclétien, une réorganisation des
provinces romaines réunit le pays des Rauraques et celui des Helvètes dans la province
Maxima Sequanorum (ou Séquanaise)bogli 1.
7
Dès 401, la population romaine inquiète migre vers le sud en abandonnant les villes de Nyon,
dont les pierres des monuments servent à l'édification des murailles de Genèvenhss 1, puis
d'Augusta Raurica, pour cette dernière en faveur de Bâle. La Rhétie est également prise par
les peuples germaniques, seules de petites enclaves de romanisation persisteront, en
particulier autour de Coire d'où vient le Rätoromanisch (littéralement « roman de la Rhétie »
en allemand), une langue romane. En 443, le général romain Aetius déplace le peuple des
Burgondes (qu'il avait préalablement décimé en 436) sur le plateau suisse pour l'utiliser
comme rempart contre les barbares avant d'affronter Attila en 451. Son assassinat en 454
marque le retrait des troupes sur le sud des Alpes, marquant ainsi la fin de l'occupation
romaine du territoire suisse et son abandon aux peuples germaniques dits « fédérés », à savoir
les Burgondes et les Alamansfelber 5.
L'urbanisation
L'amphithéâtre d'Avenches.
Comme dans la plupart des nouveaux territoires conquis, les Romains vont ouvrir plusieurs
chantiers visant à créer des centres urbains, soit en transformant des agglomérations modestes
existantes, soit ex nihilo. Ces centres urbains, organisés comme la ville de Rome, sont
caractérisés par leur plan en damier et leur découpage en deux axes principaux, dont le forum
marque le centrefelber 6.
Outre les villes, de nombreux vici (villages ou hameaux) se développent, souvent autour d'une
villa rustica utilisée comme centre d'exploitation agricole et appartenant aux hauts
fonctionnaires ou aux vétérans de l'armée qui y installent tout le confort et les éléments de
décoration correspondant à ce standing dans la région de Rome, comme en témoignent les
bains, canalisations, statues ou mosaïques découverts à la suite de fouillesdurrenmatt 6. Dans la
plupart des cas, le développement des différents vici semble avoir été relativement
anarchique, sans plan général comme c'est généralement le cas pour les villes fellmann 12.
Aventicum
Aventicum (actuel Avenches), dont le nom vient de la déesse celte Dea Aventiabogli 2, est créée
probablement sous le règne d'Auguste. Le plus ancien vestige daté avec certitude est le quai
du port sur le lac de Morat en 5 ap. J.-C.15 La ville se développe sous Tibère et devient
8
officiellement la caput (capitale) de l'Helvétie au début du IIe siècle selon Tacite16. Avenches
connait ensuite un important développement dû à la fois à sa situation géographique et à l'aide
matérielle que lui offre l'empereur Titus qui, tout comme son père l'empereur Vespasien, y a
vécu pendant les premières années de sa viefelber 7. En 73, Avenches devient une colonie sous le
nom de Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helbetiorum Foederata (littéralement colonie
pieuse, flavienne, constante, avec des vétérans, des Helvètes, fédérée) entourée d'une muraille
de 5,5 kilomètres de long flanquée de 73 toursfellmann 14 et reliée par un canal de 800 mètres de
long et de sept mètres de large au port.
Augusta Raurica
Augusta Raurica (près de l'actuel village d'Augst, dans le canton de Bâle-Campagne) est
construite sous Auguste entre 20 et 50 ap. J.-C., sur les restes d'une première colonie fondée
en 44 av. J.-C. Tout comme Aventicum, la cité possède un forum, un théâtre, des temples
(dont celui de Schönbühl, le premier, a été construit vers 60-70), des thermes et un
amphithéâtre. À son apogée vers l'an 200, la cité abrite environ 20 000 habitants, soit un peu
plus qu'Avenches17. À cette période, la ville est le lieu de transit quasi obligé pour la totalité
des biens et des personnes voyageant sur le Rhin.
9
La Colonia Julia Equestris (aujourd'hui Nyon) est fondée par Jules César en 44 av. J.-C. sur
une colline naturelle qui surplombe le lac Léman. Appelée Noviodunum (Nouvelle forteresse)
par les indigènes, la colonie comprend une basilique, un marché, des bains, un amphithéâtre et
un forum, centre de la vie politique, sociale et économique de la cité. Plus à l'extérieur,
plusieurs villae s'élèvent alors qu'un quartier artisanal se développe au sud-ouest et un port à
l'emplacement de l'actuel quartier de Rive18.
Le commerce et l'économie
La monnaie et les échanges monétaires
Avant même leur réunification à l'Empire romain, plusieurs peuples celtes alignent, à partir de
100 av. J.-C., leur système monétaire sur celui des marchands romains afin de faciliter les
échanges avec ceux-ci ; les Helvètes, par exemple, frappent à cette époque une pièce dont la
valeur est proche du quinaire romain. Par la suite, les monnaies locales et les pièces
impériales de bronze comme le sesterce coexistent avant que la totalité des espèces ne passe
sous la responsabilité de Rome dès la fin du Ier siècleflutsch 6.
Le commerce
Si les marchands romains sont déjà en affaires avec les Celtes bien avant l'Empire, celui-ci,
grâce à l'amélioration des infrastructures et des conditions mercantiles, va permettre une
intensification des échanges commerciaux. Le plateau suisse, à cette époque, va découvrir la
culture de produits méditerranéens, tels que le froment, le seigle ou l'avoine, mais également
l'olivier, le noyer ou le prunier ou encore les plantes aromatiques que sont l'ail, la sarriette, la
coriandre ou l'aneth. La culture de la vigne, déjà existante en Valais, connait également un
important développement21.
De multiples espaces sont organisés pour les marchés dans les grandes villes ; il peut même
s'y trouver divers marchés spécialisés. C’est le forum qui est généralement occupé par le
marché, excepté lors des jours de pluie où il se trouve sous la basilique22.
10
Une mezzanine est l’endroit où un affranchi ou un esclave d'un propriétaire dort ; celui-ci
s’occupe d’une boutique qui est souvent louée à un habitant d'une domus. Ces boutiques
servent non seulement à vendre diverses choses telles des épices, des fruits, de la viande...
mais peuvent abriter d'autres activités telles que l'enseignement scolaire ou même les soins
réalisés par les dentistes ou les ophtalmologues qui y opèrent des patients.
En retour, le bois, le calcaire, la laine, le chanvre ainsi que la poterie locale, le fromage et le
bétail sont exportés vers le sud, compensant ainsi quelque peu une balance commerciale
globalement négative. En particulier, les nombreux objets décoratifs ou de parure possédés
par les riches commerçants locaux vont totalement disparaitre avec le départ des troupes
romaines et l'appauvrissement, puis l'arrêt, du flux matérielflutsch 8.
Enfin, le commerce d'esclaves semble avoir été florissant sur le territoire helvète à la fois sous
la forme d'importation et d'exportation. Une tablette retrouvée dans un temple au col du
Grand-Saint-Bernard atteste ainsi de l'existence d'une section consacrée aux marchands
d'esclaves dans la corporation des commerçants transalpinsfellmann 16.
Selon ces documents, l'Helvétie est traversée par deux axes principaux la Via Francigena qui
relie Rome à Cantorbéry en passant par le col du Grand-Saint-Bernard, Saint-Maurice, le long
du lac Léman jusqu'à Lausanne, puis le Jura jusqu'à Pontarlier et un autre tracé, plus à l'est,
qui traverse les Grisons par Cuira (Coire), ville citée pour la première fois au IIIe siècle dans
11
l'Itinéraire d'Antonin23, rejoint le lac de Zurich pour partir sur Augst et continuer vers
Strasbourg et Mayence. La liaison entre ces deux axes est assurée par une troisième voie
transversale partant de Genève qui relie Nyon, Lausanne, Avenches puis Windischfelber 8. Le
tracé de ces routes, à quelques détails près, sera repris lors de la réalisation du réseau national
développé par la Confédération dans la seconde partie du XXe sièclenhss 3.
Réalisées le plus possible en ligne droite (parfois sur des digues pour traverser les marais) et
édifiées sur un fond de pierres sur lequel sont répandus des cailloux et du sabledurrenmatt 7, les
grandes routes, d'un écartement standard variant entre 107 et 110 centimètresfellmann 18 sont
jalonnées tous les 10 ou 15 kilomètres des relais de chevaux pour la poste appelés mutationes
et, tous les 30 kilomètres environ, des mansiones, auberges et motels généralement mal famés
et proposant le gîte et le repas pour les hommes et les bêtesflutsch 9.
La navigation fluviale et lacustre est également largement développée et contrôlée par des
corporations, en particulier sur les lacs Léman, de Morat, auquel Avenches est reliée par un
canal, ou de Neuchâtel où trois embarcations (deux chalands et une barque) ont été découverts
en bon état, mais également sur le Rhône et la Thièle. La plus grande partie des transports
commerciaux est assurée par les voies et plans d'eau24.
La société et la culture
La langue et la culture
Cette « latinisation » de la population passe également par l'école publique ou privée où les
enfants se retrouvent dès 7 ans pour apprendre à lire, à compter et à écrire sous la direction
d'un maître d'école appelé magister ludi. À l'âge de 12 ans, les filles et la plupart des garçons
cessent leurs études, bien que certains les poursuivent au secondaire, où est enseignée la
littérature, puis dès 16 ans, l'art de la rhétoriqueflutsch 11. Il est possible qu'une académie de
médecine ait vu le jour à Aventicum, comme en témoigne une pierre votive érigée en
l'honneur des medici et professores qui y auraient enseignéfellmann 20.
12
L'amphithéâtre de Martigny.
Pour les adultes et les gens du peuple, la culture romaine est diffusée dans des spectacles
donnés dans les différents théâtres et amphithéâtres de la région où sont donnés différents
divertissements, tels que les représentations allégoriques ; les combats de chars, de gladiateurs
ou entre animaux sont également appréciés. Outre la pratique de jeux de société, les
différentes couches de la population se retrouvent et se mélangent dans les thermes romains,
en particulier ceux de Nyon, alimentés par un aqueduc amenant l'eau depuis Divonne-les-
Bains, ou de Baden ; la mixité n'y est pas encouragée : soit des bâtiments distincts sont dédiés
aux hommes et aux femmes, soit la fréquentation se fait en alternance par demi-journéefellmann 21.
Les restes d'un orgue en bronze ont été retrouvés à Avenches25 où il était utilisé au théâtre
comme accompagnement avec des trompettes, cors, flûtes, lyres ou harpes.
Les Helvètes, comme tous les sujets de l'empire, sont rattachés à une ville ou à un peuple et
ont tous l'un des trois statuts qui leur sont réservés, à savoir celui de pérégrin (étranger ou
non-citoyen), de droit latin (citoyen civil, mais sans droits politiques) ou de droit romain qui
offre entre autres le droit de vote (jus suffragii) ainsi que celui d'accéder à la magistrature (jus
Honorum)nhss 4. L'accession aux degrés successifs de la citoyenneté est alors perçu par les
populations locales comme un honneur et une récompense ; de fait, un grand nombre
d'Helvètes, identifiables par leur triple nom, accédèrent au titre de citoyen romainfelber 10. Ceux-
ci se regroupent au sein de l'association des cives Romani conventus Helvetici (traduit en
Union helvétique des citoyens romains) autorisée à élire ses propres dirigeantsfellmann 22.
Les trois colonies du territoire (Augst, Avenches et Nyon), sont dirigées par les duoviri, deux
magistrats élus à l'année qui sont secondés (et remplacés si besoin est) par des praefecti
(préfets), et épaulés d'une assemblée de 100 membres choisis tous les cinq ans, qui correspond
au Sénat romain. Augst et Avenches, en tant que colonies, sont également des chefs-lieux des
civitates (peuples non romains) rauraques et helvètes ; dans les deux cas, le pouvoir des
duoviri s'étend à l'ensemble de la population de la civitate. La Civitas Vallensium valaisanne,
quant à elle, est mise au bénéfice du droit latin, ce qui permet aux habitants exerçant une
magistrature, ainsi que leurs familles et descendants directs, de devenir automatiquement
citoyens romainsfelber 11. La partie de la province de Raetia qui se trouve sur le territoire actuel
de la Suisse, quant à elle, est sous le contrôle de civitate des Caluconi dont le siège se trouve à
Curia (actuelle Coire)fellmann 22.
À l'intérieur des civitates, les villages disposent d'une certaine autonomie administrative tout
en restant soumis à l'autorité de la capitale. Ils sont administrés par une assemblée locale et
deux ou quatre magistrats, élus pour une année.
13
La religion
Comme pour la plupart des tribus celtes, le panthéon des Helvètes nous est mal connu. La
religion des druides repose sur une transmission des connaissances et rites uniquement orale,
peu de témoignages, si ce n'est ceux d'explorateurs romains, ne nous sont parvenus. Parmi les
déités locales, on trouve la mention de Dea Geneva dans la région de Genève ou Dea Artio (la
déesse des ours) vénérée près de Bernebogli 3.
14
Le christianisme, officiellement toléré dans l'Empire romain par la publication de l'Édit de
Milan par Constantin en 313, se répand rapidement dans le pays en suivant les axes de
communication. La première inscription chrétienne, retrouvée à Sion, date en effet de l'an 377
et comporte un christogramme26. Par la suite, après la promulgation par l'empereur Théodose
du christianisme comme religion d'État le 24 février 391bogli 5, la présence d'évêques est
certifiée à Genève, Martigny et Kaiseraugst (Bâle), les diocèses se constituant naturellement
en suivant les frontières des anciennes civitates tout en en changeant la cité hôte : ainsi, le
diocèse de Martigny deviendra celui de Sion, celui d'Avenches le diocèse de Lausanne, Augst
cèdera sa place au diocèse de Bâle et enfin Nyon deviendra le diocèse de Genève (qui se
regroupera avec celui de Lausanne après la Réforme protestante)felber 12. Parmi les légendes de
l'époque du début du christianisme, celle du massacre de la légion thébaine est encore vivace
dans le pays ; cette légion, composée d'officiers et de soldats originaires de la ville de Thèbes
en Égypte aurait été massacrée pour la piété chrétienne de ses soldats : un homme sur dix,
dont le commandant saint Maurice, aurait été exécuté et les survivants dont en particulier saint
Victor, se seraient dispersés sur l'ensemble du plateau, allant fonder certaines des grands
abbayes du Haut Moyen Âgedurrenmatt 8.
La mode et l'hygiène
Les vêtements
L'hygiène
L'hygiène a une place importante dans la vie des Gallo-romains qui vont régulièrement aux
thermes. Certains domaines ruraux ou maisons de riches possèdent des bains privés. À la
campagne, la toilette quotidienne se fait avec un seau, ou un autre récipient, et une éponge. Ils
se servent d'objets que nous utilisons encore aujourd'hui: le savon, la spatule, le cure-dent, le
cure-oreille, la pince à épiler et le miroir.
Le dentifrice est parfois utilisé, sans brosse à dent mais avec le doigt. Il est fabriqué avec de la
cendre de rat, du miel et des racines de fenouil ou avec l'urine de jeune garçon mêlée à de la
pierre ponce pilée27.
Les coiffures féminines et masculines sont variées. Les hommes ont les cheveux très courts, à
la mode romaine alors que la mode gauloise permet des cheveux un peu plus longs. Pour les
femmes, la coiffure dépend du rang social : plus le statut est élevé, plus la coiffure est
compliquée. Dans les classes moyennes, on imite la mode lancée par la cour impériale
romaine avec toutefois un décalage chronologique en raison de la distance qui sépare Rome et
la Suisse gallo-romaine. Les femmes coiffent leur longue chevelure de différentes façons : en
15
chignon, en nattes, ou en rouleau. Elles utilisent des épingles à cheveux en os ou en métal, des
peignes taillés en os ou en bois, des perruques et des nattes postiches. Elles se servent parfois
de teintures pour masquer leurs cheveux blancs. Les petites filles ont également les cheveux
longs mais des coiffures simples, les garçons peuvent avoir les cheveux longs seulement dans
la petite enfance.
Le rasage se fait grâce à une lame en acier, la barbe est égalisée avec une petite force en fer
(équivalent des ciseaux d'aujourd'hui). Si la majorité de la population garde moustache et
barbe comme le démontre le nombre élevé de représentations d'hommes barbus, certains
préfèrent se raser.
Le maquillage et le parfum sont plus fréquents chez les riches à cause de leur prix élevé. La
mode est au teint très pâle, voire blanc. L'utilisation des craies et des onguents permet cette
teinte du visage. Les femmes se font les lèvres rouges à l'aide de vermillon, elles se
noircissent les sourcils et se peignent les paupières de différentes couleurs, (exemple: le fart à
paupière jaune se fait avec du safran). Les parfums les plus coûteux viennent d'Asie ou
d'Arabie et seule une infime partie des femmes en possèdent. Les parfums les plus accessibles
sont faits à base de plantes courantes (iris, marjolaine et citronnelle).
Les Helvètes portent différentes sortes de bijoux : la chevalière est réservée aux hommes, les
femmes et les filles portent des boucles d'oreilles. Il y a aussi d'autres bijoux : les bagues
(certaines servent également de clé pour les coffrets personnels), les bracelets, les colliers, les
diadèmes, etc. Contrairement à aujourd'hui, les femmes mettent leurs bagues jusqu'à la
seconde phalange et non pas jusqu'à la base du doigt. Certains bijoux permettent d'identifier la
profession de leur porteur, tels que les militaires, qui portent des bagues et des fibules
typiques27.
L'alimentation
Grâce à la progression de la romanisation, les centres urbains changent peu à peu leur manière
de préparer les mets. Notamment, l'introduction de l'huile d'olive et les sauces pour poissons
influence la cuisine gallo-romaine. Ils utilisent des gobelets, des couteaux, des cuillères, des
assiettes mais ne connaissent pas les fourchettes. Les mets sont servis dans des plats. Les
sauces sont servies à part, dans des sortes de tassesfellmann 24.
Alors que les plus pauvres se contentent de pain et de bouillie sans accès à la viande, les plus
aisés prennent trois repas par jour, comme les Romains : à l'aube, on prend le petit déjeuner,
jentaculum, qui est composé de pain, de fromage, de fruits et d'olives. En fin de matinée, se
prend le prandium, dont la nourriture est la même qu'au repas précédent. Avant le coucher du
soleil, il y a le repas du soir, cena, où l'on mange d'abord quelques hors-d'œuvres, puis
plusieurs plats au choix, et finalement des desserts.
Des marchands ambulants vendent de la nourriture aux passants, et l'on achète le pain dans
des boulangeries. Il est possible aussi dans les villes de boire des boissons chaudes, la plupart
du temps du vin épicé, d'emporter ou de consommer sur place quelques plats. Ces petites
échoppes sont appelées thermapolia. On ne peut vendre que des légumes dans les auberges28.
Les divertissements
16
En Helvétie, comme à Rome, on adore se faire plaisir. Il y a une grande concurrence entre les
théâtres et les amphithéâtres. Beaucoup de visiteurs viennent voir des pantomimes, des ballets
et des représentations allégoriques. Au IIIe siècle, le nouvel amphithéâtre d'Augusta Raurica,
le théâtre-arène et le champ légionnaire de Vindonissa présentent des combats de gladiateurs,
ainsi que d'autres jeux guerriers.
Les combats de taureaux et d'ours sont très fréquents dans les amphithéâtres. Les mises à mort
sont souvent pratiquées dans les amphithéâtres et les prisonniers deviennent ainsi les
principaux acteurs de ces spectacles. Lors des représentations de pièces de théâtre, les
musiciens jouent de la musique pour accompagner la pièce. Certains habitants de la Suisse
gallo-romaine sont privés de cirque ; ne pouvant assister aux courses de chars dans leur
village, ils sont contraints pour y assister de se déplacer à Lugudunum (Lyon), à Vienna
(Vienne) ou à Treverorum (Trèves)fellmann 25.
Après l'abandon du limes par l'Empire romain en 260, la situation des Romains et Gallo-
romains sur le territoire helvétique devient rapidement précaire. Par peur des invasions
alémanes, les trois quarts des domaines ruraux situés sur le plateau suisse sont abandonnés,
leurs occupants se repliant en Rhétie ou dans la vallée du Pônhss 1.
Les populations restantes se réfugient progressivement dans les castra évacués par la légion
romaine ou, le cas échéant, sur les hauteurs du Jura ou des Alpes. Dans leur majorité, ces
populations continuent à vivre selon les formes et coutumes romaines, tout en subissant la
crise économique du Bas-Empire romain.
Gaule en 481.
Aquitaine
17
Royaume Franc
Royaume Burgonde
Alamands
États de Syragus
Contrairement aux craintes de la population, ce ne sont pas les Alamans mais les Burgondes
qui s'établissent en premier dans la région. Les Burgondes correspondent plus à une réalité
militaire que véritablement ethnique : ils composent, comme beaucoup de Barbares, les
troupes auxiliaires qui défendent l'Empire et sont fortement romanisés. Il s'agit d'une armée de
combattants hétérogènes. Leurs sépultures, qui sont très difficiles à distinguer de celles des
populations locales, recèlent un matériel funéraire divers provenant aussi bien du monde
gallo-romain que germanique. L'inhumation en couple, la pratique de la déformation
crânienne, ainsi que la présence de caractères vraisemblablement mongoloïdes dans la
dentition des squelettes burgondes, évoquent une forte présence de populations d'origine
hunnique au sein de cette armée1.
En 411, l'empereur Jovin établit un premier royaume burgonde dans la région de Worms, sur
la rive gauche du Rhin afin de sécuriser la frontière menacée par les invasions de 4061.
En 435, les Burgondes se révoltent et pillent la Belgique. Battus par le général romain Aetius
allié aux Huns en 435 et 436, ils conservent la mémoire de leur défaite dans ce qui devient par
la suite la Chanson des Nibelungenfelber 1.
En 443, selon la Chronica Gallica de 4522, Aetius leur accorde son pardon et déplace les
reliquiis Burgundionum (les débris du peuple burgonde en latin) dans les civitates de Genève,
Nyon et Avenches. Ils occupent ainsi une zone, appelée Sapaudia (le pays des sapins qui
donnera plus tard le nom de Savoie, bien que le territoire ne soit pas le même) qui va du
bassin de l'Aar au Jura, au lac Léman et au département de l'Ain3 dans le but de maintenir la
Via Francigena qui relie Rome à Cantorbéry en passant par le col du Grand-Saint-Bernard,
Saint-Maurice, le long du lac Léman jusqu'à Lausanne et de repousser une éventuelle invasion
des Alamans contre qui ils s'étaient déjà battusnhss 2. En 451, les Burgondes combattent dans
l'armée romaine qui bat Attila aux champs Catalauniques.
Protecteurs d'un des axes commerciaux principaux entre Rome et le nord de l'Europe mais
aussi de l'empire contre les Alamans et les Bagaudes, les Burgondes, qui sont très romanisés,
sont bien accueillis par la population locale et particulièrement l'aristocratie et l'Église1. En
effet, se méfiant des contingents venus d'Italie et écrasée par la fiscalité impériale,
l'aristocratie gallo-romaine ne voit plus dans l'État impérial qu'un obstacle au développement
de son hégémonie sociale et est favorable au cantonnement régional d'une armée burgonde.
Très circonspecte envers la Cour de Ravenne, l'aristocratie gallo-romaine espère que le
cantonnement d'une armée burgonde lui apporte une protection efficace qu'elle parviendra à
contrôler, lui permettant de s'affranchir de la tutelle impériale1. De son côté la cour de
Ravenne favorise les Burgondes dans lesquelles elle voit un contrepoids à la montée en
puissance des Wisigoths. L'Empire renonce aux impôts qu'il tirait de la région : ceux-ci sont
répartis pour deux tiers de l'impôt foncier et d'un tiers de la capitation au peuple burgonde, le
reste étant versé à la curie de Genèveandrey 1. En échange, une garnison de soldats est entretenue
par les habitants de la région de Genève, autour de laquelle sont concentrées la plupart des
habitations.
18
Après la chute du dernier empereur d'Occident en 476, les empereurs de Constantinople, sous
l'autorité desquels l'empire se trouve réunifié, s'appuient sur les Burgondes pour mieux lutter
contre le royaume ostrogoth qui s'édifie en Italie1.
Le royaume qui se met en place à partir du Ve siècle après la chute du dernier empereur
romain, bien que dirigé par un roi burgonde depuis 451, compte de nombreux romans parmi
ses notables. De fait, dans toutes les couches de la société, on assiste à une assimilation
romane, que cela soit au niveau linguistique (où le latin devient la langue uniqueandrey 2),
culturel, législatif ou religieux avec la conversion des Burgondes au catholicismefelber 2.
Progressivement, le royaume burgonde va s'étendre vers le sud, pour atteindre Lyon, puis la
Durance en 470, et vers l'est avec le Valais et des cols alpins avant de se déclarer son
indépendance par rapport à Rome en 476. Le roi Gondebaud, instigateur de la « loi
gombette », seul code civil et pénal germanique qui nous soit parvenuandrey 3, établit alors sa
capitale à Lyon, avec Genève et Vienne comme capitales secondaires4; il est le premier à
utiliser le terme de Burgundia (qui deviendra par la suite Bourgogne) pour désigner son
royaume. Sa femme Carétène, pieuse chrétienne qui rassure par sa foi la population gauloise
locale, fait construire une église à Lyon qu'elle dédie à Saint-Michelandrey 4. Son fils Sigismond
est couronné roi à Carouge4 et s'établit à Genève en 505-5065 avant de fonder l'Abbaye
territoriale de Saint-Maurice d'Agaune en 515, fortifiant ainsi sa conversion et celle de son
peuple originellement arien6, au catholicisme. En 493, Gondebaud signe un pacte de non-
agression avec le roi Clovis Ier qui épouse l’héritière burgonde, Clotilde. Mais, plus que la
conversion de Clovis au christianisme, les ambitions du frère de Gondebaud, qui fait appel
aux Francs, plongent l’État dans la guerre. En 500, Clovis vainc Gondebaud à Dijon et
accepte de lever le siège d’Avignon contre le versement un tribut annuel7.
Selon la chronique de Marius d'Avenches, Sigismond est exécuté en 523 avec femme et
enfants près d'Orléans et son frère Godomar est proclamé roi à son tour l'année suivante. Son
règne est cependant de courte durée, le royaume burgonde étant capturé par les Francs, qui
l'annexent et le partagent dès 534note 2.
19
Les Alamans[modifier | modifier le code]
L'arrivée des Alamans dans la région apporte de nouvelles mœurs politiques, économiques et
sociales. En effet, ces peuplades se considéraient comme exempts de toute dépendance
économique, qu'elle soit héritée ou transmise par héritage, le fait de porter une arme
symbolise cette liberté économique ; de plus, ces peuplades avaient l'habitude de gérer une
partie de leur territoire comme propriété collective, impliquant ainsi à la fois la notion de
propriété privée et de propriété coopérative, gérée directement par des petites communautés.
Ce mode de pensée, qui se développe encore par la suite, se heurte à la doctrine économique
romaine basée sur la centralisation étatique et la délégation à des fonctionnaires imposés aux
populations localesdurrenmatt 1.
En 496 et 497, les Alamans sont battus à plusieurs reprises par les Francs, en particulier lors
de la bataille de Tolbiac, près de Cologne, où selon la légende, le roi des Francs Clovis Ier
promet de se convertir au christianisme en cas de victoire. Après la bataille, les vaincus se
réfugient auprès des Ostrogoths sous la protection du roi Théodoric, qui règne alors en
Italiefelber 3. Au début du VIe siècle, les Alamans sont placés sur le plateau suisse et dans les
hautes vallées rhétiques en tant qu'immigrants, jusqu'à la région du lac de Bienne où ils se
heurtent à leurs anciens ennemis, les Burgondes avec qui ils s'affrontent tout au long des VIe
et VIIe siècles. Cette région passe sous le contrôle des Francs en 536 par don des Ostrogoths,
incluant ainsi le peuple Alaman et son territoire dans le royaume : en 561, le duché
d'Alémanie fait partie de l'Austrasie, dont la capitale est Metzandrey 6.
20
L'hostilité entre Burgondes et Alamans se traduit par une nouvelle destruction de la capitale
de l'Helvétie romaine Avenches en 610-611, après la bataille de Wangen (dans l'actuel canton
de Soleure), selon la chronique mérovingienne de Frédégaire9. À partir du VIIe siècle, la ville
est conquise par les Alamans qui la renomment Wyflisburg, qui est encore aujourd'hui son
nom en allemand et qui donnera par la suite naissance au mythe nordique de la destruction de
la ville de Vifilsbord dans la saga de Ragnar du XIIIe sièclefelber 4.
Outre les invasions et les ravages dus à la guerre, le territoire de la Suisse est également la
proie des éléments naturels : en 563, l'évêque Marius d'Avenches décrit dans sa Chronique
l'écroulement en Valais de la montagne du Tauredunum qui n'a jamais pu être localisée avec
précision. Dans sa chute, cette montagne détruit un bourg et plusieurs villages avant de
provoquer un raz-de-marée dans le lac Léman qui détruit tout sur son passage, y compris une
bonne partie de la ville de Genève dont le pont qui traverse le Rhônefelber 5.
Le duché d'Alamanie disparaît en 746 lorsque Carloman Ier, un maire de palais carolingien,
fait assassiner la majorité des chefs de guerre alamans pendant une assemblée qu'il avait
convoquée à Cannstatt pour les punir de leur participation à un soulèvement organisé par le
duc Odilon de Bavière contre Pépin le Bref. À la suite de cette affaire, l'Alémanie est réunie
au royaume franc carolingien en 751, tout comme le sera le royaume lombard en 773andrey 7
La poussée des Alamans sur le plateau suisse s'arrête sur les bords de l'Aar, lorsque la
présence romane se fait trop forte. Alors que les Burgondes ont assimilé la langue et la culture
latines, les Alamans gardent leur culture, leurs lois et leur langue qui est à l'origine des
dialectes alémaniquesnhss 4, établissant ainsi une frontière culturelle et linguistique qui persiste
encore de nos jours sous le nom informel de Röstigraben (en allemand la barrière de röstis).
L'étude des noms de localités permet de retracer les zones soumises à l'influence plus ou
moins profonde des différents langages. Ainsi, si les noms de villages se terminant en -ens ou
-ence, fréquents dans les cantons de Fribourg et Vaud jusqu'au bord du lac Léman, sont
d'origine alamande et montrent ainsi des percées larges dans le territoire burgonde, les
préfixes Wal- et Walen- (ce qui signifie Welch, soit Roman) se trouvent en nombre dans la
zone comprise entre l'Aar et la Sarine, qui fixe la frontière linguistique à partir du VIIIe siècle.
Dans le sud et l'est du pays, le processus n'est pas aussi rapide, la frontière linguistique
changeant encore pendant une plus longue période. Le romanche reste pendant longtemps
dominant dans les vallées rhétiques, il s'étend encore, selon certaines sources, jusqu'à
Einsiedeln au Xe siècle ; Glaris est encore bilingue au XIe siècle, à la période où le dialecte
21
germanique commence à se répandre à partir de la vallée de Conches jusque dans tout le
Haut-Valais par la migration des Walsers qui vont ensuite rejoindre, au XIIIe siècle, les
vallées grisonnes. De fait, au XIVe siècle, la majorité des vallées et la totalité du Vorarlberg
sont devenus germanophones, langue de la classe dominante. Les seules enclaves romanches
restent dans les lieux qui sont reliés par des cols à l'Italienhss 5.
Entre le VIe siècle et le VIIe siècle, le territoire Suisse passe en main des Francs qui annexent
le royaume Burgonde et favorisent l'installation des Alamans dans le nouveau « duché
d'Alémanie » dont le centre se situe dans la région de Zurich et de Winterthour, tout en
forçant les Ostrogoths à leur céder la Provence dans le but de gagner un accès à la mer
Méditerranée. Les dissensions internes des Mérovingiens forceront la fin de cette phase
d'expansion au milieu du VIIe sièclenhss 6, alors que commence l'expansion des peuplades
islamiques (appelés alors « Sarrasins ») qui ne sera arrêtée par Charles Martel qu'en 732 à
Poitiers, alors que les pillards arabes seraient, selon la légende, parvenus jusque sur le plateau
suisse et même en Valaisdurrenmatt 2.
Cette conquête vise principalement les cols rhétiques, tels que le Splügen, le Septimer et la
Maloja, qui deviennent ainsi des voies de communication permettant de relier les parties nord
et sud du royaume en empruntant l'ancienne voie romaine qui, passant par Coire, rejoint le lac
de Zurich pour continuer vers Strasbourg et Mayence. De fait, en 807, la Rhétie perd son
22
statut de contrée romane autonome datant de la période romaine pour devenir un comes
carolingiennhss 7. Les passages occidentaux des Alpes, et plus particulièrement le col du Grand-
Saint-Bernard et celui du Simplon, sont alors au main du royaume de Neustrie, qui contrôle
également la portion locale de l'ancienne voie romaine la Via Francigena qui relie Rome à
Cantorbéryfelber 6.
Bien que peu de documents nous soient parvenus sur l'histoire du territoire actuel de la Suisse
pendant les périodes mérovingiennes et carolingiennes, on sait toutefois que l'administration
implantée par les Francs sur le territoire des Burgondes et des Alemans est sensiblement
différentes dans les deux cas. Si la partie burgonde, alors asservie à la Lex Burgundionum,
garde son administration propre, les Alemans, qui reçoivent une Lex Alemanorum, sont
totalement assujettis à l'administration franque ; le territoire est divisé en Gaue (ce terme a
persisté dans les toponymes tels qu'Argovie ou Thurgovie) dirigés par un comte et les hommes
sont classés socialement selon le système féodal. En marge de ce système, un nombre
important de paysans libres, vivant en économie fermée, subsiste toutefois dans les régions
montagneuses ou difficiles d'accèsdurrenmatt 3.
Certaines villes du territoire ont un évêque depuis la fin de la période romaine déjà, mais leur
rayonnement dans les campagnes est alors minime. Ce n'est qu'avec la stabilité apportée par
les Francs que la christianisation s'étend dans les campagnes, fixant ainsi progressivement les
frontières entre les diocèses et permettant la construction des premiers édifices chrétiens du
pays.
Si les diocèses de Coire, qui couvrent le territoire de l'ancienne Rhétie ainsi que la Suisse
centrale et de Genève, qui s'étend de l'Aubonne jusqu'à la Haute-Savoie actuelle, connaissent
une grande stabilité au cours du temps, il n'en va pas de même pour les autres évêchés qui
sont plus ou moins profondément restructurés pendant la seconde moitié du VIe sièclenhss 8.
Ainsi, en Valais, l'ancien siège épiscopal de Martigny est déplacé à Sion en 585 à la suite
notamment des incursions des Lombards en 574felber 7. Le siège de l'évêché du territoire des
Helvètes va passer pendant quelque temps d'Avenches à Windisch avant de revenir à
Avenches puis d'être transféré à Lausanne sur le mont de la citéfelber 8, alors qu'Augst est
délaissé pour Bâle en 561.
Dans la partie orientale du pays, la christianisation tardive des Alamans provoque la création
vers l'an 600 du nouvel évêché de Constance, premier du genre à ne pas être fondé sur les
restes d'une institution romaine antérieure10. La délimitation entre cet évêché et ses voisins de
Bâle et Coire ne sera toutefois finalisée qu'au milieu du VIIIe sièclenhss 9.
23
L'abbaye de Romainmôtier, fondée au Ve siècle.
À la mort de Charlemagne, le traité de Verdun de 843 partage son empire en trois royaumes
pour ses successeurs Charles II le Chauve, Lothaire et Louis II de Germanie. Le territoire
helvétique se trouve alors partagé en deux parties à peu près égales, délimitées du nord au sud
par une ligne Aar-col du Saint-Gothard où la partie occidentale est incluse dans la Francie
occidentale de Charles II, alors que la partie orientale est incluse dans la Francie orientale de
Louis le Germanique. En 870, le traité de Meerssen modifie la ligne de partage jusqu'au-delà
du Jura, incluant ainsi l'ensemble du territoire suisse actuel au royaume franc oriental, à
l'exception des vallées du Sud des Alpes, du bassin lémanique et du Valaisnhss 11. Seul le
passage du Saint-Gothard ne change pas de mains, assurant ainsi qu'aucun des royaumes issus
de ces partages ne puisse contrôler seul l'ensemble des cols alpins.
24
Ces différents traités ne sont toutefois jamais véritablement mis en œuvre, principalement à
cause de débuts d'insurrections de la part des nobles alemans contre qui le roi Louis le
Germanique doit intervenir à partir de 840 en établissant notamment un palais royal et
l'abbaye de Fraumünster à Zurich, ainsi qu'en rattachant fermement l'ensemble ecclésiastique
formé par les abbayes de Saint-Gall et Reichenau, lui permettant ainsi de mieux maintenir son
autorité sur la région. Ce n'est qu'après la mort du roi, en 917, que les nobles locaux peuvent
s'affranchir de la domination carolingienne en fondant le duché de Souabe, dirigé par
Bouchard Ier et centré autour de Zurich16.
De la même manière, à l'est, Rodolphe Ier se fait élire roi de la Bourgogne transjurane, qui
regroupe l'ensemble de la Suisse romande actuelle, Bâle, Soleure, Berne, la Franche-Comté et
la Savoie avec le val d'Aoste et d'importants passages alpins17, en janvier 888 par un groupe de
laïcs et d'ecclésiastiques dans la basilique de Saint-Maurice18. Son fils et successeur, Rodolphe
II acquiert en 934 le royaume de Provence pour fonder le royaume d'Arles, également appelé
deuxième royaume de Bourgogne-Provence.
Cet empire, qui n'a alors pas encore de capitale, repose sur la puissance royale (le roi, élu par
l'assemblée des nobles est alors juge et commandant suprême) et sur l'« hommage » rendu par
les ducs qui, à leur tour, ont leurs propres vassaux. En raison de la taille de l'Empire et du
manque d'administration centrale, les empereurs délèguent leurs pouvoirs aux féodaux locaux
tout en donnant à certaines villes le droit, appelé « immédiateté impériale » de s'administrer
par elles-mêmes et de rendre justice en son[Qui ?] nomdurrenmatt 5.
C'est de l'intérieur de cette structure plutôt lâche que viendra, quelque 200 ans plus tard, une
alliance entre trois vallées qui connue plus tard sous le nom de Confédération des III cantons.
25
4. Confédération des III cantons
Après les incursions des Sarrasins et des Hongrois, l'Europe centrale connaît dès le milieu du
Xe siècle un calme relatif de 200 ans ; les bouleversements politiques se déroulent dans l'est,
en Italie et en Terre sainte, où les croisades se succèdentdurrenmatt 1. Économiquement et
socialement, la féodalité se développe sous les derniers Carolingiens. Sur le territoire de la
future Suisse, les premières sources faisant mention de vassaux datent du IXe siècle et les
décrivent comme les représentants de la noblesse (en allemand Reichsaristokratie) qui
constituent une aristocratie intermédiaire tout d'abord peu rattachée à un lieu particulier. En
parallèle, l'Église (en allemand Reichskirche) se voit également confier des territoires de plus
en plus étendus, les évêques faisant ainsi fréquemment partie des élites sociales4.
En 962, Otton le Grand devient le premier dirigeant du Saint-Empire romain germanique, qui
englobe la totalité du territoire helvétique alors morcelé en une multitude de petites
seigneuries et de possessions épiscopales. Dès le début du deuxième millénaire et jusqu'en
1250, quatre familles vassales des empereurs romains germaniques augmentent
progressivement leur influence dans la région, en particulier en cherchant à obtenir la
couronne du royaume de Bourgogne-Provence ou de ses dépouilles. Les troubles politiques,
couplés à une ère de prospérité économique et à l'ouverture d'un nouveau passage à travers les
Alpes, poussent villes et campagnes, où l'esprit de famille prévaut encore sur des lois
générales, à nouer des alliances.
26
Sculpture de Berthold II de Zähringen sur le cloître du couvent de Fribourg-en-Brisgau
Originaire de Souabe, la Maison de Zähringen se voit contester le territoire qui s'étend sur
l'actuel Bade-Wurtemberg par les Hohenstaufen, qui la repoussent sur la rive gauche du
Rhindurrenmatt 2. En 1098, Berthold II de Zähringen renonce officiellement à toute prétention sur
le duché, mais reçoit en contrepartie la suzeraineté de Lenzburg et le bailliage de Zurich, alors
décrite comme « la plus importante ville de Souabe »nhss 2, tout en étant affranchi de la
suzeraineté ducale. Il peut ainsi créer un duché de Zähringen qui s'étend progressivement vers
l'ouest à partir de 1100 : d'importants territoires des bassins de l'Aar et de l'Emme puis du
pays de Vaud vont y être inclus. Mais une coalition menée par les comtes de Genève, les
évêques de Lausanne et surtout la maison de Savoie finit par briser politiquement l'élan de
Conrad Ier de Zähringen, le fils de Berthold, qui tentait de se faire couronner duc de
Bourgogne.
La famille Zähringen cesse alors ses conquêtes vers l'ouest pour améliorer l'exploitation des
terres du duché familial, particulièrement en fondant les villes de Fribourg en 1157 et de
Berne en 1191bouquet 1, mais aussi Rheinfelden, Berthoud, Morat et Thoune. Une tentative
d'expansion vers le sud, en passant par le col du Grimsel à travers les Alpes, échoue en 1211
face aux Valaisansnhss 3. Dans le même temps cependant, une nouvelle voie s'ouvre à travers les
Alpes et change l'histoire de la région : le col du Saint-Gothard reliant directement la
Lombardie à la vallée de la Reuss, dans la région d'Uri. La date exacte de l'ouverture du col
n'est pas connue, bien qu'elle soit généralement située vers 1200. Il n'est pas certain non plus
que les Zähringen aient participé activement à ce développement, bien que ce territoire se
trouve au sein de leur duché.
Bertold V, le dernier des ducs de Zähringen, s'éteint en 1218. Son héritage est âprement
disputé, mais une importante partie en revient finalement à la famille des Kybourg.
Cependant, alors en lutte contre le pape et certains de ses vassaux, l'empereur Frédéric II
accorde à plusieurs villes du duché, dont Berne, Soleure et Zurich, le statut de ville libre par
« immédiateté impériale », privant ainsi les seigneuries locales de profitsbouquet 1. Le conflit entre
27
l'empereur et le pape, qui atteint son paroxysme lors du premier concile de Lyon en 1245,
connaît également des répercussions sur le plateau suisse, entre gibelins, qui soutiennent
l'empereur et guelfes, qui soutiennent le pape. Ainsi, Lucerne, du côté du pape, entre en
guerre contre Berne, tenant de l'empereur. Cette crise prend fin avec la mort de Frédéric II en
1250andrey 1.
Les premières mentions concernant la famille des Kibourg (parfois écrit Kybourg ou Kyburg)
les situent dans le haut Danube avant qu'ils n'acquièrent, par mariage et par héritage, des
terres en Suisse orientale, dans la région entre Zurich et l'actuelle Thurgovie. Ils tirent leur
nom du château de Kybourg, situé dans l'actuel canton de Zurich, sur le territoire de la
commune homonyme5.
Héritier de la partie du domaine située dans le nord de la Suisse, le comte Hartmann III de
Kibourg est admis, à la suite de son mariage avec Richenza de Lenzbourg-Baden, en 1172
comme héritier avec les Hohenstaufen et les Zähringen des territoires de la maison comtale
des Lenzbourg ; si on ne connaît pas précisément les détails de la répartition du territoire, on
sait qu'elle entraîne de nombreux litiges jusqu'en 1254 lorsqu'Élisabeth de Chalon revendique
Lenzburg pour son époux, Hartmann V de Kibourg dit « le Jeune ». De son côté, Ulrich III de
Kibourg, marié à la fille de Bertold V de Zähringen, devient le principal héritier des
Zähringen et entre en possession des villes de Laupen, Fribourg, Thoune et Berthoud, ainsi
que de nombreux territoires situés dans les actuels cantons d'Argovie et de Zurich ; la famille
de Kibourg échoue toutefois à prendre sous son contrôle la ville de Zurich puis l'abbaye de
Saint-Gall, principalement par manque d'appui de la famille liée des Hohenstaufen6.
À son apogée, l'influence des Kibourg s'étend donc de 1218 à 1277 du lac de Constance
jusqu'à la Nuithonie et même jusqu'à Fribourg et Laupen. La maison va toutefois à son tour
s'éteindre, le dernier représentant mâle des Kibourg mourant en 1263 et ne laissant qu'une fille
mineure ; ses terres vont être distribuées entre les deux familles héritières de Savoie et de
Habsbourg7.
Lors du XIIIe siècle, les Savoie concentrent leurs efforts au nord du lac Léman, où ils se
heurtent aux comtes de Genève, alors en possession du Genevois et sont en conflit
successivement avec l'évêque de Genève qui finit par les écarter de la ville de Genève, avec
les Zähringen à la suite de leur incursion dans le pays de Vaud dès le XIIe siècle et avec
l'évêque de Lausanne. Thomas Ier de Savoie reçoit en 1207 outre le titre de seigneur de
Piémont, le fief de Moudon, marquant ainsi le début de la fin des conquêtes genevoises en
pays de Vaud. Son fils Pierre II de Savoie, surnommé le « petit Charlemagne », poursuivra
quant à lui cette extension en achetant successivement Morat, Fribourg et Berne grâce à
l'appui financier de l'Angleterrebouquet 2. Finalement, le comté de Genève sera à son tour absorbé
au début du XVe sièclenhss 4.
La famille des Habsbourg, originaire d'Alsace et qui tire son nom du château de Habsbourg en
Argovie, ne possède au XIe siècle que peu de terres sur le territoire de la Suisse, à l'exception
de quelques terres dans la basse vallée de l'Aar. Ce n'est qu'en 1173 et surtout en 1218 que
l'empereur, pour qui la famille combat, lui attribue plusieurs bailliages dont celui d'Uri, en
héritage des possessions des familles disparues des Lenzbourg et des Zähringen. En 1264, lors
de la disparition de la famille Kybourg, alliée avec les Savoie par mariage6, Pierre de Savoie
revendique pour le duché familial les terres de Thurgovie et Glaris mais se fait devancer par le
comte Rodolphe de Habsbourg. Dans les années qui suivent, le comte tente de lier ses deux
domaines alsacien et de Suisse occidentale, en particulier en prenant le contrôle de Bâle dont
l'évêché s'étend alors jusqu'aux cols du Haut et du Bas-Hauensteinnhss 5.
29
Voies de communication de la Suisse médiévale.
Pendant longtemps, la vallée d'Uri avait été un cul-de-sac : le col du Saint-Gothard est le seul
qui franchisse les Alpes centrales en une seule fois mais il est d'un trajet malaisé, en
particulier à cause de deux passages infranchissables : la falaise de l'Axenberg, qui ne sera
franchissable que par bateau sur le lac des Quatre-Cantons jusqu'à l'ouverture d'une route en
18649, et le défilé des Schöllenen, entre la vallée transversale d'Uri et celle, longitudinale,
d'Urseren. Il permet toutefois de contourner la ville de Vérone qui contrôle alors le col du
Brennernhss 6 et d'éviter le détour par le Valais et le lac Léman imposé par le passage du col du
Grand-Saint-Bernard.
La date exacte de la construction d'un chemin muletier menant au col n'est pas connue, mais
estimée entre 1215 et 1230, probablement par les habitants de la vallée d'Uri aidés par les
Walsers valaisans récemment arrivés dans la région. Le chemin comporte en particulier un
pont si délicat dans sa construction que certains y voient une intervention du diable, d'où son
nom de « pont du Diable ». Quoi qu'il en soit, l'ouverture de ce passage donne une importance
accrue à Uri qui reçoit, des mains de Henri II de Souabe qui gouverne au nom de son père
Frédéric II, l'« immédiateté impériale » en 1231, dépossédant ainsi les Habsbourg du droit
d'avoirie (c'est-à-dire le commandement militaire et l'exercice de la justice) qu'ils avaient sur
cette région depuis 1218bouquet 3. Cette franchise précise en particulier que la fonction de bailli
est dès lors remplie par un « Ammann », nommé par le roi sur proposition des autorités
locales ; par la suite, les habitants élurent leur bailli, nommé Landammann dès la fin du
XIIIe siècle, directement tout en continuant à le faire confirmer par le roidurrenmatt 3.
30
Les Waldstätten[modifier | modifier le code]
Tout comme Uri, la communauté de Schwytz, alors possession de la branche des Habsbourg-
Laufenbourgnhss 6, avait reçu en 1240 de Frédéric II une lettre de protection qui les plaçait
« sous la protection tant de l'Empire que de lui-même » à la suite de l'envoi de soldats
schwyzois dans la guerre menée en Lombardie contre les forces du pape Grégoire IX, faisant
entrer ainsi la communauté dans le camp des « gibelins »durrenmatt 4. Cette lettre, sans conférer à
Schwytz une véritable immédiateté, plaçait la communauté hors de la sphère d'influence des
Habsbourg, qui contestèrent cette charte (appelée « Charte de Faenza »10 par référence au lieu
où elle aurait été écritedurrenmatt 4) pendant plus de 100 ansbouquet 4.
À son entrée dans l'histoire, la communauté d'Unterwald est déjà divisée en deux parties et la
situation politique y est bien moins claire que chez ses voisins. Composée également en
grande partie de paysans libres, la population des deux communautés, probablement
encouragée par les manœuvres politiques indépendantistes chez ses voisins d'Uri, de Schwytz
et de l'Oberhasli, s'efforce également probablement de se constituer en communes libres ;
aucune mention spécifique n'a cependant pu être retrouvée sur ce sujet, avant la référence faite
à la corporation indépendante Ob und Nid dem Kernwals lors du traité d'alliance signé avec
ses voisinsdurrenmatt 5.
31
Le pacte de 1291[modifier | modifier le code]
Le Pacte de 1291.
Article détaillé : Pacte fédéral.
À l'annonce de la mort de l'empereur, les notables d'Uri, de Schwytz (dont le sceau au bas du
document a disparu) et de Nidwald — ceux d'Obwald n'ont soit pas reçu la convocation, soit
ont décidé de ne pas s'y rendre — se réunissent pour renouveler « leur ancienne
confédération » (en latin antiqua confœderatio) par un pacte qui confirme un accord précédent
mais aujourd'hui disparu. Ce texte est un traité d'assistance mutuelle ainsi qu'une ébauche de
code pénal qui, loin du texte révolutionnaire que l'on présente parfois — le texte précisant
même que « chacun reste soumis à son seigneur, comme il se doit. »11 — se contente de
préciser le refus de la reconnaissance d'« un juge qui aurait payé sa charge ou qui ne serait pas
de chez nous »11. Ce document conclu « à perpétuité si Dieu le veut »11, ce qui ne signifie pas
qu'il ne peut être modifié, a été traduit en allemand vers 1400 et est mentionné par Werner
Steiner en 1532nhss 7. Il finit par tomber dans l'oubli. Il n'est retrouvé qu'en 1758 à Schwytz et
n'a jamais été traduit officiellement par le gouvernement suisse, favorisant ainsi l'apparition
de traductions plus ou moins fantaisistes au cours des années, alimentant la polémique et le
débat mais stimulant également la rechercheandrey 5.
Dans son contenu, le pacte ressemble bien à un pacte local, destiné à régler l'ordre public et
ébauchant une direction politique limitée. Dans sa structure, il respecte les standards de
l'époque avec un préambule et une formule finale, le tout en continu et sans séparation en
paragraphes. Cependant, il n'indique ni le lieu ni la date précise de son adoption (« début
août »11), pas plus qu'il n'est signé ou qu'il ne donne de noms précis. En outre, il contiennt des
fautes d'orthographe, des omissions de mots et des imprécisions comme si le scribe n'avait pas
pu se relire. Enfin, alors que la quasi-totalité du texte est rédigé à la troisième personne du
pluriel, la partie qui exclut les juges étrangers, est rédigée à la première personne du plurielnhss
8
. Tous ces éléments ont provoqué de nombreuses controverses pour savoir si les omissions
avaient pu être faites volontairement, impliquant ainsi la volonté des auteurs de rester
anonymes et faisant du pacte un document séditieux, voir un appel à la rébellion. L'utilisation
de certains mots, tel que « conspirati », traduit en français par « confédérés » semble jouer en
faveur de cette interprétationandrey 5.
32
Avec ce pacte, si les communautés signataires ne rejettent pas la domination royale ou le fait
de devoir servir en cas de levée de troupes pour défendre le territoire contre une menace
extérieure, elles réclament leur indépendance pour les décisions liées aux impôts, au choix des
fonctionnaires et des juges, refusant ainsi d'abandonner leur souveraineté aux ducs d'Autriche,
vassaux du roidurrenmatt 6.
Autour des événements historiques ayant conduit à la signature du pacte, de nombreux mythes
et légendes ont vu le jour, la plupart dans la première moitié du XVe siècle (soit plus d’un
siècle après les événements), et sont regroupés dans le Livre blanc de Sarnen, datant de 1470
environ, et repris vers 1550 par le chroniqueur Gilg Tschudi, qui décrit les actions héroïques
de la résistance des Suissesbouquet 5. Tous ces récits relatent des événements se déroulant entre
1307 et 1308, année charnière qui était retenue jusqu'au XIXe siècle pour la date de la
fondation de la Confédération12.
Parmi ces mythes, le plus connu reste celui de Guillaume Tell, condamné à tirer à l'arbalète
sur une pomme placée sur la tête de son fils. Tell se venge de cet acte en tuant le bailli
Hermann Gessler après avoir échappé à une tempête. Cette légende d'origine danoise s'est
progressivement enrichie au cours des siècles en mettant en scène, par exemple dans les
peintures du XVIIIe siècle. En 1829, dans Guillaume Tell, l'opéra de Gioachino Rossini, la
femme de Tell est baptisée Hedwigeandrey 6.
33
Un autre mythe raconte l'histoire des trois hommes (Arnold de Melchtal, Walter Fürst et
Werner Stauffacher) qui se réunirent sur la prairie du Grütli pour y prêter le Serment du Grütli
destiné à libérer les trois vallées et à vivre ou à mourir en hommes libres.
Le 27 juillet 1298, l'élection du fils de Rodolphe, Albert Ier, comme roi allemand met
l'alliance confédérée en grand danger : en effet, les communautés s'étaient rangées aux côtés
d'Adolphe de Nassau dans la guerre qui avait éclaté à la suite de l'élection controversée de ce
dernier qui est tué par Albert pendant une bataille le 2 juillet de la même année. Cependant,
après avoir forcé la ville de Zurich à dénoncer une alliance de trois ans conclue avec les
conférés, le nouvel empereur se contente d'encercler les trois communautés et de ne pas
renouveler les franchises accordées à Schwytz et Uri, sans intervenir militairement sur leur
territoiredurrenmatt 7.
À l'inverse, au début du XIVe siècle, des querelles au sein de la maison de Habsbourg puis
entre les différentes familles princières, profitent indirectement aux confédérés : à la suite de
l'assassinat du roi en 1308, son successeur Henri VII de Luxembourg confirme la liberté
impériale des trois pays, offrant ainsi également, mais de manière ambigüe, l'immédiateté à la
vallée d'Unterwald tout en désignant un bailli unique pour les trois valléesbouquet 6. En réaction,
les Habsbourg augmentent leur pression sur la région afin de récupérer leurs droitsnhss 1.
Parallèlement, les Schwytzois, qui sont en guerre larvée pour des questions de territoire et de
taxes avec l'abbaye d'Einsiedeln dont les Habsbourg sont les protecteurs, se font mettre au ban
de l'Église. Le 6 janvier 1314, ils se vengent par un raid nocturne sur le couvent où, selon le
récit fait par un instituteur du couvent, « ils volent ce qui peut leur être d'une utilité
quelconque [...], ils boivent outre mesure de notre vin [...], ils souillent le temple de Dieu de
leurs propres ordures et chacun lâche son urine ou paie le tribut de son ventre dans
l'église... »13. Cette opération n'est rien qu'un épisode de plus dans le conflit entre les deux
parties mais elle provoque une riposte du duc Léopold Ier, alors partisan du duc Frédéric le
Bel dans la lutte de celui-ci pour la couronne impériale qui l'oppose au roi Louis de Bavière
pour qui les Confédérés avaient pris parti. L'accès au marché de Lucerne leur est fermé, un
embargo sur le blé est déclaré contre les trois communautés et la route du Gothard est bloquée
alors que des troupes originaires d'Argovie, de Winterthour, de Lucerne et de Zurich bien
équipées et fournies d'une importante cavalerie, se rassemblent dans la région de Zoug, une
possession habsbourgoise.
34
La bataille de Morgarten (miniature sur bois).
Devant ces préparatifs, les Waldstätten prennent de leur côté plusieurs contre-mesures : les
Uranais concluent un armistice avec les habitants de la vallée de Glaris avec qui ils sont en
guerre depuis quelques années, les Schwytzois construisent des barrages sur les routes menant
à Zoug et Küssnacht et les Unterwaldiens font de même en direction de la vallée d'Urseren.
Parallèlement, les trois communautés mettent en place un important service de
renseignements dans la région, leur permettant ainsi d'être rapidement informés de tout
mouvement de l'armée ennemiedurrenmatt 8.
Le matin du 15 novembre 1315, la cavalerie lourde du duc Léopold, suivie d'un corps
d'infanterie, s'engage dans un défilé dominé par la montagne de Morgarten. Coincé entre cette
montagne et le lac d'Ägeri, ils sont surpris par les Schwytzois aidés par quelques Uranais et
commandés par Werner Stauffacher10 qui les attaquent à coup de hallebardes et de pierres —
l'histoire y ajoutera par la suite des troncs d'arbre —, causant un massacre au corps-à-corps et
forçant une partie des Autrichiens à tenter de se sauver par le lac et de s'y noyer. Seule une
partie des troupes, dont le duc en personne, parvient à s'échapper de cette bataille qui prendra
par la suite le nom de la montagnebouquet 7. Le nombre exact de soldats engagés des deux côtés,
tout comme le nombre des victimes, n'a jamais pu être déterminé avec précision mais est
évalué à quelques milliers du côté autrichien contre un millier de Schwytzois environ. Les
pertes ont pu s'élever à quelques centaines de morts dont plusieurs chevaliers d'un côté contre
quelques dizaines de l'autre, loin des « 20 000 Autrichiens » mentionnés dans certains
récitsandrey 7.
Pour les Habsbourg, les conséquences de cette défaite sont pratiquement nulles :
l'affaiblissement des forces armées n'est que provisoire et l'autorité de Frédéric sur les villes
de son territoire ira grandissant jusqu'à la paix générale imposée en 1319. Côté confédéré par
contre, l'évènement provoque une prise de conscience politique et fait forte impression dans la
population : des paysans mal armés et inférieurs en nombre qui battent une armée de
professionnels, commandée par le chef de l'une des plus importantes maisons d'Europe, au
mépris total de toutes les coutumes chevaleresques ! Les vainqueurs, décrits comme des
« sauvages assoiffés de sang » ou comme des « hordes paysannes grossières et impies »bouquet 7
par leurs ennemis, font forte impression et deviennent les héros d'un culte du souvenir qui
perdure encore six siècles plus tardandrey 8.
35
Le pacte de Brunnen[modifier | modifier le code]
Trois semaines après leur succès militaire, les délégués des Confédérés se réunissent à
Brunnen, une localité située au point de jonction entre les trois cantons primitifs, sur les bords
du lac des Quatre-Cantons. Le 9 décembre 1315, ils renouvèlent l'alliance de 1291 dans un
nouveau pacte14, qui reprend les articles et les termes du précédent mais est rédigé en
allemandandrey 8.
Certaines dispositions de politique extérieure sont ajoutées, en particulier l'article selon lequel
chaque canton s'engage à ne reconnaître aucun seigneur sans l'assentiment de ses alliés, ni à
traiter avec quelque pouvoir étranger que ce soit sans que les autres soient inclus dans la
négociation15. C'est également dans ce traité qu'apparaît pour la première fois le terme
d'Eidgenossen, littéralement « compagnons de serment », par la suite traduit en français par
« Confédérés »16,17. Le pacte de Brunnen reste en vigueur jusqu'en 1798, soit jusqu'à la fin de
l'ancienne Confédération18.
En 1316, le roi Louis de Bavière confirme l'immédiateté des trois cantons alors que le duc
Léopold, refusant sa défaite, mène une guerre d'usure qui se traduit par plusieurs
affrontements mineurs avant qu'un simple armistice ne soit finalement conclu avec les
Habsbourg en juillet 1318, ces derniers ne renonçant pas à défaire les communautésdurrenmatt 9.
Dans les années suivantes, les cantons primitifs nouent des liens et s'allient avec les cités de
Lucerne, Zurich et Berne, formant ainsi la base de ce qui devait devenir la Confédération des
VIII cantons.
36
5. Confédération des VIII cantons
À la suite de la nouvelle possibilité, dès la première moitié du XIIIe siècle, de traversée des
Alpes par le col du Saint-Gothard, la vallée d'Uri cesse d'être un cul-de-sac pour devenir l'un
des points de passage obligés des Alpes et prend ainsi une importance politique qui lui permet
d'obtenir de l'empereur du Saint-Empire romain germanique Frédéric II, l'immédiateté
impériale en 1231 au détriment de la famille de Habsbourg, propriétaire de la vallée ainsi que
des deux vallées voisines de Schwytz et d'Unterwaldbouquet 1.
Après plusieurs années de conflit larvé et à la suite de l'annonce du décès de l'empereur, les
trois vallées confirment, en 1291, un pacte d'alliance éternelle les unissant pour s'aider
mutuellement contre toute intervention militaire extérieure1 et refusant comme bailli toute
personne étrangère et qui n'aurait pas été choisie localement ; cette dernière mesure en
particulier est rejetée par les Habsbourg qui mettent dans le même temps en place sur
37
l'ensemble de leurs terres une forme de gouvernement centralisé où le bailli représente
directement le pouvoir au niveau localdurrenmatt 1.
Quelques années plus tard, à la suite d'une expédition des schwytzois contre le couvent
d'Einsiedeln, le duc Léopold Ier d'Autriche, dirigeant de la maison Habsbourg et fortement
opposé à la politique séparatiste des trois communautés, réunit des troupes pour punir les
Confédérés. Ceux-ci vont cependant prendre par surprise l'armée du duc et la défaire lors
d'une bataille en 1315andrey 1. Quelques semaines après cette victoire, les représentants des trois
vallées se réunissent pour signer un nouveau pacte, appelé pacte de Brunnen du nom du lieu
où il est adopté, qui, rédigé en allemand, mentionne pour la première fois l'expression
d'Eidgenossen, traduite par la suite en français par confédérés2.
Le Kapellbrücke de Lucerne.
Fondée au début du XIIIe siècle non loin d'un couvent, la ville de Lucerne, située au bord du
lac des Quatre Cantons à l'embouchure de la Reuss, est alors la seule ville tenant le débouché
nord du Saint-Gothardnhss 1. Plaque tournante du commerce local, elle est achetée en 1291 par
l'empereur Rodolphe Ier du Saint-Empire, alors simple duc de Habsbourg, qui y déplace le
péage de Châlon-Arlay, précédemment situé à Jougne quelques jours seulement avant sa
mortnhss 2.
À la suite de leurs ennuis avec les confédérés, les Habsbourg tentent de renforcer leur emprise
dans la région jusqu'à imposer, en 1308, un blocus économique sur les trois vallées rebelles et
une transformation de la ville de Lucerne en une plateforme militaire d'où des expéditions
sont lancées contre les villages ennemis ; les troupes lucernoises sont mobilisées et participent
à la bataille de Morgarten du côté autrichien, alors même que la victoire confédérée lors de
cette bataille va faire naître dans la ville un courant en leur faveurdurrenmatt 2.
38
En 1326, le bailli local, représentant les intérêts des Habsbourg, empiète sur les droits
accordés à la ville en manifestant son intérêt pour le poste d'avoyer et en désirant prendre le
contrôle de l'élection du Grand Conseilnhss 3. En réaction, le parti pro-confédérés ou
autonomiste, séduit par l'indépendance des trois vallées voisines, s'oppose au parti autrichien,
favorable aux Habsbourg. En 1328, les autonomistes remportent une victoire politique et
obtiennent que la nomination de l'avoyer soit faite par l'autorité exécutive de la ville.
Cependant, le duc d'Autriche refuse en 1330 de reconnaître l'ancien droit ce qui provoque, le
7 novembre 1332, la signature du pacte des Quatre Cantons3 (également appelé pacte de
Lucerne) entre les confédérés et la villeandrey 2.
Tout comme dans celui de Brunnen, ce nouveau pacte précise les modalités d'une politique
extérieure commune et y ajoute une procédure d'arbitrage qui précise que, dans le cas où un
conflit s'élevait entre les trois cantons primitifs, Lucerne devrait obligatoirement se ranger du
côté de la majorité. Le nouveau pacte réserve les droits légitimes des seigneurs qui ne sont pas
remis en causenhss 4. En réaction à la signature de ce pacte, des troubles éclatent
progressivement dans la ville et trouvent leur conclusion par un coup d'État des partisans
autrichiens, regroupés dans ce qui sera par la suite appelé la « conjuration des manches
rouges »durrenmatt 3, qui tentent de reprendre sans succès le contrôle de la ville le 25 juillet 13434.
Le traité d'alliance confirmé, le lac de Lucerne change de nom pour devenir le lac des Quatre
Cantons, en allemand Vierwaldstättersee, soit littéralement lac des quatre cantons forestiers
tout en devenant un véritable lac intérieur à la confédération : de fait, la navigation fluviale est
largement répandue et souvent préférée à la route, jugée plus lente, plus coûteuse et moins
sûre, en particulier pour le transport des marchandisesandrey 2.
Serment d'allégeance au pacte avec les Confédérés par les bourgeois de Zurich en 1351.
Dès 1218, la ville industrielle et commerciale de Zurich est placée sous la souveraineté directe
de l'empereur Frédéric II et est dirigée par l'abbesse du Fraumünster dont l'influence va aller
en décroissant jusqu'au XVIIIe siècle, dans le même temps où augmente celle des corporations
de commerçants de la ville, et en particulier celles des tisseurs et du commerce de la soie5. Au
début du XIIIe siècle, la ville va rapidement se développer tant économiquement (grâce à
39
l'ouverture du Gothard) que politiquement (lorsque la ville décide d'assurer la sécurité de la
route commerciale passant par les Grisons) ; les dirigeants de la ville vont alors développer de
bonnes relations avec les Habsbourg jusqu'à la dernière décennie du siècle, lorsque le roi
accorde à Zurich le droit d'exercer directement la haute justice, transformant ainsi la ville en
une communauté quasi indépendantedurrenmatt 4.
Ce pacte7, contrairement au pacte de Lucerne, n'est qu'un pacte d'assistance mutuelle qui
précise l'aire géographie sur laquelle l'aide des partenaires peut être requise. Fait marquant,
cette aire déborde du territoire des cinq alliés pour englober une zone d'influence plus large,
correspondant environ à la Suisse alémanique actuelleandrey 3. Dans ce pacte, les alliés
conviennent pour la première fois de se concerter avant toute action quelque peu importante et
conviennent même d'Einsiedeln comme lieu de rencontre officiel où doivent se tenir les
assises arbitrales également définies dans le documentnhss 6. Enfin, le pacte autorise
explicitement Zurich à conclure librement d'autres alliances, à la seule condition de maintenir
celles existantes. En effet, la ville était alors imbriquée dans un vaste réseau d'alliances avec
différentes villes et dignitaires allemands et autrichiens. Ce traité avec les Confédérés n'est
donc, du point de vue zurichois, qu'une alliance parmi d'autres qui ne revêt pas de caractère
particulièrement solennelandrey 3. Économiquement, cette alliance est également profitable des
deux côtés : si elle assure le passage du Saint-Gothard aux matières premières de la soie qui
vient d'Italie pour Zurich, la ville offre, pour les Confédérés, un débouché important pour
l'exportation des produits fermiersandrey 4.
Alors que les trois cantons primitifs et Lucerne sont tous regroupés autour du lac des Quatre
Cantons et limitrophes les uns des autres, Zurich, véritable enclave en territoire contrôlé par
40
les Habsbourg, n'a aucune frontière avec ses nouveaux alliés. En conséquence, la vallée de
Glaris et la ville de Zoug, territoires intermédiaires sous contrôle autrichien, deviennent des
objectifs stratégiques importants pour les Confédérés.
Ceux-ci concluent, le 4 juin 1353 un nouveau pacte avec Glaris9, qui n'est pas ratifié par
Lucerne, opposée à l'entrée de cette vallée dans l'alliance et qui préfère rester neutre.
Contrairement aux pactes précédents, celui-ci n'est pas égalitaire : si Glaris est tenu d'apporter
son aide en tout temps et en toutes circonstances à ses alliés, ceux-ci ne doivent intervenir que
sur le territoire glaronais, et seulement s'ils le jugent nécessaire. D'autre part, les Glaronnais
ne peuvent contracter d'autres alliances sans l'autorisation des Confédérés et sont tenus de
respecter ces dispositions, alors que les alliés peuvent les modifier à leur gré. Plusieurs raisons
sont avancées pour expliquer cette « mauvaise alliance » selon une expression de l'époque (en
allemand böser Bund8) : le manque d'intérêt de la vallée de Glaris pour les Confédérésbouquet 4 ou
le besoin des Glaronnais, alors en crise ouverte contre leur souverain légitime, d'une
couverture militaire, couplée au manque d'envie des Confédérés de trop s'engager pour cette
vallée située à l'écartnhss 7.
La ville fortifiée de Zoug, également sous tutelle autrichienne, a quant à elle un double intérêt
pour les Confédérés : d'une part, elle se trouve sur l'une des principales routes menant de
Lucerne à Zurich et risque, en cas de guerre, d'être utilisée pour couper les communications
entre ces deux villes durrenmatt 8 et d'autre part, elle est une des places de transbordement des
marchandises en direction du Gothardnhss 7.
Pour ces raisons, la ville est assiégée dès le 8 juin 1352, soit quatre jours seulement après la
signature du traité de Glaris, par les troupes confédérées qui, désireux de conclure une entente
négociée, ne la prennent pas d'assaut mais en montent le siège selon les règles du droit de la
guerre. Lors de la capitulation de la ville faiblement défendue le 25 juin 1352, les Confédérés
accordent même un délai de trois jours aux Habsbourg pour tenter de lever le siège. Cette
tentative n'ayant pas eu lieu, la ville est alors libre de conclure une alliance avec les cantons le
41
27 juin 1352nhss 7. Ce pacte est une copie presque mot à mot de celui de Zurich, offrant ainsi au
nouveau venu une place de plein droit, comparable à celle de Lucerne, dans l'alliance; tout
comme celui de Zurich, il ne remet aucunement en cause les structures politiques existantes. Il
n'en reste pas moins que l'entrée de Zoug dans la Confédération est le résultat d'une conquête
militaire et non un acte volontaire des principaux concernésandrey 5.
Le 21 juillet de la même année 1352, le duc Albert se présente pour la seconde fois en deux
ans devant Zurich avec une armée. Cette fois-ci, il réunit autour de lui une vaste coalition
comprenant les dirigeants du Wurtemberg, du Torberg du Brandenbourg et de la Savoie, ainsi
que les évêques de Coire et de Bamberg ; l'explication de cet important regroupement
politique met en avant la volonté de la noblesse de s'opposer à une alliance formée par des
paysans et des bourgeois opposant le droit naturel donné aux princes de gouverner et leurs
adversaires, traités de grobe Puren (paysans grossiers) en allemanddurrenmatt 9.
Après deux semaines de siège, les Confédérés sont forcés de négocier la paix de Brandebourg.
Nommée en l'honneur du margrave Louis de Brandebourg qui en est le médiateur et
l'initiateur, cette paix est signée le 1er septembre 1352 et revient pratiquement à la situation de
1351 : Lucerne retourne sous la tutelle autrichienne, Zurich rend Rapperswil et les alliances
avec Glaris et Zoug sont annulées. En contrepartie, l'Autriche reconnait le traité qui lie les
Confédérés et Lucerne, renonce aux droits qu'elle prétendait avoir sur Schwytz et Unterwald
et se retire du territoire zurichois10.
Cette paix n'est pas véritablement respectée par les deux partis qui s'efforcent, dans les mois
qui suivent, de renforcer leurs positions respectives. Ainsi, l'empereur Charles IV, convaincu
42
par le duc Albert de déclarer à son tour la guerre aux Confédérés, marche en juin 1354 contre
Zurich et installe, avec l'aide des troupes du duc, le troisième siège de la villedurrenmatt 10. Celle-ci
se rend après 10 jours en hissant les couleurs de l'Empire. Après quelques mois de guérilla
infructueuse de part et d'autre, la paix de Ratisbonne est signée entre le duc Albert II
d'Autriche et la Confédération en juillet 135511 ; cette paix confirme les termes de celle de
Brandebourg au grand mécontentement des Waldstaetten et à la satisfaction du parti
autrichien de Zurich qui doit reprendre sa place dans le système politique mis en place par les
Habsbourg12.
Fondée par les Zaehringen en 1191, la ville de Berne se développe rapidement à la suite de la
disparition de cette famille ; après avoir obtenu le statut de ville libre impériale et avoir signé
plusieurs accords avec Fribourg, Morat, puis Soleure et Payernedurrenmatt 11, la ville mène une
vigoureuse politique d'expansion dès le début du XIIIe siècle et se heurte successivement aux
Habsbourg-Autriche, puis aux Kibourg-Berthoud. À la suite de la victoire de Louis de Bavière
sur Frédéric le Bel, la ville conclut en 1323 sa première alliance avec les Waldstätten,
également opposés aux Habsbourg13. L'hostilité des différents adversaires de la ville se traduit
par la formation d'une large coalition regroupant Fribourg, les évêques de Bâle et de Lausanne
ainsi que de nombreux nobles de la partie francophone du territoire suisse actuel qui envoient
une déclaration de guerre à Berne lors des fêtes de Pâques de 1339. L'armée bernoise, forte de
15 000 hommes14, commandée par Rodolphe d'Erlach et comprenant des troupes uranaises,
schwytzoises, unterwaldiennes et soleuroises, part le 21 juin de Berne en direction de Laupen
où elle écrase complètement ses adversaires lors de ce premier épisode de la bataille de
43
Laupen qui se termine après la bataille du Schönberg le 24 avril 1340 où les faubourgs de
Fribourg sont incendiés15.
L'aide apportée à Berne par les Confédérés débouche sur une nouvelle alliance en 1341, avant
que l'Autriche ne reprenne le contrôle de la ville en renouvelant son alliance avec Berne en
1348 et en tentant de l'inclure dans la paix générale qu'elle promeut depuis son territoire. Une
des principales restrictions apportées lors de ce renouvellement est l'interdiction faite à Berne
de conclure de nouvelles alliances sans l'accord autrichiennhss 8. Devant cette reprise en main, la
ville de Zurich, également concernée par la nouvelle politique dirigiste des Habsbourg,
travaille durement à formaliser l'union de Berne à la Confédération. C'est chose faite le 6 mars
1353durrenmatt 12, avec la signature d'un nouveau pacte marquant une alliance « perpétuelle » avec
les trois cantons primitifs et scellant officiellement l'entrée de Berne dans la Confédération.
Plusieurs explications sont données sur la signature des trois cantons montagnards
uniquement et non de Lucerne et Zurich. Si certaines sources prétendent que les deux cités ne
voient pas forcément d'un très bon œil l'arrivée d'une nouvelle ville puissante dans l'alliance et
préférèrent ne pas signer directement le traitéandrey 6, d'autres avancent le motif que, sans la
signature de Lucerne et Zurich, ce pacte n'est considéré que comme un simple renouvellement
d'une alliance existante et donc n'est pas soumis à l'approbation de l'Autrichenhss 8. Quoi qu'il en
soit, le pacte signé entre Berne et les Confédérés est plus lâche que les précédents sur
plusieurs points, dont en particulier les obligations réciproques d'aide militaire dont les zones
sont moins clairement définies et la possibilité laissée aux deux parties de poursuivre
librement une politique d'alliance : Berne, tout comme Zurich, possède alors en effet un vaste
réseau d'alliances et de pactes avec plusieurs entités de la région et tient à éviter de dégrader
ses rapports avec l'Autriche.
Le pacte entre Berne et les Confédérés comporte également plusieurs articles destinés à priver
les agitateurs favorables à une démocratisation de la vallée de l'Oberhasli du support que
pourraient leur offrir les cantons voisins d'Unterwald et d'Uridurrenmatt 12.
L'entité désignée sous le nom de Confédération des VIII cantons n'est, au milieu du
XIVe siècle, pas une véritable Confédération ni un organisme uni aux objectifs et contours
bien définis, mais plutôt un réseau d'alliances diverses et relativement lâches, composé d'un
noyau solide formé par les trois cantons primitifs, de la ville de Lucerne soumise aux
Habsbourg et des deux villes impériales de Zurich et Berne, Glaris et Zoug n'y ayant fait
qu'un rapide passage. Bien que ce type d'alliance ne soit alors ni rare ni spécifique, son unicité
vient du fait que des communautés à la fois paysannes et citadines aient pu créer et maintenir
des liens de partenariat égalitaires : lors des différents exemples passés où une telle alliance
avait été tentée, les villes avaient alors très rapidement pris le dessus sur les campagnes,
rompant ainsi l'égalité entre les partenaires. C'est en particulier le cas dans l'alliance conclue
entre la communauté de la vallée du Hasli et Berne en 1278 : moins de 50 ans après, en 1334,
la communauté était absorbée par la ville dont elle devenait un simple quartiernhss 9.
Outre les alliances politiques, plusieurs évènements majeurs se produisent dans cette période
du XIVe siècle : la peste noire se répand en 1349 dans le pays en provenance d'Asie centrale.
Les chiffres avancés par les chroniques de l'époque parlent de 60 000 victimes à Genève, ou
14 000 à Bâle, certaines estimations montrent qu'un quart des 800 000 habitants du territoire
actuel de la Suisse sera tué par l'épidémie qui est relatée par les tableaux de la danse macabre
44
du pont de Lucerneandrey 7. Autre catastrophe en 1356, un important tremblement de terre rase
quasiment totalement la ville épiscopale de Bâle : le toit du cœur de la cathédrale s'écroule sur
l'autel et les cloches fondent dans l'incendie qui suit.
Appuyé par l'empereur, Zurich reprend alors ses visées sur Zoug peu avant la mort de
Rodolphe IV en 1365, qui laisse le pouvoir à ses deux jeunes frères, offrant ainsi une chance
inespérée aux Confédérés de par la faiblesse des Habsbourg : après que la République de
Gersau et Weggis ont rejoint l'alliance en août 1359durrenmatt 12, Schwytz envahit la vallée
zougoise, place la ville sous son contrôle et rétablit le pacte de 1352 sans pratiquement
provoquer de réaction habsbourgeoise. En 1369, le traité qui provoque la paix de Torberg
proposé par Zurich et Berne est signé entre Schwytz et l'Autriche sur le futur de Zoug :
l'Autriche se réserve le droit de recourir aux armes pour faire valoir ses droits pendant une
année, faute de quoi elle doit abandonner à Schwytz ses droits de souveraineté sur la ville et le
pays avoisinantnhss 10.
Le 7 octobre 1370, les six Confédérés contrôlant le passage du Gothard, dont Zoug qui y
apparaît comme un contractant à part entière, mais sans Berne encore liée à l'Autriche pour
toute nouvelle alliance, signent une nouvelle charte appelée dès le XVIe siècle Pfaffenbrief ou
en français charte des prêtres16. L'importance de ce texte tient tant dans son contenant, qui
voit pour la première fois apparaître l'expression unser Eydgnossenschaft pour évoquer
l'ensemble des pays confédérés, que dans son contenu. En effet, ce texte unifie les différents
droits existants et rend chaque homme égal devant la loi commune rendue de la même
manière, par des juges locaux, que l'on soit noble ou roturier, que l'on soit laïc ou religieux.
Le texte prévoit également que les citoyens au service de l'Autriche et vivant sur le territoire
confédéré doivent prêter un serment d'allégeance qui prime sur tout autre et sont soumis à la
juridiction de leur canton d'établissementdurrenmatt 13.
45
Par cette charte, les cantons s'engagent également à assurer la sécurité sur les routes entre le
Gothard et Zurich, interdisent la guerre privée et spécifient plusieurs procédures liées aux
dettes, à la prise de gages et aux poursuites pénales, marquant ainsi le passage à une
conception juridique fondée sur le droit territorial et non plus personnel17. Plusieurs points de
friction ne sont toutefois pas résolus par cette charte, dont en particulier l'opposition entre les
campagnes et les villes qui se manifeste en particulier par l'antagonisme marqué entre Zurich
et Schwytz sur le statut de Zoug. De même, les problèmes potentiellement liés à la
multiplicité des alliances, parfois contradictoires, ne sont pas abordés dans ce documentnhss 11.
De 1375 à 1384, la région est directement touchée par deux conflits armés qui permettent aux
Confédérés de renforcer leur collaboration militaire tout en étendant leur sphère d'influence au
détriment de la famille Habsbourg-Autriche et de ses alliés locaux.
En 1375, une troupe de 22 000 mercenaires français et anglais, formée d'anciens soldats
licenciés lors d'une trêve de la guerre de Cent Ans, pille et ravage les régions traversées. Ils
sont appelés « Gugler » en référence à leur signe distinctif qui est un casque en forme de
capuchon (Guggel en allemand). Commandés par le Français Enguerrand VII de Coucy, petit-
fils du vaincu de la bataille de Morgarten Léopold Ier du Saint-Empire qui désirait récupérer
les territoires familiauxandrey 8, ils traversent les cols du Jura au début du mois de décembre 1375
et ravagent la plaine de l'Aar. Divisant ses troupes en trois, Coucy s'installe dans le couvent de
Saint-Urban, situé sur la commune de Buttisholz et confie une partie des troupes au capitaine
Jean de Vienne, originaire du sud de la France, à Anet et l'autre au capitaine gallois Owen
Lawgoch à Fraubrunnen18.
Des habitants des régions concernées, par la suite rejoints par des gens de la ville de Berne,
excédés par les vols, viols et destructions, attaquent et infligent des pertes importantes aux
Gugler dans des combats nocturnes. Ces pertes, couplées à l'hiver rigoureux et au manque de
ressources du pays, poussent finalement les assaillants à se retirer sans que le corps principal
ait livré bataille. Ces évènements ont été commémorés par des pierres à Fraubrunnen qui
rappellent le courage des habitants face aux envahisseurs; de la même manière, un champ
d'Anet porte le nom de Gugleracker, soit littéralement « le champ des Gugler »andrey 8.
À la même période, le duc Léopold III de Habsbourg, qui vient de recevoir plusieurs pays,
dont la Styrie, le Tyrol et la Haute-Alsace, poursuit une politique agressive d'acquisitions dans
le but d'établir une continuité territoriale entre le Tyrol et l'Alsace, en passant par Fribourg. Il
se fait ainsi donner en gage plusieurs seigneuries de la plaine de l'Aar, parmi lesquelles celles
de Nidau et de Büren, avant de s'attaquer à la ville de Bâle, alors opposée à l'évêque de Bâle,
dont il acquiert en 1376 le bailliage. Enfin, le duc pouvait espérer récupérer l'ensemble des
46
terres appartenant aux comtes de Kybourg-Berthoud, vassaux du duc, dont le déclin semble
annoncénhss 12.
Malgré l'utilisation de catapultes et, pour la première fois dans l'histoire militaire de la région,
de canons et d'arquebuses, le siège de la ville de Berthoud ne connait pas le succès et doit être
levé après 45 jours. Les Confédérés proposent leur médiation et Berne achète aux Kybourg les
villes de Berthoud et de Thoune le 5 avril 1384 avant de signer la paix deux jours plus tard.
Cette opération permet aux Bernois de s'établir durablement dans l'Oberland et dans
l'Emmental19.
Pour contrer la présence autrichienne qui se fait de plus en plus pesante, les villes confédérées
organisent pendant l'hiver 1385-1386 plusieurs expéditions où Zurich annexe Rapperswil,
Zoug reprend Saint-Andreas et Lucerne Rothenburg, ce qui provoque l'irritation du duc
Léopold III. Lorsque les Lucernois détruisent un bureau de douane établi dans le château de
Rothenbourg, marquant ainsi leur hostilité aux nouveaux droits de transit imposé par le duc
d'Autriche20 et que la ville de Lucerne accorde sa protection et la combourgeoisie à
l'Entlebuch ainsi qu'à Sempach, le duc réunit son armée et convoque ses alliés de la région
pour marcher sur la villenhss 13 après qu'un armistice temporaire a été signé entre le duc et les
Confédérés grâce aux bons soins des villes de Bâle et de Strasbourgdurrenmatt 14.
47
Les troupes autrichiennes, fortes de près de 4 000 cavaliers, qui ne représentent que l'avant-
garde de l'armée de 25 000 hommes réunie pour l'occasion14, se heurtent le 9 juillet 1386 aux
2 000 Lucernois, renforcés par des contingents uranais, obwaldiens, zurichois et schwytzois
sur le plateau, près du village de Sempach qui donnera par la suite son nom à cette bataille21.
Malgré la présence d'une forte cavalerie lourde habsbourgeoise, les troupes autrichiennes sont
mises en déroute, accablées par la chaleur. Le duc d'Autriche refuse de se retirer et est tué
dans la bataille; une chapelle mortuaire, œuvre votive des bourgeois de Lucerne, sera érigée
en 1387 sur le lieu où il est tombéandrey 9. L'acte héroïque d'Arnold von Winkelried, qui se serait
sacrifié à cette occasion pour ouvrir un passage aux troupes suisses, tient quant à lui bien plus
du mythe que de la vérité historique22. Quoi qu'il en soit, la défaite de Sempach représente un
coup très dur pour l'Autriche, dont la faiblesse temporaire est mise à profit par plusieurs
entités de sa frontière occidentale, telles que les villes de Bâle et de Soleure, pour s'émanciper
et qui voit son influence fortement diminuer sur le plateau suissenhss 14. De leur côté, les troupes
confédérées ne profitent pas de leur succès sur le plan militaire : plutôt que de poursuivre les
troupes ennemies qui se débandent, les soldats célèbrent leur victoire en priant pendant trois
jours sur le lieu même de la batailledurrenmatt 15.
Deux ans plus tard, dans la nuit du 21 au 22 février 1388, les Autrichiens prennent d'assaut la
petite ville glaronaise de Weesen occupée par les Glaronais et les Confédérés depuis 1386.
Les troupes des Habsbourg, divisées en deux colonnes de 5 000 et 1 500 soldats, partent
ensuite en direction de la ville de Glaris, accusée de rébellion en faveur de la Confédération.
Les 400 Glaronais, épaulés par quelques Schwytzois et Uranais, laissent approcher la
première colonne autrichienne et l'attaque alors que les troupes se livrent au pillage dans la
ville de Näfels, avant de poursuivre les soldats en fuite dont un grand nombre finit noyé dans
la Maag à la suite de l'effondrement d'un pont23. Au total, près de 1 700 combattants
autrichiens seront tués contre seulement 54 Glaronais et Confédérés qui érigeront, en 1389,
une chapelle commémorative sur les lieux de la bataille.
48
À la suite de cette bataille dont les conséquences pour l'Autriche sont bien moins graves que
celle de Sempach, Glaris s'émancipe totalement de la tutelle autrichienne et renoue son
alliance avec les Confédérés. En mémoire de cette libération, un pèlerinage appelé Näfelser
Fahrt est organisé annuellement dans la vallée glaronaisedurrenmatt 16.
Cette double victoire des Confédérés fait grand bruit en Europe et fait du village de Sempach
un lieu de villégiature, mais également de réunion entre les différents cantons. C'est ainsi que,
lors des célébrations du septième anniversaire de la bataille en 1393, les chefs politiques et
militaires signent le 10 juillet le « Convenant de Sempach »24 qui, signé par l'ensemble des
huit cantons ainsi que par la ville de Soleuredurrenmatt 17, confirme la charte des prêtres et définit
des règles de droit public et de discipline militaire durant et après les combats. Le convenant
définit également la manière d'engager un conflit, qui ne peut l'être qu'après une délibération
commune et prévoit une protection, en temps de guerre, des « femmes non armées »andrey 10.
Cette autodiscipline dans le domaine militaire va permettre la conclusion de la paix de vingt
ans instaurée avec l'Autriche en 1394.
L'une des raisons politiques à ce nouveau traité est la rupture temporaire de l'alliance
confédérée par Zurich qui signe à nouveau un traité avec l'Autriche en 1393. Il faut quelques
années de pression de la part des cantons primitifs ainsi que des troubles internes survenus en
ville pour que Zurich accepte finalement de dénoncer cette alliance interdite par les pactes
précédents et reprenne sa place dans la Confédérationnhss 15.
Tout en restant des sujets du Saint-Empire romain germanique, les Confédérés ont alors plus
ou moins assuré leur indépendance vis-à-vis des seigneurs locaux et particulièrement des
Habsbourg ; cette situation plus calme leur offre ainsi la possibilité de s'étendre sur les
territoires avoisinants dès le début du XVe siècle. Toutefois, la Confédération n'est encore
qu'un assemblage disparate de communautés liées par des besoins défensifs face à l'Autriche
des Habsbourg, sans aucune autorité centralenhss 16 et dont l'indépendance au sein de l'Empire
ne sera reconnue que pendant le règne de Sigismond Ier du Saint-Empire en 1437durrenmatt 18.
49
Le château de Laufen, au-dessus des chutes du Rhin, longtemps possession autrichienne.
Après les défaites de Sempach et de Näfels, les ducs autrichiens vont accepter à plusieurs
reprises de confirmer la paix avec les Confédérés, tout d'abord sous la forme d'une trêve en
1389, renouvelée en 1394 pour vingt ans puis convertie en paix « éternelle » de 50 ans le 28
mai 1412bouquet 5.
Au début du XVe siècle, les Habsbourg possèdent encore de larges parties du territoire de ce
qui deviendra plus tard la Suisse : l'Argovie, la Thurgovie, le Fricktal, mais également la
quasi-totalité de l'ancien domaine de la famille Kybourg, plusieurs districts de l'actuel canton
de Lucerne, ainsi que les villes de Schaffhouse, Diessenhofen, Rheinfelden et Laufenburg sur
le Rhin, sans oublier Fribourgnhss 17. Toujours dans le but de relier ses possessions du
Vorarlberg avec celles d'Alsace en passant par la Thurgovie et profitant de leur puissance
financière, les ducs autrichiens deviennent progressivement directement ou indirectement
propriétaires de plusieurs territoires, parmi lesquels le plus important sera celui de l'abbé de
Saint-Gall qui se range sous la protection du duc Léopold IV d'Autriche le 23 janvier 139225.
Ces différents achats grèvent toutefois les capacités financières autrichiennes, offrant ainsi
aux Confédérés plusieurs possibilités pour étendre leur propre territoire à moindre frais.
En effet, les ligues suisses vont également, pendant la majeure partie du siècle, tenter de
s'agrandir soit directement par l'adjonction de nouveaux territoires, soit en étendant leur
influence économique (pour les villes) ou politique (pour les cantons montagnards). Dans ce
but, tous les moyens seront bons : la diplomatie, l'économie, mais également parfois la
forcenhss 18.
Les méthodes d'expansion pacifiques, liées à l'économie, permettent en particulier aux villes
de Zurich et Berne (ainsi que Lucerne dans une moindre mesure) de sécuriser leur accès aux
denrées alimentaires. Ainsi Zurich va grignoter progressivement les possessions
habsbourgeoises dans la région du lac de Zurich. En particulier, la ville obtient en 1418 un
droit de rachat sur le comté de Kybourg (comprenant les districts de Kloten, Embrach,
Winterthour et Kybourg) qu'elle fait valoir pour 8 750 florins en 1424, doublant ainsi son
territoire26. Berne, de son côté, va largement utiliser les traités de combourgeoisie pour étendre
son influence sur Fribourg, Neuchâtel et Gruyère principalementnhss 19 et jusqu'à Château-
d'Œx27. Parmi les autres alliances avec les petits États avoisinants, Uri, Unterwald et Lucerne
s'accordent avec l'évêque de Sion et les patriotes haut-valaisans en 1403 alors que Glaris
conclut une première alliance le 24 mai 1400 avec la Ligue grise, nouvellement forméedurrenmatt
19
. Enfin, en 1406, Lucerne rachète aux comtes d'Aarberg-Valangin la seigneurie de
Willisaunhss 19.
50
Représentation de la guerre d'Appenzell dans les chroniques de Stumpf, en 1548.
Le duc Frédéric IV, jusqu'alors resté en dehors du conflit, propose son aide à l'abbé et se porte
contre les appenzellois ; il parvient à éviter diplomatiquement la confrontation avec Schwytz
en faisant jouer le traité en vigueur entre l'Autriche et la Confédération qui prohibe toute aide
aux ennemis de l'Autrichedurrenmatt 20. Sans l'appui des Confédérés, les Appenzellois infligent tout
de même une lourde défaite aux troupes des Habsbourg lors de la bataille au Stoss en 140529.
À la suite de cette victoire, Appenzell s'allie avec la ville de Saint-Gall pour fonder la « ligue
d'au-dessus du lac » (en allemand Bund ob dem See) dirigée contre la noblesse et le régime
féodal et à laquelle adhèrent ensuite les villes et les campagnes du Rheintal, du Vorarlberg et
du Liechtenstein qui entrent également en révoltedurrenmatt 21. 67 châteaux sont pris par les
insurgés qui les détruisent et organisent, à la place de l'ancien ordre féodal, des communes
indépendantes démocratiques de la Thurgovie jusqu'aux portes du Tyrol. La montée en
puissance de la ligue atteint son apogée le 6 juillet 1406, lorsque le duc d'Autriche signe un
armistice qui confirme les annexions et force l'abbé de Saint-Gall à se placer sous la
protection conjointe de la ville de Saint-Gall et d'Appenzell28.
La révolte de la noblesse prend forme le 13 janvier 1408 lorsque des membres de la Ligue des
chevaliers de Saint-Georges dégagent la ville de Bregenz assiégée depuis des mois et défont
les Appenzellois qui regagnent alors leurs montagnes d'originenhss 21. Le roi Robert Ier du Saint-
Empire abroge la ligue par un arbitrage prononcé à Constance le 4 avril 1408 qui confirme les
droits du prince-abbé sur Appenzell. La région renforce toutefois son indépendance en signant
le 24 novembre 1411 un traité de combourgeoisie avec l'ensemble des Confédérés, excepté
Berne28 ; de la même manière que pour Glaris, le traité ne donne pas l'égalité à Appenzell qui
ne peut engager de guerre sans l'approbation de ses alliés et doit se soumettre à leur arbitrage
concernant son devoir envers l'évêché de Saint-Gall. De son côté, la ville de Saint-Gall entre
l'année suivante à son tour dans l'alliance pour une période de dix ansdurrenmatt 21.
51
Par la suite, et malgré un arbitrage confédéré en 1421, les Appenzellois continuent à refuser
de payer des impôts au prince-évêque, allant jusqu'à se faire frapper d'interdit en 1426, puis
vaincre par le comte Frédéric VII de Toggenbourg aidé à nouveau par les chevaliers de Saint-
Georges près du village de Hub, entre Gossau et Herisau, le 2 décembre 142828 après deux
premières victoires. Le conflit ne se termine finalement qu'en 1429 sur une médiation
confédérée qui confirme les droits de l'abbé de Saint-Gall sur la vallée.
Les guerres d'Appenzell ont eu, pour la Confédération, le mérite de soustraire Saint-Gall et
Appenzell de l'influence souabe pour lier ces deux régions à sa sphère d'intérêt, créant ainsi
les prémices de ce qui allait devenir la Suisse orientale dont le Rhin devient une frontière
naturelle.
Les deux cantons d'Uri et d'Obwald n'ont, pour leur part, aucun moyen d'étendre leur territoire
si ce n'est à travers le Gothard en direction de la Léventine. Or, cette région, propriété du
duché de Milan, entre en rébellion en 1403, profitant de querelles de succession et cherche
l'appui des Waldstätten.
Après que les habitants de la vallée de l'Urseren ont à leur tour rejoint le sphère d'influence
des Waldstätten, un accord semblable à celui de la Léventine est signé en 1407 avec les
barons de Sax possesseurs des châteaux de Bellinzone qui acceptent, à leur tour, d'exempter
les produits confédérés de tout péage. Les deux cantons se lancent ensuite dans une politique
offensive contre les vallées d'Ossola (voie d'accès au Simplon30), de Maggia et de Verzasca
qui durera de 1410 à 1417 et se conclut par l'achat de la région de Bellinzone en 1419.
Philippe Marie Visconti, le duc de Milan, ne reste pas sans réagir à cet expansionnisme au sud
et, après avoir proposé sans succès aux Confédérés de leur racheter Bellinzone, envoie le
condottiere Francesco Bussone, qui reprend en quelques jours Bellinzone, ainsi que la
52
Léventine. Les 2 500 hommes des troupes confédérées31 tentent d'assiéger Bellinzone avant de
se replier près d'Arbedo où ils sont attaqués au matin du 30 juin 1422 par les 16 000 hommes,
dont 5 000 cavaliers de Milan. Après une résistance acharnée qui cause la perte de la quasi-
totalité de la cavalerie milanaise, les Confédérés se font submerger par l'infanterie et doivent
reculer, puis se retirer du champ de bataille non sans concéder de très lourdes pertesdurrenmatt 23
Après cette défaite, Uri et Obwald doivent renoncer à l'ensemble de leurs conquêtes au sud du
mont Piottino et voient les franchises douanières rétablies par le traité de paix signé en 1426.
Cette défaite va causer une division parmi les Confédérés entre les participant à l'expédition et
ceux qui s'y sont abstenus (Berne en particulier) ou qui ont envoyé trop tardivement leurs
renforts (tel que Zurich)31.
Dans le cadre du Grand Schisme d'Occident, le comte Frédéric IV d'Autriche est mis au ban
de l'empire en 1415 par l'empereur Sigismond Ier du Saint-Empire qui ordonne la confiscation
de ses terres pour avoir soutenu l'antipape Jean XXIIIandrey 11. Alors que la plupart des cantons
hésitent à s'engager en vertu de la paix avec l'Autriche confirmée trois ans plus tôtnhss 22, Berne
fait taire ses scrupules et envahit au printemps la région de l'Argovie en deux semaines
seulement pendant lesquelles ses troupes se rendent maitresses des villes d'Aarau, de
Zofingue, de Lenzburg et de Brugg, ainsi que de la plupart des châteaux de la vallée de l'Aar
et les vallées latérales32. Le territoire est alors divisé entre Berne (pour la grande majorité),
Zurich et Lucerne, avec la création de deux bailliages communs sur les régions de Baden et du
Freiamt, administrés par l'ensemble des cantonsandrey 12. Lors de la réconciliation entre le duc
53
d'Autriche et l'empereur le 7 mai 1415, les Confédérés refusèrent de rendre le territoire
argovien qui leur sera finalement abandonné par Sigismond contre le versement de dix mille
florins.
54
À la mort de Frédéric VII le 30 avril 1436 sans descendance et sans testament, de nombreux
prétendants réclament le territoire du Toggenbourg, dont l'Autriche33, Zurich, Glaris et
Schwytz à qui les autochtones font allégeance le 20 décembre 1436, après plusieurs mois
d'intenses querelles juridiques et diplomatiquesandrey 13. Le refus de Zurich d'accepter cette
décision force les cantons neutres à convoquer une Diète fédérale le 23 février 1437 qui
confirme le statu quo. Les Zurichois s'obstinent, ferment leurs marchés aux Schwytzois qui
répliquent en envahissant le territoire zurichois le 2 novembre 1440 avec le soutien des cinq
autres cantons qui se rangent tous du côté des montagnards dans ce qui sera par la suite appelé
l'ancienne guerre de Zurich. En trois jours, les troupes zurichoises abandonnent la campagne
et se réfugient dans la ville, assiégée aussitôt par les troupes confédérées qui forcent Zurich à
signer une paix défavorable le 1er décembre 1440, au profit de Schwytznhss 25.
Le landmann zurichois Rudolf Stüssi se tourne alors vers l'Autriche, dont un représentant,
Frédéric III vient juste d'être nommé empereur, marquant ainsi le retour de la famille
Habsbourg aux plus hautes fonctions. Les deux accords signés prévoient d'une part une aide
zurichoise à la reconquête de l'Argovie et de Baden par l'Autriche en l'échange pour Zurich du
Toggenbourg et d'autre part la promotion de Zurich au rang de future capitale d'une nouvelle
Confédération regroupant les territoires allant de la Rhétie à la Forêt-Noiredurrenmatt 24. Les
Confédérés tentent à plusieurs reprises de faire changer d'avis les Zurichois. Devant le refus
de ceux-ci, Schwytz et Glaris déclarent le 20 avril 1443 la guerre à Zurich, suivis peu de
temps après pas les autres cantons qui mobilisent 15 000 hommes pour assiéger la villeandrey 14.
Malgré plusieurs combats gagnés, dont celui de Saint-Jacques-sur-la-Sihl, les Confédérés ne
parviennent pas à s'emparer de la ville, conduisant les protagonistes à conclure une trêve de
huit mois, proposée par l'évêque de Constance qui organise pendant cette période des
négociations infructueuses entre les deux partiesnhss 26
55
Représentation de la bataille de Zurich, tirée de la Chronique de Gerold Edlibac.
La reprise des hostilités, le 23 avril 1444, marque l'entrée dans le conflit du roi de France
Charles VII, appelé en renfort par l'empereur. À la suite d'une trêve signée avec l'Angleterre,
le monarque français voit dans cet appel une manière efficace de se débarrasser de certains de
ses mercenaires, mis au chômage à la suite de la suspension des hostilités et envoie 30 000
hommes commandés par son fils Louisandrey 15. Les Confédérés, devant cette arrivée massive,
envoient une mission de reconnaissance d'environ 1 500 hommes dans la région de Bâle qui
se heurte aux gros des troupes françaises le 26 août 1444 à Saint-Jacques-sur-la-Birse et se
fait totalement détruire tout en forçant l'armée française à battre en retraite. Apprenant la
nouvelle de cette défaite, les Confédérés (qui commencent à cette période à se faire appeler
« Schwyzer »nhss 27) lèvent le siège de Zurich.
Une guerre larvée va toutefois se poursuivre pendant les deux années suivantes, jusqu'au 13
juillet 1450 où la paix est finalement signée par suite de la lassitude des combattants : Zurich
retrouve sa place dans la Confédération ainsi que la plupart des territoires qui lui ont été pris
en l'échange de quoi la ville reconnaît que son droit de conclure des traités est subordonné au
lien fédéral, rendant ainsi caduque son alliance avec l'Autrichenhss 28. Le Toggenbourg, objet
initial de la guerre, ne profitera ni à Schwytz, ni à Zurich : le territoire passe en effet en 1468
et jusqu'en 1798 sous la domination de l'abbé de Saint-Gall pour la somme de 14 500 florins34.
56
Pour la première fois entre 1474 et 1477, la Confédération se mêle directement de politique
européenne, prise entre les intérêts croisés du duc d'Autriche Sigismond, du roi Louis XI de
France et du duc de Bourgogne Charles le Téméraire35. Celui-ci, à la suite de l'annexion de
différentes régions, contrôle en effet un vaste territoire qui s'étend des Pays-Bas jusqu'au lac
Léman et au Rhône et qui se trouve encore agrandi des possessions autrichiennes dans
l'Alsace actuelle à la suite de la signature du traité de Saint-Omer, le 9 mai 1469.
Alliée au duché de Savoie, la Bourgogne encercle de fait quasiment les villes de Fribourg,
Soleure et surtout Berne, qui se trouve ainsi gênée dans sa politique « Drang nach Westen »
(littéralement poussée vers l'ouest)andrey 16. Niklaus von Diesbach, diplomate bernois, œuvre dès
1463 auprès du roi de France pour le persuader de former une coalition anti-bourguignonne
qui est finalement officialisée sous la forme d'un traité signé le 4 janvier 1475, puis antidaté
du 2 octobre 1474nhss 29. Dans le même temps, la Confédération signe une paix perpétuelle avec
l'Autriche, ancien ennemi, le 2 janvier 1475, suivie d'une alliance de dix ans avec Soleure,
Strasbourg, Bâle, Colmar, Sélestat, ainsi que les évêques de Strasbourg et de Bâle le 31 mars
147435.
Forts de ces différents soutiens, Berne et Fribourg envoient plusieurs corps francs dès le
printemps 1475 dans le pays de Vaud appartenant à la Savoie. Ces bandes vont, en quelques
mois, s'emparer de 16 villes et 43 châteauxandrey 17, dans le même moment où les Haut-Valaisans
s'emparent du Bas-Valais. En mai 1475, Berne occupe ainsi les seigneuries de Grandson,
Orbe, Montagny, Échallens, Aigle et le Chablais, sur la rive droite du Rhône.
Après plusieurs hésitations et refus des cantons neutres, les Confédérés déclarent, le 14
octobre 1475, la guerre au comte de Romont, allié des Bourguignons dont le duc, qui s'est
entre-temps réconcilié avec le roi de France le 13 septembre 1475nhss 30 se doit de réagir. Après
un premier succès sans conséquence, Charles le Téméraire est battu par les troupes
confédérées venues finalement en renfort de Berne lors de la bataille de Grandson du 2 mars
1476 et de celle de Morat le 22 juin de la même année, avant de trouver la mort pendant la
bataille de Nancy le 5 janvier 147735.
57
Pillage du camp de Charles le Téméraire par les Suisses après la bataille de Grandson.
Deux congrès internationaux sont organisés à la fin des guerres de Bourgogne pour fixer les
conditions de la paix et régler les détails et la répartition territoriale.
Le premier de ces deux congrès se tient à Fribourg le 25 juillet 1476 et rassemble les
Confédérés, le prince Louis de Bourbon, gendre du roi Louis XI et les envoyés de l'archiduc
d'Autriche, du comte palatin, des évêques de Bâle et de Strasbourg ainsi que le duc de
Lorraine et des députés des villes du Pays de Vaud et l'évêque de Genève représentant la
Savoie36. Après 22 jours de congrès, les participants signent un accord selon lequel le Pays de
Vaud est rétrocédé à la Savoie contre 50 000 florins37. Incapables de verser cette somme, les
Savoyards sont dans l'incapacité de verser aux Confédérés les montants prévus par le traité et
doivent hypothéquer le pays de Vaud pour s'acquitter de leurs dettes36.
58
6. Confédération des XIII cantons
59
À la fin de la guerre de Bourgogne, bien que victorieux, les Confédérés sont profondément
divisés. Après un siècle de conquêtes, les grandes villes (Zurich, Berne et Lucerne) ont
considérablement étendu leurs territoires et leur puissance. Les cantons ruraux (où seul Uri
peut encore envisager de s'agrandir sur le versant milanais du massif du Saint-Gothard) voient
d'un mauvais œil la progressive domination des bourgeoisies urbaines largement plus
peuplées que les campagnes.
En 1476, les demandes de Fribourg et Soleure, deux villes appuyées par Berne et Zurich, de
rejoindre le système d'alliance déchirent les cantons. Les cinq cantons campagnards, en effet,
craignent de se faire contrebalancer par les cinq villes en cas d'acceptation des deux nouveaux
membresandrey 1. Devant le refus des cantons campagnards, les villes de Zurich, Berne, Lucerne,
Fribourg et Soleure signent, le 23 mai 1477, un traité de « combourgeoisie perpétuelle pour et
contre quiconque », alliance offensive et défensivenhss 1.
Une Diète fédérale, organisée dans la ville de Stans en 1480, ne permet pas de trouver un
compromis : la réunion est ajournée à plusieurs reprises, des menaces sont proférées de part et
d'autre et toutes les méthodes traditionnelles de médiation semblent infructueuses jusqu'à
l'intervention de l'ermite Nicolas de Flue le 22 décembre 1481 qui délivre un message de paix,
permettant ainsi d'éviter la guerre civileandrey 1.
Ce jour même, outre l'entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération, les députés signent
le convenant de Stans1 qui complète celui de Sempach signé en 1393 entre les membres de la
Confédération des VIII cantons. Le texte règle, outre la question de la répartition du butin
bourguignon, plusieurs problèmes légaux relatifs à l'intégrité territoriale des cantons ainsi que
l'obligation faite aux cantons de s'entraider également en cas de révolte intérieure2. Ces deux
textes, regroupés, servent au pays de Constitution jusqu'à la fin du XVIIIe siècle3.
Les deux nouveaux cantons sont donc finalement acceptés dans la Confédération, mais pas de
plein droit : les cantons campagnards leur refusent le droit à un siège à la Diète jusqu'en 1501
et l'égalité dans les serments d'alliance jusqu'en 1526. Pour la première fois, un canton non-
germanophone (Fribourg, bilingue franco-allemand) est admis; cependant, l'allemand reste la
seule langue officielle du pays jusqu'en 1798 où le multilinguisme s'imposera2.
Après plusieurs recours, procès et menaces, les hostilités sont déclenchées à la suite de la
confrontation entre les ligues des Grisons, alliées aux Suisses, et le Tyrol, soutenu par les
villes de Souabe : la guerre de Souabe (appelée du côté allemand la guerre de Suisse)
commence en février 1499andrey 2 par une série de victoires confédérées lors des batailles de
Frastanz, de Hard, de Bruderholz, de Schwaderloh, de Tiengen où, à chaque fois, les Suisses
repoussent les troupes allemandes sans pour autant exploiter leurs victoires en se retirant
systématiquement en deçà du Rhinnhss 3. Retenu par ses affaires aux Pays-Bas, Maximilien ne
prend les choses personnellement en main que le 28 avril 1499 après avoir mis les Confédérés
au ban de l'Empire6. La victoire helvétique du 22 juillet 1499 lors de la bataille de Dornach,
où l'intendant de l'empereur, le comte Heinrich von Fürstenberg trouve la mort7, force
Maximilien à négocier la paix qui est conclue lors du traité de Bâle le 24 septembre 1499. Ce
traité marque, pour plusieurs auteurs, « la reconnaissance par l'Allemagne de l'indépendance
de la Suisse »8. Cette reconnaissance n'est toutefois jamais formellement reconnue, mais
comprise et interprétée comme telle par les Suissesandrey 2 ; elle ne sera officiellement reconnue
que lors des traités de Westphalie de 1648.
De la même manière que pour Fribourg et Soleure lors des guerres de Bourgognes, l'un des
effets indirect de la signature du traité de paix avec l'empereur est l'adhésion en 1501 des
nouveaux cantons de Bâle et Schaffhouse, déjà alliés depuis de longues années.
Cette admission, approuvée par l'ensemble des cantons, marque un tournant dans l'histoire du
pays, pour trois raisonsandrey 3. Premièrement, pour la première fois de son histoire, le pays se
voit avec une majorité de cantons-villes par rapport aux cantons-campagnes, dans un rapport
61
de cinq à sept ; cette prédominance urbaine se maintiendra jusqu'en 1798. Deuxièmement, la
frontière nord du pays coïncide maintenant (à l'exception de la région du Fricktal) avec le
cours du Rhin, avec Schaffhouse comme tête de pont en territoire Souabe ; les Suisses, vont
d'ailleurs renforcer cette tête de pont en bâtissant, entre 1564 et 1589, la forteresse de Munot
qui surplombe la ville sur la colline de l'Emmersberg9. Enfin, l'arrivée de Bâle dans la
Confédération offre à celle-ci sa première université, fondée en 146010 ainsi qu'une importante
place littéraire et culturelle dans laquelle officient des personnalités telles que Sébastien
Brant, Johannes Oekolampad ou Paracelse10, permettant ainsi l'accession du pays à la
Renaissance.
Decem et Tria Loca Confoederatorum Helvetiae Gravure représentant les XIII cantons datant
de 1572.
À partir de la signature du traité d'alliance de 1452, les soldats appenzellois prennent part à la
plupart des batailles aux côtés des Confédérés, recevant même, en 1500, cosouveraineté sur le
bailliage commun du Rheintal pour leur participation dans les guerres de Souabes. Cependant,
les demandes des Appenzellois en 1501, 1510 puis 1512 de rejoindre de plein droit la
Confédération sont systématiquement refusée par quatre cantons alliés à l'abbaye de Saint-
Gall qui prétend alors toujours, malgré la guerre d'Appenzell du début du XVe siècle, à
l'avouerie impériale sur les quatre communes composant le pays appenzelloisnhss 4.
Ce n'est qu'après la crise provoquée par le demi-échec du siège de Dijon que les Confédérés
acceptent Appenzell comme treizième canton le 17 décembre 151311, bien qu'il ne soit admis à
siéger pour la première fois lors de la Diète fédérale de 1514andrey 4. Corolaire de cette
admission, les pensions reçues de l'exploitation des bailliages communs permettent au
nouveau canton de racheter progressivement, jusqu'en 1566, les hypothèques qu'il avait
contractées envers l'abbaye de Saint-Gall.
62
Représentation d'une Diète à Baden 1531.
L'autorité centrale de la Confédération est la Diète fédérale, dont les pouvoirs décisionnels
sont quasi nuls. En effet, cette Diète n'est qu'un congrès de délégués dont les décisions ne
peuvent être prises qu'à l'unanimité15. Chaque canton envoie une délégation, en général de
deux membres mais ne disposant que d'une voixnhss 7, lors des diètes qui se tiennent environ 20
fois par an au début du XVIe siècle. L'assemblée, outre les Trois Ligues et le Valais
systématiquement invités, peut demander à consulter les alliés en cas de besoin et entend
également les ambassadeurs étrangers. Depuis l'an 1500, la Diète est présidée par le canton de
Zurich (le canton présidant la diète est appelé en allemand Vorort), sans toutefois avoir de
siège fixe : celui-ci est déterminé de séance en séance, bien que fréquemment choisi entre
Baden en Argovie16 et Frauenfeld en Thurgovie17 qui accueillent à eux deux en particulier les
Diètes générales.
63
Représentation allégorique de Berne par Joseph Werner en 1682.
Que cela soit dans les villes ou dans les campagnes, le XVIe siècle voit une consolidation des
classes supérieures qui vont progressivement, en plus de leurs activités principales, accaparer
de plus en plus fréquemment les charges politiques et gouvernementales. Ils créent ainsi une
nouvelle forme d'aristocratie que cela soit dans les villes, où les familles actives dans le
commerce et l'industrie vont progressivement dominer la scène politique et sociale, ou dans
les campagnes où la politique et l'administration sont dominés par des commerçants en sel,
bétail ou par les bénéficiaires du transit alpinnhss 8.
Le retrait du pays des principaux champs de bataille européens se traduit par une diminution
du taux de mortalité et une augmentation rapide de la population (qui passe de 1,2 à 1,7
million au cours du XVIIIe sièclebouquet 1), particulièrement dans les villes. Celles-ci vont
prendre le contrôle économique du pays, en particulier par l'octroi de crédit sous la forme
d'hypothèques18 que, bien souvent, le bénéficiaire ne peut rembourser, permettant ainsi à la
bourgeoisie urbaine de constituer des domaines campagnards en remplacement des seigneurs
locaux. C'est le cas par exemple dans le canton de Fribourg qui va acquérir la seigneurie de
Corbières en 1554 à la suite d'une hypothèque octroyée en 154319. Les bourgeois deviennent
ainsi des gentilshommes, propriétaires terriens. Dans le canton de Berne et de Fribourg, ils
prennent le nom de « Leurs Excellences » (abrégé LLEE pour bien montrer le pluriel)bouquet 2.
Bien que la zone moyenne d'influence financière des villes passe d'environ 20 à 30 kilomètres
entre la première moitié du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle, la majorité des villes
n'investissent qu'à l'intérieur de leurs frontières cantonales, à l'exception des territoires trop
exigus, tel que Schaffhouse où les bourgeois préfèrent investir sur la rive sud (côté Suisse) du
Rhinnhss 9.
Économiquement, bien que le mercenariat reste l'une des principales sources de revenu (il y
eut, à certaines périodes, près de 60 000 mercenaires suisses engagés par les différents pays
européensnappey 3), l'agriculture (du trèfle, du tabac et de la pomme de terre principalement au
détriment de céréales) et l'élevage sont toujours l'apanage des campagnesbouquet 3. Les villes se
lancent progressivement dans l'industrialisation avec la draperie20, principal produit
d'exportation entre le XVe siècle et le XVIIe siècle. À la même époque, les marchands de laine
et de toiles mettent en place le Verlagssystem21, par lequel ils fournissent la matière brute et
les outils nécessaires aux producteurs indépendants, avant de reprendre le travail fininhss 10.
Lorsque le roi de France Charles VIII se lance dans les guerres d'Italie, il reçoit rapidement le
soutien de plusieurs des cantons suisses, en particulier d'Uri, Schwyz Unterwald et Lucerne,
dont les multiples tentatives de contrôle du Tessin et des vallées sud du massif du Gothard,
alors sous le contrôle du duché de Milan, s'étaient révélées infructueuses, à l'exception de la
Léventine, contrôlée par Uri depuis 144122. Ainsi, en 1499, les Confédérés repassent le
Gothard et envahissent, en tant qu'alliés de la France, la Riviera et la région de Bellinzone,
territoires qui leur sont attribués définitivement en 1503 par le roi Louis XII de France et
transformés en bailliages communsandrey 6. Dans le même temps, près de 5 000 mercenaires se
battent directement dans l'armée de Louis XII. Cependant, plusieurs cantons, dont en
particulier Berne et Zurich, opposés à l'alliance avec la France, fournissent des mercenaires
dans le camp adverse, en particulier au duc de Milan Ludovic Sforza (dit le Maure). Enfermé
dans la ville de Novare le 6 avril 1500, le duc de Milan et ses troupes se préparent à subir le
siège des 15 000 soldats français ; c'est à ce moment que les mercenaires suisses refusent de
combattre leurs compatriotes et négocient un armistice ainsi que le droit de quitter la villenhss 11.
Une tentative du duc de s'échapper sous un déguisement de fortune échoue : il est trahi par un
soldat uranais et livré aux Français lors d'un épisode appelé par la suite la « trahison de
Novare »23. Toujours en 1503, et à la suite des quelque 30 000 morts estimés lors des batailles,
la Diète fédérale légifère pour la première fois sous la pression populaire, sur une
centralisation de la politique extérieure en déniant le droit aux cantons de passer des alliances
sans l'assentiment de la majorité des Confédérésnhss 12.
Trois ans plus tard, sous la pression diplomatique du cardinal Matthieu Schiner, évêque de
Sion depuis 1499 et farouche partisan de la papauté, les Suisses changent d'alliance, adhérent
à la Sainte-Ligue, coalition anti-française comprenant également l'Espagne, l'Autriche, Venise
et l'Angleterrebouquet 4, et autorisent le Pape à recruter en Suisse une force militaire de 10 000
hommes chargés de la protection du Vatican dès le mois de mars 1510nhss 13. Les Suisses sont
partie prenante lors de la défaite française à la bataille de Novare du 6 juin 151324. En
récompense, ils reçoivent le reste du Tessin, les régions de Lugano et Locarno, ainsi que la
vallée d'Ossola, également transformés en bailliages communs alors que les ligues grisonnes,
alliées des Confédérés, reçoivent la Valteline. La bataille de Novare marque le point
culminant de la suprématie militaire des Suisses25, avant que le demi-échec de l'expédition de
Bourgogne et du siège de Dijon du 7 septembre 1513 où les troupes suisses se retirent avant
que le traité de paix, pourtant largement en leur faveur, ne soit signé, permettant ainsi à Louis
XII de rompre le traité et de reprendre les hostilités26.
65
Détail d'une miniature représentant la bataille de Marignan.
Dès son accession au trône de France, François Ier commence par diviser les Suisses : les
cantons occidentaux (Bâle, Soleure, Berne et Fribourg), n'ayant guère d'intérêts en Italie,
retirent leur troupes en échanges d'avantages commerciaux avec la France à la suite du traité
de paix de Gallarate du 8 septembre 1515. Cette désunion va provoquer la défaite helvétique
lors de la bataille de Marignan les 13 et 14 septembre 1515 qui marque la fin de la politique
d'expansion des Confédérés qui ne participeront plus dès lors aux grandes batailles du
continent qu'en tant que mercenaires.
La principale conséquence des guerres d'Italie, formalisée par la Paix perpétuelle signée le 29
novembre 1516 à Fribourgandrey 7, est l'entrée de la Confédération dans l'orbite française qu'elle
ne quittera qu'à la Restauration : commercialement, mais surtout militairement, la primauté est
dès lors officiellement donnée à la France27 qui devient le plus grand employeur de
mercenaires suisses. Territorialement, les Suisses perdent le Val d'Ossola et quelques
territoires au bord du lac Majeur, mais les bailliages italiens sont préservés, fixant ainsi
définitivement les frontières méridionales du paysnhss 14.
Cette paix perpétuelle est encore confirmée par un traité d'alliance défensive signée le 5 mai
1521, par lequel les Suisses s'engagent à défendre le royaume de France contre tout agresseur
contre le payement de pensions et l'octroi de plusieurs avantages commerciauxandrey 7.
66
Portrait de Zwingli.
La Réforme protestante est introduite en Suisse par Ulrich Zwingli, curé de Zurich. Adepte
d'une réforme plus radicale que celle de Martin Luther et imprégné de l'humanisme d'Érasme,
il prêche, dès 1521, le rejet de la hiérarchie catholique ainsi que de l'ensemble des rites qui ne
sont pas décrits dans le Nouveau Testament28.
Il entre en conflit ouvert avec ses collègues et l'évêque de Constance dont dépend Zurich dès
1522 en rejetant la légitimité de l'abstinence, du célibat ecclésiastiques (il épousera par la
suite Anna Reinhard avec qui il aura quatre enfants29) et du jeûne de carême30. L'affaire se
politise et tourne à l'affrontement entre la Diète fédérale qui condamne ces « innovations » et
le Conseil civil de la ville qui soutient le prédicateur ; le 29 janvier 1523, une dispute
théologique est organisée entre Zwingli et le représentant de l'évêque sur les « problèmes de
la foi »andrey 8. Le gouvernement civil donne raison au prédicateur lors de cette dispute ainsi que
lors d'une seconde qui se tient en octobre 1525 et adopte officiellement la Réforme en même
temps qu'une série de mesures abolissant la messe31, le mariage religieux et le célibat des
prêtresnhss 15, les couvents et le mercenariat32.
Cette dernière mesure en particulier va dresser les autres cantons contre Zurich qui est exclue
de la Dièteandrey 9 alors que la Réforme continue de se répandre à Berne, Bâle, Schaffhouse,
Mulhouse, Bienne, Saint-Gall, Glaris (en partie), Appenzell et dans les Grisons33 tout en
devant lutter à la fois contre le catholicisme rural mais également contre les anabaptistes,
adeptes de la Réforme radicalenhss 16. Devant cette avancée, les cantons catholiques, et
principalement les Waldstäten, organisent du 21 mai au 8 juin 1526 la dispute de Baden34 qui
voit la victoire des thèses catholiques, l'excommunication de Zwingli35 et la consécration d'une
division fondamentale du pays entre les deux religions. Seuls Glaris et Appenzell restent
neutres, car mixtesbouquet 5.
67
Représentation de la seconde guerre de Kappel.
Progressivement, les deux camps vont se regrouper : les protestants en une double union des
« combourgeoisies chrétiennes » signées les 25 décembre 1527 et 15 octobre 152936 et les
catholiques au sein de l'« Union chrétienne » qui est fondée le 22 avril 1529 à la suite de
contacts avec le Valais, la Savoie et les Habsbourg d'Autriche37. Si la liberté de religion ne
pose pas trop de problèmes au sein des cantons, la lutte est en revanche féroce pour savoir qui
a autorité pour déterminer la confession dans les bailliages communs où les cantons
protestants désirent laisser chaque paroisse choisir librement son appartenance alors que les
cantons catholiques s'y opposent catégoriquementnhss 17. Des deux côtés, les provocations et
menaces se succèdent, jusqu'à la mise à mort sur le bûcher, par les autorités de Schwytz, du
pasteur Jakob Kaiser en représailles à l'exécution à Zurich d'un notable thurgovienandrey 10 : à
cette nouvelle, Zurich déclare la guerre aux cinq cantons catholiques le 8 juin 1529 et
mobilise ses troupes qui sont envoyées en direction du village de Kappel am Albis, à la
frontière zougoise. Cette première guerre de religion en Europe, baptisée première guerre de
Kappel, est évitée de justesse à la suite de la médiation d'Hans Aebli, landamman de Glaris,
resté neutre. La première paix de Kappel est signée le 26 juin 1529 ; elle autorise la Réforme à
s'étendre dans les bailliages communs et force les cantons catholiques à renoncer à leur
alliance avec l'autrichien Ferdinand Ier, tout en interdisant la tenue du culte protestant dans ces
cantons38. La légende a retenu l'épisode de la soupe au lait de Kappel qui se serait déroulé
pendant les négociations de paix.
Cette paix ne survit cependant que quelques années : considérant que le refus des cantons
catholiques d'envoyer des troupes pour aider les ligues grisonnes, en grande partie réformées,
lors de la guerre de Musso au début de l'année 1531 s'apparente à une violation des pactes
d'alliancenhss 18, les Zurichois, toujours menés par Zwingli et soutenus par Berne, imposent un
blocus économique aux cantons de Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwald et Zoug dès l'été 1531
dans le but de les forcer à autoriser le culte protestant sur leurs terresandrey 10. Ces derniers
mobilisent et passent à l'offensive le 11 octobre 1531 dans la seconde guerre de Kappel où
7 000 de leurs hommes affrontent victorieusement 2 000 Zurichois. Dans la bataille, les
catholiques perdent environ 100 hommes contre 500 du côté protestant39, parmi lesquels
Zwingli, qui avait accompagné les troupes comme aumônier militaire et qui, retrouvé mort sur
le champ de bataille, est par la suite brûlé comme hérétique40. À la suite de l'annonce de sa
mort, la seconde paix de Kappel est signée le 16 novembre 1531 grâce à la médiation de la
France : si chaque canton peut librement choisir sa religion, la catholicisme est déclaré
religion principale dans les bailliages communs et les combourgeoisies chrétiennes sont
dissoutes. Cette paix, parfois appelée « seconde paix nationale »41, fixe quasiment
définitivement les frontières religieuses en Suisse allemandeandrey 11 et devient l'un des traité
constituant le droit fondamental de la Confédération avec les anciens pactes.
68
Le château de Chillon sous la neige.
Dans sa poussée constante vers l'ouest, Berne, qui occupe provisoirement Neuchâtel devenu
bailliage commun entre 1512 et 1529felber 1, impose la réforme à Genève en 1533 avant de
partir, le 22 janvier 1536 avec l'aide de Fribourg et du Haut-Valais, à la conquête des
territoires romands et en particulier du pays de Vaud. Elle s'étend même jusqu'au Chablais en
prétextant de venir en aide à Genève, alors sous la menace du duc de Savoie. En moins d'un
mois, les troupes bernoises commandées par Hans Franz Naegeli, occupent successivement
Lausanne, Morges, Rolle, Nyon, Divonne, Coppet, le pays de Gex, le Fort l'Écluse, le
Genevois, le Faucigny, puis termine la conquête par la prise du château de Chillon le 29 mars
153642. De leur côté, craignant une trop forte avancée des troupes bernoises, les autorités du
Haut-Valais vont prendre le reste du Chablais ainsi que la rive gauche du Rhône et du lac
Léman jusqu'à Thonon.
Les conquêtes helvétiques à l'ouest, motivées en partie par l'entrée en guerre de François Ier
contre la Savoiefelber 2, se terminent par le rachat du comté de Gruyère par Fribourg et Berne en
1555nhss 19. Dans le même temps, le reste du duché de Savoie est envahi par la France, Genève
devient une ville indépendante et le bailliage du Tessin confirme sa volonté de rester
catholique, poussant plusieurs familles de Locarno, protestantes, à s'exiler à Zurich43.
Deux traités de paix en 1564 à Lausanne44 puis en 1569 à Thonon entre Berne et le Valais d'un
côté et le duc de Savoie de l'autre confirme les possessions bernoises sur la rive nord du lac,
mais remet la rive sud sous tutelle savoyarde. Côté valaisan, la frontière est fixée sur la rivière
de la Morgesfelber 4. En conséquence, Genève se trouve à nouveau isolée de la Confédération et
entourée de territoires savoyards. La ville parvient toutefois a renouveler son traité de
combourgeoisie avec Berne et y fait inclure Zurich. Après que les cantons catholiques ont
refusé à deux reprises l'entrée de la ville dans la Confédération, la Savoie tente une dernière
fois et sans succès de récupérer Genève, dans la nuit du 11 décembre 1602, lors de
l'Escaladeandrey 13.
70
pastorale : un premier monastère capucin est fondé à Altdorf en 1589, suivi de deux autres à
Stans et Lucerne49.
À la suite d'un désaccord profond à propos d'une alliance avec l'Espagne, la Diète fédérale
propose en 1597 la partition du canton d'Appenzell en deux demi-cantons : Appenzell
Rhodes-Intérieures, catholique et Appenzell Rhodes-Extérieures, protestant, après que toutes
les tentatives de dialogue et de médiation ont échouéandrey 15. Le pays se retrouve de fait coupé
en deux, avec deux Diètes séparées, l'une à Lucerne et l'autre à Aarau : si les catholiques
détiennent la majorité en termes de cantons, ils se savent largement dominés tant
économiquement que démographiquementbouquet 7.
Alors que se déclenche, en 1618, une guerre européenne à leur porte, les cantons suisses
décident de ne pas s'impliquer dans la guerre de Trente Ans : d'un côté les catholiques ne
désirent pas se ranger sous la bannière des Habsbourg et, de l'autre, les protestants se méfient
de la Suède, puissance montante en Europeandrey 16 ; en parallèle, l'embauche par les
protagonistes de milliers de mercenaires dope l'économie locale. Les 18 et 19 juillet 1620, les
71
trois Ligues grisonnes, principale cible des deux camps qui visent le contrôle des cols
rhétiques, voient se dérouler le massacre de « Sacro Macello » (littéralement la sainte
boucherie) pendant lequel les catholiques de la Valteline massacrent de nombreux protestants
avec l'aide des troupes espagnoles de Milan54.
Lorsque les hostilités s'intensifient et que la guerre devient européenne avec l'entrée en lice de
la France du côté protestant et de l'Espagne et des Pays-Bas du côté catholique, la Diète
fédérale se réunit à Baden et déclare officiellement la neutralité du pays dans le conflit en
1631. Cette neutralité affichée est toutefois mise à mal à quelques reprises, en particulier en
1632 lorsque des troupes bernoises, envoyées au secours de Mulhouse, sont attaquées par
erreur par des Soleurois et en 1633, lorsque les catholiques accusent à tort Zurich d'avoir aidé
les Suédois dans leur tentative de la prise de la ville de Constancenhss 23.
72
Le Défensional de Wil crée la première forme d'armée suisse, représentée ici par un dragon de
1861.
En 1646, la progression des Suédois jusqu'au bord du lac de Constance ravive les craintes
d'une invasion du pays et force la Diète à fonder un « Conseil de guerre » dans le village
saint-gallois de Wil en 1647, chargé de défendre les frontières du pays (et principalement la
Thurgovie) à l'aide d'une force de 36 000 hommes56, fondé officiellement. Dans le même
73
temps, une instruction militaire obligatoire est mise sur pied par les autorités cantonales pour
les combattants individuels ainsi que pour les formations57
Le Défensional sera, entre 1676 et 1703, dénoncé par les cantons de Schwytz, Uri, Obwald,
Zoug, Nidwald et les deux Appenzell sous prétexte qu'il met en danger leur indépendance et
souveraineté55.
Bien que n'ayant pas participé activement à la guerre de Trente Ans, les Confédérés, habitués
à être inclus aux congrès européens, cherchent à participer à l'ouverture des discussions de
paix qui se tiennent à Münster à partir de décembre 1644 ; en particulier les autorités désirent
clarifier la situation de Bâle, Schaffhouse, Appenzell et Saint-Gall qui n'avaient pas été inclus
dans la paix de 1499 et relevaient alors toujours de la juridiction impériale. Cependant, leur
présence est refusée conjointement par les autrichiens et les français jusqu'en 1646, où
l'ambassadeur français change d'avis et invite le bourgmestre de Bâle, Johann Rudolf
Wettstein, comme interlocuteur représentant les villes réforméesnhss 25.
Pour la Confédération suisse ainsi que pour l'ensemble des cantons la composant, ce traité
revêt une importance capitale : en effet, la reconnaissance de son indépendance est officielle
et définitive à cette occasion, de même que pour les Provinces-Unies. La Suisse est désormais
un État reconnu comme indépendant par tous, définitivement séparé de l'Empire et à l'abri des
prétentions habsbourgeoises62.
Malgré la conclusion de la seconde paix de Kappel, les tensions confessionnelles ne sont pas
résolues entre les cantons campagnards et catholiques et les villes protestantes et en particulier
Berne et Zurich qui, à elles deux, prennent une place politique, démographique, sociale et
économique de plus en plus importante dans la seconde moitié du XVIIe sièclenhss 26. En 1656,
Zurich tente d'imposer aux cantons catholiques des mesures visant à améliorer la condition
des protestants installés chez eux63 ; cette tentative dégénère en une bataille rangée le 24
74
janvier 1656 entre les troupes zurichoises et les catholiques près du village argovien de
Villmergen qui donne son nom à cette bataille. Les hostilités cessent le 20 février après la
défaite des protestants et, le 7 mars, un traité de paix rétablit la situation précédente, favorable
au catholiques64.
Le conflit reprend, pour les mêmes raisons et au même endroit, en 1712 après que les
habitants du Toggenbourg, réformé, se sont soulevé en 1707 contre leur maître, l'abbé de
Saint-Gall. Cette fois-ci, ce sont les protestants qui l'emportent et profitent de la paix de
Baden, signée le 15 juin 171865 pour imposer plusieurs modifications politiques, en particulier
sur la possession des bailliages communs (les cantons catholiques sont exclus de la gestion
des bailliages de Baden et des Freie Ämter inférieurs alors que Berne est admis dans celui des
Freie Ämter supérieurs, de la Thurgovie, du Rheintal et de Sargans) ainsi que sur le mode de
décision lors des réunions de la Diète qui passe de la majorité simple (acquise aux
catholiques) à la décision d'un tribunal constitué à parts égales de catholiques et de
protestantsnhss 27. Plusieurs traditions perdurent en Suisse à la suite de cette guerre, tel que le
pain de la Maitli-Sunntig préparé en Argovie le deuxième dimanche de l'année en
remerciement aux femmes venues aider les soldats sur le champ de bataille66 ou l'obligation
faite aux pasteurs vaudois, lors de la célébration d'un mariage, de vérifier que le nouvel époux
soit « pourvu de son uniforme et de ses armes », afin d'éviter, comme cela avait été le cas lors
de la bataille, que certains soldats se retrouvent sans armes67.
Pris séparément, ces événements ne représenteront jamais un danger important pour les
autorités en place, mais exigeront une vigilance accrue de ces mêmes autorités et permettront
aux cantons d'exprimer à plusieurs reprises leur solidarité commune envers les pays sujetsnhss 28.
75
Édit bernois concernant la dévaluation du batz en 1652.
Prédécesseur des conflits sociaux du XVIIIe siècle, la guerre des paysans de 1653 suit
immédiatement la conclusion de la guerre de Trente Ans. Après une vingtaine d'années de
forte conjoncture économique due à sa neutralité dans une Europe en guerre, la Confédération
subit de plein fouet, à la fin des hostilités, une dévalorisation de ses monnaies (et
principalement du batz utilisé dans l'Ouest du pays68) due à une forte inflationandrey 18.
La décision de dévaluation du batz, prise en décembre 1652 par les cantons de Berne, Soleure
et Fribourg, provoque le mécontentement des paysans de la vallée de Entlebuch, dans le
canton de Lucerne, puis de l'ensemble de l'Emmental, de Soleure et d'une partie de l'Argovie.
Les paysans réclament, au début de l'année 1653 des mesures compensatoires pour les pertes
financières ainsi que l'institution d'une « alliance paysanne », partenaire de la Diète des
cantonsnhss 29. Cette crise est la dernière où une médiation fédérale (offerte par les Waldstätten
envers Lucerne et par Zurich et Zoug envers Berne) est tentée ; à la suite de celle-ci, les
quelque 3 000 paysans qui s'étaient regroupés autour de Lucerne acceptent de se retirer69.
Alors que les esprits semblent se calmer, la Diète publie un virulent « mandat contre la
rébellion » en mars 1653 qui provoque l'exaspération des campagnes. Elles mobilisent 16 000
hommes, nomment Niklaus Leuenberger chef de la Ligue et encerclent Berne, forçant le
gouvernement à promettre le paiement d'une indemnité de 50 000 livres69.
Conformément aux accords de paix signés le 29 mai à Murifeld (près de la ville de Berne) et
le 4 juin à Mellingen, la Ligue du peuple commence à démobiliser lorsque ses troupes sont
attaquées par surprise par les troupes bernoises, renforcées par des contingents vaudois,
fribourgeois et neuchâtelois. Les paysans sont défaits à Wohlenschwil en Argovie et à
Herzogenbuchsee dans le canton de Berne. Les meneurs de la rébellion sont poursuivis,
torturés et mutilés, alors même que l'armistice signé quelques jours plus tôt leur promettait
l'impunitéandrey 19.
76
Statue du major Davel à Lausanne
Le 31 mars 1723, un officier vaudois, le major Abraham Davel, mobilise son bataillon et, sans
avertir ses hommes, prend d'assaut l'hôtel de ville de Lausanne dans le but de libérer le pays
de Vaud de la domination bernoise dont il refuse la politique religieusenhss 30. Âgé de 53 ans, il
lance son mouvement seul, sans le soutien ni de la population, ni des autorités qui le
dénoncent aux Bernoisandrey 20. Il est arrêté le 1er avril 1723 et jugé par un tribunal lausannois
pour rébellion, en particulier pour avoir transmis aux autorités un manifeste de plusieurs
pages; pendant son procès, le tribunal veille à le faire passer pour un illuminé et exclu de
l'affaire tout le volet politique70. Il est toutefois condamné à mort et, après avoir été torturé,
décapité à Vidy le 24 avrilfelber 5. Il ne sera réhabilité qu'en 1839 par la pose d'une plaque dans
la cathédrale de Lausanne, suivie dans les années suivantes par plusieurs monuments, pièces
de théâtre, peintures (dont Le Major Davel de Charles Gleyre), études et manifestations
historiques71).
Alors qu'une première révolte, menée par Pierre Fatio en 1707 n'avait pas abouti, une seconde
manifestation publique est déclenchée en raison du manque de consultation de la bourgeoisie
par le pouvoir exécutif sur l'engagement de nouveaux moyens financiers pour bâtir les
nouvelles fortifications de la ville72. La situation se dégrade progressivement jusqu'au 20 août
1737 où la bourgeoisie prend d'assaut l'hôtel de ville défendu par les troupes du
gouvernement73 qui doivent se retirer après qu'onze victimes sont restées sur le pavé : la
77
République passe alors aux mains de la bourgeoisie qui proclame le Conseil général comme
détenteur de la souveraineté.
Ce n'est que le 8 mai 1738 que le gouvernement légitime pourra revenir en ville, à la suite
d'une médiation conjointe de la France, de Zurich et de Berne. Cette « illustre médiation »
(selon son nom) confirme d'un côté les compétences des conseils restreints (Conseil des deux-
cents, des soixante et des Vingt-cinq) tout en octroyant plusieurs droits à la bourgeoisie, dont
celui de représentation au sein de ces conseilsandrey 21.
Une autre révolte de bourgeois contre l'aristocratie a lieu en 1748 à Berne : une première
demande avait été adressée au gouvernement en 1744 pour que celui-ci accepte d'ouvrir le
droit aux charges publiques à l'ensemble des bourgeois, faisant ainsi passer de 80 à 350 le
nombre de familles dirigeantes. Cette demande est rejetée par les familles au pouvoir et les
auteurs de la démarche, dont Samuel Henzi, sont condamnés au bannissement pour cinq ans.
Henzi part alors pour Neuchâtel où il gagne sa vie comme journalisteandrey 22.
Pendant cette période de cinq ans, plusieurs entrepreneurs et artisans vont initier une
conjuration et convaincre Henzi de se joindre à eux. Ce dernier met par écrit une
réorganisation complète de l'État bernois en y introduisant plusieurs éléments
révolutionnaires, tels que l'élection par le peuple ou la limitation de la durée des mandats. La
conjuration est cependant trahie le 2 juillet 1749 par l'un de ses membres qui avertit le
gouvernement. Celui-ci fait arrêter 70 personnes soupçonnées de participation qui sont jugées
dans les jours suivants : Samuel Henzi, identifié comme l'un des meneurs de la révolte, est
décapité avec deux de ses camarades le 17 juillet de la même année. Malgré les efforts du
gouvernement bernois pour tenir l'affaire secrète, l'annonce de cette conjuration aura un écho
important dans la presse étrangère ; un drame sera même partiellement publié sur ce thème en
175374.
La Léventine, bien que bailliage uranais depuis la paix de Milan du 4 avril 1441, dispose de
certaines libertés, en particulier de ses franchises. Cependant, lorsque les autorités d'Uri
exigent, en 1754, que le bailliage fournisse les comptes de la gestion des biens des veuves et
des pupilles, l'assemblée locale refuse et arrête le bailli uranais le 8 mai 175575.
Le 4 mai, après être parvenu à s'emparer des portes de la ville, de l'arsenal ainsi que de l'hôtel
de ville, les paysans sont encerclés et désarmés par les troupes arrivées en toute hâte de Berne,
Lucerne et Soleure au secours de Fribourgfelber 6. Dans la nuit du 4 au 5 mai, Chenaux, est tué
en duel par un de ses hommes, appâté par la forte récompense promise à qui le livrerait mort
ou vif ; son corps est ramené en ville. En vertu de la loi Caroline, la mort n'éteignant pas les
accusations portées contre lui, il est condamné, puis décapité et démembré78.
L'assolement triennal, en vigueur depuis le Moyen Âge sur le plateau suisse, est remis en
question dès le début du XVIIe siècle par l'accroissement démographique et les nouvelles
79
possibilités industrielles. Au siècle suivant, cette pratique n'est plus utilisée, la variation des
cultures et la fumure des champs permettant de se passer de la jachère. Dès le début du siècle,
la culture de la pomme de terre se répand dans tout le pays jusqu'en montagne,
particulièrement lors des périodes de disette des années 1770 et 1771, paillant ainsi la
variation considérable des récoltes de blé, sujet à des hausses et des baisses considérables de
prix d'une année à l'autrenhss 33.
Ces innovations sont largement le fait, dans les cantons agricoles que sont Berne, Fribourg et
Soleure entre autres, des adeptes de la physiocratie qui prônent le « gouvernement par les lois
naturelles »; dans le même temps, l'élevage se répand dans les Alpes et les Préalpes où la
production de fromage (Gruyère et Emmental en tête) connaît un succès toujours croissant à
l'exportationandrey 25.
Depuis la grande crise de 1770-1771, les différents gouvernements cantonaux mettent sur pied
un système de contrôle de la conjoncture en achetant massivement du blé de Bourgogne,
d'Alsace et de Souabe, mais également de Sicile et même d'Afrique et en le revendant
localement à un prix inférieur. De cette manière, les villes de Zurich et Berne, entre autres,
peuvent empêcher des famines à l'intérieur de leurs murs; progressivement à la fin du siècle,
cette distribution devait même s'étendre aux cantons avoisinantsnhss 34.
80
Dans le même temps, l'horlogerie se développe à la fois à Genève pour les montres de luxe et
dans les montagnes jurassiennes pour les modèles meilleur marchéandrey 26. Encouragés par le
savoir-faire des huguenots réfugiés de France, les horlogers genevois ne se concentrent
bientôt plus que sur la finition de leurs montres, confiant la confection des ébauches à des
fabriques délocalisées dans le pays de Gex, dans le Faucigny ou dans le pays de Vaud82.
Dans le même temps, des juristes et philosophes tels que Jean Barbeyrac, Jean-Jacques
Burlamaqui ou Emer de Vattel répandent le nouveau concept de « droit naturel »84 qui veut
que seul le « bon sens » puisse permettre de comprendre le monde et qui définit la liberté de
conscience comme l'un des droits inaliénables de l'être humain. Ce concept sera repris plus
tard à la fois par le mouvement d'indépendance américain ainsi que par des penseurs Isaak
Iselin et Johann Georg Zimmermann dans le domaine politique85.
81
Toujours au XVIIIe siècle, apparaissent les premiers artistes suisses vivant de leur art : des
écrivains tels que Jean-Jacques Rousseau ou Johann Heinrich Pestalozzi ou des musiciens tels
que Franz Joseph Leonti Meyer von Schauensee. Sur le plan scientifique, le médecin Albrecht
von Haller, les mathématiciens Leonhard Euler et Jean Bernoulli, ou encore le physicien
Nicolas de Béguelin doivent quitter le pays qui manque de grandes universités pour aller
enseigner à Berlin, sous la férule de Frédéric IInhss 35 : jusqu'à un tiers des membres de
l'académie de Berlin et plus de la moitié de sa section scientifique seront des Suisses86.
Un courant, nommé Helvétisme par Gonzague de Reynold dans son Histoire littéraire de la
Suisse au XVIIIe s., se développe pendant le siècle et exprime pour la première fois un
sentiment national. Tout d'abord littéraire avec Beat Louis de Muralt et ses Lettres sur les
Anglais et les Français parues en 1725, le mouvement s'étend rapidement à d'autres
domaines87. Des chaires d'histoire nationales (dont celle occupée à Zurich par Johann Jakob
Bodmer) sont créées dans les académies et Johannes von Müller publie en 1780 son Histoire
des Suisses qui va, pour le siècle suivant, fixer l'historiographie du paysnhss 36. Symbole de ce
mouvement, la Société helvétique est fondée en 1761 à Schinznach pour promouvoir
« l'amitié et l'amour, l'unité et l'harmonie entre les Confédérés »88 et va, par ses écrits,
promouvoir l'idée du berger des Alpes comme modèle du « vrai Suisse » et le Saint-Gothard
comme « berceau de l'histoire de la Confédération et [..] château d'eau de l'Europe »89.
82
Avant la Révolution helvétique[modifier | modifier le code]
Les évènements de juillet 1789, en particulier la prise de la Bastille le 14 juillet, bien que
connus quasiment immédiatement en Suisse par le biais de la pressebouquet 1, n'ont que peu de
répercussions. Les seules mesures prises par le canton de Berne, limitrophe de la France, sont
d'interdire la vente d'armes, de poudre et de munitions ainsi que de déployer des forces
militaires le long de la frontière avec la Franche-Comtéandrey 1.
Les nouvelles venant de France sont largement commentées dans la société, en particulier
grâce aux mercenaires de retour de Paris, ainsi que par la presse étrangère et locale même si
plusieurs cantons, dont celui de Berne dès septembre 1790, mettent en place une censure des
journaux1. Cette censure s'applique à la fois à l'importation des nombreux journaux français,
qui ont vu le jour à la suite de la libéralisation de la presse votée le 26 août 1789 avec la
déclaration des droits de l'homme2 et qui sont importés en Suisse, et à ceux qui sont imprimés
localement par les libraires, en particulier ceux de Lausanne - ville qui acquiert une réputation
de « séditieuse » aux yeux des autorités bernoisesandrey 2.
Les autorités vont toutefois, dans les années qui suivent immédiatement le déclenchement de
la Révolution française, faire quelques gestes symboliques en faveur d'une plus grande
égalité : sans aller jusqu'à soutenir les idées de Charles de Müller-Friedberg qui propose la
suppression du statut de sujet dans l'évêché de Saint-Gall, la ville de Bâle abolit le servage en
1790 et celle de Berne accorde la bourgeoisie à une petite trentaine de familles du Gros-de-
Vaud et de Morat3. De son côté, la République de Mulhouse, alors alliée de la Confédération
tout comme le Valais, Genève ou l'évêché de Bâle, vote le 15 mars 1798 pour son adhésion à
la nouvelle République française, abandonnant son indépendance4.
83
Émigrés français en Suisse et communauté suisse en France[modifier |
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Une importante communauté helvétique ou genevoise est en effet réfugiée à Paris depuis
l'échec de la révolution genevoise de 1782. En 1790 est fondé un « Club helvétique de Paris »
qui ne sera actif qu'un peu plus d'une annéenappey 1. Fondé par un marchand de vin, il commence
par critiquer le système aristocratique des cantons et s'active dans les casernes des gardes
suisses avec une certaine efficacité6. Les membres fondateurs sont rapidement rejoints par des
réfugiés fribourgeois arrivés à la suite du soulèvement Chenaux, dont l'avocat Jean Nicolas
André Castella qui devient l'un des rédacteurs du club7. Le principal succès du club est
d'obtenir de l'Assemblée nationale, le 20 mai 1790, la libération de deux galériens
fribourgeois8. Cependant, déserté par ses membres et confronté à des dissensions opposant les
dirigeants, le club ferme ses portes le 3 août 17917.
84
Divisions internes et premières agitations[modifier | modifier le code]
Les premières véritables réactions éclatent dans les régions frontalières de la France et
fortement industrialisées ou pratiquant une agriculture spécialisée, telles que le pays de Vaud,
la région bâloise, la campagne de Schaffhouse et le Valaisnhss 1. Ces manifestations prennent
plusieurs formes, allant des plus symboliques telles que le port de la cocarde ou les chants de
la chanson "ah ! ça ira" jusqu'aux plus sérieuses telles que la revendication de droits sociaux
et les batailles rangées avec la police localeandrey 4.
Dans le canton de Vaud par exemple, la commémoration de la prise de la Bastille est célébrée
en 1790 et 1791 par la tenue de banquets qui deviennent rapidement suspects aux yeux des
autorités bernoises. Celles-ci interdisent alors tout rassemblement et toute manifestation
publique, à l'exception de la fête des vignerons de Vevey, tout en instituant une commission
d'enquête chargée d'enquêter sur les « troubles » locaux9. Cette commission fait arrêter, entre
la fin de 1790 et la mi-1791, un pasteur protestant, deux organisateurs de banquets qui seront
enfermés quelques mois au château de Chillon, ainsi qu'Amédée de la Harpe qui est
condamné à mort par contumace avant de rejoindre l'armée du Premier Empire où il deviendra
général10.
Le Bas-Valais, alors sujet du Haut-Valais, connaît à son tour une série de désordres, dont
celui provoqué par Pierre-Maurice Rey-Bellet, qui deviendra une figure de l'historiographie
valaisanne sous le nom du « Gros-Bellet », le 8 septembre 1790 à la foire de Monthey11.
L'année suivante, une conjuration menée par une trentaine d'hommes du Val d'Illiez vise à
prendre le pouvoir en exécutant, lors d'une opération de commando fixée au 8 février 1791
plus de 160 notables ; l'opération est cependant découverte par les autorités et les sept
meneurs sont exécutés le 19 novembre 1791 par décapitation. Pour l'histoire, les conjurés
avaient prévu de pendre leurs victimes à des crochets sur le pont de Monthey, d'où le nom de
« conjuration des Crochets » que prit cet épisode dans l'histoire localeandrey 5.
Enfin, devant les troubles qui agitent la principauté bâloise, le prince-évêque de Bâle
Sigismond de Roggenbach envoie, au début de l'année 1791, un émissaire à Vienne pour
demander l'aide de l'empereur Léopold II d'Autriche12. Celui-ci envoie des troupes qui
occupent Porrentruy dès le 18 mars 1791. Outre une augmentation des troubles locaux, cette
occupation provoque une réaction militaire de la France, en application du traité de 1780, sous
la forme d'une invasion du territoire épiscopal quelques jours seulement après la déclaration
de guerre à l'Autriche au printemps 1792andrey 6. Ce territoire devient, pendant quelque temps, la
République rauracienne avant d'être rattaché à la France en mars 1793 pour former le
département du Mont-Terriblebouquet 2.
85
Prise des Tuileries et massacre des gardes suisses (huile sur toile de Jean Duplessis-Bertaux,
fin du XVIIIe siècle, château de Versailles).
Lorsque la France déclare la guerre à l'Autriche le 20 avril 1792, une grande partie de
l'Europe se trouve, par le jeu des alliances, entraînée dans le conflit.
Le 28 avril 1792, Porrentruy est occupée par le général Custine. La Diète fédérale, de son
côté, proclame le 13 mai à Frauenfeld sa neutralité dans le conflit et ordonne la mobilisation
des troupes confédérées à la frontière bâloisegos 1. Cette neutralité sera respectée pendant les
cinq ans de la guerre par les différents protagonistes. Pour la première fois de l'histoire, la
Confédération profite de sa neutralité officielle pour offrir ses bons services et propose la ville
de Bâle comme terrain de négociation entre les belligérants. De fait, sur les cinq traités signés
en 1795 et qui mettent fin à la guerre, deux d'entre eux (entre la France et la Prusse pour l'un
puis entre la France et l'Espagne pour l'autre) le sont à Bâle dans la villa de Peter Ochs, alors
grand-maître des corporations de la villeandrey 7.
Pour la population suisse, et bien plus que les autres faits de guerre, les évènements du 10
août 1792 et surtout le massacre aux Tuileries des quelque 800 gardes suisses chargés de la
défense du roi ont un fort retentissement et exacerbent le débat entre les partisans de l'entrée
en guerre contre la France et ceux de la neutralité13. Conséquence du massacre, l'Assemblée
nationale française licencie l'ensemble des régiments suisses au service de la France le 20 août
et rompt ses relations diplomatiques avec la Suisse le 15 septembreandrey 8. En 1821, le
monument du Lion de Lucerne, créé par le Danois Thorwaldsen, sera érigé en mémoire des
gardes suisses tombés à cette occasionbouquet 2.
Lors de la retraite en octobre 1796 de l'armée du général Moreau, 12 000 hommes sont
mobilisés pour surveiller la frontière que longent les troupes françaises et ce afin d'éviter une
violation du territoire suissegos 2. La même année, la Diète fédérale reconnaît officiellement la
République française ainsi que son représentant, l'ambassadeur François Barthélemy, en poste
depuis 1792 jusqu'alors à titre officieuxandrey 9.
La victoire française d'octobre 1797, confirmée par le traité de Campo-Formio, marque la fin
du système politique de balance entre la France et l'Autriche qui avait assuré la survie de la
Suisse pendant les siècles derniers : le pays entre dès lors totalement dans la sphère
d'influence de la France qui, en décembre 1797, prend possession de la partie sud de l'évêché
de Bâlenhss 2. Le même traité enlève à la Suisse les régions de la Valteline, de Bormio et de
Chiavennagos 2 qui sont données à la République cisalpine nouvellement créée.
86
Première proclamation du gouvernement révolutionnaire de Genève du 28 décembre 1792.
87
Portrait de Johannes Künzle.
Outre Genève, deux autres régions connaissent des troubles révolutionnaires, diversement
couronnés de succès.
La seconde affaire secoue le canton de Zurich et oppose la ville à la campagne qui réclame
une égalité de droits et de traitements. Pendant l'été 1794, les autorités de la commune rurale
de Stäfa19 rédigent une pétition adressée aux autorités cantonales, qui exprime (sur un ton très
respectueux) plusieurs revendications. Les autorités de la ville font saisir et détruire les copies
de ce document et condamnent leurs auteurs au bannissement. Cependant, quelques mois plus
tard, une copie du pacte de Waldmann, rédigé en 1489 et qui confirme les droits et franchises
réclamées dans le mémorial de Stäfa, est découverte à Küsnacht. Les autorités répriment
sévèrement la fête populaire organisée à cette occasion et près de 2 000 militaires sont
envoyés sur place : six personnes sont condamnées à la détention à perpétuité alors que 260
autres écopent de peines plus légèresandrey 12. L'intervention d'Henri Pestalozzi, un temps
soupçonné d'être l'un des auteurs de la pétition, ne fait pas plier la justice malgré un mémoire
adressé aux autorités zurichoises dans lequel il défend le droit des campagnards à revendiquer
une égalité de traitement avec la ville et qu'il signe « Pestalozzi, citoyen zurichois et citoyen
français »20.
Dans tous les cas de soulèvements, le mouvement révolutionnaire local reçoit l'aide et le
soutien d'une partie de l'aristocratie locale qui souhaite des réformes ainsi que d'une partie du
clergé (protestant et catholique) ; les membres de l'ancienne élite politique et les théologiens
en faveur des réformes vont devenir, quelques années plus tard, autant de piliers politiques,
88
sociaux et militaires des nouvelles structures desquelles l'Église ne sera jamais exclue,
contrairement à ce qui se passe alors en France à la même époque21.
Après Genève, c'est le pays de Vaud qui se révolte à partir de 1797. Cette révolution
principalement menée par Frédéric-César de La Harpe, Henri Monod et Jean-Jacques Cart
vise deux buts distincts : l'indépendance vis-à-vis de l'occupant bernois et le maintien de Vaud
comme canton suisse. Bien qu'aidée financièrement par la France, elle n'est pas dirigée par
Paris et constitue bien un évènement endogène initié par les élites locales pour protester
contre différentes manœuvres bernoises visant à réduire le pouvoir localfelber 2.
Après avoir rencontré à plusieurs reprises le général Bonaparte qui avait été accueilli en héros
à Genève, Lausanne et Bâle lors de sa traversée de la Suisse en novembre 1797andrey 13,
Frédéric-César « Laharpe » (comme il se fait alors appeler), exilé à Paris, fait paraître en
décembre 1797 une brochure dédiée « aux habitants du Pays de Vaud, esclaves des oligarques
de Fribourg et de Berne » dans laquelle il défend l'idée d'une constitution définissant un
gouvernement indépendant. Il obtient du Directoire, le 28 décembre 1797, la protection
officielle de la France pour le pays de Vaud assortie d'une menace d'intervention militaire
contre quiconque s'y attaquerait ; cette protection permet aux patriotes de passer à l'action et
de présenter, dès début janvier 1798, plusieurs pétitions demandant la tenue d'états généraux
dans le but de régler les griefs entre les communes de Vaud et Berne sans devoir passer par
l'intervention d'une puissance étrangère22.
Dans le même temps, le bâlois Peter Ochs, également exilé à Paris, rédige un projet de
constitution helvétique qui, fondée sur le droit constitutionnel français, définit une nation
étatique et unitaire sans aucun fédéralisme, et qui s'inspire du modèle des États-Unis
d'Amérique dans son système bicaméralandrey 14. En Suisse, le 10 janvier 1798, est créé à
Lausanne un « comité des réunions » ayant pour but de mettre sur pied des autorités politiques
aptes à diriger le pays de Vaud. De ce comité émerge, le 18 janvier, sous la présidence de
Jean-Louis de Bons, un « comité central » de 20 membres représentant les villes et les
principales communes du paysfelber 3.
89
Blason du canton de Vaud.23
Bien que la déclaration d'indépendance n'ait jamais été reconnue par les officiels bernois, la
révolution vaudoise s'est passée dans le calme, sans aucune effusion de sang et fut selon
l'expression de François Jequier « une révolution bourgeoise sans levier populaire »27 où les
bourgeois, qui avaient pris le pouvoir, multiplièrent les gestes en directions des campagnes
qui suivirent le mouvement. La seule forme de résistance est la formation d'une unité contre-
révolutionnaire appelée « Légion romande » puis « Légion fidèle » qui rassemble, sous le
commandement du colonel Ferdinand de Rovéréa, quelque 600 membres pendant les
quelques semaines de sa courte existenceandrey 16.
90
Carte de l'invasion française.
Après de nombreuses tractations politiques, le directoire fait connaître son intention d'établir
une république en Suisse, organisée sur le modèle français. De Lausanne, devenue le quartier
général des forces françaises, le général Ménard déclare la guerre à la république de Berne et
lance ses troupes en direction de l'est29. Berne est réduit à la nécessité de se défendre et appelle
les autres cantons à son secours. Soleure, Fribourg et Zurich ainsi que les petits cantons
centraux envoient des troupes. L'ensemble, environ 20 000 soldats, est réparti en quatre
divisions sous les ordres du général Charles Louis d'Erlach nommé commandant en chef de
l'armée confédérée par la Diète30. Le général Guillaume Marie-Anne Brune prend le 4 février
1798 le commandement des troupes françaises positionnées dans le pays de Vaud et fait
réunir ses troupes sur la frontière de Fribourg pendant qu'un corps de l'armée du Rhin,
commandé par le général Schauenburg, vient en renfort par le Jura. Brune décide de gagner
du temps en proposant des négociations avec les Bernois. Ceux-ci acceptent et une trêve de 15
jours est déclarée en attendant une réponse du Directoire. Ces négociations infructueuses sont
frustrantes pour le général d'Erlach qui se voit empêché d'agir par le gouvernement trompé par
les promesses françaises. Il propose même sa démission, qui sera toutefois refusée, le 28
février 1798. Brune et Schauenburg concertent un plan d'attaque pour le 1er mars 1798, le jour
de l'expiration de l'armistice. Pendant ce temps, Berne hésite tandis que d'Erlach tente de
convaincre le sénat bernois de l'autoriser à attaquer, mais l'indécision est totale et les ordres et
contre-ordres se succèdent, engendrant la confusion dans les troupes bernoisesgos 4.
91
Les derniers jours de l'ancienne Berne, peinture de Friedrich Walthard.
Le 1er mars 1798, comme prévu, l'attaque française est lancée sur toute la ligne. La première
bataille de cette guerre, la bataille de Longeau, se déroule le lendemain dès 4 heures du matin.
La ville de Fribourg capitule le 2 mars 1798. La ville de Berne capitule à son tour le 4 mars
1798, sans avoir livré bataille, alors que les combats se poursuivent le 5 à Neuenegg, où les
Français sont défaits par une troupe bernoise31, ainsi qu'à Fraubrunnen et à Grauholz, où les
troupes suisses se font battre et se débandent devant les Français. Soupçonnant à juste titre
une trahison des officiers supérieurs, un jeune aide-major assassine les colonels Ludwig
Stettler et Karl von Ryhiner alors que les troupes françaises pénètrent dans la ville de
Berneandrey 16. Le général d'Erlach, présent à Grauholz, réussit à s'enfuir pour se réfugier dans
l'Oberland bernois dans le but de rassembler de nouvelles troupes mais il est assassiné à son
tour le 5 mars au soirgos 5.
En pillant la ville de Berne, les Français récupèrent cinq millions de livres et attribuent trois
millions supplémentaires au financement de la campagne d'Égypte du général Bonaparte ;
quelque 47 000 livres seront également attribuées au pays de Vaud32. Les villes de Fribourg,
Soleure, Lucerne et Zurich sont également astreintes au paiement d'un impôt de guerre de 16
millions de livres ordonné par le commissaire français Rapinat dont le nom a alors inspiré un
quatrain à l'écrivain Philippe Bridel33 :
92
Portrait d'Alois von Reding.
Pendant les mois de mars et avril 1798, plusieurs propositions de systèmes politiques sont
étudiées pour la nouvelle Confédération. C'est finalement le gouvernement français qui
décide, malgré les vives protestations de Laharpenote 2, de diviser le pays en trois républiques :
l'Helvétie qui regroupe le nord du pays, la Rhodanie pour la Suisse romande et le Tessin et la
Tellgovie pour la Suisse centrale et les Grisons. Cette décision sera rapidement mise en cause
et les trois républiques ne survivront que quelques semainesandrey 17.
Pendant ce temps, les combats entre l'envahisseur français et les insurgés suisses qui refusent
de rendre les armes continuent : les troupes des cantons primitifs, aidés de Zoug et Glaris,
réunissent environ 10 000 hommes qui sont placés sous le commandement d'Alois von
Reding, jusqu'alors commandant des milices du canton de Schwytz. Les insurgés attaquent à
plusieurs reprises les troupes du général Schauenburg, en s'emparant notamment de la ville de
Lucerne, jusqu'au 30 avril où ils doivent se replier au nord du canton de Schwytz. Au début
du mois de mai, les combats s'intensifient lors des batailles de la Schindellegi, de Rotherthurm
et de Morgarten. Un armistice est conclu le 3 mai suivi le lendemain de la reddition sous
conditions votée par la Landsgemeindegos 6.
Une nouvelle révolte contre l'occupation française est déclenchée le 7 mai dans le Haut-Valais
après que le Bas-Valais a voté à une large majorité pour la réunion du Valais à la République
helvétique. Partant du district de Conches et avec l'appui du clergé local, les troupes locales
descendent sur Sion et Sierre qu'elles occupent sans résistancefelber 5. Le 17 mai, le général
français Jean Thomas Guillaume Lorge34 commandant une troupe de 3 700 Français et 1 500
Vaudois reprend Sion qui est livrée au pillage et partiellement incendiée. Une centaine de
prisonniers sont emmenés comme otages et la ville, l'évêque et la population se retrouvent
taxés d'une contribution de 600 000 écus locauxgos 7 soit environ 1 800 000 livres françaisesnote 3.
La dernière révolte vient, à la fin août 1798, du canton de Nidwald dont les habitants refusent
de prêter serment à la nouvelle constitution sous la pression du clergé qui déclare que ce
serment équivaut à un sacrilègeandrey 18 ; les autorités de la nouvelle république sont renversées
le 18 août par 16 000 Nidwaldiens, renforcés d'Uranais et de Schwytzois. Le 9 septembre, les
12 000 Français du général Schauenburg pénètrent dans la ville de Stans après quatre jours de
combats. Les troupes françaises massacrent alors environ 300 civils, incendient et pillent la
ville ainsi que les villages voisinsgos 8.
93
République helvétique[modifier | modifier le code]
Première constitution helvétique[modifier | modifier le code]
La première constitution helvétique35 est rédigée à Paris par Pierre Ochs et se voit
officiellement approuvée le 28 mars 1798 par une assemblée nationale composée d'une
centaine de représentants réunis par le commissaire français François-Philibert Lecarlier,
remplaçant du général Brune36 auxquels les représentants d'Uri, de Schwytz, de Nidwald, de
Zoug, de Glaris, d'Appenzell, du Togenbourg et de Sargans refusent de se joindre37. Elle
définit une « République helvétique une et indivisible », sur le modèle de la Constitution
française, qui prévoit une nouvelle organisation politique, l'abolition des droits féodaux et
l'introduction de certaines libertés (de culte, de la presse ou de la propriété par exemple)nappey 2.
D'États indépendants, les cantons ne deviennent que de simples unités administratives dirigés
par un préfet sur le modèle des départements françaisbouquet 3, précisant qu'« il n'y a plus de
frontières entre les cantons et les pays sujets, ni de canton à canton ». Le pouvoir central
reçoit, de par la constitution, de grandes responsabilités avec, en particulier, l'unification des
poids et des mesures, des lois, de l'armée et de la monnaie.
Le franc suisse devient l'unité monétaire de base et remplace les différentes monnaies et les
différents systèmes de comptes cantonaux. Le franc, qui vaut 10 batz ou 100 rappen a un
poids d'argent fin de 6,6194 g. Des pièces en argent de 40, 20, 10, 5 batz sont frappées dans
les ateliers de Berne, Bâle et Soleure, de même que des doublons d'or valant 32 et 16 francs ;
cette unification monétaire échoue toutefois rapidement en raison de la pénurie de métaux
précieux38.
L'éducation publique obligatoire est introduite sur le plan national par la première constitution
helvétique qui reconnaît pour la première fois l'usage de trois langues officielles —
l'allemand, le français et l'italien — dans le pays, ce qui provoquera une forte résistance des
cantons alémaniques, pour qui la Suisse devait rester un pays germanophonefelber 6. Le texte
prône enfin une stricte séparation des pouvoirs exécutifs et judiciaires et l'instauration d'un
État laïc départageant les pouvoirs politiques et ceux de l'Églisenhss 3.
94
serment « de servir sa patrie et la cause de la liberté et de l'égalité, en bon et fidèle citoyen,
avec toute l'exactitude et le zèle dont il est capable... »andrey 19. La principale responsabilité
politique des citoyens est d'élire, parmi eux, le corps électoral donc chaque électeur représente
100 citoyens et dont la moitié seulement est élue par tirage au sortnhss 4.
95
Découpage en cantons de la République helvétique à la fin de 1798.
En 1802, un nouveau changement territorial aura lieu par l'échange du Fricktal, jusqu'alors
territoire autrichien, nouvellement rattaché au canton d'Argovie avec le Valais, érigé en
république et dont le ministre plénipotentiaire sera François-René de Chateaubriand qui ne s'y
rendra jamaisbouquet 3.
96
de la constitution alors que le Grand Conseil, chambre basse composée de 144 membres élus
proportionnellement à la population de chaque canton, élabore les lois qui sont ensuite
approuvées ou refusées par le Sénat et inversement. Les membres des deux chambres doivent
porter un costume officiel lors de leurs sessions et jouissent de l'immunité parlementaire40.
Les cantons, réduits au rang de simples entités administratives, disposent à leur tête d'un
préfet national (appelé en allemand Regierungsstatthalter, soit Lieutenant du gouvernement),
qui représente le gouvernement central et est chargé de la nomination de la plupart des
fonctionnaires locaux ainsi que de la sécurité locale pour laquelle il peut faire appel aux
troupes cantonales42. Ces cantons sont divisés en districts, dirigés par des sous-préfets
nommés par le préfet.
Le pouvoir judiciaire est exercé pour sa part par un Tribunal suprême formé d'un juge et d'un
suppléant par canton renouvelé par quart tous les ans et dont le président est nommé par le
Directoirenhss 4. Le Tribunal suprême est la seule instance à même de prononcer une peine de
mort et la torture est officiellement interditenote 5. Aux niveaux inférieurs, des tribunaux de
districts de neuf membres ainsi que des tribunaux de cantons, formés de treize juges, sont
chargés respectivement des jugements relevant de la correctionnelle et de la police pour les
premiers et des jugements pénaux en premier appel pour les seconds43.
Pendant les quelques années que dure la République helvétique, trois forces politiques
s'affrontent : d'un côté se trouvent les « patriotes » ou « unitaires », amis de la France et
qualifiés de jacobins par le camp opposé. De l'autre côté se trouvent les « fédéralistes »,
partisans de l'Autriche et de l'Angleterre et qualifiés d'oligarques par leurs adversaires. Enfin,
au centre, se trouve le troisième camp, celui des « républicains » généralement indécis et
appelés « modérantistes » par les deux extrêmes. Pendant toute la période allant jusqu'en
1802, la polarisation gauche-droite du débat politique va s'intensifier au détriment de la voie
centrale, alors que les trois camps vont successivement prendre le pouvoir : les « patriotes »
de 1798 à 1799, les « républicains » en 1800 puis les « fédéralistes » dès 1802andrey 21.
97
Représentation d'un soldat de la légion helvétique.
98
« L'or de la Suisse achètera l'Égypte », caricature française parue en 1798.
Dans bien des régions de campagne, la révolution de 1798 n'a été acceptée que difficilement
par les paysans et principalement sur la promesse de l'abolition des dîmes et les cens qui les
touchaient depuis le Haut Moyen Âge ; le plan financier visant à compenser cette perte
prévoit la vente des biens nationaux et la redistribution des sommes ainsi collectées aux
anciens bénéficiaires de droits féodaux46. Cependant, dès le début de la République helvétique,
les finances publiques deviennent un problème majeur : les saisies financières opérées par les
troupes françaises couplées à la guerre de 1799 ont laissé le pays au bord de la faillite.
Dans le but d'assainir les finances publiques, le Directoire décide de nationaliser la fortune
des cantons et met sur pied un système d'impôts directs prélevés identiquement sur l'ensemble
du territoire : impôts sur le capital, impôts fonciers, taxe d'habitation et taxes de commerce
sont ainsi approuvés par le gouvernement qui accompagne ces mesures par la création de
plusieurs impôts indirects tels que le droit de timbre ou les taxes sur les boissons et le sel. Ces
mesures ne peuvent toutefois pas être appliquées car la nouvelle administration centralisée n'a
pas encore eu le temps de se mettre en place : sur les 13,5 millions de francs prévus comme
recettes au budget de 1799, seuls 3,8 millions seront récoltés. Et malgré plusieurs mesures très
impopulaires qui provoqueront de nombreuses révoltes entre 1801 et 1803, la République
helvétique doit suspendre ses paiements dès 1801, se plaçant ainsi en état de cessation de
paiement47.
99
Portrait du général français André Masséna (huile sur toile de Ferdinand Wachsmuth,
XIXe siècle).
Dès mars 1799, l'armée d'Helvétie commandée par André Masséna pénètre dans les vallées
des Grisons, qu'il conquiert successivement au prix de nombreux affrontements avec l'armée
autrichienne, afin d'assurer la liaison entre les armées du Danube et d'Italie. Le général
instaure, le 12 mars, un gouvernement provisoire à Coire et permet, le 21 du même mois, aux
Grisons, jusqu'alors simples alliés de la Confédération, de rejoindre la nouvelle République
helvétique comme nouveau cantonandrey 22. Cependant, la victoire de l'archiduc Charles
d'Autriche sur le général Jean-Baptiste Jourdan à Stockach le 25 mars permet à l'armée
autrichienne du général Friedrich von Hotze, augmentée de quelques milliers d'émigrés
suisses, d'entrer en Suisse et de reprendre les Grisons avant de se répandre sur l'ensemble du
pays, de Schaffhouse et Saint-Gall jusqu'au Haut-Valais pour faire sa jonction le 22 mai avec
l'archiduc Charles, qui, de son côté passe le Rhin à Stein am Rhein le 2148. Pendant cette
opération, une paysanne grisonne nommée Anna Maria Bühler devient une héroïne locale en
retardant la retraite des troupes françaises : selon le journal local, le 3 mai 1799, elle s'était
« jetée sur l'attelage tirant les canons français, les retenant jusqu'à l'arrivée des
compatriotes, qui purent ainsi prendre les chevaux et les pièces » ; son geste lui vaudra d'être
reçue en audience en 1811 par l'empereur à Vienne49.
100
Bataille de Zurich par François Bouchot (1837, collection du château de Versailles).
Devant l'avancée des armées alliées, Masséna se retranche dans la ville de Zurich où la
bataille s'engage dès le 4 juin et se poursuit pendant deux jours, après lesquels le général
français en net désavantage numérique se retire à l'ouest de la Limmat, laissant l'archiduc
Charles pénétrer dans la ville. Les troupes autrichiennes, dans les jours qui suivent, s'emparent
encore des cantons de Schwytz, de Glaris, d'Uri et du Tessin, coupant ainsi le pays en deux et
forçant les autorités de la république à quitter Lucerne, trop proche des lignes autrichiennes,
pour se réfugier à Berne qui devient ainsi la nouvelle capitale du paysandrey 23.
101
Caricature anglaise de 1802 montrant Napoléon Bonaparte balançant le pouvoir de la
République entre les républicains et les aristocrates.
La paix signée le 9 février 1801 à Lunéville marque à la fois la fin de la seconde coalition et
la reconnaissance officielle de la République helvétique par l'Autrichenote 6. La présence
continue de troupes françaises sur le territoire de la République helvétique est largement
utilisée par les anciens adversaires de la France, en particulier l'Angleterre (qui utilisera cet
argument en 1803 pour rompre la paix d'Amiens) par voie de presse ainsi que par voie
diplomatique pour prouver que le premier consul Bonaparte ne respecte pas ses engagements
vis-à-vis de ce pays, forçant le gouvernement français à riposter par une campagne de presse
expliquant la position française en Suisseandrey 26.
En parallèle, entre 1800 et 1802, pas moins de quatre coups d'État vont secouer la République
helvétique ; si tous se déroulent sans effusion de sang et dans une indifférence relative de la
population, ils démontrent aux occupants français que le gouvernement central de la
république n'est pas capable d'atteindre la stabilité nécessaire pour gouverner le pays51. Le
premier des coups d'État se produit le 7 et 8 janvier 1800 lorsque le Directoire, conduit par le
« patriote » Laharpe, est supprimé et remplacé par une « Commission exécutive provisoire »
de sept membres parmi lesquels seuls deux anciens directeurs (Dodler et Savary) figurent. Le
second coup d'État survient le 7 août 1800 lorsque les deux chambres du parlement sont
dissoutes par le gouvernement provisoire et remplacées par un « Conseil législatif » de 43
membres. Le troisième coup d'État voit, le 27 octobre 1801, l'union contre nature des
fédéralistes et des autorités françaises pour renverser les autorités en place et pousser au
pouvoir Alois von Reding. Enfin, le dernier coup d'État est le fait de la gauche des
« patriotes », le 17 avril 1802, qui pousse Reding à la démission et lance l'élaboration d'une
nouvelle Constitutionandrey 26.
Dans la nuit du 19 au 20 février 1802 éclate une insurrection dans le pays de Vaud où des
paysans locaux, baptisés les « Bourla-Papey » (littéralement brûle-papiers en patois local),
mettent le feu aux archives du château de La Sarraz afin de détruire les titres de propriété
utilisés par le gouvernement de la République helvétique pour réclamer le paiement des droits
féodaux52. Cet épisode se répète à plusieurs reprises dans plusieurs châteaux de La Côte et du
Gros-de-Vaud jusqu'au début du mois de mai, lorsque les contingents venant de plusieurs
villages et menés par Louis Reymond se regroupent à Morges pour préparer une action sur
Lausanne où ils pénètrent aux cris de « Paix aux hommes, guerre aux papiers ! » le 8 mai et se
heurtent aux forces françaises mobilisées sous les ordres du commissaire Bernhard Friedrich
102
Kuhn qui parvient à négocier un retrait des paysans en l'échange d'un armistice général et de
l'abolition des droits féodaux dans les meilleurs délais46. Les principaux chefs de l'insurrection
seront toutefois condamnés à mort par contumace en juin 1802 par un tribunal spécial dont la
décision sera, sous l'influence d'Henri Monod, adoucie par une amnistie le 15 octobre53. Cette
révolte a été décrite par Charles-Ferdinand Ramuz en 1942 dans son roman La guerre aux
papiers.
Mort du lieutenant Rudolf von Werdt pendant la guerre des Bâtons par Karl Ludwig
Zehender.
Le texte est soumis à la votation populaire (pour la première fois dans le pays), le 25 mai
1802. Officiellement, le texte est approuvé par seize cantons contre cinq et par 167 172 voix
contre 92 423 tout en sachant que les abstentions ont été décomptées comme approbationandrey
27
. Devant ce qu'il pense être un retour à la stabilisation dans le pays, le Premier Consul
Bonaparte ordonne alors le 25 juillet 1802 à ses troupes de se retirer du territoire helvétique
dès le mois d'août de la même annéenote 7.
Dès le départ des troupes françaises, des soulèvements populaires éclatent dans le canton de
Berne et en Suisse centrale où les cantons proclament leur indépendance tout en mettant sur
pied une milice de 8 000 hommes commandée par le colonel Bachmann qui va bousculer et
vaincre facilement les troupes officielles du gouvernement dans ce qui sera par la suite appelé
Stecklikrieg (« Guerre des Bâtons » en allemand) en référence à l'équipement de fortune des
troupes insurgées55. Un premier combat se déroule le 28 août au col du Rengg, suivi de la
marche des insurgés vers les frontières de Vaud et de Fribourg ; le gouvernement helvétique,
alors présidé par Johann Rudolf Dolder, quitte Berne pour se réfugier à Lausanne le 19
septembre 1802 dans l'espoir de reprendre l'offensivefelber 8. Le 3 octobre, les 2 000 hommes des
troupes régulières se heurtent aux fédéralistes à Faoug où elles sont battues et doivent se
replier sur Lausanne. Le lendemain, le général Jean Rapp, aide de camp de Bonaparte, arrive
sur les lieux pour informer les belligérants de la décision de médiation prise par le Premier
consulandrey 28.
103
L'Acte de médiation[modifier | modifier le code]
« Je ne puis ni ne dois rester insensible au malheur auquel vous êtes en proie ; je reviens sur
ma résolution ; je serai le médiateur de vos différends »56. C'est par ces mots que Bonaparte
s'adresse le 30 septembre 1802 aux « Habitants de l'Helvétie ». Cette médiation débouchera,
après quelques mois de travail, sur l'Acte de médiation, première constitution de la Suisse
modernefelber 9.
La médiation armée que Bonaparte apporte aux autorités helvétiques n'est pas imposée mais
réclamée par ces mêmes autorités et par les fédéralistes ; lorsqu'il accepte le rôle de
médiateur, le Premier consul menace d'employer la force pour exercer ce rôle, méthode
largement utilisée en droit international jusqu'au milieu du XIXe siècle. Elle prend la forme
officielle d'une proclamation qui convoque à Paris une Consulta helvétique réunissant 60
membres des différentes fractions, parmi lesquels Johann Heinrich Pestalozzi, Pierre Ochs,
Louis d'Affry ou Henri Monod - mais pas Laharpe qui a refusé tout mandat - et encadrée par
quatre sénateurs français. Le choix de la capitale française est justifié par Charles-Maurice de
Talleyrand-Périgord auprès des députés en arguant de la désorganisation du pays et du besoin
de mettre un maximum de distance entre ces députés et les troubles civilsandrey 29.
Dès le début des travaux de la conférence, Bonaparte se prononce pour une organisation
fédéraliste du pays, défendue par les anciens patriciens du pays bien que les unitaires soient
majoritairement représentés57. Pendant les premières semaines de travail, les différentes
délégations vont élaborer des projets de constitutions cantonales et fédérales, avant que deux
commissions de cinq membres chacune ne soient désignées pour tenir les discussions finales,
avec Bonaparte, à partir du 29 janvier 1803. Ce dernier rédige personnellement l'Acte de
médiation et le remet aux dix membres des commissions le 19 février, avant que la conférence
ne soit officiellement dissoute le 21 février58.
L'acte en lui-même est un document formé d'un préambule rédigé par Bonaparte, des 19
constitutions cantonales comprenant chacune en moyenne vingt articles, puis de l'Acte fédéral
qui définit en quarante articles l'organisation politique, sociale et militaire du pays. Enfin, le
document se termine par deux annexes, comprenant respectivement treize et neuf articles,
décrivant les dispositions transitoires à mettre en œuvre jusqu'à la tenue de la première
Diète59.
104
Découpage de la Suisse en cantons sous la médiation.
L'Acte de médiation, qui entre en vigueur officiellement le 15 avril 1803, définit 19 cantons
nommés officiellement, pour la seule et unique fois dans l'histoire du pays, par ordre
alphabétique : Appenzell, Argovie, Bâle, Berne, Fribourg, Glaris, Grisons, Lucerne, Saint-
Gall, Schaffhouse, Schwyz, Soleure, Tessin, Thurgovie, Unterwald, Uri, Vaud, Zoug et
Zurichandrey 30. Le gouvernement des cantons est de trois types différents : pour les campagnards
(Uri, Schwytz, Unterwald, Glaris, Appenzell et Zoug), la Landsgemeinde est rétablie ; pour
les anciens cantons-villes (Bâle, Berne, Fribourg, Lucerne, Schaffhouse, Soleure et Zurich),
l'ancienne aristocratie locale reprend le pouvoir ; pour les nouveaux cantons enfin (Argovie,
Saint-Gall, Thurgovie, Tessin et Vaud), une démocratie représentative est mise en place ; cas
spécial, les Grisons retrouvent leur structure particulièrenhss 6.
Les douanes qui existaient entre les cantons avant 1798 ne sont pas rétablies mais remplacées
par des péages. Dans le même ordre d'idée, alors que le franc suisse est confirmé comme
monnaie officielle du pays, chaque canton garde sa propre monnaienappey 3. L'organe directeur
du pays redevient la Diète fédérale, qui se réunit normalement une fois par an au chef-lieu du
canton directeur qui change chaque année. Elle est formée de 19 délégués, un par canton dont
les six plus peuplés (Argovie, Berne, Grisons, Saint-Gall, Vaud, et Zurich) ont une voix
double. Son rôle est essentiellement limité à la politique extérieure ainsi qu'à la défense, avec
également une fonction peu employée de tribunal d'arbitrage en cas de litiges entre cantons,
ceux-ci préférant régler leurs problèmes inter-cantonaux par voie de concordats60.
Pour la seule et unique fois de son histoirenappey 3, le pays est gouverné par une seule personne
portant le titre de « landamman de la Suisse »note 8 qui est à la fois le chef d'État du pays et celui
du canton présidant la Diète pour l'année en cours. De par ses fonctions, il représente la Diète
envers les chefs d'État étrangers, mène les discussions et négociations internationales,
surveille l'exécution des décisions prises par la Diète ainsi que la gestion du trésor fédéral et
peut enfin convoquer une Diète extraordinaireandrey 31.
105
Portrait de Louis d'Affry, premier Landamman de Suisse.
De retour de Paris avec les pleins pouvoirs, Louis d'Affry passe la moitié de l'année à
Fribourg à préparer et mettre en place la nouvelle administration pour pouvoir, le 4 juillet
1803, ouvrir en tant que Landamman la première Diète fédérale. Celle-ci va durer trois mois
pendant lesquels le nouveau gouvernement du pays se retrouve à l'honneur à la fois dans la
presse et par la diplomatie européenne61. Parmi les nombreux sujets à l'ordre du jour, les
députés adoptent le 27 septembre 1803 un nouveau texte d'alliance avec la France (baptisé par
la suite seconde paix de Fribourg en référence à la paix perpétuelle signée en 1516) qui
remplace l'alliance offensive et défensive de 1798. Ce traiténote 9, uniquement défensif, se
double d'un traité de capitulation générale62 permettant à l'armée française de recruter jusqu'à
16 000 hommes de troupe parmi les soldats suisses ainsi que la possibilité, sur proposition du
Landammann, pour vingt jeunes Suisses de suivre l'École polytechniqueandrey 32. L'un des
premiers effets du traité signé avec la France est le départ des troupes françaises du sol
helvétique dès janvier 1804, marquant ainsi la fin de la dernière occupation du territoire (à
l'exception du canton du Tessin en 1807) par une armée étrangèreandrey 33.
106
Niklaus Rudolf von Wattenwyl, second Landamman de la Suisse.
Avant même que les autorités zurichoises n'en fassent la demande, le nouveau Landamman
bernois Niklaus Rudolf von Wattenwyl ordonne la mobilisation des troupes fédérales et les
envoie à Affoltern am Albis où elles écrasent les paysans le 3 avril. Les trois meneurs sont
capturés et exécutés alors que la région reste occupée par les troupes fédérales pendant
quelques années64, montrant ainsi la détermination des nouvelles autorités à combattre cette
insurrection qui sera la dernière guerre menée par des paysans suisses.
Fête d'Unspunnen de 1808 (dessin de M. Mongin tiré du livre La mémoire des Suisses -
Histoire des fêtes nationales du XIIIe au XXe siècle, 1991, p. 41).
107
Plaque commémorative des 200 ans de l'ouverture de la route du Simplon.
Bien qu'officiellement neutre, la Suisse entre dans le blocus continental du nouvel empereur
Napoléon Ier dès le 5 juillet 1806 en interdisant l'importation de marchandises britanniques.
Ce blocus aura des effets à la fois négatifs et positifs sur l'économie nationalebouquet 4 : déjà
touchée par les effets des mesures protectionnistes prises par la France, en particulier sur les
cotonnades, le chanvre et le lin, l'industrie textile du pays va devoir rationaliser sa production,
provoquant ainsi une hausse du chômage, principalement dans l'est du pays. Cependant,
l'absence de concurrence britannique permet dans le même temps le développement des
filatures de coton et l'écoulement des productions65. En 1805, le filateur zurichois Hans Caspar
Escher va lancer sa propre production de métiers mécaniques, créant ainsi l'entreprise Escher-
Wyss, l'une des principales usines métallurgiques du pays, aujourd'hui spécialisée dans la
fabrication de turbines66.
Pendant cette période, deux importants chantiers de génie civil sont engagés dans le pays :
c'est tout d'abord l'achèvement de la route hippomobile du col du Simplon qui remplace
l'ancien sentier muletier reliant Brigue à Domodossolanote 10. Cette nouvelle route, construite
sous la direction de l'ingénieur en chef Nicolas Céard et dont le coût de 8 millions de francs a
été entièrement financé par la France et l'Italie, est inaugurée en secret le 5 octobre 180568 ; il
s'agit en effet d'un projet militaire permettant d'achever la route menant de Paris à Milan et
qui doit le plus possible rester inconnu des Autrichiens alors en guerre contre la France en
Italie.
108
Plan de la plaine de La Linth avant et après la correction.
D'autre part, en 1807, commencent les travaux de correction de la Linth qui durent jusqu'en
1823 et qui permettent à la fois de mettre fin aux inondations quasi-annuelles de la Linth en
amont du lac de Zurich et d'assécher et mettre en culture les marécages de la région69. Cette
entreprise sera entièrement financée par souscription publique, sans que l'État n'ait à dépenser
un seul francandrey 36, et réalisée par l'ingénieur zurichois Hans Conrad Escher qui sera, en
récompense, honoré du titre de von der Linth70.
Le 2 avril 1805, la ville fribourgeoise de Bulle est quasiment entièrement détruite lors d'un
incendie71. Si aucune victime n'est à déplorer, les quelque 1 200 habitants de l'époque sont
pratiquement tous sinistrés et les dépôts de gruyère sont entièrement détruits, cette dernière
nouvelle faisant les grands titres de la presse étrangère, en particulier du Moniteur universel
français du 17 avril qui évalue les dégâts au montant de 7 à 800 000 francsandrey 37. Grâce aux
aides financières venant de tout le pays, les travaux de reconstruction sont rapidement
entrepris : si une rangée de maisons est supprimée pour créer la grande place du marché, la
halle aux grains est rebâtie en premier, alors que l'hôtel de ville est achevé en 1808 et l'église
paroissiale en 181672. Une année plus tard, le 2 septembre 1806, le pays connaît la plus grave
catastrophe naturelle de son histoire avec l'éboulement de 35 à 40 millions de mètres cubes de
roches sur six kilomètres carrés qui détruisent totalement la centaine de maisons qui
composent alors le village de Goldau, situé sur le territoire de la commune d'Arth, et tuent 437
personnes et environ 400 têtes de bétail73.
109
Portrait de Madame de Staël (par François Gérard, vers 1810).
Dès son arrivée au château de Coppet en avril 1802, Germaine de Staël, exilée de Paris par
Napoléon, publie Delphine en 1802 et Corinne en 1807 et fonde ce que Stendhal appelle « les
États généraux de l'opinion européenne », à savoir le groupe de Coppet réunissant autour
d'elle différents politiciens et écrivains français et allemands tels Benjamin Constant ou
Juliette Récamier74 qui vont, pendant une dizaine d'années, œuvrer à la formation et à la
diffusion de nouveau concepts issus des idées des Lumières dans des domaines tels que la
politique, l'économie, la religion, la littérature ou le théâtre75. Le groupe, et en particulier son
instigatrice, va rapidement incarner une forme de résistance morale à la dictature impériale
française, ce qui lui vaut d'être surveillée de près. Elle parvient toutefois à tromper la
vigilance de ses gardiens en 1812 lorsqu'elle entreprend un long voyage qui la mènera de la
Russie à la Grande-Bretagne en passant par la Suède et l'Autricheandrey 38, autant de pays
opposés au régime français et qui formeront, quelques années plus tard, une nouvelle coalition
contre celui-ci.
Outre les 14 000 hommes répartis en quatre régiments de ligne et deux régiments de la garde
prévus dans la dernière capitulation passée entre la Diète fédérale et le royaume de France en
181676, les Suisses seront plusieurs dizaines de milliers à servir dans les différentes armées
d'Europe pendant les guerres de la Révolution française et du Premier empire, dont une
trentaine de généraux de l'armée française sur les 190 étrangers qui exercent un
commandement entre 1798 et 1815andrey 39.
110
La reddition de Bailén en 1808 (La Reddition de Bailén, José Casado del Alisal, 1864, musée
du Prado).
Les vainqueurs de la bataille de Leipzig (peinture de Johann Peter Krafft, 1839, musée
historique de Berlin).
À la suite de la défaite de Napoléon lors de la bataille de Leipzig en octobre 1813, les troupes
françaises poursuivies par celles de la sixième Coalition européenne se retirent du sol
allemand pour rejoindre la France. À cette occasion, la mobilisation générale est ordonnée par
la Diète pour défendre les frontières du pays ; cet appel à la mobilisation ne rencontre que peu
d'écho et ne permet de réunir que quelques dizaines de milliers d'hommes : les demandes
incessantes de la France qui absorbait les meilleurs soldats du pays, couplées au manque de
solidarité cantonale marqué par une défiance envers l'armée fédérale et à la volonté nette de
Napoléon d'empêcher le développement d'une véritable armée en Suisse, expliquent ce faible
rendementgos 12.
111
Malgré les messages de la Diète qui va rappeler la neutralité du pays dans le conflit et malgré
l'avis défavorable du tsar Alexandre Ier qui s'affiche en défenseur des nouveaux cantons, en
particulier du canton de Vaudfelber 10, les alliés traversent le pays de part en part sur une ligne
Bâle-Berne-Lausanne78 en direction de la France. Les quelque 12 000 soldats suisses ne
pouvant pas rivaliser avec l'armée autrichienne de 160 000 hommes qui commence à franchir
le Rhin à Bâle dès le 21 décembre 181379, le général Von Wattenwyl renonce à toute
résistance et ordonne le licenciement des troupes ; à cette occasion, de nombreuses
accusations de trahison seront proférées par les soldats envers leurs supérieurs, en particulier
envers le général en titre, sans toutefois aucune suite judiciairegos 13.
Devant l'avancée des troupes alliées qui atteignent Neuchâtel le 24 décembre et Lausanne le
26, la Diète réunie à Zurich sous la direction du Landammann Hans Reinhard décrète le 29
décembre 1813 que « l'Acte de médiation ne saurait durer plus longtemps », mettant ainsi fin
au régime de la médiation. Cependant, cette décision est prise en l'absence des représentants
de sept des 19 cantons, la rendant anticonstitutionnelleandrey 41. Deux jours plus tard, après que
les troupes françaises ont évacué la ville sans combattre devant l'avancée du général
autrichien Ferdinand von Bubna und Littitz, Genève déclare à son tour son indépendance et
quitte l'Empire français pour retrouver, pour quelques années, son statut de république
autonome80.
Avec la chute de la médiation qui précède celle de son médiateur en avril 1814, la Suisse
retrouve son indépendance et quitte la sphère de domination française. Une longue Diète de
plus d'une année81 va, tout en acceptant trois nouveaux cantons en son sein, élaborer et adopter
officiellement un nouveau Pacte fédéral, document fondateur de la Confédération des XXII
cantons qui sera confirmé et soutenu par les pays européens lors du congrès de Vienne de
1815andrey 42.
112
Le canton du Valais[modifier | modifier le code]
113
Portrait du roi Frédéric-Guillaume III de Prusse.
En 1805, Neuchâtel, alors principauté prussienne, est donnée par Napoléon au maréchal
Berthier à la suite de la bataille d'Austerlitz6. Ce dernier, malgré l'occupation de la ville par
l'armée autrichienne dès le 23 décembre 18137, refuse d'abdiquer et se rallie aux Bourbons
lors de la Première Restauration, ce qui, couplé au refus du roi Frédéric-Guillaume III de
Prusse de renoncer à ce territoire, complique fortement la prise de décision sur le sort de la
principauté. Les autorités locales vont alors profiter de la confusion pour négocier un
compromis avec le roi de Prusse, obtenant en particulier la promesse de pouvoir rejoindre la
Suissefelber 2.
Pour le canton de Neuchâtel, admis par la Diète fédérale comme XXIe canton, commence une
période d'ambigüité qui dure jusqu'en 1857 et pendant laquelle il est soumis à une double
allégeance. Cette situation va être la cause de plusieurs tensions pendant la première moitié du
XIXe siècle entre la Prusse et la Confédération : le parti pro-prussien demande, en 1831 et en
1834, la séparation pure et simple d'avec la Suisse ; le parti pro-suisse déclarant en 1848 que
la République neuchâteloise « a été admise dans la grande famille suisse »nhss 1.
114
L'arrivée des troupes suisses à Genève, le 1er juin 1814, peinture de Frédéric Dufaux
Ancien allié de la Confédération des XIII cantons, la ville de Genève, annexée à la France et
chef-lieu du département du Léman pendant quelques années, retrouve son statut indépendant
de République le 31 décembre 1814 lorsque l'ancien syndic Ami Lullin, chef du
gouvernement réactionnaire, proclame la restauration. Les magistrats de la République se
rendent rapidement compte que Genève ne peut plus former un État isolé et se tournent vers
leurs anciens alliés en demandant l'entrée dans la Confédération10. Cette demande, appuyée
par certaines puissances européennes et malgré la crainte de certains des cantons catholiques,
est acceptée et devient effective le 19 mai 1815.
Territoire vacant entre 1814 et 1815 après la dissolution du département français du Mont-
Terrible, l'évêché de Bâle est le sujet de discussions pendant le congrès de Vienne. Les Alliés
avaient, en 1814, offert le territoire à Berne, mais le Conseil souverain de ce canton avait
115
décidé le 31 mars 1814 de le « refuser péremptoirement et pour toujours »nhss 2; une année
auparavant, le canton avait officiellement lancé un appel pressant à ses anciens sujets de Vaud
et d'Argovie pour qu'ils reviennent dans son giron13 et voulait, par ce refus, montrer sa
fermeté. Ce fut peine perdue : le congrès de Vienne va lui attribuer l'ensemble de l'ancien
diocèse (à l'exception des deux communes de Birseck et de Pfeffingen qui sont attribuées à
Bâle) ainsi que la ville de Bienne et les villages environnants.
L'acte final du congrès, quant à lui, précise dans l'article 77 que « Les habitants de l'évêché de
Bâle et ceux de Bienne réunis aux cantons de Berne et de Bâle, jouiront à tous égards, [..] des
mêmes droits politiques et civils dont jouissent et pourront jouir les habitants des anciennes
parties desdits canton »14. Cette égalité de droits politiques est assurée par l'acte de Réunion,
signé à Bienne le 14 novembre 1815 et qui découpe l'ancien évêché en cinq bailliages. Bien
que la population francophone des territoires jurassiens représente alors environ un cinquième
de la population totale du canton, l'allemand est alors remis en vigueur, à tel point que des
pétitions seront signées dans la région en 1830 pour demander la reconnaissance du français
comme « langue nationale » du canton de Bernefelber 3.
Si la région et la ville de Bienne, après avoir espéré former un nouveau canton15, se satisfont
progressivement de leur incorporation bernoise, la population francophone et catholique du
nord va, par contre, développer une « espérance nationale » qui débouchera, à la suite de la
question jurassienne, à la formation du XXIIIe canton au milieu du XXe siècle.
Plan de la Valteline.
Dans le même temps où le congrès de Vienne confirme les territoires du Valais, de Genève,
Neuchâtel et du Jura comme faisant partie de la Suisse, les délégués européens lui suppriment
la ville de Mulhouse, jusqu'alors alliée au même titre que Genève, et surtout la région de la
Valteline, malgré les pressions du canton des Grisons qui réclame ce territoire. La décision
finale d'attribuer cette région à l'Autriche16, est principalement prise à la suite du refus des
autorités grisonnes protestantes de considérer sur un pied d'égalité leurs nouveaux
concitoyens italophones et catholiques. La solution, un temps évoquée, de transformer la
Valteline en nouveau canton tout en dédommageant financièrement les Grisons ne va
finalement pas être retenue, à la suite de l'intervention de Talleyrand qui propose de relier la
décision concernant le sort de la vallée à celle concernant les différends entre l'Autriche et
l'Italie17 : le territoire est finalement attribué au royaume lombard-vénitien. La Diète fédérale,
peu désireuse de voir la création d'un nouveau canton catholique après celui du Valais,
risquant ainsi de compromettre l'équilibre confessionnel dans le pays, n'insiste pasandrey 1.
116
Plan des fortifications de Huningue.
Le 28 juin 1815, soit six jours après l'abdication de Napoléon, l'artillerie de la forteresse de
Huningue, tenue par les Français, bombarde sans avertissement la ville de Bâle. En
représailles, le général de l'armée suisse qui a reçu de la Diète l'autorisation de s'avancer, en
cas de besoin, au-delà des frontières du pays, pense favoriser les négociations menées par la
Confédération à Vienne et ordonne le 3 juillet à son armée de pénétrer en Franche-Comté,
officiellement pour pourchasser des corps francs ; l'armée confédérée va avancer jusqu'à
Pontarlier et Saint-Hippolyte (Doubs) avant que des difficultés d'approvisionnement et des
mutineries ne forcent Bachmann à démissionner le 26 juillet20. L'armée est finalement
reconduite sur territoire suisse le 31 juillet21.
La forteresse de Huningue tombe quant à elle le 26 août devant le siège mené par les troupes
autrichiennes commandées par l'archiduc François Ier d'Autriche et auquel une dizaine de
bataillons suisses vont participer22. Cette aventure de quelques jours est la dernière
intervention militaire officielle offensive de troupes suisses à l'étranger.
117
Le Pacte fédéral de 1815.
Pour remplacer l'acte de médiation, une nouvelle charte fondamentale est rédigée sous le nom
de Pacte fédéral de 181523, dont le nom fait référence au Pacte fédéral originel. Adopté, après
plusieurs versions successives, le 8 septembre 1814, sous la pression des pays européens, il
n'entre toutefois en vigueur qu'en novembre 1815 lorsque les problèmes territoriaux du pays
sont finalement résolusandrey 2. En particulier, les cantons d'Argovie, de Saint-Gall, de
Thurgovie, du Tessin et de Vaud créés sous la Médiation, sont confirmés comme cantons
souverains malgré le désir de Berne de récupérer l'Argovie et le pays de Vaud, dont
l'indépendance est alors défendue vivement par le tsar Alexandre Ier de Russiefelber 4.
Cette nouvelle organisation politique reprend en grande partie la notion d'alliance d'États
souverains (les cantons) telle que définie lors de la Confédération des XIII cantons, sans
véritable pouvoir central. Cependant, si la Diète perd alors la plupart de ses prérogatives
définies dès l'instauration de la République helvétique, ses décisions sont dès lors prises à la
majorité et non plus à l'unanimité comme c'était le cas sous l'Ancien Régime ; en dehors des
sessions (annuelles ou extraordinaire), les travaux sont conduits par un directoire (appelé en
allemand Vorort) confié alternativement aux cantons de Berne, Lucerne et Zurichdubois 1. Bien
que la Diète appelle les cantons les « membres de l'État fédéral », le pacte de 1815 est
considéré comme instituant une confédération d'États, et non une véritable nation24 ; à
l'exception de la politique étrangère, les cantons reprennent en effet leur souveraineté dans la
totalité des domaines25. De fait, le pays compte alors cinq régimes politiques différents, à
savoirandrey 3 :
Le pacte de 1815 corrige cependant une partie des défauts de l'organisation fédérale d'avant
1798, en particulier dans le domaine de la défense. Outre la création d'une véritable armée
fédérale et l'attribution à la Diète de pouvoirs spéciaux qu'elle peut invoquer en cas de besoin,
118
le pacte prévoit la possibilité d'une prise en charge fédérale des contingents cantonaux ainsi
que celle de former un état-major de six représentants destiné à seconder et aider le canton-
directeurnhss 3.
L'un des principaux problèmes liés au pacte de 1815 est qu'il ne contient aucune disposition
sur sa révision, tout comme son prédécesseur l'acte de Médiation, manquement à l'origine de
multiples débats dès 1830. Cet état de fait va être relevé en particulier par Alexis de
Tocqueville qui décrit la Diète comme « une assemblée délibérante où à vrai dire on n'a
aucun intérêt à délibérer où l'on parle non pas devant ceux qui doivent prendre la résolution
mais devant ceux qui ont seulement le droit de l'appliquer » et en conclut : « On ne saurait
imaginer une combinaison qui soit plus propre à accroître l'inertie naturelle du
gouvernement fédéral et à changer sa faiblesse en une sorte de débilité sénile »26.
C'est finalement le 20 mars 1815 qu'une déclaration commune des puissances européennes est
signée sur « les affaires de la Confédération Suisse »27. Cette prise en main européenne des
affaires suisses, en partie provoquée par l'incapacité des représentants confédérés à parler
d'une seule voix (Charles Pictet de Rochemont, a écrit le 13 mars 1815 : « La Suisse est
déconsidérée : 1° par les événements; 2° par ses divisions; 3° par le personnel de ses gens au
Congrès »28), se traduit par une mainmise des pays de la Sainte-Alliance, autoproclamés
« gardiens de la neutralité suisse, du Pacte fédéral et des constitutions fédérales »nhss 4, sur les
affaires intérieures et extérieures du pays qui doit alors s'intégrer dès 1817 dans l'organisation
européenne supranationale définie par Metternich29.
Aidés par des éléments intérieurs, tels que Charles-Louis de Haller, dit « le Restaurateur » qui
leur envoie régulièrement des rapports sur la situation politique de la Confédération et les
invite plus ou moins ouvertement à intervenirnhss 5, les pays européens vont favoriser
l'installation de la Restauration suisse qui, sur le modèle de son homonyme française, va
abolir progressivement les idées révolutionnaires et démocratiques transmises par la
Révolution française tout en rétablissant la religion comme valeur fondamentale de l'État qui
devient alors pratiquement une théocratie dans certains cantonsandrey 4.
119
Retombées des cendres lors de l'éruption du Tambora en 1816.
Globalement, la population suisse augmente fortement entre 1810 où sont recensés 1 820 000
habitants (soit une densité de 47 personnes par km2) et 1850 avec 2 393 000 personnes pour
une densité de 58 au km2nhss 6. Cependant, l'année 1816, appelée « l'année sans été » est
marquée par un temps exécrable probablement provoqué par l'éruption du volcan du Tambora
en Indonésie30 qui entraîne de mauvaises récoltes dans une grande partie de l'Europe, causant
une famine sur l'ensemble du continent.
Cette famine est aggravée d'une part par le stockage intensif réalisé spéculativement par les
producteurs et les intermédiaires, dans le but de faire monter les cours et d'autre part par
l'obligation faite aux paysans par les autorités des villes de maintenir l'assolement triennal
consistant à cultiver successivement du blé d'hiver, puis du blé d'été, puis une jachère de trois
ans dans le but d'assurer la collecte des redevances féodales telles que la dîme et le cens basés
sur la culture céréalière et assurer l'approvisionnement des villes. Une plus grande liberté de
culture, tenant par exemple plus compte des particularités locales, aurait permis de diminuer
la fréquence des mauvaises récoltes dans les régions à faible rendement en particulier31.
Comme souvent dans ces cas, les premiers touchés par la famine sont les gens sans terre,
dépendants du système « argent contre nourriture ». Or, l'argent liquide ne sert à rien lorsque
la nourriture vient totalement à manquer. En Suisse, c'est la région de Glaris qui est la plus
touchée : les descriptions des gazettes montrent « des squelettes d'hommes [qui] dévorent les
mets les plus dégoutants, des cadavres, des orties, des aliments même qu'ils disputent aux
animaux. »32. La Diète, devant l'avancée de la famine, va déclarer l'état d'urgence et va publier
plusieurs informations sur la manière de distinguer des plantes empoisonnées d'autres
comestibles, afin d'éviter que les gens ne mangent n'importe quelle plante qu'ils trouvent33.
Afin de fuir la famine et ses conséquences, de nombreuses personnes quittent le pays en 1819
pour émigrer en particulier aux États-Unis et au Brésil, rejoignant dans le Nouveau monde de
nombreux émigrants qui fondent successivement New Vevay dans l'Indiana en 1803, Nova
Friburgo au Brésil en 1819, New Switzerland en Illinois en 1831, New Glarus en 1845 dans le
Wisconsin. Plus tard, les Suisses s'établiront en masse en Uruguay, où sont fondés Nueva
Helvecia en 1861 et Nouvelle Berne en 1869 et en Argentine dans la province de Santa Fe de
1857 à 189034.
120
Le port de Zurich en 1820.
Bien que Victor Hugo écrive, dans la seconde moitié du XIXe siècle, que « Le Suisse trait sa
vache et vit paisiblement »35, la réalité économique du pays est cependant bien différente : si
le secteur primaire est encore le plus important devant les secteurs secondaires et tertiaire, son
rôle de principal employeur du pays tend à décroître progressivement au fur et à mesure que
l'industrie prend un poids de plus en plus important. Dans la première moitié du siècle, les
métiers agraires perdent ainsi 8,4 points, passant de 65,8 % à 57,4 %, alors que l'industrie et
les services gagnent respectivement 6,2 et 2,2 pointsnhss 7.
L'agriculture reste tout de même, et très largement, la principale activité économique du pays.
Pendant la période de la Restauration, elle profite à la fois d'une main d'œuvre abondante et
bon marché, ainsi que des travaux d'agronomes tels que le baron Elie-Victor-Benjamin Crud
ou Charles Pictet de Rochemont qui introduit la culture du maïs dans le pays36. Les pouvoirs
publics interviennent également en soutenant financièrement des travaux d'assèchement de
marais et de correction de cours d'eau dont le plus important, celui de la correction de la
Linth, prend 18 ans37. Les terres ainsi gagnées profitent également aux éleveurs qui
abandonnent progressivement le mouton pour le porc qui, à la suite de différents croisements
en particulier avec la race anglaise, devient plus résistant38.
Malgré sa taille restreinte, la Confédération des XXII cantons est l'un des rares pays
européens à pouvoir rivaliser avec la Grande-Bretagne pendant la période comprise entre
1800 et 1850 sur le plan de l'industrialisation, et ceci grâce à la fois grâce à une main d'œuvre
bon marché et à une capacité du domaine industriel à l'autofinancement, rendu indispensable
par le manque d'enthousiasme des banques à placer leurs capitaux dans ce secteur, alors
particulièrement sensible aux crises sociales, politiques ou économiques. L'industrialisation
121
du pays ne s'opère pas de manière constante et également répartie sur le territoire : les régions
pré-industrialisées de l'ouest du pays (de Genève à Bâle) ou du triangle formé par les cantons
de Zurich, Saint-Gall et de l'Argovie sont les premières bénéficiaires de l'abolition du système
corporatif et de la mise en place de la liberté de commerce par la République helvétique : le
reste du pays devra attendre 1848 et la création de l'État fédéral pour connaître un
développement comparablenhss 8. Entre 1818 et 1830, les principaux secteurs industriels qui
feront la renommée du pays dans les décennies suivantes sont déjà présents : de l'ouverture, à
Uitikon en 1818 de la première fabrique chimique du pays, à la création, l'année suivante, de
la première fabrique moderne de chocolat à Vevey par François-Louis Cailler39, au lancement
du Guillaume Tell, premier bateau à vapeur à naviguer sur le lac Léman en 182340 ou encore à
la tenue, en 1828 à Genève, de la première exposition horlogèreandrey 5. Dès 1843, l'association
industrielle suisse qui regroupe les industriels de plusieurs cantons, milite en faveur de plus de
libéralisation et d'une importante modernisation du système économique nationaldubois 2.
Enfin, le secteur des services connaît, entre 1800 et 1850, une progression relative de 83,3 %
alors que le nombre de personnes employées de ce secteur passe, pour la même période, de
60 000 à 110 000. Les principales activités dans ce secteur deviennent ainsi, outre le
commerce, les transports, les communications et le créditnhss 9.
Au début du XIXe siècle, la Suisse est l'un des pays d'Europe ayant le plus de liens
commerciaux avec l'extérieur : la petitesse du pays, son manque de matières premières ainsi
que son surpeuplement relatif en termes alimentaires expliquent en partie l'accroissement de
ses besoins : sel et grains sont les principaux produits d'importation alors que les produits
d'élevage et les produits manufacturés sont les principales exportations41. Les échanges
économiques sont toutefois ralentis et compliqués par l'instauration de multiples douanes
cantonales et péages ainsi que par la multiplication des systèmes de pesage et monétaires, le
franc suisse, mis en place sous le régime de la République helvétique, ayant disparu dès 1803.
Une entente partielle est signée en 1822 par 13 cantons et demi sous la forme d'un concordat,
appelé le « concordat de rétorsion », dans le but de s'unir pour résister aux mesures
protectionnistes mises en place par la France sur les étoffes, le bétail et les fromagesandrey 6. Ce
concordat n'atteint pas son but et est finalement abandonné en 182442. Quelques années plus
122
tard, ce sont les Zollverein allemands de 1829 et 183343 qui sont la cause de difficultés
d'exportation pour les marchands suisses.
Le commerce et l'économie sont à l'origine du développement des transports initiés par les
cantons après que ceux-ci ont retiré les compétences décisionnelles dans ce domaine aux
communes dès 1803. Les routes et les passages des cols font l'objet d'investissements
importants, au détriment du chemin de fer : ce n'est qu'en 1844 que le pays se relie au réseau
européen avec l'ouverture de la ligne Bâle-Strasbourg dont le premier tronçon sur sol
helvétique ne fait qu'1,86 km de long. La première ligne entièrement sur territoire suisse,
reliant Zürich à Baden, ne sera inaugurée que le 9 août 1847 ; elle sera alors baptisée
Spanisch-Brötli-Bahn d'après le nom d'une pâtisserie originaire de Baden qui pouvait ainsi
être livrée rapidement à Zurich44.
Enfin, le développement des activités de négoce est aidée par les investissements importants
des Britanniques dont l'économie est en avance sur celle du continent et qui découvrent le
pays grâce à l'essor du tourisme. Alors qu'en 1800, seules les villes de Genève, Berne et Bâle
possèdent une caisse d'épargne, la pratique de l'épargne bancaire va rapidement s'étendre sur
l'ensemble du territoire : en 1850, plus de 170 établissements sont répertoriés, dont cinq (dans
les cantons de Berne, Vaud, Genève) au bénéfice d'un statut de droit public, présentant un
bilan de 104 millions de francsnhss 10.
Avec l'industrialisation, le pays voit la création d'une nouvelle classe ouvrière dont la situation
et les conditions de travail sont difficiles ; plusieurs autorités cantonales légifèrent pour
protéger cette nouvelle catégorie socioprofessionnelle, dont en particulier Zurich qui va, dès
1815, édicter les premières mesures en Europe de protection des droits de l'enfant, interdisant
l'engagement des enfants de moins de 10 ans ainsi que le travail de nuit jusqu'à 18 ans ;
quelques années plus tard, en 1864, le canton de Glaris définit la durée de la journée de travail
à 12 heures dans la « loi des fabriques »45.
123
Le monde ouvrier s'organise également progressivement en créant, en 1827 à Genève, la
première caisse de secours mutuelle. La même année, une fabrique d'horlogerie de
Fontainemelon fonde la première caisse maladie du pays, à laquelle cotise l'ensemble du
personnel de l'entrepriseandrey 7. C'est également à cette période que se créent les premières
organisations du monde ouvrier suisse telle que la Société du Grütli fondée à Genève en 1838
et dont la devise est alors « Par l'instruction à la liberté » ; ce mouvement ouvrier sera par la
suite à l'origine de la Fédération ouvrière suisse, elle-même annonçant la création, en 1864, du
mouvement socialiste dans le pays46.
Le redressement de l'Église et son retour au premier plan dans les affaires politique va
provoquer un affrontement avec l'État pour le contrôle de l'école et de l'instruction. Dans
l'optique cléricale, la « Restauration » des valeurs traditionnelles de l'Ancien Régime va de
pair avec une école vouée à l'éducation de valeurs éprouvées, dont la légitimité est basée sur
l'ancienneté ; dans cette optique, la scolarisation du peuple est un « un danger social et le
germe de la révolution ». Face à cette vision « obscurantiste », les éducateurs progressistes de
l'époque que sont Jean-Henri Pestalozzi, Philippe-Emmanuel von Fellenberg et Grégoire
Girard prônent l'obligation et la gratuité de l'école primaire ; en 1820, Girard ouvre à Fribourg
une école fondée sur le principe de l'enseignement mutuel alors que Fellenberg ouvre en 1824
le premier institut pour jeunes filles.
En 1822, au congrès de Vérone, les Européens s'en prennent à la trop grande liberté de la
presse accordée aux journaux tenus par certains réfugiés politiques. Devant l'indécision de la
Diète, Metternich menace alors le pays de « perdre ses droits à la neutralité » si elle refuse de
tenir compte des demandes des puissances. Le gouvernement, mis devant le fait accompli,
124
prend alors le 14 juillet 1823 une série de décisions connues sous le nom de Conclusum sur la
presse et les étrangers qui rétablit la censure généralisée de la presse, supprime certains
journaux et ordonne l'expulsion de quelques réfugiés47.
Cette répression va provoquer plusieurs réactions hostiles dans certains cantons où elle est
jugée injustifiée. Globalement, le conclusum va renforcer la conscience nationale et
provoquer une mouvement réclamant une plus grande indépendance du pays face aux
Européens. Outre la création de multiples organisations ou sociétés « helvétiques »,
« fédérales » ou « patriotiques »dubois 3 et la création en 1841 du Cantique suisse par Johann
Josef Maria Zwyssig48, cette réaction va se cristalliser dans le quotidien Appenzeller Zeitung,
fondé en 1828 par le médecin et maire de la commune de Trogen, Johannes Meyer dans le
canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures. Ce journal d'opposition démocratique, qui compte
plus de 600 abonnés après une année de parution, va devenir progressivement le porte-parole
du radicalisme dans lequel la plupart des libéraux de Suisse s'expriment49. Conséquence de ce
succès ou pas, la Diète abroge le Conclusum en 1829, sans réaction officiellement des pays
européens alors plus préoccupés par la lutte pour l'indépendance de la Grèce alors sous
domination turqueandrey 9.
Parmi les différents conflits larvés entre la Confédération suisse et ses voisins, le cas le plus
grave est celui avec la France en 1838, provoqué par le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Ce
dernier, réfugié politique en Suisse depuis 1817 avec sa mère la reine Hortense de
Beauharnais, avait été nommé bourgeois d'honneur de la commune de Salenstein, dans le
canton de Thurgovie, le 18 avril 1832. Candidat au Grand Conseil cantonal, il avait
précédemment effectué son instruction à l'école militaire de Thoune sous la direction du
colonel Guillaume-Henri Dufour où il avait obtenu le grade de capitaine d'artillerie50.
125
Le 1er août 1838, le gouvernement français de Louis-Philippe Ier demande, par une note
officielle transmise par le ministre Mathieu Molé51, l'expulsion du prince de Suisse. La Diète,
réunie le 6 août, refuse cette demande, provoquant ainsi la colère du gouvernement français
qui mobilise une brigade de 6 divisions pour marcher sur la Suisse. Plusieurs cantons décident
de mobiliser leur contingent devant l'avancée des troupes françaises qui atteignent le pays de
Gex le 4 octobre. Alors que les deux armées se font face, le prince Louis-Napoléon décide de
quitter la Suisse le 26 septembre 1838 pour se réfugier en Angleterre, rendant ainsi caduque la
mobilisation militaire qui est abandonnée quelques jours plus tard52. Il adresse alors une
lettre53 au gouvernement thurgovien dans laquelle il assure ne jamais oublier « la noble
conduite des cantons qui se sont prononcés si courageusement en [sa] faveur ».
Progressivement, la génération ayant vécu sous l'Ancien Régime disparaît pour laisser sa
place à celle n'ayant connu que la Révolution et les régimes plus égalitaires qui ont suivi en
Suisse. De fait, l'annonce des Trois Glorieuses reçoit, tout comme en Allemagne, en Italie ou
en Pologne54, un accueil favorable dans le pays où la décision de Louis-Philippe, devenu entre
temps « roi des Français » de supprimer les régiments suisses ayant capitulé pour les
remplacer par la Légion étrangère est largement commentée. Plus généralement, le sentiment
négatif laisse par l'occupation française de 1789 s'estompe progressivement, contrebalancé par
les interventions de la Sainte-Alliance qui fait pencher l'opinion suisse en faveur de la France
plutôt que de l'Autrichenhss 11.
126
Portrait de Thomas Bornhauser.
Le premier canton à réformer sa Constitution cantonale est celui du Tessin qui procède à une
Riforma (réforme en italien) le 4 juillet 1830, soit quelques semaines avant les évènements de
Paris. Il est suivi par le canton de Thurgovie, premier à se « régénérer », qui voit sa
Constitution cantonale modifiée à la suite de l'action du pasteur protestant Thomas
Bornhauser. Celui-ci, après avoir publié un manifeste et organisé deux assemblées populaires
à Weinfelden sur le sujet, est nommé membre d'honneur du Grand Conseil, les ecclésiastiques
n'étant pas autorisés à briguer des mandats politiques55.
Par la suite, un nombre de plus en plus important de cantons vont exprimer leur désir de
changement : Zurich lors du mémorial d'Uster le 22 novembre 183056, Lucerne, Saint-Gall,
puis Berne et Schaffhouse sont suivis à quelques mois d'intervalle par Vaud et Fribourg. Alors
que plusieurs insurrections secouent violemment certaines grandes villes d'Europe telles que
Varsovie ou Naples, les révolutions cantonales se passent dans une certaine douceur, la
démocratie représentative et le suffrage censitaire remplaçant progressivement les
organisations patriciennesandrey 11. Un témoignage du calme avec lequel se passe la révolution
est donné par François-René de Chateaubriand qui, de passage à Berne pour se rendre à
Genève, décrit la situation ainsi : « En arrivant à Berne on nous apprit qu'il y avait une grande
révolution dans la ville : j'avais beau regarder, les rues étaient désertes, le silence régnait, la
terrible révolution s'accomplissait sans parler, à la paisible fumée d'une pipe au fond de
quelque estaminet »57.
127
Caricature de la censure sous la Restauration.
C'est tout d'abord une proposition de réformation venant du canton de Thurgovie qui est
présentée à la Diète de 1831. Devant le succès rencontré par cette proposition, une prise de
position formelle est organisée lors de la Diète de Lucerne de l'année suivante : 16 cantons et
un demi-canton se prononcent en faveur de la révision. Une commission de 15 membres est
alors nommée pour établir un projet d'Acte fédéral présenté le 26 décembre sous le nom de
Projet de Lucerne ou « projet Rossi »60 du nom de Pellegrino Rossi, l'un des deux
représentants genevois auprès de la Diète et auteur du rapport présentant les travaux de la
commission. Ce projet, qui transforme la Diète en pouvoir législatif, prévoit en particulier la
création d'un Conseil fédéral comme pouvoir exécutif et une Cour fédérale en autorité
judiciaire.
Dès mars 1832, sept cantons régénérés, à savoir les trois cantons directeurs de Zurich, Berne
et Lucerne accompagnés de Soleure, Saint-Gall, Argovie et Thurgovie, signent un concordat
par lequel ils mettent sur place un système séparé d'arbitrage et se garantissent mutuellement
leurs Constitutions cantonales par le recours à la médiation, à l'arbitrage, voire à la force si
besoin est61. Ce « concordat des sept », dont la dissolution était prévue dès la modification du
Pacte de 1815, propose plusieurs modifications de celui-ci dans un sens plus libéral. En
réaction, les six cantons restaurés de Bâle, Uri, Schwytz, Unterwald, Neuchâtel et du Valais se
regroupent dans la « ligue de Sarnen » (en allemand Sarnerbund) en novembre de la même
annéeandrey 12. Entre ces deux blocs, les neuf cantons restants forment un bloc neutre dont
l'alliance temporaire est nécessaire à chacun des deux groupes opposés, aucun d'entre eux ne
possédant une majorité à la Diète. Fait notable pour l'époque, les regroupements ne sont
marqués ni par des considérations religieuses (cantons protestants et catholiques se côtoient)
ni linguistiques62.
Le 12 août 1833, une Diète extraordinaire se réunit à Zurich pour discuter des propositions de
modifications du pacte. Les cantons de la ligue de Sarnen refusent alors de siéger, déclarant
s'en tenir au Pacte dans sa version actuelle et préférant tenir une diète séparée à Schwytz63.
Devant ce coup de force, la Diète dissout « l'alliance connue sous le nom de Conférence de
Sarnen »64 en lui reprochant de violer l'article 6 du Pacte65 et qui somme les représentants des
cantons concernés de reprendre leur place au sein de la Diète66. Cette décision est rapidement
acceptée par les cantons concernés.
128
Pendant cette diète, le projet Rossi est rejeté par les délégués : qualifié « d'œuvre des
doctrinaires des cantons romands » par les suisses-allemands, il est jugé à la fois trop
centralisateur pour les cantons conservateurs et trop timide pour les cantons radicaux67. Le
projet est toutefois amendé et corrigé pour devenir le « projet de Zurich » : moins de
centralisation, des pouvoirs moins étendus pour la Diète et le Conseil fédéral, cette
proposition est clairement tournée en faveur des cantons qui sont appelés à se prononcer pour
le 1er août déjà sur le sort réservé au texte. Le dépouillement des avis, effectué le 28 août,
révèle une situation des plus complexes : si trois cantons (Soleure, Thurgovie et Fribourg)
acceptent le projet pour autant que douze cantons au total l'acceptent, cette condition est
doublée d'une acceptation en votation populaire nationale à Zurich, Berne Schaffhouse et
Saint-Gall. Le canton des Grisons n'accepte l'idée qu'à la condition qu'on tienne compte de
certains désirs spécifiques. Le projet est accepté à Lucerne par le Grand Conseil, mais rejeté
par le peuple, ce qui pousse les Grands Conseils de Glaris et Genève d'ajourner
provisoirement la délibération sur le sujet. Les cantons d'Argovie, de Vaud, du Tessin,
d'Appenzell, d'Unterwald refusent le projet, alors que les représentants des cantons de Zoug,
Schwytz et Bâle-Ville, sans instructions claires de leurs gouvernements respectifs, se tiennent
à l'écart des débats. Les députations d'Uri, Neuchâtel, du Valais et de Bâle-Ville,
farouchement opposés à toute idée de changement, ne se présentent même pas aux réunions
de la Diète sur le sujet68. La proposition est finalement repoussée, non sans que quelques
députés émettent l'idée de l'élection d'une assemblée constituante par le peuple.
Dès 1814, les districts d'Einsiedeln, de Küssnacht et de March, également appelés « districts
extérieurs » du canton de Schwytz manifestent des désirs de séparation devant l'inégalité de
traitement dont ils sont victimes. Ces revendications prennent la forme d'une demande
129
officielle de réforme constitutionnelle qui est refusée par les autorités cantonales. Devant ce
refus, les trois districts s'organisent politiquement et sont finalement reconnus par la Diète le
22 avril 1833 sous le nom de demi-canton de Schwytz-Extérieur, après que les autorités
cantonales ont tenté de faire revenir les trois districts par la force, sans succès69. La Diète
occupe militairement les deux demi-cantons et les force à élaborer une nouvelle constitution
commune qui entre en vigueur le 6 octobre 1833 et marque le regroupement et la fin du demi-
canton.
Une seconde scission de fait a lieu en 1814 dans le canton de Glaris lorsque les catholiques,
qui ne représentent alors qu'un huitième de la population, mettent en place leur propre
administration et landsgemeinde. Cette situation va continuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la
nouvelle constitution cantonale en 1836 qui institue l'égalité et abolit les deux
landsgemeinden confessionnelles. Les catholiques résistent pendant quelque temps avant de
s'incliner devant la fermeté de la Diète qui fait occuper militairement Näfels et Oberurnennhss 13.
Enfin, en 1839, les libéraux prennent le pouvoir par la force à la Diète de Sion à la suite des
refus des conservateurs d'accorder l'égalité aux Bas-Valaisans70 ; ces derniers quittent alors
l'assemblée pour fonder un second gouvernement à Sierre qui ne dirige que le Haut-Valais.
Alors que la Diète fédérale vote le 11 juillet 1839 l'unité constitutionnelle du canton du
Valais, les désirs séparatistes sont de plus en plus visibles à l'intérieur du canton. Ce n'est
finalement que le 6 avril 1840, après un affrontement militaire remporté par les troupes du
Bas dirigées par Maurice Barman à Bramois, que les députés du Haut reconnaissent le
gouvernement de Sion et acceptent la nouvelle Convention cantonale qui définit, entre autres,
l'égalité de traitement entre la langue française et la langue allemande qui « sont déclarés
nationales »71.
À Bâle, comme dans d'autres régions du pays, la Restauration avait rétabli une importante
inégalité entre la ville et la campagne, à la grande déception de la population rurale qui avait
goûté à l'égalité sous le régime de la République helvétique quelques années auparavant. En
1830, l'avocat Stephan Gutzwiller72 prend la tête du mouvement de protestation et présente
aux autorités une pétition réclamant une répartition des sièges au Grand Conseil selon la
population, donnant ainsi de fait la majorité à la campagne, et une répartition plus équitable
des impôts. Ces demandes ayant été rejetées, les paysans se révoltent en janvier 1831, forçant
la troupe à rétablir l'ordre en occupant Liestal sans effusion de sang. À la suite de cette
intervention, les manifestants votent en faveur de la nouvelle constitution cantonale garantie
130
par la Diète ; elle est acceptée le 28 février 1831, bien que jugée insuffisante par la
campagnenhss 14.
Alors qu'un calme relatif est revenu, le procès de Gutzwiller et des meneurs des agitations de
1830 s'ouvre en août et aboutit à des peines sévères qui rallument la colère de la campagne et
débouchent sur de nombreux affrontements violents. La Diète fédérale décide alors d'une
intervention et sépare les deux parties en septembre : la ville de Bâle est occupée par les
troupes fédérales et un médiateur est nommé, sans succès. Une votation populaire est
organisée le 22 novembre 1831 sur la séparation : boycottée par le parti campagnard, la
proposition est refusée par 3 621 voix contre 789. La majorité absolue des voix n'ayant pas été
obtenue dans 46 communes campagnardes, le gouvernement décide d'y supprimer
l'administration communale en février 1832, provoquant une nouvelle crise qui débouche sur
la déclaration d'indépendance des 46 communes sous le nom de Bâle-Campagne, dont la
constitution est approuvée par les électeurs le 4 mai73.
Les affrontements continuent entre les deux entités, dont les limites géographiques sont
complexes et mal définies, de nombreuses communes appartenant officiellement à l'un des
deux bords comptant une forte minorité de l'autre. Des combats ont lieu à Gelterkinden le 6
avril et à Pratteln le 3 août : dans les deux cas, les troupes de la ville sont battues. La Diète
fédérale va finalement statuer le 26 août 1833 en prononçant la séparation du canton de Bâle
en deux, sans toutefois augmenter le nombre de cantons : les deux entités de Bâle-Ville et
Bâle-Campagne deviennent ainsi des demi-cantons avec une demi-voix chacunandrey 13.
Le 15 avril 1834, sous l'impulsion de l'italien Giuseppe Mazzini, sept Italiens, cinq Allemands
et cinq Polonais fondent à Berne l'association de la Jeune Europe pour fédérer différentes
associations européennes nationalistes anti-française et anti-autrichienne sous la devise
« Liberté - Égalité - Humanité ». En 1835, Mazzini fonde la Jeune Suisse sur le même modèle
et qui préconise l'abrogation du pacte de 1815 et son remplacement par une constitution74.
Après avoir lancé sa propre gazette également appelée La Jeune Suisse à Granges dans le
canton de Soleure, puis à Bienne jusqu'en 1836, Mazzini est expulsé du pays à la suite des
demandes répétées de Metternich75. Plusieurs sections cantonales du mouvement existent
alors, dont celle du Valais, créée à Monthey et rendue publique en 183976.
131
En réaction à cette vision individualiste radicale et protestante, les conservateurs,
principalement suisse-allemands, défendent une vision plus traditionnelle et communautaire
de la liberté comme l'exprime un écrivain uranais en 1862 : « Faire n'importe quoi, ce n'est
pas la liberté »77. Toujours en Valais, une Vieille Suisse, défendant l'évêque et les
conservateurs, est fondée en réaction au mois d'avril 1843 et publie la Gazette du Simplon
pour propager ses idées78 violemment anti-radicales : cette doctrine sera même qualifiée
d'« utopie radicalo-communiste », relayant ainsi l'idée répandue parmi les conservateurs selon
laquelle les chefs du mouvement radical sont directement liés au communismedubois 4.
Cette situation finit par déboucher sur plusieurs incidents entre les deux mouvements qui
culminent le 19 mai 1844, au pont du Trient, où les affrontements font 70 morts et voient la
victoire des conservateurs qui imposent une nouvelle constitution cantonale79.
Quelques années après les affrontements purement politiques opposant les cantons restaurés
aux cantons régénérés, trois affaires vont, entre 1833 et 1844, provoquer de nouvelles tensions
et voir à nouveau la création de deux camps arbitrés par un bloc neutre central. Cette fois-ci
cependant, la religion va être intimement mêlée à des considérations politiques, exacerbant les
deux blocs et provoquant finalement la chute du parti centriste et la bipolarisation du conflit
qui va progressivement dégénérer en guerre civile.
La première de ces affaires est déclenchée le 30 septembre 1833 par les landamanns Eduard
Pfyffer de Lucerne et Gallus Jakob Baumgartner80 de Saint-Gall qui convoquent une
conférence à Baden dans le but de régler les relations entre l'Église et l'État. La conférence se
tient du 20 au 27 janvier 1834 et débouche sur un document comprenant 14 articles81 dont les
principaux émettent le vœu de transformer le diocèse de Bâle en un archevêché, de placer les
réunions synodales, les séminaires ainsi que les ordres religieux sous la surveillance de l'État,
de limiter la juridiction ecclésiastique sur les mariages, ainsi que de garantir la possibilité de
contracter des mariages mixtes, et de limiter le nombre des jours de fête82. Ces articles ne sont
adoptés que par Lucerne, Saint-Gall, Thurgovie, Argovie, Bâle-Campagne et Zurich et
condamnés officiellement par l'Église catholique par l'encyclique du pape Grégoire XVI du 17
mai 1835. Violemment critiqués dans le camp catholique, ils provoquent la création de
groupes qui doivent être dissous par les troupes cantonales en 1835 dans les districts de Muri
132
et de Bremgarten en Argovie ainsi que dans le Jura bernois l'année suivante83. Finalement,
devant l'agitation populaire, les articles sont supprimés par tous les cantons en 1841. En
marge de cette affaire, le 2 septembre 1839, plus de 10 000 habitants de la campagne
zurichoise marchent sur la ville pour dénoncer le libéralisme et réclamer une plus grande
influence de l'Église sur l'école et l'université ; cette mini-révolution, baptisée le Zürichputsch,
provoque la chute du gouvernement libéral et son remplacement par un Conseil d'État de
tendance conservatrice qui va faire sortir le canton du Concordat des sept cantons régénérés84.
La seconde affaire vient d'Argovie où le Grand Conseil, sous la pression du catholique radical
et anticlérical Augustin Keller, ordonne le 13 janvier 1841 la fermeture des huit monastères
(quatre masculins et quatre féminins) se trouvant sur le territoire cantonal, en contradiction
avec l'article 12 du Pacte fédéral85. Cette décision fait alors suite à celles prises en 1835, où le
gouvernement avait fait fermé les écoles conventuelles et placé les couvents sous
l'administration de l'État86. La Diète se saisit de l'affaire et, dans un premier temps, constate la
violation du pacte le 2 avril ; elle revient cependant sur sa décision après de nombreuses
discussions le 31 août 1843 après que le canton a rouvert les quatre communautés féminines
et autorise le gouvernement cantonal à laisser fermer les maisons de moinesnhss 15.
Pour la première fois dans l'histoire du pays, la presse va prendre une part importante dans
l'escalade qui va conduire à la guerre civile. Le « quatrième pouvoir », comme l'appelle
133
l'écrivain anglais Edmund Burke dès 1787, connaît en effet une croissance constante depuis
que la liberté de la presse est garantie par les Conventions et pactes successifs : si plusieurs
cantons n'ont pas de feuille d'informations officielle avant 1830, le paysage médiatique
helvétique est largement rempli par d'innombrables feuilles éditées par les organes d'opinion
et les groupes politiques, qui n'ont souvent qu'une durée de vie éphémère : entre 1798 et 1848,
pas moins de 739 publications différentes sont enregistrées, dont la majorité est toutefois
constituée de feuilles d'annonces, de revues et de titres de presse spécialiséenhss 16.
Alors que les gazettes des cantons régénérés, où la liberté de la presse est quasi totale,
combattent férocement et sans aucun contrôle les idées antilibérales, celles des cantons
restaurés, à priori soumises à une censure étatique, ne sont pas moins virulentes, prouvant
ainsi la responsabilité des gouvernements cantonaux concernés dans l'escalade écrite. De fait,
entre 1844 et 1845, le ton va systématiquement monter entre les journaux des deux camps,
lançant de fréquents appels aux lecteurs qui, malgré le prix relativement élevé dû à l'absence
quasi totale de publicité payante, achètent en masse les feuilles d'avisandrey 15.
C'est progressivement autour de la présence dans le pays des Jésuites que va se cristalliser
l'opposition radicale : considérés comme des facteurs de trouble, ils font l'objet de pétitions
lancées par la presse qui réclament leur départ et qui rassemblent, en février 1845, plus de
90 000 signatures sur l'ensemble du paysdubois 6.
Devant la crainte de voir Lucerne, l'un des trois cantons directeurs du pays, dirigé par les
jésuites, les radicaux Argoviens secondés par des alliés politiques et encouragés par l'inertie
montée par la Diète fédérale dans cette affaire, montent deux expéditions de guérilla menées
par des « corps francs » dans le but de renverser par la force le gouvernement ultramontain du
canton de Lucerne88.
La première de ces expéditions a lieu le 8 décembre 1844 et doit être exécutée en parallèle en
ville de Lucerne et dans la campagne. Mal préparée, elle se solde par un double échec : la
centaine d'hommes réunis en ville de Lucerne est mise en fuite par les soldats des troupes
cantonales alors que le millier de francs-tireurs venant des cantons d'Argovie, de Soleure et de
Bâle-Campagne, après avoir battu les mêmes troupes gouvernementales près d'Emmenbrücke,
se retire faute d'informations sur l'opération menée en villeandrey 16. À la suite de cette première
tentative, le gouvernement lucernois réagit en lançant une vaste campagne d'arrestations et de
134
répression politique et économique provoquant l'exil de nombreux habitants dans les cantons
voisins où les manifestations anti-jésuites se font de plus en plus violentes, permettant même
aux radicaux de prendre le pouvoir dans le canton de Vaud le 14 février 1845 à la suite d'une
révolution89.
La seconde expédition est mieux préparée militairement. Dans la nuit du 30 au 31 mars 1845,
environ 3 500 francs-tireurs commandés par Ulrich Ochsenbein partent de Zofingue et
d'Huttwil en direction de la ville de Lucerne qui est atteinte dans la soirée90. Devant la fatigue
de ses troupes et l'obscurité qui s'installe, Ochsenbein prend la décision de remettre au
lendemain l'attaque de la ville ; mal lui en prend : un coup de feu accidentel pendant la nuit
provoque la fuite désordonnée des corps-francs dont certains tombent dans une embuscade
près de Malters. Le lendemain matin, les troupes gouvernementales n'ont plus en face d'eux
que quelque 2 000 hommes qui sont rapidement vaincus91.
Outre quelque 120 victimes, 1 778 combattants sont faits prisonniers et enfermés par les
troupes officielles dans des couvents. Libérés contre rançon, ils sont ensuite au cœur d'une
campagne de presse affirmant mensongèrement qu'ils auraient été maltraités. Les journaux
argoviens vont aller jusqu'à accuser Lucerne de faire du « trafic d'êtres humains », encaissant
grâce aux rançons perçues jusqu'à 350 000 francs de l'époqueandrey 17.
Une Diète extraordinaire est convoquée le 30 mars 1845 à la suite de cette affaire : elle
condamne les opérations et radie Ochsenbein de son grade et des effectifs de l'état-major92.
Afin de prévenir de futurs affrontements, un corps d'armée de deux divisions est mobilisé
sous la direction de Peter Ludwig von Donatz qui est nommé général ; ces troupes sont
échelonnées, à partir du 1er avril et pour un peu plus d'un mois, le long des frontières entre
l'Argovie et Lucerne pour la première division et entre Berne et Lucerne pour la seconde93.
135
Affiche de propagande représentant les sept cantons du Sonderbund s'érigeant en défenseurs
du Pacte de 1815.
À la suite de l'échec des expéditions des corps-francs, les élections dans le canton de Lucerne
donnent une victoire quasi totale aux conservateurs. Déjà tendue, la situation dans ce canton
devient explosive après l'assassinat le 19 juillet 1845 de Joseph Leu, leader cantonal de la
paysannerie catholique qui sera rapidement canonisé par le peuple comme martyr de la cause
catholique.
Les 9 et 11 décembre 1845, les sept cantons catholiques de Lucerne d'Uri, de Schwytz,
d'Unterwald, de Zoug, de Fribourg et du Valais signent un pacte d'alliance défensive94, qui
n'est toutefois ratifié par le Grand Conseil fribourgeois que le 9 juin 1846 au terme d'un long
débat qui aura pour effet de révéler l'existence de ce pacte au public.
L'alliance, violemment condamnée par les régénérés, est baptisée péjorativement par ceux-ci
Sonderbund (soit en allemand alliance séparée). Pour les signataires toutefois, cette alliance
appelée officiellement Schutzvereinigung, soit alliance défensive95, n'a aucun but dissident ou
séparatiste : bien au contraire, ses membres se posent en défenseurs du Pacte fédéral de 1815
et de l'unité nationale. La légalité de cette alliance est débattue une première fois à la Diète
pendant l'été 1846. Le 4 septembre 1846, une résolution déclarant le Sonderbund
incompatible avec l'article 6 du Pacte et devant être dissout, au besoin par la force, est
soumise au vote et obtient l'approbation de 10 cantons et demi, soit deux voix de moins que la
majorité : outre les sept cantons signataires qui dénient à la Diète la compétence pour se
prononcer sur ce sujet, les cantons de Saint-Gall, Neuchâtel, Genève, Bâle-Ville et Appenzell
Rhodes-Intérieures ne se prononcent pas sur cette proposition, préférant réserver leur avis : la
motion est refusée96.
À la fin de l'année 1846, le canton de Genève est le théâtre d'une révolution radicale menée
par James Fazy et provoquée par le soulèvement du quartier ouvrier de Saint-Gervais97 alors
que celui de Saint-Gall a, à la suite des élections, changé de majorité pour devenir libéral : la
majorité des douze voix et demi est alors acquise à la Diète qui, sur la proposition de Berne
présentée par Ulrich Ochsenbein, alors conseiller d'État, se prononce à nouveau sur le même
sujet lors de sa session de 1847 avec, cette fois-ci, des résultats différents : le 20 juillet 1847,
elle déclare l'alliance du Sonderbund au Pacte fédéral et ordonne sa dissolution ; le 16 août
1847, elle décide de la révision du Pacte et nomme une commission à cet effet et enfin, le 3
septembre 1847, vote l'expulsion et l'interdiction des jésuites sur l'ensemble du territoire
136
national. Les débats sont ensuite suspendus quelques semaines afin que les députés puissent
retourner dans leurs cantons respectifs pour y prendre des instructions sur la marche à
suivreandrey 18.
Pendant les six semaines que dure la suspension de séance, la situation va en s'aggravant :
plusieurs tentatives de médiations auprès des sept cantons de l'alliance se soldent par autant
d'échecs ; ces derniers, qui se préparent à l'éventualité d'un règlement militaire du conflit
obtiennent de l'argent et des armes de la part de la France et de l'Autriche qui les soutiennent.
Des deux côtés, on mobilise les troupes de réserve et on opère des manœuvres le long des
frontières avec les cantons « ennemis »98. Lorsque la Diète reprend ses travaux le 18 octobre,
elle envoie une ultime délégation qui ne connaît pas plus de succès que ces prédécesseurs.
L'armée fédérale est alors mise sur pied et passe à l'élection de son général ; si le nom du
colonel fédéral genevois Guillaume-Henri Dufour est rapidement avancé, il faut toutefois près
d'une semaine à la Diète pour choisir celui-ci et pour qu'il prête serment, ce qu'il fait
finalement le 25 octobre 1846. De son côté, le Sonderbund se cherche également un chef : si
plusieurs étrangers sont évoqués comme papables, c'est finalement le grison Jean-Ulrich de
Salis-Soglio qui accepte le commandement le 15 janvier 184799
L'année 1847 est marquée par une escalade continue de la violence et des provocations des
deux côtés : la nuit du 6 au 7 janvier 1847 voit l'échec d'une troisième expédition de corps-
francs menée cette fois-ci contre Fribourg ; trois colonnes regroupant au total plus de 1 000
hommes venant d'Estavayer-le-Lac et de Bulle se dirigent sur la ville, mais se débandent
avant de l'atteindre. Dès février, une guerre économique oppose les cantons de Lucerne et de
Berne qui s'interdisent mutuellement l'accès aux marchés. Durant l'été et l'automne, plusieurs
cargaisons d'armes et de munitions venant d'Autriche et de France et destinés aux
Sonderbundiens sont saisis ; la Diète condamne les opérations d'armement du Sonderbund qui
sont confirmées par des votations ou des landsgemeinden dans les différents cantons
séparatistes, tout en augmentant son propre niveau de mobilisationandrey 19.
137
Carte des opérations du Sonderbund.
C'est le 4 novembre 1847, soit cinq jours après avoir ordonné la mobilisation générale de
l'arme, que la Diète ordonne l'exécution par la force de l'arrêté sur la dissolution du
Sonderbund, déclenchant ainsi la guerre du Sonderbund : pour la dernière fois de son histoire,
le gouvernement fédéral suisse va déclarer la guerre. Les deux cantons de Neuchâtel,
majoritairement protestant mais comptant une forte proportion d'habitants catholiques, et
d'Appenzell Rhodes-Intérieures à majorité catholique, se déclarent comme neutres et refusent,
malgré les pressions, de fournir leur contingent de soldats ; devant les menaces de la Diète et
du canton voisin de Vaud, Neuchâtel fait appel au roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse qui
proclame la principauté « neutre et inviolable » pendant le temps des hostilitésdubois 7. De son
côté, Bâle-Ville se fait un temps hésitant avant de finir par céder et de fournir son contingent
qui arrive le 6 novembre, soit deux jours après le début officiel des hostilités. Après un
premier mouvement sans importance stratégique des troupes du Sonderbund, et
principalement des Uranais, en direction du Tessin, la première opération majeure est
déclenchée par Dufour le 9 novembre 1847 contre le canton de Fribourg, géographiquement
séparé des autres membres de l'alliance ; les troupes fédérales pénètrent sans résistance dans
le canton et parviennent sans combat jusqu'à la capitale où les troupes cantonales, dirigées par
le colonel Philippe de Maillardoz se sont retranchées. Le 14 novembre, le gouvernement
fribourgeois, répondant à une invite de Dufour, se rend sans combattre et sans consulter
Maillardoz en voyant que la ville est encerclée ; le lendemain, une assemblée populaire élit un
nouveau gouvernement de tendance radicale100.
À la suite de ce premier succès, le général Dufour se rend à Aarau en passant par Berne pour
y préparer l'assaut principal contre Lucerne. C'est là qu'il apprend, le 21 novembre, la
reddition de Zoug qui se dote également d'un gouvernement radical. Devant cette nouvelle, le
138
président du conseil de guerre du Sonderbund Constantin Siegwart-Müller évoque pour la
première fois en public la possibilité d'une défaite de l'alliance. L'assaut sur Lucerne est lancé
par cinq colonnes le 23 novembre 1847 ; l'une de ces colonnes, commandée par Eduard
Ziegler, passe la Reuss à la hauteur de Gislikon où l'attendent les troupes du Sonderbund101.
Cette bataille est la plus longue (2 heures) et la plus meurtrière (37 morts et une centaine de
blessés) de la campagne et se solde par une victoire confédérée après que le général von Salis-
Soglio a été atteint d'un éclat d'obus à la tête. Devant la nouvelle de la défaite et l'avancée des
troupes confédérées, les autorités lucernoises quittent la ville pour se réfugier à Flüelen, puis,
par le col de la Furka, en Valaisdubois 8.
Le 24 novembre, après que Dufour a refusé plusieurs offres d'armistice, la ville de Lucerne se
rend. Elle est suivie le lendemain par les cantons d'Obwald et de Nidwald, puis le 26 par
Schwytz ; le même jour, le canton de Lucerne élit un gouvernement provisoire de tendance
radicale qui libère les prisonniers politiques et ordonne l'expulsion des jésuites. Uri le 28 et le
Valais le 29 se rendent à leur tour sans combattre, mettant ainsi fin à la dernière guerre civile
du pays102.
La guerre du Sonderbund est suivie avec attention par les principales puissances européennes
qui sont favorables au camp de l'alliance séparée. Le 30 novembre 1847, une note
diplomatique cosignée par la France, l'Autriche, la Prusse, la Russie et l'Angleterre offre la
médiation de la France dans le conflitdubois 9 ; la réponse de la Diète, remise à l'ambassadeur de
France le 7 décembre, rejette clairement cette offre, arguant que la guerre est terminée,
assurant même qu'« il n'y a point eu de guerre entre les cantons ; non, mais l'autorité fédérale
compétente a dû recourir à l'exécution armée pour faire respecter ses arrêts ». Alors que
l'Angleterre prend simplement acte de la fin du Sonderbund, l'Autriche et la France, inquiètes
de la montée du radicalisme en Suisse, tentent d'intimider la Diète en disposant des troupes
militaires le long des frontières. Le 18 janvier 1848, une nouvelle note est transmise au
gouvernement suisse, signée cette fois-ci par la France, l'Autriche et la Prusse uniquement ;
par cette note, les trois puissances menacent d'intervention au cas où les troupes qui
stationnent dans les cantons de l'alliance ne sont pas retirées. Cette note, rejetée officiellement
par la Diète le 15 février, restera sans effet à la suite du déclenchement à Paris d'une nouvelle
révolution qui va détourner l'attention européenne des affaires intérieures suissesandrey 20.
Le gouvernement fédéral radical lance alors un vaste programme de rénovation des instances
politiques du pays qui va déboucher sur une nouvelle constitution fondatrice de l'État fédéral
de 1848.
139
Carte de la Suisse et des cantons suisses.
Une commission, nommée par la Diète fédérale et regroupant 23 membres (un par canton et
demi-canton, à l'exception de Neuchâtel et d'Appenzell-Rhodes Intérieures)5 dont certains des
futurs « pères fondateurs » de la nation et majoritairement issus de gouvernements cantonaux,
dirige le mouvement et regroupe ses propositions dans un rapport, déposé le 8 avril 1848. À la
140
réunion plénière de la Diète du 15 avril, ce même groupe défend son projet tout en acceptant
un certain nombre de compromis visant à minimiser les pouvoirs centralisés pour conserver,
au niveau des cantons, un large pouvoir sur les domaines militaire, scolaire et routier ; ces
concessions permettent aux députés cantonaux de la Diète d'accepter la nouvelle Constitution,
rédigée par le Thurgovien Johann Konrad Kern et le Vaudois Daniel-Henri Druey en juin6,
avant que celle-ci ne soit soumise à la votation populaire entre juillet et août où le texte est
approuvé par 15 cantons et demi contre 6 et demi (soit six membres du Sonderbund Uri,
Schwytz, Obwald, Nidwald, Zoug et Valais, rejoints par le canton du Tessin, où les pertes
résultant de la suppression des droits de douane cantonaux jouent un rôle clé, et le demi
canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures)nhss 1. À Lucerne, les abstentions sont comptées comme
des approbations alors que, dans le canton de Fribourg, seul le Grand Conseil mis en place par
les radicaux se prononce4. La participation à ce scrutin est variable, allant de moins de 20 % à
Berne jusqu'à 88 % où le vote est obligatoire7.
Le 12 septembre 1848, la Diète enregistre les résultats des votations cantonales8, constate que
la Constitution a été approuvée et prononce sa dissolution le 22 septembre comme prévu par
les dispositions transitoires du texte approuvé, marquant ainsi la fin du Pacte de 1815.
En lieu et place de la Diète fédérale formée de mandataires délégués par les autorités des
cantons et sans pouvoir décisionnaire, la Constitution crée un pouvoir législatif formé de deux
chambres, sur le modèle américain : le Conseil national, représentant le peuple et formé de
« députés du Peuple suisse élus tous les trois ans au suffrage direct proportionnel, à raison
d'un membre par chaque 20 000 âmes de la population totale »10, et le Conseil des États, où
chacun des 22 cantons est représenté par deux délégués (un délégué pour chacun des demi-
cantons) ; l'accord des deux chambres est nécessaire pour l'approbation des lois.
141
Exemplaire original de la Constitution de 1848. Archives fédérales.
Le pouvoir exécutif, quant à lui, est incarné par le Conseil fédéral formé de sept membres élus
par l'Assemblée fédérale pour trois ans dont l'un est élu « Président de la Confédération » pour
une année, ce titre ne donnant toutefois aucun droit particulier au Conseiller. Le Conseil
fédéral, dont chacun des membres est responsable d'un département, fonctionne en collégialité
en formant l'autorité exécutive supérieure ; il ne peut être renversé, ni être contraint à la
démission et ses membres sont perpétuellement rééligiblesandrey 1. Le Conseil fédéral dispose de
sa propre administration ainsi qu'une chancellerie qui en est l'état-major11.
Le pouvoir judiciaire est exercé par le Tribunal fédéral composé de 11 juges à temps partiel
nommés par l'Assemblée et qui ne dispose pas de siège fixe et ne forme pas encore une
institution permanente, cantonné aux affaires civiles12.
Le « souverain » reste toutefois le peuple : le suffrage universel masculin est instauré pour la
première fois en Europe13 et la liberté d'établissement, permettant le libre exercice des droits
politiques fédéraux et cantonaux aux Suisses originaires d'autres cantons, est assurée11. Outre
l'élection des conseillers nationaux, les électeurs doivent également se prononcer par
référendum obligatoire en cas de révision totale ou partielle de la Constitution14. Une
possibilité de révision totale du texte est également prévue si la demande réunit 50 000
signatures. Les citoyens disposent enfin du droit de pétition, qui n'a toutefois aucune valeur
juridique contraignante.
L'article premier de la Constitution précise que la Confédération suisse est formée par
l'ensemble des « cantons souverains de la Suisse [..], savoir Zurich, Berne, Lucerne, Uri,
Schwytz, Unterwald (le Haut et le Bas), Glaris, Zoug, Fribourg, Soleure, Bâle (ville et
campagne), Schaffhouse, Appenzell (les deux Rhodes), Saint-Gall, Grisons, Argovie,
Thurgovie, Tessin, Vaud, Valais et Genève [..] ».
142
en vertu du principe de subsidiarité du fédéralisme, tous les droits qui ne sont pas délégués à
la Confédération. Toute modification de Constitution cantonale doit être approuvée par la
Confédération qui doit se porter garante de la conformité à la Constitution fédérale, du
maintien d'une certaine participation démocratique et de la possibilité d'une révision sur
demande de la majorité des citoyens du canton16.
Le premier Conseil fédéral de 1848. Rang supérieur, de g. à d.: Henri Druey, Jonas Furrer,
Ulrich Ochsenbein; rang inférieur, de g. à d.: Martin J. Munzinger, Stefano Franscini,
Wilhelm Matthias Naeff, Friedrich Frey-Herosé.
Pendant le mois d'octobre 1848, des élections sont organisées dans les cantons afin d'élire les
députés. Après quelques escarmouches, en particulier dans le canton de Fribourg, les résultats
sont proclamés et confirment la victoire des radicaux qui emportent plus de trois-quarts des
sièges du Conseil national et 30 des 44 sièges du Conseil des États. Le 16 novembre 1848, le
Parlement élit le premier Conseil fédéral et son premier président, Jonas Furrer de
Winterthourandrey 2 Les autres Conseillers fédéraux sont Henri Druey de Moudon, Ulrich
Ochsenbein de Nidau, Martin Josef Munzinger d'Olten, Stefano Franscini de Bodio, Wilhelm
Matthias Naeff d'Altstätten, Friedrich Frey-Herosé de Lindau17.
Les premiers Conseillers fédéraux, plutôt jeunes (37 à 57 ans), dont quatre sont juristes,
appartiennent tous au parti radical, grand vainqueur des élections. Aucun canton du
Sonderbund n'est représenté, bien que deux conseillers, Munzinger et Franscini, soient
catholiques. Aucun des sept conseillers ne vient d'une grande ville, ce qui aurait paru
impensable une génération auparavant dans la mesure où les principales décisions se
prenaient dans les anciens Vororte. Néanmoins, à l'époque, la Suisse était encore relativement
rurale et l'ensemble des petites villes et des villages représentait une population bien plus
importante que les grandes villes. Les conseillers nationaux de la campagne étaient ainsi
largement majoritaires. Par ailleurs, l'évolution politique des années précédentes allait
justement à l'encontre de la classe bourgeoise citadine, souvent conservatrice voire
aristocratique. Il n'aurait donc pas été logique d'élire un membre d'une ancienne famille
influente17.
Dès le début, les Conseillers fédéraux suisses rejettent le faste et les honneurs. Alors que,
depuis 1803, les préfets, maires et présidents de la Diète fédérale étaient appelés « Votre
Excellence », les sept élus refusent ce titre. La simplicité de ce gouvernement, qui perdure
encore à ce jour, contraste alors avec le protocole plus pompeux des pays voisins17.
143
Pendant la même session, le choix de Berne comme « ville fédérale » est entériné, excluant
ainsi les deux autres villes de Lucerne (dirigeante du Sonderbund) et Zurich (jugée trop
excentrée) auparavant capitales par alternance du Vorort. Le siège des autorités fédérales n'est
pas fixé dans la Constitution. La commission chargée de la rédiger a considéré, d'une part,
qu'il n'était pas nécessaire que toutes siègent au même endroit (le Tribunal fédéral pouvant
ainsi se rapprocher des lieux où se sont déroulés les faits pertinents) et que, d'autre part, le
gouvernement pouvait, selon les circonstances, devoir se déplacer18.
En 1857, le premier bâtiment officiel (actuelle aile ouest du Palais fédéral) est inauguré et sert
de siège pour l'Assemblée, l'administration et le gouvernement.
Parmi les premiers dossiers qu'il doit traiter, le Conseil fédéral se penche sur le problème des
droits de douane, devenu responsabilité de la Confédération : entre les tenants d'un
protectionnisme et ceux du libre-échangisme, les chambres finissent par adopter un
compromis qui, s'il favorise le libéralisme, garantit tout de même à la Confédération une
manne financière indispensable19. Cet art du compromis est à nouveau utilisé entre 1849 et
1850 lors des discussions sur l'unification monétaire où le franc suisse est finalement adopté
contre le florin soutenu par les représentants des cantons de Suisse orientale et celle des poids
et mesures du 23 décembre 1851, où le pied et la livre s'imposent contre le mètre et le
kilogramme soutenus par les cantons romands. C'est également lors de ces premières sessions
que l'Assemblée fédérale décide de nationaliser la poste et le réseau télégraphique et organise
l'armée suisse par la loi du 1er mai 1850nhss 3. De cette réorganisation militaires, les
capitulations sont explicitement exclues de même le recrutement par les forces étrangères
suspendues, à l'exception toutefois de la garde pontificale ; les traités encore en vigueur sont
cependant honorés jusqu'à leur fin prévue, ce qui explique que le roi de Naples ait pu profiter
de soldats mercenaires suisses pour assurer la défense de Gaète en 1860bouquet 1.
En 1854, une majorité de circonstance se forme à l'Assemblée nationale entre les catholiques
conservateurs et les Romands contre la volonté des radicaux de créer une université nationale
à Zurich qui aurait pour but de « cimenter l'unité nationale et de former l'élite de demain »20.
Risque de centralisation de la culture et de la langue, concurrence déloyale aux académies et
universités déjà existantes sur le territoire, le Conseil des États se prononce le 4 février 1854
contre la création d'une telle université, mais en faveur de l'école polytechnique fédérale de
Zurich sur le modèle de son homonyme français, chargée de former les architectes, les
ingénieurs et les techniciens locaux, jusqu'alors forcés de suivre leurs études à l'étranger. La
décision finale tombe le 7 février 1854 et l'affaire passe alors à Zurich où l'établissement
144
ouvre ses portes le 16 octobre 1855 à 71 étudiants et 160 auditeurs pour la première annéeandrey
3
.
En matière de chemin de fer, la Suisse accuse au début des années 1850 un important retard
par rapport au reste de l'Europe. Le Conseil fédéral prend les choses en main et propose, le 7
avril 1851, un projet de loi créant un réseau ferroviaire géré directement par les cantons et la
Confédération et financé par un plan de partenariat public-privé ; à la surprise des proposants,
cette proposition est rejetée grâce à une majorité formé des libéraux, opposés à un
endettement de l'État et de plusieurs tenants du fédéralisme qui craignent une perte de
l'autonomie cantonale21. Dans la seconde moitié du siècle, la question des chemins de fer va
revenir sur le devant de la scène, en particulier à l'orée de la crise des années 1870.
Le château de Neuchâtel
145
Comme dans plusieurs autres anciens cantons conservateurs, les radicaux installent en 1848
dans le canton de Neuchâtel un gouvernement républicain favorable à leurs idées. Cependant,
le statut de ce canton est particulier : depuis le congrès de Vienne de 1814, il est en effet à la
fois canton suisse et principauté sous la suzeraineté du roi de Prusse, provoquant de fréquents
accrochages au cours de la première moitié du XIXe siècle entre les républicains favorables à
la réunion avec la Suisse et les royalistes tenant de la Prusse22.
Guillaume-Henri Dufour, alors âgé de presque 70 ans, est à nouveau nommé général de
l'armée suisse, sept ans après avoir occupé ce poste lors de la guerre du Sonderbund ; 30 000
hommes sont mobilisés le long du Rhin pour répondre à l'ultimatum de la Prusse qui échoit le
2 janvier 1857, date à laquelle les Prussiens ont réuni 300 000 hommes, dont 110 000 destinés
à l'attaque de la Suisse23. L'intervention de l'Angleterre et de la France qui se posent en
médiateurs va permettre de résoudre la question dans une conférence internationale qui se
tient à Paris et où le roi de Prusse renonce, le 26 mai 1857, à ses droits sur Neuchâtel qui
devient alors un canton suisse à part entière24.
Deux ans après l'affaire de Neuchâtel, un nouveau problème, baptisé l'« affaire de Savoie », se
dessine : la création du royaume d'Italie, soutenue par la France de Napoléon III et combattue
par l'Autriche provoque un bouleversement géostratégique au sud de la Suisse. La Savoie,
alors possession du royaume de Sardaigne, devrait être, selon le désir de l'empereur Napoléon,
rattachée à la France avec la région de Nice. Or, depuis les traités de 1815, la Suisse dispose
d'un droit d'occupation militaire du nord de la Savoie en cas de guerre ; le Conseil fédéral
revendique finalement cette zone pour y créer un 23e canton après qu'une pétition eut
regroupé les signatures de 12 000 Savoisiens désireux de devenir suisses et malgré
146
l'opposition de la Suisse allemande qui voit d'un mauvais œil la création d'un nouveau canton
catholique romand25.
Devant le refus de l'Empereur des Français, un parti, mené par Jakob Stämpfli, se forme en
Suisse en faveur de la guerre contre la France22. Le Conseiller fédéral est cependant désavoué
par ses collègues et l'affaire en reste là, en particulier après le référendum organisé dans le
Chablais et le Faucigny le 20 avril 1860, par lequel la population accepte à la majorité son
rattachement à la France ainsi que la création d'une grande zone franche de 3 790 km²26.
En 1863, les deux pays règlent leur ultime différend frontalier : la vallée des Dappes,
rattachée dès le XVIIe siècle au canton de Berne, avait été réclamée et obtenue par la France
en 1805 qui avait dû, à la suite des traités de Paris, de 1814 et 1815, la restituer officiellement
à la Suisse tout en la revendiquant27. Le 20 février 1863, un traité est officiellement signé par
les deux parties qui partagent cette région de 700 hectares28.
Présent par hasard à la bataille de Solférino du 24 juin 1859, le Genevois Henri Dunant,
homme d'affaires, est choqué par les « horreurs de la guerre » et par le manque d'organisation
pour les soins aux blessés, parfois laissés plusieurs jours sur le champ de bataille. Il publie des
Souvenirs de Solférino en 1862 où il propose la création d'une société de secours aux
blessésandrey 5. Établi sur ce concept, le « Comité international de secours aux militaires
blessés » (qui devient en 1875 le Comité international de la Croix-Rouge) est créé l'année
suivante par Gustave Moynier, Guillaume-Henri Dufour, Henri Dunant, Louis Appia et
Théodore Maunoir29. Les cinq hommes organisent, le 26 octobre 1864, une réunion regroupant
à la fois des experts et les diplomates de 16 États qui adopte une série de dix résolutions qui
sont à la base de la création des futures Sociétés de la Croix-Rouge ; parmi ces résolutions,
regroupées sous le nom de première convention de Genève, se trouvent l'adoption de la croix
rouge sur fond blanc comme signe distinctif du personnel sanitaire et le principe selon lequel
les militaires blessés ou malades doivent être respectés et soignés sans distinction de
nationalité30.
147
Désarmement de l'armée de Bourbaki lors de son entrée en Suisse en 1871.
Le 28 janvier 1871, le général français Justin Clinchant, qui a remplacé Bourbaki deux jours
plus tôt, demande l'internement de son armée aux autorités suisses ; le 1er février 1871, les
deux généraux signent une convention selon laquelle les troupes françaises sont autorisées à
pénétrer en Suisse en laissant armements, munitions et matériels à la frontière. Dès 5 heures
du matin, 87 000 hommes et 12 000 chevaux entrent en Suisse où ils sont répartis entre tous
les cantons (excepté le canton du Tessin) après qu'une aide humanitaire leur eut été fournie en
raison des conditions très rigoureuses. Les soldats français seront ensuite rapatriés entre le 13
et le 22 mars dans leur pays32. En souvenir de cet évènement, un panorama de 40 mètres de
long, actuellement visible à Lucerne, a été réalisé par Edouard Castres.
148
À la fondation de l'Empire allemand en 1871, le chancelier Otto von Bismarck engage un
combat idéologique avec l'Église catholique romaine en défendant la notion de Kulturkampf
(en allemand combat pour la civilisation) qui prône la prédominance de la science sur la foi.
Cette opposition a de fortes répercussions en Suisse, en particulier lorsque le Ier concile
œcuménique du Vatican eut défini le dogme de la primauté et de l'infaillibilité pontificalesandrey
6
. Ce dogme est rejeté par une partie des catholiques qui se séparent de l'Église catholique et
forment un mouvement dissident, l'Église catholique-chrétienne.
Les radicaux anticléricaux profitent de deux évènements pour dresser la population contre le
dogme catholique : d'une part, l'évêque de Bâle Eugène Lachat excommunie le curé Paulin
Gschwind qui avait refusé le dogme de l'infaillibilité et, d'autre part, l'évêque auxiliaire
Gaspard Mermillod est nommé vicaire apostolique de Genève par le pape Pie IX sans que le
gouvernement n'en soit averti.
Dans les deux cas, les autorités réagissent vivement : Lachat est destitué en 1873 et
Mermillod est expulsé de Suisse. Les effets du Kulturkampf se font sentir dans tout le pays, et
particulièrement dans le Jura bernois, où la population catholique résiste à la décision
bernoise d'expulser les prêtres qui soutenaient Lachat, dans les cantons de Soleure et
d'Argovie où des couvents sont supprimés et dans celui de Genève où les ordres enseignants
sont expulsés33. Le 21 novembre 1873, le pape publie l'encyclique Etsi multa luctuosa34 dans
laquelle il condamne ces décisions ; en réaction, le Conseil fédéral rompt ses relations
diplomatiques avec le Vatican et expulse le nonce apostolique de Lucerne le 12 décembre
187335.
Les relations entre les deux États vont se normaliser en 1878 après l'élection du pape Léon
XIII, qui accepte de négocier sur plusieurs points. Cependant, avant le retour à la normale, le
peuple suisse aura accepté une modification de la Constitution contenant plusieurs articles
d'exception directement dirigés contre l'Église catholique36.
Comme prévu par la Constitution, toute modification de celle-ci doit être approuvée par le
peuple lors de référendums constitutionnels ; la première fois que ce le cas se présente, le 14
janvier 186637, huit objets sur les neuf proposés sont refusés par le peuple. Seul l'article de loi
149
précisant que les Juifs disposent des mêmes droits d'établissement sur le territoire que
l'ensemble des citoyens naturalisés est accepté.
De fait, pour la seconde fois consécutive, le peuple et les cantons (la double majorité est
requise) rejettent la proposition de la majorité au pouvoir. Celle-ci va, au lendemain du refus
populaire, relancer ses travaux sur la révision de la Constitution.
Les élections fédérales d'octobre 1872 se transforment, après des débats houleux quasi
uniquement orientés autour de ce thème, en plébiscite pour ou contre la révision. Après
dépouillement des voix, les antirévisionnistes s'imposent et emportent plus de 35 % des sièges
au Conseil national, en particulier grâce à la progression des catholiques conservateurs.
Les tenants de la révision, regroupés au sein de l'Association patriotique suisse (en allemand
Schweizerischer Volksverein)andrey 6 et emmenés par le Conseiller fédéral Emil Welti, parfois
comparé à Bismarck dans la presse de l'époque, changent de méthode et tentent de briser le
front uni des anti-révisions en offrant de nombreuses concessions aux radicaux fédéralistes
romands, espérant ainsi récolter une majoriténhss 5. Couplée au maintien du référendum
législatif pour se réconcilier les démocrates, cette tactique prouve son efficacité le 19 avril
150
1874 lorsque le peuple approuve, avec une participation de plus de 80 %, par 63,2 % et 13
cantons et demi contre huit et demi, le projet de nouvelle constitution40.
Cette modification étend les pouvoirs de l'État en particulier dans le domaine social où la
liberté d'établissement est élargie et où celles de conscience, de croyance, du commerce, de
l'industrie ainsi que le droit au mariage sont garantis explicitement. La peine de mort est
abolie, et la justice gagne en efficacité avec le Tribunal fédéral permanent à Lausanne. Les
religieux catholiques sont les grands perdants de cette modification, avec l'interdiction des
couvents, l'inéligibilité des ecclésiastiques au Conseil national et la confirmation de
l'interdiction des jésuites41. De par l'introduction du référendum facultatif disponible pour
contrer toute loi fédérale sur la demande de 30 000 citoyens, cette modification marque
également la fin de l'hégémonie politique radicale : ceux-ci en effet se doivent d'associer les
forces capables de lancer des référendums au processus de création des lois, marquant ainsi le
début de la démocratie de concordance42.
La « Maison des paysans » à Brugg, quartier général de l'Union suisse des paysans.
Dans le régime de démocratie semi-directe mis en place par la Constitution de 1874, les
groupes d'intérêt prennent une grande importance, de par leur capacité à récolter les signatures
nécessaires au lancement d'un référendum sur une loi qui leur déplairait. Progressivement
entre 1870 et 1894 ces groupes vont s'organiser et se fédérer, que cela soit sur le plan
politique avec l'apparition des premiers partis nationaux ou économique avec celle des
associations professionnelles.
Ce sont en effet cinq organisations faîtières (appelées les « cinq U » qui se créent dans les 30
dernières années du XIXe siècleandrey 8 : l'Union suisse du commerce et de l'industrie, (appelée
en allemand Vorort à la suite de son établissement à Zurich dès 1882nhss 6) qui est créée en
1870 pour représenter l'industrie et les premières grandes banques, l'Union suisse des arts et
métiers, qui représente, depuis 1879, les milieux de l'artisanat et des petites et moyennes
entreprises, l'Union syndicale suisse, créée en 1880 et qui est vouée à la défense des
travailleurs, l'Union suisse des coopératives de consommation, première ébauche, en 1890
d'une association de défense des consommateurs et l'Union suisse des paysans, créée en 1897
et qui représente les exploitants agricoles. À l'exception de l'union des consommateurs, ces
organisations sont considérées par les autorités fédérales comme des interlocuteurs
représentatifs de leur branche ; fournissant informations et renseignements à une
administration fédérale qui n'a alors que peu de moyens, elles touchent à ce titre une
subvention fédérale43.
Dans le même temps, les trois premiers partis politiques nationaux se forment : le Parti
socialiste suisse en 187044, le Parti radical-démocratique qui regroupe les partisans de l'État
151
fédéral45et le Parti populaire catholique suisse (futur Parti populaire conservateur, puis Parti
démocrate-chrétien)46 en 1894.
Pendant cette période, plusieurs projets de loi sont tout de même adoptés : la loi sur la réforme
militaire du 14 novembre 1874 qui centralise encore plus l'instruction et l'équipement des
troupes, celle sur le financement de l'armée, adoptée en 1878 après deux échecs successifs,
l'adoption du système métrique du 3 juin 1875 ou encore l'adoption d'un code des obligations
au début de l'année 1883 nhss 8.
Le secteur primaire, encore de loin le plus important dans le pays dans la première moitié du
siècle, doit faire face à une concurrence de plus en plus importante face à l'étranger, en
particulier dans le domaine de l'agriculture qui occupe, en 1888, 36 % de la population en
1888, mais plus que 25 % en Suisse49. Afin de freiner l'exode rural et la disparition des petites
exploitations (les surfaces céréalières sont réduites d'un tiers entre 1850 et 1880), couplé à un
endettement de plus en plus important des paysans qui doivent s'industrialiser, pousse le
gouvernement fédéral à intervenir à la fois en imposant des mesures protectionnistes en
152
augmentant ses tarifs douaniers à la hausse et en accordant des subventions, en particulier aux
produits laitiers ains qu'à l'élevage bovinnhss 9.
Dans son ensemble, le textile reste le premier secteur d'exportation au début du XXe siècle
avec 45 % du total. Il est suivi par les machines (15 %), l'industrie alimentaire (15 %),
l'horlogerie (13 %) et la chimie (5 %)nhss 11. Avec une valeur d'exportations par rapport au
nombre d'habitants très élevé, l'État fédéral soutient, pendant une grande partie du siècle, le
principe du libre-échange dans le domaine industriel50. Dans le secteur du bâtiment, plusieurs
progrès technologiques révolutionnent la vie quotidienne des habitants des villes : l'eau
courante dès 1860, l'électricité dès 1880, puis le téléphone à la fin des années 187051.
153
Inauguration du premier magasin Jelmoli à Zurich en 1896.
110 000 places de travail en 1850 contre 280 000 en 1880 : ces chiffres montrent la
progression du secteur des services pendant la seconde moitié du siècle : les transports, les
assurances et surtout le tourisme et la distribution connaissent des développements
particulièrement importantsnhss 12. Les premiers grands magasins sont créés (le premier d'entre-
eux, le Jelmoli sur la Bahnhofstrasse de Zurich, est inauguré en 1833), de même que les
coopératives que sont l'union suisse des coopératives de consommation (qui deviendra la
Coop en 1970) et la Migros en 1925 ; en parallèle, le commerce de détail s'organise en créant
des centrales d'achat52.
Ce sont cependant les places financières qui vont connaître la plus forte progression.
L'apparition tardive de la Banque nationale suisse en 1907 a permis l'essor des établissement
privés, en particulier à Genève, Bâle et Zurich, où des places boursières sont créées
respectivement en 1863, 1876 et 1877. La Suisse devient alors progressivement une plaque
tournante financière et un refuge fiscal avec l'introduction du secret bancairenhss 13, ce qui
pousse les banques étrangères à s'implanter progressivement : la Banque de Paris et des Pays-
Bas en 1872, le Crédit lyonnais en 1876 suivis, dans les années 1920 de la Lloyds Bank, de la
Barclays et de l'American Express53.
Plan du développement des lignes de chemin de fer suisses entre 1847 et 1908.
Comparé aux pays voisins, la construction du chemin de fer débute tardivement en Suisse,
principalement à cause des difficultés techniques liées au relief ainsi qu'aux complications
douanières intérieures : la première ligne nationale, reliant Zurich à Baden sur 30 km et
appelée familièrement Spanisch-Brötli Bahn, date de 1847 seulementbouquet 2.
154
Après la décision du Parlement de favoriser l'initiative privée pour la construction de
nouvelles lignes, le gouvernement commande en 1850 une étude à deux Anglais ; celle-ci
prévoit des lignes suivant les vallées pour éviter le plus possible de ponts et tunnels et utilisant
un service de bacs pour traverser les lacs. Le nœud principal de ce réseau se trouve à Olten,
où doivent se rejoindre les deux lignes principales. Ce projet est très mal accueilli et
finalement rejeté54.
Le 28 juillet 1852, le gouvernement vote une loi qui confirme que la construction et
l'exploitation des chemins de fer est confiée aux cantons et à des sociétés privées. À la suite
de cette décision officielle, près de 1 000 kilomètres de lignes sont construites en moins de 10
ans dans la plus complète anarchieandrey 10 et sur fond de lutte entre différents groupements
économiques, dont certains français, piémontais ou allemands. Pendant cette période, trois
compagnies principales (le Central Suisse basé à Bâle, le Nord-Est qui part d'Aarau pour
rejoindre Zurich et l'Ouest suisse autour du lac Léman) et plusieurs autres sociétés
secondaires dépensent plus de 340 millions de francs pour étendre le réseau malgré les
nombreuses difficultés techniques et politiques entre cantonsnhss 14. Devant le besoin toujours
croissant de capitaux pour financer les travaux de construction, Alfred Escher, propriétaire et
président de la compagnie du Nord-Est, fonde à Zurich une banque nommée Kreditanstalt en
1856 et ouvre trois millions de francs de capital au public : en trois jours, les souscriptions
atteignent 21,78 millions55. Cette compagnie, qui deviendra par la suite le Credit Suisse
Group, va également donner naissance en dix ans à la Rentenanstalt, à la Swiss Re et,
indirectement, au groupe Zurich Financial Services56.
La crise financière des années 1860 marque les premiers rapprochements entre compagnies
devant le peu de rentabilité des lignes construites. Devant un nouveau projet gouvernemental
de nationalisation du réseau en 1863, les principales compagnies propriétaires fondent en
155
1867 la Société pour l'exploitation des chemins de fer suisses alors que les trois compagnies
romandes fusionnent en 1873 sous le nom de « Chemin de fer de la Suisse occidentale »nhss 15.
En 1869, un traité d'État est signé entre la Suisse, l'Italie et l'Empire allemand pour la
construction d'une ligne à travers le massif du Gothard. Les travaux commencent trois ans
plus tard et durent plus de 10 ans pendant lesquels les 15 kilomètres du tunnel proprement dit
ainsi que les rampes d'accès à celui-ci sont considérés comme des prodiges de la technique
moderne ; cette entreprise coûtera toutefois la vie à 177 des 2 480 travailleurs engagés sur le
chantier57, dont quatre tués par l'armée, engagée à la suite d'une grève des travailleurs pour
protester contre leurs conditions de travailnhss 16. Peu après le percement du Gothard, suivront le
tunnel du Simplon, soutenu financièrement et politiquement par la France en 1906, puis le
tunnel du Lötschberg en 1913.
Dès 1871 avec la ligne du Rigi, les lignes de montagne se développent grâce à l'invention de
la crémaillère, bientôt secondée par l'alimentation électrique, permettant à la ligne du
Gornergrat Bahn d'atteindre le sommet du Gornergrat en 1898, puis à celle du chemin de fer
de la Jungfrau de relier le col du Jungfraujoch à plus de 3 000 mètres d'altitude en 1912bouquet 3.
Dès 1898, la Confédération commence le rachat des chemins de fer en particulier par la
création des Chemins de fer fédéraux suisses en 1902. Quelques lignes vont toutefois rester
privées, telles que la compagnie du Lötschberg et celle des chemin de fer rhétique du canton
des Grisons49.
Il n'existe que peu de documents concernant les débuts du mouvement ouvrier en Suisse, que
l'on situe dans la première moitié du XIXe siècle ; les premiers mouvements sporadiques sont
organisés pour appuyer des revendications liées à des augmentations de salaire ou de
réduction de temps de travail, alors généralement fixées à 14 ou 15 heures par jour58 ; un
incident, datant de 1832 est cependant relevé : des ouvriers à domicile, qui venaient de
s'endetter pour renouveler leurs machines, mettent le feu à une nouvelle fabrique construite à
Uster par crainte de la concurrence51. L'un des premiers regroupement connu, après la
formations de mutuelles chargées de porter secours à leurs membres dans le besoin59, est celui
des typographes qui obtiennent, en 1850 un tarif négocié avec le patronat et qui se regroupent
dans un syndicat national dès 1858. Ils sont suivis par les tailleurs en 1863 et les cordonniers
en 1864. Le canton de Glaris, pionnier européen dans le domaine de la protection des
travailleurs, adopte en 1848 une loi limitant à 15 heures par jour (incluant la pause de midi) le
travail des adultes dans les filatures58, puis de 12 heures dans les usines en 1864.
De son côté, la société du Grütli, fondée à Genève en 1838 sous la forme d'une association
patriotique de compagnons artisans, se développe rapidement sous le régime de l'État fédéral
jusqu'à compter 1 282 membres répartis dans 34 sections en 1851 et regroupant, outre les
artisans, des employés, des fonctionnaires, des ouvriers et des agriculteurs60. C'est de cette
époque que date les premiers représentants des ouvriers dans les parlements cantonaux :
Pierre Coullery est élu à Berne en 1849, Johann Jakob Treichler à Zurich en 1850 et Karl
Bürkli également à Zurich, l'année suivante61.
156
Les associations syndicales[modifier | modifier le code]
Les fondateurs de la fédération ouvrière suisse : August Merk, Louis Héritier, Herman
Greulich, Gottfried Reimann et Rudolf Morf.
C'est dans ce cadre que l'Association internationale des travailleurs, fondée en 1864, ouvre sa
première section à Genève en 1866 sous l'impulsion d'ouvriers allemands réfugiés en Suisse.
Elle compte rapidement plusieurs sections grâce à de nombreuses conférences et réunions
organisées un peu partout dans le pays, en particulier avec le Russe Michel Bakounine qui y
défend ses idées d'anarchisme62. Ces sections entrent alors en concurrence avec les organismes
existants ; la société du Grutli envisage en 1868 d'adhérer à l'AIT, mais renonce finalement à
cette idée en se liant avec les démocrates et en soutenant la réforme de la Constitution. Entre
1868 et 1873, le mouvement ouvrier prend de l'ampleur et s'organise alors que se multiplient
les grèves61.
En 1873, la Fédération ouvrière suisse est créée à Olten. Politiquement neutre, cette
association présente un programme modéré qui lui permet de remporter rapidement du succès,
principalement auprès de syndicalistes et de membres d'associations politiques ou de caisses
maladie : en quelques années d'existence elle compte près de 6 300 membres répartis en 125
sectionsnhss 17 et est particulièrement active lors de la campagne pour la votation fédérale du 21
octobre 1877, dite « Loi sur les fabriques », qui est approuvée par 51,5 % des votants63 ; cette
première loi fédérale de protection des travailleurs est directement inspirée du modèle
glaronnais et fixe une limite de 11 heures de travail au maximum par jour tout en interdisant
le travail des enfants de moins de 14 ans ainsi que le travail de nuit pour les femmesandrey 11.
Lors de son 7e congrès en 1880, la Fédération ouvrière vote sa dissolution pour intégrer
l'Union syndicale suisse, fondée et dirigée par Herman Greulich. Malgré des débuts
financièrement difficiles, la nouvelle centrale syndicale se rapproche du Grutli et du Parti
socialiste suisse lors de la création en 1886 d'une caisse de réserve pour aider les ouvriers en
grève nhss 17 ; en effet, les conflits du travail se multiplient dès 1880 : 2416 grèves sont
officiellement répertoriées entre 1880 et 1914 ; dans 193 cas, la police intervint et dans 40
cas, c'est l'armée qui est appelée64.
En 1890, le premier socialiste, le Zurichois Jakob Vogelsanger, est élu au Conseil national au
3e tour de scrutin le 9 novembre, face à un adversaire radical pourtant donné largement
favoriandrey 12. Cette même année, pour la première fois, le 1er mai est célébré en Suisse comme
jour d'action sociale.
157
L'année 1891[modifier | modifier le code]
L'année 1891 est une année charnière dans l'histoire contemporaine du pays, de par les
importantes modifications qui s'y déroulent à la fois sur le plan politique, culturel et social.
C'est tout d'abord l'élection, le 17 décembre 1891 du Lucernois Joseph Zemp au Conseil
fédéral qui retient l'attention : pour la première fois, les sept sièges ne sont plus occupés par
des radicaux qui doivent accepter un catholique conservateur parmi eux, formant ainsi un
premier gouvernement de concordance. Depuis plusieurs années, les anciens adversaires de
l'époque du Sonderbund manifestent leur désir d'entrer au gouvernement fédéral en adoptant
une position plus ouverte et en acceptant le compromis65.
C'est ensuite, toujours sur le plan politique, l'acceptation, par 60,3 % et 17 cantons contre 4, le
5 juillet 1891 de la modification de la Constitution pour y introduire l'initiative populaire,
augmentant ainsi les possibilités offertes à la démocratie directe66.
Enfin, l'année 1891 détient le record du nombre de grèves, soit 52 pour l'ensemble du pays
pour un total de plus de 5 000 grévistes. La grande dépression économique qui se fait
lourdement sentir explique en partie ce nombre recordandrey 13.
158
Caricature de 1910 représentant la « majorité » contre la « proportionnelle ».
Entre 1891 et 1914, neuf initiatives parviennent à réunir les 50 000 signatures nécessaires
(nombre qui sera porté à 100 000 en 1977 à la suite de l'introduction du suffrage féminin) ; sur
ces neuf initiatives, seules deux sont acceptées par le peuple : l'interdiction de l'abattage du
bétail de boucherie selon le rituel juif en 189369 et l'interdiction de la consommation de
l'absinthe en 190870, soit un ratio d'environ un tiers de réussite. Ce taux ira en diminuant au fil
des années71.
Parmi les propositions rejetées, l'une d'entre-elles propose d'élire le Conseil national à la
proportionnelle plutôt qu'au système majoritaire. Refusée par 59 % des votants72, elle sera
proposée à nouveau, selon les mêmes termes, dix ans plus tard et refusée à nouveau par
52,5 % des votants73, puis une fois encore en 1918 où, cette fois-ci, elle est acceptée par 66 %
des voix exprimées74.
En Suisse comme dans le reste de l'Europe, l'entrée dans le XXe siècle est célébrée comme le
début d'une ère de progrès et de prospérité grâce à la technique, comme c'est le cas dans
l'exposition nationale de 1896 à Genève. De fait, économiquement, le pays se porte bien,
offrant à ses citoyens des conditions de vie modernes et de nettes augmentations de salaires,
allant jusqu'à 86 % entre 1875 et 1813 pour un ouvrier du textileandrey 15.
Cependant, le pouvoir d'achat des ouvriers n'augmente que très peu pendant cette période, une
famille standard devant dépenser environ les trois quarts de ses revenus (femme et enfants
159
devant nécessairement travailler) pour satisfaire ses besoins d'existence, alors que les
membres de la classe moyenne de l'époque, tels que les fonctionnaires, peuvent consacrer un
tiers de leurs revenus à des dépenses culturellesnhss 19.
Le parti socialiste suisse, qui adopte dès 1904 un programme visant à la « révolution
prolétarienne »75, et les syndicalistes soutenus par les philanthropes et les ecclésiastiques tels
que le pape Léon XIII qui publie en 1891 l'encyclique Rerum novarum76 en faveur d'un juste
salaire pour les travailleurs, se battent et luttent contre le fossé socio-économique qui se
creuse : plus de 130 grèves en moyenne par an sont répertoriées entre 1900 et 1914 avec une
pointe en 1907 où 32 000 grévistes participent à 276 grèves au total. Pendant la Belle Époque,
les grèves deviennent générales et touchent de multiples corps de métiers ; les patrons
ripostent en engageant des « briseurs de grève », qui doivent parfois être protégés par la police
ou l'arméeandrey 16. Ce climat politique, bien que profondément touché par les évènements du
XXe siècle, va atteindre son paroxysme lors de la grève générale de 1918 en Suisse avant que
différents avancées sociales ne permettent un retour au calme et à la normalité dans le pays.
Le 4 août 1914, soit trois jours après la déclaration de guerre de la Prusse à la Russie qui
marque le début de la Première Guerre mondiale, la Suisse, par la voix du Conseil fédéral,
adresse aux belligérants une déclaration de neutralité dans laquelle elle rappelle la décision
prise en 1815 par les puissances européennes lors du congrès de Vienne qui confirmait sa
neutralité perpétuelle. Cette déclaration est reçue favorablement à la fois par la France et par
la Prusse qui, toutes deux, assurent le gouvernement de leur volonté de respecter
« scrupuleusement la neutralité de la Suisse »andrey 1.
160
Caserne pour les officiers, passe Umbrail, 1914.
Dès le 31 juillet 1914, le Conseil fédéral ordonne la mobilisation générale de l'armée suisse,
alors forte de 220 000 hommes qui entrent progressivement en service entre le 3 et le 7 août.
En sus de cette mobilisation, le Conseil fédéral, qui a alors reçu les pleins pouvoirs de
l'Assemblée fédérale, élit Ulrich Wille comme général de l'armée suisse contre l'avis de
plusieurs parlementaires parmi les Romands et les socialistes1.
Après les réorganisations successives de l'armée en 1907 et 1911, les chefs de l'état-major
suisse ont eu le temps de tester leur nouvelle organisation et ne sont pas pris au dépourvu par
la déclaration de guerre. Les manœuvres de 1912 se déroulent en particulier sous le regard
d'un invité de marque en la personne de l'empereur Guillaume II d'Allemagne2. Au niveau de
l'équipement, les troupes sont équipées dès 1911 de mousquetons, disposent de mitrailleuses
et de grenades ; cependant, la production est nettement insuffisante en ce qui concerne les
munitions et le matériel tel que les uniformes, les casques en acier ou les masques à gaz qui ne
seront livrés qu'entre 1916 et 1918. De plus, l'armée n'a pas de blindés et ne dispose que de
très faibles forces d'aviation et d'artillerie1.
Pendant l'intégralité de la période du conflit, un fossé se creuse entre les Romands et les
Alémaniques : alors que les premiers défendent les Alliés et dénoncent la « teutomanie » de
leurs cousins, les seconds, par la voix d'un futur conseiller fédéral alémanique fustigent la
« vieille infidélité des Romands »3. La polémique se développe encore lorsque l'armée
allemande envahit la Belgique neutre : la presse romande prend fait et cause pour les Alliés,
alors que la presse alémanique approuve l'intervention allemande ; malgré les interventions
successives du Conseil fédéral le 1er octobre 1914 et du poète Carl Spitteler le 14 décembre
1914nhss 1, on commence alors à parler de Graben (« fossé » en allemand qui sera utilisé plus
161
tard dans l'expression Röstigraben), alors que plusieurs crises politiques se déclenchent
successivement sur ce thème4.
La première crise vient du chef de l'armée, déjà suspecté d'être anti-romand et antisocialiste et
qui a épousé une comtesse von Bismarck. Le 20 juillet 1915, il suggère dans une lettre au
Conseil fédéral l'entrée en guerre du pays aux côtés de la Prusse ; cette lettre, révélée par la
presse, cause un vif mécontentement en Suisse romande5.
En 1915 toujours, Léon Froidevaux, rédacteur du Petit Jurassien de Moutier, écrit que le Jura
bernois est « l'Alsace-Lorraine des Bernois » ; en réaction, la parution du journal est
suspendue pour deux mois. Quelques mois plus tard, Froidevaux réitère en révélant que les
cartouches avaient été retirées aux soldats cantonnés à la frontière du Jura. Il est alors accusé
de trahison et condamné à 13 mois de prison6.
En décembre 1915 éclate l'affaire des colonels : le générale Wille et le Conseil fédéral
apprennent que les colonels Friedrich Moritz von Wattenwyl et Karl Egli, tous deux membres
de l'état-major général, transmettent aux Allemands et aux Austro-hongrois des documents
confidentiels. Le 11 janvier 1916, le Conseil fédéral ordonne une enquête administrative
suivie d'une procédure judiciaire : les deux accusés sont reconnus non coupables pénalement
le 28 février et renvoyés à l'armée pour une éventuelle mesure disciplinaire. Wille, qui
espérait faire passer l'affaire sous silence et qui s'était opposé à leur condamnation, nuisible
selon lui à l'image de l'armée, les condamne à vingt jours d'arrêt de rigueur seulement7.
Le 27 janvier 1916, le consulat d'Allemagne à Lausanne arbore son drapeau pour célébrer
l'anniversaire de l'empereur ; cela entraîne des manifestations de jeunes gens qui arrachent le
drapeau, provoquant ainsi un incident diplomatique qui se conclut par des excuses présentées
au consul par le gouvernement vaudois, à l'ambassadeur d'Allemagne par le Conseil fédéral et
au gouvernement impérial par l'ambassadeur de Suisse6.
En mai 1917, le conseiller national socialiste bernois Robert Grimm tente d'obtenir de la
Russie la conclusion d'une paix séparée avec l'Allemagne. Il est soutenu dans son entreprise
par le conseiller fédéral Arthur Hoffmann, chef du Département politique, qui agit sans le
consentement de ses collègues. Le 18 juin 1917 éclate l'affaire Grimm-Hoffmann lorsqu'un
télégramme échangé entre les deux hommes est intercepté et déchiffré par l'armée française
puis rendu public par le ministre Albert Thomas. Grimm est expulsé de Russie et le 19 juin
1917, Hoffmann démissionne sous les critiques des Alliés, qui voient cette initiative
162
unilatérale comme une entorse à la neutralité du pays, et devant des manifestations populaires
qui se déroulent en Suisse romande et au Tessin8.
La guerre économique menée par les belligérants touche de plein fouet la Suisse, totalement
entourée par des pays en guerre pour la première fois depuis 1815. Les deux côtés acceptent
toutefois, après négociations, de continuer leurs livraisons en matières premières, pour autant
que ces matériaux ne soient sous aucune forme revendus aux adversaires. Les Alliés, qui
limitent volontairement leurs livraisons aux seules nécessités liées à la consommation suisse,
exigent la mise en place d'une agence centrale d'achats chargée de surveiller l'utilisation des
produits ; cela est fait le 6 août 1915, lorsque la Société suisse de surveillance économique est
créée4, suivie par l'Office fiduciaire suisse pour le contrôle du trafic des marchandises. Outre
les problèmes diplomatiques, le volume des importations est également affecté par la
perturbation des transports et l'amoindrissement des capacités de livraison des fournisseurs.
Le coût important de la mobilisation suisse se reporte rapidement sur la population : alors que
la dette extérieure du pays triple entre 1913 et 1925 en Suisse, la Confédération doit
introduire, pour la première fois, un impôt fédéral direct en 1915, les produits des taxes
douanières ne suffisant plus à couvrir les dépenses publiques.
Bien qu'un « bureau des céréales » (par la suite renommé en « Office du pain ») soit créé dès
1914 et que le monopole des blés soit introduit en janvier 1915 à la demande de la gauche10, le
gouvernement ne décrète un plan fédéral de rationnement des denrées alimentaires qu'à
l'automne 1917. Cette décision est prise en parallèle avec la création d'un Office fédéral de
l'alimentation chargé de subvenir aux demandes de la population dans le besoin : on décompte
en 1918 officiellement 692 000 personnes (soit un sixième de la population) incapables de
subvenir financièrement à leurs besoinsnhss 3.
163
Affiche de propagande en faveur de la réunion du Vorarlberg avec la Suisse
Lorsque les Allemands et les Alliés signent le traité de Versailles le 28 juin 1919, ils
confirment la neutralité de la Suisse qui, de son côté, renonce formellement à son droit
(jamais exercé) d'occupation de la Savoie du Nord qui lui avait été accordée sur la demande
du royaume de Sardaigne en 1815bouquet 1. En revanche, le traité ne se prononce pas sur le
problème des zones franches, et en particulier sur celle accordée par Napoléon III en Haute-
Savoie et dans le pays de Gex ; ce point ne sera finalement réglé que le 30 octobre 1924, à la
suite d'une médiation menée par la Cour permanente de justice internationale11.
Sans tenir compte du vote populaire, les alliés victorieux attribuent toutefois le Vorarlberg à
l'Autriche par le traité de Saint-Germain. Dans la même région, les rapports entre la Suisse et
le Liechtenstein sont réglés grâce à une convention bilatérale signée le 29 mars 192315 qui
officialise l'union douanière entre les deux pays.
164
Affiche reprenant le texte de l'Appel du Comité d'Olten
Alors que les élus du Parti socialiste suisse avaient, à l'instar de leurs collègues, voté les pleins
pouvoirs au Conseil fédéral lors du déclenchement de la guerre, l'important mécontentement
au sein de la population devant la dégradation de la situation sociale et économique pousse le
parti ainsi que l'Union syndicale suisse à durcir progressivement le ton.
Après une conférence helvético-italienne tenue à Lugano, le parti organise deux conférences
internationales, du 5 au 8 septembre 1915 à Zimmerwald puis du 24 au 30 avril 1916 à
Kienthalnhss 4, dans lesquelles Lénine et ses amis politiques présentent leurs projets de guerre
civile et parviennent à convaincre une partie des militants16. Le 17 novembre 1917, une fête
spontanée, organisée par les jeunesses socialistes ainsi que par des anarchistes pour fêter la
révolution d'Octobre en Russie, se transforme en émeute lorsque les manifestations,
désavouée par les cadres du parti, dégénèrent et se soldent par la mort de trois manifestants et
d'un policier<4.
Le 4 février 1918 à Olten, l'ensemble des dirigeants de la gauche, incluant les conseillers
nationaux socialistes, des syndicalistes et des journalistes, se réunissent à l'initiative de Robert
Grimm. Ils élisent un comité de sept membres, appelé le Comité d'Olten, que ses adversaires
politiques décrivent comme étant un « soviet », ou un « contre-Conseil fédéral »17. Dès avril
1918, le Comité d'Olten adresse plusieurs revendications au Conseil fédéral contre la hausse
des prix, tout en brandissant des menaces de grèves ; le gouvernement cède partiellement,
admettant la justesse de ces revendications18. Toujours pendant l'année 1918, le comité
s'oppose à l'institution d'un service civil obligatoire, qui oblige toutes les personnes de 16 à 60
ans domiciliées en Suisse à des travaux d'intérêt général contre rétributionnhss 5, ainsi qu'à
165
l'autorisation donnée aux polices cantonales de surveiller tout rassemblement public. À
nouveau, le comité obtient gain de cause devant le Conseil fédéral17.
Pendant l'été 1918, des rumeurs font état d'un « complot » ourdi par les représentants du
gouvernement révolutionnaire russe, semblable à la montée du mouvement ouvrier observée à
la même période en Allemagne et en Autriche. Lorsque les employés de banque zurichois se
mettent en grève le 30 septembre 1918 pour demander une augmentation de salaire, plusieurs
personnalités bourgeoises locales dont le général Willenhss 5 voient là une répétition générale de
la révolution à venir et demandent l'envoi de troupes. Le Conseil fédéral approuve cette
demande le 7 novembre et envoie des soldats occuper militairement les villes de Zurich et
Berne. Cette mobilisation de l'armée provoque l'indignation des organisations ouvrières : le
Comité d'Olten appelle à une grève de protestation qui se déroule dans le calme dans dix-neuf
centres industriels le 9 novembre 191818.
La grève, déclenchée comme prévu le 12 novembre 1918 au matin, est suivie par 400 000
ouvriers dont 300 000 cheminots qui arrêtent les trains. Les grévistes se regroupent
principalement dans la partie alémanique du plateau suisse, mais également dans les villes
romandes de Genève et Lausanne20 où les célébrations de l'armistice éclipsent toutefois la
grève. Partout, la grève se déroule dans le calme, grâce en particulier aux mesures prises par
les organisations ouvrières, comme la prohibition de l'alcool18.
De son côté, le Conseil fédéral quitte le Palais fédéral pour se réunir à l'hôtel Bellevue de
Berne où se trouve également l'état-major de l'armée. Progressivement, les nouvelles du pays
arrivent : les trains sont totalement bloqués, de même que les tramways à Genève. À Moutier,
l'alimentation électrique des usines est brièvement coupéeuss 1. À 11 heures du matin,
l'Assemblée fédérale, dont 60 parlementaires n'ont pu rejoindre Berne, se réunit pour écouter
le discours du président Felix-Louis Calonder. En parallèle, les services essentiels sont
assurés par des « briseurs de grèves » tels que des étudiants ou des membres de milices
bourgeoises18.
166
Le 13 novembre 1918, le conseiller national et président du Comité d'Olten Robert Grimm
dépose une motion, rejetée par 120 voix contre 14, qui demande la recomposition d'un
Conseil fédéral à majorité de gauche et la réélection du Conseil national à la proportionnelleuss
2
. Dans le même temps, une manifestation demandant la libération de quelques manifestants
arrêtés la veille se déroule à Soleure ; les soldats reçoivent l'ordre de tirer pour disperser les
manifestants : une personne est blessée. Le Conseil fédéral, toujours réuni, exige une
capitulation de la part du Comité d'Olten qui doit mettre fin à la grève générale en publiant
une déclaration écrite « avant 5 heures de l'après-midi »uss 3 ; la réponse de Robert Grimm est
claire : « C'est tout réfléchi. La classe ouvrière triomphera ou mourra en combattant »uss 4.
Cependant, le comité d'Olten réuni dans la nuit et sévèrement encadré par les troupes du
général Wille, qui pour l'occasion a ramené à Zurich des unités de régions paysannesnhss 6, vote
la fin de la grève. Cette décision est annoncée officiellement au Conseil fédéral le 14
novembre 1918 à 2 heures du matin. Progressivement au cours de la journée, le mot d'ordre va
passer dans les différents piquets de grève qui doivent se résoudre, parfois difficilement, à
cesser leur mouvementuss 5. Bien que quelques victimes seulement ne soient à déplorer lors de
ces trois jours, une terrible épidémie de grippe espagnole va frapper le pays, sa propagation
étant encore accélérée par la mobilisation de plus de 100 000 soldats : plus de 20 000
personnes, dont 3 000 dans l'armée, seront victimes de la maladie20.
Les trois jours de grève générale ont plusieurs conséquences sur le plan juridique, avec le
condamnation de plusieurs personnalités impliquées, sur le plan politique avec un changement
de perception et un durcissement de la droite, et enfin sur le plan social avec l'acceptation de
certaines des revendications.
Sur le plan juridique, 146 personnes sont condamnées à des peines allant de la prison ferme
pour quatre des membres du Comité d'Olten — Robert Grimm, Friedrich Schneider, Fritz
Platten ainsi qu'Ernst Nobs — à des amendes pour des cheminots ; ces peines sont prononcées
par la justice militaire, principalement lors du procès qui a lieu du 12 mars au 9 avril 191918.
Sur le plan politique, le grève est présentée comme une tentative révolutionnaire par le
mouvement anticommuniste, permettant ainsi à l'aile dure de la droite bourgeoise de se
167
renforcer, en particulier avec la création de la Fédération patriotique suisse au détriment des
réformistes radicaux. Ce n'est qu'une cinquantaine d'années après les évènements que des
travaux historiques dénigreront la théorie de l'intention révolutionnaire du Comité d'Olten et
son supposé soutien de la part de l'Union soviétique21.
Sur le plan social enfin, quatre des neuf points présentés dans les revendications du Comité
d'Olten vont être appliqués dans les années suivantes. Le premier point, demandant l'élection
du Conseil national au scrutin proportionnel, avait déjà été accepté lors de la votation du 18
octobre 191822 ; la première application de cette décision a lieu en 1919 et voit une
progression du nombre de parlementaires de gauche. Toujours en 1919, la semaine de 48
heures est introduite « dans toutes les entreprises publiques ou privées », comme le demande
le point 4 des revendications. Les points 2 et 7, demandant respectivement le droit de vote et
d'éligibilité des femmes et la création d'une assurance-vieillesse et survivants ne seront mis en
place qu'en 1971 et 1947.
En plus de ces quatre points, les rapports entre syndicats et patronat évoluent, les premiers se
trouvent plus facilement impliqués dans les processus de décision des entreprises. Cependant,
malgré ces avancées sociales, la grève générale sera pendant longtemps considérée comme un
échec, à la suite de la capitulation des dirigeants du mouvement23.
L'histoire de la Suisse pendant la Première Guerre mondiale est un champ portant sur les
événements qui se sont déroulés au sein de la Confédération suisse, pays neutre mais ayant été
fortement influencé par les événements qui se déroulaient sur ses frontières, tant dans sa
politique intérieure que dans sa politique extérieure.
Sommaire
[masquer]
168
Formation de soldats sur l'utilisation de mitrailleuse, 1914-1918
En effet, les belligérants pourraient être tentés de passer par le territoire suisse et c'est ce que
le gouvernement de la Confédération veut éviter. C'est pourquoi, dès le 1er août 1914, le
Conseil fédéral déclare la mobilisation générale de l'armée : 218 000 hommes sont appelés à
défendre les frontières du pays contre toute intrusion étrangère. Le 3 août, l'Assemblée
fédérale accorde au Conseil fédéral les pleins pouvoirs étendus pendant la période de guerre et
le général Ulrich Wille est nommé Général de l'Armée suisse, grade ultime accordé seulement
en cas de guerre, et devient donc le commandant en chef suivant la loi qui veut qu'en temps de
guerre, le pouvoir militaire soit confié à un seul homme.
Le 4 août 1914, le Conseil fédéral, dans une « déclaration de neutralité », avertit les
gouvernements étrangers que la mobilisation de son armée vise uniquement à la sauvegarde
de la neutralité du pays et à l'inviolabilité du territoire : le Conseil déclarera la guerre à tout
belligérant qui violerait le territoire suisse.
La mission donnée à l'Armée suisse est donc d'occuper les frontières pour boucher le vide
stratégique qu'elles constituent sur un front qui s'étend de la Manche à l'Adriatique. Pour cela,
169
les fortifications sont renforcées autour du pays[pas clair], particulièrement dans le Jura qui
apparaît comme une zone sensible entre les lignes françaises et allemandes.
Pendant la guerre, l'Armée suisse assure ainsi la garde du pays sachant que, quand les
combats s'éloignent des frontières, certaines troupes sont mises en congé. En tout, jusqu'à la
démobilisation qui commence à l'été 1918, chaque soldat passe 400 à 600 jours de service
actif. Les pertes de salaire sont compensées par des indemnités et l'assurance militaire ainsi
que par un appel au don national. Cependant, ce service n'est pas sans provoquer des
mécontentements chez les soldats, notamment face à l'exercice prussien que le général Wille
décide de développer pour préparer des hommes qu'il ne juge pas capables, au début de la
guerre, d'aller au combat. La multiplication des exercices abrutissants amène une profonde
mauvaise humeur chez des hommes qui ne sont pas des militaires de carrière.
Pour se protéger des mécontentements, dès le 10 août 1914, le Conseil fédéral met en place un
service de censure qui interdit toute critique contre le commandement sous peine de sanction.
Ce service est d'ailleurs tout de suite au cœur de l'opposition entre Romands et Alémaniques
car des sanctions disproportionnées sont prises contre des journaux de langue française
critiquant l'État-major helvétique.
La Suisse prend donc des mesures exceptionnelles dès le début de la guerre pour se protéger,
ce qui se traduit surtout par la garde des frontières. Dans ces décisions, elle affirme sa
neutralité mais, déjà, on voit qu'un malaise existe entre romands et alémaniques et qu'il
revient régulièrement à la surface pour mettre en évidence les problèmes de la Confédération
suisse pour gérer cette neutralité.
En effet, les Empires centraux jouissent d'un courant d'opinion favorable dans les cantons
alémaniques. Pour exemple, l'Empereur Guillaume II a connu un accueil triomphal lors de sa
visite d'état en septembre 1912. Dans les cantons frontaliers, la présence allemande beaucoup
plus importante que celle des Français en Suisse romande (220 000 Allemands contre 68 000
Français pour une population totale de 3,5 millions d'habitants) illustre les liens étroits qui
unissent l'Empire allemand à la partie alémanique de la Suisse. Ces liens sont aussi bien
économiques et commerciaux que financiers, culturels et politiques. Pour preuve, de
nombreux hommes politiques ont fait tout ou partie de leurs études dans les grandes
universités allemandes. Cette influence ne correspond en rien à celle que peut exercer la
France dans la partie francophone de la Confédération car les crises de la IIIe République ont
nui à sa crédibilité.
Dans cette situation, certains Romands craignent une germanisation de la Suisse alémanique.
De plus, très vite, la violation de la neutralité belge dresse l'opinion francophone contre
l'Allemagne, provoque colère et amertume contre les autorités fédérales silencieuses face aux
exactions allemandes en Belgique et au Luxembourg. Dès lors, se développe une unanimité
des Romands dans le sentiment de solidarité avec la cause des victimes de l'impérialisme
allemand. Une certaine « ententophilie » apparaît avec des drapeaux français et britannique
170
dans les vitrines des magasins, des Marseillaise qui éclatent spontanément sur les terrasses
des cafés, la publication dans la Tribune de Genève de listes de personnes condamnant les
débordements allemands.
À l'automne 1914, un fossé bien réel existe entre les 2 grandes familles linguistiques,
entretenu par une presse qui tend volontiers à prendre parti pour un camp contre l'autre. Cela
contribue à entretenir un climat de méfiance, les rumeurs sur la violence et la perversion des
soldats ennemis venant interférer avec les informations ordinaires et concourir à la confusion
et l'énervement des esprits.
Le gouvernement comprend rapidement les risques d'une telle dispute et lance un appel à la
modération le 1er octobre 1914, imité en cela par les intellectuels suisses qui proposent un
rassemblement des énergies. Dans cet optique, le poète Carl Spitteler, futur prix Nobel de
littérature en 1919, exhorte à une meilleure entente entre ses concitoyens le 14 décembre
1914.
Malgré cela, les maladresses du Conseil fédéral et du Haut commandement ne vont pas dans
le sens d'un plus grand calme entre les différentes communautés. En effet, la caste militaire de
l'État major est acquise à l'Allemagne et à l'Autriche : les officiers ne font lire à leurs unités
que les communiqués victorieux des puissances centrales et, en 1916, Wille et son chef d'État
major Théophil Sprecher von Bernegg couvrent deux officiers alémaniques, les colonels Egli
et Watenwyll, convaincus de fournir des renseignements aux Empires centraux. Ils n'auront
qu'une peine disciplinaire : mise en congé avec demie solde.
Les proches de la France et du Royaume-Uni ne sont pas en reste : à l'automne 1917, ils
organisent le remplacement du général Wille au motif que celui-ci serait sénile. Cette cabale
est un échec mais illustre les luttes d'influence aux sommets du commandement militaire. Au
niveau politique, au même moment, c'est le conseiller fédéral Hoffmann qui doit démissionner
pour avoir transmis des propositions de paix séparée de l'Allemagne à la Russie.
S'il s'appuie sur des faits bien réels, ce discours sur un fossé entre Alémaniques et Romands
est accentué par la mauvaise foi et les illusions. Les Alémaniques n'ont pas approuvé sans
réserve la violation de la neutralité belge et la cause allemande est loin de n'avoir que des
partisans, certains secteurs de l'opinion publique alémanique se rabattant sur une notion stricte
de la neutralité. En fait, l'image d'une Suisse alémanique germanophile est aussi alimentée par
la rumeur car, en réalité, les mentalités évoluent au fil des événements : en 1916, l'Allemagne
jouit d'un crédit nettement moins important qu'en 1914 et, de toute façon, l'admiration pour
171
l'Allemagne a toujours été relativisée par le sentiment d'identité suisse. D'ailleurs, la Suisse
romande semble avoir été beaucoup plus unie dans ses affinités d'« ententophilie. »
Le fossé entre les communautés, si réel qu'il soit, semble donc avoir été largement entretenu
par les fantasmes et n'a jamais véritablement remis en cause la neutralité suisse et l'unité de la
Confédération. Certains ont bien évoqué une possible entrée en guerre aux côtés d'un des
belligérants mais ce n'étaient que des propositions individuelles auxquelles la population n'a
jamais véritablement adhéré.
Avec la guerre, les frontières européennes sont fermées, ce qui pose le problèmes des
« réfugiés civils », les personnes résidant hors de leur pays dans un pays en guerre avec le
leur, donc retenus de force. Le 22 septembre 1914, le Conseil fédéral crée un bureau de
rapatriement des internés civils qui a pour but d'aider à leur rapatriement dans leur pays
d'origine quand il s'agit d'États voisins de la Suisse. Sont concernés par cette action les
hommes qui n'ont pas encore 17 ans en septembre 1914 et ceux de plus de 60 ans ainsi que les
femmes de tout âge. Le 9 mars 1915, tout est terminé, 10 845 Français, 7 650 Allemands et
1 980 Autrichiens ont été rapatriés. En février 1915, le gouvernement suisse permet aux
femmes et aux enfants fuyant les combats de l'Est de la France, de passer par son territoire
pour gagner le Sud. Au même moment, le Conseil fédéral et la Papauté négocient auprès des
172
belligérants la possibilité pour la Croix-Rouge de rapatrier par la Suisse des convois de
blessés. Ainsi, pendant toute la guerre, les convois de blessés des deux camps vont se
succéder en Suisse pour permettre le rapatriement chez eux des soldats mutilés par les
combats.
L'aide humanitaire suisse est donc à destination des deux camps : à partir de 1916, des
médecins suisses ramènent de France et d'Allemagne les prisonniers les plus malades et les
plus faibles pour les interner en Suisse dans de meilleures conditions, dans des hôtels
reconvertis en hôpitaux plutôt que dans des camps surchargés où les conditions d'hygiènes
sont exécrables. Le pays se mobilise donc pour se servir de son statut de neutralité pour
multiplier les actions humanitaires : en 1916, le gouvernement organise le départ de convois
de vivres, essentiellement de blé, et de vêtements à destination de la Serbie ruinée par la
guerre.
Cette aide est aussi diplomatique puisque dans de nombreux pays, la Confédération est
chargée des intérêts des pays en guerre et des ressortissants étrangers. Ainsi, elle est chargée
des intérêts allemands en Italie et réciproquement, des intérêts italiens et français en Autriche,
des intérêts allemands en France, Angleterre, Amérique et Japon, de la protection des
Allemands de Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Zélande, Samoa, Mozambique, Tunisie…
Le résultat de cette politique de neutralité mise au service de l'aide humanitaire, c'est que, lors
du traité de Versailles, la Suisse obtiendra de la France que soit inscrite la neutralité
perpétuelle de la Confédération en échange de l'abandon du droit qu'elle avait, depuis le traité
de Paris (1815), d'occuper le nord de la Savoie en cas de guerre entre ses voisins. Cette
neutralité sort donc renforcée de la guerre.
11. L'entre-deux-guerres
173
des Finances Edmund Schulthessnhss 7. Dans le même temps, la branche la plus à droite du Parti
radical quitte le parti pour former le Parti des paysans, artisans et bourgeois, qui, soixante ans
plus tard, formera la base de l'Union démocratique du centre ; ce nouveau parti obtient à son
tour, le 12 décembre 1929, un siège au Conseil fédéral en la personne de Rudolf Mingerbouquet 2.
Lors des élections de 1919, les socialistes font partie des grands gagnants en remportant 22
sièges, passant ainsi de 19 à 41 représentantsandrey 3. Malgré cette victoire, les dissensions au
sein du parti sont nombreuses ; elle aboutissent le 6 mars 1921 à la scission d'une partie de la
gauche du parti qui fonde, avec le mouvement des « vieux communistes », le Parti
communiste suisse qui adhère à l'Internationale communiste et reprend les thèses
bolchéviques24.
À l'autre bout de l'échiquier politique, dans la période qui suit immédiatement la Première
Guerre mondiale, plusieurs milices bourgeoises se constituent et se regroupent pour la plupart
au sein de la Fédération patriotique suisse, mais également dans des formations plus réduites,
telles que « Ordre et tradition », créée à Lausanne en 1919, ou l'« Alliance suisse » créée en
1921. À l'orée des années 1930, ces différents groupes vont donner naissance à différents
« fronts » d'extrême droite, dont les principaux représentants seront l'Union nationale à
Genève et le Front national à Zurichnhss 8.
De fait, les différentes organisations d'extrême droite n'obtiennent que peu de résultats au
niveau électoral, malgré une montée en puissance à partir de 1933. Dès 1935 en effet, les
mouvements s'essoufflent pour plusieurs raisons, parmi lesquelles la multiplicité des groupes,
174
la rivalité de leurs responsables ainsi que la nature fédéraliste du pays. Plusieurs
sympathisants rejoindront les partis bourgeois dès 1936, ne laissant que quelques formations
marginales occuper le terrain, dont l'Alliance des Indépendants fondée par Gottlieb Duttweiler
cette année-là. Les victoires nazies dans l'Europe de 1940 leur permettront toutefois de
ressusciter jusqu'à la fin de la guerre et la victoire des démocratesnhss 9.
Pendant la période allant de 1919 à 1939, plusieurs initiatives populaires sont refusées en
votation : il s'agit en particulier des deux « Lex Häberlin », du nom du conseiller fédéral
Heinrich Häberlin, qui veulent respectivement renforcer le Code pénal en punissant les délits
contre l'ordre public (rejetée par 55,4 % des votants le 24 septembre 192226) et mieux protéger
l'ordre public menacé par les mouvements d'extrême gauche et par les frontistes (rejetée par
53,8 % des votants le 11 mars 193427). Une autre initiative, lancée conjointement par l'extrême
droite et par le mouvement corporatiste et présentée comme une révision de la constitution,
vise en fait à remplacer la démocratie libérale par un régime corporatiste antidémocratiqueandrey
4
; elle est rejetée par 72,3 % des votants avec un taux de participation de plus de 60 %28. De
son côté, le Conseil fédéral fait, tout au long des années 1930, qualifier d'urgent ses arrêtés
potentiellement controversés ; cette manœuvre permet aux textes d'échapper au référendum
selon l'article 89 de la Constitution fédéralenhss 10 et sera combattue par plusieurs initiatives
populaires dont l'initiative populaire « Retour à la démocratie directe », acceptée par le peuple
le 11 septembre 1949.
En politique étrangère suisse, la période qui s'étend entre les deux guerres mondiales est
parfois appelée « ère Motta » en référence au conseiller fédéral Giuseppe Motta qui est, de
1920 à sa mort en 1940, le chef du Département fédéral des affaires étrangères (alors appelé
« Département politique »)29. Pendant cette période, l'activité du pays dans ce domaine est
centrée sur la question de l'adhésion à la Société des Nations ainsi qu'à ses rapports
diplomatiques avec l'Allemagne, l'Italie et l'Union soviétique.
Si la proposition américaine de créer une Société des Nations est acceptée lors de la
Conférence de Paris, c'est le 28 avril 1919 qu'est signé le pacte qui officialise la ville de
Genève comme siège de l'organisation30, suivant en cela une proposition faite par une
délégation conduite par le conseiller fédéral Felix-Louis Calonder en mars 1919andrey 5. La
question suivante est celle de l'adhésion du pays à cette organisation ; un message dans ce
sens, envoyé par le Conseil fédéral le 4 août 1919 et approuvé par l'Assemblée fédérale le 21
novembre 1919, s'inquiète de savoir si une adhésion est compatible avec le principe de
175
neutralité. Cette inquiétude est levée par la publication de la déclaration de Londres du 13
février 1920 qui octroie à la Suisse un statut de « neutralité différentielle », par opposition à la
« neutralité intégrale », lui permettant de n'appliquer que d'éventuelles sanctions économiques
et non militaires13. C'est finalement le peuple suisse qui se prononce et accepte l'adhésion du
pays à la Société des Nations le 16 mai 1920 par 56,3 % des votants et 10 cantons et trois
demi-cantons31, permettant ainsi à Guiseppe Motta d'ouvrir la première assemblée générale de
l'organisation le 15 novembre 1920.
L'une des questions clé de cette période concerne la reconnaissance de l'Union soviétique. Si
un accord est bien signé entre les deux pays en 1927 à Berlin, la population suisse, et
principalement suisse romande, reste fortement opposée à tout rapprochement ; cette pression
de l'opinion publique va pousser le Conseil fédéral à se prononcer contre l'adhésion de l'Union
soviétique à la Société des Nations en 1934. À l'inverse, les relations avec l'Italie et
l'Allemagne sont cordiales ; la Suisse ne participe par exemple que symboliquement aux
sanctions prises par la Société des Nations contre l'Italie lors de la seconde guerre italo-
éthiopienne et est le premier pays neutre à reconnaître, en décembre 1936, l'Empire colonial
italien en Afrique. De même, les relations avec le Troisième Reich, principal partenaire
commercial de la Suisse, sont bonnes : le conseiller fédéral Edmund Schulthess rencontre par
exemple le chancelier Adolf Hitler le 23 février 1937, ce dernier confirmant alors la neutralité
de la Suisse lorsque le ministre lui souligne certaines convergences, telles que
176
l'anticommunisme, entre les deux paysnhss 11. Deux ans plus tôt la diplomatie suisse était
parvenue à faire libérer le journaliste Berthold Jacob enlevé à Bâle par la Gestapo32.
Dès le 26 mars 1934, le Conseil fédéral, sur demande du nouveau gouvernement allemand,
restreint la liberté de la presse avant d'en confier le contrôle complet à l'armée lors de la
déclaration de guerre en 1939, puis de le reprendre le 1er février 1942. Pendant cette période,
bien que la censure ne soit pas totale, elle provoque, par les contrôles et les sanctions liées,
une modération de la presse d'opinionnhss 12.
La période entre les deux guerres mondiales est marquée par plusieurs crises économiques,
vécues et traitées différemment en Suisse selon les périodes. La première de ces crises a lieu
entre 1921 et 1922, lorsque plus de 130 000 personnes se retrouvent au chômageandrey 7. Pour
combattre cette crise, le conseiller fédéral Edmund Schulthess propose de rallonger la semaine
de travail à 54 heures contre les 48 heures en vigueur depuis le 22 juin 1919 ; cette loi,
baptisée « lex Schulthess », est rejetée par 57,6 % des votants le 17 février 192433. La même
année, l'Assemblée fédérale accepte une loi créant une assurance chômage optionnelle dont
les primes sont réglées pour moitié par les salariés et pour moitié par les employeurs.
177
Pendant les années 1920, la Suisse a adhéré et est restée fidèle au système monétaire de
l'étalon-or, même après que la plupart des pays industrialisés y ont renoncé à la suite de la
crise économique mondiale. En conséquence, le volume et la valeur des exportations chutent
de moitié au début des années 1930 sans provoquer de réaction politique importante dans la
première moitié de la décennie, les autorités privilégiant l'importance de la place financière
ainsi que les théories en faveur d'une monnaie nationale forte. Ce n'est qu'en septembre 1936
que le franc suisse est dévalué de 30 %nhss 13.
Le krach boursier de New York qui survient entre le 24 et le 29 octobre 1929 affecte
également la Suisse, mais avec plusieurs années de retard. Si l'industrie d'exportation est
touchée rapidement à la suite des mesures protectionnistes prises par les pays voisins, la
conjoncture reste positive dans le pays, grâce en particulier à la construction et aux grands
travaux de génie civil, avant de s'effondrer en 1931 pour atteindre son plus bas l'année
suivante et de se prolonger jusqu'en 1936 ; les secteurs les plus touchés sont l'industrie textile
(qui ne s'en relèvera pas), la banque et le tourisme34. En 1934 la loi sur les banques est
adoptée. Outre des exigences plus sévères visant à protéger les épargnants, elle instaure le
secret bancaire qui restera un sujet polémique jusqu'à aujourd'hui.
Dès juin 1936 et l'approbation par l'Assemblée fédérale d'un programme d'armement
extraordinaire d'un montant de 235 millions de francs couvert par un emprunt rémunéré à
3 %35, la conjoncture repart à la hausse, favorisant la multiplication des contacts entre les
patrons et les syndicats qui signent, dans différentes branches, des conventions collectives.
Celles-ci vont préparer la voie à la signature, le 19 juillet 1937, de la « Paix du travail » entre
quatre syndicats ouvriers et deux associations patronales qui prévoit « d'élucider
réciproquement, selon les règles de la bonne foi, les principaux différends et conflits
éventuels, de chercher à résoudre ces derniers sur la base des dispositions de la présente
convention et d'observer pendant toute sa durée une paix intégrale »36 et qui interdit
explicitement la grève et le lock-out. Cette paix du travail, qui ne concerne tout d'abord que la
branche métallurgique de l'industrie de l'horlogerie, va progressivement s'étendre sur le même
modèle à toutes les branches de l'économie et va inclure l'État qui devient le garant de la
bonne application des décisionsandrey 8.
178
Néanmoins, les événements européens de l'époque, particulièrement la menace perçue par la
Suisse devant la montée du national-socialisme et du fascisme des pays voisins, allaient
bientôt permettre un changement de virage opéré entre autres par la politique et les idées de
Rudolf Minger, conseiller fédéral et fin orateur. Grâce au ralliement progressif du Parti
socialiste au programme de défense nationale, les chambres fédérales allaient ainsi pouvoir
accorder une succession de crédits à l'armée, lui octroyant au total un budget de près de 800
millions de francs entre 1935 et 1939. Si ce changement de virage allait faire tomber la
tension politique intérieure et permettre une relance économique largement provoquée par
l'industrie militaire, permettant au pays d'opérer sur des bases plus fermesnhss 1, il n'en fut pas
moins que l'armée allait également connaître une profonde mutation aussi bien sur le plan
matériel qu'opérationnel.
Sur le plan matériel, l'armée se dota d'une nouvelle aviation comprenant une série de
Dewoitine D-27 et de Fokker C.V et l'infanterie de différentes armes lourdes, comme
le lance-mines de 8,1 cm et le canon d'infanterie de 4,5 cm destiné à lutter contre les
chars. De son côté, l'artillerie se modernisa en remplaçant les canons de montagne
1906 par des canons Bofors 10,5 cm et 12 cm et 24 blindés « Praga » de Škoda furent
achetés. En 1939, l'armée consolide son aviation et acquiert alors une série de 89
chasseurs Messerschmitt Me-109 E-3 « Emil » puis dès 1940 une série de 74 D-3800
Morane-Saulnier. Néanmoins, privée d’une part importante des moyens qu’elle avait
commandé en raison de retards de livraison ou d’achats trop tardifs, la troupe
d’aviation suisse, à la veille du conflit, ne disposait que de 86 chasseurs et 121
appareils de reconnaissance et d’appui aérien (56 Dewoitine D-27, 28 Me 109E et 10
Me 109D, 60 Fokker CV et 78 K+W C-35)1.
Sur le plan opérationnel, le bureau des fortifications, qui avait été dissous en 1921, est
réactivé dès 1935 et lance dès l'année suivante plusieurs travaux de réalisation de
fortins et de renforcements de terrain dans le nord du paysrapin 1.
En parallèle, une nouvelle loi fédérale augmente la durée de l'école de recrues de 67 à 90 jours
en 1935 puis à 118 en 19392. En 1938 la structure de l'armée fut modifiée et se composa
désormais de trois corps, avec neuf divisions, dont trois de montagne plus trois brigades de
montagne. On instaura également des troupes de couverture frontière ainsi qu'une troupe
permanente de professionnels disposant d'une escadrille de surveillance. Finalement dès le 30
août 1939 le rétablissement des pleins pouvoirs fut accordés au Conseil fédéral.
Finalement, en raison des préoccupations militaires devant la montée en puissance des pays
fascistes, l'Armée suisse pouvait, à la veille de la guerre, faire figure honorable dans différents
domaines, notamment celui de l'aviation. Néanmoins, beaucoup lui manquait encore,
particulièrement les moyens de transmission et de guidage, des chasseurs de nuit, des
projecteurs, la quasi-inexistence de blindés, le pays ne possédant alors que trente chars.
Cette période de près de huit mois, où la France et l'Allemagne s'observent mutuellement, sera
bénéfique à la Suisse, lui permettant notamment de pousser l'entraînement des hommes, la
formation des officiers et d'accélérer la production du matériel, bien que celui-ci ne parvînt
aux troupes que plus tard, après la victoire allemande en Francefalg 2. Ce sera finalement dans le
domaine de la fortification de campagne que la progression durant cette période sera la plus
significative. Si en juin 1939, 132 ouvrages d'infanterie étaient terminés, on en dénombra 207
en octobre 1939 puis 249 en mai 1940. Parallèlement 1150 ouvrages allaient être minés, le
tout étant destiné à couvrir, pendant 4 à 6 jours, une éventuelle mobilisation des troupesfalg 3.
Un autre fait notable de cette période concerne les négociations entreprises par la Suisse pour
définir une coopération militaire avec la France et la Grande-Bretagne dans le cas où le
Troisième Reich attaquerait la Suisse. Si des contacts avaient déjà été entrepris avant la
guerre, ils ne se sont qu'intensifiés durant cette période critique. Ainsi, le chef de l'état-major
du Général, le major EMG Barbey, fit plusieurs voyages en France pour y rencontrer son
homologue, le lieutenant-colonel Garteiser, qui à son tour se rendit en Suisse en novembre
1939 afin d'inspecter la zone prévue pour la jonction des deux arméesfalg 4. Si un plan
stratégique semble avoir été établi, il tombera par la suite entre les mains allemandes lors de la
débâcle française de 1940 et sera par la suite utilisé par ces derniers comme moyen de
pressionbouquet 1.
180
Colonel Commandant de Corps
1er corps d'armée Ouest et Sud-Ouest
Lardelli
1re Division Colonel-divisionnaire Combe Vaud
2e Division Colonel-divisionnaire Borel Bieler und Neuenburger Jura
Colonel-divisionnaire von
3e Division Bern / Murten
Graffenried
8e Division Colonel-divisionnaire Gübel Wiggertal
9e Division Colonel-divisionnaire Tissot Gotthard
1re Leichte Brigade Oberst Charrière Morges Jura
2e Leichte Brigade Oberst Koller Freibergen
unterer Lauf der Rhone und
10e Gebirgsbrigade Oberstbrigadier Schwarz
Dranses
11e Gebirgsbrigade Oberstbrigadier Bühler Simplon (oberes Rhonetal)
181
La Suisse est presque totalement encerclée après l'armistice franco-allemand de 1940.
Lorsque la drôle de guerre s'achève le 10 mai 1940 pour laisser place à la bataille de France,
avec l'invasion allemande des Pays-Bas, du Luxembourg et de la Belgique, une seconde
mobilisation générale, appelant 700 000 hommes sous les armes dont 450 000 troupes
combattantes, est ordonnée le lendemain du 11 mai pour protéger la région du Jura entre
Genève et Bâlefalg 5. Dans la soirée du 11, des bruits, répandus par les civils mais également par
quelques militaires de haut rang firent état d'une attaque imminente, portant sur le pays un
effet de panique. En réalité, les Allemands avaient décidé, avant d'attaquer à l'ouest, de mettre
sur pied une manœuvre d'intoxication destinée à faire croire à l'état-major français qu'ils
porteraient leur effort sur la Suisse espérant créer une brèche au travers de la ligne Maginotfalg
6
.
À la suite de la percée allemande, 43 000 hommes du 45e corps français (29 700 Français
ainsi que 12 000 Polonais de détachements belges et anglais) qui tenaient la place de Belfort
seront acculés contre la frontière suisse puis internés le 19 juin avant d'être rapatriés en
janvier 19414. Après l'entrée en guerre de l’Italie contre la France et la Grande-Bretagne le 10
juin 1940 et l'armistice signé par la France le 22 juin 1940, la Suisse se retrouve cernée par les
forces de l'Axe conduisant le moral des troupes et de la population au plus bas.
Si l'arrivée des Allemands à la frontière ne donna lieu à aucun incident, il n'en fut de même
dans l'espace aérien. Alors que la France était sous les feux allemands, l'Allemagne souhaite
profiter de la faiblesse de la défense anti-aérienne et de la chasse française de Lyon et Saint-
Étienne en empruntant un couloir aérien au travers de la Suisse. Les engagements allemands
dans cette optique amèneront à de véritables conflits aériens avec les aviateurs suisses, en
dépit de l'interdiction faite par Berlin, dont le 4 juin marquera l'apogée des affrontements falg 7.
À cette date, Goering souhaitant donner une correction à la Suisse, engagea une trentaine de
Me 110 qui entrèrent en conflit avec des Me 109E suisses au-dessus de La Chaux-de-Fonds.
Face à la détermination des pilotes suisses, pourtant en infériorité numérique, les Allemands
abandonnèrent l'engagement après avoir essuyé plusieurs pertes. De retour à Berlin, la
nouvelle parvint jusqu'à Hitler qui mit alors sous pression le gouvernement helvétique, face à
une éventuelle invasion du pays5.
182
Borne frontière érigée pendant la Seconde Guerre mondiale au centre exact du pays
Face aux menaces de Berlin sur la violation de l'espace aérien suisse par la Luftwaffe, le
général Guisan ordonna le 20 juin la cessation des combats aériens dans tout l'espace aérien
suisse. La tension diplomatique entre les deux pays allait néanmoins conduire à des prises de
position rigoureuses. Du côté allemand, plusieurs plans d'invasion de la Suisse sont mis sur
pied à l'état-major, notamment l'opération Tannenbaum mais dont la mise en œuvre ne fut
jamais réellement envisagée. Du côté Suisse, on se rendit compte qu'il devint urgent de
développer une politique de défense et d'autosuffisance envers le danger principal que
représentait alors l'Allemagne.
À partir de septembre 1940, des Gardes locales (GL) sont incorporées dans les
complémentaires de l'armée. Celles-ci avaient pour mission de rassurer la population de
l'arrière pays, face à la menace de sabotages, des parachutistes ou d'éventuels détachements
motorisés qui auraient percé le front. Si l'obligation de servir dans la GL cessait à 60 ans,
beaucoup restaient néanmoins par la suite comme volontaires, remontant ainsi le moral des
troupes aux frontières. Son effectif atteignit 127 563 hommes en 1941 puis se stabilisa aux
alentours de 115 000mob 2.
Le 12 juillet 1940, le général Guisan écrit au chef du Département militaire fédéral pour lui
faire part de ses décisions devant la situation6 : il préconise un échelonnement de la protection
en profondeur, basé sur trois niveaux de protection principaux ; le premier niveau consiste à
maintenir des troupes aux frontières, le second niveau à barrer les axes de pénétration du pays
alors que le dernier niveau, celui des troupes de position dans les Alpes, doit tenir « sans
esprit de recul ». Il réintroduit là l'idée de réduit nationalrapin 2, qu'il présente en particulier à ses
officiers supérieurs réunis le 25 juillet 1940 lors du rapport du Grütli. Dès le début du mois
d'août, un tournus (système de rotation, en Français de Suisse) est mis en place entre les
troupes assurant une mobilisation de 120 000 hommes7.
183
Le réduit national est centré sur le massif du Saint-Gothard contrôlant les cols ouvrant le
passage entre le nord et le sud des Alpes. Il s'articule autour de trois éléments essentiels, à
savoir les fortifications présentes dans le massif du Saint-Gothard, les forts de Saint-Maurice
donnant accès à l'Italie par les cols du Grand-Saint-Bernard et du Simplon, et les fortifications
de Sargans protégeant la route vers le massif du Saint-Gothard par la vallée du Rhin. Les
différents accès au réduit national sont aussi protégés : le lac de Thoune, le lac des Quatre
Cantons, le Jaunpass et le Pays-d'Enhaut au nord, le lac Majeur et Bellinzone au sud et les
cols de la Furka et de Oberalp pour l'axe ouest-estrapin 3.
Au sujet du rôle joué par ces fortifications pendant la guerre, le chef de l'état-major général
écrit dans un rapport daté de 1945 : « Je suis persuadé qu'à partir de 1943, nos fortifications
jouèrent dans les plans allemands un rôle appréciable et il est vraisemblable qu'elles ont
contribué dans une certaine mesure à écarter une attaque de la Suisse ». Si le plan d'attaque
conjoint de l'Allemagne et de l'Italie, baptisé « opération Tannenbaum », ne semble jamais
avoir été envisagé très sérieusement par les autorités allemandesnhss 3, Klaus Urner et Georges-
André Chevallaz évoquent de réels projets allemands relatifs à une attaque de la Suisse. Klaus
Urner cite un document allemand d'août 1940, précisant les difficultés d'une attaque liées au
relief et aux fortifications des Alpes, alors que Georges-André Chevallaz fait mention d'un
document allemand datant de mai 1941, parlant des « directives de l'État-major (allemand)
pour les opérations contre la Suisse »rapin 4.
La libération progressive des territoires contrôlés par le IIIe Reich, de 1943 à 1945.
Alors que l'Allemagne essuie sa première défaite à Stalingrad en 1943, la probabilité d'un
débarquement des Alliés en Italie se fait de plus en plus sentir. À cet effet, le
Standartenführer (colonel) SS Schellenberg, obtient le 3 mars 1943 une entrevue secrète avec
le général Guisan, dans une auberge de Bingen. L'objectif de cette rencontre visait à obtenir
du général l'assurance que si les Alliés, qui allaient probablement débarquer en Italie,
tentaient de monter une opération à travers la Suisse, celle-ci s'y opposerait alors
farouchement. La lettre manuscrite appuyant cet accord fut transmise au général SS le week-
end du 6-7 mars à Arosafalg 8.
184
évidence l'importance stratégique de la situation de la Suisse face à un débarquement allié
imminent en Italie.
Face à la situation, le conseil fédéral accepta en août 1944 de mettre sur pieds trois divisions
et trois brigades légères ainsi qu'une quatrième et une cinquième division dès le mois de
septembre, mobilisant ainsi l'ensemble des troupes frontières et forçant plusieurs contingents à
sortir du réduit en prévision des conflits inévitables qui allaient se produire à la frontière.
Bientôt les Alliés arrivèrent au nord du Jura pour atteindre le Rhin le 20 novembre 1944 et
s'emparer de Huningue quinze jours plus tard. Si les Allemands lancèrent une offensive
surprise dans les Ardennes en décembre, les unités de la Wehrmacht et de la SS furent
néanmoins contenues et repoussées par les Anglo-Américains, avant que ceux-ci effectuent la
traversée du Rhin. Au sud du pays, les premiers chars américains venant de Domodossola
arrivèrent à la frontière le 28 avril 1945, quelques jours seulement avant que le Reich ne
capitule le 7 maifalg 10.
Dès le début de la guerre, l'économie de la Suisse s'aligne sur ses deux voisins de l'Axe qui
absorbent les deux-tiers de son commerce extérieur, alors qu'un dixième seulement de ses
échanges sont réalisés avec les Alliés et le reste avec les pays neutres. Plus significatif encore,
84 % des exportations d'armes et de munitions depuis la Suisse le sont en direction de l'Axe,
contre 8 % seulement pour les Alliés10.
Les relations diplomatiques entre la Suisse et l'Allemagne sont souvent entachées de points de
frottement pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, en particulier à la suite de la
185
décision prise dès septembre 1939 de ne pas reconnaître les nouveaux États ou régimes tout
en conservant des relations diplomatiques avec ceux existants avant le début du conflit, tels
que la Pologne, la Belgique et la Yougoslavie11.
À la mort de Giuseppe Motta en janvier 1940, c'est le Vaudois Marcel Pilet-Golaz qui lui
succède à la tête du Département politique, l'année même où il exerce la présidence de la
Confédération. Il prononce, le 25 juin 1940, un discours radiophonique controversé dans
lequel il préconise une nécessaire « adaptation » à la situation nouvelle et admet la fin de la
guerre12. Dans le même temps où il accorde un entretien privé aux responsables du
Mouvement national, il ne remercie pas les militaires et l'Armée suisse pour leur travail et ne
prononce pas les termes de démocratie ou de neutralité13.
C'est principalement sur le plan de la politique monétaire que les relations entre la Suisse et
l'Axe vont se développer et irriter les Alliés.
Avant la guerre, le franc suisse fait partie, avec le dollar américain, la livre sterling anglaise et
l'or, des moyens de payements internationaux. Dès 1941, le franc suisse se retrouve comme
seule monnaie stable non belligérante ; de plus, le gouvernement n'introduit pas de contrôle
des changes et oblige la Banque nationale suisse à maintenir le franc à un niveau constant par
rapport à l'or et aux principales monnaies.
L'Allemagne va ainsi acquérir, entre 1940 et 1945, du franc suisse auprès de la banque
nationale en contrepartie de plus de 1,2 milliard en or, en provenance des réserves allemandes,
mais également de l'or cédé dès 1940 par la Banque de Hollande et la Banque de Belgique à la
Reichsbank sous la pression des forces occupantes15. À cet effet l'histoire de l'or de la banque
nationale belge est édifiante et bien sombre.
En 1939, la Banque de Belgique confie une partie de sa réserve d'or à la Banque de France, lui
demandant de la mettre en sûreté. Durant la bataille de France, fin mai 1940, la Belgique
demande à la France de transférer son or à Bordeaux puis à Londres sur un croiseur
britannique. La France transfère cet or sur un bateau français à destination de Dakar! Le 29
octobre 1940, la Banque de France s'engage à restituer cet or à la Belgique, mais le
gouvernement collaborationniste de Pierre Laval l'envoie à Berlin qui le réquisitionne. La
Reichsbank transfère ainsi aux banques Suisses l'or détourné, d'une valeur de 378,6 millions
de francs suisses, sans en connaître l'origine, qui reçoivent en plus un autre dépôt de 153
millions de francs suisses directement revendu à des tiers inconnus. En 1945, lorsque la
banque de France restituera à la Banque de Belgique l'équivalent de l'or confié et versé en
Suisse par le régime nazi, les banques helvétique déclareront ne disposer que de 160 millions
186
de francs suisses de la somme détournée, la différence ayant été revendue pour les besoins
d'opérations bancaires16.
Enfin, les autorités fédérales acceptent, sous la pression des négociateurs allemands, de
fournir des avances en matériel sous forme de crédit de compensation dont le montant va sans
cesse croissant tout au long de la guerre pour atteindre 119 millions de francs lors de l'année
1943 où la Suisse va progressivement réduire ses exportations vers l'Allemagne sous la
pression des Alliésnhss 4.
Une autre raison qui irritait les Alliés était le transit des trains de marchandises allemands à
destination de l'Italie à travers la Suisse.[réf. nécessaire]
Dès juillet 1940, d'anciens mouvements fascistes ressurgissent alors que de nouveaux se
créent comme la Ligue du Gothard fondée au mois de juin17 ; tous proposent différentes
révisions des institutions sur le modèle national-socialiste tout en préconisant un
rapprochement avec l'Allemagne. Le général Guisan lui-même va, le 9 novembre 1940,
proposer au gouvernement d'envoyer un émissaire à Berlin pour négocier. Devant les
réactions très critiques de la presse et des partis politiques, le Conseil fédéral réagit en
interdisant le Mouvement national suisse et le Parti communiste suisse et étend la peine de
187
mort, alors réservée au Code pénal militaire, au service actif : 17 personnes sur 33
condamnées sont ainsi exécutées pour trahisonnhss 5.
En 1943, les élections fédérales voient une forte progression des socialistes, alors figures de
l'opposition car ne faisant pas partie du gouvernement fédéral. La majorité de l'Assemblée
fédérale va élargir le système de concordance à la gauche en élisant en décembre Ernst Nobs
comme premier membre socialiste du Conseil fédéral. Également dans cet esprit d'« unité
nationale », un corps volontaire non-combattant de 20 000 femmes est mis sur pied dès février
1940 par les autorités fédérales qui donnent ainsi pour la première fois une charge officielle
aux femmes ; cette première reconnaissance d'une forme d'égalité va pousser les premiers
mouvements féministes à réclamer (sans succès) des droits politiques. Une première
proposition de loi échoue en décembre 1945 devant l'Assemblée fédéralenhss 6.
Sur le plan économique et social, les autorités veillent à ne pas répéter les erreurs de la
Première Guerre mondiale. Les bases juridiques de l'économie de guerre sont en place dès
1938bouquet 3 : le rationnement progressif des biens de consommation est mis en place en
septembre de la même année, couplé avec la constitution de stocks de céréales et l'invitation
faite aux citoyens de constituer des réserves pour deux mois18, un régime d'indemnité pour
perte de gain voit le jour en décembrenhss 7. Malgré des mesures visant à contrôler les prix, la
presse et les syndicats s'en prennent aux paysans qui sont accusés de s'enrichir grâce au
marché noir alors que, dès 1940, on assiste à une pénurie de main d'œuvre poussant certaines
femmes à travailler, en particulier dans l'agriculture19.
De toutes les initiatives prises par le gouvernement pour assurer une mobilisation économique
et psychologique de l'intérieur du pays, c'est certainement le plan Wahlen qui tient un rôle
primordialnhss 7 : du nom de l'agronome Friedrich Traugott Wahlen préposé à l'extension des
cultures, ce plan d'extension des cultures et d'augmentation de la production agricole devait
permettre au pays d'assurer son autarcie alimentaire durant la période de la guerre20 ; « On
désempierra, on assainit, on draina ; on rasa tous les boqueteaux, les buissons et les taillis,
quitte à priver le pays d'une grande partie de son charme » : les jardins potagers se multiplient
188
dans les banlieues alors que les parcs publics et les terrains de sport sont plantés de pommes
de terre18.
Bien que le plan ait permis d'augmenter la surface cultivée de 183 000 à 352 000 hectares, il
reste encore en deçà des 500 000 hectares initialement prévus. Le niveau d'auto-ravitaillement
du pays passe de 52 % au début de la guerre à 59 % en 194520. Le tournant de la guerre en
1942-1943 ravive les questions politiques et sociales, jusqu'alors mises en sommeil devant le
« totalitarisme helvétique », et relance le jeu politique : cinq initiatives populaires sont
déposées en 1942 et 1943 en Suisse21 : sur la protection de la famille (dont le contre-projet
proposé par le gouvernement est accepté par 76,3 % des votants le 25 novembre 194522), sur
l'assurance vieillesse (acceptée par plus de 80 % des votants le 6 juillet 194723), sur le droit au
travail (également acceptée le 8 décembre 194624), sur les droits du travail (rejetée le 18 mai
194725) et enfin sur la mise en place de mesures contre la spéculation.
Dès décembre 1942, le Parti socialiste suisse publie son nouveau programme, intitulé « La
Suisse nouvelle » et qui prône un régime d'économie mixte dans lequel les banques et les
grandes industries sont nationalisées tout en conservant les notions de propriété privée et
d'économie de marché. En réplique, le Parti radical présente son propre programme très
orienté sur les mesures sociales en avril 1943, alors que le Parti catholique-conservateur
préfère combattre directement les propositions socialistes jugées irréalistesnhss 8.
Même si la Suisse était officiellement neutre depuis 1848, elle a cependant été impliquée dans
quelques escarmouches et erreurs qui ont mené au décès de citoyens et soldats suisses.
Parmi ces incidents, on nommera les « erreurs » de Bâle, Courrendlin, Genève, Renens,
Schaffhouse et Zurich, ainsi que divers combats entre avions suisses et allemands.
Bien que ces faits soient pratiquement méconnus, la Suisse a été bombardée. Du côté sud de
la Suisse, à la suite d'une erreur de navigation lors de la nuit du 11 au 12 juin 1940, la gare de
Renens est bombardée par erreur par des bombardiers anglais de retour d'une mission sur les
usines Fiat de Turin. Ces mêmes bombardiers, toujours par erreur, largueront aussi quelques
bombes sur Genève en confondant Genève (Geneva) et Gênes (Genova)26. On fera alors état
de 2 morts et 8 blessés à Renens ainsi que 4 morts à Genève. Du côté nord, le sujet fait
toujours débat car on est incertain du niveau de préméditation des bombardements de Bâle,
Schaffhouse et Zurich. Certains pensent que c'étaient de parfaites erreurs, tandis que d'autres
estiment que ces attaques visaient à affaiblir les exportations de matériel vers l'Allemagne. On
rappellera cependant que, vers le début de la guerre, Churchill ironisait à propos du statut
neutre de la Suisse qu'il jugeait obsolète27. Du côté des Allemands, on constatera un
bombardement par erreur de Courrendlin, anciennement dans le canton de Berne (maintenant
dans le canton du Jura), par un avion allemand égaré. Puis on constatera plusieurs
accrochages entre appareils suisses et allemands lors de l'année 1940.
La commission s'est penchée sur l'attitude de la Suisse et de ses officiels pendant la Seconde
Guerre mondiale à propos des fonds en déshérence, des transactions d'or et de la provenance
de celui-ci, et enfin de la politique d'accueil ou de refoulement à l'égard des réfugiés qui ont
cherché à s'abriter en Suisse31 ; elle conclut en particulier que la politique des autorités suisses
avait contribué à la réalisation de l'Holocauste32. La publication de ce rapport, ainsi que le
travail de la commission, ont été vivement critiqués, en particulier par le mouvement
« histoire vécue », composé de personnes ayant vécu la guerre et qui dénonce l'« obsession de
la culpabilité et du soupçon » dont fait preuve la commission dans ses travaux33.
Comme effet secondaire des travaux de la commission et à la suite des recherches menées par
la commission Volker dont le rôle est d'identifier les comptes dormants34, les banques suisses
doivent conclure en 1998 un accord global avec les plaignants aux termes duquel elles payent
près de 1,25 milliard de dollars à titre de dédommagement pour rembourser les fonds juifs en
déshérencebouquet 5, alors que le rapport Volcker évalue après coup ces fonds à un peu moins de
270 millions de dollars sur un peu moins de de 54'000 comptes. Notons que sur les 1.25
milliards, seuls 150 millions furent distribués, le solde ayant été empochés par les
responsables du CJM et les divers consultants et avocats{{Référence nécessaire}}.
Le 10 février 2013, Serge Klarsfeld annonce que la Suisse aurait, d'après lui, refoulé non pas
25 000 Juifs35 mais « un peu moins de 3000 » et en aurait accepté 30 00036. Il remet en cause
les chiffres (incomplets) du rapport de la Commission Bergier concernant les personnes
refoulées par les autorités suisses durant la Seconde Guerre mondiale.
190
Bilan[modifier | modifier le code]
Si au début du conflit, la mobilisation de l'armée est principalement marquée par des lacunes
matérielles, celles-ci seront essentiellement comblées par la suite dans le domaine de la
fortification, plus particulièrement avec la mise en place du réduit. Cette défense basée sur
une « tactique du hérisson » comprenait pas moins de 68 ouvrages d'artillerie, 10 batteries de
casemates non armées, 1 410 ouvrages et positions d'artillerie, 1 545 positions d'infanterie et
d'artillerie non armées, 995 abris, postes d'observation et postes de commandements, 3 263
barrages antichars, 1 500 kilomètres de barbelés. À ces chiffres on peut ajouter un armement
comprenant 140 pièces entre 15 cm et 10,5, 180 pièces entre 8,5 cm et 23 cm avec une large
dotation en lance-mines et canons antichars pour l'infanterie, qui disposait de près de 3 000
mitrailleuses lourdes et 1800 mitrailleuses légères37.
En 1927, le Parlement décide de geler les dépenses militaires, en particulier les travaux
entrepris dans les différents forts du pays, avant de revenir sur sa décision deux ans plus tard,
octroyant à l'armée un budget total de 800 millions de francs entre 1935 et 1939 en Suisse. À
cette date cependant, le pays ne dispose que de 30 chars. Le bureau des fortifications, qui
avait été dissous en 1921, est réactivé dès 1935 et lance dès l'année suivante plusieurs travaux
de réalisation de fortins et de renforcements de terrain dans le nord du paysrapin 1. En parallèle,
une nouvelle organisation militaire augmente la durée de l'école de recrues de 67 à 90 jours en
1935 puis à 118 en 193937.
191
Ces réformes sont possibles grâce au ralliement du Parti socialiste au programme de défense
nationale devant le risque de conflit avec les pays voisins à tendance fasciste, ce qui a pour
effet de faire largement tomber la tension politique intérieure ; couplé au rétablissement des
pleins pouvoirs accordés au Conseil fédéral dès le 30 août 1939 ainsi qu'à la relance
économique largement provoquée par l'industrie militaire, il permet au pays d'opérer sur des
bases plus fermesnhss 14.
Le général Guisan ouvre, dans les mois qui suivent, des négociations pour définir une
coopération militaire avec la France dans le cas où l'Allemagne attaquerait la Suisse. Ce plan
tombera entre les mains allemandes lors de la débâcle française de 1940 et sera par la suite
utilisé par ces derniers comme moyen de pressionbouquet 3.
Borne frontière érigée pendant la Seconde Guerre mondiale symboliquement au centre exact
du pays
Le 12 juillet 1940, le général Guisan écrit au chef du Département militaire fédéral pour lui
faire part de ses décisions devant la situation41 : il préconise un échelonnement de la protection
en profondeur, fondé sur trois niveaux de protection principaux ; le premier niveau consiste à
maintenir des troupes aux frontières, le second niveau à barrer les axes de pénétration du pays
alors que le dernier niveau, celui des troupes de position dans les Alpes, doit tenir « sans
esprit de recul ». Il réintroduit là l'idée de réduit nationalrapin 2, qu'il présente en particulier à ses
192
officiers supérieurs réunis le 25 juillet 1940 lors du rapport du Grütli. Dès le début du mois
d'août, un tournus est mis en place entre les troupes assurant une mobilisation de 120 000
hommes42.
Le réduit national est centré sur le massif du Saint-Gothard contrôlant les cols ouvrant le
passage entre le nord et le sud des Alpes. Il s'articule autour de trois éléments essentiels, à
savoir les fortifications présentes dans le massif du Saint-Gothard, les forts de Saint-Maurice
donnant accès à l'Italie par les cols du Grand-Saint-Bernard et du Simplon, et les fortifications
de Sargans protégeant la route vers le massif du Saint-Gothard par la vallée du Rhin. Les
différents accès au réduit national sont aussi protégés : le lac de Thoune, le lac des Quatre
Cantons, le Jaunpass et le Pays-d'Enhaut au nord, le lac Majeur et Bellinzone au sud et les
cols de la Furka et de Oberalp pour l'axe ouest-estrapin 3.
Au sujet du rôle joué par ces fortifications pendant la guerre, le chef de l'état-major général
écrit dans un rapport daté de 1945 : « Je suis persuadé qu'à partir de 1943, nos fortifications
jouèrent dans les plans allemands un rôle appréciable et il est vraisemblable qu'elles ont
contribué dans une certaine mesure à écarter une attaque de la Suisse ». Si le plan d'attaque
conjointe de l'Allemagne et de l'Italie, baptisé « opération Tannenbaum », ne semble jamais
avoir été envisagé très sérieusement par les autorités allemandesnhss 16, Klaus Urner et Georges-
André Chevallaz évoquent de réels projets allemands relatifs à une attaque de la Suisse. Klaus
Urner cite un document allemand d'août 1940, précisant les difficultés d'une attaque liés au
relief et aux fortifications des Alpes, alors que Georges-André Chevallaz fait mention d'un
document allemand datant de mai 1941, parlant des « directives de l'État-major (allemand)
pour les opérations contre la Suisse »rapin 4.
Sur le plan économique et social, les autorités veillent à ne pas répéter les erreurs de la
Première Guerre mondiale. Les bases juridiques de l'économie de guerre sont en place dès
1938bouquet 4 : le rationnement progressif des biens de consommation est mis en place en
septembre de la même année, couplé avec la constitution de stocks de céréales et l'invitation
faite aux citoyens de constituer des réserves pour deux mois43, un régime d'indemnité pour
perte de gain voit le jour en décembrenhss 17. Malgré des mesures visant à contrôler les prix, la
presse et les syndicats s'en prennent aux paysans qui sont accusés de s'enrichir grâce au
193
marché noir alors que, dès 1940, on assiste à une pénurie de main d'œuvre poussant certaines
femmes à travailler, en particulier dans l'agriculture44.
De toutes les initiatives prises par le gouvernement pour assurer une mobilisation économique
et psychologique de l'intérieur du pays, c'est certainement le plan Wahlen qui tient un rôle
primordialnhss 17 : du nom de l'agronome Friedrich Traugott Wahlen préposé à l'extension des
cultures, ce plan d'extension des cultures et d'augmentation de la production agricole devait
permettre au pays d'assurer son autarcie alimentaire durant la période de la guerre45 ; « On
désempierra, on assainit, on draina ; on rasa tous les boqueteaux, les buissons et les taillis,
quitte à priver le pays d'une grande partie de son charme » : les jardins potagers se multiplient
dans les banlieues alors que les parcs publics et les terrains de sport sont plantés de pommes
de terre43.
Bien que le plan ait permis d'augmenter la surface cultivée de 183 000 à 352 000 hectares, il
reste encore en deçà des 500 000 hectares initialement prévus. Le niveau d'auto-ravitaillement
du pays passe de 52 % au début de la guerre à 59 % en 194545.
Dès le début de la guerre, l'économie de la Suisse s'aligne sur ses deux voisins de l'Axe qui
absorbent les deux-tiers de son commerce extérieur, alors qu'un dixième seulement de ses
échanges sont réalisés avec les Alliés et le reste avec les pays neutres. Plus significatif encore,
84 % des exportations d'armes et de munitions depuis la Suisse le sont en direction de l'Axe,
contre 8 % seulement pour les Alliés46.
Les relations diplomatiques entre la Suisse et l'Allemagne sont souvent entachées de points de
frottement pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, en particulier à la suite de la
décision prise dès septembre 1939 de ne pas reconnaître les nouveaux États ou régimes tout
en conservant des relations diplomatiques avec ceux existants avant le début du conflit, tels
que la Pologne, la Belgique et la Yougoslavie47.
À la mort de Giuseppe Motta en 1940, c'est le Vaudois Marcel Pilet-Golaz qui lui succède à la
tête du Département politique, l'année même où il exerce la présidence de la Confédération. Il
prononce, le 25 juin 1940, un discours radiophonique controversé dans lequel il préconise une
nécessaire « adaptation » à la situation nouvelle et admet la fin de la guerre48. Dans le même
temps où il accorde un entretien privé aux responsables du Mouvement national, il ne
194
remercie pas les militaires et l'armée suisse pour leur travail et ne prononce pas les termes de
démocratie ou de neutralité49.
C'est principalement sur le plan de la politique monétaire que les relations entre la Suisse et
l'Axe vont se développer. Avant la guerre, le franc suisse fait partie, avec le dollar américain,
la livre sterling anglaise et l'or, des moyens de payements internationaux. Dès 1941, le franc
suisse se retrouve comme seule monnaie stable non belligérante ; de plus, le gouvernement
n'introduit pas de contrôle des changes et oblige la Banque nationale suisse à maintenir le
franc à un niveau constant par rapport à l'or et aux principales monnaies. L'Allemagne va ainsi
acquérir, entre 1940 et 1945, du franc suisse auprès de la banque nationale en contrepartie de
plus de 1,2 milliard en or, en provenance des réserves allemandes, mais également de l'or cédé
dès 1940 par la Banque de Hollande et la Banque de Belgique à la Reichsbank sous la
pression des forces occupantes50.
Enfin, les autorités fédérales acceptent, sous la pression des négociateurs allemands, de
fournir des avances en matériel sous forme de crédit de compensation dont le montant va sans
cesse croissant tout au long de la guerre pour atteindre 119 millions de francs lors de l'année
1943 où la Suisse va progressivement réduire ses exportations vers l'Allemagne sous la
pression des Alliésnhss 18.
Dès juillet 1940, d'anciens mouvements fascistes ressurgissent alors que de nouveaux se
créent comme la Ligue du Gothard fondée au mois de juin51 ; tous proposent différentes
révisions des institutions sur le modèle national-socialiste tout en préconisant un
rapprochement avec l'Allemagne. Le général Guisan lui-même va, le 9 novembre 1940,
proposer au gouvernement d'envoyer un émissaire à Berlin pour négocier. Devant les
réactions très critiques de la presse et des partis politiques, le Conseil fédéral réagit en
interdisant le Mouvement national suisse et le Parti communiste suisse et étend la peine de
mort, alors réservée au Code pénal militaire, au service actif : 17 personnes sur 33
condamnées sont ainsi exécutées pour trahisonnhss 19.
En 1943, les élections fédérales voient une forte progression des socialistes, alors figures de
l'opposition car ne faisant pas partie du gouvernement fédéral. La majorité de l'Assemblée
195
fédérale va élargir le système de concordance à la gauche en élisant en décembre Ernst Nobs
comme premier membre socialiste du Conseil fédéral. Également dans cet esprit d'« unité
nationale », un corps volontaire non-combattant de 20 000 femmes est mise sur pied dès
février 1940 par les autorités fédérales qui donnent ainsi pour la première fois une charge
officielle aux femmes ; cette première reconnaissance d'une forme d'égalité va pousser les
premiers mouvements féministes à réclamer (sans succès) des droits politiques. Une première
proposition de loi échoue en décembre 1945 devant l'Assemblée fédéralenhss 20.
Dès décembre 1942, le Parti socialiste suisse publie son nouveau programme, intitulé « La
Suisse nouvelle » et qui prône un régime d'économie mixte dans lequel les banques et les
grandes industries sont nationalisées tout en conservant les notions de propriété privée et
d'économie de marché. En réplique, le Parti radical présente son propre programme très
orienté sur les mesures sociales en avril 1943, alors que le Parti catholique-conservateur
préfère combattre directement les propositions socialistes jugées irréalistesnhss 21.
La commission s'est penchée sur l'attitude de la Suisse et de ses officiels pendant la Seconde
Guerre mondiale à propos des fonds en déshérence, des transactions d'or et de la provenance
de celui-ci, et enfin de la politique d'accueil ou de refoulement à l'égard des réfugiés qui ont
cherché à s'abriter en Suisse59 ; elle conclut en particulier que la politique des autorités suisses
avait contribué à la réalisation de l'Holocauste60. La publication de ce rapport, ainsi que le
196
travail de la commission, ont été vivement critiqués, en particulier par le mouvement
« histoire vécue », composé de personnes ayant vécu la guerre et qui dénonce l'« obsession de
la culpabilité et du soupçon » dont fait preuve la commission dans ses travaux61.
Comme effet secondaire des travaux de la commission et à la suite des recherches menées par
la commission Volker dont le rôle est d'identifier les comptes dormants62, les banques suisses
doivent conclure en 1998 un accord global avec les plaignants aux termes duquel elles payent
près d'un 1,25 milliard de dollars à titre de dédommagement pour rembourser les fonds juifs
en déshérencebouquet 6.
Dès la fin de la guerre, l'économie suisse connaît une forte croissance : l'industrie du pays,
l'une des seules d'Europe à ne pas avoir souffert des combats, permet au pays de redémarrer sa
production rapidement ; une abondante main d'œuvre bon marché venant des pays voisins,
une fiscalité raisonnable et une importante disponibilité de capitaux permet en particulier à
l'industrie d'exportation de prendre un avantage important sur ses concurrents directsbouquet 7.
Les grandes banques suisses s'internationalisent très fortement à partir des années 1950 : d'une
dizaine d'implantations à l'étranger, le total passe à plus de 100 à la fin de la décennie 1970.
197
Parallèlement leur bilan est multiplié par huit entre 1945 et 196563. La place financière suisse
est l'une des plus importantes du monde, après celles de New York et de Londres. Elle attire
d'énormes capitaux étrangers. Cependant, alors que plusieurs pays voisins investissent dans
une modernisation indispensable de leur appareil de production, l'économie suisse remet à
plus tard ses investissements, n'augmentant que peu sa productivité ; couplé à une dépendance
de plus en plus forte vis-à-vis de l'étranger par l'option prise en faveur des exportations, ce
manque d'investissement va avoir de graves répercussions lors du déclenchement de la crise
des années 1970nhss2 1.
Le 6 juillet 1947, le peuple approuve par 53 % un arrêté fédéral révisant les articles
économiques de la Constitution54 ; cette révision prend en compte deux courants opposés : l'un
libéral et anti-interventionniste et l'autre étatique et désireux de conserver les mesures de
guerre. Des mesures protectionnistes sont en particulier prises dans le domaine de l'agriculture
où la volonté étatique de maintenir une population paysanne en garantissant les prix se trouve
en fréquente contradiction avec les désirs des consommateurs de profiter de produits à bas
prixnhss2 2.
Jusqu'au début des années 1960, les déficits massifs de la balance commerciale suisse causés
par une forte augmentation des importations de biens sont plus que compensés par les
bénéfices réalisés par les prestations de services et en particulier la banque et le tourismenhss2 3.
Dès cette période, une nette tendance inflationniste couplée à une importante pénurie de main
d'œuvre traduit une forte expansion économique qui connaît un brusque arrêt lors du Premier
choc pétrolier en 1973 ; la récession remarquée dans la plupart des pays est encore aggravée
en Suisse par la hausse de la monnaie qui devient une « valeur refuge »bouquet 8 entre 1970 et
1975, le taux annuel d'inflation dépassant chaque année 7,5 %64. Cette inflation accélère un
mouvement de concentration économique dans tous les domaines, qui voit apparaître
progressivement des sociétés devenant ensuite des multinationales telles que Nestlé.
Au niveau énergétique, les besoins du pays augmentent rapidement, forçant les acteurs du
domaine à se tourner vers de nouvelles sources d'approvisionnement : si le charbon et le gaz
de houille peuvent encore couvrir 40 % des besoins juste après la guerre, ils ne représentent
plus que quelques pourcents au début de la crise pétrolière alors que le pétrole et ses dérivés
passent de 25 % à 80 % dans le même tempsnhss2 4. Pour couvrir les 110 giga joules utilisées en
1970 par année et par habitant, plusieurs centrales hydroélectriques sont développées entre
1950 et 1970, dont notamment celle de la Grande Dixence, puis relayées par les cinq réacteurs
de quatre centrales nucléaires dont la première, Beznau, est mise en service en 196967. Devant
l'inquiétude manifestée par l'économie face à la forte dépendance du pays à l'égard de
l'étranger, une commission examine en 1978 différentes possibilités pour réduire cette
dépendance en économisant l'énergie, en augmentant la part des sources déjà utilisées ou en
développant des énergies « propres » de substitution ; ses propositions n'ont cependant jamais
été traduites en faits, une votation de 1983 ayant rejeté une proposition jugée trop extrême par
les milieux économiques et trop timorée par les écologistesnhss2 5.
Sur le plan des transports, le réseau ferroviaire suisse reste l'un des plus dense d'Europe,
même si plusieurs lignes secondaires ont été supprimées à la suite de la disparition des petites
sociétés au profit des Chemins de fer fédéraux suisses ; de nouveaux aménagements sont
régulièrement mis en place tels que les nouveaux tunnels du Lötschberg en 2007 ou du Saint-
Gothard prévu pour 202068. Longtemps retardées pour des raisons économiques et politiques
en raison de la souveraineté cantonale en matière de transports, les autoroutes se développent
dès 1958, lorsque la Confédération reçoit la compétence d'organiser la construction des routes
nationales financées par une taxe supplémentaire sur les carburantsnhss2 6 : l'année suivante déjà,
la première d'entre elles, reliant Genève et Lausanne, est ouverte ; le réseau autoroutier s'étend
ensuite à l'ensemble du pays, incluant également plusieurs tunnels routiers traversant les
Alpes sous le Grand-Saint-Bernard (ouvert en 1964) ou le Saint-Gothardbouquet 8.
De son côté, le trafic aérien connait une forte augmentation depuis la fin de la guerre : les
aéroports internationaux de Zurich-Kloten et de Genève-Cointrin sont ouverts, suivi par un
aéroport continental situé entre Bâle et Mulhouse ; un projet de troisième aéroport
international dans la région de Berne échoue devant la résistance populairenhss2 7.
199
Prestation de serment d'Elisabeth Kopp lors de son élection au Conseil fédéral en 1984
Dès la fin de la guerre et jusqu'à la fin du XXe siècle, la Suisse connait une remarquable
stabilité politique. Certes, le conseiller fédéral socialiste Max Weber démissionne en 1953, à
la suite du refus populaire par 58 % des votants d'une nouvelle politique financière fédérale69
et le Parti socialiste refuse alors de reprendre sa place au sein de l'exécutif fédéral tant qu'il
n'obtient pas deux sièges ; appuyé par le Parti conservateur-catholique, il obtient ce droit en
1959 en Suisse lorsque la « Formule magique » (traduction française du terme Zauberformel
utilisé pour la première fois le 4 décembre 1959 par le journal argovien Aargauer
Volksblattandrey 9) est mise en place : le Conseil fédéral est dès lors composé de deux radicaux,
de deux conservateurs-chrétiens, de deux socialistes et d'un représentant du Parti des paysans,
artisans et bourgeois (PAB)nhss2 8. Cette répartition, qui force les membres du Conseil fédéral à
privilégier le compromis à l'affrontement, reste identique jusqu'au 10 décembre 2003, lorsque
l'Union démocratique du centre, successeur du PAB, revendique et obtient un second siège au
détriment du Parti démocrate-chrétien, lui-même successeur du Parti conservateur-chrétien70.
En parallèle, une votation populaire de 194754 introduit un nouvel article dans la constitution
qui précise officiellement que « les groupes économiques intéressés » doivent être consultés
lors de l'élaboration et de l'exécution de nouvelles lois économiques ; cette consultation est
par la suite étendue à l'ensemble des domaines, le Conseil fédéral décidant des différentes
organisations pouvant participer aux procédures de consultation, permettant ainsi de
minimiser les risques de référendumnhss2 9. Enfin, en 1949, une initiative populaire demandant
de pouvoir abroger après coup les arrêtés fédéraux urgents est acceptée par une majorité de
circonstance71 : depuis cette votation, l'utilisation de tels arrêtés par le gouvernement fédéral
est devenu très rarenhss2 10.
Enfin, le collège des électeurs s'agrandit pour accepter les femmes le 7 février 197172, douze
ans après une première tentative qui s'était alors soldée par un échec, près de 70 % des votants
refusant alors cet objet73. Sur ce sujet, les cantons romands sont plus ouverts : Vaud et
Neuchâtel donnent en effet le droit de vote cantonal aux femmes en 1959, suivis l'année
suivante par Genève puis, progressivement par les autres cantons, le dernier étant celui
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d'Appenzell Rhodes-Intérieures qui adoptera ce droit à la suite d'un arrêt du Tribunal fédéral
en 199074.
Lors des élections du 31 octobre 1971, première fois où elles sont éligibles, dix femmes sont
élues au Conseil national, résultat alors considéré comme « spectaculaire »andrey 10. Par la suite
cependant, l'intégration des femmes dans les institutions politiques va être plus lente : elles ne
représentent en effet que 10 % des élues à l'Assemblée fédérale en 1986 et ce n'est que le 2
octobre 1984 que la première d'entre elles, la radicale Elisabeth Kopp, est élue au Conseil
fédéral.
La structure cantonale du pays, héritée de la Confédération des XXII cantons, connait deux
remises en question dans le nord-ouest du pays pendant la seconde moitié du XXe siècle ;
dans les deux cas, la volonté d'autonomie régionale prendra le pas sur la logique économique
qui préconise une entité territoriale plus étendue.
C'est tout d'abord la question de la réunification des deux cantons de Bâle-Ville et Bâle-
Campagne qui est abordée lors de la crise financière des années 1930. Un premier refus en
1947 par les chambres fédérales d'un projet de réunification est suivi par une seconde votation
populaire locale en 1960, à la suite de quoi une assemblée constituante commune est formée.
Le projet est finalement refusé en 1969 par les habitants de Bâle-Campagne, en particulier par
ceux de la périphérie qui craignent le poids trop important pris par la ville dans les décisions
cantonalesnhss2 11.
Mais c'est surtout la question jurassienne qui agite les esprits pendant cette période : si
l'intégration de l'ancien évêché de Bâle au canton de Berne lors de la domination française ne
s'est jamais pleinement réalisée, le problème devient particulièrement aigu en 1947, lorsque le
gouvernement bernois refuse de nommer un Jurassien à la tête de l'un des départements du
gouvernement cantonal pour raison de langue ; ce refus provoque un tollé dans la région et
voit la création du mouvement du Rassemblement jurassien, dirigé par Roland Béguelin, dont
le but est de séparer le Jura du canton de Berne. Parallèlement à ce mouvement, d'autres
personnalités locales tentent d'obtenir un statut d'autonomie au sein du canton, alors qu'une
troisième partie s'oppose à toute séparation d'avec Bernebouquet 9.
Une première initiative cantonale est repoussée le 5 juillet 1959, y compris par le Jura Sud,
francophone et protestant. Le Nord met alors sur pied une organisation militante, appelée le
« groupe Bélier » qui va largement perturber l'ordre public jusqu'au 1er mars 1970, date où les
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électeurs du canton approuvent l'engagement d'une procédure d'auto-détermination : les six
districts vont alors chacun organiser un plébiscite qui confirme la volonté des trois districts du
nord (Porrentruy, Delémont et Franches-Montagnes) de se séparer, alors que les trois du sud
(Courtelary, Moutier et de La Neuveville) et le district de Laufon choisissent de rester bernois
pour former le « Jura bernois »andrey 11. Une nouvelle constitution ayant été approuvée par les
trois districts séparatistes, une votation fédérale confirme, le 24 septembre 1978 par 82,3 %
des votants75, la création du canton du Jura qui devient officiellement le 23e canton suisse.
La guerre froide permet à la Suisse, qui a rétabli des relations diplomatiques avec l'Union
soviétique dès 1946, de prouver son utilité, en particulier en 1953 en Corée comme participant
aux commissions de surveillance de l'armistice et de rapatriement des prisonniers de guerre ou
en 1961 à Cuba où elle représente les intérêts des États-Unis76. Par la suite, le pays représente
également la Grande-Bretagne en Argentine entre 1982 et 1990, ainsi que les États-Unis en
Iran dès 198077.
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l'Espace économique européen79. Le Conseil fédéral gèle alors la demande et négocie deux
séries d'accords bilatéraux sur plusieurs sujets, parmi lesquels la libre circulation des
personnes ou la reconnaissance des diplômes, avec l'Union européenne ; ces accords sont en
vigueur depuis 200278.
Alors qu'une première tentative échoue en 1986 lorsque 75,7 % des votants refusent l'entrée
de la Suisse dans l'Organisation des Nations unies80, une seconde proposition allant dans le
même sens est, cette fois-ci, acceptée par 54,6 % des votants le 3 mars 200281 : la Suisse
devient ainsi le 190e État membre de l'ONU.
Après la guerre, la Suisse continue à développer l'État social par l'introduction de l'assurance-
vieillesse et survivants en 1946 puis par la mise en place du système des trois piliers en
197223. Le suffrage féminin, existant déjà dans certains cantons, est accepté au niveau fédéral
en 1971 puis introduit au niveau cantonal dans les autres cantons essentiellement en 1971 et
1972. Le canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures est obligé en 1990 par décision de justice de
respecter le principe de l'égalité entre femmes et hommes tel que garanti par la Constitution
fédérale. Les problèmes confessionnels du XIXe siècle sont oubliés et les articles d'exception
sont pour l'essentiel abolis en 1973bouquet 12. En 1991, le droit de vote et d'éligibilité a été abaissé
de 20 à 18 ans pour les hommes et les femmes24.
La fin des années 1960 est marquée par la question jurassienne réclamant la séparation des
districts bernois francophones et la constitution d'un 23e canton. Finalement, une votation est
organisée en 1974 : les districts francophones catholiques acceptent la création de la nouvelle
entité alors que les districts protestants votent pour leur maintien dans le canton de Berne. À
la suite de la votation fédérale de 197825, le nouveau canton du Jura, majoritairement
catholique, voit le jour le 1er janvier 1979nappey 14.
JU
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Sculpture du jardin du Palais des Nations à Genève
Sur le plan extérieur, la Suisse reste en dehors de l'ONU et de l'OTAN et prône une neutralité
armée stricte. Même si elle ne s'intéresse pas à la CECA et à la CEE en formation, elle devient
membre du Conseil de l'Europe en 1963 et de l'AELE en 1960, tous deux conçus comme un
contrepoids à la CEE naissantenappey 15. Durant cette période, la Suisse est le pays le plus
prospère du monde : malgré le choc pétrolier de 1973 qui voit l'instauration de quelques
dimanches sans voiture, l'industrie chimique et textile ainsi que les banques se développent.
Le taux de chômage reste inférieur à 3 % et la Suisse poursuit sur le plan extérieur une
politique de neutralité stricte tout en proposant ses « bons offices » pour régler les différends.
Ainsi la première rencontre entre Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan a lieu lors du
Sommet de Genève en 1985. Le siège européen de l'ONU dans cette même ville permet
également à l'institution d'auditionner des personnes, telles Yasser Arafat, qui ne peuvent se
rendre aux États-Unis.
Toutefois, la crise économique des années 1990 touche le pays : le chômage grimpe à plus de
6 %, de nombreux fleurons se restructurent, certains passent en mains étrangères. Malgré ces
restructurations, l'économie helvétique présente une industrie puissante ainsi que des secteurs
financiers et bancaires très développés. Dans le même temps, les relations extérieures sont
marquées par la montée en puissance de l'Union démocratique du centre qui prône
l'indépendance et la neutralité du pays vis-à-vis des grands groupes supranationaux. Si la
Suisse entre finalement au sein de l'ONU le 10 septembre 2002, l'échec de la votation sur
l'EEE en décembre 1992 marque un arrêt dans le processus d'intégration à l'Union européenne
jugée par certains comme dangereuse pour la démocratie directe suisse ainsi que pour
l'économie comme le secret bancaire. La voie d'accords bilatéraux est privilégiée en
établissant la libre circulation des personnes avec les 25 pays européens (ainsi que les trois de
l'AELE), une plus grande intégration économique et l'intégration dans le Ciel unique
européen.
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