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Archéopages

Archéologie et société
Hors-série 1 | février 2008
Constructions de l’archéologie

Apologie de l’archéologie préventive

Alain Schnapp

Éditeur
INRAP - Institut national de recherches
archéologiques préventives
Édition électronique
URL : http://archeopages.revues.org/852 Édition imprimée
DOI : 10.4000/archeopages.852 Date de publication : 1 février 2008
ISSN : 2269-9872 Pagination : 63-65
ISSN : 1622-8545

Référence électronique
Alain Schnapp, « Apologie de l’archéologie préventive », Archéopages [En ligne], Hors-série 1 | février
2008, mis en ligne le 01 février 2008, consulté le 22 juin 2017. URL : http://
archeopages.revues.org/852 ; DOI : 10.4000/archeopages.852

© Inrap
C’est un épisode climatique assez dynamique,
probablement un cyclone, qui, au milieu
Apologie de l’archéologie

CHAMPS DE L’ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE


de leur séjour, a incité les Malgaches à construire préventive
des abris en dur. Une partie de celui mis au jour Alain Schnapp
a été réutilisée comme carrière, au moment de Université Paris I-Sorbonne
la constrution de la station météo. Enfin, au

L
sommet du second niveau de rejet et sous le niveau ’archéologie préventive est née d’un constat
de tempête scellant le tout, reposait en position élémentaire : les sites archéologiques sont
primaire le mobilier abandonné par les naufragés des biens non renouvelables aussi menacés
quand ils ont quitté l’île [Fig.4]. Ce mobilier que les epèces naturelles ou les réserves
est constitué de deux contenants en cuivre énergétiques. Pendant des centaines de millénaires,
(quatre autres ont été retrouvés en position l’ativité des hommes n’a guère érodé leurs traces.
secondaire dans un niveau perturbé Trop ténues ou trop éparpillées, celles-ci n’étaient
par l’implantation de la station météo), un galet pas menacées par les multiples déplacements
de lest provenant de L’Utile réutilisé en affûtoir, des chasseurs-colleteurs. La nature, le contexte
des clous de navire en fer, des cerclages également écologique, les avatars stratigraphiques
en fer et des plaques de cuivre et de plomb. continuaient à protéger ici ou là ces fragiles niches
C’est l’un des rares exemples de mobilier utilisé historiques conservées dans les gorges d’Olduvai,
par des esclaves retrouvé dans son contexte les grottes de Dordogne ou les abords des fleuves,
archéologique et historique. De plus, comme à Pincevent.
les nombreuses réparations portées Avec la sédentarisation, les choses ont
aux contenants montrent le prix que les naufragés lentement changé. Bohumil Soudskỳ avait déjà
accordaient à ces ustensiles et leur volonté démontré, il y a presque cinquante ans, que
de les utiliser jusqu’à leur extrême usure. les premiers habitats néolithiques d’Europe
Cette première mission a permis de finaliser centrale correpondaient à des cycles de rotation
une fouille et l’étude de l’épave de L’Utile. des cultures et de prélèvements qui alliaient

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Elle a aussi montré la conservation d’indices sédentarisation et migrations régulières. Il en avait
liés aux quinze années d’occupation déduit un modèle de peuplement préditif qui
des naufragés, confirmant ainsi l’intérêt permettait d’en retrouver les traces lisibles dans
archéologique de l’île. Cependant, le sol. Au Proche-Orient même, les sédentaires
cet apet archéologique n’a été abordé ont « inventé » les tells ; chaque période
que très pontuellement et ne permet pas en recouvre une autre, en un même lieu.
de répondre de façon satisfaisante Les premiers théoriciens des ruines, comme
à la problématique initiale, en particulier Peiresc et Volney, avaient d’ailleurs observé

FÉVRIER 2008
en ce qui concerne le traitement des morts. que ces dépôts archéologiques, abandonnés depuis
D’ores et déjà, et dans l’attente d’une seconde des millénaires, constituaient des ressources
mission accompagnée de moyens plus de premier plan pour tout historien de l’Antiquité.
adaptés, des mesures de protetion des zones Avec les grandes métropoles d’Orient et
sensibles ont été prises par la préfeture d’Occident, on a changé d’échelle. Si, comme
des Taaf. l’observait homas Hobbes, « la papauté n’[était]
L’importance de ces vestiges est inestimable. rien d’autre que le fantôme de l’Empire romain
Il s’agit des traces matérielles laissées par assis couronné sur sa tombe »,¹ elle habitait
un petit groupe humain, déplacé dans un epace un epace, un lieu topographique bien concret
vierge. Leur étude permettra d’appréhender que des générations ont transformé en un lieu
les choix effetués par les naufragés dans de mémoire depuis l’Antiquité même. Les Romains
l’organisation de leur survie. Ces vestiges étaient conscients de l’érosion rapide des

HORS SÉRIE
et leur contexte archéologique devraient nous monuments et des traces du passé. De Claude
permettre d’interpréter d’autres sites et de mieux aux empereurs du Bas-Empire, ils s’employèrent
appréhender les dynamiques de peuplement, à préserver les vestiges de l’Urbs et de
du milieu insulaire en particulier. sa civilisation. Préservation toute relative…
 « he Papacy is
Ces recherches contribuent également qui faisait place aux construtions nouvelles,
not other than the Ghost à l’accroissement des connaissances sur l’histoire aux ambitions édilitaires des empereurs et, même, ARCHÉOPAGES
of the deceased Roman de ce petit point perdu dans l’océan Indien – écueil aux appétits dévorants des péculateurs
Empire, sitting crowned
upon the grave thereof. » sur le chemin menant de la métropole aux Indes (Hoffmann et al. 2005). Cependant, l’existence
orientales. Elles rappellent aussi à notre conscience même d’un débat et la promulgation d’édits
les épisodes peu glorieux du passé esclavagiste impériaux protégeant les monuments sont le signe
et colonialiste de la France. évident d’un combat entre les exigences du passé
et les nécessités du présent. Certaines sociétés
ont été plus conservatrices que d’autres, mais
aucune n’a fossilisé une fois pour toutes le passé
pour en faire une carte si précise et si impérieuse
qu’elle eût fini par couvrir le territoire.
Toutes les sociétés ont besoin du passé
comme tous les hommes ont besoin de mémoire.
Les éradicateurs les plus féroces, comme
l’empereur de Qin, Chi Hoang-ti – si cher à Jorge l’équilibre entre mémoire et oubli sont mouvantes.
Luis Borges –, ont tenté de détruire les livres De même que nous savons que l’abus de mémoire
et les œuvres des hommes qui les ont précédés. est un danger, il ne fait aucun doute que le manque
Mais ils ont dû composer avec le futur. Borges de mémoire est un risque. Du Moyen Âge
s’émerveillait que l’on attribue à l’homme aux Lumières et jusqu’à l’âge industriel, les sociétés
– qui avait entrepris de brûler tous les livres – ont su trouver les antidotes nécessaires à l’érosion
la constrution d’une muraille infinie dont du passé. L’Occident a privilégié la valeur
la monumentalité faisait de l’ombre aux pyramides mémorielle de certains monuments, la protetion
mêmes. Pour lui, le rêve mégalomane de de leur matérialité. Il a développé les colletions
l’empereur de Qin, dans sa volonté d’abolir le passé, comme des microcosmes du macrocosme
incarne la preuve de l’irréfragable absurdité de l’Univers. héodoric, lui-même, demandait
de l’entreprise : qu’on ne détruise pas les monuments de Rome ;
« Chi Hoang-ti, peut-être, entoura l’empire Frédéric II Staufen et Maximilien de Habsbourg
d’une muraille parce qu’il le savait périssable, se passionnaient pour l’exploration du sol.
et détruisit les livres dans la pensée que c’étaient Dès le xive siècle à Rome, les papes se sont
des livres sacrés, c’est-à-dire des livres qui préoccupés de protéger les antiquités.
enseignent ce qu’enseigne l’univers entier Et la Renaissance comme l’âge de raison se sont
ou la conscience de chaque homme. L’incendie enthousiasmés pour la révélation des secrets
des bibliothèques et la constrution de la muraille du passé. Scipione Maffei, l’illustre créateur
sont peut-être des opérations dont chacune, du musée de Vérone, appelait déjà en 1747
secrètement, s’annule elle-même » (Borges 1993, le roi de Naples à dégager Herculanum pour
p. 675). en faire un musée à ciel ouvert, le site le plus
Kafka voyait les choses autrement. Au lieu prestigieux de la Méditerranée antique,
de déceler, dans le bûcher des livres, le contrepoint un lieu où il serait loisible à chacun d’éprouver
de la constrution de la muraille, il considérait l’Antiquité en grandeur réelle :
le projet comme la métaphore infinie, au sens « Ô quelle grande aventure de notre temps
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littéral, d’un pouvoir qui s’autodétruisait. À quoi quand apparaît non tel ou tel monument antique,
pouvait servir une muraille qui ne serait jamais mais une cité […] qu’il est nécessaire de fouiller
finie ? À des fins qui excédaient largement d’en haut² en enlevant et en tranportant cette
la constrution et qui dépassaient immense accumulation de cendres. […] voilà une
les construteurs : grande entreprise mais petite pour un roi puissant
« C’est pourquoi l’observateur impartial et capable d’un eprit héroïque comme l’est le roi
ne manquera pas de remarquer que la diretion présent³ […] d’une telle manière la cité diparue
des travaux, si elle l’avait voulu, aurait pu renaîtra et après mille sept cents ans elle verra
surmonter les difficultés qui s’opposaient à nouveau le soleil […] et pour le plus grand
à la constrution d’un mur continu. Il semble bénéfice du pays toute l’Europe érudite courra
donc évident que la diretion des travaux avait à Naples […] en procédant à l’aveugle et
programmé une constrution partielle. en creusant des galeries et d’étroits passages
La constrution partielle n’était qu’un pis-aller on gâtera beaucoup de choses et on en détruira
inutile. Il reste donc que la diretion désirait même beaucoup et l’on ne pourra jamais voir
quelque chose d’inutile » (Kafka 1994). de constrution noble dans son intégrité
La muraille ne sert à rien. D’abord, et sa perpetive ni savoir comme étaient diposés
elle ne protège rien du tout ; ensuite, les Barbares les statues et autres éléments de décoration […]
ne menacent pas l’Empire ; et, enfin, personne il adviendra aussi par force qu’on doive découper
ne sait qui a bien pu avoir l’idée d’une entreprise en morceaux bien des choses, comme il en est allé
aussi délirante. Peut-être, d’ailleurs, la constrution des peintures pariétales […] en dégageant
de la muraille est-elle la conséquence de et en laissant tout en place, la cité tout entière
la décision d’un souverain mort depuis des siècles, deviendra un musée incomparable » (Maffei 1748).
la survivance d’une entreprise démesurée, Herculanum est le laboratoire d’une nouvelle
le fantôme d’un empire qui se délite, comme manière d’observer le passé et d’interpréter
la Chine impériale ou l’Autriche de François- les antiquités. Jusque-là, comme le dit bien Maffei,  C’est-à-dire
Joseph. Un autre écrivain, lui aussi hanté l’Antiquité était faite de morceaux, de fragments en renonçant au système
par la double monarchie, Dino Buzzati, utilisera, qu’il était nécessaire de rassembler. La fouille des galeries de mines.
 Il s’agit de Charles
dans son Désert des Tartares, la même image s’apparentait à une chasse aux objets pratiquée de Naples, futur roi
des murailles censées défendre un empire d’ailleurs par des pécialistes, des ingénieurs d’Epagne (Charles III).
que personne n’attaque. militaires experts en travaux de sape. Cette
De Kheops à l’empereur de Qin, les souverains méthode employée de façon quasi industrielle
ont tous voulu être à la fois bâtisseurs et à Herculanum et à Pompéi permettait
éradicateurs. Dans un traité sur les pyramides de nombreuses et imposantes découvertes.
égyptiennes, un chroniqueur musulman Elle ne se contentait cependant pas de comprendre
du xve siècle nous conte l’histoire du sultan les relations des parties au tout et de se faire
d’Égypte Al Mamun qui voulut entrer, par la force, une vue d’ensemble. En plaidant pour
dans les pyramides et qui dut, comme l’empereur un dégagement systématique qui aboutisse
de Qin, admettre qu’il y avait des limites à rendre la ville intelligible, à en faire un lieu
à son pouvoir (Nemoy 1939). Les règles de de mémoire et de savoir, Maffei dégage une des lois
de la théorie moderne de la réception du passé. à une archéologie réative (qui tentait
Il pressent que les monuments ne sont pas de les maîtriser). Ce fut la période 1975-2001

CHAMPS DE L’ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE


seulement des objets de diletion mais et le développement de l’Afan.
des instruments d’intelligibilité qui doivent Depuis la loi sur l’archéologie préventive
être dégagés et analysés dans leur contexte. de 2001, une troisième période s’est ouverte ;
Il faudra longtemps pour que ses elle aussi difficile et complexe mais qui rend
recommandations soient acceptées et deviennent possible, en amont des destrutions, la prise
la référence en matière de dégagement en compte de leur impat. Les archéologues savent
d’une ville antique. affronter avec des outils adaptés les dangers
Le xviiie siècle, dans la suite d’Herculanum qui menacent des milliers d’hetares jusqu’alors
et de Pompéi, a fait de l’excavation du sol un genre épargnés. Mais ils ne peuvent convaincre
social, littéraire et scientifique. Grâce à cela, leurs concitoyens de l’intérêt de leurs travaux
les vieilles antiquités sont devenues, au début et des succès qu’ils remportent pour l’histoire
du xixe siècle, l’archéologie tout court… Pourtant, qu’en publiant les résultats de leurs recherches.
comme le soulignent Montalembert et Hugo, L’archéologie préventive ne tient sa légitimité
on n’a jamais autant détruit de monuments anciens que d’un dialogue avec le public, une connivence
que durant les premières décennies du xixe siècle seule à même de créer les conditions
(sur tout cela, il existe une large bibliographie ; d’un consensus pour rendre possible, pendant
voir Debray 1999). D’où vient que cet équilibre le cours laps de temps d’un grand chantier,
et cette sensibilité, défendus à la tribune du Sénat l’observation scientifique. Il ne s’agit donc pas
par Montalembert – « La mémoire du passé de tout fouiller et encore moins de tout conserver,
ne devient importune que lorsque la conscience mais de préserver un équilibre entre la mémoire
du présent est honteuse » –, ne semble plus et l’oubli. Les éradicateurs potentiels ne sont plus
d’atualité ? C’est que les dernières conséquences ceux qui détruisent les monuments ou les sites
de la révolution industrielle ont vu surgir anciens, mais ceux qui considèrent qu’un léger
les engins mécaniques de déblaiement et que, prélèvement opéré sur les dépenses

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depuis les années 1930, les travaux d’aménagement d’aménagement est un frein à l’économie
détruisent à une vitesse jusqu’alors inconnue ou à l’équilibre des finances publiques. Comme
des pans entiers du passé sans qu’aucune la Grèce ou l’Italie, la France a une histoire faite
observation ne soit possible (Schnapp 1998-1999 ; de monuments et de sites. On ne brûle
Vadelorge, Poirrier 2003). plus les livres… Préservons les sites. Nous avons
L’archéologie préventive est née de ces sûrement encore besoin des voix de Montalembert
destrutions. Dans les pays qui ont entrepris, et de Hugo.
depuis le xvie siècle, de protéger leur patrimoine

FÉVRIER 2008
archéologique tout autant que leur patrimoine Borges J. L. 1993 : « La muraille et les livres », in Autres inquisitions,
repris dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, p. 673-675.
écrit, elle ne se distingue guère de l’archéologie Debray R. (dir.) 1999 : « L’abus monumental », in Entretiens
tout court car elle a été intégrée dans du Patrimoine, Paris.
les procédures de planification et de protetion. Hoffmann V. et al. (dir.) 2005 : Die « Denkmalpflege » vor der
Denkmalpflege, Berne, Peter Lang.
La Scandinavie a su, avant l’Europe moyenne Kafka F. 1994 : Beim Bau der chinesichen Mauer und andere Schriften
et méditerranéenne, trouver des compromis aus dem Nachlass, Francfort.
Maffei S. 1748 : Tre Lettere del del Signor Marchese Scipione Maffei,
acceptables pour sauvegarder les sites Vérone, p. 33-36.
archéologiques et documenter ceux qui Nemoy L. 1939 : « he Treatise on the Egyptian Pyramids », Isis, 30, 1,
devaient être détruits. L’Allemagne, l’Italie p. 17-37.
Schnapp A. 1998-1999 : « La mémoire qui flanche ou l’impossible
et l’Angleterre sont venues plus tard. Les deux normalisation de l’archéologie en France », Le Débat, p. 119-132.
premiers pays ont entrepris, dès les premières Vadelorge L., Poirrier P. 2003 : Pour une histoire des politiques
du patrimoine, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture,
décennies du xixe siècle, d’organiser la surveillance Fondation Maison des sciences de l’homme.

HORS SÉRIE
de leur patrimoine archéologique et créé
des strutures efficaces de fouille et d’étude.
La Grande-Bretagne n’a pris que tardivement Évolution et
conscience de cet enjeu. Mais le mouvement
Rescue, lancé dans les années 1960 professionnalisation
par le Council of British Archaeology
(une organisation issue de la société civile),
de l’archéologie préventive ARCHÉOPAGES

a su créer un climat propice au « sauvetage » en milieu rural


des sites les plus exposés. En France, nous avons
fait lentement et difficilement, depuis les années dans le nord de la France
1970, l’expérience de la nécessité d’une protetion Marc Talon
du patrimoine archéologique menacé Inrap
par les grands travaux. Le pays ne s’est doté

E
d’un embryon de législation archéologique n Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais,
que sous le régime de Vichy, en 1941 ; il n’a pris l’archéologie rurale concerne aujourd’hui
conscience de l’ampleur des destrutions 80 pour cent des opérations effetuées,
qu’à compter de 1975 avec le rapport Soustelle. se répartissant en deux tiers de sondages
Il est ensuite passé d’une archéologie passive et un tiers de fouilles. Vingt années de pratique
(qui se contentait de laisser faire les destrutions) de l’archéologie préventive en Picardie et dans

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