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Abstract
The subject of the gardens of the Middle Ages, from the XIth to the beginning of the XIVh century, remains unfrequently studied
in France. The iconographic sources are almost inexistent and the image given by the texts are somewhat fuzzy. But the
abundant vocabulary which designates the garden shows its importance in the landscape as well as in daily life. To some
extents, it seems that flora, furniture and other constituents of the garden have a lot in common with those of the XIVth and XVth
centuries.
Résumé
Les jardins du Moyen Âge, du XIe au début du XIVe s., ont été peu étudiés en France. Les sources iconographiques sont
quasiment absentes et les textes apportent une image quelque peu floue de ces jardins. Mais le vocabulaire qui désigne le
jardin est abondant et révélateur de son importance dans le paysage et la vie quotidienne. Flore, mobilier et autres constituants
du jardin semblent avoir été sensiblement les mêmes que ceux des XIVe et XVe s.
Gesbert Élise. Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle. In: Cahiers de civilisation médiévale, 46e année
(n°184), Octobre-décembre 2003. pp. 381-408;
doi : https://doi.org/10.3406/ccmed.2003.2868
https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868
RÉSUMÉ
Les jardins du Moyen Âge, du xf au début du xive s., ont été peu étudiés en France. Les sources
iconographiques sont quasiment absentes et les textes apportent une image quelque peu floue de ces jardins.
Mais le vocabulaire qui désigne le jardin est abondant et révélateur de son importance dans le paysage et
la vie quotidienne. Flore, mobilier et autres constituants du jardin semblent avoir été sensiblement les
mêmes que ceux des xive et xve s.
Abstract
The subject of the gardens of the Middle Ages, from the xith to the beginning of the xivh century, remains
unfrequently studied in France. The iconographie sources are almost inexistent and the image given by the
texts are somewhat fuzzy. But the abundant vocabulary which désignâtes the garden shows its importance
in the landscape as well as in daily life. To some extents, it seems that flora, furniture and other consti-
tuents of the garden hâve a lot in common with those of the xivh and xvth centuries.
L'intérêt pour les jardins du Moyen Âge a connu ces dernières décennies une croissance
grandissante. De nombreux jardins médiévaux ou d'inspiration médiévale ont été créés dans toutes
les régions de France et se sont ouverts au public. Bon nombre de colloques ont également
traité le sujet. Mais, pour la plupart des études, le thème a surtout été abordé par le biais des
enluminures, quelques inventaires tardifs et les documents importants que sont le capitulaire De
Villis de Charlemagne, le plan de l'abbaye de Saint-Gall et un poème de Walafried Strabo, Hor-
tulus. Au vu de ces données, il apparaît que les jardins du xie au début du xive s. sont mal
connus, si l'on met à part les jardins monastiques dont il ne sera pas question ici.
À partir du XIe s., le paysage médiéval s'est transformé suite à l'augmentation régulière et
importante de la population. Un des aspects essentiels de l'essor de l'Occident après l'an mille, est en
effet le développement urbain qui atteignit son apogée au xme s. La demande en alimentation
était alors plus forte et de nombreux jardins furent créés. On en retrouve la trace dans de
nombreux documents — en particulier dans les cartulaires — où l'on constate une grande diversité
des termes qui désignent le jardin au Moyen Âge. Quel que fut le contexte géographique, urbain
ou rural, le jardin s'est installé, subissant au gré du temps les mouvements des populations, dans
toutes les régions de France. Cependant, tout jardin se devait d'être structuré et aménagé. Les
1. Cette étude est issue de mon mémoire de maîtrise d'archéologie. Je remercie Claire Mabire La Caille, maître de
conférence à Paris I et Marie-Thérèse Gousset, ingénieur de recherche à la Bibliothèque nationale de France.
Cahiers de civilisation médiévale, 46, 2003, p. 381-408.
382 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 46, 2003 ÉLISE GESBERT
textes littéraires nous éclairent plus sur les jardins d'agrément que sur les autres types de
jardin. Même s'ils exposent souvent des lieux allégoriques, rappelant largement les jardins bibliques,
les descriptions restent proches de celles que donnent les encyclopédistes de l'époque, tels Albert
le Grand et Pierre de Crescens.
2. Liste des œuvres étudiées : Ami et Amile, Aucassin et Nicolette, Cligès, Érec et Énide, Floire et Blancheflor, Garin
le Loherenc, Jourdain de Blaye, La Chanson de Roland, La chastelaine de Vergi, La folie Tristan d'Oxford, La prise
d'Orange, Le chevalier au lion, Le chevalier de la Charrette, Le roman de la Poire, Le roman de Renart, Le roman de
Thèbes, Le roman de Tristan, Le voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, Li romans de Claris et Laris,
Richars li Biaus.
Liste des anthologies et recueils de fabliaux étudiés : J. Bédier, Les chansons de Colin Muset, Paris, Champion,
1969 ; — R. Brusegan, Fabliaux, Paris, Union générale d'Edtions, 1994 ; — L. Harf-Lancner, Lais de Marie de France,
Paris, Le livre de Poche, 1990 ; — A. Jeanroy, Anthologie des troubadours xne-xille s., rééd., Paris, Librairie Nizet, 1974 ;
— A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des xme et xive s., t. 1 et 2, Paris/Genève,
Slatkine Repr., 1973 ; — P. Nardin, Jean Bodel : fabliaux, Paris, Librairie Nizet, 1975 ; — W. Noomen et N. Van den
Boogard, Nouveau recueil complet des fabliaux, t. 2, 3 et 5, Assen/Maastricht, Van Gorcum, 1990 ; — J. Roubaud, Les
troubadours, anthologie bilingue, Paris, Seghers, 1971.
3. F. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au xve s., Paris/Genève,
Slatkine, 1982, vol. II.
4. Vie des Pères, Bibl. de l'Arsenal, ms. 3641, f° 137c, ibid.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 383
toute manière de porees, pois noviauz, fèves noveles en cosse vert » 5. On sait encore que le
« courtillage » a pu désigner une réunion ou un espace de jardins, car il était fréquent au Moyen
Âge de voir des jardins regroupés à l'extérieur des murs d'une ville.
On traduira ainsi volontiers « courtils » par « jardin » dans la phrase suivante : « Et se logèrent
en une grant plaine ou il avoit plenté de puis dont il arrousoient leur courtils, quant le temps
estoit trop sec»6. De nos jours encore, on appelle parfois « courtil » une pâture, un jardin ou
un verger attenant à une maison rurale, par exemple dans la région du Hainaut, où G. Sivery a
pu en trouver quelques-uns dans l'arrondissement d'Avesnes7. On peut finalement déduire que
le courtil est plus spécialement un jardin potager, tel dans le cycle du Lancelot-Graal : «... et
voient en un cortil qui empres la chapele estoit, un preudome viel et ancien qui coilloit orties
a son mengier » 8 ou, dans un poème anonyme du xme s., Estula : « En son cortil avoit des
chos » 9.
Plus généralement et par extension, « courtil » constamment employé dans les textes d'archives
dans un contexte rural (ce qui n'exclut pas le contexte urbain10), prend le sens vague de
terrain : cortillus cum coherentibus terris, planis et clausuris11. L'utilisation de ce mot est en fait très
courante au Moyen Âge, ce qui rend souvent difficile son interprétation exacte. Lorsqu'il est
employé sans aucune précision, il désigne aisément un ensemble englobant la maison, les
bâtiments agricoles et les terres cultivées d'une même parcelle. On en trouve un très bon exemple
dans le terrier de la commanderie de Chazelles de 1290 : « Jhoanez Pupers, XX. et VIII. d. et
.1. gall. et .III. ras de cyva alla grant mesura, per sa mayson et per sont ort et per les vercheyres
qui apertinon al cultil » 12. La fréquence dans les textes d'archives de l'expression « courtil avec
maison » (cultilia cum domibus 13) renforce cette idée d'unité. Pour preuve, il a comme
équivalent le « manse » 14 au xne s. et le « mes » 15 au xme s.
De nos jours, il est aisément possible de percevoir les traces de l'existence du mot « mes » dans
la toponymie française : Le Maix (Côte-d'Or), Le Mée-près-Comissey (Yonne), Metz-Robert
(Aube), Odomez (Nord), Metz (Lorraine), etc. L'utilisation du mot est quasi identique à celle de
courtil, même si elle est moins courante. Godefroy le définit par « maison de campagne, ferme,
propriété rurale, jardin ; habitation, demeure » 16. Il est possible de voir une définition semblable
dans le terrier de Beuvry de 1298, en Artois, où un rentier décrit des terres avec une relative
précision. Il commence par les « mes », c'est-à-dire « la maison, le fournil, le four, les autres 'hes-
taux'
(bâtiments) dans la cour, et tout l'héritage » 17. Le jardin n'est pas cité dans l'énumération
5. E. Boileau, Registre des mestiers, 2e partie, I, 11, dans E Godefroy, Dictionnaire (op. cit. n. 3).
6. Grande chronique de France, Saint Loys, CIX, ibid.
I. G. Sivery, Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à la fin du Moyen Âge, Villeneuve-d'Ascq, PUL, 1977,
t. 1, p. 259.
8. A. Pauphilet, La queste del Saint Graal, Paris, 1967, p. 154 ; — M. de Combarieu du Grès, « La mort en ce
jardin (vergers et jardins dans le cycle du Lancelot-Graal) » , dans Vergers et jardins dans l'univers médiéval, Actes du
colloque, mars 1990, Aix-en-Provence, 1990 (Sénéfiance, 28), p. 69.
9. Anonyme, Estula, v. 22, dans R. Brusegan, Fabliaux (op. cit. n. 2).
10. Exemple dans F. Godefroy, Dictionnaire (op. cit. n. 3), vol. II « Les curtillaiges de la ville » (1229, Coutumes
aux habitants d'Auxerre, arch. mun. J 252).
:
II. Cartulaire de l'abbaye de Pontigny, 1157, s.l., dans M. Garrigues, Le premier cartulaire de l'abbaye cistercienne
de Pontigny (xiie-xme s.), Paris, Bibliothèque Nationale, 1981, milieu xne s., § 93, p. 163-164.
12. J. Gardette, J. Monfrin, Documents linguistiques de la France (série franco-provençale). Documents linguistiques
du Forez (1260-1498), Paris, CNRS, 1974, p. 27.
13. B. Delmaire, L'histoire-polyptique de l'abbaye de Marchiennes (1116/1121). Étude critique et édition, Louvain-la-
Neuve, 1985, p. 79.
14. «mansos sive curtillos », château de Tramecourt, cartulaire de l'abbaye d'Avesnnes-les-Bapaumes, f° 18r-v, 1159,
dans B. Delmaire, « Note sur la dîme des jardins, mes et courtil », dans Campagnes médiévales, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1995, p. 236.
15. P. FeuchèRE, De l'épée à la plume. Les châtelains d'Arras, ibid., p. 118-199.
16. F. Godefroy, Dictionnaire (op. cit. n. 3), vol. V.
17. A. Derville, Histoire de Béthune et de Beuvry, Dunkerque, Westhoek-Éditions / Éditions des Beffrois, 1985,
p. 60.
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mais il n'était pas forcément absent dans la réalité. Il est d'autre part fréquent de trouver
simultanément dans une même phrase ou dans un même texte les mots « courtil » et « mes », ou bien
en compagnie d'autres termes qui leur sont proches. Tenter de différencier ces mots reste alors
délicat mais on admettra volontiers qu'il est souvent question de terrains où la notion de
culture est dominante comme dans le cas qui suit : « Item se aulcun estrange est trouvé en vigne,
ou en meix, ou en jardin, ou en pré, ou en aultry bled, faisant dommaige»18.
Un autre terme utilisé par le vocabulaire médiéval est le « casai » (ou « casau », « chasal », « che-
sas », etc.). Comme le « mes » et le « courtil », le « casai » est un mot polysémique dont la
particularité est d'appartenir essentiellement à la région du sud-ouest de la France. Il s'utilise en
fait essentiellement en Gascogne, abordant le pays Toulousain et celui de Foix. Au-delà, il se fait
beaucoup plus rare, mais se retrouve en Italie et sous la barrière pyrénéenne19. Le terme vient
du bas-latin casalis qui désigne ce qui est propre à la maison rurale mais, au fil des siècles, son
champ sémantique s'est enrichi. Il a pu désigner la ferme ou la métairie comme le propose YAlt-
franzôsisches Wôrterbuch de Tobler-Lommatzsch. Mais il est surtout resté proche du « mes » et
du « courtil » dans le sens large, celui de l'exploitation paysanne ou de l'unité seigneuriale
(domaine, assiette fiscale). Comme le manse, il forme un complexe agraire et juridique :
— « A 1269 fu un grant croie en Ermenie, qui fondi un chastiau et trois abbaies d'Ermins,
et bien douze casiaus » 20 ;
— « En chesas, en meis, en chans » 21 ;
— « Lou cultil doudit chessal » 22.
En dehors de cette définition, qui suppose la présence de cultures, le « casai » indique aussi
parfois le bourg ou l'agglomération villageoise, et même le château comme dans la Chanson d'As-
premont :
A quinze lieues entor aus
Ne remest villes ne casaus23.
Selon l'étude de B. Cursente, ces interprétations sont principalement applicables jusqu'au milieu
du xme s. Le mot « casai » voit rapidement son sens s'étendre vers celui de jardin — qu'il
gardera dans le gascon moderne — : fruta o ortalissa de casai à Montoussin (1270), ortos seu casa-
lia à Polastron (1276), casalia ad facienda ortalicia à Mourède (1286) 24. L'auteur lie cette
évolution au phénomène de resserrement général de l'habitat. On remarque en effet dans de
nombreuses chartes et coutumes de bastides la faible dimension de cette pièce de terre. Ainsi,
lorsqu'une bastide était construite au Moyen Âge, son terroir était divisé en trois catégories de
lots : les terrains à bâtir, les jardins ou petites parcelles fermées à la périphérie immédiate de
l'agglomération portant le nom de « casai » ou « casalère », et les arpents de terre labourable ou
de vigne : domos localia, et casalia, et arpenta terre25.
L'« ouche » est un des mots que l'on retrouve le moins dans la littérature médiévale. Il vient du
bas-latin olca, qui signifie terre labourable26. On conçoit facilement qu'il ait pu prendre tantôt
le sens de jardin, tantôt celui de terrain cultivé. Son diminutif « oschette » est défini par Gode-
froy comme « une petite portion de terre labourable entourée de fossés ou de haies ». Ses autres
18. F. Godefroy, Dictionnaire (op. cit. n. 3), vol. V, cartulaire de Commercy, 1263.
19. B. Cursente, Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale (xie-xve s.), Toulouse, Presses universitaires du
Mirail, 1998, p. 35.
20. Arch. dép. de Haute-Saône, H 711, Luxeuil, 1265, dans F. Godefroy, Dictionnaire (op. cit. 3), vol. II.
21. Ibid.
22. Bibl. Nat., coll. Moreau, t. 198, f° 36, 1294, ibid.
23. J. Greimas, Dictionnaire de l'ancien français jusqu'au milieu du XIVe s., Paris, Larousse, 1980.
24. B. Cursente, Des maisons et des hommes (op. cit. n. 19), p. 231.
25. Ibid.
26. Jardins du Moyen Âge, Paris, Le léopard d'or, 1995, p. 104.
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37. M. Zink, Chrétien de Troyes. Romans suivis des Chansons, avec en appendice, Philomena, Paris, Le Livre de
Poche, 1994, v. 5733-34 et 5739.
38. A. Strubel, Le roman de Renart, Paris, Gallimard, 1998, « Renart médecin », branche XV, v. 1377-1381.
39. Ibid., branche XVIII, v. 104-106 et 108-110.
40. F. Mora-Lebrun, Le Roman de Thèbes, Paris, Librairie Générale Française, 1995, v. 4653, 5318, 5656 et 6309.
41. J.-L. Leclanche, Le conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, 1983.
42. I. Short, La chanson de Roland, Paris, Librairie Générale Française, 1990, v. 103 et 159.
43. A. Jeanroy, Anthologie des troubadours (op. cit. n. 2), p. 375, A la fontana del vergier.
44. A. Strubel, Le roman de Renart (op. cit n. 38), « Renart médecin », branche XV, v. 1389-1391, p. 548.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 387
(xie-xme s ?)53. Ce dernier contient dix-neuf actes faisant mention de jardins. Douze utilisent les
termes hortus ou ortus, quatre les termes courtillus ou curtillus et seulement trois le terme jar-
dinum. Il n'y aucun emploi de « vergier ». On note d'autre part l'usage tardif de curtillus et jar-
dinum à partir du XIIIe s.
Généralement, l'emploi du mot « ort » dans les textes rédigés en ancien français est quasi
exclusif. Même si les manuscrits sont en latin, l'utilisation des mots d'origine francique ne pose pas
de problème aux scribes. Ces mots s'intègrent facilement dans les phrases : lors d'une donation
à Richard de Harcourt d'un jardin sis à Ellebeuf : Ludovicus, Dei gratia, Francorum rex Nove-
ritis quod dilecto et fideli nostro Richardo de Harecourt dedimus et concessimus jardinum nostrum
de Euellebue super secanam, quod est contiguum jardino quod fuit Johanis de Tria54, ou encore
dans le cartulaire de Saint-Nicaise, au sujet de dîmes des jardins de la communauté rurale de
Poilcourt, les deux mots ortus et jardinus se côtoient : super premissis decimis jardinorum et orto-
rum et iterum inter eandem communitatem de Policurte55.
Le « verger », enfin, fait souvent des apparitions dans les textes sous sa forme latine viridarium
ou bien virgultum, terme qui lui est proche et qui signifie en latin classique menues branches,
jeunes pousses ou branchages. Le virectum est plus rare. Il est signalé par J. Harvey dans ses
Médiéval Gardens56 et semble désigner l'endroit verdoyant ou gazonné. Les deux premiers termes
latins peuvent se traduire par le terme courant (et même peut-être vague) de « jardin » car en
l'absence d'indications, on ne peut préciser le type de jardin dont il est question. Mais très
souvent, les termes désignent soit le jardin d'agrément, soit le lieu planté d'arbres fruitiers.
En fait, très souvent, le préau apparaît dans la littérature comme une partie intégrante d'un
jardin d'agrément comme il est clairement expliqué dans Lancelot : «... s'aloir esbanoier por un
jardin qui cignoit la tor ou ele estoit, si cueilloit flors un molt bel prael qui i estoit»60. Il est,
comme le « vergier », le lieu privilégié des rencontres amoureuses et de l'intimité.
Un autre type de jardin est le verger au sens que nous lui accordons aujourd'hui, c'est-à-dire le
lieu planté d'arbres fruitiers. Dans le cartulaire du prieuré Saint-Georges d'Hesdin du xne s ;
R. Fossier a relevé un grand nombre de pomerium, ortum cum arboribus, ou pomeriola61. Ces
vergers d'arbres fruitiers étaient constitués le plus souvent de pommiers, arbres très prisés à cette
époque pour leurs fruits largement consommés. Aussi la popularité de ces arbres a-t-elle fait que
les mots « pommeraie » ou « pomeroie », noms donnés à l'origine aux lieux plantés de pommiers,
sont devenus la dénomination des lieux plantés d'arbres fruitiers de tout genre. Mais ce sont
surtout les virgulto et viridario, traductions latines du mot « verger », que l'on retrouve dans les
textes. Le latin garde toute son emprise sur le vocabulaire. Quant à Varboretum, terme également
latin, il désignait un lieu planté d'arbres mais pas forcément d'arbres fruitiers.
À un type de jardin correspondait donc parfois au Moyen Âge un mot particulier. Mais d'une
manière générale, les termes les plus fréquents, aussi bien en langue d'oc qu'en langue d'oïl, sont
l'« ort », « le jardin » et le « courtil » et dans une moindre mesure le « verger » ou viridario. Dans
la littérature, on note que 55 % des textes étudiés emploient le terme de « vergier » et 24 %
celui de « jardin ».
Vocabulaire du jardin
Pourcentage des termes utilisés par rapport au nombre d'oeuvres étudiées
Le reflet donné par les villes médiévales au moment de leur essor ou de leur apogée est
souvent celui d'un amas de maisons et de bâtiments serrés les uns aux autres. La réalité fut
parfois tout autre. Les villes ont pu connaître à l'intérieur de leurs murs de nombreux espaces verts
et beaucoup gardent un caractère que quelques auteurs 62 qualifient de « champêtre ». Vignes,
prés, granges, jardins et même petit élevage sont attestés à l'intérieur des murs. À la fin du
XIe s., les maisons avec cour et jardin ne sont pas rares. On peut le voir dans un acte de
donation à l'abbaye de la Sauve Majeure : un certain Thierry fît don en 1079 de plusieurs maisons
avec cour, verger et terre dans la cité d'Orléans (... Aurelianis in civitate domos cum viridario et
curte et terram adiacentem)63. Les jardins sont présents dans des villes de taille modeste telle
Chazelles, près de Lyon, où l'on voit la maison de Martin Raouz se trouver « dedenz les portes
de Chasalez » accompagnée de « l'ort qui est de très la mayson » M, ou dans les plus grandes
agglomérations de France, comme Paris pour laquelle S. Roux a noté l'existence de jardins : en
1265, rue des Noyers, une grange avec un petit jardin tenant à un verger ; en 1270, rue des
Poitevins, une place où il y a une loge tenant à une grange et à un jardin ; et en 1276, rue des
Noyers, une autre grange attenante à un jardin65. La Taille de 1292 offre quelques exemples de
noms de rue évoquant des jardins parisiens66 : sur la rive droite, la rue des Rosiers, dans la
paroisse Saint-Gervais ; la rue des Jardins, dans la paroisse Saint-Jean ; la rue du Figuier et la
rue des Gardins dans la paroisse Saint-Paul, et sur la rive gauche, dans la paroisse de Saint-
Benoit-le-Bestourné, la rue aux Porées. À la même époque, Tibaut dans son Roman de la Poire
faisait ainsi une description de Paris :
La sont lé genz liées et gaies,
La sont li buisson et les haies,
Les arboises et li vergier67.
Présent à différentes époques du Moyen Âge, le jardin l'est également dans l'espace, sur divers
niveaux de la ville. On pouvait rencontrer des jardins au cœur même des villes, appartenant
généralement à des établissements ecclésiastiques ou à des personnes aisées. À Laon, le quartier
ouest de la cité, occupé majoritairement par le groupe épiscopal et les demeures des officiers,
des chevaliers et du châtelain, est garni de bâtiments pour la plupart fortifiés. Donnant sur la
rue, ils sont dotés de dépendances, avec jardin ou verger, le plus souvent situés à l'arrière68. La
grande maison, magna domus, ou l'hôtel particulier, nous dit A. Saint-Denis dans son ouvrage
sur Laon, est un élément caractéristique du paysage urbain laonnois. Elle est presque toujours
associée à un jardin ou un verger. La cité est d'autre part composée de petits quartiers ou îlots,
dénommés à l'époque par les mots mansus, manerium ou domus, qui comprenaient plusieurs
bâtisses sur plusieurs petites parcelles groupées. Presque toutes les grandes familles de la ville en
possédaient un. Le mansus d'Hugues la Truie, situé dans les quartiers ouest se composait en 1204
de onze maisons, dont deux avec jardin69. Mais cette situation du jardin dans la cité de Laon
ne vaut que jusque vers la moitié du xme s. À la fin du siècle en effet, la cité étouffe à
l'intérieur de sa muraille. Les jardins disparaissent peu à peu pour laisser place à de nouvelles
maisons qui cherchent la protection à l'intérieur des murs.
62. G. Riat, L'art des jardins, Paris, May, 1900 ; — G. Duby, Histoire de la France urbaine, t. 2, La ville médiévale,
Paris, Seuil, 1980.
63. C. Higounet et A. Higounet-Nadal, Grand cartulaire de la Sauve Majeure, Bordeaux, Fédération historique du
Sud-Ouest, 1996, acte n° 915, p. 498-499, 1079-1095, s.l.
64. J. Gardette et J. Monfrin, Documents linguistiques {op. cit. n. 12), n° 82, p. 45.
65. S. Roux, « L'effacement de la campagne sous la poussée urbaine : la rive gauche de Paris au xme s. », dans Le
village médiéval et son environnement, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 641.
66. A. Franklin, Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le xme s., t. 1,
Marseille, Laffitte Repr., 1987, p. 90.
67. C. Marchello-Nizia, Le roman de la Poire par Tibaut, Paris, Société des anciens textes français, 1985, v. 1365-
1367.
68. A. Saint-Denis, Apogée d'une cité : Laon et le Laonnois aux xiie-xme s., Nancy, Presses universitaires de Nancy,
1994, p. 74.
69. Ibid., p. 367.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 391
Au milieu du xive s., malgré une population toujours croissante, les jardins continuent d'occuper
des espaces dans les villes comme à Reims70. Au total, la Prisée de 1328 en compte quarante-
six, quantité non négligeable si l'on songe que les jardins des églises et des maisons religieuses
ne sont pas compris dans cet inventaire. Dix-huit de ces jardins intra-muros étaient la
prolongation d'une maison avec laquelle ils étaient estimés globalement, alors que vingt-huit étaient
localisés sur des parcelles indépendantes.
La place la plus fréquente du jardin dans la ville est toutefois dans la périphérie, proche des
murs. Car si les jardins se placent volontiers dans la périphérie, c'est qu'ils se trouvent
ordinairement dans les quartiers les plus récents. À la fin du xie s., à Saint-Etienne d'Agde, un jardin
est mentionné dans une donation à l'église Sainte-Marie d'Agde par la comtesse Ermengarde et
son fils Bernard, près de la porte nord de la cité : ...donamus itaque ecclesie Sancte Marie geni-
tricis Domini ipsum hortum, qui est ad portant civitatis11 .
À Paris, au milieu du xme s., la présence de ces jardins périphériques intra-muros est attestée
par l'achat de terrains par la famille royale. Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis, occupe
un hôtel rue d'Osteriche, non loin du Louvre. En 1254, il le fait agrandir et achète encore
ensuite, dans la proximité immédiate, des places vides et des jardins. Le comte d'Artois, quant à
lui, possède également un hôtel sur la rive droite, près du rempart. En 1271, il acheta un jardin
à côté de la «pointe Saint-Eustache » 72. Non loin de cette dernière, se trouve un autre jardin,
attesté un peu plus tôt en mai 1242, à l'occasion d'une donation à l'Hôtel-Dieu par Guillaume
Pitart et sa femme Tiphaine : domum cum jardino et ejus omnibus pertinenciis, sitam in vico qui
dicitur Puncta Grimoudi, propre capud ecclesie Sancti Eustachii Parisiensis73. Au début du XIVe s.,
c'est un autre jardin qui fait son apparition du côté des anciens fossés de Saint-Germain l'Auxer-
rois, près de la muraille de Philippe Auguste : « un manoir ou unes maisons assises a Paris en
la rue que on dit le fossé saint Germain, en la terre et en la Censive du doyen et chapitre Saint
Germain l'Aucerrois de Paris, joignans de la partie deseure aux petites mesons et jardin feu
Jehan Augier, ou chief de la rue des Poulies » .
Il arrive aussi qu'à l'intérieur d'une ville, un espace de jardin survive pendant plusieurs siècles
à l'urbanisation. La fouille de l'îlot Tramassac, en bordure de la cité de Lyon, a livré un exemple
de ce type : un espace vide existant depuis au moins le xie s. jusqu'au début du xive s. a pu
être identifié comme étant un jardin75. Entre le mur d'enceinte du chapitre Saint- Jean et les
vestiges d'un bâtiment, ont été retrouvés des tessons de céramiques appartenant à différentes
couches de terre mais se complétant, annonçant le brassage de la terre d'un jardin. Un puits de
section ovale et construit en gros blocs de calcaire bien appareillés, jouxtait le mur à l'ouest, au
fond de la parcelle. Conservé sur quatre mètres de profondeur, il a restitué la moitié d'un
cruchon daté de la première moitié du xme s. Enfin, un dépotoir daté de la fin du xme au début
du xive s., contenant de la céramique de luxe, témoin de la richesse du propriétaire des lieux,
concourt à renforcer l'idée que le jardin en milieu urbain est souvent un signe d'aisance.
D'autres indices, non archéologiques mais historiques, viennent défendre l'interprétation de cet
espace non bâti comme jardin. Des textes ont mentionné la plantation d'arbres dans le secteur
de l'îlot Tramassac, mais sans aucune précision géographique. Il est donc tout à fait possible de
penser que les descriptions s'appliquent à cet endroit.
70. P. Desportes, Reims et les Rémois aux xme et xive siècles, Paris, Picard, 1979, p. 464.
71. R. Foreville, Le cartulaire du chapitre cathédral Saint-Étienne d'Agde, Paris, CNRS, 1995, notice 110, p. 193-194,
12 octobre 1074-1083, si
72. R. Cazelles, Nouvelle histoire de Paris de la fin du règne de Philippe Auguste à la mort de Charles V 1223-
1380, Paris, 1994, p. 13.
n° 458,
73. p.L. 220.
Briele et E. Coyecque, Archives de l'Hôtel-Dieu de Paris (1157-1300), Paris, Imprimerie Nationale, 1894,
74. J. Favier, Cartulaire et actes d'Anguerran de Marigny, Paris, Bibliothèque nationale, 1965, § 102, p. 221-223, juin
1306, Paris.
75. C. Arlaud, J. Burnouf, J.-P. Bravard et alii, Lyon Saint-Jean : les fouilles de l'îlot Tramassac, Lyon, SRA, 1994,
p. 52-54.
392 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 46, 2003 ÉLISE GESBERT
On a pu s'apercevoir que le jardin est tantôt rattaché à une habitation, tantôt il se place sur
une parcelle indépendante. On ne peut affirmer si une tendance accompagnait l'une ou l'autre
option. Le jardin qui jouxte la maison est ordinairement à l'arrière de celle-ci. Cette situation
permet tout simplement à l'occupant d'accéder plus rapidement à sa demeure qui borde la rue.
La fonction résidentielle prime avant tout. Mais la place du jardin lié à la maison, peut
s'expliquer en deux points.
1. — Le premier vient à soutenir que le jardin est un terrain de culture qui nécessite des soins
presque journaliers. Aussi, pour des raisons de commodité, le jardin trouve sa place tout
naturellement auprès de la maison. On note la fréquence des expressions de type «jardin adjacent
à la maison » ou bien « jouxtant la maison ». Cluny, à la fin du XIe s., était par exemple garnie
de maisons aux façades étroites mais profondes, et prolongées par un jardin : domus et ortum
qui adheret domui76. On trouve d'autres exemples à Paris au XIIIe s. : domum sitam Parisius in
majori vico Parvi Pontis, cum granchia et jardino eidem domui adjacentibus77, ou encore à
Bayeux, avec l'expression plus précise « derrière la maison » : jardino rétro dictam domum, situm
inter castrum nostrum Baioense78.
2. — Lors des hausses démographiques, les jardins doivent fréquemment céder leur emplacement
à de nouvelles habitations. Ils sont rejetés hors des murs et séparés de leur maison.
Afin d'expliquer la présence de jardins à l'intérieur de la ville, il convient d'entreprendre une
courte étude sur leurs propriétaires. On a remarqué que le jardin à l'intérieur des murs est
souvent un signe de richesse. Les propriétaires de ces jardins intra-muros sont en effet des
personnes d'un certain rang ou d'une certaine catégorie sociale. Les princes de la famille royale ont
des jardins à Paris ; saint Louis lui-même en possède sur la pointe de l'île de la Cité79. À
Provins, on pouvait voir à l'extérieur de l'enceinte du château des comtes de Champagne, un jardin
à l'ouest des portes nord80. Quant à l'implantation des jardins à Laon, elle correspond presque
toujours à la présence de demeures fortifiées qui appartiennent à des officiers et à des
chevaliers, c'est-à-dire à des familles aristocratiques.
Les établissements religieux entretiennent presque toujours des jardins dont les produits sont de
première nécessité. Mais les hommes d'Église eux-mêmes, de haute hiérarchie, en dehors des
ensembles religieux, ont des jardins pour leurs propres besoins. Le jardin de l'îlot Tramassac à
Lyon, qui côtoie un hôtel, appartenait en fait à l'évêque Philippe de Thurey dont le nom est
mentionné par des textes d'archives81.
« Les bourgeois ont toujours passé pour aimer beaucoup les jardins », écrit G. Riat avec raison
en 1900 dans L'art des jardins82. C'est aux XIIe et xme s. que la bourgeoisie prend son essor.
Sans doute a-t-elle aussi contribué à l'existence des jardins à l'intérieur des murs. P. Desportes
a constaté, pour la ville de Reims, que les jardins indépendants sont certainement liés à une
population humble comme dans la paroisse de Saint-Étienne, tandis qu'à Saint-Jacques, paroisse
beaucoup plus riche, la grande majorité des jardins était couplée avec des maisons83. Doit-on
voir un lien entre le couple maison-jardin et l'aisance du propriétaire en milieu urbain ? Peut-
être, en tout cas certainement dans un contexte de forte urbanisation. Lorsque les enceintes
s'agrandissent, les petits jardins d'artisans ou de simples marchands, ayant proliféré sans
contrainte spatiale à l'extérieur, deviennent à coup sûr les plus nombreux mais généralement
pour un court laps de temps, car les populations gagnent toujours du terrain à la fin du
76. G. Duby, La société aux XIe et xne s. dans la région mâconnaise, Paris, SEVPEN, 1971, p. 266, vers 1080.
77. L. Briele et E. Coyecque, Archives de l'Hôtel Dieu {op. cit. n. 73), n° 686, p. 355, 6 février 1261.
78. L. Delisle, Cartulaire normand de Philippe Auguste {op. cit. n. 54), n° 663, p. 134, vers 1260.
79. G. Degos, « Les parcs et les jardins des monuments historiques », Les cahiers de la ligue urbaine et rurale, juin
1949, n° 142, p. 29.
80. J. Mesqui, M. Bellot et P. Garrigou-Grandchamp, « Le palais des comtes de Champagne à Provins »,
Bulletin monumental, 151, 1993, p. 321-355.
81. C. Arlaud, J. Burnouf, J.-P. Bravard et alii, Lyon Saint-Jean {op. cit. n. 75), p. 54.
82. G. Riat, L'art des jardins {op. cit. n. 62), p. 71 et ss.
83. P. Desportes, Reims et les Rémois {op. cit. n. 70), p. 465.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 393
Moyen Âge. L'existence et l'entretien des jardins urbains sont donc liés à une bonne situation
économique tout autant qu'à un état démographique.
II.1.2. Les jardins périurbains
De par leur petite superficie, les jardins vivriers intra-muros ne peuvent subvenir aux besoins
alimentaires de toute une population urbaine. Ainsi, très couramment, il existe autour des villes,
qu'elles soient grandes ou petites, ce que Georges Duby a appelé « une auréole de jardinage » 84.
Plus on s'éloigne des murs, plus vite apparaissent les cultures et les jardins. Le paysage type de
la banlieue d'une agglomération se composait schématiquement ainsi : les habitations des
faubourgs, les jardins qui les entourent, les clos de vigne et les différentes autres cultures. Chartres
offre un exemple de cette composition au xie s. Dans le cartulaire de Saint-Père les vignes font
place aux jardins : terram in qua quondam fuere vinae et modo sunt in ea ortuli plurinorum
hominum... 85, puis à des maisons. C'est dans le dernier tiers du xie s. que la ville connaît un
développement rapide et cela pendant plus d'un siècle. Face à cet essor, la demande en
alimentation se fait plus pressante et les vignes doivent céder leur place vers la vallée de l'Eure et
dans les plaines de l'Ouest.
Les faubourgs sont en réalité «le terrain de prédilection des jardins»86. Proches de la ville, ils
sont d'un accès rapide pour les propriétaires urbains ; ils n'empêchent pas les nouvelles maisons
de s'implanter à l'intérieur de la muraille ; ils ont peu de contraintes spatiales. La littérature
même expose des paysages péri-urbains envahis de jardins. L'exemple le plus remarquable est
sans doute celui du Roman de Thèbes : trois des sept portes de la cité sont directement en
contact avec des jardins87. On remarque dans les documents des expressions qui signalent bien
cette situation du jardin hors des murs. Dans le cartulaire de l'abbaye de Saint-Amant-de-Boixe
au xne s., à l'occasion de compromis sur des terres, sont mentionnés des jardins « au-dessus » de
la ville (ortos supra villam sancti Amantiï) qui, on peut le signaler, semblent se grouper avec
d'autres jardins (... Cecilia nomine, dédit pro anima matris suae Petronillae alios ortos qui sunt
iuxta supradictos ortos)88.
Parfois certains quartiers péri-urbains sont exploités presque totalement en jardins et portent des
noms significatifs. En Roussillon, Vhorta de Perpignan devient en 1225 Yhorta nova par un
agrandissement, celui d'Argelès est mentionné plusieurs fois à la fin du xme s., en 1293 89 ; en
Provence, ces lieux sont appelés « ors » ou « orts » 90.
Nombre de documents mentionnent aussi l'emplacement près des murs et des portes des jardins
£éri-urbains, par exemple dans une liste des possessions et revenus de la Sauve Majeure à Saint-
Émilion : Item W. Boca et Arnaldus Malengenhc [...] tenent omnes domos et ortos que sunt a
ponte quod vocatur Pétri Willelmi usque ad murum et usque ad portam de Braneto, intrus et
extra91 ; ou dans un document daté de mai 1256 et conservé dans le département des Vosges :
« dou meis qui siet a la porte de la rue Sainte Marie de lez le meis Hue de Langle » 92. A la
fin du Moyen Âge, les jardins péri-urbains d'Arles se trouvent en grande majorité à proximité
84. G. Duby, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, t. 1, Paris, 1962, p. 60.
85. Cartulaire de Saint-Père, t. 1, p. 220, vers 1080, dans A. Chédeville, Chartres et ses campagnes (xie-xme s.), Paris,
Klincksieck, 1973, note 385, p. 226.
86. C. Billot, Chartres à la fin du Moyen Âge, Paris, EHESS, 1987, p. 83.
87. E Mora-Lebrun, Le roman de Thèbes (op. cit. n. 40), v. 5654 à 5665.
88. A. Debord, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Amant-de-Boixe, Poitiers, Oudin-Beaulu, 1982, notice 139, p. 171-172,
1161-1182.
89. A. Bruails, Étude sur la condition des populations rurales du Roussillon au Moyen Âge, Paris, 1891, t. 1, p. 20.
90. L. Stouff, Ravitaillement et alimentation en Provence aux xwe et XVe s., Paris, 1970, p. 103.
91. C. Higounet et A. Higounet-Nadal, Grand cartulaire de la Sauve (op. cit. n. 63), t. 2, notice 1139, p. 636-637,
s.d.
92. J. Monfrin et L. Fossier, Documents linguistiques de la France (série française). Chartes en langue française
antérieures à 1271 conservées dans le département des Vosges, Paris, CNRS, 1975, notice n° 41, p. 42-43.
394 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 46, 2003 ÉLISE GESBERT
des murs de la ville, sinon au pied même du rempart. On rencontre souvent dans ses documents
écrits des expressions du type propre portale ou extra et propre muros Arelatis93.
Les jardins côtoient aussi naturellement les fossés des villes, par exemple, au xne s. en Charente :
... scilicet domum et ortum Stephanii Boerii, et domum quant Petronilla, cognomine Falsa tenebat
et ortum qui est iuxta domum illam et quicquid habebat infra villam sancti Amantii scilicet infra
fossata et quendam ortum ad vivarium94. Quelques jardins ont pu se placer à l'intérieur même
des fossés en temps de paix, mais souvent pour de courtes périodes. Dans la première moitié du
xiie s., des documents de Louis VII, destinés à l'abbaye de Saint-Denis, révèlent qu'au sud de
Reims des terrains, encore vides au xie s., ont été occupés avec les fossés par des jardins, mais
aussi des maisons, preuve que la région rémoise vit à cette épocjue dans la tranquillité95.
G. Fabre et T. Lochard, dans leur étude sur Montpellier au Moyen Age, ont trouvé une phrase
simple, datée du xive s., démontrant la présence sans doute florissante de jardins dans les fossés
à une époque antérieure : « les fossés de Montpellier où autrefois étaient jardins, vergers et
arbres sont pleins de ronces et espines et de serpents et lésards » 96. En outre si les jardins
aiment à se placer dans les fossés des villes, ce n'est peut-être pas seulement à cause de leur
proximité par rapport à l'habitat, c'est peut-être aussi pour l'humidité que l'on peut y trouver.
La présence de l'eau à l'extérieur d'une ville a certainement été un facteur d'installation des
jardins hors des murs. Les cours d'eau permettent au jardinier d'irriguer plus facilement son
terrain. À la fin du XIe s., dans un legs, par le chartrain Hildegaire à Saint-Martin-au-Val, des vignes
sans doutes proches de l'Eure, sont bordées par un jardin qui pouvait être irrigué : In fine vero
... herbarum ortus ... quem quociens vult ortholanus circumfluit competenter aqueductu97. Au
milieu du xme s., la vente d'une terre signale un « meis » situé près d'un ru dans le
département des Vosges : «... la terre et lou pré qui sient entre lu ru de Pargnei et le meis le signour
Wautier»98. La cité de Périgueux, quant à elle, se trouve alors dans une ceinture de jardins mais
également de « rivières » (ribieyras) ", affluents de l'Isle.
Mais on ne peut parler de jardins et d'eau sans évoquer les marais de Paris, de Picardie et de
ses régions voisines, créés pour la plupart à partir du xme s.100. De grands travaux de drainage
permettent en effet à de nombreux jardins de s'installer auprès des villes. L'emplacement est
idéal : proches des villes qu'ils alimentaient généreusement, ils trouvent de l'eau en abondance.
Ils sont ceinturés de fossés assez larges pour recueillir l'eau drainée, sinon les immondices.
Au terme de ce panorama, on acquiert la certitude que les structures des villes médiévales
françaises ont comporté de nombreux jardins. Ils n'y occupaient la plupart du temps que des
surfaces restreintes, mais s'étendaient dès qu'ils sortaient des murs. Le nombre et la densité des
jardins intra-muros dépendaient de la surface de l'enceinte et du coefficient d'habitations. En
général, dans les petites agglomérations et dans les parties les plus anciennes de celles-ci, les
jardins étaient peu nombreux. À Puy-Saint-Front de Périgueux, la présence et la disparition des
jardins intra-muros ont pu être mesurées grâce à des textes allant de 1247 à la fin du xve s. : les
changements étaient liés à la situation démographique101.
Il semble que la multiplication des jardins s'est effectuée à partir du xme s., si l'on se réfère à
la documentation écrite. Mais celle-ci n'a peut-être pas toujours reflété la réalité : l'origine
93. L. Stouff, Arles à la fin du Moyen Âge, Lille, Université de Provence, 1986, t. 1, p. 376.
94. A. Debord, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Amant (voir n. 88), notice n° 52, p. 121, 1161-1191.
95. P. Desportes, Reims et les Rémois (op. cit. n. 70), p. 65.
96. A. C. Marin-Rambier, Montpellier à la fin du Moyen Âge, p. 88, dans G. Fabre, T. Lochard, Montpellier : la
ville médiévale, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 216.
97. A. Chédeville, Chartres et ses campagnes (xie-xme siècles), Paris, Klincksieck, 1973, p. 224-225.
98. J. Monfrin et L. Fossier, Documents linguistiques de la France (op. cit. n. 92), notice n° 57, p. 59-60.
99. G. Duby, Histoire de la France urbaine (op. cit. n. 62), t. 2, p. 230.
100. T. Kleinndienst, « La topographie et l'exploitation des " Marais de Paris " du xne au xvme s. », dans Paris et
Ile de France. Mémoires publiées par la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et d'Ile-de-France,
t. XIV, 1963, Paris, Klincksieck, 1964, p. 46 ; — R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du xme s.,
Paris, Nauwelaerts, 1968, p. 391 et ss.
101. A. Higounet-Nadal, Les jardins urbains (op. cit. n. 32), p. 118.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 395
sociale de l'auteur, le type de texte — littéraire ou historique — et sa raison d'être, sont autant
de facteurs qui ont contribué à biaiser la réalité ou à en sélectionner une partie. Cette
multiplication a donc pu débuter bien avant.
102. J. Chaurand, « Jardins domestiques médiévaux. Les noms des jardins dans la toponymie », dans Le temps des
jardins, Melun, Comité départemental du Patrimoine de Seine-et-Marne, 1992, p. 223-225.
103. Ibid., notice n° 3, p. 67, vers 1143-1158 ?
104. R. Foreville, Cartulaire du chapitre cathédral (op. cit. n. 71), notice n° 218, p. 278-279, janvier 1107.
105. Ibid., notice n° 72, p. 157-158.
106. J. Gardette et J. Monfrin, Documents linguistiques (op. cit. n. 12), notices n° 26 et 24, p. 27.
107. C. Higounet et A. Higounet-Nadal, Grand cartulaire de la Sauve (op. cit. n. 63), t. 1, notice n° 95, p. 90-91,
1079-1095.
108. Ibid., notice n° 866, p. 468-469, 1155-1183.
396 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 46, 2003 ÉLISE GESBERT
XIIIe s. dans un autre don, à l'abbaye de Saint- Vincent du Mans : domum et ortum situm apud
Montemfortem109. Mais les expressions ou termes précisant la proximité du jardin à la maison
sont multiples et plus ou moins concis. Le jardin peut « s'asseoir près de la maison », ici dans
un document daté d'avril 1259 conservé dans le département des Vosges : « un meis qui siet
selon la mason Sarezin » no. Un peu plus tard, en Forez, on trouve d'autres formules, avec pour
traduction possible de l'expression « de très », le terme « proche » : « Tort qui est de très la may-
son » m et « mayson et [...] Tort qui est de très » 112. Parfois le jardin « se tient à la maison »,
comme dans cet extrait du terrier de la commanderie de Chazelles : « per la mayson de soz la
vi qui est juxta lo Portai et per Tort qui s'i tint » 113. Enfin, le « jardin jouxtant la maison » est
une des expressions les plus courantes comme ici : « son ort qui est juxta sa mayson » 114 ou
« per sa mayson et per dos orz, de que est l'uns juxta sa mayson et l'autre juxta la mayson
Garel » 115.
Les textes littéraires s'attachent aussi à montrer l'existence du jardin près de la maison. Dans
l'épisode du « Partage des proies » du Roman de Renart, il est bien précisé que jardin et
maison sont tous deux clos d'une palissade :
Car cloz estoit trestous entor
Et li jardins et la maisons
De pieus agus, de gros et Ions116.
Mais si cette précision spatiale du jardin par rapport à la maison reste jusqu'à un certain point
assez vague, il arrive que des scribes en précisent l'emplacement exact. Nombre d'auteurs
indiquent que le « courtil » est placé derrière la maison, l'avant étant occupé par une cour. Le
village de Dracy, en Bourgogne, offre au Moyen Âge deux rues principales séparées par une
distance de 55 à 60 mètres. Entre les deux lignes d'édifices qui bordent les routes, se déploient les
cours et les « meix » 117.
Mais on peut évoquer un autre cas de la disposition jardin-maison, dans les régions où les
falaises côtoient les habitations. Les villageois se servent en effet des falaises qui forment un
long mur idéal pour adosser leur maison. Il ne reste alors d'autre choix que d'installer les
jardins devant la demeure, voire sur un côté lorsque les habitations ne se touchent pas ou bordent
directement la rue. Certains scribes se sont attachés à préciser cet emplacement moins courant
à la fin du xme s. : « per la mayson et per l'ort qui est davant lor porta » 118.
Lorsqu'il y a groupement de l'habitat, les jardins forment comme en ville la banlieue du village.
Ils dessinent autour de celui-ci une ceinture dite « courtillage », « enclos », « pourpris », etc., selon
les pays. Ainsi nombre de jardins apparaissant dans les textes ne touchent pas leur maison. On
les voit jouxtant d'autres terres (orto quod est juxta pratum 119, vinea Meissonerii et ortus qui est
juxta120), ou alors près des moulins, que l'on peut lier à la présence d'un cours d'eau. Un
certain Gaucelm de Lignan donne à la Sauve Majeure ce qu'il possède à Quinssac près du
moulin : quod habebat apud Quinsag cum orto adiacente et cum terra que est ante121.
109. A. Chédeville, Chartres et ses campagnes {op. cit. n. 85), acte n° 210, p. 251, 1213.
110. J. Monfrin et L. Fossier, Documents linguistiques de la France {op. cit. n. 92), notice n° 60, p. 62-63.
111. J. Gardette et J. Monfrin, Documents linguistiques {op. cit. n. 12), p. 45, n° 82, 1290.
112. Ibid., p. 50, n° 107, 1290.
113. Ibid., p. 46, n° 87, 1290.
114. Ibid., p. 23, n° 7, 1290.
115. Ibid., p. 25, n° 14, 1290.
116. A. Srubel, Le roman de Renart {op. cit. n. 38), branche XVII, v. 104-106.
117. G. Duby et A. Wallon, Histoire de la France rurale {op. cit. n. 33), t. 1, p. 517.
118. J. Gardette et J. Monfrin, Documents linguistiques {op. cit. n. 12), p. 56, n° 127, 1290.
119. Ibid., n° 62, p. 96, 1155-1156.
120. R. Foreville, Le cartulaire du chapitre cathédral {op. cit. n. 71), notice n° 130, p. 208-209, 1170-1200.
121. C. Higounet et A. Higounet-Nadal, Grand cartulaire de la Sauve {op. cit. n. 63), notice n° 378, p. 231, s.d.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 397
L'eau a attiré les jardins pour des raisons de commodité d'irrigation. On le remarque lorsque
Chrétien de Troyes décrit, dans Erec et Enide, le paysage que les personnages découvrent en
arrivant à Carrant. « Vergiers » et « rivières » sont associés dans un même vers :
De forez et de praeries
De vignes et de gaingneries,
De rivières et de vergiers122.
Mais ruisseaux et rivières ne servent pas seulement à approvisionner le terrain en eau, ils
peuvent parfois délimiter le jardin et en commander la profondeur.
À la campagne, il n'y a donc guère de ferme sans son jardin. Les plus riches cultivent
certainement des légumes, des simples, des plantes textiles, des fruits et de la vigne. Les plus pauvres
se contentent d'y faire pousser quelques herbes et quelques racines. Mais peut-on dire que les
jardins de milieu rural n'ont qu'une fonction utilitaire ? La question reste pour le moment sans
réponse. Il est vrai que les documents historiques ne font jamais allusion à la fonction même
des jardins. La littérature, quant à elle, ne nous décrit grossièrement que des choux, des arbres
fruitiers et des herbes médicinales. On peut toutefois imaginer que quelques personnes plus
aisées aient pu s'aménager un coin de jardin pour l'agrément car la composition florale d'un
jardin est toujours la réponse directe aux besoins des propriétaires.
125. Ms. latin 8865, Lambert de Saint-Omer, Liber floridus. France (Saint-Omer), XIIIe s. (vers 1260), f. 46v,
peinture sur parchemin, 165 x 107 mm.
126. C. Beaune, « Les jardins médiévaux et la symbolique religieuse », dans Le temps des jardins {op. cit. n. 102),
p. 348.
127. M. Cambornac, Plantes et jardins du Moyen Âge, Paris, Edipso, p. 28. Des « palis » sont mentionnés en 1328
à Périgueux, arch. comm. de Périgueux, FF 203, f° 41, dans A. Higounet-Nadal, Périgueux aux xive et XVe siècles. Étude
de démographie historique, t. 1, p. 160.
128. M. Paul-Sehl, Recherches en vue d'une reconstitution matérielle du jardin médiéval à l'aide des documents
historiques, iconographiques et littéraires [thèse, dactyl.], Paris, EPHESS, 1980, p. 149.
129. J. BÉDIER, Les chansons de Colin Muset (op. cit. n. 2), v. 50.
130. C. Thacker, Histoire des jardins, Paris, Denoël, 1981, p. 84.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 399
mur appartenait au prieuré des chanoines de Saint-Augustin, fondé au milieu du XIIe s. De forme
quadrangulaire, il comportait deux tours d'angle, de forme cylindrique, et à mi-chemin entre
celles-ci, une autre tour semi-circulaire. Son épaisseur variait de 0,80 à 1 mètre, tandis que le
diamètre des tours était compris entre 1 et 1,50 mètre. Il s'agit en fait d'un type de fortification
bien connu à partir de la fin du xne s. et surtout au xme s. Les châteaux du Louvre et de Dour-
dan ainsi que la chemise du donjon de Caen présentaient des murs de fortification similaires
avec tours d'angle circulaires. Seules la dimension et la surface de la structure interdisent de voir
ici une vraie fortification. Le diamètre des tours était trop petit pour qu'un homme puisse y
étendre les bras. Les murs n'étaient d'ailleurs pas faits pour résister aux engins de guerre. Il
s'agissait plutôt du modèle réduit d'une fortification. La partie supérieure des murs étant
détruite, on n'a pu déterminer ni sa hauteur, ni si elle comportait des crénelages. Le haut des
tours ne fut pas non plus reconstituable 131. Par ailleurs, la littérature a toujours mentionné de
« haus murs », dont on peut imaginer la hauteur dans Richars Li Biaus, lorsqu'on apprend que
des arbres fruitiers surmontent le mur d'un verger132. Il est alors possible de dire que les murs
du jardin de Plessis-Grimoult devaient être, au minimum, à hauteur d'homme.
Le mur du jardin du roi, sur l'île de la Cité à Paris, quant à lui, s'élevait certainement à une
grande hauteur. Il fut en effet conservé sur 5 mètres de haut, en partant de la fondation. Adossé
à la berge, il avait été conçu, avant tout, comme un mur de quai ou de soutènement. L'examen
de ce mur, lors de sa fouille, a permis de montrer que, lorsqu'il atteignait le niveau du jardin,
le traitement des parements était particulièrement soigné, signe de la richesse du propriétaire. La
première mention de ce mur date de 1296 : à la suite d'une inondation, il était possible de
passer « a batel par dessus les murs le vergier le roi » 133.
Le mur semble avoir été une clôture plus sûre que la clôture de végétaux, comme nous le
montrent ces deux passages du Roman de la Rosé :
Li murs fu haus et tous quarrés ;
Si en estoit cloz et barrés,
En leu de haie, li vergiers
Ou onc n'avoit entré bergiers. (v. 467-470)
Et sachiés que je ne savoie
S'il y avoit pertuis ne haie
Ne leu par ou l'en y entrast » (v. 503-505)
Pourtant, dans Le chevalier de la charrette, c'est un mur écroulé qui permet à Lancelot de
pénétrer dans le verger pour rejoindre la reine Guenièvre 134.
Les jardins clos de murs sont ainsi souvent ceux de châteaux, palais, maisons fortifiées ou
établissements ecclésiastiques. Les murs appartiennent d'ailleurs souvent à la muraille englobant
toute la propriété ou bien s'y rattachent comme dans le roman de Cligès : « Et li vergiers est
clos entor De haut mur qui tient en la tor » (v. 6339-6340). Il peut ainsi être crénelé et flanqué
de tourelles. Des peintures l'ont peut-être même orné comme dans le conte de Floire et Blan-
cheflor135 :
Li vergiers est et biax et grans, [...]
De l'une part est clos de mur
Tôt paint a or et a asur.
Les grands domaines ne sont cependant pas les seuls à avoir le monopole de la pierre dans les
clôtures. Dans les villes, les jardins, contigus ou non à la maison, ont été volontiers clos de murs
131. E. Zadora-Rio, « Hortus conclusus un jardin médiéval au Plessis-Grimoult », dans Mélanges d'archéologie et
d'histoire médiévales : en l'honneur de Michel De Bouard, Paris, Droz, 1982, p. 393-399.
:
de pierre, peut-être alors de hauteur plus basse que les précédents et moins bien ouvragés. Les
murs tiennent certainement une plus grande place dans les régions où la pierre était abondante.
Le fossé a souvent servi à délimiter le jardin. Il n'apparaît que dans un seul roman du Moyen
Âge. Au vers 4646 de Garin le Loherenc136, un fossé est creusé autour d'un vaste jardin dans
le but de le protéger d'éventuels intrus ou ennemis. On se doute que le fossé seul, surtout s'il
est de modeste taille, ne peut empêcher les hommes ou les animaux de pénétrer dans la zone
cultivée. Aussi le fossé est-il très souvent accompagné d'une palissade, ici dans le même roman :
« Jardin qui fu clos de fossez entor et de paliz » (v. 4229). La palissade peut se trouver sur un
des bords éventuellement rehaussé du fossé, mais elle peut aussi se placer à l'intérieur de la
fosse, comme celle qui, en 1251, entoure un potager de Clarendon en Angleterre137.
La clôture mixte, enfin, associe palissade ou treillis à une haie de végétaux. La combinaison de
deux types de clôture assure une meilleure protection. Dans l'épisode de « Chantecler, Mésange
et Tibert » du Roman de Renart, ce type de clôture est nettement décrit : bois de chêne pour
la palissade et buisson d'aubépine pour la haie.
Li cortils estoit bien enclos
De pieus de chaisnes agus et gros ;
Hordes estoit d'aubes espines (v. 45-47).
Pierre de Crescens explique comment confectionner de telles clôtures : « Lon faict défense de
pieux et de hayes quant on les peult avoir et les garnist on despines car lon aguise les pieux
et les boute lon en terre demy pied ou plus puis les lye lon ensemble de espines ou de oziers
ou aultres lyens de laultre deux piedz ou troys et y atacher au travers quatre perches fort lyees
ausdit pieux et puis y mettre et lyer aulcunes défenses despines ou daultre chose » 138.
Il faut aussi noter, à l'intérieur même des jardins, l'existence de petites clôtures servant à
délimiter et à structurer les espaces cultivés. Celles qui se prêtent le mieux à cette fonction sont les
clôtures de haie — à condition que l'on utilise de petits arbustes comme le buis — le clayon-
nage, le treillis, la balustrade et le muret. Le treillis est composé de montants de bois fins,
entrecroisés en diagonale, de manière à former des petits losanges qui étaient liés par de l'osier. On
peut utiliser pour cela les branches de vignes ou de chèvrefeuilles139, mais aussi le roseau140. Le
treillis, tout comme la balustrade dont il n'existe aucun témoignage avant le xive s., peut
servir d'appui aux plantes grimpantes.
Les clôtures légères n'ont donc laissé que de rares témoignages archéologiques de par leur
nature périssable. En 1996, la fouille d'une zone urbaine de la ville de Drancy a fait ressortir
un espace de jardin daté du xne s. et entouré d'une tranchée curviligne, vestige d'une haie ou
d'une palissade. Elle était doublée sur une partie de sa longueur d'un fossé141. Mais les jardins
entourés de fossés ou de murs ont pu être confondus avec des vestiges de maisons fortes,
représentées le plus souvent par une plate-forme quadrangulaire entourée d'un fossé en eau. C'est
peut-être cette confusion qui explique que certains sites, répertoriés comme maisons fortes, ne
livrent à la fouille aucune trace de bâtiment ou uniquement des restes de constructions
légères 142.
Les enluminures de la fin du Moyen Âge nous montrent des clôtures, de bois, ou de pierre,
peintes de couleurs vives, généralement dans un contexte aristocratique. Il est tout à fait
possible, malgré l'absence de témoignages dans les textes historiques et en archéologie, que des
peintures aient effectivement accompagné les clôtures du XIe au début du xive s., comme dans
le Roman de la Rosé et le conte de Floire et Bancheflor, mais semble-t-il uniquement dans un
milieu très aisé.
Ces allées, enfin, sont-elles, larges ou étroites ? Selon les données iconographiques du xve s., elles
sont ordinairement étroites149, permettant à une ou deux personnes de marcher côte à côte sans
piétiner les plantations proches.
pentes naturelles du relief155. Les tuyauteries et les canaux des systèmes hydrauliques peuvent
être de bois, de plomb ou de terre cuite, mais il s'agit aussi parfois de simples fossés. On
utilise essentiellement les eaux des rivières, parfois ceux des étangs et des marais.
Lorsque la reine Constance, fille de Guillaume d'Arles et épouse de Robert le Pieux, choisit le
site d'Etampes pour édifier son palais vers 1015, elle exige toutes les commodités en eau. Pour
cela, elle n'hésite pas à faire détourner la rivière de la Chalouette sur plus d'un kilomètre. Cette
dernière vient arroser ses jardins, mais aussi faire tourner des moulins et alimenter des
bâtiments156. La ville de Chartres connaît aussi des travaux de détournement de rivière dès 1060.
Lanfry, abbé de la paroisse de Saint-Père, fait creuser à cette époque un fossé partant de l'Eure
pour protéger et irriguer les jardins157. À Marseille, les statuts de 1253 révèlent que, peu avant
cette date, le cours d'eau du Jarret a été détourné pour alimenter les jardins de la banlieue158.
Un autre exemple de travaux hydrauliques destinés à l'irrigation des jardins se rencontre à Sen-
lis. Louis IX a autorisé les franciscains à percer la muraille de la ville pour prendre à la rivière
l'eau nécessaire à leurs besoins par « une galerie de 50 pieds de long sur 4 pieds 3 pouces de
large et 5 pieds de haut qui alloit à l'extrémité du jardin des cordeliers à la rivière » 159.
Dans les maisons, tant urbaines que rurales, on compte beaucoup sur les puits. Lorsqu'une nappe
d'eau souterraine affleure la surface du sol, on n'hésite pas à creuser un puits. Vers 1170/75, Fitz
Stephen, dans sa Description de Londres, parle de puits au nord de la ville, notamment à Holy-
well, Clerkenwell et Clement's Well qui sont les plus célèbres. Autour d'eux s'organisent des
jardins160. Quelques puits sont apparus dans les textes de contrats de vente et de location des
maisons. On sait, par ces derniers, qu'ils sont parfois mitoyens à deux, voire plusieurs habitations. À
Rouen, ils sont généralement placés dans la cave et surmontés d'une petite construction voûtée
en maçonnerie161, tandis qu'à Lyon, le puits retrouvé dans l'îlot Tramassac se situe à l'extérieur
du bâtiment, au fond du jardin162.
Dans les jardins de châteaux ou de palais, on pourrait croire, d'après les textes littéraires, que
les fontaines ont le monopole des lieux. Or la littérature a peut-être simplement préféré parler
de fontaine plutôt que de puits, qui sont des structures beaucoup moins nobles. Au château de
Windsor en Angleterre, on retrouve pourtant la trace d'un puits en pierre de taille construit dans
le jardin du roi et attesté en 1256 1 .
Dans le Roman de Renart, on apprend que des caniveaux d'évacuation des eaux de pluie
existaient dans les jardins :
Que par devers le plasseïs
Trova un pel par aventure
Qui ert usé de poreture,
Par la ou li regors coroit
Dou jardin quant pieu avoit164
Ce système doit consister en une simple rainure faite dans la terre, qui est peut-être présente
entre chaque alignement de plantation et débouche à l'extérieur du jardin. Il ne s'agit plus ici
d'irriguer le jardin mais de le drainer.
155. A. Guillerme, « Puits, aqueducs et fontaines l'alimentation en eau dans les villes médiévales du Nord de la
France, xe-xnie s. », dans L'eau au Moyen Âge, Marseille, Laffitte, 1985 (Sénéfiance, 15), p. 185.
:
165. L. Hautecœur, Les jardins des dieux et des hommes, Paris, Hachette, 1959, p. 95.
166. A.N., K 25, n° 1, 1160-1161, dans M. Paul-Sehl, Recherches en vue (op. cit. n. 128), p. 191.
167. A. de Montaigon, G. Raynaud, Recueil général et complet (op. cit. n. 2), t. 1, p. 190.
168. Arch. Dép. du Pas de Calais, A 330, entre 1305 et 1320, dans M. Paul-Sehl, Recherches en vue d'une
reconstitution (op. cit. n. 128), p. 191.
169. C. Thacker, Histoire des jardins (op. cit. n. 130), p. 84.
170. E. Zadora-Rio, « Pour une archéologie » (op. cit. n. 142), p. 6.
171. Ibid., p. 5.
172. M. Charageat, L'art des jardins, Paris, PUF, 1962, p. 81.
173. A.N., Trésor des Chartes, Rég. LVII, f. II, 1290, Ordonnance, dans M. Paul-Sehl, Recherches en vue d'une
reconstitution (op. cit. n. 128), p. 201.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 405
peut-être pas de grande différence entre l'idée que nous nous faisons aujourd'hui d'une «
prairie » et le « pré fleuri » des jardins d'agrément médiévaux. La campagne semble avoir été le
premier fournisseur de « gazon » et de petites fleurs. On sait par exemple qu'en Angleterre, vers
1311, plus de mille mottes d'herbes ont été extraites pour le château de Windsor174. Les mottes
d'herbes sont peut-être, de temps en temps, renouvelées, parce que l'on s'y asseoit volontiers et
que des activités de loisir, telles que la danse, les dégradent rapidement. Il est ainsi naturel de
vouloir les garder toujours nettes et vertes. Mais le préau peut être orné d'autres types de
végétaux. Contrairement à ce que Pierre de Crescens conseille, l'arbre peut faire partie de son décor,
comme en témoigne l'œuvre de Chrétien de Troyes, Cligès («Car desoz l'ente est li praels»).
Dans le poème Quant li malos brut de Colin Muset, c'est une fontaine qui vient parer la
pelouse du préau.
des arbres avec une idée de beauté : « ...par leur odeur elles recrent les esperis, par leur saveur
elles donnent délectation au goust, par leur couleur elles donnent plaisir a la veue, par leur
souefvete elles plaisent au sens du toucher et par leur vertu elles guérissent de plusieurs
maladies»180.
Les arbres non fruitiers des jardins sont, quant à eux, peu représentés dans les textes. Il s'agit
de l'ébène, du laurier, du platane et du pin. Platane et ébène apparaissent une fois dans le conte
de Floire et Blancheflor mais dans un jardin quelque peu irréel où l'imaginaire l'emporte sur le
réel. Seul le Roman de la Rosé de Guillaume de Lorris fournit d'autres espèces d'arbres
pouvant entrer dans les jardins : cyprès, orme, charme, hêtre, tremble, frêne, érable, sapin et chêne
180. G. Sodigne-Costes, « Les simples et les jardins », dans Vergers et jardins {op. cit. n. 47), p. 337.
181. R. Phillips, Les arbres, si, Solar, 1981, p. 111.
182. A. Strubel, Le roman de Renart {op. cit. n. 38), v. 47.
183. G. Sodigne-Costes, « Les simples et les jardins » dans Vergers et jardins {op. cit. n. 47), p. 337.
184. Ibid., p. 336.
185. Ibid.
LES JARDINS DU MOYEN ÂGE 407
Dans la littérature, les plantes médicinales ne sont pas oubliées. Le verger longuement décrit
dans Erec et Enide, les mentionne sans les détailler, mais donne une impression d'abondance :
Ne terre, tant con ele dure,
Ne porte espice ne racine
Qui vaile a nule médecine,
Qu'en n'i trovast a grant planté
Qu'assez en i avoit planté (v. 5752-5756).
Toute la littérature courtoise est ainsi remplie de jardins d'agrément sans qu'aucune description
précise et réelle ne soit faite. Les mots « vergier » et « préau » doivent peut-être, à eux seuls,
paraître suffisants pour recréer aux yeux des lecteurs une réalité sans doute considérée comme
allant de soi186. Le décor est simplifié et seuls les éléments majeurs, souvent symboliques ou
jouant un rôle dans la scène sont mentionnés. Leur situation est rarement précisée dans le
jardin, ni même l'ordonnancement de ce dernier. Néanmoins d'après les indices laissés par les
textes littéraires et les ouvrages théoriques d'auteurs comme Pierre de Crescens, il est possible
de dire que les jardins antérieurs au xive s. ont été semblables à ceux de la fin du Moyen Âge.
Leur évolution n'est en réalité marquée qu'à partir de la fin du xive s. On le voit notamment
par le succès du Rustican, la création par Charles V des jardins de l'hôtel Saint-Pol à Paris mais
aussi par le grand nombre de représentation de jardins dans les enluminures. Les jardins
d'agrément sont alors à la fin du Moyen Âge des jardins luxueux. De nombreuses constructions et
aménagements commencent à former un véritable mobilier de jardin. L'art topiaire se développe
et de nombreuses plantes, rares ou très prisées, sont cultivées en pot. L'image du jardin paradis
terrestre est alors très ancrée dans les mentalités.
Les jardins ont eu une grande importance dans la mythologie chrétienne. Au commencement
comme à la fin de l'histoire de l'homme, le jardin est présent (jardin d'Eden et Paradis). Dès
l'époque carolingienne, les symboles religieux se sont développés de plus en plus autour des
vergers. Aussi, la référence au Paradis transparaît presque toujours dans les descriptions de jardins
littéraires. La belle saison semble éternelle dans le conte de Floire et Blancheflor. Le jardin est
fermé d'un côté par un mur crénelé, de l'autre par « uns flueves de paradis qui Euf rates est
appelés » (v. 2009-2010). Dans Erec et Enide, il est entouré par magie d'une muraille d'air. La
clôture protectrice fait figure de chasteté de l'âme et du corps187. L'eau représente la pureté
mais aussi, selon les cas, la grâce de Dieu, les vertus chrétiennes ou encore le sang du Christ.
Les jardins semblent donc offrir un lieu de vie agréable. Ils sont le locus amoenus, héritage de
la tradition antique. La faune y est accueillie avec joie. Les oiseaux notamment sont un thème
important des évocations de jardins d'agrément. Les plantes ornementales, par leurs parfums et
leurs couleurs, rendent les lieux plaisants et propices au bonheur. Leur esthétisme a été
cependant supplanté par des attaches symboliques que l'on remarque tout particulièrement dans le
Roman de la Rosé, mais aussi dans les textes encyclopédiques. Partant de « vérités » botaniques,
les discours encyclopédiques sur les jardins et leurs végétaux ont été quelquefois biaises par un
imaginaire et des traditions religieuses, sinon populaires, conférant aux plantes une dimension
particulière.
La symbolique du jardin a finalement peu évolué au cours du Moyen Âge. Seule la
représentation de la Vierge dans un jardin fermé, Vhortus conclusus, a eu un succès plus important à la
fin du Moyen Age. Tout ce symbolisme a certainement influencé l'organisation et la composition
186. A. Labbé, L'architecture des palais et des jardins dans les chansons de geste. Essai sur le thème du roi en
majesté, Paris/Genève, Champion/Slatkine, 1987, p. 21.
187. V. Huchard et P. Bourgain, Le jardin médiéval : un musée imaginaire, Paris, PUF, 2002, p. 86.
408 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE,46, 2003 ÉLISE GESBERT
des jardins, de même que le jardin d'agrément s'est peut-être plus facilement répandu dans
l'Occident médiéval grâce aux textes bibliques. L'existence des jardins pose ainsi des problèmes
qui ne relèvent pas seulement de la botanique et de l'esthétique, mais aussi de la religion et de
la métaphysique.
Élise Gesbert
10, avenue Daumier
F-95400 Arnouville-lès-Gonesse