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Revue de l'histoire des religions

Les cent voix de Quintanar


Le modèle castillan du marranisme (II)
Charles Amiel

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Amiel Charles. Les cent voix de Quintanar. In: Revue de l'histoire des religions, tome 218, n°4, 2001. pp. 487-577;

doi : https://doi.org/10.3406/rhr.2001.987

https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_2001_num_218_4_987

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Résumé
Le marranisme, même si l'on s'en tient à son acception la plus stricte (crypto-judaïsme), est multiple et
complexe. On en dégage ici un modèle, celui de La Manche, dans la Nouvelle-Castille d'Espagne, à la
fin du XVIe siècle, grâce aux témoignages croisés d'une centaine de « sans voix » prisonniers de
l'Inquisition. On reconstitue ainsi, après avoir retracé une persécution particulièrement instructive, leurs
rites et leurs pratiques « du berceau à la tombe » (premier article), leurs prières, transmises oralement
depuis des générations, et leur culture, façonnée par des lectures militantes (second article). Les
conclusions sont que, contrairement à certaines assertions de l'historiographie contemporaine, le
crypto-judaïsme spécifiquement espagnol pouvait encore être vivant et riche un siècle après
l'Expulsion des juifs, et que les archives inquisitoriales sont fiables, pour peu qu'on leur applique la
grille de lecture adéquate en matière d'histoire religieuse.

Abstract
The Hundred « Voiceless » of Quintanar. The Castilian pattern of Marranism (II)

Marranism, even if taken only in the strictest sense of the term (crypto-judaism) , is multi-faceted and
complex. The model which is delineated here, from the collated testimonies of about one hundred «
voiceless » prisoners of the Inquisition, is that of La Mancha in late sixteenth-century New Castile in
Spain. Having traced back a particularly instructive example of persecution, their rites and practices are
reconstituted « from the cradle to the tomb » (first article), and also their prayers, transmitted orally
through the generations, and their culture, fashioned by militant readings (second article). The
conclusions drawn are, first, that despite what contemporary historiography might sometimes maintain,
crypto-judaism in its specifically Spanish form was still alive, even thriving one century after the
expulsion of the Jews ; second, it becomes clear that the archives of the Inquisition are reliable, so long
as the critical approach is one that befits religious history.
CHARLES AMIEL
École des Hautes Études en Sciences sociales, Paris

Les cent voix de Quintanar


Le modèle castillan du marranisme (II)

Le marranisme, même si l'on s'en tient à son acception la plus


stricte (crypto-judaïsme), est multiple et complexe. On en dégage ici un
modèle, celui de La Manche, dans la Nouvelle- Castille d'Espagne, à la
fin du XVIe siècle, grâce aux témoignages croisés d'une centaine de
« sans voix » prisonniers de l'Inquisition. On reconstitue ainsi, après
avoir retracé une persécution particulièrement instructive, leurs rites et
leurs pratiques « du berceau à la tombe » (premier article), leurs
prières, transmises oralement depuis des générations, et leur culture,
façonnée par des lectures militantes (second article). Les conclusions
sont que, contrairement à certaines assertions de l'historiographie
contemporaine, le crypto-judaïsme spécifiquement espagnol pouvait
encore être vivant et riche un siècle après l'Expulsion des juifs, et que les
archives inquisitoriales sont fiables, pour peu qu 'on leur applique la
grille de lecture adéquate en matière d'histoire religieuse.

The Hundred « Voiceless » of Quintanar.


The Castilian pattern of Marranism (II)

Marranism, even if taken only in the strictest sense of the term


( crypto-judaism) , is multi-faceted and complex. The model which is
delineated here, from the collated testimonies of about one hundred
« voiceless » prisoners of the Inquisition, is that of La Mancha in late
sixteenth-century New Castile in Spain. Having traced back a
particularly instructive example of persecution, their rites and practices
are reconstituted «from the cradle to the tomb » (first article), and
also their prayers, transmitted orally through the generations, and their
culture, fashioned by militant readings (second article). The
conclusions drawn are, first, that despite what contemporary
historiography might sometimes maintain, crypto-judaism in its
specifically Spanish form was still alive, even thriving one century after
the expulsion of the Jews ; second, it becomes clear that the archives of
the Inquisition are reliable, so long as the critical approach is one that
befits religious history.
Revue de l'histoire des religions, 218 - 4/2001, p. 487 à 577
La première partie de cette enquête, parue dans une
précédente livraison de la RHR\ contenait, en préliminaire,
quelques considérations sur la méthodologie de la recherche en
matière de marranisme et présentait d'emblée le cas
exceptionnellement propice pour ce genre d'étude de deux localités
de La Manche (Nouvelle-Castille) à la fin du xvie siècle :
Quintanar de la Orden et Alcázar de Consuegra. Puis, après
avoir retracé l'histoire d'une persécution inquisitoriale qui en
six autodafés, à Cuenca et à Tolède, de 1590 à 1600, impliqua
un groupement familial d'une centaine de personnes,
devenues autant d'informateurs pour l'historien par la grâce des
archives du Saint-Office, nous nous sommes livré à une
enquête d'anthropologie religieuse sur les rites et les pratiques
de ces judaïsants. C'est ainsi que nous avons successivement
étudié chez eux : les règles de pureté (corporelle, alimentaire
et conjugale) ; les époques (le sabbat, la néoménie, les fêtes,
les jeûnes) ; l'initiation et la mort - sans oublier certaines
coutumes (telles l'enfouissement ou la crémation des ongles et des
cheveux, la bénédiction parentale more judaico, le balayage à
rebours).
Cette seconde partie est consacrée aux textes qui
rythmaient la vie des marranes de La Manche : leurs principales
prières et leurs lectures, en particulier celles qui révèlent leur
engagement religieux. Elle sera suivie de conclusions générales
sur l'Inquisition et le marranisme ainsi « revisités ».

1. Revue de l'histoire des religions, 218 (2001), p. 195-280.


Ci-après les abréviations déjà utilisées dans la première partie : adc =
Archivo Diocesano de Cuenca ; AHN = Archivo Historko Nacionál, Madrid
(les Archives nationales d'Espagne) ; Inq. = Inquisición, fonds
d'Inquisition ; lma = Libro de mantenimiento de la aima, en el quai se contiene el
modo con que se à de régir el Iudio en todas sus actiones, traduzido dal
[sic] hebraico al spangol [sic] por Mosè Altaras. Con licencia de i [sic]
Superioři. [Venise, Baldisera Bonibelli] Aflo 5369 [1609] (version espagnole
d'un résumé du Shulhan 'Arukh, destinée à la rejudaïsation des marranes) ;
ТВ = Talmud de Babylone.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 489

3/LA PRIÈRE DES MARRANES

Après tous ces rites et tous ces gestes qui, bien que
circonscrits à l'espace familial, couraient toujours le risque d'être
décelés par un regard étranger, nous allons pénétrer à présent
dans le tréfonds de ce monde du secret, celui de la prière.
Nous avions déjà remarqué en détaillant l'aide-mémoire des
dénonciations constitué au début des poursuites par le
tribunal de Cuenca qu'aucun observateur n'avait franchi ce seuil.
La prière individuelle des marranes, qui par nécessité avait
pris la relève de la liturgie synagogale (essentiellement
communautaire), était bien protégée. Retranchée dans le « for
intérieur », sans parler des formes fugaces d'oraison mentale
vers lesquelles elle a dû dériver, elle était destinée à rester
enfouie dans les mémoires et dans les cœurs, n'eussent été les
interrogatoires têtus de l'Inquisition et le désespoir des
prisonniers pris au piège des dénonciations familiales, qui finissaient
par tout dire, pour en finir... Et c'est avec étonnement que
l'on va découvrir une somme fournie et variée de prières.
Identifiées et présentées dans l'étude qui suit, leurs textes ont
été regroupés et édités dans l'Annexe2.

LA GESTUELLE DE L'ORAISON JUIVE

Ces prières s'accompagnaient d'un cérémonial dont les


détails nous ont été conservés avec d'autant plus de relief que
notre informateur, Francisco de Mora Molina, se souvient

2. P. 546-577. Contrairement aux descriptions de rites, dans lesquelles


l'orthographe (mais non la langue) a été modernisée, l'orthographe
originale des prières a été conservée.
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encore, vingt ans après, de son « année initiatique » et qu'il


n'a pas cessé de pratiquer depuis3.
« Pour prier, son père et lui se tournaient vers le soleil
levant, les pieds joints, parfois debout, parfois à genoux, sans
faire de pas ni en arrière ni en avant. »4 Notons d'emblée que,
si l'orientation vers l'est (en l'occurrence la terre d'Israël)
correspond bien à la règle suivie par la diaspora juive d'Occident,
l'agenouillement semble relever ici d'une pratique chrétienne.
Ce dernier est en effet exceptionnel dans le rituel juif : il n'a
lieu qu'en deux occasions (les jours du Grand Pardon et du
Nouvel An). Nous verrons que ces « contaminations » sont
rares.
« Lorsqu'on dit le Sema» [c'est-à-dire le Shema\ la seule
prière qui ait conservé chez les marranes son nom hébraïque],
« on cache ses yeux lorsqu'on prononce les paroles suivantes :
Sema Ysrrael Adonay maruçer quevoz maduço laolam defe.
Pour la prière du Salmo cantos, on cache de la même façon
ses yeux à l'aide de la main, au début de la prière, lorsqu'on
prononce les deux mots Salmo Cantos, sans faire - comme il a
déjà été dit - de pas ni en arrière ni en avant pendant tout le
temps que durent lesdites prières. À la fin de celles-ci, et
seulement de celles-ci, on fait trois fois trois pas en arrière et en
avant, chaque pied venant se placer à mi-hauteur de l'autre,
comme dans la reprise d'un pas de danse. Le Sema, son père
et lui-même le récitaient pieds joints, le corps et la tête
inclinés tout le temps de la prière. Les autres prières ne
nécessitaient pas de cérémonie particulière : il suffisait de les dire

3. « Preguntado cuánto tiempo ha que sabe este confesante las cosas de


la ley de Moisén, dijo que desde que era de catorce о quince aflos y se las
ensefló Diego de Mora su padre, y las ha hecho hasta agora que ha estado
preso - ... y que habrá tiempo de veinte aflos poco más o menos que este
confesante hace las dichas cosas, porque este confesante tiene treinta y
cinco aflos poco más o menos - ... el tiempo que le ensefló el dicho su
padre... fueron muchos dias desde que comenzó a enseflárselas [las dichas
oraciones]... hasta que las supo, que séria un aflo poco más o menos »
(ADC, Inq., 328/4704, f. [29 v°, 30 v°, 86]).
4. « Se ponian este confesante y el dicho su padre hacia el sol saliente,
los pies juntos, en pie unas veces, y otras hincados de rodillas, y que no se
daban pasos atrás ni adelante » (ibid., f. [86]).
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pieds joints, le visage tourné vers le soleil levant, face à une


fenêtre sans grille ni croix »5.
On remarquera encore, dans cette description minutieuse,
le geste consistant à couvrir ses yeux de la main en énonçant
les premiers mots (tous hébraïques) du Sema. C'est bien là
une pratique juive, censée aider à la concentration, pendant la
récitation du premier verset de cette prière capitale qu'est le
Shema', en fait la profession de foi d'Israël6. L'extension du
geste de la main au Salmo cantos, autre prière des marranes
composée de psaumes7, n'est pas entièrement arbitraire : dans
une autre circonstance, lors des Rogations (tahanun), rite de
pénitence, le fidèle se cache la face dans le creux du bras,
avant la récitation d'un autre psaume (le XXV, dans le rituel
sépharade).
Le « pas de danse », si évocateur, n'est pas du tout une
fantaisie marranique. À la fin de la 'Amidah (la prière
« debout », élément central de tous les offices), on recule en
effet de trois pas pour revenir en avant. Or, la dix-neuvième
(et dernière) bénédiction de la 'Amidah figure bien dans le
Sema des marranes, sorte de mini-office. Dans un très
intéressant manuel d'instruction religieuse à l'intention des femmes,
le Seder nashim ( « Traité des femmes » ), publié à Salonique
avant 1569, en judéo-espagnol (caractères hébraïques), c'est

5. « Cuando se dice el Sema, se tapan los oj os en todas las palabras


siguientes : Sema Ysrrael Adonay maruçer quevoz maduço laolam defe, y que
en la oración del Salmo cantos asímismo se tapan los ojos con la mano
empezando la dicha oración sólo en estas dos palabras Salmo canto [sic], y
que como tiene dicho no se daban pasos atrás ni adelante durante el tiempo
que se dicen las dichas oraciones, y que al cabo de las que tiene dichas, y
no de otras, se dan très veces très pasos atrás y adelante, viniendo el un pie
con el otro al medio pie como represas de danzar... - ... en la oración del
Sema, quando la rezaban este confesante y el dicho su padre, estaban los
pies juntos y el cuerpo y cabeza inclinados todo el tiempo de la dicha
oración, y que en las demás oraciones no hacian cerimonia particular más que
decirlas puestos los pies juntos y el rostro hacia el sol saliente, de cara de
una ventana que no ténia reja ni cruz... » (ibid., f. [86 r° - v0]).
6. « Usan poner la mano sobre los ojos en el pasuq primero, que es
Semah Israel, porque no mire [sic] en otra cosa que le estorue la inten-
ción » (lma, p. 1 1).
7. Voir inf., p. 557.
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un véritable pas de menuet qui est décrit à ce moment de


l'office : « Elle partira du pied gauche, fera trois pas en
arrière, le corps penché, puis dira : "Que celui qui fait régner
la paix dans ses hauteurs", en s'inclinant sur sa gauche, puis
sur sa droite, puis au milieu... »8 Le souci, enfin, d'éviter les
fenêtres aux grilles en forme de croix témoigne d'une
sensibilité particulière aux marranes.
Il n'est pas inutile de joindre à ces confessions des
observations faites pendant l'incarcération par des co-détenus des
marranes. L'un d'eux remarquera que Francisco de Mora
Molina, « au lever, après avoir ôté son bonnet, se plaçait
devant la fenêtre en regardant le ciel et qu'il restait un bon
moment à faire des révérences, baissant et relevant la tête »9.
Un autre qu'il avait bien un chapelet dans la main pour prier,
mais qu'il ne l'égrenait pas, d'où il conclut que son
compagnon ne récitait pas des prières chrétiennes10. Ainsi, par
touches successives, se précise une gestuelle typique de l'oraison
juive, en particulier cette oscillation de la tête, voire du buste,
pendant la prière11, un mouvement irrépressible que les
marranes avaient conservé même en prison, alors qu'ils se
savaient épiés. Gestuelle typique certes, mais ambiguë :
saurons-nous jamais si le fait d'ôter son bonnet témoigne d'une

8. « Y arrancará el pie esquierdo, y dará très pasos para atrás de si


abaxada, y depués dira Fazién pas en sus çielos, encorbándose a la banda de
su esquierda, y depués a la banda de su derecha, y depués en medio »
{Seder nashim, p. 37). « Fazién pas en sus çielos » traduit évidemment le
début de la phrase rituelle hébraïque 'oséh shalom bimrornav.
9. « Otro testigo ... había visto que de tiempo de más de un mes a esta
parte Francisco de Mora Molina, cuando se levantaba, se ponia frontero de
la ventana, mirando al cielo, quitada la caperuza, y que se estaba buen rato
haciendo reverencias, y bajando y levantando la cabeza, y que cierta
persona que nombre presumia lo hacia por alguna cerimonia de la ley de Moi-
sén» (adc, Inq., 328/4704, f. [117 v0]).
10. « La dicha persona entendía que no rezaba oraciones de cristianos,
sino de judios, porque, aunque ténia el rosario en la mano, no mudaba las
cuentas, ni las pasaba, antes siempre las ténia en un ser » {ibid., f. [114 v0]).
11. Cf. Shulhan 'Arukh, Orah Hayyim, 48 : 1. C'est que le fidèle prie
non seulement de toute son âme, mais aussi de tout son corps,
textuellement de tous ses os (« Alors mon âme jubilera dans le Seigneur... Tous mes
os diront : "Seigneur, qui est comme toi ?"... », Ps XXXV : 9-10).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 493

exceptionnelle prudence de Francisco de Mora Molina, ou si


les marranes avaient perdu l'habitude juive de se couvrir
pendant la prière ?

LES PRIÈRES

On peut distinguer pour la commodité de l'exposé, dans le


corpus des prières marraniques, un noyau central constitué du
Sema et de son corollaire Somos obligados ( « Nous sommes
obligés » ), un ensemble important de psaumes et de
cantiques, un autre enfin de bénédictions, ainsi que diverses prières
de prédilection des marranes, telles que la « ligature » d'Isaac,
la prière liée au jeûne « Lorsque le Temple était dressé », la
litanie dite « des délivrances », ou encore la chanson
folklorique « des nombres ».

Sema

La prière dite Sema12 des marranes de Quintanar était en


fait un ensemble composite constitué des éléments suivants :
1. (Versets 1-22). Le Shema' à proprement parler, c'est-à-
dire les trois passages du Pentateuque qui le composent :
Dt VI : 4-9, Dt XI : 13-21, Nb XV : 37-41.
2. (Versets 23-33). Des fragments de la bénédiction finale
('Emet we-yatsiv) du Shema' du matin et de la première des
bénédictions finales ('Emet we-emunah) du Shema' du soir.
3. (Versets 34-36). Un fragment du Salmo cantos, autre
prière des marranes (voir inf., p. 557), principalement le début
du Psaume XCIII.
4. (Versets 42-62). Des fragments de quelques-unes des
bénédictions de la 'Amidah (I : 'Avot ; II : Gevurot ; XV : sur

12. Texte inf., p. 546. — Chacune des prières contenues dans l'Annexe
est distribuée, sur le modèle biblique, en versets (abréviation : v.).
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la venue des temps messianiques ; XVIII : Hodah ; XIX : Bir-


kat shalom), précédés de l'introduction habituelle de cette
prière (Ps LI : 17) et suivis d'un verset de sa formule de
clôture ('Elohay netsor).
5. Des bribes de prières dont les plus conséquentes
appartiennent aux offices des jours de semaine (soir, péricope
Barukh 'Adonay le 'olam, après la seconde des bénédictions
finales du Shema' ; matin, élévation du rouleau de la Loi,
variante des lundis et jeudis).
Revenons aux parties essentielles : celles qui correspondent
au Shema' et à la 'Amidah.
Le Shema' est plus qu'une prière : c'est la profession de foi
d'Israël. Il ouvre et clôt la journée du fidèle13, il clôt sa vie
puisque ce sont les dernières paroles que doit prononcer
l'agonisant. Proclamant l'unicité de Dieu, du vrai Dieu qu'a
choisi Israël, il met l'accent sur l'amour qu'on doit porter à
l'Éternel, le respect de ses commandements, le bonheur
qu'assure leur observance, le malheur qui s'ensuit de leur
transgression, enfin le souvenir de la sortie d'Egypte.
La version marrane de ce texte capital apparaît d'emblée
comme déficiente, avec une grave lacune et des confusions.
L'affirmation biblique primordiale (celle de l'unicité divine :
en hébreu Shema' Yisra'el 'Adonay 'Eloheynu 'Adonay 'Ehad,
« Écoute, Israël : Adonay est notre Dieu, Adonay est Un »),
limitée ici aux trois premiers mots, tourne court et reste
informulée. Dans cette longue et pathétique transmission, les mots
essentiels se sont perdus. Il n'est plus resté aux marranes, non
conscients de cette perte, que le contact-choc des deux mots
Israel (leur passé, leur lignée) et Adonay (ce Dieu
transcendant, leur Dieu, de toute éternité). Tout le mystère a été capté
par la phrase « hébraïque » suivante : Maruçer quevó maduço
la olàn defé, transcription approximative - mais assez fidèle
dans le rythme et le vocalisme - de la formule liturgique

13. En plus de la récitation (à l'office) du matin et du soir, il est


recommandé au fidèle de réciter au lever le premier verset, et la première section
au coucher.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 495

Barukh shem kevod malkhuto le'olam va'ed (Béni soit à jamais


le nom de son règne glorieux). L'énormité du manque conduit
à s'interroger. N'y aurait-il pas eu au début de cette
oblitération progressive une occultation volontaire ? On sait que la
formule complète de la profession de foi, dont le rythme est
ternaire, a été présentée au Moyen Âge dans l'apologétique
chrétienne comme une affirmation de la Trinité. Une réaction
simpliste n'aurait-elle pas, dans un premier temps, brisé ce
rythme suspect, retenant seulement l'adresse, le début du
message vocal et réservant la suite (le principal) pour le for
intérieur grâce à une technique, non de restriction, mais
d'amplification mentale ? Et puis le souvenir de la consigne,
avec le temps, se serait perdu.
Mis à part cette lacune, le reste du message biblique passe
sans déformation. On observe néanmoins une confusion, voire
chez certains des incohérences, en ce qui concerne les trois
symboles que sont les phylactères, les tsitsit, la mezuzah, signes
visibles et rappels de la parole divine14. Nos marranes,
manifestement, n'en avaient plus qu'un vague souvenir. Un mot
comme ceci (v. 19, 20, pour tsitsit) n'était plus compris15.
Certaines traductions littérales de l'hébreu ne facilitaient pas la
compréhension : à propos des tsitsit, comment comprendre
l'espagnol alas, v. 19, désignant curieusement les v'< pans » d'un
vêtement, si l'on ignore que l'hébreu kanaf, que traduit le mot

14. Les phylactères (héb. tefilliri) sont des écrins cubiques de cuir teint
en noir, contenant en manuscrit les quatre passages du Pentateuque qui les
mentionnent (Ex XIII: 1-10, 11-16; Dt VI: 4-9, XI: 13-21), munis de
lanières noircies sur un côté destinées à les fixer au front et au bras gauche
du fidèle lors de la prière matinale. Les tsitsit sont de longues franges de
laine placées aux quatre coins du tallit, le châle de prière. La mezuzah est
un petit rouleau de parchemin, contenant les deux passages du Deutéro-
nome qui la mentionnent (VI : 4-9, XI : 13-21), fixé dans un étui au poteau
droit de la porte d'entrée de la maison et des pièces d'habitation.
15. «Preguntado que quieren decir aquellas palabras de la dicha ora-
ción donde dice : Habla y ve a los hijos de Israel que hagan ceci, y pondrán
las alas en el zezi bilo de cárdeno, sea a vosotros por ceci, y de que lengua
son, dijo que dice lo que dicho tiene en la pregunta antes désta, e que este
confesante no lo sabe más de cómo se lo enseflaron » (adc, Inq., 328/4704
[f. 34 v0]). Le déposant venait de répondre qu'il ne comprenait pas ce qu'il
avait récité, mais que ce devait être de l'hébreu.
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espagnol (selon les règles de traduction en ladino de l'hébreu


biblique ou liturgique), signifie aussi bien « aile » que « pan de
vêtement » ? Pas plus que les franges sacrées, les phylactères
que l'on attache au bras (cf. ici v. 8), ou la mezuzah que l'on
fixe au jambage des portes (cf. ici v. 10), n'étaient plus
identifiés avec précision, ni - par conséquent - distingués entre eux.
À la différence des séquences précédentes, qui ont
conservé le noyau central du Shema\ les bénédictions intro-
ductives et finales (du matin et du soir) de cette prière se
réduisent dans la version marrane à deux courts fragments.
Le premier, une succession d'épithètes, se borne à créditer
directement le Seigneur des qualités qui, dans le texte originel,
sont attribuées à sa parole. Le second, plus conforme à
l'esprit de la source, proclame les tours de force (barraganias)
du Dieu tout-puissant libérateur de son peuple.
Si, dans le rituel des prières juives, le Shema' a la première
place, la 'Amidah occupe assurément la deuxième. Désignée
dans les sources talmudiques sous le nom de ha-Tefillah (la
« prière » par excellence), elle est récitée debout (c'est le sens
du mot 'amidah). Comprenant dix-neuf bénédictions (dix-huit
à l'origine, d'où sa troisième appellation courante de Shemo-
neh 'Esreh, « dix-huit »), seules les trois premières et les trois
dernières de ces bénédictions sont récitées à tous les offices.
Ce sont elles qui fournissent le plus clair de ce qui a survécu,
pour la 'Amidah, dans notre version marrane : pareille
conformité avec la tradition mérite d'être soulignée. Une
personnalisation comme « Dieu de mes pères » (ici, v. 43 ; au lieu du
traditionnel « nos pères », voir inf., p. 550), précédant la
formule consacrée « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de
Jacob » (Ex III : 6, etc.), est émouvante, car elle souligne
autant la fidélité au lignage d'Israël qu'au Dieu qui donne la
vie, la mort, le salut (v. 51). C'est bien de vie en effet qu'il
s'agit : la leçon aberrante averiguador (« vérificateur », qui est
bien celle des marranes, puisqu'elle est même attestée dans la
confession d'un greffier, qui avait des lettres)16, est une cor-

16. Rodrigo del Campo : adc, Inq., 321/4627, f. [234 v°].


LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 497

ruption de abiviguador ( « vivifîcateur » ), dérivé de abiviguar,


forme courante de la version traditionnelle judéo-espagnole
de la Bible et du rituel17. On remarquera enfin que l'espérance
messianique (v. 52) - l'esprit et non la lettre de la quinzième
bénédiction de la 'Amidah - est formulée au cœur même de ce
sous-ensemble.

Somos obligados

Après le Sema, la prière que les marranes citent toujours


en deuxième position est Somos obligados18 ( « Nous sommes
obligés » ). On reconnaît là la traduction - qui,
exceptionnellement, n'est pas servile - de 'Aleynu (« Sur nous » [sous-
entendu : « pèse l'obligation de... »]), prière importante dans
la liturgie juive, qui clôt les trois offices quotidiens. Les
marranes la récitaient aussitôt après le Sema19, dont nous avons
déjà indiqué qu'il constituait à lui seul un office en réduction.
Il y a donc, sur ce point, une véritable correspondance entre
les périodicités des deux liturgies.
Le Somos obligados, fidèle à son modèle hébraïque,
exprime l'honneur et le bonheur d'être différent des autres
peuples, ces idolâtres « qui rendent un culte à la vanité et au
néant » et - suprême égarement - « prient un dieu qui ne
sauve pas » (v. 4). Les marranes, à l'instar de leurs ancêtres,

17. Abiviguador est une rehispanisation de abiviguán, calque de l'hébreu


mehayeh (qui donne la vie). Abiviguar (et ses formes dérivées) est très
fréquent dans la Bible de Ferrare : 21 occurrences dans le Pentateuque,
1 1 dans le seul psaume CXIX (le plus long du psautier, il est vrai), etc. —
Comme l'indiquait sa page de titre, cette Bible (dorénavant : bf), parue
en 1553 à Ferrare, contenait une traduction mot à mot (en judéo-espagnol)
du texte hébraïque de l'Ancien Testament : Biblia en lengua espaňola tradu-
zida palabra por palabra de la verdad hebraica por muy excelentes letrados,
vista y examinada por el Officio de la Inquisition... (colophon : con industria
y deligencia de Abrahâ Usque Portugues, estampada en Ferrara a costa y
despesa de Yom Tob Attias hijo de Leui Attias Espaňol, en 14 de Adar de 5313).
18. Texte inf., p. 552.
19. « La oración de Somos obligados se dice luego después de dicha la
oración del Sema, y cada vez que dicen la del Sema, se dice con ella » (ADC,
Inq., 328/4704, f. [35]).
498 CHARLES AMIEL

les juifs espagnols, avaient conservé ce verset du 'Aleynu, qui


avait été censuré au Moyen Âge dans les communautés
ashkénazes, car l'environnement chrétien s'estimait visé par ces
expressions sacrilèges, pourtant déjà dans Isaïe (XXX : 7 ;
XLV : 20) et dont Menasseh ben Israël s'emploiera plus tard
à réfuter l'interprétation antichrétienne. Le verset incriminé
disparut des rituels ashkénazes et de certains sépharades20.
Même une variante comme « un dieu qui ne parle pas » (v. 4)
trouve sa valeur et son explication quand on pense au mépris
des sceptiques et d'incroyants divers à l'égard du crucifix,
qu'ils qualifiaient de vulgaire palo (bout de bois). L'anico-
nisme foncier des marranes affleure dans cette variante
apparemment anodine.
Le second thème central - et l'essentiel - du 'Aleynu est
l'accomplissement du royaume de Dieu, lorsque les idoles et
les faux dieux seront détruits, lorsque devant Dieu « tout
genou fléchira » et que par lui « toute langue prêtera
serment » (réminiscences d'Isaïe XLV : 23). La version marrane
ne porte trace, malheureusement, que du départ de ce
développement : Esperaré en el Seňor (v. 6) correspond au début
de la péricope 'Al ken neqaweh lekha (C'est pourquoi nous
espérons en toi).
Ainsi se trouve privilégié dans cette prière, de façon
significative, le thème de l'élection divine et de la singularité
d'Israël.

Psaumes et cantiques

Après ces prières cardinales du judaïsme, nous découvrons


un autre ensemble important, constitué de psaumes et de
cantiques.

20. La Ordenança de las oraciones del Cedur del mes Ebraico y vulgar
espanol... Copilado рог el Doctor Ribi Isac hijo de Don Semtob Cauallero,
En Venecia, MDLII (dorénavant : Ordenança) a ménagé symboliquement
un blanc à l'intérieur du texte après les premiers mots du verset censuré :
« que ellos humiliantes » (p. 179).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 499

Des Zemirot ( « cantiques » ), qui, dans le rituel juif,


introduisent au cœur (Shemď et 'Amidah) de l'office synagogal du
matin, était parvenu aux marranes, tel un élément naufragé,
la prière « Alabado aquel que taja y afîrma »21 ( « Loué soit
celui qui tranche et qui maintient » ), formule dont les
récitants ne percevaient plus le sens, pas plus que les
inquisiteurs22. De même, des quinze « cantiques des montées »
(Ps CXX-CXXXIV), récités d'affilée à l'office du samedi
après-midi pendant une partie de Tannée, seul avait subsisté le
psaume CXXI, sous sa désignation générique de « Canto gra-
dos >P. Cette version marrane, malgré son imperfection, a
retenu l'essentiel : le leitmotiv du psaume (la garde d'Israël),
servi par le procédé rythmique de l'original (la reprise en écho
de termes significatifs, caractéristique des psaumes graduels,
ici guardas - guardará - guarde, ainsi que montes, « les monts
du Seigneur », désignant Jérusalem). Puis, c'est un certain
triomphalisme qui éclate dans les autres prières composées de
psaumes, dont on remarquera qu'ils appartiennent tous à la
liturgie juive {« Salmo cantos »24, Ps : XCII-XCIII ; « Alaben
al Seňor »25 et variante « Alabad al Senor »26, Ps : CXLVII-
CL). L'hymne au Roi de la Création, qui en est le motif
principal, s'amplifie en une louange cosmique grandiose, qui
utilise même, dans « Bendecid, todas las obras »2\ une source
deutérocanonique (le Cantique des trois jeunes gens dans la
fournaise, de Dn III : 57-88).
Mais les psaumes posent un problème de sources, car ils
appartiennent aussi à la liturgie catholique. La lectio continua
du psautier, quelle qu'en soit la périodicité, ne saurait

21. Texte inf., p. 557.


22. Dans un procès-verbal d'audience (adc, Inq., 328/4704, f. [138 v0]),
face à la mention de cette prière, le greffier, intrigué par le mot tajar, a écrit
dans la marge : Parece aprobar el retajar (« Semble approuver la
circoncision »). Splendide contresens !
23. Texte inf., p. 555.
24. Texte inf., p. 557.
25. Texte inf., p. 561.
26. Texte inf;, p. 562.
27. Texte inf., p. 564.
500 CHARLES AMIEL

répondre à notre interrogation, car elle reste plus une


exigence des diverses règles qu'une pratique réelle du peuple
chrétien. Certains psaumes, en revanche, parmi ceux qui
étaient récités par nos marranes, se sont spécialisés et imposés
dans la liturgie romaine. Dans le cours des Heures, c'est le cas
des psaumes CXLVIII-CL, qui ont même donné leur nom à
l'office des Laudes. Dans la semaine, l'Église a retenu de
l'usage juif le psaume XCII (XCI) propre au sabbat, bien que
la césure hebdomadaire chrétienne se situe le dimanche, et
aussi le psaume XCIII (XCII), sur la royauté du Seigneur,
prélude à son retour glorieux, qui a inspiré le thème de
l'Étimasie (le trône vide du Pantocrator). Parmi les cantiques
de l'Ancien Testament, celui des « Trois Enfants » figure en
bonne place dans la prière du matin de l'Église romaine.
Ces « présences » dans la liturgie catholique n'entament
nullement la cohésion et la valeur du corpus des prières marra-
niques. On ne note en effet dans les psaumes communs aucune
lecture christologique. Nos marranes ne voyaient certes pas
dans leurs prières composées de psaumes (lorsqu'ils les
identifiaient comme telles) la prière du Christ ou la prière au Christ,
eux qui rejetaient par ailleurs la messianité de Jésus. Il est assez
significatif que la doxologie trinitaire « Gloria Patri... »
n'apparaît qu'exceptionnellement dans leurs confessions
(dépositions verbales ou autographes). La langue aussi de ces
textes permet d'établir un clivage : certaines versions,
visiblement archaïques, où l'on reconnaît le calque hébraïque ou le
lexique de la Bible de Ferrare, ne peuvent provenir que de la
tradition judéo-espagnole {« Salmo cantos », voir inf., p. 557) ;
d'autres, plus fluides, plus compréhensibles, ont été
manifestement rehispanisées à la faveur de l'ambivalence de certains
psaumes (« Alabad al Seňor », voir inf., p. 562).
Une place à part est à faire aux psaumes ou aux fragments
de psaumes dont nous savons par les déclarations des
prévenus qu'ils proviennent de livres d'heures ou d'autres ouvrages
chrétiens de piété. « Seňor, no me reprehendas »28, Ps VI : 2-6,

28. Texte inf., p. 565.


LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 501

l'imploration d'un malade à Dieu, est certes le premier des


psaumes pénitentiaux de la liturgie romaine ; il n'en figure pas
moins au début des supplications journalières de l'office syna-
gogal. La prière composite « En mi tribulaciôn llamaré al
Seňor »29, qui semble être une création personnelle, combine
des fragments des psaumes CXVIII et CXIX. Loin d'insister
sur la note caractéristique du psaume CXVIII (CXVII) : la
pâque hebdomadaire qu'est le dimanche dans la tradition
chrétienne (Hœc dies quam fecit Dominus, exsultemus et lœte-
mur in ea, v. 24), cette prière se limite à un éloge tout à fait
judaïsant des commandements et préceptes de la Loi divine.
Deux autres prières de filiation ambiguë méritent qu'on s'y
arrête ici : « Seňor Dios, no traigas en escarnio », « Seňor Dios
nuestro, que sacaste tu pueblo »30. Il s'agit d'implorations
adressées à Dieu, afin qu'il épargne Israël malgré ses péchés, eu
égard à l'élection qu'il a faite de son peuple. La première
reprend la prière d'Azarias, adjonction deutérocanonique au
livre de Daniel et cantique attesté dans la liturgie des Heures.
La seconde est la prière de Daniel au début de la Prophétie des
soixante-dix semaines d'années ; cette séquence Dn IX : 15-19
fait partie des Tehinnot (Supplications) du matin dans le rite
juif hispano-portugais. Si on a déjà remarqué que l'hymne au
Créateur « Bendecid, todas las obras » (voir sup., p. 499)
provient aussi d'une partie deutérocanonique du livre de Daniel, il
apparaît que ce livre biblique est très présent dans la liturgie de
nos marranes. En honneur dans la Synagogue, malgré ses
disparates, il est certain que l'usage dans la liturgie catholique des
éléments deutérocanoniques indiqués plus haut (Cantiques
d'Azarias et des Trois Enfants), peut-être accentué par
l'extraordinaire dévotion pour les Benedictiones dans
l'ancienne messe espagnole31, n'a pu que renforcer un syncré-

29. Texte inf., p. 565.


30. Textes inf., p. 567-568.
31. Voir Louis Brou, « Les "Benedictiones" ou Cantique des Trois
Enfants dans l'ancienne messe espagnole », Hispania Sacra, I (1948), p. 21-
33. L'auteur rappelle, in fine, que les exégètes juifs modernes seraient assez
d'avis que les Benedictiones de Daniel faisaient déjà partie d'une antique
liturgie juive (d'Alexandrie probablement).
502 CHARLES AMIEL

tisme de rencontre. Cette prédilection des marranes pour le


Cantique des Trois Enfants est attestée dans la lointaine Goa
au siècle suivant par d'autres archives inquisitoriales32.

Les bénédictions

Nous avons déjà remarqué, en analysant l'observance par


les marranes des règles de pureté, que la bénédiction
précédant l'ablution des mains (Oraciôn de lavar las manos)33, celle
donc qu'ils devaient prononcer le plus souvent, était
totalement différente de la formule consacrée, d'une parfaite
sécheresse, comme toutes les autres berakhot de même structure
( « Loué sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi de l'univers, qui
nous as sanctifiés par tes commandements et nous as prescrit
l'ablution des mains » ). Loin de s'en tenir au simple rappel
de la prescription, elle se fonde sur un texte biblique célèbre
en le détournant de son sens obvie et traditionnel : la verge
d'Aaron, qui était conservée dans la Tente du Rendez-vous
comme mémorial pour Israël et qu'utilisa Moïse pour frapper
le rocher et faire jaillir de l'eau (Nb XX : 8-11), aurait servi
non à étancher la soif de son peuple, mais à lui permettre de
procéder à l'ablution des mains.
La bénédiction sur regorgement (Oraciôn del deguello)34
ne correspond pas non plus à la formulation traditionnelle
( « Loué sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi de l'univers, qui
nous as sanctifiés par tes commandements et nous as prescrit
regorgement » ), mais reprend en esprit une sentence talmu-
dique du traité des Bénédictions : « La fin de l'homme, c'est la
mort ; la fin de l'animal, c'est d'être abattu » (тв,
Berakhot, 17 a).

32. Déposition d'Antonio Bocarro Frances devant l'Inquisition de Goa


le 13 mars 1624 (in Pedro A. de Azevedo, « О Bocarro Frances e os Judeus
de Cochim e Hamburgo», Archivo Historko Portuguez, VIII (1910),
p. 189).
33. Texte inf., p. 569.
34. Texte inf., p. 569.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 503

Tant dans la « prière du matin » des marranes (Oration de la


manana)35 que dans celle dite de la « mi-journée » (Oration del
mediodia)36, on trouve la même inspiration que dans l'oraison
matinale 'Elohay neshamah (ou sa forme condensée tardive
Modeh 'ani), par laquelle le fidèle rend grâce au Créateur de se
retrouver en vie chaque matin, l'âme dans le corps,
l'assimilation du sommeil à la mort étant un lieu commun du judaïsme.
La « bénédiction de la table » (Bendición de la mesap1
correspond, pour le plus clair, à l'action de grâce après le repas
(Birkat ha-mazon) du rite juif, mais dans le désordre - si l'on
peut dire -, dont elle reprend l'essentiel, prescrit par le Deuté-
ronome (VIII : 10 : « Tu mangeras et tu seras rassasié, tu
béniras l'Éternel, ton Dieu, pour le bon pays qu'il t'a donné »).
Notre version marranique a retenu les deux premières
bénédictions de la prière juive (Birkat ha-zan, birkat ha-arets), l'une
adressée au Seigneur qui nourrit l'univers (v. 1-2), l'autre
concernant la « bonne » terre promise et donnée à Israël (v. 3).
De la troisième bénédiction (Boneh Yerushalayim, pour
Jérusalem, le Temple, la maison de David et la prospérité
économique), elle n'a conservé que des bribes (v. 10) sur « les dons
de chair et de sang ». De la même façon, il ne subsiste de la
suite de l'action de grâce (sur les bienfaits du Seigneur,
l'attente eschatologique, les vœux adressés au Dieu de
Miséricorde) qu'un verset pittoresque (v. 8), emprunté aux psaumes,
sur les lionceaux affamés. Comme dans le Sema, les
vicissitudes de la transmission ont mêlé l'essentiel et l'accessoire.

La « ligature »

La prière « De que el Seňor prouó a Abraham »38 reprend


Gn XXII : 1-19, c'est-à-dire le célèbre épisode de la 'Aqedah
(la « ligature » d'Isaac), qui figure dans le rituel sépharade,

35. Texte inf., p. 570.


36. Texte inf., p. 571.
37. Texte inf., p. 571.
38. Texte inf., p. 573.
504 CHARLES AMIEL

tout au début de l'office du matin, en bonne place dans


Г'Or dénonça, déjà citée (p. 9), et le Libro de oracyones™
(f. III).
La version marranique suit de près le texte biblique, sans
que le nom d'Isaac soit toutefois prononcé. La répartie du
fils à son père lorsque ce dernier lui annonce qu'il va
l'immoler sur l'autel ( « Père, bandez-moi les yeux pour que
je n'élève pas sur vous un regard courroucé » ), ajoute une
touche originale, pudique et forte à la fois, au récit biblique
dont l'excessive simplicité a toujours étonné ; elle souligne le
symbolisme de cette soumission totale du fils envers le père,
du père envers le Créateur, deux formes également
douloureuses de l'acceptation du martyre. La même notation se
retrouve, plus de trois siècles plus tard, dans les prières des
nouveaux-chrétiens portugais de la Beira40. Mais c'est la
récompense promise à Israël pour sa foi inébranlable qui
devait faire rêver les marranes : « Je multiplierai ta race
comme les étoiles dans le ciel et le sable sur le rivage de la
mer. »
La fortune du thème a été, on le sait, exceptionnelle : des
Pères de l'Église (le sacrifice d'Isaac préfigure celui de Jésus) à
Kierkegaard (Crainte et tremblement), en passant par
Théodore de Bèze (Abraham sacrifiant). La liturgie catholique a
inclus ce texte dans les lectures vétérotestamentaires de la
veillée pascale.

39. Libro de oracyones de todo el ano traduzido del Hebrayco de verbo a


verbo de antiguos exemplares : por quantos los ympressos fasta aqui estan
errados... 5312 De la Criacion a 14 de Siuan. Ympresso рог industria y
despesa de Yom Tob Atias hijo de Leui Atias [Ferrare, 1552] (dorénavant :
LO), le modèle de la plupart des éditions ferraraises et amstelodamoises du
rituel juif en espagnol.
40. « Se о Senhor manda e ordena, / Cumpra-se o seu santo man-
dado ! / Quem morre pelo Senhor / No ceu é coroado. / Peae-me de pés e
mâos, / Para que, na hora da minha morte, / Nâo faça algum desavizado, /
Nâo erga os olhos contra о Senhor, / Nem contra vos, meu рае irado. »
(Samuel Schwarz, Os Cristâos-Novos em Portugal no Século xx, Lisboa,
1925, p. 58 ; réimpression : Instituto de Sociologia e Etnologia das Reli-
giôes, Universidade Nova de Lisboa, 1993).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 505

« Lorsque le Temple était dressé »

Avec une formulation plutôt énigmatique (Quando la


Casa estaba enfîesta41, qu'il faut comprendre « Lorsque le
Temple était dressé » et dont on peut se demander si les
marranes comprenaient le sens) débutait une prière des jours
de jeûne, d'origine talmudique. Elle correspond bien à celle
que l'on récitait à l'office du soir dans l'ancien rite sépharade
après un jeûne privé, et le précieux Libro de oracyones
précise même que cette confession devait être prononcée à la fin
de la 'Amidah, avant d'esquisser les pas rituels42. Les deux
états qui nous sont parvenus de cette prière ne sont
nullement contradictoires. La version courante de la famille Mora
est celle de Francisco : déficiente, voire incohérente, elle
illustre bien et la ténacité de la transmission et l'oblitération
progressive du texte original. Celle de l'homme instruit
qu'était le greffier Rodrigo del Campo est parfaitement
cohérente, mais on doit la considérer comme un cas
exceptionnel. Il est probable que ce dernier, à force d'acharnement
(mais par quelles mystérieuses voies ?) avait reconstitué le
texte.

La litanie des « délivrances »

On trouve chez nos marranes une prière litanique


curieuse (Líbrame, Seňor)*1, aussi chrétienne que juive, celle
du salut miraculeux ou des « délivrances ». Il s'agit, sans
qu'ils en aient eu conscience, d'une pièce de Y ordo commen-
dationis animae. Après l'exhortation Proficiscere anima chris-
tiana de hoc mundo, des sacramentaires mentionnent
plusieurs (dix à dix-huit) figures de personnages (bibliques pour
la plupart) miraculeusement délivrés d'un danger mortel, que

41. Texte inf., p. 574.


42. LO, CCCCLXXXIIII v°.
43. Texte inf., p. 575.
506 CHARLES AMIEL

l'Église invoquait à l'article de la mort44. Mais il faut


remonter sans nul doute à l'une des Selihot juives les plus
anciennes et les plus typiques (par son schéma litanique),
celle qui passe en revue une longue série de miracles et
adjure leur auteur : « Que celui qui a répondu à Abraham
notre père sur le mont Moriah, nous réponde ; que celui qui
a répondu à Isaac sur les pentes de l'autel, nous
réponde ; etc. »45
Ici, la prière, qui a conservé sa structure simple
( « Délivre-moi, Seigneur, comme tu as délivré... » ), encore
allégée par rapport à son plus proche modèle ( « Libéra,
Domine, animam servi tui, sicut liber asti... » ), se réduit aux
cas de Daniel dans la fosse aux lions et de Jonas dans le
ventre de la baleine, tous deux présents dans la selihah
originelle. On ne s'étonnera pas que les marranes aient affectionné
une prière d'intercession où apparaissent tant de personnages
de l'Ancien Testament et où ils voyaient autant de prouesses
du Dieu d'Israël. C'est cette même « lletania dels deslliura-
ments » qui est attestée près d'un siècle plus tôt chez des
judaïsants catalanophones de Valence46.

La « chanson des nombres »

Parmi les chansons folkloriques qui, tout au long des


siècles, se sont ajoutées le soir de Pâque au service du Seder,
« 'Ehad mi yodea' » ( « Qui sait [ce qu'est P]un ? » ) est une

44. Mario Righetti, Manuále di storia liturgica, Milano, Ancora, 1959,


t. IV, p. 349. Aimé Georges Martimort, L'Église en prière, Paris, Desclée,
1984, t. III, p. 250. Ces personnages sont : Enoch, Élie, Noé, Abraham,
Job, Isaac, Lot, Moïse, Daniel, les trois jeunes gens dans la fournaise,
Suzanne, David, Pierre et Paul, sainte Thècle.
45. LO, Selihoth, Dehani lahaniye, CCLXXVI-CCLXXVII. À
Abraham et Isaac s'ajoutent Jacob, Joseph, Moïse, Aaron, Pinhas, Josué, Héli,
Samuel, David et Salomon, Élie, Elisée, Ézéchias, Jonas, Ananias, Misael et
Azarias, Daniel, Mardochée et Esther, Esdras, Honi (Honi ha-Me'aggel, le
« traceur de cercle » du Talmud).
46. Cf. Jaume Riera i Sans, « Oracions en català dels conversos jueus »,
Anuario de Filologia, I, 1975, p. 350, 359.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 507

des plus connues et certainement la plus pédagogique.


Artifice, parmi d'autres, destiné à maintenir les enfants en éveil,
cette chanson comporte treize couplets, dont chacun contient
une question (Qui sait un ?... deux ?..., etc.), puis la réponse
appropriée, avec la reprise en écho des réponses précédentes.
C'est ainsi qu'un est associé à Dieu, deux aux Tables de la
Loi (ou à Moïse et Aaron), trois aux patriarches (Abraham,
Isaac, Jacob), quatre aux « matriarches » ou mères d'Israël
(Sarah, Rebecca, Rachel, Léa), cinq aux livres de la Loi (le
Pentateuque), six aux traités de la Mishnah, sept aux jours de
la semaine, huit aux jours de la circoncision, neuf aux mois de
la grossesse (ou aux jours de deuil - du mois d'Av), dix aux
commandements, onze aux étoiles (dans le songe de Joseph),
douze aux tribus d'Israël, treize aux attributs divins. 'Ehad mi%
yodeď n'apparaîtrait dans les Haggadot ou rituels de Pâque,
qu'au xvf siècle selon les éditeurs de Y Encyclopaedia Judaica
et seulement dans le rite ashkénaze, mais des attestations plus
anciennes ne manquent pas47.
C'est très exactement cette « chanson des nombres » (Si
supiésedes y entendiésedes)48 que récitaient nos marranes. À la
question abrupte du modèle hébraïque (Qui sait... ?) s'est
substitué un interprétatif ( « Si vous saviez et compreniez ce
qu'est... » ), mais la structure des couplets est identique à
l'original. Ces derniers se réduisent ici à dix. Quelques
variantes sont significatives de l'incapacité de certains marranes à
«rétablir» un texte manifestement erroné (Yrah et Sabaot
aux versets 4 et 7) ; de plus, les (six) traités de la Mishnah
- mot qui n'évoquait plus rien - ont été remplacés par les
jours de la semaine.
Les similitudes sont très grandes, et l'on peut même
parler de coïncidence, avec les autres attestations inquisitoriales

47. Pour le xve siècle, voir la notice de Y Encyclopaedia Judaica, s.v. De


plus, selon une note du savant éditeur (N. Briill) des Jahrbilcher fur
Judische Geschichte und Literatur (t. IV, Francfort, 1879, p. 97), on aurait
retrouvé dans la maison d'étude du Rokea'h (Eleazar ben Judah de Worms)
le texte du « Ehad mi yodea », qui remonterait ainsi au début du xnie siècle.
Je dois cette dernière indication au Pr Simon Schwarzfuchs.
48. Texte inf., p. 575.
508 CHARLES AMIEL

que nous possédons de cette chanson des nombres dans l'aire


catalane, qu'il s'agisse des confessions de judaïsants valen-
ciens du début du siècle (Tolosana Monçonis et Rafael Baró
en 1512 et 1520)49, ou de celles, un siècle plus tard, des chue-
tas de Majorque, milieu fermé s'il en fut50. La filiation
strictement juive de la version de Quintanar n'offre pas le
moindre doute. On pourrait en effet penser à une
contamination chrétienne, puisqu'il existe d'innombrables
variantes européennes de ce conte doctrinal, devenu « chanson-
scie », dont la source serait orientale, indienne précisément,
selon la démonstration convaincante d'Aurelio M. Espi-
nosa51. Or, les variantes espagnoles sont caractérisées non
seulement par la christianisation qui affecte les versions
européennes, mais encore par deux originalités. Avec une
écrasante majorité correspondent : pour un et neuf, Dieu (ou
le Christ) et les neuf chœurs des anges (ou les mois de la
grossesse) dans les versions européennes ; la Vierge et les
neuf mois de la conception de Marie dans les variantes
espagnoles. La traditionnelle dévotion mariale hispanique, à
laquelle les nouveaux-chrétiens étaient très peu portés, ne
saurait être mieux illustrée, de même que le clivage entre
deux cultures.

49. Jaume Riera i Sans, « Oracions en català dels conversos jueus »,


op. cit., p. 351-352, 356-359, 363-365.
50. Baruch Braunstein, The Chuetas of Majorca, Conversos and the
Inquisition of Majorca, New York, Ktav Publishing House, 1972 (lre éd.,
1936), p. 199. Angela Selke, Los chuetas y la Inquisiciôn, Madrid, Taurus,
1972, p. 284 (version en majorquin).
51. Aurelio M. Espinosa, «Origen oriental y desarrollo histórico del
cuento de las doce palabras retorneadas », Revista de Filologia espaňola,
XVII (1930), p. 390-413. Pour avoir une idée de cette foisonnante
bibliographie, voir, outre l'article cité (capital, et qui contient l'essentiel de cette
bibliographie) : Motif-Index of Folk-Literature, revised and enlarged edition
by Stith Thompson, Copenhagen, Rosenkilde & Bagger, 1955-1958, 6 vol. :
vol. 5, p. 542, n° Z.22.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 509

4 /CULTURE ET LECTURES

Les enseignements de la « première audience »

On ne dira jamais assez l'importance de la « première


audience » à l'Inquisition, appelée aussi « audience de
généalogie », tant pour pour les inculpés, dont certaines des
réponses faites à cette occasion orientaient le cours de la procédure
qui allait s'ensuivre, que pour l'historien, qui peut puiser dans
les procès-verbaux de cette séance des informations riches et
déjà ordonnées.
Le rituel était immuable. Dans un ordre qu'altéraient
seules des variantes de détail selon l'époque et le tribunal, le
comparant répondait aux mêmes questions. À Cuenca, dans
le dernier tiers du xvie siècle, après avoir prêté serment, il
déclinait son nom, son âge et son état ; il donnait ensuite sa
généalogie (parents, grands-parents, grands-oncles et grands-
tantes, paternels et maternels ; frères et sœurs, conjoint,
enfants), en précisant la qualité de son lignage (casta), c'est-
à-dire si ses ascendants étaient des vieux- ou des nouveaux-
chrétiens, et si, à sa connaissance, l'un d'eux avait été
emprisonné ou condamné par le Saint-Office. Il déclarait qu'il était
chrétien (comprendre : catholique), baptisé (dans telle église),
confirmé, qu'il allait à la messe le dimanche et lors des fêtes
d'obligation, qu'il se confessait et communiait selon les
prescriptions de l'Église, ajoutant parfois quand, où et de la main
de qui il avait reçu pour la dernière fois la sainte hostie. Puis,
il se signait et récitait « les quatre prières de l'Église » (Pater,
Ave Maria, Credo, Salve Regina), en langue vernaculaire ou
en latin, plus ou moins bien, ce qui était noté dans le procès-
verbal ; certains ajoutaient « les dix commandements de
Dieu », d'autres, moins nombreux, « les quatorze articles de
la foi ». Voilà pour la catholicité. Mais il y avait plus.
510 CHARLES AMIEL

Le comparant renseignait aussi le tribunal sur son degré


d'alphabétisation. Il disait s'il savait lire et écrire, où il avait
appris, avec quel maître, s'il avait fait des études, s'il
possédait des livres et lesquels. Enfin, il faisait le récit de sa vie (ce
curriculum vitae au sens large était appelé en espagnol discurso
de su vida) : où il était né et avait vécu jusqu'à ce jour, s'il
était sorti du royaume, avait « traversé la mer », et s'il avait
fréquenté quelque personne dont la foi fût suspecte.
On lui posait alors une redoutable question, déterminante
pour la suite de la procédure : « Savez-vous ou présumez-vous
la raison pour laquelle vous avez été arrêté et conduit dans les
prisons du Saint-Office ? » Comme la réponse était souvent
négative, on adressait alors au prévenu une première monition
en lui faisant observer que le Saint-Office n'avait pas
l'habitude d'arrêter ou d'appeler qui que ce soit sans
suffisamment d'informations sur le fait qu'il avait fait, dit ou
commis (ou vu d'autres personnes faire, dire ou commettre) une
offense à Dieu, à la sainte foi catholique et à la loi évangé-
lique que prêche et enseigne notre sainte mère l'Église de
Rome ; qu'à cause de cette information il avait été arrêté et
emprisonné, et que par égard pour Dieu Notre Seigneur et sa
glorieuse et bienheureuse mère Notre-Dame la Vierge Marie,
il devait interroger sa mémoire et décharger sa conscience en
disant l'entière vérité sur tout ce dont il se sentirait coupable,
lui ou d'autres personnes, sans rien cacher ni faire de faux
témoignage ; en agissant ainsi, il ferait ce qu'il devait en bon
et fidèle chrétien, et son affaire serait réglée avec la rapidité et
la miséricorde à laquelle il avait droit ; autrement, la justice
suivrait son cours. Le comparant averti qui renonçait à faire
l'innocent, confessait aussitôt son « crime » et accompagnait
ses aveux d'abondantes dénonciations de son milieu et d'une
contrition qui paraissait sincère, gagnait un temps précieux et
s'en tirait au meilleur compte.
Pour ce qui est donc de l'alphabétisation des prévenus, de
leur degré d'instruction et en somme de leur culture, les
archives inquisitoriales sont un outil exceptionnel. Sur les
100 « voix » du réseau de Quintanar/Alcázar, si l'on décompte
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 511

les procès disparus ou incomplets et ceux qui furent intentés


contre des personnes décédées ou en fuite, nous disposons de
47 procès-verbaux de première audience : une mine.
Une première constatation : 72,7 % des hommes savent
lire et écrire, moins du dixième (9,09 % exactement) ne savent
ni lire ni écrire. La proportion est inversée pour les femmes :
73,9 % d'analphabètes, 4,3 % sachant lire et écrire sans
réserves52. Ces pourcentages sont très accusés si on les compare
aux statistiques enregistrées pour la même époque dans le
diocèse de Cuenca : savaient lire et écrire 34 % d'hommes et 8 %
de femmes dans les campagnes pour la période 1540-1600, ou
encore 51 % d'hommes et 13 % de femmes nés entre 1571 et
159053. Et nous sommes très loin de la moyenne générale
de 10 à 15 % de personnes alphabétisées avancée pour
l'Espagne moderne54. Une explication obvie est qu'il s'agit
d'un milieu homogène et restreint de laboureurs, artisans ou
commerçants de moyenne aisance, mais le rapport particulier
de ces gens à la culture, tel qu'on va le découvrir bientôt, en
raison de leur condition de nouveaux-chrétiens, ne saurait être
négligé.
Les livres à présent. En possédait-on et que lisait-on ?
Beaucoup de livres seront cités lors des interrogatoires, ce
qui ne veut pas dire que leurs possesseurs étaient nombreux ni
qu'ils savaient tous lire. Il n'y a pas lieu de revenir ici sur la
disparité, clairement établie par Sarah Nalle dans ses travaux
et confirmée par notre enquête, entre le nombre des personnes
alphabétisées et celui des possesseurs de livres, le premier

52. Sur 23 hommes, 16 savent lire et écrire, 2 ne savent ni lire ni écrire,


3 savent lire mais seulement écrire un peu, 1 lit un peu (les caractères
d'imprimerie) mais ne sait pas écrire. Sur 24 femmes, 17 ne savent ni lire ni
écrire, 1 seule sait lire et écrire, 4 lisent un peu mais ne savent pas écrire,
1 sait lire mais écrit avec difficulté. Tant du côté des hommes que de celui
des femmes, dans un seul cas aucun renseignement n'est fourni.
53. Sarah Nalle, « Literacy and Culture in Early Modem Castile »,
Past and Present, 125 (1989), 65-96 : 68, 71.
54. Richard L. Kagan, Students and Society in Early Modern Spain,
Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1974, p. 23, cité
par S. Nalle, ibid., p. 66.
512 CHARLES AMIEL

étant beaucoup plus élevé que le second. J'insisterai


davantage sur deux autres points.
Si la plupart des prévenus déclaraient ne posséder aucun
livre ou n'en avoir eu autrefois qu'un seul, qu'ils avaient perdu
ou dont ils avaient oublié le titre, c'était souvent par prudence
face à l'inquisiteur, car dans la situation où ils se trouvaient tout
était suspect, surtout l'écrit. Certains savaient fort bien ou
subodoraient que la possession de tel ouvrage matérialisait en
quelque sorte cette hérésie que l'on cherchait à toute force à
prouver chez eux. Mieux valait donc imputer cette faute à
quelqu'un d'autre. Peine perdue, car les innombrables
recoupements des dépositions faisaient vite apparaître les incohérences
et l'identité du véritable propriétaire. — Autre évidence, qui
relève de la sociologie de la lecture. « Lire » ne s'entendait pas
seulement de cette activité individuelle, solitaire, réservée aux
personnes instruites, ou tout au moins alphabétisées, telle que
nous la percevons et vivons aujourd'hui. C'était parfois une
opération collective et conviviale, réunissant lecteur et
auditeurs, au sein de la famille, plus souvent élargie que nucléaire,
ou lors de soirées rassemblant une grande partie de la parentèle
et les hôtes, fréquents, de passage. C'est ainsi que nombre de
ceux qui ne savaient pas lire pouvaient être des adeptes fervents
de cette lecture passive mais efficace, car elle était accompagnée
des explications du « lecteur » et des commentaires de chacun.
Bref, la lecture était vécue, rythmée, pédagogique : une
formation permanente pour les plus démunis en matière de culture.
C'est ce qui ressort clairement de la majorité des dépositions
enregistrées : chez nos marranes de Quintanar, on écoutait lire
plus qu'on ne lisait, et le même exemplaire d'un ouvrage
souvent cité servait au divertissement et à l'édification de plusieurs.
De quoi cette bibliothèque familiale se composait-elle ?
Quel regard l'orthodoxie a-t-elle porté au fil du temps sur
chacun de ses éléments ? Sur ce dernier point la réponse est à
chercher dans les Index de livres interdits ou expurgés55.

55. Pour le XVIe siècle nous disposons du magnifique instrument de


travail qu'est l'Index des livres interdits, éd. J. M. De Bujanda, Sherbrooke-
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 513

Littérature profane

Comme partout en Espagne, les romans de chevalerie


étaient alors en vogue. On se souvient de cet aubergiste qui
dans le Quichotte (lre partie, chap. XXXII) prisait fort leur
lecture, tout comme les ouvriers agricoles qui se réunissaient
chez lui les jours de fête au temps de la moisson ; il s'en
trouvait toujours un - racontait-il - qui sachant lire prenait en
main un des romans qu'il y avait à l'auberge pour en faire la
lecture à haute voix : il se retrouvait aussitôt entouré d'une
trentaine d'auditeurs sous le charme. Thérèse d'Avila lisait
aussi ces livres dans sa jeunesse, en compagnie de sa mère et
en cachette du père, de même qu'Ignace de Loyola, avant
qu'on ne lui donnât, par hasard, une Vita Christi et une
biographie de saints : on a relevé à juste titre la fascination que
pouvait exercer l'idéal aristocratique, mêlé à l'aventure, sur
tous les milieux, y compris le peuple, tout au long du
xvie siècle, particulièrement auprès des jeunes et des femmes56.
Ces livres de chevalerie sont désignés par les prévenus sous
le terme générique de caballerias, sans autre précision. À part
ces 1 1 mentions laconiques (9 hommes, 2 femmes : disparité à
noter et nombre élevé au total), « El Caballero del Febo » ou

Genève, Université de Sherbrooke - Droz, 10 vol., 1985-1996. — Pour


les xvne-xviiie siècles, les Index inquisitoriaux espagnols cités plus avant
sont les suivants : Bernardo de Sandoval y Rojas, Index librorum
prohibitorum et expurgatorum, Madrid, 1612 ; Antonio de Zapata, Novus Index
librorum prohïbitorum et expurgatorum, Madrid, 1632 ; Antonio de Sotomayor,
Novissimus librorum prohibitorum et expurgatorum Index, Madrid, 1640 ;
Vidal Marin, Novissimus librorum prohibitorum et expurgatorum Index,
Madrid, 1707, 2 vol. ; Andrés de Orbe Larreátegui, Suplemento al indice
expurgatorio has ta este ano de 1739, Madrid, 1739 ; Francisco Pérez de
Prado, Index librorum prohibitorum et expurgandorum novissimus, Madrid,
1747, 2 vol. ; Agustín Rubín de Ceballos, indice ultimo de los libros prohibi-
dos y mandados expurgar para todos los reinos y senorios del Católico Rey de
Espana, el seňor don Carlos IV, Madrid, 1790.
56. Joël Saugnieux, Cultures populaires et cultures savantes en Espagne
du Moyen Âge aux Lumières, Paris, cnrs, 1982 (chap. Ill : « Culture
féminine en Castille au XVIe siècle. Thérèse d'Avila et les livres »). — S. Nalle,
op. cit., p. 87-88.
514 CHARLES AMIEL

tout simplement « Febo » est cité à deux reprises : il s'agit de


YEspejo de principes y caballeros..., dont l'édition princeps de
la première partie parut à Saragosse en 1562 et qui sera
traduit en français au début du siècle suivant sous le titre de
L'admirable histoire du Chevalier du Soleil...51. — De manière
tout aussi allusive, on cite aussi « Esplandián ». Nous sommes
là dans la nébuleuse de YAmadis de Gaula. Après les quatre
premiers livres de cette œuvre pour laquelle l'engouement fut
immense, parus à Saragosse en 1508, le cinquième sortit des
presses de J. Cromberger à Seville en 1510 sous le titre
suivant : Las Sergas del muy virtuoso cauallero Esplandián, hijo
de Amadis de Gaula, llamadas ramo de los quatro libros de
Amadis, et dont l'auteur semblait être l'éditeur(-correcteur-
traducteur) des quatre précédents, Garci Gutierrez (ou
Rodriguez) de Montalvo. Ces Sergas (prouesses) ne tarderont pas à
être traduites en français : Le Cinquiesme livre de Amadis de
Gaule, contenant partie des faictz cheualereux ďEsplandián son
filz, & autres : mis en Françoys par... Nicolas de Herberay,
[s.l.], 1544; Paris, 1550, etc.58
Pour en finir avec la littérature profane, examinons les
deux recueils d'historiettes et d'adages et les deux ouvrages
d'histoire cités (une seule mention pour chacun) par nos
prévenus (tous des hommes), mais qui sont donnés cette fois-ci
comme des lectures individuelles.

57. Première partie : Espejo de Principes y caualleros. En el quai se


cuentan los imortales hechos del Caballero del Febo y de su hermano Rosicler,
hijos del grande Emperador Trebacio. Con las altas caballerias y muy extra-
ňos amores de la muy hermosa y extremada princesa Claridiana y de otros
altos Principes y cavalleros. Por Diego Ortuňez de Calahorra, Zaragoza,
Miguel de Guesa, 1562. Les parties suivantes, dues à d'autres auteurs,
ajoutent, selon la coutume dans les livres de chevalerie, les hauts faits des
descendants des premiers héros. Pour plus de détails sur les différentes parties,
leurs éditions, leurs traductions, voir José Simon Diaz, Bibliografia de la
literatura hispánica, Madrid, csic, I960-... : III, 2, p. 487-491. La première
traduction française est L'admirable histoire du Chevalier du Soleil. Où sont
racontées les immortelles prouesses de cet invincible guerrier, et de son frère,
Rosiclair, enfans du Grand Empereur de Constantinople... Traduict... par
François de Rosset, Paris, Jean Fouet, 1617.
58. Éditions et traductions : José Simon Diaz, op. cit., III, 2, p. 444-
445, 453-454.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 515

Les deux premiers sont des ouvrages fort connus. La « Flo-


resta espanola » est celle colligée par Melchior de Santa Cruz,
au titre explicite, Floresta espaňola de apotegmas, o sentencias
sabia y graciosamente dichas de algunos espaňoles, Tolède, 1574,
bientôt suivie des éditions d'Alcala, Salamanque et Saragosse
1576, etc., inscrite à l'Index portugais dès 1581 puis à l'espagnol
aux deux siècles suivants. Étonnamment variée dans sa
concision, c'est une sorte de florilège de l'esprit tolédan, dont une
traduction française, Le plaisant bocage, paraîtra en 1600 à Lyon59.
— Le second est le « Jardin de flores », ouvrage de curiosités
très en vogue à l'époque. Ce Jardin déflores curiosas en que se
tratan algunas materias de humanidad, filosofia, teologia y
geografia, con otras соsas curiosas y apacibles, d'Antonio de Tor-
quemada, paraît à Salamanque en 1570 chez Juan Bautista de
Terranova, est suivi de plusieurs éditions et traduit sans tarder
en français (Hexameron, ou Six journées contenons plusieurs
doctes discours sus aucuns poincts difficiles en diverses sciences,
avec maintes histoires notables, Lyon, 1579), en italien (1590) et
en anglais (1600). Proche par l'esprit du précédent, il voisine
avec lui dans l'Index portugais de 1581 et se retrouve lui aussi
dans la plupart des Index espagnols des deux siècles suivants60.
« Los emperadores de Roma » désigne certainement un
ouvrage de Pedro Mejia, la Historia imperial y cesârea, en la
cual en suma se contienen las vidas y hechos de todos los Césa-
res emperadores de Roma desde Julio César hasta el emperador
Maximiliano..., Seville, Juan de Leon, 1545, un imposant
volume in-folio à deux colonnes et caractères gothiques,
réédité dans cette ville en 1547 et 1564, à Bâle en 1546 et 1547, à

59. Voir Antonio Palau y Dulcet, Manual del librero hispanoamericano,


Barcelona, 1948-1977, 28 vol., XIX, 297947; Index, éd. De Bujanda,
op. dt.t IV, p. 484-485 ; Index Madrid, 1632 (p. 400), 1640 (p. 427), 1707
(p. 444), 1747 (p. 462), 1790 (p. 105). L'édition de Bruxelles 1614 a un titre
haut en couleur : Le plaisant bocage, contenant plusieurs comptes [sic], gosse-
ries, brocards, cassades et graves sentences de personnes de tous estais
(A. Palau, ibid, 297948).
60. Voir A. Palau, Manual, op. cit., XXIII, 334907, -17, -22, -27 ;
Index, éd. De Bujanda, op. cit., IV, p. 485-487 ; Index Madrid, 1632 (p. 65,
703), 1640 (p. 68), 1707 (p. 61), 1747 (p. 71), 1790 (p. 267).
516 CHARLES AMIEL

Anvers en 1552, 1561 et 1578 (cette dernière édition sera


expurgée par l'Inquisition). Considéré comme le premier traité
d'histoire générale en castillan, il contient dans son adresse au
lecteur un plaidoyer pour l'histoire étonnamment moderne
(tout écrit est histoire, y compris les saints évangiles...). C'est
aussi l'antiroman de chevalerie : son auteur s'en prend aux
« fables et menteries » des livres de chevalerie « qu'on devrait
bannir d'Espagne en tant que choses contagieuses et nuisibles
à la république... car il se trouve des hommes pour penser que
tout s'est passé de la façon dont ils le lisent ou l'entendent
dire »61. — Le second livre d'histoire, nommé simplement
« Alejandro Magno » (mais nous sommes habitués à ces
indications réduites à leur plus simple expression), désigne peut-
être la traduction anonyme de Quinte-Curce en castillan His-
toria de Alexandre Magno [Seville 1496, puis 151 8]62 : cette
hypothèse, qui se heurte à l'absence d'éditions postérieures
plus rapprochées de la date du témoignage (17 août 1590)63,
ne saurait néanmoins être écartée car le possesseur de
l'ouvrage, Rodrigo del Campo, greffier de son état, qui lisait
la Bible en latin, était certainement l'homme le plus instruit et
le plus bibliophile de la petite communauté marrane.

Littérature religieuse

L'étude comprehensive (dans tous les sens du terme),


durant ces dernières décennies, de la production imprimée
dans l'Espagne du Siècle d'Or a mis en relief la faveur dont
jouissait auprès des lecteurs de toutes les classes sociales la
littérature religieuse lato sensu64. La grande affaire de chacun,

61. Cf. J. Simon Diaz, op. cit., XIV, 4299-4310; A. Palau, Manual,
op. cit., IX, 167340-167362 ; Index Madrid, 1632 (p. 829), 1640 (p. 854-855),
1707 (t. II, p. 151), 1747 (t. II, p. 936), 1790 (p. 181).
62. J. Simon Diaz, op. cit., III, 2, p. 426-427.
63. ADC, Inq., 321/4627, [f. 124].
64. Entre autres, Kurt Whinnom, « The problem of the "best-seller" in
Spanish Golden- Age literature», Bulletin of Hispanic Studies, LVII (1980),
p. 189-198. Pour la France, Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la
France d'Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987, p. 92-95.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 517

préoccupé par le salut de son âme, était de saisir toute


opportunité (et la lecture en était une) pour mieux vivre, en s'aidant
ď « exemples », son temps de passage en ce bas monde. Ce
« primat du religieux » (R. Chartier) était évident à Quinta-
nar. J'examinerai successivement les usages de l'Écriture
sainte et des livres de prière, puis la littérature spirituelle à
proprement parler, qui pouvait donner lieu, comme on verra,
à une lecture très orientée.

La Bible, ses succédanés et les livres de prières

La Bible était en honneur à Quintanar. Et pourtant elle


n'est mentionnée qu'une seule fois dans notre corpus des
47 procès-verbaux de première audience. Le berger Hernando
de Mora, après avoir dit qu'il ne savait ni lire ni écrire,
enchaîne en affirmant qu'il n'a jamais assisté à des séances de
lecture, mais se reprend aussitôt pour les reconnaître. Chez
Alonso del Campo, en secret, devant un auditoire de sept ou
huit personnes plutôt âgées, Rodrigo del Campo lisait puis
traduisait en espagnol des passages de la Bible (Dieu
ordonnait que l'on fît ceci ou cela, « Tu observeras mon samedi »,
bref « des choses de la loi de Moïse »). C'était il y a trente-
cinq ans, tous écoutaient en silence, lui était entré là par
hasard...65
Quel meilleur exemple de la circonspection des déclarants
et de la nécessité pour l'historien de ne pas s'en tenir aux
premières audiences pour tout ce qui était susceptible d'être
interprété comme un soupçon d'hérésie ! Car, plus avant dans
les procès (encore faut-il les lire) il y a profusion de
témoignages sur ces séances de lecture. La seule relation de causes
de l'autodafé du 16 août 1592 à Cuenca en enregistre 8
attestations (5 femmes, 3 hommes)66.

65. adc, Inq., 330/4707, f. [14 v°], audience du 23 juillet 1591.


66. adc, Inq., L 352, f. : [118-152], Catalina Navarra, n° [3], Francisco
de [20],
n° Mora Isabel
Carrillo,
de Mora
n° Carrillo,
[11], Isabel
n° [24],
Romera,
Antonio
n° Martinez
[15], Leonor
de Mora,
del Campo,
n° [32],
Alonso Martinez de Mora, n° [37], Inès del Campo, n° [40].
518 CHARLES AMIEL

Le grand ordonnateur et la vedette de ces réunions était


effectivement le greffier Rodrigo del Campo, l'homme des
écritures (sans jeu de mots), qui lors de sa première audience
s'était bien gardé de parler de Bible. Il en possédait une
pourtant, mise sous séquestre lors de son arrestation, qui fut
reconnue par plusieurs prévenus auxquels elle fut présentée
(par exemple son cousin Francisco de Mora Molina qui
l'identifia aussitôt)67 et par l'intéressé, lorsqu'il passera aux
aveux. Il s'agissait d'une Bible en latin ad Hebraicam verita-
tem imprimée à Lyon en 1542 par Guillaume Boullé68. Cette
édition figurait au dernier Catalogue des livres interdits
(l'Index espagnol de 1583), comme on tint à le lui faire
remarquer « folio 19, première page ». Rodrigo dut donc
reconnaître qu'il était en infraction, puisqu'il n'avait pas
vérifié après la parution du catalogue si ses livres y
figuraient, ni remis de liste à cet effet au Saint-Office, ni prêté
attention aux édits de la foi lus publiquement durant «ces
six dernières années » qui rappelaient cette obligation69. Cette
petite scène d'admonestation nous rappelle opportunément la
difficulté qu'il y avait à lire la Bible, même pour le monde
savant, dans la catholique Espagne de Philippe II, depuis la
Censura generalis de 1554 (qui en visait 58 éditions), et la
quasi-impossibilité de le faire en langue vulgaire depuis
l'interdiction catégorique de l'Index espagnol de 1551
(« Biblia Hispano aut alio vulgari sermone traducta »,
f. 11 v°)70.
L'interdiction des Écritures en langue vulgaire ne se
limitait pas aux éditions complètes de la Bible ou d'un des
Testaments, elle s'appliquait aussi à n'importe quelle portion du
texte sacré éditée séparément. Lorsqu'un des prévenus, Fran-

' 67. adc, Inq., 328/4704, f. [58 v°].


68. Biblia sacra, ex postremis Doctorum omnium vigiliis, ad Hebraicam
veritatem et probatissimorum exemplarium jïdem. Cum Argumentis, Indice, et
Hebraicorum nominum interpretatione, Lyon, Guillaume Boullé, 1542, in-4°,
[8], 560, [3] ff. Index, éd. De Bujanda, op. cit., VI, p. 212, n° 203.
69. adc, Inq., 321/4627, f. [143 v°], audience du 5 octobre 1590.
70. Index, éd. De Bujanda, op. cit., V, p. 604 ; pour la Censure générale
des Bibles de 1554, ibid., p. 276-302.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 519

cisco Navarro, affirme avoir appris certains psaumes dans des


feuilles (volantes ?) intitulées Psalterio de San Jerónimo,
autrement dit un psautier, il ne se doute peut-être pas qu'il s'agit
de littérature interdite71. Cette curieuse attribution au père de
la Vulgate se retrouve dans un autre témoignage : Juan López
de Armenia « l'Ancien » a trouvé l'un des psaumes qu'il récite
dans un livre d'heures ou un psautier « dit de saint Jérôme »72.
L'identification est bien difficile, mais elle ne doit pas exclure
la traduction en espagnol du psautier {Psalterio de David,
Anvers 1555) à partir de la version latine commentée de Rey-
nerus Snogoudanus, sur laquelle l'Inquisition s'est acharnée,
puisqu'elle l'inscrit à l'Index dès 1559 et l'y conserve jusqu'à
la fin du xviif siècle73.
Un autre « psaume » proviendrait, affirme-t-il dans la même
déclaration, d'un ouvrage en espagnol intitulé « Epistolas y
Evangelios » dont il ignore l'auteur74. C'est sans doute celui du
franciscain Ambrosio Montesino, Epistolas y Evangelios por
todo elaňo, maintes fois réédité depuis 151275, qui illustre une
tradition éditoriale confirmée : la publication séparée d'évangiles et
d'épîtres pour les besoins de l'année liturgique. L'Index espagnol
de 1 559 concluait sa longue liste de livres interdits par une
disposition qui élargissait encore sa portée : tous les évangiles, les épî-
tres et autres passages du Nouveau Testament en castillan
devaient être remis au Saint-Office et conservés par lui jusqu'à
nouvel ordre ; l'Index suivant, celui de 1 583, statua en effet à leur
sujet en autorisant une seule exception à l'interdiction
renouvelée qui frappait tout ou partie des Bibles en langue vulgaire76.

71. ADC, Inq., 323/4639, f. [33 r°].


72. ADC, Inq., 283/3946, f. [69 v°], audience du 20 août 1590.
73. Index, éd. De Bujanda, op. cit., V, p. 528 (« Psalterio de Raynerio,
en romance » ; la première édition latine, Anvers 1535, est intitulée Psalte-
rium Davidicum paraphrasibus illustratum) ; Index, Madrid, 1632 (p. 829),
1640 (p. 863), 1707 (174), 1747 (p. 958), 1790 (p. 219).
74. Ibid. ; en fait, il ne s'agit pas d'un psaume, mais d'un passage du
livre de Daniel, voir inf., p. 568.
75. Parmi les éditions attestées jusqu'en 1590 : Tolède, 1512, 1532,
1535, 1549; Saragosse, 1525, 1550, 1555; Seville, 1537, 1540;
Anvers, 1538, 1543, 1544, 1550, 1558 ; Medina del Campo, 1586.
520 CHARLES AMIEL

C'est ce qui explique, selon Palau77, la rareté des exemplaires


retrouvés du plus célèbre livre du genre, dont l'histoire des
relations orageuses avec la censure n'était pas pour autant terminée.
En 1589, le qualificateur de l'Inquisition du Mexique demandait
l'interdiction du livre (en raison de l'impropriété de certaines
traductions), la destruction par le feu de tous les exemplaires
imprimés, et exprimait le souhait que l'on n'autorisât jamais plus la
publication en langue vulgaire des épîtres et des évangiles78. Le
pas est franchi par l'Index espagnol de 1612, qui inscrit l'ouvrage
sur ses listes, un siècle après sa première édition79 et l'y
maintiendra pendant tout le siècle, ainsi que le suivant80.
Quel est ce « petit livre sur les mystères de la messe »
(librico de los misterios de la misa) dont parle Francisco
Navarro ? Il faut écarter celui de Pedro López de Montoya
sur le sujet, dont la première édition connue est de 1591. Ne
s'agirait-il pas tout simplement des Epistolas y Evangelios
d'Ambrosio Montesino, dont certaines éditions incluent dans
leur titre long et compliqué « une considération spirituelle »
sur les mystères de la messe81 ?

76. « Y porque hay algunos pedazos de Evangelios y Epistolas de Sant


Pablo y otros lugares del Nuevo Testamento en vulgar castellano, ansi
impresos como de mano, de que se han seguido algunos inconvenientes,
mandamos que los tales libros y tratados se exhiban y entreguen al Santo
Ofîcio, agora tengan nombre de autor o no, hasta que otra cosa se
determine en el Consejo de la S. General Inquisition » {Index, éd. De Bujanda,
op. cit., V, p. 680-681). — « Régla VI : Prohibense las Biblias en lengua
vulgar, con todas sus partes. Pero no las clausulas, sentencias o capítulos que
de ella anduvieren insertos en los libros de católicos que los explican o ale-
gan, ni menos las Epistolas y Evangelios que se cantan en la Misa por el
discurso del aflo... » {Index, éd. De Bujanda, op. cit., VI, p. 883).
77. A. Palau, Manual, op. cit., X, n° 178956.
78. Virgilio Pinto Crespo, Inquisición y control ideológico en la Espaňa
del siglo xvi, Madrid, Taurus, 1983, p. 277. Sur Bible et censure,
d'excellentes pages : p. 272 sq.
79. Angel Alcalá, Literatura y Ciencia ante la Inquisición Espaňola,
Madrid, Laberinto, 2001, p. 65. Extraordinaire synthèse que seule la culture
d'Angel Alcalá pouvait nous procurer.
80. Index Madrid, 1632 (p. 62-63), 1640 (p. 65), 1707 (I, p. 57), 1747 (I,
p. 66-67), 1790 (p. 185).
8 1 . Mention du « petit livre sur les mystères de la messe » est faite lors
de l'audience du 23 août 1590 (adc, Inq., 323/4639, f. [31 v0]). — Los cua-
tro libros del Misterio de la Misa, con unas anotaciones en lengua latina sobre
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 521

Les ouvrages liturgiques courants {horas, livres de prières,


devocionarios, missels, paroissiens), contenant tous des
fragments de l'Écriture et par là rattachables à cette rubrique, ne
pouvaient pas manquer dans cette revue. Le petit nombre des
mentions relevées dans nos archives étonne : 4 heures, 2
missels. Religiosité particulière des marranes ? Ou, plutôt, résultat
de la guerre ouverte déclarée par l'Inquisition à ce genre de
livres ? L'Index espagnol de 1559 comprend à la lettre H une
longue liste de livres d'heures en langue vulgaire (23 titres,
33 éditions, sans compter l'item interdisant toutes les heures en
castillan auxquelles manque le nom de l'imprimeur, le lieu
d'impression et la date). Celui de 1583 écarte tous les livres
d'heures en castillan sans exception, et ceux des deux siècles
suivants répètent la même interdiction. Ce n'est que la
consécration d'une politique mise en œuvre de longue date et visant
à maîtriser la piété du peuple espagnol jusque dans ses
instruments quotidiens les plus humbles. Rodrigo del Campo, notre
lecteur attitré de l'Écriture, ne s'était pas privé de rappeler,
peut-être pour faire diversion, à l'inquisiteur qui le pressait de
questions sur sa Bible condamnée, qu'il y avait quelques
années, lorsque les heures en langue vulgaire avaient été
interdites ainsi que d'autres en latin, il avait porté au curé pour
vérification celles en latin qui étaient en sa possession82.

Ouvrages de spiritualité

Parmi les ouvrages de spiritualité cités par les lecteurs de


Quintanar (liseurs ou auditeurs), entre ceux qui ne méritèrent

el Sagrado Canon, compuesto por el doctor Pedro López de Montoya,


Madrid, Guillermo Druy, 1591. — Evangelios, Epistolas, Lecciones y Pro-
fecias, que la Santa Iglesia conta en la Misa por todo el ano, nuevamente his-
toriados. Va al principio una espiritual consideration en los pasos de la Misa
y significaciones de los misterios délia. Con los siete Psalmos y la Misa de
Nuestra Seňora. Zaragoza, En casa de Bartolomé de Nájera, 1550, 8°, [8]
213 [1] f. (d'après A. Palau, Manual, op. cit., X, 178953).
82. Index [1559], éd. De Bujanda, op. cit., V, p. 488-495. — Index
[1583], éd. De Bujanda, op. cit., VI, p. 883. — adc, Inq., 321/4627,
f. [143 v°], audience du 5 octobre 1590.
522 CHARLES AMIEL

qu'une mention unique et la lecture de référence - que nous


réservons pour la fin de cette revue - Louis de Grenade
occupe une place honorable (4 et peut-être 5 mentions)83. Il
est l'unique auteur dont on cite le nom, alors
qu'habituellement ce sont les titres seuls des ouvrages qui sont donnés,
avec plus ou moins d'exactitude. Lorsque aucun titre
n'accompagne son nom, il peut s'agir de n'importe laquelle de
ses œuvres, y compris (malgré la date tardive de sa première
publication: 1583) de son Introduction del símbolo de la fe,
dont on sait que les marranes de par le monde entier prisaient
la lecture. Il y a encore moins de raisons d'exclure le Libro de
la oraciôn, donné comme le plus grand succès de librairie dans
l'Espagne du Siècle d'Or84 (et néanmoins inscrit à l'Index
en 1559 et 1583). En revanche, lorsqu'un prévenu parle
ď « un petit livre de Frère Louis de Grenade, dont il ignore le
titre », il doit s'agir (en raison du format et du nombre réduit
de pages) d'une des premières éditions du Mémorial de la vida
cristiana, qui contenait aussi des prières et une « Vita
Christi », ou encore de la traduction attribuée à Louis de
Grenade du Contemptus mundi de Thomas de Kempis85. La
désignation, explicite cette fois dans une autre déposition, de la
« Vie du Christ » de Louis de Grenade se réfère, soit au
Memorial, soit à une édition partielle identifiée de celui-ci
(Lisbonne, 1561)86. Enfin une «Vie et doctrine du Christ»,
sans nom d'auteur, renvoie peut-être au même livre.

83. « Fray Luis de Granada» (Luisa de Mora Carrillo, adc, Inq., 331/
4734, f. [33 v0]) ; « libros de fray Luis de Granada » (Alonso Martinez de
Mora, ibid., 329/4706, f. [51 v0]); «un librico de fray Luis, que no sabe
cómo se intitula » (Francisco Navarro, ibid., 323/4639, f. [31 v°]) ; « Luis de
Granada en la Vida de Cristo » (Maria de Mora I, ibid., 313/4549, f. [91]) ;
« Vida y dotrina de Cristo » (Pedro del Campo I, ibid, 327/4690, f. [28 v0]).
84. K. Whinnom, «The problem of the "best-seller"...», op. cit.,
p. 194.
85. Memorial de lo que debe hacer el cristiano, con algunas oraciones
muy devotas para pedir el amor de Dios y para otros propósitos, Lisbonne,
1561, 108 ff., 9,5 cm; Salamanque, 1563, 133 ff., 10 cm. — Contemptus
mundi, nuevamente romanzado [Seville, Juan Cromberger, 1536], 120 ff.,
14,5 cm, très souvent réédité (cf. J. Simon Diaz, op. cit., X, 4346 sq.)
86. Vita Christi, en el cual se contienen los principales pasos y misterios
de la Vida de Cristo, Lisbonne, 1561, 122 ff., 16°.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 523

Le Flos santorum cité par Luisa de Mora Carrillo est


vraisemblablement un de ces textes anonymes (ou signés) publiés
sur le modèle de la Légende dorée de Jacques de Voragine
dans la péninsule Ibérique, qui relatent la vie de Jésus, de la
Vierge et des saints et dont certaines éditions (Saragosse, 1556
ou 1558) figurent dans plusieurs Index (Espagne, 1559, 1583 ;
Portugal, 1581 ; Rome, 1596)87. Un ouvrage du dominicain

Domingo
1558)88 porte
deégalement
Valtanásce (Seville,
titre, et àSebastián
partir de 1578
Trujillo,
voit le1555,
jour
un « nouveau Flos santorum » en six parties sous la plume du
P. Alonso de Villegas, auteur fécond qui renie l'ouvrage céles-
tinesque qu'il avait composé une vingtaine d'années plus tôt
(La Selvagia) et dont il se préoccupe de rassembler et
détruire les exemplaires existants.
C'est dans cette même ligne de « Fleurs des saints »,
appellation donnée en France à la littérature dévote similaire, qu'il
faut situer un « San Alej o » (saint Alexis) lu par Antonio
Martinez de Mora. L'histoire de ce saint légendaire est
connue. Le fils d'un grand seigneur de Rome s'enfuit de chez
lui le soir de ses noces pour mener une vie de mendiant et
d'ascète, mais la volonté divine l'y ramène pour le faire
subsister incognito sous l'escalier de son propre palais pendant
dix-sept ans jusqu'à sa mort, son identité étant enfin révélée à
ses parents et à son épouse : c'est la trame, par exemple, de la
Vie de saint Alexis, un des plus anciens monuments de la
langue française (xie siècle). En Espagne, le sujet est
popularisé au théâtre par Moreto au xvne et par le romancier
Benjamin Jarnés à l'époque romantique. Au temps de nos marra-

87. Luisa de Mora Carrillo, ADC, Inq., 331/4734, f. [33 v°]. — Flos
santorum. La vida de Nuestro Seňor Jesucristo, y de su santisima madré, y de los
otros santos por el orden de sus fiestas, Alcalá de Henares, Juan de Brocar,
1558. Flos sanctorum. Leyenda de los santos, que vulgarmente Flos sanctorum
llaman, Seville, Juan Gutierrez, 1568. Autre édition, ibid, 1569. — Index,
éd. De Bujanda, op. cit., X, p. 187.
88. Cf. Fray Domingo de Valtanás, o.p., Apologia sobre ciertas mate-
rias morales en que hay opinion, y Apologia de la comuniôn frecuente,
éd. Alvaro Huerga, o.p., Pedro Sáinz Rodriguez, Barcelona, Juan Flors,
1963, p. 127.
524 CHARLES AMIEL

nes, l'histoire circulait sous forme d'innombrables feuilles


volantes (dès 1520), ou dans des Flos sanctorum (dès 1568) et
même en tiré à part dans la version d'Alonso de Villegas89.
« La vanidad del mundo »90 est un autre succès de librairie
de l'époque. Le Libro de la vanidad del mundo, qui comportait
trois parties, du franciscain navarrais Diego de Estella,
connut une dizaine d'éditions pour chacune d'elles entre 1562
et 1592 et fut traduit sans tarder en latin, en italien et en
français (dans cette dernière langue par Gabriel Chappuis, Paris,
R. Le Fizelier, 1587)91.
Enfin, l'ouvrage laconiquement intitulé San Benito y sus
monjes (saint Benoît et ses moines) devait être une traduction
en langue vulgaire du livre II des Dialogues de Grégoire le
Grand, peut-être celle du bénédictin Juan de Castaniza, La
vida de San Benito, que San Gregorio Magno dejó escrita en
latin, traducida en lengua vulgar, con las vidas de sus dos dis-
cipulos San Mauricio y San Placido, Salamanque, Lucas de
Junta, 1583, 16°, 96 ff.92.

Une encyclopédie du judaïsme

II est un livre cependant dont les marranes raffolaient :


Espejo de consolation, le Miroir de consolation. Mentionné
dix-sept fois au cours des interrogatoires de première
audience, tout le monde s'accorde à le considérer comme la
lecture par excellence de la famille. De celui-ci, personne

89. adc, Inq. 324/4652, audience du 11 septembre 1590. — Sur


littérature savante et littérature populaire dans la tradition manuscrite et la
production imprimée en castillan relatives à la légende de saint Alexis, voir
l'étude très documentée de Carlos Alberto Vega, La vida de San Alejo. Ver-
siones castellanas. Estudio y edición de..., Universidad de Salamanca, 1991
(« Textos recuperados », 2), en particulier p. 30, 45, 47, 97-116.
90. Pedro del Campo I (adc, Inq., 327/4690, f. [28 v0]), audience du
25 septembre 1592.
91. Cf. J. Simon Diaz, Bibliografla, IX, p. 419-428.
92. Luisa de Mora Carrillo (adc, Inq., 331/4734, f. [33 v°]), audience
du 28 juillet 1592. — A. Palau, Manual, op. cit., XIX, 290991, s.v. San
Gregorio.
Illustration non autorisée à la diffusion
526 CHARLES AMIEL

n'avait le monopole. Rodrigo del Campo, qui en faisait aussi


la lecture à haute voix, se souvient avoir entendu « cent mille
fois » Diego de Mora faire de même, l'auditoire se composant
indifféremment de personnes de la maison ou d'étrangers qui
entraient là par hasard, ce dont il ne se souciait guère93. Les
témoignages, nombreux, désignent d'autres « liseurs » et font
état de plusieurs exemplaires en circulation (il est vrai que
l'ouvrage comprenait plusieurs tomes).
De quel auteur hérétique s'agissait-il donc? D'un
religieux franciscain au-dessus de tout soupçon, le P. Juan de
Duenas. L'ouvrage, qui s'intitule exactement Miroir de
consolation des tristes, comprend six parties et connaît une
quarantaine d'éditions, d'une ou plusieurs de ces parties,
entre 1540 et 159194 : après cette date il cesse brusquement de
paraître, on comprendra bientôt pourquoi. Comme son titre
l'indique, il appartient au genre très prisé du speculum, un
des modèles de la littérature d'édification. La Bible en est
souvent la matière, dont on choisit et ordonne des passages,
observables « comme dans un miroir ». L'Écriture renvoie
ainsi à chacun son image en vue d'un examen de conscience
salutaire. C'est ce que fait saint Augustin dans son Speculum
(écrit authentique ou apocryphe, le problème importe peu en
l'occurrence) : la sélection qu'il établit de toutes les Écritures
vise à fournir un code du bien vivre chrétien. C'est ce que
redit à sa manière Juan de Duenas dans le prologue de son

93. adc, Inq., 321/4627, f. [132 v°].


94. Pour le relevé des éditions, cf. J. Simon Diaz, Bibliografia, IX,
4069-4113 ; A. Palau, Manual, op. cit., IV, 76516-38. Mes exemplaires de
consultation sont les cinq parties publiées séparément à Barcelone en 1580
( « Impresso en casa de Iayme Galuan...Vendense en casa de Francisco
Trincher » ). Titre de la première et de la cinquième parties : Primera [et
Quinta] parte del Espejo de consolation de tristes. En el cual se mues tran ser
mejores los males desta vida que los bienes délia, por muy claros ejemplos de
la Sagrada Escritura. Compuesto por fray Juan de Dueňas, predicador de la
Orden de nuestro glorioso padre Sonet Francisco. Une variante dans le titre
des autres : En el cual se verán muchas y grandes historias de la Sagrada
Escritura para consolation de los que en esta vida padecen tribulation. I : [5]
305 [32] ff. ; II : [23] 370 [26] ff. ; III : [23] 370 ff. ; IV : [28] 349 ff. ; V : [25]
379 ff.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 527

ouvrage : « Ce livre est mis sous les yeux de ceux qui sont
dans l'adversité pour qu'ils s'y regardent. Il s'appelle Miroir
de consolation des tristes, parce que, comme dit saint
Grégoire, "l'Écriture sainte est comme un miroir exposé à la vue
de notre âme pour qu'en elle se mire notre face intérieure".
Voilà pourquoi ce livre est appelé Miroir. Tout comme celui-
ci sert à deux choses : ôter et mettre (effacer les macules et
se parer de nouvelles teintes et couleurs), lorsqu'on se
regardera dans ce livre, on fera disparaître les souillures des vices
et des péchés, et si - à Dieu ne plaise - l'adversité causait en
nous quelque impatience ou si l'espérance venait à défaillir,
on effacera tout ceci et on parera l'âme de nouvelles couleurs
de vertu... »95.
Le propos et la démarche de l'auteur sont explicites dès les
premières pages du livre. Il se propose de montrer, grâce à
d'illustres exemples tirés de l'Écriture sainte, que les maux de
cette vie sont préférables à ses biens. Et comme l'ouvrage a été
conçu pour l'édification de l'âme et la consolation des affligés,
il l'a bâti sur une constante opposition entre situations de
détresse et situations avantageuses. Cultivant le paradoxe (qui
n'est qu'apparent), il préfère toujours le malheur au bien-être.
Voici, à titre d'exemple, l'argument de sa première partie, dans
la savoureuse traduction française qu'en procura en 1583
François de Belleforest « Commingeois »% : « Mieux vaut
l'aveuglement de Tobie que la vue claire de David.

95. Espejo, Primera parte, Siguese el Prólogo, f. 4. — Sur le genre du


speculum, voir Anne-Marie La Bonnardière, « Le Speculum quis ignorât »,
Saint Augustin et la Bible, sous la direction de Anne-Marie La Bonnardière,
Paris, Beauchesne, 1986, p. 401-409 ; Fray Juan de Duefias, Espejo delpeca-
dor, éd. José Luis Herrero Ingelmo, Madrid, Fundación Universitaria Espa-
flola, Universidad Pontificia de Salamanca, 1998, p. 19-24.
96. Le miroir de consolation pour les tristes et affligez, Faict de
plusieurs doctes & saincts discours spirituelz, en forme de Paradoxes, &
Antitheses, & des plus beaux exemples de la Religion Chrestienne : Mis en
François de l'Espagnol de F. lean Duegne Religieux de l'ordre des frères
mineurs, Par François de Belleforest Commingeois. A Paris, Chez Geruais
Mallot, à l'Aigle d'or, rue sainct Iacques. M. D. LXXXIII, in-8°, 20 ff.
n. ch., 339 ff. Je ne connais qu'un exemplaire de cet ouvrage rarissime :
celui de la Bibliothèque municipale Julien de Laillier, de Valognes (50700),
cote С 5059.
528 CHARLES AMIEL

— J'aimerais mieux la prison de Suzanne que la liberté de


Dina. — J'aimerais mieux la prison de Joseph que la liberté
d'Abimélek. — J'aimerais mieux l'affliction de Daniel que
l'aise et liberté de Semey. — J'aimerais mieux l'abaissement de
Mardochée que les hauts états et crédit d'Aman. — J'aimerais
mieux être souffleté avec Michée que banqueter avec Amnon.
— Faim d'Élie est plus souhaitable que l'abondance des
viandes du roi Balthazar. — J'aimerais mieux la pauvreté du
Lazare que les trésors du mauvais riche. — J'aimerais mieux de
Daniel la faiblesse que de Goliath la grand force et prouesse.
— J'aimerais mieux de Judith le veuvage que d'imiter Jézabel
en noçage. — J'aimerais mieux la maladie d'Ézéchias que la
santé de Sennacherib. — Mieux vaut la mort d'Abel juste que
la vie à Caïn robuste. » Les cinq parties de l'ouvrage contenant
35 développements de ce genre, sur quelque 3 500 pages, on
imagine aisément la somme d'érudition biblique réunie97.

97. Il n'est pas inutile de donner ici la liste complète des thèmes traités
dans les cinq parties (l'orthographe de l'original a été maintenue) : I. cegue-
dad de Thobias / vista de Dauid ; prision de Susanna / libertad de Dyna ;
prision de Ioseph / libertad de Abimelech ; prision de Daniel / libertad de
Semey ; abatimiento de Mardocheo / priuança de Aman ; bofetada de
Micheas / combite de Amnon ; hambre de Helias / hartura de Balthasar
rey ; pobreza de Lazaro / riqueza del Auariento rico ; flaqueza de Dauid /
fuerça del gigante Golias ; biudez de Iudich / matrimonio de Iezabel ; enfer-
medad del rey Ezechias / sanidad del rey Senacherith ; muerte de Abel / vida
de Cayn. — II. ligatura y atamiento de Ysac/soltura de Esau; serui-
dumbre de Iacob / sefiorio de Nabuchodonosor ; afflictiô y sed de Ionas
propheta / abundante beuer de Loth ; falta del sueflo de Abraham / repo-
sado dormir de Sisara ; lepra y gusanos de lob / sanidad del rey Pharaon.
— III. aspero hablar de Ioseph / blandas palabras de Ioab ; callar de Moy-
sen/hablar de Adonias; tristeza de Iosaphat rey /placer del pueblo de
Ysrael ; con Ruth andar a espigar / con Athalia reynar y mandar ; con
Amos apacentar ganado / con Roboam rey tener el primado ; menosprecio
de Dauid / reynar del rey Saul. — IV. açotes de Eleazaro / honrra de Helio-
doro ; guerra de Iosue / paz de Salomon ; soledad de Aaron / compaûia del
rey Anon ; llorar y lágrimas de Anna / baylar de la doncella Herodiana ;
temor del rey Ioram / osadia y atreuimiento del rey Benadab ; muerte de
Samson / vida de Absalon. — V. desnudez de Noe / vestiduras de Giezi ;
hambre del prodigo hijo / vanquete del propheta viejo ; con Sant Pedro en
la carcel estar / con Hieroboam tener el trono real ; amargura de los varo-
nes de Sicelech / de Ionathas la dulce miel ; con Hieremias ser echado en el
lago / con Herodes rey estar en la silla sentado ; con Esayas ser asserrado /
con Antiocho rey tener el mando.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 529

Mais ce n'est pas tout. L'ouvrage se distingue par la


commodité de sa consultation, voulue par l'auteur : « Pour que les
lecteurs du présent ouvrage puissent trouver facilement ce
qu'ils recherchent, ainsi que les préceptes dignes d'être inscrits
dans la mémoire, on y a joint un index avec le numéro des
feuillets. » Cet index alphabétique (ce que l'on appelait
autrefois la « table des matières ») totalise à son tour plus de
400 entrées sur 226 pages.
Doit-on encore s'étonner de l'engouement des marranes de
Quintanar pour ce qui était à leurs yeux l'aubaine des
aubaines : un dictionnaire encyclopédique du judaïsme muni de
l'imprimatur ? Tout les encourageait dans ce sens. Le Miroir
de consolation ne contient que de rares exempla tirés du
Nouveau Testament (la parabole de Lazare et du mauvais riche,
en particulier, et celle de l'enfant prodigue). La lecture chris-
tologique y est discrète et l'ouvrage, sans prétentions
théologiques, vaut surtout par ses leçons de morale. Le souci de
diversification spirituelle manifesté par le bon franciscain en
exploitant le filon vétérotestamentaire ne pouvait être
interprété par eux pour ce qu'il était : le déchiffrement d'une
histoire ancienne qui n'a de sens que si on la réinsère dans
l'histoire du salut par le Christ. Eux ne voyaient dans cette
lecture que la possibilité de se réapproprier leur patrimoine :
celui de l'ancien Israël.
Et c'est bien ainsi, dans le détail, que les choses étaient
perçues, à Quintanar mais aussi dans d'autres communautés
marranes. Rodrigo del Campo, encore lui, dut s'expliquer, à
l'audience du 5 octobre 1 590, sur « un cahier de papier blanc,
relié en parchemin, avec des aiguillettes, contenant 33
feuillets, écrit de sa propre main (ce qu'il reconnaît) ». Il est
amené à préciser que : « Les lettres initiales en tête de chaque
feuillet correspondent aux livres de la Bible (E = Exode, L =
Lévitique, etc.)... les chiffres 1, 2, 3, 4, 5 renvoient aux cinq
livres du Miroir de consolation où se trouvent des choses qui
correspondent à tel livre de la Bible... Pourquoi a-t-il fait cette
"concordance" ? Pour se souvenir des choses
remarquables... » Le détail de la concordance a été retenu dans la rela-
530 CHARLES AMIEL

tion de causes de l'autodafé de 1592, ce qui dit assez son


importance, puisqu'on ne retenait chaque fois que l'essentiel
dans les courtes notices individuelles qui composaient une
relation. Un autre témoignage est intéressant sur la façon
dont le Miroir, ouvrage peu commun, était présenté. Luisa de
Mora Carrillo, qui était de Huete, raconte qu'elle avait
découvert ce livre chez sa tante Isabel de Mora, à Quintanar.
Cette dernière, pour « l'attirer mieux vers la loi de Moïse et la
lui faire aimer », lui avait dit : « J'ai pour vous un livre dont
vous n'avez pas dû entendre parler là-bas, il faut le lire pour
voir comment vivaient ces anciens et saints prophètes du
Vieux Testament... »98
Dans tout le monde marrane, le Miroir jouissait de la
même considération. Francisca Nunez de Carvajal, relaxée
au bras séculier à l'autodafé du 8 décembre 1596 à Mexico,
compare sous la torture son martyre à celui des Maccabées,
qu'elle connaît par le Miroir de consolation". Manuel Gil de
la Guardia, habitant de Manille, réconcilié à l'autodafé du
25 mars 1601 à Mexico (dont dépendaient les Philippines), a
lui aussi fait sa culture dans le Miroir100. Le témoignage le
plus parlant que nous possédions à ce sujet est peut-être
celui de Duarte Enriquez, qui fut relaxé au bras séculier lors
de l'autodafé du 13 mars 1605 à Lima. Pour lui, aucune
lecture ne valait celle de l'Écriture sainte dans le Miroir de
consolation, aucun livre ne lui avait procuré autant de
plaisir, aucun autre livre au monde ne valait celui-ci, « où il
y avait toute l'Écriture sainte, et Abraham, Isaac et Jacob,
et la sortie d'Egypte », et s'il pouvait présentement s'en

98. ADC, Inq., 331/4734, f. [33 v° - 34] ( « estando en la villa del


Quintanar en casa de la dicha Isabel de Mora su tía, leyó en Espejo de consola-
ciôn... la dicha su tía dijo a esta confesante : Os tengo aqui un libro que no
le habréis oido por alla para que leáis en él y veáis cómo vivían aquellos
santos profetas antiguos del Testamento viejo, para atraer mejor y enamo-
rar a esta confesante en la ley de Moisén... » ).
99. José Toribio Medina, Historia del Tribunal del Santo Ojicio de la
Inquisition en Mexico, ampliada por Julio Jimenez Rueda, Mexico, Edicio-
nes Fuente Cultural, 1952, p. 126.
100. Archivo General de la Nation (Mexico), vol. 160, n° 1, f. 103 v°.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 531

procurer un exemplaire, il l'achèterait à n'importe quel


prix101.
Et pourtant, cet ouvrage ne figurera dans un Index
espagnol qu'à partir de 1632102 ! Ce n'était pas faute d'avoir alerté
les censeurs : dès mars 1595, les inquisiteurs du tribunal de
Mexico attirent l'attention du Conseil suprême du Saint-
Office sur le fait que les judaïsants de Nouvelle-Espagne
avaient l'habitude de lire le Miroir, qui contenait l'Ancien
Testament en langue vulgaire, et suggèrent sa mise à
l'Index103. La lenteur espagnole n'a d'égale que la rapidité
avec laquelle au Portugal le livre est inscrit sur la liste des
prohibitions : dès l'Index de 1 564 « pour toutes les parties »
{todas as partes : la sixième n'avait pas encore paru)104.
À une échelle moindre, il en allait de même avec La Torre
de David, citée par trois prévenus105. On ne connaît de cet
ouvrage du P. Jérôme de Lemos, hiéronymite, que cinq
éditions posthumes et une traduction partielle en italien de la fin
du siècle106. Cette Tour de David, dont le titre évoque le Can-

101. ahn, Inq., lib. 1029, f. 311 v° - 312 r°. Témoignage signalé,
partiellement, par José Toribio Medina, Historia del Tribunal de la Inquisition de
Lima (1569-1820), Santiago de Chile, Fondo Histórico y Bibliografïco
J. T. Medina, 1956, 2 vol. : I, p. 310 ; Lucia Garcia de Proodian, Los judios
en America. Sus acîividades en los Virreinatos de Nueva Castilla y Nueva
Granada, s. xvn, Madrid, 1966, p. 212.
102. Index Madrid, 1632 (p. 703). Il continuera de figurer dans les
suivants : 1640 (p. 733), 1707 (p. 755), 1747 (p. 783), 1790 (p. 84).
103. Cf. Arnold Wiznitzer, « Cryto- Jews in Mexico during the
Sixteenth Century», American Jewish Historical Quarterly, LI, 3 (March
1962), p. 207.
104. Index, éd. De Bujanda, op. cit., IV, p. 187. La condamnation est
reprise dans l'Index portugais de 1581, ibid, p. 594.
105. Juan Lopez de Armenia I, ADC, Inq., 283/3946, f. [65 v°] ; Ana del
Campo II, ibid, 323/4654, f. [40v°] ; Luisa de Mora Carrillo, ibid., 331/4734,
f. [33 v°].
106. La Torre de David, moralizada por via de diálogos para todo gênerо
de gentes... Salamanque, Andrea de Portonariis, 1567 [pièces préliminaires
de 1564, colophon : 1566], [18] 390 ff. [12]. — Salamanque, 1571, 1573,
1578 ; Medina del Campo, 1584 (cf. J. Simon Diaz, Bibliogrqfïa, op. cit.,
XII, p. 193 ; A. Palau, Manual, op. cit., VII, 134818-24). — Armeria reli-
giosa. Dialogo spirituále per armare i servi di Dio... Con un trattato délia
pace dell 'anima del P. F. Giovanni di Boniglia. Il tutto tradotto di spagnuolo
dal Cavalière Fra Giulio Zanchini, Firenze, Georgio Marescotti, 1579, 1597.
para todo gcucto dégcntcs.
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.— 4., íuCatholicaM^éílaíXi f-á 7

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.v: <*

Jerónimo de Lemos
La Torre de David
Salamanca, 1567
(Cliché Bibliothèque nationale de France)
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 533

tique des cantiques101, avait été bâtie pour être un arsenal dans
le combat pour l'édification morale et spirituelle. Elle désigne
en fait l'Écriture sainte dans son ensemble (f. 97 v°). Les
boucliers qui y sont suspendus sont les « figures » (allégories,
apologues ou paraboles) qui parent les sept dialogues entre
ecclésiastiques et laïcs dont se compose cette première partie.
La seconde, annoncée, ne verra jamais le jour : l'auteur avait
le dessein de produire deux petits volumes que l'on aurait pu
garder sur soi, comme un coffret de médecines préventives,
pour toutes les maladies (de l'âme)108...
On retrouve dans cet ouvrage les deux principales
caractéristiques du Miroir, causes de son succès : la
matière est puisée, pour le plus clair, dans l'Ancien
Testament ; une « Table des figures développées et
expliquées » avec renvoi à la pagination correspondante
figure en bonne place. À titre d'exemple, parmi celles-ci
seules 2 figures sur 23 se réfèrent au Nouveau Testament109.

107. Ct IV : 4, Sicut turris David collum tuum, / quae aedifîcata est


cum propugnaculis ; / mille clypei pendent ex ea, / omnis armatura fortium.
108. « Mi intente» es hacer dos volúmines o libros tan pequefios que se
puedan traer en el seno como bujeta de medicína preservativa para todas
enfermedades, como parece en las muchas diferencias de materias que se
tocan en estos siete diálogos, con el octavo que al fin se habrá de afladir »
(Prólogo).
109. Voici cette table (dans son orthographe originale), avec ses
références scripturaires : Exo. 38. Qvando Moysen hablaua a los hijos de Israel
se cubria el rostro. Se nos da a entender como en esta vida no se pueden
ver las cosas diuinas sino por semejanças. — 2. re. 12. Quando el Rey
Dauid dejo el llanto q hazia por el niflo enfermo : nos ensefla q no deuemos
llorar por lo q no tiene remedio. — Ge. 43. Quando Iacob embio a su hijo
Benjamin con sus hermanos a Egypto por el juramento alli se muestra la
graueza del peccado. — Mar. 14. Quâdo Christo oraua en el huerto y des-
perto por très vezes a sus Apostoles significa que ay très maneras de dormi-
dos. — Dan. 2. Quudo Nabuchodonosor vido la estatua y la piedra que la
hazia pedaços, parecio a la muerte que todo lo atala. — Eze. 2. Quando el
Profeta Ezechiel vido très différencias de cosas en un libro : dénota très
maneras que ay de dormidos y très lugares dôde van a parar. — 3. re. 17.
Quando el Propheta Elias aposentado en la casa de la biuda y murio su
hijo : fue causa que ella boluiesse sobre y conosciesse su culpa acordandose
Dios de ella. — Gefl. 8. Quando Noe encerro en el area de todos los
animales mostro como en la religion se amansan los hombres. — Gefl. 12.
Quando Abraham desteto a su hijo con grâ combite, nos ensefia la fiesta
que haze la religion en el aprovechamiento del religioso. — Gefl. 12.
534 CHARLES AMIEL

La Tour de David est une modeste cadette du Miroir de


consolation qui ne connut jamais les honneurs de
l'Index.

Le marranisme « revisité »

Au terme de cette longue enquête qui, pour la première


fois à notre connaissance, s'est préoccupée de recueillir,
d'ordonner et d'expliquer tous les témoignages disponibles sur
le marranisme dans une communauté sevrée depuis un siècle

Quando Dios mando a Abraham salir de su tierra parece en sus palabras


que instituyo los très votos que oy ay en todas las religiones. — Gefi. 22.
Quando Dios mando a Abraham que le sacrifïcasse su hijo en sacrificio de
holocausto muestra las différencias que ay en este tiempo de sacrifîcios. —
Gefl. 31. Quando Rachel se Uevo hurtados los ydolos de su padre significa
los hurtos que el mal religioso haze en la observancia de su orden. —
3. reg. 6. Quando se labraua el templo de Salomon no se oya ruido alguno :
dandonos a entender que en esta vida se hâ de sufrir los golpes y afflictio-
nes y ninguna cosa en el cielo. — 2. reg. 4. Quando se durmio la que guar-
daua la puerta de Isboseth y le mataron, significa la consideracion despierta
que cada vno deue tener en su estado. — 3. reg. 2. Quando Uamo Salomon
a Simey y dandole la ciudad por carcel le perdono sus errores, parece que
lo mesmo haze Dios con el religioso trayendole al monesterio. — Exod. 5.
Quando los hijos de Israel buscauan pajas para la obra de Pharaon dan
bien a entender que estas pajas son las riquezas de este mundo tras que
andan los ricos y auarientos. — Gefl. 30. Quando Iacob ponia varas des-
cortezadas en las canales a la vista de las ovejas : se déclara que son la
diversidad de las virtudes que de la vida de los sanctos hemos de aprender.
— Gefl. 27. Quando Isaac palpo las manos de Iacob, alli se muestra que la
buena christiandad se ha de conocer en las obras y no en las palabras. —
Exo. 13. Quando el Angel percuciente seflalaua las casas de los Hebreos en
Egypto quedauan libres del açote : en que nos da a entender que quando
somos seflalados cô tribulaciones si tenemos paciencia quedamos por sie-
ruos de Dios. — Dan. 3. Quâdo Nabuchodonosor hizo echar los très moços
en el horno y despues hallo quatro, se nos muestra como Dios esta con los
que padecen trabajos por su nombre. — Zach. 5. Quando vn propheta vido
a vna muger en la olla o tinaja que yua por el ayre, dizen que en ella esta
apropriada la auaricia o los auarientos. — Da. 14. Quando Daniel descu-
brio el engafio del ydolo y de su comer, parece a lo que passa en algunos
sacerdotes peccadores deste tiempo. — loan. 6. Quudo Christo nuestro
redemptor dio el pu a sus Apostoles para que lo repartiessen a las côpafias
nos dio a entender que los ecclesiasticos no solo la doctrina mas aun los
bienes temporales han de repartir a los pobres.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 535

du judaïsme nourricier de ses origines, il nous faut tirer


quelques conclusions. Elles devraient nous permettre, pour peu
qu'on élargisse la perspective, de corriger ou de nuancer au
passage certaines affirmations de l'historiographie
contemporaine relatives au marranisme, et de proposer une méthode de
recherche plus sûre sur la question.
1 / Un siècle après l'expulsion des Juifs d'Espagne, quel
meilleur exemple peut-on trouver de la survie dans ce pays
- non de l'agonie - du crypto-judaïsme ? Celui-ci n'avait donc
pas été complètement éradiqué vers le milieu du xvie siècle,
comme on s'accorde généralement à le dire. Nous avons pris
soin de rappeler au début de notre étude (RHR, 218, 2001,
p. 203-206) les grands traits de la reprise de l'offensive inquisi-
toriale contre les judaïsants dans la seconde moitié du siècle, à
partir des années 1560, dans les juridictions de Murcie,
d'Extrémadoure (Llerena), d'Andalousie (Cordoue, Seville,
Grenade) et de Nouvelle-Castille (Tolède, Cuenca). L'affaire
de La Manche n'est ni une découverte à proprement parler
qui aurait eu lieu dans l'étonnement général (c'est un dossier
qui resurgit), ni le résultat d'une action inquisitoriale isolée :
elle s'inscrit dans une perspective qu'il importait de rétablir.
Ce crypto-judaïsme était parfois le résultat d'une
transmission ininterrompue, dont l'origine remontait au premier
marranisme, antérieur à l'Expulsion. C'est le cas ici.
Dans le procès de Francisco de Mora « l'Ancien », relaxé
au bras séculier dans le premier autodafé de Cuenca du
12 août 1590, on découvre trois «pièces d'archives» sur le
passé du comparant ou de ses ascendants : une condamnation
de l'intéressé, légère parce qu'elle faisait suite à sa
présentation spontanée, en 1565, pour avoir enfreint les règles de
'
Г « inhabilitation » ( inhabilidad) , c'est-à-dire pour avoir
exercé une charge à laquelle il n'avait pas droit en raison de la
présence d'un condamné du Saint-Office parmi ses
ascendants ; ensuite, la condamnation pour judaïsme de sa mère,
Mari López, par l'Inquisition de Cuenca, à San Clémente, le
2 février 1517 (une « réconciliation » et ses corollaires : prison
dite « perpétuelle », port du san-benito et confiscation des
536 CHARLES AMIEL

biens) ; enfin, le pot aux roses, un extrait du procès de son


grand-père, Hernando de Mora, habitant d'Alcazar de
Consuegra, relaxé au bras séculier dans l'autodafé du
25 octobre 1496 à Tolède, comme relaps puisque, après avoir
confessé son judaïsme en temps de grâce et avoir déjà
bénéficié d'une réconciliation, il était retombé dans ses errements.
C'est une pièce d'anthologie, dont nous ne citons ici que les
plus étonnantes saillies : « À propos de quelques juifs qui
s'étaient convertis, il disait : Quelle lubie leur a pris, quel bien
y ont-ils vu? Que ne sont-ils venus à moi, j'aurais bien
échangé ma loi contre la leur !... À l'époque où les juifs furent
chassés du royaume, il leur demandait pourquoi ils étaient
tristes... [ajoutant :] Plût à Dieu que ce fût lui que l'on ait
exilé et renvoyé ainsi (car lui voulait être juif), et qu'à ce titre
on lui ait ordonné de sortir du royaume pour aller en Judée
où il aurait pu librement être juif... que les lieux qui avaient
été des synagogues étaient saints... que les hérétiques qu'on
brûlait n'étaient pas coupables et étaient aussi assurés du
salut que leurs ancêtres... »110
Le secrétaire du tribunal de Tolède, qui avait fait des
recherches dans la « chambre du secret » (cámara del secreto)
à la demande des inquisiteurs de Cuenca et n'y avait trouvé
que le procès de Hernando de Mora, précise que celui-ci ne
contenait ni généalogie ni déclaration sur le lignage
(comprendre : l'ascendance vieille- ou néo-chrétienne), car il avait
été fait « selon l'ancien style » (en la antigua forma). Cette
simple remarque en dit long sur le caractère sommaire de la

110. «... sobre algunos judios que se habian tornado cristianos, decia
el dicho : iQué antojo les tomó, o que bien vieron? j Vinieran a mi, que yo
trocara con ellos la ley!... al tiempo que los judios fueron echados del reino,
les decia que para que andaban tristes... que plubiera a Dios que fuera él
que desterraban y echaban ansí, deseando él ser judío, y que por tal le man-
daran ir fuera del reino, para se ir a Judea donde libremente pudiera ser
judío ... que los lugares que habian sido sinogas eran santos... que los here-
jes que quemaban no tenian culpa e iban tan salvos como los antepasa-
dos... » (adc, Inq., 748B/100, f. 241-246, 247, 249-251). Le dossier 748B/100
contient en fait les folios 169 à 267 du procès 711/753 de Francisco de
Mora « l'Ancien ». Le même extrait de 1496 se trouve aussi dans le procès
de Juan de Mora Carrillo, ibid., 331/4733, f. [21-22].
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 537

procédure lors des débuts de l'Inquisition, au temps des


grandes persécutions. Le procès retrouvé n'en contenait pas
moins, dans une déclaration de l'intéressé en date du
12 avril 1486 (vraisemblablement lorsqu'il se présenta à
l'Inquisition en temps de grâce), les noms de ses parents :
Juan Gonzalez et Mari Gonzalez, déjà décédés. Avec le nom
de l'ancêtre le plus éloigné de la communauté d'Alcazar/Quin-
tanar, nous avons aussi, inscrite dans la vie tourmentée de
Hernando de Mora et les propos désespérés qu'il tenait aux
juifs à la veille de l'exil, la preuve d'un marranisme antérieur
à l'Expulsion.
Marranisme autochtone donc et très ancien, qui n'a rien à
voir avec la réactivation du crypto-judaïsme en Espagne due
aux infiltrations massives de marranes portugais après la
réunion des deux Couronnes en 1580 (autre affirmation
récurrente, mais point toujours pertinente, de l'historiographie
contemporaine). À ce sujet, deux remarques. Des présences
portugaises, qu'elles méritent ou non l'appellation
d'infiltrations, sont observables, dans les archives inquisitoriales,
bien avant cette date : dès les années 1 560, en particulier dans
les juridictions des tribunaux de Llerena (7 sujets liés au
Portugal dans l'autodafé de 1566, 9 en 1571, 7 en 1572) ou de
Tolède (18 Portugais en 1568-1569, 10 en 1576-1578)111. Mais
surtout on ne décèle, dans notre cas de La Manche, aucune
collusion entre ces deux crypto-judaïsmes (le castillan, de
souche, et le portugais, adventice, mais souvent issu lui-même
d'Espagne à la suite du cataclysme de 1492), qui se tournent
le dos. Car le tribunal de Cuenca démantela dans la région à
la même époque un autre réseau, entièrement portugais112.
L'absence totale d'indice d'une quelconque relation entre les
deux groupes, qui ne pouvaient pas s'ignorer et dont chacun

111. Pour plus de précisions, voir notre premier article sur Quintanar,
RHR, 218 (2001), p. 204-206.
112. Celui de La Roda et de Santa Maria del Campo (1593-1598,
37 procès), décrit par Rafael Carrasco dans une remarquable étude (« Pre-
ludio al "Siglo de los Portugueses". La Inquisición de Cuenca y los judai-
zantes lusitanos en el siglo xvi », Hispania, XLVII/166, 1987, p. 503-559).
538 CHARLES AMIEL

ne pouvait ignorer la mémoire partagée qu'il avait avec


l'autre, est on ne peut plus révélatrice de la prudence et de la
discipline de toutes ces petites sociétés secrètes, dont on sait
pourtant la soif d'informations qu'elles avaient sur leur
identité cachée - la plupart du temps un secret de Polichinelle.
Un siècle après l'expulsion des Juifs d'Espagne, alors que
la culture hébraïque officielle, synagogale, était depuis
longtemps détruite et effacée des mémoires, c'est le milieu familial
qui a pris le relais. On observe à chaque génération un
transmetteur privilégié, une sorte de gardien du patrimoine
religieux, mais dans chaque cellule familiale, en règle générale ce
sont les parents qui enseignent leurs enfants, séparément,
lorsque chacun atteint l'âge de raison.
À ce propos, qu'en est-il de la transmission prépondérante
du marranisme par les femmes ? Cette affirmation de la
critique n'a-t-elle pas été dictée par l'exemple réducteur de
quelques figures intéressantes, ou par une interprétation rapide de
statistiques d'autodafés (un nombre élevé de femmes dans un
autodafé ne signifie pas ipso facto qu'elles sont les transmet-
trices) ? Elle est infirmée dans le cas de La Manche. Ici, trois
fois sur quatre, la personne qui « transmet » est un homme113.
Un autre cliché qui s'efface. Il n'est pas question, pour
autant, de contester le rôle privilégié des femmes dans le
maintien du marranisme familial, l'initiation stricto sensu
(l'inculcation des rites et des prières) n'étant qu'un des traits
de l'ensemble. À Quintanar et Alcázar, c'est, comme nous
l'avons vu, par le biais de lectures orientées que les marranes
complétaient une culture liturgique essentiellement orale et
fragmentaire. Ils découvraient avec émerveillement l'histoire
de leurs ancêtres et en tiraient une fierté qui contribuait à
fortifier et à anoblir ce sentiment un peu peureux d'appartenance
à Israël. « Nous sommes de Judée » disait, entre autres
balivernes, une gamine imprudente à une camarade de jeu, qui

1 13. Dans 41 aveux explicites : 31 fois, il s'agit d'un homme (24 pères à
13 filles et 11 fils, 4 oncles à leurs neveux, 1 mari à sa femme, 2 frères à
1 frère et 1 sœur) ; 10 fois, il s'agit d'une femme (7 mères à 3 filles et 4 fils,
1 sœur à son frère, 1 tante à sa nièce, 1 cousine à une autre cousine).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 539

rapportera le propos à l'Inquisition vingt ans plus tard114.


Mais il s'agissait souvent d'un Israël mythique, relégué à un
lointain passé, dont les marranes croyaient être à l'époque les
seuls descendants.
2 / Ce crypto-judaïsme est riche et original, c'est-à-dire
qu'il ne saurait en aucune façon être considéré comme un
calque du descriptif des rites juifs contenu dans l'édit de la foi
de l'Inquisition, qui pour certains auteurs serait la principale,
sinon l'unique source d'informations dont auraient disposé les
nouveaux-chrétiens judaïsants. Par rapport à ce descriptif, il y
a nécessairement des coïncidences, mais aussi des lacunes, des
confusions, des ajouts, voire des sophistications inattendues115.
Il est indispensable de revenir sur quelques traits
significatifs de ce marranisme.
Le seul rite de l'ablution des mains, inconnu dans l'édit,
observé plusieurs fois par jour par nos marranes au sein d'une
société environnante très avare d'ablutions sous quelque
forme que ce soit, et qui devait provoquer à l'époque un éton-
nement comparable à celui qui permettra, plus tard, de parler
d'une « névrose sémitique du lavage », suffirait à donner le
ton à propos de ce marranisme séculaire, qui disposait
d'emblée d'un capital autosuffisant de rites. L'examen des
situations où ce rite était de rigueur - avant la prière, après la
satisfaction des besoins corporels ou le contact, même à
distance, d'un défunt (l'église étant pour cette raison considérée
comme un endroit impur) - a permis de confirmer sa parfaite
orthodoxie juive, mais aussi de discerner chez les marranes
une représentation spécifique du corps. Autrement dit, le
judaïsme était connu, mais aussi vécu.

1 14. « Dice [Catalina de la Mata] que siendo nifla de siete u ocho aflos,
habria tiempo de 20, andando jugando con Isabel de Mora, hija de Diego
de Mora, le decia de judia, y que un dia la dicha Isabel le vino a decir
"Somos de Judea, y hay unos naranjos, y mi padre se levanta en calzas y
jubón, y dice : jHu, hu, hu!" » (adc, Inq., 748B/99, f. 1).
115. Sur les références juives des édits aussi bien espagnols que
portugais, voir Charles Amiel, « Crypto-judaïsme et Inquisition. La matière juive
dans les édits de la foi des Inquisitions ibériques », Revue de l'histoire des
religions, 210 (1993), p. 145-168.
540 CHARLES AMIEL

Rapport au corps, rapport au sang. L'abattage rituel par


égorgement (et non par suffocation ou assommement), les
tabous du sang et du nerf sciatique (principes de vie et de
locomotion), les discriminations diverses du carné et du lacté
relèvent aussi de prescriptions juives classiques. Mais ce sont
les règles de la pureté conjugale qui se révèlent peut-être les
plus originales. L'impureté de la menstrueuse (et aussi de
l'accouchée), credo intact dans le milieu marrane de l'époque,
avait débouché sur une doctrine de la continence périodique,
héritée de l'antagonisme vétérotestamentaire du pur et de
l'impur, et non dictée, comme pour les chrétiens d'époques
antérieures, par un idéal d'ascèse corporelle tombé tôt en
désuétude. La liste serait interminable de ces petits détails, en
apparence insignifiants, qui dénotent au contraire une
authentique insertion dans la tradition juive : le fait de couvrir le
sang des volailles après l'abattage, d'écarter comme impropres
à la consommation les animaux dont les poumons sont collés
aux côtes, de refuser le fromage caillé avec de la présure, le
souvenir de la manne prenant le goût de tout ce que l'on
désirait, la purification pascale des récipients obtenue en y jetant
une pierre chauffée à blanc, etc.116. Dans quel mythique édit
de la foi nos marranes auraient-ils grappillé tout cela ?
C'est cependant ailleurs que se trouve la preuve de
l'indiscutable authenticité du crypto-judaïsme de Quintanar,
et peut-être sa principale originalité. Nous voulons parler
de ce corpus fourni de prières - un cas unique dans
l'historiographie actuelle sur le marranisme - derrière
lesquelles on retrouve sans peine l'archétype hébraïque. Aucun être
humain ne peut en effet réciter, même sous la pire torture, des
prières qu'il n'a jamais apprises. Des prières qui, recoupées
avec les versions de ses compagnons d'infortune, permettent
de reconstituer une très honorable liturgie juive. Malgré les
vicissitudes de la transmission, un bloc était demeuré, récité
trois fois par jour, qui se trouvait contenir (même si la subs-

116. Voir, dans notre premier article sur Quintanar, RHR, 218 (2001),
passim, p. 242-257.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 541

tance des textes qui avaient survécu était diminuée) les


éléments essentiels de l'office synagogal quotidien : la profession
de foi du judaïsme (qui n'est à réciter, en stricte orthodoxie,
que deux fois), le cœur de l'office ('Amidah), son texte de
clôture ('Aleynu). Parmi les prières satellites (récitées, elles, à la
discrétion de chacun), la chanson des nombres - qui n'est
d'ailleurs pas à proprement parler une prière - est
certainement la plus émouvante.
Parallèlement à ce foisonnement de rites et de prières, sur
le plan doctrinal la réponse des marranes à l'interrogation
récurrente des inquisiteurs, très attentifs à distinguer les dog-
matistes des simples hérétiques, était unique, limitée,
invariable : c'est dans la loi de Moïse qu'ils espéraient faire leur
salut. La messianité de Jésus (rejetée), le dogme de la Trinité
(incompréhensible) n'étaient que rarement abordés après cette
déclaration à laquelle ils se limitaient, de parti pris.
On peut certes conclure à un déficit, dans le marranisme,
des croyances par rapport aux rites, mais la réponse est plus
nuancée si l'on dépasse la stricte distinction durkheimienne
entre ces deux catégories de phénomènes religieux et si l'on
adopte une démarche « fonctionnaliste », davantage familière
aux anthropologues, où la prééminence implicite de l'une sur
l'autre ne se pose plus et où le rituel englobe autant actions
que représentations, l'acteur du rituel n'étant pas toujours
conscient (il l'est même rarement) du symbolisme de ses
gestes : souvenons-nous de l'incapacité des marranes à expliquer
aux inquisiteurs certains de leurs « mystères ». À cette option
séduisante, mais a-historique, se substitue avantageusement à
nos yeux une autre explication, foncièrement historique celle-
là : ce déficit évident serait plutôt induit par une « discipline
de l'arcane » multiséculaire, qui a conduit les marranes,
comme d'autres communautés persécutées ou « Églises
souffrantes », à réduire le dogme au profit de rites nombreux,
perçus comme autant de prises de conscience et d'instants de
communion d'un groupe menacé.
Quant à ce salut qu'ils espéraient trouver dans
l'observance de la loi de Moïse, deux brèves remarques sont indis-
542 CHARLES AMIEL

pensables. La grande affaire de chacun, à cette époque - qui


baignait dans la religion - était la préoccupation du salut :
nous l'avons rappelé à propos des lectures du groupe. En cela
les marranes ne se distinguaient pas de la société englobante ;
c'est peut-être dans l'appréhension de cette notion, si
complexe en histoire des religions, que résidait leur différence
ou leur originalité. Pour leur conscience juive, malgré qu'ils
en eussent, disons plus prudemment : pour leur sensibilité de
judaïsants, le salut était la délivrance du péché majeur, à
l'origine de tout, qu'était, non le péché originel adamique,
mais leur compromission avec le christianisme imposé à leurs
aïeux, leur infidélité au pacte divin, qui les avait rendus à
nouveau captifs. La régénération concernait le peuple élu tout
entier, dont ils étaient les descendants, autant que chacun
d'eux ; ils l'entreprenaient dans le temps présent, en ce bas
monde, ha-'olam ha-zeh, par l'observance de la loi de Moïse,
avec une foi totale dans la possibilité du repentir et du
« retour », sans trop se projeter dans l'eschatologie.
3 / L'exemple de La Manche démontre la fiabilité des
archives inquisitoriales pour apprécier la réalité du
cryptojudaïsme. Affirmer que ces archives ne peuvent nous offrir
qu'une image stéréotypée, générée par l'Inquisition elle-même,
témoigne d'une méconnaissance profonde de ces sources, ou
d'une singulière désinvolture dans leur dépouillement
(euphémisme : ce « dépouillement » n'est parfois qu'une lecture
hâtive en diagonale), ou encore d'une impréparation évidente
au repérage et au traitement de phénomènes religieux
spécifiques.
La conjonction idéale pour une enquête sur le marra-
nisme, à travers les archives inquisitoriales (nous nous
référons ici au modèle espagnol), est celle de trois types de
documents : les « relations de causes » (ou résumés de procès
fournis périodiquement par les tribunaux de district au
Conseil suprême) ; les procès eux-mêmes ; la correspondance entre
les tribunaux de district et le Conseil suprême. Il n'est pas
interdit d'y ajouter les archives financières. Mais revenons sur
chacune de ces séries, qu'il faut aborder dans l'ordre.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 543

L'importance des relations de causes pour l'étude de


l'Inquisition espagnole n'est plus à démontrer depuis le
congrès de Skjoldenœsholm (Danemark) en 1978 et les travaux
de Jaime Contreras et Gustav Henningsen117. L'enquête sur
cette source massive (44 000 causes, au minimum, recensées)
a fait florès, surtout à des fins statistiques et pour fixer la
typologie des délits. Mais elle reste indispensable dans tous
les cas de figure, y compris au service de la micro-histoire.
S'en dispenser sous prétexte que l'on dispose des procès eux-
mêmes est une erreur : seules les relations de causes
permettent d'appréhender un réseau dans sa totalité, sans oublier
personne, grâce en particulier aux liens de parenté entre les
condamnés qu'elles fournissent, le procès isolé - aussi
substantiel soit-il - étant parfois l'arbre qui cache la forêt ; c'est
se priver aussi du « regard court » que l'institution portait
sur son propre travail en fournissant ces petits résumés
analytiques118. Petits ou longs, et même fort longs : il suffit de
penser aux relations de causes des tribunaux américains, qui
pour compenser la lenteur des communications avec le
Nouveau Monde prirent une certaine extension, d'autant plus
appréciable par l'historien lorsque les procès correspondants
ont disparu, comme c'est le cas pour les tribunaux de Lima
et de Carthagène des Indes.
Bien entendu, la voie royale reste l'étude des procès...
lorsqu'ils n'ont pas disparu. C'est malheureusement le cas pour la

117. Jaime Contreras and Gustav Henningsen, « Fourty-Four


Thousand Cases of the Spanish Inquisition (1540-1700) : Analysis of a Historical
Data-Bank », The Inquisition in Early Modern Europe. Studies on Sources
and Methods, edited by Gustav Henningsen and John Tedeschi in
Association with Charles Amiel, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1986,
p. 100-129. Cet ouvrage collectif constitue les Actes du Congrès.
118. Un exemple de l'intérêt d'une relation de cause pour voir plus
clair dans un procès et le compléter : ma recension, dans la Revue de
l'histoire des religions, 197 (1980), p. 88-91, de l'édition et de l'étude du
procès du P. Siguenza (Gregorio de Andrés, Proceso inquisitorial del Padre Sig-
ù'enza, Madrid, Fundación Universitaria Espanola, 1975). Dans cette affaire
restée mystérieuse jusqu'à nos jours, les propositions hétérodoxes du
prédicateur de Philippe II sont davantage perceptibles grâce à la relation, qui
manquait dans l'ouvrage recensé.
544 CHARLES AMIEL

plupart des tribunaux hispaniques. Subsistent tout de même,


pour ne citer que l'essentiel, les grands fonds quasi intacts de
Tolède, Cuenca et Mexico. Les judaïsants y abondent et
constituent une virtualité de recherche considérable. Encore faut-il
faire feu de tout bois. Dans le roman décousu, fastidieux par
moments mais toujours imprévisible, qu'est chaque procès, les
minuties en apparence insignifiantes, comme le « détail vrai »
ou la tranche de vie, sont au coin de la page. Malheur au
chasseur pressé ou distrait. Il rentre bredouille.
La correspondance entre le tribunal de district, qui instruit
chaque affaire, et le Conseil suprême de l'Inquisition est
précieuse à son tour, car les consultations étaient plus fréquentes
qu'on ne croit. Je ne parle pas de celles que prévoyaient les
règlements, mais plutôt des hésitations, des réactions
personnelles, voire des états d'âme des inquisiteurs devant tel ou tel
cas. Dans les procès, ces derniers, sanglés dans leur rôle, tenus
par la procédure, nous apparaissent guindés, au mieux
impersonnels ; dans leurs lettres au contraire, ils ne « posent » plus :
on découvre des hommes, dans leur fragilité.
Une incursion dans la masse des archives financières de
l'Inquisition est toujours souhaitable, même si l'enquête porte
sur l'histoire religieuse. Les « relations des comptes » des
receveurs donnent, avec l'état des biens séquestrés, une idée
exacte de la fortune des prévenus, et partant, permettent de se
faire une idée plus juste de la « cupidité » de l'Inquisition, qui
n'aurait poursuivi que les riches, ou dont elle aurait fait sa
cible privilégiée - ce qui est souvent démenti par les
documents, même si l'attention portée par l'institution à
l'importance des biens est constante (encore faut-il distinguer
entre les personnels locaux et le Conseil suprême).
C'est l'étude croisée de ces trois (voire quatre) séries
documentaires, qui donne, comme dans le cas de La Manche, une
image fidèle et nuancée. C'est ainsi qu'il conviendrait de
procéder, par ensembles organiques, sans généralisations abusives
ni jugements péremptoires sur la longue durée. Les archives
inquisitoriales restent une mine inépuisable pour explorer et
comprendre le crypto-judaïsme, sa richesse, sa variété, et
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 545

même cette longue prégnance qui resurgit aujourd'hui, deux


siècles après la fin de l'Inquisition, sous la forme d'étonnantes
revendications identitaires, en Amérique ou ailleurs119. Les
marranes sont à nouveau, vivants, parmi nous.
Collège de France
11, place Marcelin-Berthelot
75005 Paris

119. Qu'on me permette de reproduire ici, pour éclairer mon propos,


quelques lignes du résumé du séminaire ď « Études judéo-ibériques », tenu
en 1999 à I'ehess en collaboration avec Maurice Kriegel et Nathan Wach-
tel : « Les mouvements néomarraniques dans l'Amérique contemporaine,
aussi bien anglo-saxonne que luso-hispanique, constituent un phénomène de
société d'une ampleur insoupçonnée, qu'attestent le nombre et la vitalité de
sites spécialisés sur la Toile. Cette revendication d'origines "marranes",
voire d'un statut actuel de "marrane" (le terme recouvre ici nombre
d'acceptions, des plus autorisées aux plus fantaisistes), dépasse largement la
classique recherche de racines ou d'identité, elle la subvertit et témoigne
d'un curieux réinvestissement de la personne dans son présent à travers son
passé. David M. Gitlitz (Université de Rhode Island), qui a mené plusieurs
enquêtes de terrain sur ces énigmes, résolument opaques sans un effort de
sympathie de la part du chercheur, nous a aidés à en dresser la carte et à
reconnaître leurs intrications » (Annuaire de l'École des hautes études en
sciences sociales. Comptes rendus des cours et conférences 1998-1999, p. 340).
546 CHARLES AMIEL

ANNEXE: LES PRIÈRES

SEMA*

1 Sema Ysrrael Adonay 2 maruçer quevó maduço la olán


defé. 3 Amarás al Seflor con todo tu coraçon, y con toda tu anima,

[SEMA] * Les textes liturgiques édités ici existent en un grand nombre


de versions, avec un grand nombre de variantes de détail, dans la
documentation inquisitoriale relative à l'affaire de Quintanar. Le déclarant
incontestablement le plus complet étant Francisco de Mora Molina, ce sont ses
textes qui ont été généralement retenus (pour le Sema, adc, Inq., 328/4704,
f. [32 v° - 34 v0]). Les compléments provenant d'autres sources, dûment
indiquées, figurent entre crochets obliques ; ils ont été limités aux rectifications
indispensables (le fait de n'indiquer qu'une seule source, pour certains de
ces compléments, n'implique évidemment pas qu'il n'y en ait qu'une).

1. Les trois premiers mots de la profession de foi juive (Shema' Yisra'el


'Adonay 'Elohenu 'Adonay 'Ehad, « Ecoute, Israël : Adonay est notre Dieu,
Adonay est Un »), contenue dans Dt VI : 4, par laquelle débute la prière
dite Shema'. Dans le Libro de orасу ones, la formule, étant donné son
importance, a été maintenue en hébreu (Semah Ysrael, A. Elohenu,
.A. Ehad), mais en caractères latins.
2. Transcription approximative de la formule liturgique Barukh shem
kevod malkhuto le 'olam va 'ed (Béni soit à jamais le nom de son règne glorieux)
qui sépare la proclamation de l'unicité divine du reste de la récitation du
Shema'. Là encore, le Libro de oracyones a conservé la formulation en hébreu
(Baruch Sem Kebod Malchutho Leholam Uahed). Cette formule est une
variante de Ps LXXII : 19 (Et béni soit à jamais son nom glorieux, que sa gloire
remplisse toute la terre ! Amen ! Amen !). Sur l'origine de Intercalation de
cette formule dans la profession de foi, voir тв, Pesahim 56 a. — Nous avons
rétabli dans cette transcription l'accentuation sur les oxytons qui étaient
vraisemblablement perçus comme tels par nos marranes lors de la récitation.
3. Dt VI : 5 : « Y Amaras a A. tu Dio : con todo tu coraçon, y con
toda tu aima, y con todo tu auer » (LO, XXI). Hazienda, « bien, fortune »
(de même que auer, même sens, leçon du Libro de oracyones) peut paraître
restrictif par rapport à l'original hébraïque me 'od « pouvoir, force »
(cf. 2 R XXIII : 25, où l'on retrouve l'expression « de tout son cœur, de
toute son âme, de tout son pouvoir »), mais c'est là une interprétation
autorisée, puisque c'est celle de Rashi (dont le commentaire donne mamon,
comme synonyme de me'od, au passage cité). Ce verset - augmenté - est
cité dans le Nouveau Testament comme introduction à la parabole du bon
Samaritain. Lorsque Jésus, grâce à une maïeutique toute socratique,
interroge un docteur de la Loi sur ce qui est écrit dans la Torah, ce dernier
répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit » (Le XXV : 27).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 547

y con toda tu hazienda. 4 Tomarás estas palabras que te mando


este dia de oy sobre tu anima, sobre tu coraçon, 5 vezándolas a tus
hijos, 6 <porque> se acreçienten tus dias y los días de tus
hijos, 7 y en tu casa, y en tu morada, quando fueres por camino,
quando te echares, quando te leuantares, 8 apretallas has por senal
entre tus manos, 9 <serán por devisa delante de tus
ojos,> 10<escreuillas as> en los humbrales de tus puer-
tas. n Serán si lo oyéredes los mandamientos que yo encomendé a
vosotros <el dia de oy>. 12 Cogeréis <vuestros mostos, y> vues-
tros açeytes, y vuestras çiberas. 13 Dará el Seňor la yerba en vues-
tros campos para vuestras bestias, para vuestros ganados. Comere-

4. Dt VI : 6 : « Y seran las palabras estas que yo te encomendan oy


sobre tu coraçon » (LO, XXI v°). « Sobre tu anima » provient
vraisemblablement du début de Dt XI : 18 : « Y pornedes a mis palabras estas sobre
vuestro coraçon, y sobre vuestra aima... » (LO, XXI v°) qui développe la
même idée.
5. Télescopage entre Dt VI : 7 : « y Repetirlasas a tus hijos »
(LO, XXI v°) et Dt XI : 19 : « y abezaredes a ellas a vuestros hijos »
(LO, XXI v°). — Vezar, variante de abezar, qui traduit habituellement
l'hébreu lmd « apprendre ».
6. Dt XI : 21 : « por que se amuchiguen vuestros dias, y dias de vuestros
hijos... » (LO, XXII). — < > : Maria de Mora (adc, Inq., 313/4549) et al.
7-10. Texte altéré - c'est très rare - dans la version de Francisco de
Mora Molina ( « Pon ellas por çezi / en los humbrales de tus puertas / y en
tu casa... leuantares / apretallashas por senal entre tus manos » ).
7. Dt VI : 7 (ou XI : 19) : «... en tu estar en tu casa, y en tu andar por
la carrera, y en tu echar, y en tu leuantar » (LO, XXI v°, XXII).
8. Dt VI : 8 : « y atarlas as por serial sobre tu mano : y seran por Thephi-
lim entre tus ojos » (LO, XXI v°). Allusion, ici comme dans le verset suivant,
aux phylactères, qui matérialisent les paroles divines (du verset 4).
9. < > : Rodrigo del Campo (adc, Inq., 321/4627).
10. Dt VI : 9 (ou XI : 20) : « y escreuirlasas sobre vmbrales de tu casa,
y en tus puertas » (LO, XXI v°, XXII). « Umbrales » traduit le pluriel
hébraïque mezuzot. Le terme mezuzah désigne le jambage d'une porte et,
par dérivation, l'étui fixé précisément aux jambages des portes de la maison
et qui contient les commandements du Deutéronome se référant à cette
apposition. — < > : Maria de Mora (adc, Inq., 313/4549) et al.
11. Dt XI : 13 : « y sera si oyendo oyerdes a mis encomendanças que yo
encomendan a vos oy » (LO, XXI v°). — < > : Maria de Mora (adc,
Inq., 313/4549) et al.
12. Dt XI : 14 : « y cogéras tu ciuera y tu mosto y tu azeyte »
(LO, XXI v°). — < > : Catalina de Villanueva (in Francisco de Mora,
ADC, Inq., 711/753) et al.
13. Dt XI : 15 : « y dare yerua en tu campo para tus quatropeas : y
corneras y fartarteas » (LO, XXI v°).
548 CHARLES AMIEL

des, hartaros hedes, y seréis hartos. 14 Guardaos no se trastornen


vuestros coraçones a seruir dioses agenos. No os humilledes a
ellos. 15 Si no, vendráse la safia del Seôor contra vosotros, no sera
la lubia en la tierra, perderos edes ayna sobre la tierra
buena 1б que juró el Seôor de dalla a sus anteçesores, 17"
18 diziendo : 19 Habla, vee a los hijos de Ysrrael que hagan ceci, y
pondrán las alas en el ceci <f>ilo de cárdeno. 20 Sea a vosotros
por ceci, 21 por los quales seréis santificados a vuestro
Dios, 22 que yo soy vuestro Dios y vuestro Criador, que saqué a
vosotros de tierra de Egipto, y seré a vosotros por Seflor.

23 Bendito nuestro Dios, 24 o, verdadero, fiel, amado, abastado,


codiçiado, residente, amigable, firme, graçioso, derechero, cumplido,

14. Dt XI : 16 : « Sed guardados a vos que no se sombaye vuestro cora-


çon : y vos apartedes y sirvades a dioses otros y vos humilledes a ellos »
(LO, XXI v°).
15. Dt XI : 17 : « y erescera furor de .A. en vos y deterna a los cielos y
no sera lluuia y la tierra no dara su hermollo : y deperdervosedes ayna de
sobre la tierra la buena » (LO, XXI v°).
16. Dt XI : 21 : « que juro .A. a vuestros padres para dar a ellos »
(LO, XXII).
17. Texte altéré : « Darlohedes tanto quanto ». Incise accidentelle non
retenue.
18. Nb XV : 37 : « Y dixo .A. a Moseh por dezir » (LO, XXII).
19. Nb XV : 38 : « fabla a hijos de Ysrael y diras a ellos y fagan a ellos
zizith sobre alas de sus paflos por sus generancios y den sobre el zizith de la
ala filo cardeno » (LO, XXII). — <Filo> : Catalina de Villanueva (in
Francisco de Mora, adc, Inq., 711/753), pour « bilo », version incohérente chez
Francisco de Mora Molina. Il s'agit du fil de couleur (azur, ou pourpre
violette selon certains, voir Encyclopaedia Judaica, s.v. tekhelet) qui devait, à
l'origine, s'ajouter aux tsitsit (franges à valeur symbolique que les juifs
mettent à certains de leurs vêtements et à leur châle de prière). Ce passage était
manifestement obscur pour la plupart des déclarants, l'un allant jusqu'à dire :
« que pongan las alas sobre el çid » (Juan de Mora, adc, Inq., 318/4587).
Rodrigo del Campo est clair, mais incomplet : « y diles que hagan para si çiçi
sobre las alas de sus ropas por sus generaçiones » (adc, Inq., 321/4627).
20. Nb XV : 39 : « y sera a vos por zizith » (LO, XXII).
21. Nb XV : 40 : « y seades sanctos a vuestro Dio » (LO, XXII).
22. Nb XV : 41 : « yo .A. vuestro Dio que saque a vos de tierra de
Egypto por seer a vos por Dio yo .A. vuestro Dio » (LO, XXII).
23. Traduction de Barukh 'Eloheynu (passim dans le rituel). D'autres
versions (Catalina de Villanueva, in Francisco de Mora, adc, Inq., 711/753,
et al.) ajoutent : « Bendito nuestro Seflor », traduction de Barukh 'Adoneynu
[passim également dans le rituel). Cf. les deux louanges consécutivement
dans le service additionnel (musaf) du samedi matin (Book of Prayer
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 549

esmerado, esmera aquestas palabras sobre nos, 25 que vos sois Ado-
nay, nuestro Dios, <nosotros somos Ysrael, vuestro pueblo,> 26 el
que nos redime de mano de los reyes, 27 el que nos redime de mano de
los esforçadores, 28 el que puso nuestros ánimos en la vida, 29 el que
nos libro de Faraón con senales y con prueuas, 30 fïrio con su sana
<todos los primeriçios de Egito>, 31 sacó a su pueblo de Ysrrael a
soltura de la partiçion de la Mar Bermeja. 32 Alli vieron sus hijos sus
barraganias, sus grandeças. 33 Todos a vna boca dixeron :

34 El Seflor enrreynó, grandía se vistió, vistió el Seflor, fortaleça


se ciňó, tanbién adereço el mundo, que no se acueste ni se des-
faga, 35 que adereçada su silla de antes y siempre y des-
pués, 36 que no hay tortura en ella.

37 Eres tu, Adonay, mi Dios y mi Seflor, 38 Adonay enrreynó,


grandía se vistió, 39 la gracia del Seflor deçienda sobre

according to the custom of the Spanish and Portuguese Jews, second edition,
ed. David de Sola Pool, Published by the Union of Sephardic
Congregations, New York, 5738-1977, p. 229 ; dorénavant : BP).
24. Début de la bénédiction finale du Shema' du matin ('Emet we-
yatsiv) : « Uerdad y cierta, y compuesta y firme, y derecha y fiel, y amiga, y
querida, y cobdiciada, y fermosa, y temerosa, y fuerte, y aderesçada, y rece-
bida, y buena y fermosa, la cosa esta sobre nos para siempre y siempre »
(LO, XXII). — Au lieu de esmerado, on trouve parfois reçebido dans
certaines versions (Catalina de Villanueva, in Francisco de Mora, adc, Inq., 711/
753, et al), comme dans LO.
25. Début de la première des bénédictions finales du Shema' du soir
('Emet we-emunah) : «... que el .A. nuestro Dio... y nos Ysrael su pueblo »
(LO, LX v°). — < > : Catalina de Villanueva (in Francisco de Mora, adc,
Inq., 711/753); variante: «y nosotros somos de Ysrael, tu pueblo»
(Rodrigo del Campo, adc, Inq., 321/4627).
26. « ... el librânos de mano de reyes » (LO, ibid.).
27. « ... el redimiennos nuestro rey de poder de todos fuertes », ibid.
28. « ... el ponien nuestra aima en vidas » (LO, LXI).
29. « ... el Dio el fazien por nos vengança en Parhoh con senales y con
marauillas», ibid.
30. «... el firien con su safla todos primogenitos de Egypto »,
ibid. — < > : Catalina de Villanueva (in Francisco de Mora, adc, Inq.,
711/753).
31. «y saco a su pueblo Ysrael dentre ellos, para alforria perpétua. El
fazien passar sus hijos entre partes de mar ruuio » (LO, LXI).
32. « ... Uieron hijos a su barragania », ibid.
33. « y dixeron todos ellos », ibid.
34-36. Fragments de la prière marrane dite Salmo cantos (versets 15, 16,
14). Voir inf., p. 559-560.
37-41. Vraisemblablement, variation personnelle de Francisco de Mora
Molina : ces versets ne sont pas attestés dans les autres confessions.
550 CHARLES AMIEL

mí, ^ sobre aquellos que diçen très vezes en el dia : 41 Bendito sea
el Seňor de dia, bendito sea el Seňor de noche, el Seflor sea en mi
echada, el Seňor sea en mi levantada.

42 Seňor, abri mi boca para que denunçie tu loor, 43 bendito


vos, Seňor, Dios de mis parientes, ** Dios de Abraham, Dios de
Ysac, Dios de Jacob, 45 el alto y poderoso, 46 que sostenéis a los
caydos, 47 medeçinais los enfermos, 48 soltáis los presos, 49 firme

37. Cf. Jer XXXI : 18 : « fazme tornar y tornare por que tu .A. mi Dio »
(BF).
38. Cf. sup. 34.
39. Ps XXXIII : 22 : « Sea tu merced .A. sobre nos » (LO, LXX, The-
philah de Sabath, et passim dans le rituel).
40. Rappelons que les marranes récitaient le Sema trois fois par jour,
matin, midi et soir.
41. Office du soir des jours de semaine, péricope Barukh 'Adonay
leo'lam, après la seconde des bénédictions finales du Shema' : « Bendicho
.A. en dia ; bendicho .A. en noche ; bendicho .A. en nuestro echar ;
bendicho .A. en nuestro leuantar» (LO, LXII). Dans la prière du coucher
(Qeri'at Shema' 'al ha-mittah, littéralement « lecture du Shema' sur le lit »),
divers passages ont été ajoutés avec le temps, selon les rites, au noyau
initial : Ps III et CXXVIII, Hashkivenu et précisément cette bénédiction (voir
dans le Libro de or асу ones, f. LXIII « Quando se quiere acostar dira... », les
différentes parties dont se compose la prière du soir).
42. Ps LI : 1 7 : « .A. mis labrios abriras y mi boca denunciara tu loor » {LO,
XXIII v°), introduction habituelle à la 'Amidah. Abri, évidemment pour abrid.
43. 'Amidah, lre bénédiction : « Bendicho tu .A. N. D. y Dio de nues-
tros padres », ibid. Remarquer la singularisation, dans la version marrane :
« Dios de mis parientes » (au lieu de nues tr os de la version traditionnelle).
44. « Dio de Abraham, Dio de Yshac, y Dio de Yahacob », ibid.
45. « el Dio el grande, el barragan », ibid. — La version de Juan de
Mora (adc, Inq., 318/4587) ajoutait : « Manpáranos, Sefior, mamparança
de Avrahán », écho de « rey ayudan y saluan y amparan. Bendicho tu .A.
amparo de Abraham » (fin de la 'Amidah, lre bénédiction, ibid.).
46. 'Amidah, 2e bénédiction : « sustentan caydos » (LO, XXIII v°).
— Les versions de Juan de Mora (voir la note précédente) et de Rodrigo
del Campo (adc, Inq., 321/4627) étaient précédées ici de : « que tu ères
barragan por sienpre, hazes decender la luuia a la tierra », écho de « Tu
barragan para siempre... [Este uerso diran en Verano] hazien descendir el rocio
[Y este en Inuierno] Asoplan el viento y fazien descendir la luuia » (Début
de la 'Amidah, 2e bénédiction, ibid.).
47. « y melezinan enfermos », ibid.
48. « y soltan presos » (LO, XXIV).
49. « y afirman su verdad a durmientes en el poluo », ibid. Il n'est pas
impossible que la leçon marrane « los que hazen el poluo de la tierra » ait
été à l'origine « a los que yazen en el poluo de la tierra », énoncé plus
conforme à la source hébraïque.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 551

sois en la vuestra verdad, los que hazen el poluo de la tierra. 50 A


vos, Senor de las varraganías, i quién ay que semege a ti ?, 51 Rey
matador, averiguador, hazedor de saluaçion. 52 El que ha de nas-
cer con guisa de tu saluaçion, aynas le hagas naçer con tu
saluaçion. 53 Hazes con nos tus bienes, 54 tarde, mafiána y
siesta, 55 de loar no se acaben tus mercedes, 56 que siempre
son, 57 y confiamos en ti. 58 Recontaremos tu loor. 59 Bendize-
nos a todos en vno con luz de tu presençia. 60 Distenos ley, vida,
merçed, piedad, justedad, <muntiplicación> de fuerça, de
paz. 61 Amén. 62 Sean voluntados los dichos de mi boca y la fabla
de mi coraçon ante ti, Adonay, mi Criador y mi redemidor.

63 Paz sea en mi derecha, paz sea en mi yzquierda, paz en mi


cabeça, paz delante de mi, paz sea sobre mi, sobre mi muger y sobre

50. « Quien como tu sefior de barraganias y quien se asemeja a ti »,


ibid.
51. « rey matan y abiuiguan y fazien hermollecer saluaçion », ibid. Sur
abiviguar, cf. sup. p. 497.
52. C'est l'esprit, plus que la lettre, de la 15e bénédiction de la 'Amidah
(sur la venue des temps messianiques) qui est traduit ici : « A hermollo de
Dauid tu sieruo ayna faras hermollecer » (LO, XXVI).
53. 'Amidah, 18e bénédiction: «tus bienes» (LO, XXVI v°). Plus
qu'ailleurs, ce sont surtout des bribes du texte originel que l'on décèle pour
cette bénédiction.
54. « tarde y mafiána y siestas », ibid.
55. « no se fenescieron tus mercedes », ibid.
56. « que de siempre », ibid. La mention de l'éternité se rapporte à ce qui
précède dans la version marrane, et à ce qui suit dans l'original hébraïque.
57. « esperamos a ti », ibid.
58. « contaremos tu loor », ibid.
59. 'Amidah, 19e bénédiction : « bendizenos nuestro padre todos nos a
vna con luz de tus piadades » (LO, XXVII).
60. « diste a nos .A. nuestro Dio ley y vidas, amor y merced, y justedad
y piadades, bendicion y paz ». Plus loin « ... con muchedumbre de fortaleza
y paz », ibid. — < > : Rodrigo del Campo (adc, Inq., 321/4627), variante
« muntifïcacion » (Juan de Mora, adc, Inq., 318/4587).
61. Ibid., in fine.
62. Un verset de la formule de clôture de la 'Amidah ÇElohay netsor) :
« Sean рог voluntad dichos de mi boca y pensamiento de mi coraçon
delante ti .A. mi fuerte y mi redemidor » (LO, XXVII).
63. Peut-on voir ici une ressemblance avec un élément de la prière du
soir (Qeri'at Shema' 'al ha-mittah) précédant le psaume CXXVIII : «Au
nom de l'Éternel, Dieu d'Israël, à ma droite Michaël, à ma gauche Gabriel,
devant moi Uriel, derrière moi Raphaël et au-dessus de ma tête la présence
divine » (Cha'arê Tefilâ. Rituel de prières pour l'instruction religieuse, le culte
552 CHARLES AMIEL

mis hijos, M de captiuos a soltura, 65 de hambre a hartura, 6б de


pesar a placer, 67 de escuridad a claridad, 68 asi como sabe que
tanto lo auemos menester.

SOMOS OBLIGADOS*

1 Somos obligados alauar al Seflor en todo y por todo, 2 <por


dar grandía al Seňor, que crió el comienço,> 3 porque no nos
hizo como los gentíos de la tierra, <ni puso nuestra parte como
la dellos,> 4 porque ellos se humillan a vano y a vado, házen

public et le culte domestique. Avec une Introduction au rituel. Onzième


édition publiée et annotée par Joseph Bloch, Paris, Fondation Sefer, 1978,
p. 370) ? D'autant que cet élément est récité trois fois (voir sup. 40, qui
introduirait alors ce verset, l'ordre du Sema des marranes ayant été
bouleversé dans la version qui nous est parvenue).
64-67. Fin d'une louange, dans l'office de Pâque, au Dieu d'Israël qui a
conduit son peuple « de l'esclavage vers la liberté, de la détresse vers la joie,
du deuil vers la fête, des ténèbres vers la lumière, de la servitude vers
l'affranchissement » {La Haggadah de Pâque. Liturgie pour la cérémonie
familiale des soirées du Séder... par Joseph Bloch, Paris, Durlacher, 1960,
p. 50-51). Cf. aussi, dans l'office des jours de semaine : « El piadoso... nos
sacara de todas nuestras angustias a espacio, y de tiniebla para luz»
{LO, XL ; Thephilah Cotidiana, Sacara el hazan Sepher thorah y dira 'Hal
haccol ythgadal').
68. Ne semble pas être un élément de la prière. Absent des autres
versions, sauf chez Rodrigo del Campo, où la leçon, comme d'habitude, est
plus cohérente : « como sabéis y entendais que lo habemos menester » (adc,
Inq., 321/4627, f. [160 r0]).

[SOMOS OBLIGADOS] Francisco de Mora Molina, adc, Inq., 328/


4704, f. [35].
* Héb. 'Aleynu.
1-3. « Sobre nos para loar al Seflor de todo para dar grandeza, aforman
beresith que no nos fizo como gentes de las tierras y no nos puso como
linages de la tierra que no puso nuestra parte como ellos y nuestra suerte
como todos sus fonsados » {LO, XLIX v°).
2. < > : Rodrigo del Campo, ADC, Inq., 321/4627, f. [164 v°] et al.
3. < > : adc, 711/753 et al. — Rodrigo del Campo (ibid.) ajoutait là :
« segund sus suertes y comunidades ». La version de Francisco de Mora
Molina est intéressante, car elle confirme, par ses fautes mêmes ( « ni puso
nuestra suerte como la dellos, comunidades » ) la leçon complète familiale.
4. « que ellos humiliantes a nada y vanidad y fazen oracion a Dio que
no salua » {LO, XLIX v°). — < > : leçon dominante dans les confessions ;
chez Francisco de Mora Molina : « habla ».
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 553

oraçion al dios que no <salua>. 5 Nosotros nos humillamos ante el


rey de los reyes, sefîor de los sefiores, sancto y bendito, que
estendió los çielos y ençimento la tierra, morada y fortaleça.
6 Sabras y tornarás en tu coraçon que Adonay poderoso es mi
Seňor en los çielos de arriba y en la tierra de abajo. 7 Todos son
desechados afueras dél, y no ay otro sino él, como esta escripto en
su santa y verdadera ley. 8 Esperaré en el Sefior, 9 demandalle
he merçed y gracia de lengua con ayuntamiento de gen-
tes. 10 Hablaré con <cantar> al varón que es la limpieça de mi
coraçon, con la fragaçion de la casa sancta. Amén. u En nuestros
dias amén. En nuestras noches amén. n En nuestra vida sea
fragada la çiudad de Sion, sea tu sacrifîçio en Jerusalem. 13 Amén
con amén, u con licencia de los présentes. 15 Plega [a] ti,

5. « Y nos nos humillamos delante rey de reyes de los reyes, el santo


bendicho el que tendien çielos, y acimentan tierra, y asiento de su gloria, en
los çielos de arriba, y deuinidad de su fortaleza, en altura de çielos » (LO,
XLIX v°). L'expression « roi des rois » provient de Dn II : 37.
6. « y sabras oy y faras tornar a tu coraçon que .A. el el Dio en los cie-
los de arriba y sobre la tierra de abaxo no mas » (LO, L). Ce verset est une
reprise pure et simple de Dt IV : 39.
7. « El nuestro Dio y no mas otro verdad nuestro rey y no saluo el
como escrito en tu ley » (LO, XLIX v°-L).
8-9. Seule l'expression « Esperaré en el Seflor » provient de la prière
'Aleynu, début de la péricope 'Al ken neqaweh lekha (C'est pourquoi nous
espérons en toi). Cf. BP, 104. Le Libro de oracyones ne contient pas, sauf
erreur, cette péricope. — « Esperaré al Dio rogare sus fazes demandare del
respuesta de lengua que en congregacion de pueblo cutare su fortaleza »
(LO, CCCXLVIII ; Tephilah de Kipur ; péricope « Ohilah lael ahaleh »).
Cette péricope appartient au service additionnel (musaf) du Jour du Grand
Pardon. « Gracia de lengua » de la version marrane (qu'il faut entendre non
comme « habileté de parole », mais comme « réponse, décision ») rend
ma'aneh lashon, qui provient de Prv XVI : 1.
10. < > : ADC, Inq., 318/4587, 321/4627, 330/4722. Chez Francisco de
Mora Molina : « contar ».
11-12. «Séquence» fréquente dans le rituel. Cf. «ayna en nuestros
dias amen : en nuestras vidas sea fraguada ciudad de Zion y sea coin-
puesto el seruicio en Yerusalaim » (LO, CCCCLXXI, « Bendicion de la
mesa de los lutosos » ; CCCCLXXXI, « Orden de la bendicion de la
mesa »).
13. «Amen » répété est une formule qui marque la fin des trois
premiers livres des Psaumes (XLI : 14, LXXII : 19, LXXXIX : 53).
14. Formule n'appartenant pas à la prière, sorte de cheville qu'utilisent
les conteurs.
15. Cf. « .A. enuoluntan por su justedad engrandeçera ley y enforte-
çera » (LO, XLI v° ; fin de « Uba le Zyon »). BP, 89.
554 CHARLES AMIEL

Seňor, de engrandeçer la ley y de honrralla 16 рог amor de los


ataliantes de la tierra. 17 Administrante, Seňor, en tus santas
carreras.

ALAUADO AQUEL QUE TAJA Y AFIRMA*

1 Alauado aquel que taja y afirrna, amén, 2 y nos aparté de los her-
rados, y nos dio su ley, ley bendita, palabra firme, con verdad aforada
y no rebocada. 3 No se quiten estas santas palabras de mi linaje. 4 Si el
Seňor es con nos, i quién sera contra nos ?5 Más poder tiene el Senor
para nos librar que nadie para hazernos mal. 6 El Senor es vno, ojo de
todo el mundo.7 Bendito y alabado seáys bos, Seňor, que estas santas

16. Ataliantes, ďatalear (pour atalayar «épier», cf. inf., « Saîmo


cantos », v. 11). L'expression los ataliantes de la tierra (les épieurs de la terre)
est vraisemblablement une seconde « trace » de la péri cope 'Al ken neqaweh
lekha, du 'Aleynu (cf. sup. v. 8), où figure l'expression rish'ey arets ([Que se
tournent vers toi tous] les méchants de la terre). Une assimilation,
involontaire ou volontaire, entre « épieur » et « méchant » ne fait pas difficulté :
voir, par exemple, Ps XXXVII : 32 : Le méchant épie le juste, il cherche à le
mettre à mort (« Atalayan malo a justo, y buscan para matarlo », BF).
Pareille assimilation serait particulièrement significative et émouvante chez
un marrane.
17. « Saliendo de la synagoga diran : .A. guiame en tu justedad por mis
enemigos faze endereçar delante mi tu carrera » (LO, L). Cette formule
marque la fin des trois offices quotidiens.
[ALAUADO AQUEL QUE TAJA Y AFIRMA] Francisco de Mora
Molina, ADC, Inq., 328/4704, f. [100 v°].
* Le titre de cette prière, provenant de son premier verset, est emprunté à
un des premiers éléments de la Bénédiction initiale (Barukh sheamar) des
Zemirot (« cantiques » ; ou Pesuqey dc-zimra \ « versets de cantique », selon
l'appellation ashkénaze) de l'office du matin. En hébreu : barukh gozer ume-
qayem (« loué soit celui qui décide et maintient » ; l'hébreu gazar correspond
exactement au français trancher [couper, décider]). LO, XII v° : « bendicho
sentencian y afirman » ; Ordenança, 54 : « B. el sentençiàn y affirmàn ».
2. « Bendicho nuestro Dio que nos crio para su honrra y nos fizo apartar de
los errantes y dio a nos ley de verdad, y vidas eternas plantoo entre nos »
(LO, XLI v° ; péricope « Uba le Zyon », office du matin). — aforada y no
rebocada : codifiée et imprescriptible. Cf. inf. « Alaben al Seňor » v. 10 et « Alabad
al Seňor » v. [6], variantes de Ps CXLVIII : 6 ( « fuero dio y no passara » ).
3. « Mi esprito, que es sobre ti, y mis palabras que puse en tu boca no
se tiraran de tu boca, ni de boca de tu semen» (LO, XLv°).
4. Cf. Ps CXVIII : 6 : « .A. por mi no temere : que fara a mi hôbre » (BF).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 555

palabras me auéys sauido dezir.8 Plégaos de las oyr y reçibir en vues-


tros santisimos çielos, 9 y no alejar para oyrlo, 10 que poco os aproue-
cha nuestra muerte, ni los que deçienden a los auismos, M que los
muertos no alaban vuestro nonbre, y los viuos si.

CANTO GRADOS*

Canto grados.

Alçaré al Seflor mis ojos a los montes,


a los montes del Seňor.
2 Venga del Seňor mi ayuda, mi defensa,

10-11. Cf. Ps CXV: 17-18: «No los muertos alabaran Yah: y no


todos descendientes a fuessa. Y nos bendeziremos Yah de agora y fasta
siempre : Halelu-Yah » (BF, 304). Le psaume CXV fait partie du Hallel,
pièce liturgique comprenant les psaumes CXIII à CXVIII récités lors de
certaines festivités.
11. Remarquons au passage que la Vulgate a ajouté « les vivants » (sed
nos qui vivimus) au verset 18 du psaume CXV, par opposition aux morts du
verset 17 : c'est la leçon de la version marrane ; mais il faut surtout ne pas
perdre de vue que ce verset 18 se trouve dans les Zemirot (« Y nos
bendeziremos a .A. de agora y fasta siempre, haleluyah », LO, XIV v°), où il lie
traditionnellement les psaumes CXLV et CXLVI, récités peu après le Barukh
sheamar. Nous avons donc ici, comme au v. 1, un autre élément naufragé
de l'ensemble des Zemirot.

[CANTO GRADOS] Francisco de Mora Molina, adc, Inq., 328/4704,


f. [35 v°].

* La prière « Canto grados » est l'un des cantiques « graduels » de


l'office du samedi. Ci-dessous la correspondance verset à verset avec le
psaume CXXI dans la version du Libro de oracyones ( « Tephilah de
Sabath » ), f. LXII v°-LXIII.

1 . « Cantico de las gradas : Alçare mis ojos a los montes : de donde


verna mi ayuda. »
2. « Mi ayuda de con .A. : fazedor de cielos y tierra ». — Vandeo,
déverbal, de bandear {« ayudar » ; voir Joan Corominas, Diccionario critico
etimológico de la lengua castellana, Madrid, Editorial Gredos, 1954, 4 vol. :
I, p. 386 ; Cantor de Mio Cid. Texto, Gramática, Vocabulario por Ramón
Menéndez Pidal. Tercera edición. Madrid, Espasa-Calpe, 1954, 3 vol. : II,
p. 493), synonyme de ayuda. La forme ne semble pas attestée dans la Bible
de Ferrare. — Une variante aberrante (vandera) chez Apolonia de Barrio-
nuevo {in Isabel de Villaescusa, adc, Inq., 330/4722, f. 37).
556 CHARLES AMIEL

mi abrigo, mi vandeo, mi consejo,


Adonay, façedor y criador
de los çielos y de la tierra.

3 No dará tropieço el Sefior


en los mis pies.
4 No mires, Seflor, mis guardas,
que son guardas de Ysrrael,

5 que el Senor me guardará


sobre mi mano derecha.
6 El sol del día no se me fiera,
la luna de la noche no se me escurezca.

Guarde el Seflor mi vida,


mi aima,
mi salida, mi venida
de peligros y contrarios.

Amén.

3. « No dara a resualo tu pie : no se adormeçera tu guardador ».


4. « He no se adormeçera y no dormira : guardan Ysrael ». De ce
verset 4 seul subsiste dans la version marrane le leitmotiv du psaume (le
gardien d'Israël).
5. « .A. tu guardador : .A. tu solombra, sobre mano de tu derecha ».
6. « De dia el sol no te ferira, y luna de noche ».
7. « .A. te guardara de todo mal : guardara tu aima ». — L'expression
de todo mal figure dans la version de cette prière de Catalina de Villanueva :
« Libranos, Senor, de peligros y contrarios, y de todo mal. Amén con
amén.» (adc, Inq., 711/753, procès de son époux Francisco de Mora
« l'Ancien », f. 87).
8. « .A. guardara tu salida y tu entrada : de agora y fasta siempre ».
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 557

SALMO CANTOS*

[Francisco de Mora Molina] [Rodrigo del Campo]

1 Salmo cantos del dia ben- Psalmo canto del dia del
dito, del sábado, sábado,

2 tan bueno de loar y de cantar tanbuenoesdeloarydecantar


en el su nombre alto, 3deрог
Adonay
denunçiar
el sudenonbre
mafiána
alto,

la su misericordia,
4 sobre harpa, sobre guitarra, y la suharpa,
sobre verdadsobre
por órgano,
la noche,
sobre vandosa, sobre guitarra, sobre bal-
diossa.

Adonay, que me alegraste Adonay sancto, que me ale-


graste

[SALMO CANTOS] Francisco de Mora Molina, adc, Inq., 328/4704,


f. [45 v°]. Rodrigo del Campo, ADC, Inq., 321/4627, f. [165].

* Cette prière, qui tire son nom de ses deux premiers mots, réunit les
psaumes XCII (à l'exception des versets 10 et 14) et ХСШ, qui sont
effectivement récités à la suite à l'office du samedi. Le texte de référence donné ci-
dessous est celui du Libro de oracyones {Harbith de Sabath, f. LXIV v° -
LXV v°).

1 . Ps XCII, 1 : « Psalmo de cantico para el dia de sabath. »


2. Id., v. 2 : « Bueno para loar a A. y para psalmear a tu nombre alto ».
3. Id., v. 3 : « Para denunçiar por la mafiána tu merced, y tu verdad en
noches ».
4. Id., v. 4 : « Sobre decacordio, y sobre gayta, sobre tafier en harpa ».
— Le dernier des instruments de musique à cordes pincées désignés dans
l'original hébraïque est le kinnor, « harpe » (rendu par vihuela dans
Ordenança, 196). La forme vandosa, non attestée dans la Bible de Ferrare,
est vraisemblablement issue du croisement de bandurria et de baldosa
(moins usitée, sorte de psalterion, variante : baldiossa chez Rodrigo del
Campo).
5. Id., v. 5 : « Que me alegraste A. con tu obra : en fecha de tus manos
cantare ». — Hechura, non la « facture », mais 1' « œuvre » ; sens attesté
dans l'espagnol classique, courant dans la Bible de Ferrare.
558 CHARLES AMIEL

con tus obras, con tus obras mucho,


con la hechura de tus
manos cantaré.
Grandes son tus obras,
no menos son profundos muy profundos
tus santissimos mandamien- son los tus mandamientos.
tos.
El hombre torpe no los sabe, El onbre torpe no los sabe,
el neçio no los entiende. el neçio no los entiende.

Esto es lo que astila a los Esto es lo que astila a los


malos malos,
y los floreçe como yerba y los floreze como yerua
a todos los que obran en la
maldad
para destruillos para siempre. para destruirlos para siempre,
9 Eres tú, Adonay, Adonay sancto,
mi Dios y mi Seûor,
10 Ensalzarás mi fama como
rey
untásteme
1 ' mis ojos no
conparando
olio biçioso,
mientes

6. Id., v. 6 : « Quanto se engrandecieron tus obras .A. : mucho se afon-


daron tus pensamientos. »
7. Id., v. 7 : « Uaron grossero no sabe ; y loco no entiende a esto. »
8. Id., v, 8 : « En floreciendo malos como yerua, y hermollecien todos
obrantes tortura para serem destruydos fasta siempre ». — Aux trois
formes ďastilar de cette prière (v. 8, 12, 13) correspond, dans les passages
parallèles du Libro de oracyones (voir inf.), le mot florescer, traduction
habituelle de l'hébreu parah ( « pousser, croître » ) dans la Bible de Ferrare.
Pas d'autre attestation ďastilar, à notre connaissance, ni en espagnol, ni
dans le judéo-espagnol de la Bible de Ferrare.
9. Id, v. 9 : « y tu alto como siempre .A. ».
10. M, v. 11 : « Y enxalçarsea como vnicornio mi cuerno : emboluime
en olio reuerdescido. » — Vicîoso (« vigoureux, riche, luxuriant » en ancien
espagnol et dans la langue classique) traduit ici (comme plus bas, v. 13)
l'hébreu ra'anan «frais, luxuriant».
11. Id., v. 12 : «Y cato mi ojo en mis enemigos, en leuantantes sobre
mi enmalecedores oyran mis orejas. » — Atalear, pour atalayar « épier ».
La version de la Ordenança est plus précise pour le premier hémistiche : « Y
catô mi ojo en mis oteantes » (p. 197). Pour l'assimilation entre Г « épieur »
et l'ennemi ou le méchant, voir sup. « Somos obligados » v. 13. - Oreja
désigne, non l'oreille en tant qu'organe, mais l'ouïe. Métonymie rare dans
l'espagnol classique, courante dans la Bible de Ferrare.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 559

a los que me ataleaban,


en lebantarse contra mí los
malos
oye mi oreja.
12 El justo es como el dátil,
astila como el aies en el
Líbáno,

13 la muchifla astilarán
ahondurarán,
14 рог
que viçiosos
denunçiar
serán
su verda-
deria,
ca derecha es la palabra

14 que no ay tortura en ello. ydenon


Adonay,
ay tortura
mi fortaleza,
en ella.

15 Adonay enrreynó, Adonai bibo enrreynó


grandia se vistió, en grandia se bistió,

12. Id, v. 13 : « Justo como atamaral florescera : como alerze en el liba-


non crescera. » - Astila : cf. sup. v. 8. Aies, pour alerce « cèdre ».
13. Id, v. 15-16 : « Plantados en casa de .A. : en cortes de nuestro Dio
floresceran. Aun fruchiguaran en caneza, viçiosos y reuerdidos seran. »
— La muchifla astilarán ahondurarán a l'air d'un rébus. Astilarán (cf. sup.
v. 8) correspond très exactement (temps, personne, nombre) à l'original
hébraïque yafrihu « fleuriront ». Muchifla fait difficulté ; peut-on parler, à
défaut d'autre explication, d'un écho déformé de fruchiguaran, leçon de la
version traditionnelle, d'autant que muchiguar et fruchiguar, dont le sens est
voisin, sont abondamment attestés dans la Bible de Ferrare et sont parfois
associés (huit occurrences du couple dans Genèse) ? Ahondurarán : ?
14. Id, v. 16 : « Para denunçiar que derechero .A. mi forteza y no tortura
en el. » — Dans la version traditionnelle de la Bible et du rituel judéo-
espagnols, la forme tortura (avec le sens de « mal, iniquité »), traduisant en
général l'hébreu 'awen, est abondamment attestée : plus de 100 occurrences
dans la Bible de Ferrare, dont 48 dans les seuls Psaumes. L'expression po 'aley
'awen (esp. obrantes tortura, « les artisans d'iniquité ») y revient souvent.
15. Ps XCIII, 1 : « .A. enrreynó, loçania vistio, vistiosse .A. de fortaleza
se ciflio tambien se comporna mundo no resfuyra. » — La formulation de
Francisco de Mora Molina, identique à la traduction du Libro de oracyo-
nes, rend l'hébreu 'Adonay malakh « Dieu est roi ! » Enrreynar est une
forme typique de la Bible de Ferrare (où reynar est néanmoins la forme
dominante). Grandia, « grandeur » au sens moral, en ancien espagnol et
encore au x\T siècle.
560 CHARLES AMIEL

vistióse el Seňor de hermosura,


el Seňor fortaleça se cinó, y çifiose de fortaleza,
tanbién adereço el mundo, y tanbien aderezó el mundo,
que no se acueste ni se des- que no se acueste ni se des-
faga, faga.

que adereçada es su silla Aderezada es tu silla


de antes y después. de antes, tú de sienpre ères,
Adonay, mi fortaleza,
y no ay tortura en ella.
17 Alçaron los ríos sus vozes Alzaron los ríos sus bozes,
los ríos alzaron sus bozes,
y sus apellidos de sus vozes alzaron los ríos sus apellidos
de las bozes fuertes,
18 que
fuertes,
el Criador les esten- en el diluuio de las muchas
derá, aguas,
fuerte sois en las alturas, fuerte ères, Senor, en las alturas,
fuerte sois en las ondas de la fuerte ères, mi Dios, en las
mar. olas de la mar.

19 Tus testigos son fieles y Tus testigos fieles y muchos,


muchos,
tu casa se fermoseó tu casa se hermoseó
con la justedad de Adonay. con tu justedad.

20 Perteneçe loar paz,


bendiçion, amor y piedad,
justedad de fuerça y de
paz.

Amén.

16. Id., v. 2 : « Compuesta tu silla de entonces ; de siempre tu », et écho


de sup. v. 14.
17. Id, v. 3 : « Alçaron nos .A. alçaron rios su boz, alçaron rios sus
olas. »
18. Id., v. 4 : « Mas que bozes de aguas muchas fuertes olas de mar :
fuerte en altura .A. »
19. Id., v. 5 : « Tus testimonios son fieles mucho, a tu casa es conue-
nible santidad .A. para longura de dias. »
20. Réminiscence probable de la 'Amidah, 19e bénédiction. Cf. sup.
« Sema », v. 60.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 561

ALABEN AL SEŇOR*

1 Alaben al Seňor todos los ángeles,

32 todos
alabenlas
todas los
al cosas
profetas,
Senor que
todos
todos
en los
laslos
arcángeles,
aguas
mártires,
se mueben.

987654 Aguas como


montes
biudas,
huérfanos,
viejos
alabemosyalabad
y pescados,
collados,
elalabad
nombre
losaldemás
Seflor,
alalabad
del
Seňor,
mançebos,
Seňor,
al Seňor,
Senor,

porque El dixo y todo fue hecho,

1011 mando
puso
Alabadle,
mandamiento,
y todo
porque
fue fue
criado,
cumplirsea.
en el comienço,

[ALABEN AL SEŇOR] Francisco de Mora Molina, adc, Inq., 328/


4704, f. [46].

* L'esprit et parfois la lettre des psaumes CXLVIII et CXLVII qui,


dans l'ordre normal inverse, sont récités à l'office du matin. Cf., pour les
citations ci-dessous, le Libro de oracyones, « Thephilah Cotidiana », f. XV-
XVI. — À noter, une version légèrement différente de cette prière : celle de
Juan de Mora (autographe, dans son procès, adc, Inq., 318/4587, in fine;
aussi dans celui de Maria de Mora, ibid., 313/4549, f. 72). La louange
cosmique du psaume CXLVIII subsiste, avec des notations supplémentaires
diverses : Más vale la buenafama quel buen olio, Mieux vaut renom qu'huile
parfumée (aphorisme d'Ecclésiaste VII : 1, repris dans le rituel : LO,
CCCCLXXII, « Exortacion de los muertos ») ; Ver as hijos de tus hijos, y paz
sobre Ysrrael, Puisses-tu voir les fils de tes fils ! Paix sur Israël ! (vœu de
longévité et oraison jaculatoire du v. 6 du psaume CXXVIII, un des
psaumes de l'office du samedi, cf. LO, CCCCLVIII v°).

1. Ps CXLVIII : 2 : « Alabaldo todos sus angeles : alabaldo todos sus


exercitos. »
3. Dn III : 79. Voir inf., la prière « Bendecid, todas las obras » [79].
5. Ps CXLVIII : 9 : « Los montes y todos collados : ...»
8. Ps CXLVIII : 12 : « Mançebos tambien virgines : viejos cô moços. »
9. Ps CXLVIII : 5 : « Alaben a nombre de .A. que el mando y fueron
criados. »
10. Ps CXLVIII : 6 : «... fuero dio y no pasara. »
11-15. Envolée qui, par l'inspiration et le tour, rappelle le début du
Keter Malkhut (La Couronne royale) de Salomon ibn Gabirol, lorsque la
louange du Créateur passe en revue les attributs divins : unité, éternité, etc.
Ce long poème philosophico-religieux contenant in fine une confession des
562 CHARLES AMIEL

12
13
14
15
16 alabadle, porque enbia
seratiene
no
dixomuere
en
«layo
elfieue
fin
ni
soy,
fin,
ni
envejeçe,
como
ycabo,
otrolana,
no »,

y el graniço como çeuada.


17 No haze mandamiento si no es a los que le siruen,

1918 yElacaballo
págase
los el
queSeňor
no
noselede
paga
alaban
los entre
que
y alepiernas
los
siruen,
quedel
no varón,
le conoçen [ ... ]

y de los que le alaban,


y de los que esperan en su merçed.
20 En tu merçed esperamos,
en ti nos confiamos.

ALABAD AL SEŇOR*

[Ps CXLVIII]
[1] Alabad al Senor dende los çielos,
[2] alabadlo todos
en las sus
alturas,
ángeles,
alabadlo todas sus virtudes,

péchés figure dans le rituel du Jour du Grand Pardon. Cf. LO (le Libro de
oracyones contient, au début, non paginé, le Keter Malkhui) : « Tu vno,
principio de todo cuento... Tu existente, y en antes de ser todo tiempo
fueste... ». — Pour cette présence de l'Éternel au début et à la fin (v. 11-12),
cf. Is XLI : 4.
16. Ps CXLVII : 16 : « El dan nieue como lana, elada como ceniza der-
rama. » Cebada, « orge », est manifestement une réminiscence confuse de
ceniza, « cendre ».
17. La phrase n'est pas terminée.
18. Ps CXLVII : 10 : « No en barragania del cauallo enuoluntara : y no
en piernas del varon querera. »
19. Ps CXLVII : 11 : « Querien .A. a sus temientes, a los espérantes en
su misericordia. »
20. Ps XIII : 6 : « Y yo en tu merçed confie » (BF, 279 v°).

[ALABAD AL SENOR] Rodrigo del Campo, adc, Inq., 321/4627, f. [164].

* Cette prière comprend les psaumes CXLVIII, CXLIX et CL, qui sont
effectivement récités à la suite à l'office du matin (cf. LO, Thephilah Coti-
diana, XV v° - XVI v°). La numération entre crochets droits des versets
correspond à celle du texte biblique.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 563

[3...]
[41 alabadlo los cielos de los çielos,
y las aguas que son sobre los çielos.
[5] Alaben al nonbre del Seňor,
porque El dixo, y todo fue fecho,
и estableçio
mando, y todas
todo fue
las criado,
cosas
para siempre y por sienpre,
puso mandamiento, y cunplirsea.
[7] Alabad al Seflor dende la tierra,
181 fuego,
las cabernas,
granizo,todos
nieuelosy abismos,
yelo,
y viento de las tenpestades
que haçen el mandamiento del Sefior,
[9] los montes y todos los collados,
árboles frutuosos y todos los çedros,
[10] las bestias y todos los ganados,
las serpientes y las abes que buelan,
[11] los reyes de la tierra y todos los pueblos,
los principes y los juezes de la tierra,
[12] los mozos y las virgines,
los viejos con los mançebos.
[13] Alaben el nonbre del Sefior,
porque sólo su nonbre es ensalzado,
la confession de su alabanza
es sobre el çielo y la tierra,
[14] y ensalzó el poderio de su pueblo.
Loor a todos sus sanctos,
a los hijos de Isrrael, pueblo que se llega a él.

[Ps CXLIX]
[1] Cantad al Sefior cantar nueuo,
su alabanza en la congregaçion de los sanctos.
[2] Alégrese Ysrrael en aquel que lo hizo,
y las hijas de Sion se gozen con su rrey,
[3] y loen su nonbre en coro,
en panděro, en psalterio le canten,
[4] porque el Sefior se alegra con su pueblo
y ensalzará a los humildes en salud.
[51 Alegrarsean los sanctos en la gloria,
gozarsean en sus moradas,
[6] las alegrias de Dios son en las bozes y gargantas dellos,
y terrnán ellos en sus manos cuchillos de dos fîlos,
[7] para haçer venganza en las naçiones,
564 CHARLES AMIEL

para rreprehender a los pueblos,


[8] para poner a los reyes en prisiones,
para aprisionar a los sus nobles con esposas de hierro,
191 para que hagan en ellos el juiçio ynstituido.
Esto es gloria a todos sus sanctos.

[PsCL]
[1] Load al Sefior en sus sanctos,
loadlo en la fïrmeza de su virtud,
[2] loadlo en sus virtudes,
loadlo segund la muchedumbre de su grandeza,
[3] loadlo en son de tronpeta,
loadlo en psalterio y viguela,
[4] loadlo en panděro y en coro.
Alabadlo en instrumentos de cuerdas y en órganos,
[5] alabadlo en canpanas de grande alegria [...]
Todo spiritu alabe al Seôor.

BENDEÇID, TODAS LAS OBRAS DEL SEŇOR*

[Dn III]
I57] Bendeçid, todas las obras del Seflor, al Seôor ;
loadlo y ensalzadlo mucho sienpre.
1581 Bendeçid, los ángeles del Seflor, al Seflor ;

[59] bendeçid, las


1761
1771
[78]
1791 çielos,
todas
fuentes,
mares
ballenas
la
yalal
rios,
cosas
Seflor
Seôor,
y al
todas
que
; Senor
fructificáis,
las; cosas al Senor ;

[81]
[82]
[83]
t80] .bendiga
que en las
bendeçid,
Ysrrael
las
hijos
aguas
abes
bestias
dealselos
del
Seôor
mueben,
y honbres,
çielo,
todos
; allos
al Seflor
al
Seôor
animales,
Seflor
; ; ; al Seflor ;

alábelo y ensálzelo para siempre.

[BENDEÇID, TODAS LAS OBRAS DEL SENOR] Rodrigo del


Campo, ADC, Inq., 321/4627, f. [164 v°].
* Dn III : 57-59, 76-88 (la numération entre crochets droits correspond
au texte biblique). Ces versets (plus ou moins complets) appartiennent au
Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise, adjonction deutérocano-
nique au livre de Daniel (voir inf., p. 567 la prière « Seňor Dios, no traygas en
escarnio », qui contient des versets de même nature de la Prière d'Azarias).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 565

[84] Bendeçid, sacerdotes del Seňor, al Sefior ;

[85] bendeçid, Sidrach,


[86]
[87]
[88] sieruos
los sanctos
spiritus
del
Misach
Seňor,
y humildes
las yanimas
al
Abdenago,
Sefior
dedecorazón,
; losaljustos,
Sefior
al Sefior
[al
; Sefior]
; ;

alabadlo y ensalzadlo mucho siempre.

SEŇOR, NO ME REPREHENDAS*

1 Sefior, no me reprehendas en tu safia,


2 ni memerced
habé castigues
de en
mi,tuque
ira,enferma soy.
3 Sanáme, que los mis guesos todos son conturbados,
y mi anima es turbada muy mucho más.
Sefior, i hasta quándo tardarás ?
54 por
Buéluete,
quantoSefior,
no ayayna,
ninguno
y salua
que laenmila aima,
muerte. se miembre de ti,
pues en el infierno, i quién se confesará a ti ?

EN MI TRIBULAÇION LLAMARÉ AL SEŇOR

21 En mi
por esotribulaçion
no temeré llamaré
de lo que
al me
Sefior,
puede hacer el hombre,

[88]. Le texte biblique dit : Ananias, Azarias, Misaël. — Shadraq,


Meshak et Abed-Nego (qui sont les noms babyloniens imposés à Ananias,
Misaël et Azarias) constituent la séquence habituelle dans le texte hébraïque
original du livre de Daniel.

[SEŇOR, NO ME REPREHENDAS] Elvira Ruiz, ahn, Inq., 181/14.


* Ps VI (un des psaumes pénitentiaux dans la liturgie romaine),
versets 2-6. Juana de Mora I dit avoir appris cette prière par cœur dans
l 'Espejo de Consolation et y joint la doxologie « Gloria Patri » (in Catalina
Navarra, adc, Inq., 321/4626, f. [36 v0]). — Le psaume VI figure au début
du Tahanun (supplication journalière), cf. Cha'are Tefila, op. cit., p. 65.

[EN MI TRIBULAÇION LLAMARÉ AL SEŇOR] Juan López de


Armenia I, adc, Inq., 283/3946, f. [69 v°] ( « el primero destos salmos halló
este confesante en unas Horas о Salterio, que llamaban de San Jeró-
nimo » ).

1. Ps CXVIII : 5.
2. Ps CXVIII : 6.
566 CHARLES AMIEL

543 despreçiaré
porque
es hechoespéré
a mi
misenenemigos,
el
salud,
Sefior,

6 plega [a] ti que mis caminos sean endereçados


7 para guardar tus justificaciones,
8 porque no sea confundido,
9 no me apartés de tus mandamientos
10 porque no peque contra ti,
11 quita de mi el menospreçio
y abatimiento, en todo tiempo,

12
13
14 e enséôame
y
no
ynclina
aparta
me quieras
mi
decoraçon
amiguardar
confundir,
el camino
en tus
tus de
justificaciones,
testimonios
la crueldad,

y no en turbaçion,

15
16
17 yenséuame
tucon
misericordia.
todolami
bondad,
coraçon
sea sobre
disciplina
escudrinar[é]
mi, y sciencia,
tus mandamientos,

18 para queyome
porque errado
salve,contra ti,
como oueja que ha parescido,
19 por tanto,
guarda mi Seňor,
aima, mi
busca
entrada,
tu sieruo,
mi salida,
20 porque mis pies vayan y estén en tu casa
y en tu palaçio en Jerusalén,
21
22 libra
no entiendan
mi animamis
delmanos
laço de
en los
la maldad.
caçadores,

3. Ps CXVIII : 7.
4. Ps LVI : 12.
7. Ps CXIX : 8.
8. Ps CXIX : 80.
9. Ps CXIX : 10.
10. PsCXIX: 11.
11. Ps CXIX : 22 (« en todo tiempo » : v. 20).
12. Ps CXIX : 29.
13. PsCXIX: 31.
14. Ps CXIX : 36.
15. Ps CXIX : 66.
16. Ps CXIX : 34 (contamination du verset 35 pour « mandamientos »).
17. Ps CXIX : 77.
18. Ps CXIX : 176.
19. Ps CXXI : 7-8.
20. Ps CXXII : 2.
21. Ps XCI : 3.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 567

SEŇOR DIOS, NO TRAYGAS EN ESCARNIO*

[Dn III]

[34] Senor
no traygas
Dios,en escarnio perpetuo tu pueblo.
Рог la virtud de tu santisimo nonbre,
no destruygas nuestras cosas,
[35] ni nos quites tu misericordia,
por el amor que tuviste a Habrán tu amado,
y a Ysac tu sierbo,
y a Ysrael tu sancto,
[36] con los quales as hablado,
prometiéndoles que muntiplicarias su generation
como las estrellas del çielo y las arenas de la mar.
[37] Seňor, apoqueçidos somos y menospreçiados
mucho más que las otras gentes
por nuestros peccados.
[38] No ay en nuestros tiempos principe, ni capitán,
ni fiesta, ni ençienso, ni sacrifïçio
[39] por quien ayamos de hallar misericordia,
[40] mas se a hecho nuestro sacrifiçio ante ti, Seňor,
asi como sacrifiçio de los carneros y de los toros gruesos,
porque te sea acepto, porque los que confian en ti
no reçiuan jamás confusion.
Amén.

[SEŇOR DIOS, NO TRAYGAS EN ESCARNIO] Ana de Mora II, in


Catalina de Mora Carrillo, adc, Inq., 326/4682, f. [14 v°].

* Dn III : 34-40 (la numération entre crochets droits correspond au


texte biblique). — Ces versets appartiennent à la Prière d'Azarias,
adjonction deutérocanonique au livre de Daniel (voir sup., p. 564 la prière « Ben-
decid, todas las obras del Seňor », qui contient des versets de même nature
du Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise). — C'est de sa cousine
Catalina, décédée, qu'Ana de Mora dit avoir appris cette prière dont elle
ignore le nom.
568 CHARLES AMIEL

SEŇOR DIOS NUESTRO,


QUE SACASTE TU PUEBLO*

1 Senor Dios nuestro, que sacaste tu pueblo de tierras de Egipto


con fuerte poder, y te diste nombre según este dia, pecado auemos
en haber cometido maldad contra vuestra justicia y majestad.
2 Te ruego, Seňor, se aparté tu indignación y tu furia sobre tu
çiudad de Jerusalem y de tu sancto monte, que por nuestras iniqui-
dades y de nuestros antepasados Jerusalem y todo tu pueblo es
escarneçido con toda nuestra comarca.
3 Y agora, Sefior Dios nuestro, oye la oraçion y ruegos de tu
sieruo, muestra tu bendita cara a tu santo santuario, que esta
desamparado.
4 О Dios mio, por quien tu sólo ères, oye, y abre tus ojos, y mira
nuestra perdiçion y la de tu çiudad, por lo quai es tu nombre inuo-
cado, que por nuestras justifîcaçiones y mereçimientos no estende-
mos nuestras oraçiones delante de tu cara, mas en la virtud de tus
muchas y grandes misericordias.
5 Óyenos, Sefior, y pacifïcate.
6 Mira nuestras penas y nuestros trabajos. 7 Danos remedio,
Seûor, 8 porque no sea confundido. 9 No me apartés de tus man-
damientos, 10 porque no peque contra ti.

[SEŇOR DIOS NUESTRO, QUE SACASTE TU PUEBLO] Juan


López de Armenia I ; ADC, Inq., 283/3946, f. [69 v°] (« este ultimo [salmo]
halló este confesante en las Epistolas y Evangelios en romance, no sabe
quién era el autor délias »). Le passage se trouve effectivement dans
les Epistolas y Evangelios d'Ambrosio Montesino, Anvers, 1544, f. LUI v° -
LIV r° (« Domingo segundo. En la quaresma. En el lunes ». — Une version
semblable chez Rodrigo del Campo, adc, Inq., 321/4627, f. [139 v° - 140 r°],
qui retrouve aussitôt la source (Daniel, chap. IX, lettre D) dans sa Bible en
latin, mise sous séquestre, qui lui est présentée par les inquisiteurs (ibid.
f. [134]).

* Une note marginale du procès-verbal indique la source (ce qui est


tout à fait exceptionnel) : « Oration. No es psalmo, sino de Daniel, с 9,
litera D. »
1-5. Dn IX : 15-19. Cette séquence figure dans les Tehinnot
(Supplications) du matin du rite juif hispano-portugais (BP, 75).
6. Dt XXVI : 7, Ps XLIV : 25 ( ?).
8. Ps CXIX : 80.
9. Ps CXIX : 10.
10. PsCIX: 11.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 569

ORACIÓN DE LAVARLAS MANOS*

1 Bendito y alabado seáis vos, Seňor, 2 que distes la verga de


Arón al santo Moysén, 3 mandastes hender la репа 4 para que
fuésemos limpios de manos, 5 para que os alabásemos.

ORACIÓN DEL DEGŮELLO*


Bendito aquel que te crió para la muerte y para el manteni-
miento de la gente.

[ORACIÓN DE LAVARLAS MANOS] Bénédiction relative à l'ablution


des mains, totalement différente de la formulation traditionnelle : « Bendicho
tu .A. nuestro Dio rey del mundo que nos santifico con sus encomendanças, y
nos encomendo sobre limpieza de manos » (LO, I). — II existe aussi de cette
prière une version « longue » : « Bendito y alabado seáis vos, Seflor, que
distes la verga de Arón a aquel santo y bendito Moysén, y mandastes que hendiese
la pefla, y sacase agua clora, para que nos limpiásemos y fuésemos limpios de
manos, para que os bendijésemos, y para que os alabásemos ». (ADC, Inq., 330/
4707, f. [15v° - 16] : c'est ce qu'enseignait Isabel de Mora II, dite « l'aveugle »,
à Hernando de Mora II, dit « le pâtre »). — Telle autre version, enfin,
combine la notation originale de la version marrane (la verge d'Aaron) avec le
début de la bénédiction traditionnelle : « Alabado seas tú, Seflor, que nos san-
tificaste con tus santos mandamientos, y diste la vara a Arón, y al santo Moi-
sén mandaste que hendiese la pefla, y sacase agua clara con que fuésemos
limpios de manos, con que te loásemos y alabásemos... » (Isabel Romera, adc,
Inq., 323/4642, f. [19 v0]).

2-3. La verge d'Aaron, la seule qui avait fleuri pour désigner l'homme
choisi par Dieu, fut conservée dans la Tente du Témoignage à titre de
mémorial et servit à Moïse pour frapper le rocher sur une injonction divine
et en faire jaillir de l'eau afin d'abreuver le peuple d'Israël et son bétail
(Nb XVII : 16-26, XX : 8-11). Un autre récit du (ou d'un autre) miracle de
l'eau jaillie du rocher se trouve dans Ex XVII : 1-7, et l'épisode est
mentionné en divers endroits de la Bible (par exemple Ps LXXVIII : 15, CV :
41, pour ne citer que les plus explicites).

[ORACIÓN DEL DEGÛELLO] Francisco de Mora Molina, adc, Inq.,


328/4704, f. [30].

* Bénédiction sur regorgement, totalement différente des formules


traditionnelles : « El que degollare quatropea y animalia y aue bendezira :
Bendicho tu .A. N. D. R. del mundo que nos santifico en sus
mandamientos y nos encomendo sobre el degollamiento. El que cubriere la sangre,
cubrira con poluo о con ceniza, y dira : Bendicho tu .A. N. D. R. del
mundo que nos santifico en sus mandamientos y nos encomendo sobre
cubrimiento de sangre » (LO, CCCCLXV v°). — Cf. ТВ, Berakhot, 17 a:
« La fin de l'homme, c'est la mort ; la fin de l'animal, c'est d'être abattu ».
570 CHARLES AMIEL

ORACIÓN DE LA MAŇANA*

1 Bendito y alabado seáis vos, Seňor, 2 que me levantastes viuo


y sano 3 con el anima en las carnes. 4 Dormia como vn
muerto, 5 distesme lienço y pafio 6 con que me cubriese, 7 oydos
con que oyese, 8 pies y manos con que anduviese ; 9 por eso yo,
pecador, 10 yndigno de alabar n vuestros santissimos alabamien-
tos. 12 Los ángeles os den gracias en el çielo, 13 у las gentes en la
tierra, 14 por tantos bienes como me avéis hecho, 1S y me hazéis
de cada dia. 16 Yda es la noche, 17 benido es el dia, 18 bendito el
poder del Seflor, 19 que la luz y claridad enbia, 20 con llaues de
entendimiento.

[ORACIÓN DE LA M AN AN A] Francisco de Mora Molina, adc, Inq.,


328/4704, f. [36].

* On trouve ici la même inspiration que dans la prière matinale 'Elohay


neshamah. Cf. LO, I : « Mi Dio aima que diste en mi limpia ella tu la
criaste, tu la formaste, tu la asoplaste en mi y tu la guardas entre mi... » —
Version très semblable, pour le début, chez Juan López de Armenia II :
« Alabado sea el Seflor, que me ha amanecido vivo y sano y seguro y en
paz de la tiniebla de la noche ; me dé su luz y vida y gracia para que le
sirva. Amén. » [ahn, Inq., 162/12] (cité par Julio Caro Baroja, Losjudios en
la Espaňa moderna y contemporánea, Madrid, Ediciones Arión, 1961,
3 vol. : I, p. 423, et Yosef Hayim Yerushalmi, From Spanish Court to Italian
Ghetto, Isaac Cardoso. A Study in Seventeenth-Century Marranism and
Jewish Apologetics, New York and London, Columbia Press University,
1971, p. 36). — Autre version, révélée par un adolescent de 15 ans (Pedro
del Campo II), celle qu'enseignait son père Alonso del Campo I à tous ses
enfants : « Las primeras obras santas, después de mi sueflo, a ti las daré.
Serán para vuestros alabamientos. Alabaros-e y bendeciros-e, mi Dios, que
me hicistes y me criastes, pusisteme en el vientre de mi madré y disteme
corazón con que pensase, e oidos con que oyese, pies y manos con que me
moviese, paflo y lienzo con que me vistiese. Seňor Dios, yo no alababa
vuestro santo nombre, mas durmiendo como duermen los muertos... »
(ADC, Inq., 330/4719, f. [22v°-23]).

1-8. Cf. « Ao fazer as abluçôes matinais. "Louvado seja o Senhor... que


me criou e me chegou a esta hora com bem, e me deu agua para me lavar,
toalha para me limpar, olhos para vêr, mâos para bolir, ouvidos para
ouvir..." » (Schwarz, op. cit., p. 49).
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 571

ORACIÓN DEL MEDIO DÍA

1 Bendito seáis vos, Sefior, 2 que me dexastes ver este medio


dia 3 sin salimiento de anima, 4 sin otros peligros 5 y tribulaçio-
nes deste mundo. 6 Plega [a] vos, Sefior, 7 que me dexéis ver este
medio dia, 8 y otros muchos enteros, 9 con menos pecados, 10 y
más a vuestro santissimo seruiçio.

BENDICIÓN DE LA MESA*

1 Bendigamos al Sefior, que de lo suyo comemos, de lo suyo


bebemos, de lo suyo nos mantenemos. 2 Bendito El, bendito su
nonbre, bendito su grande poderío por sienpre jamás. Amen con
amén. 3 Nos hereda con ley de uida, que heredaste a nuestros
padres en la tierra buena, y tú, Senor, mantienes y gouernas todas
la criaturicas en todo y sobre todo. 4 Bendita sola la palabra del
Sefior. Hartó al anima sediente, al anima habienta. 5 Lo que comi-
mos, sea para hartura, <lo que bebimos, para medicina,> lo que

[ORACIÓN DEL MEDIO DÍA] Francisco de Mora Molina, ADC, Inq.,


328/4704, f. [36 v°].

1-3. Même inspiration que dans la « Oraciôn de la manana » (v. 1-3) ci-
dessus.

[BENDICIÓN DE LA MESA] Francisco de Mora Molina, adc, Inq.,


328/4704, f. [100 v°- 101].

* Cette « bénédiction de la table » correspond à l'action de grâce juive


après le repas (Birkat ha-mazon). Les textes donnés ci-dessous sans
références sont ceux du Libro de oracyones, f. CCCCLXXIX-CCCCLXXXII.
1. « Bendigamos nuestro Dio que comimos de lo suyo y con su bien
biuimos. »
2. « bendicho el y bendicha su memoria para siempres de siempre. »
3. « Loaremos a ti A. N. D. sobre que feziste heredar a nuestros padres
tierra cobdiciable, buena y ancha... tu mantenien y gouernan a nos y sobre
todo ». — Hereda, impératif (cf. la version de Rodrigo del Campo : « Heré-
danos, Seflor, con ley de vida», adc, Inq., 321/4627). — Gouernas: sic
dans le manuscrit.
4. « Car il a satisfait l'âme altérée et comblé de biens l'âme affamée »
(voir : BP, 441). La phrase ne se trouve pas dans le Libro de oracyones. —
Habienta [sic], pour « hambrienta ».
5. « Lo que comimos sea por fartura y lo que beuimos sea рог melezina
y lo que nos sobroo sea por bendicion ». — < > : adc, Inq., 321/4627.
572 CHARLES AMIEL

nos sobró sea para bendiçion. 6 El Sefior bendiga nuestra mesa, y


los que comieren a ella, y la haga como a la mesa de
Habrahán. 7 Nuestros padres comieron, y bebieron, y bendijeron
al Sefior. 8 Los leones enfamentarán ; los que requeren al Sefior,
nunca les menguará todo bien y hartura. 9 Requiérenos con bien, y
con honrra, y con piedad. 10 No nos traigáis a mano dádiua de
carne y sangre, porque su dádiua es роса, su çaherio es mucho,
salue tu mano la grande, la Uena, no seamos abergonçados, ni
menospreçiados. n En tu santidad y misericordia nos confia-
mos. 12 Bendito y alabado seáys bos, Seňor, que os auéys acor-
dado de enbiar mantenimiento desta hartura. 13 Sea para que te
sirua, Sefior, sea para que te alabe. 14 Hártanos de tus bienes, y
prouéenos de tu bendita mano.

6-7. Ces phrases reprennent les «bénédictions prononcées par les


convives » dans le (seul) rite hispano-portugais : « Que le Miséricordieux
bénisse cette table à laquelle nous avons mangé... Puisse-t-elle être
comme la table d'Abraham notre père, [à laquelle] tous ceux qui avaient
faim parmi nous pouvaient manger et tous ceux qui avaient soif parmi nous
pouvaient boire... » (voir : BP, 440). — Variante de Rodrigo del Campo
(adc, Inq., 321/4627) : « Bendiganos el Senor la mesa y los que comieron a
ella, y la haga como la mesa de Abraham nuestro padre : comieron y
sobróles. »
8. « Cadillos se empobrecieron y se enfambrecieron y requirientes a .A.
no faltaran de ningun bien » : il s'agit en fait d'un verset des Psaumes
(XXXIV: 11) enchâssé dans l'action de grâce (« Leoncillos fueron
empobrecidos y enfambrecidos : y requirientes a .A. no menguaran de
ningun bien », BF). — Enhanbrentarán (pour enfamentarán) : variante de
Rodrigo del Campo (adc, Inq., 321/4627). — Requeren : sic dans le
manuscrit.
10. Salve, variante : « salvo », plus conforme à l'original hébraïque,
dans la version de Rodrigo del Campo. — « Y no nos fagas auer menester
.A. nuestro Dio a manos de dadiuas de carne y sangre, y no a manos de su
emprestimo que su dadiua роса у su repudio mucho saluo a tu mano la
llena y la ancha no nos arregistaremos en el mundo este, y no nos auergon-
çaremos a mundo el venidero ». (Arregistarse, « être confondu, confus,
rempli de honte », judéo-espagnol, forme abondamment attestée dans la Bible
de Ferrare, en particulier chez les trois prophètes majeurs, Isaïe, Jérémie et
Ezechiel, où elle est souvent couplée avec auergonçarse). — Notons au
passage que ce vœu d'indépendance économique (ne pas avoir besoin de dons
[de gens] de chair et de sang) n'apparaît, dans une comparaison des versions
primitives des bénédictions de la birkat ha-mazon, que dans un seul témoin,
le Seder Rab 'Amram Gaon : voir Kurt Hrubý, « La Birkat ha-mazon », in
Mélanges liturgiques offerts au R.P. Dom Bernard Botte О SB, Abbaye du
Mont-César, Louvain, 1972, p. 214.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 573

1[1] DE QUE EL SEŇOR PROUÓ


A ABRAHAM*

2[1'2] Dixo : — iAbraham, Abraham! Toma tu singular hijo


amado que tienes, y vête para el monte de Sinay, y sacrifïcalo a
mí. 3[3] Levantóse Abraham por la maôana, y çincho su asno, y
tomó su moço consigo, y fuése para el monte de Sinay donde el
Sefior le avia mandado. 4[6] Fragó el altar, y puso por orden la
lefia. 5[71 Dize : — Padre, veo la lefia y el cuchillo, y no veo el
carnero que ha de ser sacrificado. 6[8] — Hijo, el Criador lo
deparará, que de ti lo tengo de hazer. 7 — Pues, padre, atapadme
los ojos, porque no los alce ayrados contra vos. 8[9] Entonçes
vino a hazer sacrifïçio de su hijo. 9[11] Viene la voz del angel
del çielo : 10[12] — jTate !, Abraham, no tiendas la mano al moço,
que visto ha el Sefior la tu voluntad. 11[l31 Entonçes rodeo
Abraham la cabeça, y vido vn carnero trauado por los cuernos
en vna zarza, y hizo sacrifïçio y reçebimiento al Sefior. 12
Entonçes bendixo el Sefior a Abraham : 13[17] — Abraham, tu
generaçion sera multiplicada como las estrellas que son en el çielo
y las arenas que son sobre las orillas de la mar, 14[16] que no
escusaste tu hijo amado de mi. 15 — No escuses tu misericordia
de nos.

[DE QUE EL SEŇOR PROUÓ A ABRAHAM] Francisco de Mora


Molina, ADC, Inq., 328/4704, f. [37].

* La « ligature » d'Isaac, Gn XXII : 1-19. Les versets bibliques


correspondants (même lorsque la traduction est approximative) sont
indiqués entre crochets droits.

2. C'est le « pays de Moriah » (tierra del Moriah, LO, III), où sera


édifié le Temple de Salomon, qui est indiqué dans la Bible, et non le Mont
Sinaï.
7. « Peae-me de pés e mâos, / Para que, na hora da minha morte, / Nâo
faça algum desavizado, / Nâo erga os olhos contra o Senhor, /Nem
contra vos, meu рае, irado » (« О sacrifïcio de Isaac », in Schwarz, op. cit.,
p. 58).
10. jTate ! (port. Ta!), interjection familière interruptive ajoutée au récit
biblique.
11. Reçebimiento, ici «autel de campagne», par assimilation au repo-
soir de la Fête-Dieu (« Recibimiento. Llaman en Toledo y otras partes el
altar que se hace en las calles para las processiones del Santissimo
Sacramento, donde ha de haber estación ». Diccionario de Autoridades, Madrid,
1726-1739, dorénavant : Aut.).
574 CHARLES AMIEL

QUANDO LA CASA ESTABA ENFIESTA*

[Francisco de Mora Molina] [Rodrigo del Campo]

1 Quando la Casa estaba Quando la Casa santa estaba

2 enfîesta,
la vez que pecaba, ayu- el hombre que pecaba, ayu-
enhiesta,
naba, naba
3 y sacaba su sangre y su y llebava su sangre y su sebo

4 delante
sebo, su acatamiento, 5delante de tu altar,
y sacrificáuatelo a ti
6 y tú, Sefior, recibías su

7 y perdonábale su pecado. ysacriffîcio


perdonábasle
y ayuno,
su pecado.

[QUANDO LA CASA ESTABA ENFIESTA] Francisco de Mora


Molina, ADC, Inq., 328/4704, f. [38]. Rodrigo del Campo, adc, Inq., 321/
4627, f. [166].

* Cf. LO, CCCCLXXXIIII v° - CCCCLXXXV, Orden de las bendicio-


nes, Confision del ayuno del solo (indication liminaire : « y despues del
ayuno en fin de la Hamidah del Harbith antes que mueua los pies dira ») :
« Seflor de los mundos ya me afligi con ayuno oy delante ti, notorio y
manifïesto delante silla de tu honrra que en tiempo que casa del santuario
firme el hombre pecaua y traya delante ti allegaçion y no allegaua délia
saluo su seuo y su sangre y era perdonado y agora por nuestros delitos los
muchos no a nos no santuario y no ara no sacerdote que perdone por nos.
Sea voluntad delante ti .A. mi Dio y Dio de mis padres que sea apoca-
miento de mi seuo y mi sangre que se apocoo oy delante ti con mi ayuno
contado y rescebido delante silla de tu honrra como si lo allegara sobre
cuestas de tu ara, y enuoluntame por tus piadades las muchas. »
Le Talmud livre la source de cette prière, qui marquait la fin d'un jeûne
privé : « Lorsque Rabbi Sheshet jeûnait, à la fin de sa prière il ajoutait ceci :
Souverain de l'univers, tu n'ignores pas qu'au temps où le Temple était
dressé, lorsqu'un homme commettait un péché, il était d'usage qu'il offrît
un sacrifice, et bien que l'offrande se réduisît à la graisse et au sang, cela
suffisait à faire accepter son expiation. À présent que j'ai jeûné, ma graisse
et mon sang ont diminué. Puisses- tu considérer ma graisse et mon sang qui
ont diminué comme si je les avais offerts devant toi sur l'autel et m'être
favorable ! » (ТВ, Berakhot, 17 a).

1. Enfîesta, parfois écrit en fiesta, pour «enhiesta ».


4. Acatamiento, « présence » (esp. classique ; « Significa tambien la pre-
sencia del sugéto à quien se háce reverenda», Aut.). Id., v. 13.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 575

8 Asi, Sefior, este mi ayuno, Agora, Sefior, en este mi

109 mi sangre
sebo sease poco,
amengue. ayuno,
ymi
11 como
mi
sebo
sangre
si
se delante
apocó,
se amenguó,
de tu altar

lo sacrifficara.
12 Reçebidlo, Sefior, Suplícote, Seňor, lo recibas
13 delante vuestro acata- en tus altos cielos
miento,
14 y perdonáme mi pecado. para perdón de mis culpas y
pecados.

LÍBRAME, SEŇOR*
1 Líbrame, Sefior, como libraste a Daniel del lago de los leones,
para que yo te sirua. 2 Líbrame, Sefior, como libraste a Jonáš pro-
feta del vientre de la vallena, en las honduras de la mar, para que
yo te sirua.

SI SUPIÉSEDES Y ENTENDIÉSEDES*
1 Si supiésedes y entendiésedes quai es el vno.
Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su sanctissimo nombre.

14. Perdonáme, pour « perdonadme ».

[LÍBRAME, SEŇOR] Juan de Mora, in Maria de Mora I, adc, Inq.,


313/4549, f. [71 v°].

* Litanie des « délivrances ».

1-2. Cf. « Desliura'm, Senyor, com deliurist Daniel propheta del lach
dels Uaons. Desliura'm, Senyor, com deliurist Joanàs del ventre de la
balena » (confessions autographes du tisserand Rafael Baró, dans son
procès instruit à Valence en 1520 ; in Jaume Riera i Sans, « Oracions en català
dels conversos jueus », Anuario de Filologia, 1975, p. 359). — Pas de
similitude formelle avec le texte du Libro de oracyones, CCLXXVII : « Quien res-
pondio a Yonah en entrafias del pesce, respondanos... Quien respondio a
Daniel en pozo de leones, respondanos... »

[SI SUPIÉSEDES Y ENTENDIÉSEDES] Francisco de Mora Molina,


adc, Inq., 328/4704, f. [130 v°- 132].

* Version espagnole de la « chanson des nombres » hébraïque 'Ehad mi


yodea', récitée le soir de Pâque. On notera que les 13 éléments de l'original
sont ramenés ici à 10.
576 CHARLES AMIEL

2 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los dos.


Dos, Moysén y Arôn. Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su
sanctissimo nombre.

3 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los très.


Très, nuestros padres, Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moysén y
Arôn. Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su sanctissimo nombre.

4 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los quatre


Quatro madrés de Ysrrael, Sarra, Rebeca, <Lia> y Raquel. Très,
nuestros padres, Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moysén y Arôn.
Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su sanctissimo nombre.

5 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los çinco.


Los çinco libros de la Ley, el Senor nos dexe honrrar y guardar
su sanctissima Ley. Quatro madrés de Ysrrael, Sarra, Rebeca,
<Lia> y Raquel. Très, nuestros padres, Abraham, Ysac y Jacob.
Dos, Moysén y Arôn. Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su
sanctissimo nombre.

6 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los seis.


Los seis dias de la semana, el Senor nos dé buena semana, con
buenos temporales y aflos. Cinco libros de la Ley. Quatro madrés
de Ysrrael, Sarra, Rebeca, <Lia> y Raquel. Très, nuestros padres,
Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moysén y Arôn. Vno, Dios del çielo,
bendito sea El y su sanctissimo nombre.

4. < > : ADC, Inq., 325/4663 (Juan del Campo II), f. [74 v°]. Chez
Francisco de Mora Molina : Yra. Noter que Ira (ou Hirah) est un nom
porté par divers personnages de la Bible. Il est vrai que l'accouchement de
ce texte fut difficile. Lors de l'audience du 21 octobre 1591 (après-midi),
Francisco de Mora Molina dit qu'il se souvenait d'une prière, qu'il
commença à réciter, mais il se trompa plusieurs fois. L'inquisiteur ordonna
alors qu'on l'écrivît d'abord sur un brouillon pour la transcrire ensuite. Ce
qui fut fait (ADC, Inq., 328/4704, f. [130 v° - 132]). Dans la première version,
entre Rebeca et Raquel, il y a un blanc. Ce n'est que dans la seconde qu'on
lit Yra.
6. Au nombre six correspondent dans l'original les traités de la Mish-
nah.
LE MODÈLE CASTILLAN DU MARRANISME (II) 577

7 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los siete.


Siete dias del sanctíssimo Sabaot, el Senor nos dé buen Sabaot y
nos lo dexe honrrar y guardar. Seis dias de la semana. Cinco libros
de la Ley. Quatro madrés de Ysrrael, Sarra, Rebeca, <Lia> y
Raquel. Très, nuestros padres, Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moy-
sén y Arón. Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su [sanctíssimo]
nombre.

8 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los ocho.


Ocho dias de la çircunsiçion, el Sefior nos la dexe honrrar y
guardar. Siete [dias] del sanctíssimo Sabaot. Seis dias de la semana.
Cinco libros de la Ley. Quatro madrés de Ysrrael, Sarra, Rebeca,
<Lia> y Raquel. Très, nuestros padres, Abraham, Ysac y Jacob.
Dos, Moysén y Arón. Vno, Dios del çielo, bendito sea El y su
sanctíssimo nombre.

9 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los nueue.


Nueue meses de la preňada, el Seôor guarde todas las preôadas
de Ysrrael. Ocho dias de la çircunsiçion. Siete [dias] del sanctíssimo
Sabaot. Seis dias de la semana. Cinco libros de la Ley. Quatro
madrés de Ysrrael, Sarra, Rebeca, <Lia> y Raquel. Très, nuestros
padres, Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moysén y Arón. Vno, Dios
del çielo, bendito sea El y su sanctíssimo nombre.

10 Si supiésedes y entendiésedes quáles son los diez.


Diez mandamientos de la Ley, el Seflor nos dexe honrrar y
guardar sus diez mandamientos de la Ley. Nueue meses de la preôada.
Ocho dias de la çircunsiçion. Siete [dias] del sanctíssimo Sabaot.
Seis [dias] de la semana. Cinco libros de la Ley. Quatro madrés de
Ysrrael, Sarra, Rebeca, <Lia> y Raquel. Très, nuestros padres,
Abraham, Ysac y Jacob. Dos, Moysén y Arón. Vno, Dios del çielo,
bendito sea El y su [sanctíssimo] nombre.

7. Sabaot : dans l'original hébraïque, sept correspond à yemey shabta'


(les jours de la semaine). La confusion, aisément explicable, a pu être aussi
favorisée par l'expression 'Adonay Tseva'ot (Dieu des armées), connue des
marranes mais dont le sens exact leur échappait. Juan del Campo II a
rétabli : « Los siete dias de la semana con el sábado » (adc, Inq., 325/4663,
f. [75 v0]).

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