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Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

Représentation : le mot, l'idée, la chose


Carlo Ginzburg

Abstract
Representation : the word, the thought, the thing.

The paper analyzes the implications of the mannikins ("representations") which were displayed in the funerals of French
and English kings since the 14th and 15th centuries. These mannikins can be connected to much longer historical series
showing how in different cultural contexts images could act as mediators with the beyond In medieval Europe the status of
images closely connected on one hand to the condemna tion of idolatry on the other to the veneration of relics was deeply
affected by the cru cial role attributed more and more to the eucharist. The disenchantement of the images triggered by
this process was precondition of the deep changes which emerged in the 13th and 14th centuries both in painting and
sculpture.

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Ginzburg Carlo. Représentation : le mot, l'idée, la chose. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 46ᵉ année, N. 6,
1991. pp. 1219-1234;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1991.279008

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1991_num_46_6_279008

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PRATIQUES
DE LA REPRESENTATION

REPRESENTATION LE MOT I/IDEE LA CHOSE

CARLO GINZBURG

Depuis le début des années quatre-vingt représentation est devenu


dans le domaine des sciences humaines un véritable mot clé on dirait
presque un mot la mode On pense Représentations la revue lancée en 1983
par un groupe historien de philosophes et de littéraires de université de
Berkeley ou dans un contexte européen article de Roger Charrier paru
dans les Annales année dernière sous le titre allusif Le monde comme
représentation On pourrait aisément multiplier les exemples Cette fascina
tion est quelque peu surprenante représentation étant un mot vénérable
qui fait partie de notre outillage intellectuel depuis des siècles Mais tout récem
ment il acquis paraît-il des résonances nouvelles Je voudrais les analyser
une fa on indirecte La stratégie que ai adoptée un but précis détruire la
trompeuse familiarité que nous avons avec des mots tel que représentation
qui font partie de notre langage quotidien ampleur et la complexité du sujet
excuseront espère le caractère un peu schématique de mon propos Il se rat
tache un projet de recherche auquel je travaille depuis quelque temps Je vais
en donner quelques jalons
La stratégie de dépaysement que je viens évoquer commence par les voca
bulaires Dans article que ai déjà mentionné Chartier utilisé le Diction
naire de Furetière pour montrer importance tout fait centrale de la notion de
représentation dans les sociétés Ancien Régime Le but de auteur pro
poser une nouvelle définition histoire culturelle ou une histoire des prati
ques culturelles était différent du mien Il lui est arrivé toutefois de formuler
dans son texte une fa on très nette quelques-uns des problèmes que je veux
aborder hui Je vais citer un passage tiré de article de Chartier même
il est un peu long
Dans les définitions anciennes par exemple celle du Dictionnaire uni
versel de Furetière dans son édition de 1727) les entrées du mot représen
tation attestent deux familles de sens apparemment contradictoires un
côté la représentation donne voir une absence ce qui suppose une distinction
nette entre ce qui représente et ce qui est représenté de autre la représenta
tion est exhibition une présence la présentation publique une chose ou

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Annales ESC novembre-décembre 1991 no pp 1219-1234
PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

une personne Dans la première acception la représentation est instrument


une connaissance médiate qui fait voir un objet absent en lui substituant une
image capable de le remettre en mémoire et de la peindre tel il est
De ces images certaines sont toutes matérielles substituant au corps absent un
objet qui lui ressemble ou non ainsi les mannequins de cire de bois ou de cuir
qui étaient placés au-dessus du cercueil royal pendant les funérailles des souve
rains fran ais et anglais Quand on va voir les princes morts dans leur lit de
parade on en voit que la représentation effigie ou plus générale
ment et plus anciennement la litière funèbre vide et recouverte un drap mor
tuaire qui représente le défunt Représentation se dit aussi église un
faux cercueil de bois couvert un voile de deuil autour duquel on allume des
cierges on fait un service pour un mort autres images jouent sur
un registre différent celui de la relation symbolique qui pour Furetière est
la représentation de quelque chose de moral par les images ou les propriétés
des choses naturelles ... Le lion est le symbole de la valeur la boule celui de
inconstance le pélican celui de amour matériel Un rapport déchiffrable
est donc postulé entre le signe visible et le réfèrent signifié ce qui ne veut pas
dire bien sûr il est nécessairement déchiffré tel il devrait être1
Ouvrons maintenant le Petit Robert article représentation est divisé
en deux rubriques la première commence par action de mettre devant les
yeux ou devant esprit de un définition suivie par une liste de signifi
cations particulières comme par exemple le fait de rendre sensible un objet
absent ou un concept au moyen une image une figure un signe etc
la seconde commence par le fait de remplacer un) agir sa place
dans exercice un droit définition suivie par action de représenter
étranger le fait de représenter le peuple la nation dans exercice du
pouvoir le fait de passer des contrats pour le compte une maison de
commerce Les deux rubriques ont en gros quelque chose en commun
idée de substitution de remplacement qui évoque absence Mais élément
évocateur ou mimétique se rattachant la présence ou au moins une certaine
présence) qui est central dans la première catégorie est absent dans la seconde
Si on compare article du Dictionnaire Universel de Furetière et celui du Petit
Robert on remarque tout de suite il dans ce dernier des présences
nouvelles tout fait prévisibles les représentants du peuple et de la nation
par exemple et des absences comme par exemple la référence aux
représentations utilisées dans les funérailles royales en Angleterre et en
France Ces dernières objets souvent fragiles dont très peu parfois très
restaurés sont parvenus nous seront le point de départ de mon
exposé2

Furetière observait que dans ce contexte le mot représentation pouvait


désigner soit un mannequin soit un cercueil vide On sait que usage du manne
quin royal remonte en Angleterre 1327 mort Edouard II et en France
1422 mort de Charles VI)3 usage du cercueil vide est déjà attesté en 1291
lorsque comme nous apprend un document conservé aux archives de Barce
lone les Sarrasins qui habitaient la ville aragonaise de Daroca lancèrent une
attaque contre les Juifs qui exhibaient une bière representationem en tant
que représentation du roi Alphonse III qui venait de mourir4 On doit souli-

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GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

gner pourtant que le mot représentation était pas utilisé seulement pour
les obsèques des rois un document de 1225 nous montre une femme payant
pour avoir lignée et representaci de son mary après la mort icellui
Suivant les suggestions de son maître Ernst Kantorowicz dont il été le dis
ciple le plus proche historien américain Ralph Giesey retrouvé en France
opposition théorisée par les juristes anglais aux xvie et xvne siècles entre Thé
two bodies les deux corps du roi6 En étudiant une fa on minutieuse
les rites liés la mort du roi et avènement de son successeur Giesey montré
dans un beau livre paru en anglais Genève en 1960 et traduit en fran ais
vingt-sept ans après sous le titre Le Roi ne meurt jamais le rôle de plus en plus
important joué en France pendant les périodes interrègne par effigie du
souverain décédé Depuis la fin du xve siècle les funérailles royales font appa
raître une séparation très nette entre le roi mort et son effigie selon la
remarque de Giesey le corps allait au tombeau et effigie était portée en
triomphe Cette séparation qui devait se prolonger la mort
Henri IV aurait exprimé aux yeux des contemporains la distinction mise en
valeur par Kantorowicz dans son grand livre entre le corps périssable du roi en
tant individu et le corps éternel en tant que lié une institution publique
dignitas)
Revenons pour un moment aux deux pôles on avait décelé dans article
représentation du Petit Robert la substitution et évocation mimétique
De quel côté placerait-on effigie du roi Giesey qui étudié de près évolu
tion du rituel dit plusieurs reprises il agissait au début un simple
substitut du corps adopté pour des raisons ordre pratique les techniques
embaumement étant peu avancées on était parfois contraint exhiber dans
les cortèges funèbres soit un cadavre royal demi pourri soit un mannequin en
bois en cuir en cire8 avoue que ce choix ne me paraît nullement simple Il
avait quand même une alternative consacrée par la tradition qui était fondée
sur une évocation non mimétique la litière funèbre couverte un drap mor
tuaire9 Pourquoi donc en 1322 Londres a-t-on choisi de payer un certain
maître pour il fasse quondam ymaginem de Ugno ad similitudinem dieu
dom ni Reg une image en bois la ressemblance du roi mort Edouard II
Pourquoi cette innovation a-t-elle été reprise en France un siècle après Pour
quoi la tradition a-t-elle duré dans les deux pays aussi longtemps 10
Ces questions sont liées on le verra un problème tout fait crucial le
statut changeant et très souvent ambigu des images dans une société donnée
Mais elles impliquent une question préalable qui été posée pour la première
fois par le grand historien de art viennois Julius von Schlosser en 1910 Il
avait été frappé par analogie entre les images de cire on utilisait pendant les
funérailles des empereurs romains aux ne et nie siècles de notre ère et celles en
cire mais aussi en bois ou en cuir des rois fran ais ou anglais on retrouve
dans des circonstances semblables un millénaire après Doit-on penser une
filiation ou plutôt une redécouverte spontanée Schlosser penchait pour la
première proposition même si les preuves une continuité étaient au fond très
minces La seconde proposition été retenue par autres historiens
compris Giesey Au milieu une analyse serrée laquelle je vais revenir dans
un instant) il écrit Sous angle de anthropologie culturelle ces ressem
blances sont stimulantes mais le lien historique est faible 12 Pour quiconque

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PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

est intéressé aux rapports entre anthropologie et histoire cette remarque est
loin être définitive Au contraire elle nous invite une recherche plus
poussée dans autres directions

La comparaison entre des rites funéraires appartenant des cultures éloi


gnées été écartée par Giesey comme facile mais stérile du point de vue
historique13 Je pense au contraire elle devrait être menée dans un cadre
chronologique et géographique plus large On pourrait penser que la consé
quence de cette démarche serait celui effacer les traits spécifiques des phéno
mènes qui nous concernent On verra il en va tout au contraire
Le point du départ de la recherche de Giesey est lui-même qui nous le dit
été en suivant sans doute une suggestion de Kantorowicz un article Elias
Bickerman sur apothéose des empereurs romains paru en 192914 Dans des
pages éblouissantes qui ont soulevé des réactions très vives Bickerman analyse
le rituel de la consecratie) fondée sur une double incinération celle du corps de
empereur étant suivie plusieurs jours après par incinération de son image
en cire travers ce funus imaginarium ces funérailles de image empe
reur qui avait déjà déposé ses dépouilles mortelles était accueilli parmi les
dieux Bickerman soulignait les analogies spécifiques entre ces rituels et les phé
nomènes royaux anglais et fran ais dans une note il faisait aussi une allusion
rapide aux rites funéraires étudiés par Prazer Il ne connaissait pas semble-t-il
la Contribution étude sur la représentation collective de la mort de
Robert Hertz parue dans Année sociologique en 190715 Et pourtant la fin
du premier paragraphe de article de Bickerman on peut lire une affirmation
qui pourrait avoir été signée par Hertz la mort ne constitue nullement la fin
de la vie du corps dans ce monde ce est pas le fait biologique mais acte
social les funérailles qui séparent ceux qui en vont de ceux qui restent 16 Le
grand essai de Hertz analyse un niveau très général le rituel de la double sépul
ture étudié par Bickerman dans le contexte romain Hertz montre que la mort
chaque mort est un événement traumatique pour la communauté une
véritable crise qui doit être maîtrisée travers des rituels qui transforment évé
nement biologique dans un processus social en contrôlant le passage du
cadavre pourrissant objet instable et mena ant entre tous au squelette Parmi
ces rituels il la sépulture provisoire ou dans autres cultures la momifi
cation et la crémation on trouve parfois combinées autant de solutions
spécifiques selon Hertz un problème très répandu17 Dans la Rome des
Antonins et dans Angleterre et la France des xve et xvne siècles les funérailles
du corps respectivement celles des empereurs et celles des rois jouaient un rôle
comparable aux sépultures provisoires analysées par Hertz Dans les deux cas
elles étaient suivies par les funérailles des images est-à-dire par un rituel non
seulement final mais éternisant empereur était consacré dieu le roi tra
vers affirmation de la pérennité de la fonction royale ne mourait jamais Les
images impériales en cire et les effigies royales aboutissements de la mort des
souverains en tant que processus social peuvent donc être considérées comme
des équivalents sur un autre niveau des momies ou des squelettes Il
quelques années par des voies tout fait différentes Florence Dupont est
arrivée pour ce qui concerne les empereurs romains la même conclusion
Disposer du cadavre ce problème transculturel que chaque culture

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GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

abordé par des voies différentes nous permet apprécier la spécificité de la


solution on retrouve soit dans la Rome des Antonins soit dans Angleterre
et la France des xve et xvi siècles Dans ce dernier cas au moins on sait que
effigie montrait le roi au vif mais Rome aussi utilisation de image
soutenait ce on appelé la fiction de la souveraineté post mortem 19 Une
page bien connue de Histoire Romaine de Dion Cassius décrit la statue en cire
de empereur Pertinax mort en 193 parée des habits triomphaux en face
elle un jeune esclave écartait comme si le prince eût été endormi les mou
ches avec un éventail de plumes de paon 20 Hérodien parle des cérémonies qui
suivirent la mort de Septime Sévère de fa on encore plus détaillée pendant
sept jours image de cire de empereur placée dans un grand lit ivoire avec
des couvertures dorées fut visitée par des médecins qui disaient que le malade
se portait toujours plus mal 21 On comparé ces récits ce qui est passé
en France en 1547 après la mort de Fran ois Ier Pendant onze jours il eut des
repas abord côté du cadavre puis côté de effigie du roi on mangeait
on buvait face lui et les bassins eau laver étaient présentés la chaise
du dit Seigneur comme il eust esté vif et assis dedans 22 Giesey montre que
le texte Hérodien circulait déjà en France vers 1480 et que les plus anciens
témoignages fran ais sur la coutume du repas funèbre datent depuis la fin du
xve siècle mais il conclut comme je disais auparavant que ces analogies avec
antiquité romaine impliquaient nullement un phénomène conscient imita
tion23 Les arguments de Giesey me paraissent assez faibles je ne crois pas par
exemple que le fait que les repas funèbres pour Fran ois Ier aient commencé
côté du cadavre suffise démontrer lui seul il existait aucun lien entre
les coutumes romaine et fran aise 24 Mais la conclusion de Giesey est proba
blement correcte Dans ce domaine une invention indépendante était sans
doute possible même dans des sociétés qui étaient plus éloignées dans espace
que la Rome de Septime Sévère et la France de Fran ois Ier ne étaient dans le
temps Une relation de Pedro Pizarro conquistador du Pérou confirmée sur ce
point par autres témoignages nous apprend que les Incas dans les occasions
les plus solennelles exhibaient les momies de leurs rois ils avaient gardées
avec un grand soin pour échanger avec elles des toasts mutuels en partageant
de grands repas25
On peut essayer expliquer cette analogie inattendue entre la France et le
Pérou Au Pérou étaient les souverains morts qui possédaient le palais royal
du Cuzco le bétail et les esclaves administration était confiée un groupe
qui comprenait leurs héritiers mâles exception du roi qui héritait rien de
matériel de celui qui avait précédé26 Les rois morts gardaient en principe le
pouvoir où le rapport de réciprocité avec leurs momies entretenaient les
Incas travers le repas rituel En France le pouvoir une fiction légale attri
buait au souverain mort avait une durée limitée ce que Giesey appelé
interrègne cérémonie est-à-dire la période qui précédait le couronne
ment du nouveau roi27 Des contraintes semblables produisaient dans des
contextes tout fait hétérogènes des résultats convergents Tout cela nous aide
déplacer un peu le problème on posé plusieurs reprises propos des
funérailles royales dans la France du xvie siècle alternative entre imitation
des modèles romains ou invention indépendante touche une partie seulement
du problème Comme Marc Bloch et Claude Lévi-Strauss ont déjà dit avec

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PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

force le contact il eu contact ce qui dans ce cas est pas sûr explique
pas la permanence Il agit de deux problèmes ordre différent28

Pourquoi donc Rome ou ailleurs faisait-on des images des empereurs ou


des rois après leur mort Soit article classique de Bickerman soit interven
tion récente de Florence Dupont ont apporté des données précieuses sur ce pro
blème On rappelé usage des images en cire dans les familles aristocratiques
romaines Florence Dupont en soulignant équivalence entre imago et ossa
dont ai déjà parlé estime que cette équivalence était rendue possible parce
que imago jouait un rôle métonymique étant considérée comme une partie du
corps29 Cette formule ne me paraît pas très convaincante Je dirai plutôt que
imago était une partie de identité en suivant Marcel Mauss qui dans
son article sur la notion de personne avait déjà noté association très étroite
qui existait Rome entre imago et cognomen soit la partie la plus personnelle
du système de trois noms30 On doit souligner cependant que usage des mas
ques des ancêtres était pas réservé aux lignages aristocratiques31 Bickerman
cite une loi funéraire qui remonte aux années 133-136 où un collège de Lanuve
se réservait le droit de faire un funus imaginarium des funérailles de
image dans le cas où le corps un esclave membre du collège ne serait pas
livré par un méchant maître32 On touche ici quelque chose de très profond
Pour éclairer je propose une comparaison avec un dossier tout fait diffé
rent centré autour de la signification un mot grec kolossos Parti un objet
on nommait représentation je voudrais maintenant tenter analyser dans
une perspective de longue durée idée ou les idées qui ont rendu possible
En 1931 Pierre Chantraine aborda le sujet du point de vue étymologique en
cherchant la solution en dehors du domaine indo-européen En corrigeant les
épreuves de sa note il ajouta une petite remarque la loi sacrée de Cyrène
on venait de publier montrait que la signification originaire de kolossos
était pas celle que nous connaissons liée la renommée du Colosse de
Rhodes statue de grande taille mais tout simplement statue 33
Deux ans plus tard un article très remarquable Emile Benveniste fit pro
gresser la discussion dans une direction inattendue La loi de Cyrène concernant
les suppliants étrangers décrétait que le maître de la maison devait invoquer
envoyeur par son nom si ce dernier était mort ou inconnu il devait invo
quer en faisant des kolossoi des poupées de bois ou argile mâles et femelles
ensuite il devait déposer dans une forêt inculte pour les fixer Texte
étrange illogique même au moins aux yeux de certains chercheurs Mais obser
vait Benveniste ne satisfait-on pas une logique plus profonde en admettant
un vivant inconnu est comme il était pas où la conclusion
Voilà le sens authentique du mot des statuettes funéraires des substituts
rituels des doubles qui prennent la place des absents et continuent leur exis
tence terrestre >>34
On pourrait ajouter des représentations Entre les kolossoi grecs et les effi
gies funéraires en cire en cuir en bois des souverains fran ais ou anglais les
analogies sont frappantes tant au niveau de la forme celui de la fonction
La loi sacrée de Cyrène par exemple prévoit une fa on explicite un repas
rituel avec les statuettes funéraires comme on le fera au xv siècle au Cuzco
ou Paris Une fois pour toutes on voudrait écarter les références habituelles

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GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

qui expliquent rien la magie35 Les problèmes qui nous concernent


sont plutôt ceux de image et du rôle de la représentation dans la constitution
de image Le dossier on vient de présenter nous permet je crois de relire
une fa on nouvelle les pages Ernst Gombrich publié sous le titre de
Méditations on hobby horse aussi bien que celles non moins importantes de
Krzysztof Pomian sur la collection Gombrich est parti lui aussi de la notion
de représentation Ses réflexions sur le hobby horse en tant que substitut un
cheval ont amené souligner le rôle de la substitution dans art des primi
tifs ou dans celui des gyptiens le cheval ou le servant en terre-cuite
enterrés dans le tombeau un puissant prennent la place des être vivants ce
qui suggère que la substitution peut-être précédé la pictographie et la créa
tion la communication est un changement de fonction qui fait surgir
dans quelques sociétés la Grèce la Chine Europe de la Renaissance un
art différent lié idée de image en tant que représentation au sens
moderne du mot Dix ans après ces formules brillantes et rapides ont été
développées de la fa on que on sait par Gombrich lui-même dans son grand
livre Art and illusion36 De son côté Pomian pour comprendre ce il de
commun entre les objets disparates qui font partie des collections est parti du
mobilier funéraire il comparé aux offrandes aux reliques aux curiosités
aux images intermédiaires écrit-il entre ici-bas et au-delà entre le
profane et le sacré. objets qui représentent le lointain le caché absent.
intermédiaires entre le spectateur qui les regarde et invisible où ils
viennent. Ces objets il les appelés sémiophores porteurs de signifi
cation pour les distinguer des objets on utilise dans la vie quotidienne37
Les textes que je viens de présenter ne renvoient pas un autre Les con
vergences que ai soulignées sont le résultat de réflexions menées sur des sujets
largement hétérogènes où leur importance Tout cela affecte une fa on
évidente mon projet de recherche Est-ce il porte sur le statut universel il
en un du signe ou de image Ou plutôt sur un domaine culturel spécifique
et dans ce cas lequel
On retrouve cette alternative au coeur un article où Jean-Pierre Vernant
repris en le développant le travail de Benveniste sur le kolossosis un côté
Vernant souligne que kolossos faisait partie un groupe de termes âmes
image du rêve ombre apparition pour lesquels on est en droit de parler ...
une véritable catégorie psychologique la catégorie du double qui suppose
une organisation mentale différente de la nôtre Mais article termine sur une
note bien différente Peut-être touchons-nous ici un problème qui déborde
très largement le cas du kolossos et qui répond un des caractères du signe reli
gieux Le signe religieux ne se présente pas comme un simple instrument de
pensée Il ne vise pas seulement évoquer dans esprit des hommes la puissance
sacrée laquelle il renvoie Il veut toujours établir avec elle une véritable com
munication insérer réellement sa présence dans univers humain Mais en
cherchant ainsi jeter comme un pont vers le divin il lui faut en même temps
marquer la distance accuser incommensurabilité entre la puissance sacrée et
tout ce qui la manifeste de fa on nécessairement inadéquate aux yeux des
hommes En ce sens le kolossos est un bon exemple de la tension on trouve
au coeur même du signe religieux et qui lui donne sa dimension propre Par sa
fonction opératoire et efficace le kolossos ambition établir avec au-delà

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PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

un contact réel en effectuer la présence ici-bas Cependant dans cette entre


prise même il souligne ce que au-delà de la mort comporte pour le vivant
inaccessible de mystérieux de fondamentalement autre 39
un côté organisation mentale des Grecs qui était différente de la
nôtre de autre côté les tensions inscrites au coeur du signe religieux que on
retrouve en Grèce comme hui Ce mouvement une perspective relati
viste une perspective universaliste est parfaitement compréhensible inté
rieur de la relation tout fait particulière que nous avons égard de la culture
grecque une relation où se mêlent distance et filiation Mais filiation ne veut
pas dire forcément continuité Dans le cas du statut de image il eu entre les
Grecs et nous une cassure profonde on va analyser

Revenons la consecratio des empereurs romains Florence Dupont sou


ligné le paradoxe implicite dans ce rituel Rome pour consacrer un mort il
faut ... arracher son tombeau pour installer dans espace sacré où se
trouvera son temple Ce qui est impensable tant du point de vue du mort qui
se trouverait sans sépulture que du point de vue de espace sacré qui serait
affreusement pollué par la présence un cadavre ... Les tombeaux sont
re étés hors de la Ville ... il est interdit édifier un tombeau sur le sol public
là où on dédie les temples On vu de quelle fa on on surmonta obstacle
Deux corps permettent la présence du mort dans les deux espaces disjoints des
tombeaux et des temples dans les deux temps incompatibles des cultes funé
raires et des cultes publics empereur reste présent de deux fa ons parmi les
hommes après sa mort 40
Tout cela fut bouleversé par la victoire du christianisme Les cimetières les
villes des morts prirent leur place intérieur des villes des vivants Cette
levée de interdit religieux sur la sépulture intra muros vieux un
millénaire été définie par Jean Guyon comme le signe une véritable
mutation historique 41 Or quelques-uns parmi ces morts avaient aux yeux des
fidèles un statut spécial étaient les martyrs Dans son très beau livre Le culte
des saints Péter Brown beaucoup insisté sur la présence du martyr et en
général du saint travers les reliques Le statut métonymique on voulu
attribuer tort je crois imago des empereurs romains prend ici toute sa
valeur âme de Martin lisait-on sur inscription gravée sur son tombeau
Tours est auprès de Dieu cuius anima in manu Dei est cependant lui Martin
hic totus est praesens manifestus omni gratia virtutum il est présent ici tout
entier comme il est démontré par toute sorte de miracles)42
On admettra aisément que le rôle joué par les reliques des saints dans le
monde chrétien affecté en profondeur attitude égard des images Il agit
au fond un corollaire de hypothèse formulée auparavant qui suggérait
existence une association étroite entre images et au-delà Mais les reliques
elles-mêmes faisaient partie du champ de relations que nous connaissons une
fa on inégale même après Bild und Kult le très important livre Hans Bel
ting vient de publier43 Il abord le phénomène que les polémistes chrétiens
appelaient idolâtrie On devrait essayer de le prendre enfin au sérieux en recon
naissant deux choses que nous en savons très peu et que ce peu est difficile
interpréter44 La survivance et les métamorphoses des dieux anciens en tant
que phénomène artistique été éclairée il longtemps par Fritz Saxl Erwin

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GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

Panofsky Jean Seznec et autres chercheurs plus ou moins liés Institut


Warburg45 Mais éventail des réactions absorptions métamorphoses refus
provoquées au niveau religieux par la rencontre entre ces images compris les
images vernaculaires et les tendances partiellement aniconiques si non fran
chement anti-iconiques enracinées dans la tradition judéo-chrétienne reste lar
gement explorer
Pour illustrer la complexité de cette rencontre je discuterai un exemple
celui de sainte Foy qui selon la légende avait été martyrisée âge de douze ans
au début du ive siècle Son image conservée dans le trésor de église de Conques
est considérée depuis longtemps comme une oeuvre capitale de la sculpture et de
orfèvrerie carolingienne La même image joue un rôle important dans un récit
hagiographique intitulé Liber miraculorum sanctae Fidis le livre des miracles
de sainte Foy plus particulièrement dans les deux premiers livres écrits au
début du siècle par Bernard Angers écolâtre de école de Chartres
En 1020 Bernard dévot fervent de sainte Foy était parti en voyage avec un
ami un écolier nommé Bernier pour aller Conques où les reliques de la
sainte se trouvaient depuis un siècle et demi après avoir été volées dans une
basilique érigée pour elles Agen46 Dans son pèlerinage Bernard avait été
frappé par abondance en Auvergne et dans la région de Toulouse de statues
or argent ou autres métaux qui hébergeaient les reliques des saints Aux
yeux des gens cultivés des gens comme lui ou son ami était vraiment de
la superstition quelque chose qui sentait le culte des dieux païens ou plutôt
des démons Il avait vu sur un autel une statue de saint Gérard couverte or et
de pierres précieuses qui paraissait regarder de ses yeux brillants les paysans
agenouillés en prière Bernard était tourné vers son ami et lui avait dit en latin
latino sermoné avec un petit sourire Mon frère que penses-tu de cette
idole Est-ce que Jupiter ou Mars auraient trouvé une telle statue indigne
eux Les seules statues il pouvait admettre explique-t-il étaient des
crucifix Les saints on avait le droit de les peindre sur un mur imagines
umbrosae coloratis parietibus deplete Mais la vénération des statues des saints
lui paraissait un abus invétéré de la part de gens ignorants et il avait dit dans
ces régions ce il pensait de la statue de saint Gérard on aurait traité comme
un criminel Trois jours après Bernard et Bernier arrivèrent Conques
image de la sainte il appelle Maj estas sanctae Fidis Majesté de Sainte-
Foy était gardée dans une salle étroite toute remplie de gens agenouillés
ayant pas la possibilité imiter leur exemple Bernard était écrié Sainte
Foy dont un fragment corporel se trouve gardé dans cette statue aide-moi
dans le jour de mon jugement En disant ces mots il regardait son ami avec
un sourire Il avait parlé avec dédain de la statue de la sainte comme si elle eût
été un simulacre de Vénus ou de Diane une idole laquelle on fait des sacri
fices Mais tout cela était du passé Maintenant grâce aux miracles de sainte
Foy dont il parlait dans son recueil Bernard comprenait son erreur Il rappor
tait histoire un nommé Uldéric qui avait parlé en dérision de la statue de
sainte Foy La nuit après la sainte était manifestée en frappant Uldéric avec
un bâton Pourquoi scélérat as-tu osé insulter mon image Bernard
concluait que la statue avait rien qui pût nuire la foi ni faire craindre que
on retombât dans les erreurs des anciens Elle avait été érigée pour honneur
de Dieu et pour garder la mémoire de la sainte47

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PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

Dans un article remarquable Society and the Supernatural Medieval


Change Peter Brown souligné que la colère et la vengeance manifestés par
sainte Foy sont pour ainsi dire envers des sentiments de justice nourris par une
communauté elle était écrit-il la lourde voix du groupe 48 Péter
Brown raison Mais les miracles de sainte Foy véhiculés par la culture orale
sont inclus dans un texte écrit dont certaines pages comme celles on vient
évoquer nous font partager au contraire une fa on presque dramatique
une attitude profondément déchirée Nous voyons abord se dessiner une série
opposition gens cultivés/paysans latin/langues vulgaires peinture
sculpture Christ-saints religion/superstition
Mais la fin du chapitre auteur nous explique il est trompé les dévo
tions des paysans pour les statues de saint Gérard et de sainte Foy ont rien de
superstitieux Il agit attitudes religieuses qui sont admises ou tolérées per-
mittantur comme on le lit dans le titre du chapitre49 Il existe donc une hiérar
chie qui est liée une double opposition culturelle et sociale toujours impli
cite dans le texte de Bernard Angers un côté opposition entre culture
écrite en latin et culture orale en langue vulgaire de autre celle entre cul
ture écrite et images50 Dans le domaine des images une nouvelle hiérarchie se
marque les statues sont considérées du point de vue de idolâtrie beaucoup
plus dangereuses que les peintures ce qui était ailleurs conforme la tradition
juive51
La statue de saint Gérard qui faisait jaillir de la bouche de Bernard une
comparaison mi-ironique mi-choquée avec des idoles de Jupiter et de Mars
est hui perdue Mais la restauration de la statue de Conques que Ber
nard avait également comparée aux idoles de Vénus et de Diane révélé que
vers la fin du xe siècle le corps en avait été adapté la tête qui est beaucoup
plus ancienne elle remonte au ive siècle ou au début du ve siècle origine il
agissait de la tête or couronnée de laurier un empereur romain divinisé
La réaction de Bernard Angers était donc pas sans justification52

La chronologie de la statue de Conques et de ses remaniements été très dis


cutée Jean Taralon qui restaurée suggéré une datation haute fin du
ixe siècle Dans le mouvement de la renaissance de la sculpture en ronde bosse
en époque pré-romane elle serait la plus ancienne statue Occident par
venue nous 53 Bernard Angers rapporte que les statues-reliquaires
des saints ou des saintes étaient très répandues dans la France du Sud Les
Vierges Enfant en majesté peuvent être considérées comme des variantes
du même type54 Cette fonction de reliquaire est loin être une donnée
marginale au contraire elle fournit vraisemblablement une justification on
dirait presque un alibi au retour la sculpture en ronde bosse55 Le fragment
du corps de sainte Foy évoqué de fa on un peu cynique par Bernard Angers
dans sa prière était le sauf-conduit qui permettait de livrer aux paysans de
Conques ce qui enveloppait la relique image de enfant martyr cette poupée
or aux yeux écarquillés au manteau incrusté de pierres précieuses
Les récits des miracles de sainte Foy rapportés par Bernard Angers mon
trent quel point imagination des fidèles était hanté par cet objet
extraordinaire image de la sainte qui attirait hostilité et les sarcasmes de
ses détracteurs se manifestait dans les visions de ses fidèles56 Les moines la

1228
GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

conduisaient en cortège pour elle prenne possession des terres données au


monastère57 Pour les gens de Conques il avait évidemment aucune diffé
rence entre image de sainte Foy et la sainte elle-même argument proposé
par Bernard Angers pour éviter le risque idolâtrie image comme aide-
mémoire ne pouvait être partagé que par une petite minorité
Les perplexités soulevées aux yeux de Bernard par image de sainte Foy
effa aient il parlait au Christ crucifié glise répand des crucifix
sculptés ou modelés remarquait-il pour susciter la mémoire de la Passion58 Et
pourtant la possibilité une perception idolâtre guettait même les images du
Christ Un peu partout en Europe de Venise Islande ou la Norvège on
trouve des images du Christ en croix ou en majesté accompagnés par des disti
ques latins comme celui-ci qui remonte au moins au xne siècle
Hoc Deus est quod imago doèet sed non Deus ips
Hane recolas sed mente colas quod cern illa
Ce que image enseigne est Dieu mais image est pas Dieu Médite
sur image mais adore en esprit ce que tu vois en elle)59
Peur des images et dévaluation des images cette attitude ambiguë traverse
tout le Moyen Age européen Mais imago autant que figura est un mot aux
significations multiples60 Un texte tiré une fois encore du Liber miraculorum
sanctaeFidis suffira donner une idée de la complexité un énorme dossier que
ai peine commencé effleurer En rapportant exemple un chevalier puni
pour son orgueil Bernard Angers écrie en adressant lui-même Tu dois
être heureux écolâtre parce que tu as vu Orgueil non en image imaginaliter)
comme tu as lu dans la Psychomachie de Prudence mais dans sa présence véri
table et corporelle presentialiter corporaliterque proprié 61 La tonalité sacra
mentelle de ce passage est sans doute involontaire donc révélatrice Depuis
longtemps imago était un mot associé vangile Umbra in lege imago in evan
gelio eritas in caelestibus avait écrit Ambroise62 Or dans le passage on
vient de citer imago évoque la fiction peut-être abstraction en tout cas une
réalité faible et appauvrie Present au contraire ce mot depuis longtemps lié
aux reliques des saints63 va désormais être associé de plus en plus Eucharistie64
opposition entre Eucharistie et reliques devint explicite dans le traité sur
les reliques de Guibert de Nogent achevé en 1125 De pignoribus sanctorum65
Guibert ne limitait pas rejeter les fausses reliques comme la prétendue
dent de lait de enfant Jésus par les moines de Saint-Médard il soulignait
aussi que la seule mémoire laissée par le Christ est Eucharistie Tout cela
amenait une dévaluation partielle et parallèle des reliques ces repr aesentata
pignora et de la synecdoque cette figure du langage qui est si chère aux igno
rants66 On voit déjà se dessiner le mouvement qui devait aboutir la proclama
tion en 1215 du dogme de la transsubstantiation
importance décisive de cet événement dans histoire de la perception des
images été remarquée déjà par autres chercheurs67 Mais les implications
en sont pas très claires Je vais essayer en formuler quelques-unes la
lumière du dossier que je viens de proposer La discontinuité profonde entre les
notions on devine derrière de kolossos grec et la notion de présence réelle
saute tout de suite aux yeux Certes il agit dans les deux cas de signes reli
gieux Mais on ne pourrait pas référer Eucharistie ce que Jean-Pierre Ver-

1229
PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

nani dit du kolossos est-à-dire que par sa fonction opératoire et efficace il


ambition établir avec au-delà un contact réel en effectuer la présence ici-
bas Selon la formulation du dogme de la transsubstantiation on ne peut pas
parler simplement de contact mais de présence au sens fort le plus fort pos
sible du mot La présence du Christ dans hostie est en effet une sur-présence
côté elle toute évocation ou manifestation du sacré reliques images
pâlit au moins au niveau théorique Dans la pratique il en va autrement.
Les hypothèses plus ou moins audacieuses qui suivent donneront une idée
des directions de ma recherche Après 1215 la peur de idolâtrie commence
faiblir On apprend apprivoiser les images en commen ant par les images
païennes Le retour illusion en sculpture ou en peinture été un des résultats
de ce tournant historique Sans ce désenchantement du monde des images on
aurait eu ni Arnolfo di Cambio ni Nicola Pisano ni Giotto
Ce mouvement un aspect sanglant La connexion entre les miracles eucha
ristiques et les persécutions des Juifs est bien connue68 On suggéré que accu
sation de sacrifice rituel lancée contre les Juifs partir de la moitié du
xme siècle projeté vers extérieur une angoisse profonde liée idée de pré
sence réelle attachée Eucharistie69 Certains éléments de la polémique anti
juive traditionnelle ont alors pris peut-être une signification nouvelle accusa
tion idolâtrie par exemple centrée sur le récit biblique du Veau or ou
accusation lancée contre eux de rester attachés au pied de la lettre dans inter
prétation de la parole de Dieu Le dogme de la transsubstantiation en niant les
données sensorielles au profit une réalité profonde et invisible sans doute
été une victoire puissante de abstraction
abstraction triomphe aussi dans la même période dans les domaines
on appelé théologie et liturgie politique Dans The two bodies les
références de Kantorowicz la notion de transsubstantiation sont assez margi
nales70 Je pense au contraire elle joué un rôle tout fait crucial dans le
développement de la notion des deux corps du roi Un texte suffira donner
une idée de cette imbrication Il agit de la description des cérémonies qui se
déroulèrent Saint-Denis occasion des obsèques du connétable Bertrand du
Guesclin 1389 Le religieux de Saint-Denis raconte dans sa chronique en
témoin oculaire que évêque Autun qui célébrait la messe il fut
arrivé offertoire quitta autel avec le roi pour rencontrer entrée du
ch ur quatre chevaliers qui exhibaient les armes du défunt pour montrer
pour ainsi dire sa présence corporelle ut quasi ejus corporalem presenciam
demonstraren! 71 Les implications eucharistiques de cette communion che
valière qui était réservée normalement aux barons et aux princes expliquent
aisément la lumière de hypothèse que je viens de suggérer est la présence
réelle concrète corporelle du Christ dans le sacrement qui aurait permis entre
la fin du xnie siècle et le début du xive siècle la cristallisation de cet objet
extraordinaire dont je suis parti ce symbole concret de abstraction de tat
effigie du roi on appelait représentation
Carlo GINZBURG
Université de Bologne LA

1230
GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

NOTES

CHART Le monde comme représentation Annales ESC 1989 pp 15


1515
St JOHN HOPE On the funeral effigies of the kings and queens of England with
special reference to those in the abbey church of Westminster Archaeologia 60 1907 pp 517-
570 HOWGRAVE-GRAHAM Royal portraits in effigy some new discoveries in Westminster
abbey The Journal of the Royal Society of Arts CI 1953 pp 465-474 que je ai pas pu lire)
SEY Le roi ne meurt jamais Paris Flammarion 1987 The royal funeral cere
mony in Renaissance France Genève 1960 je cite toujours après la traduction fran aise)
pp 127-193 qui rejette pp 130-131 une fa on convaincante hypothèse avancée par St John
Hope anticiper le premier usage du mannequin royal aux funérailles Henri III 1272 cf On
the funeral effigies pp 526-528 SEY est revenu sur la question de effigie dans un livre
récent Cérémonial et puissance souveraine France XV-XVIle siècles Paris Cahiers des
Annales 1987
LouRiE Jewish participation in royal funerary rites an early use of representation
dans Aragon Journal of thé Warburg and Courtauld Institutes 45 1982 pp 192-194
ZADOKS-JosEPHUs JiTTA Ancestral portraiture in Rome and the art of the last century
of the Republic Amsterdam 1932 90 qui renvoie GAY Glossaire archéologique du Moyen
Age et de la Renaissance II Paris 1928 297
KANTOROWICZ The two bodies study in medieval political theology Princeton
1957 trad frse Paris 1988)
GiESEY Le Roi 176
Ibid. pp 129 161
Ibid. 137
10 St JOHN HOPE On the funeral effigies pp 530-531 KANTOROWICZ The pp 419-
420 GIESEY Le roi pp 131-133 Une rumeur qui circulait époque et qui fut recueillie par cer
tains chroniqueurs contemporains) rapportait Edouard II avait été assassiné les conditions
du cadavre avaient peut-être empêché de exhiber dans le cortège funèbre Mais si on croit la
relation qui est mentionnée ni par Kantorowicz ni par Giesey écrite dans les mêmes années par
le notaire pontifical Manuele del Fiesco impossibilité exhiber le cadavre du roi aurait été
absolue Selon cette version Edouard II avait échappé de sa prison bafouant ses ennemis qui
avaient tué le concierge sa place cf GERMAIN Lettre de Manuel de Fiesque concernant les
dernières années du roi Angleterre Edouard II Montpellier 1878 NIGRA Uno degli
Edoardi in Italia favola storia La nuova Antologia IV voi XCII 1901 pp 403-425
CUTTINO et LYMAN Where is Edward II Speculum III 1958 pp 522-544 En
tout cas ces circonstances expliqueraient ni le recours au mannequin ni évidemment la survi
vance de la coutume
11 von SCHLOSSER Geschichte der Porträtbildnerei in Wachs Jahrbuch der kunsthistoris
chen Sammlungen des allerhöchsten Kaiserhauses 29 1910-1911 pp 171-258 surtout pp 202-
203
12 GIESEY Le roi 229 voir aussi pp 127-128 223-243
13 Ibid. pp 8-9
14 BiCKERMAN Die römische Kaiserapotheose Archiv für Religionswissenschaft
XXVII 1929 pp 1-34 idem. Consecratie le culte des souverains dans Empire romain
Entretiens de la Fondation Hardt XIX Vandoeuvres-Genève 1972 pp 3-25 Cf aussi
GIESEY Le roi
15 HERTZ Mélanges de sociologie religieuse et de folklore Paris 1928 pp 1-98 Autant
que je sache cet essai jamais été utilisé dans les discussions sur les funérailles royales avec une
seule exception malheureusement assez superficielle HUNTINGTON et METCALF Celebra
tions of death Cambridge 1979 159 ss sur Kantorowicz et Giesey pour la dette égard de
Hertz voir 13)

1231
PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

16 BiCKERMAN Die römische


17 HERTZ Mélanges 22
18 DUPONT autre corps de empereur-dieu Le temps de la réflexion 1986 Le
corps des dieux pp 231-252
19 GiESEY Lerai 223
20 Le passage est cité par GIESEY Le roi pp 228-229
21 Ibid. pp 226-227
22 w/. 19 relation de Pierre du Chastel)
23 Ibid. pp 253309-311
24 Ibid. 240-241
25 PizARRO Relaci del Descubrimiento Conquista de los Reinos del Per éd par
LOHMANN VILLENA Lima 1978 pp 89-90 cité par CONRAD et DEMAREST Thé
Dynamics of Aztec and Inca Expansionism Cambridge 1984 pp 112-113 ce texte été
signalé par Aaron Segal que je remercie chaleureusement Voir aussi Relaci pp 51-52
26 Ibid. 113 cité presque la lettre)
27 GIESEY Le roi 276 ss
28 ai analysé un problème semblable dans mon livre Storia notturna Una decifrazione del
sabba Turin 1989 pp 197-198 205 où on peut trouver les références Bloch et Lévi-Strauss)
29 DUPONT autre corps pp 240-241
30 MAUSS Une catégorie de esprit humain la notion de personne celle de moi dans
le recueil du même auteur Anthropologie et sociologie Paris 1960 pp 352-353 avec des renvois
précis CICERON Pro Cluentio 72 et la Table de Lyon de empereur Claude Voir aussi
RAMBAUD Masques et imagines Essai sur certains usages funéraires de Afrique Noire et de la
Rome ancienne Les études classiques XLVI 1978 pp 3-21 surtout pp 12-13 Dans oppo
sition formulée par Florence DUPONT Un homme romain un nom qui le signifie arbitrairement
... il aura peut-être sa mort une imago qui conservera son empreinte est-à-dire lui-même
autre corps 242) le premier terme me paraît anachronique le second partiel
31 ZADOKS-JosEPHUs JITTA Ancestral portraiture pp 97-110 où on démontre inexistence
du prétendus ius imaginum supposé par Mommsen)
32 BICKERMAN Die römische pp 6-7 DUPONT autre corps 240 On burial clubs
cf HOPKINS Death and renewal Cambridge 1983 211 où funus imaginarium est traduit
par imaginary body)
33 CHANTRAINE Grec koloss Bulletin de Institut fran ais archéologie orientale
XXX 1931 pp 449-452
34 BENVENISTE Le sens du mot koloss et les noms grecs de la statue Revue de Philo
logie de Littérature et Histoire anciennes 3e série 1931 pp 118-135 surtout pp 118-119
La discussion est poursuivie avec les interventions parmi autres de Ch PICARD Le cénotaphe
de Midéa et les colosses de Meneias ibid. 3e série VII 1933 pp 341-354 SERVAIS
Les suppliants dans la loi sacrée de Cyrène Bulletin de correspondance hellénique 84
1960 pp 112-147 très utile mise au point DUCAT Fonctions de la statue dans la Grèce
archaïque kouros et koloss ibid. 100 1976 pp 239-251
35 La même remarque été déjà faite dans un autre contexte par BROWN cf. dark age
crisis aspects of the iconoclastic controversy dans le recueil du même auteur Society and the holy
in late Antiquity Berkeley-Los Angeles 1982 261
36 GoMBRiCH Meditations on hobby horse Londres 1963 pp 1-11 essai qui
donne le titre au recueil date de 1951 voir surtout portrayal of horse Surely not
substitute for forse Yes That it is Perhaps there is more in this formula than meets the eye
the clay horse or servant buried in the tomb of the mighty takes the place of the living
We may sum up the moral of this just so story by saying that substitution may precede
portrayal and creation communication The change is implicit in the emergence of the
ideal of the image as representation in our modern sense of the word Sur le rapport avec
Art and illusion Londres 1960 cf Meditations XI

1232
GINZBURG LE MOT ID LA CHOSE

37 PoMiAN Collectionneurs amateurs et curieux Paris 1978 pp 15-59 Entre invi


sible et le visible la collection Le passage cité se trouve la 32
38 J.-P VERNANT Mythe et pensée chez les Grecs tudes de psychologie historique Paris
1966 pp 251-264 Figuration de invisible et catégorie psychologique du double le
colossos
39 Ibid. pp 255-256 264
40 DUPONT autre corps pp 234-235 237
41 GuYON La vente des tombes travers épigraphie de la Rome chrétienne Mélanges
archéologie et histoire Antiquité 86 1974 594 cité par BROWN Le culte des saints
son essor et sa fonction dans la chrétienté latine trad frse Aline Rousselle Paris ditions du
Cerf 1984 164 The cult of the saints Chicago 1982 133 16)
42 Ibid. pp 3-4
43 BELTING Bild und Kult Munich 1990
44 cet égard il faut partir du remarquable dossier rassemblé par FREEDBERG The power
of images Chicago 1989 le côté théorique du livre est au contraire assez décevant Le livre de
CAMILLE Thegothic idol Cambridge 1989 exhibe quelques idées stimulantes et beaucoup de
platitudes ouvrage est souillé par toutes sortes erreurs Il presque pas de citation latine
qui ne soit exempte de coquilles ou pire cf par exemple 21 contra ydolatrium pp 21-
22 ydola(ris fecit homo où il faut lire ydola fecit homo 221 The statue made
by the hands of the Egyptians however is labeled not ydola but imaginez ce dernier mot
trahissant une connaissance moins élémentaire de la langue latine et de la paléographie il faut
lire Egyptii fecerunt ymaginem 227 depincting the bishop blessing ymaginis nete
marie 228 bishop blessing an ymaginis nete mari 229 The image in
intima sacello etc
45 SEZNEC La survivance des dieux antiques Londres 1940 dont il faut voir la traduction
italienne La sopravvivenza degli antichi dei Turin 1980) précédée par une importante introduc
tion de Settis SAXL Lectures Londres 1957 PANOFSKY Renaissance and renascesses
Stockholm 1965
46 Liber miraculorum nete Fidis publié après le manuscrit de la Bibliothèque de Schles-
tatt par abbé BOUILLET Paris 1897 introduction
47 Ibid. pp 46-49
48 BROWN Society and the holy pp 302-332 voir surtout pp 318-321 330)
49 Voilà le titre complet Quod sanctorum statuae propter invincibilem ingenitamque io-
tarum consuetudinem fieri permittantur presertim cum nichil ob id de religione depereat et de
coelesti vindicta
50 STOCK The implication of literacy Princeton 1983 pp 64-72 qui donne un important
commentaire du chapitre de Bernard
51 BiCKERMAN Sur la théologie de art figuratif propos de ouvrage de
Goodenough Studies in Jewish and Christian history III Leyde 1986 248
52 Sur tout cela cf excellent article de TARALON La majesté or de Sainte-Foy du
trésor de Conques Revue de Art 40-41 1978 pp 9-22 surtout 16 DAHL Heavenly
images The statue of St Foy of Conques and the signification of the medieval cult in the West
Acta ad archaeologiam et artium historiam pertinentia VIII 1978 pp 175-191 WIRTH
Limage médiévale Paris 1989 pp 171-194
53 Ibid. 19
54 FORSYTH The throne of Wisdom Princeton 1972
55 WIRTH La représentation de image dans art du Haut Moyen Age Revue de
Art 1988 15
56 Liber miraculorum pp 9-10 18 49-51
57 Ibid. pp 40-41
58 Ibid. 47

1233
PRATIQUES DE LA REPR SENTATION

59 Cf le bel article de BUGGE Effigiem Christi qui transis semper honora Verses
condemning the cult of sacred images in art and literature Acta ad archaeologiam et artium his
toriam pertinentia VI 1975 pp 127-139 ai corrigé la traduction
60 DURIG Imago Ein Beitrag zur Terminologie und Theologie der Römischen Liturgie
Munich 1952 DAUT Imago Untersuchungen zum Bildbegriff der Römer Heidelbert 1975
AUERBACH Figura dans le recueil du même auteur Scenes from the Drama of European
literature New York 1959 pp 11-76
61 Liber miraculorum cité 26 BOUILLET et SERVIERES Sainte Foy vierge et martyre
Rodez 1900 458 donnent la traduction suivante non dans abstraction mais substantielle
ment incarné dans un corps aussi STOCK Thé implications 69 qui traduit not in an image
... but genuinely present in substance
62 Ambroise In psalmum 38 25 PL 14 1051-1052) cité par de LUBAC Corpus mys-
ticum Paris 1949 218 voir aussi ibid. 217 ss)
63 DAHL Heavenly images 191
64 de LUBAC Corpus my sticum 275
65 STOCK The implications 244 ss
66 PL 156 631 cité par STOCK The implications 250 Voir aussi GEISELMANN Die
Stellung des Guibert de Nagent Theologische Quartalschrift 110 1929 pp 67-84 279-305
67 CAMILLE The gothic idol 217
68 BROWN Die Hostienschändungen der Juden im Mittelalter Römische Quartalschrift
für christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte 34 1926 pp 167-197 id. Die
eucharistische Verwandlunswunder des Mittelalters ibid. 37 1929 pp 137-169
69 LEVI dalla TORRE II delitto eucaristico Immediati dintorni 1987 pp 308-321
COHEN The friars and the Jews The evolution of medieval anti-judaism Ithaca 1982 Voir
maintenant LANGMUIR Thé tortures of the body of Christ conférence Christendom and its
discontents Los Angeles LA 24-26 janvier 1991 inédit)
70 KANTOROWICZ The two bodies pp 196-206 traduction fran aise Les deux
corps du roi Essai sur la théologie politique au Moyen Age Gallimard 1989)
71 Chronique du religieux de Saint-Denys Paris 1839 600 je reviendrai prochainement
sur ce texte Le religieux de Saint-Denis mourut entre 1430 et 1435 cf. NORDBERG Les
sources bourguignonnes des accusations portées contre la mémoire de Louis Orléans Annales
de Bourgogne XXXI 1959 pp 81-98

1234

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