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Colin, Ambroise. Cours élémentaire de droit civil français, par Ambroise Colin et H. Capitant.

Ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques (Prix


Chevallier). 6e édition. 1930.

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COURS ÉLÉMENTAIRE

DE

DROIT CIVIL FRANÇAIS


COURS ÉLÉMENTAIRE

DE

CIVIL
DROIT FRANÇAIS

PAR

COLIN H. CAPITANT
AMBROISE
CONSEILLERA LA COUR DE CASSATION
PROFESSEUR HONORAIRE PROFESSEUR DE DROIT CIVIL
A LA FACULTÉDE DROIT DE PARIS A LA FACULTÉ DE DROIT DE PARIS

Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques


(PRIX CHEVALLIER)

TOME PREMIER

CONFORME AU PROGRAMME DE PREMIÈRE ANNÉE

Sixième Édition.

PARIS

LIBRAIRI E DALLOZ

11, RUE SOUFFLOT, 11

19 30
AVANT-PROPOS

(DEUXIÈME ÉDITION)

Ce premier volume d'un ouvrage composé et la


publié, pour
plus grande partie, au cours de la guerre, avait à la veille de
paru
l'ouverture des hostilités. Ainsi le intervalle
s'explique long qui,
malgré l'indulgente faveur avec laquelle elle avait été accueillie,
sépare la première édition de la deuxième. s'en est fallu de
Il peu
que celle-ci ne fût presque indéfiniment Tant de soucis
ajournée.
poignants nous Tant de difficultés matérielles
absorbaient ! s'op-
posent aujourd'hui à l'impression d'un volume de de mille
plus
pages! Nous avons cru les du
cependant que suffrages public, que
les encouragements de l'Institut, de nos des Facultés
collègues
et de la nous dictaient le devoir de roidir notre
magistrature
volonté contre les obstacles, et à notre oeuvre les cor-
d'apporter
rections et les améliorations nécessaires. Bientôt peut-être, cet
instrument de travail, quelque superflu qu'il paraisse à l'heure

actuelle, ne sera pas sans utilité pour notre jeunesse intellec-


tuelle. Jeunesse sublime, sauve le Droit, et qui te
qui aujourd'hui
remettras à l'étudier demain, après sa victoire, ce fruit de notre

effort sera toi le modeste témoignage de notre tendresse et


pour
de notre admiration !
Le présent volume a été, bien entendu, et suivant la formule

usuelle, courant des de la législation et de la


mis au changements
Nous fait une certaine aux lois
Jurisprudence. y avons place de la
guerre. Place succincte et étroitement mesurée. Il ne peut s'agir,
dans un livre élémentaire, à grands traits et par
que d'indiquer
de brèves notations les lient ça et là ces do-
quelques rapports qui
cuments de caractère et circonstanciel, au
législatifs, éphémère
corps doctrinal de notre Droit civil; et on ne peut évidemment

s'attendre à trouver ici la solution des problèmes d'application,


souvent soulève cette Nous ren-
ardus, que législation spéciale.
voyons les lecteurs qu'ils préoccupent aux travaux particuliers
VI AVANT-PROPOS

ont suscités, notamment aux exposés si complets e


qu'ils déjà

parfois si remarquables de la Jurisprudence Générale Dalloz

(4e partie), ainsi qu'aux chroniques sagaces et pénétrantes pu,


bliées par notre ami, M. Albert Wahl, dans la Revue trimestrielle

du Droit civil.
Est-il besoin de dire que toute notre reconnaissance va aux

lecteurs qui, pour notre profit et celui du ont bien voulu


public,
nous signaler diverses imperfections, erreurs ou lacunes de notre

première édition ? A ces collaborateurs, souvent éminents par


le savoir et par la. situation, et
toujours compétents judicieux,
revient, s'il existe, tout le mérite de cette publication.

20 septembre 1918.
EXTRAIT DE L'AVANT-PROPOS

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

On nous croira sans peine lorsque nous dirons qu'en pu-


bliant un Cours nouveau de Droit Civil français, nous n'avons pas
la prétention de mieux que nos éminents devanciers. Pour
faire
ne parler que des livres élémentaires, et parmi ceux-ci, des plus
qui pourrait se flatter, à l'heure actuelle, de
récents, surpasser
ou même de retrouver les qualités d'érudition, de finesse, de lumi-

neux bon sens qui ont valu au Traité de M. Planiol, parmi les
étudiants comme auprès du grand public, une si durable et si

légitime popularité ?

Nous avons pensé cependant que, dans la littérature du Droit

civil, il y avait place encore pour un livre qui procéderait, avant

inspiration et méthode proprement pédago-


tout, d'une d'une
giques. Offrir aux étudiants de tout âge et de tout ordre un Traité

qui, répondant aux promesses de son titre, soit véritablement


un cours, telle a été en effet notre principale ambition. C'est

pourquoi, laissant de côté les développements de détail, les re-


cherches de curiosité, nous nous sommes efforcés constamment
de mettre en lumière les en leur rattachant, une
principes, par
trame aussi forte que possible, les applications de la loi positive
et Nous redouté le
de la pratique jurisprudentielle. n'avons pas
reproche de dogmatisme, ni l'inconvénient des catégories tran-

chées, des divisions rigides, à arêtes un peu dures. Ce n'est pas


que nous ignorions tout ce qu'une telle manière peut, en face des
nuances fuyantes de la vie, offrir d'un peu
parfois arbitraire,
voire même Mais c'est celle constitue, en somme,
d'artificiel. qui
la celle et
méthode classique, c'est-à-dire qui répond répondra
toujours le mieux aux exigences de l'enseignement.

Faut-il nous excuser en outre d'avoir donné une place im-

portante à la critique législative, à la discussion des lé-


règles
gales et des solutions interprétatives, au raisonnement juridique
en un mot? être taxés de tendances
Dussions-nous rétrogrades,
VIII AVANT-PROPOS

nous ne la description, la compa-


pensons pas que l'observation,
raison des d'ordre puissent suffire à for-
phénomènes juridique
mer la à l'étude et à l'application des lois. Nos Facultés
jeunesse
nous faites élever des jurisconsultes autant et
paraissent pour

plus que des sociologues. On nous pardonnera sans doute, peut-


être même nous gré d'avoir essayé, avant
d'aucuns sauront-ils
tout, d'y contribuer.
Nous avons toujours d'être clairs, mais non pas de
tâché
cette clarté décevante qu'on obtient sans peine en esquivant les

difficultés. Ni l'art ni la science du Droit ne sont choses faciles.

Nous avertissons nos jeunes lecteurs que l'étude de ce livre ne


les affranchira du travail de la réflexion, ni de la
pas personnel
tâche indispensable consiste à avoir sous les et à médi-
qui yeux
ter le texte des écrites dont constitue
dispositions l'exégèse encore,
quoi qu'on fasse, la base de l'enseignement du Droit civil.

Enfin, on remarquera sans la considérable


peine place que,
dans cette oeuvre de doctrine, nous avons donnée à la Jurispru-
dence. Nous avons constamment d'en la for-
essayé exposer
mation, actuel et, au la critique, d'une manière
l'état besoin,
exacte, et profitable non seulement aux étudiants mais encore aux

praticiens qui nous feront l'honneur de nous consulter.


INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

GÉNÉRALITÉS

— et 1.
§ 1. Définitions terminologie générale

La première tâche qui s'impose à toute science est de fixer sa termino-


logie. S'il n'est pas entièrement exact de dire que « toute science n'est
qu'une langue bien faite », les définitions présentent dans les sciences
morales une importance particulière, puisque l'un des buts essentiels
qu'elles doivent se proposer consiste à traduire par des mots, des idées
qui sont, elles-mêmes, la représentation des réalités2.

Le Droit et les droits. — Le mot droit être dans trois


peut pris accep-
tions différentes :
1° Il désigne d'abord l'ensemble des préceptes, règles ou lois qui gou-
vernent l'activité humaine dans la société et dont l'observation est sanc-
tionnée au besoin par la contrainte sociale, autrement dit par la force
publique. Ce corps de préceptes porte le nom de Droit (avec un grand D).
Certains jurisconsultes modernes y ajoutent l'épithète d'objectif. Le Droit
objectif dans les sociétés modernes est, en général, unique pour tous les
individus où sujets d'une même communauté politique. C'est ainsi, par

1. Sur toutes les matières générales, consulter: Capitant, Introduction à


l'étude du Droit civil, 4°. éd., 1923; Demogue, Les notions fondamentales du
Droit privé, 1911; Ch. Beudant, Le Droit individuel et l'Etat, 1891 ; Gény, Science
et technique du Droit privé positif, 4 vol., 1914-1924 ; Duguit, Traité de Droit
Constitutionnel, t. 1er La règle du Droit, 1921; Gaston May, Introduction à la
Science du Droit, 2° éd. 1925; Cosentini, La réforme de la législation civile, 1913,
et la bibliographie indiquée à la suite de chaque chapitre; Lévy-Ullmann, Elé-
ments d'introduction générale à l'étude des Sciences juridiques, I. La définition
du Droit, 1917; Bonnecase, Introduction à l'étude du Droit, 1926.
2. V. Gény. La technique législative dans la codification civile moderne. Le
Code civil, livre du Centenaire, 1804-1904, t. 1er, p. 993.
INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
2

dira : le Droit le Droit allemand, le Droit ita-


exemple, qu'on français,
lien, etc.. ;
2° Le mot droits un d et au pluriel) désigne les facultés ou
(avec petit
à un individu et dont il peut se prévaloir à l'é-
prérogatives appartenant
de ses semblables dans l'exercice de son activité. Chaque genre de
gard
faculté ou constitue un droit déterminé, par exemple le droit
prérogative
de propriété, le droit de puissance Entendu dans ce sens, le mot
paternelle.
suivant de « un pouvoir de l'indi-
droit désigne, l'expression Savigny,
vidu » ; on l'appelle parfois droit subjectif, par opposition au Droit ob-

jectif défini plus haut. Les droits subjectifs ne peuvent d'ailleurs s'exercer

que sous le contrôle du Droit objectif grâce à la définition qu'il en fournit


et au concours qu'il leur prête.
On doit donc concevoir tout droit comme un
pouvoir de commandement.
Mais tout commandement chez les uns suppose l'obéissance chez les
autres. Par exemple, le droit de créance ne se conçoit que moyennant
l'obligation imposée à un débiteur d'accomplir telle ou telle prestation au
profit du créancier. Le droit de propriété sous-entend l'obligation pesant
sur tous les autres hommes de respecter l'usage et la" jouissance exclusifs
tirés par le propriétaire de la chose sur laquelle porte son droit de pro-
priété. Or, ces devoirs, ces obligations ont besoin d'être sanctionnés, c'est-
à-dire imposés au besoin par la force sociale que peut, seul, mettre en
mouvement un précepte du Droit objectif.
3° Dans une troisième acception enfin, le Droit la science,
désigne
qui porte sur le Droit en général et, en particulier, sur les droits
l'étude
qu'il établit. C'est ainsi qu'on dit: la Faculté de droit, des livres de droit,
un étudiant en droit.

Le Droit et la — Pour nous en tenir à la des trois


Morale 1. première
définitions qui précèdent, le Droit apparaît comme offrant avec la Morale
ou Ethique tout à la fois des ressemblances et des différences essentielles.
Le but de la Morale et du Droit est au fond le même : c'est la recherche
du bonheur, lequel ne peut exister pour l'homme que moyennant un équi-
libre établi d'une manière stable et permanente entre les diverses person-
nalités humaines. Le domaine du Droit et de la Morale paraît aussi se con-
fondre, puisqu'ils se proposent, l'un et l'autre, de fixer un ensemble de
règles destinées à gouverner l'activité de chacun de nous.
Mais, suivant la formule célèbre et maintes fois citée de Bentham, le
Droit et la Morale, s'ils ont le même centre, n'ont la même
pas circonfé-
rence. Autrement dit, leurs sphères d'action diffèrent essen-
respectives
tiellement. Celle de la Morale est étendue. En effet,
singulièrement plus
outre les règles de son activité ou devoirs envers ses semblables, elle pro-
pose à l'homme des devoirs envers lui-même et, dans les théistes,
systèmes
des devoirs envers Dieu. De ces trois de devoirs,
groupes le Droit, qui ne
vise que l'activité sociale de la personne, reste aux deux derniers.
étranger

1. Georges Ripert, La règle morale dans les obligations 1925.


civiles,
GÉNÉRALITÉS 3

nos devoirs envers les autres


Et, même parmi hommes, il en est que la
Morale commande et non le parce impliquent un de
Droit, qu'ils degré
psychique qui est rarement atteint, par exemple, les devoirs
perfection
d'assistance et de sacrifice. Or, — et ceci nous conduit à la seconde et
différence entre la Morale et le Droit — celui-ci ne peut com-
principale
prendre que des préceptes accessibles au commun, à la moyenne des
hommes, précisément parce qu'il est le
Droit, parce qu'il doit pouvoir
s'imposer au besoin par la force. La morale, au contraire, est illimitée
dans son essor parce que, dans ses différents systèmes, elle ne comporte
que des sanctions psychologiques ou religieuses.

Droit et Droit —
positif naturel 1. que nous l'avons
Tel défini, le Droit
est essentiellement positif, c'est-à-dire posé, établi par une loi écrite ou par
une coutume, et dans tous les cas obligatoire. Il aboutit à des ordres ou
dispositions. C'est en ce sens que Portalis a pu écrire : « Les lois sont des
volontés 2. » Le Droit naturel est celui que nous concevons, en dehors de
tout précepte écrit ou coutumier, comme dérivant de la nature et de la rai-
son. Son étude rentrerait plutôt dans le domaine de la Philosophie du Droit.
La conception du
Droit naturel mérite qu'on s'y arrête parce que, très
florissante au XVIIIe siècle, elle a exercé sur l'élaboration de notre
Code
civil une influence incontestable. L'article 1er du Livre préliminaire de ce
Code, tel que l'avait rédigé la Commission de l'an VIII, portait : « Il existe
un Droit universel, immuable, source de toutes les lois ; il n'est
positives
que la raison naturelle en tant qu'elle gouverne tous les hommes 3. » Ce texte,
qui d'ailleurs disparut dans la rédaction définitive du Code civil, met en
lumière l'idée du Droit naturel telle que le concevaient nos pères de 1804
et telle qu'elle ressort clairement de maint passage des travaux prépara-
toires de notre Code, celle d'un corps de règles antérieures et supérieures
à tout droit
positif et dont la loi écrite aurait pour tâche de se rapprocher
aussi exactement que possible, étant d'autant plus parfaite qu'elle ressem-
blerait plus fidèlement à ce modèle. Cette idée, à son tour, s'harmonise à
merveille avec les doctrines de Rousseau, inspiratrices de la génération
révolutionnaire, lesquelles représentent l'homme comme investi, par le
seul fait de sa naissance, de droits inhérents à sa personnalité, identiques
dans tous lestemps et sous tous les climats, et ne supportant d'autres
limitations que celles qu'il a consenties lui-même dans le pacte social, sous
•certaines conditions et en vue de certains avantages déterminés. Mais,
depuis cette époque, la notion du Droit naturel est tombée dans un pro-

1. V. Charmont, La renaissance du Droit naturel ; Saleilles, Ecole historique


et Droit naturel. Rev. tri m. de Droit civil, 1902, p. 80; Georges Renard, Le Droit,
la Justice et la Volonté, 1924.
2. Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. VI, p. 43.
Fenet,
3. Un texte de la même époque, qui est toujours en vigueur, l'article 7 du Code
civil autrichien de 1811, décide que, lorsque la loi est muette et ne contient aucune
disposition qu'on puisse appliquer par analogie à la question qu'il s'agit de résoudre,
cette question doit être tranchée par les principes du Droit naturel. Cela revient
à dire que le juge doit statuer en équité.
INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
4

l'arbitraire et l'incertitude des


fond discrédit. On lui ajustement reproché
un Droit
s'il de la nature,
solutions auxquelles elle conduit. De fait,y avait
sur chaque matière, à pro-
doué d'une existence propre, il devrait y avoir
détail de l'activité humaine, une règle établie par le Droit
pos de chaque
comme il yen a une, ou implicite dans la législation posi-
naturel, expresse
Cette du Droit naturel, il suffirait de la découvrir. Mais, comme
tive. règle
la recherchent sont différents entre eux de culture, de tendances
ceux qui
et il adviendra qu'ils varieront
et d'opinions philosophiques politiques,
et qu'il en définitive, autant de Droits
aussi dans leurs déductions, y aura,
d'individus. Ensuite, et surtout, comment expliquer, s'il existe
naturels que
uniforme de les lois humaines aient été si
un archétype législation, que
variables « depuis six mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent »,

soient encoreaujourd'hui si diverses, suivant les différents


qu'elles
enfin et toujours, on ressente le besoin de les réfor-
peuples, que, partout
mer et de les perfectionner? Ce prétendu Droit de la nature et de la raison

donc indiscernable ? N'est-il simple de dire qu'il n'y a


serait-il pas plus
en dehors de celui à tous par la volonté du légis-
pas de Droit qui s'impose
lateur, c'est-à-dire du Droit positif?
Une telle conclusion nous à nous, exagérée, et nous
paraîtrait, quant
sommes loin de ressentir à l'égard du Droit naturel le dédain excessif
Le tout est de bien s'entendre sur sa
avec lequel on l'a traité trop souvent.
définition et sur son fondement. Si l'élaboration des lois, c'est-à-dire du

Droit est un fait contingent et dépendant de la volonté humaine,


positif,
l'existence d'une société politique, que ces lois doivent régir, pour qu'elle
vivre et se développer, au contraire, comme un fait naturel.
puisse apparaît,
Dès lors, on constatera l'existence d'un ensemble de règles ou idées direc-
le législateur doit s'ins-
trices (en très petit nombre) dont, rationnellement,
dans l'élaboration du Droit positif, pour que celui-ci soit conforme
pirer
aux besoins et aux tendances de cette société dans son état actuel. Cet

ensemble d'idées très et très simples, c'est le Droit naturel. On


générales
s'explique donc très bien que les législations positives diffèrent sensible-
ment les unes des autres suivant le tempérament des diverses commu-
nautés politiques contemporaines. Néanmoins, à un même état de civilisa-

tion, les législations, quant aux moyens employés pour le


divergentes
mettre en oeuvre, seront, toutes, l'expression d'un même Droit naturel.
Si l'on conçoit de cette façon le Droit naturel, il est donc vrai de dire,
avec les auteurs du Code civil, qu'il est universel. En revanche, il serait
inexact de
le présenter comme immuable. Il est en eflet, tout au contraire,
essentiellement variable et progressif. Le Droit naturel des peuples mo-
dernes diffère profondément de celui des peuples de l'antiquité. Et celui des
sociétés de l'avenir ne différera pas moins du nôtre.

Le Droit naturel et les — sous cet


Codes français. Envisagée aspect,
la notion du Droit naturel se dégage de l'histoire et de l'observation des
faits sociaux. Et il devient possible de déterminer scientifiquement les élé-
ments du Droit naturel correspondant à un stade déterminé de l'évolution
GÉNÉRALITÉS 5

humaine. Dans les sociétés les plus anciennes, le Droit se confond avec la
et la philosophie générale. Il aspire
à réaliser la destinée humaine
religion
tout entière, à gouverner les croyances comme les actes, les âmes comme
les corps. Il sacrifie la personne humaine à l'État, ou plus généralement au
dont l'individu fait partie et en qui réside à la fois toute puissance
groupe
et temporelle. Plus tard, l'individu s'émancipe peu à peu de cette
spirituelle
double contrainte. Il y est aidé par la lutte qui se poursuit, durant tout le

Moyen Age, entre les deux pouvoirs, confondus jadis dans la Cité Antique,
désormais distincts rivaux, et l'Eglise et l'Empire. L'individu, dont la di-
rection était l'enjeu de la lutte, se libère de plus en plus, d'abord dès le
XVIe siècle, grâce à la Réforme, de l'autorité religieuse, puis, avec les ré-
volutions politiques du XVIIe et du XVIIIe siècles, de l'autorité laïque. La
fin du XVIIIe siècle voit triompher en France les conceptions individua-
listes qui constituent ce qu'on appelle les idées modernes et qui, formulées
d'une manière éloquente par la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen de 1789, constituent le Droit naturel des législateurs révolution-
naires et des auteurs de nos codes. On peut les résumer ainsi :
1° La personne humaine est la fin du Droit. Le but d'une législation
positive est d'assurer et de favoriser le développement des facultés phy-
siques, intellectuelles et morales de l'individu, en vue de sa dignité et de
son bonheur. Et le rôle de l'Etat doit se borner à protéger contre toute
atteinte extérieure ou intérieure la réalisation de cette tâche.
2e L'individu a le choix comme la responsabilité des moyens par les-

quels se développera sa personnalité en quête du bonheur. C'est le prin-


cipe de la liberté civile ou de l'autonomie de la volonté individuelle, que
limite seulement l'obligation pour chacun de ne pas nuire au développe-
ment parallèle des autres individus et aux droits de l'Etat, garant com-
mun des libertés individuelles.
3° Enfin, la discipline sociale, organisée en vue du but précédemment
indiqué, doit être l'oeuvre des volontés individuelles appelées à se confor-
mer à la loi. C'est le principe de la liberté politique, qu'on peut définir : la
participation des sujets du Droit, sous une forme ou sous une autre, à
l'élaboration de ce Droit.
C'est sous
l'empire de ces idées, constituant le Droit naturel moderne,
qu'a vécu la Communauté française depuis plus d'un siècle ; ce sont elles
qui ont présidé à la rédaction et à l'application de nos Codes. Mais, tout
en leur rendant l'hommage légitime qui leur est dû, il ne faudrait pas les
considérer comme immuables et les investir d'un empire éternel à l'abri
de toute modification. Rien n'est fixe dans la nature. La marche, le pro-
grès du Droit ne s'arrêtent jamais. Depuis longtemps, des concepts nou-
veaux ont grandi, parmi lesquels une notion surtout tend à acquérir une
influence chaque jour grandissante. C'est celle de la solidarité. L'individu
ne développe pleinement toutes ses facultés que grâce au
personnelles
concours souvent inaperçu mais toujours indispensable de la communauté
à laquelle il appartient et envers laquelle il contracte, dès lors, une obli-
galion, celle de consentir, au besoin, les sacrifices nécessaires pour que
6 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

le même office au des autres individus Cette


l'Etat puisse remplir profit
notion du Droit social conduit à élargir, de plus en plus, la sphère
qui
de l'Etat, surtout en vue de la protection des faibles et du
d'intervention
des est, dans une certaine mesure, en
redressement inégalités naturelles,
contradiction avec le droit individuel consacré par la Révolution française
mais elle est en même trop con-
et par les Codes qui en sont issus, temps
forme à sentiment de la justice et aux tendances de plus en plus
notre
démocratiques de notre société pour que nous ne la croyions pas appelée,
sinon à renouveler de fond en comble, du moins à élargir considérable-

ment notre Droit naturel moderne et, par là, notre Droit positif.
Un achèvera de marquer le caractère variable du Droit
exemple pratique
naturel. On a maintes fois observé le Code civil français de 1804 n'a
que
vraiment d'une manière et détaillée que l'organisation de
réglé complète
la famille et la du c'est-à-dire de la richesse ac-
protection patrimoine,
quise, en un mot, le Droit bourgeois. Il a sensiblement négligé l'organisa-
tion du travail qu'il considère comme une marchandise, au point de ne
voir dans le contrat qui lie le salarié à l'employeur qu'une simple variété
du louage. Ce point de vue, pendant une bonne partie du XIXe siècle, a pu
ne pas paraître en contradiction avec le Droit naturel. Mais notre société

a, depuis, subi des transformations profondes. Le développement de la

grande industrie et de la classe du prolétariat, c'est-à-dire de ceux qui n'ont


ni patrimoine, ni souvent même, en réalité, de famille, a fait clairement

apparaître les lacunes de la législation civile. Il a fallu combler ces lacunes

par de nouvelles lois. De là une série nouvelle de règles,, de là toute une

législation en voie de formation, la législation ouvrière et sociale dont on

peut dire qu'elle correspond à une catégorie nouvelle du Droit naturel.

Le Droit est-il une science ou un art ? — Les constatations qui pre-


cèdent nous fournissent la réponse à une question souvent débattue. Quelle
est laplace du Droit (suivant la
acception troisième
du mot) dans une
classification générale des sciences ? Et encore, car les deux questions sont
étroitement liées, le Droit, envisagé comme un corps d'études systéma-
tiques, est-il une science ou un art? Questions que l'on ne peut résoudre
sans rappeler quelles différences existent entre l'art et la science. La
Science, on le sait, est la connaissance méthodique des lois de la nature ;
chaque science en particulier, c'est la connaissance d'un groupe spécial de
ces lois, de celles qui se réfèrent à un ordre déterminé de phénomènes. Un art,
au contraire, c'est un ensemble de procédés combinés en vue d'atteindre un
résultat beau ou utile.
Ceci posé, nous dirons que le Droit peut être envisagé, tout à la fois,
comme une science et comme
Il constitue un art. branche de la une science,
science générale dénommée en tant qu'il de l'observation
Sociologie, dégage,
des faits, grâce au concours des sciences, ses auxiliaires, l'histoire et l'éco-
nomie politique, la connaissance des besoins sociaux, en tant aussi qu'il
cherche, dans l'étude et la comparaison des législations l'indica-
positives,
tion des aspirations de la conscience juridique universelle et des moyens
GÉNÉRALITÉS 7

elle se réalise. Et le Droit est également un soit qu'il procède.


par lesquels art,
à la combinaison technique des procédés juridiques destinés à satisfaire à
ces besoins ou à ces aspirations (art législatif), soit qu'il fasse l'application
des préceptes formulés par la législation existante pour résoudre les pro-
blèmes et les difficultés concrètes de la vie juridique (art jurisprudentiel) 1.

Divisions du Droit positif. — Le Droit positif, le seul que l'on en-


dans nos de Droit, se divise de la manière suivante :
seigne Facultés
On distingue, d'abord le Droit national et le Droit international.
Le Droit international est celui qui régit les
rapports des nations entre
elles. On le dit Droit international public (appelé aussi quelquefois Droit des

gens) Ou Droit international privé, selon qu'il met ou ne met pas en jeu des
intérêts politiques. Le Droit national, au contraire, est celui qui ne régit
qu'une nation déterminée.
Le Droit national, tour, à son
se divise en Droit public et Droit privé.
A. — Le Droit public est celui qui règle la constitution de l'Etat et ses
rapports avec les individus, ses sujets. Il comprend notamment :
le Droit constitutionnel, qui se réfère à l'organisation générale de l'Etat ;
le Droit administratif , qui règle l'exercice des diverses fonctions de
l'État et, en particulier, la gestion de ses intérêts dans ses rapports avec
les particuliers ;
le Droit pénal ou criminel, qui établit et mesure la répression des at-
teintes apportées par les infractions des particuliers à la tranquillité et au
bon ordre, que l'Etat a pour fonction essentielle d'assurer et de garantir.
— Le Droit national est celui
B. privé (Droit privé s'entend) qui orga-
nise les rapports entre particuliers, entre citoyens d'un même Etat.
On l'appelle plus spécialement Droit civil quand il réglemente les
rapports de famille et les rapports patrimoniaux qui se forment entre les
individus envisagés en général (en tant que membres de la cité, d'où

l'épithète de civil, c'est-à-dire abstraction faite de l'exercice par eux de


telle ou telle profession). Certaines branches du Droit privé qui concernent
spécialement les rapports juridiques ayant leur source dans le commerce,
l'industrie, l'agriculture, etc., portent les noms de Droit commercial, Droit
maritime, Droit industriel, Droit rural, Enfin, etc..
les moyens à employer
pour obtenir l'application du Droit privé, en cas de litige, font l'objet de
la Procédure civile. Au fond, le Droit commercial, le Droit maritime, le
Droit industriel ou ouvrier, la Procédure civile sont des rameaux déta-
chés, ou, comme on dit, des filiales du Droit civil. Celui-ci constitue le
Droit commun, applicable à tous les individus dans leurs rapports privés.
C'est lui qui fournit les solutions à appliquer dans toutes les hypothèses
en vue desquelles il n'a pas été statué différemment par une disposition
de droit exceptionnel. C'est là une des raisons, entre beaucoup d'autres,
qui explique l'importance attachée à l'étude du Droit civil et la place pré-

1. Certains écrivains contemporains emploient plus volontiers, au lieu du mot art.


l'expression de politique (politique législative, politique juridique). Nous croyons,
que ce mot, plus ambitieux et plus sonore, n'exprime pas autre chose que le précédent
8 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

occupera toujours dans le programme de nos Facultés.


pondérante qu'il
une dernière indication à cette nomenclature. On appelle Droit
Ajoutons
ou patrimonial la partie du Droit privé qui règle les rap-
privé économique
des hommes au point de vue de leurs intérêts pécuniaires. Le Droit
ports
économique ne comprend qu'une partie du Droit civil, car un grand
privé
nombre de dispositions de ce Droit, celles qui ont trait notamment à l'orga-
nisation de la famille, à la nationalité, à la protection des incapables, etc ..
sont étrangères aux intérêts patrimoniaux des individus ou, du moins, n'y
touchent qu'indirectement.

Dispositions impératives et dispositions déclaratives ou supplé-


tives. — En dehors de celles découlent de leur définition même, il importe
qui
de signaler entre et le Droit
le Droit
public privé une différence essentielle.
On peut la formuler de la manière suivante : Les règles ou lois établies

par le Droit public sont toujours impératives. Il en est de même de celles


du Droit civil qui ont pour objet les rapports de famille, l'état des indivi-

dus, la protection des incapables. Mais, dans le Droit privé économique


ou patrimonial, on trouve un grand nombre de prescriptions qui sont

simplement supplétives ou déclaratives. Cette formule peut paraître bizarre,


étant donné que la loi, commandement adressé aux citoyens par le légis-
lateur, semble devoir toujours présenter un caractère impératif. Il importe
donc de l'expliquer aussitôt.
Nous verrons qu'une partie importante du Droit civil économique con-
siste à régler l'élaboration des actes juridiques, c'est-à-dire des manifesta-
tions de la volonté des citoyens dans leurs rapports les uns avec les autres,
en vue de créer entre eux des droits et des obligations, ou de les trans-
former et de les éteindre. En effet — c'est là une conséquence du principe
de la liberté civile — la loi laisse, en principe, aux personnes intéressées la
liberté de se placer, les unes par rapport aux autres, dans telle ou telle
situation juridique déterminée, c'est-à-dire devenir créanciers, débiteurs,
propriétaires, etc... et cela par des manifestations de leur volonté dont
elles règlent, comme elles l'entendent, les conséquences, en concluant des
accords ou contrats et en déterminant quels droits, quelles obligations en
découleront pour l'un et pour l'autre des contractants. Elle leur reconnaît
aussi le droit de régler par testament la dévolution de leurs biens pour le

temps qui suivra leur mort. En somme, il appartient à chacun de protéger


et de défendre ses intérêts pécuniaires comme il l'entend, de se ménager,
à son gré, tel droit, c'est-à-dire telle faculté ou prérogative à l'égard d'au-
trui qui y consent, ou inversement d'assumer, au profit d'autrui, telle ou
telle obligation. Ainsi, les rapports juridiques patrimoniaux des individus,
leurs droits et leurs obligations respectives sont, en principe, l'oeuvre de
leur volonté autonome. Le Droit privé positif se contente d'assurer l'obser-
vation de cette volonté, en tant qu'elle réunit les conditions qu'il juge né-
cessaires pour que la force sociale soit mise à sa disposition 1.

t. Le Code civil proclame à maintes reprises ce principe de l'autonomie de la vo-


lonté (V. art. 537, 1134, 1156, 1387, etc.).
GÉNÉRALITÉS 9

Et cependant, on trouve dans la loi un grand nombre de


dispositions
les conditions et les effets des actes juridiques en général, et spé-
réglant
cialement, ceux des contrats
plus usuels. les
Citons, dans le Code civil, la

plupart des articles (1101 à 1369) consacrés à la théorie générale des obli-
conventionnelles, tous ceux aussi que le Code consacre à tel ou tel
gations
contrat usuel, par exemple, les textes relatifs à la vente (art. 1582 à 1701) ou
au louage (art. 1708 à 1831). Quelle est donc la portée de ces dispositions
et comment leur existence se concilie-t-elle avec le principe de l'autonomie
de la volonté ? Nous aurons répondu à celte question en disant que la plu-
sont ou
part de ces dispositions supplétives déclaratives, c'est-à-dire qu'elles
déterminent les conséquences des actes juridiques envisagés, uniquement
pour le cas où les parties intéressées ne les auraient pas prévues elles-
mêmes et réglées d'une manière différente. Cette hypothèse est d'ailleurs
celle qui se présente en fait le plus fréquemment. Quand deux personnes
concluent un
contrat, il est infiniment rare qu'elles en prévoient et règlent
en détail tous les effets juridiques. Elles se contentent presque toujours de
se mettre d'accord sur les points principaux, par exemple, s'il s'agit d'une
vente, sur la chose vendue, sur le prix, sur la date du paiement. Pour le

surplus, elles s'en remettent aux dispositions établies par le législateur


pour ce contrat. On comprend dès lors pourquoi nous avons appelé ces dis-

positions supplétives ou déclaratives. Elles ne statuent de telle ou telle façon


que parce que le législateur a supposé que la volonté dé l'individu se serait

prononcée dans ce sens si elle avait été exprimée, elles ne font donc que
suppléer à l'expression de la volonté libre de l'individu, déclarer celle vo-
lonté inexprimée mais sous-entendue. Cette supposition, cette présomp-
tion pourront d 'ailleurs être librement écartées par une déclaration de
volonté expresse en sens contraire. Exemple : l'article 1754 du Code civil
au Titre du louage, nous dit que le locataire d'un immeuble doit faire
faire à ses frais certaines réparations dites locatives. C'est là la règle qui
s'appliquera à défaut de bail écrit ou à défaut de clause du bail visant les

réparations. Mais rien n'empêche que, dans leur bail, les deux contrac-

tants, propriétaire et locataire, ne décident, au contraire, que nulle répa-


ration ne sera à la charge de l'occupant, ou bien encore que celui-ci devra

supporter non seulement les réparations locatives mais encore les grosses

réparations. En un mot, comme on l'a dit, dans les textes du genre de l'ar-
ticle 1754 du Code civil, le législateur « n'impose pas, il propose ». Au

contraire, les dispositions du droit public « imposent » toujours ; il n'est


pas permis d'y déroger.
Cependant, il faudrait se garder de croire que toutes les dispositions du
Droit patrimonial présentent un caractère simplement supplétif. Nous avons
dit au contraire, que certaines ont une portée impérative absolue, c'est-à-
dire s'imposent à la volonté des particuliers qui ne peuvent en écarter l'ap-
plication. Il en sera ainsilorsqu'il s'agit d'une règle dont la violation ne

compromettrait pas seulement un


particulier, intérêt mais porterait atteinte
à l'intérêt général en détruisant l'harmonie économique et l'équilibre social
tels que le législateur les a conçus. Ces dispositions intangibles, parmi

DROIT. — Tome I. 1
10 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

on citer celles concernent le régime de la propriété fon-


lesquelles peut qui
sont celles l'article 6 du Code civil désigne sous le nom de
cière, que
« lois l'ordre elles bonnes moeurs et dont le même
qui intéressent public "
texte nous dit qu' « on ne peut y déroger par des conventions particu-
lières ». Elles se rattachent dans une certaine mesure, par leur caractère

aux dispositions de Droit public.


rigoureusement impératif,
à les concer-
Le problème qui consiste déterminer, parmi dispositions
nant les actes sont celles qui cette caté-rentrent dans
juridiques, quelles
est souvent délicat
assez et peut donner lieu à bien des divergences
gorie
le soin de s'ex-
d'appréciation. Il est vrai que le législateur prend parfois
lui-même sur le point qui nous occupe en écrivant telle ou telle
pliquer
Par exemple, il ajoute ces mots, « à peine de nullité » au texte
disposition.
il prescrit telle ou telle condition de fond ou de forme à propos
par lequel
d'un acte déterminé 1. Mais malheureusement, il ne prend pas toujours
cette précaution utile 2.

— Sources du Droit civil.


§ 2.

Nous bornant désormais à l'étude du Droit civil français, nous avons à


résoudre tout d'abord une question fondamentale, celle des sources de ce
Droit. En d'autres termes, où le trouve-t-on formulé?
Deux catégories de sources doivent être
distinguées. Les sources législa-
tives, d'abord, comprenant la loi et la coutume ; en second lieu, à titre secon-
daire et comme
complément des premières, les sources d'interprétation,
c'est-à-dire la Doctrine et la Jurisprudence.
Nons nous occuperons successivement :

I. — Des sources législatives.


— De de ces sources.
II. l'interprétation

I. — Sources législatives,
— La Loi et la Coutume. — Le mot de

loi a plusieurs sens. Dans son acception purement philosophique, la loi


est un rapport permanent entre certains phénomènes. Dans l'ordre juri-
dique l'expression de loi désigne, lato sensu, toute règle obligatoire (c'est
dira la loi du contrat). Plus spécialement — et c'est dans ce
ainsi qu'on
— une une ou
sens que nous emploierons le mot dorénavant loi, c'est règle
disposition obligatoire pour les citoyens, édictée par l'autorité souveraine,

1. La législation ouvrière la plus récente ne comporte guère que des dispositions


impératives. Par exemple, la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités des
accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, contient in fine un ar-
ticle 30 ainsi conçu : « Toute convention contraire à la présente loi est nulle de droit. »
2. A la classification des lois en lois impératives d'une part, et en lois supplétives
ou déclaratives de l'autre, certains interprètes ajoutent une troisième catégorie,
celle des lois dispositives. On appelle ainsi celles qui se réfèrent à des situations
dans lesquelles la volonté ne joue aucun rôle et où il y a un conflit d'intérêts privés
entre personnes n'ayant pas contracté ensemble, conflit astreignant le législateur à
se prononcer en faveur de celui de ces intérêts qui lui parait le plus digne de pro-
tection. Par exemple, on peut supposer qu'une personne ait acheté de bonne foi un
objet volé à une autre. A qui restera cet objet? L'art. 2279, qui se prononce en fa-
veur de l'acheteur de bonne foi, est une loi dispositive.
GÉNÉRALITÉS 11

dans son application. Le caractère de généralité dans l'appli-


et générale
cation est essentiel et, dans une saine terminologie, différencie la loi pro-
dite On appellera de ce dernier nom les règles
prement de l' acte législatif.
émanant du pouvoir législatif mais destinées à ne s'appliquer qu'à un
cas particulier. Par exemple, la loi autorisant une congrégation, un em-

départemental ou communal, celle qui récompense accorde une


prunt
nationale à un citoyen pour services rendus à la patrie, ne sont en dépit
du nom par lequel on les désigne, que des actes législatifs et non des lois.
L'ensemble des lois, au sens propre du mot, peut être désigné sous le
nom de Droit écrit.
La Coutume, ou Droit non écrit, désigne l'ensemble des règles juri-
diques qui n'ont pas été imposées par le pouvoir législatif, mais qui sont
spontanément issues des besoins et desusages de la vie sociale. La cou-
tume s'impose par l'habitude, par la tradition. Elle peut se trouver relatée
soit dans des enquêtes judiciaires, soit dans les décisions des tribunaux,
soit dans les écrits des jurisconsultes.

1° Les lois écrites. — Les lois constituant les sources du Droi


écrites,
positif français, ne se trouvent pas seulement dans le Code civil. Elles

peuvent se répartir en quatre groupes suivant l'ordre chonologique,


A. — L'ancien Droit.
B. — Le Droit intermédiaire.
C. — Le Code civil.
D. — Les lois nouvelles ou postérieures au Code civil.

A. — L'ancien Droit. — On entend ancien Droit, le Droit anté-


par
rieur à la Révolution française 1.
En ce qui concerne le Droit civil, les dispositions de l'ancien Droit ne
sont évidemment plus en vigueur aujourd'hui, depuis
l'apparition du Code
civil. Et la loi du 30 ventôse an XII, qui en a promulgué l'édition défini-
tive, contient, dans son article 7, une formule générale d'abrogation de
tout le Droit antérévolutionnaire. « A compter du jour où ces lois sont exé-
cutoires, les lois les
romaines, ordonnances, les coutumes générales ou lo-
cales, les statuts, les règlements cessent d'avoir force de loi générale ou par-

ticulière dans les matières qui sont l'objet desdites lois composant le présent
Code. » Il semblerait donc, à première vue, que l'étude de cette ancienne
législation soit dépourvue d'intérêt pour la connaissance du Droit civil

1. Brissaud, Manuel d'histoire du Droit privé, Paris, 1908; Esmein, Cours


élémentaire d'histoire du Droit français, 11e édit., 1912 ; Viollet, Histoire du Droit
civil français, 3e édit. 1905; Tardif, Histoire des sources du Droit canonique, 1887 ;
Chénon, Histoire générale du Droit français public et privé, t. 1er, 1926 ; Olivier
Martin, Histoire de la Coutume de la prévôte et vicomte de Paris, t. ler, 1922. —
Pour les sources mêmes et Coutumes : Bourdot de Richebourg, Coutumier géné-
ral, 4 v., 1724 ; Ordonnances. Isambert, Recueil général des anciennes lois fran-
çaises, 29 v., 1827; Jurisprudence : Denisart, Collection de décisions nouvelles, 1771,
3 v. et Nouveau Denisart, 9 v., 1790; Louet, Recueil d'arrêts du Parlement de
Paris, édition de 1712 avec notes de Brodeau.
12 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

positif et ne relève que de l'histoire. n'en est rien cependant.


moderne Il
Et tout d'abord, en effet, on pourrait, en cherchant bien, trouver cer-
taines dispositions de l'ancien Droit qui soient demeurées en vigueur et
restent applicables encore de nos
jours. Il suffit, pour s'en convaincre, de
remarquer que l'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII n'abroge les règles
de l'ancien Droit que dans les matières faisant l'objet du Code civil de 1804.
Or celui-ci, malgré son extrême compréhension, n'a
pas pu ne pas omettre
certains ordres de questions. Si l'ancien Droit contenait des dispositions
concernant les matières ainsi omises, elles seraient donc encore en vigueur,
en tant du moins qu'elles ne se trouveraient pas en contradiction avec
quelque disposition du Code ou avec l'esprit général de la loi moderne.
De plus et surtout, même dans les matières où il a cessé d'être en vi-
gueur (c'est-à-dire sur la plupart des points), l'ancien Droit à
conserve,
défaut de force législative, une valeur doctrinale considérable. C'est la
source à laquelle ont le plus souvent puisé les rédacteurs du Code civil,
praticiens imbus des traditions de l'ancienne Jurisprudence se sont
qu'ils
contentés très souvent de condenser en formules plus concises. Pour bien
saisir donc non seulement la filiation historique des règles modernes,
mais même, dans bien des cas, leur portée pratique actuelle, les sources
de l'ancien Droit restent hautement intéressantes à consulter.
Enfin, bien desquestions se présentent dans les matières faisant l'objet
du Code civil, qui n'ont pas été tranchées par lui, et pour les résoudre, la
Doctrine et surtout la Jurisprudence s'inspirent des règles adoptées par
nos anciens auteurs, de la pratique suivie par les Parlements et les tribu-
naux qui en dépendaient.
Ceci dit, il suffira de tracer une
esquisse sommaire des monuments lé-
gislatifs de l'ancien Droit, dont l'étude fait plus de
spécialement l'objet
l'enseignement de l' Histoire du Droit.
Le Droit privé de la Monarchie n'était
française pas, à la veille de la Ré-
volution, uniforme il l'est de nos jours au point de vue de l'appli-
comme
cation territoriale. Le Royaume se divisait en deux régions, correspon-
dant, en gros, à peu près au Nord et au Midi, les pays de Coutumes et les
pays de Droit écrit.
Les pays de coutume étaient en général situés au Nord de la Loire. Plus
exactement, la ligne de séparation allait des environs de Genève à l'em-
bouchure de la Charente. Mais ce n'était une droite
pas ligne ; elle s'inflé-
chissait au Sud vers et l'Angoumois. Les pays de coutume
l'Auvergne étaient
ainsi nommés parce que le Droit ils étaient
par lequel régis trouvait son
origine dans les anciennes coutumes, lesquelles pendant des siècles,
n'avaient pas été rédigées par écrit. Ces coutumes procédaient, en général,
pour leur plus grande partie au moins, du Droit en
germanique, apporté
Gaule par les envahisseurs barbares, au Ve et au VIe siècles
après Jésus-
Christ. Elles différaient d'ailleurs suivant les régions et, souvent, au moins
pour certains détails, variaient même de bourgade à bourgade.
Les pays de Droit écrit comprenaient les régions du Midi, où naguère la
domination romaine s'était le plus fortement
implantée. L'Alsace vint plus
GÉNÉRALITÉS 13

lard ajouter. Le Droit civil applicable dans Cette vaste


s'y contrée, quant
aux matières, était romain, le Droit
qualifié écrit, de Droit
principales
que, à la différence des anciennes coutumes, le Droit romain se trou-
parce
vait consigné dans des monuments écrits. Ces monuments, depuis l'époque
où la connaissance du Droit byzantin avait pénétré en France, c'est-à-
dire depuis les XIIe et XIIIe siècles, étaient les recueils de Justinien, em-
d'Orient composant le Corpus juris civilis : Institutes, Pandectes,
pereur
Code et Novelles.
I1 importe d'ailleurs de remarquer aussitôt que ces an-
appellations
ciennes de Droit écrit et de Droit coutumier, si on s'y réfère à la veille de
la Révolution, étaient depuis longtemps devenues inexactes et qu'elles
constituaient même, dans une certaine mesure, le contrepied de la réalité.
D'une part, le Droit romain ou écrit n'était applicable en France, région
où la domination de Justinien et de ses successeurs n'avait jamais péné-
tré, qu'à titre de raison écrite, c'est à-dire, en somme, de coutume générale
et en l'absence de règles contraires édictées par les coutumes locales que
l'on rencontrait en grand nombre même dans la région du Midi. Et inver-
sement, depuis le XVe et surtout le XVIe
siècles, le Droit coutumier du Nord
s'était transformé en un véritable droit écrit grâce à la rédaction des cou-
tumes. Prescrite pour tout le royaume par l'ordonnance de Montil-les-Tours
de 1453, la rédaction officielle des coutumes s'était effectuée surtout sous
les règnes de Louis XII et de
François Ier. Il s'était formé ainsi de véri-
tables Codes partiels, et locaux de Droit privé, dont les plus importants
(telles les coutumes de Paris et d'Orléans) furent ensuite l'objet d'une revi-
sion destinée à les compléter et à les
perfectionner. Ajoutons qu'il y avait
d'importantes matières du Droit privé que les coutumes des pays coutu-
miers ne réglaient pas et dans lesquelles ils empruntaient les solutions du
Droit romain, par exemple, la matière des Obligations.
A côté de cette double source législative, Droit écrit, Droit coutumier,
l'ancien Droit en comptait d'autres encore, au nombre de deux, différentes
des précédentes, en ce qu'elles étaient non pas locales, mais générales,
c'est-à-dire applicables à tout le royaume. C'était d'abord le Droit canon
ou ecclésiastique, qui réglait matières certaines
aujourd'hui gouvernées
par le Code civil, par exemple, la législation du Mariage. C'était, en second
lieu, les Ordonnances royales, dont les moins importantes portaient le nom
d'Edits et de Déclarations. Les ordonnances, moins nombreuses et moins
importantes dans le domaine du Droit civil que sur les autres matières,
telles que l'Administration, le Commerce, la Procédure civile et criminelle,
n'en constituaient pas moins, sur bien des points, de véritables petits
Codes partiels, précurseurs du Code civil de 1804 ; telles étaient, par
exemple, les ordonnances préparées au XVIIIe siècle par les soins du Chan-
celier d'Aguesseau et relatives aux Donations (février 1731), aux Testa-
ments (août 1735), aux Substitutions (août 1747) 1.

1. On peut encore considérer comme des sources législatives les arrêts de règle-
ment rendus par les Parlements, lesquels différaient en ceci des arrêts des juri-
dictions modernes et des arrêts non réglementaires des Parlements eux-mêmes,
14 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

la caractéristique de l'Ancien c'est la diversité.


Ainsi, Droit,
il y avait simultanéité de lé-
Ajoutons que si, au point de vue territorial,
du il y avait
diverses suivant les différentes régions royaume,
gislations
suivant la sociale à la-
aussi diversité du Droit applicable catégorie
individus. C'est ainsi relativement à l'orga-
quelle appartenaient les que,
nisation de la propriété les terres nobles n'étaient pas placées
foncière,
mêmes les terres roturières. Les successions
sous l'empire des règles que
nobles n'étaient pas dévolues suivant le même système que les successions
durant les trois derniers siècles de la
ordinaires. Ici encore, onpouvait,
à l'unification et à la formation, sous l'in-
monarchie, noter une tendance
et de la littérature d'un droit com-
fluence de la Jurisprudence juridique,
des de classe et d'origine.
mun, applicable indépendamment particularités

— Le Droit intermédiaire. — On entend par Droit intermédiaire


B.
les différentes assemblées révolutionnaires dans la
les lois élaborées sous
entre la réunion de l'Assemblée Constituante et la mise
période comprise
en vigueur des Codes La Révolution avait, en ce qui con-
napoléoniens.
le Droit l'ancienne des rois de France et décidé
cerne civil, repris pensée
l'unité en attendant que cette tâche gigan-
de réaliser législative. Mais,
comme l'ancien Droit restait provisoirement en vi-
tesque pût aboutir,
et
gueur, elle dut parer au plus pressé en modifiant, par des lois spéciales
les points de notre Droit être le plus
fragmentaires, privé qui paraissaient
avec les nouvelles et avec l'idéal social
en désaccord conceptions politiques
nombre de lois dont
vers lequel elle s'orientait. De là, un certain civiles,
fort importantes. Deux choses sont à noter sur l'ensemble
quelques-unes,
de la législation intermédiaire.
si on les soumet à une critique, les lois civiles de
D'abord, appréciation
la Révolution ont une valeur très Les unes sont des monuments
inégale.
de sagesse et, en même temps, de technique législative. Nous
remarquables
dans cet ordre d'idées, la fameuse loi du 11 brumaire an VII, sur
citerons,
le D'autres, au contraire, simples lois de combat,
régime hypothécaire.
n'ont eu fortune et ont promptement nécessité des
qu'une éphémère,
rectifications. Telle fut, par exemple, la loi an II, relative aux
du 17 nivôse
successions, dont les dispositions avaient pour but principal de favoriser,

à l'excès, la division des fortunes, et par là, les progrès de la démocratie.


En second lieu, au point de vue de leur application actuelle, les lois ré-
volutionnaires ne doivent pas être confondues avec les dispositions de

l'ancien Droit. Ces dernières seules font l'objet de la formule d'abrogation


expresse contenue dans l'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII.
globale
Les lois des Assemblées révolutionnaires n'ont été, au contraire, atteintes,
lors de la mise en vigueur du Code civil, que par l'abrogation tacite dont
toute législation nouvelle frappe implicitement les dispositions anciennes
avec lesquelles elle se met en contradiction. Donc, lorsqu'ils ne sont pas

qu'ils ne constituaient pas seulement une jurisprudence mais faisaient loi pour
l'avenir, chaque fois qu'il se présentait une question semblable à celle qu'ils avaient
résolue. L'article 5 du Code civil a enlevé aux juges ce pouvoir,
GÉNÉRALITÉS 15

en opposition avec les lois plus récentes, les textes de la période intermé-
diaire restent encore applicables aujourd'hui 1.

C. — Le Code civil. — Sa rédaction. — Nous arrivons au Code civil


de 1804, le plus important et le plus ancien des cinq Codes napoléoniens.
vu que, dès la période de monarchie, le Droit
On a l'ancienne français
tendait déjà vers l'unité législative. La codification d'ensemble des lois pri-
vées était réclamée par tous les esprits éclairés, comme devant mettre le
sceau définitif à l'unité nationale. L'Assemblée Constituante ne fit que dé-
férer à ce voeu général en insérant dans l'article 19 de la loi du 16 août
1790 sur l'organisation judiciaire, puis dans la Constitution du 3 septembre
1791, titre premier, la disposition suivante : « Il sera fait un Code de lois
civiles communes à tout le royaume.
» Mais, malgré sa prodigieuse acti-
vité, cette grande assemblée ne put réaliser son projet. Et l'Assemblée Lé-
gislative ne fut pas plus heureuse. Elle se contenta de rédiger une adresse
par laquelle elle appelait tous les citoyens et même les étrangers à lui
communiquer leurs vues relatives à la formation d'un Code.
La Convention reprit
l'idée. Une commission, dont le jurisconsulte Cam-
bacérès était présenta
l'âme, lui successivement deux projets, l'un en date
du 9 août 1793, l'autre du 23 fructidor an II. Sous la Constitution de l'an III,
un nouveau projet, élaboré encore par Cambacérès, fut déposé devant le
Conseil des Cinq Cents le 24 prairial an IV. Pour des raisons diverses,
aucun de ces Codes ne put être adopté. Tous d'ailleurs avaient le double
inconvénient d'être exagérément concis et de rompre violemment avec les
traditions juridiques de l'ancienne France. Au lendemain du coup d'Etat
du 18 brumaire enfin, un quatrième projet, hâtivement rédigé par le re-
présentant Jacqueminot, aussi, être
dut, luiabandonné. C'est seulement
après la mise en vigueur de la Constitution de l'an VIII que le gouverne-
ment consulaire devait, grâce à une cinquième tentative qui, cette fois, fut
heureuse, doter la France du Code civil qui la régit encore aujourd'hui.
C'est, pour employer une expression actuelle, une commission extrapar-
lementaire qui fut chargée de rédiger le projet. Instituée par un arrêté des
Consuls du 24 thermidor an VIII, cette commission était composée de
quatre membres, Tronchet, Portalis, Bigot-Préameneu et Maleville. Tous
étaient magistrats, et trois sur quatre appartenaient au tribunal de cassa
tion. Pour comprendre les incidents de l'oeuvre entreprise, il est indis-
pensable de faire connaître sommairement le mécanisme législatif qui avait
été établi par la constitution consulaire de l'an VIII, la plus compliquée de
celles que la France ait jamais connues.
D'après cette constitution, l'initiative des lois appartenait au gouverne-
ment seul. Les projets devaient ensuite subir le contrôle de quatre assem-
blées délibérantes.
La première était le Conseil d'Etat, composé de membres nommés par

1. Il n'existe pas, et cela est regrettable, d'ouvrage général consacré au Droit


intermédiaire. Mais il a fait l'objet d'études spéciales dont la plus complète est l'ou-
vrage de M. Sagnac, La législation civile de la Révolution française, 1398.
INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
16

et dans le sein la loi devait être préparée et discutée


les consuls duquel
article par article.
le projet devait être soumis au Tribunal. Ce corps émet-
En second lieu,
voeu ou de en sans avoir le pouvoir d'intro-
tait un d'adoption rejet bloc,
duire des amendements.
On allait ensuite devant une troisième assemblée, correspondant d'assez

à notre Chambre des actuelle, le Corps législatif. A cette


loin députés
de Sieyès, le véritable auteur de la constitu-
assemblée, l'esprit original
conféré des attributions et une méthode de travail tout
tion, avait imposé
à fait extraordinaires et seule peut expliquer une pensée de réaction
que
contre les excès du révolutionnaire. Le Corps
violente parlementarisme
devait voter ou les lois sans discussion et au scrutin
législatif repousser
d'où le surnom d'Assemblée de muets qu'il reçut de l'opinion. Les
secret,
la parole devant le Corps n'en faisaient pas par-
seuls qui eussent législatif
tie. En effet, l'assemblée fonctionnait à l'instar d'un tribunal, et le rôle

d'avocat, pour et, au besoin, contre la loi, était tenu par une commission

de trois conseillers d'Etat et une autre de trois tribuns. Après des plaido-
ries contradictoires ou non, le Corps législatif décidait.
à la assemblée, le Sénat conservateur, son rôle lé-
Quant quatrième
consistait à annuler, sur un référé des
tribuns, les lois ou autres
gislatif
actes contraires à la constitution. A cet effet, il était établi que la loi

votée au devenait exécutoire seulement après un délai


Corps législatif
de dix lequel les tribuns avaient le temps d'introduire
jours pendant
leur référé.
Telle était la filière par laquelle devait passer le Code civil. La Commis

sion de rédaction avait préparé les textes en quatre mois seulement et les

avait en trente-six projets de loi. Vu leur importance, les projets


répartis
furent communiqués au tribunal de cassation et aux tribunaux d'appel
ainsi faire entendre leurs observations. C'est ensuite que le
qui purent
entier arriva au Conseil d'Etat qui le discuta à fond, d'abord dans
projet
sa section de législation, puis dans ses assemblées générales, toujours
soit par le Premier Consul en personne, soit par le Consul
présidées
Cambacérès. Bonaparte prit plus d'une fois part à la discussion et, bien
ne faille pas s'exagérer rôle son que l'adulation officielle devait plus
qu'il
tard il n'est pas douteux que son influence personnelle fit
magnifier,
beaucoup pour la rapidité du travail et qu'elle pesa souvent sur les déci-
sions adoptées.
Restait à faire voter le projet. Un incident fâcheux, dû, en grande par-
tic, aux vices de la constitution de l'an VIII, faillit faire échouer, comme
les précédentes, cette cinquième tentative de codification. Le premier des

trente-six projets constituant le Code, ayant été présenté au Corps législa-


tif, fut rejeté en bloc sur l'avis du Tribunal. Cet échec dans lequel on a
voulu voir la dernière victoire de « l'esprit philosophique » sur l'esprit ju-
ridique 1, tenait d'abord à l'esprit d'opposition des tribuns qui comptaient

1. Sagnac, op, cit., p. 392.


GÉNÉRALITÉS 17

dans leurs rangs des hommes, tels


qu'Andrieux, Chénier, Ginguené, Ben-
passionnément hostiles à la personne et au gouvernement
jamin Constant,
du Premier Consul. Mais il était dû surtout à ce fait que les tribuns, tout
en ayant, de par la constitution, le droit de proposer le rejet en bloc des
de loi, n'avaient pas celui de proposer des amendements, pas
propositions
celui d'en
plus que le Corps législatif adopter spontanément. Dès lors, il
d'autre de repousser uu article
n'y avait pas moyen jugé inacceptable que
de rejeter à la fois le projet tout entier. De ces deux causes d'insuccès,
du Tribunat,
la première disparut par l'épuration que le sénatus-consulte
du 16 thermidor an X réduisit de cent à cinquante membres, et dont il
élimina les
opposants les plus irréductibles. Et la seconde fut écartée grâce
à une transaction parlementaire ingénieuse. Il fut arrêté en effet que le
ferait précéder la communication officielle des projets aux
gouvernement
tribuns d'une communication officieuse, à la suite de laquelle ceux-ci pour-
raient communiquer leurs observations, et se mettre d'accord avec le
Conseil d'Etat pour les corrections à apporter. De la
sorte, la commu-
nication officielle devenait une pure formalité. L'oeuvre à accomplir fut
dès lors très rapidement poussée. Les trente-six lois proposées furent en
effet délibérées et votées entre 1800 et 1804. Enfin, la loi du 30 ventôse
an XII (21 mars 1804) décida qu'elles seraient réunies en un corps unique
qui prendrait le titre de Code civil des Français. C'est encore le nom qu'il

porte aujourd'hui, après avoir à deux reprises (loi du 3 septembre 1807,


décret du 27 mars 1852) reçu, pour quelque temps, celui de Code Napo-
léon, nom sous lequel on le désigne encore, en général, à l'étranger 1.

et du Code civil. — Si on l'examine au


Description appréciation
point de vue de sa structure extérieure, le Code civil comprend trois livres
divisés chacun en plusieurs titres, lesquels se partagent, à leur tour, en
composés parfois de plusieurs sections. A chaque division cor-
chapitres
respond une rubrique. Avant le premier livre, on rencontre un titre préli-
minaire comprenant les six premiers n'y articles.
a dans tout Il le Code
qu'une seule de numéros
série (Loi du 30 ventôse an XII, art. 5). L'ordre
de ces numéros ne correspond point d'ailleurs toujours à l'ordre chrono-

logique dans lequel ils ont été votés. Pour nous en tenir à un exemple,
l'article 1064 fait partie d'une loi votée avant celle qui contient l'article 524,
bien que ces deux textes traitent de matières absolument connexes.
Sur la valeur intrinsèque du Code civil on a beaucoup discuté. Il a eu
des admirateurs passionnés. Napoléon a dit qu'il était son plus beau titre
de gloire. Puis, aux apologistes presque superstitieux des premiers jours,
ont succédé des détracteurs divers qu'on peut répartir en deux groupes.

1. Les travaux préparatoires du Code civil ont été réunis dans deux recueils
considérables : Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil,
1827-1828, 15 vol., et Locré, Législation civile, criminelle et commerciale de la
France, 1827-1832, 31 vol. Ce dernier recueil contient, outre le Code civil (16 pre-
miers volumes), les travaux préparatoires des autres Codes napoléoniens. — Adde :
Portalis. Discours, rapports et travaux sur le Code civil, publiés par son petit-
fils en 1845.
18 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

de toute codification. Certains


Le premier est celui des adversaires
est un de mort et d'immobilité
esprits estiment que la codification principe
du Droit. Telle fut la thèse soutenue surtout en Allemagne par l'é-
naguère
l'école
cole dite « historique » et par son illustre chef Savigny 1. Aux Codes,
la coutume, bien préférable, prétendait-elle, parce
historique opposait
suivre pas à pas les pro-
qu'elle est
plus souple, plus ductile, qu'elle peut
s'il est vrai que la coutume offre cer-
grès de la conscience juridique. Mais,
évidemment balancer les inconvénients no-
tains avantages, ils ne peuvent
l'incertitude de la loi non écrite, son absence ordinaire
toires, l'arbitraire,
comme écrit de cognoscibililé Il suffira de remarquer
de clarté ou, Bentham,
société considérait la rédaction d'un Code civil
que l'ancienne française
un inestimable bienfait. Les de ses politiques et de ses
comme plus grands
s'étaient attachés à préparer cette oeuvre que la Révolution
juristes grande
seule a pu réaliser. de nos jours, où règne un Droit coutumier
Et, partout
ou seulement, un Droit non
unitaire, le progrès juridique réside dans la co-
l'Al-
dification. Nous avons vu, pour ne parler que des pays germaniques,
donner comme couronnement à l'oeuvre de son unité la rédaction
lemagne
de son Code civil de 1896, entré en vigueur en 1900 ; la Suisse, qui avait déjà
en 1881 son Code fédéral des Obligations, a confié à l'un de
promulgué
ses savants les plus illustres, M. le Professeur Huber, le soin de préparer

un Code civil fédéral dont le texte est entré en vigueur le ler janvier 1912,
et qui apparaît aux yeux des connaisseurs comme l'une des oeuvres légis-
latives les plus remarquables de ce temps Les Anglo-Saxons d'Angleterre
et des Etats-Unis 2 sont encore, à la vérité, régis par la Common Laic, c'est-

à-dire une masse non coordonnée d'anciens statuts dont plusieurs re-
par
montent à des siècles, se contredisent les uns les autres et dont
parfois
qui
le juge ne sait avec certitude s'ils sont demeurés en vigueur
pas toujours
ou s'ils doivent être regardés comme périmés. Cet état de choses est loin
d'être considéré comme réalisant la perfection par les esprits éclairés
et d'Amérique. Et, en tous cas, ces pays sont au nombre de
d'Angleterre
ceux où la justice est la plus lente, la plus compliquée et la plus coûteuse 3.

On a fait au Code civil un autre ordre de reproches qui ne sont pas


On l'a taxé d'excessive timidité. Depuis les tribuns de 1804
plus justifiés.
avocats et aux journalistes du Comité prive formé en 1866 pour
jusqu'aux

1. Les idées de Savigny se trouvent exprimées surtout dans son opuscule maintes
fois cité : Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechlswissenschaft,
dont la première édition parut en 1314. Il les a reproduites ensuite à plusieurs
reprises, soit dans son System des römischen Rechts, soit dans sa revue Zeit-
schrift für geschichtliche Rechtswissenschaft.
2. Certains des Etats américains, comme la Louisiane, ont d'ailleurs déjà un
Code civil.
3. Les Anglais ont déjà montré, par les codifications auxquelles ils ont procédé
dans l'Inde, qu'ils apprécient facilement les avantages de cette consolidation du
droit et il ne paraît plus douteux qu'ils ne la réalisent un jour dans leur propre
pays. V. Glasson, La codification en Europe au XIXe siècle, Rev. pol. et parl.,
1894, p. 201 et 402, 1895, p. 198 ; Alvarez, Une nouvelle conception des éludes ju-
ridiques et de la codification du Droit civil, 1904 ; Roguin, Observations sur la
codification de lois civiles, 1896.
GÉNÉRALITÉS 19

en préparer la ceux se sont élevés contre le


refonte 1, nombreux, sont qui
caractère routinier et terre à terre des conceptions du Code civil, cette
« compilation sans méthode, sans sans idéal », ce « de
unité, Digeste
législation arriérée » qui n'est
pas chose, autre tran-
dit-on, qu'une plate
saction entre les principes de l'ancien Droit et ceux du Droit intermédiaire,
une combinaison à tendances généralement réactionnaires des diverses lé-
gislations connues et appliquées par les praticiens de la fin du XVIIIe siècle,
Droit romain, Droit coutumier, ordonnances royales, Droit canon. De tels
reproches peuvent, en réalité, être considérés comme des La loi,
éloges.
faite pour la moyenne des hommes, doit correspondre à la moyenne des
idées et des opinions. Elle ne doit pas aspirer à créer les moeurs mais à
les refléter. Or il n'est
pas douteux que le Code, fait pour une société fati-
guée par les excès et les utopies de la Révolution, a correspondu de la
manière la plus adéquate aux aspirations de son temps. Sur bien des

points, il a marqué un recul par rapport aux excès législatifs de la pé -

riode intermédiaire ; mais, comme l'a dit justement Guizot, « lorsqu'on


est allé trop loin, le progrès consiste à rétrograder ». Les emprunts qu'il
a faits aux législations de l'ancienne France n'ont pas peu contribué à lui
conférer le caractère profondément national que lui reconnaissent les
meilleurs juges. Et, quant à la timidité de ses tendances, on l'a beaucoup

exagérée. Notre Code consacre d'une façon très ferme les principes fonda-
mentaux de la France moderne en matière de Droit civil, à savoir celui
de la liberté de l'individu avec son corollaire, la protection de la propriété

privée, le caractère séculier de l'Etat, l'égalité juridique des citoyens de


vaut la loi, c'est-à-dire leur aptitude commune à acquérir les divers
droits consacrés par la loi. La meilleure preuve que le Code civil était
bon, c'est le grand nombre des codifications modernes étrangères qui,
surtout dans le midi de l'Europe, en Italie (Code civil de 1865), en Es-

pagne (Code civil de 1889), au Portugal (Code civil de 1867), en Roumanie

(Code civil de 1865), dans l'Amérique du Sud, en Egypte, au Japon, etc.,


ont été rédigées sur son modèle ou en ont reproduit fidèlement les
tendances directrices. Certains peuples auxquels la conquête française
l'avait imposé au temps des guerres napoléoniennes, ont tenu à le con-
server après avoir retrouvé leur indépendance et ne lui ont apporté
depuis que de légères modifications. C'est ce qui s'est passé en Belgique,
dans le grand-duché de Luxembourg. Même sur le terrain peut-être le

plus réfractaire à la pénétration des influences françaises, dans l'Alle-

magne moderne, le Code Napoléon a fourni le modèle de certaines insti-


tutions nouvelles, introduites de toutes pièces dans le Code civil de 1896,
2
celle, par exemple, du testament olographe ; il a exercé sur l'esprit des

1. Ce Comité, qui comprenait des hommes destinés à marquer dans l'histoire po-
litique de la fin du XIX° siècle, comme Jules Simon, Jules Favre, Jules Ferry, Flo-
quet, des économistes comme Garnier et Courcelle-Seneuil, des professeurs comme
Vacherot et Acollas, a tenu plusieurs réunions dont le procès-verbal nous a été
transmis par Acollas dans son Manuel du Droit civil, t. I, Introducion.
2. V. Saleilles, L'article 270 du Code civil français et le paraqraphe 22-3 du Code
civil allemand, Rev. trim., 1903, p. 587 à 614, et 1904, p. 89 à 152.
20 INTR0DUCTI0N. — CHAPITRE PREMIER

une action constante, subie avec plus ou moins de bonne


législateurs
mais incontestable. surtout si l'on et lient
grâce, toujours En somme,
compte de la rapidité prodigieuse avec laquelle il a été rédigé, le Code
civil demeure le monument le plus étonnant peut-être qu'ait élevé la fé-
condité créatrice de la génération révolutionnaire 1.

Défauts du Code civil. — Nécessité de sa révision. — S'il est


bon de défendre le Code civil
critiques contre
exagérées des et injustes,
il ne faudrait pas, à l'inverse, l'entourer, comme on l'a fait trop longtemps,
d'un respect allant jusqu'à la superstition et même au fétichisme. Il
faut reconnaître qu'il présente des défauts de deux ordres différents.
Au point de vue de la forme d'abord, il laisse beaucoup à désirer et se
ressent visiblement de son exécution hâtive. L'ordre dans lequel les ma-
tières y sont distribuées, ordre emprunté aux Institutes de Justinien, les-

quelles avaient reproduit celui des Institutes de Gaius, tiré lui-même,


selon toute vraisemblance, des écrits de jurisconsultes antérieurs demeu-
rés inconnus, n'est ni très rationnel, ni très scientifique. Surtout, sa ter-

minologie est incertaine et empirique; des mots sont employés avec des
sens différents suivant les articles et parfois même dans un même article,
par exemple, les termes de tiers, acte, titre, faute, nullité, et bien d'autres

expressions encore, cependant absolument essentielles, parce qu'elles


correspondent à des idées fondamentales, à des règles de principe qui se
retrouvent constamment. De là des incertitudes dans l'application, des
controverses, des sources de contestations qu'il eût été facile d'éviter par
des définitions stables et précises. On trouve souvent dans le Code des
répétitions, des inutilités. D'une manière plus générale, on a pu dire,
surtout en la comparant à la méthode rigoureuse, à la précision et à la
fixité des significations qui distinguent le Code civil allemand, que la

technique législative de notre Code était à peu près purement 2. instinctive


C'est là un défaut indéniable que rachètent, il est vrai, en partie, les qua-
lité dustyle législatif français, la clarté, la concision, la simplicité po-
pulaire, la mesure judicieuse que notre Code sait observer et maintenir
entre les excès de l'abstraction et ceux d'une casuistique exagérément
concrète, son éloignement des subtilités doctrinales. Là-dessus le Code
civil allemand aurait gagné à nous emprunter davantage. Et chez nous,
si on le compare à nos lois les plus récentes, péniblement enfantées sur
des points de détail, souvent après des années et des décades de travail,
et qui trouvent cependant le moyen de demeurer obscures, incertaines,
parfois presque incompréhensibles, le Code de 1804, rédigé avec une ra-
pidité prodigieuse, fait encore figure de chef-d'oeuvre.
Voilà pour la forme. Au fond, on peut adresser au Code des reproches

1. Pour les traits généraux du Code civil et pour son expansion dans les pays
étrangers, consulter les études publiées par la Société d'études législatives, en deux
volumes sous le titre Le Code civil, 1804-1904, Livre du Centenaire.
2. V. dans le Livre du Centenaire les articles de M. Gaudemet, Les codifications
récentes et la révision du Code civil, et de M. Gény, La technique dans
législative
la codification civile moderne, t, 2 p. 967 et 989.
GÉNÉRALITÉS 21

plus graves assurément. Certaines matières y sont traitées faiblement, par


exemple le régime hypothécaire, d'ailleurs remanié et amélioré depuis par
des lois encore imparfaites et sur le point d'être, à leur tour, corrigées.
D'autres questions surtout, auxquelles la vie
économique moderne a donné
une importance considérable, par exemple, celle des assurances, sont en-
tièrement omises. La plus grave lacune, maintes fois signalée, et dont nous
avons déjà parlé plus haut, est celle qui a trait au contrat de travail, c'est-
à-dire au plus fréquent de tous les contrats, aux rapports du capital et du
travail, c'est-à-dire au plus grave des problèmes qui agitent la société du
XXe siècle. A cet égard, on
a pu aller jusqu'à dénier au Code civil le carac-
tère démocratique dont on l'avait longtemps représenté comme pénétré 1.
L'accusation portée jusque-là serait injuste pour nos devanciers de l'é-
consulaire. A moins d'une divination véritable, ils ne pouvaient
poque pré-
voir les transformations économiques appelées à bouleverser un jour la
communauté française, comme d'ailleurs toutes les autres, et à rendre ur-

gente l'oeuvre de socialisation du Droit individualiste qu'ils rédigeaient. D'ail-


leurs, on l'a vu, ils voulaient faire un Code civil, c'est-à-dire embrassant
le Droit privé général, abstraction faite des intérêts de tel ou tel travailleur,
de telle ou telle profession. Il paraissait aux commissaires, aux conseillers
d'Etat, aux tribuns de 1804 que, pour la réglementation des rapports de l'ou-
vrier et du patron, les règles générales sur la formation des contrats devaient
suffire. A la fin de la Révolution, et après, la destruction laborieuse de tant
de privilèges et de droits spéciaux, partiels, reposant sur la division des
classes sociales en ordres, en corporations, en provinces, chacun était animé
de la passion et comme de la superstition du Droit commun. Ne reprochons

pas aux rédacteurs du Code civil d'avoir été de leur temps. Mais occupons-
nous de reviser leur oeuvre, tout en en conservant les fortes assises,
de manière à donner à notre pays un Code civil qui soit à la hauteur
de ses aspirations actuelles et qui, dans le domaine législatif, con-
serve à la pensée française son rôle séculaire d'émancipatrice du genre
humain 2.

D. — Le mouvement législatif depuis le Code civil jusqu'à nos


— Pendant la première moitié du XIXe siècle, et malgré l'esprit dif-
jours 3.
férent des régimes politiques qui se sont succédé, Restauration, Gouverne-
ment de Juillet, République de 1848, le Code civil n'a subi que de très

1. V. Tissier, Le Code civil et les classes ouvrières, dans le Livre du Centenaire.


2. Dans le Livre du Centenaire, t. n. p. 901, 935, 955, MM. Larnaude, Pilon et
Planiol ont soutenu avec talent les thèses adverses, celui-ci de l'inutilité, ceux-là
de la nécessité d'une refonte et d'une révision complète du Code civil. M. Moreau,
dans le même recueil (t. II, p. 1041), a étudié le délicat problème de la procédure à
suivre en cas de révision. A la suite de la célébration du Centenaire, M. Vallé,
garde des sceaux, a institué près de la Chancellerie, et sous la présidence de M. Bal-
lot-Beaupré, une vaste commission chargée de puiser dans les projets législatifs en
cours et dans les lois étrangères les éléments d'une révision. — Cf. Pascaud, Le
Code civil et les réformes qu'il comporte, avec la préface de M. Ambroise Colin.
3. V. Capitant, Les transformations du droit civil français depuis cinquante
ans, dans Livre du cinquantenaire de la Sté de Lég. comp., t. 1er p. 31 à 80.
22 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

rares modifications. Cela tient certainement au prestige dont il était entouré,


tel que le législateur n'osait y porter la main, même pour en com-
prestige
bler les lacunes les plus apparentes.
La Restauration elle-même, si hostile pourtant aux monuments de l'oeuvre

respecta l'économie du Code. Elle se contenta d'abolir le


napoléonienne,
divorce que le catholicisme, redevenu religion d'Etat, réprouvait. Elle fut
aussi marquée par certaines tentatives visant à rendre à la noblesse une
de sa puissance et de son éclat de jadis, en ressuscitant les vieilles
partie
substitutions fidéicommissaires, qui étaient une des pièces essentielles de
la succession aux biens nobles sous l'ancien Régime. Mais cette tentative

échoua, car les substitutions fidéicommissaires, destinées à assurer la con-


servation des biens entre les mains de l'héritier du nom, ont pour complé-
ment indispensable le droit d'aînesse, et les partisans de cette institution

aristocratique ne purent la faire rétablir.


Le Gouvernement de Juillet était imbu d'un esprit très différent de celui
de la Restauration. Après 1830, l'influence passait des mains des grands
propriétaires fonciers à celles des représentants du commerce et de l'in-

dustrie, favorables aux idées d'égalité civile et politique, et à l'indivi-


dualisme révolutionnaire. Aussi le prestige du Code civil ne fit-il que
grandir alors. Aucune loi de première importance ne vint en modifier
les dispositions. La réforme foncière et hypothécaire, que l'accélération
des échanges rendait urgente, fut bien mise sur le chantier, mais elle
ne put aboutir.
Cependant, ce fut pendant cette période que s'élaborèrent surtout les

grandes transformations économiques qui allaient entraîner la refonte de


notre législation civile et y introduire de profondes modifications. Nous
voulons parler de la révolution industrielle qui s'est accomplie entre 1815
et 1848, et qui a donné naissance à la grande industrie. C'est à ce mo-
ment que les découvertes de la science et le progrès des arts mécaniques
permirent de transformer les modes de
production jusqu'alors usités, de
remplacer les petits ateliers par de grandes manufactures et de grandes
usines, mues par la force de la vapeur, produisant de grandes quantités de
produits manufacturés, et ayant besoin, pour les écouler, de débouchés
nouveaux, aussitôt assurés par la création de nouvelles voies fluviales et
par l'établissement des chemins de fer.
Une telle révolution économique ne pouvait pas ne pas profondément
modifier notre organisation sociale.
Tout elle a considérablement accru la fortune publique
a) d'abord, par
la mise en valeur des richesses naturelles du pays et par la fabrication de
quantités énormes d'objets manufacturés. Les conditions nouvelles du com-
merce et de ont nécessité la création de sociétés anonymes
l'industrie puis-
santes, établissements de crédit, sociétés industrielles qui, à l'aide de titres
nouveaux jusqu'alors presque inconnus, les actions, les ont
obligations,
réuni les masses decapitaux nécessaires à leurs opérations. La fortune
mobilière a donc pris un développement, une importance que les rédacteurs
du Code civil ne pouvaient pas soupçonner. Les transactions mobilières
GÉNÉRALITÉS 23

se sont naturellement développées dans une mesure correspondante.


b) La fortune immobilière elle-même n'a pas été sans subir le contrecoup
de cette révolution. Elle l'a ressenti en bien et en mal. La création des
usines et manufactures a eu, en effet, pour conséquence fatale, un énorme
accroissement des centres urbains, par la formation de villes industrielles
où se pressait la population des travailleurs, et un abandon corrélatif des
campagnes qui ont été, à proprement parler, vidées de leurs habitants atti-
rés vers les villes où l'on avait besoin de leurs bras. Il en est résulté une
hausse considérable, excessive, de la valeur de la propriété une
urbaine,
très grande augmentation des spéculations immobilières dans les villes, et
une diminution sensible de la valeur des terres cultivées, en même temps
période de grande gêne pour trouve plus dans qui ne
qu'une l'agriculture
les campagnes une main-d'oeuvre suffisante.
c) Enfin, la grande industrie a donné naissance à une classe nouvelle,
celle des salariés, c'est-à-dire des travailleurs employés dans les usines, les
magasins, les entreprises de transport, les mines, etc. Cette classe, très mi-
sérable pendant toute la première moitié du XIXe
siècle, vivant de salaires
de famine, habitant dans des logements surpeuplés et insalubres, a natu-
rellement cherché à améliorer son sort, en obtenant du Parlement le vote
de mesures législatives destinées à lui assurer de meilleures conditions de
travail, à développer les institutions de secours, d'épargne, de crédit popu-
laire, enfin à la protéger contre les risques inhérents aux professions ma-
nuelles. Cette influence de la classe ouvrière sur l'orientation de notre légis-
lation civile grandit actuellement tous les jours ; elle a été très favorisée
par la Révolution 1848 qui a établi
de chez nous le suffrage universel.
Les diverses causes que nous venons de signaler ont créé, pendant la
seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle, un puissant cou-
rant législatif a profondément
qui modifié l'esprit de notre Droit civil.
Les réformes réalisées en premier lieu ont eu pour objet d'améliorer le
régime de la propriété foncière. Elles s'échelonnent de 1845 à 1855 et sont
dues au double phénomène, signalé plus haut, de dépréciation de la pro-
priété rurale et d'augmentation de la valeur de la
propriété urbaine. Nous
citerons, dans cet ordre d'idées, diverses lois destinées à encourager l'irri-
gation des terres et leur assainissement, qui ont été rendues de 1845 à 1854

(lois des 29 avril 1845, 11 juillet 1847, et 10 juin 1854). Puis vint la créa-
tion des sociétés de crédit foncier par le décret du 28 février 1852, qui
prépara la grande loi du 23 mars 1855 sur la publicité des transmissions
immobilières et l'amélioration de notre système hypothécaire. De toutes
les modifications apportées au Code civil, cette loi marque certainement la
plus importante.
La protection de la propriété mobilière sous la forme de titres jadis à peu
près inconnus, et notamment d'actions et d'obligations au porteur, a appelé
ensuite l'attention du législateur. Cette protection était le complément né-
cessaire de la grande loi de 1867 sur les sociétés de commerce. Elle s'est
traduite par deux séries de lois importantes : les premières, de 1872 et 1902,
ont eu pour but de venir au secours des porteurs de titres ou volés ;
perdus
INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
24

a organisé des valeurs la


la seconde du 27 février 1880) sauvegarde
(loi
en tutelle, mineurs
mobilières aux incapables, personnes'
appartenant
de ceux administrent leurs biens.
contre les malversations qui
émancipés,
de la classe ouvrière et son action sur le Parlement
Enfin, l'avènement
fort importantes dans
a déterminé le vote de mesures démocratiques qui,
Tordre civil proprement dit, sont les suivantes :
des et proclamation du droit
Reconnaissance syndicats professionnels
d'association (lois du 21 mars 1884 et du 1er juillet 1901) ;
des des patrons et des ouvriers dans un sens
Réglementation rapports
à ces derniers, notamment en ce qui concerne la réparation des
favorable
accidents du travail (loi du 9 avril 1898) ;
Lois destinées à faciliter l'accès de la propriété aux classes ouvrières;

Mesures tendant à améliorer la condition des enfants naturels, à faciliter

le mariage, à élargir la capacité des femmes mariées .

Notre Code civil, on le voit, a


déjà subi de très nombreuses et impor-
tantes modifications. Nous les rencontrerons au fur et à mesure de l'expli-

cation du Code. I1 est qu'aucune vue méthodique n'ait présidé


regrettable
à l'incorporation de ces lois. Quelques unes, en effet, exemple,
par la loi du
27 juillet 1884 a rétabli le divorce après sa. suppression en 1816, les
qui
lois du 9 mars 1891 qui a élargi les droits de l'époux sur les biens de son
et du 25 mars 1896 relative aux droits des enfants natu-
conjoint prédécédé
rels dans la succession de leurs père et mère, ont été rédigées sous forme
d'amendement aux textes du Code civil et y ont été incorporées. D'autres,
comme la loi du 27 février 1880 sur l'aliénation des valeurs mobilières
aux mineurs et interdits, sont restées en dehors du Code,
appartenant
dans lequel il aurait été facile et utile de les faire entrer. Il y a des lois
une d'une antérieure con-
qui ont été établies comme rallonge disposition
tenue dans une autre loi spéciale et non incorporée au Code civil, par
exemple la loi du 13 février 1889 introduite dans la loi du 23 mars 1855 sur
la transcription immobilière. La codification de toute cette législation éparse
est une raison de plus en faveur de la révision intégrale du Code civil 1.

Distinction, parmi les lois modernes, entre les lois et les décrets.
Une distinction essentielle domine cette source législative contemporaine
et en pleine activité. C'est la distinction entre les lois et les décrets.
Nous signalerons entre les uns et les autres les deux différences ci-après.
a) En premier lieu, l'origine de la loi et du décret n'est pas la même. Le
terme de loi est, nous l'avons vu, une expression générale désignant toute
règle juridique obligatoire émanant du souverain. Mais, stricto sensu et par
opposition aux décrets, les lois sont les règles qui ont fait d'un vote
l'objet
de la du pouvoir et qui ont été promulguées ensuite
part législatif par le
pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif, on le sait, depuis la Révolution,
réside en principe dons le Parlement élu par la nation. A coté des lois, il y
a cependant des règles obligatoires émanant du pouvoir exécutif ou de

1. V. Charmont, Les transformations du Droit civil, 1912; G. Morin La


révolte des faits contre le Code civil, 1920.
GÉNÉRALITÉS 25

l'autorité administrative degrés, à ses


chef divers
de l'Etat, ministres,
préfets, maires. Elles portent les noms de décrets, arrêtés, règlements. Spé-
cialement, en matière de Droit civil, certains points sont régis par des dé-
crets; du Président de la République ou des chefs d'Etat antérieurs. Sous
l'empire des chartes de 1814 et de 1830 le même rôle est joué par des ordon-
du roi qui, sauf la différence des termes employés,
nances correspondent
absolument à nos décrets actuels, en vue de l'application et de l'interpréta-
tion des lois.
D'ailleurs il y a lieu de faire sur cette terminologie plusieurs remarques
indispensables pour éviter toute méprise dans la consultation des sources.
Le terme d'ordonnances, depuis la Révolution, est devenu, on vient de le
voir, synonyme de décret. L'ordonnance moderne n'a rien de commun, on
le voit, avec les anciennes ordonnances d'avant 1789 qui, émanant des rois
auxquels appartenait la plénitude du pouvoir législatif, étaient de véri-
tables lois, plus exactement (et, cette fois par opposition aux édits et décla-
rations), des lois générales réglant un ensemble de matières et non pas un
seul point déterminé 1. Et, en second lieu, on rencontre de nombreuses lois
désignées par le terme de décrets. C'est le cas pour les lois votées par la
Convention. Sous l'empire de la Constitution de 1791 et de celle de l'an VIII,
on appelait décrets les dispositions votées par le Corps législatif, tant
qu'elles n'avaient pas été revêtues de la sanction du Chef de l'Etat, après
laquelle elles prenaient le nom de lois. Ce n'est que dans le courant du
XIXe siècle que la terminologie moderne s'est fixée conformément à la dis-
tinction indiquée plus haut. C'est aussi dans la même période qu'on a pris
l'habitude de qualifier de décrets généraux ou de règlements d'administra-
tion publique, les décrets rendus par le Chef de l'Etat après un avis du Con-
seil d'Etat, par opposition aux décrets simples rendus sans avoir été précé-
dés d'une délibération de cette Assemblée.

b) Ce n'est pas seulement par l'origine que diffèrent les lois et les dé-
crets. Il existe entre eux une seconde différence tenant à leur portée. La
loi seule peut statuer sur les principes, poser les règles de fond du Droit.
Les décrets n'ont à statuer que sur les détails d'application de la loi, et
cela en vertu du pouvoir dit réglementaire, qui, d'après les principes de
notre Droit public, appartient au pouvoir exécutif à raison de sa mission
fondamentale qui est d'assurer l'exécution de la loi et non pas de la faire.
En fait, lorsqu'une loi nouvelle fait prévoir des difficultés et des détails

d'application dans la minutie desquels le législateur ne saurait entrer, par


exemple, parce que le règlement de ces détails nécessite des consultations,
des enquêtes techniques impossibles à effectuer dans unParlement, on a
soin d'insérer, dans un article spécial, une délégation formelle au pouvoir
exécutif pour légiférer sur ces points dans un décret, généralement rendu
dans la forme des règlements d'administration publique.

Les avis du Conseil d'Etat. — Il ne faut avec les dé-


pas confondre

1. Le terme d'ordonnance a encore une autre signification dans la terminologie


actuelle. Il désigne les décisions exécutoires rendues par le Président du tribunal.

DROIT. — Tome I.
INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
26

autrefois, ont consti-


crets les avis du Conseil d'Etat qui,
réglementaires
Droit civil Nouspas. ne faisons
tué une source spéciale de notre positif.
le Conseil sousd'Etatl'em-
allusion ici au rôle de préparation que a joué,
la Constitution consulaire et impériale, et qu'il joue quelquefois
pire de
caractère moins efficace et plus subordonné il
encore aujourd'hui, avec un
des lois et des décrets. Nous voulons parler
est vrai, dans la confection
à une certaine de son histoire, le
des décisions obligatoires que, époque
d'émettre, avec un pouvoir en matière
Conseil d'Etat a eu le droit propre,
dès ont constitué une source indépendante et spé-
législative et qui, lors,
Ces décisions intervenaient quand il y avait lieu
ciale de législation. d'in-
la à raison de quelque lacune ou de quelque obscurité. Dans
terpréter loi,
du 5 nivôse an VIII sur l'organisation du Conseil d'Etat
ce cas, le décret
de l'Etat inviter le Conseil à
(art. 11), portait que le chef pouvait d'Etat
le sens de la loi. Sur le renvoi qui lui était ainsi fait, le Conseil
développer
d'Etat rendait un avis les tribunaux et constituant une
obligatoire pour
véritable loi. Plusieurs des avis ainsi émis concernaient le Droit privé.'
la chute de il fut reconnu du Conseil d'Etat du 17 dé-
Après l'Empire, (Avis
de 1814 avait, en organisant le pouvoir
cembre 1823), que la charte légis-
latif sur de nouvelles bases, virtuellement enlevé au Conseil d'Etat ce

d'interprétation n'a plus retrouvé depuis 1.


pouvoir législative qu'il

Décrets-lois. — On ainsi, enpremier lieu, des textes législa-


appelle
tifs, non votés par les Assemblées électives, et rendus par les divers pou-
voirs dictatoriaux la Révolution, ont fonctionné à certains
qui, depuis
moments de notre histoire. Le caractère inconstitutionnel de ces décrets-

lois est évident. Cependant on a, grâce à quelques dispositions spéciales


ou divers artifices de raisonnement, trouvé en général le
parfois par
moyen de leur reconnaître la force obligatoire.
En ce qui concerne les décrets-lois du Premier Empire, on a remarqué
la constitution de l'an VIII organisait un pouvoir, le Sénat, chargé
que
d'annuler, d'abord sur un référé des tribuns, puis spontanément après la
du tribunat, les lois inconstitutionnelles. Or les décrets-lois
suppression
de l'Empereur Napoléon Ier n'ont jamais été l'objet d'une annulation de ce

genre : ils se trouvent


donc avoir été confirmés.
Pour ce qui est des décrets-lois du Prince Président, Louis-Napoléon
Bonaparte, dont l'un, le décret du 28 février 1852, relatif à la matière du
crédit foncier, contient d'importantes dispositions concernant le Droit ci-

vil, leur illégalité a été couverte par l'article 58 de la Constitution de 1852

qui a validé en bloc tous les décrets dictatoriaux rendus par le Chef de
l'Etat français dans l'intervalle compris entre le coup d'Etat du 2 décembre
1851 et la promulgation de la dite Constitution.
De môme, certains décrets du gouvernement de la Défense nationale de

1. Nous verrons plus loin, p. 40, que le Conseil d'Etat, s'il a perdu en 1814 son
pouvoir d'interprétation législative, a continué quelque temps à être chargé d'in-
terpréter la loi en cas de doute, mais sous forme d'interprétation judiciaire et à
la manière non plus d'un corps législatif mais d'un tribunal,
GÉNÉRALITÉS 27

1870-1871 ont traité de matières du Droit civil. Nous analyserons plus tard
(p. 45) notamment celui qui a modifié l'article 1er du Code civil. L'Assemblée
nationale ayant annoncé son intention de désigner ceux des actes dictato-
riaux de ce gouvernement qui seraient l'objet d'une annulation, et aucune

n'ayant suivi, on a pu voir dans ce silence une ratification


désignation
tacite des décrets en question.
Un raisonnement aussi subtil
employé pour a été
légitimer les décrets
du Gouvernement provisoire de 1848. On a fait observer que certains
d'entre eux avaient été modifiés par des lois régulières postérieures. Ainsi,
le décret du 2 mars 1848 sur la durée de la journée de travail a été corrigé

par la loi du 9 septembre 1848. Cette modification partielle, estime-t-on,


a implicitement consolidé les dispositions qui n'ont point été corrigées ou

abrogées.
Il y a une seconde catégorie de décrets-lois : ce sont ceux qui régissent
les colonies françaises. C'est, en effet, un double principe de notre Droit
constitutionnel que les lois de la métropole ne sont pas applicables de

plein droit aux colonies et que le chef de l'Etat a le droit de légiférer pour
celles-ci par simples décrets.

— Il
2° La Coutume 1. y a longtemps que nous vivons sous l'empire
d'un Droit non seulement positif mais écrit. Seules sont obligatoires pour
les citoyens les règles de Droit établies par des textes (lois ou décrets)
rendus par les pouvoirs auxquels la constitution attribue la fonction de
légiférer. Il semble donc que la coutume ne peut être considérée aujour-
d'hui comme une source
législative. Ce principe nous paraît incontes-
table. Cependant, il y a certains tempéraments à ce principe.
A. — Dans certaines matières, le législateur a, d'une façon formelle;
abandonné le règlement de tel ou tel point aux usages, c'est-à-dire à une
certaine variété de la coutume. Dans ce cas, la force
repose, de la coutume
non sur une délégation, car le pouvoir législatif ne peut se déléguer, mais
plus exactement, sur une consécration légale. Il en est ainsi en matière
de servitudes et de relations de voisinage (art. 645, 663, 671, 674 C. civ.),
au sujet de certaines règles concernant la propriété rurale (lois sur le Code
rural des 9 juillet 1889 et 22 juin 1890, art. 2, 4, 8, 15 ; du 21 juin 1898,
art. 75), à propos aussi de certains contrats, notamment du contrat de
louage (art. 1736, 1748, 1753, 1780 4e al.). De même, et plus générale-
ment, le Code civil dispose (art. 1160) que, lorsqu'il s'agit de l'interpré-
tation d'un contrat on doit y suppléer « les clauses qui y sont d'usage
quoiqu'elles n'y soient pas exprimées ». On le voit, la coutume sert ici de
fondement à des règles tout à fait analogues à celles des dipositions de
loi proprement dites que nous avons désignées par l'épithète de supplé-
tives ou déclaratives (suprâ p. 8 et s.). Il va de soi que, comme ces dispo-

1. V. Esmein, La Coutume doit-elle être reconnue comme source de Droit ci-


vil français ? Bulletin de la Société d'Etudes législatives, 1905, p. 533 ; Gény, Mé-
thode d'interprétation et sources en droit privé positif, Paris, 1899 p. 276 et
de Droit commun t. I, Paris,
suiv. ; Lambert, Etude législatif, Introduction, 1903,
28 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

les coutumières en question toujours être écartées


sitions, règles peuvent
par la volonté contraire des parties.
B. — Les usages soit soit applicables à telle ou
commerciaux, généraux,
telle ou à telle ou telle tirent une valeur particulière de
profession place,
ce fait la loi du 15 septembre 1807, qui a mis en vigueur le Code
que
de commerce, n'a pas en bloc les anciens usages comme l'avait
abrogé
an XII pour le Droit On admet donc les
fait la loi du 30 ventôse civil. que
commerciaux ont force obligatoire en général et sans disposition
usages
formelle en ce sens, en tant qu'ils ne sont pas contredits par une loi 1.

C. — Enfin et surtout, il ne faut pas se laisser tromper par le nombre

relativement considérable des prescriptions insérées dans le Code civil

et croire tout notre Droit civil trouve expressionson dans les 2.281
que
articles dont il se compose. Ce serait une grossière erreur. Il y a beaucoup
de matières sur lesquelles le Code ne contient que quelques dispositions
insuffisantes. On peut citer comme exemples, parmi beaucoup d'autres, l'ac-
tion paulienne, ou droit des créanciers de demander la révocation des
actes frauduleux de leur débiteur, que l'article 1167 se contente d'énoncer,
sans rien dire de ses conditions d'exercice et de ses effets, et le régime do-

tal, dont les articles 1540 à 1581 ne donnent qu'une esquisse fort incomplète.

Aussi, les solutions


adoptées par nos anciens auteurs dans ces diverses
matières continuent-elles à s'appliquer, bien qu'elles ne soient pas écrites
dans la loi. Nous voyons là un fonds important de règles coutumières qui
sont toujours en vigueur et viennent s'ajouter à notre système législatif.
Pour compléter ce que nous avons à dire de la coutume, en tant que
source législative actuelle, trois observations sont encore nécessaires.
La
première c'est que la constatation d'un
usage lorsqu'il y a lieu de le

prendre en considération, appartient évidemment aux tribunaux et que,


dès lors, la coutume n'a force obligatoire qu'autant qu ils en reconnaissent
et tant qu'ils en reconnaissent l'existence. C'est en effet un principe de
notre organisation judiciaire que les juges ne statuent que sur les espèces

qui leur sont soumises et ne sont jamais liés par leurs décisions antérieures
lorsqu'ils sont appelés à se prononcer sur une espèce nouvelle, offrît elle
la plus complète analogie avec les procès précédemment jugés. L'existence
même de tel ou peuttel doncusageêtre ne considérée comme certaine,
fût-elle affirmée de la plus la manière
formelle par une multitude de déci-
sions judiciaires, que dans la mesure où l'on peut se fier à la fixité des
doctrines et des principes adoptés par les tribunaux. C'est pour cette rai-
son, entre autres, que la Coutume, en tant que source du droit, ne peut se
différencier de la Jurisprudence que par des nuances délicates et peut-être
même imperceptibles.
En second lieu, on remarquera que l'existence et la teneur d'un usage,
étant des questions de fait, sont constatées d'une manière souveraine, au
moins en matière de Droit civil, par les juges du fond, ce qui revient à dire

1. V. Escarra, De la valeur juridique de l'usage en Droit commercial (Annales


de Droit commercial, 1910, p. 97). Consulter aussi sur les usages et la coutume,
Thaller, Traité élémentaire de Droit commercial, 5e édit., nos 49 à 51.
GÉNÉRALITÉS 29

que la Cour de Cassation ne peut être saisie d'un pourvoi fondé sur la
violation d'un usage par un jugement ou un arrêt.
Enfin, il est bon d'observer que les inconvénients manifestes du Droit
coutumier, même dans la sphère réduite où il fonctionne encore, sa va-
riabilité, son incertitude conduisent fatalement à en restreindre de plus
en plus la valeur. En effet, du moment que les usages en vigueur pré-
sentent une certaine importance, on aspire toujours à les fixer en les
rédigeant. C'est sous l'empire de cette préoccupation qu'a été écrite la loi
du 13 juin 1866 les usages commerciaux, laquelle vise les
sur usages
relatifs aux ventes commerciales. De même le Code rural, dont certaines
parties ont été incorporées dans le Code civil en majeure
n'est, partie,
qu'une codification d'usages.

IL — Monuments d'interprétation des sources législatives 1. —


L'interprétation a pour but de préciser le sens des termes de la loi, de
rechercher l'esprit qui a inspiré ses auteurs, et de déterminer l'exacte
portée d'application de ses dispositions. Elle est l'oeuvre d'une part des
jurisconsultes qui se consacrent à son étude, de l'autre, des tribunaux
chargés d'appliquer le Droit aux litiges soumis à leur jugement. Il y a
donc deux organes d'interprétation des lois : la Doctrine et la Jurispru-
dence.

1° La Doctrine 2. — La Doctrine ou Science juridique s'exprime par

1. Esmein, La doctrine et la jurisprudence, Rev. trim., 1902, p. 7 ; Cours élé-


mentaire d'Histoire du droit français, 11e éd., p. 796 s.; Saleilles, La déclaration
de volonté, 1901, art. 133, n° 43, 49, 94 ; art. 138. n° 81 et sa préface pour le livre de
M. Gény, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif ; Gény, ou-
vrage -précité ; Les procédés d'élaboration du Droit civil, dans les Méthodes ju-
ridiques, leçons laites au collège libre des Sciences sociales en 1910, Paris , 1911 ;
Charmont et Chausse, Les interprètes du Code civil, dans le Livre du Centenaire,
t. i, p, 131 s.; Meynial, Les recueils d'arrêts et les arrêtistes (Livre du Centenaire,
t. i, p. 173); Paul van der Eyken, Méthode positive de l'interprétation juridique,
1907.
2. Les principaux commentateurs du Code civil sont
AUBRY et RAU, professeurs à la faculté de droit de Strasbourg, puis conseil-
lers à la Cour de cassation, Cours de droit civil français, d'après la méthode
de Zichariae ; la 1re édition date de 1838-1847. Cet ouvrage est le plus renom-
mé des traités de Droit civil français. Une 5° édition revue et complétée par
MM. Falcimaigne et Gault (t. I à V) et par M. Bartin, (t. VI à XII) a été achevée
en 1922.
DEMOLOMBE, doyen de la faculté de droit de Caen, Cours de Code Napoléon
(1re édition, 1845). Cet ouvrage, qui comprend 31 volumes, s'arrête à l'article 1386.
Il a eu un très grand succès (six éditions), Il a été continué et terminé par M. Guil-
louard. professeur à la faculté de droit de Caen.
DEMANTE, professeur à la faculté de Paris. Cours analytique de Code civil, con-
tinué depuis l'article 980 par Colmet de Santerre, professeur, puis doyen de la fa-
culté de droit de Paris. La première édition date de 1845 ; la deuxième de 1881.
LAURENT, professeur à l'université de Gand, Principes de droit civil français,
33 volumes. Cet ouvrage publié en 1869 a eu plusieurs éditions.
THÉOPHILE HUC, ancien professeur à la faculté de droit de Toulouse, conseiller
à la Cour de Paris, Commentaire théorique et pratique du Code civil, 15 vo-
lumes, publiés de 1892 à 1903.
Traité théorique et pratique de droit civil, publié sous la direction de BAUDRY-
30 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

oral et par la littérature écrite. Elle a eu, dans l'ancien


l'enseignement
Droit français, un rôle beaucoup plus important que de nos jours ; elle
a constitué alors une véritable source du Droit. Et cela pour deux

raisons.
D'abord, avant la rédaction officielle des Coutumes, la première ques-
tion qui se posait pour le juge, tenu de faire application du Droit cou-

tumier, était d'en rechercher les solutions. Heureux quand il les trouvait
formulées dans les productions de certains écrivains qui s'étaient donné

pour tâche de relater le contenu des Coutumes. C'est ainsi que nombre
d'oeuvres privées purent
acquérir une valeur quasi-officielle. De là l'im-

portance exceptionnelle de nos jurisconsultes coutumiers du XIIIe siècle,


tels que Philippe de Beaumanoir ou Pierre de Fontaines. De là l'attribution

qui, dans l'opinion courante, fut faite à Saint-Louis des fameux Etablis-
sements de Saint-Louis, oeuvre privée d'un écrivain anonyme. Et ainsi

s'explique que telle oeuvre du même genre, comme le Grand Coutumier


de Normandie, ait été considérée, devant les tribunaux de la province,
comme l'expression si fidèle de la Coutume que l'on n'éprouva pas le
besoin d'une rédaction officielle. C'est en effet dans le Grand Coutumier

LACANTINERIE, par un groupe de professeurs: dix traités dont la plupart ont eu


déjà trois éditions: HOUQUES-FOURCADE, Les personnes ; CHAUVEAU, Le divorce ;
du même, Les biens; CHENAUX, La paternité et la filiation ; La puissance pater-
nelle ; La minorité, la tutelle et l'émancipa tion ; BONNECARÈRE, La majorité, l'in-
terdiction et le conseil judiciaire ; WAHL, Les successions ; MAURICE COLIN, Les
donations et testaments ; BARDE, Les obligations; SAIGNAT, La vente; WAHL, Le
contrat de louage ; du même, La société, le prêt, le dépôt ; du même. Les contrats
aléatoires, le mandat, le cautionnement la transaction ; LECOURTOIS et SURVILLE,
Le contrat de mariage ; DE LOYNES, Le nantissement, Les privilèges et hypo-
thèques ; TISSIER, La prescription, à quoi il faut ajouter un supplément en 4 vol.
de M. Bonnecase.
CHARLES BEUDANT, Cours de droit civil français, publié par son fils, M. Robert
Beudant, à partir de 1896.
PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de Droit civil français : t. Ier, avec le con-
cours de M. Savatier, Les personnes, ; t. 3, avec M. Picard, Les biens ; t. 2, avec
M. André Rouast, La famille ; t. 8, avec M. Nast Régimes matrimoniaux.
Les manuels à l'usage des étudiants, en trois volumes correspondant aux trois
années d'enseignement, sont : PLANIOL et RIPERT, Traité élémentaire de droit
civil ; BAUDRY-LACANTINERIE, Précis de droit civil ; SURVILLE , Eléments d'un cours
de droit civil français.
Les revues qui se consacrent plus spécialement à l'étude du Droit civil sont: la
Revue de Droit
trimestrielle civil, depuis 1902 ; la Revue critique de législation
et de jurisprudence depuis 1853, époque où fusionnèrent sous ce nouveau titre la
Revue de législation et de jurisprudence ou Revue Woloswki et la Revue cri-
tique de législation 1801; la Revue générale du droit, de la législation et de la
jurisprudence en France et à l'étranger (depuis 1877); le Recueil de l'Académie de
législation de Toulouse (depuis 1852).
Parmi les publications qui touchent au Droit civil, il faut citer : la Revue
historique de droit français et étranger (depuis 1855) ; la Revue de droit in-
ternational privé et de droit pénal international (depuis 1905); le Journal de
droit international privé publié depuis 1870 par Clunet lui par
M. continué, après
le de la Société de législation
Prudhomme ; Bulletin comparée depuis 1869).
le de la Société législatives
Bulletin d'Etudes (depuis 1900).
aussi du Droit civil de 1800 à 1925
Consulter Grandin, Bibliographie générale
GÉNÉRALITÉS 31

travail de
(ou Somme Maucaël) cependant pure doctrine, que l'on trouva
le texte, considéré comme authentique, de la Coutume de Normandie
jusqu'à la fin du siècle, époque où la province eut enfin une rédac-
XVIe
tion officielle (de 1577 à 1583), la dernière en date de celle des grandes
coutumes.
Plus tard, la rédaction des vint grandement restreindre le
Coutumes
rôle des jurisconsultes. Il resta néanmoins considérable. en
D'une part,
effet, les coutumes rédigées demeuraient fort incomplètes. Aucune, par
exemple, réglé la matière des même
n'avait Obligations. D'autre part,
sur les points qu'elles avaient visés, elles étaient souvent exagérément
concises, de style lâche et obscur. Où trouver la en cas
règle applicable,
de lacune ou de la loi écrite, sinon dans les écrits des
d'obscurité juristes
qui, de la logique, de et du construi-
s'inspirant l'équité Droit romain,
saient sur toutes les matières des théories d'ensemble ? Ajoutons que
ces ne se bornaient point à expliquer et à compléter la Cou-
écrivains
tume ; ils en faisaient la savante
critique ; ils en
dénonçaient les imper-
fections. sous leur influence, et en conformité de leur
C'est direction,
que beaucoup de nos coutumes reçurent une seconde rédaction. Enfin
les Coutumes étaient diverses et disparates, et la nation, en même temps
que se fortifiait son unité politique, aspirait à l'unité de législation. De là
une tâche de
plus pour nos jurisconsultes. Ils s'efforcèrent de construire
un Droit commun coutumier en dégageant les communs à l'en-
principes
semble des coutumes des solutions divergentes des textes écrits et des
jurisprudences, et en faisant en cas de contrariété irréductible
ressortir,
des solutions, celles qui leur paraissaient les plus conformes au génie na-
tional. On peut dire que ce commun, construit par de grands
Droit juris-
consultes tels que et a fait l'unité rationnelle et mo-
Dumoulin Domat,
rale du français avant que la Révolution réalisât l'unification
Droit n'en
légale 1.
De nos jours, avec l'abondance et la minutie détaillée de notre législa-
tion positive, le champ des jurisconsultes s'est rétréci,
d'action beaucoup
surtout comme cela était fatal, dans les premiers temps qui ont suivi la
promulgation des grands modernes. A cette époque, et pendant
Codes
longtemps, il a plus eu place que pour des de commentaire.
n'y oeuvres
Cependant, la littérature juridique est, dans notre d'une abondance
pays,
extrême et toujours croissante. Elle dans un nombre infini
s'exprime
d'écrits, soit traités d'ensemble sur telle ou telle branche du Droit, parti-
culièrement du civil, soit monographies relatives à un point parti-
Droit
culier, soit articles de revues ou de journaux spéciaux, soit notes publiées
dans les recueils de jurisprudence. Envisagée dans son ensemble, cette
littérature a varié de tendances et suivant les temps.
d'inspirations
la plus grande partie du siècle dernier, la fonction de la Science
Durant
à peu bornée à un rôle de et
s'est près description d'exégèse. Il en est

1. Meynial, Rôle de la doctrine et de la jurisprudence dans l'unification du


Droit en France, Rev. gén. du Droit,
32 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

ainsi à la suite d'un travail de codification. Il faut, avant tout,


toujours
faire connaître les textes les dans l'ordre le plus mé-
nouveaux, exposer
et le plus en éclairer les obscures, en faire
thodique lumineux, parties
tout ce contiennent virtuellement, des
en vue de la solution
jaillir qu'ils
tranchées. C'est à une besogne
difficultés qui n'ont pas été expressément
de ce genre s'est chez nous, toute une école que l'on dé-
que consacrée,
assez communément sous le titre d'école des du Code
signe interprètes
à la France toute une pléiade de juristes
civil et qui a fourni d'ailleurs
d'une valeur et d'une autorité incontestables. On a essayé, non sans

intention de critique sinon de dénigrement, de résumer comme


quelque
il suit leurs tendances communes. C'est dans la loi positive seule,

qu'on doit chercher et que l'on peut trouver, en cherchant


croyaient-ils,
bien, la solution des questions contentieuses qui se posent devant le juge.
Il suffit pour cela, lorsque la loi est muette, d'interroger son esprit, et on
et comme la psychologie du
y arrive en reconstituant la volonté implicite
législateur. De là la grande importance attachée par ces interprètes à l'étude
des travaux préparatoires du Code civil où l'on doit évidemment, semble-

t-il, chercher la pensée de ses auteurs. De là, chez eux, la méthode et l'ap-

pareil d'une logique souvent trop déductive, procédant un peu à la ma-


nière des scolastiques par arguments a pari, a contrario, etc..
Ce n'est pas tout. On a adressé à cette école le triple reproche de n'avoir

pas fait preuve d'un


esprit assez scientifique, ni as- ni assez critique,
sez pratique. Elle n'était pas, a-t-on dit, vraiment scientifique, car elle
méconnaissait trop ce fait que les lois sont le produit de l'histoire et

marquent un moment de l'évolution d'une société. Ce n'est pas que les


écrivains en question, dont plusieurs étaient armés de la plus profonde
érudition, ignorassent les antécédents que de
peut notre
fournir Droit
l'étude du Droit romain et de l'ancien Droit français ; mais ils y cherchaient
surtout des arguments à l'appui de leurs thèses d'interprétation des textes
en vigueur, des indices de ce qu'avaient été ou avaient dû être, sur tel
ou tel point déterminé, l'opinion, l'intention des rédacteurs du Code ci-
vil. Et les mêmes auteurs auraient aussi manqué de critique, s'étant ra-
rement préoccupés de rapprocher les solutions de notre Droit des concep-
tions admises chez les autres peuples, comme si, par une sorte d'infa-
tuation nationale, ils les eussent
indignes trouvées d'être mises en paral-
lèle avec les nôtres. Enfin, les besoins économiques et sociaux, les exi-

gences de l'équité, les changements survenus dans les moeurs étaient par
eux trop souvent perdus de vue, tant leur attention se portait de préfé-
rence sur la rigueur logique des théories et le bel ordre des constructions
juridiques. Ils n'ignoraient certes pas la Jurisprudence, mais ils n'en re-
cueillaient et n'en citaient les décisions qu'à titre d'illustration
d'appoint,
de leurs thèses, au lieu d'y apercevoir ce qu'elle est en réalité, une lé-
gislation coutumière et vivant en perpétuel état de transformation et de
progrès.
Il y aurait dans de tels reproches, s'ils avaient été formulés avec
jamais
la netteté un peu tranchante que nous avons dû leur prêter la clarté
pour
GÉNÉRALITÉS 33

d'un exposé forcément sommaire et rapide, une forte dose d'exagération


et d'injustice. En réalité, ceux
qu'on appelle les interprètes du Code civil
ont été ce qu'ils pouvaient être, ont fait ce qu'ils pouvaient faire à l'époque
où ils sont venus. Il ne faut pas oublier que leur école a produit un chef-
d'oeuvre que nulle production postérieure n'a pu surpasser ni même égaler.
Nous voulons parler de l'ouvrage capital d'Aubry et Rau, auquel il faut

toujours se reporter si l'on cherche non seulement le commentaire le plus


méthodique du Code civil, mais encore le tableau le
plus fidèle, en même

temps que le plus concis, de l'origine historique de ses solutions sur chaque
point, et des transformations qu'elles ont subies ensuite par le fait de l'in-
terprétation judiciaire.
Et il n'est pas vrai, d'autre part, que l'esprit critique et les vues légis-
latives aient été étrangers aux inspirations de nos jurisconsultes du

XIXe siècle. Loin de là, leur doctrine a plus d'une fois inspiré des réformes

législatives. Pour ne citer qu'un exemple, la loi du 9 mars 1891, modifi-

cative de l'article 767 du Code civil, loi qui a élargi considérablement les
droits successoraux du conjoint survivant, a été, sans aucun doute, le produit
des critiques doctrinales dirigées contre le texte primitif du Code, lequel
n'attribuait à celui-ci que des droits héréditaires absolument insuffisants.
Quoi qu'il en soit, la doctrine des écrivains d'aujourd'hui est entrée
une plus hardie, plus novatrice, plus pratique aussi. Elle ne
dans voie
considère pas la règle de droit comme un
précepte définitif et à tout

jamais figé avec des conséquences immuables. Pour remplir sa fonc-

tion, le Droit ne doit-il pas se renouveler, se transformer comme la


société qu'il régit ? Et le rôle de l'interprète n'est-il pas de seconder
ces transformations nécessaires ? Dès lors, dans la solution des difficul-
tés auxquelles donne lieu l'interprétation de la loi, les juristes modernes

s'attachent moins que leurs devanciers à scruter quelle aurait été sur
le point à régler la pensée du législateur d'autrefois, mais bien quelle
est la solution qui leur paraît la plus conforme aux besoins sociaux actuels
et à l'idéal d'équité de la génération présente. Certains, poussant jusqu'à
l'extrême une telle conception, vont jusqu'à dire que la loi, une fois

promulguée, se détache de la pensée de ses auteurs qui reste doréna-


vant négligeable, et vit, se développe d'une vie indépendante et auto-
nome, ce qui donne, on le comprend, la plus grande latitude au travail

d'adaptation que lui fait subir la Doctrine. Sans aller aussi loin, on ad-
mettra du moins —
et c'est en ce sens la Doctrine contem-
que s'oriente
poraine, — que la volonté du législateur n a pas pu tout prévoir et que,
même dans le champ de ses prévisions, elle a dû envisager la probabi-
lité de transformations sociales. Ce n'est donc pas se mettre en con-
tradiction avec l'esprit du législateur que d'assouplir les règles qu'il a

produites, en vue des conditions nouvelles de la vie sociale, et de les

élargir, lorsqu'on se trouve en présence de problèmes entièrement nou-


veaux qu'il n'a certainement pas prévus etqu' il n'aurait pas enfermés
dans le cercle des règles par lui jadis écrites s'il avait pu les prévoir.
Ainsi, la fait une part de plus en plus à l' observation des
Doctrine large
34 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

Par la libre recherche des solutions commandent et


faits sociaux. qu'ils
elle s'efforce les textes écrits, elle joue, dans une
auxquelles d'adapter
certaine mesure, un rôle créateur.

Notons, en passant, une nouvelle fonction assignée à la science juri-


dique par des écrivains plus audacieux encore. Cette fonction consiste-
rait à tirer de l'étude des législations étrangères, et de leur rapproche-
ment avecla nôtre, les grandes lignes d'un Droit commun législatif qui, en
attendant la formation de groupements nouveaux de peuples, plus étendus

que nos patries actuelles, éclairerait l'interprétation des diverses lois natio-
nales de manière à leur faire produire ensemble des solutions aussi con-
formes que possible à la
moyenne des aspirations communes au monde
civilisé 1. Il est évident que, si la Doctrine du XXe siècle pouvait jamais jouer
un rôle aussi élevé, sa mission acquerrait une importance et une gran-
deur qui ne lui laisseraient rien à envier à nos grands jurisconsultes
d'autrefois.

2° La Jurisprudence, Son rôle. — dite


L'interprétation judiciaire
du Droit positif réside dans la
Jurisprudence, c'est-à-dire dans le corps de
décisions rendues par les tribunaux de divers ordres appelés à statuer sur

les litiges auxquels donne lieu l'application de la loi. Ces décisions, quand
elles offrent quelque intérêt, sont recueillies et
conservées, ou bien dans
des quotidiens spéciaux, ou bien dans des Recueils
journaux périodiques
affectant la forme de cahiers, avec des tables facilitant les recherches, ou
encore dans des Dictionnaires ou Répertoires alphabétiques, ou enfin sous la
forme d'annotations souscrites sous le texte des articles des Codes annotés
publiés par divers éditeurs 2.

1. V. le livre de M. Lambert, Etude de droit commun législatif. Introduction, t. 1.


2. E. H. Perreau, Technique de la Jurisprudence en droit privé, 2 v., 1923.
3. 1° Le plus important recueil de Jurisprudence est le Recueil Dalloz, ainsi
nommé du nom de son fondateur. Les publications DALLOZ comprennent:
A. — Le Recueil périodique, en cahiers mensuels formant chaque année un
volume nouveau in-4° avec des tables décennales et quinquennales depuis 1907.
Chaque volume se compose de cinq parties: 1° Décisions de la Cour de cassation;
2° Décisions des Cours d'appel et des tribunaux français et étrangers; 3° Décisions
du Conseil d'Etat et des autres juridictions administratives ; 4° Lois et décrets
nouveaux avec le résumé des rapports et délibérations ; 5e Table alphabétique ;
Ce Recueil périodique se cite comme suit: D. P. 1913.1.254, le premier chiffre dési-
gnant l'année, le second la partie, le troisième la page.
B. — Le Recueil hebdomadaire qui, depuis 1924, sert de supplément au recueil
périodique. On le cite comme suit D. H., p. 152.
C. — Un Répertoire alphabétique en 44 vol. embrassant toutes les matières du
Droit civil, avec un Supplément, paru de 1887 à 1897, en 19 vol. Un le cite comme
suit: J. G., V° (verbo) Donations entre vifs et testamentaires, 4 20, ce dernier
chiffre désignant le numéro du paragraphe; le supplément est indiqué par les
lettres J. G. S.
— Des Codes
D. annotés ; le premier Code civil annoté a fait l'objet d'une
refonte en 5 vol. in-4° parus en 1900 à 1903, sous le titre de Nouveau Code civil. Il
parait chaque année un supplément sous le titre d'Additions au nouveau Code
civil. Le dernier date de 1 926.
E. — Le Répertoire pratique de législation, de doctrine et de jurisprudence, nou-
GÉNÉRALITÉS 35

Le rôle de la Jurisprudence est évidemment considérable et grandit


chaque jour à mesure que l'on s'éloigne de l'époque de la promulgation
des lois qu'elle est appelée à interpréter. Les décisions qui se succèdent
sur des litiges identiques ou analogues tendent fatalement à se modeler
les unes sur les. autres. Il arrive un moment où la Jurisprudence se fixe sur
telle ou telle question. A partir de cet instant, c'est comme
disposition une
nouvelle d'un droit coutumier pratique qui vient d'éclore. Certes, théori-

quement, il n'y a pas là une règle de Droit obligatoire, car chez nous, à la
différence de ce qui se passe pour le Case law ou Droit jurisprudentiel an-

glais, les autres tribunaux, et ceux mêmes dont émanent les décisions cons-
titutives de la Jurisprudence ainsi fixée, conservent toute liberté pour sta-
tuer dans un sens différent sur les litiges ultérieurs semblables qu'ils seront

Veau répertoire alphabétique dont la publication a commencé en 1910, destiné à ra-


masser dans un texte plus résumé le contenu des répertoires précédents.
E. — Les petits Codes Dalloz, contenant, en un format de poche, sous le texte des
articles, l'indication de quelques décisions choisies.
A côté des publications Dalloz, il convient de citer:
2° Le Recueil de Sirey, ou Sirey, recueil périodique d'une forme analogue au
Dalloz. Moins complet peut-être que son rival, mais en général remarquablement
rédigé et composé, le Sirey comprend, dans chaque volume annuel, quatre parties :
1° Cour de cassation ; 2° Cours d'appel et tribunaux; 3° Conseil d'Etat ; 4° Jurispru-
dence étrangère. Les Lois et décrets forment une série spéciale, comprenant un
volume pour cinq années. Il y a aussi des tables décennales et quinquennales. On
cite le Sirey comme suit : S. 1900. 1.254. Souvent suit la mention P. 1900. 1.300. Cette
indication renvoie au Journal du Palais, publication qui, datant de l'an IX, s'est,
depuis quelques années, fondue avec le Sirey.
L'éditeur du Sirey a publié, à l'exemple de Dalloz, un Répertoire alphabétique
cité en général sous le nom de ses auteurs, Fuzier-Hermann, et, depuis 1894, Car-
pentier et Frérejouan du Saint.
La même administration entreprend de plus, une refonte abrégée en 20 volumes
du Sirey de 1791 à 1900, sous le titre de Recueil général des lois et des arrêts et
de la jurisprudence du XIXe siècle. Sept volumes, comprenant les années 1883 à
1900, ont été déjà publiés.
3° Les Pandectes françaises. Ce Recueil périodique se cite comme suit : P. F.
1900.2.90. Un Répertoire alphabétique a été publié par l'éditeur du recueil pério-
dique et composé sous la direction de M. Rivière, puis de M. Weiss. Ce recueil a
fusionné depuis quelques années avec le Sirey.
4° Les diverses revues de Droit, Revue critique, Revue générale de Droit, de
législation et de jurisprudence, Revue trimestrielle de Droit civil, Revue du no-
tariat, Journal des conservateurs des hypothèques, etc, donnent, dans chaque
numéro, une revue de jurisprudence, les principales décisions étant accompagnées
de commentaires.
5° Les principaux journaux quotidiens, du format des journaux politiques,
qui publient les décisions intéressantes, au fur et à mesure de leur apparition, sont
La Gazette des Tribunaux, Le Droit, La Loi, la Gazette du Palais. La Gazette
des Tribunaux et la Gazette du Palais publient aussi un recueil semestriel, divisé
en plusieurs parties, à l'instar du Sirey et du Dalloz.
6° Un certain nombre de Cours et de Tribunaux de commerce ont des recueils
particuliers de leurs décisions. Le plus important est le Bulletin des arrêts de la
Cour de cassation, commencé en l'an VII qui ne publie malheureusement que les
arrêts (civils) prononçant cassation.
7° Diverses publications s'efforcent de donner la synthèse de tous ces recueils en
reproduisant, au moins par leurs sommaires, c'est-à-dire par une analyse succincte,
toutes les décisions publiées, avec un renvoi au Recueil où l'on peut en trouver le
texte complet. Citons en ce genre le Recueil des Sommaires, publié par M. Phily
depuis 1854 et actuellement par le Sirey.
36 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

à juger à Mais, en fait, de tels revirements ne


pro- se
appelés l'avenir.
duisent et les s'ils ne lient pas nos juges, les
presque jamais précédents,
fatalement. que, naturellement, les arrêts de la Cour
inspirent Ajoutons
de cassation jouissent auprès des Tribunaux et des Cours d'appel dont les

décisions à être annulées si elles les contredisaient, d'une


s'exposeraient
autorité presque égale à celle de la loi elle-même.
Pendant le siècle qui nous sépare de la promulgation du Code Napoléon,
notre Jurisprudence civile s'est développée un peu au hasard; mais elle
n'en est pas moins arrivée, engénéral, sur un grand nombre de points, à
construire des systèmes suffisamment logiques et équitables, qui sup-
pléent souvent à la loi écrite, et parfois aboutissent même à la corriger.
Nous nous contenterons de deux exemples significatifs. C'est la Juris-

prudence qui, en matière de régime dotal, est arrivée à établir la règle


de l'inaliénabilité de la dot mobilière, à laquelle il est infiniment probable
que le législateur de 1804 n'avait pas songé en écrivant l'article 1554, qui
vise exclusivement l'inaliénabilité des immeubles dotaux. Ce qui suit est

plus fort encore. Les rédacteurs du Code civil ont établi, sous les articles
1119 et 1121, la prohibition pour de
autrui, sauf
stipuler dans deux cas

exceptionnels. C'était
règle là une
gênante, surtout pour le développement
des assurances sur la vie, opérations auxquelles les rédacteurs du Code
civil ne pouvaient pas songer et qu'ils eussent vraisemblablement prohi-
bées, s'ils y avaient pensé. Or, par une série de raisonnements ingénieux
et hardis, la Jurisprudence du XIXe siècle est parvenue, non seulement à
tourner la prohibition de l'article 1119, mais encore à en faire sortir, sauf

quelques restrictions insignifiantes, le principe de la liberté des stipula-


tions pour autrui 1.
On a beaucoup exalté le rôle de la Jurisprudence ; on a fondé sur son
action de grandes espérances. Cette sorte d'engouement, très visible chez
nombre de jurisconsultes contemporains, tient à des causes diverses et

complexes. D'abord, les éloges décernés à l'oeuvre des tribunaux ont fait,
en quelque manière, la critique de celle du Parlement. Aussi a-t-on affecté
souvent de compter sur la Jurisprudence pour réaliser le progrès juridique
plutôt que sur le travail des assemblées législatives, trop lentes, trop en-
clines à se désintéresser des réformes dépourvues de conséquences électo-
rales. Avec plus de justice, on pourrait, croyons-nous, surtout depuis ces
dernières années où nous le voyons déployer, en matière de Droit civil, une
incontestable activité, redouter plutôt, chez le législateur, un excès de har-
diesse, une trop grande propension à abroger, à renouveler les règles qui
lui paraissent gênantes ou vieillies. La Jurisprudence ne peut évidemment
procéder de même. Elle est forcée de respecter les textes positifs. Tout au
plus peut-elle parvenir à les tourner, à les éluder parfois. Mais avec quelle
circonspection doit-elle ne révolutionne elle E
procéder ! Elle pas, adapte.

1. On trouvera d'autres exemples du même genre avec une appréciation du rôle


de la Jurisprudence dans le discours prononcé par M. Ballot-Beaupré, à l'occasion
de la commémoration du centenaire du Code civil, dans Le Centenaire du Code
civil. 1904.
GÉNÉRALITÉS 37

par elle, en conséquence, le progrès juridique se développe d'une manière


moins brusque, dans un
rythme plus naturel (car la nature ne procède
point par-à-coups), et suivant la ligne de la tradition.
Il conviendrait cependant de ne pas la vertu cl les mérites de la
exagérer
Jurisprudence. C'est un instrument de progrès très car les solu-
imparfait,
tions qu'elle consacre restent toujours à.la merci d'un revirement, d'une
orientation nouvelle. Qu'une jurisprudence, fixe en apparence sur tel ou tel
point, vienne à se modifier, à se prononcer en un sens nouveau et différent,
cela est rare, mais non sans exemples, même quand cette jurisprudence
émane de la Cour de cassation. En somme, un progrès juridique n'est ja-
mais certain, accompli,
que lorsqu'il a été un texte consolidé
de loi. par De
plus la Jurisprudence est parfois décevante. Les écrivains, en particulier
les arrêtistes, c'est-à-dire les annotateurs qui, à la suite de l'illustre pro-
fesseur Labbé, font, surtout depuis une quarantaine d'années, suivre les
arrêts publiés par les différents recueils, de dissertations souvent aussi

ingénieuses que savantes, prêtent parfois aux tribunaux, en raison de ces

décisions, des vues profondes et des théories auxquelles ils n'avaient nul-
lement songé en réalité. Mais, à peine la Doctrine a-t-elle relevé une orien-
tation nouvelle, dégagé les conséquences d'une décision marquante que,
trop souvent, un nouvel arrêt vient, contrairement à toute logique, démen-
tir les prévisions en apparence lesplus certaines, et consacrer une solution
rationnellement inconciliable avec la théorie échafaudée sur les décisions
antérieures !

Fonctionnement de — Notions sur


l'interprétation judiciaire.
des tribunaux. — Les relatives à l'organisation
l'organisation règles
judiciaire et au fonctionnement des tribunaux appartiennent à la procé-
dure civile. Mais il est d'en ici les grands traits en
indispensable indiquer
ce qui concerne l'administration du Droit civil.
Les tribunaux de droit commun, c'est-à-dire ceux qui statuent sur les

litiges dont la loi n'a pas attribué la connaissance à une autre juridiction,
sont les tribunaux civils de première instance. Ce sont eux qui connaissent
des litiges de Droit civil. Leurs décisions s'appellent des jugements. Depuis
le décret du 3 septembre 1926, il n'y a plus qu'un tribunal par département.
Quoique dénommés tribunaux de première instance, ces tribunaux sont
être en
juges d'appel de certaines contestations, celles qui doivent jugées
ressort statuent en matière
premier par les juges de paix. Ces magistrats
civile sur les petits soumis la loi à leur compétence, tantôt en
litiges par
premier et dernier tantôt, comme nous venons de le voir, en pre-
ressort,
mier ressort seulement et à devant les tribunaux d'arron-
charge d'appel
dissement.
Au-dessus des tribunaux civils siègent les Cours d'appel, juridictions
d'un ressort étendu, en des contestations tran-
plus qui connaissent, appel,
chées les tribunaux civils, dans le cas où ceux-ci jugent en premier
par
ressort seulement, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de procès d'une certaine

importance. Les décisions des Cours portent le nom d'arrêts.


38 INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER

On le voit, un principe domine notre organisation judiciaire moderne,

c'est celui du double de juridiction. Il y a là une garantie impor-


degré
tante les justiciables. Mais il convient d'ajouter qu'à la différence
pour
de ce qui était la règle sous l'ancien Droit, il n'y a jamais
quelquefois
lieu à plus de deux de juridiction. La possibilité d'un surappel
degrés
en effet entraînerait des frais ruineux pour les plaideurs. La même préoc-
d'éviter les frais excessifs fait, par exception au principe, sup-
cupation
la faculté les contestations les moins importantes de
primer d'appel pour
la compétence des juges de paix ou des tribunaux civils, qui jugent,
dans ces cas, en premier et dernier ressort. De môme, pour certaines

solutions ou provisoires, le Président du tribunal exerce une


urgentes
juridiction rapide et statue au moyen d'ordonnances.
des tribunaux civils et des Cours d'appel, il faut signaler la
Auprès
du Ministère (procureurs généraux, avocats généraux,
présence public
substituts des Cours, procureurs de la République et substituts près
près
des Les du ministère public ou Parquet, à la dif-
tribunaux). magistrats
férence des ou conseillers assis des Cours et tribunaux, sont amo-
juges
vibles : ils sont de représenter et défendre les intérêts de la
chargés
Société. A ce titre, en matière civile, ils pourront intervenir pour don-

ner, avant le jugement ou l'arrêt, un avis impartial. Cet avis est tantôt

facultatif, tantôt On dit, dans ce dernier cas, que la cause


obligatoire.
est à communication au ministère public (art. 83, C. proc. civ.).
sujette
C'est le cas notamment pour les procès intéressant les incapables et les

absents, pour ceux qui portent sur les


questions d'état et les tutelles,
les dons et legs au profit des pauvres, etc.
Deux principes dominent le fonctionnement de ces diverses juridictions.
C'est d'abord l' obligation de juger. Aux termes de l'article 4 du Code
civil, « le juge qui refusera de juger sous
prétexte du silence, de l'obs-
curité, ou de l'insuffisance de la loi pourra être poursuivi comme cou-

pable de déni de justice ». C'est l'une des hypothèses où le Code de pro-


cédure civile ouvre à la partie lésée la procédure exceptionnelle de la

prise à partie. La loi n'a pas ajouté, mais cela allait sans dire, que, si le

juge est appelé à se prononcer une sur difficulté à propos de laquelle la


loi a gardé le silence, il doit s'efforcer de le faire conformément à l'es-

prit de la loi. Dans quelle mesure doit-il s'inspirer du sens virtuel des

dispositions écrites sur les points réglés par la loi, ou au contraire re-
chercher les solutions qu'exigent l'équité et les besoins sociaux actuels,
c'est là un point sur lequel nous ne reviendrons pas Tout ce que nous
avons dit à ce propos, en parlant de l'interprétation doctrinale, en
peut
effet s'appliquer à l'interprétation judiciaire qui a, sur ce point, subi le
même mouvement d'idées.
En second lieu, l'article 5 du Code civil interdit aux de « pronon-
juges
cer par voie de disposition générale et
réglementaire sur les causes qui
leur sont soumises ». C'est là une conséquence du principe de la Sépara-
tion des pouvoirs que le législateur révolutionnaire, désireux de prévenir
tout empiétement des corps judiciaires analogue à ceux des anciens Parle-
GÉNÉRALITÉS 39

avait
plus d'une fois consacrée (V. Const. déjàde 1791, tit.
ments, III,
chap. V, art. 3; Const. du 5 fructidor an III, art. 203). Les juges ne sta-
tuent donc que sur des espèces, et l'interprétation de la loi qu'ils donnent
à ce propos ne lie pas les autres juridictions, fût-ce les juridictions infé-
rieures de leur ressort, et ne les lie pas eux-mêmes une autre fois.
pour

Cour de cassation 1. — Ses pouvoirs comme organe d'interpré-


tation. — La maîtresse de notre
pièce judiciaire organisation
actuelle,
issue de la Révolution, est la Cour de Ce n'était cassation.
pas tout en
effet que d'instituer l'unité de législation en France ; il fallait aussi y assu-
rer l'unité de jurisprudence. Autrement, la loi aurait eu beau être uni-
forme ; interprétée différemment suivant les ressorts, elle aurait, en réalité,
varié de région à De là la création d'un
région organe supérieur, chargé
d'assurer le respect de la loi et son interprétation uniforme, sous le nom
d'abord de Tribunal de cassation (loi des 27 novembre-1er décembre 1790),
puis de Cour de cassation (sénatus-consulte du 28 floréal an XII, art. 136).
La Cour de cassation se compose de trois chambres, la Chambre civile,
la Chambre des requêtes, la Chambre criminelle. Elle ne statue jamais sur
le fond des procès, se bornant à examiner, sur le pourvoi formé devant
elle, si la décision en dernier ressort qui lui est déférée a fait une exacte
application de la loi. La Cour de cassation juge les jugements et non pas
les affaires. Il résulte dé ce principe qu'un grand nombre de décisions ne
peuvent être l'objet d'un pourvoi en cassation. En effet, quand l'affaire à
juger était une pare
question de fait, ne donnant difficulté lieu à aucune
de droit, la Cour suprême n'a rien à examiner dans la décision rendue. On
dit alors qu'il y a eu appréciation souveraine des juges du fond.
En matière civile, les arrêts de la Cour de cassation émanent soit de la
Chambre des requêtes, soit de la Chambre civile. En effet, la procédure du
pourvoi comporte un double degré. Le pourvoi est d'abordpar la examiné
Chambre des requêtes. Celle-ci admet ou non le pourvoi. Si elle l'admet,
elle renvoie le dossier à l'examen de la Chambre civile par un arrêt non
motivé ; si elle le repousse, elle le fait par un arrêt motivé et tout est fini.
De cette manière on évite l'encombrement du rôle en éliminant avecrapi-
dité les pourvois qui ne
présentent pas un caractère sérieux. La Chambre
civile statue sur les pourvois admis par la Chambre des requêtes. Ou bien
elle rejette le pourvoi, ce qui consolide définitivement la décision qui lui
a été déférée. Ou bien elle admet le pourvoi ; en ce cas, elle casse la déci-
sion qui lui avait été déférée et renvoie la partie à se pourvoir devant un
autre tribunal du même ordre que celui dont la décision a été cassée.
Le plus fréquemment, la juridiction de renvoi statuera sur le point de
droit dans le sens admis par la Cour de cassation. Cependant, il peut arriver
et il arrive parfois qu'elle ne s'incline pas devant de la Cour la décision su-
prême et se range, au contraire, à l'opinion des premiers juges du fond. En
ce cas, un nouveau pourvoi pourra être et sera vraisemblablement formé. Si

1, Faye, La Cour de cassation, 1903.


INTRODUCTION. — CHAPITRE PREMIER
40

la Cour de cassation maintient, comme cela est presque certain, sa décision

troisième de renvoi statue dans le sens des


antérieure, et si une juridiction
la solution du être reculée indéfiniment. Il
deux premières, litige pourrait
fin et que à donner à
faut cependant que le conflit prenne l'interprétation
la loi soit fixée sans recours Comment trancher la difficulté ? On
possible.
l'a fait de diverses façons suivant les époques.
Le la loi des 27 novembre- 1er décembre 1790 et con-
système adopté par
de 1791 ch. art. était celui de
sacré par la constitution (Tit. III, V, 21)
Si la décision du juge de renvoi était semblable
l'interprétation législative.
a la décision cassée, et si la
juridiction de renvoi saisie en troisième

lieu, une seconde cassation, se prononçait dans le même sens que


après
les deux premières, il devait alors y avoir référé au pouvoir législatif, et

celui-ci devait rendre un décret interprétant la loi. Même solution dans la

constitution de l'an III (art. 256) à cela près qu'il y avait alors référé légis-
latif de à la suite d'une seconde décision judiciaire conforme à la
plano
décision cassée. Ce système était mauvais. Il est en effet naturel que le
législateur interprète la loi
qu'il a faite lorsqu'elle est obscure, mais cette

interprétation ne doit pas intervenir à propos d'un litige entre particuliers.


Dans ce dernier cas, l'interprétation donnée par le corps législatif, organ
essentiellement politique et, par conséquent, suspect de passion, risquera
d'être influencée par des considérations tenant à la personnalité des parties
en cause dans le litige à régler.
Un second système, établi par la loi du 16 septembre 1807, est celui de

l'interprétation administrative. Après deux décisions rendues en dernier


ressort entre les deux parties et attaquées pour les mêmes motifs, ou même
dès le second pourvoi, si la Cour de cassation désire s'éclairer avant de sta-
tuer une seconde fois, le Gouvernement statuera
l'interprétation sur de la
loi. Il le fera par un décret dans la forme des règlements d'administration

publique, c'est-à-dire à la suite d'une délibération du Conseil d'État. Cette


délibération ne doit pas être confondue avec les Avis du Conseil d'État dont
nous avons parlé précédemment. Elle n'a
que le caractère d'une interpréta-
tion judiciaire, c'est-à-dire que sa valeur est restreinte au litige sur lequel le
Gouvernement a eu à statuer. Encore le chef de l'État n'est-il pas lié par
l'opinion du Conseil d'État.
Ce système, qui donnait à l'administration le pouvoir de fixer le sens
douteux de la loi, fut encore critiqué comme peu libéral et contraire au

principe de la séparation des pouvoirs. La loi du 30 juillet 1828 vint donc


établir le principe de l'interprétation judiciaire, combiné avec celui de l'in-
terprétation législative. Elle décide que, si la seconde juridiction du fond
statue dans le même sens que la première, et s'il y a second pourvoi, la Cour
de cassation statue alors toutes chambres réunies. Si elle casse, la troisième
juridiction devant laquelle elle renvoie l'affaire statuera à son tour toutes
chambres réunies, et sa décision sera désormais Ainsi, le
inattaquable.
dernier mot appartenait aux
juridictions inférieures, était ce qui lo-
peu
gique et pouvait amener même des disparates de jurisprudence suivant
les ressorts. Il est vrai que, pour parer à cet inconvénient, il devait, en sem-
GÉNÉRALITÉS 41

blable hypothèse, y avoir référé au Roi et que celui-ci devait, dans la session
suivante, proposer aux une loi interprétative
Chambres (L. de
législative
1828, art. 2 et 3). Mais un. tel système n'en était pas moins très défectueux.
Pour peu que les conflits entre la Cour de cassation et les juges du fond
fussent nombreux, l'ordre du jour du Parlement était encombré. Les inter-

qui lui étaientdemandées pouvaient traîner en longueur. Et, en


prétations
attendant qu'il se prononçât, tous les inconvénients d'une Jurisprudence
bigarrée et multiforme ne manquaient pas de se produire.
La loi du 1er avril 1837, actuellement en vigueur, a donc consacré le sys-
tème de l'interprétation judiciaire pure et simple, en donnant le dernier
mot à la Cour de cassation. Aux termes de cette loi, quand il y a eu deux

pourvois successifs sur la même affaire, pourvois fondés sur les mêmes
la Cour de cassation statue toutes chambres réunies. Si elle se
moyens,
range à l'avis de la Chambre civile et casse une seconde fois, la juridic-
tion de renvoi est tenue de se conformer, sur le point du droit, à la solu-
tion donnée par l'arrêt des Chambres réunies.
Même en ce cas, il faut remarquer que l'interprétation donnée par les
chambres réunies de la Cour de cassation n'a pas une portée régle-
mentaire. D'une part, la Cour de cassation n'est pas liée elle-même par sa

propre jurisprudence. Le
lendemain, dans une affaire semblable, elle

pourrait adopterune autre manière de voir. Et, d'autre part, les tribunaux
et les Cours d'appel ne sont pas liés davantage pour toute autre affaire; ils
conservent le droit de ne pas se ranger à l'avis de la Cour suprême. Mais
ce sont là des hypothèses théoriques. La quasi-certitude d'une cassation
en cas de pourvoi, si leur décision était en contrariété avec un arrêt des
Chambres réunies, empêchera les juges du fond, dans une affaire sem-
blable, de contre l'interprétation donnée à la loi
par la Cour
s'insurger
suprême. Et celle-ci, d'autre part, tient avec raison à ne pas se départir
d'une jurisprudence qu'elle a formulée elle même, étant donné la pertur-
bation dans les intérêts qu'entraînerait une pareille volte-face.

DROIT. — Tome I,
CHAPITRE II

SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI

Sous ce titre, nous rencontrons deux questions à résoudre:


1° Quelle est l'application de la loi dans l''étendue? A quelles personnes,
à quels biens s'applique sa disposition?
2° Quelle est l'application de la loi dans le temps? A partir de quel mo-

ment, quel moment s'étend son empire ?


jusqu'à
A la première question répond la disposition fondamentale de l'article 3,
du Code civil « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui ha-
bitent le territoire. — Les même ceux des étran-
immeubles, possédés par
— Les lois intéressant
gers, sont régis par la loi française. l'état et la capa
cité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étran-

ger. » Nous n'avons pas à faire ici l'étude de ce texte et des questions
multiples qu'il soulève, et qu'on désigne communément sous le titre de

conflits de lois (détermination du domaine respectif, en France et hors de


France, de la loi française et des lois étrangères). Ces questions, en effet
bien que traitées dans le Code civil, ne font pas partie du Droit civil fran-

çais, subdivision de notre Droit positif national. Elles rentrent dans la


branche du Droit international
privé.
Nous n'examinerons donc que la question de l'application de la loi dans
le temps, ce qui comprend trois théories :
Celle de la promulgation et de la publication des lois ;
Celle de la non-rétroactivité de la loi;
Celle de l'abrogation de la loi.

SECTION I. — PROMULGATION ET PUBLICATION DES LOIS 1.

Distinction de la promulgation et de la — Les me-


publication.
sures législatives définitivement votées par les deux Chambres n'entrent
en application qu'autant qu'elles ont été promulguées et le
publiées par
pouvoir exécutif.
La promulgation est l'acte par lequel le chef de l'Etat ordonne l'exécu-
tion du texte élaboré par le Parlement. La nécessité de la promulgation

1. Duguit, Manuel de droit constitutionnel, 1907, n° 139; Emile Bonnet, De la


promulgation, thèse, Poitiers, 1908,
SPHÈRE D'APPLICTION DE LA LOI 43

est la conséquence logique de la séparation des pouvoirs. L'acte sorti des


délibérations du pouvoir législatif est bien définitif, mais il ne être
peut
rendu exécutoire que par le pouvoir exécutif.

Lapublication,.à son tour, a pour objet de porter à la connaissance du


public le texte de la loi. Celle-ci ne commence à elle ne
s'appliquer,
devient obligatoire qu'à dater du moment où cette publicité a été accomplie.
Promulgation et publication sont donc deux actes distincts, successifs,
nécessaires l'un et l'autre pour la mise en application de la loi.
Les deux premiers alinéas de l'article 1er du Code civil notent très
exactement les effets et la différence des deux actes en ces termes:
« Les lois sont exécutoires dans tout le territoire
en vertu de
français,
la promulgation qui en est faite par le Président de la République. —
Elles seront exécutées dans chaque partie de la République, du moment où
la promulgation en pourra être connue 1. »

1° Comment se fait la promulgation de la loi? — L'article 7 de la


loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs pu-
blics fixe le délai dans lequel le Président de la République doit pro-
céder à la promulgation. Ce délai est d'un mois à partir de la transmis-
sion du texte au Gouvernement par le Président de la Chambre qui l'a
voté en dernier lieu. Il est réduit à trois jours pour les lois dont la pro-
mulgation, par un vote exprès de l'une et de l'autre Chambre, a été dé-
clarée urgente 2.

1. Le sens ainsi attaché par le langage juridique au mot de promulgation n'est


pas étymologiquement exact. Car ce mot signifie proclamer, rendre public. Pro-
mulgari quasi provulgari, lisons-nous dans le vocabulaire de Festus. Néanmoins
il est devenu d'usage d'employer le mot de promulgation pour désigner l'acte qui
donne force exécutoire à la loi définitivement votée. Cette terminologie peut être
considérée comme remontant au décret du 9 novembre 1789, dont l'article 3 conte-
nait la formule de la promulgation, ainsi conçue : « L'Assemblée nationale a décré-
té et nous voulons et ordonnons ce qui suit ». La promulgation était donc bien con-
sidérée dès lors comme l'ordre d'exécuter et de publier. Il est vrai que, dans des
textes ultérieurs, le mot de promulgation se trouve souvent employé comme syno-
nyme de publication (V. le décret du 14 frimaire an II, sur le mode de gouvernement
provisoire et révolutionnaire, sect, I, art. 9 : « Dans chaque lieu, la promulga-
tion sera faite par une publication à son de trompe ou de tambour. » V. aussi les
travaux préparatoires du Code : Fenet, t. IV,p. 4, 8, 97, 117-129, 147, 148, 178, 201,
202, etc., et l'ordonnance du 27 novembre 1816, concernant la publication des lois
et ordonnances, dont l'article 1er porte : « A l'avenir, la promulgation des lois
et de nos ordonnances résultera de leur insertion au Bulletin officiel. » V. enfin
le décret du 5 novembre 1870 relatif à la promulgation des lois et décrets, art. 1er).
Mais un arrêt de la Cour de cassation (Ch. réun., 22 juin 1874, D. P. 1874.1.322,
S. 1874.1.336) a bien nettement la promulgation et la publication. « Sous
distingué
l'empire de l'ordonnance du 27 novembre 1816, dit cet arrêt, l'insertion au Bulletin
officiel n'était un élément constitutif de la promulgation mais un simple
point
mode de publication. » — Cf. la note de M. Cauwès sous Gass. crini., 6 février 1874,
S. 1874.1.281).
2. Il ne faut pas confondre la déclaration d'urgence de la promulgation, avec la
déclaration d'urgence de la délibération qui a pour effet de soustraire la discussion
de la loi à la nécessité d'une seconde lecture. Cette variété de déclaration d'urgence
intervient très fréquemment. Au contraire, nous ne connaissons pas, depuis 1875,
d'exemple d'une déclaration des Chambres imposant au gouvernement l'urgence
d'une promulgation.
INTRODUCTION. — II
44 CHAPITRE

Le Président de la jouit cependant du droit, tout, théo-


République
ce de reculer le jour de la promulgation en deman-
rique jusqu'à jour,
dant aux deux Chambres, par un message motivé, une nouvelle délibé-

ration, qui ne peut être refusée.


La formule de l'acte de est réglée par le décret du 6 avril
promulgation
1876. En voici les termes :
« Le et la ont
Chambre — Le Président
des de la
Sénat députés adopté.
la loi dont la teneur suit : » Puis, après le texte de
République promulgue
la loi, on lit cette phrase finale : « La présente loi, délibérée et adoptée par
des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat. —
le Sénat et la Chambre
Fait à.... le.... »

se fait la ? — antérieure à
2° Comment publication Législation
1870. — Le Code civil n'avait pas établi de publication proprement dite.

la Constitution du 22 frimaire an VIII, art. 37, tout décret du Corps


D'après
devait être promulgué par le premier consul, le dixième jour
législatif
son émission. D'autre part, l'article ler du Code civil, al. 2, décidait
après
les lois seraient exécutées dans chaque localité dès le moment où la pro-
que
en pourrait être connue. Mais il n'établissait aucune mesure
mulgation
de publicité pour rendre efficace cette
divulgation. Elle résultait du simple
écoulement d'un délai, courant à dater de la promulgation automatique
par la Constitution. Ce délai était, pour le département où sié-
organisée
geait le gouvernement, d'un jour franc, et, pour les autres départements,
d'un jour franc plus autant de jours qu'il y avait de fois dix myriamètres
entre la ville où la promulgation avait été faite et le chef-lieu (art. 1er, 3e al.).
En fait, il est vrai, les actes législatifs étaient insérés au Bulletin des

lois, lequel a été par le décretfondé précité de la Convention du 14 fri-


maire an II (4 décembre 1793), sect. I, art. 1er; mais ce n'était pas cette
insertion qui fixait la mise en vigueur de la loi.
Il fallut modifier ce système sous la Restauration, car la Charte consti-
tutionnelle du 4 juin 1814, art. 22, donnant le droit de sanction au roi,
celui-ci était maître de choisir l'heure de la promulgation, et, dès lors,
celle-ci ne se faisait plus automatiquement et à date fixe comme sous la
Constitution de l'an VIII 1. On ne connaissait donc plus le moment précis
où commençait le délai de la mise en vigueur.
En conséquence, l'ordonnance du 27 novembre 1816 décida que la pro-
mulgation résulterait de l'insertion au Bulletin des lois, et que la loi serait
réputée connue, conformément à l'article ler du Code civil, un jour franc,
augmenté du délai complémentaire pour les autres départements, après
que le Bulletin des lois aurait été reçu, de l'Imprimerie royale, par le Mi-
nistre de la justice, lequel constaterait sur un registre le moment de la
réception. Et, comme ce registre n'était pas public et que personne n'était
admis à vérifier le moment précis où le Bulletin était arrivé au Minis-

1. Voir le règlement du 13 août 1814, concernant les relations des Chambres avec
le roi, lit, IV, De la sanction ©t de la publication des lois,
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 45

tère de la
justice, on décida de mentionner cette date de au
réception
bas dé chaque numéro du Bulletin des lois (Ord..18 janvier 1817, art. 4).
Au cas d'urgence, la loi était directement envoyée aux préfets de-
qui
vaient la faire imprimer et afficher.

actuelle. — Décret du 5 novembre 1870. —


Législation Enfin, le
décret du gouvernement de la Défense nationale, du 5 novembre 1870,
rendu à une époque critique où il fallait hâter la mise en vigueur des me-
sures urgentes nécessitées par l'état du pays, a modifié sur deux points
le système suivi jusque-là.
A. — Il a décidé que la publication résulterait de l'insertion des lois et
décrets au Journal officiel, lequel, beaucoup plus lu et plus répandu,
remplace utilement à cet égard le Bulletin des lois.
- B. — Le délai de publication est abrégé et mis en harmonie avec les
nouveaux moyens de communication. La loi est, en effet, obligatoire à
Paris, un jour franc après celui de l'insertion au Journal officiel, et par-
tout ailleurs, un jour franc après que le Journal officiel qui contient la
loi est parvenu au chef-lieu de l'arrondissement.
On remarquera que le décret prend pour unité territoriale non plus le
département, mais l'arrondissement.
Ce mode de publication est bien plus simple que l'ancien. Au lieu de
s'étendre par ondes lentes sur le territoire, la loi devient applicable dans
tous les départements presque au même moment, car le Journal officiel
arrive aujourd'hui, à un jour près, à la fois dans tous les arrondissements
de France.
Le décret de 1870 prescrit, en outre, aux préfets et sous-préfets de
prendre les mesures pour que les
nécessaires im- actes législatifs soient
primés et affichés partout où il est besoin (art. 3).
Il faut noter que le décret du 5 novembre 1870 n'a pas supprimé le
Bulletin des lois. Celui-ci continue donc à publier tous les actes législatifs.
En outre, certains décrets d'intérêt purement local ou individuel ne pa-
raissent qu'au Bulletin des lois, non au Journal officiel. Pour ces actes fort
peu nombreux, fort peu importants, c'est l'ancien système de publication
établi par l'article 1er du Code civil qui reste en vigueur.
Le délai qui fixe l'entrée en application des actes législatifs ne peut pas
être modifié par le pouvoir exécutif en ce qui concerne les lois. Au con-

traire, pour les décrets, lorsqu'il y a urgence à les appliquer, l'article 2,


2e al. du décret du 5 novembre 1870 permet au Gouvernement d'en or-
donner l'exécution immédiate par une. disposition spéciale.
Mais le décret de 1870 a laissé dans l'ombre une question importante,
celle de savoir dans quel délai doit se faire l'insertion au Journal officiel.
L'article 7 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 prescrit, nous
l'avons vu, au Président
de la République de promulguer les lois dans les
trois jours ou le mois qui suit la transmission du texte au Gouvernement

par le Président de la Chambre qui l'a voté au dernier lieu. Or, la pro-

mulgation proprement dite consiste dans le décret que rend le Président


46 INTRODUCTION. - CHAPITRE II

de la République et l'insertion du décret au Journal officiel n'est pas un


élément de la promulgation.

Cependant, nous croyons que l'insertion au Journal officiel du décret


de promulgation contenant le texte de la loi doit être faite dans le délai

prescrit par l'article 7 de la loi constitutionnelle, sinon ce texte ne serait

pas effectivement respecté, car il dépendrait du pouvoir exécutif de retar-


der l'application de la loi en reculant sa publication. La publication est
le complément nécessaire de la promulgation ; le chef de l'Etat n'a ac-

compli son devoir, qui est non seulement de rendre la loi exécutoire,
mais de la mettre en exécution, qu'autant qu'il a à la fois promulgué et

publié la loi. La promulgation sans la publication ne serait qu'un acte

platonique.

— Pour les lois dont la


Hypothèses exceptionnelles. importantes,
mise à exécution requiert des mesures préparatoires confiées par le

pouvoir législatif au pouvoir exécutif, et, notamment, l'élaboration de rè-

glements d'utilité publique, le Parlement déroge souvent aux règles


précédentes, et fixe à l'avance la date à laquelle la loi entrera en appli-
cation. On trouvera desdispositions de ce genre dans l'article 33 de la
loi du 9 avril 1898 concernant la responsabilité des accidents dont les
ouvriers sont victimes dans leur travail, et dans l'article 27 de la loi du
5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes.

De la date des lois. — Il accord


n'y a pas sur le jour
précis qu'il
faut considérer comme étant la date des lois. On peut hésiter, en effet,
entre trois moments : ou bien celui du vote définitif de la loi par le
Parlement, ou celui du décret de promulgation du chef de l'Etat, ou
enfin la date de la publication dans le Journal officiel.
Depuis la Révolution jusqu'en 1875, différents systèmes ont été suivis.
Sous les deux premières Assemblées révolutionnaires, on désignait,
en général, les lois par une double date, celle du vote de l'Assemblée et
celle de la sanction royale. Cependant, il y en a pour lesquelles une seule
de ces deux dates est indiquée.
Sous la Convention on mentionna la date du vote de l'Assemblée ;
sous le Directoire celle du vote des Cinq Cents, et, sous la Constitution
de l'an VIII, celle du vote du Corps législatif
Sous les Chartes de 1814 et de 1830 qui rétablissent le droit de sanc-
tion, c'est au contraire la date de la sanction qui est adoptée.
lois du Second Empire sont datées de même du jour de la
Les promul-
gation.
De 1870 à 1875, elles prennent la date du jour où elles ont été défini-
tivement votées.

lors, l'usage s'est encore modifié, et. l'on se réfère ordinaire


Depuis
nient au jour du décret de promulgation. On en donne cette raison qu'en

1. En ce sens : avis du Conseil d'Etat du 5 pluviôse an VIII (25 janvier 1800) Cet
avis inséré au Bulletin des lois n'a pas été abrogé (D, J. G,, V. Lois, n° 120).
SPHERE D'APPLICTION DE LA LOI 17

signant le décret, le Président de la République imprime à la loi son ca-


ractère définitif, car il renonce à son droit de demander une nouvelle
délibération.

Cependant, cet usage n'est pas universellement et il arrive


adopté,
assez fréquemment que l'on donne à une loi la date du numéro du
Journal officiel dans lequel elle a été insérée.

SECTION II. — NON-RÉTROACTIVITÉ DES LOIS.

Le et son fondement 1. — L'article 2 du Code civil con-


principe
tient cette disposition célèbre et fondamentale: « La loi ne dispose que
pour l'avenir; elle n'a. point d'effet rétroactif ».
On remarquera que ce texte contient en réalité règles deux
: 1° La loi

dispose pour l'avenir. Elle régit tous les faits, toutes les situations qui
se produiront dorénavant. 2° La loi ne dispose pas pour les faits qui se
sont déjà passés, accomplis antérieurement à sa promulgation. C'est
cette seconde des deux règles contenues dans l'article 2 du Code civil qui
constitue le principe de la non-rétroactivité des lois.
Donnons immédiatement un exemple de cettedouble portée de l'article 2.
Les débiteurs d'argent sont redevables de plein droit envers leurs créan-

ciers, à partir du moment où ceux-ci les ont mis en demeure, d'un in-
térêt légal (art. 1153, 1er al.) qui est aujourd'hui de 5 % l'an;
Supposons
qu'une loi nouvelle augmente le taux de cet intérêt légal et le porte à 6 %.
Un débiteur était depuis six mois en demeure. Il faudra décider : 1° Par

application de
première la
règle de l'article 2 que, dorénavant, ce débiteur

paiera non 5 % mais 6 % l'an ; 2° par application de la seconde règle, celle


de la. non-rétroactivité, que ce débiteur ne sera pas obligé de payer un

supplément de 1 % pour les intérêts qu'il doit à raison des six mois écou-
lés antérieurement à la loi nouvelle.
maintenant — la est essentielle — comment se
Voyons question jus-
tifie le principe de la non-rétroactivité des lois qui se retrouve dans toutes
les législations. Nous ne nous occuperons d'ailleurs ici que de matières de
Droit privé, le principe de la non-rétroactivité des lois de Droit pénal,
consacré actuellement par l'article 4 du Code Pénal, étant dominé et régi

par des considérations toutes particulières.


La de notre principe doit être cherchée à la fois dans la
justification
raison, dans l'équité, dans l'intérêt économique le plus manifeste.

Rationnellement, la loi étant un ordre, une prescription du


législa-
teur, c'est-à-dire du souverain, ne peut avoir pour domaine que l'ave-
nir et non le passé. On ne donne des ordres que pour l'avenir. Sup-

1. V. Capitant, Introduction 4° édit.,p,73 ets.;de Vareilles-Sommières, Une théo-


rie nouvelle sur la rétroactivité des lois, Rev. crit., 1893; Popovilief, Le droit
civil transitoire ou intertemporel, Rev. trim., 1908, p, 464; Valette, Nouvelle inter-
prétation de l'article 2 du Code civil, thèse Lyon, 1909; Demogue, note sous
S. 1910, 235; Duguit, La non-rétroactivité des lois et l'interprétation des /ois, Rev.
de Droit public, 1910, p. 764 s.
48 INTRODUCTION. — CHAPITRE II

posons qu'une loi nouvelle défende ce qu'une loi antérieure permettait;


il est clair que les actes accomplis par les citoyens sous l'empire de l'an-
cienne loi doivent rester valables, car, en les accomplissant, leurs auteurs
ont obéi à la loi comme ils lui obéiront en s'abstenant dorénavant d'actes

jadis permis, mais désormais défendus.


Or, il se trouve que ce principe, tout rationnel, de la non-rétroactivité
est en même temps conforme à l'équité la plus élémentaire ainsi qu'à la
stabilité du commerce juridique, et qu'il se justifie, en un mot, par un
intérêt économique évident. Les transactions humaines, en effet, ont besoin
de sécurité pour se développer et s'étendre. Quand un homme accomplit
un acte
juridique, il a le droit de compter que ses futures
conséquences
se dérouleront en conformité des lois sous lesquelles il l'a accompli. Il ne
faut pas que ses prévisions puissent être trompées par un changement de
volonté du législateur, sans quoi il hésitera à agir; la prudence lui con-
seillera l'abstention.

Détermination du domaine de la loi ancienne. — Dans un grand


nombre d'hypothèses, il est facile de déterminer est le domaine de
quel
la loi ancienne et, par conséquent, dans cas le juge violerait le prin-
quels
cipe de la non-rétroactivité de la loi en la loi nouvelle. Il en
appliquant
est ainsi lorsqu'il s'agit des d'actes ou de situa-
conséquences déjà passées
tions antérieures.

Supposons par exemple qu'une succession s'est ouverte hier à mon pro-
fit, et que, d'après les lois fiscales actuelles, je dois de droits
payer 15%
de mutation. Supposons que, une loi nouvelle vienne élever
demain,
à 20 % le tarif des droits de mutation. Il est si
clair, j'ai déjà réglé ma
dette envers l'administration de l'Enregistrement,
que celle-ci ne pourra
pas invoquer la loi nouvelle pour me réclamer de taxe; un supplément
bien plus, si je n'ai pas encore c'est encore sur le pied
payé, de 15 % et
non sur celui de 20 % à m'acquitter.
que j'aurai La taxation qui m'a cons-
titué débiteur de telle ou telle somme envers le fisc est une conséquence de
ma situation d'héritier, au moment
déjà accomplie où statue la loi nouvelle.
De même, les créanciers avant avaient
qui, 1900, touché, de leurs débi-
teurs en retard, un intérêt de 5 ou de 6 % (ce qui était le taux légal à
cette époque), n'ont pu être contraints à une restitution partielle après que
la loi du 7 avril 1900 a eu abaissé le taux de l'intérêt
légal à 4 % en ma-
tière civile et à 5 % en matière commerciale.
De même, et plus évidemment encore, le changement souveraineté
de
plaçant les individus annexés sous de la loi de
l'empire l'Etat annexant, et
équivalant pour eux, par exemple, pour les sujets sardes devenus français
en 1860, la promulgation d'une loi nouvelle, ne peut porter atteinte
à
aux droits qu'ils avaient acquis de la loi
sous l'empire ancienne, leur faire
perdre, par exemple, le bénéfice d'un jugement qu'ils avaient précédem-
ment obtenu des tribunaux sous la juridiction
desquels ils se trouvaient
placés (Civ., 7 juillet 1862, D P. 1862. 1.355 ; S. 62.1. 831; 17 février
Civ.,
1903, D. P- 1903. 1. 241, avec concl. de M. le proc.
gén. Beaudouin).
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 49

Comme dernier exemple enfin, nous citerons la disposition de l'article 2


de la loi du 8 mai 1816 abolissant le divorce. Ce texte a soin de décider que
la loi nouvelle n'atteint pas les divorces ont été
qui prononcés (par l'officier
de l'état civil) antérieurement. Ce sont là en effet les conséquences
passées
d'actes accomplis sous l'empire de la antérieure
législation laquelle auto-
risait le divorce ; la loi nouvelle qui le prohibe ne peut pas porter atteinte
à ces faits accomplis.

Conséquences futures des actes — Dans les


passés. hypothèses qui
précèdent, il ne s'élève aucune difficulté. Mais il s'en faut que le domaine
respectif de la loi ancienne et de la loi nouvelle soit aussi facile à
toujours
déterminer. En effet, les actes situations de la vie juridique ne
ou les pro-
duisent pas toujours des effets instantanés ; ils en une
n'épuisent pas, fois,.
la série de leurs conséquences. Au contraire, celles-ci forment souvent
une chaîne très étendue. Voici, par deux futurs
exemple, époux qui
signent un contrat de mariage. Ce contrat des effets
produira pendant
toute la durée de leur
mariage, et même au-delà, la liquidation de
pendant
leur régime conjugal. Or, on peut supposer qu'une loi nouvelle intervienne
au cours de la durée d'application de ce contrat de modifiant
mariage,
les conséquences légales attachées à telle ou telle de ses clauses. Ou en-
core, c'est une loi nouvelle qui vient décider que les individus dans
placés
telle ou telle situation, et jusqu'alors pleinement seront désor-
capables,
mais atteints d'une certaine incapacité. Certes, il ne faudra pas appliquer
la loi nouvelle aux conséquences passées de l'acte ou de la situation an-
térieurs. Ainsi, il ne pourrait s'agir d'annuler les actes l'in-
accomplis par
dividu, avant la réforme qui a transformé en incapables la catégorie de
personnes à laquelle il appartient. Mais la
question se pose pour les effets
futurs de la situation juridique ou du rapport de droit né sous l'empire de
la loi ancienne. L'individu, autrefois capable, va-t-il désormais, et pour ses
actes futurs, être traité en incapable ? Les effets attachés à la clause du con-
trat de mariage vont-ils être dorénavant régis, non par la loi envigueur
au moment de sa conclusion, mais par la disposition nouvellement
édictée?
Il semble, au premier abord, que la réponse à cette question ne devrait

guère être douteuse. Toute loi nouvelle doit être présumée meilleure que l'an-
cienne; car, à quoi bon modifier la loi si ce l'améliorer n'est pour ? Donc,
la loi nouvelle semble a priori devoir régir les effets que produiront dans
l'avenir les actes ou les situations juridiques, même antérieurs à sa pro-
mulgation. Toute survivance doit donc être refusée à la loi ancienne.
Et tel est bien le principe que la Jurisprudence a souvent proclamé
en termes formels. « Toute loi nouvelle, dit la Cour de Cassation,

s'applique même aux situations établies ou aux rapports juridiques


formés avant sa promulgation (Voir en dernier lieu, Civ., 20 février 1917,
D. P. 1917. 1.81, trois arrêts, note de M. Capitant, 7 juin 1921, Gaz. Pal.,
5 octobre 1921). Les décisions où* l'on rencontre cette formule ne
aucune atteinte au principe de la non rétroactivité ; elles ne
portent
70 INTRODUCTION. - CHAPITRE II

la première des deux contenues dans l'article 2


font qu'appliquer règles
la loi nouvelle dispose pour l'avenir 1.
il n'y a pas besoin de longue réflexion pour apercevoir que
Cependant,
dans un grand nombre de cas, serait à la fois
peu raison-
cette solution,
nable, tout à fait contraire à l'intérêt économique, et qu'il y a des hypo-
la loi ancienne doit son empire, nonobstant le chan-
thèses où prolonger
intervenu dans la législation, sous de la plus criante injus-
gement peine
— et c'est difficulté du —
tice. Mais reste à savoir là la grande sujet quel
est le critérium permettra de déterminer ces hypothèses.
qui
Pour résoudre le la Doctrine a imaginé ici une distinction,
problème,
la Jurisprudence a également adoptée, entre les cas où l'application
que
de la loi nouvelle ferait échec à un droit acquis et ceux où elle ne porte-

rait atteinte une ou expectative. Dans la première


qu'à simple espérance
ne devrait — et on cite,
série d'hypothèses, la loi nouvelle pas s'appliquer
le cas d'un texte modifiant l'ordre des successions, texte
comme exemple,
évidemment aux successions déjà ouvertes avant sa promul-
inapplicable
11 juin D. P. 1907. — Au contraire, les simples
gation (Pau, 1906, 2.1).
celle de l'héritier présomptif d'une personne
expectatives, par exemple,
à la loi nouvelle qui modifie la
encore vivante, ne devraient pas survivre
législation existante.
Nous ce critérium la première
pour fois par Blon-
croyons que proposé
au 2. 277) est
deau en 1809 (V. sa dissertation reproduite Sirey 1809,
son caractère en sorte classique, à la fois insuffisant et
malgré quelque
mal fondé.
Il est insuffisant d'abord, car il est souvent impossible de déterminer,
avec cas il y a simple
dans expectative et dans
quelque précision, quels
cas il y a droit acquis. Les exemples fournis en général ne peuvent
quels
nous éclairer, parce que la solution admise, en ce qui les concerne, peut
sans fasse à la notion de droit acquis. Ainsi, la
s'expliquer qu'on appel
non application d'une loi modificative de l'ordre des successions à une

hérédité ouverte se justifie assez par cette idée que la dévolution


déjà
héréditaire est la conséquence d'une situation antérieure déjà passée, déjà
au moment de l'apparition de la loi nouvelle.
inversement, Et,
accomplie
il y a telle où on se trouvait évidemment en présence d'un droit
hypothèse
et où cependant ce droit a dû s'effacer devant une loi d'abolition,
acquis
et cela sans qu'il y ait eu atteinte au principe de la non-rétroactivité. Nous
citerons les lois abolitives des droits seigneuriaux et féodaux qui ont mis
et qui devaient mettre obstacle, dès leur promulgation, à ce que les béné-
ficiaires de ces droits continuassent a les exercer. Et, cependant, ces droits
faisaient partie de leur patrimoine ; c'étaient certainement des droits acquis.

1. Nous nous permettons cependant de formuler des réserves pour la partie des
arrêts du 20 février 1917, 1re et 3e espèces, concernant l'effet d'une déclaration de pa-
ternité sur la dévolution des successions ouvertes et liquidées sous l'empire de la
législation antérieure et dans lesquelles l'enfant naturel réclamerait sa part. Ac-
cueillir cette prétention serait à notre avis, méconnaître le principe de la non-rétro-
activité des lois (V, les observations de M. Capitant dans sa note précitée).
SPHERE D'APPLICTION DE LA LOI 51

Mais, avons-nous dit, le critérium classique n'ost pas.seulement insuffla


sant, il est aussi mal fondé. Quand le législateur promulgue une prescrip
tion nouvelle, en effet, un particulier ne saurait avoir de droits à
acquis
l'encontre de sa volonté. Il n'y a pas de droits contre la loi.
Nous proposerons donc de substituer à la distinction des droits acquis
et des simples expectatives, le système suivant, qui repose sur L'inter
prétation de la volonté du législateur et sur les idées mômes servent
qui
de fondement au principe de la non-rétroactivité des lois.
Nous avons dit d'une part, que la loi nouvelle s'applique à tous les
faits et à toutes les situations futurs. Et, d'autre part, nous avons vu
que, si elle ne rétroagit pas dans le passé, cela tient d'abord à ce motif ra-
tionnel que le législateur ne peut, sous peine de contradiction, trouver
mauvais qu'on lui ait obéi autrefois lorsqu'il émettait une diffé-
règle
rente ; ensuite, à ce motif d'équité et d'utilité sociale que le législateur
n'a pu vouloir porter atteinte aux prévisions que les parties pouvaient
légitimement concevoir en exerçant, sous l'empire de la loi ancienne dif
férente, leur activité économique. De ces données, nous tirerons à la fois
le principe applicable aux conséquences futures des faits ou des situa-
tions antérieurs à la loi nouvelle ainsi que lesexceptions au principe.
Le principe, nous l'avons déjà indiqué, c'est que ces conséquences doivent
être régies par la.loi nouvelle, puisque celle ci a pour domaine l'avenir, le

passé seulement appartenant à la loi ancienne.


Par exemple, la loi du 16 novembre 1912 qui a permis aux enfants na-
turels d'exercer contre
père une action leur de leur filia- en reconnaissance
tion, a pu être invoquée, dès sa promulgation, par tous les enfants natu-
rels, y compris ceux qui étaient nés antérieurement à la loi nouvelle à
une époque où, cependant, la recherche de la paternité naturelle était in-
terdite. 20 février 1917 précités). Ce qui ne revient — nous
(Civ. pas à dire
ne saurions trop insister sur ce point— que la loi du 16 novembre 1912
doit produire un effet rétroactif. La vérité, c'est que son application à toutes
les instances futures en recherche de la paternité découle nécessairement
de la première règle contenue dans l'article 2 du Code civil (v. Gaudemet,
Rev. trim. 1914, p. 105 et s.).
De même, la loi du 13 juillet 1907 qui a donné à la femme mariée le
droit de disposer sans autorisation de son mari des produits de son travail

personnel et des économies en provenant s'est appliquée sur-le-champ aux


femmes mariées avant sa promulgation.
même une loi qui modifie les règles admises antérieurement
De encore,
pour la prescription, par exemple, en en reculant le point de départ, s'ap-
plique immédiatement aux prescriptions en cours au moment où elle est

(Civ. 20 juin 1904, D. P. 1903.1.113, S. 1907, 1.235; cf. Civ.


promulguée.
16 mars 1923, S. 23.1.337 et note de M. Rouast, D. P. 21.2.33).
Mais, au principe que la loi nouvelle régit les conséquences futures des
situations ou des rapports juridiques même antérieurs, il y a deux ordres

d'exceptions.

1. Note de M. Gastambide sous D. P. 1913.2.329.


52 INTRODUCTION. — CHAPITRE II

1° La a fois prononcé avec la plus grande fer-


Jurisprudence maintes
meté celte les contrats, une fois formés, demeurent exclusive-
règle que
ment sous
la loi
l'empire de laquelle ils ont été formés. Voici
régis par
l'une des applications de cette règle. Par une convention
plus frappantes
en 1819 et renouvelée en 1847, la Ville de Paris avait concédé
passée
aux Frères des Ecoles Chrétiennes, en échange des avantages que lui pro-
mettait leur Institut pour le développement de l'enseignement populaire, la

jouissance d'un immeuble situé rue Oudinot, sans qu'ils eussent à payer
de loyer tant que leur établissement subsisterait dans les locaux concé-
dés. La loi du 30 octobre 1886 sur l'enseignement primaire ayant, par la
suite, dans son article 2, implicitement défendu aux communes de sub-
ventionner directement ou indirectement des écoles privées, la Ville de
Paris demanda la résiliation de sa convention de 1819-1847, et un arrêt
de la Cour de Paris du 6 décembre 1899 fit droit à cette demande. Mais
la Cour de Cassation annula celte décision (Civ. 7 juin 1001 D. P. 1902,
1.105; S. 1902, 1.513, note de M. Wahl), pour cette raison qu'une loi nou-
velle ne peut pas porter atteinte aux conventions conclues par les particu-
liers. « . . Les effets d'un contrat, dit la Chambre civile, régis en prin-
sont
cipe, par la loi en vigueur à l'époque où il a été passé ;... notamment les

causes de nullité ou de résolution dérivant d'une loi nouvelle ne touchent pas


aux droits contractuels légalement acquis sous l'empire de la loi ancienne. »
De même, il a été jugé qu'une loi abaissant le taux légal de l'intérêt ne
modifierait pas les intérêts à venir d'une créance fixée au taux légal
alors plus par une convention
élcvé) antérieure (Trib.civ. Seine 13 juin 1901

D. P. 1902, S. 1903.
2.340,
2.149).
2° On se souvient que les lois de Droit privé se divisent en deux caté-
gories, les lois impératives et les lois supplétives. Ces dernières ne sont
que l'interprétation donnée par le législateur à la volonté présumée des
parties, et cela afin
suppléer de
aux défaillances ou aux lacunes de leurs
prévisions, dans l'ordre des rapports juridiques où leur volonté est sou-
veraine. C'est, par exemple, à cette catégorie des dispositions supplétives
qu'appartiennent la plupart des règles positives écrites dans noire Code
civil à propos des contrats, particulièrement à propos du contrat de ma-
riage, étant donné que le principe dominant, en ces matières, est les
que
conventions librement consenties font la loi desparties (art. 1134, 1387).
Ainsi, lorsque le Code civil décide que les époux mariés sans avoir ré-
digé de contrat de mariage sont placés sous le régime de la communauté
(art 1393), c'est parce qu'il présume, chez les époux n'ont lait
qui point
de conventions l'intention d'adopter, en bloc, les clauses et sti-
spéciales
pulations contenues dans les articles (une centaine environ), con-
qu'il
sacre au régime de la communauté légale.
Or, si l'on suppose qu'une loi nouvelle intervienne modifiant une dis-
position appartenant à l'ordre des lois supplétives, le
par exemple, que
législateur fasse demain du régime de la séparation de biens le régime
légal des époux mariés sans contrat, celte nouvelle devra-t-elle
règle
s'appliquer désormais aux rapports des mariés antérieurement
époux
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 53

sans contrat et
placés, par conséquent, sous le de la commu-
régime
nauté? Non évidemment. En effet, si les époux sont placés aujourd'hui
sous e
régime de la communauté, c'est parce qu'ils l'ont voulu autrefois,
et comme, en cette matière, leur volonté est souveraine, leurs rapports
pécuniaires continueront à être ceux d'époux communs, tant du moins que
subsistera le principe fondamental que les conventions librement formées
font la loi des parties (art. 1134,1387). Le seul effet de la loi nouvelle, subs-
tituant un régime légal à un autre, ce sera que les époux se ma-
qui
rieront dorénavant seront supposés vouloir adopter la séparation de biens.
En un mot, la loi ancienne continue à régir les effets futurs des actes
antérieurs lorsque la loi ancienne et la loi nouvelle appartiennent l'une
et l'autre à la catégorie des lois supplétives de la volonté autonome et
souveraine des parties.
Ainsi s'expliquent et se justifient nombre de décisions de notre Juris-
prudence. Par exemple, il a été jugé que l'annexion d'un territoire ou
d'un Etat ne saurait porter atteinte aux conventions matrimoniales des
époux annexés. Celles-ci, en effet, empruntent leur force à la volonté des
futurs époux, laquelle ne peut être interprétée qu'à l'aide de là loi existante
au moment où les futurs époux ont choisi expressément ou tacitement le

régime qu'ils entendaient adopter ; dès lors, c'est la loi ancienne qui con-
tinuera à s'appliquer dans l'avenir. En conséquence, l'hypothèque légale
d'une femme mariée sous le régime de la loi sarde continuera à être régie

par les dispositions de cette loi et non par celles du Code civil français
(Grenoble, 6 juillet 1882. D. P. 1883.2.89; S. 1884.2.209, note de M. Labbé ;
Req., 25 mai 1883, D. P. 1883.1.381 ; S. 1883.1.3971).
En somme cette règle de principe que la loi .ancienne .doit s'effacer
devant la loi nouvelle quant aux conséquences futures des actes accom-
plis sous son empire ne s'applique que lorsqu'il s'agit de
dispositions
impératives. Et notre seconde restriction à l'empire, dans le futur, de la Joi
nouvelle se relie comme la première à la fois au fondement rationnel
de la règle de la non-rétroactivité, et à son fondement économique,

1. Nous ne rattacherons pas au même ordre d'idées les décisions d'où il résulte
que la validité d'un mariage et les causes de nullité qui l'atteignent doivent être
appréciées d'après la législation en vigueur au moment où il a été contracté, que,
par exemple, un mariage contracté par un Savoisien, avant l'annexion de son pays
à la France, pourra être, postérieurement, déclaré nul pour une cause de nullité
repoussée par notre Code, mais admise par la loi sarde (Chambéry, 7 février 1885,
D. P. 1885.2.241; S. 1886.2.217. note de M. Chavegrin). Ici, il ne s'agit pas de dispo-
sitions supplétives. Le mariage, à la différence du contrat de mariage, n'est pas
régi, dans ses effets, par la volonté souveraine des époux. Ce qui explique la com-
pétence de la loi ancienne; c'est cette idée que la nullité du mariage ou sa validité
sont des faits déjà passés, déjà, accomplis au moment de la mise en vigueur de la
loi nouvelle. Nous raisonnerons de même sur le point de savoir si un engagement
peut ou non être paralysé par une exception. Ainsi, la loi du 28 mars 1885, qui a
abrogé l'exception de jeu dans les marchés à terme, n'a pu faire perdre aux débi-
teurs, en vertu de marchés passés sous l'empire de l'ancien article 1965 du Code
civil, le droit d'opposer cette exception (Req., 12 juillet 1888, D. P. 1889. 1. 10;
S. 1891.1.71). C'est que la caducité facultative d'un marché de ce genre constituait
un fait déjà accompli au moment de la promulgation de la loi nouvelle. C'était
donc la loi ancienne qui devait continuer à s'appliquer,
54 INTRODUCTION. — CHAPITRE II

rétroactivité le — Quelles
La règle de la non n'oblige que juge.
lois sont rétroactives ? — Une observation essentielle qui domine toute
de la non rétroactivité de la loi est une
la matière, c'est que la règle règle
de pur Droit civil et non de Droit constitutionnel Elle n'oblige donc que le
mais non le législateur. A une certaine période de notre histoire, il en
juge,
a été autrement. La Constitution du 5 fructidoran II (Déclaration des Droits,
en effet de ce une constitutionnelle Mais
art. 14) faisait principe règle
ni la Constitution de l'an VIII, ni aucune autre depuis n'a reproduit cette

figure seulement, nous l'avons vu dans le Code civil.


disposition qui
Une conséquence importante découle de cette constatation : c'est
le juge à propos, au et
que le législateur peut, lorsqu'il déroger principe
décider que telle loi nouvelle aura un effet.rétroactif.
Comme premier exemple de la loi établie avec effet
rétroactif, nous cite-
rons le décret du 17 nivôse an II, par lequel la Convention annulait toutes
les donations faites depuis le 14 juillet 1789, et déclarait que les règles nou-
velles instituées en matière de dévolution successorale s'appliqueraient à
toutes les hérédités ouvertes depuis cette époque. Une perturbation pro-
fonde résulta de cette disposition inspirée au législateur révolutionnaire

par cette préoccupation, toute politique, de modifier profondément la ré-

partition des richesses et, par conséquent, la structure de la société. C'est


le souvenir de cette crise qui avait fait introduire le principe de la non-
rétroactivité dans la constitution de l'an III.
Un autre exemple nous est fourni par la loi du 12 brumaire an II relative
aux enfants illégitimes. L'article 10 de cette loi décide qu' « à l'égard des
enfants nés hors mariage, dont le père et la mère seront encore existants lors
de la promulgation du code civil, leur état et leurs droits seront en tout

point réglés par les dispositions du Code ». Celles-ci ont donc eu, lors-

qu'elles ont été promulguées, un effet rétroactif en ce qui concerne la situa-


tion des enfants illégitimes nés sous l'empire de la législation antérieure.
Au contraire, depuis la Révolution, il est bien rare que le législateur
ait fait échec au principe de la non-rétroactivité des lois 1. Mais il lui arrive
assez souvent de décider qu'une loi nouvelle sera
applicable aux effets
d'une convention antérieurement passée, par dérogation à la règle précé-
demment posée que les contrats demeurent exclusivement régis par la loi
sous l'empire de laquelle ils ont été conclus. Nous citerons, par exemple, la
disposition de la loi du 29 juin 1899, votée à la suite de la loi du 9 avril 1899
relative aux accidents du travail, et en vertu de laquelle les industriels ont
été autorisés à dénoncer les polices d'assurances accidents qu'ils avaient
souscrites antérieurement. Cette atteinte au principe du respect des con-
ventions a paru indispensable, étant donné que la législation nouvelle sur
les accidents assujettissait les industriels à des risques nouveaux contre
lesquels leurs assurances antérieures ne les garantissaient point. De même,

1. On peut citer la loi du 3 mai 1921 sur la réparation de dommages causes aux
tiers par des explosions ou émanations survenues dans les établi sements de l'État
ou les établissements privés travaillant pour la défense nationale. V. aussi loi
du 16 avril 1914 sur l'organisation municipale, art. 3.
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 55

la loi du 16 novembre 1903, relative aux actions de priorité et modifiant,


à leur sujet, l'article 34 du Code de commerce ainsi que diverses
disposi-
tions des lois concernant les sociétés, a été déclaré (art. 2) applicable aux
sociétés même fondées antérieurement. Cette mesure était juste et néces-
saire à cause des abus, évidemment non prévus par la législation anté-
rieure des sociétés, qui s'étaient introduits dans la constitution et le fonc-
tionnement de beaucoup de ces organismes, au grand préjudice des capi-
talistes et même de la moralité publique.
Enfin, il convient encore de citer la loi du 9 mars 1918 sur les baux à

loyer, et celle du 21 janvier 1918, qui, visant les marchés de marchandises


à livrer et autres contrats commerciaux conclus avant la guerre,.autorise
chacun des contractants à en demander la résolution pendant la guerre, à

charge de prouver que, par suite de l'état de guerre, l'exécution de ses obli-
lui causerait un préjudice dépassant de beaucoup les prévisions
gations
être raisonnablement faites à l'époque de la convention.
qui pouvaient
Cette loi fait de plus échec au principe de non-rétroactivité, car elle permet
de demander la résolution même à celui qui a été condamné par une déci-
sion de justice passée en force de chose jugée, pour celles de ses obliga-
tions qu'il n'a pas encore exécutées.

et de civile. — Parmi
Lois de compétence judiciaire procédure
les lois dont l'application sans réserve à toutes les manifestations futures
des situations antérieures n'a pas besoin d'être consacrée par un texte for-
il convient qui ont trait à la compétence
celles et à la pro-
mel, d'indiquer
cédure civile. C'est qu'en effet ces lois — intéressant d'ailleurs aussi bien

le Droit le Droit — sont faites pour assurer une meil-


public que privé,
leure distribution de la justice et que, dès lors, il est à la fois d'ordre

et de l'intérêt même des parties" qu'elles leur soient applicables


public
fois du moins que cette application est possible.
immédiatement, chaque
Par une loi modifierait la détermination du juge compé-
conséquent, qui
tent ou le taux de sa devrait régir les faits accomplis et même
compétence
les instances au moment de sa publication (Aix, 18 février
déjà engagées
D. P. S. 1886,2.169, note de M. Naquet; Grenoble,
1886, 1887, 2.37,
12 août D. P. 190.4, 2.77, note de M. Thaller, S. 1904, 2.206). Une loi
1902,
modifiant la sur-le-champ à tous les procès à
procédure s'appliquera
fût-ce à propos de faits antérieurs à sa promulgation ainsiqu'aux
naître,
instances à ce moment, sous la seule réserve du maintien des
pendantes
actes de H juin 1896, D. P 1897, 2.8 ; S,
procédure déjà accomplis (Paris,
1896, 2.245).
à savoir ce faut entendre lois de procédure. Le critérium
Reste qu'il par
est .assez délicat à établir. les relatives aux preuves
parfois Ainsi, règles
admissibles devant rentrent-elles
le dans la procédure? Il semble
juge
faut La forme dans la preuve doit être admi-
qu'il distinguer. laquelle
nistrée tient à la procédure et doit être déterminée par la loi en vigueur

à l'époque où la preuve est fournie. Au contraire, les conditions de rece-

vabilité de tel ou tel mode de preuve,' par le point de savoir si


exemple,
56 INTRODUCTION. — CHAPITRE II

tel acte ou non se prouver par témoins, sont déterminées non


pourra
la loi du temps où s'exerce l'action mais par celle du temps où
par l'acte
à prouver a été conclu 26 juin P. 91. 1. 129). Il doit y
(Civ., 1889,D.
avoir sur ce point survivance de la loi ancienne, empiètement de cette loi

sur le domaine de la loi nouvelle. Cela est conforme à la nécessité éco-

Il n'y aurait pas de sécurité pour les transactions des parties


nomique.
si les conditions de preuve de leurs droits, conditions sur lesquelles ils

en contractant, pouvaient se trouver modifiées par un changement


comptent
de législation. Mais, bien entendu, la règle ici indiquée ne s'applique qu'à
la des droits acquis en matière économique, et sous réserve de
preuve
l'ordre public. Elle ne doit pas s'étendre hors de ce terrain, par exemple,
à la preuve de la filiation 20 février 1917 précité. Cf., en matière de
(Civ.,
preuve de l'interposition de personnes dans les libéralités faites à des

congréganistes, Civ., 8 février 1904, D. P. 1904, 1, 117 ; S. 1905, 1, 17,


note de M. Chavegrin).
Doit-on de même considérer comme étant des lois de procédure les

dispositions relatives à la réalisation du droit des créanciers sur les biens


de leur débiteur? Nous serions disposés à l'admettre. Cependant, il faut ici
relater certaines décisions qui, à propos de l'application de la loi du
12 janvier 1895, déclarant insaisissables les salaires des ouvriers, ont
admis que les créanciers, à raison de dettes antérieures, ont conservé
le droit de former des saisies-arrêts sur les salaires acquis antérieu-
rement (Civ., 31 octobre 1900, D. P. 1902.1.257, note de M.
Apple-
S. 1902.1.241. — Cf. D. P. 1896.2.185 et 289). Ce qui ces
ton; explique
arrêts, c'est qu'ils ont vu, dans la saisissabilité ou l'insaisissabilité des
biens du débiteur, une conséquence de l'affectation tacite du gage offert

par lui à son créancier, au moment de son engagement. Mais il faut recon-
naître qu'une telle manière de voir est très sujette à discussion.

Lois — Une variété de


interprétatives. dispositions que l'on rap-
proche souvent des lois à effet rétroactif, ce sont les lois dites interpré-
tatives. On appelle ainsi celles par lesquelles le législateur se propose de
déterminer le sens douteux, obscur ou controversé d'une loi ancienne.
Nous citerons, comme
exemple d'une loi de ce genre, celle du 13 avril 1908
dont l'article 3 interprète l'article 9, § 3 de la loi du 9 décembre 1905
sur la séparation des Eglises et de l'Etat, texte relatif aux actions en
reprise des biens des établissements ecclésiastiques. Il semble, à pre-
mière vue, que l'application des lois de ce genre soit à la
étrangère
question de rétroactivité et de non-rétroactivité, puisqu'une disposition
interprétative doit être considérée comme s'étant incorporée à la loi in-
terprétée. Cependant, c'est à boa droit qu'on les assimile à des lois à
effet rétroactif, et cela pour deux raisons.
D'abord, en fait, l'expérience démontre que le se sert
législateur par-
fois du subterfuge d'une loi soi-disant interprétative dissimuler le
pour
caractère rétroactif qu'il veut, en réalité, donner à une disposition nou-
velle, et éviter ainsi la défaveur avec laquelle accueille
l'opinion gêné-
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 57

ralement une disposition de ce Une loi célèbre nous


genre. fournira un
exemple de ce procédé. C'est celle du 21 juin 1843
; soi-disant interpréta-
tive de l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI relatif à la forme des
actes notariés. Ce dernier texte exigeait les actes notariés
que fussent
reçus par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins. Ce-
pendant, l'usage s'était implanté dans la pratique de faire signer l'acte,
après sa réception, par le notaire en second ou
par les deux témoins, les-
quels n'avaient pas assisté à la rédaction. La Cour de cassation ayant
constaté l'irrégularité certaine de cette et cette
pratique, jurisprudence
faisant planer une menace de caducité sur la plupart des actes notariés
antérieurement souscrits, la loi du 21 juin 1843, sous d'inter-
prétexte
préter l'article 9 de la loi de l'an XI qui, en réalité, était fort explicite,
intervint pour valider les errements de la pratique.
Mais ce n'est pas tout. En droit et en raison, il est facile d'apercevoir
que toute loi interprétative, eut-elle sérieusement ce caractère, entraîne
en soi un certain effet rétroactif. Elle commande, en effet, de donnera
des actes déjà passés, accomplis sous l'empire de l'ancienne loi obscure,
une interprétation qu'ils n'auraient peut-être pas reçue. Parexemple,
au lendemain de la promulgation du Code civil, on se demandait s'il
était nécessaire qu'une inscription contînt la mention de
d'hypothèque
l'époque d'exigibilité de la créance pour donner efficacité à cette hypo-
thèque. L'article 2148 du Code civil, contenant l'énumération des men-
tions à insérer dans les inscriptions hypothécaires, restait muet sur la
question, et les avis différaient. Intervint alors la loi du 4 septembre 1807,
décidant, à titre d'interprétation de l'article 2148, que cette mention
était indipensable pour la validité de l'inscription et, par suite, pour l'ef-
ficacité de l'hypothèque. Il est évident que cette loi modifiait la situation
des créanciers hypothécaires inscrits antérieurement, qui, dans leur ins-
cription, n'avaient pas fait figurer la mention requise. Ces créanciers,
en; effet, au cas où une contestation aurait surgi sur la validité de leur
hypothèque, pouvaient espérer, le point étant controversé, tomber sur
un tribunal qui déclarerait l'inscription valable. A partir de la loi inter-
prétative, une telle espérance leur était interdite 1.
L'idée que la loi interprétative présente un caractère non seulement
rétrospectif, mais rétroactif, n'est donc plus contestée aujourd'hui. Ainsi
d'ailleurs en jugeaient déjà les auteurs du Code civil, car l'article 2, dans
sa rédaction primitive, contenait un alinéa deuxième ainsi conçu : « Néan-
moins la loi interprétative d'une loi précédente aura son effet du jour de
la loi qu'elle explique... » Le Conseil d'Etat cet alinéa, parce
supprima

1. La question de savoir si une loi est ou non interprétative et parfois assez


difficile à résoudre. V. Req., 24 mars 1924, S. 24.1.146, note de M. Niboyet; 10 fé-
vrier 1925, D. P. 25.1.99, note de M. Josserand. La question a été résolue dans le
sens de l'affirmative en ce qui concerne la loi du 7 novembre 1922, introduisant
dans l'article 1384 deux alinéas qui visent la responsabilité des détenteurs d'im-
meubles ou de choses mobilières dans lesquels un incendie a pris naissance et s'est
propagé en dehors (Civ., 16 juillet 1925, D. H. 1925, p, 573, S, 1925,1.351 ; 23 mars
926, D. P, 1926.1.139, note de M, Josserand).

DROIT. — Tome I.
58 INTRODUCTION. — CHAPITRE II

qu'il lui parut inutile d'exprimer quelque chose d'aussi évident (Locré,
t. I, p..380, 391 et s.).

SECTION III. — ABROGATION DES LOIS.

est la de la loi, en ce qui concerne du moins


L'abrogation suppression
son effet obligatoire.
Il y a deux sortes d'abrogations : l'abrogation expresse et l'abrogation
tacite.
est celle qui est contenue dans un texte formel.
L'abrogation expresse
Nous en avons déjà donné un exemple en citant l'article 7 de la loi du
30 ventôse an XII promulguant le Code civil. On se souvient que cet article

abroge en bloc toutes les lois antérieures à 1789.

L'abrogation tacite est celle qui ne résulte pas d'un texte exprès, mais de

la contrariété, de l'incompatibilité qu'il y a entre une loi ancienne et une


loi nouvelle. En effet, le législateur doit être présumé avoir voulu, ordonné
des choses raisonnables. Et il ne le serait pas
qu'ayant édicté successive-
ment deux loiscontraires, il eût entendu prescrire de les appliquer toutes
les deux. Du moment que l'observation de l'une exclut celle de l'autre, il est
clair que, dans le conflit, c'est la loi récente qui doit l'emporter.
On comprend par là l'inutilité d'un article final par lequel se terminent
un grand nombre de lois françaises, article portant que toutes les lois
antérieures sont abrogées « dans ce qu'elles ont de contraire à la présente
loi ». Cette abrogation va sans dire ; il est superflu de la formuler.

Y a-t-il abrogation par la désuétude ou par l'établissement d'un


contraire ? — La solution de cette ne semble
usage question guère pou-
voir faire doute. Nous avons vu que la coutume n'est pas une source de

Droit positif dans notre société moderne. Elle peut donc bien modifier l'in-

terprétation donnée à la loi, mais non abroger la loi elle-même par l'éta-
blissement d'un usage contraire. D'autre part, la désuétude d'une loi ne

prouve pas autre que la défaillance


chose des autorités qui devraient la
faire respecter. Le jour où ces autorités sortiront de leur torpeur et s'appli-

queront, comme c'est leur devoir, à remettre en application un texte trop


longtemps négligé, rien ne pourra mettre obstacle à cette reviviscence.
C'est ainsi que le décret-loi du 2 mars 1848 (avec l'arrêté du 21 mars) pro-
hibant le marchandage, quoique non appliqué pendant un demi-siècle, n'a
pu être considéré comme ayant été abrogé par le non-usage, et a dû être
appliqué par les tribunaux le jour où il a plu au ministère public d'en
remettre en honneur les prescriptions (Ch. réun., 31 janvier 1901, D. P.
1901, 1.169, S. 1902, 1.157).
Toutefois, il y a ici, comme lorsqu'il s'agit de déterminer l'effet de la
coutume, certains tempéraments que le bon sens commande d'admettre à
la portée du principe. Il nous semble que, lorsqu'une à
disposition légale
été certainement écrite en vue d'une situation ou d'une institution à laquelle
elle se rattache par un lien évident, la fin de cette situation ou de cette ins-
titution doit marquer aussi la fin de l'application de la loi Nous citerons.
SPHÈRE D'APPLICATION DE LA LOI 59

par exemple, les articles 1265 à 1270 consacrés par le Code civil à la cession
de biens. Ces textes n'ont jamais
abrogés été
ni expressément, ni tacitement.
Aucune disposition légale ne mettrait
obstacle aujourd'hui encore à ce que
la cession de biens fût pratiquée entre débiteur et créancier. Cependant,
toutle monde considère ces articles comme abrogés. En effet, le seul avan-
tage que la cession de ses biens procurait au débiteur était de lui permettre
d'éviter la contrainte par corps. Or, cette voie d'exécution a été supprimée
par la loi du 22 juillet 1887. Il doit en résulter la d'une institu-
disparition
tion, comme la cession de biens, corollaire de celle de la contrainte par
corps. C'est là le résultat d'une nécessité rationnelle, et par na-
conséquent
turelle, qui permet de ne pas s'en tenir à la volonté exprimée du législateur,
parce que, plus forte que cette volonté même, elle l'implique, la sous-entend
inévitablement. De même, aucun texte n'a jamais abrogé le décret-loi du
27 mars 1852 qui rend au Code civil le nom officiel de Code Napoléon.
Nous tenons cependant ce pourtexteabrogé parce qu'il avait en été écrit
vue de mettre l'appellation du Code en harmonie avec les institutions im-
périales créées par la Constitution de 1852, laquelle a été renversée en 1870.
C'est surtout en matière de règlements de police qu'il y aura lieu de
tenir compte de cette espèce d'abrogation tacite résultant, non de la simple
désuétude, mais de la disparition des conditions,
sociales, politiques, éco-
nomiques, en vue desquelles la loi a été écrite. C'est qu'en effet, les rè-
glements de police étant destinés, sans mettre en jeu aucun principe
essentiel de droit, à assurer, par mille prescriptions de détail, le fonc-
tionnement pratique, quotidien et infiniment complexe de la vie sociale
dans l'Etat, le département ou la commune, constituent une législation
essentiellement temporaire et
contingente, en même temps qu'extraordi-
nairement touffue. Les règlements de police peuvent donc être considé-
rés comme ne survivant pas à l'état de choses, au moment de la vie so-
ciale en considération desquels ils sont intervenus. On a cité (Beudant,
.Cours, Introduction, n° 105) une ordonnance de 1634 qui interdit de fu-
mer du tabac à bord des bateaux sous peine d'être battu et mis à fond
de cale. Aucune disposition légale n'a jamais retiré cette ordonnance

qui n'est, d'autre part, incompatible avec aucun des nombreux règle-
ments de police concernant la marine et la navigation qui se sont succédé
le XVIIe siècle. Elle n'a donc fait l'objet d'aucune abrogation, ni
depuis
ni tacite. Qui pourrait cependant soutenir que cette vieille or-
expresse
donnance de 1634 fût encore aujourd'hui obligatoire ?
CHAPITRE III

THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES

Une théorie au moins sommaire des actes juridiques, c'est-à-dire des


manifestations de la volonté des individus en tant qu'elles produisent des
effets juridiques, trouve place assez logiquement à la suite d'une étude
sur les sources du Droit.
Dans une importante du Droit privé en effet, à savoir le Droit
partie
ou patrimonial, les droits des particuliers résultent ordinaire-
économique
ment des manifestations de leur volonté autonome auxquelles la loi elle-
même art. C. accorde cette efficacité de faire loi
(V. notamment, 1134, civ.)
entre les parties contractantes. L'acte juridique peut donc être considéré en

matière, comme une source particulière du Droit dont il importe


pareille
de déterminer le fonctionnement tel qu'il a été réglé et mesuré par la loi.
D'autre part, même dans la matière des droits de famille qui paraissent
le domaine exclusif de la réglementation légale, les manifestations de
volonté des particuliers jouent parfois un important, rôle celui de les

placer dans telle ou telle situation légale déterminée (mariage, adop-


tion, reconnaissance d'enfants naturels, autorisations, etc..) Les condi-
tions d'existence, de validité, d'efficacité de ces manifestations sont sou-
vent très analogues à celles que la loi établit à propos des actes juridiques
intéressant le patrimoine. Lorsqu'elles s'en différencient, il est important
de faire ressortir ces différences. Pour ces diverses raisons, il est utile
de faire place, en cette introduction, à une théorie, tout au moins élé-
mentaire, des actes juridiques. En cela nous suivrons une méthode dif-
férente de celle de notre Code qui non seulement ne débute pas (comme
l'a fait depuis le Code civil allemand) par une théorie générale de l'acte
juridique, mais se contente d'esquisser (Liv. III, titre III, art. 1101 à 1125,

1151 à 1154, 1168 à 1188, 1304 et s.) une théorie générale des contrats,
c'est-à-dire des actes juridiques les plus fréquents et les plus usuels.

GÉNÉRALITÉS

Définitions. Faits juridiques et actes — Tous les événe-


juridiques.
ments qui ont pour effet de donner naissance à des droits, de les trans-
mettre d'une personne à une autre, d'en entraîner l'extinction, sont des
faits juridiques. Mais il s'en faut que tous les faits constituent
juridiques
des actes juridiques.
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 61

Ceux qu'on appelle ainsi, les actes juridiques


proprement dits, ce sont
les actes volontairement accomplis par l'homme, avec l'intention d'engen-
drer, de modifier ou d'éteindre des droits. Citons immédiatement comme
exemple, les contrats vente, louage d'immeubles, prêt, contrat de travail.
société, etc.), actes juridiques consistant en un accord de deux ou de
plusieurs volontés formé pour créer des obligations entre les contractants.
Celle classe d'actes juridiques est la plus nombreuse et la plus impor-
tante. Les contrats, en effet, sont la substance, la trame même de la vie
juridique. C'est pourquoi on peut dire
joue que la
un rôle volonté
pré-
pondérant dans le domaine civil. du Droit
C'est elle qui est la source gé-
nératrice la plus abondante des droits civils. Il en est ainsi dans la sphère
du Droit économique ou patrimonial. Là, presque tout est réglé par les
contrats. Et nous avons vu que les lois qui ont trait à cette matière (lois
supplétives ou déclaratives) ne sont elles-mêmes en général que le résultat
de contrats supposés.
Mais les.contrats ne sont pas les seuls actes juridiques à signaler. On
peut indiquer encore, par exemple, le testament, acte par lequel l'indivi-
du dispose des biens qu'il laisse à son décès.
En somme, on peut définir l'acte juridique une manifestation de vo-
lonté qui est faite avec l'intention d'engendrer, de modifier ou d'éteindre
un droit.

Confusion à éviter. Sens divers du mot acte. — Il convient de


faire ici une observation essentielle. En dehors du sens que nous venons
d'indiquer, le mot acte est pris encore dans une autre acception. On
l'emploie en effet pour désigner l'écrit qui est rédigé pour servir de

preuve d'une opération juridique. Les Romains désignaient cet écrit sous
le nom d'instrumentum, et l'on dit quelquefois encore l'acte instrumen-

taire, de même que l'on emploie le verbe instrumenter pour désigner le


fait de l'officier public qui dresse un acte de son ministère.
Ainsi, le mot acte sert à désigner à la fois l'opération volontaire qui a
pour but de créer, de transmettre ou d'éteindre un droit, et l'écrit dres-
sé pour la constater. Cette double signification, dont nous avons maints

exemples dans le Code (art. 196, 778, 1139, 1317 et suiv., etc.), est re-

grettable, car elle peut créer une confusion. Il vaudrait mieux réserver
le mot titre pour désigner l'écrit probatoire.

Faits ne constituant des actes. — Il résulte de ce


juridiques pas
qui précède que, lorsqu'il n'y a pas opération volontaire, intentionnelle,
il n'y a pas acte juridique. On appellera faits juridiques tous les événe-
ments qui entraînent la naissance, la transmission, la transformation,
l'extinction de droits sans impliquer l'intervention d'une volonté inten-
tionnelle. Ces faits juridiques se diviseront eux-mêmes en deux catégories :
1° Les faits indépendants de toute volonté de l'homme, c'est-à-dire les
événements naturels ou accidentels qui entraînent des conséquences ju-
Nous citerons, comme la naissance, marque le
ridiques. exemples, qui
88 INTRODUCTION. — CHAPITRE III

commencement de la c'est-à-dire de l'aptitude à devenir


personnalité,
titulaire de droits, et la mort, qui en marque la fin et entraîne la dévo-

lution du du défunt. Il faut noter encore la minorité, la pa-


patrimoine
certain de temps, fait des
renté, l' écoulement d'un laps lequel acquérir
droits ou les éteint l'effet de la prescription acquisitive ou extinctive,
par
la contiguïté des immeubles des obligations à la charge des
qui engendre
voisins, qui frappe dans son travail un salarié employé par un
l'accident
chef d'entreprise, etc.
2° Les faits résultant de la volonté de l'homme (ou, ce qui revient au

même d'une défaillance de sa volonté, de son attention) mais sans inten-


tion de leur faire produire des effets juridiques, et auxquels cependant la
loi attache cette conséquence. Tels sont les délits ou quasi délits, c'est-à-
dire les actes illicites, fautifs, cassant un dommage à autrui. Ces actes

engendrent un droit de créance au profit de la victime contre l'auteur


du dommage.

de la liberté des dans les actes —


Principe parties juridiques.
Un principe essentiel domine la matière des actes juridiques touchant
aux rapports d'ordre économique ou patrimonial ; c'est le principe de
la liberté des conventions. Il consiste en ceci que les particuliers peuvent
faire tous les actes juridiques qu'ils veulent et leur faire produire toutes
les conséquences juridiques qui leur conviennent, du moment qu'il ne

s'agit pas d'un acte ou d'un effet juridique interdit par une disposition
expresse de la loi. Tout ce qui n'est pas défendu est permis.
Ce principe est énoncé dans un des articles les plus importants du
Code civil, l'article 1134, 1er alinéa, où, à propos des contrats nous lisons :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui
les ont faites. »
Notons dès à présent l'une des applications plus lesimportantes de ce
texte faites à une matière spéciale par le Code civil, à savoir la disposition
de l'article 1387 relative aux contrats de mariage, c'est-à-dire aux pactes
par lesquels l'homme et la femme, avant leur mariage, règlent le régime de
de leurs intérêts pécuniaires pour le temps de leur union. Ce texte nous
dit : « La loi ne régit l'association conjugale quant aux biens dé-
qu'à
faut de convention spéciale que les époux peuvent faire comme ils le
veulent, »

Limitation du domaine de la volonté. Ordre et bonnes


public
moeurs. —
Si grande soit la liberté, l'autonomie
que laissée à la volonté
dans le commerce juridique, elle souffre des bornes. L'article 6
cependant
du Code civil, nous dit en effet : « On ne des conventions
peut déroger par
particulières aux lois qui intéressent l'ordre et les bonnes ».
public moeurs
Quelles sont donc les dispositions dont absolu restreint ainsi
l'empire
le domaine abandonné à la libre volonté des particuliers ?
Des deux expressions employées par l'article 6 du Code il en est
civil,
une dont le sens ne peut prêter à aucune incertitude c'est de bonnes
celle
THEORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 63

Les bonnes moeurs, est la morale. Il est donc


moeurs. c' interdit aux par-
ticuliers d'insérer dans les actes juridiques, oeuvre de leur volonté, des
dispositions contraires à la morale. S'ils le font, ils auront en
agi vain,
leur volonté sera dénuée portée de toute Ce n'est
juridique. pas seule-
ment l'article 6 du Code civil qui le dit D'autres assez nom-
dispositions
breuses éparses dans notre Droit reproduisent la même no-
règle (V.,
tamment, art. 900, 1133, 1172, 1387 C. civ.) à propos de matières spé-
ciales. Il résulte de ces textes, on le remarquera, à
que, contrairement
ce qui semblerait résulter abord au de l'article
premier 6, ce n'est pas
aux lois intéressant les bonnes moeurs est interdit de
seulement qu'il
déroger par des actes juridiques, mais aux de la morale, et
préceptes
cela en dehors de toute disposition formelle. Les tribunaux sont donc en
droit d'annuler toute toute du moment
convention, opération juridique
qu'ils la trouvent immorale.
L'expression public, est loin d'être aussi claire que la
d'ordre précé-
dente. Essayons cependant d'en déterminer le sens 1
L'ordre public c'est l'ordre dans l'Etat, c'est-à-dire une certaine orga-
nisation nécessaire au bon fonctionnement de l'Etat. Toutes les lois de
Droit public sont donc d'ordre public, y compris naturellement les lois de
Droit pénal. Mais, en outre, dans la législation civile elle-même, bien que
celle-ci n'ait trait, en principe, qu'au règlement des intérêts particuliers,
il y a bon nombre de dispositions qui touchent à l'ordre public, parce que
les règles contiennent paraissent indispensables au maintien de
qu'elles
la de la moralité publiques, à celui des
sécurité, rapports pacifiques
entre les à la commodité de leurs relations Ces dis-
citoyens, économiques.
positions touchant ainsi non seulement à l'intérêt de certains individus,.
mais à l'intérêt général doivent rester intangibles. Il ne peut dépendre
de la volonté des particuliers d'en écarter l'application.
Nous ne saurions ici essayer de passer en revue toutes les dispostions
de Droit privé qui offrent ce caractère. On les rencontrera au fur et à me-
sure des études qui vont suivre. Nous nous contenterons de citer certains
exemples de dispositions d'ordre public.
Dans le Droit de la famile, toutes les prescriptions légales ont la va-
leur de règles d'ordre publie. En effet, la société est intéressée à l'ap-
plication des règles qui concernant l'organisation de la famille, par
exemple., les conditions requises pour la conclusion et la dissolution du

mariage, les droits et les devoirs des époux, ceux des parents et des
enfants, les modes de détermination de la filiation, etc... C'est tout au

plus si certaines des règles concernant les conséquences pécuniaires des


droits de famille peuvent être considérées comme étrangères à l'ordre pu-
blic. Nous citerons, à titre
d'exemple, la règle qui attribue aux parents un
sur les biens de enfants mineurs de dix-huit ans. La
usufruit légal leurs
suppression de ce droit au détriment de tel ou tel individu n'attenterait

1. De Vareilles-Sommières, Des lois d'ordre public et de la dérogation aux lois


(1899) ; Pillet, De l'ordre public
en droit international privé (Paris, Grenoble,
1890); Principes de droit international privé, 1903, p. 367,
64 INTRODUCTION. — CHAPITRE IV

évidemment en rien à l'intérêt général. Aussi admettra-t-on qu'une per-


donnant ou des biens à un enfant mineur, puisse valable-
sonne, léguant
une disposition expresse, soustraire les biens donnés ou légués
ment, par
à l'usufruit des parents.
Quand il s'agit du droit patrimonial, il en est tout autrement. La plu-
des dispositions légales ne sont pas d'ordre public. Pourtant, on
part
rencontre encore en cette matière des règles qui présentent ce caractère.
Nous citerons celles qui ont trait à l'organisation de la propriété, du cré-
dit foncier et mobilier, à la publicité des transmissions et, plus générale-
ment, toutes les règles justifiées par l'intérêt des tiers, c'est-à-dire ayant
but d'empêcher que des contractants puissent, par leur contrat,
pour
un à d'autres personnes. Par exemple, l'article 1395 du
porter préjudice
Code civil, décidant que les conventions matrimoniales ne peuvent rece
voir aucun changement après le mariage, est d'ordre public ; on ne peut
y déroger par des conventions particulières. En effet, le but principal que
le législateur, à tort ou à raison, a cru atteindre en prescrivant l'immu-
tabilité des conventions matrimoniales, était de protéger les tiers qui con-
tracteraient avec les époux pendant le mariage.
A côté des lois touchant à l'intérêt général il est une autre catégorie
de dispositions qui concernent surtout l'intérêt privé et auxquelles ce-

pendant il est interdit de déroger par des conventions particulières. Ce


sont les dispositions dites de protection ; nous voulons désigner par là
celles qui ont pour but de protéger les personnes que leur âge, leur

sexe, leur débilité intellectuelle rendent incapables de se défendre elles-


mêmes dans le commerce juridique, cette variété de lutte pour la vie,
celles qui ont trait en un mot aux incapacités (mineurs, fous, femmes

mariées). Ces dispositions sont évidemment intangibles, car elles n'at-


teindraient pas leur but de protection s'il était permis d'y déroger dans
des cas particuliers.
De même, même dans la matière des contrats, domaine proprement
réservé à la libre volonté des parties, les dispositions par lesquelles la
loi veut empêcher que l'un des contractants n'abuse de sa supériorité éco-
nomique au détriment de l'autre pour lui imposer des conditions léonines,
intéressent l'ordre public. Aussi est-il défendu d'y déroger par des con-
ventions particulières. Par exemple, l'application des dispositions de la
loi du 9 avril 1898 sur les accidents dont les ouvriers sont victimes dans
leur travail, mettant à la charge du chef de l'entreprise la responsabilité
de ces accidents, ne peut être écartée par les conventions conclues entre
patrons et ouvriers (V. art. 30, 1er al. de la loi).

Principales classifications des actes — Les


juridiques. principales
classifications des actes juridiques sont les suivantes :
I. — Actes unilatéraux, actes bilatéraux. — Certains actes le
exigent
concours deux volontés. Ce sont les actes bilatéraux
de ; ceux qui n'é-
manent que d'une volonté sont des actes unilatéraux.
Les actes bilatéraux s'appellent aussi conventions. La convention est
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 65

un accord de deux ou plusieurs personnes en vue de créer, de trans-


mettre ou d'éteindre un droit patrimonial (vente, échange, louage, prêt,
société, mandat, contrat de travail, etc.), ou en vue d'engendrer des
droits de famille (mariage, adoption).
L'article 1101 du Code civil distingue le contrat de la convention. Le
contrat est une espèce particulière de convention. Il a pour but de faire
naître ou de transmettre, mais non d'éteindre un droit. Aussi la vente est
un contrat ; au contraire, le paiement, ou acte par lequel le débiteur
exécute son obligation, est une convention. La convention est donc le
genre et le contrat l'espèce.
Gomme exemples d'actes unilatéraux, nous citerons le testament, l'ac-
ceptation d'une succession, d'un legs, la renonciation à un droit, le congé
en matière de louage d'immeubles ou de contrat de travail, l'occupation
d'une chose sans maître, et, dans le droit de famille, l'émancipation, la
reconnaissance d'un enfant naturel, etc..
II. — Actes à titres gratuit, actes à titre onéreux. — Les actes à titre

gratuit (donation, testament, dépôt, à usage


prêt ou commodat, prêt d'ar-
gent sans intérêts) sont ceux qui procurent à une personne un avantage
sans qu'elle soit obligée de fournir un équivalent. Celui qui s'oblige par un
acte à titre gratuit s'oblige donc dans une intention libérale comme le do-
nateur, ou en vue de rendre service à autrui, comme celui qui accepte de
recevoir un dépôt ou de prêter à un autre objet,
l'usage ougratuit d'un
enfin, comme le prêteur d'argent sans intérêts.
Au contraire, les actes à titre onéreux sont ceux qui se font donnant
donnant, c'est-à-dire qui imposent un sacrifice équivalent à l'avantage

qu'ils procurent, comme la vente, le prêt à intérêts, etc.


III. — Actes entre actes à cause de mort. — Les actes à cause de
vifs,
mort ou de dernière volonté ont pour objet la transmission des biens

après le décès. Ils ne produisent leur effet qu'après la mort du disposant,


et peuvent toujours être modifiés ourévoqués par lui jusqu'au moment
de son décès. Le type de l'acte à cause de mort, en même temps que de
l'acte unilatéral, est le testament.
Les actes entre vifs, de beaucoup plus nombreux, sont soit des con-
ventions donation, etc.), soit des actes unilatéraux (renoncia-
(vente,
tion, etc.). Ils produisent leurs effets juridiques du vivant
occupation,
de leurs auteurs.

SECTION 1. — CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE VALIDITÉ


DES ACTES JURIDIQUES.

§ 1. La volonté.

— L'élément essentiel de tout acte juridique est


Notions générales.
la volonté de son auteur.
l'acte est unilatéral, il a qu'une volonté. Quand c'est une
Lorsque n'y
il faut les volontés des contractants se mettent d'accord.
convention, que
consentement. Mais le consentement, opération in-
Cet accord s'appelle
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
66

se formuler exté-
La volonté doit
ne suffît pas.
terne, psychologique,
en manifeste l'existence.
rieurement par une déclaration qui
exprimée ver-
le plus souvent c'est-à-dire
Cette déclaration est expresse,
tacitement. Elle se
ou écrit. Mais
peut elle aussi se produire
balement par son
de telle façon que
manifeste de la sorte quand l'intéressé se comporte
l'acceptation dune
de faille l'acte est certaine. Ainsi,
intention juridique
l'héritier fait un acte qui
succession esttacite, nous dit l'article 778, quand
et qu'il n'aurait droit de
nécessairement son intention d'accepter
suppose de la suc-
d'héritier il paye les créanciers
faire qu'en sa qualité ; par exemple,
art. 1985, 2e al.).
cession, ou bien il vend les biens en faisant partie (V. aussi
du fait de continuer un
La déclaration tacite résulter aussi
peut parfois
un locataire a loué un apparte-
juridique arrivé à son terme. Ainsi,
rapport
il continue à habiter cet appar-
ment pour trois ans et au bout de ce délai,
du Il se fait entre les parties un nou-
tement au vu et au su propriétaire.
veau contrat de porte le nom de tacite reconduction (art. 1738).
louage qui

être formulée? —
Comment la déclaration de volonté doit-elle
et actes solennels. — Il résulte de ce qui
Actes purement consensuels
les actes ne sont pas soumis à
précède qu'en règle générale, juridiques
forme déterminée. La simple déclaration de volonté, quelle que soit
une
elle se les effets voulus par le
la façon dont manifeste, produit juridiques
déclarant. Notre législation n'est pas une législation formaliste.
bon de cette domine notre Droit est d'ori-
Il est remarquer que règle qui
relativement récente. Dans les anciennes, chaque acte
gine législations
devait être fait un modèle établi par le législateur, et
juridique d'après
on était de se conformer. Le formalisme se rencontre à l'ori-
auquel obligé
de toutes les Et il faut reconnaître qu'il présente des
gine législations.
« Il est les actesIhering Droit a dit (Esprit du
avantages. pour juridiques,
trad. 2e ce que t. III,
l'empreinte est
romain, Meulenaere, p. 178), édit.,
la monnaie. » Il établit d'une non douteuse la volonté des par-
pour façon
ties et la nature de l'acte qu'elles ont voulu faire. En outre, il en conserve
le souvenir et en facilite la preuve ultérieure, ce qui est fort utile aux

époques où l'usage de l'écriture est peu répandu. Mais, à côté de ces avan-

tages, que d'inconvénients ! Le formalisme ralentit et alourdit la formation


des actes juridiques. Dans les sociétés modernes, où les transactions sont
incessantes, il faut qu'elles se concluent très rapidement, surtout quand
il s'agit d'opérations commerciales. C'est pour cela que l'emploi des formes
solennelles, la nécessité, par exemple, de certaines paroles caractéristiques
prononcées devant témoins ou d'une rédaction écrite émanant d'un offi-
cier public, a été abandonné par les législations modernes. De nos jours,
toute manifestation de volonté est, en principe, tenue bonne,
pour quelle
que soit la façon dont elle est exprimée. Elle suffit, à produire l'effet juri-
dique voulu par les intéressés.
Cette absence de formes n'est pas d'ailleurs sans certains dangers, soit
au point de vue de la conclusion de l'acte lui-même, soit au point de vue
de la sécurité des personnes intéressées à connaître l'acte soit
accompli,
THEORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 67

enfin au
point de vue des constatations auxquelles donner lieu
l'acte peut
par la suite. D'où trois ordres d'exceptions ou de au principe.
tempéraments
1° Tout d'abord, il y a quelques actes juridiques importants pour lesquels
la loi
impose des formes soit en vue de l'intéressé contre une
protéger
détermination trop rapide ou irréfléchie, soit pour le défendre contre tout
abus d'influence et sauvegarder son indépendance, soit enfin assurer
pour
la bonne rédaction de l'acte et sa conservation. Les actes de ce genre sont
appelés actes solennels. Et ils sont assez nombreux dans notre Droit.
le domaine du Droit de la famille, tous les actes sont
Dans juridiques
soumis une forme réglée par la loi. Ainsi, le célébré doit être
à mariage
devant l'officier de l'état civil, en présence de témoins (art. 75) ; l'adoption
doit être conclue devant le juge de paix 360) ; la reconnaissance d'un
(art.
enfant naturel doit être faite, soit dans l'acte de naissance devant l'offi-
cier de l'état civil, soit dans un acte authentique, c'est-à dire devant un
officier public (art. 334) ; l'émancipation est reçue par le juge de paix
assisté de son greffier (art. 477., 2e al.,) etc.
Dans le Droit du patrimoine, les actes solennels sont, au contraire, l'ex-
ception. La donation entre vifs (art. 931), la constitution d'hypothèque
(art. 2127), le contrat de mariage ou contrat réglant le régime matrimonial
des futursépoux (art.. subrogation 1394), la dans l'hypothèque légale de la
femme mariée (art. 9, L. 23 mars 1855), le paiement avec subrogation con-
ventionnelle consentie par le débiteur (art. 1250, 2e al.) doivent être conclus
devant notaire 1. Quant au testament, il peut être rédigé dans trois formes
légales déterminées par les articles 970, 971, 976.
2° Certains actes juridiques doivent être publiés, ou portés à la connais-
sance des tiers, c'est-à-dire des personnes qui n'y ont pas été parties, et

qui sont cependant intéressées à les connaître, parce qu'ils peuvent pro-
duire des effets à leur encontre. La loi organise, en conséquence, des me-
sures de publicité que les parties à l'acte doivent accomplir.
Il en est ainsi pour les actes entre vifs relatifs à l'acquisition ou à la
transmission de la propriété immobilière ou des droits réels immobiliers,
lesquels doivent être mentionnés sur des registres publics que chacun peut
consulter. De même, l'acceptation sous bénéfice d'inventaire d'une succes-
sion et la renonciation de l'héritier doivent être faites sur un registre au

greffe du tribunal (art. 784, 793). De même encore, le contrat de mariage


est soumis à une forme spéciale de publicité (art. 76, 8° et 1394, 3° al.).
2° et
Ces formalités de publicité n'ont pas la même portée ni la même sanc-
tion que celles dont résulte la solennité d'un acte. Elles ne sont pas re-

quises pour la validité intrinsèque de l'acte, mais seulement pour son op-
posabilité aux tiers. Lorsqu'elles n'ont pas été accomplies, l'acte reste

valable, mais il ne produit aucun effet à l'encontre des personnes en fa-


veur desquelles les mesures de publicité sont prescrites.
3° Enfin, les parties qui font un acte juridique présentant une certaine

importance, comme la vente d'un immeuble, ou devant donner naissance à

1. La convention collective de travail n'est valable que si elle est rédigée par
écrit, mais un acte sous-seing privé suffit (C. du travail 1. I, art. 31 c) ; même solu-
tion pour les statuts des sociétés (art. 1834 C Civ. et 39 C Co.).
— III
69 INTRODUCTION. CHAPITRE

comme le louage d'im-


d'une certaine durée,
des rapports juridiques
meubles, la société, l'association, ont intérêt à dresser un acte écrit pour
préciser les clauses du contrat et éviter les contestations que pourrait
faire naître son exécution.
elles-mêmes cet acte et de le si-
Elles se contenter de rédiger
peuvent
sous ; ou bien elles peuvent
on dit alors qu'il est fait seing privé
gner,
faire constater le contrat par un acte notarié.
les à cette rédaction d un
La loi en principe n'oblige jamais parties
entendu, des actes solennels pré-
instrument probatoire (en dehors/bien
en défendant de faire la preuve des actes
cités), mais elle les y incite,
valeur excède 500 (art. 1341, modifié par la loi du
juridiques dont la fr.,
1er avril autrement écrit. Aussi, en fait, les parties rédige-
1928), que par
ront un afin de pouvoir établir tard les clauses et
toujours écrit, plus
conditions de elles accomplie, au cas où une contestation
l'opération par
s'élèverait entre elles à son occasion. Cet écrit, remarquons-le bien,
rien à la validité du contrat, lequel est parfait par le seul accord
n'ajoute
des volontés ; il constitue seulement le mode de preuve auquel les con-
tractants pourront se référer quand il en sera besoin. L'acte non accom-

pagné de cette preuve est valable en soi ; mais il ne peut être prouvé.

Des vices qui peuvent entacher la volonté. — Celui fait un


qui
acte juridique peut se trouver sous l'empire d'une erreur soit spontanée,
soif provoquée par des manoeuvres frauduleuses. Il aussi céder à
peut
une contrainte ou violence exercée sur lui. L'erreur, le dol, la violence ont
pour effet d'altérer plus ou moins profondément la manifestation de vo-
lonté, et lui enlèvent, dans certains cas, sa valeur. Il en est ainsi il
quand
est certain que l'intéressé n'aurait fait l'acte s'il n'avait été
pas juridique,
sous l'empire de l'erreur ou de la violence.
Enfin, il arrive parfois que l'acte cause un exces-
juridique préjudice
sif à celui l'a passé. On dit alors
qui qu'il y a lésion, et la loi vient dans cer-
tains cas au secours de l'intéressé en lui permettant de faire annuler l'acte.
Il faut voir dans mesure ces divers événements enlèvent son
quelle
efficacité à la manifestation de volonté.

1° De l'erreur. — L'erreur consiste à croire à l'existence d'une qua-


lité, d'un fait, d'un événement en n'existent
qui, réalité, pas.
L'erreur commise par l'auteur de l'acte n'a pas toujours la même gra-
vité et ne produit pas le même
toujours effet. Il y a lieu, en conséquence,
de distinguer trois situations différentes :
A. — Première situation. — L'erreur commise détruit parfois la ma-
nifestation même de volonté, si bien quelle empêche l'acte juridique de
se former. Cela se produit dans deux hypothèses :
a) Il y a erreur sur la nature de à accomplir. : deux
l'acte Exemple per-
sonnes décident de faire un contrat
ayant pour but de transférer la pro-
priété d'un objet; mais l'acquéreur croit d'une
qu'il s'agit donation, tandis
que l'aliénateur a l'intention de vendre En pareil
l'objet. cas, l'erreur em-
THÉORIE GÉNÉRAL! DES ACTES JURIDIQUES 69

pêche l'accord des deux volontés nécessaire à la formation du contrat, Il


a entre les ni vente
n'y parties ni donation.
6) Il y a erreur sur l'objet même de l'acte juridique. Exemple : les par-
ties font un contrat de vente, mais il y a erreur sur la chose vendue. De
même, un testateur a l'intention de léguer une mais il se trompe
chose,
et en désigne une autre dont il a déjà disposé au profit d'un tiers.
B. — Seconde situation. — Sans détruire la volonté, l'erreur peut par-
fois l'altérer gravement, en ce sens que c'est elle qui détermine l'auteur
de l'acte à agir. Si celui-ci avait connu la vérité, il n'aurait l'acte
pas passé
en question. Il est juste alors que la loi vienne à son secours et lui per-
mette de faire annuler un acte que, sans l'erreur, il n'aurait pas accompli.
Il en est ainsi dans les deux cas suivants :
a) L'erreur porte sur une qualité substantielle de la chose qui fait l'objet
de l'acte juridique, c'est-à-dire sur une qualité que les parties où l'une
d'elles ont prise en principale considération, de telle sorte n'au-
qu'elles
raient pas contracté si elles avaient su qu'elle n'existait pas. : j'ai
Exemple
acheté des chandeliers de cuivre parce que je les croyais en argent, ou des
chandeliers modernes parce que je les croyais anciens (Art. 1110, 1er al.).
b) L'erreur
porte sur la personne, dans un contrat où la considération
des qualités de la personne laquelle avec
on contracte est la cause prin-
cipale et déterminante du contrat. -Par exemple, un individu fait une do-
nation à un autre, parce qu'il croit faussement qu'il existe entre eux un
lien de parenté. (Art. 1110, 2e al.).
C. — Troisième situation. —
Enfin, il y a des cas dans lesquels l'er-
reur ne vicie pas l'acte juridique, parce qu'elle n'enlève par sa valeur à
la manifestation de volonté.
Il en est ainsi tout d'abord quand on peut dire que l'intéressé aurait
passé l'acte, même s'il avait été exactement renseigné. C'est ce qui se pro-
duit, notamment, dans la plupart des contrats à titre onéreux, au cas d'er-
reur sur la personne ; en effet, la considération de la personne du cocon:
tractant n'y joue presque jamais un rôle déterminant. Par exemple, un
libraire vend un
qu'on livre
lui paie comptant. Qu'importe soit à que ce
Pierre ou à Paul? S'il se trompe sur la personne de l'acheteur, cette erreur
n'influe pas sur la validité du contrat ; elle ne sera pas une cause de nullité.
De même, l'erreur n'est pas prise en considération quand elle porte sur
une qualité non substantielle de l'objet.
Mais il y a plus? L'erreur sur les motifs qui ont décidé une personne
à faire un aete n'empêche pas que cet acte soit valable. Exemple : j'ai
acheté un porte-monnaie parce que je
croyais que j'avais perdu le mien,

puis je m'aperçois que je m'étais trompé. L'achat reste valable. En effet,


les motifs qui poussent un individu à faire extérieurs
tel ou tel acte sont
à cet acte ; ils ne sont connus que de lui ; il n'y aurait nulle sécurité dans
le commerce juridique si l'on pouvait faire annuler des actes librement

accomplis, sous le prétexte qu'on s'y est déterminé par de faux motifs.

remarquera que l'erreur commise par l'auteur de l'acte juridique


On
soit sur une circonstance de fait (erreur de fait)) soit sur
peut porter
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
70

de Par exemple, un
d'une de la loi (erreur droit).
l'existence disposition
l'article 909
un qui le
au médecinsoigne, ignorant que
malade fait legs
erreur de droit. Il n'y a pas à
de libéralités : voilà une
interdit ce genre
Elles le
entre les deux espèces d'erreurs. produisent
distinguer même
dans les mêmes cas, la nullité de l'acte,
effet et emportent l'une et l'autre,
la nature de l'erreur du moment qu'elle
Qu'importe, en effet,
juridique.
vicie la manifestation de volonté?

toute d'artifice dont quel-


2° Du dol. — Le mot dol désigne espèce
un autre. Le dol suppose donc des manoeuvres.
qu'un se sert pour en tromper
des des affirmations mensongères employés.
frauduleuses, agissements,
l'erreur dans d'une personne et la déterminer à
pour faire naître l'esprit
passer un acte.
1116 du Code civil, le dol est une cause du
Aux termes de l'article
nullité de la convention les manoeuvres pratiquées par l'une des
lorsque
sont telles est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait
parties qu'il
Il faut donc le dol ait exercé une influence détermi-
pas contracté. que
nante sur le consentement de la victime. Cette règle doit être certaine-

ment à tous les actes juridiques ; le peut être une cause dol ne
appliquée
de nullité qu'autant qu'il a vicié et dénaturé la déclaration de, volonté.
Le dol a pour résultat d'induire en erreur la personne contre laquelle
il est dirigé. C'est cela qu'il est considéré comme ayant vicié la dé-
pour
claration de volonté. il ne faut pas confondre ces deux
Cependant,
causes de nullité. L'erreur sans dol n'entraîne nullité, nous l'avons vu,
dans les cas par l'article 1110 du Code civil, c'est-à-dire
que prévus
sur la substance de la chose, ou sur la personne alors
lorsqu'elle porte
qu'il s'agit d'un acte fait intuitu personx. Au contraire, l'erreur provoquée
le dol est une cause de nullité, lorsqu'elle a eu une in-
par toujours
fluence décisive sur la volonté. C'est ainsi que l'erreur sur les motifs
annule le contrat, quand elle est le résultat de manoeuvres dolosives
émanées de l'autre : j'achète un cheval mon vendeur a
partie parce que
usé de dol pour me faire croire que le mien était mort; je peux deman-
der la nullité de la vente. Au contraire, une erreur de ce genre qui n'au-.
rait pas été le résultat de manoeuvres dolosives, n'est nous venons
pas,
de le voir, une cause de nullité.
Lorsque l'acte juridique est une convention, l'article 1116 exige une
condition particulière pour qu'il y ait vice de la volonté : c'est le dol
que
ait été pratiqué par l'une des parties contre l'autre, ou, tout au moins,
que l'une des parties ait été complice. Si le dol a été l'oeuvre exclusive
d'un tiers, la victime peut bien réclamer des au cou-
dommages-intérêts
pable, mais elle ne peut pas demander la nullité de la convention. Le
motif en est le suivant: lorsque l'auteur du dol est un des contractants,
et
il est juste équitable que l'autre partie, victime de ces manoeuvres',
puisse faire annuler la convention. Mais, si le dol a été commis un
par
tiers, la victime n'a rien à reprocher à son cocontractant, qui est inno-
cent de toute faute et ne doit pas subir, par l'annulation du les
contrat,
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 71

conséquences d'actes dolosifs auxquels il est resté absolument étranger.


L'article 1116 paraît exiger cette condition toutes les fois l'acte
que
entaché de dol est une convention. Cependant on admet ordinairement
qu'elle n'est pas applicable aux donations entre vifs et que celles-ci sont
annulables lorsqu'elles ont été inspirées par des manoeuvres dolosives,
même si le coupable est un tiers autre que le donataire. En effet, la dona-
tion doit procéder uniquement de l'esprit de bienfaisance ou d'affection,
et, dès que la volonté du donateur égarée par a été
des manoeuvres frau-
duleuses, la libéralité perd toute sa valeur. De plus, le donataire n'est pas
aussi digne d'intérêt qu'un contractant ordinaire ; il reçoit, mais il ne
donne rien, et il y aurait de sa part indélicatesse à prétendre conserver
le bénéfice de la libéralité reçue, du moment qu'on lui prouve est
qu'elle
le résultat de manoeuvres frauduleuses.
La condition exigée par l'article 1116 ne s'applique certainement pas
non plus aux actes unilatéraux, puisqu'ils émanent de la volonté d'une
seule partie. Ceux-ci restent donc sous l'empire du principe d'après lequel
le dol est une cause de nullité, toutes les fois qu'il a déterminé une per-
sonne à passer un acte. Il n'y a pas à s'inquiéter alors de savoir quel est
le coupable. Ainsi, l'article 783 du Code civil déclare que l'acceptation
d'une, succession peut être attaquée dans le cas où elle a été la suite d'un
dol pratiqué envers l'héritier. Peu importe que le dol soit l'oeuvre d'un
créancier de la succession ou d'un légataire ou de toute autre personne.
Et on donnera la même pour la renonciation
solution et pour les libéralités
testamentaires. Lorsque le testateur a été l'objet de manoeuvres frauduleuses
qui l'ont déterminé à faire un legs, la nullité de ce legs peut être pronon-
cée, auand même les manoeuvres émanent d'un tiers autre que le légataire.

3° De la violence. — La violence est une contrainte exercée sur un


individu pour le déterminer à passer un acte. Elle peut être physique ou
morale. La contrainte physique réduit la victime à un état purement pas-
sif. Par
exemple, « si on force un homme à signer en lui tenant la main,
il n'y pas là de consentement, tout au plus une fausse apparence de con-
sentement, comme dans le cas où l'on aurait contrefait la signature ».

Lorsqu'on envisage la violence comme vice de la volonté, il ne peut donc

s'agir que de la violence morale, c'est-à-dire des dirigées contre menaces


un individu pour faire naître dans son esprit une crainte insurmontable.
Ainsi comprise, la violence ne détruit pas la volonté. Celui qui est con-
traint moralement, c'est-à-dire menacé, conserve la faculté d'opter entre

plusieurs déterminations. S'il choisit celle qui consiste à accomplir l'acte


qui lui est dicté, il y a bien de sa part déclaration de volonté non ap-
parente mais réelle. Seulement, cette volonté se trouve altérée par la
crainte sous l'empire de laquelle elle a agi. Le loi doit venir à son se-
cours et le protéger contre les conséquences préjudiciables de l'acte. Notre
Droit lui permet donc de demander l'annulation de cet acte. Quelles sont
les conditions que doit réunir la violence pour produire cet effet ? Les
articles 1112 à 1114 du Code civil les déterminent :
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
72

nature à faire impression sur


A — La violence doit d'abord être de
romain se montrait plus sévère : il
une' raisonnable. Le Droit
personne
d'émouvoir l'homme le plus coura-
la violence fût capable
exigeait que
sed mérita et in hominem constantusu
: Metum non vani hominis, qui
geux
mum cadat (6 D. Quodmetus causa, IV, 2).
lui-même la règle qu'il a d'abord
Toutefois, l'article 1112 tempère
aura à au sexe et à la condition
posée, en déclarant qu'on égard l'âge,
car il est évident que l'intensité
des personnes ; tempérament équitable,
la violence variera suivant la personne contre
de la crainte produite par
elle est exercée. Le même article ajoute, à titre d'explication,
laquelle
la violence doit être telle la crainte d'exposer sa per-
que qu'elle inspire
sonne ou sa fortune à un mal considérable et présent, ou
plutôt, imminent.

La violence est d'ailleurs une cause de nullité, non seulement lorsqu'elle


a été exercée sur la l'on veut déterminer à faire un acte,
personne que
mais aussi lorsqu'elle a été contre son conjoint, ses descendants
dirigée
ou ses ascendants. L'affection qui unit le contractant à ces personnes lui
rend aussi insupportable le mal qui peut les atteindre que celui qui le
menace lui-même (art. 1113).
B. — Il faut la violence soit ou L'exercice d'un
que injuste illégitime.
droit ne constitue pas un acte de violence. Ainsi, lorsqu'un créancier me-
nace son débiteur de le saisir, s'il ne veut pas lui donner une garantie, ou

lorsqu'un patron menace son employé de le faire arrêter, s'il se refuse à

signer une reconnaissance de dette en réparation de détournements qu'il


avoue avoir commis, on ne doit pas considérer qu'il y a vice de la volonté.
La seule crainte révérentielie envers le père, la mère, ou un autre ascen-
dant, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le
contrat (art. 1114). La contrainte morale inspirée par le respect des as-
cendants et le désir de ne pas leur déplaire, ne peut pas, en effet, être con-
sidérée comme paralysant la liberté du descendant.
On remarquera que, même si l'acte entaché de violence est une conven-
tion, l'action en nullité que est
l'auteur recevable
de la violence est un alors
tiers et que le cocontractant a ignoré les menaces qui ont déterminé l'autre
partie à agir. Nous avons vu qu'il en est autrement il s'agit de dol.
quand
La raison de cette c'est est plus difficile de se défendre
différence, qu'il
contre la violence que contre le dol. La victime de la violence ne peut pas
s'y soustraire, tandis que la victime du dol aurait pu, avec de prudence
plus
et de perspicacité, découvrir les manoeuvres frauduleuses. En outre, l'au-
teur de la violence sera souvent si la loi s'était
insolvable, et, bornée à con-
céder à la personne violentée un recours contre le coupable, elle ne lui au-
rait accordé qu'une protection illusoire.

4° De la lésion. — La lésion est le préjudice qu'une personne peut


éprouver quand elle passe certains actes et qui résulte
juridiques, de Tin é-
galité entre l'avantage qu'elle obtient et le sacrifice fait
qu'elle pour l'obte-
nir. La lésion n'est donc de nature à se dans
rencontrer que les actes à
titre onéreux (exemple : je vous vends ma maison pour une somme de
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 73

20.000 fr., qui est bien inférieure à sa valeur) ; elle peut se produire, en re-
vanche, non seulement dans les actes bilatéraux, mais même dans certains
actes unilatéraux, comme l'acceptation ou la répudiation d'une succession,
d'un legs universel ou à titre universel.
La lésion suppose que la personne lésée s'est sur la véritable
trompée
valeur de la chose, ou a contracté sous l'empire d'un pressant besoin d'ar-
gent, qui lui a fait accepter des conditions très désavantageuses. Elle sup-
pose donc un vice de la volonté, puisque, sans l'erreur ou la pression des
circonstances extérieures, l'acte n'aurait pas été conclu. Néanmoins, la loi
décide que la lésion n'est pas, en principe, une cause de nullité. L'article 1118
du Code civil, le déclare pour les conventions, et cette solution doit être
certainement étendue aux actes unilatéraux.
La raison qui a déterminé les rédacteurs du Code civil à adopter cette
règle est purement économique. Ils ont considéré qu'il est très difficile
de dire quand il y a lésion et quelle en est l'étendue ; car la.valeur des
choses est variable et relative, et dépend des circonstances de temps et de
lieu, ainsi que des goûts, des passions de chacun. Telle personne, qui désire
vivement posséder un objet, l'achètera beaucoup plus cher qu'une autre.
Il faut bien reconnaître que ces considérations ne sont exactes qu'en ma-
tière de contrats ; elles ne suffisent pas à justifier la solution admise pour
les actes unilatéraux, notamment pour l'acceptation d'une succession gre-
vée de dettes qui ne sont découvertes par l'héritier que postérieurement.
Aussi la règle subit-elle des exceptions.
La première concerne certains actes, quelle que soit la personne, majeure
ou mineure, qui les a passés ; ces actes sont le partage (art. 887), la vente
volontaire d'immeubles (art. 1674), et l'acceptation de succession dans le
cas prévu par l'article 783.
La seconde exception s'applique à tous les actes passés par des mineurs.
Nous l'étudierons plus loin.


§ 2. Capacité nécessaire pour faire un acte juridique.

Définitions. de et d'exercice. —
Incapacité jouissance incapacité
Il ne ait été voulu. Il n'est valable s'il a
suffit pas que l'acte juridique que
été une non seulement douée de volonté, mais encore
passé par personne
la capacité requise pour faire l'acte en question.
ayant
La capacité être définie : l'aptitude à acquérir des droits et
juridique peut
à les exercer. Cette définition montre qu'il y a deux degrés dans la capacité :
1° La de jouissance, ou l'aptitude à devenir titulaire des droits
capacité
civils ; 2° La capacité d'exercice, ou le pouvoir de mettre ces droits en valeur
et de les transmettre à des tiers. ,
1° Incapacités de jouissance. — La de jouissance se conce-
capacité peut
voir sans la capacité d'exercice, car le titulaire d'un droit peut être, suivant
les cas, ou incapable de le faire valoir par lui-même. En d'autres
capable
il y a des personnes qui, tout en ayant la jouissance des droits ci-
termes,

c
DROIT. — Tome I. 6
INTRODUCTION. — CHAPITRI III
74

l'exercice. Ce sont elles qu'on appelle, à proprement par-


vils, n'en ont pas
Dans notre moderne, la capacité de jouis-
ler, des incapables. législation
en principe à tous les individus. Toute personne, quels que
sance appartient
son son état, sa nationalité même, a la jouissance des
soient son âge, sexe,
C'est homme, en effet, ne peut pas vivre sans prendre
droits civils. qu'un
au commerce et, par conséquent, sans être titulaire des
part juridique
droits civils. Enlever à un individu la jouissance des droits civils serait

le rayer du nombre des fë placer dans la situation de l'esclave


personnes,
du monde antique.
de sont donc et, tou-
Les incapacités jouissance exceptionnelles de plus,
c'est-à-dire ne concernent qu'un ou plusieurs droits
jours spéciales, qu'elles
déterminés. On ne concevoir une personne qui soit privée de tous les
peut
droits civils.
Voici exemples d'incapacités de jouissance.
quelques
1° Il y a des droits dont l'homme n'acquiert la jouissance qu'à un âge
déterminé. Il en est ainsi pour le mariage, pour le testament, pour la
donation entre vifs, pour l'adoption.

L'étranger, non admis à fixer son domicile en France, se trouve privé
de certains droits civils (art. 11, C. civ.).
3° La loi prononce dans certains cas des privations de jouissance contre
les individus qui se sont rendus coupables d'actes répréhensibles. Ainsi,
les condamnations pénales enlèvent au condamné la jouissance de cer-
tains droits civils. De même, la loi du 24 juillet 1889 a établi des causes
de déchéance de la puissance paternelle contre les parents indignes
(V. aussi les art. 299, 792, 1442, C. civ.).
4° Les associations non déclarées ne jouissent pas de la personnalité
juridique (Art. 2, loi du ler juillet 1901).
2° Incapacités d'exercice. — Pour exercer un
qu'une personne puisse
droit, il faut :
A. — Qu'elle ait le discernement nécessaire, c'est-à-dire qu'elle soit

apte à comprendre la portée de ses actes ;


B. — Qu'elle ne soit pas déclarée incapable par la loi.

L'incapacité d'exercice provient donc de deux causes différentes : elle


est naturelle ou légale.
L'incapacité naturelle atteint les personnes qui ne comprennent pas ce
qu'elles font : les enfants non arrivés encore à l'âge de raison, les alié-
nés sous l'empire de la maladie, les idiots. Les se trouvent
personnes qui
dans un de ces états ne peuvent prendre part au commerce juridique j
Elles sont frappées d'une incapacité d'exercice générale.
L'incapacité légale résulte des causes suivantes : la
minorité, l'état
de femme mariée, l'interdiction des aliénés et des condamnés à des peines
criminelles, la nomination d'un conseil judiciaire faiblesse
pour d'esprit
ou prodigalité.
Les incapacités d'exercice varient en étendue: elles sont tantôt générales;
comme celle du mineur, tantôt limitées à certains comme
actes, celles'
du mineur et de l'individu d'un conseil
émancipé pourvu judiciaire.
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 75

Dans tous ces cas, elles n'existent ont été pronon-


qu'autant
qu'elles
cées loi. En d'autres termes, la capacité est la règle et l'incapacité
par la
l'exception. Toute personne peut exercer ses droits civils à moins que la
loi ne la range expressément au nombre des incapables (V. art. 1123
et 902).

SECTION II. — DE LA NULLITÉ DES ACTES JURIDIQUES

Divers degrés d'imperfection des actes — Rationnel-


juridiques.
lement, on conçoit qu'il y ait des degrés divers dans l'imperfection d'un
acte juridique.
1° Un élément essentiel, indispensable à la formation de l'acte juridique
fait défaut. Par exemple, il n'y a pas eu consentement de là part d'une
partie dans un contrat ; un mariage été projeté, l'un des futurs
ayant époux
a refusé de dire oui devant l'officier de l'état civil. Ou bien, un
après
projet de vente, les parties ne se sont pas mises d'accord sur la chose
vendue et sur le prix. En
cas, il est bien
pareil évident l'acte n'a au-
que
cune valeur, ne peut produire aucun effet Pour caractériser
juridique.
cette Situation, la doctrine emploie un terme très énergique : elle dit que
l'acte est inexistant.
2° L'acte viole une prescription légale , par exemple, il contient des
dispositions contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs; ou bien
il était soumis à des formes solennelles qui n'ont pas été observées.
Cet acte ne petit, lui non plus, produire aucun effet juridique, puisqu'il
a été passé en violation de la loi. Il est frappé d'une nullité, dite nullité
absolue.
3° Enfin, la manifestation de volonté est imparfaite, soit parce qu'elle
émane d'un incapable non régulièrement habilité, soit parce qu'elle est
entachée de l'un des vices de la volonté précédemment étudiés (erreur,
dol, violence). Pour protéger l'intéressé contré les conséquences de son
acte, la loi lui permet d'en faire prononcer l' annulation par les tribunaux.
On dit que l'acte est annulable, ou qu'il est atteint d'annulabilité ou de
nullité relative.
Ainsi, il y a des degrés dans l'inefficacité d'un acte juridique, et on les
en employant ordinairement les termes d'inexistence, de nullité
distingue
absolue, de nullité relative ou annulabilité.
Cette matière est restée pendant longtemps fort obscure. Cela tient à
ce que la terminologie du Code manque de précision, et à ce qu'il em-

ploie indifféremment les mots nul, action en nullité, dans les divers sens

que nous venons d'indiquer.


Cependant, l'accord s'est à peu près établi depuis quelques années

parmi les jurisconsultes, au moins pour ce qui concerne le fond des idées
et les effets produits par les divers degrés de l'invalidité, et peu à peu

1. Japiot, Des nullités en matière d'actes juridiques; essai d'une théorie


nouvelle, 1909; Jacques Piedelièvre, Des effets produits par les actes nuls, thèse,
Paris, 1912; Saleilles, De la déclaration de volonté, art, 141, 142,
INTRODUCTION. — CHAPITRE
76 III

un remarquable peut-être par gon


une théorie bien construite, peu trop
de déductive, a été édifiée.
caractère logique

distinction de l'acte nul de plein droit, ne


Notions historiques.— La
aucun et de simplement annulable, se retrouve
produisant effet, l'acte
les textes du droit romain. Du premier, les textes disent : Nullum
dans
est negotium ; nihil aclum est (1, § 3, D. De paclis, II, ; 9 pr.,
14 3, § 13 ,
D. De donat. int. vir. et ux., XXIV, 1; 9pr. et § 2, D. De
11,8 9, 34, 35,
contrat, XVIII, 1). Cet acte n'engendre aucun effet juridique ; il est
empt.,
nul de ah initio, sans qu'il soit besoin d'en faire prononcer
plein droit,
la nullité. Il en est ainsi l'acte ne réunit pas les conditions néces-
quand
saires à- sa formation : la vente sans objet par exemple ; ou quand il est

interdit la loi, comme la donation entre époux. Ainsi, les textes ro-
par
mains ne font pas de différence entre l'inexistence et la nullité absolue.

Quant à l'annulabilité, elle est apparue postérieurement comme un


mode de protection accordé par le préteur dans les cas où un acte va-
lable parce qu'il satisfait aux conditions exigées par le Droit civil, cause

pourtant un préjudice immérité à son auteur. Ainsi, une personne a con-


tracté sous l'empire de la violence ; ou bien, un mineur de vingt-cinq ans
a traité avec un tiers qui a abusé de son inexpérience. Le préteur n'annule

pas cet acte, mais il prononce au profit de la personne lésée la restitutio in

integrum, qui entraîne la rescision, l'anéantissement de l'acte incriminé.

Jusqu'au jour où la restitutio est accordée, l'acte produit ses effets, car
il est valable aux yeux du Droit civil; seulement, son sort est incertain,
puisque celui auquel il cause préjudice peut le faire tomber en s'adres-
sant au préteur
Cette distinction entre les degrés de l'imperfection d'un acte juridique
n'a jamais été perdue de vue dans notre ancien Droit. Elle n'est pas
toujours présentée d'une façon précise ; elle reste même un peu confuse
et incertaine chez Domat et chez Pothier ; mais d'autres, comme le pré-
sident Bouhier, l'exposent avec toute la clarté désirable (Domat, Loin:
civiles, liv. I, tit., I, sect. V et VI; Pothier, Traité des oblig., éd. Bugnet,
t. II, nos 17, 18, 19, 21, 42, 43; Bouhier. Observations sur les coutumes
de Bourgogne, chap. XIX, § 12 et 13).
On peut donc affirmer que les rédacteurs du Code civil ont dû s'ins-
pirer de la distinction traditionnelle qui leur était familière. Au reste, les
travaux préparatoires (Fenet, t. IX, p. 99; Locré, t. IV, p. 324;
312, XII,
p. 491; XV, p. 378), et certains articles du Code foi. civil en font C'est
ainsi que, d'après l'article 1117, la convention contractée dol
par erreur,
ou violence, « n'est nulle de plein droit mais
pas donne seulement lieu
à une action en nullité ou en rescision ». Et, l'article 1131
inversement,
visant l'obligation sans cause ou reposant soit sur une cause soit
fausse,
sur une cause illicite, porte « qu'elle ne peut avoir aucun effet " (V. encore
art. 146, 1339, 1974 d'une part, et art. 1109, 1305 de l'autre).
1125, 1304,
Seulement, les auteurs du Code n'ont formulé de théorie
pas précise.
De plus, leur terminologie est flottante et souvent car
équivoque, ils ap-
THEORIE GENERALE DES ACTES JURIDIQUES 77

pliquent indifféremment les mots nul et nullité aux actes inexistants ou


nuls d'une nullité soit absolue, soit relative. C'est donc la Doctrine, plus
ou moins consacrée par la Jurisprudence, qui a, en cette élaboré
matière,
les distinctions qui vont suivre.

Nullités absolues. — acte ait été


Supposons qu'un accompli en rio-
lation d'une disposition de la loi tenant à Par
l'ordre public. exemple,
un acte qui, de sa nature, rentre dans la catégorie des actes solennels,
a été passé sans observation des formes requises ; ou bien on a inséré
dans un contrat une condition ou charge illicite. On dira dans ce cas que
l'acte est nul de droit, ou, plus correctement, est nul d'une nullité
qu'il
absolue.
Quelles sont les caractéristiques de cette nullité ? On dit souvent — et
c'est à ce trait que se réfère l'expression de nullité de plein droit fréquem-
ment employée pour désigner la nullité de ce — l'acte ne
genre que
peut produire aucun effet juridique et qu'il n'est pas besoin d'une action
en justice pour en paralyser les effets. En effet, en ce cas, ce ne serait pas
d'une décision judiciaire, mais de la loi elle-même que résulterait la nul-
lité de l'acte. Il y a là, croyons-nous, une erreur. En réalité, l'exercice
d'une action en justice est toujours nécessaire pour qu'une personne, in-
téressée à la faire valoir, puisse invoquer la nullité même radicale et
absolue d'un acte juridique. Cela résulte de deux règles essentielles,
parce que toutes rationnelles, de notre procédure. D'abord que les voies
de fait sont interdites et que nul ne peut se faire justice à soi-même.
Ensuite que provision est due au titre, c'est-à-dire que, lorsqu'un acte
présente les caractères apparents de la régularité, il produit provisoire-
ment son effet tant que celui auquel on l'oppose n'en a pas démontré
d'invalidité. Supposons, par exemple, qu'un individu ayant fait une do-
nation par acte non notarié (opération nulle d'une nullité absolue), pré-
tende ensuite reprendre l'immeuble ou la somme d'argent par lui donnée
entre les mains du donataire; il ne pourra se remettre de lui-même en
possession. Il faudra donc qu'il agisse en justice pour faire ordonner,
la restitution. On nous dit bien qu'il n'exerce pas alors une action en
nullité, mais bien une action en revendication ou en répétition de l'indu.!
C'est là une pure subtilité. En effet, la recevabilité de cette action en re-;
vendication ou en répétition est subordonnée à l'inefficacité du titre en
vertu duquel le possesseur avait été mis en possession. Les juges, pour,
donner gain de cause au revendiquant, sont forcés de se prononcer sur
l'invalidité de la donation qu'il avait faite.
Les véritables caractéristiques de la nullité radicale ou absolue sont
donc seulement les suivantes :
1° Toute personne ayant intérêt à se prévaloir d'une nullité de ce genre
est admise à l'invoquer en justice, soit sous forme d'action, soit sous
forme d'exception. Ainsi, s'il s'agit d'un contrat, les deux contractants
peuvent se prévaloir de la nullité. Les tiers pourront aussi l'invo-

quer. Par exemple, un donateur a fait donation d'une maison par acte
INTRODUCTION, — CHAPITRE III
78

à l'article 931 du Code civil, qui exige un


sous seing privé, contrairement
il vend cette maison à une autre personne
acte notarié. Postérieurement,
Cet acheteur, s'il est attaqué par le donataire,
et la met en possession.
demande en se fondant sur la nullité de la donation.
repoussera sa
nul d'une nullité
peut être
absolue
confirmé par ceuxne de
2° L'acte
En confirmer un acte, c'est renoncer à invoquer la
qui il émane. effet,
Gela donc que l'action et l'excep-
cause de nullité qui l'entache. suppose
tion de nullité sont à la disposition exclusive dune seule personne, celle
la nullité absolue. La renon-
qui renonce. Or, il en est différemment pour
ciation ou confirmation d'une partie serait donc inopérante, car on ne

au droit d'autrui. en même, cette renon-


peut pas renoncer Et, principe
ciat on ne serait pas opposable
au renonçant lui-même, parce que l'ordre
fondement ordinaire des nullités absolues, veut que l'acte entaché
public,
d'une nullité de ce demeure essentiellement fragile, caduc et que,
genre
dès lors, rien ne puisse effacer son inefficacité.
3° L'action par laquelle on fait valoir une nullité de plein droit ou abso-
lue doit, semble-t-il, être à l'abri de la prescription. En effet, la prescrip-
tion, ou extinction par le laps de temps (ordinairement trente ans, art. 2262)
est une variété de renonciation' tacite.
La Jurisprudence consacre en général les solutions qui précèdent.
Ainsi, elle décide que la nullité absolue ne produit pas ses effets de plein
droit. Une intervention de justice est toujours nécessaire. « Les actes

viciés, dit un arrêt, conservent leurs effets tant quïls n'ont pas été an-
nulés » (Bordeaux, 25 juin 1884, S. 1884.2.201. Adde notes de M. Labbé
sous S. 1889.2.177, et de M. Beudant sous D. P. 1880.1.145).
Cependant, en ce qui concerne la prescription, la Jurisprudence s'en
tient à la distinction suivante :

S'agit-il de faire valoir la nullité par voie d'action, c'est-à-dire de con-


traindre l'adversaire à remettre les choses en l'état où elles étaient avant

l'exécution de L'acte nul, par exemple, à restituer les objets donnés, les tri-
bunaux admettent volontiers que l'action est éteinte par l'expiration du
délai de la prescription. En effet, le Code contient une disposition aussi

générale que possible, l'article 2262, d'après lequel toutes les actions tant
réelles que personnelles se prescrivent par trente ans. Au bout de trente
ans donc, nulle action ne sera plus possible, « l'acte nul n'acquiert pas
une existence légale, mais son existence de fait se trouve consolidée »
.(Rennes, 19 mai 1884,
1885.2.169, S. note de M. Labbé ; Civ., 6 novembre
1.1895, D. P. 1897.1.25, note de M. Sarrut, S. 1896.1.5).
Au contraire, si l'acte n'a reçu aucune exécution et si, après l'expiration
du délai de trente ans, le créancier (par exemple, le donataire en vertu
donation non notariée), poursuit l'exécution de l'acte son ad-
d'une nul,
en l'espèce le donateur, encore se prévaloir de h nullité.
versaire, pourra
effet, il l'invoque ici par voie d'exception.
En Or, la formule générale de
2262 ne s'applique qu'aux actions et non aux
l'article pas exceptions
(Req., 21 juin 1880, D. P. 1881.1.108, S. 1881.1.297).
Deux observation compléteront la notion de la nullité absolue.
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES' 79

l° En principe, toutes les dispositions prohibitives ou impératives édic-


tées par la loi sont sanctionnées par la nullité. Cependant, et par excep-
tion, il arrive parfois que la violation de la règle n'entraîne pas l'ineffica-
de l'acte juridique. Nous en verrons un exemple frappant dans la
cité
matière du mariage. Les empêchements au mariage, c'est-à-dire les faits

qui font obstacle à sa célébration, se divisent en empêchements simple-


ment, prohibitifs et en empêchements dirimants. Les premiers laissent
subsister le mariage, si, en fait, il a été célébré contrairement à la prohi-
bition légale. Les seconds seuls emportent la nullité de l'union irrégu-
lièrement contractée.
2? La loi ne prononce pas toujours expressément la
nullité. Souvent, le
Code se contente d'employer une formule prohibitive : « ne peut, ne doit »,
ou bien une formule impérative, comme dans les articles 334, 1394 du
Code civil ; il ordonne ou il défend, mais sans édicter de sanction (V. art.
447, 463, 464, 791, 903, etc.). Il n'est pas douteux cependant que la nul-
lité peut, dans ces cas, être prononcée en vertu de la volonté tacite du lé-

; autrement dit, elle est virtuelle. Mais quels sont ces cas? Com-
gislateur
ment reeonnaîtra-t-on que le législateur a eu l'intention de sanctionner par
la nullité les, actes contraires à une disposition impérative ou prohibitive
édictée par lui ? Il n'y a pas de critérium qui permette de donner à cette

question une réponse générale ; on ne pourra la résoudre qu'en étudiant,


cas particulier dans elle se présentera, l'esprit de la
pour chaque lequel
ou la défense. On devra se de-
loi et. les motifs qui ont fait édicter l'ordre
mander si ces prescriptions sont tellement
essentielles, fondamentales que
l'acte à apprécier ne puisse se concevoir, avec la physionomie propre qui
lui est conférée la loi et étant donné la définition rationnelle qu'il
par
aient été observées. Dans le cas
comporte, sans que les dites prescriptions
de l'affirmative, leur inobservation devra entraîner la nullité.

Nullité relative ou annulabilité. —- L'annulabilité ou nullité relative


ne résulte comme la nullité absolue, de la violation d'une règle légale
pas,
dont le caractère ou tient à la considération de l'in-
impératif prohibitif
térêt Les causes qui rendent un acte annulable sont
général. principales
les suivantes :
1° La déclaration de volonté de l'auteur de l'acte a été viciée par le dol,
la violence, et même, dans certains cas, par la lésion;
l'erreur,
2° La personne a passé l'acte est et elle a agi sans observer
qui incapable
les règles prescrites, par la loi.
La nullité relative ou annulabilité se donc à nous avec un ca-
présente
ractère bien la distingue nettement de la nullité absolue.
marqué, qui
C'est une mesure de protection d'un ou de plusieurs privés. Cetteintérêts
a été victime de son inexpé-
mesure s'explique par ce fait qu'une personne
a commis une erreur, ou parce qu'on a usé de violence ou de ma-
rience,
à son ou enfin a subi une
noeuvres frauduleuses encontre,' parce qu'elle
l'une des où la loi la prend en
lésion dans hypothèses exceptionnelles
Le meilleur la protéger, c'est, non pas d'a-
considération. procédé pour
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
80

car le remède souvent le but, mais de subor-


néantir l'acte, dépasserait
son maintien à la volonté de l'intéressé. S'il trouve l'acte avanta-
donner
il le confirmera; sinon, il en demandera l'annulation.
geux,
On rencontre dans le Code civil quelques autres cas, dans lesquels l'an-

nulabilité encore sur une idée de protection des intérêts privés,


repose
mais diffèrent un peu des hypothèses que nous venons d'indiquer.
qui
l'article 1422 du Code civil décide que le mari ne peut pas disposer
Ainsi,
entre vifs à titre des immeubles de la communauté, ni de l'univer-
gratuit
salité ou d'une quotité du mobilier. Cette prohibition spéciale est. établie
dans l'intérêt de la femme, et celle-ci a seule le droit de demander la
nullité des donations faites en violation de cette défense. De même, lorsque
les envoyés en possession provisoire des biens d'un absent ont fait des
actes excédant les pouvoirs d'administration que leur confère la loi, l'ab-

sent, de retour, peut seul demander l'annulation de ces actes, car c'est
dans son intérêt que la loi limite les droits d'administration des envoyés
en possession provisoire (art. 128).
Les conséquences de l'annulabilité sont différentes de celles de la nullité
absolue. Nous n'insisterons pas sur ce fait que tant
que l'acte n'a pas été
annulé par le juge, il produit provisoirement le même effet que s'il était

valable. Nous avons vu que, pratiquement, il en est de même lorsque ;


l'acte est nul d'une nullité absolue. Les caractéristiques véritables de la
nullité relative sont les suivantes et s'opposent symétriquement à celles
de la nullité absolue.
1° Tout intéressé peut faire constater la nullité absolue d'un acte. Au
contraire, le droit d'intenter l'action ou d'opposer l'exception de nullité
relative n'appartient qu'aux personnes auxquelles la loi accorde ce droit
pour les défendre contre le dommage injuste que l'acte leur cause.
Par exemple, un mineur achète un immeuble sans être autorisé ou repré-
senté par son tuteur ; il peut demander l'annulation de la vente, mais le
vendeur ne le peut pas (art. 1125). C'est pour cela qu'on désigne l'annu-
labilité sous le nom de nullité relative.
2° Les actes annulables peuvent être confirmés par celui a le droit
qui
d'en demander l'annulation. La confirmation constitue une renonciation
à l'action en nullité. Elle rend à l'acte toute sa ; il est considéré
vigueur
comme n'ayant jamais été vicié (art. Mais deux conditions sont
1338).
nécessaires :
A. — Que la confirmation ait été faite avec connaissance du vice dont
l'acte était entaché ;
B. — Qu'au moment où elle intervient, la cause le vice
qui produisait
; ait cessé d'exister, par la violence ou l'incapacité
exemple, que l'erreur,
ait pris fin.
3° L'action en nullité relative s'éteint la prescription,
par lorsque cela
qui a le droit de l'intenter laisse un certain sans
passer temps attaquer
l'acte. Le délai ordinaire de la prescription est de trente ans (art. 2262).
Mais, en matière d'annulabilité, et en ce qui concerne les conventions la
loi a établi une prescription plus courte, qui est de dix ans et qui est fon-
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 81

dée sur une idée de confirmation tacite. Celui auquel appartient l'action
en nullité est censé avoir renoncé au bénéfice de cette action et, par con-
séquent, avoir confirmé tacitement l'acte il
attaquable, quand est demeuré
pendant dix ans sans intenter cette action (art,, 1304).
On remarquera que, dans la terminologie l'action
usuelle, (ou l'excep-
tion) fondée sur la lésion est désignée une
par expression spéciale, dé-
tournée d'ailleurs du sens qu'elle présentait dans l'ancien Droit auquel
nous l'avons empruntée : on ne action en
l'appelle pas nullité, mais action
en rescision (art. 1304).

De l'inexistence 1. — Nous avons vu que, théoriquement, l'inexis-


tence d'un acte juridique est distincte de la nullité absolue. Il y a là, à
tout le moins, une conception l'on rencontre chez la des écri-
que plupart
vains. Que l'on suppose un acte manquant de l'un des consti- éléments
tutifs essentiels, nécessaires la formation d'un acte en
pour juridique
général ou de l'acte particulier qui est en question. Par il n'y a
exemple,
pas eu de manifestation de volonté de la part de l'auteur de l'acte, soit
parce qu'il était, au moment où il a agi, sous d'une crise d'alié-
l'empire
nation mentale, soit parce qu'il était trop jeune ce
pour comprendre qu'il
faisait. Ou bien encore, on se trouve en présence d'une vente sans prix,
d'un paiement sans dette antérieure à éteindre, d'un sans dif-
mariage
férence de sexe entre les prétendus conjoints, etc. Dans ces différents
cas, a-t-on prétendu, on ne peut dire que l'acte est nul ; en réalité il n'existe
pas, ce n'est qu'une apparence ne recouvrant aucune réalité.
La différence faite par la Doctrine entre ces et celle d'un
hypothèses
acte nul d'une nullité absolue, comme l'est, par un contrat
exemple, por-
tant sur un objet illicite, notamment une cession d'office ministériel faite
sans assentiment de la Chancelierie, est rationnellement admissible. Ce-
pendant, la Jurisprudence l'a longtemps ignorée. Il est vrai qu'un arrêt
isolé de la Cour de cassation semble s'y être enfin attaché (Req., 30 dé-
cembre S. 1903.1.257,
1902, note de M. Tissier). Toutefois, nous ne croyons
pas qu'il y ait une utilité bien marquée à la distinction. Et voici pourquoi.
Pratiquement, l'inexistence d'un acte juridique ne dispense pas plus
que la nullité absolue de l'intervention de la justice, pour peu que l'acte
inexistant ait été néanmoins exécuté, si l'on veut remettre les choses en
l'état antérieur où elles se trouvaient auparavant. Par exemple, si la vente,
conclue sans cet élément essentiel de sa formation qui est un prix, a été
néanmoins suivie de la livraison de l'objet, le prétendu vendeur, pour se
remettre en possession de sa chose, aura besoin d'en faire ordonner en

justice la restitution. Si un
paiement a été effectué sans qu'il y eût, en réa-

lité, d'obligation à acquitter, le solvens pour se faire restituer la chose

payée, devra, lui aussi, agir en justice si la restitution amiable lui est
refusée par Certes, le jugement qui interviendra en cas d'inexis-
l'accipiens.
tence d'un acte juridique ne fera que constater cette nullité. Mais la dé-

1. Loyer, Des actes inexistants, thèse, Rennes, 1908.


82 INTRODUCTION. — CHAPITRE III

cision de justice sur la demande d'un intéressé, en cas de nullité


rendue,
ne fait autre chose non plus. Et, au fond, il en est de même
absolue, pas
en cas de nullité relative. attaque l'acte qu'elle avait
Lorsqu'une personne
en état de minorité, le juge qui prononce la nullité de cet acte ne
passé
fait aussi que la constater ou, du moins, que constater l'option de l'inca-
maître de faire annuler l'acte juridique ou de le maintenir,
pable qui,
s'est décidé dans le sens de l'annulation. Et, d'ailleurs, tous les jugements
ne sont-ils pas,
principe, en déclaratifs?
Si l'on y regarde de près d'ailleurs, le départ établi entre les cas d'inexis-
tence et les hypothèses de nullité se réduit, même rationnellement, à une

simple nuance. En somme, la Doctrine discerne non la nullité mais l'inexis-


tence dans les hypothèses où l'obstacle à la validité de l'acte juridique
est un obstacle naturel; elle réserve la notion de nullité absolue pour les
cas où l'obstacle à la perfection de l'acte est une prohibition de la loi,
c'est-à-dire un obstacle légal. Au fond, la différence est mince. Dans les
deux cas l'acte se heurte à une force souveraine, supérieure à la volonté
des parties. En réalité, les mots nullité absolue, inexistence sont bien près
d'être synonymes. Dans la langue juridique des R.omains il en était d'ail-
leurs ainsi. Dire d'un acte: nullum est, cela signifie indifféremment : l'acte
est nul, ou bien : il n'y a pas d'acte, l'acte est inexistant.
D'où vient donc cette conception doctrinale de l'inexistence distincte de
la nullité? Comme on verra plus loin, elle a pris naissance en matière de
mariage. Les auteurs se sont trouvés là en présence d'une (d'ailleurs
règle
plus que contestable) à laquelle la tradition attachait la valeur d'un axiome :
à savoir que la nullité d'un mariage ne peut être demandée sans l'appui
d'un texte formel qui ordonne de la prononcer dans du .
l'hypothèse objet
litige. Or il y a des cas où, de toute nécessité, le mariage ne peut être consi-
déré comme valable, et où, cependant, aucun texte n'en la nullité.
prononce
En imaginant la catégorie des mariages on se mettait en règle
inexistants,
avec ce soi-disant axiome qu'en matière de mariage il n'y a pas de nullité
sans texte. De même, l'arrêt précité de la Cour de cassation ne s'est référé
à l'idée d'inexistence que parce que, dans le litige lui élait il
qui soumis,
s'agissait de casser un acte de procédure — en une enchère mise
l'espèce
par un simple particulier et non ministère comme
par d'avoué, l'exige
l'article 705 du Code de acte manifestement
Procédure, inopérant, mais
qu'aucun texte ne déclarait tel —, et d'autre aux
que, part, termes de
l'article 1030 du Code de procédure, « aucun
exploit ou acte de
procé-
dure ne pourra être déclaré nul si la nullité n'en est pas formellement
prononcée par la loi ». Mais, arriver au
pour résultat cherché, il eût
suffi de faire appel au des nullités
principe virtuelles que nous avons ex-
posé tout à l'heure. L'enchère étant, par définition, un acte de procédure
et ces actes ne pouvant être accomplis que par des avoués, il va de soi
que l'enchère mise par un n'avait
particulier pas de valeur. Et nous ne
voyons pas pourquoi le cas d'inexistence relevé par la Cour suprême ne
serait pas qualifié de nullité absolue.
Remarquons que, si la théorie de l'inexistence était exacte, les hypo-
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 83

thèses où elle devrait recevoir les applications les plus logiques et les

plus pratiques seraient celles où un acte juridique a été maté-


accompli
riellement, mais sans manifestation d'une volonté consciente (actes des
fous pendant l'accès de délire morbide ou des mineurs en bas âge). Or,
nous verrons que notre législation positive écarte elle-même cette consé-

quence de la théorie quand il s'agit des actes d'un fou placé dans un
asile d'aliénés ou interdit (art. 39, loi du 30 juin 1838 ; art. 502, C. civ.).
Ces actes ne sont nuls que d'une nullité relative. Et, quant aux actes pas-
ses par un aliéné non interdit ou interné, dans un moment de crise,
bien que la
majorité des auteurs voie dans cette hypothèse un acte inexis-
tant (V. notes de M. Lacoste sous Poitiers, 30 octobre 1893, S. 1895.2.225,
et de M. Glasson sous, Toulouse, 21 janvier 1885, D. P. 1886.2.73), la Ju-

risprudence n'y aperçoit que la révélation d'un vice de la volonté don-


nant ouverture à une simple action en nullité relative (Civ., 9 novembre

188,7, D, P. 1888,1.161; S. 1887.1.461; Bordeaux, 22 avril 1896, D. P.

1896.2.455, S 1896.2.232, P. F. 1897.2.321, note de M. Carré de Malberg).

SECTION III. — MODALITÉS DES ACTES JURIDIQUES.

L'acte juridique peut être pur et simple, ou accompagné de modalités


dont les principales sont le Terme et la Condition.
Quand l'acte est pur et simple, il
produit ses effets immédiatement et
définitivement. Exemple : une vente au comptant, le legs d'un objet
sans condition, une donation pure et simple.
Mais il arrive souvent que les parties introduisent dans l'acte une mo-

dalité, soit pour en retarder les effets, soit pour les éteindre à un mo-
ment donné. Ces modalités, le terme, la condition, se rencontrent fré-

quemment en pratique dans les contrats et les testaments.


Le Code civil les étudie sous le Titre des Contrats (art. 1168 à 1188), mais

comme elles peuvent être jointes à tous les actes juridiques, il convient

d'en étudier les effets dans cette Introduction.

— 1185 à
§ 1. Du Terme. (Art. 1188).

Différentes de termes. — Le terme est de deux sortes :


espèces
suspensif ou extinctif.
Le terme a pour but de retarder jusqu'à une date fixée l'exé-
suspensif
cution de l'obligation. : on convient dans un contrat de vente
Exemple
l'acheteur le prix au bout de six mois, d'un an, ou àplu-
que paiera
sieurs échéances successives. De même, un testateur lègue une somme

à un enfant et lui sera payée à l'époque de sa


d'argent stipule qu'elle
Ou bien encore, un sera payable à la mort de l'héritier
majorité. legs
du testateur.
Le terme extinctif a pour but d'éteindre les effets de l'acte juridique
au bout d'un certain Cette modalité trouve sa naturelle dans
temps. place
les contrats qu'on appelle des contrats successifs, c'est-à-dire par lesquels
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
81

un certain : un propriétaire loue


les se
pour lient temps. Exemple
parties
une de six ans. Au bout de
un appartement à un locataire pour période
fin. De même, un embauche un
six ans, le contrat prendra agriculteur
la récolte. le travail sera fini, le contrat expirera.
ouvrier pour Quand
aussi le terme extinctif dans les dispositions à titre gra-
On rencontre
un testateur ses héritiers de payer une rente
tuit. Par exemple, charge
à un tiers. Cette fin au jour du décès du crédi-
viagère obligation prendra
rentier.
montrent le moment choisi comme terme
Les exemples précédents que
ou comme terme extinctif être soit une date fixe, soit
suspensif peut
dont la réalisation se produira à une date inconnue, comme
un événement
la fin du le décès d'une déterminée. Dans le
premier
travail, personne
on dit a terme certain, dans le second terme incertain. Cela
cas, qu'il y
il le second cas comme dans le
importe peu; y a terme dans premier,
car si on en cas de terme incertain, le moment où se produira l'é-
ignore,
il n'est douteux cet événement arrivera un
vénement indiqué, pas que
jour ou l'autre.

Effets du terme. — Le terme a pour résultat de retarder


suspensif
l'exécution de l'acte jusqu'à la date fixée. S'agit-il d'un contrat,
juridique
le droit du créancier naît au jour même du contrat, mais il ne peut être

exercé jour de l'échéance. Jusque-là le débiteur ne peut être pour-


qu'au
suivi. De même, le propriétaire à terme ou le titulaire d'un droit réel sou
mis à la même modalité ne exercer leur droit qu'au jour de
peuvent
l'échéance. Ainsi, ils n'auront droit aux fruits et aux intérêts produits

par la chose qu'à dater ce jour.


Le terme extinctif met fin aux effets de l'acte juridique. Il les arrête,
mais, à la différence de la condition résolutoire, il ne les efface pas dans
le passé.
— 1168 A 1183).
§ 2. De la Condition. (ART.

Notion de la condition. — La condition est un événement et


futur
incertain, de la réalisation lesparties font dépendre soit la nais-
duquel
sance, soit la résolution d'un droit. (Voir art. 1168).
Evénement futur et
incertain, tels sont les deux traits caractéristiques
de la condition. Le terme, lui aussi, est toujours à venir, mais son arrivée
est certaine, tandis qu'on ne sait pas si l'événement conditionnel se pro-
duira.
Il résulte de ce caractère d'incertitude que les événements impossibles
physiquement ou juridiquement ne sont pas de véritables conditions,
puisqu'on est sûr qu'ils n'arriveront pas. Cependant, les articles 900 et
1172 parlent de la condition d'une chose impossible. Il y a là simple
abus de langage. Le sort de l'acte dans lequel une telle modalité est
insérée n'est pas incertain. La seule question qui se pose est de savoir
s'il faut annuler l'acte ou tenir la modalité pour non écrite, et c'est à
cette question que les articles 900 et 1172.
répondent
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 85

Nous avons dit que les parties insèrent une condition dans un acte
soit pour suspendre la formation du droit, soit pour le résoudre.
Dans le premier cas, on dit qu'il y a condition :
suspensive. Exemples
un donateur, un testateur promet de donner une somme à
d'argent
une personne si elle se marie ; une compagnie d'assurances à
s'engage
indemniser le propriétaire d'un immeuble, si celui-ci est détruit ou
détérioré par un incendie ; je vous vends ma maison tel
pour prix
sous la condition que je sois nommé fonctionnaire dans une autre
ville.
Dans le second cas, la condition prend le nom de condition résolutoire.
Exemples : un donateur stipule dans l'acte que la donation sera résolue
si le donataire meurt avant lui : un vendeur vend sa maison et se ré-
serve le droit de la racheter pendant cinq ans, en remboursant le prix
à l'acheteur (pacte de réméré).
On le voit, la condition résolutoire, à la différence de la condition sus-
pensive, suspend non pas la formation, mais la résolution de l'acte juri-
dique.
La condition suspensive et la condition résolutoire n'en sont pas moins
deux variantes de la même modalité

Classifications des conditions. — L'événement conditionnel peut


être soit un événement absolument indépendant de la volonté des inté-
ressés, soit, au contraire, un acte qu'il est en leur pouvoir d'accomplir
ou de ne pas accomplir. En se plaçant à ce point de vue, on divisera
les conditions en trois groupes : conditions casuelles, conditions potesta-
tives, conditions mixtes. Cette distinction se trouve énoncée dans les ar-
ticles 1169, 1170, 1171, qui définissent ainsi chaque groupe :
« La condition casuelle est celle qui dépend du hasard, et qui n'est
nullement au pouvoir du créancier, ni du débiteur » (art. 1169). Exemple :
si le donataire meurt avant le donateur.
« La condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de
la condition d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou de l'autre
des contractantes de faire arriver ou d'empêcher » (art. 1170).
parties
Exemple : la vente à réméré.
« La condition mixte est celle qui dépend tout à la fois de la volonté
d'une des contractantes et de la volonté d'un tiers. » (art. 1171).
parties
Exemple : donation faite sous la condition que le donataire se mariera.
La condition potestative est, suivant les cas, purement ou simplement
La condition simplement potestative est celle qui ne résulte
potestative.
d'une manifestation arbitraire de volonté du débiteur, mais exige,
pas
de sa l'accomplissement d'un fait extérieur qu'il pourra ne pas être
part,
en état d'exécuter : par exemple, le vendeur à réméré se réserve le droit
racheter l'objet vendu, mais il faut rembourse le prix. De
qu'il
la condition « si vous faites un voyage d'affaires pour moi ».
même,
La condition purement potestative est, au contraire, celle qui n'exige
manifestation de volonté et rien de plus. Elle peut se formuler
qu'une
— CHAPITRE III
88 INTRODUCTION.

Les donations entre époux en four-


: si je le veux, si je le juge à propos.
ainsi
sont révocables (art. 1096, 1er al.) ; le
nissent un exemple car elles toujours
à son il le juge bon.
la donation faite conjoint quand
donateur peut révoquer
ces deux dans la condi-
degrés
Voici quel intérêt il y a à distinguer

tion potestative.
a été contractée sous une condi-
Toute est nulle lorsqu'elle
obligation
de celui (art. 1174) et quand
tion purement de la part qui s'oblige
potestative
de suspendre la formation de l'acte.
elle a pour objet
qui dirait : je
Cette va de soi. Il est évident qu'une personne
règle à pro-
ferai une donation si je le juge
vous vendrai ma maison, je vous
ne s'obligerait pas sérieusement.
pos,
potestative n'annule
Au contraire, une condition résolutoire purement
2e al. nous dit que le louage de services,
le contrat. Ainsi, l'art. 1780,
pas
détermination de durée, peut toujours cesser
ou contrat de travail, fait sans
la volonté d'une des parties contractantes.
par
la condition de la
A la différence de la précédente, simplement potestative
du lien même quand
part du débiteur n'empêche pas la validité obligatoire,
d'une condition En effet, le débiteur qui
elle offre le caractère suspensive.
aliène bien une de sa liberté. Pour le com-
j'oblige de cette façon partie
de conditions de ce genre : si je
prendre, il suffit de citer deux exemples
de vous offrir la
me décide à vendre ma maison, je vous promets préfé-
bien encore : si je vais habiter une autre ville, je vous promets
rence ; ou
de vous sous-louer mon Dans ces deux cas, l'obligation
appartement.
bien de la volonté du mais il n'en est pas moins lié,
dépend débiteur,
circonstances le contraindre soit à vendre sa maison, soit
car les peuvent
à changer de résidence.
verrons tard suite d'une règle tradition-
Nous cependant plus que, par
Droit sous cette formule Donner et retenir ne
nelle de notre désignée
il n'est de faire une donation, sous une condition sim-
vaut, pas permis
du donateur. Ainsi, serait nulle la dona-
plement potestative dépendant
tion ainsi faite : je vous donnerai mon cheval, si je vais habiter Paris ; je

vous donne dix mille francs, mais la donation sera résolue si je me marie.

immorales ou illicites. — Les condi-


Des conditions impossibles,
tions impossibles, immorales ou illicites devraient toujours avoir pour
effet de rendre nul l'acte dans lequel elles sont insérées.
Cela est évident pour la condition impossible, car celui qui subor-
donne le sort d'un acte juridique à l'arrivée d'une telle condition sait
bien que l'acte ne peut se former. Cela est certain aussi pour les con-
ditions immorales ou illicites, car une déclaration de volonté contraire
à l'ordre public ou aux bonnes moeurs est frappée de nullité
(art. 6).
Cependant cette solution, à
laquelle conduirait l'application des prin-

cipes, n'est vraie que pour les actes à titre onéreux (art. 1172). Pour les
actes à titre gratuit, notre Code édicte une règle différente. La condition

impossible, immorale ou illicite est réputée non écrite, et la donation ou


le legs s'exécute purement et simplement (art. 900).
THÊORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 87

Effets de la condition. — Pour déterminer quels sont les effets que


produit une condition, il faut trois situations différentes.
envisager
1° Tant que la condition est en une incertitude
suspens, règne sur le
sort de l'acte conditionnel.
S'agit-il de la condition résolutoire, l'acte tous ses effets
produit pro-
visoirement comme simple. s'il était
Ce qui pur et
est incertain, en effet,
c'est de savoir si l'acte subsistera ou sera résolu. : je vous
Exemple
donne une maison, mais la donation sera résolue si vous mourez avant
moi. Vous jouirez aussitôt de ma maison et en jouirez tant vous
que
vivrez; mais, si vous décédez avant moi, vos héritiers devront me restituer
la maison.
Au contraire, s'il s'agit d'une condition tant ne s'est
suspensive, qu'elle
pas réalisée, on ne sait si l'acte aura si le droit à créer
juridique effet,
prendra naissance. Exemple : je vous vendrai ma maison si je vais habiter
une autre ville. Cette vente ne se réalisera le jour où l'événement
que
prévu se produira, et s'il se produit. Toutefois, le droit bien
conditionnel,
que simple germe d'un droit futur, entraîne dès à présent certaines con-
séquences. Son bénéficiaire peut prendre des mesures conservatoires
pour le Sauvegarder (art. 1180); s'il meurt pendente conditione, il trans-
met ce germe de droit à ses héritiers (art. 1179) ; il peut, de son le
vivant,
céder à un tiers.
2° La condition peut, en second lieu, être défaillie. Il en est ainsi lors-
qu'il est certain que l'événement prévu ne se réalisera pas. Alors, si la
condition était suspensive, l'acte est considéré comme n'ayant jamais été
passé. Si la condition était résolutoire, l'acte qui en était affecté est do-
rénavant consolidé ; ses effets deviennent définitifs.
3° La Condition peut être enfin
arrivée, réalisée par l'accomplissement
du. fait prévu. Alors, toute incertitude prend fin. S'il y avait condition
suspensive, l'acte produit ses effets jusqu'alors incertains. Si la condi-
tion était résolutoire, l'acte est résolu, anéanti.
Ici nous rencontrons une règle essentielle de notre Droit qui est l'effet
rétroactif de la condition. Une fois accomplie, elle remonte au jour où
l'acte à été passé fart. 1179,). Si la condition était suspensive, l'acte est
réputé avoir pris naissance, non au jour de l'événement de la condition,
mais au jour de la manifestation initiale de volonté. Ainsi, l'acheteur
ou le légataire sous condition suspensive sont réputés être devenus pro-
priétaires de l'objet acheté ou légué dès le moment de la vente ou du dé-
cès du testateur. Si la condition était résolutoire, l'acte est réputé n'être

jamais intervenu. Ainsi, l'acheteur ou le légataire sous condition résolu-

toire, non seulement doivent restituer l'objet lorsque la condition s'ac-

complit, mais ils sont réputés n'en avoir jamais été propriétaires (art.
1183).
Ce n'est pas le lieu ni le moment de développer cette règle de la ré-

troactivité de la condition dont on verra plus tard les origines, la portée,


la limitation.
88 INTRODUCTION. — CHAPITRE III

SECTION IV. — DE LA REPRÉSENTATION DANS LES ACTES JURIDIQUES 1.

— Son — Il
Notion de la représentation. origine historique.
acle est accompli une
y a représentation lorsqu'un juridique par per-
sonne le compte d'une autre, dans des conditions telles que les effets
pour
se produisent directement et immédiatement, sur la tête du représenté,
comme si lui-même avait accompli l'acte.
L'institution de la
joue un rôle
représentation considérable dans les
relations D'abord, il y a des incapables qui nepeuvent exercer
juridiques.
eux-mêmes leurs droits, parce que le discernement nécessaire leur fait
défaut. La loi leur nomme donc un représentant, qui agit pour leur

compte. L'incapable devient propriétaire, créancier, débiteur, comme s'il


avait lui-même contracté. D'autre part, la représentation facilite la forma-
tion des rapports juridiques entre personnes capables, en leur permettant
de faire des actes sans y apparaître elles-mêmes. Elle supprime les im-

possibilités matérielles ou autres (éloignement, inexpérience, multiplicité


des occupations, etc.), qui souvent mettraient obstacle à la conclusion
d'une opération. Son utilité se manifeste principalement dans la sphère
du patrimoine.
C'est cependant un fait historique que la représentation est restée fort

longtemps inconnue. Le Droit romain n'admettait pas en effet qu'un acte


juridique pût faire naître des droits et des obligations chez d'autres per-
sonnes que qui celles
y avaient pris part. Il partait de cette idée simple
que ceux qui n'y ont pas été parties ne peuvent devenir ni propriétaires,
ni créanciers, ni débiteurs par l'effet de cet acte. La représentation appa-
raissait aux jurisconsultes romains comme une impossibilité juridique.
Ce principe de non-représentation ne s'opposait pas d'ailleurs à ce
qu'une personne fît un acte par l'intermédiaire d'autrui, car ce procédé
est pratiquement indispensable, et les Romains devaient bien l'employer
en fait pour la gestion des biens des mineurs en tutelle et pour le mandat.
Mais ils donnaient del'opération une analyse juridique différente de la
nôtre et d'ailleurs lourde et contournée. A leurs yeux, les effets de l'acte
fait par unreprésentant se produisaient toujours sur la tête de celui qui
l'avait accompli. Mais ce dernier devait transmettre au véritable intéressé
les droits qu'il avait acquis, de même celui-ci devait le décharger des
que
obligations qu'il avait contractées. L'opération se dédoublait donc ; il fal-
lait, après coup, transporter les droits et les obligations de la tête de l'in-
termédiaire sur celle du véritable intéressé. Ce procédé compliqué exposait
le gérant et le représenté à subir le contre-coup de leur insolvabilité réci-
proque.
Aussi, sans renverser le principe, les sous l'em-
jurisconsultes romains,
pire des nécessités pratiques, ont-ils le procédé, une série
perfectionné par
de réformes qui eurent résultat de simplifier la formation
pour du rap-

1. Pilon, Essai d'une théorie de la dans


générale représentation les obliga-
tions, thèse Caen, 1898.
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 89

port de droit entre le véritable intéressé et les tiers. Elles consistèrent a


admettre que l'acte passé par un intermédiaire bien
produisait ses effets
sur la tête de celui-ci, mais que, en outre, il engendrait des actions utiles
entre le maître et celui qui avait traité avec le représentant.
On peut dire qu'à partir de ce moment, la règle de la représentation
avait fait son entrée dans le monde juridique ; il n'y avait plus qu'à sup-
primer les droits et obligations qui naissaient en la personne de l'inter-
médiaire, et à admettre que le rapport se formait
juridique directement,
par dessus sa tête, entre le mandant et le tiers. Mais le Droit romain n'est
jamais allé jusqu'à cette conception qui n'a été réalisée que par notre an-
cien Droit 1.

Caractères distinctifs de la — La
représentation. représentation
se reconnaît aux traits caractéristiques suivants.
1° Celui qui fait l'acte juridique au nom et pour le compte d'une
agit
autre personne ; en d'autres termes, il a l'intention un tiers,
d'agir pour
et il fait connaître cette intention à celui avec qui il traite. Cette condition
doit être considérée comme essentielle. Si donc, bien qu'agissant pour
le compte d'autrui, le représentant laisse à l'autre sa qua-
ignorer partie
lité d'intermédiaire, il n'y a plus représentation; le contrat se forme
entre les deux parties contractantes. C'est ce a lieu en matière com-
qui
merciale, dans le contrat de commission 94, C.
(art. com.).
2° Il ne suffit pas que le représentant fasse l'acte le d'une
pour compte
tierce personne; il faut encore qu'il ait le pouvoir de la représenter. Ce
pouvoir est conféré soit directement par la loi, soit l'intéressé lui-
par
même.
C'est la loi qui donne au mandataire légal des incapables, tuteur
(art. 450. C. civ.), père administrateur des biens de ses enfants mineurs
(art. 389, C. civ.), mari administrateur des biens de sa femme (art. 1428,
1531, 1549, C. civ.), le droit de les représenter.
Il y a représentation non plus légale, mais contractuelle, lorsqu'une
personne charge une autre de faire une ou plusieurs opérations juridiques
pour son compte.
On remarquera qu'il peut y avoir représentation, même si l'intéressé
n'a pas donné de mandat, même s'il ignore l'acte accompli pour son
compte. Cela se produit dans la gestion d'affaires. On suppose que les biens
ou les intérêts d'une personne, qui est provisoirement absente, se trouvent
en souffrance. Un ami de cette personne intervient, pour lui éviter un dom-
mage, et fait, en son nom, des actes urgents d'administration, en prévenant
le tiers avec qui il traite qu'il agit comme gérant d'affaires. Le gérant serti
considéré comme ayant contracté en tant que représentant. La ratifica-
tion du maître, intervenant après
coup, produira le même effet que s'il
avait donné pouvoir d'agir. Toutes
les conséquences juridiques de I opé-
ration se produiront donc en sa personne. Ratihabitio mandato aequiparatur.

1. Cf. Girard, Manuel de droit romain, 6° édit., p. 675 et s.

DROIT. — Tome I.
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
90

de remarquer même si le maître refuse de ratifier la


Et il convient que,
néanmoins la représentation opère encore dans une
gestion d'affaires,
certaine mesure. Le maître, en effet, reste tenu des engagements qui ont

été contractés en son nom à l'égard des tiers, dans le cas où l'affaire a été

bien administrée, c'est-à-dire dans le cas où elle lui a procuré quelque


utilité (art. 1375).
On voit que le pouvoir ou la ratification qui équivaut au pouvoir, ne sont

de l'essence de la représentation. Toutefois, il reste vrai de dire que


pas
la représentation, lorsqu'elle n'est pas légale, suppose, en principe, une
déclaration de volonté du représenté autorisant le représentant à faire
l'acte ou ratifiant la gestion.

Nature — de cette insti-


juridique de représentation.
la L'analyse
tution a donné lieu, en Allemagne, à de longues discussions qui n'ont eu

qu'un faible écho chez nous. La doctrine traditionnellement admise en


France a été
longtemps la suivante. La représentation est une fiction, en
vertu de laquelle le représenté est censé manifester sa volonté par l'inter-
médiaire du représentant; le représentant n'est, en quelque sorte, que le
véhicule de la volonté du représenté : qui mandat, ipse fecisse videtur.
Cette explication a soulevé des critiques. Elle ne se concilie pas bien avec
l'institution de la gestion d'affaires. Elle paraît surtout inacceptable lorsque
le représentant n'a pas été choisi par la volonté du représenté, mais ap-
partient à la catégorie des mandataires légaux. Il vaut mieux reconnaître
tout simplement que, dans l'état actuel du Droit, un acte juridique peut
produire ses effets sur la tête d'une personne autre que celle qui l'a ac-
compli. Ainsi, l'acte fait par un représentant présente un double aspect.
D'une part, c'est le représentant qui fait l'acte ; de l'autre les effets de cet
acte se produisent sur la tête du représenté.
Voici les conséquences qui résultent de cette analyse.
1° C'est le représentant qui fait l'acte. La manifestation de volonté
émane bien du représentant. Il faut donc qu'il soit de vouloir.
capable
Mais cette capacité suffit; il n'est pas besoin soit de s'obli-
qu'il capable
ger, puisque l'acte n'entraîne aucune à son
conséquence juridique quant
patrimoine (art. 1990, C. civ.).
Que si la manifestation de volonté du est entachée d'une
représentant
cause de nullité, le représenté demander l'annulation de l'acte.
pourra
2° Les effets de l'acte se produisent sur la tête du représenté ; c'est lui
qui devient propriétaire, créancier, débiteur: c'est lui qui est s'il
libéré,
d'un acte extinctif
s'agit d'obligation.
Que si des conditions de capacité sont nécessaires la de
pour validité
l'opération, c'est
personne dans la
du représenté ces
que conditions de-
vront exister Par si le représenté a donné
exemple, mandat d'aliéner
ou d'hypothéquer un il faut
immeuble, qu'il ait la capacité requise par
la loi pour de ces actes.
l'accomplissement
Deux observations trouveront ici leur
complémentaires place :
1° le représentant est chargé
Lorsque de passer un acte pour la con-
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 91

clusion duquel la loi exige la forme le doit


authentique, pouvoird'agir
être conféré dans la même forme. Il ne faut en effet, le repré-
pas, que
senté se trouve privé des garanties et de sécurité
d'indépendance qu'as-
sure la présence du notaire à la déclaration de volonté. la procu-
Ainsi,
ration donnée pour constituer une faire une
hypothèque, pour donation,
doit être notariée.
2° Si, en principe, la représentation à tous les actes
s'applique juri-
diques, par exception cependant, certains actes exigent l'intervention de
l'intéressé lui-même. Ils sont très rares. Ce sont le et le testament.
mariage

SECTION V. — NOTIONS TRÈS SOMMAIRES SUR LES PREUVES.

Importance des règles relatives à la preuve. — La de


question
preuve joue un rôle considérable dans les rapports des indi-
juridiques
vidus. Pour pouvoir, en effet, exercer un droit, il faut être à même d'en
établir au besoin l'existence, c'est-à-dire de démontrer sont les
quels
faits, actes matériels ou juridiques, qui lui ont donné naissance. Un
droit dont on ne peut faire la preuve ne présente aucune utilité. Il est
comme s'il n'était pas. Il
importe donc au plus haut point de déterminer
d'abord dans quelle mesure la preuve incombe à chacune des parties
litigantes, et, d'autre part, quels sont les moyens qui peuvent être em-
ployés par les
plaideurs pour démontrer l'exactitude de leurs allégations.
La matière de la preuve devrait, en logique, être comprise dans le
domaine de la Procédure civile, car, généralement, c'est en justice, à l'oc-.
casion d'un litige, que les intéressés cherchent à faire la preuve de leurs
prétentions respectives. Et, de fait, le Code de procédure civile consacre
un grand nombre de textes à régler les formes dans lesquelles se fera
l'administration des divers moyens de preuve mis à, la disposition des
parties. Mais la matière, d'autre part, se rattache également au Droit civil,
et les principes de notre sujet font partie intégrante de notre Code. Cela
se comprend aisément.
Tout d'abord, en effet, il y a des cas où une personne est obligée de
faire la preuve de certains faits en dehors de tout procès. Ainsi, par
exemple, l'homme et la femme qui contractent mariage doivent établir
devant l'officier de l'état civil qu'ils réunissent les conditions requises
par la loi.
En second lieu, la détermination des modes de preuve dont l'emploi
est autorisé constitue une question fondamentale, puisque de sa solution

dépend la sécurité des droits acquis. Il est donc naturel qu'elle se rat-
tache au Droit civil.
Les rédacteurs du Code civil ont donc exposé la théorie des preuves ;
ils l'ont placée dans le titre des Contrats (art. 1315 et suiv.), suivant

l'exemple de Pothier qui a consacré une partie de son traité des Obliga-
tions à la « Preuve tant des obligations de leur paiement » (éd. Bu-
que
gnet, t. II, p. 398 et s.).
Nonobstant ce précédent, il y a là une mauvaise méthode. Les règles
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
92

tout le Droit civil, elles s'appliquent à tous les


de la Preuve dominent
droits droits de créance. A l'occasion de
droits, droits de famille, réels,
le jurisconsulte est amené à discuter des
chaque institution juridique,
de de la démonstration de la naissance,
questions preuve, qu'il s'agisse
du décès, de celle de la filiation, de laparenté, ou de celle du
du mariage,
de propriété ou des droits réels, ou enfin des droits de créance.
droit
il est de connaître, dès le début de l'étude
C'est pourquoi indispensable
les essentielles concernant l'administration de la
du Droit civil, règles
et les divers probatoires dont la loi autorise l'emploi.
preuve procédés

— de la
§ 1. Objet preuve.

à administrer les — Le fait


Sur quoi porte la preuve par parties.
et le Droit. — invoque un droit de créance
Supposons qu'une personne
contre une autre. Elle doit prouver quels sont les événements, actes juri-

diques (legs, contrat, gestion d'affaires, etc.), ou faits juridiques (dommage


enrichissement etc.), qui ont engendré cette créance.
causé, injuste,
Quant à la détermination des effets de droit que produisent ces faits ou
ces actes, c'est au juge qu'incombe la mission de les rechercher. C'est lui
est chargé les règles de droit aux rapports qui se forment
qui d'adapter
entre les parties, par une interprétation des dispositions légales ou des

principes juridiques.
Ainsi, les parties intéressées n'ont qu'à établir la réalité des faits sur
elles fondent leurs prétentions. C'est affaire au juge de dire, une
lesquels
fois que les faits sont précisés, quelles en sont les conséquences juridiques.
Un vieil marque bien cette distinction. Le juge dit aux parties :
adage
Da mihi factum, dabo tibi jus : « Indique-moi quels sont les faits, je te
dirai le droit.
Sans doute, dans la réalité des choses, le demandeur qui invoque un
droit contre le défendeur s'efforce de prouver que ce droit découle des
faits invoqués par lui ; il s'efforce donc de démontrer quelles sont les con-

séquences juridiques des actes qui forment la base de sa prétention, afin


d'éclairer la religion du juge et de faire naître la conviction dans son

esprit. La preuve du droit et celle du fait se trouvent donc intimement


liées et ne peuvent être séparées dans la demande, surtout quand on se
trouve dans la matière du contrat qui est la loi des contractants. Il arrive
même souvent que les faits ne sont pas contestés par les parties et que la
discussion porte seulement sur leur interprétation, c'est-à-dire sur les
effets juridiques qu'ils doivent produire. Le demandeur soutient, par
exemple, qu'ils constituent une violation d'une convention antérieure, et
le défenseur conteste qu'ils aient ce caractère 1.

1. Voici un exemple qui met bien en lumière les deux éléments si étroitement
mêlés dans tout débat. Un chef d'entreprise congédie un ouvrier sans lui donner
le préavis d'usage dans la profession, sous prétexte qu'il a commis une faute.
L'ouvrier soutient au contraire qu'il n'y a pas eu faute de sa part. Le fait, c'est
l'acte commis par l'ouvrier dont se plaint le patron, Le point de droit, c'est de sa-
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 93

Mais cela n'empêche pas que la séparation des deux domaines subsiste
en principe. Le législateur ne s'occupe de la preuve des faits;
que c'est elle
seule qu'il réglemente dans les articles 1315 à 1368 du Code civil et dans
le Code de procédure civile.
Quant à de ces faits, le Code ne s'en occupe
l' interprétation juridique pas.
Elle est abandonnée aux juges, les parties et leurs avocats étant naturel-
lement libres de faire tous leurs efforts les amener à partager
pour l'in-
terprétation qu'ils préconisent-

Domaines respectifs de la preuve libre et de la preuve précons-


tituée. — La de la preuve
réglementation des faits allégués en justice
dépend de la nature de ceux-ci. Notre loi établit à ce sujet une distinction
fondamentale que voici :
1° Les faits juridiques, c'est-à-dire les événements purement matériels,"
susceptibles de donner naissance à un un
rapport juridique, par exemple,
accident du travail, un acte causant à autrui, une un
dommage erreur,
acte de fraude ou de violence, un fait de force majeure ayant empêché
d'exécuter un contrat, un vol, la perte d'un tout naturel-
objet, peuvent
lement se prouver par tous les procédés s'offrent, à l'intéressé,
qui té-
moins, expertises, descente de lieux, présomptions tirées de certains in-
dices matériels ou d'événements déterminés. Le juge sera chargé d'ap-
précier la valeur des moyens invoqués par l'intéressé, mais tous les
moyens que celui-ci juge bons pour établir l'exactitude de ses allégations
peuvent être prêsentés par lui. En d'autres termes, les parties sont pla-
cée ssous le régime de la preuve libre.
Il y a pourtant exception dans certains cas déterminés.
Ainsi, la loi organise un mode preuvede spécial, l'inscription sur les
registres de l'état civil, pour la naissance et le décès, et ces événements ne
peuvent être régulièrement prouvés que par un extrait de ces registres.
Il n'est permis de recourir à d'autres modes de qu'à la condition
preuve
d'établir tout d'abord que le mode légal fait défaut, c'est-à-dire qu'il n'a
pas été dressé d'acte de naissance ou de décès, ou que les registres qui le
contenaient ont été détruits.
De même, la preuve de la filiation d'un enfant est réglementée et ne
peut s'établir que par l'un des procédés indiqués par le Code civil.
2° Au contraire, quand il s'agit de prouver la formation ou l'extinction
d'un acte juridique, la loi n'autorise en principe que la preuve par écrit,
et ce n'est qu'exceptionnellement qu'elle permet d'invoquer le témoignage
des tiers ou les présomptions tirées des circonstances. C'est ainsi qu'en
matière de contrats, et en vue d'empêcher de trop fréquentes contesta-
tions, la loi veut que les contractants rédigent un écrit relatant leur con-
vention (art. 1341).

voir si ce fait constitue une faute, c'est-à-dire emporte déchéance du délai-congé.


De même, un accident se produit dans une usine et le chef d'entreprise soutient
qu'il ne donne pas lieu à indemnité. Le fait, c'est l'accident et les circonstances qui
font occasionné ; le point de droit, c'est la question d'application de la loi du
9 avril 1898.
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
94

L'écrit dressé en vue de constater un acte juridique ou même un simple


fait tel la naissance, le décès, soustrait au régime de la
matériel, que
forme ce qu'on une preuve c'est-à-dire
preuve libre, appelle préconstituée,
une créée à l'avance, en vue de l'avenir.
preuve

— de la
§ 2. De la charge preuve.

Auquel des plaideurs incombe cette charge ? — Quelques exemples


vont nous montrer combien il importe de savoir quel est, dans un procès,
celui des deux adversaires qui doit faire la preuve des faits
litigieux.
1° Un créancier porteur d'un billet ainsi conçu : « Je soussigné m'en-

gage à payer au 1er mars prochain la somme de 1.000 francs », poursuit


le signataire en justice, et ce dernier soutient que ce billet cache une
cause immorale ou illicite.
2° Deux voisins prétendent à la propriété d'une parcelle de terre dont
l'un a la possession.
3° Des valeurs mobilières appartenant à un défunt sont, après sa mort,
trouvées entre les mains d'un parent ou d'un domestique. Les héritiers
soutiennent qu'il y a eu simple dépôt ou détournement. Le détenteur pré-
tend, au contraire, que les titres lui ont été donnés de la main à la main
par le de cujus.
Dans ces trois exemples, celle des parties à laquelle incombera la charge
de lapreuve portera tout le poids du procès, car si elle ne réussit pas
à établir l'exactitude de sa prétention, elle succombera.
Cette grave question est depuis fort résolue deux
longtemps par règles
si sages, si conformes au bon sens, qu'on les retrouve dans toutes les
législations.
Notre Code civil les formule en ces termes dans l'article 4315 : " Celui
qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproque-
ment, celui qui se prétend libéré doit justifier le ou le fait
paiement qui
a produit l'extinction de son »
obligation.
Le seul reproche que l'on puisse faire à cet article est d'avoir restreint
aux droits de créance l'application de la formule. Mais
proposition qu'il
cela s'explique par la place même à laquelle les rédacteurs du Code ont
étudié la matière de la preuve. Il convient donc de généraliser les termes
de l'article 1315 et de dire :
Tout demandeur qui intente une action en justice doit en établir le fon-
dement. Tout défendeur qui, sans nier le fait même allégué contre lui,
invoque un autre fait qui détruit l'effet du doit en fournir la
premier,
preuve.
Ainsi, tout d'abord, c'est au demandeur de prouver
qu'il appartient les
faits sur lesquels il fonde son action. Actori incumbit ,21 D. de pro-
probatio
bation., XXII, 3;. Et, en effet, il ne saurait en être autrement. Le deman-
deur veut introduire un changement dans la situation présente ; il se pré-
tend propriétaire d'une chose est en la possession de son
qui adversaire
créancier de celui-ci, etc.. Or, du contraire, il est
jusqu'à preuve logique
THÉORIE GENERALE DES ACTES JURIDIQUES 95

de penser que celui qui détient une chose en est propriétaire, ou qu'une
personne n'est pas débitrice. Le défendeur doit donc conserver les avan-
de sa situation. Tant la contraire n'est
tages que preuve pas faite, il doit
être présumé propriétaire, non débiteur. Comme on l'a fort bien dit (Gar-
sonnet, Traité de procédure civile, t. II, § 274), « s'il suffisait d'action-
ner le défendeur pour lui imposer le fardeau de lapreuve, toutes les
chances seraient contre lui, et le procès le plus injuste serait le plus
facile à gagner ».
En conséquence, le défendeur qui se borne à nier les faits allégués par
le demandeur n'a aucune preuve à fournir à l'appui de sa
dénégation.
Negantis naturali ratione nulla
Ei est incumbit
probatio. probatio qui dicit,
non qui negat 1
(23 C, de probation., 4.19 ; 2 D. de probation., XXII, 3)
Quand, au contraire, le demandeur a établi l'exactilude des faits sur
lesquels il fonde sa prétention, la situation première est la
renversée,
présomption originaire, détruite. Si donc le défendeur oppose des moyens
de défense, des c'est- à-dire s'il prétend
exceptions, que les conséquences
juridiques des faits allégués sont paralysées par d'autres faite, par exemple,
s'il soutient qu'il est devenu propriétaire par la prescription acquisitive,
ou qu'il a payé sa dette, ou encore que l'obligation est nulle, c'est à lui à
fournir la preuve de ces moyens de défense : Reus in exceptions fit actor
(19 pr. et 25, §2, D. de probation., XXII. 3).

Des — La loi de faire la


présomptions légales. dispense parfois
preuve de certains faits et les tient à l'avance pour établis. Elle en pro-
clame a priori l'exactitude. On dit alors qu'elle crée une présomption.
Les présomptions sont naturellement exceptionnelles ; elles ne se ren-
contrent que dans des hypothèses où des raisons d'intérêt supérieur, qui
varient du reste avec chaque cas, en exigent l'établissement. En voici des
exemples.
1° Le moment exact de la conception d'un entant est une chose impos-
sible à préciser. La loi établit en conséquence la durée maxima(300 jours),
et la durée minima (180 jours) de la grossesse (art. 312, C. civ.), et décide
que la période de la conception se place dans l'intervalle qui s'étend entre
le 180e jour et le 300e jour avant l'accouchement.
2° La preuve de la paternité ne peut pas être faite par des moyens directs.
En conséquence, la loi établit une présomption de légitimité en faveur des

1. Les anciens glossateurs attachaient à ces formules un sens tout différent. D'a-
près eux, elles signifiaient que celui qui invoque un fait négatif, par exemple la non-
existence de la cause d'une obligation ou la non-existence d'héritiers plus proches
du défunt, n'est pas tenu d'en faire la preuve. On ne peut pas prouver une néga-
tion, disaient-ils. Mais c'est là une erreur depuis longtemps reconnue. Quiconque in-
voque un fait doit le prouver, et s'il ne le peut il échoue. Il serait vraiment illogique
de dispenser de cette charge celui qui fonde son droit sur une proposition néga-
tive. Au fond, la démonstration d'une telle proposition n'est pas impossible. Ainsi,
l'héritier qui réclame la succession fournira un certificat de notoriété, constatant
qu'on ne connaît pas d'héritiers plus proches. De même, celui qui demande à être
mis en possession des biens d'un individu qui a disparu, établira qu'il n'a pas
donné de nouvelles depuis sa disparition.
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
Qg

de 179 après la célébration


nés d'une femme mariée plus jours
enfants
dans les 300 qui suivent sa dissolution.
du mariage ou jours
à son débiteur le titre
créancier remet volontairement
3° Lorsqu'un
la loi a voulu le libérer (art. 1282).
constatant sa créance, présume qu'il
terminé un définitif ne
4° Pour qu'un procès par jugement
empêcher
la loi tient la décision rendue pour conforme
soit lard recommencé,
plus
verilale habetur, et interdit de porter à nou-
à la vérité: res judicala pro
ce a été jugé (art. 1330 et 1351).
veau devant les tribunaux qui déjà
le sont fondées sur l'expé-
Les présomptions édictées par législateur
à la réalité des faits. Cepen-
rience. Elles correspondent presque toujours
dans tel cas déterminé, elles se trouvent con-
dant, il peut arriver que,
d'une femme
traires à la vérité. Il peut se faire, par exemple, que le mari
le père de l'enfant, ou que les tribunaux se soient
mariée ne soit pas
en rendant un jugement.
trompés
celui on une présomption légale a le
Ordinairement, auquel oppose
de la faire tomber en prouvant est fausse. On dit alors que
droit qu'elle
la est relative ou juris tantum.
présomption
Par il a certaines présomptions qui sont irréfragables.
exception, y
dans tous les cas, même si par
L'ordre public exige qu'elles s'appliquent
ne sont conformes à la réalité. L'intérêt privé doit
exception elles pas
devant l'intérêt Il en est ainsi, par exemple, de l'au-
s'effacer alors général.
torité attachée à la chose Le jugement passé en force de chose jugée
jugée.
tenu bien même il serait prouvé que les juges se sont
est pour vrai, quand
en est on dit la présomption est absolue ou
trompés. Lorsqu'il ainsi, que

juris et de jure.

de la chose — Il convient de donner dès à pré-


De l'autorité jugée.
sur une des que nous ve-
sent quelques explications présomptions légales
nons de citer, à savoir la présomption de vérité des décisions de justice ou

autorité de la chose En effet nous aurons occasion de nous référer


jugée.
à cette à diverses dans le cours de ce volume.
règle reprises
Nous avons dit procès entamé entre deux ou plusieurs
que, lorsqu'un
tranché la ainsi ne peut
personnes a été par un jugement, question jugée
être débattue à nouveau devant la justice. La sentence rendue est
plus
réputée l'expression de la vérité. D'où l'exception de chose jugée qui per-
mettra au bénéficiaire du d'écarter toute nouvelle demande por-
jugement
tant sur le même objet.
Mais, au regard de qui existe cette autorité de la chose jugée? L'article 1351

répond que, pour qu'une nouvelle demande puisse être


repoussée par
l'exception rei judicatae, il faut qu'elle s'élève entre les mêmes parties, qu'il
s'agisse d'une demande formée par elles ou contre elles en la même qua-
lité. Ainsi, l'effet jugementsdes est relatif. Ils ne profitent et ne nuisent

qu'aux parties engagées dans l'instance, non aux tiers. Res judicata inter
alios aliis ne que nocere ne que prodessepotest.
Cette règle fondamentale de notre Droit, sur laquelle nous aurons à
revenir, se justifie avant tout par une raison d'équité. Les intérêts d'un
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 97

individu ne peuvent pas être compromis par une décision inter-


judiciaire
venue à la suite d'un litige dans lequel il n'a pas s'il en était
figuré, car,
autrement, il risquerait de voir ses droits compromis la maladresse ou
par
même la collusion d'autrui. Par exemple, le débiteur d'une somme d'ar-
gent meurt, laissant deux héritiers. Sa dette se divise entre ceux-ci

(art. 1220). Le créancier n'actionne en justice que l'un de ces héritiers et


obtient contre lui un jugement. De ce jugement il nepourra se servir que
toucher la part de la dette incombant à l'héritier condamné ; il ne
pour
pourra pas l'opposer à l'autre héritier. Et cela est juste. En effet, il se

que l'héritier poursuivi ait omis d'invoquer un de défense


peut moyen
(prescription de la
dette, nullité de l'obligation, paiement effectué par le

défunt) qui aurait dû faire repousser la demande.


De même, supposons que Primus revendique un immeuble qu'il pré-
tend lui appartenir et qui se trouve entre les mains d'un possesseur, Se-
cundus, qui, prétend-il, l'a usurpé. Il ne faut pas que ce possesseur puisse
repousser la demande de Primus en alléguant un jugement qui, dans un

litige antérieur qui s'était élevé entre lui et Tertius, avait jugé, à ren-
contre de ce dernier, que c'était lui, Secundus, le véritable propriétaire. Si
un tel titre pouvait être invoqué, Secundus n'aurait qu'à susciter un ad-
versaire fictif, un homme de paille dont il
triompherait aisément, et il se
mettrait ainsi à l'abri de toute revendication du véritable ayant-droit.
Toutefois, nous verrons en traitant de la preuve de la propriété, les tem-

péraments au moins apparents que la Jurisprudence a dû apporter en cette


matière au principe de l'article 1351.
Nous ferons observer, en terminant.sur ce point, que le principe de la
relativité des jugements ne s'applique qu'aux jugements dits déclaratifs,
c'est-à-dire ne faisant que constater, reconnaître un rapport de droit créé
antérieurement. Ce sont à la vérité les plus nombreux. Cependant, certains

jugements sont dits constitutifs, parce qu'ils créent une situation nou-
velle. Ceux-là sont valables erga omnes, et toute personne intéressée est
admise à en déduire les conséquences. Il en est ainsi des jugements pro-
nonçant une interdiction, un divorce, une séparation de corps.

— de
§ 3. Différents moyens preuve.

Les différents modes de qui permettent d'établir la véracité d'un


preuve
fait peuvent se classer en cinq groupes :
1° La constatation matérielle du fait effectuée par les juges eux-
allégué
mêmes ou des Cette constatation n'est possible que dans
par experts.
des cas assez rares, il s'agit par exemple d'un procès portant sur
quand
une question de servitude, de bornage, de cours d'eau, ou d'un accident,
d'un incendie, d'un dommage matériel.
2° Les écrits rédigés pour constater soit un acte juridique, par exemple,
un contrat, un testament, un mariage, la reconnaissance d'un enfant natu-
soit un juridique relatif à l'état de l'individu, une naissance, un
rel, fait
décès.
INTRODUCTION. — CHAPITRE III
98

Ces écrits se divisent en deux classes, suivant qu'ils sont dressés par
les intéressées elles-mêmes ou par un officier public ; les actes
parties
sous seing privé et les actes authentiques.
A. — Les actes sous ne sont, en principe, soumis à aucune
seing privé
condition de forme ni de rédaction. Ainsi, il n'est pas nécessaire qu'ils
soient écrits de la main des intéressés, sauf pour le testament olographe
C. civ.). Pourtant il faut qu'ils contiennent la signature de celui ou
(art. 970,
de ceux juridique constatée. C'est la signa-
qui accomplissent l'opération
ture donne à l'écrit ou acte ou titre, sa force pro-
qui instrumentaire,
bante, car elle prouve la volonté du signataire.
La loi n'exige pas seing
que privé soit
l'acte sous
daté, sauf quand il

s'agit du testament
olographe (art. 970). En fait, cependant, la mention de la
date se rencontre presque toujours, car les parties ont le plus grand intérêt
à préciser le moment où l'acte a été fait, notamment quand il s'agit d'un
contrat qui doit les lier pendant un certain temps. Mais il faut bien noter

que la date portée sur un acte sous seing privé n'a en principe aucune
force probante à l'égard de ceux qui n'y ont pas été parties, car rien ne

prouve que cette date soit exacte et qu'on ne se trouve pas en présence
d'une antidate ou d'une postdate.
Cette règle de l'inopposabilité aux tiers de la date des écrits sous seing
privé est indispensable pour protéger les tiers intéressés contre les fausses
dates inscrites en vue de les tromper. Supposons, par exemple, qu'un pro-
priétaire donne un immeuble à bail, puis le vende à un tiers. Si l'acheteur
désirait échapper à l'obligation que la loi lui impose de laisser preneur le
en possession des lieux loués (art. 1743), il suffirait aux deux parties d'an-
tidater l'acte de vente afin de faire croire qu'il a été conclu antérieurement
au bail. Rien ne serait plus facile que cette fraude, si l'acte faisait foi de
sa date.

Supposons inversement, dans la même hypothèse, que le contrat de


bail a été fait sous seing privé. Comment le preneur pourra-t-il prouver
la sincérité de sa date afin de pouvoir son titre au nouvel
opposer acqué-
reur de l'immeuble? Il faut évidemment qu'il y ait un procédé légal per-
mettant de déterminer
l' antériorité des écrits privés les uns à l'égard des
autres.
C'est pourquoi la loi met à la disposition des un de donner
parties moyen
date certaine à l'acte qu'elles ont conclu; ce est de faire
moyen enregistrer
l'écrit sous seingprivé constatant l'acte accompli fart. 1328). L'enregistre-
ment consiste à présenter l'acte instrumentale au receveur de l'enregis-
trement, qui perçoit le droit prescrit la loi et mentionne sur l'acte
par
lui-même la date à laquelle il lui a été présenté et le montant des droits
perçus. Par cette mention émanée d'un fonctionnaire public, l'acte sous
seing privé acquiert date certaine au jour de la mention.
B. -— est l'acte dressé un officier
L'acte authentique par public compé-
tent, eu égard à la nature des faits à constater et au lieu dans lequel l'acte
est passé.
Les actes de l'état civil, les jugements sont des actes authentiques.
THÉORIE GÉNÉRALE DES ACTES JURIDIQUES 99

De tous les actes authentiques, les nombreux sont les actes notariés.
plus
Les notaires en effet sont compétents pour recevoir ou tous les
rédiger
actes auxquels les parties veulent donner le caractère d'authenticité.
Les actes authentiques sont un mode de des
preuve presque irréfragable
faits qui s'y trouvent constatés. Si, en effet, la personne à qui on oppose un
acte authentique met en doute l'a sincérité de ce caractère authentique,
c'est-à-dire si elle soutient que l'écrit est un faux et n'a été
produit pas
dressé par un officier public, elle doit faire la de cette
preuve allégation,
et le Code de procédure civile a sévèrement l'administration
réglementé
de cette preuve (art. 214 à 251, C. proc. La ainsi
civ.). procédure réglemen-
tée, sous le nom d'inscription defaux, est longue et compliquée ; le deman-
deur s'expose, s'il succombe, à une lourde amende ; précautions s'ex-
qui
pliquent par cette idée que le faux en écritures est un crime
publiques rare,
difficile à supposer, et que dès lors, la preuve de ce crime doit être entourée
de multiples précautions afin d'éviter des accusations portées à la légère.
Quant au contenu de l'acte authentique, comme il est l'oeuvre de l'offi-
cier public et comme toutes les déclarations qui émanent de lui sont tenues
— car la loi fait confiance à son honorabilité si l'adver-
pour sincères, —,
saire conteste ce contenu, ce qui revient à nier la bonne foi de l'officier
public, il faut la même procédure que celle qui est nécessaire pour
contester l'authenticité ; c'est la procédure d'inscription de faux. Seulement,
le faux qu'on prétend dénoncer ici n'est plus un faux matériel, c'est un
faux intellectuel.
Pourtant, il
y a dans un acte authentique des déclarations dont on peut
contester l'exactitude sans attaquer la sincérité de l'officier public. Ce sont
celles que les parties ont faites à l'officier et que celui-ci a reproduites
sans en pouvoir contrôler la sincérité personnellement ex propriis sensibus.
Par exemple, dans un acte de naissance, le déclarant indique à l'of-
ficier de l'état-civil le nom d'une femme autre que la mère de l'enfant,
ou affirme que l'enfant est né d'un père et d'une mère mariés ensemble.
Ces indications pourront être contestées sans qu'il soit nécessaire de
s'inscrire en faux. En effet, en les relatant, l'officier de l'état civil n'a
fait que reproduire ce qui lui a été déclaré.
3° La témoins. — Le recours aux affirmations des
preuve par per-
sonnes qui ont assisté à l'accomplissement des faits litigieux est le mode
de preuve naturel pour tous les actes de l'homme qui n'ont pas le carac-
tère d'actes juridiques, ou pour les faits matériels qui n'ont laissé aucune
trace extérieure. Ces divers événements ne peuvent être établis que par
les déclarations des qui en ont été témoins ou par les modes
personnes
de preuve dont nous ci-dessous (présomptions de l'homme,
parlerons
aveu et Il ne saurait être ici de preuve par écrit.
serment). question
Quand il s'agit, au contraire, d'actes juridiques, et de la constatation
de l'état civil des personnes, la loi n'autorise pas la preuve par témoins.
Elle la tient craint la subornation des té-
pour suspecte, parce qu'elle
moins. De on se trouve dans des où il était facile aux
plus, hypothèses
intéressées de se procurer une preuve écrite.
parties
100 INTRODUCTION. — CHAPITRE III

Aussi, notre Code n'autorise-t-il la testimoniale des actes juri-


preuve
la somme ou la valeur de la chose, objet de l'acte
diques qu'autant que
ne 150 francs (art. 1341), ou lorsqu'il
juridique litigieux, dépasse pas
existe un commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire un écrit émané

de celui contre est formée la demande et qui, sans le prouver di-


lequel
rend du moins vraisemblable le fait allégué (art. 1347).
rectement,
laissées à l'appréciation du juge. — Un
4° Les présomptions de l'homme
sous ce nom les conséquences que le juge déduit des faits ma-
désigne
tériels établis le plaideur et qui lui font croire à l'exactitude de tel
par
fait non directement La présomption, on le voit, est un raison
prouvé.
nement consistant à conclure d'un fait connu à un fait inconnu.
Ce mode de est inférieur aux précédents, car il ne fait naître
preuve
dans l'esprit du juge qu'une probabilité.
Par exemple, un enfant intente une action en recherche de sa filia-
tion maternelle. A l'appui de sa prétention, il invoque divers faits ten-
dant à prouver que telle femme est sa mère (accouchement à une date

correspondant à celle de sa naissance, ressemblance physique, linges


trouvés sur le nouveau-né, relations entre les parents nourriciers et la

mère, etc.). Ce sont là autaut d'indices d'où le juge pourra conclure à la


réalité de la filiation prétendue.
Comme ce mode de preuve est plus fragile que les
précédents, la loi
l'exclut en matière d'actes juridiques et d'état civil et ne permet de

l'employer que dans les cas exceptionnels où il autorise le recours au

témoignage.
5° L'aveu et le serment. — L'aveu est la déclaration l'une
par laquelle
des parties reconnaît l'exactitude d'un fait invoqué contre elle.
C'est, de toutes les preuves, la plus décisive, la plus convaincante, pro-
batio probantissima. Cependant elle n'est pas recevable dans tous les pro-
cès. Ainsi, nous verrons qu'il n'y a pas de place pour l'aveu dans une
instance en divorce ou en séparation de corps.
Le serment consiste dans une affirmation solennelle faite en jurant de
dire la vérité.
Ce mode de preuve, d'un caractère plus ou moins religieux, n'est, en
principe, admis par la loi que dans le cas où, par une sorte de transaction,
les plaideurs ont convenu de remettre la décision de leur à l'af-
procès
firmation de celui d'entre eux qui consentira à confirmer son allégation
par son serment (serment décisoire, art. 1358 et suiv.).
CHAPITRE IV

LES DROITS, LEUR DIVISION

Les droits (ou droits subjectifs) sont les pouvoirs appartenant aux in-
dividus en vue de la satisfaction de leurs intérêts. Ces pouvoirs sup-
posent nécessairement la possibilité d'une contrainte à l'égard des autres
individus qui en contesteraient ou en entraveraient l'exercice. Les droits
ne peuvent donc se réaliser qu'avec le concours et la protection du
Droit.

SECTION I. — CLASSIFICATION DES DROITS.

Il y a plusieurs classifications des droits.

Première classification: Droits absolus et Droits relatifs. — On

appelle droits relatifs ceux qui existent au profit d'une personne unique-
ment à l'encontre d'un ou de plusieurs autres individus. Ce sont les
droits de créance qui constituent à eux seuls cette catégorie.
Les droits absolus, au contraire, sont ceux qui sont opposables à tous.
Sont absolus les droits réels (dont l'exemple le plus significatif est le
droit de propriété), les droits de famille, les droits politiques, les droits

publics ou inhérents à la personnalité, tels que le droit de travailler,


de faire le commerce, d'écrire, de parler, etc..

Deuxième classification : Droits Droits civils. — On


politiques.
appelle droits politiques ceux qui consistent dans une certaine participa-
tion à la puissance politique, c'est-à-dire au gouvernement (exemple .

etc.). L'article 7 du Code civil porte qu' « ils


l'électorat, l'éligibilité,
s'acquièrent et se conservent conformément aux lois constitutionnelles
et électorales ». Nous n'avons pas à nous en occuper ici.

On droits civils tous les droits qui n'offrent pas un caractère


appelle
Ils dire, a-t-onsphère garantiela à d'activité
politique. constituent, pu
individu. A la
différence des ils appartiennent en
chaque précédents,
à tous les individus, sont indispensables à la vie
principe parce qu'ils
de chacun, tandis les droits ne le sont pas. Il est clair
que politiques
on n'a besoin d'être à la Chambre des dé-
que, pour vivre, pas éligible
tandis ne saurait se passer de la faculté d'acheter, de celle
putés, qu'on
de travailler, etc..
Subdivision des droits civils. — Les droits civils se subdivisent eux-

mêmes en trois catégories.


1° Les droits inhérents à la personnalité qu'on appelle quelquefois
102 INTRODUCTION. — CHAPITRE IV

droits de l'homme, ou droits ou encore biens innés. Ce sont ceux


publics
résultent de la seule d'homme, par exemple, le droit à la vie,
qui qualité
à la liberté, à l'honneur, la liberté de conscience, de parole, etc., Leur

exercice étant par les institutions du Droit public, l'étude de


garanti
ces droits est, en principe, étrangère au Droit civil. Pourtant, quand il
abusive d'un droit de cette la victime de cette
y a violation nature,
faute peut se trouver à même de réclamer à l'auteur du préjudice la
civile du
dommage par elle éprouvé (art. 1382, C. civ.). Cette
réparation
faculté, tendant à une allocation pécuniaire, constituera alors un droit nou-
veau et rentrera dans une autre catégorie de droits, ceux du patrimoine.
2° Les droits de famille sont ceux qui résultent de la qualité d'époux,
de parent, d'allié, d'enfant, etc.. Leur ensemble forme ce qu'on appelle
l'état de la personne.
Ces droits présentent cettecaractéristique qu'ils constituent en même
temps des devoirs. Par exemple, la puissance paternelle n'est pas seule-
ment le droit pour le père de veiller à l'éducation de ses enfants ; c'est
aussi l'obligation de
pourvoir à cette éducation.
Les droits de famille offrent ceci de commun avec les droits du groupe
précédent qu'ils sont extra-patrimoniaux. Toutefois, ils ont souvent pour
conséquence certains droits pécuniaires, et, par conséquent, patrimo-
niaux, par exemple, le droit à des aliments, le droit de succession.
3° Les droits du patrimoine, les plus nombreux du Droit civil, consti-
tuent des prérogatives aboutissant, en dernière analyse, à procurer à
leurs titulaires des satisfactions pécuniaires ou, tout au moins, appré-
ciables en argent. Exemple : le droit de propriété. Ils se subdivisent eux-
mêmes en trois classes : les droits réels, les droits de créance, enfin les
droits intellectuels, c'est-à-dire ceux des auteurs, artistes, inventeurs sur
leurs oeuvres ou leurs découvertes.

Droits réels. Droits réels dits — Les droits réels sont


principaux
les droits qui ont pour objet les choses du monde extérieur, fonds de
terre, maisons, objets mobiliers, et donnent à leur titulaire un pouvoir
direct et immédiat sur ces choses, pouvoir dont l'étendue varie suivant le
droit lui-même. D'où l'épithète de droit réel in
(jus re).
On distingue deux sortes de droits réels, les droits réels et
principaux
les droits réels accessoires.
Nous ne parlerons pas pour le moment de ces derniers sont ainsi
qui
nommés parce qu'ils sont l'accessoire d'un droit de créance dont ils consti-
tuent la garantie. Il convient donc de ne s'en avoir traité
occuper qu'après
des droits de créance.
Les droits réels principaux, c'est-à-dire non accessoires à un droit de
créance, sont le pouvoir de se servir d'une chose, d'en tirer toute la jouis-
sance et toute l'utilité dans une mesure ou moins On
plus complète. peut
les classer en deux : 1° Le droit de
groupes propriété ; 2° Les droits réels
sur la chose d'autrui.
1° Le droit de propriété est le plus l'homme
complet que puisse exercer
LES DROITS. — LEUR DIVISION 103

sur une chose. Le propriétaire jouit à l'exclusion de tout autre de tous


les
avantages que sa chose est de procurer
susceptible ; il a donc sur celle
chose un pouvoir exclusif peu et à tant absolu
du moins
près 544), (art.
que ce pouvoir ne se trouve pas limité par l'existence, sur sa propre chose
et au profit d'autrui, de l'un des droits réels de la catégorie ci-après.
2° Droits réels sur la chose d'autrui. Ces droits, dont le nombre est limi-
tativement fixé par la loi sont :
A. — ou droit d'user et de jouir, sa vie de la chose
L'usufruit durant,
dont un autre est propriétaire (nu propriétaire, c'est-à-dire propriétaire
dépouillé momentanément de tous les de la propriété). Par
avantages
exemple, un légataire qui, par testament, a reçu l'usufruit d'une maison
ayant appartenu au défunt, pourra, sa vie durant, habiter cette se
maison,
servir du mobilier, ou, s'il le préfère, donner cette maison à bail, en tou-
cher les loyers (art. 578 et s.).
— Le droit et le droit d'habitation
B. d'usage qui sont des usufruits res-
treints (art. 628 et s.).
C. Les servitudes (servitudes de de vue, de ne
— passage, pas bâtir, etc).
qui sont des charges établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre fonds
(art. 637 et s.).
D. — L'emphytéose, variété de bail à très terme.
long

Droits de créance. — Le droit de créance est un pouvoir apparte-


nant à un ouplusieurs individus à l'égard d'un ou de plusieurs autres
individus déterminés (d'où le nom de droit personnel par lequel on le dé-
signe parfois). Le titulaire du droit de créance ou créancier peut astreindre
le débiteur à accomplir à son profit telle ou telle prestation, c'est-à-dire
soit a lui donner quelque chose, soit à faire quelque chose, soit à s'abstenir
de quelque chose à son profit. Exemples : le droit pour le capitaliste qui
a prêté 1.000 francs à un emprunteur d'exiger de celui-ci le rembourse-
ment de cette somme à l'échéance convenue
; le droit du bailleur d'im-
meubles au payement du loyer convenu ; le droit pour le locataire d'exiger
du bailleur qu'il lui procure la jouissance de son appartement ; le droit
pour un directeur de théâtre d'empêcher l'artiste, son pensionnaire, de

jouer sur une scène rivale, etc...


La caractéristique essentielle des droits de créance, c'est que, consti-
tuant un bien, un élément d'actif dans le
patrimoine de leur titulaire, ils

correspondent nécessairement à une dette à la charge du débiteur, et


forment un élément de passif dans le patrimoine de celui-ci. Au contraire,
le bénéficiaire d'un droit réel n'enlève rien à autrui ; son droit n'appau-
vrit ; il n'a rien à des autres hommes, sinon qu'ils s'abs-
personne exiger
tiennent de porter entrave aux actes d'usage et de jouissance que lui-même
accomplit directement sur la chose faisant l'objet de. son droit.
On a vu, par les exemples de droits de créance indiqués plus haut, que
ceux-ci ont souvent pour résultat de transmettre au créancier la
propriété
d'une chose appartenant au débiteur. C'est pourquoi, les commentateurs

appellent quelquefois le droit de créance jus ad rem, pour montrer qu'il


104 INTRODUCTION. — CHAPITRE IV

tend à à son titulaire la d'une chose appartenant à


procurer propriété
celui s'est Le droit de créance apparaît ainsi comme le pré-
qui obligé.
liminaire du droit réel, on jus in re. En effet, dans un Etat civilisé, comme

le toutes les choses du monde extérieur, non seulemennt la terre,


nôtre,
mais même les matériels susceptibles de procurer quelque utilité à
objets
sont l'objet d'une appropriation individuelle', et les choses n'ap-
l'homme,
à et dont on peut s'emparer par voie d'occupation
partenant personne
forment l'exception (les animaux vivant à l'état
exemple). sauvage, par
Pour devenir propriétaire, il faut donc recevoir la propriété de celui qui
la possède, et il faut, pour cela, qu'un rapport d'obligation se forme d'abord

entre les deux parties, qu'un contrat de vente soit conclu, que le proprié-
taire actuel soit devenu débiteur de la chose qui doit être transmise et

que le propriétaire futur en devienne créancier.


Mais le domaine des droits de créance est plus vaste. Cela résulte encore
de certains desexemples que nous avons donnés. Un droit de créance peut
avoir trait à toutes les prestations, quelles qu'elles soient, qui présentent
quelque intérêt pécuniaire et peuvent, à ce titre, faire l'objet d'une trac-
tation entre les individus.
Ainsi, tout
d'abord, le droit de créance ne suppose pas toujours le trans-
fert de propriété de la chose qu'il a pour objet. Par exemple, je vous prête
mon cheval et ma voiture pour un mois ; je vous loue un appartement dans
ma maison pour six ans moyennant un loyer annuel convenu. Je reste

propriétaire du cheval et de la voiture prêtés, de l'appartement loué.

L'emprunteur, le locataire acquièrent simplement le droit de se servir de


l'objet pendant le temps fixé.
D'autre part, le droit de créance peut avoir pour objet, non pas la remise
d'une chose, mais un fait ou une abstention ayant pour le créancier une
valeur appréciable en argent. Par exemple, un voyageur de commerce
signe un traité avec un industriel pour la vente des produits de celui-ci;
un ouvrier loue ses servives à un patron (obligations de faire). Ou bien
encore, le vendeur d'un fonds de commerce s'engage implicitement ou ex-
pressément, en vendant son fonds, à ne pas ouvrir un autre établissement
similaire dans le même quartier ou la même ville de ne
(obligation pas
faire).

Comparaison du droit réel et du droit de créance. — Nous en


avons assez dit pour qu'il soit facile de comprendre les différences essen-
tielles qui distinguent les droits réels des droits
de créance. Le droit réel
est un droit absolu, ce qui signifie, comme nous le savons, ne con-
qu'il
siste pas dans un lien juridique entre deux individus. Il consiste dans la
prérogative d'user de l'objet sur lequel il porte, de la manière et dans la
mesure que comporte l'étendue du droit réel. C'est un droit sur une chose,
qui s'exerce sans que le titulaire ait besoin du concours d'un tiers quel-
conque.
Cela est évident le droit de propriété
pour qui est le mode d'appropria-
tion d'une chose le plus complet que nous puissions concevoir.
LES DROITS. — LEUR DIVISION 105

Maïs cela est vrai


également des droits réels sur
qui portent une chose
appartenant à autrui. Par exemple, l'usufruitier use et de
jouit l'objet,
sans avoir besoin du concours ou de la permission du nu-propriétaire. De
même, le propriétaire qui a une servitude sur le fonds voisin a le droit de
faire tous les actes comporte que la jouissance de cette servitude ; le pro-
priétaire du fonds servant
n'a qu'à supporter ces actes.
Au contraire, le droit de créance est un droit il est un rapport
relatif;
d'obligation entre deux personnes ; il se résume dans le pouvoir le
pour
créancier d'exiger que le débiteur exécute son il subordonne
obligation;
dans une mesure plus ou moins large l'activité d'une
juridique personne
déterminée à l'intérêt d'une autre. Il met une personne, mais cette personne
seule (le débiteur), au service du créancier.

Droits réels accessoires. — Nous avons dit qu'il existe des droits
réels dont le rôle consiste à garantir l'exécution (ou d'un droit
paiement)
de créance. Ce sont lenantissement, le privilège et l'hypothèque.
Pour comprendre ce rôle, il faut savoir que, quand un débiteur est
obligé
envers plusieurs créanciers et qu'il ne possède pas de quoi les tous
payer
(on dit alors qu'il est insolvable), les créanciers supportent proportionnel-
lement et également cette insolvabilité. Cela signifie que, les biens de leur
débiteur ayant été saisis et vendus, le prix se distribue entre eux au prorata
deleurs créances respectives, sans qu'on ait à tenir compte de leur date,
la plus récente venant au marc le franc avec laplus ancienne (art.
2103).
Un créancier à qui la situation actuelle de son débiteur offre toute garantie,
peut donc toujours craindre que cette situation ne se modifie par la nais-
sance de nouvelles obligations de son débiteur dont le patrimoine pourra
ainsi devenir insuffisant pour le désintéresser.

C'est pour se prémunir contre ce risque que le créancier demandera au


débiteur de lui constituer un droit réel accessoire sur tel ou tel bien déter-
miné de son patrimoine. Par exemple, il se fera donner par le débiteur
un objet mobilier, (meuble de valeur, titre de bourse) en gage ou en nan-
tissement. Ou bien il se fera attribuer une hypothèque sur un fonds de
terre ou une maison de son débiteur.
L'avantage que le créancier retire de ce droit réel accessoire est
double.
D'abord, si le débiteur ne paie pas son dû à l'échéance, le créancier, après
avoir fait vendre la chose à lui remise en gage ou donnée en hypothèque,
sera payé avant tout autre créancier sur le prix. C'est là le droit de préférence
qui constitue la garantie du créancier et qui différencie sa condition de
celle des créanciers ordinaires (appelés chiroyraphaires) exposés au risque
d'insolvabilité de leur débiteur.
En second lieu, lorsque le droit réel accessoire porte sur un immeuble

(hypothèque, privilège immobilier), le créancier d'un droit de est armé


suite, c'est-à-dire qu'il peut saisir la chose qui lui a été hypothéquée,
même lorsqu'elle a cessé d'être la propriété de son débiteur et est passée
entre les mains d'un tiers, afin de se payer sur le prix. Au contraire, les

DROIT. — Tome I, S
106 INTRODUCTION. — CHAPITRE IV

créanciers chirographaires ne peuvent saisir que les biens appartenant


à leur débiteur au moment où ils le poursuivent; ils n'ont plus aucun
recours sur ceux que leur débiteur a aliénés auparavant.

Droits intellectuels. — Les droits réels et les droits de créance cons-


tituent les droits du patrimoine les plus nombreux et les plus importants.
Mais ils ne sont pas les seuls. En effet, il y a toute une catégorie d'éléments
de richesse qui ne peuvent entrer ni dans l'une ni dans l'autre
de ces deux
classes. On les appelle quelquefois des droits intellectuels. Ce sont les
droits des auteurs, écrivains ou artistes, sur leurs oeuvres (écrits, tableaux,
statues, gravures, partitions), les droits des inventeurs sur leurs inven-
tions, les droits des commerçants et industriels sur leurs marques de
fabrique, leurs brevets, sur les dessins industriels, sur le nom et la
clientèle de la maison, etc..
Dans cette catégorie intermédiaire, on rangera aussi le droit des offi-
ciers ministériels (notaire, avoué, greffier, huissier, agent de change, com-
missaire-priseur, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat) de pré-
senter leur successeur à l'agrément de la Chancellerie, le droit des agents
d'assurances sur leur portefeuille, des médecins sur leur cabinet médical. Ce
ne sont là, encore une fois, ni des droits réels, ni des droits de créance, mais
autant de droits spéciaux, suigenens, objet chacun d'un régime légal parti-
culier, et dont le seul trait commun est qu'ils rentrent tous dans la catégorie
des droits patrimoniaux, c'est-à-dire présentant une valeur pécuniaire.

SECTION II. — NOTION DU PATRIMOINE ; DES AYANTS-CAUSE.

I. Du Patrimoine. — Nous en les aux droits de famille,


avons, opposant
défini les droits du patrimoine.
On désigne sous ce nom l'ensemble des de droit,
rapports appréciables
en argent, qui ont pour sujet actif ou passif une même personne.
Le patrimoine comprend donc tous les droits une valeur
ayant pécu-
niaire qui appartiennent à un homme et toutes les obligations, représentant
une valeur pécuniaire, dont il est tenu à l'égard d'autrui. Les droits sont
l' actif, les dettes le passif du patrimoine.
Au contraire, restent en dehors du patrimoine, nous l'avons les droits
vu,
qui n'ont pas un caractère pécuniaire : les droits de famille, puissance
paternelle, puissance maritale, et les droits inhérents à l'individu ou droits
publics. Cependant, la violation de ces derniers droits une action
engendre
civile en réparation contre l'auteur du action aboutissant à
préjudice, qui,
des dommages-intérêts, présente un caractère et à ce
pécuniaire rentre,
titre, dans le patrimoine.
Le patrimoine représente une universalité juridique indépendante des
éléments le composent.
qui les
Lorsqu'on l'envisage ainsi, modifications
qui se produisent dans le nombre de ces éléments, les fluctuations qui
augmentent ou réduisent le ou n'altèrent
passif l'actif, pas le caractère
de cette universalité et ne l'empêchent pas de subsister comme entité dis-
LES DROITS. — LEUR DIVISION 107

tincte. Les droits qui


composent le patrimoine peuvent s'éteindre et être
remplacés par d'autres
; les dettes peuvent également et faire
disparaître
place à de nouvelles dettes ; il peut même arriver que la somme des obli-
gations dépasse la valeur du montant des biens, que le passif soit supérieur
à l'actif ; toutes ces transformations ne modifient pas l'unité et l'existence
du patrimoine. Bien plus, le patrimoine subsiste même quand il n'y a ni
droits ni obligations ; l'enfant qui vient de naître a un patrimoine ; toute
personne a nécessairement un patrimoine.
Mais quel intérêt y a-t-il à faire ainsi, de l'ensemble des et
obligations
des biens présents et futurs d'une personne, une unité, une entité, au lieu
de considérer séparément chacun des biens et chacune des obligations ?
Cet intérêt se présente à deux points de vue principaux. En premier lieu,
l'universalité du patrimoine, en tant que masse distincte, exprime celte
idée fondamentale de notre Droit moderne que les créanciers ont un droit
de gage général sur le patrimoine de leurdébiteur, c'est-à-dire un droit
qui frappe tous ses biens présents et à venir. En second lieu, l'idée d'uni-
versalité traduit assez exactement cette règle qu'au moment de la mort de
la personne, le patrimoine qu'elle délaisse se trouve définitivement fixé,
qu'il n'est plus susceptible de s'accroître ni de diminuer, qu'il va passer
tel quel aux héritiers du défunt et se fondre dans le leur propre.
Reprenons successivement ces deux propositions.

1° Droits des créanciers sur le de leur débiteur. —


patrimoine
Les obligations dont une personne est débitrice pèsent sur son patrimoine :
s'est obligé personnellement est tenu de remplir son engage-
quiconque
ment sur tous ses biens présents et à venir (art. 2092). On exprime cette
en disant que les créanciers ont un droit de gage général sur le patri-
règle
moine de leur débiteur. Ce droit de gage permet aux créanciers de saisir et
de faire vendre les biens de leur débiteur, si celui-ci n'exécute pas ses obli-
Il ne constitue bien de droit un de
gations. pas d'ailleurs, que qualifié gage,
droit réel, car il plane sur tout le patrimoine et s'exerce sur les choses dont il
est composé au moment où le créancier poursuit l'exécution de sa créance.
Par conséquent, si une de ces choses cesse d'en faire partie, elle échappe à
l'action des créanciers. Ainsi, toutes les modifications qui s'opèrent dans

la. composition du patrimoine sont opposables aux créanciers. Le débiteur


les donner, en acquérir d'autres. Les éléments du
peut vendre ses biens,
à ce point de vue, choses fongibles, et les créanciers ne
patrimoine sont,
au moment où ils agissent. Il en
peuvent saisir que ceux qui s'y trouvent
ainsi du moins dans les hypothèses normales, c'est-à-dire si l'on sup-
sera
fraude de sa part, le
pose que le débiteur a agi sans fraude ; car s'il y avait
créancier aurait le droit de critiquer les actes par lesquels il se serait ap-
pauvri et de les faire révoquer au moyen de l' action paulienne (art. 1167).

au décès de la — Au
2° Transmission du patrimoine personne.
décès de la le patrimoine ne il conserve son unité
personne, disparaît pas,
sous le nom d'hérédité, il va passer entre les mains des successeurs du
et,
108 INTRODUCTION. — CHAPITRE IV

défunt. Les romains avaient imaginé une fiction pour expli-


jurisconsultes
l'hérédité ainsi conserver son unité, après la mort du proprié-
quer que pût
taire et jusqu'au jour où elle était dévolue à un. héritier. Ils la considéraient

comme une morale, de telle sorte que, durant la période où elle


personne
elle devenait elle-même le des droits et des -
était sans
maître, sujet obliga
lions dont elle était composée. Heredilas personam domini sustinei ; dominus
heréditas habebitur 1. Dans notre Droit, cette fiction est devenue inutile,
parce que la transmission du patrimoine s'opère immédiatement, au mo-
ment de la mort, de la tête du défunt sur celle des successeurs.
L'hérédité peut être dévolue à une ou plusieurs personnes. Cette dévo-
lution s'opère, soit par voie de succession ab intestat ou légitime, soit par
voie de succession testamentaire.
Dans la succession ab intestat, c'est la loi qui détermine quelles sont les

personnes appelées à recueillir l'hérédité.


Dans la succession testamentaire, c'est le propriétaire lui -même qui dé-

signe les personnes auxquelles il veut transmettre ses droits.


Cette transmission s'applique non seulement aux droits, mais aux obli-

gations.

2° Des cause. — droit est transmis une


ayants Lorsqu'un par per-
sonne à une autre, on appelle auteur celui qui transmet le droit, et ayant
cause celui qui l'acquiert. r
La transmission s'opère soit à titre particulier, lorsque l'ayant cause ac-
quiert seulement un ou plusieurs droits déterminés, soit à titre universel,
lorsque l'ayant cause acquiert l'universalité des biens d'une personne, ou
une quote-part de cette universalité. Il y a donc deux catégories d'ayants
cause : les ayants cause à titre universel et les cause à titre
ayants particulier.
La transmission à titre universel ne
s'accomplit, dans notre Droit, qu'au
moment de la mort, c'est-à-dire à titre de succession. La succession com-
prend à la fois les biens et les dettes du défunt. cause à titre uni-
L'ayant
versel, d'une tous les biens au défunt
part, reçoit qui appartenaient ; il est
d'autre part tenu d'acquitter toutes les dont il était débiteur.
obligations
Les ayants cause à titre universel sont : les héritiers et les autres
légitimes
successeurs appelés par la loi à la succession du les uni-
défunt; légataires
versels ou à titre universel ; les institués contractuels, c'est-à-dire ceux que
le disposant institue héritiers dans les cas où notre loi
par contrat, permet
cette opération (art. 1082, 1093, C. civ.). On dire ces
peut que successeurs
ont été représentés par leur auteur en ce sens tous les actes
que juridiques
de celui-ci leur profitent ou leur nuisent en principe (sous réserve de la
faculté que la loi leur on le
accorde, verra, d'échapper aux conséquences
de cette représentation en renonçant à la succession ou en ne l'acceptant
que sous bénéfice Comme le dit l'article « on
d'inventaire). 1122, est censé
avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause x.

1. V.13, § 2, D., Ad leg, aquil., IX, 2 ; 31, § 1, D„ De hered, inst, XXVIII, 5 ; 9


C., Depositi, IV, 34, etc.
LES DROITS. — LEUR DIVISION 109

Notons que, dans une conception défectueuse, mais assez répandue,


les héritiers ou successeurs ne sont pas considérés comme étant les seuls
cause à titre universel d'un individu. On range souvent dans la
ayants
même catégorie les créanciers chirographaires, c'est-à-dire les créanciers

qui n'ont ni privilège ni hypothèque. Cette assimilation tient à ce que ces


créanciers ont un droit de gage général sur
le patrimoine de leur débiteur
2092, C. civ.), et on en conclut qu'ils sont des ayants cause à titre
(art.
universel parce que leur droit porte sur l'universalité des biens du débiteur.
Il y a, en effet, des points de ressemblance entre ces deux groupes
cause. De même que les successeurs à titre universel succèdent
d'ayants
aux droits de l'auteur, de même les créanciers chirographaires peuvent,
en vertu de l'article 1166 du Code civil, faire valoir les droits de leur
débiteur celui-ci d'exercer. De même aussi que les actes
que négligerait
un défunt sont opposables à ses successeurs, de même les
passés par
actes du débiteur sont à ses créanciers chirographaires, en ce
opposables
doivent subir sur leur le concours des autres créan-
sens que ceux-ci gage
ciers même et ne saisir les biens aliénés par le
postérieurs, peuvent plus
du droit de faire an-
débiteur, sous réserve cependant qui leur appartient
nuler les actes de leur débiteur, au de l'action Paulienne, en démon-
moyen
trant ces actes ont été accomplis en fraude de leurs droits (art. 1167).
que
des créanciers est
Toutefois, il est clair que la situation chirographaires
différente de celle des cause à titre universel. En
profondément ayants
ils n'ont rien
effet ils ne sont pas des successeurs ; à proprement parler
de leur auteur. Et il est bien évident que les obligations contrac-
cquis
tées celui-ci ne être contre leur propre
par pourraient pas poursuivies
patrimoine.
Les ayants cause à titre sont ceux ont
acquis de leur
particulier qui
auteur un ou droits déterminés ; tels sont le
donataire, l' acheteur,
plusieurs
le légataire d'une chose ou d'une somme d'argent. On le voit, les ayants

cause à titre une chose de leur auteur soit à


particulier peuvent acquérir
son décès (légataire) soit de son vivant (donateurs, acheteurs, etc.).
A la différence des cause à titre ils ne sont pas tenus
ayants universel,
de payer les dettes du défunt, cela est d'évidence.
LIVRE PREMIER

LES PERSONNES

du livre. — Les ou êtres humains sont


Objet et division personnes
les sujets du Droit.
Ce sont les les concernent qu'il convient d'étudier en premier
règles qui
lieu.
la science du Droit n'étudie pas la personne hu-
Faut-il remarquer que
dans son Elle l'homme physique, ni
maine intégralité? n'envisage pas
l'homme moral tout entier. Elle ne le considère qu'au point de vue du
même
rôle dans la société. Le mot personne (de persona, masque de
qu'il joue
l'acteur assez bien cette idée que les sujets du Droit, ce
antique) exprime
tout mais les hommes considérés comme
né sont pas les hommes entiers,
acteurs de la vie sociale sous un certain rapport, en un mot, des abstrac-

tions.
Il faut immédiatement signaler que, dans la terminologie juridique, il y
a deux de personnes, les personnes physiques et les personnes
catégories
morales ou personnes juridiques.
Les assez mal nommées d'ailleurs, ce sont les
personnes physiques,
les êtres humains, les proprement dites. Ce sont les
hommes, personnes
seuls vrais du Droit. C'est pour régler leurs rapporte avec leurs
sujets
semblables et avec les choses du monde extérieur que le Droit est fait.

Quand nous disons : les personnes> tout court, c'est uniquement à celles-là

que nous pensons.


Les personnes morales ou personnes juridiques, ce sont des entités consis-
tant en un groupement de personnes physiques ou en un établissement,
une oeuvre, que le Droit, par abstraction considère et traite, dans une cer-
taine mesure, comme des individus humains. L'Etat, les communes, les
associations déclarées, les sociétés de commerce, les Universités, les Facul-
tés, l'Institut, les bureaux de bienfaisance, les hôpitaux, etc..., sont des per-
sonnes morales. Y a-t-il dans cette personnalité qui leur est attribuée une

simple métaphore commode ou quelque réalité? De quoi dépend, en quoi


consiste cette personnalité? Il y a là un des problèmes les plus délicats
de notre science, problème qui relève d'ailleurs tout autant du Droit pu-
blic que du Droit civil.
LIVRE PREMIER. — LES PERSONNES 111

C'est à l'étude des personnes humaines ou personnes physiques, les


seules véritables personnes, que ce premier livre sera presque entière-
ment consacré.
Dans la personne humaine, nous envisagerons trois éléments :l'état, le

domicile, la capacité, objet chacun d'un titre particulier.


Enfin, dans un quatrième titre ou titre complémentaire, nous nous occu-
des personnes morales.
perons
TITRE PREMIER

ÉTAT DES PERSONNES

L'Etat des personnes, c'est l'ensemble des qualités constitutives qui dis-

tinguent l'individu dans la Cité et dans la Famille. Ces qualités dépendent de


trois faits ou situations qui sont: la nationalité, le mariage, la parenté ou
l'alliance. On est français ou étranger, époux ou célibataire, enfant naturel
ou enfant légitime ; et des conséquences juridiques se rattachent à ces diffé-
rentes qualités.
Comme l'étude de la Nationalité, bien qu'il en soit longuement parlé au
Code civil (art. 8 à 21), touche rationnellement au Droit international

public, au moins pour


partie et, d'après les programmes officiels, se rattache

pour le tout au Droit


international privé, nous la laisserons de côté.
Nous n'avons donc à nous occuper que du Mariage (première Partie), de
la Parenté et de l'Alliance (seconde Partie). Dans une troisième Partie, nous
traiterons des Actes de l'état civil, c'est-à-dire du mode légal de constatation
des faits constitutifs de l'état des personnes.
PREMIÈRE PARTIE

LE MARIAGE

GÉNÉRALITÉS

Définition du — Le est le contrat civil et solennel


mariage. mariage
par lequel l'homme et la femme s'unissent en vue de vivre en commun et de se

prêter mutuellement assistance et secours sous la direction du mari, chef de


ménage.
On remarquera aussitôt que cette définition, en déterminant les fins du

mariage, ne s'attache qu'à celles qui présentent un caractère essentiel. En


fait, ceux qui contractent mariage peuvent se proposer bien d'autres buts.
Mais une définition juridique n'a pas à tenir compte des intentions et des
situations particulières. Cette considération explique pourquoi nous ne fai-
sons pas entrer le dessein de perpétuer l'espèce dans la définition du ma-
riage, comme l'avait fait Portalis (V. Exposé des motifs du titre Du mariage
au Code civil). Certes la procréation des enfants, et aussi leur éducation,
leur initiation à la vie, dans les conditions les plus favorables, constituent,
aux yeux du moraliste et du sociologue, la plus importante fonction de
l'institution du Mariage. Mais le juriste peut-il y voir un des buts essen-
tiels de l'union conjugale? Nous ne le pensons pas. On observera en effet

que notre loi ne prohibe pas, comme le font certaines législations, la loi
Russe par exemple, le mariage entre personnes d'un âge trop avancé. Elle

permet aussi les unions in extremis auxquelles, pour des raisons d'ailleurs
très complexes, l'ancien Droit se montrait hostile, et que deux déclara-
tions royales de 1639 et de 1697 privaient des principaux effets civils
du mariage.
Pour la même-paison, nous considérerions comme étant d'ordre pure-
ment sentimental et littéraire une définition qui ferait de l' amour mutuel
une des fondamentales des l'une des fins essentielles du
obligations époux,
mariage 1. Singulière tentative que d'emprisonner l'amour dans une for-
mule ! Certes, une attraction mutuelle entre pour beaucoup, il
juridique
faut l'espérer du moins, dans la conclusion d'une grande quantité dema-

1. Une formule de ce genre fut adoptée, dans l'une des premières réunions de la
première sous-commission de la commission de révision du Code civil instituée
en 1904 au ministère de la justice par M. Vallé, garde des sceaux. Mais ce vote, dû,
croyons-nous, à une surprise, semble avoir plus étonné que satisfait l' opinion pu-
blique,
414 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

d'autres où elle ne rôle secon-


riages. il y en a nombre
Mais joue qu'un
daire. On se marie par amour; mais on se marie aussi par raison , par inté-
reconnaissance, devoir. Ces unions ont une
rêt, par ambition, par par
aussi, une dignité morale égales à
valeur juridique et, parfois acquièrent
celles des « mariages d'amour ».
Le un contrat. D'une part, en effet, il ré-
mariage est, disons-nous,
sulte d'un accord de volontés; d'autre part, il
obligations. produit des

N'est-ce la conception classique du contrat? On a


pas là, précisément,
1 et
nié cette notion traditionnelle du mariage-contrat enseigné
cependant
constitue un état la loi. Si l'on entend
que le mariage réglementé par
dire là que le mariage n'est pas un contrat comme les autres, que
par
la volonté autonome des ne peut en régler librement les effets,
parties
en décider la dissolution, y introduire des modalités comme elle le peut
dans les contrats intéressant le patrimoine, ce sont des constatations
d'évidence auxquelles nous ne pouvons que souscrire. Il est trop mani-
feste que le mariage présente une importance qui dépasse infiniment
celle des tractations courantes de la vie juridique, celle d'une vente,
d'une location, d'une société. Mais il n'y a rien là qui soit entièrement
exclusif de l'idée d'un contrat. Dans toute opération juridique, le rôle
de la volonté humaine a pour limite l'intérêt général, l'ordre public. Les

parties ne peuvent pas toujours faire produire les effets qu'elles veulent
à leur accord. Leur liberté, à cet égard, trouve des restrictions même
dans certains contrats d'ordre exclusivement patrimonial, comme ceux
qui portent sur la propriété immobilière. A plus forte raison doit-il en
être ainsi dans un contrat comme le mariage, qui intéresse beaucoup
moins les biens que les personnes, dont la portée dépasse même les in-
térêts des époux et s'étend à la Société tout entière laquelle, on a pu le dire,
est toujours partie dans tous les
mariages, bien qu'ils soient contrac-
tés par des particuliers. Le mariage offre encore ceci de spécial qu'il
crée un état, mais ce n'est pas le seul acte qui produise cet effet. L'a-
doption, elle aussi, est constitutive d'un état nouveau . Contestera-
t-on le caractère contractuel qu'elle présente certainement dans notre
Droit?
Il faut donc continuer à considérer le comme un contrat. Cette
mariage
conception, familière à nos anciens auteurs, admise même par les cano-
nistes, offre à nos yeux cet avantage pratique qu'on en tire, en législa-
tion, un préjugé contre une thèse aujourd'hui en faveur chez certains es-
prits, à savoir celle d'une dissolution possible du volonté
mariage par
unilatérale. Si le mariage est un contrat, il ne doit se dis-
pas pouvoir
soudre au moyen d'un divorce prononcé sur la volonté d'un seul des
époux, car cette facilité de rupture en ferait un contrat
plus fragile que
les autres, les contrats ne pouvant, en principe, se la
rompre que par
volonté commune des deux contractants.

1. V. Lefebvre, Le mariage civil n'est-il qu'un contrat ? Nouv. Rev, historique


de Droit français et étranger, 1902,
LE MARIAGE 115

Caractère civil du mariage. Son caractère confessionnel dans


l'ancienne société française 1. — Il est indispensable de s'arrêter à ce
caractère civil, c'est-à-dire laïque du mariage, d'abord parce qu'il n'est
en France que le produit d'une lente évolution historique (encore ina-
chevée chez certains peuples étrangers) et, en second lieu, parce que
nos institutions matrimoniales sont encore largement imprégnées des
règles empruntées au Droit canon, c'est-à-dire à la législation confession-
nelle de l'Eglise catholique.
Pendant de longs siècles, c'est en effet l'Eglise catholique qui a été
souveraine, dans notre pays, en matière de Droit matrimonial; elle a
exercé dans ce domaine à la fois un pouvoir de juridiction et un pouvoir
de législation. Mais cette
domination, dont l'épanouissement se pro-
longe du Xe au XVIe siècle, et qui ne devait entièrement disparaître
que lors de la Révolution, était loin de remonter aux premiers temps
du Christianisme. Et il est intéressant d'en noter la naissance et les

progrès.
Dès son origine, l'Eglise chrétienne avait établi, pour le mariage de
ses adeptes, certaines prescriptions et défenses spéciales dont l'inobser-
vation entraînait des
peines religieuses et, notamment, l'exclusion de la
communauté des' fidèles. Mais ces règles pendant longtemps restèrent
absolument ignorées de l'Etat et étrangères au Droit civil. Il y avait donc,
dans l'Empire romain, comme de nos jours, deux réglementations paral-
lèles, l'une légale et obligatoire, l'autre purement religieuse et ne s'im-
la conscience des fidèles. A la vérité, ces deux réglementa-
posant qu'à
tions se rapprochèrent sous les empereurs chrétiens ; certaines des règles
édictées notamment en ce qui concerne divers empêche-
par l'Eglise,
ments au dans la législation civile et acquirent
mariage, pénétrèrent
ainsi force de loi. Mais le fait ne fut pas général. La dualité du Droit
civil et de la religieuse du mariage se perpétua pen-
réglementation
dant tout l'Empire. C'est ainsi, notamment, que le divorce resta toujours
bien fut prohibé l'Eglise. Celle-ci n'avait d'ailleurs pas
permis, qu'il par
le pouvoir de juridiction ne possédait celui de légiférer.
plus qu'elle
C'était devant les juges que les causes matrimoniales étaient
laïques
portées.
la chute de d'Occident, sous la monarchie mérovin-
Après l'Empire
et cet état de choses subsista, bien qu'en fait la
gienne carolingienne,
civile de en plus des règles canoniques, et
législation s'imprégnât plus
exercée les tribunaux ecclésiastiques
que la juridiction disciplinaire par
de jour en C'est seulement au Xe siècle,
acquît, jour, plus d'importance.
à l'heure suite de l'effacement de l'autorité cen-
où, par presque complet

1. Cons. Viollet, Histoire du droit civil français, 3 édit., p. 433 et s. ; Brissaud,


d'histoire du droit 1908. p. 8 et s. ; Esmein, Le mariage en droit
Manuel privé,
2 vol. 1891 ; Ch. Lefebvre, Introduction à l'histoire du droit
canonique, générale
matrimonial Paris, 1900; Meynial, Le mariage après les invasions,
français,
Nouvelle Revue historique de droit, 1896-1898 ; E. Stocquart, L'évolution juridique
du mariage, I, France (1905),
116 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

le de rendre la justice échappa aux mains de laRoyauté,


traie, pouvoir
s'attribua la connaissance exclusive des questions inté-
que l'Eglise
ressant le comme celle de toutes les causes qui mettaient
mariage,
en jeu un sacrement. De cette date vraiment son pouvoir de juri-
époque
diction.
Son autorité, comme de ne devait pas tarder à
pouvoir législation,
s'imposer comme une conséquence nécessaire de sa première
également,
« Jugeant en vertu d'un droit propre et dans une complète
conquête.
que les lois qu'elle avait faites ou
indépendance, l'Eglise n'appliquait
comme siennes. Par cet avènement au plein pouvoir sur les ma-
adoptées
fat fatalement conduite à construire une législation matri-
riages, l'Eglise
moniale systématique et complète, que jusque-là elle n'avait point pos-
sédée en propre. Tant qu'elle n'avait exercé qu'une action parallèle à celle
de la loi civile, elle n'avait eu fragmentaire. Elle
réglementation qu'une
avait édicté dès
règles sur certains points qui lui paraissaient particulière-
ment importants et où le triomphe de certaines idées lui tenait plus parti-
culièrement à coeur ; pour le surplus, elle renvoyait à la loi civile et n'in-
tervenait pas. Du jour où elle fut seule à statuer sur la valeur des mariages,
elle dut avoir des solutions pour toutes les questions : elle dut construire
un système complet 1. »
Ce système, embrassant les questions les plus complexes et les plus va-
riées, célébration du mariage, rapports, même pécuniaires, des époux, légi-
timité des enfants, adultère, nullité du mariage, séparation de corps, etc.,
ne fut pas d'ailleurs tiré entièrement des Livres saints et des écrits des
Pères. Les actes des papes et des conciles firent de larges emprunts aux
sources séculières antérieures, aux coutumes germaniques, mais surtout
au Droit romain. La doctrine des canonistes et la Jurisprudence des tribu-
naux ecclésiastiques firent le reste.

Réaction du pouvoir civil contre l'autorité confessionnelle. —


La Révolution 2. — Cette absorption par l'autorité d'une
religieuse partie
si considérable du Droit civil ne
comprendre pouvait se dans une
que
société où régnait une complète unité
Dès que de graves de foi. dissidences
se manifestèrent dans la société c'est-à-dire à partir de la
religieuse,
Réforme, une réaction devait commencer. Elle se combina, en France, avec
les efforts de la Royauté et des Parlements en vue de reconquérir, au profit
des juridictions royales, le terrain les siècles Les
perdu par précédents.
tribunaux séculiers commencèrent par la connaissance des
reprendre
procès concernant les effets pécuniaires du laissant aux
mariage, juges
ecclésiastiques le soin de trancher les litiges relatifs à la validité du ma-
riage ou à la séparation de corps. Des distinctions fameuses s'élaborèrent
entre le mariage envisagé comme sacrement et le comme
mariage envisagé
contrat, entre le domaine du Droit canon, le mariage au
régissant quant

1. Esmein, Le mariage en Droit canonique, 1891, t. I, p. 18 et s.


2. V. Basdevant, Des rapports de l'Eglise et de L'Etat dans la législation du
mariage, du Concile de Trente au Code civil, thèse Paris, 1900,
LE MARIAGE 117
I

lien, quoad vinculum, et celui du Droit civil, le à ses


régissant quant
effets, quoad effectus. Puis, les juges royaux, allant plus loin encore,
attirèrent à eux toutes les affaires relatives au se
mariage lui-même,
déclarèrent compétents même dans les procès relatifs au lien matrimo-
nial, tels que les demandes en nullité. La compétence des ecclé-
juges
siastiques, de plus en plus étroitement circonscrite, finit être consi-
par
dérée comme exceptionnelle. En 1789, elle était devenue à peu près pure-
ment théorique. 1.
Le droit de légiférer, en matière matrimoniale, avait suivi la juridiction.
A partir de 1556, le pouvoir royal se reprit à rendre des ordonnances, des
édits ou des déclarations réglementant les questions relatives au mariage,
telles que la nécessité du consentement des parents, la etc..
célébration,
On en vint bientôt à considérer que l'Etat seul peut édicter des règles obli-

gatoires en matière matrimoniale comme en toute autre, et que les règles


du Droit canonique à ce sujet ne pourraient avoir force légale dans l'étendue
du royaume qu'autant qu'elles auraient été reçues, c'est-à-dire promulguées
en France par une ordonnance du Roi. C'est ainsi que certaines prescrip-
tions importantes des décrets du Concile de Trente, relatives au mariage,
ne furent applicables qu'après avoir été consacrées par une loi royale,
notamment par l'ordonnance de Blois en 15792.
La sécularisation du Droit matrimonial avait donc été longuement pré-
parée et même commencée dès avant la Révolution. Un des derniers actes
de l'ancienne monarchie est, à cet égard, tout à fait caractéristique. L'Eglise
catholique, à défaut de la
juridiction sur les causes matrimoniales et du

pouvoir de légiférer en matière de mariage, avait conservé le droit de pro-


céder à la célébration du mariage et de dresser l'acte public constatant cette
célébration ; cette fonction était même devenue un monopole depuis que la
révocation de l'Edit de Nantes avait fait considérer les cultes réformés
comme n'existant plus dans le Royaume. Il y avait là une situation tout à
fait attentatoire à la liberté de conscience des dissidents et qui, depuis
longtemps, soulevait les protestations des esprits éclairés. Le roi Louis XVI
donna satisfaction à ces plaintes par l'Edit du 28 novembre 1787, aux
termes duquel les non-catholiques purent désormais faire recevoir leur
déclaration de mariage, à leur gré, soit par le curé ou le vicaire de leur

domicile, soit par le juge royal du lieu. Cet édit peut être considéré comme

ayant créé le mariage civil dans notre pays.


L'oeuvre commencée par les rois de France fut, sur ce point, comme sur

beaucoup d'autres, réalisée par l'Assemblée Constituante. La sécularisation


définitive du mariage et celle de l'état civil furent ensemble consacrées par
la Constitution de 1791 (titre II, art. 7) dans les termes suivants : « La loi
ne considère le mariage que comme un contrat civil, Le pouvoir législatif
établira, tous les habitants sans distinction, les modes par lesquels les
pour
naissances, mariages et décès seront constatés, et il désignera les officiers

1. Esmeln, op. et loc, cit., p. 35 à 44.


2. V. Pothier, éd. Bugnet, t. VI, p. 158;
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
11S

en recevront et conserveront les actes. » Plus tard, le décret des


publics qui
20-25 1792 vint décider, en conséquence, que le mariage serait
septembre
dans la maison commune du lieu du domi-
célébré par l'officier municipal,
cile de l'une des parties.
Le progrès du Droit moderne a, en somme, consisté, pour notre pays,
à revenir à la distinction si tranchée des premiers siècles du Christia-
nisme entre le domaine du Droit laïque, le seul qui soit légalement
pour tous les citoyens, et celui de la réglementation confes-
obligatoire
sionnelle, dont l'observation est une affaire de pure conscience indivi-
duelle. Il est intéressant de remarquer que cette évolution, accomplie
à notre exemple par un certain nombre de législations étrangères, ne
s'est pas encore produite ou ne s'est produite qu'en partie chez certaines
autres nations 1.

Les pays qui, comme le nôtre, n'accordent de valeur légale qu'au ma-

riage civil, sont actuellement la


Belgique, la Suisse, l'Allemagne, lesPays-
Bas, la Hongrie, l'Italie, la plupart des républiques de l'Amérique du Sud.
Dans certaines autres contrées (Autriche, Espagne, Portugal, Angleterre,
Royaumes Scandinaves, Danemark, Etats-Unis1), le mariage civil existe,
mais parallèlement au mariage religieux, soit que les époux aient le choix
entre l'une et l'autre forme, soit que la forme civile ne soit établie que
pour les personnes n'appartenant pas à la religion dominante. Enfin,
la Russie, la Serbie, la Grèce, l'Empire ottoman, l'Ecosse et le Pérou ne
connaissent pas le mariage civil. L'union conjugale ne peut y être con-
sacrée que suivant les règles de la confession à se rattachent
laquelle
les contractants.

Portée véritable et conséquence du principe de la laïcité du


— Un certain nombre d'idées ou de solutions
mariage. importantes se
rattachent à la conception laïque du mariage.
1° Les considérations confessionnelles doivent demeurer, nous semble-
t il, aussi étrangères que possible à l'esprit du législateur, lorsqu il déli-
bère sur les questions relatives au mariage. Par exemple, l'institution du
divorce ne nous semble
pas pouvoir être condamnée par cette raison qu'elle
froisserait la conscience des catholiques dont la religion l'indisso-
prescrit
lubilité du mariage. De même, ce ne serait pas, à notre avis, un argument
sérieux pour le divorce que d'invoquer en sa faveur la liberté de conscience
sous prétexte que les cultes dissidents l'admettent et que, dès le légis-
lors,
lateur ne doit pas le repousser. La loi civile est faite elle n'a pas
pour tous,
à se préoccuper des obligations à la conscience des
imposées citoyens par
les règles propres à la religion leur de professer.
qu'il plaît
2° Le mariage contracté des ou
par prêtres religieux catholiques, au
mépris de leurs voeux, est aussi valable celui de n'importe
que quel citoyen.

1. Lehr, Le le divorce et la séparation de corps dans les principaux


mariage,
pays Traité de droit civil comparé, I. Le mariage, Paris
civilisés; Roguin, 1904,
Lemaire, Le mariage civil, thèse, Paris, 1901,
LE" MARIAGE 119

Si quelque chose pouvait étonner, c'est solution aussi évidente


qu'une
n'ait été définitivement consacrée dans la Jurisprudence un arrêt
que depuis
de la Chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 janvier 1888
(D. P. 1888.1.97; S. 1888.1.193 et la note de M. Labbé).
3° Le législateur ne doit pas s'immiscer dans la réglementation et l'ad-
ministration religieuses du mariage telles qu'elles sont les
organisées par
diverses confessions religieuses. Le texte (encore en vigueur sur ce point)
Constitution de 1791 ne dit pas que le n'est contrat civil.
de la mariage qu'un
mais seulement que la loi le considère exclusivement à ce point de vue, ce
qui est tout différent. Les contractants sont donc entièrement libres de don-
ner à leur mariage le caractère religieux et de l'entourer de formes cul-
tuelles;" rien ne doit gêner à cet une liberté dont use d'ailleurs en
égard
fait l'immense majorité des époux. Cependant nous devons constater qu'il
a ici un léger désaccord entre la loi positive et les
y principes juridiques.
En logique et en équité, les contractants devraient être libres de faire bénir
leur mariage par leur curé, leur ministre ou leur rabbin ou avant le
après
mariage civil. Or la loi du 18 germinal an
X, contenant les articles orga-
niques du Concordat, interdit aux curés des paroisses, par son article 54,
de procéder à la bénédiction nuptiale avant que les parties aient justifié
devant eux de la célébration du mariage civil. Et les articles 199 et 200 du
Code pénal font de l'infraction à cette disposition, qu'ils généralisent et
étendent aux ministres de tous les cultes, un délit punissable de l'amende,
de la prison, voire même de la déportation. Cette atteinte au de la
principe
neutralité de l'Etat en matière confessionnelle et de l'indépendance respec-
tive des deux réglementations du mariage pouvait se justifier en l'an X par
des raisons d'opportunité. Il fallait' ménager les transitions, empêcher,
dans leur propre intérêt et dans celui de leurs enfants, que de futurs époux
se dérobassent à la formalité, alors nouvelle, de la célébration civile. Au-
jourd'hui que le mariage à la mairie est définitivement entré dans nos
moeurs, une telle prohibition ne se justifie plus guère. Dans les pays où
elle n'existe pas, comme en Italie, nul inconvénient sérieux ne résulte de
la liberté des époux. Cependant, larègle de l'antériorité nécessaire du

mariage civil doit être considérée chez nous comme toujours en vigueur
même depuis la loi deséparation des Eglises et de l'Etat du 9 décembre
1905. Car, si cette loi a abrogé celle du 18 germinal an X, elle a laissé sub-
tituer les articles 199 et 200 du Code pénal (Crim. rej., 9 novembre 1906,
D. P. 1907.1.161, S. 1907.1.153, note de M. Roux ; Montpellier, 31 octobre

1907, D. P. 1908.2.95; S. 1908.2.99) 1.


Mais, si nous avons du insister sur le caractère exclusivement laïque de
notre législation moderne du mariage, il nous faut constater, sous peine
d'en méconnaître complètement la physionomie, qu'elle est restée large-
ment inspirée des dispositions du Droit canonique, et qu'en s'affranchis-
sant des directions de l'Eglise catholique, elle en a, surlaplupart des points,

1. V. sur celte question, les observations dm M, Beudant, L'état de personnes,


t. 1, p, 297, n° 1,
I.— TITRE I. — PREMIERE PARTIE
120 LIVRE

entre les du Code civil


les réglementations. Certes, règles
recueilli, adopté
différences. C'est ainsi que
et celles du Droit canon il y a d'importantes
au et
par con-
a beaucoup restreint les empêchements mariage,
notre Droit
a admis le divorce le Droit cano-
les causes de nullité, etqu'il que
séquent, au témoi-
dans son ensemble, il ne l'ait guère,
nique repoussait. Cependant,
« sécularisées et légèrement
de M. Esmein, que reproduire,
moignage
le Droit canonique était arrivé, complé-
modifiées, les règles auxquelles
de l'ancienne France ». Il était d'ailleurs,
tées par la Jurisprudence
qu'il en fût
des siècles de législation ecclésiastique, impossible
après t.
C'eût comme le dit justement le même auteur, op. cit., I,
autrement. été,
« un résultat contraire aux lois générales du développement
p. 47, 48),
historique »..

Le contrat solennel 1. — La solennité dumariage, la néces-


mariage,
un officier sont, comme son caractère
sité de sa célébration par public,

civil, le d'une lente évolution historique-


produit
à cet égard, avait suivi les traditions
Dans la législation canonique qui,
le ne aucune formalité extérieure ;
du Droit romain, mariage comportait
ni l'intervention de l'autorité publique ni même la rédac-
il ne requérait
d'un écrit. C'était un contrat
consensuel, c'est-à-dire qu'une
tion purement
était nécessaire sa formation, à savoir la volonté réci-
seule condition pour
de l'homme et de la femme de se prendre pour époux. La bénédic-
proque
bien la recommandât, n'était pas
tion nuptiale elle-même, que l'Eglise
car, dans la doctrine catholique, les ministres du sacrement
indispensable,
de mariage sont les époux eux-mêmes ; le prêtre n'est qu'un témoin qua-
lifié. donc le mariage des simples fiançailles ?
Qu'est-ce qui distinguait
Une différence d'intention chez les contractants. Dans les fiançailles, les

futurs l'intention de se prendre comme mari et femme


époux expriment
dans l'avenir. D'où de sponsalia de futuro qui désigne cet
l'expression
accord. Dans le mariage, les époux veulent s'unir dès à présent. Il y a entre

eux de Cette différence d'intention se prouvera par


sponsalia praesenti.
tous les Que, par exemple, des fiancés nouent ensemble des
moyens.
relations, la carnalis sera, de leur part, la manifestation d'une
copula
volonté nouvelle, transformera les sponsalia de futuro en sponsalia de

; le mariage se trouvera formé. ; les textes anciens que l'on


praesenti
a interprétés comme exigeant la consommation du mariage
parfois
pour sa perfection juridique n'ont pas d'autre sens. La terminologie
actuelle qui désigne les personnes mariées par le mot d'époux, dérivé de

sponsus (promis, fiancé), est une survivance frappante de ces anciennes

conceptions.

1.dons., en dehors des ouvrages précédemment cités, L. Beauchet, Etude his-


torique sur les formes de la célébration du mariaqe dans l'ancien droit fran-
çais, Nouvelle Revue historique de droit, 1882; L. Desforges, Etude historique sur
la formation du mariage en droit romain et en droit français, thèse Paris, 1887
Bouffas, Le mariage des protestants depuis la reforme jusqu'à 1789, thèse Paris
1901 ; Roger Wanhem, Le mariage civil, thèse Paris, 1904.
LE MARIAGE 121

Un tel état de choses n'était pas sans présenter de grands avantages. Le


mariage purement consensuel diminue le nombre des unions illégitimes.
Etant donné que son mode normal de démonstration est la possession d'état
d'époux, laquelle résulte de la cohabitation et toutes
publique prolongée,
les unions que nous appelons aujourd'hui des faux constitueraient
ménages
autant de ménages réguliers. Mais, à côté de ces l'absence de
avantages,
formes extérieures dans les mariages comporte de trop manifestes in-
convénients. Elle donne des facilités à la bigamie ; elle permet, la clan-
par
destinité du mariage, de passer outre aux empêchements. Par-dessus tout,
elle jette un doute fâcheux sur l'état des époux et sur celui des enfants
issus de leurs relations. Si l'intention seule distingue le des fian-
mariage
çailles, seule aussi elle le différencie du concubinage. Quand deux per-
sonnes vivent ensemble, sans avoir auparavant échangé des promesses de
mariage, comment savoir si elles sont époux ou concubins ? Pendant long-
temps le signe distinctif par excellence du
mariage fut la remise d'une dot.
Nullum sine dote fiat conjugium, lisons-nous chez un ancien canoniste,
Yves de Chartres (.V. Esmein, Le testament du mari et la donation ante nup-
tias, Nouv. Rev. Historique, 1884, p. 22). Puis l'Eglise, faisant un pas de
plus, s'attaqua à la clandestinité du mariage. Elle prescrivit que toute
union fût précédée de bannies ou publications, destinées à avertir ceux qui,
ayant connaissance d'empêchements au mariage projeté, auraient à former
des oppositions. Enfin, elle en vint à requérir une célébration publique.
Mais cette grave innovation ne fut
accomplie qu'au XVIe siècle (en 1563),
par le Concile de Trente (V. Theiner, Acta genuina concilii Tridentini
XXIVe session, De reformatione matrimonii). résolut- Encore l'Eglise ne s'y
elle pas sans de grandes hésitations. Ce sont et sur- les princes temporels,
tout le roi de France, par l'organe de son représentant au Concile, le car-
dinal de Lorraine, réclamèrent le plus cette réforme. Leur but était
qui
non seulement d'assurer plus de certitude à l'état des personnes, mais
encore de combattre les trop grandes facilités données aux mésalliances
du Le Concile ordonna donc le
par la clandestinité mariage. que mariage
fût dorénavant contracté in facie ecclesise devant le curé compétent, ou pro-
c'est-à-dire le curé de la paroisse de l'un des fiancés, en
prius parochus,
de témoins, et trois publications. Chose remarquable, le
présence après
sollicité cette décision du Concile n'en
pouvoir royal qui avait permit pas
la publication en France, les décrets de cette assemblée paraissant, dans leur
sur les de l'autorité séculière; mais il
ensemble, empiéter prérogatives
ne tarda la réforme. L'ordonnance de Blois
pas à s'approprier (mai 1579)
décida dans son article le mariage devrait être célébré devant le
40, que
curé de la en présence de quatre témoins dignes de foi au moins.
paroisse,
L'ordonnance de 1629 vint ensuite la nullité des mariages con-
prononcer
tractés sans l'observation des formes ainsi prescrites.
cette la solennité du mariage s'est toujours maintenue
Depuis époque,
dans nos lois. et la loi des 20-25 septembre 4 792, la
Aujourd'hui, depuis
célébration a lieu devant l'officier de l'état civil, et en présence des

témoins C. civ.). Nous verrons que notre loi moderne, en adoptant


(art. 75,

DROIT. — Tome I. 9
I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
122 LIVRE

canon lors du Concile de


le principe de la réforme accomplie par le Droit
en avoir exagéré la portée. Elle fait
semble en avoir mai compris,
Trente,
de l'état-civil un rôle plus essentiel que
notamment jouer à l'officier
un et non pas seulement un
du Elle voit en lui célébrant,
celui prêtre.
demeuré dans le mariage catho-
témoin nécessaire, ce qu'il est toujours

lique 1.
si l'on rencontre la nécessité de la célébra-
Il est bon de
remarquer que,
des étrangères, l'institution du
lion du mariage dans la plupart législations
dès lors, informe, s'est longtemps main-
purement consensuel et,
mariage
à l'action du Concile de Trente,
tenue dans les pays chrétiens étrangers
Il n'y a pas encore longtemps
c'est-à-dire chez les nations protestantes.
se former sans publicité par seul échange
qu'en Ecosse le mariage pouvait
Et cette subsiste encore de nos jours dans cer-
des consentements. règle
tains États de l'Amérique du Nord.

du — L'in-
L'union libre 2. Utilité d'une simplification mariage.
convénient du formaliste, solennel, est, nous l'avons déjà indiqué,
mariage
de les faux les concubinats. Or le Droit actuel a peut-
multiplier ménages,
être les formalités du mariage. Les intentions du législateur sont
exagéré
certes excellentes. Il veut appeler la réflexion des futurs époux sur la gra-
vité de l'acte vont accomplir, permettre à leur famille d'opposer au
qu'ils
besoin son veto à une union déraisonnable, faciliter la preuve éventuelle du

et de la légitimité des enfants. Mais le résultat est parfois déplo-


mariage
rable. Dans les milieux
ouvriers, nombreux sont les couples qui reculent
les dérangements, les frais, les paperasses qu'exige la célébration
;devant
du et qui se mettent en ménage sans passer par la mairie. Or
mariage
l'union libre ou concubinat est une condition éminemment fâcheuse au point
de vue social. Vainement la soif des nouveautés, le goût du paradoxe, et
cette unpeu naïve que l'affranchissement de toute contrainte
croyance
constitue l'humanité un bonheur et un progrès, ont-ils suscité, dans
pour
la littérature contemporaine, de nombreux apologistes de l'union libre. Ils
ont eu beau soutenir que l'institution du mariage apparaîtrait un jour
comme ayant fait son temps et que ce jour était proche, le bon sens
public ne s'est pas laissé prendre à ces dangereuses théories. Il

comprend trop bien qu'un genre d'union qui permet à l'homme et à


la femme de reprendre leur liberté quand ils le désirent, qui favorise

1. La persistance de l'ancienne conception catholique, est attestée par le Décret


Ne temere de la Sacrée Congrégation du Concile, en date du 2 août 1907, rendu
pour prohiber la pratique des mariages dits de surprise. On appelait ainsi l'acte-
de deux futurs époux qui, suprenant leur curé à l'improviste, chez lui, à l'autel, à
la sacristie, déclaraient en sa présence qu'ils entendaient se prendre comme mari
et femme. La doctrine canonique considérait qu'il y avait là un mariage valable,
puisque la volonté des contractants s'était, conformément à la décision du Con-
cile de Trente, manifestée de proprio parocho. Il a fallu le décret précité de 1907
pour mettre fin à une telle pratique (V. Boudinhon, Le mariage et les fiançailles,
commentaire du Décret « ne temere », 1909).
2.. Cons, Peytel, L'Union libre devant la loi, thèse Paris, 1904.
LE MARIAGE 123

par là l'abandon des mères et des enfants, ne être considéré comme


peut
le régime de l'avenir. Le mariage apparaît dans l'histoire comme une
conquête de la civilisation ; un prétendu consisterait à sup-
progrès qui
primer le lien matrimonial ou à le rendre illusoire ressemblerait fort à une
régression.
Lelégislateur ne doit donc favoriser les unions libres
pas ; il doit tra-
vailler, au contraire, à en restreindre le nombre et, il doit
pour cela,
rendre le mariage aussi aussi aussi
simple, facile, peu coûteux que pos-
sible. C'est ce qu'avait très bien compris le Droit : c'est en se pla-
canonique
çant à ce point de vue qu'il s'est montré si longtemps attaché au mariage
consensuel en dépit de ses inconvénients, et qu'il n'a jamais admis la nul-
lité du
mariage contracté par des enfants sans l'autorisation des parents.
un système contraire, et en le poussant souvent à l'excès, le
En suivant
Code civil a fait fausse route. Il est temps de le reconnaître, surtout à une
époque où la diminution de la natalité française rend encore désirable
plus
la multiplication des unions légitimes, seules favorables, la le
statistique
démontre, à une abondante procréation.
Plusieurs lois modernes constituent lespremières manifestations de
cette tendance nouvelle qui va en s'accentuant. La première de ces lois
est celle du 10 décembre 1880. loi « ayant pour objet de faciliter le mariage
des indigents » simplifiée et améliorée par la loi du 31 mars 1929. Elle
ne touche pas aux formalités du Code. Elle se préoccupe seulement de
rendre plus rapide la réunion des pièces nécessaires au mariage des indi-
gents, en chargeant l'officier de l'état civil de constituer leur dossier matri-
monial, et, ensuite de réduire les frais au minimum, en les exemptant des
droits de timbre et d'enregistrement. Les autres sont des lois de simplifica-
tion plus radicale. Elles datent du 20 juin 1896, du 21 juin 1907, du 9 août
1919 et du 28 avril 1922 et s'attaquent aussi bien aux conditions de fond
qu'aux règles de forme du mariage.
La première a commencé timidement l'oeuvre à accomplir en modifiant
quelques-unes des règles édictées par le Code. Les autres, plus audacieuses,
ont très sensiblement diminué les conditions et formalités imposées aux
futurs époux, et réduit notamment à de justes limites la nécessité de l'au-
torisation des parents au mariage de leurs enfants.

Qu'on juge bien ou mal cette nouvelle législation, ce qui est indéniable,
c'est qu'elle paraît devoir favoriser les résultats sociaux cherchés par Je
législateur, et dont la situation créée par la guerre rend la nécessité plus
impérieuse que jamais. Une légère augmentation dans le nombre des ma-
riages s'est manifestée après 1903. Le nombre moyen des mariages pour
les dix années antérieures à 1896 ressortait à 281.000. Or les dix années
1897-1906 ont donné une moyenne supérieure à 297.000. En 1908, on enre-
gistrait 315.641 mariages, ce qui est le chiffre le plus élevé qui ait été cons-
taté depuis 1873 où l'on en avait célébré 321.238. Ce chiffre a légèrement
fléchi depuis. Il est retombé à 308.000 en 1910, à 312.000 en 1912, à 299.000
en 1913, mais sans descendre, on le voit, aux chiffres antérieurs à 1896.
124 LIVRE I. — TITRE I, — PREMIÈRE PARTIE

La moyenne quinquennale des mariages a accusé de 1897 à 1924 une pro-


gression constante. Et si le chiffre annuel des mariages semble légère-
ment fléchir dans les toutes dernières années, c'est en raison de circons-
tances économiques dont l'influence ne
peut être que passagère.
Des résultats analogues avaient d'ailleurs été constatés en Belgique à la
suite de la mise en vigueur d'une loi du 30 avril 1896 qui a également sim-
plifié les conditions et formalités du mariage.

1. Voici exactement cette proportion :


1893-1897 288.000
1898-1902 296.060
1903-1907 304.000
1908-1912 308.000
1913-1914 239.000
1915-1918 130.000
1919-1920 535.000
1920 623.869
1921 456.221
1922 383.220
1923 356.501
1924 355.929
On remarquera que ces chiffres se rapportent à une population qui, en 1921, ne
dépassait pas 39.209.766 unités. En 1924, pour une population de 63 millions d'âmes,
Allemagne n'a pas compté plus de 440.071 mariages
l'
CHAPITRE PREMIER

FORMATION DU MARIAGE

On étudiera successivement : 1° les conditions de fond de la formation


du mariage ; 2° les conditions de forme, dont on rapprochera les règles rela-
tives à la preuve du mariage ; 2° la sanction de ces conditions, c'est-à-dire
la théorie des oppositions et celle des nullités.

SECTION-1. — CONDITIONS DE FOND REQUISES POUR LA FORMATION DU MARIAGE.

Le Code civil
(art. 144à 164) énumère, non sans une certaine confusion, les
« qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage ». Il est
utile — cette distinction à tout le moins une valeur mnémo-
présentant
— de
technique distinguer les conditions requises en général par la loi, et
les empêchements dont l'absence constitue comme autant de conditions

spéciales .
Les conditions générales sont au nombre de quatre : 1° Différence de

sexe; 2° Age de puberté légale ; 3° Consentement des époux ; 4° Consen-


tement de leur famille ou de l'autorité qui leur en tient lieu, si les époux
sont mineurs.
Les sont également an nombre de quatre. Ils résultent :
empêchements
1° de l'existence d'un précédent mariage non dissous
(bigamie) ; 2° de la
parenté ou de l'alliance entre les futurs époux (inceste) ; 3° du délai de
viduilé imposé à la femme veuve ou divorcée avant un second mariage ;
4° d'un lien matrimonial antérieur entre les futurs conjoints dont l'un
aurait ensuite convolé, puis divorcé.
L'intérêt pratique de la distinction ci-dessus, c'est que les futurs époux
doivent apporter devant l'officier de l'état-civil la preuve qu'ils remplissent
les quatre conditions générales exigées par la loi. Au contraire, ils n'ont

pas éprouver l'absence d'empêchements. S'il en existait un, ce serait aux


tiers à le faire en mettant obstacle au
qui y seraient intéressés connaître,
mariage par la voie de l'opposition.

1. — Conditions de validité du mariage.


§ générales

Première condition : Différence de sexe. — La loi n'énonce pas


cette sans doute qu'elle va sans dire. La question de savoir
condition, parce
si elle est ou non réalisée s'est posée quelquefois devant les tribunaux au
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
126

Y a-t-il, des indivi-


d'individus mal conformés. physiologiquement,
sujet
comme à aucun sexe déter-
dus qui puissent être considérés n'appartenant
le mariage doit-il leur être interdit ? Il suffit de
miné et, s'il en est ainsi,
ont eu à examiner cette question relevant moins du
renvoyer aux arrêts qui
médecine 6 avril 1903, D. P. 1904. 1.393; S.
Droit que delà légale (Civ.,
1904,1. 273, et la note de M. Wahl avec les renvois).

condition : Puberté. — Aux termes de l'article 144,


Deuxième
« l'homme avant dix-huit ans la femme avant quinze ans révolus
révolus,
ne peuvent contracter ». Deux motifs expliquent cette condition.
mariage
D'abord, l'âge de la puberté doit être atteint pour que le mariage ne nuise

ni à la santé des époux, ni à celle de leurs enfants. En second lieu, la con-


d'un certain le consentement des époux
dition âge est nécessaire pour que
puisse être considéré comme libre et éclairé.
La règle du Droit français actuel en ce qui concerne l'âge de la puberté

légale est différente de celle du droit canonique. La loi religieuse, en effet,


faite pour des races très diverses, et d'ailleurs formée d'abord à l'usage des

peuples méditerranéens, avait conservé et conserve encore la règle romaine


fixant l'âge du mariage à quatorze ans
pour les garçons et à douze ans pour
les filles. Le Droit révolutionnaire (Loi du 20 septembre 1792) s'était con-
tenté d'élever la limite à treize et à quinze ans. En revanche, des législa-
tions plus récentes que la nôtre exigent un âge plus avancé (seize et vingt -
et-un ans dans le Code civil allemand, art. 1303). Il semble, étant donné
notre climat et nos moeurs, que la règle du Code civil soit sagement éta-
blie. En fait, les mariages précoces, même de la part des garçons, ont
tendu depuis quelques années à augmenter légèrement de
nombre, peut-
être àraison des pratiques de l'administration militaire qui, avant la guerre,
autorisait les militaires mariés à accomplir leur service dans la garnison
de leur domicile.
L'article 145 ajoute que le chef de l'Etat peut accorder des dispenses
« motifs ». Ceux
d'âge pour graves qui sont le plus souvent invoqués dans
les demandes adressées à la Chancellerie sont l'état de grossesse de la fille
désir d'assurer à l'impubère, par son mariage, des d'exis-
ou le moyens
tence. Un arrêté du 20 prairial an XI détermine le mode de délivrance de
ces dispenses. Et une circulaire du ministre de la en date du
justice,
28 avril 1832, recommande de n'accorder de dispenses aux
jamais garçons
avant dix-sept ans, aux filles avant « à moins de circonstances
quatorze,
tout à fait extraordinaires ».
Conformément au principe que nous avons énoncé haut et
plus qui
contraint les futurs époux à faire la les
preuve qu'ils possèdent qualités
requises pour le mariage, l'article 70 prescrit doivent remettre leur
qu'ils
acte de naissance à de l'état-civil. De plus, de
l'officier l'acte mariage fait
mention de l'âge des contractants 76, 1er al.).
(art.

Troisième condition : Consentement des Les


époux. fiançailles.
— Le consentement des époux est évidemment nécessaire pour la forma-
FORMATION DU MARIAGE 127

tion du mariage comme pour celle de tout contrat, " Il a pas de ma-
n'y
dit énergiquement l'article 146, lorsqu'il a pas consentement. »
riage, n'y
La loi ne se contente pas même que le consentement soit démontré exister ;
il faut qu'il soit manifesté par les époux eux-mêmes, en per-
comparaissant
sonne devant l'officier de l'état civil et déclarant devant lui qu'ils entendent
se prendre pour mari et femme. (V. art. 75, al. 2 et 3). Notre Droit n'admet
donc pas en principe la possibilité d'un conclu un
mariage par mandataire,
se présenterait au nom et comme représentant d'un des futurs
qui époux.
En cela il a innové, car le Droit canonique permettait le mariage par pro-
cureur (Pothier, Contrat de mariage, n° 367, éd. Bugnet, t. VI, p. 168). Le
Code a pensé avec raison que la liberté du mariage doit être particulière-
ment entière et que les époux doivent pouvoir changer d'avis jusqu'au der-
nier moment. D'où la nécessité de leur comparution personnelle seule,
qui,
peut garantir la persistance de leur volonté au moment même de la célé-
bration. Les circonstances qui peuvent empêcher deux personnes de se
réunir pour cette célébration sont si exceptionnelles qu'on peut négliger
d'y pourvoir, et l'on verra plus loin, à propos des formes du mariage, que
le Code donne des facilités pour le cas du
mariage des infirmes ou des
moribonds, en permettant au besoin à l'officier de l'état civil de se trans-

porter à leur domicile 1.


A ce principe de la nécessité du consentement actuel et persistant des

époux de se prendre pour mari et femme se rattachent les solutions de


notre Jurisprudence en matière de fiançailles ou de promesses de mariage2.
L'Ancien Droit français, au moins à partir du XVIe siècle, distinguait le

mariage et les fiançailles, simple promesse réciproque de se prendre plus


tard comme mari et femme, promesse accompagnée parfois, en fait, d'une
bénédiction religieuse et d'une certaine publicité, mais ne pouvant aboutir
au mariage obligatoire, car les futurs époux devaient, comme de nos jours,
faire acte de volonté au moment précis de la célébration du mariage. Mais
les fiançailles n'en constituaient pas moins un contrat valable produisant
des effets juridiques au nombre de deux :
1° Comme toute obligation de faire dont l'exécution forcée ne peut être

procurée par la justice, l'obligation résultant de fiançailles antérieures se

résolvait, en cas d'inexécution, en dommages-intérêts pécuniaires que le

fiancé, auteur de la du mariage, devait être condamné à payer à


rupture
l'autre fiancé- L'intervention de la justice en cette matière donnait lieu à

1. Il convient de noter une exception de grande importance apportée momenta-


nément au principe par la. loi du 4 avril 1915. Cette loi a permis en temps de guerre,
pour causes graves et sur autorisation du Ministre de la guerre ou de celui de la
Marine, qu'il soit procédé à la célébration du mariage des militaire ou marins pré-
sents sous les drapeaux sans qu'ils fussent de comparaître en personne. Le
obligés
futur époux par un fondé de procuration spéciale. La loi du 19 août
est représenté
1915 a étendu la méme faculté aux militaires et marins prisonnier s. Cf Décret 29 nov. 1919.
2. V. Beauchet. Etude historique sur les formes de la célébration du mariage
Rev. histor., 1882. t. VI, p. 376); Ambroise Colin. Des fiançailles et des
(Nouvelle
promesses de mariage, thèse Paris, 1887; C. Vidal. Etude sur les mesures orga-
nisée s par la loi et la jurisprudence pour protéger les fiancés contre leurs fraudes
réciproques,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
128

de compétence entre la canonique et les tribunaux


un départ juridiction
manifestement issu de l'ancienne distinction entre les litiges sou-
laïques,
levés vinculum et ceux portant sur les effets du mariage quoad effec-
quoad
à l'Official, ou tribunal qu'ilde l'évêque,
appartenait de statuer
tus. C'était
sur l'existence et la
validité des fiançailles. Mais sa compétence s'arrêtait

là. Placé en face d'un refus formel de la part d'un des fiancés de procéder

au mariage l'Official ne pouvait que prononcer la rupture des fian-


projeté,
deux arrêts du Parlement de Paris en date des 3 juin 1637 et
çailles. Depuis
il aurait encouru l'appel comme d'abus en prononçant contre
ler juin 1638,
le fiancé et en vue de la promesse de mariage, les censures
récalcitrant,
Tout ce faire était de condamner la partie
ecclésiastiques. qu'il pouvait
à une consistant en une prière ou en une petite
assignée légère pénitence
aumône. Pour l'allocation des dommages intérêts, l'Official renvoyait les

plaideurs à se pourvoir devant le juge civil qui, seul, avait le droit


de
condamner à une réparation
pécuniaire l'auteur de la rupture non justifiée.
C'était aussi le juge civil
qui, en cas de besoin, astreignait les fiancés à la
restitution réciproque des cadeaux et présents de noce qu'ils avaient pu se
faire durant les fiançailles. Ajoutons que toute stipulation de peine adjointe
à une promesse de mariage et fixant d'avance la somme à payer, en cas de
dédit, par le fiancé désireux de reprendre sa liberté, était considérée comme
inopérante. A cet égard, les tribunaux laïques ne faisaient d'ailleurs que
consacrer la solution admise par les canonistes qui considéraient l'emploi
d'un tel procédé indirect de contrainte comme constituant un péché (Décré-
tâtes de Grégoire IX, Lib. IV, tit. I, cap. 29).
2° Les créaient un au entre
fiançailles empêchement mariage chaque
fiancé et les proches parents de l'autre en directe à l'infini en
ligne et,
ligne collatérale, au premier degré.
De nos jours, ces solutions sont encore, sauf en ce concerne
qui l'empê-
chement au mariage, qui a partout consacrées diverses
disparu, par légis-
lations étrangères. C'est ainsi le Code civil allemand
que (art. 1297 à 1302)
et le Code civil suisse 90 à 95) considèrent le contrat
(art. de fiançailles non
pas comme obligatoire, mais comme civilement efficace en ce sens qu'à
supposer une rupture le fiancé
injustifiée, qui en est l'auteur encourt des
dommages-intérêts. Comme dans notre ancien Droit, les présents de noce
doivent être restitués ; la stipulation de peine est inopérante. Les deux
Codes civils précités n'ont innové qu'en soummettant, fort sagement d'ail-
leurs, l'action dérivant des à une
fiançailles prescription abrégée d'un an
ou de deux ans.
Chez nous, faut-il considérer les promesses de mariage comme emportant
encore une obligation de faire
susceptible en de se résoudre, cas d'inexé-
cution, en dommages et intérêts? La question s'est discutée pendant une
trentaine d'années la rédaction
après du Code civil. et depuis
un arrêt Aujourd'hui,
de la Chambre civile du 30 mai 1838, (D. J. G., v° Mariage n° 82,
en note; S. V. en
1838.1.492; dernier lieu, 12 novembre
Req, 1901,
D. P. 1902.1.46 ; S. 1902.1.237), les tribunaux considèrent que l'inexécution
d'une promesse de mariage ne peut, par elle-même, motiver une condam-
FORMATION DU MARIAGE 129

nation à des dommages-intérêts, parce qu'une telle éventualité « porterait


une atteinte indirecte à la liberté du mariage ». En d'autres termes, le con-
sentement futur à un mariage projeté
l'objet ne peut
d'une faire
promesse
efficace. Seulement, la rupture promesse peut,de cette
si elle s'accompagne
de circonstances qui en font une faute dommageable au fiancé délaissé,
donner lieu à des dommages-intérêts. « C'est là, dit un arrêt 16 jan-
(Req.,
vier 1877, D. P. 1877.1 85; S. 1877.1. 165) une application des
juridique
dispositions de l'article 1382 duqui ne viole
Codejivil, aucun des principes
de notre Droit. » Cette jurisprudence a été parfois Le change-
critiquée.
ment qu'elle a réalisé par rapport aux solutions de l'ancien Droit consiste,
en somme, à donner aux dommages-intérêts alloués au fiancé, victime
d'une rupture injustifiée et capricieuse de la part de l'autre, une base, non
plus contractuelle, mais délictuelle. L'intérêt du changement réside dans
la charge de la preuve. Sous l'ancien Droit, c'était au fiancé refusait
qui
de tenir sa promesse à prouver que la rupture était justifiée par un motif
légitime; autrement, il encourait de piano une condamnation pécuniaire.
Aujourd'hui, c'est à celui qui se plaint de la rupture à démontrer n'a
qu'il
pas donné à son fiancé des motifs de se dédire etque, par
conséquent, il a
été la victime d'un acte de légèreté et de malveillance entraînant, à la
charge de son
auteur, la responsabilité pécuniaire de l'article 1382.
Ajoutons que la loi du 16 novembre 1912 sur la recherche de la paternité
naturelle a attribué un nouvel effet aux promesses de mariage en faisant de
leur rupture l'une des hypothèses où l'enfant d'une fille-mère peut pour-
suivre en justice la déclaration de la paternité de l'ex-fiancé,son père pré-
tendu (V. art. 340, 2e al.).

condition : Consentement des 1 —


Quatrième parents. Historique
Deux raisons expliquent l'intervention de la volonté des parents dans la
conclusion du mariage de leurs enfants.
D'une part, le consentement des enfants eux-mêmes peut avoir besoin
d'être éclairé, lorsqu'ils se marient jeunes, à l'âge de l'inexpérience et des
entraînements. Le mariage est un acte trop grave pour que sa conclusion
requière uniquement la volonté des futurs époux qui peuvent être à peine
arrivés à la puberté ; il. est bon que leur choix soit guidé, contrôlé par
l'assentiment de ceux dont la nature et la loi elle-même, au moins jusqu'à
ce qu'ils aient atteint l'âge de la majorité légale, a fait leurs conseillers
naturels.
En second lieu — et cette considération intervient quel que soit l'âge des
— il ne faut
futurs époux pas oublier que le mariage n'intéresse pas seule-
ment ceux qui le concluent, mais encore leur famille : il donne aux parents
des époux des héritiers de leur nom, des créanciers d'aliments dans la per-
sonne de leurs futurs petits-enfants, de leur gendre ou de leur bru; il fait

1. Vantroys, Etude historique et critique sur le consentement des parents au


mariage, thèse, Paris, 1889; Franck Bernard, Etude sur le consentement des as-
cendants au mariage, thèse, Paris, 1899,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
130

élue le choix de l'enfant à une situation fami-


participer la personne par
mais doit à
liale et sociale que celui ci n'a généralement pas créée, qu'il
ascendance. Si dégagé soit de préjugés aristocra-
ses parents, à son qu'il
le législateur ne pas faire complètement abs-
tiques et patriarcaux, peut
de vue. Mais on s'en inspirera plus ou
traction de ce point conçoit qu'il
suivant les tendances et philosophiques de la Société que
moins politiques
régissent ses prescriptions.
naturellement la considération de l'intérêt familial qui
A Rome, c'est
Elle aboutit à une distinction fort logique encore que peu rai-
l'emporte.
sonnable. L'enfant c'est-à-dire placé sous la puissance pater-
alieni juris,
ne se marier sans le consentement du pater familial
nelle, peut jamais
actuel et du pater éventuel, et cela alors même qu'il se marierait très âgé.
Au l'individu sui c'est-à-dire qui n'est pas placé sous la
contraire, juris,
est libre de se marier sans le consentement de ses
puissance paternelle,
ascendants, dès qu'il est pubère, alors même qu'il se marierait très jeune,
à douze ou à quatorze ans ! Telle est du moins la solution du Droit romain
dans sa pureté, et avant les modifications de détail qu'y apportèrent les
réformes survenues lors de son dernier état 1.
Dans l'ancienne France, il y avait, en cette matière, conflit entre les con-

ceptions du Droit canonique et celles du Droit séculier.


Le Droit canon poussait, nous l'avons vu, aumariage, il considérait
comme dangereux, comme impie à quelques égards, de contrarier le pen-
chant des jeunes gens vers une union qui devait faire l'objet d'un sacre-
ment. De là cette règle, définitivement consacrée par le Concile de Trente,
que le mariage contracté par les enfants, au mépris de
l'opposition de leur
famille, bien que réprouvé en principe par l'Eglise, n'en est pas moins par-
faitement valable.
Dominé par le souci de l'autorité paternelle, par la crainte des mésal-
liances, le pouvoir civil procédait toute d'unedifférente.
inspiration Pen-
dant plusieurs siècles, il lutta contre l'Eglise pour introduire la règle du
consentement nécessaire des parents. Il n'y parvint pas directement, parce
qu'on n'admettait pas qu'il put appartenir à la puissance civile de créer un
empêchement au mariage. Mais deux artifices de jurisprudence furent em-
ployés pour aboutir aux mêmes fins. En premier lieu, on s'attacha, dans
les mariages contractés sans le consentement des parents, au défaut de
publicité qui les caractérisait toujours en fait. Les mariages incriminés,
considérés comme mariages clandestins, tombèrent donc sous le des
coup
règles canoniques mêmes qui prescrivaient, nous l'avons vu, la publicité de
l'union conjugale. D'un autre côté, la Jurisprudence des Parlements affecta
de considérer les mariages contractés des mineurs sans l'assentiment
par
de leurs parents comme entachés d'une de ce
présomption séduction, qui,
d'abord, exposait le mari aux peines violentes comminées contre le rapt,
et, de plus, au moins d'après une certaine doctrine, aboutissait à rendre

1. V. Meynial, Le mariage après les invasions, Nouvelle Revue historique 1896.


p, 515 et suiv,
FORMATION DU MARIAGE 131

possible une demande en nullité du celui ci étant issu


mariage, réputé d'un
consentement vicié par la violence.
Comme monuments de cette évolution
il y a lieu de retenir:
législative,
1° L'édit de février 1556, décidant que le ; filles jusqu'à vingt-cinq ans, les
garçons jusqu'à trente, ne pourraient se marier sans le consentement de
leurspère et mère ou ascendants. Au-dessus de cet âge, la Jurisprudence ad-
mettait que les enfants, bien que dispensés en principe du consentement de
leurs parents, devaient encore requérir leur avis et leur au
conseil, moyen
de sommations respectueuses. C'est seulement deux sommations de
après
ce genre que les futurs époux étaient admis à passer outre au refus des
parents;
2° L'article 40 de l'ordonnance de Blois de faisant défense aux
1579,
curés de célébrer un mariage clandestin, c'est-à-dire non la
approuvé par
famille des futurs époux, sous peine d'être comme fauteurs du crime
punis
de rapt ;
3° La déclaration du 26 novembre 1639, frappant les enfants coupables
d'un mariage clandestin de la déchéance de leurs droits successoraux et
des avantages qui pourraient leur être acquis par contrat de ou
mariage
par testament dans la succession des parents Il faut ajouter une
outragés.
autre sanction du même ordre, résultant déjà de l'Edit de 1556, et consis-
. tant en ce que les père et mère avaient le droit d'exhéréder l'enfant cou-
pable et de révoquer les donations qu'ils lui avaient faites précédemment 1.
Le Droit révolutionnaire, dans la loi du 20 septembre 1792, titre IV,
articles 3 à 9, réagit contre la tendance paternaliste de l'An-
exagérément
cien Droit. Il exigea le consentement de la famille du futur époux seule-
ment jusqu'à l'âge de vingt et un ans, par conséquent exclusivement en
vue de protéger le mineur lui-même. Ce consentement complémentaire,
requis à peine de nullité, devait être fourni par le père, à son défaut par la
mère, et à défaut de père et de mère, par un conseil de cinq parents ou
voisins réunis sous la présidence du maire. Au-dessus de vingt et un ans,
l'enfant acquérait une pleine indépendance matrimoniale. Il n'avait pas
même besoin, en cas d'opposition de ses parents, de leur faire des som-
mations respectueuses.
Le Code civil, faisant en cela oeuvre de réaction, revint au système
de notre aucienne législation.
Tout d'abord, il restaura la distinction établie, quant à la majorité matri-

moniale, entre les fils et les filles. Les filles jusqu'à vingt et un ans accom-

plis, les fils jusqu'à vingt-cinq ans accomplis, ne purent se marier sans
avoir obtenu le consentement de leurs parents ou de leurs ascendants. Ainsi,

l'âge de la majorité matrimoniale ne fut pas le même que celui de la majo-


rité ordinaire.
En outre, le Code rétablit des sommations respectueuses. L'en-
l'usage
fant majeur, quel que fût son âge, devait consulter ses père et mère, et, à

1. V. Viollet, Hist, du Droit français, 3e éd., p. 445 à 447; Brissaud, Manuel


d'histoire du droit privé, 1908, p. 26 et 3. ; Pothier, Contrat de mariage, nos 321
et
s„ 337 et s. ; Esmein, op. cit., t, I, p. 86, t. II, p. 164,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
132

leur ses ascendants, et si l'un d'eux refusait de consentir à son ma


défaut,
il devait lui demander son conseil par un acte respectueux et formel.
riage,
Bien les filles de et un à vingt-cinq ans et les garçons de vingt-
plus, vingt
à trente ans devaient renouveler par deux fois, de mois en mois, cet
cinq
acte Il ne pouvait être passé outre qu'un mois après à la célé-
respectueux.
bration du mariage (art. 151, 152 anciens).
Le Code avait évidemment pensé que, l'opposition des
parents au mariage
leurs enfants devant être présumée fondée sur des raisons
projeté par
sérieuses, il y avait avantage à contraindre l'enfant, même parvenu à la

matrimoniale; à des délais et à des démarches lui laisseraient


majorité qui
le temps de la réflexion. Mais l'expérience a montré combien ces espérances
étaient peu fondées. L'enfant décidé à se marier passait outre à l'opposition
de ses ascendants. Il signifiait l'acte respectueux, et cette démarche, loin
d'amener les ascendants à consentir, ne faisait que les irriter davantage.
Le notaire qui, d'après le Code civil, devait notifier à l'ascendant en per
sonne l'acte respectueux, avait souvent a subir le contre-coup de sa colère.
En somme, l'acte respectueux n'arrangeait rien. Souvent il à
séparait
jamais l'enfant de ses parents. Il n'empêchait pas le mariage : il le retar-
dait et entraînait des frais inutiles.
Il a fallu plusieurs lois successives pour modifier le système du Code. Ces
lois inspirées, en grande partie, par le souci de multiplier les mariages
en simplifiant leurs formalités, sont, en somme, revenues au du
système
Droit intermédiaire et, en même temps, aux conceptions du Droit cano-
nique. Tout d'abord, une loi du 20 juin 1896, d'une encore
inspiration
timide, s'était contentée de simplifier les formalités de l'acte respectueux
en supprimant l'obligation, pour les filles de et un à vingt-cinq
vingt ans,
les hommes de vingt-cinq à trente ans, de renouveler cet acte deux
et pour
fois avant de passer outre à la célébration du Plus la
mariage. radicale,
loi du 21 juin 1907, sur les conditions du a abaissé à vingt et un
mariage
ans, pour les deux sexes, l'âge de la majorité matrimoniale. Au-dessus
de
cet âge, l'enfant, garçon ou fille, désormais se marier librement. Eu
peut
bonne logique, la loi de 1907 aurait dû les sommations
supprimer respec-
tueuses, dont on ne trouve aucun ou aucune dans les lé-
vestige analogie
gislations civiles étrangères plus modernes la nôtre, celles de
que l'Italie,
de l'Allemagne, de la Suisse. Nous verrons ne l'a
qu'elle pas fait entière-
ment, sauf en ce qui concerne les aïeuls et aïeules. A l' égard des père et
mère les sommations être
respectueuses peuvent considérées comme sub-
sistant encore, mais sous un autre nom. On les appelle à présent des
notifications. Enfin la loi du 28 avril 1922 a abaissé de trente limite
ans,
fixée par la loi du 21 juin à vingt-cinq
1907, ans révolus, l'âge auquel les
enfants sont de requérir le consentement
dispensés de leurs et mère.
père

I. Mariage des mineurs issus d'un mariage légitime. Autorisa-


tions requises. Diverses hypothèses doivent être
1° Lorsque — distinguées.
le père et la mère du mineur sont tous deux vivants et en état
de manifester leur volonté, la lui (art. exige le consentement
148 de l'un
FORMATION DU MARIAGE 133

et de l'autre. Mais il peut arriver que l'un donne et que l'autre refuse son
consentement. Dans ce cas, le Code civil faisait une distinction :
Si les parents vivaient ensemble, c'est-à-dire n'étaient ni divorcés ni
séparés de corps,, le consentement
père suffisait. du
S'il y avait divorce ou
de corps entre les parents, il fallait le consentement de celui au
séparation
duquel le divorce ou la séparation de corps avait été prononcé et
profit
la garde de l'enfant
qui avait (art. 152, aujourd'hui abrogé).
La loi du 17 juillet 1927 a modifié ces dispositions. Réalisant une réforme
depuis longtemps réclamée par le parti féministe, elle à déclaré que le

partage des père et mère emportait consentement dans tous les cas, qu'il
y eût ou non divorce ou séparation de corps. Pour justifier cette atteinte à
l'autorité du père, on a fait observer que son affection n'était pas toujours
la plus clairvoyante et que son refus pouvait être dicté par la méchanceté,
surtout quand il avait abandonné sa femme et ses enfants. On a ajouté
qu'il fallait favoriser avant tout les mariages.
Comment l'enfant fera-t-il constater le dissentiment de ses père et mère ?
L'article 148, 2° alinéa, indique quatre procédés,
seul, dont
le premier, un
est pratique : 1° l'enfant adressera une
notification, dans la forme prévue
par l'article 154 pour les enfants majeurs de 21 à 25 ans, à celui de ses
auteurs qui lui refuse son consentement; 2° cet auteur pourra déclarer
devant l'officier de l'état civil qui célèbre le mariage qu'il ne veut pas con-
sentir au
mariage, ce qui suppose le cas bien improbable où il y assisterait ;
3° il écrira à l'officier de l'état civil une lettre pour manifester son refus;
4° il ira le déclarer et en faire dresser acte par l'officier de l'état civil de
son domicile.

2° Si l'un des père et mère est mort ou dans l'impossibilité d'exprimer sa


volonté, c'est-à-dire absent, fou, interdit ou déchu de la puissance pater-
nelle, mobilisé, ou retenu en pays envahi par l'ennemi, le consentement
de l'autre suffit (art. 149). Aux termes 153, modifié
de l'article par la loi
du 20 juin 1896, le père ou la mère relégué ou maintenu dans une colonie

après exécution de la peine des travaux forcés est assimilé à celui qui est
dans l'impossibilité de fournir son consentement.

3° Lorsque le père et la mère sont l'un et l'autre décédés ou dans l'impos-


sibilité de manifester leur le droit de consentir au mariage de
volonté,
l'enfant mineur aux ascendants (art. 150, al. 1er). La loi
légitime passe
nous dit les et. mère sont remplacés par les aïeuls et aïeules,
que père
stricto
ne qu'aux ascendants au
expression qui, sensu, s'appliquerait
Mais il n'est douteux que ces mots sont ici employés
premier degré. pas
dans leur sens et comprennent, en les bisaïeuls et
large conséquence,
seront à consentir au mariage à défaut d'aïeuls
bisaïeules, lesquels appelés
et d'aïeules.

Lorsque le consentement doit être fourni par les ascendants, chaque ligne
a un droit à consentir. La et la ligne maternelle sont
égal ligne paternelle
les en S'il y a dissentiment
représentées par les aïeuls plus proches degré.
dans une même ce dissentiment, la loi du 17 juillet 1927, vaut
ligne, depuis
I. - TITRE I. PREMIÈRE PARTIE
LIVRE —
134

le consentement de l'aïeul l'empor-


consentement (art. 150) ; auparavant,
les deux l'article 150, alinéa 2, décide
entre lignes,
tait. S'il y a dissentiment nous
Cette solution est celte qui
vaudra consentement.
que le dissentiment l'intérêt de l'en-
c'est la considération de
la plus rationnelle. Puisque
paraît du consentement de ses
la nécessité
fant l'emporte pour justifier
qui un mariage des
on devrait estimer, en effet, y a dans
qu'il projeté
parents, de l'un des
du moment qu'il obtient l'approbation
suffisantes,
garanties donné surtout l'intérêt national
l'un des ascendants. Etant
ou de
parents ne doit être impossible pour le
avons signalé, le mariage
que nous déjà
de unanime de la part
soit, qu'en cas désapprobation
mineur, quel qu'il
investis par la loi du droit d'y consentir.
des parents
enfant qui projette
4° On peut supposer enfin que le mineur, légitime,
soit soient tous morts,
marier n'a aucun ascendant, qu'ils
de se plus
de manifester leur volonté,
se trouvent dans l'impossibilité
soit qu'ils
trouvent en envahi. Dans ce cas, le
qu'ils se pays
par exemple parce
au au conseil de famille
de consentir mariage appartient
pouvoir Il est facile de
art. 159 depuis la loi du 10 mars 1913).
(art. 160 ancien,
ce droit n'est déféré au tuteur. D'abord, comme
pourquoi pas
comprendre
c'est le conseil de famille qui est le véritable dépo-
on le verra plus loin,
et le tuteur n'est, en principe, que son agent
sitaire du pouvoir tutélaire
on verra l'un des effets du mariage est d'éman-
d'exécution. De plus, que
de mettre fin à la tutelle. On
l'époux mineur et, par conséquent,
ciper
tuteur ne consentît trop facilement au mariage,
donc craindre qu'un
pourrait
de la tutelle, ou inversement, qu'il ne refusât son
afin de se débarrasser
de peur d'avancer l'heure de la reddition de ses comptes.
autorisation,
159 entraîne certains inconvénients. En
La règle de l'article cependant
entre les membres du conseil de famille, c'est la majo-
cas de désaccord
Il suffira donc d'une majorité d'une voix pour mettre
rité qui l'emporte.
à un Un simple collatéral ou même un ami possédera
obstacle mariage.
un pouvoir d'inhibition que la loi refuse, on l'a vu, aux ascendants
parfois
en cas de désaccord entre les deux lignes.
Cette éventualité donne un iutérêt à la question de savoir si la
grand
délibération du conseil de famille, en matière de consentement au mariage

du mineur, est souveraine ou non. On verra plus loin qu'aux termes


pupille
de l'article 883 du Code de procédure civile, toutes les fois que la déli-

bération d'un conseil de famille n'a pas' été rendue à l'unanimité, le


le ou un membre de la minorité ont le droit de se
tuteur, subrogé-tuteur,
devant le tribunal contre la décision ainsi rendue. On a con-
pourvoir
testé que ce texte fût applicable lorsqu'il s'agit d'une délibération rendue
en notre matière. On a fait remarquer que l'article 883 figure au Codé
de procédure sous
rubriqueune de parents.
intitulée : Des avis
Il ne s'ap-

pliquerait donc que dans les hypothèses où le conseil de famille donne des

avis, ce qui a lieu notamment lorsqu'il est consulté par le tuteur pour les
actes intéressant la gestion du patrimoine de l'enfant. Ici il en serait
différemment, car le conseil ne donne pas un avis, il fournit un consente-
ment. Sa décision serait donc souveraine dans un sens ou dans l'autre
FORMATION DU MARIAGE 135

comme l'est celle des parents ou des ascendants. Cette argumentation


semble avoir été, à tort, croyons nous, admise la
par Jurisprudence
(Civ., 23 juin 1902. D. P. 1902. 1.347; S. 1902. 1 385, note de M. Lyon-
Càen). La décision du conseil de famille est donc souveraine.

II. Mariage d'un majeur, enfant légitime. Notification. — A


partir de vingt et un ans accomplis, le majeur de l'un ou de l'autre
sexe peut se marier sans le consentement de ses et mère 148
père (art.
nouveau). A plus forte raison, n'a t-il pas besoin de celui de ses ascendants
ou d'un conseil de famille.
C'est sur ce point que le Code civil a, au cours de ces dernières années,
subi les retouches les plus importantes.
Tout d'abord, nous l'avons indiqué déjà, le Code civil avait établi une
distinction peu raisonnable entre les fils et les filles. Ce n'était que pour
les filles que le consentement des père et mère cessait d'être obligatoire
à partir de vingt et un ans. Les fils, pour passer outre à un refus, devaient
attendre vingt cinq ans révolus (art. 148, ancien). Ainsi, les
pour garçons,
il y avait une majorité matrimoniale qui ne se confondait avec la
pas
majorité ordinaire et n'était atteinte que quatre ans plus tard. La loi
du 21 juin 1907, modifiant l'article 148, a fait disparaître cette distinction
peu justifiée.
En second lieu, le Code civil laissait subsister pour les enfants ayant
atteint l'âge de la majorité matrimoniale, mais ayant encore leurs père
et mère ou des ascendants, sinon la nécessité d'obtenir leur consentement,
au moins celle de solliciter leur conseil. A cet effet, l'ancien article 151
obligeait les enfants ayant atteint l'âge de la majorité matrimoniale à solli-
citer le consentement de leurs parents ou ascendants. En cas de refus, ils
pouvaient passer outre, mais après avoir rempli la formalité des actes

respectueux (issus des sommations respectueuses de l'ancien Droit). Un


notaire devait au nom de l'enfant se transporter, avec l'assistance d'un
second notaire ou de témoins, au domicile des parents et requérir leur
consentement au mariage. En cas de refus ou d'absence des parents, il
dressait procès-verbal. Et c'est seulement un mois après que l'officier de
l'état civil pouvait procéder à la célébration du mariage. Jusqu'à vingt-
cinq ans ou trente ans, suivant le sexe, l'enfant devait faire trois actes

respectueux. Passé cet âge, un seul acte était à la fois nécessaire et suffi-
sant.
Les lois postérieures ont introduit, en cette matière, les modifications
suivantes:

1° L'acte respectueux est supprimé, mais il ne l'est qu'en apparence. En


la loi le remplace un acte qualifié de notification, qui n'en
effet, par
diffère pas, en soi, très sensiblement. Cette notification, dans l'esprit des
rédacteurs de la loi, devait avoir pour unique portée de faire connaître
aux parents le lieu du futur mariage, afin de leur permettre de former
une opposition en temps utile dans le cas où ils auraient un empêchement
LIVRE I. — TITRE I. PREMIÈRE PARTIE
436

l'officier de l'état
C'était donc, dans le projet de réforme,
à faire valoir.
au cours de la discussion, les
effectuait la notification. Mais,
civil qui en consé-
cette nouvelle attribution. On décida,
maires contre
protestèrent elle res-
serait faite un notaire. Dès lors,
notification par
quence, que la
semble fort à l'ancien acte respectueux.

seul et sans l'assistance d'un


notaire instrumente dorénavant
2° Le
notaire ou de deux témoins.
second
est suffisante, n'est plus
3° Une notiacation unique, qui toujours
le futur ait atteint l'âge de vingt-
nécessaire jusqu'à ce que époux
que
cinq ans.

n'est l'égard des père et mère ; aucune n'est


4° Elle plus imposée qu'à
Bien en cas de dissenti-
en de simples ascendants. plus,
exigée présence
est depuis la loi de 1927,
ment entre les père et mère, l'enfant dispensé,
à celui lui refuse son consentement.
d'adresser une notification qui

n'est de la de l'enfant âgé de 21 à


5° Aucune notification requise part
25 ans qui se remarie.

notification aux termes de l'article 154, a pour but


5° L'acte de qui,
consentement des ne contient plus mention de la
d'obtenir le parents,
de ceux-ci, comme l'acte respectueux de jadis.
réponse

6° le délai l'enfant peut passer outre à la célébration


Enfin, après lequel
du est réduit à à partir de la notification. Bien plus,
mariage quinze jours
il y a dissentiment entre le père et la mère, il peut être procédé au
quand
mariage immédiatement après la notification.

III. des enfants naturels. — Comme on ne tardera


Mariage pas
à le voir, les enfants naturels, c'est-à-dire issus d'unions illégitimes,
n'ont de lien de famille juridiquement établi qu'avec le père ou la mère

qui les a reconnus. Ils n'en ont pas avec les parents de leurs auteurs. De

plus, il y a, en fait, un grand nombre d'enfants naturels qui ne sont


reconnus ni par leur père ni par leur mère. Supposons qu'un enfant
naturel ait le projet de contracter mariage. De qui doit-il obtenir le con-
sentement?
Le Code civil, modifié par la législation récente, établit à cet égard les
distinctions ci-après :

1°L'enfant naturel a-t-il été reconnu, c'est à celui de ses auteurs l'a
qui
reconnu, ou aux deux, s'il
y a eu double reconnaissance, qu'il doit demander
le consentement nécessaire, s'il est mineur, et qu'en cas de refus, il doit,
s'il est majeur, adresser l'acte respectueux (aujourd'hui la notification) qui
lui permettra de passer outre (V. art. 158). En cas de dissentiment entre le
père et la mère, le Code civil primitif restait muet et la
l'opinion plus géné-
ralement admise décidait — sans bonnes il faut — que
raisons, l'avouer
la volonté du père devait La loi du 10 mars 1913 avait tranché
l'emporter.
FORMATION DU MARIAGE 437

la question : le consentement du parent qui exerce la puissance paternelle


suffisait (art- 158, 2e al.).

Cette solution était critiquable. Car, s'il est toujours utile de favoriser
le mariage des jeunes Français, cette utilité devient manifeste encore
plus
lorsqu'il s'agit d'un projet de mariage formé par un
naturel enfant
mineur (généralement une fille) qui se propose de fonder un foyer régu-
lier. Aussi la loi du 17 juillet 1927 décide-t-elle avec raison qu'ici,
comme pour l'enfant légitime, le partage emporte consentement (art. 158,
alin. 2).
La loi nouvelle ajoute (art. 158, 3e al.) que, si l'un des deux parents
qui ont reconnu l'enfant est mort ou dans l'impossibilité de manifester
sa volonté, le consentement de l'autre suffit ; ce qui d'ailleurs allait sans
dire.

2° On peut supposer, en second lieu, qu'il s'agit du mariage d'un enfant


naturel non reconnu ou d'un enfant naturel reconnu, mais dont, le ou les
parents, auteurs de la reconnaissance, sont décédés ou dans l'impossibilité
de manifester leur volonté. L'article 159 ancien établissait ici un système
original. Au lieu de recourir au conseil de famille comme pour un enfant
légitime dépourvu d'ascendants, il décidait que le consentement au
mariage serait fourni à l'enfant naturel par un tuteur ad hoc. Le légis-
lateur avait considéré que, sans doute
naturel l'enfant n'ayant pas de
parents et son conseil de famille devant, dès lors, être composé exclusi-
vement d'amis, c'est-à-dire le plus souvent d'indifférents, le consentement
au mariage projeté risquerait d'être donné ou refusé à la légère. Il avait
donc imaginé cette solution du tuteur ad hoc, désigné par le conseil de
famille exclusivement en vue de trancher la question, et cela afin que la

responsabilité de la décision à prendre, étant plus concentrée, devînt plus


sérieuse.
Cette solution, assez défendable en soi, présentait cependant un incon-
vénient : c'était de laisser, dans l'acte de mariage d'un enfant naturel, une
trace de l'irrégularité de sa naissance. En effet, l'acte de l'état civil conte-
nant la mention des consentements fournis, le lecteur voyant que l'un des

époux avait été autorisé par un tuteur ad hoc, en inférait aussitôt que cet

époux était un enfant naturel. En conséquence, la loi du 21 juin 1907,


modifiant l'article 159, mit fin à cette situation cruelle en décidant que,
dorénavant, le mariage d'un enfant naturel, privé de parents l'ayant
reconnu, serait, comme celui d'un enfant légitime sans ascendants, auto-
risé par le conseil de famille.

Malheureusement, les auteurs de la loi du 21 juin 1907 avaient oublié, en


votant le nouvel article 159, qu'une autre loi se trouvait à ce moment en
cours d'élaboration relativement à la tutelle et à la protection des enfants
naturels.' Cette loi, promulguée le 2 juillet 1907, c'est-à-dire quelques jours
après la précédente, a justement le conseil de famille en ce qui
supprimé
concerne les enfants naturels (V. art. 389 nouveau). Comment, dès lors,
mettre les deux textes en harmonie

-DROIT. — Tome 1. 10
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
138 LIVRE

la loi du 10 mars 1913 d'après laquelle


La difficulté a été tranchée par
enfant naturel, non ou orphe- reconnu
al. 2 nouveau) le mineur,
(art. 159,
du conseil de famille à l'article
doit obtenir « le consentement prévu
lin, aussi art. 160
civil c'est-à-dire du tribunal (V.
389, al. 13 du Code »,
ce système ne laisse pas de soulever
nouveau in fine). Si logique qu'il soit,
l'inconvénient motivé la reforme
D'abord, qui avait
certaines objections.
de mariage, relatant la production d'un juge-
de 1907 subsiste, car l'acte
du reste révélateur de la filiation illégi-
merit rendu en Chambre conseil,
les frais du mariage se s'ont trouvés
time de l'époux mineur. D'autre part,
rendu en Chambre du conseil entraînant lies
augmentés, un jugement
d'une délibération de conseil dé famille. Or,
frais doubles environ de ceux
à la classe pauvre. Ils
les enfants naturels appartiennent généralement
de solliciter l'assistance judiciaire; mais
auront, il est vrai, la ressource
une nouvelle choses fâcheuses
c'est un nouveau retard, paperasserie,
devrait trembler de voir
pour de futurs époux que le législateur toujours
dévier vers le concubinage.

de l'enfant — L'adoptant étant seul investi de


IV. Mariage adoptif.
c'est lui seul doit consentir au mariage de
la puissance paternelle, qui
Si l'enfant a été deux époux, l'un et l'autre doivent
l'adopté. adopté par
donner leur consentement (art. 352 nouveau).

— militaires en activité. — Des textes


V. Mariage des spéciaux
des 16 3 août, 28 août 1808, ordonnances du 29 novembre
(décrets juin,
1820 et du 20 décident les officiers ne peuvent se
janvier 1832) que
marier la permission par écrit du ministre, et les sous-offi-
qu'avec
ciers et militaires des armées de terre et de mer qui sont en activité

de service l'autorisation du conseil d'administration de leurs


qu'avec
corps.
Aux termes de la loi du 31 mars 1928, article 58, cette règle n'est

aux hommes de la disponibilité et des réserves, ni à ceux


pas applicable
sont de présence effective par l'application de l'article 98 de
qui dispensés
la loi.

L'observation de cette prescription est assurée par des peines discipli-


naires prononcées contre les militaires qui se seraient mariés sans autori-
sation et par la destitution de l'officier de l'état civil qui sciemment aurait
célébré le mariage.
C'est une raison de discipline qui a fait introduire cette règle. Elle a
soulevé des critiques surtout depuis la réduction de la durée du service
militaire.

VI. Règles de forme sur la production du consentement fami-


lial. — Les du consentement des parents ont été des
formes simplifiées par
lois récentes. Normalement, ce consentement doit être donné verbalement
par les parents ou ascendants eux-mêmes qui assistent au ; l'of-
mariage
FORMATION DU MARIAGE 139

licier de l'état civil le recueille et en fait mention dans l'acte de mariage,


qui est par les parents.
signé
Mais cela n'est pas toujours possible, d'abord les
parce que pa-
rents peuvent être absents et dans l'impossibilité de se déplacer. Ou bien
encore le consentement est fourni par un collège, le conseil de famille (ou
le.tribunal en tenant lieu), qui ne peut se déplacer en corps assis-
pour
ter au mariage. Le consentement dans ce cas doit être donné écrit,
par
mais il importe évidemment que cet écrit présente des de sin-
garanties
cérité.
Il n'y a pas de difficulté lorsque le consentement résulte d'un jugement
du tribunal civil ou d'une délibération du conseil de famille. En effet, l'ex-
pédition du jugement ou de la délibération, délivrée par le greffier du tri-
bunal ou de la justice paix, de constitue un acte authentique. Mais que
décider, lorsque le consentement écrit émane d'individus empêchés
d'assister à la célébration ?

Sous
l'empire du Code civil, il fallait que, dans ce cas, le consentement
fût constaté dans un acte notarié (article 73, 1er alinéa). Cette obligation
avait l'inconvénient d'entraîner des frais. Les lois des 20 juin 1896 et
9 août 1919 ont donc permis aux père et mère et ascendants de donner
leur consentement devant l'officier de l'état civil de leur domicile ou de
leur résidence, et, à l'étranger, devant les agents diplomatiques ou con-
sulaires français (article 73, 2e alinéa nouveau). Quand il est dressé par
un officier de l'état civil, l'acte de consentement est dispensé de la léga-
lisation, sauf dans le cas il y a lieu
où de le produire devant les autorités
étrangères et où il n'y a pas de convention internationale en dispensant
les parties (loi du 28 février 1922).

VII.Preuve du décès ou de l'absence des père et mère et ascen-


dants. — Ce n'estpas tout la preuve du consentement de tel ou tel
d'apporter
parent. Il faut encore parfois démontrer que celui qui l'a fourni était qua-
lifié pour être consulté, et par conséquent que les parents ou descendants
d'un rang sont morts ou dans l'impossibilité de consentir. Même
préférable
obligation de prouver le décès des père ou mère pour le majeur, âgé de
de l'ar-
moins de vingt-cinq ans, qui se prétend dispensé de la notification
ticle 151. le futur époux devrait prouver le décès de ses
Régulièrement,
la de l'acte de l'état civil qui l'a constaté ou leur
parents par production
absence d'un déclaratif d'absence. Mais cette
par la production jugement
serait et entraînerait des fraisplus, elle
inutiles. Bien
exigence gênante
rendre le mariage car il arrive que l'enfant
pourrait parfois impossible,
en lieu ses parents ou ascendants sont décédés. Et il peut éga-
ignore quel
lement leur résidence actuelle. Il faut donc de faire la
ignorer permettre
preuve d'une autre façon.
Voici le résumé des actuelles résultant des simplifications appor-
règles
du Code civil les
tées aux articles 149, 150, 151, 154, 155, 158, 160 par
lois des 20 juin 1896, 10 mars 1913, 7 février 1924.
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
140

ou ascendants. — « Il n'est pas néces-


1° Décès des et mère
père
de décès du ou de la mère de l'un des fu-
saire de l'acte père
produire
ou les et mère du défunt attestent son
turs lorsque le conjoint père
époux
al. ». Ce texte comporte deux observa-
décès sous serment (art. 149, 2)

tions :

consacre doit, raison d'analogie, être appli-


A.. — La solution qu'il par
de prouver le décès des ascendants. Ainsi un grand-
quée lorsqu'il s'agit
sous serment, non seulement le décès des père
est admis à attester
père
mais encore celui d'un autre ascendant.
ou mère de l'enfant,

_ le texte ne faisant aucune distinction, les


B. On remarquera que,
de substituer le serment à la production de l'acte
intéressés ont le droit
laissée au choix des parties n'offre d'ailleurs aucun
de décès. L'option ainsi
d'un faux serment étant sanctionnée par les peines
danger, la prestation
à l'article 363 du Code fart. 149, dernier alinéa).
prévues pénal
— Il
2° Disparition des père et mère ou ascendants. y a lieu de distin-

suivant le futur a moins ou plus de vingt et un ans.


guer que époux

a moins de et un ans. — Les articles 149,


A. Le futur époux vingt
al. 3 décident alors si la résidence actuelle du
al. 3, et 150,
2 et que, père,
est inconnue et s'il n'a donné de ses
de la mère (ou de l'ascendant) pas
nouvelles un an, il pourra être procédé à la célébration du mariage,
depuis
si le père, la mère, l'ascendant ou les ascendants présents, ainsi que le

futur lui-même, en font la déclaration sous serment.


époux

B. — Le a plus de vingt et un ans et moins de vingt-cinq


futur époux
ans révolus. — L'article 155 dispose alors, qu' " en cas d'absence (dispa-
des père et mère auxquels eût dû être faite la notification prévue à
rition)
l'article 154, et à défaut de jugement ayant déclaré l'absence ou ordonné
sur l'absence, il sera procédé à la célébration du mariage des
l'enquête
majeurs, sur leurs déclarations sous serment que la résidence actuelle de
leurs père et mère leur est inconnue et que, depuis un an, ceux-ci n'ont
nouvelles. »
pas donné de leurs

VIII. — de fond concernant le consentement familial. —


Règles
Les règles de fond à relever sont les suivantes :

A. — Le consentement fourni les parents doit être individuel, c'est-


par
à-dire viser nominativement la personne avec laquelle l'enfant est auto-
risé à se marier (V. art. 73 . Un consentement, général et indéterminé ne
répondrait évidemment pas au voeu de la loi ; il équivaudrait à une renon-
ciation des parents à leur prérogative légale, renonciation évidemment
inopérante, puisqu'il s'agit ici de droits qui sont hors du commerce juri-
dique.

B. — Le consentement doit être concomitant au il


mariage. D'où
résulte :
FORMATION DU MARIAGE 141

a) Que s'il a été fourni auparavant, par exemple par écrit, il peut être
rétracté jusqu'au moment de la conclusion du mariage.

si l'ascendant, à donner son consentement au moment


b) Que appelé
des fiançailles, vient à décéder avant la célébration, le consentement déjà
fourni devient inopérant ; en effet, il n'émane pas de la personne qui a
maintenant qualité pour consentir.

C. — Le consentement familial est souverain en ce sens que sa déli-


vrance ou son refus n'a pas besoin d'être motivé. Mais l'est-il aussi en ce
sens qu'il ne prête à aucun recours ? A cet égard il y a lieu de
distinguer :

a) Lorsque la décision émane d'un collège, conseil de famille ou tribunal,


une voie de recours est ou, du moins, devrait à notre avis être toujours
possible. S'il
s'agit d'une délibération du conseil de famille, nous invo-
quons en ce sens l'article 883 du Code de procédure.. S'il s'agit d'un juge-
ment du tribunal civil rendu en Chambre du conseil, nous invoquons le
principe général du double degré de juridiction qui domine notre organi-
sation judiciaire et ne peut recevoir d'exception qu'en vertu d'un texte for-
mel ; en conséquence, il pourrait, croyons-nous, être appelé de la déci-
sion de la Chambre du conseil du tribunal devant la Cour d'appel, siégeant
elle aussi en Chambre du conseil.

b) Lorsque la décision émane au contraire d'un individu, père ou mère


ou ascendant, elle ne peut, en dehors des cas où il y a conflit entre deux
autorités familiales concurrentes et où la loi (comme dans l'article 152)
appelle la justice à les départager, donner lieu à aucune voie de recours.
Il y a cependant une exception à la règle, résultant de l'article 17 de la
loi du 24 juillet 1889. Ce texte vise le mariage d'un mineur confié à l'Assis-
tance publique et, prévoyant le cas où il subsisterait des parents dont le
consentement serait requis, il décide que ceux-ci peuvent, en cas de refus,
être cités devant le tribunal siégeant en Chambre de conseil, lequel devra
donner ou refuser son consentement.

— Empêchements
§ 2. au mariage.

On appelle de ce nom, nous l'avons vu, certains faits qui mettent obs-
tacle au mariage et dont l'absence équivaut, en somme, à autant de co7idi-
tions de fond exigées pour la formation de l'union conjugale.
Ces empêchements sont aujourd'hui au nombre de quatre. Ils étaient

beaucoup plus nombreux sous l'empire du Droit canonique. C'est ce qui


explique que l'Eglise puisse aujourd'hui prononcer la nullité
catholique
du mariage dans des cas où la loi civile ne l'admettrait pas. Les époux
catholiques divorcés souvent de cette circonstance pour mettre
profitent
leur conscience en règle avec les prescriptions de l'Eglise et se procurer
ainsi la possibilité d'un nouveau aussi bien à l'Eglise que devant
mariage
|42 LIVRE I -- TITRE I. — PREMIÈRE
PARTIE

l'énumération des anciens empêchements dans


l'officier de l'état civil (V.
de mariage, 3e partie, chap. I, Il et III).
Pothier, Contrat

antérieur non dissous. — « On


Premier empêchement: Mariage
contracter un second mariage avant la dissolu-
ne peut, dit l'article 147,
». C'est le principe de la monogamie et de la monoandrie.
tion du premier
en contractant un second mariage avant la dis-
Le fait de le transgresser,
du constitue le crime de bigamie, que l'article 340 du
solution premier,
Code des travaux forcés à temps.
pénal punit
La loi du 17 août 1897, modifiant les articles 70, 1er al., et 76, dern. al., du
Code a organisé un d'éviter les faits de bigamie. Elle ordonne
civil, moyen
de mentionner la célébration de tout mariage en marge de l'acte de

naissance des De plus, l'officier de l'état civil, avant de procéder


époux.
à un doit se faire remettre par chacun des futurs époux une
mariage,
de leur acte de naissance dont la délivrance ne remonte pas à
expédition
de trois mois (plus de six
mois, si l'expédition a été délivrée dans une
plus
colonie ou un consulat). De cette façon, les faits de bigamie ne devraient

plus guère être possibles ; pourtant, ils restent encore assez fréquents,
parce que, en pratique, la mention prescrite ne se fait pas régulière-
ment.

Second : Délai de viduité. — Des articles 228 et 296


empêchement
anciens il résultait que la femme veuve ou divorcée ne pouvait contracter
un second mariage que 300 jours après la dissolution du premier. Mais
cette prohibition ne concerne plus que les veuves.

1° Femmes veuves. Le délai imposé à celles ci pour se remarier s'appelle


le délai de viduité. L'empêchement en question nous vient du Droit romain
(L. 11, pr. et 1, D. de his qui not. inf., III, 2). La prohibition, ainsi emprun-
tée au Digeste par les rédacteurs du Code a pour but
civil, d'empêcher
une confusion de part, c'est-à-dire une incertitude sur la filiation pater-
nelle de l'enfant qui naîtrait d'un second mariage contracté tôt avant
trop
la dissolution du précédent. C'est pour cela l'on a fixé la durée du
que
délai de viduité à dix mois, ce qui est le délai le plus avoir
long que puisse
la grossesse. Seulement, à la différence du Droit notre
romain, législateur
dépassait le but, car il n'admettait aucune et
exception imposait, par
conséquent, le délai de viduité dans des situations où la femme accouchait
après la dissolution de son premier La loi du 9 décembre 1922 a
mariage.
supprimé cette inconséquence en décidant, le délai fin en cas
que prend
d'accouchement survenu depuis le décès du mari.
2'J Femmes divorcées. L'article
293 ancien décidait que la femme
divorcée ne pouvait se remarier dix mois
que après la transcription
du jugement de divorce. Les lois des 13 juillet 1907, 9 août 1919
9 décembre 1922 et 4 février 1928 ont fixe le point de départ du délai au
jour ou les relations sont devenues impossibles entre les deux Les
époux.
FORMATION DU MARIAGE 143

arfides et 297 nouveaux distinguent en conséquence deux


296 hypo-
thèses :
1° Le divorce a-t-il été sans avoir été d'une
prononcé précédé sépara-
tion de corps, le délai de, 300 jours (article commence à courir du
296)
jour de l'ordonnance par laquelle le président autorise les
(article 236),
deux époux à avoir un séparé, jour annoncé le du
domicile par dispositif
ou le, divorce (art. Bien le
jugement de l'arrêt prononçant 253). entendu,
mariage ne peut avoir lieu du de
qu'après la transcription jugement
divorce, même si le, par suite des du
délai de viduité, longueurs pro-
cès, se, prouvait avoir pris fin auparavant (Voir article 296 in princ).
Que si est muette sur la question de le délai
l'ordonnance résidence,
est compté à du premier
partir jugement préparatoire, interlocutoire,
ou au fond, dans la Si le mari meurt avant le
rendu cause. que
été prononcé ou que le jugement ou l'arrêt le
divorce ait qui prononce
soit devenu définitif, ou s'il meurt au cours d'une instance en séparation
de corps ou après que la séparation de a été prononcée, la veuve
corps
peut se remarier dès. qu'il s'est 300 jours depuis l'ordonnance
écoulé pré-
vue à l'article 236.
Il faut ajouter. que depuis la loi du 9 décembre 1922 le délai prend fin
en cas, d'accouchement survenu depuis la transcription du jugement ou de
l'arrêt qui a prononcé le divorce.
2° Le divorce a-t-il été prononcé sur conversion, ce est
qui possible
(article 310) après trois ans de séparation de corps, la femme peut
(art. 297) se remarier aussitôt après la transcription du jugement de
conversion. En effet, il y a déjà ans que les époux vivaient séparés
trois
l'un de l'autre et il est inutile à la femme un nouveau délai
d'imposer
d'attente.

Troisième : Parenté ou alliance. — La ou


empêchement parenté
l'alliance, à certain degré de
proximité, entraîne un empêchement au
un
mariage dans toutes les législations. Il y a à cela des raisons diverses.
D'abprd, des raisons physiologiques : à tort ou à raison, c'est une opinion
généralement répandue que les unions entre personnes du même
sang entraînent l'affaiblissement de la race. Mais ce n'est là le motif
point
unique ni même principal de
l'empêchement, car celui-ci se fonde surtout
sur des raisons de haute moralité. La vie de famille deviendrait évidem-
ment impossible, si la pensée d'une union sexuelle pouvait, sans révolte
de la conscience, surgir personnes entre
vivant dans l'intimité ensemble
familiale. De là la flétrissure morale qu'entraîne l'inceste, faute qui, cepen-
dant, n'est point prévue et frappée par notre Code pénal, comme la
bigamie ou l'adultère. De là aussi les prohibitions légales de mariage
entre personnes parentes ou alliées, prohibitions dont l'étendue et la sévé-
rité varient naturellement suivant les et la structure de la vie
époques
familiale.
Ici, notre législation s'est trouvée placée entre deux traditions contradic-
toires. Le Droit canonique, d'une part, malgré ses tendances généralement
I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
444

au avait à l'extrême le cercle de la prohi-


si favorables mariage, élargi
d'abord le souci de favoriser la fusion des
bition ; ce qui s'explique par
divers compromise la pratique de
groupes ethniques qu'aurait l'endogamie,
et surtout des préoccupations de moralité fort naturelles à une époque
par
où les communautés de famille atteignaient une grande étendue (V. Esmein,
t. I, p. 87 et suiv.). Aussi le Droit canonique défendait-il primiti-
op. cit.,
vement le mariage entre parents et alliés jusqu'au septième degré, ce qui,
avec la différence des modes de computation, équivaut à notre quator-
zième actuel. A partir du Concile de Latran (de 1215), il l'interdit
degré
quatrième degré (à peu près le huitième degré de notre Droit
jusqu'au
civil). De plus, le Droit canonique établissait une assimilation complète
entre la parenté ou l'alliance légitime résultant du mariage et celle qu'en-
traînent des relations illégitimes. Il faisait enfin résulter certains empê-
chements de
la parenté spirituelle, par exemple, entre filleul et marraine,
filleule et parrain. Il est vrai que la rigueur de ces prohibitions trouvait
un tempérament dans la pratique des dispenses. A l'inverse de cette con-
ception canonique de l'inceste, le Droit intermédiaire avait considérable-
ment réduit le champ de la prohibition. La loi du 20 septembre 1792
(titre IV, art. 11) ne défendait le mariage qu'entre les parents légitimes et
naturels en ligne directe, entre les alliés en cette ligne, entre le frère et
la soeur. Naturellement aucune dispense n'était autorisée. Telles sont les
deux tendances opposées entre lesquelles, nous allons le voir, le Code civil
a, suivant son habitude, établi un système de transaction.

1° Parenté ou alliance résultant du — A. — Parenté. —


mariage.
En ligne directe, le mariage est prohibé à l'infini entre ascendants ou
ascendantes et descendants ou descendantes (art. 161).
En ligne collatérale, le mariage est prohibé et soeur entre frère
(art. 162),
oncle et nièce, tante et neveu On admet en général
(art. 163). que les
expressions d'oncle et nièce, tante et neveu employées ce dernier texte
par
embrassent le grand-oncle et la petite-nièce, la grand'tante et le petit-
neveu. Cette extension de l'empêchement, admise la Jurisprudence
par
(Req., 28 novembre 1877, D. P. S. 1878.1.337,
1878.1.209, note de M. Louis
Renault), est conforme à un décret du 7 mai 1808
impérial qui avait infir-
mé un avis émis en sens contraire le Conseil
par d'Etat, le 23 avril 1808.
B- — L'Alliance produit le même empêchement que la parenté en ligne
directe, c'est-à-dire à l'infini. Il y a donc du mariage entre
prohibition
tous les ascendants et tous les descendants d'un époux et son conjoint
(art. 161).
En ligne collatérale, au contraire, le Code civil n'établissait d'empêche-
ment qu'entre les alliés au degré de belle-soeur et de beau-frère (art. 162).
La loi du 1er juillet allant encore
1914, plus loin, a supprimé la prohibition
entre beaux-frères et belles-soeurs, sauf dans une celle où le
hypothèse,
mariage qui produisait l'alliance a été dissous le divorce.
par La distinc-
tion ainsi consacrée est raisonnable. La loi met obstacle aux calculs et
aux agissements
condamnables que pourrait à des beaux-frères et
inspirer
FORMATION DU MARIAGE 145

belles-soeurs la perspective pouvoir de s'unir en rendant au moyen


libre,
d'un divorce savamment combiné, l'allié maintenu dans les liens du ma-
riage. Au contraire, le mariage a été dissous
lorsque par la mort du con-
joint qui faisait l'alliance, il n'y a que des avantages, pour l'époux resté seul
et surtout pour les enfants orphelins, à ce que le frère ou la soeur du conjoint
viennent le remplacer au foyer détruit et reconstitué.
C. — Dispenses. —
L'empêchement résultant de ces diverses disposi-
tions est tantôt radical, tantôt relatif, c'est-à-dire d'être levé par
susceptible
des dispenses obtenues du chef de l'Etat pour causes Il
graves (art. 164).
n'y a pas de dispense possible entre parents ou alliés en ligne directe. En
ligne collatérale, il n'y en a pas non plus pour un mariage entre frère et
soeur. En revanche, le Code civil a toujours autorisé des dispenses un
pour
mariage entre oncle et nièce, tante et neveu. Primitivement, il n'en auto-
risait pas pour un mariage entre alliés au degré de beau-frère et de belle-
soeur. C'était une sévérité d'autant plus outrée que le Droit lui-
canonique
même permet d'accorder des dispenses dans ce cas. Ce n'est cependant
que la loi du 16 avril 1832, qui, modifiant l'article a introduit ici la
164,
possibilité d'une dispense, dispense qui peut aujourd'hui encore être obte-
nue, dans le cas où la prohibition subsiste.
En fait, les dispenses nécessaires sont accordées assez facilement. Il s'est
produit à cet égard un revirement sensible dans la pratique administra-
tive. Le Gode civil exige des causes graves pour qu'il y ait dispense. La
Chancellerie, se conformant en cela aux termes plus ou moins impératifs
des circulaires ministérielles du 29 avril 1832 et du 11 novembre 1875,
s'était longtemps donné comme règle de repousser les demandes de dis-
pense, qui alléguaient, en fait de motif, l'état de grossesse de la future ou
l'existence de relations illicites entre les impétrants. Une circulaire du
garde des sceaux, en date du 19 novembre 1904, a prescrit, au contraire,
d'examiner les demandes dans un esprit très large, de telle sorte que
« l'octroi des
dispenses devienne la règle et que le rejet soit l'exception ».
Depuis la loi du 1er juillet 1914, le nombre de ces dispenses est appelé à
diminuer considérablement, les statistiques du Ministère de la Justice
démontrant que l'immense majorité des demandes annuelles visait l'em-
pêchement fondé sur l'alliance collatérale. Et d'autre part, il est vraisem-
blable que, dans l'hypothèse exceptionnelle où cette loi a laissé subsister
l'empêchement entre beaux-frères et belles-soeurs, la dispense sera assez
difficilement obtenue. 1

2° Parenté ou alliance — La loi assimile la parenté natu-


illégitime.
relle ou à celle qui résulte du mariage en ce qui concerne la
illégitime

1. Demandes de dispenses fondées sur:

ANNÉES l'alliance la parenté l'âge

1913 1141 122 47


1921 26 114 108
1922 46 82 77
1923 32 75 77
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
146

et
directe la ligne collatérale, au degré de frère et de soeur (V. art. 161
ligne
Mais ici se rencontre cette question générale: la parenté, illégi-
et 162).
constituer un empêchement au mariage, a-t-elle besoin d'étre
time, pour
établie c'est-à-dire de résulter dune reconnaissance en bonne
légalement
forme ou d'un La Jurisprudence semble divisée sur cette ques-
jugement?
tion (V. Grenoble, 29 janvier 1889, P. F. 1889, 2.54; Trib. Versailles, 13 jan-

vier S. 1892. 2. 92.) Le le plus satisfaisant pour la morale et


1892, système
le bon sens est celui qui se contente, pour qu'il y ait obstacle au mariage,
d'une naturelle existant de notoriété publique. Autrement, on pour-
parenté
rait assister à ce scandale d'un publiquement sa fille ! Vai-
père épousant
nement la parenté naturelle non établie est un fait qui ne
objecterait-on que
aucune juridique et
que, d'ailleurs, le Code prohibée
produit conséquence
la recherche de la paternité (art. 340). Ce dernier argument n'a plus, ]a même
valeur aujourd'hui, depuis la loi du 16 novembre 1912, qui a modifié l'ar-
ticle 340 et permis de faire déclarer judiciairement la paternité hors ma-

riage dans un certain nombre de cas. Au surplus, le Code nous semble avoir,
par son texte même, tranché la difficulté. Lorsqu'il s'agit de savoir si la né-
cessité du consentement des parents s'impose au mariage des enfants natu-
rels comme à celui des enfants légitimes, l'article 158, en effet, a soin de
ne soumettre à l'assimilation que les enfants « légalement reconnus ». Au
contraire, les articles 161 et 162 parlent des « ascendants et descendants
naturels », des « frères et soeurs naturels », sans plus, lorsqu'il s'agit de dé-
terminer la portée de l'empêchement au mariage.
Que le mariage soit prohibé entre les frères et soeurs naturels ou entre
les ascendants et descendants illégitimes d'un individu et son ex-conjoint,
c'est ce qui ne nous paraît pas, douteux. En d'autres termes, nous admettons
que l'empêchement résultant de la parenté naturelle doit s'étendre à l'al-
liance naturelle. Mais la même question va se poser : celle de savoir s'il
faut une filiation légalement établie. Le problème social et juridique, étant
le même que tout à l'heure, nous paraît appeler la même solution.

adoptive. — L'article des raisons


3° Parenté 354, pour de pure mora-
lité, fait résulter enfin des empêchements au mariage des liens de famille
ou d'alliance civile découlant de l'adoption. Il prohibe le mariage :
Entre l'adoptant, et ses
l'adopté descendants;
Entre les enfants adoptifs du même individu
;
Entre l'adopté et les enfants qui pourraient survenir à l'adoptant
Entre l'adopté et le conjoint de l'adoptant, et réciproquement' entre
et le conjoint
l' adoptant de l'adopté.
On décide que ces ne peuvent
prohibitions être étendues et qu'elles ne
peuvent, par exemple, s'appliquer entre les ascendants de l'adoptant et
adopte, ni entre et les enfants
l'adoptant naturels de l'adopté.
l'

Quatrième empêchement. Divorce antérieur entre les mêmes


époux (art. — Le code civil
295). interdisait aux époux divorcés de se
FORMATION DU MARIAGE 147

remarier, afin de les contraindre à réfléchir sérieusement avant de plai-


der en divorce. La loi de 1884
supprimé a
cette prohibition rigoureuse,
mais elle a (art. 293) créé à la place un empêchement entre anciens époux
divorcés pour le cas, pratiquement assez rare, où L'un des deux aurait,
dans l'intervalle, contracté un autre mariage rompu par un divorce. Pour-
quoi cette prohibition? Le législateur a-t-il pensé que l'époux divorcé
deux, foisa, par ces deux tentatives malheureuses, démontré péremptoi-
rement son inaptitude à la vie conjugale? Non assurément, car alors il
aurait fallu frapper ce récidiviste du divorce d'une incapacité générale de
se remarier avec quiconque. La supposition la plus plausible, c'est que la
loi a voulu déjouer une combinaison trop ingénieuse, ourdie pour amener
dans un ménage peu scrupuleux les avantages empruntés à un trop naïf
intérimaire. Mais c'est là un cas de perversité bien complexe. Méritait-il
une disposition spéciale?
L'empêchement édicté par L'article 295 a
d'ailleurs été supprimé par
la loi du 26 mars 1924 dans les deux cas ci-après :

1° S'il existe des enfants vivants ou descendants légitimes issus du


premier mariage ;

2° Si le conjoint épousé en secondes noces est décédé postérieurement


au divorce.

Empêchement supprimé : complicité d'adultère 1. — L'article 298,


remanié la loi du 27 juillet 1884, portait que dans le cas d'un di-
par
vorce admis en justice pour cause d'adultère, l'époux coupable ne pour-
rait jamais se marier avec son complice. Cette disposition ne tarda pas
à soulever de vives On faisait observer qu'il serait plus mo-
critiques.
ral de permettre à l'époux, divorcé pour adultère, de
régulariser sa situa-
tion de le contraindre, si son affection pour son complice sub-
plutôt que
à vivre avec celui-ci en état de concubinage. Pratiquement, les
sistait,
tribunaux étaient arrivés à rendre à peu près lettre-morte l'article 298. En

effet, en cas de divorce pour adultère, ils avaient souvent soin


prononcé
de ne pas désigner nommément le complice ou de ne le désigner que par
des initiales') Dans ces conditions, l'officier de l'état civil, auquel on pré-
sentait le jugement de ne pouvait refuser de procéder au mariage
divorce,
de l'époux adultère avec une document authentique ne
personne qu'aucun
désignait comme de la faute commise. La loi du 15 décembre
complice
1904 a fait plus et aboli l'article 298. Les
; elle a purement simplement
intentions du ont certes été louables, puisqu'elles ont pro-
législateur
cédé du souci de favoriser le et la des amours
mariage régularisation
il faut reconnaître la de l'article 298
illégitimes. Toutefois, que suppression
donner lieu à bien des scandales et des douleurs, prêter à l'odieux
peut
calcul d'un aventurier ou d'une aventurière s'introduit dans un mé-
qui

1. Voir Paul L'abrogation de 298, Rev. trim., 1905,


Appleton, l'article
p. 261.
LIVRE I. — TITRE T. — PREMIÈRE PARTIE
|48

le désunir et de de sa désunion, en bénéficiant peut-


afin de profiter
nage
fortune ou constituée par sa victime, fortune que
être d'une apportée
du divorce et des conventions matrimoniales attribuera
la combinaison
à l'époux
moitié coupable. De tous temps, il y a eu des cou-
souvent par
reurs La loi de 1904 a créé la catégorie
de dot. des coureurs (et coureuses)
Il n'y a pas lieu de s'en féliciter. L'ancien état de choses, insti-
de divorce.
tué par la Jurisprudence, était puisqu'il permettait au juge,
préférable,
selon les cas, de laisser ou non la porte ouverte à un remariage avec le

Il aurait mieux valu se contenter de consacrer, par un texte, la


complice.
un peu trop prétorienne jusqu'alors, de nos tribunaux.
pratique,

SECTION II. — FORMES EXTÉRIEURES DU MARIAGE.

On étudiera successivement : § 1. Les formalités antérieures au mariage ;


Les formes même de la célébration ; §3. La preuve du mariage.
§2.

— antérieures au
§ 1. Formalités mariage.

Ces formalités ont trait : 1° aux publications ; 2° à la réunion des pièces


à fournir à l'officier de l'état civil.

1. Publications 1. — On des mesures de


appelle publications publi-
cité destinées à faire connaître au public le projet de mariage formé
entre les fiancés, afin que les personnes qui auraient connaissance de

quelque empêchement au mariage aient le temps d'avertir l'officier de


l'état civil et même de
oppositionformersi la loi leur une en donne le
droit. C'est au Droit canon que notre Code a emprunté cette formalité cal-
quée manifestement sur les bans ou bannies de mariage. On appelait ainsi
les publications orales que le curé de la paroisse de chacun des deux fian-
cés faisait au prône de la messe les trois dimanches ou jours de fête pré-
cédant le mariage et à certains intervalles.
Dans le Code civil, les formes des publications sont parles ar-
réglées
ticles 63, 64, 166 à 169 qu'ont modifiés sensiblement, dans une de
pensée
simplification, les lois des 21 juin 1907 et 9 août 1919. Ces publications, con-
tenant (art. 63) toutes les énonciations utiles faire connaître exacte-
pour
ment aux tiers l'identité exacte des futurs sont faites, a la requête de
époux,
ceux-ci ou de leurs représentants, par les soins de la municipalité des com-
munes où le mariage peut être célébré, en outre, au lieu du domicile des as-
cendants sous la puissance desquels se trouvent les futurs s'ils sont
époux,
mineurs, enfin, dans certains cas, au lieu du dernier domicile ou de la der-
nière résidence, ou même au lieu de la naissance de chacun des futurs époux
(art. 167). Comme le nombre des communes où le mariage célé-
peut-être
bré n'est pas, dans certains cas, inférieur à quatre, on voit que des publi-
cations nombreuses sont nécessaires.
quelquefois Ajoutons que l'effet

1. V, Ed, Lévy, De la publication du mariage. Rev. de dr. civ.,


trim 1912. p. 907 s,
FORMATION DU MARIAGE 149

utile d'une publication ne dure qu'une année (art. 65). Au bout de ce


temps, la loi considère que le mariage ne peut plus être contracté sur la
foi de la première publication, car des empêchements qui n'existaient pas
alors ont pu surgir. Il faudrait donc recommencer une nouvelle publication.
Voici les changements que les lois des 21 juin 1907, 9 août 1919 et
8 avril 1927 ont apportés aux textes précités du Code civil la
réglant
matière des publications :
1° L'article 63 primitif astreignait l'officier de l'état civil à des
publica-
tions faites oralement le dimanche à la porte de la maison commune. Bien
entendu, une pratique différente s'était établie, et les maires des com-
munes se contentaient de faire afficher à la porte de la mairie, l'acte de
publication, c'est-à-dire, en somme, le procès-verbal d'une déclaration
qui n'avait pas été faite. Le nouvel article 63 consacre cette pratique.
2° L'ancien article 63 exigeait deux publications faites le dimanche à
huit jours d'intervalle. Aujourd'hui, il n'exige plus qu'une seule publication.
L'affiche devra rester exposée pendant un délai de dix jours et il n'est
plus nécessaire que ces dix jours comprennent deux dimanches. Le
mariage ne
pourra être célébré qu'après le dixième jour.
3° Le Code civil exigeait que les publications fussent faites le dimanche.
Aujourd'hui, la publication unique peut être faite n'importe quel jour de
la semaine.
4° La
publication énonce les prénoms, noms, professions, domiciles ou
résidences des futurs époux, etc.. mais ne contient plus, depuis la loi du
9 août 1919, aucune mention relative à l'identité des parents. Cette inno-
vation a été introduite pour que, si l'un des futurs époux est enfant naturel,
rien ne révèle au public l'irrégularité de sa filiation.
5° Une autre publication, si les futurs époux sont mineurs, est faite au
domicile de leurs ascendants dontils dépendent au point de vue du mariage.
Mais la loi du 9 août 1919 a supprimé la publication qui devait être faite au

siège du conseil de famille lorsque le mineur n'avait pas d'ascendant.


6° L'ancien article 169
permettait au procureur de la République de dis-
penser les parties de la seconde publication pour cause grave, par exemple en
cas de mariage in extremis. Le texte nouveau autorise la dispense de toute

publication et de tout délai, ou de l'affichage de la publication seulement.


7° La publication du mariage était auparavant transcrite sur un registre
spécial que, par simplification, la loi du 8 avril 1927 a supprimé.
Il est permis d'estimer que ces simplifications sont encore insuffisantes
et qu'il serait utile d'aller jusqu'à la suppression totale des publications.
Cette formalité se rattache, par son origine, à une législation qui admet-
tait un nombre notamment dans des cas où un
grand d'empêchements,
lien de parenté extrêmement et, par conséquent, inconnu du pu-
éloigné
blic, existait entre les Le Droit canon était donc logique en éta-
parties.
blissant un procédé propre à éveiller l'attention de ceux qui pouvaient
connaître ces De plus, le procédé était efficace à une
empêchements.
époque où, sauf les dissidents, tout le monde à peu près écoutait le prône
du curé. Aujourd'hui, les publications sont, au contraire, peu pratiques,
LIVRE I. — TITRE I. —- PREMIÈRE PARTIE
150

moins dans les villes, où


presque personne ne s'arrête pour
au grandes
consulter les tableaux appendus à la porte des mairies. Elles ont
grillagés
l'inconvénient d'entraîner des frais et de retarder les mariages. Enfin,
elles sont utiles. L'officier de l état civil est suffisamment renseigné
peu
sur des futurs époux par production la des pièces va qui, on
l'aptitude
le doivent être remises entre ses mains (actes de naissance, actes
voir,
de décès des acte de notification, jugement de divorce, etc.). Les
parents,
seuls faits lui échapper et que les tiers pourraient lui révéler,
qui peuvent
avoir été touchés par une publication, sont, d'une part, l'état de dé-
après
mence d'un des futurs époux, d'autre part l'existence, entre eux, d'un lien

de ou d'alliance au degré prohibé. Or, il suffit de parcourir les


parenté
recueils judiciaires pour se rendre compte du nombre infime de ma-
sont contractés dans de pareilles conditions, ou d'oppositions
riages qui
qui seraient fondées sur de tels motifs. Que si, par hasard, ces cas excep-
tionnels venaient à se
rencontrer, la perspective de la nullité du mariage
constituerait une sanction suffisante. Pourquoi, en vue
d'exceptions aussi
hypothétiques, imposer à tous la nécessité des publications ? Les pays où
elles n'existent pas, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis d'Amérique, ne
paraissent pas en ressentir d'inconvénient appréciable.

II. Pièces à fournir à l'officier de l'état civil. — Avant la célébra-


tion du
mariage, chacun des époux doit remettre à l'officier de l'état civil
les pièces constatant qu'il réunit les conditions requises par la loi et qu'il
a fait les publications prescrites.
Ces pièces sont les suivantes :
1° L'acte de naissance (art. 70, C. civ.). S'il s'agit d'un enfant légitimé, l'ex-

pédition de l'acte de naissance produite par l'enfant à l'officier de l'état civil


ne doit pas indiquer qu'il est légitimé (art. 333, 2e al., loi du 1er juillet 1922).
Si l'un des époux est dans l'impossibilité de se le procurer, sup-il y
pléera en rapportant un acte de notoriété délivré par le juge de paix "du
lieu de sa naissance ou par celui de son domicile sur la déclaration de
trois témoins fart. 71 et 72).
2° Les actes constatant le consentement des père et mère ou des ascen-
dants, quand ils n'assistent pas au mariage, ou à leur défaut, celui du
conseil de famille (art. 73).
3° L'acte de notification du au ou à la mère ne veulent
mariage père qui
pas consentir (art. 151).
4° Les actes de décès des ascendants défunts, ou une du
expédition
jugement d'interdiction ou de déclaration d'absence.
Cependant ces actes ne sont pas nécessaires, reste des ascen-
lorsqu'il
dants dans la même branche qui attestent le décès, l'interdiction ou l ab-
sence des plus proches. De même, à défaut les futurs
d'ascendants, époux
sont, nous l'avons vu, admis à déclarer sous serment le
qu'ils ignorent
lieu du décès et du dernier domicile de leurs ascendants.
5° L'autorisation de l'autorité s'il
militaire, y a lieu.
FORMATION DU MARIAGE 151

6° L'acte de décès du premier conjoint, si le futur époux a déjà été marié.


7° Les certificats de publications s'il en a été lait dans d'autres com-
munes, et ceux de non-opposition délivrés par les officiers civils de ces com-
munes. Depuis la loi du 9 août 1919, ces certificats sont d'office
expédiés
à l'officier de la commune où se célèbre le mariage 69 nouveau).
(art.
La réunion de ces pièces constitue parfois encore un véritable dossier;
elle exige de nombreux
dérangements, des dépenses qui peuvent détour-
ner beaucoup de pauvres gens du mariage, les pousser à se mettre en mé-
nage, c'est a dire à vivre en concubinage, sans paperasseries et sans frais.
Aussi depuis longtemps, a-t-on senti la nécessité d'une oeuvre de simoli
fication. Tout d'abord., des sociétés privées, dont la plus ancienne est la
Société de Saint-François Régis, se sont fondées pour subvenir aux frais
et aux démarches des couples pauvres désireux de se marier, surtout lors-
qu'ils vivent déjà en union libre. Puis le législateur est intervenu. La loi
du 10 décembre 1850, sur le mariage des indigents, a réalisé d'heureuses
réformes malheureusement applicables aux seules personnes munies d'un
certificat d'indigence délivré par le maire ou par le commissaire de police.
Elle décide en effet :
1° Que lespièces nécessaires au mariage des indigents doivent être ré
clamées et réunies par les soins de l'officier de l'état civil;
2° Que les pièces en question seront visées pour timbre et enregistrées

3° Elle réduit le tarif des expéditions des actes de l'état civil.


Il y a encore beaucoup à faire si l'on veut multiplier le nombre des ma-
et il importe, pensons-nous, de procéder par voie de disposition
riages,
générale, car l'inconvénient d'une législation de faveur, spéciale aux indi-

gents, c'est que nombre de personnes reculent devant la démarche, un

peu humiliante, qui consiste à solliciter un certificat établissant officielle-


ment leur état de dénuement. On ne
peut penser à étendre à tous les ma-

riages la disposition de la loi de 1850 qui impose aux municipalités la


réunion des pièces nécessaires ; ce serait une charge trop lourde pour les

mairies.. Mais on accorder à tous les mariages la dispense des


pourrait
droits de timbre et
d'enregistrement pour les pièces nécessaires. Ou pour-
rait l'oeuvre malheureusement insuffisante des lois du
encore, complétant
1896 et du 21 1907, diminuer un peu la liste des pièces à
20 juin juin
fournir en supprimant certaines formalités, comme les publications et les

notifications nous l'avons vu, n'offrent qu'une utilité tout à fait con-
qui,
testable.

— Célébration du
§ 2. mariage.

Les de formes concomitantes à la célébration du mariage se ré-


règles
fèrent: I. A la publicité du mariage. — A l'intervention de l'officier de
II.
l'état civil. — llI. A la rédaction de l'acte instrumentaire.

I. Publicité du — La du mariage est nécessaire


mariage. publicité
de raisons. Les tiers ont le plus grand intérêt à cette
pour graves
— TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
152 LIVRE I.

de à la condi-
le mariage apporte grands changements
publicité, parce que
de leur Ainsi, il leur est
tion des et à la consistance patrimoine.
époux
un nouveau mariage. La femme devient
désormais interdit de contracter
valablement l'autorisation de son
et ne
peut plus agir qu'avec
incapable
en son mandataire légal pour l'admi-
mari, lequel même, devient général,
A partir du mariage, une hypothèque légale au profit
nistration de ses biens.
sur les immeubles du mari, etc. . Il faut, de plus,
de la femme est établie
être connu de ceux auraient des oppositions à
le mariage puisse qui
que
est donc Sa nécessité entraine tout un
former. La publicité indispensable.
faisceau de dispositions.
1° Ce sont d'abord celles d'où résulte, pour les futurs époux, l'obliga-
au lieu du domicile de l'un d'eux. C'est là en effet que les
tion de se marier
sont connus. La détermination de ce domicile donnait jadis
époux réputés
lieu à une difficulté résultant de la divergence des expressions employées

par les textes. D'une part, en effet, l'article 74, après avoir énoncé que le
doit être célébré dans la commune où l'un des époux aura son
mariage
: « Ce domicile, quant au mariage, s'établira par six
domicile, ajoutait
mois d'habitation continue dans la même commune. » D'autre part, l'ar-

ticle 165 disait le mariage serait célébré « devant l'offi-


simplement que
cier de l'état civil du domicile de l'une des parties ». On se demandait, dès

lors, si l'article 105 renvoyait à l'article 74, c'est à-dire s'il


exigeait, pour
l'état fût un domicile résultant de
que l'officier de civil compétent, spécial
six mois d'habitation ; ou bien si, au contraire, le texte se suffisait à lui-

même, d'où il serait résulté que le mariage pouvait être célébré au lieu du
domicile général, lequel, sans condition de résidence, se trouve au lieu où
l'individu a fixé son principal établissement (art. 102). On comprend l'inté-
rêt de la question. Généralement les deux domiciles se confondent ; mais
il peut en être autrement. On peut supposer, par exemple, qu'une per-
sonne a, depuis deux ou trois semaines seulement, transféré à Paris son

principal établissement. Elle a à Paris son domicile général, mais non le


domicile spécial de l'article 74. Inversement, une personne peut résider
depuis six mois à Paris, mais sans avoir l'intention de s'y fixer. Elle y a
donc le domicile spécial de l'article 74, mais non son domicile général.
Depuis longtemps, la doctrine et la pratique administrative étaient fixées
dans le sens le plus large et le plus favorable : elles admettaient que les
deux dispositions devaient se cumuler et dès lors, on se
que, pouvait
marier à la fois à son domicile réel, et au domicile de l'article 74.
spécial
des conséquences de celte c'est concevoir
L'une interprétation, qu'on peut
telle hypothèse où le mariage peut être célébré indifféremment dans quatre
communes.
Aujourd'hui, l'article 74, modifié par la loi du 21 juin 1907, porte que les
époux se marieront dans la commune où l'un deux aura « son domicile ou
sa résidence établie par un mois au moins d'habitation continue à la date de
la publication prévue par la loi ». On le voit, le texte nouveau a consacré la
solution antérieure de la pratique en ce qui concerne la compétence cumu-
lative de deux domiciles, le domicile réel et le domicile de résidence. Elle
FORMATION DU MARIAGE 153

a, d'autre part, diminué le délai


exigé d'habitation
pour ce dernier en le
fixant à un mois ; c'est une réforme heureuse qui facilite le mariage des per-
sonnes que leur métier oblige à des changements incessants de résidence.
2° C'est aussi à une idée de publicité que se rattache l'obligation de cé-
lébrer le mariage dans la « maison commune », établie par l'article 75. Il
est vrai que l'article 165, revenant sur les formes de la célébration, exige
seulement qu'elle ait lieu « devant l'officier de l'état civil ». Mais il y a lieu
à application cumulative des deux textes, et le mariage sera valable si l'of-
ficier de l'état civil s'est transporté, pour le célébrer, en dehors de la mai-
son commune, par exemple, au domicile de l'un des époux La loi du.
9 août 1919, nouveau,
(art. 75
al. 2), consacrant la pratique antérieure,
décide que ce transport aura lieu " en cas d'empêchement grave, à la
du Procureur de la République» et que même, en cas de péril immi
requête
nent de mort de l'un des futurs époux, l'officier de l'état civil pourra se

transporter au lieu de sa résidence avant toute réquisition ou autorisation.


3° Le doit être admis librement.
effet, l'article En 105. dit que le
public
sera célébré publiquement. D'où l'usage, en cas de célébration au
mariage
lieu d'habitation de l'une des parties, de faire ouvrir toutes les portes de
la maison.
4° Enfin, la célébration requiert la présence de deux témoins et non plus
parents ou non-parents (art. 75 modifié par la loi du 9 août
1910),
quatre),
et cela afin qu'il ne puisse y avoir de doute sur l'identité des époux. Ces
témoins appartenir à l'un ou à l'autre sexe (art. 37 modifié par la
peuvent
loi du 7 décembre 1897).

Rôle de l'officier de l'état civil. — L'article 75 détermine ce rôle


en donnant comme le rite de la célébration du mariage. L'impression qui
se dégage de la lecture de ce texte est celle d'une cérémonie sobre et, par
là même, assez digne, mais un peu vide, dans laquelle l'intervention de
l'officier de l'état civil copie assez gauchement celle du prêtre, dans les

mariages religieux, tout en en dénaturant la portée. L'officier de l'état civil

procède, devant les parties, leurs parents, et leurs témoins, à une lecture

(en pratique fort écourtée) des pièces qu'elles ont produites. Il y ajoute
celle des articles 212 à 214 du Code Civil déterminant les principaux effets

juridiques du mariage (art. 212 et s.). Il interroge les futurs époux (V. al. 2
ajouté par la loi du 10 juillet 1850) sur le point de savoir s'il y a eu con l rat
de mariage, afin de taire mention de leur réponse dans l'acte instrumen-
taire, il recueille de chaque époux la déclaration « qu'ils veulent se
puis
prendre pour mari et femme ». On remarquera que la loi n'exige pas une ré-
ponse orale, ce qui rend possible le mariage des muets. Enfin, l'officier
" prononce »
au nom de la loi qu'elles (les parties) sont unies parle mariage.
A quel moment le mariage est il formé? Celui où les époux ont
précis
dit « oui», ou celui de la formule d'union prononcée par l'officier de l'état
civil ? L'intérêt de la question apparaît dans les cas de mort ou de rétrac-
tation survenue dans l'intervalle. On admet, en général, qu'il n'y a mariage

qu'après le prononcé de la formule d'union (D.,J. G., V° Mariage, 213, 375).

DROIT, — Tome I.
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
154

dans notre civil, un rôle plus actif que


Ainsi, l'officier public joue, mariage
C'est lui Cette unit les solution ne nous
le célébrant canonique. époux. qui
en désaccord avec toute la tradition historique ; elle
paraît pas seulement
au texte de l'article 75, aux termes duquel l'offi-
est encore peu conforme
en d'autres termes d'annoncer que les par-
cier se contente de prononcer,
c'est-à-dire se sont unies elles-mêmes par le mariage.
ties sont unies,

— L'article 75 porte que l'acte


III. Rédaction de l'acte instrumentaire.
relatant le mariage, doit être dressé sur le champ. Et l'ar-
de l'état civil,
modifié en dernier lieu la loi du 28 avril 1922, énumère les
ticle 76, par
énonciations doit contenir. Cet acte doit être signé par les parties, les
qu'il
témoins et les ascendants dont le consentement est nécessaire, s'ils assistent

au mariage.
— Preuve du
§ 3 mariage.

inutile d'insister sur que présente la preuve


Il est l'importance pratique
du Cette n'existe seulement pour lesépoux qui
mariage. importance pas
dans leurs avec les tiers, leur qualité de gens mariés ;
invoquent, rapports
elle est très aussi les enfants issus de l'union conjugale, car le
grande pour
fait du de leurs est l'un des éléments d'où résulte la dé-
mariage parents
monstration de leur filiation Enfin, d'autres personnes encore
légitime.
peuvent avoir à administrer la preuve d'un mariage ; il en est ainsi, par
en cas de réclamation de succession lorsqu'il s'agit de démontrer
exemple,
le lien de parenté vous unissait au défunt : le mariage étant la source
qui
de la parenté l'héritier doit pouvoir prouver le mariage de ceux
légitime,
dont il descend et par lesquels il se rattache à la personne du de cujus.

de la preuve préconstituée. Preuve par l'acte de ma-


Système
— Aux termes de l'article 194, « nul ne peut réclamer le titre d'é-
riage.
poux et les effets civils du mariage, s'il ne représente un acte de célébration
inscrit sur le registre de l'état civil. » Ainsi, la loi établit, en cette matière,
le régime de la preuve préconstituée, c'est-à-dire qu'elle interdit aux inté-
ressés la faculté de prouver le fait du mariage par aucun moyen autre que
celui qu'elle leur a elle-même ménagé en organisant l'institution des actes
de l'état civil. Par exemple, c'est en vain que l'on prétendrait invoquer le

témoignage de personnes qui auraient autrefois assisté à la célébration du

mariage, ou la présomption qui résulterait de la possession d'état. Il faut,


de toute nécessité, produire une expédition de l'acte de mariage dressé sur
les registres de l'état civil. Ainsi, même la production d'un acte en forme,
mais dressé sur une feuille volante, n'aurait aucune efficacité. Et, bien que
la rédaction de l'article 194 semble, à première vue, restreindre sa portée
aux époux eux-mêmes (arg. des mots réclamer le titre d'époux), il n'est pas
douteux que le principe s'applique à tous les intéressés. Nous n'allons
pas tarder à voir en effet que l'article 197 apporte, dans un cas particulier,
une exception à la règle au bénéfice des enfants, leur est
preuve qu'elle
applicable en principe, comme elle l'est aux époux, ainsi tiers
qu'aux
éventuellement intéressés à faire la même démonstration.
FORMATION DU MARIAGE 155

C'est au XVIe siècle


que remonte le système actuel de notre Droit. Anté -
rieurement, en effet, le Droit canon admettait que la preuve du mariage
pouvait se faire par tous les moyens Mais le Concile
possibles. de Trente
ayant ordonné aux curés des paroisses de tenir un registre des mariages
qu'ils célébreraient, et l'ordonnance de Blois de 1579 (art. 40) ayant fait
passer cette obligation dans le Droit civil, la production de l'acte de ma-
riage devint le mode de preuve normal, et les autres -
procédés de démons
tration ne tardèrent pas à être prohibés comme à raison
dangereux de leur
incertitude. En effet, des témoins peuvent être subornés ; et, quant aà la pos-
session d'un état, elle appartient aussi bien aux faux ménages qu'aux
couples légitimes. L'ordonnance de 1629, article 40, puis l'ordonnance sur
la procédure de 1667, titre XX, article 1er, établirent donc la règle qui est
actuellement reproduite par l'article 194, dont le sens net et formel est
encore renforcé par l'article 195, aux termes « la possession d'état
duquel
ne pourra dispenser les prétendus époux qui l'invoqueront respectivement,
de représenter l'acte de célébration du mariage devant l'officier de l'état
civil. »
On retrouvera plus loin, en traitant des nullités de la question
mariage,
de savoir si l'article 196 n'apporte pas un tempérament à cette et
règle
quelle est au juste la conséquence de la possession d'état d'époux légitimes,
chez des conjoints qui ne peuvent rapporter l'acte de célébration de leur
mariage. Pour le moment, nous n'avons qu'à les trois
indiquer exceptions
que le Code civil ou la Jurisprudence apportent au principe des articles 194
et 195.

Exceptions au système de la preuve préconstituée. — 1° L'ar-


ticle 194 in fine, en nous renvoyant à l'article 46, au titre des Actes de l'état
civil, vise l'hypothèse où, par un fait indépendant de la volonté des époux,
l'expédition de L'acte de mariage est impossible à produire. Il en est ainsi
lorsqu'il n'a pas existé de registre (fait aujourd'hui bien rare, sauf en cas
de mariage contracté à ou lorsque le registre a été perdu ou
l'étranger)
détruit en totalité ou en partie. Alors, à condition d'avoir démontré le fait
d'inexistence, de perte ou de destruction, les intéressés seront admis à
faire la preuve du mariage, « tant par les registres émanés des et
père
mère décédés que par témoins », en un mot par tous les moyens possibles.
Ici, dans un cas à la vérité tout exceptionnel, la loi substitue, on le voit,
le régime de la preuve libre à celui de la preuve préconstituée 1.
Il peut se faire que la destruction ou l'inexistence de l'acte
de mariage
soit le résultat d'un acte criminel prévu et puni par le Code pénal ; par
exemple, l'acte de mariage a été falsifié ou déchiré par un individu quel-
conque (art. 145, 146, 147, 173, C. pén.), ou bien l'officier de l'état civil l'a

1. A noter ici la loi du 20 juin 1920 qui permet de suppléer par des actes
de notoriété à l'impossibilité de se procurer des expéditions des actes de l'état
civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus par suite de faits de
guerre.
LIVRE I. — TITRE I. .— PREMIERE PARTIE
156

fait constitue un délit puni par l'ar-


rédigé sur une feuille volante, qui
Le jugement constate le crime délit com-
ticle 192 du Code pénal. qui ou le
alors inscrit sur les registres de l'état civil et tiendra lieu de l'acte
mis sera
A ces règles
C. très simples, les articles 199 et
de mariage civ.).
(art. 198,
200 apportent, en ce qui concerne les actions qui peuvent être exercées

contre le coupable ou contre ses héritiers, soit par le ministère public, soit

des développements tout à fait obscurs


par les intéressés, complémentaires
inutiles. Ces textes, en effet, ont le tort d'avoir été
et, de plus, absolument
écrits avant la rédaction du Code d'instruction criminelle, de telle sorte

ne sont en harmonie avec la terminologie, ni peut-être même


qu'ils pas
avec les essentielles aujourd'hui admises en matière de Droit
catégories
Ces textes sont donc demeurés entièrement lettre-morte. Comme ils
pénal.
n'ont donné lieu à aucune jurisprudence, il est superflu d'entrer dans l'ex-

des controverses purement académiques auxquelles leur interpréta-


posé
tion a donné lieu dans la Doctrine.
2° Une seconde exception est apportée au principe des articles 194 et 195
en des enfants issus du mariage. Elle résulte de l'article 197. Ce
faveur
texte suppose que la légitimité de ces enfants est l'objet d'une contestation.
Il décide que les enfants pourront alors faire preuve du mariage de leurs
à défaut de représentation de l'acte de célébration, en invoquant
parents,
la possession d'état, pourvu que les père et mère soient l'un et l'autre décé-
dés et que la prétention des enfants ne soit pas contredite par leur acte de
naissance. On comprend aisément les raisons qui ont le législa- déterminé
teur à rendre ainsi la preuve du mariage plus facile aux enfants qu'à leurs

parents. Ces derniers sont toujours à même de se procurer une expédition


de leur acte de mariage, du moment qu'il en a été dressé un. Les enfants
au contraire, si leurs deux auteurs sont décédés, peuvent se trouver dans

l'ignorance complète du lieu, et peut-être même, de la date du mariage de


leurs parents. Comment alors pourraient-ils se procurer l'acte nécessaire
pour la preuve qui leur est demandée? La loi ne pouvait, sous peine de
commettre une flagrante injustice, soumettre les enfants à toute la rigueur
de son système de preuve préconstituée. Elle les en a donc dispensés et
décide qu'ils seront considérés comme légitimes aux quatre conditions
suivantes :
A. — Il faut que le père et la mère soient tous deux décédés. Du moment
que l'un d'entre eux survit, la production de l'acte de reste indis-
mariage
pensable. Mais la règle ici établie par l'article 197 donne lieu à deux diffi-
cultés :
a) Doit-on assimiler au cas où les parents sont morts ceux où, vivants,
ils sont ou bien absents ou bien hors d'état, pour une cause quelconque,
de fournir une indication relative à leur ? L'affirmative ne paraît
mariage
guère douteuse en équité. Il nous semble avant se référer .
qu'il faut, tout,
aux raisons du législateur. Si, dans son il a énoncé le cas
texte, de décès
cela tient à ce que, en cette matière comme en il a seu-
beaucoup d'autres,
lement envisagé l'hypothèse la plus pratique, ou, comme on dit, le ple-
rumque fit.
FORMATION DU MARIAGE 157

b) L'article 197 ne doit-il pas s'appliquer lorsque l'un des parents est
vivant, mais que c'est lui, précisément, qui la filiation conteste de l'enfant?
On l'a soutenu en invoquant cet argument d'équité que les choses se passe-
ront ici exactement comme si le père ou la mère survivant était décédé,
puisque l'enfant ne peut espérer obtenir de lui les indications nécessaires
à ses recherches d'état civil. Nous croyons cependant qu'il n'y a pas lieu de
distinguer et que,
lors,dès l'article 197 n'est pas On verra
applicable.
bientôt que le bénéfice
de ce texte appartient seulement à l'enfant qui peut
alléguer une possession d'état d'enfant légitime. Or cette lui
possession
manque s'il est en conflit avec le survivant de ses prétendus auteurs sur le
caractère même de sa filiation.
B. — La seconde condition requise pour que l'enfant soit dispensé de
représenter l'acte de mariage de ses parents, c'est qu'il démontre la posses-
sion d'état d'époux de ces derniers.
C. — Il faut, en troisième lieu, qu'il ait lui-mêmela possession d'état
d'enfant légitime. La loi parle de la possession d'état d'une façon générale :
elle vise donc aussi bien celle de l'enfant que celle des parents défunts.
D. — Il faut enfin que les possessions d'état alléguées par l'enfant ne
soient pas contredites par son acte de naissance. Ainsi, il ne faut
pas qu'il
y ait un acte de naissance le qualifiant d'enfant naturel de tel et telle, ou
d'enfant d'autres personnes. Ici encore, il lui manquerait la condition de sa
possession d'état personnelle. On remarquera que, si l'acte de naissance
déclare que l'enfant est né de père et mère inconnus, il peut encore bénéfi-
cier de l'arlicle 197, c'est-à-dire invoquer à l'appui de sa légitimité la pos-
session d'élat d'époux de ses parents et sa possession d'état personnelle
d'enfant légitime. Pourtant ici, la mention portée dans l'acte de naissance
constitue une forte présomption contre la légitimité de l'enfant. Mais ce
n'est qu'une présomption, qui est détruite deux faits que l'enfant par les

apporte à l'appui de sa prétention. Littéralement, on ne peut même dire que


la possession d'état soit ici contredite par l'acte de naissance. Ce document

porte que les parents étaient inconnus à l'époque de la naissance. Il sont


connus aujourd'hui: il n'y a pas contradiction. Ajoutons enfin qu'à moins
de supposer un enfant dont on ne peut retrouver l'acte de naissance, notre

hypothèse est la seule où l'on puisse concevoir l'application de l'article 197,


car quel autre acte de naissance, non contradictoire avec la prétention de

l'enfant, supposer? Un acte qui le déclarerait né des parents


pourrait-on
dont il se prétend issu? Mais dans ce cas il n'y aurait ni difficulté ni procès.
la légitimité de
Il convient de remarquer que les tiers qui contesteraient
l'enfant conserveraient la faculté de prouver (preuve négative, à la vérité,
très difficile à administrer) les père et mère n'étaient pas mariés et
que
s'étaient attribué faussement la qualité d'époux. A cet égard, la preuve
faite en conformité de l'article 197 est moins péremptoire que celle qui
résulte de la production d'un acte de mariage dont les tiers ne pourraient
combattre la véracité à moins de s'inscrire en faux.
pas
3° L'article 197 ne fait bénéficier de sa de faveur que les
disposition
enfants. Les tiers sont donc, en principe, soumis rigoureusement à la règle
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
158

la de l'acte de l'état civil lorsqu'ils ont à faire


de la preuve par production
la démonstration du mariage. C'était cependant une règle traditionnelle

de notre ancien Droit preuve s'agit de la de la parenté, en vue


lorsqu'il que,
d'une succession à recueillir,les tiers intéressés pouvaient, à défaut des actes

de mariage, invoquer d'autres documents ou toutes présomptions quel-

conques. En effet, il s'agit ici souvent d'investigations désignées pratique-


ment de recherches lesquelles à remontent
parl'expression généalogiques,
des reculées dont nul survivant ne subsiste qui puisse fournir
époques
les indications nécessaires la recherche de l'acte ou des actes de ma-
pour
à produire. La Jurisprudence moderne semble admettre encore au-
riage
la même solution 8 mars 1904, D. P. 1904. 1.246 ; S. 1909.
jourd'hui (Civ.,
Elle constitue une troisième et dernière dérogation au système de
1.242).
la preuve en matière de mariage établi par l'article 194.
préconstituée

SECTION III. — SANCTION DES RÈGLES RELATIVES


A LA FORMATION DU MARIAGE.

Les sanctions ou moyens pratiques d'imposer aux intéressés l'observa-


tion des règles de fond ou de forme établies par la loi pour la formation
du mariage sont pénales ou civiles.

Sanctions — La loi édicté, soit dans le Code civil, soit dans


pénales.
le Code pénal, des pénalités diverses, soit contre l'officier de l'état civil,
soit même contre les parties qui transgresseraient ses dispositions.
1° Les dispositions protectrices des règles de forme sont :
A. — L'article 192 du Code civil,
prévoyant la contravention aux règles
relatives aux publications de mariage et prononçant contre l'officier de
l'état civil une amende de 300 francs au minimum, contre les parties ou
leurs parents une amende proportionnée à leur fortune.
B. — L'article 193 du Code civil, comminant la même pénalité pour
toute contravention à la règle de l'article 165, c'est-à-dire à l'obligation de
célébrer le mariage publiquement devant l'officier public du domicile de
l'un des époux.
C. — L'article 192 du Code pénal, édictant la peine d'un à trois mois de
prison et de 16 à 200 francs d'amende contre l'officier de l'état civil qui
aurait dressé l'acte de mariage sur une feuille volante.
2° Les
dispositions pénales protectrices des règles de fond sont les articles
68, 156 et 157 du Code civil, modifiés par la loi du 21 juin 1907, les articles
193 et 194 du Code pénal. Il en résulte que l'officier de l'état civil encourt :
L'amende et l'emprisonnement s'il ne s'est pas assuré du consentement
des parents dans un cas où ce consentement est nécessaire à la validité du
mariage ;
L'amende seulement si, s'étant assuré de ce il néglige de
consentement,
le relater dans l'acte de mariage ;
Ou s'ila procédé au mariage sans justification des à sup-
notifications,
poser que l'on se trouve dans un cas où cette formalité est prescrite :
FORMATION DU MARIAGE 159

Ou s'il a procédé au mariage au mépris d'une opposition régulièrement


faite sans qu'on ait justifié de sa mainlevée ;
Ou enfin s'il a procédé au mariage d'une femme veuve ou divorcée
avant l'expiration du délai de viduité.
Rappelons enfin l'article 340 du Code pénal, des
prononçant pénalités
contre les parties coupables de bigamie,' et contre l'officier de l'état civil
qui se serait fait complice de ce crime.

Sanctions civiles. Oppositions et nullités. — Les sanctions de Droit


civil sont de deux sortes, préventives et répressives.
Les sanctions préventives sont les oppositions, c'est-à-dire les actes par
lesquels certaines personnes, ayant qualité à cet égard, à l'offi-
signalent
cier de l'état civil un empêchement au lato
c'est-à-dire, mariage, sensu,
soit l'existence d'un empêchement proprement dit, au sens strict du mot
tel que nous l'avons employé précédemment, soit l'absence d'une condition
nécessaire à la formation du mariage. L'officier de l'état civil, touché par
la signification qui lui est faite de l'opposition, doit s'abstenir de procéder
à la célébration du mariage jusqu'à ce qu'on lui ait justifié de la mainlevée
de l'opposition.
Quant à la sanction
répressive, c'est la nullité du mariage qu'il appar-
tient à certaines personnes de faire prononcer par la justice. Est-ce à dire
que tout empêchement donne lieu éventuellement à cette nullité? Non: il
faut faire à cet égard une distinction essentielle, naguère introduite par
les interprètes du Droit canon et qui conserve aujourd'hui toute sa valeur
technique. Les empêchements sont de deux sortes, dirimants ou prohibitifs.
Les empêchements dirimants seuls donnent lieu à la nullité dumariage qui
aurait été contracté nonobstant leur existence. Et cette nullité éventuelle
est, à son tour,,qualifiée de nullité absolue ou de nullité relative selon que
la faculté de la solliciter est plus ou moins largement ouverte aux intéres-
sés. Quant aux empêchements prohibitifs on simples, ils mettent bien obs-
tacle à la célébration du mariage, en ce sens qu'ils font une obligation à
l'officier de l'état civil de s'abstenir d'y procéder. Mais, s'il est passé oufcqe
à cet obstacle, le mariage ne peut être annulé. La sanction seraune peine
contre l'officier de l'état civil. Encore, le plus souvent, cette peino ne
sera-t-elle encourue par ce dernier que si l'empêchement prohibitif a été
porté à sa connaissance par une opposition (art. 68) ou autrement.
Quelques exemples préciseront les distinctions ci-dessus.
Le défaut de consentement des parents, ascendants ou du conseil de
famille au mariage d'un mineur est un empêchement dirimant, donnant
lieu, si le mariage est néanmoins célébré, à une nullité relative.
Le fait, pour un des futurs époux, d'être engagé dans les liens d'un

précédent mariage non rompu est un empêchement dirimant, donnant

lieu, au cas où la bigamie aurait été consommée, à une nullité absolue.


La non-expiration du délai de viduité est, pour le mariage d'une femme
veuve ou divorcée, un empêchement simplement prohibitif. Si le mariage
a eu lieu, il ne peut pas être annulé.
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
16O


§ 1. Oppositions.

et — C'est au Droit canon que le


Notions historiques généralisés.
Code civil a emprunté la théorie des oppositions. Lorsqu'il avait procédé
aux bans du mariage, en effet, le curé avertissait les fidèles que c'était

un devoir aurait connaissance d'un empêchement de le


pour quiconque
lui. faire connaître par un avis officieux.
En outre, avait intérêt à ce que le mariage n'eût pas lieu,
quiconque
celui se disait marié ou fiancé avec un des futurs, les
par exemple qui
les tuteurs ou curateurs, avait le droit de former opposition, par
parents,
une adressée, par ministère d'huissier, au curé qui avait
signification
publié les bans. Quelque mal fondée qu'elle parût, l'opposition empêchait
le curé de procéder à la célébration du mariage, jusqu'à ce qu'il en eût été
donné mainlevée, soit par la partie opposante, soit par le juge.
Ce droit, si largement ouvert à tout intéressé, de former opposition, et
dont la malignité pouvait trop aisément se servir, donnait lieu à des abus

qui amenèrent le Droit intermédiaire à une réglementation plus étroite.


Elle se trouve dans la loi du 20 septembre 1792, tit. 4, sect. 3. Cette loi,
d'une part, réserve le droit de former opposition à certaines personnes
intéressées limitativement énumérées. En outre, elle décide que l'opposi-
tion ne peut être faite que par acte d'huissier en contenant les motifs et
signé par l'opposant. opposition Toute irrégulière est sans valeur, et l'offi-
cier de l'état civil peut passer outre à l'acte de mariage.
Le Code civil a consacré ces deux innovations salutaires. Il a seulement
élargi un peu la liste des personnes qui peuvent former opposition. L'offi-
cier de l'état civil n'a donc pas, en principe, à tenir compte d'une opposi-
tion formée par une personne sans qualité, ou en la à
irrégulière forme,
plus forte raison, des avis simplement officieux qui lui parviendraient
(par exemple, au moyen d'une lettre anonyme). toutefois
Remarquons qu'en
pratique il ne manquera pas de prendre des informations. En effet, il s'ex-
poserait aux peines portées par la loi s'il procédait sciemment à la célébra-
tion d'un mariage irrégulier (V. art. 156,157, 192, 193). irré-
L'opposition
gulière ou l'avis officieux (à supposer que leur existence soit dûment éta-
blie) ne sont donc pas, en somme, entièrement d'effet. Seule-
dépourvus
ment, leur effet est restreint. Quand il y a opposition l'office
régulière,
de l'état civil ne peut passer outre sans aux de l'article
s'exposer peines 68,
quand bien même l'opposition ne serait pas fondée. L'opposition irrégulière
ou officieuse, aucontraire, n'a d'effet si elle est
possible que fondée. Elle
peut alors constituer un des éléments d'incrimination de l'officier de l'état
civil, si celui-ci a passé outre, en le constituant en état de mauvaise foi.
Mécanisme de l'opposition. — Les règles établies à cet égard par
les articles 176 à 179, 66 à 68 ont but
pour d'empêcher l'abus d'un acte
aussi grave que l'opposition, de mettre obstacle surtout aux lenteurs cal-
culées grâce auxquelles des parents obstinés s'efforceraient de faire traîner
les choses en longueur.
FORMATION DU MARIAGE 161

1° L'acte d'opposition lui-même doit être fait par le ministère d'un huis-
sier. La loi lui impose des formes spéciales qu'on ne rencontre dans
pas
les exploits ordinaires et qui sont sanctionnées tant par la nullité de l'acte
irrégulier que par la peine de l'interdiction encourue par l'huissier en faute

(art. 176 in fine).


A. — Il doit être signé, non seulement par l'huissier, mais encore par
l'opposant (art. 66 et 176). Il importe que celui-ci se découvre et la
prenne
responsabilité de son acte.
B. — L'acte énonce la qualité qui donne à l'opposant le droit de le
former.
C. — Il contient élection de domicile dans le lieu « où le doit
mariage
être célébré » (art. 176), cela afin de permettre à l'intéressé de demander
mainlevée à ce tribunal et non pas à celui du domicile de l'opposant,
comme le voudrait le Droit commun, ce domicile pouvant être éloigné.
Seulement, le mariage, on s'en souvient, peut être célébré dans diverses
communes. On admet dans ce cas que l'opposant choisira à son gré la
commune où il élira domicile. Mieux aurait valu assurément l'astreindre
à faire élection dans la commune où réside le futur époux !
D. — L'acte doit contenir mention des motifs sur
d'opposition lesquels
il se fonde. Exception est faite cependant pour le cas où l'opposition émane
d'un ascendant. Elle n'a pas besoin alors d'être motivée : on verra bientôt

pourquoi.
2° La signification de l'acte d'opposition doit être faite à la fois aux deux
futurs époux et à l'officier de l'état civil qui doit procéder au mariage s'il
est connu, à l'un de ceux qui peuvent y procéder, dans le cas contraire.
L'officier public doit apposer son visa sur l'original (art. 66), afin qu'on ne

puisse contester le fait de la signification, et doit aussi transmettre l'op-


position à ses
collègues, s'il y en a plusieurs qui soient compétents.
3° La mainlevée de l'opposition est, on l'a vu, indispensable pour que l'of-
ficier de l'état civil, touché par la signification, puisse procéder au mariage
sans s'exposer aux pénalités de l'article 68. La mainlevée peut être volon-

taire, si l'opposant consent à s'en désister, ce qu'il peut faire soit orale-

ment, soit par un acte notarié dont l'époux aura à produire une copie à
l'officier de l'état civil (art. 67). Faute de ce désistement, la mainlevée ne

peut être que judiciaire, c'est-à-dire qu'elle sera prononcée par la justice,
après que l'époux aura mal fait la preuve du
l'opposition. fondé de Les
mesures prises par la loi pour augmenter l'efficacité et la rapidité de la

procédure de mainlevée sont les suivantes :


A. — L'affaire est dispensée du préliminaire de conciliation. Le tribunal
doit la juger dans les dix jours. S'il y a appel ayant ici, comme il
(l'appel
est de un effet la Cour doit aussi statuer dans les dix
règle, suspensif),
jours (art. 177).
B. — L'article 179 (modifié par la loi du 20 juin 1896) décide que les

jugements et arrêts rendus par défaut ne soat pas susceptibles d'opposi-


tion. C'est là une mesure utile. Autrement l'opposant pourrait faire défaut
en première instance, puis il formerait opposition. Après quoi, en appel,
— I. — PREMIÈRE PARTIE
LIVRE I. TITRE
162

l'affaire reviendrait deux


il renouvellerait la même tactique ; si bien que
Le mariage serait inde-
deux fois devant la cour.
fois devant le tribunal et

Animent retardé.
étant par le tri-
la mainlevée prononcée
C. - qui succombe,
L'opposant a moins ce ne soit un
de l'instance, que
bunal, est condamné aux frais
cas le juge peut
ou une soeur du demandeur, auquel
ascendant, un frère
C. compenser, c'est-
droit commun (art. 131, proc. civ.),
conformément au
Le défendeur succombant
les entre les plaideurs.
à-dire répartir dépens ne
dommages intérêts, à moins qu'il
en être condamné à des
peut, outre,
soit un ascendant (art. 179, 1er al.).

— Le droit de former
Auteurs et motifs des oppositions.
possibles
opposition appartient:
1° Aux ascendants ;

2° A d'autres à savoir :
personnes,
Le conjoint du futur époux ;
A)
Certains collatéraux ;
B)
Le tuteur ou curateur ;
C)
D) Le ministère public.
est différent suivant qu'elle est formée par
Le caractère de l'opposition
à l'une ou à l'autre des deux catégories ci-
des personnes appartenant
dessus.
1° le Code civil, entre les mains des ascendants, l'opposition
D'après
n'était seulement le de faire valoir des empêchements
pas moyen pratique
C'était aussimoyen suprême un pour l'ascendant qui désapprou-
légaux.
un de mariage formé son descendant, d'en retarder la réa-
vait projet par
lisation de contraindre l'enfant à un supplément de réflexion.
et, ainsi,
En effet, la loi admettait des ascendants n'avait pas besoin
que l'opposition
d'être motivée fart. si l'opposition n'était pas fondée
176). Evidemment,
sur un le futur en obtenait aisément la
empêchement véritable, époux
mainlevée. La célébration du mariage n'en avait pas moins été différée.

L'ascendant avait gagné du temps.


La loi du 8 avril 1927 a avec raison supprimé ce droit exorbitant, qui ne
produisait presque jamais l'effet Dorénavant l'acte
espéré par l'opposant.
d'opposition de l'ascendant devra, à peine de nullité et de l'interdiction de
l'officier ministériel qui l'aurait signé, contenir les motifs de l'opposition
et reproduire le texte de loi sur elle est fondée fart. 176 nouveau .
lequel
A quels ascendants appartient le droit de faire ? Au père et à
opposition
la mère, légitimes ounaturels, (art. 173 nouveau), et, à défaut de père et
de mère, c'est-à-dire s'ils sont morts, absents, ou dans de
l'impossibilité
manifester leur volonté, aux aïeuls et aïeules, ne recueillant,
chaque degré
croyons-nous, le droit de former défaut du
opposition qu'à degré plus
proche.
On est forcé de constater ici le défaut de de la loi. Rationnelle-
logique
ment, le droit de former opposition devrait être le corollaire de celui de
FORMATION DU MARIAGE 163

consentir, ou, tout au moins, de


pour fournir
le mariage de son conseil
l'enfant. Or l'article
173, quoiqu'amélioré par la loi du 9 août 1919, mé-
connaît en partie ce principe. Il le consacre à la vérité, en conférant à la
mère concuremment avec le père, le droit de former opposition. En effet,
même du vivant du père., l'enfant n'est pas dispensé du consentement (ou
du conseil) de la mère (art. 148). Mais, en dehors de cette solution correcte,
l'article 173 contient encore diverses dispositions fâcheuses et, croyons-
nous, peu logiques.
Et, en effet, la loi moderne, on s'en souvient, a supprimé, lorsque le
futur époux est majeur, le droit de conseil des ascendants autres que les
père et mère ; bien plus, au-dessus de vingt-cinq ans, ou même, de vingt-
et-un, s'il a été antérieurement marié, l'enfant n'a même plus besoin du
conseil de ses père et mère, puisqu'il est désormais dispensé de leur faire
notification de son mariage. Dans les trois cas, le droit de former oppo-
sition aurait donc dû disparaître. L'article 173 nouveau a cependant laissé
la faculté de former opposition au père, à la mère, et à leur défaut à tout
aïeul ou aïeule, et cela même lorsque l'enfant a dépassé vingt-cinq ans ou
avait antérieurement contracté un précédent mariage. Le seul correctif

(encore insuffisant) apporté ici par l'article 173 nouveau (al. 2), c'est que,
après la mainlevée judiciaire de l'opposition formée par un ascendant,
aucune nouvelle opposition d'un autre ascendant ne peut retarder la célé-
bration du mariage.
2° Entre les mains des
personnes qualifiées autres que les ascendants, le
droit d'opposition n'existe, au contraire, que pour certaines causes déter-
minées parla loi. Mais ajoutons que, pratiquement, il se produit peu d'op-
positions de ce genre. On n'en rencontre guère, en fait, que venant d'as-
cendants désireux de retarder un mariage qu'ils désapprouvent. Quoi qu'il
en soit, les opposants de notre catégorie sont au nombre de trois,
possibles
peut-être de quatre.

A. — Le conjoint (non divorcé) de l'un des contractants (art. 172). L'em-

pêchement qu'il fait valoir est celui de la bigamie.


B — Certains collatéraux majeurs, à savoir le frère ou la soeur, l'oncle
ou latante, le cousin ou la cousine germaine (art. 174), concurremment.
Mais ils ne peuvent défaut d'ascendants et pour deux causes dé-
agir qu'à
terminées seulement :

a) Pour défaut de consentement du conseil de famille, ce qui suppose que


le futur époux est mineur et n'a pas d'ascendants. Cette variété d'opposi-
tion est d'ailleurs difficile à prévoir en fait, car l'officier de l'état civil,
instruit de l'âge du futur époux par son acte de naissance, ne manquera
pas de réclamer l'extrait de la délibération du conseil de famille ayant
autorisé le mariage.

b) Pour cause de démence des futurs Une personne en état de


époux.
démence ne peut en effet se marier, puisqu'elle ne peut fournir un consen-

tement valable.
Pour éviter que les collatéraux n'invoquent ce motil à la légère, l'ar-
164 LIVRE I. — TITRE I. — PEMIÉRE PARTIE

ticle 174 du Code civil exige que l'opposant provoque en même temps l'in-
terdiction de l'aliéné. Les frais auxquels il s'exposera en intentant cette
procédure garantissent qu'il réfléchira avant d'agir.
C. — Le tuteur ou le curateur (ce qui suppose toujours que le futur
époux est un mineur), concurremment avec les collatéraux, et pour les
mêmes causes que ceux-ci, mais à la condition d'avoir été autorisé à former
opposition par le conseil defamille (art. 175.) Cette dernière condition
rend peu explicable que la loi ait prévu une opposition formée par le tuteur
pour cause de démence de son pupille. Puisque celui-ci est mineur, son
mariage a requis une autorisation du conseil de famille. De deux choses
l'une. Ou bien le conseil a autorisé le
comprend mal
mariage, et
l'on
qu'il autorise le tuteur à venir y faire opposition pour cause de démence.
Ou bien, au contraire, il n'a pas autorisé le mariage, et on n'a pas besoin
d'alléguer dans l'opposition l'état mental du futur époux. Il suffit que le
tuteur soit autorisé à faire valoir le défaut d'autorisation.
D. — Le ministère public, possède-t-il aussi, bien que le Code civil ne le
lui accorde pas, le droit de faire opposition à un mariage ? La question
est controversée. D'une part, il est certain que le droit de former opposi-
tion ne peut s'appuyer que sur un texte
que les articles formel, et du Code
civil qui l'organisent pas ne sont
susceptibles d extension. il est
Ainsi,
indubitable que ni les descendants, ni les neveux et nièces, bien que col-
latéraux plus proches que les cousins germains, n'auraient le droit d'oppo-
sition. Le droit d'agir du ministère public, évidemment utile si l'on sup-
pose un projet de mariage blessant particulièrement l'ordre de
public,
mariage incestueux par exemple, ne pourrait donc sur le
reposer que
texte de nos lois de procédure civile qui établit les de
règles générales
l'intervention du Parquet. Or ce texte est l'article 46 de la loi du 20 avril
1810, relative à l'organisation article
judiciaire, qui fut l'objet d'une con-
troverse classique par la contradiction indéniable existant entre ses deux
alinéas. En effet, tandis que l'alinéa 1er porte : « En matière le mi-
civile,
nistère public agit d'office dans les cas exprimés la loi
par », formule res-
trictive qui réduit l'intervention possible du Parquet aux hypothèses où
la loi lui donne un mandat formel, l'alinéa 2 ajoute : « Il surveille l'exé-
cution des lois, des arrêts, et des ; il poursuit
jugements d'office cette exé-
cution dans les dispositions qui intéressent l'ordre » Cette
public. seconde
phrase est manifestement l'opposé de la première ; elle élargit le champ
d'initiative du Parquet. Et, dans notre elle
hypothèse, lui ouvre le droit
de faire opposition, car à un
s'opposer mariage prohibé par la loi, par
exemple, à un mariage ou
bigamique incestueux, c'est évidemment pour-
suivre l'exécution loi dans
une disposition
de la intéressant l'ordre public.
Des deux formules, quelle est donc celle doit
qui l'emporter? Certaines
décisions ont admis que c'est la formule le second
large, alinéa devant être
considéré comme ayant complété et rectifié le premier. Le ministère public
aura donc le droit de faire à un mariage,
opposition lorsqu'il estimera
qu'il existe un empêchement dont la transgression offenserait l'ordre
public (Grenoble, 14 janvier 1889, D. P. 1890. 2. 193, note de M. Flurer).
FORMATION DU MARIAGE 1 03

Il n'est pas à craindre qu'il abuse de cette faculté, d'autant utile


plus que
le ministère public aurait, comme nous ne tarderons pas à le voir, le droit
de poursuivre la nullité d'un mariage du genre de ceux nous avons
que
Et, bien que la loi — défectueuse d'ailleurs en cela — n'éta-
supposés.
blisse pas toujours une concordance parfaite entre la disposition de l'ac-
tion en nullité et celle de l'opposition, il est clair qu'il est préférable de
réaliser cette concordance toute logique quand elle peut se concilier avec le
texte de la loi.

§ 2. Nullités de mariage.

et — La sanction civile des


Historique généralité. répressive règles
relatives à la formation du mariage, c'est la nullité de l'union aurait
qui
été contractée en violation de ces règles. La théorie des cas nullité de
et des actions qui permettent de la faire prononcer par la justice a été éla-
borée jadis par la Jurisprudence des tribunaux ecclésiastiques et par celle
de nos parlements qui, l'une et l'autre, ont fourni à notre Code ses solu-
tions de principe, notamment la distinction des empêchements en empê-
chements simplement prohibitifs et empêchements dirimants, ces derniers (les
plus graves naturellement) aboutissant seuls à une nullité éventuelle, ainsi

que la division des nullités en nullités absolues, in vocables en principe par


toutes personnes intéressées et par le ministère public, et nullités relatives,
invocables seulement par les époux eux-mêmes ou par l'un d'eux ou par
les parents de l'un ou de l'autre. Toutefois, si nous nous trouvons ici dans
une matière toute traditionnelle, il importe de relever entre la théorie de
l'Ancien Droit et la nôtre les différences suivantes :
1° Le nombre des empêchements dirimants et par conséquent, des cas
de nullité était plus considérable sous l'empire du Droit canonique que
sous celui du Code civil.
2° La théorie des nullités présentait, dans l'ancien Droit, comme d'ail-
leurs sous le régime du Code civil au cours de la longue période de sup-
pression du divorce, une importance pratique très supérieure à celle

qu'elle a de nos jours. En effet, elle était souvent utilisée comme un tem-

pérament au principe de l'indissolubilité du mariage. Sans doute, il y a

bien, entre le divorce et la nullité du mariage, cette différence essentielle

que le divorce rompt le mariage dans l'avenir, tandis que la déclaration de


nullité constate que le mariage n'a pas valablement existé, ce qui l'anéan-

tit, même dans le passé. Mais ces deux solutions n'en offrent pas moins
cette ressemblance de fait considérable qu'elles rendent l'une et l'autre

leur liberté aux époux (ou prétendus époux). Supposons donc qu'un
soit désuni, qu'un époux se croie déçu dans ses espérances de
ménage
bonheur et que la législation lui refuse le divorce. Il y a bien des hypothèses
où il s'efforcera, pour se dégager d'un lien odieux, de faire prononcer la

nullité du : il alléguera, par exemple, que son consentement a été


mariage
s'est marié, qu'il a agi sous l'empire d'une contrainte mo-
vicié, lorsqu'il
rale, ou encore qu'il y a eu erreur sur la personne, etc. Le rétablissement
du divorce a donc, depuis 1884, enlevé beaucoup de leur intérêt aux ques-
LITRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
160

la Jurisprudence
tions de nullité de mariage, au moins qui concerne
en ce
des cas où jadis on plaidait la nullité,
civile 1. Nous verrons que, dans bien
d'une demande de divorce.
on recourt aujourd'hui au procédé plus simple
n'ont été de même dans le
Toutefois, on peut remarquer que les choses pas
de la Jurisprudence et que même un phénomène
domaine ecclésiastique
La restauration du divorce a certainement aug-
inverse s'y est produit.
le nombre des procès en nullité de mariage. Ces procès sont intentés
menté
des divorcé et néanmoins désireux, en vertu
par époux catholiques ayant
de considérations ou, parfois, simplement mondaines, de se
religieuses
mettre en avec les lois canoniques. Leur calcul est secondé par le
règle
nombre relativement élevé de cas de nullité de mariage qui continué à
subsister dans l'arsenal du Droit ecclésiastique.
3° C'était un universellement admis dans notre ancien Droit
principe
matière de mariage il n'y a pas de nullité sans un texte qui la pro-
qu'en
nonçât formellement. Ainsi, il ne suffisait pas qu'il y eût eu violation d'une
relative à la formation du mariage pour qu'il en découlât le
règle légale
droit d'en demander la nullité pour les intéressés; la faculté de prononcer

cette nullité les juges (V. Esmein, op. cit., t.I, p. 75-76). Il y avait là,
pour
à raison sans doute de la gravité exceptionnelle de la nullité d'un mariage,
une conception toute spéciale et dérogeant aux principes généraux admis,
on l'a vu, en matière d'actes juridiques ordinaires, ceux-ci devant être con-

sidérés comme virtuellement atteints de nullité du moment que leur con-


clusion a donné lieu à la violation d'une règle impérative posée par la loi.
Cette conception de notre ancien Droit passé dans a-t-elle notre Droit mo-
derne? Il ne manque pas, étant donné surtout le caractère tout tradition-
nel de cette matière, d'arguments sérieux en faveur de l'affirmative, et on
trouve même, dans notre Jurisprudence, des décisions qui paraissent se
rattacher plus ou moins nettement à cette formule : Pas de nullité sans texte
en matière de mariage (Req., 12 novembre 1844, D. P. 1845. 1.99; S. 1845.
1.246 ; Paris, 3 mars 1897, D. P. 1897. 2.439 ; S. 1897.2.102). Pourtant, il est

impossible de ne pas constater que cette règle n'est consacrée par aucune
disposition de notre Droit. Et il nous paraît d'autant plus difficile d'en
admettre la survivance de nos jours que les articles, cependant nombreux
et explicites (art. 180 à 202), consacrés par le Code civil à l'énumération et au
mécanisme des nullités de mariage, omettent de mentionner certains cas
où l'ancien Droit admettait jadis formellement qu'il y avait existence d'un
empêchement dirimant et où il est, aujourd'hui, de toute impossibilité,
nonobstant le silence du Code, de considérer le comme inatta-
mariage
quable. Nous pouvons citer deux hypothèses de ce genre : celle d'absence
totale de consentement chez un conjoint, et celle de non-célébration devant
l'officier de l'étatclair, civil. Il est
le silence de la loi, qu'un
malgré mariage
affecté de l'un de ces deux vices ne peut être valable. Reste à savoir —c'est
un point sur lequel nous reviendrons — s'il doit être considéré nul
comme
d'une nullité simplement virtuelle, ou si son inefficacité ne doit pas être

1. Le nombre des procès en nullité de mariage n'a été que de 30 en 1900, de 31 en 1905.
FORMATION DU MARIAGE 167

rattachée à une autre catégorie juridique que celle des actes nuls, à savoir
celle des actes inexistants ?

Quoi qu'il en soit, les nullités de mariage prononcées par le Code civil
sont au nombre de six.
Deux de ces nullités sont relatives, à savoir celles qui résultent: 1° d'un
vice du consentement de l'un des époux ; 2° du défaut de consentement
complémentaire desparents lorsqu'il est requis.
Les quatre autres, étant fondées, non pas comme les précédentes, sur la

protection de la volonté des contractants, mais sur des raisons qui touchent
à l'ordre public, sont des nullités absolues. Elles tiennent : 1° à l'impuberté :
2° à la bigamie ; 3° à l'inceste ; 4a à la violation des formes extérieures du

mariage dans ce qu'elles ont d'essentiel, à savoir la publicité et la compé-


tence de l'officier de l'état civil.
Notons aussitôt que les dispositions du Code civil, afférentes à ces di-
verses nullités, font ressortir des dérogations très nombreuses et très

importantes aux principes généraux concernant la nullité des actes juri-


diques. Cela tient à deux raisons. C'est, d'abord, le développement indépen-
dant et autonome qu'a pris la théorie des nullités du mariage à cause de la
compétence spéciale qui appartenait ici aux tribunaux ecclésiastiques,
c'est-à-dire à des juridictions différentes de celles qui statuaient sur les
contrats ordinaires. C'est, ensuite, gravité la
exceptionnelle que présente
l'annulation du mariage. Déclarer que deux personnes, vivant comme mari
et femme, n'ont pas été mariés en réalité, que, dès lors, leurs enfants sont
des bâtards... est évidemment plus fâcheux que d'annuler une vente ou
une location !
Nous étudierons successivement :
I. Les nullités relatives ;
II. Les nullités absolues ;
III. La question de savoir s'il n'y a pas des nullités (ou des cas d'inexis-
tence) distinctes des nullités prévues par la loi ;
IV. L'effet des nullités de mariage et le tempérament apporté à cet effet
par la théorie du mariage putatif.

I. — Première nullité relative : Vices du consentement. — On sait

que, de droit commun, les trois vices du consentement qui peuvent entraî-
ner l'annulation d'un contrat sont l'erreur, la violence et le dol (art. 1109).
En matière de mariage, il résulte de l'article 180 que le mariage peut être

attaqué soit parce que l'un des époux ou tous les deux n'ont pas émis un
consentement libre — ont subi une soit
et, par
conséquent, violence, parce
qu'il y a eu erreur. On remarquera donc aussitôt que, des trois vices du
consentement, le texte en omet un, le dol. Ce silence est intentionnel. Une
tradition séculaire met obstacle à ce qu'un époux puisse attaquer le mariage

qu'il a contracté en alléguant que son consentement a été surpris par


les artifices, les manoeuvres frauduleuses de son conjoint. C'est ce que
Loysel exprimait par un adage d'un cynisme lapidaire : « En mariage, il

trompe qui peut » (Institutes Coutumières, liv. II, tit. III, n° 3). Sans aller
838

168 LIVRE I. — TITRE I. '— PREMIÈRE PARTIE

aussi ce l'on dire pour justifier le législateur, c'est qu'il se-


loin, que peut
rait excessif d'ouvrir, en cette matière, une action pour dol à laquelle on
recourir toute espèce de tromperie ou de dissimulation pré-
pourrait pour
tendue dans les du mariage, relativement à la situation sociale,
pourparlers
à la fortune, aux antécédents, à l'état de santé, etc. Le législateur, bon
a considéré que trop de personnes regrettent de s'être ma-
psychologue,
riées pour qu'une telle action ne soit pas dangereuse. Le souci de la sécu-
rité des familles devait la faire écarter.
Les deux seuls vices du consentement qui peuvent servir de base à une
action en nullité sont donc la violence et l'erreur.
— de à dire sur cette et il suffit
Violence. Il y a peu chose hypothèse,
de renvoyer règles aux du Droit commun. Ainsi, dont il la seule violence

y ait à tenir compte est celle qui est de nature à faire impression sur une

personne raisonnable ; il faut cependant avoir égard, pour apprécier ce

degré de gravité nécessaire, à l'âge et à la condition de la personne (art. 1112).


De même", la seule crainte révérentielle envers les parents ou les ascen-
dants peut ne être alléguée comme constituant une contrainte ayant vicié
le consentement (art. 1114). Il n'y a pas lieu d'insister sur ces divers points,
la liberté des époux étant assez sauvegardée par les règles de forme éta-
blies pour la célébration des mariages. Contentons-nous de signaler que le
Code n'a pas conservé, en cette matière, une solution de l'ancienqui Droit
consistait à assimiler à un fait de violence le rapt, même le simple rapt de
séduction, c'est-à-dire l'emploi de « mauvaises voies, de mauvais artifices »

(Pothier, Traité du contrat de mariage, nos 227, 228). C'était là, nous l'a-
vons déjà constaté, un moyen d'arriver à annuler le mariage contracté en
dépit de la volonté parents. des Aujourd'hui, le rapt ou la séduction ne
pourraient entraîner la nullité que s'il y avait eu emploi de la violence pour
arracher le consentement de l'épouse enlevée, ou s'il s'agissait d'une mi-
neure et s'il n'y avait pas eu de consentement des parents (V. cependant
Agen., 14 juin 1890, D. P.
1891.2.153 ; S. 1893.2.4).
Erreur. — Il ne peut évidemment ici que d'erreur sur la personne.
s'agir
C'est en effet celle que prévoit l'article 180, 2e alinéa. Reste à savoir ce qu'il
faut entendre par là. Pothier, que les rédacteurs du Code ont pris pour
guide ordinaire dans toutes ces matières, apportait ici une conception d'une
étroitesse excessive. Pour lui, la seule erreur que l'on pût alléguer en ma-
tière de mariage était celle qui portait sur de la per-
l'identité physique
sonne. « Par exemple, si me proposant Marie et croyant
d'épouser contrac-
ter avec Marie, je promets la foi de mariage à Jeanne se fait passer
qui
pour Marie » (Pothier, op. cit., nos 308 à 310). Il est trop évident que ce
cas ne peut plus se présenter de nos jours, le mariage
puisque par procu-
ration n'est plus admis et puisque les femmes de nos sujettes
(à l'exception
musulmanes) ne se marient pas le visage dissimulé sous un voile. De plus,
on a souvent fait remarquer que si, par un hasard il pouvait
exceptionnel,
se produire de nos jours une substitution de personnes analogue à celle
de Lia et de Rachel dans la Bible, il n'y aurait en réalité
pas vice, mais
bien absence totale du consentement, comme le dit Pothier
puisque, lui-
FORMATION DU MARIAGE 169

même, le « concours des volontés des deux parties ne se trouverait pas


dans cette espèce : car si Jeanne a voulu m'épouser, je n'ai pas de même
voulu épouser Jeanne ». Notre jurisprudence admet donc, suivant en cela
la tradition des tribunaux ecclésiastiques, qu'il peut y avoir erreur sur la
personne, lorsqu'on s'est trompé sur la qualité essentielle de la personne.
Seulement, quelle est celte qualité essentielle ? Il ne peut s'agir, répondent
nos tribunaux, que de l'état de famille de l'individu, ou, comme on dit
aussi, de son Par exemple, l'un des conjoints s'est attribué
identité civile.
un faux nom, un faux état civil pour faire croire à l'autre qu'il appartenait
à une famille à laquelle il est, en réalité, étranger. Mais toute autre erreur,
portant, par exemple, sur l'intégrité physique, morale ou même judiciaire
de l'individu n'est pas considérée comme une erreur sur la personne, aux
termes de l'article 180. C'est ainsi que le célèbre arrêt des chambres réunies
de la Cour de cassation, en date du 24 avril 1862 (D. P. 1862.1.153 ; S.
1862.1.341), s'est refusé à annuler un mariage contracté par une fille avec
un forçat libéré. De même, il n'y a pas erreur sur la personne, de la part
d'une jeune fille qui épouse un prêtre ou un moine engagé dans les ordres
religieux lequel avait dissimulé son état, non plus que de la part de l'é-
pouse unie à un individu impuissant ou impropre à la procréation des en-
fants (Civ., 15janvier 1872, D. P. 1872.1.52). L'erreur sur la nationalité
n'est pas plus essentielle, (V. cep. Trib. civ. Seine, 4 avril 1918, S. 1920.2.

129, note de M. H. Rousseau). Toutes ces solutions, il faut le reconnaître,


sont exagérément étroites. Elles font contraste avec la règle, péchant peut-
être par un excès contraire, du Code civil allemand, dont l'article 1333 per-
met d'annuler tout mariage en cas d'erreur portant sur des qualités per-
sonnelles d'un époux,
«telles que l'autre conjoint n'aurait pas contracté,
s'il avait eu connaissance de l'état des choses et qu'il eût fait une apprécia-
tion raisonnable de l'essence du mariage » (cf. Turin, 21 juillet 1883, S.
86.4.1, note de M. Chavegrin). La preuve que notre jurisprudence française
obéit, sur ce point, à une conception fâcheuse de l'erreur sur la personne,
c'est qu'elle a dû recourir à des expédients, d'ailleurs fort critiquables
pour corriger l'injustice et la cruauté des solutions auxquelles elle abou-
tissait. C'est ainsi qu'à défaut de nullité du mariage, elle permet à la
partie déçue de demander la séparation de corps et, depuis 1884, le
divorce, lorsque l'erreur commise sur telle ou telle qualité importante de
la personne, nationalité, conduite antérieure, etc., a été
santé, religion,
causée par des manoeuvres de l'autre conjoint, cette dissimulation dolo-
sive constituant une injure grave.

du caractère relatif de la nullité. — On sait que,


Conséquences
de droit commun, une nullité relative ne peut être invoquée que par
la personne au et la de laquelle la loi l'a pro-
profit pour protection
noncée, que, de plus, elle est
susceptible de se couvrir par une ratifica-
tion ultérieure de l'acte annulable ou par la Nous allons
prescription.
retrouver ici l'application de ces règles générales, mais avec certaines
particularités.

DROIT, — Tome I, 12.


I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
|70 LITRE

nullité ne peut être demandée qui a été


Et, tout d'abord, la que par l' époux
victime de la violence ou de l'erreur (art. 180). Ce qu'il y a de spécial à

c'est les actions en nullité,' ême relative, peuvent


relever ici, qu'en général
non seulement celui à qui elles appartiennent en propre,
être exercées par
ses créanciers (art. 1160) et, après sa
mais, sous certaines conditions, par
héritiers : or l'action en nullité du mariage pour violence ou
mort, par ses
au n'est à la disposition des créan-
erreur sur la personne, contraire, pas
des héritiers de l'époux trompé ou violenté. C'est une de ces actions
ciers ni
attachées à la personne aux termes de l'article 1166 in fine,
strictement qui,
à la main-mise des créanciers. On
comprend que la rupture de
échappent
l'union ne peut résulter d'une initiative autre que celle de l'époux
conjugale
à, qui la loi accorde, dans une pensée de protection de sa libre personna-

lité, le droit de demander l'annulation.


En second la nullité de l'article 180 peut, conformément aux concep-
lieu,
tions en matière de nullité relative, se couvrir par une confirma-
générales
tion ultérieure de l'acte annulable. L'article 181 fait résulter cette confirma-

tion d'une cohabitation continuée entre les époux « pendant six mois depuis
a recouvré sa pleine liberté ou que l'erreur a été reconnue ».
que l'époux
L'attitude l'attributaire de l'action en nullité depuis qu'il est en
prise par
mesure de l'utiliser librement, prouve, en effet, son intention d'y renon

cer et de ratifier le mariage. Cette disposition donne lieu à deux questions


controversées entre les auteurs.
1° La confirmation du mariage annulable prévue par l'article 181 est

une confirmation tacite. Or, de droit commun, un acte annulable peut être
aussi l'objet d'une confirmation expresse (art. 1338). En sera-t-il de même
ici? L'époux qui pourrait, pendant six mois, demander la nullité, pourra-
t-il, devançant ce délai, consolider immédiatement le mariage et rassurer
le conjoint avec lequel il entend continuer la vie conjugale, par une re-
nonciation formelle et explicite à son action en nullité? La un
question:ja
faible intérêt pratique, étant donné la brièveté de la période d'incertitude
résultant de l'article 181. Nous ne voyons pas d'ailleurs de bonnes raisons

pour dénier ici la possibilité d'une confirmation expresse.


2° Supposons que l'époux, une fois que la violence ou l'erreur a pri fin,
n'intente pas l'action en nullité mais cesse de cohabiter avec son conjoint.
Pendant combien de temps pourra-t-il dorénavant exercer l'action en nul-
lité? Si l'on admet — solution à notre avis difficilement —
contestable,
que cette action est prescriptible, il semble que le silence du Code suffise
à commander l'application des principes généraux ; or l'article 1304 du
Code civil établit, lorsqu'il s'agit des actions en nullité des conventions,
la prescription abrégée de dix ans. L'opinion générale des auteurs est
cependant qu'il faut ici écarter la de l'article 1304. En effet,
prescription
cette prescription repose sur la présomption d'une confirmation tacite, qui
résulterait du silence gardé pendant dix années consécutives con-
parle
tractant. Or peut-on attribuer la même à l'attitude de l'époux
signification
qui, en suspendant la cohabitation, semble au contraire contre
protester
le mariage qui lui a été imposé ? On admet donc la prescription
que appli-
FORMATION DU MARIAGE 171

cable sera celle de trente ans (art. 2262), qui repose non sur une idée de
confirmation tacite, mais sur des considérations d'intérêt social décisives
en notre matière comme en toute autre.

Deuxième nullité, relative : Défaut d'autorisation des —


parents.
Il y a, comme précédemment, plusieurs questions à résoudre à propos de
cette nullité, prononcée par l'article 182 contre le mariage contracté sans
le consentement des père et mère, des ascendants ou du conseil de famille
dans le cas où ce consentement était nécessaire, c'est-à-dire où l'enfant
s'est marié étant encore en minorité.
1° Qui invoquer la nullité ? Ce sont, répond l'article 182, d'abord
peut
l'enfant lui-même qui avait besoin d'autorisation et, en second lieu, « ceux
dont le consentement était requis ».
On comprend aisément pourquoi le Code civil, à la différence d'ailleurs
de l'ancien Droit, accorde le droit de demander la nullité à l'enfant lui-
même, qui a passé outre à l'opposition de sa famille pour se marier. C'est
d'une autorisation familiale se avant
que la nécessité justifie, tout, par
l'intérêt même du mineur dont on présume que la volonté, pour être entiè-
rement libre
et lucide, a besoin de s'appuyer sur l'assentiment
de ses pro-
tecteurs légaux , dès lors, il est équitable qu'il puisse lui-même réparer la
folie qu'il avait commise, et invoquer la nullité ouverte, en définitive,
dans son intérêt beaucoup plus que dans celui de ses parents.
La formule « ceux dont le consentement était requis » désigne, suivant
les cas, le père ou la mère, les ascendants, le conseil de famille. Dans le
cas où c'est le conseil de famille qui peut demander la nullité, l'action sera
évidemment par
dirigée le tuteur, ou, en cas de refus de celui-ci, par tel
membre du de famille
conseil auquel cette assemblée aura donné mandat
à cet effet. Comment les choses se passeraient-elles s'il s'agissait du ma-

riage d'un enfant naturel, dont le conseil de famille n'est autre, on s'en
souvient, que le tribunal civil? Ne devrait-on pas admettre que, dans ce

cas, il appartiendrait au ministère public d'exercer l'action en nullité après


s'y être fait autoriser par le tribunal? C'est un point d'interrogation que
nous posons ici, car depuis la loi du 2 juillet 1907, la Jurisprudence n'a

pas eu, à notre connaissance, à se prononcer sur cette difficulté.

Enfin, la loi du 17 juillet 1927, qui a décidé que le dissenti-


depuis
ment des et mère, aïeul et aïeule, vaut consentement, il faudra
père
admettre chacun des et mère, aïeul ou aïeule, peut intenter
que père
ne s'y joindrait Cette solu-
l'action en nullité, alors même que l'autre pas.
tion résulte de l'art. le droit le mariage à ceux
182, qui donne d'attaquer
dont le consentement était requis. Et, de même, il n'est pas besoin que
les aïeuls des deux se mettent d'accord pour demander l'annu-
lignes
lation.
Mais il ne faut oublier si l'un des père et mère ou aïeuls, ou
pas que
l'une des deux a consenti, le est valable, quand même
lignes, mariage
l'époux n'aurait requis, comme il le devait, le consentement de
pas
172 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE.

ou bien, au contraire, ne faut-il que les deux lignes se mettent


l'autre, pas
d'accord?
A notre il convient la formule de l'article 182 dans
avis, d'interpréter
son sens le plus étroit et de réserver, dans les trois hy-
par conséquent
nous avons examinées, le droit de demander la nullité du
pothèses que
au père seul, à l'aïeul seul ou à l'accord des deux lignes d'as-
mariage
cendants. Du moment l'autorité, dont l'assentiment au mariage aurait
que
dû normalement un rôle décisif, ne prend pas l'initiative de deman-
jouer
der lanullité, comment permettre à une autre autorité d'agir à sa place
et d'anéantir coup un mariage qu'elle n'aurait pas eu, à elle seule,
après
le pouvoir d'empêcher?
Comme conséquence de ce que nous venons de décider, nous estimons,
contrairement à l'opinion générale des auteurs, que lorsque le père ou
l'aïeul sont morts sans avoir intenté l'action en nullité, celle-ci ne passe pas
à la mère ou à l'aïeule. De même, une seule ligne d'ascendants n'aurait pas
le droit d'exercer l'action si, au moment du mariage, il avait existé quelque
de l'autre ligne qui serait décédé depuis sans s'être associé à
représentant
une demande de nullité. Les raisons que nous venons d'exposer nous pa-
raissent dicter impérieusement cette seconde solution, qui se recom-
mande d'ailleurs de la faveur due à la stabilité du mariage.
2° Dans délai en nullité doit-elle être intentée? — La loi,
quel l'action
ne voulant pas que le sort du mariage reste trop longtemps incertain, ad-
met que la confirmation
du mariage résulte assez d'un temps d'inaction
bref de la part des intéressés (art. 183.)
A. — Les ascendants, le conseil de famille doivent intenter l'action en
nullité dans le délai d'un an à partir du moment où ils ont eu connais-
sance du mariage.
B. — L'époux lui-même ne peut plus l'intenter quand il s'est écoulé
une année sans réclamation de sa part, depuis qu'il a atteint compé-
l'âge
tent pour consentir par lui-même au mariage, c'est-à dire est
depuis qu'il
devenu majeur. On remarquera que l'article 183, à la différence de l'ar-
ticle 181, ne subordonne pas ici la ratification du mariage à la condition
d'une cohabitation entre les époux.
3° Autres cas de
confirmation du
annulable. — À côté de ces
mariage
hypothèses de confirmation tacite, résultant du laps du l'article 183
temps,
décide que les père et mère, les ascendants ou le conseil de famille peuvent,
même avant l'expiration du délai d'un an, renoncer à l'action en nullité
et, par là, ratifier le mariage soit par une approbation (ou confirmation)
expresse du mariage de l'enfant, soit par tout autre de confirma-
procédé
tion tacite. Nombreux sont les faits qu'on relever comme
peut impliquant
de la part des parents cette renonciation à leur action en nullité. Par
exemple, ils auront reçu le jeune ou l'auront ou encore ils
ménage visité,
auront accepté le parrainage d'un eofant.
Notons ici une particularité remarquable. En général, lorsque plusieurs
personnes possèdent concurremment une action, fût-ce une action en nul-
lité, la renonciation de l'une ne peut porter atteinte au droit des autres.
FORMATION DU MARIAGE 173

Il en est autrement en notre matière. En effet, l'article 183 nous dit que,
lorsque les parents ont ratifié le mariage conclu sans leur consentement,
l'action en nullité ne peut plus être intentée même par les époux.
On s'est demandé si, de son côté, l'époux une fois devenu majeur ne
pas, sans attendre l'expiration du délai d'un an, renoncer lui
pourrait
aussi, en ce qui le concerne, soit tacitement, soit expressément, à l'action
en nullité. Il semble que le texte de l'article 183 est assez explicite pour
ne soit guère
que la solution douteuse. Le
Code, en effet, a prévu minu-
tieusement tous les divers modes de confirmation admissibles de la part
des parents de l'enfant. De la part de l'enfant lui-même, il n'en
prévoit
qu'un seul, celui qui résulte du délai d'un an qu'il aura laissé écouler,
sans agir, depuis sa majorité. Le silence de la loi à l'égard des autres
modes de confirmation possibles suffit à les exclure. Il y a, d'ailleurs, de
bonnes raisons pour justifier le système du Code. L'acte par lequel un
enfant, à
peine devenu majeur, s'empresserait de ratifier le mariage
qu'il a contracté sans l'aveu de sa famille et auquel, aujourd'hui, les pa-
rents, après réflexion, continuent encore de refuser leur approbation, serait
un acte fort suspect. Il y aurait de grandes chances pour qu'il fût l'oeuvre
des mêmes séductions qui ont entraîné l'enfant à une union inconsidérée.
La loi veut que l'enfant, marié dans de telles conditions, ait toujours, une
fois majeur, un délai d'un an pour réfléchir et prendre parti. Il n'y a que

l'approbation donnée au mariage par ses parents qui puisse lui enlever
le droit de demander la nullité avant la fin de l'année.

II. — Les nullités absolues de : Impuberté. Bi-


quatre mariage
Inceste. Défaut de ou —
gamie. publicité incompétence. D'après
l'article 184, il y aurait trois hypothèses de nullité absolue du mariage :
1° L'impuberté d'un époux ; 2° la bigamie, c'est-à-dire l'existence d'un

précédent mariage non dissous (art. 189); 3° l'inceste, c'est-à-dire l'exis-


tence entre les époux d'un lien de parenté ou d'alliance d'où résulte une

prohibition de mariage et cela quand bien même il s'agirait d'un em-


pêchement de nature à être levé par une dispense, car la loi ne distingue

pas. Il en est ainsi du moins quand il s'agit de la parenté légitime ou illé-

gitime ; car on admet que l'empêchement résultant de la parenté adoptive


n'est pas dirimant et n'entraîne pas la nullité du mariage, la loi n'ayant

pas expressément prononcé cette sanction.


L'énumération de l'article 184 n'est pas complète. Il ressort de l'ar-
ticle 191 qu'il y a un quatrième cas de nullité, celle qui résulte du dé-

faut de publicité ou de l'incompétence de l'officier de l'état civil. Cette


dernière cause de nullité, correspondant à ce qu'on peut appeler le vice
de forme en matière de mariage, nécessite des explications particu-
lières.
En général, lorsqu'un acte juridique est
assujetti, pour sa formation, à
certaines règles de forme extérieure, la violation de l'une quelconque de ces
règles doit entraîner la nullité de l'acte irrégulier. C'est même cette solu-
tion qui constitue la caractéristique de la catégorie des actes dits solennels.
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE.
174

ne soit accompagnée de la présence des


Qu'une donation, par exemple, pas
son n'ait pas eu lieu, comme l'acte de
témoins requis, que acceptation
devant un notaire, la donation sera nulle d'une nullité
donation lui-même,
radicale. On en est ici différemment. La loi n'attache pas
remarquera qu'il
— si matière de — à l'inobser-
la sanction de la nullité grave en mariage
vation de toutes les conditions de forme de cet acte, mais seulement aux

deux sortes l'article 191. Encore établit-elle


d'irrégularités signalées par
en ce concerne la sanction de ces irrégularités un système tout à fait
qui
particulier.
A. — La du est assurée, nous l'avons vu, par tout un
publicité mariage
faisceau de se référant au domicile des époux,
dispositions convergentes,
aux à la célébration dans la maison commune, à l'admission
publications,
libre du à la présence detémoins, etc.. La dérogation à l'une quel-
public,
de ces entraînera-t-elle forcément la nullité du ma-
conque prescriptions
? Non. Les juges auront, en cette matière, un pouvoir d'appréciation.
riage
C'est ce qui résulte des termes de l'article 193 in fine, prononçant certaines

contre les infractions aux règles relatives à la célébration du ma-


pénalités
« lors même, ajoute-t-il, que ces contraventions ne seraient pas jugées
riage,
faire la nullité du mariage ». Le tribunal, saisi
suffisantes pour prononcer
d'une demande d'annulation du mariage fondée sur le défaut de publicité

devra donc se demander et aura à décider si l'irrégularité relevée, par


l'absence des publications requises ou la célébration en dehors de
exemple,
la maison commune, est, en soi, ou en l'espèce, assez importante pour avoir

entraîné la clandestinité mariage. du


Il pourra prononcer la nullité, par
s'il y a eu, au mépris de l'article 170, défaut de publication d'un
exemple,
contracté à l'étranger, et cela en vue de se soustraire à l'éventualité
mariage
d'une opposition. Mais pourra ilaussi, estimant que le mariage a été,
l'absence de la formalité prescrite, célébré dans des conditions qui
malgré
lui assuraient une publicité encore suffisante, se refuser à prononcer la
nullité. Dans les deux cas, sa décision échappera même au contrôle de la
Cour de cassation, car elle aura constitué, de
part, une sa appréciation
souveraine des faits de la cause (Req., 5 juillet 1905 et 3 janvier 1906, D. P.
1905. 1.471 et 1906. 1.207; S. 1906. 1.141 et 142. Cf. Amiens, 26 juin 1902,
S. 1904. 2.34).
B. — L'incompétence de l'officier de l'état civil qui a célébré le mariage
est aussi une cause denullité, qu'elle se soit produite (ratione personae)
parce que l'officier de l'état civil qui a procédé n'était pas celui du domi-
cile des époux ou de l'un d'eux, ou (ratione loci) parce que l'officier de
l'état-civil compétent personnellement s'était transporté hors de la com-
mune où il exerçait ses fonctions. Il n'y a pas lieu, comme on l'a soutenu
à tort, de distinguer entre ces deux catégories d'incompétence, dont la
deuxième est d'ailleurs bien difficile à prévoir dans la pratique.
On discute la question de savoir si de l'officier de l'état
l'incompétence
civil constitue un vice propre ou une variété du vice de clandestinité. Il est
certain, d'une part, que nos anciens auteurs deux causes de nul-
voyaient
lité indépendantes dans l'incompétence du ministre du culte et le défaut de
FORMATION DU MARIAGE 175

publicité (Pothier, op. cit., n° 354). Mais, d'un autre côté, il est indéniable

que l'importance attachée par le législateur à l'intervention de l'officier de


l'état civil, du domicile d'une des parties s'explique par des considérations
absolument identiques à celles qui ont fait exiger la publicité des mariages,
à savoir que les époux doivent être contraints de se marier dans une com-
mune où ils sont connus. De plus, l'article 191 établit un rapprochement
significatif entre les deux genres d'irrégularité. C'est pourquoi, certains
•arrêts accordent au juge, lorsque la nullité est demandée devant lui, à rai-
son de l'intervention d'un officier incompétent, le même pouvoir d'appré-
ciation que lorsqu'il s'agit du défaut de publicité. La nullité du mariage ne
devra donc pas être prononcée de piano, par cela seul qu'il aura été célébré
par un officier de l'état civil autre que celui du domicile des deux époux.
Le juge aura à se demander si cette irrégularité a eu un caractère fraudu-
leux, et c'est dans ce dernier cas seulement
qu'il devra prononcer l'annu-
lation 5 janvier D. P. 1852.
(Paris, 1852, 2.1 73 ; S. 1852. 2.14). On comprend
mal, au premier abord, cette solution. Il ne semble pas l'incompétence que
soit, comme la clandestinité, un vice susceptible de degrés. L'officier de
l'état civil était, dira-t-on, compétent ou il ne l'était pas ; la liberté d'appré-
ciation laissée au tribunal apparaît comme purement arbitraire. Cepen-
dant, si l'on examine les espèces à propos desquelles les tribunaux ont
eu à se prononcer, on appréciera mieux la sagesse de leur jurisprudence.
Ira-t-on, par exemple, annuler mariage un parce qu'il a été célébré par
l'officier de l'état civil de la commune où un époux avait seulement vingt-
neuf jours de résidence? Même en cas d'usurpation de fonctions, on conçoit
qu'il y ait place pour une appréciation du juge et pour une solution bien-
veillante donnée à un procès en nullité. Ainsi, on verra, en étudiant la
matière des actes de l'état civil, que, si la délégation des- fonctions d'offi-
cier de l'état civil a été donnée à un conseiller municipal, sans qu'on ait
observé l'ordre prescrit par la loi pour cette délégation, la nullité des ma-
riages célébrés par ce conseiller municipal ne sera pas une conséquence
nécessaire de l'irrégularité commise dans sa délégation (Civ., 7 août 1883,
D.P. 1884.1.5; S. 1884.1.5).

Quelles personnes peuvent se prévaloir des nullités absolues du


Membres de la famille des — On sait
mariage? époux. qu'en prin-
cipe les nullités absolues peuvent être invoquées, soit qu'on les fasse
valoir sous forme d'action, soit qu'on les oppose sous forme d'exception,
par toute personne intéressée. Nous allons rencontrer ici une application de
ce principe, mais avec certaines distinctions et restrictions, comme
inspirées,
précédemment, par le souci de la stabilité du mariage et de la gravité des
conséquences entraînées par son annulation.
Tout mariage nul d'une peut nullité
être attaqué, absolue
nous dit l'ar-
ticle 184, « soit soit par tous ceux
par les époux eux-mêmes, qui y ont inté-
rêt, soit par le ministère public ». L'article 191, visant spécialement la
nullité pour clandestinité ou incompétence, emploie une formule légère-
ment différente en nous disant que le mariage peut être attaqué « par les
176 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

époux eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux

qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public ». Mais
d'autres dispositions introduisent entre ces divers intéressés les distinctions

ci-après.
S'agit il des époux, ou des membres de leur famille, il y a deux groupes
investis de droits sensiblement différents.
1° Une première série de personnes possède le droit d'invoquer la nul-
lité, dans tous les cas, aussi bien du vivant des époux qu'après leur décès
ou le décès de l'un d'eux, en vertu d'un simple intérêt moral, sans avoir
même, semble-t-il, à justifier
d'un intérêt quelconque, la loi présumant
l'existence de cet intérêt. Ce sont :
A. — Les époux eux-mêmes, y compris l'époux en faute, par le
exemple,
bigame. Vainement invoquerait-on, pour repousser de ce dernier,
l'action
la maxime Nemo auditur propriam turpitudinem Il y a évidem-
allegans.
ment, même pour l'époux coupable de s'être marié malgré laprohibition
de la loi, un intérêt légitime à mettre fin à une situation et ins-
irrégulière
table, en faisant cesser une union que la loi de nullité.
frappe
B. — Le premier conjoint de l'époux fart.
bigame 188).
G. — Les père et mère et les ascendants. On la loi n'é-
remarquera que
tablit entre eux aucun ordre et leur donne par le droit
conséquent d'agir
concurremment. C'est un contraste avec la règle suivie lorsqu'il s'agit, pour
les ascendants, du droit d'autoriser le mariage et, dans une certaine me-
sure, de celui d'y faire opposition. Là, le droit des ascendants s'exerce
non pas concurremment, mais graduellement. Que la solution soit diffé-
rente lorsqu'il s'agit de faire annuler le mariage nul d'une nullité absolue,
cela résulte de ce que la disposition de l'action en nullité est attribuée par
la loi à tous les ascendants
qui peuvent avoir à l'annulation un intérêt mo-
ral. Or c'est le cas pour tous, à titre et quel
égal, que soit leur degré.
D. — A défaut le conseil
d'ascendants, de famille. Cela résulte des
termes de l'article 186, qui une action en nullité
suppose pour impuberté
dirigée père et mère, par les ascendants, ou par la famille,
par les expres-
sion ne saurait
qui désigner que le conseil de famille. Mais il semble bien,
d'une part, que l'action en nullité (en nullité absolue) n'appartient au con-
seil de famille que pour le cas d'un
d'impuberté époux et, d'autre part,
qu'elle ne peut être exercée le conseil
par que durant la minorité de l'é-
poux, car, une fois l'époux devenu le conseil
majeur, de famille, organe de
la tutelle qui a pris fin avec la minorité, n'a plus d'existence légale.
2° Un second de *
groupe personnes visées par l'article 187, à savoir les
collatéraux et les enfants d'un précédent mariage, ne possèdent pas, au
contraire, le droit la
d'invoquer nullité du vivant des deux époux,
mais seulement lorsqu'ils ont un intérêt né et actuel. Le texte de l'ar-
ticle 187, semble bien, on le voit, subordonner l'action des collatéraux et
des enfants du premier lit à une double condition, la dissolution du ma-
riage prétendu nul par le décès de l'un des
époux, et l'existence d'un intérêt
né et actuel; il révèle assez clairement la pensée du législateur. En prin-
cipe, notre Code refuse aux collatéraux ou aux enfants du premier lit le
FORMATION DU MARIAGE 177

droit d'invoquer la nullité du mariage de leur collatéral ou de leur auteur


pour un intérêt autre qu'un intérêt pécuniaire. C'est là le sens des mots :
intérêt né et actuel. En cela, ils diffèrent des ascendants la loi consi-
que
dère, au contraire, comme investis d'une sorte de magistrature domes-
tique leur donnant le droit de veiller à l'honneur du nom, d'où la faculté
qu'ils possèdent d'invoquer un simple intérêt moral. Et, d'autre le
part,
seul intérêt pécuniaire dont le législateur ait prévu l'éventualité pour les
collatéraux et les enfants du premier lit, c'est un intérêt de succession ;
c'est pour cela qu'ils ne sont appelés à invoquer la nullité le décès
qu'après
de l'époux, leur collatéral ou leur auteur, afin d'écarter de sa succession le
pseudo-conjoint ou les enfants soi-disant légitimes, qui leur disputeraient
la succession en s'appuyant sur le mariage dont la validité est contestable.
Il est aisé de se rendre compte que la double règle, ainsi posée l'ar-
par
ticle 187, est arbitraire, et qu'elle se trouve fréquemment en contradiction
avec la réalité. D'une part, pourquoi subordonner l'action des collatéraux
ou, à plus forte raison, des enfants
premier du lit, à l'existence d'un inté-
rêt pécuniaire ? Est-ce qu'il n'y a pas telle hypothèse où on concevrait
qu'ils pussent faire valoir un intérêt moral absolument digne d'être pris
en considération, par exemple, afin de faire annuler un mariage incestueux?
Et, d'un autre côté, il n'est pas vrai qu'il faille attendre la mort de l'époux

pour que les enfants de son premier lit ou pour que ses collatéraux aient
un intérêt pécuniaire à la nullité du mariage. Pour ne citer qu'un exemple,
supposons qu'il y ait plusieurs enfants du
premier lit. L'un d'eux vient à
décéder du vivant de son père ou de sa mère remarié. Les frères et soeurs
du premier lit auront, dès maintenant, un intérêt pécuniaire ou, comme
dit la loi, né et actuel, à faire valoir la nullité du second mariage : ce sera
celui d'écarter les enfants qui en seraient nés, du partage de la succession
laissée par l'enfant défunt.
En conséquence, la Jurisprudence a apporté, dans l'application de l'ar-
ticle 187, des tempéraments notables à la rigueur des règles dont nous
venons de faire la critique. Ces tempéraments sont au nombre de deux.
A. — Il paraît admis que les mots du vivant des deux époux ont, dans
l'article 187, un sens énonciatif et non restrictif, en d'autres termes, que la
loi a envisagé le cas du décès de l'époux, parce que c'est habituellement ce
décès qui donne naissance à l'intérêt pécuniaire qu'elle prend en considéra-

tion, mais qu'elle n'a pas entendu exclure l'action en nullité lorsqu'elle se
fonde sur un intérêt né et actuel qui, exceptionnellement, se rencontrerait
du vivant des deux époux. L'action en nullité sera donc recevable dans ce

cas. On trouve du moins des décisions de Cours d'appel en ce sens, lors-

qu'il s'agit de (V. not.


collatérauxRouen, 6 avril 1887, D. P. 1889.2.17; S.

1890.1.145, sous cass., et la note de M. Labbé). Mais il n'est pas certain que
les tribunaux se prononceraient dans le même sens en cas d'action en nul-
lité à exercer par des enfants du premier lit. Peut-être considéreraient-ils

qu'il y a, pour exclure l'action de ceux-ci, du vivant de leur père ou de leur

mère, une raison de décence justifiant une solution différente de celle qu'on
admet pour l'action des collatéraux.
178 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

B. — Les collatéraux n'ont même pas besoin d invoquer un intérêt né

et actuel, mais seulement un intérêt moral et des raisons de famille, lors-


la validité d'un mariage en vue de contester la légitimation
qu'ils critiquent
d'un enfant en serait 20 avril 1885, D. P. 1886.1.23 ; S.
qui résulteée (Civ.,
1886.1.313; Orléans, 14 avril 1886, D. P. 1887.2.95; S. 1886.2.191). Dans
ce cas, en effet, la nullité du mariage n'est pas l'objet direct et principal
de la demande, ce qui permet d'écarter l'application de l'article 187.

Droit du ministère — Au nombre des intéressés sont ad-


public. qui
mis à faire valoir la nullité d'un mariage nul d'une nullité absolue, figure,
nous l'avons vu, le ministère public (art. 184, 190, 191). De celui-ci, la loi
dit (art. 190), à l'inverse des collatéraux et des enfants du premier lit,
qu'il
ne peut agir que du vivant des époux. L'intérêt qui pousse le ministère

public et justifie son intervention est, en effet, de faire cesser une union
scandaleuse pour la morale publique, par exemple, en cas de bigamie ou

d'inceste, et, comme dit la loi, « de faire condamner les époux à se sépa-
rer ». Il ne faut d'ailleurs pas prendre cette dernière expression à la lettre,
car le
concubinage, incestueux, même
n'étant pas par la loi, les défendu

pseudo-époux dont le mariage aura été annulé pourront continuer à vivre


ensemble Ce que la loi a voulu dire, c'est que les conjoints dont l'union
faisait scandale, une fois séparés par la mort de l'un d'eux, le ministère

public n'a plus de raison d'agir pour faire prononcer la nullité.


L'intervention du ministère public est-elle facultative ? On a voulu tirer,
a cet égard, de la comparaison des termes employés par les articles 190 et
191 la distinction suivante. Parlant du mariage affecté du vice de clandes-
tinité ou d'incompétence, l'article 191 porte qu'il peut être attaqué par le
ministère public. L'action de celui-ci serait donc en ce cas facultative. Par-
lant des autres causes de nullité absolue, au contraire, l'article 190 nous
dit que le ministère public peut et doit agir du vivant des Son inter-
époux.
vention serait alors obligatoire. Et l'on ajoute que celte distinction se com-
prend à merveille, parce que l'atteinte qui résulte, pour l'ordre public,
d'une irrégularité dans la forme du mariage, est loin d'offenser aussi gra-
vement l'ordre public qu'un mariage entaché d'impuberté, de ou
bigamie
d'inceste. Cependant, quand on y réfléchit, on s'aperçoit qu'il y aurait
excès à toujours contraindre le ministère public à l'action dans les trois
hypothèses visées par l'article 190. Le ministère public devra-t-il, par
exemple, faire valoir l'impuberté de l'un des alors le conjoint
époux, que
qui s'est marié prématurément va atteindre dans de
quelques jours l'âge
la Ira-t-il la bigamie, alors
puberté? invoquer que le premier conjoint du
bigame est décédé depuis la seconde union de celui-ci ? évidem-
Non,
ment. Et il vaut mieux considérer que l'action du ministère public est
facultative dans tous les cas et ne doit se ainsi le disait
produire, que
déjà Portalis dans son Exposé des « quand le vice du mariage
motifs, que
est notoire... car il y a souvent plus de scandale dans les poursuites in-
discrètes d'un délit obscur ou ancien en a dans
qu'il n'y le délit lui-
même » (Cf. Pothier. op. cit., n° Les
451). expressions peut et doit em-
FORMATION DU MARIAGE 1 79

dans l'article 190 se réfèrent aux mots « du vivant des »


ployées époux
et signifient que, si le ministère public juge à propos d'agir, il doit, pour
le faire, ne pas attendre le décès de l'un des époux.

des autres intéressés? — L'énumération donnée les articles


Quid par
184 et 191 des
personnes intéressées à la nullité du mariage et, par là,
autorisées à la faire prononcer par la justice, est-elle limitative? Ou, au
contraire, ne devrait-on pas, conformément aux principes généraux en
matière de nullité absolue, considérer comme recevable la demande de
tout individu qui ferait la démonstration de l'intérêt
qu'il aurait à la nul-
lité du mariage? La question peut se poser à propos de plusieurs caté-
de personnes, et les réponses de la Jurisprudence ne sont pas tou-
gories
jours d'une parfaite cohérence.
1° Les créanciers de l'un des époux ou, plus généralement, les ayants
cause autres que les héritiers, peuvent avoir intérêt à la nullité du ma-
riage. Ce seront, par exemple, d'une les créanciers
femme soi-disant ma-
riée qui invoquerait le défaut d'autorisation de son prétendu mari pour
se refuser à exécuter l'obligation qu'elle aurait souscrite à leur égard, ou
bien encore les créanciers hypothécaires ou les tiers acquéreurs auxquels
on opposerait l'hypothèque légale appartenant à la prétendue femme de
leur débiteur. On peut encore supposer que le légataire universel d'un
individu est en butte à une action en réduction de son legs exercée contre
lui par des enfants se prétendant issus du mariage du
de cujus et. comme
tels, héritiers réservataires. Dans tous ces cas, le succès de la prétention

opposée aux ayants cause du pseudo-époux est subordonné à la validité


du mariage de celui-ci. Il y aurait donc grand intérêt pour les ayants
cause à faire prononcer la nullité. La Jurisprudence est ici favorable aux
intéressés (Civ., 30 juillet 1900, D. P. 1901.1.317 ; S. 1902.1.225, et la note
de M. Wahl). Elle considère que l'article 187, en visant spécialement les
collatéraux et les enfants du premier lit, n'a pas entendu exclure les autres

personnes susceptibles d'avoir à la nullité


pécuniaire légitime. un intérêt
2° L'enfant des époux, non pas l'enfant d'un premier lit visé par l'art. 187,
mais l'enfant du mariage actuel, peut avoir intérêt à contester la vali-
dité d'une précédente union. Le cas s'est produit pour un enfant né avant
le mariage et auquel le mariage de ses parents, accompagné de sa recon-
naissance dans l'acte de célébration, avait, conformément à l'article 331,
conféré le bienfait de la légitimation. Des collatéraux contestèrent cette
légitimation en démontrant que les époux, avant de se marier en France,
s'étaient déjà mariés à l'étranger, mais sans avoir reconnu alors leur en-
fant. D'une part, le premier mariage n'avait donc pu entraîner la
légiti-
mation puisqu'il n'avait pas été précédé ou accompagné d'une reconnais-
sance ; et, d'autre part, le second mariage n'avait pu produire cet effet

puisqu'il n'avait eu qu'une existence apparente. Le moyen de défense em-


ployé par l'enfant dont la légitimation était contestée fut de critiquer la
validité du mariage contracté à l'étranger. Et il a été jugé que cette pré-
tention était recevable (Civ., 15 juin 1887, D. P. 1888.1.412; S. 1890.1.446).
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
180 LIVRE

divorcé enfin avoir un intérêt au moins pécuniaire à


3° Le conjoint peut
la nullité du mariage ultérieur de son ex-conjoint. Il en est
faire prononcer
ainsi si le conjoint divorcé est créancier d'aliments, le second mariage
de servir
pouvant créer au débiteur des charges qui ne lui permettent plus
la pension à laquelle il avait été condamné. On s'explique
régulièrement
mal la Cour de cassation a cependant refusé au conjoint divor-
pourquoi
dans une de ce genre, le droit d'exercer l'action en nullité
cé, hypothèse
(Req., 14 mai 1892, D. P. 1893, 1.412 ; S. 1892, 1.299).

aux règles précédentes. Hypothèse de l'absence d'un


Exception
— Les qui viennent d'être exposés re-
premier conjoint. principes
une notable, et un seul intéressé est admis à faire va-
çoivent exception
loir la nullité radicale résultant de la bigamie, en cas d'absence d'un

époux.
L'absence est, comme on le verra plus loin, la situation résultant de
ce l'existence et le décès d'une personne sont également incertains.
que
Il en résulte que le conjoint de l'absent, faute de pouvoir démontrer la
dissolution du mariage par le décès de celui-ci, ne peut être admis à
contracter un nouveau mariage. Cependant, supposons qu'il l'ait fait. L'ar-
ticle 139 alors que « l'époux absent dont le conjoint a contracté, une
porte
nouvelle union sera seul recevable à attaquer ce mariage, par lui même ou
son fondé de pouvoir, muni de la preuve de son existence » au mo-
par
ment de l'introduction de l'instance en nullité. Aucun des autres intéressés,
ni les époux eux-mêmes, ni le ministère public, ni les ascendants ou coi-
latéraux, ne sera donc recevable dans son action. La raison qui justifie
cette dérogation aux principes, c'est que, l'existence de l'absent étant en
somme fort douteuse, il n'y a pas scandale dans l'union contractée par
l'époux abandonné. On ne saurait permettre aux intéressés d'en contester
la validité en se fondant sur des bruits plus ou moins vagues de nature
à faire croire à la survie de l'absent.
Il ne faut pas cependant pousser jusqu'à l'absurde la règle fixée par l'ar-
ticle 139. Supposons que l'époux absent reparaisse ou même que son exis-
tence arrive à être démontrée d'une manière notoire ; nous ne saurions ad-
mettre qu'il conserve seul, en ce cas, le droit d'agir en nullité contre la
seconde union, visiblement entachée de bigamie. S'il en était ainsi, il dé-

pendrait de son seul caprice d'anéantir ou de laisser subsister la seconde


union, contractée par son conjoint pendant le temps où il avait disparu
sans laisser aucune trace de son existence. Une telle situation est inadmis-
sible. Il faut donc décider que tout intéressé recouvrera, la faculté
alors,
de demander la nullité, notamment le ministère à qui il
public, appar-
tiendra, si nul intéressé n'en prend l'iniative, de faire cesser un état de
choses dont la prolongation tournerait au scandale. Non moins le hon
que
sens, le texte même de l'article 139 commande cette solution. Les choses
se passant comme nous l'avons on ne dire
supposé, peut plus qu'il y a
un « époux absent » ; la solution de l'article 139 n'est
d'exception donc
plus applicable; on retombe sous l'empire de la règle générale.
FORMATION DU MARIAGE 181

Faits confirmatifs du mariage en cas de nullité absolue. — Les


nullités absolues, on le sait, offrent cette deuxième différence essentielle
avec les nullités relatives qu'elles ne peuvent, en principe, se couvrir par
une ratification ou renonciation ultérieure à l'action en nullité, non plus que
par le laps de temps. En matière de nullité absolue de il en
mariage,
est cependant différemment, et la loi, dans l'intérêt de la stabilité des
mariages, admet un grand nombre de faits conflrmatifs ayant pour consé-
quence la régularisation du mariage nul.
Ces régularisations ou faits confirmatifs peuvent se diviser en deux sé-
ries : 1° Les unes produisent un effet absolu ou général, c'est-à-dire qu'elles
éteignent l'action en nullité de la part de tous les intéressés; 2° Les autres

produisent un effet particulier ou relatif, c'est-à-dire qu'elles n'excluent


l'action en nullité que de la part de certains intéressés seulement.
1° Les régularisations à effet général sont les suivantes :
A.. — En ce qui concerne la nullité pour bigamie, nous venons de voir
que l'article 139, en cas de mariage contracté par une personne mariée,
pendant l'absence de son conjoint, n'accorde l'action en nullité qu'à l'absent
lui-même ou à son fondé de pouvoir muni de la preuve de son exis-
tence, Il en résulte que, lorsque l'absent vient à décéder, le mariage ne peut

plus être attaqué par personne pour cause de bigamie, fût-il démontré

qu'il avait été contracté alors que l'absent vivait encore.


B. — En cas d'impuberté, l'article 185 décide que la nullité est cou-
verte et quemariage le ne peut plus être attaqué dans deux cas :

a) Lorsqu'il s'est écoulé six mois depuis que l'époux impubère au mo-
ment du mariage a atteint l'âge de la puberté. La déclaration de la nul-
lité produirait en effet des résultats inefficaces et un peu ridicules,
puisque rien n'empêcherait les époux, dont l'union viendrait d'être brisée,
de se remarier aussitôt. Notons que la loi n'exige pas, pour que le ma-

riage devienne inattaquable, qu'il y ait eu cohabitation entre les époux


pendant les six mois.
du délai de six c'est la femme
6) Même avant l'échéance mois, lorsque qui
n'avait pas l'âge compétent et lorsqu'elle se trouve en état de grossesse. Les
faits ont en effet démontré que la jeune femme était suffisamment pubère
et qu'une dispense d'âge aurait dû être accordée si on l'avait sollicitée.
2° Les hypothèses de régularisation à effet relatif sont au nombre de trois :
A. — A propos de tous les cas de nullité absolue, nous avons déjà vu

que le ministère perd le droit de demander la nullité, si l'un des


public
époux ou si tous les deux viennent à mourir avant qu'il ait agi. Cela ré-
sulte de l'article 190 qui fait au ministère public une obligation d'inten-
ter sa demande « du vivant des deux époux ».
B. — En cas d'impuberté d'un des de l'ar-
deux époux, au termes
ticle le père, la mère, les ascendants et la famille qui ont consenti au
186,
à en demander ensuite la nullité. Il y au-
mariage ne sont pas recevables
rait évidemment quelque chose de choquant dans l'attitude d'un ascen-
dant viendrait un mariage auquel il aurait donné son ap-
qui critiquer
probation.
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
182 LIVRE

si la loi subordonne, chez les as-


Mais, dans ce cas spécial d'impuberté,
annuler le à cette condition qu'ils
cendants, la faculté de faire mariage
leur on se demander quel intérêt
n'aient pas fourni consentement, peut
valoir cette cause de nullité. Ne leur suffit-il pas d'in-
ils auraient à faire
sur le défaut d'autorisation? Il est facile de ré-
voquer la nullité fondée
difficulté. D'abord l'ascendant, qui devait consentir
soudre cette petite
et ne l'a fait, avoir laissé passer, sans agir,'le
au mariage qui pas peut
d'un an lui l'article 183. Il a donc perdu le droit de faire
délai que impartit
valoir le défaut d'autorisation, mais il conserve celui d'invoquer l'impu-
on qu'il s'agit d'un ascendant,
berté. Plus pratiquement, peut supposer
à consentir au mariage parce qu'il était primé par un
qui n'avait pas
lui. Cet ascendant n'en a pas moins le droit
ascendant plus proche que
une nullité absolue, telle que celle qui se fonde sur l'impu-
d'invoquer
ce droit est exercé concurremment par les ascendants. Mais
berté, puisque
en use, il est nécessaire qu'il ne puisse être démontré qu'il avait
pour qu'il
son au de mariage. Ou bien enfin, il peut s'agir
donné approbation projet
de la mère. On devait
obligatoirement lui demander son consentement.

Elle l'a refusé ; l'approbation du père a suffi. La mère qui, nous l'avons

admis haut, ne pourrait invoquer le défaut de son consentement


plus
faire annuler le mariage, aura le droit de l'attaquer pour impuberté.
pour
C. — En cas d'irrégularité commise dans les formes de célébration du

la nullité peut encore être couverte, au regard des époux, par la


mariage,
d'état. C'est du moins la solution que l'on tire, en général, de
possession
l'article 196, aux termes duquel, « lorsqu'il y a possession d'état et que

l' acte de célébration du mariage devant l'officier de l'état civil est repré-
les sont respectivement non recevables à demander la nullité
senté, époux
de cet acte ». Le sens de ce texte, un peu obscur, a été fort discuté. Nous

en donnons ici
l'interprétation qui prévaut en Jurisprudence et chez la
des auteurs. Ce qu'il faut comprendre, c'est que, dans l'article 196,
majorité
le mot final acte, conformément d'ailleurs à la construction grammaticale
de la ne désigne pas le mariage lui-même. La possession d'état,
phrase,
c'est-à-dire le fait d'avoir vécu publiquement comme mari et femme, ne

pas les époux du droit de demander la nullité de leur mariage


prive
lorsqu'il y manque une condition de fond. C'est ce que nous avons vu

lorsqu'il s'agissait, pour les époux, de faire valoir une nullité relative
résultant d'un vice du consentement ou du défaut d'habilitation de la
de leurs parents. A plus forte raison, les époux conservent-ils, no-
part
nobstant leur possession d'état, la faculté d'invoquer une nullité absolue
fondée sur un empêchement d'ordre public, bigamie, inceste, impuberté. Ce
la loi vise, en parlant de la nullité de l'acte de ce sont les
que mariage,
irrégularités fondées sur le défaut de formes extérieures, c'est-à-dire celles

qui résultent du défaut de publicité ou de l'incompétence de l'officier de


l'état civil, puisque ce sont les seules de ce genre auxquelles elle attache
la sanction de la nullité. Et l'on comprend très bien la
que possession
d'état joue ici un rôle confirmatif, puisque l'un des éléments la cons-
qui
tituent, c'est précisément la notoriété de la cohabitation de telle
(fama),
FORMATION DU MARIAGE 183

sorte qu'elle confère mariage, au après coup, la publicité qui lui avait fait
défaut auparavant (Req., 28 novembre 1899, D. P. 1900.1.472; S. 1901.1.21).
Que l'effet confirmatif produit par la possession d'état, en ce qui con-
cerne le vice de clandestinité, soit restreint à l'action des et ne
époux
prive pas les autres intéressés du droit d'invoquer la nullité, c'est ce qui
nous paraît découler des termes mêmes de l'article 196 (« les époux sont
respectivement non recevables »). Il n'en est pas moins certain qu'en pra-
tique, l'action en nullité dirigée par un tiers aurait de chances de
peu
succès, étant donné le pouvoir d'appréciation qui au en
appartient juge
cette matière ; il est infiniment probable que celui-ci se refuserait à
annuler le mariage comme clandestin, lorsque les conjoints ont acquis
d'une manière certaine, indiscutable, la possession d'état d'époux.

III. — Y a-t-il, en dehors des nullités la loi, des cas


prévues par
d'inexistence du mariage ? — Dans les articles 180 et suivants, la loi
semble avoir prévu et réglé toutes les hypothèses où peut se trouver
en jeu la nullité ou la validité
mariage. Pourtant, du quand on y regarde
de plus près, on s'aperçoit qu'il y a certains cas, pratiquement assez
rares il est vrai, que le Code n'a pas envisagés et où, cependant, il est
de toute impossibilité que le mariage soit considéré comme valable. Nous
avons déjà mentionné deux de ces cas. Ce sont ceux où : 1° il y aurait
eu absence totale de consentement, le mariage ayant, parexemple, été con-
tracté par un fou dans un moment de crise mentale ; 2° il y aurait eu un
vice essentiel dans la célébration du mariage (en dehors des cas d'incom-
pétence ou de clandestinité qui, nous l'avons vu, font l'objet d'une disposi-
tion spéciale) : par exemple, aucun officier de l'état civil n'est intervenu.
Ou encore, il n'y apas eu, à proprement parler, d'acte instrumentaire de
dressé, le mariage ayant été relaté, non sur un registre, mais sur une feuille
volante. A ces deux hypothèses nous pouvons en ajouter une troisième,
celle où le mariage aurait été célébré entre deux personnes n' appartenant
pas à un sexe différent, soit parce que l'une d'elles se serait fait passer pour
appartenant à un sexe autre que le sien, soit parce qu'elle ne posséderait
point, par suite d'un vice de conformation, de sexe bien déterminé.
De ces trois
hypothèses où, manifestement, le mariage ne peut être
valable, la loi ne parle pas, au moins dans le chapitre qu'elle consacre
(art. 180 et suiv.) aux demandes en nullité de mariage. Cependant, la
première, celle du défaut absolu de consentement, fait l'objet, dans un
autre chapitre, de l'article 146 ainsi conçu : « // ri y a pas de mariage, lors-
qu'il n'y a point de consentement. »
Etant donnés, d'une part, ce dernier texte et sa place, d'autre part, le
silence de la loi dans des cas où l'imperfection du mariage ne paraît pas
moins radicale que dans.celui de l'article 146, étant donnée enfin la valeur
d axiome attribuée par certains esprits, nous l'avons vu précédemment, à
cette formule : «.Pas de nullité de mariage sans texte », on comprendra sans

peine comment a pu se former, en notre matière, une théorie consistant à

admettre, à côté des cas de nullité du mariage proprement dits, des hypo-
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
184

d'inexistence. Le a-t-on dit, lorsqu'un des éléments essen-


thèses mariage,
tiels à sa formation fait défaut, n'est pas nul, il n'existe pas. Les soi-disant

ne sont pas réellement mariés. C'est précisément ce qui se passe dans


époux
les trois nous avons relevées plus haut. Ces hypothèses, la
hypothèses que
loi ne les comprend dans les cas de nullité, parce qu'il n'y a pas besoin
pas
la loi pré-
d'annuler un mariage qui n'existe pas. Quand, par exception,
voit un cas de ce genre, ce qu'elle fait dans l'article 146, elle emploie cette
: « // n'y a pas de mariage », au lieu de dire qu'il
expression significative
y a place pour une demande en nullité.
la valeur des adhésions que cette théorie de distincte
Malgré l'inexistence,
de la nullité, a rencontrées, non seulement en matière de mariage, mais à
de tous les actes
juridiques en général, et nousnous avons déjà dit
propos
ne nous est pas possible de nous y rallier. Pour nous, il n'y
répétons qu'il
a pas de différence entre la nullité absolue et l'inexistence. Dire d'un acte

qu'il est nul — nullum est — ou qu'il n'existe pas, c'est en tous points la
même chose. En ce qui concerne particulièrement le mariage, il est évident

pour nous que la théorie de l'inexistence s'explique uniquement par le désir


des interprètes de se mettre en règle avec la maxime : « Pas de nullité sans
texte. » Or, de cette maxime, comme nous l'avons déjà fait pressentir, nous
faisons assez bon marché. A la vérité, on la rencontre bien chez nos anciens
auteurs; mais il n'y a pas trace que les rédacteurs du Code civil aient
entendu la reproduire. Autrement, on ne comprendrait pas qu'ils aient
omis de ranger dans la liste des cas de nullité des hypothèses auxquelles
l'ancien Droit attachait formellement
ce caractère, par exemple, de l'absence
consentement et le défaut total de célébration ( Pothier, Contrat de mariage,
nos 92, 96, 344 et s.). N'est-il pas plus rationnel d'admettre qu'à côté des
cas de nullité expressément visés par le texte du Code, le mariage doit être
considéré comme nul toutes les fois qu'il manque d'un de ses éléments
essentiels, nous entendons par là de l'une des conditions impliquées par sa
définition même, comme le consentement des deux conjoints, la célébra-
tion, la différence des sexes ? Dans des cas de ce
genre, il n'y a évidem-
ment aucun inconvénient à ce que la loi ait négligé de dire que le mariage
serait nul. Personnene pouvait s'y tromper. Or le fondement :
de la maxime
« Pas de nullité sans texte », c'est ne doit
qu'il pas y avoir d'équivoque
et d'incertitude sur l'avenir, dans l'esprit des individus qui accomplissent
un acte aussi important que le mariage. Ajoutez cette distinction entre
que
les cas de mariage inexistant et ceux de mariage nul, dont il n'y a pas trace
dans notre Ancien Droit, avait été proposée le Premier au
(par Consul)
cours de la discussion du Titre du Mariage, au sein du Conseil d'État (Fe-
net, t. IX, p. 99 et s. ; Locré, t. IV, p. 312, 324, mais fut aussitôt
326), qu'elle
repoussée par la majorité des autres orateurs, notamment par Tronchet et
Réal (dans la séance du 24 frimaire an X), et cela dans les termes les plus
significatifs (V. Locré, t. IV, p. 437, nos 8 et 9).
Enfin — et cette considération — on ne
est, pour nous, décisive peut
parvenir, dans la théorie des mariages à déterminer, d'une
inexistants,
manière précise, en quoi l'inexistence différerait de la nullité absolue. On
FORMATION DU MARIAGE 185

prétend qu'en cas de nullité le mariage


proprement dite, est tenu pour non
tant que les tribunaux ne l'ont de telle
pas annulé, sorte que la nullité a
besoin d'être tandis
demandée, qu'il n'y a pas besoin d'intenter une action
en justice en cas de mariage les
inexistant, prétendus conjoints étant de
piano traités comme s'ils n'étaient et toute
pas mariés, personne, quelle
qu'elle soit, pouvant toujours et dans tous les cas leur l'inexistence
opposer
de leur mariage. Nous croyons que cette conception est absolument erronée.
Certes il est vrai que la nullité, à supposer se trouve
qu'on dans un des
cas où la loi la prononce dans les articles 180 et suivants, suppose toujours
le bien fondé, consacré par une décision d'une action
judiciaire, ou d'une
exception dirigée contre le mariage. Mais cela tient à ce fait
uniquement
qu'on se trouve en présence d'un acte apparent de mariage, foi est
auquel
due provisoirement jusqu'à ce que les tribunaux, en constatant la nullité,
aient renversé cette présomption et fait prévaloir la réalité sur l'apparence.
C'est ce qu'avait très bien exprimé à propos de l'article
Tronchet, 146,
c'est-à-dire en supposant un mariage contracté par une personne entière-
ment dénuée de volonté. Il montrait que, même dans ce cas, une décision
judiciaire était indispensable. « Jamais, disait-il t. IV, p. 439), le
(Locré,
mariage n'est nul de plein droit ; il y a toujours un titre et une apparence
faut détruire. » Et ailleurs il ajoutait
qu'il (t. IV, p. 437) : « Dès qu'il existe
un acte matériel, il y a mariage, qui peut être s'il n'est
cependant nul, pas
intervenu de. consentement, et ce mariage subsiste jusqu'au jugement qui
en prononce la nullité: C'est ce qu'il importe de faire afin que les.
sentir,
parties ne se croient jamais autorisées à se dégager de plein droit et sans
l'intervention des tribunaux. » Or, le cas visé l'article 146 est précisé-
par
ment l'une des prétendues hypothèses d'inexistence. Il y en a une autre
où, croyons-nous, il faudrait raisonner entièrement de la même :
façon
c'est celle d'un mariage contracté par une personne de sexe
n'ayant pas
déterminé. Supposons qu'à la suite de ce prétendu la soi-disant
mariage,
épouse inscrive son hypothèque légale sur les immeubles du pseudo-mari.
Croit-on que l'effet de cette hypothèque pourra être écarté sans inter-
qu'il
vienne une décision judiciaire? Non assurément. Il ne reste donc cas
qu'un
où le mariage inexistant (ou nul suivant notre opinion qui ne distingue pas
entre les deux idées) ne nécessitera pas le recours à la justice de la part de
ceux qui voudront en méconnaître les effets : c'est le cas où il n'y a pas eu
de célébration du mariage. Mais cette solution tient à ce qu'ici,
uniquement
il n'y a pas de titre auquel on doive accorder une foi provisoire, et non pas
à ce qu'on se trouve en présence d'autre chose que d'une nullité !
Concluons donc qu'à côté des nullités formelles de mariage, il y a des nul-
lités virtuelles (de caractère dans les trois
absolu) hypothèses que nous avons
envisagées. Si la loi ne les a pas prononcées expressément, c'est parce
qu'elles vont sans dire et découlent suffisamment de la définition même
et de la nature essentielle du 1
mariage

1. Avant 1907, il y avait, outre ces trois cas de nullité absolue, une hypothèse où
l'on était bien forcé d'admettre que le mariage était nul d'une nullité relative, mal-
gré le silence de la loi et nonobstant la maxime : « Pas de nullité sans texte, » C'é-

DROIT. — Tome 1. 13
1. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
186 LIVRE

nous la nous constaterons


Si, maintenant, interrogeons Jurisprudence,
de décisions isolées et d'ailleurs faiblement
qu'en dépit quelques signifi-
catives 8 février 1888, D. P. 1888.2.317 ; S. 1889.2.177),
(V. not., Bastia,
la théorie des cas d'inexistence distincts des
elle ne semble pas adopter
cas de nullité.
concerne l'absence de consentement, la Cour de cassation a
En ce qui
là un cas de nullité analogue à celui qui résulte de
admis qu'il y avait
ou de la violence, dit « l'article 146 du Code civil englobe
l'erreur car, elle,
si large tous les cas où le consentement de
dans l'expression qu'il emploie,
est atteint d'un vice lui enlève sa valeur ». La consé-
l'un des époux qui
de cette manière de voir, c'est que la nullité en question sera une
quence
invocable seulement par les représentants du dément ou
nullité relative,
le dément lui-même. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation qui a
par
dénié le droit la nullité de l'article 146 à des collatéraux. Civ.,
d'invoquer
9 novembre 1887, D. P. 1888.1.161, note de M. Poncet ; S. 1887.1,461).
En cas de mariage dénué de célébration extérieure (il s'agissait, par
d'un mariage contracté en France entre une française et un étran-
exemple,
un consul ou devant un prêtre, conformément à la loi
ger devant étranger,
de ou encore d'un mariage purement religieux, contracté dans
l'étranger,
un après que la loi de ce pays avait sécularisé le ma-
pays quelque temps
les décisions des cours d'appel sont contradictoires, mais la Cour de
riage),
cassation admet bien qu'il s'agit d'une nullité absolue (Civ., 30 juillet 1900,
D. P. 1901.1.317; S. 1902.1.225 ; 5 janvier 1910, D. P. 1911.1.338, S. 1912.

1.249, note de M. Naquet). Il en est de même pour le cas où un acte de ma-

aurait été transcrit sur une simple feuille volante (Req., 26 juillet
riage
1865. D. P. 1865.1.493; S. 1865.1.393).
Ce n'est qu'en ce qui concerne le cas de mariage contracté par des époux
dont l'un n'a pas de sexe déterminé, que l'on voit poindre, dans un récent
arrêt de la Cour sinon l'idée, au moins l'expression de mariage
suprême,
inexistant : « Attendu, en droit, lisons-nous dans l'arrêt ici visé, que le ma-
ne peut être
qu'entre deux
contracté personnes appartenant, l'une au
riage
sexe masculin, l'autre au sexe féminin ; qu'ainsi son existence est subor-
donnée à la double condition que le sexe de chacun des époux soit recon-
naissable et qu'il diffère de celui de l'autre conjoint » (Civ., 6 avril 1903,
D. P. 1904.1.395, avec conclusions de M. le Procureur général Baudouin ,
S. 1904.1.273). Mais les expressions employées par la Cour suprême n'ont
rien de contradictoire avec une doctrine qui, comme la nôtre, fait des

tait le cas où un enfant naturel mineur s'était marié sans le consentement d'un tuteur
ad hoc; à fortiori, lorsqu'il s'était marié sans même que le conseil de famille eût été
appelé à lui désigner un tuteur ad hoc aux fins d'autorisation de son mariage. L'ar-
ticle 182 reste cependant muet sur ce cas, puisqu'il ne donne le droit d'invoquer la
nullité, lorsque le père, la mère, les ascendants ou le conseil de famille n'ont pas
consenti au mariage, qu'à l'enfant ou à ceux qui ont refusé leur consentement, Ce-
pendant, on était bien forcé d'admettre qu'il y avait nullité dans ce cas, sauf à dis-
cuter par qui, suivant les diverses situations concevables, cette nullité pouvait être
demandée, Nouveau témoignage de la vanité de l'axiome. Pas de nullité de ma-
riage sans texte.
FORMATION DU MARIAGE 187

deux expressions inexistence et nullité absolue de simples synonymes. Il

faudrait, pour qu'il y eût une différence spécifique entre les deux catégories
prétendues distinctes d'hypothèses, qu'on eût pu relever un contraste quel-
conque entre les conséquences d'un mariage nul et celles du mariage
inexistant de l'arrêt du 6 avril 1903. Or, c'est ce que la Cour de cassation n'a
fait et ce qu'elle ne pouvait pas faire ! Son arrêt ne prouve donc
pas
rien contre notre thèse.
La Jurisprudence, dans un ordre d'hypothèses tout à fait voisin, nous
fournira, au contraire, un argument que nous croyons décisif et qui cons-
titue comme une contre-épreuve de notre système. Supposons que deux

époux, qui ont contracté un


mariage entaché d'une cause de nullité, et qui
s'en rendent compte, veuillent, au jour où cette cause de nullité a disparu,
assurer la sécurité de leur union en faisant procéder à Une nouvelle célé-

bration, cette fois régulière. Seront-ils obligés de demander au préalable la


nullité du
premier mariage ? La Jurisprudence a plusieurs fois décidé que
non. A quoi bon en effet imposer aux époux des retards et des frais inutiles ?

(Req., 24 juillet 1872, D. P. 1873.1.208; S. 1872.1.330; Orléans, 14 avril


1886, D. P. 1887.2.95; S. 1886.2.191). Or, cette solution bienveillante qui
paraîtrait, à première vue, se rattacher à la conception du mariage inexis-
tant, à supposer que la nullité et l'inexistence fussent deux choses dis-

tinctes, a été consacrée dans des cas où le vice du premier mariage était,
au contraire, l'un de ceux qui, aux termes formels des articles 180 et sui-
vants, ne peuvent que donner lieu à une action en nullité.

IV. — de l'annulation du Le
Conséquences mariage. mariage
— L'annulation du ne met seulement fin au
putatif. mariage pas mariage
comme le divorce ou la mort de l'un des époux ; elle l'anéantit même dans
le passé, puisqu'elle fait que mariage le est considéré comme n'ayant
jamais existé. L'union des conjoints est donc considérée comme ayant
constitué un simple concubinage. Voici quelques-unes des conséquences
rigoureuses qui résultent de ce principe :
1° Les enfants nés des deux conjoints sont des enfants illégitimes. Et

même, ils seront considérés comme adultérins ou incestueux, si la cause


de la nullité est. la bigamie ou l'inceste.
2° La femme n'a pas perdu sa capacité, par le fait du mariage aujourd'hui
annulé, et les actes quelle aurait passés sans autorisation sont valables.
3° Les conventions matrimoniales, rédigées par les époux pour régler le

régime de leurs biens, sont non avenues. De même, disparaissent les dona-
tions que des tiers ont pu faire aux conjoints ou que ceux-ci se sont faites
entre eux en vue du mariage.
4° Les articles 212 à 214 établissant les droits et les devoirs des époux
ne reçoivent pas application.
5° Enfin, le survivant n'a aucun droit à la succession du prédécédé.
Bien si l'annulation du a été
prononcé après la mort de
plus, mariage
l'un des le survivant, qui déjà a recueilli la succession du défunt,
époux,
est obligé de la restituer.
188 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

Il y a cependant un ou, à comprendre,


des on
raisons
point faciles pour
à la logique On admet, en effet, que la femme ne pourra pas
déroge pure.
contracter un nouveau avant de dix mois à partir du
mariage l'expiration
où le jugement d'annulation sera devenu définitif. L'article 228, en
jour
établissante délai de viduité, d'ailleurs, pour déterminer le point
emploie
de départ de ce délai, une expression extrêmement compréhensive (la
« dissolution du mariage ») qui peut, à la rigueur, être considérée comme
embrassant l'hypothèse d'une annulation.
Toutes les solutions que venons de relever sont extrêmement dures
nous
pour les époux dont le mariage a été annulé, et qui peut-être avaient été de
bonne foi en le contractant ; elles le sont surtout pour les enfants issus de
leur union, Aussi le Droit canonique, précisément parce qu'il avait intro-
duit un très nombre d'empêchements, avait-il admis à la rigueur
grand
des principes un tempérament d'humanité. Il décidait que, lorsque les

époux ou l'un d'eux avaient été de bonne foi en se mariant, c'est-à-dire


avaient ignoré la cause de nullité, il y avait mariage putatif etque, dans
ce cas, le mariage annulé pour l'avenir serait cependant tenu comme ayant
été valable jusqu'au jour où l'annulation avait été prononcée. En d'autres
termes, en cas de mariage putatif, l'annulation fait l'effet d'un divorce; elle
n'annule le mariage que dans l'avenir, sans effet rétroactif.
Le Code civil, dans les articles 201 et 202, reproduit cette règle du Droit
canonique. Même, il se montre plus favorable encore à la bonne foi des
contractants. En effet, d'après le Droit canon, pour qu'il y eût mariage
putatif, la bonne foi ne suffisait pas ; il fallait encore que le mariage eût
été célébré in fade
ecclesiae, qu'il ne fût pas clandestin, qu'il eût été pré-
cédé de bans réguliers. Le Code civil ne dit pas un mot de ces conditions
et par conséquent les écarte ; il n'exige absolument que la bonne foi.

Conditions du — Pour ait


mariage putatif. qu'il y mariage putatif,
il faut donc et il suffit que les deux époux ou que l'un d'eux ait été dans
l'ignorance de la cause d'invalidité du mariage, en un mot qu'ils se croient
valablement mariés. Donc :
1° Peu importe la nature de l'erreur commise. Ce peut être une erreur de
fait, l'erreur, par exemple, consistant dans l'ignorance d'une circonstance
de fait, telle que le lien de parenté ou d'alliance unit les deux
qui époux,
ou que l'existence d'an précédent Ce peut être aussi une erreur de
mariage.
droit provenant de
l'ignorance du texte à la célébration du
qui s'oppose
mariage ; par exemple, les époux sont beaux-frères et belles-soeurs et ils
ignorent, le mariage qui établit leur alliance été le divorce,
ayant rompu par
ne peuvent se
qu'à marier
la condition d'obtenir une
qu'ils dispense.
2° Peu importe la gravité du vice qui entache le mariage. Il ne faut donc
pas, comme le voudraient certains auteurs, écarter des articles
l'application
201 et 202 dans les cas où il y aurait non mais inexistence du
pas nullité,
mariage. La Jurisprudence s'est toujours refusé à faire cette distinction
(Bordeaux, 5 février 1883, S. 1883.2.137 ; Civ., 30 juillet D. P. 1901.
1900,
1.317 ; S. 1902.1.225), ce qui, nous pouvons le remarquer en passant, corro-
FORMATION DU MARIAGE 189

bore, une fois de plus, la thèse que nous avons adoptée précédemment à

propos des prétendus cas d'inexistence. Du moment qu'il y a bonne foi des

époux, leur union, même purement apparente en droit, produit, dans le

passé, tous les effets d'un mariage véritable.


3° Pour qu'il y ait mariage putatif, la bonne foi doit exister au moment
où l'époux donne son consentement, c'est-à-dire lors de la célébration du

mariage. Peu importe que, plus tard, il découvre la cause de nullité qui
l'entache ; il ne perdra pas pour le bénéficecela de son erreur initiale.
Quant à la question de preuve de la bonne foi, elle a donné lieu à des

divergences entre les auteurs. Les uns estiment que c'est aux époux à prou-
ver les faits susceptibles d'établir leur sincérité. Les autres, au contraire,

s'emparant d'un texte du titre de la Prescription, l'article 2268, l'appliquent


en notre matière et disent : la bonne foi des époux doit être toujours
présumée ; c'est donc à celui qui allègue leur mauvaise foi à la prouver.
C'est dans le sens de cette seconde opinion que s'est prononcée la Cour de
cassation (Civ., 5 novembre 1913. D. P. 1914.1.281, note de M. P. Binet).

Effets du — Les articles 201 et 202 établissent ici la


mariage putatif.
distinction suivante :
Le
mariage putatif produit tous les effets d'un mariage valable, lorsque
les deux époux sont de bonne foi (art. 201). Mais, quand un seul des époux
a été de bonne foi, il n'y a que lui qui puisse invoquer les effets du mariage
(art. 202) ; l'autre n'a pas droit à la faveur de la loi.
En ce qui concerne les enfants, la distinction n'a d'ailleurs aucun intérêt.
Ils sont traités comme enfants légitimes, dès qu'un seul des époux a été de
bonne foi. En effet, c'est surtout en leur faveur que la théorie du mariage
putatif a été créée, et ce ne serait pas favoriser vraiment l'époux innocent

que de refuser à ses enfants la qualité d'enfants légitimes. Reprenons suc-


cessivement les deux hypothèses.
1° Les deux époux étaient-ils de bonne foi. Alors le mariage produit
tousses effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants.
Une seule difficulté se présente : elle a tarait au cas où les enfants sont
nés avant
le mariage. Ces enfants sont-ils légitimés par l'effet du mariage,
conformément à l'article 331? On en a douté, parce que le Droit canonique
n'admettait pas qu'il y eût légitimation dans ce cas. Au moment où les en-
fants sont nés, disaient nos anciens auteurs, le commerce de leurs parents
était criminel et le vice pouvait être purgé par le mariage ; encore fallait-il
un véritable (Pothier, op. cit., n° 441). Raisonnement de pure lo-
mariage
gique et qui ne tient pas devant les considérations d'équité et d'humanité

qui justifient la théorie du mariage putatif. Aussi admet-on couramment

aujourd'hui autres conséquences du mariage, le mariage putatif


qu'entre
entraîne celle qui consiste dans la légitimation des enfants.
En sera-t-il ainsi dans l'hypothèse spéciale où il s'agit, pas d'enfants
non
naturels mais d'enfants incestueux ou adultérins ? Il faut, à notre
simples,
admettre l'affirmative une raison nous paraît décisive Si le
avis, pour qui
mariage des époux est entaché d inceste ou de bigamie, il n'est pas douteux
198 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

que son caractère putatif donnerait aux enfants nés


postérieurement à sa
conclusion le bénéfice de la légitimité. Dès lors, pourquoi traiter les enfants
nés antérieurement, dans les cas au moins où la loi admet la légitimation
des enfants adultérins, avec plus de rigueur que ceux qui naissent pendant
le soi-disant mariage? N'oublions pas que la théorie du mariage putatif
est fondée sur l'équité et sur la faveur due à la bonne foi des époux ; la
bonne foi doit, nous l'avons vu, couvrir toutes les irrégularités. (V. Civ.
19 novembre 1923. D. P. 24 1.137, note de M. Savatier).
2° N'y a-t-il qu'un seul des époux qui soit de bonne foi; alors le ma-
riage ne produit ses effets civils qu'en faveur de cet époux et des enfants
issus du mariage (art. 202).
de mauvaise foi, disons-nous, ne peut invoquer aucun des
L'époux
effets du dans ses avec ses enfants. Les enfants, uu
mariage rapports
contraire, auront la qualité d'enfants légitimes ; ils pourront succéder,
non seulement à celui de leur auteur qui s'était marié de bonne foi, mais
même à l'auteur de mauvaise foi. Ce dernier ne pourra, lui, succéder à

ses enfants. Il ne non prétendre à exercer sur eux la puis-


pourra plus
sance au moins tant que vivra le conjoint de bonne foi.
paternelle,
En ce qui concerne les des conjoints entre eux, il y a lieu de
rapports
faire la même distinction. L'époux de bonne foi peut invoquer tous les
effets du de mauvaise foi ne peut en invoquer aucun.
mariage. L'époux
de cette distinction donne naissance à des questions déli-
L'application
cates, plus théoriques que pratiques. Il suffit d'indiquer quelques-unes de
ses conséquences.
A. — Si les époux se sont fait des donations par contrat de mariage,
l'époux de bonne foi conserve le bénéfice de celle qui lui a été faite, tandis

que l'autre est obligé de restituer les biens qu'il a reçus


B. — Si la libéralité faite par contrat de mariage est une donation mu-
tuelle au profit du survivant, elle ne produira son effet qu'autant que l'é-

poux survivant sera l'époux de bonne foi. Si c'est l'époux de mauvaise foi

qui survit, il ne pourra pas en réclamer le bénéfice.


C. —
L'époux de mauvaise foi n'est pas admis à invoquer contre l'autre
le bénéfice des conventions matrimoniales qui avaient accompagné le ma-

riage. Il ne peut exiger, notamment, que la liquidation de la communauté


se fasse conformément aux règles spéciales établies, à cet effet, par le Code
au titre du Contrat de mariage. Seul, l'époux de bonne foi aurait le droit
d'exiger une liquidation de ce genre. S'il le préfère, il à
peut imposer
l'autre l'application des règles relatives à la liquidation des sociétés défait.
D. — La héréditaire la loi art. 767: accorde
part que au conjoint sur-
vivant dans la succession du conjoint ne être recueillie
prédécédé pourra
que par l'époux de bonne foi et dans le cas où ce sera de mau-
l'époux
vaise foi qui sera décédé le premier. Encore, en soit
pour qu'il ainsi,
faudra-t-il que la nullité du mariage n'ait été le décès.
prononcée qu'après
Si, en effet, la nullité avait été prononcée du vivant des deux le sur-
époux,
vivant, même de bonne foi, n'étant plus au moment de l'ouverture
époux
de la succession de l'autre, n'aurait aucun droit à exercer.
CHAPITRE II

DISSOLUTION ET RELACHEMENT DU MARIAGE


DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 1

Généralités. Définitions. Division. — la formation du lien ma-


Après
trimonial, nous allons en étudier la dissolution par le divorce ou le relâche-
ment par la séparation de corps, qu'on peut définir de la manière suivante :
Le divorce est la dissolution du mariage, du vivant des deux époux, à la
suite d'une décision
judiciaire, rendue à la requête de l'un d'eux ou de l'un
et de l'autre, pour une des causes établies par la loi.
Quant à la séparation de corps, c'est l'état de deux époux qui ont été dis-
pensés par une décision de justice de vivre ensemble.
On le voit, la séparation de corps comme le divorce est prononcée
par un jugement. Mais, à la différence du divorce, elle ne dissout pas le
mariage ; elle supprime, il est vrai, l'obligation de
cohabitation, mais elle
laisse subsister, entre les époux, les autres devoirs nés du mariage, no-
tamment le devoir de fidélité et le devoir d'assistance.
L'institution du divorce et de ce diminutif, de cette sorte de divorce

incomplet qu'est la séparation de corps, est l'une des plus importantes de


notre Droit privé, l'une de celles qui mettent enjeu les plus graves con-
sidérations et qui suscitent les plus âpres controverses. C'est, particuliè-
rement en France, comme un champ de bataille où s'entrechoquent les

conceptions rivales qui se disputent, depuis plus d'un siècle, la puissance

politique et le
gouvernement des consciences.
Aussi convient-il de donner, en cette matière, une place particulièrement
large à l'historique et à la critique de la législation. Nous en traiterons
dans la première section du présent chapitre ; les deux sections suivantes
devant être consacrées, l'une au Divorce, l'autre à la Séparation de corps.

SECTION I. — HISTOIRE ET CRITIQUE DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE EN


MATIÈRE DE DIVORCE.

Le Divorce en Droit romain 1. — Dans les législations primitives,


dans celle de la Rome antique, comme dans les coutumes germaniques eî

1. Baudry-Lacantinerie et Chauveau, Du Divorce, 1907; Carpentier, Divorce et


Séparation de corps, 1899, 2 vol. ; Coulon, Le Divorce et la Séparation de corps
1890-1897, 6 vol. ; Laurent-Bailly, Le Divorce et la Séparation de corps en France
et a l'étranger, 1910; Vraye et Code, Le Divorce et la Séparation de corps, 1887
Roi, L'évolution du Divorce, Paris, Rousseau, 1905.
2. Esmein, Mélanges : Manus, Paternité et divorce dans l'ancien Droit romain;
Paris, 1883; Cuq, Manuel des institutions juridiques des Romains, p. 172 à 174;
Girard. Manuel élémentaire de droit romain, 5e édit,, p, 161 à 165.
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
192 LIVRE

trouve non un divorce analogue à celui


dans la vieille loi Juive, on pas
société avec, d'une part, la nécessité
fonctionne dans notre actuelle,
qui
et d'autre des motifs de divorce parcimo-
d'une sentence judiciaire, part,
mais une véritable faculté de répudiation,
nieusement déterminés par la loi,
et au début, uniquement par du la volonté
soit unilatérale général,
(en
c'est-à-dire résultant de la volonté commune de
mari), soit consensuelle,
A un certain du développement du Droit romain, appa-
deux époux. point
du divorce. C'est ainsi que la loi
rut une réglementation positive Julia de
détermina les conditions auxquelles était soumise la répudiation,
adulteriis
de la justice, la nécessité d'une appréciation des causes
Mais l'intervention
furent inconnues dans le Droit romain.
de divorce par le juge,
aux
En fait, les divorces qui avaient été rares, affirme-t-on, temps plus
de l'ancienne République romaine, s'étaient multi-
ou moins légendaires
ensuite. Leur excessive, à l'époque de l'Empire, inquié-
tipliés fréquence
tait et indignait les moralistes (Sénèque, De beneficiis, III, 16; Juvénal,

Satires, XI, 229).


Même le Christianisme se fut introduit dans l'Empire romain,
après que
avec la doctrine de l'indissolubilité du mariage, le Droit
apportant, lui,
Tout au plus, l'institution fit-elle l'ob-
romain n'abandonna pas le divorce.
de certaines mesures restrictives de la part des empereurs chrétiens.
jet
C'est ainsi des furent prononcées par les constitutions impé-
que peines
riales contre l'époux coupable d'avoir répudié son conjoint sans juste cause

ou d'avoir occasionné le divorce par ses fautes.


Justinien alla plus loin ; il tenta d'abolir le divorce par consentement

mutuel, en ne l'autorisant que dans le cas où les deux époux se sépareraient


en vertu d'un voeu de chasteté (Novelle 117, ch. 10). Mais la prohibition
fut rapportée par son successeur Justin II (Novelle 140).

chrétienne établit l'indissolubilité du — Nous


L'Eglise mariage.
avons dit que l'Eglise avait apporté, dans le monde romain, une nouvelle

conception du mariage qui en impliquait l'indissolubilité. Il y eut d'ail-

leurs, jusqu'au Concile de Trente, certaines divergences entre les cano-

nistes, qui différaient d'avis sur la portée des paroles du Christ servant de
fondement à la prohibition du divorce. Cette phrase, en effet, est diverse-
ment rapportée par les évangélistes. D'après saint Luc et saint Marc, le
Christ aurait interdit tout divorce 1 saint il aurait
; d'après Mathieu, cepen-
dant permis au mari de répudier sa femme pour cause d'adultère2. Mais la
doctrine de l'indissolubilité absolue du mariage, défendue par saint Au-

gustin, affirmée à plusieurs reprises par les Conciles, devait s'imposer au


moins en Occident. L'Eglise n'épargna rien pour la faire triompher des ré-
sistances que lui opposaient et des habitudes séculaires et les passions
souvent révoltées des princes. Dans notre pays, dès le IXe la cause
siècle,

1. Omnis qui dimittit uxorem suam at alteram ducit, maechatur (Texte de saint
Luc).
2. Dico autem vobis quia quicumque dimiserit uxorem nisi ob fornicationem,
suam,
et aliam duxerit, maechatur (Texte de saint Mathieu).
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 193

tait définitivement gagnée et les capitulaires interdisaient énergiquement


le divorce (V. Viollet, Histoire du droit civil français, 3e édit., p. 483 et s. ;
smein, Le mariage en droit canonique, p. 45 à 89). La prohibition du di-
devait subsister pendant tout notre ancien Droit. Elle
vorce comportait
ourtant deux tempéraments :
1° Le Droit canonique, pour le cas où la vie commune était insupportable
organisait la de
aux époux, séparation corps, qualifiée quelquefois par les
textes de divorce (divortium a toro et a mensa). Les époux étaient
séparés
dispensés, par une décision de justice, du devoir de cohabitation ; mais le
mariage subsistait entre surtout eux. C'était
la femme bénéficiait de
qui
car elle pouvait demander la séparation
cette institution, pour toutes sortes
le causes ; le mari, au contraire, ne pouvait la demander que pour cause
de sa femme. La séparation ne pouvait avoir lieu
l'adultère par consente-
ment mutuel (V. Pothier, Traité du Contrat de Mariage, nos 508, 525).
2° Nous avons déjà vu que l'abondance des causes de nullité admises par
LeDroit ecclésiastique suppléait, à certains égards, à la prohibition du di-
vorce. Mais le palliatif était évidemment incomplet. En effet, les causes de
nullité se rattachaient, en principe, à des faits antérieurs ou concomitants
du mariage. Les seuls faits postérieurs qui donnaient lieu à une action en
nullité étaient le défaut de consommation du mariage ou l'abandon de
l'époux chrétien par son conjoint qui aurait épousé une infidèle. Les autres
griefs, de nature à rendre la vie commune intolérable, ne pouvaient avoir
a sanction de la nullité. Les époux profondément désunis n'avaient donc,
i moins de pouvoir feindre l'existence d'une cause de nullité telle que le
défaut de consommation ou l'absence de liberté au moment de leur union,
que la ressource de la séparation.

Le Droit révolutionnaire : Divorce. Plus de — Le


séparation.
principe de l'indissolubilité du mariage, oeuvre de l'esprit chrétien, de-

vait décliner et s'éclipser avec la puissance doctrinale et politique de


l'Eglise.
L'apparition du Protestantisme fut la première manifestation de ce dé-

clin. Les contrées qui adoptèrent la religion réformée, l'Angleterre, la


Hollande, le Danemark, la Suède et les pays allemands, admirent le di-
vorce, et le permirent même pour d'autres causes que l'adultère de la
femme.
La Révolution française, après avoir sécularisé le mariage et déclaré,
ainsi qu'on l'a vu, dans la Constitution du 3 septembre 1791, que « la loi
le considère le mariage que comme un contrat civil », établit le divorce

par la fameuse loi du 20 septembre 1792.


La pensée des auteurs de la loi est écrite, en toutes lettres, dans le
préambule : « La faculté de divorcer, y lisons-nous, résulte de la liberté
dont un indissoluble serait la perte. »
individuelle, engagement
Les conséquences de ce point de départ sont déduites, dans la loi, avec
me logique Ainsi, tout d'abord, le mariage, comme tout con-
implacable.
se dénouer la volonté le mutuus dis-
trat, doit pouvoir par concordante,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
194

La loi autorise donc le divorce par consentement


sensus des contractants.
aux deux de rompre leur union par une simple
mutuel, et permet époux
déclaration devant l'officier de l'état civil.

En second comme la volonté d'un des époux ne peut être indéfini-


lieu,
enchaînée celle de l'autre, la loi autorise le divorce sur demanda
ment par
des causes aussi nombreuses
déterminées que variées. De ces causes,
pour
l'idée d'une d'un tort commis par un conjoint,
les unes impliquent faute,
faute dont la demande en divorce, formée par l'autre, constitue la sanc-

tion. Ce sont, les crimes, sévices ou injures graves d'un conjoint contre

la condamnation de l'un des conjoints à une peine af-


l'autre, l'adultère,
flictive om infamante, le notoire des moeurs, l'abandon d'un
dérèglement
l'autre deux ans au moins. D'autres causes, sans cons-
époux par pendant
tituer un tort, comme l' aliénation mentale, l' absence sans nouvelles pen-
dant ans, se justifier comme étant de nature
cinq l'émigration, pouvaient
à rendre la vie commune intolérable. Enfin, couronnant le tout, l'admis-

sion du divorce incompatibilité d'humeur et de caractère n'est


pour simple
autre chose la faculté de répudiation unilatérale discrétionnaire du
que
Droit romain.
la multiplicité de ces causes de divorce, des facilités nouvelles
Malgré
eneore nécessaires ! Un décret postérieur, des 4-9 floréal an II,
parurent
acheva comme on l'a dit de « donner au mariage la physionomie de l'u-

nion libre », en décidant


qu'il serait permis civil de
à l'officier de l'état

prononcer le divorce sur un simple acte de notoriété délivré par le con-


seil de la commune, ou sur l'attestation de six citoyens décla-
général
rant que les deux époux vivaient séparés depuis six mois au moins.

Quel fut l'effet social de cette législation? Il semble qu'il faille distin-

guer. Dans les provinces, les moeurs ne subirent pas une sensible atteinte.

Mais, dans les grandes villes, à Paris surtout, où le terrain était, il faut
le reconnaître, singulièrement préparé foule par une de circonstances, eD

particulier, par le dérèglement des moeurs mondaines dont est. marquée


la fin du XVIIIe siècle, le nombre des divorces, bien qu'on l'ait peut-être
exagéré, atteignit vite des proportions inquiétantes. C'est ainsi qu'à Pa-

ris, les relevés du Moniteur donnent, pour le premier trimestre de 1793,


562 divorces pour 1.875 mariages 1. Ce qui prouve incontestablement la

gravité du mal, c'est que le mouvement de réaction commença à se ma-


nifester dans le sein même de la Convention. Cette assemblée, sur un
rapport de Mailhe, l'adjurant « d'arrêter le torrent d'immoralité »,
abrogea le décret de floréal an II par son décret du 15 thermidor
an III.
Le Droit révolutionnaire ne s'était pas contenté de renverser la tradi-
tion par le rétablissement du divorce. Il avait la de
supprimé séparation
corps, comme une institution entachée, par son d'un caractèr
origine,
confessionnel. « A l'avenir, l'article 7 de la loi du 20
portait septembr

Ce chiffre est emprunté à l'intéressante thèse de notre collègue M. Olivie


1.
Martin, La crise du mariage pendant la Révolution (Paris, 1901, p. 157, n. 1),
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 195

1792, aucune séparation de corps ne pourra être prononcée ; les époux


ne pourront être désunis que par le divorce. »

Le divorce dans le Code civil. — Les rédacteurs du Code ins-


civil,
en cette matière comme en toute autre, par une pensée de transac-
pirés,
tion et de pacification, maintinrent l'institution du divorce, mais avec
des vues toutes différentes de celles dulégislateur révolutionnaire. Voici
en effet les traits principaux qui caractérisent le système du Code :
1° On revient au principe de l' indissolubilité du
mariage considérée non
seulement comme un idéal, mais comme une règle à laquelle il n'est dé-
dans des cas tout exceptionnels. De là, la limitation restrictive
rogé que
des causes de divorce à trois cas, adultère; condamnation d'un des époux
à une afflictive ou infamante ; excès, sévices ou injures graves. Les
peine
autres causes de la loi de 1792, ainsi que la faculté de divorcer pour al-
unilatérale de l'incompatibilité d'humeur, sont écartées.
légation
2° Le divorce par consentement mutuel reste autorisé, mais avec un ca-
ractère tout différent de ce qu'il avait été sous l'empire de la loi de 1792.
Le consentement mutuel des époux n'est plus le mutuus dissensus, mode
de dissolution normal de tous les contrats et du mariage comme des
autres ; c'est plutôt une présomption, dénotant l'existence d'une autre
cause déterminée, et un moyen de la dissimuler à la malignité du pu-
blic. Cette manière de voir se révèle clairement dans le texte même de
l'article 233 : « Le consentement mutuel et persévérant des époux, y
lisons-nous, exprimé de la manière prescrite par la loi, sous les condi-

tions et après les épreuves détermine,


qu'elle prouvera suffisamment que
la vie commune leur est insupportable, et qu'il existe, par rapport à eux,
une cause de divorce. » Aussi le Code entourait-il le divorce
péremptoire
consentement mutuel de formes et de conditions multiples et sévères
par
destinées à en empêcher l'abus (V. art. 275 à 294). Outre le consente-
ment des époux, réitéré trois fois, de trimestre en trimestre, il fallait
l'avis conforme des parents de l'un et de l'autre. Il fallait qu'avant le
un accord fût intervenu entre les conjoints, en vue de régler
jugement
l'éducation des enfants et d'assurer leur sort ; enfin il fallait que chacun
des fît aux enfants l'abandon immédiat et complet de la moitié de
époux
sa fortune. Les divorces par consentement mutuel furent donc, en fait,
excessivement rares, comme ils le sont encore aujourd'hui en Belgique
où leur nombre ne dépasse guère une quinzaine par année.
3° Non seulement le divorce requérait une décision judiciaire, mais en-

core cette décision ne pouvait être obtenue qu'à la suite d'une procédure
caractérisée par des formes lentes, compliquées et coûteuses.
spéciale,
C'était une
précaution contre les irréfléchis, en même divorces
temps
de rendre l'institution peu accessible, surtout aux classes
qu'un moyen
Il ne faut pas oublier, en effet, que la gratuité absolue de la
populaires.
les indigents ne date que de la loi du 22 janvier 1851 qui a
justice pour
créé l'assistance judiciaire 1.

1. Lesart. 1er à 21 de cette loi ont été modifiés par la, loi du 10 juillet 1901,
196 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

4° Le divorce à rencontre de ceux y ont eu recours, diverses


crée, qui
qui les feront d'autant plus réfléchir.
inaptitudes
A. — Les époux divorcés ne pourront plus se réunir.
B. — contre le divorce aura été prononcé pour cause
L'époux lequel
d'adultère ne pourra épouser son complice.
C. — L'époux contre lequel le divorce a été prononcé perdra les avan-

tages que lui assurait son contrat de


mariage.
5° Enfin, le Code rétablit la séparation de corps à l'usage des époux à qui

leurs convictions interdisent de demander le divorce. La sépa-


religieuses
ration peut être demandée pour les mêmes causes que le divorce. Toutefois,
la séparation par consentement mutuelpas permise. n'est
Ainsi réglementé, le divorce paraît avoir été d'un usage assez peu fré-

quent sous le Premier Empire. Certains auteurs croient pouvoir avancer

qu'à Paris la moyenne des divorces tomba à une cinquantaine par année.

du divorce en 1816. — le retour des


Suppression Après Bourbons,
la loi du 8 mai 1816 vint supprimer le divorce, ne laissant subsister que
la séparation corps. de
La loi, proposée par l'illustre de Bonald, avait eu

pour rapporteur M. de Trinquelague. Elle fut votée à la Chambre des


dépu-
tés par 225 voix contre 11. Encore les quelques opposants (V. au Moniteur de
1816, p. 298, les discours de Blondel d'Aubers et de Voysin de Gartempe)
n'avaient-ils pas critiqué la suppression elle-même, mais la forme em-
ployée pour la réaliser; ils réclamaient une loi complète réglementant la
séparation de corps. Et, de fait, la loi de 1816 abolissait le divorce sans
effacer complètement du Code les articles qui le gouvernaient, car plusieurs
de ces textes devaient continuer à s'appliquer à la séparation de corps à
laquelle le Code n'a consacré que les quelques articles indispensables pour
la différencier du divorce; c'était ce procédé assez qui
législatif gauche
avait soulevé les protestations. somme, la suppression En du divorce fut
accueillie sans émotion dans le pays. Et la loi de 1816 peut à bon droit être
considérée comme l'aboutissement logique de la réaction contre les abus
du divorce révolutionnaire, qui s'était marquée dans le Code civil. Nous
avons vu que la législation de 1804 avait déjà considérablement réduit le
nombre des divorces dans les villes. Quant aux campagnes, elles n'avaient
jamais adopté l'institution nouvelle. On pouvait citer tel arrondissement
rural où, de 1792 à 1816, deux divorces seulement avaient été !
prononcés
Ajoutons que, si la loi de 1816 fut en des
inspirée, partie, par préoccu-
pations confessionnelles, et apparut à certains comme le corollaire de la
disposition delà Charte de 1814, proclamant la religion catholique religion
d'Etat, il s'en faut de beaucoup que les seules considérations religieuses
aient été invoquées alors contre le divorce. Si l'on se aux déclara-
reporte
tions du rapporteur, on constate que son principal est celui
argument que
font encore valoir aujourd'hui, de préférence, les adversaires du divorce.
« L'objet du mariage, disait M. de n'est seulement de
Trinquelague, pas
donner l'existence à des enfants. Il est encore de les élever, de les conserver,
de les rendre propres à devenir eux-mêmes les chefs d'une nouvelle famille
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 197

et deperpétuer ainsi le genre humain L'union des époux doit donc


nécessairement se prolonger pendant tout le temps que cette
éducation
exige. Mais ce qui a été fait pour un enfant, il faut le recommencer pour
l'autre. La nécessité de rester unis se reproduit donc par l'effet de l'union
même, et c'est ainsi que cette admirable chaîne, s'étendant successivement,
embrasse la plus grande partie de la vie, et laisse à l'autre la force de
l'habitude et la douceur des souvenirs » (V. Moniteur, 1816. 202 et s.).
p.
On avouera qu'il est difficile de présenter en meilleurs termes l'apologie
du mariage indissoluble.

Rétablissement du divorce. Loi de 1884. — La du


suppression
divorce avait été la suite d'une révolution politique. Chaque révolution
ultérieure fut suivie d'un effort pour son rétablissement.
Après 1830, et à quatre reprises, de 1831 à 1834, des propositions en ce
sens, émanant de la gauche de la Chambre des députés, furent adoptées
par cette assemblée, mais échouèrent devant la Chambre des Pairs, sans
que cet échec ait suscité, semble-t-il, la moindre agitation dans le pays.
La même indifférence accueillit, après la Révolution de février, un pro-
jet de rétablissement du divorce présenté en 1848 par M. Crémieux, alors
ministre de la justice. Le projet ne vint d'ailleurs pas en discussion et fut
retiré par Marie, un des successeurs de Crémieux.
C'est après la Révolution de 1870 que l'attaque fut reprise et enfin cou-
ronnée de succès. L'apôtre de la réforme fut M. Naquet qui, dès 1876, dé-
posa une première proposition tendant au rétablissement du divorce. Grâce
à une laborieuse et habile campagne, il finit par créer dans le pays un cer-
tain courant d'idées. Cependant, le projet, tout remanié qu'il eût été par son
auteur, fut repoussé par la Chambre des députés en 1881, à la suite d'un
discours hautement hostile de M. Brisson (V. Séance de la Chambre du
9 février 1881). C'est en 1884 seulement qu'une troisième proposition
fut — assez péniblement

adoptée, non sans avoir soulevé d'éloquentes
protestations, dont la plus retentissante fut celle de Jules Simon à la tri-
bune du Sénat.
Il est intéressant de noter
modération, la de plus en plus accentuée, à
laquelle durent se plier les promoteurs de la réforme pour en faire admettre
le principe. En 1876, la première proposition de M. Alfred Naquet ne visait
à rien moins qu'à la restauration du divorce outrancier de 1792. En 1881,
il se contentait de réclamer le rétablissement des dispositions du Code civil.
La loi du 27 juillet 1884, enfin, rétablissant le divorce, lui donne une
physionomie plus modérée encore, car elle écarte, parmi les causes de
divorce admises en 1804, le consentement mutuel des époux. Il n'est pas
douteux que le législateur de 1884 a, plus encore que celui de 1804, voulu
faire du divorce un remède d'exception, parcimonieusement dispensé aux
mauvais ménages, par des tribunaux méticuleux,,

La actuelle du divorce en France. — Le divorce, une fois


pratique
rétabli, est, il faut le reconnaître, largement entré dans nos moeurs. La sta-
I. — TITRE I- — PREMIÈRE PARTIE
198 LIVRE

le nombre des jugements le prononçant


tistique démontre que depuis 1884,
En il en chiffres ronds, seulement
s'est beaucoup accru. 1885, y eut,
alors on pouvait s'attendre à un
4.000 divorces prononcés, que, cependant,
de désunions à liquider. En 1902, le chiffre
nombre considérable conjugales
divorces 11.000. En 1922, il atteignait 25.159, en 1923, 32.304,
des dépassait
s'être élevé en 1920, à 34.079 ».
après
On ne dire ces chiffres soient absolument inquiétants, mais
peut pas que
ils démentent certainement les prévisions du législateur de 1884. Et ils

seraient de nature à corroborer, dans une certaine mesure, cette affirmation

formulée M. Glasson comme par Jules Simon, que l'institution du


par
divorce mène fatalement à l'abus du divorce. Il est surtout intéressant de

constater la différence du divorce de la Révolution, pratiqué à peu près


qu'à
exclusivement dans les classes bourgeoises, ignoré ou peu s'en faut dans
les masses, le divorce actuel est largement utilisé par les classes popu-
laires. Des statistiques du Ministère de la Justice, il résulte que, sur 100 per-
sonnes qui divorcent, on compte, en moyenne, 26 propriétaires, rentiers,

commerçants, avocats, médecins, professeurs, 66 ouvriers ou paysans,


8 domestiques. Il est fait
grandement appel à l'assistance judiciaire en vue
du divorce, car la proportion des demandes en ce sens, accueillies par les
bureaux compétents, est d'un tiers environ par rapport à l'ensemble des
demandes d'assistance 2.

D'ailleurs, à bien d'autres points de vue encore, les résultats que l'on

attendait, en 1884, du rétablissement du divorce ont été manques. On se


flattait alors que le divorce, en ouvrant les perspectives d'une union meil-

1. La nuptialité, bien qu'en croissance, n'a pas suivi une pareille progression,
Elle était de :

153 mariages pour 10.000 habitants en 1904;


160 — — en 1907;
161 — — en 1908;
157 — — en 1909.

Ces chiffres sont extraits du Rapport de M. March, directeur de la statistique,


sur l'année démocratique 1909. Les statistiques en matière de divorce fournies
par deux ministères différents sont d'ailleurs quelque peu divergentes. Le phéno-
mène de l'augmentation des divorces s'observe au surplus dans la plupart des
pays. Et il est à remarquer que la séparation de corps, à l'époque où elle était le
seul remède légal des ménages malheureux, suivait le même mouvement ascen-
sionnel. Le nombre moyen annuel des séparations prononcées a été, en effet:
De 1851 a 1855, de 1.127;
De 1876 à 1880, de 2.559.

Le nombre des séparations de corps qui avait un instant diminué à la suite du


rétablissement du divorce (de 2122 par an en 1885, il est tombé à 1570 en 1890) s'est
depuis fort relevé (2400 en 1910, 2466 en 1913. 3300 en 1920, 3335 en 1923).
(V. Bertillon, Etude démographique du divorce et de la séparation de corps
dans les différents pays de l'Europe. Paris, 1883).
2. Nous renvoyons pour les chiffres antérieurs à 1905 à l'intéressante thèse de
M. Valensi, L'application du divorce en France, Paris, 1905. Pour les chiffres
postérieurs, nous avons consulté le Compte général de l'administration de la Jus-
tice civile publié chaque année jusqu'en 1919, par le Ministre de la Justice. Nous
devons les chiffres afférents aux années postérieures, encore inédits, à l'obligeante
communication du 3e Bureau (Statistique) du Ministère de la Justice.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 199

leure aux époux désunis, supprimerait l'adultère, réduirait le nombre des


crimes passionnels, ainsi que ceux des unions illégitimes et des enfants
naturels, qu'il contribuerait au relèvement de la natalité et même à guérir
la plaie des mariages d'argent! Or quelle est celle de ces
espérances qui ait
été réalisée ? Le chiffre des poursuites pour adultères avant était
qui, 1884,
de 824 pour quatre années, atteint 2.214 pour la période de quatre ans
recensée en 1903 par le ministère de la justice. La natalité française est
loin de croître. Dès 1909, on ne comptait plus que 196 naissances pour
10.000 habitants, alors
y a vingt qu'il
ans, oscillait entre la proportion 220
et 230. Il est vrai, comme l'a vu plus on
haut, que la proportion des nais-
sances illégitimes ne tend pas à s'abaisser. Le nombre des crimes passion-
nels semble avoir été plutôt accru par le divorce. Il en est de même du
nombre des suicides. Car, ainsi que le constate le Compte de l'admi-
général
nistration de la justice civile dans tous les pays
pour 1891, où le divorce est
la courbe des divorces et celle des suicides suivent une marche
pratiqué,
parallèle (V. sur ce point, Durkheim, Le suicide, Paris, 1897).
Ces faits ont influé naturellement sur la littérature et sur la législa-
tion.
En littérature, tandis qu'à la fin du Second Empire et durant les pre-
mières années de la
République,Troisième
les partisans du divorce étaient
à peu près les seuls à élever la voix, il y a aujourd'hui deux courants con-
traires. Bon nombre d'écrivains, de dramaturges ou de romanciers, investis
de l'a faveur du public, donnent une note contraire au divorce et s'at-
tachent à en démontrer les méfaits. Une autre fraction de publicistes, se
rattachant pour la plupart aux partis politiques dits « avancés », réclament,
,au Contraire, l' élargissement du divorce,
qu'il demandent soit prononcé
plus facilement et pour des causes plus nombreuses.
La législation, reflet de l'opinion, a subi des oscillations en sens divers.
Presque âù lendemain du rétablissement du divorce, alors qu'on étai
pour ainsi dire encore dans la période de lune de miel de l'institution, la
loi du 1 8 avril 1886, sur la procédure en matière de divorce et de séparation
de corps, a considérablement simplifié les formes du. divorce en les rap-
prochant très sensiblement de celles des procès ordinaires.
Au contraire, après quelques années d'application de la loi de 1884,
lorsque les premières statistiques démontrèrent le nombre croissant des
divorces, intervint la loi du 6 février 18 93, portant modification au régime
de la séparation de corps, dans le dessein avoué de diminuer le chiffre des
divorces en attirant un certain nombre d'épouses malheureuses vers la
séparation de corps. En conséquence, cette loi attribua à la séparation
Certains des avantages du divorce, en décidant que la femme séparée
jouirait désormais de sa pleine capacité civile, et pourrait, dès lors, comme
la femme divorcée, se passer, en toute circonstance, de l'autorisation
maritale.
En revanche, la loi du 6 juin 1908 marque un retour offensif du di-
Elle facilite, en effet, et rend presque automatique la conversion en
vorce.
divorce de la séparation de corps.
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
200 LIVRE

1. — Si on les yeux sur les légis-


Les législations étrangères porte
en cette matière, on constate que la prohibition du di-
lations étrangères
vorce subsiste dans le plus grand nombre des pays catholiques.
aujourd'hui
Elle est consacrée les lois de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal. Dans
par
un certain nombre d'autres Etats, la faculté de divorcer dépend de la con-

fession à laquelle appartiennent les époux; elle est donc refusée


religieuse
aux Il en est ainsi en Angleterre, en Autriche-Hongrie, en Rus-
catholiques.
en Serbie, en Bulgarie, au Mexique et dans plusieurs Etats de l'Amé-
sie,
rique du Sud.
De ces régions réfractaires au divorce, il convient de rapprocher celles
ne l'admettent qu'avec une sorte de répugnance hostile, soit en l'en-
qui
tourant de formalités si nombreuses et si coûteuses qu'il n'est guère acces-
sible à la masse des citoyens (Angleterre protestante), soit en ne l'admet-
tant que dans des hypothèses assez rares et en interdisant le remariage à

l'époux coupable divorcé (législations slaves).


Les législations nombreuses qui, au contraire, admettent et pratiquent
le divorce peuvent être réparties en diverses classifications.
Une première série comprendra les législations qui n'admettent le di-
vorce que pour des causes déterminées, impliquant une faute grave de
l'un des époux contre l'autre. Telles sont la loi anglaise et la loi néer-
landaise.
Dans une seconde série, on rangera les législations qui permettent le di-
vorce, non seulement à raison de fautes graves, mais encore pour des faits
n'offrant pas un caractère
faute, par de
exemple, pour l' aliénation mentale,
d'un conjoint ou pour abandon non malicieux plus ou moins Il
l' prolongé.
en est ainsi des lois russe, hongroise, serbe, grecque, du Code civil alle-
mand, de la législation de la plupart des Etats-Unis de l'Amérique du Nord.
C'est dans les Etats américains que la loi admet le plus grand nombre de
causes de divorce. C'est là aussi que les divorces sont les plus nombreux
et les plus rapidement prononcés.
Une place à part est due au Code civil suisse à des causes nom-
qui,
breuses de divorce, comprenant, notamment, l'abandon prolongé pendant
deux ans (art. 140), la folie incurable, prolongée depuis trois ans (art. 141),
ajoute encore une cause indéterminée ou abstraite, en permettant au jugé
(art. 142) de prononcer le divorce « lorsque le lien est si profon-
conjugal
dément atteint que la vie commune devient ». On trouve
insupportable
d'ailleurs une disposition assez analogue dans le Code civil allemand
(art. 1568).
Dans une troisième série de législations, on placera celles à côté du
qui,
divorce pour causes déterminées, admettent le divoree consentement
par
mutuel. Ces législations se subdivisent à leur tour. Certaines d'entre elles,
comme celle de la Belgique (qui n'est autre notre Code civil de
que 1804,
demeuré en vigueur après 1815), celles du Grand-Duché de et
Luxembourg

1. V. Roguin, Traité de Droit le Mariage,


comparé: 1904-1912 ; Laurent Bailly,
Le Divorce et la Séparation de corps en France et à l'étranger, 1910.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 201

de la
Roumanie, assujettissent le divorce par consentement mutuel à des
formalités destinées à établir qu'il existe entre les époux une cause réelle
et grave de désunion. D'autres admettent lois par consentement le divorce
mutuel, mais après que les époux se sont imposé auparavant l'épreuve
d'une séparation de corps prolongée pendant un certain Il en est
temps.
ainsi en Suède, en Norvège, en Danemark et en Autriche pour les sujets
israélites de l'Empire.

La question du divorce en législation 1. — Pour porter un juge-


ment impartial et réfléchi sur la valeur de l'institution du divorce, il faut,
croyons-nous, écarter a priori diverses considérations ne
qui peuvent
qu'obscurcir ou faire dévier le débat.
Et d'abord, il convient de laisser de côté l'argument ou
théologique
confessionnel, soit dans un sens, soit dans l'autre.
Parce que l'indissolubilité mariage est du proclamée par la religion ca-
tholique, il n'est pas vrai qu'il y ait violation de la liberté de conscience
des catholiques, si l'on admet le divorce. Les époux catholiques ne sont pas
forcés de divorcer. Et, si le divorce est imposé à l'un d'eux par un conjoint
moins scrupuleux, il est toujours loisible au premier de se mettre en
règle avec sa conscience en ne se considérant pas comme délié du lien
conjugal et en s'abstenant de
L'Eglise se remarier.
catholique fait profes-
sion d'ignorer le mariage civil. Le sacrement seul compte à ses yeux.
Les ecclésiastiques qui prononcent une allocution, lors du mariage reli-
ne manquent jamais d'appeler « mademoiselle » la jeune femme
gieux,
qui, la veille, ou le matin même, s'est mariée à la mairie. Qu'importent
donc à l'Eglise les solutions adoptées par le législateur laïque pour le
mariage civil?
Inversement, le fait que les cultes dissidents permettent le divorce n'est
pas un argument péremptoire en faveur de l'institution, et il n'y aurait pas
violation de la liberté' de conscience des protestants ou des israélites si la
loi civile leur interdisait le divorce que tolère leur foi religieuse. A bien des
points de vue, nous l'avons constaté, la loi civile se montre plus rigoureuse
que la loi religieuse quant aux conditions et aux règles du mariage ; c'est
son droit. A-t-on jamais soutenu que le Code civil violait la liberté de cons-
cience des catholiques parce qu'il interdit le
mariage aux garçons entre
quatorze et dix-huit ans et aux filles entre douze et quinze ans, alors que le
Droit canonique le permettrait, ou parce qu'il voit une condition de vali-
dité, du
mariage des mineurs dans le consentement des parents, alors que
ce consentement n'est pas nécessaire aux du ecclésias-
yeux législateur
tique ?
Il y a un autre argument à rejeter parmi ceux dont usent volontiers les

1. V. sur ce point et sur les nouvelles causes de divorce qui pourraient être in-
troduites dans la loi, Tissier, Rapport sur l'extension des causes du divorce dans
Bull, de la Soc. d'Et. législ., 1906, p. 118, 180, 289; Ambroise Colin, L'élargisse-
ment du divorce, Revue de Paris, Ier octobre 1906, On trouvera dans ce dernier'
article, p, 542, en note, une bibliographie du sujet,

DROIT, — Tome I. 14
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
202

Ils ont dit et à satiété que la conception du


partisans du divorce. répété
contrat conduirait nécessairement à la possibilité d'une
mariage, civil,
du lien au moins le mutuus dissensus des époux»
rupture matrimonial, par
de tous les contrats. Ils oublient que le mariage
parce que tel est le régime
est un contrat dans suivant la remarque de Portalis,
exceptionnel lequel,
la société est à côté des époux. Chose singulière, cette
toujours partie,
du envisagé comme contrat, que les
physionomie exceptionnelle mariage
du divorce nous méconnaître, les plus outranciers
partisans paraissent
d'entre eux s'en réclament lorsqu'ils revendiquent, entre
aujourd'hui
autres du divorce, l'a faculté réciproque de répudiation
élargissements
sous le nom de divorce par volonté unilatérale ou pour incompatibilité
d'humeur. Ici on réclame pour le un régime de fragilité et d'ins-
mariage
tabilité n'est celui des contrats ordinaires. En somme, on doit
qui pas
reconnaître que le législateur civil a parfaitement le droit d'imposer le

indissoluble, règle si cette aux lui de la


paraît conforme intérêts
mariage
Cité. Il y a d'autres pays que le nôtre, où la loi considère, ainsi que notre
Code civil, le mariage comme un pur contrat civil et où cependant le
divorce n'est pas admis. Telle est l'Italie. Là, les efforts des partisans du
divorce se heurtent depuis des années et se heurteront longtemps en-

core, semble-t-il, au sentiment de la plus grande partie du public éclairé


et à l'indifférence des masses à l'égard d'une prétendue réforme dont
elles n'aperçoivent pas les avantages.
Le terrain de la discussion ainsi déblayé, tout en reconnaissant la gra-
vité des considérations que l'on peut faire valoir en faveur du divorce,
nous ne dissimulerons pas que nos préférences vont à la thèse de l'indis-
solubilité du mariage ».
Personne ne peut contester que ce qui fait l'honneur et la dignité
morale de l'union des sexes dans le mariage, c'est la pensée de sa perpé-
tuité. Le régime de l'indissolubilité, sous lequel la Chrétienté a vécu
pendant des siècles, nous apparaît comme ayant été une conquête de la
civilisation. Ce serait faire preuve d'étroitesse d'esprit de le mécon-
que
naître pour la seule raison que ce régime a été puis
naguère postulé,
imposé par l'Eglise catholique.
De plus, il n'est pas douteux que la stabilité du réalise les con-
foyer
ditions les meilleures pour l'éducation des enfants. Or, c'est de toutes
là,
les fins du mariage, celle qui doit retenir le la sollicitude du
plus légis-
lateur. On l'a dit avec raison : « Le fonde la famille; le divorce
mariage
la détruit. »
Les partisans du divorce n'ont
de peine à faire ressortir la
pas supério-
rité de l'état qui en résulte sur celui crée la séparation de
que corps.
Certes, la situation de deux époux c'est-à dire mariés sans
séparés, l'être,
est fausse et pénible. Elle conduit souvent au elle
concubinage adultère;

1. Les auteurs du présent livre se sont, sur cette de principe


question (unique-
ment sur le principe), trouvés en désaccord. Il convient donc d'indiquer que le
contenu de la présente Rubrique est l'oeuvre exclusive de M. Ambroise Colin,
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 503

est, conséquent,
par éminemment pernicieuse pour les enfants, ainsi d'ail-
leurs que le serait le spectacle quotidien des misères d'un désuni
ménage
et cependant rivé à sa chaîne par l'intransigeante sévérité de la loi. Le di-
vorce vaut mieux dit-on : il liquide, une fois pour toutes, une situation in-
supportable, ouvre aux époux malheureux les perspectives d'autres unions
mieux assorties où ils pourront peut-être « reconstruire deux bons mé-
nages avec les débris d'un mauvais ».
Mais on peut.répondre que l'expérience démontre combien les parti-
sans du divorce s'exagèrent la valeur de ce remède. Il n'y a certaine-
ment pas plus de
répandu bonheur dans la Société française depuis que
le divorce y a été rétabli. Les époux, que tourmente une âme inquiète
et impatiente de toute contrainte, chercheront bien souvent en vain dans
une deuxième union la félicité qu'ils n'ont pu atteindre dans la première.
Et, d'un autre côté, on peut se demander si la perspective d'une dissolu-
tion possible du mariage, en cas de mésintelligence, n'est pas de nature
à en faire naître les occasions. Il n'y a guère d'unions sans nuages.
Nombre de ménages, au temps du mariage, indissoluble, surmontaient
des difficultés passagères et arrivaient à fournir une honorable carrière,
qui eussent sombré dans le divorce, s'il avait alors existé. Bien des dif-
férends conjugaux s'enveniment à l'heure actuelle qui se fussent assou-
pis sous
l'empire de l'ancienne loi.
Mais si, à notre avis, le mariage indissoluble est préférable, est-ce à
dire que l'on puisse, à l'heure actuelle, espérer remonter le courant et
concevoir sérieusement l'espérance d'un retour au régime de la loi de 1816?
Nous ne le croyons certainement pas.
Il ne faut pas oublier en effet qu'en cette matière, la loi ne saurait
heurter le sentiment public. Or le divorce est, depuis 1884, entré dans nos
moeurs. Si on critiquer peut le principe au point de vue des intérêts de la
collectivité, bien il faut
constater qu'il a servi de remède à nombre d'in-
fortunes individuelles dignes de sympathie et de pitié. Dans les classes

populaires notamment, où l'alcoolisme et les autres vices produits par la


misère détruisent tant de foyers, le divorce est souvent bienfaisant,
surtout pour la femme. A l'heure actuelle, le sentiment public serait,
croyons-nous, aussi hostile à la suppression du divorce qu'il s'était mon-
tré, en somme, jusqu'en 1884, médiocrement favorable à son rétablisse-
ment. Il faudrait, pour qu'une révolution législative, du genre de celle
qui s'est produite en 1816, redevint possible aujourd'hui, de profonds
bouleversements sociaux que personne ne peut prévoir et, encore moins,
espérer 1.
Puisque le divorce existe et qu'il est impossible, actuellement, de le

supprimer, le mieux est donc, croyons-nous, de s'incliner devant le fait

1. Cette observation qu'une réaction contre les facilités de la loi du divorce n'est
possible qu'à la suite d'un cataclysme politique, se trouve formulée en termes un
peu emphatiques, mais, en somme, avec beaucoup de justesse, dans le rapport de
Trinquelague sur la proposition de Bonald en 1816. « Quand une nation a vieilli
dans les vices d'une longue civilisation, il est difficile sans doute au législateur do
LITRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
504-

le de l'institution, en recher-
accompli, et d'accepter loyalement principe
de la rendre aussi utile et aussi digne que possible. Une
chant les moyens
donnera évidemment d'autorité à ceux qui s'efforceront
telle attitude plus
dans de la loi du divorce, une facilité et des abus
d'empêcher, l'application
à la moralité et, par là, à la cohésion
gravement dommageables publique
et à la vigueur de la Société Française.

SECTION. II. — DIVORCE.

— de divorce.
§ 1. Des causes

du Code civil. — Dans une qui, comme


Système générale législation
la nôtre, n'admet le divorce que pour causes déterminées, trois conceptions
sont possibles :
La la plus étroite, celle du divorce-sanction, n'admettra comme
première,
causes les fautes commises par un époux contre l'autre,
déterminées, que
les aux obligations nées du mariage.
manquements
La conception la plus celle du divorce-remède, verra une cause de
large,
divorce dans toute situation rendant la vie commune intolérable, cette si-

tuation eût-elle pour origine des circonstances absolument indépendantes


de la volonté des époux. C'est ainsi qu'on fera, dans ce système, une cause

de divorce de l'aliénation mentale d'un des conjoints.


Le Code civil un système intermédiaire. Il admet quatre causes
adopte
de divorce :
L'adultère ;
La condamnation de l'un des époux à une peine afflictive et infa-
mante ;
Les excès et sévices ;
Les injures graves.
On le voit, le Code n'accepte pas entièrement l'idée du divorce-sanction,
puisqu'il admet le divorce pour certaines fautes qui ne constituent pas
une atteinte aux obligations matrimoniales, à savoir certaines condamna-
tions encourues par un conjoint. Mais il exige, au moins, que la cause du
divorce résulte d'un fait volontaire, imputable à son auteur.
Dès lors, façonet d'une
générale, les griefs invoqués à l'appui d'une de-
mande en divorce ne seront pas opérants s'il apparaît que les faits allé-

gués ont été commis par un époux, sous l'empire d'un céré-
dérangement
bral qui lui enlève le contrôle de ses actes (Req., 7 juin 1901, sol. impl.,
D. P. 1901. 1.397 ; S. 1902. 1.176).
Chacune des causes de divorce, admises par la loi, mérite un examen

lui rendre la vigueur et la pureté de ses premiers temps. Mais si une grande secousse
vient à l'ébranler, si une crise violente bouleverse ses rapports, détruit tous ses
appuis et la suspend sur le précipice, il est possible, alors, que ses ressorts affaiblis
se retrempent dans le malheur, et que le sentiment profond du danger lui fasse
retrouver sa première énergie et lui rende une existence nouvelle, »
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 205

détaillé. On verra que les pouvoirs d'appréciation du tribunal sont plus ou


moins étendus selon les cas1.

Première cause : Adultère..— Art. 229 : « Le mari pourra demander


le divorce pour cause d'adultère de sa femme. » Art. 230: « La femme
demander le divorce pour cause d'adultère du mari. »
pourra
La dualité de ces deux textes, qui font cependant au mari et à la femme
une situation identique, s'explique par une raison historique. Sons l'em-

pire du Code civil, il y avait deux textes distincts, l'un pour l'adultère de la
femme, l'autre pour celui du mari, parce qu'ils n'entraînaient pas la même
sanction au point de vue du divorce. L'article 229 avait déjà sa rédaction
actuelle. L'article 230, au contraire, visant l'adultère commis par le mari,
n'en faisait une cause de divorce que s'il était accompagné d'une circons-
tance aggravante, consistant dans ce fait que le mari avait « tenu sa concu-
bine au domicile conjugal ». C'était là, d'ailleurs, la tradition du Droit
romain et celle de l'ancien Droit, qui n'admettaient pas que la femme pût
porter devant les tribunaux une accusation d'adultère contre le mari, alors

que la réciproque était admise. Juvenal avait déjà protesté contre cette

inégalité (Sat. II).


Bat veniara corvis, vexât censura columbas.

« La raison de la différence est évidente, écrivait Pothier : l'adultère que


commet la femme est infiniment plus contraire au bon ordre de la so-
ciété civile, parce qu'il tend à dépouiller les familles et à en faire passer
les biens à des enfants adultérins qui y sont étrangers ; au lieu que l'adul-
tère commis par le mari, quoique très criminel en soi, est à cet égard sans

conséquence. Ajoutez qu'il n'appartient pas à la femme, qui est une infé-

rieure, d'avoir inspection sur la conduite de son


qui est son supérieur. mari
Elle doit présumer qu'il lui est fidèle, et la jalousie ne doit pas la porter à
faire des recherches de sa conduite 1 » (Tr. du Contrat de mariage, n° 516).
Le Code civil, en admettant la demande en divorce de la femme, au
inoins lorsqu'il y avait, à la faute du mari, la circonstance aggravante
indiquée par l'ancien article 230, faisait donc un premier pas vers l'é-

galité.
Inspirés du même esprit sont les articles 337 et 339 du Code pénal qui
punissent d'emprisonnement la femme coupable d'adultère, tandis que le
mari n'encourt de peine que s'il a entretenu sa concubine dans la maison

1. Voici un tableau de l'importance comparative des causes de divorce et de


séparation de corps.
NOMBRE DE DIVORCES NOMBRE DE SÉPARATIONS
ANNÉES 1912 1920 1923 1912 1920 1923

Excès, sévices,
injures graves. 17.966 32.801 23.423 3.524 3.985 4.156
de la femme. 2.612 9.758 5.218 245 443 414
Adultères _ 1.732 3.766 3.378 222 402 477
du mari
Condamnation à une peine af-
flictive et infamante ... 266 391 285 28 29 37
Conversion 809 777
LIVRE I, — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
206

la du mari consiste-t-elle simplement dans une


conjugale ; encore peine
amende et non plus dans l'emprisonnement.
La loi de en modifiant la rédaction de l'article 230, a établi, avec
1884,
entre les époux devant le divorce. Il est trop évident que la
raison, l'égalité
le rnari la trahison de
femme n'est pas moins gravement outragée que par
celui lui a promis fidélité. D'ailleurs, la Jurisprudence en matière de
qui
séparation avait, à cet égard, frayé la voie au législateur. Depuis longtemps
même non de la circons-
elle admettait que l'adultère du mari, accompagné
tance de l'ancien article 230, pouvait être retenu, à titre d'in-
aggravante
comme une cause de séparation de corps (Req., 14 juin 1836,
jure grave,
D. J. G., V° Séparation de corps et divorce, 79).
de sanction pour la faute des deux époux subsiste encore
L'inégalité
néanmoins dans nos lois, à deux points de vue.
1° Les textes du Code pénal signalés plus haut n'ont pas été modifiés ;
2° En ce qui concerne la preuve de l'adultère, en vue d'une demande en
divorce (preuve qui peut se faire par tous les moyens possibles, témoi-

gnages, production de correspondance, etc.), la femme est, dans une


certaine mesure, moins favorisée que le mari. La preuve la plus simple et
la plus pratique de l'adultère est, en effet, celle qui résulte d'un procès-
verbal de constat dressé par le commissaire de police. Or le commissaire
n'est obligé de déférer à la réquisition de l'époux plaignant que s'il y a délit
tombant sous le coup de la loi pénale, Il doit donc refuser de constater l'a-
dultère du mari lorsqu'il est commis hors du domicile conjugal. Car il n'a

pas pour mission de dresser acte des faits qui intéressent les rapports
purement privés des particuliers.
Il reste à faire une dernière observation. On s'accorde, en général, à
admettre que l'adultère est une cause péremptoire, c'est-à-dire qu'une
fois la faute démontrée, le juge ne possède aucun pouvoir d'appréciation
et doit prononcer le divorce quand même il le trouverait inopportun. La
Cour de cassation a plusieurs fois statué en ce sens (V. en dernier lieu,
Req., 5 août 1901, D. P. 1901, 1.470 ; S. 1901, 1.400).
Et on aperçoit ainsi la portée de la réforme de l'article 230 effectuée en
1884. Lorsque les tribunaux considéraient l'adultère simple du mari comme
une injure grave, ils possédaient un pouvoir d'appréciation, car l'injure
grave n'est pas une cause péremptoire de divorce ou de ; ils
séparation
pouvaient, par exemple, se refuser à accueillir la demande de la femme
si la faute du mari n'avait pas entraîné de scandale public. Aujourd'hui,
ils n'auraient pas cette faculté.
On rencontre cependant des décisions rejetant des demandes en divorce
pour adultère démontré, lorsque l'époux demandeur est d'avoir
coupable
provoqué ou favorisé la faute de son conjoint. Par là, dit-on, il s'est rendu
indigne de la
protection de la loi (Paris, 18 juillet 1893, D. P. 1893. 2.471 ;
S. 1893. 2.26 7). Une pareille solution nous Du moment
parait critiquable.
que l'union conjugale est dissoluble, nous ne voyons pas quel avantage
social ou privé il y a à maintenir le mariage d'un mari et d'une femme vi-
vant dans les conditions indiquées l'arrêt L'adultère de la
par précité.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 207

femme, même provoqué par le mari qui en tire peut être profit, nous
paraît donc devoir être une cause de divorce. Mais la femme serait en
droit d'invoquer l'attitude ignominieuse du mari comme une injure
grave qu'elle ferait valoir dans une demande reconventionnelle. Et, de
cette façon, le tribunal pourrait prononcer le divorce aux torts des deux
époux.

Deuxième cause : Condamnation d'un époux à une peine afflic-


tive et infamante. — On l'article 232 actuel
remarquera que exige, pour
qu'il y ait cause de divorce, une condamnation à une peine à la fois afflic-
tive et infamante. Avant la loi de 1884, l'article 232 ancien n'exigeait qu'une
peine infamante. Dans la terminologie du Droit pénal, on désigne sous
le nom de peines afflictives et infamantes, les peines criminelles qui em-

portent privation de la liberté : la peine de mort, les travaux forcés, la


réclusion, la déportation et la détention. Les trois premières punissent les
crimes de droit commun, les deux dernières sont des peines politiques. Les

peines à la fois afflictives et infamantes sont les seules qui, prononcées


contre un conjoint, entraînent désormais le divorce. Elles en constituent
indubitablement une cause péremptoire.
Quant aux peines simplement infamantes, ainsi dénommées parce
qu'elles n'entraînent pas privation de la liberté, ce sont le bannissement, et
la dégradation civique prononcée comme peine principale (et non pas comme
complément d'une peine corporelle). La loi de 1884 les a écartées, parce
que ce sont des peines punissant exclusivement,des délits politiques n'en-
traînant pas la flétrissure morale du condamné.
Il résulte, a contrario, de l'article 232 que les peines correctionnelles, à

plus forte raison celles de simple police, ne sont pas une cause de divorce.
Le législateur l'a ainsi décidé parce que les actes punis de peines correc-
tionnelles, telles que l'amende ou
l'emprisonnement, ne sont pas tou-

jours déshonorants pour le condamné. Mais ce n'est pas à dire que le

conjoint d'un individu condamné à une peine correctionnelle pour un


crime (ce qui'peut arriver, par exemple, à raison de circonstances

atténuantes), ou pour un des nombreux délits qui emportent une flé-


trissure morale pour le condamné, comme l'escroquerie ou l'attentat à
la, pudeur, n'ait pas le droit de demander le divorce, en invoquant cette
condamnation. Ici encore, la notion de l' injure grave interviendra. Le con-

joint, sur la considération duquel la dégradation encourue par l'autre

époux rejaillirait fâcheusement, pourra invoquer cette atteinte comme une

injure et en faire la base d'une demande en divorce. Même, une simple


peine disciplinaire pourrait parfois être relevée au même titre. Dans tous
ces cas, c'est moins la condamnation que le fait déshonorant qui l'a entrai-
née constitue l'injure, cause du divorce (V. Angers, 13 avril 1896, D. P.
qui
1896.2.439). Par conséquent, les tribunaux auront un pouvoir d'appré-
ciation qui ne leur appartient pas quand il y a condamnation à une peine
'
afflictive et infamante.
Pour condamnation de l'un des constitue, pour
que la conjoints l'autre,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
208

de il outre cette circonstance que la


une cause péremptoire divorce, faut,
soit à la fois afflictive et infamante, les conditions sui-
peine prononcée
vantes :
1° La condamnation doit être c'est-à-dire n'être plus suscep-
définitive,
tible d'être effacée par les voies légales de réformation, appel, opposition,
en cassation. L'article 261 ancien (abrogé, avec beaucoup d'autres,
pourvoi
cette condition, et il n'est pas
par la loi de 1886) énonçait expressément
douteux doive la suppléer Il résulte de là que la con-
qu'on aujourd'hui.
damnation coutumace ne devient une cause de divorce qu'au bout de
par
ans sa car elle n'est pas définitive
vingt après prononciation, jusque-là,
et tombe le seul fait de la du contumax (art. 476, C.
par comparution
inst. crim. — V. Paris, 11 février 1887, S. 1887.2.88 ; Bordeaux, 3 fé-

vrier 1892; P. F. 1893.2.205).


2° La condamnation ne pourrait être invoquée, si le conjoint condamné
avait obtenu sa réhabilitation ou bénéficié d'une amnistie, car l'une et
l'autre effacent tous les effets de la condamnation. Mais il en serait autre-
ment de la ou de la prescription de la peine, qui laissent subsister la
grâce
condamnation et dispensent simplement le condamné de l'exécution de la

peine.
3° La condamnation doit avoir été prononcée pendant le mariage, car
l'article 232 parle de la condamnation de l'un des époux. Il importe peu, en
revanche, que le crime ait été commis antérieurement. Si la condamna-
lion remontait à une époque précédant le mariage, elle ne serait donc plus,
à elle seule, une cause de divorce. Il en serait autrement cependant si
le coupable l'avait dissimulée à son conjoint, car cette dissimulation d'une
tare antérieure mariageau peut, d'après la Jurisprudence, comme cela sera

expliqué plus loin, être considérée comme une injure grave pour le con-
joint qui en a été la victime.

Troisième cause : Excès — Cette causeet sévices


de divorce
graves.
est visée par l'article 231, en même temps et dans la même phrase que les
injures. Mais il paraît préférable d'y voir une cause distincte, parce que la
notion des sévices ou excès (mots d'ailleurs synonymes) est loin d'offrir la
même élasticité et d'avoir prêté aux mêmes extensions de jurisprudence
que la notion de l'injure.
On entend par excès ou sévices les violences d'un contre l'autre.
époux
Mais il n'est pas nécessaire que ces violences constituent des et bles-
coups
sures proprement dits. Ainsi, la séquestration d'un l'autre est un
époux par
excès. De même, l'usage brutal que le mari fait de ses droits pour imposer
à sa femme des rapprochements conjugaux excessifs et de nature à com-
promettre sa santé peut être assimilé à un sévice 3 décembre
(Poitiers, 1894,
D. P. 1895.2.64; S. 1895.2.36).
L'épithète de graves, employée par l'article aussi bien
231, s'appliquant
aux excès ou sévices qu'aux injures, nous en déduirons deux :
conséquences
1° Les violences d'un époux contre constituer une de
l'autre, pour cause
divorce, doivent dépasser la mesure de simples actes de vivacité (Chambéry,
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 209

1872, D. P. 1873.2.129
; S. 1873.2.217 . Nous de plus
4 mai croyons qu'elles
ne doivent pas être isolées, mais renouvelées, car seulement dans ce cas
elles rendent la vie commune intolérable. Ce n'est d'ailleurs
pas probable-
ment sans intention que le législateur, les faits
pour désigner constituant
cette cause de divorce, a employé le pluriel et non le singulier (Toulouse,
10 février 1898, D. P. 1899.2.257) ;
2° Les magistrats, ayant à juger, en fait, si les excès ou sévices allégués
peuvent être considérés comme graves, possèdent en cette matière un pou-
voir d'appréciation souverain (Nombreux arrêts en ce sens, notamment
Req., 5 juillet 1909, D. P. 1909.1.496; S. 1909.1.576 24 janv.
; Civ., 1912,
D. P. 1912.1.171, 2e esp. ; S. 1912.1.319).

Quatrième cause : Injures —


graves. L'injure grave est, de toutes les
causes de divorce, celle qui, de beaucoup, donne lieu au plus nombre
grand
d'applications. L'expression employée par l'article 231 comprend, en effet,
deux groupes distincts de faits :
1° Les outrages adressés par un époux à l'autre au de la parole
moyen
ou de la plume. Ces outrages doivent évidemment un caractère
présenter
de gravité suffisant, ce que les magistrats auront à apprécier, en tenant
compte des circonstances, de l'état d'esprit des parties, des habitudes des
époux et de leur milieu social. Comme le dit un arrêt de la Cour de Mont-
pellier du 5 février 1895 (D. P. 1896.2.101), « la loi n'admet comme injures
graves que celles qui sont l'expression d'un sentiment mauvais, réfléchi,
permanent, rendant la vie commune insupportable à l'époux offensé, et
non des paroles vives, inconvenantes, échappées à une violence passagère
et qui trouve son excuse dans les circonstances qui l'ont fait naître ».
2° Sont encore des injures les actes d'un époux qui, sans qu'il y ait eu de
sa part aucune parole ou qualificatif injurieux, n'en ont pas moins, par
eux-mêmes, le caractère d'une offense outrageante pour l'autre époux,
parce qu'ils constituent une violation des devoirs nés du mariage ou dé-
montrent l'indignité de leur auteur et rendent dès lors la vie commune in-
tolérable. Ainsi, il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu de la part de l'époux
incriminé une intention hostile et malfaisante ; il suffit que, comme, par
exemple, dans le cas d'ivrognerie habituelle et publique, ou d'habitudes
de jeu compromettant sa dignité, le mari ait causé à la femme une humi-
liation personnelle équivalente à celle qui résulterait d'un outrage propre-
ment dit (Req., 6 mai 1907, D. P. 1907.1.408 ; S. 1907.1.280).
Etant donné le caractère forcément vague et flottant de cette conception
de l'injure grave, on comprend qu'elle puisse embrasser les faits les plus
divers. Et, de fait, on ne saurait prétendre énumérer tous les cas d'injures
graves dont les recueils de décisions judiciaires nous fournissent l'indica-
tion. Il suffira d'en citer quelques-uns :
L'abstention volontaire et persistante du devoir conjugal ;
L'abandon volontaire et intentionnel de l'un des époux par l'autre;
Le refus non justifié du mari de recevoir sa femme ; le refus persistant
de la femme de réintégrer le domicile conjugal, sans motifs plausibles ;
210 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

La tentative d'adultère ou même de légèretés de conduite (Req.,


simples
12 mai 1885, S. 1886.1.16) ;
La communication d'une maladie secrète ;
Le refus de consentir à la célébration du mariage après la cé-
religieuse
lébration civile (Rouen, 29 avril 1910, S. 1911.2.371.
Cette sans voie cesse
d'extension, en nous paraît mériter
jurisprudence,
la critique à deux points de vue.
1° Elle aboutit à violer, à tout le moins à tourner la loi, à en mé-
parfois
connaître Ainsi, nous avons déjà vu les tribunaux utiliser l'ar-
l'esprit.
ticle 231 pour faire aboutir des demandes fondées sur des faits que d'autres
textes sembleraient, au moins implicitement, exclure des causes de divorce

(condamnation à une peine correctionnelle par exemple). De même, ils ne


se font pas faute d'admettre, comme injures graves, des faits antérieurs au

mariage, tels que l'impuissance du mari, ou bien l'erreur sur l'intégrité


judiciaire ou corporelle d'un conjoint, ou sur les croyances religieuses, au
moins lorsqu'il y a eu dissimulation frauduleuse des faits (nombreuses dé-
cisions en ce sens : V. en dernier lieu, Trib. civ. Dax, 30 novembre 1906,
D. P. 1907.2.135). Or, d'une part, on ne peut dire qu'il y ait dans des torts
de ce genre, une injure commise par un époux contre l'autre. Et. d'autre

part, la sanction logique de griefs de ce genre paraîtrait devoir être, non


le divorce ou la séparation de corps, mais la nullité du mariage. Et, le

législateur s'étant refusé à les comprendre parmi les causes de nullité,


n'est-ce pas faire violence à la loi que de leur faire produire néanmoins,
sous forme de la du lien 1
divorce, rupture conjugal?
2° Les décisions judiciaires qui attachent à tel ou tel fait le caractère
d'une injure grave sont considérées comme souveraines parce qu'elles
reposent sur une appréciation de fait. Elles échappent, dès lors, au con-
trôle de la Cour de cassation (Civ., 25 juillet 1910, D. P. 1910.1.464; S.

1911.1.12), ce qui présente un double inconvénient. D'abord, la Cour su-


prême est hors d'état de mettre des bornes à l'extension, de plus en plus
large et débordante, que les tribunaux donnent à la notion d'injure grave
et à la multiplicité, peut-être abusive, des divorces qui résultent de cette
extension. Et, en second lieu, l'appréciation des griefs pourra
conjugaux
varier suivant le tribunal devant lequel la cause sera portée. Tel fait ne
sera pas considéré comme une injure grave par un tribunal, qui sera ac-
cueilli par un autre comme constituant une cause suffisante de divorce.
De sorte que le reproche d'incertitude peut s'ajouter au d'arbi-
reproche
traire que mérite ici, croyons-nous, donnée à la loi
l'interprétation par
les tribunaux.

Conviendrait-il de créer d'autres causes de divorce? — Etant


donné l'extrême variété des faits qui, nous venons de le constater, peuvent
actuellement servir de base à une demande en on peut
divorce, s'étonner,

1. Cons. Hitier, Du développement de la jurisprudence en matière de divorce,


Annales de l'enseignement supérieur de Grenoble. 1895.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 211

à première vue au moins, qu'on puisse souhaiter l'adjonction de nouvelles


causes déterminées à celles dont les tribunaux admettent, dès à présent,
un aussi large usage.
C'estcependant ce que font les partisans de l'élargissement du divorce.
Il y a deux causes surtout dont ils réclament l'admission, à savoir l'abandon
prolongé et persistant du domicile conjugal et l'aliénation mentale incurable
d'un conjoint 1. De ces deux propositions, la seconde surtout soulève bien
des objections car elle paraît peu en harmonie avec la notion du devoir
réciproque d'assistance dans les épreuves de la vie que le mariage impose
aux époux. Il est clair, que, si ces deux causes nouvelles étaient admises,
notre loi s'écarterait de plus en plus du concept du divorce-sanction.
On réclame aussi parfois le rétablissement, dans, notre Code, du divorce

par consentement mutuel, sans doute avec de moins gênantes formalités


qu'en 1804. Ce que l'on peut dire de plus décisif contre ce desideratum,
c'est qu'il est, en fait, déjà réalisé dans la pratique par les facilités que
les errements de procédure suivis devant nombre de tribunaux offrent
aux époux qui, sans avoir de causes déterminées à faire valoir, se sont
mis d'accord pour divorcer. Outre la simulation de griefs inexistants en
réalité, on peut signaler, dans cet ordre d'idées, la fréquence desjuge-
ments de divorce rendus par défaut, ce qui supprime toute contradiction
dés motifs allégués à l'appui de la demande. Devant certains tribunaux

même, dont celui de la Seine, on admet que les avocats des parties re-
nonçant à tout débat, fassent rendre, sur simple production leurs de

dossiers, un jugement d'accord. Ajoutons que, d'après la Jurisprudence,


le fait, de la part d'un demandeur en divorce, d'alléguer contre l'autre

époux un grief reconnu injustifié, constitue une injure grave que celui-ci

peut invoquer à l'appui d'une demande reconventionnelle (Req., 10 jan-


vier 1906. D. P. 1906.1.136). Qu'y a-t-il, dès lors, de plus aisé que de
tourner la prohibition du divorce par consentement mutuel, cependant
écrite dans la loi? Ceux qui, croyons-nous, pourraient être actuellement
les plus enclins à souhaiter une réforme de la loi, dans le sens indiqué,
sont plutôt les partisans du divorce restreint. Le rétablissement, dans le

Code, du divorce par consentement mutuel permettrait peut-être de l'as-

sujettir à des garanties et à un contrôle que son fonctionnement de fait


actuel ne comporte pas.

Des fins de non-recevoir contre la demande en divorce. — L'ef-


fet des causes de divorce peut se trouver paralysé par l'existence d'une
fin de non-recevoir admise par la loi.
Quelles sont au juste ces fins de non-recevoir ? Trois sont certaines ; deux
sont contestées ; une sixième fin de non-recevoir à été abolie par la loi du
5 avril 1919.

1. V. les propositions de M. Maurice Violette, Ch. des députés, sess. extraord.


1910, annexe n° 434, J. Off,, Doc. Pari, Ch.; p. 72; et Maurice Colin, ibid., annexe
n° 470, J. Off., Doc. Pari., p. 117; Voir Revue trimest. de droit civil, 1906, p. 186
et 945, 1907, p, 662, 1911, p, 205,
212 LIVRE I. — TITRE 1. — PREMIERE PARTIE

1° L'abandon par la femme, sans motifs plausibles, de la résidence qui lui


a été au début de l'instance, par le président du tribunal, la fait
assignée,
déclarer irrecevable à la demande qu'elle aurait formée
poursuivre
(art. 241).
2° L'action en divorce s'éteint encore par la mort de l'un des époux, sur-

venue la procédure, ou avant que le jugement ou l'arrêt pronon-


pendant
le divorce soit devenu définitif (art. 244, 3e al.). On comprend en effet
çant
de cruels froissements et de scan -
que l'instance en divorce, génératrice
ne doit continuer à se dérouler, alors que le mariage va se
dales, pas
trouver dissous naturellement par la mort. Il n'y aurait plus guère, pour
survivant ou les héritiers du défunt, qu'un intérêt d'ordre
l'époux pour
à faire décider qui doit sortir vainqueur de l'instance enga-
pécuniaire
Et cet intérêt, la loi ne juge pas qu'il doive ici être pris en considéra-
gée.
tion.

3° Une troisième fin de non-recevoir certaine résulte de la réconciliation


des époux survenue soit depuis les faits allégués dans la demande, soit

depuis la demande (art.244, 1er et 2e al.). Cette réconciliation, impliquant


de la part de l'époux offensé, le pardon des fautes de son conjoint, peut se

prouver par tous les moyens possibles. Elle résultera le plus souvent de
la reprise par les époux de la vie commune, au moins quand elle avait
été suspendue, sans que, d'ailleurs, les tribunaux soient astreints à atta-
cher cette conséquence à la cohabitation des époux, car ils ont, à cet

égard, un pouvoir souverain d'appréciation (Req., 10 mars 1908, D. P.


1908.1.280; S. 1908.1.308; Civ., 23 octobre 1911, D. P. 1911.2.463; S.

1912.1.16).
La réconciliation d'ailleurs
n'empêche
pas l'époux d'intenter une nou-
velle demande, s'il des faits
découvre qu'il ignorait quand il a pardonné. Il
peut alors se prévaloir des anciennes causes à l'appui de sa demande, si
les faits nouveaux sont, en eux-mêmes, insuffisants. Il en est de même
quand, après la réconciliation, le conjoint se rend coupable d'une nouvelle
faute (art. 244, 2e al). Suivant une formule employée par la Cour de cas-
sation, les faiLs nouvellement commis ou découverts « font revivre » les
faits anciens (Req., 8 mars 1904, D. P. 1904.1.475 ; S. 1904.1.240 ;
8 mars 1909, D. P. 1910.1.53; Civ., 3 janvier 1912, D. P. 1912.1.171,
1re esp. ; S. 1912.1.192).

4° La éteindre l'action en divorce? Il


prescrilion peut-elle y a des dé-
cisions qui l'admettent, quoique la loi garde le silence sur ce point (Trib.
civ., Rambouillet, 3 août 1894, D. P. 1895.2.294 ; S. 1895.2.55). Ainsi,
l'expiration du délai de trente ans. depuis les faits commis un con-
par
joint, mettrait obstacle à ce que ces faits puissent être à l'appui
invoqués
d'une demande en divorce. La question offre, à notre avis, d'intérêt
peu
pratique, car l'inaction del'époux, offensé trente ans être
pendant peut
considérée comme éteignant son action, non parce celle ci est
que pres-
crite, mais parce qu'il y a lieu de présumer une réconciliat on. Mais, au
seul point de vue des principes admettre la prescription en cette matière
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 213
nous semble inacceptable, la
parce que prescription ne peut atteindre les
actions relatives à l'état des personnes et que l'action en divorce rentre
dans cette catégorie.

Certaines législations édictent


étrangères ici, nous devons le recon-
naître, une solution contraire à celle que nous prêtons à la loi française.
Ainsi, aux termes de l'article 138 du Code civil suisse, l'action de l'époux
offensé s'éterait par le laps de six mois depuis que l'époux offensé a
connu la faute de son conjoint, ou par le laps de cinq ans depuis que
ce tort a eu lieu, s'il n'a pas été connu. La règle ainsi établie nous pa-
raît mauvaise. De deux choses l'une, en effet. Ou bien le silence prolongé
de l'époux offensé vaut réconciliation, et il n'est besoin de faire
pas appel
à la prescription. Ou bien ce silence une autre et
s'explique par cause,
il serait fâcheux que la prescription intervînt le lien
parce que, alors, con-
jugal n'a pas cessé d'être profondément atteint.

5° Il y a pareillement doute sur le de savoir si la des


point réciprocité
torts, qui constitue une fin de non recevoir dans certaines lois étrangères,
en Angleterre, par exemple, doit avoir chez nous le même effet. La plu-
des auteurs se prononcent la Il
part pour négative. y a cependant un cas
où la loi nous paraît imposer la solution contraire. C'est de
lorqu'il s'agit
divorce pour cause de condamnation d'un des à une peine affective et
époux
infamante. En effet, l'article 232 nous dit : « La condamnation de l'un des
époux sera pour l'autre époux une cause de divorce ». On remarquera que
la Jurisprudence, lorsqu'il s'agit d'excès ou d'injures admettre
graves, paraît
que les torts de l'époux demandeur peuvent être considérés comme ayant
enlevé à ceux de l'autre conjoint leur caractère de gravité et, dès lors,
comme les ayant rendus inopérants (Req., 6 décembre 1897, D. P. 1898.1.77;
S. 1898.1.320; 14 janvier et 27 janvier 1908, D. P. 1908.1.127 et 154;
S. 1908.1.143 et 144).

,6° Enfin, l'article 295 contenait une fin de non recevoir aujourd'hui
abolie. Son alinéa 3 disposait en effet
lorsque deux
que, époux divor-
cés se seraient réunis, il ne serait plus reçu de leur part aucune nou-
velle demande de divorce. La loi du 5 avril 1919 a abrogé cette -
dispo
sition.

§ 2. — Procédure du divorce.

Les dispositions relatives à la procédure du divorce devraient ration-


nellement prendre place dans le Code de procédure civile. Si le législa-
teur de 1804 les avait insérées dans le Code civil, ce n'était point ce-
pendant par inadvertance, mais parce que, dans sa pensée, les formes à

employer touchaient de près au fond de l'institution, en ce sens qu'elles


étaient calculées pour rendre le divorce plus difficile, plus coûteux et

partant plus rare, 1884, la loi de rétablissement avait laissé subsister


En
la procédure du Code civil. Mais, sur les réclamations du monde judi-
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
214

la loi du 18 avril dans le Code civil, vint profon-


ciaire, 1886, incorporée
dément remanier cette dans un dessein évident de simplifi-
matière,
cation.
certains du divorce voudraient faire plus en-
Actuellement, partisans
core. Ils réclament une accélération de la procédure, la subs-
plus grande
titution d'un tribunal arbitral à la de droit commun, ou, tout
juridiction
au la dans l'instance, du ministère des avoués et des
moins, suppression,
avocats 1. Si ces elles n'aboutiraient à rien
conceptions triomphaient,
moins renversement des conceptions du Code civil. Le
qu'au complet
divorce redeviendrait ce était chez les Romains, un acte de pure
qu'il
volonté ou à peu soustrait à tout contrôle sérieux. Et il serait bien
près,
difficile, en même temps qu'illogique, de continuer à en restreindre l'ap-
plication à des cas déterminés.
La procédure du divorce la réforme de 1886, assez
qui demeure, malgré
spéciale à bien des points de vue, et qui donne lieu à plusieurs questions
délicates, comprend trois phases successives.

Première : Devant le du tribunal. — Les


phase président points
à examiner, dans cette première phase, sont les suivants : I. Capacité
nécessaire pour demander le divorce ; II. Tribunal compétent ; III. Re-

quête du demandeur au président du tribunal ; IV. Tentative de concilia-


tion ; V. Ordonnance du président contenant permission d'assigner; VI.
Mesures provisoires.

I. — en matière d'action en divorce. — En


Capacité principe,
chacun des deux épeux doit pouvoir agir en divorce, soit pour le deman-
der par voie principale, soit pour se défendre et, au besoin, former une
demande reconventionnelle, afin de rejeter sur son adversaire les dé-
chéances qui frappent l'époux aux torts duquel le divorce est prononcé.
Mais quel sera l'effet de l'incapacité, dont un époux peut être atteint, sur
l'exercice de son droit ? C'est ce qu'on va examiner en passant en revue
les diverses catégories d'incapables.
1° Femmes mariées. — Il est manifeste la femme mariée . ait échap-
que
per ici à la nécessité de l'autorisation maritale. La loi l'en dispense
donc, ainsi que de l'autorisation de justice. Ces autorisations sont suppléées
par le permis de citer que le président (et non le tribunal) doit donner à
l'époux demandeur (art. 238). Ce permis de citer vaut habilitation pour la
femme, en vue d'agir si elle est demanderesse, de si elle est
répondre
défenderesse. Ce permis ne pouvant pas être refusé, on peut considérer la
femme comme totalement relevée de son il de
incapacité, quand s'agit
plaider en divorce.
2° Minorité. — Les mineurs mariés appartiennent forcément à la caté-
gorie des mineurs émancipés. Or, l'article 482 n'assujettissant les mineurs
émancipés à se faire assister de leur curateur pour plaider que lorsqu'il

1. V. sur ces propositions, Cézar-Bru, Bull, de la Soc, d'Et, législ,, 1906, p. 13


DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 215

s'agit d'une matière immobilière, on considère aussi sont


qu'eux capables
de plaider en divorce tant en demandant défendant 4 janvier
qu'en (Angers,
1899, D. P. 1899.2.160 ; S. 1899.2.40 ; Trib. civ. Limoges, 3 décembre 1908,
D. P. 1910.2.200 ; S. 1909.2.228).
3° Faiblesse ou prodigalité. — Ici, les textes
d'esprit qui déterminent la
de l'individu pourvu d'un conseil judiciaire
capacité (art. 499, 513) sont
conçus en termes généraux et lui défendent de plaider sans l'assistance de
ce conseil. Le conseil judiciaire doit donc intervenir le procès
pour
en divorce intéressant le prodigue ou le faible comme
d'esprit. Mais,
il ne saurait être admis que la mauvaise volonté du conseil judiciaire pût
entraver l'exercice d'un droit essentiel, le plaideur, en cas de refus d'assis-
tance, pourra s'adresser au tribunal et se faire un conseil ad hoc
désigner
impérative de l'assister (Paris, 25 mars 1890, D. P. 1890.2.257.
ayant mission
note de M. Planiol ; S. 1890.2.107).
4° Interdiction — Aux termes de l'article alinéa
légale. 234, 3, c'est le
tuteur du condamné qui, « sur sa réquisition » et avec son autorisation,
doit présenter la requête en son nom et, par conséquent, intenter la demande
en divorce. Si l'interdit légal est défendeur à l'instance, le texte reste muet;
on appliquera donc le droit commun, et, dès lors, le condamné sera repré-
senté dans l'instance par son tuteur. (Paris 7 avril 1887, D. P. 1888.2.245;
S. 88.2.34; Caen, 20 novembre 1912, S. 1913.2 100).
5° Interdiction — Aucun texte ne vise la situation de l'aliéné
judiciaire.
. interdit au point de vue de l'action en divorce. Il en résulte que, si l'interdit
plaide comme défendeur, il sera représenté par son tuteur. Mais le tuteur

pourra-t-il demander le divorce? Non. En effet, l'article 307, 2° al. (ajouté


par la loi du 18 avril 1886) porte expressément que le tuteur de l'interdit
peut « avec l'autorisation du conseil de famille, présenter la requête et suivre
l'instance en séparation ». Et il résulte clairement des travaux prépara-
toires que de 1886,
la loi en gardant le silence sur une demande en divorce
à intenter au nom de l'interdit, a entendu en exclure la possibilité. Le
divorce est un acte trop grave pour qu'un tuteur et un conseil de famille

puissent y induire un aliéné. L'expédient de la séparation sera suffisant, le


cas échéant, pour sauvegarder ses intérêts matériels et moraux.
On peut se demander ici, il est vrai, si l'aliéné lui-même ne pourrait pas
intenter une action en divorce pendant un intervalle lucide. C'est une ques-
tion qui sera examinée quand nous traiterons de l'interdiction.
6° Aliéné dans un établissement. — Aucune dans la loi
placé disposition
du 30 juin 1838, sur les aliénés, ne vise la situation de l'aliéné non interdit,
mais placé dans un établissement, pas plus en cas de procès en séparation
de corps qu'en cas de procès en divorce. Donc, si cet aliéné est défendeur à
une action en divorce ou en séparation, il sera, comme dans tout autre

procès, représenté par un mandataire ad litem (art. 33, loi de 1838). Quand
il s'agit lui non de défendre, mais de demander, on pourrait être tenté
pour
de l'absence d'une disposition analogue à celle de l'article 307 du
d'arguer
Code civil relatif à, l'interdit, pour soutenir qu'il ne peut pas plus agir en

séparation divorce. A quoi bon, en faire prononcer par la jus-


qu'en effet,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
216

de corps, l'internement de l'aliéné réalise déjà


tice une séparation puisque
en fait cette certains arrêts se prononcent dans un
séparation? Cependant,
sens différent. Ils décident mandataire ad litem de l'interné aurait
qu'un
former et suivre en son nom une instance en séparation, mais
qualité pour
non une demande en divorce. Bien ils ne permettent pas même au
plus,
mandataire ad litem de suivre une demande en divorce déjà entamée par
l'aliéné avant son internement. Cette solution singulière se fonde sur ce

qu'il est à l'aliéné de se conformer à l'injonction de l'article 238,


impossible
la comparution des plaideurs en divorce lors de l'es-
exigeant personnelle
sai de conciliation 4 mai 1903, Gaz. Pal, 1903.2.230). Il faut
(Angers,
conclure de ce motif que, dans un tel système, la solution adoptée ne s'ap-

pliquerait point et qu'un mandataire pourrait poursuivre une instance en


divorce entamée avant l'internement, si elle était parvenue à une phase
plus avancée que celle de la conciliation.

Remarquons qu'en ce qui concerne l'aliéné interné mais non interdit, il


ne paraît pas douteux qu'il ait pleine capacité d'agir en divorce ou en sé-

paration pendant un intervalle lucide.

II. — Tribunal — Il faut les du droit


compétent appliquer règles
commun. Par conséquent, l'action doit être portée devant le tribunal civil
du domicile du défendeur (art. 59, al. 1, C. pr. civ.).
Ainsi, c'est le tribunal civil qui seul est
compétent. Un tribunal répressif,
appelé à statuer sur des faits qui constituent une cause de divorce, par
exemple, sur une tentative de meurtre commise par un conjoint sur la per-
sonne de l'autre, ne pourrait pas, sur les conclusions de celui-ci, pronon-
cer le divorce, alors même que la victime de cette tentative se serait portée
partie civile.
L'ancien article 234 disait que le tribunal civil compétent était celui « de
l'arrondissement dans lequel les deux époux auront leur domicile ». Et,' en
effet, le
plus souvent, les époux, au moment où le procès commence, ont
un domicile commun. Pourtant, le contraire se produire,
peut par exemple
si les deux époux sont déjà de corps. Aussi la loi de 1886 a-t-elle
séparés
supprimé la formule de l'article 234 (rédaction de 1884).
Une fois que tance est le tribunal saisi reste
l'ins engagée, compétent
alors même que le défendeur de domicile. Il importe donc beau-
change
coup de savoir à quel moment tance est c'est-à-dire définitive-
l'ins liée,
ment introduite. Est-ce au moment de la de la au
présentation requête,
moment du permis de citer, ou à celui de La Cour de cas-
l'assignation?
sation décide que c'est au moment où le obtenu du
demandeur, ayant
président la permission de citer son en conciliation, l'a effecti-
conjoint
vement cité à comparaître devant le 8 décembre
président (Req., 1880,
D. P. 1881.1.260; S. 1882.1.103). Il y a des décisions de Cours en
d'appel
sens contraire. (V. Douai, 5 janvier D. P. 1903.2.152 11 jan-
1903, ; Paris,
vier 1900, Gaz, Pal., 1900 2.465).
On décide également, et cette solution le corollaire de la
paraît précé-
dente, que le défendeur, qui prétend le tribunal saisi est
que incompétent,
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 217

doit soulever immédiatement cette question devant le avant


président
de répondre aux griefs du demandeur (V. note de M. Garsonnet
S. 1892.1.129; Paris, 15 mars 1892, D. P. 1893.2.367; S. 1892.2.72; note
de M. de Boeck D. P. 1892.2.321).
Reste à savoir devant quelle juridiction sera porté contre la déci-
l'appel
sion du
président statuant sur la compétence. Sera-ce devant le tribunal
ou devant la cour ? On relève sur ce point des arrêts en sens contraire
(Grenoble, 2 mai 1891, D. P. 1892.2.561 ; S. 1893.2.177 ; Nîmes, 16 février
1892, S. 1892.2.39). Nous croyons que c'est devant la cour, étant donné que
le président, en prononçant sur la compétence, dans le procès destiné à
se dérouler devant le tribunal, rend une décision qui, normalement,
devrait émaner du tribunal et agit par une sorte de sans
délégation, qu'on
puisse le considérer ici comme constituant une juridiction particulière.

III. — de demandeur. — Le acte de la


Requête l'époux premier
procédure est une requête que l'époux demandeur adresse au président
du tribunal, et dans laquelle il énonce les faits servant de base à sa
demande. Cette requête est rédigée par un avoué. Mais la loi veut qu'elle
soit présentée au président par l'époux en personne (art. 234-1°). En cas
d'empêchement dûment constaté de l'époux, le président doit se trans-
porter, assisté de son greffier, au domicile du demandeur (art. 234 2e al.).
On voit combien la loi attache d'importance à la comparution du deman-
deur devant le président. C'est que celui-ci doit, après avoir entendu les
doléances de l'époux, lui faire toutes les observations qu'il croira con-
venables pour le détourner de poursuivre sa demande si elle n'est pas
fondée sur des motifs suffisamment graves (art. 235). Cette disposition et
un grand nombre de celles qui vont suivre révèlent, croyons-nous, clai-
rement l'esprit du législateur, qui ne voit dans le divorce qu'un remède
d'exception auquel on ne doit recourir qu'en désespoir de cause. C'est pour
cela que la loi multiplie les formalités qui tendent à susciter les réflexions
des époux ou
à. provoquer entre eux réconciliation. une
Mais l'expérience
démontre combien ces précautions sont peu utiles. Notamment, les obser-
vations que le président peut faire à un conjoint désireux de demander
le divorce lui ont été déjà faites par ses parents ou ses amis, ou il se les
est faites à lui-même. Que pourrait ajouter un magistrat qui générale-
ment ne connaît rien de la vie ni des dispositions du plaideur comparais-
sant devant lui, et dont les moments sont trop étroitement comptés pour
qu'il puisse converser bien longuement avec le requérant ?

IV.— Tentative de conciliation. — Dans noire tous


procédure civile,
les procès doivent être précédés en principe d'un préliminaire de concilia-
tion qui se passe devant le juge de paix (art. 48 et suiv.,C. proc. civ.). En
matière de divorce, le législateur n'a eu garde de négliger cet essai de
conciliation. Mais, pour en augmenter les chances de succès, il donne mis-
sion de le tenter non pas au juge de paix, mais au président du tribu-

nal, dont l'autorité et le prestige sont supérieurs.

DROIT. — Tome I.
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
218

donc son entrevue avec le président


Lors que l'époux demandeur, après
du tribunal, a persisté dans son intention de plaider en divorce, le président

ordonne au bas de la requête les parties comparaîtront devant lui au


que
et à l'heure et il commet un huissier pour notifier cette
jour qu'il indique,
citation au défendeur. La citation contient, en tête,la requête du demandeur

et l'ordonnance du président ; elle doit être notifiée au défendeur trois

au moins avant le jour fixé la comparution, en y ajoutant


jours pour
les délais de distance. Elle est délivrée par l'huissier commis et sous pli
fermé au domicile du défendeur ; le tout à peine de nullité (art. 237, al. 1er).
Au les parties doivent enpersonne (art. 238, in
jour dit, comparaître
et sans être assistées d'avoués ou d'avocats (V. art. 877, C. proc. civ.).
princ.)
C'est seulement ainsi, en effet, que leur entrevue devant le président peut
donner espoir de
rapprochement. La loi ajoute (art. 238) qu'en
quelque
cas de l'une des parties, le président détermine le lieu où
d'empêchement
sera tentée la conciliation, par exemple, au domicile du défendeur, s'il

babite dans le ressort. Ou bien, si le défendeur habite au loin, le président

donne commission rogatoire au président du tribunal de l'arrondissement


de son domicile, pour que celui-ci puisse l'entendre.
Ici encore, les formalités minutieusement organisées, en vue de raréfier
les divorces, n'ont que bien peu répondu à l'attente du législateur. En pra-
tique, les défendeurs se gardent en général de répondre à la citation en con-
ciliation. Aucune sanction n'étant prescrite, le président, lorsque le défen-
deur ne défère pas à la citation, ne peut que constater le défaut.

Pourtant, à mesure que diminue l'espoir d'une conciliation, la loi semble


en quelque sorte s'y cramponner. Faute en effet, par le défendeur de com-

paraître ou, par les parties, de se concilier, l'article 238, alinéa 6, semble
convier le président à un dernier effort pour amener l'abandon de la de-

mande, en lui donnant la faculté d'imposer aux parties, avant de permettre


la continuation de la procédure, un délai d'attente qui ne peut pas excéder

vingt jours. En pratique, il est fait d'ailleurs assez rarement usage de cette
faculté.

V. — Ordonnance contenant permission d'assigner.


— La tentative
de conciliation n'a pas abouti. Le président doit rendre alors une ordon-
nance qui constate la non-conciliation ou le défaut, et autorise le deman-
deur à assigner le défendeur devant le tribunal (art. 238, 1er al.).
L'article 238, 7e alinéa, enjoint à l'époux demandeur d'user de la per-
mission de citer qu'il a reçue dans un délai
de vingt jours. Toutefois, l'assi-
gnation lancée après l'expiration de ce délai ne serait nulle. La sanc-
pas
tion donnée par l'article 238, 7e alinéa, à son injonction, c'est faute
que,
par le demandeur de s'y conformer, les mesures il va
provisoires (dont
être parlé), qui auraient été ordonnées par le président, cesseront de plein
droit d'avoir effet (art. 238, 8e a l.). Ce qu'on veut éviter, c'est le de-
que
mandeur, après avoir obtenu du président les mesures provisoires qu'il
désirait, notamment la permission d'avoir un domicile ne reste
séparé,
dans le statu quo.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 219

Il va de soi que le tribunal qui serait saisi une assi-


régulièrement par
gnation lancée après le délai de l'article 7e alinéa,
238, pourrait statuer à
nouveau sur les mesures provisoires sollicitées le demandeur.
par

VI. — Mesures — Dès


provisoires. que l'un des époux demandé le
divorce, le est si profondément troublé
ménage qu'il y a lieu de prendre
certaines mesures provisoires, sans attendre la fin des débats, ni même la
réunion du tribunal tout entier.
1° La plus urgente concerne la séparation car la vie com-
d'habitation,
mune est devenue impossible et cependant, tant que le mariage n'est pas
dissous, les époux sont obligés au domicile commun. avant même
Aussi,
de tenter la conciliation des conjoints, le président dès le moment
peut-il,
où la requête initiale lui est présentée par le demandeur, autoriser celui-ci,
par l'ordonnance contenant citation en conciliation, à prendre une rési-
dence En même il ordonnera
séparée (art. 236). temps, que ses effets per-
sonnels lui soient remis.
Le plus souvent, ce sera la femme qui sera autorisée à quitter le domi-
cile conjugal et le président indiquera alors le lieu où elle devra résider :
soit chez ses parents, soit chez des personnes amies, soit ailleurs. Il pos-
sède à cet égard un pouvoir discrétionnaire. Mais il pourra arriver que le
domicile assigné à la femme soit précisément le domicile conjugal. Il en
sera ainsi si la femme y a été délaissée par le mari. Et même, si la femme
exerçait au domicile conjugal un commerce qui la fait vivre, il n'y a au-
cune raison pour que le tribunal ne puisse enjoindre au mari d'en sortir,
en assignant ce domicile comme résidence à la femme.
Dans tous les cas, la femme ne peut, sans autorisation nouvelle, changer
la résidence qui lui a été fixée. Elle est, en conséquence, tenue dé justifier
de sa résidence dans la
indiquée,maison toutes les fois qu'elle eh' est re-
quise. A. défaut de cette justification, le mari pourrait refuser de continuer
à verser la provision alimentaire qui a pu lui être imposée et, si la femme
est demanderesse en divorce, la faire déclarer non recêvable à continuer
ses poursuites (art. 241),, à moins qu'elle ne prouve qu'elle a été dans la
nécessité de changer de résidence (Req., 23 juillet 1913, S. 1913.1.571).
Quant au mari, si c'est lui qui sollicite de quitter le domicile conjugal,
il faut également qu'il y soit autorisé, mais il est libre de choisir le lieu de
sa résidence.
La mesure relative au domicile séparé des
conjoints présente, avons-nous
dit, un caractère provisoire. Donc, le président du tribunal, s'il a statué à
cet égard dès la comparution de l'époux demandeur porteur de la requête,
peut revenir sur sa décision et prendre des dispositions dans
nouvelles,
l'ordonnance qui suit l'échec de la tentative de conciliation. Ou bien, s'il
ne l'a fait encore, il statuera à ce moment, pour la première fois, sur le
même objet (art. 238, 2e al.).
2° La seconde mesure provisoire prévue par la loi a trait à la provision
alimentaire destinée à permettre à la femme, ou, plus généralement, à l'é-

poux dénué de ressources personnelles, de vivre pendant l'instance.


220 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

L'ordonnance allouant cette


provision ne peut être prise pour la pre-
mière fois qu'au jour de l'ordonnance clôturant la tentative de conciliation

(art. 238, 2e al., in fine). estime, La loi


on le voit, que bien qu'urgente,
cette mesure ne l'est pas au même degré que la séparation d'habitation.

Néanmoins, la Cour de cassation a décidé que, si la première ordonnance


du président assigne comme résidence à la femme une maison garnie de

meubles, l'usage de ces meubles doit lui être immédiatement accordé

(Req., 25 février 1901, D. P. 1902 1.513). Quant à la provision ad litem, qui


peut être nécessaire à l'un des époux pour suivre le procès, elle doit être
demandée au tribunal fart. 240, 2e al.).
3° La garde des enfants peut également faire et fait, en général, l'objet
d'une mesure provisoire. En effet, bien que le père continue, en principe,
à exercer la puissance paternelle sur les enfants durant l'instance, il peut,

pour diverses raisons, être nécessaire de lui en enlever la garde, car

quelquefois tous les enfants, quelquefois certains d'entre eux, ceux qui
sont en bas âge par exemple, des soins de la mère.
ont besoin Le président

réglera donc cette question, avec un pouvoir discrétionnaire, au mieux des


intérêts des enfants (art. 238, 2e al.). Ici, le droit pour le président d'or-
donner une mesure provisoire s'ouvre dès la première comparution de l'é-

poux demandeur. C'est ce qui résulte des termes de l'article 238, 2e al., qui,
visant l'ordonnance à rendre par le président, après l'échec de la tentative
de conciliation, dit « le juge
que statue à nouveau,
y a lieu, sur la rési- s'il
dence de l'époux demandeur, sur la garde provisoire des enfants, etc... ».
4° Le président a encore à prendre parfois des mesures provisoires con-
cernant la sauvegarde des intérêts pécuniaires et la conservation du patrimoine
des époux pendant l'instanee. Il le fera, si le besoin s'en fait sentir, dès sa

première ordonnance (art. 242,1er al.). Ces mesures sont de diverses sortes.
Par exemple, si les époux exercent un commerce en commun, il convient
de décider dans quelles conditions et par qui il sera continué.
Mais les mesures de ce genre les plus importantes sont celles qui ont
trait à la sauvegarde des intérêts pécuniaires de la femme pendant l'ins-
tance. En effet, un grand nombre d'époux sont mariés sous le régime de
la communauté, situation qui confère au mari les droits les
plus étendus
sur les biens communs. Même en ce qui concerne les biens demeurés propres
à la femme, sous le régime de la communauté et sous tous les autres (ré-
gime sans communauté, régime dotal), sauf celui de de
séparation biens,
le mari exerce les pouvoirs d'un administrateur. Il est à craindre qu'il
n'en abuse durant ces dernières semaines les revenus
pour dilapider
peut-être pour faire disparaître les biens communs ou même les propres
de la femme dont les conventions matrimoniales lui donnent l'adminis-
tration. La solution logique de la difficulté eût été d'enlever au mari
l'administration dès le moment de l'introduction de la demande en di-
vorce. C'est ce que proposait, du moins en partie, le Conseil d'Etat, lors
de la rédaction du Code civil. Mais cette idée fut écartée, par cette rai-
son que, pour l'admettre, il eût fallu avertir les tiers de la modification
apportée dans les pouvoirs du mari, à cet
et, effet, organiser la publi-
cité de la demande en divorce à l'instar de celle qui entoure une de-
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 221

mande en séparation de biens. Or, pour des raisons que l'on comprendra
sans peine, le législateur, toujours de bout
préoccupé ménager jusqu'au
les chances de réconciliation entre les ne voulait
époux, pas que la demande
en divorce fût portée à la connaissance du Le Code civil n'a
public. donc,
dans l'article 242, autorisé
que des mesures à certains
provisoires, égards
insuffisantes, auxquelles, il est vrai, la pratique a ajouté certains autres
procédés de sauvegarde plus ou moins efficaces selon les cas.
A. — La première mesure visée par l'article 242, 1er al. consiste dans
l'apposition des scellés que les époux peuvent demander. Le plus souvent,
la demande émane de la femme, puisque le mari conserve le maniement
de ses biens et des biens communs. L'article 242 prévoit donc que l'appo-
sition des scellés peut être requise non seulement sur les biens communs
(1er al.), mais sur les biens propres de la femme dont le mari a l'adminis-
tration, sous quelque régime que ce soit (2e al.).
Une fois les scellés apposés, ils sont levés à la de la la
requête partie
plus diligente ; les objets et valeurs sont inventoriés et prisés ; l'époux
qui est en possession, c'est-à-dire le mari, en est constitué judi-
gardien
ciaire (art. 242, 3e al.). devient donc responsable de la conservation de
Il
ces objets et doit, comme tout gardien judiciaire (art. 1962), les représen-
ter en nature. // est donc désormais privé du droit de les aliéner. Et c'est
là le grand avantage de la mise sous scellés.
B. — L'article 242 indiquant que le président prendre d'autres
peut
mesures conservatoires qu'il ne spécifie pas d'ailleurs (arg. des mots « no-
tamment » (1er al.) et « à moins n'en soit décidé autrement » (3e al.), la
qu'il
Jurisprudence permet au juge toutes mesures de sauvegarde autres que
celle qui consisterait à enlever au mari l'administration de la communauté
(Req., 26 mars 1889, D. P. 1889. 1.444 ; S. 1890. 1,253 ; et 28 juin 1899, D. P.
1899. 1.447 ; S. 1900. 1.37). Ainsi, il pourrait ordonner que les objets mo-
biliers et valeurs de la femme ou de la communauté fussent déposés dans
une banque ou entre les mains d'un tiers, et même que la femme pratiquât
des saisies-arrêts entre les mains des débiteurs de la communauté, pour
comprendre dans ce dépôt les capitaux ainsi recouvrés (Req., 14 mars 1855,
D. P. 1855. 1.235; S. 1856. 1.655).
C. — Ne pourrait-on pas enlever au mari l'administration pour la confier
à un tiers ? Pour les raisons indiquées plus haut, la Cour de cassation s'est

jusqu'à présent refusé à l'admettre (V. aussi Paris, 23 décembre 1921, Gaz.,
Pal., 1er février 1922). Mais certains arrêts de cours d'appel permettent au
président de prendre cette mesure en ce qui concerne, sinon les biens de
communauté, du moins les propres biens de la femme (Bordeaux, 11 janv.
1893, D. P. 1893.2 518; Montpellier, 31 janv. 1895, D. P. 1895.2.355 ; Paris,
27 nov. 1895, D. P. 1896.2.95). Ces solutions nous paraissent contraires
aux principes. Le seul procédé correct pour aboutir au même résultat est, à
notre avis, celui, par la pratique, qui consiste en ce que la
parfois employé
femme introduise, en même temps que son action en divorce, une instance
en séparation de biens. En effet, dans une instance de ce genre, l'article 869
du Code de procédure civile de prendre, dès le début
permet de la demande,
222 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

des mesures conservatoires, parmi lesquelles on range la nomination d'un

(V. cep. Civ., 10 juin 1898, D. P. 1898. 1.536; S. 1899. 1.20).


séquestre
D. — Enfin, nous croyons que le président pourrait, pour tenir lieu à la
femme de pension alimentaire, l'autoriser à toucher elle-même les reve-
nus de sa dot ou des biens lui appartenant en propre. La Cour de cassa-
tion concède en effet au tribunal la faculté de conférer à la femme cette
autorisation (Req., 31 mars 1908, D. P. 1908. 1.277 ; S. 1909. 1.71). Et nous
ne croyons pas y ait aucune
qu'il bonne raison pour refuser le même droit
au président, lorsque c'est lui qui statue sur les aliments.

Voies de recours contre les mesures — Les diverses


provisoires.
mesures provisoires que nous venons d'étudier, qu'elles soient relatives à
l'habitation séparée des
époux, à la provision alimentaire, à la garde des
enfants, ou à la conservation des biens, sont-elles susceptibles de voies
de recours? Peuvent-elles faire l'objet d'un appel devant une juridiction
supérieure ? La réponse à cette question consiste dans la distinction
suivante :
Aucune voie de recours n'est admise contre les mesures provisoires
ordonnées par le président au moment où il reçoit la requête de l'époux
demandeur. En effet, l'article 236, qui vise la première ordonnance que le
président peut prendre à ce moment, ne prévoit pas l'appel. La règle s'ex-
plique par la durée très brève qu'auront les mesures prises à ce moment.
Mais il en est autrement pour les mesures provisoires ordonnées dans

l'ordonnance qui, après la tentative de conciliation, permet au demandeur


de citer son adversaire devant le tribunal. Ici l'appel est possible dans les
termes du droit commun (art. 238, 3e al.), ce qui s'explique ce fait que
par
ces mesures peuvent se prolonger jusqu'à la fin de l'instance. cet
Seulement,
appel offre cette particularité qu'il n'est pas des mesures
suspensif pronon-
cées. Celles-ci sont exécutoires par provision (art. 238, 3e al., in princ), à
raison de leur
urgence. Seule, la décision de la juridiction si elle
d'appel,
infirme l'ordonnance du président, mettra fin à l'application des mesures
prescrites.
Devant quelle juridiction doit être porté ? Ce ne peut confor-
l'appel être,
mément aux règles du droit commun, devant la Cour Seule-
que d'appel.
ment, une question se pose. C'est de savoir si la Cour être saisie uti-
peut
lement d'un appel contre une mesure ordonnée le président,
par une fois
que l'instance en
divorce a commencé devant le tribunal. En effet, le tri-
bunal ayant reçu de la loi la mission si besoin
d'ordonner, est, de nou-
velles mesures provisoires (art. il paraîtrait
240), rationnel que la faculté
de former appel contre celles ont été ordonnées
qui précédemment, fût
absorbée et remplacée par le droit qui appartient, désormais, à chaque
partie de solliciter du tribunal de nouvelles mesures modifiant les pré-
cédentes. C'est en ce dernier sens que plusieurs Cours d'appel s'étaient
prononcées. Mais la Cour de cassation a décidé, contrairement à cette
interprétation, que la faculté d'en devant la Cour
appeler d'appel des
mesures provisoires prises par ordonnance du président peut s'exer-
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 223

cer, même entamée devant le tribunal 29 juin


une fois l'instance (Cit., 1892,
P. 1892, 1.553, note de M. de Loynes ; S. 93.1.242). Et l'argument in-
D.
voqué en faveur de cette solution, c'est que l'article 238, en ouvrant aux
parties la ressource de l'appel contre la seconde ordonnance du prési-
dent, ne modifie en rien les
règles ordinaires de cette voie de recours.
Cet argument paraît à de bons esprits d'une valeur contestable. Il n'a
point convaincu certaines Cours d'appel, qui, depuis l'arrêt de la Cour
de cassation, ont encore persisté dans l'ancienne interprétation not.,
(V.
Bordeaux, 12 mai 1896, D. P. 1896, 2.480 ; S. 1897, 2.192).

Deuxième phase : Devant le tribunal et la Cour. — Nous avons


vu que, depuis la loi de 1886, la cause, une fois introduite devant le tri-
bunal, est instruite et jugée, en principe, dans la forme ordinaire (art. 239,
1er al.) au lieu d'être soumise à une procédure spéciale, comme le déci-
dait le Code civil.
Voici quelques-unes des conséquences de cette règle, conséquences qui
constituent autant de modifications au droit antérieur et dont certaines
font, sans beaucoup d'utilité, l'objet de dispositions formelles du Code.
1° L'assignation est envoyée dans la forme ordinaire, c'est-à-dire par
un exploit d'huissier, lequel est remis sous enveloppe fermée, conformé-
ment à la règle générale édictée aujourd'hui par l'article 1er de la loi du
15 février 1899.
2° Si l'époux défendeur forme une demande reconventionnelle en di-
vorce — ce en se produit dans la des cas — cette de-
qui, fait, plupart
mande peut être, suivant le droit commun, introduite par un simple acte
de conclusions (art. 239, 3e al.).
La demande reconventionnelle peut, du reste, se produire en appel,
sans être considérée comme demande nouvelle. Ainsi le décide l'article 248,
3e alinéa, qui n'est que l'application du principe posé dans l'article 464
du Code de procédure civile.
Il convient d'ajouter que le défendeur peut, s'il le préfère, user de la
voie reconventionnelle pour introduire, non une demande en divorce,
mais une demande en séparation de corps.
3° L'enquête, c'est-à-dire l'audition des témoins qui, en notre matière
a tant d'importance, se fait conformément au droit commun, c'est-à-dire
devant un juge-commissaire (art. 245, 1er al.). Il y a là une innovation
considérable. En effet, avant la loi de 1886, les témoins devaient être-
entendus par le tribunal tout entier, en présence des parties et de leurs
parents ou amis (art. 253 ancien). Il faut reconnaître que la comparution des
témoins devant l'ensemble des juges appelés à statuer sur le divorce et,
par conséquent, à se prononcer sur la véracité des témoignages, pouvait
se défendre par de bons arguments. On trouve encore aujourd'hui une
règle analogue dans certaines lois étrangères. Ainsi, d'après le Code de

procédure allemand (art. 579), la comparution des témoins devant le tri-


bunal tout entier est facultative pour les juges.
4° L'audience est publique, car telle est la règle commune de notre
I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
224 LIVRE

ordonnait le huis-clos a été abrogé.


et l'ancien article 253, qui
procédure
actuel au tribunal de prononcer le
Toutefois, l'article 239 (4e al.) permet
huis-clos s'il le juge nécessaire.

le tribunal. — Nonobstant
Particularités de la procédure devant
1er la loi de 1886 a laissé subsister
le principe de l'article 239, alinéa,
du divorce certaines qui, d'ailleurs, se
dans la procédure particularités
en général, par de bonnes raisons.
justifient,
1° La des débats la voie de la presse est interdite,
reproduction par
d'une amende de 100 à 2.000 francs (art. 239, 5e al.). Mais il
sous peine
n'est pas interdit de
publier le jugement.
2° La des faits laquelle peut se faire par tous les
preuve allégués,
moyens possibles, comporte certaines règles spéciales.
A. — L'aveu du mode de démonstration qui, en général,
défendeur,
est admis et même considéré comme le plus probant de tous,
toujours
n'est en matière de divorce. Aucun texte ne formule cette
pas pertinent
solution l'on s'accorde à considérer comme certaine,
que cependant
découle de l'interdiction du divorce par consentement mutuel.
parce qu'elle
B. — En cas les et les domestiques sont admis
d'enquête, parents
comme témoins 245, 2e al.), alors que, de droit commun, ils de-
(art.
vraient être écartés ou seraient au moins reprochables (V. art. 268, G.
Cette aux principes de notre
procédure donnr
proc. civ.). dérogation
lieu à des situations ; mais elle était inévitable, car les faits al-
pénibles
en matière de divorce n'ont eu bien souvent d'autres témoins que
légués
les et les domestiques. Toutefois, le témoignage des enfants et
proches
descendants est écarté par une raison de décence qui saute au yeux. Et il
semble que la même prohibition doit s'étendre au témoignage des gendres
et des brus (Caen, 4 mai 1910, D. P. 1911.2.232; S. 1911.2.42).
C. — La de lettres missives, entre un et un
production échangées époux
tiers, est admise ; ce qui semble bien constituer une dérogation à la règle
essentielle du secret des lettres, laquelle s'oppose, en général, à ce qu'on
puisse user d'une lettre et, partant, la produire en justice sans le consen-
tement du destinataire. Ce sont des raisons de nécessité pratique qui ont
amené la Jurisprudence à cette dérogation. Cependant, le droit qu'ont les

époux de s'appuyer sur la correspondance de leur adversaire souffre cette

importante restriction qu'ils ne doivent pas se l'être procurée par des

moyens illicites, dont l'appréciation appartient d'ailleurs souverainement


aux tribunaux, par exemple, en forçant un tiroir ou en interceptant une
lettre entre les mains
domestique. d'un Ajoutons que l'emploi de moyens
illicites ne se présume pas et que, par conséquent, celui qui produit les
lettres missives n'a pas à établir qu'elles sont venues entre ses mains par
des moyens honnêtes ; c'est à celui qui prétendrait écarter ces preuves du
débat qu'il appartiendrait de démontrer que leur production actuelle est
le résultat d'une manoeuvre déloyale ou, à tout le moins, abusive (Civ..
13 juillet 1897, D. P. 1900.1.43, note L. S. ; S. 1898.1.220 19
; Req., juil-
let 1909, D. P. 1 909.1.503; S. 1910.1.7).
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 225

N'y a-t-il pas lieu de signaler ici une certaine inégalité de situation entre
le mari et la femme, analogue à celle que nous avons relevée à propos du
constat d'adultère? On pourrait le penser, car la Cour de cassation s'est
souvent appuyée sur les droits
d'investigation qui appartiennent au mari
sur la correspondance de sa femme, comme conséquence de son autorité
maritale, pour décider que les tribunaux n'ont pas à examiner de quelle
manière il s'est procuré les lettres de sa femme produites par lui en justice,
sauf dans le cas où le procédé employé aurait un caractère délictueux (Civ.,
15 juillet 1885, D. P. 1886.1.145 : S. 86.1.101). Mais un arrêt plus récent.de
la Cour suprême semble marquer une réaction contre cette jurisprudence
et repousser, de la part du mari aussi bien que de celle de la femme, toute
production de correspondance qui serait jugée abusive par le tribunal, et
cela, quand bien même le procédé employé par le mari pour se procurer
les documents en question ne tomberait pas expressément sous le coup de
la loi pénale(Req., 5 février 1900, D. P. 1901.1.45; S. 1901.1.17, de note
M. Naquet. V., en ce sens, la note sous Civ., 15 juillet 1885, précité, dans
la Refonte du Sirey. — Cf. note de M. Labbé sous S. 77.2.161).
4° Une nouvelle particularité de la procédure de divorce a trait aux ins-
tances qui se poursuivent sur défaut du défendeur, et consiste dans des
précautions spéciales prescrites pour porter à la connaissance du défaillant
la procédure entamée contre lui. A. cet effet, le tribunal peut, avant de pro-
noncer le jugement sur le fond, ordonner l'insertion dans les journaux
d'un avis destiné à faire connaître à l'intéressé la demande dont il a été
l'objet (art. 247, 1er al.) Si le jugement n'est pas signifié à personne, le
président ordonne, sur
simple requête, la publication du jugement par
extrait dans les journaux qu'il désigne fart. 247, 3e al.).
5° Enfin, le souci qu'éprouve le législateur de ménager jusqu'au bout
toutes les chances possibles de réconciliation se traduit par une mesure
consistant en un atermoiement facultatif à l'issue du procès. En effet, lorsque
le tribunal estime que la demande est fondée, il peut cependant, à moins
que la demande n'ait pour cause la condamnation du conjoint à une peine
afflictive et infamante, ne pas prononcer immédiatement le divorce, mais
maintenir ou prescrire l'habitation séparée et les mesures provisoires pen-
dant un délai qui ne peut excéder six mois. Une fois le délai arrivé à expira-

Lion, si les époux ne se sont pas réconciliés, chacun d'eux peut faire citer
l'autre à comparaître devant le tribunal, dans le délai de la loi, pour en-
tendre prononcer le divorce (art. 246, 3° al.). Le prononcé du divorce sera
d'ailleurs alors en quelque sorte automatique : le tribunal ne pourrait plus
se refuser à l'ordonner (Req., 30 novembre 1908, D. P. 1911.1.409, note de
M. Boutaud; S. 1909.1.537, note de M. Tissier). De plus, on doit décider

que cette faculté de sursis n'est ouverte qu'aux juges du premier degré ; la
Cour d'appel ne
pourrait pas en user (Civ., 10 mai 1909, D. P. 1909.1.289,
note de M. Guénée n'est pas recevable contre
; S. 1909.1.537). Enfin, l'appel
le jugement de sursis, le tribunal restant saisi de l'affaire ; il ne pourra
le divorce 24 juil-
être formé que contre le jugement prononçant (Civ.,
let 1922, D. P. 1925.1.161, note de M, Guénée).
LIVRE I. — TITRE I, — PREMIERE PARTIE
,226

et conservatoires. — Au moment où le procès


Mesures provisoires
le tribunal, il eu des mesures
s'engage devant y a presque toujours déjà
édictées par son président. Le tribunal n'aurait qualité pas
provisoires
les réformer. Mais, c'est lui qui est désormais compétent pour édic-
pour
ter les nouvelles mesures qui deviendraient nécessaires d'après les cir-

constances 238, 5e al.), et ce pouvoir entraîne nécessairement celui de


(art.
modifier les mesures prises autrefois par leprésident, si les circonstances

qui les ont justifiées ont reçu quelque modification. Les mesures prescrites
par le tribunal, comme naguère celles qu'avait pu ordonner le président,
ont toujours d'ailleurs un caractère provisoire et peuvent être modifiées si
situation le commande.
Dans la procédure de droit commun, les questions les plus urgentes
sont déférées à une juridiction spéciale, celle du président du tribunal,
statuant en référé (art. 806 proc. etciv.). suiv.,
L'avantage C. de cette
voie judiciaire, qui est très souvent utilisée par la pratique, c'est qu'elle
est tout à fait rapide et permet d'obtenir, en quelques heures, la déci-
sion dont on a besoin. Fonctionne-t-elle en matière de divorce et le pré-
sident retrouve-t-il ainsi, au moins dans les cas d'urgence, la compé-
tence qu'il possédait pour les mesures provisoires et conservatoires pen-
dant la première phase de la procédure?
A cette question répond, en un membre de phrase malheureusement
obscur, l'article 238, 5e alinéa, aux termes duquel, même àpartir du mo-
ment où le tribunal est saisi et devient seul compétent pour les mesures
provisoires, « le juge (lisez : le président) a toujours le droit de statuer
en tout état de cause en référé sur la résidence de la femme ».
Mais ce texte entend-il restreindre la compétence du des référés
juge
à la question de résidence et laisser toutes les autres mesures à l'appré-
ciation exclusive du tribunal ? Il est, croyons-nous, raisonnable et
plus
plus pratique de décider qu'il n'a pas une portée restrictive, laisse
qu'il
subsister la compétence de droit commun du juge des référés toute
pour
question requérant une solution urgente. C'est en ce sens que se prononce
la Cour de cassation, au moins lorsqu'il s'agit de solliciter une modifica-
tion à des mesures provisoires antérieures, et que cette modification pré-
sente un caractère d'urgence exceptionnelle 27 octobre D. P.
(Req., 1903,
1903.1.574; S. 1904.1,337, note de M. Tissier).

Voies de recours contre les décisions rendues en matière de


de divorce contient
divorce.— La procédure d'importantes dérogations
aux règles de la procédure de droit commun concernant les voies de re-
cours contre les décisions de la justice.
1° Acquiescement. — De droit commun, une partie perd le droit de for-
mer aucune voie de recours contre la décision à laquelle elle a acquiescé,
c'est-à-dire qu'elle a déclaré renoncer à attaquer.
L'acquiescement peut-être
soit formel ou exprès, soit tacite ; il s'induira, par exemple, de ce fait que
le plaideur, contre lequel le a été l'a
jugement rendu, exécuté ou laissé
exécuter volontairement. Or, en matière de est in-
divorce, l' acquiescement
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 227

terdit (art. 249). Le motif de cette règle, c'est que l'acquiescement permet-
trait de soupçonner, entre les plaideurs, une entente destinée à masquer,
sous les apparences d'une instance judiciaire, un divorce par consente-
ment mutuel.
La prohibition de l'acquiescement engendre plusieurs conséquences.
A. — Les époux, avant d'exécuter le jugement de divorce, sont obligés
d'attendre que les délais, impartis aux plaideurs pour exercer les diverses
voies de recours dont une décision de justice est susceptible, se trouvent
expirés (art. 252, 1er al.). En effet, un devancement de ces délais ne peut se
comprendre que dans les procès où la partie perdante possède la faculté
dé renoncer à son recours.
B. — Lorsque la partie perdante a formé appel et manque de comparaître
devant la cour, les juges d'appel régulièrement saisis ont le droit (et le
devoir, croyons-nous) d'examiner néanmoins l'affaire au fond et de se de-
mander si le divorce a été à bon droit prononcé par les premiers juges.
En d'autres termes, il n'y a pas lieu d'appliquer ici l'article 434 du Code de
procédure civile, 1er alinéa, aux termes duquel, en cas de défaut de l'appe-
lant, la cour doit simplement prononcer le défaut et renvoyer le défendeur
de la demande (Req., 23 octobre 1889, D. P. 1890.1.397 ; S. 1890,1.61).
Toutefois, la loi ne consacre point toutes les conséquences de la prohibi-
tion de l'acquiescement auxquelles on pourrait songer. Ainsi, elle n'interdit

pas à la partie perdante de renoncer à exercer les voies de recours qui lui
sont ouvertes. La loi, en effet, ne peut pas imposer aux parties d'assumer
les frais d'un nouveau procès. De même, une fois la voie de recours enta-
mée, on s'est demandé si le plaideur,
qui s'y est engagé, aurait le droit de
se désister. Car on peut soutenir que se désister de son appel ou de son

opposition équivaut à un acquiescement à la décision contre laquelle on


avait formé cet appel ou cette opposition. Il y des décisions en ce sens

(Nancy,! 3 février 1909 D. P. 1912.2.32 ; Paris, 2 mai 1917, Gaz, Trib.


23 mars 1919,). Mais nous estimons que c'est exagérer la portée de l'ar-
ticle 249. Le défendeur était libre de ne pas faire appel ; pourquoi lui refu-
ser le droit de se désister, s'il estime que son appel n'est pas fondé ? Lafa-
culté de désistement doit donc être conservée (Rouen, 5 janvier 1895, D. P.
1895.2.495 ; S. 1897.2.207 ; Rouen, 30 janvier 1897, S. 1897.2 239 ; Lyon,
26 février 1907, D. P. 1908.2,230 ; S. 1907.2.294).
2° Effet des voies de recours. — Les voies de recours dites ordi-
suspensif
naires contre une décision
l'appel, par sont
lequel on demande à la cour

d'appel, dans un délai fixé par la loi (art. 443 ets.,C. pr. civ.), de réformer
le jugement rendu par le tribunal, et l'opposition, par laquelle la partie qui
a fait défaut devant le tribunal ou la cour demande à cette juridiction de
revenir sur la décision qu'elle a rendue (art. 149 et s., C. pr. civ.
Les voies de recours dites extraordinaires ouvertes contre les décisions en
dernier ressort, c'est-à-dire qui ne sont plus susceptibles d'appel ou d'oppo-
sont le pourvoi en cassation et la requête civile (art. 480 et s., C. pr.
sition,
celle-ci n'étant d'ailleurs que pour des causes très rares,
civ.), permise
en cas de découverte d'un dol ou d'une fraude commise
par exemple,
— TITRE I. — PREMIERE PARTIE
228 LIVRE I.

déterminé les à rendre la décision atta-


l'adversaire cl ayant juges
par
quée.
les délais donnés faire opposition ou appel ne
De droit commun, pour
du jugement. Celui-ci est donc susceptible d'être
suspendent pas l'exécution
huit a été Seuls l'appel ou l'opposition
exécuté jours après qu'il signifié.
C'est-à-dire fois que le défendeur a fait opposition
sont suspensifs qu'une
ou l'exécution doit être arrêtée.
appel,
En matière de nous trouvons une règle différente. Ce n'est pas
divorce,
ou l'exécution, ce sont les délais eux-
l'acte d'opposition d'appel qui suspend
transcrit sur les de l'état
mêmes. Le jugement ne peut donc pas être registres
des ou d'appel (art. 252, 1er al.).
civil avant l'expiration délais d'opposition
Nous avons rencontré celte solution et montré qu'elle se rattache, par
déjà
un lien à l'impossibilité d'un acquiescement de la part de la partie
logique,
Mais elle se justifie mieux encore par cette considération déci-
perdante.
sive qu'il n'est de permettre l'exécution d'un jugement empor-
pas possible
tant d'aussi effets jugement de divorce, avant qu'il soit de-
graves qu'un
venu définitif. Autrement, les conséquences les plus fâcheuses pourraient
se Le mari divorcé, par exemple, pourrait se remarier aussitôt
produire.
la transcription du jugement prononçant le divorce. Qu'arriverait-il
après
si la première femme, relevant ensuite appel, faisait réformer le jugement

et le divorce par la cour d'appel. Le second mariage se trouverait


repousser
donc frappé de nullité !
Pour ce est du pourvoi en cassation, le droit commun ne lui attache,
qui
en principe, aucun effet suspensif. Ici, et pour les raisons qui viennent
d'être exposées, la loi décide que, par exception, le pourvoi sera suspensif
248, 6e al.). Et cette règle s'applique aussi bien au pourvoi formé contre
(art.
les jugements et arrêts avant dire droit, intervenus au cours de l'instance,

par exemple, au jugement prescrivant une enquête, qu'au pourvoi formé


contre la décision définitive; à l'exception toutefois des décisions offrant
le caractère de mesures provisoires, parce que, par leur nature même, ces
décisions présentent toujours une certaine urgence qui ne s'accommoderait

pas d'une suspension de leur force exécutoire (Req., 13 décembre 1899,


D. P. 1900.1.134; S. 1900.1.353, note de M. Ferron).
Faut-il attacher l'effet suspensif au pourvoi seulement, ou, à l'instar de
ce qui est décidé pour l'appel et l'opposition, aux délais pendant lesquels
le pourvoi est recevable (deux mois à partir de la signification) ? C'est la

première solution qui semblerait découler du texte de l'article 248, alinéa 6,


pris à la lettre (« Le pourvoi est suspensif »). Cependant on s'accorde à
reconnaître que cette disposition doit être entendue comme s'appliquant au
délai du pourvoi. Si, en effet, il en était autrement, les inconvénients que
Ton a voulu éviter par les dérogations apportées aux de la procédure
règles
ordinaire, en matière de voies de recours, pourraient se Si l'on
produire.
veut les éviter avec certitude, on doit décider que le jugement ne être
peut
exécuté avant d'être devenu entièrement inattaquable. On d'ailleurs
peut
interpréter en ce sens l'article 252, 1er alinéa, qui ne la
permet transcrip-
tion de l'arrêt prononçant le divorce qu'autant que la décision est :
définitive
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 229

le mot définitif peut être pris ici dans son sens vulgaire, c'est-à-dire comme
synonyme d'inattaquable.
Toutefois, ce que nous venons de dire du pourvoi à former contre la dé-
cision qui prononce le divorce, ne s'appliquerait pas au
pourvoi dirigé
contre les jugements ou arrêts avant dire droit (par exemple, un jugement
ordonnant l'enquête) rendus au cours de l'instance. Ici, en effet, aucun in-
convénient ne peut résulter de
l'application de la règle commune en ma-
tière de voies de recours, à savoir que l'effet suspensif, lorsqu'il se produit,
n'est jamais attaché
délai, au mais seulement à l'acte par lequel le recours
est formé ; c'est donc cette règle qu'il conviendra d'appliquer (Giv., 25 juil-
let 1893, D. P. 1893.1.545 ; S. 1894.1.89).
La loi ne s'est pas préoccupée de la requête civile. En conséquence, cette
voie de recours extraordinaire reste soumise au droit commun. Or, non
seulement elle ne produit pas d'effet suspensif, mais encore elle est presque
indéfiniment recevable, car le délai imparti par la loi pour l'exercer n'a
parfois pas de point de départ fixe ; par exemple, en cas de dol, il ne com-
mence à courir que du jour où le dol est découvert. Les dangers auxquels
on a voulu parer par les dispositions des articles 252, 1er alinéa, et 248,
6e alinéa, pourront donc se produire. Une fois le jugement de divorce ren-
du, la transcription opérée, les anciens époux tel fait peut se
remariés,
produire qui rende admissible la voie de la requête civile, et la requête
civile peut aboutir à l'annulation du jugement de divorce ! Fort heureuse-
ment, les cas de requête civile sont infiniment rares et les tribunaux sont,
en fait, très parcimonieux dans l'admission de ce recours. La lacune de la
loi n'en est pas moins fâcheuse et il eût mieux valu admettre en 1886, comme

le projet le demandait avec raison, que la voie de la requête civile lût inter-
dite contre les décisions d'où résulte le divorce.
3° Précautions spéciales en matières d'opposition. — L'opposition, nous
l'avons vu, est la voie de recours ouverte contre les jugements rendus par
défaut. Il peut'y avoir
faute défaut
de comparaître, quand le défendeur ne
constitue pas même avoué, ou défaut faute de conclure, s'il constitue un
avoué, mais ne fait pas déposer par celui-ci de conclusions.
De droit commun, l'opposition est recevable jusqu'à l'exécution du juge-
ment, quand il y a eu défaut faute de comparaître ; ou pendant les huit

jours qui suivent lasignification du jugement à avoué, quand ily a eu


défaut faute de conclure. Mais ici, ces délais ne pouvaient être admis ; le
second est trop bref; quant au premier, il est incompatible avec la règle

que les délais sont, en notre matière, suspensifs. De plus, le législateur

s'inspire d'un souci dont nous avons déjà rencontré la manifestation, celui
d'éviter qu'un plaideur défaillant ne se trouve jugé définitivement, sans
s'en être rendu compte.
C'est pourquoi l'article 247 in fine, sans distinguer entre les deux défauts,
fait varier la durée du délai d'opposition suivant que la signification du

jugement a été faite à la personne du demandeur lui-même, et par consé-


quent l'exploit de signification remis en mains propres, ou que la signifi-
cation a été faite à son domicile, et l'exploit remis en d'autres
simplement
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE
230

le premier
Dans cas, le délai de l'opposition est de un mois, à compter
mains.
de la signification du jugement ; dans le second cas, il est beaucoup plus long,
de huit à compter du dernier acte de
car il n'est pas moindre mois, publicité.

la décision définitive. — Avant la loi du


Troisième phase: Après
18 avril 1886, le Code que l'époux qui avait obtenu le divorce
civil exigeait
se présentât, dans un délai de deux mois, devant l'officier de l'état civil,
l'autre dûment C'était cet officier qui prononçait le divorce
époux appelé.
(art 264). Il y avait là une formalité fâcheuse, parce qu'elle donnait lieu, en
à des scènes tantôt pénibles et tantôt burlesques. Elle ne se jus-
pratique,
tifiait une référence à la loi de la. correspondance des formes:
que par vague
c'est le maire qui a uni les époux, c'est aussi lui qui doit les désunir.
La loi de 1886 a sagement abrogé cette disposition. Les formes qu'elle
prescrit, une fois rendue la décision définitive, n'ont plus trait que : 1° à
à donner à la décision de l'affiche et de la presse;
la publicité par la voie
2° à la transcription de la décision sur les registres de l'état civil.

Toutefois, la loi de 1884 semblait sacrifier encore à la conception d'antan


en faisant résulter le divorce, non de la décision judiciaire le prononçant,
mais d'une formalité ultérieure, à savoir la transcription. Mais cette régle-
mentation a été profondément remaniée par la loi du 26 juin 1919.

I. — Publicité l'affiche et la — Autant il de


par presse. importait
ne pas rendre public le procès en divorce, autant il est indispensable de
faire connaître le divorce aux tiers. Celui-ci, en effet, produit, des consé-
quences importantes pour eux.Notamment, il restitue à la femme sa
pleine capacité juridique, et il met fin au régime matrimonial qui détermi-
nait les droits des époux sur leurs biens respectifs. De là la publicité pres-
crite par l'article 250.
Cette publicité si utile ne date pourtant que de la loi de 1886. Aupara-
vant, il n'y avait publication du jugement que dans le cas où l'un des époux
était commerçant 66, C. corn.)
(art. 1.
Aujourd'hui, le Code
civil (art. 250) prescrit, tous les divorces, l'af-
pour
fichage d'un extrait de la décision qui prononce définitivement le divorce,
sur les tableaux exposés, à la fois, dans l'auditoire des tribunaux civils et
des tribunaux de commerce 2. Cette doit être une
publicité renforcée par
insertion dans l'un des journaux qui se publient dans le lieu où siège le tri-
bunal, ou, s'il n'y en a pas, dans l'un de ceux publiés dans le département.
Malheureusement, la loi a omis doit
d'indiquer quelle personne pro-
céder à la mesure ainsi prescrite et dans délai.
quel On admet bien, sans
difficulté, que c'est l'époux, qui a obtenu le divorce, qui doit en effectuer la
publication, et cela aussitôt
que la décision est devenue définitive. Mais,
comme l'article 250 ne prononce aucune sanction, l'omission de l'utile for-

1. Dans ce cas la loi du 18 mars 1919, art. 5, 2e prescrit


du jugement aujourd'hui la mention
sur le registre du commerce,
2. La loi du 19 décembre 1928 a supprimé comme inutile l'affichage dans les
chambres des avoues et des notaires (art. 250 nouveau).
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 231

malité ordonnée par la loi n'empêcherait pas le divorce de ce-


produire
pendant ses effets.
On remarquera d'ailleurs que la loi de 1886 a commis un en
illogisme
d'afficher le jugement ou l'arrêt qui prononce le divorce. Etant
prescrivant
donné que, même depuis la loi du 26 juin 1919, la rupture du mariage,
ainsi qu'on va le voir, ne résulte pas à l'égard des tiers de la décision rendue,
mais de la transcription qui est faite ultérieurement, c'est, en bonne lo-
gique, un certificat de la transcription qui aurait dû être porté à la connais-
sance du public.

II. de la décision. — L'article 251 ordonne


Transcription que le dis-
positif du jugement ou de l'arrêt c'est-à-dire la partie de la décision qui
prononce le divorce et ordonne les mesures accessoires et qui ne contient
pas les motifs) soit transcrit sur le registre de l'état civil du lieu où le
mariage a été célébré.
Mention est faite de ce jugement ou arrêt en marge de l'acte de mariage,
conformément à l'article 49. 1er al. du Code civil. Si le mariage a été célé-
bré à l'étranger, la transcription est faite sur les registres de l'état civil
du lieu où les époux avaient leur dernier domicile, et mention est faite
en marge de l'acte de mariage, s'il a été transcrit en France.
L'utilité de cette transcription est incontestable. L'insertion du divorce
dans les
registres de l'état civil, telle
effectuée
sorte de
qu'on ne puisse
plus désormais y faire des recherches relatives
au mariage des ex-époûx
sans'y trouver l'indication de leur divorce, constitue une mode de publi-
cité infiniment plus pratique et plus efficace qu'un affichage et une an-
nonce, car ceux-ci peuvent ne pas attirer les yeux et, en tout cas, ne pro-
duisent qu'un effet temporaire.

Effets de la le Code civil. — le Code


transcription d'après D'après
civil et la loi de 1884, la transcription présentait un caractère qui dépas-
sait de beaucoup la portée d'une simple mesure de publicité. En effet, l'ar-
ticle 252 portait (al. 4) que, « à défaut par les parties d'avoir requis la

transcription dans le délai de deux mois, le divorce est considéré comme


nul et non avenu ». Ainsi, le divorce ne datait pas du jour où la décision
qui le prononçait avait été rendue, ni même de celui où cette décision était
passée en force de
jugée. Il ne se produisait
chose qu'au jour de la trans-
cription. Jusqu'à ce qu'elle fût opérée, les époux restaient mariés. Le di-
vorce non transcrit, (et il ne pouvait l'être que pendant deux mois), devenait
caduc. Cette solution avait été maintes fois et avec raison critiquée. La

transcription, disait-on, est une mesure de publicité' dont l'absence ne


devrait entraîner que aux tiers. Mais la déci-
logiquement l'inopposabilité
sion qui prononce le divorce devrait être valable entre les époux dès le
moment où elle est devenue définitive,
Plusieurs conséquences importantes se rattachaient à la règle ancienne.
1° Qu'arrivait-il si un époux venait à décéder pendant le délai compris
entre le jugement ou l'arrêt et la transcription ? On devait décider que
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
232

non divorce, mais par la mort. C'est ce qu'ex-


le mariage était rompu, par le
en nous disant que«l'action en divorce s'é-
l'article 244,3e alinéa,
primait
survenu avant que le jugement soit deve-
décès
teint par le de l'un des époux
sur les de l'état civil » Dès lors,
nu irrévocable par la transcription registres
du divorce, notamment les déchéances prononcées contre l'époux
les effets
ne se L'acte constatant le décès de
condamné (art. 299), produisaient pas.
l'aurait d'époux divorcé, devait être rectifié
l'époux défunt, qui qualifié
10 septembre 1887, D. P. 1889.2.230; S. 1888.2.20).
(Grenoble,
la transcription, les époux restaient soumis au devoir de fidé-
2° Jusqu'à
à des les faits d'adultère qu'ils auraient com-
lité et exposés poursuites pour
l'intervalle Seine, 9 janvier 1898, D. P. 1899.2.366).
mis dans (Trib.
3° La femme, pendant le même délai, demeurait incapable et, par con-
soumise à l'obligation d'obtenir l'autorisation de son mari ou de
séquent,
dans les cas où cette autorisation exigée est des femmes mariées
justice
18 avril D. P. 1894.1.67 ; S. 1894.1.5, note de M. Labbé).
(Req., 1893,
4° aurait contracté un second mariage après que le juge-
L'époux qui
ment de divorce avait
acquis l'autorité de la chose jugée, mais avant qu'il
fût transcrit, encourait la peine de la bigamie et le second mariage était

nul Seine, 6 janvier 1916, La Loi, 3 novembre 1916).


(Trib.,

1919. Effets actuels de la — La loi


Loi du 26 juin transcription.
du 26 1919, qui a modifié les articles 244 et 252, a mis fin à ce singu-
juin
lier législatif et aux difficultés pratiques nombreuses qu'il engen-
système
drait couramment, mais non sans faire naître malheureusement des diffi-

cultés nouvelles. D'une part, cette loi améliore les règles relatives à la ma-

nière dont s'effectue la transcription. D'autre part, elle restitue à celle-ci

son caractère normal de mesure de publicité. Le divorce se produit


non au jour où il est transcrit, mais à celui où la décision judi-
donc,
ciaire qui le prononce est devenue définitive. Aucun délai fatal n'est fixé

pour l'accomplissement de la transcription. Que si elle fait défaut, le divorce


n'est pas caduc; il produit ses effets entre les époux. Seulement, comme
les tiers qui auraient ignoré le divorce et traiteraient avec les ci-devant

époux seraient, du fait du défaut de publicité, exposés à un préjudice, le


divorce ne leur est pas opposable.
Nous avons indiqué que la loi du 26 juin 1919 n'est pas rédigée d'une
manière assez claire, et quelle prête, sur plusieurs points, à la controverse.
Etudions-la donc en détail, examinant successivement: 1° De ma-
quelle
nière s'effectue la transcription; 2° Quels sont précisément ses effets.

4° Comment s'effectue la — l'article 252


transcription? D'après ancien,
le divorce était transcrit à la diligence des parties. En fait, elles se remet-
taient de ce soin à leur avoué et la n'avait admis
Jurisprudence jamais
que la négligence (heureusement ce mandataire put très
relever rare) de
les époux de la, caducité du divorce résultant du défaut de transcription
dans le délai légal (Civ. 23 juillet 1917, D. P. 1917.1.112; Cf. note de M. lis-
sier, S. 97.1.129). L'article 252 nouveau « la transcription est
dispose que
DIVORCE ET SEPARATION DE CORPS 233

faite au nom de la partie qui a obtenu le divorce et à la diligence de son


avoué sous peine d'une amende de 100 fr. à la charge de ce dernier ». L'a-
voué signifie la décision
à l'officier de l'état civil compétent dans un délai de
15 jours à compter de la date où elle est devenue définitive. Et l'officier de
l'état civil doit effectuer la transcription dans un délai de 5 jours à comp-
ter de la réquisition, non compris les jours fériés, sous les peines édictées'
50 du Code civil. Si l'avoué
par l'article de la partie qui a obtenu le divorce
laisse passer le délai de quinzaine sans requérir la transcription, l'autre
partie (c'est-à-dire son avoué) a le droit de faire cette réquisition.
A la signification sont joints les certificats qui peuvent être nécessaires
pour établir que la décision est bien définitive, à savoir, s'il s'agit d'une
décision de tribunal, un certificat portant qu'il n'y a pas eu d'appel, s'il s'a-
git d'une décision en dernier ressort, un certificat portant qu'il n'y a pas
eu pourvoi (on se souvientqu'en matière de divorce le pourvoi est suspensif).
Mais comment sait-on si la décision est définitive lorsqu'elle a été l'ob-
jet d'un pourvoi en cassation et que la Chambre des Requêtes a rejeté le
pourvoi? Ce qui donne lieu à cette question, c'est que les arrêts de rejet
de la Chambre des Requêtes ne sont pas signifiés, solution qui s'explique,
en général, par cette règle que les pourvois en cassation ne sont pas suspen-
sifs, mais que le législateur de 1884 aurait dû écarter en matière de divorce
où, précisément, le pourvoi est suspensif. Une difficulté sérieuse naissait de
celte lacune sous l'empire de l'ancien article 252. Devait-on admettre que
les époux qui, faute d'avoir connu l'arrêt de rejet de la Chambre des Re -
rendant la décision de divorce
définitive, avaient laissé passer le délai
quêtes
fatal de deux mois commencé à ce jour sans opérer la transcription, encou-
raient la caducité? Bien que cette dernière difficulté spéciale ait disparu
du délai l'article 252 nouveau a introduit ici une
par la suppression fatal,
innovation utile en décidant que l'arrêt de rejet de la Chambre des Requêtes
est porté à la connaissance de l'avoué de la partie qui a obtenu la décision,
ainsi définitivement consolidée, par les soins du greffier de la Cour de cassa-
tion doit lui en adresser un extrait dans le mois du prononcé.
qui

2e sont les de la transcription ? —


Il y a lieu de faire ici des
Quels effets
distinctions suivant s'agit des effets du divorce quant aux personnes
qu'il
ou aux dans les rapports des époux entre eux ou dans leurs
quant biens,
rapports avec les tiers.
A.. — Entre les et quant à leurs la transcription est sans
époux personnes,
effet. Le divorce résultede la décision judiciaire qui l'a prononcé et date

du jour où elle est devenue définitive. C'est l'innovation capitale de la loi.

Elle résulte de l'article al. 3, nouveau, portant que l'action en divorce


244,
de l'un des époux survenu, non plus avant la transcrip-
s'éteint par le décès
où la décision est devenue définitive. Donc
tion, mais avant le jour judiciaire
Plus de d'adultère contre l'ex
plus de caducité à craindre. peine possible
de sa liberté
époux qui userait aussitôt reconquise.
une à signaler aux effets de la
Toutefois, il y a, croyons-nous, exception
libéré des liens de son mariage, ne
règle nouvelle. Chaque époux, quoique

— Tome 16
DROIT, I.
LIVRE I. — TITRE. I. — PREMIÈRE PARTIE
234

en contracter un second avant la transcription du divorce. Cela résulte


peut
de l'article 296 , (modifié par la loi du 9 août 1919) aux termes duquel, alors
le délai de viduité de 300 courant
même que serait expiré jours depuis
l'ordonnance initiale du président, la femme divorcée ne peut contracter une

seconde union avant la transcription de son divorce. Nous estimons que


la même s'applique au mari divorcé, car il n'y a aucune raison pour
règle
le traiter plus favorablement que la femme. En revanche, il nous parait
certain nouveau ainsi créé par l'article 296 et qui ne re
que l'empêchement
que sur l'inaccomplissement d'une formalité de pure publicité est
pose
simplement prohibitif. Le mariage contracté au mépris de cet empêche-
ment ne pourrait donc être annulé.
En ce qui concerne les biens des ex-époux, l'article 252 nouveau, dernier

alinéa, dispose que les effets du au divorce remontent jour de la demande.


Nous reviendrons bientôt sur ce point.
B. — A l'égard des tiers. — Le dernier alinéa de l'article avoir
252, après
énoncé la règle qui précède en ce qui touche l'effet du divorce sur les biens
des époux, ajoute « Mais il ne produira effet au regard des tiers que du jour
de la transcription » Il résulte certainement de ce texte que, dans leurs rap-
ports pécuniaires avec les tiers, le divorce, tant qu'il n'est pas transcrit,
n'est pas opposable par les ci-devant époux. Ainsi, à supposer qu'il fussent
communs en biens, les créanciers du mari pourront saisir les biens qui
seraient tombés dans la communauté, si celle-ci n'avait pas été dissoute,
par exemple, les biens d'une succession mobilière échue à la femme dans
l'intervalle entre la décision définitive et la transcription. Naturellement,
les époux ne pourraient, eux, se prévaloir contre les tiers, du défaut de
transcription ; la femme, par exemple, nepourrait demander la nullité
d'un engagement qu'elle aurait souscrit envers un tiers dans le même inter-
valle sans avoir été autorisée.
Faut-il étendre la règle que le divorce non transcrit n'est pas oppo-
sable aux tiers à leurs rapports non
ex-époux pécuniaires avec les et leurs
enfants ? On l'a soutenu (V. Ed. du divorce, Lois
Lévy La date
Nouvelles
1923, p. 153). Par exemple, un enfant conçu par une femme dont le divorce
définitif n'aurait pas été transcrit, serait naturel simple par rapport à sa
mère et à son ancien mari, mais adultérin par rapport à son père. Nous
repoussons sans hésiter cette solution que le législateur n'a certaine-
ment pas voulue qui, et
de plus, nous parait au texte même contraire

de la loi. La règle que le divorce non transcrit est inopposable aux tiers se
trouve exprimée dans un alinéa de l'article 252 (nouveau) qui vise exclusi-
vement les biens. De plus, nous répétons que le texte d'où il résulte que,
quant aux personnes, le divorce, transcrit ou non, résulte de la décision
définitive est, non l'article 252, mais l'article 244 (nouveau). Or cet article
ne fait aucune distinction entre les rapports des entre eux et les
époux
rapports des époux avec les tiers. L'inopposabililé aux tiers du divorce
non transcrit est donc une pure mesure de protection d'intérêts pécuniaires
édictée dans l'intérêt des tiers qui traiteraient avec les ci-devant époux,
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 235

(V. observations de M. Guillier, rapporteur de la loi du 26 juin 1919, au


Sénat, D. P. 1919.4.330 et note de M. Rouast, D. P. 1924 2.113).


§ 3. Conséquences du divorce.

Le divorce dissout le mariage. Cette dissolution se traduit par des


conséquences importantes et nombreuses qui ont trait: 1° à la personne
des époux divorcés : 2° à leurs intérêts patrimoniaux ; 3° à la situation
des enfants.

I. — du divorce à la des
Conséquences quant personne époux
divorcés. — Le divorce met fin aux le
rapports juridiques que mariage
avait créés entre les époux. Bien entendu, il ne les efface pas dans le passé.
En cela il diffère de l'annulation du mariage. Mais, dans l'avenir, aucun

rapport de droit ne subsiste plus entre les anciens époux. Voici les di-
verses applications de cette règle générale :

1° Chacun des époux reprend l'usage de son nom (art. 299, 2e al.)
Donc la femme divorcée (différente en cela de la veuve) ne peut plus
le nom de son mari. La règle est absolue : elle s'applique même
porter
au cas où la femme exercerait une profession dans laquelle elle serait
connue sous le nom de son mari. C'est parce que ce point soulevait des

difficultés, que la loi du 6 février 1893 a ajouté à l'article 299 un alinéa

conçu en termes aussi impératifs que possible (V. cependant Bordeaux,


3 décembre 1906, D. P. 1907.2.73, note de M. Thomas, et Civ. 20 février

1924, D. H. 1924, p. 265). Inversement, le mari, s'il avait ajouté à son


nom celui de sa femme, devra supprimer cette adjonction.

2° Chacun des est désormais libre de contracter un nouveau


époux
avec une tierce
personne. Mais la femme est obligée d'attendre
mariage
de viduité la loi du 13
l'expiration du délai (V. art. 296, modifié par juil-
let 1907). Et, nous venons de le voir, chacun des époux doit attendre la

transcription du jugement de divorce.

3° Si, dans les divorcés veulent se remarier l'un avec


l'avenir, époux
l'autre, une nouvelle célébration du mariage sera nécessaire (art. 295).
Ici, la loi du 27 1884 a une modification au texte pri-
juillet apporté
mitif du Code. ce un nouveau mariage entre époux divor-
D'après texte,
cés n'était Le de 1804 avait cru, par cette prohi-
pas permis. législateur
bition rendre les divorces réfléchis et partant plus rares.
rigoureuse, plus
L'idée était d'une enfantine. Les époux ne songent
psychologie presque
au moment du divorce, à la possibilité d'une réconciliation future.
guère,
La loi de 1884 a donc bien fait en une interdiction évidem-
supprimant
ment contraire à l'intérêt des enfants.
la liberté les divorcés de convoler ensemble
Cependant, qu'ont époux
par un nouveau mariage souffre quelques restrictions.

A. — Les on s'en ne se réunir, si l'an ou


époux, souvient, peuvent plus
236 LIVRE T. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

l'autre au divorce, contracté un nouveau mariage


a, postérieurement
suivi d'un second divorce (art. 295, 1er al.).

B. — Quand les époux divorcés se remarient ensemble, ils ne peuvent


adopter un régime matrimonial autre que celui qui réglait originairement
leur union (art. 295, 2e al.)- a là une presque
Il y application inexplicable
du principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales. Le législa-
teur a redouté cette fraude compliquée qui consisterait, pour des époux
désireux de modifier leur contrat de mariage, à feindre des dissentiments

graves, à supporter les frais et les épreuves instance en divorce,


d'une
puis, une fois le divorce prononcé, à se marier une seconde fois sous un
régime différent !

C. — Aux termes de l'article al.


295, 3, les époux divorcés, puis remariés
ensemble, ne pouvaient plus divorcer de nouveau, sauf dans le cas où l'un
d'eux aurait, depuis leur réunion, encouru une condamnation à une peine
afflictive et infamante. Il ne faut pas, disait-on, que les époux « se jouent
du divorce comme ils se sont joués du mariage ». Mais nous avons vu que
la loi du 5 avril 1919 a aboli cette restriction.

4° Les époux divorcés sont déliés, l'un envers l'autre, de toute obligation
de fidélité, secours, assistance. Cependant l'article 301 une déroga-
apporte
tion à cette règle, en permettant au tribunal le divorce d'al-
qui prononce
louer à l'époux qui l'a obtenu, une pension les biens de
alimentaire, sur
l'autre, pension dont le caractère sera ultérieurement indiqué.
5° Le divorce met-il fin à l'alliance le avait créée entre
que mariage
chacun des époux et les parents de l'autre? Cette un
question présente
double intérêt :

A. — Au de vue de la
point survivance ou de l'extinction de l'obligation
alimentaire que la loi établit entre et et
beau-père belle-mère, gendre
belle-fille.

B. — Quant aux empêchements au mariage résultant de l'alliance.


La question sera examinée concerne loin en ce
plus
qui les aliments.
Pour ce qui est de l'empêchement au mariage, la question, jadis débattue,
ne fait plus de doute aujourd'hui. Nous avons en
vu, effet, que la loi du
1er juillet 1914 décide que l'empêchement au mariage entre beaux-frères et
belles-soeurs est dorénavant sauf
supprimé, lorsque le mariage qui avait
créé l'alliance est dissous le divorce.
par C'est dont que l'alliance survit
au divorce. Et il n'y a aucune raison pour que la solution consacrée pour
l'alliance avec le frère ou la soeur du conjoint divorcé ne le soit pas aussi
pour l'alliance avec les ascendants de ce conjoint.


Conséquences relatives aux intérêts — Elles
II. pécuniaires.
sont au nombre de trois : 1° Extinction du droit de succession la loi
que
accorde au survivant sur les biens du prédécédé ; 2° Dissolution du ré-
gime matrimonial ; 3° Perte par l'époux contre lequel le divorce est pro-
noncé des avantages pécuniaires que l'autre lui avait faits.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 237

1° Les époux divorcés perdent l'un et l'autre les droits que la loi ac-
corde au survivant dans la succession du prédécédé (art. 767, 1er et 2e al.).

Cependant il faut noter ici une disposition assez singulière de la loi du


14 avril 1924 sur les pensions civiles et militaires, celle de l'article 26 aux
termes duquel la femme au profit de laquelle le divorce a été prononcé
conserve ses droits à la pension du mari en cas du prédécès de celui-ci.
2° Le régime matrimonial adopté par les époux est dissous et liquidé.
Mais ici nous rencontrons une règle spéciale importante, consistant dans
un certain effet rétroactif attribué par la loi à la décision qui prononce le
divorce. L'alinéa 5 de l'article 252 (nouveau) modifié par la loi du 26 juin
1919 porte, en effet, que : « le jugement ou l'arrêt devenu définitif remon-
tera, quant à ses effets entre époux en ce qui touche leurs biens, au jour
de la demande. » Il y a là une dérogation manifeste au droit commun ; car,
en principe, le jugement de divorce est un jugement, non pas déclaratif,
mais constitutif\ en ce sens qu'il crée un état nouveau de choses ; dès lors on
ne devrait pas faire remonter ses effets au jour de l'introduction de l'ins-
tance, mais seulement au jour où la décision est devenue définitive. Mais
il convient de déterminer la portée précise de la règle formulée par l'ar-
ticle 252, alinéa 5, dont les termes, beaucoup trop compréhensifs, pour-
raient être une cause d'erreur.
Le but de notre disposition, c'est
d'empêcher que les biens acquis par
un époux, pendant la durée du procès en divorce, ne puissent être, en
vertu des conventions matrimoniales, recueillis en partie par l'autre. Un
tel résultat serait, en effet, particulièrement irritant pour l'époux qui aurait
à en souffrir, et lui rendrait funestes les lenteurs et les atermoiements

qui caractérisent la procédure du divorce.


L'intérêt de la se manifeste surtout lorsque les époux sont
disposition
mariés — et c'est le cas le — sous le régime de commu-
plus fréquent
nauté. Dans cette à la disposition de l'article 252, ali-
hypothèse, grâce
néa les biens un l'introduction de la de-
5, acquis par époux, depuis
mande et avant le divorce, ne tomberont dans la communauté et
pas
lui resteront 1. Que si les sont mariés sous un autre
propres époux
la une utilité moindre, mais encore appréciable
régime, règle présente
Par sous le régime dotal, les biens échus à la femme
cependant. exemple,
durant l'instance ne seront dotaux ; le mari n'en aura donc pas la
pas
jouissance ; il devra rendre compte des fruits et des revenus qu'autrement
il aurait pu s'approprier.
Mais il faut se les de la règle. D'où les
garder d'exagérer conséquences
deux observations suivantes.
A. — Même restreinte, comme elle l'est par la formule précise introduite
dans l'article 252 par la loi du 26 juin 1919, à la sphère des intérêts pécu-

1. Il est vrai que par jour de la demande, il faut entendre non celui de la cita-
tion en conciliation, mais celui de l'assignation devant le tribunal (Civ. 27 mai 1921,
B. P. 1923.1.65, S. 1922.1.60). L'inconvénient de cette solution est que la succession
échue à un époux dans l'intervalle entre ces deux actes tombera la commu-
dans
nauté.
LIVRE I. — TITRE — PREMIÈRE PARTIE
238 I.

la règle de la rétroactivité est loin d'être absolue. Nous rappelons


niaires,
ne peut être comme le dit l'article 252, qu'entre les époux:
qu'elle invoquée,
Elle n'est aux tiers. En ce qui concerne ces derniers et leurs
pas opposable
avec les nous avons vu que le divorce ne
rapports pécuniaires époux,
leur est de la transcription. En conséquence, les actes
opposable qu'à partir
antérieurement à cette formalité, le mari aurait passés avec eux, dans
que,
la mesure des pouvoirs qu'il tient du contrat de mariage, resteraient par-
faitement valables. Toutefois, il faut noter ici la disposition de l'ar-
ticle 243, aux termes duquel « toute obligation contractée par le mari à la
de lacommunauté, toute aliénation par lui faite des immeubles
charge
en » (plus il faudrait dire : tous les actes
qui dépendent généralement,
le mari relativement au patrimoine de la femme ou à la
accomplis par
communauté, en vertu de ses pouvoirs de mari) « postérieurement à la
ordonnance du président, seront déclarés nuls, s'il est prouvé
première
d'ailleurs qu'ils ont été faits ou contractés en fraude des droits de la
femme ». Ce texte contient une simple application de l'action paulienne,
action que l'article 1167 accorde à tous les créanciers pour faire annuler
les actes accomplis par leur débiteur en fraude de leurs droits. Dès lors,
conformément au droit commun, la femme, pour faire annuler les actes
du mari, devra démontrer la fraude de celui-ci, et en outre, la complicité
des tiers qui auraient traité avec lui, au moins lorsque l'acte attaqué est
un acte à titre onéreux.
B. — Même dans les rapports pécuniaires des époux entre eux, la

règle de l'article 252, alinéa 5, doit être interprétée restrictivement. Elle


n'a pas d'autre effet que celui que nous avons indiqué, c'est-à-dire d'em-

pêcher l'enrichissement du patrimoine d'un époux par suite des acquisi-


tions faites par l'autre. Il ne faudrait pas lui attacher d'autre signification.
Ainsi, le
paiement reprises des
de commune en biens, la femme
que le
mari aurait effectuédurant le procès, ne serait pas valable, en
parce que,
raison de la prohibition des ventes entre édictée
époux par l'article 1595,
lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté, le paie-
ment des reprises de la femme non des biens (V. art. 1595,
séparée 1°) ne
doit s'effectuer qu'à la dissolution du mariage (Req., 6 avril 1903, D. P.
1903.1.301 ; S. 1904.1.505, note de M. Naquet).
3° Dans la liquidation du régime matrimonial, a obtenu
l'époux qui
le divorce conserve tous les
avantages qui lui ont été faits son con-
par
joint, soit par contrat de mariage, soit durant le mariage, même s'ils ont
été stipulés réciproques, comme cela a lieu le plus souvent. Au contraire,
« l'époux contre lequel le divorce aura été prononcé, perdra tous les
avantages que l'autre
époux lui avait soit mariage, contrat de
faits, par
soit depuis mariage le » 299, al. 1er). Il y a là une
(art. déchéance pro-
noncée par la loi contre l'époux des fautes
coupable qui ont rendu le
divorce nécessaire. Cette déchéance découle de plein droit du divorce;
il n'y a pas besoin que le jugement la prononce
expressément. Elle nous
fait comprendre mieux quel intérêt il y a, pour
l'époux défendeur dans
l'instance en divorce, à former une demande
reconventionnelle ; à défaut
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 239

d'autres raisons, il sera guidé par le désir de


rejeter sur son adversaire
la déchéance de l'article 299 ou. tout au moins, de la lui faire partager
avec lui, s'il peut obtenir que le divorce soit prononcé à la fois contre
l'un et l'autre des époux.
C'est surtout pour les avantages contenus dans le contrat de mariage
la règle présente de l'intérêt. En effet, ces avantages sont irrévocables.
que
sorti victorieux de l'instance se voit assurer le bénéfice des avan-
L'époux
qu'il a reçus. Par exemple, s'il a été stipulé que le survivant des
tages
époux aurait droit à la moitié ou la totalité des biens du
prédécédé en
usufruit, il pourra, si dans l'avenir il survit à son ex-conjoint, réclamer
cet usufruit dans sa succession. Au contraire, l'époux, aux torts duquel
le divorce a été prononcé, perdra le bénéfice des avantages stipulés à son
et celui de la réciprocité s'il s'agit d'avantages réciproques.
profit,
Au contraire, la règle de l'article 299 offre peu
d'importance pour les
libéralités que les époux se sont faites pendant le mariage. En effet, de droit
commun, ces libéralités sont toujours révocables (art. 1096, 1er al. Par
conséquent, l'époux coupable perdra bien, de plein droit, le bénéfice des do-
nations qui lui auraient été faites ; mais il y a de grandes chances pour que
l'époux innocent ne conserve pas celles qu'il aurait reçues, car il y a tout
lieu de supposer que l'époux coupable, qui les avait faites, s'empressera
de les révoquer.
Ici encore deux observations sont nécessaires pour qu'on ne s'exagère
pas le sens de la règle établie par le Code.
— Par on doit les donations ou c'est-à-
.A. avantages, comprendre legs,
dire les libéralités proprement dites, ainsi que les clauses accordant à l'un
des époux une supérieure part à la moitié (voir notam- de la communauté
ment l'article pour 1518
le préciput), mais non les bénéfices de fait résul-
tant, pour un conjoint, de l'adoption de tel ou tel régime ou de l'introduc-
tion de telle ou telle clause dans le contrat de mariage. Ainsi, les deux
époux étaient mariés sous le régime de la communauté universelle, et un
seul des deux possédait la fortune ; par le seul fait du régime, l'un des
époux devient propriétaire de la moitié de l'avoir de l'autre qui est tombé
tout entier en communauté. Ce n'est pas là un avantage, aux termes de
l'article 299. Pourtant, il en serait autrement, croyons-nous, si l'on pou-
vait démontrer que cette stipulation, si avantageuse pour un conjoint, ou
toute autre du même genre, a été insérée dans le contrat de mariage en
vertu d'une intention libérale, c'est-à-dire de la volonté d'un futur époux
de faire à l'autre une donation.
B. — L'article 299 ne prive le conjoint coupable que des avantages qu'il
a reçus de l'aigre conjoint. Ainsi, la déchéance ne s'étendra pas aux dona-
tions qui lui auraient été faites par des tiers, fût-ce par les parents de
l'autre conjoint et en vue du mariage aujourd'hui rompu.
4° Enfin, l'époux qui a obtenu le divorce peut, s'il se trouve dans le
besoin, obtenir du tribunal une pension alimentaire, laquelle, à la vérité,
ne pourra pas excéder le tiers des revenus de l'époux condamné à la lui
servir, et, de plus, sera révocable le jour où elle cessera d'être nécessaire
240 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE

(art. Nous étudierons spécialement cette dernière conséquence pécu-


301)
niaire du divorce en traitant plus loin de l'obligation alimentaire entre

époux.

111. — du divorce relativement aux enfants. —


Conséquences
C'est là le côté le plus grave et le plus délicat de la question du divorce.
C'est pour l'avenir des enfants que la destruction du foyer, qui abritait
leur éducation, est le plus profondément regrettable.
Il va de soi, tout d'abord, que le divorce ne modifie pas les droits des
enfants nés du mariage. Ils restent enfants légitimes, avec les pré-
toutes
rogatives attachées à cet état. Cela est évident. On s'explique mal pour
quoi le législateur a éprouvé le besoin de dire, dans l'article 304, que le
divorce ne privera les enfants d'aucun des avantages qui leur étaient
assurés par les lois ou par les conventions matrimoniales de leurs père
et mère ; mais, ajoute-t-il, « il n'y aura d'ouverture aux droits des enfants
que de la même manière et dans les mêmes circonstances où ils se seraient
ouverts s'il n'y avait pas eu divorce ».
En d'autres termes, les droits, auxquels l'article 304 fait allusion, étant
des droits successoraux, ne pourront être exercés par les enfants des
époux divorcés qu'après le décès de ceux-ci, exactement comme si le
divorce n'avait pas eu lieu.
A bien d'autres points de vue encore, le divorce ne modifie pas, en
principe, la situation qui résultait, pour les enfants, du mariage désor-
mais dissous. Chaque époux, fût-il coupable, conserve la part, qui lui
appartenait dans la puissance paternelle, à exercer sur la personne des
enfants communs. En outre, il est certain que, nonobstant le divorce, le
père et la mère restent tenus de l'obligation de subvenir, chacun dans la
limite de ses moyens, aux frais d'éducation et d'entretien de leurs enfants,
et que le fait que l'un ou tous les deux sont privés de la de ces
garde
enfants ne met pas fin à cette obligation (art. 303, in fine).
Seulement, des nécessités pratiques inéluctables de modifier
imposent
de la
puissance paternelle. cette divorce en effet,
l'exercice Jusqu'au puis-
sance était un condominium auquel les deux cette
époux participaient;
solution se justifiait par la vie en commun, l'union du père et de la
par
mère. Maintenant que cette union est brisée, l'enfant ne peut être
qui
partagé doit aller d'un côté ou de l'autre. Tout devient et diffi-
compliqué
cultueux dans le soin de sa personne et de son éducation, matière à tirail-
lements et à froissements il est indispensable
perpétuels; que la justice
intervienne et que la loi fournisse à la justice des directions à suivre.
Ces diverses questions seront étudiées nous traiterons de la Puis-
quand
sance paternelle. Nous nous contenterons ici d'indiquer sommairement
les règles générales établies Code civil ou
par le par les lois postérieures,
qui en ont complété les dispositions
beaucoup trop succinctes.
1° Le Code civil (restauré sur ce point par la loi de 1884) s'est con-
tenté de statuer en ce qui concerne la garde (et par conséquent l'édu-
cation) de l'enfant (art. 302, Il décide
303). que cette garde doit, en
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 241

principe, être confiée à celui de deux époux qui a obtenu le divorce.


Pourtant, cela n'est pas obligatoire, et si un membre de la famille ou
le ministère public le demande, le tribunal pourra ordonner, pour le plus
grand avantage des enfants, que tous ou quelques-uns seront confiés aux
soins de l'autre époux. Bien plus, le tribunal peut, sur la demande de la
famille ou du ministère public, s'il juge que l'intérêt des enfants l'exige,
ordonner qu'ils seront confiés aux soins d'une tierce personne, ou même
dans un établissement d'éducation. En un mot, le tribunal la
placés règle
et l'éducation des enfants en s'inspirant, avant tout, de leur intérêt.
garde
En même temps, le tribunal règle l'exercice du droit de visite et de sur-
veillance qui continue à appartenir à l'époux privé de la garde des enfants.
Toutes les mesures que prend le tribunal, dans cet ordre d'idées, ont
d'ailleurs toujours un caractère provisoire et peuvent être modifiées, à la

requête des intéressés, lorsque les circonstances le commandent.


2° La loi du 21 février 1906 (modifiant l'art. 386) a visé un attribut

important de la puissance paternelle, consistant dans le droit de jouissance


des parents sur les biens de leurs enfants mineurs. Elle décide que cette
jouissance cesse d'appartenir à celui des père et mère contre lequel le
divorce a été prononcé.
3° De même, l'article 389, 3e al., modifié par la loi du 6 avril 1910, décide
que l'administration légale des biens des enfants mineurs qui, durant le

mariage, appartient (art. 389, 1er al.) cesse,


au père dans le cas de divorce,
de lui revenir de droit; elle est confiée, si le tribunal n'en décide autrement
dans l'intérêt de l'enfant, à celui des deux époux, à la mère comme au
père, à qui a été attribuée la garde de l'enfant.
4° Enfin, en ce qui concerne le consentement à donner au mariage des
enfants mineurs, la loi du 21 juin 1907 (modifiant l'art. 152) décide, nous
l'avons vu, qu'en cas de dissentiment entre les parents divorcés, il suffira
du consentement de celui des deux époux au profit duquel le divorce aura
été prononcé et qui aura la garde de l'enfant.

SECTION III. — SÉPARATION DE CORPS.

Caractère général de la de — Dans la pensée des


séparation corps.
rédacteurs du Code civil, la séparation de corps qu'ils rétablissaient, après
sa suppression par la loi de 1792, devait être le divorce des catholiques.
Aussi ne leur parut-il pas nécessaire de consacrer de grands développe-
ments à cette institution toute subsidiaire. Six articles en tout (art. 306 à
311) devaient suffire à la régir en faisant ressortir les différences essen-
tielles qui la distinguent du divorce. Pour le surplus, c'était à l'interprète
à compléter ces dispositions en se référant aux textes relatifs au divorce.
Même après la loi
de 1816, la Jurisprudence continua à procéder de la même

manière, donnant ainsi le spectacle de textes abrogés et recevant cepen-


dant encore application, et cela dans une matière pour laquelle ils n'avaient
pas été édictés ! Le rétablissement du divorce en 1884 a mis fin à ce qu'il

y avait de légèrement paradoxal dans cette situation. Mais le point de savoir


I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
242 LIVRE

de la de corps doit se modeler


dans quelle mesure l'application séparation
domine encore toute la matière et nous la rencontre
sur celle du divorce,
rons, en quelque sorte, à chaque pas.

— de la de corps.
§ 1. Causes séparation

« Dans le cas où il y a lieu à divorce, nous dit l'article 306, il sera libre

de former une demande en de corps. » On peut tirer


aux époux séparation
de cette formule trois propositions :
1° La de doit être demandée. divorce, elle
Comme le
séparation corps
nécessairement une décision de justice. Pas plus que le divorce,
suppose
elle ne pourrait se produire par consentement mutuel (V. art. 307, al. 1). En
d'autres les séparations amiables, bien qu'assez fréquentes en fait,
termes,
n'ont aucune époux pourrait, à tout instant, exiger la
portée légale. Chaque
de la vie commune. Cette règle, qui nous vient du Droit canonique,
reprise
a été souvent non sans raison. On ne voit pas, en effet, quel est le
critiquée
motif d'ordre à la légalité d'une convention amiable
public qui s'oppose
de Pourquoi obliger deux époux qui vivent en mésintelligence
séparation.
à porter leurs griefs devant lajustice, à les faire connaître à la malignité
à supporter les frais d'un procès ? La possibilité d'une séparation
publique,
amiable serait peut-être un moyen de détourner du divorce, si toutefois on
admettait ce correctif que de telles séparations ne seraient pas convertibles
en divorce. Certaines législations (V. art. 158, C. civ. italien), qui per-
mettent la séparation amiable, ne semblent pas s'en mal trouver.
2° La séparation peut être demandée par les deux époux. En cela, notre

égislation diffère du Droit canonique, d'après lequel cette faculté n'était

complètement ouverte qu'à la femme ; le mari ne pouvait demander la

séparation qu'en cas d'adultère de la femme. Toutefois, la statistique dé-


montre qu'en fait, sans doute pour des raisons de conscience, la presque
totalité des demandes en
séparation de corps est formée par les femmes.
3° Les causes de séparation sont les mêmes que celles de divorce. Donc,
là où il n'y a pas de motif à divorce, il n'y a pas lieu non plus à séparation.
Tel est le principe bien formellement posé par le Code.
Une conséquence de l'identité qu'il absolue
y a entre les causes de divorce
et celles de séparation est déduite par l'article 239, alinéa 2, aux termes
duquel « le demandeur peut, en tout état de cause » (et, par conséquent,
même en appel) « transformer sa demande en divorce en demande en sé-
paration ». Ce n'est pas là en effet une demande est
nouvelle, puisqu'elle
fondée sur les mêmes faits que la première. Si, comme on l'admet unani-
mement, la transformation inverse n'est pas possible, c'est des rai-
pour
sons de pure procédure, parce que l'instance en ne comporte
séparation
pas, comme l'action en divorce, la comparution du demandeur
personnelle
devant le président du tribunal, in limine litis 2 mai D.
(Bordeaux, 1911,
P. 1912.2.64, S. 1911.2.276). Celui qui, avoir en séparation,
après plaidé
voudrait demander le divorce, ne pourrait donc se borner à modifier
pas
ses conclusions ; il faudrait qu'il son dès son début.
recommençât procès
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 243

Seulement, ici, laJurisprudence s'est peut-être écartée dos intentions


du législateur et, sous le prétexte que les deux institutions diffèrent par
leur caractère, leur but et leurs conséquences, les tribunaux se sont achemi-
nés vers unsystème consistant que des faits, à admettre
insuffisants pour
faire prononcer le divorce, peuvent servir de base à une séparation de corps.
En un mot, la séparation serait un diminutif du divorce, et il y aurait une
sorte de hiérarchie entre les deux institutions. Tel grief, suffisant ser-
pour
vir de fondement à une séparation de corps, ne serait pas suffisant pour
justifier un divorce ou (avant la loi du 6 juin 1908) la conversion de la sé-
paration en divorce. De même, si un époux, demandeur en
divorce, a été
débouté de sa demande par le tribunal, mais fait ensuite, et la trans-
appel
forme en demande en séparation, la cour, pour rejeter ses conclusions nou-
velles, ne peut se borner à confirmer les motifs sur lesquels les premiers
juges se sont fondés pour repousser le divorce griefs ; les
rejetés par ces
premiers motifs peuvent en effet être assez graves pour faire prononcer la
séparation de corps (Civ., 8 janvier 1900, D. P. 1900.1.293, note L. S., S.
1900.1.497, note de M. Naquet).
Remarquons toutefois que cette espèce de gradation entre les causes du
divorce et celles de la séparation du corps ne se rencontre que lorsque les
griefs invoqués sont des excès, sévices ou injures graves. Elle ne peut
s'appliquer aux deux autres cas, l'adultère, la condamnation à une peine
afflictive et infamante, puisque ces causes sont péremptoires et excluent
tout pouvoir d'appréciation des juges.


§ 2. Procédure de la séparation de corps.

Les rédacteurs du Code


pas étendu à la séparation
civil n'avaient de corps
les règles si compliquées de la procédure du divorce, et l'article 307 dit en
conséquence : « La demande en séparation de corps sera intentée, ins-
truite et jugée de la même manière que toute autre action civile. » Le Code
de procédure civile avait cependant introduit ici quelques règles spéciales
qui avaient paru nécessaires et qui se trouvent contenues dans ses articles
875 à 880; c'étaient notamment des mesures destinées à assurer la publicité
du jugement. Mais ces dispositions spéciales ne suffisaient pas et la pratique
avait été obligée de faire quelques emprunts à la procédure établie pour le
divorce par le Code civil.
La loi de 1886 qui, comme l'on sait,a simplifié considérablement la pro-
cédure du divorce, a déclaré applicables à la séparation de corps les ar-
ticles 236 à 244 nouveaux du Code civil. Et, à cette énumération, il con-
vient d'ajouter l'article 245, alinéa 2 (permettant l'audition, dans l'enquête,
à titre de témoins, des et des domestiques). Il n'est pas douteux en
parents
effet que le renvoi à ce dernier texte a été omis par l'effet d'une pure inad-
vertance.
De la loi du 6 juin 1908, a rendu obligatoire pour le
même, depuis qui
tribunal la conversion de la de corps en divorce, lorsqu'elle est
séparation
demandée un des certaines décisions avaient admis
par conjoints séparés,
LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
241

fallait au jugement de l'article 249 du Code civil,


qu'il appliquer séparation
aux termes la décision qui prononce le divorce n'est pas susceptible
duquel
En effet, disait-on tout jugement de séparation est, une
d'acquiescement.
sorte de jugement de divorce, puisqu'il est susceptible de produire,
éventuel
au bout de trois ans, par la seule volonté de l'une ou de l'autre des parties,

les effets d'un primitif de divorce (Req. 28 décembre 1891,


jugement
D. P.
92.1.114; 26 juillet 1916, 3e espèce, D. P. 1916.1.249). La loi du
9 décembre 1922 a condamné cette solution etajouté à l'article 249 les
mots : « à moins n'ait été rendu sur conversion de séparation de
qu'il
corps. »
Enfin, la loi du 14 juillet 1909 (modifiant l'art. 308, C. civ.) déclare appli-
cable à la procédure de séparation de corps l'article 247 du Code civil, c'est-
à-dire le texte qui ordonne la publication dans les journaux desjugements
de divorce rendus par défaut qui n'ont pu être signifiés à personne, et dé-
cide que l'opposition contre ces jugements n'est plus recevable après huit
mois écoulés depuis le dernier acte de publicité. L'explication de cette ré-
forme se trouve dans les règles générales de notre procédure relatives aux

jugements par défaut Lorsqu'ils n'ont pu être signifiés à la personne


de
la partie perdante, ces jugements sont susceptibles d'opposition tant qu'ils
n'ont pas été exécutés (art. 158, C. proc. civ.). Appliqué aux
jugements de
séparation de corps, ce principe aboutissait au résultat le plus fâcheux. En
effet, quand peut-on dire qu'une séparation de corps a été exécutée, surtout
lorsque, le mari ne possédant aucun avoir, il est impossible à la femme de
faire procéder sur ses biens, par exemple pour le recouvrement de sa pen-
sion alimentaire, à des mesures d'exécution ? Il résultait donc de cette im-
possibilité d'exécution que le jugement de séparation de corps, rendu par
défaut contre un mari introuvable, ne devenait jamais définitif puisqu'il
était toujours susceptible d'opposition) et. par voie de conséquence, la
que
femme séparée ne pouvait bénéficier de la loi du 6 février 1893 et recouvrer
sa pleine capacité civile. De là le nouvel article 308 introduit en 1909 dans
le Code civil. Désormais, le jugement deviendra définitif et l'inté-
produira
gralité de ses effets huit mois après l'accomplissement, des mesures de pu-
blicité prescrites par l'article 247.
De tout ce qui précède, il résulte qu'aujourd'hui les différences entre la
procédure du divorce et la procédure de la séparation de corps sont fort
peu nombreuses et peuvent rapidement s'énumérer :
1° Au point de vue de la capacité nécessaire il y a une légère
pour agir,
différence à signaler concernant les demandes formées au nom d'un inter-
dit judiciaire. L'article 307, alinéa 2, permet au tuteur de l'interdit de pré-
senter une requête en séparation, avec l'autorisation du conseil de famille,
tandis qu'il ne pourrait pas demander le divorce, mesure jugée trop grave,
nous l'avons vu, pour qu'elle puisse être poursuivie par le représentant d'un
malheureux aliéné.
2° Le demandeur en séparation de corps n'est pas obligé de présen-
ter sa requête en personne au président du tribunal (art 875, C. proc. civ.).
Si donc il est empêché, le président n'a à se
pas transporter auprès de lui.
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 245

3° Le tribunal ne peut pas retarder pendant un délai maximum de six


mois la
prononciation de la séparation, car l'article 246, qui permet cet
atermoiement en cas de demande en divorce, n'est pas applicable à la sé-

paration de corps.
4° Les délais d'appel et d'opposition ne pas sont
suspensifs.
En revanche, l'article 248, alinéa 6, porte que le pourvoi est suspensif en
matière de séparation de corps comme en matière de divorce.
5° Enfin, le jugement prononçant la séparation de corps n'est pas, comme
le jugement de divorce, assujetti à la transcription sur les registres de l'état
civil. Il produit donc ses effets dès qu'il est devenu définitif.

— de la de
§ 3. Conséquences séparation corps.

— — La de corps ne dissout
I. Idées générales. séparation pas le ma-
riage, mais elle en relâche sensiblement les liens. Elle supprime le devoir
de cohabitation. Elle rend à la femme le plein exercice de sa capacité civile.
Mais elle laisse subsister entre les époux le devoir de fidélité et le devoir de
secours réciproque.
II. — La de naturellement la de
séparation corps emporte séparation
biens entre les époux, et, par conséquent, la restitution par le mari des biens
de la femme et la liquidation de la communauté, s'il en existait une entre
eux.
III. — est frappé des mêmes déchéances qu'après le
L'époux coupable
divorce. Il perd, en outre, tout droit à la succession de son conjoint.
IV. — la séparation de les mêmes effets que le di-
Enfin, corps produit
vorce sur l'exercice de la puissance paternelle.

I. — Relâchement des liens du — Le Code civil était


mariage.
resté succinct qnant aux effets de
séparationla de corps.
exagérément
L'article 311 (ancien) se bornait à dire que la séparation de corps entraîne

toujours la séparation de biens. Même, aucune disposition ne visait expres-


sément le principal effet de la
séparation, à savoir la suppression de la vie
commune entre les Depuis le rétablissement du divorce en 1884, une
époux.
loi nouvelle, les adversaires de la réforme et inspirée par les
proposée par
craintes suscitées la inattendue des divorces consécutifs
qu'avait quantité
à la réforme, a complété ces insuffisantes. C'est la loi du 6 fé-
dispositions
vrier dont a été de restituer à la femme séparée de
1893, l'objet principal
le exercice de sa civile, et cela dans l'espoir haute-
corps plein capacité
ment avoué de lutter contre les séductions du divorce et de ramener vers
la simple de une partie de la clientèle, malheureusement
séparation corps
trop nombreuse, des femmes mal mariées.
Les traits de la de corps envisagée dans ses
caractéristiques séparation
effets sont donc désormais les suivants :
1° Suppression de la vie commune. — La loi de 1893 a jugé utile de pré-
ciser cet effet essentiel de la de corps, en ajoutant à l'article 108
séparation
un alinéa 2 ainsi : « La femme de corps cesse d'avoir pour
conçu séparée
246 LIVRE I. — TITRE I. —- PREMIERE PARTIE

domicile le domicile du mari. » Cela était d'ailleurs certain aupara-


légal
vant. Ainsi, par le fait de la séparation, les époux qui restent mariés sont

dispensés de vivre ensemble et, par suite, de se donner les soins,


pourtant
les secours personnels que se doivent les conjoints, et qui supposent la vie
commune.
2° de la femme de corps. — « La femme de
Capacité séparée séparée corps
recouvre le plein exercice de sa capacité civile » (art. 311, al. 3, introduit
la loi du 6 février Ainsi elle n'a plus besoin de recourir à l'auto -
par 1893).
risation de son mari ou de justice. Et il en est ainsi dans tous lescas,
quand bien même la séparation aurait été prononcée aux torts de la femme
et au profit du mari. Cette solution est la plus
logique ; elle est, croyons-
nous, bien préférable au système contraire, qui avait été proposé lors de la
discussion au Sénat, et qui est suivi par les Codes civils italien, espagnol
et portugais. L'incapacité de la femme mariée, et son corollaire de l'auto
risation maritale, apparaissent comme une conséquence de la dépendance
de la femme à l'égard du mari. Or cette dépendance ne peut se comprendre

lorsqu'il n'y a plus vie commune. Cependant, avant 1893, la femme séparée
était astreinte encore à solliciter l'autorisation de son mari chaque fois
qu'elle avait un acte important à signer. Cette obligation donnait lieu par-
fois à des incidents pénibles, à des frais inutiles et frustratoires. La loi de
1893 a bien fait d'en dispenser les femmes séparées de corps d'avec leur
mari, même lorsqu'elles l'ont été par leur faute. L'indépendance juridique
entière qui leur est attribuée récompense n'est
; c'est le corollaire
pas une
de l'indépendance corporelle qu'elles ont recouvrée.
3° Nom de la femme de corps. — Les restant la
séparée époux mariés,
femme doit, en principe, continuer à porter le nom de son mari. Pourtant,
cette règle peut avoir parfois des inconvénients. La femme a intérêt à ne
plus porter le nom d'un homme indigne ; le mari, de son côté, avec
peut,
raison, souhaiter qu'il soit interdit à sa femme de déshonorer son si
nom,
elle se conduit mal. C'est pour ces motifs la loi du 6 février 1893 a,
que
dans l'alinéa 1 de l'article 311 donné aux tribunaux un
(nouveau), pouvoir
d'appréciation. « Le jugement la de corps ou un
qui prononce séparation
jugement postérieur peut interdire à la femme de porter le nom de son
mari, ou l'autoriser à ne le porter.
pas Dans le cas où le mari aurait joint
à son nom le nom de sa femme, celle-ci demander
pourra également qu'il
soit interdit au mari de le porter. »
4° Maintien du devoir de fidélité et du devoir de — Ce sont les
secours.
seuls effets du mariage qui subsistent au point de vue des rapports person-
nels des époux. Le devoir de secours — ce constitue no-
qui une différence
table avec les effets du divorce — est et peut
réciproque être invoqué même
par l'époux
coupable qui se trouverait dans le besoin.
Quant au devoir de fidélité, bien aussi en principe,
que réciproque il faut
remarquer qu'il n'a plus, du moins pour le mari, de sanction En
pénale.
la circonstance essentielle de l'entretien d'une le
ffe, concubine dans
domicile conjugal devient impossible. La seule sanction de l'adultère com-
mis par le mari séparé serait de fournir à la un grief
femme lui permet-
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 247

tant, en tant que fait nouveau, d'introduire une demande en divorce avant
l'expiration du délai de trois ans de la conversion.

— de biens. — « La de corps
II. Séparation séparation emporte tou-
jours la séparation de biens », dit l'article 311, alinéa 2. Le jugement n'a
donc pas besoin de la prononcer.
Le mari doit restituer à la femme les biens lui appartenant dont il avait
l'administration et la jouissance. En outre, si les époux étaient mariés
sous le régime de communauté, il faut procéder à la liquidation et au par-
tage de la masse commune. Cette
liquidation se en matière fera, comme de
divorce, en se plaçant au jour de l'introduction de la demande. Mais la
rétroactivité n'a trait qu'aux rapports des époux. A l'égard des tiers, le
mari conserve ses pouvoirs jusqu'au jour où le jugement de séparation de
corps est devenu définitif.

III. — Déchéances contre —1° Le


pécuniaires l'époux coupable.
conjoint, contre lequel la séparation encourt de d'a-
corps
a été prononcée,
bord les déchéances qui, aux termes 299,1er alinéa, de l'article
frappent l'é-
poux aux torts duquel a été rendu le jugement du divorce, et qui consistent
dans la perte des avantages qu'il avait reçus de son conjoint, soit par contrat
de mariage, soit pendant le mariage. Le texte du Code ne parle cependant
que du divorce pendant et longtemps on avait hésité à l'appliquer à la sé-
paration de corps. C'est en effet un principe d'interprétation que les disposi-
tions contenant des pénalités ou des déchéances ne peuvent s'étendre par
analogie. Mais, tandis qu'en Belgique la Jurisprudence a toujours maintenu
l'interprétation restrictive du texte, en France, le célèbre arrêt des chambres
réunies de la Cour de cassation du 23 mai 1845, arrêt rendu après sept heures
et demie de délibération et contrairement aux conclusions du procureur
général Dupin (D. P. 1845.1.225, S. 1845.1.321), a admis l'extension de l'ar-
ticle 299 au cas de séparation de corps. L'argument décisif semble avoir été
pour la Cour suprême la disposition de l'article 1518, aux termes duquel
l'époux qui a obtenu la séparation de corps conserve seul ses droits au pré-
ciput (c'est-à-dire au plus caractéristique des avantages matrimoniaux) en
cas de survie. D'ailleurs, la tradition de notre ancien Droit venait corroborer
l'indication tirée de l'article 1518. Et, depuis 1845, les travaux préparatoires
de la loi de 1884, rétablissant le divorce, démontrent que la solution admise
alors par la Cour de cassation doit être considérée comme faisant loi (Req.,
17 décembre 1893, D. P.
1894.1.391, S. 1894.1.119).
2° L'époux contre lequel la séparation de corps a été prononcée perd ses
droits dans la succession de son conjoint (art. 767, 1er et 2e al.); il ne peut
réclamer aux héritiers qu'une pension alimentaire, s'il se trouve dans le
besoin (art. 205, 2e al.). Au contraire, l'époux au profit duquel a été rendu
le jugement conserve ses droits dans la succession de l'autre. Mais il faut

remarquer que celui-ci pourra l'en priver en disposant de tous ses biens
au profit d'autres personnes par donation ou par testament, car le conjoint
survivant n'est pas un héritier réservataire.
On se souvient qu'en cas de divorce, les deux époux, l'époux innocent
248 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

comme le coupable, perdent tout droit de succession. Cette différence entre


le divorce et la séparation est logique : les époux divorcés ne sont plus
époux, les époux séparés continuent à l'être.
3° Le conjoint contre lequel la séparation de corps a été pronon-
cée perd également la jouissance des droits d'auteur dépendant de la
succession du défunt, jouissance que la loi du 14juillet 1866, sur la

propriété littéraire et artistique, art. 1er al. 4, accorde à l'époux survi-


vant.
4° Enfin, la loi du 14 avril 1924 portant réforme régime du des pen-
sions de retraite des fonctionnaires civils et militaires (art. 26 et 48) refuse
à la veuve la réversibilité de la pension du mari, quand la séparation de
corps a été prononcée contre elle.
Etant donné ces diverses dispositions, on a
pu s'étonner que la loi
du 9 avril 1898, concernant la responsabilité des accidents dont les ou-
vriers sont victimes dans leur travail, n'accorde une pension au conjoint
survivant, dans le cas où l'accident a entraîné la mort de l'autre con-
joint, que s'il n'y a pas séparation de corps (art. 3, al. 5), et cela sans
rechercher si la séparation de corps a été ou non prononcée au profit dudit
survivant. La loi du 29 décembre 1905 sur la caisse de prévoyance
des marins n'a pas suivi ces errements et elle ne refuse le droit à la pen-
sion qu'à la veuve séparée contre laquelle a été prononcée la sépara-
tion (art. 6).

IV. — de la —
Conséquences séparation relatives aux enfants. Le
Code était resté muet quant aux effets la séparation de
produits par corps
relativement aux rapports des parents avec les enfants issus du mariage.
Aussi, dès avant 1884, la Jurisprudence avait-elle dû .
emprunter, pour les
transposer dans la matière de la séparation, les textes relatifs au divorce
(Req., 24 juillet 1878, D. P. 1878.1.471, S. 1879.1.424).
Ce système est encore suivi La loi du 6 avril
aujourd'hui. 1910 sur l'ad-
ministration légale, en dans un cas
prononçant, particulier (V. art. 389
nouveau, al.3), l'assimilation entre les de corps
époux séparés et les époux
divorcés, démontre combien il est conforme à l'esprit de
général notre Droit e
que la séparation de corps produise des effets à ceux du divorce
identiques
quant à l'exercice de la puissance
paternelle et, plus généralement, quant à
la situation des enfants.
Une différence peut cependant être relevée. L'article 386 ne prive de l'usu-
fruit des biens de ses enfants mineurs que l'époux contre lequel le divorce
a été prononcé et non celui aux torts duquel a été prononcée la séparation
de corps.

§ 4. Cessation de la séparation de corps.

La séparation de
corps fin :
peut prendre
Par la mort de l'un des époux ;
divorce prononcé à raison de faits ;
Par le nouveaux
Par la réconciliation ;
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 249

Par la conversion de la séparation en divorce.


Il n'y a rien à dire des deux premières causes de cessation suffit de
qu'il
mentionner. Nous nous occuperons donc I. De la réconcilia-
uniquement:
tion. II. De la conversion.

I. — Réconciliation. — Les mettre


séparésépoux peuvent toujours
fin à la séparation en se réconciliant. La loi n'impose à cet acte aucune
forme spéciale, aucune condition. Il suffit de l'accord des volontés des deux
conjoints.
Ordinairement, la réconciliation se manifestera la reprise de la vie
par
commune ; mais ce n'est pas là une condition nécessaire, et la réconciliation
pourra résulter de tout fait indiquant, de la part des la volonté
conjoints,
réciproque de mettre fin à leur séparation, indépendamment de tout chan-
gement extérieur dans leurs habitudes de vie. C'est ainsi quel'époux sur-
vivant échappera à la déchéance de l'article 767 et pourra prétendre à exercer
ses droits dans la succession de l'autre, s'il produit un écrit par lui et
signé
par le défunt, dans lequel ils déclareraient leur volonté de reprendre la vie
commune et de rétablir entre eux la communauté
qui avait existé anté-
rieurement (Req., 24 février 1908, D. P. 1908.1.410, S. 1908.1.471).
Par la réconciliation, tous les effets de la séparation de corps cessent,
sauf un. Les époux restent sous le régime de la séparation de biens, tant
qu'ils n'ont pas manifesté l'intention de reprendre leur régime primitif. Que
s'ils veulent faire revivre leur premier régime, ils doivent le reprendre tel
quel sans y rien modifier. C'est une nouvelle application, plus ou moins
rationnelle, du principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales,
un moyen d'empêcher les fraudes (assez improbables) destinées à l'éluder.
L'article 1451, 2e alinéa exige, en outre, que ce rétablissement du régime
primitif soit constaté par un acte notarié et que cet acte soit affiché. Cette
publicité est destinée à prévenir les tiers auxquels sont opposables les
conventions matrimoniales déterminant les pouvoirs et la capacité des
époux.
A partir de la réconciliation, la femme retombe sous l'autorité mari-
tale et redevient incapable (art. 311, 4e al.).
Mais le législateur de 1893, encore pour protéger les tiers, exige que
ce changement de capacité soit annoncé au public. De là toute une série
de mesures de publicité impérativement exigées par l'article 311 (al. 4)
et sur lesquelles nous reviendrons, en traitant de la séparation de biens.
Tant que les formalités ainsi prescrites n'ont pas été accomplies, la

femme, malgré la réconciliation, est extérieurement réputée toujours sé-

parée de corps. La modification


qui, logiquement, aurait dû seproduire
dans sa capacité « n'est pas opposable aux tiers », ce qui revient à dire

que, si elle contracte avec un tiers sans y avoir été autorisée, la nullité
de son 'engagement ne peut pas être demandée

II. — de la de en divorce. —
Conversion séparation corps Lorsque
la séparation de corps a duré trois ans, le Code, dans l'article 310, per-

DROIT. — Tome 1. 17
I — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE
250 LIVRE

en divorce. La séparation apparaît ainsi


met et organise sa conversion
cette s'est prolongée un cer-
comme un temps d'épreuve. Quand épreuve
de ne voir se perpétuer la situation fausse
tain temps, il est désirable pas
la Et, si une réconciliation n'a pas
créée pour les époux par séparation.
chacun doit reprendre sa liberté.
pu se produire, pouvoir
fonctionne la conversion ? Qui peut en prendre l'initia-
Mais comment
notre loi a passé trois phases différentes:
tive? A cet égard, par
civil de 1 804. — Le Code civil primitif (art. 310 an-
1° Système du Code
en — donnait le droit de
_ encore appliqué, à cet égard, Belgique
cien)
la conversion à l'époux contre Lequel la séparation
demander uniquement
de avait été Ce système est logique. L'époux coupable
corps prononcée.
vient dire à l'autre : « Pardonnez-moi, reprenons la vie commune. Sinon,
ma liberté et » Quant à l'époux demandeur en sé-
rendez-moi divorçons.
on suivant cette voie, il a manifesté sa répu-
paration, présume qu'en
a donc lieu de lui de le
gnance pour le divorce ; il n'y pas permettre
réclamer.
de la loi de 1 884. — Bien des critiques pouvaient être éle-
2° Système
contre le du Code civil. Il
paraissait dur que l'époux inno-
vées système
cent se vît refuser un droit que la loi accordait à l'époux coupable. Pour-

estimait-on demandant la séparation, le demandeur avait en-


quoi qu'en
tendu se fermer la voie du divorce ? Peut-être s'était-il contenté de la
dans la conjoint s'amenderait.
que son Voyant son
séparation pensée
il peut aujourd'hui désirer rompre complètement le ma-
espoir trompé,
la loi de 1884 introduisit-elle, dans l'article 310, cette règle
riage. Aussi,
la conversion pourrait être demandée par les deux époux. En même
que
le texte ces mots « le jugement pourra être converti en-
temps, portant
de divorce », on en concluait que le tribunal saisi de la de-
jugement
mande de conversion possédait un pouvoir d'appréciation.
Mais le système nouveau, d'inspiration plus équitable que le précè-

dent, donnait lieu à plusieurs difficultés.


A. — Sur d'abord, le tribunal devait-il faire porter son examen
quoi,
savoir s'il devait accorder ou refuser la conversion sollicitée? Deux
pour
opinions s'étaient formées sur ce
point.
La première, fondée sur les travaux préparatoires et plutôt conforme â
l'idée du divorce-sanction, décidait que l'examen des juges devait porter
sur lagravité des faits ayant servi de base à la demande en séparation.
Ils devaient se demander si cette gravité était suffisante pour entraîner
le divorce. Mais on voit
à quelles objections prêtait cette manière de voir.
Elle est d'abord inadmissible dans les cas où la séparation a été pronon*
cée pour un fait constituant une cause péremptoire de séparation et de
divorce. Et, même dans les autres, elle ne peut se défendre que si c'est

l'époux innocent qui demande la conversion. Concevrait-on un époux,


condamné par le jugement de séparation, et venant ensuite que
alléguer
ses torts n'ont pas reçu une sanction suffisamment sévère? Et cependant,
la loi disait en termes exprès que la conversion être demandée
peut par
les deux époux.
DIVORCE" EST SÊPARATION DE CORPS 251

Une secondeopinion, plus conforme semble-l-il à l'esprit de l'institu-


tion, enseignait, en conséquence, que l'examen du devait
juge porter
exclusivement sur ce point: existe il, ou non, des chances de réconcilia-
tion ? La conséquence logique de ce système — et la Cour de cassation avait
fini par l'admettre (Civ., 24 juillet 1901, D. P. 1904.1.432, S. 1902.1.84)
— c'est que l'époux coupable pouvait demander la conversion en se fon-
dant sur ce que la permanence de ses propres torts rendait tout espoir de
réconciliation impossible! (Cf. note de
sous M. Labbé
S. 1886.1.193.)
B. — Si la séparation est convertie en divorce à la suite d'une demande
formée par l'époux aux torts duquel la séparation avait été prononcée,
la situation respective des parties va-t-elle se trouver modifiée? On aper-
çoit aussitôt l'intérêt qui s'attache à cette question. Il s'agit de savoir le-
quel des deux époux encourra les déchéances qui frappent l'époux contre
lequel le divorce est prononcé (déchéances pécuniaires des articles 386 et
299, garde des enfants, etc.). On admit vite que, nonobstant leur atti-
tude actuelle dans l'instance en conversion, la situation primitive des
époux n'est pas modifiée par le jugement qui la termine. C'est donc
l'époux vainqueur dans l'instance en séparation qui est réputé avoir ob-
tenu le divorce, même si la demande en conversion émane de l'autre.
Et, de même, si la séparation a été prononcée aux torts réciproques
dès deux époux, le divorce sera réputé prononcé contre chacun d'eux

(Req., 25 juillet 1892, D. P. 1893.1.411, S. 1892.1.503).


Pourtant, l'arrêt précité de la Cour de cassation, en date du 24 juil-
let 1901, vint décider que les frais de l'instance en conversion devraient
être supportés par l'époux perdant, encore qu'il eût gagné le procès ori-
ginaire en séparation. Cette solution fut à bon droit critiquée. Outre
qu'elle était en contradiction avec les autres décisions de la Cour su-
prême en cette matière, elle semblait contraire à l'équité. L'instance en
conversion et les frais qu'elle entraîne sont la conséquence ultime de la
faute commise par l'époux coupable ; ce n'est pas le conjoint irrépro-
chable qui doit en souffrir.
3° Loi du 6 juin 1 908 : Système actuel. — D'après le texte actuel de l'ar-
ticle 310, modifié par la loi du 6 juin 1908, « lorsque la séparation de corps
aura duré trois ans, le jugement sera de droit converti en jugement de
divorce sur la demande formée par l'un des époux ». C'est, comme on
a dit, le système de la conversion toujours facultative pour les parties,
mais automatique pour le juge. En réalité, le changement apporté aux er-
rements antérieurs se réduit à peu de chose, si l'on réfléchit que, malgré
le pouvoir d'appréciation reconnu au juge sous l'empire de la loi de 1884,
lés demandes en conversion n'étaient alors, en fait, presque jamais repous-
sées, la proportion des demandes accueillies par les tribunaux variant
entre 90 et 95 °/0 par année.
Le système actuel de notre loi soulève cependant deux critiques qu'il
importe d'examiner.
A. — Puisque la conversion est désormais automatique, on s'est de-
mandé le tribunal est encore appelé à statuer. A quoi bon im-
pourquoi
252 LIVRE I. — TITRE l. — PREMIÈRE PARTIE

les frais d'un Ne serait-il pas plus simple de faire de la


poser procès?
conversion un simple acte de l'état civil ? On oublie, en émettant cette

y a demande de conversion, il y a des demandes


opinion, que, lorsqu'il
incidentes et même des défenses au fond possibles à prévoir de la part de
l'autre époux. Les demandes incidentes auront trait, par exemple, à la
des enfants, à la pension alimentaire, points sur lesquels l autre
garde
souhaiterait qu'il fût statué autrement que ne l'avait fait le juge-
époux
ment de séparation. Et, au fond, s'il est vrai que la conversion de la sé-
en divorce se produit de droit, encore faut-il qu'il y ait eu sépa-
paration
ration. Or, l'époux défendeur peut alléguer que la séparation avait pris fin
une réconciliation. Il est donc nécessaire que la justice soit mise à
par
même de se prononcer sur ces difficultés éventuelles.
B. — Un reproche plus spécieux est celui que l'on a fait à l'institution
même de la conversion et qui a été, sinon créé, du moins, aggravé par la loi
de 1908. La possibilité de la conversion, a-t-on dit, est, en quelque mesure,
attentatoire à la conscience religieuse. Il y a des personnes auxquelles
leurs croyances interdisent, non seulement de demander le divorce, mais
encore d'y donner lieu. Malheureuses dans leur ménage, elles ne pourront
donc pas demander la séparation sans risquer de se voir imposer, sur
l'initiative de l'époux coupable, un divorce que leur conscience repousse.
Faudra-t-il donc que leurs scrupules leur ferment l'accès même de la se-
paration ? Si l'on fait observer que, dès avant la loi de 1908, la conversion
pouvait déjà être sollicitée par l'époux coupable, on répondra que, du
moins, les juges avaient alors un pouvoird'appréciation qui leur eût per-
mis peut-être, le cas échéant, de prendre en considération les scrupules

religieux de l'époux innocent et de repousser la demande en conversion.


Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de s'arrêter à cette objection. Si
ombrageuse que soit la conscience d'une personne mal mariée, il nous
semble qu'elle se met en règle avec
prescriptions les de la foi catholique
en s'abstenant, dans sa conduite, de toute faute qui puisse donner lieu à
une demande en divorce, et en s'interdisant non seulement de le demander
elle-même, quels que soient ses griefs, mais de ne jamais en profiter, s'il
vient à être prononcé. Ce sont là, au surplus, des considérations confession
nelles, et, nous l'avons dit, la législation du mariage, étant toute civile,
c'est à-dire laïque, ne peut pas s'en inspirer

Réglementation de la conversion. — L'article 310 de la ma-


règle,
nière la plus simple possible, la procédure de la demande en conversion.
Le de du délai de trois ans établit n'est
point départ qu'il pas fixé expres-
sément. Mais on s'accorde sans difficulté à décider c'est le moment où
que
le jugement de
séparation est devenu définitif 28 novembre 1887.
(Civ.,
D. P. 1888.1.433, S. Le procès et se dénoue vile.
1890.1.113). s'engage
L'époux demandeur n'est plus obligé de se présenter en personne devant
le président du tribunal, il n'y a pas de conciliation. 19 novembre
(Req.
1912. D. P.-1914.1.278]
Le demandeur adresse une requête au président, qui rend une ordon-
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS 253

ance permettant de citer. La même ordonnance nomme un


juge rappor-
teur, ordonne la communication au ministère public et fixe le jour de la
comparution. La demande est débattue en chambre du conseil. le
Seul,
jugement est rendu en audience publique. La même procédure est suivie
a appel (V. art. 310, al. 3 à 7). Enfin, la décision définitive est transcrite
sur les registres de l'état civil, car c'est un véritable jugement de divorce.

Effets de.la conversion. — Il n'est douteux celle-ci laisse


pas que
la situation respective des parties, telle qu'elle résultait du juge-
subsister
ment ordinaire de séparation. La loi du 6 juin 1908 (art. 310 nouveau,
al. 2) déduit expressément, et dans un sens contraire à la jurisprudence
intérieure de la Cour de cassation, une
conséquence de ce principe, en
« les dépens seront mis pour le tout à la charge de l'époux,
décidant que
même demandeur contre lequel la séparation a été prononcée, et, pour
moitié, à la charge de chacun des époux, si la séparation a été prononcée
contre eux à leurs torts réciproques ». Toutefois, si l'époux demandeur à

la séparation avait soulevé un incident sur lequel il eût été débouté, les
rais de cet incident devraient évidemment être mis à sa charge. Le troi-
sième alinéa de l'article 310 ajoute d'autre part que les dispositions du

jugement de séparation de corps accordant une pension alimentaire à

l'époux qui a obtenu la séparation conservent en tout cas leur effet.


Une dernière question de détail a été soulevée pour l'application de l'ar-

icle 310 nouveau. Les règles établies par la loi de 1908 doivent-elles s'ap-
pliquer aux: demandes en conversion consécutives à des séparations de

corps prononcées antérieurement à la promulgation de la loi ? La Cour de

cassation a admis l'affirmative (Req., 7 avril 1910, D. P. 1910.1.256, S.


910.1 a bien et sans violer le
359). Il est incontestable qu'elle jugé prin-
cipe de la non-rétroactivité des lois. Lorsqu'il ne s'agit pas de rapports de
droit relatifs au patrimoine, aucune considération
peut ne mettre obstacle
ce qu'une loi nouvelle régisse les faits à venir, même lorsqu'ils se rat-

achent à un acte ou à une situation juridique antérieure.


DEUXIÈME PARTIE

FILIATION, PARENTÉ, ALLIANCE1

GÉNÉRALITÉS

Définitions- — Le deuxième élément de l'état des personnes, c'est la


lien qui les unit aux autres individus faisant partie du même
parenté,
fondé sur la communauté du sang ou famille.
groupe
La parenté dérive de la filiation. En effet, on appelle parents les personnes
qui descendent les unes des autres ou descendent d'un auteur commun.
Il résulté de cette définition qu'il y a deux sortes de parentés, la parenté
en ligne directe, celle des personnes qui descendent les unes des autres, la

parenté en ligne collatérale, celle des personnes qui descendent d'un auteur
commun.
La ligne directe est, elle même, ascendante ou descendante suivant que,
par rapport à une personne déterminée, on envisage le lien qui l'unit à
ceux dont elle descend, ou celui qui l'unit à ceux qui descendent d'elle

(V. art. 736).


La ligne collatérale, comprenant les frères, soeurs, oncles, tantes, neveux,
nièces, cousins, cousines, est une ligne double, paternelle ou maternelle,
suivant que, pour trouver l'auteur commun entre mon collatéral et moi, il
faut remonter du côté de mon père ou du côté de ma mère. On remarquera
tout de suite que certains collatéraux sont parents à la fois dans les deux

lignes ; ainsi les frères et soeurs issus des mêmes père et mère, qu'on appelle
frères et soeurs germains. Au contraire, les frères et soeurs par le père seu-
lement, qu'on appelle consanguins, les frères et soeurs de mère, qu'on ap-
pelle utérins, ne sont
parents que dans une seule ligne. /""
C'est le nombre
par de degrés que s'établit la proximité de
la parenté.
On entend par degrés le nombre de générations qui séparent les per-
sonnes (V. art. 735). En ligne directe, il y a un degré par génération. Ainsi,
le père est, avec son fils, au premier ; le grand-père avec son
degré petit-
fils au deuxième degré (art. 737).
En
ligne collatérale, il y a eu, suivant les législations, des modes diffé-
rents de computation des Notre Code
degrés. (art. 738) a adopté le mode
de computation suivi par les Romains. Il consiste à remonter de l'un des
parents jusqu'à l'auteur commun et à redescendre ensuite de cet auteur à
l'autre en autant de
parent, comptant degrés qu'il y a de générations, ou
d'échelons, le long de chaque côté de cette échelle double.
Ainsi, pour notre Droit civil, deux frères sont au deuxième degré, un

1. Ch. Lefebvre. La famille en France dans le Droit et dans les moeurs. 1920
FILIATION, PARENTÉ; ALLIANCE 255

oncle et son neveu


au troisième, deux cousins au quatrième, etc..
germains
En Droit canonique, au contraire, le système de computation est moins
précis et moins clair. Les frères y sont collatéraux au premier degré ; les
cousins germains, les oncles et neveux sont, les uns et les autres, collaté-
raux au deuxième degré.
A un autre point de vue, il y a trois sortes de parentés ou de filiations :
et la filiation légitime qui résultent du ;
La parenté mariage
La parenté et la filiation naturelle qui résultent de l'union libre;
et la filiation adoptive qui résultent de l'adoption.
La parenté
Enfin, il faut noter que le mariage ne crée pas seulement la parenté légi-
time, mais encore l' alliance ou affinité, qu'on peut définir le lien existant
entre un époux et les parents de l'autre (beaux-enfants, beaux-parents
beaux-frères, belles-soeurs, etc.).
L'alliance est, comme la parenté, en ligne directe ou en ligne collatérale;
sa proximité se calcule de la même façon que celle de la parenté. Il n'y apas
d'alliance naturelle, sauf, comme nous l'avons vu, quand il s'agit de déter-
miner les empêchements au mariage.

Distinction rationnelle entre le lien de famille et le lien de paren-


té. —. Nous avons jusqu'à présent rapproché les idées de famille et de pa-
renté. Cependant, en raison, il y a entre ces deux notions des différences
indéniables.
La parenté résulte de la communauté du sang. C'est un lien naturel. La
famille est un groupement social, organisé par le législateur dans l'intérêt
de la Cité et plus ou moins arbitraire, en ce sens que les règles de ce grou-
pement peuvent varier suivant les époques et les nations. L'organisation
de la famille était très différente à Rome de ce qu'elle est de nos jours. Le
lien de famille n'est pas un lien naturel, mais un lien légal.
Le fait
qui produit deux les liens n'est pas le même.
fait Le
qui donne
naissance à la parenté est le fait matériel de la procréation ; il est indépen-
dant parfois de la volonté. Le fait qui produit le lien de famille est un fait

volontaire, reconnu et sanctionné par la loi : le mariage, acte par lequel on


s'unit à une personne d'un autre sexe et à la famille présente et future de
celle-ci, la reconnaissance, l'adoption.
Il serait rationnel qu'au point de vue de leurs effets, la parenté et la fa-
mille fussent aussi différenciées. Le fait naturel de la parenté doit produire,
comme conséquences, d'abord l' empêchement au mariage, fondé, on l'a vu,
à la fois sur des motifs d'utilité et sur des considérations de
physiologique
morale, ensuite d'aliments et d'éducation de la part des parents
l' obligation
invers l'enfant qu'ils ont mis au monde. Cette obligation nous apparaît
somme l'expression pure et simple d'une loi de la nature. Dans toutes les

espèces, un instinct impérieux contraint lesprocréateurs à protéger et à


nourrir l'être ils ont mis au monde pendant le temps nécessaire à son
qu
complet développement. Cette loi est surtout nécessaire lorsqu'il s'agit de
la durée nécessaire à la formation de l'individu étant
l'espèce humaine, car,
en raison directe de l'élévation de l'espèce à laquelle il appartient, le temps
256 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

l homme a besoin d'être nourri, protégé, élevé, se prolonge


pendant lequel
de longues années. à cette obligation est, de la part des
pendant Manquer
la violation d'une loi de la nature, dont toute bonne législation
parents,
doit faire une loi juridique aussi exactement sanctionnée que possible.
Au contraire, le lien de famille produit comme conséquences, des droits
de puissance et d'autorité, et une certaine vocation successorale. Et ces di-
verses institutions comme susceptibles de recevoir une ferme
apparaissent
et une organisation différentes, suivant les temps et les moeurs.
Rationnellement donc, une bonne législation doit être, croyons-nous,
conforme à la distinction fondamentale que nous venons d'établir, de telle
sorte: 1° que le fait de la filiation, générateur du lien de parenté, puisse
être établi facilement et sans entrave ; 2° que les obligations résultant de
ce lien ne puissent pas être éludées; 3° que la vocation successorale, au

contraire, et, d'une façon générale, les droits résultant du lien familial ne
soient établis qu'en conformité de la volonté des parents ; 4° que les effets
des liens de famille soient plus ou moins étendus suivant le plus ou moins
d'intensité de ce
vouloir, suivant aussi le
plus ou moins d'extension du

groupe dont émane la manifestation de volonté.

Ainsi, d'une part, la preuve de leur filiation devra être facilitée aux en-
fants sans distinction. Les parents naturels ne devront avoir, autant que
possible, aucun moyen direct ou indirect de se soustraire à leur devoir d'ali-
ments et d'éducation. Mais inversement, nous admettrons volontiers que les
enfants naturels aient des droits successoraux moins étendus que les enfants

légiti mes,
parce que le mariage seul consacre, dans toute sa plénitude, étant
donné qu'il émane non seulement de la volonté des époux, mais, virtuelle-
ment au moins, de celle de leurs parents, l'admission future des enfants à
naître dans la famille. Même, il nous paraîtrait logique que les enfants natu-
rels, qui ont fait l'objet d'une reconnaissance volontaire, obtinssent des droits
successoraux plus étendus que ceux des enfants dont la filiation résulte
d'une reconnaissance forcée ; à ces derniers il suffirait, pensons nous, d'as-
surer des aliments et l'éducation, sans les considérer comme faisant partie
de la famille de leurs auteurs.
Nous allons voir dans quelle mesure la loi se ou
française rapproche
s'éloigne des principes qui viennent d'être indiqués.
CHAPITRE PREMIER

FILIATION LÉGITIME

Idées fondamentales. — Avoir une filiation


c'est être issu des
légitime,
relations sexuelles do deux époux. Pour établir cette filiation, il faut être en
mesure de démontrer, d'abord, qu'on est né d'une femme mariée, c'est le
fait de la maternité légitime; et, en second lieu, qu'on est issu des oeuvres
du mari de cette femme, c'est le fait de la paternité légitime. On envisagera
successivement la démonstration de ces deux faits. Mais, auparavant, deux
observations sont nécessaires. /
1° Pour que la filiation légitime soit certaine, on doit toujours supposer
établi un fait essentiel, à savoir l'existence du lien matrimonial entre les
deux personnes dont l'enfant se
prétend issu (V. note de M. Binet sous
D. P. 1907.1.289). Nous nous contenterons ici de renvoyer à ce qui a été dit

plus haut sur la manière dont doit s'administrer la preuve du mariage.


2° Dès le premier abord, on aperçoit une différence évidente, au point
de vue de la démonstration à administrer, entre la maternité et la pa-
ternité. La maternité résulte d'un fait matériel, l'accouchement de la
femme mariée, fait qui tombe sous les yeux et dont on peut faire la
démonstration directe. La paternité, au contraire, résulte de faits dont la

preuve directe est à peu près impossible à administrer. Gomme le disait, non
sans exagération, le tribun Lahory au Corps législatif : « La nature, sur ce
n'a fait souvent même à la femme de demi-confidences. » Et en
point, que
effet, pour établir la de tel ou de tel individu, il ne suffit pas de
paternité
démontrer a eu des relations sexuelles avec la mère de l'enfant à l'é-
qu'il
de la ; il faut encore qu'il ait été le seul à avoir
poque probable conception
eu ces relations. La démonstration de la paternité ne pourra donc résulter

que de certaines présomptions attachées par la loi à telle ou telle situation


ou encore d'une affirmation formelle
péremptoire du prétendu et père,
attestant, outre le fait de ses relations, sa foi dans la fidélité de sa compagne.
En d'autres termes, le fait de la paternité n'est jamais fondé sur des preuves
mais sur des probabilités, sur des vraisemblances plus ou
proprement dites,
moins l'intérêt social commande d'ajouter foi.
significatives, auxquelles

SECTION I. — DÉTERMINATION DE LA FILIATION LÉGITIME MATERNELLE.

des faits à établir. — Faire la de la filiation


Décomposition preuve
maternelle d'un c'est faire la démonstration des deux
(légitime) individu,
faits suivants :
T. — l. — DEUXIEME PARTIE
258 LIVRE TITRE

de la femme mariée dont l'enfant se prétend


1° L'accouchement
issu ;
entre l'enfant la femme mariée a mis au monde et celui
2° L'identité que
dont l'état est en question.
La de l'accouchement est l'élément essentiel de la démonstration
preuve
à produire établir la filiation maternelle. Le mode normal de cette
pour
c'est la de l'acte de l'état civil qui a été dressé précisé-
preuve, production
ment relater la naissance. Mais il serait injuste de n'admettre que ce
pour
mode de preuve, car l'enfant, doit établir sa filiation, ne peut pas être
qui
été commises au moment
rendu responsable des négligences qui auraient
où son acte de naissance devait être dressé ; il peut même ignorer à quelle

date, en lieu il est né. La loi admet donc d'autres preuves encore :
quel
la possession d'état; ensuite, la preuve testimoniale (entraînant la
d'abord,
de faire valoir les simples présomptions, art. 1353). Mais cette
possibilité
dernière n'est admise que lorsqu'il existe certains adminicules
preuve
indiqués par l'article 323, à savoir un commencement de preuve
préalables,
écrit ou des indices graves résultant de faits constants. En somme,le
par
régime probatoire que nous rencontrons ici est celui de la preuve pré-
constituée, mais extrêmement tempéré.
L'identité de la personne, dont l'état est en jeu, avec l'enfant issu

de l'accouchement n'est, en général, pas contestée. Si elle l'est, on


admet aujourd'hui unanimement que cette identité pourra s'établir par
tous les modes de preuve possibles, et notamment par enquête, sans

qu'il y ait besoin d'un commencement de preuve par écrit. Car, dit-on,
c'est un principe fondamental que les faits matériels qui, par eux-mêmes,
ne produisent ni droits, ni obligations, se prouvent par tous les moyens
possibles.
Il y aurait cependant des doutes très sérieux à élever contre cette solution

que la Jurisprudence avait autrefois repoussée (V. Bordeaux, 25 août

1825, S. chron.) en exigeant, pour la preuve de l'identité à administrer

par témoins ou par présomptions, pour comme


celle de la naissance,
l'un des adminicules de l'article 323. Ce texte, on le remarquera tout d'a-
bord, régit la preuve de la filiation. Or la filiation, nous l'avons vu, com-

prend aussi bien l'élément de l'identité que celui de la naissance. Et, en fait,
le système suivi aujourd'hui peut donner lieu à de graves abus. Le fait

qu'une personne mariée est accouchée d'un enfant pourra autoriser le pre-
mier venu à démontrer, à l'aide de témoins plus ou moins suspects, qu'il est
l'enfant issu de cet accouchement, et cela peut-être à une date très éloignée,
voire même
à quelques générations de distance, car en matière de récla-
mation d'état, il n'y a pas de prescription. On dit suffirait, faire
qu'il pour
échouer cette manoeuvre, de produire la personne du véritable enfant ou
son acte de décès. Mais cet enfant peut avoir disparu sans laisser de traces;
son acte de décès peut être contesté. Or c'est dans des cas de
précisément
ce genre, romanesques mais non inconcevables, la se posera
que question
plus souvent et que des aventuriers mettront à profit les facilités de la
le
De fameux procès (affaire eu affaire Naun-
loi. Tichborne, Angleterre,
FILIATION LÉG1TIME 289

dorf en France, démontrent qu'une telle crainte n'a rien de 1.


chimérique
Quoi qu'il en soit, laissant de côté désormais la de l'identité,
question
nous examinerons successivement les trois modes de preuve de la nais-
sance légitime admis et organisés par l loi.

Acte de naissance. — « La filiation de


l'enfant légitime se prouve
par les actes de naissance inscrits sur le registre de l'état civil » (art. 319),
On indiquera plus loin, en traitant des actes de l'état civil, les formes dans
lesquelles l'acte de naissance doit être dressé. Il suffira de dire ici que l'acte
de naissance est dressé par l'officier de l'état
qui ne fait que civil, relater les
déclarations qui lui sont faitesla personne
par que la loi charge de déclarer
la naissance, c'est-à-dire par le père de l'enfant ou, à son défaut, par les
médecins, sages-femmes, personnes présentes à l'accouchement ou chez
qui lanière a accouché (art. 56). Ces déclarations énoncent le jour, l'heure,
le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui sont donnés,
les prénoms, noms, domicile et profession des père et mère (art, 57, 1er al.),
La force probante attachée par la loi à l'acte de naissance est, en, réalité,
comparable à celle qui s'attache à une preuve testimoniale. En effet, la
déclaration de naissance n'émane pas de la mère elle-même, c'est-à-dire du
principal intéressé, ni de l'officier public qui ne fait qu'enregistrer les dé-
clarations qui lui sont faites. Mais on s'explique la foi que la loi attache au
titre ainsi établi, d'une part, parce que le déclarant n'est pas intéressé à
mentir (au moins, en
général) et, d'autre part, parce qu'une fausse décla-
ration l'exposerait à une sanction répressive sévère (art. 345, C. pén.).
D'ailleurs, on peut combattre la preuve résultant de l'acte de naissance,
bien que cet acte soit authentique, par tous les moyens possibles, et sans
avoir besoin de recourir à l'inscription de faux. Il en est du moins ainsi

lorsque l'on conteste, nonle fait même


pas des déclarations relatées par,
l'officier de l'état civil, mais l' exactitude de ces déclarations en ce qui con-
cerne la personne de la mère. Cette exactitude, en effet, n'est pas un fait que
l'officier public constate ou vérifie ex propriis sensibus ; le caractère authen-
tique ne s'y attache donc pas.

Possession d'état. — A défaut de titre, la possession d'état d'enfant

légitime suffit pour démontrer la filiation (art. 320).


En quoi consiste la
possession d'état? C'est ce que nous explique l'ar-
ticle 321. C'est la réunion de faits indiquant le rapport de filiation entre un
individu et la famille à laquelle il prétend se rattacher. Les principaux de
ces faits sont : « que l'individu a toujours porté le nom du
père auquel il

prétend le père l'a traité comme son enfant et a pourvu,


appartenir; que
en cette qualité, à son éducation, à son entretien, à son établissement;

qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société, qu'il a été recon-
nu pour tel la famille ». Une formule résume ces divers élé-
par abrégée
ments: fama. Le juge souverainement si ces
nomen, tractatus, appréciera

1. V. Baraduc, De l'origine des preuves de la filiation des


historique enfants
légitimes, thèse, Paris, 1906,
260 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

éléments sont réunis et s'ils sont constants, car l'article 320 exige une pos-
session d'état constante c'est-à-dire continue (et non pas sens que avérée,

nous trouverons sous l'article 323). Pour que la possession d'état soit pro-

bante et puisse suppléer à l'absence de titre, il ne faut pas que les faits qui
la constituent soient intermittents ; en effet, ils perdraient alors toute
ils se retourneraient même contre la prétention de l'inté-
signification,
ressé, car il y aurait quelque chose de suspect dans la conduite de gens
mariés exemple, ne traiteraient un enfant comme le leur qu'un
qui, par
certain sa naissance, et qui cesseraient ensuite de s'occuper
temps après
de lui. C'est l'article 321 exige que l'enfant ait toujours porté le
pourquoi
nom du 12 juin 1914, sous Req., 1915, D. P. 1916.1.237).
père. (Paris, 9 juin
Ce second mode de preuve de la filiation légitime donne lieu à diverses

questions :
1° Sur quoi repose la force
probante attachée à la possession d'état? En

définitive, sur l'aveu des époux de qui l'enfant se prétend issu. En l'éle-
vant (tractalus), en lui donnant leur nom (nomen), ils ont proclamé sa filia-
tion ; à leur égard, la possession d'état continue, constante est, comme on
l'a dit, « le cri même de la nature ». Cet aveu des parents est d'ailleurs
corroboré par le témoignage concordant de la famille et de la société (fama).
S'il en est ainsi, la possession d'état ne doit pas pouvoir être invoquée,
lorsque l'aveu qu'elle implique porte sur une filiation dont la loi ne permet

pas de faire l'aveu (par reconnaissance ou autrement), c'est-à-dire sur une


filiation adultérine. C'est pour cela que l'article 321 ne fait allusion qu'à
l'attitude du père à l'égard de l'enfant. Il s'agit de prouver, en effet, une
filiation légitime; on ne concevrait pas que les actes constitutifs de cette

possession d'état d'enfant légitime émanassent de la mère seule et non de


son mari ; car, alors, ils feraient plutôt présumer une filiation adultérine
dont la loi en principe n'admet pas, nous le verrons, la démonstration
directe.
2° On —
remarquera que la possession d'état et, en cela, elle diffère
de l'acte de naissance, — non seulement le fait de la naissance,
prouve
mais encore celui de l'identité. En effet, l'acte de l'état civil ne vise qu'un
moment, celui de la naissance, qu'un fait isolé, l'accouchement de la
femme mariée de qui l'enfant se prétend issu. La d'état, au
possession
contraire, résultant d'une série continue de faits concordants, suit, en
quelque sorte, l'individu pas à pas; elle démontre la filiation tout entière
en ses deux éléments.
3° Comment se prouvent les faits dont l'ensemble constitue la possession
d'état? Evidemment par tous les la preuve
moyens possibles, y compris
testimoniale et les présomptions sans soit
simples, qu'il besoin, pour
demander l'enquête, de justifier d'un commencement de preuve écrit.
par
Réciproquement, la preuve par la possession d'état aussi être
peut
combattue par tous les moyens La contre-démonstration doit
possibles.
être libre comme la démonstration même. On contester
peut, d'ailleurs,
la filiation résultant de la possession d'état d'enfant de deux ma-
légitime
nières différentes :
FILIATION LÉGITIME 261

A. — On peut d'abord combattre, rétorquer les faits dont l'enfant pré-


tend faire résulter sa possession d'état, opposer à l'enquête une contre-en-
quête, démontrer, par témoins et par présomptions, n'est vrai
qu'il pas
que l'enfant ai joui depuis sa naissance de la possession d'état d'enfant légi-
time (nomen, tractatus, fama) (Req. 9 juin 1915, D. P. 1916.1.237).
B. — Même, la possession d'état d'enfant légitime étant on
établie, peut
soutenir qu'elle ne correspond pas à la filiation véritable et l'enfant
que
est issu, en réalité, d'autres parents. Certes, il est assez difficile de sup-
poser que des époux traitent
pendant et élèvent,
des années, un étranger
comme leur enfant légitime. Cependant, cela n'est Celui
pas impossible.
qui contesterait la filiation légitime pourrait donc ou bien
démontrer, que
les parents prétendus de l'individu jamais eu d'enfant, ou que leur
n'ont
enfant est décédé ; ou bien encore, il pourrait prouver directement que
l'individu, bénéficiaire de la possession d'état, est, en réalité, né d'un
autre couple.
Supposons que le contestant produise un acte de naissance, se référant
manifestement à l'individu dont l'état est en question et le désignant
comme né d'autres personnes ou né de parents inconnus ; l'effet proba-
toire de la possession d'état s'évanouirait. C'est bien, d'ailleurs, ce qui
résulte de l'article 320, aux termes duquel la possession d'état ne fait
preuve de la filiation qu'à défaut de titre. Du reste, si l'enfant appar-
tenait vraiment à ceux qui l'ont élevé et lui ont fait porter leur nom,
comment l'auraient-ils déclaré à sa naissance soit sous de faux noms, soit
comme né de père et mère inconnus. Le fait serait bien invraisemblable. Il
peut se produire cependant. Alors la situation sera réglée par l'article 323,
al. 1er, et l'enfant sera admis à rectifier l'erreur résultant du titre relatif
à sa naissance en établissant sa véritable filiation, non au
plus moyen
de la possession d'état, mais au moyen de la preuve testimoniale, admis-
sible, nous allons le voir, moyennant l'adminicule préalable d'un com-
mencement de preuve par écrit ou d'indices graves faisant présumer l'er-
reur du titre écrit.

Effets de la d'état conforme à l'acte de naissance. —


possession
Nous avons supposé, jusqu'à présent, que la filiation légitime repose sur
l'une des deux preuves ci-dessus étudiées, l'acte de l'état civil ou la pos-
session d'état. Dans ces deux cas, la preuve qui en résulte peut être con-
testée et combattue par tous les moyens possibles. Mais supposons, et
c'est le cas habituel dans la réalité, que ces deux éléments de démons-
tration soient réunis, la possession d'état de l'individu et son acte de nais-
sance étant absolument conformes. En ce cas, la démonstration est irré-
fragable. On ne peut ni la contester ni la combattre. « Nul, dit l'article
322, ne peut réclamer un état contraire à celui que lui donnent son titre
de naissance et la possession conforme à ce titre. Et réciproquement, nul
ne peut contester l'état de celui qui aune possession conforme à son acte
de naissance. » C'est là une règle de prudence, qui paraît avoir été em-
pruntée à la Jurisprudence du XVIIIe siècle, et qui a pour but d'empê-
I. — DEUXIÈME PARTIE
262 LIVRE .—- TITRE I.

cher des pénibles, dans des hypothèses où ils seraient


procès, toujours
le souvent abusifs. Peut-on, en effet, supposer que deux époux dé-
plus
clarent comme leur enfant, et élèvent ensuite comme tel, un enfant né
d'autres personnes? Si cela était cependant, la situation qui résulterait de
ce concours de circonstances serait à l'abri de toute contesta-
exceptionnel
tion. Mieux vaut encore cette éventualité que de laisser l'état des familles en
butte à des attaques forcément aventureuses.
On doit décider qu'il résulte de l'article 322 une fin de
non-recevoir même
contre celui qui prétendrait démontrer que l'acte de naissance est un faux.
Vainement a-t-on que, dans cette hypothèse, l'article 322
ne peut
prétendu
s'appliquer, le véritable acte de naissance étant peut-être non conforme à la

possession d'état. Raisonner ainsi, ce ne serait rien moins que résoudre la

question par la question.


Cependant, la règle de l'article 322 souffre deux restrictions :
1° L'effet irréfragable attaché à la réunion des deux preuves susvisées sup-
pose toujours une condition préalable, à savoir que le mariage des préten-
dus auteurs de l'enfant est établi. Celui qui voudrait contester le mariage
le pourrait et toujours, car l'article 322 ne le lui interdit pas. Réussissant
dans sa demande, il ruinerait, du même coup, la démonstration résultant
de la concordance du titre et de la possession d'état, car l'article 322 ne

s'applique qu'à la filiation légitime et non à la filiation naturelle (Civ.,


12 février 1868, D. P. 68.1.60, S. 68.1.165).
2° L'article 322 suppose également qu'il n'y a aucun doute sur l'identité
existant entre l'individu désigné par l'acte de naissance et celui dont la
possession d'état d'enfant légitime est, par ailleurs, établie. S'il en était
autrement, si l'on prétendait prouver qu'il y a eu substitution d'un enfant
à un autre, par exemple, changement d'enfants en nourrice, dans l'intervalle
compris entre la rédaction de l'acte de naissance et les faits dont résulte la
possession d'état, la fin de non-recevoir de l'article 322 ne s'appliquerait
plus ; il n'y aurait plus, en effet, conformité du titre et de la possession
d'état, le titre s'appliquant à un individu et la
possession d'état à un autre
(Paris, 31 juillet 1890, D. P. 91.2.129, note de M. de Loynes, S. 92.2.302).

Preuve testimoniale. — Le troisième mode de filiation


preuve de la
légitime, à savoir la preuve testimoniale, fonctionne à défaut des précé-
dents. L'article 323 indique deux hypothèses où il en sera ainsi :

Lorsqu'il n'y a ni titre ni attribuant à l'individu un état
possession
déterminé ;
2° Lorsqu'il y a bien un titre, c'est-à-dire un acte de naissance se rappor-
tant à l'individu, mais lorsque ce dernier conteste la véracité de ce titre,
parce que, prétend-il, il aurait été inscrit sous de faux inexacte-
noms, ou,
ment, comme né de père et mère inconnus ; ajoutons cette circonstance
que l'individu n'est en possession d'aucun état déterminé.
A ces deux hypothèses, il convient certainement d'en deux
ajouter autres,
de telle sorte qu'on admettra le recours à la preuve testimoniale :
3° Si l'individu jouit d'une d'état dont il
possession prétend démon-
FILIATION LÉGITIME 263

la fausseté
et que corrobore aucun acte conforme
trer ne de naissance
4° S'il y a à la fois un acte de naissance et une possession d'état déter-
minée se rapportant à l'individu, mais sans conformité entre les indications
de l'une et de l'autre.
En un mot, l'individu, qui. réclame un état sera admis à recourir à la
d'enquête, pour suppléer à l'absence ou à la discordance
procédure des
deux autres modes de preuve préférables, ou pour combattre l'un ou
existant isolément. Mais, comme la preuve
l'autre testimoniale est vue
par la Ioi avec peu de faveur à cause de la subornation
possible des té-
moins, comme, d'autre part, de telles hypothèses se présentent bien rare-
ment, l'article 323 son admissibilité certaines conditions
met à préalables.
Il exige, ou bien qu'il y ait déjà un commencement de preuve écrit
par en
faveur filiation alléguée, ou bien qu'on des présomp-
de la puisse invoquer
tions ou indices résultant de faits dès lors constants assez
jugés graves par
le juge. En un mot, l'emploi de la preuve testimoniale ne fait ici que com-
pléter d'autres éléments de conviction rendent vraisemblable
qui, déjà, le
fait dont il s'agit de faire la démonstration.

Dérogations apportées aux règles du Droit commun. — A plu-


sieurs points de vue, on rencontre ici des dérogations aux ordinaires
règles
en matière de preuve.
1° Ordinairement, la preuve testimoniale est admise de piano le
quand
fait à démontrer est de ceux dont le demandeur n'a pas été à même de se
ménager d'avance une preuve écrite (art. 1348, al. 1). Or c'est précisément
le cas ici.'Cependant, la loi subordonne l'admissibilité de à cer-
l'enquête
tains adminicules préalables. La raison de cette sévérité particulière, c'est
le caractère exceptionnel des faits que l'enfant demande à démontrer.
L'immense majorité des enfants légitimes
peuvent produire un acte de nais-
sance conforme à leur état apparent. Une certaine d'invrai-
présomption
semblance s'attache à la prétention d'un individu, qui veut se rattacher, par
lien de filiation légitime, à une famille dans laquelle il n'a point sa
un
place et qui, peut-être, le repousse.
2° De droit commun, la preuve testimoniale n'est
lorsque pas admise de
piano, elle l'est moyennant l'existence d'un seul adminicule préalable, qui
est un commencement de preuve par écrit,c'est-à-dire, la définition
suivant
de l'article 1347, un acte écrit, par exemple une lettre rendant vraisemblable
le fait allégué, et qui est émané de celui contre la demande
lequel est formée.
En notre cette eût été excessive,
car l'individu
matière, exigence qui veut
prouver sa filiation peut avoir pour adversaires des personnes qu'il ne con-
naît qu il eût justement
et il serait surprenant un écrit émané
pas à l'avance,
de celui qui sera défendeur au procès. Aussi l'article 324 nous donne-t-il
une définition différente de celle de l'article 1347, car il nous dit que le com-
mencement de preuve par écrit peut résulter « des titres de famille, des re-
gistres et papiers domestiques du père
ou de la mère, des actes publics ou même
privés émanés engagée dans la contestation, ou qui y aurait intérêt
d'une partie
si elle était vivante ». Ainsi, il n'est pas nécessaire que les documents invo-
264 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE

émanent de l'adversaire l'enfant trouve en face de lui dans l'ins-


qués que
tance. Par les indications contenues dans un registre domestique
exemple,
tenu le ou la mère déjà décédé, un acte, une lettre mis-
naguère par père
sive d'un membre de la famille pourront constituer le commence-
proche,
ment de preuve par écrit requis par la loi.
3° En les simples, c'est-à-dire les indices résultant
général, présomptions
des circonstances de la cause et des faits signalés par les conclusions des
servir à fonder la conviction des magistrats, chaque fois
parties, peuvent
Elles le rôle de
qu'il y a lieu à preuve testimoniale (art. 1353). jouent
et les suppléent on ne
preuve au même titre que les témoins, quand peut
en trouver. Ici, le rôle de ces indices est tout différent. Ils ne peuvent que
constituer un second adminicule préalable, produisant le même effet qu'un
commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire rendant l'enquête admissible.
En fait, les indices de ce genre peuvent varier à l'infini. Ce seront, par
exemple, tels ou tels faits d'hérédité physiologique, tel ou tel signe cor-

porel, la marque du linge dans lequel un enfant trouvé était enveloppé, la

possession de telle médaille caractéristique qui était attachée à son cou, les
visites faites par la prétendue mère ou par ses proches aux parents nour-

riciers, les envois d'argent. La loi ne saurait énumérer ces indices. Mais
elle exige deux conditions :
A. — Il faut qu'il soient assez graves pour déterminer l'admission de la

preuve testimoniale. A cet égard, l'appréciation des juges du fond sera cer-
tainement souveraine, car il s'agit ici d'une pure question de fait (Civ.,
22 octobre 1902, D. P. 1902.1.539, S.1902.1.485).
B. — Il faut que les indices en question résultent de faits dès lors cons-
tants, c'est-à-dire avérés, notoires. Le mot constant est donc pris ici en un
sens différent de celui du mot constamment employé dans l'article 321. Ce

que la loi exige, pour que les faits relevés à titre d'indices aient la vertu de
rendre l'enquête admissible, c'est qu'il n'y ait pas besoin d'une première
enquête pour établir leur existence. Autrement, en effet, tout le danger
de la subornation de témoins reparaîtrait. Toutefois, les présomptions ou
indices peuvent découler des déclarations ou aveux des parties en justice,
et en conséquence le tribunal peut ordonner leur comparution personnelle
(Req., 19 octobre 1925, D. H. 1925, p. 573).

Hypothèse d'inexistence ou de perte des —


registres. L'applica-
tion des règles qui précèdent doit être écartée dans une hypothèse spéciale
qu'à première vue on pourrait confondre avec celle vise l'article 323.
que
C'est lorsqu'un individu, voulant établir sa filiation à l'égard d'une femme
mariée, prétend que, s'il ne peut produire d'acte de naissance, c'est parce
qu'il n'a pas été tenu de au moment de sa ou que le re-
registre naissance,
gistre sur lequel sa naissance avait été constatée a été perdu La
depuis.
situation est alors réglée par l'article aux termes la preuve de
45, duquel
l'inexistence ou de la perte du registre " sera tant titres
reçue par que par
témoins » ; et la naissance « pourra être tant les et
prouvée par registres
papiers émanés des pères et mères décédés témoins » (ajoutons,
que par
FILIATION LEGITIME 265

conformément à l'article 1353, ou par dans ce cas,


présomptions). Ainsi,
l'emploi de la preuve testimoniale est admissible de plano. L'hypothèse est,
en effet, toute différente de celles qui ont été examinées Il s'agit,
jusqu'ici.
non pas à proprement parler de prouver la filiation, mais de reconstituer
un acte de naissance perdu ou inexistant.

SECTION II. — DÉTERMINATION DE LA FILIATION LÉGITIME PATERNELLE.

Système général de la loi — Le de notre en


française. système loi,
cette matière, est d'une cohésion Il part de cette idée ra-
grande logique.
tionnelle, quoique peut-être excessive, que la paternité est un fait dont il
est impossible de faire la démonstration directe. On ne peut donc désigner
le père d'un enfant qui a été conçu par une femme mariée qu'au moyen
d'une double présomption : celle que des rapports sexuels ont existé entre
la femme mariée et son mari ; et celle que cette femme n'a eu de rap-
pas
ports avec d'autres hommes mari que son
: présomption de cohabitation
et présomption de fidélité. D'où la règle formulée par l'article 312, alinéa 1er :
« L'enfant conçu pendant le mariage a pour le mari. » On l'exprime
père
souvent par une sentence latine empruntée au Droit romain, où elle avait
d'ailleurs un sens différent : Pater is est quem nuptiae demonstrant.
On peut donner une explication un peu différente de la règle de l'ar-
ticle 312, en disant que, si le lien juridique de la maternité résulte de la dé-
monstration d'un fait, celui de la paternité ne peut résulter, faute d'une
démonstration objective possible, que d'un acte de volonté du mari qui, en
se mariant, accepte d'avance comme siens les enfants que sa femme mettra
au monde, au moins quand leur conception et leur naissance auront eu lieu
dans des conditions normales. Cette manière de concevoir le système de
notre loi
française aurait l'avantage d'expliquer, d'une manière rigoureuse
et complète, toutes les solutions que nous allons rencontrer en matière de
filiation paternelle. Mais le système de la double présomption est tellement
classique et traditionnel que c'est certainement celui dont les rédacteurs
du Code se sont inspirés en écrivant les articles 312 et suivants.

— de la
§ 1. Conditions d'application règle « Pater is est ».

Pour que l'enfant soit réputé avoir pour père le mari de sa mère, il faut,
nous dit l'article 312, qu'il ait été conçu pendant le mariage. Mais comment
sait-on s'il en est ainsi ?

relatives à la date de la — La
Présomptions conception. question
de la date de la conception ne donne évidemment lieu à difficulté que
pour les enfants venus au monde au début du mariage (car ils pourraient
avoir été conçus avant le mariage), ou après la dissolution du mariage (car
ils pourraient avoir été après. La loi, au lieu de faire de celte date
conçus
de la conception, peut être douteuse, une question de médecine,
lorsqu'elle

DROIT. — Tome I. 18
266 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

tranche d'avance toute difficulté au moyen d'une présomption relative à la


durée de la gestation. Elle décide (art. 312, al. 2, art. 314, art. 315) que la
de l'enfant doit être placée « le
dans temps qui a couru depuis
conception
le trois-centième jour jusqu'au cent quatre-vingtième jour avant la naissance
de l'enfant ». Ainsi, les plus courtes gestations (d'un enfant né vivant) sont

présumées de 180 jours ; les plus longues de 300 jours (le Code allemand

porte cette durée à 302 jours, art. 1592). Toute naissance d'enfant, surve-
nue plus de 180 jours après le commencement du mariage et pas plus de
300 après sa dissolution, est donc réputée le résultat d'une cohabitation lé-

gitime. Et c'est certainement la une présomption absolue. Ainsi, un enfant


né 300 jours, c'est à-dire tout près de dix mois après la mort du mari, sera
considéré comme un enfant posthume de celui-ci : il faudra l'action en dé-
saveu pour le rejeter de la famille légitime. Et cela, alors même que les
particularités physiologiques de cet enfant et les incidents de la grossesse
ne permettraient pas au médecin ou à la sage-femme de douter que la nais-
sance a eu lieu
après sept mois de gestation seulement !
La question s'est posée plusieurs fois devant les tribunaux de savoir si
ces délais doivent être calculés d'heure à heure ou jour par jour, c'est-à-
dire par intervalles de 24 heures comptés de minuit à minuit. Par exemple,
le mari est mort le 1er janvier 1917 à minuit et la femme est accouchée
300 jours après, le 27 octobre 1917 à midi. Si l'on compte d'heure à heure,
le trois-centième jour a expiré le 27 octobre à 2 heures du matin ; donc
l'enfant, né le 301e jour après la dissolution du mariage n'est pas issu
du père défunt. Si, au contraire, l'on compte par intervalles de 24 heures,
de minuit à minuit, le délai n'a commencé à courir que le 1er janvier à
minuit et, par conséquent, ce délai n'expirant que le 27 octobre à minuit,
l'enfant est couvert par la présomption de l'article 312. La Cour de cas-
sation s'est prononcée, il
y a longtemps, en faveur de la computation par
jours (Civ.,8 février 1869, D. P. 69.1.181, S. 69.1.215) par ce motif que,
dans le langage du Droit comme dans l'acception usuelle, le mot jour
ne s'entend que de l'intervalle de 24 heures qui, compris entre deux
minuits, se distingue par son nom dans la semaine et par son quantième
dans le mois; et que c'est une règle générale et constante de déterminer
par un nombre de jours ainsi définis tous les délais se composent
qui
d'un certain nombre de jours. Les cours d'appel et les tribunaux se pro-
noncent, en général, en sens contraire, et cela même l'arrêt de la
depuis
Cour de cassation, le calcul de momento ad momentum leur paraissant plus
rationnel et de nature, par son inflexibilité, à mieux traduire de
l'esprit
la loi (Angers, 12 décembre 1867, D. P. 67.2.201, S. 68.2.39 ; Trib. civ.,
Rodez, 19 mai 1909, S. 1911.2.39 ; Cf. Montpellier, 11 juillet 1910, S.
1911.2.39).

Quels sont les enfants protégés la de l'ar-


par présomption
ticle — Pour à cette
312 ? répondre question, il faut distinguer suivant
que l'enfant a été conçu pendant le le ou enfin
mariage, avant mariage,
postérieurement à sa dissolution.
FILIATION LÉGITIME 267

I. — Enfant le — Tout enfant


conçu pendant mariage. conçu pen-
dant le mariage de sa mère peut se prévaloir de la présomption Pater is
est et doit donc réputé être
l'enfant du mari.
Ici, la Jurisprudence a déduit, avec beaucoup de fermeté, les consé-
quences de ce principe essentiel que la paternité légitime ne se démontre
pas, mais découle nécessairement du fait que la filiation de l'enfant est
établie à l'égard d'une femme mariée. Ainsi, il a été jugé qu'un enfant devra
être attribué au mari, alors même que son acte de naissance, en désignant
pour mère la femme mariée, resterait muet sur le père, alors même qu'il
indiquerait que l'enfant est né de père inconnu, ou même porterait l'indi-
cation d'une autre
paternité que celle du mari D. P, Req., 1er février 1876,
76.1.323, S. 76.1.373 ; Bordeaux, 31 mai 1893, D. P. 94.2.551 ; Bastia.
28 avril 1897, D. P. 98.2.494, S. 98.2.102 ; Req., 22 juillet 1913, S. 1914
1.351). Dans ce dernier cas, l'indication d'un père adultérin n'aurait au-
cune valeur. Ce serait le mari de la mère qui serait réputé père de l'enfant.
Et il y aurait lieu seulement à opérer la rectification de l'acte de l'état
civil en ce qui concerne la désignation du père.
Toutefois, l'attribution de l'enfant au mari n'est pas absolument irréfra-
gable, ou — pour s'en tenir au système de la présomption de paternité —
celle-ci n'est pas entièrement assimilable aux présomptions absolues. La
loi française, en effet, admet, dans certains cas, le mari à faire écarter la

règle de l'article 312 au moyen d'une action judiciaire, soumise à des règles
sévères et rigoureuses, qui porte le nom de désaveu de paternité. Les
cas où le désaveu de paternité est possible sont, chez nous, strictement
limités par notre loi, différente en cela de Codes plus récents, comme le
Code civil allemand (art, 1591, 1er al.) et le Code civil suisse (art. 254),
lesquels disent simplement que le mari pourra repousser la paternité, en
démontrant qu'il est impossible qu'il soit le père de l'enfant mis au monde

par sa femme.

Condition de l'enfant conçu pendant l'absence du mari. —Sup-


posons qu'un enfant ait été conçu, d'après les présomptions relatives à la
durée de la gestation, alors que le mari de sa mère était absent. Le mariage
n'étant pas dissous, puisque (art. 139) tout mariage nouveau contracté

par l'époux de l'absent serait nul, quelle va être la situation de l'enfant


ainsi mis an monde la femme de l'absent ? La loi reste muette sur cette
par
hypothèse.
L'opinion la plus généralement adoptée par la Doctrine, et à laquelle
nous nous rallions, que cet enfant n'est pas couvert par la pré-
enseigne
somption de l'article 312. En effet, l'absence est l'état de celui dont l'exis-
tence et la mort sont douteuses. S'il n'est pas certain que le
également
mari fût mort au moment de la conception de l'enfant, il ne l'est pas
fût vivant. Or, l'enfant qui invoque la présomption de l'ar-
non plus qu'il
ticle 312 doit démontrer a été conçu pendant le mariage.
pouvoir qu'il
Pour qu'il y eût eu mariage de sa mère au moment de sa conception, il
faudrait qu'il fût certain que le père était vivant à ce moment ; et, par hy-
LITRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
268

c'est ce est de démontrer. La règle légale ne


pothèse, qu'il impossible
donc les conditions auxquelles est subordonnée
s'appliquera pas, puisque
son ne être établies. En conséquence, l'enfant de-
application peuvent
vra être considéré comme enfant naturel par rapport à sa
provisoirement
comme si le
mère, quitte à être, par la suite, considéré adultérin, mari,
exerce à son encontre une action en désaveu.
reparaissant,
Un argument très fort en faveur de celte solution nous paraît résulter

de l'article 120, aux termes duquel, le droit de se faire envoyer en pos-


session des biens de l'absent appartient à ceux qui étaient héri-
provisoire
tiers au de la disparition ou des dernières nouvelles de
présomptifs jour
l'absent. L'enfant dont nous nous occupons, n'étant pas encore conçu à ce

ce moment, n'est pas compris au nombre dos héritiers présomptifs. C'est

donc la loi le considère comme étranger à la famille du mari.


que
Cette opinion n'a cependant pas toujours été consacrée par la Jurispru-
dence. La cour de cassation, en effet, distinguait suivant que l'enfant a ou
n'a pas été inscrit, dans son acte de naissance, sous le nom du mari absent.
Si l'enfant n'a pas été déclaré sous le nom du mari, il est en dehors de la

règle de l'article 312. Mais au contraire, s'il a été déclaré sous le nom
de l'absent, il doit être, jusqu'à nouvel ordre, réputé enfant légitime de
celui-ci (Civ., 15 décembre 1863, D. P. 64.1.153, S. 64.1.27). Car, disait-on,

provision est due au titre. Et il en est ainsi surtout lorsqu'au titre se joint
la possession d'état (art. 322). Un tel système nous inadmisssible. semble
La maxime que Provision est due au titre n'est pas applicable dans notre
cas. L'enfant, en réalité, n'a pas de litre de filiation paternelle. C'est seule-
ment en ce qui concerne la filiation maternelle que l'acte de naissance fait

preuve et, par conséquent, constitue un titre. La filiation paternelle résulte,


elle, nous l'avons vu, non pas de l'acte de naissance et de l'indication do
nom du père qui y est contenue, mais uniquement de la présomption de
l'article 312. Nous avons dit précédemment que, si l'acte de naissance d'un
enfant procréé par une femme mariée indiquait, comme père un autre
homme que le mari, celui ci n'en serait pas moins le père de l'enfant.
légal
Inversement, de
ce que l'acte de naissance contient le nom du mari, il ne
résulte pas nécessairement que c'est le mari est le du moment
qui père,
qu'on ne se trouve pas dans les conditions de la Paler
d'application règle
is est. Or, c'est
précisément le cas puisque, on encore une ne peut
fois, pas
démontrer qu'il y avait mariage, au moment de la conception.
Ce qui achève, d'ailleurs, à notre avis, de condamner le système précé-
dent, c'est qu'il aboutit fatalement à cette conséquence révoltante, que l'en-
fant conçu pendant l'absence du mari, mais déclaré sous le nom de celui ci,
ne pourrait jamais être expulsé de la famille, si l'absent ne reparaît pas
En effet, puisqu'on le répute il faudrait un désaveu
légitime, pour lui faire
perdre cette qualité. Or, pour exercer l'action en désaveu, les héritiers de
l'absent devraient être à même de démontrer la mort de' leur auteur, ce
qui, par hypothèse, est impossible. Aussi la Cour de cassation semble-t elle
en voie d'abandonner le système de son arrêt de 1863 (V. Civ 19 décembre
1906, D. P. 1907.1.289, note de M. P. Binet).
FILIATION LÉGITIME 269

II. — Enfant conçu avant le mariage. Est-il légitime ou légitimé ?


— Il résulte de ce qui précède que l'enfant né c'est-à-dire
prématurément,
avant l'expiration des 180 premiers jours du mariage, ne devrait pas être
considéré comme couvert par la présomption Pater is est. Eneffet, cet enfant
n'a certainement pas été conçu pendant le mariage. expliquer Comment
alors que cet enfant soit cependant attribué de plano au mari, et que celui-ci,
d'après l'article 314, ait besoin, pour en décliner la paternité, de former un
désaveu ? Est-ce donc le fait de la naissance dans le mariage qui est consti-
tutif de la légitimité et non celui de la conception ? N'y a-t-il pas une anti-
nomie entre la règle de l'article 312 (« L'enfant conçu pendant le mariage
a pour père le mari ») et celle de l'article 314 qui accorde le bienfait de la
même attribution à l'enfant né prématurément et, sans aucun doute pos-
sible, conçu avant le mariage de sa mère ?
Il n'y a qu'une manière raisonnable de résoudre cette apparente contra-
diction. C'est de dire que l'enfant né moins de 180 jours après le mariage
n'est pas un enfant légitime, mais un enfant légitimé. Nous verrons bientôt
que la loi accorde le bénéfice de la légitimation aux enfants naturels, que
les époux ont reconnus avant leur mariage ou au moment de ce mariage.
L'enfant visé par l'article 314 est certainement, par sa conception, un enfant
naturel, car il est issu des relations sexuelles de deux personnes qui n'é-
taient pas mariées. Seulement, l'homme, qui a épousé la mère en état de

grossesse, est considéré comme s'étant, d'avance, avoué le père de l'enfant

qu' elle mettrait au monde une fois mariée. La loi, en somme, a admis ici,
par exception, la possibilité d'une reconnaissance tacite et cette reconnais-
sance, étant accompagnée du mariage des parents, produit, conformément
aux principes de cette matière, la légitimation (V. art. 331).
Bien des arguments militent en faveur de cette explication. Nous verrons
d'abord que l'article 314, en permettant au mari de désavouer l'enfant né
dans les conditions susvisées, exige que le mari n'ait pas eu connaissance
de la grossesse de la mère en l'épousant. La rubrique de notre chapitre est

également significative. Elle est intituléeenfants : des


légitimes dans ou nés
le mariage. C'est donc qu'on s'y occupe de deux catégories d'enfants: les

légitimés , c'est-à-dire ceux qui ont été conçus pendant le mariage, et ceux

qui sont simplement nés dans le mariage. Si l'on distingue ces derniers
des précédents, c'est qu'ils ne sont pas légitimes, mais légitimés. La Cour
de cassation s'est prononcée en ce sens (Civ., 28 juin 1869. D. P. 69.1.335,
S. 69.1.446).
Il y a deux intérêts pratiques à la question :
1° Si on admettait que l'enfant né moins dejours 180
après la conclusion
du mariage est un enfant légitime, peu importerait dans quelles conditions
il aurait été conçu. Qu'on suppose que l'un de ses auteurs, son père par
exemple, fût, au moment de cette conception, déjà engagé dans les liens
d'un précédent mariage, l'enfant n'en serait pas moins réputé légitime, du
moment aurait eu cette heureuse fortune que son père ait pu se trou-
qu'il
ver des liens de sa première union à temps pour pouvoir épouser
dégagé
la mère avant sa naissance. Au contraire, dans le système adopté par
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
270

de cassation, on devra décider l'enfant, né moins de 180 jours


la Cour que
la conclusion du de ses ne fait point partie de
après mariage parents,
leur famille si, au moment de sa conception, l'un de ses auteurs
légitime
était dans les liens d'un autre mariage. En effet, par sa concep-
engagé
cet enfant est adultérin : et la loi, on le verra, prohibe la reconnais-
tion,
sance et la
légitimation des enfants adultérins.
2° Si l'enfant né moins de 180 jours après le mariage était légitime, son

état ne être contesté qu'au moyen de l'action en désaveu, laquelle


pourrait
comme nous le verrons, qu'au mari, de son vivant, et est sou-
n'appartient,
mise à une notamment au point de vue des
réglementation rigoureuse,
déchéances. Au contraire, l'enfant visé par l'article 314, étant considéré

comme sa filiation résulte en somme d'une reconnaissance,


légitimé,
comme celle de tout enfant naturel, et cette reconnaissance pourra être

contestée dans sa véracité toute personne intéressée, car l'article 339


par
établit cette les reconnaissances d'enfants naturels. Il est vrai
règle pour
l'article 314 nous dit que le mari, pour rejeter la paternité de cet en-
que
fant, devra le désavouer ; mais, en réalité, il ne s'agit pas ici d'un désaveu,
au sens et précis du mot, mais d'une action en contestation d'état
technique
conséquent, être exercée par les héritiers du mari, en
qui pourra, par
dehors des conditions étroites dont la loi entoure l'action en désaveu, et

même par tous autres intéressés. Par


exemple, un donataire pourra contes-
ter la filiation d'un enfant issu de la femme du donateur dans les conditions
de l'article 314, et cela en vue d'échapper à la révocation de la donation

survenance d'enfant (V. Civ., 28 juin 1869, précité ; et Lyon, 6 avril


pour
1870, D. P. 70.2.227, S. 70.2.109).

III. — Enfant né de 300 dès lors, la


plus jours et, conçu après
dissolution du L'enfant — né de 300 la cessa-
mariage. plus jours après
tion du mariage a été manifestement conçu depuis ; il doit être réputé illé-

gitime. On peut donc s'étonner de la formule bizarre employée, à son égard,


par l'article 315 dans lequel nous lisons : « La légitimité de l'enfant né
trois cents jours après la dissolution du mariage être contestée. »
pourra
Ces expressions, qui semblent considérer comme douteuse et sujette à dis-
cussion une illégimité qui devrait être tenue pour indubitable, sont fâ-
cheuses à deux points de vue :
1° Il en résulte d'abord que, bien que conçu évidemment après le mariage,
l'enfant sera réputé légitime si sa filiation n'est pas contestée. Cela se pro-
duira bien rarement, il est vrai, dans une famille tant soit peu aisée, car
il y aura toujours quelque intéressé pour contester la filiation de l'enfant
né plus de dix mois après la dissolution du mariage, ne fût-ce que le fisc,
appelé, à défaut de tout parent au degré successible, à recueillir les suc-
cessions auxquelles l'enfant aurait droit en vertu de son titre d'enfantlégi-
time. Mais, si rare que soit la situation dont nous elle pourra se
parlons,
présenter quelquefois. Or, elle est tout à fait déraisonnable. Il aurait mieux
valu dire que né plus de 300 jours la dissolution du
l'enfant après mariage
est de plano considéré comme illégitime.
FILIATION LÉGITIME 271

2° La formule de l'article 315, laisser à la contradic-


en paraissant place
tion, a même permis à quelques auteurs de soutenir que les tribunaux,
saisis d'une contestation d'état dirigée contre l'enfant né plus de 300 jours
après la dissolution du
mariage, ne seraient
pas ténus de déclarer celui-ci
illégitime, et pourraient, à la rigueur, s'ils le jugeaient à propos, décider
qu'il a été conçu pendant le mariage. Il y a un vieil arrêt de cour d'appel
en ce sens (Limoges, 18 juin 1840, S. 40.2.509). Cette solution extravagante
nous ramènerait à l'époque où l'on put voir (en 1753) le Parlement de Paris
déclarer légitime un enfant né dix sept mois la mort du mari !
après
(V. Merlin, Répert., V° Légimité, sect. 2 § 3). Est-il besoin de dire la
que
loi ne peut être interprétée de cette façon. Les relatives à la
présomptions
durée de la gestation sont, nous l'avons vu, des présomptions absolues.
Elles ne doivent pas pouvoir être combattues, pas plus lorsqu'on les invoque
contre la légitimité de l'enfant que lorsqu'on les allègue en faveur de cette
légitimité. Quand l'article 315 nous
la légitimité dit que
de l'enfant pourra
être contestée, ce mot signifie que l'action dirigée contre sa légitimité n'est
pas une action en désaveu, mais une action en contestation de légitimité,
ouverte, par conséquent, sans limitation de durée, à toute personne inté-
ressée.
Il y a cependant une hypothèse où nous nous
écarterons de la lettre des
textes et où nous refuserons de nous en rapporter à la présomption légale.
C'est de cas où une femme, ayant accouché d'un premier enfant au lende-
main de la dissolution de son mariage, aura mis au monde un second
enfant moins de 300 jours après cette dissolution. Comment écarter ici le
texte de l'article 312 qui répute cet enfant conçu pendant le mariage? Nous
dirons qu'il n'y a deplace pour l'application d'une présomption légale ou
autre que lorsqu'il y a quelque chose à prouver, quelque chose de douteux
à décider. Or, ici il n'y a rien à prouver, rien de douteux. L'évidence de
l'illégitimité est plus forte que n'importe quelle preuve ou présomption
contraire.

Conflits de — Il résulte des ci-


possibles paternités. dispositions
dessus qu'il y a parfois des conflits de paternités.
1° On peut supposer qu'une femme
mépris s'est, au
de l'empêchement

prohibitif résultant du viduité, délai de


remariée aussitôt après son veu-
vage. Elle met au monde un enfant moins de 300 jours après la dissolution
du premier mariage et plus de 180 jours après la conclusion du second. Il
y a, en ce cas, conflit entre deux paternités légitimes. Comment le tran-
cher ?

D'après le Code civil allemand (art. 1600), lequel s'est approprié la solu-
tion de l'ancien Landrecht prussien, il y a lieu ici à application d'une sous-
présomption. Si l'enfant est né moins de 270 jours après la dissolution du
premier mariage, il est attribué au premier mari. Il est attribué au second
s'il est
né plus de 270 jours après la cessation du premier mariage.
Une telle solution est, en soi, assez rationnelle. Mais, notre Code ne la
consacrant pas nous devons décider que, étant donné le conflit de deux at-
272 LIVRE 1. — TITRE l. — DEUXIEME PARTIE

tributions de se neutralisent, il appartient aux juges


légales paternité qui
du fait, en cas de contestation, de départager les intéressés, et de détermi-

ner la filiation de l'enfant d'après les données résultant des cir-


paternelle
constances du procès.
2° On supposer un conflit entre une paternité légitime et une pa-
peut
ternité naturelle. C'est ce qui seproduira, notamment, si, une femme

ayant mis un enfant au monde avant le cent quatre-vingtième jour de son

mariage, cet enfant a été reconnu par un individu autre que le mari. Cette
reconnaissance est parfaitement licite et ne tombe nullement sous le coup
de la prohibition des reconnaissances adultérines,
puisque, certainement,
l'enfant a été conçu d'une fille non mariée. Cependant, d'un autre côté, en
vertu de l'article 314, cet enfant doit être attribué au mari de sa mère, tant

que celui-ci ne pasl'adésavoué. Ici encore, dans le silence de la loi, nous


devons décider que le tribunal, saisi du conflit des deux paternités con-
currentes, prononcera en faveur de celle qui, en fait, lui apparaîtra comme

présentant la plus grande vraisemblance.


3° Un enfant né plus de 180 jours et moins de 300 après la dissolu-
tion du mariage par la mort du mari est, d'après l'article 312, réputé issu
du défunt. Mais un autre individu le reconnaît comme son enfant naturel

conçu, prétend-il, de ses oeuvres après le veuvage de la mère. Une décision

judiciaire a admis une telle reconnaissance. (Trib. Versailles, 14 août 1889,


S. 90.2.95). Plus récemment, la solution contraire a été consacrée (Trib.
Marseille, 6 janvier 1914, La loi 4 mars 1914). Et nous croyons cette ju-
risprudence préférable. L'article 315, en disant que l'enfant né plus de
300 jours après la dissolution du mariage pourra être déclaré illégitime,
décide a contrario que l'enfant né avant ce terme est nécessairement légi-
time sauf dans l'hypothèse où il y aurait désaveu. Etl'esprit évident de ce
texte est d'éviter autant que possible les procès scandaleux que des inté-
rêts privés peuvent soulever autour de la naissance d'un enfant.

— à la
§ 2. Exceptions règle « Pater is est ». Théorie du Désaveu.

Nous avons vu
que la loi française permet au mari, dans certaines hy-
pothèses limitativement déterminées, d'écarter la paternité des enfants de
sa femme, au moyen d'une action en désaveu.
Etymologiquement, le désaveu est la rétractation d'un aveu antérieur.
L'expression employée par la loi corroborerait donc l'explication de la règle
Pater is est, que nous avons présentée comme étant la plus rationnelle.
L'époux, en se mariant, a d'avance avoué, c'est-à-dire admis comme étant
ses enfants ceux que sa femme mettrait au monde des conditions
(dans
normales). La loi lui permet de rétracter cette admission lorsqu'il peut
prouver que la conception de l'enfant a eu lieu dans des conditions incon-
ciliables avec l'idée d'une filiation légitime.
Il y a deux sortes de désaveux: le désaveu de
parpreuve non-paternité,
dans les cas où la loi ne permet au mari de désavouer démontrant
qu'en
certains faits qui rendent impossible toute de cohabitation
supposition
FILIATION LÉGITIME 273

entre lui et sa femme; le désaveu par dans les cas la


simple déclaration, où
loi ne subordonne l'action du mari à aucune démonstration de ce genre. Au
fond, les" deux situations sont car, dans les cas de désaveu
identiques, par
simple déclaration (art. 313, 2e al., et 314), il y a d'ores et déjà -
présomp
tion que les époux n'ont pas cohabité, soit que la conception de l'enfant
se place à une époque où le mariage n'existait encore soit
pas (art. 314),
que les époux fassent dispensés par un jugement de du domi-
l'obligation
cile commun (art. 313, al. 2).
D'une façon générale, le désaveu supposant une instance et
judiciaire,
une instance judiciaire ne pouvant se dérouler qu'à l'encontre d'une per-
sonne, qui, en l'espèce, est l'enfant à désavouer, il ne peut y avoir de désa-
veu lorsque l'enfant n'est pas né viable. Car un enfant de ce genre n'est
pas une il n'a ni état ni filiation (V. art. 314, in fine).
personne ;
Il y a deux séries d'hypothèses à distinguer: 1° celles où l'enfant né
d'une femme mariée a été conçu pendant le mariage ; 2° celles où cet enfant
a été conçu avant le mariage 1.

I. — Désaveu d'un enfant conçu pendant le mariage. —La loi ad-


met ici trois cas de désaveu, deux par preuve de non-paternité, un par
simple déclaration.

1° Désaveu de non-paternité. — Les cas de désaveu de ce


par preuve
genre sont : A. le cas d'impossibilité physique de cohabitation ; B. le cas
d'impossibilité morale de cohabitation.
A. — L'impossibilité physique de cohabitation qui permettra au mari de
désavouer l'enfant de sa femme peut résulter soit de son éloignement, soit
de son impuissance accidentelle constatée à l'époque où se place la concep-
tion de l'enfant (art. 312, al. 2).
a) Quand le mari allègue l'impossibilité physique de cohabitation résultant
de son éloignement au moment présumé de la conception, certains auteurs
et certaines décisions
judiciaires anciennes exigent qu'il y ait eu impossi-
bilité absolue. Et, comme la conception de l'enfant se place dans un délai
de 121 jours entre le trois centième
(l'intervalle et le cent quatre-vingtième
jour antérieurs à la naissance), certains auteurs ont admis qu'il n'y avait
impossibité de cohabitation par suite d'éloignement que si la distance, qui
séparait les époux au moment de la conception, était telle qu'elle ne pût
être franchie en 121 jours ! Cette exigence nous paraît insensée. D'abord,
pourquoi ne pas exiger une distance franchissable seulement en 242 jours,
car, en définitive, on pourrait supposer que les époux éloignés l'un de
l'autre ont fait chacun la moitié du chemin? Autant vaudrait alors écarter

1. Les instances en désaveu de paternité sont fort rares. Voici des chiffres em-
pruntés à une période de vingt-cinq années.
Instances
1881 68
1888 121
1900 51
1905 ,..,....-,.....,.,,. 161
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
274

cause de car il n'y a pas aujourd'hui de distance


celle première désaveu,
ne puisse se franchir en un moindre délai. La Jurisprudence
au monde qui
avec raison c'est aux tribunaux à apprécier s'il y a eu, ou
décide donc que
rendant la cohabitation impossible. Et, par exemple,
non, éloignement
ait qu'un franchissable en peu de jours entre Paris
bien qu'il n'y espace
le désaveu du mari sera admissible si les époux, au de
et Alger, moment
habitaient Paris, l'autre Alger, et s'il est prouvé, par
la conception, l'un
des deux n'a abandonné sa résidence à celte époque,
ailleurs, qu'aucun époux
contribue à démontrer l'absence de tout rappro-
et si leur correspondance
chement entre eux 12 novembre 1866, D. P. 67.2.126, S. 67.2.152.
Alger,
Cf. Nancy, 14 mai 1913. Gaz. Pal. 1er octobre 1913).
De même, il y a éloignement entre deux époux même habitant la même

si l'un deux se trouve, à l'époque de la conception, interné dans un


ville,
établissement médical ou où il ne peut avoir aucune commu-
pénitentiaire
nication avec son Besançon, 8 mars 1899. D. P.
conjoint (V. cependant
99.2.268, S. 99.2.174).
de cohabitation résultant de
l'impuissance du mari ne
b) L'impossibilé
être nous dit l'article 312, que si elle est l'effet de quelque
peut alléguée,
accident. D'autre l'article 313 (al. 1er, in princ.) ajoute que le mari ne
part,
désavouer l'enfant en alléguant son impuissance naturelle. Quelle est
peut
la raison de cette exclusion? d'après C'est,
quelques-uns, que le mari ne

être admis à se prévaloir tare qu'il a eu,


d'une sans doute, le tort de
peut
dissimuler à la famille de sa femme en se mariant Cette explication est

évidemment erronée. Il n'y a pas toujours eu dissimulation lors du mariage;

l'impuissance a pu être ignorée du fiancé lui-même ; elle a pu survenir


le mariage, etc.. En tout cas, une paternité ne peut être infligée à
depuis
un homme à titre de peine. La vérité, c'est que le législateur, instruit par
du passé, et voulant rompre avec la procédure scandaleuse du
l'exemple
congrès, employée parfois dans l'ancien Droit, a jugé la preuve de l'impuis-
sance naturelle impossible trop ou
scabreuse à administrer.
Reste à savoir ce qu'il faut entendre par l'impuissance accidentelle.

L'opinion la plus extensive entend par accident, au sens de l'article 312,


toute atteinte morbide aux facultés de génération, qu'elle résulte d'une cause

externe, d'un traumatisme, ou d'une maladie interne : ne serait donc consi-


dérée comme naturelle que l'impuissance résultant de la faiblesse congé-
nitale des organes. Cette opinion est inadmissible. Les motifs de la loi, tels
que nous les avons analysés, doivent l'exclure. Lapreuve à administrer
serait ici presque toujours incertaine et parfois scandaleuse. Pour qu'il y
ait accident, il faut qu'il y ait eu atteinte matérielle aux par suite
organes
de blessure, de mutilation, d'opération chirurgicale. Mais nous n'exigerons
pas, avec une autre opinion, la plus étroite de toutes, que cet accident ma-
tériel se soit produit avant le mariage. Antérieur ou postérieur au
mariage,
il donnera toujours au mari le droit de former une action en désaveu pour
impossibilité physique de cohabitation.
B. — L'impossibilité morale de cohabitation, c'est l'impossibilité de coha-
bitation non matérielle, mais résultant de faits qui, allégués le mari,
par
FILIATION LÉGITIME 275

peuvent donner aux juges la certitude morale que l'enfant n'est de lui.
pas
Cette cause de désaveu a été introduite par divers arrêts des XVIIe et
XVIIIe siècles, car le Droit ancien n'admettait
français plus pas de désaveu,
en dehors d'une impossibilité matérielle démontrée le mari. Même la
par
preuve de l'adultère de la femme, commis à une coïncidant avec celle
époque
de la conception, ne pouvait être d'aucun effet, car l'adultère n'empêche paa
toujours le partage et, comme le disait Beaumanoir, en parlant des enfants
de la femme infidèle: qu'ils sont du mari ne
« Peut-estre et peut-estre qu'ils
sont» (V. Merlin, Répertoire, Ve Légitimité, sect. II, § 2, n° V). Cependant,
il est clair qu'on peut concevoir telle ou telle circonstance qui, jointe à la
preuve de l'adultère, rendra certaine l'illégitimité de la Les
conception.
jurisconsultes romains en avaient déjà une très à
signalé significative,
savoir les précautions prises par l'épouse pour dissimuler la et la
grossesse
naissance, la mise au monde de l'enfant en cachette, vicinis non scientibus
(V. Ulpien, 6, D., de his qui sui vel alieni, I, 6). C'est à cette circonstance
du recel de la naissance que s'est attaché le Code civil. Encore ne suffira-
t-elle pas, jointe à celle de l'adultère, pour faire admettre le désaveu; il
faudra qu'à ce faisceau de présomptions s'ajoutent encore d'autres circons-
tances de nature à la confirmer et que la loi laisse dans le vague, en don-
nant mission
au juge de les déterminer et de les apprécier souverainement.
De là la formule employée par l'article 313. Le mari ne pourra désavouer
l'enfant même pour cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été

cachée ; « auquel cas il sera admis à proposer tous les faits propres à justi-
fier qu'il n'en est pas le père. » Ce texte appelle trois observations :
a) Quoique la loi parle du recel de
la naissance, la Jurisprudence incline
à ne pas prendre ce mot à la lettre. Ainsi, les précautions prises par la mère
pour cacher sa grossesse au mari pourraient suffire à fonder un désaveu,
quand bien:même le mari ne rapporterait pas la preuve que la naissance
même lui a été dissimulée (Req., 7 janvier 1850, D. P. 50.1.5, S. 50.1.113.
— V. 5 février 1902, D. P. 1902.2.72).
cependant, Dijon,
b) La loi, avons-nous dit, laisse au juge l'appréciation des circons-
tances qui, le double fait de l'adultère et du recel étant démontrés, peuvent
être considérées comme prouvant la non-paternité du mari. On peut en
donner des exemples. Ce sera l'impuissance naturelle du mari, son état
valétudinaire, la couleur de la peau de l'enfant, ou encore la mésintelligence
avérée et la séparation de fait des époux au moment de la conception (Req.,
29 juin 1892, D. P. 1892.1.477). On trouve même telle décision admettant
le mari à alléguer, sauf à l'établir par voie d'enquête, la ressemblance de
l'enfant avec l'amant de sa femme ! (Trib. Brest, 5 mars 1913, Gaz. Pal.,
12 avril 1913).
c) L'article 313 fait résulter le désaveu pour impossibilité morale de
cohabitation d'un faisceau de trois présomptions concordantes : l'adultère,
le recel de la naissance, les faits spéciaux allégués par le mari. On a par-
fois prétendu que chacun de ces éléments de conviction devait faire l'objet
d'une démonstration propre et distincte et même qu'il y aurait un ordre

chronologique à. observer entre eux, l'adultère de la femme devant être


276 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIERE PARTIE

établi comme un adminicule préalable avant l'introduction de l'instance


en désaveu. Une telle exigence aboutirait à rendre l'application de l'ar-
ticle 313 impossible. Le procès
séparation ou en divorce,
en ou l'instance
correctionnelle qui seraient
nécessaires pour établir le fait de l'adultère,

empêcheraient le mari d'user du délai très court (deux mois) que la loi, on
le verra, lui accorde pour former l'action en désaveu. La Jurisprudence a
donc repoussé avec raison le système de l'adminicule préalable. Elle décide
même que l'adultère de la femme n'a pas besoin d'être directement établi.
Si les autres éléments de conviction, à savoir le recel de la naissance et les
faits démonstratifs de la non paternité, ont été, par ailleurs, établis, l'adul-
tère sera considéré comme prouvé du même coup; l'action en désaveu sera

recevable (Req., 31 juillet 1866, D. P. 67.1.297, S. 66.1.417).

2° Désaveu déclaration. — Le mari désavouer


par simple peut par
simple déclaration l'enfant conçu pendant le mariage, lorsque, à l'époque
de la conception, il était séparé de corps avec la mère ou simplement dis-
pensé, en vertu d'une décision judiciaire, de l'obligation d'avoir avec elle
un domicile commun. C'est ce qui résulte des dispositions insérées dans
l'article 313 par la loi du 6 décembre 1850, puis par celle du 18 1886.
avril
En cas de jugement ou même de demande soit de divorce, soit de
"
séparation de corps, le mari peut désavouer l'enfant né trois cents jours
après la décision qui a autorisé la femme à avoir un domicile et
séparé,
moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou
depuis la réconciliation.... L'action en désaveu n'est pas admise s'il y a eu
réunion de fait entre les époux. »
On le voit, la situation respective des parties est, dans le cas visé par
le texte, inverse de ce qu'elle est en cas de désaveu par preuve de non
paternité. Le mari n'a rien à démontrer; il lui suffit de désavouer. C'est
à l'enfant à faire, s'il le
peut, tomber le désaveu péremptoire le frappe
qui
en prouvant que, nonobstant les circonstances, il y a eu rapprochement de
fait entre les époux séparés au moment de la conception.
Cette solution si simple n'était pas fournie par le Code civil Le
primitif.
fait de la séparation de corps ne constituait alors une cause de
pas spéciale
désaveu. Il suffisait donc qu'une femme séparée de avec son mari ne
corps
lui eût pas recelé de l'enfant qu'elle mettait au monde,
la naissance pour que
cet enfant bénéficiât de la présomption de l'article 312. En fait, on avait vu,
paraît-il, des femmes séparées pousser le cynisme notifier leur
jusqu'à
grossesse à leur mari, assurant ainsi au fruit de leur adultère les avantages
d'une légitimité évidemment mensongère. La loi de 1850 a fait cesser cette
anomalie, en faisant de la séparation de corps une cause de dé-
péremptoire
saveu. Bien plus, elle a fait remonter la période où la conception est pré-
sumée illégitime, jusqu'à la décision autorisant la femme (généralement
au début de l'instance) à avoir un domicile séparé.
Plus tard, lorsque le divorce a été rétabli, la même a été étendue
règle
à l'enfant conçu au cours d'une instance en divorce. Mais on remarquera
combien le texte a été alors mal A le prendre à la lettre, il semble-
rédigé.
FILIATION LÉGITIME 277

ait qu'on doive appliquer à l'hypothèse du divorce exactement les mêmes


solutions qu'à celles de
la séparation. Or cela n'est possible que si l'époque
le la conception présumable se place dans l'intervalle compris entre la
décision autorisant le domicile séparé et le jugement. Mais, si la concep-
tion se place après le divorce, le mari n'a pas évidemment, comme en cas
de séparation, besoin de désavouer l'enfant, puisque celui-ci n'a pas été
conçu par une femme mariée. Quand bien il serait prouvé, en fait,
même
qu'il y a eu rapprochement entre les anciens époux, l'enfant serait
deux
illégitime. Tout ce que pourraient faire les parents, pour lui assurer un
état légitime, serait de le reconnaître et de le légitimer ensuite en contrac-
tant ensemble une nouvelle union.

II. — Désaveu d'un enfant avant —


le
conçu mariage. Lorsque
l'enfant est né moins de 180 jours après la conclusion du mariage, de telle
sorte qu'il a été certainement conçu auparavant, nous avons vu qu'il est
néanmoins réputé enfant du mari, en vertu de la légitimation résultant du
mariage consécutif à sa
reconnaissance implicite, reconnaissance résultant
de ce fait que le mari a épousé sciemment la mère en état de grossesse. Il
résulte de l'article 314 — et cette solution est —
parfaitement logique
qu'un désaveu sera possible de la part du mari, du moment que les faits lui

permettent d'affirmer que la reconnaissance implicite de l'enfant n'a pas


eu lieu en réalité.
Tel est bien le sens de l'article 314 : « L'enfant né avant le cent quatre-
vingtième jour du mariage, ne pourra être désavoué par le mari, dans les
cas suivants » (il pourra donc être désavoué par simple déclaration dans
tous les autres cas) : « 1° s'il a eu (le mari) connaissance de la
grossesse
avant le mariage; 2° s'il a assisté à l'acte de naissance, et si cet acte est

signé de lui, ou contient sa déclaration qu'il ne sait signer. » La connais-


sance de la grossesse de la mère, l'assistance du mari et sa
participation
à la rédaction de l'acte de naissance sont des aveux de paternité. La Doc-
trine admet d'ailleurs que l'énumération donnée par la loi des cas de re-
connaissance implicite, qui constituent des fins de non-recevoir contre le
désaveu, n'est pas limitative. Ainsi, l'assistance du mari au baptême de
l'enfant, le fait qu'il s'est reconnu le père dans un acte écrit ou même dans
une simple correspondance mettraient obstacle à ce qu'il pût désavouer
l'enfant. Mais, dans tous les autres cas, il peut former un désaveu péremp-
toire par simple déclaration.
L'article 257 du Code civil suisse dispose ici que le mari, qui a reconnu
sa paternité expressément ou tacitement, peut écarter la fin de non-rece-
voir qui en résulte contre l'action en désaveu, s'il établit qu'il a été induit
frauduleusement soit à reconnaître l'enfant, soit à ne pas le désavouer.
Notre Jurisprudence n'admet pas cette solution cependant si rationnelle.
Il a été jugé du moment de sa femme
que, que le mari a connu la grossesse
avant le mariage, il ne pourra désavouer l'enfant et ne saurait être admis
à prouver a été induit en erreur sur le véritable de départ de la
qu'il point
grossesse. Ainsi, un homme épouse une femme qu'il connaît depuis un
278 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

mois et qui lui fait croire qu'il l'a rendue mère La femme accouche quatre
ou cinq mois après mariage. le Le désaveu de l'enfant est impossible !
28 décembre 1869, D. P. 70.1.145, S. 70.1.253). Cette solution n'est
(Req.,
pas seulement inique : elle nous paraît mal fondée en droit. On a vu que,

d'après la Cour de cassation, l'enfant né prématurément après le mariage


n'est pas légitime, mais légitimé, donc que son état est considéré comme

reposant sur une reconnaissance de son prétendu père. Or, la reconnaissance


d'un enfant naturel peut toujours être contestée par toute personne inté-

ressée, y compris son auteur lui-même (art. 339).

Application de la règle « Pater is est » au cas où la filiation


maternelle résulte d'une instance en réclamation d'état. — Nous

avons jusqu'ici supposé, dans l'application de la règle Pater is est, que la


filiation de l'enfant à l'égard de la femme mariée était établie dans des
conditions normales, c'est-à-dire
moyen d'un au
acte de naissance. Ration-
nellement, il ne semble pas qu'il y ait lieu de s'écarter de la théorie géné-
rale lorsque la filiation est établie par un mode exceptionnel. Tout d'abord,
si, à défaut d'acte de naissance, l'enfant a invoqué la possession d'état, on
se souvient qu'aucune difficulté peut neexister relativement à sa filiation

paternelle, car les faits dont résulte la possession d'état doivent être rele-
vés à l'égard du mari comme à l'égard de la mère (art. 321). Mais, même
dans le cas où l'enfant, à défaut de possession d'état, a dû recourir à la
preuve testimoniale pour établir sa filiation, en conformité de l'article 323,
on ne voit pas pourquoi le mode de preuve, sur lequel repose son état, de-
vrait modifier sa situation légale au regard du mari de sa mère. Si l'en-
quête ordonnée sur sa demande a établi qu'il est l'enfant de la femme ma-
riée dont il se prétend issu, il doit avoir pour père le mari de cette femme.
Et ce mari ne doit pouvoir rejeter la paternité qu'au moyen d'un désaveu.
Malheureusement, l'article 325 emploie ici des expressions équivoques.
Dans la partie de ce texte qui vise la situation du mari à l'ins-
par rapport
tance en réclamation d'état, nous lisons en effet que « la preuve contraire
se faire tous les moyens à établir
peut par propres que le réclamant... même
la maternité prouvée, n'est pas l'enfant du mari de la mère. » On a induit de
cette phrase qu'ici il y a dérogation aux principes ordinaires en matière
de filiation paternelle légitime. La présomption de du mari aurait
paternité
un degré de force moindre, en ce sens être
qu'elle pourrait combattue,
non un désaveu, mais
repoussée, par par une simple contestation de légiti-
mité, comportant l'emploi de tous les modes depreuves sous-
possibles,
traite à toute la réglementation étroite concerne l'action en désaveu.
qui
Il nous semble que cette de l'article 325 être
analyse peut écartée et qu'il
est possible de ramener la contestation le mari à la récla-
opposée par
mation d'état dans le cadre du désaveu. Les motifs qui ont inspiré, dans le
cas réglé par l'article 325, la liberté de contre-démonstration accordée,
pour sa part, au mari à rencontre du c'est la singularité de la
réclamant,
situation, les conditions suspectes dans le réclamant
lesquelles est né et a
vécu. « L'enfant, disait n'a ni
Bigot-Préameneu, possession constante, ni
FILIATION LÉGITIME 279

titre... il a été inscrit so sous de faux noms, soit comme né de père et mère
inconnus, etc..
(Locré, » t. VI, p. 202 et s.). Ces faits laissent présumer
que l'enfant, quoique né peut-être de la femme mariée n'est
qu'il attaque,
cependant pas issu du mariage. Les diverses circonstances qui produisent
cette présomption peuvent se résumer d'un mot : c'est le recel de la nais-
sance, ou, tout au moins, cela y ressemble beaucoup. Et quand ces circons-
tances se
produisent, qu'en résulte-t-il au regard du mari ? C'est qu'il
pourra, nous dit l'article 325, alléguer contre la réclamation de l'enfant
tous les moyens propres à établir que ce réclamant n'est pas son à
enfant,
lui mari. Rapprochons cette disposition de celle de l'article 313 visant le
désaveu pour impossibilité morale de cohabitation. Nous y avons lu que le
mari pourra, lorsque la naissance lui aura été
cachée, être admis à proposer
tous les faits
propres à justifier n'est pas le père. C'est la même idée
qu'il
qui est exprimée ; ce sont les mêmes expressions. La seule différence que
nous apercevons, entre les deux hypothèses, c'est que, si l'enfant a été dé-
claré régulièrement et normalement dans son acte de naissance, le mari,
pour le désavouer, doit prouver à la fois et le recel de la naissance et les
faits propres à établir sanon-paternité. Au contraire, lorsque l'enfant a été
déclaré faussement, frauduleusement, ainsi qu'il le prétend lui-même, le
mari n'a pas besoin de prouver le recel de la naissance, le recel résulte de
plano des circonstances ; le mari n'a donc plus à établir que les faits démons-
tratifs de sa non-paternité.
On doit donc conclure que la contestation opposée à l'enfant par le mari,
dans l'hypothèse de 325, est
l'articlebien un désaveu, mais un désaveu
qui peut être opposé sous forme d'exception, à supposer que le mari ait
été mis en cause en même temps que sa femme dans le procès intenté

par le réclamant, ou sous forme d'intervention incidente, s'il n'a pas été
mis en cause.
Enfin, bien que l'article 325
paraisse viser uniquement le cas où l'en-
fant intente une action en recherche de la maternité, il convient de l'appli-
quer également et d'admettre les mêmes modes de preuve dans l'hypo-
thèse où le mari, informé de la naissance de l'enfant inscrit sans l'indica-
tion des noms de ses et mère, croit devoir, sans attendre le moment
père
incertain et peut-être éloigné d'une action en réclamation d'état, et afin
d'éviter le dépérissement des preuves, prendra l'initiative d'une action en
désaveu (V. CLV. 20 juillet 1921, D. P. 1921.1.233, note de M. Savatier).
CHAPITRE II

DÉTERMINATION DE LA FILIATION NATURELLE1

du Code civil. — Les solutions auxquelles aurait


Système général
dû conduire la logique des considérés comme essentiels en ma-
principes
tière de filiation par le Code civil sont, nous parait il, les suivantes.

Il y aurait eu lieu de distinguer, comme pour les entants légitimes, entre

la preuve de la filiation maternelle et celle de la filiation paternelle.


En ce la filiation maternelle la preuve devrait
qui concerne illégitime,
se faire de
la même façon que pour la filiation légitime. Dans les
pouvoir
deux en effet, il s'agit de démontrer un fait extérieur matériel, et qui
cas,
peut donner lieu à une démonstration objective.
En ce qui concerne la filiation paternelle, comme la base sur laquelle elle
en cas de mariage fuit ici défaut, à savoir la double présomption de
repose
cohabitation et de fidélité résultant du fait du
mariage ou, pour parler,
plus exactement, l'acte de volonté du mari reconnaissant
croyons-nous,
d'avance comme étant de lui les enfants à venir de celle qu'il épouse, le

législateur aurait eu à rechercher s'il n'y a pas certains actes, certaines


altitudes d'un homme à l'égard d'un enfant naturel, qui donnent à sa pa-
ternité une vraisemblance égale à celle du mari, par rapport à l'enfant issu
de sa femme et conçu pendant le mariage. Ainsi, l'institution de la recon-
naissance des enfants naturels se conçoit, en raison pure, comme corres-

pondant exclusivement à la paternité naturelle. Encore, une reconnaissance

paternelle ne devrait-elle, en bonne logique, prouver la filiation que sous


certaines réserves, car, en avouant sa paternité, l'homme, en définitive,
affirme un fait dont il n'est pas absolument sûr.
Tel n'est pas le système du Code civil. Sous l'empire de diverses consi-
dérations, il a adopté un régime hybride qui se caractérise par les traits
suivants :

Il a organisé la reconnaissance volontaire de l'enfant naturel comme
le mode de preuve par excellence de la filiation des enfants naturels, aussi

1. Baret, Histoire et critique des règles sur la preuve de la filiation des en-
fants naturels ; Ambroise Colin, De la protection de la descendance illégitime au
point de vue de la preuve de la filiation, Rev, trim. de droit civil. 1902 ; L. Cré-
mieu, Des preuves de la filiation naturelle non reconnue, thèse Paris, 1907; Ila-
lewyck La recherche de la paternité et la condition des enfants naturels en Alle-
magne, Bruxelles, 1906 ; Galopin, La filiation illégitime et la vraisemblance de
la paternité naturelle (Liège, — Cf. les études de MM. Laurent-Bailly et
1909).
Champcommunal, dans le Bulletin de la Société de législation comparée 1910 p. 79
et 1911, p. 207.
FILIATION NATURELLE 281

bien en ce qui concerne la filiation maternelle qu'en ce qui concerne la


paternité. Ce qui explique cette adaptation de la reconnaissance à la ma-
ternité naturelle, c'est vraisembablement l'histoire. Un édit d'Henri II de
février 1556 prescrivait aux filles-mères, en vue d'éviter des suppressions
d'enfants, une déclaration au début de leur grossesse. C'était là une simple
mesure de police. Plus tard, ces déclarations de grossesse, qui ne sont plus
— nous le regrettons ! —
obligatoires aujourd'hui, sont devenues des
aveux facultatifs constituant une preuve de la maternité.
Ajoutons aussitôt que l'on peut concevoir la reconnaissance d'un enfant
naturel de deux façons : ou bien comme la démonstration du fait de la
comme un aveu confessoire, ou bien comme un acte de
génération, volonté,
d'obligations et consistant à admettre l'enfant dans la famille.
générateur
Notre Droit voit, en principe, dans la reconnaissance un mode de preuve.
nous le verrons, il consacre, et là, des solutions
Cependant, çà qui se con-
cilient mal avec l'idée de la
reconnaissance-confession et se rattacheraient
à celle de la reconnaissance-admission.
plus logiquement
2° En dehors du cas où il y a reconnaissance, la filiation de l'enfant na-
turel sera-t-elle établie à l'égard de la mère de la même manière que s'il
s'agissait d'un enfant légitime? Non. La loi se montre plus sévère pour
l'enfant naturel. Sous réserve des incertitudes et des flottements que nous
signalerons à cet égard dans la Jurisprudence, on
peut dire que, des trois
modes de preuve admis pour établir la filiation titre, des enfants légitimes,
possession d'état, preuve testimoniale, notre que loi ne permet d'utiliser
le troisième, la preuve testimoniale, lorsqu'il s'agit d'établir la filiation de
l'énfant naturel par rapport à la mère. Ce mode de démonstration résul-
tant d'un procès, dit en recherche de la maternité, dans lequel il est recouru
à la procédure d'enquête, est souvent désigné par une dénomination sin-
gulière et recélant une certaine contradiction dans ses termes, à savoir
celle de reconnaissance judiciaire forcée.
3° A l'égard du père, le Code civil primitif n'admettait que la possibilité
d'une reconnaissance volontaire. Il prohibait, sauf dans un seul cas tout
exceptionnel, la recherche paternitéde la
naturelle (art. 340). Ce n'est
qu'une loi encore récente, celle du 16 novembre 1912, qui, dictée par un
mouvement presque unanime d'opinion, et devancée par certaines har-
diesses de la Jurisprudence, a très sensiblement élargi les cas où la re-
cherche de la paternité doit être admise devant nos tribunaux.
4° Aussi bien à l'égard de la mère qu'à l'égard du père, toute démonstra-
tion directe de la filiation adultérine ou incestueuse est interdite en prin-

cipe, tant par reconnaissance volontaire que par reconnaissance forcée.


La loi du 7 novembre 1907, qui a permis, dans certains cas, la légitima-
tion des enfants adultérins, a fait cependant une brèche considérable dans
ce principe., brèche encore élargie loi du 30 décembre 1915 inter-
par la
prétée par celle du 31 janvier 1928.
5° De quelque manière que la filiation de l'enfant naturel simple soit

établie, et qu'il s'agisse de la filiationpaternelle ou maternelle, sa situa-


tion juridique est toujours la même. Ses droits, à l'égard de ses parents, ne
varient pas. Ils consistent non seulement dans le droit de réclamer des ali-

DROIT. — Tome I. 19
I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
282 LIVRE

mais encore dans celui de leur succéder. De même,


ments et l'éducation,
sur la et sur les biens de l'enfant
ceux que les parents acquièrent personne
ne varient pas non plus.
naturels être admis à la même situation familiale
6° Les enfants peuvent
issus du le moyen de la
légitimation. Cette lé-
que les enfants mariage par
ne résulter d'un unique, le mariage des pa-
gitimation peut que procédé
rents suivant ou accompagnant la reconnaissance de l'enfant.

considérations très diverses et assez hétéroclites ont influé


Des parfois
formation de ce Notre en organisant la preuve
sur la système. législation,
de la filiation ne s'est seulement préoccupée de rechercher,
naturelle, pas
comme elle aurait semble-t-il, le faire, les meilleurs moyens,d'arriver
dû,
à la démonstration de la vérité. Elle a obéi à des préoccupations d'intérêt

ou moins comprises. « L'Etat n'a aucun intérêt


social, plus intelligemment
à ce que la filiation des enfants naturels soit constatée ! » Voilà ce que l'on

n'a pas craint de dire, lors de la discussion du Code ! (séance du Conseil

d'Etat du 26 brumaire an X). Et c'est notamment le souci de la tranquillité

des familles, la crainte des scandales qui ont, pendant longtemps, inspiré
au les obstacles mis à la recherche de la paternité naturelle.
législateur
Une autre remarque générale doit être faite ici. C'est une loi historique
les facilités accordées à la preuve de la filiation naturelle sont tou-
que
en raison inverse des avantages sociaux attribués aux enfants illégi-
jours
times. C'est ce qui explique que l'ancien Droit français se soit montré
libéral que le nôtre en cette matière. L'enfant naturel, dé-
beaucoup plus
dans l'ancienne France par le terme outrageant de bâtard, ne jouis-
signé
sait, sauf il était issu de famille princière, que de droits extrême-
quand
ment restreints; mais la loi n'apportait aucune entrave à la démonstration
de sa filiation. La Révolution vint améliorer subitement sa situation so-

ciale ; elle à très peu près à celle des enfants légitimes. C'est de ce
l'égala
moment que datent les entraves mises à la démonstration de la filiation

naturelle, démonstration qui, vu les avantages considérables dont elle est

la source, apparaît désormais comme pouvant prêter aux spéculations et

aux chantages. Le Code civil, ayant conservé aux enfants illégitimes une

situation juridique, sinon égale à celle que leur conférait le Droit révolu-

tionnaire, du moins encore très supérieure à la simple créance d'aliments

que leur accordait l'ancien Droit, a continué à se montrer extrêmement

parcimonieux et restrictif dans son organisation des preuves de la filiation

naturelle, et notamment dans celle de la recherche de la paternité.

SECTION I. — RECONNAISSANCE VOLONTAIRE.

Définition. Généralités. — La reconnaissance est une déclaration


faite par un homme ou par une femme dans certaines formes destinées à en
assurer le caractère sérieux et la conservation, et relatant le lien de filiation
unit l'auteur de la déclaration à un enfant naturel.
qui
La valeur probatoire de ce document est en somme celle d'un aveu. Mais
FILIATION NATURELLE 283

cet aveu, étant forcément individuel, alors que, cependant, il porte sur un
fait accompli à deux, n'apparaît pas, rationnellement, comme aboutissant
à une certitude bien complète. Nous avons déjà dit que l'homme ne peut
être certain que d'une chose, du fait de la cohabitation. La femme elle-
même peut avoir intérêt à faire une fausse déclaration de maternité. La
qui résulte de son aveu, exprimé sous forme de reconnaissance,
preuve,
apparaît en soi comme moins décisive que celles dont ressort la filiation

légitime.
Aussi, le rôle de la reconnaissance est-il, dans certaines
législations, dif-
férent de ce qu'il est chez nous. D'après le Code civil allemand (art. 1718),
elle ne peut émaner que du père prétendu. De sa part, elle ne constitue pas
à proprement parler une preuve de la filiation ; mais elle implique renoncia-
tion à la faculté d'opposer à une action en recherche de la paternité l'excep-
tionplurium constupratorum, c'est-à-dire la fin de non-recevoir résultant
de ce fait qu'un autre que lui a cohabité avec la mère pendant la période de
la conception. D'après le Code civil suisse (art. 302 et s.), la reconnaissance
ne peut émaner que du père, non de la mère.
Les caractères de la reconnaissance sont chez nous tout autres. Ils

peuvent se résumer en ceci que la reconnaissance est un acte du père ou de


la mère, individuel, déclaratif, soumis à des formes déterminées. Nous nous

occuperons successivement de ces trois caractères généraux, après quoi,


nous préciserons quel est au juste l'effet probatoire de la reconnaissance.

I. — La reconnaissance d'un enfant naturel est un acte individuel.

— 1° C'est un acte individuel à l'égard du père et de la mère.


Cette règle n'a été consacrée qu'après des hésitations et des corrections
nombreuses, lors des travaux préparatoires. On avait d'abord proposé,
pour les raisons indiquées plus haut, que la reconnaissance du père n'eût
d'effet juridique que moyennant un aveu de la mère, conforme à celui du

père prétendu et le corroborant. Cette solution, encore consacrée aujour-


d'hui par le Code civil hollandais (art. rationnelle,
339), est la plus mais elle
donne lieu à des objections. la crainte On émit
que, si la mère venait à

mourir, à disparaître, ou devenait folle, le père se trouvât ainsi empêché de


reconnaître son enfant. On proposa alors une autre solution consistant
en ce que la reconnaissance du père seul acquît une valeur provisoire,
maïs qu'il dépendît de la mère de la faire tomber en la désavouant. Mais
on redouta les désaveux capricieux ou malintentionnés, inspirés par la
haine aveugle qu'une femme peut ressentir contre un ancien amant. Et
on se mit enfin d'accord que le père
pour décider
et la mère seraient chacun
admis à faire une faisant
reconnaissance preuve, exclusivement en ce qui les

concerne, de la filiation de l'enfant. C'est cette idée que l'on voulut exprimer
dans l'article 336 actuel ainsi conçu : « La reconnaissance du père, sans l'in-
dication et l'aveu de la mère, n'a d'effet du père. » Les derniers
qu'à l'égard
mots de ce texte qui, au premier abord, paraît offrir tous les caractères

d'un ont été substitués à ceux du projet, qui portaient que la


truisme,
reconnaissance du sans l'aveu de la mère n'a pas d'effet même à l'é-
père
LIVRE I. — TITRE I. — DEUMIÈME PARTIE
284

t. 137, 148, 163 et s., 181). Nous ver-


gard du père (Locré, IV, p. 30, 126,
bientôt des solutions ont été échafaudées par les
rons que importantes
tribunaux sur ces expressions.
émane du ou de la mère, la reconnaissance ne fait donc
Qu'elle père
de la filiation de son auteur lui-même. Elle ne doit en
preuve qu'à l'égard
contenir aucune indication de l'autre auteur de l'enfant ; et, en
principe
contint-elle une, celle-ci n'aurait aucune valeur.
l'auteur de la reconnaissance doit la faire en personne. Nul ne
Enfin,
la faire en son nom. Notre loi diffère, en cela, du Code civil suisse,
peut
admet la reconnaissance de la filiation paternelle peut être faite
qui que
en cas de décès ou de folie du Chez
par le grand-père, père (art. 302). nous,
il n'y a qu'un fondé de procuration spécial qui pourrait être admis à recon-
naître l'enfant au nom de l'un de ses auteurs. Et il faudrait que la procu-
ration fût rédigée en la forme authentique (art. 36).
2° La reconnaissance est un acte individuel à l'égard de l'enfant reconnu.
Celui-ci doit être désigné d'une façon certaine. S'il y a pluralité d'enfants,
il faut certainement un acte de reconnaissance pour chacun d'eux.

Pour la rédaction de l'acte de reconnaissance, il faut suivre les prescrip-


tions de l'art. 34 C. civ.,complété par la loi du 28 octobre 1922.

Reconnaissance d'un enfant — A-t-on la faculté


conçu. simplement
de reconnaître un enfant avant sa naissance ? De la part de la mère, un acte
de ce genre ne prête à aucune objection. Il suffit que l'enfant soit conçu, il

n'y a aucun doute dès lors sur son individualité. Et c'est le cas d'énoncer le
« Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodo ejus agitur. »
principe
Mais la reconnaissance anticipée de la part du père, bien qu'admise chez
nous par une jurisprudence constante (V. not., Req., 2 janvier 1895, D. P.
95.1.367, S. 96.1.115), semble faire échec à l'idée que cet acte doit se

rapporter à un individu certainement déterminé. En effet, tant que la nais-


sance de l'enfant, dont sa compagne est enceinte, n'a pas eu lieu, l'homme
ne peut pas rattacher cet enfant, avec une certitude suffisante, à ses rela-
tions avec la mère. Supposons qu'un blanc reconnaisse l'enfant à naître
d'une femme blanche. L'enfant vient au monde : c'est un mulâtre ! Il fau-
dra alors que l'auteur de la reconnaissance vienne non la rétracter —
pas
cela serait — mais et la faire déclarer
impossible l' attaquer mensongère
par le tribunal (art. 339).
On s'explique donc que" certaines législations aient la recon-
prohibé
naissance d'un enfant à naître, au moins du ancien Code
de la part père (V.
de Neufchâtel, art. 339).

II. — La reconnaissance est un acte —


déclaratif. La reconnais-
sance d'un enfant naturel n'est qu'un mode de démonstration de la filiation.
Ce n'est
pas elle qui crée un lien entre son
juridique auteur et l'enfant
reconnu. Ce lien, résultant de la filiation la reconnaissance
même, ne fait
que le déclarer, le constater .Ce principe très important domine un grand
nombre de solutions de notre Code ou de la Jurisprudence.
FILIATION NATURELLE 285

1° Caractère unilatéral de la reconnaissance. Reconnaissances


— La reconnaissance n'a besoin d'être
posthumes. pas acceptée par l'en-
ant. Elle peut être faite à son insu, malgré lui, sous réserve seulement du
droit qui lui appartient, comme à tout intéressé, de la contester s'il la pré-
tend mensongère (art. 339).
Cette solution dicte la réponse à faire à la question suivante qui a été fort
controversée. Peut-on reconnaître un enfant après sa mort? Il est certain

qu'un préjugé très fort s'élève contre la validité des reconnaissances pos-
thumes. Elles sont souvent inspirées par la cupidité de parents qui, ayant
négligé de reconnaître l'enfant pendant sa vie, s'empressent de le faire
après sa mort, lorsqu'il laisse une succession à recueillir. Un grand nombre
de systèmes ont été proposés. L'un des plus plausibles consisterait à trans-

poser en cette matière, où la loi reste muette, la distinction établie par l'ar-
ticle 332 pour la légitimation. Ce texte décide que la légitimation peut avoir
lieu en faveur des enfants décédés qui ont laissé des descendants, auquel
cas elle profite à ces derniers ; d'où il résulte, a contrario, que la légitima-
tion posthume ne peut avoir lieu à l'égard d'enfants qui sont décédés sans
laisser eux-mêmes de postérité, sans doute, il est vrai, parce qu'elle ne peut,
alors, présenter aucun intérêt.
Mais l'opinion la plus raisonnable, celle vers
laquelle d'ailleurs semble bien incliner la Jurisprudence, ne fait aucune
distinction et admet toujours la validité de la reconnaissance posthume
avec les effets normaux qui doivent en résulter, aussi bien au profit des

parents qu'à l'égard de toute autre personne (Poitiers, 27 décembre 1882,


D. P. 83.2.120, S. 83.2.188 ; Rouen, 20 décembre 1899, D. P. 1901.2.71, S.
1900.2.275. — V. en sens contraire, Cass. Florence, Ch, réun., 6 juillet

1886, S. 86.4.22). La raison qui justifie, croyons-nous, notre Jurisprudence,


a été très justement indiquée dans un jugement du tribunal de la Seine

(24 janvier 1902, Gaz. Trib., 7 mai 1902). C'est que « le droit des parents
s'attache à la filiation, au lien de parenté, et non à la reconnaissance qui
n'en est que la constatation ».

2° nécessaire la validité d'une reconnaissance. —


Capacité pour
C'est également le caractère déclaratif de la reconnaissance qui explique
que la Jurisprudence n'exige aucune condition de capacité, chez l'auteur de
la reconnaissance, autre naturelle à savoir ce que fait.
que l'aptitude l'on
Le mineur donc reconnaître un enfant naturel sans l'assistance de
pourra
son tuteur ou curateur, la femme mariée n'aura pas besoin de l'autorisation
de son mari, le prodigue de celle du conseil judiciaire ; le fou, interdît ou

non, pourra aussi faire une reconnaissance valable, pourvu que ce soit dans
un intervalle lucide. Cette est consacrée, en ce qui concerne les femmes
règle
337 dans l'intérêt de l'autre l'ef-
mariées, par l'article qui, limitant, époux,
fet d'une reconnaissance effectuée au cours du mariage, décide implicite-
ment que chacun des époux peut accomplir cet acte, selon les seules sug-
gestions de sa conscience, et sans que l'autre conjoint puisse y mettre obs-
tacle. Mais il faut en dire autant des autres incapables et notamment des mi-
D. P. 84.1.486 26 avril S. 87.2.125).
neurs (Rennes, 8 mars 1882, ; Caen, 1887,
286 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

Les arrêts justifient d'ailleurs trop souvent cette solution par de mauvais
faisant par exemple intervenir ici l'idée d'une obligation natu-
arguments,
relle, ou celle de la réparation d'un délit, dont l'incapable serait responsable
aux termes du droit commun. Envers qui donc le mineur qui a engendré
un enfant naturel aurait-il commis un délit? Envers la mère (ou le père)?
Mais ce n'est
pas celui-ci qui est reconnu. Envers l'enfant ? Ce serait là une

conception bien pessimiste de la vie ! Et, au surplus, la reconnaissance ne


constituerait pas la réparation du délit, s'il y en avait un. La vérité, c'est

que la reconnaissance n'est pas un acte de volonté générateur d' obligations,


pour l'efficacité duquel une certaine capacité soit requise. C'est la consta-
tation d'un fait. Toute la question est de savoir si l'intelligence d'où émane
cette constatation est assez lucide pour que la déclaration ait une valeur

probante.
On remarquera que certaines législations établissent un âge fixe, à partir
duquel, seulement, une reconnaissance d'enfant naturel est considérée
comme probante. Cet âge, d'après l'article 337 du Code civil hollandais, est
de dix-neuf ans, au moins pour les hommes. Notre loi ne contient rien de
pareil. Une reconnaissance émanant d'un adolescent même plus jeune
pourrait être pleinement efficace.

3° Effet rétroactif de la reconnaissance. —C'est encore parce que la


reconnaisance est un acte déclaratif qu'elle produit un effet rétroactif,
c'est-à-dire qu'elle régit les conséquences des faits qui se sont passés anté-
rieurement (Civ., 22 janvier 1884, D. P. 84.1.117, S. 84.1.227). Voici des
exemples de cette rétroactivité. L'auteur d'un enfant naturel décédé, qui
l'aura reconnu après son décès (nous avons vu que cela est possible), sera
en droit de réclamer les biens de sa succession qu'un successible moins
proche ou le fisc aurait appréhendés dans l'intervalle. Vainement, les déten-
teurs des biens successoraux opposeraient-ils au père ou à la mère leurs
prétendus droits acquis.
Cependant, on s'accorde à reconnaître que le père ou la mère d'un enfant
naturel mineur, qui reconnaîtrait ce dernier après son ne pour-
mariage,
rait demander la nullité dudit mariage, en invoquant qu'il aurait été con-
tracté sans son autorisation. On ne saurait faire grief à l'enfant de s'être
marié, étant
mineur, sans avoir consulté des parents dont aucun titre légal
n'établissait alors les droits. D'ailleurs, l'article 159 assimile, au de
point
vue du consentement à fournir, l'enfant naturel dont les parents ne peuvent
leur volonté à celui dont les parents sont décédés ou n'a pas
manifester qui
été reconnu, et
il dispense son mariage de la condition du consentement
Le père ou la mère, qui n'avait pas encore reconnu le mineur au
parental.
moment de son mariage, est bien un parent qui, à l'égard du mariage pro-
jeté par l'enfant, ne peut manifester sa volonté.

4° Irrévocabilité de la reconnaissance. Elle être


peut cependant
attaquée. Comment ?— La reconnaissance d'un enfant naturel étant
aveu d'un fait est, comme tout aveu, irrévocable. Elle ne être arbi-
l' peut
FILIATION NATURELLE 287

trairement retirée, une fois faite (Bordeaux, 25 mai 1892, D. P. 94.2.50).


L'application de cette règle incontestable souffre difficultés
quelques
lorsque la reconnaissance se trouve, en la forme, jointe à un autre acte
qui, de sa nature est révocable ou conditionnel, comme un testa-
principal
ment ou un contrat de
mariage. Supposons que le testament soit révoqué
par le testateur, ou que le mariage, en vue duquel le contrat avait été
dressé, n'ait pas lieu. Le testament ou le contrat sont désormais sans va-
leur. Qu'adviendra-t-il de la reconnaissance qu'ils contenaient ? Nous
croyons, en dépit des objections que cette solution a anciennement soule-
vées, que la reconnaissance doit être considérée comme subsistante. On
doit, en d'autres termes, envisager toujours la reconnaissance d'un enfant
naturel comme un acte Le testament
spécial, principal. qui la contiendrait
n'est pas, en réalité, un acte unique, mais la réunion de deux actes, un tes-
tament quant aux dispositions du défunt relatives à son patrimoine, une
reconnaissance quant à la disposition relative à l'enfant naturel. Même rai-
sonnement pour le contrat de mariage. Et la conséquence logique de notre
doctrine, c'est que l'enfant pourra, dès à présent, se prévaloir de la dispo-
sition qui contient une reconnaissance à son égard, sans avoir besoin d'at-
tendre la mort du testateur ou la conclusion du mariage, seuls événements
qui, cependant en principe, feront acquérir une valeur définitive à l'acte

principal auquel la reconnaissance est accolée.


L'irrévocabilité de la reconnaissance n'empêche pas cependant qu'elle
puisse être attaquée. Mais ici, il faut se garder de confusions qui sont sou-
vent commises par la Jurisprudence.
La reconnaissance peut être attaquée comme mensongère. C'est ce que
nous dit l'article 339 : « Toute reconnaissance de la part du père ou de la
mère... pourra être contestée par tous ceux qui y ont intérêt. » Cette solu-
tion s'imposait évidemment au législateur. La reconnaissance d'un enfant
naturel peut être inspirée par le désir de s'assurer les avantages résultant
des droits réciproques attachés par la loi aux rapports de filiation natu-
relle. Un sentiment de vengeance, un désir de chantage, l'ineptie exploitée,
l'intrigue ont souvent déterminé des reconnaissances manifestement con-
traires à la réalité des faits. La loi a donc sagement, après, il est vrai, cer-
taines hésitations et des
changements de rédaction qu'il serait trop long de
relater, établi, de la façon la plus large, la faculté pour tout intéressé de
contester une reconnaissance, à charge de démontrer l'inexactitude de la
filiation déclarée, et cela, bien entendu, en employant tous les moyens de
preuve possibles.
Tout intéressé : cette expression comprend et l'enfant lui-même, et son
véritable père ou sa véritable mère, et les parents de l'auteur de la recon-
naissance, et les tiers auxquels la reconnaissance porterait préjudice,
comme des donataires ou légataires exposés à une demande en réduction.
Et il n'est pas douteux qu'un intérêt moral suffirait pour justifier la contes-
tation. Enfin, l'auteur même de la reconnaissance peut user de la faculté
de contestation ouverte par l'article 339. Cela ne porte pas atteinte à l'idée
que la reconnaissance est irrévocable. Celui qui conteste une reconnais-
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
288

sance émanant de lui-même ne prétend point effacer arbitrairement un

aveu ne peut la vérité une fois révélée ne pouvant être


qu'il supprimer,
dans l'ombre : il prétend que, précisément, le fait qu'il a avoué n'est
rejetée
à la vérité. Un irrévocable aveu, en principe,
pas conforme quoique peut
être rétracté erreur de fait (art. 1356. V. note de M. Ch. Beudant sous
pour
D. P. 70.1.241 ; Paris, 14 mars 1895, D. P. 95.2.231 ; Civ. 2 juillet 1912,
D. P. 1913.1.183). Et nous accorderons la même faculté de contestation au
ministère public.
Mais, en dehors de la contestation d'une reconnaissance, peut-on l'atta-
action en nullité ? Il y a là, des dis-
quer par la voie d'une croyons-nous,
tinctions à faire.
Nous allons voir que la reconnaissance est soumise à des formes déter-
minées. Si ces formes n'ont pas été observées, la reconnaissance est cer-
tainement nulle d'une nullité absolue, qui peut toujours être invoquée ou

opposée par tout intéressé.


Mais peut-on admettre, en outre, qu'une reconnaissance soit attaquée à
raison d'un vice du consentement, à savoir pour dol ou pour violence ? Cette
nous paraît difficile à admettre ; elle ne se concilierait pas avec
possibilité
le caractère purement déclaratif de la reconnaissance. De deux choses
l'une : ou la reconnaissance extorquée par dol ou par violence est menson-

; ou elle est l'expression de la vérité. Si elle est mensongère, elle n'a


gère
à être annulée, mais à être contestée, conformément à l'article 339. Si
pas
elle est exacte, peu importe de quelle manière l'auteur de la filiation en est
arrivé à proclamer la vérité. Au fond, une prétendue action en nullité de la
reconnaissance pour violence ou pour dol ne sera jamais qu'une contesta-
tion de cette reconnaissance. L'individu qui l'exerce alléguera toujours
qu'on a employé le dol ou la violence pour lui faire reconnaître un enfant

qui n'est pas le sien. On comprendrait difficilement qu'il vînt dire : cet
enfant est bien le mien, mais comme je ne l'ai reconnu que sous l'empire
de la contrainte, je prétends faire annuler ma reconnaissance et recouvrer
le droit de le traiter en étranger. Le plaideur qui, dans ses conclusions,
prendrait cette attitude, nous semblerait, d'ailleurs, par là même, recon-
naître son enfant, pour peu que son adversaire se fît donner acte de ces
conclusions par le tribunal ; et, en effet, la reconnaissance, comme nous
allons le voir, peut résulter de toute déclaration en forme authentique
Donc, la prétendue action en nullité, fondée sur le dol ou la violence
soi-disant commis à l'encontre de l'auteur de la reconnaissance, nous pa-
raît être une action en contestation d'état. Elle pourra donc être exercée
par tout intéressé et non pas seulement par la victime du dol ou de la vio-
lence. Et nous croyons qu'elle ne pourra se couvrir ni par la renonciation
ni par la prescription.

III. — Caractère formaliste de la — de


reconnaissance. L'aveu
paternité ou de maternité, que renferme la reconnaissance d'un enfant na-
turel, n'a de valeur que s'il a été émis dans certaines formes déterminées.
La reconnaissance sera faite, nous dit l'article 334, « dans un acte authen-
FILIATION NATURELLE 289

tique lorsqu'elle ne l'aura pas été dans l'acte de naissance ». Cette dispo-
sition a pour but tout à la fois d'assurer la sincérité et, par la véra-
là,
cité de l'acte, en empêchant
qu'il ne soit surpris par des manoeuvres
dolo-
sives, d'en assurer également la conservation et l'authenticité, enfin de lui
conférer une date certaine, ce qui est souvent nécessaire (art. 331, 337).
Ainsi, la reconnaissance de la filiation faite dans un écrit sous seing privé
ne serait pas efficace. Nous verrons bientôt cependant qu'elle ne serait pas
dépourvue de tout effet juridique. Sans valoir comme elle
reconnaissance,
d'une part, servir de base à une de nourrir et élever
pourrait, obligation
l'enfant, et, d'autre part, il résulte de l'article 340 nouveau et de l'article 341
qu'elle pourrait servir de fondement à une action en recherche de la ma-
ternité ou de la paternité naturelle.
Pratiquement, la majeure partie des reconnaissances a lieu par une
déclaration reçue par un officier de l'état civil, soit dans l'acte de naissance
même de l'enfant, soit dans un acte propre et distinct, soit dans l'acte de
mariage des parents.
Mais la loi a employé expressions des générales. Elle se contente d'exiger
que la reconnaissance soit faite dans un acte authentique. La reconnaissance
pourra donc être reçue par un notaire. En donnant aux parties cette fa-
culté, la loi a voulu ménager aux père et mère naturels le moyen de remplir
leur devoir, sans révéler au public une filiation qu'ils voudraient tenir se-
crète. L'acte de reconnaissance dressé par un notaire doit l'être dans le
formes ordinaires des actes notariés (L. du 25 ventôse an XI et du 21 juin
1843), et, par conséquent, en minute. Mais il faut bien que dire le caractère
occulte de celte variété de reconnaissance (la loi n'exige pas même la trans-
cription sur les registres de l'état civil !) peut donner lieu à bien des incon-
vénients.

Lenotaire n'est pas le seul officier public qui puisse recevoir une recon-
naissance d'enfant naturel. On devrait voir un acte de ce genre, dans la
déclaration relative à sa paternité ou à sa maternité faite par une partie
répondant à un interrogatoire sur faits et articles, du moment que cette
déclaration aurait été consignée par le juge sur le procès-verbal. Même
solution pour la déclaration
reçue par un juge de paix siégeant au bureau
de conciliation ; il a en effet, en ce cas, qualité pour recevoir et authentiquer
toute déclaration des plaideurs. (Cf. Aix, 28 fév. 1915, Gaz Trib., 31 juil. 1919).
Peut-on faire une reconnaissance d'enfant naturel par un testament ? La
réponse à cette question résulte des termes mêmes de l'article 334. Elle est
affirmative pour le testament notarié, qui est un acte authentique, négative
pour le testament qui est un acte sous seing privé. Il y a doute
olographe,
pour le testament sorte d'acte participant à la fois du caractère
mystique,
des actes sous rédaction de la et du
seing privé par la disposition même,
caractère des actes authentiques par la l'enveloppe
suscriptionqui de
d'un notaire. S'il n'y avait à se préoccuper que de la conservation de
émane
au testament notarié.
l'acte, il faudrait assimiler le testament mystique
334 se justifie encore
Sais nous avons vu que la forme requise par l'article
par la nécessité d'assurer la liberté du déclarant. Dès lors, la reconnaissance,
290 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

résultant en définitive de l'écrit purement privé contenu sous la suscrip-


tion authentique, ne doit pas être considérée comme valablement effectuée.
Il en serait autrement, bien entendu, si la déclaration de paternité ou de
maternité était reproduite dans l'acte de
suscription ; mais, alors, ce serait
cet acte lui-même qui constituerait la reconnaissance.

IV. — Effet de la reconnaissance. — Il y a ici deux


probatoire ques-
tions à examiner :
1° Que prouve au juste la reconnaissance ?
2° A l'égard de qui fait-elle preuve ?
1° Que prouve la reconnaissance ? — La reconnaissance ne prouve qu'une
chose : c'est l'aveu de paternité ou de maternité émanant de telle ou telle

personne à l'égard d'un enfant déterminé. Mais ce document ne prouve


évidemment l' identité
pas de l'enfant qu'il vise avec telle ou telle personne,
celle-ci fût-elle nantie de la grosse de l'acte notarié contenant la reconnais-
sance. Même dans ce dernier cas, en effet, il pourrait se faire que le princi-
pal intéressé, muni de la grosse de l'acte de reconnaissance, l'eût remise à
une autre personne, qui s'en servirait maintenant pour s'attribuer un état

usurpé
S'il y a doute sur l'identité, la preuve pourra se faire par tous les moyens
possibles, et, croyons-nous, sans qu'il y ait besoin, pour autoriser l'emploi
des témoins et des présomptions, d'un commencement de preuve par écrit.
Et il en sera ainsi même s'il s'agit d'identifier tel individu déterminé avec
un enfant reconnu par son père, et si l'on se trouve dans un des cas où la
recherche de
paternité est interdite. La règle de l'article 340 n'a en effet
ici rien à voir. Pour qu'il y eût recherche de la paternité, il faudrait qu'il
n'y eût pas de reconnaissance. Or, nous supposons précisément qu'il y a
eu une reconnaissance ; il faut seulement savoir à qui elle a trait.
Nous admettrons la même solution, la même liberté de preuve, y a s'il
contestation et procès relativement à l'identité du père, auteur de la recon-
naissance. Cependant, la Jurisprudence paraitparfois méconnaître cette
solution (V. en dernier lieu, Paris, il juillet 1868. S. 70.2.86).
2° A l'égard de qui la reconnaissance fait-elle preuve ? — Il n'y a pas de
doute lorsqu'il s'agit de reconnaissance volontaire. L'effet est
probatoire
absolu ; il se produit erga omnes ; c'est la règle pour tous les modes de
démonstration non judiciaires, comme le titre et la d'état en
possession
matière de filiation légitime.
Supposons que la reconnaissance se trouve résulter d'un acte de l'état
civil incorrect ou incomplet, auquel fait défaut, la
par exemple, signature
de l'officier de l'état civil. Les parties intéressées font rectifier cet acte en
conséquence. Nous verrons que les jugements en rectification des actes
de l'état civil n'ont, en
principe, comme tous les effet
jugements, qu'un
relatif (art. 100). Cependant, il a été décidé que, notre la
dans hypothèse,
reconnaissance ressortant de ce jugement de rectification aura un effet
absolu, qui ne se restreindra point, par conséquent, aux parties engagées
dans l'instance (Paris, 10 février 1898, D. P. 1900.2.57).
FILIATION NATURELLE 291

Hypothèses où la reconnaissance est interdite. —Aux termes de


335, la reconnaissance ne peut avoir lieu au des enfants
l'article profit
les d'un commerce incestueux ou adultérin. La loi a redouté le scandale
de l'aveu
qui résulterait public des relations adultérines ou incestueuses.
De là, la prohibition de l'article 335. On
remarquera qu'il y a un scandale
plus grand peut-être dans le fait que des enfants, innocents tout de
après
la faute de leurs parents, sont privés du bienfait d'une reconnaissance,
qui leur donnerait du pain et assurerait leur éducation.
Quoi qu'il en soit, il résulte de l'article 335 la
reconnaissance d'un
que
adultérin ou incestueux est nulle. Elle ne produit en conséquence
enfant
auçun effet ni pour ni contre l'enfant. Ni l'enfant : ainsi, l'enfant
pour
incestueux ou adultérin reconnu reste un étranger pour l'auteur de la
reconnaissance ; il n'est pas en droit de l'invoquer pour réclamer des
aliments (art. 762, 2e al.). Ni contre l'enfant : donc, si celui-ci a reçu de
l'auteur qui l'a reconnu une donation ou un legs, les tiers intéressés à
la réduction de cette libéralité ne pourront se prévaloir de la reconnais-
sance pour faire réduire la libéralité (art. 908, 3e al.) ; l'enfant sera traité
comme un donataire ou légataire étranger.
Il convient d'ajouter que la prohibition de l'article 335 cer-
comporte
tains tempéraments.
Supposons d'abord qu'un enfant incestueux qu'elle vise soit reconnu par
un seul de ses auteurs ou, s'il s'agit d'un enfant adultérin, qu'il soit
reconnu par celui de ses parents qui n'est pas engagé dans les liens du
mariage. Cet acte de reconnaissance sera valable parce qu'il ne révèle pas le
nom de l'autre auteur, et que, dès lors, il ne fait pas apparaître le caractère
incestueux ou adultérin de la filiation. Bien plus, si l'enfant était reconnu
par son autre auteur, de telle manière que cette seconde reeon-
ensuite
naissance rapprochée de la précédente dévoilât le caractère de la filia-
tion, la dernière reconnaissance serait seule nulle, la première demeurerait
valable.
En second lieu, nous verrons bientôt que la loi permet, dans certains
cas, de légitimer par mariage des enfants adultérins ou incestueux. Dans
ces cas, les pères et mères peuvent valablement reconnaître leur enfant

en vue de la légitimation.

où la loi restreint les effets de la reconnaissance. —


Hypothèse

d'y a un cas et reviendrons
nous bientôt sur ce
point en étudiant les
de la filiation — la loi n'interdit de
conséquences où pas la reconnaissance
l'enfant naturel, mais en restreint les effets. C'est lorsqu'un époux recon-
naît, pendant le mariage, un enfant qu'il a eu, avant son mariage, d'un
autre que de son conjoint. L'article 337 porte que, dans ce cas, la recon-
naissance ne pourra nuire ni à l'époux ni aux enfants nés du mariage,
La raison plus ou moins plausible de cette disposition a été donnée par
Bigot-Préameneu : c'est « il ne peut pas dépendre de l'un des époux de
qu'
après son mariage le sort de la famille légitime ; ce serait violer
changer
a été contracté ".
la foi sous laquelle le mariage
292 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE

SECTION II. — RECONNAISSANCE NON VOLONTAIRE. — RECHERCHE


DE LA MATERNITÉ ET DE LA PATERNITÉ.

— — elle
§ 1. Filiation maternelle. Comment peut être établie.

Deux systèmes d'interprétation des textes du Code peuvent être suivis


en cette matière.

D'après un premier système, il y aurait, entre le mode de démonstration


de la filiation légitime et le régime des preuves possibles de la filiation
naturelle, une différence complète. Les deux théories seraient séparées par
une cloison étanche, de telle sorte que l'une ne pourrait rien emprunter à
l'autre. A l'appui de cette manière de voir on peut invoquer les rubriques
mêmes du Code. Le chapitre consacré à la filiation légitime porte la ru-

brique suivante : Des preuves de la filiation des enfants légitimes. Au con-


traire, les articles 334 et suivants, relatifs aux enfants naturels, sont pré-
cédés de la rubrique : De la reconnaissance des enfants naturels. Ainsi, pour
ces derniers, le seul fait d'où résulte leur filiation, c'est, en principe, la
reconnaissance. Une seule exception serait apportée à la règle dans le cas
de recherche de la maternité ou de la paternité. Encore cette recherche, ap-
plication de la preuve testimoniale, serait-elle soumise à une réglementa-
tion étroite : on la qualifiera donc de reconnaissance forcée.
Une autre opinion, observant l'insuffisance manifeste des dispositions
du Code civil qui visent la démonstration de la maternité naturelle, se re-
fuse à admettre que cette insuffisance soit imputable à une vue préconçue
du législateur. Elle incline donc à étendre à la démonstration de la filiation
naturelle les règles du chapitre consacré à la filiation légitime, chaque fois
du moins qu'il n'y est pas formellement dérogé.
Nous allons voir que la Jurisprudence, après avoir, pendant la première
moitié du XIXe siècle, paru adopter le deuxième s'est vers le
système, rejeté
premier, avec
cependant certains tempéraments.
Nous examinerons successivement:
I. — Les modes de démonstration admis pour la filiation et re-
légitime
jetés lorsqu'il s'agit de la filiation naturelle.
II. — Les modes de démonstration admis par le Code (théorie de la
recherche de la maternité).

I. — Modes de démonstration rejetés pour la filiation naturelle.


— Ils sont au nombre de deux : 1° l'acte de naissance ; 2° la possession
d'état.

L'acte de naissance. — l'acte


1° Supposons que de l'état civil, dressé
lors de la naissance d'un enfant naturel, sur les indications d'une autre
personne que la mère, porte le nom de cette dernière. C'est du reste le cas
le plus fréquent en pratique. En résultera-t-il la de la maternité
preuve
naturelle comme, en pareille il en mutatis mu-
circonstance, résulterait,
tandis, la preuve de la maternité ?
légitime
FILIATION NATURELLE 293

En raison, nous ne voyons aucun bon en faveur


argument d'une diffé-
rence. Quel motif y a-t-il de présumer que la déclaration concernant la
mère est contraire à la vérité? Quel intérêt aurait un fraudeur à mentir 7
On dit souvent fait naissance légitime est un fait honorable
: le de la que
l'on ne cherche pas à cacher ; l'accouchement d'une fille-mère est, au con-
traire, un fait que l'on cherche
généralement à dissimuler. D'où une sus-
picion qui doit peser sur les déclarations concernant son nom, lorsqu'elles
n'émanent pas d'elle-même de manière à constituer une reconnaissance
proprement dite. Cet argument nous paraît excessivement faible. La fraude,
consistant à attribuer faussement à un enfant le nom d'une femme mariée
ce qui lui ménagera peut-être dans l'avenir la de à
possibilité prétendre
sa part dans une succession bourgeoise, nous à craindre
paraît plus que la
fraude qui consisterait à attribuer à une fille l'enfant
pauvre né, en réalité,'
d'une autre mère. Et on se souvient dans tous les
que, cas, la preuve con-
traire est
possible à l'encontre des indications de l'acte de naissance.
La Cour de cassation avait d'abord admis que l'indication dans l'acte de
naissance du nom de la mère, étant réputée faite de son établissait
aveu,
la filiation de l'enfant au moins à l'égard des tiers (Civ., 1er juin 1853, D. P.
53.1.177, S. 53.1.481 ; Civ., 19 novembre 1856, D. P. 56.1.412, S, 57.1.98).
Un revirement s'est produit depuis, et la Jurisprudence décide aujourd'hui
ne résulte d'un acte de ce genre, du moment ne contient
qu'il qu'il pas une
reconnaissance formelle faite par la mère ou par un fondé de procuration
spéciale, aucune preuve de la filiation maternelle (Req., 13 avril 1864, D. P.
S. 64.1.209 3 avril D. P. 72.1.113, S. 72.1.126).
64.1.249, ; Civ., 1872,
Cependant, la Jurisprudence apporte à sa manière de voir deux tempéra-
raments importants.
A. — Plusieurs décisions, s'appuyant sur le texte de l'article 336 — « la re-
connaissance du père, sans l'indication et l'aveu de la mère, n'a d'effet qu'à
l'égard du père » — admettent, par un argument a contrario, si l'acte de
que,
naissance a été rédigé sur la déclaration du père et s'accompagne de la recon-
naissance de l enfant par celui-ci, ce qui est du reste l'indica-
peu fréquent,
tion du nom de la mère fait preuve à son égard lorsqu'elle est corroborée par
l'aveu de celle-ci. Cet aveu pourra même être tacite et s'induira notamment
de ce fait que la mère aura soigné et élevé l'enfant comme étant le sien (Civ.,
25 juin 1877, D. P. 78.1.262, S. 78.1.217 6 juillet 1892, D. P.
; Besançon,
93.2.499, S. 94.2.61 ; Paris, 12 novembre 1913, Gal. Pal, 20 janvier 1914).
Dans ce cas, on le voit, la différence qui subsiste entre le système de la
Jurisprudence et celui qui consisterait à admettre que le titre fait preuve de
la filiation, se réduit à ceci : dans ce dernier système, la femme, pour faire
tomber l'effet probatoire attaché à l'indication de son nom dans l'acte de
naissance, devrait faire
preuve de l'inexactitude de cette indication ; au con-
traire, dans le système de la Jurisprudence, si l'indication émane d'un pêre
naturel qui affirme sa sincérité en reconnaissant sa propre paternité, la

désignation du nom de la mère n'a qu'une valeur précaire ; il suffit que


la femme proteste pour l'écarter, sans avoir à en démontrer l'inexactitude.
B. — Quelle que soit la personne qui a indiqué le nom de la mère dans
— TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
LIVRE I.
294

ne la.filiation tout
cette indication, si elle prouve pas
l'acte de naissance,
ses éléments, à savoir le fait de
au moins établir un de
entière, suffit pour
cette ne
Reste seulement à établir l'identité ; mais preuve
l'accouchement.
un commence-
aux termes de l'article 341, que moyennant
peut se faire,
S. 4889.2.201, note de
écrit 16 février 1889,
ment de preuve par (Paris,
D. P. 1902.1.539 ; Poitiers, 31 décembre
M. Lacointa ; Civ , 22 octobre 1902,

1913, D. P. 1914.2.45).
la différence distingue cette solution de celle qui consisterait
Dès lors, qui
filiation est la suivante: si l'on admet-
à voir dans le titre la de la
preuve
n'aurait rien à prouver de
l'effet du titre, l'enfant
tait probatoire
l'enfant l'acte de naissance
au cas où son identité avec désigné par
plus
elle était contestée, il pourrait faire preuve
ne serait contestée; et si
pas d'a-
tous les possibles. Au contraire,
de cette identité de plano par moyens
titre ou non, doit
la Jurisprudence, la preuve de l'identité, qu'il y ait
près
et toujours elle est subordonnée à l'adminicule
toujours être administrée,
du commencement de preuve par écrit.
exclut entièrement
En somme, on ne peut pas dire que la Jurisprudence
des enfants naturels par l'acte de nais-
la preuve de la filiation maternelle
de cet acte des effets et
sance. Elle attache aux indications fragmentaires

incomplets 1.

d'état. — La possession d'état qui, on s'en souvient,


2° La possession
établit-elle la filiation naturelle? A cet
fait preuve de la filiation légitime,
différents systèmes ont été suivis.
égard,
la première du XIXe siècle, la Jurisprudence admettait
Pendant partie
une distinction : la possession d'état aurait fait preuve de la filia-
volontiers
mais non de la filiation à raison du principe de
tion maternelle, paternelle,
l'interdiction de la recherche de la paternité naturelle.
un doctrinal plus hardi rejeta cette distinction,
Postérieurement, système
d'état la filiation de l'enfant naturel,
et enseigna que la possession prouve
aussi bien au regard du père qu'au regard de la mère, ou plutôt dispense
l'enfant de toute En effet, disait-on, puisque, par définition, l'en-
preuve.
fant déjà l'état d'enfant naturel, il n'a rien à démontrer.
possède
hui la Jurisprudence décide que la possession d'état ne saurait
Aujourd
être admise à établir ni la paternité, ni la maternité naturelles (Civ., 3 avril

1872, D. P. 72.1.113, S. 72.1.126). En effet, la loi du 12 brumaire an II ex-

cluait, pour les enfants naturels nés postérieurement à sa promulgation, la


d'état du système de preuves admissibles. Si le Code civil l'avait
possession
rétablie, il aurait dû le dire expressément, Or, bien au contraire, l'ar-
ticle 320 bien qu'à défaut de titre, la possession constante de l'état
spécifie
d'enfant légitime suffit.

1. Ajoutons que, d'après plusieurs décisions judiciaires, l'enfant naturel a le droit


de porter le nom de la femme indiquée dans son acte de naissance comme étant sa
mère, et qu' il n' y a pas lieu d'admettre une demande en rectification tendant à sup-
primer l'indication de ce nom dans cet acte de naissance Limoges 10 août 1907
D, P. 1908.2.12 ; V. note de M. E Perseau. S. 1900 2.86).
FILIATION NATURELLE 295

Cette solution, en admettant qu'elle soit celle de la loi est évi-


positive,
demment peu rationnelle. Il est étrange que la loi attribue à la reconnais-
sance un effet probatoire plus fort qu'à la possession d'état. Car l'aveu de
ou de maternité que repèle une reconnaissance est fait une fois
paternité
pour toutes ; il peut être suspect de complaisance ou de calcul ; tandis
que la possession d'état, nous l'avons vu précédemment, équivaut à un
aveu répété et permanent, que corroborent les témoignages conformes de
la famille et de la société. Et la singularité de la solution encore
paraîtra
plus grande depuis que la loi du 16 novembre 1912 a permis de faire repo
-
ser une action en recherche de la paternité naturelle sur la possession d'é-
tat. Ainsi, la preuve de la paternité est devenue facile
plus que celle de la
maternité !
Ajoutons que la possession d'état n'est pas absolument sans
toujours
effet.en ce qui concerne la preuve de la filiation maternelle. En effet, elle
peut constituer un ensemble de présomptions qui seront invoquées à l'appui
des témoignagnes, ou à leur défaut, dans un procès en recherche de la ma-
ternité, lequel est possible, nous le verrons, en cas d'existence d'un com-
mencement de preuve par écrit. Nonobstant ce tempérament, notre légis-
lation n'en demeure pas moins absurde. N'est-il pas notamment inexplicable
que la possession d'état combinée avec l'acte de naissance ne preuve point
la filiation naturelle? Un enfant a été déclaré lors de sa naissance comme
né de Mlle X. La femme ainsi désignée l'a depuis lors élevé et toujours traité
comme son enfant. N'importe ! La preuve de la filiation naturelle reste à faire.
Et encore, comme nous allons le voir, faudra-t-il, pour invoquer témoi-
gnages ou présomptions que l'enfant puisse produire un commencement
de preuve par écrit, ce qui est bien rarement possible pour un enfant qui
jamais n'a vécu éloigné de sa mère.

IL —Mode de démonstration admis : Recherche de la maternité


naturelle. — Le seul mode de directe de la maternité
preuve naturelle,
admis en dehors d'une reconnaissance volontaire, c'est la preuve testimo-
niale. L'action tendant à établir la filiation de l'enfant naturel au regard
de la mère au moyen de cette preuve porte le nom d'action en recherche de
la maternité naturelle.
L'article 341: « La recherche de la maternité est admise. — L'enfant
porte
qui réclamera sa mère sera tenu de prouver qu'il est identiquement le même
— Il ne sera
que celui dont elle est accouchée. reçu à faire cette preuve par
témoins, que lorsqu'il aura déjà un commencement de preuve par écrit ».
A quoi l'article 342 qu'un enfant ne sera jamais admis à la re-
ajoute
cherche « dans le cas où, suivant l'article 335, la reconnaissance n'est pas
admise » c'est-à-dire lorsqu'elle tendrait à établir une filiation incestueuse
ou adultérine.
On remarquera que l'article 341 ne semble soumettre au régime de preuve
qu'il institue que la question de l'identité de l'enfant. C'est sur cette parti-
cularité de rédaction que la Jurisprudence s'est appuyée pour décider.
comme nous l'avons signalé plus haut, que le fait de la naissance, c'est-à-
296 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

dire de l'accouchement de la mère, peut être considéré comme établi, lors-

qu'il a été dressé un acte de naissance relatant le nom de la mère.


L'adminicule préalable requis pour qu'on puisse recourir ici à la preuve
testimoniale diffère de celui que le Code exige pour autoriser l'emploi
de la même preuve en matière de filiation légitime. Cette différence, ré-
sultant de la comparaison des articles 323, 324 et 341, porte sur les points
suivants :
1° En matière de filiation légitime, il y a deux adminicules possibles
le commencement de preuve par écrit, ou les présomptions et indices

graves et dès lors constants (art. 323). En matière de filiation naturelle,


la loi ne nous parle que du commencement de preuve par écrit ; elle écarte
donc comme adminicule, à la différence du Code civil italien (art. 190),
les indices graves et constants. Peut-être est-ce à tort, car des indices de
ce genre peuvent avoir une autre valeur probante qu'un commencement
de preuve écrit, par exemple,
par qu'une lettre missive qui peut être suppo-
sée, surprise ou fabriquée, et qui, nous le répétons, fera précisément défaut
le plus souvent dans les cas où la maternité paraît le plus vraisemblable,
c'est-à-dire lorsque l'enfant aura toujours vécu avec la femme qu'il pré-
tend être sa mère.
2° L'article 324 donne du commencement de preuve par écrit en ma-
tière de filiation légitime une définition plus large que celle du droit com-
muai (art. 1347), notamment en ce qu'il n'exige pas que l'écrit émane de la
partie même contre laquelle le procès est engagé. L'article 341, au con-
traire, en matière de filiation naturelle, se contente d'exiger un commen-
cement de preuve par écrit, sans plus. Certains arrêts en ont conclu que
l'article 341 renvoie à l'article 1347 et que, dès lors, l'écrit exigé ne peut
émaner que de la fille-mère défenderesse au procès en recherche. Mais,
heureusement, la Jurisprudence la plus récente paraît s'engager dans une
autre voie et admettre ici une référence à l'article 324 (Nîmes, 4 mai 1904,
D. P. 1906.2.129 ; Req., 4 janv. 1910, D. P. 1910.1.128 1912, ; 26février
D. P. 1913.1.470) — Cf. note de M. Ripert et concl. de M. l'avocat général
Feuilloley, D. P. 1908.1.161.). Cela est raisonnable, car exiger un écrit de
la main de la mère qui, dans les classes écrit ou ne sait
pauvres, peu
écrire, c'est exagérer inutilement la difficulté de la preuve à exiger de
l'enfant naturel.
On s'est demandé si l'acte de naissance qui, on l'a vu, ne fait pas preuve
de la filiation naturelle, peut au moins être considéré comme un commen-
cement de preuve par écrit, rendant admissible la recherche de la mater-
nité. Il n'y a pas moyen d'admettre cette solution. L'acte de naissance ne
correspond ni à la définition du commencement de preuve par écrit que
donne l'article 324, ni à celle que donne l'article 1347.
FILIATION NATURELLE 297

2 — Filiation de
§ paternelle l'enfant naturel.
La recherche de la paternité 1.

Le système du Code civil. L'interdiction de la recherche. His-


torique du — Pendant d'un la législation
principe. plus siècle, fran-
çaise, en cette matière, a trouvé sa formule dans le célèbre article 340 :
« La recherche de la paternité est interdite. Dans le cas d'enlèvement,
lorsque l'époque de cet enlèvement se rapportera à celle de la conception,
le ravisseur pourra être, sur la demande des déclaré
parties intéressées,
père de l'enfant. » Ainsi, la filiation de l'enfant naturel du côté du père ne
pouvait résulter que de la reconnaissance volontaire. Dans un seul cas,
celui de l'enlèvement coïncidant avec la date de la conception,
présumable
la preuve de la paternité naturelle se faire
pouvait (et cela certainement
de plano, par tous les moyens possibles, les témoins et les
y compris
présomptions). Cette hypothèse exceptionnelle de l'enlèvement devait
s'entendre restrictivement. Toute tentative doctrinale ou même législative
d'élargir la notion de l'enlèvement, en y faisant entrer les cas de rapt, de
séduction ou même de viol (le viol étant en somme, un enlève-
cependant,
ment momentané), avait échoué.
L'interdiction de la recherche de la paternité naturelle était une inno-
vation révolutionnaire. C'est la Convention qui, par du 12 brumaire
la loi
an II, avait écarté toute preuve de lapaternité naturelle, autre que celle
qui résulte de la reconnaissance volontaire du père exprimée dans un acte
authentique. L'Ancien Droit admettait une règle diamétralement opposée'.

1. Cons. Pouzol, La recherche de la paternité, 1902 ; Wahl, La recherche de la


paternité naturelle d'après la loi du 16 novembre 1912, Rev. trim. de dr. civ.,
1913, p. 5 ; Henry Lhospied, Etude sur la recherche de la paternité en droit
comparé, thèse, Paris, 1914 ; R. Savatier, La recherche de la paternité, Paris,
Dalloz, 1927.
2. L'ancien Droit n'apportait aucune restriction à la recherche de la paternité,
ce qui, encore une fois, se comprend, car l'enfant naturel n'avait aucun droit de
succession à son père que des aliments. Sur ce
à exercer ; il ne pouvait réclamer
dernier point, on se montrait fort sévère pour le père présumé. Tout d'abord, la
femme, sur le point d'accoucher, pouvait demander au juge de condamner au paie-
ment des frais de gésine et de premier entretien de l'enfant, l'homme qu'elle affir-
mait être l'auteur de sa grossesse. C'était le fameux adage : creditur virgini par-
turienli asserenti se proegnantem esse ex aliquo. On s'en tenait à la simple décla-
ration de la mère, parce que, disait-on, les frais de gésine ne souffrent pas de
retardement (Fournel, Traité de la séduction considérée dans l'ordre judiciaire,
1781, p. 98 et s.). Il est certain que l'application de cette maxime devait donner lieu
à de singuliers abus.
Mais cette affirmation de la fille ne suffisait pas à établir la paternité du défen-
deur ; pour prouver celle-ci, il fallait que la mère ou l'enfant intentât une action spé-
ciale et fournit tous les modes de preuve susceptibles d'établir l'exactitude de son
allégation. Il suffisait du reste au défendeur, pour la faire rejeter, de démontrer
l'inconduite de la mère, en opposant l'exceptio plurium constupratorum.
Port probablement, les législateurs de la Révolution se sont trompés sur les véri-
tables conséquences juridiques de la maxime Creditur virgini..., et ont cru que
la simple affirmation de la fille suffisait à prouver la paternité de l'homme qu'elle
dénonçait. De là, les réclamations contre les abus intolérables, les procès scandaleux
auxquels donnaient lieu, prétendait-on, les actions en recherche de la paternité,

DROIT — Tome I. 20
LIVRE 1. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
298

Le si d'accord, semble-t-il, avec les tendances révo-


principe nouveau, peu
lutionnaires, très favorables aux enfants naturels, s'explique d'abord,

nous avons fait même des idées égali-


y déjà allusion, par l'exagération
taires. C'est le droit nouveau avait accordé à l'enfant naturel
parce que
des droits successoraux et une situation de famille considérables, qu'il
crut devoir se montrer sévère la démonstration de sa filiation.
pour
D'autre on la recherche de la paternité, dans l'Ancien
part, prétendait que
avait donné lieu à des scandales. Servan, avocat général à Gre-
Droit,
noble, les avait flétris dans un réquisitoire retentissant de 1770. Et, bien
ne contiennent rien à ce sujet, la réforme de l'état
que les cahiers de 1789
de choses ancien désirée par beaucoup d'esprits éclairés. Peut-
paraissait
être est-il d'estimer cet état de choses, provenant en somme
permis que
des du Droit canonique, participait de l'impopularité qui, à la fin
principes
du XVIIIe siècle, s'attachait à tout l'établissement clérical. Le Droit canon

ne considérait le mariage, la filiation, à un point de vue aussi formel


pas
de la nature. Le
que le nôtre. Il était, osons-nous dire, plus près simple
commerce charnel qui pouvait, s'il suivait des fiançailles, entraîner le ma-
ouvrait à la fille séduite une action contre le séducteur pour le con-
riage,
traindre à l'épouser ou à la
doter, l'action Duc aut dota. Ces principes,
devaient faciliter la recherche de la paternité, ne pouvaient rester en
qui
faveur d'un législateur enclin à extirper de la loi tout vestige con-
auprès
fessionnel et toute institution se rattachant, de près ou de loin, aux con-

ceptions fondamentales de la société religieuse.


Il faut ajouter que, si la loi de l'an II écartait la recherche de la pater-
nité, au point de vue de la revendication des droits successoraux et des
droits de famille, elle ne réglait la question que d'une façon provisoire,
laissant aux rédacteurs du futur Code civil le soin de légiférer d'une ma-
nière définitive. De plus, les interprètes antérieurs à 1804 admettaient que
la loi n'excluait pas la recherche de la paternité fondée sur certaines

preuves particulièrement dignes de faveur, la possession d'état, les écrits


émanant du père, lorsque cette recherche devait venir à l'appui d'une

simple demande d'aliments. Le projet primitif de Code civil reproduisait


cette distinction qu'on eut le tort d'écarter comme illogique. D'où la dis-

position de l'ancien article 340.

do la règle de l'ancien article 340. Son abolition. — Les


Critique
faisons que l'on invoquait en faveur du principe de l'article 340 étaient les
suivantes :
1. La crainte des scandales et des chantages auxquels pouvaient donner
lieu les procès en recherche de la paternité naturelle ;
2° La difficulté, voire même l'impossibilité d'arriver à faire, avec certi-
tude, la preuve de la paternité, du moment qu'on se trouve en dehors des

Un cri général, disent les rédacteurs du Code, s'était élevé dans l'ancien Droit contre
la recherche de la paternité. » Or, on ne trouve nulle trace de ces protestations ni
chez Fournel, ni chez les autres écrivains du XVIIIe siècle Giraud
(Cons. op cit
Revue critique de et de Jurispr, 1884, p, 600 à 603 ; Ponzol,
législ. op, cit.)
FILIATION NATURELLE 299

légales de cohabitation et de fidélité qui établissent la pater-


présomptions
nité dans le mariage.
Le premier de ces arguments se réfute sans peine. La loi tolère des pro-
cès soit civils, soit criminels, divorces, désaveux de paternité, poursuites
pour adultère, proxénétisme, outrages aux moeurs, tout aussi et
pénibles
aussi destructeurs de la tranquillité des familles que peut l'être une ins-
tance en recherche de la paternité. Le scandale le plus n'était-il
grave pas
d'ailleurs dans une législation qui permettait l'abandon des mères et des
enfants, avec démoralisation qu'entraînent de semblables
la perspectives
dans les rapports entre les sexes, surtout au sein des grandes aggloméra-
tions ouvrières ?

Quant à l'autre raison, elle était certainement exagérée. La preuve que


la démonstration de la paternité naturelle n'est pas absolument impos-
sible, c'est que la loi la permettait dans un cas, celui de l'enlèvement. Et
il n'est pas difficile de concevoir des hypothèses où la paternité repose
sûr des des présomptions aussi fortes que celles
vraisemblances, qui ré-
sultent soit de l'enlèvement, soit de la reconnaissance volontaire par acte
authentique. Il en est ainsi notamment en cas de viol, d'aveux écrits de
paternité réitérés et
formels, de possession d'état. La cohabitation cons-
tante de deux concubins, vivant à l'état de faux ménage, n'entraîne-t-elle
pas la même présomption de relations sexuelles que celle qui découle du

mariage? Et la présomption de fidélité, qui doit corroborer la précédente


pour compléter la preuve de lapaternité, présomption qui, pour une
femme mariée, résulte du fait même du mariage, ne peut-elle être consi-
dérée comme suppléée, lorsque la conduite de la fille-mère, en dehors de
ses relations avec son concubin, prête ne à aucune incrimination?
Aussi faiblement justifiée en raison, inhumaine et inique dans ses résul-
tats, la règle nouvelle de l'interdiction de la recherche de la paternité ne
devait pas faire fortune,
Hors de France, elle ne bénéficia point de la popularité et de la force de
rayonnement qui, pendant longtemps, s'attachèrent au Code Napoléon.
Les pays germaniques et anglo-saxons restèrent fidèles à la doctrine con-
traire. La Suisse, où les cantons étaient partagés sur la question, s'est ral-
liée au principe de la liberté de la recherche dans son Code civil unitaire
(art. 307). Une région, qui avait d'abord pratiqué le système français,
celle des
pays rhénans, a dû admettre la recherche de la paternité, à la
suite de la mise en vigueur du Code civil allemand (art. 1716 et 1717),
et cette modification législative n'a eu que de bons résultats 1. De même,
la Belgique a admis la recherche de la paternité naturelle par sa loi du
26 avril 1908.
En France, un mouvement de protestation contré la règle de l'article 340
s'est de bonne heure manifesté, sous l'influence de la littérature roma-

nesque et dramatique, naturellement pitoyable à l'enfant naturel. Dans ce

mouvement, on a vu marcher côte à côte des publicistes venus des camps

1. Voir aussi l'article 163 du Code civil autrichien de 1811.


LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
300

les Victor et Le Play, des jurisconsultes animés de ten-


plus opposés, Hugo
dances diamétralement contraires, Accollas à côté de MM. Jacquier et La-

cointa. Et enfin, plusieurs tentatives de réforme législative demeu


après
rées le Parlement, faisant aboutir une proposition de MM. Gus-
inutiles,
tave Rivet et remontant à 1905 et qui, depuis, avait subi d'ail-
Béranger,
leurs de nombreuses vicissitudes et modifications, a fini par voter la loi du
16 novembre 1912 qui, introduite dans l'article 340, supprime le principe

de l'interdiction absolue de la recherche de la paternité hors mariage, et

le remplace la de la recherche en justice, permise et organisée


par règle
dans un certain nombre d'hypothèses taxativement limitées.

La antérieure à la loi du 16 novembre 1912. —


jurisprudence
Le incontestable qu'a réalisé la loi du 16 novembre 1912 avait été
progrès
d'ailleurs, il n'est que juste de le reconnaître, devancé et préparé par les
heureuses hardiesses de la jurisprudence, qui s'était efforcée de tourner
la règle de l'article 340 .
1° En premier lieu, les tribunaux avaient admis, non sans soulever cer-
taines résistances, il est vrai, le droit pour la fille-mère victime, de la
part d'un homme, d'une séduction dolosive caractérisée par une promesse
de mariage, par l'abus de la part de l'homme de son ascendant fondé sur

l'âge, sur la situation sociale, sur un rapport de subordination, de réclamer


au père prétendu de son enfant la réparation préjudice du
résultant pour
elle de sa grossesse et de la naissance de l'enfant mis à sa charge (Civ.,
26 juillet 1864, D. P. 64.1.347, S. 65.1.33 ; Req., 23 avril 1901, D. P. 1901.

1.360, 12 novembre 1901, D. P. 1902.1.46, S. 1902.1.237). A l'objection


tirée de l'article 340 contre cette solution, on répondait que le texte interdit
bien la recherche de la paternité naturelle, en tant qu'elle aboutit à cons-
tituer à l'enfant un état déterminé, mais non pas l'examen d'un fait, envi-

sagé comme constitutif d'un délit civil (art. 1382) et, par conséquent, gé-
nérateur d'une obligation de réparer le préjudice injustement causé. Etant
donné que les dommages-intérêts alloués à la mère peuvent être, en ce cas
établis sous la forme d'une pension correspondant aux frais d'éducation et
de nourriture de l'enfant naturel, la Jurisprudence aboutissait, on le voit,
à un résultat sensiblement analogue à celui qu'eût produit une législation
autorisant une recherche de la paternité naturelle bornée, dans ses effets,
à l'obligation alimentaire. Toutefois, entre les deux systèmes, on peut re-
lever les différences suivantes :
A. — La jurisprudence accordait à l'enfant un droit aux aliments, en
se fondant sur l'idée d'un dommage subi par sa mère ; il en résulte qu'elle
ne pouvait arriver à ce résultat, si la procréation de l'enfant s'était pro-
duite dans des conditions telles qu'il n'y eût pas de délit à la du
charge
père, par exemple, si la fille-mère était son séducteur,
plus âgée que
d'une condition et d'une intelligence telles n'eût de la
qu'il pu y avoir,
part de ce dernier, abus d'influence ou séduction dolosive. Dans un sys-
tème Législatif admettant la recherche directe, au l'enfant sera
contraire,
soutenu et alimenté par son père, bien même celui-ci n'aurait rien
quand
FILIATION NATURELLE 301

de fautif à se reprocher dans les relations sexuelles auront


qui amené sa
naissance.
B. — Lesystème de l'indemnité fondée sur le préjudice éprouvé par la
mère aboutit à calculer la pension de l'enfant
proportionnellement à la
situation sociale, souvent inférieure, de la victime du délit. Au contraire,
un système inspiré par l'idée d'un droit propre à l'enfant lui accordera des
subsides et une éducation proportionnels à la situation sociale du père,, ce
qui semble plus équitable et plus rationnel.
2° En dehors même du cas de séduction tribunaux
dolosive, les avaient
admis, comme ils l'admettent encore aujourd'hui la loi de la
depuis 1912,
validité de l'engagement par lequel un homme à nourrir et à éle-
s'oblige
ver son enfant naturel non reconnu. La cause de cet se trouve,
engagement
disent les
tribunaux, dans naturelle créée le lien de filia-
l'obligation par
tion, laquelle se transforme, par l'exécution ou par la reconnaissance vo-
lontaire de la part du débiteur (art. 1235, 2e al. G. civ.), en une obligation
civilement obligatoire 30 juillet 1900, D. P. S. 1901.1.
(Req., 1901.1.502,
20 juillet D. P. 1907.2
259 ; Dijon, 1904, 181). Ajoutons que l'existence de
cet engagement peut résulter non seulement d'un écrit en justice,
produit
mais encore d'un commencement de preuve par écrit que corroboreraient des
présomptions, telles que le paiement par le père des frais d'accouchement,
ou antérieure de ses promesses, circonstances à une
l'exécution analogues
possession d'état d'enfant naturel (Paris, 18 février 1910, S. 1910.2.220).

La législation actuelle. Loi du 16 novembre 1912. Cas où la re-


cherche est admissible. — Aux termes de l'article remanié la
340, par
loi du 16 novembre 1912, la recherche de la paternité n'est interdite.
plus
Le texte nous dit en effet que « la paternité hors mariage être judi-
peut
ciairement déclarée :
1° Dans le cas d'enlèvement ou de viol, lorsque l'époque de l'enlève-
ment ou du viol se rapportera à celle de la conception ;
2° Dans le cas de séduction accomplie à l'aide de manoeuvres dolosives,
abus d'autorité, promesse de mariage ou fiançailles, et s'il existe un com-
mencement de preuve par écrit, dans les termes de l'article 1347 ;
3° Dans le cas où il existe des lettres ou quelque autre écrit privé
émanant du père prétendu et desquels il résulte un aveu non équivoque
de paternité ;
4e Dans le cas où le père prétendu et la mère ont vécu en état de concu-
binage notoire pendant le période légale de la conception ;
5° Dans le cas où
le père prétendu a pourvu ou participé à l'entretien et
à l'éducation de l'enfant en qualité de père. »
En reprenant chacune des cinq hypothèses dans lesquelles la recherche
de la paternité est dorénavant permise, on constatera que la loi nouvelle
n'a réalisé que des innovations conformes à l'esprit de la Jurisprudence,
ou depuis longtemps postulées par la Doctrine et par l'opinion publique,
et, en définitive, extrêmement modérées.
1° Cas d'enlèvement et de viol. — La loi nouvelle n'a fait à
qu'assimiler
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE
302

de l'enlèvement celle du assimilation logique et qui avait


l'hypothèse viol,
été maintes lois réclamée.

2° Cas de séduction. — Ici, s'est


le inspiré de la jurispru-
législateur
dence nous l'avons vu, admettait l'action en dom-
qui, précédemment
intérêts de la mère, au cas où sa grossesse résultait d'un délit com-
mages
le nouvel article 340
mis à son préjudice par le père prétendu. Seulement,
le droit de l'enfant à celui de la mère, ce qui produit les consé-
substitue
nous avons et entraîne pour l'en-
quences que précédemment signalées,
fant toutes les prérogatives attachées par la loi à la filiation naturelle,
dûment constatée, quel que soit d'ailleurs le mode de cette constatation.
Trois observations sont ici nécessaires. Il en résultera que, dans une

certaine mesure, la loi actuelle a parfois réagi contre la jurisprudence


antérieure.

A. — En cas de séduction dolosive, l'action en déclaration de paternité


ne fait pas double emploi avec l'action en dommages-intérêts fondée sur
l'article 1382, qui peut être exercée par la mère ou en son nom, si elle est
mineure (Civ. 4 février 1924, D. P. 1924.1.38).
B. — Pour la séduction donner ouverture à la recherche de
que puisse
la paternité, il faut désormais qu'elle soit caractérisée, c'est-à-dire compli-
quée de manoeuvres dolosives, abus d'autorité, promesse de mariage ou fian-
çailles. Autrefois, il suffisait qu'il y eût une faute quelconque de la part de
l'homme pour que la fille-mère pût réclamer réparation du préjudice ré-
sultant de la grossesse.
G. — L'action en réparation de séduction de la part de la mère était-elle
jadis subordonnée à l'adminicule préalable d'un commencement de preuve
par écrit ? On pouvait en douter. La solution la plus consistait à
juridique
dire, semblait-il, que, lorsque la demanderesse invoquait l'existence d'un
engagement pris à son égard, elle était tenue le commencement
d'apporter
de preuve par écrit aux termes de l'article mais en
1347, qu'elle pouvait
être dispensée, aux termes de l'article 1348, 1er alinéa, démon-
lorsqu'elle
trait qu'elle s'était trouvée dans morale de se procurer un
l'impossibilité
document de cette nature (Civ., 2 décembre D. P. 1908.1.201,
1907, Req.,
10 février 1909, D. P. S. 1909.1.553
1909.1.157) ; Civ. 3 décembre 1924,
D. P.
1925.1.124). la loi ne lait aucune et le
Aujourd'hui distinction,
commencement de preuve par écrit est dans tous les cas de séduc-
exigé
tion dolosive.
3° Aveu écrit de — Sur ce la est
paternité. point encore, jurisprudence
simplement étendue, puisqu'elle admettait déjà, nous l'avons dit, qu'une
promesse écrite d'aliments et d'entretien était civilement On
obligatoire.
remarquera que le texte nouveau ne peut pas être présenté établis- comme
sant la possibilité d'une reconnaissance par acte sous seing privé. La recon-
naissance authentique continue, à consacrer
seule, de plano la filiation de
enfant naturel. Un écrit ne
privé peut que servir de base à l'action en jus-
l'
tice tendant à faire déclarer la paternité.
4° à et à l'éducation
Participation de —
l'entretien l'enfant. Déjà la juris-
FILIATION NATURELLE 303

prudence décidait que.l'engagement d'alimenter l'enfant s'induire


pouvait
d'un ensemble de faits démontrant l'existence d'une obligation contractée
par le père, tels que le paiement des frais d'accouchement, l'exécution anté-
rieure volontaire de la promesse, etc. 30 avril D. P. 73.2.139,
(Angers, 1873,
S. 73.2.281). Dorénavant ces faits, constitutifs d'une véritable possession
d'état d'enfant naturel, rendront admissible l'action en recherche de la
paternité. Et rien n'est plus rationnel, la valeur de la possession
probatoire
d'état étant incontestablement très à celle d'une
supérieure reconnaissance,
fût-elle faite par acte authentique.
5° notoire des parents. — Cette
Concubinage hypothèse constitue l'inno-
vation la plus marquante de la loi. Le cas deconcubinage (la loi ne parle
pas de cohabitation et celle-ci n'est donc pas nécessaire (Civ. 7 février 1922,
S. 22.1.321, note de M. Cassin) entraîne une de re-
dorénavant présomption
lations sexuelles et même, dans une certaine de fidélité
mesure, comparable
à celle qui s'attache au fait du en ce sens rend au moins
mariage, qu'il
admissible la recherche de la paternité. Mais cette laisse au
présomption
juge un pouvoir d'appréciation n'a en matière de filiation
qu'il pas légitime.

Fins de non-recevoir contre une action en recherche de la pater-


nité naturelle. — Aux termes des 9 et 10 du nouvel ar-
paragraphes 8,
ticle 340, l'action en recherche de
la paternité ne pas recevable : « 1° s'il
sera
est établi que, pendant la période légale de la conception, la mère était d'une
inconduite notoire ou a eu commerce avec un autre individu ; 2° si le père
prétendu était pendant la même période, soit par suite d'éloignement, soit
par l'effet de quelque accident, dans l'impossibilité physique d'être le père
de l'enfant. :
Ces deux fins de non-recevoir procèdent de sources diverses.
Celle qui se fonde sur l'inconduite de la mère ou la pluralité de ses amants,
reproduit l'exception de vie dissolue ou plurium constupralorum qu'on
trouve dans les législations germaniques, et que celles-ci avaient d'ailleurs
empruntée à l'Ancien Droit. On remarquera la formule du paragraphe 8.
La loi dit « si la mère était d'une inconduite notoire » et non « si elle est
d'une inconduite notoire », texte proposé à la commission du Sénat. Cette
première rédaction eût eu pour résultat de faire écarter a priori la demande
formée, au nom de l'enfant, par une femme de mauvaise vie. Mais on fit
remarquer, non sans raison, que l'inconduite de la mère pouvait être pré-
cisément conséquence une de l'abandon. Ce sont donc seulement les mau-
vaises moeurs de la mère, au moment de la conception, qui constitueront
une fin de non-recevoir. Et cette solution est conforme au système général
de la loi nouvelle, puisque, dorénavant, l'action en recherche est exercée
au nom de l'enfant, en vertu d'un droit propre à celui-ci, et non pas comme
une sorte d'annexe à l'action en dommages-intérêts de la mère.
Quant à l'exception tirée
de l' impossibilité physique de cohabitation, elle
est une visible du premier cas de désaveu, établi par l'ar-
transposition
ticle 312 pour d'une filiation légitime. Pratiquement, on ne peut
l'hypothèse
guère s'attendre à ce que cette fin de non-recevoir soit soulevée dans d'autres
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
304

celle où la recherche de la paternité est rendue possible par


hypothèses que
l'état de des prétendus parents, ce qui complète la ressem-
concubinage
blance avec le désaveu exercé par le mari.
Reste à savoir quelle est.la portée de ces fins de non-recevoir, et, sur ce
il importe de ne pas commettre de confusion. En effet, on pourrait
point,
croire, à première vue, que la loi, lorsque l'on se trouve dans un des cinq
cas où elle admet la recherche de la paternité, limite les moyens de dé-
fense le prétendu père peut opposer à la réclamation de l'enfant. Il
que
n'en est rien en réalité, et les fins de non-recevoir prévues par la loi ne sont
des désaveux retournés. Il n'est pas douteux que l'homme, défendeur à
pas
une instance en recherche, conservera le droit d'opposer à son adversaire
tous les moyens de défense propres à établir qu'il n'est pas le père de l'en-
fant. Cela résulte avec évidence des premiers mots du nouvel article 340 :
« La paternité hors être judiciairement déclarée. » Elle ne
mariage peut
doit donc pas nécessairement être déclarée dans les cas énumérés, et les

juges sont souverains appréciateurs (comme ils l'étaient déjà, sous l'empire
de l'ancien article 340, en cas de recherche fondée sur l'enlèvement), du
point de savoir si l'enfant a apporté des preuves suffisantes de sa prétendue
filiation. (Trib. civ. Seine, 6 février 1918, Gaz. Trib., 13 décembre 1918).
Dès à quoi
lors, sert-il d'avoir indiqué les deux fins de non-recevoir ci-

dessus ? Pas à grand'chose évidemment. La faculté


d'objecter à l'action en
recherche, entre autres moyens de défense, les faits sur lesquels reposent
ces fins de non-recevoir, allait sans dire. Le seul intérêt que nous aperce-
vions à la disposition est un intérêt de procédure d'ailleurs assez mince.
L'inconduite de la mère ou l'impossibilité physique de procréation pourront
êtreopposées par le défendeur à titre d'exception, dès le début de l'instance,
de manière à éviter que le procès ne s'engage à fond et qu'il ne puisse abou-
tir à une enquête, dans laquelle seraient toutes les circonstances
englobées
de la liaison prétendue entre le défendeur et la mère de l'enfant. Une fois
son inconduite démontrée, la mère ne sera admise à démontrer ce fait
pas
que, parmi ses amants, c'est le défendeur l'a rendue mère.
qui
Ajoutons qu'aux deux fins de non-recevoir énumérées par la loi, il con-
vient d'en ajouter une troisième. L'action en recherche de la paternité
devra certainement être écartée, tendrait à établir une filiation
lorsqu'elle
incestueuse ou adultérine. En effet, l'article 342 étend à la reconnaissance
forcée, c'est-à-dire à l'action en recherche de paternité ou de le
maternité,
principe que la reconnaissance ne peut avoir lieu au des enfants nés
profit
d'un commerce incestueux ou et ce texte vi-
adultérin, est toujours en
gueur. A ce point de vue encore, la loi nouvelle semble mettre, en quelque
mesure, l'enfant naturel dans une situation plus défavorable que celle qui
résultait pour lui de la Jurisprudence antérieure. En effet, la demande en
pension alimentaire, considérée comme un élément de la réclamation d'une
fille-mère séduite, pouvait être formée à rencontre d'un homme marié,
tandis que celui-ci échappe aujourd'hui à une demande fondée sur un droit
propre de l'enfant et résultant du nouvel article 340, corrigé par la loi du
16 novembre 1912.
1ÉGITIMATI0N 305

SECTION III. — LÉGITIMATION 1.

Généralités. — La un bienfait
Historique. légitimation peut être définie
de la loi en vertu duquel sont considérés comme issus du mariage de leurs
père et mère les enfants nés de leur concubinage antérieur au mariage. On
a dit avec raison, que, de tous les moyens qui peuvent être employés pour
relever la condition des enfants nés hors mariage, la légitimation est le
meilleur. C'est, en effet, le plus efficace, puisqu'il assimile complètement les
enfants qui en sont l'objet à des enfants issus d'un mariage régulier. C'est
aussi le plus bienfaisant, puisque la perspective des avantages accordés
à leur enfant est de nature à pousser les parents à réparer leur faute
en régularisant leur situation. Le législateur, doit donc favoriser autant
que possible la légitimation.
Telle qu'elle fonctionne dans Droit notre
civil, c'est-à-dire comme une
suite du mariage des anciens concubins, la légitimation nous vient du Droit
canonique. Il y avait bien, en effet, une légitimation dans le Droit romain
impérial, mais elle offrait un caractère tout différent. Elle était dominée
par des considérations politiques. le plus
C'était souvent une légitimation
unilatérale qui pouvait résulter d'un rescrit du prince ou de l'oblation
à là curie de l'enfant naturel. Dans le dernier état du Droit romain, on
voit apparaître la légitimation par le mariage subséquent des parents,
comme une conséquence de idée cette que le repentir
chrétienne efface
la faute ; mais le bienfait n'en est accordé qu'aux enfants issus du conçu-

binat (5, 6, 10, 11 Code, de natur. liberis, V. 27 ; Nov. 89, ch. 9). Il faut
arriver au XIIe siècle pour rencontrer la légitimation par mariage subsé-

quent de tous les enfants naturels, à l'exception des enfants incestueux ou

adultérins, dans la célèbre Décrétale du Pape Alexandre III : Tanta vis est
matrimonii ut qui antea sunt geniti, post contractum matrimonium legitimi
habeantur (cap. VI, ext. qui filii sint legit.).
Notre ancienne Jurisprudence au Droit canon la légitimation
emprunta
par mariage tout en laissant subsister la légitimation romaine
subséquent,
par rescrit. Celle-ci résultait de lettres patentes du roi, et il faut recon-
naître que, tout en ne d'ailleurs que des effets restreints, elle
produisant
offrait une utilité manifeste, le cas où le mariage était devenu im-
pour
possible entre les
parents, par suite mère.
de la mort Mais
de la à côté
de ces libérales, la Jurisprudence, depuis le XVIIe siècle, avait
dispositions
admis des restrictions tenant au souci d'éviter les mésalliances. En effet,
elle refusait aux contractés in extremis la vertu de légitimer les
mariages
enfants (Pothier, Du contrat de mariage, n° 8 410 et s.).
Lors de la rédaction du Code civil, la légitimation par rescrit disparut

1. V. Francastel, à la Soc. d'études législatives, dans le Bulletin de cette


Rapport
société, 1910, p. 110 et s ; Bressolles, Examen doctrinal, Rev. critique, 1867 t. XXX,
p. 193, XXXI, p. 208 ; Girault, De la prohibition du mariage entre beau-frère et
belle-soeur, Rev. pratique, 1873, t. XXXV, p. 269 ; Ed. Lévy, Traité pratique de la
légitimation, 1919-1926,
— TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
306 LIVRE I.

subsista seule. Il est vrai que


subséquent des parents
et celle par mariage
in extremis fut
écartée, bien qu'elle
l'exclusion des légitimations par mariage
de la commission pour cette raison, plus
été conservée dans le projet
eût
« il ne convient d'allumer les flam-
décisive, qu' pas
déclamatoire que
torches funéraires » (Locré, t. VI,
98). p.
beaux de l'hymen aux 29,
du Code civil, en matière de légitima-
Nous allons voir que le système
et que notre Droit civil a reçu un élargis-
tion a été altéré
profondément
de la loi du 7 novembre 1907, encore
sement considérable par l'effet
par celle du 31 jan-
accentué la loi du 30 décembre 1915, interprétée
par
la loi du 25 avril 1924. 1.
vier 1928, et par
— Nous dans trois paragraphes : 1° Quels sont
Division. étudierons
être ; 2° quelles en sont les conditions
les enfants qui peuvent légitimés
; 3° quels en sont les effets.
requises pour la légitimation

— Enfants être légitimés


§ l. qui peuvent

Peuvent être légitimés: 1° les enfants naturels simples;


aujourd'hui
2° les enfants incestueux; 3° dans certains cas énumérés par la loi, les

enfants adultérins.

1° Enfants naturels — L'ancien article 331 était ainsi


simples.
: « Les enfants nés hors mariage, autres que ceux nés d'un com-
conçu

1. Une loi de guerre humaine et équitable, en date du 7 avril 1917, a créé provisoire-
ment un mode spécial de légitimation par décision de justice au profit des enfants na-
turels nés d'un père mobilisé et décédé depuis le 4 août 191 4 des suites de blessures
reçues ou de maladies contractées ou aggravées pendant son séjour sous les drapeaux
sans avoir pu contracter avec la mère de l'enfant un mariage décidé entre eux. L'ar-
ticle 1er de cette loi dispose que l'enfant pourra être declaré legitime par le tribunal
civil du lieu d'ouverture de la succession, à la condition qu'il résulte de la correspon-
dance ou de tout autre document certain une évidente volonté de se marier et de lé-
gitimer l'enfant commune aux deux parents. Cette condition n'est même pas néces-
saire, si tous les parents du défunt qui doivent être mis en cause par la demande, à
savoir, ses parents en ligne directe, et, à leur défaut ses frère? et soeurs, ou neveux
et nièces représentant les frères et soeurs prédécédés. adhèrent à la demande de légi-
timation. Le demandeur devra prouver : 1e que l'enfant a été l'objet d'une reconnais-
sance volontaire ou forcée de la mère ; 2° que ses deux auteurs réunissaient, au
jour du décès du père, les conditions de capacité requises pour pouvoir contracter
mariage.
Toute demande de légitimation judiciaire ainsi prévue devra être formée au plus
tard dans le délai de deux ans après les décrets qui, lors de la cessation des hosti-
lités, marqueront la reprise des délais de prescription et autres suspendus pendant
la guerre.
Le jugement prouvant la légitimation devra être transcrit dans son dispositif sur
les registres de l'état-civil du lieu de naissance de l'enfant, avec mention en marge
de l'acte de naissance. Il conférera à l'enfant tous les droits d'un enfant légitime avec
effet rétroactif à la veille du décès du père et, s'il y a lieu, de la mère, mais ne sera
opposable aux tiers qu'à dater de la transcription.
L'article 2 de la même loi vise une autre hypothèse de légitimation. Il décide, en
effet, que, si un mobilisé a fait les démarches nécessaires en vue de faire procéder
à son mariage par procuration, conformément aux lois du 4 avril et du 15 août 1915
et si le mariage a été célébré postérieurement à son décès (resté inconnu des inté-
ressés) ce mariage bien qu'évidemment nul, produit néanmoins tous ses effets « au
point de vue de la légitimation des enfants et des droits du conjoint conformément
aux dispositions des articles 201 et 202 du Code civil. « Hardie et curieuse extension
de la théorie du mariage putatif, »
LÉGITIMATION 307

merce incestueux ou adultérin, pourront être légitimés par lé mariage


subséquent de leurs père et mère, lorsque ceux-ci les auront légalement
reconnus avant leur mariage, ou qu'ils les reconnaîtront dans l'acte même
de célébration. »
Il résultait de cet article que seuls les enfants naturels simples pouvaient
être légitimés, à l'exclusion des enfants incestueux et adultérins. Cette dis-
position, il faut le reconnaître, était sévère mais et en
logique, parfaite
concordance avec l'article 335, qui prohibe la reconnaissance des enfants
incestueux et adultérins, et avec l'article 342, qui leur interdit d'exercer
une action en recherche de la paternité ou de la maternité.
L'application du principe donnait d'ailleurs lieu à une déli-
question
cate concernant les enfants adultérins. On se demandait si le vice d'adul-
térinité devait s'apprécier au moment de leur naissance ou à celui de
leur Un enfant naturel, dont le père ou la mère est marié à l'é-
conception.
poque de sa conception, telle qu'elle résulte des présomptions légales, mais
qui naît ex soluto cum soluta, c'est-à-dire à une époque où son auteur adul-
térin se trouvedégagé des liens du mariage, doit-il être considéré comme
exclu de la reconnaissance et de la légitimation? Ici, nonobstant ce principe
bienveillant que laconception doit être assimilée à la naissance seulement
lorsqu'il s'agit d'obtenir un résultat favorable à l'enfant (infans conceptus
pro nato habetur quoties de commodo ejus agitur), la Cour de cassation s'est
prononcée dans le sens le plus sévère et a décidé que le vice d'adultérinité

s'apprécie à l'époque de la conception (Civ., 25 juin 1877, D. P. 78.1.262,


S. 78.1.217). Cette solution a été maintenue même depuis la loi du 7 no-
vembre 1907 que l'on aurait pu cependant être tenté de considérer comme

ayant implicitement dû apporter un certain adoucissement aux concep-


tions d'antan (Civ. 7 juillet 1910, D. P. 1912.1.62, S. 1914.1.273, note de
M. Loubers).

2° Enfants incestueux. — En ce qui concerne les enfants incestueux,


on s'était demandé si l'obstacle à leur légitimation subsistait, lorsque
obtenue du Gou-
leurs parents ont pu se marier par l'effet d'une dispense
vernement. A cette question, la Doctrine répondait en
général par l'affir-
mative. La de l'article 331, visant les enfants incestueux, fai-
disposition
saient observer les auteurs, serait absolument inutile, si les seuls enfants
exclus de la légitimation étaient ceux dont les auteurs sont parents ou
alliés à un non susceptible de dispense. En effet, en ce cas, l'impos-
degré
sibilité de la légitimation découle suffisamment de ce fait, que le mariage
est Mais la Cour de cassation prononcée s'était dans le sens
impossible. ici,
le plus libéral et elle avait admis la légitimation, la dispense ayant
pour effet de faire l'empêchement même pour le passé
disparaître (Civ.,
22 janvier D. P. 67.1.5, S. Il est évident que des rela-
1867, 67.1.49). trop
tions entre ou à un le mariage
coupables parents alliés, degré permettant
des ne révoltent pas assez la conscience publique
moyennant dispenses,
la des enfants doive être exclue. Et l'on aurait
pour que légitimation
à comprendre les mis à même de réhabiliter
quelque peine que parents,
308 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

leurs relations par un mariage honorable, ne pussent pas faire participer


à cette réparation du passé les enfants issus de leur union.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation a reçu une entière consé-
cration législative. Déjà, à trois en 1838, en 1874, en 1907, on
reprises,
avait proposé d'introduire dans la loi une disposition formelle autorisant
la légitimation par l'effet d'un mariage contracté avec des
dispenses, et,
chaque fois, la proposition avait été écartée comme inutile, la solution

qu'elle devait consacrer paraissant incontestable. Depuis, la loi du 7 no-


vembre 1907 a effacé de l'article 331 le membre de phrase exclusif de la

légitimation des enfants incestueux.


Il est même permis de penser que cette suppression sans réserve a rendu
la légitimation des enfants incestueux dans tous les cas. Nous
possible
voulons dire par là que, si les deux parents au degré prohibé sans dispense

possible, contractent néanmoins mariage, il suffit que l'un d'eux soit de


bonne foi, c'est-à-dire ignorant du lien de parenté, pour que, conformé-
ment aux articles 200 à 201, le
mariage bien que nul entraîne, étant

putatif, la légitimation (Civ., 19 novembre 1923, D. H. 1924.66).

3° Enfants adultérins. — La demeure la


prohibition de la légitimation
règle, mais elle a été levée dans certains cas par les lois du 7 novembre 1907
et du 30 décembre 1915, cette dernière interprétée par la loi du 31 janvier
1928. Il convient de relater ici l'histoire de la réforme ainsi accomplie.

Loi du 7 novembre 1907. — Le de la modification


germe première
apportée aux règles anciennes du Code civil remonte à la loi
du 15 décembre
1904 qui, nous l'avons vu, a abrogé l'article 298, et permis le mariage entre
le conjoint divorcé adultère et son Il parut
pour complice. inacceptable
que, du moment où les deux de l'adultère étaient désormais
complices
admis à réparer leur faute un mariage les fruit
par régulier, enfants,
innocent de leur faute, continuassent à être privés du bénéfice de la légi-
timation. De là une proposition de loi, abrogeant et simplement
purement
la prohibition de l'article 331 en ce qui concernait les enfants incestueux
et adultérins. Cette fut la Chambre.
proposition adoptée par Le Sénat ne
crut pas devoir cette réforme radicale.
accepter Et, en effet, deux objec-
tions non dénuées de fondement avaient été élevées contre la règle nou-
velle. D'une part, on visait les enfants issus d'un père adultère. Ne serait-il
pas scandaleux qu'un homme, ayant à la fois deux l'un régulier,
ménage?,
l'autre illégitime, pût une fois devenu libre
ensuite, par divorce ou par
veuvage, en épousant sa concubine, à ses enfants des
imposer légitimes
frères et soeurs également et dont la date de nais-
légitimes, cependant
sance peut être simultanée avec celle de la naissance des enfants du ma-
riage, attesterait la filiation Une famille ainsi res-
irrégulière? composée
semblerait singulièrement à une famille ! D'autre on
polygamique part,
faisait observer, à propos des enfants issus d'une mère la
adultère, que
faculté accordée à celle-ci, sans de les
restriction, légitimer par un ma-
riage causer une confusion
avec son complice, pourrait de part. L'adultère,
LÉGITIMATION 309

ne fait pas disparaître en droit la présomption


effet, Pater is est. En fait,
pas toutes relations entre la femme et son
j'abolit coupable mari. Que
ici s'abstînt de désavouer l'enfant souvent
(et le désavoeu lui serait
ne impossible), que ce même enfant fût ensuite légitimé, voilà un in-
du auquel la loi eût attribué à la fois deux pères, l'un par la vertu
a présomption Pater is est, l'autre l'effet
par du mariage contracté
de la mère et son ancien amant !
donner satisfaction à ces la loi du 7
Pour critiques, novembre 1907,
difiant l'article 331 du Code autorisa la légitimation
civil, de deux caté-
les d'enfants adultérins seulement :
Les enfants issus d'une mère mais seulement s'il
adultère, y a eu désa-
de la part du mari.
Les enfants issuspère d'un
ou d'une mère au
adultère, conçus cours
ne instance en divorce ou en séparation de corps de leur auteur, ou
r parler plus précisément, nés plus de trois cents jours après l'ordon-
ce du président du tribunal autorisant les l'un
époux plaidant contre
tre en divorce ou en séparation de corps à avoir une résidence séparée
que cette procédure a abouti à la séparation de corps ou de divorce
a été interrompue par le décès du conjoint de l'époux adultère. De la
si c'est la mère qui a commis l'adultère, la confusion de part,
e, pen-
-on, n'était pas possible. Et, si c'est le père qui était marié, mais en ins-
ce de divorce, il n'y avait plus à craindre le scandale d'enfants issus
n même père et réputés également ou avec des dates de nais-
légitimes
ce simultanées ou à peu près.
elle quelle, la législation nouvelle donna lieu aux critiques les plus
ifiées. Voici quelles étaient ses deux plus graves défectuosités.

Le législateur, si soucieux d'éviter toute confusion de part, se trouvait


avoir laissé subsister la possibilité. En effet, l'article 331 ne mettait
une restriction faculté, à la
qu'il accordait mère adultère et à sonà la
nplice, de légitimer un enfant, lorsque celui-ci avait été conçu après
donnance du président autorisant sa mère à avoir un domicile séparé.
lement, on avait oublié que cette ordonnance ne fait pas cesser la pré-

nption de paternité du mari à l'égard des enfants conçus au cours de

stance, et que l'article 313 donne simplement au mari la faculté de les


avouer. Or, de cette faculté, il pouvait ne pas user ; et l'enfant restait
rs légitime. Si, la suite, l'amant de la mère épousait celle-ci et se
par
onnaissait de l'enfant, ce dernier avait donc à la fois deux pères !
père
loi était incohérente.
° de
La loi n'était
pas seulement incohérente ; elle était, plus,
La mère adultère sous la seule condition d'un
vaste. pouvait,
aveu de son les enfants adultérins mettait au
mari, légitimer qu'elle
nde à une de son mariage. Au contraire, si c'était
période quelconque
père avait commis l'adultère, la était, en général,
qui légitimation
possible. Première Mais en était ainsi seu-
injustice. remarquons qu'il
lent si l'homme commis l'adultère avec une femme libre,
marié avait
une femme eût été pos-
avait eu pour complice mariée, la légitimation
I — TITRE. — DEUXIÈME PARTIE
3l0 LIVRE

la mère adultère à
car la du texte, qui autorisait légitimer,|
sible, partie de
sou ne faisait pas
l'enfant désavoué eu épousant complice, distinc-
été lui-même marié ou non. Ainsi,
suivant ce complice avait
tion, que
favorablement que adultère
l'adultère double était traité plus l' unila-
téral ?
donc une nouvelle réforme.
L'article 331, mal corrigé en 1907, appelait

— Cas où les enfants adultérins peu-


Loi du 30 décembre 1915.
— a été accomplie par la loi du
vent être Cette réforme
légitimés.
du 31 1928 et qui a pas
30 décembre 1915, interprétée par celle janvier n'
réalisé de sérieux par rapport à la précédente.
progrès
de légitimer les enfants adulté-
Les cas dans lesquels cette loi permet

rins sont au nombre de trois.

Premier cas. — Enfants issus d'une mère adultère, lorsqu'ils ont été
désavoués par le mari ou ses héritiers (art. 331, 1°).
Si l'enfant n'a pas été désavoué, il reste légalement l'enfant du mari de
sa mère et, par conséquent, il ne peut pas être légitimé par le mariage
subséquent de celle-ci avec son complice.

Deuxième cas. — nés du commerce adultérin du ou


Enfants père de
la mère et conçus à l'époque où le père ou la mère avait été autorisé par
ordonnance de justice à avoir une résidence séparée de celle de son conjoint
(art. 331, 2°). En ce qui concerne ce cas, déjà prévu, nous l'avons dit, par
la loi de 1907, la loi de 1915 a apporté trois innovations :
A. — Un alinéa nouveau ajouté à l'article 313 déclare que désor-
mais la présomption Pater is est quem nupliae demonstrant ne s'applique
pas — et cela sans qu'il soit besoin du désaveu du mari — à l'enfant né
trois cents jours après la décision qui a autorisé la femme adultère à avoir
un domicile séparé, et, dans le cas où le divorce ou la séparation ne serait
pas prononcé, moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de
la demande ou depuis la réconciliation, Lorsque l'enfant a été par la suite
légitimé par un nouveau mariage de la mère. Celte solution offre l'avantage
d'empêcher que cet enfant, par suite du refus du premier mari de le désa-
vouer, ait une double filiation. Toutefois on remarquera que la présomption
de paternité
joue provisoirement et que, à défaut de désaveu de la part
du
l'enfant est réputé issu de celui-ci, tant
premier mari, que sa mère n'estpas
remariée avec son complice et que l'un et l'autre ne l'ont pas reconnu.
B. — Le texte nouveau est rédigé de telle façon que les enfants conçus
au cours de la séparation d'habitation des l'un contre
époux plaidant
l'autre peuvent être légitimés, non seulement, comme le décidait la loi de
1907, lorsque la procédure a abouti au divorce ou à la ou bie
séparation,
a été interrompue par le décès du conjoint, mais même le tribuna
lorsque
a rejeté la demande, ou lorsque celle-ci a pris fin l'effet d'un
par désiste
ment ou d'une réconciliation. Celle innovation a été introduite en tave
d'enfants d'une catégorie évidemment nombreuse. On doit
peu suppos
LÉGITIMATION 311

ue la femme plaidant en divorce ou en a


séparation conçu un enfant
le divorce ou la séparation été
dultérin ; n'ayant pas prononcé, le mariage
subsisté. il se dissout d'une manière
Par la suite, quelconque et la femme
pouse le complice de son ancienne faute. l'enfant
Désormais, qui en était
ssu pourra être légitimé par ses auteurs.
C. — Enfin, le nouvel article 331 permet de
non plus
légitimer, seule-
ment l'enfant né plus de trois cents jours l'ordonnance du président,
après
le prescrivait la loi de 1907, mais « tout enfant
comme réputé conçu à
ne époque où le père et la mère avaient un domicile distinct en vertu de
ordonnance rendue conformément à l'article 878 du Code de procédure
vile. » Cette formule, plus a été
large que l'ancienne, introduite, afin
'accorder le bénéfice de la réforme à tous les enfants être
qui peuvent
comme conçus depuis la séparation c'est-à-dire
considérés d'habitation,
és plus de cent quatre-vingts jours a été autorisée et
depuis qu'elle
de trois cents jours après qu'elle a pris fin le de la
oins par rejet
le désistement ou la réconciliation. comme il faut
demande, Toutefois,
la solution nouvelle avec le principe de la présomption Pater is
combiner
t, il y a lieu de faire la distinction ci après :
a) On peut supposer d'abord que l'enfant est né des relations adultères
un homme marié en instance de divorce ou de séparation. le
Alors,
xte nouveau s'applique sans réserve ; l'enfant sera toujours légitimé par
mariage ultérieur de l'homme avec sa complice, du moment que cet en-
nt pourra être réputé avoir été conçu au cours de la période d'habitation
parée.
b) Si, au contraire, c'est d'une femme mariée en instance de séparation
n de divorce qu'est issu
l'enfant, il résulte du texte de l'article 313 (mo-
fié par la loi du 30 décembre 1915) que l'enfant ne pourra être légitimé
le ultérieur de la mère avec son s'il est né trois
par mariage complice que
nts jours l'ordonnance et moins de cent
après quatre-vingts après le rejet
la demande, le désistement ou la réconciliation. Si l'enfant est né moins
trois cents jours après l'ordonnance ou plus de cent quatre-vingts
rès la cessation de
l'habitation séparée, il reste soumis à la présomption
ater is est, et, à moins de désaveu, il est toujours réputé enfant du pre-
ier mari ; il ne pourra donc être rattaché, par une légitimation, au second

mariage ultérieur de sa mère.


Il convient d'ajouter que, même si l'enfant est en situation d'être légi-
né par le second mariage de sa mère, ni cette légitimation ni, partant,
reconnaissance qui en était la condition, ne seront possibles au cas où
d'en-
l'enfant aurait eu la possession d'état d'enfant légitime, c'est-à-dire

fantissu du premier mari.

Troisième cas. — nés du commerce adultérin d'un homme


Enfants
La loi de 1915 autorise la de l'enfant né du
marié(art. 331, 3°). légitimation
nmerce adultérin d'un homme marié dans tous les cas autres que le précé-
même cet homme ne bénéficiait d'une
dent, c'est-à-dire alors que pas
ence de séparation d'habitation, mais sous cette condition qu'il n'existe
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
312

au moment de la légitimation, d'enfants ou de descendants légitimes


pas,
du père, issus du mariage au cours l'enfant adultérin est né ou a
duquel
été conçu. Dans le cas où il existe de ces enfants ou descendants, la légi-
timation de l'adultérin est impossible. C'est une considération de haute
a dit le rapporteur de la loi devant le Sénat, qui a déterminé
moralité,
le à introduire cette restriction. Nous ne pouvons que l'ap-
législateur
prouver.
— de la
§ 2. Conditions légitimation.

Deux conditions sont nécessaires : 1° Il faut que l'enfant ait été


reconnu l'un et l'autre des époux ; 2° Il faut qu'il soit vivant au moment
par
du mariage ou, s'il est décédé, qu'il ait laissé des descendants vivants au
même moment.

Première condition. — Reconnaissance de l'enfant. — Le Code


civil naturel eût été reconnu avant le mariage
exigeait que l'enfant ou le
fût dans l'acte même de célébration. En imposant cette règle, les rédac-
teurs du Code voulaient que la légitimation ne pût être accordée qu'à des
enfants dont la filiation à l'égard des deux époux fût absolument certaine.
Une légitimation pourrait être suspectée d'avoir été obtenue
post nuptias
par les obsessions d'un époux sur l'autre. Ou bien encore, elle permettrait
aux conjoints de se créer une descendance légitime artificielle, frustrant
ainsi leur famille, en éludant les conditions assez sévères dont la loi
entourait l'adoption. Comme le disait Bigot-Préameneu : « la loi ne peut
laisser aux époux la faculté de s'attribuer des enfants par leur consente-
ment mutuel ».

L'expérience a démontré que les craintes qui avaient inspiré cette


première condition étaient un peu bien chimériques, que, en tous cas, la

précaution prise en 1804 n'y remédiait qu'insuffisamment, et qu'en re-


vanche, elle donnait lieu à de notables et cruels inconvénients.
D'une part, en effet, le législateur n'avait pu empêcher que la légitima-
tion servît, en pratique, à adopter l'enfant d'un autre. En fait, surtout dans
la classe populaire, lorsqu'un homme épouse une fille-mère, il arrive fré-
quemment qu'il reconnaît auparavant (ou dans l'acte même de mariage)
l'enfant qu'elle a eu d'un autre, croyant, non sans quelque raison, accom-
plir là un acte d'humanité et donner à sa femme une grande marque d'a-
mour.
D'un autre côté, la nécessité d'une reconnaissance antérieure ou conco-
mitante au mariage était, pour bien des une cause de tristes dé
ménages,
ceptions. Malgré les précautions prises par beaucoup de municipalités
surtout à Paris, pour indiquer aux intéressés ce qu'ils ont à faire en s
mariant s'ils veulent légitimer leurs enfants, il arrivait souvent que 1
loi fût inconnue des concubins décidés à régulariser leur situation. Ils s
mariaient donc, croyant légitimer ainsi leurs enfants non reconnus. Eté
n'est souvent que longtemps après qu'ils s'apercevaient de l'erreur com
mise. Il était alors tard pour la réparer. Tout ce qu'ils fair
trop pouvaient
LÉGITIMATION 313

c'était de procurer à leurs enfants la condition socialement inférieure d'en-


fants naturels, au moyen d'une double rien
reconnaissance, que ne leur
interdisait de faire durant le mariage.

Reconnaissance post — de —
nuptias. Jugement légitimation.
Pour ces raisons, la loi du 30 décembre 1915 concernant la légitimation de
certains enfants adultérins, a permis de légitimer l'enfant a été
lorsqu'il
reconnu par ses père et mère ou par l'un d'eux au mariage.
postérieurement
Mais, dans ce cas, la légitimation exige une condition de Il en
plus. faut,
conséquence, distinguer désormais deux hypothèses.
A. — Les père et mère ont-ils reconnu leur enfant avant leur mariage
où au moment de la célébration, la légitimation résulte de droit du
plein
fait seul du mariage. La solution de l'ancien article 331 subsiste en cette
hypothèse, sauf une légère modification. ce que, Elle
si la re- consiste en
connaissance a lieu au moment même
de la célébration, la loi prescrit à
l'officier de l'état civil de constater la reconnaissance et la légitimation dans
des actes séparés; excellente mesure destinée à empêcher que l'acte de
mariage des parents, dont la production pourra plus tard être nécessaire
pour l'enfant, ne révèle par son contexte l'irrégularité initiale de la filiation.
B. — L'enfant n'a-t-il été reconnu par les père et mère ou par l'un d'eux
que postérieurement à leur mariage, cette reconnaissance entraînera légi-
timation ; mais pour un jugement,
il faudra
cela lequel devra constater que
l'enfant, depuis le mariage des parents, a joui de la possession d'état d'en-
fant commun aux deux époux. Cette condition donne pleine satisfaction aux
craintes qui avaient préoccupé les rédacteurs du Code Civil. Le jugement
la légitimation sera rendu en audience publique, mais l'enquête
permettant
et le débat l'auront précédé auront lieu en Chambre du Conseil. Le
qui
le du jugement) doit être transcrit sur le
jugement (ou plutôt dispositif
registre de l'état civil.

Reconnaissance des enfants adultérins» — Pour ces enfants, il y a


lieu de une concernant la reconnaissance antérieure
signaler particularité
au mariage et de faire une observation au sujet de la reconnaissance post

nuptias.
de l'enfant adultérin avant le mariage ne peut être
La reconnaissance
émane de celui de ses auteurs n'est pas marié au
valable que si elle qui
marié est
moment de sa conception. La reconnaissance faite par l'auteur
335. Par cet auteur ne pourra vala-
nulle en vertu de l'article conséquent,
blement reconnaître l'enfant qu'au moment du mariage.
la reconnaissance
nuptias, il con-
En ce
qui concerne maintenant post
en faveur des enfants adultérins
vient d'observer qu'elle n'a été permise
d'une inadvertance commise en
que par la loi du 25 avril 1924. Par suite
cette reconnaissance ne
1915 dans la nouvelle rédaction de l'article 331,
la permettait avait
aux enfants adultérins, car l'alinéa qui
s'appliquait pas
avant les dispositions concernant la recon-
été placé dans le corps du texte
naissance des enfants adultérins.

— Tome I, 21
DROIT.
314 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

La loi de 1924 a rectifié cet ordre en reportant l'alinéa en question apres


l'énumération des cas dans lesquels la légitimation des enfants adultérins
est licite.
Nous ajouterons enfin que la légitimation post nuptias permet ici de
légitimer des enfants adultérins qui ne pourraient pas l'être au moment
du mariage de leurs auteurs. C'est le cas des enfants nés d'un père adul-
térin qui avait des enfants ou descendants légitimes au moment de son
mariage avec sa complice. Si ces enfants ou descendants légitimes
viennent à décéder au cours de ce mariage, rien ne s'opposera plus à la
légitimation de l'enfant adultérin.

Deuxième condition — Pour


II. 332). (art. que le mariage puisse légi-
timer l'enfant, il faut que celui-ci
soit vivant, ou que, s'il est décédé, il ait
laissé des descendants encore vivants. Dans ce dernier cas, dit la loi, la
légitimation profite à ces descendants. Le Code ne permet pas la légitima-
tion posthume d'enfants naturels décédés sans postérité, car elle ne pré-
senterait aucune utilité.

Ajoutons enfin, pour terminer, que la légitimation doit être mentionnée en


marge de l'acte de naissance de l'enfant légitimé (art. 331, dernier alinéa).


§ 3. Effets de la légitimation.

Nous en traiterons ci-dessous à propos des effets de la parenté légitime.


CHAPITRE III

FILIATION ADOPTIVE 1

Définition. — être définie un acte


L'adoption petit juridique qui
s, entre deux personnes, des rapports fictifs et de
purement civils
enté et de filiation.

Historique de l'institution, L'adoption sous la Révolution, L'adop-


la Nation. — L'adoption, avoir un très rôle à
tionpar après joué grand
ne, disparut entièrement dans notre ancien Droit, tant dans les pays
Droit écrit que dans ceux de Droit coutumier (Nouveau Denizart t. 1er
Adoption § 3 ; Merlin, Répertoire, V° Adoption, § 1),
La Révolution qui, sur bien des points, poussa jusqu'à la manie l'imi-
on des moeurs antiques, voulut emprunter l'adoption au Droit romain,
a vérité, aucune loi,n'intervint sur la matière, mais l'Assemblée légis-
ve décréta, le 18 janvier 1792, que « son comité de législation compren-
it, dans son plan général des lois civiles, celles relatives à l'adoption. »
tous la Révolution, la Nation elle-même utilisa l'adoption. C'est ainsi
animent que la Convention déclara que la Nation adoptait la fille du
icide Lepelletier de Saint-Fargeau. Et l'on crut si bien qu'il y avait là
e adoption véritable, que, lorsque, plus tard, la fille adoptive de la Nation
it à se marier, il y eut un débat parlementaire sur le point de savoir si
mariage devait être approuvé par la Convention !
On remarquera à cet égard qu'on trouve encore certaines applications
l'adoption publique dans des lois postérieures au Code civil (lois du
décembre 1830, art. 2, du 13 juin 1850, art. 3, du 26 mars 1871, loi du
juillet 1917 instituant les pupilles de ta Nation, dont l'article 1er est
si conçu : « La France adopte les
orphelins le père, dont
la mère ou
soutien de famille a péri au cours de la guerre de 1914, victime mili-
re ou civile de l'ennemi » ). Mais quand on y regarde de plus près, on
perçoit que ces prétendues adoptions ne sont, eu réalité, que des allo-
tions attribuées, en vue de leur éducation et de leur établissement, aux
fants de personnes mortes au service de l'Etat (V. Civ., 5 juill. 1920, D.
1920.1.91 et lerapport de M. le conseiller Ambroise Colin).
Lors de la rédaction du Code civil, l'institution de l'adoption qui avait
eu beaucoup des espérances sentimentales qu'elle avait suscitées au
but, fut vivement attaquée. Mais le Premier Consul la défendit énergi-
qement, non sans doute sans certaines arrière-pensées politiques, et il
fit conserver (art. 343 à 370 anciens, C. civ.). Toutefois, dans la rédaction
finitive, l'adoption, au lieu de constituer comme à Rome et comme
urait d'abord voulu le Premier Consul, une imitation parfaite de la

ture, ne produisit plus que des effets restreints.

Physionomie générale de l'adoption dans le Code civil. La

. V. Dejob, Le rétablissement de l'adoption en France, thèse, Paris, 1912 ;


rdenal, thèse, Paris, 1923 ; Rouast, note, D. P. 1923.4.257.
316 LIVRE I. — TITRE II. — DEUXIÈME PARTIE

tutelle officieuse et rémunératoire. —


L'adoption du Code
l'adoption
civil ne crée
rapports de
qu'entre l'adopté et l'adoptant : elle n'entraîne

pas de changement de famille, car l'adopté, d'une part, conserve tous ses
droits et ses devoirs dans sa famille naturelle, et, d'autre part, il ne con-
tracte aucun lien avec les parents de l'adoptant.
Un trait essentiel de l'organisation de l'adoption par le Code de 1804,
c'est qu'il n'autorisait point l'adoption des mineurs (art. 346 ancien :
« L'adoption ne pourra, en aucun cas, avoir lieu avant la majorité de
l'adopté) ». Au profit des mineurs, il organisait seulement la tutelle offi-
cieuse, tutelle volontaire par laquelle une personne, en se soumettant
aux obligations de la tutelle ordinaire, s'imposait l'obligation de nourrir
gratuitement son pupille et de l'élever, le tout en vue de l'adopter plus tard ;
à quoi l'article 366 (ancien) ajoutait que, pour le cas où le tuteur officieux
viendrait à mourir avant l'époque où l'adoption serait devenue possible
par la majorité de l'enfant, il lui était permis d'adopter son pupille
mineur dans son testament.
Enfin le Code civil soumettait l'adoption à des conditions trèsrigou-
reuses, soit quant au fond, soit quanta la forme. Dans des circonstances
exceptionnelles cependant, lorsque l'adopté avait " sauvé la vie à l'adop-
tant soit dans un combat, soit en le retirant des flammes et des flots », le
Code se montrait moins rigoureux. L'adoption qu'il permettait alors sous
des conditions sensiblement simplifiées, avait été nommée le Code
par
l'adoption rémunératoire.
En fait, sous ce
régime restrictif, l'institution n'était entrée dans
pas
nos moeurs, et le nombre des adoptions était extrêmement restreint 1.

Réforme opérée par la loi du 19 juin 1923. Loi du 23 juillet


1925. — La triste situation d'un grand nombre d'orphelins de la guerre
a déterminé un mouvement favorable à l'élargissement des
d'opinion
règles de l'adoption telles résultaient du Code civil, afin de
qu'elles
permettre l'utilisation de ce contrat par les personnes charitables dési-
reuses de rendre à des orphelins une famille et un foyer. A cet effet, la loi
du 19 juin 1923, modifiant les articles 343 à 370 du Code civil, repro-
duction presque textuelle d'un élaboré avec soin la Société
projet par
d'études législatives (Bulletin, t. XVI, 1920, question a simplifié les
40),
formes et les conditions de l'adoption et a permis les mineurs.
d'adopter
Cette loi a, en conséquence, rémunératoire et l'adop-
supprimé l'adoption
tion testamentaire, leur utilité du fait des
qui perdaient simplifications
apportées au droit commun de l'adoption.
Une loi du 23 juillet 1925 a complété en la forme de la loi
l'oeuvre
de 1923, en substituant à la ancienne du titre con-
rubrique huitième,

1. Statistique des adoptions:


De 1876 à 1880 .......... 102 (nombre moyen).
En 1900 50
» 1920. . 287
» 1921 ............. 303
» 1922. ............ 251
FILIATION ADOPTIVE 317

rvée en 1923 et intitulée


: « De l'adoption et de la tutelle officieuse », une
nivelle rubrique plus exacte qui ne parle plus que de l'adoption. En
cette loi a supprimé, sans qu'on en voie bien du reste
autre, l'utilité,
division de ce titre en chapitres et sections. Enfin, elle a modifié le
numérotage des articles du Code.

Division. — Les à étudier sont les suivantes:


questions
1° Qui peut adopter, qui peut être adopté.
2° Conditions de fond exigées.
3° Conditions de forme.
4° Effets de l'adoption.
5° Causes de révocation et de nullité.

§ 1. — Qui Qui peut être adopté.


peut adopter.
1. — Qui peut adopter. — Toute personne peut adopter, les femmes
aussi bien que les hommes, les étrangers comme les Français (art. 345).
jusqu'en 1923, on refusait aux étrangers non admis à domicile le droit

'adopter, parce qu'on considérait ce droit comme ne rentrant pas dans


jus gentium (art. 11 C. civ.). Le législateur de 1923 a pensé avec raison
qu'il n'y avait rien de choquant à ce qu'un étranger adoptât un Français,
Ledroit a donc cessé d'être un droit civil au sens de l'article 11
d'adopter
au Code Civil.

De des — En on ne peut être


l'adoption par époux. principe,
même en la loi apporte tout
temps. Mais
dopté par plusieurs personnes
naturellement à cette une exception : elle admet deux époux à adop-
règle
ter simultanément un même enfant. C'est ce que nous dit l'article 346 :
Nui ne peut être si ce n'est par deux époux. »
adopté par plusieurs,
D'ailleurs, en fait, souvent un seul des conjoints jouera le rôle d'adop-
tant. Le consentement de l'autre est alors nécessaire en principe.

de — Trois con-
Conditions requises en la personne l'adoptant.
ions sont de toute personne qui veut adopter :
exigées
1° L'adoptant être de quarante ans Code de
doit âgé de plus (art. 344) (le
804 exigeait l'âge de cinquante ans révolus).
2° L'adoptant doit avoir au moins ans de plus que la personne
quinze
qu'elle se propose d'adopter (art. 344).
3° Il doit n'avoir aucun enfant ou descendant au jour de l'adop-
légitime
ion (art. 344).
On le voit, font obstacle à l'adoption. Aux
seuls les enfants légitimes
il faut évidemment assimiler les enfants naturels qui
enfants légitimes,
au où leur auteur voudrait faire une adoption,
seraient déjà légitimés jour
Au contraire, l'existence d'un enfant naturel, même reconnu, n'empêche
un autre enfant. De même, la présence
as son père ou sa mère d'adopter
n'est obstacle à une seconde
d'un enfant adoptif pas un adoption.
l'existence d'un enfant ou légitimé, une adoption
Si, malgré légitime
en
eu lieu, elle est nulle d'une nullité absolue ; et il suffit, pour qu'il
oit ainsi, ait été conçu au jour de l'adoption.
que l'enfant simplement
— Toute personne peut être adoptée,
II. — Qui
peut être adopté.
les étrangers comme les Français.
les femmes aussi bien que les hommes,
au on considérait l'adoption d'un étranger
Jusqu'en 1923, contraire,
mais l'article 345 l'a permise en spécifiant qu'elle
comme impossible,
de la nationalité de l'adopté.
n'entraînera pas changement
enfin être comme les majeurs. C'est là
Les mineurs peuvent adoptés
les plus de la loi du 19 juin 1923.
l'une des innovations importantes

naturels. — La de savoir si une


Adoption des enfants question
son enfant naturel a été très vivement discutée.
personne peut adopter
certain acte de ce prêter à la critique, en ce
Il est qu'un genre paraît
sens aux parents de tourner, soit les restrictions apportées par
qu'il permet
la loi à la des enfants naturels de recueillir leurs biens par succes-
capacité
sion ou soit les conditions requises pour leur légitimation.
donation,
la jurisprudence s'est dans le sens le plus libéral et
Cependant, prononcée
le plus favorable aux enfants naturels (Req. 13 juin 1882, D. P. 82.1.

S. 84.1). Et il ne semble qu'il faille même exclure les enfants


308, pas
adultérins ou incestueux, le tribunal ayant, comme on le verra, la faculté

d'écarter une scandaleuse en considérant qu'elle ne


repose pas
adoption
« sur de justes motifs ». La loi de 1923 ne tranche pas la question, mais le
à la Chambre a déclaré que la solution était acquise.
rapporteur

— Conditions de fond de
§ 2. l'adoption,

1° nécessaire. — Aux termes de l'ar-


Approbation judiciaire
ticle 343, « l'adoption ne peut avoir lieu que s'il y a de justes motifs et
si elle présente des avantages pour l'adopté. ».
La loi donne ainsi au tribunal un pouvoir discrétionnaire pour appré-
cier les mobiles qui justifient l'adoption. Notons que le texte énonce
deux conditions qui sont exigées cumulativement. Une adoption pourrait
fort bien, tout en étant avantageuse pour l'adapté, n'être pas inspirée par
des motifs dignes d'approbation, par exemple, si elle avait pour seul but
de diminuer les droits de succession. Et, dans ce cas, le juge pourrait
refuser d'homologuer le contrat d'adoption.

2° Nécessité du consentement familial dans certains cas. — La

volonté de l'adoptant ou de l'adopté doit parfois être corroborée par un


certain consentement familial.

Lorsque l'adoptant est marié, il doit obtenir, comme nous l'avons

dit, le consentement de son conjoint (art. 347). L'article 344 ancien ne


faisait aucune distinction ; la jurisprudence exigeait, en conséquence, ce
consentement même lorsque les époux étaient séparés de corps. Au con-
traire, le texte actuel dispense l'adoptant d'obtenir le consentement de
son conjoint, lorsque « celui-ci est dans l'impossibilité de manifester sa
volonté ou lorsqu'il y a séparation de corps ».
De même, lorsque l'adopté est marié, il doit obtenir le consentement
de son conjoint (art. 347).
Enfin, lorsque l'adopté est mineur, les articles 348 à 350 exigent
FILIATION ADOPTIVE 319

e consentement de ses père et mère. Le consentement à est


l'adoption
tonné soit par les parents, soit par le conseil de famille, selon des distinc-
ions inspirées de celles qui sont formulées à l'occasion du Nous
mariage.
envoyons simplement à la lecture de ces articles.
Les majeurs, au contraire, peuvent se donner librement en adoption,
ans le consentement de leur famille. Il n'en était ainsi avant la loi
pas
le 1923. Le consentement des parents était 25 et au
exigé jusqu'à ans,
delà de cet âge, un acte respectueux était encore nécessaire. Ces exigences
ont été écartées en 1923.


§ 3. Conditions de forme de l'adoption.

Le contrat d'adoption est resté, même la loi de un contrat


depuis 1923,
en ce qui concerne soit sa formation, soit son
olennel ; homologation par
a justice, soit enfin sa transcription.

I. — Formation du contrat. — La loi tout d'abord


exige que
e contrat d'adoption soit passé dans la formeauthentique. Les parties
peuvent s'adresser, soit au juge depaix du domicile de l'adoptant, soit à
en notaire de leur choix. Elles doivent comparaître en personne ou par
ondé de procuration spéciale et authentique. Cependant, si l'adopté a
moins de seize ans, l'acte est passé en son nom par son représentant
égal (art. 360).

II. — — En second lieu, comme nous l'avons annoncé


Homologation.
déjà, le contrat d'adoption doit être homologué par la justice. D'après
e Code de 1804, la procédure d'homologation comportait deux phases
successives obligatoires : l'une, devant le tribunal civil du domicile de
'adoptant, l'autre, devant la cour d'appel.
La loi de 1923 (art. 362 à 366 nouveaux) a supprimé l'intervention
obligatoire de la cour d'appel. En principe, l'homologation par le tribunal

civil suffit ; la cour n'intervient que dans deux cas : 1° si le tribunal a

refusé d'homologuer le contrat, les parties ont le droit de faire appel de


a décision ; 2° si l'homologation a été accordée par le tribunal malgré
l'avis contraire du ministère public, le procureur de la République peut
aire appel. D'autre part, le délai d'appel, qui était d'un mois seulement,
été porté à deux mois.
Le pourvoi en cassation n'est recevable qu'en cas de vice de forme et

contre un arrêt rejetant une demande d'homologation.


Le tribunal apprécie discrétionnairement, en chambre du conseil, nous
e rappelons, non seulement si les conditions d'âge et de consentement

par la loi sont remplies, mais encore si l'adoption présente « des


éxigées
avantages pour l'adopté et si elle repose sur de justes motifs ».

III. Publicité et 366 à 368 — Le


— transcription (art. nouveaux).
jugement ou l'arrêt d'homologation doit être inséré dans un journal
l'annonces légales du domicile de l'adoptant et affiché à la porte princi-
pale du tribunal ou de la cour.
320 LIVRE I. — TITRE I. — PREMIÈRE PARTIE

D'autre part, le dispositif du jugement ou de l'arrêt doit être transcrit


sur les registres de l'état civil du lieu de naissance de l'adopté, en marge
de son acte de naissance.
Le défaut de transcription n'est plus sanctionné par la nullité de

l'adoption, mais par l'inopposabilité aux tiers. Il est sans importance dans
les rapports des parties entre elles. En ce qui concerne celles-ci, les effets
de l'adoption se produisent à dater du jugement d'homologation.

§ 4. — Effets de l'adoption.

La loi de 1923 n'a modifié que sur des points de détail les effets de
l'adoption, tels qu'ils avaient été fixés par le Code civil.

1° Transfert de la — C'est l'innovation


puissance paternelle. prin-
cipale, en cette matière, de la loi de 1923. D'après l'article 352 nouveau,
l'adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits.
« Néanmoins,, l'adoptant est seul investi des droits de la puissance pater-
nelle ainsi que du droit de consentir au mariage de l'adopté ». L'article
ajoute : « En cas d'interdiction, de disparition judiciairement constatée
ou de décès del'adoptant, pendant la minorité de l'adopté, la puissance
paternelle revient de plein droit aux ascendants de celui-ci. »

2° Addition au nom de du nom de — Aux


l'adopté l'adoptant.
termes de l'article 351, l'adoption confère le nom de l'adoptant à l'adopté
en l'ajoutant au nom propre de ce dernier. Si l'adoptant et l'adopté
ont le même nom patronymique, aucune modification n'est apportée au
nom de l'adopté. Si l'adopté est un naturel non reconnu, le nom
enfant
de l'adoptant peut, par l'acte même de et du consentement
l'adoption
des parties, lui être conféré et sans être à
purement simplement ajouté
son propre nom.

3° Création de quelques de — Ces em-


empêchements mariage.
pêchements sont énumérés 354 dans suivants
l'article : les termes
par
« Le mariage est prohibé entre et ses descendants;
l'adoptant, l'adopté
— entre et le conjoint entre
l'adopté de l'adoptant et, réciproquement,
l'adoptant et le conjoint de l'adopté ; — entre les enfants du
adoptifs
même individu ; — entre l'adopté et les enfants qui pourraient survenir à
l'adoptant. »
Cette énumération est essentiellement limitative: le reste donc
mariage
possible entre toutes autres entre un enfant de
personnes, par exemple,
l'adoptant et un enfant de l'adopté.


Obligation alimentaire entre et l'adopte.
réciproque l'adoptant
— Aux termes de l'article s'il
356, l'adopté doit des aliments à l'adoptant,
est dans le besoin, et réciproquement. alimentaire continue,
L'obligation
d'ailleurs, d'exister entre l'adopté et ses père et mère. ceux-ci
Cependant,
FILIATION ADOPTIVE 321

ne sont tenus de fournir des aliments à l'adopté s'il ne les obte-


que peut
nir de l'adoptant (art. 356).

5° Attribution au profit de l'adopté et de ses enfants légitimes


d'un droit sur la succession de — L'article 357 consacre
l'adoptant.
ce droit dans les termes suivants : « L'adopté et ses descendants légitimes
n'acquièrent aucun droit de succession sur les biens des de l'adop-
parents
tant ; mais ils ont sur la succession de l'adoptant les mêmes droits que ceux
qu'y auraient les enfants ou descendants légitimes. »

L'adoptant, au contraire, ne succède pas à l'adopté.

§ 5. — Révocation et nullité de l'adoption.

Modification des du Code civil à la révocation. —


règles quant
Sous le régime du Code civil l'adoption était irrévocable. La loi nouvelle
autorise, au contraire, la « pour
révocation motifs très
de l'adoption
graves » (art. 370), par exemple, l'inconduite avérée de l'adoptant, ou
l'inimitié entre l'adoptant et l'adopté. La révocation est prononcée par le
tribunal. Il a le choix ou de révoquer l'adoption ou de prononcer seule-
ment la déchéance partielle ou totale de la puissance paternelle contre

l'adoptant. Il est à prévoir qu'en fait le juge choisira souvent la seconde


éviter de faire à l'adopté, à raison des torts de
alternative, pour perdre
l'adoptant, le bénéfice du droit de succession et du droit aux aliments qu'il
tient de l'adoption.

Nullité de — Les lois nouvelles n'ont pas modifié les


l'adoption.
caractères de l'adoption ni ceux de la décision judiciaire qui l'homologue.
est toujours un contrat. Les décisions qui l'homologuent, étant
L'adoption
et il de la chose
purement gracieuses, ne pas la force
lui confèrent jugée
n'est douteux comme tout acte l'adoption peut être
pas que, juridique,
devant la justice l'une des conditions requises pour sa
attaquée lorsque
formation a fait défaut. On ne contre cette solution la
peut invoquer
maxime « voies de nullité n'ont lieu contre les jugements » (Req. 14 juin

1869, D. P. 73.1.158, S. 69.1.371).


La nullité sera absolue ou relative. Absolue, si l'on n'a pas
invoquée
observé une condition se rattachant à l'ordre public, par exemple,
chez ou chez car les règles légales établies
l'âge requis l'adoptant l'adopté,
en cette but de ne détourner les citoyens du
matière, ayant pour pas
intéressent l'ordre Toute personne intéressée pourra
mariage, public.
donc invoquer la nullité.
Au nullité sera si elle est fondée sur un vice du
contraire, la relative,
consentement chez une des ou sur le défaut d'autorisation des
parties
dans un cas où cette autorisation est requise. En
parents ou du conjoint
nullité ne être les personnes dont
pareil cas, la pourra invoquée que par
le consentement a été vicié ou dont l'autorisation a fait défaut.
CHAPITRE IV

DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION

— Division. — Nous avons vu dans cas peut être


Terminologie. quels
exercée une action relative à la filiation on action d'état. Il faut examiner
maintenant comment s'exerce une action de ce genre. C'est qu'en effet, à
raison de la gravité de ces actions, la loi leur a consacré nombre de règles
spéciales et dérogatoires au Droit commun, règles malheureusement abon-
dantes en discordances et en lacunes. Mais, tout d'abord, il importe de

préciser la terminologie employée pour les désigner.


Au fond, il n'y a que deux catégories d'actions d'état relatives à la filiation.

Celles, d'abord, par lesquelles une personne prétend établir ses droits à
Un état autre que celui qui lui appartient en apparence. On les appellera ac-
tions en réclamation d'état. Mais, pratiquement, cette expression n'est em-

ployée que pour désigner par laquelle l'action un enfant veut établir sa filia-
tion par rapport à une femme mariée et, par voie de conséquence, à l'égard
du mari de celle-ci. Les actions tendant à établir une filiation naturelle

s'appellent actions en recherche ou en déclaration de la paternité ou de la


maternité.
La catégorie inverse comprend, sous le nom d'actions en contestation
d'état, celles par lesquelles on prétend établir qu'un enfant n'a pas droit â
l'état qu'il possède en apparence. Mais, ici encore, la pratique n'emploie
cette expression que pour désigner certaines des actions auxquelles, ra-
tionnellement, elle paraît correspondre, à savoir les actions dirigées centre
un enfant naturel, par exemple, pour contester sa reconnaissance on sa lé-
gitimation. Si l'enfant possède un état apparent d'enfant légitime, une dis-
tinction doit être faite. Ceux qui contestent cet état peuvent prétendre éta-
blir que leur adversaire a été conçu dans des conditions telles la
que règle
de l'article 312 (pater is
est) ne lui était ; en ce cas on
pas applicable dira
qu'il y a action en contestation de légitimité. Ou bien, l'adversaire de l'en-
fant, sans contester qu'il réunisse les conditions voulues bénéficier
pour
de la présomption de l'article 312, prétend établir cette
que présomption
se trouve en défaut et l'enfant n'est
que pas issu du mari ; on sait qu'il y a
alors action en désaveu de paternité.
à l'action en contestation de filiation comme elle tend à
Quant adoptive,
l'annulation de l'acte juridique ou testament d'où résulte
(contrat l'adoption),
on l'appelle action en nullité de l'adoption : nous en avons parlé plus haut.
Nous examinerons successivement :
1° Les règles de et de procédure à ces
compétence propres diverses actions
DES ACTIONS EN MATIERE DE FILIATION 323

d'état, c'est-à-dire les conditions extérieures ou de forme de ces actions ;


2° Les caractères généraux et distinctifs que présentent ces actions indé-
pendamment de leur forme, en un mot, leurs conditions de fond;
3° La portée des jugements intervenus à la suite des actions d'état.

SECTION I. — EXTÉRIEURES DES


CONDITIONS ACTIONS RELATIVES
A LA FILIATION ET A L'ÉTAT.

§ 1. —
Compétence.

Compétence ratione materiae des tribunaux civils. Concours


entre la juridiction civile et la juridiction répressive. — Aux termes
de l'article 326, « les tribunaux civils sont seuls statuer sur
compétents pour
les réclamations d'état ». Et il n'est pas douteux que le texte aussi
s'applique
bien aux actions en contestation qu'aux actions en réclamation d'état.
la loi exclut les tribunaux d'exception, de paix,
Ainsi, juges prud'hommes,
tribunaux de commerce. Si une question d'état se présentait devant eux,
d'une manière principale ou incidente, ils devraient se déclarer incompé-
tents et renvoyer les devant les juges du droit commun, devant
plaideurs
les tribunaux civils, seuls compétents pour statuer sur des litiges de cette
nature.
L'article 327 vise spécialement le concours de la juridiction civile et de la
juridiction répressive et nous dit : « L'action criminelle contre un délit de
suppression d'état ne peut commencer qu'après le jugement définitif sur la
question d'état. » Ce texte nécessite des explications particulières 1.
La preuve de la filiation peut, dans un grand nombre de cas, se trouver
supprimée par un fait délictueux, rentrant normalement dans la compé-
tence des juridictions répressives et prévu par la loi pénale. Ces hypo-
thèses sont désignées en bloc dans l'article 327 par le terme de délit de
suppression d'état : mais leur variété est grande. Il a pu y avoir, par
exemple, suppression d'enfant ou encore supposition d'enfant (c'est-à-dire
attribution d'un enfant à une femme autre que sa mère véritable) ; un état
inexact a pu résulter pour un enfant d'un faux en écritures publiques, de la
destruction ou lacération des registres de l'état civil, d'une omission de
l'of-
ficier de l'état civil, etc.. Lorsque l'une de ces infractions a été commise,
le ministère public devrait normalement avoir le droit de déférer le cou-
pable au tribunal répressif pour le faire condamner. Mais l'article 327 pa-
ralyse ce droit et décide que le ministère public ne pourra intenter l'actiun
criminelle contre le coupable, qu'autant que le tribunal civil aura préa-
lablement, sur la demande de l'enfant, rétabli sa véritable filiation 2.

1. Cons. E. Garçon, Etude doctrinale de la question préjudicielle de suppres-


sion d'état, Journal des Parquets, 1905, 1re partie, et Code pénal annoté, art. 345, dont
les idées se trouvent ici résumées.
2. Certains interprètes du Code civil ont soutenu autrefois que l'application de
l'article 327 devait être restreinte au cas où la question d'état aurait été portée devant
les tribunaux civils avant que l'action publique fût intentée et jugée ; le ministère]
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
324

vient cette aux du Droit commun? Les travaux


D'où dérogation règles
du Code rédictant, les rédacteurs ont voulu
préparatoires montrent,
qu'en
tournât les règles de preuve par eux établies. Ils se souve-
empêcher qu'on
naient de « procès célèbres du XVIIIe siècle, où des plaideurs, réclamant

une prétendue filiation illustre, avaient pris la voie criminelle, dans l'unique
bût de faire entendre des témoins qui n'eussent pas été reçus au civil. On

avait discuté passionnément si ce détour était légal ; les Parlements avaient


de pareilles fraudes, mais leur jurisprudence était loin
quelquefois déjoué
d'être ferme » (Garçon, p. 2). De là, le désir des rédacteurs du Code
op. cit.,
d'empêcher le retour de pareils abus. Mais, en raisonnant ainsi, le législateur
n'a-t-il commis une lourde erreur ? En effet, si devant le juge répressif
pas
la preuve est libre en général, cela tient à ce qu'il s'agit de démontrer
devant lui la matérialité des faite délictueux allégués, démonstration qui,
de sa nature même, échappe au régime de la preuve préconstituée.
par
Mais, ont à statuer sur des faits ou des actes dont il a été pos-
lorsqu'elles
sible aux intéressés de se ménager d'avance la preuve écrite, les juridic-
tions sont soumises à l'observation des règles du droit commun.
pénales
Et, exemple, lorsqu'elles ont à statuer sur une inculpation d'abus de
par
confiance, la preuve du dépôt, élément essentiel de l'infraction, ne peut
se faire devant elles que par la production d'un écrit, ou par témoins,
mais moyennant l'existence d'un commencement de preuve par écrit. Si
donc les juges répressifs pouvaient être appelés à statuer sur des questions
de filiation, ne seraient-ils pas astreints au système spécial de preuve
établi pour cette matière par le Code civil ?
Cette critique n'est cependant pas méritée. On oublie, en la faisant, que,
dans notre Ancien Droit et même sous le Droit intermédiaire, la règle
contraire avait été soutenue. C'est seulement en 1813, à propos de l'abus
de la fameuse note du Barris 2 a établi ce
confiance, que président prin-
cipe aujourd'hui certain. Encore l'application de ce principe est-elle loin
d'être assurée, lorsque le fait poursuivi relève de la Cour d'assises, car
le jury n'est pas lié par le système des preuves du Droit civil.
En outre, une seconde raison a déterminé les rédacteurs du Code à
écrire l'article 327. Ils ont pensé « que les questions de filiation intéres-
saient avant tout l'honneur des familles ». Ils n'ont pas voulu « troubler
leur repos, pénétrer leurs secrets, révéler des scandales, par des pour-
suites criminelles intentées sans l'assentiment et peut-être contre le gré
de l'enfant, dont la filiation a été supprimée, et de ses » (Garçon,
parents.
op. cit. p. 3).
Les observations précédentes permettent de rectifier une qui
proposition
est couramment répétée à propos de notre matière, et l'ar-
d'après laquelle
ticle 327 ferait échec au énoncé dans l'article : le
principe 3, C. Instr. crim.
criminel tient le civil en état. En matière de d'état, dit-on, c'est,
suppression

public conservant le droit de poursuite quand l'intéressé ne réclame son éta


pas
(V. Laurent, t. III, n° 473). Mais cette opinion, contraire au texte de l'art. 327 es
aujourd'hui abandonnée.
2. Voir Mangin, Du Traité de l'action publique, t. I, n° 240.
DES ACTIONS EN MATIERE DE FILIATION 325

au contraire, le civil qui tient le criminel en état. Mais la corrélation que l'on
établir entre ces deux formules n'existe pas. En
prétend effet, que signifie
la règle : le criminel tient le civil en état? Elle veut dire tout
simplement
que, si la victime d'une infraction intente une action civile en dommages-in-
térêts contre le coupable devant le tribunal civil, et que si le ministère public
a déjà exercé ou exerce l'action publique devant la juridiction répressive
avant que les juges civils aient statué, ces derniers doivent surseoir et at-
tendre que le tribunal répressif ait rendu
; l'action sa décision
civile reste
donc en suspens, la procédure entamée demeure dans l'état où elle se trouve,
au moment où l'action publique est mise en mouvement. La raison en est
que la loi ne veut pas qu'une sentence de nature à affecter la liberté et
l'honneur des individus puisse être influencée par la décision d'un juge
appelé à statuer sur une simple question de dommages-intérêts.
Or, en notre matière, ce n'est pas d'action en dommages-intérêts qu'il
s'agit. Le délit qui entraînesuppression lade engendre l'état de l'enfant
en réalité trois actions : 1° d'abord, l'action publique en répression qui sera
portée, suivant les cas, devant la cour d'assises ou le tribunal correctionnel ;
2° l'action civile en réparation du dommage causé par le délit à ceux qui
ont eu à en souffrir ; 3° l'action en réclamation d'état ou en contestation d'état
tendant à restituer à l'enfant sa véritable filiation, dont la preuve a été
supprimée par l'infraction commise. Or, ce n'est pas l'action civile en dom-
mages-intérêts qui, dans notre matière, arrête la mise en mouvement de
l'action publique, mais bien l'action en réclamation ou en contestation
d'état. Une fois que cette dernière action a été jugée par les tribunaux
civils, la règle énoncée par l'article 3 C. Instr. crim. reprend son applica-
tion; rien n'empêche plus le ministère public de poursuivre le coupable,
et, si l'enfant dont le véritable état a été rétabli intente une action en dom-

mages-intérêts devant les juges civils, ceux-ci devront attendre que les
juges criminels aient statué. En vérité, l'article 327 du Code civil déroge,'
non pas à l'article 3 du Code d'instruction criminelle mais bien à l'article 1er
de ce Code, d'après lequel le ministère public a toujours l'exercice de l'ac-
tion publique. Ici, par exception, il est obligé d'attendre que l'intéressé
ait fait juger par les tribunaux civils la question de filiation.
La règle des articles 326-327 comporte d'ailleurs un double tempérament.
1° Elle ne s'applique pas à toutes
questions les d'état, mais seulement
aux questions de suppression de la preuve de la filiation. Ainsi, en matière
de mariage, l'existence d'un mariage, avec toutes les conséquences qui en
résultent pour l'état des époux et des enfants, peut, nous l'avons vu, résul-
ter de la décision d'un tribunal répressif (art. 198). Et il en est de même

pour les questions de nationalité (Crim., 30 mai 1908, D. P. 1909.1.364).


2° De la formule que nous avons donnée, il résulte aussi que, même en
matière de filiation, les juges répressifs ne sont pas astreints à surseoir et

qu'ils peuvent trancher une question incidente relative à un rapport de


ne s'agit pas d'un crime de suppression d'état. Par,
parenté, lorsqu'il
exemple, en cas de meurtre qualifié de parricide par l'accusation, suppo-
sons que l'accusé prétende n'être pas en réalité le fils de sa victime, 1%'
LIVRE I. — TITRE 1. — DEUXIÈME PARTIE
326

à statuer sur cette Ce faisant, en effet, elle


Cour d'assises aura exception.
ne tranche directement une question Ajoutons de filiation.
que l'appré-
pas
du juge ne portera préjudice au droit que conservera
ciation répressif pas
civil de trancher en toute liberté être dans un sens différent)
le juge (et peut
soumise. Il y a là une nou-
la question de filiation qui lui serait ensuite
velle au droit commun, car, en général, les décisions des juri-
dérogation
dictions ont force de chose jugée, aussi bien au civil qu'au cri-
répressives
et nous en avons vu une sous l'article 198 du Code civil,
minel, conséquence
d'où il résulte décision de ce genre peut tenir lieu d'acte de mariage.
qu'une

ratione — Parmi les tribunaux civils, c'est


Compétence personae.
conformément au droit commun, celui du domicile du défendeur qui est

59, C. proc. civ.). Cependant cette solution devrait, croyons-


compétent (art.
recevoir une en cas d'action en désaveu, lorsque l'enfant
nous, exception
désavoué est mineur. On verra dans ce cas, il doit lui être nommé un
que,
tuteur ad hoc pour plaider en son nom. Il y a des décisions portant, non
sans raison, qu'en ce cas l'action en désaveu doit être portée
croyons-nous,
devant le juge du domicile du tuteur ad hoc (V. Req., 6 avril 1898, D. P.

1902.1.232, S. 1902.1.38) ; mais la Chambre civile de la Cour de cassation


ce système, par cette raison que la présomption légale de pater-
repousse
nité, tant qu'elle n'est pas détruite, doit produire ses effets, et que notam-
ment l'enfant est domicilié chez celui qui demeure son père aux yeux de
la loi (Civ., 4 avril 1905, D. P. 1906.1.97, note de M. Appleton, S. 1906.

1.173, note de M. Appert ; 7 avril 1908, D. P. 1908.1.301, S. 1909.1.284).


§ 2. Procédure.

Particularités de procédure applicables à toutes les actions en


matière d'état. — Elles sont au nombre de deux :
1° Les actions de ce genre sont dispensées du préliminaire de conciliation.
Cela résulte de ce que les intérêts qu'elles soulèvent ne peuvent en général
donner lieu à aucune transaction.
2° Elles sont au nombre des causes qui sont sujettes à communication au
ministère public (art. 83, C. proc. civ.).
Avant 1899, les actions en matière d'état comportaient une troisième par-
ticularité. Elles devaient, en appel, être jugées en audience solennelle,
c'est-à-dire par deux chambres réunies de la cour siégeant en robes rouges.
Mais le décret du 26 novembre 1899 a supprimé cette formalité et
gênante
décidé que les questions d'état seraient dorénavant à l'audience
portées
ordinaire de la cour.

Particularités propres à certaines actions. — En dehors de ces règles


générales, on rencontre des règles de procédure à
spéciales, applicables
certaines actions en particulier.

1° Action en désaveu. — Il y a ici une particularité à signaler, c'est


l'intervention d'un tuteur ad hoc doit être donné à l'enfant
qui (art. 318), et
contre poursuivie par le mari. Cette se com-
qui l'instance devra être règle
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 327

prend.très bien, au moins dans la des cas. Tant la justice


majorité que n'a
statué sur l'action en désaveu, le mari aux de la loi,
pas reste, yeux père
de l'enfant et, par conséquent, son administrateur on son tuteur
légal chargé
en justice. Le mari
de le représenter pourrait-il plaider contre lui-même ?
Pourtant il y a des hypothèses, à la vérité,
exceptionnelles où la nécessité
d'un ne se comprend C'est ce qui arrive le deman-
tuteurad hoc pas. lorsque
deur a été exclu de la tutelle ou de l'administration a
légale. Alors, l'enfant
d'ores et déjà un autre représentant. la loi ne fait aucune
Cependant, dis-
tinction. Pourtant, on doit bien admettre si l'action en désaveu est di-
que,
rigée contre un enfant majeur— ce qui arriver —celui-ci
peut parfois
pourra se défendre sans avoir besoin d'un tuteur.
Il eût été peut-être préférable de donner mission de représenter l'enfant
à la mère, lorsqu'elle est vivante. C'est elle qui est le mieux à même de ré-
pondre aux critiques dirigées contre l'état de l'enfant. La loi a préféré un
tuteur Elle nous dit, il est vrai, l'action en désaveu doit être
ad hoc. que
poursuivie « en présence de la mère ». Il résulte de cette formule que la
mère doit être mise en cause par le demandeur. Et la Jurisprudence admet
même
que l'instance sera dirigée contre elle, dans le cas où le désaveu est
exercé après la mort de l'enfant (Trib. Angers, 30 mai S. 97.1.434,
1895,
note de M. Lyon-Caen).
Reste à savoir comment est nommé le tuteur ad hoc. Comme tout tuteur,
dira-t-on, c'est-à-dire par le conseil de famille. Cependant, il est facile de
voir à quelle objection on heurter. Le conseil de famille des
va se comprend
parents ou alliés des deux lignes, et, par conséquent, des de
représentants
la famille du mari, lequel précisément considère l'enfant comme un intrus
et cherche à l'expulser de son foyer ! Si l'on ajoute même les
que parents
de la ligne maternelle peuvent être intéressés du désaveu,au succès
parce
que les enfants adultérins ne succèdent pas, même à leur mère, on incli-
à penser que le tuteur être
nera ad hoc devrait plutôt désigné par le tribu-
nal. Mais la Cour de cassation n'a jamais admis que la désignation pût être
faite autrement que par un conseil de famille composé suivant les règles
du droit commun (Civ., 7 avril 1908, D. P. 1908.1.301, S. 1909.1.234). Elle
ajoute, il est vrai, que l'enfant trouve une protection suffisante dans les
pouvoirs appartenant au juge de paix de ne pas appeler telle ou telle per-
sonne, s'il le juge à propos, la violation des règles relatives à la composition
du conseil n'entraînant, on le verra, la nullité de ses délibérations que si
les intérêts des mineurs ont subi de ce fait un préjudice.

Remarquons, pour en finir avec le tuteur ad hoc de l'enfant désavoué, que


Code aurait dû accorder la même protection à un enfant, qui se trouve
le
une situation tout à fait identique, nous voulons parler de l'enfant
dans
naturel ou légitimé mineur, contre
lequel est dirigée une instance en contes-
tation de sa reconnaissance. Pourquoi n'avoir pas déterminé la manière dont
Il serait représenté et défendu ? C'est une véritable lacune de la loi.

— Il
2° Action en recherche de la paternité naturelle. y a trois par
ticularités à signaler à propos de la procédure de cette action.
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
328

A. — Aux termes de l'article 340 (modifié par la loi du 16 novembre 1912),


al. 10, « l'action l'enfant Pendant la minorité de l'enfant,
n'appartient qu'à
la mère, même a seule pour l'exercer ». Ainsi, la loi fait
mineure, qualité
ici de la mère le représentant de l'enfant mineur, au lieu de confier
légal
ses intérêts à un tuteur ad hoc. Et la mère, même mineure, aura qualité
Il n'y a pas besoin de dire pour justifier cette solution qu'ici la
pour agir.
maternité à l'émancipation : en effet, on verra que les incapables
équivaut
sont en principe, à représenter autrui. La loi n'a pas prévu le cas
aptes,
le de l'enfant). Nous
où la mère serait mariée (à un autre que père croyons
dans ce cas, elle n'aurait pas besoin de l'autorisation de son mari, pour
que,
remplir la mission que la loi lui confère.
Il peut arriver l'enfant n'ait pas légalement de mère, soit qu'il n'ait
que
soit l'ait mais sa mère soit dé-
pas été reconnu par la sienne, qu'il été, que
cédée. Ou bien encore, la mère peut être dans l'impossibilité de représen-
ter l'enfant, parce qu'elle est « interdite ou absente », comme le suppose
expressément la loi, ou internée dans un asile d'aliénés, hypothèse à assi-

miler, croyons-nous, aux précédentes. Dans ce cas, l'article 340 (nouveau),


al. 13, nous dit que « l'action sera intentée conformément aux dispositions
de l'article 389 » ; ce qui signifie qu'il y aura lieu, pour exercer l'action, de
recourir à l'intervention d'un tuteur ad hoc désigné par le tribunal, lequel
fait, depuis la loi du 2 juillet 1907, fonction de conseil de famille pour les
enfants naturels.
B. — l'article 2 de la loi du 16 novembre la
D'après 1912, reproduction
par la presse des débats du procès en déclaration de paternité est interdite,
comme celle des procès en diffamation et sous les mêmes sanctions. Ce que
la loi défend de publier, ce sont Les débats mais non les jugements et arrêts.
C. — Aux termes de l'article 3 de la loi du 16 novembre 1912, la peine de
l'article 400 du Code pénal, punissant le chantage, c'est-à-dire un empri-
sonnement d'un an à cinq ans et une amende de 50 à 3.000 francs « pourra
être appliquée par le tribunal civil saisi d'une demande en déclaration de
paternité au demandeur convaincu de mauvaise foi. L'interdiction de séjour
pendant cinq ans au moins et dix ans au plus dans un déterminé
rayon
pourra, de plus, être prononcée dans ce dernier cas ».
On comprend aisément le motif a inspiré au cette
qui législateur singu-
lière disposition. C'est comme une survivance des anciennes préventions qui
avaient inspiré la prohibition de la recherche de la paternité. La sanction
ordinaire encourue par le plaideur de mauvaise foi, à savoir celle des dom-
mages et intérêts, n'a paru ni suffisante, ni surtout efficace contre des ex-
ploiteurs de scandale, que leur insolvabilité à l'abri
mettrait, pratiquement,
de tout recours. D'où l'institution d'une sanction pénale. Et, comme le tri-
bunal civil, saisi de la demande abusive en déclaration de paternité, se
trouve avoir en mains, avec les pièces versées au débat, les premiers éléments
d'appréciation, on a pensé qu'il y aurait tout a lui attribuer, de
avantage
préférence au tribunal la connaissance du délit
correctionnel, à réprimer.
Mais la disposition adoptée, donne lieu à tant de critiques et d'incertitudes
qu'elle n'est pas, croyons-nous, de nature à être souvent mise en application.
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 329

Tout d'abord, la procédure suivie devant les tribunaux civils ne s'accorde


guère avec les moyens d'instruction et de défense en usage devant les tri-
bunaux répressifs. Par exemple, nous ne le tribunal
croyons pas que
puisse prononcer les pénalités mises à sa sans le deman-
disposition, que
deur, devenu inculpé, ait comparu et ait été interrogé en et sans
personne,
qu'il ait été mis à même de produire tous les témoins jugés utiles pour sa
défense.
De plus, comment le demandeur pourra-t-il être transformé en
inculpé?
Nous ne croyons pas, quoique le de la loi à la Chambre l'ait
rapporteur
soutenu (Séance du 27 février 1911), que le tribunal ait le droit de statuer
d'office. Nous ne croyons même pas qu'il le faire sur la requête de
puisse
la partie lésée. Il appartient seulement, au ministère
croyons-nous, public,
soit spontanément, soit sur la plainte dont il serait saisi, de mettre en
mouvement l'action publique.
On
remarquera que la loi de la peine
prévoit l'application par le tribunal
seulement. Il est bien ne l'ait
certain, qu'on pas ajouté, que cette décision
du tribunal sera, comme son jugement sur le fond, soumise à appel. En
revanche, le silence de la loi nous paraît entraîner cette conséquence
qu'une pénalité ne pourrait être requise pour la première fois devant la
Cour d'appel.
Une dernière observation, c'est qu'aux termes de la loi, la peine sera
appliquée « au demandeur de mauvaise foi ». Il en résulte, à notre avis,
que la disposition de l'article 3 ne pourra recevoir application que dans
l'hypothèse, extrêmement rare, où l'action en déclaration de paternité se-
rait exercée après la majorité de l'enfant et par celui-ci. En effet, si l'on
suppose l'action exercée durant la minorité, qui est le demandeur ? L'enfant
lui-même. Or, comme ce n'est pas lui qui plaide enpersonne, il ne saurait
être inculpé de mauvaise foi. La mauvaise foi peut se rencontrer chez la
mère que la loi charge de représenter l'enfant dans l'instance. Mais, vu la
stricte interprétation qu on doit donner à toute disposition prononçant une
pénalité, il ne nous semble pas que la mère puisse, à ce point de vue, être
considérée comme demanderesse, et, comme telle, encourir personnelle-
ment les sanctions prononcées par la loi. A plus forte raison en serait-il de
même du tuteur ad hoc qui aurait été désigné par le tribunal.

SECTION II. — CONDITIONS DE FOND DES ACTIONS RELATIVES


A LA FILIATION ET A L'ÉTAT DES PERSONNES.

Les actions d'état, spécialement, celles qui ont la filiation


plus trait à
des personnes, offrent ce trait commun qu'elles tendent à l'établissement
d'un de la volonté de l'individu, dont l'état est en ques-
fait indépendant
tion. Il semble que toutes les personnes intéressées devraient être
admises,
lu même et à tout moment, à les exercer, dès lors que, du fait à éta-
titre,
blir, elles faire découler un droit. Mais des considérations di-
prétendent
verses ont conduit à écarter ici la logique pure. D'une part, dans un cer-

DROIT, — Tome I 22
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
330

nombre de le droit d'exercer une action d'état n'appartient pas à


tain cas,
mais à certaines seulement. Et, d'autre
toutes les personnes intéressées,
ont concurremment la disposition d'une
part, lorsque plusieurs personnes
relative à l'état, elles ne l'exercent toutes au même titre ni dans
action pas
les mêmes notamment au de vue du délai qui leur est
conditions, point
imparti pour agir.
Etudions successivement ces deux points :
1° Dans cas l'exercice de l'action est-il réservé à certaines per-
quels
sonnes?
2° Dans conditions diverses, suivant les cas, est-elle
quelles l'action
exercée ?

— de certains intéressés.
§ 1. Exclusion

Le que tout intéressé est admis à exercer les actions d'où ré-
principe,
sulte la détermination de la filiation, s'applique à certaines de ces actions,
à savoir :
Aux actions en contestation d'état (d'enfant légitime) c'est-à-dire à l'ac-
tion qui est intentée pour contester que l'enfant soit né de la femme ma-
riée indiquée comme sa mère dans son acte de naissance;
A l'action en contestation de légitimité, c'est-à-dire à l'action par laquelle
on prétend démontrer que l'enfant, soi-disant né d'un mariage légitime,
n'a pas, en réalité, été mis dans au monde
les conditions qui donnent lieu
à l'application de la présomption Pater is est ;
A l'action en contestation de reconnaissance d'un enfant naturel.
Dans ces divers cas, tout intéressé peut agir.
En revanche, le principe reçoit exception, et l'exercice de l'action est ré-
servé à certaines personnes, interdit à certaines autres, lorsqu'il s'agit
soit d'une action en réclamation d'état (d'enfant légitime), soit d'une action
en désaveu, soit d'une action en recherche de la maternité ou de la paternité
naturelle. Examinons successivement ces trois hypothèses.

I. — Action en réclamation d'état. Droit exclusif de l'enfant. —


En principe, l'action en réclamation d'état, c'est-à-dire celle par laquelle
un enfant cherche à prouver qu'il est né de telle femme mariée, ne peut
être intentée que par l'enfant lui-même. Cela résulte des articles 329 et 330
qui ne permettent aux héritiers de l'enfant de l'intenter dans des cas
que
exceptionnels. Bigot-Préameneu a donné de cette particularité la raison
suivante : « Le silence du principal intéressé n'a cru avoir
prouve qu'il pas
de droits; dès lors les héritiers ne doivent être admis à s'introduire
pas
dans une famille à laquelle leur auteur s'est cru lui-même La
étranger...
déchéance est absolue ; elle est établie dans l'intérêt du repos des familles ;
la loi met le repos des familles au-dessus de l'intérêt des héri-
pécuniaire
tiers, intérêt qui n'existe que dans des circonstances tout à fait exception-
nelles. » (Exposé des motifs, n°26, Locré, t. III, p. 91). C'est toujours la même
préoccupation dominante chez les rédacteurs du Code Civil, préoccupation
qui commettre bien des injustices. Ici, en particulier,
leur a fait pourquoi
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 331

carter l'action des héritiers (de tous les sous


héritiers) prétexte qu'il ne
pour eux que d'un intérêt Est-ce les descendants
s'agit pécuniaire? que de
n'auraient pas le même intérêt moral lui-même à se rattacher
l'enfant que
leur véritable famille légitime? Mais les termes de la loi sont absolus et
excluent les descendants de l'enfant aussi bien tous ses
que autres héri-
30 décembre D. P. 69.1.185,
tiers (Req., 1868, S. 69.1.249).
Quant aux deux cas exceptionnels où est ouverte aux
l'action héritiers,
Ils sont les suivants :
1° Les héritiers peuvent suivre l'action a été commencée
lorsqu'elle par
et qu'il est mort durant à moins toutefois
l'enfant l'instance, qu'il ne s'en
fût désisté formellement ou qu'il n'eût laissé trois années sans
passer pour-
suites à compter du dernier acte de procédure (art. 330).
2° Les héritiers peuvent intenter l'action l'enfant est décédé mi-
lorsque
neur ou dans les cinq années qui ont suivi sa majorité sans l'avoir exer-
Dans ce en effet, l'enfant est mort
cée (art. 329). cas, trop jeune pour qu'il
misse être considéré comme renoncé à faire constater son état.
ayant

II. — Action en désaveu. Droit exclusif du mari. —


Lorsqu'il s'agit
l'établir l'illégitimité d'un enfant, issu d'une femme mariée dans les con-
ditions qui donnent lieu à l'application de la présomption Pater is est, c'est
en principe que le droit d'agir appartient exclusivement au mari. Dans un
cas exceptionnel, il est vrai, les héritiers du mari, c'est-à-dire les continua-
eurs de sa désavouer
personne, peuvent l'enfant : c'est (art. 317) lorsque
le mari « est mort avant d'avoir fait sa réclamation, mais étant encore dans
utile la faire
le délai pour », délai d'ailleurs extrêmement bref. En dehors
le ce cas, nul autre intéressé ne pourrait établir l'adultérinité de l'enfant.
On refusera ce droit, par exemple (et sauf l'exception très rare de l'ar-
ide 317), à l'héritier que la naissance de l'enfant écarte de la succession
lu mari défunt, au donataire, qui se trouve privé de sa donation à cause
le la survenance d'un enfant au donateur (art. 960), etc.. Tous ces inté-
ressés sont désarmés du mari.
par l'inaction Ils ne pourront expulser l'intrus
le la famille, quand bien même ils seraient en situation de prouver les
faits dont la loi fait résulter la
possibilité du désaveu.
On peut donner de ce principe deux raisons :
1° On peut dire que le mari a la disposition exclusive de l'action en désa-
seul, il sait à quoi s'en tenir sur les relations sexuelles
veu, parce que, qu'il
pu avoir avec la mère. Cette raison est contestable au fond et explique
nal certaines solutions de la loi. Lorsque l'adultérinité de l'enfant résulte,
par exemple, d'une impossibilité physique de cohabitation, par suite de
éloignement ou d'une mutilation du mari, comment dire que celui-ci
des éléments voulus être fixé sur la faute
seul possède d'appréciation pour
par la mère ? De plus, si cette raison était la bonne, on com-
commise
prendrait mal comment, lorsque le mari est mort sans avoir désavoué, mais
dans les délais utiles, l'exercice de l'action passe à ses héritiers.
2° Plus justement, on peut faire valoir cette considération qu'une action
n désaveu, étant destinée à causer un terrible scandale, détruisant un
332 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

et un foyer, le mari seul doit être admis à en assumer la cruelle


ménage
initiative. Mais cette raison, si elle explique à merveille que le mari ait la

disposition exclusive de l'action en désaveu, tant qu'il est vivant, ne devrait

pas la faire refuser aux autres intéressés après sa mort. C'est ce qu'a com-

pris le Code civil car, dans les


allemand, hypothèses où l'action en désaveu
reste ouverte après le décès du mari, il en accorde l'exercice à tous les inté-
ressés (art. 1593). D'après notre Code, au contraire, ce droit n'appartiendra
qu'aux héritiers du mari. Et il est difficile de donner de bonnes raisons de
cette prérogative.
Le droit de disposition exclusif du mari donne lieu à divers problèmes
délicats.
Premier — Comment s'exerce l'action en désaveu le
problème. lorsque
mari est un incapable ? Des distinctions sont nécessaires.
Le mineur émancipé peut évidemment agir sans l'assistance de son cura-
teur, car l'action en désaveu comprise n'est
au nombre pas des actions im-
mobilières, pour l'exercice desquelles cette assistance est requise (art. 482).
Au contraire, l'individu pourvu d'un conseil judiciaire, ne pouvant plai-
der sans l'assistance de ce conseil, n'a d'autre ressource, au cas où le con-
seil lui refuserait son concours, que de s'adresser à la justice se faire
pour
nommer un conseil ad hoc, auquel le tribunal enjoindra de l'assister.
Quand le mari est interdit judiciaire, il semblerait, si l'on se référait aux
motifs qui ont fait accorder au mari la disposition exclusive de l'action en
désaveu, que le tuteur devrait rester à l'exercice de cette action.
étranger
Cependant, on trouve des decisions en sens contraire 5 décembre
(Lyon,
1891, D. J. G., v° Paternité et natation, 17). Elles se fondent sur cette con-
sidération que les délais très brefs l'exercice du désaveu
impartis pour
ne comportent pas de suspension au profit des et que, dès
incapables, lors,
le désaveu de l'enfant adultérin de la femme d'un interdit serait presque
toujours impossible en fait si le tuteur ne en prendre l'initiative.
pouvait
La solution admise nous paraît très Il en résulte
cependant critiquable.
que le tuteur, par sa négligence ou même sa connivence avec la femme
coupable, peut faire perdre à l'aliéné et à tous les autres intéressés toute
possibilité d'écarter l'enfant intrus de la famille. Et, il n'est
inversement,
pas sans inconvénient qu'un tuteur zélé l'initiative
trop puisse prendre
d'un désaveu, sans même avoir eu à consulter le conseil de famille, comme
cela serait nécessaire s'il d'intenter une instance en
s'agissait séparation
de corps (art. 307, al. instance
2), cependant beaucoup moins grave, dans
ses résultats, qu'une action en désaveu.
En ce qui concerne la loi est également
l'interdit légal, muette. On admet
donc que, vu le principe de la représentation du condamné
générale par
son tuteur, c'est celui ci qui aura seul la disposition de l'action en désaveu.
Ici encore la solution est critiquable. Elle forme contraste avec l'article 234,
al. 3, d'après lequel, le tuteur ne peut demander le divorce que sur la
réquisition de l'interdit légal en personne.
Enfin, quand il s'agit des aliénés non mais internés,
interdits, la loi n'ayant
pas prévu le désaveu, il faut décider comme dans tous
que, les cas de pro-
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 333

cès urgent à
intenter, l'administrateur provisoire pourrait solliciter du
tribunal la nomination d'un mandataire ad litem, chargé d'introduire et de
soutenir l'instance en désaveu.
Sur ces différents points, les solutions du Code civil allemand (art. 1595)
sont plus raisonnables que les nôtres. Les d'es-
demi-incapables (faibles
prit, alcooliques) peuvent, en Allemagne, désavouer l'enfant personnelle-
ment, sans avoir besoin de l'assistance de il s'agit d'un
personne. Quand
aliéné, c'est son représentant légal qui désavoue l'enfant, mais avec l'ap-
probation du tribunal des tutelles. Enfin, si le représentant de l'incapable
a laissé passer sans agir les délais du le mari, une fois
désaveu, que son
incapacité a cessé, peut exercer l'action Il n'est
personnellement. pas for-
clos par l'expiration du délai accomplie au cours de son incapacité.
Second — Dans certaines
problème. hypothèses, on peut se demander si
l'action à exercer, pour expulser un enfant d'une famille à laquelle il ne
doit pas appartenir, est l'action en désaveu ou l'action en contestation de
Et l'intérêt de la question c'est
légitimité. principal que celle-ci est ouverte
à toute personne intéressée, tandis que l'action en désaveu est réservée au
mari.
La difficulté signalée se rencontre dans quatre hypothèses.
A. — Enfant né précocement, c'est-à-dire moins de cent quatre-vingts
jours après le mariage (art. 314). Nous avons vu qu'ici laJurisprudence,
sans s'arrêter à l'expression de désaveu employée par la loi, accorde à tout
intéressé le droit de contester la légitimité de l'enfant sous les conditions
requises par le texte. En effet, l'enfant en question n'est pas un enfant légi-
time mais un enfant légitimé : l'action qui tend à l'écarter de la famille
est identique à celle par laquelle tout est admis intéressé
à contester la
véracité d'une reconnaissance d'enfant naturel (art. 339)
B. — Enfant né tardivement, c'est-à-dire plus de trois cents jours après
la dissolution du mariage (art. 315). Ici, nous le savons, il n'y a pas de doute

possible. L'action dirigée contre l'enfant ne saurait être qualifiée de désa-


veu; c'est une action en contestation d'état, ouverte à tout intéressé.
C. — né pendant l'absence — Il ressort, nous l'avons
Enfant du mari. vu,
de la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'action à diriger contre
l'enfant est une action en contestation d'état, si l'enfant a été déclaré sous
le seul nom de la mère, et une action eh désaveu, s'il a été déclaré à la fois
sous le nom de la mère et sous celui du mari absent. Nous ne reviendrons

pas sur les critiques que nous avons dirigées contre cette jurisprudence.
D. — Enfant exerçant contre une femme mariée une action en réclama-
— On se souvient 325 permet en ce cas au mari
tion d'état. que l'article
de repousser, en ce qui le concerne, la prétention de l'enfant et, à cet effet,
de faire valoir tous les moyens propres à démontrer que l'enfant n'est pas
issu de sa femme ou que, même la maternité prouvée, ce n'est pas lui qui
en est le Nous trouvons-nous en présence d'un désaveu ou d'une con-
père.
testation de légitimité? La Jurisprudence, dont on nepeut citer ici que des
décisions assez anciennes (V. Caen, 17 mars 1847, D. P. 48.2.57, S. 48.

2.93), semble bien considérer que, dans tous les cas, il y a lieu ici à une
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
334

contestation de ouverte à tous les intéressés. Nous croyons,


légitimité,
quant à nous, qu'il faut distinguer.
de démontrer « le réclamant n'est pas l'enfant de la mère
S'agit-il que
avoir », l'intervention du mari dans l'instance offre les carac-
qu'il prétend
tères d'une contestation de légitimité. Donc, le mari n'est pas tenu
simple
de ses conclusions dans un délai déterminé, et, s'il était mort, ses
déposer
héritiers ou tous autres intéressés pourraient opposer la même défense à
la réclamation de l'enfant.
au contraire, de démontrer que le réclamant, « la maternité
S'agit-il,
prouvée, n'est pas l'enfant du mari de la mère », alors nous nous trouvons
en présence d'un désaveu, exercé sous forme d'action, si le mari non mis en
cause a laissé, sans intervenir, le réclamant faire sa preuve contre son

épouse, et, sous forme d'exception, si le mari, mis en cause ou intervenant,


renonce à contester la maternité et se contente d'alléguer qu'il n'est pas le

père de l'enfant. Donc, le mari seul pourra agir ; il sera tenu de le faire
dans les délais de l'article 316 ; ses héritiers ne seront admis à plaider que
s'ils se trouvent dans les conditions de l'article 317.
On s'est demandé si un mari, apprenant que sa femme a mis au monde
un enfant adultérin, qui n'a pas été déclaré ou l'a été sous de faux noms
ou comme né de père et mère inconnus, aurait le droit de prendre les
devants et de démontrer sa non-paternité, sans attendre que l'enfant entame
une instance en réclamation d'état. Il semblerait, à première vue, que la

négative dût s'imposer, car notre Code de procédure n'admet plus qu'une
personne puisse plaider contre une autre, sans avoir un intérêt né et actuel
à faire valoir ; il a supprimé les examens à futur, procédures pratiquées sous
l'ancien Droit pour permettre aux personnes prévoyantes de faire établir
d'ores et déjà tel ou tel fait, en vue d'un litige futur, et cela afin d'éviter le
dépérissement des preuves et de se mettre en garde contre les temporisa-
tions calculées d'un adversaire éventuel. Cependant, la Jurisprudence est ici
favorable au mari. Elle décide que le mari peut, dès à présent, désavouer
l'enfant (Req., 9 mai 1864, D. P. 64.1.409, S. 64.1.309; Lyon, 21 janvier
1886, D. P. 87.2.1, note de M. Flurer, conclusions de M. l'av. gén. Talion,
S. 88.2.77). Cette solution achève de démontrer que nous avons à bon droit
qualifié de désaveu la défense opposée par le mari, pour sa part, à l'action
en réclamation d'état d'un enfant contre sa femme. C'est, en effet, parce
que le désaveu est la seule ressource du mari, et que cette ressource lui
échapperait, s'il laissait passer sans agir deux mois après la découverte de
la fraude (art. 316, al. 3) que la Jurisprudence a dû l'action im- autoriser
médiate du mari prévoyant qui, instruit d'une naissance frauduleusement
déclarée, entend se prémunir d'avance contre les conséquences d'une action
en réclamation d'état.

III. — Actions en recherche la filiation —


de naturelle. Aucune
disposition expresse de notre droit ne limite à certains intéressés seule-
ment la faculté d'exercer l'action d'où résulte la déclaration de la filiation
naturelle. Mais ta Jurisprudence a introduit ici deux restrictions :
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 335

1° L'action en recherche de la filiation naturelle est intransmissible et


personnelle. Ainsi, les héritiers de l'enfant ne pourraient l'intenter s'il est
avoir pris l'initiative, et nulle autre lui-même
mort sans en personne que
ou son représentant légal agissant en son nom, s'il est mineur, ne
pourrait
exercer cette action de son vivant (Civ., 3 avril D. P. 72.1.113,
S. 72.
1872,
sens contraire: C. cass., Turin, 26 juillet 1883, S. 85.4.7). Cette
P.126. En
solution, que la Jurisprudence a consacrée d'abord exclusivement à propos
de la recherche de la maternité, conduit à méconnaître des intérêts cepen-
dant fort respectables. Par exemple, les enfants légitimes d'un enfant na-
turel pourraient avoir un intérêt-moral et même pécuniaire considérable à
faire reconnaître, après le décès de leur auteur, le lien qui l'unissait à sa
(leur propre grand'mère). Ce n'est pas tout. Du vivant de l'enfant,
mère
d'autres personnes que lui pourraient utiliser les droits qui résulteraient
de sa filiation. Ainsi, son conjoint aurait avantage à lui faire reconnaître
une créance alimentaire, dont il bénéficierait lui-même, à l'encontre d'une
mère opulente ou aisée. Pourquoi la loi repousse-t-elle l'action de ces divers
intéressés? La Jurisprudence n'invoque, pour justifier son exclusivisme,
que d'assez mauvaises raisons. Ainsi, elle fait valoir le contraste qui existe
entre les termes de l'article 341, d'une part, et ceux des articles 328, 329 et
530, de l'autre. Ces derniers, visant l'action en réclamation d'état d'enfant
légitime, prévoient que cette
action peut être exercée par les héritiers de
l'enfant, tandis que l'article 341, consacré à l'action en recherche de la ma-
ternité naturelle, n'a pas l'air de supposer qu'elle puisse être suivie par un
autre que l'enfant. L'argument est assez faible. Si l'on doit s'en tenir à des
raisonsde pur texte, la généralité de la phrase par laquelle débute l'ar-
ticle 341 (« la recherche de la maternité est admise »), ne devrait-elle pas
nous incliner à ouvrir le droit
d'agir à tous les intéressés ?
Quoi qu'il en soit, le système de la Jurisprudence nous paraît avoir reçu
une consécration législative dans la loi du 16 novembre 1912, sur la re-
cherche de la paternité naturelle. En effet, l'article 340, al. 10 nous dit
en termes formels que « l'action n'appartient qu'à l'enfant», d'où il ré-
sulte qu'après son décès, elle ne peut plus être intentée ni continuée par
personne., Et la modification apportée au texte est d'autant plus significa-
tive que l'ancien article 340, dans l'hypothèse unique ou il admettait la re-
cherche de la paternité naturelle, était rédigé dans les termes suivants :
« Dans les cas d'enlèvement... le ravisseur pourra être, sur la demande
des parties intéressées, déclaré père de l'enfant », formule aussi compréhen-
sive que possible et dont la Doctrine tirait cette conséquence que l'action
en recherche de la paternité naturelle était à la disposition de toute personne
intéressée. La rédaction nouvelle, adoptée en 1912, a eu évidemment pour
but de soumettre au même régime les deux actions en recherche de la filia-
tion naturelle, de la paternité ou de la maternité. Et le légis-
qu'il s'agisse
avait le droit de
lateur a considéré comme un point acquis, que l'enfant seul
rechercher sa maternité ; d'où le caractère exclusif attribué à l'action nou-
vellement créée.
2° Une autre limitation du droit des intéressés à faire valoir une filiation
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
336

d'ailleurs un corollaire de la précédente,


naturelle, limitation qui est simple
la filiation naturelle ne être recherchée contre l'enfant. Voici
c'est que peut
de cette idée. enfant naturel non reconnu
une application Supposons qu'un
de son une donation. Les héritiers du donateur ne pourront
ait reçu père
demander la réduction de la donation en offrant de démontrer que le dona-

taire est un enfant d'où il suivrait qu'il doit être soumis à l'inca-
naturel,
de recevoir des donations, édictée à l'égard des enfants na-
pacité partielle
turels l'article 908 Paris, 16 février 1889, S. 89.2.201, note de
par (V.
M. Lacointa). Il y a là une solution toute logique. Du moment que le droit

d'intenter l'action en recherche est réservé exclusivement à l'enfant, cette

recherche ne être exercée aucune autre personne, surtout à


peut par l'en-
contre des intérêts de l'enfant. Toutefois, le principe reçoit deux exceptions
ou tempéraments.
on admet aurait le droit de faire ressortir
D'abord, que le ministère public
une filiation naturelle non reconnue en vue de mettre obstacle à un mariage
incestueux 15 janvier 1889, D. P. 90.2.193, note de M. Flurer).
(Grenoble,
En second lieu, nous verrons, en traitant de la matière des donations,
intéressée à faire annuler la libéralité adressée à un
qu'une personne
enfant naturel, particulièrement à un enfant adultérin, peut faire valoir que
la filiation du donataire a été la cause de la donation, à condition de le dé-
montrer par des preuves intrinsèques, c'est-à-dire empruntées à l'acte
même de donation. Ce qui est prouvé en effet dans ce cas, c'est moins la
filiation illégitime que la cause illicite de la libéralité.


§ 2. Diversité des caractères et des conditions de l'action
suivant la personne qui l'exerce.

Nous avons dit que, lorsque plusieurs intéressés sont admis concurrem-
ment à exercer une action relative à la filiation, ils ne le sont pas au même
titre et aux mêmes conditions.Et voici la distinction,féconde en conséquences
parfois bizarres et contradictoires, que l'on trouve à cet égard dans la loi
ou, pour mieux dire, dans l'interprétation qu'en donne la Jurisprudence.
Parmi les ayant droit, certains sont considérés comme dans
agissant
un intérêt moral, comme ayant en vue, directement et principalement,
l'état de l'enfant en soi et abstraction faite de toute autre considération.
D'autres au contraire sont regardés comme dans un intérêt
agissant pécu-
niaire et comme ne visant à établir l'état véritable de l'enfant consi-
qu'en
dération des conséquences en découleront au de leur
qui profit patrimoine.
Et voici comment s'applique la distinction.
En ce qui concerne l'action en réclamation lui-même,
d'état, l'enfant
étant présumé d'abord un intérêt
poursuivre moral, a le droit de l'intenter
en dehors de toute question d'ordre Au contraire ses héritiers,
pécuniaire.
dans les hypothèses où ils y sont autorisés sont
(art. 329, 330), présumés
agir dans un intérêt pécuniaire
Pour en désaveu, le mari est dans un intérêt moral.
l'action présumé agir
Au contraire, les héritiers du mari, dans les cas d'ailleurs très restreints
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 337

où ils sont admis à exercer le désaveu, sont présumés poursuivre un intérêt


patrimonial.
S agit-il d'une action en contestation
autre action en désa-
d'état, qu'une
veu (action en contestation de légitimité, action en contestation de recon-
naissance), la loi n'établit pas de présomption a priori. Mais il appartient
aux tribunaux, dans chaque hypothèse, de discerner si le demandeur a en
vue un intérêt moral ou un intérêt patrimonial.
Enfin, la même distinction a été étendue à l'action en nullité d'adoption
bien que l'assimilation de cette action à une recherche de filiation puisse
être à bon droit contestée. On a soutenu que et seuls
l'adoptant l'adopté
sont, en l'intentant, animés par un intérêt mais
moral, que leurs ayants
cause sont présumés ne poursuivre qu'un intérêt d'où il suit
pécuniaire,
qu'ils ne devront pas être admis à demander la nullité de du
l'adoption
vivant de leur auteur, l'adoptant ou l'adopté (Grenoble, 22 mars 1843, D,
J. G., v° Adoption, n° 227,
43.2.505). S.
Cette distinction, avons-nous dit, s'est élaborée surtout dans la Juris-
prudence. Elle repose sur d'assez nombreux Le principal est
arguments.
tiré du texte de l'article 317, relatif à l'hypothèse exceptionnelle où les hé-
ritiers du mari sont admis à excercer l'action en désaveu, c'est-à-dire au
cas où le mari est décédé avant l'expiration des délais impartis à son action.
Le délai, accordé aux héritiers pour
agir, est aussi bref que celui dans
lequel le droit du mari était inclus. Mais le point de départ n'en est pas le
même. Pour le mari, c'est la naissance de l'enfant, le retour de l'absent
ou la découverte de la fraude si la naissance a été recélée (art. 316). Pour
les héritiers du mari au contraire, c'est « l'époque où l'enfant se serait mis
en possession des biens du mari » ou celle « où les héritiers seraient trou-
blés par l'enfant dans cette possession ». L'intérêt que l'on présume ani-
mer les héritiers est donc exclusivement un intérêt successoral.
Quoi qu'il en soit, des conséquences importantes se rattachent à cette
double présomption.

Première : Droit des créanciers. — action


conséquence Lorsqu'une
d'état est aux mains d'un intéressé que la loi considère comme défendant
an intérêt moral, les créanciers de cet intéressé ne seraient pas admis, en
cas d'inaction de leur débiteur, à se prévaloir de l'article 1166 pour exercer
L'action en son lieu et place. Ainsi, le mari vivant, ses créanciers ne pour-
raient pas intenter, en son nom, l'action en désaveu qu'il négligerait d'uti

liser. Au contraire, les créanciers d'un titulaire à intérêt patrimonial pré-


sumé pourraient agir en son lieu et place, s'il négligeait de le faire. Ainsi,
dans le cas où les héritiers du mari peuvent désavouer l'enfant, leurs créan-
ciers auraient le droit d'agir, au cas où ces héritiers resteraient dans l'i-

naction, en vertu du général de l'article 1166 (D. J. G., Paternité


principe
et filiation, 361).

faut-il entendre héritiers? —


Deuxième conséquence: Que par
où la loi admet les héritiers à agir, par exemple, dans
Dans les hypothèses
338 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

le cas susvisé de l'article 317, que faut-il entendre par ce mot? Etant
donné qu'aux mains des héritiers, l'action estprésumée offrir, avant tout,
un caractère patrimonial, les héritiers, ce seront exclusivement les succes-
seurs aux biens, par conséquent, les héritiers ab intestat, et, à leur défaut,
les légataires ou donataires universels. lorsque le mari
Ainsi, d'une mère
adultère est décédé dans les conditions de l'article 317, son légataire uni-
versel, quoique ce puisse être une personne étrangère à la famille, aura
seul la disposition de l'action en désaveu, à l'exclusion des personnes les

plus proches par le sang, comme le frère ou la soeur du défunt, que le tes-
tament de celui-ci aurait écartés de la succession (Req., 3 mars 1874, D. P.
74.1.317, S. 74.1.201).

Troisième : Désaveu — On s'est demandé


conséquence posthume.
si l'action en désaveu pouvait être exercée après la mort de l'enfant. Oui,
répond la Jurisprudence, au moins lorsque le désaveu émane du prétendu
père, parce qu'alors celui-ci est présumé agir dans un intérêt moral qui
reste le même après le décès de l'enfant (Civ., 18 mai 1897, D. P. 98.1.97,
note de M. Guénée, S. 97.1.433, note de M. Lyon-Caen; Trib. civ. Nancy,
9 mai 1900, La Loi, 9 mai 1901). Les héritiers du mari ne seraient donc
pas admis à exercer ce désaveu posthume, du moment que l'enfant, avant
sa mort, ne les aurait pas troublés dans la possession de la succession du
mari défunt.

Quatrième conséquence : Renonciation à l'action. — Quand il s'agit


d'une action relative à l'état envisagé en soi et quant à l'intérêt moral qui
s'y attache, cette action est en quelque sorte hors du commerce ; on ne peut
y renoncer ; le litige une fois soulevé n'est pas susceptible de transaction;
l'acquiescement du titulaire de l'action à un jugement en ressort
premier
qui le débouterait, serait inopérant, et ne lui ferait pas perdre le droit de
former appel. (Voir, sur l'acquiescement aux rendus en matière
jugements
d'état, la note de M. Pilon sous S. 1903.1.273). il a été
Ainsi, jugé que celui
qui a manifesté expressément ou tacitement son intention de renoncer à
contester l'état d'une personne, ne perd cela le droit de soulever
pas pour
la contestation, du moment qu'il est déterminé un intérêt moral
y par
(Req., 26 février D. P. 1900.1.249, S. 1901.1.93). Au
1900, contraire, lorsque
c'est un intérêt pécuniaire qui est en jeu, par exemple, lorsqu'il s'agit du
droit accordé aux héritiers du mari de désavouer l'enfant adultérin, une
renonciation, une transaction seraient En effet, il
parfaitement opérantes.
s'agit ici d'intérêts patrimoniaux, et les actions qui s'y rapportent sont
susceptibles de transaction et de renonciation.
On pourrait croire, au premier abord, que les solutions qui précèdent sont
contredites par les articles 329 et 330. Il résulte, en effet, de ces textes, que
les héritiers d'un enfant ne sont pas admis à exercer une action en réclama-
de son état lorsqu'il est décédé de cinq ans
tion plus après avoir atteint
sa majorité (art. et ne peuvent
329), davantage suivre une action com-
mencée par l'enfant, lorsque celui s'en est désisté formellement ou a laissé
DES ACTIONS EN MATIÉRE DE FILIATION 339

passer trois années sans poursuites le dernier acte de la procédure


depuis
(art. 330). Ce qui, dans ces deux annihile le droit
cas, d'agir des ayants
cause de l'enfant, n'est-ce pas une renonciation ou tacite
expresse de celui-
ci à l'action en réclamation d'état ?
Il est facile de résoudre
apparente cette
contradiction. Il est vrai que le
désistement formel, par lequel l'enfant a interrompu le procès en réclama-
tion d'état commencé par lui, et l'interruption de tous actes de la procé-
dure pendant trois ans, constituent des renonciations ou tacites à
expresses
son droit, et qu'il en est de même de l'attitude d'abstention aurait
qu'il
conservée pendant cinq ans à partir de sa majorité. Mais tout ce qui résulte
des articles 329 et 330, c'est que ces renonciations seraient aux
opposables
héritiers de l'enfant. Ces articles ne nous disent pas que ces renonciations
soient opposables à l'enfant lui-même, de son vivant. Tout au
contraire,
il est certain que, nonobstant ces renonciations, l'enfant conserverait le
droit d'agir en réclamation d'état. Mais la renonciation aurait faite
qu'il
produirait deux effets. En ce qui le concerne lui-même, l'enfant le
perdrait
droit de revendiquer les avantages pécuniaires attachés à l'état récla-
qu'il
merait. En ce qui concerne les héritiers, la renonciation de l'enfant leur
serait opposable et leur ferait perdre tout droit à agir, parce que ce droit
est, entre leurs
mains, exclusivement pécuniaire et que, dès lors, ils ne l'ont
point recueilli dans le patrimoine de leur auteur, vu la renonciation de ce
dernier (V. note 4 sous D. P. 69.2.185).

Cinquième conséquence : Prescriptibilité ou imprescriptibilité


de l'action. — Entre les mains d'un titulaire chez qui la loi présume ou
le tribunal estime que l'intérêt
principalement moral en jeu, est l'action
d'état est imprescriptible. Elle peut, au contraire, se prescrire, lorsqu'elle
appartient à des intéressés qui sont jugés ou présumés n'envisager que
les conséquences pécuniaires de l'état à revendiquer ou à contester. Le
principe est formulé avec une grande netteté par l'article 328, aux termes
duquel « l'action en réclamation d'état est imprescriptible à l'égard de l'en-

fant », d'où il résulte évidemment qu'elle est prescriptible à l'égard de ses


héritiers. Plus généralement, on doit dire qu'une action relative à l'état
des personnes n'est susceptible de prescription que lorsqu'elle met en jeu
un intérêt seulement pécuniaire. Et cette règle est un corollaire de la pré-
cédente. La prescription est une forme de renonciation. Les droits qu'on
ne peut aliéner ne peuvent non plus se prescrire.
Etant donné ce principe, l'action en nullité de l'adoption devrait être dé-
clarée imprescriptible au regard de l'adoptant et de l'adopté, et prescrip-
tible seulement entre les mains de leurs ayants cause, qui sont présumés,
nous l'avons vu, ne intérêt pécuniaire en provoquant la
poursuivre qu'un
nullité de Trib. 17 janvier 1889, D. P.
l'adoption (V. cep. sup. Papeete,
92.1.329, note de M.
Garsonnet).
le principe de l'imprescriptibilité au profit des intéressés
Cependant,
investis d'un intérêt moral reçoit une double exception. La loi décide que
des délais en fait à des prescriptions et même plus éner-
préfix (équivalents
340 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE

en ce ne comportent pas de causes de suspension cl peuvent


giques qu'ils
être appliqués d'office par les tribunaux), leur sont impartis dans deux
celle d'un désaveu de paternité et celle d'une action en recherche
hypothèses,
de la paternité naturelle (Civ. 7 mai 1923, D. P. 23.1.57, note de M. Louis

Sarrut).

Délais des actions en desaveu et en recherche de la paternité


naturelle. — 1° Action en — a considéré
désaveu Ici, la loi qu'il y avait,
à raison des scandales que décharge l'action en désaveu, nécessité de ne

pas laisser trop longtemps en suspens l'état des personnes. De plus, l'atti-
tude d'un mari soi-disant outragé, qui ne pense à agir que longtemps après
l'outrage, est suspecte. La loi a donc inclus le droit du mari lui-même
dans un délai très bref. Aux termes de l'article 316, « dans les divers
cas où le mari est autorisé à réclamer, il devra le faire, dans le mois, s'il
se trouve sur les lieux de la naissance de l'enfant ; — dans les deux mois

après son retour, si à la même époque il est absent ; — dans les deux mois

après la découverte de la fraude, si on lui avait caché la naissance de


l'enfant ».
Pour les héritiers du mari décédé avant d'avoir fait sa réclamation, mais
étant encore dans le délai utile pour la faire, le délai, nous l'avons vu,
est de deux mois à partir du moment où l'enfant se serait mis en posses-
sion des biens du mari, ou de l'époque où les héritiers seraient troublés
par l'enfant dans cette possession (art. 317).
Pour les uns et les autres, le délai peut être prolongé d'un mois au moyen
d'un acte extrajudiciaire dans lequel le mari ou l'héritier signifie à l'enfant
son intention de former l'action en désaveu (art. 318). Cet acte, dit la loi,
sera comme non avenu s'il n'est suivi, dans le délai d'un mois, d'une ac-
tion en justice dirigée contre le tuteur ad hoc donné à l'enfant.
2° Action en recherche de la naturelle. — La loi du 16 no-
paternité
vembre 1912 a également inclus dans un délai assez bref l'exercice de
l'action qu'elle
organise. Elle a considéré qu'il importe de ne pas laisser
le prétendu père sous la menace indéfinie d'un procès. D'ailleurs, les légis-
lations étrangères avaient tracé la voie à la nôtre en un
impartissant
délai assez court à la recherche (Suisse et Angleterre : un an ; Belgique :
trois ans; Hollande et
Allemagne : trois ans). Dans le nouvel article 340
de notre Code, il y a lieu de distinguer deux hypothèses.
A. — S'agit-il de l'exercice de faction la mère ou le représentant
par par
légal de mineur, alors l'action devra être intentée « dans les deux
l'enfant
années qui suivront l'accouchement » (art. al. dans les
340, 11). Toutefois,
cas où la recherche serait rendue admissible le notoire de
par concubinage
la mère et du père prétendu ou
ce fait
par que le père prétendu a concouru
à et à l'entretien de l'enfant en qualité de père, « l'action
l'éducalion pourra
être intentée jusqu'à l'expiration des deux années qui suivront la cessation
soit du concubinage, soit de la participation du à l'entretien
prétendu père
et à l'éducation de l'enfant » (art. 340, al. 12). La raison dicte ces deux
qui
dispositions est manifeste : lorsque l'action est exercée durant la minorité
de l'enfant, la loi présume que ce les de celui-ci
qui pousse représentants
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 311

à agir, c'est le désir d'assurer son éducation en le préservant du dénuement


où le laisse l'abandon de son père.
B. — « Si l'action n'a pas été intentée pendant la minorité de l'enfant,
celui-ci pourra l'intenter pendant toute L'année suivra sa »
qui majorité
(art. 340, al. 14). Ainsi, l'enfant conserve le droit d'agir personnellement
alors même que son éducation est terminée. Mais il faut vite.
qu'il agisse
Bien entendu, si sa mère ou son
représentant avaient exercé l'action pen-
dant sa minorité, mais sans l'enfant n'aurait
succès, pas lo droit d'agir une
fois majeur. En effet, il se heurterait alors à l'autorité de la chose jugée.

SECTION II. — PORTÉE DES JUGEMENTS RENDUS


EN MATIÈRE DE FILIATION 1.

Effet relatif de ces — Il résulte de tout ce qui précède,


jugements.
que la détermination de la filiation véritable d'un individu peut intéresser
bien d'autres personnes que celles qui ont figuré dans un relatif à
litige
cette filiation, soit qu'elle ait été réclamée, soit qu'elle ait été contestée.
Une question générale se pose donc. C'est de savoir si la décision rendue
sur le procès engagé ou soutenu par un intéressé est opposable erga omnes,
c'est-à-dire à tous les autres intéressés ? Ou bien, au contraire, faut-il
appliquer en cette matière
le principe, consacré par l'article 1351, de la re-
lativité de la chose jugée? Faut-il décider que le jugement intervenu n'a de
valeur qu'à l'encontre ou en faveur des parties engagées dans l'instance
qu'il termine, et que les autres intéressés conservent, dès lors, la faculté
de remettre en question, en ce qui les concerne, la filiation déjà discutée?
A première vue, la relativité de la chose jugée en matière d'état des per-
sonnes paraît difficile à admettre. Elle conduit à des résultats singuliers.
Qu'on suppose un enfant exerçant une action en réclamation d'état contre
l'un des héritiers de sa mère prétendue, mais négligeant de mettre l'autre
en cause. Il réussit dans son instance contre Primus. Le voilà réputé fils
légitime de la défunte, à l'égard de ce dernier
; mais à l'égard de Secun-
dus, il reste toujours un étranger et ne pourra lui disputer sa part de suc-
cession. Inversement, qu'on suppose une action en désaveu dirigée par un
seul des deux héritiers du mari, l'autre ayant refusé de s'y associer. Si la
demande est admise, l'enfant désavoué sera réputé enfant adultérin à l'é-

gard du demandeur; mais il sera toujours l'enfant légitime du défunt en


ce qui concerne l'autre héritier !

Cependant, la Jurisprudence est fixée en ce sens qu'il faut appliquer ici


le principe essentiel de l'article 1351. Pour qu'il y ait lieu à autorité de la
chose il faut, dit-elle, la demande soit formée « entre les mêmes
jugée, que
parties ». Donc le jugement, qui attribue un état déterminé à un individu,
n'a de valeur qu'à l'égard de ceux qui ont été ses adversaires dans l'ins-
tance. inter alios aliis neque pocere neque prodesse potest. En
Res judicata

1. Chéneaux, De l'autorité de la chose jugée dans les questions d'état, thèse


Bordeaux, 1895.
342 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

à cette fondamentale, il faudrait un texte formel


effet, pour déroger règle
3 janvier D. P.
et on n'en trouve pas en la matière (V. note sous Req., 1866,
66.1.417; Civ. 23 avril 1925, D. P. 1925.1.201, note de M. Savatier). Bien
le Code contient une disposition d'où l'on peut tirer, en faveur du
plus,
de la jurisprudence, argumentun sérieux
d'analogie. C'est l'ar-
système
ticle 100, concernant l'effet des jugements contenant rectification d'un
acte de l'état civil, d'après lequel « le jugement de rectification ne pourra
dans aucun temps être aux parties intéressées qui ne l'auraient
opposé
ou qui ». Ainsi, le principe de
pas requis, n'y auraient pas été appelées
l'article 1351 est la loi aux rectifiant l'état civil
appliqué par jugements
des personnes. Or, un jugement de ce genre présente, avec les décisions
rendues en matière de filiation, une analogie telle qu'il est difficile parfois
de les un de cujus mourant et laissant trois enfants
distinguer. Supposons
légitimes, dont deux seulement ont été déclarés comme tels ; sa succes-
sion est partagée entre ces derniers. Le troisième enfant s'aperçoit alors

que son acte de naissance a été mal rédigé et ne fait pas ressortir sa filiation.
Il agit en rectification, afin de se procurer un titre qui lui permette de
venir concourir au partage. Mais supposons que, par hasard, il se trouve
n'avoir mis en cause que l'un de ses frères ; c'est à celui-là seul qu'il
pourra réclamer sa part de succession ; l'autre sera en droit de le repous-
ser, parce que le jugement de rectification ne lui est pas
opposable (art. 100,
C. civ.). Dans que nous venons de supposer, il s'agissait des
l'hypothèse
actes de l'état civil qui sont, en somme, la preuve, la constatation de l'état
des personnes, mais ce que la loi décide en ce cas ne doit-il pas être admis,

lorsque c'est l'état lui-même qui est contesté?

Systèmes doctrinaux contraires à la thèse de la relativité des


— On a élevé des objections contre le de
jugements. cependant système
la Jurisprudence. On s'est efforcé de l'écarter dans certains cas. Mais ces
tentatives doctrinales n'ont pu prévaloir contre l'autorité d'un texte géné-
ral aussi fondamental que l'article 1351.
lu de l'indivisibilité de l'état. — On a allégué d'abord le
Système que
principe de la relativité de la chose jugée serait inapplicable aux questions
d'état, parce que l'état est en soi indivisible. Et l'on n'a nulle peine à dé-
montrer qu'on ne peut être à la fois l'enfant d'une personne et celui d'une
autre. Mais il y a là un pur truisme étranger à la question. Ce fait l'in-
qui
divisibilité d'une demande, ce n'est pas sa cause, mais son Or, lors-
objet.
individu sa filiation exercer tels ou tels droits
qu'un invoque pour qui en
dépendent, l'objet de sa demande est parfaitement divisible ; ce sera, par
exemple, une part de succession, une pension etc. Il n'y a
alimentaire,
donc pas d'impossibilité à ce qu'il obtienne une de ces
partie prétentions
et non l'autre, suivant qu'il se trouve en face de tous ses adversaires ou
d'un seul d'entre eux.
2° Théorie des contradicteurs légitimes. — Cette doctrine remonte à un
de nos vieux jurisconsultes, d'Argentré sur les partages des
[Avis nobles,
ch. 29), qui l'avait empruntée lui-même à nos anciens romanistes. Elle
DES ACTIONS EN MATIERE DE FILIATION 343

consiste à décider que, si, en principe, la règle de la relativité de la chose


doit s'appliquer en matière de filiation comme en toute il doit
jugée autre,
être fait exception, lorsque l'instance afférente à la filiation d'un individu
a été poursuivie pour ou contre le contradicteur légitime, c'est-à-dire contre
le principal intéressé, par exemple, le prétendu père ou la prétendue mère,
parce que ce dernier est réputé avoir représenté tous les autres intéressés.
Mais cette théorie offre un caractère arbitraire ne permet
qui pas de s'y
arrêter. Certes, lorsque les personnes intéressées à une question d'état sont
les ayants cause, les héritiers d'une autre personne ayant déjà dans
figuré
une instance relative à cette filiation, il ne leur est plus loisible de soulever
la question déjà discutée ; cela tient à ce que le précédent plaideur était
leur auteur, et non à ce qu'il était contradicteur légitime. Mais, en dehors
de cette hypothèse, comment parvenir à dégager quel est, parmi tous les
intéressés, le premier et principal ayant droit? Comment admettre que sa
négligence ou sa collusion puisse compromettre les droits des autres inté-
ressés ? Comment soutenir qu'il les a représentés malgré eux ? Ajoutons
romains sur dans
que les textes lesquels reposait, l'ancien Droit, la théorie
du contradicteur légitime (3, D. de agnosc. et al. lib., XXV, 3 ; 25, D. de statu
hom., I, 5) n'ont qu'un rapport vague et incertain avec la question ; si bien
de d'Argentré était à son déclin dans le dernier
que la théorie déjà état de
notre ancien Droit, comme le prouvent le silence de Pothier
critiques et les
de Merlin [Rép., v° Question d'état, § 3, art 1er). Il est donc impossible d'en
rien tirer aujourd'hui qui puisse faire échec au principe de l'article 1351.

à la de la relativité. — Il ne faut
Tempéraments règle pas d'ailleurs
exagérer les inconvénients de la relativité des jugements en matière de
d'état. D'abord, en fait, il est évident que, lorsque la question a
questions
été jugée entre l'enfant et une personne déterminée, un nouveau procès
engagé avec un autre contradicteur aurait bien peu de chances de recevoir
une solution différente ; les juges, toujours enclins à se fier aux précé-
dents, seraient souvent les mêmes, ou bien ils auraient les mêmes raisons

que leurs devanciers ou contre


pour
pour statuer l'enfant. De plus, il y a
des hypothèses diverses où, en droit, d'après la Jurisprudence, il n'y a

plus moyen de débattre à nouveau une question relative à l'état, qui a déjà
été tranchée par une décision judiciaire. Le résultat est donc le même

que si ces jugements étaient considérés comme ayant une valeur absolue.
Ces hypothèses sont les suivantes :
1° Dans tous les cas où la loi réserve à certaines personnes seulement la
faculté d'exercer une action d'état, il est clair que la décision intervenant
à l'égard de ces personnes, soit qu'elles triomphent, soit qu'elles échouent,
ne pourra plus être remise en question par les autres intéressés, non

point a acquis à leur égard l'autorité de la chose jugée, mais


parce qu'elle
parce que ces autres intéressés n'ont, pas le droit d'agir. C'est ce qui se pro-
duira notamment à propos de l'action en désaveu. Si le mari l'a exercée et
a réussi dans son instance, nul autre n'ayant la disposition de cette action,
l'enfant désavoué lui sera réputé illégitime au regard de tous, et cha-
par
LTVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
344

cun aura le droit de se du


jugement rendu à son encontre; au
prévaloir
si le mari a échoué, l'enfant sera réputé légitime au regard de
contraire,
C'est cette même raison en nullité de mariage pro-
tous. pour qu'un jugement
noncée cause de violence ne peut être mis en question par l'enfant issu
pour
de ce mariage, encore qu'il n'ait pas été partie ; c'est qu'en effet à l'instance

le mariage ne peut être annulé, pour cause de violence, que sur la demande

de l'époux violenté (article 180); l'enfant est donc sans droit pour figurer
dans une instance où la nullité du mariage entaché de violence se trouve

en jeu 14 juin 1890, D. P. 91.2.153, note de M. Loynes, S. 93.2.4).


(Agen,
Nous croyons devrait faire le même raisonnement pour un juge-
qu'on
ment relatif à la déclaration de paternité naturelle. L'enfant seul ayant, aux

termes de l'article 340 (nouveau), la disposition de l'action, le jugement


intervenu en sa faveur ou à son encontre dans une instance de ce genre
devra à tous. Et nous en dirons autant du jugement terminant
s'imposer
un enrecherche de la maternité naturelle, puisque, d'après la Juris-
procès
prudence, l'enfant, ici encore, a seul la disposition de l'action.
2° La Cour de cassation a pareillement décidé qu'un jugement, rejetant
une demande en réclamation d'état d'enfant légitime formée contre le mari

seul, peut être invoqué par la femme ou par les enfants issus du mariage
contre une nouvelle réclamation. En effet, après le jugement qui a décidé

que le réclamant n'est pas l'enfant du mari, toute recherche dirigée contre
la femme de ce dernier tendrait, en réalité, à faire la démonstration d'une
filiation adultérine, ce qui est prohibé par la loi (Req., 3 janvier 1866, D. P.

66.1.417, S. 66.1.89).
3° Des décisions assez anciennes (V. not., Metz, 29 avril 1847, D. P.

47.2.108) admettent qu'en matière de nom de famille (et le nom est une des

conséquences de
la filiation), les jugements, autorisant une personne à por-
ter tel ou tel nom ou lui en intimant la défense, ont une portée absolue. Ils
sont opposables à tous les membres de la famille, n'eussent-ils pas été re-

présentés à l'instance, ou peuvent être invoqués par eux. Cette solution est
motivée par l'indivisibilité du nom.
4° Enfin, un arrêt de la Cour de Paris, en date du 10 février 1898 (D. P.
1900.2.57) décide qu'un jugement annulant la reconnaissance d'un enfant
naturel, en l'espèce pour défaut de signature de l'officier de l'étatcivil.peut
être invoqué contre l'enfant, par toute personne intéressée, n'eût-elle pas
figuré dans l'instance en annulation. Le motif invoqué, c'est la recon-
que
naissance d'an enfant naturel est un acte d'état et qu'on doit en
constitutif
dire autant, par conséquent, du jugement qui le rectifie. Or, la règle de la
relativité de la chose jugée ne s'applique qu'aux déclaratifs de
jugements
droits et non aux jugements constitutifs, tels que les jugements en inter-
diction, en séparation de corps ou de biens, en dation de conseil judi-
ciaire, etc.. Est-il besoin de faire remarquer combien ce raisonnement est
contestable? La reconnaissance d'un enfant naturel n'est un acte cons-
pas
titutif d état ; c'est la simple constatation de la filiation dont cet enfant tire
son état ; c'est donc un acte déclaratif. La décision nous venons de re-
que
lever offre donc le caractère d'une protestation contre la Jurisprudence
DES ACTIONS EN MATIÈRE DE FILIATION 345

acquise en matière de relativité des jugements sur les d'état cl


questions
aussi contre la règle de l'article 100 du Code civil.

Essai d'une théorie transactionnelle. — Au il y aurait


fond, moyen,
croyons-nous, d'écarter ici l'application de la règle de la relativité des ju-
mais par une autre méthode de discussion celle a été em-
gements, que qui
ployée jusqu'à présent. Nous croyons qu'en vérité l'article 1351 ne devrait
pas être appliqué, parce que les motifs qui en justifient la disposition ne se
rencontrent pas en notre matière.
On invoque, pour expliquer en thèse générale l'effet relatif
simplement
des jugements, deux raisons, l'une juridique et l'autre d'équité.
La raison juridique, qu'un c'est
jugement est souvent l'équivalent d'un
contrat entre les parties
; et, en effet, généralement, il est la reconnaissance,
la constatation d'un rapport de droit résultant d'un acte volontaire, d'uncon-
rat, lequel n'a d'effet qu'entre les parties contractantes. L'effet relatif des
jugements (art. 1351) est rigoureusement calqué sur l'effet relatif des actes
juridiques (art. 1165). Ainsi, un jugement rendu contre une personne en
matière de droits réels, bien que non opposable à tout autre qu'à cette per-
sonne, pourra êtreopposé à son ayant cause même à titre particulier, s'il
est antérieur à la transmission du droit qui en a fait un ayant cause. il
Or,
est clair que cette première raison ne s'applique pas, lorsque le jugement
est rendu en matière de filiation. La filiation, en effet, n'estpas un acte ju-
ridique, c'est-à-dire le produit de la volonté des parties ; c'est un fait natu-
rel, produisant des effets erga omnes, et auquel le principe de relativité for-
mulé en l'article 1165 est absolument étranger. L'instrument qui constate ce
fait naturel, bien qu'émanant en général de la déclaration d'une seule per-
sonne, faitpreuve cependant au profit et à l'encontre de tous. C'est le cas
pour l'acte de naissance et pour l'acte de reconnaissance, qui, cependant, sont
dressés à la simple requête du seul déclarant. Pourquoi un jugement, autre
mode de démonstration de la filiation, offrant en réalité beaucoup plus de
garanties, n'aurait-il pas le même effet absolu ?
C'est ici qu'intervient la seconde raison que l'on invoque pour justifier
la règle de la relativité raison de simple équité. Il serait in-
des jugements,
juste, dit-on, qu'une personne, à qui un jugement peut nuire, se trouvât
atteinte sans avoir pu se défendre. Peut-être la cause, au succès de laquelle
elle est intéressée, a-t-elle été mal soutenue par autrui ? Comment faire
dépendre son sort de cette mauvaise défense, peut-être frauduleusement
concertée entre des tiers ?
On répondra à cette considération, qui a certainement inspiré au légis-
lateur, en matière de rectification des actes de l'état civil, la règle de l'ar-
ticle 100, qu'ici les intérêts éventuels des tiers sont assez garantis, et les
dangers de fraude suffisamment conjurés, par la communication nécessaire
de la cause au ministère public, et par le droit qui appartient à tout tiers
intéressé d'attaquer, par la voie de la tierce opposition, les jugements qui
lui font tort, en cas de fraude ou de dol (art. 474 ets., C. proc. civ.). Certes
il y aurait eu mieux encore à faire, et ii est regrettable que le législateur

DROIT; — Tome I. 23
346 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

actions relatives à l'état des une disposition


n'ait pas étendu aux personnes
a prise en matière de rectification d'actes de l'état civil. Nous voulons
qu'il
de celle de l'article 856 du Code de procédure civile, d'après laquelle
parler
« les ordonneront, s'ils l'estiment convenable, que les parties inté-
juges
ressées soient appelées et que le conseil de famille soit préalablement con-

voqué ». Une telle procédure, imaginée pour conjurer les inconvénients


résultant de l'eftet simplement relatif attribué au jugement à rendre en ma-
tière de rectification d'état civil, serait tout aussi efficace pour empêcher
qu'une décision, rendue en matière d'état des personnes et à laquelle se-
rait attaché un effet absolu, pût injustement nuire à autrui.
Reste à préciser le système que nous substituerions à celui de la Juris-

prudence. Ce que nous voudrions, ce serait qu'on attribuât aux jugements


rendus en notre matière la même force, la même autorité qu'aux autres
instruments probatoires de la filiation admis par la loi, tels que l'acte de
naissance ou la reconnaissance, ni plus ni moins. Nous ne prétendons donc
point que la filiation établie par un jugement soit désormais indiscutable.
Aucun mode de constitution de la filiation n'a cette vertu. Touspeuvent
être discutés. Il n'en est différemment, on s'en souvient, que lorsque l'en-
fant (art. 322) réunit en sa personne deux preuves de filiation à la fois,
l'acte de naissance et, de plus, la possession d'état. Mais lorsqu'il ne s'ap-
puie que sur une seule preuve, les intéressés peuvent opposer lui
la preuve
contraire. Seulement, l'acte de naissance, la reconnaissance, la possession
d'état font foi provisoirement et jusqu'à nouvel ordre. C'est à celui qui les
conteste à en détruire l'autorité, s'il le peut, en apportant des preuves plus
convaincantes en sens contraire ; mais il ne suffira pas à l'adversaire de mé-
connaître la preuve acquise pour contraindre l'enfant à recommencer à son'
encontre une nouvelle démonstration. Pourquoi n'en serait-il de même
pas
des jugements rendus en matière d'état? Dans notre système, ils n'auraient
pas, à l'égard des tiers, l'autorité de la chose jugée, en ce sens ne
qu'il
suffirait pas de les invoquer pour fermer la bouche aux non re-
parties,
présentées dans l'instance, qui voudraient en contester les mais
résultats;
ils feraient foi provisoire, et celui qui les aurait obtenus les utili-
pourrait
ser à d'autres fins que celles
qui étaient primitivement en jeu, sans avoir
l'obligation de faire chaque fois un nouveau procès.
On remarquera que la solution préconisée par nous est précisément celle
qu'admet la Jurisprudence, lorsqu'il de déterminer l'effet des
s'agit juge-
ments rendus en matière de droit de droit absolu lui aussi
propriété, et,
par là, comparable à celui qui résulte des personnes. de l'étatLe jugement
qui, dans une instance engagée entre Primus et Secundus, déclare Primus
propriétaire, est opposable à toutes personnes autres mais
que Secundus,
sous réserve du droit qui appartient à ces tiers d'en détruire l'effet en jus-
tifiant, s'ils le peuvent, à rencontre de Primus, d'un droit meilleur ou plus
probable (V. en dernier lieu, Req., 20 février 1900, D. P. 1900.1.250). C'est
justement ce régime qui, à notre avis, devrait, rationnellement, gouverner
les eflets des jugements rendus en matière de filiation.
CHAPITRE V

DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE

Ce chapitre sera divisé en trois sections


Dans une première section, nous nous contenterons de tracer un tableau
'ensemble des différents effets de la parenté ou de l'alliance, sans entrer
ans leur étude détaillée, soit parce que nous en avons déjà traité à propos
'autres matières, soit parce que nous devons les réserver pour une étude
ltérieure.
Dans les deux autres sections, nous nous occuperons spécialement de
eux effets de la parenté et de l'alliance qui, nécessitant une étude spéciale,
faisant, pair ailleurs, l'objet d'une théorie propre, trouvent ici leur place
à savoir le Droit au nom et l'Obligation alimentaire.
gique,

SECTION I. — TABLEAU D'ENSEMBLE DES EFFETS DE LA PARENTÉ


ET DE L'ALLIANCE.

Ces effets diffèrent suivant qu'il s'agit de parenté légitime, de parenté


doptive, de parenté naturelle ordinaire, de parenté adultérine ou inces-
leuse.


§ 1. Effets de la parenté et de l'alliance légitimes.

Les effets de la parenté légitime, et plus particulièrement de la parenté


1 ligne directe, sont nombreux et variés. Nous nous contenterons d'en
ter quelques-uns,
1° La parenté fait naître entre à un certain
parents degré l'obligation
imentaire réciproque (art. 205 et s., C. civ.).
2° Elle impose certains devoirs et engendre aussi certains droits de famille

roit de former opposition au mariage, de former une demande en nullité

mariage, de provoquer l'interdiction d'un parent, etc., obligation


exercer la tutelle ou de faire partie d'un conseil de famille, etc.).
3° Elle crée certains au
empêchements mariage.
4° Elle entraîne certaines comme celle d'être témoin dans un
incapacités,
te notarié ou un testament concernant un parent (art. 975, C. civ. ; adde :
t. 66, C. proc. civ.
; art. 10, 1. 25 ventôse art. 268, an XL V.
283, aussi
proc. civ.), celle de faire partie d'un même tribunal, d'une même cour,
un même conseil etc. ; de même elle fait, dans certains cas,
municipal,
ésumer une interposition de personnes, quand une donation ou un legs
t adressé au proche d'un al. 2, C. civ.).
incapable (art. 911,
348 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE

5° Particulièrement, la parenté en ligne directe donne lieu à la


légitime
puissance paternelle.
6° Elle entraîne le droit au nom.
1° La parenté légitime enfin crée des droits de successibilité réciproque
jusqu'à un certain degré (art. 755, C. civ.).
Quant à légitime, elle entraîne certains empêchements au ma-
l'alliance
riage et, dans certains cas, une obligation alimentaire.
On remarquera que les enfants légitimés par le mariage de leurs parents
sont, quant aux effets attachés à leur filiation, entièrement assimilés à des
enfants légitimes. Mais cette assimilation se produit
ne qu'à partir du ma-

riage qui a entraîné la légitimation. Celle-ci n'a pas d'effet rétroactif. Ainsi,
l'enfant légitimé n'aura aucun droit à prétendre dans la succession des
parents de ses auteurs décédés dans l'intervalle compris entre sa concep-
tion et sa légitimation. Par exemple, Primus a eu un enfant naturel de
Prima ; puis il a épousé Secunda ; il en a eu un enfant légitime, puis il a
perdu sa femme et l'enfant de celle-ci dont il a hérité. Devenu veuf, il

épouse Prima, légitimant ainsi l'enfant naturel qu'il avait eu de cette der-
nière. Celui-ci, bien qu'assimilé à un enfant légitime, n'aura aucun droit
à prétendre dans la succession de son frère prédécédé; cette succession
restera tout entière à son père.

§2.-— Effets de la parenté adoptive.

L'adoption de notre Droit, à la différence de celle du Droit romain, n'en-


traîne pas pour l'adopté de changement de famille. conserve dans
L'adopté
sa famille naturelle le même état, les mêmes droits, les mêmes devoirs
qu'auparavant (art. 348, al. 1).
L'élément nouveau qu'apporte l'adoption, c'est de entre
créer, l'adoptant
et l'adopté, des liens de famille purement civils.
Deux conséquences découlent de cette formule. lien
D'abord, qu'aucun
ni rapport de droit n'est créé entre et la famille de l'adoptant;
l'adopté
ensuite, que les droits et les obligations
l'adoption résultant
sont exclu-de
sivement ceux qui résultent d'un texte formel. Mais il s'en faut que la Doc-
trine et la pratique aient rigoureusement observé ces deux règles.
1° Transmission du nom. — La
transmission du nom de l'adoptant à
l'adopté est l'un des principaux effets de l'adoption Nous le ré-
(art. 351).
servons pour en traiter dans notre Théorie du droit au nom.
2° Etat de famille. — Nous avons vu que le Code civil fait découler de
l'adoption un lien de parenté entre et et dans
l'adoptant l'adopté même,
une certaine mesure, d'alliance ou d'où
affinité, résultent certains empê-
chements au mariage (art. 348). Nous n'avons à revenir sur
pas ce point.
Mais à la parenté artificielle créée par l'adoption entre l'adoptant et
l'adopté, d'autres textes ou la rattachent certains
pratique autres effets.
A. — L'article 299 du Code de parricide
pénal qualifie le meurtre commis
par l'enfant adoptif sur l'adoptant, et la même assimilation est faite pour
les coups et blessures par l'acticle 312.
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 349

B. — On admet communément que le vol entre père et enfant adoptif


est affranchi de pénalité, conformément à l'article 380 du Code pénal.
G. — L'article 35 de la loi du 5 avril 1884, qui interdit au beau-père et au
gendre de faire partie du même conseil municipal, doit être considéré
comme l'interdisant à l'adoptant et au mari de la fille adoptive.
D. — L'enfant doit être considéré comme au nombre
adoptif compris
des personnes à qui l'article 490 du Code civil permet de provoquer l'inter-
diction d'un dément.
E. — L'adopté et l'adoptant sont compris au nombre des personnes pré-
sumées interposées par l'article 911 du Code civil, en cas de libéralité s'a-
dressant à un incapable.
F. — L'enfant adoptif est compris dans la famille de l'usager, quand il
s'agit de déterminer la quantité de fruits qu'il est admis à exiger (art. 630,
C. civ.).
3° Obligation alimentaire. — fait naître entre et
L'adoption l'adoptant
l'adopté une obligation alimentaire que nous retrouverons prochainement
(art. 356).
Nous nous contentons aussi de renvoyer à nos développements ultérieurs
en ce qui concerne le droit de successibililé de l'adopté à l'égard de l'adop-
tant, et le droit de retour légal de l'adoptant sur les biens donnés par lui
à l'adopté, au cas où ce dernier prédécède sans postérité (art. 358, 359).

— Effets de la naturelle ordinaire.


§3. parenté

Deux remarques essentielles doivent être faites tout d'abord :


En premier lieu, quand nous parlons de filiation naturelle, il s'agit d'une
filiation légalement constatée au moyen d'une reconnaissance volontaire
ou forcée. La filiation naturelle non légalement constatée ne produit, en

principe, aucun effet juridique.


En second lieu, même légalement constatée, la filiation naturelle n'éta-
blit de lien
qu'entre l'enfant et l'auteur de la reconnaissance volontaire ou
forcée, mais non avec les parents de celui-ci. Nous avous vu cependant qu'il
y a lieu de faire exception à ce principe quant aux empêchements au

mariage.
Ceci posé, la filiation naturelle produit des effets analogues à ceux de
la filiation légitime, mais moins étendus :
Elle donne lieu à la puissance paternelle, aux empêchements au mariage,
à l'obligation alimentaire réciproque. Elle entraîne certains droits de suc-

cessibilité, moins étendus toutefois que ceux des enfants légitimes, bien

que la loi du 25 mars 1896 les ait considérablement élargis (art. 756 et s.).
En revanche, elle crée pour l'enfant une certaine incapacité de recevoir de
ses père et mère par donation entre vifs ou par testament (art. 908).
Ajoutons que la présence d'un enfant naturel ne met pas obstacle à l'adop-
tion d'un autre qui serait impossible en présence d'un en-
enfant, adoption
fant légitime De même, la survenance d'un enfant légitime
(art. 343).
entraîne de plein droit la révocation des donations laites auparavant par
350 LIVRE I _ TITRE I. _ DEUXIÈME PARTIE

l'auteur de cet enfant (art. 960) ; cet effet ne serait pas produit par la pro-
création par la reconnaissance
ou d'un enfant naturel.
En ce qui concerne l'aillance naturelle, nous nous contenterons de ren-
à ce qui en a déjà été dit en matière d'empêchements au mariage.
voyer
Cet effet, à supposer qu'on l'admette, est le seul que produise l'alliance
naturelle.

Identité des effets de la filiation naturelle, de quelque manière


ait été établie. — Nous avons mis en lumière et nous avons
qu'elle déjà
cru devoir critiquer ce trait caractéristique de la législation française, que
les enfants naturels ont des droits identiques, de quelque manière que leur
filiation soit établie. Ainsi, l'enfant dont la filiation a été déclarée à la
suite d'une instance judiciaire en recherche de la paternité ou de la mater-

nité, aura exactement la même situation de famille, au point de vue, notam-

ment, du droit de succession et du rapport de puissance paternelle, que


l'enfant reconnu volontairement. Le préjugé égalitaire, si puissant dans

l'esprit français, parce qu'il repose sur un sentiment de justice et d'huma-

nité, n'a pas à notre législateur d'adopter l'idée, cependant si ration-


permis
nelle, nous l'avons vu, d'une paternité purement alimentaire, en cas de
filiation établie en justice.
Cependant, il est intéressant de constater qu'au point de vue, à tout le

moins, des droits réciproques de succession, on


a pu soutenir autrefois,
avec des arguments non dépourvus de valeur, que le Code civil consacrait
cette solution. L'un de nos plus grands jurisconsultes, Merlin (Répertoire,
v° Enfants naturels), avait prétendu que les enfants naturels, dont la filiation
n'a pas été volontairement reconnue, ne peuvent prétendre exercer de droit
héréditaire dans la succession de leur auteur. En effet, disait-il, l'article 338

porte que les enfants naturels reconnus ont des droits inférieurs à ceux des
enfants légitimes, droits qui « seront réglés au Titre des successions »(art. 756,
763). Or, dans les textes qui précèdent l'article 338, il n'est question que de
reconnaissance (au sens étroit du mot, c'est-à-dire de reconnaissance vo-

lontaire) et jamais de recherche de filiation. Il faut arriver aux articles 340


et 341 pour qu'il soit question de la détermination de la filiation naturelle,
malencontreusement qualifiée par les interprètes de reconnaissance forcée.
Quoi qu'il en soit, l'opinion de Merlin, bien qu'elle ait été consacrée par
un arrêt de la Cour de Liège du 18 janvier 1838, n'a jamais été admise ni
sérieusement soutenue chez nous 1.

1. La loi belge du 6 avril 1908 sur la recherche de la paternité a établi, à la diffé-


rence de notre loi de 1912, la distinction suivante. Elle n'admet la recherche de la
paternité naturelle au sens strict du mot, c'est-à-dire en vue de conférer à l'enfant
tous les droits attachés à sa filiation, que dans deux où la certitude de
hypothèses
la paternité est presque complète : 1° celle de possession d'état; 2° celle d'enlèvement,
séquestration ou viol. Dans d'autres hypothèses où la certitude est moindre, elle
n'autorise qu'une action alimentaire contre l'homme qui a eu des relations avec la
mère à l'époque de la conception. La preuve de ces relations ne peut émaner que:
1° d'un aveu écrit du défendeur ; 2° de la notoriété des relations habituelles ; 3° de
l'attentat à la pudeur commis sur une fille de moins de seize ans ; 4° de la séduction
promesse de d'autorité, distinction donne à la loi
par mariage, fraude, abus Cette
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 351

Nous allons cependant rappeler (v. nonobstant ce


supra, p. 291) que,
d'une rigoureuse égalité entre tous les enfants il en est
principe naturels,
une catégorie exceptionnelle qui ne tirent de leur filiation des droits
que
restreints et incomplets.

Exception au principe : Enfant reconnu pendant le —


mariage
Aux termes de l'article 337, « la reconnaissance faite le mariage,
pendant
par des époux, au profit d'un enfant naturel aurait avant son
l'un qu'il eu,
mariage, d'un autre que de son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci, ni aux
enfants nés de ce — Néanmoins, elle produira-son effet
mariage. après la
dissolution de ce mariage, s'il n'en reste pas d'enfants ».
Cette disposition, adoptée sans discussion sérieuse, lors de la rédaction
du Code se fonde sur cette idée que l'époux et les enfants légitimes
civil,
possèdent un
droit acquis auquel le conjoint ne peut faire échec en recon--
naissant, au cours du mariage., un enfant naturel dont l'existence avait été
par lui dissimulée au moment où il s'est marié. Mais cette vague justifica-
tion d'équité n'empêche pas que la règle de l'article 337 ne prête aux plus
graves critiques.
D'abord, elle est injuste et peu conforme aux principes qui dominent le
Code civil en matière de filiation naturelle. Nous avons vu que la recon-
naissance est, en général, considérée dans notre Droit comme un acte pure-
ment déclaratif, un simple mode de constatation de la filiation. C'est de
celle-ci et non de la reconnaissance que l'enfant naturel tient ses droits à
rencontre de ses auteurs. La date à laquelle intervient la reconnaissance
devrait donc être indifférente. Et comment peut-on nous parler ici de
droits acquis par la famille légitime à l'encontre de l'enfant naturel né avant
le mariage? Si quelqu'un possède des droits acquis, n'est-ce pas plutôt
l'enfant naturel puisque, par hypothèse, il était déjà mis au monde avant
la création, par le mariage de son auteur, de la famille avec la-
légitime
quelle il se trouve maintenant en conflit?

De plus, la disposition de l'article 337 n'a pas même le mérite d'être


efficace et de protéger complètement le conjoint et les enfants issus du
mariage contre les dangers, les fraudes et la surprise dont on a voulu les
sauvegarder. D'une part, en effet, pour que la reconnaissance leur soit
inopposable, il faut qu'elle soit faite après le mariage. Mais un conjoint

belge une apparence plus rationnelle qu'à la nôtre, quoiqu'en saine logique et en
équité, il paraisse préférable dé ne faire aucune distinction et dé ne pas accorder à
l'enfant naturel, quel qu'il soit, du moment qu'il a du forcer la résistance de son
père prétendu pour établir sa filiation, des droits à la succession de celui-ci. Sur un
autre point, la loi belge nous paraît, sans conteste, supérieure à la nôtre, c'est en
ce qui concerne la mère, dont notre loi de 1912 a le tort de passer sous silence les
droits personnels. L'article 340 c (nouveau) du Code belge dit en effet « ... La mère
a droit aux frais d'accouchement, ainsi qu'à son entretien pendant les quatre se-
maines qni suivent la délivrance, sans préjudice aux dommages-intérêts qui peuvent
lui être dus par application de l'article 1382. » Cette allocation à la fille-mère des
frais de gésine est une tradition, oubliée par nous, de notre Droit coutumier. Ces
frais étaient accordés de plano sur la déclaration de la mère, du moment qu'elle
jouissait, avant sa faute, d'une bonne réputation. Tel était, on l'a vu le sens véritable
de l'adage si souvent cité: « Creditur virgini se ab aliquo praaegnantem dicenti.
352 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

avisé pourra effectuer la reconnaissance avant le mariage et secrètement, en

employant, par exemple, un acte notarié. Révélée seulement après le ma-

riage, cette reconnaissance sera cependant parfaitement opposable au

conjoint et aux enfants légitimes ! Et, d'autre part, la loi elle-même réserve
le cas d'une reconnaissance faite après la dissolution du mariage. Celle-ci
produira tous ses effets (Douai, 26 février 1903, D. P. 1904.2.385). La sur-

prise qui en résultera pour la famille légitime ne sera cependant pas moins
désagréable et inattendue que celle qu'aurait produite une reconnaissance
effectuée durante matrimonio.

Ajoutons que la portée de l'article 337 est laissée tout à fait dans le vague
et donne lieu à diverses questions délicates et controversées.

Quelle est
portée la
de l'article 337 ? — Un point qui parait hors
de doute, c'est que la disposition restrictive de l'article 337 n'a trait qu'aux
intérêts pécuniaires de l'époux et des enfants légitimes. Elle reste étran-
gère aux effets de la filiation naturelle quant à la personne de l'enfant. Ainsi,
celui-ci, bien que reconnu pendant le mariage, aura droit au nom de son
auteur; il sera soumis à la puissance paternelle, etc. Mais il ne pourra
certainement exercer aucun droit dans la succession de son auteur, à ren-
contre des enfants légitimes de ce dernier ni des descendants de ceux-ci.
Et, si son auteur ne laisse pas d'enfants ni de descendants légitimes ni de
parents au degré successible, le conjoint survivant, appelé à recueillir la
succession à défaut de parents légitimes, exclura l'enfant naturel reconnu
dans les conditions de l'article 337. Mais divers points restent douteux.
1° D'abord, l'enfant naturel en question sera-t-il l'article 337
privé par
du droit d'exercer sa créance d'aliments pendant la durée du mariage?
C'est une question que nous ne tarderons pas à rencontrer, en traitant de
l'obligation alimentaire dans son ensemble.
2° Nous réservons de même le point de savoir si l'article 337 à
permet
l'enfant naturel de recevoir une donation ou un legs de son auteur, et s'il
lui laisse le droit de faire réduire à la quotité la donation ou le
disponible
testament fait par le défunt à son conjoint. Nous retrouverons ces points
en traitant des successions.
3° En revanche, nous examinerons ici la extrêmement contro-
question
versée de savoir si l'article 337 s'applique au cas où l'enfant naturel a été
l'objet, pendant le mariage, d'une reconnaissance non mais for-
volontaire,
cée. Il y a de sérieuses raisons ne
pour pas admettre l'assimilation des
deux reconnaissances. Des raisons de texte d'abord. L'article 337 nous dit
que ce qui ne peut nuire au conjoint ou aux enfants issus du mariage c'est
« la reconnaissance le mariage
faite pendant par l'un des époux». Lorsqu'il
y a eu procès en recherche de la maternité ou de la paternité, peut-on dire
qu'il y a eu reconnaissance faite par l'époux? Non évidemment. La recon-
naissance — si reconnaissance il y a — n'a pas été faite par lui, mais contre
lui. Et, si l'on va au fond des on affirmer
choses, peut que le motif, qui
justifie tant bien mal l'article
que 337, ne se rencontre pas dans l'hypothèse.
On ne peut dire que l'époux ait commis le manquement à la foi jurée, la
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 353

raude contre laquelle l'article 337 veut, à tort ou à raison, prémunir


on conjoint et ses enfants légitimes. C'est à son corps défendant qu'il a
té déclaré l'auteur de l'enfant ! Et cependant, la jurisprudence ne
emble pas admettre qu'il faille faire une distinction, et elle assimile, au
joint de vue de l'application de l'article 337, l'enfant qui a triomphé dans
me instance en recherche de la paternité ou de la maternité à l'enfant
econnu volontairement (V. note de M. Gapilant),P. F. 95.2.129; note de
Planiol D. P. 1904.2.385 ; note de M. de Gourmont S. 1905.2.145 ; Req.
5 février 1923 D. P. 1924.1.46).
Bien plus, lorsqu'il y a procès en recherche de la paternité ou de la ma-
ernité naturelle au cours du mariage du défendeur, la jurisprudence tire
le l'article 337 cette conséquence singulière que l'enfant naturel ne peut se
ervir d'éléments de preuves (lettres, possession d'état, présomptions), serat-
achant à des faits postérieurs au mariage (Giv., 17 février 1851, D. P. 51.1.
13, S. 51.1.161; Metz, 10 août 1864, D. P. 64.2.225, S. 64.2.246) ; autre-
ment, nous dit-on,la reconnaissance de l'enfant naturel nuirait au conjoint
il y aurait violation de l'article 337 ! Etrange manifestation de cette con-
t
usion constamment commise par la
jurisprudence, par la loi elle-même,
it consistant à voir dans la tantôt un instrument
reconnaissance, simple
robatoire, tantôt un acte volontaire, une sorte d'adoption.

— filiation adultérine ou incestueuse.


§ 4. Effets de la

Les effets de la filiation adultérine ou incestueuse sont extrêmement res:


treints. ils se bornent, d'après les textes, à une créance d'aliments de l'en-
fant contre son auteur (art. 762).
Ajoutons cependant que la filiation adultérine, légalement établie, donne
à l'enfant le nom de son auteur et qu'à notre avis elle produit aussi l'em-

pêchement au mariage.

Quand et comment la filiation adultérine et incestueuse est-elle


légalement établie ? — Reste à répondre à cette question qui donne lieu à
une difficulté classique. En effet, sauf dans le cas où elle sert de support
à une légitimation par mariage concomitant des auteurs de l'enfant, la loi
prohibe la reconnaissance volontaire (art. 335) ou forcée (art. 342) de la
filiation incestueuse ou adultérine. On doit, dès lors, se demander com-
ment la même loi peut accorder à l'enfant certains droits à rencontre de
ses auteurs, étant donné ce principe que celui qui
invoque des droits fon-
dés sur une qualité prétendue doit faire la preuve de la qualité qu'il in-

voque. Or, tout élément de preuve est ici écarté a priori par la loi.
Il y a cependant certaines hypothèses où, par suite de diverses circons-

tances, la filiation incestueuse ou adultérine peut se trouver légalement


établie, nonobstant la prohibition de la reconnaissance volontaire ou
forcée.
du mari. — On
Première hypothèse : Désaveu peut supposer que l'enfant
né d'une femme. mariée, et déclaré comme enfant légitime par son acte de
354 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

vient à être désavoué par le mari (art. 312 et s.)- la combi-


naissance, De
naison de l'acte de naissance et du jugement rendu sur l'instance en désa-
veu il résulte que l'enfant est un enfant adultérin de la femme.
A cette première il y a lieu d'assimiler celle où un enfant, diri-
hypothèse
geant une action en réclamation d'état contre une femme mariée, aura
abouti à obtenir jugement un établissant sa filiation, mais où le mari, usant
du droit que lui confère l'article 325, aura pu intervenir dans l'instance et
démontrer que l'enfant n'est pas de lui. C'est là, nous l'avons vu, une va-
riété de désaveu.
Seconde : Nullité d'un inceste. — On
hypothèse mariage pour peut sup-
poser qu'il y a eu mariage entre deux personnes parentes au degré prohibé
par la loi et de mauvaise foi l'une et l'autre. Un enfant en est né et a été
déclaré comme enfant légitime. Puis la nullité du mariage est prononcée

(art. 161-162) et il n'y a pas même mariage putatif. Ici encore, on dit
communément que la filiation incestueuse de l'enfant ressort de la com-
binaison de son acte de naissance et du jugement de nullité. (V. Paris,
8 décembre 1913, Gaz. Pal. 22 février 1913), Nous croyons cette solution
très contestable. L'enfant, pourrait-on dire, n'a pas de filiation établie
à l'égard du prétendu mari, car qu'est-ce qui prouve qu'il en est issu? Il
faudrait faire intervenir ici la présomption de paternité de l'article 312;
mais cette
présomption n'existe qu'en cas de mariage, et, par hypothèse,
il n'y a pas eu de mariage. Et la filiation de l'enfant ne paraît pas davan-

tage établie, au moins avec son caractère incestueux, à l'égard de la mère.


En effet, qu'est-ce qui nous prouve que l'enfant est né des relations
de sa mère avec le pseudo-mari, son parent au degré prohibé ? Il faudrait
ici admettre une présomption de fidélité qui n'existe pas en dehors du

mariage.
Troisième : Nullité d'un — Un a
hypothèse mariage pour bigamie. mariage
été contracté au mépris d'un mariage antérieur non dissous, dans lequel
était engagé l'un des époux. Un enfant est né et a été déclaré comme légi-
time. La nullité est ensuite prononcée (art. 184) et il n'y a pas mariage pu-
tatif, les deux speudo-époux étant de mauvaise foi. Ici encore, on dit com-
munément que la filiation de l'enfant se trouve juridiquement établie avec,
cette fois, un caractère adultérin. les raisons d'être
Mais, pour qui viennent
indiquées à propos de l'hypothèse précédente, certains n'admettront cette
solution que dans le cas où c'est la femme qui est coupable de bigamie. Alors
évidemment l'enfant est un enfant adultérin. Mais, si c'était le pseudo-mari,
qui était bigame, la filiation adultérine de l'enfant ne paraîtrait établie ni
à l'égard de l'homme ni à l'égard de la femme, car rien ne fait légalement
présumer la fidélité de celle-ci.
Quatrième hypothèse : Jugement constatant
filiation et ayant la
acquis
de chose — Ce dernier cas a été ajouté
force jugée aux précédents par une
jurisprudence récente (Req., 3 août 1908, D. P. 1903.1.48, S. 1909.1.244).
La filiation adultérine ou incestueuse peut être considérée comme légale-
ment établie, lorsqu'elle résulte des constatations contenues dans un juge-
ment qui, de ce chef, aurait pu être mais les intéressés ont
attaqué, auquel
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 355

laissé acquérir la force de la chose jugée. L'hypothèse tranchée par l'arrêt

précité de la Cour de cassation était la suivante. Un homme marié et sa


maîtresse avait l'un et l'autre, en 1898, reconnu un enfant comme le leur.
Puis un jugement était intervenu, en 1904, pour déterminer la part contri-
butive du père dans les frais d'éducation et de nourriture de l'enfant. Ce
rendu à la requête de la mère, n'ayant pas été attaqué, était
jugement,
en force de chose jugée. Postérieurement, en 1905, une autre déci-
passé
sion était intervenue, annulant la reconnaissance de 1898, comme faisant
ressortir une filiation adultérine, il a été jugé que cette filiation adultérine
n'en pas moins
était légalement établie, car elle reposait, non sur les actes
de reconnaissance à bon droit frappés de nullité, mais sur le jugement de
1904, dont les constatations relatives à la filiation de l'enfant, bien qu'abu-
sives en principe, avaient néanmoins acquis la force de la chose jugée.

SECTION II. — LE NOM 1

— du nom. Eléments le
§ 1. Définition qui composent.

Le nom est l'appellation servant à la désignation graphique et orale des

personnes. Entendu de la manière la plus large, il se compose de divers


éléments d'importance très inégale et constituée de manières diverses.

1° Le nom de famille. — Le de ces éléments, c'est le


plus important
nom ou nom de famille, ou nom, au sens strict du mot. Il
patronymique,
désigne, dans les sociétés modernes, tous les individus de la même famille,
de telle sorte que le mode d'acquisition normale du nom patronymique, c'est
la filiation.
L'enfant prend le nom du père en cas de filiation légitime et aussi en cas
de filiation naturelle, lorsqu'il n'a été reconnu que par le père. Lorsque
l'enfant naturel n'a été reconnu que par la mère, il prend le nom de celle-
ci, et il en est de même pour l'enfant adultérin, lorsque sa descendance se
trouve établie à l'égard de sa mère.
Lorsque la mère n'a pas reconnu l'enfant, mais que son nom est men-
tionné dans l'acte de naissance, la admet que cet
jurisprudence enfant a
droit au nom de celle-ci.
Lorsque l'enfant naturel a été reconnu par le père et par la mère, soit
simultanément, soit successivement, on admettait sans conteste, avant la
Loi du 2 juillet 1907, le nom du la loi
qu'il prenait père. Depuis que préci-
tée, modifiant l'article 383, attribue, en cas de reconnaissance non simul-
tanée, la puissance paternelle à celui des deux auteurs de l'enfant naturel

1. De Salverte, Essai historique et philosophique sur les noms d'hommes,


Paris, 1824; Lallier, De la propriété des noms et des titres. Paris, 1890; Saleilles,
Le Droit au nom individuel dans le Code civil pour d'Allemagne, Rev.
l'empire
crit. de législation, 1900, p. 94 ; Sudre, Le Droit au nom, thèse Paris, 1903; Per-
reau, Le Droit au nom en matière civile. 1910, et les articles du même auteur dans
Rev.crit., 1900, p. 548, Rev. trim. de droit civil, 1903, p. 515, 1905, p. 65, 1909,
p. 501; Ambroise Colin, note D. P. 1904.2.1; Marx, Le nom de famille; Edouard
kévy, Le manuel des prénoms, Paris, Rousseau, 1922.
I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
356 LIVRE

soutenir l'enfant prend le nom


le on que
qui l'a reconnu premier, pourrait
Nous
c'est elle possède la puissance paternelle.
de la mère, lorsque qui
c'est la règle antérieurement admise qui doit encore
pansons cependant que
l'enfant reconnu par le père, dans
être aujourd'hui, et que
appliquée
ce doit recevoir le nom de ce dernier.
conditions que soit, toujours
quelques et qui
la solution la avantageuse pour l'enfant naturel,
C'est, en effet, plus
de naissance d'un enfant naturel ne doit
d'autant plus que l'extrait
s'impose
révélant sa filiation naturelle (art. 57 nouveau,
contenir aucune mention
dernier alinéa).
le nom peut s'acquérir autrement que par
Par exception, patronymique
la filiation. Il en est ainsi :
— L'adopté à son nom le nom de l'adoptant
1° En cas d'adoption. ajoute
Si c'est une femme mariée qui a fait l'adoption, l'adopté prend
(art. 351)
de la femme, et celui des deux époux, s'il est adopté à
le nom de la famille
et par cas il a, par conséquent, trois noms.
la fois par l'un l'autre, auquel
reçoivent une exception dans l'hypothèse
Les solutions qui précèdent
est un enfant naturel non reconnu. Dans ce cas, en effet, aux
où l'adopté
le nom de par l'acte même
termes de l'article 351, al. 2, l'adoptant pourra,
et du consentement des parties, lui être conféré sans être ajouté
d'adoption
nom. Le motif de cette disposition, c'est que le nom d'un en-
à son propre
naturel non reconnu, issu d'une administrative, est sou-
fant désignation
révélateur de l'origine de l'individu, et celui-ci n'a donc aucun intérêt
vent
à le conserver.
de administrative. — Ce sont les officiers de l'état
2° En cas désignation
civil, d'accord avec l'administration de l'hospice où ils sont placés, qui attri-
buent un nom aux enfants trouvés (art. 58, C. civ. ; Circ, minist., 30 janvier
Ce procédé de administrative par l'officier de l'état civil
1812). désignation
a été, extension, aux enfants naturels non reconnus. En fait,
par appliqué
c'est souvent un prénom qui sera employé pour servir de nom à l'enfant
dans ce cas.
3° En cas de changement de nom. — Ce ne se réaliser
changement peut
qu'au moyen d'un décret. C'est la loi du 11 germinal an XI, titre II, qui a
établi définitivement le principe de l'immutabilité du nom de famille. Lors
donc individu désire en changer, il doit adresser une demande au
qu'un
Président de la République, qui statue par un décret en forme de règle-
ment d'administration publique. Ce décret n'a d'effet qu'après une année,
laquelle tous les intéressés sont admis à se pourvoir devant le
pendant
Conseil d'état, afin de faire opposition au
changement demandé, pour le
cas où il serait de nature à leur porter préjudice ».

2° Le — L'élément secondaire au
prénom. qui s'ajoute généralement
précédent est le prénom. Les prénoms servent à différencier les divers

porteurs du même nom patronymique. Ils résultent d'une indication portée


1. La loi du 2 juillet 1923 permet aux héritiers d'un homme mort pour la patrie
de relever sou nom lorsque le défunt était le dernier descendant mâle de sa famille.
C'est le tribunal civil qui stalue (en chambre de conseil) sur la requête ainsi que
sur les oppositions qu'elle peut susciter.
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 357

sur l'acte de naissance C. civ.) et généralement


(art. 57, assez arbitraire,
puisqu'elle n'a d'autre que source
la volonté du déclarant, il est
lequel est,
vrai, le plus souvent, le père de l'enfant, ou, tout au moins, de
l'interprète
la volonté des parents. Le titre Ier de la loi précitée du 11 germinal an XI
que l'on ne peut donner aux enfants, comme « les
porte prénoms, que
noms en usage dans les différents calendriers » ou ceux des personnages
de l' « Histoire ancienne ». Cette mesure avait été prise pour faire cesser
une pratique assez usuelle à l'époque révolutionnaire, d'ailleurs
inspirée
par l'exemple de l'Angleterre et de l'Amérique, et consistant à donner
comme prénoms aux enfants les noms de personnages contemporains, par-
fois même encore vivants (Robespierre, Marat, Mais la loi en
etc.). ques-
tion a omis de dire ce qu'il faut entendre par « Histoire ancienne ». L'his-
toire des tout derniers siècles est-elle ancienne ? Certains officiers de l'état
civil l'ont pensé, puisqu'on en a vu accepter la désignation de parents qui
donnaient à leurs enfants les prénoms de Voltaire ou de Franklin. Et l'his-
toire comprend-elle la légende? Pourrait-on donnera une fille les prénoms
d'Urgèle ou de Mélusine ? Une circulaire ministérielle de 1865 contient
l'énumération des prénoms qui peuvent être acceptés par les officiers de
l'état civil. Mais ceux-ci ne s'en tiennent pas toujours à ces indications. Et
l'on peut dire qu'il règne en cette matière une véritable anarchie tempérée
par l'arbitraire administratif.

3e Le surnom ou — C'est là un élément de la


pseudonyme. désigna-
tion des personnes plus rarement rencontré. Le surnom peut servir d'abord
à distinguer plusieurs branches de la même famille. Et c'est à ce point de
vue qu'il est visé par l'article 2 de la loi du 6 fructidor an II. Cette disposi-
tion autorise l'usage des surnoms de ce genre, mais à deux conditions :
d'abord, qu'ils ne rappellent point les qualifications féodales et nobiliaires,
et, en second lieu, qu'ils remontent à une période antérieure à la promul-
gation de la loi. Désormais, par conséquent, l'acquisition des surnoms fa-
miliaux se confond avec un changement ou une addition de nom, et néces-
site un décret du chef de l'Etat. Mais il reste, en marge de la loi, les sur-
noms personnels ou pseudonymes, ou encore noms de guerre, employés sur-
tout dans les milieux artistiques et littéraires. C'est une désignation d'une
portée restreinte à la sphère pour laquelle elle est employée, et qui s'ac-
quiert par l'usage prolongé et notoire.

4° Le nom d'autrui. Nom des — Dans un nombre de


époux. grand
cas, la personne est désignée enfin par le nom d'autrui.
A. — Il en est ainsi toujours lorsqu'il s'agit d'une femme mariée, parce
que celle-ci porte régulièrement et normalement le nom de son mari. Cet

usage séculaire, reposant sur des sentiments et des conceptions élémen-


taires, tels que la communauté étroite des intérêts moraux et matériels des
époux, n'a pendant longtemps été consacré par aucun texte positif. Nous
avons vu qu'aujourd'hui il en est différemment, et deux articles du Code
civil, remaniés par la loi du 6 février 1893, consacrent cet usage. L'un de ces
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIEME PARTIE ;
358

al. 2: « Par l'effet du divorce chacun des époux reprend


textes est l'article 299,
de son nom. » L'autre est l'article 311, al. 1 : « Le jugement qui pro-
l'usage
de ou un peut interdire à la
nonce la séparation corps jugement postérieur
le nom de son mari ou l'autoriser à ne pas le porter. »
femme de porter
Il résulte de ces deux dispositions diverses conséquences caractéristiques.
on la femme, en prenant le nom de son
a) D'abord, remarquera que
ne perd le sien En effet, la loi nous dit que, lorsqu'elle
mari, pas propre.
elle de son nom. Elle n'avait donc perdu que
divorce, l'usage reprend
l'usage du sien. Encore, la pratique admet-elle que la femme, lorsqu'elle
un acte, indifféremment ou son nom patronymique ou celui
signe emploie
de son mari.

b) Et, réciproquement, la femme n'acquiert que l'usage du nom du mari,


subordonné à la stabilité de son ménage. Car si, mariée ou veuve,
usage
elle continue à le porter, elle n'en a plus le droit au cas de divorce, et peut

se le voir interdire en cas de séparation de corps. Ajoutons que cet usage


du nom du mari la femme durant le mariage est obligatoire. En effet,
par
puisse le quitter, en cas de séparation de corps, il faut une
pour qu'elle
autorisation de justice.
B. — le mari peut porter le nom de la femme, ou du moins,
Quelquefois,
l'adjoindre au sien. C'était une coutume autrefois répandue dans certaines

provinces (Champagne, Navarre, etc.), et qui s'y est conservée en partie


depuis la Révolution. Et le même usage se rencontre ailleurs, au moins
dans les relations commerciales. Cet usage est-il légal ? Il y a des arrêts qui
l'ont proscrit autrefois.précitée du Mais la loi a reconnu 6 février 1893 en
la régularité. En effet, l'article 299, al. 2, nous parle de « chacun des époux ».
Et l'article 311, al. 1, se termine par cette phrase : « Dans le cas où le mari
aurait joint à son nom le nom de sa femme, celle-ci pourra également (en
cas de séparation de corps) demander qu'il soit interdit au mari de le

porter ».
On remarquera ici que l'usage du nom de la femme par le mari, visé par
la loi, n'est pas obligatoire ni même ordinaire. La loi s'exprime en termes

hypothétiques (Dans le cas où, etc.). Et, de plus, l'usage toléré par la loi
n'autorise pas à substituer le nom de la femme à celui du mari, mais seu-
lement à l'y adjoindre.


§ 2. Nature juridique du droit au nom et des actions
qui le protègent.

1° Le droit au nom est protégé par certaines sanctions pénales.


Tout d'abord, nous citerons l'article 259 du Code modifié la
pénal, par
loi du 28 mai 1858. Cette disposition prononce la de l'amende contre
peine
celui qui « sans droit, et en vue de s'attribuer une distinction honorifique,
aura publiquement changé, altéré ou modifié le nom lui les
que assignent
actes de l'état civil? » Mais la portée de ce texte est très restreinte. D'abord,
il ne vise que les altérations ou modifications but
ayant pour l'usurpation
distinction honorifique, c'est-à-dire d'autre cer-
d'une nobiliaire."Et, part,
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 359

taines de ce genre peuvent tomber sous le


usurpations s'accomplir sans
coup de l'article 259. Ainsi, supposons abusant de la
qu'un père, complai-
sance ou de la crédulité d'un maire de campagne, fasse inscrire son enfant
les registres de l'état civil avec un nom ou
sur usurpé altéré, par exemple,
au moyen de l'adjonction d'une particule, en vue de attribuer une dis-
lui
tinction nobiliaire, ce fait sous le de l'article
ne tombera point coup 259 du
Code puisque le bénéficiaire de l'altération
sera celui ne
pénal, pas qui
l'aura commis. La seule ressource du Parquet (et encore le point est-il fort
discuté.) sera de demander la rectification de l'acte de l'état ce qu'il a
civil,
le droit de faire d'office chaque fois que l'ordre public est intéressé. Seu-
lement, il y a lieu de remarquer en fait que le ministère public laisse,
ces sanctions diverses sans les faire
depuis longtemps, dormir appliquer.
Cette inertie est d'autant plus regrettable que l'article 259 du Code pénal
est généralement considéré comme ayant abrogé les dispositions pénales
par les articles 3 et suivants de la loi du fructidor an
comminées 6 II,
contre ceux qui useraient d'autres noms ou prénoms ceux à
que portés
leur et contre les fonctionnaires
acte de naissance publics qui toléreraient
cet usage (V., cependant, en sens contraire, Cass. 4 mai D.
Belgique, 1857,
P. 57,2, 111 ; Angers, 29 juin 1896, D. P. 98. 2.217, S. 99.1.337).
A côté de l'article 259 du Code pénal, il convient encore de signaler la
loi du 5 août 1899, sur le casier judiciaire, dont l'article 11, modifié la
par
loi du
11 juillet 1900, punit de l'emprisonnement et de l'amende fait
le
de prendre le nom d'une autre personne, dans des circonstances en-
qui
traînent l'inscription d'une condamnation au casier judiciaire de cette per-
sonne. Il faut, pour qu'il y ait lieu à cette sanction, que l'individu, dont le
nom est ainsi usurpé, soit vivant au moment de l'usurpation (Limoges,
26 décembre 1901, D. P. 1902.2.242, S. 1902.2.300).
2° Occupons-nous maintenant des sanctions de droit civil. A ce point de
vue, les actions par lesquelles on fait valoir le droit au nom, rentrent dans
l'une ou l'autre des deux catégories suivantes.
Tantôt, on réclame, on revendique pour soi l'usage de tel nom. L'action
est alors, le plus
généralement, l'accessoire d'une action en réclamation
d'état ou en rectification d'un acte de l'état civil.
Tantôt, on
prétend interdire à un individu
l'usage d'un nom auquel
on a droit. Et l'on peut cette attitude dans
prendre diverses hypothèses.
Ainsi, il se peut que le nom auquel on a droit soit usurpé un tiers,
par qui
le porte indûment. Ou bien encore, ce tiers, sans user du
personnellement
nom contesté, s'en est servi un personnage
pour désigner imaginaire dans
une oeuvre littéraire ou pour un produit met
d'imagination, désigner qu'il
en vente. Ou bien enfin, il est en instance devant le Conseil afin
d'Etat,
un décret l'autorisant à le porter. Dans cette hypothèse,
d'obténir dernière
du protestataire s'exercera, nous l'avons vu, sous, la forme d'une
'action
opposition au décret à rendre et revêtira un caractère administratif. Mais,
dans tous les autres cas, l'action exercée rentrera dans les cadres du Droit
civil. Sur ces diverses hypothèses, notre législation positive reste d'ailleurs
complètement muette, à la différence du Code civil allemand qui, dans son
360 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

article 12, consacre le droit des intéressés, mais sans se prononcer d'ail-
d'agir
leurs sur la nature du droit au nom. Nous lisons en effet dans cet article 12 :

en ce qui touche le droit àd'un nom, droit est troublé


Si, l'usage l'ayant
l'exercice de son droit, ou qu'il se trouve lésé dans son in-
par un autre
dans
térêt le fait autre se sert indûment du même nom, l'ayant droit
par qu'un
de l'autre la cessation du fait préjudiciable. Si des faits ana-
peut exiger
sont à craindre pour l'avenir, il peut en poursuivre l'interdiction.
logues
Il n'est pas douteux que la même faculté est ouverte par notre Droit aux

intéressés. Mais il est nécessaire de déterminer avec précision le caractère

des actions peuvent exercer. Gela dépend de la nature juridique du


qu'il
droit au nom. Et le problème a donné lieu à plusieurs opinions.
Un système à rejeter tout d'abord, en dépit des décisions judiciaires qui
semblent le consacrer (V. not., Paris, 16 mai 1900, D. P. 1902,2.174, S. 1902.
c'est fait d'un droit de propriété. On ne voir
2.15), que le nom l'objet peut
dans cette solution qu'une pure métaphore. En effet, le droit qu'un indi-
vidu sur son nom (envisagé en soi) est hors du patrimoine, il est
possède
incessible et imprescriptible (Req., 17 novembre 1891, D. P. 93.1.244, S. 93.

1.25, note de M. Lallier ; Cf. note de M. Labbé, S. 84.2.21). Donc, ce


n'est pas un droit de propriété.
Dans une autre opinion, d'ailleurs toute négative, on a prétendu qu'il
n'y a pas de droit au nom offrant un caractère
spécifique. Le nom ne serait

qu'une institution de police civile, justifiée par la nécessité d'identifier les


individus. Et les actions, que peuvent exercer contre des tiers les ayants
droit à un nom déterminé, ne seraient que des applications du principe
général de l'article 1382, c'est-à-dire des manifestations du droit apparie
nant à la partie lésée de demander la réparation d'un préjudice, ne fùt-c

que de ce préjudice qui résulterait de la confusion possible entre l'ayant


droit et les usurpateurs du nom contesté. Cette opinion cadre avec plusieurs
décisions du Conseil d'Etat, d'où il ressort que le droit de faire opposition
à un changement de nom sollicité par autrui, ne peut reposer que sur la
justification d'un préjudice grave que ce changement causerait à l'oppo-
sant (Cons. d'Etat, 24 mai 1901, Siffait de Moncourt, D. P. 1902.3.99).
Nous croyons qu'aucun système général et absolu
ne peut en être professé
cette matière et que la nature du droit de l'individu
sur les vocables servant
à sa désignation, ainsi que celle des actions qu'il peut mettre en jeu pour
faire valoir ce droit, varient suivant les éléments de sa désignation. C'est le
seul moyen d'expliquer et de justifier les décisions, en apparence souvent
contradictoires, en réalité très conciliables entre elles, de la Jurisprudence.
S'agit-il d'abord du nom et du droit à ce nom, envisagé en
patronymique
soi et comme signe distinctif rattachant l'individu à telle ou telle famille,
nous remarquerons que, sauf dans certaines hypothèses tout exceptionnelles
d'attribution administrative, le nom s'acquiert toujours par la filiation.
Dès lors, les actions relatives au nom en jeu mettent une
toujours question
de filiation. Il s'agit toujours de démontrer que le demandeur se rattache,
par sa filiation ou par celle de ses ancêtres, à un possesseur légitimé du
nom contesté. Le nom est donc, en somme, le
patronymique signe extérieur
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L ALLIANCE 301

de élément de l'état des personnes résulte de la filiation. Et


distinctif cet qui
1'action, par laquelle on revendique contre autrui ou on interdit à autrui
l'usage d'un nom de famille, sur lequel on se des n'est
prétend droits, pas
autre chose qu'une action d'état, puisqu'il réclamer où dé-
s'agit d'y d'y
fendre son état. Donc, elle sera communicable au ministère sous-
public,
traite au préliminaire de conciliation, etc.. Et cette manière de voir ex-
plique à merveille les solutions de la Jurisprudence sur l'incessibilité et
du nom de famille. Elle explique aussi le droit de
l'imprescriptibililé que
défendre l'usage d'un nom contre tous les usurpateurs indis-
appartient
tinctement à tous les membres de la famille, sans distinction de sexe, quand
bien même ils ne porteraient pas eux-mêmes le nom contesté, comme les
filles mariées ou les descendants par les femmes, et quand bien même ils
ne pourraient, en conséquence, justifier d'aucun préjudice résultant pour
eux de l'usurpation du nom contesté ni d'aucune confusion possible (Req.,
20 avril 1868, D. P. 68.1.292. S. 68.1.194; Civ., 10 novembre 1902, D. P.
1904.1.85, S. 1903.1.505, note de M. Naquet).
Au contraire, lorsqu'il s'agit d'un autre élément de la désignation des
personnes (prénom, pseudonyme, nom du mari ou de la femme), la situa-
tion est tout autre. La désignation en question n'est pas le signe distinc-
tif et extérieur de la filiation, de l'état de la personne. L'action qui la
protège n'est pas une action d'état. C'est la sanction du droit acquis par
l'individu, en vertu souvent d'une simple possession prolongée et notoire,
à défendre sa personnalité, désignée par telle ou telle dénomination, contre
toute confusion, et cela dans telle ou telle sphère déterminée. C'est un des
droits inhérents à la personnalité de l'homme que nous avons qualifiés de
droits de l'homme ou de biens innés.
Ainsi, en ce qui concerne le prénom, on devra admettre le droit pour
chaque individu de se faire désigner par tel ou tel des prénoms indiqués
par son acte de naissance, et même par tel autre prénom qu'il lui plairait
de choisir après coup, pourvu qu'il n'en résulte pas de confusion préjudi-
ciable pour les autres porteurs du même nom de famille. Les règles de la
loi de germinal an XI relative aux changements de nom ne sauraient en

conséquence s'appliquer aux changements de prénoms, lesquelspour la


liberté est la règle, sauf la réserve ci-dessus, au moins quand il ne s'agit

pas de désignation dans un acte public, car, en ce dernier cas, l'individu


doit être désigné avec les prénoms portés à son acte de naissance (Cire,
minist., 25 mars 1858).
Pour ce qui est du surnom ou pseudonyme, nous avons vu qu'il s'acquiert
par l'usage prolongé, et en vue de servir à l'exercice d'une certaine activité
ou littéraire. C'est aux tribunaux à apprécier en conséquence si,
artistique
en fait, l'individu être considéré comme ayant acquis un droit à ce
peut
cas nulle personne ne pourrait le contester, pas même
pseudonyme, auquel
ceux dont le nom patronymique serait reproduit, avec plus ou moins de dé-
ce pseudonyme, du moment que ce dernier n'est utilisé que
formation, par
dans la sphère ou littéraire pour laquelle il a été créé (Trib. Seine,
artistique
1er août D. P. 1904.2.4; note A. C, S. 1906.2.217, note de M. Perreau).
1903,

DROIT, — Tome I, 24
I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
362 LIVRE

du nom du mari la femme ou l'adjonction du nom


De même, le port par
de la femme au sien le mari sont des usages obligatoire, (le
propre par
ou facultatif se rattachant à la sphère des relations
premier} (le second),
et mondaines. On expliquera ainsi des décisions comme celle
juridiques
du tribunal de la Seine, en date du 15 décembre 1897 (D. P. 98.2.496), où

le mari faire interdire à sa femme non divorcée ni séparée de


nous voyons
de son nom s'exhiber, comme chanteuse, dans un lieu
faire usage pour
de la Cour de Paris en date du 7 décembre 1889
public, ou comme celle
26 décembre dans laquelle nous voyons un commerçant
(Gaz. Pal., 1889),
défense à un concurrent à son nom celui de sa femme, sa
faire d'adjoindre
à lui, et le même nom lui. C'est que, dans
parente demandeur, portant que
les deux il s'agissait, le mis en cause, d'utiliser
hypothèses, pour conjoint
le nom de son conjoint dans une autre celle des relations so-
sphère que
ciales est reconnu
cet et consacré par la loi.
pour laquelleusage
s'il s'agit de l'usage d'un nom envisagé non
Ajoutons que, patronymique,
en soi, mais comme source de profit comme marque dis-
pas pécuniaire,
tinctive d'un établissement de commerce ou d'industrie, du nom-commer-

cial en un mot, c'est là un élément du patrimoine, un bien incorporel qui


se trouve conséquent dans le commerce, et est susceptible de cession,
par
de renonciation, de prescription.

— 1
§ 3. Des qualifications nobiliaires.

La noblesse dans l'ancien Droit, un élément de la condition des


était,
certains et accompagnée ou non d'un
personnes, impliquant privilèges
titre, c'est-à-dire d'une qualification (duc, comte, vicomte, marquis, etc.)
un supérieur dans la hiérarchie féodale. Les privilèges
impliquant rang
ont à la suite des décrets rendus dans la fameuse nuit du 4 août
disparu
1789. Plus tard, les décrets de 19-23 juin 1790 et des 27 septembre-16 oc-

tobre 1791 abolirent les titres de noblesse.


La noblesse fut rétablie par Napoléon en 1806 et 1808, ou, pour mieux

dire, une nouvelle noblesse fut instituée par lui. Il n'admit en effet d'autres

titres que ceux qu'il conférait lui-même. De plus, la collation des titres

impériaux était subordonnée à certaines conditions, telles que la cons-


titution par l'impétrant d'un majorat, c'est-à dire d'un bien immobilier
formant la dotation perpétuelle du titre. Les titres impériaux accompa-
gnant d'ordinaire l'exercice de telle ou telle fonction (général, évêque,etc),
furent conférés en assez grand nombre. On vit des nobles de l'Ancien

Régime en solliciter et en obtenir, mais l'Empereur affecta généralement


de ne leur conférer qu'un titre nobiliaire inférieur à celui qu'ils portaient
sous l'ancienne monarchie.

1. Lallier, De la propriété des noms et des titres, 1890; Tournade, Etude sur le
nom de famille et les titres de noblesse, thèse Paris, 1882; Breuil, De la particule
dite nobiliaire, thèse Paris, 1903; Henri Beaune, Les distinctions honorifiques et
la particule; Paulin Paris, De la particule dite nobiliaire; Levesque, Droit nobi-
liaire français.
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 363

Après la chute Napoléon, de la Charte de 1814 71) contint cette dis-


(art.
fondamentale: « L'ancienne noblesse ses titres, la nou-
position reprendra
velle noblesse gardera les siens. » Depuis cette les titres nobi-
époque,
liaires, un instant supprimés par le décret du 29 février ont été réta-
1848,
blis par le décret du 24 janvier 1852, Le texte positif, Considérer
qu'on peut
comme organique en ce qui les concerne, est l'article 71 de la
toujours
Charte de 1814, encore en vigueur en tant que loi ordinaire.
Si l'on dégage le sens et la portée de cette disposition essentielle, on aper-
çoit que la noblesse d'aujourd'hui diffère profondément de celle d'autrefois.
La noblesse n'est plus un élément de la condition des En
personnes. effet,
depuis l'abolition définitive des privilèges, lesquels n'ont jamais été res-
taurés, il n'y a plus de distinction entre lespersonnes tenant à leur nais-
sance. La noblesse n'est plus qu'une distinction attachée au
honorifique,
nom. Par là, la noblesse de nos jours présente le caractère de la noblesse
créée par Napoléon. Mais elle présente ceux de la noblesse de l'Ancien Ré-
gime à un autre point de vue, à savoir quant au mode de transmission des
titres. En disant que l'ancienne noblesse reprend ses titres, la Charte a en-
tendu dire en effet qu'elle les reprenait avec les règles de transmission
établies autrefois, c'est-à-dire transmissibles de mâle en mâle et par voie
de primogéniture. Ces règles se sont étendues à la transmission des titres
impériaux, qui sont considérés
comme s'étant incorporés à la noblesse an-
cienne depuis la Charte. C'est pourquoi la question de savoir si l'adoption
transfère à l'adopté les titres nobiliaires de l'adoptant est vivement contro-
versée et doit, croyons-nous, être résolue par la négative (V. Paris, 18 juillet
1893, D. P. 94.2.7, S. 94.2.85).
On remarquera qu'il n'y a pas lieu de considérer comme étant en vigueur
une ordonnance du 25 août 1817, établissant une certaine hiérarchie entre
les titres nobiliaires (prince, duc, marquis, comte, vicomte, baron, cheva-

lier), et donnant aux enfants du noble titré le droit de porter, suivant leur
ordre de géniture, lés titres immédiatement inférieurs aux titres portés par
leur père ou par leur aîné. En effet, cette ordonnance n'avait trait qu'aux
familles des
pairs. La pairie, ayant été supprimée avec la Chambre des
pairs en 1848, l'ordonnance de 1817 n'a plus aucune valeur. En consé-
quence, dans chaque famille titrée, il n'y a qu'une personne ayant droit de
porter le titre. Ceux qu'on donne aux enfants ou aux puînés dans le cou-
rant de la vie mondaine sont des titres de pure courtoisie.
Une autre institution, que la suppression des majorats, définitivement
consommée par la loi de finances de 1905, a fait à peu près disparaître,
c'est l'investiture. On appelait ainsi une décision du chef de l'Etat qui était
nécessaire pour la transmission du majorat, qu'accompagnait celle du titre
auquel le majorat était attaché. L'investiture, vu la suppression des majo-
rats, est devenue toute facultative, et, comme elle est l'Occasion de droits
fiscaux assez élevés, la plupart des intéressés négligent de la requérir en
cas de transmission du titre nobiliaire. Cependant, certaines personnes
titrées sollicitent encore l'investiture, car elles peuvent y trouver quelques
avantages. En effet, en cas de contestation entre plusieurs prétendant
364 LIVRE I. — TITRE 1. — DEUXIÈME PARTIE

celui aura obtenu l'investiture de la Chancellerie, étant données


droit, qui
les garanties de vérification entraîne, aura plus de chances d'avoir
qu'elle
de cause devant les tribunaux. De plus, certains officiers de l'état
gain
à Paris notamment, insérer la mention d'un titre nobiliaire dans i
civil, pour
un acte de l'état civil, la production de l'acte d'investiture.
exigent
De tout ce qui précède, il résulte qu'aujourd'hui, à la difiérence de ce qui

était la règle sous l'Ancien Régime, il n'y a pas d'autre noblesse que celle
de la possession d'nn titre nobiliaire. La particule, c'est-à-dire
qui résulte
les mots de, du, de la, des, précédant le nom patronymique, n'est donc qu'un
élément du nom de famille. On ne l'a jamais d'ailleurs considérée, même

autrefois, comme une qualification nobiliaire. A la vérité, sous l'Ancien

Régime, la
presque totalité des nobles, se faisant désigner par des noms de

fiefs, portaient la particule ; mais d'innombrables bourgeois en portaient


aussi, ayant adjoint des noms de terre à leurs noms patronymiques.
Il n'est pas douteux cependant que, l'opinion commune attachant à la

particule une signification nobiliaire, son usurpation, si fréquente de nos

jours, devrait attirer sur ceux qui la commettent, si le Parquet ne témoi-

gnait en cette matière la plus extrême insouciance, la sanction de l'ar-


ticle 259 du Code pénal, car les personnes qui prennent indûment une par-
ticule, le font évidemment en vue de s'attribuer une distinction honorifique.
Les litiges relatifs aux distinctions nobiliaires donnent lieu à des règles
de compétence particulière.
Les contestations entre deux ou plusieurs personnes relatives à la posses-
sion d'un titre, étant donné que c'est là l'accessoire honorifique d'un nom
de famille, sont de la compétence des tribunaux civils (Req., 30 décembre
1867, D. P. 68.1.49, S. 68.1.111; Trib. Mayenne, 25 nombre 1896, D. P.
97.2.156 ; Trib. Conflits, 17 juin 1899, Marquis de Dreux-Brézé, D. P. 99.

3.100, S. 1900.3.17). A plus forte raison, en est-il de même des contesta-


tions relatives au port de la particule ou d'un nom de terre adjoint au nom

patronymique et s'y étant incorporé en vertu d'une possession antérieure


à la Révolution, des questions de ce genre n'ayant rien de nobiliaire.
En revanche, tout ce qui a trait à la collation, à la vérification ou à la
confirmation d'un titreéchappe de noblesse
à la compétence des tribunaux
civils. En effet, le droit faire (et de vérifier) des nobles essen-
de appartient
tiellement au chef de l'Etat. Un décret du 8 janvier 1859 avait créé, sous le
nom de Conseil du sceau des titres, un organe spécial, de statuer sur
chargé
ces questions. Le Conseil du sceau a été supprimé par un décret du 10 jan-
vier 1872. Mais un bureau du même nom fonctionne au Ministère
toujours
de la justice, et les décisions à rendre le sont par le chef de l'Etat, sur la
proposition du Conseil d'administration établi à la Chancellerie. Les tribu-
naux judiciaires excéderaient donc leur pouvoir, en statuant sur les consé-
quences d'une collation de titre obtenue du chef de ou sur les
l'Etat, oppo-
sitions formées contre cette collation, les de ce devant
oppositions genre
être appréciées par la même autorité qui a compétence la collation
pour
9 avril 1872, D. P. 72.1.299, S.
(Civ., 72.1.117).
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 365

SECTION III. — DE L'OBLIGATION ALIMENTAIRE.

Définition. — On entend aliments les sommes


par d'argent qui sont né-
cessaires pour faire subsister une personne qui se trouve dans le besoin.
En général, ces sommes doivent être fournies sous forme de pension à ar-
rérages périodiques. De plus, sauf exception pour certains cas, l'obligation
de fournir des aliments à une personne déterminée ne se double pas de
celle de lui donner des soins personnels. Quant à la créance d'aliments,
c'est, en somme, le droit d'exercer une certaine prélibation sur le patri-
moine d'autrui, droit créé au profit de certaines personnes par la parenté
ou par l'alliance. Ajoutons que la créance et l'obligation d'aliments sont, en

principe, réciproques (V. art. 207).


§ 1. Entre qui existe l'obligation alimentaire.

L'obligation alimentaire existe : 1° Entre époux ; 2° Entre père et mère


et enfants, ascendants et descendants ; 3° Entre alliés en ligne directe.

I. — alimentaire entre Sa
Obligation époux. persistance pos-
sible après la dissolution du mariage en cas de veuvage ou de di-
vorce. — alimentaire entre se raltacbe au devoir réci-
L'obligation époux
proque de secours et d'assistance que leur impose l'article 212. Par consé-

quent, elle dure autant que le mariage. La séparation de corps n'y met pas
fin, puisqu'elle laisse subsister le lien conjugal. Et, en cas de séparation,
l'époux même coupable est en droit de réclamer à l'autre des aliments.
Les particularités qui caractérisent l'obligation alimentaire entre époux
sont les suivantes :
1° L'obligation se double ici d'un devoir d'assistance et de secours person-
nels. Normalement, c'est de cette manière que les époux s'acquitteront l'un
envers l'autre de leur obligation alimentaire. Les hypothèses où son exécu-
tion revêtira la forme d'une pension, supposant une existence séparée et

distincte, seront évidemment exceptionnelles.


2° Un certain lien existe entre l'obligation alimentaire et celle de cohabi-
tation, en ce sens que, si l'un des époux sedispense de celle-ci, il ne peut
réclamer au conjoint, avec qui il se refuse à demeurer, une pension alimen-
taire (Dijon, 21 janvier 1891, D. P. 91.2.349, note de M. Planiol). Le con-

joint, auquel il s'adresse, pourrait se refuser à lui fournir les aliments


réclamés autrement domicile commun. Il y a là une application de
qu'au
cette idée deux personnes sont tenues à des obligations réci-
que, lorsque
proques remontant à la même cause juridique (dans l'espèce, au mariage),
aucune des deux ne peut réclamer de l'autre l'exécution de son obligation,
si elle n'est
prête à exécuter
pas la sienne.
Bien entendu, ce que nous venons de dire ne s'applique qu'aux sépara-
tions de fait. En cas de séparation de corps, judiciairement prononcée,
dans le besoin, aura certainement le droit d'obtenir
l'époux, qui se trouve
366 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

une pension alimentaire de l'autre époux, soit en vertu du jugement pro-


nonçant la séparation, soit en vertu d'un jugement consécutif, sans être
tenu pour cela de renoncer au bénéfice de l'habitation séparée.
3° La créance alimentaire de l'époux qui se trouve dans le besoin contre
l'autre époux bénéficie de facilités particulières de recouvrement. La loi du
13 juillet 1907, relative au libre salaire de la femme mariée et à la contri-
bution des époux aux charges du ménage (art. 7 à 10) organise en effet une
procédure spéciale, particulièrement simple et expéditive, pour permettre
à l'époux créancier d'obtenir les sommes nécessaires à son entretien et à
celui de la famille, au moyen d une saisie-arrêt sur les salaires de son con-
joint, saisie autorisée par le juge de paix.
4° Quelquefois, l'obligation alimentaire des époux l'un envers l'autre
survit au mariage. Il en est ainsi dans deux cas :
A. — En cas de veuvage, l'article 205 (modifié par la loi du 9 mars 1891)
donne à l'époux survivant non divorcé, lorsqu'il est dans le besoin, une
créance d'aliments contre la succession de l'époux prédécédé. « Le délai
pour la réclamer est d'un an à partir du décès et se prolonge, en cas de
partage, jusqu'à son achèvement. » L'attribution de cette créance au con-
joint survivant se justifie par cette idée qu'un époux n'a pas seulement le
devoir de
pourvoir à la subsistance de son conjoint pendant le mariage,
mais encore celle d'assurer son sort et de le préserver de la misère, après
sa mort. Ajoutons que le droit successoral en usufruit que la loi accorde au
conjoint survivant (art. 767) dans l'hérédité du prédécédé n'est pas garanti
par une réserve. Le conjoint en est donc privé, si le défunt a disposé de la
totalité de ses biens au profit d'autres personnes. De plus, l'usufruit attri-
bué au conjoint, à titre de succession, ne portant sur le ou la
que quart
moitié de la succession, peut se trouver insuffisant lui permettre de
pour
vivre. Dans ces deux cas, le conjoint fera valoir sa créance contre l'hérédité.
Et, comme c'est à titre de créancier qu'il se présente, il devra être préféré
aux légataires, car on doit payer les dettes du défunt avant d'exécuter les
libéralités qu'il a cru devoir faire ; nemo liberalis nisi liberatus. C'est ce
qu'exprime l'article 205, al. 3, en nous disant : « La alimentaire
pension
est prélevée sur l'hérédité. Elle est tous les héritiers en
supportée par et,
cas d'insuffisance, par tous les légataires particuliers, proportionnellement
à leur émolument. »
B. — En cas de divorce, l'article 301 porte que " si les époux ne s'étaient
fait aucun avantage, ou si ceux ne paraissaient
stipulés pas suffisants pour
assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce, le tribunal pourra
lui accorder sur les biens de l'autre une
époux pension alimentaire, qui ne
pourra excéder le tiers des revenus de cet autre ». Ainsi,
époux à la diffé-
rence de ce qui se passe en cas de séparation de corps, lorsqu il y a eu
divorce, l'époux innocent a seul droit à une pension alimentaire. L'époux
coupable ne pourrait réclamer une ; et, si le divorce
en était prononcé aux
torts de l'un et de l'autre, aucun des deux n'aurait ce droit.
Mais comment expliquer cette persistance de l'obligation alimentaire
après le divorce ? Puisqu'il n'y a plus mariage, comment l'un des anciens
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 367

époux peut il réclamer des aliments à une personne qui n'est ni son parent
ni son allié ? La réponse traditionnelle à cette question, c'est que le fonde-
ment de l'obligation alimentaire visée par l'article 301 se trouve dans le
que l'époux coupable a pu, en rendant par sa faute le divorce
préjudice
nécessaire, causer à l'autre conjoint, si celui-ci n'a pas les ressources suf-
fisantes pour subsister. La base de l'article 301 doit être cherchée non dans
l'article 212, mais dans le
principe de l'article 1382 ; c'est une base délic-
tuelle. La pension alimentaire allouée à l'époux sorti vainqueur de l'ins-
tance la réparation
est d'un préjudice injustement subi (Req. 15 décembre

1909, D. P. 1911.1.25, note de M. de Loynes, S. 1912.1.313, note de M. Eug.


Gaudemet ; Civ. 18 octobre 1926, Gaz. Pal, 20 novembre 1926).
Ajoutons que l'idée admise par les interprètes de l'article 301 a réagi
même sur la séparation de corps. On admet, en effet, que, lorsque la sépa-
ration de corps est prononcée sur la demande de celui des époux qui est

dépourvu de ressources personnelles, tout ou partie de la pension alimen-


taire qui lui est accordée peut être considérée comme représentant l'in-
demnité du tort que lui a fait l'autre conjoint, en brisant son existence et
en supprimant ses ressources.
Plusieurs conséquences découlent de ce principe que la pension alimen-
taire de l'article 301 est la réparation du préjudice causé par la faute de

l'époux aux torts duquel le divorce a été prononcé.

Pour le tribunal puisse, soit par le jugement prononçant le di-


a) que
vorce, soit par un jugement spécial, ce qu'il peut faire indifféremment
21 1903,D.févr.P. 1904.2.452), attribuer une pension alimentaire
(Nancy,
à l'époux innocent, il faut que la gêne dont celui-ci se prévaut ait existé dès
avant la dissolution du mariage. C'est seulement dans ce
cas, en effet, que
le divorce lui cause un préjudice certain. S'il tombe dans le besoin posté-
rieurement, la cause de son dénuement n'est plus le divorce, et on ne con-
cevrait pas que son ancien fût condamné à lui fournir des aliments
époux
18 octobre Gaz. 20 novembre 1926. — Cf., notes
(Civ. 1926, Pal, Wahl,
S, 1905.2.57, Valéry, D. P. 1902.2.25, et de Loynes, D. P. 1908.2.297).

b) En cas de conversion de la séparation de corps en divorce, la pension


alimentaire, allouée antérieurement à l'un ou à l'autre époux par le juge-
ment de séparation par toute ou
autre décision, ne subsistera que si elle
était fondée, sur le devoir
non réciproque de secours et d'assistance, mais
sur le préjudice résultant de la faute de l'autre conjoint : il n'y a donc que
la pension attribuée à l'époux non coupable qui pourra subsister. Encore
ne devra-t-elle le tiers des revenus de l'autre époux, et devra-
pas dépasser
t-elle être ramenée à.cette proportion si elle la dépassait antérieurement.
Vainement l'alinéa, 3, introduit dans l'article 310 par la loi
objecterait-on
du 6 juin aux termes en cas de conversion, « les disposi-
1908, duquel,
tions du de de accordant une pension alimen-
jugement séparation corps
taire à l'époux a obtenu la conservent en tout cas leur
qui séparation
effet ». Ce texte n'a eu but et pour efiet, comme on l'a soutenu, à
pas pour
tort de régler sur une base nouvelle l'obligation alimentaire
croyons-nous,
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
3gy

à la conversion et d'effacer toute distinction entre les effets


consécutive
l'article 212 et ceux de l'article 301 du Code civil. Il signifie
produits par
seulement ce qui concerne la pension alimentaire, comme en ce qui
qu'en
concerne les dépens visés l'alinéa 2, la situation respective des deux
par
telle résultait de la séparation, ne se trouve pas modifiée;
époux, qu'elle
la loi de 1908 comme auparavant, il ne peut être question de
mais, depuis
dette alimentaire entre anciens actuellement divorcés, que dans le
époux
cas où cette dette découle de la faute et du préjudice imputables à l'un
27 décembre D. P. 1906.1.287, V. ce- S. 1907.1.461. —
d'eux (Req., 1905,

pendant Trib. Douai, 18 décembre 1908, D. P. 1909.2.152, S. 1909.2.60).

c) Nous verrons bientôt que l'obligation alimentaire, reposant sur une

personnelle de celui qui la doit, prend fin ordinairement avec la


qualité
vie de celui-ci. 11 en est autrement de la pension due en vertu de l'ar-
ticle 301. Gomme toute obligation de payer des dommages-intérêts en rai-
son d'un préjudice causé à autrui, elle continue à être due au conjoint in-
nocent par les héritiers du conjoint coupable.
d) La loi du 12 juillet 1905, sur la compétence des juges de paix (art. 7,1°)
décide que ces magistrats connaissent, à charge d'appel, des demandes
en pension alimentaire fondées sur Les articles 205 à 207, lorsqu'elles
n'excèdent pas en totalité 600 francs par an. La demande en pension ali-
mentaire formée par un époux divorcé, reposant sur l'article 1382, ne peut
donc être portée devant le juge de paix ; elle est de la compétence exclu-
sive du tribunal d'arrondissement (Trib. paix Trouville, 1er février 1906,
D. P. 1906.5.34).
Nous ferons à propos de l'article 301 une dernière observation. On dis-
cute la question de savoir si une décision ordonnant le divorce peut, en
dehors de la pension alimentaire de l'article 301, attribuer à l'époux in-
nocent des dommages-intérêts en capital correspondant au préjudice causé
par les
agissements de l'époux coupable. La Jurisprudence admet Paffirma-
tive (V. note de M. Lacoste, S. 1901.2.197 ; Trib. Châlons, 14 avril 1905, S.
1906.2.52 Req., 2 juillet 1913, Gaz Pal. 9 octobre En déterminant
1913).
un mode spécial de réparation d'un certain préjudice causé à autrui,
la loi n'a pas entendu exclure les autres notamment le pro-
procédés,
cédé usuel consistant dans l'allocation d'un à la victime du
capital
délit.

II — alimentaire —
Obligation entre parents en ligne directe.
Aux termes des articles 203 et 205, a les contractent
époux ensemble, par
le fait seul du mariage, de nourrir, entretenir et élever leurs
l'obligation
enfants » (l'expression « enfants » comprenant certainement tous les descen-
dants légitimes) ; et, réciproquement, « les enfants doivent des aliments à
leur père et mère ou autres ascendants dans le besoin ».
quisont
On remarquera que, de la part des parents, se
l'obligation alimentaire
double, ici encore, de celle de fournir des soins à l'enfant et de
personnels
lui procurer
l' éducation qui lui est nécessaire.
Le Code civil, dans les articles 203 et 205, ne vise que les enfants légi-
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 389

times (auxquels il faut évidemment assimiler les enfants C'est


légitimés).
la suite du défaut de méthode commis les rédacteurs du
par Code, qui
ont présenté l'obligation alimentaire comme une du
conséquence mariage,
alors qu'elle est la conséquence de la parenté et de l'alliance.
Trois catégories d'enfants ont été omises sous les articles 203 et 205, à
savoir : 1° les enfants adoptifs, 2° les enfants naturels, 3° les enfants inces-
tueux et adultérins.

1° Enfants — L'article 356 alimentaire


adoptifs. porte que l'obligation
existe entre l'adoptant et l'adopté, sans qu'elle disparaisse entre l'adopté et
ses père et mère parle sang. Les descendants légitimes de l'adopté ont-ils le
même droit et la même obligation à l'égard de l'adoptant? C'est là une
question qui se rattache à un problème plus général, qui est de savoir si
l'adoption établit un lien entre l'adoptant et la descendance de
légitime
l'adopté. La Jurisprudence assimilait dès avant 1923 les descendants lé-
gitimes de l'adopté à l'adopté lui-même (V. Req., 10 novembre 1869, D
P. 70.1.209, S. 70.1.18). Cette solution est aujourd'hui expressément cou-.
sacrée par la loi du 19 juin 1923 (art. 353 nouveau).

2° Enfants naturels. — La loi ne dit nulle existe entre les en-


part qu'il
fants naturels (à supposer, bien entendu, que leur filiation soit légalement

établie) et leursparents une obligation alimentaire réciproque, ni que les

parents soient tenus envers eux du devoir de leur fournir les soins et l'édu-
cation nécessaires. Mais on n'a jamais pu songer à discuter une solution
aussi évidente. A quoi servirait la constatation de la filiation naturelle, que
la loi règle et
organise, si elle n'entraînait pas la conséquence la plus
élémentaire, la plus indiscutable du lien de filiation ? Qui fait l'enfant doit
le nourrir », écrivait Loysel. D'ailleurs, le Code accorde des aliments aux
enfants incestueux et adultérins, dans la succession de leurs auteurs

(art. 762). Un double argument a fortiori doit donc nous faire décider que
l'enfant naturel simple doit pouvoir en obtenir du vivant même de ses pa-
rents (Req., 13 juillet 1886, D. P. 87.1.119, S. 87. 1.65, note de M. Chave-

Et, réciproquement, les naturels dans le besoin ont droit à


grin). parents
réclamer des aliments, car alimentaire est essentiellement ré-
l'obligation
ciproque (art. 207).
Mais alimentaire sur la filiation naturelle donne
l'obligation reposant
nécessitent un
lieu à diverses exceptions, difficultés et observations, qui
examen spécial.

A. — Lorsqu'elle sur la filiation naturelle, l'obligation alimentaire


repose
ne remonte au delà du dans ascendante. la En
pas premier degré ligne
naturel et ses grands-parents
d'autres termes, elle n'existe pas entrel'enfant
Cette solution, qui est universellement enseignée, pourrait cependant,
à la critique. Elle est d'abord contraire à l'équité et à
croyons-nous, prêter
l'humanité. Le devoir alimentaire les liens du sang. Or les
s'explique par
naturels comme les des descendants. La règle
petits-enfants sont, autres,
? Le seul que l'on in-
traditionnelle est-elle au moins juridique argument
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
370

en sa faveur, est la
règle en vertu de laquelle les enfants naturels
voque
n'ont aucun droit à la succession des parents de leur auteur (art. 757). Mais

est, en somme, assez faible. Car il n'existe pas un parallélisme


l'argument
nécessaire entre le droit aux aliments et les droits successoraux. Il y a des
héritiers très proches qui ne sont pas créanciers d'aliments, comme les
frères et soeurs. Et, inversement, il y a des créanciers d'aliments qui ne
succèdent point, par exemple, les ascendants légitimes, lorsque leur
enfant ou petit-enfant a lui-même des descendants, les alliés en ligne
directe, etc..
B. — Nous avons dit que l'enfant naturel, pour avoir droit aux aliments,
ainsi qu'à l'éducation, doit pouvoir invoquer une filiation légalement éta-

blie, laquelle peut résulter, soit d'une reconnaissance volontaire, soit d'un

jugement statuant sur une action en recherche de la maternité ou de la

paternité. Cependant, cette règle que l'enfant naturel non reconnu n'a aucun
droit à faire valoir vis-à-vis de ses auteurs, n'est pas absolue, et il y a lieu de

rappeler ici les tempéraments au principe, admis par la Jurisprudence'


antérieure à la loi du 16 novembre 1912, dans les deux hypothèses de sé-
duction dolosive de la mère et
de promesse d'entretien résultant d'écrits ou
de faits constituant une possession d'état d'enfant naturel.
C. — Il y a enfin une catégorie d'enfants naturels reconnus, auxquels on
dénie généralement, au moins en partie, une créance d'éducation et d'ali-
ments contre l'auteur de leur reconnaissance. Ce sont les enfants qu'un
époux aurait reconnus pendant son mariage et qu'il aurait eus d'un autre
que de son conjoint. L'article 337, on l'a vu, porte que la reconnaissance
ainsi faite ne peut nuire ni au conjoint ni aux enfants issus et du
mariage,
qu'elle ne produira d'effets qu'après la dissolution du mariage, s'il n'en
reste pas d'enfants. Il résulte certainement de ce texte que l'enfant naturel
visé par l'article 337 ne peut réclamer de droits successoraux à l'encontre
de ses frères et soeurs légitimes ni du conjoint de son auteur ; mais est-il
privé aussi du droit de réclamer, durant le des aliments ? En
mariage,
équité et en raison on pourrait en douter. L'enfant tient son droit aux ali-
ments de sa filiation et non de la reconnaissance. Il donc
peut invoquer
des droits acquis antérieurs au mariage. On ne voit pas le manque
pourquoi
de foi que son auteur a commis à l'encontre du conjoint, en accomplissant,
après le mariage, la reconnaissance d'un enfant issu d'une faute de jeu-
nesse, aurait cette sanction inhumaine de priver l'enfant innocent d'édu-
cation et d'aliments. Les enfants adultérins eux-mêmes ont droit aux ali-
ments, nous l'avons dit. Or, la procréation d'un enfant adultérin constitue
un manque de foi, à l'égard du conjoint, autrement la recon-
grave que
naissance d'un enfant, dont on lui avait dissimulé l'existence. Cependant,
la Jurisprudence, prenant à la lettre l'article 337, résout la question là
par
distinction suivante. Elle admet l'enfant naturel à réclamer des aliments
à son auteur, mais seulement sur les biens dont celui ci a la libre dispo-
sition. En conséquence, si l'auteur de la reconnaissance est le mari, des
aliments peuvent lui être réclamés sur ses revenus et sur les
personnels
biens de la communauté, parce qu'il pent disposer des biens communs. Au
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 871

contraire, si c'est
qui a reconnu
l'épouse un enfant naturel né avant le
mariage, l'enfant lui réclamer ne peut
d'aliments au cas où elle est mariée
sous le régime de la communauté. Il faudrait, pour qu'elle pût être action-
née par l'enfant, qu'elle fût séparée de biens, elle a la jouis-
parce qu'alors
sance de ses deniers personnels (Req., 13 juillet D. P. 87.1.119,
1886,
S. 87.1.65, note de M. Chavegrin). On devrait, assimiler à ce
croyons-nous,
cas celui où la mère exercerait une profession distincte de celle de son
mari, parce que, dans cette hypothèse, du 13 juillet 1907 lui la loi confère,
sous tous les la libre de ses gains et salaires et des
régimes, disposition
acquisitions faites avec ses salaires : l'enfant pourrait, à notre avis, lui
réclamer des aliments sur les biens qui lui sont ainsi réservés la loi.
par
3° L'obligation alimentaire à l'égard des enfants incestueux ou adulté-
ins présente certaines particularités.
A. — Nous avons vu qu'elle n'existe
pas seulement la vie du
pendant
débiteur. L'article 762 prend soin de nous dire qu'elle peut être invoquée
par l'enfant contre la succession de son auteur. Cela tient à ce que l'enfant
incestueux ou adultérin n'est pas, comme l'enfant naturel simple, compté
au nombre des héritiers de son auteur. Il serait donc exposé à se trouver
sans ressource aucune après la mort de celui-ci.
B. — On admet, en général, que l'obligation alimentaire n'offre pas, en ce
qui concerne les enfants incestueux ou adultérins, le caractère de réciprocité
qui lui appartient en général. En d'autres termes, ces enfants ne devraient
pas d'aliments à leurs père et mère dans le besoin. Le motif invoqué à l'ap-
pui de cette solution, qu'une faute c'est
aussi grave que l'adultère ou l'in-
ceste ne peut pas créer de droit au profit de celui qui l'a commise (Trib.
Lisieux, 14 novembre 1901, D. P. 1902.2.221, S. 1902 2.309). Il nous semble
qu'on pourrait contester cette manière de raisonnner. Nous verrons, en
effet, que l'inconduite des créanciers d'aliments n'engendre pas une fin de
non-recevoir contre leur demande, au profit du débiteur.

III. — alimentaire entre alliés. — alimen-


Obligation L'obligation
taire existe encore entre alliés
en ligne directe, c'est-à-dire
206) entre (art.
gendre ou belle fille et beau-père ou belle-mère, Le texte même de la loi,

indique que les beau-père et belle-mère,, visés dans l'article 206, sont le
père et la mère du conjoint (socer, socrus) et non le second mari et la se-
conde femme de celui qui a un enfant d'un premier lit, en un mot le pa-
râtre ou la marâtre. Entre ces derniers et leurs beaux enfants, il n'y a pas

d'obligation alimentaire (arg. du mot gendre dans l'article 206).


Il y a deux où prend fin l'obligation alimentaire existant
hypothèses
entre alliés en ligne directe :
1° Il en est « ainsi celui des époux produisait l'affinité, et les
lorsque qui
enfants issus de son union avec l'autre époux, sont décédés ». En ce cas,
en effet, on considérer qu'il n'existe plus aucun lien entre l'époux
peut
survivant et, les parents du prédécédé.
2° La Cour de cassation a assimilé au cas précédent celui de la dissolu-
LIVRE I- TITRE I. — DEUXIEME PARTIE
373

tion du le divorce (Civ., 13 juillet 1891, D. P. 93.1.353, S.


mariage par
avec cette aggravation que l'existence d'enfants nés du mariage
91.1.311),
ainsi dissous n'entraîne pas la
persistance de l'obligation alimentaire au
des beaux-parents comme dans l'hypothèse du veuvage. La raison
regard
de cette solution, c'est que l'article 206 ne saurait être invoqué, lorsqu'il
s'agit de régler les conséquences des divorces au point de vue alimentaire;
ces conséquences s'ont déterminées exclusivement par l'article 301, et on

n'y trouve nulle trace de la persistance, en aucun cas, de l'obligation ali-


mentaire entre un
conjoint divorcé et les parents de l'autre conjoint (Con-
tra, note de M. Labbé, S. 90.2.1).

D'après le Code civil primitif (art. 206 ancien), il y avait une troisième
hypothèse à joindre aux deux précédentes. La belle-mère qui se remariait
perdait le droit de réclamer, en cas de besoin, des aliments à son gendre
ou a sa bru, tout en conservant bien entendu son droit à l'égard de celui
des deux conjoints dont elle était la mère. Trace visible de la défaveur avec
laquelle l'ancien Droit, ainsi qu'en témoigne l'Edit des secondes noces de
1560, envisageait le remariage des femmes veuves.
La loi du 9 août 1919 a effacé cette règle qui n'était plus en harmonie
avec l'esprit de la législation actuelle. La loi du 21 lévrier 1906 avait déjà
aboli la déchéance du droit de jouissance légale des biens des enfants
mineurs prononcée par l'article la mère 386 ancien
remariée. La loi contre
du 3 avril 1917 avait pareillement abrogé le dernier alinéa de l'article 767
qui, en cas de nouveau mariage, supprimait l'usufruit du conjoint survi-
vant. La loi du 9 août 1919 a complété le cycle de ces lois nouvelles dans
lesquelles s'affirme un esprit nouveau nettement favorable aux secondes
noces.

Pas d'obligation alimentaire entre alliés en


directe au
ligne de la
du premier degré ni entre frères et soeurs. — alimen-
L'obligation
taire entre parents et alliés, organisée de la manière vient de voir,
qu'on
appelle les deux observations ci-après :
D'abord, l'obligation alimentaire
pas s'étendre entre nealliés au
paraît
delà du premier degré. La loi ne parle des et belle des
que gendre fille,
beau père et belle-mère. Dès lors, le gendre ou la bru ne sont pas obligés,
croyons-nous, aux aliments envers les ascendants de leur
plus éloignés
conjoint ni vice-versa.
On remarquera en second lieu le Code civil n'établit
que pas d'obligation
alimentaire entre frères et soeurs. Il a suivi sur ce la de
point tradition
notre ancien Droit qui n'imposait cetteobligation qu'entre parents en ligue
directe. Il est
permis de ne pas une telle
appouver règle. Lorsqu'une per-.
sonne se trouve dans la
misère, la proximité de sang, les souvenirs com-
muns d'enfance commandent à ses frères et soeurs, s'ils vivent dans l'ai-
sance, de lui porter secours dans la mesure de leurs moyens; la loi pourrait
sanctionner cette obligation naturelle. C'est ce que fait le Code civil italien
de 1866 (art. 141; au moins dans le cas où l'indigence n'est pas imputable
à la faute du frère ou de la soeur réclame
qui des aliments.
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 373


§ 2. Objet et étendue de l'obligation alimentaire.

les aliments. — Les aliments c'est tout ce


Que comprennent qui
est nécessaire, indispensable à la vie : nourriture, logement, vêtements,
rais de maladie. Les frais de dernière maladie, même les frais funéraires,
entrent dans les aliments, car
l'obligation de rendre les derniers soins et
es derniers devoirs à ses proches est non moins impérieuse que celle de
iubvenir à leurs besoins. En conséquence, les enfants d'une personne dé-
cédée seront tenus de payer les frais funéraires, quand bien même ils au-
raient renoncé à la succession du défunt.

Lorsqu'il s'agit des enfants ou des descendants mineurs restés à la

charge de leurs grands-parents, par suite du décès de leurs auteurs directs,


et placés sous leur tutelle, le devoir alimentaire se double, nous l'avons

vu, de celui de fournir à l'enfant les soins personnels qui lui sont néces-

saires, ainsi que l'éducation et l'instruction qui lui permettront de gagner


sa vie et de préparer son établissement. C'est par application de cette idée

que la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire obligatoire, ar-

ticle 4, enjoint aux parents ou, plus généralement, à ceux qui ont la garde
le l'enfant, de lui à tout le moins, un minimum d'instruction, en
fournir,
l'envoyant à l'école primaire de six à treize ans.
Mais l'obligation alimentaire ne comporte pas le devoir de doter l'en-
fant ou de l'établir. Aux termes de l'article 204, « l'enfant n'a pas d'action
contre ses et mère un établissement mariage ou ».
autrement
père pour par
Cette règle est conforme droitau dans nos pays coutu-
pratiqué naguère
où l'on suivait : « Ne dote ne veut » (Pothier, Tr. de la
miers l'adage qui
nos 644 à 646 ; Tr. des Donations entre vifs, n° 91 ; Ricard,
Communauté,
Donations entre vifs, Ve partie, n° 1107). En revanche, la tradition romaine,
an vertu de laquelle le préteur contraindre le père à doter sa fille
pouvait
fait admettre dans nos pays de
;19 D. de ritu nuptarium, XXIII, 2), avait
Droit écrit l'enfant une action pour se faire doter ou établir
que possédait
de la rédaction du
(Roussilhe, Tr. de la Bot, éd. Sacaze, p. 7 et s.)- Et, lors
Code civil, les représentants des pays de Droit écrit ont insisté à plusieurs
le maintien de cette règle (Fenet, t. IX, p. 59 s., 175 s., 191 s.).
reprises pour
C'est pour consacrer leur échec et le triomphe de la solution coutumière
« ne dote 204 a été écrit. Mais une notable partie
qui ne veut » que l'article
de la Doctrine française a toujours admis, tant dans l'ancien Droit (V. Po-
à la
thier, Traité de la communauté, loc. cit.), que de nos jours, qu'il existe,
une naturelle de doter leurs enfants. La
charge des parents, obligation
rédaction même de l'article 204, qui nous dit que l'enfant n'a pas d'action
contre et mère, semble bien consacrer cette solution traditionnelle
ses père
9 nov. 1855, Pas
(V. en ce sens : Req. 14 juin 1827, S. Chron ; Cass. Belg.
belg. 56.1.65, et note de M. Savatier D. P. 1923.2.121 ; Contra, Montpellier,
de M. Capitant, S. 1905.5.185, note de
16 déc. 1901, D. P. 1907.2.241, note
M. Hémard).

— ali-
Double variabilité de l'obligation alimentaire. L'obligation
I TITRE DEUXIEME PARTIE
374 LIVRE

mais variable, et cela à un double point de vue.


mentaire n'est
pas fixe,
ou moins étendue. — En
1° Selon les cas et les situations, elle est plus effet,
208 porte les aliments sont accordés « dans la proportion du
l'article que
et de la fortune de celui qui les doit ». Il y
besoin de celui qui les réclame,
ad ailleurs là pour les tribunaux une affaire d'appréciation souveraine. Us

détermineront le quantum des aliments en prenant en considération la

situation sociale des parties. Ils pourront, par exemple, considérer comme

étant dans le besoin une possédant encore des biens personnels,


personne
dont la vente lui procurer des ressources, mais ne pourrait s'effec-
pourrait
tuer des conditions tout à fait On a pu voir un
que dans désavantageuses.
condamné à payer une alimentaire à sa fille mariée sous le
père pension
dotal, alors celle-ci possédait encore intacte sa dot évaluée à
régime que
de cent mille francs, d'une part, le revenu de cette dot
plus parce que,
insuffisant en égard à la situation sociale de la fille et que,
paraissait
d'autre le père jouissait de revenus très considérables (Req., 23 fé-
part,
vrier 1898, D. P. 98.1.303, S. 1902.1.307).
On remarquera que la loi prescrit au juge de tenir compte exclusivement
du besoin du créancier d'aliments et des ressources du débiteur. Donc,
peu importe la cause de l'indigence alléguée. Quand même elle provien-
drait de l'inconduite du demandeur, les aliments n'en seraient pas moins
dus. Bien plus, les torts personnels que le demandeur aurait eus envers
la personne du défendeur, ces torts eussent-ils été jusqu'à le rendre indigne
de recueillir la succession de ce dernier, n'entraîneraient pas l'extinction
de la créance d'aliments. Il n'y a qu'une hypothèse où celle-ci se trouverait
influencée par la conduite plus digne de reproches ou moins
de la personne

indigente. C'est lorsque la créance prend sa source dans un préjudice résul-


tant d'une faute du défendeur. C'est ainsi, nous l'avons vu, que s'explique
l'article 301 permettant d'attribuer une pension alimentaire, après divorce,
au seul époux innocent. Et, pareillement, la pension due par un époux
séparé de corps à l'autre époux pourrait se ressentir des écarts de ce der-
nier, puisqu'elle peut, parte in qua, reposer, elle aussi, sur le fondement
de l'article 1382.
La règle de double proportion établie par l'article 208 deux
reçoit excep-
tions :
A. — de la alimentaire
Lorsqu'il s'agit pension due àl'époux qui a
obtenu le divorce, l'article 301 porte qu'elle ne en aucun excé-
peut, cas,
der le tiers des revenus de l'autre conjoint.
B. — Si le créancier des aliments est un enfant incestueux ou adul-
térin, l'éducation et les aliments, qui lui sont dus, n'ont besoin
pas
d'être en rapport avec la situation sociale des en sont débi-
parents qui
teurs. En effet, l'article 764 porte, sans faire aucune l'en-
distinction, que
fant adultérin ou incestueux ne pourra réclamer des aliments à la suc-
cession de ses père et mère, lorsque l'un d'eux lui en aura assuré de son
vivant, ou lui aura fait apprendre un art les auteurs
mécanique. Ainsi,
d'un enfant adultérin ou incestueux sont envers lui en lui
quittes donnai
1 éducation d'un ouvrier, quelle soit leur condition sociale.
que Singulière
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 375

solution qui permet aux parents coupables de déclasser le fruit


dure
faute, comme pour se punir eux mêmes en la de cet
e leur personne
inocent !
2° L'obligation alimentaire est encore variable en ce sens que sa fixation
ar la justice est toujours essentiellement Vienne à changer l'un
provisoire.
u l'autre des éléments qui en déterminent le quantum, besoins du créan-
ier ou ressources du débiteur, une nouvelle fixation être réclamée
peut
ar les intéressés. L'article 209 exprime l'une des de ce
conséquences
ir-actère provisoire en nous disant « lorsque celui
que, qui fournit ou celui
ui reçoit des aliments est replacé dans un état tel, que l'un ne puisse plus
n donner, ou que l'autre n'en ait plus besoin en tout ou en la dé-
partie,
tiarge ou réduction peut en être demandée ».
Toutefois, la régie comporte une exception notable. Aux termes de
article 205, modifié par la loi du 9 mars 1891, les aliments dus la
par
accession au
conjoint survivant doivent être réglés et en une
rapidement
is. En effet, d'une part, le délai pour les réclamer est d'un an à partir du
écès, sauf à se prolonger, lorsque la succession donne lieu à un partage,
usqu'à son achèvement. La loi a voulu que le règlement de la situation
survivant ne à des conflits et à des contestations
u conjoint pût prêter
erpétuelles avec les héritiers. plus, Et, de
l'article 205 porte (al. 3) que
la pension alimentaire est prélevée sur l'hérédité » ; ce qui signifie qu'elle
st réglée d'après les besoins du conjoint survivant au moment de la liqui-
ation de la succession et une fois pour toutes. Donc, quand bien même les
esoins duconjoint survivant viendraient à augmenter par la suite, ou les
sssources des héritiers à s'accroître, le conjoint ne pourrait prétendre à
ne augmentation de sa pension. Mais, en revanche, si ses besoins venaient
disparaître, il n'aurait plus droit à rien.
Il en sera de même, croyons-nous, pour l'enfant adultérin ou inces-
leux.

Mode de des aliments. — Les en


prestation aliments, principe,
ont fournis, à défaut de convention amiable, sous forme de pension, que
e tribunal condamne le débiteur à verser a l'intéressé. Mais ne pourrait-
n pas remplacer le paiement de cette pension par l'entretien à son domi-
ile de la personne indigente, mode d'exécution en général plus facile
t moins coûteux ? Le débiteur ne pourrait-il s'acquitter en recevant le
réancier d'aliments à son foyer ? La loi fait à cet égard les distinctions
uivantes.
Sauf l'époux et les enfants mineurs, qui ont droit à avoir leur place chez
î conjoint ou les
parents investis de leur garde, le créancier d'aliments ne
eut jamais exiger ce mode de Il ne peut imposer sa pré-
règlement. pas
ence au foyer de son débiteur.
En revanche, celui qui doit les aliments peut toujours offrir de s'acquitter
e cette manière. Mais le créancier nest pas tenu d'accepter l'offre qui lui
st faite, sauf dans les deux cas exceptionnels ci-dessous,,
1° D'une « si la personne qui doit fournir des aliments
façon générale,
LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
376

ne la pension alimentaire, le tribunal pourra, en


justifie qu'elle peut payer
connaissance de cause, ordonner qu'elle recevra dans sa
demeure, qu'elle
nourrira et entretiendra celui elle devra des aliments » (art. 210).
auquel
2° si le débiteur d'aliments est le père ou la mère (la loi
Spécialement,
ne dit pas un ascendant), il devra être dispensé de payer la pension ali-

mentaire, lorsqu'il offrira de recevoir l'enfant dans sa demeure, de le


nourrir et de l'entretenir (art. 211). Toutefois, la loi porte que, dans ce cas

encore, le tribunal aura un


pouvoir d'appréciation.
Si l'on rapproche les deux articles précités, il semble qu'en définitive les
deux situations, qu'ils ont envisagées et paru régler différemment, donnent,
au fond, lieu à une solution identique, puisque, en somme, c'est toujours
au tribunal qu'il appartient de décider si les aliments seront fournis sous
forme d'hospitalité ou d'annuités, en nature ou en argent. Cependant, il y

a, la différence suivante entre les deux hypothèses. Lorsque


croyons-nous,
l'offre d'entretien à domicile émane d'un débiteur d'aliments autre que le
ou la mère (art. 210), c'est à l'auteur de l'offre à faire la démonstra-
père
tion des raisons graves qui peuvent justifier ce mode de libération. Au

contraire, si l'offre vient du père ou de la mère, ce serait à l'enfant, dési-


d'établir les raisons
reux de la décliner, qu'il incomberait graves de nature
à justifier son refus.

— de alimentaire.
§ 3. Caractères généraux l'obligation

I. —Sanctions civiles de l'obligation. — alimentaire


L'obligation
n'est pas seulement morale ; c'est une obligation civile, puisqu'elle est
inscrite dans la loi. Par conséquent le recouvrement peut en être pour-
suivi en justice.
Mais une difficulté se présente lorsque le créancier est un enfant mineur.
En son celui
effet, représentant légal, qui devrait être chargé d'agir pour
lui, sera souvent celui-là même contre lequel il serait nécessaire d'exercer
l'action ; par exemple, ce sera un père qui se dérobe à ses devoirs. Dans
ce cas, il n'est guère douteux que la mère en contre
pourra agir justice
son mari (situation qui suppose, le souvent, des au
plus époux séparés
moins de fait), afin de le contraindre à verser la somme sa
représentant
contribution dans la charge commune de l'entretien et de l'éducation des
enfants. En effet, l'article 203, visant cette dit
charge, que les époux la
« contractent ensemble » par le fait de leur Il
mariage. en résulte au profit
de chaque époux une action et directe contre
personnelle l'autre (Paris,
7 décembre 1907, D. P. S.
1908.2.209, 1909.2.129, note de M. Wahl). Plus
généralement, l'article 7 de la loi du 13 juillet 1907 relative au libre salaire
de la femme mariée décide l'un des
que, «faute par époux de subvenir
spontanément, dans la mesure de ses facultés, aux du
charges ménage,
l'autre époux pourra obtenir du de du
juge paix domicile du mari l'autori-
sation de saisir-arrêter et de des salaires
toucher, ou du produit du travail
de son conjoint, une part en de
proportion ses besoins ». Ce texte qui,
nous l'avons vu, facilite, dans nombre de cas, l'exécution de l'obligation
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 377

alimentaire existant entre


époux, peut également être utilisé obtenir
pour
les aliments dus aux enfants, qui sont aussi, cela est une
d'évidence,
du ménage ». On remarquera de la mauvaise ré-
"charge, qu'en dépit
daction du texte et de la rubrique de la loi, la disposition de l'article 7
de la loi du 13 juillet 1907 est générale. D'une part, elle être invo-
peut
quée par des femmes qui n'exercent aucune profession de
productive
gains et salaires, alors même qu'elles vivent séparées de fait de leurs
maris (Civ., 1er février 1909, D. P. 1909.1.85, S. note de
1909.1.209,
M. Tissier). Et, d'autre part, ce n'est pas seulement la femme, mais aussi,
le cas échéant, le mari qui pourrait s'en servir pour faire contribuer
la femme à l'entretien des enfants, si celle-ci exerce une profession
lucrative.
En dehors de cette garantie de paiement, spéciale à l'hypothèse d'un dé-
biteur qui touche des gains ou salaires, les-sûretés le paiement
garantissant
de la dette alimentaire ne sont que celles du droit commun. Par consé-
quent, le jugement attribuant la pension alimentaire emportera hypo-
thèque sur les immeubles du 2123). Dedébiteur (art. plus, si l'obligation
alimentaire, comme cela se produit dans deux cas (art. 205 et 762), à sa-
voir au profit de l'époux survivant ou de l'enfant incestueux ou adultérin,
incombe, à une succession, le créancier pourra bénéficier, comme tout
créancier héréditaire, de la séparation des patrimoines, c'est-à-dire d'un
privilège sur les immeubles du défunt (art. 2111). Mais on comprend aisé-
ment que ces garanties, subordonnées à l'existence de biens immobiliers
dans le patrimoine du débiteur, peuvent être fort insuffisantes. Aussi la
Jurisprudence admet-elle que, si l'on se trouve en présence d'un débiteur
de ressources ou de moralité suspectes, de telle sorte qu'on craindre
puisse
de le voir soustraire son actif aux poursuites de ses créanciers, le tribunal
peut ordonner au débiteur de placer un capital représentatif en valeurs
sûres ou de le déposer dans une banque, pour faire face au service de la
pension (Req., 2 décembre 1895, D. P. 96.1.198, S. 96.1.321

Sanctions d'abandon de famille. —


pénales..Délit Lorsque l'obliga-
tion alimentaire (doublée du devoir d'éducation et de soins persouuels)
.s'adresse à des descendants, et en particulier à des enfants mineurs, aux
civiles que nous venons d'indiquer peuvent s'ajouter trois sanc-
sanctions
tions pénales :
1° La loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire obligatoire pro-
nonce des pénalités qui, en cas de récidive, peuvent atteindre aux con-
damnations police, et, par conséquent, aller jusqu'à l'empri-
de simple
sonnement contre les parents qui négligent d'envoyer leurs
(art. 14)
enfants, entre six et treize ans, à l'école primaire, d'une
ou d'assurer
autre leur instruction. Malheureusement, ces sanctions par suite de
façon
la mollesse des ne en fait, jamais appliquées, et il en
autorités, sont,
résulte des illettrés reste encore élevé dans
que le nombre beaucoup trop
nos pays. -

2° La loi punit l'abandon d'enfant. En effet, le fait d'exposer ou de dé-


laisser en un lieu solitaire un enfant, hors d'état de se protéger lui-même,

DROIT. — Tome 1. 25
- TITRE l. — DEUXIÈME PARTIE
LIVRE I.
378

à 353 du Code pénal, modifiés


délit les articles 349
constitue un puni par
la loi du 19 avril 1898. l.
et aggravés par
modifiée celle du 3 avril 1928;,
du 7 février 1924 (art, 1er par
3° La loi une
celui condamné à fournir
et d'amende qui,
punit d'emprisonnement
à ses descendants ou à ses ascendants,
alimentaire à son conjoint,
pension les termes de
resté de trois mois sans acquitter
sera volontairement plus
de famille est faite par le tri-
La constatation de
cette pension. labandon
doit être payée ou les
la duquel la pension
bunal dans circonscription
et de la plainte entre les
dépôt du titre de pension
subsides fournis, après
mains du Procureur de la République.
— à des besoins —
II. Les aliments correspondent présents.
Plusieurs se rattachent à cette idée.
conséquences
1° Les aliments sont insaisissables (art. 581, C proc. civ.). Les créan-

de ne donc former opposition entre les mains du


ciers l'indigent peuvent
débiteur de la pension alimentaire. La loi sacrifie leurs intérêts à la con-

sidération d'humanité commande d'assurer avant tout la subsistance


qui
du débiteur actuellement dans le besoin. Toutefois, il y a une exception
à cette insaisissabilité au profit des créanciers qui ont fait à l'indigent des

fournitures alimentaires.
2° La alimentaire ne peut non plus, pour la même raison, faire
pension
d'une cession valable. Incessible est également l'hypothèque garan-
l'objet
tissant la pension (Civ. 12 décembre 1921, D. P. 22.1 153, note de M. Capitant).
3° La alimentaire ne peut pas faire l'objet d'une compensation
pension
1293, 3°). La compensation, en effet, équivaut à une saisie-arrêt. Si le
(art.
créancier d'aliments se trouve être lui-même débiteur du débiteur de la
il est clair que l'extinction de sa propre dette (ce qui serait pour
pension,
lui le seul bénéfice de la compensation) ne lui donnerait pas de quoi vivre.
4° La pension alimentaire ne s'arrérage pas, c'est-à-dire que le créancier

d'aliments, qui a négligé de les toucher pendant plusieurs années, ne peut


réclamer les annuités échues. Si ce créancier s'est passé jadis de la
pas
c'est que les besoins qu'il avait allégués pour l'obtenir n'exis-
pension,
taient pas en réalité (Req., 23 novembre 1920, D. P., 21.1.72, S. 22.1.83).
Mais c'est au débiteur à prouver que le créancier a renoncé à son droit en
s'abstenant de toucher sa pension (Trib. civ. Seine, 9 février 1923, D. P.

23.2.101). Toutefois, le principe comporte diverses exceptions.


A. — Si le créancier de la pension peut prouver qu'il a dû contracter des
dettes pour subsister, il aura le droit de réclamer les arrérages échus. En
1. Toutefois, la loi comporte ici un tempérament notable, inspiré par la crainte de
l'avortement et de l'infanticide. Elle admet le dépôt des enfants nouveaux-nés dans les
établissements hospitaliers. La loi du 27 juin 1904 sur le service des enfants assistes a
définitivement consacré l'admission des enfants à bureau ouvert (art. 8 et 9). Un local
ouvert le jour et la nuit, et dans lequel ne se trouve d'autre témoin que la personne prépo-
sée au service de l'admission, est installé à cet effet. La préposée déclare simplement à la
personne qui présente l'enfant que la mère, si elle consent à le garder, peut recevoir des
secours et notamment un secours de premier besoin qui est alloué immédiatement. Elle
lui signale, en même temps, les conséquences de l'abandon, consistant en ce que le lieu
de placement du pupille reste secret. Il est vrai que la mère et la personne qui ont pré-
senté l'enfant peuvent être renseignées à des époques fixes sur l'existence ou la mort de
celui-ci (art. 22). Ajoutons que, si l'enfant paraît âgé de moins de sept mois la personne
qui le présente peut refuser de faire connaître le nom, le lieu et date de la naissance.
DES EFFETS DE LA PARENTÉ ET DE L'ALLIANCE 379

effet, le motif de la règle n'existe certainement pas ici : la règle doit donc
être écartée.
B. — L'étranger, qui a fourni des aliments à une personne dans le
besoin, par exemple, le
médecin qui lui a donné ses soins, — les frais
et soins médicaux étant compris à titre accessoire dans ali-
l'obligation
mentaire, — peut réclamer le paiement de ses notes restées en souffrance,
à celui qui était tenu de la dette alimentaire (Trib. Seine, 8 février 1909,
D. P. 1909.5.17).

III. — alimentaire est-elle successive ou simul-


L'obligation
tanée ? — Cette se pose dans les où
question hypothèses fréquentes plu-
sieurs personnes, enfants, ascendants, époux, beaux-parents, beaux-en-
fants, se trouvent être, en même temps, débitrices d'aliments envers un
même individu dans le besoin. La Jurisprudence, d'ailleurs assez divisée
sur ce point, ainsi que la majorité des auteurs semblent admettre que les
débiteurs ne sont pas tenus simultanément, mais que l'indigent devra leur
réclamer des aliments dans un certain ordre qui est le suivant: 1° au con-
joint; 2° aux descendants ; 3° aux ascendants ; 4° aux alliés (Trib. Albi,
15 décembre 1905, D. P. 1906.5.9). Ainsi, l'ordre des obligations civiles
correspondra à la force du devoir moral qui astreint plus ou moins étroi-
tement les débiteurs d'aliments. Nul n'est évidemment plus obligé de
secourir une personne dans le besoin que son époux. Ensuite viennent
les parents du
sang. Et, si les descendants doivent mis à contribution être
avant les ascendants, c'est parce qu'ils leur sont préférés comme héritiers;
Quant aux alliés, on ne doit frapper à leur porte qu'à défaut de tous
autres. On a d'ailleurs vu que formellement, l'article 356 n'admet l'adopté
à réclamer des aliments à ses père et mère que s'il n'en peut obtenir de
l'adoptant.
La règle, ainsi construite, comporte d'ailleurs des tempéraments. Il faut
se souvenir; en effet, que la dette d'aliments est essentiellement en pro-
portion des ressources
respectives du débiteur et du créancier. D'où il
résulte, d'abord, que, s'il y a plusieurs débiteurs successifs, le créancier
n'aura pas à tenir compte de ceux qui sont insolvables, et pourra, passant
par dessus leur tête, s'adresser aussitôt à ceux qui sont solvables, encore

que places à un rang plus éloigné. En effet, celui qui n'a qu'un débiteur
insolvable se trouve dans le besoin, tout autant que s'il n'avait pas de dé-
biteur du
tout. De plus, croyons-nous, si Un débiteur de deuxième ou troi-
sième était dans une situation beaucoup plus aisée qu'un débiteur de
ligne
première ligne, le tribunal pourrait accueillir des poursuites qui seraient
directement intentées contre lui. En d'autres termes, nous n'admettons
l'ordre successif dans alimentaire qu'en cas d'égalité de situa-
l'obligation
tion des divers codébiteurs.

IV. — alimentaire est-elle solidaire ou indivisible ?


L'obligation
A supposer débiteurs d'aliments, tenus au même
- qu'il y ait plusieurs
LITRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE
380

enfants, se divise-t-elle entre eux?


rang, par exemple, plusieurs l'obligation
Le créancier n'a-t-il, te droit de réclamer à chacun de ses
par conséquent,
de la dette commune lui incombe, eu égard au
débiteurs que la part qui
nombre des personnes obligées ?
En faveur de cette solution, on peut faire valoir qu'elle constitue le droit

commun des (art. 1220). Pour qu'un créancier échappe


obligations plurales
à la division de sa créance entre ses diverspour débiteurs,
qu'il puisse et
réclamer la totalité de son dû (solidum) à l'un quelconque de ses débiteurs,
ce qui lui permettra, pratiquement, de s'adresser seulement au plus sol-

vable, il faut que l'obligation dont il se prévaut soit indivisible ou solidaire.

Or, la créance d'aliments n'est certainement pas indivisible. Car les obliga-
tions indivisibles sont celles dont l'objet n'est pas susceptible d'être divisé.
Et l'objet de l'obligation alimentaire (quod debetur) étant une allocation

pécuniaire est, sans conteste, susceptible de division.

L'obligation alimentaire rentre-t-elle du moins dans la catégorie des obli-


solidaires ? Pas davantage, croyons-nous, car la solidarité ne se pré-
gations
sume pas. A défaut d'une convention qui la prononce, la solidarité n'existe

que là où un texte formel l'a établie (art. 1202), et ce texte fait défaut dans
la matière. Aussi, la Jurisprudence la plus récente, après, il est vrai, de
nombreuses hésitations, incline-t-elle à décider que l'obligation alimen-
taire ne donne pas plus naissance à une dette solidaire qu'à une dette indi-
visible (Paris, 18 décembre 1897, D. P. 98.2.197. V. notes de MM. Boucart
S. 91 1.81, et de Loynes D. P. 1902.2.193).
Nous croyons toutefois que, s'il n'y a pas solidarité, et si, par conséquent,
le créancier d'aliments est tenu de diviser ses poursuites contre les divers

codébiteurs , ce créancier bénéficiera cependant d' une situation un peu ana-

logue à celle qui résulte de la solidarité, à ce point de vue qu'il n'aura pas
à souffrir de l'insolvabilité possible de l'un des codébiteurs conjoints. Sup-
posons, par exemple, qu'une mère qui se trouve dans le besoin ait deux
enfants. Si l'un d'eux est absolument hors d'état de lui fournir sa part de
la somme qui lui serait nécessaire pour vivre, déciderons-nous que la mère
ne pourra néanmoins réclamer que la moitié de cette somme à son autre
enfant ? Non. En il ne faut oublier ce principe
effet, pas essentiel que la
créance d'aliments est proportionnée aux besoins du créancier (art. 208).
Or, en face de celui de ses enfants qui est solvable, la mère, qui ne peut
rien obtenir de l'autrese présente avec de besoins
enfant, plus que si ces
deux débiteurs étaient également aisés. Et elle pourra actionner l'enfant
solvable dans la mesure de ses besoins, c'est-à-dire la totalité de la
pour
somme qui lui est indispensable pour subsister.

— L'obligation alimentaire est intransmissible


V. sauf certaines

exceptions. L'obligation alimentaire, résultant d'un lien de parenté en
d'alliance, qui est tout personnel et disparaît avec la mort des personnes
entre lesquelles il existe, est intransmissible.
Si donc nous envisageons l'obligation son côté nous déciderons
par actif,
que les héritiers d'une créancière d'aliments n'ont à
personne pas le droit,
DES EFFETS DE LA PARENTE ET DE L'ALLIANCE 381

ce titre, d'en réclamer à ceux


qui en étaient débiteurs, à moins bien entendu
héritiers ne soient eux-mêmes dans
que ces une situation qui leur confère
un tel droit; ce qui arrivera, par exemple, si le débiteur des aliments est
l'ascendant de l'héritier. Les héritiers auront-ils, du moins, le droit de ré-
clamer les annuités échues et non encore payées étaient dues à leur
qui
auteur défunt ? Non, car la dette alimentaire ne s'arrérage Ils ne
pas. pour-
raient exercer de réclamation de ce chef qu'en démontrant leur auteur,
que
en a dû
privé des annuités retard, s'endetter pour subsister.
L'intransmissibilité de l'obligation alimentaire, au de
envisagée point
vue passif, a été plus discutée. Dans le cas, au moins, où les besoins du
créancier avaient pris naissance avant le décès du débiteur, on a soutenu
que l'obligation alimentaire, grevant virtuellement le patrimoine du défunt,
s'est transmise comme le reste du passif successoral, aux héritiers de celui-
ci. Mais ce raisonnement doit être écarté. Outre le caractère tout personnel
dès qualités qui fondent la créance et la dette d'aliments, on peut faire va-
loir qu'elles sont essentiellement réciproques (art. Cr, si les aliments
207).
pouvaient être réclamés aux héritiers ou légataires universels du débiteur,
non pas à raison de leur parenté avec le créancier, mais uniquement en vertu
de ce qu'ils succèdent au patrimoine du débiteur, il ne saurait être question
de réciprocité dans l'obligation (Civ. 27 novembre 1917, D. P. 1917.1.193).
L'intransmissibilité de l'obligation alimentaire contre les héritiers du
débiteur souffre trois exceptions :
1° Nous avons déjà indiqué que les enfants incestueux et adultérins
peuvent réclamer des aliments non seulement à leur auteur, mais à sa suc-i
cession 762).
(art.
2° Le conjoint survivant a pareillement le droit, en
besoin, cas de
de récla-
mer des aliments à la succession du conjoint prédécédé (art. 205, 1re al.
2e ple, ajoutée parla loi du 9 mars 1891). L'expression employée par la loi,
et d'après laquelle les aliments sont dus par la succession, ne doit pas
d'ailleurs nous faire illusion La succession n'est pas une entilé juridique
qui puisse être débitrice. Ceux qui doivent les aliments nécessaires au con-
joint survivant, ce sont en réalité, comme pour toutes les autres dettes,
les héritiers ou successeurs ou légataires universels ou à titre universel.
Les héritiers seront-ils tenus de la dette en question comme des autres,
c'est-à-dire sur leurs biens personnels, ultra vires hereditatis, à supposer
qu'ils aient accepté la succession purement et simplement ? L'affirmative
nous paraît s'imposer. La question n'offre d'ailleurs qu'un faible intérêt
pratique. Car, pour pouvoir faire limiter son obligation à l'actif net de la
succession, l'héritier devrait nécessairement être en mesure d'établir la
consistance de cet actif; il faudrait donc supposer qu'il a fait inventaire,
précaution qu'il ne prendra certainement pas s'il se héritier pur et
porte
simple. Il faudrait donc prévoir le cas d'un héritier ayant accepté sous
bénéfice d'inventaire, mais ayant ensuite encouru la déchéance de ce bé-
néfice à raison de l'inaccomplissement de quelqu'une des formalités im-
posées aux héritiers bénéficiaires, pour que la limitation de son obligation
à l'actif net héréditaire quelque intérêt.
pût présenter
382 LIVRE I. — TITRE I. — DEUXIÈME PARTIE

3° Enfin, lorsque la dette alimentaire ne résulte pas d'une qualité person-


nelle du défunt, elle doit cela découle naturellement de ce qui —
- précède
se transmettre contre ses héritiers. C'est ce qui a lieu, nous l'avons vu

lorsqu'il s'agit d'une pension due, après


par le conjoint
divorce, contre
lequel le divorcea été prononcé. de l'obligation
Le fondement en effet,
c'est ici le délit commis par l'époux dont les torts ont amené le divorce,
et les créances nées d'un délit peuvent être poursuivies contre les héri-
tiers du délinquant (Lyon, 4 juin 1892, D. P. 93.2.32, S. 93.2.60).
TROISIEME PARTIE

ACTES DE L'ÉTAT CIVIL

CHAPITRE PREMIER

ORGANISATION DE L'ÉTAT CIVIL

Généralités. Sens du mot état civil. — Le mot état vient du mot latin
status, qui désignait les attributs nécessaires pour posséder la personnalité.
Ces attributs étaient à Rome au nombre de trois : le status libertalis, le sta-
tus civitatis, le status Pour
de la il
familia. jouir personnalité juridique,
fallait être libre et non pas esclave, être et non latin ou péré-
citoyen pas
grin, être chef de famille et non pas alieni cit., 5e édit.,
juris (Girard, op.
p. 92 .
Le Droit moderne ne connaît plus ces distinctions. Tous les hommes,
quels qu'ils soient, sont des personnes ; mais les mots état civil servent
toujours à désigner les principaux éléments qui individualisent l'homme.
D'abord, sa nationalité ; en second lieu sa filiation, qui le rattache à ses au-
teurs et par eux à une famille déterminée ; et, enfin, les divers faits qui
vont marquer le début, la fin de sa personnalité ou modifier son état nais-
sance, mariage, divorce, reconnaissance, légitimation, adoption, décès).
Observons ici que et sont deux choses distinctes (Voir
l'état capacité
art. 3, 3e al., C. civ.), et qu'il ne faut pas les confondre. L'état civil com-
prend les liens qui rattachent l'homme au milieu social, nation et famille,
et l'individualisent : la capacité est l'aptitude à jouir des droits civils et à
les exercer. Toute personne a un état au contraire, il y a des indi-
civil;
vidus capables et des individus incapables.
Ceci posé, on comprend aisément quelle il y a à conserver
importance
par un acte écrit La constatation des faits sus-mentionnés, qui influent sur
l'état d'un individu ; c'est pourquoi la loi exige, pour chacun de ces faits,
là rédaction d'un acte authentique. Ces actes sont les actes de l'état civil. La

1. Mersin, Traité théorique et pratique des actes de l'étal civil, Paris, 1873;
édit., 1892, Supplément 1898, On trouvera des renseignements intéressants sur la
tenue des registres dans Edouard Lévy, Notes sur t'ètat civil, thèse, Paris, 1910.
Un formulaire général des actes de l' état-civil, destiné à servir de guide aux muni-
cipalités et aux tribunaux et à établir dans leurs pratiques l'uniformité désirable
a été mis en vigueur par une circulaire du Garde des Sceaux du 10 janvier 1913.
384 LIVRE I. — TITRE I. — TROISIEME PARTIE

loi a, de même, créé pour la conservation de ces actes, en particulier des

naissances, des mariages, et des décès, des registres spéciaux, dits re-

gistres de l'étal civil, rédigés par des fonctionnaires appelés officiers de


l'étal civil.
On remarquera que, si les naissances, les mariages, les décès,les di-

vorces, les adoptions doivent être inscrits sur les registres de l'état civil,
la reconnaissance enjuni d'un
naturel n'y est constatée qu'autant qu'elle est
laite devant un officier do l'état civil (art. 334, C. civ.). Quant à la légiti-
mation de l'enfant naturel, elle résulte de l'acte de mariage de ses père et
mère par qui il a été reconnu.

SECTION I. — RÈGLES GÉNÉRALES SUR LES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

— 1.
$1. Historique

Caractère confessionnel des actes de l'état civil dans l'Ancien


Droit. — Pendant tout
le Moyen il n'y avait de registres
Age, pas \ ourla
constatation des naissances, des mariages et des décès. La preuve de ces
faits, quand elle devenait nécessaire, se faisait par les modes ordinaires,
et, notamment, par témoignages ou par présomptions. Ainsi, quand il

s'agissait de connaître l'âge d'un enfant, le parrain et la marraine l'affir-


maient, sous la foi du serment prêté sur les évangiles, et le prêtée qui
l'avait baptisé confirmait leur déclaration.
C'est le clergé catholique qui a pris l'habitude d'inscrire les faits inté-
ressant l'état des personnes sur des registres spéciaux. Pour les naissances
ou plutôt pour les baptêmes, l'usage remonte au début du XVe siècle.
« Le plus ancien document connu qui mentionne la tenue d'un de
registre
baptême est de l'an 1406 ; c'est statut un
d'Henri le Barbu, évêque de

Nantes, qui prescrit ou peut être rappelle aux curés de son diocèse de con-
signer les baptêmes sur des registres et d'y mentionner les noms des par-
rains et marraines 2. » Ces registres, dit l'évêque, permettront de connaître
la filiation des individus et empêcheront que des parents au prohibé
degré
ne contractent mariage dans l'ignorance de leur parenté. En conséquence,
le statut précité décide que les curés devront année à
présenter chaque
l'évêque de Nantes, lors de sa visite paroissiale, les de baptêmes
registres
et seront passibles d'une peine s'ils omettent de dresser les actes et si un
mariage illicite est conclu par suite de cette négligence.
Les registres des mariages et des décès doivent leur à une autre
origine
préoccupation. Bien qu'il fût interdit aux curés de rien demander pour,

1. Viollet, Histoire du droit civil français, 3° édit., p. 501 à 506; Brissaud.


Manuel d'histoire du droit privé, p. 831-834; Berriat-Saint-Prix, Recherches sur
la législation et la tenue des actes de l'état civil, 2° édit., Paris, 1842.
2. Viollet, op. cit., p, 502,
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 385

l'administration des sacrements ou la sépulture morts, des s'était


l'usage
répandu de leur faire, dans ces occasions, des dons ou aumônes, se
qui
transformèrent en véritables rétributions, et le clergé l'habitude de
prit
tenir des registres ou livres de compté sur lesquels il inscrivait les droits
qui n'étaient pas immédiatement versés. Les plus anciens de ces registres
sont du milieu du XIVe siècle (Brissaud, op. cit., p. 833).
L'utilité de ces divers documents, comme modes de preuve de l'état civil
des individus, fut bien vite appréciée, et, dès le XVIe siècle, le pouvoir
royal et l'autorité spirituelle se préoccupèrent d'en réglementer la tenue.
La première de ces réglementations se rencontre dans l'ordonnance de
Villers-Cotterets (août 1539), prescrivant (art. 51) de tenir registre, « en
forme de preuve, des baptêmes, qui contiendront le temps et l'heure de la
nativité », et ajoutant que « l'extrait de ce servira de du
registre preuve
temps de la majorité ou minorité et aura pleine foi à cet effet ». Pour évi-
ter toute erreur dans la
rédaction, ces registres devaient être visés un
par
notaire. La même ordonnance prescrivait (art. 50) de dresser acte des décès
et sépultures des personnes titulaires d'un bénéfice. La Cour de Rome pré-
tendait avoir droit au revenu des bénéfices vacants ; c'est il im-
pourquoi
portait particulièrement au roi d'être instruit immédiatement des vacances,
afin de procéder le plus tôt possible à une collation nouvelle.
D'autre part, le Concile de Trente (1563) enjoignit aux curés, dans toute
la chrétienté, de tenir des registres de baptêmes et de mariages, mais sans
imposer encore les registres de décès, lesquels étaient moins nécessaires
que les précédents.
EnFrance, l'ordonnance de Blois (mai 1579, art. 181) vint, à son tour,
renouveler l'injonction de l'ordonnance de Villers-Cotterets, et, cette fois,
pour lès baptêmes, les mariages et les décès, défendre aux juges de rece-
voir de l'état civil. En outre, pour assurer la conserva-
d'autres preuves
tion des registres, l'ordonnance en prescrivit le dépôt, tous les ans, par les
curés et vicaires, aux greffes des justices royales.
Au XVIIe siècle, la grande ordonnance d'avril 1667 sur la procédure
civile, dite Code Louis ou Ordonnance civile (titre 20), preserivit de nou-
velles formalités pour assurer la régularité des registres et la bonne rédac-
tion des actes. Ces dispositions, qui sans doute n'étaient pas toujours obser-
vées, furent rappelées par la déclaration du 9 avril 1736, laquelle ordonna,
en outre, la tenue en double exemplaire.
Ainsi, on le voit, le pouvoir royal ne manqua pas de s'ingérer dans
cette grave question de la constatation des faits constitutifs de l'état civil,
mais il n'enleva pas la tenue des registres au clergé catholique, qui la con-
serva jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Il en résultait que les personnes
appartenante d'autres cultes ne bénéficiaient pas des avantages de l'insti-
tution. Les ministres protestants avaient, il est vrai, pris l'habitude de
tenir des registres à l'exemple des prêtres catholiques, mais les ordon-
nances royales n'avaient pas accordé force
probante à ces documents, car
elles ne s'en étaient pas occupées. De plus, l'édit portant révocation de

l'Edit de Nantes (octobre 1685) abolit cette pratique et, dès lors, les protes-
LIVRE I. — TITRE I. — TROISIEME PARTIE
386

n'eurent aucun moyen de faire constater leur état


tants persécutés plus
sauf celui de s'adresser aux prêtres catholiques 1.
civil,
Cette situation dura 1787. L'édit de Louis XVI du 28 novembre
jusqu'en
rendit aux protestants l'exercice de leur culte et de leurs droits
1787, qui
les officiers de justice du lieu de constater les naissances,
civils, chargea
et décès pour ceux qui ne voulaient pas s'adresser aux prêtres
mariages
Ce fut le premier pas dans la voie de la sécularisation.
catholiques.

de l'état civil la Révolution. — Cette


Sécularisation par réforme,
nécessaire assurer à tous les Français sans distinction les bienfaits
pour
de l'institution, fut réalisée par l'Assemblée Constituante.
La constitution du 3 septembre 1791 (titre 11. art. 7) annonçait la sécu-
larisation en ces termes : « La loi ne considère le mariage que comme
contrat civil. Le pouvoir législatif établira pour tous les habitants sans
distinction le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront

constatés, et il désignera les officiers publics qui en recevront les actes. »


La réforme ainsi promise fut opérée l'année suivante par le décret des
20-25 septembre 1792, qui confia la fonction de tenir les
registres de l'état
civil aux municipalités, et réglementa la tenue, le dépôt des registres et
la rédaction des actes. Un assez grand nombre de mesures législatives
furent édictées ensuite jusqu'au Code civil pour expliquer, étendre ou mo-
difier lesdispositions de ce décret
Le Code civil vint enfin consacrer définitivement la sécularisation et co-
difier les dispositions éparses antérieures, presque toutes empruntées à
l'ordonnance de 1667 et au décret de 1792.
On remarquera que le clergé continue à tenir des registres des baptêmes
et des mariages, mais ces registres n'ont force probante que devant l'au-
torité ecclésiastique. Cependant, les registres tenus dans les paroisses
peuvent encore aujourd'hui fournir la preuve des actes antérieurs au dé-
cret de 1792. De plus, ils ont servi, en vertu de la loi du 12 février 1872, à
reconstituer les registres de l'état civil de Paris, détruits pendant la Com-
mune. Et ils pourraient être également employés aujourd'hui devant les-
tribunaux comme renseignements, au cas très rare où les registres civils
n'auraient pas été tenus, ainsi que dans le cas où il y aurait lieu de recons-
tituer les actes de l'état civil détruits par suite d'événements de guerre
(V., à ce sujet, loi du 1er juin 1916).


§ 2 Des officiers de l'état civil.

Maires, adjoints, conseillers — Les fonctions d'offi-


municipaux.
ciers de l'état civil ont été confiées par la loi du 28 pluviôse an VIII, concer-
nant la division du territoire de la République et l'administration (art. 13),

1. V. sur la situation, à ce point de vue, des protestants et des juifs dans l'ancien
Droit, Viollet, op. cit., p. 371 à 403; Bonifas, Le mariage des protestants depuis la
réforme jusqu'à 1789, thèse Paris, 1901 ; Portalis, Consultation sur la validité du
mariage des protestants en France, dans Discours, rapports et travaux inédits
sur le Code civil, p, 441,
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 387

aux maires et adjoints des communes. La loi du 5 avril 1884 sur l'organi-
sation municipale (art. 92, 3°) ne fait que cette
rappeler disposition en
déclarant que le maire est chargé, sous l'autorité de l'administration
supé-
rieure... « 3° des fonctions
spéciales qui lui sont attribuées par les lois ».
C'est donc essentiellement au maire le rôle
qu'appartient d'officier de
l'état civil 1, car lui seul est chargé de l'administration 82 de la loi du
(art.
5 avril 1884). On dit quelquefois que, en cette le maire
qualité, est, non
plus un fonctionnaire de l'ordre administratif, mais un officier de police
judiciaire. L'expression n'est pas exacte, car l'officier de police judiciaire
est chargé de constater les contraventions à la loi pénale. Ce qu'il faut dire,
c'est que l'officier de l'état civil est chargé d'un service judiciaire, et placé
à ce titre sous le contrôle de l'autorité En effet,
judiciaire. toutes les ques-
tions concernant l'état civil des personnes relèvent de la compétence des .
tribunaux de l'ordre judiciaire (V. note de M. Mestre, S. 1909.2.17).
En cas d'absence, de suspension, ou de tout autre
révocation, empêche-
ment, le maire est provisoirement remplacé par un adjoint, dans l'ordre des
nominations, et, à défaut d'adjoint, par un conseiller municipal désigné par
le conseil, ou, sinon, dans l'ordre du tableau
pris 2 (art. 84 loi du 5 avril 1884).
Le maire peut toujours, du reste, arrêté une de ses
déléguer par partie
fdnctions à un ou plusieurs de ses adjoints ou à des membres du conseil
municipal (art. 83). Aussi, est-il dans les villes,
d'usage, que le maire confie
l'état civil à l'un de ses adjoints, ou même à un conseiller municipal, qu'il
désigne sans être astreint à suivre l'ordre du tableau 3. Au surplus, cette
désignation ne lui enlève pas à lui-même le droit à l'occasion,
de remplir,
les fonctions d'officier de l'état civil.

et rôle de l'officier de l'état civil — L'officier de l'état


Compétence
civil a compétence pour tous les actes qui se passent sur le territoire de
sa commune et rien que pour ceux-là.
Son rôle est celui d'un
4 ; il reçoit
simple des intéressés les dé-
greffier
clarations prescrites par la loi, sans avoir à vérifier si elles sont sincères,
et les mentionne dans l'acte qu'il rédige. Il ne doit insérer dans les actes
que les mentions prescrites par la loi.
1. Aux armées de terre ou de mer, les fonctions d'officier de l'état civil sont rem-
1
plies, selon les cas, par certains, officiers, fonctionnaires de l'intendance, officiers
gestionnaires des hôpitaux. (V. art. 93 à 98 Code civil). En France, les actes de -
l'état civil peuvent également être reçus par ces personnes, en cas de mobilisation
ou de siège, mais seulement lorsque le service n'est plus assuré en aucune
municipal
façon par suite de circonstances provenant de l'état de guerre.
2. Ce tableau est dressé le nombre des voix obtenues
d'après par les conseillers
élus et suivant qu'ils ont été élus au premier ou au second tour de scrutin.
3. Avant la loi de 1884, on se demandait si le maire n'était pas obligé de suivre
l'ordre du tableau. Un arrêt de la Cour de cassation (Civ., 7 août 1833, D. P. 84.1.5,
note de M. Ducrocq, S. 84.1.5, note de M. Labbé) avait déclaré, en se fondant sur les
lois alors en vigueur qu'une délégation faite sans observation de cet ordre était
illégale, mais il avait décidé n'entraînait pas la nullité des actes
que cette illégalité
reçus, parce qu'aucun texte ne sanctionnait cette obligation. L'article 82 de la loi du
5 avril 1884 n'impose à l'ordre du tableau.
plus au maire l'obligation de se conformer
4. Pourtant nous avons vu qu'en ce qui concerne le mariage, il joue un rôle actif-
il prononce que les parties sont unies art. 75, 3° al.).
LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE
388

Les contraventions commises par l'officier de l'état civil aux dispositions


des articles 34 à 49 du Code civil, sont
poursuivies devant le tribunal de

instance et punies d'une amende, qui ne peut excéder cent francs.


première
Mais, si la faute commise cause un préjudice aux personnes intéressées,
elles peuvent réclamer à l'officier des dommages-intérêts, par application
de l'article 1382 du Code civil. L'article 52 du Code civil énonce la règle
les cas d'altération, de faux, ou d'inscription des actes sur une feuille
pour
mais ce texte ne saurait avoir aucun caractère restrictif; en effet
volante,
tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à au-
(art. 1382), '
trui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
Il convient d'ajouter que l'incompétence de l'officier n'entraîne pas, à elle
la nullité de l'acte de l'état civil, car nulle part la loi ne prononce la
seule,
nullité pour inobservation des règles de forme de ces actes. Même, en ma-
tière de mariage, il résulte, on s'en souvient, de l'article 191, que l'incom-
être un élément de la nullité, mais qu'à elle seule, en dehors
pétence peut
de toute autre irrégularité, elle n'en est pas une cause suffisante.

Cas où l'acte a été dressé par une autre personne qu'un officier
de l'état civil. — Le cas se présenter en temps d'émeute, d'insur-
peut
rection, d'invasion du territoire par une armée ennemie. Les fonctions
d'officier de l'état civil peuvent être remplies, dans ces hypothèses, par des
individus qui n'ont pas été régulièrement désignés. Les principes condui-
raient à prononcer la nullité des actes ainsi dressés, mais une telle consé-

quence serait déplorable, mariages surtout


célébrés dans
pour les ces con-
ditions. Aussi, quand des faits se produisent, de ce genre
le législateur ne

manque-t-il pas d'intervenir pour régulariser la situation. C'est ainsi qu'à


la suite de la guerre de 1870 et de la Commune, deux textes législatifs spé-
ciaux furent promulgués. La loi du 19 juillet 1871, applicable à Paris et
aux communes de la Seine, et visant la période insurrectionnelle qui sui-
vit le 18 mars 1871, décida que les actes passés pendant cette période par
tous autres que les officiers publics compétents seraient bâtonnés. Mais,
en même temps, la loi prenait les mesures nécessaires pour que ces actes
fussent à nouveau rédigés, et elle déclarait que la nouvelle rédaction des
actes de mariage assurerait aux mariages tous leurs effets civils à la date
des premiers actes bâtonnés.
La loi du 6 janvier 1872, relative à la
réorganisation des actes de l'état
civil dans les départements, n'était pas moins nécessaire, car après la
révolution du 4 septembre 1870, nombre de maires et d'adjoints avaient
été forcés de cesser leurs fonctions, et celles-ci avaient été soit
remplies
par des membres des anciens conseils municipaux, soit par les présidents

1. V. Poitiers, 26 février 1908 (S. 10)0.?.\1). et, sur pourvoi. Heq., 15 juin 1909
(D. P. 1911.1.113, S. 1909.1.519), condamnant un officier de l'étal civil à des dom-
mages-intérêts pour non inscription d'un arrêt d'adoption sur les registres. Il ne
faut pas oublier que l'officier de l'état civil n'est pas un fonctionnaire administratif,
mais un officier public responsable dans les mêmes conditions qu'un notaire. Comp,
la note de M. Mestre, S. 1909.2,17.
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 339

des comités qui s'étaient formés pour succéder à ces soit enfin
conseils,
par des maires et
adjoints provisoires nommés par les La loi du habitants.
6 janvier 1872 a donc décidé que les actes inscrits sur les registres de l'état
depuis le 4 septembre 1870 jusqu'à la date de sa promulgation, ne
civil,
pourraient être annulés à raison du seul défaut de qualité des personnes
qui les avaient reçus, pourvu que ces personnes eussent eu, à ce moment,
public des fonctions municipales ou de celles d'officier d'état
l'exercice civil,
à quelque titre et sous quelque nom que ce fût.
La loi du 28 février 1922, art. 4, a édicté la même disposition les
pour
actes dressés ou transcrits sur les registres depuis le 2 août 1914, dans les
communes occupées par l'ennemi durant la guerre.

— Des de l'état civil et des


§ 3. registres copies.

sur la tenue des — Les actes de l'état civil doivent


Règles registres.
être inscrits, dans chaque commune, sur un ou plusieurs registres tenus
doubles (art. 40).
C'est là une règle absolue, à laquelle il ne doit être dérogé en aucune
circonstance. Le Code pénal là sanctionne sévèrement (art. 192), en punis-
sant d'une peine d'emprisonnement d'un mois au moins et de trois mois
au plus, et d'une amende de 16 à 200 francs, les officiers de l'état civil qui
inscriraient leurs actes sur une simple feuille volante.
Les registres sont
papier sur (décret du 20 septembre
timbré 1792, art. 2),
et la dépense de ce papier est à la charge de la commune (art. 136, n° 4,
loi du 5 avril 1884). Afin d'empêcher toute adjonction ou suppression, les

registres sont cotés par première et dernière feuille, et paraphés sur chaque
feuille par le président du tribunal de première instance ou par le juge qui
le remplace (art. 41, C. civ.).
Suivant l'importance de la commune, il y a un registre unique, sur lequel
sont inscrits tous les actes, ou un registre pour les naissances, un pour les

mariages, un pour les décès , parfois un pour les naissances et un autre

pour les mariages et les. décès.


Le registre unique ou les registres sont, avons-nous dit, tenus en double.
Cette précaution est prise en vue d'assurer la conservation des actes contre
les chances de destruction. A cet effet, à la fin de chaque année, une fois
les registres clos et arrêtés par l'officier de l'état civil, l'un des doubles
est aux archives de la mairie, et l'autre est envoyé au greffe du
déposé
tribunal de première instance où il est conservé (art.43).
Les actes sont inscrits sur les registres, de suite, c'est-à-dire les uns

après les autres ordre sans aucun blanc. Cha-


suivant, leur chronologique,
cun d'eux un numéro d'ordre. L'article 1er, dernier alinéa, de l'or-
porte
donnance du 26 novembre 1823 fait allusion à ce numérotage.
Pour faciliter les l'officier de l'état civil rédige, dans le mois
recherches,
LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIS
390

du une table annuelle annexée à chacun dés


qui suit la clôture registre,
tenus en double.
registres
des tribunaux de instance dressent des
En outre, les greffiers première
dans les six mois de la onzième année, en
tables décennales, premiers
commune ; une des expéditions reste au
double expédition pour chaque
est adressée à mairie du ressort du tribunal
greffe et la seconde chaque
1
décrets du 1er mars 1910 et du 27 février 1913)
(V.

des — Pour assurer leur tenue régulière, l'ar-


Vérification registres.
au de la de vérifier l'état des re-
ticle 53 prescrit procureur République
lors du en est fait au greffe 2. Le procureur de Répu- la
gistres dépôt qui
un sommaire de la vérification ; il dénonce les
plique dresse procès-verbal
contraventions ou délits commis les officiers de l'état civil et requiert-
car
s'il la condamnation à l'amende.
contre eux, y a lieu,
L'ordonnance du 26 novembre 1823 a tracé les règles à suivre pour cette

vérification. Le de la adresse aux officiers de l'état


procureur République
civil des instructions sur les contraventions commises dans les actes de

l'année et sur les de les éviter (art. 3 de l'ordonn.). Le


précédente moyens
de la ne peut pas corriger lui-même les irrégularités
procureur République
relève. En effet, c'est un que les modifications à la rédaction
qu'il principe
des actes ne peuvent être faites un de rectification (art. 99
que par jugement
à 101, C. civ.). Mais, dans la pratique, le procureur de la République fait

rectifier les irrégularités d'ordre matériel, absence de signature, défaut

d'approbation d'une surcharge, etc..

Publicité des — Les de l'état civil sont publics


registres. registres
le monde doit les consulter, car tout le monde
(art. 45). Tout pouvoir peut
avoir intérêt à se renseigner sur l'état de tel ou tel individu. L'institution
des actes de l'état civil, sans la publicité, c'est-à-dire sans la
possibilité
accordée à toutes autres personnes que les individus inscrits eux-mêmes de
se faire communiquer les actes portés sur les registres, ne présenterait
qu'une utilité restreinte.
A ce point de vue, les actes de l'état civil diffèrent profondément des
actes notariés, autres actes authentiques. Ceux-là ne sont pas publics. Les

personnes qui n'y ont pas été parties n'ont pas le droit de s'en faire déli-
vrer copie. L'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI décide que les notaires
ne peuvent, sans l'ordonnance du président du tribunal de première ins-

tance, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres

qu'aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à

peine de dommages-intérêts et d'une amende de 100 francs.

1. D'après le décret du 20 juillet 1807 abrogé par celui de 1910 (Dalloz, Nouveau Gode
civil annoté, art. 43, nos il à 18), les tables décennales étaient dressées en triple
exemplaire pour être déposées au greffe, à la mairie et à la préfecture. Ces tables dé-
cennales commencent en 1802, et vont de 1802 à 1813, de 1813 à 1823 et ainsi de suite.
2. Un arrêt de la Cour de cassation (Civ., 23 février 1847, D. P. 47.1.81, S. 47.1.362)
a décidé que la vérification devait se faire sur les deux doubles, et qu'en conséquence
les maires sont tenus de faire l'apport au greffe ou au parquet, non seulement du
registre destiné au greffe, mais de celui qui doit rester à la mairie.
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 391

différence est aisée à comprendre. Celui


Cette qui traite avec une personne
à connaître état civil,
a intérêt son à savoir si elle est majeure ou mineure,
mariée ou non, car de ces qualités dépend la de l'individu. De
capacité
même, les créanciers, les successibles
plus ont le
intérêt à connaître
grand
vie décès de leur débiteur, de leur parent. Les faits relatés par les actes de
l'état civil produisent leurs effets à l'égard de tous ; ils ont une portée abso-
lue. Au contraire, les actes reçus par les notaires, à l'exception de quelques-
tins, tels que les reconnaissances d'enfants naturels, les contrats de mariage,
sont des contrats, ou, plus généralement, des actes dont
juridiques l'effet
est relatif c'est-à-dire réduit aux
(art. 1165), personnes qui y ont figuré.
Mais comment les registres seront-ils consultés? La loi ne pouvait évi-
demment autoriser que les consultants se fissent remettre les registres
pour les compulser eux-mêmes. Elle donc la publicité
organise par copies.
Toute personne peut, en principe, et sauf ce que nous dirons loin,
plus
concernant l'acte de naissance, se faire délivrer une copie le détenteur
par
légal des registres (art. 45).
Les copies des actes de naissance, mariage ou décès sont délivrées sur
un papier timbré à trois francs, qui doit naturellement être remboursé
par le requérant. Celui-ci acquitte en outre un droit, qui est aujourd'hui
dans toutes les communes de 1 fr. 25 pour les naissances, les décès et les
reconnaissances, et de 2 fr. 50 pour les mariages et les transcriptions de
jugements (loi du 18 décembre 1922)1.
Les copies sont délivrées soit par l'officier de l'état civil, soit par le gref-
fier du tribunal pour les années écoulées.
Elles doivent porter en toutes lettres la date de leur délivrance 2.
Elles doivent être revêtues du sceau et de la signature de l'autorité qui les
délivre. Cette signature n'a plus besoin d'être légalisée (art. 45, al. 2, modifié
par la loi du 9 août 1919), sauf lorsqu'il y a lieu de produire la copie devant
des autorités étrangères 3. Il en est de même pour l'acte de consentement
des ascendants au mariage (V. p. 139).
supra,
Toute la force probante de la copie ainsi obtenue tient évidemment à sa
conformité avec le registre. C'est pourquoi elle doit être certifiée conforme
au registre par le dépositaire.

Règles particulières quant à la publicité des actes de naissance.


Une loi du 30 novembre 1906 a cependant limité la publicité des
actes de naissance. En effet d'après le 2e alinéa, ajoutée l'article 57 parla

1. V. l'art. 45, al. 3, ajouté parla loi du 9 août 1919, disposition destinée à faciliter
aux intéressés la constitution des dossiers de pension sur le Trésor et autres.
public
2. Cette prescription a été ajoutée par la loi du 7 août 1897, art. 4, qui vise princi-
palement l'acte de naissance pour lequel l'indication de la date est particulièrement
utile, car l'acte de naissance doit mentionner en marge certains faits, reconnais-
sance de l'enfant naturel, mariage, adoption, qui ont pu modifier l'état de l'individu.
3. Les copies ou expéditions des actes notariés n'ont pas toujours besoin d'être
légalisées. Elles ne sont soumises à cette formalité qu'autant qu'il en est fait usage
dans, un ressort de Cour d'appel ou un département autre que celui où exerce le
notaire (Loi du 25 ventôse an XI, art. 28).
392 TITRE I. — LIVRE I. —TROISIÈME PARTIE

dite il y a lieu
loi de la « copie » de ces actes, copie dont
distinguer conforme
la délivrance n'est plus accordée à tout venant, et le simple extrait, que le
des registres délivre à tout requérant, mais qui ne contient que
dépositaire
certaines des indications portées en général sur les actes de naissance 1.
Cette loi a été inspirée par le désir louable d'éviter les inconvénients que
présentait la publicité de l'acte de naissance intégral pour les enfants natu-
rels, dont la filiation se trouvait ainsi révélée à la malignité publique. On
avait fait observer y a nombre
qu'il de circonstances (demandes d'emplois,
examens, service militaire, admission dans une association, etc.) dans les-

quelles un individu doit produire son acte de naissance, sans qu'il y ait
aucun intérêt à ce que l'on soit renseigné sur le caractère de sa filiation.
De là, la règle nouvelle, en vertu de laquelle il n'est plus délivré en prin-
cipe à tout requérant une copie intégrale des actes de naissance, mais un

simple extrait, mentionnant seulement, « sans autres renseignements, l'an-


née, le jour, l'heure et le lieu de naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms

qui lui "ont été donnés, les noms, prénoms, professions et domicile des
père et mère tels qu'ils résultent des énonciations de l'acte de naissance
ou des mentions contenues en marge de cet acte » (art. 57, 5e al.).
Quant à la « copie conforme », c'est-à-dire complète de l'acte de naissance,
elle ne peut être obtenue que par le procureur de la République, l'intéressé,
ses ascendants, ou descendants, son tuteur ou son représentant légal, s'il
est mineur ou en état d'incapacité. Enfin, les tiers qui justifieraient avoir
besoin d'une copie complète d'un acte de naissance devront adresser une
demande écrite d'autorisation au juge de paix du canton où l'acte a été
reçu (art.2e al.). 57,
Ainsi, depuis cette loi, l'extrait délivré librement et à tout requérant
n'indique plus si les père et mère de l'enfant sont mariés, ni si l'enfant a
été reconnu ou légitimé.
Tel
quel, le régime nouveau, bienque d'inspiration excellente, présente
de manifestes inconvénients. D'abord, il ne suffit pas toujours à dissimuler,
comme l'avaient espéré les auteurs de la loi, l'illégitimité de l'enfant. Bien
des enfants naturels, en effet, ne sont reconnus leur mère ou ne
que par
sont reconnus par aucun de leurs auteurs. Or, le fait seul ne
que l'extrait
contiendra pas le nom des parents ou n'indiquera celui de la mère,'
que
sera clairement révélateur de la filiation de l'enfant. En somme,
irrégulière
la loi nouvelle ne profitera qu'aux enfants naturels reconnus à la fois par
leur père et par leur mère. Or il est d'avancer ces enfants
permis que
ne sont pas très nombreux. le père et la mère reconnaissent
Lorsque
leur enfant l'un et l'autre, il est rare n'aillent le légitimer
qu'ils pas jusqu'à
par leur mariage.
Ajoutons que, pour être pleinement efficace, la loi aurait dû interdire la
délivrance à tout requérant de l'acte de reconnaissance, il est ins*
quand

1. Il est à remarquer que le mot d'extrait était employé autrefois dans un autre
sens par l'article 45 (ancien). Il désignait les copies in extenso des actes de l'état
civil, copies extraites non de l'acte, mais du registre. La loi du 30 novembre 1906 a
introduit ici une terminologie plus rationnelle.
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 393

crit sur lesregistres, et de Pacte de mariage des père et mère conte-


nant la même reconnaissance en cas de légitimation. Or, c'est ce qu'on
à omis de faire. Cet oubli enlève une partie de son utilité à la réforme,
laquelle, d'autre part, complique fort la délivrance des expéditions
des actes de naissance, puisqu'il faudra, désormais l'in-
complètes que
téressé, désireux de se la procurer, fasse preuve de son identité devant le
dépositaire légal et puisqu'il en sera de même pour ses ascendants ou
descendants 1.


§ 4. Rédaction des actes de l'état civil.

Personnes à la rédaction. — Les


participant personnes qui parti-
cipent à la rédaction d'un acte de l'état civil sont, d'abord, l'officier de
l'état civil, puis, suivant les cas : les parties, le déclarant et les
témoins.

de l'état civil. — En dans les villes un


L'officier pratique, peu impor-
tantes, l'officier de l'état civil ne que les actes de mariage. Pour les
reçoit
reconnaissances d'enfants naturels, les
naissances, les décès, les actes sont
dressés par les employés de la mairie, et l'officier de l'état civil y appose
sa signature après coup, souvent même assez longtemps après qu'ils ont
été rédigés. Cette pratique, les circonstances, n'est pas con-
imposée par
forme au texte de la loi.
Les — Les sont les dont l'acte va modifier
parties. parties personnes
l'état civil.
La présence des parties n'est obligatoire que dans le mariage
(art. 75).
Quant à la reconnaissance d'un enfant naturel, c'est un acte unilatéral
auquel l'enfant ne participe pas. Le père ou la mère, auteur de la recon-
naissance, n'est pas obligé de comparaître en personne devant l'officier
de l'état civil, il peut donner à un tiers mandat de le représenter
(art. 36).
Enfin, le jugement de divorce (art. 252) et le jugement d'adoption
(art. 367) sont transcrits sur les registres hors de la présence des
intéressés.

Le déclarant. — Dans les actes il n'est besoin de décla-


précédents, pas
rant, puisque ce sont les parties elles-mêmes ou leur mandataire qui
assistent à l'acte. Mais, la constatation des naissances et des décès, il
pour

1. Faut-il remarquer, en outre, la singulière rédaction de la loi du 30 novembre


1906? « Nul », nous dit-elle, a à l'exception du procureur de la République, de l'en-
fant, de ses ascendants et descendants, etc.. ne pourra obtenir une copie conforme
d'un acte de naissance autre que le sien, etc. » Grammaticalement, il résulte de la
phrase ainsi construite que l'enfant a le droit d'obtenir la copie complète d'un acte
de naissance autre que le sien. Si l'on prend la loi à la lettre, elle dit donc précisé-
ment le contraire de ce qu'elle a voulu décider ! La Société d'Etudes législatives
avait préparé sur cette question, avec beaucoup de soin, un projet certainement
très supérieur au texte qui a été voté (V. Bulletin, 1904, p. 211, le rapport de
M. Ambroise Colin et la discussion),

DROIT. — Tome I.
394 LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE

faut bien recourir à la déclaration d'un tiers, qui demande à l'officier de

l'état civil de dresser l'acte de naissance ou de décès.


Pour l'acte denaissance, l'article 56 énumère les personnes qui peuvent
servir de déclarant. Ce peut être une personne quelconque ayant
assisté à l'accouchement. La loi aucune condition d'âge ni de
n'exige
capacité.
Pour l'acte de le déclarant être un parent du défunt ou une
décès, peut
sur son état civil des renseignements exacts et com-
personne possédant
plets (art. 78, modifié par la loi du 7 février 1924).
Témoins. — La loi du 7 février 1924 a
supprimé la nécessité des
témoins pour la rédaction des actes de naissance et de décès (art. 57, 78,
79 nouveaux). Il semble que cette suppression doit aussi être admise dans
les actes contenant reconnaissance des enfants naturels. La nécessité de
la présence de témoins est également supprimée pour les actes de l'état
civil reçus hors de France et notamment aux armées (art 93, al. 2 nou-

veau). Le seul acte qui doit dorénavant être rédigé devant témoins est
l'acte de mariage.
Encore chaque partie n'a-t-elle besoin d'y être assistée que d'un seul
témoin (art. 75, 1er al. modifié par la loi du 9 août 1919).
Le rôle des témoins consiste à certifier l'identité des parties et
à assurer la conformité de l'acte rédigé avec les déclarations faites.
A cet effet, la loi exige que l'officier de l'état civil donne lecture de
l'acte aux parties comparantes et aux témoins (art 38), et elle exige que
l'accomplissement de cette formalité soit mentionné dans l'acte (art. 38,
2e al.).
En
conséquence, la loi veut que les témoins, à la différence du déclarant
dans l'acte de naissance, soient âgés de vingt-et-un ans au moins (art. 37).
Les femmes majeures comme les hommes peuvent être témoins, les étran-
gers aussi. L'article 37, al. 2, portait que le mari et la femme ne peuvent
pas être témoins ensemble dans le même acte, mais cette restriction a été
supprimée par la loi du 27 octobre 1919.
Enfin, ce sont les intéressés qui choisissent les témoins (art. 37).

Formes de rédaction de l'acte. — L'acte doit énoncer l'année, le jour


et l'heure où il est reçu, les et domicile de
prénoms, noms, profession
tous ceux qui y sont dénommés de plus, dans certain la date et le lieu
cas,
de leur naissance quand ils sont connus 34 modifié du
(art. par la loi
28 octobre 1922).
L'officier ne mentionne aucune autre déclaration sont
que celles qui
requises par la loi.
Rien ne doit être écrit par abréviation : aucune date ne sera mise en
chiffres (art. 42).
L'acte est rédigé en présence des parties et, s'il y a lieu, des témoins.
Après quoi l'officier de l'état civil en donne lecture et fait mention
dans l'acte de l'accomplissement de cette formalité (art. 38). L'acte est
signé par l'officier, les comparants et les témoins. Si l'un deux ne
ACTES DE L ÉTAT CIVIL 395

sait on ne peut signer, mention est faite de la cause l'en


qui empêche
(art.39).

Des mentions en — acte de l'état


marge Lorsqu'un civil ou un juge-
ment vient modifier les effets d'un acte antérieur, il importe de
beaucoup
mentionner le second document en marge du premier, afin de les
prévenir
tiers auxquels un extrait de celui-ci serait Le Code civil
communiqué.
avait déjà usé de ce procédé en prescrivant de mentionner la reconnais-
sance d'un enfant naturel en marge de son acte de naissance (art. 62).
Il ordonnait aussi, au cas où un jugement de rectification d'un
acte de l'état civil intervient, de le transcrire en de l'acte réformé
marge
(art. 101).
Les lois récentes ont considérablement et avec raison des
élargi l'emploi
mentions marginales.
1° Le jugement de divorce doit être mentionné en marge de l'acte de ma-
riage (art. 251, 2° al., G. civ., loi du 18 avril 1886).
2° La réconciliation des époux séparés de corps doit, pour être oppo-
sable aux tiers, être mentionnée en marge de l'acte de mariage 311,
(art.
loi du 6 février 1893).
3° Le jugement retirant à la femme ses pouvoirs sur les biens réservés
doit être mentionné en marge de l'acte de mariage (loi du 13 juillet 1907,
art. 2).
4° de mariage doit être mentionné en marge de l'acte de naissance
L'acte
(art. 76, dern. al. C. civ , loi du 17 août 1897). Cette mention a pour but
d'assurer au mariage une publicité efficace, de nature à mettre obstacle
soit à la bigamie, soit aux fraudes qu'une personne mariée peut commettre,
en se prétendant célibataire et en trompant sur son état ceux avec qui
elle contracte.
5° L'acte de célébration du mariage
père des
et mère, emportant légitima-
tion de l'enfant naturel, doit être mentionné
en marge de l'acte de naissance
de cet enfant (art. 331, loi du 17 août 1897). Le Code civil n'avait prescrit la
mention que pour la reconnaissance et non pour la légitimation. Celle-ci se
trouvait bien constatée ipso facto, quand la reconnaissance avait lieu dans
l'acte de mariage, ce
qui est fréquent, mais non plus lorsque l'enfant
avait été reconnu antérieurement par ses père et mère. Le nouveau texte
comble cette lacune.
6° Le jugement d'adoption doit être mentionné en marge de l'acte de
naissance (art. 367 nouveau).
On voit qu'actuellement l'acte de naissance contient en marge l'indi-
cation des faits (reconnaissance, adoption, légitimation, ma-
principaux
riage), susceptibles de modifier l'état de l'individu. La loi ne prescrit pas
de mentionner le décès en
marge de l'acte de naissance. C'est
également
une réforme a souvent demandée. Elle serait fort utile à bien
qu'on
des points de vue. De même nous pourrions citer plusieurs autres
difficultés matérielles donne souvent lieu l'insuffisance des
auxquelles
396 LIVRE I. — TITRE I.. — DEUXIÈME PARTIE

des registres, marges qui ne peuvent plus contenir toutes les men-
marges
tions dont on les encombre.
Reste à savoir comment la mention en marge ? Jusqu'à la loi du
s'opère
17 août 1897, les mentions en marge étaient faites à la requête des parties
intéressées. Celles-ci devaient réclamer une expédition de l'acte donnant
lieu à mention, la faire enregistrer et la produire ensuite, avec une réquisi-
tion, à la Mairie de la commune qui possédait dans ses archives le registre
sur lequel la mention devait être inscrite. Or, ces parties négligeaient sou-
vent de remplir ces formalités ; et la mention n'avait pas lieu.

Depuis la loi de 1897, la mention doit être faite d'office (art. 49, 1er al.;.
L'officier qui a dressé ou transcrit l'acte donnant lieu à mention effectue
celle-ci dans les trois jours, s'il détient les registres sur
lesquels elle doit
se faire (art. 49, 2e al.). Dans le même délai, il adresse un avis au procureur
de la République de son arrondissement ; celui-ci veille à ce que la mention
soit faite, d'une façon uniforme, sur les registres existant dans les archives
des communes ou des greffes, ou dans tous autres dépôts publics (art. 49,
3e al), c'est-à-dire partout où existe un exemplaire de l'acte de l'état-civil
(Cire, du garde des sceaux du 1er octobre 1897).

desiactes de l'état civil. — Aucun article de notre titre


Irrégularité
ne sanctionne par la nullité l'inobservation des formalités requises pour la
rédaction des actes de l'état civil. Ce n'est pas un oubli des rédacteurs du
Code. Il suffirait pour s'en convaincre, de comparer notre titre et celui du
mariage, dans lequel un chapitre entier (art. 180 et suiv.) est consacré aux
demandes en nullité du mariage. La discussion au Conseil d'Etat prouve
d'ailleurs que le silence du législateur a été volontaire. Il eût été trop grave
d'écarter l'instrument constatant l'état civil despersonnes, par suite d'irré-
gularités presque toujours imputables au rédacteur de l'acte. L'omission
des formalités requises par nos articles n'emporte donc pas la nullité de l'acte
irrégulièremeut dressé. Il y a là une règle que la Jurisprudence a maintes
fois il ne faut pas hésiter
appliquée. Ainsi, notamment, à dire que l' ab-
sence de signature de l'un des comparants n'est pas une cause d'inefficacité.
C'est un simple oubli, une négligence, qui n'enlève pas à l'acte son effet pro-
batoire, du moment que celui-ci constate le fait en vue duquel il a été dressé.
Le défaut de la signature de l'officier de l'état civil paraît moins insigni-
fiant, car c'est son intervention qui donne à l'acte l'authenticité, mais, ici,
encore, cette omission, le résultat d'un simple oubli, ne doit pas emporter
la nullité. C'est un cas qui se produit parfois dans les villes, les actes
pour
de naissance ou de décès dressés par des scribes et signés après coup par
le maire ou l'adjoint à intervallesplus ou moins Il se peut, no-
rapprochés.
tamment, que l'officier meure
avant d'avoir pu signer tous les actes. On ne
saurait en faire porter la peine aux intéressés. un jugement sera
Toutefois,
nécessaire pour réparer le défaut de signature et valider l'acte incomplet
(Trib. civ. Seine, 28 février
1919. Gaz. Trih. 6 juillet 1919, note de M. d. Lévy).
Le refus de signer de l'un des comparants serait car il pourrait
plus grave,
être considéré comme une rétractation de sa déclaration. Le cas s'est pré-
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 397

sente en pratique à l'occasion d'une reconnaissance d'enfant naturel non


signée par celui qui en était Un arrêt de la Cour de cassation
l'auteur.
(Req., 28 novembre 1876, D. P. 77.1.367, S. 77.1.172) a cependant fort
bien établi qu'il y avait ici une distinction à faire. On examinera si l'irré-
gularité est le résultat d'une inadvertance, ou si elle doit être attribuée à
un changement de volonté du non
comparant signataire, et, dans ce der-
nier cas seulement, le refus de signature enlèvera toute valeur à l'acte,
puisque la volonté de l'auteur fait défaut.
Enfin, la présence des témoins n'est pas non une formalité substan-
plus
tielle, en vertu de cette idée générale qu'il a pas en notre matière de
n'y
formalité qui ait ce caractère.
Pourtant, si loin qu'on aille dans cette et quelque intérêt
voie, qu'il y ait
à maintenir l'acte de l'étatimparfait, civil où il y a un point il faut s'arrê-
ter. C'est lorsque l'acte qui a été dressé perd entièrement le caractère d'acte
de l'état civil, parce qu'il ne répond plus aux conditions essentielles requises
par la loi et à la définition même de ces actes. Il en est ainsi d'après l'opi-
nion générale et suivant la pratique, dans les quatre cas suivants :
1° Il n y a pas eu intervention d'un — En d'autres
officier public.
il s'agit d'un acte dressé une personne,
termes, par qui n'était pas réguliè-
rement investie des fonctions d'officier de l'état civil. Les auteurs sont d'ac-
cord pour dire ici qu'il n'y a plus acte de l'état civil, encore que le document
ait été inscrit sur les registres de l'état civil. Pourtant, c'est se montrer bien
rigoureux. Les particuliers sont bien obligés de s'adresser à celui qui, en
fait, remplit les fonctions d'officier de l'état civil, et il est injuste de leur
faire supporter les conséquences d'une situation à laquelle ils ne peuvent
rien. Aussi, la Jurisprudence s'est-elle montrée ici plus clémente que la Doc-
trine. Elle a eu à se prononcer à diverses reprises, notamment à l'occasion
de mariages célébrés, soit par un maire irrégulièrement nommé, soit par un
conseiller municipal irrégulièrement délégué dans les fonctions d'officier
de l'état civil, et elle s'est refusée à prononcer l'annulation de ces actes 1.
La question s'est également posée en 1870.1871, et en 1914 à la suite de
l'invasion du territoire, pour les communes où le pouvoir municipal s'était
trouvé aux mains de personnes qui n'avaient pas été investies, conformé-
ment à la loi, des fonctions d'officiers de l'état civil. Nous avons (supra,
p. 388, 389) cité les lois de circonstances qui ont régularisé la situation
2° Le second cas où il n'y a plus à proprement parler acte de l'état civil
est celui où il s'agit d'un acte rédigé sur une feuille volante. Il n'y a, en
effet, qu'un/mode officiel de constatation des actes de l'état civil, c'est leur
inscription sur les registres à ce destinés. C'est aux seules copies des actes

1. V. not., Civ. précité, 7 août 1883, D. P. 84.1.5, note de M. Ducrocq ; S. 81.1.5,


note de M. Labbé.— Il s'agissait, dans cette espèce que nous avons déjà signalée,
p. 387, note 3, de la mémorable affaire des mariages célébrés dans la commune de
Montrouge par un conseiller municipal irrégulièrement délégué par le maire comme
officier de l'état civil. Cet arrêt a invoqué à l'appui de sa thèse, non pas le silence des
articles du Code civil, sur les actes de l'état civil, mais le silence de la loi municipale
alors en vigueur, laquelle ne sanctionnait pas par la nullité les règles auxquelles
elle soumettait le pouvoir de délégation du maire.
-Vftr,

398 LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE

inscrits sur les registres que la loi attache la force probante (art. 45, 194,
Par conséquent, le fait de rédiger un acte sur une feuille volante ne
319).
avoir aucune valeur aux de la loi. présence En d'une telle irré-
peut yeux
les intéressés n'auraient qu'une ressource : prouver devant le
gularité,
tribunal la réalité du fait constaté sur feuille volante ; prouver ensuite la
faute commise par l'officier de l'état civil. Le tribunal, comme nous le

verrons, rendrait alors un jugement qui serait transcrit sur les registres,
et tiendrait lieu d'acte
régulier.
3° Il y aurait également nullité de l'acte de l'état civil qui serait reçu
dans une commune autre que celle où la déclaration devait être faite

d'après la loi.
4° Même solution enfin si l'acte était dressé ex intervallo, c'est-à-dire à
distance de la déclaration. En effet, les garanties de conformité entre les dé-
clarations des comparants et l'acte de l'état civil feraient défaut dans ce cas.

SECTION II. — RÈGLES SPÉCIALES A CERTAIiNS ACTES.

Nous allons maintenant indiquer les énonciations que doivent contenir


les actes de naissance et les actes de décès. Nous avons, en effet, déjà expo-
sé, à propos du mariage, les règles relatives à la rédaction de l'acte de

mariage.
— de
§ 1. Actes naissance.

L'acte de naissance est le plus important des actes de l'état civil. Il fixe*

l'âge et, partant, la


capacité de l'individu ; il fait connaître sa filiation, du
moins quand il s'agit d'un enfant légitime, ou d'un enfant naturel reconnu
au moment de sa naissance. Il ne joue pas un rôle moins important dans

l'organisation administrative du pays. C'est lui qui permet d'établir les


rôles de la conscription militaire et les listes électorales. C'est donc un acte
essentiel, tant pour les rapports entre particuliers que pour le Droit public.
Aussi, afin d'en assurer la rédaction, la loi a-t-elle pris les deux pré-
cautions suivantes :
1° Elle énumère les personnes qui doivent faire la déclaration de la
naissance ;
2° Elle exige que cette déclaration soit faite dans un délai très bref.

1° Personnes qui doivent faire la déclaration. - La déclaration


de la naissance doit être faite par le père. C'est à lui ce
qu'incombe devoir.
Lorsque le père est absent, malade, décédé, ou lorsqu'il s"agit d'un
enfant naturel, que le père ne veut pas reconnaître, la naissance est décla-
rée par les docteurs en médecine, ou autres
sages-femmes, personnes qui
ont assisté à 1 accouchement et, la mère est
lorsque accouchée hors de Son
domicile, par la personne chez qui elle est accouchée (art. 56).
Toutes ces personnes sont tenues concurremment de cette obligation, à
défaut du père, et l'absence de déclaration les toutes aux- pénalités
expose
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 399

prononcées par la loi (Cass. crim., 12 novembre D. P. S.


1859, 60.1.50,
; 28.février 1867, D. P. 67.1.190, S.
60.1.186 67.1.267).
Rappelons que la loi du 7 février 1924 a le
supprimé l'obligation pour
déclarant de se faire assister de deux témoins.

2° Délai de la déclaration. — Les déclarations de naissance doivent


être faites dans les trois jours de l'accouchement à l'officier de l'état civil
du lieu art. 55) 1.
Il en effet, que la naissance soit déclarée et l'acte dressé le plus
importe,
vite possible. Si la loi n'avait pas fixé un délai très il y aurait eu à
court,
craindre soit des négligences, soit des collusions faites en vue d'attribuer
à l'enfant une filiation supposée.
Le Gode civil n'avait pas d'abord sanctionné cette de déclarer
obligation
dans les trois jours, mais l'on s'aperçut bien vite du de cette lacune.
danger
Comme, depuis 1792, la guerre était à peu près permanente, de
beaucoup
parents évitaient de-déclarer la naissance de leurs enfants, dans l'espoir
qu'ils échapperaient plus tard à la conscription. Aussi, lors de la rédaction
du Code pénal, dut-on y insérer une pénalité contre les contrevenants
(art. 346). Toute personne qui, ayant assisté à un accouchement, ne fait
pas la déclaration à elle prescrite et dans les délais fixés, est punie d'un
emprisonnement de six jours à six: mois et d'une amende de seize à trois
cents francs (V. Garçon, Code pénal annoté, art, 346).
Lorsque la déclaration est faite
après l'expiration du délai, l'officier ne
doit plus la recevoir. La rédaction de l'acte ne pourra avoir lieu qu'en vertu

d'un jugement rendu par le tribunal civil. Cette solution a été consacrée
par la loi du 20 novembre 1919 qui a complété en ce sens l'article 552.

3° Rédaction de l'acte de naissance. — Les formalités imposées par


la loi visent un triple but :
A. — Constater la naissance.
B. — En fixer la date.
C. - Individualiser l'enfant et établir autant que possible sa filiation.
A. — Constatation de la naissance. — L'article 55 exigeait fût
quel'enfant
présente à l'officier de l'état civil. Mais cette présentation à la mairie au-
rait eu des inconvénients pour la santé des nouveaux-nés. Elle ne se faisait
donc plus depuis longtemps à Paris et dans quelques grandes viiles, où les
naissances étaient simplement vérifiées par des médecins délégués parOE
l'administration municipale. Une circulaire du Ministre de l'Intérieur du
9 avril 1870 P. 71.3.41) avait ce mode de constatation. Dans
(D. préconisé
d'autres villes, le déclarant apportait à l'officier de l'état civil une attesta-
tion signée du médecin accoucheur ou de la sage-femme. La loi du
20 novembre 1919 a purement et simplement supprimé la formalité de la

présentation à la mairie ou de la vérification médicale (Cf. circul. du Garde


des sceaux du 12 décembre 1919).

1. Les déclarations de naissance aux armées doivent être faites dans les dix jours
qui suivent l'accouchement (art 93 G. c, modifié par la loi du 17 mai 1900),
I. — TITRE I. — TROISIEME PARTIE
400 LIVRE

— doit énoncer le jour, l'heure et Je lieu


B. — Date. L'acte de naissance
L'indication de l'heure est importante, car
de la naissance (art. 57, 1er al).
fixe le moment exact où l'enfant deviendra majeur.
c'est elle qui

de sa —
- Individualisation de l'enfant et constatation filiation.
C.
le sexe de les qui lui sont donnés,
L'acte doit indiquer l'enfant, prénoms
et domiciles des père et mère (article
les prénoms, noms, âges, professions
57, 1er alinéa».
et noms des parents va de soi quand il s'agit
L'indication des prénoms
et il est d'usage d'indiquer qu'il est né de tel homme
d'un enfant légitime,
son bien l'article 57 n'exige pas cette
et de telle femme, épouse, que
mention.
d'un enfant on ne mentionne pas le nom du
Quand il s'agit naturel,
ne vient lui-même faire sa déclaration, cas au-
père, lorsque celui-ci pas
nom et sa valent reconnaissance de la
quel l'indication de son signature
filiation.
au nom de la mère, le souvent le déclarant le fait con-
Quant plus
l'officier de l'état et celui-ci doit alors le mentionner dans
naître à civil,
ne vaut bien entendu, mais elle
l'acte. Cette indication pas reconnaissance,
l'enfant un être précieux et auquel la
contient pour renseignement qui peut
nous l'avons vu, attaché même dans certains cas un cer-
jurisprudence a,
tain effet Mais, d'autre l'officier de l'état civil ne peut pas
probatoire. part,
du déclarant le nom île la mère. S'il le faisait, le déclarant aurait le
exiger
droit de se refuser à répondre, car l'article 57, 1er alinéa, ne vise évidem-

ment la déclaration de naissance d'un enfant légitime. Il a fallu plu-


que
arrêts de la Cour de cassation fixer la pratique en ce sens et
sieurs pour
mettre fin à la résistance de certains officiers de l'état civil, qui refusaient

de dresser l'acte de naissance lorsque le nom de la mère n'était pas déclaré

crim., 16 1343, D. P. S. 43.1.915 ; 1er juin 1844.


(Cass. septembre 44.1.137,
D. P. 44.1.282, S. 44.1.670)l. Dans ce cas, depuis la loi du 22 juillet 1922,
on n'inscrit l'enfant est né de père et mère inconnus ou non
plus que
dénommés : aucune mention ne doit être faite.

Enfin, l'acte de naissance doit énoncer le nom du déclarant, s'il n'est pas
le père (art. 34).

— 1° trouvés. — Aux termes de l'ar-


Hypothèses spéciales. Enfants
ticle 58 « toute personne qui aura trouvé un enfant nouveau-né sera tenue
de le remettre à l'officier de l'état civil, ainsi que les vêtements et autres
ellets trouvés avec l'enfant, et de déclarer toutes les circonstances de temps

1. La jurisprudence belge, contrairement à la nôtre, a décidé que le déclarant


devait toujours faire connaître le non de la mère. Le médecin lui-même ne peut s'y
refuser en se retranchant derrière le secret professionnel. Le Code pénal de 1867 a
consacré et sanctionné cette obligation (art. 361. V. Nypels, Le Code pénal belge
interprété, nouv. édit. par Servais, t. n, p. 440 à 442V Les Belges ont estimé que
l'intérêt de l'enfant est de connaître sa mère et que cet intérêt doit prévaloir sur
celui de la famille et de la mère elle-même.
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 401
et de lieu où il aura été trouvé. — Il en sera
dressé un procès-verbal détaillé,
qui énoncera en outre l'âge apparent de l'enfant, son sexe, les noms
lui seront qui
donnés, l'autorité civile à laquelle il sera remis. Ce procès-verbal
sera inscrit sur les »
regislres.
Ajoutons que le défaut de déclaration
expose celui qui a trouvé l'enfan t aux
: peines édictées par l'article 346 du Code pénal
(V art. 347 du même
Code).
2° Enfants morts-nés. — Le décret du 4 juillet 1806 décide que, lorsque
l'enfant meurt avant la déclaration de naissance, l'officier de l'état civil
dresse un acte sur le registre des décès, mais sans qu'il en résulte aucun
préjugé sur la question de savoir si l'enfant a eu vie ou non. Dans cet acte,
l'officier constate qu'il a reçu la déclaration que l'enfant n'était pas vivant.
3° Naissances en mer. — Les actes 59 à 61, modifiés par les lois des
8 juin 1893 et 7 février 1924, énoncent les formalités à remplir cons-
pour
tater ces naissances. Nous nous contentons d'y renvover.


§ 2. Actes de décès.

L'officier de l'état civil joue ici un double rôle :


1° Il constate le décès et rédige l'acte ;
2° Il donne le permis d'inhumer.
Un troisième domine la matière : c'est
principe que, lorsque la constata-
tion du décès est impossible par suite de la disparition du cadavre (catas-
trophe dans une mine, naufrage, incendie, noyade, etc.), l'officier de l'état
civil doit refuser de rédiger l'acte de l'état civil. C'est la justice qui cons-
tatera le décès et le jugement sera transcrit sur les registres de l'état civil.

1° Constatation du décès et rédaction de l'acte. — L'officier de 1'é-


tat civil 1 doit se transporter auprès de la personne décédée pour s'assurer
du décès (art. 77). En pratique, dans les villes, celte constatation à domi-
cile est faite, non par 1 officier
lui-même, mais par un médecin, soit celui
du défunt, soit un médecin assermenté par la mairie. Cette pratique n'est
pas illégale, quoi ait dit, car la loi n'interdit de char-
qu'on pas à l'officier
ger un tiers, et, notamment, un médecin plus compétent que lui à cet effet,
de vérifier le décès (V. circul. du Ministre de l'Intérieur du 24 décembre
1866, D. P. 67.3.48).
La rédaction de l'acte de décès se fait sur la déclaration d'un parent du
défunt ou d'une sur son état civil les
personne possédant renseignements
les plus exacts et les plus 78 modifié
complets qu'il sera, possible (art. par
la loi du 7 février
1924).

1. La loi ne dit pas dans quelle commune l'acte doit être dressé, mais il résulte
évidemment de l'article 77 que c'est dans la commune du lieu du décès. Il y a des
cas
où la loi prescrit à l'officier de l'état civil d'envoyer une expédition à l'officier
du domicile de la personne soit transcrite sur les
décédée, pour que cette expédition
registres (V. art. 82, 2° al., pour les cas de mort violente, art. 80, de décès dans les hô-
pitaux, établissements publics, prisons ou autres, art. 86, de décès pendant un voyage
maritime, art. 94, de décès des militaires et marins dans certains cas spéciaux), Si le
dernier domicile de l'individu en question est à Paris ou si son domicile est inconnu.
la transcription doit être effectuée à Paris, à la mairie du 1er arrondissement (Loi du
LIVRE I. — TITRE I. —- TROISIÈME PARTIE
402

mentionne dans l'acte les prénoms, nom, date


L'officier de l'état civil
et domicile du défunt ; les prénoms et nom
et lieu de naissance, profession
si le défunt était marié ou veuf (art. 79.).
de l'autre époux,
l'officier si les prénoms, noms, profes-
En outre indiquera, possible,
et mère du décédé 79). Mentions complé-
sions, domiciles des père (art.
établir au besoin la filiation de la personne décédée
mentaires utiles pour
et faciliter les recherches généalogiques.
les nom, profession et domicile du
L'officier mentionne prénoms, âge,
son de avec la personne décédée
déclarant; et, s'il y a lieu, degré parenté

(art. 79).
défunt est que dans
décédé la commune
ailleurs
Enfin, lorsque le
l'officier de l'état civil doit, dans le plus bref délai,
où il était domicilié,
de la commune du dernier domicile du défunt une
adresser à l'officier
l'acte de décès sera immédiatement transcrit sur les
expédition de qui
commune 80 complété par la loi du 20 novembre
registres de cette (art.
1919).
79 ne de mentionner dans l'acte le jour et
L'article prescrivait pas
Etait-ce un oubli ou une omission volontaire ?
l'heure du décès.
a été discuté. On a que les rédacteurs
C'est un point qui prétendu
voulu aussi grave question, si importante
du Code n'avaient pas qu'une
dévolution héréditaire des biens du défunt, fût ainsi tranchée sur
pour la
affirmation d'un intéressé. Cet n'avait pas de valeur.
la simple argument
à l'acte ne servir évidemment de preuve, étant
La mention portée peut
le fait ainsi relaté n'a été constaté par l'officier de l'état
donné que pas
lui-même. Dès lors, si un débat s'élève sur le jour et l'heure du décès,
civil
des intéressés devra faire valoir ses moyens de preuve, abstrac-
chacun
tion faite de l'indication sur l'acte ; d'où il résulte que la mention
portée
du et de l'heure n'a aucun inconvénient.
jour
la loi du 7 février 1924 de mentionner dans l'acte le
Aussi, prescrit-elle
et l'heure du décès (art. 79 nouveau).
jour
les circonstances ont la mort ne doivent pas être
Enfin, qui accompagné
relevées. L'article 85 l'indique expressément pour les cas les plus impor-
tants : « Dans tous les cas de mort violente, ou dans les prisons ou maisons

de réclusion et de détention, ou d'exécution à mort, il ne sera fait sur les

aucune mention de ces circonstances, et les actes de décès seront


registres
rédigés dans les formes prescrites par l'article 79 ».
simplement
Notons par une dérogation au principe, heureuse dans son inspira-
que,
tion, la loi du 2 juillet 1915 prescrit d'insérer dans l'acte de décès des mi-

litaires, marins, ministres du culte, infirmiers ou infirmières, tués à l'en-

nemi, morts de leurs blessures ou des suites d'une maladie contractée sur
le champ de bataille, ainsi que dans celui des civils tués par l'ennemi, la
mention « mort pour la patrie ».

10 août 1917). Mais la loi ne prescrit pas d'une façon générale de transcrire l'acte de
décès de la personne morte eu un lieu autre que celui de son domicile sur les registres
de la commune du dit domicile.
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 403

remarquera qu'à la différence de ce qui est ordonne les actes


On pour
de naissance, la loi ne prescrit pas de délai la rédaction de l'acte de
pour
décès. Elle a jugé inutile de le l'officier de l'état civil
faire, pensant, que
(dresserait l'acte au moment où le permis d'inhumer lui serait demandé.
C'est ainsi, en effet, que les choses se passent dans la pratique.
Plusieurs lois successives, modifiant les dispositions du Code relatives à
certaine actes de l'état civil faits soit dans les ou les formations
hôpitaux
sanitaires (art. 80), soit au cours d'un voyage maritime soit aux
(art. 86),
armées (art. 93, 94, 95, 96 et 98) ont réglé les formalités à remplir dans ces
divers Joas (Voir les règles particulières édictées pour les décès survenus
hors de France ou aux armées par l'article 93, al. 2 et dernier, modifié par
la loi du1111 décembre 1924).

d'inhumer. — L'officier de l'état avoir cons-,


2° Du permis civil, après
talé le décès, délivre un permis d'inhumer sur papier libre et sans frais.
Aucune inhumation ne peut être faite sans ce permis (art. 11). Celui ci ne
être délivré que vingt-quatre heures après le décès (afin d'éviter le
peut
danger; d'une inhumation précipitée), hors les cas prévus par les règle-
ments de police.
Des à cette sont, il est vrai, prévues par le décret
dérogations règle
du 27 avril 1889, déterminant les conditions applicables aux divers modes
de sépulture. En vertu de l'article 1er de ce décret, l'officier de l'état civil

peut, s'il a notamment en cas de décès survenu à la suite


y urgence,
d'une maladie ou ou en cas de décomposition
contagieuse épidémique,
rapide, prescrire, sur l'avis du médecin commis par lui, la mise en bière
immédiate la constatation décès, officielle la sépul-du et ordonner
après
ture avant l'expiration du délai de vingt quatre heures.
D'autre indices de mort ou d'autres
part, lorsqu'il y a des violente,
circonstances donnent lieu de la soupçonner, l'officier de l'état civil ne
qui
doit pas délivrer le permis d'inhumer avant qu'un officier de police ait
dressé de l'état du cadavre. Cette mesure a pour but de
procès-verbal
permettre à la justice de faire les constatations nécessaires pour décou-
vrir les causes de la mort (V. art. 81 et 82j.
3° Constatation des décès — Lorsque la disparition
par jugement.
du cadavre la constatation matérielle du décès, l'officier de l'état
empêche
civil ne peut pas rédiger l'acte de décès. Il n'y a plus qu'un moyen
pour faire établir officiellement le décès, c'est de s'adresser au tribunal
et de prouver les circonstances ont entraîné la mort de l'individu. Le
qui
tribunal rend alors un constatant le décès, et ce jugement est
jugement
transcrit sur les registres de l'état civil.
Chose il n'y a pas de texte de générale autorisant
remarquable, portée
cette constatation des décès, tous les cas où le cadavre d'un
judiciaire pour

1- On remarquera dans quel


que, bien que l'article 77 n'indique pas expressément
délai doit se faire la déclaration du décès, le décret du 15 avril 1915. relatif aux
mesures à prendre en ce qui concerne les inhumations et
dans l'intérêt de la salubrité
exhumations, décide (art. 8) que les déclarations de décès doivent être faites dans
les vingt-quatre heures.
404 LIVRE I. — I. — TROISIÈME PARTIE
TITRE

individu ne
peut être retrouvé. Le
législateur a procédé par voie de me-
sures successives visant les hypothèses les plus intéressantes. Ces mesures
sont de deux sortes.
A. — Les unes ont un caractère permanent.
— C'est d'abord un décret
du 3 janvier 1813 contenant des dispositions de police relatives a l'exploita-
tion des mines.
L'article 18 prescrit aux maires de se faire représenter les corps des ou-
vriers qui auraient péri par accident dans une exploitation, et de ne permettre
leur inhumation qu'après qu'il a été dressé procès-verbal de l'accident.
L'article 19 du même décret, prévoyant le cas où il y aurait impossibilité
de parvenir jusqu'au lieu où se trouvent les corps des victimes, ordonne
de faire constater cette circonstance par le maire, qui en dressera procès-
verbal et le transmettra au procureur de la République, à la diligence
duquel, et sur l'autorisation du tribunal, cet acte sera annexé aux registres
de l'étal civil.
Pendant longtemps, il n'y a pas eu d'autre texte que le décret précité.
D'où une grande incertitude dans la surtout en ce concer-
pratique, qui
nait les marins disparus en mer. Comment fallait-il faire constater leur
disparition ? Deux procédés paraissaient On d'abord
possibles. pouvait
penser à suivre les règles de l'Absence, faire déclarer l'absence des dispa-
rus et envoyer leurs héritiers présomptifs en de leurs biens
possession
(art. 115 et s., C. civ.). Mais celte procédure est
et comme l'ab-
longue,
sence ne rompt pas le mariage 139, C. civ.), la femme ne peut
(art. pas
se remarier. D'autre part, dans les cas où le décès ne lait pas de doute,
mais où le corps ne peut pas être il n'y a pas lieu à déclaration
retrouvé,
d'absence, car l'absence suppose qu'on si l'individu est vivant ou
ignore
mort (V. note de M. Planiol sous D. P. 90.2.305). Un second procédé plus
simple consistait à demander au tribunal de constater les circonstances
permettant d'établir le naufrage et, partant, le décès des marins. C'est à
cette seconde extrémité que recouraient le plus souvent les mais
intéressés,
il n'y avait pas accord dans la Certains tribunaux
Jurisprudence. seule-
ment accueillaient ces demandes et rendaient un jugement constatant le
décès, lorsque la preuve du naufrage était établie.
La loi du 8 juin 1893, portant modification des dispositions du Code ci-
vil relatives à certains actes de l'état civil et aux testaments faits suit aux
armées, soit au cours d'un loi dont nous
voyage maritime, avons déjà
parlé, a comblé cette lacune en complétant les articles 87 à 92 du Code ci-
vil. Ces visent deux cas : 1° les disparitions en mer ; 2° les décès
textes aux
colonies ou lors des expéditions d'outre-mer des marins et militaires
quand il n'a pas été dressé d'acte régulier de décès ».
Ils distinguent deux hypothèses :
a) Il s'agit de personnes inscrites au rôle d'un bâtiment ou
d'équipage
présentes à bord, tombées à l'eau sans leur
que corps puisse être retrouvé.
L'autorité compétente du bord dresse alors un procès-verbal de dispa-
1. Ils s'appliquent
également en cas de disparition sans nouvelles d'un aéronef
(Loi 31 mai 1924, art. 59).
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 405

rition, lequel est transcrit sur les registres de l'état civil du dernier domi-
cile (art. 87).
b) Il y a présomption de perte totale d'un bâtiment ou bien disparition
d'une partie de l'équipage ou des passagers sans qu'il ait été possible d'en
dresser procès-verbal. Il est alors procédé à une enquête administrative,
et le Ministre de la Marine prend une décision déclarant la présomption
"de perte du navire ou de disparition d'une partie de l'équipage. Le tribu-
nal civil du lieu du décès, ou du port d'attache, est saisi soit par le procu-
reur général, soit par les parties, et rend un jugement collectif constatant
les décès 88,
(art. 90, 91). Ce, jugement est transcrit à sa date sur les re-
civil
de l'état du port d'armement. Il tient lieu d'acte de l'état civil
gistres
et il en est délivré des extraits individuels (art. 92). Il résulte de l'article 92
in fine que ce jugement a la même force probante qu'un acte de l'état ci-
vil. Il est opposable aux tiers. C'est une dérogation à la règle que les dé-
cisions rendues en matière gracieuse n'ont pas l'autorité de la chose jugée.
On suit une procédure analogue pour les militaires ou marins morts aux
colonies.
Il est à remarquer que loi de 1893 ne prévoit pas tous les cas où il y a
mort sans que l'on, puisse retrouver le corps. Mais il n'est pas douteux
qu'il faut appliquer par analogie ses dispositions.
B, —D'autres ont un caractère transitoire. — Il en est ainsi de
dispositions
la loi du 13 janvier 1817 relative aux moyens de constater le sort des mili-
taires ou marins disparus pendant les guerres qui ont eu lieu du 21 avril
1792 jusqu'au traité de paix du 20 novembre 1815. Celle loi autorisait les
intéressés à faire la preuve testimoniale du décès, mais seulement s'il était
préalablement prouvé qu'il n'y avait pas eu de registres ou qu'ils avaient
été perdus ou détruits en tout ou en partie, ou que leur tenue avait éprouvé
des interruptions (art. 5). La loi du 9 août 1871 a remis cette loi en vigueur
pour les soldats et marins qui ont disparu depuis le 19 juillet 1870 jusqu'au
31 mai 1871.
La guerre de 1914 a rendu nécessaires des
dispositions transitoires du
même genre. La loi du 3 décembre 1915 a donc décidé que les articles 89,
90,91, 92 du Code civil seront applicables au cas de toute personne déçé-
dée victime des opérations de guerre postérieurement au 2 août 1914
quand il n'aura pas été dressé d'acte de décès. Après enquête administra-
tive, le Ministre compétent (selon les cas, le Ministre de la Guerre, celui
de la Marine ou celui de l'Intérieur) déclare qu'il y a présomption de décès ; il
transmet ensuite cette décision au procureur général dans le ressort duquel
se trouve le dernier domicile du défunt, et ce magistrat poursuit devant le
tribunal de ce dernier domicile la constatation judiciaire du décès. Le
jugement rendu à cet effet est transcrit sur les registres de l'état civil 1.

1. V. Ed. Lévy, La Guerre et les actes de décès, extrait des Lois nouvelles, 1916.
Voir l'instruction du Ministre de la Guerre du 2 juin 1916 concernant la constatation
aux armées des disparitions, décès et inhumations (Dalloz, Guerre de 191b, docu-
ments officiels, 12° vol.).
CHAPITRE II

FORGE PROBANTE DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL

Distinction aux diverses énonciations de l'acte. — Quand


quant
on veut prouver un fait constaté sur les registres de l'état civil, on pro-
duit, nous l'avons déjà indiqué, une copie de l'acte, et non le registre lui-
même .
Ceci est une dérogation aux règles du droit commun. D'après l'article 1334
du Code civil, en effet, l'acte original seul a force probante, la copie n'a pas
de valeur propre, quand bien même elle serait rédigée par un officier

public. Ainsi,
partie àla laquelle on la grosse d'un acte Dotarié et
oppose
qui soutient qu'elle n'est pas conforme à l'original peut exiger la présen-
tation de ce dernier. C'est que des erreurs matérielles peuvent s'être glis-
sées dans la rédaction de la copie, et pour en constater l'existence, il faut
la comparer au titre lui-même.
Si la loi fait exception à cette règle pour les actes de l' état civil, c'est que
le déplacement des registres pourrait entraîner leur dégradation ou leur
perte. Il ne serait pas possible, du reste, pour les registres de l'année
courante. En outre, les chances d'erreurs dans les
copies sont moindres que
pour les actes notariés, car la teneur de l'acte de l'état civil est assez courte.
D'ailleurs, la loi prend toute précaution pour empêcher ces errreurs.
Les copies doivent être certifiées conformes à l'original par l'officier pu-
blic (art. 45.). La sincérité de cette certification est les
garantie par
peines qui sanctionneraient une fausse affirmation. Ajoutons le contrôle
que
des extraits certifiés conforme est facile. Si une partie l'extrait
prétend que
n'est pas conforme au registre, elle peut en demander un nouveau, et
s'il y a désaccord entre les deux, le tribunal a le droit d'ordonner une
vérification directe sur les registres. L'ordonnance du 18 août 1819 règle
à cet effet la façon dont se fera le c'est à-dire au
compulsoire, l'apport
greffe des registres courants pour permettre la vérification.
L'article 45 (2e phrase) du Code civil détermine le de force
degré pro-
bante des copies des actes de l'état civil. Elles font foi, comme cela est la
règle pour les actes authentiques, jusqu'à de c'est à dire
inscription faux,
jusqu'à ce qu'on ait prouvé, soit que la émane d'un faussaire
copie (faux
matériel), soit que l'officier public a commis le crime de faux en faisant
y
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 407

des déclarations contraires à la vérité (faux intellectuel . Cette preuve


doit se faire au moyen d'une procédure lente et dont le Code
compliquée,
de procédure civile 214 à 231) décrit les et
art. phases successives, qui
expose le demandeur, au cas où il succombe, à une amende de trois
cents francs. Ces restrictions au droit de dénégation des intéressés sont
rationnelles. On ne saurait entourer de de la d'une
trop garanties preuve
allégation aussi grave que celle d'un faux en écriture publique puisqu'elle
aboutira, si elle réussit, à la constatation d'un crime sévèrement puni par
le Code pénal (art. 145 à 148).
Cependant, il faudrait se garder de croire toutes les énonciations
que
contenues dans l'acte de l'état civil possèdent une force aussi abso-
probante
lue. La loi n'attache cette force qu'aux affirmations personnelles de l'officier
de l'état civil.
Or, à côté des énonciations relatives aux constatations que l'officier de
l'état civil a relevées personnellement, ex propriis il y a celles
sensibus, qui
émanent dès déclarants et que l'officier de l'état civil de s'est contenté
reproduire, sans en pouvoir constater la sincérité : par exemple, l'indication
de l'heure de la naissance, celle des noms des père et mère de l'enfant dans
un acte de naissance, celle des prénoms et nom du défunt dans un acte de
etc. Il n'y a pas de raison pour attacher à ces énonciations, ne faisant
décès,
que reproduire l'affirmation d'un simple particulier, affirmation dont l'of-
ficier de l'état-civil ne peut vérifier la sincérité, une force probante aussi
grande qu'à celles de l'officier lui même investi par la loi d'une mission de
confiance 1. Certes il est à présumer que ces affirmations sont exactes. On
doit donc les tenir pour telles jusqu'à nouvel ordre ; mais il faut, d'autre
part, permettre à ceux qui en attaquent la sincérité de faire la preuve con-
traire dans les termes du droit commun, c'est-à-dire sans inscription de
faux.
Par conséquent, quand une personne conteste l'une des indications
portées dans la copie de l'acte de l'état civil, il importe de distinguer suivant
qu'elle attaque la sincérité du rédacteur de l'acte de l'état civil ou celle des
parties qui y ont comparu. C'est dans le premier cas seulement que le
contestant est obligé de suivre les formes de l'inscription de faux, minu-
tieusement prescrites par la loi.
Cette distinction n'est pas énoncée dans l'article 45 du Code civil. Elle
est cependant aujourd'hui unanimement admise par les auteurs et les ar-
mais pendant longtemps la Doctrine s'est refusée à l'admettre. Les
rêts?

1. Et pourtant, il n'est pas douteux que l'individu qui fait une déclaration men-
songère à l'officier de l'état civil commet un crime de faux en écriture publique
(V, Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. III, nos 127 à
131). Mais cela ne prouve nullement que sa déclaration fasse foi jusqu'à inscription
de faux. Si la loi attache aux affirmations de. l'officier public une force-probante
plus grande qu'à celles d'un particulier, c'est parce qu'il est investi d'une fonction
publique et mérite une confiance plus grande qu'un individu, intéressé peut-être à
faire Une déclaration mensongère.
2. V. Civ., 16 mars 1841, S. 41.1.532, D. /. G., V Nom, n° 19 : « Si aux termes de
l'article 45 du Code civil, les extraits des registres de l'état civil font foi jusqu'à
Inscription de faux, cela ne doit s'entendre que des faits qui se passent devant l'of-
LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE
408

du Code attachaient la même force probante aux


premiers commentateurs
des affirmations de l'officier de l'état civil, parce
déclarations parties qu'aux
le mensonge les premiers
commis constitue un faux
que, disaient-ils, par
de l'officier de l'état civil. Il y avait là une erreur
au même titre que celui
la force d'une décla-
consistant à croire que la loi fait dépendre probante
de la gravité de la sanction attachée à son inexactitude.
ration, uniquement
Le véritable fondement du degré de force probante, c'est le caractère public
ou de la déclaration de son auteur.
privé

aux de l'état civil. — Il peut


Des moyens de
suppléer registres
arriver les registres de l'étal civil n'existent pas ou soient perdus par
que
suite d'un sinistre ou d'un accident. C'est, en temps de paix, un cas assez

le début du XIXe siècle, les registres sont en général régu-


rare, car, depuis
lièrement tenus dans toutes les communes, et le dépôt des deux exemplaires
dans des lieux différents est une garantie contre la perte ou la destruction.

Mais en de guerre étrangère ou civile, le fait se produit malheureu-


temps
sement bien souvent. A Paris, dans la nuit du 23 au 24 mai 1871, la der-

nière nuit de la Commune, le feu a détruit à la fois les deux dépôts, le

du Palais de et l'hôtel de Ville 1. Au cours de la guerre de


greffe justice
1914 , nombreuses ont été les hypothèses de destructions des registres par
suite de bombardement ou d'incendie, ou d'interruption dans leur tenue

suite de ennemie. On remarquera que si, en général, la


par l'occupation
conservation du double de suppléer a la destruction du
registre permet
à la mairie, il n'en est pas ainsi pour les registres de l'an-
registre placé
née en cours. L'un et l'autre se trouvant à la mairie, leur destruction est

complète.
de pareils événements se produisent, il fauL bien permettre aux
Lorsque
intéressés de faire la preuve des actes coucernant leur état civil ou celui

de leurs parents par d'autres procédés.


C'est à ce besoin que pourvoit l'article 46 du Code civil aux termes du-
« lorsqu'il n'aura pas existé de registres, ou qu'ils seront perdus, la
quel
en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les
preuve
mariages, naissances et décès, pourront être prouvés tant par les registres
et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins ».

— Cf. Paris,
ficier de l'état civil et dont la réalité est constatée par lui. » 31 juillet
1890, D. P. 91.2.129, S. 92.2.302 :« Dans un acte de décès, l'identité et l'âge du décédé
n'étant établis que par l'attestation des déclarations, la preuve contraire peut être
faite en la forme ordinaire. »
1. Il y avait eu un précédent de ce fait. En 1815, tous les registres de l'état civil
de la ville et d'une partie de l'arrondissement de Soissons furent perdus ou détruits.
Les registres incendiés en 1871 à Paris comprenaient: 1° les anciens registres des
paroisses qui remontaient à François 1er et que la Révolution avait réunis eu un
dépôt unique ; 2° les registres de l'état civil de 1792 à 1860. Pour les registres pos-
térieurs à 1860, les mairies avaient conservé l'un des doubles, ce qui évita le désastre.
De même qu'en 1815 on avait fait une loi pour reconstituer les registres de Soissons
(ordonnance du 9 janvier 1815), de même on promulgua, le 12 février 1872, une loi
destinée à assurer la reconstitution des actes détruits. Il n'est pas possible en effet,
en présence de pareils désastres, de laisser aux particuliers le soin d'agir par la
voie judiciaire.
ACTES DE L ETAT CIVIL 409

en cas de force majeure, il est fait exception à la règle de la preuve


Ainsi,
et la preuve libre est admise. C'est là d'ailleurs une
préconstituée applica-
tion du Droit commun en matière de preuve (art. et de cette
1348,4°),
simple règle de bon sens: à l'impossible n'est nul tenu.
Cependant, l'article 46 ne laisse pas de soulever une assez
question parfois
celle de la détermination des cas dans lesquels les sont
délicate, parties
autorisées à recourir à des modes de preuve subsidiaires.
L'article, on l'a vu, cite les deux hypothèses les plus importantes.
1° // na pas existé de registres. Cela comprend le cas assez rare où les
registres n'ont pas été tenus du tout et aussi, certainement, celui où il y a
eu interruption plus ou moins prolongée dans leur rédaction. Cette der-
nière éventualité s'est produite dans beaucoup de communes pendant l'in-
vasion du territoire en 1870-1871 ou au cours de celle de 1914.
1° Les
registres ont été perdus. L'expression vise évidemment non seule-
ment le cas de perte, mais celui de destruction matérielle, partielle ou to-
tale par l'eflet d'un accident.
Il y a un troisième cas que la loi n'indique pas expressément, mais que
le bons sens commande d'ajouter à son texte : c'est l'hypothèse où il y aurait
eu lacération volontaire des registres et suppression d'un ou de plusieurs
feuillets.
Il reste enfin une dernière situation. Les registres sont enapparence ré-

gulièrement tenus, aucun indice ne permet de constater qu'il y ait eu des


actes non inscrits ; et pourtant ii est prétendu qu'un fait concernant l'état
civil d'une ne s'y trouve pas rapporté, soit qu'il n'ait pas été dé-
personne
claré à l'officier-de l'étal civil, soit que celui-ci ait négligé d'inscrire l'acte
sur les registres. Faut-il, dans ce cas, permettre aux parties intéressées de
recourir aux modes de subsidiaires autorises par l'article 46?
preuve
On peut hésitera répondre par l'affirmative. Une fraude serait plus facile
a perpétrer sous le couvert de cette allégation que dans les cas précédents :
un aventurier en alléguant cette inexistence relative des
pourrait essayer,
registres, de se procurer un état civil mensonger à l'aide de faux témoins
ou de fausses pièces.
Pourtant, la solution négative serait vraiment trop rigoureuse. Le fait

allégué peut,.en somme, être exact. Comment, s'il en était ainsi,priverait-on


une personne de la possibilité de prouver un fait concernant son état civil
ou celui de ses ? Ce sera donc aux juges à apprécier la sincérité
parents
de la demande, et à la repousser si elle ne leur pas bien établie. Il
paraît
ne faut pas oublier chez nous, en principe, les juges ne sont jamais
que,
leur ils ne se décident leur
liés par les preuves qu'on apporte ; que d'après
intime conviction.
Enfin, à l'appui de la solution la plus bienveillante, on peut invoquer
deux articles du Code relatifs à la du mariage, que nous
civil, preuve
avons haut : ce sont les articles 194 et 197. Le premier
déjà analysés plus
nous dit les ne mariage leur
qu'à la con-
que époux peuvent prouver
dition de représenter un acte de célébration inscrit sur le registre de l'état

civil. Il est donc interdit aux de recourir à un autre mode de preuve,


époux
et cela se comprend aisément. S'il y a eu vraiment mariage, il y a eu certai-

DROIT. — Tome I.
LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE
410

cernent acte dressé par l'officier civil en


présence des parties. Dès lors, les

époux doivent présenter cet acte. S'ils ne le produisent pas,


prétendus
c'est cherchent à s'attribuer une qualité qu'ils n'ont pas 1.
qu'ils
Mais cette règle que nous considérons comme exceptionnelle, ne vise que
les eux mêmes. L'article 197 se relâche de sa rigueur en ce qui con-
époux
cerne les enfants. Lorsque les parents ont vécu
publiquement comme mari
et femme et sont morts tous les deux, on ne peut contester la légitimité des

enfants,sous le seul prétexte qu'ils ne présentent pas l'acte de célébration du

mariage, toutes les fois que cette légitimité est prouvée par une possession
d'état qui n'est point contredite par l'acte de naissance. Ainsi, en pareil

cas, la preuve du mariage des père et mère se trouve suppléée par la


double preuve, que les père et mère ont eu la possession d'état d'époux,
et que les enfants ont eu celle d'enfants légitimes sans que cette dernière
soit contredite par leur acte de naissance. Nous l'avons dit, la raison sur

laquelle se fonde cette disposition est évidemment que les enfants peuvent
ignorer le lieu où les parents se sont mariés. Cette considération fait
ressortir l'esprit du Code civil et nous permet de conclure que, toutes
les fois
qu'une personne ignore dans quelle commune a été dressé l'acte
constatant le fait, relatif à l'état civil dont elle veut faire la preuve, elle doit
être autorisée à recourir aux modes de preuve subsidiaires de l'article 46.
La jurisprudence s'est plusieurs fois prononcée en ce sens ; elle a permis
l'administration des modes subsidiaires de preuve par un réclamant allé-
guant que l'on avait omis d'inscrire l'acte
(V., sur
en les registres der-
nier lieu, Bordeaux, 15 février 1888, D. P. 89.2.197, S. 88.2.192).
De même, avant la loi du 8 juin 1893 précitée, qui a prévu le cas des per-
sonnes disparues dans un voyage en mer, il était admis que, lorsqu'un na-
vire, avait péri corps et biens, le décès des marins ou passagers pouvait être
établi par témoins ou présomptions (Bordeaux, 2 juin 1875 et 7 février 1876,
D. P. 78.5.11, S 76.2.10 et 77.2.52 ; note de M. Planiol D. P. 90.2.305).
Ajoutons que les intéressés sont admis à se prévaloir de la disposition
de l'article 46 lorsque, un acte de l'état civil été ils se
ayant dressé,
trouvent de le produire
empêchés par un cas de force majeure (Req. 14 no-
vembre 1922, S. 1924.4.71).
Enfin, à la suite nombreuses destructions où dans la
des irrégularités
tenue des registres survenues la de le législateur, en
pendant guerre 1914,
même temps qu'il prenait des mesures la reconstitution des -
pour registres,
(lois des 1er juin 1915 et du 15 décembre a permis du 20 juin
1923), (loi
1920) de suppléer par des actes de ce que la reconstitu-
notoriété, jusqu'à
tion ou la restitution des ait été à tous les actes de
registres effectuée,
l'état civil, dont les originaux ont été détruits ou sont suite
disparus par
de faits de guerre.

1. Encore faire nous


faudrait-il exception, semble-il. si les parties intéressées
fournissaient la indéniable l'acte de mariage
preuve que a été rédigé par l'officier
de l'état-civil sur une feuille volante.
Que doit prouver le demandeur en cas d'admission des preuves
? — Le demandeur doit faire une double successive :
subsidiaires preuve
1° Il doit prouver les faits d'où résulte l'impossibilité où il se trouve
de produire un extrait des registres. Cette preuve se fera tous les
par moyens
de nature à établir l'exactitude de la circonstance alléguée.
2° Il doit prouver la réalité du fait, naissance, décès, mariage, acte de
reconnaissance, etc., qu'il invoque.
Il produira à l'effet d'établir cette seconde preuve, soit les témoignages
de personnes qui affirment avoir assisté au fait allégué, soit les registres
ou papiers domestiques sur lesquels il se trouverait relaté. L'article 46
paraît limiter l'emploi de ces écrits au cas où ils émanent des père et mère
décédés, mais Ce serait aller à rencontre de la pensée du législateur que
de l'interpréter ainsi. Là où la preuve par témoins est permise, les autres
modes dé preuves,
registres, papiers domestiques, présomptions même,
peuvent être invoqués. Si le législateur a cité spécialement les documents
écrits et les registres tenus par les parents aujourd'hui décédés, c'est qu'ils
ont plus de poids que tout autre moyen : on est sûr qu'il ne s'agit pas d'é-
crits fabriqués pour les besoins de la cause.

Résultats du — le tribunal constate le bien fondé


jugement. Lorsque
de la demande, il n'ordonne pas le rétablissement de l'acte omis ou détruit.
Il rend un jugement établissant le fait allégué (le mariage, la naissance, le
décès). Il peut ordonner en même temps la transcription, de ce jugement
sur les registres et sa mention en marge de l'acte le plus rapproché de
l'acte omis.
Ce jugement n'a d'effet qu'à l'égard de ceux au profit desquels il a été
rendu, conformément au principe de la relativité de la chose jugée.
CHAPITRE III

L'ÉTAT CIVIL 1
RECTIFICATION DES ACTES DE

Le : nécessité d'une décision judiciaire pour la rectifi-


principe
cation. — C'est un principe fondamental que les erreurs, omissions ou

énonciations qui se
glissent dans un acte de l'état civil ne
prohibées
à moins de présenter un caractère purement matériel, être
peuvent pas,
rectifiées l'officier de l'état civil, ni même par le procureur de la Répu-
par
de la vérification des registres. Il faut, pour les réparer, une .
blique chargé
décision ordonnant de faire la rectification (art. 99, 1er al.).
judiciaire
Il y a là une règle traditionnelle, qui était déjà admise dans noire Ancien
Droit.
Il serait, en effet, fort dangereux de permettre aux maires ou adjoints ou

même aux membres du Parquet de modifier les actes une fois rédigés. De tels

opérés à la demande d'individus parfois intéressés à un chan-


changements,
frauduleux, et sans que l'officier puisse toujours vérifier le bien
gement
fondé de leurs réclamations, seraient susceptibles de jeter le trouble dans les
familles en attribuant à un individu un état civil supposé, ou de permettre
aux particuliers de modifier leur nom, ou encore de s'attribuer une parti-
cule ou un titre nobiliaire auxquels ils n'ont
pas droit. De fait, beaucoup de
demandes en rectifications sont inspirées par la vanité, par le désir de s'at-
tribuer une particule qui, d'après un préjugé répandu dans le public, passe
pour être un signe de noblesse.
Il ne faut pas que de tels calculs puissent
être servis par la complaisance ou la négligence de tel ou tel fonctionnaire.
Toutefois, en vertu des difficultés considérables et des chances d'erreurs
oude confusion que présentait la constatation du décès des militaires et ma-
rins au cours de la guerre de 1914, une règle toute spéciale a été édictée en
cette matière, en ce qui concerne les actes de décès dressés par les auto-
rités militaires, d'abord par la loi du 30 septembre 1915, puis par la loi
du 18 avril 1918 qui a abrogé la précédente. Cette dernière loi, en vue
d'éviter aux familles les lenteurs et les frais d'une instance judiciaire,

1. La rectification des actes de l'état civil est une matière malheureusement très
pratique à cause des trop nombreuses irrégularités, erreurs, omissions commises
par les officiers de l'état civil. Voici un aperçu statistique des jugements rendus sur
des demandes de ratification.
Affaires inscrites non inscrilcf
Années Maures
au c' est-à-dire jugées
rôle sur requête
1880 97 4.285
190) 196 4.255
1995 . . 198 3.790
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 413

décide que les actes de décès des militaires, des marins de l'Etat et des
personnes employées à la suite des armées, dressés depuis le 2 août 1914
jusqu'à une date qui sera fixée par décret après la cessation des hostilités,
peuvent être l'objet d'une rectification administrative, lorsqu'ils présentent
des lacunes ou des erreurs, sans que le fait du décès, ni l'identité du décé-
dé soient douteux. Cette rectification intervient d'office, ou sur la requête,
soit de l'officier de l'état civil qui a dressé ou transcrit l'acte, soit du pro-
cureur de la République, soit des parties intéressées. La procédure de
rectification administrative instituée par cette loi est applicable aux actes
de décès des personnes non militaires, dressés dans les conditions pré-
vues par l'alinéa 3 de l'art. 93 du Code civil.
Une autre dérogation au principe résulte de l'alinéa 5 de l'article 75
modifié par la loi du 9 août 1919, prévoyant le cas où les actes de l'état civil

présentés, en vue du mariage par l'un des futurs époux ne concordent

point entre eux quant aux prénoms ou l'orthographe des noms. L'article 75

dispense le futur époux de recourir à la rectification judiciaire. L'officier


de l'état civil interpelle le futur, et s'il est mineur, ses plus proches ascen-
dants présents à la célébration d'avoir à déclarer que le défaut de concor-
dance résulte d'une omission ou d'une erreur. S'ils ne sont
présents, les
ascendants feront cette attestation dans l'acte de leur consentement donné
en la forme légale.
Laissant de côté ces hypothèses spéciales, nous examinerons successive-
ment :
1° Dans quels cas à rectification d'un acte de l'état civil ?
y a-t-il lieu
2° Qui peut demander la rectification ?
39 Quelle est la procédure de l'instance en rectification et quels sont les
effets du jugement ?


§ 1. Dans quels cas y a-t-il lieu à rectification
d'un acte de l'état civil ?

La rectification d'un acte peut être demandée toutes les fois qu'il contient
des mentions inexactes, ou des énonciations prohibées, ou omet des indica-
tions qu'il devrait contenir. En fait, la plupart des actions en rectification ont
pour objet soit de faire rectifier l'orthographe du nom de famille mentionné
dans l'acte; soit de supprimer une erreur commise dans l'indication des pré-
noms de l'enfant, des époux, du défunt. Souvent aussi, elles tendent à faire
insérer dans l'acte un titre nobiliaire qui ne s'y trouve pas mentionné.
Il y a eu, sur ce dernier point, de longues hésitations dans la Jurispru-
dence. Certains arrêts de cours d'appel avaient décidé que la demande
tendant à faire ajouter une nobiliaire, même légalement éta-
qualification
blie, n'est pas recevable, sous le prétexte ne s'agit pas là d'une men-
qu'il
tion prescrite 12 juillet 1862, D. P. 62.2.124, S. 62,2.461 ;
par la loi (Toulouse,
Nancy, 7 mai 1864, S. 64.2.102), et que le titre nobiliaire ne modifie pas
l'état civil de l'intéressé. D'autres arrêts, au contraire, avaient admis que
l'insertion d'un titre de noblesse dans un acte de l'état civil peut faire l'objet
d'une demande en rectification, comme celle de toute mention complétive
414 LIVRE I. TITRE I TROISIEME PARTIE

à mieux constater l'identité des personnes dénommées dans l'acle


propre
13 mars D. P. 60.2.145 juin 1860,
; Agen,26 D. P. 60.2.141).
(Colmar, 1860,
La Cour de cassation a tranché la question par un arrêt de sa chambre

civile du 1er juin 1863 (D. P. 63.1.216, S. 63.1.447. Cf. Req., 26 octobre 1897,

D. P. 97.1.584, S. 1900.1.356 ; Paris, 16 mars 1910, D. P. 1912.2.324,


S. 1910.2.307). Cet arrêt a décidé que les demandes en rectification, à l'ef-

fet dé faire mentionner un titre nobiliaire dans un acte de l'état civil, sont

car il s'agit d'une mention destinée à mieux constater l'identité


recevables,
de l'individu. Mais, ajoute l'arrêt, la demande ne doit être accueillie qu'au-
tant le droit au titre nobiliaire est établi par un titre régulier. Or,
que
comme les tribunaux civils n'ont pas à se faire juges de l'existence ou de la

non-existence du titre réclamé, la question de propriété du titre nobiliaire

doit être tranchée au préalable, conformément au décret du 3 janvier 1859 1.


Deux observations compléteront ce tableau des cas où doit intervenir

une demande en justice.


A. — Il y a lieu à une intervention du tribunal, analogue à une rectifica-

tion, lorsqu'un acte n'a pas été inscrit dans les délais légaux sur les registres
de l'état civil. C'est ce qui peut avoir lieu, comme nous l'avons dit, soit
acte de naissance n'a pas été dressé dans les trois jours, soit
lorsqu'un
de divorce n'a pas été transcrit sur les registres, comme
lorsqu'un jugement
l'exige l'article 252, 2e al., le cinquième jour de la réquisition (Amiens,
29 avril 1890, D. P. 92.2.214, S. 92.2.153. V. art. 55, al. 2, nouveau).
B. — Il arrive souvent que la demande en rectification soulève une ques-
tion de fond relati\e à l'état de l'intéressé ; par exemple, un enfant prétend
que le nom mentionné comme étant celui de son père ou de sa mère est

inexact, ou encore que l'on a omis d'indiquer la qualité de gens mariés qui
appartenait à ses père et mère, en un mot que l'acte à rectifier lui attribue
un état autre que son état véritable. Or, la preuve de la filiation est sou-
mise par le Code civil à des conditions spéciales indiquées au titre de la
Filiation. Il ne faut donc pas qu'un individu puisse échapper à ces règles
en déguisant sa véritable prétention sous une question de rectification.
Aussi, en pareil cas, la Jurisprudence décide-t-elle que la question d'état
est la question principale, et que les règles exigées pour la preuve de l'état
doivent êtres suivies, tant au point de vue des conditions de la preuve que
de la compétence du tribunal (Req., 8 avril 1910, S. 1912.1.109, motifs;
Req. 13 novembre 1882, D. P. 84.1.120, S. 83.1.272).
Il n'en serait autrement que s'il était prouvé qu'il s'agit de réparer une
simple omission, par exemple, d'insérer la mention, omise dans l'acte de

mariage, de la reconnaissance d'un enfant naturel, alors qu'il est établi

que cette reconnaissance a eu lieu et doit entraîner dès lors légitimation.'


En ce cas, ce que l'on prétend établir, c'est un simple oubli de l'officier de
l'état civil et l'on se trouve bien en présence d'une instance en rectification
(Paris, 10 juin 1886, P. F. 87.2.191).

1. On se souvient que ce décret, portant rétablissement du conseil du sceau des


titres, a été modifié par le décret du 10 janvier 1872, transférant les attributions
de ce conseil au conseil d'administration du ministère de la Justice,
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 415


§ 2 Qui peut demander la rectification ?

La rectification peut être demandée par toute personne intéressée au re-


dressement de l'acte de l'état civil. Par exemple, les membres de la famille
ont intérêt à faire corriger l'orthographe du nom de leurs auteurs. De même,
si un acte de naissance constate une filiation adultérine, l'enfant, ses descen-
dants, les parents et leurs descendants peuvent en demander la rectification.
Il n'est pas nécessaire d'avoir un intérêt pécuniaire; il suffit d'un intérêt
moral, comme celui d'assurer l'unité du nom delà famille et l'homogénéité
de l'état civil de ses membres (Paris, 1er juil. 1911, Gaz. Pal. déc. 1911).
Le ministère public peut-il agir d'office lorsque l'ordre public est inté-
ressé; par exemple, quand il s'agit d'un acte constatant une filiation adulté-
rine ou incestueuse, ou quand il s'agit de relever le délit d'usurpation de
titres de noblesse? C'est une question que la Doctrine a fort discutée. Elle
a été résolue affirmativement par deux arrêts de la Cour de cassation

(Civ., .22 janvier 1862, D. P. 62.1.5, S. 62.1.258, avec le rapport du conseiller


Laborie et les conclusions du procureur général Dupin. Dans le même sens :
Civ., 25 octobre 1903, D. P. 1906.1.337, note de M. Planiol, S. 1909.1.27;
Civ., 24 décembre 1901, 2 arrêts, D. P. 1902.1.361, S. 1902.1.353, note de
M. Perreau). Ces arrêts, en consacrant le droit d'agir d'office du ministère

public, ont rappelé que ce droit lui était reconnu en matière d'actes de
l'état civil par une tradition de 1667, art, 14, titre 20,, et
longue (Ordonn.
par un Avis du Conseil d'Etat du 12 brumaire an XI (3 novembre 1802).
Aujourd'hui la question est. tranchée par la loi du 20 novembre 1919,
modifiant l'alinéa 1er de l'article 99, et décidant formellement que la requête
à fin de rectification peut émaner du Procureur de la République.

— en rectification.
§ 3. Procédure et effets de l'instance

Procédure. — La loi du 20 novembre 1919, modifiant l'article 99, a

apporté ici d'heureuses simplifications. L'intervention du tribunal n'est plus


toujours nécessaire. Le Président saisi d'une requête en reclification peut
l'ordonner lui-même ou, s'il juge que l'affaire exige un exposé approfondi,
la renvoyer devant le tribunal.
Le Président ou le tribunal compétents pour statuer sont, en principe, ceux
de l'arrondissement dans lequel l'acte a été dressé (art. 99,1er al. nouveau).
Pourtant, la demande est formée incidemment au cours d'un autre
lorsque
procès, notamment au cours d'une action en réclamation ou en contestation
d'état, le tribunal saisi de l'instance principalecompétent pourest statuer
sur la demande incidente en rectification (Req., 8 avril 1910, S. 1912.1.109).
la recti -
Lorsque le décès ou la naissance a été constaté par un jugement,
fication que, dans ce cas, le Président ne peut ordonner seul, est demandée
au.tribunal a rendu le jugement ; toutefois, lorsque le jugement
qui
n'émane d'un tribunal de la la rectification en est
pas métropole,

1 V. la Circulaire du garde des sceaux relatives à l'application de cette loi, Journ.,


officiel du 13 décembre 1919,
I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE
416 LIVRE

dans le ressort la déclaration a été trans-


demandée au tribunal duquel
à l'article 92 (art. 99, 3e al.)- La procédure à suivre
crite, conformément
855 à 858 du Gode de procédure civile modifiés
est tracée par les articles
1919. Elle voiede requête adressée
par la loi du 20 novembre s'engage par
le président l'affaire devant
au président du tribunal. Lorsque renvoie le tri-
et conclusions du ministère public.
bunal, celui-ci statue sur rapport Il peut,
décider les parties intéressées seront appelées
s'il l'estime convenable, que
et que le conseil de famille sera préalablement convoqué.

Comment se fait la rectification ? — Lorsque le président ou le tri-

le bien fondé de la demande, il rend une ordonnance ou


bunal reconnaît
un jugement de rectification.
L'article 857 du Code de procédure civile a soin de prescrire qu'aucune
aucun ne doivent être faits sur l'acte porté, sur
modification, changement
On transcrit seulement le dispositif de l'ordonnance ou du ju-
les registres.
à sa date sur les et on le mentionne en marge de l'acte
gement registres,
réformé (art. 101, C. civ.1).
A l'avenir, l'acte délivré
ne sera qu'avec mention des rectifications
plus
ordonnées (art. 857, in fine, C. proc. civ.).
ne corrige-t-on l'acte lui-même ? La raison doit en être
Pourquoi pas
cherchée dans la disposition de l'article 100, ce qui nous amène à parler

de l'effet du jugement.

Autorité relative de l'ordonnance ou du jugement de rectifica-

tion. — 11 résulte de l'article 1351 qu'un jugement ne produit d'effet qu'à


des contre lesquelles il a été rendu. C'est une règle que
l'égard personnes
nous avons déjà expliquée.
L'article 100, nous nous sommes également référés, fait applica-
auquel
tion de ce principe de la relativité de la chose jugée à la décision de rec-

tification d'un acte de l'état et nous dit celle-ci ne « dans


civil, que pourra
aucun temps, être opposé aux parties intéressées qui ne l'auraient point

requis, ou qui n'y auraient pas été appelées ».


Cette solution paraît tout d'abord bizarre. Le jugement de rectifica-
tion n'est les autres. Il répare une erreur ou une
pas un jugement comme
omission commise dans un acte de l'état civil ; il ne statue pas sur un point
entre deux Il précise
individus. per- l'individualité ou l'état d'une
litigieux
sonne, chose une et indivisible. On comprend cependant à la réflexion

quel est le danger qu'a voulu éviter le législateur. Supposons, par exemple,
qu'une personne ait demandé une modification à son nom pour le faire

accompagner d'un titre de noblesse. Or, le demandeur s'est bien gardé de

1. La procédure de rectification administrative instituée par la loi du 18 avril 1918


est applicable aux transcriptions des jugements déclaratifs de décès, pourvu que
la rectification ne porte ni sur le fait du décès, ni sur sa date, ni sur l'identité du
décédé (art. 8 de la loi). La même loi décide en outre (art. 10 et 11) que, lorsque
l'acte de décès d'une des personnes énumérées par elle dans ses articles 1 à 7, a
été dressé par erreur et qu'il n'est pas douteux que cette personne est encore vi-
vante, ou quand cet acte contient des énonciations qui ne sont pas conformes aux
prescriptions des articles 34 et 79 du Code civil, le tribunal civil est compétent pour
rectifier cet acte, saus qu'il soit nécessaire de le transcrire préalablement
ACTES DE L'ÉTAT CIVIL 417

mettre en cause ceux auxquels ce titre appartient. Serait-il admissible qu'il


se prévaloir, à l'égard de ces derniers, d'un jugement de rectification
pût
qu'il aurait obtenu par surprise et sans qu'ils eussent été à même de con-
tester le bien fondé de sa demande et d'éclairer lareligion du tribunal?
Supposons encore qu'à la suite du décès d'un individu laissant deux en-
fants, un tiers intente, contre l'un deux seulement, une action en récla-
mation d'état à l'effet de prouver qu'il est, lui aussi, fils du défunt,
légitime
et, qu'ayant réussi dans sa demande, il obtienne un jugement de rectifi-
cation de son acte de naissance. Il ne serait pas juste qu'il pût ce
opposer
jugement à l'autre enfant du défunt, puisque ce dernier n'a pas été appelé
à contester sa prétention. Telles sont les raisons qui ont déterminé la
disposition de l'article 100.
Dans la pratique, heureusement, des conflits de ce genre sont fort
rares, car le demandeur ou le tribunal ne manque pas, en conformité de
l'article 855, al. 3, du Code de procédure civile, de mettre en cause les inté-
ressés dont l'existence lui est connue (V. Agen, 14 juin 1890, D. P. 91.2.153
note de M. de Loynes, S. 93.2.4).
Ajoutons que la règle de l'article 100 ne s'applique qu'aux cas assez rares
où la demande en rectification, trouvant un contradicteur, offre un carac-
tère contentieux. Lorsque le jugement de rectification a été rendu à la suite
d'une instance engagée par voie de requête, c'est-à-dire sans qu'il y eût de
contradicteur, il s'agit alors d'une décision purement gracieuse qui n'a pas
même l'autorité relative de la chose
jugée. La teneur véritable de l'acte de
l'état civil
peut être remise de nouveau en question par tous les intéressés et
par lé ministère public (Civ.,24 décembre 1901, 2 arrêts, D. P. 1902.1.361.
S. 1902.1.353, note de M. Perreau; 29 octobre 1905, D. P. 1906.1.337, note
de M. Planiol, S. 1909.1.27). Il faut,
en effet, garantir l'exécutiou des lois, dit
la Cour suprême, « contre la surprise ou l'erreur d'un jugement rendu en
l'absence de tout contradicteur et accordant, sur la simple requête de
l'intéressé, une modification qui peut être plus tard reconnue inexacte ».

APPENDICE. — CRITIQUE DU RÉGIME ACTUEL DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

Les registres de l'état civil ne rendent pas tous les services qu'on pour-
rait leur demander.
On leur reproche d'abord d'être incomplets, ils ne mentionnent pas tous
les faits qui peuvent modifier Yétat de l'individu. L'émancipation, la sépa-
ration de corps n'y sont pas portées, et la reconnaissance d'un enfant natu-
rel n'y est inscrite
qu'autant qu'elle est faite devant l'officier de l'état civil.
Ce n'est pas là, il faut le reconnaître, une lacune bien sérieuse. L'éman-
cipation est, en fait, fort rare ; quant à la reconnaissance, il n'y a que l'en-
fant qui ait intérêt à la connaître. Enfin, la séparation de corps est aisée à
constater pour ceux qui traitent avec la femme.
Quelques auteurs voudraient qu'on mentionnât sur les registres tous les
faits modificatifs de la capacité des individus, comme le jugement d'inter-
diction ou de nomination de conseil judiciaire, mais ce serait là transfor-
4ÎS LIVRE I. — TITRE I. — TROISIÈME PARTIE

mer le caractère des registres de l'état civil et en augmenter considéra-

blement les dimensions. Il vaux mieux employer un autre procédé, dont

nous parlerons plus loin pour faire connaître ces événements aux tiers

qui sont, en effet, intéressés à être renseignés.


Une deuxième critique paraît plus juste que la précédente. Les actes
concernant un même individu sont épars ; ils peuvent être constatés sur les
de différentes communes ; il n'y a pas de lien entre eux qui per
registres
mette de reconstituer commodément et vite l'état civil complet d'une per-
sonne. Pour accomplir cette tâche, il faut connaître les communes où les
événements constatés se sont passés ; il faut multiplier des recherches sou-
vent difficiles, parfois même inefficaces.
La lacune de notre Code à cet égard a été en partie comblée par les lois

postérieures. Nous avons vu qu'elles ont multiplié l'emploi des mentions

marginales, et visé, comme acte devant servir de centre de renseignement,


l'acte de naissance. Aujourd'hui, on trouve en marge de cet acte les men-
tions suivantes :
1° Reconnaissance de l'enfant naturel ;
2° Légitimation ;
3° Jugement d'adoption ;
4° Mariage.
Il y a là une tentative assez heureuse pour centraliser au lieu de la nais-
sance les principaux faits de l'état civil.
On pourrait la pousser plus loin. On a proposé à cet effet de créer, au
lieu de la naissance de chaque individu, et, par exemple, au greffe du tri-

bunal, un véritable casier civil sur lequel seraient mentionnés, non seu-
lement tous les faits relatifs à l'état civil de l'individu, depuis sa nais-
sance jusqu'à son décès, mais les actes qui viendraient modifier sa capa-
cité, et que les tiers qui traiteront avec lui auraient intérêt à connaître:

séparation de biens, séparation de corps, interdiction, nomination d'un


conseil judiciaire, changement de nationalité.
L'institution a été ébauchée par une loi du 16 mars 1893, relative à la pu-
blicité à donner à la décision qui pourvoit un individu d'un conseil judiciaire
ou qui l'interdit. Un extrait en est inscrit sur un registre spécial, au greffe
du tribunal du lieu de naissance de l'intéressé. (V. art. 501, 2e al.). Pour la

séparation de biens, on verra que la publicité en est, au contraire, fort mal


assurée par des mesures qui n'atteignent pas aussi bien leur but (art. 1445).
Enfin, la séparation de corps n'est l'objet d'aucune mesure de publicité.
En somme, il ne resterait qu'assez peu de chose à faire sinon pour réa-
liser le casier civil, au moins pour créer son équivalent 1.

1. V. Sermet, La question du casier civil (Lois nouvelles, 1909, 2e partie, p. 27,


55, 69). La création du casier civil a fait l'objet de diverses propositions devant le
Parlement (V. le rapport de H. Canivet déposé à la séance du 17 février 1887 de la
Chambre des Députés).
TITRE II

DU DOMICILE ET DE L'ABSENCE

La localisation de l'individu, lo lien qui le rattache à un certain point


de l'étendue, siège ordinaire de son activité, lieu où on le rencontre et le
retrouve en général, constitue, après l'état, un élément et
important pra-
tique de la situation juridique des personnes. Nous allons nous en occu-
per en traitant de la matière du Domicile.
A cette matière se rattache logiquement celle de l'Absence. L'absence,
c'est la rupture du lien qui attache l'individu à un lieu déterminé, l'état
de choses anormal qui empêche de situer l'individu même transitoire-
ment, à ce point que son existence même devient problématique. Le régime
des absents ne pourra — cela en vertu du officiel des Etudes
programme
de Droit — être étudié dans son ensemble dans un autre mais
que volume,
il est indispensable d'en donner dès à présent un aperçu.
CHAPITRE PREMIER

1
DU DOMICILE

— Notions
§ 1. générales.

— homme se trouve rattaché à un


Définition du domicile. Chaque
de famille, son travail, par ses intérêts,
lieu déterminé par ses affections par
réside ordinairement. Cette sta-
l'habitude ; et c'est dans ce lieu qu'il
par
des Ceux-ci
bilité est très favorable à la régularité rapports juridiques.
très si l'homme changeait incessamment de place
deviendraient précaires
ainsi
à toutes les recherches et à toutes les poursuites.
et pouvait échapper
de celte constatation de fait, et il en tire une notion
Le Droit tient compte
Il fixe, un lieu, qui est
juridique, celle du domicile. pour chaque personne,
de celte où elle est supposée être toujours
le siège légal personne, siège
soit qu'elle s'y trouve corporellement, soit qu'elle ne s'y trouve
présente,
est
pas. En d'autres termes, le domicile, c'est la demeure que la personne
de la loi l'exercice de certains droits et l'accom-
censée avoir aux yeux pour
de certains actes-.
plissement
croire les droits civils ne peuvent être
Il ne faudrait pas cependant que
exercés lieu du domicile. Il n'en est rien. L'homme peut prendre part
qu'au
vendre, prêter, emprunter, faire son tes-
au commerce juridique, acheter,
tament, etc., partout où il, se trouve.

du domicile. — Néanmoins, la détermination au


Importance pratique
domicile un rôle assez dans les rapports juridiques des par-
joue important
ticuliers. En voici les principaux intérêts :
1° Un contrat a été entre deux personnes. Ordinairement, le paie-
passé
ment devra être fait au domicile du débiteur (art. 1247, 2e al.). Si le créancier

refuse de recevoir le paiement, parce que quelque difficulté s'élève au sujet


de l'étendue de le débiteur, désireux de se décharger de sa
l'obligation,
fera des offres de paiement à la personne du créancier ou à son domi-
dette,

1. Sur l'ancien droit, cons. Argou, Institution au droit français, t. I, p. 90-96,


Pothier, Introduction générale aux coutumes, nos 5 à 20, éd. Bugnet, t. x, p. 2.
2. Nous ne nous occupons ici du domicile que dans les rapports de particulier à
particulier. Il y a, en matière administrative, un domicile spécial, dit domicile de
secours, qui détermine la commune qui doit assister l'indigent. Ce domicile est fixé
actuellement par la loi du 15 juillet 1893 sur l'assistance médicale gratuite (art. 6). Sa
détermination est établie d'après une règle différente de celle du Code civil. Il s'ac-
quiert pour les majeurs, par une résidence habituelle d'un an dans une commune.
De même, nous ne nous occuperons pas du domicile électoral.
DOMICILE 421

cile art. 1258, 6°). Si, en revanche, le débiteur n'exécute pas son obligation,
le créancier lui adressera une sommation de payer ; il le citera en justice
il lui fera
un commandement.
par un exploit d'ajournement, signifier Or, le
créancier n'est de remettre
pas tenu tous ces actes à la personne même de
son débiteur, il serait trop facile à celui-ci de se soustraire aux recherches.
Aussi, le créancier fera-t-il porter ces communications au domicile du débi-
teur, lieu connu, déterminé, où celui-ci est censé se trouver d'une façon
permanente, ou être représenté par quelqu'un qui l'avertira.
2° En règle générale, lorsqu'une personne en poursuit une autre en jus-

tice, le tribunal compétent est le tribunal du domicile du défendeur. C'est


un principe traditionnel emprunté au droit romain : A ctor sequitur forum
rei (art. 2, 59, C. proc. civ., 112, 492, 513, C. civ.).

Il y a quelques droits civils qui ne peuvent être exercés que dans la
commune où la personne est domiciliée. Ainsi, le mariage est célébré dans
la commune où l'un des époux a son domicile ou sa résidence (art. 74) ; le
contrat d'adoption est conclu devant le juge de paix du domicile de l'adop-
tant (art. 360) ; l'émancipation s'opère par une déclaration du père ou de
la mère reçue par le juge de paix de leur domicile (art. 477).
4° Il est nécessaire, dans certains cas, de centraliser au domicile de l''in-
dividu les opérations exigées par l'administration ou la liquidation de son
Par exemple, le siège de l' administration tutélaire est fixé, en
patrimoine.
principe, au lieu où le mineur est domicilié au jour où s'ouvre la tutelle, et
c'est en ce lieu que se feront les réunions du conseil de famille; c'est le
tribunal de ce lieu qui homologuera, dans les cas nécessaires, les décisions
du conseil (art. 406). La succession d'une personne s'ouvre au lieu où elle était
domiciliée ; c'est là
que sont centralisées de liquidation
les opérations et
de partage de son hérédité 110). d'un
Enfin, la faillite
commerçant est
(art.
prononcée par le tribunal de son domicile, et toutes les formalités constitu-

tives de la faillite s'accomplissent en ce lieu 1.


Dans notre ancien droit, la notion de domicile jouait un rôle plus impor-
tant encore. Les coutumes fort nombreuses qui se partageaient le territoire
de la France différaient sur beaucoup de points, et cette divergence don-
nait un
grand intérêt à la question de savoir à quelle coutume était soumis

chaque individu. On appliquait, en effet, la coutume du lieu du domicile


aux questions relatives à l'état, à la capacité et à la dévolution de la succes-
sion mobilière, en un mot, aux questions qui relevaient du statut personnel 2.

1. La détermination du domicile est encore utile à plusieurs autres points de vue.


Quand un acte concernant l'état civil d'un Français a été dressé à l'étranger, ou aux
armées, ou en mer, etc., la loi veut qu'il soit transcrit sur les registres du lieu du
domicile en France (art. 60, 61, 80, 82, 86, 87, 97, 171, C. civ.).
De même, certains actes, qui modifient la capacité des personnes, doivent être
l'objet de publications faites au domicile. Ces publications sont destinées à prévenir
les tiers. Voir les articles 250 pour le divorce, 501, pour l'interdiction judiciaire
et la nomination d'un conseil judiciaire, 1445 du Code civil et 872 du Gode de procé-
dure civile pour la séparation de biens, 67, 69 du Code de commerce pour les époux
commerçants.
2. C'était là le principal rôle du domicile. Aussi Pothier ne nous en parle-t-il que
dans son introduction générale aux coutumes et à propos de la distinction des sta-
LIVRE I. -T TITRE II
422

autrefois entre
coutumes les différentes
Les conflits qui s'élevaient se
la loi française et les lois étrangères. La théoT
aujourd'hui entre
présentent
à pet importance, bien réduite
rie du domicile a conservé égard quelque
l'article 3 du Code civil, les lois concernant l'état
cependant, par, d'après
les Français, même résidant en pays
et la capacité des personnes+ régissent
du statut n'est donc plus, aux yeux
étranger, La loi régulatrice personnel
la loi du domicile, mais celle de la Ratio-
du mpjng du législateur français,
nalité.

§| 2. — Détermination du domicile.

— La loi aurait se contenter de déclarer que


La règle générale. pu
dans le lieu où elle réside ordinairement. Cha-
personne est domiciliée
chaque
en effet, a une résidence fixe, ne quitte que momenta-
cun de nous, qu'il
avec l'intention revenir. C'est le système
nément, provisoirement, d'y
la législation allemande 1.
adopté par
Mais notre Code suivant la tradition de nos anciens auteurs 2, a
civil,
d'édifier une théorie plus compliquée du domicile.
cru utile plus savante,
à ses une stabilité suffisante. L'homme
La résidence ne présente pas, yeux,
de résidence- En outre, l'homme ne réside pas
peut changer fréquemment
l'endroit où se trouvent ses principaux intérêts.
toujours dans
En l'article 102 détermine ainsi le domicile : « Le domicile
conséquence,
à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a
de tout Français, quant
son établissement. »
principal
Par ces mots. « le lieu du principal établissement », le Code veut désigner
le lieu où l'homme a, à la fois, sa demeure, le centre de ses affaires, \e siège
de sa fortune, ses affections de famille 3.
Le plus résidence et domicile ne feront qu'un, car la plupart des
souvent,

tuts personnels des statuts réels (Ed. Bugnet, t. I, p. 2 ; Cf. Laine, Bulletin de
et
la Société de législation comparée, 1890, p. 341 et s.).
1. Cf. Gierke, Deutsches Privatrechl (1895) § 57, p. 453. Le Code civil allemand dit
dans son article 7 : « Celui qui se fixe d'une façon stable dans un lieu y établit son
domicile. »
Il en résulte que, dans le système allemand, une personne peut avoir
plusieurs domiciles, tandis que, dans le nôtre, elle n'en a jamais qu'un. Ce système
est préférable au nôtre, parce qu'il est plus près de la réalité. Il ne soulève pas les
difficultés d'applipation pratique auxquelles donne lieu la loi française. Il a fallu
chez nous que la Jurisprudence aplanisse ces difficultés en élargissant un peu la
notion de domicile, et en brisant, là où il était trop gênant, le caractère artificiel
que le Code lui a donné.
2. Pothier, éd. Bugnet, t. I, p. 3. On comprend pourquoi nos anciens auteurs
avaient éprouvé le besoin de donner au domicile un caractère de fixité, et de distin-
guer le domicile de la résidence. C'est que, dans notre Ancien Droit, il ne faut pas
l'oublier, le domicile servait surtout à déterminer le statut personnel de l'individu,
c'est-à-dire les dispositions coutumières qui réglaient son état. Or, c'est à nos anciens
auteurs que les rédacteurs du Code civil ont emprunté les règles des articles du
titre 3, livre 1 (102 et suiv.), sans se rendre compte qu'elles avaient été surtout
établies en vue d'un intérêt que l'unification de notre législation avait fait dispa-
raître. C'est bien là ce qui fait que les dispositions édictées par eux conviennent si
peu aux rapports juridiques modernes.
3. Il n'est pas nécessaire du reste que cet établissement ait un caractère défini-
tif. (V. Civ., 7 mai 1907, S. 1908.1.150).
DOMICILE 423

gens habitent dans un lieu, où ils vivent en


unique exerçant leur métier ou
leur profession.
Mais une personne peut résider sur un autre
point que celui où elle a
son principal établissement. Le domicile est non
alors, plus le lieu tfù
l'nomme réside, mais le lieu le rattache cet ensemble
auquel d'intérêts qui
constitue le principal établissement.
Exemple : Le commerçant, l'industriel a son domicile dans sa maison de
commerce, dansson usine ; mais il peut habiter avec sa famille dans une
commune voisine ; il peut même, avoir résidences.
plusieurs
Il y a même des cas où, d'après certaines de notre Code ci-
dispositions
vil (art. un individu a son domicile dans un lieu où il n'a pas en-
107,108).,
core résidé : mais cela ne se produit qu'exceptionnellement.
En résumé, le domicile se détermine ordinairement par le fait de l'habi-
tation. fait ne suffit pas toujours. Si l'homme habite en un endroit
Mais ce
et s'il a le centre de ses intérêts dans un autre, c'est en ce
déterminé,
second lieu que la loi fixe son domicile 1.
Les juges du fond décident souverainement la question de savoir où se
trouve en fait le domicile dvun individu 22 octobre S. 1901.
(Req., 1900,
Req., 15 mars 1909, D. P. 1909.1.395, S. 1909.1.396).
1.88;

Détermination, par la loi, du domicile de certaines —


personnes.
Il y a certains groupes de personnes la loi un
auxquelles assigne d'office
domicile, présumant ainsi à l'avance où se trouve nécessairement leur prin-
cipal établissement :
1° Ce sont, d'abord, les personnes placées sous la ou
dépendance légale
effective d'une autre personne.
non émancipé a son domicile chez ses père et mère ou chez son
Le mineur
tuteur. Plus tant que les père et mère vivent, l'enfant a son
précisément,
domicile chez le père, car ce domicile est celui des époux. la mort
Après
de l'un d^eux, le domicile du mineur est chez le tuteur 108 1er al.,
(art.
Ce tuteur sera ordinairement le survivant des père et mère, qui
2° phr.).
sera investi à la fois de l'a puissance paternelle et de la tutelle. Mais la tu-
telle peut être conférée à une' autre personne, par Si la mère
exemple,
survivante l'a déclinée (art. 394). Dans ce cas, l'enfant reste sous la
puissance paternelle du survivant des père et mère, il habite chez lui,
mais il a son domicile chez son tuteur. C'est que le tuteur gère les biens
du mineur et exerce tous les droits qui lui appartiennent 2.
Le majeur interdit estégalement domicilié chez son tuteur (art. 108).
La femme mariée a pour domicile celui du mari 108). C'est là, d'a-
(art.

1. Ainsi un jeune homme qui fait son service militaire, conserve le domicile qu'il
avait auparavant; il n'est pas domicile; pendant la durée de son service, dans les
différentes garnisons où il est envoyé. (V. Bordeaux, 21 novembre 1904, D. P. 1903.
2.499, S. 1904.2.158).
2. Le mineur n'a plus de domicile de la puissance
émancipé légal, car il est affranchi
paternelle et de la tutelle. De même, à. dater de la majorité, l'ex-mineur n'a plus de
domicile légal. Sans doute, il peut conserverie domicile de ses parents ou du tuteur,
de fait.
s'il ne se crée pas un autre ce n'est
établissement, mais qu'un domicile
LIVRE I. — TITRE II
424

une conséquence de la puissance maritale. La


près l'opinion générale,
femme est obligée d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge
à propos de résider Cette transmission de domicile s'opère au
214). (art.
moment même du mariage. Il en résulte que la femme qui se marie peut
n'avoir jamais résidé dans le lieu où elle se trouve domiciliée.
ou travaillent habituellement chez autrui ont le
Les personnes qui servent
même domicile que la personne qu'elles servent ou chez laquelle elles tra-

vaillent, lorsqu'elles demeurent avec elle dans la même maison (art. 109).
2° En second lieu, les fonctionnaires nommés à vie, c'est-à-dire qui
exercent des fonctions à la
perpétuelles foiset irrévocables, sont domiciliés
dans le lieu où ils doivent exercer leurs fonctions, dès qu'ils les ont accep-
tées (art. 107). Comme fonctionnaires de ce genre, nous citerons les juges
des tribunaux civils, les conseillers des cours d'appel, de la Cour de cassa-
tion, de la Cour des comptes, les notaires, etc. 1
Au contraire, les fonctions qui sont soit temporaires, soit révocables,
n'emportent pas, de plein droit, translation du domicile de leur titulaire
(art. 106). Celui-ci peut donc, après sa nomination, conserver le domicile
qu'il avait
auparavant ; il ne le transporte au lieu où il est nommé que
quand il s'y fixe lui-même en fait. C'est le cas pour les préfets, les juges
de paix, les magistrats du Parquet, etc..
On le voit, les fonctionnaires inamovibles
acquièrent leur nouveau domi-
cile, au moment même de leur acceptation, et avant qu'ils soient arrivés à
leur poste. Une telle solution est un véritable abus de logique. Elle prête
à de fâcheuses bizarreries. Il est difficile de la justifier rationnellement.
En réalité, cette distinction entre les fonctions inamovibles et les amovibles
remonte à l'Ancien Droit 2. Elle pouvait avoir sa raison d'être autrefois, à
une époque où beaucoup de personnes pourvues de charges amovibles ne
résidaient pas au lieu de leurs charges. Aujourd'hui, elle n'en a plus au-
cune, elle ne correspond en effet à aucune différence réelle entre les
deux sortes de fonctionnaires. Par exemple, pourquoi le premier prési-
dent d'une cour d'appel est-il domicilié de droit au siège de la cour d'ap-
pel, alors que le procureur général ne l'est pas ?

Changement de domicile. — En principe, on peut toujours déplacer


son domicile et le transporter dans un nouveau lieu. Mais celte faculté
n'appartient pas aux personnes ci-dessus énumérées, dont le domicile est
fixé par la loi, tant qu'elles restent dans une des situations prévues parles
articles 107, 108 et 109.
Le changement de domicile les deux conditions
s'opère moyennant
suivantes (art. 103) :
1° Il faut que la personne aille habiter effectivement dans un autre lieu ;
2° il faut qu'elle ait l'intention fixer son établissement.
d'y principal

1. En ce qui concerne les professeurs de l'enseignement et particuliè-


supérieur,
rement les professeurs des Facultés de droit, V. Civ., 13 mai 1885 (D. P. 85.1.313,
S. 86.1.181). Cf. la note sous cet arrêt, dans la Refonte du Sirey.
2. V. Pothier, Introduction générale aux coutumes, n° 26, éd. Bugnet, t. I, p. 6,
DOMICILE 425

Ces deux conditions sont nécessaires. L'habitation réelle dans le nouvel


endroit choisi est le fait matériel qui porte à la connaissance de tous la
translation de domicile. Mais, d'un autre côté, cette habitation nouvelle
une simple résidence, si la personne n'avait pas la volonté de faire
serait
de ce lieu le centre de ses intérêts 1.
Mais comment se manifestera celle intention?
L'article 104 du Code civil dit peut que l'intéressé
annoncer son intention
par une double,déclaration expresse, faite tant à la municipalité du lieu
qu'il quitte qu'à celle du lieu où il transfère son domicile. Mais ce genre de
déclaration n'est pas entré dans les moeurs. Celui qui de domicile
change
ne se préoccupe pas en général de faire connaître ce changement. Il n'a
pas d'intérêt immédiat à faire la déclaration prescrite par la loi, et comme
le défaut de déclaration n'emporte pas de sanction, il s'abstient d'y procéder.
Dans la pratique donc, l'intention se dégagera d'un ensemble de circons-
tances (art. 105, C. civ.), prouvant que la personne a entendu transporter
son principal établissement au lieu où elle a fixé son habitation. Ainsi, par
exemple, l'intéressé n'a plus aucun point d'attache avec son ancien domi-
cile ; il a transporté son commerce, son industrie, dans sa nouvelle rési-
dence; il y paye la contribution mobilière, général sur le revenu, ou l'impôt
lesquels ne sont dus qu'au lieu du domicile ; il déclare, dans les actes qu'il
passe, qu'il est domicilié au lieu où il habite ; il se laisse assigner devant
le tribunal de ce lieu, sans opposer l'exception d'incompétence, etc. L'in-
tention de changer de domicile ressort en somme de la réunion d'un cer-
tain nombre de faits. Ce sont les juges qui, en cas de contestation, appré-
cieront souverainement la force probante de ces divers faits (Civ. 13 jan-
vier 1919, Gaz. Pal., 2 octobre 1919).

de la du domicile. — La
Conséquences conception française
conception française du domicile a conduit les auteurs à admettre deux
principes qui, au point de vue logique, sont incontestables, mais peu dé-
fendables sur le terrain des faits :
Première : Un seul domicile une — Un indi-
conséquence pour personne.
vidu ne peut avoir qu'un domicile, quand bien même il posséderait divers
établissements situés en des lieux différents. Il est impossible qu'une
personne possède plusieurs domiciles. Que telle ait été la pensée des au-
teurs du code, c'est ce qui ne peut être mis en doute. La discussion qui s'est
élevée à ce sujet lors des travaux préparatoires, et les textes mêmes du
Code ne laissent pas place à la discussion. Malleville avait demandé en
effet qu'on admît la possibilité pour une personne d'avoir plusieurs domi-

1. La question de savoir si un individu a entendu changer de domicile et, notam-


ment, abandonner son domicile d'origine, c'est-à-dire celui où il était domicilié au
moment de sa majorité, se pose fréquemment pour les personnes qui ont quitté la
commune de ce domicile ; et notamment, elle se présente en matière électorale,
quand il y a contestation du droit de rester inscrit sur la liste électorale de la com-
mune où se trouvait le domicile d'origine. La Jurisprudence est bien ferme : l'in-
dividu conserve son domicile d'origine, tant qu'on n'a pas établi son intention d'en
acquérir un autre (Civ., 10 avril 1906, S., 1907, 1.1192; 24 mars 1903 et 15 mars 1909,
S., 1912, 1.470; Req. 3 janvier 1923, Gaz. Pal., 17 janvier 1923).

DROIT. — Tome I, 28P


426 LIVRE I. — TITRE II

ciles. Il faisait valoir qu'on l'admettait à titre d'exception dans notre ancien

Droit, lorsqu'une personne résidait une moitié de l'année dans un endroit


et l'autre moitié dans un autre'. Mais sa proposition fut repoussée. Et l'ar-
ticle 102, la définition même qu'il donne, prouve que,
par si une personne
a plusieurs établissements, elle n'aura pourtant qu'un domicile, car on ne

peut avoir deux ou plusieurs établissements dont chacun soit le


principal.
Enfin, la loi parle du changement de domicile, non de l'adjonction d'un
nouveau domicile à un ancien.
Mais le système légal, si certain et si logique qu'il soit, n'a pas laissé de

produire des inconvénients.

Supposons qu'un officier, qu'un étudiant soient poursuivis pour contrats


conclus au lieu de leur résidence. D'après la règle précédente, ils devraient
être actionnés non en ce lieu, mais à celui de leur domicile, qui peut être
fort éloigné. Voilà une gêne singulière pour leurs créanciers (logeur, tail-
leur, restaurateur, etc.). Aussi, les tribunaux ont-ils parfois admis qu'ils
peuvent être poursuivis devant le lieu de leur résidence pour les fourni-
tures courantes qui leur sont faites (Trib. civ. Bordeaux, 21 février 1894,
D. P. 1895.2.33). 11 y a là une solution que commandent les nécessités pra-
tiques, mais dont le caractère prétorien, c'est-à-dire arbitraire, et, au fond,
illégal, est évident.
Mais c'est surtout en Ce qui concerne les établissements de crédit, les
banques, les compagnies de chemins de fer et de navigation, les sociétés
d'assurance et, en général, les grandes sociétés civiles et commerciales
que l'application de larègle serait intolérable. Le domicile de ces per-
sonnes morales se détermine en effet comme celui des individus. Il est au
lieu où est centralisée leur administration, c'est-à-dire à leur social.
siège
Et, cependant, ces sociétés étendent leurs opérations sur tout le territoire..
Les personnes qui ont un procès à leur faire vont-elles donc être obligées
de les assigner dans tous les cas devant le tribunal de leur domicile,
quelque distant qu'il soit du lieu où s'est passé le fait générateur du litige ?
Nous verrons, en traitant du domicile des personnes morales, qu'une ju-
risprudence, non moins prétorienne que la précédente, dite
jurisprudence
des sièges secondaires^ a admis la possibilité les sociétés de
d'assigner ce
genre devant le tribunal du lieu quelconque où elles ont un établissement
avec unagent qui ait capacité pour les représenter
en justice 19 juin
(Req.,
1876, D. P. 77.1.134, S. 76.1.383; Civ., 30 juin D. P. 94.1.539, S.
1891,
91.1.479 ; Bordeaux, 18 janvier 1904, D. P. 1904.2 267, S. 1904.2.109. Cf.
note de M. sous Caen, 4 novembre S. 99.2.257; Paris 22 no-
Tissier 1897,
vembre 1924, Gaz. PuL, 1925, 1. 463. le cas de pluralité
Comp. pour
d'établissements industriels ou commerciaux, 28 1919 et
Req. juillet
26 avril 1921, S. 21.1.313, note de M. Paul Esmein).
Nous rappelons que le Droit allemand admet depuis longtemps qu'une
personne peut avoir plusieurs domiciles (art. 7, § 2, C. civ. ail.).
Au contraire, le Code civil suisse 23, § 2) suit la règle
(art. française:

1. Le droit romain admettait parfaitement cette pluralité-de domiciles (V. 5 et 6


l 2, D. ad municipalem, 50.1) ,
DOMICILE. 427

« Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles. » Mais le 3e alinéa


ajoute : « Cette disposition ne s'applique pas à l'établissement industriel
ou commercial ».
Deuxième conséquence : One personne ne peut pas ne pas avoir de domicile.
— Logiquement, cela est encore très exact. Car toute a nécessaire-
personne
ment un domicile d'origine qui est celui de ses père et mère ou tuteur. Or,
après sa majorité, elle le garde, tant qu'elle ne s'en crée un nouveau.
pas
Mais, pratiquement, à quoi bon rattacher ainsi une personne à un lieu
avec lequel elle n'a plus aucun lien, aucune attache ? Un individu qui vit
en nomade, qui n'exerce aucun métier en un lieu déterminé est un indi-
vidu, sans domicile, et c'est une pure illusion que d'essayer de lui en
conserver un qui ne répond plus à la définition légale. Ici d'ailleurs, le lé-
gislateur lui-même a fait bon marché de la logique pure. En effet, les ar-
ticles 2 et 59 du Code
de procédure civile prévoient le cas où un individu
n'a pas de domicile, et décident qu'il pourra être en ce cas assigné devant
le tribunal de sa résidence.

Domiciles — A côté du domicile il y a des domiciles


spéciaux. général,
spéciaux, qui peuvent s'acquérir sans faire disparaître et n'ont le premier,
trait qu'à l'exercice de certains droits. Il en est ainsi dans les cas suivants :
1° Mariage. — L'officier de l'état civil compétent célébrer le mariage
pour
est celui du domicile de l'une des parties. Mais, en outre, les époux peuvent
se marier dans toute commune où ils ont résidé pendant un mois d'une

façon continue (art. 74 et 165, C. civ. modifiés par la loi du 21 juin 1907).
2° La femme mariée commerçante acquiert un domicile spécial pour ses

opérations de commerce, si le fonds qu'elle exploite est situé dans une autre
commune que celle où son mari est domicilié. Mais elle conserve toujours
son domicile général chez ce dernier.
3° Les condamnés à la déportation et les condamnés à la transportation

acquièrent un domicile l'exercice des droits civils qui leur sont


spécial pour
accordés dans le lieu où ils subissent leur peine. Leur domicile princi-
pal reste cependant fixé chez leur tuteur, car ils sont frappés d'inter-
diction légale.
— de domicile.
§ 3. Election

Définition du domicile élu. — Le domicile élu est chose de


quelque
tout différent du domicile dit et ne constitue même pas un
proprement
véritable domicile. Bien au contraire, c'est un lieu avec lequel l'individu

qui le désigne n'a pas ordinairement d'attache.


Voici en quoi consiste l'élection de domicile. Lorsque deux personnes
habitant des villes différentes contractent ensemble, il peut être fort gênant

pour celui qui devient créancier conséquent et la loi du contrat


fait par
d'être si une difficulté vient à surgir, de poursuivre son adver-
contraint,
saire devantle tribunal du domicile de celui-ci, lequel peut être fort éloigné.
Le créancier naître entre lui et
stipulera donc que les litiges qui pourraient
son débiteur, seront contrairement à la règle de l'article 59 du Code
portés,
LIVRE I. — TITRE II
428

le tribunal de son domicile, à lui créan-


de civile, devant propre
procédure
il demande à l'autre partie de faire élection
cier. Et pour obtenir ce résultat,
habitant en un lieu situé dans le ressort
de domicile chez une personne
de ce tribunal.
consiste donc le débiteur à accepter la com-
L'élection de domicile pour

pétence du tribunal indiqué.


est par la loi, mais cela est
L'élection de domicile quelquefois imposée
art. 176 la qui fait opposition à un mariage,
très rare (V. pour personne
art. 2148-1° pour l'inscription hypothécaire).

— L'élection de domicile
Effets de l'élection de domicile (art. 111).
en général un double effet :
produit
au tribunal du lieu indiqué pour juger les
1° Elle donne compétence
naître entre les parties. Donc elle dispense le
contestations qui peuvent
de poursuivre son adversaire devant le tribunal du domicile de
demandeur
là le grand de l'élection de domicile 1.
ce dernier. C'est avantage
du reste, le droit d'assigner son débiteur au domi-
Le créancier conserve,
réel. Il n'en serait autrement si l'élection de domicile avait été
cile que
l'intérêt des deux 14 juin 1875, D. P. 75.1.289,
faite dans parties (Civ.,
S. 76.1.172).
2° La personne chez l'élection de domicile est faite, est constituée
laquelle
mandataire à l'effet de recevoir tous les actes de procédure que l'intéressé

aura à signifier à l'autre partie.


Ce second effet ne se pas toujours. En effet, il se peut qu'ily ait
produit
élection de domicile sans indication d'une personne déterminée. Cela est

très rare ; mais quand cela se produit, il faut que les actes de procédure
soient au domicile réel de l'adversaire.
signifiés
il cas où l'élection de domicile a exclusivement
En revanche, y a des
en vue ce second effet. Ainsi, le créancier hypothécaire doit, dans l'acte
de son hypothèque, faire élection de domicile dans un lieu
d'inscription
de l'arrondissement du bureau de la conservation des hypothèques
(art. 2148-1°). Cette élection sert pour les diverses notifications que les inté-
ressés pourront avoir à adresser au créancier, soit pour purger ou saisir

l'immeuble, soit pour faire réduire ou rayer l'inscription. Or, il est intéres-
sant de constater que cette élection doit être laite même si le créancier a
son véritable domicile dans L'arrondissement. En effet, le domicile réel
être déplacé, et l'élection de domicile protège les intéressés
pourrait
contre cet inconvénient. La précaution prise ainsi par la loi, dans une hy-

1. Les compagnies d'assurances qui font des opérations sur tout le territoire
avaient pris l'habitude d'insérer dans toutes leurs polices une clause d'élection de
domicile au siège social de la société. Les assurés étaient donc obligés, quel que
fût le lieu où le contrat avait été conclu, de poursuivre la compagnie devant le tri-
bunal du siège social, c'est-à-dire, pour la plupart des sociétés, devant le tribunal
civil de la Seine. Il a fallu une loi pour mettre un terme à cet abus : c'est la loi du
2 janvier 1902, qui a donné compétence au tribunal du domicile de l'assuré, d'une
façon générale, et, exceptionnellement, au tribunal du lieu de la situation des im-
meubles et des meubles pour l'assurance contre les risques les concernant, enfin au
tribunal du lieu de l'accident pour l'assurance contre les accidents,
DOMICILE 429

pothèse spéciale, s'est imposée aux et à propos 1 de


gens d'affaires, nombre
d'autres opérations qu'une inscription Il est donc
d'hypothèque. fréquent,
en pratique, de trouver dans les contrats une élection de domicile faite au
lieu même où se trouve le domicile des deux intéressés. C'est un moyen
pour le créancier de se garantir contre le risque du du domi-
changement
cile réel de son débiteur qui pourrait se produire avant l'exécution de l'o-
bligation.
3° L'élection de domicile ne vaut que pour l'acte en vue elle a
duquel
eu lieu. Mais elle dure tant que subsistent les obligations par
engendrées
cet acte. La mort du débiteur ne la fait pas disparaître. Les héritiers du
débiteur sont obligés de la respecter, car elle fait partie intégrante de la
convention conclue par leur auteur.
Tels sont les effets de l'élection de domicile. Il n'y en a pas d'autres. A
elle seule, l'élection de domicile ne modifie donc pas les règles ordinaires
concernant le lieu d'exécution volontaire de l'obligation. Par
conséquent,
s'il n'a rien été dit dans le contrat, le paiement se fera conformément à
l'article 1247 du Code civil, c'est-à-dire, selon les cas, tantôt au lieu indi-
qué par la convention, tantôt au domicile du débiteur. Cela se comprend
sans peine : l'élection de domicile est faite, sauf indication contraire, en
vue seulement du cas où le créancier sera obligé de poursuivre le débiteur
devant les tribunaux.
En résumé, on voit que la matière de l'élection de domicile n'a que le
nom de commun avec celle du domicile proprement dit. L'élection de do-
micile est, en somme, un moyen de modifier la compétence ordinaire des
tribunaux appelés à statuer sur un litige éventuel, et, en général, une
espèce particulière de mandat.
CHAPITRE II

L'ABSENCE

Définition. Généralités. — Dans le langage usuel, l'absence est le fait

de ne pas être en un lieu dans lequel on est ordinairement, ou dans


présent
on devait se trouver à un moment déterminé. Ainsi, on dit qu'une
lequel
est absente elle est sortie de chez elle ou qu'elle est en
personne quand
Plus spécialement, on dira qu'elle est absente à telle réunion,
voyage.
est venue ; un soldat sera porté absent à
pour indiquer qu'elle n'y pas l' ap-
pel, s'il n'y répond pas.
En matière juridique, ce mot prend un sens technique plus étroit quele
Ce qui caractérise l'absence d'un individu, ce n'est plus seule-
précédent.
ment la non-présence à son domicile, mais c'est, en outre, le fait d'avoir
sans donner de ses nouvelles. On ne sait pas ce que cet individu
disparu
est devenu, on ignore s'il est vivant ou s'il est mort.
En combinant les articles 115 et 133 du Code civil, on peut dire que l'ab-
l'individu au lieu de son domicile ou de sa
sent est qui a cessé de paraître
résidence et dont l'existence n'est pas reconnue.
Le Code a longuement traité cette matière (art 112 à 143), que les légis-
lations anciennes négligeaient presque complètement. C'est qu'elle présen-
tait ungrand intérêt en 1804, parce que, à la suite des guerres incessantes

qui duraient depuis 1792, le nombre des absents était devenu considérable.
L'absence est à l'heure actuelle un fait relativement rare, et cela s'explique
par la facilité des communications, qui permet d'être renseigné sur les
décès des nationaux survenus à l'étranger, et aussi par les mesures prises
pour constater les décès des militaires ou marins décédés aux armées.
Néanmoins, le nombre des personnes qui disparaissent chaque année, sans
qu'on sache ce
qu'elles deviennent, est plus grand qu'on croit ne le
généralement. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les listes des juge
ments déclaratifs d'absences publiées au Journal officiel. Le Compte géné
rai de l'administration de la justice civile et commerciale l'an-
pendant
née 1905 constate que, dans le cours de cette année, il a été rendu 852
jugements nommant des administrateurs de biens d'absents et 683 juge-
ments ne déclaration d'absence. n'est nos douteux
Il que la dernière guerre
a amené un accroissement considérable des cas d'absence.
Comme nous l'avons annoncé, nous nous contentons de donner quelques
holions générales sur le mode de réglementation de l'absence établi par lé
Code civil, sans entrer dans l'étude détaillée des articles 112 et suivants;
ABSENCE 431

Notions d'ensemble sur le système de réglementation des droits


de l'absent. — L'absence met en péril de nombreux intérêts: ceux du
conjoint de l'absent, ceux de ses enfants mineurs, ceux des personnes
(créanciers, associés, etc.) qui ont traité avec lui, ceux enfin de l'absentlui-
même dont les biens sont menacés de dépérissement. Le a
péril augmente
mesure que l'état d'absence se prolonge. Tous ces intérêts réclament im-
périeusement l'intervention du législateur.
Mais en quoi doivent consister les mesures de protection à édicter?
La difficulté du suje tient à l'incertitude où l'on se trouve sur le sort du
disparu. On ne sait s'il est vivant ou mort.
Pendant premièresles années qui suivent la disparition, il faut évidem-
ment se contenter de prendre des mesures provisoires d'administration de
ses biens, car il y a lieu d'espérer que l'absent est encore vivant et qu'il
reparaîtra.
Mais, à mesure que l'état d'absence se prolonge, les chances de réappari-
tion diminuent et deux systèmes peuvent alors se concevoir.
Ou bien tenir l'absent pour mort, et ouvrir sa succession.
Ou bien, au contraire, se contenter de consolider les mesures provisoires
prises durant la première période, afin de réserver les choses en vue du
retour toujours possible de l'absent.
Le second système est plus respectueux des droits de l'absent que le pre-
mier. Théoriquement, il se défend peut-être mieux ; mais pratiquement, il
est certainement inférieur. Sous prétexte de respecter les droits de l'absent,
il compromet-ceux des tiers, notamment du conjoint, et surtout il abou-
tit à l'institution d'un
compliqué et gênant.
régime La pratique prouve, du
reste, que ce luxe de précautions est presque toujours inutile. Il est infini-
ment rare qu'un absent reparaisse. Les absents sont presque toujours des
individus décédés, dont on ignore et dont on ignorera toujours à quel mo-
ment ils sont morts.
Cela était peut-être, il est vrai, moins exact au temps où le Code civil a
été rédigé. Beaucoup de soldats, demeurés en captivité à l'étranger pen-
dant les guerres de la Révolution ou du premier Empire, ont pu revenir de
longues années après. Il en était de même pour beaucoup des émigrés et
proscrits politiques qui avaient fui devant la Révolution. C'est ce qui
explique le système législatif, moins pratique aujourd'hui, mais alors très
défendable et, du reste, traditionnel en France (V. sur notre Ancien Droit,
Brissaud, Manuel d'histoire du droit privé, p. 619-620), qui a été adopté par
les rédacteurs du Code civil.
L'idée directrice qui inspire les dispositions du Code est la suivante:
Plus l'absence plus la présomption
dure, de mort augmente. Cependant,
il ne faut jamais l'absenttenir pour réellement mort, tant qu'on n'en a pas
la certitude. En conséquence, la loi ne dissout pas son mariage ; elle
n'ouvre pas sa succession. Elle se contente, de mesures provisoires qui de-
viendront définitives si l'absent ne reparaît pas.
Le Droit germanique à depuis longtemps, au contraire, adopté le sys-
tème opposé : ainsi le Code civil allemand décide que l'on peut faire décla-
LIVRE I. — TITRE II
432 ,

rer le décès d'un individu lorsque, depuis dix ans, il n'est par-
disparu,
venu aucune nouvelle de son existence. Il n'est pas permis de prononcer
cette déclaration avant de l'année dans laquelle le disparu au-
l'expiration
rait dû sa trente et unième année. En revanche, si le disparu est
accomplir
en d'avoir accompli sa soixante-dixième année, il peut être déclaré
âge
décédé au bout de cinq années (art. 14, 1er et 2e al.). La déclaration de dé-

cès a effet de faire présumer que le


disparu est décédé au moment
pour
fixé par le jugement de déclaration (art. 18, al. 1). Mais si l'absent revient,
il peut se faire restituer ses biens (art. 2031).

relatives à l'absence. — maintenant


Mesures provisoires Voyons et
quoi consistent les mesures provisoires instituées par le Code civil françai j,
en vue de
protéger les menacés divers intérêts par l'absence.
Il importe, à cet effet, de distinguer entre les droits de famille et les
droits du patrimoine.
Droits de famille. — L'absence ne dissout pas le mariage ; celui-ci sub-
siste quel que soit le temps écoulé depuis la disparition de l'absent. Le

conjoint présent ne peut pas contracter un nouveau mariage, tant qu'il ne

prouve pas le décès de son conjoint.


S'il y a des enfants mineurs issus du mariage, l'absence de l'un des

époux n'ouvre pas non plus la tutelle. Le conjoint de l'absent exerce les
droits attachés à la puissance paternelle (art. 141).
Droits du patrimoine. — Il
y a ici deux catégories de droits à distinguer:
1° Ceux qui composaient le patrimoine de l'absent au moment de sa dispa-
rition ; 2° Les droits de succession testamentaire ou ab intestat qui se sont
ouverts à son profit postérieurement à sa disparition.
Parlons d'abord de ces derniers. Un droit ne peut se fixer sur la tête
d'une personne que si on prouve qu'elle vit encore au jour où il
a pris
naissance. Or, on ne peut pas prouver que l'absent vit au moment où
s'ouvre la succession à laquelle il est appelé. En conséquence, la succes-
sion sera dévolue exclusivement à ceux avec lesquels l'absent aurait été
appelé à concourir ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut (art. 135-
136).
Restent les droits lesplus importants, ceux qui composaient le patri-
moine de l'absent au moment de sa disparition. Il s'agit d'en régler le sort.
A cet effet, la loi divise la durée de l'absence en trois périodes, en se fon-
dant sur cette idée
déjà signalée, qu'on ne sait pas si l'absent est vivant ou
mort, mais qu'à mesure que l'absence se prolonge, la de
présomption
mort s'affirme, grandit, sans jamais toutefois devenir absolue.
Ces trois périodes sont : 1° la présomption d'absence : elle commence au
moment de la disparition ou des dernières nouvelles, et dure ou onze
cinq
ans, suivant les cas (art. 112 à 114). 11 y a encore de
beaucoup chances
pour que l'absent ne soit pas mort, on peut espérer reviendra. Il suf-
qu'il
fit donc de pourvoir à l'administration de ses biens, si la nécessité le
commande, c'est-à-dire si les biens sont en souffrance. C'est ce qu'on fera
en nommant, en ce cas, un administrateur des biens.
ABSENCE 433

2° Cinq ans ou onze ans la s'ouvre


après disparition la seconde période.
Les chances de mort sont déjà plus considérables ; par conséquent, on va
agir provisoirement comme si l'absent était décédé. Celle débute
période
par un jugement de déclaration d'absence constatant que la personne a bien
disparu et qu'il est impossible de savoir ce qu'elle est devenue. On distribue
provisoirement les biens entre les héritiers tout en
présomptifs, organisant de
sérieuses garanties de restitution le cas où l'absent reviendrait
pour
(art. 115 à 128).
3° Cette seconde période dure elle-même trente s'ouvre
ans, après quoi
la troisième, celle de envoi en 129 et
l' possession définitif (art. s.). Le décès
de l'absent est devenu très probable ; on va donc consolider les droits des
envoyés en possession et les délivrer des entraves leur avait
qu'on jusque-
là imposées. Sans doute, si l'absent revient, les en de-
envoyés possession
vront toujours lui restituer ses biens, mais, en ils peuvent
attendant, agir
comme s'ils étaient vrais propriétaires; ils peuvent administrer comme ils
l'entendent, ils peuvent même aliéner. Si l'absent ne reparaît cette
pas,
situation se
perpétuera.
En résumé, la loi présume que, plus l'absence dure, la mort devient
plus
probable; mais elle ne tient jamais l'absent pour décédé.

Règles relatives à la disparition pendant la guerre de 1914


de militaires, marins ou civils assimilés. — La loi du 25 juin 1919,
par dérogation aux règles édictées eu matière d'absence, permet d'ob-
tenir du tribunal, en cas de disparition pendant la guerre des personnes
susénoncées, un jugement déclaratif de décès lorsqu'il s'est écoulé deux
années depuis la dite disparition et six mois depuis la promulgation
de la loi fixant la date de la fin des hostilités.
TITRE III

DES INCAPABLE S

Nous ne reviendrons pas sur la notion générale de l'incapacité que nous


avons fournie dans notre Introduction.
Parmi les diverses espèces d'incapacités, nous laisserons de côté les inca-
pacités de jouissance et ne parlerons ici que des incapacités dites d'exercice.
Nous rappelons que les incapables de cette catégorie sont des personnes
qui possèdent, en principe, les avantages, les bénéfices de tous les droits

privés, mais qui n'en ont pas l'exercice, en ce sens qu'elles n'accomplissent
pas elles-mêmes ou n'accomplissent pas seules les actes qui sont nécesaires
pour leur procurer la jouissance de ces droits.
Tantôt, en effet, ces actes sont accomplis, exercés par un représentant
légal de l'incapable ; tantôt c'est, l'incapable lui même qui les exerce mais
il a besoin, à cet effet, d'une assistance ou d'une autorisation.
Les incapables dont nous nous occuperons sont : les mineurs, les aliénés,
les femmes mariées.
PREMIERE PARTIE

LES MINEURS

GÉNÉRALITÉS.

La nature elle-même divise la vie en plusieurs suivant le degré


périodes
de développement physique et intellectuel de la personne humaine. Se
plaçant au point dé vue de l'aptitude purement c'est-à-dire d'un
juridique,
niveau d'intelligence et de volonté suffisant à l'individu
pour permettre
d'accomplir les actes nécessaires à l'exercice de ses notre
droits, législation
partage la vie de l'homme en deux périodes, la et la minorité. La
majorité
minorité, qui cesse à vingt et un ans accomplis 388, C. civ.), est la
(art.
situation de l'individu qui est n'avoir
présumé pas atteint un degré de for-
mation intellectuelle suffisant pour qu'il puisse se gouverner lui-même.
L'individu mineur est, en principe, totalement incapable. Le moment où
l'individu devient « capable de tous les actes de la vie civile » (art. G.
488,
civ.) est celui de la majorité.

Formation et appréciation du
système français sur l'âge de la
— Le Droit romain suivait un système le
majorité 1. plus complexe que
nôtre. Dans son dernier état, il fixait à vingt-cinq ans seulement la perfecta
aetas, l'âge de la pleine majorité. Auparavant, il n'y avait pas moins de
trois périodes à distinguer. Pendant la durée de l'infantia, c'est-à dire jus-
qu'à sept ans accomplis, l'enfant, n'ayant pas atteint l'âge de raison, était
entièrement et absolument incapable. Une seconde période allait de Vin-
fantia à la pubderté. L'impubère n'était pas complètement incapable, car il
pouvait valablement accomplir les actes qui rendaient sa condition meil-
leure, c'est-à-dire qui augmentaient son patrimoine. Pour rendre sa condition
pire, c'est-à-dire aliéner ou s'obliger, il avait besoin de l'assistance ou auc-
toritas de son tuteur. Enfin, depuis l'âge de
la puberté jusqu'à vingt-cinq
ans, le pubère, du moins lorsqu'il n'avait pas de curateur, était capable en
principe, mais ceux de ses actes qui lui causaient une lésion, ou préjudicer
pouvaient, par la suite, être attaqués au moyen de la, resiitutio in integrum.
Au Moyen-Age, on a, pendant quelque temps, fixé l'âge de la majorité à
l'époque de la puberté (douze ou quatorze ans). C'est le système très simple
des législations primitives. Les majorités précoces n'y offrent pas d'in-

1. Viollet, Précis de l'histoire du Droit français, 3e éd., p. 553 et s.; Brissaud,


Manuel d'histoire du Droit privé, 1907, p. 188 et s.
— TITRE III. — PREMIERE PARTIE
436 LIVRE I.

sont contre leur impru-


convénients, parce que les jeunes gens protégés
à l'exemple du Droit ro-
dence la cohésion de la vie familiale; mais,
par
à se prolonger ; au XVIIe siècle, la
l'état de minorité ne tarda pas
main,
admise est n'acquiert l'enfant la pleine capacité
règle communément que
1. Cependant, il y a des exceptions : ainsi, en Nor-
civile qu'à vingt-cinq ans
la majorité commence à l'âge de vingt ans accomplis.
mandie,
a définitivement introduit dans noire Droit
La législation révolutionnaire
tit. 4, art. 2), qui a été maintenu
l'Age de 21 ans (loi du 20 septembre 1792,
civil (art. 388 et 488). Cette limite paraîtra heu-
par les rédacteurs du Code
reusement choisie, si l'on considère que c'est celle qui est la plus généra-

lement adoptée par les législations étrangères .


on estimer que le système des législations
Cependant, pourrait peut-être
moins celui du Droit romain, est en même temps
modernes, compliqué que
à certains Il fait passer, sans transition, l'individu
moins pratique égards.
ou complète à une capacité absolue.
d'une incapacité complète presque
de protection employé par notre
Nous verrons que le procédé juridique
à l'égard du mineur est celui de la représentation. Ses intérêts son
Droit
confiés à un mandataire et agit en son nom. Sa volonté, sa
légal qui parle
sont donc effacées, éliminées en quelque sorte
personnalité complètement
toute la première de son existence. Puis, brusquement, un
pendant partie
il recevra, sans aucune, la libre disposition de sa
jour donné, préparation
et de sa fortune. Pour les orphelins de famille aisée, notamment,
personne
ce système ne va pas sans inconvénients. Mais ajoutons qu'il pourrait être
de l' émancipation. On appelle ainsi l'acte
amélioré par un emploi judicieux
au mineur, à partir d'un certain ou dix-huit ans,
qui confère âge, quinze
le gouvernement de sa personne et une sorte de demi-capacité consistant

dans à accomplir seul les actes les moins dangereux de la vie


l'aptitude
de plus, le mineur émancipé figure en personne dans fous les
juridique;
actes c'est lui qui agit avec le concours d'un curateur qui
quelconques;
n'a pas la fonction de le représenter comme un tuteur, mais celle de l' assis-
ter. On comprend donc aussitôt que l'émancipation semble appelée à cons-

tituer une transition utile entre la minorité et la majorité

à du mineur. — du mineur re-


Exceptions l'incapacité L'incapacité
posant, en somme, sur une présomption légale d'inaptitude naturelle qui
comme toutes les présomptions, peut se trouver contraire à la réalité des

faits, on conçoit aisément que cette incapacité comporte certaines excep-


tions, à titre de tempéraments nécessaires. Nous l'avons dit: le système de
notre Droit français est à la fois un
système de protection et de représenta-
tion légale. Le mineur a la jouissance de tous les droits privés ; il n'en a

1. Louis Amiable, Essai historique et critique sur l'âge de lu majorité (Revue


historique du droit français et étranger, 1801, p. 205 s.).
2. Cependant, le Code civil suisse fixe la majorité à vingt ans révolus (art. 14).
L'âge de la majorité est de vingt-deux ans dans la République Argentine, de vingt-
trois ans aux Pays-Bas et en Espangne, de vingt-quatre ans en Autriche et en Hon-
grie, de vingt-cinq ans au Danemark et au Chili.
LES MINEURS 437

pas l'exercice, mais cet exercice est assuré par son mandataire légal qui est
tantôt son père, tantôt son tuteur. Dès lors, s'il de droits dont il est
s'agit
impossible de concevoir l'exercice par voie de représentation, comme le
droit de se marier, de faire son le mineur, du moment
testament, qu'il
possède en fait une capacité naturelle c'est-à-dire la pleine
suffisante,
conscience de ses actes, devra posséder, en même temps, la capacité juri-
dique d'exercer les droits en question. Sans son
quoi, incapacité, qui est
toute d'exercice, deviendrait une incapacité de jouissance : on ne le pro-
tégerait plus, on le frapperait, en le privant de ces droits. De plus, même
parmi les actes qui admettent la représentation, il en est que le mineur
peut accomplir lui-même à cause du caractère tout personnel qu'ils pré-
sentent: par exemple, la reconnaissance d'enfant naturel et le contrat de
mariage. Enfin, le mineur est autorisé la loi à faire lui-même les actes
par qui
ne peuvent avoir pour lui aucun effet
Telles sont les
préjudiciable. idées
générales qui dominent la matière. En voici maintenant les applications:
1° Dans le groupe des droits concernant l'état de la personne, le mineur
possède une certaine capacité :
A. — En matière de mariage, à partir de l'âge de la puberté, dix-huit ou
quinze ans, selon le sexe, il peut se marier avec le consentement de ses
protecteurs légaux ;
B.— Lorsqu'il s'agit de reconnaître un le mineur
enfant naturel, peut
valablement le faire, sans avoir besoin du moment a
d'autorisation, qu'il
pleine conscience de ses actes, et sans avoir besoin de l'assistance de son
représentant.
C- — Quand il d'exercer une action en recherche de la
s'agit paternité
naturelle, l'article 340, al. 10, modifié la loi du 16 novembre nous
par 1912,
dit que « pendant la minorité de la même a seule
l'enfant, mère, mineure,
qualité pour l'exercer ». Et il nous paraît certain que, par l'effet de cette
disposition, la fille-mère mineure, désireuse d'intenter au nom de son
et contre le père prétendu de celui-ci, une instance en recherche
enfant,
de la paternité, .est dispensée de toute autorisation intenter et
pour pour-
suivre le procès.
D. — A partir de vingt ans, le mineur peut contracter un engagement
militaire sans l'autorisation de ses (L. 1er avril
parents 1923, art. 61).
E. — Le mineur, même au-dessous de 16 ans, peut faire partie d'une
société de secours mutuels sans l'assistance de son représentant légal
(L. 1er avril 1898, art. 3).
F. Le mineur âgé de plus de 16 ans peut également adhérer à un

syndicat professionnel (V. L. 21 mars 1884, modifiée par la loi du 12 mars
1920). .

2° Dans le groupe des droits la même idée à


patrimoniaux, s'applique
plusieurs actes importants :
A. — Le contrat de mariage. Du moment qu'on permet à certains mi-
neurs de se marier, il faut leur permettre de débattre et de signer l'acte
qui réglera les conséquences pécuniaires de l'union projetée. De là, les
articles 1309 et 1398 du Code civil qui confèrent aux mineurs pubères, en
la réglementant, la capacité nécessaire pour passer con-
valablement leurs
, ventions matrimoniales,
B. — Les actes à litre gratuit ne peuvent pas se faire par représentation. Le
mineur va-t-il pouvoir les consentir? Ici, la loi fait une distinction. Elle ne
relève pas le mineur de son incapacité en ce qui concerne les donations, sauf

pour celles qui seraient contenues dans un contrat de mariage (art. 1398.
C. civ.) ; au contraire, l'article 904 du Code civil permet au mineur, à partir
de seize ans, de disposer par testament de la moitié de la quotité disponible.
Cette différence entre les donations et les testaments tient à deux raisons:

a) Le testament est moins dangereux que la donation entre vifs, parce


qu'il peut être révoqué ;
b) Il n'est jamais indispensable de pouvoir faire une donation (sauf par
contrat de mariage). Au contraire, un mineur, qui se sent menacé de mort

prochaine, peut se trouver dans l'obligation morale de faire certaines dis-


positions testamentaires.
C. — Responsabilité des délits ou quasi-délits civils. — Le mineur
qui a
commis une faute préjudiciable à autrui engage par là son patrimoine,
dans la mesure de la réparation due à la victime de ce délit ou de ce quasi-
délit (art. 1310, C. civ.). Il suffit, conformément au droit commun, que
l'on puisse relever à la charge du mineur une faute qui lui soit imputable,
c'est-à-dire qu'il apparaisse, en fait, qu'il a,eu, lorsqu'il les a accomplis,
conscience des actes qui engagent sa responsabilité.
3° Enfin, l'incapacité du mineur est écartée dans diverses catégories
d'actes, qui, par leur nature, ne sont pas susceptibles d'entraîner pour lui
des suites préjudiciables. Ce sont :
A. — Les actes conservatoires. — On ainsi les actes
appelle qui ont pour
objet d'éviter au patrimoine une perte imminente. Ces actes ne peuvent
donc être qu'utiles d'autre part, ils n'engagent aucune dépense
et,
(exemples : inscrire une hypothèque, interrompre une Dès
prescription).
lors, tout le monde peut les faire ; on pourrait même les vala-
accomplir
blement au profit du patrimoine d'autrui. A plus forte un mineur
raison,
aura donc le droit de les faire à son propre bénéfice.
B. — Certains actes autorisés des lois au
par postérieures Code: a) Les
mineurs sont admis à se faire ouvrir des livrets dans les caisses d'épargne,
sans l'intervention de leur représentant Ils peuvent à partir
légal. même,
de seize ans accomplis, opérer, seuls, des retraits de fonds, à moins d'op
de leur père ou tuteur (L. 9 avril 1881, art.
position 6, 4e al. ; 20 juillet 1893,
art. 16, 3e al.). Ils sont également admis, à partir de l'âge de seize ans ré-
volus, à faire, sans autorisation, des versements à la Caisse nationale des
retraites pour la vieillesse (L.
juillet 1886, 20
art. 13, 2e al.).
b) Diverses lois ont autorisé les mineurs à plaider, seuls, ou avec l'auto-
risation du juge, dans les litiges concernant l'exercice de leur profession
(L. 24 décembre 1896, sur l'inscription maritime, art. 51 ; L. 12 juillet 1905
sur les justices de paix, art. 5 et 16, al. 2 comb. ; L. 27 mars 1907 sur les
conseils de prud'hommes, art. 37. Cf note sous Civ , 25 juin 1884, à la Re-
fonte du Sirey).
LES MINEURS 439

Les actes d'administration non lésionnaires. — Nous


C.— verrons, plus
loin, en étudiant les conséquences del'incapacité, que les actes concer-
nant l'entretien du mineur ou l'administration de ses biens demeurent
valables, quoiqu'ils aient été faits sans autorisation, s'ils ne lui causent
pas de lésion, c'est-à-dire si le tiers qui a traité avec lui n'a pas abusé de
son inexpérience pour lui faire subir un préjudice.
— Les actes de représentation. — Un et généralement
D. mineur, tout
incapable peuvent, du moment qu'ils ont, en fait, une volonté consciente,
agir valablement comme mandataires d'autrui, en ce sens que, sans encou-
rir de responsabilité au regard de celui auquel il a plu de les choisir
comme mandataires, ils le représenteront d'une manière efficace, au regard
dessers. C'est affaire au mandant de choisir qui lui plaît pour parler en
son nom. Du moment que l'incapable ne peut être comptable des suites de
son mandat et que, dès lors, il ne court aucun risque, il pourra être man-
dataire comme une personne capable. L'article 1990, qui consacre cette
solution, semble ne l'admettre que pour le mineur émancipé, mais comme
il n'y a aucune raison pour ne pas la généraliser, on décide qu'elle s'ap-
plique'également au mineur non émancipé (Rouen, 27 février 1855, D. P.
56.2.275, S..56.2.22).
Par les solutions qu'il consacre pour les actes de ces dernières catégories,
notre Droit, on le voit, prend, relativement à l'incapacité du mineur, une

physionomie moins tranchée, moins rigide que celle qu'on pourrait lui
prêter d'après l'exposé des principes. Il se rapproche, dans une certaine
mesure, des conceptions des Romains, d'après lesquelles l'impubère n'est
pas un incapable du moment qu'il ne s'agit pas pour lui de rendre sa
condition pire, mais, au contraire, d'augmenter son patrimoine.

Comment est-il pourvu à la protection du mineur ? — Pour com-


le système assez compliqué de la loifrançaise en cette matière, il
prendre
de distinguer la protection de la personne et celle du patrimoine.
importe
En ce qui concerne sa personne, le mineur a pour protecteurs naturels
ses père et mère que la loi investit, à cet effet, d'une autorité désignée par
de Si le mineur n'a plus ni père ni mère,
l'expression puissance paternelle.
ou s'il n'a ni père ni mère légalement connus (ce qui peut arriver pour les
enfants le soin et la protection de sa personne sont confiés à un
naturels),
tuteur.
En ce qui concerne le patrimoine, il y a lieu de distinguer entre les en-
fants légitimes et les enfants naturels.
Tant que dure le mariage des parents de l'enfant légitime, cest le père qui
administre les biens qui peuvent échoir au mineur en qualité d'administrateur
Dans tous les autres cas, cette mission est confiée à un tuteur.
légal.
Quant à l'enfantnaturel, l'administration de ses intérêts pécuniaires ap-
partient toujours à un tuteur.
On le voit, la puissance paternelle et la tutelle sont des institutions paral-
lèles s'enchevêtrent. Ces deux sortes d'autorités coexistent
qui parfois
Elles alors être réunies dans la même main, mais le
quelquefois. peuvent
440 LIVRE ï. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

contraire peut se produire. En tout


ce qui caractérise
cas, essentiellement
la tutelle, lorsqu'elle existe, c'est qu'elle s'exerce sous le contrôle d'un
conseil de famille, dont le tuteur peut être considéré comme l'agent et qu'il
doit consulter dans les circonstances importantes.
Les solutions qui viennent d'être indiquées ne s'appliquent d'ailleurs
qu'au mineur ordinaire, c'est-à-dire non émancipé. Le mineur émancipé,
affranchi de la puissance paternelle, et doté d'une indépendance presque
complète quant au gouvernement de sa personne, jouit en ce qui touche son
patrimoine, d'une demi-capacité, complétée par l'assistance d'un curateur,
placé lui-même, à certains égards, sous le contrôle du conseil de famille.
Enfin — et à ce point de vue, notre Droit a suivi la tradition de l'Ancien
— l'autorité dans l'intérêt du mineur, relative-
Régime judiciaire exerce,
ment à la direction de
personne sa et à la gestion de ses intérêts, une cer-
taine mission de contrôle et de haute surveillance, plus ou moins définie et
organisée suivant les hypothèses. La tendance actuelle de notre Jurispru-
dence et de notre législation est d'élargir encore ce champ d'action et, plus
généralement, de multiplier et de favoriser les interventions des pouvoirs
Etat en vue de la protection de l'enfance, mal assurée trop souvent par
les autorités familiales.
CHAPITRE PREMIER

DE LA PUISSANCE PATERNELLE

Définition. Caractères actuels de lapuissance — La


paternelle.
puissance paternelle peut être définie l'ensemble des droits la loi ac-
que
corde aux père et mère sur la personne et sur les biens de leurs enfants,
tant qu'ils sont mineurs et non émancipés, faciliter
pour l'accomplisse-
ment des devoirs d'entretien et d'éducation dont ils sont tenus.
Quatre conséquences se dégagent de cette définition:
1° La puissance paternelle appartient au père et à la mais non
mère,
aux ascendants. Ce n'est à dire,
pas d'ailleurs, que ceux-ci ne jouissent,
même du vivant des père et mère, de certaines il a été
prérogatives. Ainsi,
jugé que les parents n'auraient pas, à moins de justes motifs, le droit de
s'opposer à ce que l'ascendant voie l'enfant et entretienne avec lui une
correspondance (Req., 12 février 1894, avec concl. de M. D. P. 94.
Cruppi,
1.218, S. 94.1.240. Cf. note de M. de Loynes, D. P. le décès
93.2.81). Après
des parents, ce sont les ascendants qui sont appelés à consentir au mariage
du mineur ; ils font partie de droit du conseil de famille et la tutelle leur
est déférée par la loi (V. encore art. 935, 3e al. C. Mais ces diverses
civ.).
prérogatives ne leur donnent aucun droit d'immixtion et de contrôle dans
l'exercice de la puissance paternelle par les parents de l'enfant.
, 2° La puissance paternelle, en dépit de son nom, appartient à la fois au
père et à la mère ; après la mort du père et, dans d'autres cas encore, elle
est exercée par la mère. Aussi propose-t-on parfois de la dénommer auto-
rité parentale, vocable nouveau qui la désignerait exactement
plus que l'ex-
pression traditionnelle.
3° La puissance paternelle prend fin à la majorité de l'enfant ou même
auparavant, s'il est émancipé. Il est vrai qu'aux termes de l'article 371 du
Code civil, l'enfant doit, à tout âge, honneur et respect à ses père et mère,
mais c'est là un précepte de morale plutôt qu'une règle Les rapports
légale.
juridiques que crée la puissance paternelle entre les père et mère et l'enfant
s'éteignent avec la minorité.
4° La puissance paternelle constitue un de protection,
pouvoir et les pré-

1. V. Taudière, Traité de la jouissance paternelle. Paris, 1898; Nourrisson, Etude


critique sur la puissance paternelle et ses limites. Paris, 1895; Leloir, Gode de la
puissance paternelle, 2 vol., 1892; Du Plessis de Grénédan, Histoire de l'autorité
paternelle dans l'ancien droit français, thèse Paris, 1900. —V. la liste des articles
de revues et ouvrages publiés en France sur la puissance paternelle dans Bulletin
de la Société de législation comparée, session extraordinaire de 1889, rapport de
M. Fuzier-Hermann, p, 107, note 1.

DROIT. — Tome I.
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
442

confère au père et à la mère sur la personne et les biens de


rogatives qu'elle
leur enfant ne sont la contre-partie des devoirs et de la responsabilité
que
le fait de la procréation. Ce n'est pas sans intention quo
que leur impose
les rédacteurs du Code emploient l'expression d'autorité (V. art. 372, 373
à celle de puissance, qui n'a trouvé place que dans la ru-
par préférence
du Titre consacré à l'institution.
brique

SECTION I. — HISTOIRE DE LA PUISSANCE PATERNELLE

Le Droit romain. — La si tranchée et si de


physionomie rigoureuse
la puissance paternelle est un des points les plus connus du Droit romain
ancien. Le paler, c'est-à-dire le mâle, chef de la famille, exerce sa vie du-
rant sur tous ses descendants, quel que soit leur âge, un pouvoir presque
aussi absolu que sur les esclaves de la familia lia, et allant jusqu'au jus vitae

necisque. La personnalité juridique de ses enfants s'absorbe entièrement


dans la sienne, au point qu'ils n'ont pas de patrimoine propre et que tout
ce qu'ils peuvent acquérir vient grossir les biens du paler familial.
Cette constitution primitive de la famille n'a pas tardé à s'altérer ; elle ne

pouvait convenir à un Etat puissant, chez lequel grandissait


l'esprit d'initia-
tive et s'élargissait la personnalité de l'homme. Aussi, dès la fin de la Répu-

blique, la puissance paternelle s'atténue déjà: sous l'Empire, elle est plus
considérablement restreinte encore et réduite à peu près à un droit de cor-
rection. Quant au patrimoine, après avoir reconnu à l'enfant le droit de

posséder un pécule castrense ou quasi-castrense, on a admis que toutes les

acquisitions laites par lui, soit par voie de succession ou de donation, soit

par son industrie, ayant, en un mot, une autre source que des valeurs con-
fiées par le père, demeuraient sa propriété exclusive, sous le nom de biens
adventices. Toutefois, ces biens adventices restaient soumis à l'adminis-
tration et à l'usufruit du père de famille.
Enfin, si l'on veut se faire une idée exacte de la puissance paternelle à

l'époque classique du Droit romain, il ne faut pas oublier que le père atou-i
jours conservé le droit d'exhéréder ses enfants pour cause légitime, faculté
qui fortifiait et rehaussait singulièrement son autorité.

L'ancien Droit — La avec les


français 1 puissance paternelle survit,
mêmes caractéristiques qu'en Droit romain, dans les pays de Droit écrit et
même dans le ressort de certaines coutumes (Poitou, Reims,
Bretagne, etc.).
Quelques atténuations peuvent cependant être signalées; ainsi, la puissance
paternelle ne s'étend pas quanta la personne au delà de la de l'en-
majorité
fant (sauf en Poitou pour le fils non marié). L'enfant à la puissance
échappe

1, Claude Henrys, OEuvres, avec les observations de Bretonnier, 6° éd., t. II ques-


tion 127, p. 712 et s.; Bourjon, Droit commun de la France, t. I, p. 40; Loysel,
coutumières, n° 55 ; Argou, Institution au Droit 1730, t, I,
Institutes français,
Liv. 1, chap. 4, p. 18 et s.; Pothier, Des personnes, éd. Bugnet, t. IX, p. 50 et
s.; Laferrière, Histoire du Droit français, p. 331 et s, ; Viollet Histoire du Droit
civil français, 3° éd., p. 537 à 553, 570 à 575, voir la citée par lui, p.575;
bibliographie
Brissaud, Manuel, p, 103, et s,
PUISSANCE PATERNELLE 443

quant à ses biens, par la mort du ex-


paternelle père, par l'émancipation
presse, par l'émancipation tacite résultant du mariage, de l'habitation
séparée pendant dix ans, de son élévation à de hautes dignités.
Dans les régions de Droit coutumier., au contraire, la maxime:
règne
« En France, puissance paternelle n'a lieu. » Il ne faut pas la prendre à la
lettre. Voici ce qu'elle signifie :
1° La puissance paternelle appartient non seulement au père, mais à la
mère ;
2° Elle ne dure qu'autant que incapable l'enfant
et prend fin est
à
l'époque de sa majorité, au cas où
il est émancipé, soit expressément, soit
tacitement par l'effet de son mariage. Même; à la mort du père ou de la mère,
la tutelle s'ouvre au profit du survivant des deux époux, ce qui se traduit,
pratiqueriient, par une diminution de ses droits de puissance paternelle;
3° La puissance paternelle ne s'étend que sur la personne et non sur le
patrimoine de l'enfant. Non seulement ce patrimoine lui reste propre, mais
le père qui l'administre n'en a pas la jouissance légale ;
4° La justice exerce (aussi bien d'ailleurs dans les pays de Droit écrit que
dans ceux de Droit coutumier) un contrôle sur les parents. Elle peut con-
traindre le père à émanciper les enfants, s'il les maltraite, les engage au
mal, ou leur refuse des aliments.
Dans son ensemble, la puissance paternelle du Droit coutumier nous
apparaîtrait donc comme très dissemblable de celle du Droit romain ; elle
ne constituerait guère, comme celle de notre Droit moderne, qu'une auto-
rité de protection, ne conférant tout juste aux parents que les droits néces-
saires pour leur permettre de protéger l'enfant mineur et deremplir, à
son égard, leur devoir d'éducation, si, dans une matière qui relève plus
encore des moeurs que du Droit positif, il n'y avait au tableau certaines
ombres qu'on ne saurait négliger, sous peine de tomber dans l'illusion.
D'abord, les moeurs étaient rudes en somme. Le droit de correction
s'exerçait avec une
rigueur qui révolterait notre sensibilité moderne. Le
père qui croit avoir
de graves sujets de mécontentement contre ses enfants,
ne se fait pas scrupule de solliciter une lettre de cachet, que le Gouverne-
ment lui octroie facilement et qui lui permettra d'incarcérer le coupable,
parfois indéfiniment, dans une prison d'Etat ou dans un couvent. Certains
personnages (tel Mirabeau), ont été victimes de mesures disciplinaires de
ce genre même après leur majorité.
En second lieu, la famille était fortement constituée et ses intérêts pri-
maient en général les intérêts et les goûts des enfants. De là diverses règles
et pratiques qui renforçaient et prolongeaient en quelque sorte la puis-
sance paternelle. C'est ainsi que l'époque où l'enfant peut se marier sans
le consentement de ses parents arrive plus tard que celle de la majorité
légale (à trente ans pour les garçons), et que, même après qu'ils ont atteint
cet âge, la nécessité d'un acterespectueux s'impose encore aux enfants qui
veulent, en se mariant, passer outre à l'opposition des parents. Le droit
d'exhérédation subsiste au profit desparents, même dans la France cou-

tumière, pour tous les cas visés dans la Novelle 115 de Justinien. Les pro-
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
444

fessions ou moins imposées aux cadets dans les familles


religieuses, plus
nobles, viennent renforcer le droit d'exhérédation.

et le Code civil. — en cette


Le Droit intermédiaire S'inspirant,
matière comme en d'autres, de la philosophie du XVIIIe siècle
beaucoup
de l'individu, la législation révolutionnaire ne pouvait que
émancipatrice
restreindre encore
la puissance paternelle. La formule du décret du 28 août

1792 : « Les majeurs ne seront plus soumis à la puissance paternelle, elle


des mineurs » n'est que la géné-
ne s'étendra que sur lès personnes guère
ralisation, toute la France, du système du Droit coutumier. Mais
pour
d'autres réformes de détail offrent une portée plus significative. Le con-
sentement des au mariage de leurs
requis enfants
que ne sera
parents
jusqu'à l'âge de la majorité ordinaire fixé
civile à vingt et un ans (Décr.,
20 septembre 1792, t. IV, sect. I, art. 3). Les parents se voient enlever le
droit d'exhérédation (Décr., 9 fructidor an II, quest. 23). Le droit de faire
incarcérer l'enfant par mesure de correction paternelle ne peut plus s'exer-
cer qu'avec l'approbation d'un tribunal de famille et celle du président du
tribunal du district, qui doit homologuer la détention prononcée (Décr.,
16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, tit. X, art. 15 et 16).
Le Code civil, tout en consolidant, en somme, la conception moderne de
la puissance paternelle, espèce de tutelle
organisée surtout dans l'intérêt
de l'enfant lui-même, constituera cependant, à certains égards, une oeuvre
de réaction, un retour aux errements du Droit coutumier. C'est ainsi qu'il
restituera aux parents le droit de consentir ou de donner leur conseil pour
le mariage de leurs enfants même majeurs. Sur un point même il remon-
tera très en deçà des idées de l'ancienne France, jusqu'à la patria potestas
romaine, en accordant aux parents un droit de jouissance légale sur les
biens de leurs enfants mineurs, avantage que le Droit coutumier ne leur
avait jamais attribué.
Telle quelle, l'institution de la puissance paternelle s'est trouvée, promp-
tement après le Code civil, en désaccord avec la tendance et les besoins
économiques de la Société française. La désagrégation de la vie de famille,
causée par la facilité croissante des communications et la désertion des
campagnes, surtout
par l'industrialisme et le développement du travail
juvénile et infantile, les progrès de l'immoralité, issus de la cherté des
vivres et de la promiscuité des grandes agglomérations prolétariennes,
ont affaibli l'autorité des parents et, dans bien des cas, l'ont même rendue
plus nuisible qu'utile. La Jurisprudence d' abord, le législateur ensuite ont
dû pourvoir aux lacunes et parer aux abus de la puissance paternelle, orga-
niser le moyen de l'écarter en cas de besoin, et de la remplacer par des ins-
titutions de protection de caractère plus ou moins étatiste. C'est toute une
évolution d'une
importance sociale autant que juridique dont nous ne tarde-
rons pas à retracer les diverses phases et qui, vraisemblablement, ne man-
quera pas de s'accentuer encore dans le sens d'une restriction de plus en
plus grande du pouvoir des parents, envisagé comme puissance autonome
et arbitraire, et d'un contrôle de plus en plus attentif des autorités publiques.
PUISSANCE PATERNELLE 445

SECTION II. — CONTENU DE LA PUISSANCE PATERNELLE.

Deux observations préalables sont ici nécessaires :


1° La puissance paternelle ne comporte pas seulement les droits dont il
est traité sous cette rubrique (art. 371 à 387, C. civ.), c'est-à-dire le droit
de garde et le droit de
correction, ainsi que l' usufruit des parents,
légal
mais encore tout un faisceau de droits épars dans d'autres de noire
parties
Code, par exemple, le droit de consentir au mariage de l'enfant 148 et
(art.
s., C. civ.)- de l'émanciper (art. 477), de consentir à son adoption une
par
autre personne (art. 348), le droit d'administrer son patrimoine (art. 389).
L'expression de puissance paternelle a donc deux sens, l'un large et l'autre
étroit, ce qui, on le verra, est parfois, même pour le législateur, une source
de confusion. On se restreindra ici au sens étroit, c'est-à-dire à l'étude des
droits établis et réglés par les articles 371 à 387 du Code civil, les autres
attributs de la puissance paternelle devant être envisagés ou l'ayant déjà été
à propos des matières auxquelles ils se rattachent.
2° Les droits appartenant aux parents ont pour contrepartie des charges
et obligations. Ainsi, aux droits de garde et de correction sur la personne
de l'enfant correspondent les devoirs d'entretien et d'éducation. Le droit de
jouissance légale a pour contre-partie l'obligation d'administrer. Ces avan-
tages et ces charges, ces droits et ces devoirs devraient, semble-t-il, en
bonne logique, être étudiés concurremment. Cependant, nous nous conten-
terons de parler ici des droits des parents et non de leurs devoirs. L'obliga-
tion d'entretien et d'éducation a déjà été étudiée en même temps que l'obli-
gation alimentaire, comme un effet de laparenté plutôt que comme un
corollaire de la puissance paternelle, à laquelle cette obligation n'est d'ail-
leurs pas étroitement liée, puisqu'elle survit, en cas de déchéance de
cette puissance prononcée contre le père (V. Loi 24 juillet 1889, art. 12).
Et, quant à l'administration légale, il semble préférable de n'en parler
qu'après la tutelle, à cause de la comparaison qu'il importe d'établir entre
ces deux institutions.

— sur la de
§ 1. Droits des parents personne l'enfant.

Ils sont au nombre de deux : le droit de garde et de direction, d'une part,


et, comme conséquence et sanction de cet attribut primordial, le droit de
correction.

Droit de et de direction. — L'enfant


la maison ne
garde peut quitter
paternelle sans la
permission de son père (art. 374). A cette règle essen-
tielle, le texte n'apporte qu'une exception inspirée par un motif d'intérêt
national, en permettant à l'enfant de s'enrôler dans l'armée sans autori-
sation à partir de l'âge de dix-huit ans révolus. Cette latitude a été, depuis,
restreinte. L'âge auquel l'enfant peut contracter un engagement volontaire
sans l'autorisation de ses parents est aujourd'hui de vingt ans révolus, soit
pour l'armée de mer (L. 8 août 1913, art. 3, 5°), soit pour l'armée de terre
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
440

du sur le recrutement de art. 61),


(Loi 31 mars 1928, l'armée,
de comme la nécessaire, direction
Le droit garde emporte, conséquence
de la personne de l'enfant, le droit de surveiller sa correspondance, ses re-

lations, de lui interdire tous rapports que les parents jugeraient dangereux
ou inopportuns, de veiller à son instruction, d'en déterminer le caractère el

de choisir sa religion, etc.. La sanction de la force publique de-


l'étendue,
vrait eu cas de besoin, être mise à la disposition du père,
certainement,
sur sa demande, sur tous ces points, l'exercice de son auto-
pour assurer,
rité. l'enfant refuserait de réintégrer le domicile de son père
Ainsi, qui
pourrait y être contraint manu militari.
Des sanctions de caractère corroborent également le devoir de garde
pénal
et d'éducation, contre-partie du droit des parents.
L'abandon d'enfant sous certaines conditions, considéré comme un
est,
délit notre Code 349 et s., modifiés par la loi du
punissable par pénal (art.
19 avril 18981).
De même, la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire obligatoire
fait aux une d'assurer l'instruction de l'enfant
parents obligation légale
entre six et treize ans. Cette loi comporte même des sanctions pénales qui,
administrations ne sout malheu-
par suite de la faiblesse des compétentes,
reusement jamais appliquées 2.

1. Cette règle reçoit de larges atténuations inspirées par des considérations d'hu-
manité et d'intérêt social faciles à comprendre, étant donné surtout la grande quan-
tité des filles-mères, les difficultés qu'elles peuvent avoir à subvenir aux besoins de
leurs enfants, et le danger qu'une législation trop rigoureuse ne pousse beaucoup
de malheureuses mères à l'avortement ou à l'infanticide. La loi du 27 juin 1904, sur
le service des enfants assistés (art. 8 et 9) permet donc de déposer les enfants dans
des établissements hospitaliers désignés par le préfet du département, où ils sont
reçus dans un local ouvert de jour et de nuit, sans autre témoin que la personne
préposée au service de l'admission, et moyennant des déclarations extrêmement
succinctes. Si l'enfant paraît âgé de moins de sept mois, la personne qui le présente
peut même se refuser à toute déclaration quelconque. D'autre part, la loi du 24 juil-
let 1889, sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés, loi sur
laquelle nous reviendrons plus loin, permet aux père et mère de confier l'enfant à
l'administration de l'assistance publique, à des associations de bienfaisance régu-
lièrement autorisées ou même à des particuliers jouissant de leurs droits civils.
2. L'article 4 de la loi du 28 mars 1882 astreint le père ou celui qui a la garde de
l'enfant à faire savoir au maire de la commune, quinze jours avant la rentrée des
classes, s'il entend faire donner l'instruction à l'enfant dans sa famille ou dans une
école publique ou privée. Si l'enfant s'absente de l'école quatre fois dans le mois,
au moins pendant une demi-journée, sans justification, le père est appelé devant la
commission scolaire, qui lui rappelle le texte de la loi et lui explique son devoir
(art. 12). En cas de récidive dans les douze mois, la commission ordonne l'inscrip-
tion pendant quinze jours ou un mois, à la porte de la mairie, des nom, prénoms
de la personne responsable (art. 13). Enfin, en cas d'une nouvelle récidive, l'infrac-
tion est considérée comme une contravention (art. 14) et peut, dès lors, entraîner une
condamnation aux peines de simple police. (V. Crim., 14 et 15 décembre 1883 D. P.
84.1.213 et 214 ; S. 84.1.401, note de M. Villey). — Nous avons dit
que ces sanctions
sont, en fait, rarement appliquées. Il en résulte que le nombre des illettrés est en-
core assez élevé. Si l'on se réfère, non aux enquêtes préfectorales qui, accomplies
sur les déclarations des intéressés, sont forcément inexactes, mais aux résultats des
examens que les autorités militaires font subir aux jeunes soldats à leur arrivée au
corps, il y a, en moyenne, sur un contingent annuel de 250.000 hommes, environ près
de quinze mille conscrits ne sachant ni lire ni écrire (V. Le Temps. 25 juillet 1910)
PUISSANCE PATERNELLE 447

de correction. — Il ne faut entendre là le droit


Droit pas par qui,
dans toute société, appartient aux parents de châtier, au besoin corporel-
lement, l'enfant indiscipliné ou vicieux. Envisagé sous cet le droit
aspect,
de correction paternelle est une affaire de milieu et de moeurs. Notre Droit
ne s'en en les abus. C'est ainsi
préoccupe que pour réprimer que la loi du
24 juillet 1889, art. 2, 6°, permet aux tribunaux de prononcer la déchéance

de la puissance paternelle pour mauvais traitements ayant compromis la


santé de l'enfant. De même, la loi du 19
répression avril des 1898 sur la
violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les
enfants, aggrave encore les dispositions de l'article 312 du Code pénal qui
atteignent les parents coupables de faits de ce genre, sans préjudice de la
faculté pour les magistrats de leur enlever la garde de l'enfant.
Ce que lés articles 375 et suivants du Code civil entendent par droit de
correction, au sens technique du mot, c'est la faculté qui appartient aux pa-
rents, sous certaines conditions et modalités, de faire incarcérer l'enfant
vicieux ou rebelle, afin de briser sa résistance ou de redresser ses mauvais
penchants. C'est là un vestige manifeste de l'Ancien Droit, une survivance
des anciennes moeurs et de la rudesse de la puissance paternelle d'autre-
fois. Sous l'Ancien Régime, on avait longtemps admis, en effet, que le père
pouvait faire emprisonner l'enfant, à tout âge, sans ordonnance de justice.
Un arrêt de règlement du Parlement de Paris, en date du 9 mars 1673,
nous apprend qu'à cette date « les prisons de Paris renfermaient des ma-
jeurs de trente ans et même des prêtres détenus par voie de correction pa-
ternelle 1. ». Cet arrêt vint apporter en cette matière une réglementation
qui, dans ses grandes lignes, a été conservée par le Code civil. Doréna-
vant, le père ne peut
plus user de son droit détenir l'enfantde faire
que
jusqu'à sa majorité (il est vrai qu'au delà, il lui restait, on s'en souvient,
la ressource des lettres de cachet). Le père remarié ou la mère ont besoin,
pour l'emprisonnement de l'enfant, d'une autorisation de justice.
Si l'on néglige la phase du Droit intermédiaire et la loi des 16-24 août 1790,
avec son essai avorté de tribunaux de famille, le Code civil, comme l'Ancien
Droit, voit dans l'incarcération par voie de correction paternelle, non pas une.
peine publique, mais une simple mesure disciplinaire. C'est pour cela que
nulle formalité judiciaire ni écriture ne l'accompagnent (art. 378, 1er al.).
L'ordre d'arrestation n'est pas même motivé. Il faut qu'il ne reste de la me-
sure prise contre l'enfant aucune trace qui pourrait être gênante et influer fâ-
cheusement sur son avenir. Les frais d'entretien de l'enfant sont à la charge
de qui doit s'engager à les supporter (art. 378, 2e al.). Mais, bien en-
sa famille
tendu, il faut un ordre d'arrestation émanant du président du tribunal, car il
n'appartient pas à un particulier de donner des ordres aux agents de la force
publique qui doivent procéder à l'arrestation et à l'incarcération de l'enfant.
D'après les dispositions du Code civil, le droit de correction paternelle
fonctionne d'ailleurs différemment, suivant qu'il est exercé par le père ou
par la mère.

1. Viollet, op, cit.,p. 551,


448 LIVRE l. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

1° Le père agit tantôt par voie d'autorité, par voie


tantôt de réquisition.

A. - Il agit par voie d'autorité qu'il n'est pas tenu, théori-


(c'est-à-dire
au de fournir les motifs de l'incarcération et que le prési-
quement moins,
dent du tribunal est à son désir, en délivrant l'ordre
obligé d'obtempérer
les quatre suivantes sont réunies : a) L'en-
d'arrestation), lorsque conditions
fant a moins de seize ans ; b) Il n'a pas de biens personnels ; c) Il n'exerce
de profession ; d) Le père n'est pas remarié. La détention par voie
pas
d'autorité avoir une durée maxima d'un mois (V. art. 376, 380, 382).
peut
B. — Faute de l'une quelconque des quatre conditions ci-dessus, c'est-à-
dire si l'enfant
plus a ans, s'il possède
de seize des biens personnels, ou
exerce un état, enfin si le père est remarié, la détention ne peut avoir lieu
Cela signifie que le père doit exposer sa plainte
que par voie de réquisition.
au président du tribunal, qui en appréciera le bien fondé, après en avoir
conféré avec le procureur de la République, et refusera ou délivrera l'ordre
d'arrestation, avec faculté, dans ce dernier cas, d'abréger le temps de la
détention requis par le père (art. 377). Le maximum de durée de l'incar-
cération pourra atteindre six mois. Il est vrai que le Code accorde à l'enfant
ainsi détenu la faculté d'adresser, par l'intermédiaire du procureur géné-
ral, un mémoire au premier président de la cour d'appel, lequel, peut,
après un examen de cette réclamation et après avoir recueilli les informa-
lions nécessaires, révoquer l'ordre du président du tribunal. Et, bien que,
d'après sa place (art. 382, al. 2), cette disposition ne semble viser que l'hy-
pothèse où l'enfant possède des biens personnels ou exerce un état, on est
d'accord pour l'appliquer toutes les fois que la détention a été ordonnée
par voie de réquisition.
Il convient d'ajouter immédiatement qu'au moins dans le ressort du tri-
bunal de la Seine et de plusieurs autres tribunaux, la différence que nous
venons de relever entre la voie d'autorité et la voie de réquisition, est sin-

gulièrement amoindrie En effet, le président du tribunal s'arroge le droit


d'examiner et d'apprécier la demande d'incarcération formulée par le père,
même lorsque celui-ci invoque devant lui l'article 374 et procède, par con-
séquent, par voie d'autorité. Cette pratique prétorienne se fonde sur une heu-
reuse redondance de la loi. L'article 375, texte assez inutile en soi, car il
est simplement indicatif des dispositions qui suivent, porte, en effet, d'une
manière générale, que le père use du droit de correction « lorsqu'il a des
sujets de mécontentements très graves ». Les présidents en ont inféré qu'ils
auraient toujours le droit d'ouvrir une enquête et de refuser l'ordre d'ar-
restation, si le
père ne justifiait pas de sujets de mécontentement suffi-
samment graves à leurs yeux.
2° Lorsqu'il est exercé par la mère, le droit de correction les
présente
particularités suivantes :
À. — Il n'est jamais exercé que par voie de réquisition. De plus, lanière,
pour solliciter du président l'ordre d'arrestation, a besoin du concours des
deux plus proches parents du côté paternel (art. 381). Si l'enfant n'apas
de parents de ce côté, la mère devra solliciter le concours de deux alliés ou
amis du père,
PUISSANCE PATERNELLE 449

B. — La mère remariée perd complètement le droit de correction


(art. 381), tandis que le convoi du n'a effet
père pour que de lui fermer
l'exercice de ce droit par voie d'autorité. Il est vrai la mère
que remariée,
lorsqu'elle est tutrice, peut exercer, à ce titre, le droit de correction que
l'article 468 confère, nous le verrons, au tuteur.
C. On ajoute quelquefois une troisième différence entre le père et la
mère. L'article 379 décide le père que est toujours maître d'abréger la durée
de la détention par lui ordonnée
ou requise, sauf à faire reprendre le cours
de la punition si l'enfant retombe dans de nouveaux écarts. Suivant cer-
tains auteurs (Leloir, op. cit., t. I, n° 153), la mère ne pourrait
exercer,
cette sorte de droit de grâce sans le concours des deux plus proches parents;
alliés ou amis, dont parle l'article 381. Nous cette 1
croyons opinion erronée
nous attribuons à la mère le même droit de grâce En prin-
et qu'au père.
cipe, les mêmes droits appartiennent au et à la mère,
père que
ce soit l'un ou l'autre qui exerce la puissance Il faut
paternelle. un texte
exprès pour introduire entre eux des différences. C'est ce que fait l'ar-
ticle 381. Mais, en ce qui concerne le droit de grâce, aucun texte restrictif
des droits de la mère ne peut être Dès il faut lui appliquer!
signalé. lors,
purement et simplement le bénéfice de l'article 379.

Critique du système du Code 1. — Le procédé de correction établi par


le Code est, en fait, assez fréquemment employé. il résulte des statistiques
du Ministère de la Justice qu'il y a chaque année, un assez grand nombre
d'incarcérations d'enfants à la demande de leurs parents 2, nombre actuel-
lement d'ailleurs en décroissance. Encore toutes les ordonnances ne sont-
elles pas exécutées, les parents se contentant souvent d'avoir en main un
moyen d'intimidation pour briser la résistance de l'enfant récalcitrant.
L'institution que nous venons de décrire fonctionne donc pratiquement.
On doit se demander quelle en est la valeur.
Sur ce point, l'avis des hommes compétents est unanime. Le système du
Code est extrêmement défectueux pour les trois raisons suivantes :
1° Il peut prêter à des actes d'arbitraire et d'injustice odieux. Ce sont
parfois des
parents remariés ou soumis à une influence hostile à l'enfant
qui demandent son incarcération. On a vu des pères indignes essayer

1. Sur ce point, aux ouvrages généraux sur la puissance paternelle cités plus
naut, adde Guche, Traité de science et de législation pénitentiaire, p. 68 et s. ;
Berthélémy. Revue philanthropique, 1899, p. 424 ; Samaran, Les pupilles de l'as-
sistance publique, thèse Paris, 1907.
2. Voici les chiffres moyens annuels de 1901 à 1910.
Garçons Filles
1901 à 1905 463 297
1906 à 1910 444 302
et les chiffres annuels pour
1910 368 232
1920 149 131
1921 .............. 149 130
1922 115 83
1923 .............. 124 101
LIVRE I. — TITRE III. PREMIÈRE PARTIE
450

leur fille refusait de se livrer à la


ce moyen pour punir qui
d'employer
à leur profit !
prostitution
contre l'enfant sont inefficaces. Ce n'est pas une
2° Les mesures prises
six au maximum, qui peut amener l'amende-
détention de quelques mois,
viciée. Ce résultat ne pourrait être atteint
ment d'une nature profondément
dans un établissement consacré, non à la dé-
que par un séjour prolongé
et au redressement moral de l'enfance.
tention, mais à l'éducation
en incarcérant un enfant vicieux, mais qui
3° Il est extrêmement malaisé,
encore aucun délit d'éviter qu'il soit
n'a, en somme, commis punissable,
condamnés dits et à la contamination
exposé au contact des proprement
forcément. Ce n'est pas que le législateur ne
morale qui en résulte presque
à cet inconvénient, mais ses efforts n'ont atteint
se soit efforcé de parer
Le projet du
portait Code que l'enfant
civil serait en-
qu'un faible succès.
une maison de correction, mais Lebrun fit supprimer cette
fermé dans
en invoquant le danger de contamination (Fenet, t. X, p. 509).
disposition,
fut subie dans des
Les rédacteurs du Code voulaient donc que la détention
il n'en existait pas. Quelques établisse-
locaux spéciaux. Malheureusement,
à recevoir les enfants, mais c'était un remède insuf-
ments furent autorisés
les enfants étaient le souvent internés dans la
fisant. En pratique, plus
avec les condamnés de tout âge ! La loi du 5 août
prison départementale,
le patronage
et des détenus voulut mettre fin,
1850 sur l'éducation jeunes
à ce scandale en décidant que, dans ces prisons, un
au moins en partie,
devrait être affecté aux jeunes détenus de toute catégorie
quartier spéeial
elle d'enfermer les filles détenues par voie de
(art. 2). En outre, prescrivit
dans des maisons
pénitentiaires spéciales (art. 15
correction paternelle
le décret du 11 novembre 1885 (art. 30) a ordonné de placer
et 16). Enfin,
les mineurs enfermés par voie de correction dans des quartiers spéciaux
maisons d'arrêt, de justice et de correction, et de les maintenir à l'iso-
des
lement du jour et de la nuit. Ainsi, ce n'est que depuis la fin du XIXe siècle

les enfants détenus par la volonté de leurs parents doivent légalement


que
des de leur âge. Et loi encore la n'est-elle arrivée
être séparés délinquants
tombant dans un véritable excès de sévérité, car il est
à ce résultat qu'en
bien dur à un enfant, simplement rebelle peut-être, un empri-
d'infliger
sonnement cellulaire qui peut atteindre six mois 1.
Lois récentes visant des cas — Deux lois récentes ont
spéciaux.
en ce qui concerne les procédés de correction et de redressement
apporté
de l'enfance, des idées nouvelles qui, si l'expérience en consacre les bans
servir de base à une réforme du Code, dont elles
résultats, pourraient
améliorent dès à présent les solutions sur certains points.

1. Sur la manière dont la loi est, en pratique, exécutée, voici ce que dit M. Cuche,
op. cit., p. 78, n. 1 : « Étant donné que les maisons de courtes peines cellulaires
sont encore, en France, en petit nombre, on est réduit, dans la plupart des autres,
pour isoler l'enfant et le séparer de la population adulte, à l'enfermer dans une cel-
lule de punition, dans une chambre d'infirmerie, ou même dans une dépendance
du logement du gardien chef. Le régime matériel est celui des détenus ; quant à
l'instruction et à l'éducation, elles sont représentées par quelques visites du gar-
dien chef, »
PUISSANCE PATERNELLE 451

1° Loi du 28 juin 1904 sur les pupilles de l'Assistance pu-


difficiles ou vicieux. —- Cette
un double loi établit
blique procédé de
correction suivant le degré de perversité de l'enfant.
Tout d'abord (art. 1er) la loi permet à l'Assistance publique de placer les
enfants difficiles ou vicieux qui ne pourraient pas être confiés à des fa-
milles, dans des écoles professionnelles agricoles ou industrielles dites
écoles de réforme. Il n'y a là qu'une mesure d'éducation sévère, de carac-
tère simplement administratif.
En second lieu (art. 2), si le pupille de
l'Assistance, par des actes d'im-
moralité, de violence où de cruauté, donne des sujets de mécontentement
très graves, le tribunal civil peut, sur le rapport de l'inspecteur, à la de-
mande remettre l'enfant à l'administration le
du préfet, pénitentiaire, qui
placera d'aborddans un quartier d'observation, puis; s'il y a lieu, le
maintiendra dans une colonie correctionnelle ou pénitentiaire: Ici, nous
voyons intervenir une véritable correction, de caractère judiciaire, mais
où l'intervention du président est remplacée par celle du tribunal tout
entier. Cette correction diffère encore celle du Code civil en ce qu'elle a
une durée indéterminée. La loi dispose, en effet, que le Préfet peut, d'après
les résultats obtenus et sur la proposition de l'inspecteur des enfants
assistés, mettre fin au placement et opérer le retrait du pupille de
l'Assistance.

2° Loi du 11 avril 1908. - Cette concernant la des


loi, prostitution
mineurs, a pour but de substituer à la détention, comme moyen de cor-
rection, le séjour dans un établissement ou une maison particulière, où
le mineur prendra le goût du travail et apprendra un métier le mettant eh
mesure de gagner honnêtement sa vie. L'article 2, infine, de la loiprend
soin de dire qu'elle ne déroge pas aux articles 375 et s. du Code civil. Mais
c'est là une erreur. En réalité, la
apporte des
loi modifications
de 1908
au système civil, en ce qui concerne
du Code la correction du
importantes
mineur coupable de faits de débauche. Les sanctions de correction pater-
nelle établies été conservées la répression
par le Code civil n'ont que pour
des torts d'une autre nature improbité, indiscipline). Les fautes
(violence,
visées parla loi nouvelle sont de trois sortes : prostitution habituelle, dé-

bauchage, racolage.
La prostitution fait de l'article Tout mineur de moins de
l'objet 1er
dix-huit ans livre habituellement est, sur la demande des per-
qui s'y
sonnes en ont la ou du ministère public, traduit devant le tri-
qui garde
bunal civil, statuant en chambre du conseil. Le tribunal décidera si l'en-
fant doit être rendu aux parents, ou placé dans un établissement public
ou ou enfin confié à un sa majorité ou son
privé, particulier jusqu'à
mariage.
L'article 2 décide de dix-huit ans se livrant habituellement
que le mineur
à la débauche sur la demande des mère ou personne en
pourra, père,
ayant la garde, être dans un quartier spécialement aménagé d'un des
placé
I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
452 LIVRE

à l'article un temps qui sera fixé par le tri-


établissements prévus 1er pour
bunal.
le fait de (ou provocation à la débauche sur la voie pu-
Enfin, racolage
lorsque procès-verbal en a été
dressé, autoriser le
blique) peut (art. 3),
à provoquer contre le mineur une des mesures
procureur de la République
de placement indiquées précédemment.
et des autres de la loi de 1908, il ressort
De ces trois articles dispositions
des traits nombreux qui différencient le système correctionnel nouveau de

celui du Code civil.


1° Le droit de provoquer la correction peut appartenir au procureur de

la République ; il en est ainsi en cas de prostitution. En cas de racolage,

l'intervention du Parquet est seule prévue.


2° Le père, la mère, ou quiconque possède la garde de l'enfant sont pla-

cés exactement sur le même pied au point de vue de l'exercice du droit de

correction. La mère n'a pas besoin du concours des parents du côté pater-
nel. Le second mariage du père ou de la mère n'entraîne ni suppression
ni restriction de leur droit.
3° C'est jusqu'à dix-huit ans seulement, et non jusqu'à la majorité, que
s'exercer le droit de correction de la loi de 1908.
peut
4° La durée de la correction est indéterminée. Elle peut même se pro-
longer jusqu'à la majorité.
5° La correction n'a jamais lieu par voie d'autorité, mais toujours sur

réquisition. Ce n'est pas le président, mais le tribunal qui la prononce. La


loi organise autour de cette décision une procédure spéciale, avec faculté

d'appel pour l'enfant, droit d'intervention pour les parents quelconques,


s'ils demandent à présenter des
observations, enfin consultation faculta-
tive du conseil de famille, si le tribunal le juge à prepos.
6° La correction prononcée n'affecte pas les caractères d'une détention,
mais plutôt ceux d'une éducation sévère et moralisatrice. La loi prévoit
d'ailleurs et autorise des mesures de rémission en faveur de l'enfant qui,
par sa bonne conduite, donne des garanties d'amendement.
Ce sont là des progrès législatifs incontestables. Il reste à souhaiter que
les pouvoirs publics tiennent la main, mieux qu'ils ne paraissent l'avoir
fait jusqu'à présent, à une application sérieuse des lois nouvelles et que
le législateur, en cas de succès, en généralise les solutions.

2. — Droits des sur le


parents patrimoine de l'enfant.

La puissance paternelle entraîne deux séries de au


conséquences quant
patrimoine de l'enfant:
1° Le droit et l'obligation d'administrer le patrimoine de l'enfant;
2° Le droit de jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants
mineurs.

Administration du patrimoine de l'enfant. — Nous avons dit pour-


quoi nous en traiterions à l'occasion de la tutelle. Contentons-nous de signa-
PUISSANCE PATERNELLE 453

ler ici les complications du système de notre assez


Code, complications
peu logiques, mais qui s'expliquent par la tradition de l'Ancien Droit cou-
tumier. Ce n'est au même titre
pas toujours que la personne investie de
la puissance paternelle administre le patrimoine de l'enfant. Il y a, en effet,
lieu tantôt à administration légale, tantôt à tutelle, et ces deux régimes
sont différents. Aux termes de l'articles 389, il n'y a administration
légale
du père que du vivant des époux. Après la mort de l'un des père et mère,
l'administration légale disparaît, et c'est en qualité de tuteur légal (et, par
conséquent, avec des pouvoirs moins étendus) que le survivant administre
les biens de l'enfant. Cependant, le père ou la mère reste en ce
investi,
qui concerne la personne de l'enfant, de la La
puissance paternelle.
seule explication rationnelle que l'on puisse donner de ce système, c'est,
d'une part, que la présence simultanée du père et de la mère constitue,
pour les intérêts de l'enfant, une garantie qui n'existe plus lorsque
l'un d'eux est décédé, et, d'autre part, que, tant vivent ses parents,
que
l'enfant qui n'a hérité ni de l'un ni de l'autre, n'a en général, de
pas,
biens personnels.

Droit de jouissance légale. Son — Le


origine historique. père,
durant le
mariage, et, après la dissolution du mariage, le survivant des
père et mère, auront la jouissance légale des biens de leurs enfants jusqu'à
l'âge- de dix-huit ans accomplis, ou jusqu'à l'émancipation qui pourrait
avoir lieu avant l'âge de dix-huit ans (art. 384, 1er al.).
Comment s'explique ce droit accordé aux père et mère sur les biens de
leur enfant mineur, cet avantage personnel qui jure manifestement avec
les caractères imprimés par le Droit moderne à la puissance paternelle,
pouvoir de protection ? La vérité, c'est qu'il y a là une création du Code
civil qui, pour des raisons très contestables, a généralisé, en les modifiant,
des institutions analogues mais, en somme, dissemblables et exception-
nelles do l'Ancien Droit.
En pays de Droit écrit, il existait bien un usufruit au profit du père, usu-
fruit portant sur les biens adventices, c'est-à-dire sur les biens acquis à
l'enfant par succession ou autrement, et épargnant les pécules castrense
et quasi castrense, c'est-à-dire les gains réalisés dans les emplois de la
de l'Eglise, de la et du barreau, « pour lesquels le
guerre, magistrature
fils de famille était censé » (Brissaud,
op. cit., p. 118). usu- Mais cet
pater
fruit différait essentiellement de notre droit de jouissance légale, d'abord
en ce qu'il portait sur les biens de l'enfant même majeur et, en second lieu,
en ce qu'il n'appartenait jamais à la mère.
Dans les pays de Droit coutumier, nous ne rencontrons pas d'usufruit
sur les biens de l'enfant, mais, par exception, deux institutions
paternel
toutes spéciales, la garde noble et la garde bourgeoise.
La institution du Droit coutumier, était le droit
garde noble, générale
les ascendants nobles de sous certaines
charges, des biens
pour jouir,
recueillis leurs enfants mineurs dans la succession de leurs parents
par
de cet remontait au Droit féodal. Le fief
prédécédés. L'origine avantage
I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIS
454 LIVRE

en une terre concédée à charge de certains services (notam-


était, principe,
services d'ost ou de et de cour ou de justice) qu'un mineur
ment guerre,
Il en résultait que l'enfant, recueillant un fief par
ne pouvait accomplir.
ne pouvait en sa minorité ; d'où le bail qui,
succession, jouir pendant
ce conférait la jouissance du fief, avec l'obligation d'en four-
durant temps,
nir les aux ascendants de l'enfant. Ce droit des ascendants qui,
services,
ne que sur les biens nobles, s'était ensuite
primitivement, pouvait porter
sous le nom de noble, à toute la succession des père et
étendu, garde
mère mais il n'existait que dans les familles nobles. Il prenait
prédécédés,
fin à quinze ans pour les filles et à vingt ans pour les garçons, cet âge étant
celui de la féodale. Enfin, dans certaines coutumes, notamment
majorité
à Paris, il emportait, le gardien, la propriété des meubles et la charge
pour
de payer les dettes mobilières.
La garde bourgeoise, qui n'existait qu'à Paris, à l'imitation de la garde
et comme un privilège spécial pour les habitants de la capitale,
noble,
ressemblait à notre droit de jouissance légale. Elle appartenait,
davantage
en effet, non aux ascendants, mais au survivant des père et mère seule-

ment. Mais, d'une part, elle ne consistait que dans l'usufruit des biens
recueillis par l'enfant dans la succession du premier mourant de Ses père
et mère ; il n'y avait pas de garde bourgeoise sur les biens que l'enfant
aurait autrement, par exemple, en vertu d'une donation ; pas de
acquis
bourgeoise, par conséquent, pendant le mariage des parents. Et,
garde
d'autre part, cette garde prenait fin à l'âge de lapuberté, quatorze ans pour
les douze ans pour les filles (art. 266-268, Nouv. Coût, de Paris) 1.
garçons,
Très différent, on le voit, des antécédents qu'on peut lui trouver dans
l'ancienne France, l'usufruit légal des père et mère est donc bien, comme
nous le disions, une création du Code civil. On
la justifie, en général, par
une double considération : indemniser les parents des peines, des soins et
des dépenses qu'impose l'éducation des enfants ; prévenir la nécessité de

comptes de revenus, remontant à une date trop ancienne, entre le père ou


la mère et leur enfant. Cependant, l'innovation n'est pas heureuse; elle
est en
général peu favorablement appréciée par la moderne. Il y Doctrine
a donc lieu de s'étonner que le législateur, au lieu de chercher à restreindre
l'usufruit légal, l'ait au contraire (par la loi du 2 juillet 1907, sur la tutelle
et la protection des enfants naturels) étendu à des hypothèses où, sous
l'empire des textes du Code civil, son application était douteuse et même
généralement contestée.

Etendue du droit de — Le droit des


jouissance légale. parents porte
en principe sur tous les biens de l'enfant mineur de dix-huit ans, mais la loi
établit trois exceptions. Il y a donc, dans le patrimoine de l'enfant, trois
catégories de biens auxquels ne s'étend pas l'usufruit des et mère.
père
1° Biens acquis par l'enfant au moyen d'un travail et d'une industrie sé-

1. Pothier, Traité de la garde noble et bourgeoise, éd. Bugnet, t. VI, p 499 et


s. ; Argou, Institution au Droit français, t. I, liv. I, en, 6,
PUISSANCE PATERNELLE 455

parés (art. 387) : c'est la vieille idée romaine qui avait fait admettre les
pécules castrense et quasi-castrense.
2° Biens donnés ou légués à sous la condition les père
l'enfant expresse que
et Aère n'en — Le Code, on le voit,
jouiront pas (art. 387). ne considère
pas l'existence de l'usufruit légal comme intéressant l'ordre public. Il
estime qu'un tiers peut avoir de bonnes raisons pour enlever aux parents
de l'enfant qu'il veut gratifier, le bénéfice des revenus de sa libéralité. Les
parents ainsi exclus n'ont aucune réclamation à formuler. On s'est
demandé cependant s'il en serait ainsi lorsque la libéralité faite à l'enfant
porte sur la réserve à laquelle celui-ci a droit. Un père, par vient
exemple,
à mourir en ne laissant qu'un enfant, lequel, d'après l'article 913 du Code
civil, a droit, à titre de réserve, à la moitié de ses biens. Ce père, peut-il,
par son testament, léguer sa fortune à son enfant, en stipulant que la
mère survivante n'aura la jouissance d'aucune part des biens légués? La
mère ne
pourra-t-elle prétendre que, son enfant ne pouvant en aucun cas
être privé de sa réserve, elle possédait au moins sur l'usufruit de cette
réserve, c'est-à-dire de la moitié des biens délaissés par le père prémou-
rant, un droit acquis dont le testament du défunt n'a la frustrer ? Bien
pu
qu'il y ait
quelques décisions en faveur de cette opinion (V. les renvois
sous Rouen, 12 février 1887, D. P. 89.2.181), nous ne voyons aucune bonne
raison pour l'admettre. La réserve est instituée dans l'intérêt du réserva-
taire. Or, il ne résulte aucun inconvénient pour l'enfant réservataire, au
contraire, de la clause qui supprime l'usufruit de son auteur survivant ;
la mère, pour attaquer le testament;, ne pourrait donc agir au nom de l'en-
fant réservataire ; or l'article 92)
de Code civil dispose formellement que
la rédaction des libéralités ne peut être réclamée que « par ceux au profil
desquels la loi a institué la réserve ».
3° Successions le pèredont ou la mère a été exclu comme —
indigne.
Lorsque les enfants recueillent, de leur chef, une succession, par exemple
celle d'un ascendant, dont leur père ou leur mère a été écarté pour cause
d'indignité, ce dernier ne peut, en aucun cas, réclamer l'usufruit des biens
de cette succession (art. 730, C. civ.).

Nature et du droit de — Les ré-


réglementation jouissance légale.
dacteurs du Code civil semblent avoir hésité à employer l'expression d'usu-
fruit, pour désigner le droit des
parents sur les biens de leurs enfants mi-
neurs. Si les articles 389 al. 10, 601, 730 nous parlent de l'usufruitdes parents,
les articles 384 al. 1, 383, 386 emploient, comme nous l'avons fait nous-
mêmes, l'expression de jouissance
légale. En réalité, le droit des parents est
1° un usufruit; 2° unusufruit soumis, à raison de sa destination, à des règles
particulières et dérogeant, en partie, au régime normal des usufruits.
1° Le droit des père et mère est un usufruit. — Voici les conséquences
qui en découlent :
A. — L'acquisition des fruits produits par les biens de l'enfant se fait
au profit des parents suivant les règles établies pour les usufruits ordi-
naires (art 582 et s.).
LIVRE. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
456

B. — Les et mère sont soumis, dans leur jouissance, aux mêmes


père
les usufruitiers ordinaires (art. 385, 1°). Ainsi, à leur entrée
charges que
en jouissance, ils doivent faire dresser un inventaire des meubles et un état

des immeubles (art 600). Ils doivent jouir en bon père de famille et en res-
le mode de jouissance établi par le propriétaire antérieur (art. 578,
pectant
590, 591, 594, 597, 598) ; ils doivent supporter les réparations d'entretien

et, généralement, les charges dites usufructuaires (art. 605, 608, 612, etc.).
G. — Les causes d'extinction de l'usufruit, établies par les articles 617
et 618, s'appliquent certainement, en tant que cette application est possible
secundum materiam, au droit de jouissance des père et mère.
subjectam
Ainsi, ce droit disparaît par la mort de l'usufruitier, c'est-à-dire du der-
nier survivant des père et mère ; par la consolidation, ou réunion sur
la même tête de la qualité d'usufruitier et de propriétaire, fait qui se pro-
duit lorsque l'enfant vient à mourir, en laissant pour héritier le père ou
la mère investi de la jouissance légale ; par la perte totale des biens sur

lesquels est établie cette jouissance ; enfin, par la déchéance pronon-


cée à raison de l'abus de jouissance que commet l'usufruitier, en fai-
sant des dégradations sur le fonds ou en le laissant dépérir faute d'en-
tretien.
2° L'usufruit père des
et mère, étant essentiellement destiné à leur per-
mettre de faire face aux charges qui leur incombent envers l'enfant est,
d'autre part, soumis à des règles particulières qui sont les suivantes :
A. — Parmi les obligations imposées à l'usufruitier, il y en a dont la
loi dispense le bénéficiaire de la jouissance légale. Il en est ainsi de l'obli-

gation de donner caution que la loi impose, en général, à l'usufruitier, et


qui consiste à fournir un répondant solvable qui prend, envers le proprié-
taire, l'engagement de le
désintéresser, au cas où l'usufruitier ne rempli-
rait pas toutes ses obligations. Les père et mère sont dispensés de cette
charge (art. 601, G. civ.). La loi considère que leur l'enfant affection pour
est une garantie suffisante. De plus, il ne faudrait pas que la difficulté,
parfois très grande, que l'on peut éprouver à trouver une caution de bonne
volonté, pût priver les parents d'une ressource qui leur est nécessaire
pour l'accomplissement de leurs devoirs. Enfin, il ne faut pas oublier que,
si l'un des parents est prédécédé (et c'est, en général dans ce cas seulement
que l'enfant peut se trouver propriétaire de certains biens le
personnels),
parent survivant, en même temps qu'usufruitier, se trouve être tuteur
légal de l'enfant. A ce titre, il voit ses immeubles d'une
grevés hypothèque
légale qui garantit les reprises futures du mineur, son pupille.
B. — L'usufruit ordinaire est,
patrimoine dans le un de l'usufruitier,
bien libre et disponible, comme tous les autres. Il peut donc être cédé à un
tiers (art. 595), hypothéqué, quand il porte sur des immeubles (art. 2118-2°),
saisi par les créanciers de l'usufruitier Au contraire, le droit
(art. 2204-2°).
de jouissance légale est indisponible : il ne peut être ni cédé, ni hypothéqué,
ni saisi; il est, en d'autres insaisissable et inaliénable. de
termes, La raison
celte dérogation au droit commun, qui n'est écrite nulle part, mais que la
Doctrine admet unanimement et que consacre la Jurisprudence (Bordeaux,
PUISSANCE PATERNELLE 457

21 février 1893, D. P. 93.2.361), c'est encore la destination essentielle de l'u-


sufruit, laquelle s'oppose à ce que le père ou la mère en dispose dans
Son intérêt personnel, et se mette peut-être, par là, hors d'état de rem-
plir envers l'enfant son devoir d'entretien et d'éducation. Le motif de la

règle doit en déterminer et en limiter l'étendue, et on admettra, par con-


séquent, que le père ou la mère puisse céder valablement et que ses
créanciers puissent saisir les revenus des biens du mineur, dans la mesure
de l'excédent de ces revenus sur les charges (Lyon, 13 novembre 1894,
D. P.
96.2.393, S. 95.2.145).
C. — Le père ou la mère, en outre des obligations ordinaires de l'usu-
fruitier, doit supporter comme contre-partie de son droit de jouissance,
certaines charges particulières. L'article 385-2°-3°-4° les énumère, sans

qu'il soit d'ailleurs toujours facile de discerner leur caractère de parti-


cularité.
a) L'article 385 indique d'abord que les revenus des biens de l'enfant
doivent êtreemployés à sa nourriture, son entretien et son éducation. On

peut se demander ce que ce texte ajoute à l'obligation de nourrir et élever


et à la mère comme tels (art. bé-
l'enfant qui incombe au père 203), qu'ils
néficient ou non de l'usufruit légal. La réponse à cette question est que le

quantum de l'obligation des parents, comme parents, c'est-à-dire lorsque


l'enfant n'a pas de biens se calcule suivant les ressources du
personnels,
père et de la mère ; cette obligation est,
supportée de plus,
concurremment
eux. Au contraire, des
l'enfant biens personnels et
par lorsque possède
lieu à l'usufruit l'entretien et l'éducation de l'en-
qu'il y a, dès lors, légal,
fant seront à la fortune de celui-ci ; un enfant riche devra
proportionnels
une éducation très soignée, quand bien même
recevoir, par conséquent,
ses parents n'auraient aucune fortune ; de plus, cette
personnellement
à celui-là seul des père et mère le droit de
charge incombe qui possède
jouissance légale.
de l'usufruitier est le paiement
b) La seconde charge particulière légal
intérêts des capitaux La loi
suppose que le
des arrérages ou (art. 385-3°).
l'enfant est de dettes d'intérêts ou
patrimoine échu à grevé productives
de l'obligation de une rente à une tierce personne. Ces charges
payer
doivent être sur les revenus des biens. Mais, ici encore, il semble
prélevées
ne se trouve en présence d'une particularité de la jouissance
qu'on pas
tout usufruitier universel doit, en vertu de l'article 612,
légale, puisque
au paiement des dettes et supporter les
contribuer avec le propriétaire
On de
charges annuelles de l'héritage (art. 608). répondra que l'obligation
celle de l'usufruitier universel or-
l'usufruitier légal est plus étendue que
même les termes échus avant l'entrée en jouis
dinaire ; car elle comprend
uni-
sance et qui n'avaient pas encore été payés, tandis que l'usufruitier
à la durée
versel ne doit que les intérêts et les arrérages qui correspondent
de sa jouissance.
au de « les frais
l'article 385-4° impose père l'obligation payer
c) Enfin,
maladie ». Cette formule elliptique ne peut
funéraires et ceux de dernière
la mort de la personne à laquelle l'en-
viser que les frais occasionnés par

Dnorr, — Tenue I,
458 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

fant a succédé. 11 ne peut s'agir du cas de décès de l'enfant lui-même, car

l'article 383 2° a déjà mis à la charge du père toutes les


dépenses qui le
concernent. Et d'ailleurs, si l'enfant meurt avant ses parents, ceux-ci sont
tenus de payer ses obsèques, non pas comme usufruitiers, mais comme
héritiers. On comprend aisément le sens de notre disposition lorsque l'on
sait les rédacteurs du Code l'ont
empruntée au Droit coutumier.
que
Plusieurs coutumes chargeaient expressément le gardien noble d'acquitter
les frais funéraires du défunt, dont la mort avait rendu l'enfant héritier et
donné ainsi ouverture à la garde ; et, dans les coutumes qui ne s'expli-
quaient pas sur ce point, la même règle avait été adoptée (Rennes, 11 jan-
vier 1904, D. P. 1904.2 351. Cf. Pothier, Traité de la garde noble, n° 94).
D. — En dehors des causes d'extinction normales de tout usufruit, le
droit de jouissance légale des père et mère est soumis à des causes d'exlinc-
tion spéciales.
a) L'émancipation de l'enfant (art. 384, 1er al.) entraîne la cessation de
l'usufruit des parents qui n'a plus de raison d'être, puisque l'entretien et
le soin de l'enfant ne leur incombent plus désormais.

b) La jouissance légale prend fin lorsque l'enfant atteint l'âge de dix-huit


ans révolus (art. 384, 1er al.). Pendant les trois dernières années de la mino-

rité, les père et mère sont donc comptables des revenus des biens de l'en-
fant ; et, si ces revenus excèdent les dépenses exigées par l'entretien et l'é-
ducation, ils doivent être mis de côté.
établie Cette
à la suite limite a été
d'une observation très juste de Bigot-Préameneu. Il craignait que, si l'usu-
fruit avait dû se prolonger jusqu'au moment de la majorité, les parents
d'un enfant possesseur de quelque fortune n'eussent été portés à refuser de
l'émanciper ou de le marier, le mariage entraînant l'émancipation. L'usu-
fruit légal qui est un bienfait de la loi, mais sans que celle-ci perde de vue
l'intérêt des enfants, aurait donc été détourné de sa destination. Ajoutons
que la règle du Code offre cet autre avantage qu'en contraignant les parents
à mettre en réserve les revenus des trois dernières annés de la minorité, elle
procure à l'enfant parvenu à sa majorité une somme qui pourra servir à
ses frais d'établissement ou de mariage, sans qu'il entame son capital.
c) Dans deux cas (trois autrefois) l'extinction de l'usufruit légal prend la
couleur d'une pénalité, soit que la
loi juge le père ou la mère de
indigne
son bienfait, soit qu'elle estime qu'ils se sont dans une situation
placés qui
rendrait le maintien de leur usufruit les intérêts de
compromettant pour
l'enfant. C'est ce qui a lieu dans les suivantes.
hypothèses
a) Art. 386. — contre le divorce a été la
L'époux lequel prononcé perd
jouissance légale. Celle-ci s'éteint par conséquent entièrement lorsque le
divorce est prononcé aux torts des deux à la fois. On remarquera
époux que
la loi ne parle que du divorce et, comme il s'agit d'une sorte de peine ci-
vile, il est impossible de l'appliquer à l'époux contre a été pronon-
lequel
cée la séparation de corps, quoiqu'il y ait identité de motifs entre les deux
situations.
P) Art. 1442, al. 2. — En cas de décès du père ou de la mère, les époux
ayant été mariés sous le régime de la survivant
communauté, l'époux qui
PUISSANCE PATERNELLE 459

néglige de faire inventaire des biens communs la jouissance


perd des biens
des enfants mineurs, La loi a voulu, par celte contraindre le sur-
menace,
vivant à faire l'inventaire, cette formalité étant déter-
indispensable pour
miner la part de communauté qui revient aux enfants comme héritiers
de l'époux prédécédé.
y) Sous l'empire du Code civil primitif art. il
(ancien y avait
386) enfin
cessation de l'usufruit légal
préjudice au de la mère, celle-ci se
lorsque
remariait. Le père remarié gardait, au contraire, son usufruit Il est
légal.
à remarquer que cette inégalité de traitement renchérissait encore sur les
sévérités, de l'Ancien Droit à l'égard du convoi de la femme veuve ; dans la
coutume de Paris, en effet (art. 268), la garde prenait fin lorsque le gar-
dien se remariait, que ce fut le père ou la mère. Tout ce que l'on pouvait allé-
guer pour justifier la différence de traitement établie entre le remariage du
veuf et celui de la veuve, c'est que, sous la plupart des
régimes matrimo-
niaux, c'est le mari qui a la disposition des revenus de la femme
; c'est donc
surtout lorsque l'usufruit appartient à Une femme remariée qu'il y a lieu de
craindre que les revenus de l'enfant ne soient détournés de leur destination
normale ou appliqués aux besoins du nouveau ménage et des enfants du
second lit. Cette considération cependant n'a pas paru au législateur mo-
derne de nature à balancer les inconvénients d'une règle qui consacrait
entre les deux sexes une inégalité choquante et propre à détourner les
femmes veuves d'un second
mariage, parfois avantageux pour l'enfant lui-
même. La loi du 21 février 1906 a donc, en supprimant la seconde partie
de l'article 386, fait disparaître la déchéance prononcée en cas de convoi
de la mère.

SECTION III. — ATTRIBUTION ET CONTRÔLE DE LA PUISSANCE PATERNELLE.

— du ou de la
§1. Qui, père mère,
exerce la puissance paternelle ?

En principe, la puissance autorité à


paternelle (ou parentale) appartient
la fois au père et à la mère 372), mais le père seul exerce cette autorité
(art.
durant le mariage (art. En dehors de cette situation que l'on
373). peut
considérer comme normale,
plusieurs hypothèses doivent être envisagées.
1° Absence du le père a disparu, l'article 141 dispose
père. — Quand que
la mère aura la surveillance des enfants, et qu'elle exercera tous les droits
du mari quant à leur éducation et à l'administration de leurs biens. Faut-il
comprendre dans les droits attribués ainsi à la mère la jouisance légale des
biens des enfants mineurs ? Cela nous paraîtrait rationnel. On a vu que la
jouissance légale est la contre-partie du devoir d'éducation et de la charge de
l'administration du patrimoine de l'enfant. Dès lors, puisque, la disparition
du mari fait sur la mère ces devoirs et cette la mère devrait
peser charge,
avoir la jouissance des biens. Comment autrement d'ailleurs
pourrait-on
affecter les revenus des biens de l'enfant à leur destination et leur faire
supporter les dépenses prévues par l'article 385? Cependant, c'est une opi-
LITRE I. — TITRE — PREMIÈRE PARTIE
460 III.

nion contraire en général. Elle se fonde sur cet argument pure-


qui prévaut
ment textuel l'article 141, en transférant nommément à la mère, les
que
droits du à l'éducation et à l'administration, semble, par son
père quant
silence, exclure la jouissance légale (V. Alger, 29 mai 1886, sous Req.,
D. P. 91.1 413, S. 89.1.217). Certains auteurs font d'ailleurs une distinction

selon les différentes de l'absence du père. Le droit de jouissance


phases
est eux refusé à la mère pendant la simple disparition de fait et
légale par
la période de la présomption d'absence; elle doit alors encaisser
pendant
les revenus de l'enfant, mais les mettre en réserve pour le moment du retour
de son mari. Mais, lorsqu'intervient la déclaration d'absence, la jouissance

légale serait dévolue à la mère et même avec rétroactivité, ce qui lui per-
mettrait de s'approprier les fruits à partir de la disparition ou des dernières
nouvelles de l'absent.
2° Le père sans être absent peut se trouver empêché, en fait, d'exercer la

puissance paternelle, par exemple, s'il est éloigné, fou, interdit, emprisonné,
mobilisé. La loi est muette sur ces hypothèses, ce qui donne lieu, dès lors,
à des controverses doctrinales. L'opinion plus la
raisonnable et la plus
généralement admise est celle qui, appliquant l'article 141, par identité de
motifs et analogie de situations, délègue à la mère la puissance paternelle
(mais non l'usufruit pour les raisons contestables que l'on vient de voir).
Il faut cependant reconnaître que cette solution n'a pas paru toujours
l'emporter dans l'esprit du législateur. En 1870, le gouvernement de la
Défense Nationale a cru devoir, par un décret du 14 décembre, conférera
la mère le droit d'exercer provisoirement la puissance paternelle lorsque le
père était, par suite de la guerre, éloigné et empêché de l'exercer lui-même.
Un texte paraissait donc nécessaire dans cette hypothèse de force majeure.
De même, la loi du 3 juillet 1915 a décidé que la mère exercerait provisoi-
rement la puissance paternelle à défaut du père, empêché par la guerre
de 1914.
3° Mort de l'un des deux — Alors 1er al.), la puissance
parents. (art. 384,
paternelle appartient au survivant qui l'exerce seul. Que ce soit le père ou
la mère, ce survivant ne peut perdre la puissance paternelle ni par son
second mariage, ni par son refus
son exclusionou de la tutelle. Il n'y au-
rait que dans le cas de déchéance de la puissance paternelle, cas que nous
examinerons plus loin, qu'il s'en verrait dépouillé. il faut noter
Cependant,
que, si la puissance paternelle est exercée par le survivant sur la personne
de l'enfant, elle disparaît en ce qui concerne non la jouissance des
pas
biens (le survivant a l'usufruit légal), mais l'administration. Ce n'est plus
en qualité d'administrateur, mais en qualité de tuteur, le survivant
que
administre le patrimoine de l'enfant, si toutefois c'est à lui que la tutelle
est déférée, ce qui n'a pas lieu forcément, il s'agit de la mère.
quand
4° Divorce ou séparation de corps. — En ce les articles 302 et 303,
cas,
que l'on s'accorde à déclarer applicables à la séparation de corps comme au
divorce, décident que les enfants seront confiés à l'époux le
qui a obtenu
divorce, à moins que le tribunal, sur la demande de la famille ou du minis-
tère public, n'ordonne, pour le des tous
plus grand avantage enfants, que
PUISSANCE PATERNELLE 401

ou quelques uns d'entre eux seront confiés aux soins, soit de l'autre époux,
soit d'une tierce
personne. Quelle que soit Ja personne à laquelle l'enfant
est confié, le père et la mère conservent respectivement le droit de surveil-
ler l'entretien et l'éducation qui lui sont donnés, et ils sont tenus d'y con
tribuer à proportion de leurs facultés. Le caractère de ces dispositions est
très net. Tant que dure le mariage des parents, bien que tous les deux, en
principe, possèdent concurremment la puissance paternelle, c'est le père,
qui en a seul L'exercice. Après la destruction du foyer familial, la prépon-
dérance du père ne s'impose ; on se trouve
plus en présence de droits ri-
vaux: c'est l'autorité judiciaire qui les départagera. Elle le fera en ne te-
nant compte que de l'intérêt de l'enfant, considération primordiale devant
laquelle tout autre intérêt doit s'effacer, étant donné surtout les pa-
que,
rents s'étant montrés inaptes à assurer à l'enfant un foyer normal et stable,
on peut a priori les considérer comme n'offrant pas, en tant qu'éducateurs,
toutes les garanties désirables. Malheureusement, la loi n'a statué d'une
façon expresse que sur le droit de garde, attribut essentiel à la vérité, mais
non unique de la puissance paternelle et, depuis la loi du 6 avril 1910, sur
l'administration légale. Elle ne dit rien des autres éléments de la puissance
paternelle. Il faut combler cette lacune évidente et, en bonne méthode,
distinguer suivant les différents attributs de l'autorité des
parents,
À. — La garde de l'enfant doit être donnée, en principe, à celui des
époux qui obtient le divorce (art. 302). Mais c'est là une indication plutôt
qu'une prescription absolue. La loi ajoute en effet aussitôt que les juges
peuvent en décider autrement, si l'intérêt de l'enfant leur semble appeler
une autre attribution. Cette règle est tout à fait
sage. Il peut être utile pour
les enfants d'être confiés à l'époux contre qui le divorce (ou la séparation)
a été prononcé. Un mauvais mari n'est pas forcément un mauvais père ; sa
direction rester nécessaire aux enfants, surtout aux garçons. De
peut
même, la défaillance a fait le divorce contre une femme n'en
qui prononcer
fait pas nécessairement une mauvaise mère ; il peut être préférable que ce
soit elle se voie attribuer la garde des enfants ou de certains d'entre
qui
eux, surtout sont encore dans un âge qui rend indispensables
lorsqu'ils
les soins d'une femme. Que si les débats du procès ont fait ressortir l'indi-

gnité simultanée des deux parents, le tribunal pourra les exclure l'un et
l'autre et confier les enfants à une tierce personne, ascendant ou non, ou
déterminer la maison d'éducation, où ils seront placés. L'époux non attri-
butaire de la conserve d'ailleurs, avec l'obligation de contribuer aux
garde
frais le droit de visiter l'enfant et celui de surveiller sa con-
d'éducation,
duite et son éducation (art. 303). Le tribunal règle les visites.
La loi du 5 décembre 1901, portant adjonction d'un paragraphe à l'ar-
ticle 357 du Code pénal, punit d'une peine d'un mois à un an d'emprison-
nement et d'une amende de seize francs à cinq mille francs le père ou la
mère de ne pas représenter l'enfant, ou de l'enlever à celui qui en
coupable
avait la garde. Cette loi employant d'ailleurs des termes très généraux, car
à ceux qui ont le droit de le
elle vise quiconque ne représente pas le mineur
réclamer, on doit décider la même sanction s'applique au père, à la
que
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE
462

mère ou à toute personne attributaire


autre de la garde de l'enfant, qui le
dérobe aux visites de l'autre parent eu des grands parents ou au séjour de

vacances c hez ceux-ci, qu'aurait ordonné le tribunal (Crim., 30 mars 1912,


de dr. civ., p. 959. Cf. note de M. G. Le Poittevin, D. P.
Rev. trim. 1912,

1904.2.41)..
Quelle que la solution par le tribunal quant au droit de
soit adoptée
garde, elle est essentiellement L'époux exclu, ou même toute
provisoire.
personne de la famille, parent ou allié, peut toujours demander au tribu-
nal de modifier la décision qu'il avait prise, en alléguant un changement
dans les circonstances. Par exemple, un garçon a grandi et il est temps
qu'il passe de la direction de sa mère sous celle d'un homme ; ou bien la

personne chargée de la garde mène maintenant une conduite peu exem-

plaire ; elle s'est remariée dans de mauvaises conditions ; elle annonce


l'intention de fixer sa résidence à l'étranger, en emmenant l'enfant, ce qui
rendrait impossible ou moins facile l'exercice du droit de visite accordé à
l'autre ex-conjoint ou aux ascendants, etc.. A une demande réclamant une
modification, on ne peut donc jamais opposer l'exception de chose jugée
De même, le père ou la mère non investi de la garde, conservant un
droit de surveillance, peut critiquer les mesures d'éducation prises parle
gardien. En cas de conflit, c'est le tribunal qui départagera les anciens
époux, déterminera, par exemple, s'ils sont en discussion sur le choix d'un
établissement d'instruction, quel est celui qui devra être choisi. Bien en-
tendu, si le père et la mère sont d'accord sur cet établissement, le tribunal
n'aurait pas le droit, sans commettre un excès de pouvoir, d'en désigner
un autre (Civ., 6 février 1865, D. P. 63.1.218, S. 63.1.58).
Ce sera d'ailleurs toujours le même tribunal qui sera compétent pour
régler toutes les difficultés que pourra soulever l'éducation des enfants, à
savoir, le tribunal qui aura prononcé le divorce ou la séparation, et cela,
quel que soit le domicile actuel des père et mère. Si c'est la Cour qui a
rendu la décision définitive, on devra s'adresser à elle, sans avoir à provo-
quer la décision des juges du premier (V. cep., 26 juillet 1884,
degré Nancy,
D. P. 86.2.83).
B. — La loi n'a pas parlé du droit de correction. Bien ce point soit
que
sujet à controverse, il semble certain ce droit est le corollaire de la
que
garde des enfants et qu'il doit recevoir la même attribution. Il n'y a dé
difficulté sérieuse que si la garde de l'enfant est retirée aux deux pa-
rents et confiée à une tierce Celle-ci ne peut
personne. évidemment pré-
tendre au droit de correction Et comme, d'un on
paternelle. autre côté,
ne saurait l'attribuer ni au père, ni à la mère
qui ont été, en somme, ju-
gés indignes du droit de garde, la solution la meilleure est de décider
que le droit de correction ne pourra pas s'exercer, sauf si l'enfant tombe
sous le coup des lois du 21 juin 1904 et du 11 avril 1908, dont il a été parlé
plus haut.
C. — Le droit de jouissance
légale est, nous l'avons vu, enlevé à l'époux
contre lequel le divorce est prononcé
(art. 386). Bien que le texte n'en dise
on doit décider à l'autre
qu'il passe En cas de séparation,
rien, époux.
PUISSANCE PATERNELLE 463

l'article étant muet, il faut en conclure que le père même conserve


coupable
cet usufruit, à charge bien entendu de le consacrer tout d'abord à l'en-
tretien et. à l'éducation des enfants. Mais, en cas de conversion de la sépara-
tion de corps en divorce, la jouissance lui sera enlevée être transférée
pour
à la mère innocente, à la suite de la transcription du jugement de con-
version.
D. — C'était surtout en ce qui concerne
l' administration légale des biens
de l'enfant que, sous l'empire du Code civil les effets du divorce
primitif,
et de la séparation étaient le plus difficiles à déterminer, la loi ayant gardé
le silence sur cet attribut de la puissance paternelle. Un seul était à
point
peu près hors de controverse, à savoir qu'il convenait aux biens
d'appliquer
le régime de l'administration légale et non celui de la En effet,
tutelle,.
puisque les parents sont encore vivants l'un et l'autre et que, dès lors, les
enfants n'ont pas encore, en général, de patrimoine personnel, il n'y a pas
besoin des garanties supplémentaires de la tutelle. Mais, sur le point de
savoir à qui l'administration légale devait être attribuée, il y avait la plus
grande divergence d'opinions. L'administration devait-elle accompagner le
droit de garde ou l'usufruit légal, ou devait-elle rester à celui des époux
qui l'exerçait avant le divorce oula séparation ? Tous ces systèmes avaient
leurs partisans (V. notes de MM. de Loynes, D. P. 1907.2.313 et Hitier,
D. P. 97-2.297). Ces controverses n'ont plus aujourd'hui qu'un intérêt his-
torique. La loi du 6 avril 1910, modifiant l'article 389 du Code civil relatif
à l'administration légale, a tranché la question d'une manière que nous
croyons très heureuse, en
déférant, en somme, au tribunal le soin d'attri-
buer l'administration légale au mieux des intérêts de l'enfant. En effet, le
paragraphe 3 de l'article 389 nouveau porte qu' « en cas de divorce ou de
séparation de corps, l'administration appartient à celui des deux époux
auquel est confiée la garde de l'enfant, s'il n'en est autrement ordonné ».
Ainsi, en principe, l'administration accompagne le droit de garde. Mais,
comme l'avait fait judicieusement observer le rapporteur devant le Sénat,
M. Legrand, il se peut que cette attribution soit fâcheuse en fait, car tel

époux de conduite irréprochable et auquel on a, dès lors, confié la garde


de l'enfant, peut avoir, comme administrateur, une expérience et des quali-
tés inférieures à celles de l'autre conjoint. Parfois même l'attribution est

impossible ; c'est ce qui a lieu lorsque l'époux investi de la garde de l'en-


fant tombe sous le coup d'une des causes de déchéance de l'administration
la loi de 1910, par exemple, s'il est pourvu d'un conseil
légale prévues par
judiciaire. Ce sera donc, dans ces divers cas, le tribunal qui prononcera,
comme aussi, croyons-nous, dans l'hypothèse où la garde de l'enfant n'au-
rait été confiée ni au père ni à la mère, mais à une tierce personne.
L'attribution de l'administration des biens a toujours d'ailleurs un carac-
tère Elle indépendamment même des changements
provisoire. peut changer
qui seraient à la garde de l'enfant. L'article 389 nouveau dispose
apportés
en effet « l'administration être retirée, pour cause grave.
(9e al.) que peut
par le tribunal, à la requête de celui des père et mère qui n'en est pas
d'un ou allié de l'enfant, ou du ministère public ».
investi, parent
464 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

— Déchéance et transfert de la puissance paternelle.


§2.

La puissance paternelle, comme tout pouvoir confié à des mains hu-


maines, peut être exercée abusivement. Nous avons vu pour quelles raisons

économiques et morales ces abus ont été fréquents au cours du XIX° siècle
et se multiplient encore de nos jours. La Société ne peut rester indifférente
devant des faits révoltants ; elle a le devoir d'intervenir. puissanceLa sur
l'enfant doit être enlevée auxparents indignes de la conserver ou inaptes
à l'exercer utilement, et confiée soit à d'autres membres de la famille, soit

si, comme cela est trop fréquent, la famille est tout entière peu digne de
confiance, à des étrangers. L'initiative privée peut ici rendre de grands
services, en créant des établissements philanthropiques dirigés par des
personnes charitables et désintéressées (elles sont nombreuses dans notre
société française). La sollicitude de ces personnes envers les enfants qui
leur seront confiés par l'Administration ou par la Justice s'exercera sou-
vent d' une manière plus efficace que celle des fonctionnaires. En tout cas,
c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient essentiellement de présider au
dessaisissement volontaire ou forcé des parents enclins au mal ou impuis-
sants pour le bien. On va voir par quelle longue période de tâtonnements
ont passé notre loi et notre Jurisprudence avant de s'adapter, en cette ma-
tière, à des besoins sociaux trop évidents, lesquels, à l'heure actuelle, sont
loin d'ailleurs de recevoir encore une complète satisfaction.
Nous distinguerons à cet égard plusieurs phases successives.;

I. — De 1804 à 1889. — Alors la tradition séculaire de notre


que
Ancien Droit était de faire du pouvoir judiciaire le protecteur supérieur
de tous les
incapables et, dès lors, de lui reconnaître un droit de contrôle
sur l'exercice de la puissance paternelle, le Code civil ne semble avoir rien
prévu à cet égard. Il n'organise aucun procédé de déchéance contre les
parents indignes, bien que, par un contraste singulier, il vise plusieurs
hypothèses de destitution des tuteurs. Ce n'est que dans le cas de divorce
ou de séparation decorps, examiné plus haut, que l'action des tribunaux
est prévue et réglée, soit pour déterminer l'attribution de la puissance
paternelle, soit pour départager les père et mère entre son exer-
lesquels
cice donne lieu à des conflits. Il avait là une lacune évidente.
y Voyons
comment la Jurisprudence et la loi s'efforcèrent de la combler.
1° La Jurisprudence ne tarda à d'une un
pas reprendre, façon peut-être
peu trop hardie, mais avec générosité les et humanité, traditions de l'An-
cien Droit français. Au cas où le père tait subir de mauvais traitements à
enfants, dans le cas aussi où, par sa conduite, il offre un
ses spectacle
offensant pour les moeurs, nombreuses sont les décisions du
judiciaires
siècle dernier dans
lesquelles nous nos tribunaux admettre
voyons qu'ils
peuvent être valablement saisis, soit par la mère, soit par les grands-pa-
rents, de demandes tendant à faire retirer au père la garde des
indigne
enfants. D'une façon générale, les juges se déclarent « chargés de prévenir
PUISSANCE PATERNELLE 465

et réprimer les excès de la puissance paternelle, toutes les fois que Tinté-
rêt matériel ou moral de l'enfant le réclame ». on En les voit con-
pratique,
fier la garde des enfants à la mère séparée de fait d'avec son l'enle-
mari,
ver à l'auteur survivant qui se remarie ou encourt la destitution de la tu-
telle, parfois même, la retirer aux deux époux durant le mariage la
pour
confier aux grands-parents. En somme, on peut dire la Jurisprudence
que
avait, de toutes pièces et en dehors d'aucun texte, sans autre justification
que la tradition historique et l'utilité sociale, institué une faculté de dé-
chéance partielle de la puissance paternelle, portant sur son attribut essen-
tiel et primordial, le droit de garde et d'éducation.
2° Quant à la loi, elle avait, pour certains cas, la déchéance de
organisé
la puissance paternelle. Et, de plus, elle avait, bien d'ail-
imparfaitement
leurs, ébauché la possibilité d'une sorte de délégation de cette même puis-
sance.
A. — La déchéance est des
prononcée par textes de caractère pénal, soit
en cas d'infraction commise par l'enfant, soit en cas d'infraction commise
par lesparents.
a) En cas d'infraction commise par un de
enfant n'ayant pas atteint l'âge
la majorité pénale, c'est-à-dire seize ans (dix-huit ans depuis la loi du
12 avril 1906), l'article 66 du Code pénal dispose que le juge doit toujours
se poser la question préjudicielle de savoir si l'enfant a ou non avec
agi
discernement. La réponse à cette question est-elle négative, le tribunal
répressif doit acquitter l'enfant, ne pasmais il peut à sa famille ; le rendre
il s'il le juge, à propos, de l'envoyer en correction une
a le droit, pendant
période déterminée par sa décision et qui peut se prolonger jusqu'à sa

vingt-et-unième année. Cette mesure n'est pas une peine, c'est en somme
la mainmise de l'autorité publique sur l'attribut le plus essentiel de la
puissance paternelle, la garde de l'enfant, laquelle, depuis la loi du 5 août
1850, doit être assurée dans des colonies pénitentiaires. Ces colonies étant
d'ailleurs en nombre limité, l'habitude s'est répandue, depuis 1850, que
l'administration pénitentiaire se dessaisisse de son droit de garde sur l'en-
fant qui lui a été remis, en faveur d'une société privée de patronage. Tel a
été le régime fonctionnant, pour la généralité des enfants délinquants,
jusqu'à la loi du 22 juillet 1912, dont il sera parlé plus loin.
b) En cas d'infraction commise par les parents, plusieurs textes doivent
être signalés.
a) D'abord légale, peine accessoire des peines afflictives et
l'interdiction
infamantes (art. 7 et 29, C. P.), sans faire perdre au condamné la puissance
paternelle, en suspend l'exercice pendant la durée de sa détention, comme
celui de tous les autres droits. Cette suspension porte naturellement sur la
totalité de la puissance paternelle.
P) En vertu de l'article 335, alinéa 2, du Code pénal, le père condamné
pour avoir excité, favorisé ou facilité la prostitution ou la corruption de son

enfant, est déclaré déchu des droits énumérés au titre de la Puissance

paternelle sur la personne de cet enfant. Cette disposition présentait une


double lacune : d'une part, le père indigne conservait son autorité sur les
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
466

autres enfants s'il en avait ; d'autre part, même en ce qui concernait sa vic-

il restait investi (les textes de droit pénal devant être interprétés


time,
d'une manière étroite) de tous les droits se rattachant à la puissance pater-
nelle sans être énumérés au titre du Code civil désigné par cette rubrique,
du droit de consentir au mariage de l'enfant mineur.
par exemple,
1874 vise les et mère livrent leur
y) La loi du 7 décembre père qui enfant
de seize ans à des individus les professions
âgé de moins exerçant d'acrobate,
charlatan, montreur d'animaux ou directeur de cirque (art. 2),
saltimbanque,
et ceux les emploient à la mendicité habituelle ou les livrent à des pro-
qui
fessionnels de la mendicité (art. 3). Ces parents encourent une déchéance
de la puissance paternelle qui diffère de celle de l'article 335 du Code pénal
à trois points de vue : en ce
qu'elle est facultative pour le tribunal et non
— en ce qu'elle sur tous les attributs, soient,
légale, porte quels qu'ils de la
— enfin, en ce qu'elle s'étend à la personne de tous
puissance paternelle,
les enfants.
B. — A côte de ces déchéances prononcées pour des hypothèses, d'ailleurs
beaucoup trop fragmentaires, d'indignité des parents, il eût été nécessaire
de s'occuper des parents impuissants à faire servir leur autorité à l'accom-

plissement de leurs devoirs envers leurs enfants. La loi et la pratique admi-


nistrative avaient institué des mesures de protection au profit de deux

catégories d'enfants victimes de cet état de choses.


a) La catégorie des enfants dits assistés comprenait les enfants trouvés et
les enfants abandonnés ; trouvés, c'est-a-dire délaissés par leurs parents
au moment de leur naissance ; abandonnés, c'est-à-dire délaissés posté-
rieurement, les uns et les autres offrant ce trait commun que leurs parents
sont inconnus. La loi du 15 pluviôse an XIII, aujourd'hui abrogée par la
loi du 27 juin 1904 sur les enfants assistés, plaçait les enfants assistés sous
la tutelle des commissions administratives des hospices. A Paris, depuis
la création d'un directeur de l'Assistance publique par la loi du 10 janvier
1849, c'est ce directeur qui exerce les fonctions de tuteur des enfants
assistés. Il n'y avait pas là, à proprement parler, de déchéance même par-
tielle de la puissance paternelle. Si les parents de l'enfant trouvé ou aban-
donné venaient à +se faire connaître, ils avaient le droit de réclamer leur
enfant. Il est vrai que le décret du 19 janvier 1811 semblait un
apporter
obstacle pratique à cette revendication, en décidant l'enfant ne serait
que
restitué aux parents qu'après
qu'ils auraient remboursé les dépenses faites
pour eux par l'administration.Mais il n'y avait là qu'une restriction illu-
soire ; il avait été jugé avec raison que, si les parents, hors d'état
quoique
de payer l'Administration de ses débours, insistaient néanmoins pour
réclamer l'enfant, il devait leur être donné la puissance
satisfaction, pater-
nelle ne pouvant être entravée dans son exercice par les dispositions d'un
simple décret.

b) A côté des enfants assisté, on avait ensuite distingué la catégorie des


enfants dits moralement abandonnés. On là les enfants
désignait par qui
sont délaissés par leurs parents, faute ceux-ci de pouvoir les élever et
par
les nourrir, mais qui ne répondent pas à la ^définition des enfants
légale
PUISSANCE MATERNELLE 467

abandonnés, parce que leurs parents ne sont pas inconnus. Rentraient dans
le même groupe les enfants arrêtés pour mendicité ou Des
vagabondage.
sociétés de bienfaisance s'occupaient déjà, depuis longtemps, des enfants
placés dans ces diverses situations en 1881,
lorsque, l'Administration de
l'Assistance publique institua, à Paris, un service des enfants moralement
abandonnés. Ce service le placement
pratiquait largement des enfants qu'il
recueillait. Mais, naturellement, les parents conservaient toujours le droit
de les reprendre à leur gré : on ne pouvait même faute
essayer, d'un texte
analogue au Décret du 19 janvier 1811, à leur revendication
d'opposer
cette fin de non-recevoir, fondée sur le défaut de remboursement des frais,
qui pouvait parfois faire hésiter, tant qu'ils n'étaient éclairés sur
pas
l'étendue de leurs droits, les parents des enfants dits assistés.

II. — Loi du 24 1889


juillet complétée par la loi du 15 no-
vembre 1921. — La nous venons
législation que d'exposer présentait
des lacunes frappantes. Les cas de déchéance de la puissance paternelle
étaient trop rares ; ils
offraient toujours un caractère et supposaient,
pénal
dès lors, la mise en mouvement de poursuites contre les parents ou contre
l'enfant. La loi n'admettait pas la validité des contrats de dessaisissement
que les parents, impuissants à élever leurs enfants, auraient pu souscrire en
faveur des sociétés de patronage ou des particuliers charitables auxquels ils
les auraient confiés. Quand le fait se produisait, les parents ne manquaient
pas de réclamer l'enfant à l'âge où ils estimaient qu'il pouvait leur rapporter
quelques subsides par son travail ou, trop souvent aussi, par ses vices. Le
législateur s'émut enfin de cet état de choses. Il crut remédier à tous les
abus par la loi du 24 juillet 1889, sur la protection des enfants maltraités ou
moralement abandonnés, véritable Code de la déchéance paternelle, sur
ses rédacteurs fondaient les bien incom -
lequel plus grandes espérances,
plètement réalisées depuis !
Cette loi contient deux titres, le premier sur la déchéance, le second sur
le dessaisissement volontaire de la puissance paternelle.
1° Le premier titre, reprenant toutes les dispositions éparses des lois anté-
rieures, ajoutant de nouveaux cas de déchéance, et donnant, en tous cas, à
cette déchéance une portée plus large et plus générale, organise deux séries
de déchéances, les unes obligatoires, les autres facultatives.
La déchéance est obligatoire, c'est-à dire découle, de plein droit, de la
condamnation pénale prononcée contre les
parents, dans un certain nombre

d'hypothèses énumérées
par l'article 1er de la loi : ce sont, d'une façon gé-
nérale, les attentats commis contre la personne ou la moralité de l'enfant ;
la loi considère avec raison comme rentrant dans cet ordre de prévisions
les condamnations prononcées contre les parents comme co-auteurs ou

complices de crimes commis par leurs enfants. On


remarquera que ces
déchéances obligatoires atteignent aussi, le cas échéant, les ascendants,
lesquels cependant n'ont jamais la puissance paternelle ; ce dont la loi en-
tend les priver, c'est des droits analogues à ceux de la puissance paternelle
(consentir au mariage de l'enfant, accepter pour lui une donation) dont
nous avons vu qu'ils sont parfois investis.
I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
468 LIVRE

La déchéance est c'est-à-dire qu'elle est laissée à l'apprécia-


facultative,
tion du tribunal, dans un grand nombre d'hypothèses visées par 1 article 2

de la loi. Ce sont les cas de condamnation grave encourue par les parents,
des infractions à l'égard des tiers ou à l'égard de l'enfant, mais d'une
pour
nature telle ne les rend pas a priori indignes de la puissance pater-
qu'elle
nelle. Ce sont, en outre, aux termes du 6° de l'article 2, les cas & inconduite
notoire et scandaleuse, d'ivrognerie habituelle ou de mauvais traitements,
c'est-à-dire des où aucune condamnation pénale n'est prononcée,
hypothèses
mais où le père est jugé inapte à s'acquitter convenablement de son devoir.

La déchéance est tantôt par le tribunal répressif, comme acces-


prononcée
soire ou facultatif d'une condamnation pénale qu'il édicté
obligatoire
contre le père ou contre l'enfant, tantôt par la Chambre du Conseil du tri-

bunal civil statuant au principal, à la requête d'un parent quelconque du

mineur, degré germain, ou du


de cousin public, et sans ministère
jusqu'au
besoin du ministère d'un avoué (V. Civ., 5 mai 1902,
qu'il y ait, en général,
avec concl. de M. le procureur général Baudouin, D. P. 1902.1.209, S. 1904.
1.41. — Cf. note de M. de D. P. 1902.2.437).
Loynes,
La déchéance est générale à deux points de vue. D'abord, elle porte non
seulement sur les droits énumérés au titre de Ja Puissance paternelle, mais

sur tout l'ensemble des droits accessoires éparpillés dans le Code ou dans
les lois
spéciales et se rattachant à l'autorité parentale, ainsi que sur l'apti-
tude à être tuteur, subrogé-tuteur, curateur ou membre d'un conseil de
famille. Elle ne laisse subsister que l'obligation de l'article 371, l'obligation
alimentaire et le droit de successibilité réciproque, effets d'ailleurs de la
filiation et non de la puissance paternelle. En second lieu, la déchéance

porte sur tous les enfants.


Pour organiser la garde de l'enfant et la défense de ses intérêts, l'article 9
de la loi donne au tribunal un véritable pouvoir discrétionnaire. Il peut attri-
buer l'enfanta la mère ou à un tuteur, lequel
pourra être un autre parent
ou un
particulier charitable (art. 13). Enfin, si le tribunal le juge préférable,
il attribuera la tutelle à l'Administration de l'Assistance publique, laquelle,
de son côté, peut confier l'enfant à une société ou à un particulier.
Ajoutons que la déchéance, une fois prononcée, n'est pas irrémédiable
(art. 15). Les père et mère qui l'ont encourue à la suite d'une condamna-
tion pénale, peuvent demander que la puissance paternelle leur soit resti-
tuée, après qu'ils ont obtenu leur réhabilitation. Dans le cas où ils ont été

frappés de déchéance sans avoir subi de condamnation pénale, ils peuvent


introduire, dans les formes indiquées à l'article 16, une demande en restitu-
tion, trois ans après le jour où le jugement qui a prononcé leur déchéance
est devenu irrévocable.
Cette première partie de la loi a réalisé d'incontestables progrès. Mais,
dans l'application, elle a donné lieu à deux critiques:
A) La loi prononce ou permet de prononcer la déchéance des droits atta-
chés à la puissance paternelle, en bloc ou d'une manière indivisible, et sur
la personne de tous les entants. Elle ne parle pas de déchéance partielle.
C'est là une lacune, car, le plus souvent, ce seulement
qu'il importerait
PUISSANCE PATERNELLE 469

d'enlever aux parents, c'est le droit


garde. Pour deremédier à ces défauts,
une nouvelle loi du 15 novembre 1 921 a assoupli les règles de la déchéance
facultative, sans rien changer a l'article 1er qui vise la déchéance obliga-
toire, conséquence forcée de certaines condamnations.
Pour la déchéance facultative prévue par l'article 2, elle a réalisé deux
importantes innovations:
D'abord, elle autorise le juge à prononcer soit la déchéance totale à
l'égard de tous les enfants, ou seulement à l'égard d'un ou de quelques-uns,
soit simplement le retrait partiel de certains droits, notamment du droit de
garde. Le juge peut donc maintenant proportionner le remède au mal en
adoptant les mesures les
plus conformes à l'intérêt de l'enfant.
D'autre part, elle a étendu les cas prévus par l'art. 2 et donné au tribu-
nal le droit de prononcer la déchéance, en dehors de toute condamnation,
contre les père et mère qui compromettent par de mauvais traitements, par
des exemples pernicieux d'ivrognerie habituelle ou d'inconduite notoire,
par un défaut de soins ou un manque de direction nécessaire, soit la santé,
soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants ou de l'un ou de plusieurs
de ces derniers. Ces mots défaut desoins, manque de direction néces-
saire, élargissent considérablement les pouvoirs du juge.
B) Il est très rare que les membres de la famille, ou même le ministère

prennent l'initiative de faire prononcer la déchéance par le tribunal


public,
civil, sans qu'il y ait lieu à poursuite pénale, dans les
hypothèses prévues
par l'article 2 6° de la loi, c'est à-dire là ou son application serait peut-être
le plus utile. Gela tient à la gravité même des sanctions prononcées parla
loi. On. hésite à prononcer la déchéance de ses droits de père contre un
mais n'a com-
homme qui est peut-être ivrogne ou violent, qui, après tout,
mis aucun délit punissable 1.
Le titre II de la loi de 1889, corrigé parla loi du 5 août 1916
partiellement
du du mineur, c'est-à dire
qui en a modifié l'article 20, s'occupe placement
du dessaisissement de la paternelle et du transfert du droit de
puissance
à d'autres les lorsque ceux-ci se montrent non indignes,
garde que parents,
mais hors d'état de l'exercer. Ce dessaisissement ne présente pas un ca-
ractère contractuel dans certains pays, tels que l'État de New-York,
(comme
admettent la validité des conventions de ce genre!, mais un caractère
qui
car il s'effectue le ministère du tribunal siégeant en Chambre
judiciaire, par
du Conseil, sur leur requête, les droits de puissance pater-
lequel délègue,
nelle abandonnée les à l'Assistance représentée, à
par parents publique,
son en les des enfants assis-
Paris, par directeur, province, par inspecteurs
1. Statistique des jugements prononçant la déchéance facultative de la puissance
paternelle.
Années
1895 1181
1900 747
1910. 684
1913 827
1920 804
1921 ......... 795
1922 796
1923 784
470 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

tés (art. 17,24). Ceux-ci peuvent, à leur tour, remettre l'exercice de la puis-
sance paternelle à des
particuliers jouissant de leurs droits civils ou à des
établissements autorisés à cet effet, lesquels sont placés sous le contrôle des
préfets, et peuvent se voir dessaisis à leur requête, si l'intérêt de l'enfant
l'exige (art. 22, 23). L'abandon de leurs droits par les parents peut être
exprès ou tacite ; dans ce dernier cas, il résulte du silence gardé pendant trois
mois par les parents de l'enfant abandonné qui a été (art. recueilli
20). Bien
plus (art. 20, 3e alinéa, ajouté par la loi du 5 août 1916), la personne qui a
recueilli l'enfant peut, si les parents le réclament avant l'expiration du délai
de trois mois, se faire maintenir la garde par le tribunal, sauf à régler le
droit de visite des parents, en établissant que ceux-ci se sont depuis long-
temps complètement désintéressés de l'enfant. En dehors de ce cas, la loi
permet la reprise de l'enfant par les parents (art. 21), mais cette reprise est
soumise à des conditions rigoureuses et doit être autorisée par le tribunal
qui peut la refuser, ou même, le cas échéant,
prononcer la déchéance de la
puissance paternelle. Quant aux droits délégués sur l'enfant, ils consistent
(art. 17 et 20) dans la totalité ou dans une partie de la puissance paternelle.
Cette seconde partie de la loi de 1889 peut être considérée comme encore
moins bien venue que la première. Il semble qu'elle ait été très peu utili-
sée en fait et qu'elle ne soit pas entrée dans nos moeurs. La faute en est
peut-être au caractère judiciaire du dessaisissement et aux formalités qui
l'accompagnent. Cette intervention de la justice effraie les parents, parce
qu'elle donne une couleur fâcheuse au transport de leurs droits sur la per-
sonne de l'enfant.

III. — Autres lois. — antérieurement à la réforme du 15 novembre 1921


qui a assoupli le régime de la déchéance de la puissance paternelle, plu-
sieurs lois en avaient déjà corrigé la rigueur en vue de situations parti-
culières.
Ces lois, qui n'ont pas été abrogées par celle du 15 novembre 1921, sont
les suivantes :

1° Loi du 19 avril 1898, sur la des attentats commis


répression
envers les enfants. — Cette loi et absorbe en partie,
corrige sans cepen-
dant l'abroger, la loi de 1889. Elle au d'instruction ou aux tri-
permet juge
bunaux de transférer la
garde de l'enfant dans des cas ne
qui, lorsqu'ils
supposent pas une condamnation des parents, dénotent, de leur part, une .
négligence dans l'accomplissement de leurs les rend
devoirs, qui indignes
de leur autorité. Il en est ainsi :
A) En cas de crime ou de délits commis contre soit ses
l'enfant, par pa-
rents, soit même par un tiers.
B) En cas de crime ou de délits commis par l'enfant.
L'attribution peut se faire provisoirement, en vertu de l'article 4, par les
soins du juge d'instruction : sauf au tribunal ou à la cour saisi du crime
ou du délit poursuivi, à statuer définitivement ensuite Cette attri-
(art 5).
bution est faite au profit d'un d'une ou d'une institution
parent, personne
charitable, ou enfin, de l'Assistance publique.
PUISSANCE PATERNELLE 471

Le système de cette loi est, en somme, à celui de l'article 66 du


analogue
Code pénal, avec cette différence
que l'enfant, le tribunal
que répressif
n'estime pas pouvoir être restitué à ses parants, au lieu d'être en
envoyé
correction, est remis en garde à une personne ou à un établissement. La
comparaison de ce système avec celui de la loi 1889 fait ressortir les diffé-
rences suivantes :
A. — Les cas où le transfert peut être ne sont
prononcé pas les mêmes.
Il y a des hypothèses où les deux lois se rencontrent, par exemple, lorsqu'il
s'agit de crimes commis contre l'enfant par dans bien des
les parents. Mais,
hypothèses, où la loi de 1889 ne prononce pas la déchéance (par exemple,
crime ou délits commis contre l'enfant par un tiers, crimes ou délits com-
l'enfant sans que les parents soient complices), la loi de 1898 permet
mis par
à la justice de leur retirer la garde. En revanche, il y a des cas visés par la
loi de 1889, notamment ceux que tranche le tribunal civil saisi par voie d'ac-
tion principale, en vertu de l'article 2-6°, qui restent en dehors des dispo-
sitions de la loi de 1898, consacrées exclusivement aux hypothèses où in-
intervient une juridiction répressive. Il faut donc décider que la loi de 1889
reste en vigueur parallèlement à la loi de 1898 pour toutes les hypothèses
que la loi de 1898
n'a pas prévues cumulativement avec elle (Trib. civ.
Béziers, 2 août 1902, D. P. 1904.2.185).
B. — Une innovation remarquable de la loi de 1898 consiste dans le pou-
voir qu'elle a donné au juge d'instruction de statuer provisoirement sur la
garde de l'enfant. Cette règle nouvelle a été la généralisation d'une pra-
tique suivie depuis quelques années parles juges d'instruction de la Seine
et qui consistait, de leur part, à envoyer les jeunes prévenus, comparais-
sant devant eux, dans les quartiers dit d'observation de l'hospice de la rue
Denfert-Rochereau. Cette pratique était présentée plus ou moins correcte-
ment comme une application du droit appartenant aux juges d'instruction
d'accorder ou de refuser la mise en liberté provisoire des prévenus. La
loi nouvelle l'a régularisée. En fait, il paraît que, depuis 1898, les juges
d'instruction ont usé assez peu de la faculté qui leur est accordée, au
moins dans le ressort de Paris. Cela tient à ce que les magistrats instruc-
teurs, lorsqu'ils ont à procéder contre un mineur, évitent, autant que pos-
sible, de le renvoyer devant le tribunal correctionnel et prononcent le

plus souvent un non-lieu. Or, l'effet de cette décision est de faire tomber
l'ordonnance antérieure qu'ils auraient rendue pour attribuer la garde de
l'enfant, parce que l'article 4 de la loi ne leur donne le droit de prononcer
cette attribution que pour l'enfant auteur d'un délit. Or celui-ci ne peut
plus être considéré comme tel lorsqu'il a fait l'objet d'un non lieu.
C. — L'enfant peut être remis directement par le juge ou le tribunal à
un parent, une personne, une société, un établissement charitable public
ou privé, tandis qu'en vertu de 1889, de la loi
c'est toujours le représen-
tant de l'Assistance publique ou la personne désignée comme tuteur de
l'enfant qui est investi du droit de garde ; les établissements charitables
ne peuvent recevoir que l'exercice de ce droit en vertu d'une délégation
qui leur est faite par le tuteur.
472 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

D. — La déchéance organisée par la


que partielle loi au de 1898 n'est

lieu d'être totale celle


et indivisible de la loi de 1889 ; elle ne porte
comme
sur le droit de garde. C'est ce droit seulement qui est transféré à la
que
ou à l'établissement désigné. Il n'est même pas accompagné du
personne
droit de correction, sauf, comme on l'a vu plus haut, et en vertu delà
loi postérieure du 27 juin 1901, lorsque l'enfant est remis à l'Assistance

publique.

2° Loi du 28 juin 1904 sur la protection des pupilles de l'As-


sistance — Cette loi, de caractère administratif autant
publique. que
civil modifiée depuis, sur des points de détail, par les lois du 22 avril

1903, art. 44, du 18 décembre 1906, du13 juillet 1911 et du 19 mars


1917, vise laprotection des pupilles de l'Assistance. Des catégories nom-
breuses d'enfants, dont elle fixe la nomenclature, se trouvent confiées à
l'Assistance. On
peut les diviser en deux groupes : 1° Ceux du premier
groupe, enfants secourus et en dépôt, enfants en garde, sont sous la pro-
tection de l'administration, mais demeurent sous la puissance paternelle
de leurs père et mère; 2° Ceux du second groupe, enfants trouvés, aban-

donnés, orphelins pauvres, enfants maltraités, délaissés, ou moralement


abandonnés sont placés sous la tutelle de l'administration qui exerce sur
eux tout ou partie des droits de la puissance paternelle. Ils sont dits

pupilles de l'Assistance.

Dorénavant, le tuteur des pupilles de l'Assistance est, pour les départe-


ments, le préfet, qui exerce cette fonction, par son délégué, l'inspecteur
des enfants assistés, et, à Paris, le directeur de l'Assistance publique. Le

préfet est assisté d'un conseil de famille, qu'il vaudrait mieux d'ailleurs

appeler conseil de tutelle, formé par une commission de sept membres


nommés tous les quatre ans par le conseil général. Le tuteur ne s'occupe
que de la personne du mineur. Pour ses biens, s'il en a, la gestion est con-
fiée au trésorier-payeur général. L'usufruit des .biens, jusqu'à dix-huit
ans, appartient au département pour le couvrir de ses dépenses d'entrefieD
(art. 16).
En ce qui concerne les pupilles de l'Assistance, la déchéance ou le des-
saisissement de la puissance paternelle, ainsi que le
transport des droits qui
la composent, sont à peu près complets (V. notamment art. 13), puisqu'ils
portent notamment sur le droit de correction, comme on l'a vu plus haut,
et sur l'administration légale et le droit de jouissance. La loi organise aussi
la remise de l'enfant aux parents qui le demandent. « L'enfant réclamé
par ses parents, dit l'article 17, peut leur être remis si le tuteur estime,
après l'avis du conseil de famille, que la remise est dans l'intérêt de l'enfant ».
Par une innovation remarquable, la loi autorise le. tuteur, sans qu'il y ait
remise de la puissance paternelle aux parents, à le confier aux parents eux-
mêmes, après avis du conseil de famille. Elle organise même des
remises
d'essai, pendant une durée d'un an, lesquelles peuvent se transformer en
remise définitive. La loi du 5 août 1916, insérée dans l'article 20 de la loi
PUISSANCE PATERNELLE 473

du juillet 1889 (alinéa 3) a décidé


24 que, lorsque par l'intervention du
père, mère, du tuteur, ou par décision de justice,
de la l'enfant aura été
confié à l'Assistance encore à une
publique (ou association de bienfaisance
ou à un particulier), si la famille réclame le tiers
l'enfant, qui en a la
garde pourra, en établissant que le réclamant s'est depuis longtemps com-
plètement désintéressé de l'enfant, se faire maintenir la garde, sauf, s'il y
a à déterminer les conditions dans le réclamant
lieu, lesquelles pourra
voir l'enfant.

3° Loi du 11 avril 1908 concernant la prostitution des mineurs.


— Cette loi que nous avonsdéjà eu à signaler, organise, nous l'avons vu,
le transport du droit de garde de l'enfant de telle ce transport
façon que
présente un caractère mixte en ce qu'il constitue un véritable procédé de
correction prolongée. Nous ne reviendrons pas sur ce point.

Loi du 22 juillet 1912, sur les tribunaux d'enfants. — si


4° Déjà
exiraordinairement touffue, cette a été encore
législation compliquée par
la loi dite sur les tribunaux
d'enfants, visant les crimes, délits ou contra-
ventions commis par les mineurs et, à cette occasion, les mesures à prendre
pour remédier aux lacunes de l'éducation le mineur
reçue par délinquant.
Cette loi, complétée par la Loi du 22 février divise en deux la
1921, périodes
minorité pénale (au-dessous de dix-huit Pour les mineurs de treize
ans) à
dix-huit ans, il est décidé que leurs crimes et délits en principe,
seront,
jugés par le tribunal correctionnel formé en tribunal dit en-
spécial, pour
fants et adolescents 15 à 19). Pour
(art. les mineurs de moins de treize ans,
lorsqu'il leur est imputé une infraction, qualifiée crime ou délit, ou
lorsqu'ils ont commis une simple contravention mais avec récidive art. 1
et ils ne sont déférés à une mais au tri-
14, pas juridiction répressive,
bunal civil statuant en chambre du et celui-ci ne
conseil, peut pas leur
appliquer de peine, mais seulement prendre à leur égard « des mesures
de tutelle, de surveillance, d'éducation, de réforme et d'assistance ». Ces
mesures emportent déchéance de la puissance paternelle ou de la tutelle
en ce qui concerne le droit de et d'éducation. Elles entraînent des
garde
modifications importantes à l'article 66 du Code pénal, à la loi de 1889, à
l'article 4 de la loi du 19 avril. 1898, qui n'est plus applicable que lorsqu'il
s'agit de crimes ou délits commis sur des enfants 1.

1. D'après la loi du 22 juillet 1912, il y a lieu de distinguer deux hypothèses :


A. — Le mineur délinquant a moins de treize Alors les mesures relatives à
sa garde ans.
et à son éducation sont prises soit par le juge d'instruction, soit par la
chambre du conseil du tribunal civil.
a) Le juge d'instruction (désigné spécialement pour les enfants et adolescents)
peut confier l'enfant provisoirement une personne digne de confiance, aune ins-
à
titution charitable reconnue d'utilité publique ou désignée par arrêté préfectoral, ou
à l'Assistance publique (art. 3).
6) La chambre du conseil (art.6), si la prévention est établie, peut choisir entre
les trois partis suivants :
a) Remise de l'enfanta sa famille.
P) Placement de l'enfant jusqu'à sa majorité, soit chez une personne digne de con-

DROIT, — Tome I. 31
— T1T.RE III. — PREMIÈRE PARTIE
474 LIVRE I.

1928 sur le délit d'abandon


des 7 février 1924 et 3 avril
5° Loi
de ce chef pour s'être abs-
famille. - Le et la mère, condamnés
de père delà
de trois mois de payer les termes
tenus volontairement pendant plus
(art. être
alimentaire qu'ils devaient à leurs enfants, peuvent
pension 1er)
déchus de la puissance paternelle.

les textes sur la protection de l'enfance, dont on a


Il serait à désirer que
aurons à en citer encore d'autres
le nombre et la complexité (nous
pu juger
soit des enfants naturels), soient fondus, codi-
en traitant, soit de la tutelle,
autrement, de devenir presque inextri-
fiés. Leur ensemble risquerait,
des se dégagent de cette production légis-
cable. Déjà principes généraux
exubérante. L'un des plus manifestes et, croyons-nous,
lative quelque peu
est le caractère d'organe de haute protection pour
des moins discutables,
statuant le plus souvent par l'entremise de
les mineurs attribué a la justice,
du tribunal. On ne peut à cette tendance
la chambre du conseil qu'applaudir
car elle rattache les réformes contem-
qui est novatrice qu'en apparence,
traditions indiscutables de notre ancien Droit.
poraines aux les plus
soit dans un établissement d'anormaux, soit
fiance, soit dans un asile ou internat,
dans une institution charitable.
Y) Remise à l'Assistance publique.
l'enfant a été enlevé à sa famille, les parents ou tuteurs ont le droit, au
Lorsque
d'une de demander à la chambre du conseil « que l'enfant leur soit
bout année,
rendu, en justifiant de son amendement et de leur aptitude à l'élever » (art. 10).
B. — Le mineur délinquant a plus de treize ans et moins de dix-huit. Dans
ce cas :
a) Le juge d'instruction a les mêmes pouvoirs de placement provisoire que dans
l'hypothèse précédente (art. 16) ;
b) Le tribunal (tribunal ordinaire ou tribunal d'enfants selon les cas) peut d'aboro
ordonner provisoirement la mise en liberté surveillée de l'enfant sous la garde
d'une personne ou d'une institution charitable (art. 20); si, ensuite, il acquitte l'en-
fant comme ayant agi sans discernement, il peut choisir entre trois partis (art. 21):
a) Envoyer l'enfant dans une colonie pénitentiaire, solution de l'ancien article 66 du
Code pénal ;
P) Le remettre purement et simplement à ses parents, à une personne ou à un
établissement charitable ;
Y) Le placer dans les mêmes conditions, mais sous le régime de la liberté sur-
veillée.
Ce régime, création originale de la loi, consiste en ce qu'un particulier, de l'un
ou de l'autre sexe, choisi de préférence parmi les membres des sociétés de patro-
nage, des comités de défense des enfants traduits en justice, des institutions chari-
tables (art. 22), est chargé de surveiller l'enfant, de le visiter, de fournir des rapports
sur sa conduite au président du tribunal, de manière que les mesures de placement
prises puissent être modifiées en cas de besoin (art. 21).
Cette association de particuliers charitables, que la loi intitule délégués, à l'oeuvre
de la justice, est une idée nouvelle dont l'application donnera lieu, croyons-nous, à
une très intéressante expérience. Ce n'est pas d'ailleurs seulement pour le fonction-
nement du régime de la liberté surveillée que la loi de 1912 fait ainsi appel à des
hommes ou à des femmes de bonne volonté. Plusieurs autres articles permettent au
juge d'instruction ou à la chambre du conseil de faire appel à des concours du même
genre, soit pour faire une enquête, au moment de l'instruction, sur l'enfant et sur
la famille (art. 4), soit pour surveiller l'enfant dans le cas où'il a été remis à sa
famille par la chambre du conseil,
CHAPITRE II

LA TUTELLE

GÉNÉRALITÉS.

Définition et caractères généraux. — La tutelle est le régime de pro-


tection établi par la loi au profit des enfants à la suite du décès
mineurs,
de l'un des père et mère, ainsi qu'au profit des aliénés interdits. Nous n'en-
visageons ici que la tutelle des mineurs.
Elle se caractérise, dans notre Droit, par les traits suivants :
1° La mission du tuteur s'exerce sous la surveillance et le contrôle de di-
verses autorités qui, dans leur ensemble, sont parfois sous le nom
désignées
de pouvoirs de haute tutelle. Ces autorités sont :
A. - Un conseil de famille, composé de d'alliés ou d'amis,
parents
chargé de délibérer sur les questions les plus importantes qui intéressent
le mineur, et d'autoriser le tuteur à accomplir les actes les plus graves
parmi ceux qui concernent son patrimoine et sa personne.
B. — Le tribunal civil, qui homologue la décision du conseil de famille
quand il s'agit d'actes particulièrement importants.
Un subrogé tuteur, sorte d'adjoint au tuteur, chargé de surveiller sa
C.—
gestion, parfois de le suppléer.
2° Le tuteur le mineur. Il agit en son nom, manie et gère son
représente
patrimoine. Aussi la loi lui impose-t-elle des comptes et accorde-t-elle au
mineur, comme garantie de sa bonne gestion, une hypothèque légale sur
ses biens immobiliers.
3° La tutelle n'est pas instituée uniquement à défaut de la
puissance pa-
ternelle, comme le voulait le Droit romain et comme le décident, de nos
jours, plusieurs législations
étrangères (Code civil italien, art. 241 ; Code
civil allemand, art. 1773
; Code civil suisse, art. 368). Elle coexiste parfois
avec la puissance paternelle. Il en est ainsi chaque fois que l'un des père et
mère vient à décéder. Le survivant, nous l'avons vu, reste investi de la puis-
sance paternelle, mais celle-ci ne s'exerce que relativement à la personne
des enfants. Quant à leurs biens, il y a lieu à une tutelle, laquelle, en prin-
cipe, est d'ailleurs attribuée également au père ou à la mère survivant. La
loi a jugé que les intérêts de l'enfant seraient ainsi mieux sauvegardés et
que cela était nécessaire, d'abord, parce que la mort de l'un de ses auteurs
lui a transmis des biens qu'il ne possédait pas auparavant, ensuite parce
que la présence du prédécédé constituait pour l'enfant un supplément de
protection qu'il faut remplacer par les garanties de l'organisation tutélaire.
H. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
476 LIVRE

en principe, donne lieu à l'ouverture de


4° Le fait unique qui, la tutelle
d'enfants légitimes), c'est le décès
pour les mineurs (au moins lorsqu'il s'agit
Tant existent l'un et l'autre, il
de l'un des deux parents (art. 390). qu'ils
et simple, c'est-à-dire avec le complé-
y a lieu à puissance pure
paternelle
ment de l'administration en ce qui concerne les biens. Il en est ainsi,
légale
même s'il y a divorce, séparation, absence ou
comme on l'a vu plus haut,
infirmité de l'un des parents ou de tous les deux. Le seul cas où
physique
tutelle du vivant des père et mère est celui de déchéance de la
il peut y avoir
Alors, on a vu suivant les cas, le tribunal peut
puissance paternelle. que,
des mesures consistant, soit à transmettre la puissance pater-
prendre
nelle en tout ou en à un autre le père déclaré déchu, soit à
partie que
mettre l'enfant en tutelle.
5° La désignation du tuteur est tantôt par le testa-
faite par la loi, tantôt

ment, tantôt le conseil de famille. Le père ou la mère survivant pos-


par
sède la tutelle L'auteur survivant, tuteur légal, peut désigner un
légale.
tuteur testamentaire. À défaut de cette désignation, la loi, après la moct

du survivant des père et mère, appelle à la tutelle de l'enfant un de ses

ascendants. Enfin, à défaut de tuteur légal ou testamentaire, le tuteur est


le conseil de famille. On dit alors qu'il y a lieu à tutelle dative.
désigné par

de la tutelle. — La tutelle n'a pas toujours été


Origines historiques
conçue comme un régime de protection des intérêts des mineurs.
1° Droit romain. — Chez les peuples anciens, dans la Rome primitive,
chez les peuplades germaniques, la tutelle est une puissance, analogue à la

puissance paternelle, établie au profit de l'héritier mâle de l'enfant. Son


but principal est de sauvegarder le patrimoine et d'empêcher que l'inca-
pable ne puisse, par son impéritie, dilapider les biens qu'il tient de la suc-
cession paternelle et qu'il faut conserver à la famille civile. A cette époque,
comme on l'a dit (Brissaud, Manuel d'histoire du droit privé, p. 162), la tu-
telle est donc un sorte de présuccession.
Cette conception originelle devait d'ailleurs s'effacer chez les Romains
et faire place à l'idée moderne de protection de l'enfant. Ce changement se
traduisit, à un moment donné, par l'établissement, au profit de l'impubère,
de garanties contre la mauvaise gestion ou l'infidélité du tuteur : obliga-
tion pour ce dernier de fournir une caution et de faire inventaire, limita-
tion de ses pouvoirs d'administrateur, création d'un sur ses biens
privilège
au profit du pupille. Cependant, la tutelle romaine offrit une
toujours phy-
sionomie différente de la nôtre par les traits suivants :
A. — Le Droit romain n'a jamais institué de haute tutelle
d'organe chargé
de surveiller et de contrôler le tuteur.
B. — La tutelle ne s'ouvrait à Rome l'enfant devenait sui
que lorsque
juris, c'est-à-dire était soustrait à la puissance la mort du
paternelle par
père et de ses ascendants paternels ou par l'émancipation.
G. — La tutelle finissait avec l'impuberté, c'est-à-dire à douze ou qua-
torze ans. Le Droit impérial, il est vrai, aux inconvénients de
pour parer
cette capacité trop précoce, vint la protection des enfants
prolonger jusqu'à
TUTELLE! 417

l'âge de vingt-cinq ans par l'institution de la sorte de


curatelle, tutelle
complémentaire restreinte à la gestion du patrimoine du mineur.
2° L'ancien Droit. — Les du Droit romain
règles continuèrent à s'appli-
quer en
principe dans les pays de Droit écrit. De ce sont ces règles
plus,
qui servirent de base au régime des garanties de gestion exigées du tuteur
dans toute l'étendue du Royaume, et qui aboutirent à la notre
création, par
ancien Droit, de l'hypothèque légale grevant les biens du tuteur au profit
du pupille.
Dans les pays de Droit coutumier, en revanche, le régime de la tutelle
offre des caractères originaux qui font contraste avec le système romain 1.
A. — La tutelle s'ouvre, à défaut de ou bourgeoise, à la
garde-noble
mort de l'un des père et mère. Le survivant ne garde donc la
plus puis-
sance paternelle que sur la personne de l'enfant. Il y a, dans ce cas, coexis-
tence de la tutelle et de la puissance paternelle.
B. — C'est le juge qui désigne le tuteur, dans tous les même
cas, lorsque
l'on se trouve en présence du père ou de la mère. D'où : En France
l'adage
toutes tutelles sont datives. Ce principe, excellent ses résultats favo-
par
rables-à l'intérêt du mineur, se propage d'ailleurs dans les de Droit
pays
écrit où l'on admet que la tutelle dative, c'est-à-dire déférée le juge,
par
est celle .du droit commun, sauf une seule exception en faveur de la mère
survivante et du plus proche parent du côté paternel.
C. — La tutelle dure, non jusqu'à la fin de mais la
l'impuberté, jusqu'à
grande majorité, c'est-à-dire vingt-cinq ans. Il n'y avait guère là, il est vrai,
qu'une différence dans les mots avec le Droit écrit, puisque celui-ci, à l'ex-
piration de l'impuberté, voulait que le tuteur cédât la place à un curateur
qui, jusqu'à la majorité, exerçait, sous un autre nom, des fonctions iden-
tiques en réalité.
D. — Un subrogé-tuteur est institué près du tuteur, avec mission de
veiller à la confection de l'inventaire, de provoquer au besoin la destitution
du tuteur, de le suppléer dans la représentation du mineur, lors des conflits
d'intérêts qui peuvent s'élever entre l'un et l'autre.
E. — On voit apparaître une assemblée de parents qui propose le tuteur au
choix dujuge, donne son avis quand le tuteur veut faire un acte important
tel que le placement des deniers pupillaires, l'aliénation des immeubles.
Pour cette dernière opération même, l'avis du juge est nécessaire.
On le voit, abstraction faite des obligations et garanties de gestion im-
posées au tuteur, idée empruntée au Droit écrit, c'est en résumé le sys-
tème du Droit coutumier qui a été consacré dans les dispositions du Code
civil relatives à la tutelle. On à la loi actuelle
peut reprocher cependant
deux innovations qui, à première vue, peu heureuses: l'exten-
paraissent
sion des pouvoirs du conseil de famille, dorénavant de nommer le
chargé
tuteur, au lieu de le présenter seulement; la création de la tutelle légale,
mode de désignation automatique de faire passer la tutelle en
qui risque
des mains peu aptes à l'exercer. En revanche, le Code civil n'a pas innové

1. Domat, Loix Civiles, éd. Rémy, 1835, t. I, p. 401 et s.


478 LIVRE I. TITRE III PREMIÈRE PARTIE

là où il aurait dû le faire. L'ancien Droit ne se préoccupait pas d'organiser


la de la fortune mobilière des pupilles, ce qui était excusable,
protection
d'une à. cause du faible développement de cette fortune dans notre
part,
ancienne d'autre à cause du caractère d'immeubles fictifs at-
société, part,
tribué la législation aux meubles incorporels lesplus importants. Le
par
Code de 1804 a suivi les mêmes errements sans avoir les mêmes justifica-
tions. Il n'a édicté aucune disposition destinée à assurer la conservation

des valeurs mobilières appartenant aux pupilles. Il a fallu, pour que cette
lacune fût comblée, attendre la très importante loi du 27 février 1880 ^

SECTION I. — LES ORGANES DE LA TUTELLE.


§ 1. Le tuteur.

de la fonction tutélaire. — On résumer ainsi les ca-


Caractères peut
ractères de la fonction du tuteur. C'est une charge 1° obligatoire, 2° gra-

tuite, 3° personnelle.
1° La tutelle est une — Celui est désigné comme
charge obligatoire. qui
le conseil de famille, ne peut pas refuser cette
tuteur soit par la loi, soit par
mission, à moins qu'il n'ait à faire valoir une des causes d'excuse énu-
mérées par loi.
Ces causes d'excuse (état militaire, certaines fonctions publiques, grand
âge ou infirmités graves, famille déjà nombreuse, etc...), sont énumérées

par les articles 427 à 441, auxquels nous nous contentons de renvoyer le
lecteur. Ces textes indiquent également la procédure à employer pour faire
valoir ces excuses. L'énumération qu'ils contiennent est, croyons nous,
limitative (V. cependant Trib. Sentis, 28 février 1894, D. P. 95.2.227, S.

94.2.218).
En dehors des cas d'excuse, l'obligation d'accepter la tutelle ne comporte
que deux exceptions en faveur :
A. — Des femmes (art. 428, modifié par la loi du 20 mars 1917).
B. — Du tuteur par le tribunal
désigné après déchéance de la puissance
paternelle prononcée contre
le père (L. 24 juillet 1889, art. 10, 1er al.).
Le tuteur supplétif ou la femme tutrice qui ne veulent accepter la
pas
charge de la tutelle sont admis à se récuser. Toutefois, on remarquera que,
par exception à l'exception, la mère d'un enfant naturel ne peut décli-
pas
ner la tutelle de cet enfant (art. 389, 14e alinéa).
2° La tutelle est une — Le tuteur ne peut réclamer au-
charge gratuite.
cune rémunération : il doit administrer gratuitement les biens du pupille.
C'est là une tradition de notre Droit, à laquelle le Code civil est resté fidèle,
car, nulle part, il ne parle de rémunération, et dans le compte de tutelle, il
ne fait pas figurer le salaire du tuteur. On allouera au tuteur, ditl'art. 471,

1. Saleilles, De l'aliénation des valeurs mobilières par les administrateurs de


la fortune d'autrui, Thèse, Paris, 1883; P. Chavegrin, De la protection de la for-
tune mobilière des mineurs en droit comparé, 1907,
Thèse, Paris;
TUTELLE 479

al, toutes dépenses suffisamment et dont


2° justifiées, l'objet sera utile.
Du reste l'article 454, 2e al., dit que le conseil de famille peut autoriser
le tuteur à s'aider, dans sa gestion, d'un ou plusieurs administrateurs parti
culiers, salariés etgérant sous saresponsabilité. L'opposition est bien
nette entre ces administrateurs et le tuteur.
La
Jurisprudence a,toutefois, un peu dévié de celte.tradition. Un arrêt
de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 18 avril 1854 (D. P.
54.1.387, S. 55.1.120) et plusieurs décisions ont admis
postérieures qu'au-
cune disposition n'interdit au conseil de famille d'allouer au tuteur une
indemnité pour frais de gestion 5 avril 1865, S.
(Douai, 66.2.301; Paris,
6 novembre 1896, D. P. 97.2.70, S. 99.2.29). On la dérogation
masque
apportée ici à la loi en spécifiant que l'indemnité en question ne représente
pas tin salaire, mais le remboursement des dépenses occasionnées par la
'
tutelle.
3° La tutelle est une — Elle ne aux héri-
charge personnelle. passe point
tiers du tuteur, si celui-ci vient à mourir en fonctions. si les héri-
Pourtant,
tiers sont majeurs, ils sont tenus de continuer la de leur auteur
gestion
jusqu'à la nomination du nouveau tuteur fart. 419)c

d'être tuteur. — Certaines sont


Incapacité personnes incapables
d'être tuteurs. Ce sont (art. 442) :
A. — Les mineurs. Pourtant le père ou la mère, même ils sont
quand
mineurs, ont la tutelle de leurs enfants ;
B. — Les interdits pour cause d'aliénation mentale, et, par extension du
texte, tous les aliénés ;
C. — Enfin, ceux qui ont, ou dont le père ou la mère ont, avec le mineur,
un procès dans lequel l'état de ce mineur, sa fortune ou une partie notable
de ses biens, sont compromis.
D'après le Code civil, il y avait une quatrième catégorie d'incapables,
les femmes, exception faite pourtant pour la mère et les ascendantes
(art. 442, 3° ancien). Cette exclusion des femmes était tout à fait con-
traire aux intérêts de l'enfant. Une première atteinte fut portée à la
règle surannée du Code civil par la loi du 2 juillet 1907 qui admit les
femmes à la tutelle des enfants naturels. La loi du 20 mars 1917, loi
excellente mais de rédaction très défectueuse 1 et inexacte-
d'inspiration
ment qualifiée de loi sur la tutelle des femmes (!) a, d'une façon générale
et pour tous les enfants, supprimé l'incapacité des femmes d'être tutrices.
Elle a corrigé, en conséquence, l'article 442 et de nombreuses autres dis-
positions du titre de la Tutelle. Toutefois, deux restrictions subsistent à la
capacité des femmes d'être tutrices. part, D'une
la femme mariée ne peut

accepter la tutelle qu'avec l'autorisation du mari, et celui-ci, s'il l'au-


torise, devient, ce fait même, co-tuteur de la femme (art. 405, 2e al.).
par
D'autre part, quand une femme tutrice se marie ou se remarie elle doit,

1. V, à ce sujet, Capitant, Comment on fait les lois aujourd'hui, Revue politique


Et parlementaire, 10 juin 1917, p. 305,
480 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

convoquer le conseil de famille qui décidera si la tutelle doit


auparavant,
ou non lui être conservée (art. 395, 3e al.).

Exclusions de la tutelle. — Sont exclus de la tutelle :


(art. 443, 444)
A. —Les condamnés à une peine afflictive ou infamante, c'est-à-dire

criminelle, même les condamnés politiques : il faut ajouter que les tribu-
naux correctionnels peuvent, dans certains cas, enlever au condamné le
droit d'être tuteur (art. 42, C. pén.) ;
B. — Les d'une inconduite notoire ,
gens
C. — Les personnes dont la gestion atteste l'incapacité ou l'infidélité ;
D. — Les individus ayant encouru la déchéance de la puissance pater-
nelle (L. 24juillet 1889, art. 8).
Ces diverses causes d'exclusion, si elles se produisent au cours de la
tutelle, emportent destitution tuteur, du
soit obligatoirement (art. 443), soit

facultativement au gré du conseil de famille (art. 444), qui est l'organe com-

pétent pour statuer sur la destitution du tuteur (art. 446).


Incapacités ou exclusions sont limitativement énumérées. Ainsi, le pro-

digue pourvu d'un conseil judiciaire n'est pas incapable d'être tuteur. Il

pourrait seulement être exclu ou destitué si, dans sa gestion, il se montrait

incapable ou infidèle. De même, un étranger peut être tuteur, au moins des


mineurs ses parents ou alliés (V. la note de M. Labbé sous Civ , 16 février
1875, S. 75.1.193; Nancy, 29 octobre 1898, D. P. 99.2.209).

Modes de désignation du tuteur. — Nous avons vu le mode de


que
désignation varie, suivant qu'il s'agit de la tutelle légale du survivant
des père et mère ou des ascendants, de la tutelle testamentaire, ou de la
tutelle dative.

Tutelle légale des père et mère. Particularités de la tutelle de la


mère. — Le survivant des et mère est de de la tutelle
père investi, droit,
de enfants mineurs et non émancipés (art. 390).
La tutelle, lorsqu'elle se trouve déférée à la mère survivante, présente un
certain nombre de particularités qui constituent autant de différences avec
la tutelle du père survivant.
Première — Tandis
particularité. que le père survivant, hors les cas d'ex-
cuse, ne peut refuser la tutelle, la mère au contraire comme
(art. 394),
d'ailleurs toute tutrice (art. 428, 3e al.), n'est tenue cette
pas d'accepter
charge, à moins toutefois qu'il ne s'agisse de la tutelle de son enfant natu-
rel (art. 389, 14e al.).
On discute le point de savoir si, une fois la mère décli-
acceptante, peut
ner la tutelle. L'affirmative nous semble la solution à la fois la plus raison-
nable et la plus conforme aux intérêts de l'enfant. refuser à la
Pourquoi
femme, qui s'est illusionnée d'abord sur ses et qui reconnaît
forces, ensuite
son erreur, la faculté de décliner une mission ne peut
qu'elle plus remplir
utilement pour les intérêts de l'enfant? Il suffira de lui appliquer la règle
que l'article 394 in fine établit pour la mère se récuse avant d'entrer en
qui
TUTELLE 481

fonctions, c'est-à-dire l'obligation de continuer provisoirement à remplir


les fonctions du tuteur, jusqu'à ce qu'elle ait pu en faire désigner un autre.
Deuxième — Si le craint la
particularité. père que charge de la tutelle ne
soit trop lourde pour sa femme, il peut, soit dans son testament, soit par
une déclaration faite devant le juge de paix, ou devant un notaire 391
(art.
et 392), lui désigner un conseil spécial, c'est-à-dire une personne investie de
sa confiance, chargée de l'assister dans l'administration tutélaire.
Le conseil spécial est tout différent d'un co-tuteur. Il n'administre pas
avec la mère ; il lui donne son avis, que la mère est obligée de requérir
pour tous les actes de la tutelle concernant l'administration des biens de
l'enfant, (ceux qui se rattachent au gouvernement de sa personne dépen-
dant de la puissance paternelle, dont le père prémourant n'a pas le droit
de diminuer l'étendue entre ses mains), il se peut toutefois, et l'article 391,
2e al. le prévoit, que le père ait spécifié les actes en vue (lesquels il insti-
tuait un conseil spécial, auquel cas ce conseil ne doit intervenir que pour les
actes indiqués, et la mère est habile à faire les autres sans son assistance.
Le Code a négligé de trancher deux questions qui se posent à propos du
conseil de la mère tutrice.
A. — L'intervention du conseil est qualifiée par l'article 391 d'avis, d'as-
sistance. En faut-il induire que son rôle est purement consultatif? Cela sem-
blerait contraire à la fois aux intentions probables du père et aux termes
de la loi. Celle-ci en effet paraît bien, dans les derniersmots de l'article 391,
indiquer implicitement que. la mère est inhabileà accomplir, seule, les
actes soumis à la condition d'un avis du conseil spécial, et que, dès lors,
les actes passés de la sorte resteraient exposés à être ensuite annulés dans
l'intérêt du mineur.
B. — En cas de désaccord entre la mère et son conseil, le différend est-il
sans issue, ou peut-il être tranché par l'intervention d'une autorité supé-
rieure ? Il est difficile de ne pas admettre la deuxième solution, la seule
qui soit conforme à l'intérêt de l'enfant. Il n'y a désaccord entre les auteurs
que sur le point de savoir quelle sera l'autorité chargée de trancher le
conflit. Pour les uns, c'est le conseil de famille, autorité délibérante par
excellence, organe essentiel de la haute tutelle. Pour les autres, qui ne
reconnaissent au conseil de famille le droit de délibérer que sur les cas
où un texte formel lui donne compétence, l'autorité en. question ne peut
être que celle du droit commun, c'est-à-dire le tribunal.
Tout cela offre d'ailleurs un assez faible intérêt, le conseil spécial étant
à peu près inconnu dans la pratique.
Troisième — D'après l'article 393, si, lors du décès du
particularité.
mari, la femme est enceinte, il sera nommé un curateur au ventre par le
conseil de famille. A la naissance de l'enfant, la mère en deviendra tutrice,
et le curateur en sera de plein droit subrogé-tuteur.
Cette vieille institution du curateur au ventre qui nous vient du Droit

romain, s'être dans notre ancien droit (V. nouveau Deni-


après perpétuée
zart, V° Curatelle, § 5), s'explique par un double motif :
A.. — Protéger les héritiers du mari contre une supposition de part, c'est.
I. — TITRE III. —- PREMIERE PARTIE
482 LIVRE

une simulation de et d'accouchement faite en vue


à-dire contre grossesse
de de la fortune du défunt.
s'emparer
les de la mère de
B. — Protéger l'enfant lui-même contre entreprises (ou
une de part dans le même but
sa famille) qui provoquerait suppression
Le curateur au ventre devra donc, en attendant la naissance de l'enfant,

la de la femme et administrer provisoirement la suc-


surveiller grossesse
cession du mari.
Il semble bien résulter des motifs de l'institution qu'elle fonctionne seu-

lement dans le cas où il n'y a pas déjà vivants au moment du décès


d'enfants
dans cette les se
du mari ; c'est uniquement hypothèse que dangers signalés
dans toute leur plénitude. La question cependant est con-
présentent
troversée.
Hâtons-nous d'ajouter qu'ici encore l'intérêt pratique est assez mince.

L'institution du curateur au ventre ne paraît guère convenir à nos moeurs ;


elle prêterait à rire. Le nombre infime des décisions judiciaires dans les-
il en est démontre que le curateur au ventre, comme le
quelles question
conseil de la mère tutrice, ne se rencontre presque jamais dans la
spécial
pratique.
: Convoi de la mère tutrice. — Le tuteur
Quatrième particularité père qui
se remarie, reste tuteur légal sans aucune modification. Au contraire,

lorsque c'est la mère survivante qui se remarie, la loi présumant qu'elle


subira l'influence de son second mari et se déchargera sur lui du soin de
toutes ses affaires, a édicté, dans l'intérêt des mineurs issus du premier ma-

riage, deux sortes de dispositions protectrices. La première consistait à.


enlever à la mère qui se remariait son usufruit légal sur les biens de ses
enfants mineurs (art. 386 ancien). La loi du 21 février 1906 a, comme nous
l'avons déjà dit? supprimé cette déchéance. Quant au second ordre de

mesures, il a pour but de protéger les enfants contre une ingérence abu-
sive du second mari dans l'administration de leurs biens. Ces mesures

s'appliquent, du reste, depuis la loi du 20 mars 1917, à toute femme qui,


exerçant une tutelle, se marie ou se remarie (art. 395, 3eal.). Voici quelles
elles sont:

A) La tutrice, avant son mariage ou son remariage, doit convoquer le


conseil de famille (art. 395, 1er al.).

B) Ce conseil de famille décide si la tutelle doit lui être conservée. Dans


le cas de l'affirmative, il lui donne nécessairement pour co-tuteur le mari

(art. 396), et celui-ci devient, par conséquent, solidairement responsable


avec sa femme de la gestion postérieure au mariage.
C) Le conseil de famille peut, s'il juge dangereux de laisser la tutelle à
la femme, désigner un au tre tuteur.
La mère privée de la tutelle conserve la puissance et l'usu-
paternelle
fruit légal. Le conseil de famille ne pourrait pas, non plus, lui enlever la

garde des enfants. Et nous estimons, que dans l'état actuel de la Juris-
prudence, les tribunaux ne le pourraient pas davantage. Les arrêts que l'on
peut citer en sens contraire (Voir not., Caen, 19 mai 1854, S. 54.2.713) re-
montent à une époque où les tribunaux s'arrogeaient, quant à l'attribution
TUTELLE 483

du droit de garde, démembré du surplus de la puissance un


paternelle,
pouvoir que, nous l'avons indiqué, ils ne se reconnaissent plus aujourd'hui.
Ajoutons, avec l'art. 399, que la mère, à laquelle le conseil de famille a
enlevé la tutelle des enfants de son premier mariage, ne peut leur
plus
choisir un tuteur testamentaire.

D) Si la tutrice se marie ou se remarie sans convoquer le conseil de fa-


mille, elle perd la tutelle de plein droit (art. 395, 2e al.). Le conseil de fa-
mille doit donc se réunir d'office et nommer un autre tuteur. En attendant,
l'ex-tutrice demeure soumise à toutes les obligations d'un tuteur; et
son mari sera responsable des suites de la tutelle indûment con-
servée ».
Cette dernière disposition donne lieu à plusieurs questions et difficultés :
a) Le conseil de famille
qui se réunit, de plein droit, en cas de déchéance
de la femme coupable de ne l'avoir pas convoqué elle-même, peut-il la
choisir encore en qualité de tutrice? Oui évidemment. Aucun texte ne s'y
oppose. Seulement, s'il s'agit de la mère, elle ne sera plus tutrice légale.
Elle sera tutrice dative, ce qui entraîne diverses conséquences. Ainsi, le
conseil de famille pourra fixer la somme à laquelle s'élèvera annuellement
la dépense à faire pour le mineur (art. 454, 1er al.)-; il pourra imposer à
la mère l'obligation de rendre des comptes périodiques au cours de la
tutelle ou états de situation, mesure de précaution que l'on n'aurait pas
le droit d'imposer au survivant des père et mère, tuteur légal (art. 470).
b) Quelle est au juste l'étendue de la responsabilité imposée au mari, à
raison de la tutelle de fait exercée par sa femme, alors qu'elle a en-
couru la révocation ? Il y a, à cet égard, hésitation sur deux points à cause
de la différence des termes employés par le Gode pour régler deux situa-
tions analogues en fait.
a) Lorsqu'il s'agit de la femme régulièrement maintenue dans la tutelle,
et par conséquent, tutrice de droit, l'article 396 dit que la responsabilité de
son mari portera la gestion
sur postérieure au mariage. quand Au contraire,
il est question de la tutelle de fait de la tutrice déchue, l'article 395 n'em-

ploie plus, en ce qui concerne la responsabilité du mari, la même formule

limitative; il dit sera responsable des suites de la tutelle indûment


qu'il
conservée. Cette responsabilité s'étend-elle aux actes accomplis par la tu-
trice avant son mariage ou son remariage, ou ne s'applique-t-elle qu'aux
actes accomplis depuis celui-ci? Cette seconde solution paraît plus équi-
table. En effet, c'est seulement le mariage ou le remariage que la
depuis
tutelle a été indûment conservée. De plus, dans les travaux préparatoires,
le texte primitif du projet limitait en ce sens la responsabilité du mari ;
cette limitation formelle a ensuite du texte définitif, mais sans
disparu
qu'on en ait donné aucune raison t. X, p. 610). C'est cependant
(Fenet,
l'autre en Jurisprudence (Voir not., Nancy, 27 juin 1891,
opinion
qui prévaut
P. F. 92.2.197) et chez la plupart des auteurs. La solution extensive était
celle que consacrait la constitution des empereurs Théodose
expressément
et Valentinien 15) à laquelle, l'ancien
(6 C, In quibus causis, VIII, après
Droit, le Code a emprunté la règle de l'article 395. Nos vieux auteurs
se
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
481

dans le même sens (Domat, liv. II, Des tuteurs, tit. Ier,
prononçaient
sect. n° La responsabilité du mari s'étendra donc à la gestion
III, 37).
même antérieure au mariage. C'est une espèce de pénalité civile dont la

loi le n'avoir pas suggéré le geste à accomplir à son épouse,


frappe pour
sur vraisemblablement, son influence s'est exercée dès avant le
laquelle,
moment précis de leur mariage.
le texte de l'article 395, 2e alinéa, le mari était soli-
$) D'après primitif
dairement avec sa femme des suites de la tutelle de fait in-
responsable
dûment conservée. La loi du 20 mars rayé du texte le mot 1917 soli- a
dairement. On s'explique mal la raison de cette réforme, car, lorsqu'il
de la tutrice maintenue dans la tutelle avec son mari pour co-tuteur,
s'agit
l'article 390, que la loi du 20 mars 1917 n'a pas corrigé sur ce point, continue
à décider que le mari sera obligé solidairement avec sa femme. Mais, de

plus, on peut se demander si la suppression du mot solidairement dans l'ar-


ticle 393 doit changer quelque chose à la solution antérieure. En conser-
vant indûment la tutelle, la tutrice a commis une faute à laquelle le mari,
en ne la poussant point à déférer à la loi, a concouru pour sa part. Or il est
constant en Jurisprudence que les co-auteurs d'un délit civil sont de plein
droit responsables solidairement des conséquences dommageables de leur
faute commune.
c) Quel sera le sort des actes accomplis, pour le compte du mineur, par
l'ex-tutrice au cours de sa co-tutelle de fait avec son mari ? Il semble que,
n'étant plus le représentant légal de l'enfant, depuis qu'elle est destituée
de plein droit, l'ex-tutrice, tout en restant responsable à l'égard de l'en-
fant, n'a plus, à l'égard des tiers, pouvoir d'obliger ce dernier. Elle n'a donc

agi que comme gérant d'affaires. Le pupille n'est tenu que dans la mesure
de l'utilité que les actes lui ont procurée (art. 1375).
d) Les immeubles des tuteurs de fait sont-ils grevés de l'hypothèque
légale au prolit du mineur ? L'affirmative, autrefois contestée, mais admise
déjà par le Droit romain et par nos anciens auteurs, nous paraît s'imposer.
Du moment que les deux époux encourent la responsabilité des tuteurs,
cette responsabilité doit être environnée des garanties qui l'accompagnent
normalement pour la rendre efficace. LaJurisprudence se prononce en ce
sens (V. Req., 23 avril 1902, D. P. 1902.1.309, S. 1904.1.506).

Tutelle testamentaire. — La en la
loi, prolongeant quelque sorte
tutelle légale des père et mère par delà leur décès, au survivant
permet
d'entre eux de désigner le tuteur, parent ou sa
étranger, qui, après mort,
lui succédera dans ses fonctions (art. 397). Cette au
désignation paraît, légis-
lateur, offrir tant de garanties que, non seulement elle ne être criti-
peut
quée par le conseil de famille, mais qu'elle écarte la tutelle des
légitime
ascendants (art. 402). La personne la confiance du père ou de
indiquée par
la mère est préférée à celle que désigneraient les liens du sang.
Le choix du tuteur par le dernier mourant des et mère est soumis
père
à deux conditions, parfois à trois :
4° Une condition de forme. — Le choix doit se faire, soit par testament,
TUTELLE 485

soit au
moyen d'une déclaration reçue par un juge de paix ou un notaire
(art. 398, 392). Mais dans l'un et l'autre cas, le tuteur être
peut qualifié
de testamentaire. En effet, la déclaration l'officier ne
reçue par public
produit ses effets qu'après la mort de son auteur ; et, de plus, elle est ré-
vocable jusqu'à ce moment. C'est donc un véritable mais affran-
testament,
chi des règles ordinaires établies par la loi à la rédaction des actes
quant
de cette catégorie.
2° Une condition de — Le droit de le
fond. désigner tuteur de l'enfant
n'appartient au survivant des père et mère que a lui-même la tutelle.
s'il
C'est du moins ce qui est décidé par la loi, ou moins
plus formellement,
dans deux hypothèses. La
première est celle d'une mère survivante, rema-
riée et non maintenue dans la tutelle ; l'article 399 comme nous l'a-
porte,
vons déjà dit, qu'elle ne peut choisir un tuteur à ses enfants du premier
lit. La seconde hypothèse est celle du père ou de la mère exclu ou destitué
tutelle. L'article 445 le prive du droit de faire d'un conseil de
de la partie
famille et, par conséquent, de concourir à la nomination d'un tuteur datif ;
à plus forte raison doit-il perdre la faculté de nommer un tuteur à lui
tout seul.
Pour les autres hypothèses possibles, celle d'une mère a refusé la
qui
tutelle ou celle d'un père qui s'est fait excuser, la loi reste muette. Si
le caractère étroit de toute et bien
malgré déchéance, qu'il n'y ait certai-
nement pas lieu de se défier du père ou de la mère dont il vient d'être
question, on s'accorde à leur refuser le droit de choisir un tuteur testa-
mentaire, c'est parce que leur excuse ou leur refus a déjà eu ce résultat de
faire désigner un tuteur à l'enfant par le conseil de famille, et qu'on ne
peut concéder au père ou à la mère le droit de destituer ce tuteur en exer-
cice et de
le remplacer par un autre, auquel le premier devrait céder la
place après la mort du testateur.
3° Une troisième condition est requise pour le choix du tuteur testa-
mentaire, lorsque l'auteur de sa désignation est la mère remariée et main-
tenue dans ses fonctions de tutrice. Il faut alors (art. 400) que son choix
soit déféré au conseil de famille et confirmé par cette assemblée. Cette
solution donne lieu à deux questions.
A. — On se demander différence il y a entre le cas où la
peut quelle
mère remariée a été maintenue en tutelle et celui où elle n'a pas été main-
tenue (art. 399 et 400). Dans le second cas, le conseil de doit nom- famille
mer le tuteur que la mère n'a pas le droit de désigner. Dans le premier,
la mère peut choisir le tuteur, mais le conseil de famille peut, à son gré,
confirmer ou repousser son choix. N'est-ce pas exactement la même chose?
On répondra que le tuteur confirmé par le conseil de famille après désigna-
tion de la mère maintenue en tutelle n'en
pas est moins un tuteur testa-
mentaire ; il exclura donc les ascendants. Au contraire, le conseil de famille
n'aurait pas le droit de nommer un tuteur au mépris du droit des ascen-
dants à la tutelle.
B. — La mère maintenue en devenue veuve de son
remariée, tutelle, puis
second mari, ne peut-elle encore faire qu'un choix subordonné à l'agré-
486 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

ment du conseil de famille ? Le texte de l'article 400 ne distingue pas. Mais


de la loi est évidemment favorable au libre choix de la mère. La
l'esprit
restriction à ce choix l'article 400 s'inspire d'une pensée de dé-
qu'apporte
fiance contre le second mari, laquelle n'a plus de raison d' être après la
mort de celui-ci.

Tutelle des ascendants. — La tutelle des ascendants


légale légale
nous reporte, à première vue, aux conceptions du Droit romain. Cette ins-
titution avait cependant 5, peuprès disparu, sauf des pays de Droit écrit où
si nous en croyons au Droit
il y avait lieu seulement, l' Institution français
d'Argou I, ch, 8),
(Liv. à la tutelle légitime en faveur du plus proche parent
du côté paternel- Dans les pays de Droit coutumier, le tuteur était toujours
datif ai judiciaire. Si le Code civil semble restaurer lesconceptions ro-

maines, ce ne peut être que dans des vues toutes différentes de celles du
vieux Droit quiritaire. Il appelle les ascendants à la tutelle après la mort
des père et mère, parce qu'il lui semble que leur affection pour l'enfant
les désigne tout naturellement pour remplacer les parents qui ont été enle-
vés à celui-ci par une mort prématurée.
Quatre conditions sont nécessaires pour que la tutelle soit déférée par la
loi à un ascendant :
1° le père
Que et la mère soient décédés tous les deux (art. 405). Si l'un
ou l'autre était vivant, mais privé de la tutelle pour une cause quelconque,
le tuteur serait désigné par le conseil de famille ;
2° Qu'il n'y ait pas eu de tuteur testamentaire désigné par le survivant
des père et mère. L'usage qu'a fait celui-ci de sa prérogative exclut la tu-
telle légale des ascendants, et cela alors même que, pour une cause quel-
conque, le tuteur testamentaire n'excercerait par ses fonctions (Y. art. 402,
in princ.) ;
3° Qu'au moment du décès du survivant des père et mère il n'y ait pas
déjà de tuteur datif en exercice, par suite de l'exclusion ou du refus du dé-
funt. L'ascendance est une cause de vocation à la tutelle vacante ; ce n'est
pas une cause de destitution d'un tuteur déjà en fonctions.
4° Que la vacance de la tutelle ne provienne pas de L'excuse ou de la des
titution de l'ascendant appelé par la loi à ia tutelle Cette défaillance
légale.
de celui qui est désigné dans le groupe des ascendants n'entraîne pas dé-
volution de la tutelle à un autre membre du même ;
plus éloigné groupe
elle donne lieu à nomination d'un remplaçant par le conseil de famille.
Cette est car ou admet de
règle peu logique, ordinairement que le décès
l'ascendant investi de la tutelle la fait passer à un ascendant plus éloigné,
mais elle paraît imposée par les termes absolus de l'article 405.
Quant à la détermination de l'ascendant
la tutelle, la
reçoit qui depuis
loi du 20 mars 1917, elle se fait d'après les règles suivantes :
1° « La tutelle appartient à celui des aïeux ou à celle
(il faut lire aïeuls)
des aïeules qui sont du degré le plus ».
rapproché (art. 402)
2° « En cas de concurrence entre des aïeuls ou des du même
aïeules
degré, le conseil de famille le tuteur ou la tutrice sans tenir
désignera
TUTELLE 487

compte de la branché à laquelle ils appartiennent » (art. 403 nouveau) au


lieu que ce comme le décidait l'article 403 la branche
soit, ancien, pater-
nelle qui doive l'emporter sur la branche maternelle .

Tutelle dative. —
Lorsque mineur sans ni mère
l'entant reste père
tuteur élu par les père
mère,ou ni comme aussi
ni ascendants lorsque
le l'une des catégories ci-dessus est exclu ou excusé,
tuteur de exprimées
c'est lé de famille qui pourvoit à la nomination du tuteur
conseil (art. 405).
comme il veut; il peut le prendre les parents
Il le choisit parmi proches
ou ascendants, frères, oncles, cousins, les étrangers;
éloignés ou parmi
Oh dit qu'il y a alors tutelle dative.

Unité du pluralité de tuteurs. — Généralement il a qu'un


n'y seul
tuteur. Ainsi, si lin père ou une mère laisse, en décédait, en-
plusieurs
fants la tutelle légale de chacun des enfante au sur-
mineurs appartient
vivant, des père et mère et ensuite à l'ascendant.
Dans certains cas exceptionnels
cependant, il y a plusieurs tuteurs.
Le dernier mourant des père
et mère un tuteur
qui pourrait désigner
Unique tous ses enfans a le droit, s'il estime
pour mineurs, que la charge est-
trop lourde, d'en désigner plusieurs. Dans ce cas, il pourra à l'avance
régler
les de ces tuteurs, confier à l'un l'entretien la charge
fonctions des enfants,
de leur éducation et leur surveillance, à l'autre la gestion des biens.
En cas de tutelle dative, le conseil jouit de la même liberté.
Ces solutions, quand il y a plusieurs enfants né peuvent soule-
mineurs,
ver aucun doute ; il n'y a rien dans la loi qui limite là' liberté du père ou de
la mère, ni celle du conseil de famille.
Mais, lorsqu'il ne s'agit que d'un enfant, le survivant des père et mère et
le de famille peuvent-ils encore tuteurs?
conseil désigner plusieurs
Cela était permis dans l'ancien Droit (V. Argou, liv. F, en. Vill
op. cit., ;
Traite des minorités, Impartie, chap. VI, p. 96;, 97). Au témoignage
Mesle,
de Domat liv.
(Loix civiles, II, tit. I, sect. I, nos 5 et 6 et sect. III, n° 31), la
combinaison adoptée consistait parfois à nommer un tuteur
ensemble
Chargé de la gestion, et un tuteur honoraire, dont la fonction
onéraire,
était de veiller soir l'administration du précédent et de le conseiller au
besoin.

Aujourd'hui, il y a deux hypothèses où la loi ordonne elle-même la plu-


ralité de tuteurs :
1° Lorsque la tutrice qui se marie ou se remarie est maintenue dans la
tutelle, elle a alors pour co-tuteur son mari (art. 396). Les deux co-tu-
teurs sont solidairement responsables envers le mineur de leur gestion
respective.
2° Lorsque lé mineur, domicilié en des biens dans les
France, possède
colonies, ou réciproquement, il y a lieu de nommer, outre le tuteur, un pro-

1. On remarquera que la loi de 1917 se trouve avoir abrogé la disposition de l'ar-


ticle 404 bien qu'elle ait omis de prononcer cette abrogation,
488 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

tuteur, chargé de gérer les biens situés loin du domicile du mineur

(art. 417). Le tuteur et le pro-tuteur sont indépendants et responsables


exclusivement, chacun en ce qui le concerne, dans les limites de sa propre

gestion.
En dehors de ces deux
cas, la plupart des auteurs soutiennent que la
tutelle d'un enfant unique doit toujours être confiée à un seul tuteur. Ils
se fondent d'abord sur le texte du Code qui suppose toujours unité de
tuteur, sauf dans les deux cas qu'on vient de citer, et, ensuite, sur le pré-
tendu intérêt de l'enfant, qui exigerait une administration et une responsa-
bilité uniques, de manière à éviter des divergences de vues nuisibles. Ces
arguments sont très faibles. Si le Code ne prévoit pas, en général, qu'un
seul mineur ait plusieurs tuteurs, c'est
qu'il a statué seulement sur l'hypo-
thèse la plus ordinaire. Mais on ne voit pas pourquoi une combinaison
différente serait interdite au testament du père ou de la mère, ou au choix
du conseil de famille, lorsque l'administration d'intérêts étendus et com-
plexes paraît l'exiger. Que s'il se produit des divergences entre co-tuteurs,
le. conseil de famille sera là pour les trancher. Aussi, la jurisprudence se
prononce-t elle avec raison pour la possibilité d'une tutelle plurale (Req.,
14 décembre 1863, D. P. 64.1.63, S. 64.1.21 ; 23 décembre 1924, D. P. 1925.
1.65). Et il faut ajouter que rien ne s'oppose à ce que les deux tuteurs
soient spécialement chargés, l'un de la personne, et l'autre de l'adminis-
tration des biens.

Tuteurs « ad hoc ». — On appelle ainsi un tuteur désigné pour


passer un acte déterminé lorsque le tuteur ne à l'occasion de cet
peut pas,
acte, représenter le pupille.
La nomination d'un tuteur ad hoc est exceptionnelle ; en effet, quand le
tuteur est empêché par la contrariété de ses intérêts et de ceux du mineur,
c'est le subrogé tuteur qui, en doit le remplacer. Aussi
principe, n'y a-t-il
lieu de nommer un tuteur ad hoc que dans les cas où la loi l'exige. On en
verra desexemples dans les articles 318 et 838. Ajoutons
que la nomina-
tion d'un tuteur ad hoc s'impose en dehors
également, d'un texte, lorsqu'il
s'agit d'un acte pour lequel le tuteur et le subrogé tuteur se trouvent l'un
et l'autre empêchés de représenter le mineur, parce qu'ils ont, tous les
deux, des intérêts opposés aux siens.

§ 2. — Le subrogé tuteur.

Définition et organisation de la —
subrogée tutelle. Le subrogé
tuteur est un adjoint que notre loi civile, suivant en cela, comme on l'a vu
plus haut, la tradition purement coutumière, place à côté du tuteur, pour
veiller à ce qu'il accomplisse ses obligations et pour le dans la
suppléer
représentation du mineur, d'actes
lorsqu'il s'agit où le tuteur et le pupille
ont des intérêts
opposés.
Le subrogé tuteur n'est un
pas tuteur suppléant ; ainsi il ne prend pas
TUTELLE 439

la place du tuteur, lorsque celui-ci se trouve de remplir ses fonc-


empêché
tions par une autre cause que l'opposition de ses intérêts avec ceux de son pu-
pille. Il doit seulement, dans ce cas, provoquer la nomination d'un nouveau
tuteur (art.424>. Cependant, quoiqu'il ne soit pas tuteur, la charge du subrogé
tuteur est, comme celle du tuteur, gratuite et obligatoire, et les causes d'ex-
cuse et d'exclusion, les incapacités sont les mêmes de
que lorsqu'il s'agit
tuteur al. 1er). Toutefois, les femmes on l'a vu, peuvent décli-
(art.426, qui,
ner la tutelle, ne pourraient pas refuser d'être subrogées tutrices, la charge
de cette fonction étant beaucoup moins lourde que celle de la tutelle.
Le législateur attache manifestement une grande à la subro-
importance
gée tutelle, dont il a voulu faire un organe de contrôle et de surveillance.
Il exige qu'il y ait un subrogé tuteur toute tutelle. dans
C'est toujours le
conseil de famille qui le désigne (art. 420), soit dans la même réunion où
il procède à la nomination du tuteur, s'il y a lieu à tutelle dative (art. 422),
soit, s'il y a un tuteur légal ou testamentaire, à la requête de celui-ci, qui
doit convoquer un conseil de famille pour faire nommer son subrogé tuteur
avant d'entrer en fonctions (art. 424, 1er al.). Les fonctions du subrogé
tuteur durent autant que la tutelle. Elles fin avec elle, nous du
prennent
l'article 425, ce qui ne doit d'ailleurs s'entendre que de l'hypothèse nor-
male de la cessation de la tutelle par l'arrivée du pupille à l'âge de la ma-
jorité. Si le tuteur cessait auparavant d'exercer ses fonctions, il n'en résul-
terait pas que le subrogé tuteur dût être remplacé, à moins que le nou-
veau tuteur n'appartînt à la même ligne que lui.
La nature des fonctions de surveillance qu'il est appelé à remplir pro-
duit, en ce qui concerne le choix du subrogé tuteur, deux conséquences.
1° En aucun cas, le tuteur ne peut prendre part aux délibérations du
conseil de famille en vue de la nomination ou de la destitution du subrogé
tuteur. Il ne peut provoquer sa destitution (art. 423, 426, 2e al.).
2° Le subrogé tuteur doit être choisi, hors le cas de frères germains, dit
l'article 423, dans celle des deux lignes à laquelle le tuteur n'appartient pas.
Cette disposition évidemment n'empêche pas le conseil de famille de choi-
sir comme subrogé tuteur une personne non parente ni alliée du mi-
neur; de même, si le tuteur est un étranger de la famille du pupille, le
subrogé tuteur peut être indifféremment pris dans une ligne ou dans
l'autre.
L'expression hors le cas de frères germains prête à quelque équivoque.
Elle ne signifie pas, pensons-nous, que deux frères du pupille ne puissent
être nommés tuteur et subrogé tuteur que s'ils sont frères germains. Il
faut admettre que, si le tuteur est un frère germain du pupille, on peut
prendre comme subrogé tuteur, non seulement un autre frère germain,
mais un consanguin ou un utérin. Cela estlogique, car le frère germain
appartenant à la fois aux deux lignes, le frère utérin ou consanguin, dési-

gné comme subrogé tuteur, se trouve appartenir à une autre ligne que le
tuteur. Il n'était donc pas nécessaire que l'article 423 visât cette hypothèse
pour que le choix du frère du tuteur, comme subrogé tuteur, fût régulier.
L'opinion contraire aboutirait à décider que, si le tuteur est un frère ger-

DROIT, I. 32
- +Tome
490 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

main, le subrogé tuteur ne peut être qu'un autre frère germain ou un

étranger, ce qui semble inadmissible.

Fonctions du tuteur. — le
subrogé D'après premier président de
Lamoignon (Arrêtés, 1re partie, tit. IV, Tutelles, Max. 40), le subrogé tu-
teur (ou curateur), avait seulement pour fonctions d'assister à l'inventaire,
de défendre aux actions du tuteur contre le mineur, ou d'exercer celles du
mineur contre son tuteur. Le Code civil, nonobstant la formule trop res-
treinte de l'article 420, donne un caractère beaucoup plus large aux fonc-
tions du subrogé tuteur. Elles sont au nombre de trois.
1° Le subrogé tuteur veille à l'accomplissement des principales formali-
tés imposées au tuteur dans sa gestion. C'est ainsi qu'il assiste à l'inven-
taire dressé à l'ouverture de la tutelle (art. 451, 1er al.), à la vente aux en-
chères des meubles et des immeubles du pupille (art. 452. 459,1er al.) ; qu'il
reçoit la signification des jugements pris contre le tuteur (art. 444, C. proc.
civ.) ; qu'il doit faire inscrire Hypothèque légale du mineur (art. 2137) ;
qu'il veille à l'accomplissement des formalités exigées pour l'aliénation
des valeurs mobilières appartenant au pupille (L. 27 février 1880, art. 7).
2° Le
subrogé tuteur surveille l'administration .du tuteur, afin de s'assu-
rer qu'il s'en acquitte avec fidélité ; il a le droit, lorsqu'il surprend des in-
corrections, de provoquer la destitution du tuteur en réunissant le conseil
de famille à cet effet (art. 446, 1e al.). Malheureusement, la loi ne donne au
subrogé tuteur que de faibles moyens pour s'acquitter de sa mission. L'ar-
ticle 470 permet bien au conseil de famille d'imposer au tuteur, s'il le croit
utile, l'obligation de remettre au subrogé tuteur des états de situation ou
comptes périodiques auxépoques qu'il juge à propos de fixer et, au maxi-
mum, une fois par an. Encore celte faculté n'appartient-elle pas au conseil
de famille, lorsque le tuteur est le père ou la mère. Mais, en dehors de ce
moyen d'investigation qu'il ne possède, d'ailleurs, en fait, que rarement, on
ne voit pas bien comment le subrogé tuteur peut exercer sa surveillance.
Si le tuteur entend lui cacher ses actes, il n'a aucun le con-
moyen pour
traindre à les lui faire connaître. Nous verrons notamment bientôt la
que
loi donne au tuteur le droit de recevoir seul les capitaux à recouvrer pour
le compte du pupille et d'en donner quittance. Le subrogé tuteur pourra
ignorer ces rentrées, dont il devrait cependant surveiller l'emploi. Trop
souvent il ne sera instruit des malversations, s'il s'en produit, qu'après
qu'elles seront devenues irréparables.
3° Enfin, le subrogé tuteur fait fonction de tuteur, c'est-à-dire re-
qu'il
présente le mineur, d'abord dans les procès où celui-ci contre son
plaide
tuteur, ensuite dans les actes extrajudiciaires où il y a opposition entre
leurs intérêts 420, 2e al.) 1 On remarquera fré-
(art. que le cas se présentera
quemment dans la pratique, le tuteur et le pupille étant souvent frères ou
proches parents et, dès lors, souvent cohéritiers dans les mêmes succes-

1. Les rédacteurs de la loi du 20 mars 1917 ont omis, de reproduire ce


par oubli,
deuxième alinéa dans le nouveau texte de l'article 120. mais on ne saurait, pour
cette raison, le considérer comme abrogé, Civ. 29 nov. 1926, Gaz. Pal. 31 déc. 1926,
TUTELLE 491

sions. Il n'est pas nécessaire que d'intérêts entre


l'opposition le pupille et
le tuteur soit et actuelle
apparente pour qu'il y ait à faire appel au subrogé
tuteur. Si, par exemple, le tuteur fait un emprunt conjointement et soli-
dairement avec le pupille et affecte à la de cet emprunt
garantie un im-
meuble lui appartenant par indivis avec il y a entre
celui-ci, eux identité
d'intérêts actuelle ; l'opposition d'intérêts n'est On
qu'éventuelle. a cepen-
dant jugé et bien jugé, le subrogé tuteur
croyons-nous, que devait interve-
nir à lacté d'emprunt et à l'acte et
d'hypothèque y représenter le pupille
(Req.; 28 janvier 1896, D. P. S. 96.1.349).
96.1.543,

Responsabilité du subrogé tuteur. — Le tuteur


subrogé est natu-
rellement responsable envers le pupille, sans d'ailleurs cette
que respon-
sabilité soit garantie par une ses
hypothèque légale grevant biens comme-
ceux du tuteur.
Cette responsabilité varie suivant les :
hypothèses
1° Quand le subrogé tuteur
représente dans le mineur
des actes o.ù il
y a conflit d'intérêts entre le mineur et le tuteur, il est responsable des con-
séquences de l'acte qu'il a passé, comme le serait le tuteur lui-même. Si
donc il n'a pas apporté à la conclusion de l'affaire la diligence d'un bon
père de famille, et si celle-ci est préjudiciable aux intérêts du mineur, il
sera tenu de réparer le préjudice subi.
2° Comme s'il ne remplit
surveillant, pas les obligations que lui impose
la loi, s'il ne contrôle pas la gestion du tuteur, s'il ne demande pas sa des-
titution au cas où elle serait s'il ne veille
justifiée, pas à l'exécution des for-
malités requises par la loi, il est également responsable à l'égard du mineur
du préjudice que lui cause sa Il y a même une où la
négligence. hypothèse
loi le déclare solidairement avec le tuteur
responsable (art. 1442, 2e al., Civ. ).
3° Enfin il peut être cette envers les
également responsable, mais, fois,
tiers, lorsque la négligence qu'il a commise dans l'exercice de ses fonc-
tions entraîne pour ceux-ci un préjudice. C'est ce qui peut se produire, par
exemple, lorsqu'il a négligé de rendre publique l'hypothèque du mineur
sur les biens du tuteur en la faisant inscrire, ainsi que la loi lui en fait
une obligation (art. 2137).
Reconnaissons que ces différentes solutions, sauf la dernière, sont un
peu théoriques. A raison des moyens insuffisants de contrôle que la loi
lui confère, un tuteur est rarement tenu du
subrogé pour responsable
dommage causé à un pupille par les incorrections du tuteur. Il lui serait
trop facile de démontrer^que ce n'est pas par sa faute, mais par celle de la
loi, qu'il n'a pu les empêcher.

— Le
§ 3. Conseil de famille.

Origine et attributions du conseil de famille. — Le conseil de fa-


mille est issu de l'assemblée de parents, inconnu dans les pays de
organe
Droit écrit, mais qui fonctionnait dans la région du Droit coutumier. Cette
désignait le tuteur à la nomination du tribunal ; elle devait en
semblée
492 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

outre être consultée dans certains cas, tels que l'aliénation des immeubles,
des deniers pupillaires, ou la destitution du tuteur. Mais son rôle
l'emploi
était, en somme, assez effacé
op. cit., liv. II, t. Ier, sect.
(Domat, 2 in prin-

p. 113 s., 177, 184 s., 200, 294;


cipio ; Meslé, op. cit., Lamoignon, op. cit.,
tit. IV, art. 3 à 7, 70 à 76, 82, 85, 87, 88, 97).
Les rédacteurs du Code ont, au contraire, donné une grande importance
à l'institution. Ils ont voulu faire du conseil de famille l'organe supérieur
de la tutelle, le conseil de direction dont le tuteur serait l'agent exécutif.
Aussi lui ont-ils concédé des attributions fort importantes et nombreuses

qui peuvent se ramener à trois séries :


1° Nomination des de la tutelle. — C'est le conseil de famille
agents qui
nomme le tuteur, lorsqu'il n'est pas désigné par la loi ou le testament du
dernier mourant des père et mère. C'est lui qui nomme, dans tous les cas,
le subrogé tuteur. C'est enfin
qui peut lui
prononcer la destitution du tu-
teur et du subrogé tuteur (art. 446 et 426).
,2° Direction de la personne du mineur. — Le conseil de famille participe
à la direction de la personne du pupille. C'est lui qui, dans certains cas,
autorise son mariage (art. 159, 1er al.), prononce son émancipation ou lui
en retire le bénéfice (art. 478, 485), qui statue, enfin, sur l'incarcération du
mineur par voie de correction (art. 468),
3° Gestion du — Mais les nombreuses attributions du
patrimoine. plus
conseil de famille sont celles qui
gestion ont
du patrimoine traitpu- à la

pillaire. C'est le conseil, en effet, qui fixe les sommes à dépenser pour l'en-
tretien de l'enfant et son éducation (art. 454, 1er al.), détermine la somme
à partir de laquelle le tuteur devra employer l'excédent des revenus sur la
dépense (art. 455), fixe au besoin un délai
pour l'emploi des capitaux et
la conversion des titres au porteur en titres nominatifs (Loi 27 février 1880,
art. 5 et 6). De plus, tous les actes importants, tels que l'aliénation des
biens, l'emprunt, la
constitution d'hypothèque, ou la répu-
l'acceptation
diation d'une succession, d'une donation, l'exercice des actions immobi-
lières, le partage, la transaction (art. 457, 461, 463, 464, 465, doivent
467),
être soumis à son approbation.
Ajoutons que le conseil de famille émet tantôt des
avis, tantôt des déli-
bérations, suivant qu'il est appelé à décider ou à fournir une
simplement
consultation, ce qui peut arriver soit en vertu d'un texte l'ordonne
qui
(art. 494), soit sur l'initiative du tuteur, désireux de s'éclairer.
Il faut d'ailleurs faire observer que le rôle du conseil de famille n'est pas
limité à la tutelle. Il se continue après car c'est le conseil
l'émancipation,
de famille
qui désigne le curateur du mineur et qui l'assiste
émancipé pour
les actes les plus importants (art. 480). De plus, nous verrons le conseil
de famille intervenir pour protéger les intérêts d'un aliéné non interdit
(loi du 30 juin 1838, art. 32), pour l'interdiction de l'aliéné (art. 494) et
pour la nomination d'un conseil à un ou à un faible
judiciaire prodigue
d'esprit (art. 514). Enfin, en ce qui concerne la tutelle d'un aliéné in-
terdit, il joue ua rôle à celui dans la tutelle du
identique qu'il remplit
mineur.
TUTELLE 493

Composition du conseil de famille. — Le conseil de famille se com-


pose:
1° Du juge de paix qui en est le président ;
(art. 416)
2° De parants ou alliés ou amis, au nombre de le juge
six, désignés par
de paix suivant les règles ci-après :
A. — Les parents ou alliés doivent être pris, moitié dans la ligne pater-
nelle, moitié dans la ligne maternelle (art. 407, al. 1er).
B. — Les causes d'incapacité et d'exclusion établies pour la tutelle s'ap-
pliquent aussi au conseil de famille (art. 442 et s.). Depuis la loi du 20 mars
1917, les femmes peuvent en faire partie.
C. — Les frères ou soeurs germains du mineur sont de la limi-
exceptés
tation de nombre sus-indiquée ; s'ils sont dix ou au-delà, ils seront tous
membres du conseil de famille,
qu'ils composeront seuls avec les ascen-
dantes veuves et les ascendantsvalablement s'il
excusés, y en a. S'ils
sont en nombre les autres
inférieur, parents ne seront appelés que pour
compléter le conseil (art. 408, modifié par la loi du 20 mars 1917).
D. — Le juge de paix doit dans les plus
prendre chaque ligne proches
parents ou alliés (art. 407, 1er al.). A égalité de degré, le parent sera pré-
féré à l'allié du même degré, et, parmi les parents, du même le plus
degré,
âgé à celui qui le sera le moins (art. 407, 2e al. ancien texte1).
E. —- Le mari et la femme ne pourront faire partie du même conseil de
famille. La préférence sera donnée à celui des deux dont le degré de pa-
renté avec le mineur est le plus rapproché. A égalité de degré, le plus âgé
sera préféré (art. 407, 2e al.).
F. — Les membres du conseil de famille doivent être pris dans la com-
mune où la tutelle s'est ouverte ou dans un rayon de deux myriamètres
(art. 407, 1er al.). Néanmoins, s'il n'y a pas dans la commune de parents
ou alliés en nombre suffisant, le juge de paix peut appeler des ou
parents
alliés domiciliés à de plus grandes distances (art. 409). Il peut, de plus,
même s'il y a sur les lieux un nombre suffisant de parents ou d'alliés,
citer, à quelque distance qu'ils soient domiciliés, des parents ou alliés plus
proches en degré ou de même degré que les parents ou alliés présents, de
manière toutefois que cela s'opère en retranchant quelques-uns de ces der-
niers et sans excéder le nombre de six (art. 410).
G. — A défaut de parents ou d'alliés en nombre suffisant dans la com-
mune, le juge de paix peut appeler des amis, ou, comme dit l'article 409,
des citoyens, connus pour avoir eu des relations habituelles d'amitié avec le
père ou la mère du mineur (on remarquera le mot de qui semble
citoyens,
bien interdire d'appeler, comme
amis, des étrangers, les
quoique parents
et alliés étrangers doivent certainement être convoqués).
Trois observations compléteront les règles qui précèdent :
1° Il convient de se demander si le tuteur fait partie du conseil de famille.
Il ne paraît douteux le tuteur assister et prendre aux
pas que puisse part

1. Ces dispositions contenues dans le 2° alinéa de l'ancien article 407, ne se re-


trouvent plus, on ne sait pourquoi, dans le texte modifié par la loi du 20 mars 1917.
I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
494 LIVRE

l'article 2e al., nous dit


réunions de celte assemblée. Quanta y voler, 426,
ne le l'aire dans les conseils qui seraient convoqués
que le tu leur pourra
la destitution du tuteur. Faut-il en induire qu il
puur provoquer subrogé
les autres cas? On le décide en général. Cela nous paraît
vote dans tous
d'une délibération destinée à approu-
toutefois impossible, lorsqu'il s'agit
une mesure à plus forte raison à prononcer
ver ou rejeter qu'il propose,
sa propre destitution.
On remarquera le Code civil allemand décide (art 1866, n° 1) qu'il
que
entre la qualité de tuteur et celle de membre du conseil
y a incompatibilité
de famille, la présence du tuteur est de nature à paralyser la li-
parce que
berté d'action et de discussion des autres membres.

2° Le mineur n'assiste aux délibérations du conseil de famille. Les


pas
récentes suivent un système contraire et qui
législations étrangères plus
nous le Code civil italien (art. 251, al. 3), dès que
paraît préférable. D'après
le mineur a atteint de seize ans, le conseil de famille ne peut plus
l'âge
délibérer hors de sa D'après le Code civil allemand (art. 1827),
présence.
le conseil de famille et le tribunal des tutelles sont obligés d'entendre

le avant d'émettre une délibération pour les actes les graves plus
pupille
de la tutelle. Enfin, le Code civil suisse décide (art. 409) que le pupille sera

si tous les actes importants d'administration, lors-


consulté, possible, pour
est de discernement et âgé de seize ans au moins, sans que
qu'il capable
d'ailleurs son assentiment puisse décharger le tuteur de sa responsabilité.
3° Les auteurs à l'envi que le conseil de famille n'a pas une
répètent
invariable; celle-ci peut se trouver modifiée dans l'inter-
composition
valle de deux réunions, soit que de proches parents ont quitté la
parce
commune, soit parce que d'autres y sont venus, soit enfin parce que le
tuteur a changé de domicile. Cette observation est exacte, mais il ne faut

pas en exagérer la portée. Il est certainement dans le voeu de la loi que le


conseil de famille reste composé de la même façon pendant toute la durée
de la tutelle. Le juge de paix trouve le plus souvent moyen de se conformer
à ce voeu, en usant du droit que la loi lui donne de convoquer les plus

proches parents à quelque distance qu'ils habitent (art. 410).


Ici encore, les Codes étrangers pourraient nous servir de modèle. Le
Code civil italien décide (art. 249, al. 1er) que le conseil de famille est. per-
manent pour toute la durée de la tutelle ; de même, le Code civil allemand

(art. 1858 et s.).

dans la des conseils de famille. — Il


Irrégularités composition
arrive fréquemment que des irrégularités sont commises dans la composi-
tion des conseils de famille ; que, par exemple, des amis sont appelés à en
faire partie, alors qu'il y avait dans le périmètre légal un nombre suffisant
de parents ou d'alliés, ou bien encore que les amis convoqués ne sont pas
domiciliés dans la commune. Ces incorrections doivent-elles entraîner la
nullilé des opérations du conseil de famille? On l'a autrefois discuté. Mais la
Jurisprudence s'est, depuis longtemps, fixée en ce sens que, les articles 407
ne prononçant pas la sanction de la nullité, celle-ci ne être en-
et 409 peut
TUTELLE 495

courue du seul fait de-l'irrégularité commise. Les tribunaux en


n'annulent,
conséquence, les actes du conseil
de famille que dans les deux cas suivants:
1° S'il y a eu fraude : par exemple, c'est à dessein a écarté
dol ou qu'on
du conseil de famille des parents ou des alliés auraient
qui, régulièrement,
dû être convoqués, la nullité résulte ici de ce l'acte
principe général que
fait en fraude de la loi est toujours nul et non avenu.

Si l'irrégularité commise a causé un tort au mineur, ce fait la
par que
délibération prise par le conseil irrégulièrement composé a été préjudiciable
à ses intérêts. Du moment en effet que les incorrections commises abou-
tissent à priver le mineur des garanties de bonne gestion la loi a voulu
que
lui assurer, atteinte est portée à ce qu'il y a d'essentiel dans les règles
prescrites pour la composition du conseil, et la nullité doit s'ensuivre con-
formément aux principes généraux en matière de nullité 3 mars
(Req.,
et 1er avril 1856, D. P. 56.1.290, S. 56.1.408 et 591 ; 18 juillet 1904, D. P.
1904.1.552, S. 1905.1.23; Bourges, 8 février 1910, Le Droit, 20 mai 1910).

Lieu de réunion du conseil de famille. — C'est le juge de du


paix
domicile du mineur (art. 406) et de l'ouverture de la tutelle (art. c'est-
407),
à-dire celui du. dernier domicile des parents du mineur, qui est appelé à
convoquer et à présider le premier conseil de famille. Cela est parfaitement
logique, car c'est en ce lieu que se trouvent réunis presque toujours les
parents et les amis. Mais il peut arriver, au cours de la tutelle, que le domi-
cile du mineur soit changé ; c'est ce qui se produit lorsque le tuteur déplace
son domicile, puisque le mineur, après avoir été domicilié de droit chez
ses parents, l'est ensuite chez son tuteur (art. 108 1er al.). Ce changement
devra logiquement, et en vertu de l'article 406, modifier la composition du
conseil de famille, ce qui concerne en ses ou membres
eux, certains d'entre
et sûrement en ce qui concerne son président, car c'est un autre juge de
paix qui deviendra compétent. On conçoit les inconvénients d'une telle
règle. Il y aurait évidemment intérêt à ce que le conseil de famille restât le
même, à ce que ses délibérations fussent conservées au greffe de la même
justice de paix, à ce que le même magistrat suivît les affaires du mineur,
età ce que le même tribunal fût appelé à exercer son contrôle sur les actes
du conseil de famille. La variabilité dans la composition du conseil, suivant
la localité, bien que, comme on l'a vu plus haut, il ne faille pas l'exagérer,
peut aussi prêter à la fraude ; un tuteur ne pourra-t-il pas, en changeant
son domicile, arriver à exclure du conseil tel membre dont la clairvoyance
est une gêne pour lui? Aussi a-t-on proposé un système consistant à dire
que le lieu d'ouverture de la tutelle fixe, une fois pour toutes, le domicile
de tutelle. C'est à ce lieu que devraient se faire, dans l'avenir, toutes les
convocations quelconques du conseil de famille. Ce système est peut-être
préférable en législation. Cependant, il ne laisse pas d'entraîner lui aussi
des inconvénients pratiques. Qu'on se figure une famille d'origine parisienne
perdant son chef, alors que celui-ci, qui est par exemple un fonctionnaire,
se trouve domicilié en Algérie. C'est en Algérie que sera le domicile de tu-
telle. Ensuite, le tuteur ramène l'enfanta Paris auprès de sa famille. Fau-
496 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

dra-t-il dorénavant, à chaque réunion du conseil de famille, se rendre près


du juge de paix algérien qui a présidé la première réunion de cette assem-
blée? Que de frais inutiles ! et cela pour aboutir à une composition du con-
seil évidemment moins normale que si l'on se réunissait à Paris !
La Jurisprudence a tranché la question par une distinction fort raison-
nable et conforme aux principes qui viennent d'être exposés sur la sanc-
tion des règles de composition du conseil. La convocation du conseil de
famille, au cours de la tutelle et pour la validité des actes de gestion, se
fait en principe au domicile du tuteur dont on suit ainsi les déplacements.
Cependant, il en serait autrement si
ce changement de domicile était ins-

piré par une pensée de fraude, ou aboutissait à porter préjudice aux inté-
rêts de l'enfant (Req., 4 mai 1846, D. P. 46.1.129, S. 46.1.405). Enfin, le
conseil de famille, réuni pour destituer le tuteur ou en nommer un nou-
veau, doit toujours l'être au lieu d'ouverture de la tutelle (Civ., 2 mars 1869,
D. P. 69.1.199, S. 69.1.151). Cela revient à dire que, lorsqu'il s'agit de
remplacer le tuteur par un autre, le changement dans le lieu de réunion
et dans la composition du conseil est toujours présumé préjudiciable ou
frauduleux.

Procédure des convocations et délibérations. — Les dispositions


qui règlent ces questions (art. 406, 411 à 416, 424, 426, 494. 511, 2143,
2e al., C. civ. ; L. 27 février 1880, art. 7) ont une portée purement régle-
mentaire. Il suffit de s'y reporter. Signalons seulement une question. La
loi décide qu'en cas de divergence d'opinions, c'est la majorité qui décide,
avec voix prépondérante du juge de paix au cas de partage (art. 416). Doit-on
comprendre qu'il y a partage seulement lorsqu'il se forme, dans le conseil
deux opinions opposées ou, encore, lorsqu'il s'en forme trois ou davan-
tage ? Et, si ce dernier système est préférable, doit-on donner la décision
à la majorité relative, ou accorder la prépondérance au juge de paix pour
former cette majorité simplement relative, mais suffisante? Nous croyons
qu'une décision n'est adoptée par le conseil qu'autant qu'elle obtient la ma-
jorité réelle, c'est-à-dire A défaut absolue. majorité, la mesure de cette
proposée au conseil doit être considérée comme rejetée.
On remarquera qu'à la différence de ce qui est décidé les irrégula-
pour
rités dans la composition du conseil, les manquements aux règles pres-
crites par la loi pour la validité des délibérations doivent entraîner la sanc-
tion de la nullité (Angers, 23 mars 1896, D. P. 96.2.477, S. 96.2.204).

§ 4. — Le tribunal.

Mission du tribunal comme organe de haute tutelle. — Les textes


du Code civil
conçoivent ne les recours au tribunal comme un acte
que
gracieux. En effet, ainsi que nous allons le voir ils
bientôt, distinguent
entre deux séries de décisions du conseil de famille : les unes sont exé-
cutoires par elles-mêmes, les autres nécessitent une du tri-
homologation
bunal. Mais, en dehors des cas où une est déclarée néces-
homologation
saire, la délibération du conseil de famille comme
apparaît souveraine.
TUTELLE 497

Cette solution était conforme à l'esprit du Code qui voulait, nous l'avons
dit, faire du conseil de famille le régulateur suprême de la tutelle.
Dès 1807, cependant, les dispositions du législateur étaient sensible-
ment modifiées ; il revenait en partie aux conceptions de l'Ancien Droit,
lequel voyait dans le pouvoir judiciaire le protecteur excellence des
par
incapables. Dans le titre du Code de procédure civile consacré aux rapports
du conseil de famille et du tribunal, titre dont la intitulée Des avis
rubrique
de parents « sonne, comme dit, on l'a l'Ancien », l'article 883 porte
Régime
que, chaque fois qu'une délibération du conseil de famille n'a pas été una-
nime, l'avis de chacun des membres qui le composent (y compris bien
entendu le juge de paix) doit être mentionné au procès-verbal. Chacun des
membres de l'assemblée, le tuteur ou subrogé tuteur, auront le droit de
se pourvoir devant le tribunal contre la délibération. Ce recours de carac-
tère contentieux (en prenant le mot lato sensu),aboutit à faire du tribunal
le véritable arbitre souverain de la tutelle. La Jurisprudence, par deux
solutions, a achevé d'accentuer ce changement de front.
1° On n'a jamais soutenu que le tribunal, s'il désapprouve la délibéra-
tion du conseil de famille, doive se contenter de l'annuler et renvoyer la
décision à prendre au même conseil de famille mieux éclairé, ou à un autre
conseil composé, au moins en partie, différemment. Il est, au
contraire,
admis sans difficulté que le tribunal statue sur le fond, et substitue, s'il le
croit utile, une délibération nouvelle à la délibération qui lui est déférée.
2° La Jurisprudence a fini par admettre que, nonobstant le texte en appa-
rence limitatif de l'article 883 du Code
procédure civile, de
la délibération
du conseil de famille peut être attaquée devant le tribunal même quand elle
a été rendue à l'unanimité (Caen, 13 décembre 1897, D. P. 98.2.505, note de
M. Biville, S. 98.2.64 ; Douai, 15 décembre 1900, D. P. 1903.2.9). En somme,
le tribunal peut annuler toute délibération d'un conseil de famille qui lui

paraît contraire aux intérêts du mineur, à la requête du tuteur, du subrogé


tuteur ou d'un membre quelconque de l'assemblée, liste à laquelle il eût
été bon, d'ajouter le mineur lui-même, à partir d'un certain
çroyons-nous,
du Code civil suisse 420, 1er al.), au pupille
âge, à l'instar qui permet (art.
capable de discernement, de se pourvoir lui-même contre les actes du tuteur
devant l'autorité tutélaire.
Cependant, à côté de ces solutions y a lieu de signaler
extensives, ilun
recul incontestable de la Jurisprudence terrain sur un
spécial. Parmi les
délibérations du conseil de famille, il en est contre lesquelles, rendues
ou non à l'unanimité, elle n'admet pas qu'on puisse se pourvoir devant les
tribunaux. Ce sont celles en dehors des cas d'exclusion ou de desti-
qui,
tution du tuteur, la loi autorise formellement le recours
pour lesquels
le conseil de famille une participation à
(art. 448 et 449), constituent pour
la puissance se rattachent au gouver-
paternelle, ou, plus généralement,
nement de la personne du mineur. Il en est ainsi notamment des délibé-

rations ont trait à la nomination du tuteur et du subrogé tuteur, à


qui
l'autorisation du mariage du mineur, à l'émancipation, au maintien ou au

comme tutrice de la mère remariée (V. Civ., 23 juin 1902


remplacement
498 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

avec concl de M. legén. Baudouin,


proc. D. P. 1902.1.347, S. 1902.1.383,
note de M. Lyon-Caen). Cette distinction, fort contestable, aboutit, on le

voit, à décider que la règle, si générale qu'elle paraisse, de l'article 883 du


Code de procédure civile, n'a trait qu'aux délibérations relatives au patri-
moine du mineur. Alors, il s'agit de se prononcer sur des actes qui peuvent
être objectivement. Mais chaque fois qu'il y a une question de
appréciés
personne en jeu, le conseil de famille est considéré comme meilleur appré-
ciateur ; il reprend sa souveraineté.

Procédure devant le tribunal. — La à suivre devant le


procédure
tribunal, fonctionnant comme pouvoir de haute tutelle, varie suivant qu'il
s'agit du recours contentieux, intenté en vertu de l'article 883 du Code de

procédure civile, ou du recours gracieux, nécessaire pour obtenir l'homo-

logation du tribunal, dans les cas où elle est exigée pour la validité d'un
acte de tutelle.
En ce qui concerne le recours contentieux (hoc sensu) formé contre les
décisions non unanimes du conseil de famille (ou même unanimes, on l'a

vu, d'après la
Jurisprudence), c'est la procédure du droit commun qui
La demande est formée contre les membres du conseil de famille
s'applique.
qui ont voté la délibération critiquée. Deux particularités seulement, se
rencontrent dans la procédure (art. 883-884, C. proc. civ.) : 1° La cause est

dispensée du préliminaire de conciliation ; 2° Elle est jugée sommaire-


ment.

Lorsqu'il s'agit de recours pour homologation, il y a une procédure spé-


ciale fixée par l'article 458 dû Code civil et par les articles 885 à 888 du
Code de procédure civile. Son trait essentiel est qu'elle a lieu en chambre
du conseil. Expédition de la délibération est adressée au président du tri-
bunal par le tuteur, dans le délai fixé par la délibération ou, si la délibé-
ration n'en a pas fixé, dans celui de quinzaine. Si le tuteur ne poursuit pas
l'homologation, un des membres du conseil peut prendre l'initiative de la
demander (art. 887, C. proc. civ.). Le président ordonne la communication
de la délibération au ministère public et commet un juge pour en faire un
rapport au jour indiqué (art. 885, C. pr. civ).
Nous avons qualifié cette procédure spéciale de recours gracieux, mais
sans attacher à cette expression un sens rigoureusement En
technique.
effet, la procédure d'homologation ne rentre dans la juridiction gracieuse,
au sens technique du mot, que si elle s'accomplit sans contestation. Mais
chaque membre du conseil de famille aurait le droit de s'opposer à l'homo-
logation dans les formes visées à l'article 888 du Code de procédure civile.
Si cette opposition se produit, la décision à rendre n'est un acte de
plus
juridiction gracieuse. Elle ne devra pas être prononcée en chambre du
conseil, mais en audience publique.
Dans tous les cas, les jugements rendus sur délibération du conseil de
famille sont sujets à l'appel (art. 889, C. Le conseil de famille
proc. civ.).
ne constitue pas en effet un premier de
degré juridiction. Cependant, par
exception, lorsque le tribunal statue relativement à l'aliénation- ou à la
TUTELLE 499

conversion de valeurs mobilières au l'article


appartenant mineur, 2, ali-
néa 2, de la loi du 27 février 1880, dispose que le jugement sera en dernier
ressort. On a voulu éviter un supplément de frais dans une matière où ils
sont déjà trop considérables 1.

SECTION II. — FONCTIONNEMENT DE LA TUTELLE.

L'article 450, al. 1er, détermine très bien les deux sortes d'attributions
du tuteur.
1° Il prend soin de la personne du mineur ;
2° Il le représente dans tous les actes civils.
Plus généralement, les dispositions le fonctionnement de la
qui règlent
tutelle ont trait : 1° à la direction de la du
personne pupille ; 2° à l'admi-
nistration de ses biens.


§ 1. Direction de la personne du mineur en tutelle.

Différence entre la tutelle et la — En tant


puissance paternelle.
qu'elle s'exerce sur la personne du mineur, la tutelle est une sorte de puis-
sance paternelle restreinte. Mais, tout d'abord, il faut préciser les cas où ce
pouvoir s'exerce avec ses caractères distinctifs. Trois doivent
hypothèses
être distinguées :

1. Plusieurs autres organes de la tutelle ont été créés (à titre temporaire) par la
loi du 27 juillet 1917 instituant les pupilles de la nation. Cette loi s'inspire de la
pensée excellente exprimée dans son article 1er que « la France adopte les orphe-
lins dont le père, la mère ou le soutien de famille a péri au cours de la guerre de
1914, victime militaire ou civile de l'ennemi, » et que ces enfants ou ceux que le même
article leur assimile dans son alinéa 2 « ont droit à la protection, au soutien maté-
riel et moral de l'Etat pour leur éducation... » A cet effet, et en vue principalement
de surveiller l'emploi utile des secours pécuniaires qui seront alloués aux pupilles
de la nation à qui ils seront nécessaires, la loi crée divers organismes nouveaux
(art. 9 et s.). Ce sont surtout les offices, office national exerçant un contrôle et une
impulsion générale pour l'application de la loi (art. 11 à 13) offices départementaux,
s'occupant plus spécialement de la distribution des subventions et de la surveil-
lance de leur emploi (art. 14 et 15) et secondés dans cette tâche par des sections can-
tonales (art. 17 et 18). L'office départemental sert à fournir au besoin des amis
aux conseils de famille des orphelins de la guerre (art. 20). Il peut recevoir du
conseil de famille, s'il n'y a ni ascendant ni tuteur testamentaire, la tutelle de l'en-
fant, dont il déléguera ensuite l'exercice, soit à un de ses membres soit à toute autre
personne de confiance (art. 21). Il peut, si la mère, le tuteur testamentaire ou un
ascendant tuteur le demande, et doit, si le tuteur est un autre que ceux-ci, désigner
un conseiller de tutelle chargé, sans « jamais s'immiscer dans l'exercice de la puis-
sance paternelle ou de la tutelle » de veiller au loyal usage des subventions, d'assis-
ter au besoin l'enfant et sa famille de son expérience, de veiller à ce que l'orphelin ne
soit pas livré à l'abandon et fréquente l'école (art. 23 et 24). L'office départemental,
s'il craint que les intérêts matériels ou moraux de l'enfant soient compromis par la
négligence du tuteur, peut inviter le parquet à provoquer devant le tribunal toutes
les mesures utiles (art. 22). Enfin, c'est lui qui, lorsqu'il y a lieu au placement de
l'enfant hors de sa famille, le confie à une personne de son choix, établissement
public, fondation, association, groupement ou particulier présentant les garanties
nécessaires (art. 26). Il est difficile d'apprécier dès à présent la valeur pratique de
cette loi. Mais il est incontestable qu'elle procède d'une pensée de solidarité natio-
nale très louable et que, sur certains points particuliers, elle apporte des modifi-
cations heureuses aux solutions du droit commun,
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
500

1° La tutelle peut appartenir au survivant des père et mère. Alors, nous

vu, la subsiste ; les deux sont réunis


l' avons puissance paternelle pouvoirs
dans la même main. Tuteur quant aux biens, c'est comme
père ou mère
investi de la puissance paternelle que le survivant s'occupe de la personne
de l'entant ; il le lait par conséquent avec des pouvoirs plus étendus que
ceux d'un tuteur.
2° Il se peut que le père ou la mère survive, mais ne possède pas la
tutelle, soit qu'il se soit excusé, soit qu'il en ait été destitué pour une
cause n'entraînant pas déchéance de la puissance paternelle. Alors, les
attributions du tuteur n'ont trait qu'au patrimoine. La puissance paternelle
sur la personne de l'enfant appartient toujours à l'auteur survivant (note
de M. de Loynes, D. P. 91.2.73).
3° Le père et la mère sont morts. C'est seulement dans ce cas que la
tutelle s'exerce sur la personne de l'enfant. Elle ressemble alors, dans ses
grands traits, à la puissance paternelle. Notamment, le mineur est obligé
d'habiter avec le tuteur chez qui il a son domicile légal (art. 108, 1er al.).
C'est le tuteur qui oriente et dirige l'éducation. Mais, aux points de vue
suivants, ses pouvoirs sont différents de ceux des père et mère.
A. — Tandis que le père exerce le droit de correction, tantôt par voie
de réquisition, par tantôt
voie d'autorité, le tuteur, lui, ne peut jamais
l'exercer parque voie de réquisition, et avec l'autorisation du conseil de
famille il aura dû porter ses plaintes ( art. 468).
devant lequel
B. — Le père, outre le droit de garde, d'éducation et de correction, est
investi, relativement à la personne du mineur, de plusieurs droits complé-
mentaires, tels que celui d'émanciper l'enfant, celui de consentir à son
mariage. Ces droits n'appartiennent pas au tuteur, qui n'a la et
que garde
l'éducation. L'émancipation est prononcée par le conseil de famille
(art. 478). Le consentement au mariage de est fourni l'enfant par les as-
cendants (art. 150) et, à leur défaut, par le conseil de famille (art. 160).
C. — Le père et la mère, dans la direction et l'éducation de i'enfant,
Agissent sans contrôle. Le simple tuteur au contraire, le
est placé sous
contrôle du conseil de famille. Il y a des textes en ce sens. La loi du 31 mai-
sur le recrutement de l'armée,
1928, porte (art. 61, 6°) que l'enfant de
moins de vingt ans a besoin, contracter
pour son engagement militaire,
non seulement du consentement du tuteur, mais de l'autorisation du con-
seil de famille. L'article 1er al. du Code
454, civil, porte que le conseil de
famille règle par aperçu, lors du commencement de la tutelle, la somme à
laquelle devra s'élever la dépense annuelle du mineur ; on en a conclu que
le conseil de famille, le pouvoir
ayant de régler la dépense, n'aurait pas
seulement à en fixer le montant, mais aussi à en déterminer l'objet et
l'emploi, par conséquent à déterminer le genre d'éducation et d'entretien
à donner à l'enfant. En outre, en dehors même des cas visés par les textes,
les tribunaux admettent volontiers que les parents qui, au cours de la tu-
telle, auraient des réclamations à formuler contre les agissements du tuteur
(par exemple,quant aux fréquentations interdit
qu'il avec tel ou tel proche),
pourraient les porter, soit devant le conseil de famille, soit directement
TUTELLE 501

devant le tribunal (Nancy, 23 juin 1906, D. P. S.


1908.2.329, 1907.2.145).
En un mot, l'autorité du tuteur sur la personne du pupille n'est dis-
jamais
crétionnaire ; elle est subordonnée au contrôle des autorités de haute tutelle.
D. — Le père ou la mère exerçant la
puissance paternelle supportent
les frais qu'entraînent l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il n'en est pas
de même du tuteur : les frais qu'il engage sont à la charge du patrimoine
de l'enfant lui-même ou des personnes tenues envers lui de ali-
l'obligation
mentaire.

§ 2. Gestion du patrimoine du pupille.

Représentation du mineur par le tuteur. — « Le dit l'ar-


tuteur,
ticle 450,1er alinéa, représente le mineur dans tous les actes civils. » Il le
représente, c'est-à-dire qu'il agit pour son compte et en son nom. Les actes
accomplis par le tuteur dans la limite de ses droits et avec l'accomplis-
sement, s'il y a lieu, des formalités prescrites, produisent leur effet à
l'égard du pupille et de son patrimoine, comme si le pupille les avait
accomplis lui-même, étant en possession de sa pleine capacité.
Nous avons déjà signalé la différence qui, ici, notre tutelle
distingue
française de la tutelle romaine. A Rome, le pupille intervient lui-même
dans la gestion de ses intérêts. Capable de rendre sa condition meilleure,
il n'est incapable que des actes qui la rendent pire ; pour ces actes, il a be-
soin de l'auctoritas du tuteur, c'est-à-dire de l' intervention de ce dernier
en vue d'augmenter (augere), de compléter sa volonté Mais le
juridique.
tuteur ne représente pas le mineur. la période Pendant de l'infantia seule-
ment, l'impossibilité matérielle qu'il y a à faire intervenir le pupille force
lé tuteur à agir à sa place ; mais ici encore, il ne le représente pas comme
notre tuteur ; il n'agit pas comme mandataire légal, mais en qualité de
negotiorum gestor.
On remarquera cependant, d'une part, que cette représentation du pu-
pille français par son tuteur reçoit exception dans les cas nombreux où
nous avons vu se manifester une certaine capacité du mineur, et, d'autre
part, que rien n'empêche le tuteur, s'il le désire, de faire intervenir le mi-
neur lui-même avec son autorisation dans les actes juridiques l'intéres-
sant. Un acte signé par le pupille ne sera pas nul du moment qu'il est re-
vêtu de la du tuteur. Peu importe que ce dernier ait
signature signé
comme agissant au nom du pupille ou pour autorisation de celui-ci.
Nous allons voir maintenant comment est réglée l'activité du tuteur. Nous
aurons à examiner successivement trois questions :
1° Que doit-faire le tuteur avant d'entrer ou en entrant en charge?
2° A quelles sont soumis ses actes au cours de la tutelle ?
règles
3° Quelles sont ses obligations à la fin de la tutelle ?

Première : Début de la tutelle. — Diverses obligations sont,


phase
a ce moment, au tuteur :
imposées
1° Nomination du subrogé tuteur. — Le tuteur doit, on l'a déjà vu, faire
nommer un subrogé tuteur avant même d'entrer en fonctions. S'il s'est in-
502 LIVRE V. - TITRE III, - PREMIÈRE PARTIE

dans la gestion avant d'avoir précaution, il s'expose,


pris cetteen cas
géré
de doi de sa part, à la destitution, qui pourra être prononcée par le conseil

de famille 421, 2e al.). Cette obligation, d'ailleurs, ne concerne que


(art.
le tuteur ou testamentaire ; car, s'il y a tutelle dative, le conseil de fa-
légal
taille sera naturellement amené à nommer le subrogé tuteur en même

temps qu'il désignera le tuteur.


2° Inventaire. — La seconde qui s'impose au lu leur, est d'éta-
obligation
blir immédiatement la consistance des biens
exacte qui appartiennent à son

et dont il va prendre l'administration. Cette détermination a une


pupille
double utilité. D'abord, elle fixe exactement l'étendue des ressources dont

le mineur, ce qui est nécessaire pour permettre derégler d'une


dispose
manière convenable son train de vie et son éducation ; ensuite et surtout,
elle les détournements, en déterminant d'avance les restitutions
prévient
le tuteur aura à faire à l'expiration tutelle.
que de la
A cet effet, l'article 451, 1er al. porte que, dans les dix jours de sa nomi-

nation, le tuteur doit requérir la levée scellés, des


s'ils apposés (V. ont été
art. 911, C. proc.) ; puis il procède immédiatement, en présence du subrogé

tuteur, à l'inventaire des biens du mineur. On appelle inventaire un acte

notarié, contenant l'énumération, la description et l'estimation des biens

mobiliers, toutes qui sont


indications nécessaires pour établir l'identité

exacte de ces biens, et, en cas de destruction, pour fixer la somme à resti-

tuer à la Les dettes figurent aussi à l'inventaire. Quant aux im-


place.
meubles, le notaire se contente d'en dresser l' état, c'est-à-dire d'énoncer les
titres de
propriété, aucun détournement n'étant à craindre.
La sanction de l'obligation de faire inventaire est quadruple.
A. — Le tuteur qui négligerait de procéder à l'inventaire, s'exposerait
évidemment à la destitution pour incapacité ou infidélité (art. 444).
B. — On admet, en généralisant, pour identité de motifs, la règle édictée

par la loi dans l'hypothèse où la tutelle s'ouvre au profit du survivant des


et mère mariés sous le régime de la communauté de biens (art. 1442,
père
1er al.), que le pupille pourra, s'il n'y a pas eu d'inventaire, prouver la con-
sistance des biens qu'il doit reprendre à sa majorité par tous les modes de

preuve possibles, y compris la commune renommée.


C. — Si le tuteur négligent est le père ou la mère, il est privé de l' usu-

fruit légal (art 1442, 2e al.).


D. — Enfin, le même texte décide (et il faut, ici encore, lui donner une

portée générale) que le subrogé tuteur, coupable de n'avoir pas forcé le tu-
teur à faire inventaire, sera solidairement tenu avec lui de toutes les con-
damnations qui pourront être
prononcées au profit du pupille.
3° Déclaration par le tuteur, dans l'inventaire, de ce qui peut lui être dû
le mineur. — L'article 451, 2e al. impose une troisième au
par obligation
tuteur. « S'il lui est dû quelque chose le mineur, il devra le déclarer
par
dans l'inventaire, à peine de déchéance, et ce, surla réquisition que l'offi-
cier public sera tenu de lui en faire, et dont mention sera faite au procès-
verbal. » Cette déclaration a pour but d'éviter une fraude le tuteur, na
que
guère créancier du mineur, pourrait autrement commettre. Déjà payé de
TUTEUR 503

son dû, il pourrait le réeclamer une seconde fois, après avoir détruit la
quittance qu'il aurait découverte dans les papiers qu'il va avoir à manier.
La réquisition du notaire est destinée à empêcher que le tuteur, par igno-
rance de la loi, ne soit exposé à. encourir la déchéance de son droit, en né-
gligeant de faire la déclaration prescrite. Enfin, la au
mention procès-
verbal de l'inventaire est la garantie que le notaire ne manquera de
pas
prévenir le tuteur comme il en a le devoir. Si le procès-verbal à
portait,
cet égard, une mention qui ne fût pas exacte, le notaire encourrait les
peines du faux en écriture publique.
4° Vente du mobilier. Dans le mois
qui suit la clôture de l'inventaire,
-
le tuteur doit
procéder à la vente aux enchères et en présence
publiques,
du subrogé tuteur, du mobilier appartenant au pupille La loi ne
(art. 452).
veut pas que l'on conserve un mobilier improductif et de nature à se dé-
tériorer. Cette règle comporte trois exceptions.
A. — Bien que la loi n'en dise rien, il est certain que la de l'ar-
règle
ticle 452 ne s'applique pas aux meubles incorporels, aux valeurs mobilières.
Ces meubles ne sont pas improductifs ; ils ne se détériorent pas ; à quoi
emploierait-on d'ailleurs le produit de leur vente, sinon en placements qui
pourraient encore
mobiliers? être
B. — Le conseil de famille (art. 452 in fine) autorise le tuteur à conserver
certains meubles, ceux par exemple qui sont utiles pour l'existence du
mineur ou pour sa carrière future, ceux qui, présentant une valeur artis-
tique ou de collection, constituent un capital susceptible d'augmentation,
ceux enfin auxquels, s'attache un souvenir de famille.
C. - Le père ou la mère, lorsqu'ils ont la jouissance légale des biens du
mineur, sont dispensés de vendre les meubles, s'ils préfèrent les garder
pour les rendre en nature (art. 453). Mais ils devront en faire faire, par
expert, à leurs frais, dans les formes indiquées par le texte, une estima-
tion à juste valeur, c'est-à-dire plus précise que l'estimation forcément
approximative faite déjà par le notaire dans l'inventaire. Cette estimation
servira, en cas de besoin, de base aux restitutions à faire à la fin de l'usu-
fruit. Cette troisième exception à la règle s'explique d'elle-même. Le mo-
bilier a, en général, pour 1e père ou la mère
une valeur survivant
d'affec-
tion, Aussi, la loi qui ne les dispense pas de faire inventaire, puisqu'ils sont
usufruitiers, les de faire vendre le mobilier, s'ils préfèrent le
dispense
conserver.
5° Décisions à demander au conseil de — Enfin, le tuteur doit
famille.
provoquer, « lors de l'entrée en exercice con-
», diverses délibérations du
seil de famille réglant, en quelque sorte, de
le fonctionnement ultérieur

la tutelle (art. 454, 455),


A. — Le conseil fixe la somme à dépenser annuellement pour l'entretien
du mineur, et pour l'administration de ses biens. On a vu qu'il peut faire
entrer dans ce budget la prévision d'une indemnité pour le tuteur.
B. — Le conseil décidera si le tuteur est autorisé à s'aider dans sa gestion
sous sa responsabilité.
d'un ou de plusieurs administrateurs salariés gérant
C. — Enfin, le conseil détermine positivement à partir de quelle somme
LIVRE I. — TITRE — PREMIERE PARTIE
504 III.

commencera le tuteur l'obligation d'employer, c'est-à-dire de placer


pour
l'excédent des revenus sur les dépenses.

On que l'obligation de provoquer ces diverses délibérations


remarquera
les tuteurs autres les père et mère. Ceux-ci
ne pèse que sur que jouissent
donc d'une plus grande liberté de mouvements que les tuteurs ordinaires
dans l'exercice de leurs fonctions.

Deuxième : Gestion tutélaire. Généralités. — Le tuteur


phase repré-
sente le mineur dans tous les actes qui intéressent le patrimoine de celui-
ci. C'est un mandataire légal. Comme tel, il est soumis à l'obligation d'ad-
ministrer les biens qui lui sont confiés en bon père de famille (art. 450,
2e al.), c'est-à-dire en propriétaire exact et soigneux. En conséquence, il

répond de toutes les fautes quelconques commises, par incurie ou par né-
dans l'exercice de ses fonctions. Par exemple, il devra des dom-
gligence,
mages-intérêts en cas d'incendie d'un immeuble pupillaire qu'il aurait

négligé d'assurer ou dont il n'aurait pas renouvelé à temps l'assurance

(Rennes, 8 janvier 1897, D. P. 97.2.365, S. 97.2.127).


Les pouvoirs de gestion du tuteur circonscrits sont limités et par la loi.
On peut dire qu'en cette matière, le progrès législatif a consisté dans l'ac-
croissement de la réglementation. La physionomie de notre loi, telle

qu'elle résulte du rapprochement du Code civil et des textes postérieurs


est, à cet égard, très significative.
Le Code civil trace d'une façon très nette le cadre de l'activité tutélaire.
Les actes du tuteur sont distribués dans une série de compartiments dis-
tincts. Il y a d'abord certains actes qui lui sont imposés, parce qu'ils pa-
raissent particulièrement nécessaires, et qu'on peut qualifier d'obligatoires.
Puis viennent ceux qu'il peut accomplir seul et sans contrôle : ce sont, d'une

façon générale, les actes d'administration courante. Pour les actes atteignant
un degré de gravité plus grand, le tuteur ne peut plus agir seul; il doit
consulter le conseil de famille. S'agit-il d'actes encore plus importants, en

particulier, d'actes de disposition portant sur des éléments considérables


du patrimoine, la délibération du conseil de famille ne suffit plus ; il faut,
en outre, une homologation du tribunal. La dernière série d'actes à distin-
guer est enfin celle des actes qui sont complètement interdits pendant la
tutelle parce qu'ils ne sont ni urgents, ni susceptibles de produire quelque
utilité pour le pupille. On ne peut rien reprocher à ce plan si ce n'est, peut-
être, une certaine complication.
Malheureusement, si les contours de ces différents compartiments
avaient été nettement tracés, il y avait beaucoup à dans la
reprendre
détermination de leur '
contenu. La plus grande faute du législateur de
1804, faute d'ailleurs bien excusable, puisqu'elle résultait des conditions
économiques de la France à l'époque du Consulat, avait été de ne rien pré-
voir en ce qui concerne la
protection d'un élément du patrimoine, alors
peu considérable, mais appelé à prendre, par la suite, un très large déve-
loppement, à savoir les meubles incorporels, les valeurs mobilières. La
lacune était si visible que, peu d'années la du Code
après promulgation
TUTELLE 505

civil, des textes nouveaux, de portée malheureusement in-


trop spéciale,
tervenaient pour la combler, au moins en partie. Citons notamment : 1° la
loi du 24 mars 1806 dont l'article 3 interdit au tuteur de vendre, sans une
autorisation du conseil de famille, les inscriptions de rente sur l'Etat, appar-
tenant au pupille, qui dépasseraient 50 francs de revenu ; 2° le décret du
25 septembre 1813, appliquant la même règle aux actions de la Banque de
France, lorsque le pupille était propriétaire de plus d'une action. Rentes
sur l'Etat, actions de la Banque de France, c'étaient là les valeurs mobi-
lières sérieuses de l'époque, celles qui se recommandaient à peu
les plus
près seules à la composition des portefeuilles bourgeois. Mais il est facile
de comprendre combien les dispositions les visant exclusivement allaient
se révéler insuffisantes au cours du XIXe siècle, à raison de l'immense
développement des valeurs de bourse qui en a constitué l'un des traits
marquants. Une question capitale ne tarda donc pas à se dans la
poser
pratique. Lorsqu'il y avait lieu de procéder à l'aliénation de valeurs mo-
bilières, autres que les titres indiqués par la loi de 1806 et le décret de
1813, le tuteur avait-il le droit de procéder seul ou devait-il recourir à
l'autorisation du conseil de famille?
C'est en faveur de la liberté du tuteur que se prononça là plus grande
partie de la Doctrine. Dominés à l'excès par les tendances un peu trop pu-
rement exégétiques qu'on a pu reprocher, non sans quelque raison, aux
premiers interprètes du Code civil, confirmés d'ailleurs dans leur opinion
par une tradition historique indiscutable, les auteurs, peu soucieux des
profondes transformations économiques dont le spectacle se déroulait ce-
pendant sous leurs yeux, enseignèrent en général que le pouvoir du tuteur
était la règle, l'intervention des autorités de haute tutelle l'exception, et
que partout, dès lors; où un texte formel ne venait par déclarer le contraire,
le tuteur avait la faculté de procéder sans consulter le conseil de famille
ni le tribunal, et avait le droit librement les
qu'il par conséquent d' aliéner
valeurs mobilières appartenant à son pupille.
Naturellement plus préoccupée des nécessités pratiques, la Jurispru-
dence avait longtemps résisté (V. la note D. P. 56.1.18); mais enfin elle
céda aux suggestions de la Doctrine. La Cour de Paris, en 1871, puis la
Cour de Cassation, en 1873, s'inclinèrent, et reconnurent l'omnipotence
du tuteur (Paris, 11 décembre 1871, D. P. 72.2.75, S. 71. 2.249; Civ.,
3 février 1873, 4 août 1873, D. P. 75.5.468, S. 73.1.61,441).
Ce revirement de la Jurisprudence eut cet heureux résultat de détermi-
ner l'intervention du qui aboutit à la loi du 27 février 1880.
législateur,
Ce texte; de la plus haute importance, et dont les dispositions seront ana-

lysées plus loin, la protection du du pupille, en subor-


organise portefeuille
donnant les aliénations de valeurs mobilières à l'autorisation du conseil
de famille et, parfois, à l'homologation du tribunal, en prescrivant la con-
version des titres au porteur en titres nominatifs, et, enfin, en ordonnant

l'emploi des capitaux.

Première série : Actes au tuteur. — D'une


imposés façon générale,

DROIT. — Tome I. 33
506 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

le tuteur est tenu de faire tous les actes utiles à la bonne gestion du patri-

moine, à plus forte raison indispensables, comme les actes conservatoires


tels qu'une inscription ou un renouvellement d'inscription hypothécaire,
une interruption de prescription. En effet, nous avons vu que, si de sa né-

gligence il résulte un préjudice pour le pupille, il en doit la réparation,


Plus spécialement, des prescriptions impératives de la loi lui imposent,
sous certaines sanctions spéciales, les actes suivants :
1° Tout d'abord certaines des obligations quipèsent sur lui au début de
la tutelle, se renouvellent, le cas échéant, pendant la tutelle. C'est ce qui
a lieu pour l'obligation de faire inventaire et celle d'aliéner le mobilier

corporel improductif. Il n'est pas douteux, en effet, que, si le pupille


recueille une succession au cours de la tutelle, le tuteur doit prendre ces
deux précautions, comme il a été tenu d'y recourir à propos des biens

apportés en tutelle par le pupille, et sous les mêmes sanctions.


2° Le tuteur doit faire emploi des économies réalisées sur les revenus.
Nous avons vu que c'est le conseil de famille qui détermine à partir de

quelle somme commence cette obligation. Le délai, imparti par l'article 455
au tuteur pour faire l'emploi, est de six mois à partir du moment où les
économies ont atteint le chiffre fixé par la délibération du conseil de
famille. Passé ce délai, le tuteur devra au pupille, et cela de plein droit,
les intérêts des sommes qu'il n'aurait pas placées. Il devrait après le même
délai les intérêts de toute somme touchée à titre de revenu et non employée,
quelque modique qu'elle soit, s'il avait négligé de faire fixer par le con-
seil de famille le chiffre à partir duquel commence son obligation (art 456).
Il est à remarquer que cetteobligation de placer les économies n'est pas
imposée au tuteur, lorsqu'il s'agit du père ou de la mère. C'est du moins
ce qui semble résulter du rapprochement des articles 454 à 456, d'une part,
et 457, de l'autre. L'article 454, en entamant la liste des délibérations que le
tuteur doit provoquer de la part du conseil de famille au début de la tutelle,
nous dit expressément qu'elles interviendront « dans toute tutelle autre que
celle des père et mère ». L'article 455, vise la délibération relative à
qui
l'emploi des économies, ne reproduit pas, il est vrai, cette formule restric-
tive. Mais on doit penser qu'elle y est sous-entendue, étant donné l'ar-
que
ticle 457, passant à un autre ordre d'obligations du tuteur, débute par les
mots suivants : « Le tuteur, même le père ou la mère... » ce qui montre bien
que les articles immédiatement précédents ne s'appliquaient à ces
point
derniers. Cette dispense semble consacrée
d'emploi par la Cour de cassa-
tion (Civ.. 24 décembre 1895, D. P. 96.1.321, S. 96.1.25). Elle se justifie, tant
que le père ou la mère ont l'usufruit légal ; mais rien ne l'explique à partir
du moment où l'usufruit légal ne leur appartient plus.
3° Le tuteur est également astreint, et sous les mêmes à faire
sanctions,
emploi des sommes ou capitaux
d'argent, qui seraient recueillis par le pupille,
soit au début, soit au cours de la tutelle, par succession ou autrement. Chose
singulière, le Code civil, qui prescrivait des ne disait
l'emploi économies,
rien des capitaux ; mais la Jurisprudence ne s'embarrassait pas de ce silence
et décidait que, par argument a fortiori, la disposition 455 et
des articles
TUTELLE 507

456 devait s'appliquer en pareil cas. Cette solution a été consacrée par
l'article 6 de la loi du 27 février 1880. le délai au tuteur
Seulement, imparti
n'est plus le même que lorsqu'il s'agit des économies: il est de trois mois
au lieu de six. Le conseil de famille peut d'ailleurs fixer, s'il le juge con-
venable, un délai plus long.
L'article 6 de la loi de 1880 « les tiers ne seront
ajoute (al. 3) que en au-
cun cas
garants de l'emploi ». Cette disposition certainement aux
s'applique
économies comme aux capitaux. Elle signifie que les tiers, on.
lorsqu'ils
versé ce qu'ils doivent au mineur entre les mains du tuteur, et en ont retiré
quittance, sont définitivement libérés et n'auront pas à payer une seconde
fois, quand même l'argent serait détourné ou La Jurisprudence,
dissipé.
quand il s'agit de la protection d'autres incapables, les femmes mariées
sous le régime dotal, suit un système différent: les tiers, avant de payer,
doivent s'assurer que le mari justifie de l'emploi des deniers. D'où des re-
tards et des complications que l'on a voulu éviter en matière de tutelle
Quand s'agit ildu placement des capitaux, l'obligation d'emploi s'im-
pose au père et à la mère comme aux autres tuteurs. C'est ce qui résulte
clairement des travaux préparatoires de la loi de 1880 et, notamment, du

rejet, par le Sénat, d'un amendement qui décidait le contraire. Cette solu-
tion fait d'autant plus ressortir la singularité de la dispense accordée, quant
à l'emploi des économies, au père et à la mère non usufruitiers.
4° Une dernière obligation du tuteur consiste à convertir en titres nomi-

natifs les titres au porteur appartenant à son pupille. Il y a là une mesure


de prudence, destinée à mieux assurer la conservation de la fortune mobi-
lière de l'enfant. Les titres au porteur, en effet, sont manifestement
exposés
à des détournements ; ils courent des chances de perte et de vol qui ne sont
de titres nominatifs. Ici encore,
pas à craindre lorsqu'il s'agit certains pré-
cédents législatifs avaient tracé la voie au législateur de 1880. Une ordon-
nance du 29 avril 1831, article 7, avait disposé que la conversion de rentes
sur l'État nominatives en titres de rente au porteur ne serait pas admise,
lorsqu'il s'agirait des inscriptions établies au bénéfice des mineurs. Plus

tard, lorsqu'il fut créé des titres de rente sur l'État mixtes, c'est-à-dire no-

minatifs, avec coupons au porteur, le décret du 13 juin 1864 vint décider

(art, 1er), que ces titres mixtes ne pourraient être délivrés qu'autant qu'il
serait justifié que les rentiers jouissaient d'une pleine capacité. L'article 5
de la loi du 27 février 1880, substituant une règle générale à ces disposi-
tions que le tuteur doit procéder à la conversion en
fragmentaires, porte
valeurs nominatives des titres au porteur appartenant au pupille, dans les
trois mois suivent l'ouverture celle d'une succession échue
qui de la tutelle,
au mineur ou une libéralité à lui faite, succession ou libéralité comprenant
des; titres au porteur.
il peut arriver les titres ne soient pas convertibles, soit par
Comme que
nature a lieu certaines valeurs étrangères établies seule-
leur (ce qui pour
ment dans la forme an soit à raison des conventions (ce qui pourra
porteur),
se produire les hypothécaires ou pour toute valeur mobi-
pour obligations
autre les valeurs de bourse), le conseil de famille peut, dans le
lière que
508 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

délai de trois mois sus-visé, donner au tuteur l'autorisation, soit d'aliéner


les titres avec emploi, soit de les conserver. Dans ce dernier cas, le consei)

peut prescrire le dépôt


litres au porteur,
des au nom du mineur, soit à la
Caisse des dépôts et consignations, soit entre les mains d'une personne ou
d'une société spécialement désignée.
Tels sont les actes obligatoires imposés au tuteur avec des sanctions par-
ticulières. Nous avons laissé de côté la question de savoir s'ils peuvent être
valablement accomplis par le tuteur agissant seul ou s'ils comportent l'in-
tervention nécessaire des pouvoirs de haute tutelle; nous aurons à la
résoudre dans les développements qui vont suivre.

Deuxième série : Actes le tuteur seul. — Ce


que peut accomplir
sont, d'une façon générale, les actes d'administration simple ou courante.
Plus précisément, voici en quoi consiste cette catégorie d'opérations qui,
remarquons-le, ne sont, sauf les baux, visées par aucun texte particulier,
mais sont toutes considérées comme couvertes par la formule générale de
l'article 450 conférant au tuteur le pouvoir d'administrer.
1° Le tuteur accomplit, sans avoir besoin de nul concours, les actes dits
conservatoires : inscription des hypothèques, interruption de prescription,
transcription des acquisitions immobilières, assurances contre l'incendie
ou les risques agricoles, etc.
2° Il touche les revenus et en donne décharge ;
3° Il touche également les capitaux que doit recouvrer le mineur. La loi,
il est vrai, prescrit l'emploi (comme d'ailleurs pour les économies faites
sur les revenus). Ce pouvoir de donner quittance d'une rentrée de fonds
parfois considérable, en dehors de toute surveillance, n'en est pas moins
excessif ; il risque, si le tuteur est peu
scrupuleux, de donner lieu à de graves
détournements. Vainement a-t-on essayé de soutenir que l'esprit de la loi de
1880, à défaut de
texte,son aboutissait à enlever au tuteur,
façon d'unegé-
nérale, la libre gestion des capitaux mobiliers appartenant aux pupilles pour
lui substituer un système de restriction et de contrôle (V. note de M. Planiol,
D. P. 1906.1.165). La Cour de cassation a repoussé cette manière devoir,
si raisonnable ; elle décide notamment
qu'elle paraisse que le tuteur n'a
pas besoin d'être autorisé par le conseil de famille pour retirer des fonds
déposés dans une caisse d'épargne par le pupille (Civ., 13 mars 1905, D. P.
1906.1.165, S. 1910.1.476).
4° Le tuteur paie les dettes ; il fait les dépenses et souscrit les obliga-
tions courantes pour l'entretien et l'éducation du pupille.
5° Il entretient les immeubles en y faisant effectuer les réparations néces-
saires, sans
qu'il y ait lieu de distinguer entre les menues réparations,
payées avec les revenus, et les grosses sur le
réparations, payées capital,
les unes et les autres étant indispensables la conservation des im-
pour
meubles et constituant, dès lors, lato sensu, des actes d'administration.
6° Le tuteur fait également, sans des économies
autorisation, l' emploi que
prescrit l'article 455 ; cet article ne parle de l'intervention du conseil de
pas
famille et, d'ailleurs, il ne s'agit en général que de placements peu importants.
TUTELLE 509

7° Le tuteur plaide sans autorisation au nom du mineur, lorsqu'il s'agit


d'une action mobilière. S'il s'agit d'une action immobilière, il a la libre dis-
des actions ; il plaide
possessoires aussi librement en de
position qualité
défendeur aux actions pétitoires. C'est ce qui résulte, a contrario, du texte
de l'article 464 que nous retrouverons plus loin.
8° Le tuteur peut librement aliéner les meubles corporels appartenant
au pupille. Cette faculté résulte pour lui, d'abord des de ce qu'il a fallu
textes formels pour exclure la libre aliénation des meubles et
incorporels,
en second lieu, de ce que l'aliénation du mobilier corporel est, en vertu
d'une tradition constante, considérée comme rentrant dans les pouvoirs
d'un simple administrateur. On se souvient que, lorsqu'il de l'alié-
s'agit
nation de l'ensemble du mobilier corporel appartenant au pupille, lors de
l'entrée en tutelle, l'autorisation du conseil de famille est nécessaire, non
pour l'aliénation mais pour la conservation de ce mobilier. Seulement, la
vente doit être faite aux enchères publiques (art. 452), ce qui n'est plus
exigé pour les aliénations individuelles.
9° Une mention particulière est due à un acte d'administration très cou-
rant, encore que fort important, à savoir la location des immeubles. Les
administrateurs de la fortune d'autrui peuvent toujours passer des baux
relativement aux immeubles dont ils ont la gestion, lorsque la destination
de ces immeubles est conforme à ce mode
d'exploitation. Bien plus, ils ont
le devoir de louer, car ils seraient comptables de la négligence qui consis-
terait à laisser les immeubles improductifs. Toutefois, il y a une certaine
mesure à garder. Un bail cesse d'être un acte d'administration normal et
courant lorsqu'il est passé pour une trop longue durée. Le propriétaire,
dans ce cas, se prive en effet, pendant longtemps, du bénéfice de la hausse
qui pourra survenir sur la valeur des locations, comme aussi de la faculté
de reprendre à un moment donné la jouissance personnelle de son immeuble,
ce qui, cependant, lui serait parfois très utile. Un long bail qui gêne la
liberté du propriétaire pourra, de plus, faire hésiter un acquéreur éventuel
de la propriété, d'où une diminution de la valeur vénale de l'immeuble.
De là une limite à observer dans les pouvoirs à accorder à l'administra-
teur.
Le système adopté par la loi française pour résoudre le problème s'ap-
plique, on le verra, d'une manière générale, à la location des immeubles
appartenant à tous les incapables. Il est développé dans les articles 1429
et 1430 du Code civil, à propos des pouvoirs du mari comme administra-
teur des immeubles de sa femme. Et l'article 1718 déclare ces textes appli-
cables aux baux passés sur les biens de mineurs. Voici en quoi il con-
siste. Il y a, en somme, deux restrictions aux pouvoirs du tuteur.
A. — La durée de neuf ans est la durée maxima qui puisse s'imposer,
après la minorité, à l'ex-pupille, du chef d'un bail passé par son tuteur. En

conséquence, le tuteur peut, pendant la durée de la tutelle, passer les


baux pour la durée qui lui convient ; ces baux sont pleinement valables.

Seulement, une fois la majorité survenue, ils ne


peuvent être opposés au
mineur ou à ses héritiers pour une période de plus de neuf années. A cet
510. LIVRE I. — TITRE III. - PREMIÈRE PARTIE

le bail est, à ce moment, divisé en périodes de neuf années, et le lo-


effet,
la jouissance de la commencée.
cataire n'a que le droit d'achever période
: un bail de vingt ans a été conclu ; au bout de onze ans arrive la
Exemple
Le bail n'est plus opposable à l'ex-pupille que pour une durée de
majorité.
sept années.
B. — Le tuteur peut renouveler les baux avant leur
expiration, ce qui est
une mesure de prévoyance élémentaire. Mais le nouveau bail sera sans effet

à l'égard du mineur devenu majeur ou de ses héritiers, s'il a été renouvelé


de trois ans avant l'expiration du bail en cours, s'il s'agit de biens
plus
ruraux, et plus de deux ans, s'il s'agit de maisons, à moins que l'exécution
du nouveau bail n'ait commencé avant la cessation de la tutelle.
En combinant ces deux dispositions, on arrive à cette solution que le
maximum de temps durant lequel puisse se trouver lié l'ex-pupille, après
sa celle-ci arrive immédiatement après le renou-
majorité (à supposer que
vellement du bail, fait bien entendu sans fraude par le tuteur), sera de
onze ou de douze ans.

Troisième : Actes
série subordonnés à la seule autorisation du
conseil de famille. — Cette série naturellement des actes
comprend
plus graves que la précédente. Elle a été notablement allongée par la loi
de 1880. On y rencontre les actes suivants :
1° Aliénation des valeurs mobilières au-dessous de 1.500 francs 1. — Nous
avons vu plus haut quel était l'état de la loi et de la Jurisprudence en ce
concerne ces aliénations, avant la loi du 27 février 1880. La loi nouvelle,
qui
abrogeant la loi du 24 mars 1806 et le décret du 25 septembre 1813 qu'elle
rend inutiles, décide que les rentes, actions, parts d'intérêts, obligations,
et autres meubles incorporels quelconques appartenant au mineur ce

pourront être aliénés par le tuteur sans qu'il y ait été autorisé préalablement
parle conseil de famille (art. 1er)- Cette autorisation suffit pour les valeurs
inférieures à 1.500 francs en capital. Au-dessus de ce chiffre il faut, en

plus, l'homologation du tribunal (art. 2). Cette règle nouvelle, très bien-
faisante en somme, car la pleine liberté dont jouissait antérieurement le tu-
teur avait donné lieu à de graves abus, est en même temps très compré-
hensive. Elle s'applique, en effet, à tous les meubles
incorporels quels qu'ils
soient, « rentes, actions, parts d'intérêts, et autres meubles
obligations
incorporels quelconques », dit l'article 1er, ce qui comprend notamment
les créances ordinaires, les fonds de commerce, offices ministériels, bre-
vets d'invention, la propriété artistique et littéraire, etc..
Le même article ajoute que « le conseil de famille, en autorisant l'alié-
nation, prescrira les mesures qu'il jugera utiles ». Ces mesures peuvent
avoir trait, soit à l'emploi des capitaux obtonus au moyen de la vente, soit
aux formes de la réalisation. S'il s'agit de valeurs en bourse,
négociables

1. Cons. Saleilles, De l'aliénation des valeurs mobilières par les administra-


teurs du patrimoine d'autrui (1883); Pierre Chavegrin, De la fortune des mineurs
en droit comparé, thèse, Paris, 1907 , Buchère, Commentaire de la loi du 27 fé-
vrier 1880.
TUTELLE 511

la négociation est effectuée par le ministère d'un de au cours


agent change
moyen du jour ; s'il s'agit d'autres Biens valeurs de des
incorporels que
bourse, tels qu'un fonds de commerce, un brevet la vente en
d'invention,
est moins facile, et il y a lieu de statuer sur les procédés à employer pour
y parvenir, ministère d'un notaire, vente de gré à gré, etc.. Même pour
les valeurs de bourse non cotées officiellement, surtout les valeurs étran-
gères, il peut y avoir des hésitations, par sur le choix de la place
exemple,
où il vaut mieux faire la négociation. C'est le conseil de famille qui réglera
tous ces points.
2° Conversion des titres nominatifs en titres au — Cette
porteur. opéra-
tion est soumise par l'article 10 de la loi de 1880 aux mêmes conditions et
formalités que l'aliénation. Cela est parfaitement Cette conversion
logique.
ne peut être effectuée que comme le prélude d'une la
aliénation, puisque
loi interdit de conserver des titres au porteur dans le portefeuille du mi-
neur, lorsqu'il s'agit de valeurs qui comportent en même temps la forme
nominative.
3° Placement des — Le des est aussi un
capitaux. placement capitaux
acte qui dépasse l'administration ordinaire et, partant, l'action libre du
tuteur. Telle est du moins la solution actuellement donnée à une question
qui suscita une vive controverse roulant tout entière sur le sens de l'ar-
ticle 6 de la loi de 1880. Ce texte porte(al. 2) : « Les règles prescrites par
les articles ci-dessus... seront applicables à cet emploi. » Que faut-il entendre
par cette expression : « les articles ci-dessus » ?
Dans une première opinion, on soutient que ce renvoi vise simplement
l'article 1er, alinéa 2, de la loi de 1880, en vertu duquel, comme on vient
de le voir, le conseil de famille, appelé à autoriser l'aliénation des valeurs
mobilières, prescrit les mesures
juge utiles, qu'ilnotamment, détermine le
placement des deniers s'il le désire, et l'article 5, duquel il résulte que, si le
placement est fait en valeurs mobilières, les valeurs acquises ne peuvent
être que nominatives. D'après cette opinion, l'article 6 de la loi de 1880
n'aurait pas entendu modifier les solutions antérieurement admises d'où il
résultait qu'un placement, soit en valeurs mobilières, soit en immeubles,
constitue un acte d'administration, au moins lorsqu'il est fait au comp-
tant, et que le conseil de famille n'a pas, dès lors, à s'y immiscer, à moins
qu'il ne s'agisse des deniers provenant d'une opération qu'il a dû
de placer
autoriser (aliénation d'immeubles ou de valeurs mobilières, acceptation de

succession, etc.), auquel cas il est libre de subordonner son autorisation à


telle modalité qui lui paraît convenable, notamment à tel ou tel genre d'em-
ploi (Req., 5 janvier 1863, D. P. 63. 1.77). Launique portée de l'article 6
de la loi de 1880 aurait donc été d'étendre aux rentrées
de capitaux l'obli-

gation édictée par le Code civil (art. 455) pour les revenus écono-
d'emploi
misés ; or, l'on se souvient que ces placements d'économies peuvent être
effectués par le tuteur sans autorisation.
C'est dans le sens d'une seconde opinion que la Jurisprudence se pro-
nonce en Cette opinion soutient que le renvoi de l'article 6 de la
général.
loi de 1880, étant embrasse toutes les dispositions antérieures de
général,
512 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

la même loi, celles qui visent les formalités d'aliénation. Il en


y compris
résulte, comme dit un des arrêts qui, sur ce point, ont fait jurisprudence,
« qu'il doit être fait
à l'emploi des capitaux application des règles édictées

par les articles 1 à 6 pour l'aliénation et la conversion des valeurs mobi-


lières appartenant aux mineurs ». L'intervention du conseil de famille est
donc nécessaire et, au-dessus de 1.500 francs, l'homologation du tribunal

(Paris, 21
1884, D. P. 85.2.177,
mai S. 85.2.97; Toulouse, 19 mars 1906,
D. P. 1906.2.192, S. 1906.2.95). Il faut avouer que, s'il en est ainsi, l'article 6
de la loi de 1880 a réalisé une grave innovation qui, fait remarquable, est

passée inaperçue. On doit reconnaître aussi qu'à côté d'incontestables avan-

tages pratiques, le système de la Jurisprudence, comme l'a fait, avec raison,


observer un de ses adversaires (note de M. Lyon-Caen, S. 85.2.97), offre
l'inconvénient d'emporter des frais excessifs, disproportionnés souvent
avec les sommes à employer. De plus, par les lenteurs qu'il occasionne, il
ne permet pas toujours de réaliser un placement au moment opportun : on
désirerait acheter une valeur d'avenir, mais les formalités nécessaires ne
seront souvent accomplies qu'au moment où cette valeur est déjà montée à
un taux qui rend le placement beaucoup moins intéressant !

4° Acceptation d'une donation (art. 463). —On peut se demander pourquoi


la loi subordonne à l'autorisation du conseil de famille l'acceptation d'une
donation, étant donné que la donation faite à un mineur semble ne pouvoir
se traduire que par un avantage à son profit. Il y a cependant deux raisons
qui justifient la règle de l'article 463. D'abord, la donation peut être
accompa-
gnée de charges qui seront obligatoires pour le donataire acceptant, même
s'il est mineur; l'article 463 prend, en effet, justement soin de dire (al. 2)
que la donation « aura à l'égard du mineur le même effet du
qu'à l'égard
majeur ». De la sorte, une donation pourrait devenir onéreuse le me-
pour
neur donataire. En second lieu, il peut y avoir des motifs d'ordre moral qui
s'opposent à l'acceptation que la famille seule etest en mesure d'apprécier.
Cette seconde raison
est si bien la plus décisive le mineur a
que, lorsque
son père ou sa mère ou des ascendants ceux-ci ac-
quelconques, peuvent
cepter la donation, ne soient
quoiqu'ils pas tuteurs (art. 935, 3e al.), et sans
que le conseil de famille soit consulté. La loi estime qu'ils seront les meil-
leurs appréciateurs de la conduite que dicte le souci de l'honneur familial.
A plus forte raison, s'ils sont les mère et ascendants sont
tuteurs, père,
uflranchis de la nécessité de consulter le conseil de famille
La loi ne parle pas de d'un
expressément l'acceptation legs à titre parti-
culier, libéralité qui ressemble à certains à une donation et
égards qu'on
désigne d'ailleurs quelquefois par l'expression de donation testamentaire.
L'autorisation du conseil de famille est-elle nécessaire faire cette
pour
acceptation ? La question est controversée. Il nous semble l'identité des
que
motifs doit conduire à la même solution les
pour legs particuliers que
pour les donations. En tout cas, il y sans contestation
a une hypothèse où,
possible, l'autorisation du conseil de famille est indispensable : c'est quand
le legs porte sur un immeuble et qu'il y a lieu d'intenter la demande en
délivrance (Arg. art. 464).
TUTELLE 513

5° Acceptation ou répudiation d'une succession. — En une


général, quand
succession s'ouvre au profit d'un individu, il a le choix entre trois partis,
qui sont l'acceptation pure et simple imposant à l'héritier la charge indéfi-
nie des dettes, la renonciation, ou l'acceptation sous bénéfice d'inventaire,
parti mixte qui n'astreint l'héritier aux dettes que jusqu'à concurrence de
l'actif par lui recueilli. Lorsqu'une succession échoit à un mineur, l'article 461
dispose, d'une part, que le tuteur devra, pour prendre parti, obtenir une au-
torisation préalable du conseil de famille, et, d'autre part, que l'acceptation,
si le conseil décide d'accepter, n'aura lieu que sous bénéfice d'inventaire. On
comprendra mieux ultérieurement, en étudiant la matière des Successions,
les motifs de cette seconde mesure de protection et comment il se fait qu'elle
se retourne parfois, dans une certaine mesure, contre les intérêts du mineur.
On verra de même que le Droit commun a généralisé la solution de l'art, -462
qui, au cas de répudiation de la succession échue au mineur, donne à celui-
ci devenu majeur ou, durant la minorité, au conseil de famille, en cas de
revirement d'appréciation, un certain jus poenitendi leur
permettant de re-
venir sur le parti qui avait été d'abord, et peut-être trop hâtivement, adopté.
6° Partage d'une succession. — Le une succession échue
partage suppose
à plusieurs héritiers. Il se forme entre eux, à la mort du de cujus, une co-
propriété ou indivision. Le partage est l'acte par lequel cette indivision
prend fin et chaque héritier reçoit son lot particulier.
L'article 465 porte que, pour provoquer le partage au nom mineur,du
le tuteur a besoin de l'autorisation du conseil de famille. En revanche, il
n'a pas besoin de cette autorisation pour « répondre à une action en par-
tage dirigée contre le mineur ». Dans ce dernier
en effet, il n'y a pas à
cas,
délibérer ; le partage est de droit quand un cohéritier le demande. Depuis
la loi du 15 décembre 1921, l'autorisation n'est pas non plus nécessaire
dans le cas où la demande en partage est introduite par voie de requête col-
lective présentée par tous les intéressés (art. 465 et 817).
L'article 466 ajoute que le partage dans lequel est intéressé un mineur
doit toujours être accompli dans la forme du partage judiciaire, forme que
l'article 460 complique encore en exigeant qu'en cas de licitation ou vente
publique des immeubles successoraux impartageables, les étrangers soient
nécessairement admis aux enchères. Ce sont ces dernières dispositions qui
expliquent le mieux la nécessité de l'intervention du conseil de famille pour
provoquer le partage au nom du mineur. Le partage judiciaire est en effet-
très coûteux. Il est donc très souvent avantageux pour un mineur qui hérite,
surtout lorsqu'il approche de sa majorité, de prolonger l'état d'indivision ;
car, lorsque tous les héritiers seront majeurs, on pourra recourir à un par-
tage amiable, exempt de frais et plus intelligent dans ses attributions.
mineurs les héritiers est
Signalons que le cas où il y a plusieurs parmi
l'un de ceux où l'on rencontre un tuteur ad hoc ; l'article 838 porte en effet
que « s'il mineurs aient des intérêts dans le
y a plusieurs qui opposés
il doit leur être donné à chacun un tuteur spécial et particulier ».
partage,
Ici encore, nous ne pouvons à la matière des Successions.
que renvoyer
C'est là que seront le fonctionnement de notre système légal, en
exposés
514 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

ce qui concerne les successions de mineurs, les inconvénients multiples


de ces mesures de précaution mal comprises qui se retournent contre
l'intérêt même des protégés, enfin, les divers palliatifs que la pratique
s'est efforcée de leur apporter.
7° Procès aux immeubles. — Le tuteur a besoin de l'autorisation
relatifs
du conseil de famille pour introduire en justice une action relative aux
droits immobiliers du mineur ou pour acquiescer à une demande relative
à ces mêmes droits qui serait formée contre lui (art. 464). Nous avons vu

que, sans qu'il y ait d'antre raison de cette distinction que l'ancienne idée
res mobilis, res vilis, l'autorisation du conseil de famille n'est, au contraire,

pas requise lorsqu'il s'agit d'un procès relatif aux meubles, si important

qu'il soit. Une telle distinction est évidemment peu raisonnable. Il peut y
avoir des procès immobiliers insignifiants, s'ils portent sur une parcelle
infime. Un procès relatif à une fortune mobilière considérable présen-
tera, au contraire, une très
importance. On se souvient
grande aussi que,
même en matière immobilière, tuteur n'a pas besoin le d'autorisation pour
plaider comme défendeur aux actions pétitoires, ni pour exercer les
actions possessoires, soit en demandant, soit en défendant.
8° Prise à bail d'une du mineur. — Il résulte enfin de l'article 450
ferme
(al. 3) que le tuteur ne peut prendre à ferme un bien de son pupille, que
si le conseil de famille a autorisé le subrogé tuteur à lui en passer bail. On
pourrait craindre en effet une collusion entre le subrogé tuteur et le tuteur,
pour faire obtenir à celui-ci des conditions trop avantageuses. Etant donné
le motif, on peut s'étonner que la loi n'ait pas pris la même précaution
pour le bail à loyer portant sur des maisons, que pour le bail à ferme por-
tant uniquement sur des biens ruraux.

Quatrième série : Actes nécessitant, outre l'autorisation du con-


seil de famille, du tribunal, — Les actes cons-
l'homologation ci-après
tituent cette catégorie :
1° Aliénation des meubles incorporels appartenant aux mineurs, et conver-
sion des valeurs de bourse affectant la forme nominative en titres au por-
teur, lorsque ces meubles ou valeurs dépassent 1.500 francs. Il faut noter
que l'évaluation des meubles incorporels est faite par le conseil de famille
(art 2, loi du 27 février 1880), et que l'erreur qu'il commettrait et qui aurait
eu pour résultat de soustraire son appréciation à l'homologation judiciaire,
n'entraînerait pas la nullité de l'aliénation, à moins fraudu-
d'appréciation
leuse ayant pour but d'éluder le contrôle du tribunal.
2° Aliénation des immeubles ou constitution de droits réels immobiliers. —
L'article 457 1er al. décide que le conseil de famille ne devra-autoriser le
tuteur à aliéner ou hypothéquer les biens immeubles cause d'une
que pour
nécessité absolue ou d'un évident. « Dans le premier continue
avantage cas,
cet article, le conseil n'accordera son autorisation aura été
qu'après qu'il
constaté, un sommaire
par compte présenté par le tuteur, que les deniers,
effets mobiliers et revenus du mineur sont insuffisants.— Le conseil indi-
quera, dans tous les cas, les immeubles qui devront être vendus de prêté-
TUTELLE 515

toutes les conditions jugera Utiles.


qu'il » L'article 458 ajoute
rence, et que
la délibération du conseil de ne sera exécutée
famille qu'après que le tuteur
en aura demandé et obtenu devant le tribunal de première
l'homologation
instance. On voit combien la loi prend de précautions il s'agit d'a-
quand
liéner bu d'hypothéquer les immeubles du mineur.
Le texte, outre l'aliénation, ne vise expressément que l'hypothèque,
mais on n'hésite pas à étendre la solution qu'il consacre à la constitution
de tous autres droits réels aboutissant à démembrer la propriété immobi-
lière et à en diminuer la valeur, par exemple, à la constitution d'usufruit
où de servitudes réelles.
Cette protection accordée à toute propriété immobilière du si
mineur,
infinie soit-elle, n'a pas encore paru suffisante aux auteurs du Code civil.
Ils ont encore prescrit, pour la réalisation de la vente, des formes minu-
tieuses, décrites par l'article 459 du Code civil et les articles 953 à 965 du
Code de procédure. La vente doit avoir lieu, soit à la barre du tribunal, soit
devant un notaire commis par le jugement d'homologation, sur une mise à
prix fixée par le même jugement et que précède une estimation faite par un
ou trois experts (art. 954-1°, 955, C. proc). La rédaction du cahier dès
charges, l'affichage des placards destinés à la publicité de la vente, font
aussi l'objet de dispositions détaillées (art. 956 à 958, C. proc.). La vente se
fait en présence du subrogé tuteur (art. 459,1er al., C. civ., 962, C. proc).
Enfin, les textes prévoient et règlent les formes de la réadjudication sur
une nouvelle mise à prix, en cas d'insuccès des premières enchères, ainsi
que celles de la surenchère du sixième qui peut toujours entraîner une
nouvelle mise en vente, de garantir
et cela afin
que l'immeuble atteindra le;
plus haut prix possible (art. 963 à, 965, C. Pr.). On peut juger par ce bref;
aperçu de la lenteur de la vente d'un immeuble appartenant à un mineur,
et des frais dont la loi la surcharge, dans un fallacieux espoir de protec-
tion pour les intérêts de ce dernier !
Naturellement, l'homologation judiciaire et l'intervention du conseil
de famille sont épargnées lorsque la vente de l'immeuble constitue une
aliénation forcée, subie par le mineur, par exemple, quand il s'agit d'un

immeuble successoral lui appartenant par indivis et dont la limitation est


provoquée par une demande en partage émanant d'un autre cohéritier
(art.460).
— Mêmes formalités les ainsi
3° Emprunts. pour emprunts, lesquels,
que les ventes d'immeubles et constitutions d'hypothèques, ne peuvent être
autorisés qu'en cas de nécessité absolue ou d'avantage évident et qu'après
constatation par le conseil de famille, sur le vu d'un compte sommaire
présenté par le tuteur, que les deniers, effets mobiliers et revenus du mi-
neur sont insuffisants pour la dépense à laquelle il faut faire face (art. 457,
2e et 3e al.).
— Il résulte
4° Placements au-dessus de 1.500 francs. de la solution adop-
tée par la Jurisprudence en matière de placements et qu'on a vue plus

haut, le tribunal doit homologuer l'autorisation du conseil de famille,


que
lorsque le tuteur veut effectuer un placement dépassant 1.500 francs de
516 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

s'agisse d'un achat d'immeubles ou de l'acquisition d'un


capital, qu'il
meuble incorporel tel qu'une valeur de bourse, une créance hypothécaire
ou autre.

Série intermédiaire : Actes soumis à des formes — Il


spéciales.
y a deux actes qui sont hors cadre, ou constituent une série intermédiaire,
parce qu'ils ne rentrent exactement dans aucun des compartiments qu|
viennent d'être tracés.
1° Le premier de ces actes est l'acceptation amiable des offres de l'Admi-
nistration en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique d'un immeuble

appartenant au mineur. Le tuteur, pour se faire autoriser à y consentir,


s'adressera directement au tribunal (L. 3 mai 1841 sur
l'expropriation,
art. 13 et 25). Ici le législateur a simplifié : il a jugé avec raison que, lorsque
l'intervention du tribunal doit se produire, elle fait vraiment double emploi
avec celle du conseil de famille, et qu'on peut, dès lors, écarter cette dernière.
2° Pour un autre acte au contraire, la transaction, le législateur a compli-

qué. La transaction est le contrat par lequel deux ou plusieurs parties ter-
minent une contestation déjà née ou préviennent une contestation à naître
(art. 2044) grâce à dès concessions réciproques. Méconnaissant le pro-
verbe « Mauvais arrangement vaut mieux que bon procès », le Code,
non content de soumettre la transaction intéressant un mineur à l'autorisa-
tion du conseil de famille et à l'homologation du tribunal, exige, en outre,
un avis, en d'autres termes, une consultation de trois jurisconsultes, c'est-
à-dire d'après l'opinion dominante, de trois avocats exerçant depuis dix ans
dans le ressort de la Cour (Arg. art. 495, C. proc. civ.) et désignés par le
procureur de la République (art. 467). On a pensé sans doute qu'il est dé-
licat de reconnaître la validité ou la faiblesse d'un droit litigieux, apprécia-
tion nécessaire, cependant, quand une transaction estdiscutée, et que, dès
lors, les connaissances juridiques et l'expérience d'hommes d'affaires con-
sommés doivent être mises au service du mineur. Ici
encore, le but a été
manifestement dépassé. Voici un mineur est victime d'un
qui accident;
l'auteur responsable propose une indemnisation amiable. Il faudra recourir
aux formalités de l'article 467 1 Cela est vraiment
exagéré. Que de lenteurs
et de dépenses pour recevoir centaines de francs !
peut-être quelques

Cinquième série : Actes interdits au tuteur. — Les actes on


qui,
peut le dire, sortent aussi des cadres de la cette
gestion tutélaire, mais,
fois, parcequ'ils sont absolument interdits au tuteur, comme préjudiciables,
dangereux ou suspects de fraude, sont les suivants :
1° L'acceptation pure et simple d'une succession ;
2° des biens du mineur 3e al., et 1596, 2e al.)-
L'achat (art. 450, - Le tu-
teur ne peut se rendre d'un bien
acquéreur appartenant au pupille, parce
que le placerait entre son intérêt
cette opération d'acheteur, qui est d'ache-
ter au meilleur marché et son devoir de tuteur,
possible, qui est de vendre
au plus haut prix. si le tuteur était im-
Cependant, copropriétaire d'un
meuble avec le mineur, il aurait le droit de se rendre à la
adjudicataire
TUTELLE 517

suite de la licitation. Les formes requises pour la licitation en


sont, effet,
considérées comme protégeant suffisamment le mineur (art. 460,1er al.).
3° L'acquisition d'une créance contre le mineur (art. in fine). Des
450,
raisons analogues aux précédentes justifient cette d'ailleurs
prohibition
toute traditionnelle, remonte a. la Novelle 72 (chap.
puisqu'elle V) de Jus-
tinien. Ce que la loi veut empêcher, c'est le calcul de spéculation du tuteur,
à bas prix une créance
qui achèterait contre le pupille pour en recouvrer
ensuite le montant nominal, en employant au besoin toutes les rigueurs
nécessaires. Mais la loi n'a pas déterminé la sanction de la règle qu'elle
pose. Celle de la Novelle 72 consistait en ce que le mineur était libéré à la
fois envers son ancien créancier et envers son tuteur. Comme, faute d'un
texte en ce sens, on ne peut songer à appliquer aujourd'hui la même sanc-
tion, il y a une controverse dans la Doctrine sur les
conséquences d'une
cession de créance ainsi obtenue par le tuteur. Le système le plus plausible
consiste à appliquer ici les principes généraux. On est en présence d'un
acte illicite et nul par conséquent, mais d'une nullité relative, puisqu'elle
n'est encourue que dans l'intérêt du mineur. Ce dernier pourra donc seul
l'invoquer. Il dépendra de lui, une fois devenu majeur, de réclamer au
tuteur, cessionnaire de la créance, ce qu'il lui aurait payé, sauf à demeurer
alors le débiteur de son premier créancier, à moins de prescription accom-
plie à son profit.
Les motifs de la prohibition prononcée par l'article 450, 3e alinéa, en res-

treignent naturellement la portée. Si le tuteur payait de ses deniers un


créancier du
pupille dans l'intérêt de celui-ci, afin,, par exemple, d'éviter
une saisie imminente, la subrogation qu'il se ferait consentir par le créan-
cier remboursé serait parfaitement licite. Cette
subrogation en effet, bien

qu'analogue dans ses effets généraux à une cession de créance, en diffère à


ce point de vue essentiel qu'elle ne donne au créancier subrogé que le droit
de se faire rembourser le montant
ce qu'il a réellement de versé. La subro-

gation n'est donc pas et ne peut être un acte de spéculation.


4° Les libéralités. — Le tuteur ne peut — cela est trop évident — faire de

testament, ni de donation au nom du mineur. On admettra cependant qu'il


a le droit, en sa qualité d'administrateur, d'acquitter les menues libéralités
cadeaux d'usage, pourboires) qui sont les charges normales de
(étrennes,
toute situation aisée. On se souviendra de plus que le mineur jouit ici
d'une certaine capacité personnelle, dont on a indiqué plus haut le prin-

cipe et la mesure.
5° Le compromis. — On ainsi l'acte deux ou plusieurs
appelle par lequel
en litige conviennent de remettre le jugement de leur contestation à
parties
la décision d'un ou de plusieurs arbitres qu'elles désignent. La prohibition
résulte de la combinaison des articles 1004 et 83-6° du Code de procédure
civile. L'article 1004 décide un effet qu'on ne peut compromettre sur au-
cune des contestations sujettes à communication au ministère public, et

l'article 83-6° déclare les causes des mineurs doivent être communi-
que
quées au ministère public.
6° L'échange immobilier. —Il n'y a pas de texte qui prohibe expressément
LIVRE TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
518 I.-

elle paraît bien interdite au tuteur parce que


cette opération. Cependant,
dans ses effets à une vente, ne peut évidemment se
l'échange, identique
faire avec les conditions de publicité et de concurrence que la loi, on l'a vu
considère comme essentielles pour les ventes portant sur les
plus haut,
immeubles du mineur.

: Fin de la tutelle. Tutelle de fait 1. — La termi-


Troisième phase
naison normale de la tutelle, c'est l'arrivée du
pupille à sa majorité. C'est

la seule que la loi prévoit. Mais il y a d'autres causes qui mettent


hypothèse
fin à la la mort de l'enfant ou son émancipation;
tutelle, exemple,
par
d'autres causes encore, telles que la mort du tuteur, sa destitution, la surve-

nance d'une excuse ou d'une incapacité, mettent fin à la gestion du tuteur

en mais donnent lieu à l'entrée en fonctions d'un nouveau tuteur.


exercice,
En attendant, l'ancien tuteur ou ses héritiers majeurs doivent provisoire-
ment continuer la gestion commencée, la protection due au pupille ne pou-

vant souffrir d'interruption.


De ces de transition, d'interrègne, on peut rapprocher le
hypothèses
cas la tutelle ayant pris fin par la majorité, l'émancipation ou la mort
où,
de l'enfant, le tuteur, tardant à rendre ses comptes, continue provisoire-
ment à gérer le patrimoine qui lui avait été confié. On peut dire qu'il y a
dans ces cas, extrêmement fréquents en pratique, subsistance d'une tutelle

de Une question se pose alors (que nous avons déjà rencontrée, à


fait.
nuances près, lorsqu'il s'agissait de la femme tutrice qui se marie
quelques
ou se remarie et conserve indûment ses fonctions). Doit-on appliquer à la
tutelle de fait les mêmes règles qu'à une tutelle ordinaire, notamment, au

point de vue des principales garanties accordées au pupille : intérêts dus


de plein droit et sans sommation pour les sommes non employées ; hypo-
thèque légale sur les biens du tuteur ?
L'affirmative n'aurait pas fait doute dans l'ancien Droit. Nos anciens
auteurs admettaient tous, en effet, que les obligations du tuteur persistaient
jusqu'à la reddition des comptes de tutelle (Meslé, Tr. des Tutelles, p. 440;
Lamoignon, Arrêtés, 1re part., Tit, IV, Des tutelles, art. CXXX). C'était une

conception ordinaire dans l'ancien Droit. De même, la communauté con-


tinuait de plein droit entre les enfants et l'époux survivant qui ne l'avait
pas fait liquider à la suite du prédécès de son conjoint. De nos jours, le
silence de la loi a suscité des scrupules chez nombre d'auteurs. D'après
eux, le tuteur de fait ne
peut être responsable que comme un mandataire ;
dès lors, ses biens ne seraient pas grevés de l'hypothèque légale, et, pour ce

qui est des intérêts des sommes non employées, il ne les devrait que dans
la mesure prescrite par l'article 1996 relatif aux mandataires, c'est-à-dire
du jour de l'emploi, lorsqu'il les aurait à son
employées profit personnel
et, dans les autres cas, seulement à partir d'une mise en demeure.
La Jurisprudence s'est montrée hésitante. Elle s'est trouvée, en effet, en
face de situations infiniment complexes. Nous en citerons une, soumise à la

1. V. Paul Sumien, .Essai sur les tuteurs de fait, Revue trimestr. de droit civil
1903, p, 781.
TUTELLE 519

Cour de Paris en 1877. Le pupille était devenu majeur ; le tuteur avait con-
tinué sa gestion, puis il était mort et ses héritiers avaient continué son
oeuvre ; pouvait-on alors les considérer comme tuteurs de fait ou même
comme simples mandataires? (V. Paris, 13 décembre 1877, D. P. 78.2.71,
S. 78.2.11)? Pourtant, d'une façon générale, la dans son
Jurisprudence,
ensemble, s'est ralliée à la conception de l'ancien Droit, celle est la
qui
plus favorable aux intérêts du mineur. Elle concède donc à celui-ci les
garanties au regard du tuteur de fait qu'au du tuteur véri-
mêmes regard
table (V. Civ., 15 novembre 1898, D. P. 1904.1.465, S. 991. Il y a lieu
140).
à hypothèque légale et les intérêts des sommes perçues et non dépensées
dans son intérêt sont dus de plein droit au mineur, faute dans
d'emploi
les six mois.
Le problème des tutelles de fait a d'ailleurs bien d'autres encore.
aspects
Les actes de gestion accomplis pendant une période de ce genre sont-ils
valables, obligatoires pour le pupille ou l'ex-pupille ? Il est nécessaire,
croyons-nous, de distinguer. A l'égard des tiers qui n'auraient pas été ins-
truits de la situation, on ne peut contester l'efficacité des actes accomplis
par le tuteur. Il y a les mêmes raisons d'en décider ainsi que lorsqu'il s'a-
git des actes d'un héritier apparent. Dans les rapports du tuteur avec le
pupille, nous pensons, au contraire, que ce dernier ne peut être tenu que
dans la même mesure où peut l'être une personne dont les intérêts ont été
administrés par un gérant d'affaires, à moins qu'en fait il n'y ait eu man-
dat exprès ou implicite, ce qui ne pourra se produire que dans l'hypothèse
d'une gestion se prolongeant durant la majorité.

Reddition du de tutelle. — Le tuteur sa


compte doit, lorsque ges-
tion finit, en rendre compte (art. 469).
Cette reddition de compte incombe à toute personne qui administre les
biens d'autrui. Elle pèse donc sur tout tuteur, sur le père ou la mère survi-
vant comme sur les autres
; c'est une obligation dont aucun tuteur ne peut
être dispensé. Elle donne lieu à plusieurs questions.
1° Par le compte est-il vendu ? — Le compte est rendu soit
qui' par le tu-
teur, soit par ses héritiers, s'il est mort, ou ses représentants, s'il est inca-
pable, par exemple, interdit, ou enfin envoyés en possession provi-
par les
soire de ses biens, s'il est absent.
2° A qui te compte est-il rendu? — Il est rendu soit au nouveau tuteur,
soit au mineur émancipé assisté de son curateur, soit aux héritiers du mi-
neur défunt, soit enfin à l'ex-pupille lui-même devenu majeur. Il est re-
grettable que, dans ce dernier cas, qui constitue l'hypothèse normale, la
loi n'exige pas l'intervention du subrogé tuteur et du conseil de famille. On
peut craindre que l'ex-pupille, à se fier habitué
à son tuteur, n'accepte le

compte les yeux fermés. Notre Code a commis ici une erreur dans laquelle
ne sont pas tombées les législations étrangères plus récentes. Le Code civil
italien 307, al. 1er) décide, en effet, que le compte de tutelle est rendu
(art.
au conseil de famille. Le Code civil allemand (art. 1892) et le Code civil
Suisse (art. 451) le font soumettre par l'ex-tuteur aux autorités tutélaires.
820 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

3° Formes — Ordinairement
du le compte se rend à l'amiable.
compte.
Mais, si les parties ne sont pas d'accord, la reddition se fera en justice con-

formément aux règles édictées par les articles 527 à 342 du Code de procé-
dure civile.
4° Contenu du compte. — Le est un tableau des re-
compte comparatif
cettes et des dépenses.
Au des recettes figurent tous les biens constatés dans l'inven-
chapitre
taire, tous ceux qui ont pu advenir au pupille durant la tutelle, et toutes
les sommes touchées par le tuteur, provenant tant du remboursement des
créances que des revenus des biens. Il faut y ajouter celles que le tuteur
aurait laissé perdre par sa faute, par exemple, en ne plaçant pas les écono-
mies et les capitaux.
Au chapitre des dépenses, le tuteur mentionne toutes
dépenses les
utiles
faites pour le pupille et dont il peut justifier d'une façon suffisante (art. 471,
2e al.). On remarquera cette expression de « dépenses suffisamment justi-
fiées » employée par le texte. Le tuteur peut donc faire la preuve de ces

dépenses par tous les moyens ; il n'est pas nécessaire qu'il rapporte un
acte les constatant chacune distinctement.
Les frais nécessités par la reddition de compte seront ajoutés au chapitre
des dépenses, car ils incombent au pupille (art. 471, 1er al.). Le tuteur doit
seulement les avancer, ce qui s'explique par ce fait que c'est lui qui a en
mains les fonds nécessaires. Par application des principes généraux, on
doit d'ailleurs décider, nonobstant les termes de l'article 471, que les.frais
de la reddition de compte resteront à la charge du tuteur, si c'est sa desti-
tution ou son exclusion qui a mis fin à la tutelle. Le mineur en effet ne doit

pas voir son patrimoine grevé d'une dépense supplémentaire due à la faute
de son tuteur.
5° du — La des deux Recettes et
Reliquat compte. comparaison chapitres
Dépenses, ou balance du compte, fait ressortir un
reliquat, qui peut être à la
charge du tuteur ou à celle du mineur. Il y a entre ces deux hypothèses les
différences suivantes:
A. — Si c'est le mineur qui reste créancier du tuteur, la somme due par
ce dernier intérêts de plein
à compter droit
portera de la clôture du compte
(art 474, 1er al.).
Au contraire, si c'est le tuteur qui se trouve créancier, les
intérêts ne courront à son conformément à la règle
profit, qui constitue
au jourd'hui le droit commun en matière du jour où
d'intérêts, qu'à partir
il aura adressé à son débiteur une sommation de payer 2e al. Cf.
(art. 474,
art. 1153 modifié par la loi du 7 avril La raison de cette différence se
1900).
trouve dans les sentiments de respect le mineur
qui pourraient empêcher
d'adresser, par huissier, une sommation à son ancien tuteur, et le prive-
raient, dès lors, si on lui appliquait le droit des intérêts
commun, auxquels
il a droit.

Toutefois, le tuteur pourrait réclamer les intérêts à partir d'une date an-
térieure, s'il était devenu créancier du non comme mais
pupille, tuteur,
en qualité de gérant d'affaires, par en de ses deniers, les
exemple, payant,
dettes du pupille. En effet, il résulte de l'article 2001 et
que le mandataire
TUTELLE 521

le gérant d'affaires ont droit aux intérêts de leurs avances du jour où ils les
ont effectuées. Le tuteur pourra donc inscrire dans son de tutelle le
compte
montant du capital par lui avancé, avec les intérêts à par-
légaux, comptés
tir de l'avance (Req., 26 octobre 1910, D. P. 1913.5.32, S. note
1912.1.337,
de M. Loubers).
B. — Le mineur, pour assurer le paiement du reliquat qui lui est dû,
bénéficie d'une hypothèque légale sur les biens de son tuteur (art. 2121).
Le tuteur, lui, n'a pas d'hypothèque ; c'est un créancier chiro-
simplement
graphaire.
6° Cas de tutelles successives. — a eu tutelles suc-
Lorsqu'il y plusieurs
cessives, le mineur peut demander au dernier tuteur un em-
compte qui
brasse toutes les tutelles antérieures qui n'auraient été suivies d'un
pas
compte régulier. En effet, le dernier tuteur en exercice est en faute de n'a-
voir pas exigé de comptes du précédent tuteur ; il encourt la responsabilité
des agissements de celui-ci, lesquels comprennent, notamment, la négli-
gence qu'il avait lui-même commise en ne se faisant rendre
pas compte
par le tuteur encore plus ancien, et ainsi de suite.
On voit la complexité des problèmes auxquels donne lieu la reddition
du compte de tutelle.
Nous arrivons maintenant à deux séries de
règles particulières, édictées
par le Code pour parer à deux intérêts auxquels la loi doit, en équité, une
égale protection : ,
1° L'intérêt du mineur, qu'il faut prémunir contre sa propre faiblesse en
veillant à ce que le compte auquel il a droit lui soit vraiment et sérieuse-
ment rendu.
2° L'intérêt du tuteur, pour qui la tutelle entraîne de lourdes responsabi-
lités, qu'on ne saurait sans exagération laisser peser trop longtemps sur
ses épaules.

La reddition de ne doit être éludée. — L'autorité lé-


comptes pas
gale du tuteur sur l'enfant ne disparaît que pour laisser place, le plus sou-
vent, à une autorité morale, doublée souvent d'un sentiment d'affectueuse
reconnaissance, dont un tuteur
peu scrupuleux pourrait abuser pour évi-
ter de rendre un compte sincère et complet. Il y a chez le pupille un autre
sentiment qui pourrait aussi être exploité : c'est sa bâte, bien naturelle,
d'entrer en jouissance de ses biens. Pour avancer ce moment, l'ex-pupille
Sera souvent trop disposé à donner au tuteur les signatures que celui-ci lui
réclamera comme une simple formalité indispensable pour sa mise en pos-
session. Cette signature pourrait consacrer en réalité un acte plus ou moins
captieux, sous forme de transaction ou de tout autre traité aboutissant à
donner quitus à ce tuteur trop ingénieux.
L'ancien Droit prenait déjà des mesures contre un tel péril (Meslé, op.
cit., ch. XII, n°4, tit. Des tutelles,
p. 374 ; Lamoignon, op. cit., 1re partie, IV,
CXXXI et CXXXVI). Le Code civil, à son tour, édicte les précautions sui-
vantes :
1° Il décide (art. 907, al. 2 et 3) que le mineur devenu majeur ne peut

DROIT. — Tome I. 34
522 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

testament ou donation au de son ancien tuteur, tant que


disposer par profit
le compte de tutelle n'a été rendu et apuré. Sont excep-
pas préalablement
tés de cette mesure d'exclusion (qu'il suffit ici de signaler, car on la retrou-
vera en traitant des donations et les ascendants qui ont été les
testaments)
tuteurs de l'enfant ;
2° Au chapitre De la tutelle, l'article 472 porte que « tout traité qui pourra
intervenir entre le tuteur et le mineur devenu majeur sera nul, s'il n'a été
de la reddition d'un compte détaillé, et de la remise des pièces jus-
précédé
tificatives ; le tout constaté par un récépissé de l'oyant-compte (oyant-
vieux mot celui qui écoute, qui ouït le compte), dix
compte, pour désigner
jours au moins avant le traité ».
Plus loin, au titre Des transactions, l'article 2045, 2e alinéa, ajoute : « Le
tuteur ne peut avec le mineur devenu majeur, sur le compte de
transiger
tutelle, que conformément à l'article 472 ».
On le voit, pour la validité d'un traité passé entre l'ex-mineur et l'ex-

tuteur, la loi exige quatre conditions :


A. — Il faut qu'il y ait eu un compte de tutelle détaillé, article par ar-
ticle, préablement rendu. La loi n'exige pas cependant que cette antério-
rité résulte d'un acte ayant date certaine. Le compte fera donc foi de sa
date par lui-même jusqu'à preuve contraire.
B. — Il faut que le compte ait été accompagné des pièces justificatives.
C. — Il faut que l'ex-pupille ait donné récépissé à la fois de la remise du

compte et des pièces.


D. — Il faut enfin que dix jours se soient écoulés depuis la date du récé-

pissé.
De cette façon, le mineur ne peut, sous couleur d'un traité plus ou
moins sincère
passé avec son tuteur, dispenser celui-ci de rendre compte de
sa gestion, ni, une fois le compte remis avec ses pièces justificatives, l'ac-

cepter hâtivement et les yeux fermés. C'est comme une prolongation de la


minorité et de l'incapacité du mineur, au moins lorsqu'il s'agit de donner

quitus à son tuteur, et cela jusqu'à la reddition de compte ou, pour parler
plus exactement, jusqu'au onzième jour qui suivra cette reddition.
Les motifs qui ont inspiré la disposition de l'article 472 vont en déter-
miner la portée.
A. — Le traité frappé de nullité comme la loi est celui qui,
suspect par
décoré du nom de transaction ou de tout autre, aboutir, en totalité ou
peut
en partie, directement ou indirectement, à dissimuler une quittance de la

gestion du tuteur. Ce sera, par une mainlevée de l'hypothèque


exemple,
légale du mineur, l'abandon au tuteur, père ou mère de l'enfant, des droits
appartenant à celui-ci dans la communauté existé entre ce
ayant naguère
tuteur et l'auteur prédécédé de l'enfant, le partage d'une succession indivise
entre le tuteur et le mineur (V. Trib. Vesoul, 26 juin 1909, Gaz. Pal, 1909.
2.174). En effet, toutes ces conventions avoir effet immé-
peuvent pour
diat ou médiat de dispenser le tuteur de restituer au mineur des sommes
ou effets dont il est comptable envers lui. Mais il ne semble la
pas que
prohibition atteigne un traité qui, sa nature ne avoir un
par même, peut
TUTELLE 523

tel résultat. Admettra-t-on par exemple que le mineur ne valable-


puisse
ment louer un appartement dans une maison au tuteur
appartenant avant
le fixé par l'article 472? Non, évidemment. Cela à notre
moment serait,
avis, tout à fait excessif.
B. — Si le compte est rendu non au mais à ses l'ar-
mineur, héritiers,
ticle 472 ne s'appliquera pas En effet, dans ce cas, il n'y a pas
davantage.
lieu de redouter l'ascendant personnel du tuteur sur la de son
personne
co-contractant.
G. La nullité de la convention étant
- prohibée inspirée par une pensée
de protection en faveur d'un intérêt celui du mineur, est une nullité
privé,
relative. en résulte qu'elle ne peut être ou
Il invoquée que par l'ex-pupille
ses représentants et, de plus, se couvrir
qu'elle peut par une ratification
ultérieure (Req., 29 janvier 1894, D. P. 94.1.380, S. 95.1.19). Cette confir-
mation peut être soit expresse, soit tacite l'exécu-
(ce sera, par exemple,
tion volontaire du traité par en tout son efficacité
l'ex-pupille). Mais, cas,
est subordonnée à cette condition que les règles prescrites par l'article 472
auront été observées dans la confirmation ; autrement, en l'acte con-
effet,
firmatif se trouverait entaché du même vice le contrat à confirmer
que
(Amiens, 15 novembre 1904. D. P. 1905.2.55, S. 1905.2.173).

La responsabilité du tuteur ne durer indéfiniment.


peut pas
Prescription décennale. — La à raison des des res-
tutelle, obligations,
ponsabilités, de l'hypothèque légale qu'elle entraîne, est une lourde charge.
Une faut pas que ses conséquences pèsent sur le tuteur
trop longtemps
qui l'a gratuitement supportée. De plus, il faut, pour établir le compte de
tutelle, des pièces nombreuses qui peuvent se disperser, avec
disparaître
le temps, sans comme « la défense
compter, l'a dit Proudhon, que des
tuteurs repose, en grande
partie, non sur des écrits, mais sur des souve
nirs que le temps efface ». Ces diverses raisons ont inspiré aux rédacteurs
du Code une innovation. Dans l'ancien Droit, la prescription des
grave
actions du mineur contre son tuteur était celle du droit commun, c'est-à-
dire celle de trente
(Meslé, ans
op. cit., ch. 12, n° 6, p. 377). Le Code a ré-
duit cette à dix ans à compter de la majorité Le
prescription (art. 475).
délai a encore été raccourci il est
par les législations plus récentes. Ainsi,
d'une année seulement dans le Code civil suisse (art. 454).
Aux termes de notre article 475, la prescription décennale « à
s'applique
toute action du mineur contre son tuteur relativement aux faits de la tu-
telle».
Cette formule embrasse certainement l' action en reddition de comptes et
en responsabilité à raison d'une faute par le
commise tuteur dans sa .
l'action
gestion. Inversement, elle ne s'applique pas à l'action en paiement du reli-
quat du compte ni à la revendication d'un bien du pupille, dont le tuteur
serait resté détenteur. Ces deux actions ne s'éteindraient, conformément au
droit commun, que par la prescription de trente ans, car elles sont, l'une
et l'autre, aux faits de tutelle.
étrangères
entre ces deux domaines nettement distincts, il y a comme une
Mais,
524 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

zone contestée, comprenant diverses actions dont le caractère et, par con-

séquent, la prescriptibilité donnent lieu à hésitation.


lien est ainsi, d'abord, de l' action en rectification ou redressement du

compte de tutelle à raison des erreurs ou des omissions qu'il contiendrait.


Il semble, et telle est, d'ailleurs, l'opinion générale, que la difficulté se
résoudra par une distinction. Si l'action se fonde sur une erreur maté-
rielle, sur une faute de calcul, par exemple, elle ne se prescrira que par
trente ans ; en effet, la contestation est de telle sorte qu'on peut apprécier
la rectification demandée sans avoir à examiner à nouveau les faits de la
tutelle. iMais il en seradifféremment, et ce sera la prescription de dix ans

qui s'appliquera, si le redressement du compte implique un nouvel examen


de la gestion du tuteur, par exemple, si l'on demande à faire vérifier un
article du chapitre des dépenses qu'on prétendrait avoir été
exagéré, ou à
rétablir une recette qu'on soutiendrait avoir été omise. En effet, ce qui est
en jeu ici, en réalité, c'est une action en supplément de compte ; certains
faits de tutelle devront être à nouveau appréciés.
Même difficulté pour l'action relative à une dette du tuteur envers le mi-
neur, qui remonterait à une date antérieure à la tutelle. La créance du
ne doit se prescrire que par trente car il ne s'agit
pupille années, pas d'une
créance relative à la tutelle. Et il faut ajouter que la prescription n'a pu
courir, mais a été, au contraire, suspendue pendant toute la durée de la
minorité (art. 2252). L'exigibilité de la créance pourra donc se perpétuer
très longtemps après la fin de la tutelle. Toutefois, dans une certaine me-
sure, il y a en question un fait de gestion tutélaire. En effet, durant l'exer-
cice de ses fonctions, le tuteur devait recouvrer les créances' de son pu-
pille ; il avait donc le devoir
de payer, non seulement en tant que débi-
teur, mais comme un mandataire légal qui, dans l'espèce, aurait dû a semet
ipso exigere. Il faut donc apporter une restriction à la solution précédem-
ment admise. Si le tuteur est tenu de sa dette en tant débiteur
que jusqu'au
bout de la prescription de trente ans, l'hypothèque légale qui garantit
seulement ses obligations en tant que tuteur, ne pourra être invoquée contre
lui que pendant dix années à partir de la majorité.
Il va de soi que, si la gestion tutélaire donne lieu à une action du tuteur
contre le mineur, cette action ne se prescrira conformément au droit
que
commun, c'est-à-dire par trente ans à partir du fait qui aura donné lieu à
cette action. Ajoutons que, si l'ex-mineur, la poursuite de
pour repousser
son ex-tuteur, a besoin d'invoquer fait de la gestion de celui-ci,
quelque
afin d'en tirer, par exemple, une de compensation, il sera admis
exception
à le faire, alors même que plus de dix ans seraient écoulés sa ma-
depuis
jorité. Il y a lieu de faire ici application de la maxime : Quai temporalia
sunt ad agendum, perpétua sunt ad exdpiendum.
Quant au point de départ de la prescription de l'article nous
475, c'est,
dit le texte, le moment de la majorité. Ces termes sont absolus. Il faut les
appliquer même dans le cas où la tutelle aurait fin une autre
pris par
cause que par l'arrivée du pupille à la majorité, l'éman-
par exemple, par
cipation, ou par la destitution du tuteur. Il y a cependant une où
hypothèse
TUTELLE 525

cela est absolument impossible : c'est la tutelle


lorsque prend fin par la
mort dumineur. Dans ce cas, la prescription commence à courir contre les
héritiers dès le moment du décès. Il est vrai si les
que, héritiers du pupille
décédé sont eux-mêmes mineurs, la prescription de leur action sera sus-
pendue pendant la durée de leur minorité.

Combinaisons des articles 472 et 475. — On doit se demander à


quelle prescription est soumise l'action en nullité di-
que l'ex-pupille peut
riger en vertu de l'article 472, contre le traité aurait
qu'il passé avec son
ancien tuteur, avant l'expiration des dix suivant la remise du
jours compte
de tutelle et des pièces justificatives.
On peut en effet hésiter entre deux : ou bien celle de l'ar-
prescriptions
ticle 475, qui prend son point de départ dès le jour de la majorité ; ou bien
celle que le droit commun organise, dans l'article toutes les ac-
1304, pour
tions en nullité, et qui, s'accomplissant dix années, com-
également par
mence à courir du jour où a été accompli l'acte annulable. L'intérêt pra-
tique de la question est assez En effet, il arrive souvent
important. que de
longues années s'écoulent sans que le tuteur à rendre ses comptes,
songe
ni l'ex-pupille à les réclamer. On peut donc un entre ex-
supposer traité,
tuteur et ex-pupille, intervenant longtemps après celui-ci a atteint
que
l'âge de la majorité. Selon que l'on adoptera l'une ou l'autre des deux solu-
tions indiquées, l'ex-pupille bénéficiera d'un délai plus ou moins long pour
invoquer la nullité de la convention qu'il aura consentie. En poussant les
choses à l'extrême, le système qui appliquerait ici la prescription de l'ar-
ticle 475 aboutirait même à supprimer complètement l'action en nullité, si
on suppose le traité critiquable passé plus de dix ans après la fin de la ma-
jorité.
La question a été très controversée dans la Doctrine et a donné lieu à plu-
sieurs opinions. En général, les auteurs se prononcent en faveur de la pres-
cription de l'article 1304. D'une part, le traité qu'il y a lieu d'attaquer n'est
pas un fait de tutelle.
D'un
autre côté, on conçoit difficilement comment
la prescription pourrait commencer à courir contre une action qui vient à,
peine de naître, qui, peut-être n'a pas encore pris naissance. Dans cette
opinion, la nullité pourra donc être réclamée pendant dix ans, à partir du
traité conclu entre l'ex-tuteur et l'ex-pupille,
Une solution contraire semble résulter d'arrêts de la Cour de cassation
not., Civ., 15 février 83.1.111), 1882,d'où D.
il résulteP. que l'action
(V.
en nullité du
pupille considérée doit comme
être prescrite, quand il s'est
écoulé dix ans depuis la majorité. Au fond, ce système est, croyons-nous,
le plus raisonnable. La loi veut que, passé le délai de dix ans après l'expi-
ration de son mandat, le tuteur soit à l'abri de toute action judiciaire se
rattachant à la charge qu'il a remplie. Donc, l'action en nullité du trâité
qu'il aurait passé à propos de la tutelle
son ancien avec pupille doit être
écartée de lui comme les autres, une fois le délai écoulé. Certes, la solu-
tion adoptée aboutit à réduire parfois considérablement le temps pen-
dant lequel sera recevable l'action en nullité de l'article 472 : mais il n'y
326 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

a à cette abréviation aucun inconvénient sérieux. Plus, en effet, le traité

passé par l'ex-pupille avec son tuteur s'éloigne du moment où la minorité


a pris fin, plus la suspicion d'abus d'influence qui a fait écrire l'ar-
ticle 472 s'affaibit ; plus, par conséquent, il y a de raisons pour abréger le
délai pendant lequel peut être intentée l'action en nullité ; plus la nullité
elle-même apparaît comme injustifiée.

APPENDICE

APPRÉCIATION CRITIQUE DES RÈGLES DU CODE CIVIL SUR LA TUTELLE.

Le chapitre consacré à la Tutelle est l'un des plus riches du Code en dis-

positions détaillées. Manifestement, le législateur a voulu tout prévoir. On


doit le louer de ce souci de protéger de la manière la plus minutieuse une
catégorie particulièrement intéressante d'incapables. Mais il faut bien re-
connaître que cet effort n'a pas été couronné de succès. Notre système tu-
télaire passe avec raison, yeux des aux appréciateurs compétents, pour
l'une des parties les plus faibles de notre législation civile 1.
A quoi tiennent ces imperfections?

Première critique : Inobservation fréquente des règles légales.


— Tout un fait à l'observation, c'est dans la pra-
d'abord, s'impose que,
tique, les règles édictées par le Code ne sont pas communément observées.
Il arrive très fréquemment que le survivant des père et mère, as-
qu'un
cendant, qu'un parent éloigné qui se charge des enfants, ne réunit pas le
conseil de famille, ne fait pas nommer de subrogé tuteur, prend soin de la
personne des enfants et même administre leurs contrôle, biens sans aucun
sans surveillance. Cette négligence n'est pas réparée par l'initiative du juge
de paix, car celui-ci ne connaît pas les situations à raison desquelles il y a
lieu de procéder à la réunion du conseil de famille, notamment, il n'est pas
informé du décès des parents qui laissent des enfants.
Dans d'autre cas, le survivant des père et mère ou l'ascendant réunit,
une fois, le conseil de famille, au moment de l'ouverture de la tutelle ; mais,
par la suite, le conseil n'est plus jamais convoqué.
Voici longtemps que cet état de choses a été En 1872, M. Du-
signalé.
faure, alors ministre de la Justice, avait fait à une sur le
procéder enquête
fonctionnement des tutelles 2. Cette enquête a montré combien le nombre
des cas dans lesquels la loi n'est pas observée est considérable. Il y avait
en effet, à celte époque, en France, 212.784 tutelles Dans les
irrégulières.
départements du Midi, notamment à Pau et à les deux tiers des
Toulouse,
tutelles n'étaient pas régulièrement instituées. C'est le fonctionnement des
tutelles légales qui était le plus défectueux. A Cherbourg, 90 % des tutelles

1. V. Gastambide, L'enfant devant la famille et l'Etat, thèse Pas-


1902, Paris;
caud. De l'organisation de la tutelle des mineurs, 1905.
2. le résumé de cette enquête dans ie rapport de Jules
Voir Favre Journal offi-
ciel, 1879, p. 3905.
TUTELLE 527

des enfants et 66
pauvres % de celles des enfants possédant un patrimoine
n'étaient pas constituées" (Gastambide, op. cit., p. 287,288).
Ainsi s'est établi, à côté du régime légal, avec tout son appareil de protec-
tion compliquée, un régime de fait bien différent et n'offrant, cela est trop
évident, aucune espèce de garanties.
Pour remédier à d'aussi graves irrégularités, il faudrait donner au juge
de paix des moyens d'information et. le charger les tutelles. A
d'organiser
la suite de l'enquête précitée, Jules Favre avait déposé, devant l'Assemblée
nationale, une proposition de loi (J. off., 1879, p. 3094) qui ordonnait au
maire de chaque commune deporter à la connaissance du de paix les
juge
décès des parents laissant des enfants mineurs, et confiait au ministère
public un devoir de surveillance. A cet effet, les juges de paix devaient lui
communiquer chaque année un tableau des tutelles constituées dans le
canton. Cette proposition échoua devant le Sénat; et pourtant elle conte-
nait une réforme vraiment heureuse. Le Code civil suisse l'a du reste
adoptée; son article 368, 2e alinéa, porte que : « les officiers de l'état civil
et les autorités administratives et judiciaires sont tenus de signaler sans
délai à l'autorité compétente tout cas de tutelle qui parvient à leur connais-
sance dans l'exercice de leurs fonctions. » Et on trouve une règle analogue
dans les Codes civils italien (art. 250) et espagnol (art. 293), et dans la loi
allemande du 17 mai 1898 sur la juridiction gracieuse (art. 48) 1.

Deuxième : Insuffisance du conseil de famille. — Quand


critique
ils sont appelés à fonctionner, les rouages institués par notre Code semblent
impuissants et défectueux. En particulier, ce qu'on peut appeler la pièce
maîtresse de notre système tutélaire, le conseil de famille, n'a donné aucun
des résultats espérés. Il n'est pas l'organe de direction que les rédacteurs
du Code voulaient établir.
Cette faillite d'une institution, que le législateur de 1804 avait enveloppée
d'une attention et
d'une complaisance marquées, se manifeste de plusieurs

façons et tient à diverses causes.


D'abord, le conseil de famille n'est pas un corps permanent ; il ne se réu-
nit que sur une initiative venue du dehors, lorsque l'un de ses membres
sollicite sa convocation. Il en résulte qu'il est, en fait, et sauf au début de
la tutelle, très rarement convoqué, qu'il ne peut pas exercer une direction
effective sur la marche de l'administration tutélaire, et que, trop souvent,
nulle autorité ne vient contrôler la gestion omnipotente du tuteur.

Supposons, au contraire, que le conseil de famille soit réuni lorsqu'il doit

l'être, son intervention ne constitue trop souvent qu'une garantie illusoire.


C'est effet il est composé, bien des fois, de personnes, parents, alliés
qu'en
ou amis, absolument incapables en affaires et, qui pis est, indifférentes,
soucieuses, avant tout, d'éviter toute responsabilité, voire tout dérange-

1. La réforme a été réalisée partiellement chez nous au profit des orphelins de


la guerre. En effet, l'article 20 de la loi du 27 juillet 1917 sur les pupilles de la
nation prescrit au juge de paix du lieu d'ouverture de la tutelle de convoquer d'of-
fice le conseil de famille s'il ne l'a pas été à la requête de la famille.
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
528

ment. Le Code donne aux membres du conseil de famille la fa-


(art. 412)
culté de se faire dans cette assemblée par un mandataire spé-
représenter
avec cette seule restriction qu'un fondé de pouvoirs ne peut représen-
cial,
ter plus dune personne. Les membres du conseil usent et abusent de ce

droit de se faire remplacer, et l'on voit


parfois, surtout à Paris, des conseils

de famille composés de clercs d'avoué ou de notaire !


presque uniquement
On devine ce que être des délibérations ouvertes dans de telles
peuvent
conditions. Le tuteur obtient facilement le blanc seing qu'il sollicite. Cha-
cun a hâte de s'en aller, de retourner à ses affaires personnelles. Le juge
de paix président, fût-il animé de la meilleure volonté, ne peut suppléer à
cette inertie, car il n'a les moyens de
se renseigner utilement sur la si-
pas
tuation vraie de l'incapable. Il ne sait que ce que lui disent les parents, et
se trouve réduit à enregistrer leur volonté.
On comprend donc aisément que les législations plus récentes que la
nôtre se soient gardées de nous emprunter un rouage qui fonctionne d'une
manière aussi défectueuse. Ces législations ont compris que les assemblées
de parents ne peuvent, en général, jouer un rôle de direction et de contrôle.
Aussi remplacent-elles leur intervention par celle d'une haute tutelle d'Etat
confiée à l' autorité judiciaire, qui l'exerce généralement par l'organe d'un

magistrat unique, spécialisé dans ses fonctions tutélaires où il acquiert, par


là même, plus d'expérience et de sûreté. C'est ainsi que nous voyons fonc-
tionner en Allemagne, à peu près dans les cas où intervient notre conseil
de famille, le tribunal des tutelles (Vormundschaftsgericht). En Suisse, des
fonctions analogues sont confiées à l'autorité tutélaire, ainsi désignée par
un vocable assez vague, parce que le Code civil a réservé ici l'autonomie
des cantons qui peuvent donner à cette autorité telle ou telle forme parti-
culière, mais
toujours en lui maintenant son caractère d'organe public re-

présentant, non la famille, mais la protection de l'Etat.


Ce n'est pas à dire d'ailleurs que les parents ne soient parfois appelés,
dans le Droit allemand et le Droit suisse, à jouer un certain rôle à côté du
tuteur. Mais les cas où il en est ainsi sont, paraît-il, en fait, extrêmement
rares. En Allemagne, c'est seulement à la demande du survivant des père
et mère, du tuteur ou du subrogé tuteur, eu par décision du tribunal des
tutelles, statuant sur la de l'un des de
requête parents l'enfant, que le con-
seil de famille peut être formé (C. civ., art. 1858 et suiv.). Il remplira dans
ce cas les mêmes fonctions que le tribunal des tutelles ; mais il paraît que,
dans la pratique, les tutelles organisées de la sorte ne constituent qu'une
rare exception. De même, en Suisse, l'article 362 du Code de 1907 :
d'après
« la tutelle peut être remise exceptionnellement à la famille, lorsque l'inté-
rêt du pupille justifie cette mesure, notamment la continuation d'une
pour
industrie ou d'une société. Les droits, les devoirs et la responsabilité de
l'autorité tutélaire passent alors à un conseil de famille. »
Nous verrons qu'en France la
législation la récente s'est
plus inspirée
d'idées analogues en ce qui concerne la tutelle des enfants naturels. Là,
les fonctions du conseil de famille sont exercées par le tribunal. Ce système
encore bien neuf semble jusqu'à présent donner de bons résultats, qui
TUTELLE 529

conduiront peut-être le législateur à l'étendre, au moins dans certains cas


et avec les modalités à la tutelle des enfants
convenables, légitimes.

Troisième critique : Trop de tutelles — On encore


légales. peut
critiquer, dans notre
loi, l'attribution
trop de la tutelle à des tu-
fréquente
teurs légaux, qui n'ont pas toujours la compétence ni surtout l'activité dési-
rables. Certes, il n'y à reprendre dans la règle fait
a rien qui des père et
mère survivants les tuteurs de leurs enfants. Nul n'est mieux désigné pour
exercer cette fonction. Mais on n'en dira autant des
pas ascendants, sou-
vent trop âgés pour être de bons tuteurs. Il ne faut pas oublier que, dans
l'ancien Droit français, la tutelle était dative. Cette solution est au-
toujours
jourd'hui celle du Code civil suisse. Son article 380 se contente de dire que
l'autorité tutélaire doit nommer de préférence, à moins
que de justes motifs
ne s'y opposent, l'un des proches parents ou alliés. Il est vrai dans le
que,
Code civil allemand, le tribunal des tutelles qui, toujours, est appelé à don-
ner l'investiture au tuteur, doit, à défaut de tuteur testamentaire, désigner
le grand-père paternel ou le grand-père maternel, sauf dans certains cas
déterminés (art. 1776, 1 778, 1780 à 1784).
De ces deux systèmes étrangers, c'est le système du Code sur
helvétique
lequel il paraîtrait désirable que la loi française se modelât.

Quatrième critique : Insuffisance de formalités dans certains cas,


excès dans certains autres. — Le fonctionnement de notre tutelle ne
donne pas lieu à moins de critiques que son organisation.
Tout d'abord, malgré les progrès incontestables réalisés la loi de
depuis
1880; il y a encore des cas où le tuteur peut accomplir sans contrôle des
actes qui devraient être surveillés. Nous en avons signalé un en parlant
de son pouvoir d'encaisser les capitaux librement et d'en donner décharge,
sans avoir même à aviser le subrogé tuteur.
De même, l'obligation de rendre compte, imposée au tuteur seulement à
la fin de sa gestion, est insuffisante. La loi
permet bien au conseil de famille
d'imposer des comptes annuels à remettre au subrogé tuteur sous le nom
d'états de situation; mais c'est là une pure faculté, dont il ne semble pas
qu'il soit souventfait usage en pratique. Et cette faculté n'existe même pas
lorsque le tuteur est le père ou la mère de l'enfant. D'après le Code civil
suisse, au contraire, le tuteur « doit tenir des comptes qu'il remet à l'auto-
rité tutélaire aux fixées par elle et tous les deux » ans au
époques moins
(art. 413, 2e al.). D'après le Code civil
allemand (art. 1840), le compte doit
être rendu chaque année ; si l'administration est peu étendue, le tribunal
des tutelles peut, lorsque le compte pour la première année a été rendu,
ordonner que le se fera pour mais ne
compte des périodes plus longues,
pouvant excéder trois ans.
En revanche, là où notre loi exige des formalités, elle le fait trop sou-
vent avec une profusion la mesure, et se retourne contre l'in-
qui dépasse
térêt du pupille, à cause des frais et des lenteurs qui sont ainsi imposés à
des opérations indispensables. Une délibération du conseil la
cependant de
530 LIVRE I. — TITRE III. - PREMIÈRE PARTIE

mille, laquelle entraîne environ 40 francs de frais, un jugement d'homolo-


gation du tribunal, lequel revient à environ 80 francs-, en tout 120 francs,
c'est beaucoup trop quand il s'agit de vendre ou d'acheter une parcelle
immobilière ou des valeurs mobilières s'élevant à quelques centaines ou
milliers de francs ! sans compter que la lenteur inévitable de ces formalités
empêche trop souvent de saisir les occasions favorables de vendre et d'a-
cheter. Evidemment, l'homologation du tribunal, quand elle est exigée,
fait double emploi avec lia délibération du conseil de famille. La décision

judiciaire devrait suffire. C'est d'ailleurs la solution que là loi Consacre,


on s'en souvient, lorsqu'il s'agit des conventions relatives à une expropria-
tion pour cause d'utilité publique poursuivie contre un mineure Il faudrait

généraliser bette règle spéciale. Il faudrait aussi écheniller et réduire con-


sidérablement les formes qui sont prescrites et les frais scandaleux qui en
sont la conséquence, dans les partages de Successions intéressant lès mi-
neurs.
CHAPITRE III

ADMINISTRATION LÉGALE 1

Généralités. Historique. La loi du 6 avril 1910. — L'administra-


tion légale, à la différence de la tutelle, n'a trait la gestion du patri
qu'à
moine du mineur et non au soin et à la direction de sa personne. Pour qu'elle
existe, il faut supposer, on s'en souvient, qu'il d'un
s'agit enfant légitime,
ahant encore à la fois son père et sa mère. Alors, c'est à titre d'administrateur
légal que le père ou, plus exactement, celui des auteurs de l'enfant qui
possède sur lui la
puissance assure la gestion de son
paternelle, patri-
moine. On sait que, au contraire, si le père ou la mère était l'auteur
mort,
survivant de l'enfant, bien qu'investi de la puissance paternelle sur sa
personne, administrerait son patrimoine en qualité de tuteur.
Quelles différences y a-t-il entre la tutelle et l'administration légale ?
A première vue, on dire, d'une
peut part, que l'administrateur exerce des
pouvoirs plus étendus
que ceux d'un tuteur, et, d'autre part, que le mineur
possède, à son encontre, moins de garanties qu'à l'égard d'un tuteur. Les
raisons de ce contraste sont diverses. D'abord, l'administration légale sup-
posant que le père et la mère de l'enfant sont l'un et l'autre vivants, on
peut considérer que la mère exercera sur la gestion du père un contrôle
aussi efficace que celui d'un subrogé tuteur ou d'un conseil de famille
Ensuite et surtout, il est rare qu'un entant acquière des valeurs avant le
décès de l'un de ses parents ; il paraît donc peu utile de soumettre à une

réglementation minutieuse les pouvoirs de celui que la, loi charge de la


mission probablement fort platonique d'administrer son patrimoine.
Mais, lorsqu'en dehors de ces généralités, on cherchait à préciser les

règles détaillées de l'administration légale, on se trouvait naguère en pré-


sence de l'une des notions les plus obscures et les plus controversées de
notre Droit civil. Les difficultés divergences doctrinales
multiples, et les
es incertitudes de la Jurisprudence, auxquelles on se heurtait presque à
au laconisme excessif du Code — sans doute à
chaque pas, tenaient qui
cause du mutisme à peu près complet de nos anciens auteurs en cette ma-
tière — s'était contenté de dire dans le seul article 389 : « Le père est
durant le mariage administrateur des biens personnels de ses enfants mi-

1. Capitant, La loi du 6 avril 1810, dans Revue trimestrielle de droit civil, 1910,
p. 271; Bartin, Rapport à la Société d'Etudes législatives, avec telles et discus-
sion dans le Bulletin de la Société, 1906, p. 297, 333; Wagner, L'administration
légale des biens personnels des enfants mineurs. Revue trimest. de droit civil,
1902, p. 782; de Chauvigny de Blot, De l'administration légale: étude comparée
de la loi du 6 avril 1910 et de la jurisprudence antérieure, thèse, Paris, 1912,
632 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

neurs » ; à quoi l'alinéa 2 du même article ajoutait que le père est comp
table des biens dont il a l'administration.
On pourra se rendre compte de l'interprétation donnée à cet article 380,
avant 1910, par la Jurisprudence, en indiquant les différences principales
qu'elle faisait ressortir entre la tutelle et l'administration légale:
1° Les biens de l'administrateur légal ne sont pas grevés d'une hypo
thèque légale au profit des mineurs.
2° Il y a pas de subrogée tutelle organisée à côté et comme contrôle de
l'administration légale.
Comment faire, dès lors, quand les intérêts du mineur et ceux de son
administrateur légal se trouvaient en opposition ? Qui représentait le
mineur dans ce cas? Il y avait controverse sur ce point. L'opinion la plus
généralement admise était qu'il y avait lieu de faire représenter l'enfant

par un administrateur ad hoc désigné par le tribunal (Req., 13 juillet 1903.


D. P. 1904.1.22, S. 1904.1.21).
3° L'administrateur légal exerce ses fonctions sans l'assistance et sans
le contrôle d'un conseil de famille.
4° Résultait-il de l'absence de ce conseil de famille, organe le plus essen-
tiel de la haute tutelle, que l'administrateur légal pût accomplir, sans aucun
contrôle, tous les actes relatifs à la gestion du patrimoine, y compris ceux

qui, pour le tuteur, requièrent l'autorisation du conseil de famille, voire


même l'homologation judiciaire ? Spécialement, y avait il lieu d'appliquer
aux actes concernant les valeurs mobilières de l'enfant soumis à l'admi
nistration légale les règles de la loi du 27 février 1880 ? C'est sur ces points
que régnait la plus grande incertitude. Certains arrêts admettaient ici une
distinction assez raisonnable reposant sur ce fait que, des deux pouvoirs
de haute tutelle, il en est un, le conseil de famille, dont il est impossible de
concevoir l'intervention, parce que la loi ne l'organise que dans l'hypo-
thèse de la tutelle, mais qu'il en est un autre, le tribunal, que son fonc-
tionnement permanent permet de faire intervenir même en dehors de ce
cas. En conséquence, ces décisions admettaient que l'administrateur légal
pouvait accomplir seul tous les actes qu'un tuteur peut faire seul, et aussi
tous ceux qui nécessitent, de la part d'un tuteur, l'autorisation du conseil
de famille; au contraire, lorsqu'il s'agit d'actes qui, sous la tutelle, re-

quièrent à la fois l'autorisation du conseil de famille et l'homologation du


tribunal, on enseignait dans ce système, que le père, administrateur, avait
besoin de se faire autoriser par le tribunal, et que cette autorisation était

pour lui à la fois nécessaire et suffisante (Douai, 22janvier 1894, D. P


94.2.296, S. 94.2.311. Cf. Trib. Seine, 8 novembre 1898, S. 99.2.316). Mais
ce système ne reposait, il faut le reconnaître, sur aucune base solide. En
particulier, une application, même partielle, des formalités de la loi de 1880
aux actes de l'administrateur légal sur les valeurs mobilières de l'enfant
paraissait inadmissible, car un amendement en ce sens avait été formelle-
ment repoussé lors de la discussion de la loi de 1880 ( Sénat, séance du 17 fé-
vrier 1880 et un projet de loi, reproduisant cet amendement, objet d'un
rapport défavorable devant la Chambre des députés (Chambre, séance du
ADMINISTRATION LÉGALE 533

4 juillet 1887), n'était même pas venu en discussion. la lo-


L'opinion plus
gique était donc celle qui, sans aucune distinction ni réserve, affranchis-
sait lé père, administrateur légal, de tout contrôle dans son adminis-
tration. Et, bien que cette do trine rencontrât, en une certaine
pratique,
résistance de la part des agents de c'est elle avait en der-
change, qui été,
nier lieu, consacrée par la Cour de cassation (Req., 5 janvier 1903, D. P.
1903.1.24,5. 1903.1.78). Or, elle aboutissait parfois à des conséquences
néfastes pour le s intérêts de l'enfant. On avait vu notamment un arrêt de
la Cour de cassation (Civ., 29 juillet 1903, D. P. 1904.1.196, S. 1903.1.520)
admettre que le père, administrateur, légal, étant investi de la disposition
des actions mobilières appartenant à son enfant mineur, avait le droit de
transiger à son gré sur les conséquences d'un accident du travail survenu
à cet enfant, et même de disposer à son profit personnel de l'indemnité
ainsi obtenue même,! De le père administrateur légal pouvait aliéner sans
aucune formalité les valeurs mobilières appartenant au mineur (Besançon,
11 novembre 1898, D. P. 99.2.81, S. 1902.2.41, note de M. Wahl). Et cette
solution était d'autant plus regrettable que la loi de 1880 avait abrogé la loi
du 24 mars 1806 relative aux rentes sur l'État des mineurs, et le décret du
25 septembre 1813 sur les actions de la Banque de France leur appartenant.
L'enfant soumis à l'administration légale, se trouvant, d'autre part, privé
des garanties nouvelles instituées en 1880 pour remplacer, au profit des
mineurs en tutelle, celles qui résultaient de ces anciens textes, ne bénéficiait
donc plus d'aucune espèce de protection. En ce qui le concerne, la législation
loin de progresser, avait reculé; elle le laissait entièrement à découvert!
5° L'obligation de rendre compte pèse sur l'administrateur comme sur
le tuteur ; mais on admettait qu'il ne fallait pas appliquer à cette reddition
de compte les règles spéciales établies par le Code pour les comptes de tu-
telle, soit dans l'article 475 (prescription décennale de l'action), soit dans
l'article 474 (intérêts courant de plein droit contre le tuteur), soit dans l'ar-
ticle 472 (nullité des décharges et transactions intervenues moins de dix
jours après la reddition du compte avec pièces à l'appui). Les comptes de
l'administrateur étaient donc soumis à l'application pure et simple du droit
commun (Req., 30 janvier 1866, D. P. 66.1.172, S. 66.1.204).
Il était douteux — la Cour de cassation ne s'étant
6° jamais prononcée
sur ce point — fut possible, à l'administrateur la
qu'il d'appliquer légal
disposition de l'article 444 permettant de prononcer la destitution du tuteur,
quand sa gestion accuse son infidélité ou son incapacité. On ne pouvait
donc avec certitude atteindre l'administrateur, en pareil cas, que d'une
manière indirecte, en utilisant contre lui soit la déchéance qu'encourt l'u-
sufruitier pour abus de jouissance, soit les déchéances de la puissance pa-
ternelle prononcées par les lois de 1889 et de 1898.
Une réforme était, en somme, nécessaire. Elle fut accomplie par la loi du
6 avril 1910 qui, introduisant dans l'article 389 de nombreux alinéas nou-
veaux, règle maintenant, d'une façon détaillée, à la fois l'étendue des pou-
voirs de l'administrateur légal et l'attribution de ces pouvoirs, point sou-
vent délicat et sur lequel le Code était resté complètement muet.
534 LIVRE I . TITRE III. PREMIÈRE PARTIE

Etendue des de l'administrateur — Plusieurs


pouvoirs légal.
systèmes législatifs s'offraient au choix des rédacteurs de la loi de 1910.
Celui du Code civil italien (art. 224 à 227) distingue entre les actes d'ad-
ministration et les actes de disposition, exigeant pour ceux-ci l'autorisa-
tion de justice, permettant au père d'accomplir les autres librement. Le
Gode civil suisse art. 290 et s.)., au contraire, laisse au père les plus larges
pouvoirs de gestion, mais en donnant à la justice la mission de prendre,
en cas de besoin, des mesures de protection. Le Code civil allemand

(art. 1638 et s.) suit un système mixte, Il exige l'approbation du tribunal


des tutelles pour les actes de disposition ; mais, en vue d'éviter des len-
teurs qui pourraient être préjudiciables au mineur dans la réalisation
de valeurs de bourse menacées de baisse, il n'impose aucune formalité
ni pour la conversion ni pour l'aliénation de ses valeurs mobilières. -

C'est, à notre avis, le premier système qui vaut le mieux ; c'est lui qui

garantit le plus efficacement les intérêts du mineur. On peut lui reprocher


sans doute d'alourdir l'administration, de la rendre plus coûteuse et de
retarder des actes qu'il peut être parfois urgent d'accomplir, comme la
vente de titres de bourse qui périclitent Mais la complète indépendance du
père offrirait bien d'autres dangers; il est nécessaire de garantir le mineur
contre la tendance assez fréquente chez l'administrateur à considérer les
biens qu'il gère comme en propre. lui appartenant
La loi de 1910 se rapproche de ce premier système, mais sans
s'y ratta-
cher expressément. Elle a suivi, en effet, un autre procédé, qui n'est pas
sans inconvénient, et c'est en comparant les pouvoirs de l'administrateur à
ceux du tuteur qu'elle en a délimité l'étendue.
1° L'administrateur légal est soumis au contrôle
du tribuual, mais non à
celui du conseil de famille. L'article 389, al. 6, en effet, est ainsi conçu :
L'administrateur légal « accomplit seul les actes le tuteur peut faire
que
seul ou autorisé par le conseil de famille et, avec l'autorisation du tribunal,
les actes que le tuteur ne peut accomplir sans cette autorisation ».
C'est là, on le voit, la consécration de la distinction nous avons re-
que
levée, avant 1910, dans un certain nombre d'arrêts. Cette distinction cor-
respond à peu près à celle des actes d'administration et des actes de dispo-
sition. Nous disons à peu près, la liste des actes le tuteur
parce que que
peut accomplir seul ou avec la simple autorisation du conseil de famille,
liste qu'il est superflu de reproduire ici, on s'en souvient,
comprend,
nombre d'opérations qui dépassent la portée des actes d'administration ;
nous citerons notamment l'aliénation des meubles ou des valeurs
corporels
mobilières jusqu'à 1.500 francs. L'administrateur donc accom-
légal pourra
plir ces opérations librement.
En revanche, il sera de requérir l'autorisation de justice les
obligé pour
actes suivants :
A. — Aliéner les meubles incorporels dont le montant dépasse 1.500fr
en capital ;
B. — Convertir les titres nominatifs en titres au leur
porteur, quand
valeur excède ce chiffre ;
ADMINISTRATION LÉGALE 535

C. — Aliéner les immeubles ;


D.— Emprunter ;
— Constituer des droits
E. réels sur un immeuble ;
F. — Transiger.
Le pouvoir qui appartient au tribunal d'accorder ou de refuser l'autori-
sation implique naturellement lui, au cas où il la la faculté de
pour donne,
proscrire toutes les mesures qu'il utiles 12 juillet 1921. D. P.
juge (Req.,
1922.1.177, note de
M. Savatier).
Remarquons que la possibilité pour le père de se du contrôle
passer
d'un conseil de famille lui permettra d'esquiver l'homologation judiciaire
de l'aliénation de valeurs mobilières excédant
quand il s'agit 1.500 Il francs.
n'aura qu'à échelonner l'aliénation en ventes partielles successives infé-
rieures à ce chiffre, pour tourner aisément les prescriptions de la loi.
2° En outre de la protection résultant pour le mineur de l'intervention
de la justice dans les actes de disposition les plus importants, l'article 389
(nouveau) impose à l'administrateur légal certaines des obligations incom-
bant au tuteur (parfois avec quelques modifications). Ces obligations sont:
A. — L'emploi des capitaux appartenant au mineur lorsqu'ils s'élèvent
à plus de 1.500 francs (art. 389, 7e al.) ;
B. — La conversion des titres au porteur en titres nominatifs, du moins
lorsqu'ils sont
convertibles, sans d'ailleurs « que les à surveiller tiers aient
cet emploi ou cette conversion » (art. 389, 7e al.) ;
C. Enfin — le procédé d'énumération de la loi de
- pour employer
1910 - toutes les obligations, résultant des articles 461 in
457, 458, 460,
fine, 462, 466, 467, dernier alinéa, du Code civil, 953 et suivants, livre II,
titre VI du Code de procédure civile, 2, 3, 10 et 11 de la loi du 27 février
1880 (art. 389, 8e al.). En d'autres termes, on applique aux emprunts des

mineurs soumis à l'administration légale, à la vente et à la licitation des


immeubles leur appartenant par indivis, à l'acceptation des successions
qui leur échoient, aux partages et aux transactions les intéressant, ainsi
qu'à l'aliénation de leurs valeurs mobilières, les mêmes règles et formes
particulières que celles qui sont requises pour les mineurs en tutelle.
Cette dernière extension ne nous paraît pas heureuse. Il est mauvais
d'imposer au père des formalités dispendieuses et compliquées telles que
celles du partage judiciaire ou de l'aliénation des immeubles, dont tout le
monde s'accorde à reconnaître les mauvais effets.
3e Enfin, la reddition des de l'administrateur légal est soumise
comptes
aux articles 469, 471, 472,473, 474, 475, c'est-à-dire aux mêmes règles
spéciales que la reddition des comptes de tutelle (art. 389, 11e al.).

Attribution de l'administration. — L'administration des biens d'un


enfant qui â encore son père et sa mère peut appartenir selon le cas :
1° au père, 2° à la mère, 3° à un tiers.

1° L'article 839 décide, comme l'ancien texte, que l'administration légale


appartient au père, du vivant des deux époux. En cas de divorce ou de sépa-
ration de corps, nous avons vu plus haut que la loi attribue l'administration
I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE
536 LIVRE

est confiée la garde de l'enfant, mais en réser-


à celui des deux époux auquel
la faculté d'en ordonner autrement art. 389, 3e al.).
vant pour le tribunal
doit ou peut être enlevée à celui auquel elle est con-
2° L'administration
la mère ou un tiers, dans certains cas. De plein
fiée, que ce soit le père,
tout d'abord, elle cesse d'appartenir à toute personne interdite, pour-
droit,
déclarée en état d'absence ou déchue de la puis-
vue d'un conseil judiciaire,
D'autre elle peut être retirée à l'administrateur par
sance paternelle. part,
à la requête de l'autre auteur de l'enfant, de tout parent
le tribunal statuant
ou allié, ou du ministère pour toute cause grave (art. 389, 9e al.). Le
public,
souverain. Au nombre des
tribunal jouira ici d' un pouvoir d'appréciation
le déterminer à prononcer la déchéance, on
causes graves qui pourront
la folie non suivie d'interdiction de l'adminis-
peut évidemment ranger
la séparation de biens
trateur légal, ou le fait qu'un jugement prononçant
aura été rendu contre lui 1.
le père est déchu de l'administration, la mère
On remarquera que, lorsque
investie avec les mêmes que lui, sans avoir besoin
en est de droit pouvoirs
de son autorisation maritale art. 389, 2e al.)

3°Il y a trois où on rencontre un administrateur autre que


hypothèses
le père ou la mère :
A. — En cas d'opposition d'intérêts entre le mineur et son administra-

teur l'article 4e al. consacrant, en cela, la jurisprudence anté-


légal, 389,
décide doit être donné a l'enfant un administrateur ad hoc,
rieure, qu'il
le représenter dans l'affaire qui donne lieu à
nommé par le tribunal, pour
celle, opposition.
B. — Dans le cas où le et la mère ont l'un et l'autre encouru la
père
déchéance de l'administration il y a lieu encore à la nomination,
légale,
par le tribunal, d'un administrateur, général, cette fois, que l'alinéa 4 de la
loi à tort, d'administrateur ad hoc. Cet administrateur
qualifie cependant,
aura les mêmes le ou la mère, sauf au tribunal à lui
pouvoirs que père
telles qu'il nécessaires. Il en sera de même,
imposer garanties jugera
en cas de divorce et de séparation de corps, si le tribunal
croyons-nous,
estime est utile l'enfant de ne confier l'administration de ses
qu'il pour
biens ni au père ni à la mère.
C. — Enfin, aux termes de l'alinéa 1er de l'article 389, qui a consacré,
sur ce point encore, les solutions antérieures de la Jurisprudence (Nîmes,

1. Le texte voté par le Sénat, dans sa séance du ii février 1909, décidait que l'ad.
ministration légale était enlevée de plein droit « au mari séparé de biens en vertu
de 1 article 1443 du Code civil », Mais il s'est passé ce fait étrange, que ce membre
de phrase ne figure pas dans la lettre datée du 13 février par laquelle le président
du Sénat transmettait le projet à la Chambre des députés. Celle-ci ayant adopté
ce projet sans discussion, la loi a été promulguée telle quelle, sans que personne
se soit aperçu qu'elle est en realite inconstitutionnelle, puisque le texte voté par
la Chambre des députés n'est pas conforme au texte voté par le Sénat et que
cette assemblée n'a pas ensuite adopté la modification introduite — inconsciem-
ment— par la Chambre. La singularité du fait nous a paru mériter d'être signalé©.
Elle a et* révélée par la thèse de notre élève M. Flattet, Etude sur l'administra-
tion Légale, Paris, 1911, p. 103, et nous avons vérifié l'exactitude de ses remarques
sur ce point,
ADMINISTRATION LEGALE 537

16 avril 1907, D. P. 1908.2.331, S. 1908.2.66), le donateur ou testateur, qui


fait une libéralité au mineur, un tiers autre
peut désigner que le père ou la
mère pour administrer les biens donnés. La loi ayant malheureusement
gardé le silence sur l'étendue des pouvoirs de cet administrateur, il nous
semble résulter des principes généraux qu'il ne pourra seul
accomplir que
les actes d'administration, et devra demander l'autorisation du tribunal
pour tout acte de disposition.

Parallèle entre l'administration légale et la tutelle. — De la réforme

législative, en somme très heureuse, accomplie en 1910, il ressort les


que
différences suivantes, dont quelques-unes paraissent, à la vérité, fortuites
distinguent dorénavant l'administration légale de la tutelle :
1° Absence de tout organe analogue à la subrogée tutelle.
2° Absence de conseil de famille.
3° Comme corollaire de ce qui précède, pouvoir pour l'administrateur
légal d'accomplir seul, non seulement les actes qu'un tuteur pourrait faire
de même, mais encore ceux que le tuteur ne pourrait accomplir qu'avec
l'approbation du conseil de famille. Intervention du seul rouage judiciaire
dans les actes qui, de la part du tuteur, exigent à la fois une délibération
de l'assemblée familiale et l'homologation du tribunal.
4° Pas d'hypothèque légale sur les immeubles de l'administrateur légal.
5° Précision plus grande dans les
dispositions visant la déchéance ou l'ex-
clusion de l'administrateur que dans celles qui ont trait à la destitution du
tuteur. On comparera, à cet égard, les termes de l'article 389, 9e al. avec
ceux des articles 443 et 444. La déchéance est prononcée par le tribunal
et non par le conseil de famille.
6° Fixation au chiffre invariable de 1.500 francs de la somme à laquelle
commence pour l'administrateur l'obligation de placer les deniers du

pupille. Sous la tutelle, au contraire, il n'y a pas de règle uniforme ; c'est


le conseil de famille qui détermine le chiffre en question dans sa première
séance, au moins pour les économies faites sur les revenus.
7° Lorsqu'il l'article
s'agit de consentir une transaction, 389, 8e al. appli-
quant à l'administration légale le dernier alinéa seulement, et non le pre-
mier, de l'article 467, il en résulte que l'administrateur n'a pas besoin,
comme le tuteur, de provoquer, outre l'approbation du tribunal, une con-
sultation de trois jurisconsultes.
8° La même de comprendre l'article 450 parmi
disposition ayant négligé
ceux qui sont applicables à l'administrateur légal, il en résulte que celui-ci
à lé droit, à la différence du tuteur, de prendre à bail ou d'acheter les biens
du mineur, même d'acquérir une créance contre lui.
9° Même omission l'article 451. Il en résulte que l'administrateur
pour
légal n'est comme tel, à faire inventaire des biens de l'enfant.
pas, obligé
Il est vrai le plus souvent, il sera assujetti à cette obligation en qua-
que,
lité d'usufruitier.

35
DROIT, — Tome I.
CHAPITRE IV

TUTELLE ET PROTECTION DES ENFANTS NATURELS

2. Loi du 2 1907. — La
Généralités. Historique juillet question
de la des mineurs enfants naturels, présente un grand intérêt
protection
dans une société où le nombre des enfants nés hors mariage
pratique
est malheureusement très grand, surtout dans les classes pauvres, et où
les enfants naturels beaucoup ne sont reconnus ni par leur père
parmi
ni par leur mère 3.
Dans notre ancien Droit, l'enfant né hors mariage était considéré comme

pas de famille. Aucun lien juridique n'existait en somme entre lui


n'ayant
et ses auteurs. Il n'était pas soumis à la puissance paternelle ; il n'avait pas
besoin du consentement de ses auteurs pour se marier. Il ne leur succé-
dait pas, et ne
pouvait recevoir d'eux une libéralité par donation ou testa-
ment, si ce n'est à titre particulier. Cependant, on admettait qu'il devait

porter le nom de celui de ses auteurs à l'égard duquel sa filiation, était


établie et, spécialement, le nom de son père s'il avait été reconnu par les
deux.
La Révolution qui, dans une pensée de justice et d'égalité abstraites,
avait voulu effacer toute infériorité sociale des enfants illégitimes, leur.
donna bien, dans la succession de leurs père et mère, des droits égaux
à ceux des enfants légitimes (Décret des 4 juin 1793 et 12 brumaire an II)
mais elle négligea d'organiser la puissance paternelle à leur égard.

1. V. Henri Rousseau, La minorité des enfants naturels, 1908; Roux, De la


condition des enfants naturels dans le Code civil allemand (thèse Paris, 1902).
2. V. Brissaud, Manuel, p. 134 et s. ; Laferrière, Histoire du Droit français,
éd. 1838, t. II, p. 330 et s.
3. L'importance de la natalité illégitime dans notre et la nécessité d'une
pays
protection sociale sérieuse pour les enfants naturels résulte du tableau suivant:
ENFANTSNES VIVANTS. ENFANTSMORTS NES.
Années Naissances légitime*. Naissances illégitimes.
mille mille mille
1810 880 52
1870 ...... 873 70
1900 754 73 41
1910 707 67 36
1913 • • • • • • 680 66 34
1914 544 50 27
1915 ...... 344 43 17
270 43 16
1916
1917 294 48 16
Le nombre des enfants morts nés est intéressant,
enfants hors mariage
parce que la plupart sont des
conçus et victimes de manoeuvres abortives
D'autre part la moyenne des reconnaissances est d'un peu plus
taine d'une cinqua-
pour 1000 naissances.
TUTELLE ET PROTECTION DES ENFANTS NATURELS 839

Le Code civil, replaçant, au point de vue successoral, les enfants natu-


rels dans un rang inférieur à celui des enfants nés du ne con-
mariage,
sacre à leur situation de famille
que des textes très insuffisants. L'article 158
porte seulement que l'enfant naturel qui n'a pas atteint de 21 ans
l'âge
accomplis, ne peut se marier sans avoir obtenu le consentement de celui
de ses père et mère qui l'a reconnu, et l'article 383 décide les
que dispo-
sitions du Code relatives au droit de correction paternelle sont applicables
aux enfants naturels comme aux enfants légitimes. Il semblait bien résulter
de ces dispositions, surtout de la deuxième, que les enfants naturels recon-
nus étaient placés sous la puissance paternelle. Mais à qui appartenait
cette autorité en cas de double reconnaissance, simultanée ou successive?
Et par quelles modalités différait-elle de la puissance paternelle résultant
du mariage? Le Code restait muet sur ces deux points. De là la plus
grande indécision dans la Doctrine et dans la Jurisprudence.
En ce qui concerne l' attribution de l'autorité parentale sur l'enfant natu-
rel mineur, on pouvait hésiter entre plusieurs systèmes. Sans parler de ce-
lui des législations de parenté maternelle (Angleterre, Allemagne), qui attri-
buent l'autorité à la mère et ne font, en dehors de l'obligation alimentaire,
dériver aucun effet juridique de la reconnaissance faite par le père, on

pouvait invoquer de bons arguments en faveur de la prééminence pater-


nelle. Ce système, qui est celui des Codes civils italien et espagnol, et fait
de l'organisation de la famille naturelle un décalque de celle de la famille

légitime, offre cet avantage de ne point placer l'enfant dans une situation
extérieurement différente de celle des autres mineurs. Cependant, certains
auteurs préconisaient l'attribution de la puissance paternelle à celui des
deux auteurs de l'enfant qui l'aurait reconnu le premier, solution peu ra-
tionnelle, semble-t-il à première vue, car l'autorité parentale ne saurai
être le prix de la course, et il est inexact de supposer a priori que l'auteur
de la reconnaissance a fait preuve d'une sollicitude plus tendre
première
pour une foule de circonstances fortuites pouvant retarder une
l'enfant,
reconnaissance, ne fût-ce, que l'état de santé de la mère re-
par exemple,
tenue dans son lit pendant les premiers jours qui suivent l'accouchement.

Enfin, une. dernière sur la juste analogie qui existe


opinion, s'appuyant
entre la situation de deux concubins ont l'un et l'autre reconnu leur
qui
enfant sans s'épouser et celle de deux époux divorcés, enseignait qu'il ap-
à la justice de régler l'attribution de l'autorité parentale sans
partenait
autre considération celle de l'intérêt de l'enfant (En ce sens Douai,
que
6 février 1899, D. P. 1900.2.175).
L'incertitude n'était relativement au contenu de la puis-
pas moins grande
sance exercée sur les enfants naturels. Il y avait bien, en dehors
paternelle
des droits visés les articles 158 et 383, certains attributs
expressément par
de cette sur lesquels on tombait assez aisément d'accord. Il en
puissance
était ainsi du droit de consentir à l'adoption de l'enfant naturel (art. 348),
où à l'établissement sur sa de la tutelle officieuse (art. 361), du
personne
droit de celui une donation ou d'au-
d'émancipation (art. 477), d'accepter
toriser un engagement dans l'armée ou la marine. Mais il n'en allait pas de
540 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

même pour les attributs de l'autorité paternelle relatifs au patrimoine du

mineur-, droit de jouissance et administration légale. En général, on refu-


sait aux parents naturels l'usufruit légal des biens de leur enfant mineur,
avantage dont le texte de l'article 384 (ancien) semblait bien faire une con-

séquence du mariage. Et, de même, après plus d'hésitation, il est vrai, la

Jurisprudence inclinait à décider que le père naturel ne pouvait prétendre à


l'administration légale du patrimoine de l'enfant et, en particulier, à l'exer-
cice des actions en justice lui appartenant (Paris, 17 mars 1897, D. P.

97.2.215). Le mariage seul, en effet, par le contrôle mutuel des deux parents,
peut justifier l'absence de garanties et de limite à la liberté d'action du man-
dataire légal, qui caractérise cette forme d'administration. En conséquence,
l'enfant naturel, quand bien même il aurait été reconnu et, dès lors, placé
soas la puissance paternelle, devait être soumis, pensait-on, quant à ses
biens, au régime de la tutelle. Restait à savoir quel genre de tutelle il y
avait lieu d'appliquer. Pendant longtemps on avait admis que c'était la tu-
telle légale des père et mère. Puis l'opinion contraire avait prévalu. Et la
Cour de cassation avait décidé que le tuteur devait être nommé par le con-
seil de famille (Req., 16 novembre 1898, D. P. 99.1 218, S. 99.1.24). Il faut
ajouter que, l'enfant naturel ayant rarement un patrimoine personnel, l'or-
ganisation de cette tutelle n'avait pas lieu fréquemment en fait. La Cour de
cassation paraissait même poser en principe que, la loi n'ayant pas fixé le
moment de l'ouverture de la tutelle des enfants naturels, il n'y avait lieu de
l'organiser que quand l'intérêt de l'enfant ou celui des tiers l'exigeait (Req.,
10 novembre 1896, D. P. 99.1.209, note de M. Léon Michel, S. 97.1.321, note
de M. Tissier).
Il n'y a pas besoin de faire ressortir tous les inconvénients d'une doc-
trine et d'une jurisprudence aussi assises. En la
peu somme, protection
légale des mineurs enfants naturels était très insuffisamment assurée par
notre loi. Le système suivi forcément par les interprètes, système qui
consistait à adapter tant bien que mal à la situation de ces enfants des
textes écrits pour les mineurs issus d'un et vivant,
mariage légitime par
conséquent, dans des conditions tout à fait différentes, était rationnelle-
ment défectueux. Encore n'avons-nous rien dit des aux-
conséquences
quelles il aboutissait en ce qui concerne des pouvoirs de
l'organisation
haute tutelle. Pour l'enfant naturel comme le légitime, on
pour chargeait
le conseil de famille de nommer et de contrôler le tuteur. Or l'enfant natu-
rel, légalement, n'a pas de famille
; il n'en a pas, non plus, en fait, lorsqu'il
n'a pas été reconnu. Son conseil de famille ne pouvait donc être
guère
composé que d'amis, c'est-à-dire de personnes de bonne volonté, désignées
pour leurs sentiments plus ou moins d'affection ou de sympathie
vagues
envers l'enfant. L'utilité d'un tel rouage était évidemment à peu près nulle.
C'est pour réformer cet état de choses que fut votée, non sans études
préalables, mais sans aucune discussion la loi du 2 juillet 1907
publique,
dite « loi relative à la protection et à la tutelle des enfants naturels », qui a
modifié les articles 383, 384 et 389 (al. 12 et s.) du Code civil, et dont
nous allons maintenant analyser les dispositions.
TUTELLE ET PROTECTION DES ENFANTS NATURELS 541

Il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'en fait un nombre d'enfants


grand
naturels, particulièrement parmi ceux qui n'ont pas été sont
reconnus,
placés sous un régime spécial ; ce sont ceux rentrent dans la catégorie
qui
assistés dont nous n'avons pas à reparler ici, Contentons-nous
des enfants
de rappeler qu'en vertu de la loi du 27 juin 1904 (art. 11 à 18), ils sont pla-
cés, en province, sous la tutelle du préfet ou de son délégué, l'inspecteur
départemental, dans le département de la Seine, sous celle du directeur de
l'Assistance publique.

Organisation de la protection légale de l'enfant naturel. — Le


système de la loi du 2 juillet 1907 tient dans :
quatre règles principales
1° La puissance est dévolue au ou à la mère
paternelle père qui a reconnu
En cas de reconnaissance simultanée, la puissance
l'enfant. paternelle appar
tient aux deux parents, mais elle est exercée par le père seul ; en cas de
prédécès de celui des parents auquel appartient la puissance paternelle,
le survivant en est investi de plein droit. Enfin, en cas de reconnaissances
successives, elle est donnée à celui des deux auteurs de l'enfant qui l'a re-
connu le premier (art. 383 nouveau). Nous n'avons pas à revenir sur les
1
critiques que mérite, croyons nous, cette dernière règle. Il faut recon
naître que la loi en a beaucoup atténué les inconvénients en ajoutant que
« le tribunal peut toutefois, si l'intérêt de l'enfant confier la
l'exige, puis
sance paternelle à celui des parents qui n'en est pas investi par la loi ». Le
tribunal statue en audience publique, et non en chambre du conseil (Civ.
31 octobre 1917, D. P. 1917.1.158).
2° Les enfants naturels, reconnus ou non,sont en tutelle. Et la tu-
toujours
telle appartient de plein droit à celui de leurs auteurs exerce la puissance
qui
paternelle. La portée pratique de cette règle, c'est que, si l'enfant naturel
possède des biens personnels, ce qui en fait est rare, son auteur ne les ad-
ministre qu'en qualité de tuteur ; il voit donc ses biens soumis à l'hypo-
thèque légale, et il administre sous le contrôle d'un subrogé tuteur qu'il
doit faire nommer dans les trois mois de son entrée en fonction, ou qui
sera nommé d'office par le tribunal (art. 389, 12e al).
Nous rappelons que, par exception à la règle établie pour les femmes
tutrices, y compris la mère légitime, la mère naturelle ne peut pas re-
fuser la tutelle de ses enfants mineurs lorsqu'elle lui est déférée (art. 389,
14e al.).
— et c'est là le corollaire de leur de tuteurs lé-
Ajoutons logique qualité
— le père ou la mère a reconnu ou le dernier
gaux que qui l'enfant,
mourant des parents qui l'auraient reconnu tous deux, peuvent lui désigner
un tuteur testamentaire.
Ici encore, il est impossible de ne pas élever certaines critiques contre le
système établi par la loi. Faire de la tutelle, c'est-à-dire de la mission
d'administrer le patrimoine de l'enfant, suppose certaines
ce qui qualités
et une compétence spéciale, une conséquence forcée de la puissance pater-
nelle, laquelle est attachée elle-même à une circonstance souvent purement
fortuite, à savoir la priorité d'une reconnaissance, cela ne nous sembla
542 LIVRE I. — TITRE III. PREMIÈRE PARTIE
-

pas une solution bien heureuse. Celle qu'avait consacrée la jurisprudence


de la Cour de cassation avant 1907 était, à notre avis, préférable. On dira,
il est vrai, que, si la tutelle est mal exercée, le tribunal peut la transférer à
Mais il faut, pour cela, supposer qu'il y a eu double recon-
l'autre parent.
naissance, ce qui ne se présente pas toujours. De plus, le tribunal ne peut
transférer la tutelle légale du père à la mère ou vice versa indirecte
qu'
ment, en transférant en même temps la puissance paternelle. Or, il hésitera
parfois à le faire. Une telle mesure est blessante pour celui qui en est l'ob-
jet. Ajoutons que tel parent peut ne point posséder les qualités d'un
bon
administrateur du patrimoine, et montrer pourtant celles d'un bon éduca-
teur de l'enfant; il faudra cependant lui en enlever la garde si l'en veut
modifier l'attribution de la tutelle. Pourquoi? Signalons enfin cette consé-

quence inattendue et bien faite, croyons-nous, pour émouvoir le monde des


affaires, qu'une reconnaissance d'enfant naturel pourra entraîner désormais
une hypothèque et occulte les immeubles de
générale grevant son auteur;
Il n'en sera ainsi d'ailleurs que si cette reconnaissance n'a pas été précédée
d'une autre plus ancienne. Or tous ces faits ne seront pas toujours facile-
ment connus, les reconnaissances d'enfant naturel, qui peuvent se
faire par acte notarié, demeurant parfois occultes pendant de longues
années !
3° S'il s'agit d'enfants non reconnus ou d'enfants reconnus, mais dont les
parents sont morts, c'est un tuteur qui s'occupe à la fois de leur personne et
de leur patrimoine. Ce tuteur, à défaut de testament le désignant, est
nommé par le tribunal (art. 389, 13e al.).
4° Les du conseil de famille sont à l'égard des enfants
fonctions remplies
naturels par le tribunal civil du lieu du domicile du parent investi
légal
de la tutelle, ou du lieu de la résidence de l'enfant, s'il n'a pas été reconnu ;
le tribunal statue en chambre
conseil, du
avoir entendu ou appelé lé
après
père et la mère de l'enfant, s'il a été reconnu, soit à la requête de l'un d'eux,
soit à celle du ministère public, soit d'office, sur toutes les questions rela-
tives à l'organisation ou à la surveillance de la tutelle 389 nouveau,
(art.
13e al.).
C'est là l'innovation la plus importante de la loi. Elle institue un état de
choses assurément préférable à l'ancien. Le tribunal de ses
s'acquittera
fonctions tutélaires mieux que le dérisoire conseil de famille d'autrefois.
Cependant, certains esprits estiment que la réforme eût présenté plus
d'avantages encore, si l'on avait de la mission de haute tutelle sur
chargé
les enfants naturels un
organe tel le tribunal des tutelles alle-
spécialisé, que
mand, ou, mieux, encore, un conseil de tutelle aurait, été facile
régional, qu'il
de composer, dans chaque centre, avec le concours purement philanthro-
pique des bonnes volontés locales. Il semble que, pour les enfants assistés;
la loi du 27 juin 1904 est, en
quelque mesure, entrée dans cette voie avec
la création qu'elle a voulu
réaliser de conseils dits de famille, véritables
conseils tutélaires en réalité, ne comprenant
pas forcément des fonction-
naires, mais composés de membres le conseil
désignés par général pour
s'occuper de la personne et des biens de ces enfants. Un rouage de ce genre
TUTELLE ET PROTECTION DES ENFANTS NATURELS 543

bien organisé, aurait peut-être pu rendre de grands services la


pour pro
tection des enfants naturels non assistés 1.

Contenu de la puissance paternelle sur les enfants —


naturels.
L'article 383, 3e al. du Code civil, réformé la loi de1907,
par dispose que,
" saut ce qui sera dit à l'articles 389 de l'administration des biens, la puis-
sance paternelle sur les enfants naturels est réglée comme celle relative
aux enfants légitimes ». Ainsi, sauf que le père ou la mère, investi de la
puissance sur l'enfant, administre ses biens non en qualité d'administra
mais comme tuteur légal, c'est-à-dire avec les garanties de la subro-
teur,
gée tutelle, du conseil de famille et de l'hypothèque il y a doréna-
légale,
vant assimilation complète, quant au contenu de l'autorité entre
parentale,
les enfants légitimes et les enfants naturels.
Une conséquence de cette assimilation est immédiatement déduite par
l'article 384 nouveau, 2e alinéa, décidant que le père ou la mère investi de
la puissance paternelle sur l'enfant bénéficie du droit de jouissance légale
sur les biens de celui-ci. Sur ce point, le législateur de 1907 s'est, on le voit,
écarté des solutions généralement admises auparavant en doctrine et en
jurisprudence. Nous hésitons à l'en louer. L'institution de l'usufruit légal
des parents légitimes n'est pas si recommandable
qu'il ait été utile de
quand on
en trouvait l'occasion. aux enfants naturels,
l'etendre Appliquée
elle offre cet inconvénient de pousser ou, tout au moins, de paraître pousser
aux reconnaissances intéressées et même Tel père,
mensongères. qui n'aura
pas reconnu son enfant et s'en sera même très peu soucié, se hâtera de le
reconnaître le jour où celui-ci aura été gratifié, par un étranger charitable,
d'un legs ou d'une donation. Du moins, la loi de 1907 a-t-elle d'uti-
essayé
liser l'usufruit légal accordé ainsi aux parents naturels pour les pousser à
une des obligations qu'elle leur impose. L'article 389 (12e al.),
accomplir
en effet, décide que le père ou la mère n'aura droit à la jouissance légale
qu'à partir du moment où il aura provoqué la nomination du subrogé tu-
si elle n'a pas eu lieu dans les trois
teur, mois de son entrée en fonctions.
Si compréhensive que soit, par ailleurs, l'assimilation établie entre la
puissance paternelle sur les enfants naturels et celle qui résulte du ma-
riage, il reste des points délicats, dont le texte voté en 1907 ne nous
fournit point la solution.
Et d'abord, de qui l'enfant naturel le
portera-t-il nom? Pas de difficulté
s'il y a eu une reconnaissance Le parent qui, seul, a reconnu l'en-
unique.
fant, lui conférera son nom. Pas de difficulté non plus s'il y a reconnais-
sance simultanée ; c'est le nom du père qui l'emportera. Mais que décider

1. C'est ce système qui avait paru rallier les approbations les plus autorisées dans
les discussions consacrées par la Société d'études à la question de la
législatives
protection des enfants naturels. — V. le projet, le rapport de M. Ambroise Colin,
les discussions et les documents divers dans le Bulletin de cette société, années 1902
et 1903. Deux propositions, relatives à la création de conseils de tutelle, ont été
déposées en 1910. devant le Sénat par M. d'Estournelles de Constant, et devant la
Chambre par M. Beauquier (Sénat, séance du 1er juillet 1910, Sess. ord., 1910, n° 326;
Chambre, séance du 11 juillet 1910, Sess. 1910, n° 301),
544 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

successives? Devra-t-on donner à l'enfant le nom


s'il y a reconnaissances
de la mère, de préférence à celui du père, lorsque c'est la mère qui est inves-
tie de la puissance paternelle ? Cela serait logique, mais peu conforme à nos
moeurs et fâcheux à certains égards. Donner à l'enfant d'un faux ménage le
nom de la mère, alors que celle-ci, dans les relations sociales, sera le

plus souvent désignée par celui de son concubin, n'est-ce pas souligner
inutilement, et non sans cruauté, aux yeux du monde, la naissance irré-

gulière de l'enfant? De même, si l'on admet que le nom suive la puis-


sance paternelle, décidera-t-on que l'enfant changera de nom le jour où
le tribunal, usant de que la loi lui
la faculté aura confère
trans- à cet effet,
féré la puissance paternelle à un autre qu'à son premier détenteur?
D'autre part, il ne suffit pas de dire que les parents naturels exerceront
le droit de correction comme les parents légitimes, pour trancher toutes
les questions auxquelles peut donner lieu le maniement de ce droit à ren-
contre d'un enfant naturel. Supposons, par exemple, que ce soit la mère
qui soit investie de la puissance paternelle sur l'enfant naturel. Pourra-
t-elle user du droit de correction, tantôt par voie de réquisition, tantôt
par voie d'autorité ? En d'autres termes, devra-t-on l'assimiler au père?
Ou, au contraire, devra-t-elle être assimilée à la mère veuve et non rema-
riée, auquel cas elle ne pourrait (art. 381) faire détenir l'enfant que par
voie de réquisition, sinon « avec le concours des deux plus proches
parents paternels », dont il ne peut être question dans notre cas? La mère
naturelle, une fois mariée (avec un autre que le père de l'enfant), perdra-
t-elle le droit de correction comme la veuve remariée ? Le père, investi de
la puissance paternelle sur son enfant naturel, puis marié (avec une autre
que la mère), perdra-t-il la faculté d'user de la correction patermelle, par
voie d'autorité, comme le veuf remarié (art. En d'autres termes, le
380)?
mariage d'un auteur naturel aura-t-il, sur le fonctionnement du droit de
correction entre ses mains, la môme influence le remariage d'un
que
auteur légitime? Ce sont là, des problèmes on se heurtait sous
auxquels
l'empire de l'ancien article 383 et que la loi nouvelle n'a pas résolus,
comme elle l'aurait fait sans doute, si sa préparation avait été plus appro-
fondie.
CHAPITRE V

ÉMANCIPATION ET CURATELLE

Définition. — est un acte solennel ou un


Historique. L'émancipation
bienfait de la loi, qui a pour conséquence d'affranchir le mineur de la
puissance paternelle ou de la tutelle, et de lui conférer, le gouverne-
avec
ment de sa personne, une certaine capacité, d'ailleurs restreinte à la « pure
administration », quant à son patrimoine.
Pour les actes qui dépassent sa capacité, le mineur émancipé est assisté
par un curateur; pour les actes les plus graves, il doit, comme le mineur
ordinaire, solliciter l'approbation des pouvoirs de haute tutelle.
L'émancipation existait en Droit romain, mais avec un caractère et des
effets très différents de ceux d'aujourd'hui. Elle avait pour but de sous-
traire l'enfant à la puissance paternelle, d'en faire un sui juris, chose utile
dans une législation où la puissance paternelle subsistait indéfiniment, tant
que vivait le père. L'émancipation n'avait donc d'influence sur la capacité
de celui qui en était l'objet, que s'il était pubère ; l'impubère émancipé
restait incapable et tombait en tutelle. Quant à la curatelle, elle n'avait rien
de spécial aux mineurs émancipés. Comme tous les mineurs sortant de
tutelle, ils bénéficièrent de l'institution de la curatelle établie à partir de
Marc-Aurèle sur les mineurs pubères de moins de vingt-cinq ans, afin de
remédier à la précocité de la puberté, qui pouvait laisser sans protection
des enfants encore très jeunes. Notre émancipation actuelle se rattacherait
plutôt à la venia aetatis, institution établie pour les cas exceptionnels où
la prolongation de la curatelle jusqu'à vingt-cinq ans pouvait offrir des
inconvénients. La venia pouvait être accordée aux hommes à partir de

vingt ans, aux filles à partir de dix-huit, et celui qui en bénéficiait deve-
nait pleinement capable, sauf qu'il ne pouvait ni aliéner, ni hypothéquer
'
ses immeubles.
Ces diverses règles subsistèrent en gros dans pays de Droit
les écrit,
sauf que le rôle du curateur, qu'on donnait aux pubères de douze ou qua-
torze ans émancipés ou sortis de tutelle, seulement lorsqu'ils avaient des

biens, se bornait à assister le mineur dans ses procès, dans


généralement
les aliénations d'immeubles ou les constitutions d'hypothèques (Viollet, op.
cit., p. 591 ; Jean Meslé, Traité des minorités, tutelles et curatelles, p. XXII).
La venia aetatis n'était donc pas employée (Brissaud, Manuel, p. 191, 192).
Il en était différemment dans les pays de Droit coutumier où, l'on s'en

souvient, la puissance paternelle prenait fin à vingt-cinq ans, mais où, en


revanche, la minorité et l'incapacité se prolongeaient toujours jusqu'au
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
546

même La venia oetatis fonctionnait là comme un moyen d'avancer l'âge


âge.
de la sous le nom d'émancipation, aussi bien au profit des mi-
capacité,
neurs en tutelle celui des mineurs soumis à la puissance paternelle.
qu'à
avait lieu par rescrit du prince, c'est-à-dire en vertu de
L'émancipation
lettres de chancellerie, rendues après avis des parents et entérinées devant

le juge. Le mineur émancipé devenait capable d'administrer ses biens et

de toucher ses revenus. Mais il avait besoin d'être assisté d'un curateur

ester en toucher un capital, pour aliéner un immeuble.


pour justice, pour
abusait de sa capacité, l'émancipation pouvait lui être retirée ;
Lorsqu'il
on lui nommait alors un curateur comptable chargé d'administrer ses biens,

c'est-à-dire un véritable tuteur (Jean Meslé, op. cit., Préface, p. XXIII,


ch. II, p. 17 et suiv. ; Argou, I. I, ch. IX, Des curateurs ; Pothier, Des per-
nos 206-207, éd. Bugnet, t. IX, p. 76 et suiv.).
sonnes,
C'est donc, en somme, dans les pays coutumiers qu'on trouve l'origine
de notre émancipation actuelle, en dépit de son étiquette romaine. C'est
de cetterégion également que nous vient la règle actuelle que l'émancipa-
tion résulte de plein droit du mariage du mineur. La maxime « Le
mariage
émancipe » était suivie en effet uniquement dans les pays de coutumes et
dans les pays de Droit écrit dépendant du ressort du Parlement de Paris

Forez, Beaujolais, partie de l'Auvergne). (V. Coût, de Paris,


(Lyonnais,
art. 239; Viollet, op. cit.,p. 568;
Brissaud, op. cit., p. 121, 124, 191).
Si nous arrivons au Code civil, nous verrons qu'après quelques velléités

d'originalité, il s'est contenté, le plus souvent, de codifier les anciennes

pratiques coutumières. Il avait bien été question, lors des travaux prépa-
ratoires, d'accorder de plein droit le bénéfice de l'émancipation aux mi-
neurs n'ayant plus ni père ni mère et
parvenus à Page de dix-huit ans, de
faire ainsi de l'émancipation une sorte de stage destiné à préparer l'en-
fant à une capacité complète (Fenet, t. X, p. 564 et s., 594) ; mais ce sys-
tème ingénieux a été abandonné. Aujourd'hui, les différences les plus
marquantes entre les règles du Code et celles de l'ancien Droit sont, d'une
part, la suppression de l'intervention administrative pour l'émancipation,
qui est devenue un acte purement familial quoique solennel, et, d'autre
part, l'intervention des pouvoirs de haute tutelle, conseil de famille et
tribunal, pour contrôler les actes les de la de l'é-
plus importants gestion
mancipé. Cette assimilation, dans nombre de cas, du mineur éman-
complète
cipé et du mineur en tutelle acte souvent non sans raison. Elle
critiquée
donne lieu à des complications et à des frais inutiles. En du
regard système
de la loi française, trop fonctionne en Allemagne
formaliste, un système
peut-être exagérément simpliste. D'après le Code civil allemand (art. 3, 4,5),
le mineur qui a atteint dix-huit ans peut, s'il est reconnu
apte à la conduite
de ses affaires, être déclaré majeur par le tribunal des tutelles (Cf. dans le
même sens, Code civil suisse, art. 15). Entre ces deux conceptions législa-
tives, il y aurait eu peut-être un moyen terme à trouver
On terminera ces généralités en constatant
qu'en France le nombre des
émancipations semble avoir une certaine tendance à décroître. Le nombre
des actes d'émancipation reçus par les juges de paix oui était de 9 .273
ÉMANCIPATION ET CURATELLE 547

vers de en est tombé à 3.994 en 1899


1845, 6,060 1870, ; en 1909, il n'était
plus que de 3.134, en 1910, de 2.995, en 1911, de alors le nombre
2.957, que
des personnes qui arrivent chaque majorité année à la
600.000
dépasse
(exactement 622.725 d'après le recensement de 1911). un
Aujourd'hui,
mineur n'est guère, en pratique, dans deux cas : d'abord
émancipé que
quand on veut le rendre apte à faire le commerce ; ensuite il perd
quand
ses père et mère à une époque voisine de la majorité et qu'on veut éviter
l'organisation d'une tutelle. Il semble bien que le nombre des émancipa-
tions ait été plus considérable sous l'ancien Droit, sans doute parce que
la minorité s'y prolongeait jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans.

SECTION I. — ETABLISSEMENT ET ORGANISATION DE LA CURATELLE.

Comment se fait — Il y a deux sortes


l'émancipation. d'émancipa-
tions, l' émancipation légale ou tacite et l'émancipation expresse ou volon-
taire.
1° h'émancipation légale ou tacite résulte de plein droit du du
mariage
mineur (art. 476). Le législateur considère avec raison que le mariage est
un état exclusif de la tutelle et de la puissance paternelle. Si le mineur
marié est un homme, on ne comprendrait pas que sa famille prétendît le
conserver dans un état de dépendance complet, alors qu'elle l'a jugé doué
d'une maturité d'esprit pour suffisante
qu'il pût se marier et acquérir,
lui-même, la puissance maritale sur sa femme, bientôt la puissance pater-
nelle sur ses propres enfants. Et si — hypothèse plus fréquente
— le mi-
neur marié est une femme, celle-ci trouvera dans son mari un protecteur
légal, qui remplacera naturellement son père et son tuteur.
De ce principe que l'émancipation est une conséquence inéluctable du

mariage d'un mineur découlent plusieurs corollaires :


A. — Les parents, en autorisant le mariage du mineur, ne pourraient
formuler de réserve quant à son émancipation. Toute stipulation contraire
à la règle de l'article 476 serait nulle et de nul effet.
B. — L'émancipation se produira quel que soit l'âge du mineur et quand
bien même il se serait marié avant l'âge où l'émancipation volontaire
serait possible.
C. — La dissolution du la mort de l'autre ou le
mariage par époux par
divorce n'entraîné pas la révocation de l'émancipation. Il en sera autre-

ment, croyons-nous, de l'annulation du mariage. Toutefois, l'anéantisse-


ment de l'émancipation; dans ce cas, ne devrait pas nuire aux tiers qui,
de bonne foi, auraient contracté avec le mineur qu'ils devaient croire vala-
blement marié et, dès lors, émancipé.
2° volontaire ou est celle qui résulte d'une dé-
L' émancipation, expresse
claration faite à cet effet, suivant les cas, parie père, ou par la mère, ou

par le conseil de famille, déclaration que nous avons qualifiée de solen-


nelle parce qu'elle est forcément reçue par le juge de paix, assisté de son

greffier, soit que le juge de paix se contente de l'enregistrer, soit qu'il y


I. — TITRE III — PREMIÈRE PARTIE
518 LIVRE

en de président du conseil de famille de qui


participe en personne, qualité
elle émane 477,2e al., 478, 2e al.).
(art.
deux cas d'émancipation volontaire à distinguer :
Il y a en effet
ou sa il peut être émancipé un
X. — L'enfant a-t-il son père mère, par
dès a atteint de quinze ans révolus. C'est le
acte de leur volonté qu'il l'âge
à l'émancipation. A de père, dit l'article 477, ce
père qui consent défaut
Cela évidemment que la mère veuve peut
droit passe à la mère. signifie
l'enfant. Mais en sera-t-il de même si le père n'est pas
librement émanciper
interdit ou déchu de la puissance paternelle, en un
mort, mais fou, absent,
d'état d'user du droit d'émancipation? Ce droit passe-t-il alors à
mot, hors
l'a discuté. Les employées par l'article 477
la mère? On jadis expressions
et non à défaut sembleraient indiquer que la
(à défaut DE père DU père)
seule du père transmettre la faculté d'émanciper à la mère; mais
mort peut
est détruit le texte de l'article 2 du Code de commerce
cet argument par
de l'autorisation spéciale, nécessaire pour qu'un mineur puisse
qui, parlant
devenir commerçant, et, par là même, de l'émancipation qui est également
nécessaire la même fin, porte que l'autorisation est fournie par le
pour
ou mère « en cas de décès, interdiction ou absence du ».
père, par la père
On admet donc en aujourd'hui que le droit appartient à la mère
général
dans tous les cas où il y a impossibilité pour le père de l'exercer.

Il convient d'ajouter ici deux observations :

a) L'article 477s'applique certainement à l'enfant naturel (art. 383, 3e al.).


Le droit d'émancipation appartient, en ce qui le concerne, à celui des père
et mère qui est investi sur lui de la puissance paternelle.
Le droit d'émanciper est indépendant du droit de garde et de la tutelle
b)
sur l'enfant. Ainsi, le père pourrait émanciper valablement l'enfant dont
la garde aurait été conférée à la mère, par exemple, à la suite
cependant
d'un divorce. Et la mère veuve, non maintenue dans la tutelle de ses
entants mineurs, ne perdrait point pour cela le pouvoir de les émanciper.
On conçoit que ce droit, exercé dans de pareilles conditions, pourrait aisé-
ment donner lieu a des abus. On ne peut donc qu'approuver la jurispru-
dence en vertu de laquelle les tribunaux se réservent la faculté de con-
trôler l'usage fait par les parents de leur prérogative, et d'annuler toute
émancipation qui leur paraîtrait conférée dans l'intérêt, non de l'enfant
mais de celui qui l'émancipé (V. en dernier lieu, Paris, 14 novembre 1901,
D. P. 190-2.2.238). C'est là une application heureuse de ce principe qu'il
appartient à la justice de surveiller l'exercice de la puissance paternelle
pour en empêcher les abus.
B. — Lorsque les père et mère sont tous deux décédés ou dans l'impos-
sibilité d'exercer leur
droit, l'enfant peut être le conseil de
émancipé par
famille, mais seulement à l'âge de dix-huit ans révolus de
(art. 478). L'âge
l'émancipation est ainsi reculé pour éviter le tuteur ne
que provoque
une émancipation précoce, de se décharger du fardeau de la tu-
afin
telle. Inversement, comme on pourrait craindre le tuteur ne
que prît pas
l'initiative d'une émancipation, cependant d'avancer l'heure
justifiée, de peur
de la reddition de ses comptes, la loi décide faute le
que, par tuteur de faire
EMANCIPATION ET CURATELLE 549

les diligences nécessaires pour provoquer l'émancipation, l'initiative de la


réunion du conseil de famille, à cet effet, peut émaner d'un parent ou allié
quelconque du mineur jusqu'au de cousin
degré germain. Le juge de paix
est tenu de déférer à leur réquisition (art. 479;.

Attribution de la curatelle. — Tout mineur


émancipé reçoit un cura-
teur. Ce curateur est nommé le conseil de famille.
par L'article 480 le dit
expressément. Il est vrai qu'il ne vise le cas où le mineur
que était en tu-
telle ; mais, comme il n'y a pas d'autre texte relatif à la désignation du
curateur, on peut en conclure que la règle doit être généralisée. La cura-
telle sera donc toujours dative. Même si l'émancipation émane du père, il
y aura lieu à nomination d'un curateur par le conseil de famille.
Bien que le choix du conseil de famille soit libre, puisqu'aucun texte ne
le limite, il est évident fait le conseil
qu'en de famille le plus
désignera
souvent le père ou l'ex-tuteur. Mais on remarquera que, dans ce cas, il de-
vra faire choix, en même d'un curateur ad hoc.
temps, En effet, comme le
premier acte du curateur sera (art. 480) d'assister le mineur
émancipé dans
la réception des comptes de tutelle ou de ceux de l'administrateur
légal, il
est clair que le père ou le tuteur ne pourraient se rendre des comptes à
eux-mêmes. Il faudra donc, pour assister le mineur en cette occasion, lui
donner un curateur ad hoc, ce que ferait d'ailleurs
l'on aussi, au cours de
la curatelle, chaque fois qu'il d'un acte dans
s'agira lequel le mineur et le
curateur auraient des intérêts opposés.
La règle qu'il n'y a pas de curatelle légale recevait deux dont
exceptions,
l'une vient de disparaître et dont l'autre reste contestée par une de
partie
la Doctrine.
1° Lorsque l'émancipation est conférée à un enfant assisté, la loi du
18 décembre 1906, modifiant celle du 27 juin 1904 qui organisait une cura-
telle légale, décide que le conseil de famille charge l'un de ses membres
des fonctions de curateur.
On admet généralement que la femme mariée mineure, émancipée par

son mariage, a pour curateur légal son mari, pourvu que celui-ci soit
majeur. Cependant, cette solution n'est fondée, en définitive, sur aucun
texte. L'argument qu'on tire en sa faveur de l'article 506, aux termes
duquel le mari est de plein droit tuteur de
interdite, la femme
ne repose
que sur une simple analogie. C'est ce qui donne quelque force à l'opinion
de certains auteurs, d'après lesquels le mari ne serait pas curateur de sa
femme par la raison que celle-ci n'en aurait pas, étant suffisamment pro-
tégée par l'autorisation maritale qui lui est nécessaire pour tous les actes
! de la vie juridique. Ajoutons que la femme mariée mineure, n'agit pas,
général, elle-même. C'est, en effet, sous la plupart des régimes matri-
en
moniaux, le mari qui administre son patrimoine en qualité mandataire

légal, ce qui rend inutile l'intervention d'un curateur. On comprend


donc que les arrêts et parfois la loi elle-même (art. 2208, al. 3) ne déter-
minent pas précisément, lorsque le mari intervient pour sa femme
mineure, si c'est en qualité de curateur ou en qualité de mari.
550 LIVRE I. — TITRE III. - PREMIÈRE PARTIE

La peut cependant présenter un intérêt pratique, si suppose


question l'on
la femme mineure est séparée de biens. La femme séparée de biens
que
administre en effet elle même son patrimoine. Il est vrai qu'elle a encore
besoin de l'autorisation maritale pour les actes les plus graves. Mais sa
est plus étendue que celle d'un émancipé. exemple, Par
capacité mineur
elle peut recevoir un capital mobilier et en donner décharge, chose que,
nous le verrons, un
émancipé mineur ne peut faire sans l'assistance du
curateur. Dans ce pas et dans les cas analogues, le mari n'ayant pas à inter-
venir, les auteurs qui ne voient pas en lui un curateur doivent admettre
un conseil de famille donner à la femme un
qu'il y aura lieu de réunir pour
curateur ad hoc. La complication nous paraît inutile. Il vaut donc mieux

décider, croyons-nous, que le mari est de plein droit le curateur de sa


femme mineure.
Quelle que soit d'ailleurs l'opinion que l'on adopte sur ce point, il y aura
certainement deux cas où la femme mariée mineure devra recevoir un
curateur autre que le mari. Il en sera ainsi;
A. — En cas de séparation de corps, car la puissance
alors, maritale dis-

paraît, l'autorisation du mari n'étant plus jamais nécessaire à la femme.


B. — le mari de la femme mineure est mineur lui même. Cer-
Lorsque
tains auteurs soutiennent cependant que, dans ce dernier cas, ce sera le
curateur du mari qui assistera la femme en cas de besoin, c'est-à-dire si,
étant séparée de biens, elle doit agir en personne pour l'administration de
ses biens.
La curatelle est-elle une charge obligatoire comme la tutelle ? Quelles sont
les causes d'excuse, d'exclusion, de destitution de la curatelle? La loi est
restée muette sur tous ces points. Mais on admet en général qu'il y a lieu
d'appliquer, par extension, les règles édictées pour la tutelle dans les sec-
tions VI et VII du litre de la Tutelle 1.

Révocation de volontaire. — Nous avons


possible l'émancipation
déjà dit que
l'émancipation légale résultant du mariage est irrévocable et:
par conséquent, subsiste même si le mariage prend fin avant que l'époux
ait atteint l'âge de la majorité. Cette solution, toute traditionnelle, s'ap-
puie aujourd'hui sur les termes de l'article 485 qui, parlant de la révoca-
tion de l'émancipation, nous dit qu'elle sera retirée a: en suivant les mêmes
formes que celles qui auront eu lieu la conférer ce là
pour », qui exclut
possibilité d'une révocation pour l'émancipation conférée sans formes,
comme une conséquence attachée par la loi au seul fait du mariage.
Pour ce qui est de l'émancipation volontaire, l'article 485 permet aux
père et mère, au moyen d'une déclaration devant le juge de paix, à leur
ou,
défaut, au conseil de famille, par une délibération, de la retirer au mineur
qui s'en serait montré indigne. Un seul fait être
peut allégué pour démon

1. Depuis la loi du 20 mars 1917, les femmes peuvent les de cu-


remplir fondions
rateur ; mais la femme mariée doit obtenir à cet effet l'autorisation de son mari
(art. 480, 2e al.).
ÉMANCIPATION ET CURATELLE 651

trer cette indignité. Ce n'est pas l'inconduite du mineur, si scandaleuse


puisse être (Paris, 9 janvier 1901, D. P. 1901.2.301, S.
qu'elle 1901.2.36),
mais seulement cette circonstance que les engagements contractés par le
mineur durant son émancipation ont été réduits, Ou tout au moins que le
tribunal a constaté que ces engagements étaient excessifs au point de pou-
voir justifier une réduction (ou une annulation).
Le premier effet de la révocation, c'est, nous dit l'article 486, que le mi-
neur rentre en tutelle. Remarquons cependant qu'il ne retombe pas sous la
tutelle, mais sous la puissance paternelle, si Ses parents vivent encore.
La révocation produit un autre effet encore : lé mineur ne pourra plus à
l'avenir être émancipé. Il faut toutefois excepter le cas où il Se marierait.
Il est inutile de s'étendre davantage sur cette révocation, mesure qui est
très rare, on peut même dire presque inconnue dans la Pratique.

SECTION II. — EFFETS DE L'ÉMANCIPATION. — FONCTIONNEMENT


DE LA CURATELLE.

Notions générales. — Les effets de l'émancipation consistent, d'une


façon générale, en ce que le mineur est affranchi de la puissance paternelle
ou de là tutelle, ou de l'une et de l'autre, s'il était à la fois soumis à l'auto-
rité paternelle du survivant de ses auteurs et en tutelle quant à ses biens.
Plus précisément, ces effets ont trait : 1° à la personne ; 2° au patrimoine
dû, mineur émancipé.
1° Quant à sa personne, le mineur émancipe devient indépendant de toute

direction. vivre seul ; il acquiert un domicile propre; il peut choi-


Il peut
sir librement sa profession, sa personne dans un contrat de tra-
engager
de vingt le mineur contrac-
vail ; même âgé de moins ans, émancipé peut
ter un engagement militaire, car la loi du 31 mars 1928 (art. 61-6°) n'exige
ou du mais non celui du curateur.
que le consentement des parents tuteur,
En un mot le mineur émancipé est assimilé au majeur.
Cette indépendance souffre pourtant deux exceptions :
complète
A. — Le mineur émancipé ne peut se marier sans le consentement de
Ses père et mère, de ses ascendants, ou du conseil de famille.
B. — Il ne peut faire le commerce, c'est-à-dire, soit embrasser la profes-
sion de commerçant, soit même accomplir un acte de commerce isolé, que
deux conditions spéciales (art. 2 et 3. C. com.):
moyennant
a) Etre âgé de dix huit ans.
autorisation et préalable délivrée,, soit par
b) Etre muni d'une expresse
le père où la mère, soit par le conseil de famille.
2° En ce qui concerne son le mineur émancipé jouit d'une
patrimoine,
demi caractérisée par les traits suivants :
capacité
A. — Le mineur administre lui-même.. C'est lui qui figure en
émancipé
tous les actes intéressant son C'est la une
personne dans patrimoine.
différence avec le mineur non émancipé qui, lui, on s'en souvient,
grande
est en un mandataire son tuteur. Ainsi, le
principe représenté par légal,
552 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

curateur le compte du mineur émancipé. Il se borne à l'as-


n' agit pas pour
sister dans les hypothèses où la loi requiert son intervention, Il n'a pas le
maniement des deniers comme le tuteur. C'est pour cela que la loi ne le
faitpas surveiller par un subrogé curateur, et qu'elle ne soumet pas ses
immeubles à une hypothèque légale au profit du mineur.
B. — Les actes relatifs au patrimoine du mineur émancipé se divisent
en trois séries : ceux que le mineur peut accomplir seul ; ceux pour les-

quels il doit être assisté de son curateur ; ceux qui nécessitent, outre l'as-
sistance du curateur, l'intervention des pouvoirs de haute tutelle.
C. — Les actes que le mineur accomplir
émancipé seul et qui cons-
peut
tituent le domaine de sa capacité, principe sont
limités. en Pour lui, l'inca-
pacité est donc la règle et la capacité l'exception. D'une façon générale, sa

capacité est restreinte aux actes de pure administration.

Actes le mineur faire seul. — « Le mineur


que émancipé peut
émancipé, dit l'article 481, passera les baux dont la durée n'excédera pas
neuf ans ; il recevra ses revenus, en donnera décharge, et fera tous les
actes qui ne sont que de pure administration, sans être restituable contre
ces actes dans tous les cas où le majeur ne le serait
pas lui-même. »
Il faudrait garder se
de croire qu'il y a concordance entre la liste des
actes que le mineur émancipé peut accomplir seul, et celle des actes que
le tuteur d'un mineur ordinaire, administrateur lui aussi, peut faire sans
autorisation du conseil de famille. La notion des actes d'administration est
une notion élastique et flottante qui varie suivant les matières et les caté-

gories. C'est ce que nous avons pu reconnaître déjà en constatant que les
pouvoirs du
père administrateur légal sont plus larges que ceux du tuteur.
A leur tour, les pouvoirs d'administration du tuteur sont plus étendus que
ceux du mineur émancipé. C'est sans doute ce que l'article 481 a voulu
exprimer en disant que sa capacité se restreint aux « actes qui ne sont
que de pure administration ».
Enumérons les actes qui rentrent dans cette catégorie. Ce seront.
1° Les actes de la vie courante, ceux qui concernent l'entretien du mi-
neur ou qui permettront à celui-ci de sa vie : acheter les choses
gagner
nécessaires à sa subsistance, passer un contrat de travail comme employé
ou ouvrier, engager des domestiques, prendre à bail un ou
appartement,
payer ses dettes';
2° Les actes ditsconservatoires, comme d'inscrire ou de renouveler une
hypothèque, d'interrompre une prescription. On se souvient d'ailleurs que
même le mineur ordinaire pourrait les accomplir valablement.
3a Donner à bail ses immeubles, la durée du bail n'excède
pourvu que
pas neuf ans. Ici, nous apercevons une différence avec les pouvoirs du tuteur
sur les biens de son pupille. Nous savons en effet le tuteur
que pourrait
passer un bail, quelque longue qu'en soit la durée à l'expira-
; seulement,
tion de la tutelle, ce bail De serait au propriétaire un
pas opposable pour
plus long temps que le laps restant à courir sur la période de neuf ans
commencée (Cf. art. 481
et1718, 1429, 1430).
EMANCIPATION ET CURATELLE 553

4° Toucher les revenus et en donner quittance 481) Ici, on remar-


(art.
quera que la loi n'oblige pas le mineur à faire
de l'excé-
émancipé emploi
dent comme le tuteur. En effet, le mineur émancipé règle sa dépense
comme il l'entend, tandis que le tuteur, administrateur des biens d'autrui,
doit économiser tout ce qui n'est pas nécessaire à l'entretien du pupille
5° Vendre les récoltes, ainsi que les meubles hors ou sujets à dé
d'usage
périssement ;
6° Acheter les choses nécessaires à l'exploitation de ses biens, semences,
engrais, bestiaux, etc. ;
7° Faire sur ses immeubles les réparations nécessaires ;
8° Exercer les actions possessoires relatives à ses immeubles ;
9° Pour ce qui est des actions mobilières, il y a divergence. cer-
D'après
tains arrêts, il faudrait distinguer. Les unes, en effet, ont trait aux opéra-
tions rentrant dans la pure administration, par exemple, les procès intentés
à un locataire à raison de sa location. De celles-là le mineur émancipé
aurait la disposition. Mais d'autres actions mobilières dépassent la pure
administration, par exemple, une poursuite fendant au recouvrement d'un
capital mobilier ; ces dernières ne pourraient être exercées par le mineur
émancipé qu'avec l'assistance de son curateur (Poitiers, 27 mai 1880
D. P. 81.2.18, S. 82.2.21). Mais d'autres arrêts ne distinguent pas et, par
un argument a contrario tiré du texte de l'article 482, décident que le
mineur émancipé peut exercer seul toutes les actions mobilières, y com-
pris celles qui ont pour objet le recouvrement d'un capital (Douai, 26 avril
1865, S. 66.2.174).
10° Le même argument a contrario conduit à cette solution, cette fois
peu contestable, que le mineur émancipé à la libre disposition des actions
intéressant en première ligne, non ses biens, mais sa personne, comme les
actions d'état, l'action en divorce (Trib. Limoges, 3 décembre 1908. D. P.
1910.2.200, S. 1909.2.228) ou eu séparation de corps (Angers, 4 janvier
1899,
D.P. 99.2.160, S. 99.2.40).
On peut, dès lors, dresser facilement la liste des actes rentrant dans
l'administration et, comme tels, susceptibles d'être accomplis, sous la tu-

telle, par le tuteur agissant seul, mais qui ne peuvent l'être par le mineur

émancipé sans l'assistance de son curateur, parce qu'ils dépassent la pure


administration. Ce sont :
La réception d'un capital et l'émission de la quittance qui en donne dé-

charge (art. 482);


La défense à une action immobilière (art. 482) ou à une action en partage

(art. 840) ;
La vente des meubles même corporels, autres que les récoltes ou les
meubles de dépérissement. On en a douté, et on a parfois
susceptibles
rangé les aliénations mobilières corporelles parmi les opérations que peut
accomplir seul le mineur émancipé. Mais cette opinion semble aujourd'hui
abandonnée. Il est trop clair qu'aliéner des meubles corporels non sujets
à dépérissement, des tableaux, des joyaux, de
l'argenterie, une biblio-
n'est pas administrer. De plus, comment le mineur émancipé
thèque, ce

DROIT, — Tome I, 36
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
534

il réaliser seul des ventes de ce genre, puisqu'il est in-


pourrait d'objets lui
terdit d'en recevoir le prix? 7 juillet 1879, D. P. 80.1.61, S. 80.1.206) ;
(Req.,
Suivant une opinion enfin, l'exercice des actions mobilières
tendant à un
recouvrement de capitaux.
Pour tous ces actes, il faut l'assistance du curateur. La loi a considéré

le mineur émancipé a sans doute une expérience, une habitude des


que
affaires moindre le tuteur. C'est ce qui explique la restriction de sa
que
capacité d'administration.

Actes pour lesquels l'assistance du curateur est nécessaire e-t suf-


fisante. — Cette classe d'actes deux
comprend catégories:
1° D'abord, celle des actes que nous venons d'énumérer et qui, bien

qu'étant des actes d'administration, excèdent la capacité du mineur éman-

cipé; nous nous contentons d'y renvoyer.


2° Ensuite, un certain nombre d'actes dépassant l'administration, actes a
la vérité assez peu nombreux, et pour lesquels la loi n'exige pas l'inter-
vention du conseil de famille et du tribunal, mais se contente de l'assis-
tance du curateur. Ce sont :
A. — La du de tutelle ou du
compte dû pa-
réception compte (art. 480),
reillement par l'administrateur légal. La loi estime avec raison que l'ex -
tuteur ou le père pourrait user de son ascendant pour extorquer un quitus
insuffisamment justifié; le mineur émancipé a besoin d'être soutenu et
conseillé.
B. — L'emploi des capitaux ou, plus généralement, les placements, soit en
immeubles, soit en valeurs mobilières (art. 482, in fine). Ici on se souvient

que, s'il s'agissait d'un mineur ordinaire, l'intervention du tuteur ne serait

pas suffisante, mais il faudrait en outre l'autorisation du conseil de famille


et parfois celle du tribunal.
C. — L'acceptation d'une donation fart. 935) Ici encore, le curateur est

plus libre que le tuteur, qui serait forcé de se couvrir d'une délibération du
conseil de famille fart. 463). À la donation il convient d'ailleurs d'assimiler
le legs à titre particulier.
D. — Le fait d'intenter une
immobilière, action
au pétitoire, bien entendu
(art. 482). Ici, pour agir comme pour se défendre, le mineur n'a besoin que
de l'assistance du curateur. Le tuteur, au contraire, intenter l'action,
pour
devrait consulter le conseil de famille (art. 464).
E. — Le fait d'intenter une action en partage ou d'y défendre. Le partage
d'ailleurs ne pourra, comme celui qui intéresserait un mineur non éman-
cipé, être fait autrement que dans la forme judiciaire (art. 838).
Au cas où le curateur refuserait son assistance est sollicitée
lorsqu'elle
pour les actes ci-dessus par le mineur on admet celui-ci
émancipé, que
pourrait en appeler à une autorité au conseil de famille
supérieure, d'abord,
et, en cas de refus du conseil de famille, au tribunal Douai, 15 décembre
1900, D P. 1903.2.9).

Actes requérant l'intervention des pouvoirs de haute tutelle. —


La principale du Code relatives à la
originalité des dispositions curatelle
ÉMANCIPATION ET CURATELLE 535

c'est, nous l'avons vu, cette intervention des pouvoirs de haute tutelle (ce
qui assimile en somme la situation du mineur à celle du mineur
émancipé
ordinaire) dans les actes
plus les
graves relatifs
Ces actes, au patrimoine.
si on en croyait la formule de l'article 484, 1er al., seraient « tous les actes
autres que ceux de pure administration ». Mais cela est inexact. Nous ve-
nons devoir en effet que certains actes la pure administration
dépassant
et même toute espèce d'administration être valablement
peuvent accomplis
sans autre formalité que celle de l'assistance du curateur. Il faut encore ici
procéder par voie d'énuméralion.
1° Le mineur émancipé a besoin de l'autorisation du conseil de famille
pour :
A. — L'acceptation ou la répudiation d'une succession. C'est là un acte
plus grave que d'accepter une donation ou un à titre à
legs particulier,
cause de la charge des dettes qu'emporte la d'héritier.
qualité
B. — L acquiescement à une demande immobilière 464 et 482
(art. comb.).
En effet, la loi a autorisé le mineur à intenter une action immo-
émancipé
lière et à y défendre avec la seule assistance du curateur ; mais l'article 482
ne parle pas de l'acquiescement.
2° Le mineur a besoin, non seulement de l'autorisation du conseil de
famille, mais de l'homologation du tribunal pour:
À. — Emprunter (art. 483). On ce à la diffé-
remarquera que texte,
rence de l'article 457, ne subordonne pas la possibilité d'un à ce
emprunt
qu'il y ait nécessité absolue.
B. — Aliéner un immeuble (art. 484) ;
C. — Hypothéquer (art. 484) ;
D. — Transiger. Il faudra, de plus, pour cet acte, l'avis favorable de
trois jurisconsultes requis par l'article 467. Parmi les transactions, cepen-
dant, on a soutenu, avec raison semble-t-il, que celles qui seraient relatives
aux perceptions de revenus seraient
des dispensées formalités de l'ar-
ticle 467, et que le mineur émancipé pourrait les faire seul. En effet, à la
différence du tuteur, il possède la libre disposition de ses revenus. Pour-
quoi ne pourrait-il pas transiger en ce qui les concerne?

Valeurs mobilières des mineurs — Nous faisons une


émancipés.
catégorie spéciale des actes relatifs à ces valeurs et, généralement, aux
meubles incorporels appartenant au mineur émancipé, parce sont
qu'ils
l'objet d'une disposition particulière de la loi du 27 février 1880. Les forma-
lités prescrites par cette loi pour l'aliénation des valeurs mobilières des
mineurs et la conversion de leurs titres nominatifs en titres au porteur
sont-elles applicables au mineur émancipé? Cela dépend des circonstances ;
l'article 4 de la loi faisant ici deux distinctions, dont l'une nous paraît très
bien fondée, et dont l'autre peut sembler plus contestable.
1° La loi distingue d'abord entre les mineurs qui ont été l'objet d'une
émancipation volontaire et ceux qui ont été émancipés par le mariage. Les
premiers seuls sont assujettis à ses dispositions. Ils ne pourront donc alié-
ner leurs valeurs mobilières ou convertir leurs titres nominatifs en titres
556 LIVRE 1. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

au porteur qu'en accomplissant les formalités de la loi, c'est-à-dire,


moyennant une autorisation du conseil de famille jusqu à 1.500 francs,
moyennant, en outre, l'homologation du tribunal pour les opérations dé-

passant 1.500 francs. Au contraire, les mineurs émancipés par le mariage


sont dispensés de ces formalités. Il subsiste cependant pour eux la néces- .
site d'obtenir l'assistance de leur curateur, car l'aliénation d'un titre ou
sa conversion sont certainement des actes qui dépassent la pure adminis-
tration.
Cette première distinction est, disons-nous, judicieuse. Les mineurs

émancipés par le mariage n'ont que faire de du conseil de' l'intervention


famille et du tribunal pour le maniement de leurs valeurs de bourse. Si le
mineur — et c'est le cas le plus — est une femme, la protection de
fréquent
son mari lui suffira. Et, si le mineur émancipé est un homme, les valeurs
mobilières, constituant les ressources du ménage à installer et à faire vivre,
ont besoin de pouvoir être négociées sans les lenteurs qu'entraîne l'inter-
vention des pouvoirs de haute tutelle.
2° Mais la loi de 1880 fait ensuite une sous-distinction moins justifiée.
L'alinéa 1er de l'article 4, en effet, au lieu d'assujettir aux formalités de la
loi tous les mineurs émancipés autrement que par le ne vise
mariage, que
les mineurs émancipés au cours de la tutelle. La loi soustrait donc aux
garanties qu'elle les mineurs
émancipés au cours de l' administra-
édicte
tion légale, c'est-à-dire émancipés par le père, alors que le mineur a encore
et son père et sa mère. Pour justifier cette différence, on peut dire que la
présence simultanée du père et de la mère constitue, pour les intérêts de
l'enfant, une protection suffisante, et qu'il est superflu de en-
compliquer
core l'administration de son patrimoine en faisant intervenir un rouage de
plus, le conseil de famille. Cette justification de la loi de 1880 n'est rien
moins qu'une critique du Code civil, car, en général, les mineurs émancipés
ayant encore leurs deux parents ont besoin, tout de de
même, l'approba-
tion du conseil de famille, comme les autres un certain
émancipés, pour
nombre d'actes (emprunts, aliénations immobilières, hypothèques, etc.).
Notre législation est ici
peu cohérente. Si le père,
sa femme, du vivant de
administre le patrimoine de son enfant comme administrateur il ne
légal,
pourra, comme on l'a vu plus haut, aliéner sans autorisation de justice les
meubles incorporels dont la valeur 1.500 francs 8e al.)
dépasse (art. 389,
Mais il lui suffira d'émanciper son enfant et de se faire nommer son cura-
teur pour que l'aliénation devienne sans aucune formalité.
possible
On remarquera que la loi du 27 février 1880 n'impose aux mineurs
pas
émancipés l'obligation de ne posséder que des titres car son
nominatifs,
article 5 ne le prescrit qu'au tuteur. Ce serait là cependant la garantie la
plus efficace du portefeuille mobilier des mineurs émancipés.

Mineur émancipé commerçant. — Le mineur en


émancipé et, même
temps, autorisé à faire le commerce, est dans une
placé situation toute
spéciale. Il jouit d'une capacité étendue le mineur
plus que émancipé non
commerçant. La loi, en effet, décide est
qu'il réputé majeur, c'est-à-dire que
ÉMANCIPATION ET CURATELLE 557

sa est entière pour les faits relatifs à son commerce (art. 437.
capacité
Ct. art. 2, C. com.).
Un seul acte cependant, quoique relatif au commerce du mineur éman
encore l'autorisation du conseil de famille et l'homologation
cipé, requiert
du tribunal: c'est l'aliénation des immeubles (art. 6, C. com.). En revanche,
le mineur commerçant pourrait hypothéquer ses biens sans même avoir
besoin de l'assistance de son curateur.
CHAPITRE VI

SANCTION JUDICIAIRE DE L'INCAPACITÉ DES MINEURS

Notions — Les actes accomplis par les mi-


Généralités. historiques.
neurs en de leur incapacité, ou faits par leurs représentants légaux,
dépit
mais sans observation des formalités requises par la loi, son
protectrices
évidemment Ils ne peuvent, en principe, avoir l'effet d'actes
irréguliers.
et la justice doit les anéantir ou les paralyser dans leurs consé-
réguliers,
C'est ce que nous la sanction judiciaire des règles légales
quences. appelons
relatives à l'incapacité des mineurs. Mais cette sanction varie de caractère

et d'énergie suivant les circonstances.

Quelques notions historiques sont ici indispensables.


En Droit romain, en nous plaçant à l'époque où l'institution de la cura-

telle s'est et où tous les mineurs de vingt-cinq ans se


généralisée presque
trouvent d'un curateur, c'est-à-dire au temps de Marc-Aurèle, le
pourvus
mineur devenu est frappé d'une incapacité analogue à celle de l'im-
pubère
en tutelle. Comme ce dernier, il peut faire seul les actes qui rendent
pubère
sa condition meilleure, c'est-à-dire qui ont pour unique effet d'augmenter
son patrimoine; mais il est incapable de rendre sa condition pire. Si donc
il a contracté une obligation, aliéné, ou renoncé à un droit, sans le consen-
sus de son curateur, il peut faire annuler cet acte, même quand il a été
conclu loyalement, même quand il ne lui a causé aucune lésion. Par

exemple, a-t il acheté à un prix normal un esclave, qui meurt, quelques


jours après, d'un accident, il peut demander la nullité du contrat.

Quant aux contrats que le mineur a accomplis avec le consensus de son.

curateur, ils sont valables, mais peuvent être l'objet d'une demande en res-
titutio in integrum adressée au préteur, s'ils lui ont causé une lésion, c'est-
à-dire un préjudice résultant de la disproportion des prestations reçues et
fournies en vertu du contrat. Ainsi, la restitutio in integrum qui, avant ré-
tablissement de la curatelle, avait pour but de protéger le mineur contre sa

propre inexpérience, c'est-à-dire contre les actes passés par lui-même, est
devenue une garantie contre la ou du curateur
négligence l'imprudence
qui conclut un contrat préjudiciable aux intérêts du mineur.
Ajoutons que, par une extension toute naturelle, l'institution de la resti-
tutio in integrum fut appliquée aux impubères, afin de leur d'é-
permettre
carter les conséquences, préjudiciables pour leurs intérêts, des actes de
leurs tuteurs. Et on vil le préteur accorder le même bénéfice à l'enfant placé

1. Bufuoir, Propriété et contra t, p, 669 et suiv.


SANCTION JUDICIAIRE DE L'NCAPACITÉ DES MINEURS 559

la puissance paternelle, lorsqu'il avait agi avec l'autorisation


sous paternelle
(3 C, de in integrum restit., II, 21 ; 2, 3, 4 C, Si tut. vel curat., II, 24).
Sous l'ancien Droit français, nos jurisconsultes recueillirent les idées
romaines, mais en leur faisant subir une transformation. Ils appliquèrent
la restitutio iri integrum ou rescision pour cause de lésion, non seulement
aux actes régulièrement accomplis par le tuteur ou par lé mineur avec l'as-
sistance du tuteur ou celle du curateur, mais même à ceux le mineur
que
aurait conclus seul, sans avoir été assisté. La rescision cause de
pour
lésion devint ainsi la véritable sanction de du de la
l'incapacité mineur, et,
sorte, nos anciens auteurs appliquèrent à la lettre le vieil adage emprunté
eux aux textes Droit romain : Minor restituitur
non
par du tanquam minor,
sed laesus
tanquam (Argou, Institutes, t. 2, livre 4, ch. 14 ; Domat, Loix
civiles, livre 4, titre 6, section 2 ; Bourjon, Droit commun de la France, t. 2,
p. 585; Pothier, Traité de la procédure civile, nos 729 et suiv.). Pothier pro-
posait cependant une distinction fort logique en ce qui concernait les actes
du tuteur (loc. cit., n°733) : «Le mineur, disait-il, n'est restituable
point
contre les actes que son tuteur a faits lorsque ces actes sont des actes de
pure administration nécessaire, Comme des baux faits pour le temps qu'on
à coutume de faire des baux, comme la vente et l'achat de choses mobi-
lières... La raison, ajoutait-il, est tirée de l'intérêt même des mineurs,
parce que autrement ils né trouveraient que difficilement des personnes
qui voulussent contracter avec eux, dans la crainte qu'elles auraient d'avoir
des procès sous prétexte de lésion, ce qui leur causerait un plus grand pré-
judice que né leur serait avantageux le bénéfice de restitution, s'il leur
était accordé contre de pareils actes. »
Quoi qu'il en soit, la rescision était prononcée par des lettres de chancel-
lerie. L'ordonnance de 1539 (art. 134) avait décidé que les mineurs devenus
Majeurs ne pourraient les solliciter que jusqu'à l'âge de trente-cinq ans.
Le Code civil a- t -il suivi la tradition de nos anciens auteurs ? C'est un
point controversé. Nous verrons quelles solutions ressortent à cet égard de
la Doctrine et de la Jurisprudence, en étudiant successivement deux caté-
gories d'actes, ceux des mineurs ordinaires et ceux des mineurs émancipés.


§ 1. Actes des mineurs ordinaires.

Deux situations différentes peuvent se présenter :


Ou bien, c'est le mineur qui a agi en personne et sans assistance de son
tuteur ou de l'administrateur légal, alors que c'était à ce tuteur ou à cet
administrateur légal à agir en son nom (à moins qu'ils ne préférassent
assister le mineur).
Ou bien, c'est le représentant légal du mineur qui a contracté.

Premier cas : L'acte a été fait par l'incapable. Principe de la res-


cision lésion. — La à première vue, de cette
pour conséquence normale,
irrégularité semble devoir être que l'acte est nul d'une nullité relative. Tel
est, d'après le droit commun, le sort des actes accomplis par les incapables
560 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

comme dans notre d'une incapacité de protec-


lorsqu'il s'agit, hypothèse,
tion. Donc, d'une la personne capable avec qui le mineur a traité ne
part,
de son contractant (art. 1125, 2e al.). Et,
pourra pas opposer l'incapacité
d'un autre on peut croire le mineur, ou, pour parler plus exac-
côté, que
son pendant le temps de sa minorité, ou lui-
tement, représentant légal
une fois devenu faire tomber l'acte accompli rien
même, majeur, pourra
démontrant était incapable au moment de son accomplissement.
quen qu'il
Cette dernière solution, identique à celle qui s'applique aux actes des autres
interdits ou femmes mariées, paraît confirmée, en ce qui con-
incapables,
cerne les mineurs, l'article 1311 (in princ). Ce texte, en effet, nous dit
par
que le mineur « n'est plus recevable à revenir contre l'engagement qu'il
avait souscrit en minorité, lorsqu'il l'a ratifié en majorité ». D'où on pour-
rait être tenté de conclure, par un argument a contrario, lorsqu'ilque, n'y
a pas eu ratification ultérieure, l'ex-mineur peut toujours attaquer son acte,

moyennant la seule démonstration de son état de minorité au moment où


il l'a souscrit.
Tel n'est pas cependant le système de notre loi. Des deux
conséquences
qu'on vient de rattacher à l'idée de nullité relative, la première seule doit
être admise, à savoir que le contractant capable n'est pas reçu à invoquer

l'incapacité du mineur avec qui il a traité. On s'accorde, au contraire, à


écarter la seconde, et l'on décide que l'acte du mineur ne peut être attaqué
par lui-même devenu majeur, ou par son représentant légal, durant la mi-
norité, que moyennant la démonstration d'une lésion, c'est-à-dire d'un préju-
dice résultant pour ses intérêts des conditions de l'acte qu'il a souscrit. Cette
solution découle d'abord de l'article 1305.
simple « La
lésion, nous dit ce

texte, donne lieu à la rescision en faveur du mineur non émancipé contre


toutes sortes de conventions. » Ainsi, l'annulation de l'acte indûment accom-

pli par un mineur offre le caractère, non d'une nullité, mais d'une rescision,
et ce mot, dans son acception la plus précise, implique, on le sait, le fonde-
ment d'une lésion constatée. Et il suffit de parcourir les articles figurant, à la
suite de l'article 1305, dans la section consacrée par le Code à la nullité ou
rescision des
conventions, pour se convaincre, en rencontrant à chaque pas
le mot typique de restitution (V. art. 1306, 1307, 1308, 1309, 1310), que le
législateur de 1804 n'a pas voulu s'écarter de la tradition romaine, telle du
moins que l'interprétaient les auteurs de notre ancien Droit. Ce n'est donc
pas, en principe, la nullité, mais une restitution qui est la sanction des actes
passés par le mineur au mépris de son incapacité légale. En d'autres
termes, le mineur, dans notre Droit, moins comme incapable
apparaît
d'agir que comme incapable de se léser par ses actes. C'est là le sens qu'il
faut donner, de nos jours, à l'adage souvent cité Minor restituitur non tan-
quam minor, sed tanquam Iaesus.
On remarquera d'ailleurs que nul texte la invocable
n'exige que lésion,
par le mineur contre toutes sortes de conventions, un taux minimum
atteigne
quelconque. Il suffit qu'elle existe, si faible être, en-
qu'elle puisse pour
traîner, le cas échéant, la rescision. Ajoutons cette lésion doit résulter
que
de l'acte incriminé lui même, l'article 1306 portant le mineur n'est
que pas
SANCTION JUDICIAIRE DE L'INCAPACITÉ DES MINEURS 561

restituable pour cause de lésion, lorsqu'elle ne résulte d'un événement


que
casuel et imprévu.
C'est à un arrêt très vigoureusement motivé do la Cour de en
cassation,
date de 1844 (Civ., 18 juin 1844, S. 44, 1.497), remonte la consécration
que
donnée par la
Jurisprudence à ce système tout traditionnel. Dans le litige
tranché par cette décision, il s'agissait d'un conscrit qui, voulant s'assurer
contre les chances du tirage au sort du service militaire, avait un
signé
traité avec un tiers, par lequel celui-ci à le remplacer
s'engageait moyen-
nant la somme de 650 francs, au cas où le mineur tirerait un mauvais nu
méro. Favorisé par le sort, ce dernier refusa de payer la somme convenue
en prétendant que la convention était nulle, pour avoir été consentie sans
l'assistance de son tuteur. La Chambre civile condamna ce système ; elle
que les actes passés par un mineur ne sont point annulables de plein
décida
mais seulement rescindables au cas de lésion, et elle rejeta le pourvoi
droit,
en constatant avec le tribunal que l'intéressé n'avait éprouvé aucune lésion
dans son engagement. La Jurisprudence est, depuis, restée fixée dans le
même sens (Nancy, 12 janvier 1875, S. 75.2.52 ; Paris, 8 juillet 1882, D P
83.2.93, S. 85.2.106).

au : Actes nuls vice de forme. —


Exception principe pour Cepen
dant, le principe minor restituitur tanquam loesus doit recevoir aussitôt une
importante exception. Si l'on suppose que l'acte accompli par le mineur ap-
partient à la catégorie de ceux que le tuteur lui-même n'aurait pu accomplir
sans l'observation de certaines formalités, autorisation du conseil de la-
mille, homologation judiciaire, etc., si c'est, par exemple, une aliénation
de valeurs mobilières ou d'immeubles, une hypothèque, un emprunt, etc.,
le mineur n'aura pas besoin, pour en obtenir l'annulation, de démontrer
qu'il a subi une lésion. En effet, à supposer que ce soit le tuteur qui ait ac-
compli ces actes, l'inobservation par lui des formalités protectrices requises
par la loi eût entraîné
sans conteste la nullité. A fortiori doit-il en être de
même lorsque, à l' irrégularité consistant dans le défaut d'intervention du
conseil de famille ou du tribunal, s'est ajoutée celle qui résulte de l'inter-
vention du mineur agissant seul aux lieu et place du mandataire légal, tu-
teur ou administrateur, qui devrait agir en son nom.
Les seuls actes des mineurs 1
auxquels s'applique, par conséquent
l'adage Minor restituitur tanquam loesus sont ceux que la loi n'a pas
assujettis à des formes spéciales, c'est-à-dire, en somme, les moins dan-
gereux. Telle est la distinction fondamentale qui, bien que très con-
troversée jadis, aujourd'hui admise à
peu près unanimement. La
paraît
jurisprudence de la Cour de cassation l'a consacrée, il y a déjà plus d'un

demi-siècle, et toujours maintenue depuis (Civ., 25 mars 1861, D. P. 61.1.202,


S. 61.1.673; 6 mars 1893, D. P. 93.1.473, S. 97.1.502; 7 mars 1922, D. P.

1922.1.169, et, sur renvoi, Dijon, 29 janvier 1923, Gaz. Pal., 1923.1.603)
dit communément des actes annulables sur la seule démonstration
de l'inobservation des formalités ils étaient sou-
spéciales auxquelles
donnent lieu à une nullité vice de forme, tandis que les
mis, qu'ils pour
562 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

actes annulables, seulement moyennant la démonstration de la lésion, sont

dits à restitution. Le Code civil lui même nous fournit cette nomen-
sujets
clature et consacre, conséquent, la distinction qui la justifie, dans le
par
texte de l'article 1311 in fine ( « soit que cet engagement fût nul en sa forme,

soit qu'il, fût seulement sujet à restitution »).


Cette distinction, aujourd'hui classique, entre les actes du mineur nuls
vice de forme et les actes rescindables pour cause de lésion ne peut
pour
être bien comprise que moyennant les deux observations suivantes :
1° En général, lorsqu'un acte est soumis par la loi à certaines formalités
substantielles (p. ex. la donation entre vifs), l'absence de ces formes donne
lieu à une nullité non pas relative, mais absolue. Ici, bien qu'il s'agisse d'un
vice de forme, la nullité de l'acte accompli par le mineur sans l'observation
des formalités spéciales requises est relative ; elle ne peut être invoquée
du côté du mineur ; l'autre contractant n'aurait pas le droit de s'ap-
que
sur l'irrégularité commise pour demander l'annulation (art. 1125,
puyer
2e al.). C'est qu'en effet la nullité est avant tout ici une nullité de protection.
On ne comprendrait donc pas qu'elle fût prononcée dans un intérêt antre

que celui de l'incapable qu'il s'agit de protéger.


2° Un acte accompli par le mineur et annulable pour vice de forme doit
tomber sans que le mineur ait besoin de démontrer une lésion. Cependant,
le mineur restera tenu à l'égard de son contractant dans la mesure de son

enrichissement, étant donné ce principe de moralité et


d'équité qui domine
tout notre Droit, que nul ne doit s'enrichir injustement aux dépens d'autrui.
C'est ce qu'exprime l'article 1312 en nous disant que le mineur (ou tout
incapable) dont l'engagement a été annulé, est cependant tenu de rembour-
ser ce qu'il aurait reçu
conséquence en
du contrat annulé, s'il est prouvé
que ce qui lui a été payé a tourné à son profit (V. aussi art. 1241). Ainsi,
l'emprunt qu'il aura contracté le constituera valablement débiteur de la
somme empruntée envers son prêteur (nonobstant l'art. 457), si celui-ci
peut démontrer que la somme par lui versée a servi à éteindre une dette
dont l'incapable était valablement tenu, par exemple, à achever de libérer
des actions souscrites par des parents dont le mineur est héritier (Civ.,
23 février 1891, D. P. 92.1.29. Comp. Paris, 20 janvier 1904, D. P. 1906,
2.23).

Autres exceptions à la règle Minor restituitur laesus.


tanquam
— Le encore d'autres d'être
principe reçoit exceptions dignes notées.
1° Nous avons précédemment indiqué les diverses d'actes
catégories
pour lesquels il y a exception à l'incapacité du celui- mineur et
que
ci peut, dès lors, accomplir valablement. Ces actes ne donnent évidemment
lieu ni à nullité ni à restitution. On se souvient notamment que le mineur
s'engage valablement par ses délits (art. 1310). Cette délictuelle
capacité
aboutira quelquefois à restreindre contractuelle du mineur.
l'incapacité
Supposons que celui-ci, en accomplissant un acte lui était en
qui interdit,
contractant, par exemple, un emprunt, ait des manoeuvres
employé frau-
duleuses pour faire croire à son contractant était c'est en
qu'il majeur;
SANCTION JUDICIAIRE DE L'INCAPACITE DES MINEURS 563

vain qu'il demanderait ensuite l'annulation de son ; son adver-


obligation
saire repousserait victorieusement son attaque en démontrant les ma-
noeuvres qui l'avaient induit à traiter. On est amené à cette solution par
Une suite de déductions assez fines. Le mineur, dira en
t-on, employant
des artifices coupables pour surprendre la bonne foi de son contractant, a
commis à rencontre de ce dernier un délit ; il est comme le serait
tenu,
un majeur, d'en
réparer les conséquences son contrac-
préjudiciables pour
tant. Or, la nullité de l'opération à laquelle ce dernier a été entraîné serait
incontestablement un préjudice. A quoi bon dès lors permettre au mineur
dé provoquer une nullité dont il devrait aussitôt indemniser son contrac-
tant ? La réparation la plus simple, la plus du délit a
adéquate qu'il
commis n'est-elle pas de lui enlever le bénéfice de l'action en restitution ?
A l'appui de cette solution, aujourd'hui généralement admise, on peut
invoquer, outre le texte de l'article 1310, celui de l'article 1307, aux termes
« la déclaration de faite
duquel simple majorité par le mineur ne fait point
obstacle à sa restitution ». La règle
posée par cet article évidem-
s'imposait
ment. On ne comprendrait pas qu'une déclaration de majorité insérée dans
l'acte par le mineur mît obstacle à ce qu'il en poursuivît ensuite l'annula-
tion ; autant vaudrait supprimer toute protection des incapables ; les décla-
rations de majorité deviendraient de style ; elles seraient aussi facilement
surprises au mineur que l'engagement lui-même. Mais la loi ne
parle dans
l'article 1307 que de la simple déclaration de majorité. Il résulte de cette
épithète, par argument a contrario, qu'un obstacle à la restitution résulte
de la déclaration de majorité qui ne serait pas mais caractérisée,
simple,
compliquée par des manoeuvres frauduleuses telles que la production de
papiers falsifiés, d'un faux acte de naissance, etc..
2° Parmi les actes non assujettis à formalités spéciales et, dès lors, sujets
seulement à restitution, il en est un que, par exception, le mineur peut
attaquer, après l'avoir accompli, sans avoir à démontrer une lésion. C'est la
réception d'un paiement. Cette solution résulte de l'article 1241, d'après
lequel tout paiement fait à un incapable est nul, sans distinction, à moins
que le débiteur solvens ne prouve que la somme payée a tourné à l'avan-
tage de l'incapable, auquel cas le paiement reste libératoire dans la me-
sure de cet avantage. En résumé, la réception d'un capital, bien qu'appar-
tenant en soi à la série des actes sujets à restitution (car c'est un de ceux
qu'un tuteur aurait le droit de faire seul), est soumise, par une disposition
formelle, aurégime des actes nuls pour vice est de forme. Cette anomalie
traditionnelle. Lé Code l'a empruntée à Pothier (Tr. des obligations, n° 504).
Elle peut s'expliquer par cette idée que le fait de remettre un capital en
deniers entre les mains d'un mineur constitue toujours une imprudence
et doit, dès lors, être lésionnaire.
présumé préjudiciable,
Il nous semble que la portée de la ainsi par l'article 1241 est
règle posée
considérable, etpeut aboutir à restreindre pratiquement encore davantage
la sphère des actes simplement sujets à restitution. Supposons un mineur-
place sous le régime de l'administration légale. On se souvient que, d'après
la loi de 1910, le père peut accomplir seul tous les actes tuteur de-
qu'un
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
564

vrait soumettre à l'unique approbation du conseil de famille ; il peut donc

aliéner les valeurs mobilières à son enfant jusqu'à concur-


appartenant
rence de 1.500 francs. Mais que ce soit l'enfant lui-même qui
supposons
fasse l'aliénation et qu'il trouve un acquéreur. Devrons-nous décider qu'il
ne cette vente démontrant la lésion? La distinction
pourra critiquer qu'en
établie nous conduirait à l'affirmative. Mais celte solution
précédemment
se trouve la règle de l'article 1241. Le père ou le mineur de-
corrigée par
venu en invoquant cette disposition, pourrait, croyons-nous, con-
majeur,
traindre (ou l'agent de change) à payer une seconde fois, faute,
l'acquéreur
de pouvoir que la somme versée a été employée
par celui-ci, prouver par lui
utilement, dans l'intérêt de son vendeur !
3° On verra enfin que, d'après la Jurisprudence, il y a même un acte du
mineur qui se place absolument en dehors des deux catégories ci-dessus
et qui, le cas échéant, serait nul d'une nullité absolue ou, tout
distinguées
au moins, invocable à la fois par les contractants et par les tiers intéres-
sés. Ce serait la convention matrimoniale qu'un mineur, au mépris de l'ar-

ticle 1309, aurait passée sans l'assistance de ceux dont le consentement


était requis pour son mariage.

Second cas : L'acte a été fait le tuteur. — a lieu ici de


par Il y
sous-distinguer entre deux hypothèses :
1° On peut supposer d'abord que le tuteur a
outrepassé ses pouvoirs,
c'est-à-dire qu'il a accompli un acte soumis à des formalités spéciales sans
se plier à ces formalités. L'acte est certainement nul, mais de quelle nul-
lité? On pourrait soutenir que c'est d'une nullité absolue. Et l'on trouve,
sinon cette idée, au moins cette expression dans un arrêt déjà assez ancien
de la Cour de cassation (Civ., 1er juin 1870, D. P. 70.1.432, S. 70.1.387). Ce

qui a fait défaut au tuteur en effet, dans l'acte qu'il a souscrit indûment,
vente, hypothèque, emprunt, ce n'est pas la capacité, c'est
le pouvoir. Ayant
dépassé son mandat, il n'a pas représenté le mineur ; il a donc fait un acte
inexistant ; s'il s'agit d'une vente, il a vendu la chose d'autrui. La nullité
est absolue. Cependant, c'est une
opinion contraire qui prévaut à peu près
unanimement dans la Doctrine ; et l'on admet que la nullité est simplement
relative. On considère en effet que le tuteur est investi par la loi d'un mandai
général afin de représenter le mineur dans tous les actes juridiques. Certes,
la loi lui impose, pour certains de ces actes, des formalités particulières.
C'est là une mesure de protection supplémentaire pour le mineur, une des
conséquences de son incapacité. La nullité fondée sur l'inobservation de
ces formes ne peut être que relative, comme toute nullité de protection.
2° On peut supposer, en second lieu, que le tuteur a agi, soit dans la me-
sure de son droit, par exemple, en accomplissant seul un acte d'administra-
tion, soit avec observation des formalités s'il s'agit d'un acte dé-
requises,
passant l'administration. Y aura-t-il alors possibilité rescision
d'une pour
cause de lésion ? La question est délicate et donne lieu à des controverses.
Aupoint de vue rationnel, on peut se demander à quelle se
conception
rattachent les mesures prises contre la lésion subie un mineur. Le lé-
par
SANCTION JUDICIAIRE DE L'INCAPACITÉ DES MINEURS 565

gislateur la considère t-il comme un vice objectif, qui doit être écarté de
tout acte intéressant le patrimoine de l'incapable? En ce cas, aucune forme
légale ne pourrait mettre celui qui contracte avec un mineur ou avec son
représentant à l'abri d'une rescision éventuelle. Ou bien, la lésion n'est-
elle, aux yeux du que la preuve,
législateur, la révélation de ce fait que le
mineur, de l'acte,
auteur a agi sans lumières en un mot, comme
suffisantes;
on l'a dit, la marque extérieure d'une insuffisance de volonté concrétisée?
Si c'est cette conception qui l'emporte (comme elle domine, nous le ver-
rons, la théorie de la rescision pour lésion des actes accomplis par les

majeurs), on ne saurait parler de restitution à propos d'un acte réguliè-


rement accompli par un tuteur.
Au point de vue historique, nous avons vu que le Droit romain, puis
l'ancien Droit admettaient la possibilité d'une rescision pour les actes

réguliers, comme pour les autres. C'était même la destination originaire


de la restitution que de protéger le mineur contre les imprudences de son
curateur.
Au point de vue des textes positifs enfin, l'article 1314 nous dit que
« lorsque les formalités requises à l'égard des mineurs ou des interdits, soit
aliénation d'immeubles, soit dans un partage de succession, ont été
pour
ils sont, relativement à ces actes, considérés comme s'ils les
remplies,
avaient faits en majorité ou avant l'interdiction ». Cette disposition exclut
bien la recevabilité d'une demande en rescision pour lésion ; mais on re-
aussitôt qu'elle ne parle que de deux actes particuliers, les alié-
marquera
nations d'immeubles et les partages de succession. Or, qui dicit de uno de
altero Le Code n'a-t-il point entendu consacrer ainsi, pour tous les
negat.
autres actes du tuteur, la règle de la restitution, à laquelle, par ailleurs,
l'article 1305 semble bien attacher une absolue, lorsqu'il nous dit
portée
« la lésion donne lieu à la rescision en faveur du mineur
que simple
non contre toutes sortes de conventions ? »
émancipé,
La Jurisprudence est ici Cependant, on peut conclure d'un
peu précise.
contenu dans un arrêt de la Cour de cassation (Req., 24 avril
motif
1861, D. P. 61.1.256, S. 61.1.625) que l'action en rescision serait recevable
contre l'acte lésionnaire d'un tuteur. De même, un arrêt de la Cour de
Paris du 1er mars 1877 (D. P. 78.2.108) a abaissé le montant de dédits
dans des actes théâtral souscrits par un artiste dra-
stipulés d'engagement
mineur avec l'assistance de son père (Cf. Paris, 27 juin 1889,
matique
D. P. 90.2.208, S. 89. En somme, on peut relever dans notre
2.159).
une certaine tendance à renouer la tradition de notre
Jurisprudence
ancien Droit et à attribuer à l'action en restitution toute l'ampleur
qu'elle possédait autrefois.
Nous estimons avec la des auteurs, que les actes
cependant, majorité
le tuteur doivent être inattaquables. L'ar-
accomplis régulièrement par
a contrario tiré de l'article 1314 est infirmé par ce fait que les
gument
deux actes visés ce texte étaient ceux que nos anciens au-
particuliers par
teurs comme le des du tuteur su-
prenaient généralement type opérations
jettes à restitution, nonobstant la de leurs formes. Et, quant aux
régularité
LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE
566

il suffit de les de ceux des articles qui


termes de l'article 1303, rapprocher
1307 à 1311) le Code,constateren que organisant
le suivent (art. pour
n'a envisagé d'un mineur agissant en
l'action en rescision, que l'hypothèse
Et sans doute a-t-il voulu que les actes accomplis pour le
personne. mineur,
seraient entourés de toutes les précautions requises par la loi,
lorsqu'ils
fussent à l'abri de toute comme ils le sont lorsqu'il s'agit des autres
critique,
C'est l'intérêt même du mineur qui l'exige, car, autrement, per-
incapables.
sonne ne voudrait traiter avec le tuteur. Déjà, sous l'ancien Droit, cette con-

sidération décisive avait été, nous l'avons vu, invoquée par Pothier,
pratique
de l'avis les actes d'administration, c'est-à-dire au moins ceux ac-
duquel
dans la limite de ses devaient être inatta-
complis par le tuteur pouvoirs,
du Code civil aient entendu rétro-
quables. Est-il admissible que les auteurs
au delà de Pothier, leur inspirateur ordinaire?
grader
Il est bon de cependant que, si le Code civil ne relève pas le
remarquer
mineur ni les autres des conséquences des opérations actives
incapables
il les contre
accomplis régulièrement par leur représentant, protège parfois
l'effet des de ce même représentant. C'est ainsi que l'ar-
négligences
ticle 2252 suspend la prescription courant contre le mineur et l'interdit du-

rant le temps de la minorité et de l'interdiction. De même, l'article 481 du.


Code de procédure civile ouvre aux incapables la voie de la requête civile

contre les décisions terminant les procès où ils auraient été mal défendus.
Le Code n'est d'ailleurs toujours fidèle à ce système. Ainsi, le mineur
pas
et l'interdit ne sont pas relevés des conséquences du défaut de transcrip-
tion d'un acte les intéressant et que le tuteur aurait dû faire transcrire

fart 1070, C. civ.). Tout cet ensemble de dispositions manque évidernment


d'harmonie.

d'oeil sur les — Alourdi le poids


Coup législations étrangères, par
de la tradition historique, le système de notre Droit français est, en somme,
en ces matières, d'une incontestable complication. Pourtant, dans son en-

semble, il est assez judicieux, il permet au mineur de faire seul, sans avoir
besoin d'autorisation, les actes de la vie courante et même de passer des

baux, d'administrer ses biens. Les tiers


qui traitent avec lui pour tous ces

actes, n'ont rien à craindre, tant qu'ils n'abusent pas de son inexpérience.
L'action en rescision pour cause de lésion est un mode de protection plus
souple, plus intelligent, moins
que l'action brutal en nullité.
Et cependant, les législations récentes ont généralement rejeté ce mode
de protection, et ne font plus place qu'à l'action en nullité.
C'est ce qu'a fait le Code civil italien, aux termes duquel l'action en nul-
lité seule peut être exercée :
1° Lorsque le mineur non émancipé a fait lui-même un acte sans l'inter-
vention de son représentant légitime ;
2° Lorsque le mineur émancipé a fait lui-même un acte la
pour lequel
loi exige l'assistance de son curateur;
3° Lorsque les formalités établies pour certains actes des
par dispositions
spéciales de la loi n'ont pas été observées.
SANCTION JUDICIAIRE DE L'INCAPACITÉ DES MINEURS 567

Nous nous demandons si cette simplification constitue véritablement un


progrès.
aux actes avec les formalités voulues
Quant accomplis par la loi ils ont
la force qu'ils auraient s'ils avaient été faits par un majeur entièrement ca-
pable (Voir les articles 1303 à 1308).
Ajoutons que le Code civil a fort judicieusementitalien réduit à cinq ans
la durée de l'action en nullité (art. 1300,1er al.).
Les dispositions du Code civil allemand méritent également d'être rap-
portées, car son système diffère profondément du nôtre. En voici les règles
principales :
1° Les mineurs sont de faire seuls les actes
capables juridiques qui leur
procurent exclusivement un avantage juridique, sans aucune cor-
charge
respondante (art. 107, a contrario). C'est la vieille règle romaine d'après
laquelle le mineur peut faire les actes qui rendent sa condition meilleure.
2° Quant aux actes susceptibles de rendre pire la condition du mineur,
ils ne peuvent être
accomplis qu'avec l'autorisation de son représentant
légal, et même parfois avec l'autorisation supplémentaire du tribunal des
tutelles. Supposons donc que le mineur ait conclu un contrat de ce genre
sans l'autorisation requise de son représentant légal. Le sort du contrat
est provisoirement incertain, il dépend de la
ratification ou de la non rali

fication du représentant du mineur (art. 108). Mais, comme il ne faut pas


que cette incertitude se prolonge et que la décision du représentant se
fasse longtemps attendre, car l'attente est pleine d'inconvénients pour le
co-contractant, ce dernier peut inviter le
représentant à se déclarer. La
déclaration doit avoir lieu dans un délai de deux semaines, passé lequel
elle est réputée refusée, et le contrat considéré comme non avenu (art. 108,
2e al.).
3° Lorsque l'acte est passé conformément aux prescriptions légales, il
est inattaquable comme s'il avait été fait par un majeur.

— mineurs
§ 2. Actes des émancipés.

Règles générales. —L'article 1305, avec la distinction qu'il contient,


au mineur émancipé comme au mineur ordinaire. Il faut, par
s'applique
conséquent, observer ici les règles diverses que nous venons de dégager
relativement au mineur ordinaire.
1° Supposons, en premier lieu, que le mineur émancipé ait dépassé ses

pouvoirs. d'un acte qu'il a fait seul, alors qu'il aurait dû l'accom-
S'agit-il
avec l'assistance de son curateur, le mineur émancipé pourra en de-
plir
mander la rescision, mais le succès de sa demande sera subordonné à la
démonstration d'une lésion. d'actes pour lesquels des formalités
S'agit-il
étaient édictées, formalités que le mineur émancipé a négligées,
spéciales
alors, il y a lieu non à rescision, mais à nullité pour vice de forme.
2° maintenant que le mineur émancipé a agi régulièrement,
Supposons
c'est-à-dire dans la mesure de ses pouvoirs, s'il a contracté seul, avec l'as-
sistance de son curateur ou du conseil de famille, dûment
l'approbation
568 LIYRE I. — TITRE III. — PREMIERE PARTIE

en cas de besoin, s'il s agit d'une opération que la loi


homologuée soumet-
tait à ces conditions de validité. Alors, l'acte sera valable comme le serait
celui d'un majeur, qu'il soit avantageux ou désavantageux. C'est ce que
l'article 481 in fine dit formellement des actes qui sont de la compétence
du mineur émancipé agissant seul. « Il fera tous les actes qui ne sont que
de pure administration, être restituable
sans contre ces actes dans tous les
cas où le majeur ne le serait lui-même. » Donc, en principe, pas d'action
pas
en rescision pour lésion contre les actes réguliers.

aux Action en réduction. — la loi


Exception principes. Pourtant,
à ce principe une exception importante. « A l'égard des obligations,
apporte
lisons-nous dans l'article 484, 2e al., que le mineur émancipé aurait con
tractées voie d'achats ou autrement, elles seront réductibles en cas d'ex-
par
cès. » Ainsi, la loi organise pour certaines opérations, rentrant cependant,
en principe, dans la sphère de la capacité du mineur émancipé, une pro-
tection spéciale qui ressemble à la rescision pour cause de lésion, mais sans
se confondre avec elle, à savoir la réductibilit é. Le texte suppose que le
mineur émancipé a fait une dépense, contracté un engagement hors de pro-

portion avec sa fortune ; par exemple, il a acheté des bijoux, des chevaux,
une automobile que ne comportait pas son train de
; ou encore vie(argu-
ment des mots « par voie d'achat ou autrement »), il a loué un appartement
d'un loyer trop élevé pour ses revenus, il a commandé à des entrepreneurs
des réparations trop coûteuses pour sa maison et pour sa ferme. Les tri-
bunaux pourront, dit la loi, réduire ces engagements excessifs.
L'excès et la lésion se ressemblent. S'ils se confondaient, il y aurait
identité absolue entre la situation du mineur non émancipé, capable d'agir
seul du moment qu'il ne se lèse pas, et celle du mineur émancipé, capable
d'agir seul pourvu qu'il ne commette pas d'excès. Mais voici quelles diffé-
rences il y a lieu de relever entre la rescision et la réduction. Nous verrons,
en les étudiant, que quelques-unes sont, de par la Jurisprudence, devenues

presque purement théoriques.


1° L'action en rescision du mineur ordinaire peut être dirigée contre tous
les actes quelconques qui le lèsent, « contre toutes sortes de conventions »,
dit l'article 1305. Au contraire, l'action en réduction du mineur émancipé
n'a trait qu'à certains actes seulement. Ce sont ceux constituent une dé-
qui
pense. Elle n'est pas applicable aux autres actes, si désavantageux qu'ils
puissent être. Ainsi, il n'y aura pas lieu à réduction, si le mineur émancipé
a donné un de ses biens à bail pour un loyer trop faible, s'il a vendu ses
récoltes à un prix trop bas.
2° Le
tribunal, même s'il d'un acte réductible en de la
s'agit soi, reçoit
loi un certain pouvoir d'appréciation. Il prendra en considération, dit l'ar-
ticle 484 in fine, « la fortune du mineur, la bonne ou la mauvaise foi des
personnes qui auront contracté avec lui, l'utilité ou l'inutilité des dépenses. »
Ainsi, un acte excessif pourra cependant ne pas donner lieu à réduction, par
exemple, parce que le contractant du mineur a ignoré était
émancipé quel
son véritable état de fortune ; au la bonne
contraire, foi de celui qui aurait
SANCTION JUDICAIRE DE L'INCAPACITÉ DES MINEURS 569

traité avec le mineur non émancipé ne le mettrait pas à l'abri de la rescision


de l'acte, une fois la lésion prouvée.
3° La réduction n'entraîne pas, en principe, l'anéantissement de
complet
l'acte critiqué, comme la rescision. Le tribunal devra se borner à ramener
l'acte à de justes limites ; par exemple, il réduira la commande faite à l'en-
trepreneur aux réparations vraiment indispensables. on com-
Cependant,
prend que, pratiquement, il ne sera pas toujours ainsi. Si le
possible d'agir
mineur a loué un appartement trop dispendieux, acheté une automobile
de luxe, le tribunal ne pourra pas décider que le loyer ou le de l'au-
prix
tomobile seront réduits de moitié. Il annulera l'opération tout entière. La
réduction aura donc ici exactement le même effet la rescision ou
que que
la nullité.
4° La rescision pour cause de lésion a pour unique effet l'anéantissement
de l'acte accompli par le mineur. La réduction pour excès entraîne, on l'a
vu, une autre conséquence qui est de rendre possible la révocation de
l'émancipation (art. 485).
5° N'y a-t-il pas une cinquième différence quant aux personnes qui
peuvent demander la rescision ou la réduction ? La rescision peut être in-
voquée, après la majorité, par l'ex-mineur devenu majeur, la majo- avant
rité, par le tuteur ou l'administrateur légal représentant du mineur. On a
enseigné, dans une partie de la Doctrine, que la réduction des engagements
excessifs du mineur émancipé ne peut, au contraire, être demandée que
ni par le conseil
par le mineur lui-même, mais non par son curateur, de
famille. En
effet, ni l'un ni l'autre ne représentent le mineur et ne possèdent
la disposition de ses actions. Mais la Jurisprudence, avec raison, repousse
cette solution qui aboutirait à des résultats vraiment absurdes. Il est trop
clair que le mineur émancipé, en train de se ruiner en gaspillant sa for-
tune, se gardera le plus souvent de demander la réduction de ses actes. Il
la demandera d'autant moins qu'en la faisant prononcer, il s'exposerait,
nous venons de le voir, au retrait de l'émancipation. On doit donc admettre
que la réduction pourra être sollicitée, en outre du mineur, par tous ceux

que la loi charge de concourir à sa protection, c'est-à-dire par le curateur


et par le conseil de famille de M. Lyon-Caen sous Req., 24 juin 1896,
(Note
S.97.1.113).
6° Une dernière différence importante entre la réduction et la rescision
résulte de la Jurisprudence. Lorsqu'il s'agit d'un mineur ordinaire, le do-
maine de l'action en rescision se restreint aux actes d'administration.
Quant aux actes qui dépassent l'administration, ils seront nuls si les formes

requises n'ont pas été observées ; dans le cas contraire, ils devront être, pen-
à l'abri même s'ils ont été
sons-nous, de toute rescision, désavantageux.
Quand il s'agit du mineur émancipé, contraire, la Jurisprudence au a plu-
sieurs fois admis la réductibilité des actes
pour dépassant l'administration,
tels qu'achats d'immeubles ou de fonds de commerce, alors même que le
mineur se serait assister de son curateur pour les accom-
émancipé fait
29 juin 1857, D, P. 58.1.33, S. 57.1.729 ; Req., 21 août 1882,
plir (Req.,
D. P. 83.1.339, S. 83.1.113, note de M. Lyon-Caen). Le motif invoqué par

DROIT. — Tome I. 37
570 LIVRE I. — TITRE III. — PREMIÈRE PARTIE

cette jurisprudence, c'est que l'article 484 ne distingue pas et doit donc
s'appliquer à tous les engagements excessifs du mineur émancipé, soit
qu'il les ait souscrits seul, soit qu'il les ait souscrits avec le concours des
autorités chargées de sa protection. Il y a là une solution que nous ne
pouvons approuver, car elle nous ramène aux conception les moins pra-
tiques de l'ancien Droit. Nous avons vu que l'acte passé régulièrement par
le tuteur (ou par le mineur ordinaire assisté de ce tuteur) est aujourd'hui
considéré en général comme à l'abri de toute critique. Les tiers ne devraient
pas jouir d'une moindre sécurité, lorsqu'ils traitent avec un mineur éman-
cipé dûment assisté de son curateur.

Durée de la sanction. —
des actes
Qu'il d'un
Appendice. s'agisse
mineur ordinaire ou de ceux d'un mineur émancipé, de l'action en nullité
pour vices de formés ou de l'action en rescision, il y a lieu d'appliquer
l'article 1304, qui soumet ces actions à la prescription de dix ans. Cette
prescription commence à courir du jour de la majorité. C'est à partir de ce
moment qu'une confirmation de l'acte annulable ou rescindable sera pos-
sible de la part de son auteur.
DEUXIEME PARTIE

LES DÉMENTS

La seconde catégorie d'incapacités d'exercice ou de protection comprend


celles qui tiennent aux infirmités mentales.
Elles sont de deux sortes (ou de deux degrés d'après le Code civil :
D'abord, l'aliénation ou folie proprement dite entraîne l'incapacité en-
tière ou presque entière de l'aliéné incapacité parfois comparable à celle
du mineur ordinaire.
A un degré inférieur, la simple faiblesse d'esprit ou la prodigalité, tradi-
tionnellement considérée comme une variété diminutive de l'aliénation,
mentale, donne lieu à des mesures spéciales de protection et entraîne une

demi-incapacité analogue, par certains côtés, à celle du mineur émancipé.


CHAPITRE PREMIER

ALIÉNATION MENTALE 1

— La condition et le juridique des


Généralités. Division. régime
ensemble du Droit et du Droit public. Ils mettent
Aliénés relèvent privé
des de capacité et de protection Légale et des ques-
en jeu à la fois questions
tions de police et de liberté individuelle.
Des de et de légale d'abord. L'aliénation
questions capacité protection
le malheureux en est frappé de l'usage de la raison,
mentale, privant qui
le rend en effet de participer au commerce
juridique. Il faut
incapable
donc lui nommer un administrateur, chargé d'exercer ses droits. Ajoutons
cette est nécessaire, non seulement lorsque la maladie a
que protection
mais aussi lorsqu'elle est coupée par
complètement paralysé l'intelligence,
des intervalles lucides. Car, si on laissait livré à lui-même l'individu dans

le cerveau alternent des périodes de crises et des période! d'intel-


duquel
il serait très difficile, le cas échéant, d'attaquer les actes qu'il
ligence,
aurait passés ; il faudrait prouver, chose
parfois presque impossible, qu'au
moment où il contractait, l'aliéné se trouvait sous l'empire de la folie.
Mais cette face de la question n'en est peut-être ni la plus sé-
première
rieuse, ni la plus grave. Dans la plupart des cas de folie, il est nécessaire

de placer l'aliéné dans un établissement destiné à recevoir les malades de

son espèce, d'abord lui donner des soins, et aussi pour l'empêcher de
pour
nuire à autrui. Or, ici se pose un angoissant problème. Tout en permettant
l'internement des aliénés, le législateur doit prendre toutes les précau-
tions nécessaires pour empêcher les internements arbitraires que pour-
raient solliciter des parents avides ou indignes.

1. Depuis un demi-siècle, la législation française des aliénés, qui est à la veille


d'une refonte à peu près totale, a donné lieu à une abondante littérature. On en
trouvera une bibliographie succincte, niais suffisante dans le Répertoire pratique
de législation, de doctrine et de jurisprudence, Dalloz, 1910,t.1, V° Aliénés. Nous
renvoyons particulièrement à deux ordres de sources : 1° les travaux parlementaires:
ils sont analysés complètement, et résumés dans le rapport de M. Th. Roussel, au
Sénat, sur le projet de révision de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés (Docu-
ments parlementaires, 1884, annexe n° 157). Depuis cette époque, il y a lieu de con-
sulter le rapport de M. Dubief, à la Chambre des députés (Documents parlemen-
taires, 1903, annexe n° 871, p. 422). Les textes rapportés par M. Dubief ont été votés
par la Chambre dans ses séances des 14, 17, 21 et 22 janvier 1907. V. l'analyse de
M. Lebret, Revue critique, 1904, p. 610; 2° les travaux de la Société d'études légis-
latives. Le Bulletin de cette société contient, dans le cours des années 1903, 1904.
1905, de nombreux documents, discussions, communications relatifs à un projet de
réforme de la législation des aliénés. On consultera surtout les rapports de MM. Lar-
naude, Bulletin, 1904, p. 25 et 83, et Saleilles, Bulletin, 1904, p. 262 et 349. Cf. A. Ché-
not, Etude juridique et critique de la condition civile des aliénés, thèse, Tou-
louse, 1906.
ALIÉNATION MENTALE 573

Nous étudierons successivement ces deux questions:


1° L'internement des aliénés.
2° La protection des intérêts des aliénés.
Constatons, en
attendant, qu'elles présentent, notre une im-
pour pays,
portance malheureusement toujours grandissante. Les statistiques dé-
montrent en effet que le nombre des aliénés ne cesse de s'y accroître.
pas
En 1871, le nombre de ceux qui recevaient des soins dans des établisse
ments publics ou privés s'élevait à 40.589 ;

1881, il est monté à


En 63.000;
En 1890, -
73.641;
En 1900, 87.428 ;
1910, _
En 98.477;
En 1912, _
101.461,
En 1913, —
101.732 1,
Cet accroissement est dû à plusieurs causes ; d'abord à l'augmenta-
tion du nombre des asiles et à l'agrandissement des asiles existants. En
second lieu, on doit remarquer que les familles recourent plus volontiers
qu'autrefois au placement de leurs malades dans les asiles,
parce que ces
établissements sont mieux installés, et que les malades y sont mieux soi-
gnés, et qu'enfin les médecins recommandent tous l'isolement comme le
seul remède pouvant amener la guérison, quelle que soit d'ailleurs la va-
riété du trouble mental qu'ils sont appelés à traiter. Aussi le nombre des
fous non dangereux, des déments séniles et des idiots a-t-il tellement aug-
menté dans les établissements d'aliénés qu'il a fallu se préoccuper d orga-
niser des asiles spéciaux pour les crétins, les idiots et les épileptiques.
Enfin, il y a lieu d'accuser du développement des maladies mentales l'in-
fluence indéniable de l'alcoolisme. En 1907, sur 94.128 aliénés traités dans
les asiles, 9.310 étaient atteints de folie alcoolique. Le nombre des fous

alcooliques a passé de 8.426 en 1903 à 10.037 en 1912.

SECTION I. — L'INTERNEMENT DES ALIÉNÉS.

: Avant la loi de 1838. — L'internement des aliénés est


Historique
réglé aujourd'hui la loi du 30 juin 1833. Cette loi, aujourd'hui très
par
attaquée, et depuis fort longtemps, puisque les premières propositions
relatives à sa réforme remontent à 1866, n'en a pas moins réalisé en son

temps un incontestable et énorme progrès.


Notre ancien Droit, en ce concerne le et le
placement des
qui régime
fous, était en effet on ne peut plus arriéré. « Pendant longtemps, on y traita
les fous furieux comme desdémoniaques par des exorcismes, ou comme
des criminels en les enfermant dans des cachots » (Brissaud, op. cit.,

1. Il convient de constater que le même accroissement du nombre des aliénés


traités, dans des établissements spéciaux se produit dans tous les pays. (V, An.
nuaire statistique de la France, 34° vol. 1914 et 1915, Résumé rétrospectif, p. 180).
574 LIVRE l. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

note Bien rares étaient les régions privilégiées Paris et quelques


p. 194, 6).
autres où on les soumettait, dans les hospices spéciaux créés au
villes)
XVIe et au XVIIe siècles, à des traitements relativement plus humains, mais
encore bien et se ramenant toujours plus ou moins à une pure et
rigoureux
simple réclusion.
Quant aux aliénés tranquilles, ils étaient, le plus souvent, laissés en
liberté.
C'est Pinel qui, le premier, a entrepris de soigner les fous comme des
malades ; il appliqua son système à l'hospice de Bicêtre où il avait été
nommé médecin en 1792. Mais ses idées ne se généralisèrent que bien len-

tement, et l'on a pu dire que, jusqu'à la veille de la loi de 1838, l'assistance


sociale n'offrait aux fous, en dehors des maisons de force et des cachots, que
des cabanons et des loges.
Si encore les établissements avaient été en nombre suffisant! Mais il n'en
était rien. Dans laplupart des départements, on ne savait où placer les
aliénés. Aussi n'enfermait-on guère que les individus dangereux pour la
sécurité publique ; on les internait dans des asiles quand il y en avait, et
dans les prisons quand il n'y avait pas d'asiles. Les aliénés inoffensifs
étaient laissés en liberté, et, s'il faut en croire le rapport déposé par
M. Roussel devant le Sénat en 1884, « les documents officiels établissaient

que les scandales et les accidents résultant chaque jour de la liberté laissée
à des milliers de fous dont on ne savait que faire, étaient devenus l'objet
des plus sérieuses préoccupations. »
Quant aux garanties de la liberté individuelle contre l'abus des interne-
ments, elles était à peu près nulles. À la vérité, ces
garanties eussent
existé si la pratique s'était conformée à l'esprit du Code civil. Le législa-
teur de 1804, en effet, n'avait pas consacré de dispositions spéciales à l'in-
ternement des aliénés; mais il avait organisé leur protection au moyen de

l'interdiction, laquelle, dans sa pensée, devait constituer une mesure géné-


rale applicable à tous les aliénés. Aux termes de l'article 489 du Code civil,
« le majeur qui se trouve dans un état habituel d'imbécillité, de dé-
mence ou de fureur, DOIT être interdit, même lorsque cet état présente des
intervalles lucides. » Or, l'interdiction ne peut être prononcée que par le tri-
bunal, après une procédure comportant l'examen du malade et moyennant
bien d'autres garanties encore contre les demandes Ces
injustifiées. garan-
ties, si l'interdiction était devenue, selon le voeu de la loi, le prélude ou

l'accompagnement nécessaire de tout internement d'aliéné, auraient donc


suffisamment protégé les individus contre les abus Mais jamais
possibles.
la prescription de l'article 489, d'ailleurs de toute sanction, ne
dépourvue
fut respectée. De bonne heure, de familles manifestèrent une
beaucoup
grande répugnance contre l'interdiction, à cause des lenteurs et des frais t
de la procédure, à cause surtout de la publicité qu'elle donne à une tare que
l'intérêt familial, surtout lorsqu'il y a des enfants, commande de dissimu-
ler soigneusement. On prit donc l'habitude de faire interner les malades
sans les interdire. C'est ainsi en 1837, sur 613 aliénés enfermés
qu'à Bicêtre,
dans l'établissement, 19 seulement avaient fait d'une interdiction.
l'objet
ALIÉNATION MENTALE 575

Or, alicune condition n'était


l'internement, exigée pour qui apparaissait
une mesure discrétionnaire de police abandonnée au gré de l'Admi-
comme
nistration. C'est tout au plus si, à Paris, deux du de
arrêtés préfet police,
rendus en 1803 et en 1828 et imités par certains préfets, dans leurs dépar-
tements, avaient prescrit quelques mesures de proteciion.

Loi du 30 juin 1838. Conditions de l'internement. — C'est pour


ces lacunes que fut votée, après une discussion
remédier à approfondie,
signalée surtout par un magistral rapport de M. Vivien, la loi du 30 juin
1838 sur les aliénés.
Cette loi qui, il faut le reconnaître, a rendu à la Société française les plus
services, a trois objets :
grands
dans des asiles où les aliénés 1être
Organiser chaque département puissent
placés et recevoir des soins efficaces, par un traitement scientifique-;
Soumettre tous les établissements d'aliénés à la surveillance de I'Admi-
nistration, afin d'éviter les séquestrations arbitraires ;
Protéger les intérêts patrimoniaux des aliénés internés, lorsqu'ils n'ont
pas été interdits;
En négligeant provisoirement ce dernier point de vue que nous retrou-
verons en traitant, plus loin, de la protection des aliénés, les dispositions
principales de la loi peuvent être
groupées de la façon suivante:
1° Chaque département est tenu de posséder un établissement public'
d'aliénés ou de traiter avec un établissement public ou privé, au besoin
d'un autre département, pour y faire recevoir ses aliénés.
2° Les établissements publics sont placés sous la direction, les établisse-
ments privés sous la surveillance de l'autorité publique.
Ainsi, nul ne peut diriger ni former un établissement privé consacré aux
aliénés sans l'autorisation du gouvernement. Et le titre II de l'ordonnance
du 18 décembre 1839 fixe les conditions imposées pour la fondation et le
fonctionnement des maisons privées.
Les établissements privés doivent être visités, à des jours indéterminés,
une fois au moins chaque trimestre, par le procureur de là République;'
les établissements publics, une fois au moins chaque semestre.
Les chefs, directeurs ou préposés des établissements sont tenus d'adresser
aux dans le premier mois de chaque semestre, un rapport rédigé
préfets,
par le médecin de l'établissement sur l'état de
chaque personne qui y est
retenue, sur la nature de sa maladie et les résultats de son traitement.
3° Les relatives au placement sont particulièrement nombreuses
règles
et détaillées.
Le placement être ordonné par l'autorité publique, ou volontaire.
peut
Le préfet ordonne d'office le placement dans un établissement d'aliénés
de toute interdite ou non, dont l'état d'aliénation mentale com-
personne,
promet l'ordre public ou la sûreté des personnes.
Pour les aliénés voici quelles sont les pièces exigées par l'ar-
inoffensifs,
ticle 8 en vue du placement volontaire. La loi exige:
À. — Une demande d'admission formée, soit par un parent, soit par un
576 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

tiers la nature des relations qui existent entre l'aliéné et lui. La


indiquant
demande doit être écrite et signée par son auteur. Le chef ou directeur de

l'établissement doit s assurer, sous sa responsabilité, de l'individualité de


la personne qui a formé la demande.
B. — Un certificat de médecin constatant l'état mental de la personne
à et indiquant les particularités de sa maladie et la nécessité de
placer
l'interner. Ce certificat ne peut être admis s'il a été délivré plus de quinze
avant sa remise au chef ou directeur de l'établissement, s'il est
jours
d'un médecin attaché à l'établissement, ou si le médecin signataire
signé
est parent ou allié, jusqu'au second degré inclusivement, des chefs ou

propriétaires de l'établissement ou de la personne qui fait effectuer le pla-


cement.
En cas d'urgence, les chefs des établissements publics pourront se dis-

penser d'exiger le certificat. Mais les chefs des établissements privés n'au-
ront jamais la même faculté.
C. — Un passeport ou toute autre pièce propre à constater l'identité de
la personne à placer.
D. — Un bulletin d'entrée, mentionnant les diverses pièces ci-dessus,

lequel sera adressé, dans les vingt quatre heures, avec un certificat du,
médecin de l'établissement et la copie du certificat du médecin consulté-
au préfet ou au
sous-préfet dans les communes de leur résidence et,
dans les autres, au maire qui l'envoie immédiatement au préfet.
4° La loi prend ensuite les mesures suivantes pour qu'un internement
arbitraire, si, par malheur, il avait pu se produire, ne puisse pas, du

moins se prolonger:
A. — Si le est fait dans un établissement le préfet,
placement privé,
dans les trois jours de la réception du bulletin sus-indiqué, charge un ou

plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée, à l'effet de


constater son état mental et d'en faire rapport sur-le-champ. Il pourra leur

adjoindre telle autre personne qu'il désignera (art. 9).


B. — Dans le même délai, le préfet notifie administrativement les
noms, profession et domicile tant de la personne placée que de celle qui
a demandé le placement, au procureur de la République de l'arrondisse-
ment du domicile de la personne placée et à celui de l'arrondissement de
la situation de l'établissement (art. 10).
G. — Quinze le placement, un nouveau certificat du méde-
jours après
cin de l'établissement, confirmant ou rectifiant les indications du premier,
et indiquant le retour plus ou moins fréquent des accès ou des actes de
démence, est adressé au préfet (art. 11).
D. — Dans chaque établissement doit être tenu un registre, coté et
paraphé par le
maire, sur lequel sont immédiatement inscrits les noms,
profession, âge et domicile des personnes placées dans les établissements
d'aliénés, la mention du jugement d'interdiction, s'il y a lieu, et le nom du
tuteur; la date du placement de l'aliéné ; les noms, et demeure
profession
de la personne, parente ou non, qui demandé ; enfin, les certificats
l'a
médicaux (art. 12).
ALIÉNATION MENTALE 577

En outre, le médecin est tenu de


consigner sur ce au moins
registre,
tous les mois, les changements survenus dans l'état mental du malade
(art. 13).
Ces registres sont soumis aux personnes chargées de visiter rétablisse-
ment.
E. — Toute personne placée dans un établissement cessera d'y être
retenue aussitôt que les médecins de l'établissement auront déclaré sur le
registre que la guérison est obtenue (art. 13).
F. — Toute personne placée dans un établissement cesse également d'y
être retenue, dès que la sortie requiseest par les parents ou représentants
énumérés dans l'article 14. Pourtant, le médecin peut s'opposer à la sortie,
auquel cas l'autorité préfectorale intervient pour trancher le conflit.
— De son la personne dans un établissement, tu-
G. côté, retenue son
teur ou curateur, et tout parent ou ami peuvent, à quelque époque que
ce soit, se pourvoir devant le tribunal du lieu de la situation de l'établis-
sement, lequel, après les vérifications nécessaires, ordonnera, s'il y a lieu, la
sortie immédiate. La décision sera rendue sur simple requête, en chambré
du conseil et sans délai. Elle ne sera point motivée.
H. — Le préfet, lui aussi, peut toujours ordonner la sortie immédiate
des personnes placées volontairement dans des établissements d'aliénés,

(art.-16).
I. — L'intéressé, ses parents ou amis, ou même le
procureur de la
République, d'office, peuvent demander au tribunal de nommer en chambre
du conseil, par jugement non susceptible d'appel, un curateur à la per-
sonne de l'interné (art. 38). Ce curateur devra veiller :

a) A ce que les revenus du malade soient employés à adoucir son sort et


à accélérer sa guérison ;
b) A ce que ledit individu soit rendu au libre exercice de ses droits
aussitôt que sa situation le permettra.
Ce curateur ne pourra pas être choisi parmi les héritiers présomptifs
de la personne placée dans l'établissement.
J. — Enfin, les chefs, directeurs ou préposés qui retiendraient une per-
sonne, dès que sa sortie a été ordonnée par le préfet ou le tribunal, ou

par la famille, ou, enfin, quand sa guérison est constatée par le médecin,
seraient des de l'article 120 du Code pénal, réprimant la
passibles peines
détention arbitraire, c'est-à-dire de six mois à deux ans de prison et de
16 à 200 francs d'amende.

Insuffisance et de la loi de 1838. — On a constater


critique pu
combien les prises par la loi pour éviter les séquestrations
précautions
arbitraires sont nombreuses et minutieuses. Elles occupent, à elles seules,
plus de la moitié des articles.
Comment dès lors, de l'aveu de presque toutes
peut-on, expliquer que,
les personnes les garanties la loi de 1838 donne à la li-
compétentes, que
berté individuelle ne soient suffisamment efficaces ? Comment se fait-
pas
il que des internements arbitraires, non pas fréquents, mais encore trop
578 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

nombreux, puissent seproduire, comme en font foi trop souvent, non


seulement les faits divers des journaux et les campagnes de presse, mais
encore les comptes rendus judiciaires?
C'est que les rédacteurs de la loi de 1838 ont commis une fâcheuse
erreur. La plupart des garanties qu'ils ont édifiées sont postérieures à
l'internement au lieu de le précéder. Ils ont accumulé les prescriptions
visant la constatation de l'état des internés et les facilités à donner à leur
remise en liberté. Mais ces mesures sont trop souvent illusoires. Une fois

que le prétendu aliéné aura été enfermé, à la demande peut-être d'héri-


tiers cupides ou d'un conjoint désireux de s'en
débarrasser, il lui sera
bien difficile d'obtenir son élargissement. Les décisions à prendre à cet

effet par les médecins et l'Administration impliqueraient souvent la recon-


naissance d'une erreur commise, parfois l'incrimination de fonctionnaires
ou de confrères en l'art médical. On hésite donc à les prendre et on s'at-
tache, de préférence, généralement d'ailleurs de très bonne foi, dans l'exa-
men du prétendu malade, plutôt aux symptômes qui peuvent justifier le
maintien de l'internement qu'à ceux qui feraient apparaître cette mesure
comme illégale.
Au contraire, les précautions antérieures au placement se réduisent,
nous l'avons vu, à la production de certaines pièces. Au fond, elles con-
sistent exclusivement dans le certificat médical. Or, ces certificats, qui n'ont
même pas besoin d'être délivrés par un
la psychiâtrie,
spécialiste s'ob- de
tiennent, surtout dans les grandes villes, trop facilement. Les praticiens
qui les délivrent ne connaissent souvent le malade que par les explications
que leur ont fournies les demandeurs en internement. Ils sont rédigés le

plus souvent, s'il faut en croire M. Larnaude, « de la manière la plus som-


maire ». De la sorte, aucun contrôle sérieux n'est possible. Là est évidem-
ment la lacune de notre loi. Il faut d'ailleurs reconnaître que cette lacune
a été voulue. Lors de la préparation de la loi de 1838, le projet du gouver-
nement subordonnait le placement du malade à une autorisation préalable
du préfet. La commission fit repousser toute intervention de l'autorité pu-
blique, et cela pour deux raisons. D'abord, parce qu'elle pourrait retarder
un placement parfois urgent. « Un retard de quelques jours, disait-on,
peut aggraver le mal au point d'en rendre la
guérison quelquefois impos-
sible, toujours beaucoup plus difficile ! » Et, d'autre part, la commission
voulait que la responsabilité du placement pesât sur celui qui le demande
et non sur l'autorité publique (V. Rapport de M. Vivien, Moniteur, 21 mars
1837, p. 630). On s'arrêta donc au système actuel au lieu de déplacer
qui,
les responsabilités, arrive presque à les supprimer complètement.
Ajoutons qu'une dernière critique est souvent formulée, à l'heure ac-
tuelle, non contre la loi de 1838, mais contre les errements tolérés par
l'Administration. Cette critique vise l'existence de nombreux établissements
dirigés par des médecins, et qui, quoique renfermant des fous, échappent
à toute surveillance n'ont
parce qu'ils pas été déclarés comme établissements
d'aliénés, et s'intitulent simplement maisons de santé ou établissements
hydrothérapiques. Il est bien vrai que l'article 5 de la loi de 1838 le
punit
ALIÉNATION
MENTALE 579

fait de recevoir des aliénés dans une maison de sans


santé, autorisation
administrative, d'un emprisonnement de à an et
cinq jours un d'une
amende de 50 à 3.000 francs, ou de l'une de ces deux peines. Mais il ne
semble pas que l'Administration et les tiennent bien
parquets soigneuse-
ment la main à l'application de cette disposition.

Projets de réforme. — Il y a plus de cinquante ans que la réforme de


la loi de 1838 est sur le chantier, et que l'on réclame ces
garanties indis-
pensables de la liberté individuelle qu'elle n'a su instituer.
pas
La difficulté est toujours la même :
D'une part il ne faut
trop pas les formalités
compliquer nécessaires pour
le placement ou l'isolement du malade, car, les ce pla-
d'après médecins,
cement est parfois une mesure de
urgente, impérieuse, laquelle peut dé-
pendre la guérison.
Mais, d'un autre côté, le se doit d'instituer
législateur les précautions
indispensables pour défendre la liberté de l'individu contre la cupidité ou
contre la haine possible de ses parents.
Voici quelles sont les solutions devoir concilier ces
qui paraissent deux
intérêts :
Exiger pour l'internement un certificat signé de deux médecins.
dans l'établissement aura un caractère
Le placement provisoire.
L'individu sera interrogé, à la suite de son le procureur de
entrée, par
la République.
Le tribunal statuera en chambre du conseil sur son maintien dans
l'asile.
La surveillance des établissements sera organisée d'une façon plus se-
vère et plus effective.
Enfin, il conviendrait de
protéger l'aliéné soigné dans sa
famille, en im-
posant une déclaration à ceux qui veulent conserver le malade chez eux, ou
même en les obligeant à demander une autorisation, enfin, en établissant
une surveillance de ces malades à domicile.
Ce sont des règles de ce genre qui ont été consacrées par le projet, très
étudié, dû à l'initiative de M. Dubief, qu'a voté la Chambre des députés et
qui attend l'examen du Sénat.
Il convient de signaler une variante intéressante proposée par la com-
mission de la Société d'études législatives dans la préparation du projet
mis à l'étude cette Société. Il s'agirait — car, ainsi la tutelle
par que pour
des enfants naturels, on attendrait plus d'un organe spécialisé que d'un
d'administration tel le tribunal — d'instituer
rouage générale que auprès
de chaque asile une commission à jouer un rôle capital
permanente appelée
dans les questions de placement et de surveillance des aliénés. Cette com-
mission serait présidée par un juge. Vingt-quatre heures après l'interne-
ment, un juge se transporterait auprès du malade, et ferait un rapport à la
Commission permanente, qui déléguerait un de ses membres auprès de
l'aliéné. Et ce serait le président de cette commission, c'est-à-dire le juge
à sa tête, qui statuerait sur la maintenue;
placé
580 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

SECTION II — INCAPACITÉ ET PROTECTION DES ALIÉNÉS.

Généralités. — De tous on s'est de pro-


Historique. temps, préoccupé
téger les intérêts de l'individu privé de raison, et le meilleur moyen d'y
arriver a toujours été de lui nommer un mandataire légal chargé d'admi-
nistrer son patrimoine.
Le Droit romain considérait le fou comme frappé d'une incapacité com-

plète, tant au moins qu'il était sous l'empire de la maladie. Un curateur


lui était nommé en conséquence pour veiller aux soins exigés par son étal
et pour administrer ses biens. En revanche, le fou redevenait pleinement
capable durant les intervalles de lucidité ; il pouvait alors agir seul et ses
actes étaient valables (3, 4, Inst. Just. I, 23).
Oncomprend à quelles difficultés devait donner lieu ce départ entre les

périodes de crises morbides et les intervalles de rémission. C'est très


sage-
ment que notre Droit l'a écarté, comme nous allons le voir, en établissant
une présomption d'incapacité pour le fou, interdit ou enfermé dans un
établissement d'aliénés.
C'est notre ancien Droit coutumier qui a introduit cette présomption,
avec la mesure de l'interdiction. L'interdiction était prononcée par décision
de justice, après interrogatoire de l'intéressé par le juge. Deux arrêts de
règlement du Parlement de Paris, en date des 18 mars 1614 et 23 décembre
1621, avaient prescrit et organisé la publicité de la décision. L'interdit était
placé en curatelle. Son curateur, véritable tuteur, administrait tous ses
biens en qualité de représentant légal. Quant aux actes faits par l'interdit
lui-même, le Droit coutumier admettait qu'ils étaient nuls sans que l'on
pût soutenir qu'ils avaient été passés dans un intervalle lucide (Argou,
liv. I, ch.
IX ; Meslé, Tr. des minorités, ch. XII ; Ferrière, Dict. de Droit et
de pratique, V° Interdit; Brissaud, op. cit., p. 193 et s.).
Nous avons déjà indiqué que le Code civil, suivant, les traditions de l'an-
cien Droit, avait voulu que tout aliéné fût placé en état d'interdiction, cet
état entraînant pour lui une présomption d'incapacité et la nomination
d'un tuteur. Mais nous avons dit également que la disposition du Code
réduite à l'état de simple faute de sanctions, n'avait
voeu, pas été observée,
si bien qu'une grande partie (la majorité même; des aliénés, internés ou
non, n'étaient pas l'objet d'une interdiction. La loi de 1838 établissant des
règles spéciales pour les aliénés placés dans un établissement sans être
interdits, il y a lieu d'étudier successivement la situation de trois
juridique
catégories d'aliénés :
1° Les aliénés non interdits ni internés;
2° Les aliénés interdits ;
3° Les aliénés non interdits mais internés.
ALIÉNATION MENTALE 581


§ 1. Aliénés non interdits ni internés.

Deux règles fondamentales dominent la situation juridique des aliénés


non interdits qui ne sont pas soignés, ou le sont à domicile, ou (irrégulière-
ment) dans des maisons de santé non qualifiées établissements d'aliénés.

Première règle : Preuve de au moment de l'acte. —


l'incapacité
Supposons qu'un aliéné de la catégorie qui nous occupe ait accompli un
acte juridique, et qu'il veuille ensuite, une fois revenu à la raison, en con-
tester la validité. Quelle sera la démonstration à faire? L'acte, à première
vue, n'a pas été accompli par un incapable, car il n'y a d'incapables que
ceux qui sont déclarés tels par la loi : or, il n'en est ainsi que pour les in-
terdits, et, depuis la loi de 1838, pour ceux qui ont été placés dans un éta-
blissement d'aliénés. La décision judiciaire ou administrative, qui est inter-
venue dans l'un ou l'autre cas, est la constatation officielle de la folie et de
l'incapacité. Mais s'il n'y a ni interdiction, niinternement, les actes du pré-
tendu fou, le Code civil ne s'en occupant pas, ne peuvent être nuls qu'en
vertu des principes généraux du Droit, par cette raison qu'il leur manque
cet élément essentiel, primordial de tout acte juridique, qui est la volonté
d'agir. Il faudra donc prouver que l'auteur de l'acte était fou au moment
où il a effectué l'acte critiqué. Peu importerait, à défaut de cette dé-
précis
monstration, qu'on rapportât la preuve de désordres fréquents de son cer-
veau, constituant un état habituel de démence. Cet état habituel en effet,
à le supposer démontré, n'entraîne pas une incapacité ; il n'en résulte pas,
comme cela devrait être établi pour que l'acte fût nul, que l'auteur de cet
acte s'est trouvé, au moment où il a agi, sous l'empire d'une crise morbide
et, par conséquent, dénué de volonté juridique.
On comprend aisément toutes les difficultés d'une pareille preuve. Cer-
taines plus soucieuses de la protection des intérêts du fou, ont
législations,
donc établi une règle différente. Le Code civil allemand, dans son article

105, 2e al., subordonne bien, comme nous le faisons, à la démonstration


d'un désordre concomitant à l'acte, la nullité de l'acte souscrit par une per-
sonne atteinte d'un trouble mental passager. Mais l'article 104-2° du même
Code fait résulter du trouble mental non passager, en d'autres termes de

l'état habituel de démence, une présomption d'incapacité qui dispense le


demandeur en nullité de toute démonstration autre que celle de cet état
habituel. En
cela, le Code allemand peut paraître supérieur au nôtre. En

revanche, il est défectueux, croyons-nous, en ce qu'il n'exige pas, pour


que le trouble mental non passager entraîne cette incapacité, qu'il soit
notoire. Il en résulte un danger réel pour les tiers, exposés à des nullités,
sans que rien les avertisse. La meilleure législation serait celle qui per-
mettrait l'annulation des actes de l'aliéné libre moyennant deux conditions,
la démonstration de son état habituel de démence, et la notoriété de cet
état. Mais telle n'est ait soutenu ingénieusement le con-
pas, quoiqu'on
traire, la note de M. Lacoste, S. 95.2.227). Encore
législation française (V.
582 LIVRE I, — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

une il ne suffit pas chez nous que l'aliéné libre se trouve fût-ce de la
fois,
manière la plus notoire, soumis à des troubles cérébraux fréquents, même

habituels. L'acte qu'il a fait n'en restera pas moins valable, si l'on ne peut
qu'il y a eu crise au moment de son
pas prouver accomplissement.
Reste à déterminer qui peut se prévaloir, le cas échéant, de la nullité.

Le dément seul ou son contractant avec lui? En d'autres termes, la nul-


lité est-elle relative ou absolue ? La Doctrine enseigne en général qu'elle
est absolue. En effet elle repose sur cette allégation que l'acte manque d'un
élément essentiel à son existence même, à savoir la volonté d'agir. Mais la

parait se fixer en sens contraire et n'admettre comme de-


Jurisprudence
mande d'annulation que celle qui vient du côté de l'aliéné, en la soumet-

tant, de plus, à la prescription décennale de l'article 1304, sans doute

parce qu'il ne
s'agit ici, en somme, que d'une nullité de protection. La
nullité est donc relative (Nîmes, 29 janvier 1890, D. P. 91.2.97 ; Bordeaux,
22 avril 1896, D. P. 96.2.455, S. 96.2.232, P. F. 97.2.321, note de M. Carré
de Malberg).

Seconde règle : Irrecevabilité d'une demande en nullité pour


démence formée la mort de l'individu. — Les actes d'un indi-
après
vidu qui n'a pas été interdit ne peuvent pas être attaqués, pour cause de

démence, après sa mort. Tel est le principe posé par l'article 504.
Des motifs très divers expliquent cette règle. On pourrait craindre d'a-
bord que les héritiers n'allèguent trop aisément la démence de leur auteur,
lorsqu'ils se trouvent en face d'un acte de ce dernier qui leur cause quelque
gêne ou quelque préjudice. Si l'auteur de l'acte était fou, pourquoi ne l'ont-
ils pas fait interdire de son vivant? Que penser de cette sollicitude qui né
s'éveille que lorsque le prétendu dément n'est plus là pour en bénéficier?
Ajoutons qu'une fois l'auteur d'un acte décédé, l'appréciation de son état
mental, au moment où il a agi, devient presque impossible pour le tribunal.
La complexité de ces motifs explique les exceptions que reçoit la règle
de l'article 504:
1° Aux termes de F article 504 lui-même, l'irrecevabilité de la demande
est écartée et la nullité pourra être sollicitée lorsque l'interdiction avait été

provoquée ou prononcée du vivant de l'auteur de l'acte. Dans ces cas, en


effet, les héritiers ne sont pas en faute ; la critique qu'ils élèvent actuelle-
ment contre l'acte de leur auteur échappe à toute suspicion.
On remarquera qu'il y a certaines hypothèses que la loi n'a pas envisa-
gées, et où, cependant, une exception à la règle se comprendrait tout aussi
bien. Les héritiers peuvent n'avoir pas provoqué l'interdiction du défunt de
son vivant, parce qu'alors ils étaient eux-mêmes mineurs ou absents. Ou
bien encore, la folie qu'ils allèguent ne s'est manifestée que par une crise
tout à fait
passagère. Comment, dans ces divers leur faire
cas, peut-on
grief de leur inaction? Et n'est-il pas sévère de leur dénier l'action en
trop
nullité? C'est cependant la solution découle du silence l'ar
qui gardé par
ticle 504 sur les hypothèses en question.
2° La demande en nullité sera encore recevable la de
lorsque preuve la
ALIÉNATION MENTALE 583

démence résulte de l'acte même qui est attaqué, nous dit l'article 504 in fine.
cas, se trouve en présence d'un acte dénotant
Dans le en effet ,où l'on par
lui-même l'extravagance, l'aberration de son auteur, aucune des difficultés
de preuve qui contribuent à justifier la règle de l'article 504 n'existe plus ;
cette règle doit donc être écartée.
3° Il résulte de l'article 901 ainsi conçu : « Pour faire une donation entre
vif ou un testament, il faut être sain
d'esprit » que l'article 504 ne s'applique
à titre
pas aux actes gratuit. Ces actes, donation ou testament, peuvent donc
être attaqués pour cause de démence, après la mort de leur auteur, quand
bien même ils ne dénoteraient pas l'aliénation par eux-mêmes, et quoique
l'interdiction n'ait pas été antérieurement provoquée. Cette exception qui
enlève beaucoup de son importance pratique à la règle de l'article 504, se

justifie par cette considération que les actes à titre gratuit sont ceux pour
lesquels il est le plus à redouter que des tiers peu délicats n'abusent de la
faiblesse d'esprit d'un malade. Et, pour ce qui est des testaments en parti-
culier, comme ces actes n'ont de valeur qu'à partir de la mort du testa-

teur, ils ne pourraient jamais être attaqués pour cause de folie, si l'on exi-

qu'ils le fussent seulement du vivant de leur auteur.


geait
4° Enfin, la règle de l'article 504 ne s'applique, d'après une opinion géné-
rale, actes concernant le patrimoine des aliénés. Elle reste étran-
qu'aux
aux actes concernant leur tels que le mariage, l'adoption, la
gère personne,
connaissance d'un enfant naturel, etc... (V. .cependant, pour l'adoption,
Req., 1er mai 1861, D.P..61.1.213, S. 61.1.514).

— Aliénés interdits.
§ 2.

Généralités. Division. — On définir l'interdic-


Statistique. peut
tion l'acte lequel une personne majeure est rendue incapable des actes
par
de la vie civile et sous l'autorité d'un tuteur chargé de la repré-
placée
Cette définition embrasse à la fois l'interdiction dite légale et
senter.
l'interdiction dite L'interdiction légale, on le sait, est celle qui
judiciaire.
résulte de droit de certaines condamnations dont elle a pour but de
plein
d'assurer l'efficacité répressive. L'interdiction judiciaire, ainsi
corroborer,
nommée résulte d'une décision de justice, est celle qui, dans
parce qu'elle
une pensée de protection, et non plus de répression, s'applique aux aliénés.
C'est de celle-là seule nous allons traiter. Les règles que nous allons
que
constituent d'ailleurs le droit commun de l'interdiction, car on les
dégager
à l'interdiction légale comme à l'interdiction judiciaire, chaque
applique
fois que cette n'est contraire à un texte formel ou à la na-
application pas
ture même de l'institution.
Nous avons vu la pensée dansdes auteurs du Code civil, l'interdic-
que,
tion devait la condition
constituer de tous les aliénés. La protec-
générale
tion de ces malheureux se trouvait, dès lors, assurée, puisque, d'une part,
l'internement comme normalement consécutif à l'interdiction,
apparaissait
et que, rendu de tous actes, était doréna-
d'autre part, l'interdit, incapable
comme un mineur, représenté par un tuteur.
vant,
584 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

Mais nous avons dit aussi que la pratique n'avait pas répondu aux inten-
tions du législateur. Les familles, préoccupées surtout de tenir secrète la
terrible maladie dont on connaît le caractère fréquemment héréditaire, ne
recoururent pas volontiers à l'interdiction. De nos jours, le nombre des ju-
gements qui la prononcent, s'il nediminue pas, est loin d'augmenter en

proportion du nombre des cas de folie.


Voici une statistique moyenne annuelle des demandes en interdiction :

Demandes formées
Années par les familles, par le Ministère public
1851 à 1855 587 42
1856 à 1860 647 31
1861 à 1865 744 27
1866 à 1870 700 22
1871 à 1876 687 19
1876 à 1880 767 21
1888 772 5
1900 678 8
1909 613 12

Le chiffre des demandes ne correspond d'ailleurs pas à celui des inter-


dictions. Car, dans nombre de cas, les demandeurs après avoir entamé
la procédure, puis obtenu les mesures provisoires, notamment, la nomina-
tion d'un administrateur, renoncent à pousser plus loin l'instance. C'est
ce qui a lieu le plus souvent lorsqu'il s'agit d'une demande fondée sur un
cas de démence sénile.
Nous étudierons successivement:
I. — Le mécanisme et l'organisation de l'interdiction judiciaire.
II. — de l'interdit et la sanction de cette
L'incapacité incapacité.

I. Organisation de l'interdiction. Ses conditions. — Deux ques-


tions se rattachent à ce premier point:
1° Quelles sont les causes de l'interdiction ? — L'article 489 semble in-

diquer plusieurs causes d'interdiction, car nous lisons qu'elle atteint le


majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur.
En réalité, toutes ces causes se ramènent au même fait, à savoir le déran-
gement des facultés intellectuelles rendant l'individu d'exercer
incapable
lui-même ses droits avec discernement et l'exposant, dès lors, à commettre
des actes préjudiciables à sa fortune et à sa dignité Mais —
personnelle.
et le point est — il faut et il suffit des
d'importance que cette privation
facultés intellectuelles soit l'état habituel du malade, c'est-à-dire, d'une
part, qu'il ne suffirait pas d'un dérangement de quelques accès
passager,
accidentels, et, d'un autre côté, que le dérangement des facultés intellec-
tuelles n'a pas besoin d'être continu, en
que peu importent, conséquence,
les intervalles lucides. surtout
peut-être la maladie
C'est lorsque présente
de ces intervalles le fou a le plus besoin d'être son
que protégé, parce que
état mental est moins ouvertement révélé au dehors.
ALIÉNATION MENTALE 585

Telle est la seule cause de l'interdiction ; ni la simple faiblesse d'esprit,


ni la vieillesse, ni une comme
infirmité physique, la surdi-mutité, ni la pro-
digalité, ni le désordre de la vie ne sont des causes
privée suffisantes, tant
qu'elles n'enlèvent pas à l'individu la de ses facultés mentales.
possession
Le point de savoir s'il y a ou non dérangement d'esprit, aliénation men-
tale, est d'ailleurs une pure question de fait du fond
que les juges appré-
cient souverainement par une décision dès lors,
qui échappe, au contrôle
de la Cour de cassation, du moment où elle d'une
indique façon suffisam-
ment explicite les motifs sur elle se fonde 23 février 1898
lesquels (Req.,
et 5 novembre 1900, D. P. 98.1.220 et 1900.1.24, S. 1901.1.123 et 124). Et
il n'est aucunement nécessaire la démence soit totale et affecte
que l'en-
semble des facultés de l'individu ; il suffit d'un trouble assez profond pour
que l'individu soit exposé aux dangers contre lesquels l'interdiction doit
le garantir (Req., 13 mars 1876, D. P. 76,1.343, S. 76.1.421).
On s'est demandé si un mineur être interdit. L'article
peut 489, qui
débute par ces mots « Le majeur, etc.. », paraît l'exclure, sans doute parce
que le mineur est déjà pourvu d'un tuteur ou placé sous l'autorité pater-
nelle, ce qui rend l'interdiction inutile lui. c'est
pour Cependant, l'opi-
nion contraire qui prévaut, et on admet en général la possibilité d'inter-
dire un mineur aliéné. En effet, il peut s'écouler un intervalle assez long
entre la cessation minorité et le prononcé du jugement d'interdiction.
de la
Cet intervalle pourrait suffire à l'aliéné des actes lui
pour accomplir qui
seraient préjudiciables, et dont on ne pourrait peut-être pas toujours obte-
nir facilement l'annulation Bordeaux, sol. 25
(V. impl., septembre 1910,
Le Droit, 4 février 1911).
2° Qui peut provoquer l'interdiction ? — l'article 490, peuvent
D'après
provoquer l'interdiction :
A. — Le conjoint.
B. — Tout parent quelconque jusqu'au douzième degré, et sans qu'il y
ait d'ordre hiérarchique entre les parents. On remarquera que les alliés,
même les plus proches, n'étant pas héritiers présomptifs de l'aliéné et,
dès lors, n'étant pas intéressés à son interdiction, ne sont pas admis à la
provoquer.
C. — Le procureur de la République. Mais l'article 491 limite son ini-
tiative aux deux cas suivants :
a) Si l'aliéné n'a ni parents ni conjoints; dans ce cas, le ministère public
peut provoquer l'interdiction.
b) Si l'aliéné est dangereux; alors, aux termes de l'article 491, le mi-
nistère public doit provoquer l'interdiction. Cependant, cette partie du
texte est peu appliquée aujourd'hui, et les instances en interdiction intro-
duites par l'initiative des parquets se font rares. L'article 491, en effet,
avait été écrit en un temps où l'interdiction devait précéder l'internement ;
on donc le souci de la sécurité publique, dont le ministère
comprenait que
public doit se commandât de faire toujours interdire les
préoccuper,
aliénés furieux. Mais, la loi de 1838, l'internement pouvant être
depuis
ordonné sans interdiction, le parquet se contentera le plus souvent de cette

DROIT. — Tome I, 38
586 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

mesure. Cependant, il aurait encore le devoir de demander l'interdiction,


s'il paraissait qu'elle fût utile aux intérêts de l'aliéné (Req., 23 juillet 1903,
D. P. 1904 1.138, note de M. Planiol, S. 1904.1.217, note de M. Naquet).

Procédure de l'interdiction. — La de l'interdiction,


procédure réglée,
non seulement par le Code civil (art. 492 à 501), mais par certaines disposi-
tions du Code de procédure civile (art. 890 à 897), est combinée avec soin,
de manière à empêcher qu'une décision ne
prise soit
légèrement et sans

garanties pour le prétendu fou. Elle comprend deux phases: la première,


non contradictoire etsecrète, la seconde, contradictoire et qui se termine

par un jugement rendu en audience publique.


Première — 1° Le demandeur adresse au du tribunal
phase. président
une requête,
accompagnée de pièces justificatives (art. 493, C. civ. et 890,
C proc. civ.). Cette requête contient des articulations, c'est-à-dire l'indi-
cation précise des faits allégués comme dénotant la folie et des témoins de
ces faits.
2° Le président communique la requête au ministère public et nomme

un juge rapporteur (art. 891, C. proc. civ.).


3° Le tribunal, réuni en chambre du conseil, entend le rapport du juge
et les conclusions du procureur, puis il ordonne que le conseil de famille
donne son avis sur l'état de la personne (art. 892, C. proc. civ., 494, C. civ.).
Ceux qui provoquent l'interdiction ne peuvent faire partie du conseil
(art. 495). Cependant, le conjoint et les enfants y sont admis, avec voix
simplement consultative, si c'est d'eux qu'émane la demande d'interdic-
tion. Le conjoint plus, faire
peut, de
partie du conseil, est en
ne lorsqu'il
instance en séparation
corps contre de le prétendu dément 13 avril
(Civ.,
1910, D. P. 1911.1.46, S. 1911.1.257, note de M. Gaudemet).
4° Signification de la requête et de l'avis du conseil de famille est faite
à la personne de l'intéressé
893-1°, C. proc. (art.
civ.).
5° Il est procédé à de l'intéressé, non
l'interrogatoire point par les soins
d'un juge commis, mais par le tribunal tout entier, en chambre du conseil
(art. 496, C civ .). La loi veut en effet que tous ceux qui sont appelés à con-
courir à la décision puissent recevoir une impression de l'état
personnelle
mental de l'individu. Ce n'est qu'au cas où le malade ne pourrait se dépla-
cer qu'il y aurait lieu à interrogatoire par les soins d'un seul assisté
juge
de son greffier. Ces précautions sont louables en ce qu'elles dénotent le
souci d'un sérieux examen. Mais il est incontestable, d'autre part, qu'un
telappareil est de nature à effrayer le dément et peut influer fâcheusement
sur la marche de sa maladie.
6° Le tribunal peut, s'il y a lieu, le premier com-
après interrogatoire,
mettre un administrateur soin de la personne et
provisoire pour prendre
des biens du défendeur en attendant une solution définitive du procès
(art. 497). Cet administrateur, qui sera librement choisi le tribunal,
par
mais, en fait, sera souvent le futur tuteur, bornera son action aux actes
d'administration et, le cas échéant, à ceux d'un caractère différent que,
vu leur urgence, le jugement portant sa nomination l'autoriserait à accom-
ALIÉNATION MENTALE 587

plir. 7 mars 1924, D. P. 1925.2.25, note


paris, de M. Ripert). Il restera ep
fonctions jusqu'à la nomination tuteur auquel il rendra ses
du comptes,
s'il n'est lui-même le tuteur (art. 505).
Deuxième phase. — Si l'instance est poussée plus loin, ce qui, nous
l'avons dit, n'arrive pas elle se
toujours, déroule ensuite suivant des règles
plus voisines du droit en débutant
commun, par une assignation au défen-
deur. En principe, il y aura lieu à audience publique (Civ.,. 16 février 1875,
D. P. 76.1.49, S. 75.1.193). En tout le jugement
cas, devra être rendu publi-
quement (art. 498). Il pourra être la voie de l'appel
attaqué par (art. 500,
C. civ., art. 894, C. proc. civ.).
La décision rendue le tribunal ou par la cour
par peut:
1° Prononcer l'interdiction,
2° Rejeter la demande purement et simplement;
3° Rejeter la demande d'interdiction, mais nommer au défendeur un
conseil judiciaire (art. 499).
Publicité du jugement d'interdiction — Il est nécessaire d'assurer la publi-
cité de la décision qui prononce l'interdiction, afin d'avertir les tiers de
l'incapacité dont l'aliéné est désormais atteint.
Le Code civil y pourvoyait dans l'article 501, en ordonnant l'affichage
de la décision dans l'auditoire du tribunal et dans les études des notaires
de l'arrondissement. Mais cette publicité (qui est d'ailleurs humiliante
pour les familles) a le défaut d'être très insuffisante, car l'interdit peut
se livrer à des opérations qui ne concernent pas les notaires, et, de plus,
les personnes en relations avec un individu ignorent l'arrondissement où
on peut se renseigner sur une situation qui leur inspirerait des doutes. La
loi du 16 mars 1893 a donc, en complétant l'article 501, organisé un mode
nouveau et très pratique de publicité, appuyé sur le lieu de naissance de

l'individu, qu'il est toujours facile de connaître en demandant à celui


dont on soupçonne l'incapacité un extrait de son acte de naissance. Un

registre spécial des interdictions est, en conséquence, institué au greffe


du tribunal de chaque arrondissement. Sur ce registre, dont toute per-
sonne peut communication et se faire délivrer copie, sont men-
prendre
tionnées toutes les décisions d'interdiction concernant les individus nés
dans l'arrondissement. Celles qui ont trait aux individus nés hors de France
sont portées au du département de la Seine. De la sorte, rien
registre
n'est désormais plus facile que de se renseigner.
D'ailleurs, on la publicité nouvelle s'ajoute à celle
remarquera que
qu'avait prescrite le Code civil sans lasupprimer.
Plusieurs achèvent d'assurer la publicité voulue
règles complémentaires
par le législateur.
C'est à l'avoué a obtenu l'interdiction qu'il appartient de faire par-
qui
venir la décision greffier au chargé du registre. La garantie d'exécution
des formalités dabord, une amende de 50 francs contre l'a-
requises est,
voué ou le greffier ou contre l'un et l'autre, en cas de défaut de publicité
(art. 501, dernier al.).
En second de l'interdit, dont l'interdiction est demeurée
lieu, l'incapacité
588 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

occulte, reste néanmoins complète et opposable aux tiers qui traitent


avec lui; mais ceux-ci, trompés par le défaut de publicité, auront un
recours en dommages intérêts contre l'avoué ou le greffier.
En troisième lieu, le demandeur en interdiction doit, lui aussi, veiller à

l'affichage du jugement prescrit par le 1er alinéa de l'article 501, sous

d'engager sa responsabilité à l'égard des tiers.


peine
Enfin, le tuteur est, de son côté, tenu d'assurer l'accomplissement des
formalités requises, et s'il ne le fait pas, les tiers lésés peuvent lui récla-
mer des dommages intérêts (Req., 7 juin 1896, D. P. 96. 1.448).

Tutelle de l'interdit. — L'effet de l'interdiction est de placer


principal
l'interdit en tutelle. La loi nous dit que les règles relatives à la tutelle des
mineurs s'appliqueront à celle des interdits (art. 505, 509). Il s'en faut ce-

que cette transposition soit complète. Et il y a entre les deux tu-


pendant
telles les différences suivantes :
1° Tandis que la tutelle des mineurs est tantôt dative, tantôt légale, tan-
tôt testamentaire, celle des interdits esttoujours dative, c'est-à-dire déférée
par le conseil de famille. L'article
effet, « qu'il 505 dit, en
sera pourvu à
la nomination d'un tuteur ». Le Tribunat avait demandé qu'il y eût tutelle
légale, lorsque l'interdit a des ascendants, et il proposait, en conséquence,
d'effacer le mot nomination du texte de l'article 505 (Fenet, t. X, p. 701-
702). Mais le mot fut maintenu.
On remarquera que le conseil de famille appelé à choisir le tuteur de
l'interdit est, d'après l'article 505, celui que déterminent les règles du litre
de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation. En conséquence, si le défen-
deur est un enfant naturel, le conseil de famille appelé à donner son avis
sur l'interdiction et à désigner le tuteur sera, non pas le tribunal, nonobs-
tant la loi de 1907, mais un conseil composé conformément aux articles 494
et 495, c'est-à-dire ne pouvant comprendre, en dehors du père et de la
mère et des frères et soeurs, que des amis (Bordeaux, 25 1910,
septembre
précité).
Le principe qu'il n'y a pas de tutelle des interdits une
légale comporte
seule exception. En vertu de l'article 506, le mari est, de droit, tuteur de la
femme interdite. La raison de cette exception c'est que, sous presque tous
les régimes matrimoniaux, et même, en fait, le plus souvent, sous le ré-
gime de la séparation de c'est le mari de la
biens, qui administre les biens
femme ; il est naturel qu'il continue à le faire après l'interdiction. D'ail-
leurs, si les pouvoirs tient du contrat d'un sont étendus
qu'il que ceux plus
tuteur, sa nouvelle ne les diminuera
qualité pas ; il continuera donc à
administrer les biens de la femme comme mari. Mais les actes ne
qu'il
pouvait faire qu'avec le concours de sa femme requerront, dorénavant,
l'autorisation du conseil de famille et, suivant les cas, l'homologation du ;
tribunal.
Etant donnés les motifs de l'article on doit décider le mari ne
506, que
serait pas tuteur légal, si, au moment de l'interdiction, les époux étaient
séparés de corps.
ALIÉNATION MENTALE 589

Si on suppose que c'est le mari qui est interdit, la femme n'est sa


pas
tutrice de droit ; mais l'article 507, devançant en cela la réforme qui a
rendu les femmes aptes à la tutelle, décide que l'épouse être nom-
pourra
mée tutrice du mari. Pour remplir ses fonctions comme telle, elle n'aura
pas besoin d'être autorisée ; en effet, les actes qu'elle accomplit ne l'obligent
pas personnellement, et nous avons vu que les incapables peuvent valable-
ment accomplir les actes de représentation d'autrui. Bien plus, si, avant
l'interdiction, l'administration de ses biens personnels appartenait au mari,
la femme assumera cette administration en tant que représentant son
propre mandataire légal, et elle pourra ainsi passer, sur ses propres
biens, comme tutrice, des actes qu'elle n'aurait pas eu le droit de faire
auparavant.
L'article 507 ajoute que le conseil de famille, en désignant la femme
comme tutrice, peut régler la forme et les conditions de l'administration, et
que la femme qui se croirait lésée par l'arrêté de la famille aura un recours
devant les tribunaux. Il y a ici une dérogation au droit commun (art. 883,
C. proc), en ce que la femme peut toujours déférer au tribunal la délibé-
ration du conseil de famille, même si elle a été rendue à l'unanimité. Le
grief qu'elle est recevable à invoquer ne serait pas de n'avoir point été
désignée comme tutrice, car le choix du conseil de famille est souverain ;
mais la femme, si elle a été choisie pour tutrice, pourrait se plaindre de
ce que cette assemblée aurait trop restreint ses pouvoirs, ou fixé à une
somme trop minime le chiffre des dépenses courantes.
2° La tutelle des mineurs a pour effet de domicilier le pupille chez son
tuteur. Au contraire, en cas d'interdiction, le conseil de famille détermine
si l'aliéné sera soigné à son domicile, dans une maison de santé ou dans
un hospice (art. 510). Le tuteur n'est donc jamais forcé de le recevoir chez lui.
3° Le tuteur de l'interdit reçoit de la loi une mission qui n'incombe pas
au tuteur du mineur, c'est de recevoir les comptes de l'administrateur provi-
soire.(art. 505).
4° L'usage des revenus n'est pas le même sous les deux tutelles. Les reve-
nus du mineur, en dehors des dépenses courantes, doivent être places.
Ceux de l'interdit doivent être essentiellement employés à adoucir son
sort et à accélérer sa guérison (art. 510).
5° Aucune libéralité ne peut être par le tuteur
faite d'un mineur au nom
de son Au au cours de la tutelle d'un interdit, en cas de
pupille. contraire,
mariage d'un de ses enfants, l'article 511 porte que la dot et les conventions
matrimoniales seront réglées par le conseil defamille, avec homologation
du tribunal. Il n'est tout à fait correct d'ailleurs de dire que le conseil
pas
de famille les conventions matrimoniales, car celles-ci sont débattues
règle
futurs eux-mêmes, mineurs (art. 1398). Ce qu'il
par les époux fussent-i1s
faut retenir de l'article 511, c'est que le conseil de famille peut faire à l'en-
fant une donation prise sur le patrimoine de l'interdit, à titre de dot (ce
lui en fait d'influer sur les conventions matri-
qui permettra grandement
Et on admet sans difficulté qu'il peut user de ce pouvoir même
moniales).
quand il s'agit d'établir l'enfant autrement que par mariage.
590 LIVRE I. — TITRE III. - PREMIÈRE PARTIE

6° Le tuteur du mineur ne peut résigner ses fonctions, en dehors des


cas d'excuse. Au contraire, le tuteur d'un interdit, étant donné ne
qu'on
peut lui imposer une charge indéfinie, a le droit de demander et devra
obtenir son remplacement au bout de dix ans. Sont cependant privés de cette
faculté l'époux, les ascendants ou les descendants de l'aliéné, à qui leur
proximité fait un devoir de supporter jusqu'au bout le fardeau de la tu-
telle (art 508).

Mainlevée de l'interdiction. — « L'interdiction cesse, l'ar-


porte
ticle 512, avec les causes qui l'ont déterminée », c'est-à-dire en cas de
guérison de l'interdit. Mais il faut que cette guérison soit constatée par
un jugement dit de mainlevée, lequel sera prononcé en observant les
mêmes formes que celles qui ont été suivies pour arriver à l'interdiction.
Il y a cependant cette différence que l'interdiction peut être poursuivie par
le conjoint, les parents et le ministère public dans certains cas, tandis que
la mainlevée peut être certainement demandée, non seulement par les
mêmes personnes, mais encore par l'interdit lui-même. Malgré ces facili-
tés, le nombre des jugements de mainlevée est extrêmement restreint. Il
ne s'est élevé qu'à 45 en 1900, à 47 en 1905.
« L'interdit reprend ses droits à partir du », l'ar-
jugement porte
ticle 512 in fine. Cette disposition, étant favorable, doit être prise à la lettre,
et il ne faut point, dès lors, attendre, l'appliquer, pour que la décision
judiciaire soit passée en force de chose jugée. Si donc l'interdit vient à
mourir une fois le jugement rendu, mais dans le délai d'appel et avant que
l'appel ait été interjeté, les actes faits par lui depuis le jugement doivent
être néanmoins tenus pour valables (Cass, Belgique, 29 novembre 1900,
S. 1902. 4. 17, note de M. Lacoste).

II. Incapacité de l'aliéné interdit. Etendue de —


l'incapacité.
L'incapacité de l'interdit, reposant sur une présomption d'insanité per-
manente, est plus étendue, plus radicale celle du mineur. Aux termes
que
de l'article 502, elle s'étend en effet à tous les actes au
postérieurs juge-
ment d'interdiction.
Ainsi, d'une part, il n'y a pas à distinguer suivant l'acte a été fait
que
ou non dans un intervalle lucide. II devra être annulé. C'est
toujours pré-
cisément pour éviter des difficultés de inextricables, relativement
preuve
à l'état mental du malade au moment de l'accomplissement de l'acte, que
la loi a érigé une présomption d'insanité à partir du
qui, jugement, plané
sur tous ses actes. Cette présomption, étant l'une de celles sur le fonde-
ment desquelles « la loi annule certains actes est absolue et ne com-
»,
porte aucune preuve contraire (art. 1352, 2e al.).
D'un autre côté, il n'y a pas lieu ici, comme le de faire
pour mineur,
des distinctions-suivant les actes de l'incapable. On se souvient le
que
mineur est capable d'accomplir un assez nombre du mo-
grand d'actes,
ment qu'il est parvenu à un degré de développement intellectuel suffisant.
tous les actes d'administration a passés demeurent
Notamments qu'il
ALIÉNATION MENTALE 591

valables, du moment qu'ils ne lui causent pas une lésion. La formule ab-

solue de l'article 502 ne fait pas ces distinctions, incompatibles d'ailleurs


avec les motifs sur lesquels se fonde l'incapacité de l'interdit. La règle est

donc que l'interdit ne peut plus faire aucun acte juridique. Et,ce ne sont

pas seulement les actes qu'il passe qui sont annulables. Ce seront aussi
tous les actes que les tiers auront accomplis à son encontre, tels que signi-
fications, interruptions de prescription, etc..

N'y a-t-il pas lieu cependant de faire exception pour certaines catégories
d'actes : 1° ceux pour lesquels la représentation est impossible, comme le

mariage, le testament; 2° ceux qui exigent une appréciation personnelle


de l'intéressé peu compatible avec l'idée de représentation légale, tels que

l'adoption, la reconnaissance d'un enfant naturel, l'action en divorce, en


désaveu de paternité ; .3° ceux enfin qui sont interdits au tuteur, comme
la donation entre-vifs? Etant donné que l'incapacité de l'interdit est,
comme celle du mineur, une incapacité d'exercice et non de jouissance,
an irait, semble-t-il, contre l'esprit de la loi, qui s'inspire d'une pensée
de protection et, dès lors, de bienveillance envers l'aliéné interdit, en

considérant a celui-ci comme d'accomplir les actes en


priori incapable
Au de vue purement textuel, on peut dire que la règle
question. point
de l'article 502 doit se combiner avec celle des articles 450 et 509, d'où
il résulte l'interdit doit être représenté par le tuteur pour les actes
que
qu'il est incapable d'accomplir. Là donc où la représentation est impos-
ne doit-on admettre que l'acte fait par l'interdit serait valable,
sible, pas
à la seule condition d'avoir été accompli dans un intervalle lucide

Cette car elle donne lieu à une


question, plus classique que pratique,
très abondante, ne laisse pas de présenter une cer-
jurisprudence peu
taine complexité.
Il convient, de se demander quelle est la limite des pouvoirs
d'abord,
de représentation au tuteur de l'interdit. Il y a cer-
quiappartiennent
taines notamment, dont l'exercice apparaît comme impliquant
actions,
à sur des toutes personnelles. Le tuteur
une décision prendre questions
Nous citerons l'action en divorce ou en séparation de
peut-il les exercer?
et l'action en désaveu de paternité. La loi ne s'est prononcée que
corps
l'action en de L'article 307, 2° alinéa, permet au
sur séparation corps.
de de présenter la requête et de suivre l'instance, avec
tuteur l'interdit
du conseil de famille. Mais, du silence gardé sur le Code
l'autorisation
on conclut ni le tuteur ni l'interdit ne
en ce qui concerne le divorce, que
le demander. En revanche, et bien la loi n'ait rien dit non
peuvent que
plus de ces la Cour de cassation admet le tuteur d'un inter-
actions, que
dit intenter en son nom une action en nullité de mariage (Civ.,
peut
26 février D. P. 90.1.290, S. 90.1.216), ou en désaveu de paternité
1890,
(Civ., 24 juillet 1844, D. P. 44.1.424. S. 44.1.626).
En second une fois déterminée la catégorie des actes dans lesquels
lieu,
la représentation de l'incapable son tuteur est impossible, on doit
par
ne être par l'interdit à
se demander si ces actes pourront accomplis
lucidité. Certains auteurs ont soutenu l'aptitude de
ses moments de
592 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIEME PARTTE

l'interdit à les accomplir tous, même les donations et les testaments,


dans un intervalle lucide. Ils se sont fondés, notamment en ce qui con-
cerne les libéralités, sur le texte de l'article 901 qui, exigeant chez le do-
nateur la seule condition d'être « sain d'esprit », semble faire de sa capa-
cité une question de fait à trancher dans chaque hypothèse et sans qu'il
y ait à se demander s'il est ou non interdit.
Mais cette opinion excessive doit être écartée. jamais Il n'est
indispen-
sable pour un interdit de donner ou de tester. La loi, dans l'article a
511,
pourvu au seul cas où il serait désirable qu'il pût faire une libéralité, à
savoir celui où il s'agit d'établir un de ses enfants, et cet article décide que
la donation sera faite par le conseil de famille sans distinguer suivant
qu'il y a ou non intervalle lucide. Quant au texte de l'article 901, il n'a
pas la signification qu'on lui prête ; loin de restreindre les effets de l'in-
terdiction, il a pour but de permettre la critique des libéralités faites par
l'aliéné non interdit, même après sa mort. Donc, une donation ou un
testament émanant d'un interdit, même dans un intervalle lucide, seront
nuls. C'est en ce sens qu'a statué un arrêt de la Cour de Nancy du
8 mai 1880 qui, à propos du testament fait par un interdit légal, déclare
que l'article 502 C. civ., ne distinguant pas, s'applique à tous les actes
pécuniaires quels qu'ils soient, c'est-à-dire aux testaments comme aux
donations entre-vifs, même à ceux
que l'on prétendrait avoir été accom-
plis dans un intervalle lucide. Il est vrai que cet arrêt a été cassé par un
arrêt de la Chambre Civile du 27 février 1883 (D. P. 83.1.113, S. 84.1.65,
note de M. Villey), mais uniquement parce que la Cour de Nancy avait as-
similé la condition de l'interdit légal à celle de l'interdit judiciaire. Et on
conçoit en effet
que le testament d'un interdit légal puisse être valable,
puisque cet acte," efficace seulement après sa mort, ne porte pas atteinte à
l'application de la peine dont l'interdiction légale n'est que l'un des aspects.
Est-ce à dire qu'il ne faille faire à l'incapacité de l'interdit
exception judi-
ciaire pour aucun acte de caractère patrimonial? Non assurément. Il y a
en effet toute une catégorie d'obligations que l'interdit peut valablement
assumer. Ce sont celles qui résultent de ses délits ou de ses quasi-délits.
S'il les a accomplis dans un intervalle lucide, sa responsabilité sera en
jeu, conformément au principe formulé le mineur 1310
pour par l'article
et que l'équité comme le bon sens commandent de généraliser. Les me-
sures établies pour la protection de l'incapable ne doivent lui
pas permettre
de nuire impunément à autrui, fait il a conscience de la faute
lorsqu'en
qu'il commet (Crim., 29 novembre 1902, S. 1904.1.301).
Restent alors les actes ceux un inté-
extra-patrimoniaux, qui présentent
rêt moral autant ou plus qu'un intérêt re-
pécuniaire, adoption, mariage,
connaissance d'enfant naturel, etc. Pour ceux-là, la semble
Jurisprudence
hésitante. On trouve un arrêt belge décidant tous les actes de l'interdit,
que
sans distinction, y compris le mariage, sont nuls 21 fé-
(Cass. Belgique,
vrier 1895, S. 97.4.6). Au contraire, la Cour de Lyon a décidé que l'auteur
d'un testament peut un intervalle
valablement, pendant lucide, pardonner
l'injure grave d'un légataire et, par là, redonner force et vigueur à une
ALIÉNATION MENTALE 593

disposition du testament dont cette injure aurait dû entraîner la révocation


(Lyon, 14 janvier 1870, D. P.
76.5.272). Et l'on est à peu près unanime
pour admettre la validité de la reconnaissance d'enfant naturel effectuée par
un interdit pendant une période de lucidité.
Mais c'est surtout relativement au mariage que la controverse a été vive.
Ici interviennent des considérations
arguments spéciaux. et des
D'une
l'article 174 du Code civil permet de fonder une au mariage
part, opposition
sur l'état de démence d'un futur époux, ce qui paraît dénoter chez le légis-
lateur une pensée défavorable au mariage des aliénés. Mais, d'un autre
côté, ne serait-il point quelquefois regrettable
impossible le de rendre
mariage d'un interdit, par exemple, lorsque ce mariage a pour but la légiti-
mation des enfants qu'il aurait eus auparavant? Enfin, en matière de mariage,
n'est-ce pas une règle souvent invoquée, qu'en dehors des cas où les carac-
tères essentiels de l'institution elle-même l'exigent, il n'y a pas de nullité
sans texte? C'est cette dernière considération, si contestable soit-elle, que
nos tribunaux semblent considérer comme péremptoire et qui justifie les
décisions, assez rares à la vérité, rendues plus ou moins directement en
faveur de la validité du mariage des interdits lucides (Req., 12 novembre
1844, D. P. 45.1.98, S. 45.1.246 ; Trib. Vervins, 21 juillet 1910, D. P.
1911.5.6, S. 1911.2.125).

Caractère de la nullité des actes de l'interdit. — L'article 502 nous


dit que tous les actes
passés par l'interdit à partir du jugement d'interdic-
tion sont « nuls de droit ». Cette expression pourrait faire croire qu'ils sont
nuls d'une nullité absolue, d'autant plus que, l'interdiction établissant une

présomption d'insanité permanente, l'acte de l'interdit semble devoir logi-


quement être considéré comme manquant d'un élément essentiel de l'exis-
tence de tout acte juridique, à savoir l'intervention d'une volonté cons-
ciente d'elle-même.
Cependant, il n'en est rien. Et il suffit de rapprocher de l'article 502 les
articles 1125 et 1304, absolument formels, pour voir que la nullité des
actes de l'interdit est une nullité relative, invocable, durant l'interdiction,
seulement par le tuteur de l'aliéné, par lui-même après la mainlevée de
l'interdiction, ou par ses ayants cause. Celui qui a traité avec l'interdit
n'est de l'acte Et cet -
pas admis à réclamer l'annulation irrégulier. acte pro
duira ses effets normaux tant que l'annulation n'aura pas été prononcée
par le tribunal (Crim., 29 novembre 1902, S. 1904.1.301). Vainement on

invoque la présomption d'insanité résultant de l'interdiction, présomp-


tion qui aboutirait à l'inexistence ou à la nullité absolue de l'acte. Nous
avons vu
que cette déduction de pure logique n'est pas admise dans notre

Droit, qui considère toute incapacité de protection comme donnant lieu à


une nullité relative. Or, tel est certainement le cas de l'incapacité de l'in-
terdit.
Quel est donc le sens des mots « nuls de droit » employés par l'ar-
ticle 502? On peut les expliquer de deux façons. Ils signifient d'abord que,
obtenir l'annulation de l'acte, il suffît de démontrer qu'il est postérieur
pour
594 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIEME PARTIE

à l'interdiction et qu'on n'a pas besoin, comme lorsqu'il s'agit des actes
d'un mineur, de prouver en-outre la lésion. Et ces mots signifient encore

que la nullité doit être prononcée par le juge, sans que celui contre qui on
la demande puisse être admis à faire la preuve contraire, c'est-à-dire à
démontrer que l'interdit était dans un intervalle lucide et en possession dé
ses facultés lorsqu'il l'a accompli.
Contentons-nous signaler, de en passant, la question posée par certains

interprètes, pour le cas où, en fait, il serait possible de démontrer que racle
de l'interdit a été accompli au moment et sous l'empire d'un accès de folie.
On s'est demandé si, en ce cas, la nullité ne serait pas absolue, si, dès lors,
elle ne pourrait pas être invoquée par celui qui a traité avec l'interdit, et

par ce dernier lui-même, une fois passés les dix ans de la prescription
établie par l'article 1304. Il faut répondre négativement à ces questions.
L'idée d'une nullité absolue doit être, en tous cas, écartée, quelles que
soient les circonstances de fait, du moment qu'il s'agit d'une nullité repo-
sant sur l'aliénation mentale.

Point de de la A partir
nullité. de quel —
moment les actes
départ
de l'interdit sont-ils nuls? La loi dit que l'interdiction « aura son effet du

jour du jugement » fart. 502, in princ). Cette formule si précise et si nette


doit être appliquée à la lettre. Il en résulte les deux conséquences sui-
vantes :
1° L'effet de l'interdiction ne remonte pas au jour de la demandé. C'est
d'ailleurs la règle en ce qui concerne les jugements qui ne sont pas déclara-

tifs de droit, mais constitutifs d'un état nouveau. Ajoutons que le jugement
d'interdiction seul est entouré de publicité. La demande ne l'est pas. Rien
n'avertirait donc les tiers si le jugement avait un effet rétroactif.
2° A l'inverse, l'incapacité de l'interdit commence au jour du jugement
et dès qu'il est prononcé. Peu importe donc l'appel qui serait formé contre
ce jugement. Par dérogation au droit commun, on n'attribuera pas ici
d'effet suspensif à cette voie de recours. L'incapacité subsistera dans l'inter-
valle compris entre l'appel et l'arrêt de la Cour, quitte à prendre fin à ce
moment si l'arrêt est infirmatif. C'est la solution que commande le bon
sens, car il serait certes bien imprudent de restituer à l'aliéné sa capacité
depuis l'appel jusqu'à l'arrêt confirmatif. C'est aussi celle qui découle du
texte delà loi; car l'article 502, dans le projet, ne faisait partir l'incapacité
que du jour du jugement définitif. C'est avec intention que ce dernier mot
a été supprimé (V. note de M. Lacoste, S. 1902.4.17).

Effet de l'interdiction sur les actes antérieurs au —


jugement.
L'interdiction produit cependant, dans une certaine des effets
mesure, qui
remontent en deçà du prononcé du jugement et même de l'introduction de
la demande. L'article 503 porte, en effet, que « les actes antérieurs à l'inter-
diction être annulés, si la cause de l'interdiction le
pourront », c'est-à-dire
dérangement des facultés mentales « existait notoirement à l'époque où ces
actes ont été faits». Cette était rendue
disposition nécessaire par la manière
ALIÉNATION MENTALE 895

dont le Code a organisé l'interdiction. Celle-ci, on l'a vu, ne peut être pro-
noncée qu'à raison d'un état de démence habituel. Il est donc impossible de
mettre l'aliéné à l'abri de toute en lui faisant nommer un tuteur,
surprise
dès que se manifestent les premiers accès de sa maladie. Ses intérêts se-
raient exposés à se trouver gravement compromis, si la loi, conformément
à la règle que nous avons plus haut, rencontrée l'annulation subordonnait
des actes de l'aliéné, durant ce que nous appallerons la d'attente, à
période
la démonstration de sa folie au moment précis de l'accomplissement de
l'acte. Aussi la loi permet-elle au tuteur, une fois l'interdiction pronon-
cée, de faire tomber les actes antérieurs de l'interdit en prouvant seulement
deux choses: d'abord, que ce dernier était alors dans un état habituel de
démence, et, en second lieu, que cet état habituel était notoire. S'il y avait,
en effet, notoriété de la démence habituelle, celui qui a contracté avec l'a-
liéné a été au moins imprudent ; il est juste qu'il supporte les conséquences
de cette imprudence. en Et il sera ainsi quand bien même le contractant
n'aurait pas été personnellement au courant d'une situation qu'il devait
connaître, puisqu'elle était notoire (V. cependant Lyon, 18 novembre 1898,
D. P. 99.2,103, S. 99.2.172).
Deux observations achèveront de déterminer la portée de cet effet rétroac-
tif donné enquelque sorte au jugement d'interdiction.
1° On admet, en se fondant sur le, mot pourront employé par l'article 503,
que les saisis de la demande en nullité d'un acte antérieur à l'inter-
juges,
auront un Ils prendront, par exemple, en
diction, pouvoir d'appréciation.
considération l'existence ou l'absence d'une lésion, la bonne ou la mau-
vaise foi des tiers.
jugent bon S'ils
et le équitable, il leur sera loisible
de refuser l'annulation, quand bien même le demandeur en nullité aurait
satisfait aux deux conditions l'article 502, en démontrant à
requises par
la fois la démence habituelle et sa notoriété. Et leur appréciation, portant
sur Un de sera souveraine 7 novembre 1898, D. P. 98 1.
point fait, (Req.,
565, S. 99.1.223).
2° La nullité qui résulte de l'article 503 doit-elle, comme celle qui se
fonde sur l'article 502, atteindre non seulement les actes faits par l'interdit,
mais encore les actes faits contre lui, tels les significations, les assi-
que
lui auraient alors était dans un état
gnations que des tiers adressées, qu'il
de démence habituel et notoire ? On peut en douter à bon droit. La situation,
en effet, fois l'interdiction L'interdit
n'est pas la même qu'une prononcée.
a un contre les tiers valablement agir pour la sauve-
tuteur lequel peuvent
de leurs droits. Le candidat à l'interdiction n'est représenté par per-
garde
sonne. On ne des tiers laissent dormir leurs droits en
peut exiger qu'ils
attendant l'interdiction. un décisif contre la nullité
D'ailleurs, argument
des actes à l'encontre de l'aliéné non encore interdit se tire de
accomplis
l'article 2252. Ce texte la au bénéfice, non pas des
suspend prescription
en mais seulement qui des interdits. Le temps a couru,
déments général,
avant l'interdiction, contre l'aliéné habituel et notoire, comptera donc,
nonobstant le prononcé ultérieur de l'interdiction, dans le calcul de la

Et, cependant, en faveur de la suspension de la prescription"


prescription.
LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE
596

on les mêmes motifs qu'en faveur de l'annulabilité des


pouvait invoquer
actes des tiers, durant la période d'attente, à l'encontre de
accomplis par
l'interdit. en ce qui concerne les jugements rendus contre l'aliéné,
(V.
8 décembre 1919, Gaz. Pal 3 septembre 1920).
Limoges,

— Aliénés internés.
§ 3. simplement

ce : 1° de la de
Nous nous occuperons aussi en qui les concerne gestion
leurs intérêts ; 2° de leur incapacité et de la nullité des actes qu'ils auraient

accomplis.
I. intérêts des aliénés internés. — La loi
Gestion des simplement
du 30 juin 1838 un système évidemment défectueux. Cela tient à
organise
ce que, dans la des auteurs de la loi, l'internement devait être, au
pensée
cas où la démence se
prolongerait, le prélude de l'interdiction. En bonne

législation, étant donné que le simple internement tend à devenir en fait,


vu les préférences des familles, le régime normal des aliénés, ceux-ci, à

partir de leur placement, devraient recevoir un tuteur chargé de les repré-


senter dans tous les actes qui les intéressent. Mais cette solution n'existe,
et encore d'une manière, croyons-nous, plus nominale qu'effective, que pour
une catégorie d'aliénés, ceux qui sont placés dans un établissement public
de la Ville de Paris. La loi du 10 janvier 1849 (art. 3) confère à l'adminis-
tration de l'Assistance publique la tutelle de ces aliénés. Mais, depuis la
création d'une commission de surveillance de quinze membres pour tous
les asiles de la Seine, un membre de cette commission exerce les fonctions
d'administrateur pour les aliénés du département, si bien que
provisoire
leur condition se trouve, croyons-nous, au point de vue qui nous occupe,
assimilée à celle des aliénés des autres départements (V. Derouin et Gory,
Traité et pratique d'assistance publique, t. 1er, p. 184 à 189).
théorique
Le régime général établi par la loi de 1838 a comme caractéristique
d'instituer, pour représenter l'aliéné, un administrateur investi de pouvoirs

lequel n'est pas même toujours nommé. Et, à côté de lui.


très-incomplets,
d'autres personnes peuvent être appelées à intervenir pour des hypothèses

spéciales. Ainsi, la complication se trouve unie à l'insuffisance.

Voici, en effet, les personnes dont la loi prévoit et organise l'interven-


tion, en vue de protéger l'aliéné et de gérer ses biens. Elles peuvent être
au nombre de cinq!
1° Un administrateur dit provisoire, épithète qui révèle la prévision,
démentie par les faits, du législateur de 1838. Pour les aliénés placés dans
un établissement public, l'administration provisoire appartient de droit à
la commission de surveillance de l'établissement, qui désigne un de ses
membres pour en remplir les fonctions (L. 1038, art. 31). Pour les aliénés

placés dans un établissement privé, l'administrateur est nommé par le


tribunal du domicile de l'aliéné, à la requête d'un parent quelconque ou
du ministère public, après délibération du conseil de famille et sans que
la décision du tribunal puisse être frappée d'appel (art. 32). Mais cette
nomination n'a pas toujours lieu. En fait, les parents ne la provoquent que
lorsqu'elle leur paraît indispensable, et le tribunal, saisi d'une demande
ALIÉNATION MENTALE 597

se refuser à y faire s'il estime


de nomination, peut droit, qu'elle n'est pas
nécessaire. Ajoutons que la commission administrative des établissements
publics peut, si elle le juge à propos, se décharger de l'administration, en
provoquant la nomination par justice d'un administrateur hors de
pris
son sein.
L'administrateur provisoire n'est pas assisté par un subrogé administra-
teur. Lorsqu'il est nommé par le tribunal, il exerce ses fonctions pendant
un délai de trois ans, à l'expiration duquel elles cessent de plein droit •
mais il peut être renommé (art. 37). Le jugement qui le nomme peut, pour
la garantie de l'aliéné, instituer sur ses biens une hypothèque générale ou
spéciale soumise à inscription, pour une somme qu'il détermine (art. 34,
2e al.).
Lés pouvoirs d'un administrateur provisoire se restreignent aux actes de
conservation et d''administration. L'article 31, 1er alinéa, porte qu'il procède
au recouvrement des sommes dues à l'aliéné et à l'acquittement de ses
dettes, passe des baux qui ne peuvent excéder trois ans, et peut faire vendre
le mobilier, mais avec une autorisation spéciale accordée par le président
du tribunal civil. En dehors de ces pouvoirs très restreints, la loi du 27 fé-
vrier 1880 (art. 8) l'autorise à aliéner les valeurs mobilières, moyennant
des formalités prescrites pour cette aliénation, la com-
l'accomplissement
mission de surveillance devant jouer le rôle du conseil de famille en
ce qui concerne les aliénés placés dans un établissement public. On
admet aussi à la cession d'un office
que l'administrateur peut procéder
ministériel à l'aliéné, avec autorisation du conseil de famille
appartenant
et homologation du tribunal (Lyon, 22 juin 1865, S. 66.2.16), et il y
a controverse sur le point de savoir s'il peut procéder de même à l'alié-
nation d'un fonds de commerce. Enfin, l'administrateur provisoire re-
valablement l'aliéné dans les comptes, liquidations et partages
présente
(art. 36).
si l'aliéné est dans un établissement public, les
Ajoutons que, placé
deniers son et non employés à son usage doivent
perçus pour compte
être versés dans la caisse de l'établissement (art. 31, 2e al.), et que la loi

ne règle le placement des deniers des aliénés internés dans un asile


pas
ce qui/ certains auteurs, semble impliquer la faculté pour
privé, d'après
l'administrateur de les employer librement.
légal
On le voit, nombreux sont les actes administrateur provisoire ne
qu'un
baux à long terme, acceptation de suc-
peut pas faire (vente d'immeubles,
Pour de ces actes, la loi de 1838 a prévu,
cession, etc.). quelques-uns
comme nous le verrons, l'intervention d'un autre mandataire. Lorsqu'elle
le plus la famille de l'aliéné, le
ne l'a pas fait, qui est le cas
ce fréquent,
jour où un acte de ce genre sera nécessaire, n'aura pas d'autre moyen que
de provoquer l'interdiction.
2° Un mandataire ad litem doit être nommé à l'aliéné par le tribunal,

de plaider, soit pour poursuivre une instance engagée


lorsqu'il s'agit
avant son soit pour défendre à une action dirigée depuis
internement,
d'intenter
contre lui ,L. 1838, art. 33). La loi ne parle pas du cas où il s'agit
LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

une action au cours de l'internement. Mais on admet en général que le

tribunal peut désigner un mandataire dans les cas d'extrême urgence.


Ce mandataire peut être l'administrateur provisoire lui-même.
La loi n'a prévu l'intervention du mandataire ad litem, ainsi d'ailleurs
fait foi le terme servant à le désigner, que pour les instances judi-
qu'en
ciaires. On doit donc, croyons-nous, considérer comme mal fondées cer-
taines décisions visant la nomination d'un mandataire spécial en vue

d'accepter une succession au moins sous bénéfice d'inventaire au nom de

l'aliéné, ou encore de faire, en son


nom, l'acceptation d'une communauté
de biens (Paris, 26 janvier 1892, D. P. 92.2.87, S. 92.2.185 ; 9 août 1892,
D. P. 92.2.600, S. 93.2.47). Ces arrêts ne peuvent s'expliquer évidemment

que par le désir d'éviter la nécessité d'une interdiction. Mais, à la rigueur,


il eût été, semble-t-il, moins incorrect de faire procéder aux opérations

jugées ainsi indispensables par l'administrateur provisoire, muni d'une


autorisation spéciale du tribunal.
3°Quelquefois, les intérêts de l'aliéné interné sont confiés à un notaire

agissant comme mandataire spécial. Il en est ainsi (L. 1838, art. 36) lors-
qu'il n'y a pas d'administrateur provisoire et que l'aliéné recueille une suc-
cession. Alors, ses cohéritiers pourront demander au tribunal de désigner
un notaire qui sera chargé de le représenter dans les opérations du partage.
C'est également un notaire qui sera nommé pour représenter l'aliéné dans
la réception des comptes d'un administrateur qui cesserait ses fonctions
avant la fin de l'internement (Req , 23 mai 1882, D. P. 82.1.367, S. 93.1.97,
note de
M. Labbé).
4° L'article 38 prévoit l'intervention d'un autre un curateur,
personnage,
qui peut être nommé à l'aliéné par le tribunal, à la requête de l'aliéné lui-
d'un de ses parents ou amis, ou du ministère et
même, public, qui ne peut
pas être choisi parmi les héritiers présomptifs. Les fonctions de ce cura-
teur, qui semble être rarement employé en pratique, sont de veiller à ce
que les revenus de l'aliéné soient dépensés dans son intérêt et à ce que
l'interné soit relâché dès que son état le permettra.
5° Enfin, la Jurisprudence, il peut
d'après y avoir un administrateur pro-
visoire ad hoc. Il en est ainsi lorsque l'aliéné interne est une femme mariée.
En principe, on ne lui nomme pas d'administrateur mais il y
provisoire,
aura lieu d'en désigner un ad hoc, pour les affaires où la femme se trouvera
en opposition d'intérêts avec son mari 14 février D. P. 81.1.
(Req., 1881,
375, S. 81.1.104 .
Il conviendrait évidemment de tous ces C'est ce que
simplifier rouages.
fait le projet voté par la Chambre en 1907. Il en résulterait les inté-
que
rêts de l'aliéné interné seraient un curateur des
provisoirement gérés par
aliénés du département, désigné l'Administration sur une liste
par pré-
sentée par le tribunal civil. Le tribunal conseil de famille
ou le pourrait,
lorsqu'il y a un patrimoine de quelque importance à gérer, désigner à
l'aliéné un mandataire, qui, bien dénommé aurait tous
que administrateur,
les pouvoirs d'un tuteur, et le curateur
auprès duquel départemental
remplirait les fonctions de subrogé tuteur.
ALIÉNATION MENTALE 599

II. 1 de l'interné et nullité de ses actes —L'internement


Incapacité
de l'aliéné entraîne évidemment une présomption d'incapacité. Cette inca-
pacité s'étend-elle à tous les actes, notamment, à' ceux dont l'exercice paraît
devoir être tout personnel ? C'est la question que nous avons rencontrée
déjà pour l'interdit. Elle se pose ici encore, mais la Jurisprudence ne nous
fournit de réponse que relativement à certaines variétés d'actes. D'une façon
générale, elle ne
paraît pas admettre que l'interné puisse agir personnelle-
ment, même dans les instances qui présentent un caractère tout personnel,
comme les instances en divorce ou en séparation de corps. Dans les pro-
cès de ce genre, comme dans les autres, l'interné doit être représenté par
un mandataire ad litem (Civ., 20 mars 1878, D. P. 78.1.180, S. 78.1.305;
7 juin 1899, D. P. 1900.1.8, S. 99.1.404). Cependant on décide que l'interné
doit être personnellement mis en cause, en même temps que son adminis-
trateur provisoire, dans l'instance qui serait poursuivie en vue de son inter-
diction; 13 avril
(Paris, 1875, 75.2.233 D. P.
; Angers, 6 novembre 1899,
D. P. 1900.2.335, S. 1900.2.128). Et les significations qui lui seraient adres-
sées, à sa personne ou à son domicile, seraient valables, au moins s'il n'a
pas d'administrateur ou s'il n'a qu'un administrateur légal (Civ., 13 mars
1865, D. P. 65.1.123, S. 65.1.233).
Quant à la nullité des actes accomplis par l'aliéné interné, par exemple,
au cours d'une sortie d'essai, elle est réglée par l'article 39 de la loi de 1838,
aux termes duquel les actes faits par une personne placée dans un établis-
sement d'aliénés, pendant le temps qu'elle y aura été retenue, pourront être

attaqués pour cause de démence, conformément à l'article 1304 du Code civil.


Quel est, au juste, le caractère de la nullité ainsi prononcée ? C'est là un

point délicat et sur lequel on a beaucoup discuté.


Tout le monde est d'accord pour admettre que ce n'est pas une nullité

absolue, et qu'elle ne peut, par conséquent être invoquée par celui qui
aurait traité avec l'aliéné. Mais on se demande quelle preuve doit être ad-
ministrée, lorsque la nullité est réclamée du côté de l'aliéné. Certains au-
teurs soutiennent qu'il faut démontrer l'état de folie du dément au moment
où il a accompli l'acte critiqué (V. note de M. Lacoste, S. 95.2.225). Ce

système ne nousparaît pas S'il était


admissible. exact, le législateur, en
écrivant l'article 39 de la loi de 1838, aurait parlé pour ne rien dire, puisque
la règle qu'il aurait établie serait celle du droit commun, celle qui, nous
l'avons vu, aux actes accomplis par un aliéné qui n'a jamais été
s'applique
ni interné ni interdit. Il est évidemment beaucoup plus raisonnable de
faire résulter de l'internement, acte notoire et qui renseigne les tiers sur
l'état mental du malade, une présomption d'incapacité analogue à celle qui
résulte de l'interdiction. Et n'est-ce pas là ce que semble faire l'article 39,
nous renvoie à l'article 1304 du Code civil, dans lequel il est ques-
lorsqu'il
tion de la nullité des actes et non point par un aliéné
passés par l'interdit
quelconque ?
Nous écarterons donc la
première des règles applicables à la nullité des
actes de l'aliéné à savoir la nécessité de prouver l'état de folie au
libre,
moment de de l'acte incriminé. Nous écarterons de
l'accomplissement
600 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIEME PARTIE

même l'article 504, et nous admettrons les héritiers à critiquer les actes de
l'interné même après sa mort, sans qu'ils aient eu besoin de provoquer
antérieurement son interdiction. En effet, les motifs qui justifient cet ar-
ticle ne s'appliquent pas ici. Lorsque la famille a provoqué l'internement
du malade, on ne peut pas dire qu'elle s'est désintéressée de son état durant
sa vie, et qu'elle a attendu, pour s'en émouvoir, d'être lésée par un des
actes a pu accomplir.
qu'il
Cependant, il y a une différence entre la nullité des actes de l'interné

simple et celle des actes de l'interdit. Cette différence, qui résulte du mot

pourront employé par la loi, c'est qu'ici la nullité n'est pas encourue de
droit, en d'autres termes, que les juges, à qui on demande de la prononcer,

possèdent un certain pouvoir d'appréciation. Ils pourront se refuser à an-


nuler l'acte a raison de telle ou telle considération, par exemple, à cause de
la bonne foi du tiers avec qui l'interné aurait contracté, surtout si aucun
administrateur provisoire ne lui avait été nommé, ou, encore, à raison de
l'existence dûment démontrée d'un intervalle lucide, au moment où l'acte
a été passé.
On le voit, en somme, la présomption de folie et d'incapacité résul-
tant de l'internement n'est pas une présomption légale absolue, analogue
à celle qui découle de l'interdiction, mais une présomption relative, dont
l'application plus ou moins stricte est laissée
à la prudence et aux lumières
des magistrats. Et la nullité des actes passés par un fou simplement interné
ressemble beaucoup à celle que prononce l'article 503 pour les actes passés
antérieurement à l'interdiction, par un aliéné qui aurait ensuite étéinterdit.
CHAPITRE E

PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT

Généralités. — Nous avons vu le tribunal, saisi d'une


Historique. que
demande d'interdiction, peut, en rejetant la demande, ordonner néan-
moins, si les circonstances l'exigent, c'est-à-dire si le prétendu dément lui
apparaît comme étant non pas fou, mais faible lui nommer un
d'esprit,
conseil judiciaire, sans l'assistance duquel il ne pourra pas les
accomplir
actes énumérés par la loi (art. 499).
L'article 513 permet de recourir à la même mesure, cette fois sur de-
mande principale, envers les prodigues, dont les agissements sont on le
voit, considérés par notre loi comme l'indice d'un véritable dérangement
d'esprit.
Les statistiques démontrent que ce sont les prodigues qui fournissent le
plus fort contingent à la catégorie des personnes pourvues d'un conseil
judiciaire 1. C'est à leur sujet que le système actuel de notre Droit a besoin
d'être rattaché tout d'abord origines à seshistoriques.
Sous l'empire du Droit romain et de l'ancien Droit français, législations
dominées par le souci de la conservation des biens dans les familles, la pro-
digalité était considérée comme une véritable infirmité mentale, très voi-
sine de l'aliénation. C'est pourquoi, dans l'ancienne France, les prodigues
étaient, en principe, frappés d'interdiction judiciaire comme les aliénés.
Toutefois, il était admis que c'était là une mesure extrême, à laquelle on
ne recourait que dans des cas exceptionnels. Dans la plupart des hypothèses,
il y avait lieu à une sorte d'interdiction partielle, consistant dans la nomi-
nation d'un conseil judiciaire ou d'un autre assistant analogue. Il appartenait
aux juges de proportionner le remède à la gravité du mal. Parmi les pro-
digues, nous dit le Nouveau Denizart, reproduisant les paroles de Cochin,
« les uns sont absolument interdits de toute disposition, les autres ne le
sont que par rapport à l'aliénation des fonds ; on leur
donne un simple
conseil, sans l'avis duquel ils ne peuvent contracter; il y en a qui ne sont

gênés que dans un seul genre d'action, par exemple, à qui on défend d'en-

treprendre aucun procès sans l'avis par écrit d'un avocat qui leur est nom-

Jugements de sur sur demande


demande
nomination d'un principale
Années accessoire
conseil judiciaire
1846 à 1880 (moyenne annuelle). 363 292 71
1880 452 394 58
1900 352 306 46
1905 331 292 93

— Tome I. 39
DrcoiT.
LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE
602

mé. Le remède suivant les circonstances, et c'est la nature de chaque


change
la manière dont on doit pourvoir aux besoins de ceux à
affaire qui règle
secours sont nécessaires, » (NOUV. Denizart, t. V, V° Conseil nommé
qui ces
Cf. Merlin, V° Prodigue, § 1; Meslé, Tr. des
par justice, § 2; Répertoire,
minorités, ch. 13, p. 449, 453, 467 et suiv.).

Il est utilede remarquer d'ailleurs que l'ancien Droit organisait un autre


les dilapidations du prodigue. C'était la substitution.
moyen d'empêcher
Le père de famille en effet, par une disposition de ce genre, impo-
pouvait,
ser à son enfant la de conserver les biens qu'il lui laissait et de les
charge
rendre à sa mort à ses propres enfants ; par là, les biens grevés devenaient

inaliénables et insaisissables entre les mains du prodigue.


Le Droit intermédiaire, abolit les substitutions comme entachées
qui
aussi l'interdiction pour cause de prodiga-
d'esprit aristocratique, supprima
lité par le décret du 2 septembre 1793. Cette suppression fut implicitement
renouvelée l'acte constitutionnel du 5 fructidor an III, dont l'article 13
par
était ainsi : « L'exercice des droits de citoyen est suspendu par l'in-
conçu
terdiction cause de fureur, démence ou imbécillité ». Un
judiciaire pour
arrêt de la Cour de cassation, en date du 24 nivôse an X, interpréta ce texte

comme que les tribunaux n'avaient plus la faculté, non seule-


impliquant
ment d'interdire un mais même de recourir aux mesures dimi-
prodigue,
nutives de cette interdiction usitées sous l'ancien Droit, en plaçant sous

l'autorité d'un conseil judiciaire des personnes qui ne seraient pas en état
d'être interdites.
Lors de la rédaction du Code civil, il y eut, sur ce point comme sur beau-

d'autres, une réaction contre les idées révolutionnaires et un retour


coup
aux traditions de l'ancienne France.
D'une part, on en revint, avec, il est vrai, des restrictions très sen-

sibles, à la pratique des substitutions. Les articles 1048 et 1049 permirent


aux père et mère ainsi qu'aux frères et soeurs d'imposer à leurs enfants ou
à leurs frères et soeurs, en leur donnant leurs biens, la charge de les rendre,
à leur mort, à leurs propres enfants nés ou à naître. Cette clause, qui a
pour effet de rendre les biens inaliénables et insaisissables entre les mains
du grevé de substitution, ne doit, il est vrai, porter que sur la partie dis-

ponible des biens du donateur, et ne peut être étendue à la réserve.


En même temps, la question de l'interdiction des prodigues se posa
devant le Conseil d'État. Elle y fut longuement discutée. On contesta l'op-
portunité et même la légitimité de toute mesure restrictive de la liberté
des prodigues. La propriété, disait-on, ne comprend-elle pas le droit d'user
et d'abuser ? « Comment punir un homme parce qu'il a fait de sa chose
non pas le meilleur, non pas même un bon usage, mais enfin un usage
(qui n'étaitdéfendu, pas et qui lui convenait à lui propriétaire, maître, à ce
titre, de disposer de sa propriété selon son bon plaisir ? » Mais ce raison-
nement ne convainquit pas le Conseil d'État. L'interdiction des prodigues
fut d'abord votée. Puis, trouvant avec raison qu'il y avait exagé-
quelque
ration dans le remède, on décida qu'ils pourraient être pourvus d'un con-
seil judiciaire-, dont l'assistance leur serait nécessaire les actes les
pour
PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT 603

plus graves, et par conséquent les plus de leur


dangereux gestion patri-
moniale, à savoir « plaider, recevoir un capital mobilier et en
emprunter,
donner décharge, aliéner, grever leurs biens ». La même
d'hypothèques
faculté fut donnée aux tribunaux, dans des termes les
identiques, pour
faibles d'esprit (V. art. 499 et 513 ; Fenet, t. X, p. 684, 693, 714).
Depuis la promulgation du Code, la critique contre ses dispositions
relatives au prodigue a été reprise avec vigueur. Des juristes, reproduisant
la thèse soutenue devant le Conseil d'État, ont reproché à notre Code
d'avoir abusivement empiété sur la liberté de l'individu Rev. crit.
(Batbie,
de législation et de jurisprudence, 1866, t. 28, p. 132). Des économistes ont
affirmé que les faits de prodigalité, en amenant
simple un
déplacement de
valeurs et en favorisant la circulation des richesses, ne sont pas contraires
à l'intérêt Cours d'écon. polit., 3e éd.. t. I, nos 415, 424). Ces
social (Cauwès,
considérations ne sont pas assurément sans valeur, mais elles ne peuvent
prévaloir contre les deux raisons qui, au point de vue social, défendent,
croyons-nous, notre loi française, et qu'on peut ainsi formuler :
1° On doit considérer d'abord l'intérêt de la famille et surtout des des-
cendants, qui ont bien quelque droit à la conservation d'un patrimoine
que le prodigue tient lui-même le plus souvent de ses auteurs.
2° Le souci de la moralité publique exige que les êtres, incapables de
résister aux entraînements, soient défendus contre les tiers qui abuse-
raient de leur faiblesse et les ruineraient par des opérations malhonnêtes.
L'institution du conseil judiciaire continue donc à se justifier. Il con-
vient d'ajouter que la Jurisprudence en a, surtout dans le dernier demi-
siècle, considérablement modifié la physionomie, en s'écartant d'une ma-
nière indéniable et souvent heureuse des conceptions du Code civil .
On traitera dans deux sections successives, d'abord de la nomination
du conseil judiciaire, et ensuite de son rôle, ainsi que de l'incapacité du
prodigue ou du faible d'esprit qui en est pourvu.

SECTION I. — NOMINATION DU CONSEIL JUDICIAIRE.

Qui recevoir un conseil — Les causes de nomi-


peut judiciaire.
nation d'un conseil judiciaire sont, nous l'avons vu, au nombre de deux,
la faiblesse d'esprit et la prodigalité.
1° Il est à remarquer de faiblesse n'est pas em-
que l'expression d'esprit
ployée par l'article 499, qui se contente de dire : « En rejetant la demande
en interdiction, le tribunal pourra néanmoins, si les circonstances l'exigent,
ordonner que le défendeur ne pourra désormais plaider, transiger, etc..
sans l'assistance d'un par le même »
conseil qui lui sera nommé jugement.
La formule est donc très Elle embrasse tout individu qui, sans
large.
être d'aliénation mentale, est incapable d'administrer seul ses
frappé

1. V. Barillot, Le conseil judiciaire d'après la loi et la Jurisprudence, thèse,


Paris, 1907,
604 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIEME PARTIE

biens, soit parce que ses facultés sont insuffisamment développées, soit

parce qu'il est atteint d'une infirmité grave, surdité, ivrognerie, soit parce
que son grand âge a affaibli son intelligence. De même, la monomanie

processive peut être une cause de nomination d'un conseil judiciaire (Tou-
louse, 21 juillet 1909, S. 1910.2.43).
On remarquera d'ailleurs que les intéressés pourraient ne pas conclure
subsidiairement à la nomination du conseil
judiciaire, au cours d'une pro-
cédure d'interdiction, seule marche que le Code semble prévoir, mais in-
tenter directement une demande à cet effet.
2° La prodigalité, visée par l'article 513 comme seconde cause de dation
d'un conseil judiciaire, consiste à anéantir son patrimoine par des dé-

penses disproportionnées. La
Jurisprudence fournit, quant à la définition
du prodigue, quelques indications de principe qui ne nous paraissent pas,
d'ailleurs, avoir une portée absolue. Ainsi, des pertes subies dans des spé-
culations ne seraient pas une cause de nomination d'un conseil, lorsque
Pintéressé ne s'est livré à aucune dépense folle et déraisonnable (Paris,
25 mars 1897, D. P. 97.2.287, S. 98.2.49). De même, des dépenses inutiles
et désordonnées, qui, vu la grande fortune de l'intéressé, n'égaleraient
pas encore ses revenus, ne sauraient donner lieu à nomination d'un conseil
judiciaire (Paris, 31 janvier 1894, D. P. 94.2.233, note de M. Planiol,
S. 95.2.84).
Le plus souvent, personne laà qui on nomme un conseil judiciaire est
un majeur jouissant de la capacité juridique. Mais il y a des cas où il est
utile de donner un conseil judiciaire même à un incapable. Rien ne met
obstacle à ce que cette nomination soit alors sollicitée.
A. — Il en sera ainsi d'abord pour les mineurs à la veille de leur majorité.
B. — En second lieu, la femme mariée peut, malgré la nécessité de l'au-
torisation maritale, avoir besoin d'un conseil judiciaire. il se peut En effet,
qu'elle soit mariée sous un régime, tel que la séparation de biens, qui lui
confère une certaine indépendance, dont elle abuse pour faire des dé-
penses exagérées chez ses fournisseurs. Et, de plus, il se peut que le mari,
loin de la retenir, la pousse lui-même à la dépense. Aussi, la Jurispru-
dence admet-elle avec raison :
a) Que le tribunal peut nommer un conseil judiciaire à la femme sur la
demande de son mari ; dans ce cas le conseil judiciaire être, soit le
pourra
mari lui-même, soit un tiers (Paris, 20 avril 1875, D. P. 76.2.238, S. 75.2.
138).
b) Que le tribunal peut nommer un conseil à la femme contre
judiciaire
le gré de son mari, ou encore maintenir un conseil à une fille ou à une
veuve prodigue qui se marie. Dans ces divers cas, le conseil sera évidem-
ment un autre que le mari (Poitiers, 18 mai 1881, D. P. S. 83.2.8).
82.2.247,
Les arrêts précités décident très justement l'article 506 du Code
que
civil, aux termes duquel le mari est, de droit, tuteur de sa femme interdite,
ne s'applique pas au conseil judiciaire, existe une différence
parce qu'il
essentielle, d une part, entre la situation de l'interdit, de toutes
incapable
espèces d'actes, et celle du prodigue, et, d'autre entre la fonction du
part,
PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT 605

et celle du conseil judiciaire. Le conseil est donc


tuteur judiciaire toujours
datif.

Comment est nommé le conseil — Les


judiciaire. personnes qui
peuvent provoquer la nomination d'un conseil judiciaire sont les mêmes
que celles qui peuvent demander l'interdiction, c'est-à-dire tous les parents
du prodigue, son conjoint, ou le ministère public (art. 514).
La procédure de la demande est également empruntée aux rela-
règles
tives à l'interdiction (art. 514). Elle comporte, notamment, un avis ducon
seil de famille et
l'interrogatoire- du défendeur par le tribunal tout entier.
Par son jugement, le tribunal désigne librement le conseil judiciaire
soit parmi les parents, soit parmi les étrangers.
En cas d'urgence, le tribunal peut nommer un conseil judiciaire provi-
soire, de même qu'il peut désigner un administrateur provisoire en cas de
demande en interdiction (art. 514 et 497). Cette désignation d'un conseil
provisoire paraît fréquente dans la pratique (Civ., 29 avril 1885, D. P. 85.
1.375, S. 86.1.157; Nancy, 27 janvier 1900, P. F. 1901.2.305, note de
M. Kahn),
Le jugement est rendu public de la même façon que celui qui prononce
l'interdiction (art. 501 modifié par la loi du 16 mars 1893). On comprend
en effet
que la publicité est d'autant plus utile qu'aucun signe extérieur ne
révèle au public l'incapacité dont est frappé le prodigue.
Enfin, le jugement produit son effet, c'est-à-dire entraine l'incapacité du

prodigue, comme le jugement d'interdiction, à partir de son prononcé


(art. 502). Et il en sera ainsi alors même que le jugement aura été frappe
d'appel.
La loi ne dit rien de particulier sur les caractères de la fonction du con-
seil judiciaire, et la Jurisprudence a dû suppléer à ce silence. Elle admet,
sans difficulté, que les fonctions du conseil judiciaire sont gratuites comme
celles du tuteur. En revanche, on trouve des décisions portant qu'elles ne
sont un mandat être décliné, -
pas obligatoires, pouvant toujours lorsqu'au
cun texte ne l'impose formellement (V. Trib. Nancy, 30 avril 1868, D. P.

69.2.200, S. 70.2.184).

SECTION II. — FONCTIONS DU CONSEIL JUDICIAIRE ET INCAPACITÉ


DU PRODIGUE OU DU FAIBLE D'ESPRIT

Le du Code civil. — Le du Code civil, tel qu'il avait


système système
été conçu par ses rédacteurs, peut se ramener aux trois propositions sui-
vantes :
1° Le conseil à la différence d'un tuteur, ne représente pas le
judiciaire,
prodigue ou le faible Une fait En cela il ressemble
d'esprit. que l'assister.
au curateur d'un mineur Seulement, il y a entre lui et ce cura-
émancipé.
teur cette différence essentielle, côté du curateur, les pouvoirs de haute
qu'à
tutelle interviennent la protection du mineur émancipé. Ce dernier
pour
606 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

ne peut accomplir les actes les plus importants de la gestion de son patri-
moine qu'avec l'autorisation du conseil de famille, parfois même l'homo-
logation du tribunal. Au contraire, l'assistance du conseil judiciaire, lors-
qu'elle est nécessaire, est toujours suffisante pour valider les actes du

prodigue. Ajoutons que le conseil judiciaire n'est pas appelé à manier des
deniers appartenant à celui qu'il assiste. C'est pour cela que la loi n'a pas
établi d'hypothèque légale sur ses biens, pas plus que sur ceux du cura-
teur d'un mineur émancipé.
2° La loi énumère limitativement les actes lesquels la personne
pour pour-
vue d'un conseil judiciaire se trouve désormais incapable seule. Il y
d'agir
a donc, entre l'incapacité de celle-ci et l'incapacité du mineur émancipé,
une seconde différence essentielle.
l'émancipé, Pour
qui est un mineur,
l'incapacité est la règle et la capacité : donc, lorsque la loi ne se
l'exception
prononce pas formellement pour un acte déterminé-, c'est l'incapacité qui
doit être présumée. Au contraire, pour les prodigues ou les faibles d'es-
prit, qui sont des majeurs, la capacité est la règle, l'incapacité est l'exception.
En cas de silence de
loi, on doit la se prononcer en faveur de la capacité.
(V. Civ. 15 janvier 1908, D. P. 1909.1.105, note de M. Binet, S. 1909.1.357).
3° La demi-incapacité de l'individu pourvu d'un n'existe
conseil judiciaire
qu'à partir du jugement. Elle ne remonte pas à une époque antérieure. On
ne rencontre en effet à propos du conseil judiciaire aucune ana-
disposition
logue à celle de l'article 503, que nous avons vu attacher un certain effet
rétroactif au jugement d'interdiction.
Mais nous ne tarderons pas à voir combien la a élargi ou
Jurisprudence
déformé les trois règles que nous venons d'indiquer.

Actes pour lesquels le Code exige l'assistance du conseil judi-


ciaire. — Voici donnée les
l'énumération, par articles 499 et 513, des actes
que le prodigue ou le faible d'esprit ne peut sans l'assistance de
accomplir
son conseil judiciaire.
1° — est naturellement interdit au
Emprunter. L'emprunt prodigue
comme un acte essentiellement lui, étant données les dispo-
dangereux pour
sitions dont il a fait preuve. Il n'y a pas de distinction à faire suivant le
plus ou moins d'importance de non suivant la forme
l'emprunt, plus que
employée pour le réaliser. la signature d'un billet à ordre
Ainsi, par le pro-
digue ou le faible d'esprit serait nulle, si ce billet avait cause un prêt
pour
d'argent.
Divers arrêts ont décidé cependant a le droit de con-
qu'un prodigue
firmer, seul, un emprunt fait antérieurement, alors était
qu'il mineur,
et, par conséquent, entaché de
nullité, s'il ne s'engage à rembourser la
somme prêtée que sur ses revenus, et si, à raison du chiffre considérable de
ceux-ci, il peut s'acquitter sans effort des prélèvements annuels
par (Civ.,
15 janvier 1908, D. P. 1909.1.105, note de M. Binet, S. 1909.1.357 ; Douai,
13 mai 1909, S. 1910.2.107). Nous n'hésitons pas à repousser la doctrine
de ces arrêts. Il en en
résulte, effet, implicitement qu'un prodigue pourrait
emprunter seul une somme s'il s'engageait à l'acquitter
d'argent, sur ses
PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT 607

revenus, et si l'importance de Ceux-ci lui


de la rembourser
permettait ai-
sément. Or, eette solution nous paraît contraire à la prohibition
d'emprun-
ter, édictée par l'article 513, laquelle, nous l'avons vu, est absolue et sans
réserve. De plus, c'est un principe, en matière d'obligations, que pour
pouvoir valablement confirmer un acte, il faut la capacité
posséder qui se-
rait nécessaire pour l'accomplir. Les arrêts en nous
question semblent
avoir transgressé cette règle élémentaire.
2° Aliéner ses biens, — Ici la Loi ne distingue
encore, pas. Elle interdit au
prodigue et au faible d'esprit toute espèce soit mo-
d'aliénation, qu'elle
bilière ou immobilière, à titre ou
gratuit à titre onéreux, faite par acte
principal ou à titre accessoire dans un contrat de mariage (Cass. réun.,
21 juin 1892, D. P. 92.1.369, S. 94.1.449, note de M. Bufnoir ; Req.,10 mai
1898, D. P. 98.1.388 ; S. 99.1.433, note de M. Esmein ; Trib. Seine, 14 août
1895, P. F. 97.2,33, note de M. Lambert). On devrait cependant, admet-on,
faire exception pour les aliénations de récoltes ou de meubles à dé-
sujets
périssement, parce qu'elles constituent essentiellement des actes d'admi-
nistration, et que l'individu pourvu d'un conseil judiciaire d'une manière
a,
générale, la capacité d'administrer.
3°. Grever ses biens — Cette est le corollaire
d'hypothèques. incapacité
obligé de celle d'aliéner et d'emprunter.
4° Recevoir un capital mobilier et en donner — Il
décharge. y a là un acte
considéré, on s'en souvient, comme rentrant dans l'administration, lors-
qu'il s'agit de la
gestion du tuteur. La loi l'interdit cependant auprodigue
et au faible non
d'esprit assisté, parce qu'il y a, de leur part, un danger
spécial de gaspillage. En ne leur permettant de toucher les capitaux qui
leur reviennent qu'avec l'assistance du conseil judiciaire, la loi a cru les
protéger suffisamment, parce que le conseil judiciaire pourra subordonner
son concours à l'obligation de faire emploi, et même exiger qu'au moment
de la remise des fonds ceux-ci soient immédiatement employés.
5° Plaider. — La loi ne fait de distinction. Par la prohi-
pas conséquent,
bition s'étend à la fois aux actions mobilières et aux actions immobilières
aux défenses comme aux demandes. C'est une différence importante avec
le mineur émancipé, qui peut plaider sans assistance dans les actions mo-
bilières, tant en demandant qu'en défendant (art. 482, a contrario). Le mo-
tif de cette différence est sans doute que les rédacteurs du Code civil, sui-
vant en cela les traditions de nos anciens auteurs, ont considéré la manie
processive comme une des faces de ce dérangement du cerveau, diminutif
de la folie, dont la prodigalité ou la faiblesse d'esprit sont des manifesta-
tions. Aussi, la Jurisprudence applique-t-elle très rigoureusement, peut-être
même avec quelque excès, cette défense de plaider sans assistance. Elle l'é-
tend, par exemple, aux demandes en partage et en licitation (Rennes, 3 jan-
vier 1880, D. P. 80.2.254, S. 82 2.174), et même aux actions de caractère
extra-patrimonial, telles qu'une demande en nullité de
mariage (Paris,
3 mars 1898 sous Civ., 4 novembre 1901, D. P. 1902.1. aux demandes
185),
en séparation de corps ou en divorce (Amiens, 21 juillet 1880, D. J. G.
Interdiction, n° 232, S. 82.2.76), aux demandes en mainlevée d'opposition
608 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

au mariage (Trib. Grenoble, 21 janvier 1909, Bec. Grenoble, 1909, p. 177)


et cela, bien que le consentement du conseil judiciaire ne soit pas du tout
nécessaire pour le mariage.
Il y a cependant quelques exceptions à cette incapacité de plaider. L'in-
dividu pourvu d'un conseil judiciaire n'a pas besoin de son assistance pour
défendre à l'action civile devant une juridiction répressive (Crim., 22 fé-
vrier 1896, S. 98.1.377, note de M. Roux), parce que l'on ne peut entraver la

défense devant les tribunaux répressifs, et que la faculté de défendre à l'ac-


tion publique entraîne nécessairement celle de repousser l'action civile. De
même, et pour des raisons analogues, le prodigue et le faible d'esprit peuvent,
sans assistance, faire appel du jugement de nomination de leur propre
conseil judiciaire (Rennes, 14 décembre 1893, D. P. 94.2.88, S. 95.2.135),
ou défendre à une demande d'interdiction (Paris, 3 mars 1898, sous Civ.,
4 novembre 1901, D. P. 1902.1.185). Enfin, on admet qu'ils ont le droit
d'intenter les instances purement conservatoires, par exemple, de citer en
référé un occupant d'un immeuble leur appartenant, pour en faire consta-
ter la
dépréciation (Req., 22 janvier 1901, D. P. 1901.1.94. S. 1901.1.331);
un acte de ce genre, en effet, loin de pouvoir leur préjudicier, ne peut que
sauvegarder leurs intérêts.
6° La transaction. Transiger c'est toujours aliéner, puisque la transaction
consiste dans un abandon réciproque des droits prétendus par les parties.
7° Enfin, à la transaction il faut assimiler le compromis dont les articles 499
et 513 ne parlent pas mais qui est, en général, soumis à des conditions
d'aptitude plus sévères que la transaction, et qui d'ailleurs ne peut émaner
que d'une personne ayant la faculté de disposer du droit qu'il s'agit de
soumettre à la décision des arbitres (art. 1003 C. Pr. Civ.).
Nous avons dit que l'énumération des actes requérant l'assistance du
conseil judiciaire est limitative. Il en résulte que le prodigue doit être ré-
puté capable d'accomplir seul tous les actes non compris dans la liste ci-
dessus. Et, en effet, on applique cette règle :
D'abord, à tous les actes non relatifs aux biens, mais à la personne,
comme le mariage, l'adoption, la reconnaissance d'un enfant naturel ;
Ensuite, aux actes patrimoniaux ne constituant pas des aliénations ac-
tuelles, comme les actes conservatoires ou d'administration courante, les
testaments, l'acceptation ou la répudiation des successions, des donations ou
des legs.
Enfin, leprodigue et le faible doivent avoir la d'un
d'esprit disposition
recours contre le refus d'assistance de leur conseil judiciaire, d'abord, parce
que ce refus peut être abusif, ensuite et même
surtout, parce que, justifié
par de bonnes raisons, il pourrait avoir indirectement résultat de
pour
contrarier, chez l'individu placé sous le contrôle d'un l'exercice de
conseil,
certains droits purement personnels et soustraits à ce contrôle, tels que
celui de se marier, de reconnaître un enfant etc.. Il suffirait
naturel, pour
cela que le conseil judiciaire suscitât une même mal
opposition, fondée,
au mariage, une contestation vexatoire de la reconnaissance de
purement
l'enfant naturel, etc.. et qu'il refusât ensuite son assistance, quand l'inté-
PRODIGALITE ET FAIBLESSE D'ESPRIT 609

ressé voudrait faire renverser ces obstacles par la justice. On admet donc
sans conteste que l'incapable, après avoir essuyé le refus de son conseil
judiciaire, a le droit de recourir au tribunal. Mais celui-ci ne pourrait pas
l'autoriser à se passer d'assistance et à agir seul (Req., 10 novembre 1897,
D. P. 98.1.310, S. 1901.1.524).- Pour venir au secours de l'incapable, s'il
jugeait le refus d'assistance mal fondé, il ne pourrait employer qu'un
moyen indirect. Ce serait, ou bien de prononcer la destitution du conseil
judiciaire et d'en nommer un autre (Req., 16 mai 1899. D. P. 99.1.399,
S. 99.1.500 , ou bien, (et ce second moyen sera plus fréquent que le pre-
mier), de désigner à l'incapable un conseil judiciaire ad hoc, chargé spé-
cialement de l'assister dans l'acte à accomplir (Riom, 23 décembre 1908,
D. P. 1909.2.272, S. 1909.2.46). On invoque en faveur de cette solution un

argument d'analogie tiré de l'article 2208, al. 3, aux termes duquel, lors-

qu'une expropriation immobilière est poursuivie contre une femme mineure

que son mari majeur d'assister, refuse il doit être nommé à la femme par
le tribunal un tuteur spécial contre lequel il seraprocédé. Mais il faut re-
connaître que l'expédient est un peu bien compliqué. Il serait plus simple
et tout à fait correct, pensons-nous, que le tribunal enjoignît au conseil ju-
diciaire de fournir son assistance, et décidât que, faute par lui d'obtempérer,
son jugement en tiendrait lieu.
Nous venons parcourir de les solutions qui découlent directement des
textes ou de ce que nous appellerons leur interprétation classique. Il nous
reste à voir celles qui sont l'oeuvre d'une jurisprudence qu'on peut, sans lui
taire tort, qualifier ici de prétorienne, parce qu'elle s'est montrée en cette
matière, plus peut-être qu'en aucune autre, hardiment progressive et

presque créatrice.

Première extension du système du Code : Incapacité étendue


aux — Les sont au nombre des actes que les
obligations. obligations
articles 499 et 513 passent sous silence, et, par conséquent, étant donné le
caractère limitatif de l'énumération, l'individu pourvu d'un conseil judi-
ciaire devrait être considéré comme capable de contracter librement et
sans assistance toute Mais on aperçoit aussitôt à
espèce d'obligations.
quelles conséquences désastreuses on pourrait se trouver ainsi conduit.'

S'obliger c'est justement ce que font la plupart des prodigues


exagérément,
pour se ruiner. Et il ne servirait à rien de leur interdire de faire des dettes

par voie d'emprunts, si on leur permettait d'en contracter par voie d'achats
à crédit. La Jurisprudence a donc résolument comblé la lacune de la loi, et
a étendu aux obligations l'incapacité du prodigue ou du faible d'esprit.
à cet
Dans quelle mesure et avec quels arguments? Il semble qu'on puisse,
égard, discerner deux systèmes dans les arrêts.
Un premier consiste à subordonner la validité de l'obligation
système
assumée le ou le faible non assisté, à une certaine
par prodigue d'esprit
avec ses ressources. un arrêt de la Cour de
proportion Ainsi, d'après
cassation (Req., 7 juillet 1902, D. P. 1902.1.422, S. 1902.1.504), lorsqu'il
est constaté en fait les marchandises (dans l'espèce des voitures),
que
610 LIVRE I. — TITRE III. — DEUXIÈME PARTIE

dont le prix est réclamé à un prodigue, ont été effectivement commandées

par lui, qu'il en a reçu la facture sans protestation et qu'une telle com-
mande n'a rien d'exagéré eu égard à sa condition sociale et à sa situation
de fortune, c'est à bon droit qu'un arrêt valide l'engagement contracté en-
vers le fournisseur sans l'assistance du conseil judiciaire (Cf. Civ., 2 dé-
cembre 1885, D. P. 86.1.128, S. 86.1.120). Ce système, outre les ressources
du prodigue, prendra encore en considération ses besoins, la bonne ou la
mauvaise foi des tiers avec qui il a contracté. En un mot, il transportera
en cette matière le pouvoir de réduction conféré au tribunal par l'article 484
contre les engagements excessifs du mineur émancipé, transposition peut-
être un peu bien hardie dans une matière où, puisqu'il s'agit d'incapacité,
les textes devraient être interprétés étroitement.

Un autre système, trouvant une base,


croyons-nous, plus solide dans
le texte même des articles 499 et 513, s'appuie sur ce que ces dispositions
interdisent au prodigue et au faible d'esprit d'aliéner, sans préciser davan-
tage, pour en conclure qu'il n'a le droit d'accomplir seul que les actes
d'administration. Donc (et le critérium, on le voit, sera non plus subjec-
tif, mais objectif), les obligations contractées par l'incapable sans as-
sistance seront annulables , lorsqu'elles dépasseront la portée d'actes
d'administration (Civ., 1er août 1860, D. P. 60.1.316, S. 60.1.929). Ainsi,
on le comprend aussitôt, des achats à crédit purement somptuaires,
même effectués par un prodigue riche, sans assistance, devront être annu-
lés. C'est une solution qui nous paraît à la fois plus morale et plus ration-
nelle. Reste à savoir quelles obligations présentent le caractère d'actes
d'administration et lesquelles dépassent ce niveau. Le critérium sera évi-
demment parfois délicat à appliquer. Citons, parmi les actes qui ont pu
embarrasser à bon droit les tribunaux, l'assurance sur la vie au profit
d'un tiers. La validité de l'assurance ainsi contractée par un non
prodigue
assisté a été admise, au cas du moins où les primes à verser ne dépasse-
raient pas ses revenus, par un arrêt de la Chambre civile de la Cour de
cassation dn 9 mars 1896 (D. P. 96.1.391, note L. S.,S. 97.1.235, note de
M. Esmein ; cf. Paris, 2 décembre 1904, D. P. 1905.2.385, note de M. Du-
puich, S. 1906.2.7). Il y avait ici une raison décisive qui eût pu écarter
toute controverse ; c'est que l'assuré ne contracte pas une pro-
obligation
prement dite, étant donné qu'il a toujours le droit de cesser le paiement
des primes en renonçant à l'assurance.
Il faut ajouter que l'incapacité de l'individu d'un conseil
pourvu judi-
ciaire de s'obliger au delà de un
l'administration, comporte tempérament
pour le cas où il se serait rendu coupable afin
d'agissements frauduleux,
de dissimuler aux tiers
incapacité son; il ne pourrait deman- en ce cas
plus
der la nullité, car, pas plus que le mineur il n'est restituable
(art. 1310),
contre les obligations résultant de son délit ou quasi-délit. il ne
Toutefois,
faudrait pas pousser trop loin cette idée ; le seul fait de ne pas faire con-
naître son incapacité n'est pas un délit. La simple réticence ne serait
donc pas un obstacle à la nullité 30 novembre 1897 et Civ., 13 mars
(Paris,
1900, D. P. 1900.1.588, S. 1903.1.26).
PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT 611

Deuxième extension : Actes antérieurs à la nomination du con-


seil — Nous avons vu les rédacteurs du
judiciaire. que Code n'avaient
pas cru utile de faire remonter dans le passé les effets de la demi-incapa-
résultant du jugement de nomination d'un conseil Or, c'est
cité judiciaire.
là parfois une lacune regrettable, surtout en cas de prodigalité, car on ne
recourt à la nomination du conseil judiciaire qu'après que le prodigue a
commis des actes de dissipation. De plus, dès l'instance commencée ou dès
la nouvelle qu'elle va être intentée, le prodigue se hâte souvent de mul-
tiplier les opérations désastreuses ; et il trouve facilement des complai-
sants intéressés pour l'aider à profiter des derniers jours de sa pleine
capacité.
La Jurisprudence ne pouvait rester insensible à ce danger. Pendant
longtemps, cependant, les tribunaux ont respecté scrupuleusement le texte
de la loi, et plusieurs arrêts anciens déclarent que les actes antérieurs à la
dation du conseil ou passés pendant l'instance ne peuvent être annulés,
même si le tiers a eu connaissance des poursuites commencées. Et, aujour-
d'hui encore, la Jurisprudence décide parfois qu'on ne peut pas attaquer
les engagements antérieurs du prodigue, pour le seul motif que la cause
de la nomination du Conseil existait déjà d'une manière notoire au mo-
ment où les engagements ont été contractés. Mais, le plus souvent, les
tribunaux ont trouvé le moyen d'intervenir en utilisant, d'abord à pro-,
effectuées dans l'intervalle entre la demande
pos des opérations compris
et le jugement de nomination, puis à propos des opérations même anté-
rieures à la demande, l'idée de fraude à la loi. Tout acte est nul, ont-ils

dit, est fait en vue de tourner la loi, d'échapper à une prohibition


lorsqu'il
édicté. En conséquence, les actes passés avant le jugement sont
qu'elle
toutes les fois que les tiers ont traité avec le prodigue ou le
nuls, qui
faible savaient demande en nomination était ou allait
d'esprit qu'une
être formée et se sont hâtés de conclure l'acte avant le jugement (Req.,
15 juillet D. P. 1904.1.129, note de M. Capitant, S. 1903.1.446; Bor-
1903,
24 mai 1896. P. F. 99.2.33, note de M. Charmont ; Req., 11 décembre
deaux,
P. 1913.1.430; 10 novembre 1919, Gaz. Pal., 30 décembre1919).
1911,D.

Troisième extension : Développement de l'intervention person-


nelle du conseil — C'est peut-être à ce point de vue que
judiciaire.
les intentions des rédacteurs du Code ont été le plus visiblement dépassées
Nous avons montré que le conseil judiciaire avait
parla Jurisprudence.
le rôle d'un assistant, sans jamais intervenir
;été créé pour jouer simple
en personne dans les actes intéressant l'incapable. Nous allons voir main-

la pratique et les décisions l'affranchir peu à peu de cette


tenant judiciaires
fonction consultative, lui conférer de plus en plus un rôle propre,
purement
du prodigue,
à celle et indépendante, parfois même
une activitéparallèle
du demi-incapable aux côtés duquel il a été placé. Nous ne
rivale, de celle
moins de trois manifestations de cette conception toute
relèverons pas
nouvelle de la mission du conseil judiciaire.
oii le faible ne peut
1° Tout d'abord, étant donné que le prodigue d'esprit
m

612 LTTRE I. — TITRE TH. — DEUXIÈME PARTIE

sans l'assistance de son conseil, et que, dès lors, celui-ci doit être
plaider
mis en cause dans les actes de procédure dirigés contre l'incapable, les tri-
bunaux ont admis de bonne heure que le conseil judiciaire pourait, dans
les instances où
l'incapable est défendeur, présenter, dans des conclusions

formées de son chef, les moyens de défense qu'il jugerait convenables, en


l'absence, à l'insu, et même contre le gré du défendeur ; qu'il aurait égale-
ment le droit de former contre les décisions rendues à l'encontre de l'inca-

pable les voies de recours telles que l'opposition et l'appel ; qu'il aurait
j
enfin le droit de former personnellement une tierce-opposition contre les

jugements rendus dans des instances où il n'aurait pas été mis en cause

(Lyon, 9 mai 1882, D. P. 83.2.21 ; Gand, 17 février 1894, D. P. 95.2.331).


2° Alors qu'en principe les actes d'aliénation ou du même ordre accom-

plis par l'incapable non assisté sont nuls, d'une nullité relative, et ne de-

vraient, dès lors, être attaquables que parl'incapable lui-même, la Jurispru-


dence a fini par reconnaître au conseil judiciaire le droit d'en demander la
nullité (Paris, 7 mars 1895, D. P. 95.2.425, note de M. Glasson ; Req.,
24 juin 1896, D. P. 97.1.404, S. 97.1.113, note de M. Lyon-Caen ; Paris,
7 mars 1895, sous Civ., 15 février S. 98.1.305,
1898, note de M. Lyon-Caen).
Les objections ne manquaient pas cependant contre cette solution. D'une

part, en effet, le conseil judiciaire ne représente pas le prodigue et le faible


d'esprit ; il ne peut donc poursuivre la nullité en leur nom. Et, d'un autre
côté, il semble bien qu'il ne puisse la demander en son propre nom, puis-
qu'aucun texte ne lui en donne le droit, comme le fait l'article 225 pour
le mari en lui ouvrant en termes formels la faculté d'attaquer personnelle-
ment les actes passés par la femme sans son autorisation. A ces objections
les arrêts se contentent de répondre par des motifs d'utilité et de bon sens.
« Attendu, lisons-nous dans l'arrêt du 24 juin 1896, que la loi, en restrei-
gnant par la nomination du conseil judiciaire la capacité du prodigue, a
entendu le protéger contre sa propre faiblesse et le préserver de la ruine ;
que ce but ne serait pas obtenu si, en
présence de l'inaction et du refus du

prodigue, le conseil ne pouvait attaquer les actes faits par celui-ci à une
époque et dans des conditions qui les rendent annulables, etc.. » C'en est
assez pour justifier l'action personnelle du conseil judiciaire, comme d'ail-
leurs, ainsi que nous l'avons vu précédemment, celle du curateur du "mi-
neur émancipé.
3° Enfin, les conseils
judiciaires, devant assister les pro-
obligatoirement
digues dans les réceptions de capitaux, se sont souvent servis de cette fonc-
tion, non seulement pour veiller à ce que les fonds fussent dûment em-
ployés, mais encore pour choisir eux-mêmes le placement serait
qui
effectué. Et on trouve des décisions déclarent nul même rai-
qui l'emploi,
sonnable et avantageux, fait par le prodigue, du moment n'a pas été
qu'il
effectué avec le concours
etfu conseil judiciaire (Agen, 9 novembre 1881, S.
82.2.233. note de M. Labbé). De là, certains conseils en cas de
judiciaires,
recouvrement à effectuer par le prodigue, en sont venus à se faire remettre
les fonds, pour les conserver en attendant leur Il y a là évidemment
emploi.
une pratique irrégulière, mais souvent en fait, a permis
qui, trop répandue
PRODIGALITÉ ET FAIBLESSE D'ESPRIT 613

à certains conseils judiciaires de ruiner les prodigues dont la protection


leur avait été confiée. Est-il besoin de dire qu'à notre avis il y a lieu de
désapprouver ici les errements de la pratique ? Un conseil judiciaire ne
devrait jamais manier les fonds appartenant à l'incapable, que la loi ne lui
a pas donné mission de représenter. Autrement, on ne comprendrait pas
qu'il fût, comme il l'est, exempt de tout contrôle, et que ses biens fussent,
comme ils le sont, exempts de l'hypothèque légale destinée à sauvegarder
les intérêts des incapables auxquels échappe le maniement de leurs propres
deniers.
TROISIÈME PARTIE

LES FEMMES MARIÉES

SECTION I. — GÉNÉRALITÉS

des femmes mariées est la principale conséquence de la


L'incapacité
Puissance maritale, l'une des institutions plus les
caractéristiques et, ajou-
tons-le aussitôt, les plus critiquables de notre Droit privé. Chose remar-
le Code civil n'emploie pas l'expression de puissance maritale dans
quable,
le chapitre qu'il consacre à l'étude des Droits et des Devoirs respectifs des
On ne l'y rencontre qu'une fois, dans l'article 1388, au titre du Con-
époux.
trat de mariage : « Les époux, porte cette disposition, ne peuvent déroger
leurs conventions matrimoniales) aux droits résultant de la puissance
(dans
maritale sur la personne de la femme et des enfants. » Mais l'article 213

indique bien l'état de subordination de la femme quand il dit : « Le mari


doit à sa femme, la femme obéissance à son mari. »
protection
Quelles sont les conséquences de la puissance maritale ? Nous le recher-
cherons plus loin. Dès à présent, nous pouvons avancer que son effet le

plus tangible, le seul qui ait une véritable portée juridique, en ce sens qu'il
n'a pas, comme les autres, trouvé dans le progrès des moeurs des restric-
tions et des tempéraments de nature à le rendre, en fait, à peu près négli-
geable, csest l'incapacité de la femme mariée. C'est parce que la femme
est placée par la loi sous la dépendance du mari qu'elle ne peut, dès lors

qu'elle est mariée, accomplir valablement les actes de la vie juridique, à


moins d'y être autorisée par son mari ou, à son défaut, par la justice. Com-
ment justifier cette assimilation de la femme mariée à un mineur ou à un
dément, si singulière lorsqu'on réfléchit que la femme célibataire et la
veuve jouissent de la plus entière capacité ? C'est là un problème à notre
avis à peu près insoluble dans l'état actuel de notre civilisation. Tout
au plus peut-on, sinon justifier, au moins expliquer la règle actuelle en

interrogeant l'histoire. On constatera ainsi que l'incapacité de la femme


mariée se rattache, par son origine, à des moeurs tout à fait différentes
des noires, et aussi qu'elle s'est de plus en plus déformée à mesure qu'elle
s'éloignait de ses origines, de telle sorte qu'elle peut être considérée
aujourd'hui comme une survivance attardée de conceptions sociales à
jamais disparues.

La femme mariée sous le Droit romain. — Dans toutes les sociétés


primitives fondées presque exclusivement sur la force la femme;
brutale,
FEMMES MARIÉES 615

à cause de sa faiblesse physique, se trouve placée dans un état d'infério-


ritéjuridique. Il en est ainsi en Grèce, à Rome, chez les Germains. La
femme est soumise, sa vie durant, à une tutelle Et la puis-
-perpétuelle.
sance maritale n'estqu'une variante de cette le mari devenant
tutelle,
naturellement le tuteur de la femme.
Mais, à Rome 1, la tutelle perpétuelle des femmes a vite Elle
dégénéré,
avait disparu dès les premiers siècles de l'Empire. Il en fut de même,
quoique sensiblement plus tard, du mariage avec manus qui faisait entrer
la femme dans la famille du mari et la plaçait, dès lors, à l'égard de celui-
ci, dans un état de soumission analogue à celui des enfants, loco filiae.
Dorénavant, toutes les femmes mariées (et même, avant la disparition de
la manus, les femmes mariées sine manu) ont été considérées comme
pleinement capables. Elles n'ont pas plus besoin de Yauçtoritas du mari,
pour accomplir valablement les actes du commerce juridique, que les filles
majeures n'ont besoin de celle d'un tuteur. La déférence et le respect que
les moeurs imposent aux femmes à l'égard de leur mari n'ont aucune in—j
fluence sur leur capacité juridique.
On voit apparaître, il est vrai, à une certaine époque du Droit romain,
certaines incapacités spéciales, destinées à réprimer l'influence exagérée
des femmes et à les maintenir dans la réserve convenable à leur sexe.
Mais ces incapacités les atteignent toutes, et ne s'appliquent pas seulement
aux femmes mariées. La principale de ces incapacités est celle qui résulte
du sénatus-consulle Velléien, que l'on pense avoir été rendu sous Claude, eu
l'an 46 après J.-C, disposition interdisant aux femmes d'intercéder, c'est-
à-dire de s'engager et d'engager leurs biens dans l'intérêt d'autrui. Il est
vrai que cette interdiction, originairement générale et applicable à toutes
les femmes sans distinction, devait .finir par se restreindre aux femmes
mariées. En fait, c'était surtout celles-ci qui devaient se trouver atteintes,
caries maris de Rome, comme ceux d'aujourd'hui, cherchaient naturel-
lement à augmenter leur crédit en faisant intervenir leurs femmes dans
les engagements qu'ils contractaient. En droit, la limitation fut consacrée
à l'époque de Justinien, car, à ce moment, il était devenu de règle que Vin-
tercessio n'était frappée de nullité que lorsqu'elle se produisait de la part
de la femme au profit de son mari. Intervenait-elle, au contraire, au profit
d'un étranger, elle était valable, pourvu qu'elle eût une juste cause.
En résumé, on le voit, l''incapacité générale de la femme-mariée n'existe
pas en Droit romain. Dans le dernier état de cette législation, on ne ren-
contre à son égard qu'une incapacité spéciale, celle de cautionner son mari.
Cette incapacité, vu son objet, offre le caractère d'une protection contre les
abus d'influence du mari. Très inexactes sont les explications, d'ailleurs

isolées, de certains jurisconsultes qui représentent l'incapacité velléienne


comme une mesure de protection contre la faiblesse du sexe (propter im-
beçillilatem sexus, i, D. De sénat. Vell., XVI, l); à moins que, dans leur

1. Girard, Manuel de Droit romain, 5° édit,, p. 221 et s.; Gide, Elude sur la
condition privée de la femme, 1" éd., p. 159 et suiv. — Cf. Lefebvre, Introduction
À l'histoire du Droit matrimonial français, p, 82-83.
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LIVRE I. — TITRE m. — TOISIEME PARTIE


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celte faiblesse contre laquelle il y a lieu de prémunir la femme ne


pensée,
soit celle dont elle fait preuve à regard de son mari. On peut,
généralement
en tout de la femme telle
cas, considérer que l'incapacité générale mariée,

qu'on la rencontre dans le Gode civil, ne vient pas du Droit romain.

Droit 1. Région du Droit écrit. — Elle ne vient


Ancien français
non plus des pays de Droit écrit. « De coutume, écrit Desmares, la
pas
femme est en puissance de son mari ; autrement est de Droit écrit. » Et, en
m on ne rencontre dans les du Midi de la France la néces-
effet, pas régions
sité d'une autorisation du mari. Il n'y a d'exception que dans les pays de

Droit écrit dépendant du ressort du Parlement de Paris (Forez, Lyonnais,


Maçonnais). Seule fonctionne l'incapacité spéciale d'intercession
Beaujolais,
du sénatus consulte Velléien.
Ce n'est à dire d'ailleurs que, dans les pays de Droit écrit, la femme
lai pas
mariée fût placée dans une situation d'indépendance faisant contraste avec

celle des femmes mariées des pays du Nord. Ce serait une erreur de le croire.
Il y avait en fait, dans toute la France, subordination de la femme à son

mari. Nos anciens auteurs nous parlent volontiers du droit de correction


dans toutes les régions, permet au mari de battre au besoin sa femme,
qui,
de la « castier rasnablement (raisonnablement) et sans méhaing «
(châtier)
(V. Gide, op. cit., p. 413), mais cet état de soumission
(sans l'estropier)
vient de la rudesse moeurs, des social, non de 0là loi.
de l'état
Et il ne serait exact, croyons-nous, de rattacher comme l'a fait
pas plus
un éminent auteur (Lefebvre, op. cit., p. 102) la puissance ma-
cependant
ritale à l'influence du christianisme si dominante au Moyen âge ; car, si
l'autorité de l'homme venait de la conception du mariage chrétien (erunt
duo in carne una, etc.), on ne s'expliquerait pas comment elle ne se serait
avec les mêmes caractères et les mêmes conséquences, no-
pas développée,
tamment celle de l'autorisation maritale, dans toutes les contrées péné-
trées par la civilisation chrétienne, notamment, dans les pays du Midi de la
France l'avaient reçue et adoptée'bien avant les régions du
qui cependant
Nord.

Droit Ancien Droit coutumier. — C'est du Droit ger-


germanique.
manique, à travers les coutumes qui en restèrent imprégnées, que nous
vient la puissance maritale actuelle, avec son corollaire de l'incapacité de

la femme mariée. Non que la tutelle perpétuelle des femmes, pratiquée par
les Germains primitifs, se soit conservée en France autrement que par
vestiges locaux; mais, si les femmes non mariées y devinrent indé-
quelques
pendantes de tout mundium (c'est -à-dire du pouvoir de tutelle et de pro-
tection qui, en Droit germanique, s'étendait sur tous les incapables), les

1. Brissaud, Manuel, p. 87 et s.; Meynial, Nouv. Rev. Histor, de Droit français


et étranger, 1901, p. 268; Rousseaud de La Combe, Recueil de jurisprudence,
v« Autorisations; Morizot-Thibault, De L'autorité maritale, 1899; Siramy. Etude
sur les origines et le caractère de l'autorisation maritale dans l'histoire du
Droit français, thèse, Paris, 1901.
FEMMES MARIÉES G17

femmes mariées demeurèrent, en Droit coutumier, soumises à la main


bo.unùe du mari, et ce pouvoir, sous le nom de puissance maritale, entraîna,
comme conséquences, l'incapacité générale de l'épouse et la nécessité de
l'autorisation maritale.
Que cette autorisation se rattache à la dépendance dans laquelle la femme
est placée à l'égard de son mari, c'est ce que les auteurs coutumiers ne se
font pas faute d'affirmer: « La nécessité de l'autorisation du écrit
mari,
Polluer de la puissance du
{Traité mari, nnks 2 et 3), n'est fondée que sur la
puissance que le mari a sur la personne de sa femme qui ne permet à sa
femme de rien faire que dépendamment de lui » ; et il en conclut que l'au-
torisation d'un mari est très différente de celle d'un tuteur, car cette der-
nière n'est requise uniquement quen faveur du mineur « pour empêcher
qu'il ne soit surpris ».
Plusieurs traits de l'autorisation maritale coutumière ne peuvent d'ail-
leurs s'expliquer que par cette origine. Nous en citerons les principaux :
1° Sila femme agit sans autorisation, qui pourra demander la nullité de
l'acte ainsi accompli? Le mari seul, dont l'autorité a été méconnue. La
femme, elle, n'est pas admise à s'en prévaloir.
28 La nullité de l'acte non autorisé ne se couvre pas par une ratification
ultérieure de la femme, une fois celle-ci devenue veuve ; les héritiers du
mari pourront toujours la faire prononcer.
3° Peu importe que le mari soit mineur. Il n'en devra pas moins autori-
sa femme,
&&&&&&&ser caria puissance maritale réside aussi bien entre ses mains
qu'entre celles d'un mari majeur.

Qu'on suppose, au contraire, le mari absent ou interdit, la femme re-
couvre sa capacité entière et peut agir sans aucune autorisation.
Ces solutions parfaitement logiques, et dont
quelques-unes (les trois
premières) se perpétuèrent jusqu'à la fin de l'ancien Droit, peuvent être
considérées comme l'expression du Droit coutumier pur et sans altération.
Mais, dès le XVIIe siècle, une nouvelle idée, issue manifestement d'une inter-

prétation mal comprise des textes précités du Digeste relatifs à l'incapacité

velléienne, s'était glissée dans les écrits de nos anciens auteurs, celle d'une

protection due à l'imbecillitas sexus, à la faiblesse et à l'inexpérience de la


femme. C'est à cette déformation évidente de l'institution que se réfère la

règle nouvelle d'une autorisation subsidiaire émanant de la justice, qui


doit suppléer à l'autorisation du mari, lorsque celui-ci est, par l'effet de
l'absence ou de la folie, hors d'état de lafournir, bien plus, q

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