Escolar Documentos
Profissional Documentos
Cultura Documentos
normale et pathologique
1. «
F. DE SAUssuHE, qui semble avoir introduit le terme phonème » en linguis-
tique, lui attribuait un sens tout autre : pour lui « le phonème est la somme
des impressions acoustiques et des mouvements articulatoires, de l'unité
entendue et de l'unité parlée, l'une conditionnant l'autre » (Cours de ling. gén
.,
p. 65).
2. Polonais de naissance, J. BAUDOUIN DE COURTENAY a passé la plus grande
partie de sa vie en Russie comme professeur, d'abord à l'Université de Kazan,
puis à celle de Saint-Pétersbourg. La plupart de ses élèves et de ses adeptes
sont donc des savants russes.
3. Pour étudier la signification du terme « phonème » dans les ouvrages de
J. BAUDOUIN DE COURTENAY, de ses adeptes et des « phonologues » actuels, il ne
suffit pas de parcourir les préfaces ou les premiers chapitres de ces ouvrages, où
sont d'ordinaire données quelques définitions provisoires, souvent vagues et
inexactes. Il faut étudier ces ouvrages dans leur ensemble et observer dans quel
sens le terme « phonème «est employé réellement. En s'attachant aux formules
générales, aux définitions provisoires, qui sont souvent automatiquement
répétées même après que l'emploi du terme a changé, on risque de perdre son
temps à une critique superficielle et stérile. Bien que les formules psycholo-
gistes de J. BAUDOUIN DE COURTENAY et de quelques-uns de ses disciples aient
été erronées, elles n'étaient quand mème ni aussi naïves, ni aussi absurdes
que cherche à les présenter M. W. DOROSZEWSKI dans son article « Autour du
phonème » (Travaux du Cercle linguistique de Prague, IV, p. 61). Ainsi, bien
que l'impression acoustique immédiate et la représentation ou l'image acous-
tique soient toutes deux des phénomènes psychiques, elles n'en sont pas moins
des phénomènes essentiellement différents. Par le terme « intention (Absicht)
phonétique », M. BENNI entend évidemment non pas les impulsions partant des
centres nerveux aux muscles articulatoires, mais « ce qu'on s'imagine pro-
noncer ». Or, « ce qu'on s'imagine prononcer » diffère essentiellement de ce
outre, au cours de son développement, « l'école de Baudouin de
Courtenay » (notamment ses disciples russes) a tendu à s'affranchir
du psychologisme des premières définitions de son fondateur.
Les théories de Baudouin de Courtenay sont longtemps restées
inaperçues par les linguistes européens, bien que le premier ouvrage
où il avait exposé ses vues sur les phonèmes et les sons ait été tra-
duit en allemand en 1895. On connaissait Baudouin de Courtenay
comme slaviste d'une part et comme partisan de la langue artifi-
cielle internationale de l'autre, mais ses théories en linguistique
générale restaient hors de la grande ligne du développement de la
linguistique. On les passait sous silence, et cela non seulement en
Europe, mais même en Hussie, hors de Pétersbourg, bien entendu1.
Ce n'est que ces tout derniers temps, depuis quelque quinze années,
que l'idée d'une distinction fondamentale entre sons et phonèmes
commence à se propager dans le monde. Plusieurs linguistes y sont
parvenus tout indépendamment l'un de l'autre. Parmi ces linguistes,
il faut avant tout nommer M. Edward Sapir, dont la théorie des
« sound-patterns» a été créée tout indépendamment de J. Baudouin
de Courtenay et même de F. de Saussure2. Par contre, certains phoné-
ticiens européens, qui font usage de la notion de « phonème » dans
leurs ouvrages phonétiques, semblent être influencés par l'école de
J. Baudouin de Courtenay, notamment par M. Scerba.
Quand un groupe de linguistes russes (S. Karcewski, R. Jakobson
et le soussigné), — dont, par hasard, aucun n'était l'élève ni de
J. Baudouin de Courtenay ni de quelqu'un de ses disciples—, soumit
qu'on prononce en réalité. Tout cela est bien évident. Ce n'est que par parti-
pris qu'on peut faire semblant de ne pas comprendre des expressions, peut-être
inexaetes au point de vue formel, mais néanmoins toutes claires et ne laissant
aucun doute dans le contexte donné.
1. Il y avait peut-être quelques exceptions épisodiques qui, cependant, ne
changeaient rien au fond de la question. Il est curieux de noter que, par
l'intermédiaire de l'orientaliste russe POLIVANOV, disciple de J. BAUDOUIN DE
COCRTKXAY, les théories de ce dernier ont été introduites au Japon, où M. JIMBO
les propage sous un aspect un peu simplifié.
2. Il est intéressant de noter que des idées semblables apparaissent souvent,
et tout spontanément, chez des linguistes qui s'occupent de langues n'ayant pas
d'écriture. On les trouve chez le célèbre africaniste allemand M. MKINHOF (da.ns
son ouvrage Der Wert der Phonetik fur die allgemeine Sprachwissenschaft,
1918), mais on les trouve aussi chez le baron P. K. USLAR, linguiste-amateur
russe, à demi dillettante, qui s'occupait des langues caucasiques-septentrionales
dans les années 60 à 70 du XIX. siècle.
en 1928, au Premier Congrès International de Linguistes à La Haye,
une proposition, ou plutôt un petit programme déclaratif, concernant
l'étude des systèmes de phonèmes (v. Premier Congrès
International
de Linguistes, Propositions,
p. 36-39), le terrain se trouvait déjà
préparé. Plusieurs linguistes de différents
pays se sont associés à ce
programme. C est surtout le Cercle Linguistique de Prague qui
a
montré un intérêt tout particulier pour ce problème. Un
an et demi
après le Congrès de La Haye, le Cercle Linguistique de Prague
pré-
senta au Premier Congrès de Philologues Slaves le premier volume
de ses « Travaux » contenant
une quantité d'articles de différents
auteurs, dont la plupart traitaient de« phonologie En mêine temps
».
parut le deuxième volume des mêmes Travaux contenant le bel
ouvrage de M. R. Jakobson : « Remarques sur l'évolution phono-
logique du russe », un premier essai de phonologie historique,
livre
plein d idées profondes et fécondes. Grâce à
ces deux volumes, la
« phonologie » (comme « partie de la linguistique traitant des phéno-
mènes phoniques au point de vue de leurs fonctions dans la langue »)
attira l'intérêt de beaucoup de linguistes, et un an après il fut possible
de convoquer à Prague une
« Réunion Phonologique Internatio-
nale », qui fut organisée par le même Cercle Linguistique de Prague
et à laquelle prirent part les représentants de neuf
pays. Une Asso-
ciation Internationale pour les études phonologiques fut fondée,
et
le II Congrès International de Linguistes
tenu à Genève en 1931,
approuvant la création de cette Association, recommanda au CIPL
« »
(Comité international permanent de linguistique) de lier
avec elle
des relations officieuses.
II
ce cepen-
thodologique universciliste propre à la phonologie actuelle est une
de ses particularités les plus essentielles, malgré les objections de
certains linguistes 1.
III
IV
Les problèmes que nous venons d'effleurer dans les chapitres pré-
cédents se rapportent à la structure des systèmes phonologiques en
général et à la « phonologie lexicale ». Mais, puisque la phonologie
étudie toutes les fonctions linguistiques des oppositions phoniques,
elle doit être subdivisée en autant de branches que la grammaire (au
sens saussurien de ce terme). Outre la phonologie lexicale il existe
donc un phonologi"e morphologique (ou morphonologie - tout court)
et une phonologie syntaxique 1. Chacune de ces branches de la pho-
nologie présente des problèmes spéciaux fort intéressants qui,
cependant, ne sauraient être traités ici faute de place. Nous sommes
obliges aussi de passer sous silence les perspectives nouvelles
qu'ouvre la phonologie actuelle pour la métrique et l'étude de la
langue poétique en général (partie de la linguistique où l'application
exclusive jusqu'à présent du point de vue et des méthodes phoné-
tiques a été particulièrement néfaste)4, pour l'étude de la formation
1. Cette statistique peut être faite ou bien sur un texte assez étendu (au
moins 10.000 phonÓmes) ou bien sur un vocabulaire (dans ce dernier cas, on
peut se limiter, par exemple, aux mots ne contenant pas plus de deux syllabes, ou
de 5 phonèmes, etc.). Pour un tableau complet de la fréquence des unités phono-
logiques, il est désirable de posséder les deux séries de données statistiques.
2. Cf. nos remarques « Sur la morphonologie» (TI'.d. Cercle Lingu. de Prague,
il, pp. 85-88), et « Gedanken über Morphonologie « (lbid., IV, pp. 160-163), ainsi
que le chapitre spécial sur le système morphonologillue de la langue polabe
dans nos « Polabische Studien » (Silzungsberichte der Akademie der Wissen-
schatten in Wien, Phil.-hist. Klasse, Band 211/4, pp. 138-167).
3. Cf. S. KARCEVSKIJ, Sur la phonologie de la phrase (Travaux d. C. L. d. P/'.,
IV, pp. 188-227).
4. Cf. le bel article de M. J. MUKAKOVSKY, « La phonologie et la poétique »
(Travaux d. C. L. d. Pr., IV, pp. 278-288). Le livre de M. R. JAKOBSON sur le
vers tchèque, écrit en russe (0 cessko?n stiche, Berlin, 1923), puis traduit en
tchèque (Prague, 1926), pose certains principes fondamentaux de la métrique
phonologique en général. Malheureusement le russe et le tchèque sont trop peu
connus hors du cercle étroit des slavistes, et parmi ceux-ci il n'y en a que peu
qui s'intéressent aux problèmes de poétique générale...
des langues littéraires et de leurs rapports
avec les dialectes popu-
laires1, pour la dialectologie 2,
\
enfin pour les problèmes qui se
rattachent au lien entre la langue et l'écriture Nous devons aussi
renoncer à indiquer ici les différentes applications pratiques de la
phonologie, — dans l'enseignement élémentaire, dans l'enseigne-
ment de langues étrangères, dans la réforme de l'orthographe, dans
la création de systèmes d'écriture
nouveaux pour des peuples sans
écriture ou avec des systèmes d'écriture incommodes,
pour le per-
fectionnement de la sténographie, enfin pour l'étude (et, peut-être,
pour le traitement) de certaines formes d'aphasie. Nous ne vou-
lons que donner une caractéristique générale de la phonologie
actuelle non seulement comme science, mais aussi
comme mou-
vement scientifique. Pour faire cela, il nous faut revenir à l'his-
toire de la phonologie actuelle et trouver les traits essentiels
par
lesquels la phonologie actuelle se distingue des tentatives de
ses
prédécesseurs.
Nous avons vu que les seuls prédécesseurs de la phonologie
actuelle
qui puissent entrer en ligne de compte sont F. de Saussure (avec
l'école « genevoise ») et J. Baudouin de Courtenay. F. de Saussure
a
constaté que le signifiant linguistique est « incorporel
», que ce ne
sont pas les sons, mais les oppositions phoniques qui importent
pour
la langue, enfin que les phonèmes n'existent
que comme membres
d'un système. Il a proclamé comme principes méthulogiques la
sévère
distinction entre la parole et la langue, la conception de la langue
comme un système où tout se tient et la nécessité d'étudier chaque
élément de la langue dans ses rapports avec le système entier. Mais
reusement cette faute a très souvent été commise parles linguistes, et beaucoup
de « faits historiques » soi-disant établis reposent
sur des fautes de ce genre.
pour le côté phonique de la langue, F. de Saussure s'est borné
à cette déclaration, et son école en est restée là.'L'intérêt principal
de F. de Saussure et de son école était dirigé vers le côté « concep-
tuel » de la langue, sur les problèmes de sémantique, de stylistique,
de syntaxe. Ni F. de Saussure, ni aucun de ses adeptes n'ont jamais
essayé d'appliquer leurs principes théoriques à la solution de pro-
blèmes phonologiques plus ou moins compliqués ou à la descriplion
scientifique d'un système phonologique concret. Or ce n'est qu'en
travaillant sur des matériaux concrets qu'on peut arriver à perfec-
tionner et à détailler une théorie. Privée de cette source de perfection-
nement, la théorie de F. de Saussure resta inachevée dans sa partie
touchant le côté phonique de la langue. — J. Baudouin de Courtenay
insistait beaucoup moins que F. de Saussure sur la notion de « sys-
tème », mais en revanche il avait sur la différence entre les « sons »
et les « phonèmes » des idées plus claires que le maître de 'Genève,
Lui et son école s'intéressaient au côté phonique de la langue beau-
coup plus que l'école de Genève. Cependant, il faut constater que les
découvertes de Baudouin de Courtenay dans le domaine de la phono-
logie des langues concrètes qu'il avait étudiées n'étaient pas nom-
breuses. J. Baudouin de Courtenay semble ne pas s'être bien rendu
compte de toute la portée qu'avait la découverte de la distinction
entre son et phonème et de la révolution que cette découverte devait
produire dans l'étude des langues concrètes. De là une certaine indé-
cision dans des cas où, pour être conséquent, il fallait rompre brus-
quement avec le point de vue traditionnel. Ce manque de résolution
rétrécissait le champ d'application de la théorie et empêchait par là
même son développement. — La nouvelle génération de phonologues
se distingue avant tout par la résolution avec laquelle elle aborde les
problèmes de la phonologie de différentes langues et par le courage
avec lequel elle se décide à développer les théories fondamentales
de la phonologie jusqu'à leurs dernières conséquences. Par suite,
le champ des recherches phunologiques se trouve considérablement
agrandi et la théorie est devenue non seulement plus détaillée, mais
aussi beaucoup plus conséquente et plus radicale qu'elle ne l'était
chez F. de Saussure et J. Baudouin de Courtenay. Mais, ce qui importé
surtout, c'est que cette théorie s'appuie sur une masse de faits
concrets, qu'elle est toute née du travail sur des problèmes concrets
de la phonologie des langues les plus différentes. La phonologie
actuelle ne se borne pas à déclarer que les phonèmes sont toujours
membres d'un système, elle montre des systèmes phonologiques
cqpcrets et met en évidence leur structure.
Ce caractère concret de la phonologie actuelle la conduit vers la
recherche de lois phonologiques valables pour toutes les langues du
monde. En appliquant les principes de la phonologie à beaucoup de
langues toutes différentes pour mettre en évidence leurs systèmes
phonologiques, et en étudiant la structure de ces systèmes, on ne
tarde pas à remarquer que certaines combinaisons de corrélations
se retrouvent dans les langues les plus diverses, tandis que d'autres
n'existent nulle parti. Ce sont là des lois de la structure des systèmes
phonologiques. Bien qu'elles soient trouvées par pure induction
empirique, ces lois se laissent parfois déduire logiquement 2,
ce qui
leur donne un caractère absolu. La recherche de ces lois est caracté-
ristique de la phonologie actuelle. Ni F, de Saussure, ni J, Baudouin
de Courtenay n'ont jamais essayé de formuler des lois phonologiques
concrètes (bien que l'existence de telles lois soit la conséquence de la
notion de « système où tout se tient »). Sous ce rapport, la phonologie
actuelle n'a pas de prédécesseur parmi les linguistes des générations
précédentes3.
La recherche de lois phonologiques générales suppose l'étude
comparée des systèmes phonologiques de toutes les langues du
monde, abstraction faite de leurs rapports génétiques. Cette étude
1. Ainsi, par exemple, toutes les langues qui distinguent un accent ascendant
et un accent descendant (p. ex. le lituanien, le serbo-croate, le Slovène, le vieux
grec, le chinois, le siamois, etc.) distinguent aussi des voyelles brèves et
longues. Parmi ces langues, il y en a qui présentent les deux sortes d'accent
sur les voyelles brèves aussi bien que sur les longues (p. ex. le dialecte stoka-
vien du serbo-croate employé comme langue littéraire).d'autres qui ne connais-
sent une différence phonologique des deux accents que sur des voyelles (ou
des syllabes) longues (p. ex. le lituanien. le slovène, le grec) ; mais il n'y a
aucune langue qui distingue les deux sortes d'accent sur les voyelles brèves sans
les distinguer sur les voyolles longues.
2. Ainsi, par exemple. le lien qui existe entre la « corrélation mélodique » et
la « corrélation quantitative » peut ètre expliqué par le fait que la distinction
de deux intonations n'est possible que si le commencement et la fin d'une
voyelle sont perçus comme deux moments distincts, — ce qui suppose la.
notion de la durée.
3. Les lois générales qu'établit M. GILHIMONT sont de nature toute différente.
Elles visent les combinaisons de sons et non pas la structure des systèmes
phonologiquetf".
comparée, qui jusqu'ici n'avait jamais été entreprise sur de telles
dimensions, a permis aux phonologues actuels non seulement d'éta-
blir certaines lois générales, mais aussi de constater que beaucoup
de phénomènes phonologiques se répandent dans des régions géo-
graphiques plus ou moins vastes et occupées par des langues de dif-
férentes familles. Ce fait est loin d'être expliqué (l'hypothèse de
l'action de « substrats » étant très insuftisante). Mais sa constatation
demande la constitution d'une nouvelle discipline, — la « géographie
phonologique »1.
Les théories de F. de Saussure et de J. Baudouin de Courtenay sont
nées à une époque où la linguistique scientifique était presque
synonyme de linguistique historique. Et comme cette linguistique
historique était atomiste et ne faisait qu'étudier l'histoire des élé-
ments isolés, elle s'opposait aux tendances universalistes et structu-
ralistes des nouvelles théories. F. de Saussure aussi bien que J. Bau-
douin de Courtenay devaient, donc, pour défendre leur point de vue,
insister sur la nécessité et la légitimité de la linguistique statique
(synchronique, d'après F. de Saussure). Il est psychologiquement
naturel que cette attitude ait amené une certaine dégradation de la
linguistique historique. Au lieu d'essayer de réformer cette dernière
pour établir un équilibre entre elle et la linguistique statique, on
s'est simplement détourné de l'histoire de la langue. Cette attitude
envers la linguistique historique peut être signalée chez J.Baudouin
de Courtenay, mais c'est surtout F. de Saussure qui a fait de l'oppo-
sition entre la « synchronie » et la « diachronie » une des bases fon-
damentales de sa théorie. D'après lui, ce n'est que la linguistique
synchronique (statique) qui a pour objet la langue comme « système
où tout se tient », tandis que la linguistique diachronique (histo-
rique) ne peut étudier que les faits isolés, les changements partiels
qui apportent du désordre dans le système de la langue et qui en
eux-mêmes sont dénués de tout sens. — La phonologie actuelle ne
peut pas accepter ce point de vue, qu'elle envisage comme une con-
1. Notons que cette nouvelle discipline (dont le premier échantillon est
donné par le livre de M. JAKOUSON sur les langues eurasiennes,résume dans son
article, Tr. d. C. L. cl. Pr.. i\', p. 234-240) se trouve enrapport avec la tendance
universaliste caractéristique delà phonologie actuelle. Le système phonologique
d'une langue apparaît connue membre d'un ensemble plus grand, embrassant
les systèmes des langues de lit même région géographique, et doit otre étudié
dans ses rapports avec les autres membres du même ensemble.
cession à l'atomisme des « néo-grammairiens ». Si, à chaque moment
donné, la langue est un « système où tout se tient », le passage d'un
état de langue à un autre ne peut être effectué par des changements
isolés dénués de tout sens. Puisqu'un système phonologique n'est
pas la somme mécanique de phonèmes isolés, mais un tout orga-
nique dont les phonèmes sont les membres et dont la structure est
soumise à des lois, — la « phonologie historique » ne peut se borner
à l'histoire des phonèmes isolés, mais doit envisager le système pho-
nologique comme une entité organique en train de se développer.
Envisagés de ce point de vue, les changements phonologiques et
phonétiques reçoivent un sens, une raison d'être. Tout en étant jus-
qu'à un certain point déterminée par les lois de structure générales
— qui excluent certaines combinaisons et en favorisent d'autres —,
l'évolution du système phonologique est à chaque moment donné
dirigée par la tendance vers un but. Sans admettre cet élément téléo-
logique, il est impossible d'expliquer l'évolution phonologique. Cette
évolution a donc un sens, une logique interne, que la phonologie
historique est appelée à mettre en évidence1. La phonologie actuelle
insiste sur ce point. C'est là, peut-être, que la différence entre la
phonologie actuelle et les théories de F. de Saussure est le plus évi-
dente2.
En résumant tout ce qui vient d'être dit, nous constatons que,
comme mouvement scientifique, la phonologie actuelle est caracté-
1. La peur superstitieusequ'éprouvaient jusqu'à présent les linguistes devant
les explications téléologiques les faisait renoncer à toute explication des chan-
gements du système phonologique. Les exceptions à cette règle générale sont
rares. Parmi les linguistes français, il faut nommer MM. MEILLET et GHA1HIONT
qui, en traitant de « phonétique historique », emploient largement la notion de
« tendance » (notion essentiellement téléologique) ; parmi les linguistes alle-
mands, mentionnons M. LUICK qui, dans sa grammaire historique de l'anglais,
a envisagé l'évolution du vocalisme anglais comme dirigée par une logique
interne. Cependant ces exceptions restent des exceptions tant qu'on ne pro-
clame pas les deux principes fondamentaux '10 ce ne sont pas les phonèmes
ou les sons isolés, c'est le système phonologique qui est sujet à l'évolution
2° touto évolution d'un système comme tel est dirigée par la tendance vers un
but.
2. C'est surtout M. R. JAKOBSON qui, dans son bel ouvrage « Remarque sur
l'évolution phonologique du russe » (Tr. d. C. L. d. Pr., Il), a insisté sur ces
idées en les illustrant par de multiples faits de la phonologie historique des
langues slaves. Il est étonnant que M. A.MAZON, dans une critique (bien injuste,
d'ailleurs) du livre de M. R. JAKOBSON, aflirme que l'idée fondamentale de ce
livre n'est que c(l'écho multiplié de quelques idées de b\ de Saussure » (liev. d.
Etudes slaves, X, p. 104). Le Cours tle linguistique générale de F. PE SAUSSURE
est-il si peu connu en France?
risée surtout par son structuralisme et son universalisme sysléma-
tique. Ce trait la distingue radicalement des écoles linguistiques
antérieures, individualistes etatomistes par excellence : si quelques-
unes de ces écoles ont adopté des idées structuralistes et universa-
listes, en s'opposant par là même aux courants dominants de la lin-
guistique de leur époque, elles n'avaient pu le faire d une manière
aussi systématique que la phonologie actuelle. C'est que non seule-
ment la linguistique, mais toute la science de la même époque était
dominée par l'individualisme et l'atomisme. La phonologie actuelle
se trouve à cet égard dans des conditions beaucoup plus favorables.
L'époque où nous vivons est caractérisée par la tendance de toutes
les disciplines scientifiques à remplacer l'atomisme par le structura-
lisme et l'individualisme par l'universalisme (au sens philosophique
de ces termes, bien entendu). Cette tendance se laisse observer en
physique, en chimie, en biologie, en psychologie, en science écono-
mique, etc. La phonologie actuelle n'est donc pas isolée. Elle fait
partie d'un mouvement scientifique plus ample. Il reste à espérer que
les autres parties de la linguistique (la morphologie, la syntaxe, la
lexicologie, la sémantique, etc.) viendront bientôt, sous ce rapport,
rejoindre la phonologie.
(Vienne, juillet 1!J$1.)
PRINCE N. TRUUETZKUr.