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LA N A U S ÉE LE MUR
LES MOUCHES HUIS CLOS
(trois actes) (un acte)
L IMAGINAIRE
(Collection * Bibliothèque des Idées »)
L'ÊTRE ET LE NÉANT
(Essai d'ontologie phénoménologique,
« Bibliothèque des Idées »)
LES CHEMINS DE LA LIBERTÉ
i I H
L'Age de Raison | Le Sursis
THÉÂTRE, I
(Les Mouches, Huis Clos, Morts sans Sépulture,
La Putain respectueuse.)
S I T U A T I O N S , i et II
BAUDELAIRE
En préparation
III IV
La Mort dans l'âme La dernière Chance
L'IMAGINATION
ESQUISSE D ' U N E THÉORIE DES ÉMOTIONS
LA PUTAIN RESPECTUEUSE
JEAN-PAUL SARTRE
SITUATIONS, II
nrr
GALLIMARD
Dix-neuvième Edition.
/ / a été tiré de cet ouvrage mille cent neuf exemplaires,
savoir : quatorze exemplaires sur vélin de Hollande,
dont dix numérotés de I à X et quatre, hors commerce,
marqués de A à D; cinquante-cinq exemplaires sur
vélin pur fil Navarre, dont cinquante numérotés de X I
à L et cinq, hors commerce, marqués de E à I; mille
quarante exemplaires sur alfa Navarre dont neuf cent
quatre-vingt-dix numérotés de 1 à 990 et cinquante,
hors commerce, numérotés de 991 à 1040. Ces exemplaires
portent la mention EXEMPLAIRE SUR ALFA et sont
reliés d'après la maquette de Mario Prassinos.
à DOLORÈS
« Si vous voulez vous engager, écrit un jeune imbé-
cile, qu'attendez-vous pour vous inscrire au P. C? *
Un grand écrivain qui s'engagea souvent et se dégagea
plus souvent encore, mais qui Va oublié, me dit : « Les
plus mauvais artistes sont les plus engagés: voyez
les peintres soviétiques. » Un vieux critique se plaint
doucement : « Vous voulez assassiner la littérature;
le mépris des Belles-Lettres s'étale insolemment dans
votre revue. » Un petit esprit m'appelle forte tête, ce
qui est évidemment pour lui la pire injure; un auteur
qui eut peine à se traîner d'une guerre à Vautre et dont
le nom réveille parfois des souvenirs languissants chez
les vieillards, me reproche de n'avoir pas souci de
l'immortalité: il connaît, Dieu merci, nombre d'hon-
nêtes gens dont elle est le principal espoir. Aux yeux
d'un folliculaire américain, mon tort est de n'avoir
jamais lu Bergson ni Freud; quant à Flaubert, qui
ne s'engagea pas, il paraît qu'il me hante comme un
remords. Des malins clignent de l'œil: « Et la poésie ?
Et la peinture ? Et la musique ? Est-ce que vous voulez.
aussi les engager ? » Et des esprits martiaux demandent:
« De quoi s'agit-il ? De la littérature engagée ?Eh bien,
58 SITUATIONS, II
QU'EST-CE QU'ECRIRE ?
O saisons! O châteaux!
Quelle âme est sans défaut ?
QU'EST-CE QUE LA LITTÉRATURE ? 69
ils ont aimé leur public, ils n'ont pas tenté de justifier
des privilèges acquis, ils n'ont pas médité sur la
mort ou sur l'impossible, mais ils ont voulu nous
donner des règles de vie. Ils ont été beaucoup lus,
bien plus, certainement, que les surréalistes. Pour-
tant, si l'on veut marquer d'un nom les principales
tendances littéraires de l'entre-deux-guerres, c'est
au surréalisme qu'on pensera. D'où vient leur échec ?
Je crois qu'il s'explique, si paradoxal que cela
puisse paraître, par le public qu'ils se sont choisi.
Aux environs de 1900, à l'occasion de son triomphe
dans l'affaire Dreyfus, une petite bourgeoisie labo-
rieuse et libérale a pris conscience d'elle-même. Elle
est anticléricale et républicaine, antiraciste, indivi-
dualiste, rationaliste, et progressiste. Fière de ses
institutions, elle accepte de les modifier, mais non
de les bouleverser. Elle ne méprise pas le prolétariat
mais elle se sent trop proche de lui pour avoir cons-
cience de l'opprimer. Elle vit médiocrement, parfois
malaisément, mais elle n'aspire pas tant à une
fortune, à des grandeurs inaccessibles, qu'à amé-
liorer son train de vie dans des limites fort étroites.
Elle veut vivre, surtout. Vivre, cela veut dire, pour
elle : choisir son métier, l'exercer avec conscience
et même avec passion, garder dans le travail une
certaine initiative, contrôler efficacement ses repré-
sentants politiques, s'exprimer librement sur les
affaires d'État, élever ses enfants dans la dignité.
Cartésienne en ceci qu'elle se méfie des élévations
trop brusques et que, au contraire des romantiques
qui ont toujours espéré que le bonheur fondrait
sur eux comme une catastrophe, elle songe plutôt
à se vaincre qu'à changer le cours du monde. Cette
classe qu'on a heureusement baptisée « moyenne »
enseigne à ses fils qu'il ne faut rien de trop et que le
mieux est l'ennemi du bien. Elle est favorable aux
revendications ouvrières, à la condition que celles-
QU'EST-CE QUE LA LITTÉRATURE ? 233
que les œuvres de ceux qui sont mes amis m'aident à livrer.
Malgré eux, malgré moi, je ne sais guère vivre.
« Le recours à l'imaginaire, qui est critique de l'état social,
qui est protestation, et précipitation de l'histoire, risque-t-il
de couper les ponts qui nous relient en même temps qu'à la
réalité, aux autres hommes ? Je sais qu'il ne peut être question
de liberté pour l'homme seul. » (Yves BONNEFOY : Donner à
vivre, in « Le Surréalisme en 1947», page 68.)
Mais, entre les deux guerres, le surréalisme parlait d'un
tout autre ton. Et c'est à tout autre chose que je m'en prenais
plus haut : lorsque les surréalistes signaient des manifestes poli
tiques, faisaient comparaître en jugement ceux d'entre eux
qui n'étaient pas fidèles à la ligne, définissaient une méthode
d'action sociale, entraient au P. C., en sortaient avec éclat,
se rapprochaient de Trotzky, se souciaient de préciser leur
position vis-à-vis de la Russie soviétique, j'ai peine à croire
qu'ils pensaient agir en poètes. A cela on répondra que l'homme
est tout un et qu'on ne le divise pas en politique et en poète.
J'en demeure d'accord et j'ajouterai même que je suis plus
à l'aise pour le reconnaître que des auteurs qui font de la
poésie un produit de l'automatisme et de la politique un effort
conscient et réfléchi. Mais enfin c'est un truisme, vrai et faux
à la fois, comme tous les truismes. Car si l'homme est le même,
si, d'une certaine façon, on retrouve partout sa marque, cela
ne signifie point que ses activités soient identiques; et si, en
chaque cas, elles mettent en jeu tout l'esprit, il n'en faut pas
conclure qu'elles le mettent en jeu de la même manière. Ni non
plus que la réussite de l'une soit la justification des échecs de
l'autre. Pense-t-on d'ailleurs qu'on flatterait les surréalistes en
leur disant qu'ils ont fait de la politique en poètes ? Cependant
il est loisible à un écrivain qui veut marquer l'unité de sa vie
et de son œuvre de montrer par une théorie la communauté de
visées de sa poésie et de sa praxis. Mais précisément cette théo
rie ne peut être elle-même que de la prose. Il y a une prose sur
réaliste et c'est elle seule que j'ai étudiée dans les pages qu'on in
crimine. Seulement le surréalisme est insaisissable; c'est Protée.
Il se présente tantôt comme tout engagé dans la réalité, dans
la lutte, dans la vie; et si on lui demande des comptes, il se
met à crier qu'il est poésie pure et qu'on l'assassine et qu'on
n'entend rien à la poésie. C'est ce que montre assez cette
anecdote que chacun sait, mais qui est lourde de signification ;
Aragon avait écrit un poème qui parut, à juste titre, une pro
vocation au meurtre; il fut question de poursuites; alors, tout
le groupe surréaliste affirma solennellement l'irresponsabilité
du poète: les produits de l'automatisme ne sauraient être
assimilés à des propos concertés. Cependant, pour qui avait
326 SITUATIONS, II
L A NATIONALISATION DE LA LITTÉRATURE. . . 31
I. — Qu'est-ce qu'écrire ? 59
Notes 85
IL — Pourquoi écrire ? 89
Notes 115