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L’Atelier du Centre de
recherches historiques
Revue électronique du CRH
16 Bis | 2017 :
L'Atelier Bis - Ecrire les écritures. Hommage à Daniel Fabre
Littérature, anthropologie,
ethnocritique
MARIE SCARPA
Résumés
Français English
Après avoir rappelé les nombreux chantiers que Daniel Fabre a consacrés à la littérature, dans
une périodisation en deux temps (avant et après « l’institution de la culture »), l’auteure revient
sur les difficultés de réception et de compréhension que peut rencontrer dans le champ des
études littéraires ce type d’anthropologie du symbolique. Mais elle en montre aussi tout l’intérêt
pour certains nouveaux pans de la critique littéraire, l’ethnocritique en particulier qui émerge en
France dans les années 1990. C’est à partir du roman de Zola, La Fortune des Rougon, que la
démonstration est conduite plus explicitement, au sujet, entre autres, des « juvéniles revenants »,
de leur « invisible initiation », du roman et des « conflits de cosmologies » (ainsi de l’opposition
des plus sédentaires, les Rougon, et des plus nomades, les Macquart) jusqu’à interroger in fine ce
que seraient les processus textuels de sémiotisation culturelle, la « pensée sauvage » du récit
littéraire et la notion même de réalisme.
The author begins by giving a brief summary of the many studies Daniel Fabre devoted to
literature (organised in two periods, before and after “the institution of culture”). She then
discusses the problems of reception and comprehension that this type of anthropology of the
symbolic may encounter in the field of literary studies. But she also demonstrates the pertinence
of this type of analysis for certain new approaches to literary criticism, ethnocriticism in
particular, which emerged in France in the 1990s. This method is then applied to Zola’s La
Fortune des Rougon through a study of “juvenile ghosts”, of their “invisible initiation », of the
“conflicts of cosmologies” (thus of the contrast between the most sedentary characters, the
Rougon family, and the most nomadic, the Macquarts), going so far as to ultimately raise the
question of the textual processes of cultural semiotisation involved, the “savage mind” of literary
narrative and the very notion of realism.
Entrées d’index
Mots-clés : anthropologie, ethnocritique, Fabre (Daniel), littérature, roman, réalisme, Zola
(Emile)
https://acrh.revues.org/7519 1/12
3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique
Keywords : anthropology, ethnocriticism, Fabre (Daniel), literature, novel, realism, Zola (Emile)
Texte intégral
L’anthropologue et la littérature
1 Pour la spécialiste de littérature que je suis, intéressée par l’anthropologie au point de
faire de l’articulation des deux disciplines mon champ de recherche principal, avoir
rencontré Daniel Fabre a été un privilège. Je mesure en effet la chance que j’ai eu de
côtoyer un anthropologue majeur des sociétés du proche et si féru de littérature que
d’une certaine manière il n’a jamais cessé de penser son travail et sa pratique en dehors
d’elle. La littérature ? Les littératures plutôt, toutes les littératures, orales ou écrites,
poétiques ou narratives, françaises ou étrangères, minorées ou patrimonialisées etc. De
Daniel, je crois qu’on peut dire qu’il avait tout lu et qu’il voulait tout lire. Une petite
anecdote : lors de l’une de nos rencontres l’an dernier, il a voulu que nous nous
retrouvions au Marché de la poésie Place Saint-Sulpice à Paris : il y connaissait tous les
éditeurs et un nombre impressionnant de poètes contemporains. Tout lire et lire tout le
temps ! Ce qui était sidérant avec lui c’était de le voir mentionner un auteur méconnu,
un passage précis de La Recherche du temps perdu tout aussi bien qu’un essai sur la
littérature tombé aux oubliettes depuis longtemps. Un encyclopédisme assorti d’une
mémoire qui forçait l’admiration, mais surtout une passion, un appétit des livres et des
mots, vital, constitutif, en rapport disait-il avec l’enfance et ses années de formation. Il
suffisait d’ailleurs de l’entendre raconter Joë Bousquet (j’ai eu la chance, comme
d’autres ici, d’avoir Daniel pour guide dans la chambre du poète de Carcassonne, dans
la « Maison des Mémoires »). En somme, la littérature parce qu’elle donne le/les
monde(s), qu’elle est du/des mondes et quand on est issu de milieux populaires et
provinciaux comme lui, comme moi, on sait ce qu’on doit – aussi - à nos lectures.
Daniel Fabre était tombé dans « le livre et sa magie », pour reprendre dans un autre
sens (mais pas si éloigné au fond) le titre d’un de ses articles majeurs1. La littérature
c’est donc d’abord la rêver et je l’entends encore rappeler comment Yvonne Verdier et
lui se projetaient parfois en romanciers… Mais, chez lui, rêver c’était penser toujours :
la littérature (je ne parlerai ici que de celle que je travaille : la littérature patrimoniale,
légitime, écrite) va se placer progressivement au cœur de son projet anthropologique,
lui dont on a dit qu’il était l’ethnologue des écarts et des différences dans nos sociétés.
Ce qui l’intéressait je crois c’est l’articulation entre spécificité et généralité, la manière
dont une pratique singulière, ici d’ordre esthétique, s’inscrit dans des temps et des
lieux, dont elle dit une histoire et un moment, dont elle est, comme nombre de
pratiques symboliques, à la fois cause et résultat d’une configuration sociale et
culturelle. Je rappelle simplement le titre qu’il a souhaité donner au colloque que j’ai
organisé avec lui dans la continuité de celui sur les Savoirs romantiques : « Le Moment
réaliste. Un tournant de l’ethnologie »2.
2 Sans faire la traversée complète des nombreux chantiers que Daniel Fabre a
consacrés à la littérature, je dirai seulement que, même si elle m’apparaît presque à
l’origine et à l’horizon de tout son itinéraire personnel et intellectuel, j’ai l’impression
d’y déceler une périodisation en deux temps, soit avant et après la formulation par lui
d’une inscription dans une « anthropologie du symbolique » dite et assumée comme
telle et qui le conduit à « l’institution de la culture » et à la fondation du LAHIC (le
Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire de l’Institution de la Culture). Avant (quand
ses travaux portent surtout sur le conte occitan de tradition orale, le carnaval et la fête,
les sociétés rurales contemporaines et la construction de la « jeunesse » en particulier
masculine), l’intérêt pour la littérature est plus latéral si je puis dire :
- La littérature est une source ou un document (ainsi par exemple des écrivains
sollicités par lui dans les études relatives à « la voie des oiseaux »3, de Rétif à Sartre, en
passant par Stendhal, Chateaubriand ou Hugo).
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3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique
- Elle est une écriture spécifique, en particulier quand elle produit de la fiction, à
interroger à côté d’autres écrits, ordinaires ou officiels, et des oralités. Il est passionnant
à cet égard de relire le dossier de la controverse qui a accompagné la parution du
Brigand de Cavanac, une controverse qui portait en grande partie sur l’analyse
consacrée par les auteurs à la part du discours du roman dans la cristallisation de la
figure du « Brigand » et sa construction en héros plus moderne (à l’individualité et la
subjectivité plus affirmées). Ce qui gênait en particulier Jean-Claude Chamboredon
était, rappelons-le, « le parti hyper-poétique privilégiant la fiction » de cette
anthropologie de « texticulteurs »4.
- Au fond, c’est déjà « ce que peut la littérature » qui intéresse Daniel Fabre, pour
reprendre un sous-titre à l’un de ses derniers articles5, en ce qu’elle ne cesse de faire
retour sur ses savoirs, lui donnant à penser les mutations épocales, les évolutions dans
les pratiques et du même coup les limites de la discipline anthropologique. Je songe ici
en particulier à ses études sur les rites, rites de passage « invisibles » dans l’initiation
des pages qu’il débusque, entre autres ouvrages, dans Le Page disgrâcié de Tristan
Lhermite6, rites au contraire spectaculaires comme les charivaris dont il cherche les
descriptions dans un vaste ensemble de romans européens7. On connaît son hypothèse :
si les romans mettent en scène des « conflits de cosmologies »8, on assiste à une
progressive valorisation du point de vue des « victimes » du rite contre l’ordre
coutumier et collectif des communautés, une évolution donnée à lire avant que les
ethnologues et les historiens ne se préoccupent véritablement et de ces rites et de leurs
sens.
3 Cette pensée du roman moderne me semble trouver une forme de point d’orgue dans
la préface qu’il écrit avec Claudine Vassas à l’essai posthume d’Yvonne Verdier,
Coutume et Destin, consacré à l’œuvre de Thomas Hardy, et qui s’intitule précisément
« Du rite au roman ». Comme si, après les mythes et les contes, récits collectifs
fortement investis par l’anthropologie, la place était à prendre dans ce champ
disciplinaire par le roman et plus largement par la littérature et les arts européens9. La
rencontre n’est plus latérale. Et le texte de fondation du LAHIC (2000 : 14) assume la
centration du programme de recherche autour de la littérature et des arts :
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L’ethnocritique de la littérature
9 Le mot « ethnocritique » forgé en 1988 par Jean-Marie Privat sur le modèle de
« psychocritique », « mythocritique », « sociocritique » désigne une méthode d’analyse
littéraire à la croisée des travaux de la poétique et de l’anthropologie18. Quelle
anthropologie ? Précisément celle de Lévi-Strauss et de ses continuateurs pour les
sociétés du proche, dont Daniel Fabre était l’un des meilleurs représentants. Notre
ambition est de contribuer à une poé/poïétique culturelle du texte littéraire, en étudiant
les cultures du texte (et non dans le texte) et leurs logiques discursives jusque dans le
grain de la langue elle-même (« toute une mythologie est déposée dans le langage »
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écrit Wittgenstein19). Nous nous situons dans la lignée des travaux de Bakhtine, qui
réclame de la science de la littérature qu’elle « (resserre) son lien avec l’histoire de la
culture » et qui théorise la dialogisation et l’hétérophonie20, et de manière générale
dans l’héritage de ceux des « formalistes » qui ont pensé leurs recherches en relation
avec le folklore ou l’ethnologie (Jakobson, Propp, Greimas) même si les spécialistes de
littérature ont parfois mis de côté cette dimension de leurs travaux21.
10 Comment avons-nous rencontré Daniel Fabre ? Dans la mesure où nos premiers
essais s’intéressaient aux logiques de charivarisation et de carnavalisation littéraires22,
nous connaissions ses travaux d’ethnologie sur le conte, le carnaval et le charivari, la
jeunesse mais nous n’avons lu ceux qui étaient plus directement consacrés à la
littérature qu’à la parution de Coutume et Destin. Le premier essai d’ethnocritique,
Bovary Charivari, paraît en 1994, soit un an avant l’essai de Verdier. Voici un extrait de
sa présentation (en quatrième de couverture) :
« un mouton » par un gendarme, dans l’aire Saint-Mittre, sur la pierre tombale qui lui
servait de lieu de rendez-vous. La critique zolienne est largement revenue sur les règles,
les rôles, les fonctions de cette idylle, qui emprunte explicitement à de grands modèles
intertextuels (le conte grec – Daphnis et Chloé, la pastorale –, la légende de Pyrame et
Thisbé (et donc celle de Roméo et Juliette). Les jeunes gens innocents sont placés du
côté de la nature protectrice (un locus amoenus) et du temps d’avant le temps, avant la
rencontre d’une Histoire catastrophique ; ils narrent une nouvelle version d’Éros et
Thanatos etc. C’est la « part du mythe » dont nous parlions… D’autant que l’exécution
de Silvère n’a aucune utilité factuelle dans l’intrigue : le succès de son oncle Pierre
Rougon est, au moment de sa mort, déjà assuré. On en fait, en reprenant les thèses de
René Girard, un bouc émissaire, la victime expiatoire d’une double violence originaire
et sur le sacrifice de laquelle se fondent un règne politique et la famille des Rougon-
Macquart. Une violence archaïque (la critique affectionne le terme) mais que le
XIXe siècle (l’ombre de la Révolution de 89 plane sur l’histoire naturelle et sociale
On songe aussi à la voie/x des garçons (com)prise dans le « triangle initiatique » dont
parle Daniel Fabre pour des sociétés fort proches de celle décrite par Zola, triangle des
frontières entre le sauvage et le domestique, le mort et le vivant subsumées par celle qui
passe entre le féminin et le masculin. La narration fait bien emprunter à Silvère les
voies coutumières de l’adolescence masculine, celle de l’ensauvagement symbolique du
garçon sur la voie des oiseaux qui est aussi celle des morts. Comme son nom l’indique
peut-être déjà : Silvère (le sylvestre) Mouret/mourait. Ce marcheur de l’ailleurs quitte
périodiquement la masure du faubourg qu’il habite pour faire le mur, jouer au puits,
gagner les vergers puis élargir progressivement ses promenades hors de la ville, sur la
route de Nice, puis au bord de la rivière, la Viorne, enfin dans les collines désertiques
des Garrigues. On le voit expérimenter son corps, nager, grimper aux arbres, dénicher
les oiseaux. Un ensauvagement qui s’approfondit dans la proximité avec les morts et
tout ce que Daniel Fabre décrit dans son article « Juvéniles revenants » – à savoir
l’homologie des diverses « lisières » et les jeux des adolescents qui s’amusent la nuit à
(se) faire peur, les rencontres dans les cimetières, les déguisements en croquemitaine et
autres loups‑garous28 – se retrouve d’une façon ou d’une autre dans La Fortune des
Rougon. Zola semble connaître la parenté anthropologique de l’adolescent et du mort,
mieux sans doute que le lecteur littéraire qui a tendance à lui accorder, on l’a vu, un
statut poétique d’exception.
14 Mais le plus intéressant peut-être ce sont les accrocs ou les « écarts » au parcours
attendu : ni Miette ni Silvère ne sortent de l’ensauvagement adolescent, qui ne devrait
avoir qu’un temps. Je n’évoquerai ici que le garçon. La narration souligne son déficit de
socialisation : il est orphelin (et son père s’est pendu), il est élevé par une grand-mère
qui vit en recluse et qui est présentée comme une déjà morte. Et dans cette voie/x des
oiseaux et des morts, comment ne pas noter aussi qu’il est toujours accompagné par
Miette et qu’elle est la plus téméraire du couple ? C’est elle, dans les explorations
évoquées, qui nous est décrite surtout faisant le mur, grimpant aux arbres, dénichant
les oiseaux les plus haut perchés, au plus loin de la norme culturelle (tout Plassans la
traite d’ailleurs de « coureuse »). Lui se contente souvent d’avoir peur pour elle. C’est
Miette encore qui joue le croquemitaine et dont les dents rappellent à plusieurs reprises
les crocs des jeunes loups. Malgré ses dix-sept ans et sa force physique, Silvère est
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chassé des maisons qu’il occupe. Un mot encore du « système » des métiers du côté des
Macquart : l’aïeul est donc braconnier, le fils vannier et le petit-fils, Silvère, apprend
celui de charron… Toutes activités passionnantes du point de vue qui nous occupe (en
ce qu’elles entretiennent un rapport étroit avec la question des lisières et de la
mobilité).
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surtout de penser la littérature en tant que littérature, en tant que régime langagier
spécifique, je pourrais ajouter que le réalisme est aussi la mise en scènes et en mots, la
sémiotisation, de logiques culturelles concurrentielles : logiques de rationalisation du
« réel » (logique indiciaire, logique de la raison raisonnante et de la raison graphique –
et l’exemple de Zola en témoigne) mais tout autant logiques des oralités et des récits
autres (mythes, contes, légendes, rêves), logiques des classes autres (populaires en
particulier), logiques des signes autres (du corps et du sort), logiques des autres (l’autre
femme, l’autre enfant, l’autre fou, l’autre sauvage, l’autre étranger, l’autre mort bien sûr
qui ne cesse de faire retour dans la fiction moderne). Et ces dernières mettent en œuvre
ce qu’on pourrait peut-être désigner comme la « pensée sauvage » du récit, essentielle
dans le plaisir du texte, parce qu’elle en est comme le surcroit d’imaginaire. Ce réalisme
hétérophonique serait le propre de la fiction… réaliste. Et c’est, pour nous, une autre
façon de croiser les « conflits de cosmologies ».
20 Daniel Fabre aurait souscrit, je crois, à ce que Merleau-Ponty écrivait de l’expérience
ethnologique : « elle ne vise pas l’universel de surplomb d’une méthode strictement
objective mais un universel latéral […], incessante mise à épreuve de soi par l’autre et
de l’autre par soi42 ».
21 Et c’est dans cet horizon que nous espérons inscrire aussi notre expérience de la
littérature.
Notes
1 Daniel FABRE, « Le livre et sa magie », Pratiques de la lecture, Chartier R. éd., Paris, Payot,
2003, p. 239-273.
2 Dans le cadre d’une coopération entre le LAHIC et l’ethnopôle GARAE (Carcassonne) pour un
programme de recherche intitulée « Histoire et science des mœurs. Le savoir des différences », D.
Fabre souhaitait construire une histoire autre de l’ethnologie, en partant des situations et des
discours où « un souci anthropologique » émerge, soit précisément dans les mouvements
intellectuels et artistiques. Cette histoire devait explorer cinq « moments », seuls deux ont pu
l’être : Savoirs romantiques. Une naissance de l’ethnologie (D. FABRE et J.-M. PRIVAT éds., Presses
Universitaires de Nancy, coll. EthnocritiqueS, 2011) et Le Moment réaliste. Un tournant de
l’ethnologie (D. FABRE et M. SCARPA éds., Nancy, EDULOR, coll. EthnocritiqueS, à paraître en
2017).
3 D. FABRE, « La Voie des oiseaux. Sur quelques récits d’apprentissage », L’Homme, 99, 1986, p. 7-
40.
4 Dominique BLANC et Daniel FABRE, Le Brigand de Cavanac. Le fait divers, le roman, l’histoire,
Paris, Verdier, 2015 (1982).
5 « Roman régionaliste et région romanesque : frontières de la littérature », Littérature
régionaliste et ethnologie, Sylvie Sagnes éd., Museon Arlaten / Ethnopôle Garae /Actes sud,
2015, p. 198-218.
6 L’essai, hélas non publié, devait s’intituler Le Page et son double.
7 L’article intitulé « Le roman du charivari » va paraître dans Le Moment réaliste, op. cit.
8 D. Fabre reprend la proposition que fait Vincent DESCOMBES dans Proust. Philosophie du roman,
Paris, Minuit, 1987.
9 Outre les travaux d’Y. Verdier et de D. Fabre, on peut penser à ceux de Jean Jamin sur Leiris et
Faulkner par exemple.
10 Il y aurait évidemment, en l’absence de publication des essais achevés sur la littérature (La
Bibliothèque des îles, Le Page et son double, La Maison du chat), tant d’articles de D. Fabre à
citer. Je ne renverrai ici qu’au n° 20 de la revue Gradhiva (2014) dont le dossier coordonné par
lui s’intitule Création Fiction (où l’on retrouvera, entre autres, sa réflexion, prolongée, sur « le
corps pathétique de l’écrivain ») et à l’article déjà cité « Roman régionaliste et région
romanesque » où il revient sur les basculements de « cosmologies » et les « territoires » du
roman régionaliste mais aussi celui de Quignard, Michon, Bergounioux.
11 J’ai tenté dans plusieurs contributions de poser le cadre général des relations entretenues
depuis le XIXe siècle par la littérature et l’anthropologie (La littérature comme anthropologie / la
littérature et l’anthropologie / l’anthropologie de la littérature) : voir par exemple « De
l’ethnologie de la littérature à l’ethnocritique », Recherches et Travaux, 82, dossier « Littérature
et anthropologie » (Silvia Disegni éd.), 2013, p. 21-27.
12 Gilbert DURAND, disciple de Bachelard, publie « Les structures anthropologiques de
l’imaginaire » aux PUF en 1963 ; son travail est déterminant dans le développement d’une
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mythocritique puis d’une mythanalyse et d’une mythodologie. On peut se reporter en France aux
travaux de Philippe Walter, Simone Vierne, Pierre Brunel par exemple.
13 René GIRARD, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972 et Le Bouc émissaire, Paris, Grasset,
1982. Ces travaux ont suscité autant de fascination (chez les littéraires) que de discussion (chez
les anthropologues).
14 On pense ici, pour n’en citer que quelques-uns des plus en vue, aux travaux menés à
l’Université de Louvain-la-neuve autour de Myriam Watthée-Delmotte dont il ne s’agit
évidemment pas de contester l’intérêt mais simplement de pointer les différences dans l’ancrage
théorique. On peut noter, dans l’espace francophone, le succès des études d’Eliade sur
l’initiation ; dans l’espace anglo-saxon, les prolongements vers les arts et la culture que Turner et
ses successeurs ont pu apporter à la formalisation en trois phases du rite de passage par Van
Gennep ont rencontré beaucoup d’intérêt. En revanche, la ressaisie du rite (y compris quand il
s’agit du carnaval, un objet pourtant « bon à penser » pour les littéraires) opérée en France par
l’ethnologie, à la croisée des travaux des folkloristes (ceux du XIXe jusqu’à Claude Gaignebet en
passant par Van Gennep) et de ceux de Lévi-Strauss, pour le dire vite, est restée peu connue du
champ des études littéraires.
15 Comme l’écrit Alain VIALA dans la notice « Anthropologie » du Dictionnaire du littéraire,
P. Aron, D. Saint-Jacques, A. Viala éds., PUF, 2002, p. 15-17 : « [...] le rapport de l’anthropologie
à la littérature peut s’entendre de deux façons : pour éclairer une conception de l’homme et de ses
comportements exprimés dans les textes, et pour analyser le littéraire comme une des
composantes de l’anthropologie culturelle. »
16 On le sait, Flaubert, quand il écrit Madame Bovary, rêve d’un « Livre sur rien » mais le sous-
titre qu’il donne à son roman est « Mœurs de province ».
17 R. CHARTIER, Le Jeu de la règle. Lectures, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2001,
p. 75.
18 On trouvera une bibliographie à peu près complète des travaux en ethnocritique de la
littérature sur le site : http://www.ethnocritique.com.
19 L. WITTGENSTEIN, Remarques sur Le Rameau d’or de Frazer, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982
(1932), p. 22.
20 M. BAKHTINE, La Poétique de Dostoievski, (Paris, Le Seuil, 1970 et Esthétique de la création
verbale, Paris, Gallimard, 1984.
21 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur aux différentes présentations que nous avons pu
faire de la démarche ethnocritique. Peut-être pouvons-nous citer seulement l’introduction au
premier colloque sur l’ethnocritique tenu à Metz en mai 2007 (auquel Daniel avait participé) et
qui a été publié sous le titre Horizons ethnocritiques, postface de Philippe Hamon, Presses
universitaires de Nancy, 2010. Parmi nos autres affiliations théoriques nous pourrions
mentionner aussi les travaux d’une certaine anthropologie historique (Vidal-Naquet, Vernant, Le
Goff, Schmitt etc.), ceux de Goody et de Bourdieu ou encore de M. de Certeau. Il ne s’agit pas de
donner à imaginer que l’ethnocritique est la seule méthode d’analyse littéraire à s’intéresser à la
culture populaire ou à la carnavalisation des textes littéraires : à partir des années 70, la réception
des théories bakhtiniennes, la montée en puissance de l’histoire culturelle, le développement des
cultural ou des native studies, entre autres, ont donné lieu à toute une série de lectures (on peut
penser en France à l’essai de François Laroque Shakespeare et la fête ou aux travaux d’Edmond
Cros par exemple). La cartographie du champ (et pas seulement français) des lectures
« anthropologiques» de la littérature, si nous avons commencé à l’établir, reste largement à faire.
Néanmoins, outre le fait que la carnavalisation et la culture populaire sont loin de résumer
l’ensemble des sujets d’étude de l’ethnocritique et que notre ancrage anthropologique n’est pas le
même, notre propos théorique est assez différent.
22 J.-M. PRIVAT, Bovary Charivari, Paris, CNRS Éditions, 1994 et M. SCARPA, Le Carnaval des
Halles. Une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, Paris, CNRS Éditions, 2000.
23 Cette collaboration a été essentielle pour nous, des actions de recherche communes au
séminaire d’ethnocritique que nous animons à l’EHESS depuis 2002.
24 Après Le Carnaval des Halles, op. cit., j’ai consacré une seconde monographie à Zola,
L’Éternelle jeune fille. Une ethnocritique du Rêve, Paris, Champion, 2009. Mais l’ethnocritique
n’a pas vocation à s’intéresser au seul récit réaliste du XIXe siècle : nous avons travaillé également
sur le théâtre ou la poésie moderne et contemporaine.
25 Je me permets de renvoyer aux deux articles que j’ai pu lui consacrer d’ores et déjà et qui
développent la lecture proposée ici : « Le vert paradis des amours enfantines », H. Mitterand et
E. Piton-Foucault (éds.) Lectures de Zola, Rennes, Presses Universitaires, p. 117-128 et « Figures
du Sauvage », B. Laville et F. Pellegrini (éds.), La Fortune des Rougon. Lectures croisées,
Bordeaux, Presses universitaires, p. 203-216.
26 L’article fondateur (et passionnant) en la matière est celui de Naomi SCHOR « Mythe des
origines, origine des mythes : La Fortune des Rougon », Les Cahiers naturalistes, 52, 1978,
p. 124-134.
27 P. VIDAL-NAQUET, « Du sauvage au cultivé : le passage de l’adolescence en Grèce ancienne »,
Enfant antique et pédagogie classique, Raison présente, Enfance et Civilisation, 59, 1981, p. 15
(repris dans Le Chasseur noir).
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3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique
28 D. FABRE, « Juvéniles revenants », Études rurales, 105-106, 1987, p.147-164.
29 Et le rapport, autodidacte, de Silvère à la lecture est tout à fait intéressant à analyser aussi,
surtout si l’on le relit à la lumière des propos de Daniel Fabre dans « Le livre et sa magie », article
cité.
30 Sur la question de la définition de ces notions, fort complexe, les travaux de grande
anthropologie abondent, depuis ceux de Lévi-Strauss évidemment à ceux de Descola, en passant
par tant d’autres. Je me contenterai de citer ici le n° 76 de la revue Communications, Nouvelles
figures du sauvage, paru en 2004 et deux contributions très heuristiques de Daniel FABRE : son
article « Le sauvage en personne », Terrain, 6, 1986, p. 6-18 et son compte rendu des essais de
Philippe Descola, Claude Macherel et alii, Marcello Massenzio, intitulé « Limites non frontières
du Sauvage », L’Homme, 175-176, 2005, p. 427-443.
31 J’ai été assez contente de trouver au détour des notes de Zola dans le dossier préparatoire du
roman cette rapide mention : « Ma première souche braconnier plus difficile à civiliser » (Ms
10345, f°24). Nous soulignons.
32 Sur l’hystérie de Dide et les logiques du sort interprétées d’un point de vue ethnocritique, on
peut se reporter à Sophie MÉNARD, Émile Zola et les Aveux du corps, Garnier, 2014, p. 87-120 et
« Les Logiques prédictives du récit », dans La Fortune des Rougon. Lectures croisées, B. Laville
et F. Pellegrini (éds.), op. cit., p. 117-134.
33 Ces catégories paradigmatiques fondamentales (toujours labiles, en fonction des contextes et
des moments, mais toujours aussi culturellement réglées et que nous n’envisageons donc pas
comme des « universaux ») peuvent se recouper partiellement et produire d’autres
catégorisations (visible/invisible, raison/folie, écrit/oralité, enfance/état adulte,
étranger/autochtone, etc.), qui entretiennent entre elles à la fois des relations d’équivalence
symbolique et d’hybridation.
34 « Elle [Y. Verdier] remarque d’abord que trois grandes formes narratives – le mythe, le conte,
le roman – préservent une relation forte aux rites qui ordonnancent le temps collectif et lui
rapportent le cours de chaque vie, mais cette relation change de nature d’un genre à l’autre. Si
l’on retient, avec elle, que les rituels remplissent « une double fonction qui est, d’une part, de
représenter les termes et les conditions de l’existence sociale et, d’autre part, de les maintenir
tels », il apparaît que le mythe entretient avec eux un « rapport fondateur », de façon directe ou
détournée il les instaure, il les situe dans la lumière d’une origine ou, du moins, d’une mise en
ordre première du monde. Avec les contes le lien ne se distend pas, comme on l’a souvent cru, il
se transforme : il ne s’agit plus de remonter à la fondation, mais de donner à entendre « tous les
bienfaits que l’on retire à suivre ce que les rites édictent ». Le conte est donc toujours, peu ou
prou, un récit exemplaire, ses péripéties désignent la bonne voie, semée d’épreuves nécessaires,
et qui aboutit toujours à l’achèvement et à l’installation du jeune héros. Et c’est pour cela que les
contes finissent bien. Avec le roman, tout change : la coutume et ses rites sont toujours là, mais il
nous raconte ‟ce qui se passe quand on s’en écarte”. » (« Du rite au roman », préface citée, p. 30)
35 I. LOTMAN, La Sémiosphère, Presses Universitaires de Limoges, 1999, p. 73.
36 M. SCARPA, « Le personnage liminaire », Romantisme, 145, 2009, p. 25-35. On trouvera dans la
bibliographie en ligne sur le site de l’ethnocritique toute une série de travaux sur la question.
37 Et que l’on peut interroger en effet selon les genres. Ainsi m’était venue l’idée que dans le
conte, on pouvait parler de logique binaire (on est initié ou pas) et dans le roman, de logique
scalaire plutôt (le personnage liminaire se plaçant au degré ultime sur l’échelle du « ratage »
initiatique qu’empruntent peu ou prou l’ensemble des personnages).
38 On peut penser ici à l’analyse du rôle des enfants à Noël que propose LÉVI-STRAUSS dans Le Père
Noel supplicié, Paris, Sables, 1994 (1ère édition 1952).
39 Je reprends ces expressions à LÉVI-STRAUSS dans « La geste d’Asdiwal », Anthropologie
structurale, II, Paris, Plon, 1996 (1974), p. 208-209.
40 I. WATT, The Rise of the novel, London, Chatto, 1957.
41 Ce colloque s’est tenu à l’ethnopôle GARAE à Carcassonne en janvier 2007. On peut trouver à
l’adresse suivante sa présentation : http://www.garae.fr/spip.php?article202.
42 M. MERLEAU-PONTY, « De Mauss à Claude Lévi-Strauss », Signes, Gallimard/Folio essais, 2001
(1960), p. 193.
Auteur
https://acrh.revues.org/7519 11/12
3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique
Marie Scarpa
Marie Scarpa est Professeure de Littérature française à l’Université de Lorraine, membre du
Centre de Recherches sur les Médiations (CREM) et membre associée du IIAC-LAHIC (EHESS).
Elle est spécialiste d’ethnocritique de la littérature. Elle a publié deux essais consacrés à l’œuvre
de Zola : Le Carnaval des Halles (CNRS Editions, 2000) et L’Eternelle jeune fille (Honoré
Champion, 2009) ; elle a co-dirigé plusieurs ouvrages collectifs dont Horizons ethnocritiques
(Presses Universitaires de Nancy, 2010) et, avec Daniel Fabre, Le Moment réaliste. Un tournant
de l’ethnologie (PU Nancy-EDULOR, 2017, sous presse).
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