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3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique

L’Atelier du Centre de
recherches historiques
Revue électronique du CRH

16 Bis | 2017 :
L'Atelier Bis - Ecrire les écritures. Hommage à Daniel Fabre

Littérature, anthropologie,
ethnocritique
MARIE SCARPA

Résumés
Français English
Après avoir rappelé les nombreux chantiers que Daniel Fabre a consacrés à la littérature, dans
une périodisation en deux temps (avant et après « l’institution de la culture »), l’auteure revient
sur les difficultés de réception et de compréhension que peut rencontrer dans le champ des
études littéraires ce type d’anthropologie du symbolique. Mais elle en montre aussi tout l’intérêt
pour certains nouveaux pans de la critique littéraire, l’ethnocritique en particulier qui émerge en
France dans les années 1990. C’est à partir du roman de Zola, La Fortune des Rougon, que la
démonstration est conduite plus explicitement, au sujet, entre autres, des « juvéniles revenants »,
de leur « invisible initiation », du roman et des « conflits de cosmologies » (ainsi de l’opposition
des plus sédentaires, les Rougon, et des plus nomades, les Macquart) jusqu’à interroger in fine ce
que seraient les processus textuels de sémiotisation culturelle, la « pensée sauvage » du récit
littéraire et la notion même de réalisme.

The author begins by giving a brief summary of the many studies Daniel Fabre devoted to
literature (organised in two periods, before and after “the institution of culture”). She then
discusses the problems of reception and comprehension that this type of anthropology of the
symbolic may encounter in the field of literary studies. But she also demonstrates the pertinence
of this type of analysis for certain new approaches to literary criticism, ethnocriticism in
particular, which emerged in France in the 1990s. This method is then applied to Zola’s La
Fortune des Rougon through a study of “juvenile ghosts”, of their “invisible initiation », of the
“conflicts of cosmologies” (thus of the contrast between the most sedentary characters, the
Rougon family, and the most nomadic, the Macquarts), going so far as to ultimately raise the
question of the textual processes of cultural semiotisation involved, the “savage mind” of literary
narrative and the very notion of realism.

Entrées d’index
Mots-clés : anthropologie, ethnocritique, Fabre (Daniel), littérature, roman, réalisme, Zola
(Emile)

https://acrh.revues.org/7519 1/12
3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique

Keywords : anthropology, ethnocriticism, Fabre (Daniel), literature, novel, realism, Zola (Emile)

Texte intégral

L’anthropologue et la littérature
1 Pour la spécialiste de littérature que je suis, intéressée par l’anthropologie au point de
faire de l’articulation des deux disciplines mon champ de recherche principal, avoir
rencontré Daniel Fabre a été un privilège. Je mesure en effet la chance que j’ai eu de
côtoyer un anthropologue majeur des sociétés du proche et si féru de littérature que
d’une certaine manière il n’a jamais cessé de penser son travail et sa pratique en dehors
d’elle. La littérature ? Les littératures plutôt, toutes les littératures, orales ou écrites,
poétiques ou narratives, françaises ou étrangères, minorées ou patrimonialisées etc. De
Daniel, je crois qu’on peut dire qu’il avait tout lu et qu’il voulait tout lire. Une petite
anecdote : lors de l’une de nos rencontres l’an dernier, il a voulu que nous nous
retrouvions au Marché de la poésie Place Saint-Sulpice à Paris : il y connaissait tous les
éditeurs et un nombre impressionnant de poètes contemporains. Tout lire et lire tout le
temps ! Ce qui était sidérant avec lui c’était de le voir mentionner un auteur méconnu,
un passage précis de La Recherche du temps perdu tout aussi bien qu’un essai sur la
littérature tombé aux oubliettes depuis longtemps. Un encyclopédisme assorti d’une
mémoire qui forçait l’admiration, mais surtout une passion, un appétit des livres et des
mots, vital, constitutif, en rapport disait-il avec l’enfance et ses années de formation. Il
suffisait d’ailleurs de l’entendre raconter Joë Bousquet (j’ai eu la chance, comme
d’autres ici, d’avoir Daniel pour guide dans la chambre du poète de Carcassonne, dans
la « Maison des Mémoires »). En somme, la littérature parce qu’elle donne le/les
monde(s), qu’elle est du/des mondes et quand on est issu de milieux populaires et
provinciaux comme lui, comme moi, on sait ce qu’on doit – aussi - à nos lectures.
Daniel Fabre était tombé dans « le livre et sa magie », pour reprendre dans un autre
sens (mais pas si éloigné au fond) le titre d’un de ses articles majeurs1. La littérature
c’est donc d’abord la rêver et je l’entends encore rappeler comment Yvonne Verdier et
lui se projetaient parfois en romanciers… Mais, chez lui, rêver c’était penser toujours :
la littérature (je ne parlerai ici que de celle que je travaille : la littérature patrimoniale,
légitime, écrite) va se placer progressivement au cœur de son projet anthropologique,
lui dont on a dit qu’il était l’ethnologue des écarts et des différences dans nos sociétés.
Ce qui l’intéressait je crois c’est l’articulation entre spécificité et généralité, la manière
dont une pratique singulière, ici d’ordre esthétique, s’inscrit dans des temps et des
lieux, dont elle dit une histoire et un moment, dont elle est, comme nombre de
pratiques symboliques, à la fois cause et résultat d’une configuration sociale et
culturelle. Je rappelle simplement le titre qu’il a souhaité donner au colloque que j’ai
organisé avec lui dans la continuité de celui sur les Savoirs romantiques : « Le Moment
réaliste. Un tournant de l’ethnologie »2.
2 Sans faire la traversée complète des nombreux chantiers que Daniel Fabre a
consacrés à la littérature, je dirai seulement que, même si elle m’apparaît presque à
l’origine et à l’horizon de tout son itinéraire personnel et intellectuel, j’ai l’impression
d’y déceler une périodisation en deux temps, soit avant et après la formulation par lui
d’une inscription dans une « anthropologie du symbolique » dite et assumée comme
telle et qui le conduit à « l’institution de la culture » et à la fondation du LAHIC (le
Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire de l’Institution de la Culture). Avant (quand
ses travaux portent surtout sur le conte occitan de tradition orale, le carnaval et la fête,
les sociétés rurales contemporaines et la construction de la « jeunesse » en particulier
masculine), l’intérêt pour la littérature est plus latéral si je puis dire :
- La littérature est une source ou un document (ainsi par exemple des écrivains
sollicités par lui dans les études relatives à « la voie des oiseaux »3, de Rétif à Sartre, en
passant par Stendhal, Chateaubriand ou Hugo).

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- Elle est une écriture spécifique, en particulier quand elle produit de la fiction, à
interroger à côté d’autres écrits, ordinaires ou officiels, et des oralités. Il est passionnant
à cet égard de relire le dossier de la controverse qui a accompagné la parution du
Brigand de Cavanac, une controverse qui portait en grande partie sur l’analyse
consacrée par les auteurs à la part du discours du roman dans la cristallisation de la
figure du « Brigand » et sa construction en héros plus moderne (à l’individualité et la
subjectivité plus affirmées). Ce qui gênait en particulier Jean-Claude Chamboredon
était, rappelons-le, « le parti hyper-poétique privilégiant la fiction » de cette
anthropologie de « texticulteurs »4.
- Au fond, c’est déjà « ce que peut la littérature » qui intéresse Daniel Fabre, pour
reprendre un sous-titre à l’un de ses derniers articles5, en ce qu’elle ne cesse de faire
retour sur ses savoirs, lui donnant à penser les mutations épocales, les évolutions dans
les pratiques et du même coup les limites de la discipline anthropologique. Je songe ici
en particulier à ses études sur les rites, rites de passage « invisibles » dans l’initiation
des pages qu’il débusque, entre autres ouvrages, dans Le Page disgrâcié de Tristan
Lhermite6, rites au contraire spectaculaires comme les charivaris dont il cherche les
descriptions dans un vaste ensemble de romans européens7. On connaît son hypothèse :
si les romans mettent en scène des « conflits de cosmologies »8, on assiste à une
progressive valorisation du point de vue des « victimes » du rite contre l’ordre
coutumier et collectif des communautés, une évolution donnée à lire avant que les
ethnologues et les historiens ne se préoccupent véritablement et de ces rites et de leurs
sens.
3 Cette pensée du roman moderne me semble trouver une forme de point d’orgue dans
la préface qu’il écrit avec Claudine Vassas à l’essai posthume d’Yvonne Verdier,
Coutume et Destin, consacré à l’œuvre de Thomas Hardy, et qui s’intitule précisément
« Du rite au roman ». Comme si, après les mythes et les contes, récits collectifs
fortement investis par l’anthropologie, la place était à prendre dans ce champ
disciplinaire par le roman et plus largement par la littérature et les arts européens9. La
rencontre n’est plus latérale. Et le texte de fondation du LAHIC (2000 : 14) assume la
centration du programme de recherche autour de la littérature et des arts :

« […] les domaines particuliers de la littérature, de l’architecture et de l’art


peuvent être considérés comme les secteurs les plus avancés où le mouvement
européen d’institution de la culture s’est manifesté le plus tôt et a forgé ses
principaux instruments ».

4 Les travaux se multiplient alors et prennent pour objet la fondation de la valeur et la


conversion esthétique, l’autre de l’art (art de l’enfant, du peuple, du fou), le transfert de
sacralité, les phénomènes de médiation depuis la patrimonialisation jusqu’à la fabrique
des identités (personnelle, régionale, nationale, internationale etc.) et leurs enjeux
mémoriels, l’institution de l’écrivain (le devenir et l’être-écrivain, ses lieux, ses façons
de dire et de faire en somme), les processus créateurs. La littérature est interrogée dans
ses entours, comme « fait littéraire global » si l’on veut, mais aussi et toujours dans ce
qu’elle fait à l’anthropologie (la question des « apocalypses culturelles » et du
« paradigme des derniers » n’étant pas le moindre des intérêts de Daniel à ce sujet)10. Si
j’ai voulu les rappeler, c’est pour montrer à quel point ils concernent l’ensemble des
études littéraires : ils complètent les travaux de sociologie des champs et des
institutions littéraires, ils contribuent à construire une histoire élargie de la littérature,
ils interrogent aussi, de l’intérieur, les fins et certains des enjeux des œuvres elles-
mêmes. Et pourtant… les spécialistes de littérature les connaissent trop peu et c’est
l’une des raisons qui expliquent notre rencontre et notre collaboration depuis la
fondation du LAHIC.

Les études littéraires et l’anthropologie


5 Je n’entrerai pas ici dans le détail d’une réflexion sur les champs disciplinaires et
leurs frontières (encore trop peu perméables, quoi qu’on en dise). Disons simplement

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que si les anthropologues se sont beaucoup intéressés à la littérature et depuis


longtemps11, elle n’est pas pour eux un « terrain » comme un autre et les questions de
poétique, de textualité ou d’interprétation sont restées des points d’achoppement.
Daniel Fabre lui-même pouvait à l’occasion émettre des critiques sur des lectures jugées
trop « asséchantes », trop « formalistes », trop loin des points de vue « indigènes » (des
auteurs et des lecteurs). De l’autre côté, il faut bien reconnaître que les études littéraires
contemporaines ont d’abord recours à d’autres sciences humaines – l’histoire, la
philosophie, la sociologie – et si elles n’ignorent évidemment pas l’anthropologie et ses
apports, elles ne s’inscrivent que très rarement dans cette anthropologie du symbolique
dont nous parlons ici. J’en reste au champ qui est le mien, la littérature française
moderne et contemporaine, pour dessiner à (très) gros traits les cadres de référence
anthropologiques dans lesquels elles se tiennent en général.
- En premier lieu, et on ne sera pas surpris, les travaux de Freud, de Jung puis de Lacan
sont à l’origine de ce qui est bien une anthropologie littéraire de type psychanalytique.
Ils ont contribué également, pour les deux premiers en tout cas, à l’essor du paradigme
mythocritique et des études sur les « grandes structures de l’imaginaire »12.
6 - De fait, ce qui a passionné (et passionne encore) les littéraires ce sont les mythes, la
« part du mythe » et de ses réécritures, mais souvent, pour la définir, ce n’est pas du
côté de Lévi-Strauss qu’on se tourne (son structuralisme a servi de méthode pour la
narratologie, la sémiotique, les travaux de poétique littéraire mais non d’herméneutique
anthropologique) mais bien plutôt d’Eliade (et de Caillois ou Bastide dans une moindre
mesure). Ajoutons ici l’immense succès rencontré aussi par les thèses d’un René Girard
sur le désir mimétique, la violence et le sacré, le bouc émissaire13.
7 - Il en va de même pour « la part du rite » : on a pu voir ces dernières années se
multiplier les colloques, les ouvrages, les séminaires sur les convergences entre la
littérature et le rite (dans ses relations en particulier aux questions identitaires) mais
qui, sauf exception, ne sont pas inscrits dans le cadre de référence théorique évoqué
ici14.
8 On pourrait pousser loin l’analyse des raisons de ce manque de perméabilité des deux
champs en France (les choses sont peut-être moins cloisonnées pour certains secteurs
comme les études médiévales et antiquisantes), alors même que littérature et
anthropologie peuvent apparaître paradoxalement très proches dans leurs fins15. C’est
peut-être d’ailleurs là le problème. Je me contenterai de me demander si ce n’est pas le
statut de bien culturel toujours très légitime de la littérature qui a poussé, entre autres
raisons, ses « officiants » à préférer dans leurs activités herméneutiques les « grandes
structures » et les universaux aux pratiques singulières et aux points de vue indigènes,
la peur de la folklorisation et du retour du référent restant des épouvantails théoriques
malgré la fin des oukases relatifs à la clôture des textes. En somme, le « livre sur rien »
demeure plus intéressant que « le livre sur tout » et des « mœurs de province » en
particulier16, alors même que l’intérêt heuristique réside en grande partie dans l’étude
de la co-présence textuelle des deux dimensions. En tout cas, c’est bien le parti qu’a
choisi l’ethnocritique de la littérature que de mettre le dialogisme culturel au cœur de la
lecture littéraire, sans confondre comme le rappelle Roger Chartier, « la logique du sens
pratique à l’œuvre dans les comportements qui définissent les identités et les relations
sociales et la logique logocentrique qui gouverne les productions discursives17».

L’ethnocritique de la littérature
9 Le mot « ethnocritique » forgé en 1988 par Jean-Marie Privat sur le modèle de
« psychocritique », « mythocritique », « sociocritique » désigne une méthode d’analyse
littéraire à la croisée des travaux de la poétique et de l’anthropologie18. Quelle
anthropologie ? Précisément celle de Lévi-Strauss et de ses continuateurs pour les
sociétés du proche, dont Daniel Fabre était l’un des meilleurs représentants. Notre
ambition est de contribuer à une poé/poïétique culturelle du texte littéraire, en étudiant
les cultures du texte (et non dans le texte) et leurs logiques discursives jusque dans le
grain de la langue elle-même (« toute une mythologie est déposée dans le langage »

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écrit Wittgenstein19). Nous nous situons dans la lignée des travaux de Bakhtine, qui
réclame de la science de la littérature qu’elle « (resserre) son lien avec l’histoire de la
culture » et qui théorise la dialogisation et l’hétérophonie20, et de manière générale
dans l’héritage de ceux des « formalistes » qui ont pensé leurs recherches en relation
avec le folklore ou l’ethnologie (Jakobson, Propp, Greimas) même si les spécialistes de
littérature ont parfois mis de côté cette dimension de leurs travaux21.
10 Comment avons-nous rencontré Daniel Fabre ? Dans la mesure où nos premiers
essais s’intéressaient aux logiques de charivarisation et de carnavalisation littéraires22,
nous connaissions ses travaux d’ethnologie sur le conte, le carnaval et le charivari, la
jeunesse mais nous n’avons lu ceux qui étaient plus directement consacrés à la
littérature qu’à la parution de Coutume et Destin. Le premier essai d’ethnocritique,
Bovary Charivari, paraît en 1994, soit un an avant l’essai de Verdier. Voici un extrait de
sa présentation (en quatrième de couverture) :

« On comprend mieux comment Emma, prise en tenailles entre la culture


coutumière villageoise et les stratégies homaisiennes (pleines d’avenir) de
contrôle du champ social, s’épuise à conquérir, moderne et solitaire, une vie
personnelle plus intime ».

La convergence avec les propositions de Verdier (le personnage romanesque entre


« coutume » et « destin ») et des auteurs de la préface « Du rite au roman » est
évidente. C’est donc à la fin des années 1990 que les premiers échanges directs ont lieu
et Daniel Fabre nous demande d’intégrer le LAHIC au moment de sa fondation, ce que
nous acceptons avec joie, au titre d’universitaires associés23.
11 Je voudrais maintenant montrer plus concrètement comment nous travaillons avec
l’anthropologie et en particulier avec certains travaux de Daniel Fabre (l’une de nos
ambitions étant bien de les faire connaître et reconnaître davantage par nos collègues
littéraires). L’exemple que je choisis de prendre est récent et je n’en mesure pas
exactement encore les tenants et les aboutissants. Il se trouve que j’ai beaucoup
travaillé sur l’œuvre de Zola24 et comme La Fortune des Rougon (le premier opus des
Rougon‑Macquart) a été inscrit en 2015 au programme de l’agrégation de Lettres, la
préparation du cours a été pour moi l’occasion de reprendre le roman, ses lectures les
plus courantes et les plus neuves, et du même coup de réfléchir à ce que je pouvais
apporter depuis l’ethnocritique25.
12 Avec ce récit, le jeune Zola poursuit son expérimentation du naturalisme et pose les
fondations de sa fresque : il y raconte comment « le coup d’état de Louis Napoléon
Bonaparte en province » (selon le mot de Maurice Agulhon dans la belle préface qu’il
consacre au roman dans l’édition Folio classique) et l’écrasement des républicains à
Plassans (le nom fictionnel d’Aix-en-Provence) vont favoriser l’ascension sociale d’une
famille de « misérables », les Rougon, qui ont su tourner bonapartistes au bon moment.
Une ascension qui s’est faite aussi, dans un premier temps, au détriment de la branche
illégitime de la famille, les Macquart. Rappelons que l’aïeule, Adélaide Fouque dite
Tante Dide, la fille unique de riches fermiers, s’est mariée avec un garçon de ferme
Rougon ; de cette union (une première mésalliance) est issu Pierre le fils légitime dont
le roman raconte l’avènement puis de son amant, le braconnier Macquart, elle a deux
enfants bâtards, Antoine et Ursule, que Pierre Rougon réussit à spolier et à neutraliser.
Au cœur du drame (l’écrivain parle, lui, de « comédie honteuse ») s’écrit aussi une
idylle amoureuse, celle de deux jeunes gens, Miette et Silvère, que Zola noue aux autres
dimensions de son récit : Silvère Mouret est le fils d’Ursule Macquart, la sœur d’Antoine
et Pierre ; il incarne la figure du jeune républicain naïf et idéaliste, massacré par le
cours de l’H/histoire. Cette idylle, qui n’était d’abord envisagée que comme un épisode
marginal, en guise de contrepoint « lyrique », finit par occuper de longues séquences
dans le roman et Zola de décrire en détail la rencontre de ces deux « parias » (Silvère,
orphelin à 6 ans, est élevé dans le faubourg par sa grand-mère, Dide, et Miette,
orpheline de mère, fille de bagnard, est une ouvrière agricole exploitée et mise au ban),
la progression de leurs sentiments au rythme de leurs rendez-vous nocturnes dans un
cimetière désaffecté et de leurs escapades dans la campagne environnante. Leur fin est
tragique : ils meurent, vierges encore, en martyrs de la République. Miette drapée de sa
capeline rouge s’écroule sous les balles napoléoniennes et Silvère est exécuté comme
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« un mouton » par un gendarme, dans l’aire Saint-Mittre, sur la pierre tombale qui lui
servait de lieu de rendez-vous. La critique zolienne est largement revenue sur les règles,
les rôles, les fonctions de cette idylle, qui emprunte explicitement à de grands modèles
intertextuels (le conte grec – Daphnis et Chloé, la pastorale –, la légende de Pyrame et
Thisbé (et donc celle de Roméo et Juliette). Les jeunes gens innocents sont placés du
côté de la nature protectrice (un locus amoenus) et du temps d’avant le temps, avant la
rencontre d’une Histoire catastrophique ; ils narrent une nouvelle version d’Éros et
Thanatos etc. C’est la « part du mythe » dont nous parlions… D’autant que l’exécution
de Silvère n’a aucune utilité factuelle dans l’intrigue : le succès de son oncle Pierre
Rougon est, au moment de sa mort, déjà assuré. On en fait, en reprenant les thèses de
René Girard, un bouc émissaire, la victime expiatoire d’une double violence originaire
et sur le sacrifice de laquelle se fondent un règne politique et la famille des Rougon-
Macquart. Une violence archaïque (la critique affectionne le terme) mais que le
XIXe siècle (l’ombre de la Révolution de 89 plane sur l’histoire naturelle et sociale

zolienne) réactualise cycliquement26.


13 Seulement, et c’est ce sur quoi que je voudrais insister ici, La Fortune des Rougon me
semble dire bien plus de ces jeunes gens. On peut parler chez Zola d’une véritable
fascination pour l’adolescence comme âge pubertaire, comme moment du passage, de
l’entre-deux états, entre enfance et âge adulte. Certes, naturalisme oblige (l’écrivain est
de son temps), il physiologise et psychologise cet âge mais il le construit également
comme cette étape de marge existentielle où l’identité sexuée en devenir se fabrique
dans le détour par l’altérité. Comme l’écrit Pierre Vidal-Naquet à propos de
l’adolescence en Grèce antique :

« Ce temps d’épreuve et de métamorphose impose la rencontre de l’altérité, du


contraire, du tout autre : du détour par la sauvagerie et la marge non cultivée pour
le futur citoyen ; du détour également par l’autre sexe […] »27.

On songe aussi à la voie/x des garçons (com)prise dans le « triangle initiatique » dont
parle Daniel Fabre pour des sociétés fort proches de celle décrite par Zola, triangle des
frontières entre le sauvage et le domestique, le mort et le vivant subsumées par celle qui
passe entre le féminin et le masculin. La narration fait bien emprunter à Silvère les
voies coutumières de l’adolescence masculine, celle de l’ensauvagement symbolique du
garçon sur la voie des oiseaux qui est aussi celle des morts. Comme son nom l’indique
peut-être déjà : Silvère (le sylvestre) Mouret/mourait. Ce marcheur de l’ailleurs quitte
périodiquement la masure du faubourg qu’il habite pour faire le mur, jouer au puits,
gagner les vergers puis élargir progressivement ses promenades hors de la ville, sur la
route de Nice, puis au bord de la rivière, la Viorne, enfin dans les collines désertiques
des Garrigues. On le voit expérimenter son corps, nager, grimper aux arbres, dénicher
les oiseaux. Un ensauvagement qui s’approfondit dans la proximité avec les morts et
tout ce que Daniel Fabre décrit dans son article « Juvéniles revenants » – à savoir
l’homologie des diverses « lisières » et les jeux des adolescents qui s’amusent la nuit à
(se) faire peur, les rencontres dans les cimetières, les déguisements en croquemitaine et
autres loups‑garous28 – se retrouve d’une façon ou d’une autre dans La Fortune des
Rougon. Zola semble connaître la parenté anthropologique de l’adolescent et du mort,
mieux sans doute que le lecteur littéraire qui a tendance à lui accorder, on l’a vu, un
statut poétique d’exception.
14 Mais le plus intéressant peut-être ce sont les accrocs ou les « écarts » au parcours
attendu : ni Miette ni Silvère ne sortent de l’ensauvagement adolescent, qui ne devrait
avoir qu’un temps. Je n’évoquerai ici que le garçon. La narration souligne son déficit de
socialisation : il est orphelin (et son père s’est pendu), il est élevé par une grand-mère
qui vit en recluse et qui est présentée comme une déjà morte. Et dans cette voie/x des
oiseaux et des morts, comment ne pas noter aussi qu’il est toujours accompagné par
Miette et qu’elle est la plus téméraire du couple ? C’est elle, dans les explorations
évoquées, qui nous est décrite surtout faisant le mur, grimpant aux arbres, dénichant
les oiseaux les plus haut perchés, au plus loin de la norme culturelle (tout Plassans la
traite d’ailleurs de « coureuse »). Lui se contente souvent d’avoir peur pour elle. C’est
Miette encore qui joue le croquemitaine et dont les dents rappellent à plusieurs reprises
les crocs des jeunes loups. Malgré ses dix-sept ans et sa force physique, Silvère est
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clairement resté en enfance ; il a la « tête tournée ». Le narrateur signale son « cœur


d’homme servi par une raison de petit garçon », son « incomplétude » et les autres
personnages masculins le prennent pour un « toqué ». C’est « un naïf sublime resté sur
le seuil du temple, à genoux devant les cierges qu’il prenait de loin pour des étoiles. »
Daniel Fabre l’aurait peut-être qualifié de « fada »29. En somme, il est construit en
jeune homme inachevé, trop « altéré » et voué à perdre la partie, qu’il rencontre ou non
le cours, malheureux, de l’Histoire.
15 Ce qui n’est pas sans signification historique bien sûr : la jeunesse du sacrifié et son
déficit de socialisation sont à rapporter aussi à un manque de maturité politique. Pour
Zola, la « naïveté » de Silvère est celle d’une certaine catégorie de républicains et elle
témoigne plus encore de l’immaturité de l’élan démocratique qui traverse le XIXe siècle
après la Révolution française. Zola ne se départ pas de cette conception bourgeoise d’un
peuple toujours/encore enfant, incapable au fond de (se) gouverner. Néanmoins la mise
à mort de ces « éternels adolescents » qui en inaugure toute une série (un trait
récurrent dans l’ensemble des Rougon-Macquart, et plus encore des jeunes filles) m’a
conduite à revenir sur les raisons de ces échecs programmés. Elles sont multiples certes
(historiques, politiques, liées aux fantasmes d’un homme et d’une époque etc.) mais il
m’est apparu qu’étaient sous-estimés ici deux points, sur lesquels un regard
anthropologique se focalise au contraire : la trop grande proximité des deux jeunes gens
et l’excès d’altérité ou leur surdétermination en « sauvages », ce dont je viens de parler,
à condition de ne pas ramener cette catégorie uniquement du côté de la « violence »
comme le fait peut-être trop souvent la critique littéraire mais à la considérer dans son
jeu de tensions et d’hybridations avec le domestique30. Du premier, je dirai seulement
que Miette et Silvère sont construits dans une relation spéculaire et gémellaire que j’ai
tirée, avec le texte, du côté de l’inceste (symbolique ici mais l’inceste, symbolique ou
non, est lui aussi récurrent dans Les Rougon-Macquart). Je développerai davantage le
second : ces enfants trop proches l’un de l’autre sont en même temps, on l’a vu, trop
posés dans l’en-dehors communautaire, trop éloignés du « domestique ». Pourrait
s’ajouter à ce que nous évoquions de l’adolescence sauvage et morte toute une série
d’autres éléments, relatifs à l’onomastique et aux relations de filiation : Silvère le
sylvestre est le fils d’Ursule (l’ourse), la fille du braconnier Macquart décrit en « ogre »
et en homme sauvage, et de Dide, la femme sujette dans sa jeunesse à de terribles
« fièvres du sang ». Progressivement, j’en suis venue à me dire qu’au fond tout le
système du texte, toute son économie poétique, nous ramenait du côté de l’opposition
des deux branches de la famille, que le récit actualise en surface (dans le discours des
personnages par exemple) en légitime/illégitime, aînée/cadette mais qu’il sémiotise
bien plus fortement en sauvage/civilisée31. Et qu’on peut même décliner en termes de
nomadisme et de sédentarité, avec l’échec attendu des plus nomades au profit de ceux
qui ont compris que le processus de civilisation s’inscrivait historiquement dans la
domestication, qui prend la forme ici, littéralement, de prise de possession domestique.
Appuyons la démonstration avec quelques-uns des traits de description de la lutte
fratricide des deux frères, les Rémus et Romulus parodiques de Plassans :
- Pierre Rougon est le fils d’un paysan qui a épousé en gendre Adélaïde ; son prénom dit
assez sa volonté de poser et d’ancrer ; il épouse la fille d’un marchand d’huile et devient
négociant ; sa progression sociale dans ce roman des murs et des seuils (le premier nom
envisagé pour Plassans était Limès) s’effectue du dehors au dedans et de maison en
maison (d’une masure du faubourg à la demeure du receveur des postes sise au
carrefour des trois quartiers de la ville). Pierre a compris que s’il y a nécessité de
circuler (et La Fortune des Rougon est bien selon nous un roman de la circulation, des
hommes, des morts, des mots) il faut le faire dans la cité et y trouver sa place (qui est à
Plassans la bien nommée toujours celle de l’autre…).
- Quant à Antoine Macquart, s’il partage avec son frère aîné l’appétit de jouir au prix de
toutes les trahisons, il est aussi carnavalesque que l’autre est une caricature de petit-
bourgeois. Mais il reste surtout, à son corps défendant et malgré ses rêves de nid
douillet (lui le fils de l’ogre hirsute « passe des heures chez le coiffeur »), dominé par
son atavisme braconnier. Il écoule son existence romanesque à laver son linge sale en
public (c’est un homme des rues, des cafés et du marché), à se mettre et à être mis sur la
paille (belle ironie du sort pour un vannier qui a épousé une rempailleuse…) et à être
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3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique

chassé des maisons qu’il occupe. Un mot encore du « système » des métiers du côté des
Macquart : l’aïeul est donc braconnier, le fils vannier et le petit-fils, Silvère, apprend
celui de charron… Toutes activités passionnantes du point de vue qui nous occupe (en
ce qu’elles entretiennent un rapport étroit avec la question des lisières et de la
mobilité).

Pour finir (sans finir)


16 Mon propos ici ne consistera pas à donner le fin mot de l’H/histoire, que je n’ai pas
encore du reste, mais de tenter de tirer quelques perspectives de cet exemple et d’autres
travaux que nous avons pu mener.
17 Cette forme de « reculturation » de la lecture littéraire (et je n’ai rien dit de la boiterie
de Gervaise Macquart, que l’on voit naître et grandir dans La Fortune des Rougon
avant qu’elle n’occupe le premier rôle de L’Assommoir, des « fièvres du sang » de Dide,
des motifs du conte – en particulier celui de la « ruse friponne » –, de la logique du sort
et des superstitions à côté de savoirs informés « scientifiquement »32) me semble
opérer déjà un déplacement dans la manière de poser la question des imaginaires
fictionnels. Ainsi « le triangle » des frontières anthropologiques, loin de s’appliquer aux
seuls romans de formation, peut aider à penser toutes les cosmologies fictionnelles. En
somme, la littérature pose, discute et déplace toujours, en fonction des régimes
historiques et génériques qui sont les siens, la question des échanges symboliques entre
mort et vivant, féminin et masculin, sauvage et domestique (et toutes les déclinaisons
afférentes33).
18 Toutes les « catégories » littéraires nous paraissent concernées : genres, espaces,
temps, mise en intrigue, personnages. Prenons ce dernier exemple. Dans les parcours
initiatiques dont nous parlons, « les ratés de la coutume » sont donc déterminants
selon cette logique du roman moderne comme « écart34 » ou « archivage des
anomalies35 ». On pourrait pousser l’hypothèse plus loin. Certains personnages
semblent bien construits pour rester constitutivement et définitivement dans la marge
initiatique, bloqués sur les seuils, dans cet entre-deux états évoqué plus haut : l’éternel
adolescent (comme Miette ou Silvère), la vieille fille ou le vieux garçon, l’idiot, le fou, le
saint ou le prophète des temps modernes etc. J’ai pensé qu’on pouvait les qualifier de
« personnages liminaires36 » et j’ai commencé à réfléchir à une typologie, à leurs rôles
et fonctions dans les narrations. Ces non-initiés ou mal initiés – une version
anthropologique peut-être du personnage problématique de Lukacs – servent déjà de
personnage-témoin dans le système du personnel fictionnel37. Dans certains cas, le mal
initié, à défaut de passer lui-même et parce qu’il ne passe pas, fait office de passeur
pour les autres personnages jusqu’à être doté parfois d’une forme de compétence
supérieure, de sur-initiation (sur l’une ou l’autre de ces frontières dont nous parlions)38.
La fiction moderne ferait endosser à ce personnage liminaire, en l’historicisant
toujours, en le démythifiant souvent, le rôle d’explorer « la cote mal taillée en quoi
consiste le réel » et ses « vérités négatives »39. On entrevoit les recoupements possibles
avec la théorie du roman moderne comme conflit - ou co-présence tout au moins - de
cosmologies en tension et celle des «imaginaires de la fin », de l’individu-monde ou
du dernier, chères à Daniel Fabre.
19 Et puisque le roman moderne rime ici avec le roman réaliste, celui qui émerge au
XVIIIe siècle comme le souligne Ian Watt dans The Rise of the novel qu’aimait beaucoup
à citer notre ami40, je voudrais terminer sur la façon dont nous comprenons de plus en
plus la question du « réalisme ». Daniel Fabre et moi avons donc co-organisé un
colloque intitulé Le Moment réaliste41. Il s’agissait pour lui de penser, sans confondre
aucunement les disciplines, comment anthropologie et roman pouvaient atteindre « la
vérité du social », à partir d’objets communs (les savoirs des différences et des altérités
du proche en particulier), de postures (écouter, voir et rendre/exposer le réel) et de
méthodes communes (documentation, enquête, mise en écriture). La littérature réaliste
lui apparaissant en somme comme un observatoire privilégié des nouvelles manières de
voir, de dire et donc de faire le réel. Dans la mesure où le propos de l’ethnocritique est

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surtout de penser la littérature en tant que littérature, en tant que régime langagier
spécifique, je pourrais ajouter que le réalisme est aussi la mise en scènes et en mots, la
sémiotisation, de logiques culturelles concurrentielles : logiques de rationalisation du
« réel » (logique indiciaire, logique de la raison raisonnante et de la raison graphique –
et l’exemple de Zola en témoigne) mais tout autant logiques des oralités et des récits
autres (mythes, contes, légendes, rêves), logiques des classes autres (populaires en
particulier), logiques des signes autres (du corps et du sort), logiques des autres (l’autre
femme, l’autre enfant, l’autre fou, l’autre sauvage, l’autre étranger, l’autre mort bien sûr
qui ne cesse de faire retour dans la fiction moderne). Et ces dernières mettent en œuvre
ce qu’on pourrait peut-être désigner comme la « pensée sauvage » du récit, essentielle
dans le plaisir du texte, parce qu’elle en est comme le surcroit d’imaginaire. Ce réalisme
hétérophonique serait le propre de la fiction… réaliste. Et c’est, pour nous, une autre
façon de croiser les « conflits de cosmologies ».
20 Daniel Fabre aurait souscrit, je crois, à ce que Merleau-Ponty écrivait de l’expérience
ethnologique : « elle ne vise pas l’universel de surplomb d’une méthode strictement
objective mais un universel latéral […], incessante mise à épreuve de soi par l’autre et
de l’autre par soi42 ».
21 Et c’est dans cet horizon que nous espérons inscrire aussi notre expérience de la
littérature.

Notes
1 Daniel FABRE, « Le livre et sa magie », Pratiques de la lecture, Chartier R. éd., Paris, Payot,
2003, p. 239-273.
2 Dans le cadre d’une coopération entre le LAHIC et l’ethnopôle GARAE (Carcassonne) pour un
programme de recherche intitulée « Histoire et science des mœurs. Le savoir des différences », D.
Fabre souhaitait construire une histoire autre de l’ethnologie, en partant des situations et des
discours où « un souci anthropologique » émerge, soit précisément dans les mouvements
intellectuels et artistiques. Cette histoire devait explorer cinq « moments », seuls deux ont pu
l’être : Savoirs romantiques. Une naissance de l’ethnologie (D. FABRE et J.-M. PRIVAT éds., Presses
Universitaires de Nancy, coll. EthnocritiqueS, 2011) et Le Moment réaliste. Un tournant de
l’ethnologie (D. FABRE et M. SCARPA éds., Nancy, EDULOR, coll. EthnocritiqueS, à paraître en
2017).
3 D. FABRE, « La Voie des oiseaux. Sur quelques récits d’apprentissage », L’Homme, 99, 1986, p. 7-
40.
4 Dominique BLANC et Daniel FABRE, Le Brigand de Cavanac. Le fait divers, le roman, l’histoire,
Paris, Verdier, 2015 (1982).
5 « Roman régionaliste et région romanesque : frontières de la littérature », Littérature
régionaliste et ethnologie, Sylvie Sagnes éd., Museon Arlaten / Ethnopôle Garae /Actes sud,
2015, p. 198-218.
6 L’essai, hélas non publié, devait s’intituler Le Page et son double.
7 L’article intitulé « Le roman du charivari » va paraître dans Le Moment réaliste, op. cit.
8 D. Fabre reprend la proposition que fait Vincent DESCOMBES dans Proust. Philosophie du roman,
Paris, Minuit, 1987.
9 Outre les travaux d’Y. Verdier et de D. Fabre, on peut penser à ceux de Jean Jamin sur Leiris et
Faulkner par exemple.
10 Il y aurait évidemment, en l’absence de publication des essais achevés sur la littérature (La
Bibliothèque des îles, Le Page et son double, La Maison du chat), tant d’articles de D. Fabre à
citer. Je ne renverrai ici qu’au n° 20 de la revue Gradhiva (2014) dont le dossier coordonné par
lui s’intitule Création Fiction (où l’on retrouvera, entre autres, sa réflexion, prolongée, sur « le
corps pathétique de l’écrivain ») et à l’article déjà cité « Roman régionaliste et région
romanesque » où il revient sur les basculements de « cosmologies » et les « territoires » du
roman régionaliste mais aussi celui de Quignard, Michon, Bergounioux.
11 J’ai tenté dans plusieurs contributions de poser le cadre général des relations entretenues
depuis le XIXe siècle par la littérature et l’anthropologie (La littérature comme anthropologie / la
littérature et l’anthropologie / l’anthropologie de la littérature) : voir par exemple « De
l’ethnologie de la littérature à l’ethnocritique », Recherches et Travaux, 82, dossier « Littérature
et anthropologie » (Silvia Disegni éd.), 2013, p. 21-27.
12 Gilbert DURAND, disciple de Bachelard, publie « Les structures anthropologiques de
l’imaginaire » aux PUF en 1963 ; son travail est déterminant dans le développement d’une

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mythocritique puis d’une mythanalyse et d’une mythodologie. On peut se reporter en France aux
travaux de Philippe Walter, Simone Vierne, Pierre Brunel par exemple.
13 René GIRARD, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972 et Le Bouc émissaire, Paris, Grasset,
1982. Ces travaux ont suscité autant de fascination (chez les littéraires) que de discussion (chez
les anthropologues).
14 On pense ici, pour n’en citer que quelques-uns des plus en vue, aux travaux menés à
l’Université de Louvain-la-neuve autour de Myriam Watthée-Delmotte dont il ne s’agit
évidemment pas de contester l’intérêt mais simplement de pointer les différences dans l’ancrage
théorique. On peut noter, dans l’espace francophone, le succès des études d’Eliade sur
l’initiation ; dans l’espace anglo-saxon, les prolongements vers les arts et la culture que Turner et
ses successeurs ont pu apporter à la formalisation en trois phases du rite de passage par Van
Gennep ont rencontré beaucoup d’intérêt. En revanche, la ressaisie du rite (y compris quand il
s’agit du carnaval, un objet pourtant « bon à penser » pour les littéraires) opérée en France par
l’ethnologie, à la croisée des travaux des folkloristes (ceux du XIXe jusqu’à Claude Gaignebet en
passant par Van Gennep) et de ceux de Lévi-Strauss, pour le dire vite, est restée peu connue du
champ des études littéraires.
15 Comme l’écrit Alain VIALA dans la notice « Anthropologie » du Dictionnaire du littéraire,
P. Aron, D. Saint-Jacques, A. Viala éds., PUF, 2002, p. 15-17 : « [...] le rapport de l’anthropologie
à la littérature peut s’entendre de deux façons : pour éclairer une conception de l’homme et de ses
comportements exprimés dans les textes, et pour analyser le littéraire comme une des
composantes de l’anthropologie culturelle. »
16 On le sait, Flaubert, quand il écrit Madame Bovary, rêve d’un « Livre sur rien » mais le sous-
titre qu’il donne à son roman est « Mœurs de province ».
17 R. CHARTIER, Le Jeu de la règle. Lectures, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2001,
p. 75.
18 On trouvera une bibliographie à peu près complète des travaux en ethnocritique de la
littérature sur le site : http://www.ethnocritique.com.
19 L. WITTGENSTEIN, Remarques sur Le Rameau d’or de Frazer, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982
(1932), p. 22.
20 M. BAKHTINE, La Poétique de Dostoievski, (Paris, Le Seuil, 1970 et Esthétique de la création
verbale, Paris, Gallimard, 1984.
21 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur aux différentes présentations que nous avons pu
faire de la démarche ethnocritique. Peut-être pouvons-nous citer seulement l’introduction au
premier colloque sur l’ethnocritique tenu à Metz en mai 2007 (auquel Daniel avait participé) et
qui a été publié sous le titre Horizons ethnocritiques, postface de Philippe Hamon, Presses
universitaires de Nancy, 2010. Parmi nos autres affiliations théoriques nous pourrions
mentionner aussi les travaux d’une certaine anthropologie historique (Vidal-Naquet, Vernant, Le
Goff, Schmitt etc.), ceux de Goody et de Bourdieu ou encore de M. de Certeau. Il ne s’agit pas de
donner à imaginer que l’ethnocritique est la seule méthode d’analyse littéraire à s’intéresser à la
culture populaire ou à la carnavalisation des textes littéraires : à partir des années 70, la réception
des théories bakhtiniennes, la montée en puissance de l’histoire culturelle, le développement des
cultural ou des native studies, entre autres, ont donné lieu à toute une série de lectures (on peut
penser en France à l’essai de François Laroque Shakespeare et la fête ou aux travaux d’Edmond
Cros par exemple). La cartographie du champ (et pas seulement français) des lectures
« anthropologiques» de la littérature, si nous avons commencé à l’établir, reste largement à faire.
Néanmoins, outre le fait que la carnavalisation et la culture populaire sont loin de résumer
l’ensemble des sujets d’étude de l’ethnocritique et que notre ancrage anthropologique n’est pas le
même, notre propos théorique est assez différent.
22 J.-M. PRIVAT, Bovary Charivari, Paris, CNRS Éditions, 1994 et M. SCARPA, Le Carnaval des
Halles. Une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, Paris, CNRS Éditions, 2000.
23 Cette collaboration a été essentielle pour nous, des actions de recherche communes au
séminaire d’ethnocritique que nous animons à l’EHESS depuis 2002.
24 Après Le Carnaval des Halles, op. cit., j’ai consacré une seconde monographie à Zola,
L’Éternelle jeune fille. Une ethnocritique du Rêve, Paris, Champion, 2009. Mais l’ethnocritique
n’a pas vocation à s’intéresser au seul récit réaliste du XIXe siècle : nous avons travaillé également
sur le théâtre ou la poésie moderne et contemporaine.
25 Je me permets de renvoyer aux deux articles que j’ai pu lui consacrer d’ores et déjà et qui
développent la lecture proposée ici : « Le vert paradis des amours enfantines », H. Mitterand et
E. Piton-Foucault (éds.) Lectures de Zola, Rennes, Presses Universitaires, p. 117-128 et « Figures
du Sauvage », B. Laville et F. Pellegrini (éds.), La Fortune des Rougon. Lectures croisées,
Bordeaux, Presses universitaires, p. 203-216.
26 L’article fondateur (et passionnant) en la matière est celui de Naomi SCHOR « Mythe des
origines, origine des mythes : La Fortune des Rougon », Les Cahiers naturalistes, 52, 1978,
p. 124-134.
27 P. VIDAL-NAQUET, « Du sauvage au cultivé : le passage de l’adolescence en Grèce ancienne »,
Enfant antique et pédagogie classique, Raison présente, Enfance et Civilisation, 59, 1981, p. 15
(repris dans Le Chasseur noir).

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28 D. FABRE, « Juvéniles revenants », Études rurales, 105-106, 1987, p.147-164.
29 Et le rapport, autodidacte, de Silvère à la lecture est tout à fait intéressant à analyser aussi,
surtout si l’on le relit à la lumière des propos de Daniel Fabre dans « Le livre et sa magie », article
cité.
30 Sur la question de la définition de ces notions, fort complexe, les travaux de grande
anthropologie abondent, depuis ceux de Lévi-Strauss évidemment à ceux de Descola, en passant
par tant d’autres. Je me contenterai de citer ici le n° 76 de la revue Communications, Nouvelles
figures du sauvage, paru en 2004 et deux contributions très heuristiques de Daniel FABRE : son
article « Le sauvage en personne », Terrain, 6, 1986, p. 6-18 et son compte rendu des essais de
Philippe Descola, Claude Macherel et alii, Marcello Massenzio, intitulé « Limites non frontières
du Sauvage », L’Homme, 175-176, 2005, p. 427-443.
31 J’ai été assez contente de trouver au détour des notes de Zola dans le dossier préparatoire du
roman cette rapide mention : « Ma première souche braconnier plus difficile à civiliser » (Ms
10345, f°24). Nous soulignons.
32 Sur l’hystérie de Dide et les logiques du sort interprétées d’un point de vue ethnocritique, on
peut se reporter à Sophie MÉNARD, Émile Zola et les Aveux du corps, Garnier, 2014, p. 87-120 et
« Les Logiques prédictives du récit », dans La Fortune des Rougon. Lectures croisées, B. Laville
et F. Pellegrini (éds.), op. cit., p. 117-134.
33 Ces catégories paradigmatiques fondamentales (toujours labiles, en fonction des contextes et
des moments, mais toujours aussi culturellement réglées et que nous n’envisageons donc pas
comme des « universaux ») peuvent se recouper partiellement et produire d’autres
catégorisations (visible/invisible, raison/folie, écrit/oralité, enfance/état adulte,
étranger/autochtone, etc.), qui entretiennent entre elles à la fois des relations d’équivalence
symbolique et d’hybridation.
34 « Elle [Y. Verdier] remarque d’abord que trois grandes formes narratives – le mythe, le conte,
le roman – préservent une relation forte aux rites qui ordonnancent le temps collectif et lui
rapportent le cours de chaque vie, mais cette relation change de nature d’un genre à l’autre. Si
l’on retient, avec elle, que les rituels remplissent « une double fonction qui est, d’une part, de
représenter les termes et les conditions de l’existence sociale et, d’autre part, de les maintenir
tels », il apparaît que le mythe entretient avec eux un « rapport fondateur », de façon directe ou
détournée il les instaure, il les situe dans la lumière d’une origine ou, du moins, d’une mise en
ordre première du monde. Avec les contes le lien ne se distend pas, comme on l’a souvent cru, il
se transforme : il ne s’agit plus de remonter à la fondation, mais de donner à entendre « tous les
bienfaits que l’on retire à suivre ce que les rites édictent ». Le conte est donc toujours, peu ou
prou, un récit exemplaire, ses péripéties désignent la bonne voie, semée d’épreuves nécessaires,
et qui aboutit toujours à l’achèvement et à l’installation du jeune héros. Et c’est pour cela que les
contes finissent bien. Avec le roman, tout change : la coutume et ses rites sont toujours là, mais il
nous raconte ‟ce qui se passe quand on s’en écarte”. » (« Du rite au roman », préface citée, p. 30)
35 I. LOTMAN, La Sémiosphère, Presses Universitaires de Limoges, 1999, p. 73.
36 M. SCARPA, « Le personnage liminaire », Romantisme, 145, 2009, p. 25-35. On trouvera dans la
bibliographie en ligne sur le site de l’ethnocritique toute une série de travaux sur la question.
37 Et que l’on peut interroger en effet selon les genres. Ainsi m’était venue l’idée que dans le
conte, on pouvait parler de logique binaire (on est initié ou pas) et dans le roman, de logique
scalaire plutôt (le personnage liminaire se plaçant au degré ultime sur l’échelle du « ratage »
initiatique qu’empruntent peu ou prou l’ensemble des personnages).
38 On peut penser ici à l’analyse du rôle des enfants à Noël que propose LÉVI-STRAUSS dans Le Père
Noel supplicié, Paris, Sables, 1994 (1ère édition 1952).
39 Je reprends ces expressions à LÉVI-STRAUSS dans « La geste d’Asdiwal », Anthropologie
structurale, II, Paris, Plon, 1996 (1974), p. 208-209.
40 I. WATT, The Rise of the novel, London, Chatto, 1957.
41 Ce colloque s’est tenu à l’ethnopôle GARAE à Carcassonne en janvier 2007. On peut trouver à
l’adresse suivante sa présentation : http://www.garae.fr/spip.php?article202.
42 M. MERLEAU-PONTY, « De Mauss à Claude Lévi-Strauss », Signes, Gallimard/Folio essais, 2001
(1960), p. 193.

Pour citer cet article


Référence électronique
Marie Scarpa, « Littérature, anthropologie, ethnocritique », L’Atelier du Centre de recherches
historiques [En ligne], 16 Bis | 2017, mis en ligne le 02 février 2017, consulté le 03 décembre
2017. URL : http://acrh.revues.org/7519 ; DOI : 10.4000/acrh.7519

Auteur
https://acrh.revues.org/7519 11/12
3/12/2017 Littérature, anthropologie, ethnocritique
Marie Scarpa
Marie Scarpa est Professeure de Littérature française à l’Université de Lorraine, membre du
Centre de Recherches sur les Médiations (CREM) et membre associée du IIAC-LAHIC (EHESS).
Elle est spécialiste d’ethnocritique de la littérature. Elle a publié deux essais consacrés à l’œuvre
de Zola : Le Carnaval des Halles (CNRS Editions, 2000) et L’Eternelle jeune fille (Honoré
Champion, 2009) ; elle a co-dirigé plusieurs ouvrages collectifs dont Horizons ethnocritiques
(Presses Universitaires de Nancy, 2010) et, avec Daniel Fabre, Le Moment réaliste. Un tournant
de l’ethnologie (PU Nancy-EDULOR, 2017, sous presse).

Droits d’auteur

L'Atelier du Centre de recherches historiques – Revue électronique du CRH est mis à disposition
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