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LE REFUS DE LA COMMUNION

AUX NOUVEAUX-CHRÉTIENS

LA TENDANCE RIGORISTE DE L’INQUISITION


PORTUGAISE SOUS LA PRÉSIDENCE DU
DOMINICAIN JOÃO VASCONCELOS (1640)

Les études sur les conditions d’administration et de réception


de l’eucharistie à l’Époque Moderne portent généralement sur les
polémiques issues de la rupture protestante, qui débouchèrent,
dans le champ catholique, sur les querelles entre jansénistes et
jésuites. Ces études, surtout centrées autour de questions théolo-
giques, ont laissé de côté jusqu’à maintenant une querelle surgie
dans un contexte inquisitorial au Portugal peu de temps avant
la publication du Traité sur la fréquente communion d’Arnauld. Il
s’agissait d’éviter les sacrilèges qui pourraient être commis par des
personnes passées par les geôles du St-Office local. Mais en met-
tant l’eucharistie avant tout le reste, le député du Conseil Géné-
ral de l’Inquisition responsable de la toute nouvelle interdiction
de la réception du St-Sacrement, instaurée en 1640, passa outre
toute une série de questions légales et politiques que ses collègues
essayèrent, sans succès, de lui faire remarquer. Dans l’histoire des
procédures de l’Inquisition portugaise, cette polémique indique un
début de décalage, de la part des inquisiteurs, par rapport aux
normes qu’ils devaient suivre. Pour étudier cette polémique, le
dominicain fr. João de Vasconcelos, député du Conseil Général
de l’Inquisition portugaise, nous servira, d’une certaine façon, de
guide. Il fut, en effet, le responsable du tournant dans la façon
dont le St-Office gérait les pénitences spirituelles imposées aux
prévenus réconciliés avec l’Église au bout de la procédure inqui-
sitoriale. Ce tournant eut lieu en 1640, avec la promulgation d’un
nouveau règlement de l’Inquisition portugaise. Nous allons donc
commencer par analyser ce règlement ainsi que le contexte tout
particulier de sa publication et de sa mise en application, pour
voir ensuite de plus près les données spécifiques de la polémique

DOI : 10.1484/J.RHE.1.xxxxxx

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qui en découla, au sein du corps inquisitorial, autour de l’adminis-


tration de l’eucharistie.

Le règlement de 1640 et le gouvernement de l’Inquisition


Le premier décembre 1640 un soulèvement contre Philippe IV
mit fin à l’union des couronnes d’Espagne et du Portugal, portant
sur le trône du royaume lusitain le duc de Bragance d. João, sous
le nom de d. João IV. Un peu plus de six mois plus tard, en juil-
let 1641, le tout récent roi du Portugal déjoue un complot pour le
détrôner, faisant arrêter et juger pour crime de lèse-majesté plu-
sieurs hauts personnages impliqués dans l’affaire menée par l’ar-
chevêque de Braga, d. Sebastião de Matos de Noronha. Parmi les
personnes accusées d’avoir conjuré contre la nouvelle dynastie en
faveur des Habsbourgs se trouvait l’inquisiteur général d. Francis-
co de Castro, qui fut écroué le 28 juillet à la tour de Belém, tandis
que l’archevêque primat était banni et d’autres conjurés, comme
le marquis de Vila Real, décapités en place publique le 29 août1.
Dans cette conjoncture, que se passa-t-il avec le gouvernement de
l’Inquisition ?
Le règlement du Conseil Général de l’Inquisition, publié en
1570 par le cardinal d. Henrique, statue dans son chapitre cinq
qu’en absence de l’inquisiteur général, c’est le collège des députés
du Conseil qui assume toutes ses fonctions2. Pendant un peu plus
d’un an et demi (d. Francisco de Castro sera libéré de prison et

1
Pour une analyse de ces événements, voir Leonor Freire Costa e Ma-
falda Soares da Cunha, D. João IV, Lisbonne, Círculo de Leitores, 2006,
p. 116-123. Dans cet article, nous utiliserons les abréviations suivantes :
ANTT (Arquivo Nacional da Torre do Tombo), BNL (Biblioteca Nacional de
Portugal), CGSO (Conselho Geral do Santo Ofício), IÉ (Inquisição de Évora),
IC (Inquisição de Coimbra), IL (Inquisição de Lisboa). Cette recherche a été
menée grâce au financement du CNPq. Ce texte fut rédigé sous les auspices
d’une bourse de la VLIR-UOS et il a profité de la lecture attentive de Vio-
let Soen, d’Evergton Sales Souza et de Giuseppe Marcocci, que je remercie.
Toutes les traductions du portugais et de l’espagnol sont de ma responsabi-
lité.
2
Regimento do Conselho Geral da Inquisição, chap. 5e. Ce règlement, ainsi
que les autres règlements de l’Inquisition portugaise ici cités (Regimento de
1552, Regimento de 1613 et Regimento de 1640), le seront à partir des trans-
criptions incluses en annexe à José Eduardo Franco et Paulo de Assunção,
As metamorfoses de um polvo. Religião e política nos regimentos da Inquisição
portuguesa (séc. XVI-XIX), Lisbonne, Prefácio, 2004.

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réintégré à son poste le 5 mars 1643) c’est donc le Conseil Général


qui prendra les décisions finales quant à la réalisation d’autodafés,
aux sentences de relaxation au bras séculier ou à la concession de
grâce pour les peines infligées par les inquisiteurs de district, et
c’est encore à lui de gérer la nomination du personnel inquisitorial.
Même si la documentation continue à être rédigée au nom de d.
Francisco, il semblerait que le corps inquisitorial pensait sérieuse-
ment perdre définitivement sa tête, comme l’ont perdue d’autres
nobles participants du complot contre le roi. En effet, pendant
le temps qu’il est resté en prison, ses subordonnés ont continué
à gouverner le tribunal, mais ils ont surtout, pour ce qui nous
touche ici, remis en discussion au moins une question qui avait été
close peu de temps auparavant par la promulgation du nouveau
règlement entré en vigueur, par pure coïncidence, le jour même
où était proclamé d. João IV : le premier décembre 1640. Il s’agis-
sait de rectifier la façon dont le nouveau règlement transforma
l’eucharistie (ou l’interdiction de la consommer) en un instrument
de punition des nouveaux-chrétiens ayant reconnu avoir aposta-
sié le catholicisme, même une fois réconciliés à l’Église. À partir
de l’étude de cette question, et autour du personnage du député
du Conseil Général fr. João de Vasconcelos, nous irons essayer de
voir de plus près les critères qui régissaient l’univers pénitentiel
de l’Inquisition portugaise, ce qui nous conduira à nous intéres-
ser aux rapports existant entre Inquisition, théologie et politique,
mais aussi, plus concrètement, à voir dans le détail la façon dont
les décisions étaient prises dans les organes centraux du St-Office.
Le règlement du St-Office entré en vigueur le premier décembre
1640 se substituait à celui de 1613 et prétendait systématiser toute
la législation inquisitoriale portugaise depuis les ordonnances de
1552, prenant en compte « la grande altération [du style inquisito-
rial] au vu des visitations, provisions et instructions promulguées »
depuis le règlement précédent. La provision du 22 octobre 1640,
qui ouvre le nouveau recueil normatif, dit encore que tout ce cor-
pus fut « mis en ordre » par « des personnes de beaucoup de lettres »
choisies parmi les députés du Conseil Général, les inquisiteurs et
les députés de district. Une fois la systématisation terminée, d.
Francisco de Castro a fait « lire et examiner [le nouveau règle-
ment] en sa présence, et [le fit] conférer par une analyse détaillée
ainsi que la mûre délibération sur les doutes offerts, qui ont été
résolus selon ce qui convenait le mieux », et avec l’avis du Conseil

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Général il l’approuva et le confirma3. Le jour même où d. João de


Bragança fut acclamé roi à Lisbonne, les tribunaux inquisitoriaux
publièrent le nouveau règlement en séance close, après une messe
en honneur du St-Esprit, suivant ainsi des ordres précis de l’in-
quisiteur général4. L’acclamation n’a pas gêné l’entrée en vigueur
du règlement, mais le secrétaire du Conseil Général, par deux
lettres — une laconique du premier décembre et une autre plus
circonstanciée du 8 du même mois — rendit compte aux ministres
des tribunaux locaux de l’acclamation du duc et de son entrée à
Lisbonne « avec la joie et le bonheur général de cet endroit-ci ».
Et il ajoute : « Le Très Illustre inquisiteur général veut que Vos
Seigneuries ayez ainsi compris, dans le cas où le même se serait
produit dans cette ville-là (comme l’on peut supposer), que vous
vous conformiez avec ce qui se passe par ici sans rien faire qui
démontre le contraire5 ». Quelques jours plus tôt chaque tribunal
avait reçu le nombre exact de copies nécessaires à son fonction-
nement. Toutefois, peu après, pendant les mois troubles durant
lesquels d. Francisco de Castro resta incarcéré à la tour de Belém,
le monument juridique promulgué par lui fut mis en cause — et
même ignoré — tant par le Conseil Général que par les tribunaux
locaux, dans la délicate question des pénitences spirituelles impo-
sées aux personnes réconciliées par l’Inquisition. Ceci est d’autant
plus déroutant quand l’on remarque qu’il ne s’agissait pas de com-
bler un espace laissé par mégarde de côté par le règlement, mais
plutôt de repenser une affaire dont les détails y étaient bien défi-
nis. En effet, les pénitences spirituelles qui devaient être accom-
plies par les personnes passées par le crible inquisitorial étaient

3
Regimento de 1640, s.f. Nous ne connaissons le nom que de deux de ces
“consulteurs” : frère João de Vasconcelos, dont l’influence sur la procédure in-
quisitoriale est le cœur de cet article, et le docteur Manuel do Vale de Moura,
éternel député du tribunal d’Évora, qui fait référence à ce rôle dans un de
ses textes. CGSO, liv. 320, fos 316r-v. Les anonymes Lembranças sobre a maté-
ria do Santo Ofício e bom governo dele (BNL cód. 869 fos 184-224), même non
datées, peuvent très bien avoir été écrites dans le contexte de rédaction du
nouveau règlement. Elles ne sont toutefois pas de la main de Vale de Moura,
puisque son texte comptait au moins 73 lembranças, tandis que celui de BNL
n’en a que 44. Ce processus de consultation pour la préparation du règlement
de 1640 avait commencé trois ans plus tôt. Le 14 mars 1637, l’inquisiteur
général annonçait l’ouverture des travaux (voir ANTT, IÉ, liv. 629, fo 21).
4
ANTT, IC, liv. 23, fo 125. Voir aussi IÉ, liv. 629, fos 133, 135 et 177.
5
ANTT, IC, liv. 23, fo 133 et 135-135v.

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clairement décrites dans le règlement de 1640, avec de notables


innovations par rapport à celui de 1613, comme nous verrons plus
bas.
Voyons d’abord qui furent les personnes responsables de ces
actes, pour ensuite comprendre l’importance dévotionnelle et poli-
tique de la question des pénitences spirituelles imposées aux incul-
pés par le St-Office.
Six hommes étaient alors députés du Conseil Général de l’Inqui-
sition portugaise. Toutefois, Diogo Osório de Castro (nommé en
1636) et Pantaleão Rodrigues Pacheco (en 1641) n’ont pas pris
part aux activités directes du Conseil à l’époque, le premier par
maladie, le second pour avoir intégré la suite de l’ambassadeur
portugais à Rome6. Étaient ainsi présents au Conseil Pedro da Sil-
va de Faria (nommé en 1635), Francisco Cardoso de Torneo (nom-
mé en 1636), Sebastião César de Meneses (en 1637) et le fr. João
de Vasconcelos, député au Conseil depuis 1632. Il faut d’emblée
remarquer que tous les députés sont des prêtres séculiers, à l’ex-
ception du dominicain fr. João de Vasconcelos, qui, en 1641, occu-
pait depuis près de dix ans la place réservée aux frères prêcheurs
dans le Conseil7. Il était aussi le doyen des députés-conseillers et
le seul théologien, car tous les autres étaient des légistes formés

6
Sur les députés absents : ANTT, IL, liv. 8, fl. 53. Pour les dates de nomi-
nation cf. Nachman Falbel (pub.), O catálogo dos inquisidores de frei Pedro
Monteiro e sua complementação por um autor desconhecido, São Paulo, Centro
de Estudos Judaicos, 1890, p. 173-176. Faisait encore officiellement partie du
Conseil d. Luis de Melo (frère du secretário de Estado Miguel de Vasconcelos
assassiné par les révoltés) qui s’enfuit en Castille déguisé en femme après le
premier décembre 1640. Voir Ana Isabel López-Salazar, Inquisición y polí-
tica. El gobierno del Santo Oficio en el Portugal de los Austrias (1578-1653),
Lisbonne, Centro de Estudos de História Religiosa, 2011, p. 186.
7
À partir de 1614, par la volonté de Philippe III, les dominicains eurent
une place réservée tant dans le Conselho Geral de l’Inquisition portugaise que
dans la Suprema espagnole, même si la chose fut beaucoup plus effective au
Portugal qu’en Espagne. Cf. José Pedro Paiva, Os dominicanos e a Inquisi-
ção em Portugal (1536-1614), dans A. Bernal Palacios (ed.), Praedicatores,
inquisitores – II : Los Dominicos y la Inquisición en el mundo ibérico e his-
panoamericano. Actas del 2º Seminario Internacional sobre los Dominicos y la
Inquisición, Sevilla, 3-6 de Marzo de 2004, Roma, Istituto Storico Domeni-
cano, 2006, p. 505-573 et Roberto López Vela, Los dominicos y el gobierno de
la Inquisición en el siglo XVII. El dominio de una doctrina ‘muy fuerte contra
los hereges´, dans A. Bernal Palacios (ed.), Praedicadores, inquisitores – II :
op. cit., p. 27-57. Le texte de José Pedro Paiva est aussi disponible dans NW
Noroeste. Revista de História, 1 (2005), p. 167-229.

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en droit canon. Il se distinguait aussi par sa haute naissance : né


à Lisbonne en 1590 et baptisé Álvaro Mendes de Vasconcelos, il
était l’arrière-petit-fils du vice-roi de l’Inde d. Nuno da Cunha
et petit-fils du comte de Castanheira, et aussi le frère du premier
comte de Figueiró et de la comtesse de Alcanede. Un de ses autres
arrière-grand-pères paternels, de qui il avait le nom de baptême,
fut conseiller du roi d. João III et son ambassadeur à la cour de
Charles-Quint puis à Rome, où il négocia la création du St-Of-
fice portugais8. Sebastião César de Meneses, ce personnage haut
en couleurs, qui avait le don de s’immiscer dans toutes les conspi-
rations de son temps, était aussi issu des plus nobles familles du
royaume (il était petit-fils du comte da Feira9).
Pendant le temps où d. Francisco de Castro est resté en prison,
il ne fut pas question de sa destitution et de la nomination d’un
nouvel inquisiteur général, car l’accession au trône du duc de Bra-
gance n’avait pas été acceptée par Rome. Le nouveau roi n’avait
donc pas le pouvoir de nommer ou de destituer l’inquisiteur géné-
ral, car ces changements devaient être homologués par le pape.
D. Francisco était ainsi toujours considéré comme la tête de l’Inqui-
sition, même s’il était empêché d’en exercer la charge ; pour l’Inqui-
sition, institutionnellement, son arrestation avait ainsi les mêmes
conséquences qu’une grave maladie qui l’aurait mis hors combat.
Comme mentionné plus haut, le règlement du Conseil Général
prévoyait qu’en absence de l’inquisiteur général, le Conseil devait
prendre sa place. Mais cette collégialité n’était qu’apparente, car
dans tout endroit où se trouvaient deux personnes ou plus, dans
l’Ancien Régime, une hiérarchie s’imposait. Ainsi, le règlement
prévoyait également « qu’en absence de l’inquisiteur général », le
doyen du Conseil « le présidera [...] et proposera les affaires à trai-

8
Fr. A n d r é s F e r r e r d e V a l d e c e b r o, Historia de la vida del
V.P.M.F. Iuan de Vasconcelos, Madrid, por D. Maria Rey viuda de Diego
Diaz de la Carrera. Impressora del Reyno, s.d. [1669], fo 2-3.
9
Sur César de Meneses : Luís Reis Torgal, Ideologia política e teoria do
Estado na Restauração, Coimbra, Biblioteca Geral da Universidade, 1982, vol
II, p. 264-268, et pour sa production littéraire de teneur politique, p. 199-212.
Sur l’importance de la noblesse dans la carrière inquisitoriale, voir López-
Salazar, Inquisición y política… [voir n. 6], p. 123-134 et Bruno Feitler,
Hierarquias e mobilidade na carreira inquisitorial portuguesa : a centralidade do
tribunal de Lisboa, in Rodrigo Bentes Monteiro et alii, Raízes do privilégio.
Mobilidade social no mundo ibérico do Antigo Regime, Rio de Janeiro, Civili-
zação Brasileira, 2011, p. 235-258.

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ter10 ». C’est tout naturellement que fr. João de Vasconcelos, étant


donné son ancienneté mais aussi sa haute naissance, prit le devant
du St-Office portugais après l’arrestation de l’inquisiteur général,
et ce pour une durée, en principe, indéfinie, car il a dû sembler
aux contemporains que d. Francisco avait peu de chances d’être
rétabli à sa place.

Les nouveaux-chrétiens et l’eucharistie


Quels changements furent apportés au fonctionnement inqui-
sitorial pendant le temps où l’inquisiteur général resta absent ?
Étant donné la toute récente entrée en vigueur d’un règlement
nouveau et très détaillé, plusieurs doutes se firent jour au sein
des tribunaux de district, doutes ponctuels et procéduriers, pré-
vus dans la lettre qui accompagna les volumes envoyés aux tri-
bunaux de district, et qui furent résolus au Conseil Général11. La
seule question qui eut une répercussion plus grande, mobilisant la
totalité des ministres inquisitoriaux — à partir des inquiétudes de
fr. João de Vasconcelos —, fut celle de la nouvelle interdiction
de l’eucharistie aux prévenus réconciliés à l’Église ayant formel-
lement abjuré leur hérésie (les personnes qui ont fait abiuratio in
forma de leurs erreurs).
En effet, le règlement de 1640 innovait par rapport aux anté-
rieurs. Il ordonnait, comme c’était déjà la coutume, que les per-
sonnes qui se présentaient aux inquisiteurs pour confesser leurs
fautes sans avoir été précédemment dénoncées (les dénommés
apresentados), entre autres pénitences, « se confessent sacramentel-
lement aux quatre principales fêtes de l’année, soit Noël, Pâques,
Pentecôte et l’Assomption de la Vierge ». L’admission à l’eucha-
ristie restant implicite puisqu’« il n’est pas possible de leur faire
faire des pénitences, même spirituelles, qui puissent laisser trans-
paraître la teneur des fautes confessées » (liv. III, tit. I, § 6). À
ceux « qui n’ont pas été convaincus », c.-à-d., ceux contre qui les
inquisiteurs n’avaient pas de preuves suffisantes pour les faire
condamner et qui ne confessaient point, abjurant de vehementi ou
de levi suspicion dans la foi, le règlement continuait à préconiser
la réception de la communion (tit. II, § 8), comme c’était déjà le

Regimento do Conselho Geral, cap. 4e.


10
11
Voir ANTT, IC, liv. 23, fo 125. Des exemples de ces doutes en ANTT,
CGSO liv. 67, fos 103-107 et IÉ, liv. 629 fos 131-139.

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cas dans le règlement de 1552 et dans celui de 161312. La nouveau-


té qui surgit dans le Regimento de 1640 concerne les « confessants
admis (confitentes recebidos) », soit ceux qui, après avoir été « dé-
noncés, arrêtés et inculpés », confessaient de façon satisfaisante et
qui étaient par la suite réintégrés au sein de l’Église. Ils devaient
abjurer in forma, et « seront instruits dans les choses de la foi, et
on leur ordonnera tout ce qui est dit au § 6, titre 1er de ce livre,
leur déclarant l’obligation d’envoyer [à l’Inquisition] un certificat
faisant foi de qu’ils se sont confessés aux fêtes de la façon décrite
audit § 6, mais il leur sera donné ordre de ne pas recevoir le Très
Saint Sacrement de l’eucharistie sans autorisation formelle du Saint
Office » (liv. III, tit. III, § 113).
Tous les ministres du St-Office n’étaient pas satisfaits du dur-
cissement des peines imposées aux réconciliés. Pour les uns, déci-
der de la question spécifique de la réception de l’eucharistie ne
relevait pas du rôle des inquisiteurs, tandis que d’autres pensaient
que ce n’était pas assez et qu’il fallait durcir encore l’interdiction
pour y inclure ceux qui abjuraient de vehementi et même de levi
suspicion dans la foi. Ces tensions émergèrent à cause du vide lais-
sé par l’incarcération de l’inquisiteur général, lors de la réalisation
du premier autodafé de Lisbonne postérieur à la promulgation du
nouveau règlement et à l’arrestation de l’inquisiteur général. Ce
fut à la suite de cette cérémonie, présidée par le Conseil Géné-
ral le 6 avril 1642, que les premières personnes réconciliées pour
hérésie reçurent les nouvelles instructions sur leurs pénitences spi-
rituelles14.
Quelques jours après l’autodafé, tandis que les prévenus récon-
ciliés à l’Église étaient encore aux Escolas Gerais (les prisons de la
pénitence) en train d’être instruits dans les mystères de la foi, les
membres du Conseil Général, surinterprétant les directives du règ-
lement de 1640, ordonnèrent aux inquisiteurs de Lisbonne de « ne
pas dispenser les pénitents ayant abjuré in forma et de vehementi

12
Regimento de 1552, chap. 9, 10, 53 et 54 et Regimento de 1613, tit. II,
chap. VIII.
13
Les italiques sont de moi.
14
En effet, à ce grand autodafé public, réalisé sur la principale place de
Lisbonne, assistèrent de la fenêtre du palais le roi, la reine et les princes. D.
Francisco de Castro était le grand absent. À sa place furent placés, « près de
l’autel, le dais et la chaise de Son Éminence tournée vers le mur et mise sur
la même petite plateforme tapissée que d’habitude ». ANTT, IL, liv. 8, fo 53.

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pour qu’ils puissent recevoir le sacrement de l’eucharistie sans en


avertir le Conseil ». Les propres inquisiteurs de Lisbonne, par une
consultation du 10 avril, en citant ce que disait le règlement sur
le sujet, écrivirent à leurs supérieurs pour leur demander « si cet
ordre suspend celui de leur faire faire leurs pénitences avant de
vous en rendre compte s’il convient de leur donner le sacrement
de l’eucharistie, ou s’il faut, après qu’ils soient confessés, sans
avoir reçu ledit sacrement, les expédier avec leurs pénitences sans
leur donner licence pour communier15 ». Le lendemain, pour mettre
les choses au clair, une annotation en marge du Conseil, avec les
rubriques des députés fr. João de Vasconcelos e Francisco Cardoso
de Torneo, expliquait « qu’une fois les pénitents instruits et confes-
sés, les inquisiteurs pourront expédier leur affaire, en leur impo-
sant, parmi les autres pénitences spirituelles, qu’ils ne reçoivent
point le Très Saint Sacrement sans l’ordre du tribunal, qui à son
tour ne la donnera pas sans l’ordre du Conseil16 ». Cette procédure
fut appliquée à tous ceux qui ont abjuré in forma, comme prévu
par le règlement de 1640, mais aussi aux neuf personnes qui ont
abjuré de vehementi suspicion dans la foi, rendant ainsi plus dure
(et plus ample) la nouvelle restriction17.
Voyons ici l’exemple de Diogo de Abreu, en partie nouveau-
chrétien résidant à Setúbal à l’époque de son arrestation. Son pro-
cès est important pour notre sujet car il révèle clairement le soin
avec lequel le Conseil Général voulait contrôler l’administration
de l’eucharistie aux pénitents après leur réconciliation. Le 30 juin
1642, plus de deux mois après l’autodafé pendant lequel Diogo
abjura le judaïsme de vehementi, il fut appelé devant des inquisi-
teurs « parce qu’il leur avait été rapporté qu’il était suffisamment
instruit dans les choses nécessaires pour le salut de son âme ». Lors
de cette séance, sa peine de prison fut commuée en pénitences spi-
rituelles : aller aux églises et à la messe et aux prêches « avec beau-
coup de dévotion » ; pendant un an il lui fallait prier un rosaire à

15
ANTT, IL, liv. 151, fo 503.
16
Idem.
17
Cf.. ANTT, IL, procès 3011 (contre João Gonçalves), 3012 (contre José
da Silva), 3023 (contre Filipa Rodrigues), 4883 (contre Manuel Arrais de Men-
donça), 5349 (contre le père Luis Lopes), 9891 (contre Vicente Serrão), 9896
(contre Pedro Fernandes), 11142 (contre Diogo de Abreu) et 11145 (contre
Francisco Fernandes Salgado) dans les séances respectives dites de ida e peni-
tências à la fin des actes des procès.

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la Vierge toutes les semaines, et les vendredis cinq Notre Père et


cinq Ave Maria en dévotion à la passion du Christ et, finalement,
il devait se confesser lors des quatre principales fêtes de l’année
(Corpus Christi, Assomption de la Vierge, Noël et Pâques), « mais
ne pas communier sans l’autorisation du St-Office ». Diogo reçut
alors un document signé par deux inquisiteurs, dans lequel sa si-
tuation de « réconcilié » était décrite ainsi que les pénitences spiri-
tuelles à accomplir, et au dos duquel il devait, au bout de ladite
année, faire certifier la réalisation des pénitences par son curé18.
Au carême de l’année suivante Diogo s’adresse à l’inquisiteur
général le suppliant de lui octroyer l’autorisation de communier
et ainsi la possibilité de satisfaire pleinement le devoir annuel de
la Pâque. Les députés du Conseil Général demandent alors le 27
mars l’avis des inquisiteurs de Lisbonne. C’est seulement le 14
avril que ceux-ci, ayant sous leurs yeux l’attestation émise par
Francisco de Faria, curé bénéficiaire de l’église de Saint Julien de
Setúbal, recommandent au Conseil de lui octroyer l’autorisation
demandée. L’attestation certifiait qu’en « conformité avec [ce qui a
été ordonné] par Messieurs les inquisiteurs dans leur mandat, j’ai
entendu mon paroissien Diogo de Abreu en confession lors de la
fête de l’Assomption de Notre Dame et de la fête de Noël de l’an-
née 1642, et [qu’il] assiste au culte divin très fréquemment ». Mais
les informations contenues dans le certificat du curé n’ont pas été
jugées suffisantes par les membres du Conseil, qui ordonnèrent aux
inquisiteurs de s’informer à nouveau auprès du curé de Diogo « sur
sa conduite, vie et habitudes », pour ensuite en informer les dépu-
tés avec leur propre avis. Étant donné l’ordre du Conseil, les in-
quisiteurs écrivirent au Dr. Francisco Arouche e Abrantes, vicaire
(juge ecclésiastique) de Setúbal, pour qu’il s’informât sur Diogo de
Abreu et vérifiât « sa fréquence et sa permanence dans les églises
et d’autres démonstrations extérieures qu’il donne de sa conver-
sion [ ?] et combien de fois il s’est confessé à son curé ». L’enquête
fut réalisée le 5 juin auprès de deux témoins. Le premier fut le
prieur de St-Julien, qui dit que Diogo aidait lors de la messe « avec
des démonstrations de pénitence et de repentance ». Le prieur dit
avoir su par le curé de son église (le même père Francisco de Faria
qui présenta un certificat aux inquisiteurs), que Diogo s’était
confessé deux ou trois fois pendant le carême, et qu’il continuait à

18
ANTT, IL, procès 11142, fos 114 et 125.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 209

fréquenter les messes. Francisco de Faria fut la seconde personne


à donner sa déposition, confirmant que Diogo était assidu aux
offices divins, « aidant quelques fois lors de la messe quand elle
était dite par le révérend curé » et que lui, en plus de l’obligation
pascale, s’était encore confessé une ou deux fois, et qu’ « à présent
il le voit à l’église où il va écouter la messe et les prêches avec des
démonstrations extérieures de sa conversion ». Le 9 juin, avec ces
informations en main, les inquisiteurs donnèrent leur avis favo-
rable à la requête de Diogo, opinion qui fut suivie par les députés
du Conseil Général. Le 29 juin longtemps après la Pâque, Diogo
reçut finalement l’autorisation de communier19.
L’exemple de Diogo, ainsi que d’autres conservés dans les ar-
chives, montre l’attention spéciale que les députés du Conseil
Général portaient sur l’administration et la réception de l’eucha-
ristie20. S’il y avait depuis longtemps une certaine circonspection
sur la façon dont les nouveaux-chrétiens respectaient la confession
sacramentelle, surtout quand le confesseur était également nou-
veau-chrétien, le passage à une interdiction des sacrements repré-
sentait une grande nouveauté21. À quoi cela était-il dû ? Qui en
était le responsable ?

Le contexte des années 1630


Tant la nouveauté incluse dans le règlement que celle plus dis-
crète qui vit le jour au lendemain de l’autodafé de 1642, peuvent

19
ANTT, IL, pc. 11142, fos 116-128v.
20
Antonio Gomes, par exemple, après avoir obtenu la commutation de
la peine du port de l’habit pénitentiel, demanda « étant donné cette sainte
période du carême, qu’ils veuillent bien lui donner permission [de commu-
nier] ». Maria Nunes Henriques, à son tour, semble avoir été poussée à cela
par son confesseur, le prieur de l’église lisboète de Ste-Juste, où elle accom-
plissait ses pénitences. Comme pour Diogo, ils n’obtinrent pas l’autorisation à
temps pour la Pâque mais seulement à la fin juillet 1643, après la réalisation
d’enquêtes sur leurs bonnes vies et moeurs. ANTT, IL, procès 2433, fos 50-54
et procès 4878, fos 54-60v.
21
Dans les années 1630, les inquisiteurs interdisaient déjà que les récon-
ciliés pour judaïsme se confessent à des prêtres nouveaux-chrétiens. Par
exemple : ANTT, IL, procès 3704 (contre Bartolomeu Henriques, de 1633)
et 2992 (contre Jerônima de Lamy, de 1636). La condition vieille-chrétienne
du confesseur disparaît après la promulgation du règlement de 1640. Pour un
aperçu de cette question dans le courant du 16e s., voir Giuseppe Marcocci,
I Custodi dell’Ortodossia. Inquisizione e Chiesa nel Portogallo del Cinquecento,
Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2004, p. 272-287.

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210 b. feitler

aisément se comprendre dans le contexte de la fin de la domina-


tion des Habsbourgs, moment pendant lequel l’animosité contre
les nouveaux-chrétiens s’est visiblement accrue. Ceci est dû à la
crise générale de la monarchie et peut plus spécifiquement être
vu comme une répercussion de la guerre d’informations que se
livraient dans la cour de Madrid les partisans et les opposants du
comte-duc Olivares. En effet, l’association entre banquiers portu-
gais (c.-à-d., nouveaux-chrétiens) et le favori, la realpolitik de ce
dernier, ainsi que les rumeurs toujours vives de l’existence d’une
alliance entre les ennemis calvinistes et les descendants des juifs
ibériques, firent que la propagande anti-juive arriva à son comble
dans les années 1620 et 1630. Les ouvrages les plus virulents contre
les nouveaux-chrétiens voient alors le jour, tant au Portugal qu’en
Espagne, reflétant une image chaque fois plus forte des conversos
en tant qu’hérétiques et traîtres incorrigibles22. Dans un contexte
plus local, l’arrestation scandaleuse et l’exécution sur le bûcher
en 1624 du Dr. Antonio Homem, lente de prime de théologie de
l’Université de Coimbra et chanoine de la cathédrale de la même
ville, accusé de sodomie et inculpé d’animer un important groupe
de judaïsants, ainsi que le sacrilège commis en l’église lisboète de
Santa Engrácia, pour lequel un nouveau-chrétien fut exécuté en
1630, sue base « de violents indices », pour avoir volé des hosties
consacrées, n’ont pas apaisé les esprits23. Il faut finalement rap-
peler que cette même année une conférence de prélats et de théo-
logiens portugais s’est tenue à Tomar et, inspirée par la récente
expulsion des moriscos d’Espagne, avait proposé, sans succès, le
bannissement du Portugal et de ses domaines des personnes (avec
leurs familles) qui confessaient avoir pratiqué le judaïsme, ainsi
que des parents de ceux relaxés à la justice séculière, à défaut de
pouvoir expulser tous les nouveaux-chrétiens24.

22
Voir mon O Catolicismo como ideal : produção literária antijudaica no
mundo português da Idade Moderna, dans Novos Estudos Cebrap, 72 (juillet
2005), p. 137-158. Pour le contexte politique de l’époque d’Olivares, voir l’ouv-
rage de Juan Ignacio Pulido Serrano, Injurias a Cristo. Religión, política y
antijudaísmo em el siglo XVII (Análisis de las corrientes antijudías durante la
Edad Moderna), Universidad de Alcalá, 2002.
23
João Lúcio de Azevedo, História dos cristão-novos portugueses, Lis-
bonne, Clássica Editora, 1989 (1ère éd. : 1921), p. 202-203.
24
Idem, p. 194-201. Voir aussi Luís Reis Torgal, Ideologia política e
teoria do Estado na Restauração, Coimbra, Biblioteca Geral da Universidade,

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 211

L’Inquisition a toujours été contre l’expulsion des nouveaux-


chrétiens passés ou non par ses geôles. Cela détruirait sa princi-
pale source de légitimité, puisque les judaïsants représentaient
l’écrasante majorité des prévenus, et aussi le tarissement d’une
deuxième source — cette fois-ci financière —, les biens confisqués
aux personnes convaincues d’hérésie. À défaut donc d’une expul-
sion, le St-Office décida d’appliquer un autre type d’exclusion,
plus discret, mais non moins effectif du point de vue politique :
l’interdiction de l’eucharistie, soit l’exclusion de la communion des
fidèles, l’exclusion de la communauté du royaume du Portugal.
C’est ce qu’indiquent les discussions qui avaient surgi presque un
siècle auparavant autour de la question de l’administration de la
communion aux condamnés à mort, étudiées par G. Marcocci dans
un récent article25.
Plusieurs théologiens et canonistes participèrent au débat. Mar-
tin de Azpilcueta Navarro, professeur de droit canonique à Coim-
bra, dans son Manual de confessores, de 1552, affirma que refuser
la communion aux condamnés à mort n’était pas un péché quand
il s’agissait d’éviter le retard d’une exécution ou l’indécence de
mettre quelqu’un à mort le jour même où il avait reçu le corps
de Dieu. Cinq ans plus tard, Domingo de Soto, professeur à Sala-
manque, analyse la même question appelant d’un côté l’attention
sur l’irreverentia de l’acte, puisque le condamné pouvait vomir
l’hostie pendant l’exécution, et de l’autre sur une question qui
nous intéresse ici de plus près : selon Marcocci, le théologien domi-
nicain releva « l’existence d’un obstacle de nature politique [qui
renforçait la coutume ibérique et qui] prenait origine de l’idée
d’une exacte coïncidence entre le sacrement de la communion et

1981, vol. I, p. 350-351. L’idée d’expulsion est à nouveau à l’ordre du jour en


1671. Voir de Azevedo, História dos cristão-novos… [voir n. 23], p. 292-294.
25
Giuseppe Marcocci, La salvezza dei condannati a morte. Giustizia, conver-
sioni e sacramenti in Portogallo e nel suo impero. 1450-1700 ca., dans Miseri-
cordie. Conversioni sotto il patibolo tra Medioevo ed età moderna, A. Prosperi
(ed.), Pisa, Edizioni della Normale, 2007, p. 189-255. Rappelons que la ques-
tion touchait évidemment aussi le St-Office, puisque les hérétiques convain-
cus étaient “relaxés à la justice séculière”, chargée d’appliquer la législation
royale qui prévoyait le bûcher pour les hérétiques. Vincenzo Lavenia a étudié
cette question comparativement, notant de grandes différences entre les réa-
lités italienne, allemande, française et espagnole. “Ipse Christus innocentissi-
mus : Inquisizione, eretici condannati e sacramenti”, dans Mélanges de l’École
Française de Rome : Italie et Méditerranée, 121 (2009), p. 155-172.

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212 b. feitler

la communauté des hommes : refuser l’eucharistie au condamné


était la même chose que confirmer l’intangibilité de l’ordre de la
république26 ». Cette même idée fut développée dans la direction
contraire, et plus longuement, à la même époque, par un laïc, le
Dr. Antonio da Gama, juge de la Cour, qui affirma que le refus
de la communion mettait en cause les fondements chrétiens du
royaume, demandant ainsi la fin de cette coutume. Toutefois, ce
même argument fut utilisé en suivant de plus près l’interpréta-
tion de Soto par ceux qui pensaient que l’interdire « n’était pas
une mauvaise coutume », comme c’est le cas de fr. Domingos do
Rosário, dans sa version de la somme de cas de conscience du car-
dinal Cajetan, faite par ordre de l’archevêque de Braga d. fr. Bar-
tolomeu dos Mártires en 1565 :
Soto 4. d. 12. dit que cette coutume d’Espagne de refuser la sainte
communion à ceux qui sont mis à mort par la justice a été introduite
pour indiquer que ces personnes, de la même façon qu’elles sont écar-
tées de la communion de la république, on leur refuse le sacrement de
la communion pour signaler qu’ils sont ennemis de la république27.

Le débat existait également dans le royaume voisin, et un cas


circonstanciel, survenu à Séville en 1567, finit par provoquer
l’intervention de l’archevêque Pedro Guerrero, qui obtint de Pie
V en 1569 une bulle préconisant l’administration de l’eucharistie
aux condamnés à mort. Ce document papal a été incorporé dans
les législations castillane et portugaise, pour la première par une
pragmatique du 27 mars 1569 et pour la seconde par une loi du
5 février 158728. La messe, comme l’a montré John Bossy, avait

26
Giuseppe Marcocci, La salvezza… [voir n. 25], p. 226.
27
D i o g o d o R o s á r i o, Summa Caietana, tresladada em Portugues,
com muytas Annotações, & casos de consciencia & Decretos do Sagrado Concilio
Tridentino, Braga, casa de Antonio de Mariz, 1565, c. 76v, apud Giuseppe
Marcocci, La salvezza… [voir n. 25], p. 229 note 111.
28
Marcocci identifia des résistances au sein de l’Inquisition portugaise, et
encore en 1617 Rome écrivait à l’inquisiteur général Fernão Martins Mas-
carenhas lui affirmant que les prévenus qui viendraient à mourir avant la
fin du procès, pouvaient communier s’ils le demandaient et s’ils avaient suf-
fisamment bien confessé leurs erreurs au St-Office. Selon un mémorial des
nouveaux-chrétiens, rendu à Rome en avril 1675, cette normative n’était
pas encore respectée par le tribunal. Giuseppe Marcocci, La salvezza… [voir
n. 25], p. 234-235.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 213

une forte fonction sociale par-delà sa fonction salvifique29. Suivant


cette constatation, nous pouvons dire que dans la péninsule ibé-
rique, l’eucharistie, en tant que le sacrement qui résultait de la
messe, était une des bases de la conformité de ceux qui voulaient,
encore au 17e s., se voir totalement Portugais (ou Espagnol).
Nous devons aussi nous rendre compte que cette méfiance in-
quisitoriale par rapport aux nouveaux-chrétiens n’était pas nou-
velle, et qu’elle s’insère dans un crescendo qui ne fait que culminer
avec le règlement de 1640. Le 24 août 1575, le cardinal d. Hen-
rique, dans une résolution à insérer dans le règlement inquisito-
rial, ordonne aux inquisiteurs qu’ils redoublent d’attention lors du
jugement de judaïsants, ne les réconciliant qu’avec des démonstra-
tions de vraie pénitence des prévenus30. En fait, depuis le grand
scandale survenu lors de la « conjuration des faussaires Beja »,
quand un grand nombre de vieux-chrétiens faussement dénoncés
comme judaïsants confessèrent avoir apostasié, le « statut juridique
des prévenus dans les tribunaux inquisitoriaux portugais a souffert
d’un affaiblissement progressif31 ».
Il faut, finalement, remarquer que tous ces débats autour de
la communion s’insèrent dans un contexte plus large sur l’éco-
nomie eucharistique, c.-à-d., sur le calcul qui était fait entre les
profits d’une communion fréquente et le danger d’une administra-
tion indue, et donc sacrilège, du « plus grand et plus excellent »
des sacrements32. La controverse sur la fréquente communion qui
opposa grosso modo jésuites et jansénistes aux Pays-Bas en France
et aussi en Italie exactement en ce début des années 1640, n’eut
pas lieu au Portugal (rappelons que le Traité de la fréquente com-
munion d’Arnauld fut publié en 1643). Il est toutefois intéressant
de voir que certains religieux se souciaient localement de la ques-
tion, montrant que même de loin ou par contrecoup, les prises de

29
John Bossy, Essai de sociographie de la messe, 1200-1700, dans Annales
ESC, (1) 1981, p. 44-70.
30
ANTT, CGSO, liv. 259, fo 203-205.
31
Giuseppe Marcocci, A Inquisição portuguesa sob acusação : o protesto
internacional de Gastão de Abrunhosa, dans Cadernos de estudos sefaraditas, 7
(2007), p. 33.
32
C’est ainsi que le désigne, suivant les résolutions tridentines, un ouvrage
imprimé sous l’ordre du cardinal d. Henrique, alors inquisiteur général et ar-
chevêque de Lisbonne, le Ceremonial e ordinario da missa, e de como se ham
de administrar os sacramentos da sancta madre igreja [...], Lisbonne, casa de
Francisco Correa, 1568, fo 52v.

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214 b. feitler

position plus strictes par rapport aux sacrements, comme façon


de prendre le plus de distance possible par rapport au protestan-
tisme, atteignirent le Portugal33. Cette préoccupation transpire
clairement du livre sur fr. João de Vasconcelos qui nous sert ici de
source privilégiée : lorsque son auteur décrit la dévotion eucharis-
tique de dona Felipa de Mendonça, soeur de fr. João, il mentionne
non seulement l’opinion qu’en avaient des personnages spécifiques
(notons la présence parmi eux d’un capucin français), mais il fait
aussi état d’une différence dans le temps de la manière dont la
communion était administrée.
Elle ne la fréquentait pas beaucoup, car en ces temps-là [début du 17e
s.] on voyait cette fréquence avec plus grande réflexion et discrétion
que de nos jours [années 1640]. Des âmes très spirituelles et amies de
Dieu réprouvaient beaucoup cette fréquence, et les pères spirituels les
plus doctes, avec plus d’expérience et de plus grande sainteté, ne dis-
pensaient deux communions dans la semaine qu’avec une grande par-
cimonie ; parce qu’ils avaient besoin de plus de prévention que ce que
d’indiscrètes nouveautés enseignent aujourd’hui. À cette dame [...],
on aurait très bien pu accorder la permission pour qu’elle fréquentât
la communion, sinon tous les jours, du moins deux ou trois fois par
semaine. Mais un personnage si grand que le père Francisco Pinheiro,
titulaire de la chaire de prime de l’Université d’Évora, ne lui en donna
pas la permission. Il ordonna qu’elle communiât les dimanches et les
principales fêtes, se préparant pendant tout le reste de la semaine pour
recevoir le Seigneur.

Mais il ne s’agissait pas de l’opinion isolée de ce jésuite, car « ce


même courant était suivi par fr. Sebastião da Conceição, homme
insigne qui fut trois fois provincial des carmes déchaux de ce
royaume-là et confesseur de cette dame, et frère Cyril, capucin
français, personnage grand et de vie irréprochable, et avec qui elle
se confessa les derniers temps de son existence34 ».
Nous pouvons affirmer que les résolutions inquisitoriales quant
à l’eucharistie des années 1640-1642 se lient d’une certaine façon à
la mouvance plus large du monde catholique, mais qu’elles doivent
également se rattacher à la polémique (décrite plus haut) des an-

33
La littérature sur les controverses autour du jansénisme est foison-
nante. Pour le contexte portugais, voir Evergton Sales Souza, Jansénisme
et réforme de l’Église dans l’Empire portugais, Paris, Centre Culturel Calouste
Gulbenkian, 2004.
34
F e r r e r d e V a l d e c e b r o, Historia de la vida… [voir n. 8], fos 16v-17.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 215

nées 1560 et à la bulle qui en découle, puisque celle-ci est expres-


sément mentionnée dans le débat qui survient après l’autodafé de
164235. Mais avant de passer à l’analyse de ce débat, qui partagea
(inégalement) les juges de l’Inquisition entre ceux qui étaient pour
l’interdiction de l’eucharistie aux réconciliés, et ceux qui étaient
contre cette immixtion des inquisiteurs dans les affaires du tri-
bunal de la conscience, il me semble important d’étudier l’origine
plus directe du durcissement des pénitences spirituelles par le St-
Office.

Fr. João de Vasconcelos et l’eucharistie


Ce durcissement semble prendre son origine dans l’acharnement
d’un seul homme : fr. João de Vasconcelos (1590-1652), domini-
cain, docteur en théologie du Collège de St Thomas de Coimbra,
prédicateur du roi, plusieurs fois prieur du couvent de Benfica,
visiteur et provincial de l’ordre au Portugal, vicaire du couvent
féminin du Sacrement et député du Conseil Général de l’Inquisi-
tion portugaise. Religieux de vie exemplaire, il bénéficiera d’une
précieuse hagiographie qui décrit non seulement plusieurs cas de
miracles survenus durant sa vie, comme il se doit dans un texte
de ce genre, mais aussi sa vie et celle de sa famille, son rôle en
tant que bâtisseur et qu’inquisiteur, ainsi que ses dévotions, no-
tamment celle que lui et des parents proches vouaient à l’eucha-
ristie36. Dès le frontispice de l’ouvrage fr. João est dépeint dans
cette dévotion, et Valdecebro, son hagiographe, en donne maints
exemples. Comme tout bon dominicain, il était également dévot
de Notre-Dame du Rosaire, mais la dévotion au St-Sacrement
jouissait clairement d’une attention spéciale de sa part.
Son action en tant que député du Conseil Général de l’Inqui-
sition est aussi mise en valeur par son hagiographe, quoique tou-
jours de façon allusive, tant pour son rôle en tant que proche
conseiller de l’inquisiteur général, que pour les épisodes de tension

35
ANTT, CGSO, liasse 22, doc. 5, s.f., rapport du tribunal de Lisbonne,
12/11/1642.
36
F e r r e r d e V a l d e c e b r o, Historia de la vida… [voir n. 8]. L’ou-
vrage est dédié au provincial espagnol et confesseur du roi Carlos II, frère
Pedro Álvarez de Montenegro, et fut rédigée en 1648 (cf. fo 113), devant at-
tendre la signature du traité de paix entre l’Espagne et le Portugal vingt ans
plus tard pour se faire imprimer.

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216 b. feitler

qu’il a pu y vivre. Dans un chapitre spécifique de son livre sur les


efforts et le rôle de fr. João dans sa charge, Valdecebro écrit que
les progrès du Vénérable Père Maître dans l’exercice d’inquisiteur
apostolique (parce qu’il s’adonna entièrement à ce ministère) étaient
si heureux, qu’il n’y avait pas d’affaire, aussi ardue qu’elle fut, et de
grande difficulté, qu’une fois dans ses mains, il n’éclairât, comprit et
conclut. [...] Il fouillait les conciles pour se rendre familier avec les
hérésies réprouvés. Il s’appliqua à étudier les Canons sacrés pour do-
miner les peines y prévues contre les infidèles, et les Lois pour que
son langage fut exemplaire pour ce qui est des termes juridiques de la
pratique et l’exécution du ministère [d’inquisiteur]. Avec tout ce qu’il
savait de théologie, il examinait et censurait les propositions. Il tenait
les instructions secrètes [le règlement inquisitorial] pour des règles in-
violables parce qu’elles sont la boussole qui gouverne le chemin des
inquisiteurs. [Enfin, il] fut l’oracle de ce Saint Tribunal pendant le
temps qu’il y servit comme ministre, et comme tel on le vénérait et
appréciait37.

Il s’agit, ici, bien sûr, d’une image idéalisée, mais l’attention


que l’hagiographe attire sur les efforts de fr. João pour se rendre
familier avec la littérature juridique, ainsi que son prétendu res-
pect du règlement inquisitorial ne peuvent qu’être révélateurs des
tensions que les questions légales ont pu soulever parmi le corps
inquisitorial. Valdecebro fait même allusion à la résistance que le
député trouva à ses idées dans son propre tribunal :
il n’a jamais lié la volonté d’autrui à son opinion et à sa voix. Elle
[l’opinion] était proposée par l’entendement ; en prenait la suite le dis-
cours, et elle était assurée par la raison. Il ne la réduisait pas à un
entêtement et jamais à l’inflexibilité. Il la laissait courir libre dans le
tribunal. Si on accueillait et suivait son avis, il était heureux ; si on le
contestait, il était encore plus heureux, puisqu’il avait l’habitude de
dire très souvent qu’il était plus difficile de tromper une que plusieurs
personnes. Quand il donnait son avis, il était bref et clair, quand il
donnait des explications, éloquent, rapide à expédier les affaires, sen-
sible et attentionné quand il s’agissait de suivre l’opinion des autres38.

Son hagiographie donne une impressionnante liste de qualités


que nous pensons être exagérées. En effet, sur le sujet spécifique
de l’administration de l’eucharistie à ceux qui étaient réconciliés
par l’Inquisition, nous savons qu’il sut imposer son opinion.

37
Idem., liv. I, fos 74v-75.
38
F e r r e r d e V a l d e c e b r o, Historia de la vida… [voir n. 8], liv. I,
fos 75-75v.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 217

Le papier « d’un zélé du service de Dieu »


Comme nous avons vu, à la suite de l’autodafé de Lisbonne du
6 avril 1642, le Conseil Général, alors dirigé par fr. João de Vas-
concelos, avait durci les conditions d’administration du sacrement
de l’eucharistie aux réconciliés, conditions que le règlement depuis
peu en vigueur avait déjà rendu plus rigoureuses. Mais l’affaire
n’était pas encore close. Les doutes émis par les inquisiteurs de
Lisbonne, d’une façon très discrète, montrent une certaine résis-
tance des juges du district. Et en effet, pour faire homologuer sa
décision, le Conseil fit circuler parmi les tribunaux de district un
« papier » anonyme « d’un zélé du service de Dieu » sur le sujet. Ce
document, envoyé à l’inquisiteur général et qui fut sans doute ré-
digé avant la promulgation du règlement de 1640, préconisait la
prohibition de l’eucharistie non seulement à ceux qui abjuraient
in forma comme ordonnait ce règlement, mais aussi à ceux qui
abjuraient de vehementi et de levi39.
Selon ce texte, les « juifs » réconciliés par le St-Office donnaient
peu de preuves de ses conversions. Celles-ci étaient « feintes, et ils
restent aussi juifs qu’ils ont toujours été ». Malgré cela, « non seu-
lement on leur concède la vie, mais ils sont également très facile-
ment admis à la sacré communion, sans exception de personne, et
on leur ordonne encore, entre les pénitences spirituelles qui leur
sont imposées, de communier certains jours, non sans grave sen-
timent, pour ne pas dire scandale, des pieux catholiques », sans
doute parce que les « larmes causées par ce grand prodige et cas
lamentable [n’avaient toujours pas] séchés », se référant ici au sa-
crilège de Santa Engrácia. Différemment donc des textes qui trai-
taient de l’administration du viatique aux condamnés à mort, qui
se préoccupaient de la possibilité que le condamné vomisse l’hostie
au cours de l’exécution, ou de marquer une fracture dans la socié-
té chrétienne de manière trop voyante, notre arbitre inquisitorial
avait surtout en vue la possibilité de commettre un sacrilège lors
de la concession de l’eucharistie à des catholiques de façade.
Après avoir cité des sources scripturaires qui pouvaient fonder
sa prétention (Zacharie 9,17 et Josué 3,3-4), le texte s’appuie sur
des théologiens et des juristes qui discutent la question, comme le
Dr. Navarro, qui dans ses Commentaria in septem distinctiones de

39
Une transcription de ce papel, ainsi que les rapports originaux des trois
tribunaux, sont regroupés dans ANTT, CGSO, liasse 22, doc. 5.

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218 b. feitler

poenitentia aurait écrit que « ce divin sacrement peut être inter-


dit au pécheur encore après sa repentance en tant que peine et
châtiment donnés pour quelque péché grave et scandaleux40. Et
la glose sur le [...] chapitre Admonere verbo venialiter ajoute que le
péché peut être tellement grave qu’il mérite que même en article
de mort » le viatique lui soit nié, ce qui, selon l’auteur du réqui-
sitoire, était encore pratiqué parmi quelques ordres religieux. À
partir de la doctrine qui dit que le confesseur, dans le for de la pé-
nitence, même après avoir absous le pécheur de ses fautes, peut le
maintenir sous interdiction, il infère avec un étrange naturel que
le juge ecclésiastique peut se servir de cette punition même dans
la juridiction pénale. Il refuse ensuite l’argument qui dit qu’on
ne peut pas refuser les sacrements à des personnes déjà réconci-
liées à l’Église, avec à l’appui l’exemple des autochtones nouvel-
lement convertis des Indes occidentales, à qui « la sacrée commu-
nion, pendant plusieurs années, n’a été concédée, même en article
de mort [...] qu’une fois leur fidélité prouvée par l’expérience ». Il
mentionne également le cas des royaumes voisins, dans lesquels
les morisques, même baptisés, étaient interdits de communion.
Lorsqu’il cite pour la troisième fois le chapitre du Corpus Iuris
Canonici sur l’hérésie, où il est dit qu’il était possible d’adminis-
trer la communion à l’hérétique relaxé à la justice séculière « uni-
quement s’il regrette ses erreurs de tout son coeur » avec des signes
évidents de pénitence, il complète en écrivant « que le même doit
être observé, et avec encore plus de rigueur, avec les réconciliés,
puisqu’ils ne sont pas en article de mort ». Il cite encore d’autres
auteurs, et peint un portrait extrêmement négatif de ceux qu’il
insiste pour appeler « juifs », mentionnant la suspicion, commune à
l’époque, qui planait sur les prêtres et les médecins nouveaux-chré-
tiens, puisqu’il « est certain qu’aucun homme prudent ne se fiera
à la conscience d’un de ceux-là pour se confesser à lui, ni même,
concernant la santé corporelle, pour se faire soigner par l’un d’eux
sans grande prudence ». Dans la même longueur d’ondes que les
inquisiteurs des années 1630 dans leur aversion aux confesseurs
nouveaux-chrétiens, l’auteur informe encore que plusieurs évêques

40
Sont aussi cités, accessoirement, Suarez (de Fide et de Defensio Fidei
Catholicae adversus Anglicanae sectae errores), Fernando de Mendoça (peut-
être Disputationum Iuris Ciuilis, in difficiliores leges. ff. de Pacis Libri tres)
et un certain Carreiro, auteur d’un Tractatus de haereticis que je n’ai pas pu
identifier.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 219

portugais (mais sans donner leur identité) autorisaient que les per-
sonnes baptisées par des prêtres nouveaux-chrétiens le fussent à
nouveau sub conditione par un autre, cette fois-ci vieux-chrétien.
Il se fait un point d’honneur de donner des fondements scriptu-
raires à cette prévention contre les « juifs » à partir de Jean 2,24 en
affirmant que Jésus ne se fiait point à eux. Le cœur de son argu-
mentation est que l’Église devait rester fidèle à la confiance mise
en elle par Dieu lorsqu’il lui délégua le pouvoir de dispenser les sa-
crements. Le peu d’attention avec lequel l’eucharistie était concé-
dée était ainsi un signe d’impardonnable prodigalité au-devant du
« très saint et très précieux sang » du Christ. Il préconisait donc que
la communion fût interdite, « sous peine de péché mortel, à tous
ceux qui sont juridiquement convaincus de judaïsme, ou abjurent
de véhémente suspicion, ou encore de levi, parce que contre ceux
qui abjurent de levi, il y a aussi suspicion urgente et véhémente,
puisque contre eux pèsent des preuves et des indices urgents ».
Cette prohibition ne serait pas permanente, mais durerait le temps
pendant lequel l’ancien prévenu « ne donnerait des signes évidents
de vraie pénitence en châtiment à son délit, et pour éviter l’irré-
vérence au Très Saint Sacrement qu’on peut prudemment craindre
de telles communions ». Il clôt son réquisitoire affirmant que cette
interdiction touche directement les inquisiteurs, puisque ce sont
eux les juges uniques du crime d’hérésie, réaffirmant ainsi, encore
une fois, la confusion des juridictions temporelle et spirituelle41.
Avant d’analyser les répercussions de ce « papier », il convient de
se fixer sur la date réelle de son élaboration et sur le nom de son
auteur. Il existe, dans les archives, plusieurs copies de ce document.
Dans l’une d’elles, qui semble être un brouillon, l’auteur com-
mence son discours arguant de « l’état que je professe de religieux
de saint Dominique et l’office d’inquisiteur avec lequel Votre Ré-
vérence [l’inquisiteur général] m’a honoré » pour expliquer les fon-
dements de sa manoeuvre42. Un dominicain donc, nommé ministre
inquisitorial par d. Francisco de Castro, soit notre fr. João de Vas-
concelos, le seul contemporain à remplir ces conditions. La rumeur
faisant de lui le responsable de ce texte courait déjà à l’époque :
dans une copie partielle du document, probablement faite peu de
temps plus tard, il est mentionné qu’ « on dit que ce papier a été

41
ANTT, CGSO, liasse 22, doc. 5, s.f.
42
BNL, cód. 869, fo 227.

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220 b. feitler

proposé par le p. m. fr. João de Vasconcelos du Conseil Général du


Saint Office43 ». Secret de polichinelle ou non, la formation théolo-
gique de l’auteur, malgré les efforts qu’il fit pour tempérer le texte
de citations de droit canon, est certainement pour beaucoup dans
son rigorisme, sans compter, comme nous l’avons vu, la vénération
particulière que le député-conseiller vouait à l’eucharistie, son sou-
ci de la décence de la pratique religieuse et aussi son appartenance
à l’ordre dominicain, traditionnellement vue comme contraire aux
nouveaux-chrétiens au Portugal44.
Notons encore l’existence d’un autre exemplaire du texte, mais
cette fois rédigé en espagnol et dirigé à « Vuestra Magestad » et
donc daté d’avant le premier décembre 164045. C’est ce qui ex-
plique pourquoi le document ne mentionne pas le règlement entré
en vigueur ce même jour et qui prévoyait déjà l’interdiction de
l’eucharistie à ceux qui abjuraient in forma. Le réquisitoire de fr.
João avait ainsi été rédigé pendant la période de préparation du
règlement et fut certainement la base du changement intégré par
d. Francisco de Castro dans son oeuvre. Lors de l’autodafé du 6
avril 1642, fr. João de Vasconcelos fit jouer son poste de plus haut
membre du Conseil Général pour inclure les prévenus abjurant
de vehementi dans l’interdiction prévue dans le règlement. Soit à
cause des résistances qui ont pu se manifester sur cette nouveauté,
même modestement, parmi les inquisiteurs de Lisbonne, soit parce
que fr. João, encore insatisfait de la portée partielle de la prohi-
bition, voulait chercher des appuis, il fit circuler à nouveau son
réquisitoire demandant l’avis de tous les ministres de l’Inquisition.
Une première copie fut envoyée au tribunal de Lisbonne, qui
répondit par un texte du 12 novembre 1642. Après la réponse

43
ANTT, CGSO, liv. 200, s.f. Cette copie, ainsi que celles qui se trouvent
à BNL, cód. 868, fos 193-216v et IÉ, liv. 629, fos 207-220, ne contiennent que
le texte principal et les rapports du tribunal d’Évora, sans inclure ceux de
Lisbonne et de Coimbra.
44
La participation de dominicains au massacre de 1506 à Lisbonne, ainsi
qu’à d’autres un peu plus tard, ont laissé un souvenir durable et le discours
de l’ordre en tant que pourfendeuse d’hérétiques et socle inquisitorial ne pou-
vait que les indisposer par rapport aux nouveaux-chrétiens. Pour le lien entre
dominicains et Inquisition, voir Paiva, Os dominicanos e a Inquisição… [voir
n. 7].
45
BNL, cód. 869, fos 446-449v. Nous n’avons pu trouver dans la documen-
tation inquisitoriale des pistes sur un intérêt quelconque de Philippe IV pour
la question.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 221

franchement contraire aux changements, un deuxième avis fut de-


mandé au tribunal d’Évora par une lettre du secrétaire du Conseil
datée du 23 novembre, rapidement répondue le 29 du même mois.
Là fr. João réussit à avoir une voix (celle du député João Estaço)
en faveur de l’élargissement de l’interdiction à ceux qui abjurent
de vehementi, mais tous les autres signataires furent contraires
au changement de la norme réglementaire. À l’avis du tribunal
d’Évora fut annexé un autre texte, séparé, du député Manuel do
Vale de Moura, sur lequel nous allons nous pencher avec plus d’at-
tention plus bas. Finalement, le même texte fut envoyé au tribu-
nal de Coimbra le 13 décembre et sa réponse renvoyée à Lisbonne
le 12 février 1643.
Tous les trois tribunaux de district, avec de petites différences,
rejetaient les changements proposés. Pour contrecarrer l’idée que
l’interdiction pouvait servir comme punition pour le « scandale »
d’avoir été hérétique, ces textes ne laissent pas de mentionner
la bulle de Pie V de 1569 sur les condamnés à mort. S’il n’est
donc pas indécent d’administrer l’eucharistie à ceux qui allaient
être exécutés sur le bûcher, il ne le serait pas non plus de le faire
à l’hérétique « une fois rétracté, confessé et abjuré ». Ils évoquent
surtout des arguments juridiques, parfois en les opposant directe-
ment à des textes de théologie. Inquisiteurs et députés voulaient
ainsi, malgré leur statut ecclésiastique, se positionner en tant que
juristes et s’éloigner le plus possible de l’association faite par le
« papier » entre inquisiteurs et confesseurs. Ils se basent sur des
auteurs tels que Simancas ou Menocchio46 et citent même, comme
le fit le tribunal de Lisbonne, Bartole, Baldus et le Corpus Iuris
Civilis de façon à invoquer des préceptes juridiques plus généraux
tels que « le juge qui émet une sentence ne peut pas procéder à
son exécution de façon à la contester », car « il est réprouvé en
droit qu’une personne aille contre son propre fait » et parce que,
une fois réconciliés, « il n’est plus en leur juridiction de présumer
le contraire [de ce qui a été jugé] ». Questions très délicates, qui
approchaient le problème légal de la question du préjugé contre
les nouveaux-chrétiens. Si les prévenus réconciliés, en sortant de

46
D i e g o d e S i m a n c a s, Theorice et praxis haereseos sive Enchiridion
iudicum violatae Religionis, Venetiis, 1568 ; G i o c o m o M e n o c c h i o, De
Praesumptionibus coniecturis siquis et indiciis commentaria… Augustae Tauri-
norum, Jo. Dominicus Tarinus, 1594, et De Arbitrariis Judicum Quaestioni-
bus, et causis… Venetiis, Apud Haeredem Hieronymi Scoti, 1613.

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222 b. feitler

l’Inquisition, « ne le font pas convertis, [...] et qu’il pèse sur eux


une violente présomption de ne pas l’être, il en résulte qu’ils ne
le seront jamais, et que cette présomption sera perpétuelle, ce qui
est très inconvenant en des hommes reçus dans l’Église en tant
que pénitents ».
Le long rapport du député Manuel do Vale de Moura mérite
une attention spéciale parce qu’il met clairement en évidence les
contradictions existant non seulement dans le « papier » anonyme,
mais aussi dans la pratique en vigueur dans les tribunaux inquisi-
toriaux portugais. Remarquons que sa plume effilée, son ton sar-
castique et surtout son acerbe critique des procédures inquisito-
riales, sont sans doute la raison de son ostracisme professionnel47. Il
centre son argumentation sur l’idée que la prohibition de l’eucha-
ristie était une affaire qui touchait « à la croyance et à la garde de
l’article de la foi et de la religion chrétienne et de son culte public
et des sacrements » et qui était ainsi réservée au St-Siège, à qui la
question devrait être soumise. Mais il dédie son texte surtout au
problème des nouveaux-chrétiens. Si le « papier » mentionne comme
suspects seulement les nouveaux-chrétiens passés par un jugement
inquisitorial, cette prévention « sans aucun doute moral » pèse éga-
lement sur leurs parents, et même sur ceux qui ne le sont pas,
puisque « existent les mêmes conditions de sang, d’éducation et de
racines infectes ». Ainsi, « ex identitate rationis, soit tous soit aucuns
doivent être privés ou admis » à l’eucharistie, mais aussi à tous les
autres sacrements. Or, si les inquisiteurs doutaient de la conversion
et de la sincérité des confessions des prévenus, il ne fallait pas les
réintégrer à l’Église, mais bien au contraire, les faire relaxer à la
justice séculière. Vale de Moura revient alors au problème juridic-
tionnel, en affirmant que « le St-Office ne doit pas s’immiscer dans
cette question par-delà les termes de son règlement et la coutume
[o estilo] jusqu’à maintenant pratiqués », et que la décision sur la
concession ou non de l’eucharistie devait être laissée aux prélats et
aux confesseurs. Le « papier » devait être donc envoyé à eux pour
qu’ils se manifestent sur la question, « sans oublier la possibilité de

47
Il n’a jamais quitté le poste de député du tribunal d’Évora, auquel il
fut nommé le 15 septembre 1603. Il meurt à prés de 76 ans le 18 mai 1650.
Sur ses écrits, voir Giuseppe Marcocci, Moura, Manuel do Vale de, dans A.
Prosperi (org.), Dizionario Storico dell’Inquisizione, Pise, Edizioni della Nor-
male, 2010, vol. II, p. 1084-1085.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 223

recours au Siège Apostolique ». Ce que le Conseil Général se garda


bien de faire.
Il est intéressant de noter que Vale de Moura fait comme si le
règlement ne prévoyait pas déjà l’interdiction de l’eucharistie à
ceux qui abjurent in forma. Le rapport du tribunal de Coimbra
fait la même chose, ignorant le changement inséré en 1640. Nous
ne pouvons que supposer que la mise en discussion intégrale de
la question, telle qu’elle a été posé par fr. João de Vasconcelos,
leur donna l’espace nécessaire pour évoquer ce qui pour eux serait
l’ordre normal des choses : le retour à l’estilo d’avant 1640.
Le député du Conseil Général souffrit donc une cuisante défaite.
Son opinion rigoriste et ségrégationniste, basée sur des arguments
plutôt théologiques, n’eut qu’un seul défenseur parmi la vingtaine
de ministres qui composaient les tribunaux locaux de l’Inquisi-
tion. La question resta alors en suspens jusqu’à l’autodafé suivant,
quand l’inquisiteur général d. Francisco de Castro était déjà sorti
de la tour de Belém (depuis le 5 mars 1643) avec les vivats de
ses subordonnés48. Dix jours après l’autodafé du 10 juillet 1644,
les inquisiteurs de Lisbonne en profitèrent pour encore une fois
faire remarquer (toujours discrètement) leur désaccord par rap-
port à l’interdiction de l’administration de l’eucharistie à ceux
qui abjuraient de vehementi. Ils écrivirent à l’inquisiteur général
pour lui rendre compte de la demande faite par le confesseur des
réconciliés, le jésuite Manuel Cordeiro, de pouvoir administrer les
sacrements à ceux qui avaient abjuré de vehementi et de levi, car
ils étaient selon lui « suffisamment disposés pour pouvoir recevoir
les sacrements de la confession et la sacrée communion49 ».
Les inquisiteurs de Lisbonne profitent de l’occasion pour es-
sayer de modifier l’ordre reçu à la suite de l’autodafé de 1642.
Avec la requête du jésuite, ils émettent un doute hypothétique
des juges sur la validité de la directive de 1642 ; « si elle fut parti-
culière pour les personnes qui abjurèrent lors de l’auto précédent
in forma ou de vehementi, puisque l’ordre ne dit pas qu’il fallait
interdire à ceux ‘qui abjurent’, mais à ceux ‘qui ont abjuré’, pour
lesquels il y aurait eu donc une raison particulière [qui ne s’ap-

48
Voir IC, liv. 23, fo 405 (lettre du secrétaire do Conselho Geral Diogo
Velho aux inquisiteurs de Coimbra du 13 mars 1643). A Évora, le 9 mars,
eurent lieu procession, sermon (ensuite publié) et action de grâces. Voir
López-Salazar, Inquisición y política… [voir n. 6], p. 86.
49
ANT, IL, liv. 151, fos 644-644v.

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224 b. feitler

pliquerait pas aux cas postérieurs] ». Or ce doute démontre avant


tout qu’après les débats de la fin 1642 et du début 1643 le Conseil
Général n’avait émis aucune nouvelle résolution sur la question, et
que maintenant les inquisiteurs voulaient une position claire, lais-
sant encore entrevoir, très discrètement, son opinion contraire à
l’interdiction. L’autorisation donnée par le Conseil le 22 juin 1644
porte le paraphe de cinq personnes, parmi lesquelles on reconnaît
celui de fr. João de Vasconcelos, et est strictement conjoncturelle,
laissant la résolution formelle de la question en suspens : « les per-
sonnes de la liste incluse ayant abjuré simplement de levi ou de
vehementi, le très saint sacrement de l’eucharistie pourra leur être
administré ».
Malgré son retour, l’inquisiteur général D. Francisco de Cas-
tro reste invisible, mais ses affinités avec fr. João de Vasconce-
los — clairement décrites par l’hagiographe du dominicain (de
leur action commune dans le couvent de Benfica à sa position de
conseiller privilégié), mais aussi perceptibles par l’incorporation
de l’interdiction de l’eucharistie aux réconciliés dans le règlement
de 1640 et par leur formation théologique commune — explique-
raient son acceptation du durcissement de l’interdiction. Il faut
encore rappeler que la confiance que l’inquisiteur général avait en
fr. João continua après sa mise à l’écart, car le dominicain tint
un rôle important dans les visites que d. Francisco fit faire dans
les tribunaux de district encore en 1643, Vasconcelos menant la
visite du tribunal de Coimbra50. Nous pouvons finalement imagi-
ner que d. Francisco de Castro, en tant qu’évêque de Guarda, fut
un de ces prélats qui, selon Valdecebro, renouvelait sub conditione
les baptêmes faits par des prêtres nouveaux-chrétiens51. Tout cela
indique que les deux hommes étaient complètement d’accord sur
les mesures à prendre contre les nouveaux-chrétiens, mais que d.
Francisco, en tant qu’inquisiteur général et occupant donc une
fonction qui était fondamentalement politique, devait mesurer ses

50
IC, liv. 23, fo 431 (lettre de l’inquisiteur général d. Francisco de Castro
aux inquisiteurs de Coimbra du 19 mai 1643).
51
Voir plus haut p. 000. D. Francisco de Castro, avant d’être nommé
inquisiteur général (1629-1653) fut recteur de l’Université de Coimbra (1605-
1611), président du tribunal de la Mesa da Consciência e Ordens (1611-1617),
puis évêque de Guarda (1617-1629). Pour sa carrière, voir López-Salazar,
Inquisición y política… [voir n. 6], p. 73-88.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 225

actions à partir de paramètres différents de ceux du dominicain,


totalement voué à sa vocation religieuse.
Le père Manuel Cordeiro put en tout cas confesser les personnes
qui avaient abjuré de vehementi (ce qui fut fait le 27 et le 28 juil-
let), et elles reçurent la communion le lendemain de la main de
Francisco Gamboa, le chapelain des prisons de la pénitence52.
C’est toutefois la rigueur du dominicain qui prit le dessus, mal-
gré les avertissements sur la grave contradiction légale que la
nouvelle règle et la nouvelle coutume portaient en elles. Même si
les personnes qui abjurèrent de vehementi lors de l’auto de 1644
purent recevoir presque automatiquement l’autorisation des inqui-
siteurs pour communier, revenant ainsi à la pratique antérieure à
l’ordre du Conseil de 1642, lors des autodafés suivants prévalut
le préjugé contre les nouveaux-chrétiens et la prévention contre
ceux qui abjuraient de vehementi était rentrée dans la coutume. Le
retour de d. Francisco de Castro, mentor du règlement de 1640, a
fait taire les critiques quant à l’interdiction qu’il prévoyait pour
ceux ayant confessé avoir été hérétiques. Mais c’est aussi le retour
de d. Francisco, dont fr. João de Vasconcelos était très proche,
qui fit que l’ordre de 1642 put continuer en vigueur.
L’interdiction pour ceux qui abjuraient de vehementi ressur-
git lors de l’autodafé du 25 juin 1645 et continua les années sui-
vantes53. Leonor Caldeira, en partie nouvelle-chrétienne, abjura son
judaïsme de vehementi lors de l’auto du 29 octobre 1660 avec cette
restriction. La même chose arriva à Úrsula Antonia Catarina, nou-
velle chrétienne, qui abjura de la même façon lors de l’auto du 6
septembre 170554. La mesure prévue dans le règlement s’appliquait
à tous les cas d’hérésie, et donc aussi aux vieux-chrétiens. Manuel
Gomes, par exemple, qui abjura son calvinisme lors de l’auto du
19 juillet 1650, dut demander l’autorisation des inquisiteurs après
sa réconciliation pour « être admis à tous les sacrements de la

52
Voir ANTT, IL procès 4248 (contre Antonio de Almeida), 4801 (contre
Branca Coutinha), 6612 (contre Vicente Cardoso), 6621 (contre Simão Fer-
nandes), 6972 (contre Úrsula Nunes), 8187 (contre Luis Lopes Franco) et
10317 (contre Domingos da Costa). Le procès 10318 (contre Diogo da Silva)
ne comporte pas le terme de confession sacramentelle, mais le nom du pré-
venu est mentionné sur la liste du père Manuel Cordeiro.
53
Pour l’autodafé de 1645, voir, par exemple : ANTT, IL, procès 2123
(contre Branca Pereira), 8845 (contre Henrique do Quintal) et 10325 (contre
Manuel Filipe Vieira).
54
ANTT, IL, procès 6708 et 7730.

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226 b. feitler

Sainte Mère Église », comme dut aussi le faire le Hambourgeois


João Meyer, réconcilié pour luthéranisme lors de l’auto du 21 juin
1671. Ces permissions furent accordées par l’inquisiteur général55.
La méfiance par rapport aux nouveaux-chrétiens prévalut sur
la confiance que les inquisiteurs avaient à leur propre jugement,
et la confusion entre les fors temporel et de la pénitence prit le
dessus sur la logique légale. Durant les quelques mois pendant les-
quels le fr. João de Vasconcelos resta à la tête de l’Inquisition
portugaise, la dévotion à l’eucharistie prit le dessus, avec toutes
les répercussions légales et politiques que nous avons vues, laissant
à nu la grande fracture existant dans la société portugaise et le
peu de confiance que les inquisiteurs avaient dans leurs propres
méthodes de jugement.

Universidade Federal de São Paulo Bruno Feitler


Escola de Filosofia, Letras e Ciências Humanas
rua barão de Tatuí 351/61
01226-030 São Paulo S.P.
Brazil

Résumé — Les études sur les conditions d’administration et de ré-


ception de l’eucharistie à l’Époque Moderne portent généralement sur
les polémiques issues de la rupture protestante, qui débouchèrent, dans
le champ catholique, sur les querelles entre jansénistes et jésuites. Ces
études, surtout centrées autour de questions théologiques, ont laissé de
côté jusqu’à maintenant une querelle surgie dans un contexte inquisitorial
au Portugal peu de temps avant la publication du Traité sur la fréquente
communion d’Arnauld. Il s’agissait d’éviter les sacrilèges qui pourraient
être commis par des personnes passées par les geôles du St-Office local.
Mais en mettant l’eucharistie avant tout le reste, le député du Conseil
Général de l’Inquisition responsable de la toute nouvelle interdiction de la
réception du St-Sacrement, instaurée en 1640, passa outre toute une série
de questions légales et politiques que ses collègues essayèrent, sans succès,
de lui faire remarquer. Dans l’histoire des procédures de l’Inquisition
portugaise, cette polémique indique un début de décalage, de la part des
inquisiteurs, par rapport aux normes qu’ils devaient suivre.
Summary. — Studies on conditions for administering and receiving
the Eucharist in the modern age generally deal with polemics resulting
from the Protestant rupture, which led to quarrels between Jansenists
and Jesuits within the Catholic realm. Above all centred around theologi-

55
ANTT, IL, procès 10451 et 7931.

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le refus de la communion aux nouveaux-chrétiens 227

cal questions, those studies have so far left aside a quarrel that emerged
in an inquisitorial context in Portugal, shortly before the publication of
Arnauld’s Treatise on Frequent Communion. This involved avoiding the
sacrileges which might be committed by people detained in the jails of
the local Holy Office. But in placing the Eucharist before all else, the
deputy of the General Council of the Inquisition, responsible for the very
recent prohibitions against receiving the Blessed Sacrament, instituted in
1640, bypassed a whole series of legal and political questions - which his
colleagues unsuccessfully tried to point out to him. In the history of the
Portuguese Inquisition’s proceedings, this polemic marked the beginning
of a straying, on the inquisitors’ part, from the standards they were ex-
pected to follow.
Zusammenfassung. — Die Studien zu den Bedingungen für die Ertei-
lung und den Erhalt der Eucharistie in der Frühen Neuzeit beziehen sich
im Allgemeinen auf die polemischen Ausgänge des protestantischen Bru-
ches, die auf katholischer Seite in den Streit zwischen Jansenisten und
Jesuiten mündeten. Diese Studien, die sich vor allem auf theologische
Fragen konzentrieren, haben bis jetzt einen Streit außer Acht gelassen,
der im inquisitorischen Kontext in Portugal kurz vor der Veröffentli-
chung des Traité sur la fréquente communion von Arnauld aufkam. Es
ging darum, die Sakrilege zu vermeiden, die von Personen, die die Ker-
ker des örtlichen Heiligen Offiziums durchlaufen hatten, begangen sein
könnten. Indem aber die Eucharistie vor den Rest gestellt wird, lässt der
Abgeordnete des Generalrates der Inquisition, der für die 1640 etablierte,
äußerst neue Untersagung des Empfangs des Heiligen Sakramentes ver-
antwortlich war, zudem eine ganze Reihe legaler und politischer Fragen
außer Acht, auf die ihn seine Kollegen, erfolglos, aufmerksam zu machen
versuchten. In der Geschichte der Verfahren der portugiesischen Inquisi-
tion bedeutet diese Polemik den Anfang einer Diskrepanz von Seiten der
Inquisitoren gegenüber den Normen, denen sie zu folgen gehabt hätten.

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228 b. feitler

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