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Article de la rubrique « Rencontre avec...

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Mensuel N° 210 - décembre 2009
Le travail en quête de sens

« La vie est une œuvre en soi »

Rencontre avec Tzvetan Todorov

Dans La Signature humaine, Tzvetan Todorov se raconte à travers de grandes figures


des arts et de la pensée. Avec une intuition  : l’humain ne construit du sens qu’à partir
de sa propre histoire.

Une longue silhouette, un regard gai, un phrasé lent et musical  : Tzvetan Todorov, c’est
d’abord une présence. Attentif et chaleureux, il déroule sa vie dans l’appartement mansardé
où il nous reçoit. La jeunesse en Bulgarie, la dictature communiste, l’exil en France, les
premiers travaux sur les formes narratives dans la littérature, aux côtés de Roland Barthes. A
5 l’époque, il veut édifier rien moins qu’une théorie scientifique de la littérature, dans le double
sillage des formalistes russes et de la linguistique structurale, façon Mikhaïl Bakhtine et
Roman Jakobson. Son Introduction à la littérature fantastique (1970), sa Poétique de la prose
(1971), ses Théories du symbole (1977) deviennent des classiques des études littéraires dès
leur publication.

10 «  Puis les choses ont changé  », explique-t-il simplement. Après avoir passé vingt ans à
étudier méticuleusement les formes sémiotiques, il s’est enfiévré pour le fond. Tour à tour
historien de la conquête espagnole, commentateur de Montaigne, exégète des peintres
flamands, moraliste, penseur de la diversité culturelle, il a lâché la théorie structurale pour
glisser vers des sujets politiques et moraux. «  Le débat sur les idées, interdit dans la
15 Bulgarie de ma jeunesse, est sorti de la zone rouge  », glisse-t-il.

Son nouveau livre, La Signature humaine. Essais 1983-2008 (Seuil, 2009) lui ressemble  :
éclectique, personnel et pénétrant. Il plonge le lecteur au cœur des existences de personnages
exemplaires  : Germaine Tillion, Raymond Aron, Edward Saïd, R. Jakobson, M. Bakhtine
mais aussi La Rochefoucauld, Mozart, Stendhal, Goethe. A travers ces rencontres, Todorov
20 dessine en filigrane son autoportrait – un « portrait chinois   », composé de ses goûts pour les
autres. «  On ne pense que par reflet », affirme-t-il. On pourrait lire ce livre comme une
galerie de portraits d’hommes et de femmes de bonne compagnie, un panthéon personnel
destiné aux amateurs éclairés. L’essentiel est ailleurs. Todorov y déploie une thèse forte  : le
chercheur en sciences humaines, comme l’écrivain, n’analyse les faits qu’à partir de son vécu
25 personnel. A la différence du chercheur en sciences naturelles, il doit abolir le mur entre sa
vie et son œuvre. Il ne s’agit en aucun cas de céder aux mirages de l’introspection et de partir
en quête d’un «   moi   » authentique. Il faut seulement considérer lucidement les rencontres

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qui nous façonnent  : «   Nous sommes entièrement faits des autres, de ce qu’ils nous ont
donné, de leurs impressions, de leurs réactions. Le moi profond n’existe pas.  »

30 Plus vraiment sémiologue, «  pas tout à fait philosophe  », Todorov se distingue depuis
toujours par ses talents d’interprétation  : il met toute son intelligence au service des œuvres
des autres. Sa pensée émeut car elle est travaillée par le doute. Ses virevoltes théoriques, de la
sémiotique à l’humanisme, ses digressions sur le mal, ses improvisations sur l’art ou sur
l’amour, ses enthousiasmes et ses combats  : tout cela lui confère une voix singulière dans le
35 paysage intellectuel européen. Chez lui, l’humilité, réelle, se conjugue avec une ambition
démesurée  : il veut saisir l’essence de l’humanité, car il est convaincu que la sagesse
humaine dépend de cette connaissance. A 70 ans, il pourrait s’arrêter et cultiver son jardin.
Mais non. Il s’engage toujours dans de nouveaux projets, des conférences, des recherches, des
livres. «  Il me semble que l’on peut aller encore plus loin dans la compréhension des êtres
40 humains. Tout cela n’est pas encore tout à fait clair.  » Jusqu’au bout, il est décidé à scruter
les attitudes, les failles, les reliefs des humains que nous sommes. Rencontre.

Quel est le sens du titre de votre nouveau livre, La Signature humaine  ?

J’avais déjà pensé à cette formule, « la signature humaine », quand je l’ai rencontrée dans un
livre de G. Tillion. L’expression m’avait frappé parce qu’elle résumait, en quelque sorte, ma
45 propre trajectoire. J’y trouve mon point de départ, le signe, et mon point d’arrivée, l’être
humain  ! Quand j’ai commencé mes recherches, dans les années 1960, l’étude des signes,
dans toute leur variété, en constituait le cadre général. Je voulais explorer leurs facettes à
travers une théorie du langage, de la littérature, des arts. Puis je suis allé chercher ce qui se
cachait derrière les signes. Je me suis senti attiré par la compréhension des comportements
50 humains eux-mêmes, et non plus seulement par celle des formes de leur expression. En même
temps, je me suis reconnu dans une tradition philosophique, l’humanisme. Je m’interroge
constamment sur la nature des choix humains  : politiques, moraux, sociaux. Je ne dispose
pas pour autant d’une définition absolue de l’humain  ; j’étudie plutôt les grandes attitudes
que prennent les hommes face aux défis auxquels ils sont confrontés au cours de leur
55 existence.

Dans ce livre, vous brossez une série de portraits  : G. Tillion, R. Aron, E. Saïd, R.
Jakobson, M. Bakhtine, etc. La vie des auteurs peut-elle éclairer leur œuvre  ?

Quand j’étais étudiant, il existait une forme de dogme  : nous devions connaître « 
l’homme  » et «   l’œuvre   ». Nos professeurs postulaient une relation de causalité entre la
60 destinée individuelle d’un auteur et le contenu de ses livres. Ma génération s’est opposée à ce
dogme. Dans les années 1960, nous estimions que la vie d’un auteur, quelle qu’elle fût, offrait
peu d’aide à la lecture  ; nous étions tous, comme Marcel Proust, «  contre Sainte-Beuve
  »… Dans l’optique structuraliste, l’intérêt se portait sur les lois qui régissaient les récits, les

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sens métaphoriques du poème  ; la référence biographique nous paraissait sans intérêt.
65 Aujourd’hui, je ne pense toujours pas que la vie explique l’œuvre  ; mais plutôt que «  la vie
  » est, à son tour, une œuvre. Notre vie n’est même rien d’autre qu’une série d’œuvres,
certaines verbales, d’autres de comportement, et leur interaction est hautement significative.

De quelle manière  ?

G. Tillion en donne un exemple frappant. Elle fait des études d’ethnologie dans les années
70 1930, puis va sur le terrain, en Algérie. Après la débâcle, elle s’engage dans la Résistance, est
arrêtée, emprisonnée, puis déportée dans un camp de concentration. A son retour, on lui
demande un rapport sur l’ethnie qu’elle avait étudiée, les Chaouïas. Elle découvre alors
qu’elle ne peut plus répéter ses thèses d’avant-guerre. Pourtant, elle n’a reçu aucune
information nouvelle sur cette ethnie  ! La seule chose qui a changé, c’est elle-même. Sa vie à
75 Ravensbrück lui a appris à interpréter différemment les conduites humaines  : les effets de la
faim, la place de l’honneur, le sens de la solidarité. Son identité intervient donc dans son
travail scientifique. Il en va de même dans les autres sciences humaines. Ce qui fait un grand
historien, un grand sociologue ou par ailleurs un écrivain n’est pas la simple collecte des faits
mais leur mise en relation et le sens qu’il leur donne. Or cette mise en relation est accomplie
80 par le sujet à l’aide d’un appareil mental qui est le produit de notre existence même. L’étude
de l’œuvre ne permet donc pas de mettre entre parenthèses l’identité du savant ou de
l’écrivain. C’est ce que j’essaie de montrer dans mes «  portraits  ».

Dans votre propre vie, qu’est-ce qui vous a conduit à réorienter votre pensée  ?

Une meilleure intégration dans le cadre dans lequel je vivais, et en premier lieu l’expérience
85 de la paternité. A la naissance de mon premier fils, en 1974, j’ai découvert en moi des
sentiments nouveaux, d’une intensité bouleversante, entraînant aussi une grande
responsabilité. Dans la vie d’un individu sans ancrage social, et surtout sans enfants, il reste la
possibilité de penser le travail – par exemple, la thèse que l’on écrit – comme un monde en
soi. Si vous sentez constamment l’appel de votre enfant, il devient difficile de garder une
90 frontière étanche entre votre vie et votre pensée. J’ai été heureux de dépasser ce stade
d’enfermement dans un monde à part, pour chercher une relation significative entre ce que
j’étais et ce sur quoi je travaillais – sans pour autant verser dans l’autobiographie. Cela m’a
conduit à m’intéresser davantage au monde dans lequel je vivais, et non plus seulement au
savoir abstrait.

95 Dans La Signature humaine, vous étudiez les auteurs à travers le prisme des épreuves
douloureuses qu’ils ont traversées  : la maladie, le deuil, l’expérience des camps… Faut-il
souffrir pour penser  ?

C’est une question redoutable, à laquelle je n’ose pas donner de réponse. Ne serait-ce que
parce que j’ai peu souffert dans ma vie… Je constate en effet qu’il existe une inquiétante
100 liaison entre la vulnérabilité, la souffrance, et la capacité d’aller plus loin dans la connaissance
de l’humain. Comme si le bonheur barrait la route à la compréhension la plus vive… Ou bien
ma théorie est fausse, ce qui serait rassurant pour moi, ou bien elle est juste et je suis un piètre

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penseur  ! Peut-être que j’essaie de compenser cette absence d’expérience douloureuse dans
ma propre existence en me passionnant pour celle des autres. Et plus particulièrement pour les
105 humains dont le parcours a quelque chose de brisé, de vulnérable, voire de tragique. Je ne suis
attiré ni par les héros, ni par les «   monstres   ». Je préfère comprendre les êtres faillibles
dont la vie ressemble, comme disait Montaigne, à un «   jardin imparfait  ». Ils me paraissent
plus représentatifs de la condition humaine.

«  Tout intellectuel est un exilé de sa condition natale  », écrivez-vous. Vous avez vous-
110 même vécu l’exil, de la Bulgarie à la France. En quoi cette expérience peut-elle aider à
penser le monde  ?

Je me considère comme un «   homme dépaysé   », non seulement parce que j’ai changé de
pays, mais aussi parce que je tends à un certain regard dépaysant sur le monde. En ce sens,
l’intellectuel diffère du militant. Son rôle n’est pas de mener une action en vue d’un but, mais
115 de mieux comprendre le monde, et pour cela il doit s’extraire des évidences. L’exilé ne
partage pas les mêmes habitudes, il est donc étonné devant ce qui paraît aller de soi pour ses
nouveaux compatriotes. L’exil introduit une distance entre soi-même et le milieu dans lequel
on vit, qui est propice à la pensée. Mais il n’est pas obligatoire  ! Beaucoup de personnes
éprouvent ce détachement sans avoir vécu l’expérience de l’exil physique. Disons seulement
120 que le changement de pays, quand il se passe sans drame, facilite le détachement
indispensable au travail intellectuel, lequel s’accomplit mal quand on se confond avec les
acteurs que l’on étudie.

Quel rapport entretenez-vous avec l’engagement politique  ?

J’ai grandi en Bulgarie dans les années d’après-guerre. Le totalitarisme qui y régnait n’incitait
125 pas à l’engagement. Il n’offrait que deux carrières possibles  : soit vous faisiez carrière au
sein du Parti communiste, soit vous vous détourniez complètement de la vie publique.
Comme beaucoup de Bulgares, j’ai choisi cette seconde voie. J’établissais une coupure
radicale entre «  eux   », ceux qui géraient le pays, et moi. J’ai ainsi reçu une sorte de
vaccination qui m’a gardé longtemps éloigné de tout intérêt politique. J’ai changé à partir de
130 1973, l’année de ma naturalisation française. Petit à petit, j’ai commencé à me sentir
concerné. Des sujets imprégnés de valeurs morales et politiques m’intéressaient  : la
rencontre avec les autres, les sources de la violence, l’expérience des camps de concentration,
les abus de la mémoire. J’ai même écrit un petit livre sur la guerre d’Irak  ! Cela dit, je ne suis
pas devenu un militant. Je n’ai de carte dans aucun parti et signe rarement des pétitions. Mais
135 il m’arrive de prendre position. Par exemple, je suis intervenu au moment de l’annonce du
projet d’un ministère de l’Identité nationale, parce que cette idée me semblait à la fois
inconsistante sur le plan anthropologique et nocive sur le plan politique.

Politiquement, vous vous définissez comme un modéré. Ne peut-on pas être modéré à
l’excès  ?

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140 Dans l’histoire récente, l’exemple type de «   modération  » excessive serait la conférence de
Munich, en 1938. Les puissances occidentales tentent alors d’amadouer l’agression nazie, et
cèdent. Mais s’agissait-il vraiment d’une attitude modérée  ? C’était plutôt un acte à courte
vue. L’évitement de la violence ne convient que là où le danger n’est pas réel. Or en 1938, la
menace hitlérienne était devenue une évidence pour quiconque voulait ouvrir les yeux. Pour
145 ma part, je me reconnais dans une autre forme de modération. Aucun pouvoir sans limites
n’est légitime, nous enseigne Montesquieu. La modération, au sens fort, ce n’est pas la
mollesse, mais la limitation de chaque pouvoir par des contre-pouvoirs. C’est une
organisation de l’espace public où l’on tient compte de la diversité humaine. On ne cède pas
devant la violence, bien au contraire. Dans le même esprit, je défends ce que j’appelle la
150 civilisation, notre capacité de reconnaître les différences des autres sans forcément les
dénigrer. Suis-je, néanmoins, modéré à l’excès  ? C’est à vous de le dire…

Dans votre livre, vous revenez à plusieurs reprises sur la question du mal. Selon vous le mal
est profondément ancré dans la nature humaine. Si le mal est en chacun de nous, comment
lutter contre lui  ?

155 Je ne crois pas à un «  mal   » cosmique et invariable, mais il est vrai qu’on en retrouve les
différentes formes à tout stade de l’histoire. Il provient de ce que chacun a besoin des autres,
mais que ces autres ne lui accordent pas spontanément ce qu’il désire. Cet égocentrisme est
particulièrement dangereux quand il devient collectif. Les pires forfaits ont été commis pour
protéger les «  nôtres   » face à une menace venue d’ailleurs. Ce manichéisme, qui confond
160 «  nous et les autres  » avec «  ami et ennemi  » ou, pire, avec «  bien et mal  », est
mortifère. Par toutes mes forces – qui sont faibles –, j’essaie de le combattre. Pour cela,
j’observe ses formes, et aussi les manières de lui résister, et je les raconte dans mes livres. En
ce sens, je reste proche des idées des Lumières  : je lutte contre le mal par le moyen de la
connaissance.

165 Propos recueillis par Héloïse Lhérété et Catherine Halpern

Tzvetan Todorov
Tzvetan Todorov est né en 1939 à Sofia, en Bulgarie. Il a obtenu en 1963 un visa pour un
séjour d’un an en France, où il s’est définitivement installé. Proche de Roland Barthes et de
Gérard Genette, il a été l’un des pionniers de la critique textuelle. A partir des années 1980, T.
170 Todorov se tourne de plus en plus vers des problèmes historiques et moraux. Ses centres
d’intérêt se déplacent vers le totalitarisme (Face à l’extrême, 1991, et Mémoire du bien.
Tentation du mal, 2000), le rapport à autrui (La Vie commune, 1995), les relations
interculturelles (La Conquête de l’Amérique, 1982, et La Peur des barbares, 2008), l’histoire
de l’humanisme et des Lumières (Nous et les autres, 1989, et Le Jardin imparfait, 1998). Son
175 dernier livre, La Signature humaine. Essais 1983-2008 (Seuil, 2009), rassemble les études les
plus importantes qu’il a écrites au cours de ces années. T. Todorov a reçu, en 2008, le prix
Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre. Ses livres sont traduits dans plus de vingt-
cinq langues.

5
https://www.scienceshumaines.com/la-vie-est-une-oeuvre-en-soi-rencontre-avec-tzvetan-
180 todorov_fr_24509.html Consulté le 15/9/12

6
FACULTAD DE FILOSOFÍA Y LETRAS DEPARTAMENTO DE LENGUAS MODERNAS
FRANCÉS NIVEL MEDIO – 1º Parcial Modelo Prof. María Mónica Lizzano

Texte : « La vie est une œuvre en soi » Rencontre avec Tzvetan Todorov, in Sciences
Humaines Nº 210, décembre 2009.

Répondez en espagnol, y compris les marques textuelles. Ne traduisez pas: vos


réponses doivent être conceptuelles. Justifiez les réponses à partir des marques
textuelles.

1) Relevez les appréciations données dans l’introduction à propos de T. Todorov,


son œuvre et son dernier livre. (3p)

2) Quelle est l’importance attribuée par Todorov à la formule « la signature


humaine » ? (2p)

3) Quelle est la fonction de l’exemple qu’il donne entre les lignes 69 et 76 ? (2p)

4) Synthétisez le rapport établit par Todorov entre : (3p)

 Les épreuves douloureuses et la connaissance de l’être humain


 La compréhension du monde et l’exil
 La nature humaine et le mal

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