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L’abstention sape l’autorité du Parlement
de Strasbourg
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 10 MAI 2019
Session plénière à Strasbourg le 4 juillet 2018. © Vincent Kessler / Reuters.
Une forte abstention aux européennes fragilisera le
Parlement européen pour les cinq années à venir, alors
que l’hémicycle peine à se faire entendre à Bruxelles,
face à la Commission et au Conseil.
Un symbole du fossé qui se creuse entre l’Union
et ses citoyens. Depuis 1979, année des premières
élections au suffrage universel direct pour le Parlement
européen, le taux de participation n’a cessé de
s’effriter. Le neuvième parlement qui sortira des urnes,
le 26 mai au soir, rompra-t-il la tendance ?
Le taux de participation, de 62 % en 1979 (pour neuf
États membres), est tombé à 56 % au milieu des
années 1990 (pour une Europe à douze). Il s’est établi
nettement sous la barre des 50 % depuis le scrutin
de 2004, au moment de l’élargissement de l’UE, de
quinze à vingt-cinq membres. Il reste à peu près stable
depuis, en légère baisse : 45,5 % en 2004, 43 % en
2009, 42,6 % en 2014.
En France, le taux de participation en 2014 s’est révélé
quasiment identique à la moyenne européenne (42,4
%). C’est très en deçà des autres grandes élections de
la vie politique française : 78 % pour le premier tour de
la présidentielle de 2017, 63,5 % pour le premier tour
des municipales en 2014, et, dans une moindre mesure,
49 % pour le premier tour des législatives de 2017.
Comme toujours avec l’Europe, la moyenne
continentale, avec une UE à 28 – 42,6 % en 2014
– dissimule des situations très diverses. En Belgique
et au Luxembourg, où le vote est obligatoire, le taux
a frôlé les 90 %. En Slovaquie ou en République
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tchèque, il n’a pas dépassé, respectivement, 13 % et 18
%. Dans la Hongrie de Viktor Orbàn, à peine 29 %. La
participation est la plus faible dans le bloc des pays de
l’Est entrés en 2014 [voir la carte ci-dessous].
Taux de participation aux élections de mai 2014 © Parlement européen / TNS.
Cette dynamique peut sembler paradoxale. Le scrutin
de 2014 s’est déroulé dans un contexte de « polycrises
», pour reprendre le terme de Jean-Claude Juncker,
le président de la Commission européenne, qui ont
braqué les projecteurs sur l’UE. Euro en danger et
politiques d’austérité, arrivée de migrants syriens et
libyens dans le sud de l’Europe, urgence climatique :
autant de sujets qui ont démontré au grand public le
rôle clé des institutions de l’UE.
Parallèlement, les compétences accordées au
parlement de Strasbourg n’ont cessé de croître.
L’hémicycle n’a plus grand-chose à voir avec celui
de 1979, qui était encore un nain politique. De ce
point de vue, le traité de Lisbonne (signé en 2007,
entré en vigueur en 2009), a marqué des avancées
majeures. Dans le jargon, il a marqué le passage d'une
logique de « coopération » à une autre de « codécision
» des textes entre le Parlement et le Conseil. Même
s’il n'a toujours pas de compétences majeures sur
les questions économiques et monétaires, l’hémicycle
dispose par exemple d’un droit de veto sur les traités
de libre-échange (il l’a démontré en rejetant le traité
dit ACTA).
En 2014, l’institution a aussi joué un rôle clé dans
le choix du président de la Commission européenne:
c’est le PPE, le grand parti de la droite européenne,
qui a imposé son candidat, Jean-Claude Juncker, au
nez des dirigeants européens (dont Angela Merkel, qui
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n’était pas convaincue par le Luxembourgeois), parce
que le PPE était sorti vainqueur des européennes de
2014.
Session plénière à Strasbourg le 4 juillet 2018. © Vincent Kessler / Reuters.
Malgré cela, le taux de participation a encore reculé.
Sans surprise, une forte abstention tend à gonfler les
scores des listes d’extrême droite, qui n’ont jamais été
aussi vivaces à Strasbourg. Mais ce n’est pas la seule
conséquence problématique. Une forte abstention
aux européennes pèse sur tout le jeu institutionnel
bruxellois pendant les cinq années à venir.
À Bruxelles, les batailles politiques ne se résument pas
à un affrontement entre la gauche et la droite, ou la
majorité et l’opposition. Elles prennent plus souvent
la forme d’une concurrence entre les trois principales
institutions de l’UE qui cherchent chacune à imposer
leur point de vue.
La Commission européenne, qui dispose du
monopole de l’initiative des lois, est censée défendre
l’intérêt général européen. Gardienne des traités, elle
tire une bonne partie de sa légitimité de l’élection
de ses vingt-huit commissaires par les eurodéputés
fraîchement élus.
Le Conseil porte la voix des vingt-huit capitales
à Bruxelles : il pousse le jeu européen vers
l’intergouvernemental, quand la Commission, elle,
plaide pour une approche communautaire.
Le Parlement européen, enfin, est censé être le
poumon législatif de l’UE, qui renforce la légitimité
des décisions prises dans la « bulle ».
Le feuilleton de la crise grecque, de 2010 à 2015,
a montré à quel point le Parlement avait été effacé
du jeu politique bruxellois, écrasé par le Conseil et
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son Eurogroupe (la réunion des ministres des finances
de la zone euro), la Banque centrale européenne, et
dans une moindre mesure, le commissaire européen
aux affaires économiques. Dès qu’une crise surgit, le
poids de l’intergouvernemental à Bruxelles – incarné
un temps par la formule médiatique « Merkozy » –
semble reprendre le dessus.
Des candidats aux européennes martèlent
régulièrement que c’est en renforçant les pouvoirs du
Parlement européen qu’on réduira – enfin – le déficit
démocratique de l’UE. Le programme de LREM, par
exemple, propose de « donner au Parlement européen
le pouvoir d’initier les lois européennes ». Même
position chez LFI, qui veut « renforcer le Parlement
européen », et promet d'« exiger qu’une révision
des traités établisse le pouvoir d’initiative des actes
législatifs européens au Parlement européen ».
La poussée de l’abstention, à des niveaux
historiquement élevés en 2014 et peut-être en 2019,
rappelle toutefois à quel point cette stratégie de la
« parlementarisation » pour sauver l’Europe est un
leurre. Tout miser sur un hémicycle de Strasbourg, mal
élu, et dans lequel on retrouve souvent des seconds
couteaux de la vie politique française, ne peut suffire.
Surtout quand la BCE, pour ne parler que d’elle, se
montre si puissante durant la crise de l’euro.
Dans un essai publié en 2014 et déjà commenté
dans Mediapart, l’universitaire Antoine Vauchez
écrit: « L’attente d’un grand soir démocratique qui
replacerait le Parlement au cœur du jeu politique
risque de n’être qu’une chimère européenne de
plus. » Lui plaide, en priorité, pour une plus
grande transparence d’institutions qu’il nomme les
« indépendantes », censées détenir « l’expertise »
: la Commission, mais aussi la BCE et la Cour de
justice de l’UE. Une piste à méditer, à quelques jours
d’élections européennes souvent présentées comme
décisives pour l’avenir de l'Europe.
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