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Recherches et Prévisions

Travailler au noir, les pratiques d'alternance entre le travail salarié,


le chômage et le travail au noir
Danièle Debordeaux

Résumé
Cette recherche se situe dans le prolongement de la recherche sur "Les réseaux économiques souterrains en cité de transit",
recherche qui a montré l'importance des flux monétaires souterrains non pas tant dans leur volume que dans leur moment d'
apparition, et leur lien avec d'autres richesses, non monétaires, comme la sociabilité et la qualité des relations humaines.

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Debordeaux Danièle. Travailler au noir, les pratiques d'alternance entre le travail salarié, le chômage et le travail au noir . In:
Recherches et Prévisions, n°10, décembre 1987. pp. 11-16;

doi : https://doi.org/10.3406/caf.1987.1296

https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_1987_num_10_1_1296

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SYNTHESES DE RECHERCHES 1 1

TRAVAILLER AU NOIR, LES

PRATIQUES D'ALTERNANCE ENTRE

LE TRAVAIL SALARIE, LE CHOMAGE

ET LE TRAVAIL AU NOIR

Danlèle DEBORDEAUX

Cette recherche (1) se situe dans le prolongement de la recherche


sur "Les réseaux économiques souterrains en cité de transit" (2)
recherche qui a montré l'importance des flux monétaires souterrains
non pas tant dans leur volume que dans leur moment d' apparition, et
leur lien avec d'autres richesses, non monétaires, comme la
sociabilité et la qualité des relations humaines.

Cette nouvelle recherche de J. F. LAE travail au noir n'est pas l'unique


est née du désir de constater si les activité. La recherche a donc eu pour
résultats acquis auprès d'une objet d'étudier les pratiques
population marginale (cités de transit) se d'alternance entre salariat, chômage et
vérifiaient, auprès d'une population travail au noir. Le but est de
socialement et professionnellement comprendre le sens du travail au noir, en
moins déclassée, et de voir si l'on termes de culture professionnelle et
retrouvait cette interpénétration de sociabilité : quelle est sa "valeur
socio-économique. sociale", comme pratique de passage ou
comme activité relevant d'une logique
L'hypothèse de départ est que le autonome .

(1) Rapport de recherche pour le


Commissariat général du Plan et le (2) J. F. LAE. N. MURARD : LES RESEAUX
Ministère du Logement et de ECONOMIQUES SOUTERRAINS - CNAF
l'Environnement - Association ORELIE, Ministère de l'Urbanisme et du
J. F. LAE, Janvier 1987. Logement, 1984.

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Trois critères définissent la nationale ou par toute autre


population de référence : nomenclature, et ambivalence de sa nature
puisqu'elle est à la fois une forme de
1) l'intensité de l'utilisation du concurrence déloyale pour les uns et
travail au noir; une planche de salut pour les autres.
2) son ancienneté (au minimum 2 ans); Le premier chapitre présente UNE
3) le fort investissement personnel TYPOLOGIE DES TRAVAILLEURS AU NOIR autour
dans cette activité. Celle-ci concerne de laquelle l'ensemble des résultats
plutôt des métiers ouvriers, axés sur sera organisé. Les trois autres
quatre domaines précis : réparation chapitres permettent de situer LE TRAVAIL
automobile, brocante, montage de AU NOIR PAR RAPPORT AU SYSTÈME
stands et bâtiment. La recherche s'est JURIDICO-ADMINISTRATIF, par rapport au
déroulée en Seine-Maritime. MARCHÉ et enfin par rapport aux
VALEURS culturelles et idéologiques.
La méthodologie repose sur quatre
sources d'informations :

1) des INTERVIEWS auprès d'une


trentaine de travailleurs au noir avec 1. ACTIVITE - TRAVAIL - ARGENT
lesquels le chercheurs a eu des
dialogues soutenus reposant sur des
interviews plus formelles (méthode
d'observation participante) (1); Les quatre types de travailleurs au
noir qui se dégagent, combinent le
2) des observations directes sur des statut professionnel (salariés,
chantiers de travail au noir; chômeurs, artisans) et la position à
l'intérieur de l'activité
3) des interviews sur des observateurs professionnelle : Vartisan", le "salarié", le
ou des utilisateurs; "petit-noir" et le "all-black".

4) des interviews auprès 1) L'"artisan", au bord de la


d'Institutions chargées ou concernées par le faillite, qui, pour ne pas déposer
travail au noir (syndicat de salariés patente, travaille au noir. Celui-ci lui
et chômeurs. Direction départementale rapporte plus de 18 % de ses revenus
du travail, chambre de commerce et totaux .
d'industrie, ANPE/ASSEDIC, URSSAF,
etc. ) . 2) Le "salarié" a des revenus
légèrement au-dessus du SMIC. Son travail au
noir représente 32 % de ses revenus.
Le rapport, expose d'abord quelques Cela lui sert également à apprendre un
données de cadrage sur le travail au autre métier.
noir : ancienneté de cette pratique,
longtemps appelée colportage, 3) Le "petit noir" n'a pas ou plus
difficulté à l'évaluer par la comptabilité d'emploi et vit des revenus du travail
au noir de façon épisodique. Ceux-ci
représentent 50 % de leurs revenus
totaux. Le "petit noir" est en quelque
(1) L'auteur développe dans sorte l'intermédiaire entre le "all-
l'introduction de son rapport, une black" et l"'artisan". Le travail au
analyse critique de la méthode de noir remplit pour lui une fonction
l'interview qui constitue une d'apprentissage et offre une forme
amorce d'épistémologie très d'insertion, ce qui évite le chômage
intéressante . de longue durée.

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4) Les "all-black" sont ainsi dénommés Un même individu peut, selon les cas,
parce qu'ils ne vivent que du travail recourir à l'un ou l'autre.
au noir qui représente plus de 80 % de
leurs revenus totaux. Ce sont souvent
d'anciens artisans qui ont déposé Il existe pourtant une conscience
patente et ont de lourdes dettes sociale commune : l'ancrage
notamment auprès de l'URSSAF et des professionnel antérieur dans l'activité
Impôts . exercée et le rejet du chômage (ce qui
invalide l'hypothèse d'un lien entre
travail au noir et chômage). L'image
Il n'y a donc pas d'image univoque du du travailleur au noir s'oppose ainsi
travail au noir mais au contraire une à celle du travailleur sans emploi,
mosaïque de statuts, de revenus, de inscrit au chômage et inactif.
références et de pratiques. Les
raisons du recours au travail noir
sont extrêmement hétérogènes :
endettement et faible rentabilité de
l'activité artisanale, apprentissage 2. ILLEGRLISME, REGLEMENT ET
et complément de salaire, chute en CONTRAT 90CIRL
dehors du salariat qui entraîne des
besoins de formation et de recyclage.
Il se traduit par des grandes
différences dans les pratiques, du rythme Ce chapitre analyse tout d'abord les
le plus régulier au plus décousu, de pratiques illégales et ensuite le rôle
l'activité très spécialisée à la de l'Etat et des chambres patronales.
polyvalence. Les revenus illicites, qui
représentent en moyenne 45 % de toutes
les ressources montrent une très forte Les auteurs distinguent l'illégalité
variation allant de 1 700 F à 5 640 F. de l'activité au noir proprement dite
(non-respect des prélèvements
obligatoires, non-inscription au registre du
La tarification du travail effectué se Commerce) de ses pratiques illicites
fait sur des bases très diversifiées (vols, faux tampons et faux noms pour
grâce aux marges de manoeuvre les fausses factures, faux numéros
qu'autorise le manque à gagner de d'assurance, etc.). Celles-ci sont
l'Etat (charges sociales d'une part et générées par tout un système qui
TVA de l'autre). Ainsi trois modes de fonctionne à l'insu de l'Etat : banque,
calcul sont utilisés. assurance, sécurité sociale, logement
social auprès desquels il est
nécessaire de justifier d'une activité et/
1) A l'heure, le prix de la tâche est ou d'un revenu. Ces différents
le taux horaire multiplié par le temps organismes ne cherchent pas à traquer le
passé : le modèle est proche du travail au noir (aucun contrôle n'est
travail ouvrier. effectué) mais plutôt le freinent et
l'encerclent par la systématici té des
cohérences formelles et des
2) A la tâche, le prix du coût total recoupements automatiques qu'il exige de
du travail intègre un bénéfice : le manière aveugle.
modèle est proche du patron.

La situation se présente différemment


3) La prestation est intermédiaire pour les quatre types de travailleurs
entre les deux modèles précédents. au noir. Ceux qui ont un statut

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(salarié, artisan) ont des illéga- Et les auteurs en concluent que "le
lismes limités et mineurs. Mais ceux travail au noir n'est qu'un épiphéno-
qui n'ont pas de statut sont pris dans mène relevant d'une tension entre les
une spirale d ' illégalismes puissante producteurs de richesse et l'Etat". Il
et centrifuge. Cependant tous vivent pose une question à l'instance
dans la crainte du contrôle qui politique : comment faire cohabiter la
s'avère plus fictive que réelle. création de richesse et un niveau de
protection sociale pour tous les
individus ? Se pose en effet la question
Les administrations, en général, du coût réel du travail au noir pour
ressentent en effet, vis-à-vis du travail l'Etat. Il y perd en charges sociales
au noir, un profond désarroi. Elles ne et taxes. Mais y gagne en dépenses de
savent ni qui, ni comment contrôler. protection sociale puisqu'ils évitent
En définitive, elles finissent par le le recours aux prestations sociales.
tolérer voire le justifier : "Le Sans doute une partie du coût social
travailleur au noir est en effet avant est simplement différée jusqu'au
tout un homme s'activant pour le corps moment de la retraite. Mais de
social et pour le marché économique nouvelles règles de droit devraient
qui le lui demande". Il n'engage pas permettre de tolérer cette économie
seulement la responsabilité de informelle, somme toute utile.
l'individu mais aussi la responsabilité
collective. Les administrations sont en
outre "coincées" entre le désir
collectif de réglementation (de
nombreuses plaintes et dénonciations lui sont
adressées) et les besoins de 3. RESEAUX, TERRITOIRE, ET MARCHE
flexibilité du marché. Enfin, elles sont
prises dans des logiques divergentes,
tel individu sera considéré tantôt
comme un nécessiteux, tantôt comme un Ce chapitre montre comment le travail
abuseur ou un sous-informé. Comment, au noir se situe dans le marché
dans de telles conditions, définir où économique. Il montre qu'il n'y a pas de
commence l ' abus ? marché du travail au noir car il n'y a
pas de concurrence.

Les chambres patronales organisent


leur propre chasse au noir mais font Il n'y a pas de frontière entre le
une distinction entre ceux qui ne travail au noir et le travail
nuisent à personne, ceux qui officiel : travailleurs au noir et
détournent la clientèle et ceux qui tentent artisans-ouvriers qui ont les mêmes
de se mettre à leur compte et dont métiers, s'activent sur un même
l'activité au noir est tolérée si territoire. Le travailleur au noir est
elle est limitée dans le temps; simplement le dernier maillon d'une
distinction également entre les vrais chaîne de sous traitance : il accepte
professionnels plus admis que les le travail que l'artisan ne veut pas
"touche-à-tout". faire parce qu'il est insuffisamment
rémunérateur. De petites différences
existent : elles tiennent à la gestion
Elles demandent à la fois plus d'Etat de l'activité et au calcul de la
et plus de contrôle et dénoncent valeur travail. Conjuguées, elles
simultanément la sur-réglementation diminuent les marges bénéficiaires et
des entreprises qui empêche tout poussent les travailleurs au noir de
développement économique. plus en plus hors du marché officiel.

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Les Limites du marché économique sont importants .


celles de la sous-traitance. Il faut
en distinguer trois types :
3) Le troisième travail au noir
1) Les relations de "co-trai tance" s'érige en système de marché. C'est
sont fréquentes entre artisan-ouvriers rare en France : par exemple les
et travailleurs au noir et entre ateliers du Sentier. Le petit patronat
travailleurs au noir entre eux. Elles y est totalement clandestin.
correspondent pour une grande part à
une sous-traitance de délestage qui
soulage chaque partenaire des tâches
les moins rémunératrices. Les "petits
noirs" se situent en bout de chaîne. 4. TEMPS BIOGRAPHIQUE,
TEMPS ECONOMIQUE ET
2) Les relations de "sous-traitance de CULTURE PROFESSIONNELLE
spécialisation" n'entraînent qu'une
dépendance assez faible.

3) Les relations de "sous-traitance Etre travailleur au noir c'est aussi


unidirectionnelle", le sont aux s'appuyer sur des comportements de
antipodes de la co- 1 rai tance . La choix culturels.
dépendance au donneur d'ouvrage y est
forte. Certains artisans se trouvent
d'ailleurs dans cette situation et Les travailleurs au noir sont intégrés
sont donc en quelque sorte exclus du dans des réseaux de connaissance,
marché du travail. soudés par des sympathies et des
relations de confiance, assurés dans les
métiers d'origine. Ces réseaux
Il existe en définitive trois cercles constituent un échelon intermédiaire entre
de travail au noir. les individus, les marchés économiques
et les corporations.
1 ) Un premier travail au noir se situe
sur les friches de marché parce que
celui-ci est délaissé par l'artisan ou Ces réseaux représentent un tissu de
l'entreprise pour rentabilité relations entretenues grâce à un temps
insuffisante. Si le travail au noir très important consacré au démarchage
n'existait pas, ces activités seraient spécifique au travail au noir. Ce
renvoyées à des échanges non monétaires; temps de démarchage correspond à
c'est le territoire de la clientèle l'ensemble des activités de gestion de
des particuliers. l'entreprise et a pour objectif
d'établir une relation de confiance
2) Un second travail au noir intégré qui se substituera au contrat formel
au marché économique, inséré dans de l'entreprise. Ce savoir
l'artisanat ou l'entreprise, sur des relationnel, ces rapports d'amitié qui
secteurs à faible profit souvent s'établissent entre travailleurs au noir et
inadaptés aux besoins du marché. C'est clients et entre les travailleurs au
grâce à lui que nombre de petits noir eux-mêmes s'opposent aux rapports
artisans peuvent subsister. Il passe par hiérarchiques de l'entreprise et sont
des intermédiaires marchands et se très valorisants. Ils renforcent le
traduit dans des sous-traitances sentiment d'indépendance et assurent
unidirectionnelles ou de le lien entre les sphères de
"spécialisation". Il n'est vraiment concurrentiel l'économie, de l'ordre social et de la
que quand les volumes d'échanges sont culture professionnelle.

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Le travail au noir traduit à la fois 3) Le travail au noir est à la limite


un refus de l'emploi fixe et plus tangible que l'emploi. Cela pose
permanent, une volonté de dépassement du le problème de l'articulation entre
statut de l'ouvrier smicard, une mise emploi et non emploi, travail stable
en mouvement de capacités et emploi précaire. Il altère, en
individuelles, une façon d'accomoder le effet, les rapports de pouvoir et
travail à sa vie privée, expressions change les termes des conflits. Il
significatives d'une nouvelle forme de échappe à tout enregistrement.
dignité. Le travail au noir est vécu
positivement comme un "illégalisme
honorable" .

Les auteurs dégagent trois PRINCIPALES CONCLUSION


CONCLUSIONS :

1) II n'y a pas de marché du travail


au noir. Celui-ci n'existe que par
l'acharnement des travailleurs au noir Ce rapport d'étude, riche
qui s'activent sur les friches du d'informations est d'une lecture très
marché et y trouvent une nouvelle agréable. Il ouvre des perspectives
forme de dignité. intéressantes sur les articulations entre
les structures étatiques, les
2) Un fossé infranchissable sépare le structures marchandes et le travail
travail au noir du travail officiel. informel. Ses limites tiennent au type de
Or le travail au noir a une travail au noir étudié, celui que l'on
rentabilité sociale certaine et il pourrait qualifié de "noble", laissant
conviendrait de faire une place légitime à ce de côté celui des femmes dans la
type d'économie intermédiaire. sphère domestique et celui des jeunes.

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