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Roques Mario. Louis Cons, L'auteur de la Farce de Pathelin, 1926. In: Romania, tome 53 n°212, 1927. pp. 569-587;
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1927_num_53_212_4329_t1_0569_0000_1
Louis
Press,
Cons,
et Paris,
L'auteur
Presses de
Universitaires,
la Farce de1926
Pathelin
; in-8,; vm-179
Princeton,
pages
University
[Elliott
Monographs, 17].
L'on savait depuis bien des années déjà (voir notamment Holbrook, Etude
sur Pathelin, et Romania, XLV, 545) que M. L. Cons s'était attaché à retrouver
l'auteur, resté inconnu, de Pathelin et que ses longues et patientes recherches
l'avaient conduit à attribuer ce chef-d'œuvre à Guillaume de Hareng, ou
Alecis, le « bon moine » de l'abbaye bénédictine de Lyre, en Normandie.
Encore que cette attribution ait pu paraître la moins invraisemblable de
toutes celles qui ont été présentées jusqu'ici, et que l'œuvre de Guillaume
Alecis, mieux connue depuis que É. Picot et A. Piaget l'ont éditée dans la
collection des Anciens textes français, atteste des qualités certaines de forme,
d'invention et d'observation, le génie de l'auteur de Pathelin restait,
semblait-il, fort au-dessus du talent et de l'adresse du moine de Lyre, et l'on
attendait avec curiosité la démonstration de M. Cons. La voici enfin,
présentée sous une forme extrêmement séduisante, aménagée et graduée avec
une élégance habile, fondée d'ailleurs sur des analyses de textes minutieuses
et pénétrantes et sur des rapprochements, nouveaux ou renouvelés par leur
précision, qui paraissent des trouvailles. M. Cons a appliqué à l'étude de
Pathelin une sagacité, une ingéniosité de construction, et en même temps
une délicatesse de psychologie, dont on ne saurait trop faire l'éloge. Peut-être
n'a-t-il pas été toujours assez rigoureux dans le choix des matériaux de sa
construction; peut-être est-il trop porté à voir partout préméditation et
mystère et jamais rencontre accidentelle ou fait banal ; peut-être donne-t-il
trop à la suspicion et pas assez au doute. Ce sont les droits du doute que
j'aurai surtout à faire valoir ici en examinant la valeur des arguments
présentés dans l'enquête de M. Cons, une des plus complètes et des plus
serrées qu'on ait encore fait sur une production du moyen âge français.
curieuse, dit plus loin M. C, est la rime escume : estime (970-71). Elle nous
semble assez rare pour qu'il soit instructif d'en relever l'analogue dans une
des éditions de l'auteur normand du Blason de jaulses amours, qui rime estime
et coustume. » Précisons : Guillaume Alecis, auteur normand, fait rimer
correctement (Blason, v. 1249-56) acoustume : escume, mais soixante-dix ans
plus tard, en 1532, Galiot du Pré, libraire parisien, imprime, par erreur ou
autrement, estime pour escume ; cette rime va-t-elle être tenue pour normande
parce que l'auteur du Blason, dont on a faussé ainsi le texte, était normand ?
M. C. n'a certainement pas voulu dire cela, mais alors à quoi bon une
L. cons, L'auteur de la Farce de Pathelin. 575
remarque et y a-t-il là quelque chose d' « instructif » ? De dangereux pour
le lecteur, peut-être.
En reconstituant le milieu et l'esprit de l'auteur de Pathelin, M. C. a été
amené à localiser les types mis en scène : drapiers de Rouen et avocats
lui fournissent des originaux excellents, mais après tout il y a des
drapiers et des avocats ailleurs, et M. C. a cherché des preuves matérielles
de cette localisation ; il n'a réussi à en trouver que pour les drapiers, les
voici :
a) Quand Pathelin a reconnu la boutique de Guillaume Joceaulme, il dit
(v. 101) : « Dieu y soit! », à quoi le drapier répond : « Et Dieu vous doint
joye ! » C'est donc une formule de salutation. Mais c'est pour M. C. autre
chose encore; en effet, en 1835, le vicomte Walsh a rapporté « que la
« Dieu y soit ! » associée à l'agnus dei (mouton armoriai de Rouen et
symbole de la draperie) se lisait sur la porte des halles et de beaucoup de
magasins 2. M. C. reconstitue alors « un jeu de scène : Pathelin lit tout haut
ce qu'il voit écrit sur la boutique et l'enseigne même » (p. 46). Soit, mais
lisons maintenant les vers 1071-72 : « Dieu y soit ! Dieus puist advenir! »,
c'est Thibaut qui parle, et on lui répond : « Dieu te gard ! » ; seulement cette
fois c'est Pathelin qui répond, c'est à la porte de Pathelin que frappe le
berger : y avait-il donc aussi « Dieu y soit ! » sur la porte des avocats rouen-
nais ? ou bien, si ce n'est ici qu'une formule de salutation, pourquoi en serait-
il autrement au v. 101 ?
b) Au v. 192, le drapier, vantant sa marchandise, nomme Rouen : « C'est
un tres bon drap de Rouen. » Mais il a montré auparavant d'autre drap, qui
n'est sans doute pas de Rouen, et qu'a-t-il dit ? « Je l'ai faict faire tout faictis
Ainsi des laines de mes bestes » (182-3). Je n'en conclurai rien contre Rouen
(ni pour, s'entend), car on vend de l'article de Paris partout, même à Paris ;
et je ne restituerai pas davantage Pathelin à la Belgique, sous prétexte qu'il
est question de « drap de Brucelle » au v. 76 et de « lé de Brucelle » au
v. 259.
c) Les bourgeois de Rouen ont eu « dans tout le cours du xve siècle »
une attitude « violemment et agressivement anti-cléricale » et leurs largesses
aux établissements religieux étaient dérisoires. Voilà qui va fort bien, pense
M. C, avec le propos de Guillemette (748-9) : « Avoy! dea, il ne faisoitrien
Aux dimenches ! » Mais M. C. veut davantage : il rappelle (p. 48) « la
de l'oyson bridé que les moines bénédictins de Saint-Ouen devaient
mener paître « marchand par terre, conduictpar deux hommes tenans chacun
le boult des ailes. . . jusques au grand moulin appartenant » à la ville de
Rouen. Qui voudra croire avec lui qu'il puisse y avoir « un rappel de cette
cérémonie farce dans le v. 1586 de Pathelin : « Les oisons mainnent les oes
paistre », que l'avocat s'applique à lui-même, l'oie dupée par l'oison Thibaut ?
Il se peut donc que Pathelin soit d'origine normande ou du moins que
l'auteur ait connu des faits et des traits de la vie de la proche Normandie,
576 COMPTES RENDUS
mais il y a beaucoup à retrancher de la masse des arguments présentés par
M. C. pour établir cette thèse.
30 M. C. a montré que Pathelin ne ressemble pas aux compositions des
basochiens ; la discrétion avec laquelle est traitée la scène du tribunal est en
effet fort éloignée du comique de praticien d'un Coquillart. Mais un homme
de loi, s'il n'écrivait pas pour les jeux de la Basoche, pouvait bien renoncer
au style et aux plaisanteries du Palais, et après tout, si délicatement traitée
qu'elle soit, la scène de Pathelin suppose une certaine pratique des tribunaux.
M. C. préfère voir dans l'auteur un religieux, l'hypothèse est plausible : la
décence (toute relative) de l'uvre serait une preuve ; nous avons vu que
n'en était pas une. Pour les allusions aux affaires religieuses, il convient
d'être très prudent : de nos jours elles pourraient déceler un prêtre, mais
pendant des siècles la vie de l'Église a été trop intimement mêlée à la vie de
la nation pour qu'un laïque ou un clerc qui ne serait pas prêtre ou moine ne
fût pas à même d'en parler aussi bien qu'un religieux. Cela diminuerait en
tout cas la portée de certains rapprochements faits par M. C. et dont je citerai
l'un des plus surprenants. Le nom du drapier, Guillaume Joceaulme, est aussi
le nom d'un franciscain que ses prédications subversives ont amené en 141 7
à la prison, plus tard à l'excommunication, et qui a « jusqu'en 1439, remPn"
du bruit de son nom les conciles de Bâle et de Constance ». C'était un
fougueux et M. C. tient pour vraisemblable qu'un bénédictin papiste
comme Guillaume Alecis ait pris plaisir à ridiculiser le souvenir de ce cordelier
hérétique en affublant de son nom le personnage le plus grotesque et le plus
antipathique de sa farce (p. 167-73); on aura quelque peine à suivre encore
ici M. C. et l'on notera au moins que, si la date de 1464, proposée pour
Pathelin, était exacte, cette allusion au bout d'un quart de siècle risquait
d'échapper à bien des spectateurs l.
Quant aux menues allusions à la vie chrétienne ou ecclésiastique, dont
M. C. donne (p. 39-42) une liste impressionnante, une partie est du
banal des laïques, et dans d'autres cas, il me paraît que l'interprétation
proposée est inexacte. Dans le premier groupe, je placerai le chant au lutrin
(v. 24-5), la paroisse (53), le payement au jour du Jugement (86, 1 591),
l'expression ne pas dire évangile (288), le moine noir (619), le crucifix au
moutier (745 : il n'y a pas là du prêtre plus qu'il n'y aurait du cuisinier dans
« marée en carême »), etc. Pour l'interprétation, je ne vois pas où M. C.
peut trouver dans les v. 35-40 une « ironique bribe de sermon », mescreant
au v. 743 ne me paraît pas signifier autre chose que « défiant », et si, au
v. 15 12, Pathelin déclare qu'il est pelé dessus la teste, l'on ne peut entendre
qu'il s'agit de tonsure, et non tout simplement de calvitie, qu'à la condition
d'identifier le personnage de Pathelin avec le religieux auteur de la farce ;
1. Comme aussi l'allusion à sire Thomas (v. 876), populaire vers 1428,
si l'on veut croire à cette allusion.
L. cons, L'auteur de la Farce de Pathelin. 577
j'entends bien que c'est ce que fait plus ou moins nettement M. C, mais
cela ne va pas de soi et ce n'est en tout cas qu'un corollaire de son système
et non une preuve qui établisse celui-ci. Voici un passage encore que je ne
puis interpréter comme M. C. Au v. 1015, le drapier, dupé par Pathelin, se
promet en monologuant d'avoir au moins raison du berger qui l'a volé : « Il
en viendra au pié l'abbé !» ; le sens n'est pas douteux : « Il devra
et amender sa faute » ! Là-dessus le berger se présente, le drapier le
reçoit l'injure à la bouche (v. 1020) : « Quel bon varlet ! mais à quoi faire ? »
Ici encore l'allusion paraît claire : le type du valet bon à tout faire est connu
dans la littérature comique depuis le xme siècle (cf. Picot, Monologue
59-63), l'amère plaisanterie de Guillaume se rapporte à ce thème
banal. Cela est trop simple pour M. C, qui préfère établir un rapport entre
le v. 1015 et le v. 1020 et, ayant trouvé dans Roger de Collerye une autre
plaisanterie sur le « bon varlet pour servir en une abbaye » qui « fait bien
peu et meschamment », conclut : « C'est d'un valet « d'abbaye » que parle
le drapier. » Quand cela serait, s'ensuit-il qu'il y ait là une « signature
monacale » ? L'exemple même de Roger de Collerye nous prouve le contraire.
Je ne discute pas l'interprétation symbolique de la farce de Pathelin
par M. C, qui ne manquerait pas de m'appliquer un vers de
Alecis : « Il entend mal notre musique. » Toutefois j'ai quelque peine
à transformer en humble triomphant l'impudent berger qui clôt la farce par
l'ironique défi du v. 1599 : « S'il me treuve, je luy pardonne ! » tout comme
le fripon du Garçon et l'Aveugle termine (v. 295) par « S'il ne vous siet, si
me sivés ! ». Et n'y a-t-il pas une rigueur excessive à accuser de mensonge
(p. 43) le juge de Pathelin, parce que, ayant déclaré qu'il a « ailleurs a
entendre » (v. 1227 et 1496), il invite cependant l'avocat à souper avec lui :
l'audience devait-elle lui tenir lieu de repas tout le jour ?
4° Il n'y a pas lieu d'insister longuement sur l'humanisme de Pathelin.
.
Je suis, dans cette restitution, d'accord avec Fabri, sauf pour les v. 22-23
qu'il intervertit, mais les éditeurs de G. A. ont en outre placé la partie ni
avant 11, et c'est de là que vient toute la confusion. En effet, qu'y a-t-il dans
B ? Ce que j'ai imprimé, sauf deux interversions, chacune d'un groupe de
quatre vers : les v. 13-16 sont placés entre 6 et 7, les v. 23-26 à la place où
auraient dû être 13-16. Tout se passe comme si l'imprimeur de Savait
les 31 vers du poème par petits paquets de 4, 5 ou 6 vers et s'était
trompé en les plaçant pour sa mise en placards ou en pages, l'erreur étant
facilitée par le fait que le v. 22 rimait avec 27 aussi bien qu'avec 23. Qu'y a-
t-il dans C? Ce que j'ai imprimé, sauf le déplacement d'un groupe de six
vers; les v. 7-12 sont placés entre 22 et 23. Si nous divisons le texte en 6
groupes 1 = 1-6, 2 7-12, 3 = 13-16, 4 = 17-22, 5 = 23-26, 6 = 27-
31, nous avons les dispositions suivantes :
Ordre restitué ; 1 2 3 4 5 6
B 1 3 2 5 4 6
C 1 3 4 2 5 6
5ö2 COMPTES RENDUS
Si C a été composé d'après B, il n'a pas d'intérêt pour nous et atteste
un essai" incomplet de correction ; si, comme il semble, C est
de B, il faut en conclure que l'imprimeur de C avait aussi composé
par petits paquets, dans lesquels il ne s'est pas retrouvé, et comme la
de l'erreur et du procédé de composition doit avoir une cause, il faut
conclure que l'original de B et C avait réparti les vers en petits groupes, ce
qui peut s'expliquer de diverses manières et, p. ex., se comprendrait très
bien dans le cas d'un texte illustré où chaque groupe se trouverait sous une
miniature ou un bois. Supposons maintenant les paquets 2 à. 5 disposés
sous une illustration ou non, sur une page d'un double feuillet, il suffit
que ce double feuillet ait été plié à l'envers et coupé dans cette position pour
que l'on ait justement l'ordre de B (3-2-5-4), plié à l'envers, mais non coupé
et seulement débroché, il donnera 3-4-5-2 que l'imprimeur de C a pu
pour rapprocher les rimes en -anee, corriger en 3.4-2-5. Je ne présente
qu'une hypothèse ; elle suffit pour montrer qu'une erreur matérielle est í ans
doute ou, si l'on veut, peut être à l'origine de la confusion relevée dans 11 ou
dans B C, et qu'il n'y a aucune raison d'attribuer celle-ci à une étrange
volonté de mystification de la part de Guillaume Alecis.
Quant au doute de M. C. sur la réalité du pèlerinage de Guillaume ', même
s'il était fondé, il ne permettrait pas de conclure à une supercherie de
: l'indication sur la composition du Dialogue à Jérusalem pourrait être
du fait d'un éditeur ou de celui qui lui aurait fourni le texte. Au reste,
du nom de Guillaume dans les relations de pèlerinage n'est pas une
raison suffisante de doute : nous n'avons pas d'états complets des pèlerins de
Terre Sainte. Mais on voit à quoi tend la suspicion de M. C. quand on lit
(p. 85, n. 1) : « II est curieux, que les premières éditions imprimées des
ouvrages les plus importants de Guillaume Alecis, les Feintes du monde, le
Blason. . ., ie Dialogue. . . soient précisément de cette année i486 où l'auteur
disparaît 2. Tout se passe comme si Alecis avait confié son reliquat littéraire
aux imprimeurs avant de quitter la France pour se rendre à Jérusalem ou
ailleurs. » M. C. est-il allé ici au bout de sa pensée ? Il semble bien qu'il ait
été tenté de mettre Guillaume Alecis en relations avec Le Roy pour
du Pathelin de i486 3 et il est bien évident que la présence de
Guillaume à'Jérusalem cette année même gênerait un peu cette hypothèse, si