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L'ART POÉTIQUE

DE BOI LE AU

CLASSIQUES
FRANCE

LIBRAIRIE
HACH ETTE
L'ART POÉTIQUE
DE BOI LE AU
Présenté par
Henri BÉNAC
Agrégé des Ancien élève
Lettres,
de l'École Normale Supérieure
Professeur ay Lycée Marcelin Berthelot

CLASSIQUES
FRANCE
sous la direction de
Guy michaud
Agrégé de l'Université
Docteur es Lettres

LIBRAIRIE
Librairie Hachette, 1946, H ACH ETTE
pt

Photo Hachette.
Boileau.

Portrait par Hyacinthe Rigaud


Gravé par Dreuet.
L'ART POÉTIQUE
BOILEAU JUSQU'A L'ART POETIQUE

1636 • Naissance de Nicolas Boileau-Despréaux


er
le 1novembre, à Paris, dans une famille
bourgeoise.
M perd sa mère à deux ans maladif, isolé :

parmi ses frères, il a une enfance triste et


solitaire.

1643 • il entre au collège d'Harcourt (notre lycée


Saint-Louis), puis, toujours à Paris, au col- 7 ans
lège de Beauvais (1648) il apprend surtout
: 12 ans
le latin, mais aussi le grec, étudie ensuite,
mais sans goût, la théologie, puis le droit.
1657 • Son père meurt, lui laissant une fortune suffi-
sante pour vivre de ses rentes et se con-
sacrer tout entier à la poésie. 21 ans
Dans les cabarets, en compagnie déjeunes
artistes bourgeois et de quelques jeunes
1657
nobles,
il « chansonne » la poésie officielle
1666
mondaine. C'est dans ce milieu qu'il
et 21-
récite ses premières satires. 30 ans
De cette époque datent aussi ses relations
avec Molière et La Fontaine.
1666 • Publication des Satires. 30 ans
Boileau se défend contre une multitude
d'ennemis que lui valent les Satires, lise
rapproche du grand monde, noue, dès
1667 • J 1667, des relations avec le Premier 31-
1674 j Président Lamoignon chez qui il ren- 38 ans
contre des Académiciens et des profes-
seurs. Vers 1671 il se lie très étroitement
[ avec Racine.
En même temps
il prépare son entrée à
la Cour
par ses premières Épîtres.
\ Vivonne le présente au Roi. 38 ans
1674
l
Publication de l'Art Poétique.
L'Ait ue et son temps
CORNEILLE
1606

LA FONfAINE
MOLIÈRE
1621
162?
i

i
i i

BOILEAU
1636 LeCid RACINE i6:36

1639
1640 Horëce
i

1643
i

Polyeucte

Ecole des
1663 Femmes
1666 Misan- lCC -7 a, '666 Satires
thrope 100/ Andromaque
1668 Fables
(I-Vl) Femmes
1672 savantes
. t|6 11 1674 lon/ménie ..1674 ART POETIQUE
l677ÎPhèdne
S lé78lFables
: ÇW-XI)

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t 17 n

Remarques.
1° Les principaux chefs-d'œuvre de la poésie classique sont antérieurs à

l'Art Poétique.
2° Boileau survit à tous les poètes classiques il deviendra ainsi pour les :

jeunes le symbole de sa génération.


L'ART POÉTIQUE

CARACTÈRE DE BOILEAU

o un fanatique de la littérature
« On ne lui connaît pas une passion » (Lanson). Ce n'est
certes pas un rêveur ni un esprit sensible....
Mais il se passionne pour la littérature et la discussion
littéraire « ... i! est alors vif, pétulant, irascible, contre-
:

disant, têtu » (Lanson).

9 un bon vivant
Il aime la compagnie gaie, la plaisanterie et même la farce.
Il récite ses vers comme un chansonnier, les mime comme
un comédien.
Railleur, mordant, il sacrifie parfois un peu à son talent
de caricaturiste.

• un bourgeois parisien
Il au courant de toute l'actualité parisienne.
est
Il aime son Roi,
est fier de sa gloire... mais désire l'ordre
et la paix dans l'État et dans la ville.
Il n'a pas la superstition du beau monde et n'est pas très
habile courtisan.

e> un homme d'honneur


Plein de franchise, charitable et désintéressé, fidèle à ses
amisi il est loyal avec ses ennemis et distingue « l'homme
d'honneur du poète » (Satire IX).
I! est d'une stricte moralité, mais sans pudibonderie
excessive.

e esprit clair, observateur, raisonnable


Il a la haine des pédants, de la chicane, parce que « la
raison » qu'on y cultive n'est point la « raison humaine »
et « celle qu'on appelle le bon sens ».
Sa religion est également éloignée du relâchement subtil
des Jésuites et de l'austérité doctorale des Jansénistes; il
va au principal aimer Dieu et avoir une vie morale-
:

Il n'est pas lyrique, sort rarement de la réalité, mais


cette réalité, intellectuelle ou sensible, il la rend avec pré-
cision jusque dans ses détails.
4 L'ART POETIQUE

• un artiste
Il consacre sa vie à l'art, s'interroge sincèrement sur son
« génie », travaille avec acharnement.
Il méprise ceux qui ne font pas de l'art une religion :
c'est son amour de l'art qui le rend méchant.
« C'était un grand écrivain surtout, bien plus qu'un
poète. » ( Flaubert.)

L'ART POÉTIQUE
j

• La date de publication. VArt Poétique fut publié, pour


la première fois, dans les Œuvres diverses du sieur D***,
Paris, Denis Thierry, 1674, in-4°. Achevé d'imprimer le
10 juillet.
Mais, dès 1672, Boileau lisait sa « Poétique » dans les salons.

Ce que n'est pas L'Art Poétique.

• Une série de préceptes imposés aux grands écri-


vains classiques presque tous les grands chefs-d'œuvre
:

sont écrits, et Boileau se demande toujours pourquoi unjs


œuvre lui plaît e t non e n vertu de quels principes elle d oit
LuLBlaire.
• Un ouvrage théorique sur les règles. De multiples
ouvrages sur ce sujet ont précédé VArt Poétique, tous écrits
en prose. Mais VArt Poétique est l'œuvre d'un poète, il n'a
pas une forme dogmatique et pédante, ne cherche pas à être
complet ni à contenter les techniciens.
• Une imitation servile d'Horace ... « Dans mon ouvrage
:

qui est d'onze cents vers, n'y en a pas plus de cinquante


il

ou soixante tout au plus imités d'Horace. » (Préface 1674,


2 édition.)
emprunte à Horace
Eji r éalité, Boil eau :

• des remarques générales sur le poète et la poésie, mais qui


correspondent toujours chez lui à une expérience personnelle;
• quelques règles qui lui paraissent éternelles;
• quelques «endroits pleins d'excellence » dont la traduction
réussie fait les délices des esprits cultivés du cercle de Boileau.
L'ART POÉTIQUE

Que chercher dans L'Art Poétigue?

o Le goût à côté des règles. Cf. R. Bray (La Formation


de la doctrine classique en France. Avant-propos, p. Il
et III). « La deuxième période de l'ère classique [celle de
Chapelain] a comme caractère dominant la soumission à la
règle... On prétend doter la poésie d'un code... Mais ce code
ne porte que sur le « dessein », c'est-à-dire l'invention et la
disposition de la matière poétique, non sur l'expression. Et
c'est justement par là que l'œuvre de cette génération était
incomplète. C'est pour cela qu'il faudra Boileau après Cha-
pelain, une troisième période après la deuxième. La doc-
trine apportée par celle-ci régit le « dessein », le goût,
formé avec celle-là, fait porter son jugement surtout
sur »
le style.
Mais ce goût est reflété et exprimé par la vigoureuse
personnalité de Boileau.

Le goût de Boileau.
o c'est le goût d'un bourgeois raisonnable,
• d'un homme cultivé,
o d'un homme qui fréquente les gens du monde cela :

explique quelques concessions de Boileau au goût mondain


et surtout son souci d'une exposition agréable, sans pédan-
tisme, faite pour plaire c'est aux salons qu'il lit son Art
:

Poétique.
Mais, en même temps, Boileau, chez Lamoignon, fréquente
des professeurs et des théoriciens. On retrouve dans
L'Art Poétique un écho de leurs discussions. Les professeurs
de rhétorique Bouhours et Rapin attirent Boileau vers les
exposés théoriques. Tout en gardant, comme eux, le ton
« honnête homme », Boileau essaye d'analyser ses sentiments
instinctifs.
Enfin, et surtout, Boileau est un artiste et un ami
d'artistes : ce qui compte avant tout, pour lui, c'est le
plaisir que donne la beauté. Il part de son émotion esthétique;
son vocabulaire critique est avant tout passionnel. Il analyse
ensuite son émotion pour essayer d'en tirer les règles de l'art
de plaire. Mais souvent, et c'est là le charme de VArt Poé-
tique, nous n'avons qu'une brillante analyse du plaisir de
Boileau.
6 L'ART POÉTIQUE

Tous ces éléments font l'originalité de \'Art Poétique,


mais il ne faut pas oublier :

La puissance satirique :

« La partie vraiment personnelle de VArt Poétique, ce


sont les traits de satire dont il est parsemé, » (Révillout.)

La haute leçon morale :

Boileau proclame sainteté de l'Art qui exige la dignité


la
et le sacrifice du poète.
Il ne tire cette leçon que de lui-même,

de son labeur et de sa conscience de poète. Comme dans


TÉpître V, la noblesse de ses sentiments lui inspire des vers
qui, par leur hauteur morale et la perfection de leur forme,
sont un des sommets de son œuvre.
pour étudier l'Art Poétique

® Expression des règles de l'art classique.


@ Expression du goût littéraire au temps deBoileau.
© Peinture des mœurs du temps.
© Témoignage de l'expérience d'artiste de Boileau.
© Expression de son tempérament critique et de
son goût.
© Reflet de sa personnalité morale et sociale.
© Imitation et des Anciens.
utilisation

® Mise en œuvre des procédés satiriques :

• allusions à l'actualité; • ironie, humour;


d déformations plaisantes; • jeu de rimes et de noms
propres;
e attaques personnelles; © allusions perfides.

® Art de l'expression •

9 composition; o images et pastiches de


• transitions; style;
• variété de ton; • émotion, véhémence.
O art de la formule;

• Nous avons fait précéder chaque passage du texte formant Un tout


d'un titre qui ne figurait pas dans le texte de Boileau et qui est placé
entre crochets [ ]. A côté de ce titre, nous indiquons, dans le commen-
taire, les chiffres qui renvoient au tableau ci-dessus.
• Les astérisques renvoient au lexique sommaire, p. 83.
« Les points renvoient à l'index grammatical, p. 85.
• Pour les noms propres, se reporter à l'index spécial, p. 87.
Dans le commentaire, les • annoncent les questions destinées à
orienter l'explication du texte. Les m désignent les documents des-
tinés à éclairer le texte.
PRÉFACE DE 1701
(EXTRAITS)

• Nous avons préféré aux deux Préfaces qu'en 1674 Boileau mit en tête
des éditions in-4° et in-8° de ses Œuvres diverses, contenant L'Art Poétique,
la Préface de 1701 en tête de son « édition favorite ». y exprime en effet Il

quelques idées sur PArt dans ses rapports avec le Beau et avec le
Public qui sont essentielles à la compréhension de l'Art Poétique.

« Le secret est d'abord de plaire et de toucher » (A. P. III, 25).

...« Je ne saurais heureux succès qu'au


attribuer un si
1

soin que j'ai pris de me conformer toujours à ses' sentiments


et d'attraper, autant qu'il m'a été possible, son goût en
toutes choses. C'est effectivement à quoi me semble que il

les écrivains ne sauraient trop s'étudier. Un ouvrage a beau


être approuvé d'un petit nombre de connaisseurs s'il n'est :

plein d'un certain agrément et d'un certain se\ propre à


piquer le goût général des hommes, ne passera jamais il

pour un bon ouvrage, et faudra à la fin


ilque les connaisseurs

eux-mêmes avouent qu'ils se sont trompés en lui donnant 10


leur approbation.

« Que la nature donc soit votre étude unique » (A. P., III, v. 359).
« Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent » (Ep. IX, v. 86).

Que si l'on me demande ce que c'est que cet agrément


et ce sel> je répondrai que c'est un je ne sais quoi qu'on
peut beaucoup mieux sentir que dire. A mon avis néan-
moins, il consiste principalement à ne jamais présenter au 15
lecteur que des penséeo vraies et des expressions justes.

I. Il s'agit du succès de ses œuvres. 2. Il s'agit du public.


PRÉFACE DE 1701 9

L'esprit de l'homme est naturellement plein d'un nombre


infini d'idées confuses du Vrai, que souvent il n'entrevoit
qu'à demi; et rien ne lui est plus agréable que lorsqu'on lui
offre quelqu'une de ces idées bien éclaircie et mise dans un 20
beau jour. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extra-
ordinaire? Ce n'est point, comme se le persuadent les igno-
rants, une pensée que personne n'a jamais eue, ni dû avoir.
C'est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde
et que quelqu'un s'avise le premier d'exprimer. Un bon jpot 25
n'e st bon mo t cnV enL ce^q[u 'il d tun e chose que c ha c u n p e n sait
i
,

et qu'il la dit d'une manière vive* .fmeL ^uiojiyelLe.. Consi-


dérons, par exemple, cette réplique si fameuse de Louis
douzième à ceux de ses ministres qui lui conseillaient de
faire punir plusieurs personnes qui, sous le règne précédent 30
et lorsqu'il n'était encore que duc d'Orléans, avaient pris à
tâche de le desservir. « Un Roi de France, leur répondit-
il, ne venge point les injures d'un duc d'Orléans ».
D'où vient que ce mot frappe d'abord? N'est-ii pas aisé
de voir que c'est parce qu'il présente aux yeux une vérité 35
que tout le monde sent, et qu'il dit mieux que tous les plus
beaux discours de morale qu'un grand prince, lorsqu'il
est une fois sur le trône, ne doit plus agir par des mou-
vements particuliers, ni avoir d'autre vue que la gloire
et le bien général de son État? 40

« Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant » (Ep. IX, v.85).

Veut-on voir au contraire combien une pensée fausse est


froide et puérile? Je ne saurais rapporter un exemple qui le
fasse mieux sentir que deux vers du poète Théophile, dans
sa tragédie intitulée Pyrame et Thisbé, lorsque, cette
malheureuse amante ayant ramassé le poignard encore tout 4b
sanglant dont Pyrame s'était tué, elle querelle ainsi ce poi-
gnard :

Ah! voici le poignard qui du sang de son maître


S'est souillé lâchement. Il en rougit le traîtrel
10 PRÉFACE DE 170Î

Toutes les Nord ensemble ne sont pas, à mon 50


glaces du
sens, plus froidesque cette pensée. Quelle extravagance, bon
Dieu! de vouloir que la rougeur du sang dont est teint le
poignard d un homme qui vient de s'en tuer lui-même soit
un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué! Voici
encore une pensée qui n'est pas moins fausse ni par consé- 55
quent moins froide. Elle est de Benserade, dans ses Métamor-
phoses en rondeaux, où, parlant du déluge envoyé par les
dieux pour châtier l'insolence de l'homme, il s'exprime ainsi :

Dieu lava bien la tête à son image.

Peut-on, à propos d'une si grande chose que le déluge, 60


dire rien de plus petit, ni de plus ridicule que ce quolibet,
dont la pensée est d'autant plus fausse en toutes manières,
que le dieu dont il s'agit à cet endroit, c'est Jupiter, qui n'a
jamais passé chez les païens pour avoir fait l'homme à son
image, l'homme dans la Fable étant, comme tout le monde 65
sait, l'ouvrage de Prométhée?..
Chant (

INSPIRAI ION ET VOCATION

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur


Pense de Part des vers atteindre la hauteur,
S'il ne sent point du Ciel l'influence secrète,.
Si son astre en naissant* ne l'a formé poète.
Dans son génie* étroit il est toujours captif; 5

Pour Phébus est sourd, et Pégase est rétif.


lui

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,


Courez du bel esprit* la carrière épineuse,
N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie* une amour* de rimer; 10

Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,


Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.

® ® ®
Avant de donner au poète des conseils artistiques, Boileau exige de lui

q u'il soit inspir é. Il est d'accord avec Horace (A. P., v. 385) et la plupart des
théoriciens de son temps. Mais il exprime surtout sa propre expérience de
poète qui, après des périodes d'aridité, lui a fait sentir ce qu'était l'inspiration.

• Qu'est-ce que l'inspiration pour Boileau ? Quels sont ici les mots qui nous
permettent de la définir?
• Cherchez dans les Satires (II, VII) les expressions par lesquelles Boileau
désigne l'inspiration.

[Diversité des génies et des genres^

La nature, fertile en esprits excellents,


Sait eAtrjSLl.es. jm te urs partager les talents :
12 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme? 15

L'autre, d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme;


Malherbe, d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Phi lis les bergers et les bois.
,

Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime


M éconnaît*_sorLgénie*, et s'igno re soi-même^ . 20
Ainsi tel 1 autrefois qu'on vit avec Faret 2
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va, mal à propos, d'une voix insolente*,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts, 25
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

©® © ®
L'idée est dans Horace (A. P., v. 38, sqq.).

• Retrouver dans ces vers l'expérience personnelle de Boileau telle qu'il


l'exprime dans la Satire IX (v. 29-51 v. 279-283). ,

• En quoi Boileau est-il méchant dans la satire contre Saint-Amant? Quelles


sont les raisons profondes de sa méchanceté?

ART. RÈGLES ET GOUT

© ® ® ©
« n'est pas né poète,
Si l'on ne faut pas faire de vers... cela dit, Boileau
il

passe. Pourquoi? parce qu'il n'y a pas d'enseignement qui donne le génie.
Il s'adresse à ceux qui l'ont, et va leur apprendre le métier. » (Lanson.)
il

[La Rime.]

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant*, ou sublime,


Que toujours bon sens* s^accoi^U_ayecJa^rJjBe
le :

L'un l'autre vainement ils semblent se haïr,


La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir. 30

1. « Saint-Amant, auteur du Moïse I nête Homme, et ami de Saint-


sauvé. » (Boileau.) Amant. » (Boileau.)
2. «Auteur du fivre intitulé L'Hon i
CHANT I 13

Lorsqu'à la bien chercher d'abord* on s'évertue,


L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit;
Et loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle; 3b

Etpour la rattraper le sens* court après elle.


Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre* et leur prix

® © ® © ®
« Notre versification perd plus, si je ne me trompe, qu'elle ne gagne par les
rimes elle perd beaucoup de variété, de facilité et d'harmonie.... Je n'ai
:

garde néanmoins de vouloir abolir les rimes. Sans elles notre versification
tomberait.... Mais je croirais qu'il serait à propos de mettre nos poètes un
peu plus au large sur les rimes, pour leur donner le moyen ç£ê£re pj us exacts
sur le sens et sur l'harmonie. En relâchant un peu sur la rime, on ren-
drait la raison p lus pa rfaite. » (Fénelon, Lettre à l'Académie, I7I4.)
• Quelles différences y a-t-il entre l'opinion de Fénelon et celle de Boileau?
En quoi expriment-elles la différence de deux tempéraments et de deux
époques du classicisme?
• D'après les vers I I-26, et 48 de la Satire II, montrez que Boileau expose
ici son expérience personnelle.
• Trouvez dans l'Épître IV des exemples illustrant le vers 34.
• D'après le vers 31, en quoi le travail vous paraît-il compléter l'inspi-
ration ?

[La Raison.]

La plupart, emportés d'une fougue insensée*,


Toujours du droit sens* vont chercher leur pensée; 40
loin
Ils croiraient s abaisser, dans leurs vers monstrueux*,

S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.


J^
c
Évitons ces excès, laissons à l'Italie * -
f
De tous ces faux brillants l'éclatante folie.
Tout doi tMtend_re au bon sens mais, pour y parvenir, T
45
Le chemin est glissant et pénible à tenir;
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie,
LgJgJ son fiQur marcher n'a souvent qu'une voie..
»
,

14 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

® ® © ®
... « la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux qui est
proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison.» (Descartes. Discours
de la Méthode.)
« Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraordinaire? Ce n'est point,
comme une pensée que personne n'a jamais
se le persuadent les ignorants,
eue ni dû avoir. C'est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le
monde et que quelqu'un s'avise le premier d'exprimer.» (Boileau. Préface,
1701.)
Après 1650 la fantaisie italienne ne convient plus à l'idéal régulier des
théoriciens classiques. Elle demeure chère cependant aux précieux et aux
gens du monde.

• Dégager de ce passage le caractère u niversel et _éte rnel de l'idéaj art [s-


tjçjue de Boileau, quels sont les mots qui l'indiquent?
• Comparer~âvec d'autres passages où Boileau juge les Italiens (Satire IX,
v. 176. A. P., III, v. 291).

[Brièveté.
&* Ic/wve 5 <^ «^«1

Un auteur, quelquefois trop plein de son objet,


Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet : 50
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face*;
Il me promène après de terrasse en terrasse;
Ici, s'offre un perron; là, règne un corridor;
Là, ce balcon s'enferme en un balustre d'or;
compte des plafonds les ronds et les ovales;
Il 55

« Ce ne sont que festons*, ce ne sont qu'astragales*. »


Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à # peine au travers du jardin.
£u yez de ces auteurs rabond ance_stérile
Et ne vous chargez point d'un détail inutile^ 60
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

® ® ® ® ®
Souvenir d'Horace (A. P., 335-7).
Mais le goût du temps se lasse des interminables romans on en publie :

des extraits ou des résumés.... La Fontaine loue la brièveté qui est « l'ame
CHANT I 16

du cont e « retranche au lieu d'enchérir », car, « si ce tour est moins long,


»,
il sera sans doute plus approuvé » (Préface des Contes et des Fables).
Boileau raille une description de l'Alaric de Scudéry.

• Comment l'alliance de mots du v. 59 caractérise-t-elle justement le contraire


de l'harmonie que Boileau essaye d'établir entre le génie et la raison ? A propos
du v. 63, comment la brièveté oblige-t-elle à mieux écrire? Vous en êtes-vous
rendu compte dans vos dissertations?
• En quoi la comparaison de ce passage avec l'A. P., I, v. 74, et la Satire II,
1

v. 50-52, 77-95, nous révèle-t-elle que Boileau exprime ici son expérience
d'artiste?
• Quels sont les détails qui rendent plaisant ce résumé de la description de
Scudéry?
• Le vers 56 figure dans Alaric sous la forme « Ce ne sont que festons, ce
ne sont que couronnes ». Quel effet produit le changement apporté par
Boileau?

[Perfection.]

Souvent peur d'un mal nous conduit dans un pire.


la

Un vers était trop faible et vous le rendez dur; 65

J'évite dTetre long et je dev iens o bscur.


L'un n'est point trop fardé, mais sa Muse est trop nue.
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.

® ®
Ce conseil d'artiste est dans Horace (A. P., v. 24-31).
« Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité v

dans la nature celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait


: celui qui ne le
:

sent pas et qui aime en deçà ou au-delà a le goût défectueux.... » (La Bruyère,
I. 10.)

[Variété.]

Voulez-vous du public mériter les amours?


San s cesse en écrivant variez vos d is cours* . 70

Un style trop égal et toujours uniforme


En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui, toujours sur un ton, semblent psalmodier.
r

16 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Heureux, qui, dans ses vers, sait d'une voix légère 75


Passe r d u grave au doux, du_ plaisant au sévère!
Son aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
livre,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

® ® © ®
« La vérité ne suffit pas toujours et il y a des pensées qui sont mauvaises
à force d'être vraies.... » (Le Père Bouhours, Lettre, 677.)
1

« y en a (de mes contes) que j'ai étendus et d'autres que j'ai accourcis
Il

seulement pour diversifier et me rendre moins ennuyeux.... » (La Fontaine,


Préface, I665.)

• Quels sont les passages des Satires et de L'Art Poétique où Boileau critique
des œuvres pour leur monotonie?
• Montrez que Boileau s'exerce à écrire son Art Poétique dans un style varié.
• La variété vise-t-elle le fond ou la forme?

[Burlesque et Badinage.]

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :

Le style le moins noble a pourtant sa noblesse, 80

Au mépris du bon sens, le burlesque effronté


Trompa les yeux d'abord*, plut par sa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes* triviales;
L e_Parnasse_parla le lan gage des halles.
La licence à • rimer alors n'eut plus de frein. 85

Apollon travesti devint un Tabarin.


Cette contagion infecta les provinces,
Du duc et du bourgeois passa jusques aux princes,
Le plus mauvais plaisant* eut ses approbateurs; <

Et jusqu'à d'Assoyâ tout trouva des lecteurs. 90

Mais de ce style enfin la cour désabusée


Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée,
Distingua le naïf* du plat et du bouffon,
u'^
Et laissa la province admirer le Typhon.
Que ce style jamais ne souille votre ouvrage. 95

Imitons de Marot l'élégant badinage,


CHANT I 1?

Et laissons Burlesque aux plaisants du Pont Neuf1


le yr
Mais dallez point aussi, sur les pas de Brébeuf, (^
.,

^
«

Même en une Pharsale, entasser sur les rives,


« De mortset de mourants cent montagnes plaintives». 100

Prenez mieux votre ton soyez simple avec art. :

Sublime sans orj^ueM^agréabJe san s fard*

® © © © ® ®
« Le style burlesque fut extrêmement en vogue depuis le commencement
du siècle jusque vers l'an 1660 qu'il tomba. » (Brossette.)
Le vers 86 est une « allusion au Virgile travesti de Scarron. » (Brossette.)

• Quel est, d'après ce passage, le double reproche, moral et artistique, que


Boileau adresse au burlesque?
• En quoi Le Lutrin essayera-t-il d'éviter ces deux défauts?
• D'après le vers o0, qu'est-ce que Boileau entend par la «noblesse du style»?
Condamne-t-ii l'écrivain, comme le Père Rapin, à n'employer qu' « une diction
relevée et éclatante » sans rien de « commun et ordinaire »? (Réflexions,
P. 71.)

Marot et le style naïf (v. 93). Du temps de Boileau on appelle « naïf »


un genre de style (dont le meilleur exemple est celui de La Fontaine dans les
Contes) qui joint à une grande simplicité une couleur archaïque, un air fausse-
ment inexpérimenté....
« Tout ce qu'il dit (La Fontaine) est simple et naturel, et ce que j'estime
surtout en lui, c'est une certaine naïveté de langage que peu de gens
connaissent et qui fait pourtant tout l'agrément du discours. » (Dissertation
sur Joconde, 1665.)
Les contemporains retrouvent ce charme « naïf » dans les ouvrages de
Marot : « Un autre (La Fontaine), plus égal que Marot et plus poète que Voi-
ture, a le feu, le tour et la naïveté de tous les deux. » (La Bruyère.)

• En quoi le goût de Boileau se rapproche-t-il du goût des gens du monde?


Comparez ce passage avec la dissertation sur Joconde et le vers 181 de la
Satire III.

• Pourquoi les classiques préfèrent-ils Marot à la fois à Ronsard et aux Bur-


lesques? Ne voyez-vous dans ses ouvrages qu'un « élégant badinage »?

Brébeuf

La citation du vers 100 est caractéristique : ce vers traduit « tôt corporo


fusa » (Pharsale, VII, v. 651).

« Les vendeurs de mithridate et mettent depuis longtemps sur le


lesjoueurs de marionnettes se I Pont-Neuf. » (Boileau.)
^8 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

En 1674, l'emphase de Brébeuf est passée de mode. Le Père Rapin trouve


chez lui un « faux brillant plein d'affectation... presque rien de naturel ».
Réflexions sur la Poétique, p. 81.)

• Dans sa Préface de 1683, Boileau reconnaît à Brébeuf du « génie » :y a-t-il

contradiction avec ce passage?


• Montrez d'après le vers 101 que le « naturel » classique n'est pas une copie
pure et. simple de l'original.

[Harmonie.]

N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.


Ayez pourcadence* une oreille sévère,
la

o/^-uw Q ue toujours dans vos vers, le sens, coupant les mots, 105
V\lc&*s> Suspende l'hémistiche, en marque le repos.
Gardez* qu'une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne chemin heurtée,
soit d'une voyelle en son
est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le Concours* odieux : no
Le vers le mieux rempli, la gjusjiobje pensée—
Ne peut p lajrg àjje^^

®®
m Tous ces conseils sur la césure, l'hiatus, l'harmonie reprennent les idées
de Malherbe.
o Relevez dans les satires les critiques adressées aux œuvres au nom de l'har-
monie.

[Histoire de l'Harmonie et de la Langue.]

Durant les premiers ans du Parnasse françois*,


Le caprice tout seul faisait toutes les lois*, f-
La rime, au bout des mots assemblés sans mesure*, 115

Tenait lieu d'ornements, de nomïre*, et de césure.


VjILqji sut le premier, dans ces siècles grossiers,
fJi sAA^j ^ ki

Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers*.


Marot, bientôt après, fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets*, rima des mascarades*, a * *\?Q 1
CHANT I 19

A rondeaux,
des refrains réglés asservit les

Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.


R onsard qui le suivit, par une autre méthode,
,

Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,


Et toutefois longtemps eut un heureux destin. I25

Mais sa Muse, en français parlant grec et latin,


Vit, dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mgtsje^fa'ste pédantesque.
Ce poète orgueilleux trébuché de si haut
Rendit plus retenus Desp ortes et ELertaut. I30

® ® ©
Les erreurs de Boileau.
v.16. Boileau croit que les premiers vers français se contentent de rimer
1

etjVont ni longueur fixe (mesure )JjnjJiarmonië~cTue à un rythme (nombre),


n £ gsure, ni orne ments poétiques
' tous ces points sont inexacts.
:

v. 122. M est inexact que Marot ait inventé ou même cultivé assidûment
ces poèmes à forme fixe. a cependant créé de nouveaux rythmes dans sa
Il

traduction des Psaumes.

• Brossette a-t-il raison de qualifier ce passage d'« histoire de la poésie


française »? De quoi s'agit-il réellement?
• Quelles sont d'après ce passage les lacunes de la critique de Boileau?

Ronsard

La renommée de Ronsard fut énorme de son temps, balança celle de


Malherbe jusqu'en 1630, décrut jusqu'en 1650, disparut ensuite.
« Du Bartas et Ronsard, qui voulurent s'élever par des grands mots de leur
façon composés à la manière des Grecs et dont notre langue n'est pas capable,
tombèrent dans l'impropriété et devinrent eux-mêmes barbares. » (P. Rapin,
Réflexions sur la Poétique.)
[Ronsard] « parlait français en grec, malgré les Français mêmes ». (Fénelon,
Lettre à l'Académie.) Cf. La Bruyère, I, 42.

• Boileau vise-t-il ici la poésie de Ronsard, sa versification ou bien sa langue?

[Malherbe.]

Enfin Malherbe Vint pf, Ip premier en Franre T

Fit sentir dans les vers une juste* cadence,


D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et rédui sit la M use aux règles du devoir^
20 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Par ce sage écrivain la langue réparée 135


N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée;
Les stances avec grâce apprirent à tomber;
Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle, HO

Photo Hachette,

Malherbe.
Portrait de Finson, gravé par Coelemans.

«Son crédit vit encore chez nos poètes plus de trente ans après sa mort.»
(Chapelain, Lettre de 1662.)

• Quels sont les vers qui visent la grammaire ? la versification ? le style ? En


quoi, sur tous ces points, Malherbe est-il d'accord avec fa génération de
1660?
CHANT I
21

[Clarté.]

Marchez donc sur ses pas, aimez sa pureté.


Et d e son tour heureux imitezja_çlllté^.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et, de vos vains discours* prompt à se détacher, 145

Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.


Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées :

Le jour de la raison ne le* saurait percer.


Avant* donc que d'écrire apprenez à penser : 150

Seloruquê notre idée est plus ou moins obscure,


L 'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure;
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.7
Et les mots pour le dire arrivent aisément.^/

® © ® ®
Malherbe est un apôtre de la clarté aussi bien par son expression que par
sa critique des obscurités de Desportes.
Mais le goût du temps réclame aussi la clarté. Cf. .Rapin (Réflexions
sur la Poétique)« un des plus grands défauts du discours est l'obscurité ».
:

Bouhours (Lettre, 1677) « ... les plus belles pensées sont vicieusesquandelles
:

ne sont pas claires et nettes ». —


La Fontaine. (Préface des Contes, 1666) :

« La clarté est recommandable en tous


ouvrages de l'esprit ».
les Boi- —
leau (Préface, 1701) « L'esprit des hommes est naturellement plein d'un
:

nombre infini d'idées confuses du vrai que souvent n'entrevoit qu'à il

demi, et rien ne lui est plus agréable que lorsqu'on lui offre quelqu'une de
ces idées bien éclaircie et mise dans un beau iour. »
De plus, l'expérience d'artiste de Boileau lui prouve que dans la création
le fond et la forme ne sont pas séparés, mais qu'une pensée qui se précise

prend corps en même temps dans une forme d'où condamnation des impuis-
:

sants qui croient avoir des pensées inexprimables et de ceux qui alignent des
mots sans qu'aucune pensée y corresponde. (Satire II, v. 33-50.) C'est ce
qu'Horace avait déjà dit (A. P., v. 309-31 1).

• Quels sont les vers qui tiennent compte du goût du public? des néces-
sités de création artistique?
la
• Pourquoi Boileau, un demi-siècle après Malherbe, juge-t-il bon d'insister
tellement sur la nécessité d'être clair?
o Commente? les vers 153-4 d'après votre expérience personnelle.
: ;

22 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

[Correction.]

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée 155

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.


En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux.

Mon esprit n'admet point un pompeux* barbarisme,


Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme. 160

Sans_bJaog]jL£, en un mot, l'auteur Je -pius~4fv+n*


E^JLouJours^ quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

®
C'est encore une idé e de Malherbe .

« Les plus beaux sentiments du monde n'ont point de grâce dès que la

construction leur manque. » (Rapin, Réflexions sur la Poétique.)


e D'après Les Femmes savantes (II, 6), montrez que sur ce point Boileau est
d'accord avec les précieux. Pourquoi?

CONSEILS DE POÈTE

[Travail ïent et soigné.]

£ c/ aC
*

*,
*
Travaillez à loisir quelque ordre 1 qui vous presse, /_-\

Et ne vous piquez point d'une folle vitesse :


( ^/^ b„/
Un style si rapide, et qui court en rimant, ^Tlâs
MarqiL£-molns trop d' esprit* que peu de jugemqn^
J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène*
Dans un pré plein du fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé, qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. 1
170

Vingt

T Hâtez-vous lentement,
w fois sur le

métier
et, sans perdre courage,
7-v£«^r~
remettez votre ouvrage;
/ïjo)
Polissez-je sans cesse et le* repolissez ;

Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

I. « Scudéry disait toujours pour I


avait ordre de finir. » (Note de
s'excuser de travailler si vite qu'il | (Boileau.)
CHANT I
23

® ® © ® ® ®
Les vers 173-4 reprennent les vers 292-4 de l'Art Poétique d'Horace. L'image
du vers 169 est empruntée auss à Horace (Satires I, 4, v. I). Le vers 171 I

reprend la maxime familière à l'empereur Auguste, « Festina lente ».
Mais Boileau exprime son expérience d'artiste , la même du début de
sa carrière poétique (Satire II, v. 47-52) à la fin (Èpître XI v. 43-80).

• Comment ce travail vous paraît-il compléter l'inspiration


• Comparez avec la critique de Scudéry pour la même raison dans la Satire II,

v. 77-96.
• Montrez que derrière la ennemi les vers
satire ironique d'un vieil 163-4
affirment la s_a|nteJté_de_Part et 'indépendance de l'ar tiste.
l

• En quoi le vers 166 marque-t-il l'opposition entre les précieux


et les
artistes classiques?
• Étudiez le rythme et l'harmonie des vers 167-170. Les vers 167-8 vous
paraissent-ils caractériser tout l'art classique ou ne sont-ils qu'une boutade?

[Uniformité de style.]

C'est peu qu'e/i un ouvrageoù lesfautesfourmillent, 175 , *

Des traits* d esprit, semés de temps en temps, pétillent.


Il que chaque chose y soit mise en son
faut lieu;
Que le début, la fin répondent au milieu;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses parties; 180

Que )amais du suje t le discours* s écartant


N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.

® ® ®
C'est un précepte d'Horace (début de l'Art Poétique); à propos du v, 178,
cf. A. du
P., v. 152, v. 180, cf. A. P., v. 23; du v. 177, A. P., v. 93. Le mot
cf.

« éclatant » du v. 182 est le « verbum emicuitsi forte décorum »


(Horace, Épîtres, II, I, v. 72).
« L^njjgbmitté_ de style est la règle la p lus étroite qu e nous ayon s_._» (La.
Fontaine, Préface de Psyché.)

• Comment ce principe de goût est-il amené au milieu des conseils géné-


raux sur le travail de l'artiste?
• Le principe de l'uniformité de style est-il en contradiction avec le goût de \S
la variété (cf. ch. I, v. 69-79)? En quoi s'accorde-t-il avec l'idée de la dis-
tinction des genres et les critiques adressées à Saint-Amant? (I, 13-26;
III. 260-266.)
24 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

[Le poète et la critique.]

Craignez-vous pour vos vers la censure publique?


Soyez-vous à vous-même un sévère critique.
L'ignorance, toujours, est prête à s'ad mirer. 185

Faites-vous des amis prompts à vous censurer :

Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères,


Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur : 190

Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.


Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier* :

Chaque vers entend le fait* extasier;


qu'il
Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse; 195

Il trépigne de joie, il pleure de tendresse;


Il vous comble partout d'éloges fastueux,

La vérité_n'a point cet air impétueux.


Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible; 200
Il ne pardonne point les endroits négligés;
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés;
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici, le sens le choque, et plus loin c'est la phrase;

Votre construction semble un peu s'obscurcir; 205

Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.


C'est ainsi que vous parle un ami véritable.


Mais souvent, sur ses vers un auteur intraitable,
A les protéger tous.se croit intéressé,
Et d'abord* prend en main le droit de l'offensé. 210

« De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.


—Ah! Monsieur, pour ce vers, je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord*. —
Ce mot me semble froid.
Je le retrancherais. — C'est le plus bel endroit!
— Ce tour ne me plaît pas. —Tout le monde l'admire.» 215

Ainsi, toujours constant à ne se point dédire,


CHANT I 25

Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,


C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, chérit la critique, il

Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique. 220


Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter.

Aussitôt, vous quitte, et, content de sa Muse,


il

S'en va chercher ailleurs quelque fat* qu'il abuse;


Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sots auteurs, 225
Notre siècle est fertile en sots admirateurs ;

Et, sans ceux que fournit la ville et la province,


Il en est chez le duc, il en est chez le prince;
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans; 230
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

® ® © ® ® ®
Quelques vers imitent Horace, v. 184, cf. Ep. Il, 2, v. 106 sqq., v. 190
A. P., v. 425, v. 197 A. P., v. 428-30, v. 199 A. P., v. 445 sqq.
o Mais derrière l'imitation de peinture a'un type éternel vous retrouverez
la :

a ) la pei nture des mœurs du temps de


Boileau en comparant avec les
comédies de Molière et Les Caractères de La Bruyère. Quelle scène du Misan-
thrope vous rappelle le vers 222?
b) l'expérience d'artiste de Boileau. Comparez le vers 84 à la Satire II, 1

v. 47-52; 91-96; et tout le passage aux vers 41-84 du chant IV.


• D'après le vers 229, le bon goût est-il une question de milieu ou de juge-
m_ent? Comparez avec La Critique de l'École des Femmes de Molière
(se. VI). A qui s'adresse l'art classique?
• Quels sont les traits satiriques de ce passage? En quoi vous paraissent-
ils contribuer à « égayer » le chant I? Quelles sont les ressemblances et les

différences avec la verve des Satires? ,

• D'une façon générale, relevez tous les traits satiriques du chant I. Rappro-
chez-les des traits correspondants des Satires Boileau change-t-il d'opinion?
: »

La forme demeure-t-elle la même? En quoi le Boileau des Satires ressemble- !

t-il au Boileau de L'Art Poétique? En quoi vous paraît-il en différer?


Chant II

LES PETITS GENRES

La Poésie pastorale.]

Telle qu'une bergère, au plus beau jour de fête,


De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements,
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, 5

Doit éclater sans pompe une élégante Idylle*.


Son tour, simple et naïf*, n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux;
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,

Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille. 10

Mais souvent, dans ce style, un rimeur aux abois


Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois,
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète*,
Au milieu d'une églogue entonne là trompette.
De peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux, 15

Et les nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.


Au contraire, cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village,
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre et rampent tristement; 20
On dirait que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques*,
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.
Entre ces deux excès la route est difficile. 25

Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile.


CHANT II 27

Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,


Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.
Seuls, dans leurs doctes vers, pourront vous apprendre
ils

Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre; 30


Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers;
Au combat de la flûte animer deux bergers;
Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce;
Et par quel art encor l'Eglogue, quelquefois, 35

Rend dignes d'un consul la campagne et les bois.


Telle est de ce poème, et la force, et la grâce.

® © © © ® ®
Le maître de la poésie pastorale au XVII e siècle est sans doute Racan (Ber-
geries, 1618), mais du temps de Boileau ce genre fort à la mode a de nombreux
adeptes, notamment les deux poètes visés aux vers 11-16, Ménage et Charpen-
tier. La définition du « naturel » pastoral peut s'appliquer, au théâtre, à la

pastorale dramatique et au roman (L'Astrée).


Le vers 24 vise laBergerie de Ronsard publiée en 1565. « Ronsard dans
ses Églogues appelle Henri II Henriot, Charles IX Carlin... » etc. (Brossette).
Le « naturalisme » de ces noms choque l'idée que se font les contemporains
du « naturel » de la pastorale. Cf. D'Urfé (Préface de L'Astrée) « Que si vos:

conceptions et vos paroles étaient véritablement telles que celles des bergers
ordinaires ils (les lecteurs) auraient aussi peu de plaisir à vous écouter que vous
auriez beaucoup de honte à les redire.... » Costar (Lettres) à propos de
:

Théocrite :« Voulant représenter naïvement la nature, il a soigneuse-


ment éloigné de notre vue ses laideurs et ses défauts et s'est particulièrement
attaché à l'imitation de ce qu'elle avait de plus beau et de plus capable de
nous donner du plaisir. »
a L'originalité de Boileau consiste à prendre comme modèle de goût les
Anciens, alors que le public mondain du temps goûtait plutôt les Espagnols
(Montemayor) et surtout les Italiens (Guarini, Le Tasse, Marini). Le vers 32
fait allusion au chant amébée dans l'Eglogue, le vers 34 au genre de la Méta-

morphose, le vers 36 est la paraphrase du vers 3 de la Bucolique IV de Virgile.


Le vers 28 reprend une expression d'Horace (A. P., v. 268).

© Quels sont les mots qui donnent une impression de simplicité et de naturel ?
de charme gracieux et délicatement brillant? En quoi ce naturel se distingue-
t-il de l'héroïsme? du naturalisme? Quel est le principe de l'art classique à la

base de ces distinctions?


• Quels sont les mots qui montrent que le naturel de l'églogue est le fruit
d'un art savant?
28 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

A
propos du vers 24, expliquez pourquoi Philis paraît à Boileau plus poé-
tique que Toinon? Comparez avec le vers 242 du ch. III.
• Boileau a prétendu prendre chaque fois le ton correspondant au genre dont
iltraite dans le ch. comment son style a-t-il ici les caractères du style
Il :

bucolique tels qu'il les définit?

[L'Elégie.]

D'un ton un peu plus haut, mais pourtantsansaudace,


La plaintive Élégie*, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil; 40
Elle peint des amants la joie et la tristesse,
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.
Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée 45

M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée;


Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis*,
S'érigent pour rimer en amoureux transis. [vaines.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes; 50
Que bénir leur martyre, adorer leur prison;
Et faire quereller* les sens* et la raison.
Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule
Qu'Amour que soupirait Tibulle,
dictait les vers
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons, 55

donnait de son art les charmantes leçons.


Il

faut que le cœur seul parle dans l'élégie.


Il

® © © © ® ®
Le XVII e siècle appelle élégie tout poème exprimant des sentiments
mélancoliques et tendres. De belles pièces de Maynard, Racan, La Fontaine
sont des élégies, mais c'est surtout la poésie précieuse de Théophile à Cotin
qui pullule d'élégies.

© Quels sont les écrivains que Boileau critique dans ce passage? Comparez-le
avec la Satire II, v. 34-46, laSatire IX, v. 261-266; avec Le Misanthrope, Acte
I

se. 2.
CHANT II 29

o Quels sont les mots et les images qui rendent les caractères de la bonne
élégie?
• La critique de Boileau est-elle ici d'un technicien d'art, ou d'un honnête
homme qui cherche à être ému? Quels sont les mots qui peignent ce besoin
d'émotion ?
® Au vers 47 expliquez « par art ». Le sens serait-il le même s'il y avait « avec
art »?
• Le jugement du vers 55 correspond-il à l'idée que vous vous faites d'Ovide ?
o En examinant une élégie romantique (par exemple Le Lac de Lamartine),
vous marquerez en quoi Boileau est d'accord avec les romantiques et en quoi
il en diffère.

[L'Ode héroïque et l'Ode légère.]

L'Ode avec plus d'éclat et non moins d'énergie,


Élevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux; 6o
Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière;
Chante un vainqueur poudreux* au bout de la carrière*;
Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs;
Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage, 65

Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage :

Elle peint les festins, les danses et les ris

Vante un baiser cueilli sur les lèvres d'Iris,


« Qui mollement résiste et par un doux caprice
« Quelquefois le refuse afin qu'on le ravisse. » 70
Son style impétueux souvent marche au hasard.
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.
Loin* ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegmatique*
Garde dans ses fureurs* un ordre didactique,
Qui chantant d'un héros les progrès* éclatants, 75
Maigres historiens, suivront l'ordre des temps.
Ils n'osent un moment perdre un sujet de vue;

Pour prendre Dole, il faut que Lille soit rendue;


Et que leur vers exact, ainsi que Mézerai,
Ait déjà fait tomber les remparts de Courtrai. 80
Apollon de son feu leur fut toujours avare.
30 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

®© © ® ® ®
Boileau distingue les deux formes d'Ode triomphale (Pindare, Horace
:

et au XVII e siècle Malherbe, Maynard, Racan, Chapelain, Racine et Boileau


lui-même en 1693, Ode sur la prise de Namur), légère (Anacréon, Horace,
:

Maynard, Racan, Théophile, Saint-Amant...)- Mais, à partir du vers 71 Boileau ,

parle surtout de l'ode triomphale, et plus particulièrement de l'ode pinda-


rique.
Boileau et Pindare : dans son Discours sur l'Ode ( 1 693) à côté de
, la « magni-
ficence des mots », Boileau admire chez Pindare « ces endroits merveilleux où
le poète, pour marquer un esprit entièrement hors de soi, rompt quelque-

fois de dessein formé la suite de son discours et, afin de mieux entrer dans
la raison, sort, s'il faut ainsi parler, de la raison même, évitant avec
grand soin cet ordre méthodique et ces exactes liaisons de sens qui ôteraient
l'âme à la poésie lyrique ». Cette poésie que Boileau compare à la grandeur
de la Bible est pour lui un « mystère de l'art» et la préfère «aux sages empor-
il

tements de Malherbe ».
Boileau et Horace Les vers 69-70 traduisent un joli passage des Odes
:

d'Horace (II, 12, v. 25-28).


Boileau « flatteur de Louis ». Le v. 64 fait allusion à la campagne de
Flandre de 1667. Dôle (v. 78) tomba en 1668, Lille (v. 78) en 1667 ainsi que
Court rai (v. 79).

• Quels sont les mots qui montrent que Boileau est particulièrement sensible
à ce que -l'Ode exige d'inspiration et d'enthousiasme?
• Le jugement de Boileau sur Pindare vous paraît-il exact? Quelle en est
l'originalité pour son temps, surtout par rapport aux modernes? Vous le
comparerez à la défense de Pindare dans la Réflexion VII sur Longïn.
• Vous paraît-il possible d'essayer de recréer rationnellement le lyrisme de
Pindare par quelques procédés techniques? Quels sont, d'après ce passage,
ceux que conseille Boileau? Montrez que ces procédés font justement la
faiblesse de l'Ode sur la prise de Namur. Boileau avait-il, à votre avis,
le génie lyrique? Reportez-vous à ce propos à la Satire IX, v. 39-48, 251-256.

• Montrez l'habileté de la louange du Roi dans ce passage.

[Le Sonnet,]

On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre*,


Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois*,
Inventa du Sonnet les rigoureuses lois*,
Voulut qu'en deux quatrains, de mesure* pareille, 85
La rime, avec deux sons, frappât huit fois l'oreille,
Et qu'ensuite, six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par ie sens partagés.
Surtout, de ce poème il bannit la licence*;
Lui-même en mesura le nombre* et la cadence*, 90
CHANT II 31

Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,


Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Du reste il l'enrichit d'une beauté suprême.
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.
Mais, en vain, mille auteurs y pensent arriver, 95

Et cet heureux phénix est encore à trouver.


A peine dans Gombaud, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille;
Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier,
N'a de chez Sercy qu'un saut chez l'épicier.
fait 100

Pour enfermer son sens dans la borne prescrite


La mesure* est toujours trop longue ou trop petite.

© ® (9)

Boileau le définit par sa forme rigide, car les sujets en sont très divers. Sa
vogue en France vient d'Italie. De Ronsard à Boileau lui-même, en passant
par Malherbe, ses disciples, les précieux, Chapelain, a de nombreux adeptes.
il

En 1674 le vers 98 disait « supporter » au lieu d' « admirer ».

• Quels est le sens de la correction du vers 98?


• Quels sont les mots qui prouvent que pour Boileau la principale beauté du
sonnet réside dans la difficulté vaincue? Pourquoi Boileau paraît-il si sen-
sible à cette perfection artistique? Ne connaissez-vous pas des sonnets qui
ont d'autres mérites?
» Montrez que Boileau joue lui-même avec la difficulté en définissant ce genre
difficile.

[L'Épigramrrae et ïeo pointes.]

L'Épigramme, plus libre en son tour plus borné,


N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.
Jadis, de nos auteurs les pointes* ignorées 105

Furent de l'Italie en nos vers attirées.


Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse» 1 10

Le madrigal d'abord* en fut enveloppé


Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé;
o
H. Bénac. — L'Arl poétique <!<' Boileau. *
32 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

La tragédie en fit ses plus chères délices;


L'élégie en orna ses douloureux caprices.
Un héros sur la scène eut soin de s'en parer, M5
Et, sans pointe*, un amant n'osa plus soupirer :

On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,


Fidèles à la pointe encor plus qu'à leurs belles.
Chaque mot eut toujours deux visages divers.
La prose la reçut aussi bien que les vers; 120

L'avocat au palais en hérissa son style;


Et le docteur en chaire en sema l'Évangile.
La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des discours* sérieux,
Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme, 125
Par grâce, lui laissa l'entrée en l'épigramme,
Pourvu que sa finesse, éclatant à propos,
Roulât sur la pensée, etnon pas sur les mots.
Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.
Toutefois, à la Cour, les turlupins* restèrent, 830
Insipides plaisants, bouffons infortunés,
D'un jeu de mots grossier partisans surannés.
Ce n'est pas quelquefois qu'une Muse un peu fine,
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine,
Et d'un sens détourné n'abuse avec succès; 135

Mais fuyez sur ce point un ridicule excès;


Et n'allez pas toujours d*'une pointe frivole
Aiguiser par la queue une épigramme folle.

© ® © © ® ®
n II s'agit ici non de l'épigramme antique, petit poème assez court pour être
mis sous forme d'inscription, mais de l'épigramme que la vie mondaine avait
mise à la mode un trait d'esprit en vers sur n'importe quel sujet.
:

Une foule de poètes, Boileau compris, écrivit des épigrammes.


h Les pointes au palais (v. 121) cf. Dialogue des héros de romans,
:

à propos d'un jeune avocat « Bien qu'il n'ait dit que des sottises,
: n'en a il

avancé pas une qu'il n'ait appuyée de l'autorité de tous les Anciens; et quoi-
qu'il les fît parler de la plus mauvaise grâce du monde, leur a donné à tous,
il

en les citant, de la galanterie, de ia gentillesse, de la bonne grâce. »


CHANT II 33

Photo Hachelie.

Frontispice du Ballet de la Jeunesse donné à Saint-Germain en 1686.


Gravure de Dolivar, d'après un dessin de Bérin (B. N.).
34 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Les pointes à la chaire le vers 122 vise, selon Boileau lui-même, « le


:

André, Augustin ». Tallemant des Réaux écrit à propos de ce prédi-


Petit Père
cateur « Il a toujours prêché en bateleur... et avait quelque chose de Tabarin
:

dans la mine.... Parlant de saint Luc, disait que c'était le peintre de la Reine
il

mère à meilleur titre que Rubens qui a peint la galerie du Luxembourg, car
il est le peintre de la Reine mère de Dieu. »
Les Turlupins à la Cour (v. 130). « La jolie façon de plaisanter pour des
courtisans, et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire « Mada-
:

me, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues
de Paris, car chacun vous voit de bon œil »; à cause que Bonneuil est un village
à trois lieues d'ici. » (Molière, Critique de l'École des Femmes.)

© Montrez que Boileau dépasse son sujet pour exprimer son goût du naturel,
de la clarté, de la finesse.
© Cherchez dans les Épigrammes de Boileau des exemples illustrant les
vers 128, 134, 135. Comparez-les avec de mauvaises épigrammes, par exemple
celle de Trissotin (Femmes savantes, III, 2).
• Comparez aux autres critiques des pointes chez Boileau (Dialogue des héros
de romans et Satire XII spécialement).
• Quelles sont les critiques analogues que vous connaissez chez Molière et
chez La Bruyère?

[Petits genres précieux.]

Tout poème est brillant de sa propre beauté.


Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté*. 140

La Ballade, asservie à ses vieilles maximes,


Souvent doit tout son lustre* au caprice des rimes.
Le Madrigal, plus simple et plus noble en. son tour,
Respire la douceur, la tendresse et l'amour.

© ©
© Définissez la « propre beauté » du rondeau, de la ballade, du madrigal.
Rapprochez-la du sonnet, de l'élégie, du style naïf (ch. I, v. 93).

[La Satire.]

L'ardeur de se montrer, et non pas de médire, 145

Arma la Vérité du vers de la Satire.


Lucile premier osa la faire voir;
le

Aux vices des Romains présenta le miroir;


Vengea l'humble vertu de la richesse altière;
Et l'honnête homme à pied du faquin en litière. 150
CHANT II 35

Horace à cette aigreur mêla son enjouement.


On ne fut plus ni fat* ni sot impunément;
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure*!
Perse en ses vers obscurs, mais serrés et pressants, 155

Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.


Juvénal, élevé dans les cris de l'école,
Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses* vérités,
Étincellent pourtant de sublimes beautés : 160

Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,


Il brise de Séjan la statue adorée;
Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,
D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs;
Ou que, poussant à bout la luxure latine, ï65

Aux portefaix de Rome il vende Messaline,


Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savants, disciple ingénieux,
Régnier, seul parmi nous formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles*. 170

Heureux, si ses discours*, craints du chaste lecteur,


Ne se sentaient des lieux où fréquentait* l'auteur,
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Iln'alarmait souvent les oreilles pudiques!
Le latin dans les mots brave l'honnêteté, J75

Mais le lecteur français veut être respecté :

Du moindre sens impur* la liberté l'outrage,


Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur. 180

® ® © © ® ®
Les allusions à Juvénal : v. 161-2. Cf. Juvénal, Satire X, v. 62-6*3, 71-72;
v. 163-164. Cf. Juvénal. Sat. IV, v. 72-75 (il s'agitdesavoircommentseramangé
le turbot de Domitien), v. 166. Cf. Juvénal, Sat. VI, v. I 16-132.
36 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

La garantie d'Horace : à propos du vers 154, cf. ce que le Discours sur la

Satire dit d'Horace « Qui ne nomme-t-il pas dans ses Satires?... Horace ne
:

se contente pas d'appeler les gens par leur nom; il a si peur qu'on ne les
méconnaisse de rapporter jusqu'à leur surnom, jusqu'au métier
qu'il a soin
qu'ils faisaient, jusqu'aux charges qu'ils avaient exercées »
Le style décent. Le vers 175 signifie qu'un terme indécent en latin choque
moins nos oreilles qu'en français. Le goût du temps ne supporte pas que
l'oreille soit choquée par des termes trop crus. Bussy-Rabutin écrivait à Mme
de Sévigné (1686) au sujet des Contes de La Fontaine « est vrai qu'il en a
: Il

fait quelques-uns où y a des endroits un peu trop gaillards, et, quelque admi-
il

rable enveloppeur qu'il soit, j'avoue que ces endroits-là sont trop marqués,
mais quand voudra les rendre moins intelligibles, tout y sera achevé. »
il

• Pourquoi Boileau choisit-il pour parler de la satire les derniers vers du


chant II?
• Définir d'après ce passage sa conception morale et littéraire de la Satire.
Vous comparerez cette conception aux idées déjà exprimées dans les Satires
VII et IX et dans le Discours sur la Satire.
• Comment Boileau manifeste-t-il son admiration pour les Anciens? Sa cri-
tique est-elle technique ou enthousiaste? Comment Boileau se sert-il des
Anciens comme « garants »? Comment son style essaye-t-il ici de donner une
idée de celui des satiriques latins? Vous montrerez que les Satires de Boileau
synthétisent des satiriques latins, et vous vous demanderez ce
les qualités
qu'elles leur ajoutent de nouveau.
• Vous délimiterez exactement 'e sens de la critique adressée à Régnier.
Porte-t-elle sur sa poésie, sur le fond moral de ses idées, sur son style? Quel
est le principe classique à la base de cette critique?
• Le vers 169 n'est-il pas injuste pour certains écrivains qui avant Régnier
ont manié la Satire?

[Le Vaudeville et la Chanson.]

D'un trait de ce poème en bons mots si fertile,

Le Français, né malin, forma le Vaudeville,


Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant.
La liberté française en ses vers se déploie : 185

Cet enfant de veut naître dans la joie.


plaisir
Toutefois, n'allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux, que l'athéisme élève,
Conduisent tristement le plaisant* à la Grève. 190
CHANT II 37

(S) (S)

Le vaudeville est ici une chanson satirique et non, comme plus tard, une
comédie entremêlée de couplets.
Le vers 190 fait allusion à un événement récent l'exécution, place de
:

Grève, en 1665, d'un jeune poète, Petit, « auteur de quelques chansons impies
et libertines qui couraient dans Paris » (Brossette).

• En quoi ces vers nous renseignent-ils sur la personnalité morale et sociale


de Boileau? Ne contiennent-ils pas un trait empoisonné contre Linières que
Boileau va juger ensuite du point de vue strictement littéraire?

[Conclusion.]

Il faut, même en chansons, du bon sens et de l'art.

Mais pourtant on a vu le vin et le hasard


Inspirer quelquefois une Muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais, pour un vain bonheur, qui vous a fait rimer, 195

Gardez* qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer.


Souvent l'auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poète.
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet;
Il met tous les matins six impromptus* au net. 200
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
Si, bientôt, imprimant ses sottes rêveries,

Il ne se fait graver au-devant du recueil,


Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.

® ® ® ® ©
Boileau reprend l'idée d'Horace de la hiérarchie des genres.
« Je prétends qu'il y a peu de poètes, quoiqu'il y ait bien des gens qui se
mêlent de faire des vers; que la plupart de ceux qui font un sonnet, un madri-
gal, une ode n'ont qu'un peu d'imagination et pas de génie. » (P. Rapin

à Bussy-Rabutin. 1672.)

• Quels sont les mots qui, tout en sauvegardant le caractère irrationne


de l'inspiration dans les petites gens, insistent sur son impureté?
• En quoi Boileau critique-t-il la conception mondaine de la poésie? Au
nom de quels principes classiques, de quelle conception du poète?
Chant III

LA TRAGÉDIE

[Nature et Plaisir tragique.]

I) n'est point de serpent ni de mcmstre odieux,


Qui, par l'art imité, ne puisse plaire^auxyeux;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet* fait un objet aimable :

Ainsi,pour nous charmer la Tragédie en pleurs


D'Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs,
D'Oreste parricide exprima* les alarmes,
Et, pour nous divertir*, nous arracha des larmes,

® © © ® ©
Boileau et Aristote. « Des objets que, dans la réalité, nous verrions avec
peine, par exemple les bêtes les plus hideuses, les cadavres, nous en contem-
plons avec plaisir les représentations les plus exactes» (Aristote, Poétique, V,
trad. Egger).
Les éclaircissements de Brossette : « M. Despréaux m'a encore parlé
d'Aristote qui dit que la l'homme
force de l'imitation est telle sur l'esprit de
que les choses les plus horribles lui plaisent quand elles sont bien imitées.
M. Despréaux a ajouté qu'il faut que cette imitation ne soit pas en tout
semblable à la nature même, que trop de ressemblance ferait avoir autant
u' horreur pour la chose faite par imitation que pour la chose même qu'on aurait
imitée. »
le vers 8 donnerait l'interprétation, de Boileau à propos
Selon Brossette
de fameuse et obscure théorie de la purgation des passions qu'on a
la

tirée d'Aristote « C'est donc en excitant ces deux passions (la terreur et la
:

pitié) que la tragédie peut rendre gai un homme qui était triste, c'est-
à-dire le purger de sa tristesse. Un homme triste écoute bien plus volon-
tiers des choses qui lui paraissent tristes... qu'il n'écoute des choses gaies...;
or, en écoutant ces choses pitoyables, prend intérêt... insensiblement aux
il

événements que présente la tragédie, et ces passions nouvelles qu'elle


lui

excite en lui chassent les autres passions... qui y causaient la tristesse; ainsi
les passions tristes de la tragédie ont ie pouvoir de nous purger de sembla-
bles passions »
CHANT III 39

Photo Hachette.
La Salle du Petit-Bourbon (B. N.).
40 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

• Pourquoi Boileau parle-t-il d'abord de la tragédie et non de l'épopée qui


est pourtant le genre roi?
• Quels sont les mots et les antithèses qui expriment le^ parado xe de la
tragédie : donner du plaisir en peignant la tristesse et l'horreur ?
• Comment l'art résout-il ce paradoxe? Quels sont les mots qui marquent
que l'art transforme la nature en l'imitant, que a tragédie ne plaît pas par un
l

simple naturalisme, mais par une imitation i dé ale et expre ssive de n'importe
quel sujet?
• Les vers 6 et 7 expriment-ils le goût du temps de Boileau ou parlent-ils
de la tragédie en général?

[L'Émotion tragique.]

Vous donc, qui d'un beau feu pour le théâtre épris


Venez en vers pompeux*^y dJsputer le prix,
;
10

Voulez-vous sur la scène étaler*"des ouvrages


Où* tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés? -x^JJ
Que dans tous vos discours* la passion émue* 15

Aille chercher le cœur, réchauffe et le remue.


Si d'un beau mouvement l'agréable fureur*

Souvent ne nous remplit d'une douce terreur,


Ou n'excite en notre âme unej^tjéjrharmante^
En vain vous étalez* une scène savante; 20

Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir


Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique,
Justement fatigué, s'endort, ou vous critique :

Le secret est_ d'abord de plaire et de toucher. 25

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

® ® ©
« La principale règle est de plaire et de toucher ... qu'ils (les spectateurs)
se reposent sur nous de la fatigue d'éclairdr les difficultés de la poétique
d'Aristote, qu'ils se réservent leplaisirdepleureretd'êtreattendris....»
(Racine, Préface de Bérénice.)
Corneille. Les commentateurs ont pensé que plusieurs vers de Boileau
étaient une critique de Corneille. Boileau était dans sa jeunesse un admi-
?

CHANT Ml 41

rateur de Corneille. Unede Mme de Sévigné du 16 mars I672 montre


lettre
que son admiration encore très vive peut-être n'est-il pas dans
était restée :

son intention d'attaquer directement Corneille, mais n'en reste pas moins
il

que les jugements de L'Art Poétique reflètent surtout le goût nouveau tel
que l'a établi l'Abbé d'Aubignac (Pratique du théâtre, 657) et tel que Racine
1

l'exprime dans ses pièces.


Le mot « pompeux » au vers 10 traduit Aristote « le style tragique est
un discours orné ». Le vers 14 traduit Horace. A. P., v. 90.
1

• Montrez que Boileau fait passer l'émotion avant la te chnique. Quels sont
les mots qui manifestent sp.pJbfa^jj^jdTém otion
• Quels sont les mots qui marquent la transformation que l'art doit faire
subir à la nature pour que l'émotion s'accompagne d'un plaisir constant? que
la terreur ne devienne pas de l'horreur? En_qupjJ5.Qiieau^e.TapprxidîÊrfciJJc[_

du g oût de son temps?


e A propos des v* I8-I9 Corneille ne connaissait-il pas un troisième ressort
:

tragique? Quels sont les traits qui rapprochent Boileau de Racine et l'éloi-
gnent de Corneille?

L'ACTION TRAGIQUE

® ® ©
o Dans tous les vers qu'il consacre à l'action, Boileau vous oaraît-il entrer
dans les détails techniques? Quels sont les grands principes de l'art et
du goût classiques qui dirigent sa pensée?

[L'Exposition.]

Que, dès les premiersvers, raction préparée^


Sans peTne du sujet aplamsseYent rée;
Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer*,
De ce qu'il veut» d'abord*, ne sait pas m'informer; 30
Et qui, débrouillant! mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.

J'aimerais mieux encor qu'il déclinât son nom,


Et dît « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon 1 »,
:

Que d'aller, par un tas de confuses merveilles, 3b


Sans rien dire à l'esprit étourdir les oreilles.

Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.

I. « Il y a de pareils exemples dans Euripide. » (Boileau.)


|

42 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

® ® © ®
• Le vers 36 peut-il s'appliquer à Corneille? Trouvez dans ies expositions de
Racine des exemples de ce que demande Boileau?
• En quoi les exigences de Boileau satisfont-elles Ja raison, la clarté, la
simplicité?

[Les Unités.]

Que lejieujdeja scène y soit fixe et marqué :

Un rimeurj sans péril, delà les Pyrénées,


Sur la. scène en un jour renferme des années. 40
Là, souvent, le héros d'un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon ail dernier.
Mais nous, que a raison l à_ ses_règles_engage.
Nous voulons qu'avec art l'action se ménage^
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accomplj_ 45
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli,.

® ® ®
Le vers 39 viserait, selon Brossette, .L ope de Vega ce « poète espagnol
;

qui acomposé un très grand nombre de comédies, représente dans une de


ses pièces l'histoire de Valentin et d'Orson qui naissent au premier acte et
sont fort âgés au dernier ».
m Les unités. Aristote a réclamé l'unité d'action et de temps; les modernes
ont ajouté l'unité de lieu. Formulées en France vers 1630, connues du grand
public lors de la querelle du Cid( 1637) .elles sont, du temps de Boileau, admises
dans leur ensemble, en dépit de discussions de détail. D'Aubignac les a pré-
cisées nettement en 1657.
• D'après le v. 43, les unités n'ont-elles pour fondement que l'autorité
d'Aristote?
• Vous montrerez comment les unités sont justifiées par la raison, et la vrai-
semblance qui exigeait «que l'image fût la copie grandeur nature du
modèle » (R. Bray, La Formation de la doctrine classique en France, p. 277).
• Pourquoi Boileau exprime-t-il la règle des trois unités à propos de l'expo-
sition ? Cette règle ne s'applique-t-elle qu'à la tragédie?

[Vraisemblance dans l'action.

Jamajs au spectateur n'offrez rien d'incroyable :


Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable;
Une merveille absurde est pour moi sans appas;
L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas. 50
r .

CHANT III 43

® ®
« Le vraisemblable c'est ce qui est conforme à l'opinion du public. »
(P. Rapin, Réflexions sur la Poétique, p. 53.)
Fondement psychologique du vraisemblable à propos du v. 50. Cf.
Çhapejain (Préface de l'Adonis, p. 27-28, 1623) :« Où la créance manque,
l'attention ou l'affection manque aussi; mais où l'affection n'est point, il n'y
peut avoir d'émotion et par conséquent de purgation ou d'amendement es
mœurs des hommes qui est le but de la poésie.... La vraisemblance et non
la vérité sert d'instrument au p oète pour acheminer l'homme à la vertu^... »
Goût pour le vraisemblable. « Il n'y a que la vraisemblance qui touche
dans la tragédie.... (Racine, Préface de Bérénice.) —
« Quelque merveilleuse
que soit la fable, elle ne fera point d'effet si elle n'est vraisemblable.... »
(P. Rapin, ibid., p. 52.)
Opposition de Corneille (I
er
Discours, 1660) « C'est une maxime très
:

fausse qu'il fautque le sujet d'une tragédie soit vraisemblable... les grands
sujets qui remuent fortement les passions et en offrent l'impétuosité aux lois
du devoir et aux tendresses du sang do ivent toujours aller au-delà du
vraisemblable, et ne trouveraient aucune croyance s'ils n'étaient sou-
tenus ou par la vérité de l'histoire, qui persuade avec empire, ou par la
préoccupation de l'opinion commune qui nous donne ces mêmes auditeurs
déjà tout persuadés (la légende)... »
Le sens du vers 49. Deux sens sont possibles a) merveille « tout ce qui
: :

soulève l'admiration par la surprise ». Le vers revient à dire « Rien n'est :

beau que le vrai », et condamne l'idée Cornélienne qu'il y a des absurdités


qu'il faut laisser dans un poème quand on peut espérer qu'elles seront bien
reçues (Examen du Cid); b) merveille « tout ce qui est contre le cours
:

ordinaire de la Nature ». Dans ce cas, le merveilleux ne doit être qu'une


transposition poétique du vraisemblable. Boileau développera son idée à
propos du poème épique (cf. v. 16 sqq.).
I

• Vous marquerez l'oppositiojn entre Corneille et ses cont emporai ns sur le


fon dement psychologique de l'émotion tragique Vous l'appuierez par des
.

exemples empruntés aux tragédies de Corneille et de Racine. En analysant


votre émotion dans chacun des cas, vous montrerez combien est difficile de il

départager psychologiquement les deux théories.


A propos du vers 49, vous citerex des exemples de merveilleux cton s la tra- ,

g édie cla ssique en quoi le merveilleux (par exemple la mort d'Hippolyte


:

d ans Phèd re) vous paraît-il vraisemblable ou invraisemblable.

[Bienséance dans l'action.]

Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose


Les yeux, en le yovant^saisi raient mieux la chose;
Mais il est des objets* que l'a rt judicieux
DoJLQffr-ir_iI!o reille et recule jde^yjejxx
44 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

® ® ®
Boileau reprend ici les vers 179-188 de l'Art poétique d'Horace.
h Mais Horace se place du point de vue de la vraisemblance pour écarter
de la scène certains spectacles incroyables :«Quodcumque ostendis mihi sic'
incredulus odi »
• Tandis que les contemporains de Boileau, pour bannir de la scène certaines
scènes choquantes pour le bon goût du public, invoquent la bienséance :
« Il se trouve cent choses horribles, déshonnêtes, basses et presque
inutiles que (e poète doit cacher.... » (Abbé d'Aubignac. Pratique du théâ-
tre.)
Les vers 51-55 demeurent vagues toutefois la plupart des contemporains
:

de Boileau y ont vu l'expression de la règle de la bienséance.


On distingue la b ienséance interne : harmonie entra l'œuvre d'ar^et
la nature qu'elle reproduit; la bienséance externe : har monie e ntre l'œuvr e
d'a rt et le goût du public.

• De quelle bienséance s'agit-il ici ? Citez dans les pièces du temps des exem-
ples où le conseil du v. 51 est appliqué.

[Nœud, Péripétie, Dénouement.]

Que letrouble*,toujourscroissant descène en scène, 55

A son comble arrive se débrouille sans peine :

L'esprit ne se sent point plus vivement frappé


Que lorsqu'en un sujet d'intrigue* enveloppé,
D'un secret tout à coup la vérité connue
Change tout, donne à tout une face imprévue. 60

® ®
H« Le plus digne et le plus agréable effet des pièces de théâtre est lorsque,
par leur artificielle conduite, le spectateur est suspendu de telle sorte qu'il est
en peine de la fin et ne saurait juger où se terminera l'aventure » (Chapelain.
De la poésie représentative, p. 350, 1634.)
• Quels sont les mots qui insist ent sur le développement raisonna b e de l

l'action! sur JajTéce ssité de ménager là curiosité e t l a surprise ?


• D'après c<ss vers la tragédie française du temps de Boileau est-elle une tra-
V gédie d'intrigue ou une tragédie pathétique? Appuyez votre opinion
sur des exemples.
CHANT III 45

HISTOIRE DE LA TRAGÉDIE

[Antiquité.]

La tragédie, Informe et grossière en naissant,


N'était qu'un simple chœur, où chacun, en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant les louangei,
S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin et la joie éveillant les esprits, 65

Du plus habile chantre un bouc était le prix.


Thespis fut premier qui, barbouillé de lie,
le

Promena par bourgs cette heureuse folie,


les

Et, d'acteurs mal ornés chargeant un tombereau,


Amusa les passants d'un spectacle nouveau. 70
Eschyle, dans le chœur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais* d'un théâtre en public exhaussé »

Fit paraître l'acteur d'un brodequin* chaussé.

Sophocle enfin, donnant l'essor à son génie, 75


Accrut encor la pompe, augmenta l'harmonie;
Intéressa lechœur jda ns toute L'action.
Des vers trop raboteux polit expression, I

Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine


Où *jamais n'atteignit la faiblessejatine*. 80

HISTOIRE DE LA TRAGÉDIE

© © © ®
« Ce qui est dit ici de la naissance et du progrès de la tragédie est tiré
d'Aristote et d'Horace dans leurs poétiques et de Diogène Laërce dans la vie
de Solon. » (Brossette.)
En imitant Horace, Boileau reprend pl usieurs de s es_erreurs (cf. le commen-
tairede F. PlessisetP. Lejay de l'Art poétique d'Horace, éd. Hachette), notam-
ment au vers 66 (cf. Horace, A. P., v. 220) la fausse éiy_mologie du motjra gée^.e-

I. Voyez Quintilien. Livre X, chapitre '•

(Boileau).
46 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

die (en réalité l'origine du mot est dans le fait que les chœurs tragiques
étaient composés de satyres appelés « boucs » : tragoi), aux ver s 67-70 (cf.

Horace, A. P., 276-7) la confusion des origines de la tragédie. a.vee celles de la


comédie (celle-ci vient des processions burlesques de vignerons en l'honneur
de Bacchus, mais la tragédie vient du chœur dithyrambique qui célébrait
lyriquement les aventures de Bacchus).

o Vous montrerez que le...but de Boiieau n'est pas d'écrire une histoire
complète de la tragédie, mais d e. marquer les liaisons de la t ragédie moderne
et de la tragédie grecque p ar-dessus la faiblesse latine et les aberratio_ns_du
Moyen Age.
• Pourquoi Boiieau ne dit-il rien d'Euripide? Peut-on limiter Eschyle au rôle
mocjeste de préc urseur^

[Moyen Age.]

Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré


Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
En public, à Paris, y monta la première,
Et, sottement zélée en sa simplicité, 85

Joua* les saints, la Vierge et Dieu par piété.


Le savoir, à la fin dissipant l'ignorance,
Fit voir de ce projet dévote imprudence.
la

On chassa ces docteurs prêchant sans mission;

© ©
Le vers 83 fait sans doute allusion aux Confrères de la Passion, bourgeois
parisiens et non pèlerins, qui obtinrent en 1402 à Paris un privilège de Char-
les VI.

• Quelles sont les expressions qui marquent une pitié méprisante? celles
qui insistent sur l'aspect scandaleux de ce théâtre?
• Expliquez ce parti pris a) par rapport au goût du temps de Boiieau;
:

b) par rapport à l'idée que se fait Boiieau de l'art et de la religion. Cont-


rez ce passage avec les vers 193 sqq.

[La Tragédie moderne et l'Amour.]

On vit renaître Hector, Andromaque, llion; 90


Seulement, les acteurs laissant le masque antique,
Le violon tint lieu de chœur et de musique.
47
CHANT III

ARTAMENE,
O V
LE GRAND
C Y R V S.
DEDIE'
urf MADAME LA DVCHESSE
DE LONGfEnLLE.
PAR MONSIEVR DE SCVDERY
Gouucrneur de Noftre Dame de l» Garde.
•PREMIERE PARTIE.

Imprimé à ttyim , & fi vtnd


A PARIS,
Chez Av g v «tin C o v r b e', dans la petite
Salle da Palais , à la Palme.
!""
M. DC. LVI.
-«KJEC -PRirtLEGE D V ROT*.
Photo Hachette.

Frontispice du « Grand Cyrus ».


48 L'ART POÉTIQUE DE BOILcAU

.- .
* Bientôt l'amouivfertile en tendres sentiments,
S'empara du théâtre ainsi que des romans.
De cet te passi on la sensible pei nt u re 95
Est pouj aller au cœur la route a p lus sûre l :

Peignez donc, j'y consens, les héros amoureux;

^*
Mais ne m'en formez p as des bergers doucereux;
Qu'Achille aime autrement que Tircis et Philène;
a
N'allez pas d'un Cyrus me faire un Artamène;
l

100

que l'amour, souvent de remords combattu,


IEt
Paraisse une faiblesse, et non une vertu.

® ® ® © ®
Goût du temps pour la peinture de l'amour
: « Les passions qu'on
représente deviennent fades et de nul goût ne sont fondées sur des
si elles
sentiments conformes à ceux du spectateur. C'est ce qui oblige nos
poètes à privilégier si fort la galanterie sur le théâtre.... ( P. Rapin Réflexions ,

sur la Poétique).
|
Opposition de Corneille (I er Discours, 1660). « La dignité de la tragédie
^demande quelque grand intérêt d'État ou quelque passion plus noble et plus
[mâle que l'amour... et veut donner a craindre des malheurs plus grands que
'
la perte d'une maîtresse. Il est à propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a beau-

coup d'agréments et peut servir de fondement à ces intérêts, à ces autres


passions dont je parle, mais il faut qu'il se contente du deuxième rang dans le
poème et leur laisse le premier. » r^A '>» ^ *-* ^A'
Opposition__deJPasca_l (Pensées, éd. Brunschvicg, p. 324) : « ... l'on s'en va
de la comédie le cœur rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs
de l'amour, et l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence qu'on est tout
préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à rechercher l'occa-
sion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un pour recevoir les mêmes
plaisirs et les mêmes sacrifices qu'on a vus si bien dépeints dans la comédie. »
Prudence d e Racine dans la peintur e de l'amou r. Préface d'Alexandre :

il cite !a source historique justifiant les amours d'Alexandre et de Théophile.


If dit dans la préface de Phèdre « les faiblesses de l'amour y passent pour
:

de vraies faiblesses ».

( 9 Quelles sont, d'après Boileau, les différences entre la tragédie moderne ei


h tragédie antique?
© Au nom d.e_quel argument Corneille condamne-t-ij l'amo.ur_daDsla.îrâ£éclie?
Q uel vue de Pascal?
est le point de
• Boileau vous paraissait-il porté par tempérament et par goût à vouloir
de la tendresse dans la tragédie? Montrez que c'est sa théoriejde la. yraisem^
blance et des bienséances externes qui l'oblige à admettre dans la tra-
g édie la peinture de l' amour. Est-ce que, d'autre part, ia tragédie Raçjniejine
'

CHANT III 49

na-Lui a pas montré que l'amour est une passion tragique et un ressort?
Vous en donnerez des exemples. En comparant l'Hippolyte de Racine à celui
d'Euripide, vous montrerez comment Racine a donné à son personnage des
sentiments conformes à ceux du spectateur.
• Quelles sont les deux conditions que met Boileau à la peinture de
l'amour? En quoi est-il d'accord avec Racine. Montrez que le Dialogue des
héros de romans critique justement les précieux pour n'avoir pas observé
les deux conditions.

LES CARACTÈRES : VRAISEMBLANCES ET BIENSÉANCES J

Des héros de roman fuyez les petitesses. ^


Toutefois, aux grand^cœurs donnez quelques faiblesses :

Achille déplairait, moins bouillant et moins prompt; 105


J'aime à lui voir verser des pleurs pour un affront.
A ces petits défauts marqués dans sa peinture %

L'esprit avec plaisir reconnaît la nature.


Qu'il soit sur ce modèle en vos écrits tracé;
Qu'Agamemnon soit fier, superbe, intéressé; no
Que pour ses dieux Enée ait un respect austère;
Qo n servezAxblâcunjso rL£LQRrjLSZ™&è£e .

Dgjs siècles, des pays, étudiez les mœurs : / ^

L es climats font souv ent_igl„di verses humeurs*. \y**

Ga rdez * donc de„jdjQ.uJier, ainsi que dans C/é//e, ^^N5


L'air ni l'esprit fran ^ajs àj^aritigue Italie;
Et, sous des noms romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant et Brutus dameret*. vv
Dans un roman frivole aisément tout s'excuse;,^/»*
C'jsst assez qu'e n cou rant la fiction amuse; </^ , 120

Trop de rigueur alors serait hors de saison;


Maisja scènç__de mande une exacte raison :
fl
L
L'étroite bienséance y veut être g ardée. ic\ y*j ft*
j /
D'un nouveau personnage inventez-vous l'idée? ^
Qu'ejvtout avec soi-même il se montre d'accord, 125

bout tel qu'on Ta vu d 'abord*.


Etjqu'ij^s oit jusqu'au - ^'^\
Souvent, sans y penser, un écrivain qui s'aime
Forme tous ses héros semblables à soi*-même;
50 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Tout a l'humeur gasconne en un auteur gascon :

Calprenède et Juba parlent du même ton. 130

La nature est en nous plus diverse et plus sage.


Chaque passion parle un différent langage :

La colère est superbe et veut des mots altiers :

L'abattement s'explique en termes moins fiers*.


Que devant Troie en flamme Hécube désolée
Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée,
Ni sans raison décrire en quel affreux pays,
Par sept bouches l'Euxin reçoit le Tanaïs.
Tous ces pompeux amas d'expressions frivoles v*
Sont d'un déclamateur, amoureux des paroles. mo
II faut dans la douleur que vous vous abaissiez,

( Pour me tirer des larmes, faut que vous pleuriez:/


il

Ces grands mots dont alors l'acteur emplit sa bouche


Ne partent point d'un cœur que sa misère touche.

® © © ® © ®
Beaucoup des remarques de ce passage viennent d'Horace. (A. P., 100-136).
Le vers 104 rappelle le v. 19 de l'A. P. d'Horace et Aristote qui conseille
I

un héros « ni trop vertueux ni trop juste ».


a Les éléments du caractère tragique.

vraisemblance historique : conformité


avec l'idée que se fait le public du per-
sonnage historique.

BIENSÉANCE
+
INTERNE
vraisemblance des mœurs conformité :

avec l'idée que se fait le public du type


que représente l'individu (déterminé par
son âge, son sexe, ses passions, sa con-
dition, etc.).

+
BIENSÉANCE conformité avec l'idée que se fait le public
EXTERNE de la décence et de l'honnêteté.
J

CHANT III 51

Vraisemblance historique. « La principale chose... c'est de ne rien


changer ni aux m œurs ni aux coutumes de la nation » (Racine, r0 Préface I

de Bajazet).
Limites de la vraisemblance historique. Lettre de Balzac à Corneille
(17 janvier I643). « Vous nous faites voir Rome tout ce qu'elle peut être
à Paris.... Je dis plus, Monsieur, vous êtes souvent son pédagogue et l'aver-
tissez de la bienséance quand elle ne s'en souvient pas... et je prends
garde que ce que vous prêtez à l'histoire est toujours meilleur que ce que
vous empruntez d'elle. » —
Chapelain (De la lecture des romans, p. 12,
/"""
I647) :« Tout écrivain qui nvente unei fable dont les actions humai nes font le

sujet ne doit représenter se s personnag es que conformément/


ni les faire agir K) \r
aux mœu rs et * la créance de son siècle » — Racine
(2 e préface d'Andro-
.

maque) abandonne la tradition d'Euripide pour suivre celle de son temps


parce que, dit-il, « j'ai cru en cela me conformer à l'idée que nous avons
maintenant de cette princesse ».
Les vers 124-126 traduisent Horace (A. P., 125-127) et expriment la loi
de « l'égalité » demandée par Aristote il s'agit d'un personnage secondaire
:

inventé par l'auteur et qui échappe donc à la vraisemblance historique pour


n'obéir qu'aux lois de la vraisemblance des mœurs.
Les vers 135-140 exigent l'accord du style et du caractère d'après Horace
(A. P., 105-109). Derrière la critique de Sénèque le Tragique (le v. 138 traduit
le début des Troyennes) peut-être faut-il voir, selon Brossette, une critique
de l'éloquence Cornélienne.

© Au nom de quel principe Boileau justifie-t-il le conseil du vers 104? En quoi

s'oppose-t-il sur ce point à la conception Cornélienne du héros vertueux et


du pathétique de l'admiration?
• Retrouvez dans les vers de Boileau les divers éléments du caractère tra-

gique. Munirez. a) l'opposition possible entre la vraisemblance historique et


:

la vraisemblance des mœurs b) entre les bienséances interne5.eJ,le^^en_séances


; :

externe s. —
La vraisemblance historique s'applique-t-elle à la comédie? à
tous les romans? Pourquoi? Quelles sont les différences entre la vraisem-
bla nce historique et le réa li sme historique? Montrez que la vraisem-
blance historique est fonction du degré de culture du public et par consé-
quent varie suivant les différents milieux. Situez sur ce point le goût de Boi-
leau par rapport au goût mondain et précieux. Vous montrerez que la per-
fection d'une tragédie de Racine consiste dans le mélange équilibré des divers
hifr
éléments du caractère tragique.
• Définir d'après ce passage le « naturalisme classique » en quoi est-il :

une idéalisation de la nature qui s'oppose au réalisme? Dé finir la notion de


« v rai ». d e_*c_n aturel » pour un classique. En quoi ce « vrai » est-il lié au
goût du temps et tend-il en même temps vers l'éternel? Quels sont les rap-
ports de la « nature » et du public? Montrez que l'art classique ne s'adresse i

pas qu'à un petit nombre de connaisseurs; mais quand il prétend s'adresser /


au goût général des hommes, en quoi se limite-t-il en réalité au goût des/
honnêtes gens? —
© Relevez les traits de satire de ce passage. Quelles sont les critiques adressées
aux romans précieux ? Comparez-les à celles d< Dialogue des Héros de romans. j
.

62 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU



%
[Conclusion : ce que doit être le poème tragique.]

Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux, 145

Chez nous pour se produire est un champ périlleux,.


Un auteur n'y fait pas de faciles conquêtes.
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.
Chacun le» peut traiter de fat* et d'ignorant :

C'est un droit qu'à la porte on achète en entrant. 150

Il faut qu en cent façons, pour plaire, il se replie*;


Que tantôt il s'élève, et tantôt s'humilie;
Qu'en nobles sentiments il soit partout fécond;
Qu'il soit aisé, solide, agré able, profond ;

Que de* surprenants sans cesse il nous réveille;


traits 155

Qu'il coure dans ses vers de merveille en merveille,


Et que tout ce q u'il dit, fa cile à reten ir,
De son ouvrage en nous laisse un long souveni r
Ainsi la tragédie agit, marche, et s'explique*,.

© © ®
© Quels sont les mots qui insistent sur la grandeur, l'émotion, le plaisir tra-
giques? Comparez à La Bruyère (Caractères, I, 51).
o Comparez ce que dit Boileau des droits de Sa critique à la Satire iX,
v. 177 sqq.

L'ÉPOPÉE

h Alors qu'il y a une tragédie française, il n'y a pas au XVII e siècle d'épopé^
française qui ait réussi : mais les théoriciens ne se lassent pas de discuter sur
le plus grand de tous les genres(cf. v. 160) les modèles qui les han tent,
:

s ont les An ciens


et Jes It al iens »

Faute de modèles français, l'admiration de Boileau va tout entière aux


Anciens. Mais H ne se soucie jDas de donner une théorie complète du poème
épique. Le Traité du Poème Épique du Père Le Bossu (1675) est sur ce point
beaucoup plus riche et cohérent que L'Art Poétique. Boileau analyse ses admi-
rations; c'est pour cela que les vers consacrés au poème épique contiennent
surtout, comme l'a dit Révillout, « une brilla nte analyse » de l' Enéide et
accessoirement de l'Iliade et de l'Odyssée.
CHANT III 53

[Définition.]
0.
D'un grand encor la Poésie épique
air plus 160

Dan s le vaste récit d'une lon gue action ,

^Se souti ent par la Fa b le et vit de fiction*.

® ©
• Cette définition vous paraît-elle complète?
• Vous expliquerez au vers 161 les mots « vaste » et « longue » par opposi-
tion à l'action tragique.

[Le Merveilleux.]

Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage;


To u t prend un corps, u ne âme, un esprit, un visa ge:
Chaq ue vert u devient une divinité : 165

Minerve est la Prudence et Vénus la Beauté.


Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C'est Jcipiter armé pour effrayer la terre.
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'est Neptune en courroux, qui gourmande les flots. 170
Écho n'est plus un son qui dans l'air retentisse,
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions*,
Le p oète s'égaye* en mille jjnve ntions,
Or ne, élève, embellit, ag randit to utes choses. 175

Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.


Qu'Énée et ses vaisseaux, par le vent écartés,
Soient aux bords africains d #, un orage emportés,
Ce n'est qu'une aventure ordinaire et commune,
Qu'un jeu peu surprenant des traits de la Fortune; 180

Mais que Junon, constante en son aversion,


Poursuive sur les flots les restes d'Ilion;
Qu'Eole, en sa faveur, les chassant d'Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prisons d'Éolie;
Que Neptune en courroux, s'élevant sur la mer, 185

D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,


,

54 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache;


C'est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache.
Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur,
La poésie est morte ou rampe sans v igueur, 190

Le poète n'est plus qu'un orateur* timide,


Qu'un froid historien d'une fable insipide.

<£> © © © ®
e Du vers 177 au vers 187 Boileau résume le chant I de l'Enéide.

• Quels sont les mots qui montrent que Boileau est profondément sensible
à l'émotion et au ravissement poétiques? Comparez levers 192 au chant II,
v. 73-81 .

D'où vient, d'après Boileau, la poésie du poème épique? en quo
le merveilleux païen parle-t-il à l'imagination poétique de Boileau?
*> D'après le vers 179, quels sont les rapports du merveilleux et du vraisem-
blable? Comparez avec le vers 49 du ch. III. Cette conception ne risque-t-elle
pas de transformer le merveilleux en un simple arsenal de métaphores (cf.
v. 166). — Boileau comme critique et comme poète vous paraît-il tomber
dans ce défaut?
• Vous essayerez de replacer le goût de Boileau, sur la question du merveil-
leux, par rapport à celui de la Pléiade, des modernes (Perrault), des post-
classiques (Delille).

[Opposition au merveilleux chrétien.]

C'est donc bien vainement que nos auteurs déçus*,


Bannissant de leurs vers ces ornements reçus*.
Pensent Die u^s£s_saints et ses prophètes,
faire a gir 195

C omme ces dieux éclos du cerve au-des-poètes


Mettent à chaque pas le lecteur en enfer,
N'offrent rien qu'Astaroth, Belzébuth, Lucifer.
De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornements égayés* ne sont point susceptibles : 200
L'Évangile à l'esprit n'offre de tous côtés
Que pénitence à faire, et tourments mérités
Et de vos fictions* le mélange coupable^
Même à ses vérités donne l'air de la fable.
CHANT III 65

Et quel objet*, enfin, à présenter aux yeux, 205


Que le diable toujours hurlant contre les deux 1
, ,

Qui de votre héros veut rabaisser la gloire, ^VoV^


Et souvent avec Dieu balance* la victoire! _ W ~
Le-Iasse, dira-t-on, Ta fait avec succès. <y°^

Je ne veux point, ici, lui faire son procès; 210


Mais quoi que notre siècle à sa gloire publie,
Il n'eut point de son livre illustré l'Italie,

Sison sage héros, toujours en oraison,


N'eût fait que mettre enfin* Satan à la raison;
Et Renaud, Argant, Tancrède et sa maîtresse
si 215

N'eussent de son sujet égayé* la tristesse.


Ce n'est point que j'approuve en un sujet chrétien
Un auteur follement idolâtre et païen;
Mais, dans une profane et riante peinture,
De n'oser de la Fable employer la figure, 220
De chasser les Tritons de l'empire des eaux,
D'ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux,
D'empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger ne passe le monarque,
C'est d'un scrupule vain s'alarmer sottement 225
Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrément.
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau ni balance,
De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain
Ou le Temps qui s'enfuit une horloge à la main, 230
Et partout, des discours*, comme une idolâtrie,
Dans leur faux zèle iront chasser l'allégorie.
Laissons-les s'applaudir de leur pieuse erreur
Mais, pour nous, bannissons une vaine terreur,-
Et, fabuleux chrétiens, n'allons point dans nos songes* 235
Du, Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges*.

I . Voyez le Tasse (Boileau).


56 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

La Fable offre à l'esprit mille agréments divers :

Là tous lesnoms heureux semblent nés pour les vers,

Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idoménée,


Hélqne, Ménélas, Paris, Hector, Énée. 240
O le plaisant projet d'un poète ignorant,
Qui de tant de héros va choisir Childebrand! ^^ x '
'

D'un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre


Rend un poème entier ou burlesque ou barbare.

® ® © © © ® ®
Les théoriciens du merveilleux chrétien reprennent dans leurs exposés
théoriques ou dans leurs préfaces les arguments du Tassa (Du Poème
héroïque, 1594, traduit en français en 1639) auxquels le prodigieux succès
de La Jérusalem délivrée donne du poids. Du temps de Boileau, leur
principal représentant est Desmarets de Saint-Sorlin.
Desmarets pense : a) que c'est une impiété de remplir la poésie de faux
dieux; b) que le merveilleux païen est petit à côté du merveilleux chrétien;
c) qu'il est faux, et donc n'émeut pas le lecteur. —
Ce sont des arguments
que reprendra plus tard Chateaubriand dans Le Génie du Christianisme.
Mais en 1674 a) Les quelques épopées chrétiennes parues entre 1650 et
:

1670 ont déjà fait long feu. Desmarets est presque seul à les défendre; b)
D'autres ont déjà pris la défense du merveilleux païen notamment en 1669
:

Corneille a traduit du latin la « Défense des fables dans la poésie » du poète


Santeul; c) Quant au « mélange d'histoire sacrée avec la poésie profane » (vers
217-218), ila été depuis longtemps condamné, notamment par Chapelain

(Préface de l'Adonis, p. 32).

Quels sont les arguments de Boileau? Vous distinguerez et classerez :

a) les-.argjimpnts prmty ant que l'art corrompt la religion; b) le^_jrjuments


prou vant c\ \\p la ré gion corrompt l'art. Quels sont les vers qui montrent
que la poésie n'a pour but que de plaire, que le merveilleux païen n'est pas
vrai en soi, mais n'est que l'expression poétique de la vraisemblance humaine ?
Qu'est-ce qui le distingue alors de la religion?
Cette conception n,e_Li mite^Ue-J-le- pas, la valeur m orale Hp l'r^ij yre. d'art?
Quelle est, d'après Boileau, la supériorité du merveilleux païen sur le mer-
r:veilleux chrétien? Comment essaye-t-il de la prouver? Comparez le v. 242
aux vers I, 109 et II, 23-24. — Expliquez « faux zèle » au v. 233. Pourquoi Dieu,
dans l'épopée chrétienne, devient-il un « Dieu de mensonges » (v. 236).
Comment expliquez-vous l'échec au XVII e siècle de Desmarets de Saint-
Sorlin, et le succès des idées de Chateaubriand au début du XIX e siècle. Con-
naissez-vous, en français et en d'autres langues, des épopées chrétiennes, ou
des épopées mélangeant les deux espèces de merveilleux, qui ont eu du succès?
Pourquoi Boileau combat -jj avec tant d'âpreté contre une ca use déjà perdug.
Vous l'expliquerez a) par sa personnalité artistique; b) par sa religion :
:
.

CHANT III 57

certains vers n'ont-ils pas une résonance janséniste? c) par ses hain es pei:=-
sonnelles 1° contre Desmarets; 2° contre les autres auteurs d'épopées chré-
:

tiennes.Comparez avec la Satire IX (v. 91-93).


• Quels sont les procédés satiriques de ce passage? les allusions blessantes?
la rime du vers 242 ne vous rappelle-t-elle pas les rimes des satires ? lesquelles ?

LA TECHNIQUE DE L'ÉPOPÉE

[Le Héros.]

Voulez-vous longtemps plaire et jamais ne lasser? 245


Fait es choix d'un héros propre à m'intéresser,
En vqj£ll£-éclatant, en ve rtus magnifiq ue.
Q u e n lui jusqu'aux défauts, tout se montre hé roïque
"
, ;

Que ses faits surprenants soient dignes d'être ouïs;


Qu'il soit tel que César, Alexandre ou Louis, 250
Non tel que Polynice et son perfide frère.
On sjen n uj^^x expio ii^ .

® ®
Boileau est d'accord avec les théoriciens du temps qui suivent le Tasse
(Du Poème héroïque, p. 606). A propos du v. 248, cf. Scudéry : «La vertu ne
consiste pas à n'avoir pas de passions, mais à en avoir et à les vaincre. »
Le vers 251 critique La Thébaïde de Stace qui raconte la rivalité des fils

d'Œdipe, Etéocle et Polynice et leur lutte pour Thèbes.


• Quelles sont les différences entre le héros de la tragédie et celui de l'épo-
pée ? En quoi consiste la perfection de ce dernier?
© D'après le vers 250, de quelle nature est le sujet de l'épopée?

[Action simple.]

N'o ffrez point un su jetjj'incidents trop chargé


Le seul* courroux d'Achille, avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entière : 255
Souvent trop d'abondance appauvrit la matière.

® ® ®
D Ces vers sont un écho des discussions chez Lamoignon : cf. Préface du
Lutrin : « Il n'y a pas longtemps que, dans une assemblée où j'étais, la conver-
ation tomba sur le poème héroïque. Chacun en oaria suivant ses lumières.

58 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU


1
A de moi, comme on m'en eut demandé mon avis, je soutins ce que
l'égard
j'avaisavancé dans ma Poétique qu'un poème héroïque, pour être excellent,
:

devait être chargé de peu de matière, et que c'était à l'invention de la sou-


tenir et de l'étendre. La chose fut contestée, on s'échauffa beaucoup.... >:

La Narration.]

Soyez vjfLet pressé dans v os narration s ;

Soyez riche et pompeux dans vos des cription^ ;

C'est là qu'il faut des vers'etaîer l'élégance*.


N'y ..présentez jamais .de. bassÊ^Juxonstance ; 260
N'imitez pas ce fou qui, décrivant les mers,
t peignant, au milieu de leurs flots entrouverts,
L'Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met, pour les voir passer, les poissons aux fenêtres,
Peint le petit enfant qui va, saute, revieiit, 265
£t, joyeux, à sa mère offre un caillou qu'il tient.
Sur de trop vains objets c'est arrêter la vue.
Donnez à votre ouvrage une juste étendue.

® ® © ®
Le « fou » mis en cause est Saint-Amant pour les vers suivants de son Moïse
sauvé.

« Et là, près des remparts que l'œil peut transpercer,


Les poissons ébahis les regardent passer....
Là, l'enfant éveillé, courant sous la licence
Que permet à son âge une libre innocence,
Va, revient, tourne, saute, et par maint cri joyeux,
Témoignant le plaisir que reçoivent ses yeux,
D'un étrange caillou qu'à ses pieds rencontre il

Fait au premier venu la précieuse montre,


Ramasse une coquille, et, d'aise transporté,
La présente à sa mère avec naïveté. »

• Montrez que Boileau envisage la n arration surtout du point de vue de la

forme.
• Montrez qu'i] r éclame h la fois la noblesse, la variété, la brièveté et I' «_u m-
fo r m i té >> . d e . sty I e.

• Au nom de quel principe condamne-t-il les vers de Saint-Amant?


CHANT III 59

[La Proposition.]

Queje début soit simple et n'ait rien d'affecté^:


N'allez pas, dès l'abord, sur Pégase monté, 270

Crier à vos lecteurs, d'une voix de tonnerre : .,.j^c ,_^\


Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre. J ^cV^
Que produira l'auteur, après de si grands cris?
La montagne en travail enfante une souris. â^J-
Oh que j'aime bien mieux cet auteur plein d'adresse,
! 275
Qui, sans faire d'abord de si haute promesse,
Me dit d'un ton aisé, doux, simple, harmonieux :

Je chante les combats, et cet homme pieux, -\

v
Qui, des bords phrygiens conduit dans l'Ausonie, {^ *\

Le premier aborda les champs de Laviniel 280

Sa Muse en arrivant ne met pas tout en feu,


Et, pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.
Bientôt, vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du destin des Latins prononcer les oracles,
De Styx et d'Achéron peindre les noirs torrents, 285
Et déjà les Césars dans l'Elysée errants.

® © ® ® ®
Boileau reprend un mouvement d'Horace (A. P., v. 136 sqq.) à propos
d'Homère. Mais il remplace Homère par Virgile : les vers 278-280 traduisent
le début de l'Enéide, les vers 285-286 font allusion au chant VI.
Boileau substitue à la victime d'Horace son
vieil adversaire Scudéry. Le
vers 272 est le vers de cet auteur (1659) « Ce vers est assez
I de l'Alaric :

noble et peut-être le mieux tourné de tout son ouvrage, mais est ridicule i!

de crier si haut et de promettre de si grandes choses dès le premier vers. »


(Réflexion II sur Longin.)

[Le Charme de l'Épopée.)


r

D,e figures* sans nombre égayez* votre ouvrage;


Que tout y fasse aux yeux une riante image :

On peut être àja fois et pompeux* et plaisant*_


Et je hais un sublime ennuyeux et pesant. 290
60 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

J'aime mieux Arioste et ses fables comiques


Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques,
Qui, dans leur sombre humeur, se croiraient faire affront
Si les Grâces jamais leur déridaient le fronto

© ®
Boileau et PArioste : « Peut-on rien voir de moins sérieux que l'histoire
de Joconde et d'Astolfe.... Ne rabaissons point malicieusement en faveur
de notre nation le plus ingénieux auteur des derniers siècles, mais que
les grâces et les charmes de son esprit ne nous enchantent pas de telle
sorte qu'ils nous empêchent de voir les fautes de jugement qu'il a faites en
plusieurs endroits. » (Dissertation sur Joconde.)

• Quels sont les mots qui montrent que Boileau cherche avant tout l'émo-
tion poétiqu e?
• Quels sont les passages des satires qui critiquent une oeuvre parce qu'elle
est ennuyeuse?

[Éloge d'Homère.]

On que pour plaire, instruit par la nature,


dirait 295
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture,
Son livre est d'agréments un fertile trésor;
Tout ce qu'il a touché se convertit en or;
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce;
Toujours il divertit et jamais ne lasse. il 300

Une heureuse chaleur anime ses discours;


Il ne s'égare point en de trop longs détours;
Sans garder* dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet, de soi-même*, et s'arrange et s'explique*;
Tout, sans faire d'apprêts, s'y prépare aisément; 305

Chaque vers, chaque mot court à l'événement.


Aimez donc ses écrits, mais d'une amour* sincère;
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

® ©®®
Le v. 296 fait allusion à l'« Iliade, XIV, 214 » (Boileau) : Junon empruntée
Vénus sa magnifique ceinture pour occuper l'attention de Jupiter et pendant
ce temps venir en aide aux Grecs. Le v. 396 traduit Horace, (A. P. v. 257), le ,
CHANT III 61

Vo 307 s'inspire d'une phrase de Quintilien à propos de Cicéron (XI). « llle


se profecisse sciât cui valde placebit. »
L'éloge d'Homère est traditionnel et de plus, Boîleau, pour son temps, est
un des meilleurs défenseurs d'Homère. (Cf. Reflexions sur Longin.)

o A côté de l'enthousiasme pour Virgile, cet éloge ne /ous paraît-i! pas pour-
tant vague et général ?

Quelles sont les épopées antiques qui correspondent au v. 303?

[Conclusion et attaque contre Desmarets.j

Un poème excellent, où tout marche et se suit,


N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit : 3!0
Il veut du temps, des soins, et ce pénible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage.
Majs_spuvent parmi nous, un poète sans art ,

Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hasard,


Enflant d'un vain orgueil son esprit chimérique, 315 )&>
Fièrement prend en main la trompette héroïque.
Sa Muse déréglée en ses vers vagabonds,
^^
Ne s'élève jamais que par sauts et par bonds; ï*
Et son feu, dépourvu de sens* et de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture. 320
Mais, en vain, le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser;
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne, par ses mains, l'encens qu'on lui dénie;
Virgile, au prix* de lui, n'a point d'invention; 325
Homère n'entend point la noble fiction.
Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
A la postérité d'abord*
en appelle. il

Mais, attendant qu'ici bon sens de retour


le

Ramène triomphants ses ouvrages au jour, 330


Leur tas, au magasin*, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière,.
Laissons-les donc entre eux s'escrimer en repos,
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
62 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

® © ® ® ®
Toute;' les allusions sont dirigées contre Desmarets. Cf. Brossette :

« disait que l'action de l'Iliade n'est point noble ni héroïque, qu'Homère


Il

est entièrement défectueux en son sujet; qu'il est abondant en fictions


entassées les unes sur les autres et mal réglées, en épisodes ennuyeux, en
narrations d'une longueur insupportable, et en discours souvent déraisonna-
bles et hors de propos. A l'égard de Virgile, osait soutenir que ce poète a
il

peu d'invention, qu'il a fait de grandes fautes dans la narration, dans les carac-
tères, dans les sentiments, dans les comparaisons, qu'il a péché contre la vrai-
semblance, contre les bienséances et contre le jugement.... »
Le vers 328 rappelle deux vers de Desmarets :

« Car un siècle curieux juge sans équité


Mais j'en appelle à toi, juste postérité. »

• Vous étudierez comment est montée l'attaque contre Desmarets au cours


du fragment consacré à l'épopée vous comparerez l'assaut final à l'assaut
:

donné à Chapelain (Satire IX. v. 235-242).


• Quels sont les autres traits de satire de ce fragment? Vous les rapprocherez
par leur objet et par leur forme des attaques des satires que vous connaissez.
Comment Boileau se sert-il des Anciens pour attaquer les Modernes?
o D'après les vers consacrés au poème épique, déterminez legoût de Boileau:
a) par rapport aux Anciens; b) par rapport aux Italiens; c) par rapport aux
auteurs d'épopées contemporains.
Montrez que les jugements de Boileau sont moins d'un théoricien que d'un
honnête homme et d'un artiste qui cherche l'émotion et le plaisir.
• Montrez que les vers 313-320 reprennent la question de l'inspiration et de
l'art, de la raison et des Anciens. Comparez le v. 314 à II, 192.
• Quels sont les divers courants de goût que révèle Boileau? l'opinion vous
paraît-elle unanime sur Homère? Pourquoi plaisait-il moins que Virgile?
Quels sont les vers qui annoncent la querelle des Anciens et. des Modernes?

LA COMÉDIE

[Les Débuts de la Comédie.]

Des succès* fortunés* du spectacle tragique 335

Dans Athènes naquit la comédie antique*.


Là, le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisants,
Distilla le venin de ses traits médisants;
Aux accès insolents d'une bouffonne* joie
La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie; 340

On vit par le public un poète avoué*


S'enrichir aux dépens du mérite joué*,
CHANT III 63

Et Socrate, par dans un chœur des Nuées,


lui,

D'un vi! amas de peuple attirer les huées.


Enfin, de la licence on arrêta le cours : 34S

Le magistrat, des lois emprunta le secours,


Et, rendant par édit les poètes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages.
Le théâtre perdit son antique fureur*;
La comédie apprit à rire sans aigreur; 350
Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre.
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre. ^^°^^J^^
Chacun, peint avec^art dans ce nQuveau__miroir_,
S' y vit a v ec plaisir, o u crut ne s'y ^gjnt_yolr_;

L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle HSb

CTun avare, souvent tracé sur son modèle;


Et, mille fois, un fat* finement exprimé*
Méconnut* le portrait sur lui-même formé.
^^^C^âJL,

® ® © © ® ®
h Boileau suit Horace (A. P., 282-285) qui lui fait commettre une erreur
h istorique la cojnédj.e_jie_jd££iYe pas de la tragédie, elle a une origine indé-
:

p endante quoiqu e rattachée aussi aux fêtes dp Dacchus (cf. A. P., III, v. 67).
L' «édit» du v. 347 est cité par Horace (A. P., v. 285) fut rendu en 404 : il

av. J.-C. et défendit de mettre en scène des personnes vivantes et de faire


usage des parabases (où le chœur parlait au peuple de l'actualité).
Le g oût du temps préfère Ménan dre à ristophane, (cf. Racine, Pré- A
facedes Plaideurs) «J'aimerais beaucoup mieux imiter la régularité de Ménan-
:

dre et de Térence que la liberté de Plaute et d'Aristophane... »


La comédie ne doit tracer que des caractères généraux (cf. Molière,
Critique de l'École des Femmes, se. VI) « Ces sortes de satires tombent
:

directement sur les mœurs et ne frappent les personnes que par


réflexion. N'allons point nous appliquer à nous-mêmes les traits d'une
censure générale, et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire sem-
f)
blant qu'on parle à nous. »

• Quels sont les deux genres de comédie grecque dont parle Boileau? Quels
sont les reproches moraux et artistiques qu'il adresse à Aristophane et à
la comédie ancienne?

• Quels sont les mots qui marquent chez Ménandre des traits correspondant
à l'idéal classique?
• En quoi les partis pris de Boileau nous révèlent-ils le goût de son temps?
IT. Bénac. — L'Art poétique <lc Boileau. ^
64 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

[La Nature classique.j


Que la nature donc soit votre étude unique, _
Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. 360
Quiconque voit bien l'homme, et, d'un esprit profond,
De tant de cœurs cachés a pénétré le fgjijd,
Qui sait bien ce que c'est qu'un prodigue, un avare,
Un honnête* homme, un fat*, un jaloux, un bizarre*,
Sur une scène heureuse il* peut les étaler*, 365
Et les faire à nos yeux vivre, agir etLp&nler.
Présentez-en partout les images naïves*;
Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.
La nature féconde en bizarres* portraits,
Dans chaque âme est marquée
de différents traits;
à 370
Un geste la découvre, un rienJaJa it paraîtr e.
Mais tout esprit n'a pas des yeux jsour la connaître.

® ® © ®
La comédie qui ne met pas en scène des personnages historiques (du moins
d'après la plupart des théoriciens) n'est soumise qu'à la vraisemblance des
mœurs. Da là l'insistance de Boileau (cf. aussi v. 414-420) sur la nécessité
d'observer la nature.
« Ce que les mœurs du théâtre ne soient point mauvaises,
n'est point assez
il encore qu'elles soient décentes et instructives. peut y avoir un ridi-
faut Il

cule si bas et si grossier, où même si fade et si indifférent qu'il n'est pas


permis au poète d'y faire attention, ni au spectateur de s'en divertir. Le
paysan ou l'ivrogne fournit quelques scènes à un farceur, n'entre qu'à peine il

dans le vrai comique comment pourrait-il faire le fond ou l'action prin-


:

cipale de la comédie? Les caractères, dit-on, sont naturels. Ainsi, par cette
règle, on occupera bientôt tout l'amphithéâtre d'un laquais qui siffle, d'un
malade dans sa garde-robe, d'un homme ivre qui dort ou qui vomit y a-t-il :

rien de plus naturel ? C'est le propre d'un efféminé de se lever tard, de passer
une partie du jour à sa toilette, de se voir au miroir, de se parfumer, de se
mettre des mouches, de recevoir des billets et d'y faire réponse. Mettez ce
rôle sur la scène plus longtemps vous le ferez durer, un acte, deux actes,
:

plus il sera naturel et conforme à son original, mais plus aussi il sera froid et
insipide. » (La Bruyère, I, 52.)

• Définir notamment d'après les vers 358-9, 361 369, 391 et en vous aidant , ,

du texte de La Bruyère, le sens du mot « nature » pour Boileau et les


classiques.
•^ Vous montrerez en quoi une comédie classique, L'Avare ou Le Misanthrope
par exemple, correspond au goût de Boileau et de La Bruyère. Quels sont
les points sur lesquels la farce vous paraît s'écarter de leur conception?
CHANT lit 65

• En opposant le vers 372 au vers 8b de l'Épître IX (« Mais la nature est vraie

et d'abord on la sent») et au passage de la Préface de 701 # cité o 8 lignes 12


I

à 40, vous montrerez pourquoi la connaissance du cœur humain est si diffi-


cile pour l'artiste, alors que le spectateur n'a aucune peine à en reconnaître
pour vraie la peinture.

[La Théorie des Moeurs selon les âges.]

Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs*,


Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses moeurs;
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices
Est prompt à recevoir l'impression des vices; 376
Est vain dans ses discours*, volage en ses désirs,
Rétif à la censure et fou dans les plaisirs.

L/a ge viril, plus mûr, inspire un air* plus sage,


Se pousse auprès des grands, s'intrigue**, se ménage*, 380
Contre coups du sort songe à se maintenir,
les

Et loin dans le présent regarde l'avenir.


La vieillesse chagrine* incessamment amasse,
Garde, norTpas pour soi*, les trésors qu'elle entasse,
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé, 385

Toujours plaint* le présent et vante le passé,


Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.
Ne faites p oint pa rler vos acteur s au hasard.
Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en
[vieillard. 3*o
® ® ®
Boileau imite Horace (A. P., 56 sqq.). Avant Horace, Aristote avait déjà
i

fait un tableau de mœurs selon l'âge (Rhétorique, II, 12, 14). Régnier avant
Boileau avait imité Horace (Satire V) Horace et Régnier parlaient de l'enfant,
Boileau le néglige, sans doute parce qu'il ne lui paraît pas intéressant à
mettre sur la scène.
« Par la propriété des mœurs, le poète doit considérer qu'il ne faut jamais
in t rogjuir e sans nécessi t é absolue ni une fille vaillante, ni une femme savante,

ni unjvale t judicieux.... Mettre au théâtre ces trois espèces de personnes

avec ces nobles conditions, c'est choquer directement la vraisemblance


ordinaire.... Afin que le poète ne manque pas en un point de cette importance,
il vaut mieux que nous lui tracions une idée générale des mœurs qu'il
doit attribuer à chaque espèce de gens. » (La Mesnardière, Poétique,
1639).
66 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

• Citez des exemples de l'application de la théorie des mœurs dans les œuvres
classiques que vous connaissez.
• Montrez que cette théorie est un e conséquence d éjà bienséance in terne
(cf. p. 52). En quoi nous révèle-t-elle le goût classique pour les types généraux?

[Molière.]

Étudiez cour et connaissez la vil[e;


la

L'une et l'autre est* t oujours en modèles fertile.

C'est par là que M olièrej il lustrant ses écrits,


Peut-être de son art eût.rem porté *le prix,
Si, moins ami du peuple, en, ses doctes* peintures 395

Il n eut point fait souvent grimacer* ses figures,

Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin,

Et sans honte à Térence allié Tabarin.


Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope
1
. 400

® ® ©
A propos du
v. 399, l'intrigue des Fourberies de Scapin est imitée de
Térence, mais scène du sac rappelle une farce où Tabarin enferme le capi-
la

taine Rodomont dans un sac et le roue de coups. « Ce n'est pas Scapin qui
s'enveloppe dans le sac, c'est le vieux Géronte à qui Scapin persuade de
s'envelopper. Mais cela est dit figurément parce que Scapin est le héros de
la pièce. » (Brossette.)

M
olière jugé par Boileau. Dans sa jeunesse Boileau l'a salué avec enthou-
siasme comme le maître de la génération de 1660 (Satire II, Stances sur L'École

>> des Femmes). A


la fin de sa vie : « Encore aujourd'hui, l'auteur ne feint pas
de dire publiquement qu'il met Molière au-dessus d e Corneille et de Racine .

La raison qu'il en apporte, c'est que des trois c' est celui qui a le plus a ttrapé
"nA la nature. » (F. Lachèvre, Les Satires, p. 25.)
M
olière jugé par les lettré s : « Ne trouvez-vous pas que les comédies
de nos poètes (je ne nomme personne, car Molière est de mes amis) font tous
les objets plus grands qu'ils ne sont et qu'ils ne copient presque acùnt_âu_
na turel comme fait Térence » (Le P. Rapin à Bussy-Rabutin, 13 août" 1672.)
.

M
olière jugé par les gens du monde « M a copié Térence et
: même
il Ta surpassé, et je ne l'estime pas moins pour avoir été assez souvent un

peu plus loin que la nature. Le but de la comédie doit être de plaire et de faire
rire. Qui ne représenterait que des défauts ordinaires ne ferait pas cet effet :

il faut donc quelque chose d'extraordinaire, et pourvu qu'elle soit possible


elle réjouit bien davantage que ce qui se voit tous les jours. » (Réponse de
Bussy au P. Rapin, 24 août 1672.)

I. Comédie de Molière (Boileau).


CHANT III 67

Photo Hachette.

<: Les Fourberies de Scapin. »


Acte III, Scène II.

Dessin de Louis Leloir, gravé par L. Flameng


(Bibl. de la Comédie-Franrais?.^
68 L"ARÎ POÉTIQUE DÉ BÔILEAU

o Comparez ces divers jugements en tâchant d'en expliquer les différences


par le milieu et la culture de leurs auteurs. Comparez les divers jugements
de Boileau sur Molière. Expliquez-les d'après les diverses périodes du goûtde
Boileau auxquelles ils correspondent.
o En quoi Molière, choque-t-il la vraisemblance et les bienséances? Donnez-
en des exemples.
© Molière vous parait-il mieux peindre les mœurs que les caractères ? s'est-ii
limité à la cour et à la ville ?

[Règles de la Comédie.]

Le comique ennemi des soupirs et des pleurs,


N'admet point en ses vers de tragiques douleurs;

Photo Hachette.
Le Pont-Neuf au XVII e siècle,
Gravure de Pérelle (B. N. .

Mais son. emplloi n'est pas d'aller, dans une place,


De. mots sales et bas charmer la popu lace.
I
[ faut que ses acteurs b ad me n t n oblem en t , 405

Que son nœud bien formé se dénoue aisément;


Que 'action marchant où la raison Ja guid-e-,
l ,

Ne se perde jamais dans une scène vide^


Que son styie humble et doux se relève à propos,
Que ses discours*, partout fertiles en bons mots, 410
CHANT II! 69

Soient pleins de passions finement man iées


Et-les-scàn es toujours Tune à l'autre liées..
Aux dépens du bon sens gardez* de plais anter .

Ja mais de la ne faut s'écarter


nature il :
'

Contemplez de quel air un père, dans Térence 1 415 ^


Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence*;
De quel air cet amant écoute ses leçons,
Et court chez sa maîtresse oublier ces chansons*.
Ce une image semblable;
n'est pas un portrait,
C'est un amant, un fils, un père véritable. 420

J'aime sur le théâtre un agréable auteur


Qui, sans se diffamer* aux yeux du spectateur, «

P laît par la raiso njeule et jamais ne


choque. la
<^\%
Mais, pour un faux plaisant*, à grossière équivoque^ ^j^^y^
Qui pour me divertir n'a que la saleté,' ^ 425

Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux tréteaux monté,


Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades*.

® © © ® ® ®
de Térence qui relèvent avec raison au-dessus
Térengfi_i,... « Les partisans
de tous poètes comiques pour rélégance-de.sa^diçtîonnet pour la vrai-
les
semblance de ses m
œurs. » (Racine, Préface de Bérénice). Cf. La Bruyère
"*""
I, 38 parallèle entre Molière,-£t-Tprpnrp,
:

La comédie ne doit pas dégé nérer en farce. Racine se loue d'avoir


écrif Les Plaideurs (Préface)... « sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces
sales équivoques et de ces malheureuses plaisanteries qui coûtent mainte-
nant si peu à la plupart de nos écrivains. »

• D'après les vers 402, 404, 405 (cf. I, v. 80), 406, 408, 4Ï2, 409 (cf. I, v. 69;
quels sont les principes d'art et de goût que Boileau applique à la comédie ?
Quels sont ceux de ces principes qui s'appliquent aussi à la tragédie?
• Quels sont les mots qui marquent la dignité de la comédie? Pourquoi
Boileau revient-il si souvent sur la nature et sur la raison à son propos?
Contre qui réagit-il au nom de ces préceptes?
• Pourquoi Térence plaisait-il plus que Plaute et plus que Molière aux lettrés
du XVII e siècle? Vous paraît-il soutenir la comparaison avec Molière? Quel est
le milieu dont Boileau exprime ici le goût?

I . « Voyez Simon dans L'Andrienne et Demée dans Les Adelphes » (Boileau).


Chant IV

INSPIRATION ET SAINTETÉ DE LA POÉSIE

Dans Florence, jadis, vivait un médecin,


Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin.
Lui seul y fit longtemps la publique* misère
Là, le fils orphelin lui redemande un père;
Ici, le frère pleure un frère empoisonné; 5
L'un meurt vide de sang, l'autre plein de séné",
Le rhume à son aspect se change en pleurésie;
Et, par lui, la migraine est bientôt frénésie*.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
De tous ses amis morts un seul ami resté „ 10

Le mène en sa maison de superbe structure;


C'était un riche abbé fou de l'architecture.
Le médecin, d'abord*, semble né dans cet art,
Déjà, de bâtiments parle comme Mansard;
D'un salon qu'on élève il condamne la face*; 15

Au vestibule obscur il marque une autre place;


Approuve l'escalier tourné d'autre façon. 1

Son ami le conçoit*, et mande son maçon.


Le maçon vient, écoute, approuve et se corrige.
Enfin, pour abréger un si plaisant prodige, 20

Notre assassin renonce à son art inhumain;


Ec désormais la règle et l'équerre à la main,
Laissant de Galien la science suspecte,
De méchant* médecin devient bon architecte.

I. « Moyennant qu'il soit tourné d'une autre manière » (Boileau),


CHANT IV 71

Son exemple est pour nous un précepte excellent. 25


Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu'écrivain du commun et poète vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrés différents;
On peut avec honneur remplir les seconds rangs. 30

Mais, dans l'art dangereux de rimer et d'écrire,


Il n'est point de degrés du médiocre au pire.
Qui dit froid écrivain, dit détestable auteur.
Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur;
On ne lit guère plus Rampale et Ménardière 35

Que Magnon, Du Souhait, Corbin et La Morlière.


Un fou du moins fait rire et peut nous égayer,
Mais un froid écrivain ne sait rien qu'ennuyer.
J'aime mieux Bergerac 1 et sa burlesque audace
Que ces vers où Motin se morfond et nous glace. 40

® ® ® © ® ® ©
L'idée que la poésie n'admet pas la médiocrité est déjà dans Horace (A. P Uv
367-374).
Jusqu'en 1701 on lisait à la place des vers 33-36 :

Les vers ne souffrent pas de médiocre auteur.


Ses écrits en tous lieux sont du lecteur.
l'effroi

Contre eux dans boutiques murmurent


le palais les

Et les ais* chez Billaine à regret les endurent.

• Quels sont les de l'inspiration? la consé-


vers qui marquent la nécessité
cration totale et la que réclame la poésie? D'après le début du
perfection
chant et les aveux des Satires, montrez comment Boileau exprime une nou-
I

velle fois son expérience de poète sincère.


• Montrez que Boileau juge plutôt un ouvrage d'après l'émotion qu'il lui
donne que d'après les règles. En quoi son vocabulaire critique est-il avant
tout affectif? Comparez le mouvement des vers 39-40 au chant III, v. 291 sqq.
• Expliquez la variante des vers 33-36 par les nouvelles haines satiriques de
Boileau entre 1674 et 1701 Quels sont les divers procédés satiriques de
.

ce passage? Cherchez dans les Satires des exemples de procédés similaires.

A» «Cyrano de Bergerac, auteur du Voyage de la Lune » (Boileau).


72 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

LE POÈTE ET LA CRITIQUE

Ne vous enivrez point des éloges flatteurs,


Qu'un amas quelquefois de vains admirateurs
Vous donne en ces Réduits*, prompts à crier merveille.
Tel écrit récité se soutint à l'oreille,
Qui, dans l'impression au grand jour se montrant, 45
Ne soutient pas des yeux le regard pénétrant.
On de cent auteurs l'aventure tragique,
sait
Et Gombauld tant loué garde encor la boutique.
Écoutez tout le monde, assidu consultant :

Un fat* quelquefois ouvre un avis important. 50


Quelques vers toutefois qu'Apollon vous inspire,
En tous lieux aussitôt ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce rimeur furieux,
Qui de ses vains écrits lecteur harmonieux,
Aborde en récitant quiconque le salue, 55

Et poursuit de ses vers les passants dans la rue.


H n'est temple si saint, des anges respecté,
Qui soit contre sa Muse un lieu de sûreté.
|e vous l'ai déjà dit, aimez qu'on vous censure,

Et, souple à la raison, corrigez sans murmure. 60

Mais ne vous rendez pas dès qu'un sot vous reprend.


Souvent, dans son orgueil, un subtil ignorant
Par d'injustes dégoûts combat toute une pièce,
Blâme des plus beaux vers la noble hardiesse;
On a beau réfuter ses vains raisonnements, 65

Son esprit se complaît dans ses faux jugements;


Et sa faible raison, de clarté dépourvue,
Pense que rien n'échappe à sa débile vue.
Ses conseils sont à craindre; et, si vous les croyez,
Pensant fuir un écueil, souvent vous vous noyez. 70

Faites choix d'un censeur solide et salutaire,


Que la raison conduise et le savoir éclaire;
CHANT IV 73

Et dont le crayon sûr d'abord*chercher aille

L'endroit que l'on sent faible et qu'on se veut cacher.


Lui seul éclaircira vos doutes ridicules, 75
De votre esprit tremblant lèvera les scrupules;
C'est lui qui vous dira par quel transport heureux
Quelquefois, dans sa course, un esprit vigoureux,
Trop resserré par l'art, sort des règles prescrites,
Et de l'art même
apprend à franchir leurs limites, 80
Mais ce parfait censeur se trouve rarement ;

Tel excelle à rimer qui juge sottement;


Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville,

Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

® ® ® ®
Les Anciens et l'actualité. Les vers 53-58 imitent Horace (A. P., 472-
476), mais Brossette raconte qu'un jour un poète récita ses vers à Boileau
dans une église pendant la messe. Le vers 84 viserait Corneille qui admirait
beaucoup Lucain.
Expérience d'artiste.
Boileau écoute les critiques, même d'un «fat ». Il avait écrit d'abord :

« Et de l'art même apprend à franchir les limites»(v. 80). Desmarets de Saint-


Sorlin fit remarquer l'obscurité du vers car on pouvait entendre « les limites
de l'art » et non des règles. Boileau corrigea.
Il se défend au nom de l'art contre les « subtils ignorants ». A propos

du v. 285 du ch. III, écrit à Brossette (7 janvier 1708)


il « Vous croyez que
:

« du Styx, de l'Achéron peindre les noirs torrents » serait mieux. Permettez-


moi de vous dire que vous avez en cela l'oreille un peu prosaïque et qu'un
homme vraiment poète ne me fera jamais cette difficulté, parce que « de
Styx et d'Achéron » est beaucoup plus soutenu.... Mais ces agréments sont
des mystères qu'Apollon n'enseigne qu'à ceux qui sont véritablement initiés
dans son art... ». —Boileau écrivait à Le Verrier (novembre 1703) ... « à quoi
je reconnais une bonne critique, c'est quand je la sens et qu'elle m'attaque
par l'endroit dont je me défiais. »

• Quels sont les traits de ce passage qui nous peignent les mœurs du temps?
Cherchez des traits semblables dans les Satires, les comédies de Molière, Le s
Caractères de La Bruyère (ch. I). En quoi les vers 43-46 peuvent-ils viser La
Pucelle de Chapelain?
• Quels sont les divers services que peut rendre la critique au poète et à
l'œuvre d'art? Montrez que les limites que les vers 61-70 assignent à la cri-
tique sont inspirées à Boileau par son respect de l'inspiration sincère et de
l'artiste certain de sa mission.
74 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

o Comment ce passage nous révèle-t-il la personnalité d'artiste de Boi-


leau?
• En quoi les vers 77-80 nous montrent-ils que Boileau est plutôt un artiste
qu'un théoricien? Comparez-les au ch. Il, v. 68 sqq. Quel est d'après les
classiques le rôle des règles?

L'ART ET LA MORALE

Auteurs, prêtez l'oreille à mes instructions. 85

Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?


Qu'en savantes leçons votre Muse fertile
|
Partout joigne au plaisant le solide et l'utile.
Un lecteur sage fuit un vain amusement,
Et veut mettre à profit son divertissement. 90
Que votre âme et vos mœurs peintes dans vos ouvrages
N'offrent jamais de vous que de nobles images.
Je ne puisestimer ces dangereux auteurs
Qui, de l'honneur, en vers, infâmes déserteurs.
Trahissant la vertu sur un papier coupable, 95

Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.


Je ne suis pas pourtant de ces tristes esprits
Qui, bannissant l'amour de tous chastes écrits,
D'un si riche ornement veulent priver la scène,
Traitent d'empoisonneurs et Rodrigue et Chimène. 100

L'amour moins honnête, exprimé chastement,


le

N'excite point en nous de honteux mouvement.


Didon a beau gémir et m'étaler ses charmes,
Je condamne sa faute en partageant ses larmes.
Un auteur vertueux, dans ses vers innocents, 105

Ne corrompt point le cœur en chatouillant les sens;


Son feu n'allume point de criminelle flamme.
\ Aimez donc la vertu, nourrissez-en votre âme :

En vain l'esprit est plein d'une noble vigueur,


j
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur. no
CHANT IV 75

® © © ® ®
Tous les théoriciens du siècle sont d'accord avec Horace (A. P., v. 340-344)
sur la nécessité pour l'art d'être moral- en même temps qu'agréable.
Attaques contre le théâtre.
viennent surtout des milieux religieux
Elles
et plus spécialement Jansénistes. Nicole avait écrit en 1665 «Un faiseur de
:

romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public (cf. v. 100);


sur l'opinion de Pascal, cf. citation, p. 48.
Boileau défenseur du théâtre. Il plaidera la cause de Phèdre auprès
d'Arnaud et le convaincra de la moralité de la pièce. En septembre 1707 il
écrira sa Lettre à M. Delorme de Monchesnai sur la comédie où sou- il

tiendra que « le poème dramatique est une poésie indifférente de soi-


même et qui n'est mauvaise que par le mauvais usage qu'on en fait ».
• Quels sont les vers de ce passage qui visent la moralité de l'œuvre ? la mora-
lité du théâtre? la moralité de l'artiste?

• La moralité de l'œuvre d'art est-elle un thème essentiel de L'Art Poétique?


Boileau demande-t-il à l'œuvre d'art d'enseigner ou simplement de n'être
pas immorale? Certains passages, comme les vers 199-244 du ch. III, ne vous
paraissent-ils pas concevoir l'art comme un simple divertissement?
• L'attitude de Boileau à propos du théâtre est-elle d'un artiste ou d'un
moraliste? Comparez avec le ch. III, v. 89-102; avec la thèse de Molière dans
sa défense du Tartufe, de Racine, dans la Préface de Phèdre. Vous oppo-
serez les deux thèses pour et contre le théâtre, vous donnerez des exemples
et vous les discuterez.
• Expliquez le vers 91 d'après le vers 10 s'agit-il au vers 91 d'une confes-
I ;

sion personnelle de l'écrivain. Concevez-vous les rapports de l'œuvre et de


l'artiste tels que les indique le vers 10? N'y a-t-il pas des chefs-d'œuvre
I

écrits par des poètes qui avaient « des bassesses de cœur »? Montrez que les
plus beaux vers de Boileau (Épître V, par exemple) lui ont été inspirés par sa
personnalité d'honnête homme.
• En quoi la conception que Boileau se fait de l'artiste reflète-t-elle sa
personnalité morale et sociale? Opposez-la à des personnalités telles que
Régnier et Saint-Amant; à la conception romantique. En quoi révèle-t-elle
ie caractère sacré et pur qu'a pour Boileau l'œuvre d'art?

PURETÉ DE L'ART

Fuyez surtout, fuyez ces basses jalousies,


Des vulgaires esprits malignes frénésies*.
Un sublime écrivain n'en peut être infecté;
C'est un vice qui suit la médiocrité :

Du mérite éclatant cette sombre rivale 115

Contre lui chez les grands incessamment cabale,


76 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Et sur les pieds en vain tâchant de se hausser,


Pour s'égaler à lui cherche à le rabaisser.

Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues;
N'allons point à l'honneur par de honteuses brigues. 120

® ® © ®
• En quoi cette peinture du Parnasse correspond-elle à l'expérience de
Boileau, notamment lors des luttes satiriques? Comment, au cours de ses
luttes, Boileau est-il resté fidèle à ses principes?
• Comparez ces vers avec Molière (Femmes Savantes) et La Bruyère (Ch. I).

LE POÈTE « HONNÊTE HOMME

Que les vers ne soient point votre éternel emploi;


Cultivez vos amis, soyez homme de foi.

C'est peu d'être agréable et charmant dans un livre,


Il faut savoir encore et converser et vivre.

® (§>

• Comparez ces vers aux théories de l'« honnête homme » dans Pascal (I, 34-
35, 38, éd. Brunschvicg).
• En quoi reflètent-ils la personnalité de Boileau? Brossette voit dans ces
vers une critique de La Fontaine vous semblent-ils correspondre à la vraie
:

personnalité du bonhomme?

L'ART ET L'ARGENT

Travaillez pour la gloire et qu'un sordide gain 125

Ne soit jamais l'objet* d'un illustre écrivain.


Je saisqu'un noble esprit peut, sans honte et sans crime,
Tirer de son travail un tribut légitime;
Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoûtés de gloire et d'argent affamés, 130

Mettent leur Apollon aux gages d'un libraire,


Et font d'un art divin un métier mercenaire.
CHANT IV 77

® ® © ® ®
C'est le développement essentiel du v. 125 au v. 192 : l'hymne à la sainteté
de la poésie (v. 133-172) n'est intercalé que pour opposer la pureté de l'art

au matérialisme de certains poètes modernes.


• D'après Louis Racine, 128 serait une politesse à Jean Racine.
le v.

A propos du v. 130, Corneille, selon Brossette, aurait répondu à Boileau


qui le félicitait du succès de ses tragédies : « Je suis saoul de gloire et affamé
d'argent. » Mais, dès les Satires, Boileau attaquait les gloires du temps qui,
comme Chapelain, pensaient trop, d'après lui, à l'argent.
A
propos du v. 131 cf. Louis Racine « Despréaux m'a assuré que jamais
, :

libraire ne lui avait payé un seul de ses ouvrages. »


On ne connaît pas les droits d'auteurs le poète dépend donc de son
:

libraire ou de protecteurs qu'il faut flatter. L'aisance dont jouissait Boileau


rendait ce problème de la rémunération moins épineux pour lui que pour
d'autres poètes.

• Montrez d'après la Satire I que le problème de l'art et de l'argent préoc-


cupe Boileau dès ses débuts. Opposez le pessimisme des vers 8 1-96 de cette
satire à l'optimisme des vers 187-192 du ch. IV. Comment expliquez-vous
l'évolution de Boileau?
• Connaissez-vous des poètes auxquels Boileau reprocha de négliger l'art
par amour ou par besoin d'argent.
• Pourquoi Boileau, s'il ne veut pas que le poète cherche la richesse, ne veut-
ilpas non plus qu'il soit trop pauvre ? En quoi est-ce la preuve de son respect
pour l'art?

[Sainteté de la Poésie.]

Avant que la raison, s'expliquant par la voix,


Eût instruit les humains, eût enseigné des lois,

Tous les hommes suivaient la grossière nature, 135

Dispersés dans les bois couraient à la pâture.


La force tenait lieu de droit et d'équité;
Le meurtre s'exerçait avec impunité.
Mais du discours* enfin l'harmonieuse adresse*
De ces sauvages mœurs adoucit la rudesse, 140

Rassembla les humains dans les forêts épars,


Enferma les cités de murs et de remparts,
De* l'aspect du supplice effraya l'insolence,
Et sous l'appui des lois mit la faible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers. 145

De là sont nés ces bruits reçus* dans l'univers,


/
78 L'ART POÉTIQUE DE BOiLEAU

Qu'aux accents dont Orphée emplit les monts de Thrace,


Les tigres amoilis dépouillaient leur audace,
Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvaient,
Et sur les murs thébains en ordre s'élevaient. 150

L'harmonie en naissant produisit ces miracles.


Depuis, le Ciel en vers fît parler les oracles;
Du sein d'un prêtre, ému* d'une divine horreur*,
Apollon par des vers exhala sa fureur*;
Bientôt, ressuscitant les héros des vieux âges, 155

Homère aux grands exploits anima les courages*;


Hésiode, à son tour, par d'utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée
Fut, à l'aide des vers, aux mortels annoncée, 160

Et partout, des esprits ses préceptes vainqueurs,


Introduits par l'oreille, entrèrent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits, les Muses révérées
Furent d'un juste encens dans la Grèce honorées;
Et leur art, attirant le culte des mortels, 165

A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.


Mais enfin, l'indigence amenant la bassesse,
Le Parnasse oublia sa première noblesse;
Un vil amour du gain, infectant les esprits,
De mensonges grossiers souilla tous les écrits; 170

Et partout, enfantant mille ouvrages frivoles,


Trafiqua du discours et vendit les paroles.
Ne vous flétrissez point par un vice si bas.
Si l'or seul a pour vous d'invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmants qu'arrose le Permesse; !75

Ce n'est point sur ses bords qu'habite la Richesse;


Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands guer-
riers,
Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers.
« Mais quoi! Han? la disette une Muse affamée
Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fumée! i80
CHANT IV 7S

Un auteur qui pressé d*'un besoin importun,


Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d'Hélicon douces promenades.
les

Horace a bu son soûl quand il voit les Ménades*,


Et, libre du souci qui trouble Colletet, 185

N'attend pas, pour dîner, le succès d'un sonnet. »


Il est vrai; mais enfin cette affreuse disgrâce
Rarement parmi nous afflige le Parnasse.
Et que craindre en ce siècle, où toujours les beaux-arts
D'un astre favorable éprouvent les regards, 190

Où d'un prince éclairé la sage prévoyance


Fait partout au mérite ignorer l'indigence?

® ® © ®
« Boileau traduit Horace (A. P., v. 391-407). Le v. 184 traduit Juvénal (VII, 6)
... satur est cum dicit Horatius « Evohe ».

» Montrez qu'en dépit de sa forme traditionnelle ce passage est dans l'esprit


de Boileau un des sommets de L'Art Poétique. Opposez-le à l'idée des
« modernes » que la poésie n'est qu'une « harmonieuse divagation ».

Q Quels sont les mots qui marquent la sainteté de la poésie? Sa valeur


culturelle et morale? Classez ses différents bienfaits.
• Comparez ce passage au chapitre V de la Lettre à l'Académie de Fénelon :

« La poésie est plus sérieuse et plus utile que le vulgaire ne le croit. La


Religion a consacré la Poésie à son usage dès l'origine du genre humain
D'ailleurs la poésie a donné au monde ses premières lois. »

ÉLOGE DU ROI ET DU SIÈCLE

Muses, dictez sa gloire à tous vos nourrissons;


Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons :

Que Corneille, pour lui ranimant son audace, 195

Soit encor le Corneille et du Cid et d'Horace.


Que Racine, enfantant des miracles nouveaux.
De ses héros sur lui forme tous les tableaux.
Que de son nom, chanté par la bouche des belles,
Benserade en tous lieux amuse* les ruelles; 200
80 L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU

Que Segrais, dans l'églogue, en charme les forêts;


Que pour lui l'épigramme aiguise tous ses traits.

Photo H actif lie.

Prise de Mons.
(Bibl. Nat. Est.)

Mais quel heureux auteur, dans une autre Enéide,


Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide ?

Quelle savante lyre au bruit de ses exploits 205

Fera marcher encor les rochers et les bois,


CHANT IV 81

Chantera le Batave éperdu dans l'orage


Soi # -même se noyant pour sortir du naufrage,
Dira les bataillons sous Maestricht enterrés,
Dans ces affreux assauts du soleil éclairés? 2io
Mais tandis que je parle, une gloire nouvelle
Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.
Déjà Dole et Salins sous le joug ont ployé,
Besançon fume encor sur son roc foudroyé.
Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues 215

Devaient à ce torrent opposer tant de digues?


Est-ce encore en fuyant qu'ils pensent l'arrêter,
Fiers du honteux honneur d'avoir su l'éviter?
Que de remparts détruits! Que de villes forcées!
Que de moissons de gloire en courant amassées! 220
Auteurs, pour les chanter, redoublez vos transports,
Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.
Pour moi, qui, jusqu'ici nourri dans la satire,
N'ose encor manier la trompette et la lyre,
Vous me verrez pourtant dans ce champ glorieux, 225
Vous animer du moins de la voix et des yeux,
Vous que ma Muse au Parnasse
offrir ces leçons
Rapporta, jeune encor du commerce d'Horace,
Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits,
Et vous montrer de loin la couronne et le prix. 230
Mais aussi pardonnez si, plein de ce beau zèle,
De tous vos pas fameux observateur fidèle,
Quelquefois du bon or je sépare le faux,
Et des auteurs grossiers j'attaque les défauts,
Censeur un peu fâcheux, mais souvent nécessaire, 235
Plus; enclin à blâmer que savant à bien faire.

® © © ®
Boileau fait événements des campagnes de 1672-1673
allusion à quelques :

l'inondation de Hollande devant Louis XIV par les Hollandais après le pas-
la

sage du Rhin en 1672 (v. 208), les durs combats qui précédèrent la prise de
Maestricht par Vauban en 1673 (v. 209), l'échec de la coalition de La Haye
82 L'ART POÉTIQUE DE BOlLEAU

contre France en I673(v. 21 5). A oroposdu v.218, Brossette écrit «Mon-


la :

tecuculli, général de l'armée d'Allemagne pour .es Alliés, évita lecombat


et s'applaudit de la retraite avantageuse qu'il avait faite. »
n Mais la grande habileté de Boileau dans la louange consiste à avoir faii
ajouter les vers 211-222 à son livre déjà imprimé (10 juillet 1674) où on les
fit entrer à 'aide d'un carton. Les événements auxquels
l fait allusion sont
i I

vieux d'un mois à peine. Besançon est tombé le 5 mai 674 (v. 214), Dôle le
1 1

6 juin 1674, Salins le 22 juin 1674 (v. 213). Ainsi L'Art Poétique se termine
sur 'écho glorieux des derniers communiqués de victoire.
l

o Montrez, d 'après les Satires, que Je thème de la louange du Roi préoccupe


Boileau dès le début de sa carrière. Comment le traite-t-il alors? Quelles
nouveautés dans la façon de traiter ce thème apportent les Épîtres, l'Ode
sur la prise de Namur? Comment expliquerez-vous les sentiments de Boileau
pour Louis XIV ?
o Quelles concessions Boileau fait-il au goût de la cour ?Lesfera-t-iltoujours?
Comment les vers 195-196 résument-ils l'évolution de l'admirationde Boileau
pour Corneille? Montrez, par desexemples, queles vers 197-1 98 caractérisent
finement un des aspects de l'œuvre de Raone.
o Commentez ce jugement de Pradon à propos des deux derniers vers de
L'Art Poétique « L'auteur s'est très bien défini lui-même dans ces vers. »
:

Photo Hachettt
Un poète couronné*,
',Cf. II... v. 2U4J
LEXIQUE SOMMAIRE

Adresse : action où l'on montre de D'abord : 1° dès le début; 1° tout de


l'adresse. suite.
Affreux effroyable.
: Dameret : homme dont la tenue et
Air « manière de parler, de vivre...»
: les manières ont une élégance
(Furetière). efféminée.
Ais : planche. Déçu : trompé par l'apparence.
Amuser distraire agréablement.
: Diffamer (se) : se déshonorer.
Antique : (III, 336) ancien. Discours : 1° le raisonnement; 2°
Arène : sable. le style.

Astragale : moulure placée sur une Divertir : distraire de ses passions.


colonne entre le fût et le chapi- Divin : inspiré.
teau. Docte : d'un art consommé.
Avoué : reconnu et approuvé par le
public. Égayer (s') : « on dit qu'un auteur
s'égaye lorsqu'il dit quelque chose
Balancer : faire hésiter. d'agréable qui n'est pas tout à fait
Bel esprit dans le sens favorable de
:
de son sujet » (Académie).
«celui qui se distingue du com- Élégance beauté qui vient du choix :

mun » (Académie). des expressions.


Bizarre : 1° « fantasque, bourru, Élégie : étymologiquement : action
capricieux, fâcheux, importun, de dire hélas.
désagréable » (Richelet). Ému hors de soi-même par passion
:

2° original (III, 369). ou par inspiration.


Brodequin chaussure des personna- : Enfin : à la fin.

ges de la comédie antique. Employé Esprit : inspiration.


par erreur (III, 74) pour désigner Étaler mettre en scène. :

le cothurne tragique. Expliquer(s') se développer. :

Exprimer représenter. :

Cadence : rythme résultant de l'ac-

centuation symétrique des fina- Face : façade.


les. Fat : « Le fat est entre l'impertinent
Carrière champ de courses.
: et le sot est composé de : il l'un et
Chagrin « qui voit les choses de
: de l'autre » (La Bruyère).
mauvaise humeur » (Académie). Feston ornement d'architecture
:

Chanson propos sans importance.


: figurant un enroulement de feuil-
Concevoir comprendre. : lages et de fleurs en forme d'arc.
Concours rencontre. : Fiction : merveilleux; tout ce qui est
Courage cœur. : en dehors de la nature.
84 LEXIQUE SOMMAIRE

Figure : représentation empruntée Mascarade 1° divertissement où l'on :

au merveilleux. porte le masque; 2° pièce en vers


Flegmatique : rempli de lymphe et débitée au cours de ce divertisse.
donc faible et froid. ment.
Fortuné heureux. : Méchant mauvais. :

Frénésie : délire furieux. Méconnaître se tromper : sur.


Fréquenter aller fréquemment. : Ménade : bacchante.
Fureur passion. : Ménager (se) : se conduire avec juge-
ment.
Garder : éviter. Mensonge fiction; cf. La Fontaine : :

Génie : 1° disposition naturelle; « les mensonges d'Ésope ».


2° inspiration. Mesure longueur des vers. :

Gothique barbare. : Monstrueux contraire à la normale :

Grimacer être déformé dans : le sens et donc à la nature et à la raison.


de la caricature.
Naïf 1° simple et naturel; 2° genre
:

Honnête homme « galant homme, :


de style (I, 93).
homme de bonne conversation, Naïveté style naïf. :

de bonne compagnie » (Acadé- Nombre harmonie. :

mie). Nouvelle toujours fraîche et jeune :

Horreur : frémissement, émotion. (II. 170).


Humeur : caractère.
Objet: 1° ce qui se présente à la vue;
2° but.
Idylle : églogue, bucolique.
Impromptu : poésie improvisée, très Orateur : prosateur.
en vogue chez lesPrécieux pour
Plaindre : déplorer.
qui elle est « la pierre de touche
Plaisant : 1° agréable; 2° celui qui
de l'esprit » (Précieuses ridicu-
cherche à divertir en faisant rire;
les).
3° comique.
Imprudence manque de sagesse. :

Pointe « pensée qui surprend par


:

Impur immoral. :
quelque subtilité d'imagination,
Indiscret : qui ne sait pas choisir.
par quelque jeu de mots » (Aca-
Insensé : contraire au bon sens.
démie).
Insolent : qui n'a pas l'habitude.
Pompeux magnifique et noble.:

Intrigue complication de l'action.


:

Poudreux poussiéreux. :
Intriguer (s') se mêler à des intri- :

Prix : au prix de en comparaison :

gues.
avec.
Progrès : marche en avant.
jouer mettre en scène.
:

Juste (I, 132) conforme aux besoins


:
Rassis de sens rassis avec sa raison
: :

de l'oreille et donc à la perfection


bien dans son assiette. Cf. Sat. IX,
de l'harmonie. « de sens froid ».
v. 261 ,

Récrier (se) pousser des cris d'ad- :


Licence : (II, 89), licence, poétique.
miration.
Loin : (II, 73), Loin de nous.
Lustre : éclat.
Reçu : admis.
Réduits : « lieux où s'assemblent
f lagasin : endroit où le libraire met plusieurs personnes pour se diver-
ses livres en réserve. tir et s'entretenir » (Furetière).
LEXIQUE SOMMAIRE 8b

Replier (se) : se plier successivement. Succès : résultat.


Romancier écrivain en langue : vul-
Trait d'esprit passage brillant.
:
gaire, donc en français.
Triolet couplet de huit vers où îe
:

Savantas : docte, savant, dans un sens premier est répété après le troi-
péjoratif. sième, et le premier et le deuxième
Séné : purgatif. après le sixième.
Sens : 1° bon sens, raison; 2° au plu- Trouble incertitude de l'action.
:

riel : la sensibilité. Turlupin auteur de jeux de mots


:

Songe : chimère. dignes du bouffon Turlupin.

- — INDEX GRAMMATICAL
Substantif
Certains substantifs avaient au XVII e siècle un genre différent de
celui qu'ils ont de nos jours.
Ex. amour, au singulier, est « plutôt du féminin que du masculin »
:

(Vaugelas).
Adjectif.
Au XVII e siècle, l'adjectif-épithète précédait le substantif plus souvent
qu'aujourd'hui.
Ex. La publique misère, IV, 3.
:

Pronom.
1° pronom personnel. «Il» reprend « qui » ou « quiconque » malgré
l'interdiction de Vaugelas.
Ex. : Qui voudrait épuiser ces matières... il compterait plutôt
(Sat. IV, v. 31).
2° pronom réfléchi. Soi, qui de nos jours est le réfléchi de l'indéter-
miné, renvoie, au XVII e siècle, à un sujet déterminé.
Ex. Gnathon ne vit que pour soi (La Bruyère).
:

3' place du pronom-complément.


a) Devant le dernier impératif d'une série et non, comme de nos
jours, après.
Va, cours, vole et nous venge (Corneille).
Ex. :

Devant un verbe précédant l'infinitif et non entre ce verbe et


b)
l'infinitif dont dépend. il

Ex. Il se faut entraider (La Fontaine).


:

4° suppression du pronom-complément :

après le verbe faire suivi d'un infinitif.


Ex. : La peur plus d'une fois fit repentir Régnier (Sat. IV, v. 146).

Verbe.
I" Des verbes aujourd'hui intransitifs avaient au XVII e siècle une forme
réfléchie.
Ex. : s'intrigue (III, 380).
86 INDEX GRAMMATICAL

2° Le verbe ne s'accorde parfois qu'avec le dernier d'une série de


sujets au singulier.
Ex. : L'un et l'autre est (III, 392).
3° Le participe présent ne se rapporte pas obligatoirement comme
de nos jours au sujet de la proposition dont fait partie. il

Ex. L'appétit vient en mangeant (proverbe).


:

4° Le participe passé passif joint à un substantif équivaut à un substan-


tif exprimant l'action marquée par ce participe et qui aurait pour

complément déterminatif le substantif auquel est joint le participe.


Ex. Mon voyage dépeint = la peinture de mon voyage (La Fon-
:

taine).
5° L'infinitif précédé d'une préposition ne se rapporte pas obligatoi-
rement au sujet de la proposition à laquelle il se rattache.
Ex. : Et qu'ont fait tant d'auteurs pour remuer leur cendre (Sat. IX,
v. 96).

Préposition.
1° à s'emploie dansle sens de nombreuses prépositions.

Ex.dans le sens d'avec. Le marchand à sa peau devait faire fortune


:

(La Fontaine).
2° Il en est de même pour de surtout dans le sens d'avec ou de par.
Ex. :
Je suis vaincu du temps (La Fontaine).

Adverbe.
L'adverbe où s'emploie souvent à la place du relatif précédé d'une
préposition.
Ex. : ... « beaucoup de petites choses où il fit paraître la vivacité de
son esprit » (La Fontaine).

Conjonction.
On trouve avant que de devant un infinitif. Vaugelas condamne avant
que et avant de n'est pas encore employé.
Ex. Avant donc que d'écrire (I, 50).
:

Rimes.
Certaines rimes s'expliquent par la prononciation du temps :

françois, lois (I, 13-4) (oi se prononçait encore ouè dans le discours
I

soutenu).
De la même manière s'expliquent les rimes dites normandes du type
« cher, chercher ».
NDEX DES NOMS PROPRES

Alcide Hercule.
: Brossette édita les œuvres de Boi-
Arioste : poète italien (1474-1533). leau en 1716 : il eut auparavant
auteur du Roland Furieux (1516), avec lui des relations surtout épis-
épopée chevaleresque pleine de tolaires.
fantaisie etde charme, mais sans Brutus : Brutus l'Ancien. Cf. Dia-
riende régulier. logue des Héros de romans « Bru- :

Artamène : nom de Cyrus trans- tus n'est point non plus (dans
formé en héros galant dans le Clélie) cet austère personnage
roman de Mlle de Scudéry. que vous imaginez. C'est un esprit
Artamène ou le Grand Cyrus naturellement tendre et passionné
(1649-1653). qui fait de jolis vers et les billets

Astaroth, Belzébuth, Lucifer : du monde les plus galants. »


noms de démons que Boileau juge
barbares. Calprenède (La) (1614-1663) :

Ausonîe : Italie. romancier. Célèbre auteur de la


Cléopâtre (1647), où figure le per-
Barbin : Le grand libraire du temps sonnage du roi Juba, et du
de Boileau. Pharamond (1646-1661) raillé dans
Batave : Hollandais. le Dialogue des Héros de ro-
Benserade Académicien et poète
: mans.
mondain (16 13- 1691) célèbre à
: Caprée : résidence de l'empereur
la Cour et à la ville par ses sonnets Tibère.
et surtout ses ballets où
admire l'on Charpentier (1620-1702) : Acadé-
l'art de ou rail-
l'allusion élégante micien, auteur de Louis, Églogue
leuse. Mais Boileau n'aime guère royale (1663), dont Boileau raille
son style précieux, surtout après la le ton trop pompeux pour une

faute de goût des Métamorphoses églogue.


d'Ovide mises en rondeaux (1676). Childebrand : Héros des Sarrazins
La Satire XII (v. 30 sqq.) lui repro- chassés de France (1667), poème
che ses équivoques. héroïque deCarel de Sainte-Garde.
Bertaut : disciple de la Pléiade. Mais, Celui-ci répondit à Boileau dans la
plus jeune d'une génération que « Défense des beaux esprits de ce
Ronsard, son style s'est déjà épuré temps contre un satirique ».
de certains néologismes trop bar- Colletet (Guillaume) (1598-1659) :

bares et évolue dans le sens de Académicien. Type du poète


l'idéal de Malherbe (1552-161 I). bohème et donc incapable de servir
Boyer (1618-1698) partisan des
: l'Art librement.
modernes et mauvais auteur dra- Cyrano de Bergerac (1620-1655) :

matique. Poète burlesque, auteur, en prose,


Brébeuf (16 17- 1661) traduisit en
: de l'Histoire comique des États
1655, avec un gros succès, laPhar- et Empires de la Lune et du Soleil,
sale de Lucain dont augmenta
il où la fantaisie cache une philo-
encore l'emphase. soDhie libertine.
88 INDEX DES NOMS PROPRES

D'Assouci (1604-1679) « Pitoyable : Hésiode poète grec (VIII e s. av.


:

auteur qui a composé l'Ovide en J.-C), auteur d'un poème didac-


belle humeur » (Boileau). Il avait tique sur l'agriculture, LesTravaux
pris le surnom d'« empereur du et les Jours.
burlesque », mais son comique
est bien inférieur à celui de Juba : cf. Calprenède.
Scarron.
Juvénal satirique latin qui « flo-
:

Desmarets de St-Sorlin (1595-1676) :


rissait sous Trajan » (Disc, sur la
Satire). Il avait suivi les cours de
Auteur de poèmes héroïques
chrétiens (Clovis, et d'é-
rhétorique de Quintilien. Boileau
1657)
imite sa véhémence dans ses pre-
critsthéoriques justifiant le mer-
veilleux chrétien. En plus de
mières satires (I, VI), puis pré- il

leur controverse théorique, Boi-


féra l'enjouement plus naturel

leau reproche à Desmarets son


d'Horace.
acharnement contre les Jansé- Lavînïe : ville fondée par Énée.
nistes, ses attaques contre l'Epître Le Tasse ( 544- 594) poète italien, 1 1 :

IV. En 1674, Desmarets, qui connaît


fameux auteur de La Jérusalem
sans doute d'avance les attaques
délivrée, poème épique très goûté
de L'Art Poétique, publie, peu de en France au XVII e siècle. Il raconte
temps avant que celui-ci paraisse, la prise de Jérusalem par les Croisés
la Défense du poème héroïque sous le commandement du pieux
avec quelques remarque:» sur les
Godefroy de Bouillon. Mais cette
œuvres satiriques du sieur D xxx .
épopée chrétienne s'égaye de beaux
Desportes (1546-1606) : Poète de
épisodes profanes, comme les
cour, disciple de la Pléiade. Quoi- amours de Renaud pour la magi-
qu'attaqué par Malherbe, son style
cienne Armide, celles du cheva-
subissait pourtant déjà la même
lier chrétien Tancrède pour les
évolution que celui de son contem-
païennes Clorinde et Herminie,
porain Bertaut (cf. Bertaut).
les luttes épiques du même Tan-

Écho : nymphe qui, rebutée par crède contre Argant.


Narcisse, se réfugia dans les bois. Linières (1628-1704) poète pré- :

Eschyle : tragique grec (524-456 av. cieux, célèbre par ses chansons
J.-C.) : il fit dialoguer avec le libertines. D'abord, ami de Boi-
chœur deux personnages au lieu leau, il se brouilla avec lui peu de
d'un seul. temps avant L'Art Poétique.
Lucile : Lucilius, satirique latin
Faret (1596-1646) Académicien. :

Iln'eut rien d'un pilier de cabaret,


(II
e
s. av. J.-C). On ne connaît de
lui que quelques fragments et
mais son nom rime souvent avec
surtout ce qu'en dit Horace (Sat.
cabaret dans les vers de Saint-
Il, i , v. 62 sqq.).
Amant. Boileau (I, 21-2) reprend
ce leitmotiv comme un chanson-
Magnon, Du Souhait, Corbin, La
nier.
Morlière, Rampale poètes de :

Galien médecin grec.


: lapremière partie dusiècle, oubliés
Gombaud : poète de l'Hôtel de en 1660. Boileau a pris sans doute
Rambouillet, très goûté de son leur nom dans quelque recueil
temps mourut 3n 1666 presque
: il pour faire une compagnie infa-
centenaire. mante à ses ennemis.
NDËX DES NOMS PROPRES &Ô

Malherbe (1555-1628) poète célè- :


Nuées (Les) comédie d'Aristophane
:

bre par ses Odes. Les classiques contre Socrate en 423 av. J.-C.
le reconnaissent pour maître, sur- Ovide : poète latin (43 av. J.-C.
tout pour les questions de versi- 17 ou 18 ap. J.-C.) dont Boileau
fication,de grammaire et de style. admire L'Art d'aimer (11,56) pour
Ils admirent sa clarté. Boileau sa sincérité charmante. Ovide ne
trouvait (Lettre à Maucroix) que paraît plus de nos jours le type du
« la nature ne l'avait pas fait grand poète naturel etsincère. Mais, pour
poète, mais il corrige ce défaut comprendre l'admiration qu'a
par son esprit et par son travail ». pour lui le XVII e siècle, on doit
MalJeville (1598-1647) poète pré- :
tenir compte de sa renommée
cieux. Le vers 111; 97 fait allusion, depuis la Renaissance et du style
selon Brossette, à son célèbre cultivé et artistique que le goût
sonnet de La Belle Matineuse. réclame, même quand seul le cœur
Mansart François (1598-1666) :
parle.
commença leVal-de-Grâce. En 1674,
Pelletier poète qui écrivit dans
:
son neveu, jules-Hardouin Mansart,
les de très nombreux
Recueils
qui acheva Versailles, n'était pas
sonnets. Boileau lui reproche de
encore célèbre.
faire des lettres un gagne-pain
Marot (1496-1544) poète courtisan :

et pour cela d'écrire sans art.


dont Boileau admire les inventions
Permesse fleuve des Muses qui
:
rythmiques et l'art de badiner.
prend sa source dans l'Hélicon,
Mais il a écrit aussi d'émouvantes
montagne des Muses en Béotie.
épîtres et traduit des psaumes avec
Perrault Claude ( 6 3- 688) méde- 1 1 1 :

lyrisme.
cin, puis architecte : il fit les plans
Maynard 583 ?- 646) grand poète,
( 1 1 :

de colonnade du Louvre. Les


la
disciple de Malherbe, très admiré
raisons de l'animosité de Boileau
par les classiques.
sont assez obscures peut-être :

Ménage (1613-1692) auteur de :

Perrault avait-il soutenu Quinault


l'Églcgue à Christine de Suède
et propagé quelques malveillances
que Boileau (II, II) trouve trop
à propos des satires. C'était le
pompeuse.
frère de Charles Perrault, le par-
Ménandre auteur grec de la comé-
:
tisan des modernes contre Boileau.
die nouvelle dont le XVII e siècle
Perse satirique latin du temps de
:

ne connaît que des fragments. Néron.


Ménardière (La) : théoricien impor- Pinchesne (i 6 16- 1703) neveu de :

tant de doctrine classique (Poé-


la Voiture, auteur de Recueils, lié
tique, 1639), mais mauvais poète. avec les Modernes écrivit contre
Messaline : impératrice romaine, Boileau des épigrammes et des
célèbre par son inconduite. pamphlets.
Mézeray (1610-1683) : historio- Pindare (522-422 av. J.-C.) : le plus
graphe de France. grand des lyriques grecs.
Motin : vieux poète galant du Pise Ville d'Elide où l'on célébrait
:

temps de Régnier. les jeux olympiques.

Racan (1589-1670) : maître des clas-


Nanteuil graveur de portraits du
: siques : qualifié de génie pastoral
temps de Boileau. à cause de ses Bergeries (1618),
90 INDEX DES NOMS PROPRES

Rampale : cf. Magnon. de sa sœur Madeleine (1607-1701).


Régnier (1573-1613) : satirique. Attaqué déjà dans les Satires (II,
Boileau l'admire comme artiste : 77-95), c'est le type de l'écrivain,
(c'est) « le poète français qui, du qui a de la facilité (du « génie »
consentement de tout le monde, a Préface, 1683) mais ne sait pas la

le mieux connu avant Molière les régler par la raison.


mœurs et les caractères des hom- Segrais (1624-1701) Académicien, :

mes » (Réflexion V sur Longin). auteur d'églogues, de nouvelles et


Régnier imita les Anciens et les traducteur de Virgile.
défendit contre Malherbe (II, 168). Séjan : favori de l'empereur Tibère.
Bien que contemporain de celui- Sercy : éditeur de Recueils pré-
ci, emploie beaucoup d'expres-
il cieux, ouvrages que Boileau détes-
sions populaires qui, dès le temps tait particulièrement.
de Boileau, le rendaient moins Simoïs rivière du pays de Troie.
:

clair et faisaient paraître son style Sophocle tragique Grec (V e s.


:

vieux (II, 170). av. J.-C), augmenta l'élément dra-


Renaud : cf. Le Tasse. matique aux dépens du lyrisme
Révillout : critique, dont les art'des (III,77), incarne pour Boileau la
il

dans la Revue des langues romanes perfection de la tragédie grecque.


(1890-1895) ont mis en doute la Syrtes : bancs de sable au nord de
« légende de Boileau ». la côte de Tripolitaine.

Ronsard (1524-1585) Boileau cri- :

Tabarin : célèbre auteur et joueur


tique sa langue, son art(l, 123) et
de farces qui s'exhibait entre 1618
ses Églogues(ll, 21) : il est d'accord
et 1630 sur les tréteaux de la
avec la plupart de ses contempo-
place Dauphine où faisait la il
rains pour méconnaître le grand
parade pour le charlatan Mondor.
poète de la Pléiade.
Tanaïs : le Don, fleuve de Russie.
Saint-Amant (1594-1661) : c'est
Théophile de Viau (1590-1626)
pour poète lyrique et tragique dont les
Boileau le type du poète
classiques raillaient les outrances
bohème (cf. Sat. I, v. 97, 100) :

précieuses.
auteur du Moïse sauvé (1653)
dont un célèbre passage raconte Thespis tragique grec (VI e s. av.
:

la traversée de la mer Rouge par


J.-C), inventa de faire dialoguer
il

le chœur avec un acteur avant


les Hébreux sous la direction de
:

Moïse dans l'esprit de l'auteur, ce


:
lui il n'y avait que des interpella-

poème était une « idylle héroï- tions improvisées des spectateurs


au chœur.
que » où « le luth éclate plus que
la trompette » (Préface). Il y a des
Tibulle, (50 19 ou 18 av. J.-C.) :

beautés dans son œuvre poétique. élégiaque latin.

Scarron (1610-1660) Tircis et Filène : héros galants des


le maître du :

pastorales du début du XVII e siè-


burlesque. Son Typhon ou laGigan-
cle.
tomachie (1644) et son célèbre
Turlupin : bouffon de l'Hôtel de
Virgile travesti ( 648- 653) sont les
1 1

chefs-d'œuvre de ce style.
Bourgogne.
Scudéry ( 60 - 667) auteur de vers
1 1 1 :
Typhon : cf. Scarron.

précieux, d'épopées chrétiennes Villon : grand poète lyrique du


(Alaric, 1661), collabora aux romans XV e siècle.
SUJETS DE TRAVAUX

[L'Art Poétique et Boîleau]


• Exposé. Replacer L'Art Poétique dans l'œuvre de Boileau. En quoi rappelle-
t-il les Satires? En quoi annonce-t-il les œuvres suivantes?

• Dissertation. Quelle idée L'Art Poétique nous donne-t-il de la personna-


lité de Boileau? Vous paraît-elle justifier ce jugement de Ch.-H. Boudhors

(Préface des Satires) « Ni homme du monde, ni savantas*; ni courtisan ni


:

régent :né bourgeois, d'humeur pessimiste, d'esprit satirique, est émi-


il

nemment Homme de Lettres. Entendons, si l'on veut, que l'étendue manque


au cercle d'horizon. Entendons aussi que dans cette enceinte resserrée une
libre et originale personnalité se développe, et d'autant plus, me semble,
il

que davantage les circonstances la menacent, les critiques la condamnent, et


la monarchie la comprime. »

[L'Art Poétique et l'Antiquité]


• Exposés. D'après L'Art Poétique, quel est le goût de Boileau vis-à-vis des
Anciens? Quels sont les auteurs qu'il préfère et pourquoi?
© L'Art Poétique vous paraît-il une imitation d'Horace?
• Dissertation. Commenter ce jugement de Voltaire (Dictionnaire philoso-
phique :Art Poétique) « ... on oserait présumer- ici que l'Ar» poétique de
:

Boileau est supérieur à celui d'Horace. La méthode est certainement une


beauté dans un poème didactique; Horace n'en a point.... L'Art poétique
latin ne paraît pas, à beaucoup près, si travaillé que le français.... L'ouvrage
est très bon, celui de Boileau paraît encore meilleur. » Si vous jugez que Boi-
leau est supérieur à Horace, faites-vous consister sa supériorité dans les raisons
qu'indique Voltaire?

[L'Art Poétique et le classicisme]


• Exposé. Lire la Critique de l'École des Femmes de Molière, les Préfaces
de Racine, les Préfaces de La Fontaine, la section des Pensées de Pascal, le
I

chapitre des Caractères de la Bruyère, la Lettre à l'Académie de Fénelon.


I

Quels sont les traits qui vous rappellent L'Art Poétique? Quels sont ceux qui
en diffèrent?
• Dissertation. Commenter ce jugement de R. Bray (La Formation de la
doctrine classique en France, p. 363-4) « Quelles étaient donc les convictions
:

littéraires qui inspiraient Boileau dans ses attaques? Assurément était


il
02 SUJETS DE TRAVAUX

d'accord avec Chapelain sur les règles, et il le savait. Mais cela n'avait plus
une très grande importance. L'intérêt se déplaçait. L'époque classique entrait
dans une nouvelle période. A l'ère des règles succédait l'ère du goût. Et de
ce point de vue le fossé était large entre la génération de 1630 et celle de

1660. Celle-là avait achevé sa besogne. Elle encombrait les voies du Parnasse,
L'œuvre énergique de Boileau était nécessaire et l'opinion attendait le sati-
rique. »Ce jugement qui porte surtout sur les Satires ne vous paraît-il pas
pouvoir s'appliquer à L'Art Poétique?

[Valeur de l'Art Poétique]


a) Valeur « classique ». « Depuis près de deux siècles, écrivait Nisard,
aucun gouvernement, aucun système d'enseignement n'a retranché [Boileau]
des études nécessaires. » Qu'est-ce qui constitue, à votre avis, cette valeur
classique de L'Art Poétique qui lui fait mériter son inscription à votre pro-
gramme ?

b) Valeur artistique.
XVIII e siècle. Commentez ce jugement de Voltaire (Dictionnaire philo-
sophique Art poétique) « L'Art poétique de Boileau est admirable, parce
: :

qu'il dit toujours agréablement des choses vraies et utiles, parce qu'il donne
toujours le précepte et l'exemple, parce qu'il est varié, parce que l'auteur,
en ne manquant jamais à la pureté de la langue,
... sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

Ce qui prouve son mérite chez tous les gens de goût, c'est qu'on sait ses
vers par cœur; et ce qui doit plaire aux philosophes, c'est qu'il a presque
toujours raison ».
XX e
siècle. Que
pensez-vous de l'opinion de Ch.-H. Boudhors (Préface
des Satires) sur L'Art Poétique « Je n'éprouve même pas de déception ni
:

de regret à ne trouver ni originalité de doctrine, ni science historique, ni


philosophique profondeur, chez un « poète » qui ne prétend révéler aucune
vérité inouïe, qui ne se targue pas de laborieuse érudition, qui ne pense, en
effet, que d' « instinct » (Brunetière), par humeur ou par caprice, selon ses
goûts et ses dégoûts, ses amitiés et ses aversions; et qui, très capable d'entê-
tements, de partis pris, d'idées fixes, mais de contradictions aussi, est enfin
le moins systématique des hommes. De ces quatre chants d'un poème « didac-

tique », Revillout ne laisse en propre à Boileau que la versification habile et


les traits de satire, les maximes commodes à la mémoire et les saillies (qui
ruinent parfois la « Doctrine »). Eh bien! mais des décombres d'une Poé-
tique, c'est tout le « poète » qu'il sauve. »
Quelques lectures
• L'homme et l'œuvre.

G. LANSON. — Boileau (Hachette , 1892).


R. BRAY. - Boileau, l'homme et l'œuvre (Boivin,
1942).
9 L'époque de Boileau.

FIDAO JUSTINIANI. Qu'est-ce qu'un ( zlassique ?

1930.
R. BRAY. - La Formation de la < ioctrine classique
en France (Payot, 1931).
D. MORNET. — Histoire de la littérature française
classique (Armand Colin, 1940).
TABLE

Boileau jusqu'à VArt poétique .-•„,<,••-•••-',•.. 1

Préface de 1701 8
Art poétique . 11
Chant I 11
Chant II 26
Chant III 38
Chant IV . . 70
Lexique sommaire 83
Index grammatical 85
Index des noms propres 87
Sujets de travaux » . 91

mprimé en France par BRODARD-TAUPIN, Imprimeur-Relieur, Coulommiers-Paris.



I

54306-VIII-7-747. Dépôt légal:n° 480, 3 e trim. I959.


CLASSIQUES FRANCE
Collection publiée sous la direction de
Guy MICHAUD
Agrégé de l'Université. Docteur es lettres

avec des tableaux, des documents et des questionnaires.

Florilège du Moyen Age, présenté par G. HACQUARD


J-e Classicisme, par H. BÉNAC
l'Œuvre de Rabelais, présentée par J. BONNOT
L'Œuvre de Ronsard, présentée par L. TERREAUX
Les Essais de Montaigne, présentés par P. POUGET
Le Cid de Corneille, présenté par Roger CAILLOIS
Polyeucte de Corneille, présenté par G. MICHAUD
L'Œ.ivre de Corneille, présentée par A. STEGMANN
Scènos choisies de Molière, présentées par J. BAUDRY
L'Avare de Molière, présenté par P. MÉLÈSE
Les Femmes Savantes de Molière, présentées par P. MÉLÈSE
Les Tables de La Fontaine, présentées par G. MAUGER
(3 volumes).
Britannicus de Racine, présenté par G. POMPIDOU
Athalie de Racine, présentée par G. HACQUARD
L'Art poétique de Boileau, présenté par H. BÉNAC
L'Œuvre de Pascal, présentée par G. MICHAUD,
L'Œr vre de Bossuet, présentée par G. HACQUARD
Les Caractères de La Bruyère, présentés par G. MICHAUD
L'Q'uvre de Montesquieu, présentée par A. STEGMANN
L'O-uvre de Diderot, présentée par J. BAUDRY
L'C?uvre de Rousseau, présentée par Ph. VAN TIEGHEM
L'' iuvre de Voltaire, présentée par R. NAVES
et A. LAGARDE
L'Œuvre de Lamartine, présentée par M. BERVEILLER
L'Œuvre de Victor Hugo, présentée par Ph.VAN TIEGHEM
L'Œuvre de Balzac, présentée par P. CUENAT
L'Œuvre de Musset, présentée par P. SALOMON
L'Œuvre de Stendhal, présentée par A. STEGMANN
L'Œuvre de Michelet, présentée par Ph. VAN TIEGHEM
et J. SEEBACHER
L'Œuvre de Flaubert, présentée par Cl. CUÉNOT
L'Œuvre de Baudelaire, présentée par J. LE SOLLEUZ

A la même Librairie :

Collection « Documents France »


Le Romantisme, par G. MICHAUD VAN TIEGHEM
et Ph.
Réalisme et Naturalisme, par J.-H. BORNECQUE
et P. COGNY

B. 4-1959.

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