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DE POSSESSION À BAHIA
© L’Harmattan 2005
ISBN :
2
Xavier VATIN
RITES ET MUSIQUES
DE POSSESSION À BAHIA
L’Harmattan Collection
5-7, rue de l’École Polytechnique Recherches
75005 Paris Amériques Latines
3
À Janailda
et à ma famille multicolore
4
Sommaire
Préface 7
Avant-propos 9
Introduction 11
Conclusion 171
Glossaire 183
Paroles des chants 193
Bibliographie 221
Table détaillée 233
5
Autel de la divinité Luenji
Terreiro de Jauá - Camaçari - 2004
© Xavier Vatin (X.V.)
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Préface
7
aux cérémonies rituelles comporte, selon les nations et les lieux de
culte, plusieurs milliers de chants dont chacun est accompagné par
un ensemble percussif. Celui-ci est composé de trois tambours et
d’une cloche. L’accompagnement rythmique consiste en la
réitération, tout au long du chant, d’une formule ostinato. Si dans
les parties tambourinées, elle peut prêter à variations, la formule
dévolue à la cloche demeure immuable.
Chaque nation revendique son propre répertoire instrumental.
Or, sur la base des données qu’il a recueillies dans les 33 terreiros
où il a enquêté, l’auteur, après avoir recensé et analysé l’intégralité
des formules rythmiques des cloches, montre qu’il n’en est rien :
certaines, en effet, sont communes à trois nations, d’autres à deux.
Ainsi, ces formules, en nombre fini, se limitent à vingt. Cela
signifie que celles-ci constituent le soubassement rythmique de
l’intégralité du patrimoine chanté. Chaque formule est
indissociable d’un ensemble donné de chants et opère, sur le plan
cognitif, comme marqueur de telle ou telle catégorie musicale.
Quant à l’organisation formelle, la périodicité globale de tout chant
constitue un multiple entier de celle de la formule rythmique
énoncée par la cloche, confirmant par là l’origine africaine de
nombre de principes musicaux à l’oeuvre dans le candomblé – des
formules rythmiques associées de façon biunivoque à des
catégories de chants, leur rôle de marqueur, les rapports temporels
qu’elles entretiennent avec la périodicité des chants sont autant de
constantes dans les musiques d’Afrique subsaharienne. De surcroît,
celle des formules qui est commune aux trois nations est encore
fort répandue aujourd’hui dans un grand nombre de communautés
ethniques du continent noir.
Xavier Vatin est ainsi le premier à avoir pu montrer
l’interpénétration d’une nation à l’autre des répertoires
instrumentaux associés aux cérémonies rituelles. Mais aussi et
surtout, par la mise au jour de formules rythmiques communes à la
plupart des nations – formules qui constituent le « noyau dur » de
ces répertoires – il révèle la prégnance, dans le candomblé, d’un
fonds commun originaire d’Afrique noire. Seule une approche
comparative pouvait conduire à un tel résultat.
Simha AROM
8
Avant-propos
Seize août 1992. Je foule pour la première fois le sol d’un pays
dont j’ai toujours rêvé. À Bahia depuis une heure, me voici face à
un vieux monsieur au regard pénétrant. Pierre Fatumbi Verger,
alors âgé de quatre-vingt-neuf ans, me fait découvrir d’extra-
ordinaires photographies prises en Afrique et au Brésil, au cours de
nombreuses années de voyages et de découvertes. Quelques jours
plus tard, j’assiste pour la première fois à une cérémonie rituelle de
candomblé. Un jeune garçon assis à mes côtés est soudain pris
d’une violente crise convulsive, pousse plusieurs cris et esquisse
une danse singulière alors que les tambours et les chants atteignent
un paroxysme sonore. Cette scène sera pour moi le point de départ
de recherches dans un univers mystique où, par la musique,
spiritualité et sensualité se mêlent intimement.
« Bahia, pura magia ! »
Ce slogan touristique, que je lis à mon arrivée à Salvador,
semble condenser un aspect essentiel de cette terre où règne un
omniprésent mysticisme. Le catholicisme et les croyances venues
d’Afrique, la « religion » et la « magie » s’entrelacent et fusionnent
dans une frénésie rythmée par les tambours sacrés du candomblé :
c’est en ces termes que les guides touristiques « vendent » le
candomblé aux nombreux touristes venus chercher exotisme et
dépaysement dans la « Rome Noire » du Brésil.
Cette « magie » est sans doute le fruit du métissage qui
caractérise la société bahianaise et, plus concrètement, chacun de
ses membres. Chaque individu porte en lui les traces de ce
métissage. Les termes servant à définir le phénotype de tel ou tel
individu sont innombrables : moreno, mulato, cafuso, cabo verde,
sarará (cf. glossaire). Il me faudra bien du temps pour apprendre à
les distinguer et à les employer de manière relativement adéquate.
À Bahia – plus qu’ailleurs ? –, la notion de pureté, raciale ou
culturelle, n’a pas sa place. Tout est issu du mélange, rien n’est
« pur ». Comment s’étonner alors que cette terre ait servi de
laboratoire privilégié à Roger Bastide pour forger sa sociologie des
interpénétrations de civilisations ? Mais, ce faisant, pourquoi celui-
ci n’a-t-il vu dans le candomblé qu’une Afrique transplantée,
9
presque intacte, au Brésil ? Religion emblématique d´un peuple
aux racines multiples, le candomblé est issu de l´interpénétration
de diverses civilisations africaines, européennes et amérindiennes.
De ces contacts, nul n’a conservé sa prétendue pureté originelle : ni
l’esclave soucieux de préserver le seul bien qui lui restait – sa
religion – ni le blanc dominateur. Globalement, le blanc semble
s’être autant « noirci » que le noir s’est « blanchi » et, pour ce qui
nous intéresse ici, le catholicisme populaire portugais s’est sans
doute autant africanisé que les religions africaines se sont
christianisées. Quiconque envisage l’étude des candomblés de
Bahia se doit de visiter certaines églises de la ville – comme celles
du Senhor do Bonfim, du Rosário dos Homens Prêtos, de São
Lázaro – et d’assister aux offices et fêtes populaires qui y sont
célébrés. Cette visite peut se révéler plus instructive qu’un long
exposé théorique sur le syncrétisme et les processus d’accultu-
ration, contre-acculturation ou inculturation. Bahia rend tangibles
des notions qui peuvent sembler trop abstraites ; tout en les
illustrant souvent de manière lumineuse, la réalité bahianaise en
montre aussi les limites, pointant les travers d’un certain
formalisme conceptuel et typologique. Comment alors appréhender
le « bric-à-brac » qui caractérise l’intérieur de ces églises baroques
ou les autels secrets du candomblé ? Il me semble que le concept
de « bricolage » reflète relativement bien la réalité du phénomène.
Ces lieux de croyance et de dévotion résultent en effet d’un
bricolage complexe où chaque élément est sans cesse réélaboré.
Dans le travail qui suit, je tenterai de donner un aperçu, le plus
fidèle possible, de réalités rituelles et musicales extrêmement
malléables, sans oublier que la collecte et l’analyse des données
ethnographiques ne sont qu’une tentative, incomplète et imparfaite,
de cristalliser certains aspects de réalités multiples et changeantes.
Fruit de cinq siècles d´un intense brassage ethnique et culturel, les
rites et musiques de possession à Bahia fournissent des éléments de
choix pour mieux comprendre les métissages qui touchent, avec
une ampleur et un rythme inédits, les mondes contemporains.
Appréhender et interpréter, à l’aide d’outils méthodologiques
adéquats, ces phénomènes complexes constitue l’un des principaux
enjeux des sciences sociales.
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Introduction
1. Candomblé est le terme couramment utilisé dans l’Etat de Bahia, au nord-est du Brésil,
pour désigner les groupes religieux présentant un ensemble de pratiques rituelles d’origine
africaine. Ces groupes se caractérisent par un système de croyances en des divinités appelées
santos (en portugais), orixás (en yoruba), voduns (en fon) ou inquices (provenant du mot
bantu nkisi), croyances associées au phénomène de la possession, considérée par les
membres du groupe comme l’incorporation de la divinité dans l’initié rituellement préparé à
la recevoir.
2. Première capitale du Brésil, de 1549 à 1763, et actuelle capitale de l’Etat de Bahia,
Salvador compte aujourd’hui près de 2 500 000 habitants.
3. Ifá est le dieu de la divination dans l’ancien royaume du Dahomey ; Pierre Verger, initié
au culte d’Ifá en 1952, devient ainsi « Fatumbi ».
4. Lieu de culte (voir glossaire).
5. Chef de culte masculin ; traduction du portugais pai de santo ou du yoruba babalorixá.
11
dans le giron d’une école de pensée notamment marquée par Nina
Rodrigues, Édison Carneiro, Roger Bastide et Pierre Verger 1.
Comment aurais-je alors pu m’interroger sur la prétendue supério-
rité et l’hégémonie de la tradition Ketu 2, sur les processus de
réafricanisation, ou bien encore sur le phénomène d’ecclésio-
genèse 3 qui touche les terreiros censés être les tenants de la « vraie
tradition » du candomblé ? Je n’avais pas la moindre idée du poids
des idéologies auxquelles j’étais confronté. Ce n’est que deux ans
plus tard, lors d’un troisième séjour à Bahia, que je découvre
d’autres réalités religieuses. Surpris par certaines divergences
rituelles et liturgiques présentes dans un lieu de culte moins
prestigieux situé à la périphérie de la ville, je me fais le porte-
parole d’une orthodoxie légitimée par mes illustres prédécesseurs.
Ayant appris à distinguer certaines caractéristiques des « nations 4 »
de candomblé, je bondis chaque fois que mon oreille détecte un
rythme Jêje ou un chant Angola dans un lieu de culte appartenant
en principe à la « nation » Ketu. Inconsciemment, j’applique la
théorie du « pur » et du « dégénéré » 5. Choqué par ces mélanges
incongrus, pour ne pas dire « contre nature », je décide de partir à
la recherche des derniers détenteurs des « pures traditions
africaines ». Une semaine plus tard, je prends le bus pour
Cachoeira – une petite ville de l’intérieur du Recôncavo 6 réputée
1. Stefania Capone pose sur ce parcours classique un regard lucide : « La plupart du temps,
le jeune chercheur est introduit dans l’univers qu’il veut étudier par un autre ethnologue.
Dans le cas du candomblé bahianais, il est amené presque obligatoirement à travailler dans
les trois terreiros considérés comme les détenteurs de la tradition africaine. (…) Les pièges
sont multiples, liés non seulement à l’engagement religieux, mais aussi aux rapports que l’on
entretient avec ses prédécesseurs : en s’inscrivant dans une tradition d’études, les
ethnologues légitiment ces traditions et les perpétuent » (Capone, 1999 : 310).
2. Tradition dominante d’origine yoruba, qui tire son nom de l’ancien royaume de Kétu.
3. Ce terme, emprunté ici à Roberto Motta, désigne la tendance récente de certains lieux de
cultes à revendiquer une orthodoxie et à se regrouper sous la forme d’une église à part
entière, « avec sa théologie systématisée, son code rituel et son sacerdoce ou ses ministres
ordonnés d’après certaines règles de succession ou transmission du charisme » (Motta,
1989 : 241).
4. Traduction de nação. Terme censé déterminer les origines ethniques et culturelles
prédominantes d’un terreiro. On distingue différentes « nations » de candomblé, parmi
lesquelles subsistent à Bahia : les nations Ketu et Ijexá, d'origine linguistique yoruba,
également connues sous le terme générique de Nagô ; la nation Jêje, d'origine linguistique
fon ; les nations Angola et Congo, d'origine linguistique kimbundu et kikongo.
5. Opposition systématisée notamment par R. Bastide, selon laquelle le candomblé Nagô de
Bahia représenterait un idéal de pureté africaine et les candomblés Bantous (Angola et
Congo) un « modèle » de dégénérescence ; voir Fry (1984) et Capone (1999 : 16).
6. Région de l’État de Bahia qui entoure la Baie de Tous les Saints, dont la culture est
profondément marquée par la présence massive des descendants d’esclaves africains.
12
pour la pureté de ces traditions, notamment Jêje – et rencontre la
vieille « mère de saint » 1 Luiza da Rocha, considérée comme
l’ultime représentante de la nation Jêje Mahi. Au cours de longs
entretiens, elle me divulgue – et à moi seul, insiste-t-elle – les
chants qui constituent la quintessence de cette nation en voie de
disparition. Quelle n’est pas ma stupeur lorsque je constate qu’une
grande partie de ce répertoire provient du candomblé Ketu et
lorsque Dona Luiza m’apprend qu’avant de devenir mère de saint
de cette mystérieuse nation Jêje Mahi, elle avait été membre de
terreiros Ketu et Angola. D’autant que l’essentiel de son discours
est fondé sur la nécessité de « ne pas se mélanger », même si la
disparition à court terme de sa nation semble en être la
conséquence inévitable. Cette rencontre va donc me révéler une
autre nécessité, celle de ne pas se fier aveuglément aux propos et
aux revendications des différents protagonistes de mon enquête.
D’autant que le chercheur est, pour ces derniers, un puissant outil
de légitimation. Fasciné par ces incessantes interactions entre des
« traditions » se voulant autonomes et imperméables les unes aux
autres, j’acquiers la conviction qu’une étude comparative serait
nécessaire afin de démêler cet enchevêtrement complexe
d’éléments prétendument authentiques et purs. Mon intérêt
spécifique pour la nation Angola et le culte des caboclos 2, «
parents pauvres » des religions afro-bahianaises, me conforte dans
le choix de cette perspective comparative. Moins marquées par les
discours idéologiques et orthodoxes, ces manifestations – non
moins authentiques et représentatives du candomblé –
présenteraient un syncrétisme plus patent. La lecture d’écrits
ethnologiques plus récents 3 me permet de poser un regard différent
– et quelque peu critique – sur l’œuvre de mes illustres
prédécesseurs, ainsi que sur les tenants de la « véritable tradition »
du candomblé. Je découvre que dans cette quête de légitimité se
jouent le pouvoir et la suprématie au sein d’un « marché religieux »
en pleine expansion, mais aussi très fortement concurrentiel. Dans
un tel contexte, le chercheur doit donc redoubler de vigilance.
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Par ailleurs, ayant fréquenté pendant plusieurs années de
nombreux terreiros dans la ville de Salvador, mais aussi dans
l’intérieur de l’État de Bahia, une autre nécessité m’est
apparue : celle de prendre une distance suffisante avec les trois ou
quatre lieux de culte considérés comme les plus « traditionnels »,
précisément ceux au sein desquels presque tous mes prédécesseurs
ont effectué leurs enquêtes 1. Pour mieux comprendre cette
décision, il faut savoir que la seule ville de Salvador compte
aujourd’hui plus de deux mille terreiros inscrits à la Fédération
Nationale du Culte Afro-Brésilien 2. Cette multiplicité de lieux de
culte est inscrite sous le signe de la pluralité des pratiques rituelles
et de l’absence d’orthodoxie 3. L’orthodoxie revendiquée par
certains n’est qu’une construction récente – induite et légitimée par
plusieurs générations de chercheurs – qui ne touche qu’une infime
minorité de ces terreiros. Il me faudra donc traiter des candomblés
et non pas du candomblé. Toutefois, la manière la plus pertinente
d’aborder cette diversité sera de suivre certaines lignes de
démarcation, matérialisées notamment par le concept de « nation ».
Nous tenterons de voir dans quelle mesure chaque nation présente
une relative unité liturgique et rituelle qui la distingue des autres,
mais aussi de déterminer quelles sont, dans la pratique quotidienne,
les interpénétrations qui les lient. Dans le domaine musical, nous
verrons que l’approche comparative permet de mettre en évidence
certaines de leurs spécificités d’une part, les emprunts et influences
réciproques qui les unissent de l’autre. Nous constaterons ainsi que
le candomblé représente un extraordinaire laboratoire pour l’étude
du « métissage musical », phénomène que nous tenterons de
caractériser au terme de cette étude.
Les cultes afro-brésiliens forment une « nébuleuse » complexe
et s’inscrivent dans un continuum au sein duquel chaque culte ne
peut se comprendre pleinement que dans sa relation avec les autres.
Ainsi, l’orthodoxie Jêje-Nagô ne prend sens qu’en la comparant
aux autres modalités du continuum. C’est pour cette raison que
1. Je prendrai ici l’exemple emblématique du terreiro Axé Opô Afonjá, dans lequel des
dizaines de chercheurs se relaient sans discontinuer depuis une soixantaine d’années.
2. Federação Nacional do Culto Afro-Brasileiro, fondée en 1946 sous le nom de Federação
Baiana do Culto Afro-Brasileiro.
3. Nous reviendrons en détail sur cette absence d’orthodoxie qui semble être, comme
l’affirme Bertrand Hell (Hell, 1999), une caractéristique essentielle des cultes liés à la
possession et au chamanisme.
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nous ferons quelques incursions dans le monde de l’umbanda 1 –
longtemps considérée comme le pôle « dégénéré » du continuum,
par opposition à la tradition africaine, représentée par les grandes
maisons de culte bahianaises.
Ces différents constats, issus d’une dialectique entre théorie et
terrain, nous ont conduits à ne pas envisager la réalisation d’une
monographie classique. Les nations de candomblé présentes à
Bahia entretiennent des liens trop étroits pour ne pas s’y intéresser
en détail. En ce sens, on peut percevoir les limites des travaux
antérieurs de certains chercheurs qui ont contribué, dans leur quête
insatiable de l’Afrique au Brésil, à légitimer la prétendue supé-
riorité d’une nation de candomblé sur les autres 2, sans nullement
s’intéresser à ces dernières. Cette première tentative comparatiste
fera apparaître que certaines généralisations ethnologiques ou
musicologiques, issues d’une démarche hypothético-déductive,
peuvent être remises en question par une analyse minutieuse de la
diversité des pratiques rituelles et musicales. Soucieux de
privilégier une démarche inductive, notre garde-fou méthodo-
logique sera de rester proche de la réalité quotidienne des can-
domblés et de ne pas les considérer comme un bloc monolithique.
Résumons ici notre problématique, en énumérant les
interrogations qui ont chronologiquement jalonné nos recherches et
auxquelles nous nous efforcerons de répondre au cours de ce
travail : Qu'est-ce qu'une nation de candomblé ? Quelles sont, sur
les plans liturgique et rituel, les constantes et les divergences qui
caractérisent ces nations ? Peut-on clairement mettre en évidence
les emprunts et influences réciproques de ces nations entre elles ?
Chaque nation détient-elle un patrimoine musical spécifique ? Ces
patrimoines musicaux ont-ils subi des interpénétrations similaires à
celles qui ont touché les nations de candomblé sur les plans
liturgique et rituel ? Comment caractériser le phénomène de
« métissage musical » qui semble résulter de ces interpénétrations
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multiples ? Y a-t-il des « logiques métisses » qui président à un tel
processus ? Et dans ce cas, quelles sont-elles?
Au cours de nos enquêtes, regroupant un total de six années
passées sur le terrain, nous avons donc effectué une étude
comparative des principales nations de candomblé, telles qu’elles
se présentent à Bahia, à savoir les nations Ketu, Jêje et Angola. Il
est en outre apparu indispensable d’aborder, pour certains points de
la comparaison, le culte des caboclos 1, qui s’intègre, sous diverses
formes, à l’intérieur de ces nations.
La comparaison a porté sur : les divinités qui composent chaque
panthéon : leur nom, les caractéristiques qui leur sont attribuées et
les correspondances qui résultent du syncrétisme « afro-africain » ;
l’organisation de chaque communauté religieuse : hiérarchie et
processus initiatique ; la possession : caractéristiques générales,
incorporation exclusive ou multiple des divinités, comportement du
possédé ; la performance rituelle : structure des cérémonies,
relations entre musique et possession ; le patrimoine musical :
instruments, caractéristiques formelles, langues des chants,
répertoires associés aux cérémonies rituelles (chants et formules
rythmiques).
La perspective comparative a requis le choix d’un terme de
référence. Nous avons choisi de prendre la nation Ketu – plus
précisément le « modèle » Jêje-Nagô, construction théorique
élaborée par Nina Rodrigues, le pionnier des études afro-
brésiliennes, et reprise par la majorité de ses successeurs. Le
modèle Jêje-Nagô, référence incontournable lorsqu’on se penche
sur le candomblé, correspond aujourd’hui à l’idéal d’orthodoxie
que les « grandes maisons » de culte bahianaises revendiquent. Ce
terme de référence nous permettra d’estimer clairement la distance
qui le sépare des autres nations, c’est-à-dire de la pratique quoti-
dienne de l’immense majorité des terreiros de candomblé à Bahia 2.
1. La plupart des terreiros de candomblé organisent, au moins une fois par an, une céré-
monie spécialement consacrée aux caboclos. En tant que culte autonome, le candomblé de
caboclo est assez rare ; il tend à se fondre dans l’une ou l’autre des nations citées, ou bien se
retrouve dans des « sessions » proches de l’umbanda. Le monde des caboclos est un monde
limitrophe ; il se situe aux confins du candomblé « traditionnel » et de cultes qui manifestent
une acculturation plus prononcée, tels l’umbanda.
2. Nous verrons ainsi que la plupart des lieux de culte qui appartiennent à la nation Ketu ne
suivent pas toujours les dogmes issus du modèle Jêje-Nagô, ce qui nous conduira,
notamment au sujet de la possession, à établir une distinction entre Ketu « orthodoxe » et
Ketu « commun ».
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L’approche comparative a par ailleurs nécessité la mise en place
d’une procédure d’enquête particulière. Afin d’obtenir, pour
chaque nation abordée, un ensemble de données suffisamment
représentatives, il nous a fallu enquêter minutieusement dans une
dizaine de communautés religieuses et en fréquenter par ailleurs
une vingtaine d’autres 1. L’absence d’orthodoxie qui caractérise la
majorité de ces communautés n’a pas facilité la procédure. C’est
toutefois cette caractéristique qui nous a fait prendre conscience
des dangers de la généralisation et d’un certain formalisme
idéologique 2. Données historiques, ethnographiques, linguistiques
et musicales seront réunies, analysées puis confrontées dans un
souci de pertinence vis-à-vis d'un contexte profondément marqué
par les interpénétrations de civilisations.
Voici la composition de notre corpus, réuni à Salvador, dans
l’île d’Itaparica, à Cachoeira et dans l’intérieur de l’État de Bahia,
entre 1992 et 2004 : enregistrements sonores (cinquante-deux
heures, dont un disque consacré à la nation Angola) ; documents
audiovisuels (vingt-quatre heures) réalisés au cours de nombreuses
cérémonies rituelles ; entretiens avec des adeptes (chefs de culte,
initiés, tambourinaires) des différentes nations étudiées (cinquante
heures enregistrées et dix heures filmées) ; notes de terrain portant
sur plus de deux-cents cérémonies rituelles ; photographies
(environ deux mille clichés).
La transcription des textes des chants a été faite sous la
supervision des différents interprètes. Nous avons pris le parti de
les transcrire à l’aide d’une graphie qui se rapproche le plus
possible de celle du portugais du Brésil et verrons que le problème
se pose de manière différente d’une nation à l’autre. Précisons que
le résultat, présenté à la fin de cet ouvrage, a été systématiquement
validé par les interprètes.
L’étude des formules rythmiques en usage dans chaque nation,
dont nous fournirons une transcription des rythmes de base
respectifs, permettra, dans le cadre de notre problématique,
d’évaluer de manière objective la perméabilité des répertoires
instrumentaux, à travers la mise en évidence d’emprunts et
1. Outre une dizaine de terreiros située dans la ville de Salvador, nos enquêtes ont été
réalisées dans plusieurs régions de l’État : l’île d’Itaparica, une partie du Recôncavo – région
de qui entoure la Baie de Tous les Saints – et la Chapada Diamantina, située au cœur de
l’État de Bahia.
2. Formalisme caractérisé par une vision dichotomique, fondée sur des oppositions binaires
telles que chamanisme et possession, extase et transe.
17
influences réciproques. Le nombre restreint de ces formules – on
en dénombre vingt, portant chacune un nom spécifique – nous
permettra de travailler sur un corpus exhaustif et cohérent.
L’approche comparative a en effet posé, dès le début de nos
recherches, le problème de l’absence d’homogénéité du corpus.
Dans le contexte afro-brésilien, il est illusoire d’envisager l’analyse
de la systématique musicale d’une « ethnie » qui pourrait être
considérée comme suffisamment autonome et homogène pour être
appréhendée par le biais d’une monographie classique. La
multiplicité des origines ethniques et culturelles revendiquées par
les membres du candomblé suffit à remettre en question une telle
démarche. Nous tenterons au contraire de montrer la diversité de
pratiques rituelles profondément métissées et de voir dans quelle
mesure on peut dégager les influences réciproques qu’elles
entretiennent.
Les musiques associées aux cultes de possession ne prennent
leur entière signification qu’intégrées au système qui les met en
œuvre. Il nous semble donc méthodologiquement erroné de les
extraire de leur contexte. L’étude des relations de la musique et de
la possession est à cet égard révélatrice. La musique du candomblé
est indissociable de l’univers spirituel dans lequel elle s’insère :
musique et symbolique sont intimement liées. Notre objectif est de
suggérer, par le biais d'une étude ethnomusicologique comparative
qui tente d'intégrer le métissage culturel et les interpénétrations de
civilisations, de nouvelles perspectives pour des recherches
comparatives de plus grande ampleur dont nous nous efforcerons
ici de poser quelques jalons.
18
PREMIÈRE PARTIE
CONTEXTE ETHNOLOGIQUE
19
20
Chapitre 1
État des lieux
Nations et syncrétismes
Candomblé est le terme couramment utilisé dans l’État de
Bahia, au nord-est du Brésil, pour désigner les groupes religieux
présentant un ensemble de pratiques rituelles d’origine africaine.
Ces groupes se caractérisent par un système de croyances en des
divinités appelées santos (en portugais), orixás (en yoruba), voduns
(en fon) ou inquices (provenant du mot bantu nkisi), croyances
associées au phénomène de la possession, considérée par les
membres du groupe comme l’incorporation de la divinité dans
l’initié rituellement préparé à la recevoir.
Résultant du contact au Brésil de plusieurs cultures africaines
réunies par l’esclavage depuis le XVIe siècle, le candomblé
constitue une sorte de synthèse culturelle de mondes
mythologiques africains. Chaque communauté religieuse, à Bahia,
célèbre un large panthéon, contrairement à la pratique africaine
selon laquelle un centre religieux – voire un village entier – ne se
consacre au culte que d’une seule divinité. D’innombrables
éléments originaires des cultures yoruba, fon et bantu sont présents
dans le candomblé brésilien. Ainsi est apparu le terme de
« nation », censé déterminer les origines ethniques et culturelles
prédominantes d’une communauté religieuse. On distingue donc
différentes nations de candomblé :
les nations Ketu et Ijexá, d'origine linguistique yoruba,
également connues sous le terme générique de Nagô (en Afrique,
nom donné aux Yoruba par leurs voisins Ewe) ; la nation
Jêje 1 (nom donné aux Ewe par leurs voisins Yoruba), d'origine
linguistique fon ; la nation Angola, d'origine linguistique bantu.
Aujourd’hui, rares sont les communautés religieuses qui
manifestent dans leur pratique rituelle une obédience stricte et
1. La nation Jêje rassemblait à l’origine des Ewe, des Fon (ethnies voisines des Yoruba)
ainsi que des Adja et des Mahi ; cette dernière ethnie, qui vit aujourd’hui dans le nord du
Bénin, a d’ailleurs donné son nom à l’une des dénominations, encore en vigueur à Bahia,
servant à qualifier la forme de culte pratiquée. Luiza da Rocha est ainsi mère de saint du
terreiro Rumpayme Ayono Runtoloji, à Cachoeira, qui appartient à la nation Jêje Mahi.
21
exclusive à une nation déterminée. La majorité d’entre elles ont
incorporé des éléments liturgiques, linguistiques et musicaux non
seulement des autres nations, mais aussi de certaines croyances et
pratiques amérindiennes, donnant ainsi naissance au culte des
caboclos. Par ailleurs, le catholicisme imposé par les Portugais aux
esclaves venus d'Afrique a paradoxalement contribué, au prix d'un
syncrétisme superficiel, à la transmission du patrimoine ancestral
africain. Roger Bastide explique à ce propos :
« Devant le modeste autel catholique, dressé contre le mur de la
senzala [lieu où vivaient les esclaves], à la lumière tremblotante
des cierges, les Noirs pouvaient danser impunément leurs danses
religieuses tribales. Le Blanc s’imaginait qu’ils dansaient en
hommage à la Vierge ou aux saints ; en réalité la Vierge et les
saints n’étaient que des masques et les pas des ballets rituels, dont
la signification échappait aux maîtres, traçaient sur le sol de terre
battue les mythes des Orisha ou des Vodouns… La musique des
tambours abolissait la distance, comblait la surface des océans,
faisait revivre un moment l’Afrique et permettait, dans une
exaltation à la fois frénétique et réglée, la communion des hommes
dans une même conscience collective » (Bastide, 1995 : 67-68).
Autel catholique
Terreiro Unzó Kuna Inkisi Tombensi Malaula - Salvador - 2003
© X.V.
22
Quelques communautés revendiquent aujourd'hui une « pureté
africaine », symptomatique de mouvements récents de réafrica-
nisation, voire de « re-nagôïsation », apparus à Salvador (capitale
de l’Etat de Bahia) dans les années 1970. Objet de prohibition et de
répression jusqu’en 1976, le candomblé est rapidement passé de la
clandestinité à une certaine reconnaissance institutionnelle. Malgré
la « concurrence » récente d'innombrables églises d’inspiration
protestante, visant à diaboliser les cultes d’origine africaine afin
d’en récupérer les adeptes, La Fédération Nationale du Culte Afro-
Brésilien, fondée en 1946, regroupe aujourd’hui plus de 5000
terreiros à Bahia, dont la moitié dans la seule ville de Salvador.
Enraciné dans la culture afro-brésilienne et animé d'une
extraordinaire vitalité, le candomblé s'est toujours préservé des
diverses persécutions dont il a été victime. Au sujet des méca-
nismes à l’origine de cette préservation, Roger Bastide affirme :
« L’esclavage a donc brisé les sociétés globales africaines le long
d’une ligne fluctuante qui séparerait, en gros, le monde des
symboles, des représentations collectives, des valeurs, de celui des
structures sociales et de leurs bases morphologiques. Dans la
destruction raciale des lignages, des clans, des communautés
villageoises ou des royautés, l’Africain s’attachait d’autant plus à
ce qui lui restait de son pays natal, à ce trésor qu’il avait pu
emporter avec lui, ses mythes et ses dieux. Des mythes et des
dieux qui ne vivaient pas seulement dans sa pensée, comme des
images mnémoniques sujettes aux troubles de la mémoire, mais
qui étaient aussi inscrits dans son corps, comme des mécanismes
moteurs, des pas de danses ou des gestes rituels, capables par
conséquent plus facilement de se réveiller au roulement sombre
des tambours » (Bastide, 1995 : 215).
Les esclaves venus d'Afrique, issus d'ethnies très diverses
(certaines d’entre elles seront énumérées plus loin) ont donc
amené avec eux des bribes, et parfois des pans entiers, de leurs
religions respectives. Aujourd'hui, plus de 400 ans après l'arrivée
des premiers esclaves, et en dépit du métissage racial et culturel qui
caractérise la société bahianaise, subsistent encore à Bahia trois
principales nations : la nation Ketu, la nation Jêje et la nation
Angola. Le culte des caboclos, qui tient indéniablement une place à
part (puisqu’il n’est pas exactement considéré comme une nation et
que les caboclos représentent des esprits d’indiens sud-américains
bien éloignés des divinités africaines), est néanmoins un élément
23
incontournable du candomblé bahianais 1. Même s’il est assez rare
en tant que culte autonome, il est en effet célébré par une immense
majorité de terreiros à Bahia 2, chacun organisant, au moins une
fois dans l’année, une cérémonie spécialement consacrée aux
caboclos, où ces derniers viennent prendre possession des initiés
dans un contexte particulièrement festif. Chaque nation de
candomblé célèbre à sa manière le culte hérité des ancêtres.
Chacune porte aussi en elle les marques plus ou moins profondes
de son interaction avec les autres d’une part, avec le catholicisme
populaire de l’autre. Il nous faut donc aborder chaque nation à
l'aune d'un double syncrétisme : afro-africain et afro-catholique.
Le syncrétisme afro-catholique, plus manifeste, a fait l'objet de
nombreuses descriptions, notamment en ce qui concerne les
correspondances entre saints catholiques et divinités africaines. Le
syncrétisme afro-africain s'est quant à lui développé parallèlement
au premier – parfois même en amont – de manière certainement
plus complexe, moins visible, mais peut-être plus profonde. Nous
tenterons de mettre au jour certaines de ces interpénétrations.
Données historiques
24
ailleurs, d’autres esclaves, en nombre probablement plus important,
sont originaires du Congo et de l’Angola ; ils seront communément
appelés « Bantous 1 ». Toutefois, à cette époque, tous les esclaves
arrivent à Bahia sous le terme générique de negros da Guiné. À la
fin du XVIe siècle, on estime à 7000 le nombre d’esclaves présents
à Bahia, ce qui signifie que 20 000 êtres humains environ ont été
embarqués sur les navires négriers. En effet, le « taux de perte »
sur ces navires atteint parfois 50% et l’espérance de vie moyenne
d’un esclave débarqué sur le sol brésilien est de 7 ans.
Vient ensuite le cycle de l’Angola, au XVIIe siècle. Préférés
aux « Soudanais » pour leur docilité, les esclaves « Bantous »
originaires du Congo et de l’Angola constituent l’essentiel de la
main d’œuvre servile à cette époque. Certains d’entre eux sont déjà
christianisés avant leur déportation 2. Par ailleurs, la traversée de
l’Atlantique vers le Brésil est plus rapide depuis l’Angola que
depuis le Golfe du Bénin.
Au XVIIIe siècle se déroule le cycle de la Costa da Mina (actuel
Togo) et du Golfe du Bénin. En effet, dès la fin du XVIIe siècle, le
trafic se reporte massivement vers le Golfe du Bénin, sans pour
autant s’interrompre totalement avec les côtes du Congo et de
l’Angola. L’épidémie de variole qui touche l’Angola dans le
dernier quart du XVIIe siècle est l’une des causes initiales de ce
nouveau cycle dans la traite des esclaves. On estime, au terme de
ce cycle, la proportion d’esclaves à environ 70% de « Soudanais »
contre 30% de « Bantous ».
Enfin, la dernière étape du trafic négrier, de 1816 à 1851, se
déroule dans un contexte d’illégalité. Du fait de l’interdiction
internationale de la traite, décrétée au Congrès de Vienne de 1815
et des contrôles qui en découlent dans les régions d’Afrique
précédemment citées, le trafic se dirige vers la côte orientale de
de l´Équateur ; le terme « Soudanais » regroupe donc des peuples fort divers : Yoruba
(Nagô), Ewe, Fon, Mina, Ashanti, Bambara, Haussa, Mandingues (musulmans) entre autres.
1. Terme générique traditionnellement utilisé pour désigner les esclaves originaires des
régions d´Afrique situées au sud de l´Équateur, parmi lesquels on distinguait, entre autres,
les groupes Angola, Benguela, Cabinda, Mondongo, Mbundu, Congo et Moçambique. Nous
distinguerons le terme Bantou, utilisé comme substantif, généralement opposé à celui de
Soudanais – en référence aux études antérieures consacrées à l´esclavage et aux religions
afro-brésiliennes - de celui de bantu, utilisé comme adjectif invariable, dans son acception
ethno-linguistique contemporaine. On évoquera donc les esclaves Bantous et les traditions
religieuses d´origine bantu.
2. Selon Viana Filho, le syncrétisme afro-catholique sera, chez ces derniers, plus rapide que
chez les « Soudanais ».
25
l’Afrique, moins contrôlée par les autorités internationales de
l’époque ; les derniers esclaves proviennent ainsi du Mozambique,
de Tanzanie, des îles de Pemba et de Zanzibar. Etant donné son
caractère illicite, il est très difficile de déterminer l’importance
numérique de cette dernière phase du trafic négrier. Il semble
toutefois que le nombre d’esclaves en provenance de la côte
orientale de l’Afrique n’ait pas suffi à laisser de traces
significatives dans la culture afro-brésilienne 1.
On estime à 500 000 le nombre d’esclaves présents à Bahia en
1815. En 1874, en raison d’un exode massif de ces derniers vers le
Sud du Brésil, ils ne seront plus que 173 000, selon les chiffres
collectés par Viana Filho. Pour ce qui est du nombre total
d’esclaves importés à Bahia et dans tout le Brésil au cours de la
traite, celui-ci conclut :
« Pour le moment, avec les éléments dont nous disposons,
l’estimation faite pour Bahia d’un million cent mille esclaves
importés est celle que nous jugeons s’approcher le plus des
chiffres exacts. En la mettant en relation avec le trafic brésilien
dans son ensemble, nous concluons à une importation totale de
4.300.000 noirs de diverses provenances, à destination de l’intense
melting-pot national, chacun apportant à cette terre nouvelle les
caractéristiques propres à sa culture, qui allaient se transformer au
Brésil au contact d’un autre milieu et d’autres cultures » (Viana
Filho, 1988 : 161).
Du Nord au Sud des côtes brésiliennes, voici quels ont été les
principaux lieux de débarquement de ces esclaves : Belém (État du
Pará), São Luís (Maranhão), Recife (Pernambuco), Salvador
(Bahia), Rio de Janeiro et Santos (São Paulo). Nous allons voir
qu’à ces zones de débarquement vont correspondre des « religions
afro-brésiliennes » caractéristiques. À la suite du décret promulgué
en 1888 par la Princesse Isabel, l’esclavage est officiellement aboli
au Brésil. Un sous-prolétariat urbain composé de noirs et de métis
va très vite se former. On assiste par ailleurs au retour d’anciens
esclaves vers l’Afrique 2. Commence alors une vie nouvelle pour
1. Il faut dire qu’à notre connnaissance aucune étude n’a jusqu’ici été consacrée à cet
éventuel apport. Au cours de nos investigations, aucune référence à une quelconque origine
est-africaine n’a pu être recueillie.
2. Voir à ce sujet l’ouvrage magistral de Pierre Verger : Flux et reflux de la traite des nègres
entre le Golfe du Bénin et Bahia de Todos os Santos, Paris, Mouton, 1968.
26
les « Afro-Brésiliens », dans un pays qui revendiquera désormais
un triple héritage : européen, africain et indigène1.
1. L’ouvrage de Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves (Casa Grande e Senzala), sera le mani-
feste de ce mythe fondateur de la société brésilienne moderne (1e édition brésilienne 1933).
2. Culte probablement d´origine bantu, pratiqué à Rio de Janeiro jusqu´au début du siècle
dernier. Victime d´un opprobre unanime, son souvenir perdure aujourd´hui à travers l´usage
souvent péjoratif du terme macumba pour désigner indistinctement toute pratique religieuse
d´origine africaine, ainsi assimilée à la « magie noire ».
27
Danse de la divinité Oxossi
Terreiro Santa Cruz - Salvador - 1995
© X.V.
28
2. La pratique rituelle
Le terreiro
29
La roça à proprement parler, c’est-à-dire les terres qui entourent
les constructions que nous venons d’évoquer, où sont plantés les
arbres sacrés 1, les plantes indispensables à la pratique rituelle et où
sont élevés les animaux 2 destinés aux sacrifices.
La casa de Exu, « maison d’Exu 3 ». Elle se situe généralement
dans une zone de contact avec le monde extérieur 4, à l’entrée ou
bien à une extrémité du terreiro.
Le barracão est le lieu dans lequel se déroulent presque toutes
les cérémonies publiques. Bien que ses dimensions soient
extrêmement variables d’un lieu de culte à l’autre 5, la répartition de
l’espace y est toujours très rigoureuse. En son centre est
traditionnellement « planté » l’ixé, un axe vertical, matérialisé ou
non par un mât, censé être le vecteur par lequel les divinités
« descendent » sur terre, et grâce auquel l’axé 6 circule. En son pied
sont enfouis les objets sacrés liés au dono da casa 7, à la nation à
laquelle le terreiro appartient, et à la maison mère (terreiro matriz)
d’où celui-ci tire son origine. L’ixé est le centre de gravité autour
duquel s’organise, au cours des cérémonies, la ronde des initiés.
Les tambours ont un espace qui leur est réservé, où prennent place
les tambourinaires ainsi que celui qui joue la cloche. Lorsque les
dimensions du barracão le permettent, l’espace attribué aux
visiteurs est divisé en deux, afin que femmes et hommes soient
séparés. Une autre partie du barracão est réservée aux ogãs
(dignitaires du culte) ainsi qu’aux visiteurs de marque, tels les
membres importants de lieux de culte avec lesquels sont
entretenues des relations privilégiées 8. Nombreux sont les lieux de
culte où le barracão est orné de représentations iconographiques
1. Certains de ces arbres, tel l’iroko, font l’objet d’un culte phytolatrique.
2. Poules, coqs, chèvres, cabris, boucs, tortues notamment.
3. Dans la tradition yoruba, Exu est un esprit malicieux qui sert d’intermédiaire entre les
hommes et les orixás. A ce titre, il fait l’objet d’attentions très particulières, notamment
avant les cérémonies (padê de Exu).
4. Au Brésil, Exu est souvent surnommé « l’homme de la rue ».
5. Parmi les terreiros où nous avons enquêté, le plus grand barracão avait une superficie de
200 m2 et le plus petit de 20 m2.
6. Énergie spirituelle dont la régénération est un enjeu essentiel des cérémonies rituelles.
Transmis par la présence des divinités, l’axé est aussi contenu dans le sang des animaux
sacrifiés et dans certains objets rituels.
7. « Maître de la maison » ; divinité protectrice du lieu de culte.
8. Lors des cérémonies publiques, un homme, nommé ogã de sala, a pour fonction
spécifique de recevoir les visiteurs, en respectant des préséances très strictes.
30
de saints catholiques et de divinités africaines 1. Au mur est aussi
accrochée la « licence » (alvará) attribuée par la Fédération
Nationale du Culte Afro-Brésilien, sur laquelle figure notamment
la nation à laquelle appartient le terreiro. Le barracão est le lieu
privilégié de la pratique cérémonielle.
Les cérémonies
1. Il n’est pas rare de trouver aussi la présence d’un drapeau brésilien, notamment dans les
terreiros où est célébré le culte des caboclos.
2. Voir « La fête de candomblé : stéréotype d’une cérémonie ».
3. Nous y reviendrons en détail dans le chapitre consacré au processus initiatique.
4. Nom donné aux jeunes initiés (voir glossaire).
31
Les rites funéraires, que l’on nomme axexê dans la nation Ketu,
zerin dans la nation Jêje et sirrum (ou mukondo) dans la nation
Angola. Ces rites durent en principe sept nuits ; ils sont réitérés à
intervalles précis (trois ans, sept ans, quatorze ans) pendant les
vingt-et-un ans qui suivent la mort de l’initié. Le respect de ces
« obligations » rituelles varie d’un lieu de culte à l’autre et dépend
de la position hiérarchique et du prestige de la personne qu’on
célèbre. Les rites funéraires sont accompagnés de chants qui
constituent un répertoire spécifique jusqu’ici très peu documenté 1.
Musique et danse
32
3. Le continuum rituel afro-bahianais
Le modèle Jêje-Nagô
1. Peter Fry affirme à ce propos : « Comme Édison Carneiro, Artur Ramos et dans une
certaine mesure Ruth Landes, Bastide transforme la vision subjective des pères et mères de
saint des candomblés qui revendiquent le statut de « plus traditionnels » et « plus purs » en
une classification apparemment « scientifique ». Dans l’effort d’échapper à un
ethnocentrisme « européen », l’auteur, en devenant africain, adopte un autre ethnocentrisme,
« africain » cette fois » (Fry, 1984 : 9).
2. Parmi lesquelles on compte : le terreiro de la Casa Branca (aussi appelée Engenho Velho
ou Ilê Axé Iyá Nassô Oká), considéré comme le plus ancien terreiro de candomblé du
Brésil, d’où sont issues les deux autres maisons bahianaises les plus prestigieuses : le
Gantois et l’Axé Opô Afonjá. Ce dernier détient sans aucun doute le record de fréquentation
de chercheurs de toutes nationalités venus, pour la plupart, s’assurer que l’Afrique vivrait
encore, intacte, au Brésil.
33
sont, en grande majorité, bien éloignés des stratégies de
réafricanisation déployées par les tenants de l’orthodoxie. Le
quotidien de ces communautés, quelle que soit la nation qu’elles
revendiquent, est avant tout axé sur une efficacité rituelle qui
nécessite flexibilité, adaptation et absence d’orthodoxie. Dans un
tel contexte, il faut tenter de situer chaque communauté à
l’intérieur d’un continuum qui regroupe à ses extrémités des
pratiques rituelles dont les modalités et les stratégies sont
divergentes, voire antagonistes. Stefania Capone précise :
« Parler du candomblé comme d’une réalité bien définie qui
distinguerait nettement ceux qui pratiquent la religion africaine de
ceux qui se laissent contaminer par les influences externes, est
donc définitivement impossible. Ce qui a été longtemps présenté
comme une entité monolithique, d’où se dégagerait l’essence
même d’un passé immuable, se révèle être une nébuleuse en
perpétuel mouvement. En effet, malgré l’élaboration d’un modèle
d’orthodoxie grâce à l’alliance entre un segment du culte et les
ethnologues, l’analyse de la pratique rituelle nous fait découvrir
une réalité extrêmement différente, dans laquelle le modèle idéal
d’orthodoxie entre en conflit avec les multiples réarrangements
rituels pratiqués dans le but de se conformer à ce même modèle.
Nous sommes ainsi passés d’une vision essentialiste de la culture,
à laquelle il est fait référence dans le mouvement de retour aux
racines de la tradition, à la perception d’une culture, toujours
réinventée, recréée, recomposée autour de significations
nouvelles » (ibid. : 301-302).
Nous verrons que, d’une nation à l’autre, les processus de
réinvention, de recréation et de recomposition d’une culture à
laquelle chacun tente de s’identifier à sa façon ne sont pas les
mêmes. Parmi les nations étudiées – Ketu, Jêje, Angola et culte des
caboclos – il semble que les pôles du continuum rituel soient
constitués par les tenants de l’orthodoxie Jêje-Nagô d’une part et le
culte des caboclos de l’autre. Nous verrons comment se
positionnent les autres nations participant de ce continuum et
tenterons de vérifier si cette polarisation se révèle opératoire à tous
les niveaux de l’analyse. En d’autres termes, l’africanité s’oppose-
t-elle systématiquement à la « brasilianité » – qui semble
particulièrement patente, par exemple, dans le culte des caboclos –
et quelle place pourrait tenir ce que certains nomment la
« bahianité », forme intermédiaire entre ces deux pôles ?
34
Les Bantous au Brésil : discrimination historique, idéologique et
sociale
35
environnante, semble discutable. Cette vision provient, une fois
encore, de l’idéologie qui a longtemps affirmé la supériorité des
Soudanais sur les Bantous. En effet, pour tirer des conclusions
pertinentes relatives à une quelconque aptitude à la résistance
culturelle, de la comparaison des traits culturels et « africanismes »
préservés par les descendants de ces deux groupes extrêmement
hétérogènes – Soudanais et Bantous – les chercheurs de l’époque
auraient dû prendre davantage en considération la nette antériorité
de la présence des Bantous à Bahia : deux siècles séparent en effet
l’arrivée en masse des esclaves Bantous de celle des Soudanais,
antériorité à elle seule suffisamment conséquente pour expliquer
les plus grandes interpénétrations subies par les traits culturels
d’origine bantu.
En ce qui concerne le caractère docile et soumis
traditionnellement attribué aux esclaves Bantous, rappelons que la
plus célèbre communauté marronne de l’histoire du Brésil 1,
symbole de la résistance au système esclavagiste, a été fondée et
dirigée par des esclaves Bantous, dont les chefs légendaires
répondaient aux noms typiquement bantu de Gangazumba (nom
d’un inquice du panthéon bantu) et Zumbi 2. C’est au sein de ces
communautés marronnes que les adeptes du candomblé Angola
voient aujourd’hui l’origine de la rencontre du noir Bantou avec le
monde amérindien. Les quilombos regroupaient en effet non
seulement des esclaves fugitifs mais aussi des indiens originaires
des régions environnantes. C’est ainsi que serait née, pour certains
adeptes du candomblé Angola, la figure mythique du caboclo,
considéré comme le dono da terra, premier habitant et maître
légitime de cette terre d’accueil.
Au sujet du syncrétisme afro-catholique, considéré comme un
élément incontournable de la culture bahianaise et objet de
nombreuses études, Viana Filho affirme :
« C’est surtout autour du syncrétisme religieux que l’on peut voir
la grande influence bantu à Bahia, au XVIIe siècle. De cette origine
proviennent les fêtes religieuses qu’organisaient les Noirs
bahianais à cette époque. Le syncrétisme religieux des Bantous,
plus prompts à l’adaptation, s’exprime d’emblée dans le culte de
1. Le célèbre Quilombo dos Palmares, établi dans l´État d´Alagoas, entre 1590 et 1694.
2. Zumbi dos Palmares est devenu, depuis les commémorations du centenaire de l´abolition
de l´esclavage, en 1988, le symbole de la lutte des noirs pour leur liberté. Le 20 novembre,
jour de la Conscience Noire au Brésil, est appelée Dia de Zumbi (jour de Zumbi).
36
Saint Benoît (São Benedito) et de Notre-Dame du Rosaire (Nossa
Senhora do Rosário), leurs saints de prédilection, selon les
observations de presque tous les auteurs. Sous l’invocation de ces
saints furent fondées les Confréries des Hommes Noirs
(Irmandades dos Homens Pretos), qui proliférèrent tant à Bahia »
(Viana Filho, 1988 : 92).
Nous reviendrons plus loin sur la notion de syncrétisme, en
abordant la double articulation – afro-africaine et afro-catholique –
opérée par les adeptes du candomblé.
À l’abolition de l’esclavage, en 1888, les archives concernant le
trafic négrier ont été détruites, jetant dans l’oubli une partie
importante de l’histoire du Brésil durant ces trois siècles
d’asservissement. Les lacunes concernant l’histoire des esclaves
d’origine bantu à Bahia et dans tout le Brésil sont donc
nombreuses, raison pour laquelle il faut distinguer deux phases
historiques discontinues lorsqu’on aborde les traditions religieuses
d’origine bantu : la phase esclavagiste, lacunaire et pauvre en récits
concernant les traits culturels bantu, et la phase moderne, post-
abolitionniste, dont les témoignages sont plus nombreux, mais pas
toujours exempts de préjugés.
37
Candomblé (Bahia) Macumba (Rio de Janeiro)
noirs nagô noirs bantous, mulâtres et immigrés
blancs pauvres
communauté individualisme
économie basée sur l’échange économie basée sur le profit et
l’exploitation
tradition dépravation
principe de coupure syncrétisme
transe normale et prophylactique transe pathologique
cosmologie complexe cosmologie simple
contrôle social criminalité
érotisme contrôlé érotisme débridé 1
harmonie et ordre dissension et désordre
aristocratie plèbe, sous-prolétariat
religion magie noire
superstructure dominante infrastructure dominante
38
saint, c’est-à-dire en contact direct avec le monde de la possession
et le pouvoir religieux qui en découle. Ces hommes – aujourd’hui
considérés par la plupart des adeptes du candomblé, toutes nations
confondues, comme d’illustres pères de saint – ont été d’emblée
stigmatisés, notamment en raison de leur option sexuelle.
L’homosexualité, alors considérée comme pathologique et
délictueuse, suscite commentaires et critiques acerbes des
chercheurs de l’époque.
Citons à ce propos quelques extraits significatifs de deux
ouvrages de référence, reposant sur des observations réalisées à la
fin des années 1930 : A Cidade das Mulheres, de l’anthropologue
américaine Ruth Landes, et Candomblés da Bahia, du célèbre
ethnographe et folkloriste Édison Carneiro. Ces auteurs se réfèrent
directement à deux chefs de culte qui allaient devenir des figures
emblématiques du candomblé Angola 1 : Manoel Bernardino da
Paixão (surnommé Bernardino do Bate Folha, du nom de son
terreiro) et João Alves Torres Filho (surnommé Joãozinho da
Goméia, du nom du quartier où se trouvait son terreiro).
Dans A Cidade das Mulheres, Ruth Landes retranscrit, à
plusieurs reprises, ses entretiens avec Édison Carneiro, qui fut son
mentor tout au long de son enquête de terrain, réalisée en 1938-39.
Dans l’un de ces entretiens, Carneiro affirme, au sujet du jeune
Joãozinho da Goméia :
« Il y a un jeune et sympathique père congo, dénommé João, qui
ne sait presque rien et que personne ne prend au sérieux, pas même
ses filles de saint, comme on appelle en général les initiées ; mais
c’est un excellent danseur et il possède un charme certain. Tous
savent qu’il est homosexuel, car il passe ses cheveux longs et
crépus au fer chaud et cela est un blasphème. – Quoi ! Comment
peut-on laisser un fer chaud toucher la tête où habite un saint !
S’exclament les femmes » (Carneiro, cité par Landes, 2002 : 78).
Il ajoute, cette fois au sujet de Bernardino do Bate Folha :
« Père Bernardino, qui a un temple angola, est respecté même par
Menininha, qui le désigne comme un frère lorsqu’il lui rend visite.
Il faut le voir danser. Il rivalise avec les femmes qui dansent le
mieux, bien que ce soit un grand gaillard. Il danse dans le style des
39
femmes, sensuel et distant et est si compétent dans son travail que
les mères en ont presque oublié son sexe. Mais quel tempérament !
C’est ce qui reste de son complexe d’infériorité et il le met en
évidence à travers les cris qu’il pousse où qu’il se trouve. Pourquoi
complexe d’infériorité ? Pourquoi ? C’est un homme, Madame
Ruth, dans un monde dominé par les femmes. Un véritable chef de
culte doit être une femme et je pense que Bernardino est assez
honnête dans les pratiques du culte pour désirer qu’il fût une
femme, plutôt qu’un homme qui se comporte comme une femme.
En tant qu’homme, il doit déléguer de nombreuses fonctions
cruciales à une femme du culte et, finalement, c’est elle qui dirige
à sa place » (Carneiro, cité par Landes, 2002 : 264).
Il conclut :
« Les hommes n’ont ni le caractère ni la dédication nécessaires
pour maintenir le sacerdoce. Ils sont de tempérament colérique, se
disputent, profèrent des injures et battent les filles [de saint]. Ils ne
sont pas toujours honnêtes et, en réalité, ne connaissent pas les
traditions du culte » (Carneiro, cité par Landes, 2002 : 265).
Au sujet de Joãozinho da Goméia – appelé à l’époque João da
Pedra Preta, en référence à son célèbre caboclo, du nom de Pedra
Preta – Ruth Landes affirme :
« Il était réputé pour ses aventures amoureuses avec d’autres
hommes et pour son incapacité à maintenir la discipline parmi les
filles de son temple caboclo. Il avait la réputation d’être un
merveilleux danseur et je pouvais me l’imaginer par sa silhouette
légère et gracieuse » (Landes, 2002 : 303-304).
Toujours à propos de Joãozinho da Goméia, Édison Carneiro
ajoute :
« Il a maintenant 24 ans et a hérité du poste il y a neuf ou dix ans.
Naturellement, il n’y était pas préparé. Il avait à peine sept ou huit
ans lorsqu’il est apparu à Bahia [Salvador], venu de l’intérieur de
l’État, orphelin, sans foyer et a été employé par un père de saint. Il
a vécu avec des bandes de jeunes garçons comme lui et les seules
femmes qu’il a connues vivaient dans des bordels. Enfin, le vieux
père X 1 l’a recueilli et s’est pris d’amitié pour lui, lui laissant le
temple à sa mort » (Carneiro, cité par Landes, 2002 : 304).
1. Ce père de saint que Carneiro ne souhaite pas nommer, il s´agit de Jubiabá (Severiano
Manuel de Abreu, 1886-1937), célèbre chef de culte associé au personnage homonyme du
roman de Jorge Amado.
40
Ruth Landes ajoute, dans un article, devenu célèbre, publié en
annexe de A Cidade das Mulheres (« Matriarcado cultual e
homossexualidade masculina ») :
« Les hommes ont apporté à l’atmosphère du candomblé un
élément jusqu’alors étranger, une espèce de terrorisme qui
s’exprime dans la manière intraitable et sévère avec laquelle ils
dirigent le groupe, dans l’emploi furtif, mais bien connu, de la
sorcellerie et dans l’usage du fouet contre les initiées. [...] En ayant
recours à la violence, le père admet que, bien qu’ayant obtenu la
charge de mère, il n’a pas réussi à reproduire son caractère.
Comme ses ambitions sont autres, le père altère la nature de cette
charge. Son terrorisme dérive, en partie, de celui du devin-sorcier.
Bernardino, Procópio et Ciríaco sont les plus célèbres pères de
Bahia, mais leur célébrité comme pères de saint est entachée par
leur réputation de sorciers. Parmi leurs clients, on dénombre des
Blancs distingués qui les protègent de la police, car celle-ci,
occasionnellement, les arrête et les frappe » (Landes, 2002 : 329).
Landes affirme par ailleurs :
« Les pères que j’ai connus, environ 10, étaient recrutés entre
prostitués, délinquants juvéniles et malfrats de la ville. Ils n’étaient
pas tous nés à Bahia [Salvador] ; João, par exemple, est venu, à
l’âge de 10 ans, des lointaines régions d’élevage de l’État e a vécu
dans la ville parmi la canaille des rues. Le lieu de naissance n’a pas
d’importance, car la même espèce de comportement sexuel
anormal peut survenir dans n’importe quelle région du Brésil, et
bien peu d’hommes n’auront été exposés à l’une des ses formes.
Naturellement, en tant que proscrit, João était un délinquant »
(Landes, 2002 : 329-330).
On peut juger, dans cette citation, de l’intensité du préjugé
homophobe de l’époque. En outre, cette version de l’histoire
personnelle de Joãozinho da Goméia, qui permet aux deux auteurs
de corroborer la thèse du lien supposé entre homosexualité,
marginalité, prostitution et délinquance, est largement contestée
par les recherches récentes menées sur ce père de saint. Bien qu’il
soit parfois difficile de distinguer entre tentative postérieure de
réhabilitation et réalité historique, de nombreux témoignages
contredisent la version « marginalisante » de Landes et Carneiro 1.
1. Pierre Verger, qui a réalisé, en 1946, une centaine de clichés photographiques dans le
terreiro de Joãozinho à Salvador, nous offre, entre autres, le portrait de sa mère biologique,
Vó Senhora. Joãozinho n´était donc vraisemblablement pas un orphelin !
41
Édison Carneiro, dans son célèbre ouvrage, Candomblés da Bahia,
conclut :
« Dans les candomblés non nagô ou jêje, l’autorité du chef revêt
presque toujours une forme tyrannique, qui correspond au plus
grand laxisme de la hiérarchie et de la discipline : l’autorité doit
être maintenue à tout prix. Cela impose des modifications
essentielles dans la psychologie des chefs. Par exemple,
Bernardino, père d’un candomblé congo, devait constamment
afficher une mine patibulaire, tandis que Joãozinho da Goméa,
père d’un candomblé angola, devait avoir recours à la menace de
châtiments corporels. En général, dans ces candomblés, tout le
monde commande – le père n’est que l’ultime instance. Les lignes
hiérarchiques sont plus floues. Et, de cette confusion de l’autorité
découle la confusion des sexes, dans les fêtes et dans d’autres
occasions » (Carneiro, 1961 : 133).
Cette pensée circulaire (« anormalité sexuelle » – confusion
d’autorité – confusion des sexes) atteste plus du préjugé de l’auteur
que d’une logique causale validant le lien entre « comportement
sexuel anormal », confusion hiérarchique, perte d’autorité et
anarchie (« tout le monde commande »). Résumons les
caractéristiques attribuées par Carneiro et Landes à ces pères de
saint et à leurs candomblés :
Caractéristiques attribuées aux chefs de culte : « comportement
sexuel anormal » (autrement dit, homosexualité), marginalité,
délinquance, prostitution, complexe d’infériorité, tyrannie, pratique
de châtiments corporels, terrorisme, tempérament colérique,
incapacité à maintenir la discipline, méconnaissance des traditions,
malhonnêteté, sorcellerie. La seule qualité reconnue aux pères de
saint semble être leur compétence chorégraphique !
Caractéristiques attribuées aux candomblés Angola, Congo et
Caboclo : laxisme de la hiérarchie, confusion de l’autorité, absence
de discipline, anarchie, violence, perte des traditions, religion
transformée en sorcellerie.
Dénigrés, assimilés à des délinquants, les pères de saint de
l’époque, quelle que soit la nation à laquelles ils déclarent
appartenir – Angola, Congo, Caboclo, mais aussi Nagô, puisqu’à
cette époque existe déjà un nombre significatif de pères de saint
revendiquant leur ancestralité nagô – sont l’incarnation de la
dégénérescence et de la dépravation des véritables traditions
africaines, symbolisées par le mythe du matriarcat nagô.
42
À ce propos, voici le tableau fourni par Landes (Landes, 2002 :
326), réalisé à partir des 67 terreiros inscrits en 1937 à l’Union des
Sectes Afro-Brésiliennes de Bahia (União das Seitas Afro-
Brasileiras da Bahia), données recueillies par Édison Carneiro :
43
traditions matriarcales, « authentiquement » africaines, des
respectables candomblés Jêje-Nagô.
En dépit des préjugés de l’époque, Bernardino est aujourd’hui
considéré comme le plus illustre représentant de la nation Congo –
plus exactement Muxicongo – et son terreiro, le Bate Folha, a été
élevé, en 2003, au rang de patrimoine national 1, devenant ainsi le
premier terreiro d’origine bantu à recevoir cette distinction. Quant
à Joãozinho, dont le souvenir continue d’alimenter de nombreuses
controverses, celui-ci est unanimement reconnu comme le grand
divulgateur du candomblé à Rio de Janeiro et dans le sud du Brésil.
44
Le candomblé Angola à Salvador : caractéristiques générales
45
Un patrimoine musical spécifique
1. Son lien avec la musique du culte des caboclos est par contre relativement plus sensible,
comme l'atteste par exemple la présence massive des formules rythmiques Angola pendant
les cérémonies pour les caboclos ; nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette
étude.
2. Le seul disque enregistré en contexte, au cours d´une cérémonie rituelle, est celui que
nous avons réalisé avec les membres du terreiro Tumba Junçara (Candomblé de Angola.
Musique Rituelle Afro-Brésilienne, Paris, CD Inédit-Maison des Cultures du Monde, 1999).
3. Ce projet inédit, dont nous assurons la direction depuis 2003, est composé d´une équipe
de chercheurs pluridisciplinaire et de membres de diverses communautés religieuses ; il
devrait apporter des éléments nouveaux pour la connaissance des traditions religieuses et
musicales d´origine bantu au Brésil et fournir, dans le domaine des sciences sociales, des
matériaux de référence pour des recherches comparatives de plus grande ampleur.
4. Dans leur ensemble, les enquêtes de terrain en cours permettront d´aborder, selon une
méthode comparative, l´unité et la diversité des pratiques religieuses et musicales d´origine
bantu à Bahia, afin de mettre au jour l´existence probable d´un fonds commun mais aussi de
spécificités locales marquantes.
5. À ce propos, voici les définitions du candomblé fournies par deux dictionnaires français :
Le Robert Électronique : « CANDOMBLÉ [kädöble] n. m. et adj. invar. - 1. N. m. Au Brésil
(surtout dans le Nordeste), lieu de culte adopté par des communautés religieuses suivant des
croyances et des pratiques d'origine africaine (yoruba) apportées par les Africains. - aussi
Macoumba. Les candomblés de Bahia. Confrérie de candomblé. Par ext. Cérémonie de ce
culte. - 2. Adj. invar. Secte candomblé. Mystique candomblé. Etymologie : 1958, n. m., R.
46
Répartition numérique des nations de candomblé à Salvador
Bastide; mot port. du Brésil, empr. à une langue africaine ». Le Petit Larousse Illustré
(2000) : « CANDOMBLÉ n.m. (mot port., d’un mot africain). Culte à prédominance
d’éléments africains, comparable au vaudou et pratiqué au Brésil ; lieu, espace où il se
célèbre ». Notons que Le Robert fournit une forme adjective invariable qui n’existe pas en
portugais du Brésil. Ce dictionnaire, conformément à la tradition ethnographique, ne signale
que l’origine yoruba des croyances et des pratiques des communautés religieuses de
candomblé. La définition du Petit Larousse est relativement plus proche d’un courant
ethnologique récent, qui ne considère plus le candomblé comme une religion africaine
transplantée au Brésil, mais plutôt comme un « culte à prédominance d’éléments africains ».
La comparaison faite avec le vaudou permet d’évoquer le lien avec la tradition Jêje
(originaire, rappelons-le, du Bénin, comme le vaudou haïtien). Dans les deux définitions, on
constate l’absence significative de toute référence aux cultures bantu du Congo et de
l’Angola. Comment toutefois en blâmer les rédacteurs, sachant qu’ils ne font que se référer
aux travaux des spécialistes (Bastide est explicitement cité dans la définition du Robert) ?
L’apport, pourtant flagrant, des traditions d´origine bantu est totalement éclipsé.
1. MOTT & CERQUEIRA : Candomblés da Bahia. Catálogo de 500 casas de culto afro-
brasileiro de Salvador, Salvador, Centro Baiano Anti-Aids, 1998.
47
Nation Nombre de terreiros
Muçurumim 1
Nagô 1
Africano 1
Dahoméa 1
Yôrubá 1
Môxe-Congo 1
Angola-Congo 1
Congo-Caboclo 1
Angolinha 1
Total 67
1. Notons que Carneiro, pour obtenir ce total de 30 terreiros « soudanais », y inclut celui
auto-dénommé africano, décision significative du préjugé pro-soudanais de l´époque ; pour
Carneiro, africano ne peut être que soudanais, et non bantou !
2. Rappelons que Ruth Landes, en s´appuyant sur les mêmes données, mais dans un but
différent, obtient un total de 44 terreiros regroupés sous le type caboclo.
48
Nation Nombre de terreiros
Ketu 282
Angola 133
1
Gêge 20
Caboclo 14
Umbanda 12
Ijexá 6
Nagô 3
Ketu/Angola 7
Angola/Ketu 2
Ketu/Caboclo 2
Ketu/Ijexá 1
Caboclo/Ketu 1
Ketu/Umbanda 1
Nagô-Vodum 1
Gêge/Ketu 1
Gêge/Ijexá 1
Igexá/Angola 1
Angola/Umbanda 1
Espiritual 1
Total 490
49
d’origine bantu à Salvador 1. Si l’on compare les deux tableaux
précédents, un des faits les plus surprenants est sans doute le déclin
spectaculaire des candomblés de nation Caboclo (15, en 1937, sur
un total de 67 et 14, en 1998, sur un total de 490). Toutefois, ces
données brutes sont certainement plus significatives de la
discrimination subie par cette modalité de culte qu’indicatives de
son réel déclin. En effet, de nombreux terreiros qui revendiquent
leur appartenance à la nation Ketu sont en réalité des candomblés
de caboclos (on dénombre 19 terreiros prétendument Ketu dont le
nom se réfère directement à un caboclo). Ainsi, parmi les 282
terreiros qui déclarent appartenir à la nation Ketu, 31 portent
pourtant un nom directement lié au culte des caboclos (19), au
candomblé Angola (5), au candomblé Jêje (8) ou encore à
l’umbanda (10), manifestant des influences et des orientations
liturgiques réelles très diverses 2. Le total de 282 terreiros Ketu se
réduit donc à 251 terreiros apparemment de nation Ketu, soit 51,2
% des terreiros recensés.
En comparant les données de 1937 à celles de 1998, on peut
estimer le poids du préjugé subi par les candomblés Angola, Congo
et Caboclo et ses conséquences historiques sur l’évolution des
nations à Bahia. À l’époque de l’esclavage, les conditions socio-
historiques ont poussé les esclaves Bantous au syncrétisme afro-
catholique, dans le but d’éviter les persécutions de la société
dominante ; depuis l’abolition, la discrimination et le rejet vécus
par les membres des candomblés Angola, Congo et Caboclo les ont
poussé à adopter une stratégie adaptative similaire, revendiquant
une appartenance fictive au candomblé Jêje-Nagô, allant jusqu’à
50
utiliser, au quotidien, le nom des orixás yoruba à la place de celui
des inquices bantu (nous y reviendrons plus loin).
Ce dépouillement superficiel des informations recueillies par
Mott et Cerqueira montre combien il est difficile de manier les
données quantitatives concernant les nations de candomblé à
Bahia. Même si l’on s’en tient uniquement au nom des lieux de
culte répertoriés – ce qui est encore très insuffisant – la supériorité
numérique, prétendument indéniable, des terreiros de nation Ketu
peut sembler discutable 1. La survalorisation de cette nation, à
laquelle les ethnologues ont activement contribué, a conduit de
nombreux chefs de culte à déclarer, rappelons-le, une appartenance
fictive au candomblé Ketu. Certaines nations ont ainsi disparu, à
l’exemple de la nation Amburaxó, variante intermédiaire entre le
candomblé Angola et le culte des caboclos, victime d’un véritable
opprobre 2.
Il semble donc que seule une enquête exhaustive et détaillée
des lieux de culte de la ville pourra dire quelle est aujourd’hui la
répartition réelle des nations à Salvador. Toutefois, il est certain
que les candomblés Angola, Congo et Caboclo sont encore
numériquement sous-estimés, en raison de la discrimination
précédemment évoquée. Nous pouvons toutefois affirmer avec une
relative certitude que la nation Angola représente, au moins, 30 %
du total des terreiros de la ville.
1. Selon Júlio Braga, ethnologue et père de saint bahianais, le classement quantitatif réel des
nations à Bahia serait le suivant : 1. Angola, 2. caboclo, 3. Jêje-Nagô. Selon lui, si l’on
prend comme référence le Brésil dans sa totalité, la proportion de terreiros Jêje-Nagô serait
encore plus faible (conférence donnée au Centro de Estudos Afro-Orientais, Salvador, 24
mars 1999).
2. À ce propos, il faut ajouter que pendant de longues années, certains dirigeants de la
Fédération du Culte Afro-Brésilien ont activement contribué à la disparition de certaines
nations en refusant d’inscrire dans leurs registres des terreiros n’appartenant pas à une
nation dominante, sous des prétextes liturgiques et doctrinaux bien éloignés de l´esprit de
tolérance qui caractérise généralement les religions afro-brésiliennes.
51
Offrandes pour le Caboclo Cauã
Terreiro de Jauá - Camaçari - 2004
© X.V.
52
Chapitre 2
Les nations : approche comparative
1. Les panthéons
53
justice, guerre). Dans la tradition africaine, ils sont identifiés à des
ancêtres mythiques.
Chaque divinité possède son propre tempérament dont héritent,
selon la croyance populaire afro-brésilienne, les êtres humains qui
lui sont consacrés. Ils représentent ainsi de puissants stéréotypes de
la personnalité et constituent pour les adeptes un élément
fondamental de la personne humaine. Dans la vie quotidienne des
gens liés, de près ou de loin, au candomblé, la divinité principale
de tel ou tel individu tient une place très importante dans la façon
dont il se comporte et dans la manière dont les autres le perçoivent.
À ce titre, l’orixá occupe une place comparable au signe zodiacal
chez les adeptes de l’astrologie 1. De l’analyse des stéréotypes de la
personnalité 2 semble découler une conception de la personne
humaine qui combine quatre aspects principaux : les traits
corporels : apparence physique, type morphologique ; les
caractéristiques se référant à la sexualité : puissance, fécondité,
impuissance, frigidité ; le profil psychologique du sujet : vanité,
assurance, générosité, égoïsme, indolence, impulsivité ; le
comportement social, notamment défini par le degré d’agressivité.
Chaque orixá se manifeste sous diverses formes 3, parfois
antagonistes. Elles se différencient les unes des autres par leur
association à un aspect particulier de l’élément que cet orixá
incarne, par leur sexe, leur âge, des relations mythiques avec
d’autres membres du panthéon, des caractéristiques morpho-
logiques et psychologiques, des attributs et des symboles propres,
outre ceux communs à toutes les formes de ce même orixá. Oxalá,
« père de tous les orixás », se manifeste essentiellement sous deux
formes distinctes : Oxalufã, vieux, impuissant, courbé sous le poids
des ans et de la sagesse ; Oxaguiã, jeune guerrier vaillant et
généreux, associé à la fertilité et au culte de la flore.
Au cours de l’initiation, le « saint de tête » (santo de cabeça),
manifestation individuelle et unique de l’une des formes de la
divinité principale, sera intimement lié à la personne de l’initié.
C’est en quelque sorte l’orixá individuel qui, selon les croyances
venues d’Afrique, est un ancêtre surnaturel. Dans les familles
1. A cet égard, notons que depuis quelques années, certains associent plus ou moins arbitrairement
un orixá à chaque signe du zodiaque, ce qui susicite la colère de nombreux traditionalistes du
candomblé.
2. Voir à ce sujet la thèse de Claude Lépine (1978).
3. Ces formes sont appelées qualidades, « qualités », ou, plus populairement, marcas, « marques ».
54
africaines et parmi leurs premiers descendants au Brésil, il se
transmet traditionnellement en ligne directe. Mais aujourd’hui, à
Bahia, un individu peut aussi hériter du saint d’autres personnes, de
parenté consanguine ou de parenté spirituelle, telles une tante ou
une marraine. Notons à ce propos que la destruction des lignages,
des clans et des communautés villageoises opérée par la
déportation et le système esclavagiste a fortement contribué à
fragiliser cette transmission familiale de l’héritage divin. C’est
probablement ainsi qu’au Brésil le concept de stéréotype de la
personnalité a progressivement pris le pas sur celui d’hérédité
lignagère dans la détermination du « saint de tête ».
En outre, l’initié possède un deuxième orixá, que l’on nomme
juntó, dont les caractéristiques viennent en général contrebalancer
la personnalité du « saint de tête ». Il est courant d’en avoir un
troisième. D’une nation ou d’un terreiro à l’autre, ces divinités
secondaires pourront ou non se manifester par la possession 1. Les
influences qui contribuent à la personnalité de l’initié sont donc
multiples et complexes, mais celle du « saint de tête » est presque
toujours déterminante.
Afin de donner un aperçu de la répartition et de la diversité des
associations symboliques, voici un tableau synoptique dans lequel
figurent les principales divinités du panthéon Ketu et certaines des
caractéristiques qui leur sont communément attribuées. Ce tableau
servira de base pour montrer les correspondances entre orixás,
voduns et inquices, établies à Bahia au cours des siècles par le
syncrétisme afro-africain. Rappelons que le choix du panthéon
Ketu comme terme de référence est motivé par la suprématie
actuelle dont jouissent les orixás Ketu dans les trois nations
étudiées ainsi que dans l’ensemble de la culture bahianaise.
Légende :
55
Les couleurs associées à chaque divinité se retrouvent sur les
colliers rituels (contas) que portent les adeptes du candomblé au
cours des cérémonies et dans la vie quotidienne.
Les attributs, nommés « outils » (ferramentas), sont les emblèmes
caractéristiques arborés par les divinités lorsqu’elles sont censées
s’être incarnées dans les initiés.
Chaque divinité se distingue par des traits de caractère qui
agissent comme de puissants stéréotypes de la personnalité pour
les initiés censés être leurs « enfants ».
À chaque divinité correspond une salutation que tous les adeptes
du candomblé connaissent et profèrent au moment où une divinité
se manifeste par la possession et quand elle vient, au cours des
cérémonies rituelles, danser dans le barracão.
Oxossi
Terreiro Santa Cruz - Salvador - 1995
© X.V.
56
Les orixás : caractéristiques générales
rouge imprévisible
Exu rue trident Laroiê
et noir malicieux
dynamique
fer bleu épée
Ogum agressif Ogunhê
guerre marine d’argent
robuste
forêt sensible
bleu ciel arc Okê
Oxossi lune intelligent
vert et flèche Arô
chasse intuitif
fourche en
forêt secret
rose et vert, fer à Eu-eu
Ossaim plantes assidu
multicolore 7 dents, Euê ô
médecine indépendant
oiseau
serpent original
arc-en-ciel, vert Arrô
Oxumarê double élégant
serpent blanc Boboi
en cuivre dynamique
terre, noir et rustre
Omolu / xaxará
maladies blanc, obstiné Atotô
Obaluaiê (sceptre)
contagieuses marron réaliste
ibiri austère
eau blanc
Nanã sceptre rigoureuse Saluba
création bleu foncé
arqué intolérante
cristal, miroir maternelle
eau
Yemanjá bleu sabre sensuelle Odô iá
mers
ciel poissons douce
abebê
charmeuse
eaux douces (miroir en Ora
Oxum or voluptueuse
sources cuivre Ieieô
inconstante
jaune)
57
Divinité Eléments Couleurs Attributs Caractère Salutation
iruexim
énergique
vents (chasse-
Iansã rouge provocante Epa hei
tempêtes mouches)
colérique
et épée
foudre rouge, oxé viril
Kauô
Xangô feu rouge (hache impulsif
Kabiecilê
justice et blanc double) conquérant
air, ciel calme
paxorô
Oxalá père de tous blanc modéré Epa babá
(crosse)
les orixás délicat
Catholicisme
Ketu Jêje Angola
populaire 1
Legba Nzila
Le diable Exu
Elegbara Bombomjira
Santo Antônio Gu Inkoci
Ogum
Saint Antoine Ogum Roxi Mukumbi
São Jorge Oxossi
Oxossi Mutalambô
Saint Georges Odé
58
Catholicisme
Ketu Jêje Angola
populaire 1
- Logum Edé 1 - Gogombira 2
59
Obá, divinité rare Ogum
Terreiro Santa Cruz - 1995 Terreiro Santa Cruz - 1995
© X.V. © X.V.
Lemba
Terreiro Unzó Mim Kizangirá - Mata de São João - 2003
© X.V.
60
2. La communauté religieuse 1
Hiérarchie
1. Nous présentons ici un modèle d’organisation associé, dans une large mesure, au
candomblé Ketu ; ce modèle se retrouve de façon similaire dans les autres nations avec,
comme nous le verrons, des terminologies différentes.
2. Ces interdits personnels, généralement nommés quizilas, sont principalement liés à la
divinité qui « gouverne la tête » de l’individu.
3. L’âge civil n’est pas déterminant quant à la position hiérarchique. Aussi n’est-il pas rare
de voir des initiées d’une cinquantaine d’années manifester des signes ostentatoires de
respect envers des personnes bien plus jeunes qu’elles.
4. Selon le yoruba du Brésil, « personne qui va naître ».
5. Dans la tradition Jêje-Nagô. Nous verrons plus loin combien la durée de l’initiation est
sujette à multiples arrangements et divergences d’un terreiro et d’une nation à l’autre.
6. Du yoruba « mon aîné » ; grande sœur ou grand frère s’il s’agit d’un homme.
7. Du portugais mãe pequena et du yoruba iakekerê.
61
Parallèlement, d’autres fonctions, moins directement liées au
processus initiatique et à la possession, sont attribuées à certains
membres de la communauté. On attribue le titre d’ekede à des
femmes qui ont accompli un premier stade de l’initiation mais qui
ne sont pas sujettes à la possession. Elles sont chargées de
s’occuper de leurs divinités protectrices, notamment au cours des
cérémonies rituelles, lorsque celles-ci sont incarnées dans les
initiés. L’ogã est en général un protecteur de la communauté,
chargé de lui apporter prestige et soutien matériel pour la
réalisation des cérémonies. Le titre d’ogã est aussi attribué à des
hommes qui remplissent des fonctions nécessitant une grande
connaissance liturgique et musicale : chanteur principal, tambou-
rinaire et alabê 1.
Enfin, en marge du terreiro, existait autrefois un personnage
appelé babalaô. Devin voué au culte d’Ifá, dieu de la divination et
du destin, il déterminait, en « regardant » le futur, la ligne de
conduite de chaque communauté religieuse. Il faisait office de
guide spirituel et confirmait la divinité protectrice de tel ou tel
individu. Il était considéré comme le « frère » du chef de culte et
jouissait d’un immense prestige 2.
Voici un organigramme permettant de visualiser la position
hiérarchique des différents personnages que nous venons
d’évoquer :
62
Organigramme-type
d’une communauté religieuse de candomblé
Ebomin
Ekede Ogã
Iaô
Abiã
63
à cette nation 1. Outre une quête évidente des origines bantu, on
peut déceler dans les propos de certains angoleiros – membres de
la nation Angola – une volonté d’indépendance vis-à-vis de la
nation Ketu et aussi de légitimation auprès des ethnologues, pour
qui la recherche des africanismes a longtemps constitué un point
crucial.
Ebomin - Kota
Abiã - Indumbe
Tata
Ogã Ogã
Tata Cambondo
64
Attributions musicales
Le chef de culte
Le tambourinaire principal
65
Lorsque le tambourinaire principal fait aussi office de chanteur
principal, l’organisation de la performance musicale est sous son
entière responsabilité. Sa connaissance approfondie des répertoires
vocaux est de toute façon nécessaire, puisque percussion et chants
sont indissociables. C’est sans doute pour cette raison que l’alabê
assume fréquemment la fonction de chanteur principal. Il exerce
alors une influence déterminante sur le déroulement de la
cérémonie. Il peut, par exemple, choisir certains initiés et les
conduire à la possession en chantant des cantigas de fundamento 1
dédiées à leurs divinités respectives sans pour autant dévier de
l’ordre établi des séquences de chants. En principe, dans la
tradition Jêje-Nagô, on chante trois ou sept chants pour chaque
orixá pendant le xirê, mais, en pratique, leur nombre peut varier
considérablement.
Pendant la deuxième partie de la cérémonie, destinée à faire
danser les divinités, les possédés prêtent particulièrement attention
au rum, qui structure rythmiquement la chorégraphie. L’alabê
exécute des formules rythmiques variées. Ces changements
rythmiques, caractérisés par les expressions vernaculaires dobrar
(doubler), quebrar (rompre) et virar (changer) qu’utilisent les
tambourinaires, ont une incidence directe sur la chorégraphie du
possédé. L’alabê, par ses choix rythmiques, exerce une pression
psychomotrice sur le danseur, en l’obligeant souvent à danser à une
allure plus rapide et à se concentrer intensément sur son jeu. Il faut
toutefois ajouter que ce lien entre le tambourinaire et le danseur
s’établit sur le mode de l’interaction, c’est-à-dire que l’alabê doit
prêter une attention tout aussi soutenue aux évolutions
chorégraphiques du possédé. Nous y reviendrons en détail dans la
deuxième partie de ce travail.
66
les rites initiatiques. Elle dirige les activités quotidiennes des initiés
pendant leur réclusion, durant laquelle toutes les phases du
quotidien – le réveil à l’aube, le bain, les repas, les prières, les
leçons de danses rituelles – sont accompagnées par le chant. La
petite mère est responsable de l’enseignement des chants
spécifiques associés à chaque activité. Elle est aussi présente à
toutes les étapes importantes de l’initiation, telles que la
préparation de l’abô 1, la confection des colliers rituels, la
cérémonie du borí 2, différents rites de scarification et la saída de
iaô 3. Alors que le chef de culte préside ces cérémonies privées, la
petite mère exécute le plus souvent les gestes rituels appropriés et
dirige le répons du chœur. Au cours des cérémonies publiques, elle
est fréquemment en possession de l’adjá, cette cloche sacrée qui,
agitée près de l’oreille de l’initié, a pour effet de déclencher la
possession puis de la conduire, en servant de guide sonore au
possédé. La petite mère assume donc de nombreuses
responsabilités. Elle est en quelque sorte, dans l’organisation
politique du terreiro, en charge du « pouvoir exécutif ».
67
Mãe Maria José dos Santos et José Daniel das Neves
Terreiro Ogun Roxo Mucumbi - Salvador – 2003
© X.V.
68
3. Le processus initiatique
Le modèle Ketu
69
Cette crise – ou plus exactement ses manifestations « specta-
culaires » aux yeux de certains observateurs – a contribué à étayer
la théorie du substrat naturel et physiologique de la possession.
Toutefois, quelle que soit la façon dont elle s’exprime, elle trouve
dans la culture une signification symbolique précise. L’épisode
convulsif est souvent suivi d’une chute et d’un état cataleptique.
On dit alors que l’individu a été « tué » par la divinité. Cette mort
symbolique n’est que provisoire et l’initiation va permettre à l’abiã
de renaître en devenant iaô. Gilbert Rouget, proche de Georges
Lapassade 1, décrit ainsi l’initiation :
« Il s’agit d’un long processus mené en vue de modifier
profondément la structure de la personne pour la rendre apte à être
le réceptacle de la divinité » (Rouget, 1990 : 104).
L’initiation est ponctuée par plusieurs étapes durant lesquelles
la tête du novice fait l’objet de traitements particuliers, tels le rite
du borí, destiné à la « fortifier ». Refuser l’initiation, autrement
dits’opposer à la volonté des dieux, est considéré par les membres
du candomblé comme un acte dangereux puisque de graves maux,
voire la mort, peuvent survenir, disent-ils, au cours d’une « transe
sauvage ». Ce refus peut conduire la personne à la folie et la
détourner ainsi du cadre « thérapeutique » rituel. Toutefois, de
nombreuses personnes tentent de différer l’échéance quasi
inéluctable que constitue la réclusion initiatique. Les raisons sont
diverses : manque d’argent pour assumer les dépenses engendrées
par l’initiation, peur de s’engager « pour toujours » dans le
candomblé 2.
La musique
70
déterminant. Le processus d’apprentissage musical des initiés est
donc essentiel. Les différentes étapes de l’initiation correspondent
à autant de moments musicaux ; la musique sacralise et structure
tout le déroulement du rite. Pendant la réclusion des novices dans
le roncó 1, la progression cyclique des moments rituels est marquée
par la musique. Des chants spécifiques sont entonnés le matin,
d’autres l’après-midi ou au crépuscule. D’autres encore sont
chantés avant les repas, au moment des ablutions. Sachant qu’il est
interdit de parler pendant presque toute la période de réclusion, ces
chants représentent pour les novices en phase initiatique la forme
d’expression verbale privilégiée.
L’initiation est le moment où l’adepte fait un apprentissage
intime de la possession et où se nouent étroitement en lui les
relations de la musique et de la possession. C’est essentiellement
au cours de l’initiation que les novices apprennent les différents
répertoires vocaux. La connaissance et l’usage approprié de la
terminologie et du répertoire des chants dépendent beaucoup de la
durée et de la qualité de l’apprentissage. Ce processus opère
indirectement : le savoir s’acquiert lentement, en ne posant que peu
de questions. Tout s’apprend en côtoyant les anciens, par
observation et par imitation, comme le veut la tradition orale,
fondée sur l’imprégnation.
Processus
1. Pièce secrète dans laquelle les novices accomplissent l’essentiel de leur réclusion.
2. Cette durée correspond, rappelons-le, au modèle Ketu le plus orthodoxe ; nous verrons
qu’elle est en pratique extrêmement variable.
3. L’erê est une forme infantile de l’orixá. L’« état d’erê », que Verger assimile à un « état
d’hébétude », déclenché au cours de l’initiation, est une étape transitoire fréquente entre la
possession par l’orixá et le retour à l’état de conscience ordinaire. Un erê parle et se
comporte comme un jeune enfant.
4. Gilbert Rouget donne un aperçu synthétique de leurs analyses qui permet de saisir la
distinction formelle entre ces deux états (Rouget, 1990 : 113-119).
71
Pendant l’initiation, les novices sont plongés dans un bain de
feuilles dont la composition est tenue secrète ; selon Verger 1, la
finalité de ces bains est de contribuer à l’installation de la léthargie
et de l’oubli, afin que le cerveau des novices soit comme une
« table rase » sur laquelle viendraient s’inscrire les condition-
nements souhaités. Il compare le possédé, après l’initiation, à une
plaque photographique : il porte en lui, à l’état latent, une image du
dieu qu’on a « planté dans sa tête » et qui va se manifester au cours
des cérémonies rituelles, dont le dispositif agirait comme un
« révélateur photographique ». Mais l’initié ignore la présence de
cette image, car il a oublié ce qui s’est passé au cours de son
initiation. Lors d’une cérémonie, un déclencheur culturel, telle la
musique, provoquera en lui les gestes et les conduites associés à
l’image inconsciente de la divinité.
Cette construction d’une personnalité seconde, dont les
manifestations pourraient être déclenchées à volonté à partir de
certains stimuli, impliquerait un conditionnement de type
pavlovien. La musique servirait ainsi à véhiculer des stimuli
sonores constitués par les formules mélodiques et rythmiques
associées à telle ou telle divinité. Ces stimuli, existant dans la
culture sous forme de répertoires musicaux, seraient inscrits chez
les initiés pour déclencher, à l’issue d’une acquisition d’habitudes
stéréotypées, des réponses automatiques de leur part. Mais cette
théorie du conditionnement initiatique, d’inspiration culturaliste,
adoptée par Melville Herskovits puis en partie par Roger Bastide,
en opposition à la conception dite psychopathologique de la
possession, ne peut expliquer à elle seule la nature des relations de
la musique et de la possession dans le candomblé.
1. Dans le film La Baie de Tous les Saints (Monique Tosello, 1985), Pierre Verger donne
son interprétation du processus initiatique : « L’initiation consiste à ce que les gens se
comportent exactement comme ils se seraient comportés s’ils n’avaient pas été déformés par
l’éducation. Ils redeviennent donc inconsciemment ce soi qu’ils souhaitaient, mais ils ne le
savent pas non plus, car ceci se passe dans une espèce d’état second dans lequel ils sont
plongés, qui est une sorte d’hébétude et lorsqu’ils reviennent à eux, ils ne se souviennent
absolument de rien de ce qui s’est passé pendant toute cette époque d’hébétude. Au cours de
l’initiation, ils restent 17 jours dans cet état et ne reprennent souvenir de ce qu’ils avaient été
avant l’initiation qu’au dernier jour, ce qu’on appelle le « jour du nom », où ils révèlent leur
nouveau nom et ils redeviennent eux-mêmes et ils oublient tout ce qui s’est passé, ce qu’ils
ont fait, comment ils se sont comportés pendant les 17 jours en question. Et ils se retrouvent
dans le même état lorsqu’ils sont en transe de possession, ils redeviennent ce qu’ils étaient
durant les 17 jours, c’est-à-dire très profondément eux-mêmes ».
72
Gilbert Rouget en conteste la validité :
« Le problème se pose de savoir s’il est légitime de parler de
réflexe conditionné, car ou bien c’en est effectivement un et dans
ce cas celui-ci doit jouer quoi qu’il arrive en réponse à son
stimulus, ou bien le stimulus reste parfois sans réponse et dans ce
cas ce n’est pas d’un réflexe de ce type qu’il s’agit » (Rouget,
1990 : 328).
L’observation montre en effet que l’audition des « devises » qui
devraient, selon cette théorie, fonctionner comme des stimuli
entraînant nécessairement la même réponse, ne déclenche pas
toujours la possession des initiés. Notons à cet égard que Bastide,
dans ses « Prolégomènes à l’étude des cultes de possession »
(1972), revient sur le concept de conditionnement en parlant de
« réflexes conditionnels ». L’« entrée en transe » dépend
manifestement de plusieurs facteurs contextuels tels que le respect
des interdits alimentaires ou sexuels précédant la cérémonie, le fait
d’être dans son propre terreiro ou bien dans un autre lieu de culte.
Pour que la possession d’un initié survienne, il faut donc que de
nombreuses conditions soient réunies ; une fois réunies, il est
toutefois indéniable que certains éléments, de natures diverses –
sonore, visuelle, olfactive notamment – puissent être qualifiés de
« déclencheurs » de la possession. Nous tenterons plus loin de les
énumérer.
Constantes et divergences
73
Les répercussions de cette tendance globale à la réduction de la
durée de la réclusion initiatique sont nombreuses. En voici deux
qui ont directement trait à la problématique de notre étude :
Une transmission lacunaire du patrimoine musical, de la langue,
des légendes (lendas) des divinités et des chorégraphies rituelles
qui leur sont associées ; rappelons que tous ces éléments sont
intrinsèquement liés et que l’initiation est le lieu par excellence de
leur transmission.
Une influence moins patente, mais tout aussi lourde de
conséquences, sur la nature de la possession elle-même ; plus
superficiel, le processus initiatique tendrait à perdre en partie de
son caractère « thérapeutique » traditionnel 1 au profit de
possessions qui prennent une allure plus individuelle, moins
marquées par les codifications mythiques et symboliques. Certains
affirment que, de nos jours, la possession serait vécue moins
intensément que dans le passé 2. Ainsi, face à une possession
« traditionnelle » qui aurait en partie perdu de sa teneur et de son
intensité, la tendance globale à l’ « incorporation multiple » – en
d’autres termes, le fait que, chez le même sujet, se manifestent par
la possession, successivement et à diverses occasions, de
nombreuses « entités 3 » – qui permet à l’adepte d’exprimer une
palette d’affects très large, compenserait en quelque sorte la perte
d’intensité de la possession que certains adeptes déplorent.
Voici enfin une information rapportée par un ogã tambourinaire
élevé dans la nation Ketu mais qui fréquente aujourd’hui un
terreiro Angola. Elle concerne les relations qu’entretenaient
certains terreiros de nations différentes et montre que le processus
initiatique est aujourd’hui au cœur de certaines interpénétrations :
Dans le temps, dit-il, lorsqu’une personne tombait en transe dans
un terreiro et que la mère ou le père de saint découvrait que son
« saint de tête » appartenait à une autre nation, cette personne
était adressé à un terreiro de la nation appropriée. Les grandes
maisons « traditionnelles » de chaque nation entretenaient en effet
des relations suffisamment étroites pour que puisse se produire de
74
telles échanges 1. De nos jours, ajoute-t-il, même lorsqu’un
prétendant à l’initiation semble appartenir spirituellement à une
autre nation, la mère ou le père de saint n’hésitent pas à l’initier
eux-mêmes, selon les usages de leur propre nation ou bien selon
ceux de la nation à laquelle la divinité du prétendant appartient.
C’est, selon lui, ce qui est à l’origine du « mélange » (mistura)
qui touche aujourd’hui la plupart des terreiros à Bahia. Un autre
adepte, Eldon Lage, confirme cette tendance mais en donne une
vision positive ; selon lui, les responsables spirituels d’une
communauté de candomblé doivent connaître les « fondements »
initiatiques de chaque nation, afin d’être capable de prendre en
charge l’initiation de n’importe quel novice, quelle que soit la
nation d’origine de sa divinité. Pour lui, dans la mesure où ces
chefs de culte sont compétents et conscients du traitement
particulier que chaque initié nécessite, le « mélange » est vu
comme une chose positive ; d’une part par ce qu’on ne mélange
pas vraiment, dans le sens où chaque divinité sera traitée avec les
égards dus à sa nation, d’autre part parce que les éléments
« mélangés » appartiennent à des groupes qui constituent un
ensemble cohérent : le candomblé. Cet œcuménisme est sans doute
le fruit d’une vision communautaire, ou plutôt confraternelle, du
candomblé qui, pour lutter contre les attaques dont il fait l’objet 2,
doit unir ses membres, indépendamment de leurs nations
respectives. Pour Eldon, comme pour Iraildes da Cunha, mère de
saint du terreiro Tumba Junçara, le candomblé est une grande
« confrérie » 3 : même si les nations forment des sous-groupes
distincts, elles restent foncièrement liées les unes aux autres et
appartiennent à la « même famille » 4.
La possession par les caboclos, qui touche en pratique des
adeptes des trois nations étudiées, ne donne pas lieu à une
initiation. Toutefois, le caboclo, après sa première manifestation,
va être peu à peu « endoctriné » (doutrinado), en d’autres termes,
1. Selon cet ogã, un lien de ce type unissait le terreiro Ketu du père de saint Camilo, le
terreiro Angola de Ciriaco (Tumba Junçara) et le terreiro Jêje de la mère de saint Runhó
(Bogum).
2. Notamment de la part de l’Église Universelle du Royaume de Dieu, qui possède une
chaîne de télévision et de nombreuses stations de radio où le candomblé est quotidiennement
diabolisé avec une virulence digne de l’Inquisition.
3. Irmandade. Terme, rappelons-le, hérité des réunions d’esclaves au sein d’églises vénérant
un saint particulier, tels Saint Benoît ou Notre Dame du Rosaire.
4. À ce propos, Eldon distingue radicalement le candomblé de l’umbanda.
75
socialisé. C’est par l’expérience maintes fois réitérée de la
possession que l’adepte va progressivement « domestiquer » son
caboclo, en canalisant sa nature réputée sauvage. Dans ce type de
possession sans initiation, les facteurs individuels semblent se
mêler plus ostensiblement aux facteurs culturels pour former, chez
les individus concernés, des possessions qui seront la traduction de
stéréotypes culturels 1, mais aussi le théâtre de comportements plus
idiosyncrasiques, où surgiront plus spontanément certains traits
latents de leur personnalité qui ne peuvent habituellement se
manifester au grand jour.
Entrée en transe
Terreiro Santa Cruz - 1995
© X.V.
1. L’absence d’initiation ne signifie bien évidemment pas que la possession qui en découle
soit exclusivement l’expression d’idiosyncrasies irréductibles à toute analyse culturelle.
76
Chapitre 3
La possession
1. Transe et possession
77
souvent induite par le contexte cérémoniel ; la transe proprement dite,
qui s’installe et se stabilise momentanément, grâce à l’intervention de
forces structurantes : c’est, dans le candomblé, l’ « état de saint » ;
enfin, le retour progressif à l’état ordinaire de veille par une nouvelle
déstabilisation qui défait la transe : l’initié passe par une phase
transitoire (« état d’erê ») souvent nécessaire au retour à l’état de
conscience ordinaire. Gilbert Rouget, pour sa part, établit une
distinction théorique entre l’extase1 et la transe. Selon lui,
« Elles peuvent être caractérisées l’une par rapport à l’autre par
deux séries de termes formant les oppositions suivantes » (Rouget,
1990 : 52) :
Extase Transe
immobilité mouvement
silence bruit
solitude société
sans crise avec crise
privation sensorielle surstimulation sensorielle
souvenir amnésie
hallucination pas d’hallucination
1. Il nous faut évoquer cette distinction car certains chercheurs voient dans la possession par
les orixás un cas de transe d’extase. Selon Roberto Motta, « paradoxa-lement, ces deux
systèmes d’induction mènent au même résultat, c’est-à-dire à faire tomber le sujet dans sa
propre profondeur » (Motta, 1990 : 51). Par ailleurs, nous verrons que les possessions – par
les caboclos ou les divinités africaines notamment – selon le contexte – cérémoniel ou
domestique – s’inscrivent dans un continuum compor-temental où se retrouvent certains
termes de l’opposition présentée par G. Rouget.
2. Notons que quelques lignes plus loin, Rouget nuance son propos en ajoutant : « L’extase
et la transe doivent être vues comme constituant un continuum dont elles forment chacune
un pôle, ceux-ci étant reliés par une série ininterrrompue d’états intermédiaires, de sorte
qu’il est difficile parfois de décider si l’on se trouve en présence d’une extase ou d’une
transe » (ibid. : 53).
78
invisible – comme ce serait le cas du chamanisme – mais au
contraire les divinités qui descendent sur terre en prenant
possession des initiés rituellement préparés à les recevoir. Nous
verrons que cette vision dichotomique du chamanisme et de la
possession peut, dans certains cas, conduire à une impasse
typologique, lorsqu’on tente par exemple d’y introduire une
opposition binaire entre « musiquant » et « musiqué ».
Dans son contexte rituel (nous verrons que ce n’est pas
forcément le cas dans un cadre domestique), la possession est
intimement liée à la musique et à la danse, dont elle est souvent
tenue comme résultat direct. Selon Rouget,
« Un rituel de possession est une architecture du temps qui
comporte différentes phases auxquelles s’attachent différentes
musiques » (Rouget, 1990 : 89).
Il affirme que le possédé n’est pas le « musiquant » de sa propre
transe et ajoute :
« La logique du système veut que, foncièrement, le possédé ne
soit ni musicien, ni musiquant, mais musiqué » (ibid. : 215).
Nous reviendrons sur cette affirmation en tentant de rendre
compte de la diversité des comportements des possédés, d’une
nation de candomblé à l’autre, d’un type d’ « entité » à l’autre
(orixá, vodum, inquice, caboclo, exu).
La pratique de la possession dans le candomblé met
traditionnellement en œuvre une restructuration de la personnalité ;
la possession ritualisée comporterait ainsi une dimension
« thérapeutique ». Pour certains, l’identification signifierait que
l’adepte a résolu le conflit qui le divise ; au travers de l’initiation, il
aurait réussi à se réconcilier avec lui-même et à intégrer, sous la
forme de l’orixá, les éléments de sa personne qu’il refoulait. Ces
techniques thérapeutiques, liées à l’initiation et à la pratique de la
possession, ne viseraient pas une modification immédiate de la
personnalité du sujet, mais plutôt une lente élaboration de sa
nouvelle personnalité. À la différence de la psychanalyse, ces
techniques n’ont pas pour but de rendre le « patient » autonome en
tentant de résoudre individuellement ses conflits internes, mais au
contraire de renforcer ses liens sociaux en l’intégrant à une
communauté où il occupera une place privilégiée en tant que
« cheval » d’une divinité.
79
La possession ne peut toutefois être vue sous un angle
exclusivement thérapeutique. Elle constitue avant tout une
expérience mystique dans laquelle l’homme semble dépasser ses
limites dans l’espace et le temps. Par la possession, l’initié,
devenant un dieu, ranime et réactualise les mythes, les puissances
ancestrales, tout ce qui donne un sens à son être.
Pierre Verger fournit, pour sa part, une interprétation de la
possession d’inspiration fonctionnaliste, où transparaît notamment
l’idée d’un dispositif de compensation :
« Il est agréable pour eux de penser qu’ils deviennent des dieux. Et
en fait, devenir un dieu, pour eux, c’est se réaliser soi-même »
(extrait du film La Baie de Tous les Saints, 1985).
Selon la perspective ou l’idéologie adoptées, on constate que
l’accent est mis sur des aspects très divers de la possession :
structure psychophysiologique universelle, trouble pathologique,
norme culturelle, psychothérapie cathartique ou bien encore théâtre
sacré, où l’aspect mimétique est alors privilégié.
Après ce bref aperçu des caractéristiques et des fonctions
généralement attribuées à la transe et à la possession dans le
candomblé, et plus largement dans ce que l’on nomme
communément les « cultes de possession », tentons de passer de la
théorie aux réalités du quotidien.
Deux possédés
Terreiro Santa Cruz - Salvador - 1995
© X.V.
80
De la « transe sauvage » à la « possession maîtrisée »
81
Le degré de socialisation va donc essentiellement dépendre de
l’expérience intime de la possession et du cadre cérémoniel dans
lequel elle s’inscrit. C’est au cours des « fêtes » de caboclos que le
jeune caboclo fougueux va apprendre à se comporter
« correctement ». Il faut toutefois signaler que ses contraintes
comportementales seront toujours bien moindres que celles des
divinités africaines, en principe scrupuleusement circonscrites dans
un carcan mythologique étroit – les épisodes de la vie des divinités
sont notamment relatés par les chants qui accompagnent leurs
danses. Il apparaît donc que la possession par les caboclos ne
nécessite pas un degré de socialisation aussi poussé et contraignant
que celui des orixás, voduns ou inquices, laissant par conséquent
plus de place à l’idiosyncrasie des adeptes.
Caboclo Boiadeiro
Parc de São Bartolomeu - Salvador - 1999
© X.V.
82
2. Incorporation multiple ou exclusive des divinités
1. Nous qualifions d’ « incorporation multiple » le fait que, chez le même sujet, puissent se
manifester, par la possession, successivement et à diverses occasions, différentes divinités
ou « entités » (caboclos, exus).
2. Par Ketu « commun », nous nous référons à l’immense majorité des terreiros qui
revendiquent leur appartenance à la nation Ketu, mais dont la pratique rituelle est souvent
bien éloignée de l’idéal d’orthodoxie représenté par le modèle Jêje-Nagô, censé être incarné
par les grandes maisons traditionnelles précedemment évoquées.
3. Par incorporation « duelle », nous faisons allusion à la possibilité pour l’adepte de
« recevoir », outre son « saint de tête », sa divinité secondaire (juntó), ce qui n’est admis ni
par l’orthodoxie Ketu, ni dans la nation Jêje.
83
dire dans l’immense majorité des terreiros à Bahia, il semble que
l’incorporation multiple soit le cas le plus fréquent. L’initié, outre
son « saint de tête », pourra être possédé par sa divinité secondaire
(juntó), par son erê, par un, voire même plusieurs caboclos, enfin
par un ou plusieurs exus – lorsque l’influence de l’umbanda se fait
plus présente. Ces possessions plurielles offrent à l’individu une
palette d’expressions fort diverses qui lui permet d’osciller à sa
guise entre « transe de la parole » et « transe du corps », pour
reprendre les termes de Roberto Motta, dans un continuum
comportemental que nous allons aborder dans le chapitre suivant.
Prenons maintenant plusieurs exemples concrets, parmi les
initiés de différentes nations dont nous accompagnons le parcours
depuis plusieurs années, en énumérant les « entités » susceptibles
de s’incarner en eux. Le tableau suivant permet de visualiser la
multiplicité d’esprits qui entourent au quotidien les adeptes du
candomblé.
Légende :
84
La possession par les exus, qui tient par conséquent une place
ambiguë dans le continuum rituel afro-bahianais, donne lieu à
d’intermi-nables discussions parmi les adeptes de toutes les
nations de candomblé.
Exua : exu féminin. À Bahia, on utilise aussi le terme de padilha,
esprit féminin, qui se manifeste dans certains candomblés ainsi que
dans l’umbanda, où l’on trouve plus souvent son équivalent
Pomba Gira. Elle s’individualise sous différentes formes – Maria
Padilha, Maria Formosa – et revêt toujours la forme d’une
prostituée à l’allure provocante.
Caboclo : esprit d’indien, considéré dans le candomblé comme le
dono da terra, le « maître de la terre » ; en effet, on lui reconnaît
symboliquement le statut « politique » de maître légitime des
terres, statut conféré par son antériorité sur le sol brésilien. Le 2
juillet, jour de la célébration de l’indépendance de l’Etat de Bahia,
est aussi le « jour du caboclo ». Les caboclos se manifestent en
principe dans les fêtes qui leur sont spécialement consacrées. À ce
propos, il faut signaler que de nombreux adeptes de terreiros Ketu
orthodoxes sont contraints de fréquenter d’autres candomblés,
dans lesquels ils pourront librement « recevoir » leur caboclo,
dérogeant ainsi plus ou moins « clandestinement » à la règle de
l’incorporation exclusive revendiquée par les tenants de
l’orthodoxie Jêje-Nagô.
Autre : dans cette colonne figurent les « entités » qui complètent la
« nébuleuse spirituelle » entourant les adeptes du candomblé. Il
peut notamment s’agir d’une troisième divinité, comme Katendê,
dans le cas d’Eldon, ou bien d’un autre caboclo, comme Sultão das
Matas, dans le cas de Renato, caboclo qui ne se manifeste chez lui
que dans certaines « sessions » (terme utilisé dans le spiritisme et
l’umbanda pour désigner les réunions régulières entre adeptes).
Certains terreiros de candomblé, comme celui, de nation Angola,
dont Renato est le père de saint, organisent des sessions pour les
caboclos, au cours desquelles l’influence de l’umbanda est
indéniable.
Les esprits qui se manifestent régulièrement par la possession chez
l’individu concerné figurent en caractères gras. Les autres se
manifestent très rarement – certains ne sont « venus » qu’une fois
dans la vie de l’adepte.
85
Fréquence de l’incorporation multiple
Nancy Conse-
Oxalufã
(Ketu - lheiro - - -
(Oxum)
orthodoxe) (Oxalufã)
Maria
Jacira Piriquito Sete Caveirinha
Obaluaiê Iansã For-
(Ketu) (Obaluaiê) Flechas (exu)
mosa
Eldon
Logum Tupi- Katendê
(Ketu / Iansã - -
Edé nambá (inquice)
Angola)
Sultão
Saia
Renato Gogom- Bambu- Beija- das
de Boiadeiro
(Angola) bira rucena Flôr Matas
Ferro
(caboclo)
Mundinho
erê lié à Capan- Marujo
(Ketu / Ogum Obaluaiê - 1
Ogum gueiro
Angola)
Pinga
Sérgio Xangô Iansã Eru de
Fogo - -
(Ketu) Airá Balé Jiquitirá
(Xangô)
86
On constate que tous les adeptes, quelle que soit la nation à
laquelle ils appartiennent, sont susceptibles d’être possédés par
plusieurs « entités ». Seule Nancy déclare être exclusivement
possédée par Oxalufã, son « saint de tête » ; c’est aussi la seule à
appartenir à un terreiro, l’Axé Opô Aganju, dont l’orthodoxie Ketu
et l’africanité sont très fortement revendiquées. Son père de saint,
Balbino Daniel de Paula – auquel il est fait allusion dans
l’introduction – a été initié par la prêtresse Mãe Senhora, dans le
célèbre candomblé de l’Axé Opô Afonjá, et est ensuite allé en
Afrique avec son ami Pierre Verger. Nancy nous a toutefois confié
qu’un doute relatif à son « saint de tête » avait entouré son
initiation, si bien qu’Oxum s’était manifestée une fois en elle, le
« jour du nom ». Même dans ce temple de l’orthodoxie que
représente le terreiro de Balbino, la règle n’est donc pas toujours
respectée et nécessite parfois des adaptations. Dans la pratique, les
arrangements bousculent quotidiennement des règles dont le
« monde des esprits », fluctuant et versatile, ne peut
s’accommoder. Citons à cet égard Bertrand Hell :
« Pour Roger Bastide, le Brésil est « l’empire de l’imaginaire ».
Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la possession et,
depuis l’introduction par les esclaves africains du culte des orisha
(le candomblé), de nombreux autres rituels sont apparus et se sont
considérablement développés au cours des cinquante dernières
années. Eléments africains enchevêtrés (bantou, yoruba, etc.),
influence du catholicisme, emprunts au spiritisme ou encore
intégration des esprits autochtones indiens : l’univers des esprits au
Brésil est extraordinairement ouvert. Partant, les cultes sont en
continuelle transformation. L’irruption des esprits indiens est à cet
égard parfaitement révélatrice. Les orisha, ces divinités hiératiques
et célestes, paraissent-ils trop étrangers aux préoccupations
quotidiennes des adeptes, et leur culte trop quintessencié ? Alors,
les caboclos, ces entités sauvages (…), vont se manifester.
Considérées comme « très proches » des hommes, elles surgissent
de manière plus spontanée, plus désordonnée et bousculent les
règles imposées par l’initiation traditionnelle. Il y a encore une
vingtaine d’années, la présence de ces caboclos était proscrite dans
les centres de candomblé épuré. Aujourd’hui, rares sont les Mères
de Saint qui s’opposent, au nom de la séparation des rituels, à la
venue d’esprits aussi actifs. Car, aux yeux des adeptes,
l’orthodoxie s’avère secondaire et l’on recherche plutôt le brassage
efficace (…). Au Brésil aussi, les maîtres-initiés peuvent donc
« bricoler » et associer des rites issus de cultes différents
87
(instruments de musique diversifiés, signes hétéroclites de
l’initiation, etc.). Cet art de l’amalgame leur est d’autant plus
permis qu’ils ne sont aucunement prisonniers d’un savoir
doctrinal. L’analyse des cultes dans le nord-est du pays montre
clairement que l’expérience de la possession ne s’accompagne pas
de l’adhésion à une mystique stricto sensu. Il n’y a pas, autour des
chefs de centre, de discussion scolastique sur les mystères de la
vie, ni même d’interrogation approfondie sur l’origine et la nature
des esprits. Non, une conception pragmatique prime. Les esprits
sont là et il s’agit de composer avec eux » (Hell, 1999 : 319-320).
Notre expérience du terrain bahianais nous conduit au même
constat. Mis à part les quelques rares terreiros réafricanisés qui
revendiquent une orthodoxie Nagô « pure et dure », force est de
constater que les adeptes du candomblé ne sont aucunement
prisonniers d’un savoir doctrinal. Bricolage 1, amalgame, et
absence d’orthodoxie, tels sont les maîtres mots qui caractérisent
les réalités plurielles des candomblés et de la majorité des cultes
« afro-brésiliens ». D’où, effectivement, une transformation
continue de ces cultes, qui rend parfois caduques les descriptions
trop formelles et généralisatrices. Chaque terreiro suit sa propre
orthodoxie – qui n’en est donc plus une à proprement parler – et
qui, d’un chef de culte à son successeur, évolue et se transforme.
Dès lors, la seule généralisation plausible lorsqu’on parle du
candomblé est d’affirmer l’absence de tout dogme, qui est sans
doute une caractéristique essentielle de la plupart des cultes liés à
la possession et au chamanisme. Pour Bertrand Hell, cette absence
de dogme est une nécessité liée à l’efficacité rituelle :
« En explorant ce monde des esprits auquel les cultes se réfèrent,
nous avons noté que le chamanisme et la possession ne conjuguent
ni réflexion théologique éthérée ni exégèse savante. Être utile !
Tout se passe comme si l’imprécision des savoirs, la flexibilité des
rites et la faculté d’adaptation des officiants étaient les conditions
de l’efficacité des manipulations symboliques entreprises pour
réparer le désordre » (Hell, 1999 : 315).
L’acte rituel, qui consiste essentiellement à composer avec le
monde des esprits, se caractériserait donc par son pragmatisme et
88
sa flexibilité. Par ailleurs, cette absence constitutive de dogme
contribue, semble-t-il, à placer ces cultes dans une position très
particulière au sein des sociétés dans lesquels ils s’inscrivent :
« Variabilité des rituels, imprécision des savoirs et pragmatisme
des acteurs sont autant de traits qui conduisent à différencier le
chamanisme et la possession des religions établies. Il fallait
insister sur la position structurellement marginale des cultes
privilégiant une communication directe avec l’invisible, car tout se
passe comme si cette place périphérique se prolongeait dans
l’impossibilité de donner naissance à une institution. Le constat est
frappant : ni Eglise organisée, ni clergé officiel, ni dogme assis. À
l’évidence, le principe d’une négociation avec les esprits est
incompatible avec toute idée de codification statique. Cela se
vérifie parfaitement pour la possession, qui ne constitue jamais le
culte unique et central du système religieux. La coexistence de la
possession avec des religions monothéistes à prétention
universaliste peut même perdurer puisqu’il n’y a pas de
confrontation directe autour des questions du clergé et du dogme »
(Hell, 1999 : 321).
Outre la nébuleuse d’esprits qui les entourent et avec lesquels
ils composent au quotidien, les adeptes du candomblé, rappelons-
le, demeurent aussi, dans leur immense majorité, fermement
attachés au culte des saints issu du catholicisme populaire (fêtes
patronales, processions, culte domestique) et de son inter-
pénétration avec les religions africaines, dont le « lavage » de
l’Eglise du Bonfim constitue une expression emblématique ; tous
se disent, avant tout, fidèles catholiques.
89
Fête pour les esprits enfantins (vunji)
Terreiro de Jauá - Camaçari - 2003
© X.V.
90
3. Approche phénoménologique
91
peuvent être qualifiés de « déclencheurs » de la possession. Pour
les officiants, il s’agit donc d’ « appeler » le saint (chamar o
santo), en employant un ou plusieurs de ces déclencheurs.
Déclencheurs sonores
1. On peut entendre un chant de ce type, enregistré au cours d’une cérémonie, dans le disque
Candomblé de Angola. Musique Rituelle Afro-Brésilienne (Inédit, Maison des Cultures du
Monde, 1999 : plage 7, « Entrées en transe »).
92
Certaines formules rythmiques, jouées seules – c’est-à-dire sans
chant – sont appelées toques de fundamento, littéralement
« rythmes de fondement ». Nous verrons que la nation Ketu
possède plusieurs toques de fundamento, chacun associé à une
divinité particulière. La nation Jêje en possède un nommé
adarrum, que l’on retrouve, sous forme d’emprunt, dans les autres
nations. Rarement exécuté, il a pour effet de déclencher très
efficacement la transe chez tous les initiés, quel que soit leur
« saint de tête » et indépendamment des conditions « favorables »
évoquées plus haut quant à la survenue de la possession. La nation
Angola possède une formule rythmique nommée barravento,
servant généralement d’accompagnement aux chants mais qui,
lorsqu’elle est jouée seule dans des circonstances précises, a alors
pour fonction de déclencher la transe chez de nombreux initiés.
Par ailleurs, certains idiophones 1 spécifiques peuvent servir de
déclencheurs sonores. La cloche sacrée adjá, en principe agitée par
la mère ou le père de saint, est utilisée dans les trois nations
étudiées, mais pas dans les cérémonies pour les caboclos, puisque
son effet déclencheur est forgé pendant l’initiation. Agitée à
l’oreille d’un initié, elle a pour effet de déclencher la possession ;
elle servira ensuite de guide sonore au possédé, puisque la
possession par les orixás, voduns ou inquices se déroule le plus
souvent yeux fermés. Selon Nancy de Souza, le son de l’adjá, lié à
l’ancestralité, est caractéristique d’Oxalá ; c’est pour cette raison
qu’il aurait le pouvoir d’« appeler » tous les autres orixás –
rappelons qu’Oxalá est considéré comme le père de tous les orixás.
Elle explique comment il déclenche, chez elle, la possession :
« Le son de l’adjá me déconcerte ; c’est comme si j’étais
complètement « désorientée » (sem rumo). Il provoque un mal-être
plus grand que s’il était fort [le son de l’adjá est assez faible]. Ce
son est lié au silence. Plus il est lent, plus il est faible, et pire
c’est ! » (entretien avec Nancy de Souza, 2000).
La cloche gã est essentiellement consacré aux divinités Omolu,
Nanã, et Oxumarê ; lorsqu’elle est jouée dans la « maison » de ces
trois divinités, elle a pour effet de déclencher la possession chez
93
leurs initiés. D’origine Jêje, cet instrument était joué, selon Nancy,
pour les rois du Dahomey.
L’arô, « instrument » consacré à la divinité Oxossi, se compose
de deux cornes de buffle entrechoquées. Employé uniquement lors
de la « fête » d’Oxossi, il a alors pour effet de déclencher la
possession chez les initiés d’Oxossi, Ogum, Iansã et parfois Oxum.
L’arô est frappé sur le rythme de l’aguerê – formule rythmique
consacrée à Oxossi – par l’afikodé, sacrificateur voué au culte de
cette divinité. Originaire de la nation Ketu, il est parfois utilisé
dans certains terreiros appartenant à une autre nation.
Le kadakorô, « instrument » consacré à Ogum, se compose de
fines cloches en fer. Frappé sur le rythme de jincá – formule
rythmique notamment consacrée à la déesse Yemanjá qui, dit-on,
est la mère d’Ogum – il a pour effet de déclencher la possession
chez les initiés d’Ogum et Oxossi. C’est l’axogum – homme chargé
des sacrifices rituels – qui l’utilise, dans la « maison » d’Ogum, au
cours de rites privés.
Le xeré est un hochet en cuivre consacré à Xangô, dont le son
est censé imiter la pluie 1. Dans les terreiros « traditionnels » de la
nation Ketu, ce sont les mogba, « ministres » de Xangô, au nombre
de douze, qui en jouent. Il déclenche la possession chez les filles et
fils de Xangô, et chez tous les initiés lorsque les douze xerés sont
utilisés simultanément.
Ces trois idiophones sont originaires de la nation Ketu ; il arrive
toutefois qu’on les retrouve en usage dans des terreiros
appartenant à une autre nation.
Dans les possessions où interviennent des « déclencheurs
sonores », on constate que les adeptes sont toujours en position de
« musiqués » – sauf en ce qui concerne certains « chants d’appel »,
dans les fêtes de caboclos. Ces déclencheurs sont employés par des
personnes qui ne seront vraisemblablement pas possédés, tout au
moins à ce moment de la cérémonie.
Autres déclencheurs
1. Selon Nancy de Souza, Xangô aime le son de cet instrument car, dit-on, lorsqu’il fait
l’amour avec la déesse Oxum, il pleut.
94
contagieuses, notamment de la variole, dont il est atteint – la
projection de pop-corn (pipoca), que les adeptes nomment la
« fleur d’Omolu 1», a pour effet de déclencher la possession chez
les initiés d’Omolu, de Nanã et d’Oxumarê, car tous trois sont, dit-
on, originaires de la nation Jêje. Cet effet déclencheur est forgé
pendant l’initiation, au cours de rites très secrets. Dans la nation
Jêje Mahi de Cachoeira, où le culte de ces trois divinités est
pourtant très important, la mère de saint Luiza da Rocha affirme
que cette pratique n’existe pas. Dans la nation Angola, lors des
cérémonies pour la divinité Tempo, dont les costumes rituels,
souvent faits de paille, ressemblent à ceux d’Omolu, la projection
de pop-corn est fréquente, ainsi que son effet déclencheur,
notamment chez les initiés de Tempo et d’Insumbo, l’équivalent
Angola d’Omolu.
Dans les trois nations étudiées, il est fréquent que des personnes
de l’assistance aspergent de parfum 2 les déesses Oxum et Yemanjá
lorsque celles-ci pénètrent dans le barracão, revêtues de leurs
somptueux costumes rituels. Cette odeur forte aurait pour effet,
selon certains initiés, de stimuler la survenue de la possession chez
certaines personnes de l’assistance, filles ou fils de l’une de ces
deux divinités.
La pemba est une poudre blanche crayeuse utilisée dans toutes
les nations de candomblé et dont les usages rituels sont nombreux.
Au cours des fêtes de caboclos, ainsi que dans certaines
cérémonies Angola, elle est utilisée au début du rituel pour
« ouvrir » la cérémonie – cette poudre, en fonction de sa couleur,
serait associée à la divinité Oxalá – et pour expurger le barracão
de la présence éventuelle d’esprits indésirables. Soufflée au visage
des membres de la communauté et des visiteurs, elle a parfois pour
effet de déclencher la possession chez certains d’entre eux.
Vaporisation d’alcool (bière et cachaça 3 notamment) : au cours
des fêtes pour les caboclos, il est fréquent qu’un caboclo boive de
la bière chaude au goulot et la vaporise 4 au visage de certaines
1. Flor de Omolu ; on dit qu’elle calme et rafraîchit le corps brûlant et couvert de plaies de
cette divinité.
2. Le parfum est souvent mélangé avec des fleurs et du riz ; ce mélange est alors distribué à
l’assistance avant l’arrivée des divinités.
3. Cachaça est le nom donné, au Brésil, à l’alcool de canne à sucre.
4. L’alcool n’est pas « craché », mais très exactement « vaporisé » – à Bahia, le verbe utilisé
est barrufar – pratique que l’on retrouve dans de nombreux cultes de possession, notamment
à Cuba, et qui possède, selon le contexte, une signification spécifique.
95
personnes susceptibles de « recevoir » un caboclo, ce qui alors a
pour effet de déclencher très efficacement la possession.
Accolade ou embrassade (abraço) d’un possédé : dans les trois
nations étudiées, lorsque les divinités, incarnées dans les initiés,
viennent danser dans le barracão, elles ont pour coutume de serrer
un à un dans leurs bras (abraçar) les membres de la communauté
ainsi que les visiteurs. Pour Nancy de Souza, « c’est une énergie
qui se transmet » et qui a pour effet de déclencher la possession
chez certaines personnes. Cette pratique se retrouve aussi au cours
des cérémonies pour les caboclos.
Vue d’un possédé exécutant une gestuelle particulière : la
possession par les divinités africaines, on l’a dit, s’inscrit dans un
carcan mythologique très étroit. Une fois possédés par leur
divinités respectives, les initiés doivent accomplir un ensemble de
danses comportant des gestuelles très spécifiques. Certains fils
d’Oxumarê, par exemple – rappelons que cette divinité est
assimilée au serpent, le Dan des Fon du Dahomey – se baissent
jusqu’à terre, ingurgitent de l’eau, préalablement déposée dans une
bassine, se relèvent en mimant les contorsions du serpent et
vaporisent cette eau au milieu du barracão. La vue de cette scène
relativement rare suffit à déclencher la possession chez certains
initiés. De même, le « bain d’Oxum » – moment où Oxum, déesse
de la beauté, mime de prendre son bain en s’admirant dans son
miroir puis, telle une Vénus anadyomène, sort de l’eau en se
relevant de façon très sensuelle – a pour effet de déclencher la
possession chez certains initiés, notamment ceux d’Ogum, Oxossi
et Xangô, divinités masculines qui, selon les légendes, ont
entretenu avec elle des relations très intimes. Nancy de Souza parle
à cet égard d’une « transe émotionnelle » (transe emocional) qui
serait suscitée par un geste particulier ou un chant spécifique.
Selon elle, son déclenchement dépend aussi du degré d’attention du
sujet ; il faudrait un « cumul d’énergie » suffisant pour déclencher
ce type de transe. Elle parle enfin de « transe esthétique » (transe
estético), concluant que l’émotion suscitée comporte une
dimension esthétique ; c’est la beauté de la scène – ou du chant –
qui, suscitant une émotion très forte, déclencherait alors la
possession.
Nancy de Souza est la seule adepte du candomblé avec laquelle
nous avons pu aborder le sujet de la possession de manière aussi
96
« fructueuse » 1. En effet, quand il s’agit d’aborder le vécu de la
possession, la règle de l’amnésie – ou plus précisément le
« devoir » d’amnésie – qui fait suite à la possession, rend presque
toujours l’investigation difficile, voire impossible.
Ingestion de jurema : la jurema est une plante dont on utilise les
feuilles pour préparer un breuvage du même nom, tenu pour
faiblement hallucinogène ; très apprécié des caboclos, sa
composition – sang, vin notamment – varie d’un lieu de culte à
l’autre. Au cours des fêtes pour les caboclos, lorsque ces derniers
se sont déjà « manifestés », on les emmène dans leur « cabane » –
véritable cabane préparé à l’occasion de la fête, qui est
généralement décorée d’une multitude de fruits et de divers
symboles qui leur sont associés – devant laquelle ils vont boire la
jurema et la proposer aux personnes présentes. Dans certains cas,
l’ingestion est suivie de la possession et de la venue d’un nouveau
caboclo. Notons à cet égard que l’ingestion et la possession sont
quasi simultanées, ce qui infirme l’hypothèse selon laquelle la
substance hallucinogène serait à l’origine de la possession. S’il y a
induction, elle est de nature symbolique et non physiologique.
97
d’infliger cette « punition » (castigo) à la « matière » (le possédé) ;
en effet, certains initiés, qui n’ont pas accompli leurs
« obligations » rituelles envers leur saint, sont parfois sujets à une
« crise » de ce type. Selon Tiago de O. Pinto (Pinto, 1992), certains
terreiros organiseraient parfois un toque de bolar, c’est-à-dire une
cérémonie spécialement destinée à déclencher ce type de
possession parmi les visiteurs, ce qui assure à la communauté le
recrutement, à plus ou moins court terme, de nouveaux novices 1.
L’« entrée en transe » la plus courante est décrite, dans les trois
nations étudiées, par les expressions suivantes : « tomber dans le
saint » (cair no santo), « tourner de saint » (virar de santo), « le
saint est descendu » (o santo baixou), « le saint (l’)a pris » (o santo
pegou). On peut noter certains stéréotypes comportementaux très
fréquents. Lorsqu’il s’agit d’une personne de l’assistance, l’entrée
en transe est précédée de certains signes annonciateurs : l’individu
semble se déconnecter du contexte cérémoniel, son regard devient
vague, il baille, se frotte les mains. Certains se lèvent pour sortir du
barracão, afin d’échapper à une possession qui semble pourtant
inéluctable. C’est souvent à ce moment que l’individu est soudain
« pris » par sa divinité. Dans tous les cas, qu’il s’agisse de visiteurs
ou d’initiés participant activement à la cérémonie, cette phase
s’accompagne de tremblements des épaules et de la tête. Le corps
est courbé et les mains se joignent derrière le dos ou sur le flanc.
L’individu est alors pris en charge par une ekede, dont le rôle est de
s’occuper des possédés. Mis à part le contexte liturgique – chants
ou formules rythmiques spécifiques – le premier signe qui permet
d’identifier la divinité en question est le cri poussé par le possédé :
on dit alors que le saint « a répondu » (o santo respondeu). Chaque
divinité possède en effet un cri caractéristique, nommé ilá 2.
Tomar barravento : cette expression, vraisemblablement
originaire de la nation Angola 3, s’applique le plus souvent, mais
pas exclusivement, à la possession par les caboclos. On dit que la
personne « prend barravento » (toma barravento) lorsque l’entité
s’approche d’elle pour s’en emparer ; elle perd l’équilibre, titube,
tourne sur elle-même, se passe à plusieurs reprises la main sur le
1. Nous n’avons jamais assisté à une telle cérémonie dans les 33 terreiros où nous avons
enquêté.
2. Nous reviendrons en détail sur le cri dans son contexte cérémoniel, qui, selon Gilbert
Rouget, est « une manifestation très caractéristique de la transe » (Rouget, 1990 : 217).
3. Le terme barravento désigne une formule rythmique de la nation Angola.
98
visage, ses yeux sont parfois exorbités et son expression semble
manifester un effroi très particulier. Elle cherche à se tenir à tout ce
qui l’entoure – des personnes de l’assistance, un mur – pour éviter
la chute. Elle tente de sortir du barracão pour échapper à la
possession, car ce comportement est censé exprimer sa lutte contre
la venue de l’entité, qu’il s’agisse d’un caboclo ou d’une divinité.
Au bout de quelques instants, voire de quelques minutes, soit la
personne revient progressivement à elle, soit, ce qui est plus
fréquent, elle « succombe » à la possession. À ce propos, ajoutons
que certains initiés, en visite par exemple dans un autre terreiro
que le leur à l’occasion d’une cérémonie rituelle, emploient
certains subterfuges – comme porter une gousse d’ail sur soi
notamment – pour tenter d’éviter la survenue de la possession.
Le comportement du possédé
1. Les chorégraphies rituelles divergent plus ou moins fortement d’une nation à l’autre.
Contentons-nous ici de constater qu’elles n’ont fait l’objet que de trop rares études ethno-
choréologiques.
99
exclusivement « musiqué » et en en aucun cas « musiquant » de sa
propre transe. En effet, tous les voduns de la nation Jêje chantent
au cours des cérémonies rituelles : le possédé se présente face aux
tambours et entonne le chant de son choix, qui est en général repris
par le chef de culte puis par les membres de la communauté ; il se
retrouve quelques secondes plus tard en position de « musiqué »
puisque les tambours et le chant, qu’il a lui-même préalablement
entonné, vont accompagner sa danse. En principe, les orixás et les
inquices, eux, ne chantent pas. Pendant les cérémonies, ils ne
s’expriment donc sonorement que par le cri qui caractérise chacun
d’entre eux.
La possession par les caboclos présente des caractéristiques
bien différentes. Même si la danse est, pendant les cérémonies, un
moyen d’expression privilégié du caboclo, ce dernier possède
d’autres manières spécifiques de s’exprimer et d’interagir avec les
membres de la communauté et de l’assistance. La possession par
un caboclo est à la fois une « transe du corps » et une « transe de la
parole » : en effet, celui-ci ne se contente pas d’entonner à voix
basse les chants de son choix, tel un vodum de la nation Jêje, il fait
souvent office de véritable chanteur soliste, même lorsqu’il danse
simultanément. Il converse avec les autres caboclos et avec
l’assistance, dans un portugais qui lui est propre et qu’on qualifie
de embolado 1. Il a pour coutume de fumer des cigares et de boire la
jurema ainsi que de la bière chaude au goulot, qu’il propose aussi à
l’assistance. À la fin des cérémonies, le caboclo invite un à un,
d’un appel du pied ou de l’épaule, les membres de l’assistance à
danser avec lui ce que l’on nomme alors samba de caboclo (voir
glossaire). L’interaction entre les caboclos et l’assistance est donc
bien plus importante que dans le cas des divinités africaines.
Les exus, qui chantent rarement, dansent essentiellement sur un
rythme de samba et, à l’instar des caboclos, invitent les
participants de la fête à danser avec eux. Ils ont pour coutume de
boire des alcools forts (cognac, whisky, cachaça) et, lorsque ces
spiritueux viennent à manquer, de la bière chaude. Ils fument
également des cigares. Leur comportement est en général
provocateur ; ils n’hésitent pas à faire des propositions très
indécentes à certains visiteurs.
1. Embolado signifie littéralement « emmêlé » ; nous reviendrons plus loin sur cette
modalité spécifique.
100
Les cérémonies pour les caboclos, comme celles pour les exus,
possèdent un caractère particulièrement festif, voire licencieux, où
l’improvisation tient une place bien plus importante que dans les
cérémonies pour les orixás, inquices ou voduns, ce qui explique
sans doute en partie la faveur dont elles jouissent parmi de
nombreux bahianais. En outre, ajoutons que, lors de ces fêtes, les
membres de l’assistance ont presque toujours l’occasion de
consulter individuellement un caboclo ou un exu.
Voici un tableau qui permet de comparer certaines
caractéristiques du comportement du possédé en fonction de
l’entité qu’il est censé incarner :
1. Les cris des caboclos ne sont pas aussi systématiquement caractéristiques que ceux des
divinités africaines ; il est donc difficile d’identifier à coup sûr tel ou tel caboclo par son cri.
101
saint » (despachar o santo). La personne chargée de cette tâche
délicate, après avoir emmené le possédé dans le roncó, emploie des
techniques corporelles ainsi que des formules verbales spécifiques,
dont la teneur est secrète.
Retour « indirect » : le retour à l’« état normal » est souvent
précédé par la venue de l’erê, forme infantile du « saint de tête ».
Les erês, qui ne cessent de faire toutes sortes de pitreries, peuvent
rester plusieurs heures après la fin de la cérémonie, et reviennent
souvent le matin suivant. Il faut souvent les « expédier »
(despachar) avec autorité pour se débarrasser de leur présence
encombrante. La plupart d’entre eux ne veulent pas « partir » et se
mettent alors à pleurer ou tentent de s’échapper. La venue de l’erê
se raréfie généralement avec l’ancienneté de l’initié. Les erês se
manifestent dans les trois nations étudiées.
Retour « direct » : dans d’autres cas, le retour à l’ « état
normal » ne nécessite pas de phase transitoire, comme celle
représentée par la venue de l’erê. Le retour « direct » est l’apanage
des vieux initiés. En ce qui concerne la possession par les caboclos
et les exus, le retour est toujours direct et n’est pas accompagné de
phase transitoire. La plupart des adeptes, après la possession, se
plaignent d’une faim et d’une soif intenses ; certains sont atteints
de vertiges ; tous déclarent n’avoir aucun souvenir de ce qui s’est
passé pendant la possession.
1. Chaque mercredi, puisque Maria Formosa est l’« esclave » de la divinité Iansã, dont le
jour de la semaine est le mercredi.
102
nombreuses personnes viennent consulter pour des problèmes très
divers. Formosa possède, dans l’arrière-cour de la maison de
Jacira, une petite « maison » qui lui est exclusivement consacrée,
dans laquelle les consultations ont lieu. Lorsque plusieurs
« clients » sont déjà arrivés, Jacira les invite à se regrouper autour
d’elle, à l’entrée de la maison de Formosa. Assise à l’intérieur,
Jacira se concentre et prononce quelques paroles rituelles ; après
quelques minutes, Formosa s’empare d’elle soudainement en
poussant de vigoureux éclats de rires caractéristiques qui
annoncent sa venue. Les yeux exorbités, elle vient saluer une à une
les personnes présentes ; la consultation peut alors commencer.
Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans cet exemple,
c’est l’absence de tout « déclencheur » semblable à ceux que nous
avons évoqués plus haut : aucun chant, aucun rythme, aucun son de
cloche, aucune ingestion d’une quelconque substance ne vient
déclencher la possession. C’est par la concentration, dit-elle, et les
invocations qu’elle-même profère, que Jacira suscite la venue de
Formosa. Cette possession ne nécessite aucun déclencheur externe.
Ce phénomène d’auto-induction de la possession pourrait
amener certains à rapprocher cette pratique du chamanisme, du
moins si on le conçoit dans la perspective structuraliste notamment
adoptée par G. Rouget. Cet exemple montre que des pratiques
longtemps tenues pour diamétralement opposées – possession et
chamanisme – possèdent probablement autant de caractéristiques
communes que de divergences profondes. Le cas de Jacira illustre
un quotidien de la possession que l’on retrouve, sous diverses
formes, de façon extrêmement courante à Bahia. Ces possessions
plurielles s’inscrivent normalement dans un « empire de
l’imaginaire » marqué par les interpénétrations de civilisations, le
métissage et la pluralité des pratiques rituelles.
103
Jacira dos Santos
Salvador - 1999
© X.V.
104
DEUXIÈME PARTIE
PERSPECTIVE ETHNOMUSICOLOGIQUE
105
106
Chapitre 1
Le contexte de la musique
1. Certaines dates du calendrier catholique ont pour les gens du candomblé une valeur
symbolique très forte : Santa Bárbara (4 décembre), Nossa Senhora da Conceição (8
décembre), São Cosme et São Damião (27 septembre), São Pedro (29 juin) notamment.
2. Offrandes et sacrifices en l’honneur du dono da festa, préparation des plats qui seront
servis à l’assemblée, padê de Exu.
3. Notons que la plupart des communautés observent une étiquette stricte et complexe,
notamment quant à l’accueil et au traitement réservés aux membres d’autres terreiros.
107
inciter, par une succession préétablie de chants, généralement
appelée xirê, à se manifester dans l’espace sacré du barracão. Les
initiés pénètrent en file indienne dans le barracão et dansent
ensemble dans une ronde menée par la « mère de saint » ou le
« père de saint », en esquissant des pas de danse et des gestes
propres à chacune des divinités invoquées. Il s’agit d’une danse
circulaire collective où les individualités sont estompées, ce qui,
par contraste, confère par la suite d’autant plus de force aux danses
singulières des possédés. Cette fusion de l’individu dans un
mouvement collectif rythmiquement organisé évoque notamment
certaines techniques du dhikr soufi. C’est au terme de cette phase
que les transes doivent survenir.
L’ordre interne de la ronde est déterminé par l’âge initiatique –
la plus vieille initiée en tête – ou par la préséance de telle ou telle
divinité. L’ordre des divinités invoquées est relativement stable. Le
xirê commence par Ogum et termine par Oxalá. Voici, à titre
d’exemple, une séquence possible : Ogum, Oxossi, Ossaim,
Oxumarê, Omolu, Nanã, Yemanjá, Oxum, Iansã, Xangô, Oxalá 1.
La règle veut que l’on chante trois, sept, quatorze ou vingt et un
chants pour chacune des divinités. Nous verrons combien ces
règles sont sujettes à multiples arrangements, notamment de la part
de celui ou celle qui mène le chant – qu’il s’agisse ou non du chef
de la communauté – et qui est le véritable maître de la cérémonie.
Généralement, lorsqu’on chante pour Xangô, la fonction rituelle du
xirê est remplie : la venue des divinités dans l’espace sacré du
barracão. En d’autres termes, le déclenchement de la possession
chez les initiés susceptibles d’incarner leur divinité à cette occasion
spécifique. Selon le terreiro et la nation à laquelle celui-ci
appartient, les possessions peuvent survenir successivement tout au
long du xirê, ou bien quasi simultanément à l’audition d’un chant
spécifique destiné à cet usage 2. Toutefois, nous l’avons vu, les
« déclencheurs » de la possession sont multiples.
Les possédés sont conduits dans une autre pièce du terreiro afin
d’être vêtus des parures et des insignes de leurs divinités
respectives. La cérémonie peut alors s’interrompre jusqu’à
1. Lorsque nous évoquons le candomblé dans sa globalité, sans référence spécifique à telle
ou telle « nation », nous utilisons les noms des divinités Ketu, qui sont de loin les plus
couramment employés par les membres du candomblé ainsi que par une grande partie de la
population bahianaise. Ce phénomène atteste de la popularité et de la suprématie dont
jouissent les orixás yoruba dans cette population.
2. Ce qui est la règle dans les « nations » Angola et Jêje Mahi.
108
l’arrivée des divinités ou bien se poursuivre. Dans ce dernier cas, le
chanteur soliste recommence à chanter pour l’une ou l’autre des
divinités. Si une ancienne initiée est possédée à ce moment, on fait
danser sa divinité sans la vêtir des costumes rituels 1.
109
divinités incarnées ont terminé de danser, le chanteur principal
entonne un chant spécifique, parfois nommé cantiga de maló 1, au
cours duquel ces dernières vont prendre congé de l’assemblée, du
chef de culte et des tambours. Sous les acclamations de
l’assistance, les divinités 2 sont reconduites au son d’un rythme
spécifique, ce qui permet une dernière fois aux tambourinaires de
faire preuve de leur enthousiasme et de leur virtuosité. Fidèles et
visiteurs sont conviés à partager les nourritures qui ont été
préparées avec grand soin par les initiées avant la cérémonie. Le
rituel est terminé.
110
essentiel de la fête : la régénération de l’axé, indispensable au culte
et à toute la communauté. Régénération pour laquelle la venue des
divinités dans l’espace rituel du barracão est nécessaire.
Tentons d’étayer notre interprétation. Lorsqu’on évoque une
fête publique avec des initiés ou de simples fidèles, le critère le
plus courant servant à juger de sa réussite est relatif à sa « beauté »,
exprimé par l’expression « Foi uma festa bonita ! » (« C’était une
belle fête ! »). La réussite de la cérémonie semble être liée à une
certaine dimension esthétique. En quoi réside cette beauté ? Le
faste des costumes, des ornements et des parures est sans doute
l’élément le plus ostensible, et ce serait une erreur de nier son
importance. Toutefois, aux yeux des adeptes, c’est lorsqu’il se
charge d’une immatérielle énergie – spirituelle et symbolique – que
l’accessoire prend un sens profond. C’est par la qualité du danseur
possédé que la matière, transcendée, diffuse alors cette énergie,
c’est-à-dire l’axé. Sa performance est intimement liée à celle des
tambourinaires, plus particulièrement celle du joueur de rum (le
grand tambour). On peut donc en déduire que c’est en quelque
sorte de l’interaction réussie entre musique et danse que surgit
l’axé au cours des cérémonies rituelles.
Évoquons à ce propos une anecdote très significative. Au cours
de l’une des cérémonies auxquelles nous avons assisté, alors que la
divinité Obaluaiê avait commencé à danser, la possédée
interrompit soudain sa danse en signe de mécontentement envers le
joueur de rum. Ce dernier ne « convenait » pas à Obaluaiê, et il
fallut le remplacer immédiatement par un autre tambourinaire. Aux
yeux des fidèles, cet événement rare peut mettre en péril la réussite
de la fête. Pour quelle raison ce tambourinaire avait-t-il mécontenté
le possédé ? En quoi ne lui convenait-il pas ? Après la cérémonie,
nous avons candidement interrogé la fille de saint concernée qui
nous a répondu que ce n’était pas elle mais Obaluaiê lui-même
qu’il fallait questionner. Possédée par ce dernier, elle n’avait aucun
souvenir de l’incident – l’amnésie, rappelons-le, constitue une des
« preuves » de la véracité de la possession. Le tambourinaire,
visiblement vexé, ne voulait pas nous parler de l’événement. L’une
ne pouvait pas, l’autre ne voulait pas.
Ce n’est que bien plus tard que nous avons pu entrevoir une
explication à cet événement, qui constitue sans doute un
« épiphénomène » révélateur de l’interaction qui associe musique
et danse, tambourinaire et possédé, pendant la deuxième partie (dar
111
rum) de la cérémonie rituelle. Tentons d’énumérer les critères à
l’origine de l’incident :
Critère de conformité : le tambourinaire principal (alabê) doit
connaître un grand nombre de formules et de cellules rythmiques
dont l’usage et la fonction sont « réglementés ». Pendant la fête,
c’est à lui de déterminer à quel moment précis telle ou telle cellule
doit être employée dans une même formule rythmique (toque), par
exemple le toque opanijé, pour Obaluaiê. Ces cellules ont une
incidence directe sur la danse ; en retour, le tambourinaire doit
aussi répondre, dans une certaine mesure, aux sollicitations
corporelles et kinésiques du possédé. On peut donc supposer que le
refus de danser ait été déterminé par un critère de non-conformité,
le tambourinaire n’ayant pas employé les formules conformes à la
situation et/ou aux sollicitations du possédé. On pourrait évoquer
une « esthétique de la conformité », très fonctionnelle et fortement
dépendante des prescriptions rituelles.
Critère d’aptitude ou de compétence techniques : la fonction
d’alabê – tambourinaire principal – nécessite non seulement la
connaissance de toutes les formules et cellules rythmiques ainsi
que leur usage adéquat et leur fonction, mais aussi l’aptitude
technique indispensable à leur – bonne – exécution. L’alabê est à
la fois le dépositaire d’un savoir et un acteur privilégié de la
performance rituelle. L’exécution de nombreuses cellules
rythmiques sur le rum, notamment pendant les danses des possédés
où les tempi ont tendance à s’accélérer considérablement, requiert
une grande maîtrise technique. Sa prestation peut être affectée par
différents paramètres : la fatigue – n’oublions pas que certaines
fêtes se déroulent sur plusieurs jours consécutifs et se terminent à
l’aube – le manque de concentration, la qualité des autres
tambourinaires – combien de fois avons-nous vu Toinho, alabê du
terreiro Pilão de Prata, interpeller vigoureusement pendant la
cérémonie l’un ou l’autre de ses accompagnateurs. Notons que ces
paramètres sont semblables à ceux qui peuvent modifier la
performance d’un soliste interprétant un concerto de Mozart. Les
conséquences sont de nature différente. C’est une question
d’enjeu : à la déception « artistique » de l’auditeur à la sortie de la
salle de concert correspond un événement susceptible de mettre en
péril la communauté religieuse. L’alabê n’a pas le droit à l’erreur.
C’est dans le lien intime qui doit unir musique et danse,
tambourinaire et possédé, que réside la réussite de la performance
112
rituelle. Cette performance, inscrite dans un contexte hautement
sacralisé, est porteuse d’un enjeu vital. La fête doit à tout prix être
réussie pour remplir sa fonction rituelle. C’est le prix que paya ce
soir-là le tambourinaire en question. Mais qui aurait couru le risque
de laisser Obaluaiê mécontent ? Il semble indéniable que, dans le
candomblé, esthétique et efficacité rituelle soient indissociables.
L’alabê est bien plus qu’un simple exécutant. Aux yeux des
adeptes, c’est un porte-parole. Il porte la parole des dieux grâce au
pouvoir de son instrument. De l’extérieur, le rôle de l’alabê semble
encore plus décisif. C’est lui, en tant qu’individu, qui contribue
dans une large mesure à déclencher la possession ; il va ensuite
l’accompagner, en établissant avec le possédé une relation intime
de nature sensible, sensuelle, sensitive – parfois, l’alabê semble
jouer du danseur, tant l’alchimie musicale et chorégraphique est
alors parfaite. Tous les sens sont ensemble sollicités et exaltés.
C’est alors que s’opère une ineffable communion des sens – une
véritable synesthésie – et la cérémonie prend alors la forme d’un
vrai « théâtre sacré ». En ces moments privilégiés de la fête, alors
que les dieux viennent danser parmi les hommes, se dégage
imperceptiblement le sens profond d’une religion où spiritualité et
sensualité se trouvent intimement mêlées. Finalement, c’est peut-
être dans cette fusion que réside l’esthétique rituelle des
cérémonies du candomblé.
113
frappés par la fréquence, la diversité et les caractéristiques
« musicales » des cris proférés par les initiés au cours des
cérémonies rituelles. Certains cris possèdent en effet un contour
mélodico-rythmique simple, mais néanmoins spécifique. Par
ailleurs, à l’écoute des enregistrements réalisés à Bahia, dans
plusieurs terreiros, nous avons observé qu’un nombre significatif
de cris ne surviennent pas de façon aléatoire par rapport au
phénomène musical mais, au contraire, se manifestent en des
positions précises du cycle rythmique fourni par les instruments à
percussion 1. Ces différents constats nous ont conduit à engager une
réflexion sur le cri dans ce contexte rituel et, notamment, à émettre
l’hypothèse selon laquelle il pourrait être considéré comme un
élément pertinent du discours musical 2.
Avant d’engager une approche typologique du cri dans le
candomblé, il convient de présenter son contexte d’occurrence. Il
faut tout d’abord distinguer deux grandes catégories de cris : les
cris des possédés, qui seront l’objet essentiel de notre propos; les
cris de salutation ou d’exhortation envers ces possédés, proférés
par certains membres de la communauté – musiciens, chef de culte,
fidèles – et certains visiteurs. Nous évoquerons les relations que
semblent entretenir ces cris avec ceux des possédés.
Le principal contexte d’occurrence des cris est la cérémonie
rituelle. Toutefois, les cris surviennent aussi lors de certains rites
impliquant la possession, comme la sortie des iaôs au terme de
leur réclusion initiatique. Au cours des « fêtes » publiques, les
premiers cris proférés par les filles et fils de saint surviennent en
principe à la fin du xirê, moment où sont entonnés un ou plusieurs
chants spécifiques – cantigas de fundamento – dont la fonction
liturgique est d’ « obliger » les divinités à venir s’incarner. Ces
chants sont accompagnés de nombreux cris, sorte de signal sonore
du déclenchement de la possession. Le cri semble ainsi marquer,
pour un grand nombre d’initiés, la rupture avec l’ « état de
conscience ordinaire ». Ce cri d’« entrée en transe » est parfois
assez « brut », dans le sens où il n’est pas encore, comme nous
allons le voir, l’expression de la divinité qui est, selon la croyance,
sur le point de prendre possession de l’initié.
114
Par la suite, en effet, au cours de la possession proprement dite
– estado de santo – le cri devient un mode d’expression oral
privilégié pour la divinité censée s’être incarnée. Selon les adeptes
du candomblé, à chaque orixá correspond un cri, nommé ilá (ou
parfois kê), exprimant sa personnalité. Le cri constitue ainsi, au
même titre que les parures ou la danse, un attribut de la divinité.
Le barracão est le lieu où surviennent la grande majorité des
cris. Pendant la deuxième partie de la cérémonie, alors que s’établit
un lien intime entre le tambourinaire principal et le possédé qui
danse, de nombreux cris sont proférés par celui-ci, à proximité de
l’espace réservé aux tambours.
Approche typologique
115
l’univers sonore du candomblé. Ainsi, comme le montrent nos
exemples, des cris de possédés incarnant tel ou tel orixá peuvent,
selon les cas, correspondre à chacune des trois formes précitées.
Dans notre approche typologique, nous suivrons toutefois
essentiellement la distinction des cris la plus pertinente pour les
adeptes du candomblé, en l’occurrence l’orixá spécifique incarné
par le possédé.
Le cri des possédés est un moyen d’expression, caractérisant
chaque individu, mais aussi et surtout la divinité spécifique que
celui-ci est censé incarner. L’ « apprentissage » du cri a sans doute
lieu au cours de l’initiation, tout comme sont inculqués les autres
traits spécifiques du « saint de tête ». Mais l’imprégnation se fait
aussi en amont, sachant que les novices sont très souvent issus d’un
milieu entretenant des liens intimes avec un terreiro, qu’ils ont
fréquenté avant leur engagement dans le processus initiatique et où
ils ont donc à maintes reprises entendu les cris des possédés.
Le tableau suivant permet de visualiser certaines
caractéristiques des cris attribués aux principales divinités du
panthéon Ketu 1, et d’en dresser ainsi une première typologie. Les
informations réunies proviennent d’une part des observations et des
enregistrements effectués dans les terreiros Pilão de Prata, Santa
Cruz, Insumbo Meian, et Tumbenganga Junçara, d’autre part des
témoignages recueillis auprès d’adeptes d’autres communautés
religieuses, à Salvador, à Cachoeira et dans l’île d’Itaparica.
Légende :
1. À notre connaissance, les différences d’une nation à l’autre ne sont pas significatives.
Cette uniformisation, modelée principalement sur le panthéon Yoruba (ou plutôt Jêje-Nagô),
atteste du syncrétisme afro-africain évoqué dans la première partie.
116
Orixá Occurrence Intensité Profil Autres caractéristiques
sifflement du serpent
Oxumarê rare léger simple
(son très court)
cri très violent, guttural
Omolu peu fréquent très fort modulé et court « qui effraie les
jeunes initiées »
cri proche de celui
Nanã rare faible modulé
de Yemanjá
cri doux (« symbolisant un
Yemanjá peu fréquent faible modulé
fleuve qui coule »)
son très doux
Oxum peu fréquent faible modulé
(bouche fermée)
vocalisation [i-a-i] ;
Iansã très fréquent très fort modulé 3e desc. et 2e desc. en
glissando
vocalisation : « Oh… ! »
Xangô fréquent fort simple
(glissando, diminuendo)
« gémissement semblable à
celui de l’escargot (ibí,
Oxalá rare faible -
animal consacré à Oxalá)
quand il fait l’amour2 »
1. Lorsque les exus se manifestent par la possession, dans un cadre cérémoniel ou dans un
contexte domestique, ils annoncent en effet leur venue par un cri généralement très violent.
2. Extrait d’un entretien avec Nancy de Souza (1999) consacré aux cris des divinités.
117
Le cri des possédés, au même titre que la danse, semble illustrer
deux aspects des cultes de possession sur lesquels Alfred Métraux
(1958) et Michel Leiris 1 ont insisté : la catharsis et la mimesis,
autrement dit les aspects thérapeutiques et théâtraux de la
possession rituelle. Le cri symboliserait-il le lien entre ces deux
dimensions essentielles du rite ? Le cri des possédés n’est pas
seulement un cri libérateur, cathartique, tel celui utilisé par les
« adeptes de la bioénergie dans leur recherche de la libération par
la transe » (Rouget, 1990 : 216). En effet, le cri « brut » – la
manière individuelle de crier propre à chaque initié – est
domestiqué, socialisé pour devenir celui de la divinité qu’il sera
censé incarner. Nous avons déjà évoqué le fait que le processus
initiatique met en œuvre une restructuration profonde de la
personnalité de celui ou celle qui s’y soumet. Certains traits de
caractère font ainsi l’objet d’une forme de reconditionnement
social. Ce qui semble le plus frappant au sujet du cri, c’est que cet
élément extrêmement personnel et intime fait lui aussi l’objet
d’une restructuration. Mentionnons à ce propos le cri d’un « fils »
de Xangô, du terreiro Pilão de Prata, cri puissant et viril, illustrant
parfaitement la personnalité attribuée à cet orixá, symbole de la
virilité. Or, ce fils de saint, que nous avons côtoyé en dehors des
cérémonies, est un homosexuel très efféminé. Une telle
« métamorphose » nous semble extrêmement révélatrice des
fonctions mimétique et cathartique du cri dans le contexte rituel.
Le cri du possédé constituerait en quelque sorte un compromis
entre l’inné et l’acquis, une représentation culturelle de sa nature
divine, donnée au sein de ce « sociodrame » qu’est, selon Bastide,
la cérémonie rituelle de candomblé.
Fonctions
1. Michel Leiris : La possession et ses aspects théâtraux chez les Ethiopiens de Gondar,
Paris, Plon, 1958.
118
signifiante que lui confère le contexte rituel. En tant que
« réponse » d’une divinité à une autre, il peut être, associé au
langage gestuel de la danse, révélateur des relations mythiques qui
unissent ou bien opposent certaines d’entre elles. Il est ainsi
courant d’entendre crier ensemble, au cours du même chant, des
« filles » de Iansã et des « fils » de Xangô. Ces deux orixás
entretiennent en effet des relations très intimes : Iansã est la
première femme de Xangô. Au contraire, il serait extrêmement
improbable de voir se rapprocher – et moins encore engager un
« dialogue » par le cri – des initiées censées incarner les déesses
Oxum et Obá, ces dernières étant, dit-on, à jamais brouillées depuis
leur querelle pour conquérir Xangô. Roger Bastide affirme à ce
propos :
« Dans le candomblé, c’est la tradition mythique qui fournit à la
fois les cadres des mécanismes de pensée, des opérations du
comportement humain et enfin des échanges sociaux » (Bastide,
1958 : 247).
Le cri semblerait servir d’illustration et de véhicule à certains
éléments de cette tradition mythique. Par ailleurs, le cri des
possédés constitue fréquemment une « réponse » à des
sollicitations musicales du tambourinaire principal ou du chanteur
soliste. Lorsque par exemple ce dernier entonne une cantiga de
fundamento, de nombreux cris viennent « répondre » à cet appel
musico-liturgique. Au cours de la deuxième partie de la cérémonie
rituelle, les cris des possédés qui dansent constituent une
« réponse » aux sollicitations rythmiques du rum ainsi qu’aux cris
d’exhortation et de salutation lancés notamment par l’alabê. C’est
alors que s’engage entre ce dernier et le possédé une étroite
relation, que Gilbert Rouget résume de la manière suivante :
« Il [le percussionniste] est le maître du jeu, mais il y a dialogue. Il
parle musique et elle [la possédée] répond danse » (Rouget, 1990 :
218).
Toutefois, entre le musicien et le possédé, le « dialogue »
s’instaure aussi oralement, par le biais de ces cris « musicalisés »,
survenant souvent en des positions précises du cycle rythmique.
Même lorsqu’il ne chante pas – comme c’est le cas des caboclos et
des voduns de la nation Jêje – le possédé manifeste un
comportement « sonore » actif, indissociable du phénomène
musical dans lequel il s’inscrit.
119
Enfin, le cri établit, aux yeux des adeptes, un lien sonore
tangible entre la sphère spirituelle et l’assemblée des fidèles. Il est
un signe supplémentaire de la présence de la divinité, avec laquelle
les membres de la communauté peuvent communiquer en criant
des salutations et des exhortations. Le cri est l’agent d’une
interaction entre le monde des orixás et celui des hommes.
Certains possédés ont pour coutume de se diriger vers les portes
donnant sur l’extérieur du barracão, d’en franchir le seuil et de
pousser alors un ou plusieurs cris violents. Parmi ces possédés, on
trouve des « filles » de Iansã. Pour les adeptes du candomblé, cet
acte est destiné à éloigner les « indésirables », tels les eguns, ces
esprits de morts rôdant alentour les soirs de fête. Notons à cet
égard que Iansã Balé, une des formes – qualidades – de la déesse
Iansã, est le seul orixá à venir s’incarner au cours des cérémonies
spécifiques consacrées aux eguns car, dit-on, elle seule possède la
force permettant de les affronter. Il semble donc naturel que les
« filles » de Iansã soient chargées, pendant les fêtes publiques, de
la tâche que nous venons d’évoquer. Le cri comporterait donc, dans
ce cas, une fonction de dissuasion, dont le but serait en
l’occurrence d’« effrayer l’ennemi ».
Nous avons déjà mentionné que la première crise de
« possession sauvage », parfois nommée santo bruto, est
interprétée par les membres de la communauté comme une mort
symbolique. On dit que la personne a été tuée par son « saint de
tête ». La victime est alors portée du barracão vers le roncó, pièce
secrète dans laquelle les novices passent l’essentiel de leur
réclusion initiatique. Durant cette période, le jeune novice, nommé
abiã, « personne qui va naître », va peu à peu renaître pour devenir
iaô, « fiancée de l’orixá ». La fin de la réclusion est ponctuée par
trois étapes rituelles : les trois « sorties de iaô ». La dernière sortie,
appelée orunkó, marque le passage définitif du stade d’abiã à celui
de iaô. Le moment crucial de cette cérémonie est celui où le novice
crie son nom initiatique, saute en effectuant un tour sur lui-même,
puis commence une danse rituelle au son des tambours et des
acclamations des membres de la communauté. Cet événement est
considéré comme la venue au monde d’un nouveau « cheval » de
l’orixá. Le cri, à cette étape essentielle de la vie de l’adepte,
pourrait ainsi être interprété comme le symbole d’une renaissance.
120
Pour Roger Bastide,
« La transe africaine ou afro-américaine est un langage (à la fois
moteur et vocal) qui se décrypte selon un certain code ; il a son
vocabulaire, ses règles grammaticales et sa syntaxe » (Bastide,
1972 : 96).
Le cri constitue un élément très significatif de ce langage vocal.
Au delà de ses effets cathartiques, il s’inscrit, tout comme la danse,
dans un espace mythique fortement structuré qui lui confère une
signification particulière. La transe rituelle du candomblé
transcende cris inarticulés et gestes convulsifs en les regroupant
dans un ensemble cohérent. Chants, rythmes, danses et cris
participent du même discours symbolique. Le cri du possédé est
selon nous une manifestation extrêmement représentative de ce
« théâtre sacré » que serait la cérémonie rituelle. Le rite socialise
ce que l’homme a sans doute de plus intime et qui le ramène
directement à son animalité. Le cri de « l’homme-animal » semble
devenir, par l’intermédiaire d’une renaissance symbolique, celui de
« l’homme-dieu », un cri chargé d’un sens et d’une fonction
mythiques.
Fête de Yemanjá
Salvador - 1996
© X.V.
121
Tambourinaires Tambourinaire
Terreiro Santa Cruz - 1995 Terreiro Santa Cruz - 1995
© X.V. © X.V.
122
2. Contexte linguistique
1. Embolado signifie littéralement « emmêlé » ; on dit que les caboclos parlent et chantent
dans un portugais embolado, c’est-à-dire qu’ils prononcent le portugais « à leur manière »,
ont un « accent » qui leur est propre et ajoutent parfois aux mots certains suffixes qui
rendent pour un novice la compréhension difficile, surtout lorsque viennent s’adjoindre au
vocabulaire des expressions caractéristiques et des fragments de langues amérindiennes.
123
Légende : « E » signifie que le terme est emprunté à une autre nation ;
« O » signifie que le terme est originaire de cette nation.
iaô initié O E E
lê petit tambour E O E
orixá divinité O E E
124
propre. Nous verrons dans ce cas que les emprunts éventuels d’une
nation à l’autre concernent des chants entiers, qui sont en général
reconnus comme tels ; l’emprunt se justifie alors par rapport au
panthéon. Il est « normal » aux yeux des adeptes que l’on trouve,
par exemple, des chants Jêje dans le répertoire Ketu, lorsqu’il
s’agit de chants pour des divinités issues du panthéon Jêje, comme
Oxumarê, Omolu et Nanã. L’emprunt trouve ici sa justification
dans la tradition Jêje-Nagô, dont les interpénétrations religieuses,
culturelles et linguistiques, entre les peuples Fon et Yoruba,
remonteraient à une époque anté-esclavagiste. De même, certains
chants pour la déesse Oxum, originaires de la nation Ijexá – nation
qui a aujourd’hui presque totalement disparue en tant que telle –
sont en usage dans les trois nations étudiées. En ce qui concerne la
nation Angola, les emprunts réciproques sont rares. Cette nation
possède un répertoire de chants particulièrement homogène et peu
perméable aux autres, ce qui contraste avec l’opinion répandue
selon laquelle les cultes d’origine bantu seraient les plus enclins au
syncrétisme et au métissage sous toutes ses formes. En ce qui
concerne les textes des chants, le lien avec le culte des caboclos,
sur lequel de nombreux chercheurs ont insisté, n’est guère flagrant.
Nous verrons qu’il est plus prononcé pour ce qui est des mélodies
et des formules rythmiques exécutées par les instruments à
percussion. Les caboclos ont un répertoire de chants qui leur est
propre. Tous les chants que nous avons pu entendre lors des
cérémonies pour les caboclos sont en portugais. Lorsqu’un caboclo
entonne un chant, on dit qu’il s’exprime dans un portugais
« embolado ». Ce répertoire de chants est sans doute celui qui
manifeste le plus d’interpénétrations avec la musique populaire. De
nombreux chants appartiennent à la fois au patrimoine du samba
profane (samba de roda, samba de viola) et au répertoire du culte
des caboclos (samba de caboclo, samba de sotaque ; voir
glossaire).
125
inflexion tonale. Cette perte des tons a sans doute été concomitante
de la perte progressive du sens littéral des mots yoruba. Selon
Pierre Verger (communication personnelle, juillet 1994) on
retrouverait dans les chants, grâce aux lignes mélodiques, les tons
de la langue, ce qui aurait permis à des Yoruba contemporains de
comprendre les chants interprétés par les membres des candomblés
Ketu « traditionnels ». À notre connaissance, aucune étude
approfondie ne permet aujourd’hui de dire à quel point les
mélodies des chants Ketu sont restées « fidèles » aux tons des
textes d’origine.
126
part, cultures bantu du Congo et de l’Angola d’autre part – ont été
bien moins nombreux. Faut-il voir en cela la raison de la perte bien
plus importante, pour ce qui est de ces deux nations, du sens
littéral, voire global, des textes des chants qui composent leurs
patrimoines musicaux respectifs ? Les raisons sont sans doute
multiples. Quoi qu’il en soit, on constate une différence
importante, dans la compréhension des chants, d’une nation de
candomblé à l’autre. Dans les terreiros Ketu « traditionnels », la
compréhension globale du texte est fréquente chez les initiés et la
compréhension littérale, « mot à mot », est revendiquée par
certains d’entre eux. C’est le cas de notre informatrice de référence
pour la nation Ketu, Nancy de Souza, qui nous a chanté séparément
les chants rituels pour les cérémonies publiques tout en en faisant
une exégèse très précise. Il faut dire que de nombreux membres de
ces « maisons traditionnelles » associent à leur savoir oral une
connaissance livresque approfondie, que le chercheur doit prendre
en compte s’il ne veut pas, à son insu, reprendre « du » Bastide ou
« du » Verger de la bouche même de son informateur ! Ajoutons
que dans les autres terreiros Ketu que nous avons fréquentés, et qui
représentent l’immense majorité des cas, la compréhension
littérale, voire même globale, du texte des chants est bien plus rare
et approximative. Une fois encore, il faut noter que les « maisons
traditionnelles » constituent une exception dans la réalité
quotidienne des candomblés, même si elles ont été prises pour
modèle de référence par plusieurs générations de chercheurs.
Dans le cas de la nation Jêje, notre informatrice de référence,
Luiza da Rocha, mère de saint du terreiro Rumpayme Ayono
Runtoloji, nous a livré un ensemble de chants censés appartenir
exclusivement à cette nation ; lorsqu’on les recoupe avec ceux
fournis par Nancy de Souza pour la nation Ketu, on peut estimer
l’importance de l’interpénétration Jêje-Ketu – ou Jêje-Nagô – pour
ce qui est du répertoire vocal. La nation Jêje possède toutefois un
répertoire caractéristique où les origines fon sont, au niveau
lexical, assez claires. Notre informatrice n’a pu se livrer à une
exégèse aussi précise que celle de Nancy de Souza, ce qui semble
représentatif du niveau de compréhension des textes parmi les
membres de la nation Jêje.
Pour la nation Angola, notre informatrice de référence, Iraildes
da Cunha, mère de saint du terreiro Tumba Junçara, qui est un des
plus anciens lieux de culte Angola à Bahia, n’a pu fournir aucune
127
exégèse des chants de cette nation. Aucune traduction n’est donc
proposée. Cette perte quasi totale du signifié a entraîné une
distorsion d’autant plus importante du signifiant, si bien que d’un
terreiro à l’autre, les versions du même chant peuvent différer
assez fortement. Notons que certains membres de la nation Angola,
dans sa forme carioca, ont fourni, dans des publications qui leur
sont réservées 1, des transcriptions de ces chants en y adjoignant
parfois des traductions extrêmement fantaisistes. Il s’agit d’une
tendance caractéristique des cultes afro-brésiliens du Sudeste du
Brésil qui, n’ayant pas fait l’objet d’un intérêt aussi prononcé de la
part des chercheurs que le candomblé de Bahia, ont développé une
littérature ésotérique aussi abondante que diverse. Peu de travaux 2
ont été consacrés à cette tradition très vivace, qui mérite sans doute
un examen approfondi. Voici, à titre d’illustration, un tableau où
figurent trois versions des paroles des « mêmes » chants. La
première est extraite des transcriptions que nous avons réalisées
avec Iraildes da Cunha à Salvador, les deux autres proviennent de
deux publications d’angoleiros – membres de la nation Angola –
cariocas.
1. Les éditions Pallas, à Rio de Janeiro, consacrent une partie de leurs activités à la
publication de textes fournis par les membres de différents cultes afro-brésiliens.
2. Citons l’article de Véronique Boyer-Araujo : « Le don et l’initiation. De l’impact de la
littérature sur les cultes de possession au Brésil », L’Homme, 138, 1996, pp. 7-24.
3. BARCELLOS, Mario Cesar : Jamberesu : As cantigas de Angola, Rio de Janeiro, Pallas,
1998. Cet auteur ajoute à chaque transcription une traduction personnelle du chant en
portugais. Aucune information n’est fournie quant à la méthode suivie.
4. DA COSTA, José Rodrigues (Tata Nitamba Tarangue) : Candomblé de Angola. Nação
Kassanje. História, etnia, dialeto litúrgico dos Kassanjes, Rio de Janeiro, Pallas, 1996 (1e
éd. 1989).
128
Como senzala Komosanzala Oh senzala,
senza roxo sanza roxi, oh senzala rosse
Komunderê, Kamundere, e Camuturê é puramô
Aturamô, poramo… Oh senzala,
Chant n°2
Como senzala Komosanzala oh senzala rosse
senza roxo sanza roxi,
Camuterê ahê rosse
Komunderê aê-ô Kamundere, ae
roxi
Divinité II Mutalambô Kabila Gongobira
A deskutalá Azekutála zinge, o Adeus Kutala zinguê
zinguê oyô iá zinge o Olha zinguê ô
zinguê-ô Azekutála zinge, o Olha zinguê
A deskutalá iá zinge o Minha iza kutala
zinguê, oyô zinguê Iá iza kutala, Caiza curá
miya ezakutalá ka kawiza kurá…
Ai, ai, ai, ai
inakora Ai, ai, ai, ai, ai, ai
Chant n°3 Adeus kutala zinguê
Ayá ayá ayá Azekutála zinge, (bis)
deskutalá zinguê azekutála zinge
Olha zinguê ô
A deskutalá O iá zinge o.
zinguê oyô zinguê E quem me fará euá
Ke mi fareuá, ke
Minha iza kutala
mi fareuá…Iá iza
kutála kawiza Caiza curá
kurá…
Divinité III Zazi Nzaze-Loango Kambaranguange
Ô Zazi-ê Nzaze e, nzaze a, O zaziê
Ô Zazi-a Nzaze e, O zaziá
Chant n° 4 Ô Zazi-ê maiongole, O zaziê,
maiangolê maiongola maiangolê,
maiangolá maiangolá
Divinité IV Bamburucena Matamba Matamba
Aê Bamburucena E um simbe ie ie, É um simbiê ê
ê Bamburucena Ae bamburusenda Aê bamburossema
Chant n° 5
Ê unsibiê, aê E um simbe ie ie !
Bamburucena
129
Au delà des différences plus ou moins prononcées d’un chant à
l’autre, on constate que le nom donné à telle ou telle divinité varie
sensiblement d’un lieu à l’autre, d’un auteur à l’autre. Dans la
version de José Rodrigues da Costa du chant n°3, on peut percevoir
une nette influence du portugais (voir les mots que nous avons
volontairement mis en italiques). Il est difficile de dire si cette
« métamorphose » lexicale, qui reste jusqu’ici assez limitée, est
susceptible de s’étendre à un ensemble de chants plus vaste. On
peut y voir la volonté de redonner un sens à des textes qui n’en
possédaient plus. Il est intéressant de constater que la même
volonté pousse aujourd’hui certains intellectuels bahianais,
membres de la nation Angola, à réafricaniser ces textes. Ces deux
tendances, divergentes dans la manière, mais proches dans leur
quête du sens, sont le reflet de deux idéologies diamétralement
opposées. L’une consiste à trouver dans l’Afrique une légitimité
afin de pouvoir « concurrencer » la nation Ketu, longtemps
considérée comme l’unique détentrice de traditions africaines
« pures », l’autre à « ingérer » une culture africaine afin de la
rendre « purement » brésilienne. Il faut noter que dans un cas, la
nation Angola se trouve en concurrence avec la nation Ketu (à
Bahia), dans l’autre avec l’umbanda (à Rio de Janeiro). Les
stratégies, conscientes ou inconscientes, sont donc différentes.
130
Chapitre 2
La musique
1. Travaux antérieurs
131
Les premiers enregistrements de musiques du candomblé furent
réalisés, pour des raisons techniques notamment, dans des studios
improvisés. Le premier enregistrement réalisé en contexte, au cours
d’une cérémonie, est celui effectué par Simone Dreyfus-Roche en
1955 1 dans le terreiro Axé Opô Afonjá, avec la permission de Mãe
Senhora et le concours de Pierre Verger. Ces documents sonores ne
furent pas accompagnés de description ethnographique détaillée.
Ces premières recherches, limitées à l’enregistrement et à
l’analyse de la musique en soi, sont le reflet d’une étape dans le
développement de l’ethnomusicologie, où l’on considérait le son
musical, quelle que soit sa provenance géo-culturelle, comme
n’importe quel autre objet d’étude musicologique de type
occidental et donc analysable suivant des méthodes élaborées dans
un cadre socioculturel tout à fait spécifique. Seuls comptaient des
paramètres exclusivement propres à la musicologie européenne. De
telles analyses laissaient de côté nombre d’autres éléments,
pourtant extrêmement pertinents dans le contexte culturel et
musical du candomblé, tels l’usage, la fonction et le contexte
rituels de tel ou tel chant, de telle ou telle formule rythmique.
L’intérêt pour la musique dans le candomblé, au sein de son
contexte rituel, ne s’est développé que récemment. Quelques
travaux ont tout d’abord inclus le moment spécifique où l’on
chante tel chant, son lien avec la danse et avec certains mythes, les
paroles et le contenu émotionnel qu’elles véhiculent. Mentionnons
à ce propos une publication de Gisèle Cossard (1967), certains
passages de la thèse de Claude Lépine (1978) et des articles de
Gérard Behague (1976, 1984).
L’étude de la musique du candomblé, sans doute au même titre
que celle d’autres musiques associées au phénomène de la
possession rituelle, montre de façon significative combien les
orientations méthodologiques et conceptuelles de l’ethnomusico-
logue doivent être déterminées par les spécificités du terrain auquel
il se consacre. En effet, force est de constater que la musique des
cultes afro-bahianais n’est pas en elle-même d’une complexité
extraordinaire ; mais il faut garder en vue qu’elle n’est jamais
considérée comme une fin en soi. Elle se situe, on l’a dit, au cœur
d’un système complexe qui met en action les représentations
1. Brésil, vol.2 : Musique de Bahia, enregistré et édité par Simone Dreyfus-Roche. Photos :
Simone Dreyfus-Roche et Pierre Verger. Mission du CNRS et du Musée de l’Homme.
« Musique de candomblé. Culte de Shango » (Axé Opô Afonjá, 1955) ; voir discographie.
132
symboliques, spirituelles et religieuses de toute une communauté.
C’est sous cet angle qu’il convient donc de l’appréhender. De ce
fait, il nous semble que l’enregistrement sonore en contexte –
associé, dans la mesure du possible, à un témoignage audiovisuel –
malgré les restrictions techniques qu’il impose, soit l’objet d’étude
le plus pertinent pour l’ethnomusicologue, car lui seul est à même
de rendre compte de tous les aspects significatifs du phénomène
musical.
Les travaux de Tiago de Oliveira Pinto reflètent cette tendance
de l’ethnomusicologie (Pinto, 1992). Dans un ouvrage de 1991, il
est le premier à répertorier clairement les principales formules
rythmiques en usage dans la plupart des terreiros Jêje-Nagô 1. Pour
ce faire, il utilise le système d’inventaire élaboré par Simha Arom
pour la notation de formules rythmiques africaines. À ce propos,
nous avons constaté que certaines de ses transcriptions présentent
des divergences notables avec les formules rythmiques utilisées
dans les lieux de culte que nous avons fréquentés. Il semblerait
donc qu’une même formule puisse subir des changements parfois
très substantiels d’un lieu de culte à l’autre. Notons qu’aucune
étude comparée des formules rythmiques – en fonction des lieux de
culte et des musiciens – n’a jusqu’ici été réalisée 2.
Les études précédemment mentionnées ne sont consacrées
qu’au candomblé Jêje-Nagô, et plus précisément à sa version
considérée comme la plus traditionnelle. Rappelons que cette
modalité du culte ne représente qu’une faible minorité des terreiros
aujourd’hui présents à Bahia. Les ethnomusicologues ont donc
fidèlement suivi la voie ouverte par leurs illustres prédécesseurs de
l’ethnologie dans leur quête de la pureté africaine au Brésil.
L’impasse a été faite sur les répertoires a priori plus syncrétiques
du candomblé Angola et du candomblé de caboclo. Cette attitude
des ethnomusicologues révèle selon nous la difficulté
d’appréhender des phénomènes issus du métissage et des
interpénétrations de civilisations. Cette difficulté provient
notamment du postulat selon lequel il existerait des cultures
1. Notons à cet égard que tous ces travaux sont presque exclusivement consacrés à la nation
Ketu, aujourd’hui encore considérée par l’immense majorité des chercheurs comme l’unique
digne représentante du candomblé de Bahia.
2. Nous envisageons, dans le cadre d’une recherche future, d’établir un tableau de
correspondances ainsi qu’une typologie comparée de ces rythmes au sein d’une aire géo-
culturelle allant du Rio Grande do Sul au Pará, couvrant ainsi l’ensemble des cultes afro-
brésiliens.
133
musicales « pures », autrement dit exemptes de toute influence
externe, plus exactement où toute influence externe serait
considérée comme une exception à la règle, comme un emprunt
ponctuel. Appréhender une culture musicale où tout est le fruit du
mélange et où les influences réciproques sont multiples reste un
enjeu primordial pour le chercheur qui s’intéresse aux mondes
contemporains. Quel système culturel peut aujourd’hui être vu
comme statique, imperméable aux autres ? La pureté culturelle est
une illusion qui a servi de réconfort idéologique et méthodologique
à des générations de chercheurs. C’est en ce sens qu’il faut tenter
de reconsidérer minutieusement la pratique de la monographie
traditionnelle.
134
2. Formation
Instruments
Membranophones
135
Rite annuel de régénération de l´énergie des tambours
Terreiro Pilão de Prata - Salvador - 1995
© X.V.
Tension de la peau
Pilão de Prata - 1995
© X.V.
136
Nous avons pu constater que les techniques n’ont pratiquement
pas changé depuis l’époque à laquelle Herskovits a effectué ses
recherches. L’évolution la plus notable est cette tendance récente,
précédemment évoquée, visant à importer d’Afrique, et plus
précisément du Nigeria, des tambours – ainsi que toutes sortes
d’objets rituels, cloches sacrées et colliers notamment.
En ce qui concerne le mode de jeu, les tambours sont toujours
joués en position verticale. Ils sont en général emboîtés dans un
cadre en bois qui permet de laisser libre l’ouverture inférieure du
fût. Dans les nations Ketu et Jêje, les tambours sont frappés avec
des baguettes qui sont appelées oguidavi – ce terme proviendrait
également de la langue fon. Elles sont faites dans un bois résistant
– souvent du pitanga, cerisier de Cayenne – sans quoi elles cassent
très rapidement. Pour le rumpí et le lê, les tambourinaires utilisent
chacun deux baguettes. Par contre, le tambourinaire qui joue le
grand tambour 1 n’utilise qu’une seule baguette. La main nue
frappant le rum donne les basses des formules rythmiques. Comme
il est souvent de coutume dans la rythmique africaine, c’est
l’instrument grave, en l’occurrence le rum, qui introduit les
variations. Il entretient une relation extrêmement étroite avec la
chorégraphie des possédés : dans ses variations sont contenues les
évolutions des danseurs. Ainsi, ces variations, qui peuvent prendre
a priori l’allure de passages improvisés, sont en réalité des
séquences préétablies, mémorisées à la fois par le tambourinaire et
par les initiés et qui induisent la gestuelle stéréotypée de leurs
divinités respectives. C’est donc plus dans le choix de telle ou telle
séquence à un moment déterminé de la performance que réside
l’espace de liberté et d’ « improvisation » du joueur de rum, que
dans la création spontanée de figures rythmiques inédites. Les
contraintes rituelles sont trop fortes pour laisser une telle liberté au
musicien 2.
L’une des caractéristiques fondamentales de la percussion dans
le candomblé est d’être indissociable des autres éléments expressifs
que sont la danse et le chant, tous trois rituellement motivés par les
représentations de la nature et du comportement des divinités.
Cette caractéristique renvoie à une conception africaine
globalisante qui s’oppose à la conception analytique occidentale.
137
Citons à cet égard un passage de l’avertissement formulé par
Simha Arom concernant les traits communs des musiques
traditionnelles africaines :
« Lorsqu’on aborde les cultures traditionnelles africaines, la
rationalité propre à la pensée occidentale, dans sa volonté de
séparer, de catégoriser, se trouve prise en défaut » (Arom, 1985 :
42).
Le rum, tant sur un plan musical que fonctionnel, apparaît donc
comme l’instrument par excellence des cérémonies rituelles de
candomblé. Dans les nations Ketu et Jêje, les deux autres tambours
sont chargés de fournir une base régulière suivant un modèle en
ostinato. En général, la baguette de la main droite du lê et du rumpí
marque par ses accents le même rythme que celui fourni par la
cloche métallique (voir Idiophones). Les accentuations sont ainsi
données par la main droite, tandis que la main gauche vient en
« remplissage » et permet des redoublements caractéristiques liés à
certaines formules rythmiques.
Dans la nation Angola, ainsi que dans les cérémonies
consacrées aux caboclos 1, les trois tambours, souvent appelés
ngoma, sont joués à mains nues. Le rum remplit une fonction
similaire à celle qui lui est attribuée dans les nations Ketu et Jêje.
En ce qui concerne les deux autres tambours, leur jeu fait ressortir
une polyrythmie généralement plus prononcée que dans ces deux
nations car, dans la nation Angola, ils ne reproduisent pas toujours,
par leurs accents, le rythme de base fourni par la cloche métallique.
Ils sont de ce fait plus autonomes, entre eux d’une part, vis-à-vis de
la cloche d’autre part.
Les tambours sont investis d’un pouvoir symbolique particulier.
Ils jouent un rôle très important lors des fêtes publiques et figurent
également dans certains rituels à caractère plus privé – la saída de
iaô notamment, présentation rituelle des nouveaux initiés au terme
de leur réclusion initiatique. En général, ils sont situés dans une
niche centrale du mur faisant face à l’entrée principale du
barracão. À leur côté prennent place les principaux dignitaires du
culte. Leur mise en valeur est manifeste ; ils constituent un point de
référence fondamental du complexe cérémoniel.
138
Les atabaques, au même titre que le chef de culte et que
certains espaces sacrés du terreiro 1, sont chargés d’axé, énergie
spirituelle dont la régénération est l’enjeu de la pratique rituelle de
la communauté. La force que constitue l’axé se situe en dehors du
monde visible. L’essentiel n’est donc pas toujours ce que l’on voit.
C’est dans cette perspective qu’il faut considérer la fonction
symbolique de la percussion dans le candomblé. Les tambours, en
tant qu’objets sacrés, ne sont pas autonomes. Ils acquièrent leur
entière valeur, et par conséquent leur pouvoir, en ce qu’ils font
partie d’un système liturgique qui organise la manifestation de
l’objet sacré. On ne peut donc séparer les effets qu’ils produisent
sur les initiés du contexte rituel dans lequel ils s’inscrivent. C’est
pour cette raison, notamment, que la transe ne peut être vue comme
le simple résultat d’un effet neurophysiologique de la percussion.
Pendant la fête, on dit que les tambours – et particulièrement le
rum – portent la voix des dieux. Le son implique toujours une
présence, qui s’exprime et cherche à atteindre un interlocuteur.
Dans la tradition Yoruba, les tambours sont chargés d’établir la
communication entre le présent et le passé, entre le monde terrestre
– ayé, orthographié aiyê au Brésil – et le monde surnaturel – orun.
Le tambourinaire est en quelque sorte investi d’une fonction de
« passeur » ; à ce titre, il ne doit pas exclusivement l’emprise qu’il
exerce sur les possédés à son talent, mais aussi à ce que représente
l’instrument dont il se sert. Le tambour principal apparaît tantôt
comme la voix, tantôt comme le siège de la divinité concernée.
Les tambours jouissent par conséquent d’un statut fortement
sacralisé et font l’objet de nombreux traitements rituels. Ils sont
« baptisés » peu après leur fabrication. Ce baptême donne lieu à
une cérémonie méticuleusement organisée 2, mais il ne confère pas
aux tambours un pouvoir définitif. Par la suite, ce pouvoir est
maintenu au travers de rites annuels de « nourriture ». Pour
renouveler leur axé, ils ont en effet besoin de se « nourrir », grâce à
des sacrifices et des offrandes – notamment constituées de sang,
d’huile de palme, de miel et d’eau bénite. En aucun cas, un
tambour consacré, chargé d’axé, ne doit tomber dans des mains
étrangères à la communauté.
1. Parmi lesquels on trouve l’ixé, centre géométrique et symbolique du barracão, sous lequel
sont enfouis des objets sacrés.
2. Voir à ce sujet les articles de M. Herskovits (1946) et de G. Behague (1984).
139
Comme il est de coutume en Afrique Noire et dans les cultures
de la diaspora africaine, la place de tambourinaire est réservée aux
hommes 1. Les meilleurs tambourinaires sont généralement liés au
culte par une longue tradition familiale. L’apprentissage se fait
principalement par imprégnation. Les jeunes garçons de la
communauté sont incités à apprendre, en observant puis en imitant
leurs aînés, les rythmes fournis par les instruments à percussion.
Certains d’entre eux, comme nous l’avons constaté dans de
nombreux terreiros, participent déjà activement aux cérémonies
rituelles bien avant leur dixième anniversaire ! L’apprentissage
débute par la cloche, puis se poursuit par les trois tambours, du
plus petit au plus grand. L’engouement de ces jeunes garçons pour
la percussion est sans doute accru par le prestige particulier dont
jouissent les tambourinaires, et en premier lieu l’alabê, au sein de
la communauté. Ce prestige témoigne de la place essentielle que
tient la musique dans le candomblé.
Idiophones
Cloche gã
Terreiro Pilão de Prata - Salvador - 1995
© X.V.
1. Notons à cet égard que les fonctions musicales, dans le candomblé, obéissent à une
répartition sexuelle assez stricte. Les tambourinaires sont toujours des hommes.
140
Le gã possède un son plus sec que celui de l’agogô. Ce dernier
est le plus souvent joué sur une seule des deux cloches,
particulièrement pour les rythmes rapides. En revanche, pour
certaines formules rythmiques, comme l’ijexá, en usage dans toutes
les nations de candomblé, on emploie plus volontiers les deux tons
de cloche 1. L’agogô et le gã ont toutefois la même fonction au
cours des cérémonies rituelles. La cloche donne presque toujours le
rythme de base pendant un cycle ou deux avant l’entrée des
tambours. Il arrive souvent que le joueur de cloche entonne aussi
les chants. Si ce n’est pas le cas, il doit cependant, à l’audition du
chant entonné par le soliste, savoir immédiatement quel est le
rythme correspondant. Le joueur de cloche doit donc posséder,
qu’il fasse ou non office de chanteur principal, une connaissance
très complète des répertoires vocaux. Les instruments évoqués
jusqu’à présent sont utilisés au cours des cérémonies rituelles de
candomblé (y compris les fêtes consacrées aux caboclos), toutes
nations confondues. Certains idiophones, qui ne participent pas de
l’ensemble instrumental chargé de fournir les formules rythmiques,
se situent aux confins de ce que l’on peut nommer « instru-
ments musicaux ». Ce sont avant tout des « instruments rituels »,
qui s’expriment de façon sonore, et dont le lien avec la possession
est très fort 2. C’est le cas de l’adjá, cloche à battants internes
composée de deux ou trois cônes de tôle argentée ou dorée réunis
sur un manche du même métal. Dans chaque cône est accroché un
battant de fer. Cette cloche est sacrée ; en principe, seul le chef de
culte a le droit de l'agiter. Gisèle Cossard précise :
« Elle rythme d'un tintement nerveux toutes les cérémonies
publiques ou privées. Le son suffit généralement à faire entrer en
transe les initiées. Après avoir été utilisé, l'adjá est couché avec
précaution devant les offrandes. Recevoir un adjá des mains d'une
« mère-de-saint » avec mission de l'agiter pendant une cérémonie
est un bonheur rare très apprécié des anciennes initiées » (Cossard,
1967 : 172).
1. Dans le cas de l’ijexá, l’alternance grave/aigu est prescrite et le plus souvent respectée.
2. À ce titre, certains de ces idiophones – arô, kadakorô, xeré – ont déjà été évoqués en
détail dans le passage consacré aux « déclencheurs » de la possession (p. 94).
141
Cloche sacrée adjá
Terreiro Santa Cruz - 1995
© X.V.
Voix
142
amplifié et réverbéré par l’acoustique du barracão. Pour la même
raison, il est nécessaire que le soliste soit doté d’une voix
puissante. La technique vocale employée nécessite une grande
pression au niveau du pharynx, à tel point que de nombreux
solistes ont, lorsqu’ils chantent, les veines jugulaires
particulièrement saillantes – cette particularité est d’ailleurs, selon
certains, l’apanage des bons solistes.
Précisons d’emblée que ces caractéristiques vocales – registre
aigu et puissance sonore – ne sont pas indispensables au prestige
d’un chanteur ou d’une chanteuse soliste dans le candomblé.
D’autres facteurs essentiels entrent en compte : la connaissance
approfondie – pour ne pas dire encyclopédique – du répertoire
vocal, l’usage approprié des chants et la diction des textes
notamment. Sur ce dernier aspect, il faut ajouter que dans les trois
nations étudiées, quel que soit le niveau de compréhension du texte
des chants par les adeptes, la conformité à une tradition bien établie
de prononciation est extrêmement importante. Dans les terreiros
Ketu réafricanisés où certains initiés, on l’a vu, ont entrepris
l’étude du yoruba, la prononciation des chants prête alors à de
longues discussions linguistiques et exégétiques. Rappelons
toutefois qu’il s’agit d’un courant numériquement très marginal
parmi les candomblés de Bahia. Dans ce domaine, comme dans
ceux abordés depuis le début de ce travail, on constate que les
divergences d’un lieu de culte à l’autre sont plus fréquentes que les
canons intangibles de l’orthodoxie. Le chanteur soliste est investi
d’une fonction extrêmement importante : celle de décider de
l’usage des chants qui vont déclencher la possession chez certains
initiés. Le tambourinaire principal et lui sont les deux maîtres
d’œuvre de la représentation sacrée qui est offerte à tous lors des
« fêtes » publiques.
Modalités d’interprétation : dans le cas des cérémonies pour les
caboclos, on l’a dit, ces derniers font à tour de rôle office de chan-
teur soliste. Leur émission vocale se caractérise par une prédilec-
tion pour le vibrato sur les fins de phrase 1 associée à une pronon-
ciation très particulière du portugais que l’on nomme embolado,
qui suscite l’étonnement ou l’amusement de certains visiteurs.
1. Selon Gérard Behague (1976), cette pratique du vibrato attesterait d’un lien avec certains
styles de chant plus typiquement amérindiens.
143
En ce qui concerne les voduns de la nation Jêje, leur émission
vocale se caractérise par un volume très faible, qui oblige les
membres de la communauté et l’assistance à faire silence pour
détecter le chant sur lequel le vodum désire danser. En effet, ce
dernier n’est pas à proprement parler en position de chanteur
soliste, il entonne seulement les chants avant qu’ils soient repris
par la mère de saint ou une autre personne de la communauté.
D’un soliste à l’autre, l’interprétation d’un chant peut varier de
manière significative. Ces variations concernent le tempo – qui
peut aller du simple au double – la prononciation du texte et, dans
une moindre mesure, la ligne mélodique. L’aptitude à la variation
et la tendance plus ou moins prononcée au tuilage sur les réponses
du chœur caractérisent chaque soliste.
144
Chapitre 3
Les répertoires
1. Répertoires vocaux
1. Voir Contexte linguistique et les transcriptions en annexe des textes des chants des nations
Ketu, Jêje, Angola et du culte des caboclos.
2. À l’exception des chants pour les caboclos, qui constituent un groupe spécifique.
145
Le chant nommé primeira de dar rum, permettant à l’orixá
célébré de se présenter et d’être salué par l’assemblée. Chaque
divinité en possède un.
Les cantigas de rum, utilisées pour faire danser à tour de rôle,
au son du tambour rum, chacune des divinités présentes.
Les cantigas de maló, « chants d’au revoir », chantées à la fin
de la cérémonie, pour prendre congé des divinités.
Outre ces chants, interprétés lors des cérémonies publiques, on
trouve un grand nombre de cantigas de fundamento destinées aux
rites préliminaires de ces fêtes ou à des cérémonies secrètes :
Cantigas de matança, « chants de sacrifice », chantés lors des
sacrifices.
Cantigas de folha, « chants de feuille », accompagnant la
trituration des feuilles sacrées utilisées dans la préparation des
décoctions et ablutions rituelles.
Cantigas do padê, « chants du padê », pour l’offrande à Exu qui
précède toutes les cérémonies publiques.
Cantigas de borí, « chants de borí », chantés au cours du rituel
pré-initiatique du borí.
Si l’on regroupe l’ensemble de ces répertoires, on obtient pour
chaque lieu de culte un total de plus de six cents chants. Chaque
orixá possède un ensemble spécifique de vingt à quarante chants se
divisant en cantigas de xirê, cantigas de rum et cantigas de
fundamento 1. Seules les divinités qui ne se manifestent que
rarement, telles Euá et Obá, ne disposent pas d’une division aussi
nette de leurs répertoires respectifs.
Dans la nation Ketu, la différence entre cantigas de xirê et
cantigas de rum semble se situer plus sur le plan fonctionnel que
sur celui du contenu musical ou textuel. Il s’agirait d’une division
traditionnelle, devenue convention au sein d’un terreiro, et qui
peut ainsi différer d’un lieu de culte à l’autre. Ce serait notamment
pour cette raison qu’il est très rare de laisser une personne
étrangère au terreiro entonner un chant à l’occasion d’une
cérémonie publique.
Les paroles des chants entonnés au cours des fêtes publiques
relatent des épisodes de la vie mythique des divinités. D’une nation
à l’autre, d’un terreiro à l’autre et d’un initié à l’autre, la
1. Dans la nation Angola, la distinction entre cantigas de xirê et cantigas de rum n’existe
pas ; on utilise les mêmes chants pour appeler les inquices et pour les faire danser.
146
compréhension du texte varie, allant de la connaissance littérale à
l’incompréhension totale 1.
Les cantigas de fundamento constituent un groupe de chants
très important. Elles ont souvent pour effet de déclencher la
possession. Lorsqu’une cantiga de fundamento est entonnée au
cours d’une fête, les personnes présentes dans le barracão ont pour
coutume de se lever afin de rendre hommage aux divinités qui sont
sur le point de se manifester. Ces chants, qui exigent respect et
vénération, possèdent un contenu émotionnel très fort 2. Exprimant
la grandeur et la majesté des divinités, ils sont en général exécutés
sur un tempo lent.
Tous les répertoires de chants que nous venons d’évoquer sont
accompagnés par les instruments à percussion – tambours et
cloche. Le seul répertoire vocal n’ayant pas recours à ce soutien
rythmique est celui qui regroupe les prières – rezas – adressées aux
divinités. Elles n’ont pas de structure métrique explicite.
Empreintes elles aussi d’un contenu émotionnel important pour les
initiés, les prières sont généralement chantées pendant l’initiation,
mais aussi au moment de louer telle ou telle divinité avant le début
d’une cérémonie publique. Les cantigas de fundamento et les
prières, souvent utilisées hors du contexte strictement liturgique –
il est fréquent d’entendre certains initiés qui vivent dans le terreiro
les chanter pour leur plaisir personnel – font partie de la vie
quotidienne des filles et fils de saint, abolissant la frontière – bien
floue, à Bahia et ailleurs – entre sacré et profane. Elles sont au
cœur de l’univers musical du candomblé.
Parmi les chants recueillis, qui figurent en annexe, on constate
que les nations Ketu et Jêje partagent un nombre important de
chants. Les emprunts réciproques sont en général considérés
comme tels et trouvent aux yeux des adeptes une justification par
la liturgie rituelle et les interpénétrations très anciennes entre ces
deux nations. On peut voir dans ce patrimoine commun une
illustration concrète de ce que l’on nomme la tradition Jêje-Nagô.
En revanche, la nation Angola possède un patrimoine vocal
autonome dans lequel on ne détecte presque aucun emprunt,
hormis un groupe de chants pour la déesse Oxum, originaire de la
147
nation Ijexá 1, que l’on retrouve d’ailleurs dans les deux autres
nations, et quelques rares chants en portugais qui attestent d’un lien
avec le monde des caboclos.
Les chants pour les caboclos, tous en portugais, constituent un
groupe à part ; ils témoignent d’une interpénétration très forte avec
certains répertoires profanes, comme celui du samba de roda 2.
Dans les cérémonies pour les caboclos figurent aussi des chants de
la nation Ketu ou de la nation Angola car, selon la nation
dominante du terreiro dans lequel la fête est célébrée, la partie qui
précède la venue des caboclos sera accompagnée d’un xirê soit
Ketu, soit Angola. Pour « appeler » les caboclos, il faut toutefois
des chants d’appel spécifiques qui marquent le passage du
répertoire Ketu ou Angola au répertoire caractéristique des
caboclos, qui accompagnera tout le reste de la fête.
Un emprunt ne se présente pas toujours sous une forme simple,
c’est-à-dire considéré comme tel et facilement détectable, puisque
texte et mélodie sont simplement transposés tels quels d’une nation
à l’autre. Dans certains cas, on peut déceler un phénomène plus
rare d’ hybridation, dans le sens où l’on retrouve bien la même
mélodie mais revêtue de paroles différentes et dans des contextes
différents.
Dans l’exemple qui suit, la mélodie du chant Angola a été
empruntée pour former un chant dont le texte appartient au
répertoire des caboclos. Pour déterminer l’origine de la mélodie,
nous nous sommes basés d’une part sur les informations fournies
par les protagonistes eux-mêmes, d’autre part sur le fait que la
formule rythmique qui accompagne ces deux chants, nommée
congo, est originaire de la nation Angola – plus précisément
Congo-Angola. Il nous semble donc plus plausible que cette
mélodie soit originaire de la nation Angola et ait ensuite été
empruntée par le culte des caboclos plutôt que l’inverse.
1. On peut entendre ces chants dans le disque : Candomblé de Angola. Musique Rituelle
Afro-Brésilienne (Inédit, Maison des Cultures du Monde, 1999, plage 16).
2. Forme de samba où les exécutants – musiciens, chanteurs et danseurs – forment une ronde
au milieu de laquelle chacun vient danser à tour de rôle. Le terme samba de roda désigne
aussi les chants qui accompagnent cette manifestation bahianaise traditionnelle. On retrouve
certains de ces chants dans les fêtes pour les caboclos, en général à la fin, lorsque les
caboclos invitent successivement les membres de l’assistance à danser avec eux au milieu
du barracão.
148
Voici ces deux chants :
Fête de caboclos
Contexte
(chant d’au revoir du caboclo)
1. On peut entendre ce chant enregistré dans son contexte cérémoniel dans le disque
Candomblé de Angola. Musique Rituelle Afro-Brésilienne (Inédit, Maison des Cultures du
Monde, 1999, plage 12, à 6’05’’).
149
Voici un tableau récapitulatif qui permet de visualiser les
emprunts réciproques et d’évaluer la perméabilité des répertoires
vocaux d’une nation à l’autre :
Culte
Ketu Jêje Angola Caboclo
Emprunt
Chants
- nombreux non oui (xirê)
Ketu
Chants
nombreux - non non
Jêje
Chants
non non - oui (xirê)
Angola
Chants
pour les non non rares -
caboclos
Samba
non non non nombreux
profane
150
2. Répertoires instrumentaux
151
tambours 1. Ce changement sert de signal aux tambourinaires.
L’exécution de l’adarrum nécessite alors une virtuosité
extraordinaire de leur part : les redoublements réalisés princi-
palement sur le tambour moyen (rumpí) et le petit tambour (lê)
correspondent à des sextolets de doubles-croches voire à des
successions de triples-croches ; si l’on considère que le tempo de
base est approximativement de 100 à la noire, cela donne une
double-croche de sextolet à 600 et une triple-croche à 800, soit 10
doubles-croches de sextolet par seconde et plus de 13 triples-
croches par seconde ! Ces redoublements extraordinaires durent de
4 à 8 mesures, puis les tambourinaires reprennent le flux rythmique
de base. Quelques mesures plus tard, au même signal de la cloche,
ce passage est exécuté de nouveau. Cette alternance rythmique, qui
donne une impression d’accélérations et de ralentissements
successifs 2, explique selon certains initiés la déstabilisation que
l’adarrum produit sur eux. Il est ainsi joué pendant 5 à 10 minutes,
au terme desquelles tous les initiés sont alors possédés. L’effet de
cette formule rythmique est quasi irrépressible 3. Les
tambourinaires du terreiro Casa de Oxumarê, avant de jouer
l’adarrum, commencent par exécuter une avaninha ou un bravum
– deux formules rythmiques également originaires de la nation Jêje
– puis, sans interrompre leur jeu, attaquent l’exécution de
l’adarrum. Ils appellent cette technique « prise par surprise » (pega
de surpresa) ; les initiés présents dans la ronde et dans l’assistance
n’ont ainsi pas le temps de sortir pour tenter d’échapper à la
possession : ils sont piégés ! L’exécution de l’adarrum suscite une
exaltation très particulière parmi toutes les personnes présentes :
tambourinaires, filles et fils de saint, initiés d’autres terreiros,
simples visiteurs. En raison de ses caractéristiques sonores,
musicales et liturgiques, l’adarrum est indéniablement la formule
rythmique la plus extraordinaire de tout le répertoire instrumental
du candomblé.
Agabí : cette formule rythmique de la nation Ketu est plus
particulièrement jouée pour Ogum, parfois pour Xangô. Selon un
152
ogã tambourinaire de la nation Angola, ce toque serait
occasionnellement exécuté lors de certaines cérémonies Angola;
dans ce cas, les trois tambours sont frappés à mains nues.
Aguerê de Oxossi : toque de fundamento pour la divinité
Oxossi, l’aguerê, lorsqu’il est joué seul (c’est-à-dire sans chant), a
pour effet de déclencher la possession chez les « fils » de cette
divinité. Il accompagne également des chants consacrés à d’autres
divinités.
Arrebate : ce toque de la nation Angola est rarement exécuté.
Joué seul sur un tempo lent, il accompagne l’entrée des divinités
dans le barracão ; on dit qu’il s’agit d’un « rythme d’entrée »
(toque de entrada). Selon Nancy de Souza, certains membres de la
nation Ketu demandent parfois aux tambourinaires : « Frappez un
arrebate ! » (Toca um arrebate aí !), pour solliciter en réalité une
avaninha, dont la fonction est presque la même : inviter les gens à
se réunir dans le barracão pour accueillir les divinités 1. Le terme
arrebate est donc utilisé dans ce contexte en raison de sa proximité
fonctionnelle et non structurelle. Cette confusion terminologique
pousse certains tambourinaires, qui fréquentent souvent des lieux
de culte de différentes nations, à jouer effectivement un arrebate
dans une cérémonie Ketu, en lieu et place de l’avaninha.
Avaninha : originaire de la nation Jêje, ce toque, joué seul le
plus souvent, est très utilisé dans la nation Ketu, où il accompagne
l’entrée – parfois également la sortie – des divinités.
Barravento : cette formule rythmique Angola accompagne
généralement des chants. Rarement jouée seule, elle a alors pour
effet, comme l’adarrum, de déclencher les possessions, dans les
cérémonies de la nation Angola.
Batá : ce toque pour Xangô – le terme bàtá désigne dans la
culture yoruba le tambour consacré à Xangô – accompagne des
groupes de chants (roda) pour Xangô, Oxum, Oxossi, Oxalá et
Obá : on appelle ces chants cantigas de batá.
Bravum : ce toque Jêje est joué pour Bessém, Sogbô, Nanã, et
Xangô, lorsque ce dernier sait danser les danses de la nation Jêje ;
cette formule rythmique est en effet accompagnée d’une danse
caractéristique de cette nation.
153
Cabula : cette formule rythmique de la nation Angola
accompagne toujours des chants. Certains la nomment cabila,
d’autres manjola.
Congo : cette formule rythmique de la nation Angola – qui
proviendrait de la nation Congo, aujourd’hui quasiment disparue –
est parfois appelée congo de ouro.
Daró : ce toque de fundamento pour Iansã/Oiá accompagne une
danse très appréciée des adeptes et des visiteurs, qui l’agrémentent
de battements de mains. Il est aussi appelé aguerê de Iansã, ilu ou
quebra prato.
Ibí 1 : ce toque de fundamento pour Oxalá, joué sur un tempo
lent, accompagne la lente marche d’Oxalufã, forme la plus vieille
d’Oxalá. Il peut être joué seul ou accompagner des chants pour
cette divinité.
Ijexá : originaire de la nation Ijexá, ce toque accompagne
essentiellement des chants pour la déesse Oxum, mais aussi pour
Oxalá, Logum Edé, Ogum, Iansã, Ossaim, Exu et un chant pour
Xangô 2.
Jincá 3 : cette formule rythmique est originaire de la nation Jêje.
Très utilisée dans la nation Ketu, elle accompagne des chants pour
Yemanjá, Ogum, Xangô, Oxossi et Nanã.
Opanijé : ce toque de fundamento pour Omolu/Obaluaiê, joué
seul, est associé à une gestuelle très particulière exécutée par la
divinité, censée exprimer le fait qu’Omolu « tue puis mange » (o
pa ni jé, en yoruba).
Ramunha : cette formule rythmique, originaire de la nation
Jêje, possède une fonction similaire à celle de l’avaninha. Les deux
noms sont d’ailleurs fréquemment employés l’un pour l’autre.
Sató : ce toque de la nation Jêje est le rythme « officiel » pour
Oxumarê – ou plus précisément Dan Balá, dans la culture fon. Il
154
accompagne aussi des chants pour Omolu et Nanã. Il est parfois
appelé huntó.
Tonibobé : ce toque de fundamento pour Xangô se compose de
trois phases rythmiques successives ; au cours de l’une d’elles, la
gestuelle évoque l’épisode mythique où Xangô lance des éclairs.
Le tonibobé est aussi joué pour Yemanjá, mais ne comporte dans
ce cas que la première phase.
Vassa : vraisemblablement originaire de la nation Jêje, cette
formule rythmique est la plus fréquemment employé dans la nation
Ketu. Elle accompagne des chants pour tous les orixás – Oxum,
Omolu, Exu, Nanã, Xangô, Euá notamment. Son étymologie est
incertaine. Certains la nomment vassi, d’autres toque de Ketu.
155
Les formules rythmiques : origines et emprunts
Formule
Ketu Jêje Angola Caboclo
rythmique
Adarrum (E) O (E) -
Agabí O - (E) -
Aguerê O - - -
Alujá O - - -
Arrebate (E) - O -
Avaninha E O - -
Barravento - - O (E)
Batá O - - -
Bravum - O - -
Cabula - - O E
Congo - - O E
Daró O - - -
Ibí O - - -
Ijexá E (E) (E) -
Jincá E O - -
Opanijé O - - -
Ramunha E O - -
Sató E O - -
Tonibobé O - - -
Vassa E O - -
156
Ce tableau synoptique, sur les 20 formules rythmiques qu’il
regroupe, fait apparaître que : 8 sont originaires de la nation Ketu ;
7 sont originaires de la nation Jêje ; 4 sont originaires de la nation
Angola.
Concernant le nombre total de formules employées dans chaque
nation et les emprunts réciproques, on observe que : 16 (dont 8
emprunts) sont en usage dans la nation Ketu ; 8 (dont 1 emprunt)
sont en usage dans la nation Jêje ; 7 (dont 3 emprunts) sont en
usage dans la nation Angola ; 3, empruntées à la nation Angola,
sont en usage dans le culte des caboclos, qui ne possède donc pas
de formule rythmique spécifique.
On dénombre ainsi un total de quinze emprunts réciproques.
Toutefois, aucune formule rythmique répertoriée ne se retrouve
dans les quatre cultes étudiés. Par ailleurs, cinq toques de
fundamento de la nation Ketu ne sont utilisés que dans cette
nation ; les quinze autres formules sont en usage dans au moins
deux nations.
157
Adarrum (tempo : de 100 à 120)
1. 4/8
X X X X
2. 7/8
X X X X X X X
158
Ijexá : 9/16 (de 80 à 100 ; souvent joué sur la cloche double : H : cloche
aïgue / L : cloche grave)
H H L L H H L L L
Tonibobé : (de 100 à 120 ; comporte trois phases : la première est jouée
sur les deux cloches)
1. 7/16
L H H H H L L
2. 6/16
X X X X X X
3. 9/16
X X X X X X X X X
159
Tambourinaires lors de la fête de Mutalombô
Terreiro Unzó Mim Kizangirá - Mata de São João - 2004
© X.V.
160
3. Organisation musicale des répertoires
Procédés formels
1. Nous présentons ici un aperçu synthétique des éléments essentiels qui sous-tendent la
musique du candomblé ; une étude très détaillée a déjà été consacrée à la structure musicale
dans le candomblé (Merriam, 1951). Nous aborderons toutefois de manière plus précise
certains phénomènes de plurivocalité que cet auteur n’a pas abordé.
2. Auxquelles il faut retrancher les toques de fundamento qui sont toujours joués seuls –
adarrum, daró, opanijé et tonibobé notamment – et ne servent donc d’accompagnement
rythmique à aucun chant.
161
en moyenne. La mélodie emprunte fréquemment à la formule
rythmique qui la sous-tend son rythme de base, reproduisant en
partie les figures de la cloche. La formule rythmique sert donc à la
fois de cadre au chant mais également de canevas rythmique à la
mélodie – ce qui, par conséquent, confère à cette dernière un aspect
majoritairement contramétrique 1.
Plurivocalité
162
(et collectif) « Les techniques polyphoniques dans les musiques de
tradition orale », in J.J. Nattiez (éd.), Einaudi Enciclopedia della
Musica).
Cette définition s’applique au phénomène tel qu’on peut
l’entendre au cours des cérémonies rituelles de candomblé. Il se
manifeste avec une fréquence similaire quelle que soit la nation et
le type de chant – antiphonal ou responsorial – concernés. Son
intensité varie toutefois en fonction du soliste, qui en est le
principal responsable. En ce qui concerne le caractère systématique
du tuilage dans ce contexte musical, les positions déterminées où
celui-ci est censé se manifester ne sont définies que par les
contraintes formelles liées à l’alternance soliste/chœur, c’est-à-dire
aux moments où l’alternance se produit. La durée de l’anticipation
ou du retard peut varier assez fortement au cours de la même
exécution. Il n’existe par ailleurs aucune formalisation de ce
phénomène. Il semble que le tuilage, plus ou moins prononcé,
réalisé par certains membres du chœur résulte essentiellement des
contraintes acoustiques liées à l’exécution rituelle : il est en effet
difficile pour eux d’entendre distinctement le soliste, et par
conséquent le moment où celui-ci termine d’entonner sa partie.
Bien souvent, seul le cycle rythmique leur permet de déterminer le
moment où ils doivent reprendre le chant.
Ce problème des contraintes acoustiques se pose de manière
plus déterminante pour ce qui est de l’hétérophonie. Voici la
définition qui en est donnée par Simha Arom et son équipe :
« L'hétérophonie s'oppose à la monodie, par laquelle on entend une
mélodie exécutée à l'unisson ou à l'octave. (…) L'hétérophonie
désigne l'exécution simultanée, mais quelque peu variée, d'une
même référence mélodique, par deux ou plusieurs sources sonores
– voix et/ou instrument(s). Sur le plan du rythme, il en résulte de
fréquents décalages, ainsi que de légères variantes sur le plan
mélodique. Ce qui conduit Guido Adler à parler de "plurivocalité
non-organisée", et à Pierre Boulez de la définir comme "la
superposition à une structure première de la même structure
changée d'aspects". L'hétérophonie se caractérise par l'absence de
toute régularité des phénomènes plurilinéaires. Il s'agit là d'une
catégorie intermédiaire entre la monodie et un quelconque type de
plurilinéarité systématisée. L'hétérophonie se manifeste différem-
ment selon qu'une musique est mesurée ou non. Dans le premier
cas, le phénomène est moins prégnant, surtout en ce qui concerne
le rythme, puisque l'armature métrique contribue à en réguler la
163
synchronisation. Certaines musiques hétérophoniques font état, en
effet, d'une stratification extrêmement élaborée du rythme, qui
correspond à différents niveaux de monnayage de celui-ci. Il y a
lieu de distinguer l'hétérophonie comme effet involontaire de celle
qui résulte d'une intention. L'hétérophonie involontaire se produit
notamment au cours de l'apprentissage, lorsque l'enfant n'arrive
pas encore à se synchroniser sur la mélodie qui lui est enseignée.
L'hétérophonie intentionnelle, quant à elle, vise à enrichir une
même idée mélodique par l'ajout de diverses variantes et
ornementations. Avec l'émergence d'une deuxième voix dont les
caractéristiques se distinguent nettement de la voix de référence,
l'hétérophonie a épuisé ses effets. L'hétérophonie peut couvrir la
quasi-totalité de la durée d'un morceau, ou bien n'apparaître que de
façon sporadique ; dans les deux cas, la fin de la pièce s'achèvera
sur l'unisson.» (ibid.).
S. Arom précise les traits qui caractérisent l’hétéro-
phonie centrafricaine :
« Une mélodie dont le contour est brouillé par une sorte de halo,
une relative focalisation des voix ; de minuscules variantes ;
l’apparition aléatoire de dissonances, auxquelles vient s’ajouter le
tuilage entre parties soliste et chorale » (Arom, 1985 : 64).
Dans le candomblé, il semble qu’on soit en présence d’une
hétérophonie involontaire, résultant d’une part des contraintes
acoustiques liées à l’exécution rituelle, d’autre part du fait que la
réalisation « parfaite » de l’unisson ou de l’octave ne constitue pas,
pour les membres du candomblé, un critère pertinent. Lors des
cérémonies, il n’est pas important de chanter « juste » 1 ; ce qui
compte avant tout, c’est la connaissance des paroles du chant, du
contour mélodique et, surtout, la ferveur avec laquelle chacun des
participants chante. Cette hétérophonie semble donc résulter de
l’indifférence à la « justesse », dans son acception occidentale. À
cet égard, il est intéressant de comparer les enregistrements de
terrain avec ceux réalisés en studio, par certains membres du
candomblé, dans le but de présenter un produit « commer-
cialisable ». Dans ce type d’enregistrements hors contexte, la
« justesse » du chœur est alors un élément important de
l’exécution, ce qui leur confère un aspect musical bien différent de
1. Ni même, dans certains cas et selon la tessiture de chacun, dans le ton donné par le soliste.
164
celui des cérémonies 1. Dans ces disques, la voix du soliste est bien
plus présente qu’elle ne peut l’être dans un enregistrement de
terrain, qui restitue le « déséquilibre » sonore, inhérent à
l’exécution rituelle, entre soliste, chœur et percussion. Ces disques,
que l’on peut écouter chez de nombreux membres du candomblé,
permettent aux adeptes et aux novices de mieux entendre la voix
du soliste – en l’occurrence un « père de saint » ou une « mère de
saint » célèbres – telle qu’ils ont rarement l’occasion de l’entendre
au cours du rituel ; c’est ce qui confère à ces disques leur fonction
d’apprentissage et de transmission d’un patrimoine musical,
préservé au prix d’une coûteuse mais inéluctable standardisation.
1. Certains y verront, sans doute à juste titre, l’influence incontestable de critères esthétiques
occidentaux. Nous sommes à nouveau confrontés à une forme de métissage, que certains
puristes des « musiques traditionnelles » n’hésiteraient pas à qualifier de dégénérescence.
Quoi qu’il en soit, au Brésil, ces disques sont très appréciés des adeptes du candomblé.
2. CD Candomblé de Angola. Musique rituelle afro-brésilienne, Inédit, Maison des Cultures
du Monde, 1999, plage 4 (à 4’27) : « Insimbi -ê, Insimbê Monamê ». Ce chant est fondée sur
une échelle pentatonique anhémitonique du type : do – la – sol – mi – ré – do (descendant).
165
parallélisme strict : les intervalles ne sont pas toujours identiques
car la présence de la tonalité oblige à en modifier certains.
Au sujet du rapport entre parallélisme et contraintes
linguistiques, S. Arom précise :
« Les principes du parallélisme s’appliquent essentiellement à la
musique vocale, qui, de manière générale, véhicule des paroles,
autrement dit des éléments linguistiques. Or, l’emploi si étendu en
Afrique du chant « harmonique » en mouvement parallèle relève
en premier lieu de facteurs linguistiques. Nous avons mentionné
plus haut la contrainte qu’exercent les tons de la langue sur le
profil mélodique du chant ; rappelons que celui-ci, pour que ses
paroles demeurent intelligibles, doit nécessairement suivre leur
schème tonal. Que l’on chante à une ou plusieurs voix, cette règle
demeure. Dès lors, la seule façon de chanter à plus d’une voix sans
enfreindre cette règle fondamentale, consiste à reproduire le plus
précisément possible le profil de la mélodie du chant, mais avec un
certain « décrochage », obtenu par un changement de registre, qui
demeurera constant. Quel que soit l’intervalle de décrochage
choisi, le mouvement des différentes parties sera toujours
parallèle » (ibid. : 65).
À ce propos, il faut rappeler que le kikongo et le kimbundu,
dont des éléments composent les paroles des chants de la nation
Angola, sont toutes deux des langues à tons. Dans cet exemple
afro-brésilien, le parallélisme se produit en des points stratégiques
du chant, par ailleurs « hétérophoniquement à l’unisson », si l’on
nous permet cette expression. Même s’il ne semble pas verbalisé
par les exécutants 1, il s’agit bien d’un phénomène intentionnel de
plurivocalité organisée. Ce chant est à notre connaissance le seul
où le parallélisme survient de manière si flagrante 2. Il faudrait en
1. En faisant écouter le passage du disque à la mère de saint Iraildes Maria da Cunha, qui
entonnait le chant à ce moment de la cérémonie, nous n’avons pas obtenu de sa part de
verbalisation de ce phénomène inhabituel. Pour elle, il ne se distinguerait pas de
l’hétérophonie générale qui ressort de l’exécution des autres chants rituels. Cette absence de
verbalisation, on le sait depuis les travaux de Simha Arom, ne doit pas induire le chercheur à
conclure à l’absence de systématique. La systématique intrinsèque des musiques de tradition
orale se passe souvent de verbalisation technique.
2. Un autre exemple bahianais de parallélisme vocal, encore plus prononcé, se trouve dans
un samba de roda intitulé Lindramô, enregistré par T. de Oliveira Pinto à Terra Nova
(Capoeira Samba Candomblé. Afro-Brazilian Music in Bahia, Tiago de Oliveira Pinto, CD
16, Abteilung Musikethnologie, Museum für Völkerkunde Berlin, 1990).
166
obtenir différentes versions pour évaluer sa récurrence et ses
caractéristiques précises 1.
Échelles
167
Organisation temporelle
168
manière significative les musiques du candomblé de nombreuses
musiques africaines, d’Afrique Centrale par exemple.
À propos de la musique du candomblé et de son lien avec les
musiques d’Afrique noire, Alan Merriam affirme :
« On peut faire une comparaison générale sur la base des cinq
caractéristiques marquantes de la musique d’Afrique de l’Ouest
recensées par Waterman [Waterman, 1952]. Ces cinq
caractéristiques comprennent : la pulsation isochrone, la
prédominance de la percussion, l’usage de la « polymétrie », le
phrasé contramétrique des accents mélodiques et l’alternance
responsoriale où se manifeste le tuilage » (Merriam, 1956 : 64-65).
Ces caractéristiques se retrouvent dans les musiques de toutes
les nations étudiées, même celle du culte des caboclos, qui ne
diffère essentiellement des autres que par son usage intensif de
l’échelle heptatonique.
Même si, comme Gerard Behague (1976) le postule, les
répertoires vocaux du candomblé ont pour la plupart été créés sur
le sol brésilien – essentiellement par des esclaves et certains de
leurs descendants, noirs et métis, ne l’oublions pas – et doivent
avant tout être vus comme des formes d’expression musicale
bahianaises – position à laquelle nous souscrivons – la proximité
structurelle avec les musiques d’Afrique noire est indéniable.
Voici, en résumé, les caractéristiques musicales communes à
toutes les nations étudiées – culte des caboclos inclus : alternance
soliste/chœur selon deux procédés : antiphonal ou responsorial ;
chant essentiellement monodique, syllabique et contramétrique ;
phénomènes de plurivocalité : tuilage et hétérophonie ;
accompagnement par un ensemble percussif (composé de trois
tambours et une cloche métallique) caractérisé par une
contramétricité dominante, la superposition binaire/ternaire et une
fréquente polyrythmie.
Les musiques des différentes nations étudiées se distinguent
donc assez nettement par leurs chants – où la langue est un élément
primordial de leur identité – et formules rythmiques respectifs,
mais peu par leurs caractéristiques structurelles. Elles puisent
toutes dans un fonds commun, même si certaines manifestent en
surface – c’est-à-dire au niveau des répertoires – un degré de
perméabilité plus ou moins grand entre elles, mais aussi avec la
culture musicale bahianaise, voire brésilienne, dans son ensemble.
169
170
Conclusion
171
leurs noms véritables : la perméabilité ne touche donc pas tous les
aspects de la pratique rituelle.
La terminologie en usage dans les nations étudiées résulte
d’emprunts réciproques. Le nom des instruments de musique est
majoritairement originaire de la langue fon ; des termes d’origine
bantu sont employés dans les nations Ketu et Jêje. Par ailleurs, de
nombreux termes « africains » entrent en concurrence avec leurs
équivalents portugais.
La communauté religieuse s’organise selon un modèle
hiérarchique similaire d’une nation à l’autre, dont il est difficile de
déterminer l’origine avec certitude. Chaque nation possède sa
propre terminologie pour qualifier les différents membres de la
communauté. Les mouvements récents de réafricanisation ont ici
conduit à une certaine radicalisation : certains adeptes de la nation
Angola emploient aujourd’hui, de façon ostentatoire, des termes et
une graphie « bantuïsants ». Cette tendance est le pendant de celle
qui a touché, quelques décennies auparavant, certains terreiros de
nation Ketu, notamment quant à l’enseignement et l’usage de la
langue yoruba.
En ce qui concerne l’initiation, chaque nation possède ses
propres « fondements » initiatiques, où la musique joue un rôle
prépondérant. Elément déterminant quant au sentiment d’apparte-
nance à une nation, le processus initiatique, a priori très codifié, est
en pratique sujet à d’innombrables aménagements qui montrent
que les canons intangibles de l’orthodoxie sont rarement respectés.
Chaque nation, voire chaque chef de culte, compose – ou bien
refuse de composer – avec la société environnante, pour laquelle
l’initiation est souvent perçue comme un archaïsme contraignant.
La possession est sans doute le phénomène où la distance entre
orthodoxie et pratique quotidienne est la plus grande. La règle de
l’ incorporation « exclusive », revendiquée par les tenants de
l’orthodoxie Ketu et par certains membres de la nation Jêje, est
constamment dérogée : une nébuleuse d’esprits entourent les
adeptes du candomblé et se manifestent à travers eux. Cette réalité
nous a conduit à établir une distinction analytique entre Ketu
« orthodoxe » et Ketu « commun », tant la différence est manifeste
entre cette orthodoxie, revendiquée par quelques « maisons
traditionnelles », et la multiplicité de pratiques liées à la possession
en usage dans la plupart des terreiros qui affirment pourtant
appartenir à la même nation. La pratique de la possession se
172
caractérise donc par sa pluralité comportementale, dans un monde
des esprits polymorphe et versatile. Le comportement du possédé
oscille, d’un culte à l’autre et d’une entité à l’autre, entre une
codification mythique rigoureuse et une idiosyncrasie libérée. Les
« déclencheurs » de la possession, dont nous avons établi un
inventaire détaillé, sont nombreux et différent selon le contexte
rituel. Les relations de la musique et de la possession sont
également très diverses et leur nature infirme partiellement
certaines typologies : le possédé, selon l’esprit qu’il est censé
incarner, peut manifester un comportement musical actif, qui va du
cri « musicalisé », pour les divinités africaines, au rôle de chanteur
soliste, dans le cas des caboclos.
La musique, quant à elle, tient toujours une place centrale dans
la pratique rituelle. Même si l’on observe parfois d’importantes
interpénétrations, chaque nation revendique un patrimoine musical
spécifique. Les répertoires vocaux des nations Ketu et Jêje
présentent de nombreux emprunts réciproques ; lorsqu’une divinité
migre d’une nation à l’autre, son répertoire de chants
l’accompagne. Il s’agit dans ce cas d’emprunts conscients, qui
trouvent une justification mythique et liturgique. La nation Angola
possède des chants et des formules rythmiques spécifiques ; son
patrimoine musical est homogène et semble avoir été peu
perméable aux influences externes. La musique de cette nation
constitue, pour ses adeptes, un élément identitaire déterminant. Le
« métissage musical » semble avoir été particulièrement restreint ;
ce constat contraste avec l’opinion selon laquelle les cultes
d´origine bantu auraient été les plus prompts au syncrétisme sous
toutes ses formes. D’une nation à l’autre, les chants se distinguent
essentiellement par la langue qui leur sert de base lexicale. Le
degré de compréhension des paroles varie fortement, allant de la
connaissance littérale à l’incompréhension presque totale ;
toutefois, l’usage et la fonction des chants sont toujours prescrits
avec une grande précision.
Le culte des caboclos représente, on l’a dit, une zone frontière :
entre monde sacré et monde profane d’une part, entre candomblé et
umbanda de l’autre. Son répertoire musical, essentiellement en
langue portugaise, contraste fortement avec celui des trois nations
étudiées. Toutefois, la présence des formules rythmiques Angola
témoigne d’un lien privilégié entre ces deux cultes.
173
Les nations de candomblé possèdent donc des répertoires
vocaux distincts, mais qui s’interpénètrent selon deux modalités :
par emprunt conscient, comme nous l’avons vu plus haut, ou bien
par hybridation, lorsque, par exemple, une même mélodie est
revêtue de paroles différentes dans des contextes rituels distincts.
L’ensemble instrumental qui accompagne les chants et les
danses est presque identique d’une nation à l’autre ; la différence la
plus marquante réside dans le mode de jeu des tambours. Les
formules rythmiques, au nombre de vingt, font l’objet de nombreux
emprunts réciproques.
Hormis quelques éléments distinctifs, comme la répartition des
échelles utilisées, l’organisation musicale possède des caractéris-
tiques que l´on retrouve dans les trois nations étudiées ainsi que
dans le culte des caboclos ; ces caractéristiques communes
trouvent dans l’Afrique une source indiscutable, même s’il est
plausible que de nombreux chants soient nés sur le sol brésilien.
Enfin, les chants semblent constituer le refuge de l’identité
culturelle, même lorsque les paroles ne sont pas toujours comprises
de ceux qui les chantent ; la nation Angola constitue à cet égard le
meilleur exemple de cet attachement viscéral à un patrimoine
musical dont une composante essentielle a pourtant disparu.
174
de l’ordre de l’impensable ? Autrement dit, qu’un syncrétisme des
formes de l’entendement ou de la sensibilité ne renverrait à aucune
réalité psychologique crédible ? » (Mary, 1994 : 91-92).
Il semble en effet qu’on puisse reprocher au structuralisme, tout
comme au « principe de coupure » bastidien, leur inaptitude à
penser les processus « syncrétiques » dans une dimension continue.
Notre amie Nancy de Souza, fervente adepte du candomblé,
explique comment elle conçoit ce qui nous semble procéder d’une
logique métisse – s’inscrivant dans une pensée continue – et non
relever d’un quelconque « principe de coupure » :
« Il est courant d’associer les deux cultures et de prendre dans
chacune d’elles ce qui te fait du bien ! Je suis comme ça, s’il y a
une chose dans ma culture qui te fait du bien, tu peux l’utiliser,
tout comme s’il y en a une dans la tienne qui me fait du bien, je
l’utiliserai aussi, vois-tu ? » (Nancy de Souza, 1997).
On est ici plus proche du concept de bricolage, dans un sens
aussi noble que pragmatique ; l’individu invente, élabore et
manipule un système culturel dans lequel il recherche avant tout
son bien-être. La culture « métisse » qui en résulte ne l’est
d’ailleurs peut-être qu’aux yeux de l’observateur, puisque les
processus qui la forgent ne sont pas toujours conscients. Ainsi, la
« bahianité » dans laquelle évoluent les acteurs de notre enquête,
qu’ils inventent et recréent chaque jour, semble relever d’une
logique de la complémentarité. C’est en ce sens que la notion de
continuum nous paraît la plus heuristique. Au sein de celui-ci, les
oppositions les plus radicales et les parcours les plus hétérodoxes
s’inscrivent pourtant dans une continuité culturelle, rituelle,
religieuse. Dans cette nébuleuse, « africanité », « bahianité » et
« brasilianité » sont des pôles d’attraction mouvants qui
s’interpénètrent continuellement, chacun se nourrissant des autres
selon une dynamique « anthropophage » qui serait, selon certains,
une caractéristique de la culture brésilienne.
Le terrain bahianais nous invite donc à repenser certaines
pratiques de recherche, d’analyse et d’interprétation. La diversité
qu’il englobe doit conduire le chercheur à penser cette diversité
dans une dimension continue, tout en gardant en vue que les
généralisations ou les affirmations péremptoires sont presque
toujours démenties par un des éléments du continuum. Que dire du
candomblé qui ne soit pas en partie faux, en tout cas réducteur ?
175
Cette question n’exprime pas un nihilisme idéologique ; elle tente
de soulever, à partir d’un exemple concret, un problème auquel de
nombreux chercheurs sont aujourd’hui confrontés : comment
appréhender la complexité de cultures profondément métissées ?
Même si l’unité de l´objet considéré – le candomblé – est
remise en cause par l’examen détaillé de sa diversité, rappelons
que les protagonistes de notre enquête revendiquent tous leur
appartenance au candomblé. Pour la plupart, le candomblé est une
grande « confrérie » ; même si les nations forment des sous-
groupes distincts, elles restent foncièrement liées les unes aux
autres, au sein de la « même famille ». Mais l’appartenance à telle
ou telle nation est pour chacun un élément déterminant, toujours
source de fierté personnelle, parfois de prestige social.
176
possession « exclusive » à la possession « multiple » est à cet égard
extrêmement représentatif d’une adaptation sans doute nécessaire.
Si la plupart des adeptes « ont » un caboclo, pourquoi ne pas le
laisser s’exprimer, puisqu’il ira de toute façon danser ailleurs,
c’est-à-dire dans un autre terreiro ? Si la possession par les exus,
ces « esclaves » des divinités, se développe à une vive allure,
pourquoi ne pas suivre cette tendance et ne pas leur consacrer de
fêtes ? Rappelons que chaque lieu de culte s’inscrit dans un
contexte de forte concurrence au sein d’un marché religieux
extrêmement diversifié.
Si l’adaptation est une question de « survie » à plus ou moins
court terme pour ces communautés, elle peut également déterminer
leur efficacité rituelle et thérapeutique. Le « bon » rituel est celui
qui fonctionne, tout comme le « bon » thérapeute est celui qui
guérit. Les individus qui cherchent dans le candomblé une réponse
pragmatique à des questions précises, une solution immédiate à
leurs problèmes quotidiens, se soucient peu de l’orthodoxie. Ce qui
compte à leurs yeux, c’est l’efficacité. Consulter un caboclo, une
exua – comme Maria Formosa, dont nous avons parlé – ou bien un
père de saint qui pratique la divination « traditionnelle » par les
cauris, peu importe le chemin, le résultat prime. La majorité des
innombrables chefs de culte de la ville composent avec les réalités
quotidiennes : leur force, c’est justement l’absence du fardeau
sclérosant de la prétendue pureté africaine et du modèle Jêje-Nagô.
177
garantes des traditions d’origine africaine au Brésil et, à ce titre,
acquièrent auprès des institutions gouvernementales et non-gouver-
nementales une visibilité et une respectabilité croissantes. Certains
militants, pour qui, hier encore, le candomblé était synonyme de
retard culturel et d’aliénation, le considèrent aujourd’hui comme
un symbole essentiel de la résistance noire et de la préservation des
valeurs traditionnelles héritées de l’Afrique, mais aussi comme un
possible allié de poids dans leur stratégie d’ascension politique.
Rappelons en effet que le candomblé est passé, en 30 ans à
peine, de la clandestinité à une indéniable reconnaissance
institutionnelle. Plusieurs terreiros ont ainsi été élevés au rang de
patrimoine national – les deux derniers en date, localisés à
Salvador, étant d’origine bantu. Le Ministère de la Culture, par le
biais de la Fundação Palmares – du nom du célèbre quilombo
précédemment évoqué –, a récemment mis en place des
partenariats permettant à certains terreiros de participer aux
programmes d’action sociale engagés par le Gouvernement Lula 1
et de bénéficier, par ailleurs, du statut de quilombo urbano
(communauté marronne urbaine), destiné à protéger certains lieux
de culte situés en milieu urbain, reconnaissant ainsi la résistance
culturelle séculaire menée par les communautés de candomblé.
Longtemps discriminé, le candomblé Angola semble désormais
engagé sur la voie de la légitimation politique, sociale et culturelle.
En quelques années, plusieurs institutions non-gouvernementales, à
vocation culturelle ou fédérative, ont été créées à Salvador par des
adeptes de terreiros d’origine bantu, parmi lesquelles le CEPTOB
(centre d’études et de recherches sur les traditions d’origine bantu)
et l’ACBANTU (association culturelle de préservation du
patrimoine bantu). Par ailleurs, certaines institutions à vocation
internationale, comme le CICIBA (centre international des civilisa-
tions bantu) ont récemment participé, dans plusieurs grandes villes
du Brésil, à des rencontres consacrées aux « traditions bantu ».
Dans ce contexte, mêlant reconnaissance institutionnelle et
revendications raciales, certains radicaux minoritaires, qui
affichent une double appartenance au candomblé Angola et au
mouvement noir, affirment vouloir (re)faire du candomblé une
religion ethnique noire – en dépit de l’engagement religieux
1. Plusieurs terreiros de candomblé Angola ont été récemment inclus au Programa Fome
Zero du Gouvernement Lula et chargés, à ce titre, de la redistribution de haricots –
principale denrée du régime alimentaire local – dans les quartiers populaires.
178
d’innombrables métis et blancs depuis plus d’un siècle – suivant
ainsi, plus ou moins consciemment, la voie communautariste nord-
américaine, qui tend à rejeter le métissage culturel et les interpéné-
trations de civilisations, prônant ainsi une véritable « ghettification
culturelle ». Symptomatique d’un durcissement des relations
raciales, ce mouvement, encore marginal, montre une nouvelle fois
la fragilité du mythe de la démocratie raciale brésilienne.
Extrêmement minoritaires, les partisans de ce radicalisme racial
voudraient non seulement opérer un « nettoyage ethnique » interne
ayant pour cible les pères et mères de saints blancs 1, ou du moins
considérés comme tels, mais aussi interdire aux chercheurs blancs
et/ou étrangers l’accès à leurs communautés religieuses, fondant
leur discours, aux relents souvent xénophobes, sur la nécessité
historique de devenir les sujets de la recherche et non plus de
simples objets 2.
En un sens compréhensible au regard de l’histoire, ce désir
d’appropriation d’une culture réifiée et destinée à devenir la
propriété exclusive d’un groupe racial et/ou culturel – lui-même
réifié – qui s´auto-proclame comme son unique détenteur, peut
évidemment laisser perplexe ceux qui tentent, parfois avec
beaucoup de difficultés, de montrer le caractère universel et
immémorial du métissage et des interpénétrations de civilisations.
En effet, le métissage semble être une nouvelle fois stigmatisé, non
plus par le discours raciste des défenseurs d’une illusoire pureté
raciale, obsédés par le démon de la dégénérescence, mais, cette
fois, par certains extrémistes du mouvement noir, qui lui opposent
avec véhémence des revendications d’identité raciale affirmant le
100% Negro – slogan que certains arborent avec fierté sur des tee-
shirts vendus dans la ville – et prônant un communautarisme
radical de type ségrégationniste.
179
Les récentes découvertes effectuées dans le domaine de la
biologie génétique 1, dont les études expérimentales menées dans
diverses régions du Brésil montrent l’ampleur et la globalisation du
métissage ainsi que la non-pertinence des classifications phéno-
typiques traditionnelles, invalident clairement toute forme de
discours racialisant. Au moment même où le concept scientifique
de race semble donc devoir définitivement disparaître, il devient le
fer de lance de certains militants auto-proclamés de la cause noire,
qui luttent pour son maintien et sa réhabilitation, afin de justifier
leur propre radicalisme, au risque de s’approprier, en les inversant,
les théories racistes et évolutionnistes qui ont servi de socle idéo-
logique pour affirmer la prétendue supériorité de la race blanche 2.
Nier la présence, atavique et sournoise, du préjugé racial au
Brésil ou encore l’alarmante situation sociale où se trouve plongée
l’immense majorité de la population « noire » à Bahia serait sans
doute une erreur aussi absurde et lourde de conséquences que de
s’engager sur la voie d’un radicalisme directement calqué sur le
modèle nord-américain. Le Brésil, pays profondément métis, saura-
t-il trouver une voie inédite pour lutter efficacement contre les
méfaits dévastateurs des inégalités sociales, de la discrimination et
de l’intolérance ou s’engouffrera-t-il aveuglément dans les
méandres manichéens et ségrégationnistes du communautarisme
nord-américain, dont la formation historique, ethnique, sociale et
religieuse est si différente ?
Fantastique carrefour de peuples et de civilisations, Bahia
risque-t-elle de devenir le théâtre d’une dangereuse radicalisation,
fallacieusement fondée sur l’identité raciale et religieuse ? Osons
en douter ! En effet, ce qui fait la force de l’immense majorité des
adeptes du candomblé, au-delà de leurs divergences rituelles ou de
leurs conflits stratégiques, c’est leur capacité à absorber l’autre, à
faire leur ce qui vient d’un ailleurs, proche ou lointain, avec une
aisance et une promptitude sans égales : une divinité, un chant, un
rythme, une mélodie, une « tradition », une croyance. Cette
1. Voir les publications du généticien Sérgio Danilo Pena : Pena et collectif : Color and
genomic ancestry in Brazilians. Proceedings of The National Academy of Sciences, v.100 :
177-182, 2003 ; Pena (org.) : Homo Brasilis. Aspectos genéticos, lingüísticos, históricos e
socioantropológicos da formação do povo brasileiro, Funpec, 2002.
2. Reste toutefois un défi lancé à la communauté scientifique : après avoir fourni au racisme,
pendant près de deux siècles, des bases erronées, saura-t-elle amplement divulguer ses
récentes découvertes afin de susciter un dialogue inédit – voire de prévenir d’éventuels
débordements – dans une société au bord de l’effervescence raciale ?
180
aptitude insuffle une vigueur saisissante à ce système culturel en
constante métamorphose, pour lequel les canons de l’orthodoxie et
les rêves de pureté ne sont qu’un mirage insensé.
Expression symbolique de ce système fait de « branchements »
multiples – pour reprendre le terme utilisé par Jean-Loup Amselle
(2001) –, les candomblés de Bahia, tantôt stigmatisés, tantôt portés
aux nues, continueront sans doute longtemps d’osciller entre un
métissage culturel ouvertement assumé et la recréation militante
d’une Afrique mythique, à la fois proche et lointaine.
Cependant, de ses racines multiples, Bahia fait chaque jour
éclore de nouvelles fleurs métisses, dont l’arôme mêle l’odeur de la
terre d’où elles tirent leur suc aux senteurs inédites de leurs pétales
multicolores : ce mélange exhale, avec une force suave, le parfum
ineffable de la vie.
181
182
Glossaire
1
Les lettres entre parenthèses indiquent l’origine linguistique du mot : (b) : bantu ; (f) : fon ;
(p) : portugais ; (y) : yoruba. Lorsqu´aucune lettre ne figure, cela signifie que l´origine est
inconnue ou incertaine.
183
Barracão (p) Pièce principale du terreiro, dans laquelle se dérou-
lent les cérémonies publiques et privées.
Barravento (p) Formule rythmique de la nation Angola.
Batá (y) Formule rythmique jouée pendant le xirê, à l’origine
consacrée à Xangô ; elle tire son nom du terme
yoruba bàtá, qui désigne le tambour de Xangô.
Batuque Nom donné au principal culte afro-brésilien de l’État
du Rio Grande do Sul ; on trouve aussi un culte
nommé batuque dans l’Etat du Pará.
Borí (y) « Donner à manger à la tête » ; cérémonie au cours
de laquelle on sacrifie un ou plusieurs animaux pour
le « saint de tête » (santo de cabeça), divinité
principale d’un initié.
Bravum (f) Formule rythmique de la nation Jêje.
Búzios (p) Cauris utilisés pour la divination (jogo de búzios) et
la confection des parures et colliers rituels de
certaines divinités.
Cabaça (p) Calebasse ; investie d’une symbolique très forte, elle
est utilisée comme instrument musical au cours de
certaines cérémonies.
Cabo verde (p) « Cap vert » ; terme phénotypique désignant un
individu à la peau très noire et aux cheveux lisses ; le
lien avec les îles du Cap Vert reste obscur.
Cabula Formule rythmique de la nation Angola.
Caboclo (p) - Métis de l’indien et du blanc ;
- Indigène du Brésil ;
- Esprit d’indien, considéré dans le candomblé
comme le dono da terra, le « maître des terres » ; il
se manifeste par la possession dans des cérémonies
qui lui sont propres.
Cafuso (p) Terme phénotypique désignant le métis du noir et de
l’indien.
Candomblé Terme, à l’étymologie incertaine (probablement
bantu), qui désigne à la fois : la principale religion
afro-bahianaise, le lieu de culte où elle se célèbre
(synonyme de terreiro) et la cérémonie publique.
Cantiga (p) « Chanson » ; nom donné aux chants dans la plupart
des cultes afro-brésiliens.
Cantiga de Chant investi d’un pouvoir particulier et ayant sou-
fundamento (p) vent pour effet de déclencher la possession.
Capoeira Lutte stylisée probablement d’origine bantu,
accompagnée de chants et d’un ensemble
instrumental composé de tambours et d’arcs
musicaux (berimbaus) ; autrefois, les pratiquants de
184
la capoeira, nommés capoeiristas, étaient tradition-
nellement liés au candomblé.
Cavalo (p) « Cheval », personne possédée par une divinité.
Congo (b) - Nation de candomblé, aujourd’hui quasiment
disparue et dont de nombreux éléments ont fusionné
avec la nation Angola.
- Formule rythmique Congo-Angola.
Daró Formule rythmique consacrée à Iansã.
Dar rum (p/f) Deuxième partie de la cérémonie publique au cours
de laquelle les possédés incarnant leurs divinités
respectives dansent à tour de rôle au son des
tambours, et principalement au son du rum, qui
dirige leurs évolutions chorégraphiques.
Deré (f) « Petite mère», substitut direct du chef de culte, dans
la nation Jêje.
Despacho (p) Offrandes et sacrifices destinés aux divinités, et plus
particulièrement à Exu ; on peut en voir à certains
carrefours.
Dijina (b) Nom initiatique ; issu du candomblé Angola, ce
terme se retrouve souvent en usage dans les nations
Ketu et Jêje.
Doné (f) Mère de saint, dans la nation Jêje.
Dono da casa (p) « Maître de maison » ; terme désignant la divinité
protectrice du lieu de culte.
Dono da festa (p) « Maître (ou patron) de la fête » ; nom donné à la
divinité célébrée au cours d’une cérémonie publique.
Ebó Offrandes et sacrifices aux finalités diverses (proche
de despacho).
Ebomin (y) Initié(e) ayant accompli son « obligation de sept
ans », étape nécessaire pour devenir chef de culte.
Egun (y) Âme du mort ; ancêtre ; les eguns donnent lieu à un
culte particulier, qui s’est préservé dans quelques
congrégations de l’île d’Itaparica.
Ekede Femme qui n’entre en principe pas en transe, dont le
rôle est de participer activement à la préparation des
cérémonies et de s’occuper des possédés.
Erê (y) Forme infantile de l’orixá ; l’état d’erê, déclenché au
cours de l’initiation, est une étape transitoire
fréquente entre la possession par l’orixá et le retour
à l’état de conscience ordinaire ; un erê se comporte
et s’exprime comme un jeune enfant.
Estado de santo « État de saint » ; possession.
185
Exu (y) Dans la tradition yoruba, Exu est un esprit malicieux
(trickster) qui sert d’intermédiaire entre les hommes
et les orixás ; à ce titre, il fait l’objet d’attentions très
particulières, notamment avant les cérémonies (padê
de Exu) ; le terme exu désigne par ailleurs les esprits
qui sont les « esclaves » (escravos) des orixás et
« travaillent » pour eux ; lorsqu’ils se manifestent
par la possession, dans un contexte cérémoniel ou
domestique, les gens viennent alors les consulter.
Fazer santo (p) Se soumettre au processus initiatique afin de devenir
le « cheval » d’un orixá, fils ou fille de saint.
Feitura (p) Processus initiatique.
Ferramenta (p) Littéralement « outil » ; attribut, emblème caractéris-
tique qui identifie et accompagne la divinité.
Filha de santo (p) « Fille de saint » ; initiée.
Filho de santo (p) « Fils de saint » ; initié.
Gã (f) Cloche métallique simple à battant externe dont la
fonction est similaire à celle de l’agogô.
Ialaxé (y) Titre donné à une mère de saint qui n’est pas sujette
à la possession (não roda com orixá).
Ialorixá (y) Chef de culte féminin (mãe de santo).
Iaô (y) « Épouse » de l’orixá, personne intiée depuis moins
de sept ans ou n’ayant pas encore accomplie son
« obligation de sept ans » (obrigação de sete anos).
Ibí (y) Formule rythmique consacrée à Oxalá.
Ijexá (y) - Nation de candomblé proche de la tradition Ketu ;
la nation Ijexá est aujourd’hui en voie de disparition.
- Formule rythmique originaire de la nation du
même nom et consacrée à Oxum ; elle accompagne
parfois des chants pour d’autres divinités (Logunedé
et Oxalá notamment).
Ilá (y) Cri caractérisant chaque divinité ; synonyme de kê.
Ilê (y) « Maison », en yoruba ; synonyme de terreiro.
Ilu (y) « Tambour », en yoruba ; formule rythmique (aussi
appelée daró ou aguerê de Iansã) consacrée à Iansã.
Iakekerê (y) « Petite mère », en yoruba ; substitut direct du chef
de culte (mãe pequena).
Iatebexê (y) Femme soliste chargée d’entonner les chants ; ce
terme n’est utilisé que dans certains lieux de culte
Ketu orthodoxes ou réafricanisés.
Inquice (b) Transcription brésilienne du terme bantu nkisi, qui
désigne les divinités du panthéon Congo-Angola.
Ixé (y) Axe vertical, matérialisé ou non, qui se trouve au
centre du barracão et au pied duquel sont enfouis
186
des objets sacrés ; c’est par lui que les divinités sont
censées venir sur terre et que l’axé est censé circuler.
Jarê Culte spécifique de la Chapada Diamantina, région
située au cœur de l’État de Bahia, proche du
candomblé de caboclo.
Jêje (f) Nation de candomblé, originaire de l’actuel Bénin
(groupe linguistique fon).
Jêje-Nagô Terme, forgé par les ethnologues, qui désigne
l’interpénétration des nations Ketu et Jêje, notam-
ment de leurs panthéons respectifs ; les adeptes du
candomblé préfèrent parfois le terme Nagô-Vodum.
Jincá (f) Formule rythmique de la nation Jêje.
Juntó (f) Divinité secondaire d’un initié.
Jurema Plante dont on utilise les feuilles pour préparer un
breuvage du même nom, tenu pour faiblement hallu-
cinogène ; très apprécié des caboclos, sa compo-
sition est tenue secrète et varie d’un lieu de culte à
l’autre. Jurema est aussi le nom d’une cabocla.
Kê (y) Cri caractérisant chaque divinité ; synonyme de ilá.
Ketu (y) Nation de candomblé, d’origine linguistique yoruba,
qui se réfère au royaume de Ketu.
Kota (b) Ekede, dans la nation Angola.
Lê (f) Nom du petit tambour.
Mãe de santo (p) « Mère de saint », chef de culte féminin (ialorixá).
Mãe pequena (p) « Petite mère », substitut direct du chef de culte
(iakekerê).
Matança (p) Sacrifice rituel.
Moreno (p) « Brun » ; à Bahia, ce terme phénotypique sert
souvent à désigner, par un euphémisme attestant
d’un racisme latent, un homme ou une femme noirs
(moreno/a pour negro/a).
Mulato (p) Mulâtre, métis du blanc et du noir.
Muzenza (b) Iaô, dans la nation Angola.
Nação (p) « Nation » ; terme censé déterminer les origines
ethniques et culturelles prédominantes d’une
communauté religieuse de candomblé.
Nagô En Afrique, nom péjoratif vraisemblablement donné
aux Yoruba par leurs voisins Ewe ; au Brésil, le
terme Nagô est utilisé par ceux qui revendiquent
leurs origines africaines, et plus précisément
Yoruba ; en ce qui concerne les nations de
candomblé, il est souvent synonyme de Ketu.
Nêngua Mère de saint, dans la nation Angola (également
de inquice (b/p) mameto de inquice).
187
Ngoma (b) Nom donné aux tambours (atabaques), dans la
nation Angola.
Obrigação (p) « Obligation » ; acte rituel.
Obrigação « Obligation de sept ans » ; cérémonie par laquelle
de sete anos (p) le iaô devient ebomin et acquiert légitimement le
droit de devenir chef de culte.
Ogã (f) Titre honorifique attribué à certains dignitaires du
culte ; les tambourinaires portent ce titre.
Ogã de faca (f/p) Personne chargée des sacrifices animaux (axogum).
Ogã de sala (f/p) Homme chargé du protocole pendant les « fêtes »
publiques.
Ogã huntó (f) Alabê, dans la nation Jêje.
Oguidavi (f) Baguette en bois utilisée par les tambourinaires dans
les terreiros Jêje-Nagô.
Ojá (y) Tissu utilisé dans de nombreux contextes rituels,
notamment pour orner les tambours ; la couleur
indique la divinité à laquelle ceux-ci sont consacrés.
Opanijé (y) Formule rythmique consacrée à Omolu/Obaluaiê.
Orixá (y) Divinité, ancêtre divinisé (santo). Ce mot yoruba,
originaire de la nation Ketu, est couramment utilisé
par les membres de toutes les nations de candomblé
(même si chacune d’elles conserve un terme
spécifique pour désigner un concept similaire).
Orunkó (y) Cérémonie pendant laquelle l’initié, au terme de sa
réclusion initiatique, prononce pour la première fois
publiquement, dans le barracão, son nom initia-
tique ; synonyme de dia do nome (littéralement, le
« jour du nom »).
Padê (y) Offrande destinée à Exu et précédant toutes les
cérémonies.
Padilha Esprit d’exu féminin, qui se manifeste dans certains
candomblés ainsi que dans l’umbanda (où l’on
trouve souvent son équivalent Pomba Gira) ; elle
prend différents noms propres (Maria Padilha, Maria
Formosa…) et revêt toujours la forme d’une
prostituée à l’allure provocante.
Pai de santo (p) « Père de saint », chef de culte masculin (baba-
lorixá).
Peji Pièce secrète du candomblé où sont regroupés les
objets sacrés symbolisant les divinités des membres
de la communauté.
Pemba (b) Poudre blanche crayeuse utilisée dans toutes les
nations de candomblé ; ses usages rituels sont
innombrables.
188
Quarto de santo (p) Pièce dans laquelle sont regroupés les objets sacrés
d’une divinité.
Quizila (b) Interdit rituel, lié à une divinité spécifique ; issu du
candomblé Angola, ce terme est aussi en usage dans
les nations Ketu et Jêje.
Ramunha (f) Formule rythmique de la nation Jêje.
Raspar (p) « Raser » ; pour les adeptes du candomblé, raspar
signifie « initier », faisant ainsi allusion au rasage
total ou partiel de la tête et d’autres parties du corps,
étape essentielle de l’initiation.
Roça (p) Lieu de culte ; synonyme de terreiro.
Roncó Pièce secrète du terreiro dans laquelle les initiés
accomplissent leur réclusion initiatique.
Rum (f) Nom du grand tambour.
Rumpí (f) Nom du tambour moyen.
Saída de iaô (p/y) « Sortie de iaô » ; présentation rituelle des nouveaux
initiés au terme de leur réclusion initiatique.
Samba (b) Danse d’origine bantu qui s’est développée principa-
lement dans les États de Bahia et de Rio de Janeiro
sous des formes diverses et dont Bahianais et Cario-
cas se disputent la paternité ; le samba (masculin au
Brésil) désigne à la fois la danse, l’immense
répertoire de chants qui l’accompagnent et le rythme
caractéristique qui sous-tend l’ensemble.
Samba de caboclo Terme qui désigne à la fois une danse, proche
(b/p) du samba de roda, et certains chants caractéristiques
des cérémonies pour les caboclos.
Samba de roda Forme de samba où les exécutants (musiciens,
(b/p) chanteurs et danseurs) forment une ronde au milieu
de laquelle chacun vient danser à tour de rôle ; le
terme samba de roda désigne aussi les chants qui
accompagnent cette manifestation bahianaise
traditionnelle ; on retrouve certains de ces chants
dans les fêtes pour les caboclos, en général à la fin,
lorsque les caboclos invitent successivement les
membres de l’assistance à danser avec eux au milieu
du barracão (samba de caboclo).
Samba Forme de samba, très appréciée des caboclos, où
de sotaque (p) le texte comporte un double sens qui permet de
transmettre un message dissimulé, en se moquant
par exemple d’une tierce personne à son insu.
Samba de viola Forme de samba typique du Recôncavo (région de
(b/p) l’État de Bahia qui entoure la Baie de Tous les
Saints), dont les instruments caractéristiques sont la
189
viola (sorte de guitare) et le pandeiro (tambour de
basque) ; on retrouve le samba de viola dans
certaines cérémonies pour les caboclos.
Santo (p) Terme générique servant à la fois à désigner les
saints catholiques et les divinités d’origine africaine.
Santo de cabeça « Saint de tête » ; divinité principale d’un initié, qui
(p) « gouverne sa tête ».
Sarará Terme phénotypique désignant un métis à la peau
clair et aux traits négroïdes.
Sató (f) Formule rythmique de la nation Jêje.
Sessão (p) « Session » ; terme utilisé dans le spiritisme et
l’umbanda pour désigner les réunions régulières
entre adeptes ; certains terreiros de candomblé
organisent des « sessions », notamment pour les
caboclos, au cours desquelles l’influence de
l’umbanda est indéniable.
Sirrum Rite funéraire de la nation Angola ; terme proba-
blement d’origine fon et lié à la nation Jêje.
Tambor de Mina Nom donné au principal culte afro-brésilien de São
Luís, capitale de l’État du Maranhão.
Tata de inquice Père de saint, dans la nation Angola (également tate-
(b/p) to de inquice).
Terreiro (p) Ensemble du lieu de culte, où vivent certains
membres de la communauté ; synonyme de roça.
Tomar rum (p/f) « Prendre rum » ; terme désignant la deuxième partie
de la cérémonie publique, au cours de laquelle les
divinités incarnées viennent danser dans le barra-
cão, au son des tambours, et plus particulièrement
du plus gros d’entre eux, le rum, qui dirige les
évolutions chorégraphiques des possédés.
Tonibobé (y) Formule rythmique consacrée à Xangô.
Toque (p) Terme générique désignant une formule rythmique.
Toque de Formule rythmique investie d’une force particulière
Fundamento (p) et associée, à l’exception de l’adarrum, à une
divinité spécifique (ex. : alujá de Xangô).
Umbanda (b) Culte « syncrétique » essentiellement pratiqué dans
les grandes métropoles du Sud-Est du Brésil (Rio de
Janeiro et São Paulo notamment), l’umbanda se
situe aux confins de ce que l’on nomme tradition-
nellement les « cultes afro-brésiliens » d’une part, et
du spiritisme d’Allan Kardec de l’autre ; l’umbanda
se nourrit des influences les plus diverses (philo-
sophie hindoue, techniques corporelles orientales).
Vassa Formule rythmique de la nation Ketu.
190
Vodum (f) Nom donné aux divinités dans la nation Jêje.
Vodunsi (f) Initié, fille ou fils de saint, dans la nation Jêje.
Vunji (b) Forme infantile de l’inquice, dans la nation Angola ;
équivalent de erê.
Xangô (y) - Puissant orixá Ketu, dieu de la foudre et symbole
de la virilité.
- Nom donné au principal culte afro-brésilien de
Recife, capitale de l’État de Pernambuco.
Xerê (y) Hochet en cuivre rouge consacré à Xangô.
Xicarangoma (b) Nom donné au tambourinaire principal, dans la
nation Angola.
Xirê (y) Première partie de la cérémonie publique au cours
de laquelle se déroule une succession préétablie de
chants servant à invoquer une à une les divinités du
panthéon ; par extension, le terme xirê sert aussi à
désigner la cérémonie publique dans son ensemble.
Zerin (f) Rite funéraire de la nation Jêje.
191
192
Paroles des chants
EXU
Nation Jêje : Exu Lebá (Legbá ou Legbara) Formule rythmique
« Elebara vodum aza kerê kerê bravum
Lebara vodum aza kerê kerê »
Nation Ketu : Exu Barabô
« Exu barabô agô mojubá Egba coxé vassa
Exu akesã a mojubá
Ê madê kó ikô I barabô a mojubá
Legba rexu lonã »
Nation Ijexá : Exu Inã
« Exu lonã, Exu lonã motirê lodê elebara ijexá
lebara morelê Exu onã kê uá ô
Exu ta ni ló ré moju ganga lodô
Exu ta ni ló ré moju ganga lodô »
OGUM
Nation Ketu
« Ogum bragadá ê ê Ogum bragadá vassa
A korô bragadá ê ê Ogum bragadá
Aê aê aê ê alá korô lé inhô,
alá korô lé inhô, Ogum alá korô lé inhô »
« Uá xirê Ogum ô erun jojô vassa
Uá xirê Ogum ô erun jojô erun jejê »
Nation Ijexá
« Ogunjá olorê olorê uá bedê orun ijexá
Ogunjá olorê olorê uá bedê Ijexá
Ogum vem de massa apatá patá oiá
korô apatá aiê iê popô iê »
OXOSSI
« Amorodé olé-i-ô adjá morelê vassa
Amarodé odé-i-ô adjá morelê »
« A oiô a ebê, odé bomisá morá vassa
A oiô a ebê, odé bomisá morá »
« Odé komorodé, Odé komorodé aguerê
Odé arerê, Odé komorodé imaô
Odé komorodé, oniê »
194
OMOLU
Nation Ketu
« Agaré loní lodó ba euá vassa
lodô ba isá, aê lodê ba euá, lodê ba isá
Ofé ilê Onilé uá, lesi orixá
Ofé ilê, akolobô, kolobô
sim sim, sim sim kolobô kolobô
kolobô sim sim, sim sim kolo kolobô »
Nation Jêje : Azoani
« Azoani modá zani uá ô ê-ê-ê-ê huntó
Azoani modá zani uá ô potô aiê »
« Aká kebá euá, ka kebá euá vassa
Aká kebá euá, ka kebá euá
Aká kebá euá, ka kebá euá
Aká kebá euá, kolê kolê xaorô
kolê kolê xaorô, a kolê kolê xaorô
a kolê kolê xaorô, a kolê kolê xaorô
kolê kolê xaorô, a kolê kolê xaorô
a kolê kolê xaorô, aká kebá euá
aká kebá euá, aká kebá euá »
« Aê-a vodum eposí dadô avaninha
Vodum eposí daomé
Vodum eposí dadô »
OSSAIM
Nation Ketu
« Ê abebê abebê nibô-a, bebê nibô, ê abebê aguerê
Ata kô loju ewê, euá tá kô loju obô-kun
Ata kô loju ewê, elê kô loju obô-kun
Adjá unlá kororô, ojá unlá kororô
Ojun ora inã, ê adjá unlá kororô
Ojá unlá kororô, Ojun ora inã
Ê abebê, abebê nibô-a, bebê nibô, ê abebê »
« Eró iroko isô eró aguerê
Iroko isô
Eró iroko isô eró »
« Agué ma uilá paladá ijexá
Agué ma uilá paladá-ô
O-o-o, o-o-ró,
A irunmalé irunmalé, cadê o oró
195
Moju lé kotun ewê, moju lé kotun oní
Moju lé kotun ewê, moju lé kotun ewê, moju lé kotun ewê
Agué ma uilá paladá
Agué ma uilá paladá-ô »
Nation Jêje (Agué)
« Agué marê Agué marê pará kê sô dã
Agué marê, Agué marê, pará kê sô dã
Agué marê Agué marê pará kê sô dã
Agué marê »
« Bi ti bô alé-rikô, pará kê sô dã
Bi ti bô, alé-rikô, pará kê sô dã
Bi ti bô alé-rikô, pará kê sô dã
Bi ti bô »
« Banboxê mi agué mirô, aê aê
Banboxê mi agué mirô, aê agué » (x3)
« Agué Agué, tororô
Maguí, é tororô » (bis)
OXUMARÊ
« Oxumarê, elê malê Oxumarê vassa
lelê malê, araká, lelê malê Oxumarê »
« Araká mó borum, lô da dê, owô,
Oxumarê-ô »
« Pará mizazá lu kwê avaninha
Pará mizazá lu kwê lô »
« Arrô boboi unguelé sinhá, unguelê pô kanhê
Rô boboi unguelé sinhá, unguelê pô kanhê
Arrô bobô dodé, rô bobô dodé
Arrô boboi unguelé sinhá, unguelê pô kanhê
Rô bobô dodé, abobô dodé
Arrô boboi unguelé sinhá, unguelê pô kanhê
Rô boboi unguelé sinhá, unguelê pô kanhê
Arrô bobô dodé, rô bobô dodé
Korô korô-ô, korô korô
Un alá ka bó iná, korô korô
Korô korô, korô korô
Un alá ka bó iná, korô korô
Un alá ka bó iná, korô korô »
196
XANGÔ
« Airá, airá a firí mã ba isô vassa (ou agabí)
Firí mã eru keré, obá firí mã ba isô
Airá, Airá a firí mã ba isô
Firí bô Aganju, obá firí mã ba isô
Airá, airá a firí mã ba isô »
« Epô ku la, mã ja ê araê vassa
Epô ku la, mã ja ê araê »
« Gô du pa-a, gô du pa, xekeré
Gô du pa Airá, gô du pa xekeré
Gô du pa-a, gô du pa, xekeré
Go du pa oluaê, Airá ô xekeré »
ONILÊ
« Ê Onilê, kerê lodô vassa
Ê Onilê, kerê lodô
Ibá ibá ibá Onilé
Ibá ibá ibá Onilé
Ê Onilê, kerê lodô
Ê Onilê, kerê lodô
Ibá ibá ibá Onilé
Onilé mojubá
Ibá ibá ibá Onilé
Onilé mojubá
Ê Onilê, kerê lodô
Ê Onilê, kerê lodô
Ibá ibá ibá Onilé
Onilé mojubá
Ibá ibá ibá Onilé »
IANSÃ
« Oloiá oiá xirê obá xa ré lojá eloiá ijexá
Oloiá uá xirê lô dê, abá unjé jé
Oloiá oiá xirê obá xa ré lojá oluaê
Oloiá uá xirê obá xa ré lojá oluaê
Oloiá oiá xirê obá xa ré lojá eloiá
O surum malé oyô ku abó, omí ta exê
Ê surum malé oyô ku abó, omí ta exê
Ê surum malé oyô ku abó, omí ta exê »
« Oiá ko run lê ô guereguê vassa
Oiá ko run la ô garagá
Ibirí xó la korô unlê, un guereguê
197
Oiá ko run lê ô guereguê
Oiá ko run la ô garagá
Ibirí xó la korô unlê, un guereguê
Oiá ko run lê ô »
« Ta nu abê ô pepé-é kombé lodô vassa
Ta nu abê ô pepé-é kombé lodô
Ta nu abê ô pepé-é kombé lodô
Ta nu abê ô pepé-é kombé loiá
Ta nu abê ô pepé-é kombé lodô, ta nu abê ô »
« Oiá tetê, Oiá tetê eroiá vassa
Oiá tetê, Oiá jimudá, Oiá tetê eroiá
Oiá tetê, Oiá tetê eroiá
Oiá tetê, igbalé, Oiá tetê Oiá
Oiá tetê, Oiá tetê eroiá »
« Oiá jimudá, mudá gorerê, obá-rujinã vassa
Oiá jimudá, mudá dô, obá-rujinã »
« Oiá bá, orô Oiá pelé pé mi-ô vassa
Oiá bá, orô Oiá pelé pé mi-ô »
OXUM
Nation Ijexá
« Iê-iê-iê, iê iê iê xorodô ijexá
Orun aê ma xorun ma fefé xorodô
Iê-iê-iê iê iê iê xorodô
Oluaê ma xorun ma fefé xorodô
Iê-iê-iê, iê iê iê xorodô
Oluaê ma xorun ma fefé xorodô »
« Ijexá moribô dun ijexá
Ijexá moribô dun
Ijexá moribô dun
Ijexá moribô dun-ô
Ijexá moribô dun
Ijexá moribô dun
Ê ba ilá xê, Ê ba ilá xê
Ba ilá xê, eô iá, kê bó iá mi
Ba ilá xê, eô iá, kê bó iá mi
Ba ilá xê, eô iá, kê bó iá mi
Ba ilá xê
Lê uá lê uá lê Oxum alê uá
Ba mi xô orô
Lê uá lê uá lê Oxum alê uá
Ba mi xô orô
198
Lê uá lê uá lê
A da ba orun ma fé, fé fé lê iô
A da ba orun ma fé, fé fé lê iô
A da ba orun ma fé, fé fé lê iô
A da ba orun ma fé »
« Oxum adé ló iabá imurê dô-i aguerê
Oxum adé ló iê iê imurê dô-i
Oxum adé ló iabá imurê dô-i
Oxum adé ló iê iê imurê dô-i
Iê iê iê olorê ô, iê iê iê
Olorê ô, iê iê iê
Olorê ô, iê iê iê »
EUÁ
« Pará ma sa, pará ma sa vassa
Iá murelê-ô, pará ma sa
Pará ma sa, iá murelê »
« O xé-in, xé-in, da kiu Nanã
Xé-in, xé-in, da kiu Nanã
Akô lodê, da kiu Nanã
Akô lodê, da kiu Nanã
O xé-in, xé-in, da kiu Nanã
Xé-in, xé-in, da kiu Nanã »
« Iá odê lê nijá popô aguerê
Elê sim elê sim, iá malá ô »
OBÁ
« Obá lojá la ojé-é-é vassa
Obá lojá la ojé-é-é
Elu ojá paramã
Olu ojá la ojé »
199
YEMANJÁ
« Yemanjá marebó laiô jincá
Yemanjá marebó laiô
Yemanjá marabó laiô
Yemanjá iabá odê lê sê
O sí iê Yemanjá
Akó tabê resê a oyô
Iá lofin la só erê
Iabá odê lê sê
O sí iê Yemanjá
Akó tabê resê a oyô
Iá omi iá xó uelê ô
Iá xó uelê, iá xó uelê ô
Omi ô iá xó uelê
Iá xó uelê, iá xó uelê ô
Omi ô iá xó uelê »
« Yemanjá sessu batá
Iá sessu Yemanjá
Yemanjá sessu
Iá sessu Yemanjá
Yemanjá olodô
Olodô Yemanjá
Yemanjá olodô
Olodô Yemanjá »
« Yemanjá Yemanjá
Yemanjá olodô
Olodô olodô
Yemanjá olodô »
« Adaribô, akará lô sí Yemanjá lê untê
Adaribô, akará lô sí Yemanjá lê untê »
« Orixá ninhá ninhá asabá inhá dodê
Orixá ninhá ninhá asabá inhá dodê »
« Iá Ogum ô ô Yemanjá aguerê
Iá Ogum ô ô Yemanjá bis
Iá omí kolodô aiê iê
Iá Ogum ô Yemanjá
Iá omi kolodô aiê
Iá Ogum ô Yemanjá
É de mu xi kuê Yemanjá ô
Porerê manjá
É de mu xi kuê Yemanjá ô
200
Orerê Manjá
Iá Ogum ô ô Yemanjá
Iá Ogum ô ô Yemanjá
Iá omí kolodô aiê iê
Iá Ogum ô Yemanjá
É de mu xi kuê Yemanjá ô
Orerê Manjá
É de mu xi kuê Yemanjá ô
Orerê Manjá »
NANÃ
Nation Ketu
« I Nanã euá, I Nanã euá ê
I Nanã euá, I Nanã euá ê »
« Nanã ê olo-orê
Olo-orê xa la dê
Olorê xa la uá dê
Olo-orê, Olo-orê araê
Olo-orê xa la dê »
« Ê Nanã oluaê
Epá Epá
Ê Nanã oluaê
Epá Epá »
Nation Jêje
« Nanã epó si Nanã fa meuá pô nufã undelê vassa
Nanã epó si Nanã fa meuá pô nufã undelê »
« Aê-ê-a Nanã epó si da dô avaninha
Nanã epó si za ka yá
Nanã epó si da dô »
« Aê-ê-a vodum epó si da dô avaninha
Vodum epó si daomé
vodum epó si da dô »
OXALÁ
« Ê fururu, ô iê iê ô ilalá babá kelejibô ibí
Ilê Ifé motxu a babá é de morê-lê mo tin faô
Olô-uô é maô, é maô é la uê xê
Ê fururu, ô iê iê ô ilalá babá kelejibô
Ilê Ifé motxu a babá é de morê-lê mo tin faô
Olô-uô é maô, é maô la uê xê
201
É maô la uê xê babá é maô la uê xê
É maô la uê xê babá é maô la uê xê »
« A inã agô modó gué marê ô ibí
A inã agô A inã agô modó gué marê, a inã agô »
« Kê uá ja la ba odê ibí
Iá bu ké ké uá já
Oberí kô bô
Kê uá ja la ba odê
Iá bu ké ké uá já
La ba odê, oberí kô bô
Kê uá ja la ba odê
Iá bu ké ké uá já
La ba odê, oberí kô bô »
« Alá alá mo ti bi ibí já ibí owô ijexá
Alá alá mo ti bi ibí já ibí owô x3
Babá lô kerê, iê maô
Babá lô kerê, iê maô
Babá lô kerê, iê maô
Alá alá orun alá
Babá iku paladá » x3
« Babá olodê iku palabá iku paladá ijexá
Babá olodê iku palabá iku paladá »
« Alá laê-ê-ê-ê ijexá
Alá laê-ê-ê »
202
CHANTS DE LA NATION JÊJE
OGUM
« O uá xiré Ogum Ô, eru jô jô
O uá xiré Ogum Ô, eru jô jô, eru jê jê
O uá ni xiré Ogum Ô, eru jô jô
O uá xiré Ogum Ô, eru jô jô, eru jê jê » (Ketu)
« Akajaloní agô masa oké belujá
Akaja agô masa o-ké belujá » (Ketu)
« Ogum konilê mariô la ja ê mariô
Ogum nhê mariô la ja ê mariô » (Ketu)
« Korô uá imã, ki gã, korô uá imã, ki gã, korô uá imã »
« Meji mejô gumejê
A ogumejê, (ê)
meji mejô gumejê
A ogumejê »
« Eru danda, ru dendem
Eru danda, ru dendem
Ogum uá korô, uá kinã »
« Ogum koloxó, mariô la xorô gum ô, mariô »
AGUÉ
« É Onilé Agué ô, kobê-ré ilé, onilé agué ô, kobê-ré ilé
Agué marê olô, para kesó dã
Agué marê, agué marê, para kesó dã
Agué marê
Agué marê olô para kesó dã
Agué maré, agué marê, para kesó dã »
« Bamboxê mi Agué mirô, Aê, Aê,
Bamboxê mi Agué mirô, Aê Agué »
« Kukuruku-kuru, tibi tibi atin ja unló, tibi tibi »
ODÉ
« Emi Odé ô, emi euá euá
Emi Odé alabê, arô lebá le(r)ô
Emi Odé ô, emi euá euá
Emi Odé alabê, arô lebá le(r)ô »
« Odé mi abá untafá, maú maú
Odé mi abá untafá, maú maú
Odé mi abá untafá, maú maú »
« Saranguê, saranguê uá Odé morun boê (a)
203
Saranguê, saranguê uá Odé morun boê (b)
Saranguê, saranguê uá Odé morun boê (a) »
AZANSU
« Agô loní Omolu já oloní-a
Agô loní Omolu já oloní-a »
« A hun no kuê kuê bió
berê ô no kuê dagbê-a (berê ô)
A hun no kuê kuê bió
berê ô no kuê dadê-a
Hê na yã
A hun no kuê kuê bió
berê ô no kuê dagbê-a
Hê na yã »
« O Dé ko si ma do kã, aiku banbosé, aiku bãzã, aiku bã emí
Dé ko si ma do kã, aiku banbosé, aiku bãzã, aiku bã emí
O Dé ko si ma do kã, aiku banbosé, aiku bãzã, aiku bã emí »
« O-kué dô bió
O-kué dô bió
E-nan bi yaê o-kué dô bió
A-zu é né hunto »
« Masetô, masetô, masetô, dobê hum jê berê, nadazã
Masetô dobê » [danse modubí]
« Aê vodum aikê uma zuma lê, maloya ikê ja xará zã, maloya »
OXUM
« Iá berê, iá berê-ô,
ô iá berê ô iá (g)bedô,
ma-i-mã ê Oxum A ja gberê,
ô iá (g)bedô, ma-i-mã »
« Iê Iê Oxum o nun jê-é lorô,
eran eran, Iê Iê Oxum o nun jê-é lorô »
« Iá kó morê-lê-losum balajá, morêlê-losum
Iá kó morê-lê-losum balajá, morêlê sinha
Iá kó morê-lê-losum balajá, morêlê-loxum »
YEMANJÁ
« Agô ba, bareuá bomixá velé,
bareuá bomixá velé, bareuá bomixá, koajô » [reprise]
« Aya(g)bá sereguê, ô sereguê no sereguê, aya(g)bá
Ayabá sereguê, omô-lelê no sereguê
204
Ayabá sereguê, ô sereguê no sereguê, ayabá
Ayabá sereguê, omô-lelê no sereguê
Ayabá sereguê »
« Akará lobí Yemanjá undê, tô-ria-ibô, akará
Akara lobí Yemanjá undê »
OIÁ - IANSÃ
« Ê Oiá kará lobijô koló, Oiá kará lobijó koló
Ê Oiá dê ariu-u, Oiá kará lobijó koló
Ê Oiá kará lobijó koló, É jé dé ré lobijó koló »
« Ta nyá bô dalá ô Oiá, ô bô mu nhã nhã
Ta nyá bô dalá ô Oiá, ô bô mu nhã nhã
Ta nyá bô dalá ô Oiá-á, bô mu nhã nhã
Ta nyá bô dalá ô Oiá, ô bô mu nhã nhã »
« Ta nyá bô, akôrô ta nyá bô, fala-jô
Ta nyá bô, akôrô ta nyá bô, fala-jô »
« Ê Oiá didê, orô ba odê Oiá ba kobalé
Oiá Oiá orô ba odê Oiá ba kobalé
Ê Oiá didê, orô ba odê Oiá ba kobalé
Oiá Oiá… »
SOBÔ
« Ala-ê-ê-ê-ê, ala-ê-ê-ê-ê, ê Sobô adã tainhabaô
Sobô adã tainhabaô, ê Sobô adã tainhabaô » [reprise]
« Ê iê iê, Sobô adã, akatá mejê Sobô adã
Ê iê iê, Sobô adã, katá mejê Sobô adã
Ê iê iê, gogorodê, gogorominá, gogorodê
Ê iê iê, gogorodê, gogorominá, gogorodê
Ozanha setó kerê um kerê uê
Ozanha setó kerê um kerê uê »
« Benã benã benã dã nô abê, maiyá
Benã benã benã dã nô abê, maiyá, ê dã nô abê, Sobô abê maiyá
Bená bená bená babá mi Sobô no kuê »
NANÃ
« Nanã euá, euá euá,
ê-o-i Nanã, euá, euá euá-ê
O-i Nanã euá, euá euá
Ê-i Nanã euá, euá euá-ê
O-i Nanã euá, euá euá
Ê-i Nanã euá, euá euá-ê »
205
« Obí Nanã ê-i-ó bó,
Obí Nanã ê-i-ó bó
Nanã ê-ó-, Obí Nanã ê-i-ó bó
Nanã ió-, Obí Nanã ió-ió bó, Sa-lubá
Obí Nanã ió-ió bó
Nanã ió, Obí Nanã ió-ió bó
Nanã ió »
« Iá Iá la-o-é, aikô torô xê,
Iá Iá la-oré, aikô torô xê,
Iá Iá la-oré, aikô torô xê, Iá Iá la-oré »
« Akun lé odô,
ê- akun lé odô-xalá,
Akun lé odô,
ê- akun lé odô-xalá,
Nanã erewê- xalá,
Nanã erewê- xalá,
Nanã jo-okô- xalá,
Akun lé odô,
ê- akun lé odô-xalá »
OLISÁ
« Ê agô ilê, ogô dê, Auá leô ogô dê
Agô ilê, ogô dê, Auá leô ogô dê
Ê agô ilê, ogô dê, Babá olê ogô dê
Agô ilê, ogô dê, Auá leô ogô dê
Ê Babá ilê, ogô dê, Auá leô ogô dê »
« Ê Olisá-daeuá,
Aê dabá aê-ê-Olisá-daeuá,
Aê dabá ê-aê dabá, kilê uaô aedabá, ê-ê »
« Aê Aê agama, agama jê milô-ô
Aê Aê agama, agama dolisá » [reprise]
BESSÉM
« La kosu lamyê aí do bê mixô
Lé kosu lamyê, aí do bê mixô
Aê, Aê, aí do bê mixô
Lé hosu »
« Lé kosu lamyê, aí do bê mixô
Atorí ba hosu, aê inã
Aí do bê A salu kaká-i do bê agdá gomé
Ê alá hum berê, aí do bê mixô… »
« Tangá, tangá, tangá na bê hundó nabí exé… »
206
« Aí do bê A salu kaká-i do bê aguidá gomé… »
« Edã mi kedã mi talá biayê
Edã mi kedã mi talá biayê, ê darê arê-ô
Dã mi kedã mi talá bê
Dã mi kedã mi talá bê »
207
CHANTS DE LA NATION ANGOLA
1
Lorsqu’il s’agit d’un chant de type responsorial, la réponse chorale figure en italiques (et
entre parenthèses au début du chant quand elle est entonnée la première fois par le soliste).
208
« Ô ki pembê-ê barravento
Ô ki pembê ui zaká tambo pemba de Angola
Ô ki pembê mambo kolá »
« Sariya sariya mê oya kipembê barravento
Monê wona mona krizilê »
« Pembê, pembê arerê barravento
Pemba ya ka tamba
Angola ja krizilê
Pembê, pembê arerê »
« Pemba ta seremona kualê congo
Pembemba I pembetá seremona kualê
Pembemba »
INKOCI / MUKUMBI
« Inkoci nkumbi tara mesó denguê congo
Goyaê-aê, goyaê-aê-ê, Go-o-yaê »
« Como senzala senza roxo congo
Komunderê, aturamô,
Como senzala senza roxo
Komunderê aê-ô »
« Konsenzalêroxo, ponderê mona kalá congo
Konsenzalêroxo, ponderê mona kalá »
MUTALAMBÔ
« Ainda kanjira munganguê ganga-uê tumba-ô cabula
Tauamim aê tauamim »
« E de ka lembê lembê-ô cabula
Aê tauamim, ainda kanjira munganguê
ganga-uê tumba, tauamim »
« A deskutalá zinguê oyô zinguê-ô cabula
A deskutalá zinguê, oyô zinguê
miya ezakutalá ka inakora
Ayá ayá ayá deskutalá zinguê
A deskutalá zinguê oyô zinguê »
KATENDÊ
« Katendê-ê-ê-ê, Katendê Katendê nganga, cabula
Katendê da Luanda »
209
« Katendê Katendê nganga barravento
Ô maiuê
Katendê
Ô maiuê »
« Katendê de la dijina, Luandê barravento
Katendê la dijina »
INSUMBO
« Insumbo-ê, ê Insumbo nangwê-ê-ê congo
Insumbo-ê, ê Insumbo nangwê, Insumbê sambo kuenda
Iê Lemba dilê, kimayó kifitê kita kimayó kisambo kuenda »
« Insumbo-ê-ê, Insumbo popô de mana congo
Insumbo-ê-ê-ê, Insumbo popô de mana »
« Iê mona kwa Insumbo-ê, ê ayunguelê, barravento
Iê mona kwa Insumbo-ê, ayunguelê »
TEMPO
« Tempo ererê, Tempo apelula, congo
kongo mavila lemba ê, ainguê Tempo »
« (Tempo zara, Tempo zara Tempo) cabula
Tempo da milagonga
Ô Tempo zara, Tempo zara Tempo »
« (Tempo ê-a, Tempo da milagonga) barravento
Tempo da milagonga, Tempo de gagazumba
Tempo ê-a, Tempo da milagonga »
ANGORÔ
« (Angorô-ô, ê-ê Angorô cabula
Angorô ta no kajungungo da kundando oiá kibanda)
Angorô ta no kajungungo lembarengongo tibuco asoba
Angorô ta no kajungungo da kundando oiá kibanda-a
Angorô-ô, ê-ê Angorô
Angorô ta no kajungungo da kundando oiá kibanda »
« Angorô meian simbenganga ja untalê cabula
Angorô sinhô simbenganga ja untalê »
« Angorô marava no penê oya-ê cabula
Angorô maravala no penê sambangolê »
210
ZAZI
« Zazi ama condiandembo congo
Zazi ama kundê-ô
Zazi-ê-ê-ê, Zazi ama condiandembo »
« Ô Zazi-ê, Ô Zazi-a, congo
Ô Zazi-ê maiangolê maiangola »
« Zazi kenambô aê-aê, combela congo
Zazi kenabô aê-aê, kena Zazi »
VUNJI
« Vunjê-ê-a, ê Vunji oya langua languanji cabula
É vunji kisanga gunjê monamê »
« Vunjê monamê, ê Vunjê monamê congo
Simbila kianganga zunzê kauelê kauelê
Simbila kianganga Vunjê monamê »
« Kauelê simbê barravento
Kauelê zunzê »
BAMBURUCENA
« Aê Bamburucena ê Bamburucena congo
Ê unsibiê, aê Bamburucena »
« Imbê imbê oyô barravento
Ban kan kan
Indê mburê tata kê de longa
Ban kan kan »
« Kalendê tata kibanda kê jaminajô barravento
Aya-aya jaminajô »
DANDALUNDA
« Lexokê lexokê ô mãe Danda, ela é Dandalunda » cabula
« Mungongo uadila no kambandô cabula
Teré compensuê-ê »
« Teré compensuê, teré compensua barravento lento
Teré compensuê, Dandalunda »
« (Sou eu, sou eu) barravento lento
Ela é Dandalunda
Sou eu, sou eu
Ela é mãe kimbanda
Sou eu, sou eu »
211
KAYALA
« Samba, Samba monamê takumberê kenan cabula
Samba, oyumba monamê takumberê kenan
Samba, Samba monamê takumberê kenan
Samba ô-ô, samba monamê »
« (Ayuê sambê samba) cabula
Samba monamê tatê takumberê kenan
Ayuê sambê samba »
« (Samba zinguerê) cabula
Samba-ê
Samba zinguerê »
GANGAZUMBA
« (Mamãe, kokê orererê oya maianga) cabula
Kokê kokê ibi tara kizumba
Mamãe, kokê orererê oya maianga »
« (Zumbê kelê Zumbê kauelê) congo
Zumbê maianguê
Zumbê kelê Zumbê kauelê »
« Ê unsibiê-ê-ê congo
Aê Gagazumbá »
LEMBA
« Tata biri biri kinhoka, oyê tata biri biri malemba barravento lento
A, ayuê-ê-a, tata biri biri kinhoka »
« (Singanga-ê ê-singanga yemba) barravento lento
Kara kara-ê ganga tinhoka
Singanga-ê ê-singanga yemba »
« Ê diê-ê-ê-ê-ê, Ê diê-ê-a-a barravento lento
Ê diê-ê-ê-ê-ê, Ê diê-ê-a-a
Aê tata mané xeré xeré
Xé filho de Gangazumbá
Orixá-xá »
212
CHANTS POUR LES CABOCLOS
213
« Ele atirou, ele atirou ninguém viu (bis)
Serra Negra é quem sabe
Aonde a flecha caiu
Sultão das Matas é quem sabe
Aonde a flecha caiu »
« Il a tiré, il a tiré et personne ne l’a vu (bis)
Montagne Noire, lui sait
Où la flèche est tombée
Sultan des Forêts, lui sait
Où la flèche est tombée »
Chants qui « appellent » les caboclos (cantigas de chamar) :
« Lembra Lembra rei Cassutá lembrá
Lembra de mim rei Cassutá lembrá
Lembra Lembra rei Cassutá lembrá
De Flecha Negra rei Cassutá lembrá »
«Souviens-toi, roi Cassutá, souviens-toi
Souviens-toi de moi, roi Cassutá, souviens-toi
Souviens-toi, roi Cassutá, souviens-toi
De Flèche Noire, roi Cassutá, souviens-toi »
« Maré encheu, maré vazou
De longe bem longe as esteira lá
A sua casinha, coberta de sapé
Seu arco, sua flecha
Sua cabaça de mel
Ô irará-rará-rará-a
Ô irará-rará-rará-a »
« La marée est montée, la marée est descendue
De loin, de bien loin, les nattes là-bas
Ta petite maison, couverte de sapé
Ton arc, ta flèche
Ta calebasse de miel
Ô irará-rará-rará-a
Ô irará-rará-rará-a »
Cantiga de sotaque chantée par un membre de l’assistance lorsque celui-
ci suspecte la présence d’un « faux » caboclo :
« Eu ví a cutia com côco no dente
Chapéu de palhinha quebrado na frente »
«J’ai vu la cutia, la noix de coco aux dents
Son chapeau de paille penché en avant »
214
Samba de sotaque :
« Corte capim aí, capineiro (bis)
Só corte quando eu mandar, capineiro (bis) »
« Coupe le foin, paysan (bis)
Ne le coupe que quand je te le dirai, paysan (bis) »
215
« Marin, aventurier (bis)
Ne laisse pas le bateau se retourner (bis)
Ton père est alcoolique (bis)
Ta mère aime la bouteille (bis) »
216
Chant lié au terreiro Tumba Junçara :
« Juncinha, juncinha
Juncinha de Tumba Junçara
Eu plantei um pé de junça
Num dia de quarta-feira
A juncinha deu uma junça
Lá no pé da gameleira »
« Juncinha, juncinha
Juncinha de Tumba Junçara
J´ai planté un pied de junça
Un mercredi
La juncinha a donné une junça
Au pied de la gameleira »
217
Nossa Senhora é a mãe de Jesus
E Jesus é o filho de Deus »
« Aujourd’hui c’est le jour de Notre Dame (bis)
C’est le jour de la croix
Notre Dame est la mère de Jésus
Et Jésus est le fils de Dieu (bis) »
« Sou filho das águas claras
Sou neto de Tapicuru
É na matita, na matita ê
Na matita, na matita ê »
« Je suis le fils des eaux claires
Je suis le petit-fils de Tapicuru
C’est dans la forêt, dans la forêt (bis) »
« É lá na mata, é na jurema
É lá na mata, é na jurema
É uma lei severa, é uma lei sem pena
É uma lei severa, é uma lei sem pena »
« C’est dans la forêt, c’est dans la jurema (bis)
C’est une loi sévère, c’est une loi sans peine (bis) »
218
« Eu ia-me embora, não vou mais
Peguei meu caminho, voltei pra trás »
« J’allais partir, mais je n’y vais plus
J’ai pris mon chemin et je suis revenu sur mes pas»
« Eu vinha pelo caminho
A minha mãe não quer que eu passe
Eu piseu na cobra verde
a cobra verde é bom sinal »
« Je passais par le chemin
Où ma mère ne veut pas que je passe
J’ai marché sur le serpent vert
Le serpent vert, c’est bon signe »
219
Offrandes pour le Caboclo Boiadeiro
Terreiro Ilê Axé Babá Odé - Salvador - 1999
© X.V.
220
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229
Dandalunga
Terreiro Unzó Kuna Inkisi Tombensi Malaula - Salvador - 2003
© X.V.
230
Remerciements
231
Eldon Lage et Juciara Souza, du terreiro Vila São Roque, m’ont permis
de découvrir de l’intérieur la vie d’une petite communauté de candomblé ; ils
m’ont également fait connaître le terreiro Santa Cruz, où j’ai pu réaliser de
nombreux enregistrements et clichés photographiques. Luiza da Rocha, mère
de saint de la nation Jêje Mahi à Cachoeira, a accepté de me transmettre un
patrimoine musical menacé de disparition ; elle fêtera cette année, se Deus
quiser, ses quatre-vingt seize ans. Airzinho de Souza, père de saint du terreiro
Pilão de Prata, m’a aimablement reçu dans sa communauté religieuse. Jacira
dos Santos, qui m’a fait côtoyer de près la possession dans son contexte
domestique, m’a soutenu avec force dans les moments difficiles. La magnifique
voix d’Iraildes da Cunha, mère de saint du Tumba Junçara, a permis la
réalisation d’un disque consacré à la nation Angola. Renato dos Santos, père
de saint du Tumbenganga Junçara – décédé prématurément en mars 2004 – m’a
ouvert, avec une immense gentillesse, les portes de sa communauté.
Laércio Sacramento, père de saint du Terreiro de Jauá, José Daniel das
Neves, filleul du célèbre Joãozinho da Goméia, Edson Sales, du terreiro Unzó
Mim Kizangirá, Juracy Passinho, du terreiro Unzó Kuna Inkisi Tombensi
Malaula et Anselmo Santos, du terreiro Mokambo, m’ont fait découvrir avec
passion les richesses inexplorées des traditions religieuses d’origine bantu à
Bahia. Je remercie enfin tous les autres initiés dont je n’ai jamais connu le nom
civil, mais qui m’ont ouvert leur cœur et raconté tant d’histoires inoubliables.
Gira Mavambo
Terreiro Unzó Mim Kizangirá - Mata de São João - 2004
© X.V.
232
Table
Préface 7
Avant-propos 9
Introduction 11
Première partie : Contexte ethnologique 19
Chapitre 1 : État des lieux 21
1. Candomblé et religions afro-brésiliennes 21
- Nations et syncrétismes 21
- Données historiques 24
- Les religions afro-brésiliennes 27
2. La pratique rituelle 29
- Le terreiro 29
- Les cérémonies 31
- Musique et danse 32
3. Le continuum rituel afro-bahianais 33
- Le modèle Jêje-Nagô 33
- Les Bantous au Brésil : discrimination historique, 35
idéologique et sociale
- Répartition numérique des nations de candomblé à Salvador 47
Chapitre 2 : Les nations : approche comparative 53
1. Les panthéons 53
2. La communauté religieuse 61
- Hiérarchie 61
- Attributions musicales 65
3. Le processus initiatique 69
- Le modèle Ketu 69
- Constantes et divergences 73
Chapitre 3 : La possession 77
1. Transe et possession 77
- État des lieux 77
- De la « transe sauvage » à la « possession maîtrisée » 81
2. Incorporation exclusive ou multiple des divinités 83
3. Approche phénoménologique 91
- Les « déclencheurs » de la possession 91
- L’« entrée en transe » 97
- Le comportement du possédé 99
- Le retour à l’« état normal » 101
- Les possessions au quotidien 102
233
Deuxième partie : Perspective ethnomusicologique 105
Chapitre 1 : Le contexte de la musique 107
1. Musique et performance rituelle 107
- La fête de candomblé : stéréotype d’une cérémonie 107
- Esthétique et efficacité rituelle 110
- Le cri : typologie et fonctions 113
2. Contexte linguistique 123
- Langues des chants et terminologie rituelle 123
- Transplantation au Brésil des langues africaines d'origine 125
Chapitre 2 : La musique 131
1. Travaux antérieurs 131
2. Formation 135
- Instruments 135
- Voix 142
Chapitre 3 : Les répertoires 145
1. Répertoires vocaux 145
2. Répertoires instrumentaux 151
- Les formules rythmiques 151
- Transcription des parties de cloche 157
3. Organisation musicale des répertoires 161
- Procédés formels 161
- Plurivocalité 162
- Échelles 167
- Organisation temporelle 168
Conclusion 171
Glossaire 183
Paroles des chants 193
- Chants de la nation Ketu 194
- Chants de la nation Jêje 203
- Chants de la nation Angola 208
- Chants pour les Caboclos 213
Bibliographie 221
Remerciements 231
Table 233
234