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Mark Deavin
Mais les dernières momies découvertes dans le bassin du Tarim sont trop nombreuses,
trop anciennes, et trop riches d'enseignement, pour pouvoir être rejetées de cette
manière. [Cependant, ces découvertes n'ont été connues du grand public qu'à partir du
milieu des années 90, alors que les premières momies ont été découvertes à partir de
1978-1980, NDT.] Et, plus important, elles ont aidé à rouvrir le débat à propos du rôle
que les Européens ont pu jouer dans les origines de la civilisation en Chine, quelques
archéologues recommençant à arguer que les Européens pourraient bien avoir été à
l'origine de l'introduction en Chine d'éléments de base tels que la roue et les premiers
objets en métal. Cela renforce sérieusement les théories qui furent proposées au début
du siècle, mais qui furent ultérieurement enterrées sous une avalanche de pensée
«politiquement correcte». En 1912 par exemple, un universitaire réputé de Cambridge,
A.C. Haddon, nota dans The Wanderings of Peoples la possibilité que l'élément
civilisateur de la vieille civilisation chinoise aurait pu être introduit par la migration d'un
peuple plus cultivé venant de l'ouest.
En dépit du fait que des manuscrits tokhariens ont été trouvés seulement pour la période
la plus récente, les linguistes ont occasionnellement identifié des mots tokhariens dans
des manuscrits écrits en gandhari prakrit, une langue vernaculaire du nord-ouest de
l'Inde qui était utilisée comme langue administrative dans une grande partie du bassin
du Tarim du 3ème au 5ème siècle après JC. Les Tokhariens étaient aussi connus
antérieurement sous le nom de Yue-zhi (ou Ru-zhi), qui sont cités dans des textes chinois
datés du 5ème siècle après JC, dans les limites d'ancienneté définies par la datation des
momies du bassin du Tarim.
Les Tokhariens sont représentés de manière frappante sur des peintures murales à Kizil
et Kumtura (non loin de la ville chinoise de Ku-Che, dans les montagnes du Tien Shan au
nord du bassin du Tarim) comme des Européens d'allure fière, de grande taille, avec des
cheveux roux ou blond-roux, nettement divisés au milieu, des longs nez, des yeux bleus
ou verts, des visages allongés. Les Yue-zhi du premier siècle avant JC sont aussi décrits
dans des statues peintes à Khalchayan (à l'ouest de la rivière Surkhan, dans l'ancienne
Bactriane). Eux aussi sont dépeints comme des Européens avec des longs nez, des
visages fins, des cheveux blonds, la peau rose, et des yeux bleus clairs. On sait par des
sources historiques que pendant le 2ème siècle av. JC, les «grands Yue-zhi» se
déplacèrent du nord-ouest de la Chine jusqu'à Ferghana et la Bactriane, qui se trouve sur
le flanc le plus éloigné du Pamir. A partir de là ils partirent au sud à travers l'Hindou
Kouch vers l'Afghanistan et la partie nord du subcontinent indien, où ils fondèrent le
puissant empire Kushan. Ce dernier, en retour, étendit à nouveau son pouvoir jusqu'au
bassin du Tarim, et avec lui se répandit le Bouddhisme, qui atteignit finalement la Chine.
«Les nouvelles découvertes obligent à un réexamen des vieux livres chinois qui décrivent
des individus historiques ou légendaires, de grande taille, avec des yeux bleus ou verts,
de longs nez, de grandes barbes, et des cheveux roux ou blonds. Les spécialistes ont
traditionnellement raillé ces récits, mais il semble maintenant qu'ils pourraient se
révéler exacts.» (Victor Mair)
Une hypothèse qui rencontre une faveur croissante est que la migration de ces
Indo-Européens commença avec leur invention du chariot à roues. Travaillant
avec des archéologues russes, le Dr David W. Anthony, anthropologue au
Hartwick College à New York, a découvert des débris de roues de chariots dans
des tumulus funéraires vieux de 5000 ans, dans les steppes de la Russie du sud et
du Kazakhstan. Cette série d'investigations a un rapport direct avec la question
des momies européennes en Chine, parce que des roues en disque, formées de
trois pièces, similaires à celles qui ont été découvertes en Asie de l'ouest et en
Europe, datées du 3ème et du 2ème millénaire av. JC, ont été découvertes dans le
désert de Gobi, au nord-ouest du bassin du Tarim. De même, des roues à rayon
datant du début du 2ème millénaire av. JC ont été mises à jour dans un autre site
non loin de là. La plupart des chercheurs acceptent à présent la thèse selon
laquelle le lieu de naissance des véhicules tirés par des chevaux et l'utilisation des
chevaux comme montures se trouvait dans les steppes d'Ukraine, plutôt qu'en
Chine ou au Proche-Orient. Comme le Dr Anthony et ses collègues l'ont montré
par leur étude au microscope des dents de chevaux, des chevaux étaient déjà
harnachés en Ukraine il y a 6000 ans. De même, des chars de bois avec des roues
à rayons ont été datées d'environ 2000 ans av. JC, dans la même région. En
comparaison, les chars n'apparaissent en Chine qu'environ 800 ans plus tard.
Des chevaux enterrés rituellement, similaires à ceux de l'ancienne Ukraine, ont
aussi été mis à jour dans le bassin du Tarim, ainsi que des débris de roues de
véhicules faites par l'assemblage de trois planches de bois polies et parallèles. Des
véhicules avec des roues à peu près identiques ont été découverts dans les plaines
d'Ukraine et datées de 3000 ans av. JC.
Un grand nombre d'objets découverts dans les tombes des momies du bassin du
Tarim ont fourni des preuves importantes de la domestication du cheval. Cela
inclut un mors en bois et des rênes en cuir, une cravache consistant en une seule
lanière de cuir attachée à un manche de bois, un morceau de bois avec des
lanières de cuir, et une selle de cuir rembourrée, parfaitement réalisée. Cela
semble confirmer que les momies appartenaient à une culture nomade de
cavaliers, qui se répandit à partir des plaines de l'Europe de l'est. Cela renforce
aussi la conviction grandissante des archéologues, que l'extension de la langue,
de la culture, et du stock génétique indo-européens est peut-être liée à l'extension
graduelle des techniques de domestication du cheval et des véhicules tirés par des
chevaux, depuis leur région d'origine en Europe, il y a 6000 ans.
Deux ans plus tard, l'archéologue russe bien connu S.I. Rudenko nota l'existence
de momies ayant une apparence européenne dans les tombes royales de Pazyryk
dans les monts de l'Altaï, datées des 5ème et 4ème siècles av. JC. Cette
démonstration fut ultérieurement appuyée par John Haskins de l'Université de
Pittsburgh, qui suggéra que les Yueh-zhi (un ancien nom chinois pour désigner
les Tokhariens) de la région de Pazyryk dans l'Altaï, pourraient avoir été
apparentés aux Celtes de l'Europe continentale.
Précisément, les momies du bassin du Tarim ont fourni de nouvelles preuves qui
appuient la thèse de Heine-Geldern. Quelques-uns des objets trouvés avec les
momies suggèrent fortement un lien avec la «période des haches à douille»,
caractérisée par ses haches de bronze à douille (ayant un manche de bois creux
inséré du côté opposé à la lame) et d'autres objets en bronze, tels que des
couteaux avec des manches en forme d'animaux. La «période des haches à
douille», qui est datée d'environ -- 1800 à -- 1000, s'est étendue sur toute
l'Europe et cadre bien avec certains aspects de la culture du cheval et du char, qui
met l'accent sur la chasse, avec l'utilisation de différentes sortes d'arcs.
Ainsi une nouvelle crédibilité a été donnée à des théories précédemment ignorées
et ridiculisées, à propos des origines et du développement de la civilisation en
Chine. A la lumière de ces nouvelles découvertes, Edwin Pulleyblank de
l'Université de la Colombie Britannique argua récemment que l'influence
européenne pourrait avoir été un facteur important pour l'unification des états
chinois et l'établissement du premier empire chinois centralisé, par Chinchi
Huangti en l'an 221 av. JC. Il souligne l'arrivée de l'extérieur, à la lisière de la
steppe chinoise, de la technique militaire des archers montés, mentionnés
explicitement pour la première fois dans les sources chinoises en l'an 307 av. JC.
A l'ouest, les archers montés apparaissent avec les Scythes, étroitement
apparentés aux Celtes, qui sont mentionnés pour la première fois dans les sources
moyen-orientales vers l'an 800 av. JC et dont le mode de vie est décrit en détail
par l'historien grec Hérodote. Ironiquement, ce fut la technique des archers
montés, typique du nomadisme classique, qui domina la steppe européenne et
qui rendit possible l'émergence des grands empires de la steppe des Singnou, des
Turcs et des Mongols qui plus tard terrorisèrent l'Europe.
Pulleyblank suggère précisément que la technologie européenne fut copiée par les
Chinois et retournée contre ses inventeurs. En effet, une analogie frappante avec
l'extension de l'utilisation des archers montés aux frontières de la Chine peut être
vue dans la manière dont la découverte des chevaux par les Indiens du Mexique,
du fait des Espagnols, et de leur utilisation guerrière, a transformé les Grandes
Plaines d'Amérique du nord au 19ème siècle. Cette théorie de l'imitation [des
techniques européennes] par les peuples mongoloïdes est aussi appuyée par la
présence de nombreux mots d'origine indo-européenne dans les strates les plus
archaïques des langues apparentées au chinois. Cela inclut des mots comme
«cheval », «traces», «charrette», «roue », et «vache», et cela aussi suggère que ce
furent les Européens qui apportèrent tout cela en Chine.
Supplément bibliographique
E.G. Pulleyblank, Chinese and Indo-Europeans, dans Journal of the Royal Asiatic
Society, avril 1966, p. 9-39.
Thomas B. Allen, The Silk Road's Lost World, dans National Geographic, mars
1996, p. 44-51.
Victor H. Mair, The Mummified Remains Found in the Tarim Basin, numéro
spécial du Journal of Indo-European Studies, automne-hiver 1995, p. 279-444.
Bruno Birolli, dans Le Nouvel Observateur, 23 mai 1996. (Un des seuls journaux
français à avoir fait état de cette découverte.)