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Le premier chapitre du Capital

Par BOLÍVAR ECHEVERRÍA (1977)

Seulement un vir obscurus qui n'a rien compris du Capital... [peut]


méconnaître l'importance du rôle que la valeur d'usage joue  dans ma
théorie -un rôle tout à fait différent de celui qu'elle a eu jusqu'ici dans
l'Économie-.
K. Marx (1)  

 
"Figure" et “point" de départ

Le chapitre La Marchandise est le "point de départ" du Capital, de la “critique de


l'économie politique”, dans la mesure où il s'insère, en tant que moment initial, dans une
étape d'argumentation “de départ" (contenue dans la première section du livre I) qui donne
lieu, à son tour, à tout un argument introductif ou “de départ” (contenu dans les sections l et
2 du Livre I).

En réalité, le début du Capital n'est pas un "point" (un moment d'argumentation), ni une
"ligne" (une étape d'argumentation), mais toute une "figure" (un argument complet). C'est
la figure de l'examen critique auquel est soumise l'apparence de la richesse dans la société
capitaliste, examen qui devient nécessaire lorsque le discours théorique critique (discours
propre au mouvement communiste représenté par Marx) doit traverser et mettre en cause le
champ conceptuel mystifiant, engendré spontanément dans la sphère "bruyante et
superficielle" de la circulation marchande capitaliste, afin d'élaborer un savoir
révolutionnaire de cette richesse sociale -en tant qu'elle est l'axe autour duquel tourne tout
le comportement politique de la société (et autour duquel s'organisent concrètement les
conditions de l'affrontement social entre la classe prolétarienne et la capitaliste, qui sont
l'objet réel auquel s'intéresse le discours communiste)-.

La “figure” de départ

1. La richesse privée capitaliste se distingue spécifiquement, même dans son apparence, de


toute autre forme historiquement possible de richesse privée. Celle-ci s'est toujours
présentée comme un objet passif qui ne se modifie que quantitativement (il croit ou il
décroît) en vertu d'une action qui lui est extérieure : une accumulation d'esclaves, de terre,
d'instruments, d'or-monnaie etc., possédée en tant que propriété par un sujet particulier ou
privé (soit individuel ou collectif). En revanche, la forme adéquate de la richesse dans la
société capitaliste doit être décrite nécessairement par chacun de ses membres -s'il veut s'en
tenir à son rapport empirique ou à son expérience directe des faits-, non seulement comme
une somme d'argent mais surtout comme une somme d'argent "douée d'un mouvement
propre": soit "investie" ou "produisant des bénéfices quand elle sert à l'acquisition et à la re-
vente d'un certain type d'objets". Plus précisément, elle doit être définie comme un objet qui
a une dynamique propre ou qui, de lui-même, est en procès, procès qu'on peut représenter
par la formule suivante : "la formule générale du capital": A-M-A'[=A+a], c'est-à-dire, une
masse de valeur en procès de valorisation au moment où elle passe de la forme-monnaie à
la forme-marchandise et de nouveau à la forme monnaie, en d’autres termes, une quantité
de valeurs en argent soumise au procès complexe suivant : se convertir en une valeur
équivalente en marchandise, puis se convertir à nouveau en une quantité de valeur en
argent, mais une quantité accrue.

Cet accroissement ou plus-value, qui donne sa spécificité à cette forme historique de la


richesse, se présente donc comme le profit qu'obtiennent, pour les valeurs qu'ils possèdent,
certains des producteurs-propriétaires-consommateurs privés -les habitants de la sphère de
l'échange marchand ou l'échange d'équivalents-, mais paradoxalement sans objectiver de
travail propre et sans transgresser les lois de l'équivalence; il apparaît ainsi comme un profit
obtenu par un tour de "prestidigitation".

L'argument que Marx développe dans les deux premières sections de son oeuvre, consiste à
considérer la richesse capitaliste conformément aux lois propres du milieu spécifique dans
lequel elle apparaît. Il réfute, en tant qu’elle est contradictoire, la formule qui décrit
empiriquement le mode capitaliste de la formation et donc de la distribution de la richesse
-"la formule générale du capital", A-M-A’- en rendant manifeste la prétention insoutenable
qui est implicite dans celle-ci. En effet, cette formule se présente comme n'étant rien d'autre
qu'une modification authentique, dérivée de façon cohérente, de la formule qui décrit le
mode marchand de réalisation ou de circulation de la richesse, la “formule générale de la
marchandise” : marchandise M du type a qui se converti en argent A et puis en marchandise
M du type n (Ma-A-Mn) (2).

Il s'agit véritablement d'un argument d'introduction, dans la mesure où il critique


l'apparence empirique de la richesse capitaliste -critique immanente à la légalité de cette
apparence)-, et pose ainsi les deux grandes exigences d'argumentation qui seront remplies
par l’oeuvre majeure de Marx, Le Capital : la première, posée par le reste du livre I et par le
livre II, et la seconde, par le livre III:

        a)    la nécessité de découvrir les lois essentielles ou fondamentales de la reproduction


(production, consommation et circulation) de la plus-value en tant que germe permanent de
la richesse dans la société capitaliste, et
      b)    la nécessité de démystifier et de reconstruire théoriquement, sur la base de la
découverte précédente et en finissant l'argumentation critique globale, la réalité de la
distribution capitaliste de la richesse sociale.

On ne peut comprendre le rôle du "point de départ", évoquée dans le chapitre "La


Marchandise", que comme faisant partie de cette fonction introductive critique de
l'ensemble des quatre premiers chapitres ou, plus précisément, comme faisant partie de la
propre fonction préparatoire du sous-ensemble constituée par les trois premiers chapitres
-telle que la fonction du mouvement ("point") initial d'une ligne ou étape d'argumentation
fondamentale sur laquelle s'élève le reste de la "figure" ou argument introductif-. Or cette
"ligne" ou étape d'argumentation sert à analyser le lieu de la manifestation de la richesse
capitaliste, le terrain sur lequel est identifiable la spécificité de sa façon particulière de
circuler : A-M-(A+a); examen qui, seul, permet d’aborder la problématique du mode
d'existence historique de la richesse capitaliste comme forme particulière de la richesse
marchande.

1.1. Il s’agit d’examiner le mécanisme (la “main invisible” supposé par A. Smith) par
lequel la "richesse des nations", en tant que richesse marchande simple, richesse atomisée
ou "décomposée” -somme chaotique de choses ou de services produits par la société dans
de conditions asociales ou privées- se réalise, cependant, d'une manière apparemment
“sociale” : elle circule en se réordonnant entre les individus privés, c’est-à-dire sans aucun
plan de distribution, se métamorphose et devient, alors qu'elle n’était qu’un ensemble
d'objets récemment produits par tout le corps social (les produits), un ensemble d'objets (les
biens) qui auront bientôt une valeur d'usage réelle pour lui.

Marx examine d'abord les conditions qui rendent possible le procès d'existence de la
richesse marchande en général (simple), procès dont la manifestation circulatoire est décrite
par la "formule générale de la richesse marchande" : Ma-A-Mn. Ce n'est qu'ensuite qu'il
s’attache à l'examen des conditions qui rendent possible le procès d'existence circulatoire
de la richesse capitaliste, procès décrit par la formule générale du capital (A-M-A’). La
dynamique de la richesse marchande en général est étudiée en tant que dynamique simple et
de base, sur laquelle, tout en respectant ses lois, s'est établie la dynamique particulière de la
richesse marchande capitaliste. La formule générale de la richesse marchande est analysée
de manière critique comme la formule matrice à partir de laquelle s'est développée la
formule générale du capital. L'étape d'argumentation finale ou la "ligne" qui complète la
"figure" de l'argumentation introductive (contenue dans le quatrième chapitre ou deuxième
section) comporte trois phases :

1) L'analyse du mode spécifiquement capitaliste de fonctionnement de la sphère de la


circulation des marchandises et de l'argent : passer de A à A'[=A+a], en passant par M.

2) L’établissement du caractère contradictoire de l'apparition d’une valeur supplémentaire


dans la sphère de la circulation simple ou générale des marchandises. La sphère de la
circulation marchande simple devient la scène d’un paradoxe : le lieu où la plus-value ne
peut être engendrée, et le lieu sans lequel la même plus-value ne peut exister.

3) La formulation du problème de la production de plus-value nécessairement masqué par


l'apparence marchande simple de relations de production essentiellement différentes : des
relations marchandes-capitalistes.

L'achat/vente de la force de travail (fT) en qualité de marchandise (échange avec/contre un


équivalent) masque le fait que son acheteur, en la consommant dans la sphère de la
production/consommation et en exerçant son droit légitime de propriétaire, fait d'elle ce
qu'il ne fait d’aucune autre marchandise qu'il consomme (soit l'anéantir, soit la conserver
comme une partie d’autres marchandises) ; il l'oblige, en se servant de son utilité spécifique
-qui consiste à s'objectiver comme travail concret lorsqu’elle produit de la valeur abstraite-,
à se convertir en un “objet” d’un ordre différent (T) et, finalement, en une marchandise
(pT) dont la valeur est accrue. A une valeur égale à la sienne (s), vient s'ajouter une plus-
value (p). (Voir figure 1.)

La première ligne de la “figure”


1.2. La formule Ma-A-Mn est la représentation la plus concise de cette modalité marchande
adoptée par le procès de réalisation (métamorphose) ou de circulation (redistribution) de la
richesse sociale. En effet, privée d'un principe distributif subjectif (provenant de la praxis
autoreproductrice du sujet social) qui la régit, la circulation ou métamorphose de la richesse
marchande doit s'accomplir pour tout le sujet social ou pour chaque individu social, non en
un acte unique, mais en un procès circulaire ou d'aller et retour, qui peut être décrit de la
façon suivante : un montant de marchandises d'une consistance concrète déterminée (Ma:
un objet qui tient une forme a pour un propriétaire privé A ou pour le sujet social en tant
que producteur) se trouve en état de se convertir en une somme d'argent ou un objet
toujours échangeable (A), afin de se reconvertir en un montant équivalent de marchandises,
mais de consistance concrète différente (Mn: un objet de forme n pour le même propriétaire
privé A ou pour le sujet socia1 en tant que consommateur).
L'examen du champ des phénomènes décrit par cette formule, examen qui, parce que
préparatoire, retient méthodiquement le discours critique de Marx dans la problématique de
la forme marchande simple de la richesse sociale, se développe en deux mouvements
successifs. Dans le premier mouvement, analytique (contenu dans les deux chapitres de la
première section : la marchandise et l'argent) sont soumis à l'étude, tant les objets ou
atomes marchands (marchandise commune ou marchandise-argent) qui entrent dans le
processus circulaire ou indirect de la richesse marchande simple (chapitre premier : La
Marchandise), que les actes ou mouvements d'échange qui composent ce processus et qui
connectent au premier degré ces atomes marchands entre eux (deuxième chapitre : Le
procès d'échange). Dans le deuxième mouvement, synthétique, (troisième chapitre: L'argent
ou la circulation de la Marchandise), c'est la totalité de ce champ phénoménal qui est mise à
l'étude, à savoir, le processus complet de la circulation marchande ou réalisation de la
richesse au moyen de l'argent (étude qui comprend, non seulement le traitement du
fonctionnement de base ou typique de la circulation, mais également le traitement de ses
fonctionnements dérivés et atypiques dans 1a thésaurisation et surtout dans le crédit).
Dit en d'autres termes, dans le traitement de la formule générale de la marchandise ou de la
richesse marchande simple (Ma-A-Mn), l'argumentation de Marx distingue d'abord les
relations élémentaires que celle-ci réunit (Ma-Mn et Ma-A-Mn) ainsi que les unités
élémentaires (M [comme Ma ou Mn] et A) mises en liaison par ces relations ; la
compréhension de la totalité de la formule vient après; elle résulte de la connaissance
précise de l'interconnexion complexe que maintiennent entre elles ces unités et ces relations
élémentaires.
La première étape de cet examen, étape analytique qui traite isolément les actes et les
relations élémentaires ainsi que les objets et les unités élémentaires qui entrent dans la
description de la richesse marchande au moment où elle passe par la sphère de la
circulation, doit commencer nécessairement par l'analyse ou l'étude séparée des unités ou
objets élémentaires, les marchandises (M [comme Ma ou Mn]) et l’argent (A). La prise en
considération des actes ou de relations dans lesquels ils s'intègrent devra suivre les
exigences tirées des résultats de cette première analyse.

Caractère marchand et marchandise

2. L'étude de la marchandise (marchandise-commune et marchandise-argent) qui se trouve


dans le premier chapitre dépasse amplement la tâche théorique qui lui reviendrait si elle
suivait l'ordre purement logique de l'exposition.  
Ce chapitre semble consacré à traiter globalement le mode privatisé simple ou marchand
général de la reproduction sociale en tant que telle plutôt que la forme marchande et
marchande-monétaire des objets pratiques de la société, tâche qui lui est assignée. Elle la
dépasse, en effet, parce que, ici, Marx satisfait également des nécessités discursives d'un
autre ordre : un ordre politique -rhétorique ou politique -littéraire. Le premier argument de
la critique de l’économie politique, à savoir la démonstration du caractère contradictoire de
la richesse marchande en général, ne peut s'étendre, comme l'exigerait l'ordre purement
logique, sur un texte de plus de cent pages, sans perdre en persuasion immédiate ce qu'il
pourrait gagner en exactitude. Un texte court -et rappelons que la première édition du
premier chapitre était substantiellement plus brève que le texte de l'édition définitive- doit
être convainquant même si, pour cela, il doit forcer le pas et avancer en simplifiant certains
passages.
L'analyse de la forme ou de l'ensemble structuré de facteurs ou déterminations qui font
qu'un objet social pratique existe de manière contradictoire comme marchandise (chap. 1,1)
et l'analyse de la façon dont se solutionne, se neutralise et est soit-disant dépassée par la
contradiction (entre forme concrète, d’usage, et forme abstraite, de valeur) inhérente à cette
forme marchande (chap. 1,3), suffiraient à elles deux, à compléter l'analyse de l'objet
pratique marchand. Cependant, elles se trouvent accompagnées de deux brillantes
expositions : l'une courte et indicative (chap. 1,2), l’autre minutieuse et complexe (chap.
1,4), qui ont respectivement pour thème, non pas la marchandise, mais le type de travail
dont elle provient et le type de société qui a besoin d’elle (3).

Le premier chapitre

2.1. Dans sa version définitive, le premier chapitre constitue de par lui-même tout un petit
traité ; c'est un texte fort indépendant, qui expose de façon exhaustive une argumentation
qui se suffit quasiment à elle-même.
Le sens général de la question à laquelle répond cette argumentation serait
approximativement le suivant: si la richesse de la société est composée par une infinité de
particules élémentaires, les objets pratiques (choses utiles qui ont été produites), en quoi
consistent et comment s'expliquent les caractéristiques que ces choses acquièrent quand
elles fonctionnent comme objets pratiques marchands (marchandises)? Pourquoi la fonction
exercée par les marchandises dans le processus de reproduction de la société moderne, est-
elle comparable à la fonction des objets fétiches dans la reproduction matérielle des
sociétés archaïques? Quel est le processus historique qui convertit les choses pratiques en
marchandises, et dans quelles conditions s'effectue-t-il?
Pour répondre à ces questions, les quatre paragraphes du premier chapitre abordent les
thèmes suivants :
1) Le premier paragraphe, Les deux facteurs de la marchandise : valeur d'usage et valeur,
décrit l'ensemble des caractéristiques qui déterminent plus en profondeur la structure de
l'objet pratique et constituent ainsi la forme de l'objet marchand. Il décrit la marchandise
comme une chose qui existe à deux niveaux ou strates ("ein Zwieschlälichtiges") et comme
une chose intrinsèquement contradictoire ; comme un objet constitué par deux “facteurs”
opposés -“forme naturelle” (valeur d'usage) et “forme de valeur” (valeur)- et qui possède
donc une forme double et instable. (Cf. le tableau infra.)
2) Le second paragraphe, Double caractère du travail représenté par les marchandises,
explique la “strate du contenu” qui réunit ces deux formes à l'intérieur de l'objet marchand
pratique ; il explique pourquoi, dans la marchandise, la qualité de produit concret existe
modifiée sous l'influence de la qualité de produit abstrait, de simple objectivation de valeur
ou énergie sociale indifférenciée.
3) Le troisième paragraphe, La forme de manifestation de la valeur ou la valeur de
l'échange explique la “strate de l'expression” que présentent ces deux formes de l'objet
pratique marchand; il explique pourquoi, dans la marchandise, la qualité de bien concret
(objet d'une utilité spécifique) existe modifiée sous l'influence de la qualité abstraite de
“bien” en général ou valeur d'échange, simple quantité relative de n'importe quel autre bien
remplaçable.
Cette explication inclut nécessairement une autre: pourquoi la contradiction de la
marchandise se fait effective de manière neutralisée ou, ce qui est équivalent, pourquoi la
Marchandise (MM) existe nécessairement sous deux versions différentes, comme
marchandise commune (M) et comme marchandise-argent (D).
4) Le quatrième chapitre, Le caractère fétiche de la marchandise. Son secret, donne
l'explication de la forme d'existence double et déformée de l'objet pratique marchand, mais
considérée, cette fois, dans sa fonction globale à l'intérieur du processus spécifique de
production et d'accomplissement de sa socialité par le sujet social ; il explique pourquoi il y
a une socialité réifiée comme propriété "miraculeuse" des marchandises "fétiches" ; des
objets pratiques qui ne relient pas seulement les individus sociaux en tant que
producteurs/consommateurs multilatéralement complémentaires, mais les relient aussi en
tant qu'êtres politiques en état de passivité.
Cette explication en mène à une autre qui lui serait corollaire: pourquoi un discours
économico-social fétichiste, qui prend cette sociabilité déposée "anti-naturellement" dans
les choses comme si elle était la sociabilité naturelle et la respecte comme prémisse
indiscutable de l'élaboration de son savoir, est insuffisant en termes révolutionnaires et par
la même scientifiques ?

Le point de départ

2.2. S'il y a deux éléments en présence (M et A), d'abord dans les formules qui décrivent le
moment distributif de la richesse marchande–simple (M-A-M) et de la richesse marchande-
capitaliste (A-M-A'), on comprend, comme cela a été suggéré plus haut, qu'il ne peut y
avoir que deux analyses, ni plus ni moins, qui commencent d'une façon adéquate,
l'exposition “de départ" ou la première approche critique du Capital (sections 1 et 2) au
mode marchand capitaliste dans lequel existe la richesse sociale : une analyse de l'objet
“marchandise” et une autre analyse de l'objet “argent” ou “monnaie”.
En effet, dans le premier chapitre, les deux paragraphes indispensables à cette première
grande séquence de l'argumentation de l'oeuvre, le 1 et le 2, pourraient s'intituler,
conformément aux objets dont on parvient à connaître les caractéristiques formelles, la
Marchandise et l'Argent. Cependant, ils pourraient également s’appeler d'une autre
manière : l'un, “la marchandise proprement dite” et l'autre, “la marchandise-argent face à la
marchandise commune”. Ainsi, et c'est sans doute ce qui conviendrait le mieux, en
indiquant que la marchandise commune (M) et la marchandise-argent (D) ne sont que les
deux versions ou figures complémentaires dans lesquelles doit exister la marchandise
proprement dite (MM), on comprend la raison de la réduction méthodique qui suit : la seule
manière adéquate de mener à terme les deux analyses requises pour le traitement des deux
termes différents en question, "marchandise" (M) et "argent" (A), est de faire une seule
analyse, qui consiste en une analyse double de la qualité marchande acquise par n'importe
quel objet pratique lorsqu'il existe en tant que particule élémentaire de la richesse sociale
moderne. Une double analyse qui, de fait, constitue intégralement ce "point" de départ" du
Capital. Il s’agit de l'analyse des caractéristiques ou des traits spécifiques de cette qualité
marchande de l'objet pratique: a) comme caractéristique de la composition structurale de
l'objet marchand et b) comme caractéristique de la relation fonctionnelle qui synthétise ou
totalise cette composition.

Le premier aspect du point de départ

2.2.1. Dans la première partie du "point de départ" (chap. 1,l), la description de la qualité ou
de la figure marchande des objets pratiques de la société consiste, en fait, à présenter les
déterminations ou les traits d'un type de réalité extrêmement embrouillée et problématique,
et même étrange et contre-nature -réalité qui est acceptée quotidiennement comme
"naturelle" et indiscutable- mais qui, pour autant, en situations de crise, introduisent la
méfiance et ouvrent des perspectives critiques, cessent d'être déguisés en se montrant tels
quel. C'est pourquoi, en donnant la primauté à cette perspective des situations de crise
-supposant que, dans cette perspective, l'objet “marchandise” s’offre à l'expérience d'une
manière plus complète- la description critique que l'on peut faire de l’objet «marchandise» 
est celle d'un objet dont la composition est, de par sa structure, complexe et instable.
Complexe, parce qu’elle représente la composition particulière d'un objet dont la présence
empirique -comparable à celle de l’objet fétiche archaïque ou instrument de la technique
magique, dans lequel l'existence commune ou profane se trouve au service d'un ordre
miraculeux ou sacré-(4)  peut déclencher occasionnellement une “nausée”, une crise de
"trouble ontologique" chez les individus sociaux qui ont affaire à lui et peut, pour autant,
être appelée "mystique", "physiquement métaphysique" ou sensoriellement suprasensorielle
("sinnlich übersinnliche"). En effet, la composition objective de l’objet pratique dans sa
qualité historique marchande, combine en elle-même deux plans ou niveaux structuraux,
l'un de base, et l'autre dérivé, qui modifie le premier. C’est la combinaison d'une forme
d'existence (qualité ou strate d'objectivité) socio-naturelle ou concrète (totale) et d'une
forme d'existence abstraite (réduite) ou purement sociale-d'équivalence (forme de valeur),
combinaison qui, à son tour, est constituée par l'action de sur-détermination structurale
exercée par la seconde de ces formes d'existence sur la première.
La composition de l'objet marchand est, de par sa structure instable, cette combinaison de
deux "facteurs" ou qualités, de deux formes d'existence ou strates d'objectivité, consiste
justement à unifier ces dernières au moyen d'une relation de contradiction.
La présence socio-naturelle de l'objet pratique dans la marchandise est incompatible ou ne
s’accorde pas dans son essence avec sa présence sociale-d'équivalence, avec laquelle elle
doit cependant être coextensive ainsi que re-fonctionnalisée par elle. Voir le tableau suivant
:

DESCRIPTION DES DETERMINATIONS DU FACTEUR HISTORIQUE


PARTICULIER QUI, EN AGISSANT SUR LE FACTEUR TRANSHISTORIQUE DE
L’OBJET PRATIQUE, LUI IMPOSE UNE FORME MARCHANDE.
 

2.2.1.1. Quelle est la différence entre l'objectivité sociale-naturelle et l'objectivité sociale-


d'échange, co-présentes dans l'objectivité globale de la marchandise, et dans quel sens leur
combinaison est-t-elle une modification structurale de la première par la seconde?

Le produit dans le bien

Dans la strate où elle est objet social-naturel, la marchandise est simplement une portion de
nature ou un morceau de matière de n'importe quel ordre intégré fonctionnellement dans la
réalisation du processus de reproduction sociale en tant que processus pratique de travail ou
de production, et processus de jouissance ou de consommation.
En tant qu'objet pratique de la société, la marchandise est, si l’on se place dans une
première perspective, une portion de matière concrètement utile ou ayant une valeur
d'usage : c'est un bien. Ce n'est pas seulement un bien en général, défini uniquement de
manière purement naturelle, mais c'est également un bien identitaire ou culturellement
spécifique ou un élément qui appartient différentiellement à la totalité systématique de ce
qui est effectivement bon ou favorable pour satisfaire les besoins de consommation d'un
sujet social déterminé. (Dans certains cas, il s’agit d’une consommation définitive ou de
jouissance, dans d'autres, d’une intermédiaire ou productive).
Mais ce n'est pas seulement un bien ; c'est aussi, si l'on se place dans une deuxième
perspective, un complément à la première, un produit, une matière dont l'utilité est produite
ou résulte d'un travail de transformation sur une autre matière. Ce n'est pas non plus un
produit en général, défini seulement de manière accidentelle ou naturelle ; c'est un produit
de forme spécifique ou un élément qui appartient systématiquement à la totalité concrète de
ce qui est sélectivement formé ou réalisé par les capacités de production d'un sujet social
identifié.
Ainsi, en tant qu'objet naturel, la marchandise possède une forme naturelle douée de
nécessité sociale : la forme à deux schémas complémentaires, d'un bien/produit ou d'un
produit/utile définie différentiellement.
Venons en maintenant au point central de cette description fondamentale : l'unité nécessaire
de ces deux caractéristiques ou de ces deux déterminations élémentaires de la forme
sociale-naturelle de la marchandise est obtenue par la présence, dans cette dernière, d'un
sens ou d'une tension intentionnelle pratique qui la traverse et la constitue en tant que telle ;
et celle-ci ne peut provenir que de la praxis du sujet social dans sa réalisation
autoreproductive.
L'objet pratique dans sa forme sociale-naturelle est un morceau de matière insérée dans un
courant de sémiologie ou de communication pratique qui passe entre deux pôles : entre
celui du sujet social comme producteur ou travailleur concret et celui du "même" sujet
social mais en tant que consommateur ou jouisseur concret ; c'est une portion de matière
significative ou un morceau de nature dans laquelle s'accomplit un acte sémiotique de
communication.
L'objet pratique exprime, pour le sujet consommateur, qu’il transforme  en le satisfaisant, le
contenu que lui a imprimé le sujet producteur quand celui-ci, en s'objectivant, lui a donné
une forme. Il transmet un programme ou plan que le sujet du travail -qui est une réalisation
active ou projetante du sujet politiquement autarcique (autotransformateur)- compose dans
son activité  et que le sujet jouissant, réalisation passive ou projetée de ce même sujet
autotransformateur, exécute dans l’action de la jouissance.
Le caractère social qui distingue l'objet pratique de l'objet “purement naturel” (y compris
l'objet organique) consiste en cet acte communicatif qui s'accomplit en lui et qui est
proprement l’essence de sa forme concrète ou “sociale-naturelle” (de sa spécificité
différentielle). Ce qu'il y aurait en lui d'objet naturel (spontanément favorable à la vie
humaine) se trouve re-fonctionnalisé par ce fait expressif et constitue la “strate de la
substance” qui est réalisée par la “strate de la forme”, imposé sur lui par la vie sociale et ses
projets d’identification.
En d'autres termes, l'aptitude singulière abstraite de l'objet pratique à satisfaire et sa
composition technique singulière abstraite sont deux déterminations complémentaires qui
sont, en elles-mêmes, “naturelles". Ce qui fait que l’objet n’est pas simplement naturel mais
“naturel-social” (créé et nécessaire) ;il est le caractère singulier concret de ces
déterminations, et ce caractère vient de ce que celles-ci fonctionnent comme support ou
substrat de deux autres déterminations qui les forment et subordonnent. Ces deux autres
déterminations, spécifiquement sociales de l'objet pratique, –le caractère signifiant, de
contenu pour le sujet, et le caractère de signifié, d’expression munie de contenu par le sujet-
sont les deux effets complémentaires résultant d'une même action sociale de
communication ou de sémiologie pratique: a) dans la perspective de la jouissance,
l’actualisation sélective, en qualité de rendre satisfaisants certains besoins parmi tous les
autres besoins du sujet consommateur; b) dans la perspective du travail, l’accomplissement
aussi également sélectif, en qualité de nécessaires pour un projet identitaire déterminé, de
certaines capacités possibles, parmi toutes, du sujet producteur. (5) (Voir la figure 2.)
 

La valeur dans la valeur d'échange

A la différence de ce qui précède, dans la dimension où elle est pur objet social-d'échange,
la marchandise existe comme un objet pratique dépouillé de concrétion dont la praticité (I)
se réduit au fait qu'il se trouve intégré au déroulement du processus de reproduction sociale,
mais uniquement parce que celui-ci est un processus abstrait-quantitatif d'objectivation
(c'est-à-dire conservation et génération) et de dés-objectivation (destruction ou dépense),
sans aucune autre différenciation ou définition qualitative, d'énergie sociale subjective à
l'état pur.
En tant que telle, la marchandise est d'abord un objet dans lequel, le simple fait d'être
nécessité ou demandé comme un bien abstrait, doué en général et indifféremment d'une
valeur d'usage, s'est converti en la substance d’une "utilité" spéciale : la valeur d'échange.
Le propriétaire de cet objet peut, s'il s'en défait, être complètement indemnisé en acceptant
une certaine quantité de n'importe quel autre bien ; pour les autres propriétaires, cet objet
est le possible substitut, quantitativement variable selon le cas, de tous et chacun de ses
objets utiles.
Mais bien qu'elle soit arbitraire ou non définie subjectivement par les individus sociaux, la
valeur relative ou valeur d'échange n’est pas indéterminée. Les grandeurs proportionnelles,
par lesquelles elle représente les autres biens, ne sont pas arbitraires. La marchandise est
donc, en deuxième lieu, un objet dont la relative interchangeabilité varie quantitativement à
l'intérieur de certaines limites, dont la fluctuation est déterminée ou dépend d'une grandeur
qui est absolue pour chaque situation sociale donnée (lieu, moment) : la grandeur de sa
valeur ou la quantité de substance de valeur (dépense d'énergie productive) qu’elle contient
et qui est intégrée en tant que partie aliquote ou effectivement nécessaire à la substance de
valeur (énergie productive ou travail abstrait) globale objectivée par la société dans un
produit global déterminé. La marchandise est ainsi un objet dans lequel le simple fait de
n’être pas spontané ou naturel, de provenir ou d'être le résultat d'un travail quelconque -la
détermination de “produit dans l'abstrait”, doué en général, indifféremment d'une origine
sociale (et non spontanée ou purement naturel)- le convertit en la substance d'une forme ou
"caractère de produit" très spécial : la valeur. C'est pour autant un objet qui ne se distingue
d'aucun autre, si ce n'est quantitativement, que par la grandeur proportionnelle différente du
temps de travail que la société a consacré à son élaboration.
En troisième lieu, en tant que principal objet social d'échange, en tant qu'objet doué d'une
forme de valeur, la marchandise se trouve constituée par un fait expressif qui connecte
fonctionnellement ses deux aspects ou plans : le fait que sa valeur d'échange est
l’expression de sa valeur ou que sa valeur s’exprime à travers sa valeur d’échange. C’est un
fait expressif qui est le moyen par lequel la tension communicative, comme tension
pratique globale ou abstraite, qui va du sujet producteur privé (c'est-à-dire, indépendant ou
détotalisé) au sujet consommateur privé, s’accomplit en traversant l'objet marchand. Grâce
à cette tension communicative, un certain apport de travail objectif, doué d’une densité
individuelle quelconque, se convertit en un droit à retirer une portion déterminée de la
masse totale de travail objectivée par la société, doué d’une densité sociale ou moyenne.
La contradiction marchande élémentaire
2.2.1.2. Pourquoi, dans l'objet marchand, la relation entre son objectivité sociale-naturelle
et son objectivité sociale-d'échange est-elle une relation de contradiction?
L'objectivité (qualité ou forme d'existence) sociale-d'échange dans la marchandise n'est rien
d'autre que l'un des niveaux de détermination propres de l'objectivité (qualité ou forme
d'existence) sociale-naturelle de la marchandise: son niveau de détermination abstraite-
quantitative, mais en tant que niveau séparé d’elle comme strate d'existence autonome et
qui se superpose à elle, la sur-détermine de façon parasitaire et la modifie ou la configure.
Du niveau le plus faible de détermination, niveau indifférencié et général au niveau
abstrait-quantitatif, même si on considère ce dernier comme intégré à la forme d'existence
concrète ou réalité sociale-naturelle de la marchandise, toutes les caractéristiques de produit
et de bien de l'objet pratique se traduisent ou se réduisent aux deux suivantes : celle d'avoir
été produit avec plus ou moins de travail ou de dépense d'énergie sociale (produit dans
l'abstrait) et celle d'être plus ou moins échangeable, c'est-à-dire, plus au moins demandé ou
utile en termes généraux (bien dans l'abstrait).
Lorsque ces deux déterminations abstraites d'existence, propres et inhérentes à la
détermination d'existence totale ou concrète de l'objet pratique, parviennent -pour des
raisons sociales et historiques déterminées- à être déterminantes par elles-mêmes, lorsque,
en vertu de cette tension expressive indépendante qui les connecte fonctionnellement, ces
deux déterminations sont converties en substrat ou en substance d'une forme d’existence
autonome -la Werthform, "forme [d’existence comme] valeur” ou forme d'existence par et
pour le marché-, la première comme “substance de la valeur” et la seconde comme
“substance de la valeur d'échange”, le mode d'existence proprement marchand des objets
pratiques ou marchandise se constitue enfin réellement. Ce mode d'existence est le suivant :
l'objet pratique, pour exister en tant que tel –comme un bien/produit “social-naturel” ou
concret- doit d'abord exister comme objet d'échange. Toute la réalisation de l'objet pratique
se trouve donc pour autant essentiellement refonctionnalisée et déformée.
La relation entre l'objectivité sociale-naturelle et l'objectivité sociale d'échange dans l'objet
marchand, relation qui constitue la particularité de ce dernier, est la relation entre une forme
d'existence fondamentale et totale (concrète) de l'objet et une autre forme dérivée ou
partielle (abstraite) du même objet, relation dans laquelle la première forme, sans cesser
d'être la forme déterminante, se trouve subordonnée fonctionnellement à la seconde.
Il s'agit d'une relation de contradiction ou d'incompatibilité essentielle parce que, dans la
mesure où une partie du tout objectif social-naturel s'affirme de manière autonome en
marge de celui-ci, il récuse le sens de la synthèse pratique qui se réalise dans l'objet et ainsi
son intégrité ou sa totalité. (Voir la figure 3.)
 

Il y a une contradiction, selon Marx, entre les deux facteurs de la forme marchande des
choses, la valeur ou "forme de valeur" et la valeur d'usage ou "forme naturelle". La
marchandise peut parfois perdre la "familiarité" de sa présence et devenir une réalité
étrange et gênante, parce que c'est une matière qui doit exister socialement de deux modes
simultanés, qui cependant s'excluent ou se rejettent réciproquement. Elle doit exister en
fonction de la nécessité imposée par l'équilibre qualitatif total et dynamique entre
l'ensemble des capacités et l'ensemble des besoins du sujet social, mais aussi, en fonction
d'une autre nécessité, celle qui est introduite par les résultats accidentels du combat
commercial entre producteurs et consommateurs d'énergie sociale indifférenciée ou qui
n'est déterminable que quantitativement.
Mais la contradiction entre la totalité de la chose concrète et sa partie quantitative
hypostasiée n'est perceptible qu'exceptionnellement dans la vie quotidienne des individus
sociaux privés. C'est une contradiction qui se trouve neutralisée, apparemment résolue ou
dépassée par le phénomène que Marx étudie dans le paragraphe 3 de ce premier chapitre du
Capital : le "dédoublement" de la marchandise proprement dite (MM) en marchandise
commune (M) et marchandise-argent (A).

Le deuxième aspect du point de départ

2.2.2. Le point de départ ou moment initial dans la première étape de l'argument introductif
du Capital, n’est complet que, lorsque, à la description de l'ensemble structuré des
déterminations fonctionnelles qui caractérise l'objet marchand, s'ajoute le traitement spécial
du sous-ensemble de déterminations qui constitue sa qualité spécifique de valeur, qualité
qui, en fait, est celle d’un objet spécifiquement marchand. Comme nous l'avons vu, la
relation fonctionnelle en vertu de laquelle la composition complexe et instable de l'objet
marchand (objet dans lequel la forme d'existence ou qualité sociale naturelle est
subordonnée à une forme d'existence ou qualité sociale d'échange) se synthétise
définitivement, est la relation d'expression/contenu qui unit les deux déterminations de cette
qualité de valeur qui lui est spécifique : elle articule la détermination “valeur d'échange”
avec la détermination “valeur”. (6)
Dans l'exposition minutieuse et complète que Marx fait pour expliquer les formes distinctes
de cette relation fonctionnelle que la valeur maintient avec son expression, la valeur
d'échange, il convient de mettre en évidence le schéma de ses idées centrales afin de
localiser exactement celles qui concernent plus directement la définition de la fonction et
des déterminations qui donnent à l'objet pratique marchand sa spécificité.
Avant tout, une distinction méthodique importante s’impose. Le thème culminant de ce
deuxième moment dans l'étude de la marchandise est la démonstration (contenue dans les
incises B, C et D du paragraphe 3 du chapitre 1) des raisons pour lesquelles le prix, c'est-à-
dire la modalité donnée de manière factice de la valeur d'échange dans le "monde des
marchandises" -la valeur d'échange contre l'or-monnaie en tant que marchandise
équivalente générale ou unique dans toute la société- s'avère être la réalisation la plus
achevée de la nécessité d'exprimer ses valeurs respectives dans chacune des marchandises
communes, actives ou «valentes ». Mais le thème central dont le point culminant est
proprement un corollaire, est l'analyse exhaustive (contenue dans l'incise A du paragraphe 3
du chapitre 1) de la forme dans laquelle se réalise, en général ou abstraitement -c'est-à-dire,
dans le cas d'un exemplaire singulier quelconque ("zufällig") ou typique de marchandise-,
l'expression nécessaire de la valeur comme valeur d'échange.

La valeur n'existe que si elle est exprimée

2.2.2.1. L'idée de la nécessité d'une relation fonctionnelle d'expression entre la valeur


(fonction de contenu) et la valeur d'échange (fonction de moyen d'expression ou forme de
manifestation) est à la base du traitement théorique des deux thèmes. Qu'il s'agisse d'une
marchandise quelconque ou de l'ensemble des marchandises, la valeur ne peut se constituer
effectivement comme telle –et cesser d'être simplement substance de la valeur, ou, en
d’autres termes, quantité de travail employée de fait dans la production privée d'un objet)-,
c'est-à-dire devenir la quantité de travail en moyenne nécessaire dans chaque cas ou chaque
situation sociale pour produire un objet marchand, que si elle se trouve en état d'exprimée.
Ce qui signifie que la valeur ne peut se constituer que dans la mesure où les prétentions
d'un producteur-propriétaire privé à avoir dans son produit une quantité détermine de
travail abstrait objectivée, sont reconnues et acceptées par les autres propriétaires-
consommateurs privés ; elle ne peut se constituer que dans la mesure où l'effectivité ou
réalité privée d'un produit comme objectivation de la dépense d'une certaine force de
travail, est convertie en effectivité ou réalité sociale comme partie aliquote de
l'objectivation de la dépense de toute la force de travail de la société.
Mais l’exigence de part de la valeur, d'être exprimée et constituée proprement comme telle
à travers la socialisation de sa substance individuelle, l’exigence de cette reconnaissance et
acceptation publiques d'une prétention individuelle, l’exigence d'une réalité privée à être
socialisée, constituent une nécessite qui ne peut affecter qu'a posteriori et de manière
extérieure et secondaire toutes ces substances (objectivations), prétentions ou réalités
privées, étant donné que, de par leur historicité concrète, moderne, elles sont
essentiellement asociales. C'est pourquoi, il s'agit d'une exigence d'expression de la valeur
(ou socialisation de la substance de la valeur) qui ne peut se satisfaire que de manière
également asociale ou extérieure, sans accord subjectif ou interindividuel et donc par
hasard ou sans nécessité ; elle ne peut se constituer que dans l'établissement casuel d’un
rapport entre choses ou purement objectif -dans l'épreuve de force du marché et sa
concurrence- comme une valeur relative ou d'échange pour la marchandise dans laquelle la
valeur s'exprime.
Dans la partie culminante de cette approximation particulière à la spécificité de la forme
objective marchande, en étudiant l'expression relative unifiée de toutes les valeurs du
"monde des marchandises" comme une infinité de prix distincts, c'est-à-dire, comme une
infinité de réflexes dans le "corps" de l'argent ou de la marchandise équivalente générale,
on étudie les conditions formelles de réalisation de l'expression généralisée des valeurs de
toute la société des producteurs–propriétaires-consommateurs privés. On étudie le
mécanisme (“la main invisible”) qui permet à l'expression de la valeur de toutes les
marchandises d’établir une harmonie entre les tendances expressives de chaque
marchandise et les tendances expressives de l'ensemble des marchandises.
Trois remarques de Marx se détachent particulièrement dans l'étude des conditions
formelles de réalisation de l'expression de la valeur marchande comme expression–
singulière-abstraite ou expression de la Marchandise en général.

L'unité marchande minime : deux marchandises

2.2.2.2. La première remarque concerne le processus qui se condense dans le fait que la
valeur d'une marchandise ne peut s'exprimer que de manière relative, c’est-à- dire dans une
relation de valeur ou relation d’équivalence entre cette marchandise et une autre
marchandise différente.
 
Cette relation d'équivalence implique nécessairement (voir la figure 4):
a) qu'au moment où elle s'exprime, la valeur (Va) d'une marchandise (Mr) engage la valeur
d'usage (Bb) d'une autre marchandise (Me), s'y reflète et se convertit ainsi en la valeur
d'échange (VEa) de la marchandise à laquelle elle appartient;
et b) que la forme ou mode d'existence marchand des objets pratiques se"dédouble"
structurellement ; la Marchandise (M) ne peut exister qu'en tant que c'est un couple de
marchandises avec chacune un caractère marchand différent, antagonique mais
complémentaire : marchandise ayant un caractère ou une fonction valente, relative ou
active (MR, celle dont la valeur s'exprime) et marchandise ayant un caractère ou une
fonction équivalente, corrélative ou passive (ME, celle dont la valeur d’usage sert au reflet
de l'autre). En termes sociaux généraux, ce dédoublement se consolide dans les deux types
des marchandises qui existent empiriquement dans le monde des marchandises : la
marchandise commune (M) et la marchandise-argent ou monnaie (A).
 
La sur- et l’infra -détermination complémentaires de la valeur d'usage.

2.2.2.3. La deuxième remarque concerne la modification nécessaire, antagonique mais


complémentaire, que subissent les formes sociales-naturelles respectives (valeur d'usage et
caractère de produit) des deux types différents de marchandise qui se constituent dans la
relation d'équivalence.
Marx concentre son attention sur la modification que subit la valeur d'usage de la
marchandise passive, corrélative ou équivalente. Celle-ci, dit-il, devient "plus significative"
("bedeutet mehr"). Sa valeur d'usage devient "double": à côté de sa valeur réelle, sociale-
naturelle, elle en acquiert une autre purement formelle et exclusivement sociale, celle de
servir de "corporéité" ou matérialité à la valeur.
La présence globale de la marchandise équivalente ou passive, en qualité de présence
immédiate et syncrétique pour les individus sociaux producteurs/consommateurs, est ainsi
une présence sur-déterminée. Un caractère hypersocial abstrait se superpose nécessairement
au caractère social premier de son intégration comme produit/outil dans le processus de
reproduction sociale. La marchandise équivalente est un objet fétichoïde fort : le niveau
"sacré" absorbe chez lui le niveau "profane"; son "hyper socialité" abstraite étouffe sa
socialité concrète. Mais ce qui est surcharge de socialité (réduite ou abstraite) dans le cas de
la marchandise passive ou corrélative est, inversement et de manière nécessairement
complémentaire, ratification de socialité (totale ou concrète) dans le cas de la marchandise
active ou « valente ». On pourrait dire qu'elle devient "moins significative". Tant sa valeur
d'usage que son caractère de marchandise produite, entretiennent avec le sujet
consommateur/producteur en tant que sujet essentiellement social, de composition
différentielle ou communautaire, une liaison sous-déterminée, amoindrie, contrainte ou
réprimée. Comme présence empirique concrète, elle possède donc un caractère hypo-
social ; elle est isolée, indépendante, arrachée de l'ensemble. C'est la présence d'un objet
fetichoïde faible: le niveau "profane" absorbe chez lui, le niveau "sacré"; son infra-socialité
concrète assèche sa socialité abstraite.

La neutralisation de la contradiction marchande

2.2.2.4. Finalement, et par-dessus tout, la partie centrale de cette description critique de la


spécificité de la marchandise rend compte du mécanisme grâce auquel la contradiction
inhérente à la structure des objets pratiques marchands, contradiction entre leur forme
sociale-naturelle et leur forme de valeur, disparaît du champ de la perception immédiate ou
empirique, lorsque la valeur d'une marchandise s'exprime dans la valeur d'usage d'une autre
marchandise.
Les contradictions éclatent ou bien se trouvent déviées ou neutralisées. (Voir le début du
paragraphe 2 dans le chapitre 3.) La contradiction marchande n'éclate que dans les
situations de crise ; le reste du temps, elle est imperceptible et semble même inexistante. En
effet, les deux pôles de cette contradiction -la valeur d'usage et la valeur- n'ont pas
normalement à se rencontrer au même moment ni dans un même lieu, elles n'ont pas à se
rencontrer dans un même "corps" de marchandise. Dans la mesure où la valeur peut-être
presque toujours en processus d'expression, et où la relation d'équivalence est presque
toujours en train de se réaliser, les deux pôles marchands qui se repoussent se trouvent
répartis en deux "corps" de marchandise : le pôle "valeur d'usage" se trouve dans le corps
de la marchandise active ou relative, le pôle “valeur”, dans le corps de la marchandise
passive ou corrélative. La marchandise existe donc alternativement dans ses deux formes
contradictoires.
Ajourné, relégué dans l'espace, l'éclatement (et pour autant le véritable dépassement) de la
contradiction inhérente à la forme marchande des objets pratiques reste ainsi toujours en
suspens. Mais il ne disparaît pas réellement. Il agit de manière subtile sur la vie quotidienne
des individus sociaux privés ; il les harcèle imperceptiblement ; il leur rend la vie
impossible. En effet, ils aimeraient parfois se demander comment il est possible de
produire, dans des conditions privées, des produits dont la composition technique est
nécessairement coopérative. Comment est-il possible de consommer, dans des conditions
privées, des biens dont l'aptitude à satisfaire s'adresse nécessairement à la jouissance
collective?

   (1)  “Nur ein vir obscurus , der  kein Wort des Kapitals  verstanden hat … [kann]
übersehen, …dasz also bei mir der Gebauchswert  eine ganz  andere wichtige
Rolle spielt als in der  bisherigen Ökonomie.” Notes marginales au Manuel d'Economie
Politique de A.Wagner, M.E.W. t.19, pp.369 et 371.  (volver)

  (2) Voir B. Echeverría, Discurso de la revolución, discurso crítico, in "Cuadernos


Politicos” nr.10, México 1970. (volver)

  (3) Le thème du double caractère de la marchandise (chap. I, 2) sera repris dans


un cadre plus complet et plus adéquat, dans le cinquième chapitre. (voir B.
Echeverría: Esquemas gráficos para el estudio del capítulo 5 de El Capital, en
“Investigación Económica", n. 4, México 1977). La première approximation aux
thèmes du fétichisme (chap. I, 4) correspondrait à juste titre, amplifiée de façon
adéquate, à la fin de la Premiere Section (Voir B. Echeverría: El concepto de
fetichismo en el discurso revolucionario,  revue “Dialéctica”, nr. 4 , Puebla 1977).
(volver)

 (4) Conjointement à cette analogie avec l’objet fétiche ou chose profane/sacrée,


Marx utilise également la métaphore du chrétien ou être humain composé de corps
et âme pour se référer à la dualité propre à la structure marchande (il parle du
"Warenkörper" comme support de la "Warenseele"). (volver)

  (5) Sur la distinction entre strate de la substance (de la matière formée) et strate
de la forme et entre plan de l’expression et plan du contenu à l'interieur des deux
strates, voir Louis Hjemslev, La stratification du langage, in: Essais Linguistiques,
Ed. De Minuit, Paris 1971. (volver)

 (6) Dans le paragraphe 3 du premier chapitre, Marx étudie la valeur d'échange


comme niveau abstrait de la valeur d'usage qui devient autonome et sur-détermine
la première. Pour ce faire, il étudie cette valeur d'échange comme la forme dans
laquelle s'exprime ou se manifeste la valeur de la marchandise; c'est-à-dire, il
étudie la relation fonctionnelle d'expression qui constitue proprement la forme
d'existence social-d'échange ou forme d'existence comme valeur de l'objet
pratique. Forme de la valeur comme “forme d' expression” et forme de valeur
comme “forme d'existence" sont habituellement désignées en allemand par le
terme "Werthform"; cependant, dans la note 24 (1ère édition), Marx essaye de
marquer leur différence conceptuelle en appelant la première "Form des Werths” et
la deuxième “Werthform". (volver)

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