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M François D'Hauteville

La grande distribution alimentaire: la recherche est-elle en


phase avec l'histoire?
In: Économie rurale. N°255-256, 2000. pp. 72-85.

Abstract
Food large distribution: is research in accordance with history? - The author presents a historical view of modern retail,
particularly since the 1960 years. He points out factors such as that technological changes in the information systems, the
emerging economic power of retailers and the new fears of the consumer explain some of the new concepts that emerge in the
relationships between retail and its suppliers. He looks into research work at INRA since 1978 by agro economists and
management scholars, and finds that there is a lag between this academic production and the importance of current debates on
these matters. He suggests some explanations and reviews briefly some of the conceptual tools that may help explore the
economics of food retail, and the changes that are occuring in vertical relations in the food sectors.

Résumé
L'auteur présente un tableau chronologique des événements qui ont marqué l'histoire de la distribution moderne, en particulier
depuis le début des années 1960. Il signale les principaux thèmes de débat récents et l'émergence de nouveaux concepts liés
notamment à l'accélération de la révolution informatique, au pouvoir économique acquis par les groupes de distribution, et les
nouvelles inquiétudes du consommateur. Analysant ensuite la production des chercheurs en économie de l'INRA depuis 1978, et
plus généralement de la production académique en économie et gestion, il constate un décalage entre les débats actuels et la
recherche consacrée à la distribution alimentaire. Il suggère quelques explications et signale la richesse de la panoplie des outils
conceptuels qui permettent d'aborder l'étude d'un phénomène économique de première grandeur qui ne peut qu'affecter en
profondeur l'amont des secteurs alimentaires

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D'Hauteville François. La grande distribution alimentaire: la recherche est-elle en phase avec l'histoire?. In: Économie rurale.
N°255-256, 2000. pp. 72-85.

doi : 10.3406/ecoru.2000.5158

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecoru_0013-0559_2000_num_255_1_5158
Ill François D'HAUTEVILLE

I
a grande distribution alimentaire:

la recherche est-elle en phase

avec l'histoire?

La distribution alimentaire occupe aujour Nous tentons dans cet article de mettre en
d'huile débat public en raison des enjeux éco parallèle les travaux de la recherche académi
nomiques, sociaux, politiques créés par le dé que avec l'évolution de ce qu'on peut appeler
velop ement des Grandes surfaces aliment la distribution moderne.
aires(GSA). Chacun peut se rend compte en Une première partie présente une perspecti
effet de l'influence de ces entreprises sur ve historique de la distribution moderne de
l'équilibre des filières de production, sur les puis 1852 (création du Bon Marché) et met en
choix des consommateurs, sur l'aménagement relation les faits économiques et sociaux, les
du territoire et les règles de la concurrence. stratégies dominantes dans les canaux de dis
De nombreuses revues spécialisées tant pro tribution, et l'intervention des pouvoirs pu
fes ionnel es1 qu'académiques2 fournissent blics. Nous signalons les stratégies qui sont à
aux analystes et chercheurs la matière de leur l'œuvre sur la période la plus récente (les
réflexion et des outils d'analyse. L'abondance années 1960) dans la grande distribution al
même de l'information, sa mise en scène mé imentaire, et les débats que ces stratégies sus
diatique dans le débat politique et économique, citent.
alimentent l'impression de changements im Nous essayons dans une deuxième partie
portants et récents. d'identifier quelques thèmes de recherche en
Comment les chercheurs rendent-ils compte France qui sont porteurs d'analyses et d'inter
des débats actuels, et avec quels outils prétation du phénomène grande distribution.
d'analyse? Nous regardons plus particulièrement la pro
duction des chercheurs dont les travaux sont
1 . Pour la France et le secteur alimentaire, citons lsa répertoriés par l'iNRA, mais nous examinons
(Libre service actualité), Point de vente, Linéaires, également la place qui est consacrée à la gran
Rayon boissons dont les articles sont essentiellement
tournés vers les stratégies de la distribution et des re dedistribution dans d'autres courants de re
lations avec leurs fournisseurs. cherche en économie et gestion.
2. En France, les revues en marketing et gestion pré Cette mise en parallèle de l'histoire de la
sentent assez régulièrement des articles consacrés à
la distribution (Revue française de marketing, Deci grande distribution et des travaux qui lui sont
sions marketing...) Quelques revues anglo-saxonnes consacrés fait apparaître le caractère relativ
affichent une spécialisation sur ce thème, comme par ementtardif de l'intérêt porté par la recherche
exemple Journal of Retailing, The International Re
view of Retail, Distribution and Consumer research. française à la grande distribution alimentaire.
Économie rurale participe aussi au débat. On notera Nous évoquerons quelques-uns des dévelop
ainsi que la SFER a publié les actes du colloque pements conceptuels et théoriques qui peuvent
«Grande distribution alimentaire» qu'elle a organisé
à Montpellier les 22 et 23 mai 1997, ainsi qu'un nu être mobilisés pour rendre compte de ce phé
méro spécial «La grande distribution alimentaire», nomène économique dont la dimension pluri
Économie rurale, n° 245-246, 1998. disciplinaire rend l'étude problématique.

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La distribution,
lieu d'adaptation sociale, économique, technique

L'histoire de la distribution moderne montre réguler le développement de la grande distr


bien son insertion dans les changements so ibution et d'intervenir dans les rapports entre
ciaux, économiques et technologiques. Le fournisseurs et distributeurs. Ces interven
phénomène de la grande distribution aliment tions ne manquent pas de soulever d'âpres
aire3a pris une dimension accrue à partir des débats, notamment chez les juristes, quant au
années 1960. On peut ici énumérer quatre fac bien fondé et à l'efficacité de ces interven
teurs qui participent selon nous à l'explication tions (Ferrier, 1998, Graff, 1998).
de ce développement (D'Hauteville, 1998). 3. On voit aussi comment la diffusion dans
1. La concurrence par les prix imposée par l'ensemble du tissu économique et social des
les discounters à l'ensemble de la distribu technologies de l'information et des trans
tion alimentaire (G. Bardou, 1992) a contri ports s'accompagne d'innovations majeures
buéà l'abaissement des prix et rendu acces dans la gestion des circuits de vente: code à
sible à la majorité des consommateurs la barres, saisie optique des achats aux caisses,
plupart des produits autrefois réservés aux augmentation de la puissance informatique.
catégories plus fortunées. À l'inverse, la Ces innovations créent des situations nouvell
crise a poussé les classes les plus favorisées es pour les acteurs: que faire de ces «méga
à fréquenter régulièrement les hypers et bases» de données disponibles? Sont-elles
supermarchés (Méraud, 1992). De la sorte, à
source de pouvoir concurrentiel durable pour
la fin des années 1980, plus de 95 % des
les entreprises de distribution? Ne sont-elles
consommateurs français fréquentaient au
pas de nature à remettre en cause, et de façon
moins occasionnellement une grande sur
brutale, les situations acquises? Comment
face. La grande distribution a progressive
partager cette information avec l'ensemble
ment pris conscience de sa puissance, mar
de la filière pour en améliorer le fonctionne
quée notamment par l'expérience réussie des
ment, comment réexaminer les modes de
produits libres de Carrefour en 1976.
coordination traditionnels, plutôt fondés sur
2. Le développement rapide de la grande dis
des rapports de force? Ces innovations tech
tribution à partir des années 1960 a entraîné
niques coïncident avec l'apparition de nou
des conflits et des inquiétudes qui ont poussé
veaux concepts: Data Mining, EDI (Échanges
les pouvoirs publics à intervenir, dans
informatiques de données), ECR (Effective
l'objectif avoué de réguler la concurrence
avec le petit commerce indépendant, ou arbi Consumer Response), JAT (Juste à temps),
trer les rapports de force entre distributeurs Category Management susceptibles de tran
et fournisseurs. D'abord favorisé par la loi sformer en profondeur les relations dans les
Fontanet (1962), le grand commerce s'est vu filières et le jeu de la concurrence.
progressivement contesté dans ses pratiques Par exemple, le Category Management
et son développement jugé comme hégémon correspond à l'idée que la gestion de l'offre
ique.La loi Royer (1973) a inauguré une au niveau du rayon doit passer d'une logique
volonté nouvelle des pouvoirs publics de de filière définie par la technologie des pro
duits, à une logique d'univers de choix du
3. Une des caractéristiques du «modèle français» de consommateur qui se construit autour de s
distribution alimentaire (notamment au travers de ituations de consommations particulières (fê
l'hypermarché) se situe dans la coexistence dans un tes, petit déjeuner, enfants, exotisme...), ce
même point de vente d'un secteur alimentaire très
important et d'un «5e rayon», composé notamment qui conduit les enseignes à remettre en cause
des produits dits de bazar et des textiles, qui peut re les procédures d'achats et le profil de leurs
présenter jusqu'à 40 % de l'activité des enseignes. acheteurs (tableau 1)

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7aWeau 1. La distribution, lieu d'adaptation sociale, économique et technique: quelques étapes chronologiques
Facteurs économiques Stratégies dans les canaux Interventions publiques
5
<fl et sociaux
• La révolution taylorienne 1852, fin du XIXe siècle: la naissance • 1857 : loi sur les marques
et la dissociation des tâches. du commerce moderne et la propriété industrielle
• L'urbanisation et le besoin • Création du concept de grand magasin
de rationalisation des achats (Le Bon Marché, Boucicaut 1852).
(«les embarras de Paris») • Séparation des fonctions dans le canal,
entre production et commercialisation
» Domination du commerce de gros
Fin du XIXe siècle -1936 : Le commerce succursaliste • Loi de 1936 limitant l'ouverture
et associé des magasins populaires
• Le développement du commerce succursaliste
et associé
à Emergence
des
••Crise
deDéveloppement
grand
Montée
consommation
transformation
classes
premières
économique
tirage.
dupopulaires.
pouvoir
d'une
coopératives
de
1919
alimentaire
industrie
1930
lad'achat
Fédération
presse Apparition de nouvelles formes de commerce
pratiquant les achats groupés :
Succursalisme alimentaire
(Établissements Économiques de Reims, 1866,
puis Félix Potin, Viniprix, Goulet Turpin)
Chaînes volontaires entre grossistes et détaillants
(SPAR)
Magasins populaires (Monoprix, Prisunic, 1930)
sur le modèle Woolworth (1879) et la pratique
des achats groupés
• Le pouvoir des industriels s'affirme par les politiques
"«5 de marques, les prix imposés, le refus de vente,
$ en arbitrant le conflit naissant entre grossistes
et détaillants regroupés.
1 • Naissance d'un pouvoir • 7945-7963 : • Abolition de la loi de 1936
'■5
1 consommateur et d'une euphorie La doctrine Trujillo et le modèle américain • Circulaire Fontanet (1962)
sociale et économique • Premier supermarché en France interdisant les pratiques de refus
(le baby boom) (Goulet Turpin, 1948) et premier discount alimentaire de vente et des prix imposés :
I
S • La révolte poujadiste de 1956 (Leclerc, 1949). La baisse des prix et des marges le législateur prend parti pour
doit être l'objectif, d'où l'enjeu stratégique du chiffre le regroupement du commerce de
d'affaires et des volumes. détail.
• Création de l'ILEC, regroupant les fournisseurs :
uniformisation des tarifs, favorisant les volumes.
• Coopération des IAA avec la grande distribution
naissante (club GENCOD, 1972)
• Croissance économique 1963-1976: • 1973, La loi Royer réglementant
et consommation de masse. l'hypermarché et le triomphe des marques les ouvertures de grandes
• Motorisation et équipement des • Naissance de Carrefour en 1963 (M. Fournier) surfaces.
ménages permettant de prolonger • Le triomphe des marques du fabricant et l'alliance
la chaîne du froid jusque dans les avec la grande distribution, le déclin du petit
foyers commerce alimentaire non spécialisé.
• Mouvements sociaux violents de • Course aux implantations territoriales
la part du petit commerce (CID et concentration comme axes de croissance
UNATI) de la distribution

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Tableau 1. La distribution, lieu d'adaptation sociale, économique et technique: quelques étapes chronologiques
• Remise en cause de la croissance 1976-1986: • Ordonnance de 1986 visant
économique, émergence des « produits libres » aux super centrales à rééquilibrer les relations entre
du chômage structurel et • L'affirmation du pouvoir des distributeurs face fournisseurs et grande
des phénomènes aux industriels et conflit ouvert entre fournisseurs distribution :
de paupérisation. et distributeurs - délais de paiement
• Consumérisme entretenu • Les MDD de « première génération », - abus de position de force,
par l'innovation technologique basées sur l'imitation - interdiction de revente à perte
et l'individualisme social, • 1985, Les « super centrales » européennes - incitations
et l'arrivée sur le marché à la contractualisation
desbaby-boomers.
• Généralisation de
la fréquentation des grandes
surfaces par l'ensemble
des consommateurs.
• La diffusion des technologies 1986-2000 : de l'affrontement à la coopération ? • 1992 : Réglementation euro
de l'information dans tous • La responsabilité de l'enseigne vis-à-vis de péenne sur la qualité : IGP, AOP,
les domaines de la vie sociale. la qualité comme stratégie de différenciation : Certificats de conformité.
• La crise à partir des années 90, les MDD d'enseigne, les contrats de filière. • 1993 : gel des dossiers
la remise en cause du modèle • ECR et Trade marketing : de l'affrontement de demandes d'ouverture
de consommation et la saturation à des relations plus coopératives entre la distribution des grandes surfaces
du marché national. et ses fournisseurs. • 1996 : Loi Raffarin limitant
• La crise de confiance L'enjeu de la logistique : le développement l'implantation et l'extension
et nouvelles inquiétudes chez des plates-formes des grandes surfaces
le consommateur : émergence L'enjeu du traitement et du partage de l'information • 1996 : Loi Galland visant
du besoin de sécurité et de santé. consommateur saisie à la caisse à améliorer la transparence
• Le pouvoir économique et social Marque fabricant contre MDD. des transactions
de la grande distribution, • L'internationalisation comme axe principal dans le référencement.
en raison de sa concentration de la croissance Notion de « prix anormalement
accélérée, apparaît dans le débat bas»
social et politique et subit Redéfinition du statut des remises
une mise en questions. sur et hors factures

4. La crise de confiance des consommate tes en matière de qualité des aliments (Ro-
urs, entretenue par des événements tels chefort, 1997). Le succès des stratégies de
que la vache folle ou la question des OGM, qualité «terroir» et des produits «bio», ce
mais aussi la précarité généralisée des s lui des produits à vocation santé, l'intérêt
ituations sociales (travail, relations affecti porté à la garantie apportée par la traçabili-
ves)ou les atteintes à l'environnement té des produits attestent la réalité de ces
semblent se traduire par de nouvelles attentes nouvelles.

Les stratégies actuelles de la grande distribution alimentaire,


enjeux et débats

1. La croissance et le débat taires visant à défendre ou accroître leur part


sur la course à la «taille critique» de marché.
La saturation progressive de l'espace français On assiste ainsi à un double mouvement de
en matière d'équipement commercial consti concentration et d'internationalisation de la
tue sans doute un facteur déterminant de la grande distribution, qui s'accélère depuis
stratégie actuelle des grandes surfaces 1990 (Ducrocq, 1996). Ces stratégies sont

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1925. Plus récemment, Etienne Thil (1983)
s d'ordre patrimonial
contractuel (coopération,
(fusion,
associations
absorption)
en su
ou
observe les changements de stratégie de la
per centrales). distribution anglaise dans les années 1970, qui
La référence à la taille critique, sans que ce opte à cette époque pour une concurrence ba
concept soit précisé ou clairement justifié, est sée sur la différenciation plutôt que sur la
1 fréquemment mise en avant dans l'argument baisse des prix et oppose cette méthode à celle
ation des dirigeants lors des grandes et récen de l'affrontement sur les prix qui s'observe en
a
(D
«A tes opérations de fusion/absorption largement France.
médiatisées. La question est de savoir si, dans L'affrontement a atteint son paroxysme au
le cas d'une industrie de distribution (coûts milieu des années 1980, les industriels accu
fixes faibles au regard des coûts variables, sant la grande distribution de détourner la
importance du service individualisé au niveau valeur ajoutée de leurs produits en abusant de
local), la recherche d'économies d'échelle ou leur pouvoir de négociation. Les pouvoirs
les effets d'expérience sont des facteurs dé publics, sensibles à ces arguments ont été
terminants par rapport à d'autres sources conduits à intervenir par les ordonnances de
d'avantages concurrentiels. Examinant les 1986, visant notamment à améliorer la tran
variables d'action de la stratégie des distribu sparence des transactions et à limiter les prat
teurs, Filser (1998) remet en cause l'existence iques de déréférencement abusif5.
d'une courbe en U qui relierait la performan
La dispute a conduit les chercheurs à s'in
ce à la taille de l'entreprise de distribution et
1 terroger sur la réalité et les mécanismes de
qui révélerait ainsi l'existence d'une taille cri
ces détournements supposés, et leurs influen
tique. Pour cet auteur, l'effet de taille sur la
ces éventuelles sur le jeu de la concurrence et
"5
o performance est moins significatif que le vo
le fonctionnement du marché. Simon Parien-
lume des ventes réalisé par catégorie de pro
te (1989) analyse ainsi les performances f
duits, la taille relative par rapport aux concurr
inancières comparées des principaux produc
entsou les rapports de dépendance pouvant
teurset distributeurs français de produits
'■5 résulter de la part du distributeur dans les
alimentaires et rejette l'hypothèse d'un trans
ventes de ses fournisseurs, ou encore l'ind
épendance acquise au moyen des marques de fertde valeur ajoutée. Il conclut même que
i distribution. les grands fournisseurs ont amélioré leur per
formance financière entre 1984 et 1988 au
moins autant que les grands distributeurs.
2. Pouvoir oligopolistique Alain Cotta examine le processus de propa
et concurrence gation des conditions d'achat à l'ensemble
Depuis quelques années, le discours de la des concurrents dans son analyse économi
grande distribution insiste sur la transformat que du conflit entre l'oligopole des indust
ion des relations fournisseurs-distributeurs. riels et celui des distributeurs (1985, 1986).
L'affrontement jusqu'ici dominant, imposé Il conclut à l'efficacité économique de l'opa
par les discounters comme Leclerc et Inte citédes transactions entre membres d'oligo
rmarché (Bardou, 1992), ferait progressive polescomprenant un petit nombre d'opérat
ment place à la coopération avec les fournis eurs.Ces conclusions un peu surprenantes
seurs4. En France, le débat n'est pas nouveau alimentent le débat sur le rôle de l'informa
depuis qu'il a été rapporté par Elvinger dès tion dans l'efficacité économique résultant
de la transparence des marchés. Il faut sans
4. Le conditionnel reste de mise, car selon les four
nisseurs français, la culture d'affrontement reste en 5. Un déréférencement est considéré comme abusif
core vivace, même si nos enquêtes (Codron et lorsqu'il est utilisé exclusivement pour faire pression
d'Hauteville, 1996) confirment un apaisement dans sur un fournisseur en vue d'obtenir de lui un avanta
leurs relations avec leurs clients grands distributeurs. ge non négocié.

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doute limiter la portée de ces analyses et de L'innovation accroît le niveau d'expertise
ces conclusions, car elles portent essentiell et les investissements nécessaires, (par
ement sur les partenaires de l'oligopole et ne exemple en camions à température contrôl
prennent pas en compte la multitude des pet ée), et la distribution tend aujourd'hui à conf
its fournisseurs constituant les «franges» de ier le pilotage de la logistique à des entrepri
l'oligopole des iaa. ses spécialisées, créant un nouveau champ de
L'entrée massive du «maxi-discompte» à relations contractuelles complexe avec de
partir des années 1990 sur le marché français nouveaux opérateurs ce qui peut remettre en
cause la définition classique des filières (Pa-
a sans doute conduit à la prise de conscience
des limites de la concurrence par les prix et ché, 1998).
poussé les opérateurs français à regarder vers
Le marketing des produits et l'innovation
les USA, ou Wall Mart innovait dans ses rela
tions avec ses fournisseurs avec un nouveau Les limites de la concurrence par les prix ont
concept, l'ECR6. conduit les distributeurs français à mettre en
place des stratégies de différenciation par le
La réflexion stratégique des distributeurs
marketing permettant d'acquérir un avanta
s'est donc enrichie en se portant vers toutes
ge concurrentiel plus durable, au moyen de
les dimensions des relations avec leurs four
l'innovation produit, des marques de distr
nisseurs, pour y découvrir de nouvelles pos
ibuteur, des contrats de filières, du category
sibilités de création de valeur: la logistique
management, et la fidélisation du consomm
des approvisionnements, le marketing des ateur.
produits et la fidélisation des clients.
Malgré les effets d'annonces et l'exposé de
quelques cas encore isolés, l'innovation pro
3. De nouvelles zones de coopération? duit reste encore le domaine quasi exclusif
des fournisseurs et ne se traduit guère par des
La maîtrise logistique dispositions contractuelles permettant à la
distribution de maîtriser la rente de l'innova
La technicisation de la vente se traduit par le
tion produit (D'Hauteville et ai, 1996). Ceci
découplage progressif des flux physiques, f
peut cependant évoluer avec les change
inanciers et d'information (Des Garets, 1991).
mentsqui se dessinent aujourd'hui, avec la
Ce découplage a favorisé l'émergence d'une
mise en œuvre de contrats de filières et le
spécialisation logistique placée sous la maîtri renforcement des stratégies de marques de
se progressive de la distribution et la structu distributeurs.
ration de la logistique autour des plates-fo
rmes (Montigaut, 1995; Green et Schaller, Les marques de distributeur (mdd)
1996).
Jusqu'à une période récente, des auteurs ont
pu contester la légitimité de pratiques prédat
6. ECR, ou «Efficient Consumer Response» est un
concept récent, formalisé par la firme Coopers et Ly- rices et de plagiat de la part des grands distr
brand en 1993, pour décrire les terrains de coopérat ibuteurs (Kapferer, 1992) alimentant ainsi le
ion possibles entre les fournisseurs distributeurs débat sur la concurrence déloyale de la distr
dans un double objectif: améliorer les coûts (sati ibution vis-à-vis de ses fournisseurs. Cepen
sfaction accrue du consommateur) et mieux partager
les gains dans la gestion verticale des canaux (la né dant, les pratiques des MDD tendent
gociation «gagnant-gagnant»). La popularité de ce aujourd'hui à prendre des formes plus élabo
concept est liée à la performance de Wai Mart, que rées, et servent de support à de véritables axes
les observateurs attribuent pour une large part à la de différenciation susceptibles de favoriser la
mise en application de l'ECR. On pourra se référer
aux contributions sur ce sujet de M. Vandaele, et de fidélisation des consommateurs par le biais
Bennoun
n° 15, sept.-dec.1998.
et Hélès-Hassid, dans Decision Marketing d'une qualité reconnue (Ducrocq, 1993). Ces
stratégies différenciées correspondent à des

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formes relationnelles et contractuelles qui mér contribue à faire évoluer la logistique vers le
iteraient sans doute d'être mieux repérées et «juste à temps». Elle donne également un
analysées. On en tire notamment l'impression nouveau souffle au géo-marketing grâce à
que les enseignes seraient parfois conduites à une connaissance fine de la zone de chalan-
abandonner une partie de leur pouvoir de dise du point de vente. Elles permettent au
Il coercition pour obtenir une meilleure presta détenteur des informations comportemental
ta tionde leurs fournisseurs (Bouvier Patron et es sur les individus de réaliser un marketing
al, 1998). très ciblé et d'en mesurer directement l'eff
I
icacité sur les ventes8.
Les contrats de filière La disponibilité et l'exploitation de ces ba
♦*
"5
S
3 Les inquiétudes du consommateur (Roche- ses de données ouvrent donc de nombreux
fort, 1997) incitent fortement les distributeurs domaines d'interrogation, de débats et l'ap
à sécuriser leurs clients par des politiques de parition de nouveaux métiers liés à l'exploi
traçabilité, dans les secteurs dans lesquels tationet la gestion des informations conte
"I
aucun signe de qualité ne s'avère efficace nuesdans ces bases (le data mining). On voit
pour apporter une garantie suffisante au con bien comment une connaissance personnali
sommateur. C'est notamment le cas des pro sée des clients permet au distributeur de con
duits frais (viandes et fruits et légumes) des trôler la politique de promotion de ses four
produits biologiques ou des produits suscepti nisseurs et de contester ses préconisations en
bles de contenir des OGM. Ces stratégies sup terme d'assortiments et de merchandising.
posent des changements organisationnels qui On voit aussi comment l'exploitation de ces
peuvent se traduire par des avantages stratég données nécessite un savoir-faire et des i
iques durables. nvestis ements informatiques qui sont diffic
I
ilement maîtrisables par les distributeurs eux-
Le data base marketing, nouvel enjeu mêmes, ce qui favorise l'émergence de nou
de la relation fournisseur distributeur
veaux acteurs dans le processus de décision
'■5 La saturation du marché conduit les distribu et la relation fournisseur-distributeur, comme
teurs à porter une attention accrue à la fidéli- les concepteurs et gestionnaires de panels
sation de leurs clients (Trinquecoste, 1996) scannérisés. On voit enfin l'enjeu stratégique
par une meilleure maîtrise de la présentation que représente le partage de l'information
des assortiments, non pas en fonction des ca obtenue, entre l'exercice d'un pouvoir accru
ractéristiques techniques et des filières des de la part du distributeur et son souci de
produits, mais en fonction des univers de con rendre ses fournisseurs plus efficaces.
sommation des acheteurs. C'est l'objectif du
Une triple convergence de facteurs crée
category management, qui conduit à repenser
donc de nouveaux champs de coopération et
la coordination des approvisionnements et
de conflits pour maîtriser la valeur ajoutée
contribue à créer de nouveaux termes de conf
dans les canaux: la concurrence entre les en
lits avec les fournisseurs7 (Dussart, 1996).
seignes (qui les pousse à rechercher des
L'utilisation des données scannérisées rend avantages concurrentiels plus durables), les
disponibles des mega bases de données per exigences nouvelles des consommateurs en
mettant de relier en temps réel des comporte matière de sécurité et de santé, et les techno
ments d'achat avec les caractéristiques des logies de l'information qui modifient les mo
acheteurs. Cette innovation technologique des de coordination des acteurs.

7. Un exemple est fourni par des rayons tels que 8. On trouvera plusieurs contributions dans le
«petit déjeuner», «grignotage», «traiteur», où peu numéro 7 (janvier-avril 1997) de la revue Decision
vent cohabiter des produits issus de filières différen Marketing consacrée au thème du databased market
tes (épicerie, frais, surgelé). ing.

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On comprend ainsi le succès du concept inversant l'ordre chronologique du choix lui-
«d'ECR» conçu comme modèle nouveau de même ou en favorisant des formes virtuelles
coordinations multiples dans un jeu à' trois de l'offre de produits.
dans lequel les fournisseurs-distributeurs se Jusqu'ici, on considère que le consommat
concurrencent et se complètent à la fois pour eur choisit d'abord un point de vente qu'il
gagner la fidélité du consommateur. considère comme globalement satisfaisant en
terme d'offre, avant de choisir dans un
te commerce électronique deuxième temps les produits parmi l'assort
et les nouveaux consommateurs iment du magasin. Dès lors que les consomm
L'apparition du commerce électronique con ateurs seraient en position de simuler leurs
tient des perspectives de déstabilisation des achats avant de se rendre au point de vente,
réseaux commerciaux existants. L'accès du certains d'entre eux pourraient inverser cet
consommateur à des bases de données inte ordre ou effectuer des achats simultanément
ractives des fabricants ou des distributeurs dans plusieurs points de vente. Ces modificat
peut contribuer à lui donner une maîtrise ac ions de comportement renouvellent l'enjeu
crue de ses processus de choix. Ce choix n'est de la fidélisation du consommateur au point
en effet plus limité par l'assortiment du point de vente et aux marques de produits.
de vente dans lequel il s'est rendu ou par le L' hyperchoix peut aussi rester virtuel jus
nombre de pages du dépliant publicitaire qu'il qu'au moment de la décision du consommate
aura pu consulter. Conceptuellement, son ur. La présence physique de l'offre de pro
choix devient un hyperchoix, dans lequel des duits n'étant plus nécessaire, de nouvelles
moteurs de recherche dits «intelligents» lui formes de vente peuvent voir le jour, dès lors
permettront de mettre l'ensemble de l'offre de que les problèmes logistiques pourraient être
produits en concurrence et de sélectionner en résolus dans des conditions économiques ac
fonction de ses préférences et de ses expérien ceptables. De nouvelles formes de concur
ces cumulées. rencepourraient donc apparaître, basées sur
Cette situation nouvelle peut avoir des des nouveaux équilibres de coûts et sur l'i
conséquences importantes sur les comporte ndividualisation des flux de marchandise vers
ments d'achats alimentaires, par exemple en un client devenu. . . roi !

Points de vue
et courants de recherche en gestion

1. Une revue des travaux industrielle, pour repérer les thèmes de tr


sur la grande distribution alimentaire avaux directement liés au phénomène de la
grande distribution.
Nous avons choisi de regarder la production
scientifique de chercheurs en sciences socia Les travaux des chercheurs de I'inra
leset économiques de I'inra au cours des Soixante-sept documents (articles, papiers de
dernières années. Nous avons également ana recherche, communications) ont été analysés
lysé le contenu de cinquante-quatre communic à partir du fichier des publications annuelles
ations présentées au colloque «Grande distr des chercheurs de I'inra, répertoriées depuis
ibution alimentaire» organisé par la SFER à 1983 (titres et résumés). La sélection a été
Montpellier en mai 1997. Pour compléter cet obtenue sur les deux mots clés «distribution»
teanalyse, nous avons également recherché et «distribution alimentaire», après élimina
du côté des revues de gestion et d'économie tion de quelques doublons.

Économie Rurale 255-256/Janvier-avril 2000


Ces travaux ont été classés sur la base des ticles étant orientés sur une analyse globale
thèmes principaux affichés dans le titre et re des filières alimentaires.
pris dans les résumés. Il nous a semblé pou Si on s'intéresse aux cadres d'analyse qui
voir en détecter sept: stratégie des distribu semble justifier la démarche des auteurs, on
teurs dans le canal, les relations verticales constate qu'une écrasante majorité des tr
dans les filières, l'interface fournisseur distr avaux prend comme cadre l'étude de filières
(47 sur un total de 67). Trois études ont pour
ibuteur, la logistique, les prix, la qualité, le lien
objet les stratégies des GSA en général, les
consommateur point de vente (cf. tableau 2).
politiques de marques, ou un cadre concept
La part d'interprétation est importante, plu
uel d'analyse. Pour dix-sept autres, le titre
sieurs de ces thèmes pouvant être présents ou l'absence de résumé ne permet pas de
dans la même d'étude. conclure aisément. La viande (16 travaux),
î On remarque que les soixante-sept travaux les fruits et légumes (13 travaux) et dans une
analysés sont le fait de vingt-quatre auteurs moindre mesure, le vin, sont les filières qui
seuls ou cités en premier lorsqu'il s'agit d'un fournissent des données empiriques ou qui
travail collectif, soit un peu moins de trois constituent le thème central de l'étude.
articles par auteur principal sur la période.
Sur ce nombre, dix auteurs n'apparaissent Le colloque
€< Grande distribution alimentaire»:
qu'une fois, tandis que trois auteurs se parta analyse de 54 communications
1 genttrente articles à peu près en nombre égal Ce colloque international était largement
chacun. On peut donc en conclure qu'une ouvert aux chercheurs en économie, en ges
douzaine d'auteurs à l'iNRA s'intéressent à la tion et en sciences juridiques. Un repérage
*S distribution d'une façon prioritaire, sans tou sur l'ensemble des communications, de
tefois pouvoir préciser qu'il s'agit de la gran même nature que celui effectué sur les cher
dedistribution en particulier, beaucoup cheurs INRA figure au tableau 2.
*(A
Tableau 2. Grande distribution alimentaire:
Analyse des articles par les chercheurs en économie selon le thème principal de l'étude
i Comport. Filières Relation Qualité Consom Logistique Prix TOTAL
0) Perform. fourn. mateur
distrib.
Travaux INRA 1978-1997 31 19 3 9 9 8 7 67
Colloque SFER 1997 17 11 13 7 7 3 1 59*
*Le total peut être supérieur au nombre des études, certaines études comportant deux thèmes principaux.

Cette double liste de travaux est révélatrice logies de l'information (bases de données,
par ses manques. Il est tout de même surpre internet) sur le fonctionnement des filières
nantque la question des prix et des profits n'apparaissent que dans les articles centrés
soit aussi peu présente, si on considère que sur la logistique.
cet élément est central dans les recherches En ce qui concerne la manière d'aborder
sur les canaux de distribution aux usa, et les phénomènes, nous notons que parmi les
qu'il alimente fortement la controverse entre cinquante-quatre communications du collo
fournisseurs et distributeurs. Aucune étude queSFER, onze étaient construites à partir
ne se focalise sur la question de la taille, de d'une approche théorique ou conceptuelle à
l'internationalisation, des alliances et du visée explicative, deux proposaient une mod
pouvoir économique alors que ces questions élisation validée par des approches écono
sont au cœur du débat public. La question métriques, les autres pouvant être classées
enfin des implications des nouvelles comme des études de cas ou des analyses

80 Economie Rurale 255-256/Janvier-avril 2000


descriptives de comportements à partir de Ce ne semble pas être le cas. Depuis sa
données empiriques. création en 1975, la Revue française de ges
Même en tenant compte d'une part impor tion n'ouvre ses colonnes que de façon inter
tante d'arbitraire dans les ventilations que mittente à la distribution (une vingtaine d'ar
nous avons effectuées, on peut avancer que la ticles seulement sur la période 1975-1998,
recherche que nous avons observée participe dont une partie importante sur la logistique).
à l'amélioration de la connaissance des com Il est même intéressant de constater qu'un
portements d'acteurs dans les canaux, mais numéro spécial de 1996 consacré au métier
qu'elle néglige encore certains aspects des
de dirigeant est exclusivement consacré à la
transformations actuelles dans le commerce
alimentaire et propose peu d'analyses con grande industrie. Les premiers articles appa
ceptuelles permettant d'interpréter les phé raissent à partir de 1979 (sur le thème de la
nomènes observés. logistique), soit très postérieurement à la pri
se de pouvoir reconnue de la grande distribu
La recherche en gestion tion dans le jeu économique national. Les
et en économie industrielle premières thèses sont datées de 1975, puis
Notons d'abord qu'il n'existe pas de revue 1982. La première contribution proposant
scientifique française consacrée au commerce une vision intégrée, conceptuelle du phéno
de détail (note 2, supra). Parmi les revues mène par Marc Filser, date de 1985. Un pre
françaises à caractère scientifique plus génér mier état des recherches, par le même auteur,
alistes, la Revue française du marketing est est présenté en 1992.
sans doute la première à avoir présenté depuis La revue à' Economie industrielle, quant à
près de 35 ans des articles consacrés à la dis elle, ne consacre aucun article sur le thème
tribution, en général dans une optique de mar
de la distribution jusqu'en 1985, date à la
keting management qui considère la distribu
quelle apparaît un débat sur la notion de filiè
tion comme une des variables du marketing
mix. Créée plus récemment (1994) par l'Asso reet de découpage d'un système. Un numéro
ciation française de marketing, la revue Deci spécial (n° 43) sur les services en 1988 ne
sion marketing présente régulièrement des ar mentionne pas la grande distribution comme
ticles consacrés aux stratégies de la faisant partie de cette catégorie.
distribution et plus particulièrement sur les Paradoxalement, les grandes entreprises de
transformations liées à la révolution informa distribution alimentaire ne paraissent pas
tique en cours. spontanément faire partie intégrante de l'uni
Le tableau 3 présente une étude bibliogra vers de l'industrie ou des services, mais pour
phique citée dans les ouvrages et articles de autant, elles ne constituent pas non plus une
référence en gestion, dans l'ordre d'appari catégorie économique qui inspire les revues à
tion des thèmes principaux de recherche. On caractère académique.
constate ainsi que ce n'est qu'au tournant de
1980 qu'apparaissent les premières thèses
universitaires et les contributions les plus no 2. Faire de la recherche
tables rendant compte des questions posées sur la grande distribution alimentaire?
par la mutation du commerce moderne.
Il pouvait donc être intéressant de regarder Cette analyse sans doute trop sommaire, nous
vers les grandes revues «généralistes» que semble montrer un double décalage, histor
sont la Revue française de gestion et la revue ique et thématique, entre l'émergence d'un
d' Économie industrielle pour savoir si la phénomène économique majeur et sa prise en
question de la distribution constituait un th compte en tant que telle par la recherche aca
ème de réflexion important et récurrent. démique.

Économie Rurale 255-256/Janvier-avril 2000


Tableau 3. Thèmes de la recherche en gestion sur le commerce et la distribution :
quelques repères chronologiques
1925 Elvinger F. La lutte entre l'industrie et le commerce (ouvr.)
1964 Avril Paul Théorie sommaire de la distribution des biens de consommation (ouvr.)
1966 Thil Etienne Les inventeurs du commerce moderne (ouvr.)
1975 WechsIerB. Les rapports industrie distribution dans le secteur alimentaire en France (thèse)
1981 GuilbertF. La stratégie promotionnelle de l'hypermarché et son impact sur les consommateurs :
le cas des biens durables (thèse)
1981 FadyA.,SeretM. Merchandising (ouvr.)
1982 Tordjman André Les services de la distribution : concurrence dans le commerce (thèse)
1982 Chirouze Yves Le choix des canaux de distribution (ouvr.)
1983 Roger P. Description du comportement spatial du consommateur client de l'hypermarché (thèse)
1983 TixierD.,MathéH.,GlinJ. La logistique au service de l'entreprise (art.)
1984 Camous Pierre Le commerce aujourd'hui : une industrie de la nouvelle société marchande (art.)
1984 BossJ.-F.DoblerH., L'évolution du commerce en France (art.)
Mercier G.
1985 Filser Marc La dynamique des canaux et formules de distribution (thèse)
1985-86 Cotta Alain Distribution, concentration, concurrence (art.)
1986 Paché G., Colin J. La logistique de distribution (ouvr.)
1986 Pontier Suzanne Stratégies de positionnement pour le commerce de détail (thèse)
I 1986 Filser Marc Quelles formules de distribution pour demain ?
10
La réponse de la segmentation par avantages recherchés (art.)
1986 RoussyB. Le concept de pouvoir comme instrument d'analyse des canaux de distribution (thèse)
B 1987 JallaisJ., OrsoniJ., FadyA. Marketing de la distribution (ouvr.)
1987 RollinJ. Le comportement de l'acheteur dans la grande distribution (thèse).
1988 Molle Patrick La négocommunication (ouvr.)
1989 Lapassouse C Contribution à 'étude des facteurs d'évolution des canaux de distribution :
l

l'exemple des fournitures industrielles (thèse)


1989 KapfererJ.N. La marque (ouvr.)
3 1989 Gillei L 'émergence des réseaux à valeur ajoutée en France (art.)
1989 Pariente Simon La concurrence dans les relations industrie-commerce. Performance comparée des pro
ducteurs et des distributeurs de produits alimentaires (art.)
1989 Guignard M. Différenciation du profil du consommateur selon les circuits de distribution fréquentés
(art.)
1991 CohrsC Marketing distribution, réflexions et propositions de moyens pour la démarche
marketing en grande distribution (thèse)
1991 Des Garets Véronique Implantation et impacts des nouvelles Technologies dans l'entreprise de distribution
(thèse)
1991 Pras Bernard Stratégies génériques et de résistance dans les canaux de distribution :
commentaires et illustrations (art.)

Décalage historique partir de 1985 avec quelques thèses substant


En dehors de quelques auteurs un peu vision ielles.Ce décalage serait encore plus évident
naires (Elvinger en 1925, Paul Avril en 1964, si nous mettions en parallèle la production de
Etienne Thil en 1966), l'essentiel des apports la recherche académique américaine sur ce
de la recherche a commencé timidement au thème qui s'est intensifiée à partir des années
début des années 1980, pour se densifier à 1960.

82 Économie Rurale 255-256/Janvier-avril 2000


Décalage thématique des marges, mais dont le pouvoir structurant
Les thèmes développés et les enjeux renouvel des filières est sous-estimé ou, en tout cas,
és par le changement social et technologique insuffisamment analysé.
ne paraissent pas toujours en phase. Par exemp La raison fondamentale est peut-être
le,la question de la taille et de la croissance, ailleurs. En tant qu'objet à comprendre et à
de la performance des entreprises de distribu identifier, la distribution sollicite des appro
tion mobilise peu, alors qu'elle est très présen ches pluridisciplinaires. Aucune spécialité
te dans la littérature américaine (Kinsey, académique ne peut prétendre à elle seule
1998). Sans doute avons-nous été habitués en rendre compte de l'ensemble du phénomène.
France depuis de longues années à observer D'ailleurs, d'un point de vue économique la
une baisse régulière des prix alimentaires la distribution se présente comme un objet
rgement due à la concurrence entre enseignes. hybride: faut-il considérer le distributeur
Mais le problème ne risque-t-il pas d'être dif comme faisant partie de l'offre, ou de la
férent lorsque les regroupements d'enseignes demande? Dès lors que la médiation du dis
créeront des situations de monopole sur cer tributeur oriente à la fois les décisions des
taines zones de chalandise? producteurs et celles des consommateurs, la
La révolution informatique et ses enjeux sur réponse peut varier. Se spécialiser sur la dis
l'avenir des canaux de distribution, sur tribution alimentaire constitue donc un risque
l'émergence de nouveaux acteurs, sur les académique pour le chercheur, car il faudrait
changements organisationnels, ne nous parais revendiquer l'existence d'une catégorie éco
sentque partiellement pris en compte. Nous nomique autonome dont il faudrait définir les
avons signalé les modifications possibles dans frontières quelque part entre (à côté de)
les processus de choix des consommateurs, «l'offre» et la «demande».
qui peuvent avoir des effets importants sur le Objet pluridisciplinaire difficile à cerner
fonctionnement des canaux. On pourrait aussi comme objet d'analyse, la grande distribu
s'interroger sur ce qu'il adviendra de la divers tion devrait au moins servir de «terrain»
itédes espèces et des variétés lorsque la tra- d'application fournissant au chercheur des
çabilité aura permis aux enseignes de piloter données empiriques à l'appui de ses théories
leurs approvisionnements de façon totalement et modèles classiques, chacun dans sa disci
rationnelle? Sur les rapports de pouvoir entre pline. Mais alors avec quelles théories et
anciens acteurs (distributeurs, fournisseurs) et quels modèles?
nouveaux acteurs (logisticiens, gestionnaires L'objectif et les dimensions de cet article
de bases de données)? ne permettent pas de développer ce point. On
Tentons un diagnostic sur ces décalages se reportera avec profit aux contributions de
apparents. Il est communément relevé que la Filser (1992, 1998).
grande distribution, malgré sa médiatisation, La diversité nouvelle des outils développés
est peu ouverte aux investigations des cher à partir de paradigmes relativement récents
cheurs. On peut aussi invoquer le dédain un est encourageante et devrait inspirer les cher
peu traditionnel des Français pour le com cheurs. Le modèle «Structure, Conduite,
merce, secteur peu noble par rapport à l'i Performances» peut être notamment utilisé
ndustrie ou certains services (banque, assuran pour analyser les rapports de pouvoir, réel ou
ce, transport...). Le tropisme des chercheurs latent, dans l'appropriation de la marge, ou
en économie agricole envers les phénomènes pour évaluer les effets de la concentration de
de la production et de l'organisation de la distribution sur les prix (Kinsey, 1998).
l'agriculture les conduit quelquefois à consi Les développements à partir des travaux régu
dérer la distribution comme un «agent» éco lièrement mis à jour par O. Williamson sont
nomique prolongeant la fonction de produc également prometteurs, malgré les difficultés
tion et identifié par des coûts logistiques et d'opérationalisation et de mesure des «coûts

Économie Rurale 255-256/Janvier-avril 2000


de transaction». Les recherches sur la nature Le marketing de son côté a fait émerger le

même des coûts de transaction, sur certains de concept de marketing relationnel, notam
5 leurs antécédents, sur les caractéristiques des mentà partir des modèles d'interaction issus
structures de gouvernance, enrichissent la de I'« école imp», mais aussi de travaux sur
réflexion sur la nature et la diversité des rela la confiance repris de recherches américai
tions à l'intérieur des systèmes de relations nes (Morgan et Hunt, 1994), permettant de
verticales dans les secteurs alimentaires, tout mieux prendre en compte les facteurs qui
comme les prolongements de recherche apport contribuent à la complexité des relations
és par l'étude des contrats (Venard, 1992; entre acheteurs et vendeurs.
Brousseau, 1995). Enfin signalons l'apport de l'économie des
Les travaux de Michaël Porter ont ouvert un conventions dans la compréhension des
champ de l'analyse stratégique utile pour mécanismes d'interaction qui se produisent
rendre compte de la dynamique sectorielle dans l'élaboration de la qualité. Peut-être
des entreprises de distribution et la recherche cette tradition de recherche devrait-elle
de la productivité (domination par les coûts, s'interroger plus précisément sur le rôle de la
différenciation, spécialisation). À notre con grande distribution dans la valorisation de la
qualité et sur les conséquences sur l'amont
naissance, ces acquis ont été encore peu utili
sés pour analyser les phénomènes de crois agricole.
sance et de concurrence interfirmes des gran Des outils variés, complémentaires et, pour
des entreprises de distribution alimentaire. certains, communs aux disciplines de la ges
Sans doute faut-il aller au-delà de la simpli tion et de l'économie, voilà de quoi rappro
cité apparente de ces modèles et retourner à cher progressivement la recherche d'un phé
leurs sources d'inspiration pour mieux rendre nomène économique qui n'a pas fini d'évo
.0 compte de la particularité des situations réel lueret de transformer notre société tout
les et notamment de la nature exacte des entière.
effets de taille dans la globalisation des stra I François D'HAUTEVILLE
M tégies d'enseignes. I Professeur, Ensa Montpellier
'■5
■D
S

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