L’Histoire de la littérature française dans des textes

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ALFRED DE VIGNY - LE MONT DES OLIVIERS

philosophie - directions * le mal * la mission du

poète * thèmes *
_ Recueils : Poèmes antiques et modernes ; Les
Destinées ;
_ De son expérience personnelle et de sa réflexion
sur la condition humaine il crée une philosophie propre.
Les deux directions de sa pensée philosophique sont : la
désillusion stoïque qui vient du mal (social et
philosophique) et l’optimisme raisonné. La foi dans la
civilisation le fait regarder vers l’avenir avec optimisme.
Mais pour endurer avec dignité la condition humaine, il
trouve comme remèdes le silence et la pitié.
_ Le poète vit dans une société hostile. Sensible
aux souffrances humaines, il a la mission de guider les
gens pour triompher des destinées qui les écrasent.
_ Sa poésie est sobre et profonde ce qui le
distingue des autres romantiques. Parmi les thèmes chers
à Vigny on peut énumérer la pitié, l’amour, la solitude du
génie, la divinité et ses rapports avec les hommes, la
fatalité.
Les Destinées, comme le suggère le sous-titre
’Poèmes philosophiques’, ont à la base l’expérience
personnelle de Vigny. Son angoisse et ses espérances
donnent naissance au message philosophique du recueil.

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Le recueil publié posthume (1864) comprend onze
poèmes.
Le Mont des Oliviers exprime les doutes et les
interrogations de Vigny sur l’existence et la bonté de

1
Dieu. Il ne veut pas se résigner à l’ignorance où Dieu a
laissé les hommes. Vigny reprend l’épisode évangélique
de l’agonie de Jésus avant sa mort, mais il déforme son
attitude et sa pensée. La poésie a trois parties :
I. La marche de Jésus sur le Mont des Oliviers (le
lieu de la crucifixion).
II. La prière adressée à Dieu et l’acceptation de la
volonté divine.
III. Le silence – la philosophie de Vigny sur le
problème religieux.
_
Alors il était nuit 1, et Jésus marchait seul, 2
Vêtu de blanc ainsi qu’un mort de son linceul :3
Les disciples dormaient au pied de la colline. 4
Parmi les oliviers, qu’un vent sinistre incline,
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux,
Triste jusqu’à la mort 5, l’oeil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu’il dérobe ;6
Connaissant les rochers mieux qu’un sentier uni,
Il s’arrête en un lieu nommé Gethsémani. 7
Il se courbe à genoux, le front contre la terre ;
Puis regarde le ciel en appelant : « Mon père ! » 8
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas. 9

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Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante. 10
Il recule, il descend, il crie avec effroi :
« Ne pouviez-vous prier et veiller avec moi ? » 11
Mais un sommeil de mort accable les apôtres.
Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres. 12
Le Fils de l’Homme alors remonte lentement ;
Comme un pasteur d’Egypte, il cherche au firmament
Si l‘ange ne luit pas au fond de quelque étoile. 13
Mais un nuage en deuil s’étend comme le voile

2
D’une veuve, et ses plis entourent le désert. 14
Jésus, se rappelant ce qu’il avait souffert
Depuis trente-trois ans 15, devint homme, et la crainte
Serra son coeur mortel d’une invincible étreinte.
Il eut froid. 16 Vainement il appela trois fois :
« Mon père ! » Le vent seul répondit à sa voix. 17
Il tomba sur le sable assis 18, et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l’homme une pensée humaine. 19
- Et la terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur. 20
_
PISTES POUR UNE ANALYSE
_
Le contexte. Les Destinées se composent de onze
poèmes rédigés entre 1838 et 1863. Ces pièces sont
écrites dans la période la plus sombre de la vie du poète.
Retiré du monde, en silence et solitude, Vigny les écrit

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pour immortaliser sa tristesse. Ces poèmes ne seront
publiés qu’après sa mort dans le recueil mentionné.
Le Mont des Oliviers reprend le thème biblique de
la crucifixion de Jésus. Par l’intermède de celui-ci Vigny
transmet son angoisse religieuse. Cette angoisse vient de
son incapacité de se résigner à l’ignorance où Dieu a
laissé les hommes. Si les hommes étaient tirés du doute,
ils comprendraient le sens de leurs souffrances et seraient
heureux.
_
La forme. C’est un poème long, en trois parties
écrit en vers alexandrins. La césure (le découpage du vers
après la sixième syllabe) coupe l’alexandrin en deux
hémistiches (vers égaux de six syllabes). La rime couple
les vers deux à deux : aa bb cc dd, etc. Il s’agit d’un
distique à rime plate. Les rimes masculines (la syllabe
finale finit par une consonne) prédominent.
Au niveau stylistique les figures présentes dans ce
fragment sont :

3
- la comparaison : 3, 5, 14 ;
- la répétition : 1, 5, 10 ;
- l’énumération : 11 ;
- l’épithète : 5, 6, 10 ;
- personnification : 10.
_
Le texte. Le poème évoque un épisode
évangélique très connu. Le cadre extérieur et
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l’atmosphère sont à peu près respectés, mais l’attitude et
la pensée de Jésus sont bien déformées.
Dans la première partie du poème, Vigny décrit
l’agonie de Jésus avant sa crucifixion, agonie qui dévoile
sa nature humaine. Le Fils supplie le Père de lui laisser sa
vie pour accomplir sa mission de Rédemption en
éclairant les hommes de leur ignorance. Ainsi ils seront
heureux, car ils connaissent et comprennent les causes et
les raisons de leur souffrance.
Le titre (le mont) nous dévoile l’une des
principales coordonnées de la poétique de Vigny : l’axe
du vertical qui traduit le mouvement d’élévation de l’âme
vers le très–haut où règne Dieu (la perfection). Mais, le
plus souvent, l’élévation n’est qu’un échec, car, une fois
atteint le haut, on découvre qu’il est inhumain et
irrespirable. La verticalité est représentée par plusieurs
motifs : le motif de la montagne sur laquelle s’élève le
moi créateur – Jésus, le motif du ciel qui représente la
hauteur vers laquelle s’élève la création mais la
communication avec Dieu est empêche par le nuage.
1. l’incipit ressemble à un début de conte
(l’imparfait) plaçant l’action dans un temps mythique
(quand).
2. le personnage est introduit en plein mouvement
et solitude (qui).
3. une comparaison sombre qui évoque
l’apparence de Jésus.
4. on fait correspondance à l’adjectif seul du vers 1

4
.
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5. reprise du verbe marcher cette fois-ci au présent
atemporel. La nature est cruelle (l’épithète sinistre) ; la
comparaison dévoile son attitude désespérée.
6. aucun prédicat ne s’interfère dans la
description. Une coordonnée liée à celle de la verticalité,
est le corps humain. Vigny le décrit comme une
antithèse des terminaisons : la tête et le pied. La tête est
représentée par le front et l’oeil. Le front est le lieu de
contact de l’humain avec l’autre verticalité, supérieure à
lui. Le pied a comme fonctions la volupté, l’errance et
l’imposition autoritaire. Ces deux extrémités représentent
le contact du vertical avec son fondement terrestre, du
sommet de la montagne avec sa base. Il s’agit en somme
de deux mondes – le haut et le bas – qui ne peuvent pas
s’atteindre ou se confondre. Jésus veut les faire
communiquer. Il a donc un rôle de médiateur étant
divisé par une double et contradictoire appartenance. Ce
rôle du médiateur est d’ailleurs central dans la poétique de
Vigny car il caractérise le poète qui est déchiré entre son
aspiration spirituelle vers Dieu et sa condition concrète
d’homme ignorant.
7. la nature (les rochers) est aride. On introduit
aussi le lieu (où ?) après le temps (quand ?) et l’acteur
(qui ?).
8. le thème de la courbure qui exprime le refus du
ciel de communiquer avec le médiateur. A coté du thème
de l’élévation, celui-ci est illustré par la sémantique des
verbes qui caractérisent Jésus entre les deux mondes, le
ciel et la terre. Son appellation affective est en même
temps très respectueuse.

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9. le silence de Dieu est exprimé nettement : Jésus
n’entend et ne voit rien.
10. sa réaction devant cette surprise désagréable: il
marche (verbe repris pour la troisième fois) sans rien voir.
Le contraste entre la nature qui n’a pas changé (les
oliviers tremblent encore) et l’attitude changée de Jésus.
Son angoisse devient saisissable par la sueur froide (la
violence de la réaction) et lente pour allonger le malheur.
11. l’énumération des verbes de mouvement au
présent traduit sa réaction précipitée qui culmine avec le
reproche fait aux apôtres.
12. mais cette réaction est vaine, car personne ne
partage pas son chagrin, ni même Pierre.
13. le verbe préfixé évoque le dernier espoir qu’il
cherche aux cieux. La scène décrit l’épisode du retour du
peuple hébreu en Israël conduit par Moise.
14. mais l’altitude ne permet pas qu’on y accède,
elle se referme sur elle-même. L’obstacle principal est
constitué par la nappe des nuages qui obscurcit la
transparence céleste. Le noir est de nouveau évoqué par
une comparaison sombre.
15. changement de temps verbal : on revient au
passé, même à un plus-que-parfait qui éveille les
mémoires de Jésus.
16. il opte pour la nature humaine, renonçant à
l’autre. Il éprouve l’angoisse humaine devant le mystère
de la mort et de la souffrance. Le passé simple (action
accomplie) évoque lui aussi la finitude de la vie humaine
s’opposant à l’imparfait du début.
17. l’adverbe placé le premier dans la proposition
exprime très clairement l’échec de son essai. La chiffre 3

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en devient le symbole : le verbe marcher apparaît trois
fois, il a 33 ans, il essaie de communiquer avec son Père 3
fois.
18. l’échec final est reconnu et irrévocable
(tomba).

6
19. devenu homme dans son côté physique
(sensations - 16), Jésus adopte aussi la pensée humaine.
20. la nature devient un concept qui englobe tout.
Le sens du verbe trembla est ambigu. En apparence on a
affaire à son sens propre, car en devenant homme Jésus
acquiert de la pesanteur. Mais dans le dernier vers, par les
deux noms écrits avec majuscule, Vigny exprime
l’essence de son message poétique : le Sauveur choisit de
devenir homme en tombant aux pieds du Créateur (c’està-
dire à terre avec les hommes).
_
Conclusions. Cette première partie du poème
présente un Jésus humanisé dont l’angoisse devant le
mystère de la souffrance et de la mort croît à mesure que
sa fin s’approche. Par Lui, Vigny dévoile le rapport de
l’homme avec la divinité qui laisse celui-ci dans
l’ignorance.
La nuit, la nature hostile, la solitude du créateur
parmi les hommes, sont des thèmes et des motifs qui
encadrent la poésie de Vigny dans le courant romantique
du XIXe siècle.
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Sujets de rédaction :
_ Etudiez la grammaire des gestes dans le
poème Le Mont des Oliviers.
_ Exemplifiez le contraste mouvement –
silence et immobilité par des vers du poème.
_ Quel est le rôle de la nature dans la création
de Vigny ?

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diana lefter

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