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Jean-Paul Roux

Essai d'interprétation d'un relief figuratif seldjoukide.


In: Arts asiatiques. Tome 23, 1971. pp. 41-49.

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Roux Jean-Paul. Essai d'interprétation d'un relief figuratif seldjoukide. In: Arts asiatiques. Tome 23, 1971. pp. 41-49.

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ESSAI D'INTERPRÉTATION

D'UN RELIEF FIGURATIF SELDJOUKIDE

par Jean-Paul ROUX

Le musée de l'Ince minareli medrese de Konya (inv. 282) (1) conserve une
pierre figurative approximativement haute de 0,55 m et large de 0,50 m considérée
naguère encore, sur la foi des premières études, comme provenant, avec toutes les
autres sculptures du musée, des murs de la ville (2), mais que depuis peu on incline
à voir plutôt comme une stèle funéraire (3). Elle n'est pas datée, mais elle a été
certainement sculptée à l'époque seldjoukide, plus vraisemblablement dans la
première moitié du xme siècle, quand bien même on renonce à l'attribuer au règne
d'Alaeddin Kaykubad Ier, l'ordonnateur des travaux de fortification effectués en 1221.
Elle met en scène deux personnages de taille différente qui se font face et portent
le même long manteau croisé, noué à la taille par une ceinture. Le plus grand, à gauche,
est assis sur un siège rudimentaire qu'on pourrait prendre pour un pliant ; il porte
sur son poing droit ganté un gros oiseau ; de sa main gauche, il tient le menton de
son vis-à-vis. Le plus petit, à droite, est debout, la main gauche passée dans sa ceinture,
la droite dans la ceinture de l'homme assis (4).
Plusieurs tentatives ont été faites pour identifier les deux personnages et pour
donner une explication de ce relief particulièrement intéressant et par sa qualité

(1) Selon Semavi Eyice, Kirçehir' de H. 709 (f 1310) tarihli tasvirli bir tûrk mezarta«i, in Re§id Bahmeti
Aral için, Ankara, 1966 (pp. 208-223, avec texte allemand abrégé, pp. 230-243), inv. 892 ou 982 (pp. 219 et 227).
(2) F. Sarre, Seldschukische Kleinkunst, Leipzig, 1909, pp. 8-9. T. Talbot-Rice, The Seljuks in Asia
Minor, London, 1961, p. 266, etc.
(3) T. Talbot-Rice a fait remarquer qu'elle n'était pas sans analogie avec les stèles funéraires de l'époque
classique (o. c, p. 266). Voir aussi id., p. 173. Mais c'est S. Eyice qui soutient le plus fermement, et non sans
pertinence, cette position (o. c, pp. 220 et 227.)
(4) D'autres éléments pourraient être retenus pour la description de la stèle si nous l'examinions exhausti
vement. Nous signalons seulement ceux qui peuvent servir à notre démonstration et qui sont, au reste, essentiels.
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et par sa singularité dans les arts de l'islam (1). Cependant, ni pour l'identification
ni pour l'explication les efforts n'ont été poussés très loin ; ils n'ont pas abouti à des
conclusions faisant l'unanimité des chercheurs.
Pour Mendel (2) et pour Migeon (3), le personnage assis est le sultan seldjoukide
d'Anatolie, le personnage debout est un enfant. Mme Otto-Dorn, qui partage cette
opinion, précise seulement que l'enfant est sans doute un jeune prince (4). Sarre, qui
a cru aussi reconnaître le personnage royal dans le plus grand des deux individus, a vu
dans le second un de ses favoris (5). Mme Talbot-Rice surenchérit sur ce point de vue
en pensant que ce dernier est « plutôt un homme qu'un enfant » (6).
Ni Mendel, ni Migeon, ni Sarre n'ont vraiment cherché à expliquer la scène.
Mme Otto-Dorn, ayant accordé à juste titre plus d'intérêt à l'effigie de l'oiseau, conclut
de façon trop catégorique qu'elle représente « incontestablement » un épisode du
dressage du faucon (7). Des suggestions tout à fait nouvelles ont été faites, il y a peu
de temps, par Semavi Eyice qui se demande s'il ne faut pas voir dans le groupe
« le mort qui se tient debout devant un personnage important, ou un mystique et
un de ses disciples » (8). Aucun indice ne permet de soutenir la deuxième proposition.
La crédibilité de la première peut être plus grande si la pierre est bien une stèle
funéraire, ce qui est vraisemblable (9). Mais pour qu'elle soit totale, il faut encore
expliquer, par des croyances turques ou musulmanes relatives à l'au-delà, ce que le
sculpteur a voulu représenter. Nous avons cherché à le faire et si nous avons pu
progresser jusqu'à un certain point, nous avons en définitive buté sur l'impossibilité
de justifier, dans un contexte malgré tout islamique (10), la présence de cet interlocu
teur d'outre-tombe. Au reste, notre début de commentaire s'appuyait sur tant
d'approximations qu'il ne pouvait pas paraître satisfaisant, même à nous.
De ce qui a été proposé par nos devanciers, au cours de ce que nous sommes
obligé de considérer comme une enquête préliminaire, nous pouvons retenir deux
faits bien établis et qui sont essentiels pour poursuivre la recherche : l'homme assis
est le sultan seldjoukide et le sujet traité est en rapport étroit avec une histoire de
chasse. Pour le premier point, il est difficile de donner des preuves péremptoires, mais

(1) Malgré l'importance bien plus grande qu'on ne l'imagine ordinairement de l'école de sculpture
figurative seldjoukide (dont nous préparons un corpus des œuvres), aucune autre pierre à notre connaissance
ne peut lui être comparée.
(2) G. Mendel, Monuments seldjouckides en Asie mineure, Bévue de l'Art ancien et moderne, janv., 1908,
p. 13.
(3) G. Migeon, Manuel d'Art musulman, 2 vol. Paris, 1927, I, p. 272.
(4) K. Otto-Dorn, L'art de l'islam, Paris, 1967, p. 176.
(5) F. Sarre, o. c, pp. 8-9.
(6) T. Talbot-Rice, o. c, p. 266.
(7) K. Otto-Dorn, o. c, p. 176.
(8) S. Eyice, o. c, pp. 220 et 227-28.
(9) On peut voir, K. Otto-Dorn, Turkische Grabsteine mit Figuren — reliefs aus Kleinasien, in Ars
Orientalis, III, 1959, pp. 63-76.
(10) Même si, comme nous le verrons plus bas, de nombreux faits pré-islamiques ont été conservés par les
Turcs musulmans, l'essentiel du dogme de l'islam a été rapidement accepté en Anatolie.
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la quasi-unanimité des chercheurs (qui se fondent cependant sur des arguments non
négligeables) force l'adhésion, d'autant plus qu'aucune autre hypothèse ne paraît
pouvoir être retenue. Pour le second, nous rejoignons Mme Otto-Dorn pour penser
que l'oiseau bien mis en évidence est un des motifs fondamentaux de la sculpture
que nous considérons. En théorie, il serait possible, malgré Tassez grande fidélité de
l'artiste, de ne pas vouloir reconnaître en lui un faucon. En pratique, toute hésitation
semble exclue à ce sujet, parce que la main qui le porte est seule gantée et parce que
l'image du fauconnier appartient au répertoire iconographique usuel des miniaturistes,
des bronziers, des céramistes...
Le fauconnier est d'ordinaire représenté, dans leurs œuvres, monté sur son cheval,
armé, entouré de gibier, c'est-à-dire en train de chasser, ce qui n'est certes pas
le cas ici. Au dynamisme usuel s'oppose le statisme grave de notre relief. Mme Otto-
Dorn l'avait naturellement bien vu et c'est pourquoi elle avait pensé à une scène
de dressage. Mais il en est de son hypothèse comme de celle de S. Eyice : elle ne rend
pas compte de maints détails qui devaient être assez clairs aux contemporains pour
qu'ils comprennent sans hésiter le sujet ; elle donne une image trop vague d'une
action que nous ne pouvons pas situer avec précision ; en outre, aucun document
iconographique ou textuel ne vient l'appuyer.
Comme il s'avère impossible d'expliquer le relief par son observation directe
et par la comparaison avec d'autres œuvres figuratives, il nous reste l'ultime solution
d'interroger les textes. Cette méthode, qui fait davantage appel aux traditions turques
de l'Asie centrale qu'à la littérature de l'époque seldjoukide, a déjà été employée à
l'occasion. Elle n'a pas toujours donné les résultats attendus parce qu'elle l'a été
souvent intuitivement ou par pétition de principe, parfois en s'appuyant sur des
œuvres influencées par le bouddhisme ou le manichéisme, parfois sur un nationalisme
culturel, par des savants ayant une formation d'historiens de l'art ou d'islamologues,
mais non de turcologues. En nous en servant à notre tour, après une longue fréquenta
tion de la civilisation turque d'Asie centrale, nous espérons non seulement donner
aujourd'hui une explication convenable du relief dont nous nous occupons, mais
encore proposer un mode d'investigation qui pourrait être utilisé à nouveau pour
l'étude d'autres motifs iconographiques de l'époque seldjoukide.
Partant bien de l'idée que le thème auquel le sculpteur s'est attaché est lié à la
chasse, nous devons donc rappeler brièvement certains des faits relatifs aux concept
ionsgénérales de la cynégétique et aux rites de chasse que nous avons pu relever
chez les peuples nomades de l'Asie centrale pré-islamique. Au préalable, il nous faut
cependant dire que nous savons maintenant beaucoup mieux, bien qu'imparfaitement
encore, que les coutumes ancestrales du « paganisme » turco-mongol n'étaient pas
encore oubliées en Anatolie au cours du xme siècle (1).

(1) Pour de plus amples informations que nous ne pouvions pas donner ici, nous nous permettons de
renvoyer à notre livre, Faune et Flore sacrées dans les sociétés altaïques, Paris, 1966, pp. 87 ss.
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Selon les représentations des nomades de la steppe, la chasse pouvait être collec
tiveou individuelle. Dans un cas et dans l'autre, elle dépendait toujours du chef de
clan, de tribu ou de confédération de tribus, de l'empereur (qayan), quand il y avait
empire, c'est-à-dire de l'autorité suprême reconnue. Ce chef, agissant comme grand
maître de la chasse, pouvait, quand sa puissance était grande, se réserver des terri
toires où nul autre que lui ne pouvait forcer le gibier (voir par exemple, pour les
Mongols apparentés, ce que dit Marco Polo) (1) ; quelle que soit l'ampleur de ses
possessions, il devait, au début de la saison de chasse, commettre le premier meurtre,
le meurtre le plus dangereux, celui qui risquait plus que d'autres d'attirer sur lui
les représailles de l'espèce attaquée ou de ses maîtres surnaturels (selon un texte
chinois, en 1058, le souverain khitan prend lui même le premier poisson) (2) ; au cours
des grandes battues, quand le cercle avait été refermé sur les animaux, il devait
intervenir avant tous les autres (Ata Malik Juvaïnï en donne un exemple probant) (3) ;
parfois il devait prendre l'animal de sa propre main (selon Irk Bilig, texte turc du
ixe siècle) (4). Même quand la chasse individuelle était librement pratiquée (dans la
majorité des cas), elle n'engageait pas seulement la responsabilité du chasseur, mais
celle de toute la collectivité (d'où la coutume du pay — correspondant mongol
siralya — qui consistait à abandonner à d'autres une portion de sa prise) (5) et, par
conséquent, elle relevait de l'autorité supérieure, elle était effectuée au nom du chef,
avec sa permission, en vertu d'un mandat qu'il avait conféré.
Il va de soi que la concession d'un droit aussi grave que celui de tuer ne pouvait
pas être accordée à la légère. Elle n'était octroyée qu'à un homme fait et dûment
initié. Les enfants, par jeu et pour s'exercer, n'avaient que le droit d'abattre de
petits animaux tels que les rats ou les belettes, voire les lièvres et les renards (6).
La première vraie chasse avait lieu au moment de la puberté. Combattre un gros
animal — ou combattre un homme et le tuer — était l'exploit qui prouvait qu'on
accédait au monde des adultes ; il était réalisé juste avant la remise du « nom
d'homme » (àr al) et avant le mariage ; non seulement il donnait droit au nom
d'homme et au mariage, mais il provoquait la remise de ce nom et équivalait à la
conquête de la femme (7). Il était préparé et accompli comme un rite, sans doute un
des plus importants de la vie humaine, et exigeait une cérémonie d'investiture qui

(1) Nous ne donnons, ici et plus bas, à chaque fois, qu'un seul exemple pris à une date aussi voisine que
possible du xme siècle. Il en est d'autres. Ici, Marco Polo, § XCIV, dans l'édition de L. Hambis, Paris, 1955,
p. 133.
(2) Voir R. Stein, Leao tche, in Toung Pao, XXV, pp. 94-95.
(3) J. A. Boyle, The History of the World-Conqueror, Manchester, 2 vol. 1958, I, p. 28.
(4) Irk Bitig, § LXIII (livre de divination en vieux turc) H. N. Orkun, Eski Turk Yazitlari, 4 vol.
Istanbul, 1936-41, vol. II, p. 90.
(5) Pour que la responsabilité du meurtre soit partagée. Voir P. Pelliot, Sirolya c\3 èiralya, T'oung Pao,
1944, Eberhard, Remarks on Siralya, Oriens, I, 2, 1948, pp. 220 ss. Autres attestations et références bibli
ographiques dans J. P. Roux, Faune et Flore, pp. 115 ss.
(6) Vieille information déjà connue de De Groot, Die Hunnen, Leipzig, 1921, p. 3.
(7) J. P. Roux, Faune et Flore, p. 269 ss. et passim (cf. index).
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avait pour officiant principal (on voit peu clair sur ce point et les coutumes semblent
avoir évolué) le chaman, le père ou le chef. Quand le père intervenait, il se contentait
de remettre à son fils le droit de tuer qu'il avait lui-même reçu. Le fils du prince
recevait naturellement ce droit de son souverain père. Par suite de la nature de nos
sources, nous sommes beaucoup mieux renseignés sur les grands que sur les hommes
du vulgaire, et c'est en définitive l'intervention du roi que nous percevons avec le
plus de netteté.
Deux textes relativement récents peuvent nous servir à illustrer ce que nous
avons essayé d'expliquer.
Une version non islamique de YOghuz name (ms. de la B. N.) (1), écrite sans doute
vers l'an 1300, raconte comment Oghuz, l'ancêtre éponyme des Turcs occidentaux
(dont les Seldjoukides font partie), arrivé au seuil de la vieillesse, convoqua ses six
fils pour leur donner mission de se livrer à sa place à la grande chasse qu'il n'était
plus en âge de faire. Les fils ayant accompli brillamment la tache qui leur avait été
confiée, Oghuz « se réjouit et rit », organisa un grand festin au cours duquel il leur
remit un arc et une flèche symboliques et en même temps tous les pouvoirs que
jusqu'alors il possédait.
Quant au Livre (islamisé) de Dede Oorqut, rédigé sans doute au xve siècle, mais
contenant des passages plus anciens (2), il relate de quelle manière un jeune prince
fut calomnié auprès de son père par ses ennemis. Accusé d'être allé chasser de sa
propre initiative, sans avoir reçu mission ou permission de le faire, il semble accablé
sous des témoignages qui le perdent. Et il doit, pour sauver sa vie, montrer à son royal
ascendant, au cours de la grande battue organisée comme ultime épreuve, qu'il ne
chasse pas de lui-même, mais par la vertu de son père : il suffit qu'il lui apporte tout
le gibier qu'il a tué pour qu'il se trouve, comme miraculeusement, innocenté.
Malgré quelques altérations inévitables, les deux textes montrent sans doute
possible que le Moyen Age turc a conservé l'essentiel des notions archaïques
(« païennes » ou « chamaniques ») relatives à la chasse et plus particulièrement celles
du privilège royal et de la transmission des pouvoirs. Nous pouvons donc affirmer
qu'à l'époque où le relief de Konya a été sculpté, l'adolescent royal, au moment de
devenir un homme, devait recevoir l'investiture de chasse.
Nous sommes ainsi amené à conclure que notre document décrit la cérémonie
de cette investiture.
Sa lecture devient dès lors facile et elle permet de rendre compte de plusieurs
détails caractéristiques (mais nous ne savons pas expliquer le geste de la main qui
tient le menton).

(1) Riza Nour, Oughouz name, Alexandrie, 1928, P. Pelliot, Sur la légende d'Uyuz Khan en écriture
ouighoure, Toumj Pao, 1930. pp. 217-338. Le texte est à la ligne 373.
(2) M. Ergin, Dede Korkut Kitabi, Ankara, 1938, p. 83. E. Rossi (pour un autre ms.), Il Kitab-i Dede
Qorqut, Ronia, 1932, p. 106. Voir aussi un autre récit à rapprocher de celui-ci dans Ergin, o. c, p. 112.
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Le souverain, contrairement à l'habitude, ne siège pas « en majesté », c'est-à-dire


assis à l'orientale («à la turque», sur ses jambes repliées) (1), et pas davantage sur
un trône, mais sur un siège léger, qu'il est aisé de transporter et que par conséquent
on peut imaginer avoir été posé en plein air sur le terrain de chasse (voir, par exemple,
comment Juvaïnï raconte que le qayan mongol assiste aux exploits de ses chasseurs
installé sur une hauteur) (2). 11 tient sur son poing le faucon, symbole de la chasse
victorieuse, et, sans doute, en même temps, symbole du pouvoir impérial. (Voir
à ce propos les noms de princes tels que Tuyril Beg, le « Prince Faucon », ou Cakir Beg,
le « Prince Émerillon », etc., et les emblèmes héraldiques faussement nommés « aigles
à deux têtes »). Il le présente, il le donne, à celui qui va accomplir sa première chasse,
à son fils, héritier à la fois de ses prérogatives et de son royaume. Celui-ci, placé
debout en solliciteur devant le souverain, est plus petit que lui, non pas parce qu'il est
plus jeune ou de moindre rang, mais, ce qui doit être rendu de façon bien plus sensible,
parce qu'il n'a pas encore atteint cette taille que donne seule l'initiation (3). Pubère,
il ne deviendra adulte que dans quelques instants, après la chasse qui le transforme.
Par contre, il porte le même habit que lui, car il est de sa lignée et se livre sur l'heure
à la même activité : le vêtement d'initiation n'est pas celui d'apparat ou de guerre,
le vêtement du prince n'est pas celui du derviche, qui n'est pas celui des gardes, qui
n'est pas celui des bergers ou des artisans. Il tient sa ceinture d'une main et celle
de son père de l'autre, parce qu'à la ceinture nouée se rattachent des idées de dépen
dance, d'obédience, de soumission que nous connaissons encore mal mais dont nous
ne pouvons pas douter : quelques textes pré-islamiques les évoquent à propos de
personnages qui ceignent leurs reins, qui détachent leur ceinture ou la passent autour
de leur cou (4) ; le rituel et la symbolique des Shiites d'Anatolie montrent que nouer
sa ceinture c'est en même temps s'initier, se soumettre à la règle de l'ordre ou faire
serment de maîtriser sa main, son sexe et sa langue (5).
Notre interprétation n'apporte aucun argument décisif à la thèse de ceux qui
voient dans cette œuvre une stèle funéraire, mais elle accroît sa crédibilité qui était
déjà grande. C'était une vieille coutume des Turcs de rappeler sur les pierres tombales
les grandes actions ou les moments essentiels de la vie du mort : nous devons recon
naître que cette illustration de la cérémonie d'initiation à la chasse est le rappel
d'un exploit et d'une heure décisive. Le défunt, dans une de ses occupations familières
ou essentielles, est d'ailleurs représenté sur plusieurs pierres tombales seldjoukides

(1) Reliefs de pierre significatifs au musée de Konya (inv. 885) et au musée des Arts turcs et musulmans
d'Istanbul (inv. 2841). Très nombreuses autres représentations.
(2) J. A. Boyle, o. c, vol. I, p. 28.
(3) Nous rejoignons partiellement S. Eyice et sa vision du « mystique devant son maître ».
(4) Voir par ex. Vladimirtsov, Gengis Khan, Paris, 1948, pp. 76, 95. Nous renvoyons à notre livre Les
Traditions des nomades de la Turquie méridionale, Paris, 1970, pp. 101-102.
(5) Voir surtout Birge, The Behlashi order of dervishes, London, 1937, pp. 256, 262-71.
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ou post-seldjoukides de Kirgehir (1) et d'Akgehir (2). Antérieurement, chez les paléo-


Turcs, des inscriptions étaient gravées pour rapporter laconiquement les hauts faits
cynégétiques des trépassés (3). Nous n'allons donc pas conclure sur ce sujet de façon
formelle, mais nous serons plus encore enclin a accepter la démonstration de Semavi
Eyice.

(1) S. Eyice, o. c, pp. 212-215 et 225-26.


(2) Rifki Melûl Meriç, Akçehir tûrbe ve Mezarlari, in Tùrkiyat Mecmuasi, V, 1935 (Istanbul, 1936),
pp. 141-212. Voir aussi K. Otto-Dorn, Tûrkische Grabsteine, o. c.
(3) Voir H. N. Orkun, o. c, III, pp. 69-73 (inscription de Begre).
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Illustration non autorisée à la diffusion

Relief à deux personnages (Musée de rince minareli medrese, Konya).

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