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Avec la teinte politique qu’il a récemment acquise, le gaz naturel a pris une place Aujourd’hui, au-delà de la sécurité énergé-
centrale dans les relations entre l’UE et la Russie. Outre la sécurité énergétique, l’enjeu tique, l’enjeu gazier est triple. Il est d’abord
se situe à trois niveaux. Le premier est celui de l’ouverture des marchés ou du maintien économique, car il s’inscrit dans l’opposi-
des monopoles, en Russie comme dans l’Union européenne. La ligne de fracture est tion entre monopoles et concurrence. Il est
complexe, et pour l’heure, en dépit d’un soutien rhétorique à l’ouverture des marchés, ensuite géopolitique, en cela qu’il occupe
c’est plutôt leur protection qui est à l’ordre du jour. Le deuxième niveau est celui de la une place de choix dans la politique étran-
diplomatie énergétique. C’est avant tout en Asie centrale que s’affrontent Bruxelles et gère de Moscou et de Bruxelles. Enfin, il est
Moscou, sur la base d’intérêts et à l’aide d’instruments diamétralement opposés. environnemental, étant donné qu’il s’inscrit
Cependant, leurs politiques sont caractérisées par de lourdes contraintes. Le troisième désormais dans le cadre plus large de la lutte
niveau est celui de la lutte contre les changements climatiques. Dans ce domaine en contre les changements climatiques.
plein essor, plusieurs convergences existent entre les politiques de Bruxelles et Moscou,
notamment en matière d’efficacité énergétique. Avec cette nouvelle donne, le gaz
pourrait voir son importance grandir, ou au contraire diminuer, ce qui ne sera pas sans LA PLACE GRANDISSANTE
influence sur la relation UE-Russie. DES QUESTIONS ÉNERGÉTIQUES
DANS LES RELATIONS UE-RUSSIE
L
e gaz est incontestablement un élé- carbures russes vers l’Europe de l’Ouest
ment qui revêt une importance éco- connaissent un essor sans précédent. Celles-
nomique considérable tant en ci sont généralement accompagnées d’une
Europe qu’en Russie. Moscou tire de la importation par l’URSS d’équipements et
vente ses recettes d’exportation, moteur de de technologies occidentales. Ces échanges
son regain actuel de prospérité, tandis que initiés lors de la détente entre grandes puis-
les pays de l’UE dépendent des importa- sances se poursuivent malgré le refroidisse-
tions de gaz, notamment russe, afin d’assu- ment des relations (Campaner, 2006,
rer la croissance de leur économie et le bien- pp.377-8). L’énergie est alors un domaine
être de leurs citoyens. Cependant, si l’inter-
dépendance est grande, la confiance fait
défaut. Aussi l’énergie est-elle devenue,
depuis quelques années, un sujet probléma- (*) Auteur d'un travail de recherche sur « La dimension gazière
tique dans les relations UE-Russie. dans les relations UE-Russie ».
CONTRE CONCURRENCE pation dans des gisements gaziers en Russie (3) L’entreprise jouit d’un quasi-monopole dans le secteur de la
production de gaz naturel, de son transport et de son expor-
contre une prise de participation dans un tation, et diversifie ses activités dans le secteur pétrolier et élec-
Dans l’Union européenne comme en réseau de distribution en Europe ou l’accès trique.
Russie, l’enjeu gazier s’inscrit dans le cadre à des technologies modernes (6) (Paillard, (4) Gazprom notamment plaide pour une libéralisation du sec-
plus large de l’opposition entre dirigisme 2007, p. 8). Cette approche de partenariat teur, et avant tout pour une déréglementation des prix sur le
marché russe (Gazprom, 2007, p. 71).
économique et marché libéralisé. En Russie, avec Gazprom ne peut toutefois suffire à
(5) On relèvera notamment la prise de contrôle de Ruhrgas
le secteur gazier demeure très fermé aux garantir une sécurité d’approvisionnement. par E. ON en Allemagne en 2003, et le projet de fusion GDF-
investisseurs étrangers, et est étroitement Face au déficit gazier auquel est confronté le Suez en France. On notera que dans le second cas, Suez a été
contrôlé par l’État, actionnaire majoritaire géant russe (voir ci-dessous), les contrats à prié de revendre au préalable certaines de ses activités afin
d’empêcher qu’il ne domine le nouveau groupe. L’État français
du géant Gazprom (3). En revanche, long terme peuvent d’ailleurs donner une devrait ainsi détenir 35 % du nouveau géant énergétique.
l’Union européenne a entrepris en 2003 de illusion de sécurité aux consommateurs. (6) Gazprom pourrait également acquérir des parts de la nou-
créer un marché unique libéralisé dans le D’aucuns en Europe voudraient que velle société GDF-Suez en échange de la participation de Total
à l’exploitation du gisement Chtokman, « Gaz de France:
secteur du gaz. l’Union puisse parler d’une seule voix avec Gazprom impliqué dans le projet de fusion avec Suez? »,
Le clivage que l’on peut observer est com- les fournisseurs d’énergie, soit par le biais Boursier. com, 18 juillet 2007. Gazprom a démenti l’informa-
tion.
plexe, et ne se résume pas à l’opposition des instances politiques de l’Union ou d’un
(7) Russie, Norvège,Afrique du Nord, ou encore Moyen-Orient
entre les principes de libre concurrence prô- oligopole d’acheteurs gaziers. Cependant, la et Afrique sous la forme de gaz naturel liquéfié.
nés par la Commission européenne et le première approche serait politiquement (8) Conclusions de la présidence du Conseil européen des 8 et
monopole gazier en Russie. En effet, cer- inacceptable pour les États membres, et la 9 mars 2007, p. 18.
100
acquisition par une société extracommu-
80
nautaire doive être préalablement autorisée
60 par un accord entre l’UE et le pays tiers
40 concerné, ce qui politisera immanquable-
Turquie
20 ment la question.
UE-27
0 Du côté russe, on évoque parfois la création
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
d’un « OPEP du gaz ». Certains voient
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 d’ailleurs dans la vague alliance entre la
UE-27 119,2 116,2 117,4 121,9 127,9 139,5 142 Russie, l’Algérie, l’Iran et les pays d’Asie
CEI 39,8 35,7 38,4 37,7 47,2 71,1 96,1 centrale un embryon d’organisation des
Turquie 10,2 11,1 11,8 12,8 14,5 18 19,9 pays exportateurs de gaz, où la Russie assu-
Europe hors UE 3,2 3,5 3,5 3,1 3,4 4,1 4,1
merait le rôle de leader et de producteur
Source : OAO Gazprom d’appoint (Tomberg, 2006, pp. 85-6).
L’Iran prône haut et fort la création d’une
telle organisation, mais exporte très peu de
Russie (AIE, 2006, p. 4), bon nombre d’ob- L’adhésion imminente de la Russie à
gaz. Quant à Vladimir Poutine, il affirme
servateurs estiment que sans une ouverture l’Organisation mondiale du Commerce
que la Russie n’a pas l’intention de créer un
aux capitaux étrangers, la Russie ne sera pas n’aura pas d’incidence directe sur le secteur
cartel du gaz, mais un groupe de coordina-
en mesure de produire suffisamment de gaz énergétique, auquel les règles de l’OMC ne
tion des activités visant à assurer la sécurité
pour répondre à une demande croissante sont pour l’heure pas applicables.
d’approvisionnement aux grands consom-
(voir figure 2), voire pour honorer ses Cependant, les négociations du cycle de
mateurs mondiaux d’énergie (13). Quoi
Doha, en cours depuis 2000, concernent
contrats (9). D’ailleurs, l’UE et la Russie qu’il en soit, la perspective d’une entente
notamment ce secteur sensible, et l’on
s’accordent à dire qu’il est capital d’ouvrir mondiale des exportateurs de gaz paraît plu-
pourrait dès lors tabler, à moyen ou à long
les marchés (10). Cependant, sur le terrain, terme, sur une ouverture des marchés par
le marché russe du gaz reste plus fermé que cette voie. De manière plus générale,
jamais. En outre, une nouvelle loi sur les l’OMC constituera un cadre juridique de (9) Gazprom a d’ailleurs reconnu l’existence d’un déficit de
ressources du sous-sol durcit sensiblement règlement des différends commerciaux, production, et les centrales électriques russes ont subi des res-
les conditions d’accès au marché pour les comme l’embargo russe sur la viande polo- trictions d’approvisionnement en gaz au cours de l’été 2006.
«Na vsekh ne khvatit. Gazprom priznalsia v defitsite gaza»
entreprises étrangères (11). naise, et devrait mettre un terme aux (« Il n’y en aura pas pour tout le monde. Gazprom admet le
mesures unilatérales de rétorsion. déficit du gaz »), Vremia, 21 avril 2006.
Quel que soit le degré d’incertitude entou-
(10) Seventh Progress Report on the EU-Russia Energy
rant l’ouverture du secteur gazier russe, une Aujourd’hui, l’ouverture des marchés appa- Dialogue, op. cit., p. 3.
chose semble certaine: pour que ce secteur raît toutefois fort improbable, étant donné
(11) En effet, seules les entités russes (entreprises russes ou
s’ouvre à la concurrence étrangère, il sera les réserves de part et d’autre. Du côté euro- joint-ventures détenus à 51 % par du capital russe) pourraient
péen, le troisième paquet législatif pour la participer aux appels d’offre des licences de production. Voir
indispensable que l’ouverture des marchés LOCATELLI, « La Douma apporte des restrictions importantes
libéralisation du marché du gaz, présenté à l’accès aux hydrocarbures pour les investisseurs étrangers »,
soit réciproque. En d’autres termes, l’accès par la Commission en septembre 2007, pré- easybourse. com, 26 avril 2007.
des entreprises européennes au secteur voit des mesures de sauvegarde (12) proté- (12) Proposition de directive du Parlement européen et du
gazier russe en amont ne pourra se faire sans geant le marché européen contre les sociétés Conseil modifiant la directive 2003/55/CE concernant des
que la Russie ne s’implante davantage sur les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel,
originaires de pays tiers. Celles-ci devraient COM (2007) 529, 19 septembre 2007, p. 7.
marchés européens, comme le souhaitent le être soumises aux mêmes exigences que les (13) « A gas OPEC », Economist Intelligence Unit, 5 février
Kremlin et Gazprom. sociétés de l’UE en matière de découplage 2007.
Il s’agit là d’une politique très ambitieuse, renouvelables et des biocarburants imposé (31) L’expansion des biocarburants par exemple pourrait être
limitée par la demande alimentaire grandissante à l’échelle
dont la mise en application dépendra fort par le Conseil européen, le gaz restera vrai- mondiale.
de la volonté politique des dirigeants euro- semblablement avec les autres énergies fos- (32) On ne sait si la réduction de 20 % doit se calculer à par-
péens, ainsi que d’autres facteurs (31). siles (pétrole et charbon) une composante tir des niveaux actuels, des niveaux projetés pour 2020, ou
L’objectif de réduction des émissions de gaz essentielle du bouquet énergétique de d’une année de référence dans le passé, comme 1990 dans le
cas du protocole de Kyoto.
à effet de serre de 20 % d’ici à 2020, et de l’Union européenne dans les années à venir.
(33) Plan d’action du Conseil européen (2007-2009), « Une
30 % si les autres pays développés s’asso- On pourrait toutefois assister à un arbitrage politique énergétique pour l’Europe », mars 2007, p. 21.
cient à l’effort, est formulé de manière complexe entre différentes sources d’éner- (34) De 1971 à 2002,chaque point-pourcent de croissance du
vague (32) et pourrait bien ne jamais être gie, prenant en compte des facteurs aussi PIB mondial calculé aux parités du pouvoir d’achat a été
accompagné d’une croissance de la demande en énergie de
atteint. En revanche, les objectifs en matière divers que les coûts et l’efficacité, la sensibi- 0,6 % (Shafranik, 2006, p. 50).
d’énergies renouvelables et de biocarburants lité aux prix du combustible, la dépendance (35) Communication de la Commission européenne « Création
adoptés par le Conseil sont contraignants aux importations, les réserves mondiales d’un marché mondial du carbone », COM (2006) 676,
(33). Une fois qu’ils seront fixés pays par disponibles et les émissions de CO2. Le gaz 13 novembre 2006.
pays, ils auront force de loi et les États qui est comparativement le plus avantageux des (36) La libéralisation du marché de l’électricité a créé un essor
des centrales à gaz, moins chères à financer, et de ce fait favo-
ne les respectent pas pourront se voir impo- combustibles fossiles, ce qui explique risées par le secteur privé.« Liberal markets create addiction to
ser des amendes (Blakey, 2007, pp.2-3). d’ailleurs sa présence croissante dans le bou- gas », Financial Times, 2 février 2007.
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