I

Lors de sa mort prématurée, en juin 1984,

Michel Foucault se trouvait à la tête de la phi-
losophie française contemporaine et au maxi-
mum de son rayonnement à l'étranger. Cherchant
à établir, avec une remarquable originalité, une Foucault
fusion entre discours philosophique et analyse ou le nihilisme de Ia chaire
historiographique. il a présenté un faisceau de
thèses fort suggestives sur l'histoire de nos
attitudes envers la folie, sur celle des présup-
posés des sciences humaines, de nos systèmes
de punition et de discipline et de nos idées sur
la sexualité.
José-Guilherme Merquior nous offre ici une
sévère évaluation critique de l'æuvre foucal-
dienne en tant qu'< histoire du présent > vouée
à l'archéo-généalogie de certains discours et
pratiques des temps modernes. ll décrit et
examine tous les livres de Foucault depuis
Histoire de la folie à l'âge classigue. De plus,
il dresse l'inventaire des critiques adressées à
Foucault, critiques restées jusqu'alors enseve-
lies dans des publications trop spécialisées et
dont les nombreux ouvrages sur son æuvre
ne rendent presque jamais compte. Merquior
s'interroge aussi sur les rapports complexes
entre Foucault et, d'une part, le structuralisme
et, de l'autre, Nietzsche. ll clôt son étude par
un essai de prof il intellectuel où Foucault émerge
comme le maître d'un néo-anarchisme à fond
nihiliste, tout en soulevant quelques questions
décisives sur la nature rhétorique de la pensée
poststructuraliste et le type d'intellectuel qu'elle
implique.

José-Guilherme Merquior" né en 1941 à Rio de Janeiro,

est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées
dont los plus récents sont i Westem Marxism (Londres,
1986) €t From Prague to Paris : structuralist and post-
structuralist itineniles (Londres. 1986).

Collection SOCIOLOGIES
FSSAIS
Françols BOURRICAUD, Le bricolage idéologique. Essai
sur les lntellectuels ef /es passlons démocratiaues
Maurlce CUSSON, Le contrùle social du crime
Hervé DUMEZ, L'économiste, Ia Science et Ie pouvoir :
le cas Walras
Roqer Gf ROD, Politiques de l'éducation, L,illusoire et Ie
possible
José-Guilherme MERQUIOR, Foucault ou le nihilisme
de la chaire
Maurfce de MONTMOLLIN, Le taylorisme à visage
h u ntaln
Joan-G. PADIOLEAU, Quand la France s'enferre. La
politique sldérurgigue de Ia France depuis 1945
 .aÔ

Z- 3o83 (:e)
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SOCIOL OGIES
Collection dirigée par Raymond Boudon |osé-Guilherme Merquior
et Françor's Bourricaud
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OU LE NIHILISME \k-Fr_
DE LA CHAIRE

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Traduit de I'anglais par

Martine Azuelos

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â@
Presses Universitaires de France
 Le présent ouwage est la traduction française de :
Ce liure est dédié à I'Atalante.
l.-G. MERQUIOR
Foucauh

@ Fontana Paperbacks, Londres, 1985

< La marque d'un haut degré de

civilisation est d'estimer les oetites
vérités discrètes, découvertês par
une méthode rigoureuse, plus hàut
que les erreurs éblouissantes, dis-
pensatrices de bonheur, qui nous
viennent des siècles et des hommes
d'esprit métaphysiques et
ârtlstes. )
Nietzsche

IJI{IVERSITËS DE PARIS
BIBLIoTHËOUE DE LA SORBONNE
ffi rEL:01{6 30I7 ' Fd 01&aG s 4a

Inv. :

SIGB bibl.

SIGB ex. :

svpptt | ûDA ÇE)

^LLt
SU epn

Cote : z 8" 3a'sQ'32,

rsBN 2 13 039659 3

Dépôt légal - I'c édition : 1986, septembre

@ Presses Universitaires de France, 1986
108, boulevard Saint-Germain, 750O6 Paris
 Sommdire

I I L'historim du prlst:nt 9
2 I Lc .qrand renfernlemcnt, ou t du côt(t d(' lû ,i)lie , 21

3 / Uuc archéolopie rie-i 5613r1,',,-t humaines

4 / De Id prose tlu mrtndt à Ia nort dt l'Lrttmrne À-
a/

5 I l/ers une appr(darion de l' < archéolo,gie ,t 62

6 I I.'arthiue iron.iqut 88
7 I T'abluu dt la soriét( rartérale 100
8 t La < crrttolopic r dt, f:oucault : sa théttric tlu pouuoir 127
9 I Politiques dtt cLtrps, tt'chniques de l'âtte : I'histoire dt, la
-çcxrralit( sel on I:out'dult 141
7{) I Poytrait d'urt néo,an,trrhistt 766

Bibliotraphie 189
Indtx 199
 Chapitre 1

L'HISTORItr,N D U PRÉSËNT

",,,',1;i,:' Jlrfi :,*,i:'"ii:";,,.:

jamais été structuraliste. r
Michel Foucault.

Lorsquc, en juin 1984, Michcl Foucault mourut à Paris d'une

tunreur ce<rébrale, Le Monde publia une nécrologie de Paul Veyne,
historien distingué du monde ancicn et collègue de Foucault au
Collège de France. Celui-ci y déclarait que l'æuvrc de Foucault
constituait u l'événement de pensée le plus important de notre
sie\clc >. Rares sont ceux qui souscriraient à ccttc affinnation
grandiloquente, mais le héros de Paul Veyne était néanmoins, à
sa rnort, I'un dcs penseurs les plus influents de notre époque.
Foucault nc fut peut-être pas le plus grand penseur de notre
tcmps, mais il fut à coup sûr la figurc centrale dc la philosophic
française depuis Sartre. Or en matière de philosophie moderne la
pratique française a été, du moins jusqu'à une période très récente,
très différente de ce qui est normalement considéré comne la
pratique courante dans le monde anglo-saxon. La philosophie de
languc anglaise se caractérise < normalement )) par un style
universitaire et une méthode analytique. Cc point mérite d'être
souligné pârce que la pensée philosophique rnoderne est, dans
certaines de ses formes continentales et notanlment en pays de
Iangue allcmande, tout aussi universitaire (et souvent pleine de
lourdeur) que dans les formes qu'elle prend en Angleterre, sans
pour autant avoir la rigucur analytique qui caractérisait hier
Russell et V/ittgenstein ou encore Ryle et Austin, et qui continue
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DE I,A CHAIRE
dc caractériscr la plupart dcs penseurs anglo-saxons d'aujourd'hui
commc Quine par cxenlple. Mais toute différcnre est la voic
empruntéc par les philosophcs français lcs plus presrigicux.
On pourrait dire que torrt comnlença avec Hcnri Bergson. Né
en 1859, Bcrgson était cxactcment conternporain d'Edrnund
Husscrl, lc père de la philosophie allcmande modernc. Commc
Hursscrl il cnscigna pcndant longtemps, nrais contrairement à lui
sorl (ruvrc prit de plus cn plus la formc d'cssais alors quc scs cours
lttiraicnt dcs foulcs et que- lui-rnônrc dever-rait I'objct d'un
vc<ritable ctrltc. A pcine était-il morr (cn 1941) que I'on vir
apparaîtrc, cr.r la personne cle Jean-Paul Sarrre (19()5-198()), un
nouvcau guru philosophique maniant un style d'une hautc tenuc
littéraire et qui dcvait demeurcr la supcrstar indétrône<e (sinon
incontestc<c) de la pcnsée françaisc jusqu'aux années soixantc.
Commc Bcrgson il alliait à dc brillanrs dons lirtéraircs une
thelorisation totalemcnt libéréc dc la cliscipline analytiquc. C'cst
bien à cette tradition cultivant lc brio plutôt que la rigueur
qu'appartcnait Foucault.
Il serait cxtrêmcment injustc de laisser sLlpposer quc I'ensem-
blc- dc la philosophie françaisc du xx' sic\cle procède dc cettcr
sécluisante libcrté que conGre une pratique que I'on cst tenté
cl'appclcr la u littc<ro-philosophic ,r. Néanmoins il iatrt convenir
qu'atrcunc autrc culture philosophique modernc ne donnc à cc
typc dc penseur une tellc importancc et qu'cn outrc on troLlve un
pcu dc tout dans la littéro-philosophic françaisc. Elle prend en
cffct rarement une formc ouvertcment littéraire, comme cclle quc
Nietzsche avait osé lui donncr, mais sc préscnte plutôt sous
I'aspcct d'invcstigations plus circonspectcs, conlme dins L' Eucrlu-
tittn créatrice dc l3ergson (1907), ou nême dc traités, comntc l-'Etre
et le Néant de Sartre (1943) ou La Phénoménologie de Ia pcrception de
Merleau-Ponty. Cepcndant, aux yeux d'un public philosôphiquc
élevé dans dcs cadrcs analytiques ou cncore daris les jargons
solennels dc la the<orie allemande, le résultat final n'est suè.e
différcnt.
Le point dc départ de I'auvre de Foucault scmble lié à urr
changcment subtil dans les fortunes dc la littéro-philosophie.
Cornme si, après l'épuisement de l'existcntialisme (et la tentative
rnalcncontrcuse quc fit par la suite Sartre pour opércr sa fusion
avec lc marxisme), la littéro-philosophic avait traversé une
période de doute intérieur. Apparcmmenr le reflux que connut le
10
t'HISToRIËtt ou pRÉsENt
syndrornc de l'angoissc et de I'engagcment dans le clirnrt
intcllectucl plus détaché qui prévalait sous la V' République
gaullicnnc plongea cc genre thc<orique dans un désarroi considéra-
ble. Lc résultat fut que la phiiosophie française sc rrouva en
quelquc sortc confrontée à une alternative : soit clle se convcrtis-
sait à la méthocle analytiquc (puisque I'appropriation des thèmcs
allemands, essentiellemcnt empruntés à Husserl et à Hcidegger,
avait dijà été effectuée par I'existcntialisme), soit elle irnaginait
une autre stratégic lui permettant dt: survivre. Dans ces circons-
tances les plus brillants des jeunes philosophes de cettc époque
optèrent pour le second choix. Au lieu de rendre ia philosophie
plus rigoureuse ils décidèrcnt de I'alimenter par le prestigc
grandissant des < sciences humaines > (linguistique, anthropolo-
gie strncturalc, études des historiens de I'Ecole des Annalcs,
psychologie freudiennc), et de celui de I'arr er de la littératurc
d'avant-gardc. Ainsi donc la littéro-philosophie réussit à retrou-
ver dc la vitalité en ûnnexant de nouyeaux contenus emDrllntés à
d'autrcs provinces dc I'esprit.
Parn'ri ces nouvcaux pensc-urs, cleux figures se détachent, cclles
de Michel Foucault et dc Jacques Derrida. La < grammatologie o
de Derrida (qu'il devait rcbaptiser plus tard < déconstrucrion >) sc
détnit comme unc reprise radicalc de la théorie saussuriennc de
la linguistiq,.'" tt.uct.ri"lc. Foucault. lui, sc tournc vers I'histoirc.
rnais en fixant son regard sur ccrtains territoires irrcxplorés et
fascinants du passé occidental, qu'il s'agisse c1e l'évolution des
comportements sociaux par rapport à la folie, de I'histoire de la
rnédecine protomoderne, ou encore du soubassement conceptuel
dc la biologie, de la linguistique ct de l'économie. Ce faisant Fou-
cault acquiert bientôt la réputation d'ôtrc, avec I'anthropologue
Claude Lévi-Strauss, le critique littéraire Roland Barthes et le
psychanalyste Jacques Lacan, I'un dcs tétrarques du structura-
lismc, cette mode intellectuelle qui surgit des ruines de la
philosophie existentialiste. I1 prend ensuire, avec Derrida, la rêre
clu < post-structuralismc ), cette relation d'amour-haine avec la
pensc<t: structuraliste qui en vint à dominer la culture parisienne à
partir de la fin des années soixante.
Foucault était une personnalité intellectuelle complexc, pres-
que liryante. Son texte le plus célèbre reste peut-être I'inquiétante
proclamation de la ( mort de I'hornme u sur laquelle s'achève Les
mots et les choses, audacieuse u archéologie o des structures
11
 IJOLI(JAT,JLT OL] LË NIHILISME I)E LA CJI{AIRE
cognitivcs qui projcta srlr son auteur les ferux de la rarnpe à partir
du nrilicu des anné'es soixantc. L'élégance plcinc de sang-froid de
cc clétachemcnt anti-humanistc, quc Foucault n'abjura jamais, ne
I'errrpêchait ccpendant pas d'êtrc passionné par cc paraclis de la
contrc-culturc qu'était pour lui la Californic, noll plus que de se
livrcr à un dénigrement ronantiqr-rc dc la raison occidcntale, ct ce
avcc autant dc passion c1u'Hcrbcrt Marcnsc. Seul dans tout le
panthc<on strllcturaliste à avoir pleincnrcnt partage< l'csprit dc
rnai 1961J, Foncault était un universitairc poli qui adorait scandali-
scr I'cstaûlishment parisicn qui I'adulait en déclarant solenncllcment
quc le prcmicr devoir des prisonniers étart d'essaycr dc s'évader,
ou encorc en accordant un soutien cnthousiastc à la révolution
inauguréc par I'ayatollah Khorneini, ct cc mépris dc toures lt:s
valeurs sacro-saintes dc la qaucirc. Son action fut cclle d'urr
homme dc gauchc non confon-rristc, son s--uvre cciler c1'r,rn
structuralistc dissidcnt, si dissidenr n1ôme que, coûunc l'indiqrlc
notre cxerguc, il refusait tout ner l'étiquettc dc strr,rcturalisrc. tle
livrc cst un essai critiquc sur son G'uvre. Jc m'appliquerai non
sc-ulernent à passer en rcvue sans parti pris I'ensenrble dc ses
pnnclpaux textcs, mais aussi à examiner une grandc partie de
la littérature critique qlle son ceuvrc a suscitéc. Je tenteiai égale-
mcnt d'expliquer les évolutions ct les changetnernts qu'a subis sa
pcnsée jr.rsqu'à ses toutcs dernièrcs (æuvres lcs denriers volumes
der son Histoire de la sexualité (.1976-1984).- Enfin, en conclusion,
-j'cssaicrai d'élucidcr lc sells profond dc la position dc cet
Iromrrrc qui s'eftbrqr.le placc:r lc pt-rst-structùralisrnc sur un
plan c<thico-politiquc, bien loin c1u nonrbrilisnc rextucl de la
< déconstructioll D.
Foucault naît en 1926 à Poiticrs, dans une famillc bourseoise.
Son père, qui est médecin, l'inscrit dans unc écolc catholique. A
la fin dc la guerre le jcune Michel est envoyé à Paris ; pensionnairc
au lycéc Henri-IV, il prépare le concours d'cntrée à I'Ecole
nornalc supérieurc. A la ruc d'Ulm comme à la Sorbonne il suir
l'cnseignement de Jean Hyppolite , traductcur et interprètc de La
phénoménolo,qie de I'esprit de Hcgel, ainsi que celui de I'historien des
scicnces Georgcs Canguilhcm et du futur fondateur du marxisme
structuraliste, Louis Althusscr. A vingt-trois ans, il sort de I'Ecole
ct est rcçu à I'agrégation rlc lrhilosophie. Puis il adhère au Parri
commr"rniste, qu'il quitter cn 1951. En un an Foucault, quc la
philosophie laissc insatisfait ct qui a également étudié la psycholo-
12
L,FIISTORIEN DU PRÉSENT
gic, sc tourne vers la psychopathologic, domainc d'étudc auqr"rcl
sc rattachc son prcmier livre (1954). Il cnscignc crrsttitc pcrrdant
quatrc ans à I'Univcrsité d'Uppsala avant d'êtrc nonrmé dircctcr.rr
dcs Instituts fiançais dc Varsovie et de Hambourg. Cl'cst cn
Allernagnc qu'il ternrine sa longue éttrdc sur l'histoirc de la folic
qui lui vaut sorl doctorat d'Etat.
En 19fi) il dcvient chef du f)c<partcment dc l)hilosophic dc
I'Univcrsité dc Clcrmont-Ferrand, poste qu'il occupe jusqu'a cc
quc la gloire ne le conduisc à Paris, cettc gloire que lui attire la
pubhcation, cn 1966, sous le sceau prcstigicux dc Gallinrard, dc
Lcs mots et les choscs, cc parfait classiquc cie structuralisme à son
apogée. A la frn dcs annc<cs soixantc il cnscigne la philosophie à
I'Université de Vinccnncs ct en 1970 r\ reçoit la chaire d'histoirc
clcs systèmes de penséc au Clollège de Francc, chaire occupée
JVant lui par H1'ppolitt'. En dclrors dc sorr cnscigncrncrrt rrrrivcrsi-
tairc Foucault est un confërcncicr très actif et nrilite pour la cause
gauchiste : il anime l'hebdornadairc gauchistc Libératiott, luttc
pour la réforme clu systèmc pénal par I'intermédiaire dc son
Groupe cl'lnfornration sur les Prisons ct prcr-rd position en favcur
du mouvement homosexucl. I)ans d'innonrbrables interviews il
sc révèle aussi le plus franc polémistc dc tous les maîtrcs du
structuralismc. contrc-attaquant vigourcuscnlcnt aux critiqucs tlc
maîtrcs-à-pcnser comme Sartre ou aux défis lancés par dcs autcurs
plus jcuncs quc lui, tcl l)errida.
Commcnt Foucault décrivait-il sa proprc philosophic ? Un
jour, cn réponsc aux critiques de Sartre, il alla lusqu'à irrdiqucr
que le structuralisme cn tant que catégorie n'existait qllc pour
ceux qui n'en faisaicnt pas partic'. Il voulait dire, bien entcndu,
quc la < tétrarchic )) gouvernant la pensée française dans les années
soixarrte (et qui était unc pentarchie si I'on y inclut Louis
Althusser, le rnaîtrc du structuralisme in partibus fideliuru c'cst-à-
dire au pays de Marx) nc formait pas un groupe cohérent. Dans
I'avant-propos à l'édition anglaise 0970) de ce qui passc pour ôtrc
la plus typiquemcnt structuraliste de ses ccuvres , Les mots et les
choscs, il s'insurge contrc u lcs conrnrcntateurs stupides u qui, err
France, h.ri ont accolc< l'étiquettc de structllraliste, et affirme qu'il
n'utilise ( aucuTre dcs rnéthodcs, aucun des concepts ni des ternles
cié qui caractérisent I'analysc structuralc rr.
l. Voir son intcrvicw dans l-a Quinzahu'littérairc,.16 (1" nrars 196t1).
l-)
 FOUCAUI,T'OU LE NIHILISME DE LA CHAIRE
Foucault donne cepcndant au moins une définition positive du
structuralisme. En plein rnilieu de Les mlts et les choses il qualifie
lc structuralisme dc < consciencc éveillée et inquiète du savoir
nroderne D et par la suite il devait souvent afïirmer quc son but
était d'écrirc < I'histoire du présent ,2. I)écouvrir lês concepts
s<rus-lacents à certaincs pratiqucs essentielles de la culture
nroderne, les replacer dans unc perspective historique, voilà quel
cst le bllt clc tous lcs principaux ouvrages de Foucault parus au
cours des qucique vingt années qui séparent la publication de Folie
ù dfuaisott : Histoire de la -folie à l'â.ge classique (1961) de celle, en
partic posthumc, del'Histoire de la sexualité.
Lcur auteur était un pensr-rlr qui nrourut en pleine force de
l'âgc. Né en 1.926, Foucault appartienr à la génération de Noam
Chomsky (né en 1928), de Leszck Kolakowski (né en 1927), de
Hilary Putnam (né en 1926) er d'Ernest Gellrrcr (né cn 1925). Il
était légèrement plus jeune que John Rawls (né err 1921) ou
Thomas Kuhn (né cn 1922), un peu plus âgé que Jùrgen
Habcrmas (né en 1929), Jacques L)errida ou I)onald Davidson
(nés cn 1930), mais beaucoup plus que Saul Kripke (né en 1940).
Ccs noms suggèrent, il est vrai, un ensemble bien disparate, mais
ce sont eux qui, depuis le milieu des années soixantc et le début
clcs années soixantc-dix, ont, par des voies très diverses, à tel
point changé le paysage philosophique qu'ils rivalisent les uns
avcc les autres pour prendre la relève du cru 1900-1910, dc cette
génération de Popper, de Gadamer et de Quine, et devenir les
principatrx artisans dc notre univers conceptuel (tout du moins en
dehors du domaine scientifiquc). La moitié au moins de ces jeuncs
pcnscLlrs sont bien connlts clu grand public, et Foucault semble
arrivcr juste après Chomsky (dont la formation n'est pas
philosophiquc) au palmarès de la célébrité. Pourquoi ?
La raison principale de I'irnpact de Foucault semble résider
dans le contcnu même de son (ruvre. lJn discours sur le pouvoir
et sur le pouvoir du discours, que pouvait-il y avoir de plus
attirant pour des intcllectuels et des facultés des lettres vivant de
plus en plus repliés sur des idées de gauche rout en étant las du
catéchisme révolutionnaire traditionnel ? La large audience de
2. Cll.Foucault,1966, chap. VI,7, p.221, erFoucault. 1975. p.27. Ilutrlisel'e'xpressron
( historien du présent r dans un entreticn avec B.-H. Lctvy (Lr Nouuel Obseruatiur,64l.
rnars 1977).
l4
I-'HISTORIEN DU PRÉSËNT
Foucault trollve son orisinc dans la montéc du schisnre intellec-
tuel et universitaire qui i largernent survécu au rcflux de la révolte
étudiantc auquel on a assisté au cours dc la dernière déccnnic.
Michel Foncault était un philosophe qui mettait un rypc inhabi-
tuel de connaissances (qucl humaniste pelrt cn effêt aujourd'hui
aborder I'examen de la grammaire de Port-Royal, des naturalistcs
antérieurs à l)arwin ou dc la préhistoire du systc\me carcéral?),
ainsi cluc dc rares talents d'écrivain et une rc:marquable rhétorique
au servicc d'idées et d'hvpothèses tout à fait au goût dc larges
sections de I'intclligentsia occidentale, apportallt par là même un
concours décisif à la forrnation dc ccs concepts. C'cst I'enjeu fon-
damcntal de son intérêt pour une < histoire du présent ,r critiquc.
Ebauchons à pre<sernt, comnre hypothèsc de travail nor.rs
pcrrnlcttant de cornmcnccr une analyse critique de sa penséc, lcs
grandes ligncs dc son programmc philosophique. Nous avons vù
quc Foucault sc décrivait lui-môme comm<: un historien du
présent. Por.rr dc rrombreur étudiants de la philosophie continen-
tale il est môme le penseur qui a opéré la.fusion de la philosophie et de
I'histoire et qui, ce faisant, s'est livré à unc critique éblouissante dc
la civilisation moderne.
A la fin dc sa vie Foucault expliqua à plusicurs reprises son
projet de critique historico-philosophique dc la modernité en
indiquant qu'il avait deux buts distincts : I'un érair d'identifier les
< conditions historiques > dc I'apparition dc la raison en
Occident; I'autre de procédcr à ( une analyse du moment
présent )) en cssayant de situer où nous nous trouvorrs maintenant,
par rapport aux fondernents historiques de la rationalité comnte
esprit de la culture moderne.
La philosophic moderne, explique Foucault, résulte largemcnr
de la volonté dc s'interroger sur I'apparition historique de la
raison autonome, < adulte >. Son thème est donc l'histoire de la
raison, de la rationalité, sous ses grandes formes que sont les
sciences, la tcchnologie ct I'organisation politique. Dans cctte
mesure elle s'articule sur la célèbre question de Kant sur les
Lumières Q7B4), question à laquellc Foucault se réfère dans un
ccrtain nombrc de textes. Avcc bcaucoup de perspicacité Foucault
rcrxarque que dcpuis Auguste Comte I'interrogation kanticnne
avait été traduite en Francc par < Qu'est-ce que I'histoire des
sciences ? u, alors qu'cn Allenlagne elle avait pris une autre forme :
clepuis Max Weber jusqu'à la < théorie critique , de Habermas,
l5
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DË LA CHAIRE
clle avait soulevé le problème de la rationalité sociale. Foucauh,
lui, cstine que son apport esr d'avoir modifié I'intérêt traditionnel
des Français pour la raison comme connaissance. < Alors qu'en
Francc les historiens des scicnces s'intéressaient esscntiellemcnt au
problèrne dc savoir comrncnt un objet scientifique sc constitue, la
question quc je mc suis posée était cellc-ci : comment se fait-il que
lc sujet humain se soit pris comnre objet dc connaissance
possible ? A travcrs
quelles formes de rationalité et dans quelles
corrditiorrs historiques ? Et crrfirr à qucl prix ? Voici ma qucition
à quel prix dcs sujets peuvent-ils dire la vérité sur eu*-mémes ? ,r3.
Pour l)escartes, on s'en souvient peut-êtrc, le iàit quc le sujct
humain puissc sc prendrc comme son propre objei constiiue
précisirment le début de la connaissancc assuréc. Mais pour
Foucault, comme aussi pour lcs structuralistes, cela ne feraif que
supposer la question résolue. Car s'il y a une chose sur laquelle ils
s'accordent_c'est que I'on doit abandonner I'rdec d'un su;et
fondatcur. Celle-ci implique en cffet (pour eux) la primauté d'ùre
consc-lcnce transparente ct une négligcnce fatale envers ce que
cherche précisément à découvrir le structuralismc, à savoir cc qui,
inconsciemment, de façon cachée, détermine la pcnsée. Ainsi
clonc lc sujet lbndatcur, ce thème royal dc l'idéalisme de Descartes
-jusqu'à Hegcl, devient la bête noire du structuralisme. Dans ce
rraité u mcithodologiquc )) un peu cnnuyeux quc constitue
L-'archéologit du sduoir (1969) Foucauk nry va pâs par quatre
chcmins : son propos est d' < affranchir I'histoire de li pensée de
sa sqétion transcendantale ,r.
< Il s'agissait d'analyser cette histoire, dans une discontinuité
cpr'aucune téléologie ne réduirait par avance; (...) de la laisser sc
déployer dans un anonymat auqueJ constitution transccndantale
'ulle à une temporalité qui nc
n'irnposerait la forme du sujet; de l'ouvrir
promettait lc retour d'aucune aurore. Il s'agissait de la dépouiller de tout
narcissisme transcendantal >4.
Quelques pages plus loin, Face à l'accusation selon laqarelle le
structuralisme ne [ait aucun cas dc l'histoirc. iJ plaiàe non
coupable ct afErme qu'il n'a r< lamais nié (...) la possibilité de
3. Ci- sorr avant-propos à la tracluction lnglaise du livrc de C)anguilhem Le normal et
patholo,qiqtte (19f11), I'excrgue de colin Gordon dans Power/Knowled?e et l'interview de
Foucault à Telos,55 (printcrnps 1983).
4. Foucault,
1969, p.264-265.
16
L'HISTORIEN NU PNÉSNNr
c-hanger le discours > (< discours > étant le mot qu'il utilise pour
dcsigner la pe's('e comnlc pratiquc socialc) ct qu'il s'est conienté
de rctirer à la < souveraineté du sujet lc -droit exclusif et
instantané > dc provoquer le changement, c'est-à-dire d'être à
I'origine dc l'histoire.
Que veut dirc exactcment Foucault ? Clertains colnnlentareurs
cstimcnt tout sirnplemcnt qLler cc désir dc libérer I'histoirc de la
transcendance est tout à la fois extravagant et obscur5. L'usage
: quc fait Foucault dcs mors est absolunrenr à I'opposé de ia
prudence dc la philosophie analytique. Nous pénétroni semble-t-
il sur un terrain plus ferme lorsque, dans la ruite du passage cité
ci-dessus, on passe à un exorcisme de la r< téléologie r-de la
connaissancc historique. Le < narcissismc t.rr-rr..nd-rntal ,r du
s.uJet c-ontemplant lui-même apparaît alors désigner ce qui a
-c.
dorrné à l'hisroricislnc une si matrvaise riputation. à savoir sa
tendance à défcndre une logiqr-rc des faits injïstifiée, imposéc aux
événemcnts plutôt que déduite d'eux. Est-ce là cc que veut
montrer Foucault, en tentant de saisir la (pré-)histoire du présent
à travers plusieurs pratiques sociales, depuis les sciences iociales
et la psychiatrie jusqu'à notre traitement des criminels er notre
idée de la sexualité ? Est-ce 1à le point de départ de son histoire
philosophiquc ?
Foucault fait allusion à la commodité qu'il y a à faire dc son
projet d'une histoire du présent une sorte dc syiithèse entre deux
iignes de recherche, l'une française et I'autre allemandc, découlant
toutes deux de la question kanticnne sur les Lumières, c'est-à-dirc
sur la nature de la raison moderne. De la perspective française
la théorie comtienne de la raison comnre hirtôite des sciences -
-
Foucault fait un Llsage sélectif ; il garde l'accent mis sur la raison
comme connaissance tout en abandonnant la vision positiviste de la
science comme incarnation d'unc raison objectivê et universelle.
Mais Foucault fait aussi l'éloge de la perspecrive allemande la
théorie (webcrienne) de la raison comme rationalité sociale -
pour sa sensibilité envers les différenres formes sociales de -la
raison. Il fait l'éloge de son concept en quelque sorte pluraliste de
la rationalité de la culture modeine ct-a même tenâance à mal
interpréter I'accent mis par 'weber sur les incarnations sociales de
le
5. Llayden white cians Sturrock, 1979, p 83. (lonrme on le
whitc éprouvait
'erra
nettement plus de synrpathic pour lcs idées dc Foucault avânr cc livre de Stuirock.
17
 FOUCAULl'OU LE t, ISME DE LA CHAIRF
la rrison, y voyarlt la portc ollverte à une vision franchemcnt
relativiste dc I'histoirc, ce qui constitue de toute évidence une
simplification cxagérée de la position conrplexc de Wcber. Quoi
qu'il en soit Foucault avc'luc partagcr avec Weber ct I'Ecole de
Francfort rrnc curiositc< pour n lcs diflérentes formes (sociales) >
priscs par < I'ascendant de la raison > en Occident. Se rappelant
ses années d'r,rniversité, il regrette quc la France connaisse si peu
ll purs.ic dc Wcber'' (cc qrri consriruc unc liqèrc cxagération
p-rLrisquc à ccttc époque dcs sociolosucs comme Raymond Aron
ou dc's philosophes comme Mcrleau-Ponty connaissaient déjà très
bicn lerur Wcber, mais passons).
En clair, Foucarrlt nous cr)gagc à r'oir sa proprc entrcprise
comûlc une tentative dc rechcrche sur la rationalité rnodernc
cilnduisant à sonder les fondcments dcs scicnccs sociales
(,, conrrnent sc fait-il que lc sujet humain se soir pris comme objet
dc connaissance possible? >). Cette investigation doit elle-même
ôtre rnenée sans pcrdre dc vue tout un n cnsemble d'éléments
complcxes, espacés ,r inrpliquant ( un -jcu institutionncl, dcs
rclations dc classc, des conflits profcssionnels, des modalités de
connaissance et (...) torrtc uu.- hiitorrc du sujct de la raison ); car
ce sont là, nous dit Foucault, les phénornènes hétérogènes qu'il a
<r cSSâyc< de rasseml-rler o7 en coirstruisanr sa cartc conceptuelle
cl'une histoirc cn profondeur de notre difficile situation culturelle
Foucault est le prernier à reconnaître qu'un tel prograrnmc est
bior vaste, ct pcut-être inrpossible à accomplir. Il rne semble
ccpcrrdant que, du moins en principe,le prograrnme foucaldien
possèdc un mérite : il essaie ouvertcment d'en finir avec la notion
brtrmcuse d'une raison unitairc faisant écho au sujct transcendan-
tal de la métaphysique de I'idéalisme classique. Mais pourquoi
est-ii si important de récuser unc telle métaphysique ? Parce
qu'elle rcpréscnte une vision trop anthropomorphique du monde. En
effet le premicr principe de la métaphysique idéaliste esr, pour
citer les termcs pertincnts de Maurice Mandelbaum, la crovàncc
que < dans I'expérience humaine naturelle on peut trouver la clé
pcrmettant de comprendre la nature ultime de la réalité 18.
Notons qu'à long tcrnre, dans I'histoire de la philosophie
6 7-cio-ç, 55 (printernps 19113), p. 2iX)
7 Ibid.. p.202
ô Mandelbaurn, 1971, l. ().
1u
L,I{ISTORIEN DU PRÉSEN'T
modernc, cette position anthropocerrtrique s'cst révélée d'une
influence bien plus forte que ce qui cst assez évidemment I'autre
corxposante de toutc définition minimalc de I'idéalisme classiquc,
à savoir la croyance selon laquclle I'homme. clé de notre sâisié de
la réalité, est un êtrc spiritucl. En effet si, peu de tcmps après la
mort dc Hegcl (1831), l'élément spiritucl de I'idéalismè succom-
bait sous les coups de boutoir dc la laicisation e'vahissante de la
pensée' du xrx' siècle, le point de vr-rc anthropoccntrique de la
métaphysique idéalistc survécut avec force dc Schopcnhauer ct de
Nietzsche à_l3ergson, Ilcidegger cr même. plus tarâ, à Wittgens-
tein. Tous furent en eifet des philosophes de I'cxpéricncc hnnrai'c
ct dcs intcrprètcs dc l'ôtre dans dcs terrûrcs on ne pcut plus
humains (que I'on songc à la < volonté o cle Schope,rh".re, o.r,
lronlquement, au < jcu ,r dc Nietzsche). Ce quc Erncst Gcllner
dc<clarait à propos de Flcgel, à savoir que sâ nrétaphysique était
d<>uillette. t'onfurtablc. ( un Ahsolu,.'n brctcllci,''', botrrrait
bic'n êtrc appliqué par c-rtcnsion à rour rrrr climat philosophiqrrc
qui a constitué le principal lcgs dc f idéalisme allc.mand j norrc
culture"
Or, à la veille de I'apparition du srrucruralisnre, la philosophie
continentale était encorc tout imprégnée dc cette vision douillerre,
humanisée, dc la réalité. Ainsi le sujet transcendantal menait-il oar
.
cxemple ulc vie dc coq-cn-pârc, choyi qu'il i'rait par I'histori-
cisme modcrne, c'cst-à-dire par lc marxisrne, rendu par Lukâcs à
sa source hegelienne premièrc, avec la praxis. ivre de totalité,
tenant licu d'Esprit; il florissait égalemcnr dans le thc\me phéno-
ménologique de la raison ( vivante ,r, fondement auquel la
philosophic' moderne était incite<c à retourner après avoir dépassé
< la crise des sciences,européennes ,i (dans lè titrc du pioprc
tcstanrcnt de F{usscrl) de façon à régénérer l'esprit occidental. Il
vâ sans dire que, pour les raisons que nous venons dc mentionncr,
cc suJet transcendantal n'était pirs du tout ( transcendant ) au scns
dc surnaturel, mais simplement au sens où il était la clé
lbrrdamcntale de I'intcrprd:tatio' de' ia réalit é. A Telos Foucault
avorle que dès 1960 il jouait avec les dcux écoles de penséc,
nrarxisme lnckacsicn. et phénoménologie. avant dc t'"-b"r,1r.,..
clans scs propres étuclc's historico-philosophiques. Mais il ch.rrsit
9. (lcllner, 1979, cirap. 1.
19
 FOUCAULT OU LE NIHILISME I)E LA CHAIRE

flnalemcnr d'élaborcr une position à partir de laquclle il pourrait Chapitre 2

sc lancer dans une enquêtc sur I'histoirc de la rationalité tnoderne
ronrDant clairement avec I'idéalisme. Son (ruvre a-t-elle tenu cettc
p.otr-,cssc ou a-t-e lle au cotrtraire at'orté, cédant par là à de
nouvelles fornrcs de crypto-idéalisme ? Avar-rt dc suggérer unc
réponsc à cette questioll nous dcvons examitrer chacune de ses LE CRAÀJD RtrÀJ]Ttr RIVTEM,EAJT,
principalcs étudcs philosophico-historiqucs.
OU ( DLI CÔTÉ DE, LA Ï:OLIË, ,,

Le prcnricr livre de Foucault qui ait eu unc intluence cst un

énormc volume publié en 1961 et intitulc< Folie et déraison : Histoire
de laJitlie à l'âge classique. Une édition abrégée, parue cn 1964, fut
rapidemcnt traduite cn anglais. Foucault _v nlorrtre que le
< tliscours sur la folie r de I'Occident a connu quatre phases
distinctes depuis le Moycn Age.
Alors qu'à l'époque médiévale la folic était considérée commc
s:rintc, à la Renaissance ellc fut iclentific<e à unc formc spécifiquc
dc raison supérieure ironiquc : que I'on songe par exemple à la
sagesse dc la fblie dans le fameux éloge d'Eraslnc, sâgesse que I'on
rctrouve dans la folic qui s'cnpare des personnages dc Shakcs-
peare et dans celle, souvcnt sublime, du chevalier dc Cervante\s.
L'arnbivalence prémoderne à l'égard de la démence troLlvc sa
rncilleure expression dans le thème de la Nef des Fous qui hante
I'irnaginatior-r populaire à la l{enaissance. D'une part, grâce au
syrnbolismc de la Nef des Fous, I'Occiclent prémoderne exorcisc
Ia folie en chassant ses fous. l)'autre part il semble que ces
vaisscaux soient vaguement perçLls comrne des <, navires dc
pe\lcrinage. des navires hautement symboliques d'insensés en
rltrôte dc lcur raison >. La iblie, qui n'est pas alors l'objet d'urrc
1'rcur sociale et rlui nlt:t souvent à nrr I'absurdité clu monde
(c'ommc dans la satire humaniste ou dans la pcinturc dc Bruc-

20 ll
 FOUCAUI-T OU LE NIIIILlSME I)F, I,A (]HAIRE
ghel), désigne un royaumc dc scns au-dclà cle la raison, et dc ce
fait la dérnencc cst cxpulséc mûis notr cxcis(e de la société : cn
attribuant à la folie un rôle fonctionnel la pensée de la Ilcnaissance
garclc avec elle un lien de fàrniliarité. Il existc clc nonrbrcux ponts,
tant sociaux qu'intelle ctuels, entre raison et déraison. Pour
1'honrnc dc la Ruraissance la folie déricnt urle part de la vérité.
Mais soudain, r'ers lc rniiicu du xvlt' sic\clc, u la folie a cess(r
cl'ôtrc, aux confins clu mondc, de I'homme r:t de la nrort, une
figurc d'eschatologic o. La ncf imaginairc sc transforme erl
lugtrbrc hôpital. L'Europc transformc ses léproserics dcpuis
longtcmps désertécs en asiles dc fous. Dcpuis la fin des croisades,
lc recul de la lèpre a vide< lcs léproscrics, mais ellcs scront à présent
habite<cs par des léprcux tn()rdux :
u A la trn dtr Movcn Age, la lèpre disparaît du monde occiderrtal.
[)ans les lnarges de la communauté, aux portcs dcs villes, s'ouvrent
commc dc grantlcs plagcs que le mal a cessé dc hantcr, rnais qu'il a
laissécs stérilcs t:t pc)rrr longtenrps inhabrtables. Des siècles durant, ccs
(<tendues appartiendront à I'inhunrain. [)u xIv" au xvu" siècle, elles vont
attendre et sollicitcr oar d'étransc-s incantations une nouvelle incarnation
du nral, unc autre grimace de la pcur, dcs rnagics renouvelées de
purification ct d'exclusion. (...) La lt\pre se retire, abandonnant sans
e rnploi ces bas lieux ct ces rite s qui n'étaient point destinés à la
supprirner, mais à la nraintenir dans une distance sacréc, à la fixer dans
tunc cxaltation inversc. Ce clui vâ restcr sans dclute plus longtentps que
l.r lc\prc, et se n.raintiendra encore à une époquc où, depuis des annécs
di1à, les léproseries seront vides, ce sont les valenrs et les images qui
s'e<taient attachécs au personnagc du léprcux; c'est le sens de cette
cxclusion, I'importance dans lc groupe social de cette figure insistantc et
rcdoutable qu'on n'écartc Dâs srns avoir tracc< autour d'elle un cercle
Sacrc< )
1-
Oes phrascs sont toutcs cxtraitcs du premicr chapitre de
I'Histoire de la,fôlie à l'â.qe classique . Elles donnent une bonne idée
du style de Foucault, qui allie avec originalité le pathos à
I'érudition. L'éclat littéraire de ccttc pro;c slrggère bien ce dont
Foucault vcut faire à la fois lc récit ct le procès, à savoir ce < grand
rcnfcrmemcnt > (l'expressiolr est ernpruntée à la langue baroque
de cette époque) dont le but était de maîtriser la démence en
nrcttant les fous à part parce qu'ils constituaient une catégorie a-
1. Foucault. 1961. reéd. 1972. r:. L3-1,6.
22
LE GRAND RENFERMEMENT OU ( T)U CÔTÉ DE LA FOI-IE )
socialc. En effet à <r l'âge classiquc u (xvrr' .:t xvrrrc siècles) la folic
cst nctternent isolée de la santc< rnentale. Lcs fbus nc sont Dlus
expulsés de la sociéte( parce qu'ils so't < diflércrrts o. Ils iont
cnfèrmés dans des lieux réscrvcls et traités comrnc on traite les
autres types dc déviants, qu'il s'agisse des pauvres, des criminels
ou môrnc des oisifs. Pour Foucauit l'éthiquc puritaine du travail
n'est pas loi. d'ôtrc.unc fbrmc spécifiquc du
esprit de
sciricux caractérisant la bourgcoisic classr,qr,re. A 'ouver
la Renaissance la
folie n'était pas erlcorc une nialadie. A l'âge classiquc elle devicnt
u. dérèglcmenr dc I'esprit" La raison ratiànalistc jirge la dc<raison
( pathologique )) ct fàit peser sur clle r-rne malédiction lourde de
connotations éthioucs.
A l'âge classiquc la maison d'interncrncnt n'a aucun but
thérapeutique. son otrjct principal, nons dit Foucaurt, .st clc
séparer ct de corriger. Mais hors des murs de l'hôpital on voit sc
rnultiplicr des traitements physiqucs de la folie rcmarquablcs tanr
par leur brutalité q^ue par lc scientifiquc que celre-ci
cnrprunte. Leurs effets lcs plus'rasqucrréfàstes résultent del tentativcs
:russi abominables qu'ingénieuses visant à arrêter ou à dertruire la
<r corruption des humeurs >. La fblie est en
effet envisasée coûrme
unc, fonnc. de. dégradation du corps ct cornbattrie par des
n-réthodes cherchant < soit à dévicr lci matièrcs .orro-o.r"s. soit
à dissoudre les substa'<rcs cor^lptriccs ,. parmi les premières cle
('cs lncithodes on pctrt citcr I'utilisarion fritc pai un ccrtain
Falfowcs dc l'oleum celthalicum. ce doctcur p.'rrsait cn efrêt
(luc
u dars la lblic "des vapcurs bo*chenr les vaisscaux très fi's oar
'oircs passer" le
l.squc'ls les..esprits animaux devraient ; sang est alors privé de
tlircctio'; il e'cornbre lcs veines ,lu cérrreau où il stig'e, à rnoins qu'il
r)c solt agité d'un mouvemcnr co'fus "qui brouille lei idées". L'olium
( )tphnlitun a I'av.antage.dc provoq'er "àe
petites pustules sur la tête";
.rr lcs olnt avec dc l'huile pour les enrpêcher de se clessécher et de façon
tluc dcrrreure ouverte I'issuc "pour lcs vapeurs noires txées dans Ie
t crvcau". Mais les brûlures, rnais les c'autèrcs sur tout le corps
produisent le même effct. ()n s.upposc mênre que des maladies cle la peau
('()l)llnc la gale, I'eczérna, ou la petite i'érolc, pcuvent mettre fin à un
.i.r't\s de folie;la corruptio'quitte alors les visèèrcs et lc cerveau. Dour
r,' répa'dre à la superficic du c.rps ct sc libércr à 1'cxtérieur. A la fin du
s.ri'clc on prendra I'habitude d'inocr.rler la gale dans lcs cas lcs plus rétifs
rl. nranie. l)oublet dans son Instructittn ac tzgs, à I'adrcsse cles àirectcurs
z-)
 I.OUCAUL'T OU LE NIHILISMË DE LA CHAIRE
d'hôpitaux, recomrnande, si les saignécs, les purgations, les bains ct lcs
ciouches ne sont pas venus à bout d'une manic, d'avoir recours aux
cautèrcs, aux sétons, aux abcès superflciels, à I'inoculation de la galc Dr.
Tous lcs traitements utilisés à l'âge classique ne sont pas aussi
durs et aussi stupides. Outre les < thérapics > physiques il existe
dc nombreuscs rcccttes morales dont le chapitre intitulé < Médc-
cins et malades >, véritable tour de force d'érudition descriptive,
trous donnc unc très riche illustration. Mais il c-st clair comine de
I'eau dc rochc, et c'est là le point csscntiel, qu'à l'âge classiquc,
au clébut des ternps nodernes, la folie devient en Occident
unc maladie, pcrdant par là nlême la dignité dont clle jouis-
sait lorsqu'elle était considérée comnle une déraison lourde dc
SCNS.
Puis, à la fin du xvrlr' et pendant presquc tout lc xrx' sièclc-,
dcs rc<formes psychiatriques impulsées par I'ccuvrc pionnic\rc
accomplie par le Quakcr V/illiam Tuke dans sa Rctraite de York
et par Philippc Pincl à Paris séparent les aliénés de la compagnic
des criminels et dcs pauvres. Pour Foucault, qui adopte sur cc
point I'optique marxistc, si lcs pauvres ne sont plus enfèrmés c'est
parce que I'essor industriel requiert des bras et une armée de
réscrve de main-d'cruvrc. Quant aux aliénés, définis comme des
malades, des ôtrcs humains dont le dé.reloppcment psychique est
bloqué, ils sont libérés physiquement (cf. le geste emblématiquc
cle Pinel brisant leurs chaîncs à l'asile de Bicêtre en pleine Terreur)
ct sc voient appliquer un régime éducatif bienveillant. Foucault
cst néanmoins persuadé que ceci n'est fait quc pour mieux
crrrprisonner leurs esprits tâche confiée à f institution de I'asile.
Unc fois entrci à I'asile, -l'alierré. qui est nraintcnarrr un paticnt
placé sous I'autorité du discours psychiatrique, subit un < procès
profondément psychologique < dont on ne se libère que par (...)
lc repentir >''. La torture morale dcvient ainsi la loi de la tyranie
cxcrcée par la raison sur la folie.
Avant les réformcs psychiatriques introduites dans l'asile par
Pinel ct scs collègues les fous jouissaient. atÏirme Foucault, d'une
liberté plus grande que celle quc leur accordent les thérapir.s
modernes parce que l' < intcrnenrent classiquc )) ne viseit pas à
transformer leur conscicnce. Leurs corps étaient enchaînés mais
2. Ibtd., p. 330-331
3. Ibid., p. 523.
24
I,F, ( RAND RENFERMEMENT OU ( DU CÔ'IE DE I,A FOLIF: ))
leurs esprits avaient des ailes, des ailcs qui furent ensuite coupées
par le despotisme de la raison
Ainsi Ia pensée occidentale en vient-elle à séparcr nettement la
raison de la déraison. < La constitution clc la f-olic commc rnaladier
mentale, à la fin du xvur' siècle, dresse le constat d'un dialogue
rornpu )) entre raison et déraison. < Le langage dc la psychiarrie,
qui cst monologuc de la raison sur la folie, n'a pu s'établir que sur
r-ur tel silence. u < La vic dc la raison D ne sc rnanifeste plus ônsuitc
que < dans la fulguration d'<ruvrcs comnrc ccllcs dc Hôldcrhn, dc
Ncrval, dc Nietzsche ou d'Artaud r. Quant à la psychiatric
humanitaire héritière de Pinel et dc "l'uke. clle se réduir à trn
( gtgantesque emprisonnemcnt moral ,r. Qui plus cst I'asile est le
rniroir de toutc une strLlcture autoritairc. cerllc de la société
bourgeoise. Cette structure < {brmc un microcosme où sont
syn-rbolisécs les grandes structlrres rnassives de la société bour-
gcoise et de ses valeurs : rapports Farnillc-Enfants, autour du
thème de l'autorité paternellc; rapports Faute-Clhâtirnenr, alltorlr
du thèrnc de la justice immédiare, rapporrs Folic-I)ésordrc,
autour du thème dc I'ordre social et moral. C'est de Ià que le
nrédecin détient son pouvoir de guérison ,a.
Enfin, à notrc époquc, apparaît une quatrième façon de
conceptualiser la relation raison-déraison. Freud atténue en effet
la différence entre santc< mentale et folic cn jetant entrc leur:
polarité son concept de névrose. Cependrnt s'il àccomplir rrn pas
clécisiien rcndant caduque la mentalité de l'asile ii rcsrè attaché à
I'autoritarislne cn livrjnt les personncs atteinte s de troubles
nlclltaux aux charmes dc chamancs.
Il rrc fait oas de doute que I'Histoire de la Jôlie à l'âge classiquc
> ()uvre un champ de rechcrches auquel il était légitime der
s'intéresser puisqu'il porte sur les présupposés culturels sous-
.jaccnts aux différentes attitudes historiqucs par rapport à une
spl-rère tout à fait troublantc du colnportement hurniin. Dans un
('onlpte rendu chaleure ux Michcl Serres qr"ralifrc ce livre
rl' n archéologie de la psychiatrie )) et c'cst probablement là
I'unc des premières fois que le rerrne -est apprliqué à Foucault (qui
tlcvait lui-même I'utiliser dans les titres ou sous-titrcs de ses trôis
livres suivants). Pour Scrres 1'Histoirc de la -folie à l'âge classique est
( cn tollte précision > (sic) à la culture dc l'âge classiquc ce que La
+ Ihid., Préfacc à la premrèrc éditron p. n ct p. 525-53().
25
 FOUCAUL ()U LË NIITILISMË DE LA T.]FIAIRIJ
Nais-çarrcc dc Ia tra.qédic clc Nictzsche esr à la culfurc- dc la (iri'cc
ar-rtir.1ue : cllc < mct cn crvicicncc les dionysismcs latents sous l:r
lurnir\re appoliniernnc )) : ( on sait enfin de quclles nuits lcs
-jours
sont t:ntourés u, conclut-il sur un ton d'enthousiasnrc lvricruc5.
L'accueil c:haleurcux quc reçLrt Foucault dc la part drr rnouvcincntt
dc I'arrtipsychiatric (Laing ct al.) énit unc réacion directc à ce ttc
vcrr.rc orgiaquc. Aux Etats-Urris lcs critiqucs furent cn clïèt
pr()nrpts à rcmarquer la parenté cl'csprit, sinon dc ton oir clc
rndthocic, crrtrc Foucault ct le péan stridcnr au ça prirn.rl auqtrcl sc
livrc Norrnan llrown (dont Lili, ,A.qainst Dt'atlr ('pamr cn {,.59)t.
L'Ilistoira dc lo .folie à l'âpr classiclttt engurdra ésale:ment routc unc
Iignéc cl'o'uvres c<lulécs clans trn motrlc fortcnrent ( c()ntrc-
culturcl u ct visanr ) clc<fcndrc la psvcliose, (ruvrcs dont lrr plus
céle\brc rcstc J-',4nti-Gl'lipc : Capitalisme ù Schizophrtnic dc (lillcs
I)cletrzc ct Fe<lix Gurttari (1972\.
L'cx.rrrrcrr clc cctrc prcrrrii'rc cituclc historico-plriloso1.111.,,,,.'
nous obligc à nous dcrnandcr si Foucault r-rc fait pas d'cntrrrsc à
l'histoirc. t)n sugpc\rc parfbis qLlc c'est unt: crreLlr dc poscr (ctrc
question puisquc Fouc.rult err vint à partager plcinerrrcnt le poirrt
tlc vuc clc Nictzschc cllri ré,':us:rit la prétention des historic'ns à
I'objcctivitc ncutrc. l)ans r< Nietzschc, la généalogic, l'iristoirc >
(1971)" il traitc avec un nrépris nicrzscirc<en < l'histoirc cics
historicns r qui, s'efibrçant d'ôtrc ncutrc, irn.rqine ur) polllt
d'eppur en clchors tltr ternps clrri n'cst pas plausitrlc. Conrbicn plus
s.ri.lc. l}(}us dit Foucarrlt, cst lr . gtinellogic,,dc Nictzst-hc qtii rrc
cnrirrt pas d'itrc urrc corrrlri\sarcc crr pcrspcctivc ct supp()s('
c()LlrelJcuscnrcllt ( le systènre clc sa proprc injusticc n.
Mais affirmer lc clroit dc faire une histoire < du préscnt r. er
rrrônre de pratiqLrer unc histoirc engagéc, ric ditp"nt. pas
l'historien dc scs dcvoirs empiriclucs à l'égarJ des données. pour
prouvcr lcur pcrtinencc les histoircs à thc\sc centrées sur le préscnt
doivcnt au contraire tcnter de nous convaincre dc I'exactitude dc
leur lecturc du passé. Après tour Foucarilt lui-nrême décrit son
livre cc>n.tntt: ( unc histoire des conditions écorrnrniques, politi-
5. Scrres. l1)6i1. p. 1711.
(r. N. du -1-.
:
Irachlit en françris soris lc titre Ilros tt 7'hantttos, Paris, Julli;lrd, 1960.
7. (lf-. le comtc rerrrlu d'Etierr Fricderrtrcrg dans L Ncl, Ytrk T-tni's RooA Rrlic.r du
22 août l9('5.
lJ. Nietzschc. ia gt<nr<rlogie , I'histoire, rl Siuronc Ilachclerd tt a[., IIomma.qe ù Jtan
Flyppolitc, l)aris, I)rcsscs Llniversitairt.s ric Frlncc, 1971.
26
I-I] (IRAND RËNFËRMEI\I ENT()U ( DU CôT'É TIN LA IiOI,IE ))
c1lcs, idéologiqucs et institutionnellcs cn fbncrion dcsqr.rcllcs
s'cffecttra la ségrégation cics aliérrés au cours de la période
classiquc ,'. I)ans la préfacc à la prcrnière édition dc son livre,
Foucault indique qu'il s'est proposc: d'écrirc une histoirc <, de la
folie elle-mêmc, dans s.r vivacité, avant toute capturc par le
savoir r> (psychiatrique) -- tâchc qui, comme lc remarqlle avcc
raison Allan Megill, ne diflèrc lauc\rc dc celle de I'historiographie
orthodoxerro. Il est vrai quc plus tard Foucault en vint à nier que
son bnt ait été la reconstitution de la folic cornme rc<férent
historiqtre autonome rr lneis il cst indriniablc qrre, à l'époquc- où
tirt rédigé I'Histtoire fu- la.fôlie, son but était celui que se fixc
n normalcmcnt > I'historiographic. Il voulait relnettrc cn question
les cxplications historiqucs antérieurcs, non mettre cn doute la
léqitrnrité, et cncort: nroins la possibilité, dc la recircrcl-rc histori-
<1uc. Nor;s por.lvolls donc corrc:lurc salls risquc que chez le jeunc
Foucault l' < antihistorien u n'cxistait pas cllcore plcinement. A sa
placc il n'y avait cncorc qll'un u corrtrc-htstorielt ,, c'est-à-dirc un
ltistr,ricrr contcstant lcs irrterltr.itrtions clolninnrrtcs srlr un certail
.ispcct clc notrc passé:la fblic. Nous avons c-lonc cnfin le droit dc
rlonncr unc réponse à lr qucstion : l'histoire dc Foucault cst-cllc:
confirrrne aux iaits ?
I)ans unc large mcsure, clle l'est. Mêmc Lawrcnce Stonc, qui
cst pourtant I'un dc scs principaux détractcurs, convicnt du fait
quc Foucault est très largcnent dans le vrai lorsqu'il pensc quc la
\ra!îue d'internenrent à laquellc on assista à la fin du xvrr' et
pcnclant tout le xvlttc sièclc constitua ulr pas clr arrièrc dans la
nlcsure où elle soumettait sans discrimination toutes les pcrsonnes
victinres de troublcs mentaux atr traitcnicnt séve\re réservé iusque-
lri aux dangercux psychotiquesl2. Mais lcs problèm", ..rir.rrri"n-
('clrt quand Foucault a) rnct I'accent sur lc u dialogue )) avec la folie
r;tri aurait existé au collrs du Moycn Age et de la Renaissallce, cn
I'opposant à ia ségrégation dont cclle-ci aurair fàit I'objet à
l'ripoque modcrnc, c'est-à-dire rationalistc; à) insiste pour voir
tlrns l'< âge classiquc'u (l'époclue du grand renfermemcnt) une
'). Voir s:r dcuxième réporrse à Gcorgc Steincr (auteur du comptc rendu sur l'Histrtht de
/,r làlre clens la Ncrr l'orfrpap1.,11, (.rl'Boo&s) dans l)l,riritir.r, vol. I, n" I (autonrnc 1971),
p.60.
ttt. Mcgill, 1979, p. 4713.
I l. [:ouc"ult, 1969, p. 6.1-6!,.
l.l. Stonc. Madness, Nerr t'orË llgyipw ol Bortks, 16 (décctnbrc i982). p. 36.
27
 T]OUCAL]L]'OU I-E NI}IILISME DF LA (]}IAIRI:
période sans pr(cédenl en raison de la naturc, ct lron prts st'ttlctttt'ttt
de l'étcndue, de son traitcnrcnt de la folie, ct tlit qrrrrtl rus tlc l:r
trarrsfbrmation des léoroseries en maisons d'intcrrrcnrt'nt ct tlt'
I'apparition d'rtrre conir-ption u physiologiquc r clc la firlic c()nur)c
rnaladic, ct c) considère les thérapies uttilisécs par -l'ukc ct l)incl
corrrmc des méthodes radicalement nouvcllcs Dour vcnir à botrt rlc
le rnaladic mcntalc, totrt en détronçant colnnlc protirrrtlt:rncrrt
répressifs les processus noraux qu'clles mettort cn uuvrc.
[)ans lc cinquie\nre chapitrc d'un livrc supcrbe (l)s1,111u I)rr/iri,s,
19t32) lc regretté Peter Sedgwick sapc les bascs dc plusictrrs ,lcs
présuppose<s tondarnentaux srlr lcsqttcls rcp()sc lc tablclrr lristrrli-
quc clrcssé par Foucault. Il nrontre par cxcmple qu'err lJlrropc l-rit'rr
avant lc qrand rcnfermcment beaucoup d'alic<rrés ['t.ricrrt tlt'j)
incarcc<re<s et qu'ils subissaient des traitcnrents (rrrônrc si t'r'rrx-r'r
é'taierrt prinritifs). Ilien avant l'âgc classiquc il cxist;rit tl:rrrs
plusicurs villes de la vallée du llhin des hôpitaux conlprcnant ur)('
partic réscrvéc à l'accucil dcs personnes souffiant clc troublcs
nrelrtaux. Même cn Espagne, et pourtant la société csp:rgrrolc
d'alors ne se consacrait pas précisérnent à emlrrasscr lc nrtiotr:r-
lisme moclernc, il existait dès lc xv' sièclc unc chaînc nrttiorr;rlc
cl'asilcs charitables réservés en particulier aux alie<nés. l)ivcrscs
tcchniqucs témoignant d'une vision grossièrencnt physiologrtytrc
dc la maladie mentale, ct dont le rnodèle de Foucar"rlt iait clcs
lttributs dc l'âge clc la llaison, étaicnt en fait déjà tre\s largcrncr.rt
divcloppées dans I'Europc pré-rationaliste, bcaucoup d'entrc cllcs
e'tant originaircs clcs sociétés mtrsulnranes.
Parmi ces tcchniques o11 pclrt citer la diètc, lejcûne, la saignéc
ct la rotation clouce (qui consistait à provoquer chez lc for.r I'oubli
au moycn d'une ccntrifugatiorr mécanique). Pour la plupart leur
urilisatiorr remontait à la rnédecine cle I'Arrliquité (époque qui, de
toutcs façons, sort des limitcs de l'étudc de Foucault). Sedgw'ick
insiste à fort justc titrc sur la continuité de I'art médical à travcrs
les âges. Il ne nie pas lc développcment de ( I'attitudc médicale >
qui a acconpagnc< les débuts du rationalismc moderne, ntais
souligne quc la vision nrédicale de la folie nc peut <:n auclln cas
résultcr uniquement d'un << rationalisme bureaucratique D envâ-
hissant rornparlt brutalcment avec une prétendue lonsue tradition
cle tolérance à l'égard dc la fôlie.
Il. C. Erik Midclfort a rassemblé un certain nombre d'argu-
rnents historiques qui sapent ellcorr- davantage les bases sur
28
LI] GRAND RENFËRMEMENl'OU ( DU CôTÉ OE LA FOI'IE I
lcsqtrclles repose l'Histoire de la -fitliet3 .Il n'élève auclrnc- oppositiorr
de principe à la façon cJont Fouceult dérnasque lcs Lurnières et est
clonc loin de se poser cn défenscltr otltragi: d'ttne chronique
dépcignant tout t:n rosc lcs progrès héroïqucs accotnplis par la
rnêdccinc. Mais il iait égalcrnent preuvc d'ttne rnaîtrise redoutablc
cl'r:ne imoressionnante littérature sur l'histoire de la folie et de la
1.'sychiatrie .
Je ne puis qu'inviter le lcctcur intéressé à se rerporter à la
brilante synthèse réalisée par Midclf<rrt et à tircr parti de son richc
support bibliographique. Mais un ccrtain llombrc de points
cloivent être soulignés irnmédiatcmcllt : 1) il existe de nombreu-
scs preuves dc la cruauté rnédiévalc à I'cncontre ders alietnés : 2) à
la fin du Moyen Agc et à la l{enaissatrce lcs fous étaient dé1à
solrverlt enfermés dans des cellules, des prisons ou môrne des
calacs; 3) qr,r'il y ait cu n clialoguc )) ou tlorl la folie était à cettc
époque souvent nlisc cn relatiotr avec le péché, et ce Inôme dans
li rnythologie de la Nef dcs Fous; dans cctte nresurc elle était
considéréer avec bc,aucoup moins de bienvcillance que ne lc
suugère Foucault (les esprits pré-modcntcs acccptaient la réalité
cle la folic de la folic comme ( part de vérité D -- totlt colnlnc
- la réalité clu péché ; ntais cclâ nc signific pas qu'ils
ils acceptaicr-rt
r:stinaient la folie, pas plr"rs qu'ils n'estimaient le péché); 4) cornmc
l'a montré Martin Schrenk (qri est lui-nrême sévère avec
Foucault) lcs maisons de fbus ouvertes au début des temps
rnodernes ont pour origitre dcs hôpitaux ct des monastères
nrédiévaux plutôt que des léproscries ; 5) lc srand renfcrme nrent
avait pour première cible non la déviancc mais la pauureté, qv'il
s'agissc de la pauvrcté des crinrincls, de ceile des fbus olr tout
simplement cle la pauvreté des pauvres ; I'idée qu'il annonce (au
r.ronr de I'ascension dc la bourgcoisie) une ségrégation rnorale ne
résiste pas à un examen sériettx ; 6) en tout état de cause il n'y a
pas eu, conrme I'a souligné Klar:s Doerlrcr, cet autre criticluc cle
Fioucault. d'internement uniforlne et contrôlc< plr I'Etat : les
rnodèles anglais et allcrnand s'écartetlt par cxc'mplc trùs sensible-
rrrcnt du grand renfcrmement opéré sous Lottis XIV; 7) I'ordre
rlans lequel Foucault décrit lc's choses rne semble erronc< : en effet
clès la fin <lu xvIIt' siècle I'intcrnelnent des pauvres était générale-
rrrcnt considéré comme un échec; or c'cst précisénrent à ce
l.l. Midelti>rt. in Malan-rent, 1980.
29
 FOUCAULT ()U LFI NIHILISME I)11 LA (ill^llll
ilromt:nt-là que I'intcrnemcnt cles fous prit dc I':rrrrplt'rrr', ( ()llun('
I'ont si irréfutabicmcnt montré les stltistitlrrcs ( ()ilr ( ilr,rnl
l'Angleterre, la France et 1cs Etats-Unis;t3) 'l'trkc t't l)nrt'l rr'ortt
pas < inventé rr la maladie mctltalc , ils cftrivcr)t iru ( ()nt r.ln'('
bcaucoup aux thérapies utilisées avant clrx, srtr lt's; tttt:tlt.rtlt's
dcsquclles ils se sont aussi sotlvcnt apptlya's ; ()) crr ttttt t t' lc
traitcment moral rr'était pas à cc point csscl)ticl rl:rrrs l:t rrrt:tlit:rlis:r-
tion de la folic opérée dans l'Anglctcrrc du xtx' sii'r'lc, lorrr tlt'l:r
con-rmc I'a montré Andrer.l' Scull lcs médccirrs voy:tit'trt tl,tns l;t
thérapie morale développée par Tukc unc nlenacc cluc f :us,rit l)cscr
le profane sur leur art et ils s'ef1orçaicnt cl'c<vitcr rl'y rrvoir r'('(()ul's
ou dc I'adapter à lcur pratique. Unc fois dc plus lcs rrrorrolitlrt's tlc
Foucauit qui ont tant marqué lcur époqtrc s'écrottlcnt sorts lcs
coups quc lcur porte I'accurnuletion dc prcuvcs lristorirlucs
contraclictoircs.
En cffet lc sombrc récit dc la tvrannic erxcrcéc 1.rlr dc tro[.lcs
esprits médicaur r.r'cst nttllernent corroboré par lcs clocrtntcrrts
illustrant lcs thérapics rniscs cn t.-.uvre perrclatrt l'âgc dt' l';rsilc.
Ainsi lcs rechcrches originalcs menées par I'historicrr I ).r vitl
ll.othnran (TlLc Discouery o.l the Asylum, 1971) strr lc rleivcloppc-
mcnt dcs établisscrncnts psychiatriques dans I'Anréricltrc -i:rckso-
rricnne I'ont conduit à mcttrc en évidence un abandwr,:rtr ruilicrr
clu xIx'sic\cle , des méthodes psychiatriques au profit cl'trn sir.nple
interncrnent. Or ce que dit Ilothman est en parfiitc hartttotrtc
ave:c lc r< nihilisme thdrapeutique > de cctte époquc, ccttc
répuenancc qu'avaient alors lcs médecins à passcr du cliagrrostic
au traiternernt, répugnance cllc-même fondée sur une visiort
pessimiste des pouvoirs dc la médccine (un demi-siècle pius tard
lc jer-rnc Frer.rd dut encore cornbattrc cette idéologic médicalc,
c'nracincle depuis longtcmps à Vienneia) . Rothman ne suegèrc cn
aLlcun cas qut: I'asile d'interncment (par opposition à I'asile
psychiatrique) était une bonnc chosc. Au contraire il voit un lien
cntrc ccttc ment:rlité d'internemcnt et lc contrôle que la bourgcoi-
sic naissarrrc souhaitait cxcrcer sur ies catégories sociales < dange-
reuses >. Mais s'il clit vrai le phénomène de répression de la folie
fut le résultat de la passiuité des médccins et non d'un acharnement
psychiatriquc que Foucault veut préscntcr comme I'instrument de
disciplinc d'unc raison despotique ct intcrvcntionniste.
14. Sur cc point voir lohnston. 1\)72. p.223-229.
3t)
LE {;RAND RENFERMEMEN T T]{-J ( I)i-J C] OTE DT I-A FOTIE ))
Le livre de Foucault s'err prcnd evant tout à I'ooinion recuc srlr
I'lrr.imanitarisme des Lurnières. Il constituc .lonc un cléfi aux vues
plus r-ir.rancées dc<fcnducs par clcs cxperts de cette période aussi
r((onnrrs qtrc Lau'rcrrr'c Storrc, clcfi qrrc tt'ux-ci rrc pouvaicnt
nranqlrcr cie rclevcr'". Quer pcnser par aiileurs dc i'idéc selon
laclueitrc I'institution dc la psychiatric constituc Lrn u qiqantcsquc
ctttprisonncltlent ntoral ,r ? La vérité cst qlte les nraisons dc fous
: ;riivécs ct lcs ancicrrs asilcs publics étaicnt scandalcuscnrcnt mal
tcnus ct quc si ies réiormcs rrriscs cn place par dcs piortrrir-rs
('()lrlnle fukc ct Pinel, qtri aboutircnt à la création clcs prcrnrcrs
ht)pitaux psychiatriqucs modernesl r)c furent pes aussi parl'aitc-
rrrcnt angéliqucs qu'on lc croyait autreiois, ellcs constituèrent
néaumoins clc véritablcs actcs de philantlrrorric éclairée. L'accusa-
rion dc u sadisrne rnoralisatcur u iancée Dar Foucault à I'cnconrre
.lc l'r'lrfirrcc cle ll psychiatric rcli'vc dt,rrr.j.'lr.r rrrÉlodrarrre idcrologi-
c1trc. Se rangcr ciu côtc< dc le folic, i'oilà qui est trL\s bien, mais le
désir cic faire des aliénés les victirncs dc ia société ne dcvrait pas
fàirc oublicr que lcurs soutrance:s appelaicnt urrc thérapic. L'iùctc
cltrc préfercr l'éducatiorl aux f-ers c'était opter (môme inconsciern-
nrcnt) porlr un proccidé carcéral réprcssif nc résiste pas à I'cxamen
critique. La phobie anti-bourgeoise de Foucault a tendance à lui
fairc conclarnller un pcu vitc la philanthropic victoricnnc, alors
(11 un bourgeois moins partial du norn de Charles l)ickcns, dont
I'lrunranitarisme se scandalisait des u,Ltrkhou-ce-ç londoniens, sc
rnontrait au contrairc très imprcssionnd', renrarquc J. K. Wing
rlens Rsa-çoning About iVladness"'', par I'humanitc< du climat qur
régnait dans lcs pctits hôpitaux psychiatriques an-léricains, où
rrréclccins et personTlcl adntinistratif allaicnt jusqu'à partager lcs
rcpas des nraladcs. Il serait inrprudent d'cxtrapoler à partir de cet
excnrplc ct de bien d'autres témoignages positifs dc contenrpo-
mirrs pour drcsser un tableau iclvilique de I'humanité psychiatri-
tltrc : nrais rien dans les faits nc dicte la conclusion contraire, à
s:ivoir cluc la médicalisation dc la fblie à laquelle on assisra dans
Ics prernic:rs tcmps dc la psychiatrie r, bourgeoise > était partie
rrrtcigrantc d'uner société rt carcéralc ,r épotrvantablc (pour utiliscr
rrn adjcctif dont Foucault fit par la suitc un slogan).
Ir l)our unc critiquc d'un autre spécirlistt- voir le corrrptc renclu cle Ptter (iay dans
( :omnetûdry t ;10 (octobrc 1965).
Wurg, 197ti, p. 196.
-)l
 FOUCAULT OU LE NIHII,ISME I)E LA (]HAIRTl
En clfet nous Dossédons depuis 1969 lc corrcctif naturel au
tableau manichéen dépcint par Fbucault. Il s'agit du solide travail
dc recherche sur ( I'histoire sociale de la folie et la psychiatric n
auqucl s'cst livré Klaus l)oerrnelJans Madtnen and the Bourgeoisie.
Dans ccttc c(tude cornparée des expériences britannique, française
et allemande I)oerncr est loin d'être en clésaccord avcc la
dcscription que fait Foucault de I'aube de la psychothérapic,
môme s'il indique quc cclui-ci a trop tendance à généraliser à
pàrtir dc I'exemple français. Là orh il s'écartc de l'Histoire de Ia t:-olie
c'cst dans le jugcment qu'il porte sur ce phénonrène .
Prenons par exemple son chapitre laconique sur Pincl (II, 2),
ou encore celui (I, 2) qu'il consacrc à William Battie, ce médccin
londonien qu'il sauvc à -juste titre des ténèbres de I'oubli cn
rappclant qu'il fut le prcrnier à adoptcr une approche globale dc
la psychiatrie qui prenne en compte la théorie, la thérapie et
I'asile.
Les méthodes utilisécs par des aliénistes éclairés tels que Pinel
condrrisirent à une évolution décisive : 1a séquestration des aliénés
cessâ ct on cll rcvint à une visibiliti sociale de la Folic darrs des
asiles ouverts au regard de la famille, tout commc à cclui des
psychiatres ct dcs étudiants en rnédecine. Mais alors quc Foucault
cst pronpt à condamner la perspcctive < objectifiante n du rcgard
médical à I'ceuvrc dans le régime d'observation dans lcqucl étaient
placés les malades, l)ocrner soulienc par la prinrauté donnéc aux
< traitcments moraux u aboutit dans une très grande mesure à
I'abandon des méthodes médicales traditionnellcs, ct impliqtrait
donc un très largc rcjet de < I'attitude de distance , (qu'on scr
souvienne simplement de I'hôpital américain décrit par Dickcns).
De rnôme Doerner, clui pcrçoit bicrr I'influence des idées
rousscauistcs srlr l'éducation rnorale anti-autoritairc (Pinel était un
disciple dc Jcan-Jacqtres) et qui ne néglige pas l'importance du
développement de la sensibilité pré-romantique à la vcille des
réfornres psychiatriques, jug_e profondément humanitaire 1e pro-
grammc mis cn G-'uvre par l3attie dans lc Londres du milieu du
xvrtt' s.ièclc, progranrme qui consistait à soigner et non à
surveillcr. Ce n'est pas pour ricn que le Treatise on Madness de
Battie (l75tJ) t'onstitue unc attaquc en règle (qtri scra vite
repoussée) contre lc nihrlisme thérapeutique de la famille Monro,
qui possc<dait ct dirigeait i'asilc dc Bedlam depuis deux siècles. De
plus, en insistant sr.rr le fait que la folie est unc aliénation, colnme
32
I,E GRAND ITENIJERMEA{I.NT OU ( I)rr CôrÉ I)E I-A IIOT, IË )
l'irrdiqtre lc titre môme de so' Traité médico-philosophiqut: sur
l'aliénation menrale ou Id manie (18()l), pi'el replacc
-la
folie à
l'ilrtc(rictrr tlc I'h.mmc. quc cc stlit dlrrs sorr.oipr.r,, ,lrns s.n
csprit. Mais cc faisant il donnc la place d'hcl'rreur ron pas tant à
Ia fblic corn'e maledie (la bêtc noirc de Foucault) ,,,rià l. f.,li"
('or.lrrnc cas individucl. ()r ct:t acccnt rnis sur l'iudividLr (qLri
:u)noncc Freud) constitue de totrtc éviclcncc un pas c-'n avant
parallèle en fàit à unc évolrrtion scrnblal'lc dc la
'cmarquabJc,
rrréclccir.rc physique contemporaine dont Foucault clcvait, conlnlc
rr.us allons le voir nraintenant, faire unc brillarrtc chroniouc dans
sr' livrc suivant- . l)ocmer ne peut donc quc conclirrc que
Ir.ucanlt, rnôme s'il fut I'auteur de < la prcmiôre c.Llvrc irnoor-
t;urtc D sur Ia sociologic dc la psychiatrie, en donne n.,annroins'unc
crplication trop partialc, dans laquellc 1a dialectiquc- des Lumières
, st ,, réclrritc i son scrrl lspcct dcitrtrctcrrr ,.
f )ans rvai-çsance tle la iinique , urrt' archéolo,gie tlu re.qard médicar
(1963), Fotrcault cramine rnin'ricusement l'hist.ire àe la me<de*
( lr)c au cours d'unc pérrode beancoup plus courtc
mais néannroins
trù's richc, qui va du clcrnier tiers du xvrrr'siècle à la Ilestauration
(1815-1830). clentré sur 1'étude dc vieux traités médica'x, cronr
lrtlricault nous donne unc intcrprétation fascinantc, ce livre oui fut
rtitliqé à l'irritiativc dc ( )anguilhcn) nlcr à j.ur différcrrtcs
(( strllctllres pcrceptives >r qui sous-tendcnt trr)is
typcs succcssifs
tlt' thciories ct de pratiqucs médicales.
l)eux évolutions principales sc cléuagcnt. Au cours de la
Prcnrie\rc unc < n-rédecine dcs espèces >, qui régnait cncore vcrs
1770, ce\cle la placc à la premic\re nrédccine cliniqne. La nrédeci'e
..lt's c'spèccs faisait da's le domainc de la nosologie cc quc Li'né
l.risait da's cclui dc la botanique: e-lie classifiaii lcs miladics c'
('spe\ces- on supposait que lcs rrraladics étaient des entitc<s sans
,rucrln lien nécessairc avcc lc corps. La transmission des mal.rdics
produisait quand, par r, sympathic)), ccrtaincs cle ler,rrs
'c
,, qualités r> sc rnélangeaient avcc le type de tcmpéramcnt du
l):rticnt (on était encore rout près dc Galicn ct de si théoric dcs
lrrrrrrcurs). on pensait qu.- lei crrviror'cnlents ( no' >
lrrvorisaicnt lc développement de la maladie, et clonc 'aturels
que lcs
l),r)'slns sclrrffraicnt de moins de nrarrx quc lcs clesscs,'ibri,-,.,
(t'ontrarrcment aux maladies, les eipidérlics n'étaicnt pas considé-
r'Écs conrme dcs e'tités déterminécs mais commc le produit clu
,'lirnat, dc 1a farnilc et d'autres facteurs extciricurs). l)arrs sa
33
 FOUCAULT OU LE NIHII.ISMIT DE LA (JHÀiRT:
prenrière phase la médecine cliniquc cst :tl cor)trairc trnc u ntédc-
cine dcs svnrDtômcs )). qui considc\rc les rnaladics conrlric cles
phérrornènr's àyrrarniqucs. Au licrr d'['tre dcs crrtités Jtitcnrrirreics
les nraladies sont conques colnmc dcs rnélanges dc svrnptômcs, ct
les symptôlnes con-rr-rc lcs signes d'évolutions patholt,.giqr-rcs.
I)ans la théoric n-rédicalc lcs tableaux taxonorniqLre s dc la
rnédecinc classiquc sont rcn.rplacés par dcs contintta tcntpclrcls qrti
tiennent en particulier cle plus cn plus cornptc des études dc r:rr,s.
Enûn, au seuil clu xtx' sièclc, apparaît un autrc paraciiunrc
niédical : I'csprit cliniquc rcnrplace la nréclccine dcs syrnptômes
par Lrrlc < rn(decinc rics rissas )), c'est-à-dirc par la théoric- anatonlo-
clinique. Les rnaladics nc rcnvoient plus à dcs cspc\ccs or.r à clcs
cnsemblcs de symptôrnes, cllcs sont nlaintcnant ler signc .lc lésions
dc tissus spc<cifiqucs. Pour augrncntcr leurs connrissanccs elrrns lc
domainc dc la pathologic lcs merdccins s'irrtércssent bcatrcoup plus
au paticnt cn tant qr"r'inclividu. Le rcgarc{ nrédical sc fait clorrc pltrs
fiuillé, devient unc sortc d'équivalent visucl dv routltt'r,lc méclccirr
étar-rt à la rccherche dcs causcs cachécs t:t non olus scttlctnerrt,-les
symptômes superfrcicls- La mort, cnvisagée ctrnurlt-' un lrr()ccssus
dc vic, dcvicnt lc grancl nraîtrc de I'anatomic clinicluc, révélant par
la décomposition dcs corps des vérités invisibles tlue chcrchc à
découvrir 1a science nréclicalc.
(lornme lc montrc Foucault lcs thènrcs de la urort ct clc
I'inclividtr, qui sont les the\rncs rnômc du grand :rrt ct cle la grarrcle
littératurc ronrantioucs. sous-tendent e<galernerrt lc nouvceu
,, code pcrccptif d.'la me(dccirrc. codc qui trouvc s.r lliblc d;rrrs
" ,nnièrc dc Kuhn, des é'volutions dcs paradiumcs dc la pe:nsée
I'Andtotnie .générale (1u01) dc Xavicr llichat (17 r-l-1ll()2). Avcc
Frarrçois Ilroussais (1772-18381' Exanren des doctrines mûlicales,
it316) qui ajoutc dcs élénrcnts nouveaux à l'histologic cle []ichat,
fondc lc savoir me<dical sur ia physiologie ct non plrrs
simplcmcnt sur l'anatonrie -
et explique ies fic\vrcs comnrc des
réacticlr-rs pathologiqLics dues - à r-rne lésiotr des tissus, le ccrclc cst
bouclé : la ntédecinc classiquc nlcurt dcs cottps que lui asse\nc la
scicncc rrrédicalc. La rnédccinc classique avait un objct, la n-raladic,
ct un but, ia santé. Parvenuc à l'âge adultc la méclecine cliniquc
fait du corps rnaladc (et norr plus de la n-raladic) l'objct de la
pcrception rnédicalc, ct dc la normalité (ct non pius de la santé)
I'objectif dc I'art du guérisscur. Ainsi I'idéal de nornralitcl (ct rron
plus dc la santc<) I'objectif de l'art dr-r guérisseur. Ainsi I'idéal dc
nornralité. quc I'Hisroirc tle ld -folie à l'â.qc cldssique discréditc en y
34
t-I1 (;RAND ITENFERMEMENT oU ( DU T;ôT'É DE LA FOI.IE ))
voyant trn soutien apporté à la réprcssion, réapparaît à nouvcau
sous le rcgard hostile dc Foucault à la fi' dc ion histoirc clc la
naissancc dc la médccinc moclernc.
cettc lbis*ci lc tablcau cst ccpendant bcauco.rp rnoins alourcli
irar ics prijugés a'ti-nrode r'es ct anti-bourqclois. l)a's so'
prenicr livrc, 'un petit ouvrage i'tituk( Miladie murtale (t
psycholoqi(: (1954), I-oucault avait souvcnt raison'é comnre un
psychanalystc dt: l' <, écolc culturellc >, attribuant lcs troubles
nlcntaux aux conflits inhérents à la sociétei carritalistc. Dans
l'LIisto,ire-dc^la.fôlie il c<tait allc< plus loin, s'avcrrturaït à prc'dre lc
parti de.ia.folic (mythiq'c) co'rre la raiso' bourgcoisc. ilie' qu'il
cût probablc'rnent rér:trsé chacun des deux rapprochemcrts on
pc.t dire qr-r'il était alors passe< dc la position dttin Erich Frornnr
à cclle cl'u' N.rma' Ilrow', d'une insista,ce sur les obstacles
sociaux au bo.hcur hur'airr à u' appel à la libération du ça
tlionysiaque. l)ans N'ai-çso,rc de la cliniquc o' rc percoit aucunc
cxplosion dc ce typc. Lc livrc cst très bicn écril et mêrnc
i:clnrpos.c: avcc ul1 grand talcnt littérairc mais son -ton n'est pas
très r<loignc< de la sobrc éléga'ce cles essais - dc carrguilhcm [ui-
rrrôurc sur I'histoirc des idécs scicntifiqucs.
Mais avcc À,Iai-csancr de la clinique Foucault sc' rapprochc du
st.rcturalisrnc. LJn cssai qui parlc dc: structur", .it^dc codes
Pcrccptifi, qui décrit les < spatialisariors du pathologique > er
I'accent sLlr une interprétation non linéaire dc I'histoirc intcllec- 'cr
ttrcllc, sur l' < arcJréologre D colnrne cxplicatio' cc<suralc, à la
rrr*iicalc, ur tcl cssai ne pouvait maiqucr d'ôtre comparé à
I'itli.'c thc<oriquc qui régnait alors en miît.e cn France. iliamcla
Ma.i.r-P<rctzl à justc ritre qtre si I'Histoirc de la
'otcrnode habitucl -folic stëtlorcc
tlt' changcr notre dc perccption dc la iblic rnais pas
rr.trc fiçon conventionnelle d'envisager l'histoire, c'cst préci;é-
lncrrt.ce sccr>nd objcctif quc se fixe Naissance dt' la rliriqtre , en
rrrtroduisant,plusicurs conccpts spatiaux chers à la pensée
rt l tlctllrAllstc''. ;
Il 1àut cufirî- ir.tcr qlrc ce livre i'augurc la problénratique cru
rrrr;ilc d'rru-çuiion sttciale des discours dans 1'tr,r.ivrc de Foucault.
(.cltri-ci ;rc:corde une asscz large aut.nomic à la for'-ration cles
'lisc'ours. nrais cc n'cst pas tout. Il Vcut aussi s'interroqcr sur la
Mrlor-l)octzl. 19U3. n. 1"liJ.
.t5
 T]oUCAULT'()U LE NII{ILISME DE I,A (]HAIRE
flrçon concrè'tc dont un discottrs donné (par excmple la, penséc
nrédicalc) s'artiuilt' âvec lcs autrcs pratiques sociales qui lui sorlt
cxtéricures. En nrême temps il s'effbrce d'éviter à tout prix lcs
ciichés grossièrcnrcnt de<tcrtninistes du stylc des (( cxplications ))
cll tcrt;es de superstructure/inirastructure du t-narxisme (vul-
ulirc) . et cssaie d'ettvisager dcs.tnoclèles d'explication plus
ilcxiblcs sars tombt-r da's les abstractions brumeuses dans
lcsqr.rcllcs s'égare souvcnt le rnarxist-ne structttral d'Althusser et dc
scs drsciplc's, qui parlcnt bcaucoup cle u surdétcrmination r>, dc:
,, crrrsaliiti stntctrlrcll(' ,, ct (l' " ctii't dc strtrctrrrc D sans jantais sc
cr>nfronter àLlx rr<alités empiriques (ils n'aimcrlt pas se salir lcs
nrains avcc I'analyse de I'histoire réellc).
Nrri-ç-ccncc de la cliniqtc cclttticnt des chapitres c<lusacri's au
colltexre social da's lcqucl se produiscnt les grallds changcnlcllts
aflcctaltt la théoric ct la pratiqr.rc médicaie. Par exenrple on notls
nrontrc colrlntt:nr, pendant toute 1a révolutiotl irarrçaise, l'Etat fut
contraint ct fbrcé cl'ouvrir des clir:iqucs potlr competrser lc
nlanqlrc d'hôpitaux et de mc<dccins compétents provoqué par
I'ausi'cntatioi d' n.mbre des ltralades ert raison cics gucrrcs.
Mai.s la clinrqtrc pcrrnit à scln tour de contourtrer ies corporations
nri'dic:iles ct clc leurs ttsagcs traclitionnels, ce qui contribua à
I'apparition cle nor-rveiles ( structurcs perceptives n. clans lc
,i,ri',,r,,tc cic la nrédecine. Il apparaît ainsi quc la rclation clc
clusalitcl cr)rc contexte social et évolution dtl paradigmt: est dc
l)ttLirc indirccte, voire oblique. Il s'aeit dc tlrorrtrer ( comnlcllt lc
discours rnédical comntt: pratique s'adrcssant à ttn certain charnp
cl'ob-jcts, sc trouvaltt entre le s mains d'un certain tr6nrbrc
d'rnciividus statutairement désignés, ayant entin a c\erccr ccrtai*
ncs fonctions rlans la sociétci, s'articulc sur des pratiques qui h.ri
sont c-xtéricttrcs ct qLli nc sont prs elle s-môtnes de natttrc
discrtrsivc ,18. < S'articltle t, voil:i lc terrne stratéeique. Comntc
llolancl Ilartbes se plaisait à le dire ie structtlralismc arnlc
bcaucoup les n arthrglor-{ics ,r. c'est-à-dirc les études raisotrnécs
srrr lcs licns ct lcs rciaticlns.
lll. []oLrr:ltlt. l')(r9, p. 2l']-215
.1O
Chapirre 3
UAJË ARCUÉO LOGITI
DES SC/ÈA/CËS HUM AIA/ES
Lc titre dc ce chapitre est, à la iettre, le sous-titre du chcÊ
cl'rr-uvrc cic Foucault, l-es m()ts et les thoses. Il est ccpendant
surprcnant quc ce livrc ne reprcnne pas lc problè.nre de I'irticula-
tion dcs pratiques socialcs ct intellcctuclles, et se complaise au
i:ontraire dans trne description e xubérante e t pénétrante des
scconclcs dc ces pratiques. Foucault ne se réfère au discours
occitiental sur la vie, la richcsse ct le langage qllc pour ccrner
I'arrièrc-plan conceptuel sous-jaccnt à la naissance, âu xrx!: sic\clc,
tlcs scicltccs dc I'homme. La période couvcrte ici cst cn gros la
rrrêrne qtrc celle que couvrarr l'-FIi-ctoirc de ta _fôtie; clle vi de la
llerraissancc à nir préscnt e<tiré jusqu'au conternporain, de sorte
(lu Lur mot puisse ôtrc dit dc Frcud, mais aussi de la phénoménolo-
Llie ct dc l'anthropologic structurale.
Fou<-ault indique dans sa préfacc que I'inspiration qui le poussa
.r ecrire Les rnots et les choses ttri vint à la lccture d'une nonvellc dc
I'Argcntin Ilorgcs dans laquclle celui-ci citc avec ironie ( Lrne
('r'rtainc cncyclopédie chinoise ,r dans laqr,rellc < lcs anintarlx se
,liviscnt cn : a) appartenant à I'Empereur, b) ernbaurnés, c) appri-
vois('s. d) cochons de lait, e) sirènes../) tàbulcr-rx,.g) chicns cn libcrte,
/i; inclus cJans la preisentc classiflcation, i) qui s'agitent cornme des
Iotrs. i) ir-rnornbrablcs, Ë) dcssinés avcc un pinccau trc\s fin en poils
,lc clramcau, /) ct caetera, m) qui vienncnt de casscr la cruchc,
.)/
 l()U( At.Jl I ()U l-ti NllIll'lSNlF l)I1 | A {'}lÂlRIi t-r Ntr AII(-It[()l ()(;lE t)I]S S(ili1 N(-IiS IIU!1 AIN]iS

n) qui cic lprn s(ltll)lcltt.lcs nrotrthcs ). L.a (()c;tsscrie ti'rrrrc tcllc (l11c l'orr pulssc sulrp()scr ,,luc lcur histoirc puissc ôtrc arrtrcrrcnt
ciassiflcttiorr silqgù'rc à []oucattlt, à trrrvcrs u lc chlrntc cxotlqllc iltr'irrc{guhi'rc u. Fottcuult sc pro}rrisr: ,-lc r;'ç1[lir l'équtliirrc.
r-f itrrc aufrc p.trii:c ,), u la linritc ric la nôtrc
,>. f:n tJ'arttr(is tcrnrcs Sorr itrrrlc scr:t centrtic .crlr trois ( crilpincitis r : l.r vic, lc
l'ctrcycl.p-,r-l,iic irrt.gir,.ire t1c [],rqcs pcttt ôrrc pristl c'tllrrtttc lc trlr,'ril ct lc lengeqc. riir pltrs ùx,lctcllrc!rt srlr l'lr()irlnc L'n tal)t
sr,,nt1-rctlc ics nro.lù'lcs cic r-"atégorislttiott qtti llotls sollt étral)q{)rs I rlr"l'ilnilrial vivririt. prririrris.rnt ct p-rrl:ll)t. ou L'lrcorc sur I'i.rorrrnrc
la falrl,: irrtliqtrc qu'il c'ristc iit.l tltlnrbrc illc()lllnlcrlstlrxblc tlc .lalrs sa clinrcrrsiclrr l.'rologrclrc, s()cio-éc{)nonriqr-lc ct cultrrrcllc.
,cvstùr)lcs.l'" irrsirurâti()r) tl'utl orcirc;l'lrnri' 1gq thosL'5 " Lil [);rns J,r',ç,1()I.ç fl it's,/r,,-,t'-r llr rcchcriùc tlc Forrcarrlt sc pl.tcc dor)c
qlesti9ll tlrii ic p()sc elors llllturcli(--lllcttt ùst le sttivlntc:qttcllcs riur lc tcrraiir dc j'htstoirc u:rtul-cll<.. clc ia trioiogic. rlc l'licononti,:.
sl.,nt ltr tr<rritii'rcs ric tlotre llroprc rritlde 11c pcltst-rc-?
(-t;ttr.tttt.'tit dc ];r qr.rnrrnilirc cï dc l.r philoior;ic. (]rrr l'rlus cst, ct c'cst l.l nn
i)()rls, oi ciclclttiitl\ nlrtr.lcrrrcs' tlr.lr.trtlttlri'-lloLls i('s pllctttit'tti'trcs ? poiut c.rpritrrl. Firucrrrilt cst convlillcu qut.. ( r.'lr proiùlrJcrrr r,, toLrs
(l"cst à cr{,.ttc qil(jsl iot1 Lluc l'.rrcli(.olrlgie .le's scii tices iltittltitlc' .t .e s ch;ulrps cln srr,'oir sont trùs larqcrrrcnt isorrrorphcs ) i'intinctrr
i.rrirrcllr' sr. iilrlc f:(ru('.tttil lt'tttc tit' tlrrl)llt t ttl)c ltl)()l)\r.. lrrt:st'llli;i' rit r'll,ttlttt i.ltJst' r:l.lrl,ititltlttc'.
.i'r'rrr p,.ririt c.l(. \.ur. iristoritFrc l.c suict ,lc solt livrc ct s<-rltt lcc
()rr poirrrlit cJirc, crr profrt:irrtr.ju rcrioin t-lrr crrrrccpt kulrrrrcn,
u c,r.{eS tittrclltttcttt:trtr cl'rrirc r:ttltltri' ri qtti itrtrucltrisctlt tttr ordrc .ti.tc frouc,rult chcrcirc à iclc;rtiticr rrrr r:crtair.r rronrbrc dc parodigmt's
clans I'crpérjcttcc. scicrrtitiqrrcs. iVLlis scs p;rr.rdrgmcs tjit-iirrcrrt dr ct:rrr clc Kuhn sur
Fotrcarrlt clrttisrt lc tcrntc cl' u rtt-clteloloqte " l:rlrrt tlésiqttt'r trors poirrts inlp()rt.rtts. F.r pr,-'rnicr hcri ils rrc sc réfèrcnt pas ) la
u I'histOirc rlc cc clui rt'nd ttéccssatrc lllio ( crtlillc tirrrlle dc plrl'riclur rrr.ris cnglolrt'rrt. conrnle ll()us vel]()lrs clc lc voir, unc
pcltSL<c ,. L' u lrchrrtliogrc- r, Srlitj.lc ft..rtltt,'s
(l('pCI1séc tri'ccss:ttrct, tcicrrcc naturcllc (la bioloqic) ct dcur scienccs soci;rlcs (l'écononrre
irrc,rnscii:'rcs ct ..'lol)\,i1". q,," Foucrrttlt appcllc lc-'; u fpistÉrllès n. et l.r linqLristiquc) . l)cririùrncr.ncr)t ils lrr r.r)rrcsp(-.rrclurt pas llor-
ur-rc épistc\rtrè c'cst 1" u a piiori hist,riqtic |) citll à urlc piri.clc
( niale rncr.rt ) clcs prirrr'rpcs conscit'nts. ('('nlri)c ccu\ qil'exposc par
.l<,pné.', <J['lipritc dals 1a totalitc cic i'cxpi'ricrlce tlll c]tattrp r'1e ('\t: rriplc Ncrvtoll. à cles principcs 11r.ti fbtrnrisscrri ull ntodL\lc t\ I'ac-
t:onnaiss'lrrccs, c-tctinit le ntoclc c'l'ôtrc c'lcs oblcts qtli ;tpfilr:ilcscllt iivrtti scicrrtiiiquc crr déliuriterrt r.Jcs problù'nrcs ct cn illboralrt dùs
(..1r,.,, .. chantp. clotc l:r pcrccpti()lt. orrlin,rirc clc l'hortltttc dc rrrr-ithcrclcs pouvant pernicttrc dc ics résoudrc; rls sc situcnt atr
lcs coriclitirrtts clans lcstluelle s rl pe trt , ontrairc crr clessotrs du lril'e;ru dc la consciclrcc talrt cll metiL\re clc
;rorr,"roirs théoriqucs cr da'fl;it
icrrir rrrr cliscours sttr lcs choscs cltti est rcCollIltl clol'lllllC vr(ll ii'' t héoris:rtiotr .lrtc clc rttétltoriokrr4ic. [-cs prrrtlirlnrcs rler Kuhn sorrt

l)triscltrc lcs épistérne\s sont des stratcs conccPttielles sou^s-i-'lcclltue ,'\cniplrircs : ils lclnctiorurcllt c()nrnlc dcs rrrodèlcs concfcts partaqc<s
a .lir,'c'rs cl,artrp, tlc lli cottn:riss"r.tlclc ct corr('spoltillllt à cliffurt'utcs ,r.rr ics chcrcllctrrs cians letrr praticiLrr: scicntifiquc, prâtique qui visc
['prlqtrcs clc la pcrtscts o(.cidclltalc. l';rnllvsc hlstorirlttc t]oit lt's rrrt't'isérrrcnt à ,, ,rflincr lc parariigrnc )). ffu tant rluc tcls ct dltns ll
( rncttrc au -l()ur ,, r'l'oit le motle\lc archcr'lltl:Iitltrc' nr(:11rc clir ils sont <, pius qu u!1c thdoric rnais rnoins (lu'unc vision
l)ans la pri.fa.c à la tracluctiort ctl .itrgl.rrs .1e . J,-c, r,r(.rir' ir l(':; ,lrr liron,=1c ). scs parr{.lignrcs sor.lt ouvcrts, irnplicitcs ct même
cfrrr-çc,c F6trcairlt cl.tfirrit l'lrcirrlc'l9qic clc ll pci:siic
('()tlllric itric \()rr\'('llt à clcrrii corrscicrits, nrais p?.r définitron ils rrc scxrt pas
'r({)nllusdeiscict'rtifl(lLlcs,corilnrclcsonticsclpistc:rnù'sclcFoucault.
histoirc tlCs systùr1cs
'p.r,-r,
tle r< cc.rtltliliss:rllcc tlon-tiirttrclie ' uL'histttrrr'
clcs scrcncr:s, dit-il, t;rvr.rrisc clr,:pr.ris l<;pgtculps ics scictrr. cs l n ctli't les qrilics r()ncepturllc's clc Foucarrlt sont totrjor.rrs hors ilc-
nohlcs D. ccllcs dtr rréccssairc, c()lltnlc la rtratltém:lticlttc- orr la i.i i'ortéc cle ccrrr clrlrrt ll Pcr-rsc:e cst rciqic par lctrrs l<lis.
physicluc. Lcs discipiirtes Litlldialrt lcs ôtrcs vivatrts, le Ianq;rgc ou lrrrfilr, r.'t lr ratst;tr cll cst pricisfrni:rrt clir'iis rclèvort plus cic la
ics'làits ôcttrrt>trriclttcs rltaicttt ilti (:Ontrilirù ctlttstdér[:cs cOnlmc tr()f) i'itirluc quc d'un irrctrrrst:icrrI collectif'scrcrrtiticiuc. lcs par.rJiq-
{(
curpiriclucs ct trripr c.rpost-ies e11\ colttrf,ilttL: c\tLiricul'c\ pottr ii1 ) ric s()llt PJS. c()lnl)tc i(l s()uiillltc Krrhtr lui-rrtôrnc, rrigrs p:rr clcs
' 'rilr:s stt ir.tcs, (-{,r Llrir (lst lir.r contrail-c lc t:as dcs e<pistrinrJs.: . cclles-
1t.)($ l'in(\i'-v1.1 1'f i"rt'
' Ira.]uctionrrrql.risr'lprrAlarr\lrtritlrrr-snlrtll) r'lc[()ltci]ult. l{.tlsc,
1.
l()7(}. p. xxtl.
,r,, Àr,tru.uiu'y tl'tht"lI*tutti 5.ir',rr.J, N-c*'York. Rrn,l.ttt

-lu .l()
 FOUCAUI,'I OU LE NIHILISME DE t.A CHAIRF,
ci sont lcs u codes fondamentaux ,r, lcs grammaires générativcs du
langage cognitif. Lcs dcur concepts désignent donc cn dcrnière
analysc deux niveaux radicalemcnt différcnts : les paradigmes
sont peut-être n plus qr,rc des thé'ories u mais, comparés aux
épistémès, ils sc situent sans aucun doutc au nivcau dc la théoric,
alors qu'au contrairc lcs épistémc\s sont plus que des visions dr"r
rnonclc et relèvent d'un niveau encore phrs profond dc la
r'ttnst'icnce orr dc I'inconscicrrt.
Lcs énisténrès dc Foucault sont ceocnd:rnt semblablcs aux
paracligmcs kuhnicns à cleux autres égarcls : a) elles sont (pour
rcprcndrc le tcrme fameux utilisé par Kuhn) < incommcnsura-
blcs u, c'cst-à-dirc qu'clles diflèrent radicalc-mcnt lcs uncs des
autres ; ct 6) ellcs mcurcrlt non pas parcc qu'un ensemblc dc
preuves et d'argumcnts contrairt:s s'imposent à elies de I'exténcur
mais plutôt, comrnc dans les changements clc fbrmc qui, chcz
Kuhn, affectcnt la communauté scientifiquc ct qui sont
équivalcnts aux converrsions religieuses en masse-qui résultent de
transformations rnystérieuses cle la psychologie socialc cn
raison, d'un changcment bnrtal du paysage culturcl. Dc -mêmc
que, chcz Kuhn, les u révolutions scientifiqucs ) sont preicédées
par dcs périodes dc crise du paradigme, Foucault ûrontrc (rnômc
s'il v insiste bcaucoup moins) lcs failles et l'épuisernent d'au moins
clcur épistérnc\s : l'épistérnè < classique u (xvtt'-xvltt' sic\cles) et
l'épistémc\ o modcrnc > (correspondant pour I'essenticl au sir\clc
dcrnicr).
Il existc cepcndant un dcrnier point important sur lequel les
clcux approches difJèrcnt : les criscs kuhniennes correspondent à
des oc<riodes de concurrcncc acharuée entrc l'ancien et le nouvcilLl
paradigrne , chacun d'cux luttant vc<ritablemelrt pour survivrc ; ct
bicn qr"re la victoirc finale de I'un d'entre eux soit due à des causes
cxtra-rationnelles il scmble qr-r'il reste dans ce tablcau darwiniclr
de la lutte des paradigmes quelclue chose d'un hommage à la
logique objective et immanentc du raisonnenrent scientifique.
Âprès tout Kuhn nc pre<tend jamais qur-- , unc iois que la solutirrtr
à unc énigrne particulière a été tronvée à I'inte<ricur cl'un ancicn
paradigme, ellc est écartéc dans le cadre.lu nourrcaut. Ccci peut
scnrblcr crr contradictior'r rvcc sorr rcjet crtégorique d'rttte visi.ltt
cunrulativc dc I'histoirc des scicnces. Mais en tout cas il cst clair
3. (-'orlrrc le souliqne Stovc, 191J2, p. 6.
40
UNE ARCHÉtITOCIE DËS SCIENCES HTJMAINES
qllc, conlrne I'indique sa làmeuse postfacc à la deuxième édition
de The Structure o.f Scientifc Reuolutions (1970).la pensée dc Kuhn
a évolué dans le sens d'une reconnaissance d'un noyau d'obiecti-
vité. Pour citcr David Papincau il cn esr en cfïcr veriu à admËttre,
voire à so'liqncr, < la possibilité qu'il exisre après tout certaincs
bases impartiales de conrparaison en fonction desquclles on peur
dérnontrer que certaincs théories sont objectivenient meilleures
que d'autrcs ,4. Foucault nc va, lui, iamaii aussi loin. Toute son
(æuvrc clcpuis Les mots et le s thoses s'e-st àu contraire éloignée d'un
.rvcrr dc ce typc ct lc corrt'cpt dc < colrrrrissancc objcctivc, lui est
toujours rcsté étranger.
On peut donc dirc quc l'épistérzè peut ôtre qualifiée dc
paradigmc pourvu que I'on n'y voit pas un excrnple,-un modèlc
pour le travail cognitil-. Elle est un ( sous-sol , de la pensée, une
infrastructure rnentalc qui sous-tend toutcs les formes du savoir
(sur I'honrme) à une .,pbque donn.<c, une o grillc r conceptuellc
(Foucault emprunre le ternre à Lévi-Strauss) qui constitue u. o n
priorihistorique u, une iormc historisée dcs calégories kantiennes
ou presque. C)r dc tels a priori historiques sont non seulcment
incornpatiblcs mais incommensurablcs : ainsi Buffon. en bon
spécinrcrr dc l'épistémè classique qui prévalair au xvrrr' siècle , était
tout simplement incapable de voir I'intérêt de I'histoire dcs
scrpents et des dragons imaginée à la Renaissance par le naturaliste
Aldrovardi. La pcrplexité de Buffo', nous dit Foucault,
pas duc au fait qu'il était lui-môme d'un csprit moins crédule ''était
et
plus rationncl ; ellc résultait plutôt dc ce què ( son regard n'érait
pas lié aux choses par lc mêmc système, ni la mêmc âispositicln
tlc l'épisténrà ,r (chap. II, 4).
L'histoirc des épistéme)-s, quc I'on ne dcit pas confondre, nous
rlit Foucault, avec I'histoire des scienccs ni même avec une histoirc
plus gérrérale des idées, souligne constamrncntles discontinuités qui
t'xistent entrc les blocs historiques qu'elle découpe. En aucun cas
lc livrc ne nolls présente des svstèmes de co'naisiatrcer alla't dans
lc' scns d'une interprétation plus fidèle ou d'une compréhensron
plrrs réaliste d'un objct stable et constant. Il analyse au contrarre
lcs < cliscontinuités énigmatiques u (chap. VII, 1) qui cxistent
cntre.quatre épistémès : l'épistémè pré-classique, qui pré.vaut
jtrsqu'au rnilicu du xvrr'siècle; l'épistémè classique, -qui'lui fait
I l)rprncau, 1979, p. 12.
41
 FOLJ(,AIJI,T'OU I,t] NI}III,ISMF. I)Ë I-A (]HAIRT]
sr-ritcjusclu'à la fin rlu xvrrr' sièclc-; l'épisti,nù rnoderne cr,
Lrour
finir, r,rnc c<poquc vrairnr-'rrt c()ntcrnpor:rinc, qui n'l pris tirrrnc cluc
dcpuis i95() c'rrviror. I-'étuclc clc la pre'riùrc ct clc la dcr'ièrc
prirttlrlc rr t'st qtr'trbltrt'ltc'r.' ,.l.rrrs /.r's ,ll()tj ( / 11,.. 1-/11r.i1,.t, tlrri nc
\.lttrclrc vtiritrhlcrrrcnt qu':r l.r,.lcsr'r'iptiorr tlt.s cp()qucs t.l:rssiqtrr.
r-t nrodcrl)c. l)écrirc lcur succcssion et n()ll cn firrirnir rrrrc
cxplication c.rusalc, voilà la scuic cl'rosc qr-ri intc<rcssc Foucatrlt.
Clornrnc il l'inciiquc sans dcltorrr dans sa preifacc, ii :r cn cfflt
clélibérénrent eicarté lc problèurc dcs causcs clrr r:hrrngc'rcnr
riprsti'rrrrtlrrc.
" lJicn quc, cornnrc trn vicnt clc lc rappclcr, 1'cntrcpnse cic
Foltcalrlt rtc soit ctr ricn r.tnc ]tistoire cics scicnccs, il fLrt néannroirrs
contraint dc s':rppuvcr sur ccttc discrplinc potrr identificr ct
organlscr solt ntâtériel. Il sc rcifèrc err fait volor-rticrs:\ trnc
tradition bien spécificpc dc I'histoirc (ct dc la philosophic)
rnodernc dcs scicnccs, ccllc dc I'c<colc de llachcllrd, dc Clavàillc\s
c_t de Cangurihcrn, qui sc consacrc à I'iristoirc clcs rorucrpl-s.
caneuilhcrn fr-rt lui-rrrôrne l'élùr'e .r ic succcsscr,rr (à la Sorbon'c)
de Clastc'r Iiacirclard (18f3;t-1962), quri dornira l'épistérlologrc
lrarrçaisc purclant lcs arrneics trcntc ct cluararrtc. I)ans urrc ccrtainc
lllcsure lJachclard représentc pour Foucault ce cluc Mauss a
rcpréscnté irour Leivi-Strauss et IJlanchot pollr IJarthcs:r_urtr
:rpprochc prot()-stnlcturalistc cxtrôrncmcnt tcrtilc de la conccp-
trralisation clc icurs problùnrcs rcspcctits.
Ilachclarcl cl"'e la placc cl'i.rorr.rc.r, clars sa rcchcrcht-' .le:s
filiatiorrs conccptuelles, au-\ discontinuit(-ç. 'I-or.rte sa vic il s'cn prit
luux ( lausscs continlrités u qr-ri étaicnt ccnsfcs cxister cntrc' dcs
iclécs qr"rc- lcrrrs corrtcrtcs intellcctucls et historiqr-lcs opposaicnr
diarrrétralcnrent. l)arls l.a -litrnnrittn tfu I'esprit sdentifique (193(r) il
e<r,'iter d'acloptcr ur)e vision triornphalistc ct linc<airc clu proqrùs
scicntifique cn soulignant I'inrportancc des u obstaclcs épistérno-
logiqucs >. l)ans L.e rdtitmalisme appliqué (1919) il fàit itrteirvenir lc
conccpt clc < proble<matiqllc )) ct souliglre qu'une problclrlattqtrc
nc sc développc jamais qu'à i'intérieur d'une scicnce di'jà eristantc
c-t partir d'Lur vidc intcllcctuel ou cog'itif-. Elle rrnpliqtrc
donc 'on_.à
l'cxistencc noll pas c'l'une vdritc< ori d'une cxpiJriencc
génér-alcs, rrrars d'oL-r.jets particulicrs à un clonrainc scicntifiq'c:
spéciliquc, cnvis:rqc< lui-rnôrr-re darrs sa dynanricltrc cognitivc.
Avec lc se.s rlc la discortirurite<, quc r)o's porrrrio's qualificr (:)
la sr-ritc dLr sociologue cl'()xforcl Hcnninic'r Martins) cle vision
,1)
UNE ARCIII]OI-()(;1I I)}JS S(,IT]N(]T]S FILJMAINI]S
, rt;strralt,r du dévcloppcrncnt scicrrtificluc. la notion rlc problérna-
tiquc c-onstitue i'css.rticl clc l'htiritagc lfgui'par llichclarcl à
oarrgr-rilhc'r, Althusscr ct. à travcrs cux, à Foucar-rlt. u' troi-
siètnc clérngrt dc cct héritrsc, d'inrport:rncc lrorl rnoincjr:c. est la
rcnclancc lortcurr:nt anti-cmpiriste c1tri caractririsc l'r<pistérnoloEre
tlc Flachciard. cclLri-ci établit cn cilct u'c c'listinctiôr rre\s nerrc
cntrc raison scit'ntifrquc ct bon scns: u La scicncc rr'est pas lc
pitiot1151111 tlr.. l'c.xpi'rient'c n cir'rrr-ili.
Cct lnti-crrrpirisnrc s'acconrpagrrc cl'unc st>lidc nréfiancc à
l'égarcl clcs tl'rciorics plat,nicicrn.is dc la vérité. I)c Léon lJrunsc-
hr'r'ics, lc qrancl épistt:rrrologue qr-ri profi:ssait à la Sorbonne à la
llcllc Epoquc, lJlchclarcl avait appris :\ rc reconraîtrc i'cxisrcncc
ri':irrcurre vérité alrtéricrlrc: l:r scicrrcc n'cst cn auclln cas un rcilct
ilc la vériré; ci. qtre lc travail .:st unc dntiphysis,lc rravail
scicntifiquc cst ulrc 'ômc < antilogic u c'cst-à-clir..,,rn .eliti cles conceprs
lrabittrcls. Les scicntitlqucs sont u lcs ouvriers cle la prcuvc ), cc
tltri signific qtr'ils travaillent avant tout -\ur l.r plrctrv.j. l-l scicncc
f rogfcssc airrsi grâce aLr co,qitdnut-ç d'une conrrnunautd scicntifiquc
l)()ur laqucllc la véritd' rc<siclc uor ilans lc clonné rr.rais darrs le
tortsrnrit. Lc ration:rlisn'rc scjcntificluc rcposc doni: sur un co-
r;rtionalisnrc cl1)n1 -lJachclard clonnc ccpenclant, mômc rux ycr-lx
-
plcins c1e sl,mpathie d'un Cianguilhcrrl, Llnc explication trop
1's ychologisantct'.
L'héritage le:gué par Bachclar:d à l'épisté'iologie srrucuralisrc
('orlp,()rte donc trois élclnrerrts principaux : ir) lc rhc\me dc ce c1u'il
;tppclle la < rlrpturc- )). clt d'alltres tcrntcs de ia < coupurc
épisténroiogiquc u, cssenticlle chcz Fotrcault ct chcz Althuiser:
l,) l'rrnti-cr'piris'rc; r) visi.r-r constructiuisrc dc la scierrcc, à
l;rtlrrcllc sc rattachcnt lcs ''c
conccpts cJc <r problctmatiquc )) ct lc quasi-
c'llinclrcrnc't dc ia rationalité cn tanr quc telle q.ri f"it place à unc
si'rplc < pratiquc > scic'tific1ue. llachclard s'efforça en outre dès
lc ciépart der fibérer l'ôpistcimologie dc I'cmprisc de l)escarres.
Al<rrs qtrc l)c:scartcs rêduisttit la science à un criscnblc dc certitudes
rll.rb<rrrle s à partir d'ob.1cts simltles, il aflrnrc la de
I'irultrttion fbndéc sur lcs dorrnies gffiplexcs d'objcctivations 'éccssité
qui sc
s.rtisfbnt volontiers clc probabilitlsT . il récirse ée"alcment la nàtion
'. lJ,rrhcl:rd. 19"1(). n. -lfJ
r, (lrrrguiihon, l.)OV. p. 20.+-2()5.
i ( f. lJlchci.rrd, 1939, chap. VI (u L-'ctpisrénrologic ron clrtd,sicnnc ,).
+.t
 FOUCAUIT OU LE NIHILISME DE I,A C]HAIRE
cartésicnnc dc vérités scientifiqucs immuablcs, progrcssivcrnent
révélécs à un systèn-re de connaissances qui connaît la croissance
rnais non, pour I'esscntiel, le changement structurel. C)n est là
trop près dir platonisnrc pour tsachùard, qui préière ernvisager la
vérité cornme le résultat de I'activité ratiorrnclle dans la < cité
scientifique D et fàit par 1à écho à Gcorses Sorcl8, qui aurait très
probablenrent fortement apprécié le qualificatif d' ( ouvricrs de la
prcuvc , appliqué aux scicntifiques. Hyppolite disait de tsachelard
qu'il avait ic u romantisrnc dc I'intelligence o' et l'on pourrait
ajouter que son insistance sur le risque et sur la fécondité de
I'crreur rappelle parfois la vision héroïquc de la scicnce quc I'on
trouvc chez Karl Popper.
(Jne chosc cst cependant certaine : I'anti-cartésianisme dc
Ilachelard semble êtré i ccnr lieues de cclui des structuralistcs.
jtsachelard était un rationaliste quc la pense<e abstraire enthousias-
'mait
et dans l'esprit duquel il n'y avait pas de place pour l'amour
des structuralistcs pour le bricolase intellcctucl et la < logique du
concrct ,! Dc plus, s'il consacrc dc trombreux textes allx ruptltres
ct aux discontinuités il n'adopte pas un point dc vue théorique
cnvisagcant I'hrstoire des scicnccs comme unc successiou de
u blocs >. Il est vrai qu'il indiquc qu'il n'y a aucun intérôt à parler
dc l'alchimie ct de la chimic moderne comme si clles apparte-
rraicnt au nrôrnc univers conceptuel mais il n'évoque jamais en
-
tcrnrcs scnrblabies I'cxistence de périodes àl'intérieur dc la science
riroderne, c'est-à-dire galiléenne. ll est significatif de noter que
lorsquc Kuhn, dans sa chronique des paradigmes dc la physiquc,
cnrprunte aux historiens français des sciences il sc tournc non vers
lJachelard mais vers Alexandrc Koyré (1892-1964), cc Russe de
naissancc qui suivit les cours de Husserl à Gôttingen avant de
rcjoindre, à Paris, le cercle du rationaliste antipositiviste Emile
Meyerson (1859-1933) et de faire, après la guerre, des séjours
réguliers à Princeton. L'opposition absolue que Koyré établit
cntre le monde culturel de la science anciennc ct celui de la science
moderne (From the Closed World to the In_finite (Jniuerse, 1957),
I'idée qu'à des époqucs diflérentes correspolldcnt des Weltdns-
chauungen radicalement différents déblaya le terrain sur lcquel
Kuhn put ensuitc bâtir sa théoric du paradigrne .,.
ll. (lf.
Sorel, Dt I'utilit( dr pra,qnatistur, 1921 .
9. Of. Hyp.politc, 1!154.
44
UNE ARCHÉ<IT-OCTT DF,S S(]IENCES IJUMAINI]S
Koyré est ainsi un précurscur cssentiel de Ktrhn conrmc dc
Foucault dans la meslrrc où il souliqlrc le rôlc des < factcurs
('xtralogiqucs D prdsiJ.rnr à l'acceptJrion ()u art rclct dc rhrlorics
scientifiques. Prenant lc contre-parti du positivisrr-re il insiste sur
lc lait quc la valcur ( technique ,r d'une théoricr, c'cst-à-clirc son
pouvoir cxplicatif, n'esr pas toujor-rrs la clé de sa vicroirc dans
I'histoirc de la pensée scientifiquer'r. Koyré c<tait re stci rrop
longtemps sous lc charmc de Husscrl pour ne pas savoir quc sous
lcs corrccpts scicntifiques il y t un Lebenswelt, urr monc{c'de vre,
auquel s'impose unc lourdc ( infiastnlcturc philosophicltic ir.
Ainsi les époqucs de la connaissance quc décrit Foucault, ses
épistémès, sont dcs Lebensu,elter inconscients. Et cc qu'il s'attache
) rrrcttrc cn évidcncc darrs Lt,-c tnots (tic-r r/ra.it,s c. s,rrri les nrutattrrtts
qui se produiscnt cntre les épistc<mès. (Jc conccpt de mrrtation cst
un conccpt biologique qtri fut forgé par Hugo de Vrics (184U-
1()35) e t qui s'est vu redonncr une nouvellc vie par Fr:rnçois
Jacob,
prix Nobel ct collègue dc Foucault arr Collège dc fjrarrcc (I.rt
lo.qique du uiuant, 1970).I)ans le se-ns auquel l'cntend Fouc--ault rrnc
nrutation sc produit lorsqu'un cnsenrble dc préconccptions (cc
quc Koyré appelait I'infrasrructure philosophique) ce\de la placc à
ulr autre.
Mais chcz Foucault lcs rnutations épistérniques sont foncla*
nrcntalenent arbitraires. Les épistémès se succèdent lcs uncs aux
:lutrcs salls aucurlc logique internc. I)e plus ellcs constitr.rcnt
qénéralernent des blocs dc connaissance radicalemcnt hétérosè-
rrcs : la discontinuité absolue est la loi interépistémique suprônrc.
I{oyré adrnettait qu'il puisse existcr des éléments stratégiques
('()nurlurls à des âges épistémologiques é'loignés, renclanr ainsi les
ruptllres qui se produisent dans l'histoire de la connaissance nrt_rins
.rbsolues sinon moins nettes. A ses ycux l'infrastructurc philoso-
plriclr-re dcs âges de la connaissancc pclrt assori cr cc qui était
.rupar:rvant complètement séparé, ct mêûre incompatible. Il cn
rlrrrrrc un exenrple très lrappant quancl, dans ses Etudes L'histoirc de
lt pcnsée scientifique (1966), il analyse lc terrain philosophique sur
l.'r.1rrcl cst né la scicnce modcrne au milicr.r du xvlr' siècle. Alors
,.1rrc I'on décrit souveltt, comnte lc fàit Whitehead, la pcnsée
rt'icntifiquc modcnrc commc une revanchc dc Platon sur Arlstotc,
'' V,,rr slrr (( Foirrt
Ics relrlrqucsjrrJirir.u'cs tlc l,.r,,l.r Zrrrrbellr JJn\ l'inrr,,Jllclr(,r),l
Kovre<, 1967, p. 37 et sun,.
 FoUCAUTT OU L! NIHILISME DE LA (JI,IAIRË

ce seigncur et maîtrc de la conrraissancc rnécliévalc. Kovré v voit

le prodr-rit d'unc alliancc irnpie cntre platort ct Dénrocrire ct rrrsistc
Chapitre 4
à-luste titrc sur I'importancc qu'a eue I'ontologic démocritécnnc:
de I'atome et du vide dars I'cf-fondrcment des àoncepts aristotéli-
ciens de subsrance ct d'attribut, cle potentiaiité et d;actualité. La
redécouvertc de l)e<nrocritc cst ce qui co'fèrc à un penscur DE, LA PROSË D U MOI\DE
conrnrc classendi (qui, contraircment à Galilée ou à L)Âcartes,
r'i'venta. ric') la piacc si, importantc qu'il occupc da's lcs bases À tt M)Rr DE L'HOMME
de la science modernclL. ô., cctte combinaiscr' cl'élémc'ts
platonicicns et dérnocritéens était inconccvablt' cjans la penséer
a.ntique. N.us avo's donc : a) une conccpti.,rr .cisrlrale, c"est-à-
dirc .on linéairc ou si'rplenlent cumulatir,'e , .te l'histoirci; et à) la
reconnaissancc d'une hc<térogénc<ité qui n'est quc relatit,e cntrc lcs
pc<riodcs et qui est due ar"r ià_it que la spécificité'd'u'nouvcl âge clc
la connaissanc.. pcut résidcr dans ia capacitc< à articuler'' cles
_
élérlents prc<cédcmmcnt c-xistants nrais to,rt à tâit étranrJers les uns
aux autres.

(lonsidérons donc à présent lcs épisrénrc\s ellcs-mêrncs. La

plus ancienne d'entre cllcs, à jamais perduc dans nos habitudes de
[)cnsL<e, est ler paradigrnc de la llcnaissance. Foucault la dc<crit
('onunc- n la prose du monde u, qui se définit par l'unité dcs nrots
t't tlcs choscs dans urr tissu dc ressemblances. Pour Foucault
I'hornnrc: dc la lLcnaissancc. pcns(' cn rernlcs de similitudcs. Il
cristc alors quatrc types dc ressemblances :\a conuenientia, qui relic
lcs choscs proches lcs unes dcrs autrcs, commt: par excmple
I'rrnirnal à la plante, la tcrre à la mcr, le corps à l'âme ;ajoutées1es
ur)cs aux autrcs ccs choses forrncnt une u grandc chaîne dc l'être >
(tlrùmc étudié dc fàçon classiquc par le inaitrc dc I'histoirc des
rtltjcs, Arthur Lovejoy) ,l'aenulatio, qui est une similitudc dans la
rlistancc : ainsi on dira quc le cicl ressemblc au visage parce que
, ()nurc lni il a deux vcux, le solcil et la lunc 1'ttnalogie, qui a une
portcic cncore plus urande et qui rcpose rnoins sur des choses que
strr clcs re:lations scmblablcs, enfin Ia sympathie, qui établit des
:.rrrrilitr-rdcs entrc presque tout, p:rr un proccsslls d'identification
l,r:rtiqucment illimité : grâce à clle chaquc parcellc du récl est
1r)visrgéc cornme attiréc par unc autre, toutes les différences se
rrisol\,:lnt dans le jcu dc cette attirance universellc. La sympathic
lrc cn particulier lc sort des hornmes à la trajcctoire dcs plane\tcs,
| 1. Koyrc. l()6(r. p. lU-l-29(,. It' t'r'rsnros à nos humctrrs. Son pouvoir est considéré commc si

Àa
+t)
 FOUCA Ut,T' OU LE NIHILISMË DN LA CHAIRE
grand quc, laissc< à lui-mônre, il livrerait le mondc enticr à
I'i'fluencc du Même. Heureuseme't la synrpathic est conrpc'sée
par solr contrairc, I'antipathic, I'altcrnancc clltre les dcux donnant
le ton à toutes les formes dc rr-sscrnblancc.
Prcnons I'cxcmple dcs quatre élérncnts : lc feu cst chaud r:r scc,
il y a donc antipathie entre lui et I'eau qui cst froide et hr-rmidc.
Il cn va dc nrêr'c de l'air (chaud et hur'idc) et de la terrc (troicie
ct sùche) . < Pour les accorder I'air a été mis elrtrc le fcu ct I'eau,
I'eau cntrc la terrc et I'air. En tant quc I'air cst chaud il voisine bien
avcc lc lèu ct son hunriditi s'accommode avcc cellc cle I'cau r.-.r
L'hurnidité dc I'cau est chauffée par la chaleur de I'air er soulagc
la froide séchercssc de la terrc. >
C)rr croirait lire un passagc des Mytholttgiques de Lévi-Strauss,
qui constitue I'analysc modcrne la plus approfbndie ct la plus
systcinratiquc de ccntaines de coincidentiae ttppositorunr. Mais erifait
cc textc est tiré d'annotations contemporairres à un r;uvragc rédigé
à la llcnaissance ct intitulé Le grand miroir du monde. Fouiault crte
une douzaine dc curicux volumes consacrés à des coutumes
étrarrges et aujourd'hui oubliécs comme I'Histoire des mttnstres
d'Ulissc Aldrovandi (cf. ci-dessus p. ,11), \e De Plantis Libri XVI
dc Ce<salpin, lcs traités philosophiques dc Tomnraso Campanella,
le qranrmairc de l)etrus Ramus, la Magie naturelle de Giamlattista
.lt'f l,r l'.rrtr. lç. TraitI des rliJJrcs dc tslaisc de Vrgcnèrc,la Alftoscopie
rlc -férônrc Cardan, ou encore les cruvrcs de paracelse. A
I'cxccption clc Ramus, dc Campanella ct de Aureolus Thcophras-
ttrs llorrrbastus von Hohenheim (1493-1541), qui eut la sàg.rr.
cl'acloptcr lc nom de plume moins intimidant, sinon plus
nroclcstc, dc Prrracclse (< plus haut quc le haut ,), tous ccs autfllrs,
qui flcurirent approximarivemcnr entrc 1520 et 1650, nc sont à
prLiscnt prcsquc plus connus ni lus.
Le fait quc Foucault lcs cite, eux (commc il avait précédem-
rrrcnt cite< lcs autorités médicales d'antan), plutôt que dcs célébri-
tés de la Renaissance conlrne Léonard de'Vlnci, Eàsme, Rabelais
ou Montaigne confèrc à son proprc texte une aura d'érudition clui
en masquc I'unc des principales faiblesscs à bcaucoup de lecteuis.
Cctte faiblessc, souvent rcmarquée, tient à ce qu'il nè connaît pas
la riche littérature sccondaire parue sur ces sujets.
En cfïet, mêmc sa prernière idée historique maîtressc, celle de
ressemblance, n'est pas excmpte cie pédigré moderne. Heideggcr,
cr)trc autrcs, ébaucirc dans une conférence dont le texte oriqùal,
4u
DE LA PROSE DU MONDI] À I-R À4oRT T)Ë L'HtINIUT
paJlr en 1950, fut traduit cn français cn 1962t. Llnc antithèse cnrre
la cornrnc loi de la pcnsée pré-
corresponda-nce (Entsprechutlq.)
rncrderne et la représentation cornme normc dc la à'naissancc
Heidcgger lie explicitemcnt la ( correspondance > au
'rodc'rne.-d'analogie
principc pour l'opp'ser e'suirc au rcgircl objectrvant
ct réclucteur de la représentation modernc. La même iilée avait
dc<1à cté suggérée par Wilhelm Dilthey qui avait monrré <1ue cc qui
c:aractérise la pcnséc dc la l{enaissancc c'cst qu'ellc fonctionne
<,par imagcs >, qu'ellc.e-st < plastiquc )) et qu'cn tant quc tellc ellc
oppose eu rasoir d'C)ccam, à I'cxtrêrne abstraction de la
s
ratio'alité dcs enfànts de Galilée e r dc I)escartes2. Ainsi /a
suhstitutiort de I'analysa à l'analogie comme
_forma menti-ç dc la
r:onnaissancc modernc constituait I'un dcs thèmes de I'histoirc:
irrtcllectuellc bien ava't Lc-ç mots et les choscs. Mais pour ôtre justc
f?y, cependant convcnir que, si Foucauh ne fut pas le prùrier
ill c-lc<tectcr cctte civolution, il fut clu moi's le -premicr à la
rlisséqucr.
L'épistémc\ dc la ressernblancc ou de la correspondance avait
.rrrssi un typc spécifiquc de langue cog.itivc '.7a si.qimture, qui était
lc sig'e de toutcs les similitudcs. A la Ilenaiisance lc savoir
rrrpposait quc I)icu avait rnis unc nrarquc Orr signaturc sur lcs
t'hoses (sur tout) dc faço' à exprimer lcurs -resscmblances
nrutuellcs. Cependant commc ccs signatures apposées par Dieu
ritaicnt le plus souvent cachées, la co'naissancô-'e pouvait être
.r'trc chose qu'une exégèsc dcs arcanes. f)ans ccs conditions
l'uuditio te'dait souvcnt à devenir diuinatio ; connaître c'était
,lcviner, ou du r.oins ce n'était ni observer démontrer
,tt(rpréter. Les signaturcs plaçaient elles-mêmes 'i à lcur tourmais lcs
srr{rrcs sous I'empire du principe de la correspondance universelle.
l.;r sé'riotiquc de la Itcnaissance suivait ainsilc régin-re tcrnaire du
srg'c dont lcs stoïques furcnt les initiateurs : cllè cornprenait un
sisrrifiant et u'signifié reliés par une < conjoncturc >, c"est-à-dire
l).lr unc ressemblancc quclconque. Il cn résultait quc les signcs
rr'tltaicnt pas consiclérés commc arbitrairet ct q.r" lc langage
rr':r v:rit pas dans la u prose du mondc u ,rrè significa'tiôn
rr'.u)sparcnre. Il n'était donc pas étonnant qu'il néÈe'ssitc dcs
1 'l)rc Zcrt dcs Wcltbrldcs" (1931i), reproduit clans son lfolzu,t.qe .'Iracluction anelaise
,l.rns llcrdcguer, 1977.
' | )rlthcv. i905. n. 55.
,1 r)
 FOU(,AUI'f OU LE NIHII,ISME I)E LA (]HA]I{E
interprétatiolrs intcrrninablcs (rcchcrcl"rc dcs sens prcnticrs, dcs
si{Irlatrlrcs dcs mots av;rnt Rabel, etc.).
Or tout à cotrp, âu xvtl'' sic\clc, ccttc épiste<nrè de la corrcspon-
clancc s'ef'f oncirc. La conueissrncc c()llrnrcncc à fotrctiontrcr
autrclncnt. < L'activitc< de I'csprit >, écrit Foucattlt, ( rre consiste)r;l
p[us à rapprochcr lcs choses entrc cllcs, à partrr cn qttêtc dc tottt
ce- qtri pcut décclcr cn cilcs conrtne unc parcnt(r, unc attirancc, Lrnc
liatrrre sr-crc\tcr.ncrrt partagéc', trais :ru citlrtrairc à disct'tnt'r: c'est-à-
dirc à établir lcs idcntiti's >''.
En d'autrcs tcrrncs 1'atrall,ser cl)trc clr sce\lte, exit I'arralogie
(lcttc rechcrchc cl'unc identitc< stablc ct distincte des choscs crst cc
cluc Foucauit appcllc. dc\s le titrc clc son troisic\t-nc chapitrc ert
cxactemerrt coilrlrlc F{cidcggcr avant lui, la repr(sentatitu. Cet
cssor dc la rcpréscnt:rticln c1r-ti prcrrd sa source dans les ccndrcs dc
1a resscrrblarrcc cst la prcnrie\rc dcs lrlutatiolls épisténriqucs
clc<critcs clans Lcs rnots u lt's cllosc-ç. Asscz curicttscmcnt cc
phc<non.rè'nc firt annoncc< par ull chcÊd'crtrvrc littd'rairc, le l)on
Quichottr dc (lcrvarrtc\s. Tel un fou lc' chcr,;rlicr dc Cervatttès cst
cn cffèt u aliéné dans I'attalogic > ct si le rontan irrtroduit la
rrotrvcllc épisténre\ c'cst qu' a1 on y voit la raison cruellc clcs
iclcrrtitc<s et clcs ditïércnccs se joucr à I'infini cles siqnes et des
sinriiituclcs > rrui corrstittraient l'étoifc' nrômc dc la conn;rissatrcc à
l.r lLcrreissancel.
L:r rcpréscntation t-'st clotrc 1'ânre cic l'épisténù tlassitlue, cc sol
sur lcqucl rcp()sc la cotruaissancc cnlrc lc nrilietr clu xvtt' et la firr
rlrr xvrn'sie\clc. Scs structurc's prirrcipalcs sont lt mathesis ott
u sc:icrrcc r.rpivcrscllc dc la rnesurc ert dc l'ordre l et la taxintnnid,
c'cst-à-clirc- le principc dc classificatiorr, d'ortlrc, dc tabulatron,
tlont lc rrrcillcrrr crcrttplc cst la brrtlrritltre dc Linné. iSotrs
I'influcncc dc la n-rathcsis et dc la taxinomie, cle I'algèbrc ct'âc la
norncnclaturc la connaissance chcrchc à rcmplacer la rcsscnrblancc
irrfirric par dcs difftircnccs firries, lcs c'orlccturc\ prrr dcs ccrtittr-
dcs*.lEn otrtrc la nuthesis a tendancc à cxclurc la genèse, c'cst-à-
dirc'quc la connaissance cle I'ordre cst utilisée pour maintcnir
I'histoirc à distar-ice : la penséc classiquc cst tout au plus capablc
de conccvoir clcs gcnc\ses idéales, c'cst-à-direr dcs tttopics projctécs
dans un passé origincl idéalisé.
-1. Four:.rtrlt. 1()(16. p. #].
.1. (le point rv.rit rlgrlcnrclt cté souligné prr llci,letccr (ci-. trotc l{) ci-dcssous).
50
T)tJ t,A PIiOSE DU ]\IIONI)F] À LA MORT I)T] I. H()MMI-
Il n'est pas sllrprcnant quc la languc cognitivc elle-rnôrnc, u lc
langagc de la connaissancc ,r. crr virrr.rrrc à ôtrc ernvisagé sous ulr
éclairage differcnt. L'épistc<rn(\ classiquc, codifiéc à cct e<gard par
la logiEte dc Port-lloval (16(12), conçoir la signification conrrnc un
svstè'nrc binairc : le langagc eitant considéré cornrnc transparent on
nc présr"rpposc plus qu'il y ait clcs lieus cachés (les < conjoncrures ))
cl'autrcfbis) ct on n'a cn qe<néral plus bcsoin d'intc:rprétations
corrrpliquées. La diyiurrlio csr vitc élirninée dc la sphère de la
connaissance légitin-rc. Siqnifiant ct sigrrifié sont cr-rvisagés connre
. lrés dc façon arl-'itrairc mais clairc commc dc I'cau dc roche.
Foucault anaiysc bcaucoup plus longucnrent I'e<pistérnè classi-
rluc cluc cellc qui I'a préce<déc. II consacrc un chapitre entier à
chacun dcs dornaincs de la connaissance qu'il choisit d'e<tuclier : la
linguistique, I'histoirc naturcllc c-r l'éccxronric. qui porrcl.tt rùspec-
tlvcnlcnt sur lc lansasc, la vic et le travail. Pour chacune dc ces
c'tr"rdcs ii examinc unc foulc dc vieilics Gluvres poussiéreuscs ct nic
trrrc ltris clc plus aur figurcs érnincntes lcs piivil..qcs clonr-clles
.iouissent habitucllcnrc:nt. Ainsi l)cscartes n'est-il pas plus men-
tiouné qtrc d'obscurs granrrnairiens alors quc I'histoire naturelle
tlc Linné et l'économie d'Adarn Smith sont placées sur ic mêmc
plan quc I'cenvre dc plusicurs autcllrs qui sont aujourd'hrri bien
rnoins célèbrcs. Ccttc approche non convcntionnclle mérite dcs
tilogcs car clle pcrnlet à I'historicrr der la pcnsde dc jeter un regard
rr()uveaLl sur dc nombreuses rclations pc-rducs ou entcrrécs.
l'out au début dc son livrc Fouéatrlt donnc cle I'c:sprit clc
l'épistérnc\ classiquc, la rcpréscnrarion, un emblèmc gr.rphiquc cn
sc livrant à unc réflexion sur I'un dcs joyaux du Prado, I-cs
iuit,tliltes clc Vélasquez (I-as Memintts, 1656). Vélasquez s'y dépeint
Itri-môme en train dc regardcr lc spcctateur ct ne rcprésente ses
vrais modèles, le roi ct la reinc cl'Espagne. qu'indirccienrcnt. par
le biais d'u'c imagc reflétéc c''tusénrcnt da's un miroir placé itrr
lc nrur d' fbnd clc i'atelicr. I-c titre d. rablca' csr ironiotre car
, cur qui en collstituent le véritable sujcr (et qui occupcni notrc
position de spcctatelir) sont cachés. Foucault y voit lc symbole dcr
l.r rerpréscntati'n elle-nrêrnc : une connaissaTlce dans laqr,relle lc
\ulct cst tenu à distance .
L'æuvre cle Vélasquez, qui corrstitue l'ur-r des sonlmcts dc l'art
l,.rroque', conticnt plr-rs d'r-rn cxemplc de ce déplaccment du sqet
rrrrrririal. Par cxemplc dans r,es -fileust's, tableau inimédiatement
lrostc<ricur a,ux A4énine,s et quc I'on peut égalerncnt admirer au
51
 FOU(]AULT OU LE NIHILIS]\,tE DE LA CHAIRF.
Prado, lc thènre mythologique clc Pallas et d'Arachné est relégué
à I'arrie\rc-plan alors que tout lc premicr plan cst consacré à une
dcscription sonlptueuse de I'atelie r où sc déroule lc travail
prosaïquc dcs ouvrie\res. Exacterncnt conrrne dans Les Mérunts
l'onrbre qui règne sur le dcvant du tableau guide I'ceil vers un
point de lunric\re situé à l'arrièrc, mais dans les deux cas la source
dc lumic\rc sernblc être privilégiéc pour clle-rnôme et non pour les
pcrsonnagcs sans substance qui I'habitcnt (l'hommc debout clans
I'cnrbrasurc dc la porte à I'arrière plan dcs ù4énines, la déesse et sa
victimer Arachné dans Les-lilcu.scs). De plus dans les deux cr:uvrcs
lc fait quc le sujet noble soit rclégué au fond dc la scène indiquc
le goût du peintre porlr ur)c organisati<-rn de I'espace n'obéissattt
pas sin'rplcmcnt aux lois de la perspcctivc mais scandée par des
plans de lun-rière qr,ri soulienent la perspective fuvante. Cc jcu dc
la lurnière, qui vient s'ajoutcr à la multiplicité des centres d'intérêt
opticlues, va à l'encontre de la ccntralité nornrale du personnage
(ou du qroupe de personnages) principal, ce qui conlère à l'cspace
une qualité dranratique typiqucmcnt baroque qui ne ressort pas
nécessairement du suJct du tableau lui-rnêrnc. Les spécialistes dc
l'histoirc dc I'art s'accordent pour penser qu'all début de sa
carrièrc (qui débuta à Sévillc vers 1620) Vélasquez fut très
fi)rtenlent influencé par Le Caravagc ct par Zurbaran. De là son
goût pour lcs valeurs tactiles, puissarnrnent rendues dans deux de
scs tablcaux que I'on pcut au.lourd'hui admirer cn Grandc-
lJrctagne , I.a L'ieille.femrue Jaisdnt.frire des txu-fs et Le I,'endcur d'eau
dt' Séuilb, respectivenrc-nt exposés à Edimbourq et à Lclndres
(Apslcy Hor,rse). Il finit ccpendant par dévcloppcr un style
:rucl:rcic:usernent pictural qui en fit le plus n nroderrre >, c'est-à-dirc
lc plus proto-impressionniste, dcs maîtres du baroquc. Ccrtains
dc ses contemporains. comme lc poète Quevedo, furent prompts
à pcrcevoir le rôlc nouveau que jouait le colorisme, cct héritage de
I'art vénitien de la Rcnaissance, chez lc peintrc dc la cour dc
Philippe IV. Lc tournallt de cette évolution fut ccrtcs attcint avc:c
la ravissar-rte Toilatte de Vérurs (c. 1650) cxposéc à la National
Ciallery de Londres, nrais Les Ménine.s ct Lr's -fi/,'u-çcs sont très
généralernent considéréers cotttttte le tcstamcnt du peintrt:, ct
colnme un tcstamt:nt halltemcnt oicturals
5. Sur I'c<volution stylistiquc .1e Vélasqucz voir I'e<tutlc c{rr criltlbre
f:errari, 1960. cn particulier p. tt9-91 et 102-1 13.
5l
DE I-A PROSE DU MONDE À I-A MORT DE I,'HOMMIT
Si je me suis arrêté un instant sur lc sens csthcitiquc de la
pcinttlre dc Vélasquez c'cst que celle-ci nous fournit dc solidcs
:unarres si nous dcvorrs nous embarquer avec Foucault dans la
vastc métaphore par laqucllc il làit des L,Iénint-ç unc icône de
u I'c<lision du su.jet >. Pour Luca Cliorciano, cc virtuosc du pinccau
rlc la firr der l'époquc baroque, LL,s .A,lûtirrts constiruiit unc
u théologie de la pcinturc r(', e t clans un sens cecr semblc
s'rppliqtrer cncorc nrieux avx Fileuses, La semonce qu'adressc
l'l11as à la pauvre Aracl-rné, qui est sur lc point d'êtrc tralrsforr-néc
t'rr araignée, vise peut-être lcs ambitions intcllectuelles dc la
l)('lnturc, rcprésentée comme il sc doit dans la tapisscrie quc tissc
Arachrré qui rrc reproduit ricn nroins que I.'Enlèuement diEurope,
(r'uvrc du ph-rs grand norn dc I'art du che valct ciassiquc, Le Titien.
l.'arnotrr avec lcquel Vélasqucz pare au ccllrtrairc dc' coulcurs les
lrrrmbles cardeuscs et filctrses qu'il placc atr prcrnier plan est une
r'éfc<rcncc évidcnte à la sainer simplicité de la peinture comnlc
rrrétier7. Ce tableau est donc à intèrprc<te, .,r*me une fàble sur
I'orgueril humain.
(]trer dire des Ménines.2 En premier lieu que cc tableau nc
l'()rtait pJs ce nont à I'ctpoqrre dc V.ilasquez. ct quc s()ll titrc
,.rrir1inal, r, La fàmille >, en dit long sur la signification véritablc
tlc son sujct déplacé, comme si Vélasquez avait voulu rendre un
t'lrelcurcux hommagc à ses chers souverains. Au centrc de la
st'i'nc, éclairée par sa blonde chcvelure et par les maenifiques
\,ôtcments de soie dont elle est parée, il place f infante Margueiitc-
Muric, première née du second mariagc du roi. A mi-chcmin sur
I'r'scalier du fond il pcint I'lntenda,t Jcs tapisseries cle la reine ct
,.()n propre cousin, l)onJosé Vélasquez. L'cnsemble de la
scène
lr:rigr.rc dans une atmosphère de simplicité et de fà'riliarité qui
n'('st néanmoins pas exempte de gravité. Le seul élérnent
.unus:lllt, I'attitude clu jeune nain qui donne un coLlp de pied sans
rrréchanceté au chien (dans le coin inferieur gauche du ta6leau) est
, rr fàit venue se surajoutcr au rcste car une analyse attcntive de
l'trtrvrc a montré qu'il s'agissait là d'un pentimento inspiré, sorte
,lt'contrepoint subtil à la retenue qui caractérise tous lcs autrcs
l)('rsonnages. Le pcintre de cour sc dc<crit lui-nrême travaillant à
sr'lrrr Artonro l)alomjno, le broqraphc de vctlasqucz au xvul" siècle. cité dans
.fo1rn
expert E. Lafuentc lirrpport lV1artin, 1977. p. 1tr7.
IoLrt ccci cst susséré parJ- Il. Martirr, op. rû.. p. 12.1.
5-l
 [()u(]A f OU 1.T] NIIIJI,ISME I)E I,A C}'I
ull portrait du couplc royal dans r"llrc attltuclc dc
crnprcirrte de clignité. (lommcnt aur:rit-il pu éualcrncnt rcpréscrr-
ter lcs souvcrains sar)s porter atteintc à lcur rna-lcsté ? Aussi nc lc
fàit-il pas ct se contente-t-il d':rssocicr soli parcnt à 1'lronrnrauc
qu'il lctrr rcnd -- ct surtollt dc donncr le piace d'horrncur a lcr-rr
cnfarrt chéric qui cst crrtourée dc scs strivântcs, clc sa drrègnc ct clc
scs chers bouflbns. l\larqucritc-Marie n'occupait-cllc pas, clzrns lc
cæur dtr roi, la placc prise autrefois prr son fils c'lisparu, lc prurc.'
lJalthasar (larlos, clorrt Vcilasquez avait fait un portrait si rcnr:rr-
quable ? Il erst srgnificatif quc I'rnfantc Marie-Thérôsc, filic aîneic
clu roi issuc dc s()lr prcnricr lnarrrgc ct tuturc fcrnrtrc dc
Louis XlV, soit absentc clu tableau car il sc trouvc quc clè's
I'ripoquc orr cclui-.i tirt pcirrt cllc se rrrorrtrrii trt\s t'riticlrrc à l'tiq.lrd
cie la politiquc rne-ltc1e par son pèrc. Philippc IV fit cn rout cas rlrl
:rccucil favorablc à I'honrnrage quc lui avait rcndu Vc<lasqucz
puisqu'il sarda lc tabican dans sa chambre, ct quc dcs anneics plus
tard il fit pcindrc sur la poitrinc du peintrc la croix rousc clc
l'Ordre dc S:rntiago qr,r'il h"ii avait décernée pcu dc tenps avanr s:l
tttortn.
Oc qu'cxprinrurt l-cs L4érrirrc-c cc n't: st donc pas ianr
rlissitnulatiorr d'un sujet quc lc rcspcct ciprouvé pour lui. Potir
Fouc:rult cc tablcan résurrre cependant < la rcprésentation dc la
rcçrréscntation >, c'est-à-dirc nn systèrne épistctmique dans lcqucl
cc r,lutorlr clc qr-roi t()urne la repre<scntatiol.r doit néccssaircrncnt
rcstcr invisiblc. Vélasqucz, I'infantc ct sa suitc out tous le rcgarcl
lirrl srrr lc roi t't ll rt'ilrc. c()inlnc ('clrx-ci l'ont srrr cu.r. Lc roi rrt'
sc rcfle\tc dans lc rr-riroir quc dans la rnestrrc oir il n'apparticnt pas
au t:rblcau. Leurs rcqards sont rciciproqucs rnais leurs statuts
inégaux. Lc cotrple royal est l'objet (sujct) clc la rcpreisentation, ()r
porlrtant il nc pcut (ilans lcs conditions dr-r tablc;ru) êtrc rcpréscnté
lui-même. ".
11 n'y aurait pas de nrvstère épais si Fouca'rlt avait sriivi
I'lristoirc dc I'art d;rns son interprétation sclon laquellc l.es NIûrines
sont en demie\rc analysc l'autoportrait de VClasquez, peint ainsi par
respcct pour lc roi. Il cst donc e<vidcnt qu'au fond, cn dc(prt du
caractèrc bnilant de son lorrg conrmentaire sur ce tablcau, qur
constituc un charrnant portiqlle à l'élégantc coustructi()n conccp-
tuellc à laquclle il sc livre dans Lc-ç /n(tts (t 1c-t clro.ics, Foucault ne
fJ. Sur tout cct f,rrièrc-plf,n historiiluc, ct. Lassair.lne, i.152, p. 6{)-65.
54
I-A PROSE I)U MON À t.a noRl r)fr r'H()MMr
rnoclcstic r cles ,'\'/rirrrr(-ç nrJis rlu' il v prttieTtc
ttotts clottt-tc pas là unc u lcctttrc
l'r.rn dcs principaur postrrlats sur lersclucls rcp()sc la theiorie
ilcvcloppéc dans cc lrvre. Lcqucl ? [-'lxiclnlc qul vcut qlrc, clans
i'r'pisténrù classiqtrc, lc srqet llc pcut qrr'échappcr :\ s:r proprc
r-t'p rciscntatior-r.
['otrt i]evicnt iJc:rr.r(-()up pltrs clair:ii 1'orr st-: sorrvicnt dc cc qui.
irrlur Fouc:rr.rit, sc passa :ru corlrs !ic 1l urtrt.rtiorr srriv,rntc, qui
'i()ri1r.r lc glas dc l'épistérnc\ clussiclire ^ En cllct clès 1ft(X) il sc
l,r'otluisit ( Lrrlc nlutirtion clc l'()rdre à I't'listoirc'' u; lcs choses
,, ccirappùrcnt à I'csplcc du tablcatr rir" ct prr<scr-rtc\rcnt ;\ la
| ()nllaiss:incc dcs < cspaccs intciricurs )) rlui nc pouvaicnt pas ôtre
n'lrrtiscriti's uu scns oth l'cntcnclaicnt, ) 1'âge classiquc, la nlesrtrc
,'t la tarinonric. Ainsi par exentpic ullc nouvr-'llc cclnccption cic la
r rc virrt s'infiltrcr clans les discontintritcis clc la I'axinornit L)niuersa-
lr. Lle Litrné: réfiactairc aur tablcau-r clc 1'histoirc natr-rrcllc cclle-ci
rftirrnait c1u'il crxistait unc continuité nrystérietrsc cntrc lcs
()l-giil.rls1rrcs ct icurs ClrVirclnlrcrrt-rrts. [,'histoirc natnrcllc, cc cocle
(ic conlraissar)cc dalrs lcqucl ii n'y avait allcullc placc pour une
lristrrirc clt' la nâtllrclr cécla ainsi ic pls à la hioltt.qit'. Dans le nrêrrrc
la t('nrps la philologic supplantait la sramnrairc génc<r:alc ciassique ct
lc llrngagc, cessant d'ôtrc cnvisagé conlntc une rcpréscntation
ti.ulsparcrltc dc la pcnsr<c, se vovait confércr une profondcur
lrrstoriquc. Quant à I'c<conornie, I'analysc clc l'échangc y était
rt'ttrpllçsia; par cclic d'un autrc phelnonrr\nc prltrs profond, la
l,roclr.rction. (le fàisant u I'an;ilysc clc la richcssc r, dorrrinante au
rvrn' siè'clc, était rcnrplacéc par l'éconornic politicluc. Ainsi la vie,
Ir travail ct lc langagc cessc\rent d'êtrc considérés comnre les
rltrill-rts d'unc naturc itrrmu;rblc' ct cn vinrcnt à ôtrc envisagés
{()r)une dcs clonrairrcs dotc<s cL: lcur proprc historicité. Ainsi
I llirt,lirr'.
('cttc nuLlvcllr'dtrr'sst'.lc 1.r,.'orur.rissrtrrct' ,, pr(){rcssivc-
nr('nt inrpos()ra scs lois à I'arulysc dc la prodtrction" à ccllc des
( lrcs ()rsallitlr-rcs, à ccllc cnfln clcs grorlpcs lingr-ristiqucs. L'Flis-
tt>irc donnc licu au-x org,rnisJti()ns enllogiqucs, tout contnlc
l'( )rclrc ouvrait lc chcnrin clcs idcntités ct clcs clit-ttrcnccs ( -çurcr'-ç-ri-
,','J ull-
ll cst rrnportant dc notcr quc cc quc lcs trois disciplines
t l orrcrulf . ltXr{r. p. 31.
,t Iirr,1., p. ll2.
i ll,i,i , p. 173.
l' 1l,rrl.. o. lJl
55
 FOU(]AUI,'I C)L] LE NIHILISME DË I-A CHAIRE
classiques ont cn colnmun avec cclles qui leur succc\dent (la
biologie, l'éconornic politique et la philologic historique) c'cst la
i'orn.rc nuc dc trois crnpiricités (la vic, le travail et lc langagc) en
tant que domainers plutôt qu'en tant qu'objcts. car les nouvclles
scienccs ne s'irrscrivcnt en aucun cas dans la continuité de lcurs
sceurs archaïques, qui sont ainsi plus déplacécs que rcnrplacées.
Comme I'indiquc Foucauk < philologie, biologic cr économie
politique sc constituenr non pas à la place de lt Crammaire pénérale,
dc I'Histolre narurelle e t cle I'An alyse dt's rithesses. nrris là où
tcs savoirs n'cxistaicrrt pas, dans I'espacc qu'ils Iaissaicnr hianc.
dans la ,profbndeur dn sillon qui séparait ieurs grands scg-
nlents théorigrres et que rcmplissait la rumcur dn continrr
ontologiquc >Lr.
Pcrsonnc ne sait au iustcr ce c]u'est la rumeur d'un continu
ontologique nrais peu irnport" .ri l. messagc est assez clair. Cle
quc Foucault tcnte dc faire comprendre, dans sa fervcur césurale,
c'est qu'il nc pellt pas y avoir de ponts entre les épistémès. La
c'ontinuité ne peut jamais jouer qu'à I'intérieur d'une épistc<mè
donnée., On peut ainsi discerner unc ccrtainc croissancc par
accunrulation à I'intérieur dc l'épistémè post-classique ou mttderne,
à laqucllc Foucault consacre trois des derniers chapitres dc l,es
nt(tts (l les chttses.l)ans un prenrir'r tcrnps, qui va d'environ 1775
au sctril du xrx' sièclc, les autcurs conlmenccnt à historiser la vie,
lc travail ct lc langagc tout cn continuant à essayer dc traitcr ces
nouvcllcs empiricités avec les armes conceptuelles des représenta-
tiorrs classiqucs. Il s'agit d'un conrpromis fragile que I'on retroLlve
aussi bien dans la façon dont Lamarck envisage l'évolution des
struc:tllrcs organiques quc dans le concept du travail qu'élaborc
Adarn Smith ou dans lcs idées de William Jones sur les diflérentes
strlrctLrrcs linguistiqucs. Puis, d'environ 1795 à environ 1825, se
constituc une épistémc\ véritablement nroderne. [.c bioloeiste
Cuvicr. I'economisrc Ricardo et lc philologuc Bopp font iclater
la forme de pensée de la connaissance classique. Dàns la pensée
biologiquc la fonction a raison de la structure, alors que l'étùde du
langage s'attachc à démôler un fatras de racines er évolution et
qu'en économie la circulation des biens en vicnt à être expliquée
commc lc risrrltat visiblc de trù's longs proccssus dc prodrrction.
Partout des forces plus profbndes, plus mystérieuses et plus
i3. /l'id., p. 22().
56
IIE LA pROSE DU MoNt)E À lR na()R'r l)E t.'HoMMil
intenses son t substituécs à la surfàce lissc clc la connaissance
classrtli.re et la pensée mclderne irnpose donc dlns dcs clisciplincs
diflërentcs des catégories d'explication dl'rrarniqucs, historiqucs.
Oc que Foucault vcllt avant tout montrer c'est quc, au cours
clc ce proccssus, l'hommr (qui constirue lc suict principal de ccs
trois discours scientifiqucs) est rccontlu clans son cxistencc
corrtinqcntc et fàctuelle. Si < l'épistéme\ ciassiquc s'articulc sclon
cles lignes qui n'isolent cn aucunc nranie\rc un clonraine proprc ct
spécifique dc I'homrne ,la, ies catécorics de I'e(pistém.. moclcrne
sont en rcvanche prolbndément anthropttltt,qiques : en dcrnièrc
ln;rlvsc cllcs reposcnt toLltcs sllr Llne < analytiquc dc la finitucle ,>
lrumaine. Foucault nous invitc dclnc à sortir du < soinmcil
rrnthropologiqtre u qui constituc I'oxygène cic la connaissance
rnoderne, car nous somnlcs hantés par I'histoir(: ct par l'hurrra-
rrisme et notre obscssion humaniste, notre crrtichcmcnt Di-,ur
I'l'romme qui conditionne notrc appréircrrsion de le r-rialiti, fait clc
nous les victimcs clc la fbrnre de pcnsée historicluc. Si, c<lmnrc lc
rrroclèlc roval dcs Ménines,I'honrrnc ern tent que principal sujet dc
lr connaissance était absent de l'épisténrè clrssique, l'épistémè
rriodernc a plus que rétabli l'équilibrcr:ellc cst alléc trop krin er-r
.Lrbliant quc I'homrne dont la finituclc individuellc ou collercrvc
f .rit un pivot dc la connaissanc-e n'cst qu'un pcrsollrragc éphérnère
tlans lc cléfilé insondable dcs épistémès ;
<, L'homme est unc i'vention dont I'archéol,r;ie dc notre penséc
ilr()ntrc aisément la date récente. Et pcut-ôtre la fin prochaine. Si ces
,lispositiorrs vcnaient à disparaître comrne ellcs sont apparues, si par
,.;trclquc éve<ncmc'trt dont nous pouvolls toLlt âu plus pressr:ntir ja
Ptrssibilitc<, nrais clorrt nous nc conrraissons pour f instant ni la forrrrc nr
l,r prorncssc, ellcs bascul:rient, comurc ic frt-;u torlrnant du xvrrt'sic\clc
Ir' s.rl cie la pcnsée classiquc alors on perlt bicn paricr quc
- dc la rner tn visagc ic sabli ,15.I'honrme
','t'tlrrct'rait. i,rtr.m. à la limite
(l'cst sur ces phrases lourdcs de mcnacers clre s'achèr,'e Lts mots
, t lr: choses. Mais ce n'cst pâs la premièrc lois que le structuralismc
,l,irronçait I'adoption cl'un point dc vLrc htrrnanistc dans la
r o11111iss2nçc. Lévi-Strauss n'avait-il pas proposc< dc fixer comme
l,rrt ;rux sciences humaines la dissolution cJe I'hommc? En dclpit
I I /ôiri., p. 320
' /tnl , p. -)9fl {Lkrttitr p.rrrgrrplr. rlrr lir rc)
57
 l.()il(lAt]Ll ()U t.E Nlftti_ISMË t)F LA CI-IAII{E
d'acccuts corl'lnrLlns, lcs cJeus lronirncs ne tJiscrrt ct:Lrcncianr pes 1a
rnôine chosc: alors quc Lcvi-Strauss énret Lln v(l'Ll rrrr n'rrr.ic la
scigrr:c, Fotrc'ault urvis;rqc ics choscs trr\s dif'fcrcrïlrncnt. I)ans ses
tcxtcs lcs plrrs cr1'pticltrcs ll i:rit allrrsion à un ar.enir qui rcsscrnblc
fbrt à Lrrr r/r'-çrin clc ll coruraissnncc: lc raz clc r)larcic dciia proi. lr.rinc
tipistc<rne\ cilrp()rtcre I'hor-rrrrrc cn tant qu'(-'spacc clc t:onrr:ris:.rncc.
(]uel cst lc so'rs cl'lrn :rr,rssi ritr.rngc trrlcic ? .r donc ricn cl'Étonnant à cc qLl ur pcrsollnagc:russi ambiqtr'7 soit
Il.éc:rpitulons bric\vcnrc't. [-'épistérnù' rri.dcr'c, clui c\t Lrili'
é;ristc<nrc\ dc i'histoirc plrrtôt que clc I'.rrlrr-, r. r.,vc,ic i.rrt rinc
arr:rlt'trcluc <Jc le finiruc.lc dc I'honrrnc. L'horrrnlc cst uL ôrrc ti,'l rruc
c cst cl) lui, ct li travcrs lrri, clue n()Lrs prcllor.rs conscicrrcc clc c, ,jtri
rcnd ll conlaiss;rnr:c pos:;ible. Il nc fàit ruclm cioute, r.rc,'-,, ,,..,r0.i.
Foui:arr[t, qtrc i:r nlrrrrr hunrainc j<lu:rit di.jà lc nrôrnc rôlc err
xvttt'sièt.lc. (icpurtlanr à ccttc époquc cc sur cluoi cics cnrpinstes
collrllrc (lonclriilc fi-rarc:r.rt lcr,rr attcntiorr c'étlrit sirrrplcrncrrr lcs
[rr()fflctrls .lt' llt lc'1.rit:'('lrt.rtr()lr. t'r'st-.r-tlirc lcr t:rr'trlttls rlr' l'tspr.it.
cllri pcrnlcttai'.:nt ii ll connaissunce d'avanccr : corrsciencc dc sor.
Lncr1lo!rc, rnraqin:rtiorr. lJ0ur une nnalvsc clc i'hornrnr .(rr,,(j,(,r,
cltrr.rt la conr)âissrlll(:c post-clrssicluc tirsart son sirlct, ccln rr'ctait
pes sutlisalrt. [-a placc cnrtrlle firt c]onc rloruréc non plus r unc
abstraitc ( l'rlttrlrc h'nrein. ,r rr.l;ris à i'Lr'nrrnc cotlllttc r, rr:alité
c1-rrissc )) ct" cl) t.lilt quc tel, r 1)b.is1 diffrcilc ul,'. ll nc s':igissair pas
li tlc tltreltlrrc ci-rrr,,.' quc I',' pouvait pcrccvoir aisé'ciit .leiri Lr
tl irilsparr'ncc r'lc rcprr'se n t.rtions staticlrrcs, clans ics caux c-ristallrncs
clc l'épistiirrrt:, clc I'rlrdrc et dc scs tablcarrx bicn tarliés. Ur-rc
.rn;rlytirltrc rlc la finitude nd'crssitait unc e<luciclation tics cslilitrons
prc'al;rblc-s à la coirnri-ssancc :u.t n.lo)/cn dcs cont(,'l)lrs crnpirirltit"s
rnôrncs dorrnd's clans la vic- hunrainc: lc corps de I'hornmc. ses
rcletions socialcs, scs nortr-tL-s ct ses valeurs.
()r clu point dc vuc épisté'.logiquc c,:la plaçait I'ho,rr'c clans
tunc positi<ln c-lc<licatc. En ctïct d'une part connaîtrc I'honrrnc ser
r(icluislit;\ comprcndrc cc qui, dans la rtialité clc la vic, ciu travlii
et clrr iangagc (qui colrstitucnt dcs rnouics clans lccluel I'inclividtr
cst colllé lvlrnf rnôruc dc naîtrc) déternrine ,,r,r a^r.t..,.,.'c concrc\tr-,.
Mais par rillcr"'rs les rccl'icrchcs sur la naturc phvsroloeirir.lc e.t sli.rr
I'lrist,riru soci.lir,. tlc i:r coiuralssen(-c, qui s'attachaierrt :i'nrcttre à rrrr
lcs contcrrus cnrpirirlrrr:s ci. l.r s.ig.r tlc I'ironrrnc sur rL'rrc, nc
pouvuicrrt s'cr.npôci.rcr ,-lc présuppt)scr un ccrt:rirr nivc:rr-r ,-ic reirol
1(r. P()ur c(.5 pi1r.t5(.: (ct rl'rritrcs si.rrrl,l.rbirs) ct. ii()'(..i,1t, l()(;(r. clt,rp.
;fi
I,A PR()SE I)t] NI()NIJ[: r\ t-A MOR I II()]\TME
It'dilr((tdofitt, 1'[iisqr-1c pour scp;rrcr l;t vcirifc: tic I'crrcrrr. lu sr-icnce
.lc l'id.ologic. la corrrraissarrce .r lrcsoln clc sc rétcrer à urrc n()rnlc
crititluc cxta'ricurc à cllc. l)ar c<xrsequ':rrt I'lrorr.rrnc, pivot clc ia
corrnaiss;rncc dans l'épistctnrè irroclcnrc. cst ni'ccssaircrrrcrrt rr un
e tran gc cloublct cnr pir i co-trln s ccndan tal,>, conrli tiorr c<pisténicil o-
i-liqLlc prcscluc inrpr>ssiLrlc à satisirrirc <ic feçon satrstaisrinre. il n'y
iirt:lrâ(:c dc dissolLrtion.
l-.r ritlcxion clc Fou,.:l.lt strr ..c thcr'c, pour cssr:rticllc qu'cllc
',oit .l:u.rs i'ccoriolnic dtr lir, rc. c:tt rréâr)i)r()urs tcrriblcnrcnf t:oinpri-
rrréc. Qrr'crrterrcj-il c-\a('tcnrcllt l-r.rr l' < lr"rrbigtrïtcl ,r clu dou[rlct
iirrrnur.i ? (]ucl qi.ic srlit lc scrs t1c cc tcrlrle, il s'agit là d'u'
rnvsterc stnctcrllcltt i'lristctrroioglquc, Irolrcault cst tbrmcl sur cc
lroitrt. {i n"v a placc tri.rcz ltri rri porir la,-'rc.rrrrrc nri-anqu irrr-bi:tc
,lc l';rscal rri por,rr i:r clrielite:qu'i.tablit K;tnt r.nrrc lil-.crtc nrorale ct
,1t:rr:rrninisnrc natLrrcl. (-c :) tlrroi I;our--atrit scrrrblc pcnscr c'cst à
i er r trcpri sc pheinorui'noloqrcluc. I.a plheno rnénologie, aftirni.:-t-il
,'rr ctict, -jtrre clc conrprgrclrc à le tiiis I'cnrpiriclr-rc et lc tr:insccll-
'i.r't.il : rel cst ic l-.,t ilc s'lr progra''rrc. 1'aral1'5ç dc I'cxpériorcc
r.:r'uc (L-rlc&ni,', lc vdcu). I-c phénornérroloquc s'inrércssc avant
i.rrt à I'cxpc(r'icrrcc parcc cllc l'crpéric,cc vécuc e st à la f .is
i('sir;rcc clir totrs les .-ontcnLis crlprriclr.rcs sont ,-lorrrrés à la
,,rrrsricnce ct la nr:rtricc origincllc clrri lcLrr confè're un scns. La
lrirdrronii:nologic, ajoutc f:ouc:rult. a rnis air point ult u discours
rlrr.te n daris unc ultimi: tcntetivc pour rr<s()uclre lc problènrc
, lrlpirlco-.tratrsccnclârrtll. i\4ais ccitc tcltt:rtlvt: à avortc< parcc quc
ir s []11érlonrc'nologucs rr'orit pras af]rorrté lc vrar problù'rnc qui .-st
,lt: srrvoir si, clrr p-roint dc vrrc iprsténrologiquc, i'honrrrrc cxistc
rticllcmct-rt.
(].trant atr problùrrre du n cior-rblcr > iui-rnônrc, Foucatrlt llc s'y
rtt.rrclc gnèrc, cc qui csr d'autant plus rcgr:cttablc quc I'on prcut
,,,rir-ià lc r:u'trr philosophiquc eiu livrc, oir rcsicie ion prini.ipai
ri!{urlrcnt contrc I'htiritagc clc la connaissancc moclcrnc. Il sc
.rritcl)tc tlc rcconnaîtrc cluc son < obscuritei u laisse perplcxe et
' rr)r; cn dirc davantage srlr cc point ii choisit dc Iàire ensuitc
rilrrsir', darrs lc nrôrne court pessegc, à ur dilcnrrne qui pour êtrc:
'r r,.'lltion avcc lc prc<cc<clcnt r)'cn cst p-rls rnoins dc toutc évidcncc
irsrilrct: I'oscillatiorr clc le conreissancc nrodcrne cntrc lc
lX. .l |\rlr r()rjt i'c ir:rri;rrphe, cl. [:oucrult. 19(16. clrr!. tX..1.
59
 FOUCAUI,'I LË N]FTILISME DE T,A C}IÀIRT:
(( positivislne rr (qui rercluit ia vérité sur l'hommc à I'cmpirique) ct
l' ,, eschatologie , (qui anticipc la vérité dans un discours cle
promcsse). Lc positivisrne et I'eschatologic sont ( archéologiquc-
nrcllt indissociablcs u. Leur osr'illariorr, tout à frit tividcrrtc clrcz
dcs penseurs colrrne Comtc ct Marx, nc pourra pas ne pas sc
produire all c(rur de la con'aissance, nous llit Foucault, t"Àt qrr.-
l'épistérnc\ rnoder'e, anthropolo,gique, prévaudra. Ellc co'stiiuc
ccpendant un signe ccrtain de la u naivcté précritique > de la
pcnséc moclernc, de cctte innocencc tirc<orique qtre la phérrom.,,ro-
logie n'a élirninéc qu'au prix dc son proprc échcc.
Et qtre dcvicr.rncnt les sriencr,-ç hutndines proprernent dites dans
tout ccci ? Lts ntots ct le s choses t1c se proposait-il pas d'cn êtrc unc
archéologic ? La fonctir-rn qui leur cst assignée cst. pour dire lcs
choscs carré'rent, d'cxamincr le -cr:n-ç der I'hômme poùr iui-'rênrc.
La biologie, l'économie ct la philologie anrlyscrrr la uie . le travail
et lc langagc en cux-môrncs, ct non dans cc qu'ils rcpréscntent
pour l'homme, alors quer la psychoiogie, la soèiologic et l'étudc
dcs cultures s'irtéresscnt aux nrodcs cle signitrcation donnés dcs
processus ct dcs activit(.s de i'homrncl8.
Ql.ri plus cst les scicnccs humaincs pratiquent constamnrent,
dans lcur traitcment des significatiorrs humaincs. I'auto-
. riti.1u.'r" : ) pcirrc considèrcnt-.l.l.r ,.,,, enscmblc dc sigrrificatiorrs
.rrrqrrcl l'll()nilne a norrrralemcllt rccours cn tJltt qu'rniln.rl vivarrt,
produisant
-L't
parlant qu'elles y voicnt la surfacc' d'un sens plus
proftrncl. Ellcs s'ajirnentcnr ainsi de la critique de 1a conscicncr:
irunrai.c. Lcur fonctiorr la plus véritabie cst àc dimystitr.-r. Leur
vocatior-r n'cst pas d'augmenter la connaissance rigourcuse ct
prccisc (car potrr Foucault lcs scie'ccs hr-rnraircs nc so't pas dcs
s\'l('n('('s) rnris dc tirrrctit,nrrer ('()nrnrc unc navcttc critiouc èntrc la
corrscience ct I'inconscicrnt: < il v a "science humaini" ron p",
partolrt otj il est question dc I'homme, mais partout oir on
aralysc, da's la dinrcnsion propre à l'inconsci".tt, ,i"r normes, dcs
rùgles, cles cnsembles signifiants qui dévoilent à la conscicnce lcs
conditions de ses formes ct de scs contenus u2o.
L'i'co'scicnt est d'u'e importancc crucjale dans la théorie clc
la connaissance dc<veloppée par Foucault. En effe-t l'épistémè de
1fJ. Foucault, 1966. chap. X. 2.
1t). lbid., chap. X. -1.
2ri. 16 o., o. ,r,.
60
DE LA I'ITOSE DU MONI)Ir À LA MOR]' I, HOMMIl
l'homrnc cst aussi le royaurnc cle son doublc, de i'Autre ou ric
I'u iilrpcrrs[ D. tùrnl('par lcqtrcl Foucarrlt disrgnc r()ut cc qtii est
extéricur à le reprcscntatiou que 1'tronrme a cle lLri-même à
n'irnporte quel stadc clonne< dc la connaissance. Pour I'homrne
<, I'Autre n'cst pas sculcnrcnt tut fic\re nrais lrn jurncau >, lic< :r lui
par une < inévitabie c'lualité >. ()r certains s.rvoirs conrrne la
psychanalyse ou l'ethnologic sc spécialiscrrr clarrs urr développe-
ment nraxinrunr de la tcrrdancc cles scicnccs hurna-incs à I'alrtclcri-
tique . Cc sont des < contrc-sciclrccs D qui se consacrcnt inlassablc-
rlcnt à la quôte de I'Aurrc. dc I'inrpJnsé, bref dc l'inconscierrr,
c1u'il s'agçissc dc cclui cle i'hornrnc (pour la psyc-'hanalvse) ou cle la
r:ulture (pour l'ethnologic). Ccs approches clc I'impense< sont clles-
rrrêmes surpassées ct dépassées par unc cliscipline qui arrive à
prrésent à rnaturité ct qtri clr proposc un c1échiffragc cncore plus
firndamcntal : la lirrguisticltrc structuralc. Ellc corrstituc la troi-
siùnre et la plrrs forte des contrc-sciences parcc qu'ellc couvre tout
Ir'chartrp dc I'humairr ct.irrssi parcc (prc. r'orrtraircntr'nt aux dcux
Jutres, ellcs r:st susceptible clc forrnalisationll. En sauvant ces
contre-scicnces du discrédit que lc < sornmcil arrthropologiclue ,i
-jctait sur la connaissance moclcnrc Foucault horrore ainsi cc fbyer
dc la <, révolution structuraliste r qu'c:st la spe<cialité tlc Saussure,
c1c Lér.i-Strauss et de Lacan.
Ce cornplirnetrt lui fr-rt bicntôt rcrourné, du moins par la jeune
garde cle la brigade structuralistc. Qualifiant d' < hétc<rologic >
I'archéologie dc Foucault, Michel Serres la définit comme ur)e
< cthnologie de la connaissance europécnn" nt'. (lonnaissancer
clclcr:ite comme à l'oppos.-i mclrnc de I'icléal des Lurnièrcs : liéc à
trnc culture et non univcrselle, proprc à une époque plutôt
(lu'accurnLllée, érodée non par un doute sain mais par:le caractère
irrhurnain et dcstructcur du tcrmps. Une connaissancc dans
laquellc les scicr-rces hunraines nc sont p.rs dcs sciences ct la scicnce
cllc-rnême nc possèdc aucune stabilité logique, aucun critèrc
tltrrable de vérité et de validité. Ce que Foucault proclame dans
| .L's ruttts ct les choses c'cst l'éclipse dc I'hornrrle conlnle fbndcmcnt
ric la pensée, ct cc qu'il pervicnt à suggérer c'cst I'idée rroublanrc
rltrc la connaissance cllc-nêmc r-r'cst peut-êtrc rien de phrs quc
i'illtrsion constante dans lactuclle nous somrncs sur nous-mêrncs.
1liJ., chap. X. 5.
Serres, 1968, p. 193 et 19it
61

Chapirre 5
VE RS t/AJË APPRECI AT/ON
L)E I-' ( ARCHT\OLOCIE ,)
L(s tttlts cf /e-r c/ro-cc-t est un ()tivr:rgc lo1g, rédigci daps up stylc
brillant,'qui abondc clr rcnrârques d'unc grarde pcirspicacitcl ct iltri
soulùr'c tour ult cnscrnblc clc pr<tltlc\nrcs i[rp<trtants dans. ies
tiorti:rirres Jc l'tipistrirri'l.gic ct dt'l'hist.rirc.lc ia pcrist'c. Mai:, se
prosc çrlrilosophique cst souvellt trop ( littcirairc , èt, outre qu'cllc
t'st.iorrt lre r' tl'atijnnlrrons grronriqrrcs ct cl'allusrorrs tri's suggcstr-
vcs, clic trirnoigne dc plLrs dc qoirt pour lc drrrnc verbal qr:i po.tt
lc r.risorrncnrcnt logitlue'. En frçatic rout cst bicrr rret, la Jynrétric
cst rnônrc cultir,'c<cjusqu'à la rnanic (u lc qr_radrilatùrc du larrgagc u,
< lc trilatèrc clc la corrn:rissance ,. ctc.), mais I'cfïct d'ctrsenibL'.,st
Il rcstc sculrrncnt ) drrc un nrot dc cluclquc lh,rrc rlrri cst presquc tlit entrc lcs ligncs rlans
lc livre, à s;tvoir ics rcnrarqucs rlc Foucarrlt sur lc strtr-rt llJ la littcrraturc à irrvt'rs la
sttcccssion dc sts episténrt\s. []oLrcault a cn tàit dcux tacons dc prrjsurtcr lr littératrrre c1
1., ttl\'s { .rlijrirri,,riqrrcs ,. | ) rrrr,
1'.rrr ..lii l.rtr!l)llt le\ rntt.r.trtcs crrtiç lcs t;[,rrtc1ri.s :
;iIrsi I)t>Ir (]ttir:hottc'esf lc srgtrc rlc lr trrort drr:rl'orr ile ll I{cnaissirntt.. ct tlc nrôrrrr.
chcz Sadc, l;r vrolcnr'c tlti désir rnarquc lr tin dc l'épisttirnt\ rlas..irlrre. l)'alltr(,part
l':rrchértlogtc dtt s.rvoir ilortnc à la littérature u ulrc nouvcllc feçon d ètrc ,. ,\{ellarirrc,
tlui rssiertc r la poiisic l.r tiihc dc réfiéchir rrrir ll iarrguc rt convertit Lr iittérature au
li'tr11.111.nt,'. n.rpF(l'lr' rn(nr)(. rrrptrlrr rrr, l'r:pi.rç,1r,. nlù(lr.rnr.. Il .urrJrrir p!rrt,,1
Jtls(ltl :l \'t cuttsttttltliott tltr " rci(llrr tlt l.r irrrqtrr' - ul5ct it .l.rr,: l.r nr(ur.. gtct)t(.Jp (l(5rilr
tluc lr culturc r)ccirltntlle f, (1thrâs5c d(p1ii l'JUtr( JLr xrx'sir\clc. F6uclllt yoit cllrrs
(ct it.cctrt qtlc lrlùt M:llarttlti sur le 1;roirlt'rrrc rrrlacnt dc lr hrrqrrc urr p;rrrllèle avct:
Nictzschc. Aprc\s avoir ctl!.'brtiics lr.rnçaiilcs clc la littrirrturc evec l:r lanqui intrelsitivc,
l'rrt iittcrairc rrc portv.rit trflrr\'(r",u:1il,\ilr(lrrs frlrrdlplux qtrc cirrrs uDc crpériclrcc
62
VIJI{S UNF, AIiPRÉ( IAI']()N I)F. I, (( AR(
Lrcrucoupr plus charqé. évoqrrant ull nlâîtrc tiu gcrrrc apc.rc-aiypri-
rjuc clui s'ldonr.rait parfitis à rinc cicrittrrc inor( ,q(,()itrL,/rrLo, urr
\pcrrulcr s':uirus.rnt à crnprurrtcr lc styic cic Spirroza. QLrciic valcLlr
tirvons-nt)Lrs rlorrr-- ecc()rdcr au-\ idcics ct sirlrt(.)ut à la visior.r
.l'crrsctnblc (!rre dévcloppc crc livrc ?
f'oucault ic propose clc cionrrcr u!ic cxplic;ltion hisrririqtic clr
prr>t,lrcictrr.lc i':rpparitiorr clcs scr('ltccs h'.rrrrairrcs. (lonirnc nous
l'rr,orrs vu s()l) iivrc chcr,;hc à dccouvrir lcs ( c()dLrs forrdanrcn-
lrrilx )) clc notrc cultrlrc (lui, c()illnlr: i'atllrnrc ll ç,réflicc, régisscnt
,( soll lrrlqagc, s('s sch6rnls pcl-('cptlti, ses iicl'rangus, scs tcchni-
.]urs, st's \/.rict-rrs, la hicrarchie rlc ses prâti(lucs ,,. (l'cst bicn
crrfcrrdtr solr:trlrbition cie rrrcttrc à nu ces coclcs {'ultrlrcls cn ics
rlrir. riv.u.rI drns ictrrs tôrnics ct c-lens lcurs articr-rl:rtious, irdrpnr-
ti,urntL'ttt tit'irttrs r(.ftrutrs {mpiridtt^,1an.; la rt:alité physiqtrt t't stttiale
.1tu fit quc btrn sri nral cré l'.lrchéolclgic dc Foucaul[ sc trouvrl
l.rl)Frr)chclir ciu stnrctlrraiismc, ct s()n cntrcirri5ç s()uvcrlt .rssiririlc'c
.r l:r ctrnstnrctiol!,.1'r-rn rrrodèlc thfr,r'iquc à l.r nranièrc d'urr Lc.-"'r-
!itr;russ (ics grilles iarqenrr.nr rt'p.rrrtiucs dc la pcnseir sauva:lc) ou
.i'rrn llarthcs (ics rninicoclcs sénriotir}rc.s sous-rcrrdarrr lcs sigrrifi-
( irti()lls littéraires r< irrtransitives,r).
'i'()ut cc tr:rvail clc iouillc clc l'histoirc li'cst
porlriant accontpli
(lrr('pollr rtiucidcr 1:r situation cii{hcilc dans laqtrelle sc trotrvc la
( {)nn.rissafrcc tttodenrc. Fin cc scns l-c-ç lltrr-ç ct les chttses. ( cxDlora-
tirrrr particlic ci'une rfgion Iinritéc )) qui coristituc nélrnrt,ins avec
I'ltistoira de !a .fôlic cr Nai-ç.çrznrt fu la cliniquc I'c<bar-rchc cl'un
( ri\r'lnl)le d'cxpclricrrr'r's ,.lcscriptivcs ,,l. reprrrs('lltc ult prclnicr
,'ss;ri cians lc c{omainc dc ccttc histoire critique du prdsent qur
.itifirrjt lc projct d'cnscnrbic cJc f:oucault cornmc philosophe dc
( \.rlt(ic dcs linritcs tlc I'cxi5tûr1ce,
colrl[]c.'ast lc crs chcz Klfkr ou cltei: Art.rud. [.'idi'c
lL t l'rdéal) qtt'l [-ortcrult dc ia littéreturc nloc](-rilc ('omntencc rt'cc Blanr:hot (la
irtt(iritttlrc cortrnre ntaténlliti' irrtransitrvc dc lr l;inquc) ùt sc terllilrr.' lvcc 13ltaillc (le
lrtl(ir:ltLlrc cotrinre cstltitrtltrc.le la trrirsgrc,rsrOn). (-)n n'cst prs ioirr clc l'i.lcrologic du
',(rttctttr.tltsnrc litti'r.tirc. F)r outre Forrcluit dorrric p.rr{iris irri-rnêrre clans la crititlLrc
Itftt:rlrrc. conrlttc cn ténroiqncrrt sorr pctit livrc sirr lc rornrncier cxpérintcnrrl rnirrcur
l{.rlrrroncl Roussel (1963). stin brill:rnt rss;li sur Lt,Bdt dc I)ianc dc Klossorvski
r\irrilr'//i llL'uut irtnpr:t', 1.15. lr.rrs 1t)(>4) ct s()l tcxtc pJrrérrrnt sur I-lrrrbcrt (Un
i,rrrrrstiqLrc dc biblrothùt1uc (:0tn1,6,{ttit Rtn,ttrtl-Batrrurir. 5t), l9(r7). (ic
'r. OdhiLrs d( lo
rlr'rtticr cssrri cst rLlssi tour l'r llrit cir'irirrrrt sirr lcs rclatrons cl)trr I'imf,ginirtion rt (c quc
i.i rritrLlue lrttclrerrc sûu,-trrrrlistr rIpcllç ilu,.rrt'xttralitri. [:ouceult i.st r1{alclrent
l,rrrttirr ilc tc\tcr:jLlr lJrtriilc (cf. l)rr:tice.i ll tr.rrrsqrcssion- (:ïitiqut.19 (196-1) et sur
lil.irrr:hot icf-. Le pqrp5çig riLr dchor:. (.nti,1ut.229. iLrirr l()(16).
t.1. Forrr':rult. Iléponsc an ctrcle rl épistr:nroioqic. (,ahits l,ru( l'dilniy\(,() (ttrc1 l9(rll).
63
 r.0U(]AULT OU T-Ii NIITILISME I)E I A (]HAIR}1
notrc tcrnps. L'anatonric dcs rtrutations tipiste<nricltrcs était la
cotrdition préalable à une comprelhension de 1a g;r:rndcnr ct clc la
.lticlclcrrr'r' rlc I'h<rrr rrrrc cn tant rluc pi('rr(' arrgrrllirt' tl'ulr t'crr;rilr
rypc historiquc dc conrraiss;.rrrrc,
A nesurc que le changcmurt sisnriquc quc nous provoquons
ciarrs l'assise clc 1a penséc s'accélércra il cst probablc. .rfïirrne
Itorrcault, norr seulcnt('llt quc la corrrraissarrr't' ('()ltt('nlPtlrailrc
ccsscra d'ôtrc qrisée par l'histoire mais qu'cllc sc c1ébarr:rsscra aussi
dc I'anthropocentrisrner qui cst si profbndémcnt ancré cn ellc. Lcs
<r huntanistcs )), crt parmi cux clcs hornrnes aur idées raclicalcs ntais
au bagagc coqnitif archaïquc, nc lnanqucront pas dc s'élevcr
c()ntre un tcl diaqnclstic ct contre dc tcllcs perspcctivcs; lueis
laissons-les crier en vair.r. Lcs archéol<.rgucs n'i'lnt pas dc tenrps I
perclrc cn scntilnents c<ligiaques, iis doivcnt s'arnrcr c-lc coura*Jc
p()ur accotnplir l'âprc dcvoir qui leur inccinrbe cn tarlt que
< prirnitifs d'un savoir nouvcau ,r. Voilà, clans sers granclcs lignes,
lc nressage colrtcnu cians le cru Foucault 1966. I)ouvons-notrs crr
clirc, coirrrnc on I'a dit à propos des excellents ct élégants Médocs
ct l)ornerois dc la mênre année, qu'il a atteint son apogr<c cn 1985 ?
L-a réponsc à cctte qucsti()n dépencl bear,rcoup de cc quc nous
lr()uvons krrsque notrs quiftons lcs hautcurs c'lc la vision cl'cnsenr-
blc pour lrolls attaquer à Ia tâchc prosaïquc rnais néannroins
indispcnsablc consistant à évaluer la valeur réelle cles différcntes
iclc(ers avancécs par For.rcault. A cct ciqard lc rapprochemcnt qu'il
établit cntrc Marx ert lLicardo scnrble tout à fait convairlcanr.
L-'aflirrnation sclon laqucilc Marx est dans l'épistémc\ du xrxc siè-
clc conrmc <, poisson clans I'cau ))-i l1c pouvait manqtrer de strsciter
tur tollé dc protestations dans une cultrrrc intellectucllr: aussl
nrarriscic quc l'était la culturc liançaisc cles années soixantc (Sartrc
clisait ;rlors clu m:rrrisme c1u'il cst < la philosophic inciépassable clc
notrc ternps >). Et pourtaut ellc fàisait monchc. l)e plus, outrc
qu'il rejoint lc pcssirr-risnre dc l{icardo lorsqr.r'ii hisroricise l'écono-
mic cn intmcluisant dcs catéqorie s cclmmc la rarct(: otl la
production, ou cncorc lr thltoric dc la valeur travail, Marx le
révr>lutiorrnairc rcjoint égalemcnt son siècle cn établissant,
conrmc nous I'avorls vu, unc alliance inrpie cntrc positivisnrc ct
cschatologie. 11 y a clc rnoins bonncs tàçons d'allcr à l'essentici de:
la philosophic marxistc.
-J. [:oucaLrlt. 1()66, i:hap. VIII, 2.
64
VERS UNT] APPITÉCIATION I)I] I-'( AR(JrIÉOt,O(;IE ))
Malhcureuscl'c't la pl,part dcs thi'scs hist.riqrcs hartlics
.rvancées par Foucault sont loi, d'ôtrc aussi exactcs. Ai'si prar
r'xcnlplc on peut dire c1u'il mininrisc la c'litfcrcnce cristrnt à l:r
ller-raissancc cntrc pcnselc ratioitrre-llc et pcnséc rrtaqirltrc- l)ctur lrri
sciencc hur-narriste ct nra.gic.perticipcrt ,ri.rs cle l, ,-,iô,ir., épistc<r.e\,
régie par lcs rc\slcs clc la rcssi''rbla'rcc ct dc ra sigraturc.
(.cpcrtdant, conlnrc lcs cxpcrts dc la rnaqie hrrnrlnistc
iont lcs
IrcnlrL'rs à lc' ret'orilraîtrc'. lc lrlrs;r11c clcs siqrrlttrrr.s lr J j.rrrr.iis
crnbrassé à 1a [l"'raissancc i'cnsi.mlrlc du savt,ir.
P.rs rirênrc,
f cnlarqllc un critiqne
, à la fin clu xvr' sièclc .'.ri-à-,li..
rn()nru.lt oir il sLrscita lc plus cl'écrits'l. Non sculcrncnt ",., la
strpérioritc< ct la dorninarion dc l'analoglc srlr l':rnllvsc
rr,citaient
P:rs gr<nciralcs, rrais clles sc hcurtaicrrt scluvcnt à une oppositit>rr
viqourcuse . l.a Fr:rncc collllut airrsi ;r la [i.cnlissrrncc urrc'trac]rrron
lrrrrrranistc ciorrrinarrtc c1r,ri brocartlait la nraqic, 1'hernrétismc, lcs
l,.rr'és cnrbrouillés de l)aracclsc, les pri:tcntior-rs dc I'astroloqic ct
Irut le salrniqondi cle's < sig'atu.e, ,i ct clcs ( corresporr.larrie, ,.
l.cs lcttrés. de la gé'e<rati.' de Mort"riglrc c' ,Lrrr ,,,r lror.,
t'rcrrrple : loin d'opércr unc fusion ortrc ijiudition ct occultrsnrc
rls c.'clanr.cnt la < divinatio ) a' norn dc I' n crtrditio ,r.
M.rrtaigne lui-rnônrc tour)c e' ridiculc rcs alnrarachs astrokrgi-
(1.ùs ct la.cro_vancc:rrx horoscopes (/:isai-s, livrc
I, chap. XI, u l)cs
l)r()g.nostications >)'. Mais il n'V avait pas qu'cn Francc quc sc
rrr;rrifcstait ccme oppositiorr : Andrri 'Vésalc (15i4-15(y+), le
I.rrchteur de I'anatomic, qui. à Ilruxclllcs nrais q'c
i'('r)scig-renl..nt conduisit cnsuirr: 'acitrit
i prd.t,,", iteit tor.lt aussi
rrrrirllç2bls dans son rgct clc toutcs lcs dnctrincs rlcs sigrraturcs.
Er en insistar.rt srrr I'existcncc d'urrc cér,.rrJ'prcsq'c
rhs.luc 'utre.
cntrc la pe'nséc dc la Rcnaissarce ct i'épistér'.. ciassi,luc
ttlic qu'cllc sc dc<veloppc à parrir dtr milicu dtr xv'. sic.Ëie,
I .ucault rencl prcsqr.rc ini.tclligible la corrtinuiré éviclentc
cr
'i.cisivc qLri rclic les travaur clc'copc'ric (clont lcs in'o'atr.'s
rt'icntifiqucs rrc le nrcttaicnt p:rs ar,r-di'ssus dcs croyances herrne<ti-
Llrrcs) à ccur de Képlcr et cle (lalile<e, qr.ri furcnt à la s.urcc
cic la
',clcnce modernc. Et pourtant ccttc continuité existc bcl ct bicrr,
.'rr dépit d'approchcs épistc<miq.cs clit-férertes. Lcs historiurs ilcs
s('rcrlces ont souliqnci I'inrportance du néoplatonisnrc
florcntin clc
] voir (1.-S. Ii.onssclu, 1972, p f.l1. Iroussuau préte.cl ôtrt érrvet prr yarcs. r9(r-1.
' lluppcrt, 197.1. p.2i)4-20().
65
 I-OUCAUI- OU I-E NI}{TI,ISME DE LA (,IIAIRIi
1:r fin du xv' siècle porlr comprcndre I'l-rtilioccntrisnrc dc Oo1',ç1-
rric, lc néoplatonisme cltnnt à l'époquc lc v(:hictrlc nonrral clcs
traditions bcrnrc<tiques ct cabalistiques dc la nraqic savantc ct dc
I'hylozoïsrrlc, v cofirpris des nrvthes du solcil. I)ar ailleurs nous
savons. sur 1a foi insoupçonnablc clcs nrcillcurs intcrprùtcs c{cs
idc<cs dc I'l-rerrrrétique ct clc la cab;'lc c-lc la l{cnaissar-rcc, quc
C)opcrnic parvint à sa rc<volution astronorniquc (cxposéc dans urr
ouvrallc qui parr.rt cn 1543, la rnôrnc annéc quc lc [)c Humdrti
CLtrpttris Fabricd cle Vésale) grâcc etr scr-rl calcul m:rthrinraticltrc,
sans i'aiclc clc croyanccs d'ordrc magirluc;ct c1r-r'un sii'clc plus tard
Képler, qui corrsirlcrait toujorrrs sa r1écouvcrte sur lcs orbitcs
planétaire s colnnrc unc confirrrtatit>n dc le ( nrusiquc dcs
sphèrcs >, c<tablissait urre distinction trùs ncttc cntre la vraic
nrathcinraticlrlc ct la taçon nrvstéricusc dont l)vthagorc otr I'hcr-
métique traitaicnt lcs clriftrcs('.
Or si dcux ct dclrx forrt quatrc rlous solrrncs biur firrcés clc
conciure que, qu'ils aient ou non été influcncés par clcs cr()yar)ct:s
proche s clu modc dc pcns..<c analoriquc, lcs savrnts dc la
Rcnaissancc, dc Copcrnic à Képlcr, accomplircnt lcs prctrc\s
décisifs quc 1'on sait sans rolnprc, pour I'csscnticl, ar,'cc la
rnathématisation dc la naturc opérôc par Cialilée. En fait I'occtrl-
tismc continua à jouer le rôic d'une agréablc nrotivation trccrrsron-
relle dc I'analvse mathérnatique pendant au nroins rrn sie\c:le et
dcnri aprc\s Képlcr. Ainsi, corrirt.lc nous I'a rc<ccnllncllt rappclé
I{ichard Wcstfàll, l'intcirêt dnrablc qu'e<prouva Ncxtor.r poLlr
I'rlchinric lui apprit à considc<rer lcs concepts d'action ct cle forcc
( ()nlnlc susccptiblcs dc traitcmcnt nletllcrlrrriquc. prr tlpptlsitiorr
à unc dcscription m('ceniste du cicl7. Bref l' < analyse , ne fut
nullemcnt gênc<e, et t:ncore rnoirrs cngioutie, par I'n analogie ,',
la connaissance ernpirico-démcinstrativc trouva sa propre voic
sans être liée à 1' ( interprétation n spéculative, et l'inrportancc
grandissantc prisc par la nrathématique dans I'astronomie ct la
phvsique constitua la voie royale clcs progrès de la corrnaissancc
qui firrcnt alors accomplis.
Le problèmc est quc Foucault accordc pcu d'importancc
(beaucor,rp rnoirrs que Koyré par excmple) à la nrathc<lnatisatlorl
du nrorrclc qui cst intcrvenue depLris lcs prcnricrs pas cle la sciencc
6. Sur t()ut ceci voir Koy'ré, 19(r1. p. (ri-(r9, ('t Yiltcs, op. Lit.,
çt. 153, 155 ct 4"10-.143.
7. Cf. Wcsttill. 19fi0, p. ,l{)7.
b(r
vEIts uNr appnÉctA-fl()N t)tr I_'( ntt.HÉoLoct[ ))
rnodcrnc. I)ans le tablcau qu'il f;rit clc i'Épistc<rnè classiquc tour cst
ccntrc< sur la mathcsis ct la taxonomie ct ii dcvlr-nt vitc cividcnr quc
cJest plus la classification quc la mcsurc qu'il privile<gie. Si Galiléc,
[)cscartcs ert Ncwton nc pù'scnt pas très lourd dans' Les rnots t,t les
ccla n'cst.pas dû unicluc'rcnt au parti pris anri-r< héroiq.e >
drose.c
clc I'cruvrc, mais aussi à cc t1r-rc lc r'écanisme ct la methétt',rtiq,.,.
ne constituent pas, aux yeux de Foucault. de véritablcs structurcs
c<pis teinriqucs aff-ectarr t I'enscm bl c du sav oi r.
()r cr-r fait si I'o'r en croit des analyscs classiqucs tcllcs q.c cclle
dc \)uhitchcac{ clans sciencr aruJ the L4odem I,vorlâ,la rnathénratiquc
.r_Joué un rôlc crucial dans le clévcloppenlenr et la consolidarion
dc la scie'ce modcrne. Si cellc-ci s'csr placéc c-lu côté tle pythagore
ct c-lc Platon, ct contrc: Aristote, c'cst parcc qu'Aristoté étalt le
gcnie de la taxonomie ct que lc progrc\s dc la connaissancc exigeait
Plus qrc' cle belles classifications : il cxiscait lc pou'oii de
génetralisation qlle scul donnc't le rrombre ei ccttc gé\iéralisation
dc' I'arithnrétique-elle-mômc qu'esr I'algc\brc. Lc triomphc de la
sr:iencc nrodcrnc firt airisi unc rcr.anchc cl'Euclide ct d'Archimèdc
sur la longuc domination dc la ptrysique aristotélicicnne. pendant
rlcs sic\cies les n-ril.icux savants avaic't estirné quc la physique
qualitativc cl'Aristotc ( cxpliquait > réellement la naturc q,r.
I cs thc<orics ma theinr atiqucs (com m er I' astrononie "lors r-rc
ptolérnaTque)
faisaicnt que ( sauver lcs.rpparcnccs n. puis se p.oduisit la
rcivolution copcrniciqrne, à la suitc de laquciie cilitee erxalta
Archimèdc et critiqua la physiclue aristotc<licicnne précisénlcnt à
t'.rusc de son caractèrc non rnathémarique. Pendant ce temps
l(éplcr avait mis un ternle à la vicille controverse e'tre théorie
rrrathématique et paléophysique cn tranchant en faveur de la
Prcrnière. cc mathématicicn accompli assignait en cfret deux buts
:r I'astronornie; < saLlvcr les apparcnces )) et < contcmpler la
:itructllre dc I'univers >, c'cst-à-dirc erpliquer la natures. A cet
cqard lc titre complct dc la grandc (ÊLlvre dc Newtort, principes
rrtathématiqucs de la philosophic naturr:lla, cst très révélatcur.
ll est vrai que, dans les domaines qu'étudie
Les mots et les
le mécanismc et la mathématiquc n'occuPent clt aucllne
,1lo-çc-ç,
lrrçon unc placc dc premicr plan : ils ionr sans rapport avec la
fi Srrr l'hrstoirc de cct rrrit\rc-llan thÉ'oriqrrc c1-. Mittclstrass, 'l979, ..tarnnrcnt p. .13-53.
I c' proprcs fcrtlc.s clc K('plcr (rilns son l;pilornr dJtrt)ilonii( Ooptrnitrtt\ s()rlt : ( ... er
crxrtcmplari qcnuirrarn forrlanr acdiflci rnunthni ,r. L'etlbndr.,rr,"rrt â" le phvsrquc
'
.rrisfoti'hcicrrnc est bien résrrnré,lans Buttcrficld, lg5'2, n.trni'rcnt chep. 4.
67
 I:()U(;AUl-l OU LE NIIIII-ISN'lE l)t1 LA (lf{Allll,
sranrnrairc ct la philoiogrc ct ont été longtcnrps al.rscttts cle
I'histoirc ct clc la bioiogic. Quant à I'utilisation quc iait I'i'cononric
dcs rnathérnatiqucs. nor) pas sirnplettrcrrt à dcs fins statistiqrics
rnnis cornmc puissant instrunrcnt d'attalysc, cllc clatc d'ttuc
f-crrniatiolr thi'oricluc esscz tardivc dc i'elpistéttrè tnodcrtrc. l'écolc
néo-classicluc. Scs chcfi dc fiic en furcnt-fcvons, Mcrrgcr, Walr:rs
ct Mirrshrll ct sorj principc fotrr'lamcutal, la théoric dc l'utilité
nrarsinalc, fuf crposé pottr la prcmic\rc fois par Jcvons dans la
cornnrunication qr-r'il flt cn 11162 à Canrbriclge sur ( Llnc théoric
rrlathernr:rtique généralc dc I'e<conottric politiqtrc o''.
l.'histoirc naturellc rcsta bicn etrtcndu résolunrcut taxonomi-
cluc pcnclant l'âge d'or dc la rnathérnatiquc françaisc, l'âgc des
Lagranuc, Laplacc, Mongc ct (larnot. Mais lc proble\rne cst de
s:rr,oir si Foucar.ilt avait 1e clroit, aprc\s avoir à cc point rcstrcint lc
charnp clcs scicnces c1u'il étrrdiait, de pre<scntcr comlllc d'applica-
tton .qénfualc unc épiste<nrc\ dont la clescription rcposait sttr ulrc base
aussi étroite dc docur-ncnts scicntitqucs. [Jnc qucstion il)rp()rt:lnte
nc pcllt dr-r nroins eltrc elludéc : colnncnt sc fait-il quc, pcnclant
dcux siècles qui vircnt flcurir tant cle génics nrrthcnraticltrcs
(dcpuis l)cscartes, Ner,l'ton, Lcibniz et lcs lJcrnotrillis jusqu'à
()ar.rss, lJoolc, Ilictnann ct Clntor) lc tcrrain inct>nscicnt dc la
scicncc occidcntale soit rcsté csscntiellcnrcnt tarotrottriqttc ?
(lonrnrc lc rcmarqne cn cffct Piaget si la taxonomic, l'épisténrè
classifrcatricc cic l'âge classiquc décrit par Fouceult, sc situc assez
bas clar.rs l'échelle de la pcnséc logique, 1c calcul trcwtctrtictr
présupposc un dcgrc{ bicn ir.rpérieur de sopiristication lt>giqucr".
Môrrrc Canguilhcrn, cltti consicléra toujours le projct dc Foucauit
d'un tril arnical, s'inquie\tc quc, dans son architecture bicn ncttc,
Lts nttts ct le-ç cfto-çcs neigligc la physique lneis il cst par aillcr-rrs
bicn conscicnt qu'unc prisc cn comptc de- ccttc scict.tcc rtrinereit la
théoritr strictcnrent césuralc qui est esscttticllc dans 1c livre'. Cletter
objection n'a ricn perclu rlc sa pcrtinence:il n'y a pas cntrc
Claliléc, Nclvton, Maxrvell ct Einstcin de ruptures cornparablcs à
ccllcs clui pcuvent par cxcrnplc cxistcr entre lluffon ct l)arwin
cn cl':rutrcs tcrnlcs Newton n'est pcs plus r(tutô par Einstein que - rrtômc façon à une époquc et dans une culture clonnécs. Dans Lcs
I)arlvin par Mcnciel. ll s'cnsuit quc la césure absoluc qui pour
Fclircault selparc l'etpisténre\ classiquc de l'épistémù nrodcrnc trc
(). (lt. Sr.hunrpcter, l()54. p. l^12(r.
l(). Piaqet. 1970, crp. VIi. ll.
(r8
VERS UruE AT'PRÉ(JIAI'IOT.I TIg T-, ( AR(-HÉt)LtIr; IT: U
peut pas à nos yeux avoir grand sens. Clc quc nrotrtrc ur fait
I'histoire des sciences c'r:st quc certains discotrrs classirlucs (celtri
de Newtctn par cxcrr-rple) or)t e<té intégrés dans l'épiste<mc\
suivante, d'autres non (c'est lc cas dc l'histoirc naturcllc) . On r.rc
peut pas gomrner la cliftlculté que ccla pose à l'arche<ologie cn
choisissant simplcnent de nc pas la voir sous prc<tcxte qu'elle
appartient à un autrc type d'étudc (-'t c'est la sculc cxcuse clucr
-
préscnte Foucault. Jc ne puis n-r'enrpôchcr de partager lcs cloutcs
cle Canguilhenr : cst*il vraiment possible d:rns le cas dc la
c,orrnaissancc théttriquc, au sens sctcntitquc du terrnc, d'appréhen-
cierr le s conccpts qui lui sont spécifiques -r,rl-ç ré.fércnce à uiri nrtrnr,:,
c'est-à-dirc salts tenir conptc dc son succùs ou clc sot-r c<chec cn
tarlt que théorie scicntifiqucr' ?
Lc problèmc nc se serait guère posé si Fouc:rult n'avait pas
insisté sur le fait quc u cians unc culturc ct à un nlornent donné,
il n'y a ,iamais qu'unt, lpistttmè, qLri définit lcs conditions dc
possibilitti dc totrr s;ivoir u' '. Err d';rutrcs tcrnl(.s lcs i'pisti'rrri's
sont des rnonolithcs, c'est-à-dirc dcs blocs dc connaissarrccs
absolurnent unitaircs. Par conséquent lors de chaqr-re rnutation
ctpistémique lcs choscs ccssent soudain d'ôtre ( pcrçues, décrircs,
énoncées, caractérisées, classécs ct sues dc la rnêmc façon ,lr. L)c
plus dans sa préfacc Foncauit nous cnjoint de considt<rcr l'l.ristoirc
naturclle de Linné et dc tsuffon corurrc cn rapport non p.rs avcc
lcs travaux plus tardifi; de Cuvicr ou dc l)arwin nrais àvcc clers
.l,rr1121n"t d'étudc distincts cr pourtant ('olttr.rnporlins t trlnnrc ll
u grammairc généralc r classiquc ou I'anaiyse dc 1a richcsse tellc
(lLr'on la trouve chcz Law ou chez Turgot. Contparée ar_r
r'hangement fondamcntal qui affectc la strncturc épistc<mique à la
lin du xvru'siùcle la < quasi-continuitci > des idécs d'une périocle
) I'autre est simplemcnt un < eflbt der surfàcc >.
Il cst vrai que dans L'archéolLtgie du sauoir Foucault met er1
qlrclc le lccteur contre I'idc<c que lcs épistérlès seraient dcs
( ()l)cLrpts < totalitaircs >, c'cst-à-dire holistiques : qtr'une épisténtc)
soit dominalltc ne signific pas quc tous lcs esprits pcnsent dc la
ttrots et les rhoses il écrit, presque sur lc ton dc I'excnsc, que
Clarrguilhem, 19(r7, p. 612-613.
tl l-oucault, 196fi. p. 179. (l'cst nroi qui soulignt
ll Ibid.. p.229.
69
 FOUCJAULT OU LE NIHII-ISME DE T,A (-HAIRI]
< i'abscncc cic balisage rnéthodologique a pu fairc croirc à clcs
enalyscs cn tcnnes de totalité culturelle ))i'} akrrs qu'cn lait
l'épistt<mè cst quelquc chose de tout different.-
Cc clénrenti n'est cependant guère satisfaisant pour au moins
cleux raisons. l)'abord parcc qu'il est difficile cle penser que lc
concrcpt d'e(pisténrè tel qu'il est cxposé dans Les mots et les chttses,
ait prr ôtre conrprts à tort cornnle holistiquc, puisque c'cst lc tcxtc
Itri-nrônrc qui suggc\re très fortemcnt cette intcrprétation, un tcxtc
qr"rc soit ciit en passant, Foucault ne prit jamais la pcinc de
rr:rnanicr. En sccond licu, ct c'cst là un point plus in-rportent, il nt:
por-rvait quc\rc cn ôtre autrenrcnt : si l'on commence à cclnfércr aux
tlpistérnès trop dc flexibilité ct d'hétérogc<néité, si on cn fàit
qtrclquc chosc cle ve<ritablerncnt pluraliste, alors cc c'lilc I'on ga{nc
cn cxactitude factuclle ert historique cst pcrdu dtr côté c1c
I'intcrpre<tation parcc quc chaque épisténrè flnirait par nc plus
por.rvoir ôtrc considérele ccmrnle unc infrastrtrcturc cogr.ritivc
('on trJigl)ar ) t('.
Mais lc fàit quc Foncauit envisagc les ruptures éprsténrolo-
giclucs corrlnlc dcs cloisons parfaiternent e<tanchcs ct préscntc
cll outrc lcs éoistémc\s comme dcs mclnolithes contraint scln
archéolosic à ignorcr dc ùçon flagrante six catégorics dc
phénonrùr-rcs.
F,n prcnricr lieru fairc dcs épistérnès cles monolithcs sans
aucrulc rclation cntrc cilcs conduit néccssairenrent à ne<gligcr lcs
courânts dc pcnséc transépiste<nriclues. Or si I'approchc épistd'mi-
qtre rcfr-rsc dc prcndre ces phénomc\nes en considération ccla tait
pescr srlr cllc un séricux problèmc, qui est celui dc I'anachro-
nisrnc. En fait il apparaît que plus on adhère à la périodisation
qu'c<tablit Foucault nroins ses épistémès tiennent debor-rt, car cllcs
sont toutcs bourrées d' .<, anachronismes >. Citons-en simplcmcnt
quatre exenrples criants.
Dans lc chapitrc qu'ii consacrc à l'épistc<mè de la llcnaissance,
Foucault iait qrand cas de Ia Crammairc de I'humaniste Pctrus
l{arnus (Pierrc dc la llaméc), dont la première édition date dc
1572. Voyarlt dans ccttc ccuvrc un bon spécimen dc la fbrmc dc
pense<c analogiquc, il souticnt quc son auteur e<tudie les < proprié-
tc<s r intrinsèqucs dcs lcttrcs, des syllabes et des mots cornmc lcs
nral'clucs nrvstéricuses cle forces u nragiques o tcllcs quc la
l-1. [:oucault. 19(r9, p. 27.
70
VEIIS UNE APPRÉCTA-tION DE I-'< AITC,gÉtII,o(;IIi )
sympathic e t I'antipathie . ()r (icorsc Huppcrt, profèsscrrr à
I'Univcrsité dc I'lllinois ct nrcrnbrc cju ccri-le clc Ol'rit:ago, a
rnontré que la grarnr.naire de Rarnus cst ( rurc (r.r.rvre il'unc
lucidité rerrrarquablc (...) qtri n'est cn ricn teinrc<c dc phiiosophie
l-rerrnétique c't. cle spéculatior scholastiqr-rc snr l;r q.alité dcs
nlots D. La théoric du langaqc cxposéc par llamus sc rc<vr\lc ritrc
cn Iàit tout à fàit crnpirique ct rationncllc. Ainsi lorsqtr'il parlc dcs
r, propriiitis ,r dcs mots il se réfèrc sirrrplcmcnt à cc qui lcur cst dc
toute éviclcncc proprc, contlnc dans lc cas clcs articlcs qui sont
l,l;tccls dcvlrrt lt's rrorrrs,trr lcs pror)()nrs. r'tc. II ) J tlrrt'ltlrrc'ir.rrir.
à cc qnc le cartésien Mcrscnnc, écrivant un dcnri-sic\clc apr-cs
l{an'rus, se cJernande enc()re, bicn qu'à contre-ccrur, s'il cristc clcs
corrcspondanccs r.lccultcs cntrc les rnots ct lcs choscs, dcs
significations sccrc\tcs connllcs c'l'Adarn ct percltics clcpuis la Chutc
:rlors que lLarnus, lrri, n'cn a qtre fairer: porlr lr_u les lnots ltc sont
t1i.rc dcs tr_anscriptions phclnériqucs, ct dc\s lors on comprcnd c1u'il
prr)pose de supprintcr clcs lcttrcs rnortcs cofilnle le g rle ( ull!l D
ct le s clc <, tesmoig'er ul5. Il a dclcide<mc't là, pacc Fotrca'lt,
rri trace d'interprétations ntrgiqucs''y
ni ecliit pour lcs scicnccs
occultcs.
Ce quc dit Foucault der I'ornithokrstre Picrrc lJclon. ciont
I'Histttiri dc la ndturt, r/t'-r oi-çrrlu;y pamt cn 1555, est utl :lLrtrc
t'xcrrrple rcmarquable dc rnc<prisc. Avant r.es tuots t,l 1c-ç cfto-çc-ç tout
lc nronde s'accordait por-rr considircr: lc traité dc lJclon dont
I'rrutcur, outrc qu'il avait donné un nonr à 170 cspe\ccs cl'.iscaux-
errropéens,_s'était livre< seul à dc norrrbrcuscs disscctions, ce qtri lui
.r'u'lit valu I'adrniration dc collc\gues naturalistcs postérieurJ à lur
- c()nrrnc un cxerrrplc reûlarquable dcs dc<buts dc I'anatonric
( ()lllparc<c. Paruc dans la décennic qui suivit la publication
dc
l'rrrrvrc maîtresse dc Vésalc, so. Fli-çloire des oiseauJr contcnait,
,l:rns son tcxte ct dans scs illustrations, la prernière conrparaison
,lritaille<e dcs squclcttes dc l'hornmc ct de I'oiscau. Fouiault
l itï11c pas mais refùsc de sc laisscr prendrc aux picuscs légcndes 'c
,1.' I'idéologie du proqrès scicntifrquc : :lvcc un vciritablc esprit cic
.r strlmc il décrète tollt net que ( tant de précision n'crst arritor.nic
( ()nrparc<c que pollr un rcgard arnré dcs connaissanccs
du
rtx'sic\cie. Il se trouver quc 1a grillc à travcrs laquclle .ous laissor.rs
rcnir jusqu'à notrc savoir lcs figurcs de la rcssernbiancc rec()upe
l. Htrpput. 1!)74. p. 2"00-2t)1 .
71
 FOL]CAUI-T OL] LE NIHILISME DE t A (,}],\IRI]
cn cc point (ct presque ctt cc scltl poitlt) celle qtr'avait disp-r<>séc sur
l,.', chLscr lr'savoir'cltr xvr'siù'clé '1". l'JUur. lJutftrrr. tltri t'itc si
sotrverrt Rclorl datrs sa proLrre Histoire des oiscaux, pcut-ôtre ne
savait*ii pas distinguer urle sinrple < coïncidcnce > épistérlique de
ln vériteblc enetolttic comparéc. Or-r n'cst-cc pas p-rlutôt qtrc,
conlnlc l'afïirrnc HuppcrtlT, Ilelon c<tait un obscrvatcur si i'blouris-
saltt, ult taxonornistc si arclent (on 1'a nrêtne cri:dité clc I'invcntion
cl'unc nort.tcnclature binaire cir.r type dc ccllc dc Linné), un si
rcnrarclrt:rble pionnier de l'histoirc naturclle cltrc tlicr qtlc- son
(l'uvrc ait cu un buf scicrrtifiquc tout cn I'lssimilant, à ull < nivcau
lrci-tctolosicluc )), à 1a tératoloqie fàntastique d'Alclrovarrdi, cst
tor.rt sinrplcllctrt stupidc ?
Foucâtrlt corrrnlet Lllt autre anachrollisme épistclnliqrtc lors-
qu'il parlc dc- la strrtcturc organiqtlc colllnlel cl'un cotrccpt eppar-
tènani à la pcnséc biologiqrre de I'cipistémè post-cl:r.ssiquc. 11
u'cl) cst ricn,'aflirnrc Clcorge Sebastiln Roussealt, le cc<lc\brc spti-
cialistc dc Popc, clrurs Oqqaruic I'ortn : 'I-he Li.t'c o-f an ldca (1972)'
Si Foucault av:rit ltr les c<tudcs moclerncs sur lcs llxttlralistcs cltl
xvul'sièclc, ccllc dc Philip Ritterbush (196a) par cxcnrplc' il se
scràit rcltdll contptc quc le Conccpt de structttrc tlrqatricluc en
t:lr)t qtr'hypollii5r- ntétaphysiqtle n'était ttttllcmctrt ulle
n<ttrvc,rirté pôLrr C)rrvier, nrais qr-r'il :rvait au contrairc utrc longtte
lisrréc .-l'a1Lôtres et ule histoirc perticulièrct1c1t richc atl sic\clc
dcs [-urrriùi:cslE.
ll scnrblc quc 1a rigiclité et lc- caractère archicésural dc la noti()n
cl'épistémc\ aict'rt concluit Foucattlt à interprc<tcr totalenlent à
.,r,itr.-r.ttt tlcs atttcurs ou cles écoles de pensclc aussi importatlts
cluc llarnus, IJelon et I'orgarricisme. Mais dans ttotrc derllier
r:xcrnplc cl'atrtchrotrisrnc épistémiqtte. qtr'a éqalerncnt sollligtté
avcc forcc Cl.-S. Rousscau, lc problènle tre rc<sulte pâs tallt d'une
rnc<prisc quc cl'un manqtle d'infortnatiotr. Dans I't's mots et les
p1c place cle choix
clr,r.'c-ç la clcscriptiorr de l'r<pistt<tlrè cl:tssiquc lait
au\ travrux des logiciens et dcs granrrrrairiens de Port-Iloyal La
Lo.qiclut dc Pt>rt-lJ.r>yal (1662)jouit cn cffet d'up statut spécial clans
l'"iiriytc dc Foucault car cllc apparaît conlme tttr curicux cxcmple
cle consci,-,r-rcc cogttitivc de règlcs épistémiqucs tlorn'relenretrt
l(r. Iiouc.ru]t, p. 37.
19(r{r,
17. I{trppert. op rit., p. l()1-203.
18. Ci.-S. Rotrsscrrt. 1t)'12. F. 148 l'+().
l2
vERS uNE AppltÉcIA'fr()N I)ti L'( AR(iHÉ()t.o(;rli,
inconscientes. Ainsi le systènrc si'tniotiqtte classiquc, clrte Fou-
cault voit à l'<ruvre , incorrscicurrncrlt, dalts toLrs les aLltres
donraincs cle la connaissancc classiquc, firt cn fait cxprinré par
Arrrauld ct Nicolc, les logiciens dc Port-Royal, ct trotr, commc lcs
:lLrtrcs principalcs coordonnées clc l'épistétlr\ classiqr-re . rtrftrlcs eltt
discorrrs ciassiqr-rc par Foucault. Quant à la Grammaire .qénéralc et
rttisonnée de Port-Royai (166{)), cltti cst 1'ært'n'rc cl'Arnaulcl ct cle
Lancelot, clle constituc bicn entclrdu I'un des cichantillons lcs plus
prrrs dc la c.lrrrr.tissrrr.'c cllssiqttc. Lr petts.ic gr.rmrrratical.: .lc
Port-lLoyal, toutc cc-ntrée qu'clle cst sur unc thc<orie dc la
représentation, cst considérc<e par Folrcri,tlt comnre Lln pur joyau
dc l'épistén-rè dc I'orclrc et dc la clarté, un pcrrclant plrfàit à la
philosophie cartésiennc. Malhenreuscrnent il se trouve quc lc
principal modèlc dcs qranrnrairicns de Port-Royal, si I'ott ett crott
lc témoignage dc Lancclot lui-rnônre, nc flt pas I)escartcs mais tttt
certain Sanctius. ()r cc Sant:tius. alias Francisco Sinchcz dc Las
lJrozas (1523-1601) publia sa- sor.r1nler, un volurne de rnillc pages
irrtitulé Mine rt,a, sat dc t,tusis'lirr.qrtat' Iatirt,te, e n. . . 1 5i35 c'cst-à-clirc
.ru plus fort de la voguc de la doctrinc des sisnaturcs et dc la
I i ttératurc hermétique1". Ceci constituc véritablcnrcnt une c<nignre
pour le tableau bic'n net des épistémès fbtrcaldicnrles. En cfflt la
XIinen,a doit plurs à (]uintilicn qu'à tout précurseur dc la
philosophie moderne ct c'est porlrtant Sanctius et lron I)cscartcs
tluc la grammairc de Port-Royal salue conrmc sa principale source
tlri'oriqr-rc $2pç1is5 ct, commc d'ar-rtrcs l'otrt nroutrc<, Scaliger
- César Scaliger) dont les travaux furcnt publiés bicrr
I'Ancien flules
.lvulrt, cn I54020.
La secondc catégorie dc phénornènes que Foucault négligc
sv'stématiquenrent ce sont les retards épistémiques. Or dans I'his-
toirc des scienccs les de<bats lle manquclrt pas cntre tcnattts d'idées
.rl)partenant au passé et prL<curserlrs, ct plus d'unc fois lc l-rcr.lrt
( r)trt: ccs conccptions opposc des modes dc pensc<c dilfércnts du
1,,rirrt dc vue épistémique au cours dc la cluréc dc vie que Fottcault
') Ibil., p. 2,15-246. (].-S. Rousscatr rnentior)ne cluc ses thèscs sont étrvécs p;11 tlettx
spécnlistes Jc Sanctir-rs, l Arrre<ricarn ll. L:rkoft-, rlui est urr disciplc de Clhonrskv cf.
sorr cssai clans l-an.qragc, .15 (19(ll; p. 343-314) ct l'Anelais llicherd ()glc. clu
-,
(icrrrrc du [-rngagc dc I'Llnivcrsité de l'Essex..[crrn-(ihuclc (ilievrhcr avert.lijà
sorrligncr la dettc dc Port-ll.o1'al à Sanctius d:lns s()n Hlstoirt'fu /,1 synrrirr'(19(rfi)
'rt Vrrir I'essai rlc-fean-(llaude Chcvaher sur la grarlnraire clc Port-Ro1,al darrs Lan,qa.qrs,
7 (se ptcmbrc l9Ér7).
 FOU(]AUI-T'OU I-}.., NIHII-ISME DE I-A (]IIÂII.II]
accorde à urrc cipistc<mè. A cct égârd Jan Miel a ntis lc cioist sur
un exclnplc révélateur, cclui de la correspondancc cntrc l)ascal ct
lc père Noël à propos du vidcrr. L.r pcnsée du père Noôl était sur
cc point confusc ; elle impliquait dcs conrpâraisons arbitraires et
cl'uner façon plus généralc: inclinait à utiliscr clcs fr:ux d'artificc
analogiqucs fondés sur dcs principes t atriurislcs D, c()nlme la
cloctrilrc des hunrctrrs ct ccllc des quatre élénents. Pascal plaidait,
lui. pour Lu)e utilisation nroins écluivoque cles tertnes ct une viston
rnoir.rs arrthrol'rornor-phiqr.rc dc la naturc, écartant à ce propos
I'iclctc quc la naturc a à tcl point horreur du vidc qu'clle sc dépêche
dc lc conrblcr. L.cs critiques dc Pascal obéisscnt à I'approchc
typicluc dc I'e<pistérnè classique qui préfèrc l'analysc à I'analo-
gic. Ocrtes Pascai c-t lc pèrc Noël échangeaient leurs lcttrcs cr-r
1647-16.{8, c'cst-ii-dire à unc époque oùr, si I'on en croit la chro-
nologie établic par Foucault, l'épiste<nrè classiquc était à pcirre
rréc. Mais si lcs épistérne\s sout dcs blocs rnonolithiqucs qui
apparaissent ct disparaisscnt brusqucntent comment expliqucr
le ret:rrcl c'lans la structurc dc la connaissance qu'incarnc lc bon
pèrc ?
I)arrni lcs phénourù'ncs importants quc I'archéoiogic foucal-
clicrrne néglige systénlatiqucnlL-llt on peut citer en troisiènrc lieu
\c rctour de concepts ou dc moulcs conceptuels longtemps nris à
I'ticart par l'évolution dc la pensée et qui, une fbis rcdécouvcrts,
sc révc\lcnt c:cpcndant cncorc capables d'inspircr dc fructuettscs
rcchcrclrcs scicntifiqucs. La nreilleure illustration que jc purssc
crr clonncr cst lc céle\brc concept de phlogistiquc, familicr à tous
t cux qui orrt quclqucs notions d'histoire de la chimie . Lc phlo-
gistique. on s'cn sor.rvient pcut-être, était une substance hypothct-
tiqtrc qui, croyait-on, entrait clans la compositiou de tous les
corps cor.r-rbustiblcs et était libéréc au cours dc lcur conlbustion.
(l'était < la niatièrc clu fcu ri. Cette théorie rcnfcrmait un pré-
supposé datant clc I'Antiquité et en vertu duquel quand quclquc
chose brûlc unc partic dc sa substance s'en détachc pour s'en
échappcr dans lcs flammes, laissant ic corps brûlé réduit à ses
élénrcnts orisincls. Pour les aristotdlicicns cc qui était ainsi
cle<gagi c'était l'< élément > clu fcu. l)ès 1670 un contcmporain
clc lloyle, lc chinristc allcmand J. J. Ilcchcr, déclara que c'était
au corrtraire unc tcrre !lrasse ct huilcusc (rcrra pin,quisl formulant
I l. Micl. 1971. n ll9-24().
1Â
vnRS UNE RppnÉ<;rntroN DE t.'( Anc.HÉctr.ocrl u
par là I'idée quc la phlogisrique c<tait unc substancc. Au cours
du prenrier ticrs du xvrrr' sièclc, Lln autrc chirnistc allcrnand.
Georg Ernst Stahl, poussa plus loin ccttc rhc<orie, forgca lc
terme de < phlogistiquc )) ct en popularisa lc conccpt. I)ès 1750
la doctritrc du phlogistiquc était tèrmcrncnt e<tablic cn Europc ct,
clans le dcrnier quart du sic\cle, alr momcnt nrôme dc I'ctlbnclrc-
rnent dc l'épistémè ciassique, elle clevait sc révt<lcr cl'unc résis-
tance à tollt crin alors qu'ellc consrituait la cible principalc dtr
f-ondatcur de la chimie, Lavoisier. Il sutfit dc rappclcr cluc quancl
dans les années 1770, -foscph Pricstlcy parvint à isolcr I'oxyucnc
en chautTant certains oxycles, I'cxplication qu'il d<tnna clc cct
e'xploit magistral (pour lcqucl. en'fait, il .urit .,r., légt\rcrr.rcnt
cicvancé par lc Suédois Carl Wilhehn Scheelc) érait cncorc
tcllcnrent imprégnée de I'anciennc croyance qu'il clualifia l'oxy-
se\nc cl' < air déphlogistiqué >.
C)r on savait dcpuis longtemps, e-t c'était lc cas dc Bovlc par
r'xcn)plc, qit ltu corlrs dc l;r cclnthrustioll lcs srrlrst.rrrt'cs prc'rrair'rrt
cluclque chose à I'air, ce qui auÈmcntait leur poids ; ct quarrd, dans
lcs rnême s années qlle ccllcs où Prie stlcy sc livrait :\ scs
cxpérienccs sur I'oxygène, Lavoisier démontra que 1'augnrcnta-
tion du poids des méraux calcinés était clû à ce qu'ils prer-raicnr à
I'air un u fluide élastiqr.re ,, cela porta LtTr coLtp mortcl au dogme
du phlogistique. C'est en 1783 que Lavoisier I'attaqua officiclle-
nlcnt, mais en 1800 Pricstlev ripostait encore dans un essai
a'tablissant la doctrinc du phioqiiriqur- er réfutant cellc clc la
( ()nrposition dc l'caut'.
La conclusion à laciuclle je tends est double. Prcmièremcnt le
t'oncept dc phlogistique, tout taux qu'il ait été cn ranr qu'explica-
tl()n, eut néanmoins un rôlc hcuristiquc indéniable. En cfïet. outre
tltr'il suscita de nombreuscs cxpérienccs, il constitua la première
qénéralisation fructueuse jan-rais opérée par 'la chimic et annonça
(luclque chose qui ressemblait à unc vraie < problématique >. Il a
(:tLi clit que c'cst à partir de 1750 que naqnit I'histoire dc la chimrc
,rlors qu'avant que la théoric du phlogistiquc ne sc répandc il
rr'cxistait en fait qu'une histoirc des chimistes, chaculr étant préscnté
.rvcc des idécs et dcs problèmcs différcnts de ccux Jcs aur;cs, sans
(lrf :rucunc Fra,qestellung ne lcs rapproche, c'cst-à-dirc sans qu'ils
.llcnt allcune perception colntnLrnc dets probie\nres soulcvés par
'.1 l)orrr tous ces fhits historiqtrcs. cf. IlLrttcrflcld. '1957. r:han. I i.
75
 I-OUCAULT OU LE NIHILISME DE LA (JIiAIItI.]
lcr"rr discipline. I)cuxic\mcment, ct malgré toutc ccttc valcur
hcuristique , la croyance au phlogistiquc était néanmoins un
étrange fantôrne aristotélicicn clui iranta la science européenne à
Llnc e<poqlle où l'épistémè classique avait déjà atteint sa plcinc
maturité. Il cst sisnificatif qlre son inventeur, Stahl, ait également
été un adeptc du vitalisrne biologique ct qu'il ait pratiquement
rcssuscité le conccpt aristotélicicn dc psyché". En somrne la
thcioric du phlogistique constitua dc toutc évidcnce, du point dc
vue dc l'évolution de la pensée scientifique, un ( rctour du
rc<primé ,r. Mais par un mouverrent dialcctiquc un tel archaisme
pcrmit égaienrent la naissance de la chinric conrnrc- science, au
point que Lavoisier lui-même r-rtilisa lc conccpt dc phlogistique
pour décrirc ses prcmièrcs expéricnccs. En tout état de causc il nc
peut s'cxpliqucr dans le cadre de l'archéologic dc Foucault. La
Ionguc vic dc cctte the<orie senrblc plutôt plus iàcilen-rent expli-
quablc à I'aide de quelqr-ie sociologic dc la scicncc. En effct la
révolution introduitc par Lavoisier fut saluéc par lcs ntathénati-
cicr-rs ct lcs physiciens mais elle déplut à la plupart de ses collèsues
chirnistcs clui restaient attachés à leurs préjugés stal-rliens môme
11r-r:urd ils étaient, comme Priestlcy, d'émincnts découvreurs.
(l'cst clonc la notion dc profcssion t:t non cclle d'épistérnè qui
c<clairc r"rn débat scientifique dont Pricstlcy lui-môrne (qui était dc
surcroît un habile théologicn) cstimait qu'il était I'une dcs plus
vlvcs controverses qu'ait connue l'histoire intcllectuclle. Mais
cncorc unc fois il est absolument impossiblc, si l'on croit à
I'cristorcc de monolithes épistémic1ues, d'cntrevoir le sens de la
gr:rr.rdcur et décaclence du phlogistiquc.
La physique, la mathématiquc ct la chimie semblent donc bien
ciémcrrtir le césuralisme exasc<ré de Foucault. Elles constituent des
mocles clc pensée qui sont ù-nlun, atrx trois épistémès (dans le
cas dc la mathématique) ou dont la pcrcéc passc par un retour
dialcctiqr,re de forrnes dc pcnséc antérieures (dans le cas dc la
chimic). Lcs problénratiques transépisténriqucs, lcs retards épisté-
tniqucs ct lcs rctours dialectiqlles sont des phénor-nènes qui sont
e<trangcrs, voire réfractaires, à un strictc césuralisnre tout comme
a l'idéc quc les épisteimès sont des infrastructures conceptuelles
compactes ct homogènes" Il s'agit là pourtant, pour l'essentiel, dc
problc\rrrcs intcrépistémitlues alors que le sccond dogme, qui
23. Sur ce point cl'. Singcr, 1t)62, p. 2lt1.
/t)
vERS UNE ApPRÉCIATION I)E t-'( AR(iItÉOtot,tl, u
cnvisaqc les épistérnès coltll-nt: dcs ntoncllithcs, cst prlr-rs particuliè-
rcûrcnt battu cn brèche par rrctis autrcs problè'rles c1r"ri jcttott la
sr.rspicion sur I'cractitudc du tablcau quc fait Four:ault dcs réalités
itûraépistémiquts .
Le premier dc ccs problc\nrcs cst qLle , prises synchroniqut'ruutt,
lcs épistér-nt\s dc Foucault sernblent recouvrir une qrarrdc hftéro.qL
néité, ce qui va à I'cncontre dc leur unité prétcndtrrtrcnt ( ln:ls-
sivc,r. Nor-rs l'avons vu dans lc cas clc la Rcnaissancc. oii mrsic
ct scicncer cocxistcnt ct nrômc sollvcrlt cohabitent tant dar-rs lc
don'raine clc 1'astronomic (chez Képlcr) que c1;rns cclui dc I'histoirc
naturelle (chcz l3clon). ()n pourrait v ajoutcr, en s'inspirant d'unc
idéc astucieusc suggérée par Pierrc l},rrgclinla, I'c-xcnrplc ilu
nonlinalismc qui flcurit à I'aube clc la ll.cnaissance : ccttc tcnclancc
philosophiqr-re privilégie clc toutc c<vidcncc la loqiqtre et I'abstlac-
tion ct il est dclnc difhcilc dc la rc<c<>ncilicr averc la rr Dcnscic
srllvaqe u de l'épisténrè de la rcssemblancc dcicrirr- prr Foirc.rult.
L.cs lccteurs qui connaissent bien lcs dcscriptions rnodcrncs cltr
pluralisrnc dc la pcnsée de la l{cnaissancc, conrmc ccilcs quc
proposent par excmplc lcs étucles de Paul Oskar Kristellcr, nc
scront pas le moins du nronde décorrccrtés par I'idéc d'unc tclic
cocxistcnce (pacifiquc ou non) cntre des formcs pré-mocicrncs de
mtiorr;rlisnrc, dont la philosophie nominalistc cst un excrnplc, ct
l.r pqrrsée plus rhétorique que logiquc du nrouve'rncnt huma-
nistcj5. Une lbis dc plus lc problème cst larqcmcnt incxistant, oll
irlrrtôt il n'existe que pour la riqidité dc 1'< histoirc verticale r> dc
lroucault. lJn troisièmc cxcr.nplc de difficultri intrlc<pistL<nriquc,
tltrc lSureelin fut égalcmcnt le premier à évoquert'', cst soulcvri par
rrr) aspcct important du c'lévcloppt:ûrent dcs sciences dc la vic au
t'ours de l'épistémè classiquc. Jusqu'à quel point I'c<pistérnè dc
I'ordre ct dc la classification décritc par Foucault pcut-elle cn efïct
rt'ndrc compte des théories avancécs à l3olognc, à Londres et arlx
l'lys-Bas, par I'c<cole dite clcs microscopistcs classiques pendant la
sctrorrdc moitic< clu xvtt' siècle ? (bnrrncnt des conccots conrnre
( cux de < génératioll spolrtalle<c D et .{'hont.rnculcl purent-ils
|t:ntitrer I'esprit par ailleurs puissar.rt dc pcnseurs dc ia génération
,le Malpiehi ct dc Hooke, clui constituaietrt un groupc d'cxcellcnts
' I llrrrge lin. 1t)67, p. t355.
', l{rrstcllcr, 19(r1. trotarnrrrLl)t p. 1{), l2 ct 9.1-l(j3
't' llurqclin. op. rit., p. ll5(r.
71
 I.OLI(JAULT OU LE NIFIII-ISME DTJ LA (JIIAIRIl
observateLlrs nés zi une époque où Galiléc ct l)cscartcs pr,rbliaic.t
dejà leurs principar,rx ouvrages2T ?
Si la diftZ'renciation intcrne dcs c{pistémc\s esr bcaucoup plus
grande qtrc le rcgard archéolouique nc vcur l'aclnrettrc il n'ôsr pas
surprcnant que l.e-s mots et les chttses sLlrestimc souvent, au nom de
son obscssion unitaire, la position er lc prestige de certains
courants intcllectucls. Ainsi alors quc, comnlc nous I'avolls vu,
Foucault érige la grammaire de Ptxt-Royal en une théoric de la
repre<sentation applicable à tout l'âec classiqne, (ieorgcs Gusdorf,
dans lc volume VI de son ouvrage ntoltunlcntal intitulé Le-ç
stiences hurnaines et la cttnsciente ottdr'italc (dont l'éruditron de<passc
de loi'cellc de Foucault), montre comrnerlt la t*rda'cc fortcmenr
norrnative dc la u granrmaire générale et raisrtnnét'>, qni visait à
trnc rationalisation de I'usage linguistirluc, se hcurrr à la résistancc
tcnacc d'une institution culturelle aussi stratégiquc quc I'Acadé-
mie Françaisc. N'cst-ii pas étonnant dc voir I'Acadénric s'opposer
à I'un des aspects privilégiés de 1'épistérnè dc l'ordrc ? C'est
ccpcndant cxacterncrlr cc qu'elle fit puisquc de 1647 à 1704 elle
résista à tc>utc tentative ma_jcurc d'cxploitation c1e son autoritc<
pour translornrc-r I'usagc dc la languc françaisc cn un jardin à la
françaisc vcrbal:s. Il rcvient donc àFoucault dc faire la ir"rr. q.r.
l.r pcrrse:c classiqrrc sc. soit c.mpli'tcmerrt abarrdonnic .ru logicisnrc
clc la u qrammaire ginéralc ,>. Si scs c<pisténrès ont bicn I'aspect de
rrrorrolithr's il cn va tout diffr<rcrnn)cnt clc la culttrrc t'hssiqtrc.
Il existc enfin des problèn-rcs intraépistémiques qui résulient clc
I'acloption d'une pc'rspective diachroniqtre. Enpremier licu il peut
sc produire des e-ffondrements à I'intérieur d'une épistémè. Ainsi,
commc I'a rnontré l'historien de la qrarnmaiie Je.rn-Claude
Clhevalier, la grammaire de Port-ILoyal, dont Forrcaulr fait le
joyau dc la couronnc dc son épistérrrè classique, était detjà très
mal comprise à I'c<poque de iEncydopédie2", c'cst-à-dir.' bien
17. Unc'autrt'c<.igrne conceptuclle drr point de vuc des catég.ries dc Fo.cault
relevde par un spc<cialistc de- la classillcatron hioloqique, Vcrn.n Pratt.
I'enscnrblc ce que dit Pratt est tout à fàit liattcur pour F'ouc-ault, nrais il note h. 167-
l7l3) qu'cn tll\'ttJrlr I'r(c(nt sur l( ritrl(t('rJ crrteiicrr dt l'hrstoirt.rrlturellc clersrcruc.
caractc\rc quc rcflètc la trxononrie de l'époque. Foucrult néslige un ,rp".t ,.rn
certésien imPortalrt des Itaturalistcs classiqucs: cn ccnfrtrlt leurs études sur-la iormc
c'xtéricurc dcs orgtnrslncs, lcs taxononristcs chssiqrrcs tournaicnt lc dos à I'lcccnr mr:
prr | )cs, rrtr's irtr l.r \trU!tur(. ,{'ilr ,t,1, rlll{,.
lll. (iusdort, 1\)73. p. 3()il-32u.
19. (lhcvalicr, op. rit., p. l\2.
7tl
VEIIS UNE APPRÉ(-IATION I)E L,( ARCJT]É()I-O(;IF, ))
avant le morrlcnt où Foucault situe- 1a rnutatiorr c<pistétr-riquc
sulvantc.
il peut erxistcr tlcs nrptures in.traépistérniqut,s. Jan
En second licu
Micir(' en a nris c-n évidcncc un èxcmplc ciucial dans- la
transfornration fcrndamelrtalc dcs conceptioirs philosophiqr.rcs ct
clc la pcnsc<e scicntifiqr.rc qui sc produit vt:rs la fin du Grand Siècle
ct qui participe dc cc quc Paul Hazard, chcrcharlt un pcu à faire
scnsation, appe.lait voici longtcmps dé-1à n la crisc de la conscicnce
cllropéenne >'''. Ccci nous amène bien crrtendu à aborder la
clLrestion dc 1'attitudc génc<ralc qu'adoptèrenr à l'égard dc la
ptrilosophic du xvrr' sic\clc ces hériticrs dc llayle ct cle Lockc ct ces
acltniratcurs dc Ncwton que furcllt lcs philosophcs dcs Lumières.
Mais il s'agit d'une vaste ct épineuse qucstioll qui, dc I'avis dcs
cxpcrts, 11'a pas encorc été convenablcrncnt e<tucliéc12. Nous
corrrraissons l'avcrsion des philosophes dcs Lurnières pour I'csprit
clc systèrne ct dcpuis la publicatiori dr.r classiquc cl'Erncst Cassir., /
intittrlé La philosolthie Lles Lumières (1932) norls sonlmes bicn ,'
c:or.rscients dcs trarrsformations inrpclrtantcs rlur: trcnt subir lcs
Ltrmières au concept dc raiscln. En cffct alors c1r,re l)escartcs,
Spirroza ou Lcibniz concevaielrt la raison conrnle < le tcrritoire de
vérités c<ternelles , le sièclc suivant y vit non pius un trésor dc
principes ct dc vérités immuables nrais trne fàculté, un pouvoir
original dont était doté I'csprit ct quc I'on-ur- pouvait saisir quc
tlans I'exercicc dc st:s fonctions analytiqllesrt.
Ccpendant, comme Cassircr lui-mômc prend la peine dc la
sor,rligner, il s'agit 1à d'urr déplacerncrrt d'accent plutôt que d'unc
conception diffërente dc la connaissancc. Sans doute la connais-
r,:rnce clu particulier fut-clle plus priséc que celle des universaux,
s:rrrs cloute nrit-on plus I'acccnt sur les < phénome\nes )) que sur lcs
,, principes ,r. Mais I'assurancc dc la rais<ln ct la volonté d'analysc
rrc lurent jamais ncnacc(cs. En dépit dc lerur goût pour lc.
Pvrrhonisrnc de Bayle ct dc I'influcnce qu'excrça lc nouvcau
sccpticisme dc llumcto sur la formation de lcur < paganismc
a été
- l)ans
\(r Micl. op. tit., p. 241.
il lhzarcl. 193.5.
i.l W.rde, 1977, vol. I, p. lt.1-1i6.
i\ (lassirer, 1932, chap.1.
i l l.c (-olrccpt dg . p.rgrlrisrrrc rnotlcrnc est csscnticl clans l'citudc magistrelc clc Pcter
(,rt'sur lcs Lurnit\rcs. Of. (iry, 19(16.' vol. [, et srlr Hunrc. cn i.rrtiiulrcr ch.rp. VII.
-7(o
 FOtJ(IAUI-1'OU l.11 NIHII.ISME l)E LA (ittAlltl:
modcrnc,, lcs Lunric\rcs dans lcur cnscrrblc nc rcrriù,rcnt Das la
tradition dtr rationalisnrc nroclcrnc inaufurtic J'cc lc u sit'r'lc du
gcinie r,, cclui dc Gahlctc, clc l)csc.rrtcr.li.lc Ncwtorr. Ccrtcs les
philosophcs dcs l-trrniùres plaçaicnt ia scic'cc ncwronic''c bic'
au-clessus dc la physiqllc cartésicnnc, mais ils n'avaicnt aucun
scrtrpnlc à ac:corcicr lcur sor.rticn au I)iscours dc la méthode.
L'[]uc),clopidic rcnrarqr-rait quc Lockc lui-rnênrc, cc rnaître à pcrrser
Jr''_pl_ril.s.plrt's .{cs Ltrrrrii'r'c: drns lc tlorr,irrc dc la psychirlogic
ct dc l'épistcr'rologic, avait crté sauvé dc ce déscrt quc constit'.lir
akrrs la phrkrsophic d'oxfbrd par sa rcrcontrc avcc la révolution
opc<réc par [)csc:artcs dans le donraine dc la stratégie cognitive.
La sagcsse scnrble donc reconrnrandcr de nc pas prcndrc pour
arqcnt colrlptânt lc problc\nrc souleve( p:rr Hazard, car quellc qu'ait
pu ôtrc sa r''éritablc ltaturc < la crise dc la conscicnce curopéenne ,
dc la fin de l'âgc beroquc rrc prit jarrrais la dinrcnsion d'urrc
n'nltatiorl c<pistérnique. Il y cr-rt bicn changcment, darrs la connais-
sllncc c()l)rltte c-lans lcs structurcs, rrrais pas au point cic provoqucr
trrrr-- 1slç:yg. Pourquti .fàut-il d()nc, .qr(tild riel , réduire le cttttccp'r dt,
ntptur( épistémiquc aux seuls tremblcmuûs dc terre épistémiques ?
Pourclur:ri ignorcr la décartc<sianisation de la physiquc. dc 1a
rnétaphysique et c1c la psvchologie au point d'cn 1àire une afïaire
clc sccond clrdrc, sous prdtextc quc l'âgc classiclile a constitué une
sctrlc épisténrù qni cnglobair aussi bicrn l)escartcs quc Condillac,
l,cibrriz ct les iclc<ologucs ? Le tableau quc Foucault brosse dc ses
tli,isténrès abritc cles contrastcs trop violcnts ; lnettons quclclues
pcntcs douccs là oùr il nc voit quc précipiccs, qu'un tor.it ou iien
clc nrontagncs cscrrrpi'cs ct dc paisiblcs vallécs. Miel récxamine à
tbrt justc titrc urr phérromc\ne quc Hazard avait senti salls
I'cxpliclr"rcr, à savoir la c1u raticlnalismc occidcntal
aur alcntours dc 1690. La 'rétanrorphose
transforrnation cle la pcnsc<c occidentale
.ru scrril .lu xvrrr' sii't'lt'cst crr t'ftbt ull Jrgunlcnt puissalrt qui va
à I'cncontrc d'nne conccption r-rronolithique dcs épistérnès.-
On pcut atfirrncr quc la rupture de 1690 constituc une
cliscontinuitc< atténueie à l'intéricr-rr de la structurc cle la connais-
sance caracté'ristique dr-r début dc l'époquc modcrne. Il nc scrt bicn
c:r,idcmnrcnt à ricn d'ignorer cctte discontirrr-rité conlrnc Foucault
qui ni'glige, lui, tant dc continuite<s, cn n'y voyant qu'lin simple
< cff-ct clc suriacc ,. ll v:ruclrait rnienx rrréditer ce ouc dit
Ilachelarcl, ic nraître dc la the<oric dc la rLlpturc. ct rcconnaitre unt:
fois porrr toutcs qu'il existc aussi dcs rupturcs à l'intéricur d'unc
tJ0
vERS uNË RppnÉctATroN DË t.'< ARCuÉot_t)c;tr, u
épisteinrè donnée. IJachclard va en fait lusqu'à acccprer qu,il cn
cxlstc môme à I'intérieur dc I'ceuvrc d'u' aurcur. poJsibilité
re'due célèb-rc par la ti-rèse d'Althusserr sur la rupturc épistcimolo-
giquc entre lcs truvres de jcunessc de Marx et L( Cdp'itdl.
Il cst clair qu'il y a bcarcoup dc choscs da's les airnales dc la
science
.ct de la pcnsée dont l'archéologie foucaldienrc ne peur
venir à bout. l)es phc<nomèncs troublants, oui sc produisent aussi
bie. e'trc. les e<pistémc\s de Foucault qu'cn lcur scin, ne pcuvent
toLlt simplemcnt pas trouver de place dans sa propre définition dcs
paracligmcs historiques de la co'naissance. Mais rassemblons
nraintenant lcs c<lérrrents épars dc ltotre jugcment snr Le-i mots (t
l'.r càosc-s c' considérant, dans ses grandes lignes, la philosophie
quc clév-cloppc ce livre. Nous avons vu que Fôucault ric se départ
-larnais dc son indifËrence à I'e<gard du progrès dc la connaissancc.
Il nc s'i.rércsse pas du tout à la- véiité du savoir. I)a's
I'archéologie des épiste<rnc\s lcs connaissanccs sont ( envisaitrics
hors de tout critèrc se rc<ferant à leur valcur rationnell"
fàit 1'archéologue , à la diflére-ncc dc l'épistén-rologue, "... al;i;; 'rl
.trt
simplemcnt s'assurcr dc ce rtaires co'ditions historiques clul
rc'c-lcnt possibles un ccrtain nombre dc formes de savôir, sans i
rullcment se soucier dc leur < pcrfection grandissante ,> c'est-
à-dire dc ce que, jugées rationr-rellcme't, ellôs gagnent en vérité.
On pet't donc dire quc I'analysc de Foucauli ne sc préoccupe
pas de I'lristoire dc la scie'ce a'sens où celle-ci csi u, réiit,
réc-it cl'un progrc\s sur la voic d'une connaissance vérifiabre et
() DJCCtlvC.
Or dans I'l-ristoire dcs idée-s quiconque s'intc<rcsse peu, ou pas
d. tout, tu récit du progrès de la connaissance est généralement
l)crçu cornnc s'attachant à son histoire. Lc moyeÀ en cst Llne
.rpprochc historiste do't le propos est dc souligncr et d'expliquer
('c çluc telle époque ou dc tel moment culturel a d,unicrue.
l.'l-ristoire historiste dc 1a connaissance, par oppctsition à ion
lristoirc-récit, replace fermcment les structures conccptuclles dans
i(' cortexte dc leur signification originelle sans se soucicr dc la
r";rlcur qu'elles peuvent avoir à dcs époqucs ultérieures. Mais rà
('nc()re Les mots et le s chose s ne cadre pas dans cc tablcau. En cffet
.rrtrc qu'il ignorc clélibérément I'histoire-récit de la science cc
li'rc défornle souvcnt I'histoire historistc de la connaissance.
ir lroucault, 1966, p. 16.
8'l
 FOU(]AULT OU LE NITIII-ISME DI., I,A (JIIAIRË
cornlne ltous I'avons vu à propos des conlre-scns qu'il confrnct
sur l'érudition dc la Rcnaissance ct dc la làçon dont il sr>trs-évaltrer
certains aspects fonclamentaux dcs débuts dc la scicnce: rnodcrnc.
Mais alors, si I'archéoloeic de Foucault n'cst r.ri un véritablc rc<cit
r.ri une histclirc cxactc dc la connaissarcc en qLroi cst-ellc
pcrtincnte, à urr niveau global ?
Pour Haydcn Whitc Foucauk cst à I'origine d'une réorier-rta-
tio' significativc de la rcchcrchc historiquc. Sclon cct aLrtcllr
l'histoire convcntionncllc vise à rcfarniliariser scs lectcurs avcc le
passc< aiors quc Fotrcault tentc de rcndrc lc passc< non
.fàmilier. Sans
lc savoir il sr-rit lc conseil de Michclet qui rccornmancle dc
travailler à unc < résurrcction r de la vic p.rssc:c ct nolt à ccs
reconstrLrctions détache<es ct sereincs verrs lcsctucllcs tcnd l'histo-
riographic orclirrairc. Ilest rigllcrncr)r ppei'11ç de Spcrrglcr lorsqtr'il
sc fixc coû1'c but dc rcive<lcr lcs ditlérenccs fo'darnèntalcs entrc
culturcs historiqtrcs plutôt qr-re de mcttrc l'accent sur les traits que
ceilcs-ci ont en commllrl. Comnrc I'c'uvrc de lJurckhardt, le salnt
patron de l'histoirc dc la llenaissarrce, ou cclle dc son prétendu
disciple Huizinga, le grand intcrprète du u driclir du Moyen
Asc u, I'archéologic dc Foucault a un salutaire u cftèt aliénant
parcc qu'cllc mct cn sce\nc un passé intrinsèqucmcnt bizarrc t:t
eitranqcr'"'. Certains esprits fins scront tcntés d'ajouter que, si l'on
ctr jure par sa pratiquc d'historicn, Foucault fait à coup sûr du
passé cluclque chose qui n'cst pas Iàmilier
surtout allx
historicns profèssionnels qui llc parvicnncnt-souvcnt pas à
rcconrraîtrc leur su-jct unc fois qu'il a étci dt{forrne p.rr Fodcault.
Mais nc soyorls pas nrcsquins. Ce n'est pf,s gr.rtuitcmr-rlt que
Foucault défarniliarise lc passé. Cc qu'il vise, cn nous nrorlrranr
l'étrangeté des mondes quc nous avons perdus, c'est à nous
contraindrc nous nroderncs à fàirc le point sur notre idcntité
culturcllc r'll l)ous faisarrt prcndrr' conscicrrcc tlc la distancc qui
nous séparc de forn-res_dc vie et dc penséc plus ancienncs.
ft'histoirc alii'nanrc')e dorrc trnc fonctiorr esscnticllc qrri cst dc
scrvir d'appui à Fouéault dans sa rccherchc d'unc eiplication
critiquc dc la modcrnité comrne nrode d'cxistcncc. Whitc classe
Foucault dans unc aile dc structuralisnre <1u'il qualific de < dispcr-
sive > parcc qu'elle csr rrès fièrc du ( lnysrèrc,> dc l' < irréductible
variété de la naturc humaine n. Au lieu d'irrtésrcr les difrërenccs
36. Whitc, 1()73, p. 5{)-52. (lcci constituc à présent un chapitre dc Whitc,
82
vERS uNn AppRÉCrA'l't()N l)Ft L'( ARCr"rÉ()L()(;rF. ))
r-lans une cc)mnlune hunnni[rts les tcr]ants dr: structurxlisnrc
<, dispcrsif ,) sc colrrplaiscrrt dans l'hétérogc<nc<itei cult.rcllc, dans
la dispersiolr cr la difltrenciation socialc dc l'hornmciT.
Pratiqucr u'e hist.ire dclfàrniliarisarrte c1:rtrs urc perspcctive
,, dispcrsiver u a Llnc sérietrsc inrplicaticn : ccla ^ historicisc
radica.lcnre't lcs olrjcts qu'ctr.rdic l']risiorioqraphic. Si I'on :uralyse
la fblic d'un .point clc vuc dispersi[, la folic cr] tânr cluc tcllc
clisparaît ct il nc restc prlus qtr'un jcu social daté parmi tant
d'lutrc's, qu'un cr-rsemblc clc significations quc l'on qr.ralific dc
firlic. C'est po.rquoi For-rc;ruk cr vi't à dirc, iprets avoii écrit que
l'Histttire de la -folic cherchait à saisir la fblic èn clle-môrnc, cluc
cctte tcntative sc soida par nn écherc ct qllc son livrc tr'cst ri.t.t.l.
d'atrtre qu'un invcntairc ders clifttrcntcs conccptions historiqr,rcs dc
la nraladic r''rtalc" En 19(r1 il parlait c'c.r..iclu cha'gernént cles
ptrrcptions dc la folic. En 1970 il aftrrnc qLle ccs pcrcr-ptrorrs
n'c<taicnt ricn d'autrc quc dcs irtut'rrtittns. Sa pcrspcctivc dispérsivc, 1
ulturdliste cst alors ple'incrnent cxplicitée : lôs ra-alités sc .lissolvc,-,i l
cornple\temgrt dans cles praticlr.rcs ct dcs conccpts sociaux, donnés
iristorioue mcnt.
,>
_ C'cit pour la mômc raison quc Paul Veync, collèguc de
lioucault atr Collège de Francc ct seul historic' dc re'onr qui n'ait
pas ménagé ses éloges srlr solt cLruvrc, saluc cn lui < I'historicn à
I'rttat pur >. For.rcault cst, aifirrne Veync, le premier l,éritablc
1-rositiviste dans la mesurc où I'idéc d'objets historiques indépcn-
c'lants de lcurs sig'ificatioTrs socialcs (change:antcs) est parfaite-
rncnt métaphysique ct où Foucault nous a appris à nous en
tl('barrasscr. Et s'il nous a appris cela, c'est qu'il-â pris Nietzsche
.ru sérieux lorsqtrc celui-ci dit quc les choscs n'ont pas de sens par
cllcs-mêmes mais sculcmcnt da's la mcsure où ellc's en rcçoivent
rrrr dc la cre<aturc historique, c'cst-à-dire de I'hornme. Avec une
rlrarrdc pcrspicacité Veync établit ainsi un lien de filiation entre
l'rrrchéologic foucaldiennc et La Cénéalo,qie tle la morale (II, l2)rn,
oir Nictzùhe affirmc la u^-fluidit( u cssentielic de roures lcs
'isrrifications socialcs, assir'ilant I'lriitoirc d'tr'e u chose u (sic) ou
rl'urrc coutume à < une chaîne continuc d'intcrprétations touiours
rrouvclles >.
I Wlrrtc. 1973, p. 53.
197u.
ll-i. Vtvnc: < Foucault r.<voluti()nr)('l'histoire r. Apprndicc à Vcync, 197g, en particulier
1,. l2ti-231 ct 2.i(t.
83

FOUC]AUI-1'OU LE NIHILISME DE LA (]
Dans << Nietzschc, la généalogic, I'histoirc ), qui consriruc son
principal textc sur Nietzsche, Foucault lui-mêrnc aftlrn-re que ce
qui distingue lc < généalogiste ,> dans sa pratiquc dc la critiqr"rc
historique c'est qu'il est conscicnt du fàit quc lc: vrai secrcr dcs
choscs cst qu'cllcs r)'or)t pas cl'csscrrt'c sccrètc, pas d'origirrc
cachéc, pas de sol nounri'nalt''. L'histoirc reste éterncllcment ieunc
(commC V/cber sc plaisait à le dirc à scs heurcs nictzsche<erincs),
elle constitue unc création perntancntc et ne c()nnaît ni loi de
causalité ni but ultime. Cc. nictzsche<isrrre cle Foucault, mênrc s'il
ue lc rcconnut quc tardivemcnt, aidc cepenclant à expliquer sa
perspcctive < dispcrsive 'r, la froidcur avec laqucllc il conside\rc
toutc rccherche structuraliste d'invariants univcrscls. Dès 1967 il
souligrrait en cffct ce qui distinguait son cntrcprise du paradigrne
structtrraliste : < A la différencc dc ceux qu'on appelle lcs
structuralistes, je nc suis pas tellerncnt intéressé par lcs possibilités
formcllcs offertes par ur) systèlrrc cornnre la languc ua".
On ne saurait ccpendant jamais user de trop de prudence
quand on se sert dc Nictzsche poLrr étaycr une théoric de I'histoirc
cle la connaissance. En cf-fct Nietzschc ne se conrcnre oas dc
fustigcr, au norrr dcs intérôts vitaux du présenr, I'historiogr.rphic
< philologique D t:t ( nuséologique >, c'est-à-direr une histoirc
pratiquéc avcc un esprit d'antiquairc sur le mode du détachemcnt
ct dc la dissection. Il va plus loin, éreirrtant lc concepr môme
cl'objectivité historiquc, I'idée que, pour reprendrc scs propres
tcrnrcs, l'histoire est le < miroir r des d:vénements (La.qénéalogic,
IlI, 26). Nictzsche s'en prcnd à dcux formes d'historiographic
< spéculaire u : le récit académique < ascétique r ct l'évocation
( esth(itiqLrc > du passé, en d'autres tcrmes la méthode de Ranke
ct I'art dc llcnan. Mais dans les deux cas il ne voit dans cerrc
objectivité-reflct que nihilismc, ce qui constitue 1e pire péché dans
le code de vic nietzschécn. Le résr.rltat de l'assaut que livrc
Nietzschc au u fardcau de I'histoirc D est r{onc dc mincr
volontairerncnt tout souci historiographique dc vérité du passé,
souci que Vcync n'est pas prôt à jeter par-dessus bord, ct on le
comprend. Nietzsche libère peut-être I'histoirc du déterminisme
rnétaphysiquc mais il tue aussi toutc rechcrche d'objcctivité au
-]9. Nietzschc, la gi'néalogie, I'histoirc, op. ,ir.
40. Voirllcllour, l9Tl,p.itJ9-2t)7.hrtcrvicwpubliée)l'origincdensLesl,t,rtresfrançur:ts,
111.l7 (15juin 1967).
8r+
,l
}IAIRE VERS UNE APPNÉCTA"fION DE L,<< AR(-HÉOL()(;IE ''
nom des droits supérieurs dc la u vic >. N'enseigne-t-il pas quc la
vérité n't:st pas I'objectivité mais unc volonté de < justicc >
(Considérations inactuelles, II, 6) ? l)'r"rnc justice qui, cela est certain,
cst cntre les rnains de.jugcs qui condamnent à la potence, pour un
rien, de fortes personnalités dont la vitalité mêrne les place au-
dessus du commun des mortels. Dans un tcl climat de oensée la
véritc cst dominée par les cepriccs dc la volorrti ct l'histoirc qui
c<tait autrcfois connaissance n'cst plus qu'une mêld'e géne<ralc de
perspectivcs contradictoires. Pour résumer on pcut dire qut:
l'lnti-dc<tcrrninisme de Nietzsche peut êtrc utilc à I'historien nrais
qut'' son pcrspectivisme lui coupe I'herbe sc>us le piecl parce qu'il
de<truit la raison de son travail qui est d'aboutir à une explicarion
fiablc dr,r passé.
Il n'est pas surprenant que, el1 cc scns, Foucault soit plus
rrjetzschécn que Veyne. Considérons son prcrnicr essai sur lc
maîtrc, intitulé < Nietzsche, Frcud ct Marx>l (1964), et qui
constituc le tcxte d'unc conrnrunication au colloctue de Ilclvar,r-
nlont. Il a été dit à juste titre qr.rc la position que Foucault attribuc
clans ce tcxtc au trio, et qui consiste à considérer toute tentativc
cl'intcrprétatiorr comrne déjà une interprétation, est cn fait éminem-
rnent nictzschéenne. < La mort dc I'intcrprétation 'r, afïrmc
Foucault, < c'est de croire qu'il y a des signcs u de quelque chosc,
c'cst-à-dire une essence cachée qtri nous attend à la fin dc nos
voyegcs intcrprétatifs : u Le vic dc l'irrtcrprcrtation. au conrrairc.
c'c-st de croire. qu'il n'y a que des intcrprétations. u Si la
connaissance critique moderne est ccrtaincment une herméneuti-
.1trc de la profondeur, il ne faut ccpcndant pas y voir unc
rcchcrche des structures profondcs, mais plutôt prendre
conscience de toutes les irnplications analytiques de ce qu'a bien
vu Nietzschc : < l'interprétation est (...) devenuc une tâche
rrrlirric n4r. Ccci fut lu dans le clinrlt Drcsti;icux cr très u dans le
v.'r)t D du colloqtrc de Royaunront. cn oppoiitir.rn directc à l'étoilc
nlontante du structuralisme. Or ce texte est presque contcmpo-
r:rin de la rédaction dc Les mots et les choses.
Le thèrne nietzschécn nous aide égalernent à mieux compren-
.lrc- pourquoi Foucault peut à la fois accordcr unc valeur aux
st'icnces humaincs ct leur nier tout statut scicntifiquc. En effet il
rrc c-iit pas simplement quc les scicnccs humaines n'arrivent pas à
ll. Nietzsclre, Freud et Marx, (-'alrlers de Royrtumont, Philosophie VI. p. 192 ct t{J7
85
 ,l
FOUCAULT OU LE NIHIT,ISME DE LA CHAIRE vERS t,rrun nppnÉ<tIATIC)N DE L' ( ARCt{É,Ot.Ot;tg >

être clc véritables sciences en raison de la fàçon dont elles sont Foucault ne iaisse nullcment le lcr:tcur cxaltcr lc présent ni,
génc<ralernent pratiquées, c'est-à-dirc à coup dc conccpts confus et conrlre dans I'crratum de Marx à Hcgcl, I'avcnir. A nri-chcrnin
de bricolagc me<thodologique. Ce- qu'il nie c:'cst q.r'eilles puisscnt erltre unc llrsubre apocalypse ct ullc crplosion dc joie vraiment
lamais ôtrc scicntifiques. Et pourtant il ne pcnsc r-rullenlcnt quc clionysiaquc, lcs conclusions dc I-oucault scrnblcnt allcr dans la
cela cor.rstituc un handicap. Lès sciences humaincs ne sont pr, à", clirection de positions philosophiqtres qu'il n'avait pas encore
sclcnccs ct dc toute fàçorr I'hommc conlme basc tlc dciplrt faites siennes au milieu dcs années soixante.
tipistrtmiquc potrr la corrrraissancc est cn voic dc tlisparitiorr. fout
au plus certaincs de ces sciences, les ( contrc-scicnccs )). qui sorlt
hypcrcritiq.cs ct s'llimcrtcnt dt' I'obscrvrrio' dc l'irrcoirscic't,
sont-ellcs justifrées non cn raison de ce qu'elles affirrnent mals
parcc qu'ellcs défbnt les interprétations prrtrcllr-s clcs scicnces
socialcs < norrnalcs >. La situatio'clitrlcile dans laquellc se trouve
ainsi place<c la connaissance nc déscspèrc pas Foucar-rlt, au
contraire il s'en rijouit. Pour lui la connaissancc nc visr. pas la
vérité mais l'étcrnellc rËep-sis cl'interprétations qui sont le pui fruit
du hasarcl ct qui nc connaîtrollt pas de fin et son âme
nietzschéennc refusc d'en ôtre clépriméc. -
C'cst là quc sc situc peut-ôrrc i"origrnc dc I'indifference à clcmi
voilc<e dc Foucault à l'égard dcs ambitions véritablcmenr scienrifi-
ques.dc son histoirc cles épistér-ne\s. Cornmc le notent llaymond
lJoudon ct François lJourricaud dans I'article qu'ils consacrenr all
structuralismc dans leur très pc<nétrant Dirtittinairc rritiqut' de la
-rocio/o.gic l'histoire foucaldicnne des sciences, parce qu'"11" s.,.r-
tie't quc la succession des épistéme\s esr inintelligible, sc réduit
cl'Lrn point dc vue lo*ique à une simple typologie, rout en
préscntant néanmoins l'inconvénicnt supplémcntairc d'aplanir
bicrr des complcxités dc l'évolution rc<ellci de la pensée sciéntifi-
quc. Ccla ne scmble cependant jamais avoir récùcment inquiété
Foucault, car sa position nietzschéenne lui permcttait d'afhchcr
unc dé^sinvolturc cynicluc à I'r-(gard dcs devoirs dc I'cxplication
scientifiquc. Par définition les nietzschc<ens ne sont paf abattus
simplement parce qu'ils découvrent qu'il n'y a pas de vérité de la
connaissance et que la vérité elle-même n'est qu'un faux semblant
dcrrière lequerl sc cache la volonté de puissance.
Sorrrme toute, si I'effet idéologiquc produit par Le_s mots et les
r/roses ne fut pas aussi accablant que ne I'avaient supposé dcs
humanistcs mr<contents de voir la stature de I'homine ainsi
réduitc, il nc fut ccpendant pas rlon plus précisément vivifiant.
Moderne Phénoménologie de l'esprit cn ce quc lui aussi retracc unc
odysséc de la pensée à travcrs I'histoire occidcntale, le livre dc

86 87

Chapitre 6
L'ARCHIVE IRO^/IQ UË
,. Trois ans-après I es mots et les chttses Foucault public son propre
cliscours dc ia rnéthodc'. L'archéolopie du sauoîr. Il s'asit .l'unc
(ruvrc curieusc, oùr Foucault sermble parfois justifier cc qir'il a iait
clarrs I'Hislrtire de lafttlie, lrJaissance di la ctiiiquc ct Lcs irots et les
ct parfois puiser dans unc nouvellc coirscicncc rncrtholosi-
clio-çc-r'
cFrc. (ct cn. fait épisténrologiquc) dc quor critiquer ses défaù-ts
rrnti'ricurs, bicn qtre I'objet de sa critiquc coincidc rarelrlcnt avec
lcs faiblcsscs que d'autres ont soulignées dans ccs étucles hisro.-
c1ucs. Là où il s'e<carte.lc l.r faqon la plus frappante de scs habitr-rdes
ante<ricurcs c'cst dans son abando' du concept d,épistémè, que
I-'archéolo,qic du sauoir rcmplace par une n m'ltipliciré: de sysrènrcs
vcrticaux >. Mais cn fait Foucault s'intc<ressc moins à I'effo'dre-
mcnt-des cipisténre\s qu'à I'affirmation de la primauté du cliscours.
c'cst cn effet lc discours qui constituc son nouveau corrcept clc<,
cclui qu'il privilégie cnrre Lcs m,ts et les choses et lc miliËu des
années soixantc-di*., où_ il reprendra scs frcsqucs historiques.
l)ans Lc-s m()ts et les choses le terme r, discours , déiignait le langagc
classique, lc la'gage rc<cluit à la tra'sparence de la îeprésentairo'.
F.ucarrlt signllc à priscnt à solr lectcrir que Ics dis.ours rrc doivcnt
pas ôtre pris commc dcs t-nscmblcs dc siunes se réfera't à dcs
rcprésentations rnais cornmc dcs pratiquts. u ccrtes les discours
sor-rt faits dc signes; mais ce qu'ils font c'cst plus que d'utiliser ces
tiu
L ARCT{IVE IR()NIQUE
signcs pour désigner des choses rl. Le propos de Foucault cst ici
précisérnent de décrire cctte ionction supplémcntaire dcs dis-
cours. Il afÏirnre cependant par ailleurs quc cctte nouvellc
perspcctive est ( ce
-qui rcndait possible > cc qu'il disait dans ses
(ruvres précédentcs'.
Rien dcs lccteurs allront des difficultc<s à
reconnaître dcs discours comnle pratiqucs parmi lcs épistémès
étudiécs dans Lc-ç fttots et les rhost's, rlêmc s'il rr'est pas trop ditlicile
cic trouvcr quelcluc chosc dc cc genrt: clarrs lcs conccptions sociales
cle la folie qui sous-tendent les rites d'cxcltrsion décrits dans
l'Hisroire de la folie.
Foucault définit en tout cas lc proje t de L'archéolo.qie du sduoir
cornme < une description pllrc dcs évc<nemcnts discursifs ,r. Qu'il
y ait là un écho du jargon phénorrénologique (la < description
pure ))...) nc doit pas llous égarcr: I'archéologue se voit assigrrcr
r.rne tâche qr-ri cst bicn diffe<rcntc de la contemplation d'objcts
pcrrnancnts. Lcs discours sont des cnscmbles cxtrêlnemcnt
précaircs, formés d'énoncés qui constitucnt des ( groupes pcrr
formalisés )), ( Lurc population d'événements dans I'espace drr
discours ,'+. Lc livre donne en effct à ce mot d' < éuénement r unc
place trc\s importante. Foucatrlt ne se départ pas de sa vieillc
aninrosité à l'égard du ternps continu, sous quelque forme qu'il se
présentc, rnais il scmble égalcmcnt vouloir insister sur la nonorl
cl'événernents e<ruptifs, s'èntrccroisant, en dépit de toutes lcs
tcntations pouvant pousser à iclentifier des struCtures stables sous
rune surfacc décousue.
Bien que les discours soient rcnrplis d'événements, l'archéolo-
gue pellt cn dégagcr des < conditions d'cxistencc u et dcs
., régularités discursives ,r. Le seconcl chapitrc de L'archêologie du
\dulir (< Les régularités discursivcs r) conticnt toutc une séric
rl'élucubrations pédantt:s sur ccs tlurasi-structurcs. Mais Foucault
prcnd soin dc souligner que I'analyse qu'il prcscrit n'a ricn à voir
rrvcc la recherche d'unc grande L|rstruktur inspirée par la linguisti-
rytrc structurale. A plusieurs rcprises il décoche des traits à
I'cncontre de la tribu saussurienne, comrne par crenrple lorsqu'rl
ricrit : < il s'agit de suspcndrc, dans I'examen du langagc, non
sculcrnent lc point de vuc dr,r signifié (...) mais aussi celui du
l:rrrrcault, 1969. p. 67
Ibid., p. 149.
Ibid , p. 38-39.
Iirid., p. .12 et 3fi.
u9
 f:OLJCAUT,T OU 1,8 NIHII-ISME I)E LA (]HA.IRI
signifiant us. Lcs st^lcturalistcs sont traités colnme cle simples
idéalistes de la dernière henre alors quc Nietzsche fait au .ontài..
I'objct d'une acceptation trc\s laigc, rnônrc si cellc-ci restc
essentiellcmcnt tacitc. En 1967, c'est-à-dirc juste crrtrc la ptrblica-
tion dc Lt-ç tnots et lcs rhoses ct I'achèvcnrent clc i" suite
méthodologiquc Foucault avait d'ailleurs afïrmc< quc, I'arcl-rc1-
ologic de vait plus à la généalogic nictzschr<cnnc qu'au
structu ralism e('-
Cc tour nictzschécn expliquc à mon avis lc nouvel anti-
objcctivismc qu'adoptc Foncault. Il y a dans route L'archéoloqie
urre polénrtqv5 contre l'oh-jet qui vient complc<tc-r la critiquc
structuralistc du sujet qui est, clle. plus ancicnnc. Foucault cssaic
c' effct de montrcr quc s'il y a clcs inco'vér.ricnts à envisager le
discours du.point de vuc clu sujet il y en a eussi à mcttri-rrop
naiverncnt I'acccnt sur lc point dc vuc opposé. Il trouvc chj
Bachelard un exccllent cxemple d'épistémologic dc l'< objet ,
irsatisfaisantc. Lc concept bachclardicn d'u obitacle épistémolo-
gique u, qui conduit à unc- u psychanalyse dc la connaissancc
objcctivc ,>, scmblc cn partictrlier térnoigncr d'un dérapage: en
dircction du sujet : celui-ci réapparaît par unc portc déiobée
puisquc llachelard a recours à la libido du sciéntifique pour
cxpliqucr 1cs probic\nres que lui pose I'objct clc la connaissancc.
Mais F.ucault nc s'arrêtc pas là cla's les clistances qu'il pre'd avcc
lJachclard. Cornmc I'a fait observer I)ominique Lccourt.
I'archéologic tend à substitr,rer la catéeorie cl'u iriuption , au
concept birchclardicn clc u rupturc
", qui est bcaucoup rrop
statiquc pour rendrc_, pleincmcnt contptc de I'abondancc dcx
c<l'énements discursirs . alors qtre le contrat, qui n'est qu'Lrn instnrment dc recherche (qui
La véritablc bête noire de L'archéolo.gie est cepcndant I'histoirc
des .idées, quc. Foucault caricaturc souvcnt. tl cxplique que
I'archéologie s'en dérnarque ssr quatre points ; cj albrs q,rc
I'histoirer clcs idécs chcrche à cle<gager quels thèmcr .-t q.r.l,
concepts sont exprinlés d:ns clcs docurnents, I'archc<olctguc
chcrche à analyser la structure du cliscours docunrentaire ùe-
mêmc'; à) alors que I'historien dcs idées veut découvrir I'oriqi'c
et lc dcstin de certains conccpts I'archéolosuc s'attache à l'éiude
Ihid., p. 116.
Cf. son entrctlen avcc lJcllour citcr r:lrap. 5. rrote 4()
Lrcourt. 1972.
90
T,-ARCHIVË IRONIOUF
d'uu cliscours donné pour lui-môrnc, inde<pcndamrttu-rt dc cc qr.ri
I'a précédé et de ce qui l'a suivi; r) contraircmcnt à I'archéologie.
I'histoire dcs idées recherche lcs causes psychologiqllcs ct sociolo-
giclr-res dcs événcrncnts intellectuels ; d) enfin I'archéologue du
savorr se concentre sur lc discours tcl qu'il cst sal'rs chcrchcr,
corrirre I'historien cles idées, à saisir I'incffablc momcnt origincl,
l'intcntion prirrritivc dcs atrtcrrrs*.
l)ans la prcmière de ces antithc\ses Foucault oppose briève-
nrcnt 1e traiternent du discours cornme doumenl (darrs I'historre
clcs idées) à son analyse cornnlc monument (dans l'archcrologic du
savoir). En effèt les docnnrernts sçrnt lcs convoyeurs d'unc
rc<férence exteme alors que les monumcnts sont contemplés pour
cux-rnônres. (l'cst la fàn'rcusc distinction établie dans L'tvnyre d'art
t't ses signi-ltcatiotts par I'historien de I'art Erwin Panofsky (1892-
196U), qui fut le père de I'iconologic'. Foucar.rlt nc s'y réfèrc pas
et il sc peut qu'il ait établi sa proprc distinction indépendamrncnt
de Panofsky, qtri était cependant très préscnt dans lc Paris de la fin
cles années s<rixante. La tradtrction française de scs Essais d'iconoltt-
qie (1939) qui vcnait justc d'ôtrc publiéc par Gallirnard (19(r7) avait
reçu un accueil unarrirncnrcnt favorablc. Mais pcut-ôtrc cst-il
préférable que Foucault nc le cite pas, car chcz Panofsky la
différence monlrrnent/document a un tolrt autre sens. Il dorrne
ainsi I'cxemple d'un triptyque rhénan dc 1,471et du contrat qui le
commissionne, dans lequcl figurcnt lcs indications iconouraphi-
ques habituelles (< dans Ie panncau ccntral, la Nativité, sur lcs
volets Saint-Pier:re et Sair-rt-Paul >). Pour lui lc triptyque en tant
c1u'oh_jet dc recherche pour l'historien dc I'art cst un monunlent
fàcilite f intcrprétation dc I'intcntion dc I'artiste et la connaissanct:
des usagcs esthétiques cn vigucur à ccttc irpoque ct à cet cndroit),
fbnctionne comrne un documcnt. Mais il s'crnpresse d'ajoutcr quc
pour un paléographe ou un historien du droit lc triptyque pourrait
très bien devenir le docunrent ct lc colltrat lc monumcnt.
En outre Panol'sky ne conçoit pas la distinction qr,r'il établit
c()mnre une- alternative imoosant soit dc s'attachcr à l'étucle c{cs
lu.ronunlcllts en oubliar"rt les docurnents soit dc s'inle<rcsscr aux
documcnts, rnais en ne regardant pas du tout lcs rnonuments.
S l:orrcault. lt)72. o. 1,82.
') l'.ur,riskv. l()(,9. rrrtrotiLrttiorr.
97
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DE I-A CFIAIRE
L'iconologie ,cn tant que rnéthode d'histoire dc I'arr et par
opposition àla Formgeschichte de wôlfflinro s'cfforce au contrair.r
dc conccntrer son attcntion sur le (ontenu historique dc l'cruvre
d'art. Or Panofsky, reprcnanr sur ce point la thèse avancée au
xrx' sièclc par lc philos()phe lméricairr Charlcs Sa'ders peircc. qui
est conside<ré conrme le fondateur dc la sémiotiquc ,r.rr,, ,".rrrrr_
ric.ne, déf it le contcnu d'unc æuvre. qu'il distingue dr- son
sujet, comnre le sens q,e cclle-ci ne montr( pas mais qli'ellc trahit.
Lc contenll est le scns qu_i < transoaraît u d'une <ruvrè ,"r^ y ôtre
le moins du monde cxlribe. Lcs eiéments du contenu entenâ. ern
ce sens sont lcs attitudcs nationales, la rncntalitc< dc classc,
I'arric\rc-plan idéologiquc, etc., bref tout cc qui peut cor)ditionner
sérieusement la personnalité de l'artiste et êùc iransmis à travcrs
cllc aux différcntcs couches de scrs de son cruvrell. Le but dc
I'iconologie est donc de naturc absolument historique et contextud-
/i-ctr'''. ct cr tJr)r quc tclle ccttc disciplinc crnpirrnrc trne voie
opposet à la positiorr anricontcxrrralisr.' qu'adoptc F.ucarrlr. err
ronpant avec lcs procédures normalcs dc I'histoirc des idées. ce
n cst pas pour. rrrn que Lér,'i-Strauss s'est servi de panofsky pour
dclnonccr les défauts formalistes de la critique structuralistc.'
Qrr'il lc vctrillc ou nor Fotrcrult rrjoini d,rc. dlns son rcjct
der I'approche contextuellc, le .on."'i dominant du structura-
lis'rc.
,Lui aussi opposc n I'analyse immanentc r à u' cadre plus
largc d'intcrprétation capable diintégrer I'intérôt pour le mo*l-
lrrcnt à une conscience dc son cnvironnemcnt social ct culturel. ce
l0
P,t..-":]ui. corrce'rnt_lr crrtiquc tle wôlfflin par panofiky voir son cssai r l)as f)roblcnr
Llc\ Srrl: rn der brldcnden Kunst t.
Zcitsri-li.fùr Aesthetik und dll.qeueine Kunstu,issens-
cl,ta.ft, z160 et_ suiv.. rcproduii dans panoGky,
-X: itUi_!),
Panofskv,
l: 1ùf,4, et tra..luit dans
1975. * l)as Problern des Stils D conrnente,,,,"..rnfè."n,," lartc par w.tttirn
à, Bcrlir crr_191 1 qur rc<sunrc la the\sc principalc dc scs prlnrpes d,histoire rlil'art (1t)15).
l1 I)anofsky, 1969, i'troduction. La nrôrne iàée, moins ra re,iércnce à peirce, .,tr'it.l.i,
exprimée dans u Zum Problem d_er Bcschreiburg u'd Inhaltscleutu'll vo, wcrke, dc.r
bildcnden Kunst r, publié dans la re'uc néo-kùtienne t_ogos, XXI'i1it:Z;. <;.t
e st éqelcrnent repr.duit cla's Panolsky, 196-1, et traduit
dani[rar,"*ty, t,;zs. Le t*,,. "rrri
de r, r est égalemcnt. utilisé.pour deisigner le niveau l. plu, p.rt.nJ .le
-conrcnu.dans les arrs visucls
signification clans lès Essals i;itonologit (1()67).
En ce.scns la dif-Grc'ce, quc.rernarque bien p.dro (tc82,'p. ){)5;,
I)anof.sky, qui
mct I'acccnt sur le conrenu idéologiquc, et Aby warbur[, qui s'attachc ".t.. à intcrp16ier
I'art dans lc contcxte tlu comportèmcnt social, cst unc cjueiclle clc fàrnillc : .la'ns lcs
dcux cas il s'agit d'approchcs anti-fornralistcs, u culturcûes ,, de I'rttuclc dc t'"rr. i.-
perspcctlvc L'nvrsageant I'rrt conrme synrbolc (panotskr') (.r aellc !lllr l cnvisac.
conrnrc ritue'l. (Warburg) sont plus prochcs l'unc de l'.rrirr. quc.1. J.r
I,erspçç11yç
tuvarrt Jar:s l'Jrt ilnc prrrc forrrrt..
92
L AI{CHIVË IRONIQUÈ
qui rnasquc la parcnté cntrc le fbrrnalisnrc et la théorie foucal-
dicnne du discours c'cst, bicn cntcndu, quc Foucault met I'acccnt
strr Ic' ,,list'ours (ùmm( pratiqrtc, ct qu'il y a l) rrrrc corrrr<lt;rtion
conccptucllc qui fait clairenrcnt réIércnce à une tradition (mar-
xiste) non fbrmalistc. L)c plus cn sc scrvant clu structuralisme ct
clu node\lc linquistiquc comnrc dc rcpoussoirs à son propre
progranrme méthodologiquc Foucar"rlt donne I'impression quc
I'archéologic et lc structuralisnrc, cclui dc la critique littérairc par
cxemple, n'ont pas grand-chosc cn commun. Cependant il est cn
fait un point important sur lequel ils se re'joigncnt, à savoir la
séparation entre u l'analysc irnnrancntc )) ct une approche
synthc<tiquc rcposant sur Lrn sagc équilibrc cntrc textc ct contexte
comnle sourccs dc sens.
ll cst assez curicux qu'un tcl équilibrc ait été préconisé, au
lnonlent nrênre où Foucar-rlt rédigcait cc livrc, par ce que I'on
pourrait appeler le rnouvemcnt dc Cambridgc pour une révision
cornplète de la méthodologrc dc I'histoirc dcs idécs tâche dont
-
s'acqnittc\rcnt brillarnmcnt, à la fin des années soixante, des
érudits cle la trcnrpe dc John Dunn et, plus encore, de Quentin
Skinner''. Skinner soumet les u mythologics anachroniques ,r
dont est infestée la pratiquc de I'historiographic dc la pense<e à un
exalnen pertinent et approfondi ct, dans unc certaine nresure,
ccrtaines des critiques de Foucault, si cllcs sont faites dans un
csprit plus empirique, vont dans le mômc scns. Cl'est le cas
notanrment les objections qu'il éle\vc à I'encontre d'un usage sans
cliscrimination de la notion d'u influencc u. Mais d'une façon
générale la critique de Skirrner obéit ccpendant à des principes qui
la situent à dcs kilomètrcs dc I'hystérie < anti-sujet r du
structuralisme et du rejet a priori de toutc intcntion de I'auteur.
Ellc souligne les faiblesscs cle I'histoirc dcs idées traditionnelle
sans renoncer le moins du mondc à la légitimité de son principe.
Lc caractère arbitraire de I'assaut général que livre Foucault
\ ()ppose par rillcurs ncttcnrer)t à I'approchc airalytiqrre prr.rdcrrte
11u'adopte Skinner afin d'éviter à la fois lcs défar"rts d'un rextua-
lisrnc rnyope et les erreurs d'un contcxtualismc réducteur. 11 est
srlrprcnant que les travaux du mouvcment dc Carnbridge sur
'l'hc idcntrty oithc [{istory of Iclcas , (196u), à préscnt dans
1.1. Oi -fohn I)unn. n
I). [-aslctr, W. Ci. Rrrrrcirnrn ct Q. Skinner, 1972; ct Qr-rcntin Skirrncr, o Meaning and
Urr.lerstandinq rn thc Hrstory ol'ltlcas \, Histôty nrl T'heory,8, I (1969), p. 3-53.
93
 FOUCAIJT,T OU t,F] NIIIILISME DË LA (-I{AIRE
c(]ttc rmportantc problénratiqLle ne soient nrcntionlrels ni par
Foucault ni par lcs fbucaldicns.
Foucault prétcnd que les historiens des idées co'crcrtrcnt leur
attcntion sur la patcrnité ct la nouvcauté mais finisscnt par se
rctrouver tàcc à dcs contradictions parce quc leur rcchcrche des
racines dcs idies (qui cst I'unc dcs conséqucnces dc la tàscination
qu'ils éprouvcnr pour la co'tinuité historiquc) lcs conduit para-
doxalem'rt à sautcr sur ce qui empêchc celics-ci d'être véritable-
lnc't ncuvcs. Loin dc mcttre I'acccnt sur lcs autcurs, sur la
nouvcauté et sur la continuité, I'archéologic insiste au contrarre
sur I'inrpcrsorualité, lcs rc<gularités ct lcs discoutinr-rités dr,r
cliscours. Son arme principalc cst lc concept d'énoncé. Les
formations discursivcs sont cn t:ffct constitr,rées d'c<'oncés. [rou-
cault dclfinit l'énoncc< dc façon esscntierllemcnt nciqativc. cn noLrs
disarrt ce qr-r'il n'ast pds. Les énoncés, qui co'stituùnt ic novau du
discours, ne sorr ni cles propositio'i logiques, ni dcs
[hr"r.,
gramrnaticales, ni dcs actcs dc parolc. Foucault illustrc cc point cn
disa't qtr'un tablcau taxonorniquc figurant dans ur-r nranuel cle
botaniquc, un arbrc génc<aloeique o.r un. équation sont constitués
d'é'"cés, mais éviclernr'ent pas dc phraiesll. Il est bear-rcoup
nroins prc<cis quand il s'agit dc dirc cc qlle soruf les c,noncés. il
scnrble'lcs cnvisagcr comme dcs u fonctions u plutôt que coûrmc
dcs < choscs r, et il dit égalcmcpt qu'ils rotrt cô-n,e lcs o événe-
lnents >, c'cst-à-dire matériels nrais incorporels. L'urre des raisons
sccrc\tc's pour lesquclles_ils se distingucnt dcs propositions cst que,
contreirenrcnt à ces dernièrcs, ils sont régis par une loi dc
( rar.:tc< >. s'agirait-il là d'u'c fàçon ci'approuvcr cc quc dit Sartre
dans La critique de la raison dialectique, où la cattigorié cle la rarcté
jouc urr rôlc' csscnticl ? Cela csr pcu prohablc. Ù1,. ch,,rc scnrblc
cependant claire : d'unc fàçon ou d'unc autre lcs énclncés rnanifc-s-
tcnt ce qui cst impliquc< dans la productio' dcs sig'es. [)a.s la
tncsurc où ellcs sonf composées d'énoncés lcs u pratiqucs
discursives )) sont dcs ensemblcs o de règles
histori-
qucs, toujours détcrmi'écs dans lc temps ct dans "r-,or-,y,rr.r,
I'cspacc qrii ont
défi'i à une époquc donréc, et pour u'e airc socialc, i'c-or.ririqtrc,
géographique ou li'guistiquc donnée lcs co'ditio.s cl'cxcrcicc
dc la tbnction énonciativc >15. ceci ressc'rble plus i urc ta'-
14. [)our toutes lcs définitrons négativcs tlc I'r {11611ç{ r, r,oir Foucault.
15. For:r:eult, 1969. p. i 93-19.+.
ol
L'AncHrvr: rR()NrQuË
tologie qu'à une de<flnition, rnais I'idée g(:ne<rale y cst : lc dis-
cours cst régi par dcs < règlcs historiquc-s u. La mênre idéc réap-
paraît lorsquc Fclucault utilisc cc qui constitue avcc lc discours,
l'< énoncc< r> et l'< évc<irenrc-nt r, le ctrratric\nre rnot clé de son
Archéolo.qie du sdvoir : l'arthiut'. !.n ctIL't i'archivc ( c'est d'abord ia
Ioi dc ce clui peut êtrc dit, le systc\mc clui re<git I'apparition des
énorrcés c:onrlne c<véncnrcnts singulrcrs o "'. L'archivc cc n'cst
ni lc systc\nre lingurstiqtrc ni la iradrrion, c'cst-à-dirc lc lourd
corpus cles discours d'une civilisation clonnerelT. (.)'cst plutôt < le
systèrrrc sénéral de la fcrrn.ration et dc la transformation des
énoncés ur8.
L'< archivc D est donc (si notrs arrivons à nous y rctrollver
d;ins le brouillarcl dcs indéflnitions dc Foucault) une rnachine qui
fàbriquc: dc la signification socralc prr opposirion à la
sisnification lingtristiqtrc. l)ans tous les- cas elle consritue un ( .1
priori historique , et i'archéoiogue, il n'cst point besoin dc le
préciscr, est un archivistc. Il va aussi sans dire quc dans
I'accomplisscnrerlt cie sa tâche l'analysc dr- discours constitués
d'énoncés-événcments -- il succonrbe - joycusenrcnt à ccttc allcrgie
au suJct qtri cst ll rnarquc dcs structuralisnes. Après tout ult
arcirivistc nc s'occupc pas cle personnalités mais sinrplcmcnt dc
documcnts et de leur classification. Aussi I'archéologic ne
s'abaisse-t-cllc pas à découvrir qui a dit otr écrir quoi à qui. Cela
inrpliquerait cn cfïct I'existcncc de sujcts, ct donc un anthropolo-
gisnrc qui constitue une illusion humaniste et un vice idéalistc.
l)ans un tcxte de 1969 rntitulé < (]u'est-ce qu'ull auteur? >
lroucault indique clairenrcnt qLre nous dcvons nous débarrasscr de
I'habitr,rde dc rechcrchcr l'autorité d'un auteur, ct que le pouvoir
rlu cliscours cxerce unc influcnce contraignantc à la fbis sur
l';lutcrlret sLlr cc qu'il ditl!'. l)ans un ou dcux passagcs cc rc..;ct dtr
sLrjct sernble aller dc soi, comnrL- par cxemple lorsque Foucault
.rfllrme quc si I'avant-propos d'un livrc dc mathelmatiquc ot\ sc
trouvcnt cxposées les intentions de son autcur a un sujet qui
cst cie toute évidcncc cct autcur lui-mêmc, les the<orèmcs quc
corrticnt lc itvrc cn sont, cux, dépourvus clans la mcsurc où ils
l{). 1l)i.i.. o. 17(}.
1,- lbit|., p. 17lr.
197J, çr. l5.]-15.1
ll'i. (lt. F.rur-ault. u l{rlpon.c ru ccrc[-
cl'eipis1fn161o*i" r (voir lote 2, chap. 5).
l'). (]rr'cst-ccqu'unautcur?. llullttindt:ltSoriét(.lrançaistlrl)hilo:ophit,63(19ô()).p.73-
.i
r ).1.
95
 FOUCAUL'I OU I-E NIIJII ISME DE I,A (]HAIRE
sc réÈrent à leur proprc ordre logrqucz". Mais le plus sollvt:rlt
l'écrasernent du sujct cst clécrété dans dcs dictats spéculatifs dr"r
tvpe ( lc sujct cst néccssaircnlcnt situé ct dd'pendant u''. Pourqtroi
<, nécessairerncnt )) dépendant ? Ccla nc nous éclaire gnère. Lcs
structuralistes, eux, n'ont pas besoin d'être éclairés sllr ce point :
ils r, savent , tout simplcrncnt qu'il cn cst airrsi. I)elendum
sub-iectum !
Le théorie clu cliscours-archivc rcfusc firraiement dc choisir
cntre scicncc ct idéologie. Le chapitrc < Scicncc et savoir ,, (lV, 6)
signalc que le rôle clue joue I'idéologie dans la scicncc (ct qur est
grand, nous dit Foucault, cn rnédccinc ct cn écononrie politique)
nc dirninuc' ûâs lc moins du nronde: aLl fur ct à mesure
qu'allgmentcnt la rigueur ct la falsifiabilitct scientifique. Le sens
eéni'ral dc ces paqes est que la seule manic\re de combattrc 1'action
idéoiogiquc cl'une science donnée n'cst pes dc dérnasqner les
présupposc<s philosophiqucs o'.r lcs préjugc<s culturels sur lcscluels
elle reposc, et er)corc rnoir.rs de nrcttrc lc doigt sur scs crreurs et
scs contraclictions, r-nais dc renrettre- cn qLlcstion lc système de
forrlation cle ses objets et ses choix théoriqucs, c'cst-à-dirc de
rcnrettre en qriestioll la science comnlr' vne prdtiqur' parlnl
d'atrtres. Une fois dc plus, colrrûle dans Lcs fttots ct les clrttses,
Foucault ne s'intércssc nullerncnt à la u valcur rationneilc , de la
scicnce tout cn admettant pourtant franchcmcnt, ct rnêrne cn
scnrblarrt encollrager, urrr- rcrnisc cn qr.restion d priori dcs idécs
scicrr tifiqr.rcs.
Une archéoiogie du sav<iir pourrait fairc mieux que dc se
rnéficr ainsi a priori du savoir. Il n'cst pas étonnant quc ce
u discoltrs des discours D quc constituc I'archéologic dc Foucault
finisse par avouer qlle ( pollr I'instant (...) loin de déterrnincr le
lieu d'o^ù il parle, (il) csquivc le sol oùr il pourrait prcnclrc
appui 'r". Ce sont 1à les ternrcs essenticls de la conclusion du livrc,
qui prernd la forme d'un dialoguc. L'archéologic nc peut produire
le signe dc sa légitimitc< en tant quc théoric critique . Dcvons-nous
fairc I'e<loge de sa modestie oll :ru contraire regrctter quc tant dc
voies établies d'accès à la connaissance (commc la pauvrc histoirc
dcs idées) aient été compic\tement rejetc<es au rlonl d'unc position
l(f. Foucarrlt. 1969. lll. 2.
21. Ibid., p. 210.
22. Ibful.. o. 261.
96
L'ARCHIVE IRONTQUE
sans fondement qui proposait cn échange si peu d'élérnents sains
et solides ?
, En dépit de sa prose aride et laborieusc L'drcltéologie est très
largement écrite sur le mode ironique. parfois même'une lueur
d'csprit irrévére'tieux éclaire le icxte, comme par cxemplc
quand, à la tn de I'introducion, Foucault répond à un public
inraginaire qui le harcèle de remarques sur sei changements clc
perspective : <, Ne medemandczpas quijc suis.t t-t. t,. dites pas
de rester lc même : c'est une màrale dttat civir; elle régit
papiers. Qu'elle nous laisse libres quand il s'agit d'écrire."u 'os
eue
des profèsseurs au collège de France o.t appàrt".rant à d'autrcs
olympes univcrsitaires puisscnr se corrsidéi". co--. des orici-
naux en butte aux tracasscries administrativcs et policières. voilà
qui est toujours possible dans les miiieux i'tcllcctucls lati.s, au
serin de cette classe bourge.oise <1ui mc-urt d'cnvie de passer pour
u'e intelligenrsia. Mais I'ironic du livre est qe.nérilemetri dc
natlrre plus sérieuse. Elle réside, comûre l'a foit bicn dit Allan
Megill, < dans le fait qu'elle se présente comme une cntreprise
rigoureuscment objective visant à exposer une nouvellc méthàdo-
logie scientifique, alors qu'elle vise e' fait à démolir rour ce qui
rr .yusqu'à présent reçu lc nom de scie'ce 023. Et c,est bien vrài.
Nous sommes cncha.tés d'appre'dre quc I'archiviste, tout
c'.uyeux qu'il est, pratique .éanmoins I'irônie. Nous soupçon-
n()ns quc ce qui I'y a conduit c'est qu'en franchissant la diitince
t;rri Les mots et les choses de son propre discours de la
.sc<pare
rrrrithodc,_il. a plongé de plus en plus profond dans le perspecti_
r,'isrnc dc Nietzsche tout en conservant son ancien intérêt porr, ."
\rtl('r :lsscz pcu nietzschécn quc constituc la sciencc et son histoirc.
Airrsi I'archivc, la machine à fabriquer dc la sie'ification discur-
\r\'('. ('s[ au fond un Weltspiel, un jeu à l'échùe dtr monde, un
('()sr)los ludique qui engendre toujours de interpréta-
ti.rs (les discours comme pratiques) de la vie 'ouvelles
et de la société. Et
cctte archive esr vraimcnt profondément ironique . avcc clle
;tlcune signification ne reste stablc, aucune vérité n'est meilleure
quc la suivante. Gillcs Deleuze, le chef de la légion de plus en plus
rombrcuse des néo-nietzschéens, ne tarderait pas à saluer cn
Foucault le conquistador de ( cette terre inc.nnie où unc tbrrne
littéraire, une proposition scientifique, une phrase quotidiennc,
23. Mcgill, 1979, p. 187.
97
 FOUCAULT OU LE NIHILISMË DE LA (]HAIRE L'ARCHIVE IRC)NIQUF

un non-scns schizophréniquc, t:tc.-, sont égaiement des énoncés, modifier l'appropriation du discours >. Rien dc tc.rut ceci ne
porlrtant sans conlnlul)c mcsurc u'o. (-ottrmc Dclcuzc I'cxplicltrc corrtrcdit vraiment lcs concepts élastiques ct obscurs de L'archéola-
darrs la suitc de ct: texte, I'inconvénicnt qr"r'ii y a chez llachelard .qic du sauoir. Cct ouvragc nL'nous cn-loignait-il pes dc ( conccvoir
c'est qu'il continue à insistcr sur la dtralité entre science ct poésic. le discours conlme une violence que nous faisons aux choses , ?26
Personne ne court cc risque avcc lcs nc<o-nietzschc<cns. Il y a ccpcndant loin tlc ccttc lisic dc règlcs d'cxclusion. qui sc
L'ordre du discours (1971), tcxte clc ia leçon inaugurale dc préscnte conlme un cataloguc de rcvendications gauchistes inspi-
Foucault au Collège dc France, nrénage unc tratrsition parfàitc récs par l'esprit dc 19ô8, à ia notion insaisissable de <, discours
cntrc problématique archéologiquc et problématiquc gérréalogi- cornrnc prâtique >. C)c qui cst en jcu à prc<scnt, c'cst le pour,'oir.
quc cn liant cxpiicitt:metrt lc concept de discours à celui de
pouvoir et de contrôle : < I)ans toute société la production du
discours est à la fois contrôléc, sélectionnéc, organisée ct redistri-
buée par un certain nonrbre dc proccidures (...) ,r". Ces procédu-
res cornprenncnt dcs contrôles cxtcrrles, dcs rùglcs intcrnes et la
réglementation de I'accès à la connaissance-
Lcs contrôle s cxternes fonctionnent colnrne des f'orrncs
d'exclusiott : interdit pesant sur l'cxpression (à notre époqtrc-
cssentiellcnlcnt sur I'expression du désir et du pouvoir); rc-irt,
comnrc lorsqu'on isole lc langage de la foiic ou que la volorrté de
vérité dc I'homme modernc, qui n'cst en làit quc le masque de sa
volouté clc pouvoir, opposc le vrai au fàux. Foucault remarque à
ce propos que si I'hommc tnoderner est moitrs strict dans scs
interdits et dans ses rejets il n'en rcstc pts lnoins iermement
attaché à sa volonté de vérité. Les règles internes sont des
procédurcs de production du disconrs qui lui intposent r.tnc
continuité. Il en est ainsi de la pratiquc du commentaire, qui
s'efforcc de river lc discours à sotr sens originel ; dcs règles
relatives à la paternité du discours qu'imposent le mythe de I'unité
de la conscicnce; de cellcs qui classent lers cliscours, perpétuant
ainsi les fror-rtières entr:e disciplincs et e<touffant par-là même des
qucstions essentiellcs (ainsi les décor-rvertes de Mcndcl furent-clles
longtemps victimes de la conrpartilnentation du travail biologi-
que). Enfin I'accès du discours comrne connaissance fait lui aussi
I'objet d'un contrôle, comme cela apparaît très nettemcnt dans ccs
< sociétc<s de discours D que sont lcs troupemcnts professionnels
(le corps médical par exemplc), qui fonctionnent sur un régiltre
d'cxclusion et, d'une façon plus gérrérale, dans le système éducatif
lui-mênre qui cst ( ulle manièrc politique de maintenir ou de

24 l)elcuzc, 1972, p. 41-45

Foucault. 1971. p. l0-11 .t() Ihid

98 L)9

Chapitre 7 , -Notons au.passage qu'or1 cst ici à cent licucs dc la-fi.rsior cntre
TABLEAU
DE LA SOCÉrÉ CenCÉnAtn
Après la pause méthodologique que constituent L'archéologie
tlu sauoir ct L'ordre du discours, Foucault se tourne résolurnent vers
une histoirc < politique de la connaissance. La secondc de ces
'r
dcux cruvrcs mcttait en doute le concept même de vérité, qui
rr'était quc ( suspendu > dans L'archêologie. Par la suite les
catégories épistémologiqucs tcndent à être franchement < politi-
sécs > et il n'est pas étonnant que, dans le même temps, Foucault
rccléfinisse le rôlc dcs intcllectuels dans la perspective d'une
véritable éclipse de la théoric. Dans un débat qui I'opposc à
l)eleuze sur le thclme < Lcs intellectuels et le pouvoir ,> (1972), ll
déclarc que < les masses n'ont pas bcsoin < des (intellectuels) pour
savc>ir u. Le rôle de I'intellectuel n'cst donc plus d'élaborer des
théorics dcstinées à éclairer les masses et le rôle de la théorie
changc lui aussi : il ne consiste plus à essayer d'atteindre une
< prisc de consciencc > mais simplement à lutter ( pour la sape et
la prise du pouvoir >. La théorie n'est pas semblablc à une paire
de lunettes, mais plutôt à une paire de pistolets : clle ne permet pas
de mieux voir mais de mieux combattre. Les intellectuels
dcvraient donc lutter contre les formes de pouvoir dans lcsguelles
ils sont impliqués:la connaissance, la ve<rité ct le discoursr.
1. Les intcllcctucls ct le pouvoir, L'Art,4() (rnars 1972).
100
t-ABLEAU DE LA socrÉrÉ cancÉnRrn
thc<oric-ct praxis opérée par lcs ( nrarxistes dc gauche o et dolt
le meilleur exemplc n()us .-st donné par Granlsci ou par - Lukâcs
dans ses æuvres de jcunessc: ici théoiie ct pratique nc sc fcrnde't
pas I'unc dans I'antrc, c'cst plutôt un t:ffondrement dc 1a théorie
dans ia pratiquc qui se produit. La praxis ccsse d'avoir u' lest
théorique, chaquc pratique socialc faii cavalicr se'l et il n'en rrait
pas autrcnrcnt de la rr pratique théoriqr-re >, c'est-à-dire du travail
cie I'intellectucl, si cellc-ci i'était pas en un scns néccssairemcnr
malheurcusc, condanrnée au doutc de soi et à la mallvalse
conscicnce. Le discrédit quc jettc Foucault sur la fbnction dc
I'intellectucl finit en effct souvc-nt par prcndre un tour masochistcr.
Fort hcureuserment il y a mai'tenant-longtcmps quc, en Francc,
l'establishment sait que la me-illeure façon-de traitèr les acce\s dc
colère (ou d'autophagie) des intellectucls c,esr dc réaeir à la
tnanière du sadiquc da's la vieille plaisa'teric parisieÀnc : le
masochiste supplie lc sadiquc : < Frappc-moi ! > Lc saclique
répond: < Non! >
Le. premier volct dc I'histoirc politique de la vérité ou de la
conrlalssâllce que rctrace Foucault est un copieux volumc d'cnvi-
ron rrois cent pagcs intitulé surueiller et punir er porrarlt sur la
< naissance de la prison r>. Foucault déciara un iôur. non sans
raison,. qu'il s'agissait là de'son,prcmicr Iivre, etll esr vrai qu,il
s'agit là d'un sérieux candidat à là première placc dans |ceuvrê de
s()ll autcrrr si I'orr cn jugc par se langle. sa stnlcturc. sî
présentation et I'agenc::._."t de ses partics. Ce livrc n'cst pas
rnorns passronnarr que_fHrsroire de la
-folie, pas moins original que
Lcs rnots et les chttses. [J'e fois de plus Foucault va déie.re. les
sourccs prirnaires lcs plus inattc'dues, une fois de plus il
réirrtcrprètc lcs a'nales de I'histoirc avcc ure audacc extrêdenrcnt
stirnr;lante pour I'esprit. Si cet essai sur la naissance dc la priso'
rappelle lxlaissance de la cliniqus pârce qu'il couvrc à petr près le
rrrômc iaps dc r..mps (du r'ilier.r du xvrut'au milicu du irx. ôie.l").
sa portée cst presqlle aussi vastc que cclle de Lcs mots et les choscls.
I)c mêmc que l'ouvrage précéde't couvrait, avec le savoir sur la
vic, lc travail et le la'gage, un domaine d'ure anrplcrr imDrcs-
si''nantc, I'idée quc la prison, I'usi'c, I'hôpitrl ct i'écolc jouent
rrrr rôlc lcrndamentalement isomorphe confèie à suryeiller it nunir
rrrr chanrp d'intérôt urrjvcrsel, nrônre si cettc fois l'autcur ch<lisit,
s;u]s aLlclln doutc avec sagessc. dc centrer son analyse sur un seul
101
 FOUCAULT OU LE NIHIl,ISME DE LA CHAIRE
de ces domaines institutior-rnels : le discours et les établisselrlents
pénitentiaires.
Tclut lecteur de Foucault se souviendra sans doute de la visiotr
pittoresque: des léproseries transf'ornrécs cn maisons de fous sur
laquelle s'ouvre l'Histoirc de la.folie. Surudller et punir a un prélude
cncore plus sensationnel, dans lequcl on assiste à I'exe<cution
spectaculaire dc l)arniens, ce régicidc manqué qui tcnta de tuer
Louis XV en l'arr de srâcc [757 rnais nc réussit tnême pas à le
blcsscr. Foucault s'attardc sur la description des détails nracabrcs
dr,r supplice de l)amiens qui fut <r tcnaillé' aux ntatnellcs, bras,
cuisses ct gras des jarnbcs, sa main droite tenant cn icelle le
couteau dont il a comrnis 1" (.. )parricidc, brùléc dc fcu de soufre
(...) ct ensuite son corps tir(: ct démembré à quatre chevaux ct ses
nrenrbres et corps consurnés au fcu o -- lc tout sous les Yeux du
bon peuple de Paris qui n'aurait pas raté utr tel spectaclc pour tout
l'or du monde.
Après trois re\gnes, unc lonque révoltttion et I'Empirc. à
l'époque où, sous Louis-Philipp-'e, triornphe la bourgcoisic,
I'auteur d'une autrc tentative de régicidc, Fieschi, est cxécuté sans
tout cc sinistre apparat. Mais cn même temps. commc lc ntontre
le règlcment fastidieux rédigé à I'usage de la u Maison dcs jeuncs
de<tenus à Paris ,, I'emploi du tcmps organisant avec Llne précisiort
méticuleuse la journée des prisomiers térnoigne d'une invcntivité
qui n'a ricn à envier à la pléthore de rites cruels auxquels avait
donné licu le supplice de l)amiens. Dès les années 1830 I'abon-
dance dcs tortures a donc cédé le pas à urre réglementâtion
excessive et tatillonne, et c'est la dif{ërencc entre ces < stylcs
pénaux ), lc contraste entre ccs systèmes de punitit)n cluc Foucault
se propose de décrire. La disparition de la torture physiqur: cst le
signe esscnticl dc ce changcment. La France post-napoléonieltnt:
ne connaît en cffet rien qui ressemblc, clc près ou dc loin, au
supplice public de Damiens. ct pourtant ellc enferme dans scs
prisons plus d.c 40 000 de scs hommcs ou dc ses iemrnes (soit
environ un prisonnicr pour 600 habitants). La punition colnnte
spcctacle macabre s'efface alors que de vastes prisons, dotrt on
voit se dresscr lcs tours dalts tout I'Occidclrt bourgeois, devien-
nent un élément visible du paysage urbain. La u société carcérale >
est née.
Lc premier âge pénal décrit par Foucault est celui Cc la torturc
publiquc. Son décor est l'échafaud et son personnage prirrciprl, en
102
'fABr_EAU r)h l.A socrÉr.É c.qHCÉnaLri
tcrmcs dc pouvoir, le sotrverain. La loi étant la volonté du roi,
c.elui qui I'cnfreint s'en prcnd à la personne rnôme du monarque,
cl'où il résultc que lc souvc:rain a le droit de fairc payer le coupibic
en rlature, cn lui fàisant subir un châtiment {éroce. Certés les
torturcs dantesques et ics crécutions publiques sont loin de
constituer alors dcs praticlues pénales courantes : au tribunal
prévôtal clu (lhâtclet, nroins clc 107" des verdicts prononcés
pendant la périodc 1755-1785 comporrenr la pcinc cipitale. La
rnajeurc partie des condarnnations imposcnt soit lc bannissement,
soit I'amcndc. Mars ( r.lr1c grarrdc partic de ces pcines rron
corporellcs L<taient accolnpaÉ{nées à titre accessoirc dc: peines qui
comportaicnt une dimension dc supplicc : exposition, pilori,
carcan, fbuet, marque ( ) ( ..) Toutc pcinc un pcu sérieuse
clcvait cnlportcr avcc soi quelqrrc chose du supplicc o.
La torturc cst égalcntelir utiliséc, bien sûr, pour provoquer des
confcssions. cic tàçon à cc qu'unc vérité rituclle, un avcu de
culpabilité littéralenrcnt arraché à I'accusé, puisse venir couronner
ct justifier unc démonstration dc force sollvent tont à fait
clisproportionnée par rapport au crime comrnis. Mais cette
vit>lence tcrritiante, cc grand spcctaclc sinistre du châtiment sont
cux aussi assez peu fréquents. Il s'agit d'un système primitif tout
etrssi intermittcnt qtic spcctaculaire . Son objct rnême, lc corps du
sujct
-criminel, impose d'étroites limites aux rcprésailles royales.
l)c plus lcs victimes ont lt: droit dc maudire le pouvoir qui les
brise : < Le supplice permct au condamné ces iaturnales d'un
instant où plus rien n'cst délbndu ni punissable. A I'abri de la mort
rlLu va arriver, le crirninel peut tout dire , ct les assistants
I'at't'lamcr. (. ) Il y a darrs i'.''s cxécutions, clui nc clevraicnt
rnontrcr-que lc pouvoir terrorisant du princc, tout un aspcct de
( l:rrnaval oir les rôles sont invr-rsés, les puissanccs bafouéei,
et les
( nn)incls tralrslornrés cu hcir.ts ul.
Affectionrrant toujtturs, en bon structuraiiste, les < inversions
s)'rnétriques u, Foucanh oppose u le corps des condarnnés > (c'cst
lc' titrc clc son premicr chapitrc) au ( corps du roi >. sc réferant
:nnsl au cotrcept rnedicival juridico-politique qu'a.nalyse Ernst
f{arrtorowitz (18()5-1965) dans un ouvragc devenu classique ct
irrtitr-rld' The King's T'wo Rodies (,, les deux corps du roi u, 1957, et
n(,n, conlnre I'indiquc Foucatrlt cn note, 1959). Le mythc clu roi
-). ['otrcault, 1()75, p. 64.
I03
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DE LA CHAIRE
( né jumeau )) voulait que les souverains eussent deux corps. L'un
était le corps naturel, qui était sujet au dépérissement, I'autre
I'aeuum, c'est-à-dire un corps saint, mystique et éternel, doté
d'une perpétuité séculière grâce à laquelle la dignité de la royauté
survivait à toutes lcs faiblesses humaines et à tous les malheurs de
la monarchie. Kantorowitz montre à quel point cette idée
mythique a pénétré la pensée juridique anglaise. Elle était encore
vivante, en fait, dans la littérature royaliste de I'Angleterre de
Cromwell. Ainsi certains exernplaires de l'Eikon Basilike contien-
ncnt un long poème intitulé < Majesty in Misery > (La majesté
dans le malheur) et attribué au malheureux Charlcs I"', dans lequel
le souvcrain déposé, jugé et condamné ( au nom du roi >, sur la
base même de la théorie des deux corps, commente son sort en
des termes d'une amertume poignante mais qui ressortent de cette
même idéologie :
"\7ith my owll power my majesty they wound,
In the King's name the king himself uncrowned.
So does the dust destroy the diamond."
< Avec mon propre pouvoir on blesse ma majesté,
Au nom du Roi le roi lui-même est découronné.
Ainsi la poussièrc détruit-elle le diamant ul.
La thèse de Foucault est que de la même façon que l'aevum
royal conférait au souverain un corps sacré, symbole du corps
politique, la victime de l'échafaud avait un corps qui était
I'antithèse même du droit et de la puissance du pouvoir royal.
Puis vinrent les Lumières et leur réformisme rationnel.
Certains juristes. ccrtains nragistrats, prirent conscicnce, avec
l'< opinion publique > qui se faisait entendre de plus en plus fort
à l'époque de Voltaire et de Beccaria, que ce système de punition
violente nrais irrégulière, fondé sur I'idée que le châtiment devait
être à la fois excessif et exemplaire, n'était pas seulement
inhumain : il ne parvenait pas à être dissuasif. Ën outre on ne
pouvait jamais être vraiment certâin de la direction que pren-
draient les sentiments qu'éveillaient chez la populace les exécu-
tions publiques. On en vint donc à penser que I'objet de la justice
criminelle devrait être la punition et non la vengeance. Avec la
3. Kantorowicz, 195'/, chap. 2.
104
TABLEAU lE LA socrÉrÉ cRncÉnarr
rnode des théories du contrat social la criminalité cn vint à être
t'orrsidéric non plus cotnme unc attcintc au sorrvcrain rnais
cornme une rupture du pacte social qui, cn tant quc tclle, mcnaqait
I'ensemble de la société. De nouvelles méthodcs de punition
furcnt proposées afin de rcdrcsser immédiatement lc tort fait à la
communauté et de redonncr à celui qui s'cn était rendu coupablc
la place qu'il convenait qu'il occupe en son sein. Lc pouvoir pénal
cn vint donc à s'intércsser cssentiellcmcnt à I'esprit ct non plus au
corps du criminel. Alors que la torturc devait êtrc abolie ( toute
rrn.J technologic des rcprcscntations ), sc souvient quc
l'épistémè classique avait un caractère de représentation fut
mise au point. Son but était de faire comprendre au prisonnier - les
raisons dc sa punition. On prit grand soin d'établir une corres-
pondancc entre typcs dc délits et degrés de punition, les sentcnces
dcvant à tout prix évitcr d'être arbitraires. Les réformateurs du
xvtn' sièclc partageaicnt pleinement la tendance dc leur époquc à
la taxonomie et s'efforcèrent de dresscr un tableau oir I'on pouvait
pariaitcmcnt lire quellcs pcines étaient réservées à qucls crimes. Ils
colrçLlrent unc classification détaillée dcs crimes et dcs crimincls
clr nc pcrdant pas de vLte qlte chaquc hors-la-loi dcvait se voir
appliquer un traitement individualisé. Leur humanitarisme était
animé par une préoccupation donrinante : l'utilité socialc. Le
châtiment ne devait pas eneendrer la tcrreur mais la pénitencc. Les
sanctions dcvaient êtrc à la fois didactiques, impaitiales et bien
fondées, ou sinon la question de la réintésration sociale était
oubliéc. Plusieurs .tp".tr de la pcnsée class"iquc (la théoric du
contrat social, I'utilitarisme, la sérniotique de la rcprésentation) se
t'onrbincnt ainsi dans une nouvclle logique dc la punition. En
rléveloppant des théorics de la reprcisentation mentale en rapport
ilvcc une doctrine dc I'intérêt personncl éclairé, des penseurs de la
fin du xvru'siècle commc les idéologucs founrissent à I'Occident,
) la veillc du développement de I'industrialisation, << unc sortc de
rccctte générale pour l'exercice du pouvoir sur les hommcs :
I'u csprit )) comme surfacc d'inscription porlr le pouvoir (...); l"
soumission des corps par le contrôle dcs idées u+.
Foucault est clair : I'hunranitarismc compte au fond moins
..l:rns lcs Lumières quc la volonté dc puissance. Sous le couvert
tl'un noble idéal d'émancipation humaine, lcs Lumières définis-
I I:oucault. 1975. o. 105.
105

FOU(,AULT OU LE NIHII,ISME DE LA CHAIRE
scnt de nouvellcs <r technologies morales qui aboutissent à des
- 'r
forrnes dc contrôlc social bicn plrrs striitcs quc cellcs qui
prévalaient dans lcs sociétés traditionnelles. La réforme pénalc
vcut ( non pes moins punir, rnais punir mieux; punir avcc ulrc
sévérité atténuée peut-être, mais pour punir avec plus d'univcrsa-
lité et de ne<cessité; insérer le pouvoir de punir plus profondérncnt
dans le corps social ,".
L'image conventiorlnelle des Lumièrcs met d'habitude I'acce'nt
sur ses cornposantes utopiques. Sur ce point Foucault n'a rien à
redire. Mais là où il s'écarte de I'opinion reçuc c'cst sur I'utopie
dcs Lumièrcs. Pour hri celle-ci constitue en effet un proict
totalitaire :
t Le songe d'une société parfaitc, les historiens dcs idécs ie prôtcnt
volontiers aux philosophes ct aux juristcs du xvIIt" siècle; mais il y a eu
aussi un rêve militaire de la socie<tr< . sa réiérence lbndarnentalc était non
pas à 1'état dc naturc, mais rux rc)uagr-s soigneusement subordonnés
d'unc rrrachinc, non pJS au contràt prinritit-, rnais au.x c'ocrcrtions
permanentes, non pas aux droits tbndarnentaux, mais aux dressagcs
indc<finiment p_rogressifs, non pâs à la volonté généralc mais à la docilité
autorxatlquc ))".
l)c I'empire semblable à unc machine et fondé sur la discipline
nationale dont rêve lc tacticien Guibert à I'amour dc Napoléon
pour I'organisation réglant tout dans le moindre détail, toute une
panoplie de miragcs disciplinaires scmble, de I'avis de Foucault,
avoir esquissé I'ordre bourqeois qui régnera dans la société
occidentale du xtx'siècle. L'homme modcrnc, poursuit-il, est né
dans un tourbillon de règles et der rc\glcments minutieux,
d'inspections tatillonnes par lesquellcs < s'exerce dans les Etats le
contrôie des corps et des forces individuelles > clans le cadre de
I'icole, dc la caserne, cle I'hôpital et dc I'atclierT. ()ettc grisc utopic
des Lumières n'a bien entendu pas complètemcnt pris corps.
Foucault estime cependant qu'clle a réussi à cnvahir dc larges
secteurs de la culture rnodernc ct quc la prison a été son terrJirl
d'application par excellencc. Surue iller t't punir suggèrc qu'il cristc
des liens étroits cntre lcs idées discit'rlinaircs hciritécs clc I'isc
5. Ibîd., p.84.
{r. IbirJ., p. l7l.
7. Ihil.. n. lTlr-171
lt)('
.TABI"EAU DE LA S()(JIÊTÉ] CARCF,RAT,E
classique et I'cssor, pendant la prernière ntoitié du xtx' sièclc, cJu
nrodèle qui f,rit de la surveillance la clé de l'instittttion pe<rtiteu-
fiarre et avec lequel naît la prison, au sens modcruc du tertne.
Au nrême titre que les systèmcs imagind's par les réformateurs
dcs Ltrmières, le pénitencicr vtsc à la trattsformaticln moralc du
crinrinel. Il a égalemcnt eu quelques précédcnts réels, qui
fonctionnaient sur la basc de la rémurtrération du travail, de
I'exhortation morale et de toute une séric dc de voirs et tl'interdic-
tions. Foucault citc à cc propos les lnaisons de corrcction
hollandaises et flamandcs (dcpuis le Rasphuis d'Amsterdâm,
ouvcrt cn 1596, jusqu'à la Maison dc tbrcc de Gand) et la réforme
pénitentiaire mise en place en Anglcterre au xvul' siècle. Quand
la pcrte des colonics américaines mit ult termc aux dciportations,
IJlickstone, qui était alors le plus émincnt jttriste d'Angleterre,
()pta pour l'incarcération < à des frns dc transfbrmâtioll dc I'ârlrc
ct de la conduite >. Pttis cn 1790 naquit à Philadelphie, alors placi'c
sous I'influence dcs Quakers. le pénitencier nloderne : la prison dc
Wrlnut Strect comportait des cellules, on y prodiguait dcs
cor-rscils rnorâux, lc travail y e<tait cnvisagé à la fois contnle Lln
nloycll dc réhabilitation et comme Lllle source de rcvenus pour la
prison elle-nrême et enfin, Inais c'est là un aspcct très important,
c'lracluc détenu faisait 1'objet d'un dossier complet et d'unc
otrseirvation approfondie. A cela s'ajoutait la reconnaissance de
l':rrrtonomie des autorités pc<nitentiaires, auxquelles la société
tli'léguait un < droit de punin professionnel pour le bien de tous.
I ):ur.s les prisons sont ainsi nris en place des systèmes dc
\rrrvcrllance totalc ct inintcrrompue. Le Panoptiron imaginé par
licrrtl-ranr est rapidcment adopté. Son dispositif architectural
,.rrrrl''rcnd un bâtirncnt périphérique en anneau et uue tour
t t'rrtialc depuis laqucllc chaquc cellule est placée sous le contrôlc
,l'rrrrc strrvéillance invisible. Les prisonniers, ne sachatlt pas quand
rrrr lr'S obscrve, doivent se contporter en permanence comme s'ils
, l.u('r)t survcillés : lcs bâtirnents compacts des ancielrnes prisons,
.rr lt's crinrincls étaient ( ensevelis > clans des ténèbres de pierrc
(( t l('uc pcux nr'cmpêchcr ici de penser au second acte du Fidelio
,1, Ileetlxrven, qr,ri met cn scène leur ascellsion vers la lumièrc)
',(,nt rcrrrplacés par dcs édificcs plus légers dans lesquels les
,lr'rt'rrus s()nt is()lés t:t sountis;) ttnc srtrvcillance permanente. La
,1r.,',rrrrrrl.rtit,rr.lu cachot fàit.rinsi placc à la transparence de la
,, llrrlt'.
lt)7
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DE LA CHAIRE
Mais Foucault ne s'arrête pas là. Il cherche à nous convaincre
que le panopticon dc Rentham, même s'il ne fut que rarement et
qu'imparfaitement réalisé, résume en fait de façon èxemplaire une
tendance fort répandue de la société bourgeoise qu'il qualifie de
tendance disciplinaire. Le panopticon n'est donc en somme qu'un
excmplc graphiquc du u panoptisme ,r (ternrc que Foucault utilise
en fait dans le titre d'un long chapitre qui couronne surueiller et
punir). De même que le < rêve politique ,r de la société
tra.ditionnelle, tel qu'il s'exprimait dans l'exil des lépreux, imagi-
nart une communauté pure, le rêve politique de la culture
bourgeoise moderne imagine une n société disciplinaire >. Son
pouvoir cst ur) moule qui englobc plusicurs institutions clé : proprement dite gr:âcc à un cnrploi du tcmps qui règle lcs activités
. ( ..) projeter les décor-rpages fins de la discipline sur I'espace confus
-1
de I'internement, le travailler avec les méthodes àe répartition analytique
du pouvoir, i'dividualiser les exclus, mais se servir des procédures
d'individualisation pour marquer les exclusions c'lest celà qui a été
opéré régulièremenr par le pouvoir disciplinairc- depuis lc début du
xtx" siècle : I'asile psychiatrique, le pénitencier, la maijon de correcrion,
l'établissement d'éducation surveillée, et pour une part les hôpitaux,
d'une façon généralc toutes les instances de contrôle individuel foncrior-
nent sur un double mode : celui du pârtage binaire et du marquage (fou
- non fou; dangereux - inoffensif ; normal - anormal) ; ef càui de
I'assignation coercitive, de ia répartition différentielle (qui il est; où il
doit être; par quoi le caractériser; comment le reconnaître; comment
exercer sur lui, de manière individuelle, une surveillance constanre,
ctc.) >n.
Pour arriver à cette discipline, quâtre conditions principales
doivent être remplies. La première est un art de répartition dans
I'espace. Elle,se manifeste le plus nettement dans les tèchniques de
séparation fonctionnelle, dont une illustration est fournie par
I'espace cellulaire d'abord expérimenté dans des hôpitaux miliiai-
res ou maritimes, comme à Rochefort, puis repris à I'Ecole
militaire de Paris, qui est également construite iur le modèle
monastique. Dans les deux cas il y a un lien étroit entre I'existence
de cellules et la surveillance. L'article de l'Encyclopédie sur la
< manufacture )) recommande également le recouis à-des surveil-
lants qualifiés comme méthodelndispensable dans la production
8. Ibid.. o.200-201.
108
TABLEAU DE LA SOCTÉTÉ CARC]ÉRAt,E
irrdustriellc. Foucault décrit le ionctionnemcnt dc la manufacture
d'Oberkampf àJouy (vcrs 1790) comrnt: un exenplc révélateur de
taylorismc avant la lettrc : la n manufac-ture D cst (( composée
d'une séric c'l'atcliers spécifiés selon clraque grar-rd type d'opcira-
tior.rs r (irnprimcurs, gravcurs, tcintr.rricrs, ctc.) qui sont tor.rs
placés sous urle survcillancc inrrnédiatc et attentive. Mais qi;r'il
comportt: oll non des ccllulcs, l'ide<al de I'cspace disciplinairc fait
son chemin. La cascrnc ct lc ocnsionnat sont conside<rés conlme
r.les moyens bcaucclup plus cffic,rccs r-n cc qui conccrnc ics soldats
ct lcs adolesccnts.
La discipline s'appuie cn sccond licu sur un contrôle de l'dctiuité
(luoticlictrnes des ouvricrs otr dcs pcnsi.lnnaircs r-t irnposc au
comportcment uner régularité qui afti:ctc -jusqu'aux ntouvemcnts
clu corps eux-mênres. Foucault insiste sur la façon dont sont
prcscrits, à l'âge classique, la position à adopter pour écrire, lcs
scstcs précis à accomplir pour portcr ct cl-rargcr des armes airrsi
cltrc I'articulation des rnouve merlts du corps à rcspectcr cr.r
tirnction dcs rythmes de la machine dans lc travail en usine. En
troisièrnc lieu la discipline repose sur I'cxercire : longte rnps
pratique religicuse qu'affectionnait lc mysticisme rhénan ou
I'ascétisme jésuite (on se souvient des < cxcrcices spirituels , dc
L.oyola), I'exercice cesse d'être simplcmcnt un moycn d'orclonncr
lc tcmps terrestre afin d'obtcnir le salut et devicnt un instmrnent
ptrissant dc o la technologie politique du corps ct dc la durée u qui
cst principalement utilisc< à I'arrnée et à l'écolc.
Lc quatrièrne instrument dc la discipline cst enfin la
< conrposition des forccs >, c'est-à-dirc la tactique. Les individus
cloivcnt ôtrc placés ou déplacés e1r groupc avcc beancoup
d'habileté ct de précision. Le- couralle' d'un individu dcvicnt ainsi
rrroins important, aux yeux du rnilitaire, quc le rôlc qr.rc joue son
t'orps lorsqu'il est combiné à d'autrcs avcc orclrc. I)es procédures
scrnblables caractérisent bien entendu I'usine et l'école.
l{éunis, la cellule et la forme, I'emploi du tcmps ct lcs codcs
qestuels, lcs cxcrciccs et la tactique crcient des u corps docilcs ir qui
constitticnt l'étotïc' dont est faite la société disciulinairc". Foucault
.r\',rncc unc thèsc historiqtrc inrportantc sclon laqucllc la clisciplirre
(lur, au départ, eitait ccnséc ncutraliscr des clarrgers en vint à jouer
() l)our ccs trois derniers paregraphcs. voir l-oucault, 1975, lll, I (p. 137-171).
109
 FOUCAUI-1' OU I,E NIHILISME DE LA CHAIRE
un rôle plus positif à mesure que l'Ancien Régime cédait le pas à
-discipline
la société bourgeoise modcrne . Autrefois la militairc
n'était conçue que conrme le moyen d'éviter le pillage ou les
désertions ; elle devint cnsuitc une méthode utilisée poui",tg.t."rr-
tcr les capacités des forces armées. Il en va de même de l'éèole et
du lieu de travail : I'organisation et la surveillance du travail qui
étaient au départ dcstinées à éviter le vol ou la pcrte de rnatièies
premières visa ensuite à améliorer les qualifications, les cadences
ct la-productivité. Ainsi les mêmes types de discipline acquirenr
des fonctions tout à tait nouvelies.
Mais cettc discipline qui se fonde sur ia surveillance a besoin
dc relais. L'observation hie<rarchique devienr donc la règlc à
I'usine (où elle est requise par la complexité de la divisio-n du
travail) co'me à l'école (où des élclves sont choisis pour être chefs
de classe), et plus encore dans les fbrces arrnrics. Foucault consacre
quelqucs pagcs à la description de la hiér;rrchie, de ce pouvoir de
surveillance, avant d'ajoutcr quc la société disciplinaiic ne fonc-
tionne pas
--seulement sur la base d'un contrôle et de règles
spécifiés. Elle a égalcment rccours à la < micropénalité > qui vise
à permettre un exarnen minutieux de la conduite :
u A l'atelier, à l'école, à I'arnréc se vit toute une micropénalité du
temps (retards, absences, interruption des tâches), de I'acriviié (inattcn-
tion,.'égligence, manque dc zèle), dc la rnanière d'êrre (impolitesse,
désobéissancc), des discours (bavardage, i'solence), du corps (attitudes
"irrcorrectes", gestcs non conformes, malpropreté), de la sexualité
(inrmodestie, indécence). En même tem[t eit utilisée. à titre de
punitions. rourc unc séric de proci'dés tubtilr. allant du châtinrent
physique léger à des privations mine'res et à de petites humiliations. Il
s'agit à la fois de rendre pé'alisables les fractions les plus ténues de la
conduite, et de donner une fonction punitive aux éléments en apparence
indifférents de l'appareil disciplinaire : à la limite, que rour puissè servrr
à punir la morndre chose; que chaque sujet se ti.rune pris dans une
univcrsalité punissablc-punissante u l't
toile_ d'araignée que tisse la discipline vise ainsi à généraliser
l'homo docilis donr a besoin une société < rationncll" u,1ffi.r."
< technique ll : une créature obeiissante, travailleuse, conscien- "t
cicuse et utile pouvant se plier à toutes les tactiqtres modernes de
1O. Ihid.. p. 180-181.
ll{)
'r-ABLEAU DE LA sor;rÉrÉ c;nnr;ÉnRr-t
procluction et cle conrbat. Finalenrcnt la principalc façcln d'clbtcnir
cettc docilité c'est cxerccr unc prcssion nrorale contitluc. clr
comparant sans arrêt les bous aLlx maLlvais citol'errs. jeunes or.r
adultcs. En cffc't la < sanction norrnalisatrice ,r prclfite à la
tlisciplirre. La socic<té bourgeoise engendre unc obscssion de la
llorrne qui se mar-rifcstc depuis les n écolcs nornralcs , jusqu'aux
nornles dc production qlle I'on s'attache à respecter dans I'indus-
trie et aux normes eénérales de santé dont sc préoccupe I'hôpital
ltlooc'rl1c.
Sanction nornralisatricc ct surveillance hiérarchiquc sont à
I'truvre de façon particulie\rement évidente dans lcs exarnenslr.
I-cs cipreuves d'exanren sont aLl c<rur de la discipline, dont ellcs
constituent I'unc des procédures les plus ritualisées préciséntent
t)rrrce qlle s',v trouvcnt conrbinés de façon extrênrentcnt étroitc
lrcsoin d'clbserver et dc survciller et droit de punir. Nulle part
;rillcurs la supcrpositiorr du pouvoir et du savoir n'atteint une aussi
parfaite visibilité. Mais I'cxarnen dépasse le cadre des épreuves
tl'eramerr. Foucault notc qu'il a été irrtégré dans la pratiqur.
rr.re:dicalc en vigueur dans I'hôpital r.noderne et que, d'une façon
plus générale, dossiers t:t rapports sont utilisés dans un très grand
rronibrc de secteurs de l'activité sociale. Puis il soulisne que la
trlnscription de la vie hunraine a changé de fonction : il existe une
opposition entre la chror.rique, qui nret I'accent sur I'héroïque et
strr lc rnémorable, et le dossier, qui n-resure le degré de soumission
ou dc déviation par rapport à une norr-ne. Affirnrant quc lcs
nréthodes disciplinaire s <r abaisscnt lc seuil de I'individualité
rlcscriptive u en substituant à I'ancêtre rnémorable I'homnre
t-elculable, Foucault suggère à deux reprises que les sciences
sociales sont nées avec le regard objcctivant de I'examen discipli-
rrairc et normalisateur. Le berccau des scicnces de l'homme st:
tr()uve pcut-être dans les archives < ignobles ,> de I'observation
,.'linique et pénitentiaire; ce sont les rnéthodes panoptiques dc la
société disciplinaire qui ont rcndu possible ces science s dc
I'horrrme . < L'honrme connaissable (âme , individualité,
, onscicnce, concluite, peu irnporte ici) est I'cffe't-objet de cet
nrvcstissenrent analytique, de cette domination-obsc-rvation,rl2.
l)ans son dernier chapitre, consacré à la naissance de 1a prison
Ittid. , p 1 116-196.
thil. , p 193 et 112
ll l
 FOUC)AULT OU LE NI}{II-ISME DE LA CFIAIRE
modcnre (c'cst-à-dire à la prison dans la prenrière rnoitié du
xrx" sièclc), Foucault se proposL' de considérer le pénitencier du
point de vue de cette socio-épistémologie de la discipline. Il nous
ir-rvite à réfléchir sr.rr les critiques monotoncs fbrnrulées à I'encon-
tre dc la prison, que I'on accuse de ne réussir ni à empêcher la
criminalité ni à corriser les criminels. Ne devrious-nous pas. dit-
il. renverscr lc problème ? Lcs questions qui rcstcnc lorigte nrps
sans réponse sont souvent de rnauvaises qLlestions. Ii se peut
qu'après tout la prison n'ait pas échoué, mais qu'elle n'ait réussi
quc 1à où on nc chcrchait pas à ce qu'elle réussisse. Les prisons
lr'ol1t Das tant échoué dans leur tentative d'élimination de la
crinrinàlité que réussi à ;t'ahriquer des délinquants, et non pas
sinrplement au sens empirique, c'est-à-dire en encoLrragearrt tarlt
de socit'fclcs scelcris :rlors qu'orr attcndait cl'clles qn'clles fassent
(ruvrc de rc<habilitation, mais précisc<nlcrnt dans la perspective du
rapport pouvoir-savoir : les priscrns recouvrent des systèmes
punitifs qui sont, selon Foucault, moins destinés à supprimer les
infractions qu'o à lcs distinguer, à les distribuer, à les utiliser u ;
ellcs u tendent à aménager la transgression des lois dans une
tactiquc ge<nérale des assujettissements rrll.
Foucault n'y va prs par quatre chemins : r)ous sorrnrcs les
héritiers d'élans et d'institutions oui ont commencé à se manifcs-
tcr ,.'n pleirre apcrgric de la société bourgeoisc ct cn t;nt que tcls
nolrs vrvons sous < le règne universel du normatif ,r, sous la
donrination de ces agents de la normalité et de la surveillance que
sont le profèsseur-itrge, le nrédecin-juge, l'éclucateur-juge et le
< travailleur social >-juge. Un tel monde social constitue de toute
évidence un < réseau carcéral D sous des <, formes corrrpactes ou
disséminées >. Alors quejadis le criminel était, au nrême titre que
le péchcur, un hors-l:r-loi, il en va tout différcrnment du
délinquant qui vit au royaume dc la disciplinc: : n il est, et même
dès le départ, dans la loi, au cæur même de la loi, ou du moins
cn plein milieu de ces nrécanismes qr"ri font passer insensiblement
de la discipline à la loi, de la déviation à I'infraction >. Le
( systènle carcéral ,r s'étend donc n bien au-delà dc I'emprisonne-
ment légal o; la prison n'est au lond que sa n fclrmc pure >, à
I'intérieur d'un continuum de dispositifs disciplinaires et d'institu-
tions < régionales r. < l)ans sa tbnction, ce pouvoir dc punir n'est
13. Lbit.. o.2-73 et27J.
112
I'ABLEAU DE, LA SOCIETE (]ARC-ERALE
pas essentiellcment différent de celui de guérir ou d'éduquer )), et
rllns le nrêrne ordrc d'idées < qrâcc au continuum carcéral,
I'instance qui condarnnc se glisse parnri toutes celles qui col-Itrô-
lcnt, trarrsfbrnlent, corrigent, améliorent. (...) l. généralité carcé-
nle, cn jouant dans totrtc l'épaisseur du corps social ,, nrêle ( sans
ccsse I'art de rectifier à I'art dc punir nr+. Et ainsi de suite, ad
ttdusc(ttn, jusqr-r'au sommet d'c<loqucncc si souvent cité sur lequcl
s'achc\ve le chapitre sur le panoptisnrc : < Quoi d'étonnant si la
prison rcssenrble aux usincs, aux écoles, alrx casertres, au.\
irôpit:r.,x, qui tous rcssemblent aux prisons ? 015.
En tant qu'oLrvragc d'histoire (philosophique) Surreiller et
lttntir cst nroins auclaciettx qtte Les tnots t't /e-ç rltoscs nrais conticnt
rur-rssi moins d'erreurs. La quatrièrnc et dernière partie, cotrsacrée
) lrr naissalrce de la prison proprcnrctlt dite, a été largerncnt pcrçuc
('()lnnrc unc retombée un peu bâclée par rapport à l'éloqr-rence dc
< [)ant>ptisrne r. Mais cn gcinc<ral Foucault c'st à présetrt beaucoup
1'tltrs prudcnt. Ainsi ne s'aventnre-t-i1 plus à mettre aussi ne'tte-
rrrent I'accent sur I'existence de rupturcs absolues. Il a en fait
bcaucorip à dire sr-rr les transitiolls et les contilluités qui relient une
période à unc autre, conrn-re par exemple lorsqu'il décrit les
précédents dcs dispositifs clisciplinaircs (cf. ci-dcssus). Il suffit dc:
lire la digression savolrreuse dans laquelle il analyse le rôle quc
jouc clans la nrythologie historique le personnage de Napoléon,
( p()int de jonction de l'e-xercice monarchique et ritucl dc la
souveraineté ct dc I'exercice hiérarchique et perlrranent de la
tlisciplinc indéflnic ,rt-, pour prendre cortsciencc de la finesse avec
l:rquclle Michel Foncault, le maître de la césure, peut percevoir les
tr;rnsitions. Il n'oublie pas norl plus, cettc fois, d'assigner de
l)r'udentes limitcs à sa géographie de la France, évitant ainsi I'un
rlcs c<cueils les olus béants dans lesquels il était tombé dans
l'Ilistoire de ta iolic conlmc dans Le-, nâts et lcs rltose-s ; le manque
,lt' différenciation géographique des principaux concepts histori-
(plcs utilise<s". Sa vision cst parfi;is véritablement pénétrante tout
(rr rcstant prochc de I'histoirc ctrrpirique, comme dans le cas des
lrrùvcs rcnrarques que lui sugrcrc l.r réforme carcérale rnise en
(r uvrc sous Leuis-Philippc. Alors cn cffet que Charles Lucas (quc
I1 li'r,i , p. 3tlil-31()
| ' ll,il . p. 229.
Ir' lltil., p.2l().
I l).ur unc borrrrc r:ritrque de cct.rspect de L'-ç rrot-c et /r,ç rloscs voir Pclorson, 1970.
113
 FOUCAULT OU I-E NIHII-ISME DE LA CHAIRE
Foucault cite souvent) inspire le modèle monastique de la
r< maison centralc > fondé sur lc travail en commun et le silencc
absolu, Tocqueville se prononce avec d'autres en faveur du
régime d'isolemcnt total appliqué cn Pennsylvanie. La vague de
révoltes qtri secoue les prisclns à la suite dc I'adopticln de maisons
ccntrales et I'agitation générale que connaît la Francc au début des
années 1840 aboutit à la victoirc dcs ségrégationnistes, jusqu'à ce
quc leurs options soient rejetées en 1847 par un congrès péniten-
tiaire'". Ce passage. qui figure humblement dans une notc dc bas
de page, nous perrxet d'entrevoir une ( autre ,> Naissance de la
prison, nroins théâtrale, rnoins rhétorique, mais non rnoins
fascinante pour autant.
Hélas cette autre histoire ne devait pas voir le jour. Foucault
préGre assurément lc dramc idéologique aux contingenccs capri-
cieuscs de I'histoire réelle. Sa condamnation de la montée de la
bourgeoisic est à cet égard caractéristique :
< Historiquement, le processus par lequel la bourgeoisie est devenue
âu cours du xvtII" siècle la classe politiquement dominante s'est abrité
derrie\re la mise en place d'un cadre juridique explicite, codé, formelle-
ment égalitaire, et à travers I'organisation d'un régime de type
parlernentaire et représentatif. Mais le développeûrent et la généralisa-
tion des dispositifs disciplinaircs ont constitué I'autre versânt, obscur, de
ces proccssus. La forme juridique générale qui garantissait un système
dc droits en principe égalitaires était sous-tendue par ces mécanismes
menus, quotidiens et physiques, par tous ces systèmes de micro-pouvoir
cssentiellement inégalitaires et dissymétriques que constituent les disci-
plines. (..-) L" contrat pouvait bien être imagine< comme fondement idéal
du droit et du pouvoir politique; le panoptisme constituait le procédé
technique, universellement répandu, de la coercition ,rIe.
La bourgeoisie impose donc deux poids et deux mcsures dans
le domaine pénal. D'une part elle promeut la réforme du système
pénal dans son propre intérêt : la codification du droit, la référence
à la notion de justice pour ce qui est des jugements, à celle de
critères rationnels pour peser les preuves, la présomption d'inno-
cence et I'existence d'une correspondance raisonnable entre crirnc
ct peine, tout cela joue en faveur d'une classe supérieure instruitc,
1[J. Foucatr]t. 1975. p. 21ll.
1\t. Ibid., p. T7.
114
TAIILEAU DE LA socrÉrÉ cancÉnare
.jalouse de ses droits et qui possède richesse, prestige er infltrencc
politiquc_.- Mais cctte rnême classe dominante-invente par ailleurs
la surveillance, I'emprisonnernent ct un nombre incaiculable de
procédés répressits de façon à contenir: I'agitation sociale et à
cntraîncr la main-d'æuvre au travail.
Clcs deux scénarios sont vrais à plus d'un égard. Mais la façon
ckrrrt Foucault envisage I'ensemble du procesJus est simplement
tr.p ma'ichéennc. Pourquoi I'histoire dcvrait-clle choiiir enrrc
I'imagc angéliquc d'un ordrc bourgeois démocratico-libéral, pur
clc toutc domination de classe, et le tableau infi-'rnal d'irne
cocrcition.omrripréscnte ? Les faits historiques ne reflètent-ils pas
rrrrc réalitc< mélangée où les tendances libôrtaircs et égalisatrrccs
côtoient les manifestations d'un pouvoir dc classe et d'ùnc culture
clominante ?
Mais l'écrasement de la bourgeoisie ne constitue pas, nous
I':rvons vu, le message essentiel du livre. Les coupi les plus
violcnts sont portés. nol) pas tanr à la bourgeoisie q,,rt"t'r"
Lumic\res, ce terme désigrrant non seulement unc époque nrais
arrssi un phénomène à long ternle, une évolution cultureilc qui se
p.ursuit encore aujourd'hui : les Lumièrcs, c'est la modeinité.
(lommentant les remarques d'un contemporain de Bentham sur
lc panoptique Foucault s'embarque dans unc antithèse entre la
société antique qui était < une civilisation du spectacle ) et notrc
socid'té qui n't:st pas une société du spectacle mais de la
srrrvcillancc. L)ans un rnonde qui n'a plus pour centre la
(.()nlmunauté et la vie publique rnais où il y a d'une part des
irrciividus ct de I'aurre I'Etat, les relations obéisscnt à uni forme
rlul cst exactement I'inverse du spectacle. Nous sommes beau-
,,rup rnoins grecs que nous nous'plaisons à le croire, nous dit
Ir.uca'lt. Notre u grande abstraction de l'écharge u cache en iait
rrrr cntraînement forcené dcs corps à être des forces utiles et
rrr:rnipulablcs. Nos vastes circuits de communication sont au
\('rvicc de la centralisation (sic) du savoir et chez nous ( le ieu des
\rrlncs définit lcs ancrages du pouvoir >.
l)orrr Foucault le pr-rnitif et le carcéral sonr en dernière analvse
rrrt.qrc<s à quelque chose qui participe de leur nature r"rr, èt..
neccssalremcnt associé à la prison le o disciplinaire u, qui
-
r.rrstitue I'cssencc nrôrne dc la civilisation moderne. c'est'la
rris.'pour laquellc son livre parle finalcment beaucoup prus de
l.r discipline que de la punition. La base sur laquelie rcpose
115
 FOUCAULT OU LE NIFIILISME DË LA CHAIRE
lrlaissance de la prison c'cst donc 7a Kulturkritik, et c'est ce qui
constitue pourtant l'élément le moins convaincant du livre. Ce
que Foucault nous offrc c'est en effet une explication marcusicnne
du xvtu" siècle, une caricature historique éhontée faisant des
Lumières une époque d'intériorisation dê l'inhumanité rrès sem-
blable à celle qui, pour Marcuse, constitue l'essence de notre
proprc culture <r unidimensionnelle n.
Mais si I'anathème quc lancc Foucault n'cst pas entièrement
original il contient ccpendant dcs ingrédients nouveaux, dont
deux méritent qu'on s'y attarde. En bon structuraliste (mênte si
c'est à son corps défendant) Foucault rcfuse de voir dans le mal,
c'est-à-dire dans le panoptisme, le simple effet d'une infrastruc-
ture socio-économique donnée. Surueiller et pttnir contient trois ou
quatre références à Marx. La plus importante figure aux pages
222-223, dans un long paragraphe qui constitue un cheËd'cruvre
d'équivoque théorique et où Foucault affirnre à la fois a) que dans
le décollage économique de I'Occident I'accumulation dôs hom-
mes à force de méthodes disciplinaires et I'accumulation du capital
décrite par Marx ne peuvent pas êtrc séparées ; b) que le
développcment du capitalismc a donné naissance au pouvoir
disciplinaire et que pollrtant les techniques auxquelles a recours ce
dernier ( peuvent être (niiscs) en æuvrc à travers des régimes
politiques (...) très divers ,>, et c) que < la projection nrassive des
méthocles militaires sur I'organisation industrielle )> e st un
< exemple > de I'influence des < schémas de pouvoir > sur la
division caoitaliste du travail.
En d'zutres termes choisissez I'interprétation qui vous
convient. Mais bicn cntendu Foucault préférerait que son propre
gauchisme ne trébuche pas sur cette pierre d'achoppement que
constitue le détermirrisme économique ou techno-éconorniquc.
Cornme I'a fort justement remarqué I'historienJacqLtes Léonard2('
son nratérialisme le conduit à y substituerT'accent sur le corps. On
pourrait en fait dire que Surueiller et punir est le premier livre qui
s'efTorce d'un bout à l'autre de proposer une généalogie (c'est-à-
dire une réduction nietzschéenne des formes d'action ou de
connaissance à des figures de la volonté de pr.rissance) en termes
fortement somatiques. Foucault le dit explicitement, son propos
est de faire I'histoire politique du corps.
20. Léonerd ln Perrot, 1980, p. 19.
116
TABLEAU DE LA socrÉTÉ cancÉnarn
Mais aussi de l'âme. Il considère en eftèt sa < rnicrophvsi,lue
tlu pouvoir punitif )) comme un élc(ment important dc la
généalogie de l'< âme > modcrne2l. Polémiquanr contre le
lnatérialisme grossier il atTrme que c'est un. .r.du. manifestc de
dire que l'âme n'est qu'une illusion ou un effet dc I'idéologie. Atr
contraire elle existe bel et bien car elle est prodrrite perdrrren.e
"n
chcz ceux qui sont punis, surveillés, corrigés et contrôlés. L'âme,
rréc des procédures de survcillance et de contrainte, t:st à la fois
u cffct et instrument d'une anatomie politique >. Elle est la
( prison du corps ,22. Dans l'Antiquité lè jeu âe mors favori des
qnostiques était ( sllna sema ù, la tombe-corps (de 1'âme).
l:()u('ault, l'anarchistc libertin lqui fait pcrrdant' à Barthes, i.
lrbcrtin anarchiste), le retourne et affirme que dans la société
t'ercérale c'est l'âme qui emprisonne le corps. Notre liberté c'est
rrotre vie physique qui n'est pas colonisée par lcs règles socialcs.
l;oucault se rapproche ainsi un instant des < machines à désir > de
('ct autrc éminent néo-nietzschéen qu'est Gilles Deleuze (L'Anti-
(l:dipe , 1972).
I)ar cet accent qu'il met strr l'< âme, comnre produit de la
société (et qui est pour lui la même chose que la psyché, la
t'onscience, la subjectivité, la personnalité, I'individualité, la
t'onscience et_ tutti quanti) Foucault réaffirme le culturalisme qui
('st au cceur de son radicalisnrc politique. Surveiller et punir parut
:rltirs que son auteur s'était déjà affirmé comme un militant de la
rr:firrme des prisons et un théoricien fondamentalement sympa-
tlris:rnt dc la révolte gauchistc tellc qu'ellc explosa cn 19b8.
l).trrtant dans sa façon de rester à la gauche de la gauche il réussit
.r conserver une perspective nietzschéenne. Malgré tout ce qu'il
lx'r.lt y avoir d'accents libertins il n'y a rien de < naturiste > chez
l;oucault, sa critique de la culture disciplinaire ne présuppose ni
Ir.rrrmc naturel ni bon sauvage. contrairement à celle de Marcuse
lt KulturkririË de Foucault n'est pas une fluerre qu'il livre au nom
,lt's instincts naturels. c'est là que réside la grosse dif{érence entre
l'.rilc romantique et I'aile nietzschéenne du mouvement anti-
Irrrnières ainsi que le premier des aspects novateurs de la
-
t r rtiquc culturelle de Foucault.
Lc sccond point sur lequel il se montre original c'est dans son
'l lr()ucault, 1975, p. 31.
'' tbitl.. o. 34.
tt7
 FOUCAUI- OU LE NIHILISMF] DÈ LA CHAIRE
intérêt pour la connaissancc, qui prend ici la fbrme d'un intérêt
pour les râpports savoir-pourquoi. Ecoutons-le : < Il faut (...)
admettre que lc pouvoir produit du s;rvoir (ct pas simplement en
le favorisant parce qu'il lc serr oll cn I'appliquant parce qu'il est
utile) ; que pouvoir et savoir s'impliquent directement I'rln
I'autre; qu'il n'y a pas de relation de pouvoir sans collsrirution
corrélative d'un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et
ne constitue en mênre tcmps des relations de pouvoir urr. Il s'agit
là, unc fois dc plus, d'un propos très nietzschéen. On pcut donc
finalement dire quc Foucault applique la leçon de Nictischc à urr
phénomène quc nous a rcndu farnilier I'avancée gc<nérale des
the\ses de ce que I'on appellc le marxismc occidcntal (c'est-à-dire
essentiellemcnt celui de Lukàcs et dc la premièrc génération de
l'Ecole de Francfort), à savoir la fusion de la critique sociale (la
condarnnation dc la société bourgeoise) et d'une position contre-
culturcllc (le grand refus de la civilisation rnodernc). Un exemerl
plus attentif révèle cependant que les choses ne sont pas si simples.
Nietzsche et lcs nietzschécns de la premièrc heure (comme
Spengler par cxemple) accusaic-'nt la culture moderne d'être
décadente. Les nouveaux nietzschécns français, marqués qu'ils
sont par I'impact du marxisme, I'accusent d'êtrc répressive. Ce
qui pour Nictzsche définissait la culture moderne c'était son
lnanque de vitalité. Cc qui le caractc<rise pour Foucault, tout
commc pour Adorno ou pour Marcusc, c'est qu'elle est coerci-
tive. Comme les marxistes Foucault prend le parti des victimes,
ce qui constitue une position tout à fait contraire à celle de
Nietzsche. En outre ce dernier n'al'ait aucune aversion pour lcs
Lumières, loin de là. Dans cleux de ses (ruvres au moins, Aurore
(1U81) et Le pai savoir (1882), il rend hommage à leur csprit
critique. Dans Surueiller et punir Foucauit se révèle au contraire
être un adversaire feroce dcs Lumièrcs, rellouant avec I'hostilité
qu'il lenr avait manifesté dans l'Histoire de la folie (alors que Les
mots et les choses est beaucoup plus neutre, sans doute parce qu'il
y traite l'âge classique en bloc).
Ainsi Foucault suit au fond Nietzsche dans sa vision de la
réalité (la vérité n'existe pas, il n'y a que des interprétations) mais
pas dans sd uision de l'histoire. Ou plutôt ce qu'il emprunte à
Nietzsche en ce qui concerne I'histoire c'cst simplemcnt unc
23. lhid., p 32.
118
TÀBLEAU DE LA sctclÉrÉ cancÉnalE
pcrspective formelle ; la génÉ.alogic, c'est-à-dire le problème dc
l'érncrgencc et dc I'originc cles phénonrèncs culturcls. La généaio-
gic clonne des fonctions nouvcllcs à dcs formes culturellcs
;rnciennes, commr: lorsque les le<proserics sont transfbrmécs cn
;rsiles ou les ccllules rnonastiques en cachors. La gcincialogic c(claire
lc pragmatisme de I'histoirc, cette capacitc< qu'a l'hôrnrnc de
vLrrser un vrn nouveau dans de vicilles bor,rteilles culturelles. et
lricr cntendu elle voit tout r/r.r point de uue du pouuttir, ravalant la
itlriti à nc jouer qu un rôlc d'arrxiliairc- ou dc masquc de la
(l()ntlnatlon. -
[.u comûlc un manifcstc contrc-culturcl nietzschéen oll
rrrarxo-nietzschéen Suryeiller et punir apparaît donc comnlc un
()uvragc d'histoire partisan certes, mais ne<anmoins passionnant.
Mais qu'en dire si on le lit simplemcnt sous I'angle historique ?
(]tr'il comporte trois failles. Premièremenr Foucault semblc se
trolnpcr sur certains cles faits lcs plus i'rportants sur lesquels il se
firnclc. Les historiens se sont plaints, par excnrple, qr.r" toute la
prtriodc révolutionnairc soit très largcment absentc du récit de
lroucault. Peut-être éprouvait-il une aversion structuraliste rrop
irrtransigeante pour I'histoire évc<nementiclle (bien qu'il flirte avec-
('('ttc notion dans L'archêologie du sauoir), mais quoi qu'il en soir,
son silence sur la Reivolution française cn tant que phase spécifique
tlc l'histoire pénale le conduit à nc<gligcr le rôle que celle-ci joua
tl:rrrs certains changements fondamentaux. Comme le rappellc
Lconard I'horrcur qui fut éprouvée après la Terreur pour les
t'fiirsions de sang iut un faceur psychologique de première
unportance dans la substitution de I'incarcération à l'< èclat dcs
>. D'autre part si le Code pénal institué par Napoléon
'rrpplices
('r) lB10 améliorait le systènre clc détention instauré par les
,rsscrnblées révolutionnaircs, il rétablissait aussi des châfiments
lrorrtcux comme la rnarquc, le carcan ou même I'amputation du
l)()lsrrct, peines cruelles qui ne furent pas abolies avant la
M.rr.rrclric dc Juillct.
ll se trouve que je possèdc une affiche destinée à assurcr la
I'rrblicité d'un jugement rcndu par la cour d'assises du départe-
rrrt'nt du Nord au conrs de l'été 1813 et condamnant un certain
lr.rrrçois Mouquet, ouvrier dc son état, à cinq ans de prison plus
l,'s dcpcns ct une heure dc carcan sur la place principald de Douai.
t )r lc crime haineux dont s'était rcndu coupable cc pauvre
Motrtluct se re<duisait, comme I'indiquc I'affichc en qros caractè-
t19
 I-()UCAULT OU LE NI}IILISME DE LÀ CHAIRE
rcs, à avoir volé deux mouchoirs dans un estaminet ! Cet épisode
qui montre la férocité avec laquelle la bourgeoisie
-réprimait ce gernrebien
de délits à ceme époque, c'esr-à-dire à la veille
de la naissance du personnage de Jean Valjean immortalisé par
Victor Hugo dans Les ArIisérables nlet I'accent sur deux aspects
quc minimtse Surueiller et punir- ; le fait que des éléments du
système pénal dc I'Ancien Régime aient longtemps survécu dans
cc que Foucault présente comnle unc < société disciplinaire u très
nettement post-traditionnclle, et lc développement concret d'une
justice de classe distincte de I'ordre bourgeois largement indifté-
rcncié auqnel le livre fait allusion.
Léonard met le doigt sur au moirrs trois autres omissions.
I)'abord Foucault n'établit aucllne distinction entre les différentes
catégorie s de détenus (prisonniers politiques, meurtriers,
ouvriers, soldats récalcitrants, prostituées, etc.), pas plus qu'il
n'cntreprend de sociologic des juges et des avocats. Er-r deuxiéme
lieu il surestime les effets dc la < normalisation u de la société
française au cours de la prernière moitié du siècle dernier. Les
historiens de I'armée, dc l'enseignement et de la médecinc ne
pcuvent guère adhérer au tableau que fait Foucault d'une
discipline envahissant l'ensernble de ces secteurs : ils sont trop
conscients de la résistance des vieilles habitudes et de la fréquente
inrpr"rissance de tant de règles édictées. I)e même les recherches
sur I'histoirc- du travail aboutissent à nuancer sérieusement la
description <r tayloriste u que fait Foucauk de I'activité industrielle
normalisée ; l'économie de la France était alors encore très
largenrent dorninée par I'agriculture et par I'artisanat et il fallut
longtenrps pour que soit adoptée dans les usines une pleine
differenciation des tâches. Enfin on peut estimer que Foucault ne
met pas assez l'accent sur I'origine ét la niotivation rcligieuse de
borr rrorrrbre dc tcchniclues d'cxcrcice ou dc rites d'exclùsion qui
figurent dans sorr catalogue des disciplines2a.
A cc stadc jc suis tenté d'ajouter une alltre pomme de discorde
possiblc : I'histoire de la pensée pédagogiq.,.. 1" n'ai pu rrouver
auclrlre citatiorr dcl'Ërnile ou de Pestalozzt dans surueiller et ounir.
Or comme chacnn sait la frn du xvrrr' sièc]e fut une pêriode
d'cffervescence pédagogique, dans une direction principale-
ment e<mancipatrice et humanitaire. I)ans I'une de ses notes
f4. Léorrarcl. loc. dt.. D. 1l-12.
120
TABr-EAU DE r.A sot:lÉrÉ cancÉnRrs
cle bas de page Foucault fait référencc à l'ouvrage érudit de
G. Snyders intitulé La pédagogie en France aux xvtf et xv.rrf' siècles
(re65).
Mais il n'utilise en aucune façori l'opposition (largemenr
étayée sur des documents) que Snyders établit enrrc la u pédago-
gic de la surveillance ll qui prédominait au xvu" siècle et les
rrouvelles méthodes ( naturelles > d'enseigncment et d'apprentis-
sagc qui apparaissent progrcssiventeltt au cours du siècle des
L.unières. Si, pour les besoins du raisonnernent, nous acceptons
la dcscription de l'école bourgeoise comme miroir de la prison, du
rnoins devrait-on mentionner quc cet c-nseigncnent n carcéral >
tltinrt'ntait au licu dc la réaliscr unt'grande partic dc la penséc dcs
Lurnières en matière éducative.
La seconde grande {àille que comporte Surueiller et punir c'cst
rrroins I'erreur sur les faits qu'une évaluation disproportionnéc dcs
données historiques. Ce qui est visé ici c'est principalement la
vision qu'a Foucault du réformisme des L.urnic\rcs. Nous avons
vu qu'il l'interprète comme une entreprise qui a tout dll tota-
litarisme, sauf le nonl. Ceci ne correspond ceperrclant pas
eu jugcment des historiens et je ne songe pas cn disant ccla
i quclque chose d'aussi naïf - quc les explications el1 termes
tlc progrès. Prenons I'exemple de Franco Venturi qui, après
:rvoir consacré toutc une vie à des recherches novatrices sur le
sic\cle dcs Lumières vcnait de publier, quelques années avant lc
livre de Foucault sur la naissancc de la prison. Lur oLrvrase
rrragrrifique intitulé Settecento rilormatore : ,là Murutori a Beccai'ia
(1 e6e).
Cesare Beccaria, que I'orr qualifie souvent de père de la
pdnologie, est unanimement considéré comme la figure clé du
réfbrnrisme pénal éclairé. Son fameux traité Dei delitti e delle pene
(l)es détits etles peines), publié en 1765 alors que son aurcur n'avait
l):ls encore trente ans et qui fut salué par Voltaire colnme par la
plLrpart des autres philosophes des Lumières, constitua une
r tlférence essentielle dans toute I'Europe bicn au-delà du début du
sir\clc suivant. C'est pourquoi Foucault le cite une demi-douzalne
tle tbis. Or dans le cycle de conférences qu'il fit à Cambridge (ct
,ltrrrt le texte parut ultérieurement, en 1971, sous le titrc (isltpia
'trrd Re-form in the Enlightenment) Venturi choisit d'étudier la
tlrrcstion du réfbrmisme c<cl:iiré du point de vuc du < droit de
lrrrnir >. Inévitablement ce chapitre est centré sur I'accueil que
t21
 T]0UCAIJI,'T. ()U LE NII,IILISME DE tA CHAIRE
reçurcirt en Europc les idécs cle Beccaria. Si nous gardorrs son
analysc présentc e' nrémoire nous nc tarderons pa"s à prerrdre
conscicnce qyc- qtrelquc' chose cloche dans le tabl.a,.., quc fait
Foucault de I'idc<ologic pénale du xvrrr" siècle.
Venttrri n'cssaic nullcrncnt de cacher les aspects rrarfbis
dc<plaisants du rêvc social des Lur'ières. Il pr..*.r'pl.
rrnc proposition dist'rètc Jc I'abbct Morellct 'rcrtionnË
visanr à iransfirrnicr
les forçats cn véritables esclaves qui, err tant que tels, scraient
utilisés à des fi's de procréation, ce qui coinportcr"it dcux
avantagcs : d'unc part ccla_auqnrcntcrait l.r main-d'crtrvre disporri-
ble ct d'autrc parr cela rc<futeiait les prd'jugés concernant les vices
< héréditaires ))... rlcccaria lui-mêmè và jirsqu'à recomrnancler la
cruauté des rrava'x forcés. l)ans le dessin pàr lequel il illustre la
troisième rééditio' (en r-rn a' seulement !) di sotr iirr.e figure une
déesse de la justicr' ('nrprunta't I'attitude <ic MinervË (la loi
comnre sagcsse). Mais tandis que cettc Minervc-justice détourne
des yeux horrificrs dr:s têtcs cluelui .ffrc le bourrea"u, elle consicière
d'un rcgard st'^rriant plusicurs des instruments utilisés da's les
travaux iorcés : pellcs, scics, etc. Ileccaria cst cepenclant loirr
d'inrasiner I'activisnre discipli'airc et I'i'gérence dci autorités, à
quclque niveau qu'clles se situent, qui iaractérisent la société
carcérale de Foucau-lr. Il csrime que juristes et lésislateurs
< doivcrrt gouverner la vie et le sort dcs hômmes e'trcÀblant u.
Vc'turi rappclle quc'c'est-à lui que le rerme < socialiste > fut por,rr
la première fbis appliqué dans r.rnc langr-re moderne. Le tcrmciati'
< sociaiista > avait ccrres e<tc< appliqué par un bé'édicti' allemand,
4":_.llt. Desing, aux rhéoricicns du droit naturel qui, tel Pufen_
dorf, faisaient de la socialittrs ou i'stinct social de I'irornme la basc
du droit naturel. Mais. quand Fcrnando Facchinei, qui critiq'e
rlcccaria de façon virulenre, cmploie ce moi en italieï en 17ô5,
celui-ci prcnd un scns tout à fait difïérent : il s'appliquc à trn
autcur qui veut u'c société d'hommes libres et égauxrs. ce
bicn entend.g que beaucoup plus rard, à une époque qui dépasse ''cst
lc cadrc cle l'ét*dc dc ve'turi, que les saint-sim.n'ienide gar_rche
forgèrent lc substa'tif u socialiiïne )), qu'ils liôrent à la îotron
d'u'e régularion ce.tralc cle l'éconornie. cc qui importe cepen-
/) Ventnri, 1971, p 103-105. \'cnturr sr'rt<li.rc ir cc quc tlit Ha's Mtiller daris Llrsprun!
und (')csthithte
'les \l'orlt: So:lali.irnrr. r trul ,viner Vcnt,dtultn, Hanovrc. 1e67. à
u
propos clc I'risage lltin f,nt.;rirur dc < socillistc u.
122
TABLEAU I)Ë LA IÊTE (]AR(]ERAI-E
claut ici cr'cst quc le principal partis;ul clc la rc<forme pétrale c<tait
:rrrinré par des idées libertaires ct égalitaristcs. Il cst clonc diffr-
cile d'envisager que la façon dclnt lcs Lttmiùrcs cclncevaient la
pcinc rclevait d'une firi horriblc dans les vcrtus dc la discipline.
l)iderot estimait que les projets de Bcccaria n'étaient qu'tlnc
rrtr>pie irréalisable (alors qu'crr fàit bcaucoup d'cntre cux étatcttt
,.li'1à appliqués, ct cn particulier dans 1'Empire austro-hottgrois,
sirron cn Francc). l)'Alcnrbcrt vrtttatt l'htrmanite profbnde
,lc la pénologic de lJecclria. Ii est paracioxal quc Fotrcault, en
lirnitrrrt scs quelques citatiorrs à l'aspect utihtaristc c1.:1)c/ tlelitti t
rltllt'pt:ttc, se rangt: du côté clc ccrir c1ui, comnrc Voltaire, s'effor-
ei'rcnt cle donncr unc itttcrprétation strictetnr'nt < technitlue u,
t''cst-à-dirc non sociologiquc /et etrcore mciitrs < socialistc ,r),
ti'une cruvrc qui c<tait appcléc à avoir urre tcllc postérité et Lutc
tcllc influence. L'urilitarisrne dc lJcc'c:arir. qui était sutlisarnrnetrt
prrissant por:r trrire dc lui I'ttn des principaur précurseurs de
llt'rrth:rrn, n'était pas du tout incornpatiblc (nor-r pltrs que celui
tlc llcrrthanr) avec une porsél'fortcntcnt libertaire ct philantropi-
qrrc. Conrne le reconnaît Vetrturi, en pratique la plupart des
pr(Uets de rc<ftrrme peinalc imagineis à h firr du xvtrr' sic\clc
rrrôiaient I'humanitarisnrc art calcul économique et à des restcs
dc cnrauté ancicntre transnrttcls en fornrcs nouvclles, pltts ration-
rrcllcsl6. Mris pas ph.rs lui clu'aucun ;rutrc historien de rcnom
ti'ctcirliste dc cctte périocle ne sug{e\re un scul instant que ce qui
('irractérise lc nrieur les Lumières c'cst une pulsion disciplinaire
rru rllvsatt te.
l-e troisie\ntc type clc taillc que conrportc Surueiller et punir
r'['sicle enfin dans Ia ttrture dcs explicatiotr-r proposées. Ainsi l'r-rn
.lcs buts principaux de Foitcault esr dc lnoutrcr por-rrqtroi
I'incarcération dans les pénitorcrcrs firt si vitc Jcceptée pJr tous.
A frrè'r tout si I'incarcération avait étc< écartée par plusieurs
rclirrrnateurs du systènre pénal, conlment se tàit-il qu'clle triom-
plr:r partotrt si rapidement ? La réponse dc Foucault cst double. Il
,rf flrure que a/ la prison disciplinairc fâisait clcs détenus une main-
,l'cuvre utilc c:t que 6l de toutcs fàçons des institutions sembla-
irlcs étaicnt déjà à l'cruvre tlans cl'ar-ttrcs sectellrs (l'arrnée, I'usine,
l'lrôpital, I'c<cole). La réponse (a) rejettc la rcsponsabilité du
r.ntrôlc de c:lasse sur la Lrourgcoisic alors etr plein essor et la
'r, \ {.nnrn. ,,p. ,rt., p. Il-1.
123
 FOUCAUI,T OU LE NIHILISME DE LA CHAIRE
réponse (trl accuse la culture moderne dans son
incarnée dans les Lumières, d'avoir sécrété la < société carcérale >.
Le problc\rn-e esr qre si la prison résulte dc la domi'ation de classe
rl taut exphqucr conlment ellc est entrée en vigueur presquc
simultanér'ent dans dcs pays dont lcs srrucrures dé classe étaiônt
très diflérentes27. Po^urquoi en particulier est-elle apparue pour la
prenrière fois à la fin du xvlrr' er au début du ïrx' siôcle en
Amérique alo.rs que de toute évidence la lutte des classes v étatt
Deaucoup morns vlve et beaucoup moins répandue qu'en Europe ?
Par ailleurs, comme le remarque fort justénent R-obert Brown,
la description que fait Foucault du syitèrnc < carcérar ,r ne rend
nullcmcnt cornpte de son introduction dans cles domaines instrtu-
tionneis différcnts et en particulier dans ceux qui, comme dans le
cas de l'école ou I'usine, ne constituerlt pas normalement des
< institutions totales )) au sens où Erving Goffman utilise ce
ternlc. c'est-à-dirc nc sont pas cn principc dôs cspaccs institution-
nels coupés de la société dans sôn eniemble. bes critiques de
Foucault comme Brown sont tout à fait prêrs à concédei que le
propos de Foucault n'est pas, err dernière analyse, de nlature
explicative. Mais alors, rérorquenr-ils, i1 ne dcvrait pas non plus
poser lcs questions qu'il pose sur I'extension â",
-<rdèI.,
disciplinaires dans la société moderne.
, Il n'en reste pas moins q'e môme si I'on met à part la question
de I'exactitude historique les explications dc Foïcault ionr e'
elles-mêmes viciées. comme liobserve Karel williarns avec
bca-ucoup de
,perspicacité, son type d'a'alyse tend constamment
à être circulaire, c'est-à-dire que les conclusions sont déjà
présentcs au début de la démonstration28. En d'autres termes sa
méthode présuppose résolues les qucstions qui sont posées.
Jon
Elstcr montre que Foucault tombe dans cette u' recher-che
obsession'elle du sens r Qui sous-tend souvent les pseudo-
e-xplications exprirnées en termes de conséquences. Selon Elster
l''ne de:s origines de cette recherche du ôe's à tout prix esr
théologique : on la rrouve dans la théodicéc de Leibniz, dont I'idée
essentielle est quc le mal et la souffrance doivent ôtre considérés
comme des conditions causales nécessaires à I'existence du
27. Pour cctte critiquc,_voir le compte rendu de Robert Brown sur surueiiler et punir,
Timt: I .irrrary Supplemrnt, lr, jurn lV7X.
28. (-[. I'artrcle de K. Wil]iarns srir Foucault dans Wintlc. 1981.
124
TAtsLEAU DE I,A SOCIF]'I'F CARCEIIAI,Ë
ensemble, meilleur des mondes possibles. Quand par cxemplc l'école
fonctionnaliste en matière dc théoric sociologique du conflit
affirme que les conflits qui existcnt entrc lcs structurcs bureaucra-
tiques et en leur sein même les protègent du ritualisme et de la
sclérose nolls sommes en préscnce du mêrne type dc raisonnc-
rncnt défe:ctuellx qui part dcs conséquences de ce qu'il vcut
dérnontrcr. Or nous avons vu quc Foucault affirmc quc nous
dcvons cesser de nous intcrrogcr sur I'incapacité dc la prison à
cn-rpêcher la criminalité et à corriger celrx qui s'en rendent
coupables, et prcndrc conscience du fait que son ve<ritable but est
précisémcnt dc produirc ct d'entrctenir la délinquance cn cncoLrra-
ucar-rt implicitcmcnt la rc<cidive ct er1 transformant lc coupablc
occasionnel cn crimincl invétéré. Bicn que le style rhétoriquc dc
Foucault suggère plutôt qu'il n'c-xposc scs cxpliéatiotrs en tèrmes
clc conséqucnccs, son raisonncmcnt inrplique quc la qucstion < à
qr"roi bon ? D à quoi scrvcnt lcs prisons 2 n'ssg pas seulcmcnt
-
rrn guidc heuristique parmi tant d'autres -mais une voic d'accès
privilégiéc à la véritable raison d'ôtrc des prisons2". Lt: problènre
r''cst qlle les explications téléologiqucs de cc typc ne relèvcnt bien
cntendu pas de I'authcntiqLre analyse causale. Elles nc font quc
supposer I'existcncc dc car-rses sans d(:montrer I'existencc d'un
cluerlconque mécanismc causal. D'où lcur circularité ct le fait
tltr'clles supposent déjà résolues lcs qucstions qu'cllcs posent.
Il cst notoire que Foucault ne déguise pas scs explications
téléologiqucs en invoquant la notion d'agent. Mais il n'écarti: pas
rron plus cornplc\tement la possibilité d'une action planifiéc. Plus
tl'trn critique a rcmarqué sorr usagc fréquent dcs verbes pronomi-
rr;rux, du vaguc pronoln (( on ) et d'autrcs tournures verbales qui
Irri évitent d'imputer des proccssus sociaux à tels ou tels indiviclus
spécifiques sans pour autant exclure cornplètement que cela soit
possible. Léonarcl fait rnouche lorsqu'il déclare : u On ne sait pas
trirs bicn si M. Foucault décrit une machine ou unc machina-
titrrr u:r0. A la fin de Surueiller et punir le < carcéral > ct l'< archipel
,:rrcéral > (cette dernière expression faisant sans doute écho à
Soljénitsinc) sont sans arrôt personnifiés. Dc telles prosopopées
sonf le châtiment d'une faiblesse invétérée du structuralismc qui,
l,,rr le biais de I'action et de I'intention, évite I'analyse. Il sernble
", I.l\lcr. 1,J83. p. l{rl_1il5.
!tr Leionard. lot. tit.. t>. 11.
125
 I

FOUCAULT OU LE NIHII-ISME DE LA CTIATRE

que I'on doive obligatoircnrent eicarter la notio' d'age't, de peur

de tomber darrs la nrétaphysique du sujet (commà si les âeux Chapitre I
allaient nc<cessairement de pair). Mais e' fàit le gauchisme
foucaldie' de 1975 évire sans la la notio' d'agent,llattant e'
'icr
quelquc sorte ai'si lc goirt de I'extrôme gauche plur lcs théorics
LA ( CRATOI-OG IE t
-
envisageant l'histoirc en tcrrnes de conrplot.

DE TTOLICAL]LT :
/

I)ans la dcrnière pagc dc Surueillu et puttir Foucault son-

liqnc que u ie pouvoir clc norrnalisation D lt cst pas sculcrncnt
cxcrcé par la prison mais aussi par ies rnécanismcs srlciaux quc
n()us avons mis cn placc pour pr()curc-r la santé, la connaissancc
ct lc confort. Par conséqucnt, ajoutc-t-il, < la fabrication dc I'indi-
i, idu disciplinaire r> rlc reposc pas sculement sur les
rrrstitutions de répression, dc rcjct ct de rnargirralisation. Le
t :rrcéral transccndc: la prison. L'étudc de la prison devait donc
obligatoirernent débouchcr sur une anatolnic du pouvoir social
,l.rrrs sorr crrscnrblc ct nous emcncr irrévitrblcmint à rcperrscr
r)()trc.conccpt même de pouvoir. ll n'cst donc pas c,tonnant que
t.rirt dc tcxtes et d'intervicws de Foucault datant du rnilieu iles
.rrrrrricssoixante-dix concerncnt le problèmc dcs f'ormes modernes
,lt' clomination.
lln sc penchant sur la généalogic du sujct rnodcrnc, Foucault
,lcfinit automatiquemcnt un angle d'approche qui lie incxtricable-
n)cnt savoir et pouvoir. Ainsi sa quôtc du sujct moclcrne à travers
't's fbrmcs dc savoir, ses pratiqucs ct ses discours devart-cllc ôtrc
t t'rrtréc sur ce qu'ii appclle lc pouuttir-sat'rtit", adoptant le point dc
vrrc nictzschécn sclon lcqucl tor.rrc volonté de vérité est déjà unc
l()nlle dc la volonté de puissancc. Et plus il creusc son étrrde dcs
'plrùres de la connaissancc pratique sur le sujct plus il dc<couvre de

126 t:/
 FOI.J(JAULT OU LE NIHII-ISME DE LA CHAIRE
technolopies du moi à analyser. comme le notc colin clordor,
Foucault finit par detvclopper rlne conception du pouvoir <, qui
pcut tout :rutant prcndre la formc d'urre subjectivation qui ccllc,
d'une objectivation or. Le moi cornrne outil du pouvoir, conlmc
produit dc Ia domil)arion pluti'r quc conrmc instiunrent dc libcrté
individucllc, voilà quel devient lc thèrne pri'cipal de F.ucault
apri's Srrrut'illtr ct punir.
Conrme je'I'ai déjà indiqué toure cetrc problérnatiqr_re présLrp-
posc une refonte du conccpt dc pouvoir. En un mot ellc
présupposc une théori e du pouuttir prttductif La théoric dcs
pratiqlles discursives dévcloppéc da:ns L'archéologie tlu sauoir eï,
clans l-'ordre du discours restait liéc à urre vision trop négative dtr
pouvoir qui rncttait I'accent sur la contrainte, I'interdit, I'exclu-
sion. A partir de Surueiller et punir ct:t acccnt se déplace . Foucault
signale à prése't : << Il fàu-t cesscr de tor-rjours décrire les cfïets dc
ponvoir cn termcs négatifi : il "excltrt", il "réprimc", il "refoule",
il "abstrait", il "masquc", il "cache". En fàit le pouvoir produit;
il produit d' récl ; il pr.cluit dcs dorrrairres d'objcts ct dés ritucls
dc véritc<. L'individu ct la connaissance qu!on pcut en prcndrcr
relèvent dc cettc production ,r2.
Foucault étaic son argument contrc les théories re<prcssives du
pouvoir par une question rhétorique dont la strltcture logiquc est
aralosue à sa pscudo-cxplication téléolonique de la survivancc des
prisons en de<pit de leur échec à empêcher la criminalité ; cn effet
si lc pouvoir n'est quc réprcssif, cornmcnt sc fait-il que les
rclations de pouvoir'e soient pas bcaucoup plus i'stables qu'clles
nc lc sonf ? Tr:aduction : la cause du pouvoir est sa capacité à faire
alltre chose que réprinrcr, de rnême que la cause de 1à survivance
de la prison cst sa capacité à tàire autre chose que d'échoucr à
cmpêcher la criminalité.
. Dans <, Le sujct et le pouvoir > (publié en posrfacc au livre que
lui consacrcnt l)rcyfus ct Rabinow) Foucault expose quel est son
but : étr-rdier le < commcrlt , du pouvoir non prr iu sens de
( comrnent se manifestc-t-il ? > rnais de < par quels moyens
s'exercc-t-il ? ,. Mais cc qu'il ajoute cnsuitc i.r'a .icn d'original
pour ceux qui connaisscnt bicn la littératurc analytique sur le
l. V_trirlepirstfacecle clolirrGordonàC. (iordon t't,tl.,ltou't'r/Knotttledge, Brighton, Thc
Harvcsrcr Prcss. 1960. o. 239.
2. f'oucauit.1975. p. 196.'
128
I,A ( CRA OLOGIE D DE FoUCAULT' : SR'rrrÉt)rrIE DU POUVOIR
1.ro.rvoir, depuis Weber: jusqr_r'à plusieurs philos.phes, politolo_
gues et socrologues contcmporairrs; ainsi par excmple lorsque
li'ucault << révc\le )), sur un ton assez sc_-lrtcntiéux, qu'à proprcment
lrarlcr lc pouvoir s'exerce sur les autres, n()n sur le^s chises,'c'est-à-
rlirc qu'il est afïaire dc clomination et non dc capacité. Il pre'cl
:russi la peine de souligner que lc pouvoir agit sur nos actes r-r,'rn
Pas sur rlos corps! conlnre le f ait la simplc violence physique "t. r< Le
Pouvoir s'excrce sculement sur des sujets librcs t",ti"-etrt dans
l:r rnesure où ils sont librcs. ,r cela ...t", "ttrès éclaira't ! l-e
rfr.it romain ne disait-il pas : t(ractus"tt tamen ttaluit, c'est-à-dire la
rorrtraintc implique la liberté? clet cxercice pompcux consisrant
,r d...cr dcs définitions élc<mcntaires csr sornûle toute asscz
('ilr)uycux et de plus il nc nons apprcnd ricn que nous ne- sachrons
tlrlji : la pe'sée radicale, qtiand elic pren<i la peine de substitucr la
'tiHc.ri.r à la rhétorique, re fait bicn souvent que cle<couvrir des
( ()ntir)cnts depuis longterrps cxplorés !
lr.rrc:ault devient plus intércssant lorsqu'il affirme que l'exer-
t rt't' tlu pcluvoir n'cst ni violencc ni conscltte nrent mais .., toutc .r,-r.
\l.u('ture d'actions qui fait pression sur d'autres actions r par
l'rrrtit:rtion, ia séductiorl ou ( dans les cas extrêm., o ori l"
' ' )rrrr'.lir)rc ct l'irrrcrditi. Ccla cst plus intércssant. mlis aussi
tt rriblcrnent imprécis. commcut assimiler, en tcrrncs d'analvse
l,r.rtitltrc, le pouvoir à ( toute unt: structure d'actions , ? Orr voit
l,rr'rr .ir fjo'cault veut en vcnir: au vieux {àntôrne marxiste de la
" .'tfr('ture clc pcluvoir ,r alimentéc par un ensemble d'intérôts de
,l.rssc hypostasiés. Ma-is alors q''il c'hoisisse, car soit on anaryse
lr f r.11v1;i1 en termes d'actions, soit on évoque de tellcs totalirés.
( ,'tlrri cst impossiblc c'est d'avoir à la fois libeurre et |arsent du
1,, q1;11'.
Qtrc l'orr veuillc bicn n()ter qrrcje rre dis pas quc lianalysc
( rr rcnncs dc classe ou l'étude du pouvoir dans ies
rapports avcc
l( ('orrce'pr dc classe sont impossiblcs. cc qui csr inte;Air, si l'on
't'trt laire cle
r.rrrrplcment
I'analvse et non pas lanci.r des slosans, c'est
dc prétendre que I'on cst sur la voic de I'analyse avec
tlcs conccprs aussi peu précis (et peut-êtrc irnprricisables) que celui
tlt,' < ;qutc unc structurc d'actions u. En effct la premièrc diose que
l'.rr puisse dire c'cst que, à supposer quc de teir.orr..pts puissent
;:rurais ôtrc utilisés, cc serait dc toute évidencc dans àes iherories
,rfîrnrant que lc por-rvoir < sc nranifèste )). et nott pas darrs des
\ ( f-. Lc-icu de Michcl Foucauk, ()rnitar, l0 (luillct 1977).
129
 IJOUCAULf' I-}1 NIIIII,ISN/TE I)E I-A AIRT:
théirrics rzisant à nrontrer ratiorrnciienlcnt prir qtrtls tnoyctrs
s'exercc dans lcs flits. Or noLls llvol)s 1,,u qLlc Ftruc:rult cicartait
çrre rnic\rcs.
Lc te.xtc clc clettx conti<rcnccs ckrnnécs en jarrvier l()7(t,:t,
rnitialcrtrcrrt ptrbliées (or italicn) dans rccucil intitulé ,\,hcro.fisica dc!
poterc (1977) est à ccrtains t<glrcls bc:rucoup pltrs enrichissant.
Foucault y établrt urrc clistirrction cntre diftércntcs thciorics du
pou,,'oir. I1 y a d'abor.l la tircioric u dcononrique ,r, que l'on
rctrorl\'c-;\ la tbis clans ic libéralisnrc ct cians lc rrrarxisnrc ct qlrl
cnvisagc ic polrvoir coTnnre qtrclclue chosc qnc I'on pcut posseidcr
ou aliéncr. connrc un bien. L.e préstrpposé tixrclnmental de ccttc
thcioric est que sort [e pouvoir socill sLrit lc rnoclc\lc d'une
transaction ,juridiquc inrpliqrrant llrL ,jcharrsc contractr.rel (vcrsir-lrr
libtrralc orr ,, .juriclicluc u). soit il cst fônction clc la clonrin:rtion
d'unc cllssc, elle-nrûrnc firndée sur lt: ct.riitrôle cics f actcurs éconti-
nriclr:es (vcrsion urarxiste). Mais il v n aussi rrnc the<oric ( l1()lr
écotrotliquc u, qui afïntrc cluc ic pour.oir r)'est p:ls anaktguc li ll
richcssc, c'cst-à-dirc qu'il 1r'trLrvrc p:rs csscltticlienrcnt à la
reprociuction cle rapports écotrornique s rnais c:onstittrc ph:tôt
( av:Inf t()Ltt ulr r"lpport dc firrcc ,. (l'cst la visiorr qu en ollt
Ilcgcl, Frcnd et Wilhchn l{eich. Nous avons clelià ir-rdiqrrt'
pourqrrcri Fouclult critirluc ccrtc thr<oric répressivc clu potivoir.
Enfin une trclisièmc ptrsition crrvrsiiqc lc pouvclir n()n pas clr
tcrrllcs éc<lnomiqncs on riprcssifs rrrais colune une- .qrrcrrc. < I-c
por-rvoir ,r, alfirnrc Foucar-rlt cn rcn\/crsirnt la celc\brc tonnulc dc
Ciauscr,vitz. u c'est ia gucrrc. urlc gucrrc pourstrivic par d'ar.rtres
ntoycns >. Plus prr<cisc<mcnt lc pouvoir, à i'intéricur d'une société
dotrnéc, c'est < une lutte nruettr- )), ullc gucrrc civile silerrcieusc ct
secrète qui réinscrit lc conflit dans ciifièrcntcs < institutions
s<lciales. ilans les inég:rlité:; éconorrriqucs, clrrns lc l:rngaqe, clans lc
corDs nrême dc clracr:n d'cntrc r.rous ,u.
Foucault tinit ccpu-rdant par déclarcr qr-re ics dcur visions rron
c<conomiclucs clti pouvoir, théoric re<prcssivc otr rcichicnltc ct
the<oric dc la gucrre qr:'il attribuc à Nietzschc. sont conrpatiblcs
ct nrêrr-re < liécs >. ll nous invitc à cclrrsidérer ll rclprcssiolt contnlc
< la ré:riisatiorr, à I'intérietrr clcs luttcs colrtinucllcs qne corrnaît
'1. I'ottr t()Lli.c pf,rir{r.iph( ct scs titrtiolrs voir Michel ['our'.ruit. .\liLrolisrtd dtl potrrt,
l-trrin, [iirtrrrtli.1977. Lr vcrsiorr irrrrr'.rise !le.c fc:\tc, pubhét prr L,inrucir crr 197S,
n tv.irlt pu ltrc corisulti'c. ic tt'x{c dc lrorre.rult e Jté rctrrclLrit i irartir tlc st trt(luatt()n
attgf rrsc thns (lolin (;()rdon t't d!.. l'uttriKn()l/'i((/(c, ()p. (lL, p. S7-9{). t\'. r/l l.l
130
Li\ (.RAt'()t.()(;IË )) t()u( SA'I'}IF,ORIN I)U P() I.J VOIR
fcttc pscudo-paix (c'cst-à-clirc l'état norrnal dc Ia socicitc<), d'rin
r.rl\f()rt dc tor(.c pcrpitrrcl "t. L, rr'prcssiotr t'sr tiorrc rpri's torrt
rticllc, rnais cllc n cst clu'un ctïct rncitrit cirr ponvoir. Apparcnr-
nlLllt, clonc, lc çlotrvorr procltrit D ctt ttt(rt.ttc tcrnps qg'il
(1
,, réprinrc )), nlais il prociuit avant dc réprinrer, cssenticllcnrcnt
l):lrcc quc ccur qu'il rciprinrc (les indiviclus) sont derjà dans unc
lrrrqc rncsurc scs ( procltrits ,
Lc tcxtc dcs c<tnft'rellccs rcproduit clans Nlicro.fisica dt,l potera tlut
lLr crr italie atr déb.t clc l'arnic 1t)76. Un rlt plus tard. i'rtcrrosé
l);rr Luccttc Firras;rr>lrr lc conr;rtc clc I-a Quin:aine littérairc à
l)rop()s c1c la publication ch,r prcmicr voltrrrrc dc sor-r Histoire de lt:t
,c.rttdlité, Foucault alfirnrc u Jc crois quc lc pcluvoir nc se
'
( ()r)stnlit pas à partir de "volontc(s'' (individucllc:s ou cclllcctivcs),
rot1 l.1111 clrr'il rrc dérivc d'irrtcri'ts. Lc porrvtlir sc (.onstruit ('t
lirrrcticrnrre,- à pertir dc pourroirs. dc rnuititudcs de questions et
rl'r'ficts de pou'r>irs u". Quclclrrcs scrnaircs plus t.rrd il dciclare ar.r
\rrrr/('1 ()hst'r,r'dtt,ur quc cc qu'il tcntc dc dc<couvrir c'cst u cc qu'il
l)r'Llt,v:rr,'oir clc pltrs caché dans lcs relatiorrs dc pouvoir u clui sotrs-
r('lr(ic't lcs rclations écilnorniqucs ct clu'il velrt ( les suivrc dans
It'.rs formcs ron sculcnrcnt étatiqtrcs rnais i.rfia-citatiques.u
1r:rr.r-cltaticlues u7. L)ans lc chapitrc du prcmicr volume de l;Histovc
rlt Id si')cttolif1, qu'rl co'sacrc :\ I'crposc< dc sa méthode, Foucault
trt'rrt lc po.uvoir pour..( tlr.nniprriscnt D lloll parcc qu'il o cnglobe
l()ttt D tnais parcc qu'il < vicr.rt clc partout ))x-
Il scrnblc quc nous soyorls ici cn prr<sencc cle la fusion de clcux
l)f()bla'rncs. I)'une part a) cn proclallant I'ubiquité du pouvoir
l'()ucitllt rrc scr.nblc afîrnrcr ricn d'autre quc I'idéc plausible sclon
l.rrlLrcllc le pouvoir s'érencl à la plupart dcs sectcuri dc la société,
l('s rrlpports dc pouvoir cxistant bicn cntendu dans pratiquemcnt
r()utcs lcs sphe\res de la vie. I)'autrc part b) For_rcault cxclmptc lc
l,,rrrvoir dc I'analyse cn tcrmcs d'action (lucunc r,olttntci, ar',cune
ilrtcntlon, aucun rntérôt nc nous aidcra jarnais à cornprendre le
l)()uvoir). ()r b) nc découic nullcnrent dc a). llcconrraître que le
Irorrvoir cst pcut-ôtrc cn effct présent part()ut nc nous conduit pas
à nous dcibarrasscr de- la notion d'ir)tcntion er
rrt:t r.'ssaircrlrcnt
,l'rrrti'rôt lorsque nous i'étudions. LJn nrauvais cxernplc de phobic
, ll'r,;., p. t)l-t)1.
(.t. l.,t ()lit:aint,irlrirdtrt, j-+7 f1''-15 llnvrer 1977).
{ I /, \,,1,,, I t tl,,,t,',,,, i/,, i r nt,u l'r71. 1: lrrr.
i lt\Lr..rLrlt. lr)76. o 122.
1.i1
 FOt.]CAULT OU LE NILIILISME DE I-A CFIAIIIII
du sujct structuraliste a été couplr< avt:c ia saine pronrcsse d'une
:uralyse du pouvoir social.
Pour êtrc juste arrec Foucault il faut reconnaître qu'ii parvicnt
par.litis (darrs ics comnrcntaircs qu'il Iàit sur son typc d'analyse et
norr clans ses études historiques) à donner un sells véritablcment
empirique à tous ccs discours contre ic sujct. En vcnant au fàit de
situations spécifiqucs sur lesquellcs on possc\de beaucoup de
docurncnts, il affirmc quc dans de tels cas les intcrprdtations en
ternlcs dc signification, d'intérôt ct d'intcntion subjectifs ne sont
pas applicables. I)ans un texte intitulé ( Le jcr-r de Michel
Fcrucar-tlt > (()rnicar, n" 10, 1977), il err donnc nn cxcmplc : < A
partir dcs années 1 825- 1u30 on vclit apparaîtrc localcment (. . . ) des
stratégics bicn définics pour fixcr lcs ouvricrs dcs premie\res
industries lourdes à l'endroit même or"l ils travaillent. (. ) A
Mulhousc ou dans lc nord dc lar Francc (. ) on fait prcssion sur
lcs gcns pour qu'ils sc maricnt, on fburnit dcs logements, or1
construit dcs cités ouvric\rcs. on pratiquc ce svstèrne rusé
d'cndcttcment dont parle Marx, et qui consiste à fàire paycr Jc
loyer d'avance alors que lc salaire n'est versé qu'à la fin du mois.
Il y a aussi un systèrnc dc caissc tl'épargne, d'endettenent à la
consomnlation avec des épiciers ou des marchands de vin qui nc
sont que les agents du patron, etc. ,
En sornme on essaie par tous les nroyens de retenir l'ouvricr
cn lui ofliant des conditions de vie et de travaii déccntcs et
routinières. Ces stratégies sont considérablement rer-rforcécs par
des initiatives qui partent d'idées complètemcnt ditlérentes,
conlme par excmple les actions philanthropiclues dcstinées à aider
lc:s classcs laboricuses et à améliorer lcur n"roraiité ou les mesures
€îouvernenrentales qui étendent le résear.r scolairc. Bicn que les
objectifs poursuivis soient différents, le schéma qu'ils suggèrent
cst le même : c'est cclui dc: la soumission dcs ouvriers. Aurre
exemplc : dcpuis la naissancc de la prison moderne, les magistrats
olrt souvcnt dû accepter I'cxpertise psychiatrique que rcndait
inévitable le chanqenrerrt des prcisupposés < humains > sur lesquels
rcpose lc systc\rrre punitif modcrnc. Là cncore un schéma
complcxc dc dominatior-r se crée sans quc I'on puisse définir r-rn
groupc précis d'actcurs qui veuillcnt le voir exister .Je fàçon clairc-
mcnt intentionnelle,
L'argnmcnt dc Foucault cst quc dans dc tcls cas I'historicn cst
confronté à o dc. néccssités stratégiqucs qui nt- sont pas e-\actc-
132
IA ( (]RATOLOGIE ) Dt] FOUCAUI,T: S.{ TI-IÉORIE T)U P()UV()IR
nlcnt des intérêts >. Orr aboutit finalenrent à des stratésies
tl'cusemble cornplexcs mais < cohérentes, rationnelles u, rnais il
rr'cst plus possible d'identificr la ou les personnes qui les ont
('onqucs. Il n'cst cependant pas facilc de voir pourquoi on doit
décrirc la situatior-r en ccs terncs. Ce qui ser-nble clalr c'est qu'il
v a clcs intérêts et des intcntions nrultiplcs, corlvergents. et ,nôme
plrfbis divergcnts, qui sont à l'æuvie. Mais il ie s'ensuir pas
(lu'unc analvsc fondéc sur lcs notions d'agcnt et d'inte<rôt soit
irnpossible, bien au contrairc:poLlr comprcndre cc qui se passc
orr cc: clui s'est passé, il nons faut toujours comprendre à quclle
irrtcntion de chaque âctcur ou grollpe d'acteurs a répondu tcl ou
tcl :rctc. Nous avons toujours bcsoin d'interpréter ics plans des
('r)trcprcnerlrs, les carnpagncs des philanthropes, les buts des
n);llf,lstrâts, ctc. Datrs tous lcs cas on sc rélèrc à un ou des agents
.rqissant par intérêt mônre s'il y a malentendu. Ce à quoi on ne se
rcti'rc sûrement pas c'cst :\ un grand sujet unique, la bourgcoisic,
tlrri agirait, tclle un nouvel Welt,geist hégélicn, derrièrc le dos des
Ir.rrr'rcs en chair et cr os qui ser;rient, cux, occupe<s à autrc chosc.
M:ris cl'abord le sociologr"rc à I'csprit empiriquc n'a jamais chcrché
.r tlécouvrir unc entité aussi mystéricuse. Une analyse er1 tcrmes
,lc clessc d'un tel monolithisme et d'une telle srossièrcté n'a
;.rrrr;ris été d'une grande utilité à la sociologic. coniraircnrcnt à ce
rlrri sc passc pour l'idéologic politique. La multitude des sujr-ts
('xlstâr)ts, qu'ils soicnt individuels ou < collectifs)), donnc
.rrnplcnrcnt dc quoi se ûtettrc sous la dent à qui veut expliquer dc
tt'ls processus sociaux. Lcs nombreux cxernplcs empiriqucs
rl'.rction sociale complexe se dc<veloppant dans le temps- (et
\ .r('colltpagnant sollvent dc toute une séric reflets secondaires ou
,lt' relsultats iron interntionncls) n'apportent donc pas d'cau au
nrorrlirr de ccux qui rcjettent a priori toute cxistencc du sr_rjet.
I Icureusement dans un tcxte postérieur auquel nous avons
,lt 1.r f.rit référcrrcc. . Lc sujct ct le porrvoir u, la détorrvertc tardivc
(lu('lc pouv<tir s'excrce sur des sujcts librcs semblc démcntir clcs
.r I lrrnrations inrprudentes dn style : < les individus sont les
rtilriculcs du pouvoir! r'lor1 son point d'application (...) I'individu
( \r rln ctTet du pcruvoihr'r. Mais I'intérêt véritable dc Microphysique
,ltr 1t1t111,11iy réside aillcurs: il tient à cc que Foucault tente d'y fairc
l',:lr:rtrche: d'une macrohistoirc du pouvoir. Ccs confércnces
) ( iirrrlon, l9ll0. p. 98 (Mitro.lisru Lltl potere).
| -1.)
 FOUCAULl'OU LE NIHILISME DE I,A CHAIRE
rcprcnnent en etïct, à un nivean plus général, lcs idées c1évelop-
pécs dans Surueillcr et punir sur l'évolution dcs systèmes dt:
DOuVOlr.
I)ans la société u féodale D. nous dit Foucault. le oouvoir
prenait principalenrcnt la fornrc de la souvcraincté ct sc liinrtait à
dcs < micanisrnes généraux ,r dc domination. Il avait alors < peu
dc prisc sur le détail >. Mais 1'âge classique invcnta dc nouve:rux
nrécanisnres de pouvoir dotés de n techniques dc procédure
hautement spécifiqr"rcs r> ainsi qire de nouvcau-\ illstrulnents et dc
Ilouvcaux dispositifs. LJn nouvcau type cle pouvoir apparaît, la
donrination clisciplinaire, qtri cst o I'une dcs grandes invcr-rtions de
ll socicite' bourgcoisc r. ( lorrtrair('lllcnt arr pouvoir souvcrairr qui
s'excrqait au hasard ct principalement ( slrr la tcrre e t ses
produits >, le ponvoir disciplinairc porte esscnticllcnrcnt sur ( lcs
corps humains et leurs opérations >. Au lieu d'êtrc sclumis à des
pre<le\vcmcnts fiscaux occ;rsionncls, I'homme modcrne est
constanlmcnt placé sotrs suru'cillancc"'. La sclciéte< carcérale cst
uc<c. Cornptc tenu dt: cettc nouvcllc fornrc que prend lc pouvoir,
de cc mode\lc u cratiquc ,> dc la société rnodernc, Foucault nous
exhorte à nous livrer à u une analysc ascenddnlc clu pouvoir,r, en
partant dcs < nrc<canisnres intnitc<simaux > qu'il empnlntc dans les
multiples aspects de la cultr"rrc dc r-ros socicités modcrncs- Dr<pein-
dre le pouvoir non pas à partir dtr haut, du centrc (u l'analysc
dcscendantc ,r) mais à partir dc son hurnble basc et de sa
pc<riphérie, voilà quel est lc programme de Foucault dans les
annc<es soixantc-dix. Ccla impliquc, cornrne il lc dit lui-mêrne,
d'envisagcr le pouvoir dans o scs formes plus "régionales" et plus
locaies o, jusque dans ses manifcstations les plus minuscules en ccs
points extrêmcs où il devient < capillairc o".
Non sculcn-rcnt le pouvoir rnocicrne est à la fois omniprésent
ct anonyme mais de plus il nous réduit tous, perirs cr grands,
gouvernés ct gouvernants, à n'ôtrc que de simples rouages dans
sa machinc. Cette idée est cxplicitée par Foucault dans sa préface:
à l'i'ditiorr fiançaisc dtt Panoptique de Bc:ntham, intitulée < L'æil du
pouvoinr, où il af1irmc que la caractéristique des sociétés mrses
cn place au xrxc siècle c'est le pouvoir comme <, lnachine où tout
lO. lhid., p. 1{)4-l{)5, et u L'rii du pç11ye1y D, prlif:cr à h trarllrcrion lianqrrse
p6noptiqut dcJererny IJenthanr. l)aris, tsclfixrci, lt)7?, p.16.
l1. Clordon, lt)8() (ltlitro.fisrca tltl pott:re), p. 99 ct 96.
134
I À ( (JRAT.OI,OGIË )) I)I] FOUCAULl. : SA T IIFORIL 1)U P()UVOIR
It'rrronde cst pris, aussi.iricn t--cux clui cxcrccnt lc pouvt>ir quc
('('ux sllr qui ce pouvoir s'excrcc ,>'t. Le problèrnc quc posaicnt les
t'pistérlès clc Foucault c'était, on s'cn souvicr-rt peut-ôtre, qu'clles
.rppirraissaicnt colnrrlc clc vc<ritablcs nrclr.rolithcs. En va-t-il dc
nrôrrrr: clc sa cr>nccption du pouvoir contntc ( structtLlre totalc dc
l'.rction ,> ? Lc couragcux clisciplc rtrarxisant clc Foucault qu'cst
t .olin Cordon nie résolun'rcnt qrr'il cn soit ainsi. Il cst conscicnt
,lrr fait que lcs lccteurs .lc Folrcar,ilt ()ltt souvcrlt I'imprcssion d'ôtrc
t'n préscnce d'un u systr\me paranoïaque hvpcr-rationalistc dans
l,'i1ucl lcs stratéeics-te chnologics-programnre s cln potrvoir sc
t olrfirnclcrrt dans un régimc monolithrquc de sournission sociale >.
M:ris cr- n'cst là clu'rln terriblc malentcncLr car < Foucault ciistinguc
rrr rs so<:iétc<s, qu'il qualifrc dc r/i-scip linaires , d'urre inraginairc
sot'iéti' disciplinée qui scrait peLrpiée dc sujets docilers, obéissants ct
rrtirnrllisés )>. Grlrdon s'efforcc d'cmpêcher qrrc I'on nc sc
rrrtiprcnlrc sLlr ic scns qu'il convicnt dc donner à I'affirrnatiorr clc
I otrcrrrrlt sclon laqucllc lc pouvoir cst ttnniprésuû : pour ltri cllc nc
srrtrriflc cn alrcLln c_as que les dispositils modcrncs de clomirration
st rrcrr t rtttttt iD ttt t:ilt s' t .
(lcrtains tcxtes de Foucault contiennent cn tait dcs dénésations
(lni \'()nt.llns cc scns. Mais ils.rborrJcrrt aussi cn aftlrnrrtrorrs
lrolistiqucs, colnrrlc le rrrontrcnt plusicurs dc nos citations.
(.ornnrcnt les lcctcurs pcuvent-ils c<vitcr d'avoir l'imprcssion
(lrr ()ll leur Cécrit un pouvoir monolithiqllc ct omnivore alors quc
potrr chaquc proposition sporadiquc rlui lcs rassure cn reconnais-
s.lnt (luc lc p<l.rvoir nc s'étend pas à toutcs les splières ils se
lrcrrrtcnt à dcs clizaincs d'exprcssions totalisantcs tclles qne
,, sociétc< discipiinairc r, < généralisation disciplinairc )), ( trlc:tique
ritirréralc dc sc'rurnission )), ( svstènre c:lrce<ral généralise< )),
,, t'rirrtirrutrm carcéral u, < tissrr carcéral clc la société D, ( société
,lt' strrvcillancc D, ctc. Comment pcuvcnt-ils écarter bicr-r volon-
trt'rs I'ic1éc d'une dorniltxtion ,ln',t.tipot.-ntc quaud on lcnr dit c1uc,
,l.rrrs lcur esscncc, lros écolcs, nos hôpitaux ct lros usincs sclnt dcs
irrrroirs dc ll prison ct qlt('nos vics sont cn tous points
" rr,'rrrrrlisrics ,, tlu br.rccf,r.l jrrsqu'à l.r tombc ? Apri's toui si cc
n'('st pas cc quc Foucault vcut dire, pourquoi diablc r.rc ccsse-t-il
i),rs tlc lc répcltcr? Pourquoi lrn écrivain qui s'crprilltc avcc tant de
clu
I I l.'rril .lu pouvoir, op. rtt., p.21 .
I j ( irrrrlorr in (irrdon, l9fl1), p. 216-21f ct 255.
r35
 FOUCAULT 0U LE NIHILISME DI] I-A CHAIITti
facilité est-il si maladroit ou si négligcnt qu'il induit cn errcur ses
lcctcurs sur un point aussi crucial ? Môrnc si l'on admct qu'il rcste
à dénagcr une analysc dc cettc rhc<torique dc la clénonciation
globale, ii fàrrt bicn rcconnaîtrc quc cctte analysc n'a jamais c<tr<
1àitc alors quc la rhétorique, clle, cst tout à fait surfaite.
C)n pcut donc dire quc l'une cies particularités dc l'anatomic du
pcrnvoir à laqucllc se livrc Foucault c'est sorr pûnuatisme, c'cst-à-
dirc la tcnclancc qu'ellc a cl'apparaîtrc commc une rc<dlrction
systénratiquc de tous lcs proccssr-rs sociaux à dcs schémas dc
rlominatiorr pcu précis. Or: du point dc vr-re clc I'analysc lc
pancr:rtisrne cst u11 handicap consiclérablc. E,n effct dire quc lc
pouvoir s'infiltrer dans toutc la société, ou même qu'unc fbrmc de
ponvoir inrprèene tous lcs principaux types dc rapports socilux
ce sont là dcr-rx prop<tsitions assez plausibles nc sisnific pas
-cluc dans la société tout, ou même - une certainc
tout cc qui revêt
irnportance, portc la nrarquc du pouvoir ct sc cléfinit par rapport
a lul.
En matièrc dc philosophic du clroit ccrtains critiqucs dc Kclscrr
l'ont bien compris. Alors quc sclon la théorie du droit rraditron-
rrellc la contraintc cst l'it$trument dc la loi. Hans Kclscn orétcnd
que lc cofltenu môme de la loi cst la réglcrncnratior.r dc li forcc.
Corrrnre il ie dit de façon imagéer (cf. Reine Rechtslehre , V, $ 1) on
ne dc:vrait jamais dire qr.rc quiconquc commet un acte illégal
u violc la loi , car c'cst au contrairc grâce aux actes iilicites quc la
loi accomplit sa tâche , qui e st esscnticllentent coercitivc
puisqu'clle consistc à réponcirc aux â*ions illégalcs par urlc
sanction efhcacc.
Lc problènc, conrrlt: I'a bien vu Ahonso Ruiz-Miguel, c'cst
qrlc pour assimiler tout ie cor)tcrlu fondamcntal clu droit à unc
forme réglcntentéc dc force ou dc contraintc il faut avoir recours
à une conception du pouvoir trop large. En principe prcsque tolls
les rappor:ts sociaux sc prôtcnt à être cnvis:rgés cn termes de
pouvoir. Par excmple on pcLrt très bicn intcrpréter Ic lâit quc la
loi exige quc sur tous lcs produits alimentaircs soit apposéc uner
citiquettc indiquant lcur clate limitc de consonrnration c()nlnlc une
prerlve du pouvoir dcs consonrmatcrlrs sur les prodrlcteurs, au
lieu dc n'y voir qu'une re<glcmcntation gouvcrnemcntalc impar-
tialc ct dc lntLlrc prophylactique. I)c rnôme o1r pcut lirc les
interdictions stipulécs par le droit à I'cncontre clcs profits illicites
c()nlme unc preuvLr dc la dornination exercéc par les hommes
t36
I.A ( CRA'fOI,OGIE )) I)E FOU(]ALII,T: SA'r'NÉtIRII] DU POUV(]IR
rl'af-faircs honnêtcs sur lcurs collègues moins irréprochablcs. l)ans
('ettc rnesure une théorie envisageant la société en termcs dc
l,ouv<>ir cst pratiquement irréfutablc nrais en mênre tcûrps clle n'a
ri.ùrc, ou pas du tout, dc valeur cognitivc. C.r'rnc [c concltrt
.rvcc sagcsse Ruiz-Migucl la rc<duction de
tout rapport social à un
r.rl)po_rt de pouvoir appatrvrit I'analyse parce qu'uu élargissement
rl.rrsii du,.co'ccpt dc pouvoir lui fait peràre prodnder,rr ct
'rrt:citicirrirr. Lc môrne défaut semble entacicr la descriptioll q'e
l.rit For-rcatrlt dr.r pouvoir social. l)ans ()ublier Fouca,rt çirill11êa,
ll:rrrcJrillardaffirmc; < Quand on parle tant de pouvoir, c,esi qu'il
rr'cst plus nulle part. D c)n pourrait tc[rt aussi bien r"totrrnc. l"
1'roposition et dirc qr-re plus on voit lc pouvoir partout, rnoins on
l)cut cn parler.
l)c fàçon curieuse, nais compre<hcnsiblc la philosophic politi-
tlrre cle Foucault rcflètc le soin qu'il met à clvitcr dc penser
l'lr.nrnrc en tant qu'agcnt, soin qui est le corollaire du rejet clu
s.ict qui caractérise I'cnsemble du stnrcturalismc. cornmc I'a
lricrr vrl Pctcr l)ews, Foucault vise u à dissoudre le licn
plril.sophiquc qlre la tradition rnarxisrc a hérité dc l'idéalisme
- conscicnce, réflexion sur soi ct libcrté,
,rllern;rnd cntre ct à nier
,Ir'rl rcstc-un porcnticl politique progressiste dans I'idéal du srlet
.rut()nome >. Au licrr direct sulet-liberté Foucault substitue < un
r'.rl)p()r_t dircct et sans équivoque cntre subjcctivation et sujé-
tio1l v l5. Foucault lui-mêmc tr" ,Îé.1"."-t-il pas"que < la conscience
( ()urnrc sùt:t cst prise, occupée par la bourgeoisie ul6?
A ses yeux
l,r ltrttc classc contre classe peut ct dclii s'cngagcr dans u'e
,, tlésrrbjcctivation o de la volonté de puissanc.,ti ''
Urr fossé séparc d.rc la co'ception qu'a Foucault de la libcrté
,lt'r'cllc qLl'en â I'idéalisr'c allerna'd. on pourrait ajouter que sur
( (' p()il)t Foucault ne sc rapprochc pas
davantagc dcJ iclées
" .t'ciclertales ,r (par opp.sition aux idées allemandis). c). peut
, rr t lli't dirr' qtr'il cxiste.(rd-{so modo trois grandcs conceptions dc
l.r libcrtc< .historiqucment activcs dans la pensée politiquc
rrr.tlcrnc : I'idée allcmande (pour empruntcr ltétiquette que iui
,rt t rrlc. Léonar-dKriege'r) qui repose sur la réflexion et lc déuiloppe-
ttr.trt d( -soi ; I'idée lockéenne, qui fonde la liberté sur I'indépen-
I I ltLriu-Mrgucl, 1983, p. 292.
| , l)t'r,s. 19tt.1. p. tlû87.
l,' ( | I t. iuttllccrucls cr l(.p()uvorr. ,,r. ,i/.
I r r l',rr-Jt.l:r lc I'icrr.r lc irrrl, .4,ru;t, l4 (lt)llJ.
t37
 FOUCJAUI,T OU t-E NIHILISME DE I-A CHAIRE
darrce ct \t sécurifé, c'est-à-dirc sur I'absence d'opprcssion ct
d'ingérencc arbitrairc; ct l'idéc rousseauiste, dans laquellc la
libcrté cst conçuc, à l'antiquc, conlme autonomic et autodéternri-
nation. Pour le:s Allcmands, ct surtout pour Fichte et Hegel, la
liberté t-'st avant tout intérieure: Dour Locke le terme désrsne
lrrirrcipalcmcnt lcs !ilttrtls ririqucs i pr.rr''r Rorrsseru il s'appliqrrc
cl'abord à la liberté politique.
Le rnépris pour la notion d'intérêt que rnanifèste Foucault dans
son analysc du pouvoir nc lui pernet guère d'utiliser le concept
qui dclfinit la libcrté par I'inclépcndancc pcrsonnc:llc. Par aillcurs
la fusion qu'il opère entre subjcctivité ct sujc<tion, outrc qu'cllc
mine la notion de réflexion conlmc clévcloppcnlcnt dc soi, tournc
en ridicule la conception qui envisagc la libcrté comnlc autonornic
de l'individu. Ccla ne laisse à Foucauit aucune nlarge porlr
reconnaître, à la suite d'ur-re tradition qui va du libéralismc à la
pensée cle gauchc nrodére<c à cornmc:ncer par lc rnarxisrnc
classique, qu'il existe des dit'itrcnccs fbndamcntalcs entrc régimcs
libéraux et syste\mes dcspotiques; Foucatrlt fait cn fait si peu cas
dc cc prétcnclu fossé cntrc sociétés civilers libres et non libres qu'cn
1976 rl a le front de déclarcr dans un entretien avec K. S. Karol
sur lc systèrnc pénal soviéticluc quc les nréthodes de surveillance
utilisécs cn union Soviétiquc nc sont qu'une vcrsion élargie dcs
tcchniqucs disciplinaircs miscs cn place pour la prenric\re fois au
cours du xtx' siùclc par la bourgeoisie occiderrtale : < De même
quc lcs Sovie<tiqucs ont utilisé lc taylorisme et autres mc<thocles dc
gr--stion cxpérimcntécs cn C)ccident, ils ont adopté nos techniques
Jisciplinrircs crr ajoutrlrt à l'arscnal quc n,rus aviorrs nris au poirrt
unc ârmc nouvcllc, la disciplinc dc parti ,rr8.
I1 y a assurément quelque perversité à assimiler le goulag au
taylorisnre, en y voyant < des tcchniques facilemer-rt transplan-
tées,iIr qui, en tant que telles, firrcnt léguécs par lc capitalisnrc à
I'ide<ocratie cornmuniste. Ce que cette équatiorr igrrore, cn tcrnles
d'analyse historique, c'est simplement tout ce qui est inrportant,
c'cst-à-dire tout l'environncrncnt ide<ologiquc ct institutionncl
qui, dans l'Occident libéral, n'a jamais permis I'instauration ct la
pcrpétuation de goulags, mômc si I'idc<c dc mcttrc cn placc dcs
camps dc concentration de dirncnsion réduite cst bicn, à l'originc,
llJ. (li. Clrinrcs ct châtimcnts cn uRss et rilleurs. l-e Nolpr/ ()hsentateur.26 iarrvicr 197ô.
19. rhid.
13il
I A ( (iItATOLOGIE t I)E f ()tJ(IAULT: SA f lt[()RII] t)(l l,()L,VOIR
ot't'iclentalc (et nrôntc en fait arrulaisc) . En outrc ct: tvpc clc galfc
lrisroriquc cst, clu point dc vuc politiquc, roLrt à la firis danqcrcux
('t stupide. Et qu'on nc vicnnc pas c'lire quc, de toutes façons,
I:.uc:rult rejctait bien évidentntcnt lc systè'nrc sovic<tiquc en nrônte
(('nlps qLrc ses tcchrriclr.rcs clisciplinarrcs prétcnclulnellt cntprun-
ti'es. Il nc suflt pes dc condarrrner lc eoulag, ioin dc là; encr>rc
l.rut-il lc flrire sans sc rronlp(]r sur sa nttrlrc ct sur ses origines. I-e
rllrréîkrgiste du pr:nvc'rir nrodcrnc aurait dû ôtre le clcnrier :l ôtre
,l.rtts I'r'rrCrlr sur C(' ntlirrt.
l.lr vcirité cst quc Foucalrlt nt- s'intc<ressc guc\re atr conrbat
l',rlitirltrc pour la liberté parcc qu'il cstinre quc ia politiqtre en tant
tluc tcllc n'existc phrs. A ses ycux la politique est fillc de la
S'adressant an Norryt,l ()bscn,,tttur ert 1977. il suggèrc
't:r'olrrti<.rrr.
(lu('t()ute révolution tcnd:\ sonrbrcr dans 1c stalinisn're parce
,.1u'cllc tencl à ôtre c'orrflsqrle<c pâr 1'Etat révcllutionnairc. Lcs
rrir,'olrrtions soltt donc de venucs hautcnlcnt indésrrablcs. Lc
lt:srrltlt elt cst que lt()l-ls'u'ivons à prc<scnt la firr dc la politicluc.
,, (.lr s'il est vrai quc la politiquc cst un chanrp qui a été ouvcrt
p.rr l'cristencc dc la révolution, et si 1a qr.rcstion de la révolntir.trr
n('pcr.rt plus^sc poser t:n ces terllrcs. alors la politicluc risquc cle
,lisp.rr.rîtrc u'". La luttc dc classcs, cluc Foncault n'a nullcnrent
l'intortion rl'abandonncr, cloit aprprendrc à contourncr lc poids
ttlt'rt tlc l.r ptllitiquc.
I)cux rnois ph-rs tard Foucault salue la parution du livre
,l'Arrclrci (llucksmann intitulé Lcs maîtres p('nsûffs dans lequcl ce
rg.rtrchistc inébranlablc qui appartient au groupe des < nouveaux
l,lrilosophcs D accrlse avec unc éloquence qui ne convainc gr_rère la
l,lr i losclphic nrodcme depurs Hegel cl'avoir c<té intellcctucllerrent
..,'nrplicc de la violence d'unc histoirc dominée par lc principe cie
l"lrt:rt révolutionnaire2l. l)ans une veinc sinrllairc la ( non-
lrolitiquc > dc Foucauit est une fornre dc militantisnte de sallche
post-rc<volutionrrairc qui approuvc <.t les fcnrrr-rcs, les prisonniers,
It's sold:rts du contingerrt, les malades d:rns lcs hôpitaux, les
lrorrroscxLlels (qui) ont t:ntanté (...) une luttc spr<cifrque contre la
lonnc particulièrc de pouvoir, clc contrainte, dc contrôlet qui
'' ('\crcc sur cllx u. En mênrc tenrps il n'cst porlrtaltt pas qucstion
1,,'rrr-lui ci'ôtrc ou dc devenir réfbrnriste, car la réforme cst unt:
'iI (ll. [()uc]ult : Non au scxc roi, Lr N()r/r,(,/ ()hstrratnr, ll rn.rrs l\)i-i . D. 113 rt 12.1.
'l (.1. t.r {rrntlc coli'rc clt's faits, L.r Ndul,ri ()hsrntileur,,) rrrl 1,,7-
139
 FOUCAUT-T OU I,E NIHII,ISMF, DE I,A CHAIRE

notion ( stupidc ct hypocrite nll. t)n sc dcmandc pourquoi. Ce Chapitre 9

qnerj'ai pll trouvcr dc micux en guise de réponsc à ccttc qucstion,
c'cst un textc où Foucar-rlt cxplique comment il voudrait quc scs
livres fonctionnent : < Je voudrais que rnes livres soient dcs sortcs
d. ( ) cocktails Molotov ou de galcrics dc nrines, ct qr.r'ils se POLIT',IQLTtrS DU CORPS,
carboniscnt après usage à la manic\re des f-cux d'rrtitlcc >".
Etant donné la brillantc contribution de Foucault à ia ohiloso-
phie pyrotechnique, ccci rcssemble fort à un bcl crcÀrplc dc
7-ECF/^JIQUËS DE L'AME
'
connaissance de soi stylistiquc. Mais le problèrne c'est quc lcs
cocktails Molotov inrprimés peuvent r-ruire à notre façon cle
I.'HISÏOIRE DE
concevoir le pouvoir ct la politique, cn prcmicr lieu parcc qu'ils LA SEXUALITÉ
substitucnt des accès d'hurneur fougneux à la froidc analysc
rationnclle. Je ne puis cn cffct rn'cnrpêclrcr de souscrire à la SELOAJ FO UCAULT
formule de Peter Dews : le pouvoir foucaldien < n'ayant rien de
détcrminé à quoi s'opposcr, pcrd tottt contenu explicatif u2+.
L'élision dogmatique du sujct de<posse\de la contrainte dc son
objet, dénratérialisant par-là rnômc la domitration. Comnre I'ttt.t
de ses adrnirateurs, Edward Said, le déplore lui-t-nênre, Foucault
ne dit ni comment ni pourquoi le pouvoir est conquis, utilisé ou Jusqu'à présent 1'cruvrc historique de Foucault avait cssenticl-
conservé2s. Sa < cratolosie )) cst donc tout aussi Deu satisfaisante lerrru.rt cnvisagé le moi conrmc un ittstrument du pouvoir et
que son histoire de la pùnition ct dc la discipline. I'identité conlrne une subjecti"'ité nornralisi:e. Dans I'Histoire de
Ia stxualité le moi reste la proie du pouvoir mais lc récit dc sa
prccluction est fait, pour ainsi dire, dc I'intérieur. I-e premier plan
n'cst donc plus occr-rpé par les structurcs ou les stratégies du
pouvoir, mais par lcs < technologies du nroi 'r envisagécs dans leur
proprc espace intérieur. C)n se souvient peut-être que, si I'on cn
croit la façon dont Foncault lui-mênre défirrit son projet, il
s'intéresse moins au pouvoir eu soi qu'au rôle du pouvoir datts
l'{rntr.genca du srlet moderne . L'histoire de la sexualité est avant tout
ur moyen de permcttre à la généalogic du sujet cle ré-occuper ic:
(.cntre de la scènc^ < I)ans mes étudcs sur I'asiie, la prison, ctc. )),
ticrit-il en 1981, u .i'.i peut-être trop insisté sur les techniques
tlc donrination. (...) J'airnerais, dans les atrnées qui vienncnt,
tittrrlier les relations de pouvoir en partant des techr-riques du
rrroi ,'.
22. (lf-. Lcs intcllcctucls ct lc pouvoir, op. rrr. (icci cst à rapprocho'clc la phrase d'Adorno :
L.e but avoué de l'Histoire de la sexualité est de nlt:ttrc-' erl
u Quancljc consfruisais rnon nlocla'le théonqucjc nr pouvais pas dcviner quc dcs gcns
voudraient le re<aliscr lvcc des cocktails Molotov r (cité par Mertin Jay, ,4dorno, Itrrrrière \e'discours sur lc sexe dans ses rapports avcc des
Londres, Fontarra, 9lll).
1 ( tcchniques polynrorphcs de pouvoir >. Cle n'est donc pas ia
2-1. i:rrtreticn :rvec Jcirr-Louis Ezinc. I-t-t Norrcllcs lirtt;rairts, 2177 (17-23 mars 1975).
2,1. l)ews. loL. Lit.. t.92.
25. Voir I'cssar sur I'oucauit cl:rns Srid. 19f14. I ['<ruc:rtrlt, L,ondLtn l?tuiew of-,lJooÈ-r, ]l rnri-3.juin 1f)81, p. 5.

t'+( ) 1't1
 FOU(]AULT OU I-E NIITILISME I)[ I,A (-}{AIRE
s(]xualité comlre pr;rtlquc nrais c()nllrre thc\nre cle n<-lrrrbrcuses
pratiques discursives qui corrstituc lc sr.rjet dc ce clrri s'cst trouvci
ôtrc la dernic\re entrcprisc historico-analytique dc Fciucault.
Comtne dans l',FIi-çroirc fu ltt-li,lic et ci;rrrs Le-c mots ct 1c-ç rûo-.e,ç, l:r
périoclisation de La yttlttuté dt' sauoir c()mnlcncc à la llcnaissancc.
Mais une fois dc plus ccttc e'poquc lr't:st qu'ul) rcpoussoir qui
pernrt:t de nrieux pcr<:cvoir la prernir\rc nruration irnportante quc
discerne Foucault ct qui conccnrer l'e<volutiorr dc I'attitudc de
I'Occidcnt pâr rapport au sexc. A p.rrtir dtr nrilierr clu xvr" sic\cler
la culture occiclent:rle conlnrcnce en effèt à t1éveloppe r dc
nouvelles et puissentcs tcchniqucs d'intériorisation .lcs norrnes
sociales conccirnant la nroralc ct en particulier le comportentellt
sexttel. Mais cc qui sc produit aprc\s la lLciraissar-rcc rr'cst à son tour
(lu un rcnforcenrelrt t:t unc intensification ciu proccssus par lccltrcl
la conlèssittn avait été, au Movetr A{-ic, institr.tc<c colltnte pnncipc
rituel de production de la véritt-1. La codificatiorr dr.r sacrcrnent clc
pénitence; par lc Concile de Latran de 1215. la substitr-rtion dc
I'intcrrogatoirer à I'elpreuve. l'instauration des tribunaux clc
I'Inquisiiion sont trù's siqnificrrtifi dc ccrte c<volution, que rcfle\tc
par aillcurs la carric\re du nrot ( avcll ,, autrctbis g;rrantie de statut
accordc<c par Lllle personne à une autrc et qui finit par désisner la
rcconnaissancc par quelqu'un de scs proprcs actions et pensclcs.
Avec le Concile dc Trente (15't5-1563) sont adoptécs de nouvclles
procédures clestirrées à purificr 1e personncl ccclcisiastiquc. l)c
compleres techniqucs de confession. d'exarncn et clc direction des
consclences cornnlencc'nt à ôtrc utilisôes dans lcs sélninaircs ct
dans les monastères alors quc lcs laïqr-res sollt sonlûrris de sc
confe'sscr beauconp plus sotivent qu'avaut. Jusclu'à la Contre-
llétornre tridentinc I'Eglise ne survcilllit la sexualité qr-re dc loin,
I'cxigence dc- la confesston annutl/e nc sc prêtant guère à une
inspection minutieuse dtr comportcment sexuel. La mutation se
produit clonc cn rc\glc générale aux alerrrours dc 1550: u L'indi-
vidu s'est longternps authentifié par la référence des autres et la
manifcstation dc son lien à autrui (famille, allégeance, protcc-
tion); puis on I'a ruthcrrtifié par lc discours_cle vérité qu'il était
capable ou obligé dc tcnir sur lui-même n'. I)ans lc domainc
social la sexualité prend fcrrrnc conune figure historiquc lorsque
lc sexe est dc<taché du rovaunrc de l'alliallce Drescrite. Cettc
l. Foucault. 1976. o.78.
lrl:
l. IIIST()tltE I)F. l.A Sl-.XUAt. l tF, SIrl.()N tr()U(lAUt.l
(()lrccption du scre est donc aLrsolurrient lii'c à l'érrrergcncc dc
I'intlvidu tnoclcrne.
Au clclbut cles tcrnps nrodernrcs I'honrrrc occidental cst airrsi
tr'.rrrsfonnel cn spécialistc clc I'art clc percevclir I'intcntion qui ;r
Irotrssé au pcichci et cl'analyscr lcs scntinrurts troubles liés à la
,lr.rir Avcc le tctr1.'s h condtritc inspiri'c par la corrfèssion rlevrcrrt
l,.lftic intrigrarrtc clc la vic rnoclcrnc - ct se révc\lc capablc dc
rrrrr.i"'rc à la sécrLl:rrisation cle notrc crrltrrrc,.
,, a e]i{}usri loirr scs cf'fcts ; clans la -jr-rsticc. d,rns la nridccrrrc,
[-'111,g11
,i.rr:s lr
perri.rgogie. dlns lcs r:lpports t:rrnilieux, tlans lcs rclltions
.un()rlr('Llsesr d:tns I'ordrc lc plLrs quotidicn, ct clans lcs ritcs lcs p-rlus
s.111111q'lç : or1 l1v()uc scs crrnres, ()r) .rvr)Ltc scs pg1çhc5, ()n rvouc scs
lrt ttsét'-c .'t scs cleisirs (...) ; ,1, llvollc scs nrri:rclics ct scs rnrst\rcs (...) ; orr
.,'tlit à soi-rirêrnc, cllns lc pl:risir ct dans Ia pcinc, dcs aveux inrpossiblcs
.r torrt;rutrc, ct clont on firit.lcs livrcs (...). L'horrrnlc, cr'] ()ccidcnt, cst
.lt't t ntr rtne bôtc cl'aveu , '.
l)c ph"rs, à p:rrtir du xvtlt' sie\clc dérrrouraplrc-s et administra-
t('rlrs sc lncttcnt à c<tudier la population. lr prostitution et les
sr'hi'nr:rs clc propauation des rnahdics. < I-c scre, ça ne sc jugc
(1'lus) sculenrcnt, ça s'adrninistrc,,o. A partir de l'aube dc l'e\re
irrriustrielle la civilisation occidcntalc colonise rrotrc biolosic : elle
rrrr.rqinc Llue ( enatonro-politicltrc > (politiquc dtr corps) cn
lcl:rtior.r avcc une bio-politiqtre u (la régulation dc la population).
"
l )cs scicnccs hunraines col'Ilnlci la psvchologic, 1a rnédecine et la
,lcrnoqrrphie s'emparcnt dr-r corps < confessé )) conlmc d'urr ob3et
tlt' 1rréoccupation sociale ct dc nranipulaticrn qoLl\'erncntcntale.
LJrrc.tois dc plus une alliancc csscrltielle sc noue cntrc ponvoir et
\.t \,()1r.
Mais lc problc\rne c'cst quc la scxualité devient alors le thème
l,r'irrcipal d'une rcchcrchc geinéralisée dc la vcrrité' sur f individu qui
't' rér,c\lc ôtre un potcnticl pratiqllcnrent irrflni pour lcs stratégics
,lrr ;rotrvoir social. Unc fois sorti des griffcs du pc<cl-rc< la < bête
..l':tr.'ctt ,i ccltltittttc à nrettre scltt ânre à nu. Ert dertric\re analysC
l'/r,,riro docili-i de la socicite< disciplinaire et lui sont jumcaux.
I 'obligetion dc I'evcu (...) nous cst désornrais.si profbndén"rent
rrrt'orporéc quc nous ne ia pcrcer'ons plus conlnle I'cffct d'un
i 1/,rl , p. 79-t10.
I If iri.. p. .1.i.
l,+3
 FOLTCAULT OU LE NIHILISME DTl I,A CI'IAIRE
poLrvoir qui r.rous contraint; il nous sentble au contraire que la
vérité,_au plus sccret de nous-nrêTnes, nc "denrande" qu'à se faire
jor-rlr'. Or lc discours sur le sexe cst I'exemple mênre de cet
e xarnen de conscience perûranent qui caractérise I'individu
rrrodcrne. Alclrs que l'C)rient avait créé un rlrs erotica soplristiqué
ct inrpersonnel, la culturc occidentale modcrne élabore unc scicrrti,r
scxualis qui s'intércsse plus au contrôle pcrsonnalisé qu'au plaisir
rcisulrarrt d'unc tt'r'hniqrrc.
lJrre notc clc bas de page de La uolonté de sauoir révèle selon
quel plan avait eité conçuc à 1'origine cettc Élistoire de la sexudlité
en plusieurs volurncs : à partir du cieuxiènre volunte, nous aurions
des études historiqucs concrètes sur lcs quatre principaux objcts
(ou victirnes) du contrôle socio-scxuel : lcs femmes (en particulier
à travers cette figure si caractéristique de I'apogée de la moralité
bourgeoisc que constitue I'hystérique) ; les eufants (cn particulier
à propos dc la nrasturbation) ; les adultes pervers ; et enfln les
< populations et reces >. La uttlonté de sayoir se propose au
contraire d'aborder avant tout dcs cluestions d'ordre mc<thodolo-
gique. Lc probièrne r'sscnticl est clt: iavoir si la misère sexuelle des
tcmps nrodcrnes est due aux interdictions édictées par l'exploita-
tion éconon-rique, si nous sornnres, comnle le prétendent l{eich et
Marcuse, dans une situatiorr où I'orr nous dit < travaiilez, ne faites
pas I'amour,,. On se souvicnt peut-êtrc cluc Reich arrive à cette
conception en historicisant f idée freudienne selon laqucllc 1a
répression des instincts constitue la base dc la civilisation. Pour
lierch la répression. loin d'être sous-jaccntc à roures les sociétés
humaines, n'est qu'unc étape historique propre aux socic<tés
:rutoritaires. La culture occidentale moderne appartient à ses yeux
à ce type cie socii:tc<s, la répressiorl s'y exerçant nécessairement
dans I'intérêt de I'cxploitation capitaiistc.
Cette vision ders choses ne convainc pas Foucault. Il ne nie pas
la misère sexuelle moderne nrais refusc de I'expliquer conrnle Lrn
résultat de la répression. Il se proposc au contrairc d'identifier les
< mécanismes positifi; , qui, en < produisant u la sexualité dans
une forme de culture donnée, enge:ndrcnt le malhcur. Que la
sexualité moderne soit I'objet d'un contrôle exerce< par un pouvoir
< productif et non u répressif >, voiià qui est attesté par le fait
')
que (commc Foucault le soulignc dans un entretien avec Bernard-
5. Iùid.. n. 80.
r14
L,HISToIRE DE LA SEXUALITÉ SELoN FOLl(]AUI-'I
I lcnri Lévy) les autorités constiruécs ne senrblcnt plus avoir peur
..lu sexet'.
Bierr cnterrdu lcs adcptes de la Kulrurkritik qui voient lcs choses
cll tcrnlcs de réprcssion et contraissent bien lcs thèscs dc Marcuse
Itri répondraicnt qu'il cn est ainsi parce que nous vivons dans un
rrroncle dc < clelstrbiimations rc<prcssives)), de sortc qr.re les
lcrr)arques dc Foucault sur la rapiclc < libc<ration , des mceurs
scxucllcs sous la phase avancée du capitalisrne ne pcuvent erl
.ru('ul) cas réfuter la théoric dc la réprcssion. A mes yeux la
l..trlturkritik tclle que la pratique Foucault a sur cc point I'avantage
tltr réalisnrc descriptif, sinon cxplicatif : contrairenrcnt aux
nr:rrcusicns, lui au nroins appellc un chat un chat. Ses vues sont
dc plus étavc<es par lcs toutes dcrnières rechcrches historiographi-
clucs sur la sexualité bourgcoisc, même à l'c<poque victoriennc.
Aprc\s tout Foucault nc nie pas lc puritanismc victoricn, il .1ugc
sirnplcnrent qu'il constitue une < digression )) ct Llne < diversion >
tl:rns la u mise en discours du scxc > qui dure depuis dcs sièclcs7.
()r il sc trouve quc Peter Gay, cn mênc tcnlps qu'il critiquc le
livre dc Foucault pour son caractère < anecdotique ll ct sa
( prcsque totale absènce de rélércnce aux iaits ,, cléciit I'ouvragc
quc lui-nrômc vient dc publier sous le titre Education o-t''the Sense-ç
(ct clui constituc lc premier volet d'unc ceuvre monumentale
irrtittrle<c The Bourgcois Experience) commc ( Llne longue réfuta-
tion > de cc que Foucault appelle < I'hypothèse réprcssive u8. De
plrrs commc I'indiquc lc sous-titrc qLre ()av donne à son livre
u clc Victoria à Frcud )) sa thèse est quc même au xrx' siècle-la
-
biorséancc ct la répression tcnaicnt plLrs iu mythc que de la solicle
rc'alité qu'o11 lcur attribue généralemcnt.
l)our Foucault lc contrôle moderne de la sexualité qui s'excrce
tl;rns la culture bor-rrgcoise est moins unc ârme utilisée contrc les
, l;rsscs inférieures qu'unc idc<alisation de soi par la bourgeoisie. l)e
l.r rrrômc façon que les techniques disciplinaires qui virent le jour
,rvcc la naissancc de la prison étaient à I'originc un moycn de
r orrtrôler la classe ouvrière, le discours sur lc sexe fut essenticllc-
nrcnt, au dc<part, une tcchnologic du moi utilisée par la bourgcor-
'it' pour sculpter sa propre image. La bourgeoisic érigea ainsi un
t, / 1 \'11111,3/ Ohsaruaturr, 12 nrrrs l()77, p. 105
' l orrc,rult. 1()76. p. 29.
ri ( ;.r\, 1()8.1. p. .168.
145
 FOU(,AULT OIJ LE NITIILISME I)E LA (]T{AIIIE
code scxr-rcl afin dc s'auto-afflrrner. Ellc érieea lc couplc hc<téro-
sexucl ct rlrolloganre cn rnodèlc de la rnoralitel ct cn pilicr dc la
socic:te<. 'I-outc :rutre fbrrnc cle sextralité en vint à ôtrc considérc<e
conrnre con trair:c à la l)ature ct dange rcuse pour 1a socrété.
Potrrtant nrônrc cct aspcct dc 1a cultnre cle clrrssc finit p:rr n'être
qu'un épisodc clans la grarrcie saga de la < misc crr eliscours ,> dtr
sexc. La scxualitei hérérique occr.lpe égalenrent turc placc dans plus
d'r-urc des u spiralcs dn pouvoir ct clu piaisir > quc clicrit Foucauit.
car lc pouvoir < proclr-rctii > e st aussi tor-lt à fàit capablc
d'engcndrcr lc plaisir, pour inauthentiqnc qu'il soit. En tout état
dc causc la position fcrrtcnrcnt culttrralistc 11u'adoptc Fciucault
l'enrpôcl"rc clc ,janrais opposer aux flgures de I'clrotisnrc nroderne
quoi quc cc soit qui puisse rcsscmblcr, nrôrnc de ioirr, à un <, sexe
n:rturel >. Pour lui lc discolrrs nc drcssc pas tant le scxe qu'il nc
l'< irrvcnte ,r. I)arrs toute L.1 uttlotrt/ dt sdyoir lc scxc apparaît
collllrc social plutôt quc rrature-l, et .i l:r fin clc son volunre
introductif Foucault llous lrrct cn garclc lvcc insist;rrrcc contre la
position consistarrt à nrcttre lc scrc du côté eie la réalité et la
scrualiti' clu côtd' des idécs. des illusions. Non : le sexc nris cn
cliscours est une iclée qr.ri rre se re<Ièrc pas à la llatllrc et qui nc
cor.rstitrre pas non plus ru.re illusion. (l'cst r-u.re réalité ltistoriqut'.
(lorrttnc' il I'indiqr-rc clans ur.r raccourci provocatcllr au cours cl'ur.r
clrtrctic'n : <r ()n a Llnc scxuelité clcpuis lc xvrrr' sic\clc, Litl scxc.
dcptris lc xIx'. Avant on avait sans cloritc unc chair r''.
Au cours clu rnêrnc er)trcticn (< Lc jcu dc Michel Foucault ,)
il crplique ce cltr'il entcnd par discours sur la sexualité. Nous
avolrs vu que chcz Foncauit lc ternrc dc u discr-rtirs )) cst toujours
lrrii l.r I)rrtitrrt tlc [tottr',rir. M.ris il irrsistt'iri strr un:lutre ('olrccpt.
celui de u clispositif de sexualité > qu'il définit cornnre < dcs
stratégies dc rapports clc forcc supportarlt cles types cle savoir, ct
supirortés per cLlx >. Clontraircnrcnt atrx épisténte\s, ces dispositifs
sont i\ la fois discursils ct norr-discursifi. et ils sont ausst
u bcrrucoup plus hétérclgù'ncs u"'. Cc sont dcs ensenrbles dispara-
tcs f:rits dc discours, d'institLrtions, dc lois, dc nresures adnrinis-
trativcs, d'affirurations scientificltrcs, d'initiativcs philanthropi-
qucs, etc. La scxualitc< qui, contraircrncr.rt à la prison, nc possr)dc
pas de cases institutirxrncllcs bicn définies, cst Lut terrain privilégié
(). (lf. l-e .jcrr dc Mrchel Forrcrult, rrlt. rit.
lll. Ihttl.
| -[tr
fOIItE DT TA SI-]XUAT-II'[ SLI fjouCAtJI I
oir pcut s'cxcrcer I'he<tetrogénctitej inhércnte à ccs dispositifs dc
)uvolr-savolr.
l)(
l)ans La t'oltttrttt dc sauttir Foucarrlt scrrrblc donc nrcndrc ses
,listunces avcc cc qui. malgré scs constantes clc'rreigrtions, lc
r ;rpprochc cltr structuralisnrc. Si Slrrrci //o' tt punir lv:rit attirrtrir sorr
.un()Lrr dcs césurcs, I'Histoirt'dt'la scxualirl l'écartc rour à llit. l)ans
uti sclls lc thèrtre clu pouvoir I'cnrporte srtr t()utc-s lcs consic'lérl-
trtrrrs lr<:héoloeiqucs ct Foucault scmbie avoir ronrpu avcc la
tlrt:riric de la rupturc. Contrairt:trlcl)t atrx trois âgcs décrits clarrs
l'Ilistoitt de la -fitlic (Ncf clcs fous, gran,-l rcnfcrnicrncnt, âse dc la
l,svchirtric) tollt comnlc dans Les mttts ct lcs dtost,s (etpistc<mès clc
l.r rcsscrnblancc, dc la représentation, ct de l' < anthropologisrnc >)
t't riens Sun,eillcr (t ])Luùr (torture . réforntc pcrnale. incarcération),
Itt rolortt{ dc sauoir rcposc sur I'opposition de deux cipoclucs :
l':r'n'urrt ct I'après clc la nrisc cn discours du scxc, la périodc qui
l,rrici'clc ct la pe<riodc qui suit l'âge dc la confcssion. Il y a bicn
luptllrc, nrais clle est uniquc ct Foucauit n'insistc pas sur lc fàit
ttrr'cllc cr.r soit une.
(]tri plus cst lcs volunrcs suivants. loin clc nrcttrc I'acccnt sur
l,r rtrpturc qui se produit à l'époque du clébut du puritanisnrc
rrroclcrnc ct du nrclralisnre dc la Contrc-Ré1brmc, rcûrontelrt bicn
plrrs loirr en arrière. Eu fàit au lieu dc s':rttaqucr, colrlme Foucault
l':rveit promis, aux scxualités <r marginales, dc la fcrnmc, de
I'r'nlant ct du pc-rvers (ou plutôt au discours occidcntal sur cllcs)
It's volurncs lt ct III del'Histoire de la stxualirl, tcls qu'ils parurcnt
t rr .juin 19t14, cr-npruntcnt unc voie rnattenduc cn traitant dc la
l.rr;on dont est envisagé lc scxc dans I'AtrtiqLrité. qu'ellc soit
I
r,lïcnnc ou j udéo-chréticnnc.
[-c cl'rapitrc brillant sur lcqucl s'achèvc La uolontê de savoir
()l)Posc dcux èrcs culturelles : la < société de sanQ > d'autretbis, qui
cle<flnissait par urrc éthiquc gucrrière et par la crainte de la
't'
l,rrrrinc ct orj la punition prcnait la iorme dc la torture, ct la
" sociûl drr scxe ,r cl'aujourd'hui, cette culturc scicntifique dc la
I'iopolitiqtrc ct dcs disciplines normalisantes. Cependant dès 1981
l otr<-'ar.rlt rc<vèlc un sche<ma gc<néalogique diffrCrent qni rcmontc à
l.r lr:rssc Antiqr-rité et au début du christianismc. (lonsidr<rons cc
I l( )tlvcllLt t:rblcau.
l)ès lc départ 1'Histoire de ld sexualif/ sc proposc de conrprendrc
( ( )n) llrcnt apparaît dans la culture occidcntale nrodcrne une
r'.t1t('ricnce clc la sexualité, c'cst-à-dirc <;ornment sc produiserrt la
t+l
 F0UCAUI-T OU LE NIHILISMIl DE LA CFIAIRE
naissance et lc développcment du n sexe )) et de la u scxualité ,,
conlmc objets culturels historiquement donnés. Foucault ne veut
errtrcprendrc ni l'histoirc des ide<cs sur le sexe ni une < histoire des
mentalités , (ce jeu tre\s populaire parn-ri les historiens français
contemporains, à I'origine duquel on trollve l'unc des têtes de file
de I'Ecole des Annales, Lucien Fcbvrc). Il vcut s'cn tenir à
l'analyse historique d'unc cxpériencc spécifique dans laquclle < les
individus orlt cu à sc rccorrnaîtrc c()nrme sujets d'unc "sexua-
litc<" >. Comrne nous I'avons vu ct:tte expe<ricnce lui scmble être
un phénomènc apparu au xrxc sièclc ct qui coTncide à pcu près
averc l'épistémc\ nroderne, historique, avec la psychiatrisation dc
la folie ct avcc le développement du pénitencicr, pour se référcr
ici à ses trois principaux travaux historiographiques antérieurs.
l)ans I'Introduction de L'usaçe des plaisirs (le volume ll dc
l'Histoire de la sexuaiiré dans sa nouvelle structllre) Foucault
alfirmc que son projet citait à l'originc d'établir < la corrélation,
dans une culture, cntre donraines dc savoir, typcs de normativité
et formes de subjectivité u ou plutôt cntre les diflérents < jeux dc
ve<rité u se déroulant dans chacun dc ccs domaincs. Il suEçgère en
outre que si la formation dc savoirs en relation avec le pouvoir et
la subjectivité avait bien été étudiée dans I'Hl-çroire de la.folie par
exemple, si les systèmes de pouvoir 1'avaient été dans un livre:
conlrne Surueiller et pwir, n l'étudc des modes sclon lesquels lcs
individus sont amenés à sc rcconnaitrc comnlc suicts scxrrcls ,
restait encorc à faire, d'où lc besoin d'une histoire foucaldicnne de
u I'ltonrmc dc d,-isir ol1.
Mais pourquoi précisément le sexe, demande Foucault ?
Comment sc fait-il quc le plaisir scnsuel et I'activité sexuelle
soient si souvcnt I'objet d'une tellc préoccupation morale,
beaucoup plus que ne le sont d'autrcs cxpérienccs presquc tout
aussi vitales, cornme par excmple se nourrir ? Unc réponsc vient
à l'esprit : le sexe, beaucoup plus que toute autrc chosc, est
également < l'objet d'intcrdits fondamentaux dont la transgres-
sion est considéréc conlme une faute gravc ). Mais pour Foucault
< c'est donner là comme solution la question ellc-même r. En
cf'fet c'cst souvcnr qrrand lc scxe n'est l;objct .l'aucunc obligation
ni d'aucun intcrdit que la préoccupation morale pour la scxualité
se manifeste avcc le plus de force. Plutôt quc de fonder sa
11. Foucault, 1984 (a), p. 1(!12.
14il
L'HISTOIRE DE LA SEXUALITÉ SELON T.OUCAUI,T
rccherche sur la préhistoire du sr"rjet sexuel sur l'interrclit il cherche
i la fonder sur le développerrrent, aux prernicrs tcnrps de
l'()ccident, de < techniques cle soi,r ou, pour reprendre I'expres-
de Plutarque, dc la foncticln < étho-poétique ,r : < J'ai étci
'ion
:ur)crle< à substituer à unc histoire cles systènres de morale, qr-ri
sr'rrit laite à partir dcs interdits, rllre histoire d^es probiématisatiorrs
trthiclucs faitc à partir des pratiques de soi ,>''.
l)'oùr lc titre L'rrsage dcs plaisir-s, qui est en fait un heureux
('lr)prlurt à la tcrnrinologic he<donique dn grec classique : Clvèsis
,tplrrodisiorL. Choisissant cl'adopter une approche < archéo-
q[rr('elouiquc > Foucatrlt eitudie, dans les tomes II et III de
l'Ilistoirt de Ia sexualiré, dcs docurnents de nature prt'scriptiue c'est-
.r-rlirc ( cles textes qui, quclle quc soit lcur formc (discours,
,li;rlopue, traité, recueil de préccptes, lcttrcs, ctc.) ont pour objet
1'rincipal de proposerr dcs rèqlcs de conduite ,> (scxttclle). Ccs
l('xtcs JOuelrt dans l'Antiquité ie rôlc d'( opératcurs )) cn
l)('rnlettant aux individus dc rcmettrc cn qucstion lcur proprc
t onduite de façon à construire ler"rr propre pcrsonnalité, processus
tlrri coustitue l'étotfc mônre dc I'u éthopoétique ,r.
Foucault commence par mettre en question la sagessc conven-
tiorrnelle en ce qui concerne lcs ditJérenccs entrc culture païenne
('t cultlrre chrétienne. Où se situe le clivage essentiel entre la
rrrorale scxuclle du paganisme ct celle du christianisme? Nom-
lrrcrrx sont ceux qui répondraient que dans l'Antiquité le sexe a rln
s..'rrs positif alors que le christianismc I'associe au péché et au nal;
('t qLlc si pour les chrétier'.s les seuls partenaires sexuels légitimes
\()lrt ccux clui constituent le couple monogame (et rnême dans ce
,.rrlrc, seulement lorsque leur intention est la procréation), 1'Anti-
tltrité adoptc un point de vue nettenlent plus libéral et accepte
rrrôrrre lcs rclations homosexuelles. du rnoins entre hommes. Mais
l'ttthique scxuelle de I'Antiquité est err fait beaucoup rnoins
l)('nr)issive et u dionysiaquc ,r qu'clle ne le sernble. Bien avant le
,lrristianisrne on est déjà allé tre\s loin dans l'attribr-rtion de valeurs
rrtig:rtivcs au sexe, sans parler de la licence sexuelle. Le monde
.rr)tiquc cxaltc lc c<luple monoganlc comnre modèle à suivre dans
It's rclations anrolrrcuscs ct dans la procréation et va même jusqu'à
It'r1,'1 1, chlstctrl ct la ctrntincnr'c.
Iroucault illustrc cc point "lvec un grarrd talent. Il cite un
IItiLl , p. 19
14r)
 FOUCAULT OU LE NI}IILISME I)E LA CTIAIITE
passage curicllx de l'IntroductiLm à lt uit d(r,otc de saint François dc
Salcs (1609) :
- . .u J.
vais vorrs clon'cr. un cxcrnplc dc l'honrrcltctr< clc I'e(léphant.
Lillc<phanr rrc chansc jarrrais dc partciraire . rl Iairrc tendrcment. Avcc
clle. il nc s'accouplc qu'''c fbii toLrs lcs trois âns, ct alors pcndart
sculcnrent cincl-jclurs ct clc fàçon si sccrc\tc clu'on nc ic voit-j:rnrai, c,-, t.ain
d'acconrplir-c'ct acrc. Mrris le sixiôrne
-joiir il ré.pparaît.:t la prcrnie\rc
clrosc c1u'il f:rit cst rlc sc rc'drc dirccte.incnt jrisquà urrc rivi.\rc pour y
la'.r s.n-corps, nc s.Lrhaitent pas regag'e. rr,' ti.,up.r,r tarrt q'il ,'cst
pas purifir<. Nc s.nt-cc pas là clcs ,luilitér bcllcs ci h.r-r.ôtcs chcz un
ani'ral, par lcsqucllcs il cn-scienc rr-'x èpo,,tx clc nc pas tr.p s'lrio'ncr arx
plaisirs scnsucls ct charncls ? n
Il saurait cxister de tcxte pius u chrétier u strr lc sexe,
'c
penserait-on nornralenrent. I)ourtant cc-s lignes de saint Françors
de Salcs dars lcsquelles la pré.ccupatiorl dr-i christia'isnre pour la
chastctc< tr:urspirraît si irien ne sollt cn fait qu'une variatiorr
ntodcrnc sllr Ll' thc\nre classiquc. (iettc préotctrpation a été
transnrisc par Aldrovancii (quc llo.s avons re.co'tré dans Lc.ç
r-no,ts tt /es c/rosc-s) et par cl'autres à I'idéoloqie de la oontrc-
ILéfbrr'e. mais c'cst cn fait l)li'e I'a'cic'. ce Àat'ralistc nlorr cn
I'a'79 aprèsJ.-c., all morr-lcnt dc l'éruptio'du vesuvc. qui fllt
lc prcmier à ôtre irnprc'ssion'é par la pruàcrie dc ces pachvclermcs
(cf-. sorr Histoirc n(lttLtr(lle, Vlll,5, 13j. Bien qu'il'e p..s..i,r. p",
l-a puretc< conjugaie comnle règle r.r'iverselfe, .or'r'" dcvait le
laire saint FranÇois, l)linc apprôuve ouvertemcnt un modèle de
comportenrcnt clont certaines sectes philosophiques, commc lc
stoicisnre tardif, ont déjà fait i'c<loge à-son époquc. l)'inrombra-
blcs autres textes rnortre't qLrc, cÀ nrarièrc àe sexualité, les idées
des Grecs et des llomains cultivés étaic't loi' d'être licencietrses.
{ p}5 cl'Lrn i'sard ellcs préfigurent plutôr la pudeur et lc rigorisnre
chrétien.
. C... qui les c' ciistingue cepe'dant sclorr Foucalrlt, c'est cluc
dans I'Antiquité le s exigences d'austérité ne sont pas organisées en
fonction d'un code nroral et in-rposé à tous. Ellet i,rtrt plutôt
vécues comrrre Llne sorte ''ifié de rnorale de luxe qui sc dénrarqùe clcs
pratiqucs corlrantes. En outre ellcs nc coTucident nullenrcnt avec
lcs pr.i'cipaux i'terdits légaux et religieux du tenrps, conlme cn
térnoignc ie.fait que la littd'rature riEoristc ,r" ,',rdr"rr. pas aux
Icnrlnes, qul sont soLlmlses aux contraintes les plus dures. La
150
l.'IlISl()lItE i)E LA SEXtJALITII ShL()N I-()U(IAULT
r,us()lr clr cst ou'il c.rist.r lu trti-litrs trots ttivc:rux cl:ttts 1'htstoire dc
l.r rrrcrralc;le nivcau clcs ïlr(r'urs rd'clles ott n trurroliti dt's
,tttttltortt'Ln('nrs r, cclui cJcs codc-ç llloratl.\ d'urrc sociclti'dorrnc<e, et
r rrtirr Iu façotr dont les individus sotit ptttrssés à sc cotrstittlcr cll
r,lnt (luc sujets de cotrcluitc rrtoralc, c'est-à-dire lc nivcau ascétiEtr'.
( )r t'lrcz ics anciens, la pctrsée ttrorale coltscicttte sctrtble êtrc
lrt'.rrrt'r)rrp plus orientéc vcrs l'ascc<tisnrc cntcltdu clt cc sclls qLie
r.. r', l;r codification moralc- Etr sorrrnrc à chaquc fois quc le tnottde
.ilrtrtrr.lc él:rborc nne thi'oric sur lc scxc cc tr'cst (jn ALlcull cas datls
r rrr t'i1.rr perrnissivité intlulge'lttc, ct cctte théorie s'aclressc non
tt der
l\,r\ i'r tr)Lls (comtne le fbnt les règles dc 1a cottttt.tttttatttel chrétiennc
,iil ririlsullrt:rrrc) tnais sinrplcnrcnt aux nrctnbrest.nrlttrrels clc le
, l.rrsc dirigcxnte , c'est-à-dirc altr hotnttrcs litrrcsl
l,'ttsa.qt tlts plaisirs cratnitrc la faqon dont la philosophic et la
l,('nséc nrédicele grt: cqucs aborriclrt lc prclble\nre de I'cithrqtrc
',.. rrrcllc tlans trois donraines clit-ltrcnts de I'expérietrce : la
,lit:tctirluc (ou réginrc du corps), 1'c<con<>nric (ott uestion cle I'oiko-r,
, 't'st-à-ilirc du nrénage) ct l"r cour anrollrcusc. L'objct dc l'éthtquc
rt rtrclle c'cst rd althrttdisitt, u lcs truvres d'Apl'rroditc > (cr,qa
\plrrttditcs), tlue lc htin u vcnerL-r u ct le fiançais < voluptés ,r
rt'rrtient approxituative mcnt. Fouc:ntlt sc proposc clc détnir la
I,r'rrrc qénéralc clue prcnd la réflexiorr tnorale stlr ctes plaisirs darts
I'ltrsrcurs tcxtcs, cssenticllcltrcllt empruntés à Xérrophon, à Platon
, t j Aristotc. Cettc réflexion constitue tttr chantp spécifique de
, problénratisation unc d'pisténrè éroticlttc etr queiquc sorte.
'),
l)our lcs eLitelrrs grccs I'inrnroralité scxuelle réside darts i'cxcès
.r tilns ll passivité, non dans I'actc itti-ntêtttc. L'excès est
, orrside<ré conrme un dangcr potentiel plutôt qtie colltlttc quelquc
r lrosc rJc nrauvais ctr soi. Aulus Gcllius attribuc à l-Iippocrate
l'r,lr1c cir-rc I'orgasnre cst unc crist' c1'épilcpsic de fàiblc intcnsité
rrr,ris I)én"rclcritc. oue I'r>n cite souvcnt conlnle I'un des nraîtres
,l'llippocratc, ne vàit pas les choses rlrtrclnent. QLroi qu'il en soit
I r( f c scxr.rcl cst considéré cottlnte une sorte clc nlécatlisnlc
vrolent" Pour [{ippocratc, lc frottcmcrlt des organes génitaux et
l( nl()Livcl-nellt de l'enscmblc clu corps cntraîlrent ur.rc chaleur ct
rrrrt'.rqitaticln qtri ont pour résultat de rcnclre si fluidc u I'httnreur
I I l,,,itr tcs rlt'rniçrs p;rrtgrrphcs. tt. f'grrtrult. 1!)lJ.+ /,1, p. 1{)-29 et.l(>-ltl. l.e " rnotil-clt
| 'ilLiplrant D cst ég:rlelncnt lrrcntiorrnti prr Fir,rtclult tllrts I'rrttclc rlc ll 1-rrttdort 1?ct,lrtt,
,'/ ljoofu-r (ct. notù 1 ci-tlcssus), p. i, tl'où cst extriitc cctte ('ltatron.
151
 È.OUCAULT OU LË NIHILISME T)E t,A CHAIRE
spernratrque.,' qlr'c'lle finit par écunrer (aphrein)( coml-ne tous les
flurdcs que l-on aqitc ,'. La rlcirrc colnnlrrc dcs ternrcs tpltrtirr
ct
aqlro.disiy, n'est pas- ignorée : la déessc Aphroclite elle-nrênre
n etert-ellr- pas rrlie de I'c<curtrc des vaqncs ?
. Lc problème dc I'e<thiquc sexuelle ù résume donc à un cxcrcice
de co'trôle : la valeur, dà's le conrportenrent scxuel, équivaut à
la rct*rue. La sages.se c'est de q"..i.. re désir aussi 'pr<ich. que
possible du besoin p.hysique. Il ricst pas slirpren"rrt qt-,., dc toutes
les sectcs philosophiqucs, cellc dc.s cy'ique, ,c ,ig,r"l" .o-rr.," t"
porte-drapeau de cetre visi.' Un beaii jour Diogè.e
b.rave la moralité publique cn sc'aruriste..-
nlasrLrrba't e' pleir'r air. I)io' de
Pruse consigne pour nous ses raiso's : u' tel
[.rt., ,.ro,r, dit e'
rlant ce cyntque, est un rcmè.de nat'rel, un soulagement sinrplc
et hon'êtc g.râce
11quel I'homme 'e clevient p"!' l'or"g.' dc'ra
tyran'ie du désir de<bridé. Fait à tcmps, il auraii nrême p".-r,r-êrre
pu.éviter la guerre dc: Troie... etrel dot'r-t-tag. quc pâris n'ait pas
étc< cyniquc ! tlt' fiorrt la noble logiquc <le l'cnl<ratda.
Le sexe est donc avant tout considéré cornme un test clé pour
1'enkrateia, qui signifie littéralemcnt la maîtrisc cje soi. l)ans
la
République (lv, 430) Plato. dc<finir la tenrpérarcc cronrrne (
,11c
sorte d'ordre et d'empire sur certains plaisirs et désirs u. [)ans
l'Ethiqut à llicomaque Aristote souligne 'que Ienkratcia cst, cie par
rnênte,. agonis.tique : c'est une lutte rnorale <:t cn tanr que
:r,3"rT,r.
rellc ellc.sc distirrgue de la prudencc ou sophrttsttné, cette calme
\re'rtll qui fait qr.re I'orr choisit ses actes confornré-ment à la froide
raisor' Lcs ho.rmes encratiques trionrphent avant t.ut d'eux-
rnêmes. Ils savent maîtriser leurs passions de fàço. à tenir
(Juste milieu )) entre l'insensibilité ci lcs excc\s.
Les irommes libres 'n
ne devraiert.pas être csclaves dc leurs propres désirs. La liberté
comm.nce chez soi, dans l'âmc. L'honinrc-encratique est rnaître
de lui-même (basilikos heautou)et bie' e'tcnciu 1'erikrateia inrpli-
que aussi I'asËè-çis car si la vert, est une lutte o' re peut
!{Llère
I'atteindre sans Lur entraînement approprié.
Airisi le statut du naître de I'oifuo-r, âu citoyen libre de I.t polis,
se reflète dans I'idéal nroral de la maîtrise âes passions. 'Mais
comme nous I'avons vu, cettc r'orale gucrric\rt-'appliqLréc à la
psyché reste émincmnlenr une affaire d'hôrnrnes. tl esi I cet ésard
tout à fait caractéristique que lorsque I''. cn arrivc au troisic\rre
domaine test de l'éthique icxuclle, la réglenre'tatior A., i" .o,,,.
aûloureus.], celle-ci portc moins sur les rcllations entrc honrmes et
152
L IIISTOIRE DE LA SEXUAI-I:iE SELON FOUCATJL'f
1r'nrnrcs qlle sllr I'amour entre honrnres. En Grcice (sinon à Ronrc)
(c s()nt c'ssenticile nrent les garçons que l'on courtise ct c'est cctte
, orrr qui lait I'ob,1ct cl'unc éthique. Foucault a bien des choses à
..lirc sur ce point"*. 11 conrmence par noter que dans I'Antiquité
I'honrrr.rc clui préfère les earçons aux femnres nc se consiclère pas
( ()nrnre pervers. Au cclntrairc, lorsqtre dans le Ranqttet Piaton
t t;rblit urre distinction entrc ilcux types d'amour. l'lr.os supéricur,
,, célcste u, nc s'adresse c1u'aur jeurres ]rortrnres. Cepcndant cc qui
t'st inrportant c'est la nature clc cet anlour ct trolt son objet, qu'il
soit 11111.11111s ou fcnrrrre. Les crcrivains grecs n'ont que mépris pour
It's rlphc\bes trop fàciles ct ridicr"rlisc-nt les honrntes e:f'ltrninés qui
sorrt l'une dcs cibles fàvoritcs cles auteurs comiques. Il existe une
r( \ lrlsi()ll rrlturcllc il()n pour r'elui qrri rirne les gàrçons ou qui a
..l,rrrs sa jcr-rncsse été aimé par un homnre plus âgé que lui, n-rars
l,,rrrr I'actc consistant à confler rln poste socialement important à
rlulc()llquc a accepté dc n'être qu'ut.r objet sexucl, car ccla heurte
I)c la nrôme façon il existe urlc nt:tte distirrctiorr entrc le rôlc
,lt' I't'ra-rros, c'cst-à-dirc de I'antourcux, qui est I'aîné des deux
Irorrunes, et celui de 1'érttmètu,, c'cst-à-dire dc 1'être aimé. Les
t:rornèncs ne sont absolument pas censés répondrc plcinement à
l.r r-onr et cncorc moins aux désirs sexuels dc lenrs amants parcc
,;trc ccla lcs disqualifierait rapidenrcnt etl tant qlte futurs citoyens.
l.'r'ros dc la pédc<rastie est à l'évidence asyrnétrique. l)'où la
prtioccupation de la littératurc pour la prs.vchologie cornplexe
,;rr'inrplique I'honnetrr cles garc-ons, préoccupati<n qui sera
tr.rrrsftréc plus tard, cians l'()ccident chréticn, sur la jeune fille
rrribilc ou sur 1a jeune épouse qui devicnncnt alors les nouveraux
olrjcts clc- la cour antollrt:lrse ct cle toutc r.rne réflcxion éthico-
r'l()tlLluc.
Lcs relations homosexuellcs sont enfin ccnse<cs se- transfornrer,
.r1rrùs rrrr certain tentps, en philia, c'cst-à-dire cn amitié virile,
,rlli:rnchie dc toute dimcnsion charnclle. En tout état de cause les
( ilccs n'ont quc ntépris pour ccux qui s'attardent dans I'irorno-
st'rrrelité. Airncr des jeunes hornmes sortis cle I'adolcscence n'est
l'.rs rritrralenrcnt lcigitirnc. Il laut alors trar.rsformer l'éros cn philin
!r|ilc. Mais cn mênre tenlps c'est entre uir hornme et utl garçon,
r)()r) cntrc un homrne ct sa femmc. que se constitue une relation
I I (.t. l:orrcault, l9lt:1 (al, p. 2t)5-2;ll.i.
153
 t()uCAtiLI ()tr LF I-ISMË I)E LA (]TIAIRE
socialenruû réciproquc. échappant âux corrtrrintcs instittrtionncl-
les. Alors q'c I'on rc reconraît aux ép.rrses *rccqrrcs ilrc.ric
autonolnic nroralc, lcs qarçons et lcs horrrmcs qr.r'ils rencontrcnt
à la palcstrc ou da.s la ruc'so.t, elrr point dc vuc srlciai. clcs éqar-rr.
L,lr conséquellce toutc re\ele qui eristc elttre cux appartient à nnc
csthétrqrrc cxistenticllc plutôt qu'à un codc nroral collcctiL
l-'clrotiquc c'cst cela: Lllre ( stvlisltion , (lc tcrn're cst cle Foucrult)
de ia contluite clui laissc trrrc iarrle p|.1ç..:i l:r libcrtel d'acriorr.
L'usa,qt dcs ploisirs st- tcrnrinc sur unc krr.rgrre réficxion sur la
f,rç<rn dont clar.rs le Rartqttet ct lc Plt)r/rc, I)laton p;rsse < c1'nrrc
éroticluc uroclclie sur la pratiqLre de < cour D ct ia < libcrté u cles
arnalrts honrntc--s < à une e<rotique torlntent;iutorlr dc I'ascc\sc du
sujct ct dc I'acce\s c()nrmtllr à la vérité )). Foucault intc\urc
Irtaenilrqr,rcnrcnt ct sans euclurc conrplaisarrce ce firral plat<>ni, icn
à cc qui constitlre son lcitnrotiv l'éthiqtrc clc I'd'ros:
- ( l)()(lllc rnirnifestc pltrs clc rnéflarlcc à 1'éqard dcs plaisirs, insistant
_(lctte' rclflcxion phiiosophicltrc à propos dcs gerçons conlportc Lln
,,
paradorc historitluc. A cet arnonr nrrsculirr. ct plrrs précisclnre'ut:) cct
.lltrour pour lcs -jcuncs garçolrs ct lcs lclolcs.cltts, rlui t'lcvait ôtrc p:rI l:t
sr"ritc si lorrgtcnips ct si scrvèrcnrcnt concllrnnc<, les (lrccs ont lrccgrde rrne
lc<gitinrité ot\ r.rous :rirrons rcco'naîtrc la prcuv,.: clc la libcrté c1u'ils
s'lccorclaicnt cn cc donr.rinc. Et porrrt.r,rr. c'ôst à son proçros, bcaucoul-r
plus qu'à prop()s d.'la sant('(dorrr ils sc preioccuplicni aussi), bcaucotrp.r
plus c1l'à propos dc la fenrrlc ct du nrariagc (:ru bon ordrc cluqu.:i
ccpcnclant ils vcillaicrrt), qr-r'ils ont frrrrrruler i'cxigcncc dcs :rustriritc<s lcs
plus rigourcrrscs. (lcrfcs. seuf c-xccp.tion, ils rre 'l'ont ;r.rs corrcl:rnuré tri
i'tcrtlit. Et pourtlrrt, c'c:;t rJans l;r rétlcxior sur I'a'our
des garçorrs
qu'on voit sc fbrnrrrlt'r lc princil.rc cl'unc "ribstortiorr inciétinic", I'iclcll
d'ttrt re'nonccltrent dont Socrlte, p:rr sl résistlncc s:urs fàillc à lrr
tcrttaticltt, dotttrc lc nr<lciirlc, ct lc- thc\rnc.!]u(' cc rcn(lnc.rllent clétierrr par
Itri-rnôtnc unc hlrrtc vnlcur spir-ituclic ,,ri.
Four trous tnodcrnes il est p;"1clo-xal cje voir clans cct ilntorlr
cléviant n 1l ne<cessité d'nn con'bar diflicilt: (...) avec soi-nrônic, la
purification proercssive cl'u.r anrour qui nc s'aclrcssc qu'à l'ôtrc
nrêrnc llans se vérite<, ct I'intcrrogrtion dc I'honrnre strr lui-môrne
conlrr)c su jct c'lc clésir u "'.
(lhcz Platon 1'éroticlrrc clc la cultr-rrc grccclr.lc classiquc cst à l:r
fbis rriéc et sublirnée. Mais nrênre là l'éros n'ab;urdorrirL- Das son
17- Ibid. p. 2(r7-2(rlt.
1(t lhtd.
l5'f
I-'HISTOIRE DH LA ST]XL] AT-I1'É SFL0N F(]U(]AUL f
(.tr.l('tù'rc scnsucl. En clerrtièrc artalysc la petrsc<c cl:rssiquc ne séparc
;,rrrrrris lc scxc et I'atnour du plaisir. La libido coulporte clc se<riettx
,l.rrrqcrs nrais erllc n'cst janrais clrvisage<c cotnmc uttc pttissancc
, rtillrqèrc ct l-rostilc à l'homn'rc. La sttivrc ar: licu dc ll donrincr (ou
.rrr lrcu tlc nc ia satisflrirc clttc qttand lc de<sir réstrltc cl'un bcsoin
i t:r rt.rblc) c'cst clcvcnir I'csclavc de soi-tnômc. Mais ccla ncl
, .rrstituc Flas ullc tachc, urr sigtre clc dalnnatiotl.
'T'out cela
, lr,rrrqcra-t-il à l'épocluc hcllc<tristique ct plr-rs tard. petrclant les
(lu('l(plcs cléccnttics qttc cl-rra l'âgc d'or dc I'Enrpirc ronratn? La
r('l)()nsc i ccttr: question cst dottt'tcic dalrs lc troisiènrc volttrnc dc
I'tIistoirr dL' lLt sexudlirtj, intitul(: Lt srtrrci dc soi.
(.c titrc cst 1a tredLlctitltt dc I'exprcssiorl socratiqLle t'pincleia
ltr',ttrtlrt, rcndrtc cn latitr par iura -çrti. l)ans cc tri>isièmc volulrle
l,,rrr';rult ciétcctc I'orieirrc dc cc u sottci .le soi , dans lcs deux
prt'rrricrs siècles dc notrc èrc. Oontpare<c à la pcnséc classiqrte r---cttc
',rrr lr'lait quc les crcès sont nuisiblcs à la fois au corps ctà l'âmc;
, llt' velorisi égalerrnctrt davantagc lc ttrariage ct la conjtrgalitei et dc
totrtc éviclencc tt'accordc plus à la pédér:rstie lcs collnotatiolrs
l,ositivcs qui y était jadis attachrlcs. l)'unc façon généralc il n'v a
t,.,. rcnf.riccnrcnt ders cclde s ntorallx mais intensification des
, riqcnccs d'austériti' etr rclation avcc Llllc ittsistancc accruc sllr
l'irrrportance de la maîtrisc de soi. A partir de 1'époque de Socrate,
| )t'nrocritc et Hippocratc jusqu'à ccllc dcs dernicrs Antonins et de
lcrrr nrc<dccin (ialicn (131-201), les penscr-rrs qrccs et romaitrs en
vicnncnt progrcssivcmcnt à accordcr utrc grande valcur à la
('()r)tillencc ct nrômc à I'abstincr-rcc. En outrc ils mcttcllt davantagc
I'.rcccnt sur le pouvoir pathogéniqtte du sexc. Fottcault p:rrle
,.l'u unc ccrtainc pathol<igisatiôn dc I'acte scxuel ,r7. I)arrs lc
rrrôure tcrnps les philosophcs fbnt un véritablc ctloge du souci dc
soi tlésinte<ressé. [.cs stoïqucs cn fotrt un ]rt, conlnlc en atteste la
.léfiiition dc I'homme qlrc donnc Epictètc (< i'êtrc qui a ét(: confié
cf innombrablcs verbcs utilisés par Sénèc1ue
,rri souci dc soi
'r) ct
llrrns sers lettrcs ct ses traités : siùi L'(ltarc, se,fctnndrc, se .facere, sibi
,tpplicart, suum-ltcri, in st rtcedere, secunt morari, ctc. Se<nèquc donnc
.rrr.ssi (dans son I)e ira) la dcscription la pltrs conrplùtc d'ut-lc
rrouvcllc tcchniqttc moralc à laqtielle otl accordc alors ur.rc très
l:orrcrult, l9li.l 1ri, p. 1(r(r. PoLtr lcs rettrrrques qui prrtrcùdcnt thrts lc tnêmc
1..1v1qrrphc, vc'ir ctt partit'ttlicr iltiri.. p. 5.3-55 ct 143-1'16.
r55
 F0U(]AUt,T OU LE NIHILISME DE LA CHAIRIl
grande valeur : l'exame. dc corrsciencc. un sic\cle plus tard Marc
Aurèle disscrte avcc l^crrc'e sur le,'orrraiss.rrrcc cr la nrairrisc tic st_li.
L'origi'alité et la pénétratio' des rernarqnes de Foucault sont sur
c.e point tout à fait renrarquables, et plus cncorc l.rsqu'il évoque
I'u'trvrc de stoïquc.s r.rnairs nrirrcurs irrspirés pirr u' i.rlidc,.'rIrit
pratique, comrne Musonius l{ufus qui défcncl avec élocruencc le
tuaria.gc.
_pour lcqucl lcs cyrriqucs ct lcs i'picrrrir'rrs ,,',,n, ,i,,.
mépris. Trels attachant également cst ler cornrncrtaire quc ir-ri
inspircnt lcs pagcs érrrou'lrrtes.ùr Plirre i'v.qrrc I'rbserrc..dir nrrri
appelé au loin par sor devoir et i'amour fcrve't (à la lois lros er
philia) qu'il vouc à la jcune épouse qu'il a laissc<e à lLome. Mênrcr
les siluat dc Stacc (45-96), qui co.rsrir'e'r le premicr c-xemple dc
poésic occidentale sur l'anrour conjuqal, font lrobjet d'unc ciiation
fort pertinentc.
Lc souci de -soi pas à q'el poi't les te'danccs rouvellcs
''ignore
qui affectcnt l'érotique sànt .o'.liti."e<es par les change-
"r'rriq.,., pr'lrdlrrt
nrcnts sociatrx qrri sc produisurt lr pi'ri,rd'c lrclltinistiq"ue
puis, à partir d'Augustc, sors I'Empirc ro'rair. por-rrstriva't le
travail entrepris par des spc<cirlistcs .lu classicisrne conrnrc cllaucle
vatin et Paul Vey'c, Foucault note qlrc l'i'stitutionnalisation du
marlage par consentemenr rnutucl cJans I'Antiquité post-classrque
vie't étayer l'idée d'u'e te'dre co'jugalité. La même e<volution
fondamentalc se produit à I{onre , rô.n la lLépubliquc le nrariage
était pri'cipa,lerne't u'e q'estio' dc rôles à tenir dans u' re<grrnc
patriarcal et les scntiments
''y.clcvient ariguère
avaie.rt de place, alors- qtie
sous 1'Empire la loi du cctnr c,orrrrairè fbnction'.-ile.
Daus les dcux mondcs, le grec et lc ronrai', il sc produit u'cr
< conjugalisation > des relations serr_ic-lles. L'énrcrqence dc
modèles irnpériaux ct la misc ar pas dc la noblcssc 'dont ellc
jaccompagne (celle-ci devenant, pour rcprencire I'exprcssion
de
Ronald Syme, ( u'e aristocrarie sestiôn'airc )) io'tribue't
égalemert à u,e nouvellc prisc de coirscicncc de soi : ie nouvcau
lossé entre naissance et fbnction inrplique à la fois unc rccherche
du statut t:t unc quêtc clc soi.
I)ans I'Anticluité il aucllnc disconti'uité spcctacu-
lair.e dans la pratique de''existait
l'dphrodi.sia nrais e' reveuchc l'éroti.1ue
était nettcnrent dualistc puisqu'elle opposait toruours I'anrour
< vr"rlgaire > à I'anrour -o .oble >. Lc christia'isrne i'versc les
choscs : I'arnour dcvient' unitairJlct bicn entcr-rdu il cst < cl.éshéclo-
nisé r>) alors cluc la pratique du pl'aisir se voit assigner une f-r:ontie\re
156
L'HrsrorRE DE LA srxualrrÉ sEL()N FoUcAULT'
stricte qui séparc les relations héte<rosexucllcs légitirnes dcs
rlnrours homosexuelies illicitestn. ()n assiste cependant dé1à, à
I'apogée de la llome irnpérialc, à I'apparition d'unc tcndance
théoriquc qui va dans lc scns d'une érotiqr-rc unitairc. Ainsi dans
lc Dialogue sur I'antttrlr du pre<cepteur d'IIadricn, Plutarque (qui, clc
f:rçorr significative, cst aussi I'alrteur dc Préceptes conjugaux) 1'értts
cst icrrternent intclgré aLr Qdtnos (lc rnariage), et le dualismc dc
l'érotiquc classiquc cst rc<cusé. Il cst caractéristique quc cette
trnitication de l'érotiquc s'acconrpagnc d'une nctte disqualifica-
ti<rrr dcs praticlucs bisexucllcs (l'aphrodisia unifiée). Plutarque se
lrvre en effct à unc critiquc virulente des hypocritcs qui défcndcnt
ll péclérastic cn fonction dc grands principcs philosophiqucs ct qr.ri
tii'guiscnt aLltant quc faire sc peut sa basc charncile, comme si le
souvcnir des cuisses de Patrocle n'avait pas fait pleurcr Achille...
l)lutarquc introduit cn outrc un conccpt fondamental, celui de
Lltaris, qui désignc lc conscntcmcnt donné par la fcmme dans ia
r-clation anloureuse et qui. conrnlc nous l'avons remarqué, ne
pouvait ôtre accordé par un .jcurrc homrne à son aîné sans quc
t'clui-ci ne soit disctualifié moralement. Ainsi, comme le chris-
tianisrnc, la philosôphie paicnnc dc la bassc Antiquité unifie
l.r théoric de I'amonr ; rnais coutraircment à lui elle ne rompt
pls. l'unité ancienne entre amour et s(-xe, entre sentiment et
t)l:l1slr.
Err conclusion Foucault rappelle le débat sur les rapports entrc
stoïcismc et christianisnrc qui avait tant fait couler d'enc--re au
rltibut des temps rnoderncs. En effet, si pour des humanistcs
t onrmeJuste Lipse Epictète avait tout du chrétien sauf le nom, un
;.rrrsciniste cornnle Arnaud voyait les choses diI}ëremmcnt : les
stoïques étaient certes vertuelrx rnais ils n'étaient pas chrétiens.
l:oucault sc range aux côtés d'Arnaud. A ses yeux la pensée
.rrrtique, malgré toute son évolution moralisatrice qui lui fait
l)r'()L)oser le < paradignre de l'éléphant ,) comme modèlc dc vie
st'rtrclle, garde scs distances avec l'un des aspccts esscnticls du
,lrristianisnre : 1'oblig:rtion dc la confèssion. C'est ce qu'il
r'xlrlique bicn dans uri c-ntretierr publié dans la London Reuiew oJ
/Jrrrrles en 19f11 (à ttne époque où il rédiseait scs cleux volurnes sur
l'Àrrtiquité), dans lequel il insiste sur le rôle fondamental quc loucr
,, l:r véritd' cornmc devoilr dans la culture chréticnnc. Voici deux
ls 1ûir,r., p. 229-2.30.
157
 I
I-OLJ CAUI-T OU LE NIIII].ISME DE LA (]I{AIRE
paragraphcs iongs nrais lunrinctrr qui rr<sur.ucnt bien son
argllnleltt :
< (l.rrrnrc chac'' srit le christilnisr'c cst c.'fcssi.'. clcla
signific 'lrc
q''il appartic'r.à ur.r typc très spécial dc rclisiorrs ccllcs tlrri
llnposcnt à ccux qur lcs prxticlucnt trnc obligation t1e- r'érité. cjcs
oblipçations sonr nonrbrcuscs rlans le christianisnrc. per cxcmplc il y a
l'obligation c'lc tcnir prur vraics urr c'scnrble clc propositions clur
constituerrt lc clogme, I'obligation clc consiclércr ccrtaiis iiur", co,1,l,"
sourcc pcrlnancntc dc vérité ct I'obligation d'acccpter. lcs deicisions dc
ccrtalncs arrtorlt(1s crr rrratiùrc .lc vérité. Mais lc christianisnrc irnposc
aussl llr)e autrc ti.rnrrc d'ribligiation dc vdritct. OI-racluc clrrt<ticn a ic dcivoir
d'c-rplorcr qui il cst, cc rf i sc passc e'l.i, lcs Lrutcs t1u'il pcut avoir
corrrnriscs ct lcs tcntltions auxcluclles il cst cxprcisé. En oltrc .haauu .rt
obligé dc recontcr tout ccla à d'autres ct tloni clc tc<moisr.rcr contrc lur-
Itttlilrt'.
< (lcs dcux crscnrblcs d'oblicatiorrs ccllcs q.i c.ncc.rcnt Il
lc livrc ct le doqrnc, et ccllcs rlui corrr:urucnt- lc rrroi. l'âr1c ct lc c<nrrfbi.
sont liécs. Lc chre:ticn a bcsoin clc la ltrrliùrc dc la lbi quand il vcr_rr - t otrsielciréc colnnlc érnincntrncnt r, rcl;rti<-xltelle r, c'cst-à-dirc
s'cxplorcr lr'ti-rriêtrtc. lnvcrsctlcnt son lccès l) l.r véntr: ,r" p.:t.rt ctrc cs1çrr
sltrs purification de 1'ânrc. Lc boLre'lc'lhiste lui aussi doit ,rlier à la lr-rnric\rc
tr-iour dc:coi-rvrir lli vcirittr sur lui-nrûrnc. Mais la rclation cntrc ccs dcux
oblie.ltio's cst trL\s cliflércntc dans lc boucldhisrnc ct clms lc christra-
nisnrc. l)ans lc boudrlhisnrc c'cst lc nrôrrrc tvpc cic lumic\rc qui vous
llllrc\nc à cle<couvrir cc c'luc'u'ous ôtcs et cn cltroi-corrsiste l:r vi'riiet. l)ans
la lurriic\rc qui cst:rinsi {.ritc sinrult.r.tirnctrt r,r. vous*rnômc ct sur la
vc<rité vorrs clécouvrcz qLle votre rnoi rr'itlit qLl'unc illr:sion. I'airncrais
soLrlignr-r quc la dc(couvcrtc chréticrnc clu rnoi nc révèic pls lc rnoi
conrnlc illtrsion. Ellc lait place à urrc râche qui nc pcrrr i'trr- qù'in,,l.,finic.
(lcttc tâche .r dcux ob-jcctifi. Lc prenricr csr de dissipci rortcs les
iJlusions, tcntations ct séductions cluc pcut abritcr l'csprit Ët dc découvnr
la réalitc: clc cc qui sc passe cr l)ous. Lc scco'cl cst dc sc libcircr clc rour
att:rchcrrlcnt à cc rrroi lron.parcc qu'il cst unc illusron nrais parce qu'il cst
bicn trop rc<cl. Plus rous dltcouvrons la vériré sur plus n,r,,s
dcvons rclolrccr à nous-nrôrncs ; ct pltrs nons voulcln, 'ous-r'ôi'es
,.,r.rrra,-], .r 19us-
tltêttrcs plus trorts avotts b.soin ric rircttrc en ltrmiùrc la re<aliti'clc psr-rs-
nrônrcs. (l'cst cc qlre nolls pourrions appclcr l.r spirllc dc la firrrnulation
clc la veiriti'ct r-lu rcror.rcelnclrt I ]a l'i'iité, spirile tl,.ri cst au r:c'ur dcs
tccirniqucs chriticrrncs du nr,ri rl')
Atr co'trairc u l;r rc<flcxiorr rrr.ralc dc I'A'tiquité à propos dcs
plaisirs nc s'oricntc rri vcrs urrc coclification dcs..t.r t-ti,r".r,.r,-,.
l(). Latl<.tt RLyit'u,ol.lior,[r.2i rrrai-3 jurn 1(r81. D.
i.
15fl
L'FIISTOIRE I)I] I-A SEX Lr AI I'f É SEI-OI.] FOLI(]AU I-T'
lrcrnrér-rcr.rtiquc du sujct, ut.tis vcrs rntL. stylisation tlc l'.rttitudc ct
unc cstha)ticluc dc I'cxistcncc ut". Ilref-cllc cst un rrt de vivrc.iiri
l étc< percllr avec lc trionrphc dc I'lngilissc clu salut.
Foucalrlt tlécouvrc ul)c prcuve re<vélatricc rlc c'e l.rrrssace d'un
ttt's u'olitit à un cot.rtrôlc p:rr la confcssicin durs I'oppositi<tn cntr(l
l':rpprochc païcnnc dc I'intcrpri'tatiorr cies rôvcs et la rrr:rniùrc dorrt
s.rirrr Atrqustin cclr.rsir,lèrc lc scxc. Lc sotrci tlc -r:oi s'attarcie sLrr
l':tnalvsc clc 1-rr Cltl'des,(0nqc-ç d'Artérnidorc cl'Epht\sc. riui vicut
;rrr rr' sièclc aprc\sJ.-C.ll. Art.:urid()rc. (''cst l'anti-Frcucl:'dans lcs
(u.lutrc chapitrcs qu'il corrsacrt: aux rô\'cs sc-rrrels il prencl lc scxc
(()rilrnc lc sii:nrflant clc pre<sagcs à r'cnir utr lictr dc consirle(rcr lc
st'rucl c()rrlnle lc vc<ritablc sigrufié clcs inrlgcs tlrr rôvc. 11 cr>nsidèrc
t:q,rlcrncnt lcs actcs sexucls rôvcis cornnrc lcs srrlnes annonciatetirs
tlc <:ltanqcnrents d:rns lc statrrt social r-t darrs la position cicorror.rri-
,1rrc du rôvcur. L'arglrnrent dc Foucault cst cluc l'onirolo{rù
tl'Artt<rrriclirrc c-st tvpiquc ci'trn an(:icn cn ccci clue la sc.xualitc< y cst
[rrofbndénrcnt liéc lux relatiorrs socialcs. Auuustirr nrininrisc cn
rr-'r'unchc lcs rclatiorrs avcc lcs àLrtres ct se c()nfcntrc plutôt sur le
l)r()blr\Tlrc clu nroi dans ie conflit cntre volontrl r-t scixc. I)lns lc
,cie\brc cluatorzie\mc livrc-' tle I-a Cité tlt: I)iu, tl opposc lcs
r.clatior.rs scxuellcs avant et aprc\s la Clhutct. l)atrs notrc état c'lc
pérrhel lc scxe est porlr iui l'cxcnrplc nrôrlc cic la pcrrtc tle la
rrraîtrisc dc soi. l)or.rn:rnt ull tour dramatiqr-re ;i la vieillc iclée sclon
l.rqtrcllc l'acte scxncl constituc ur.rc lc<sèrc crisc cl'épilepsic (cf. plus
lr:rrrr p. 'l 51) il décrit cclui-ci colnnle un spasnlc épouvantrrble clans
it'.1ucl lc corps cst clt proie à d'cflrayantcs sccousscs. Ar.r paradis
It' :,cxc était ar,r contrairc unc merveilic dc maîtrisc clc soi" Dans
l'.rt-rc scxucl Adarn contrôlait I'cnscmblc dc son corps conrrnt: n()s
,loigts pcllvent contrôler chtculr cle letrrs qcstcs:' lc scxr- ct la
volorrtcl n'étaient pas cncorc dissocicis. L.a lcçon est ckrnc clairc :
,lcs lc d{but la pcnscie chri:ticnnc fait pcscr sur I'clros lcs plus
sonrbrcs soupçons. La u bôtc cl'avcu u rcrnplacc l'csthtitiquc clu
1,1:risir par ulrc introspcction drr désir dc<valorisé qLri cst à la fors
,lt,rrlourcusc, se<vc\rc et rL<prcssivc. l,a vicroirc spirituerllc sur la
lrbitlo cessc cle consistcr à rcgarclcr vcrs 1c haut clt sc soi.rvcnant dc
( (' cjr.rc l'ânrc avait su il y a longternps ct cnsuirc <tublié, conrntc
)ir |,)ltcurlr. l()lJtr i,rl. p. l0ô.
' 1 lirruclrlt.
l 9ll.+ f /, i. rr. l6-5(l
159
 FOUCAULT OU I-E NIHILISME DE I.A CHAIRE
c'était le cas chez Platon. Elle cn vient à consister à ôtre
constamment sur scs gardes pour nc pas péchcr et à regarder
< conlinuellernent vers le bas ou I'intéricur afin de dc<chiffrer,
plf t]ri 1,",t nrouvcntcnts de l'ârne , ceux qui vienncnt de la
lrbrdo D-'.
Les spe<cialistes dc la pensée antique nc tarderont certainerncnt
pas à juger la valeur des intcrprétations ef des conclusions de
Foucault. LJnc chosc est cependant certainc : il sc réfèrc à présent
à l'opinion dcs experts bcaucotrp plus souver-rt quc- dans toirtcs scs
autres grandes (Eu\rrcs historiques rc<unies. De plus, outre qtrc la
qr,ralité de la littératurc consrrlrée est égalemcnt supérieure. céllc-ci
r'onrprcr)rl gfni'ralcrncnt lt's t.ruru^ lcs plus rriccrrts. l)our
quelqu'un qui dans La uolonté de sauoir s'appuyait encore sur des
supports historiographiqucs aussi fragilcs quc 7-he Other Victonans
dc Steven Marcus (1966), ce progrès est loin d'êtrc ncigligeable.
ISien qu'il soit sans contestc beaucoup moins facile de dépoussié-
re'r un te-\te grec ou latin complèternent oublici que dc dc<tirrcr des
trlitcis abstrus ré.ligcs ) la llcrrarssar)('c ou des codcs disciplirrairt's
obscurs datant dc 1800, de sortc que dans son.rrchr:olosie de la
scxrralitti l'crnrdition dc Forrcatrlt divrit rrtlccssaircnrent:rpparaitrc
sous dcs formes plus co'vcntio''elles ct moi's specticulaires,
c'est ne<rlnmoins en dernièrc analyse ici plutôt clue daris scs travaux
antc<ricurs qu'il sc rapproche de I'esprit conquéranr de la nouvellc
historiographie, de la voic ouvcrte par des pionnicrs coûtnle
Philippc Ariùs, cc chroniclueur de l'évolr.rtion des rnentalités
conccrnant I'cnfance et la rnort. A I'occasion de la mort d'Ariès
Foucault rédigea pour Lc lxittuuel obseruateur un article tout à fait
dans la vcine du culte du héros (minimisant par la mêmc occasron
sans aucunc élc<gance I'ctrvre de l-awrcnic Stonc). euant à
I'esprit de la nouvclle histoire, Pierre Nora tente, avcc une équipc
d'érninents collègues historiens, d'e' donncr urc préscrrtâtiôn
théoriq-uc définissairt à l'histoire < dc nouve"u* ptôblù'nres, de
nouvellcs approches ct de ltouveaux objcts u dans les trois
volumes dc Faire l'histoire (1977\.
On pourrait il est vrai pinaillcr sur la résistance de ccrtarncs
interprétations xu vu des rechcrchcs les plus réccntes. Ainsi le
tablcru quc fait _Foucault dc la pcidttrasrie semblc .luclquc pctr
sous-dévcloppé du point dc vue sociologique. Il cst bicn ètrt.,.rdu
22. London Rpiru o.l'Ilooks, op. tit., p.5.
I60
r_ F{rsrorRE DII r_A srxuallrÉ sF.r.oN r-oLrt.AUL r
lssez réalistc en ce qui concernc la pratiquc ancicnrrc: pes un
instant il nc confond la sur-spiritualisation socratiquc dci I'éros
itonroscxuel quc I'on trouvc chcz Xc:'opho' a,",ec ia r,éritc, sociale.
Ccpcrrtlarrt son .rrr.rlvsc sc r(i\ i'lc e rr tlcrrrit're lrral\.s.. nr()rns
..rcl.rir:rrrtc dtr point d.l s,ci.l.qiqrrc tlrrt't'cllc,1,.K'. j. l).vt'r
tlans ()reak Hornost'xuality 'ue (l97Bj, auqire I Fouca,rr i" réfèrc
t'cpcndant à plusicurs repriscs. ()r si l)over cst lc maîtrc clc la
rcintcrprétation de ia pc<clérastie grccquc c'cst qu'il dc<molit la
tlrèsc <, d.ric'.c u bâtie par ies Allôrrrarids à partirl dc I'hypothc\sc:
sclo' laqucllc les raci'cs dc I'arnour grcc'c trouve't ilarrs la
t'arnaraclcric militairc (un brillarrt rcprésentarrt dc ccttc théoric
.l.ricrnc, E. Ilethe, cxplirl'c tlrrrs un iru".rgc rédigé pcu avart la
Prc'rielrc lIucrre rnondialc quc la pédér:rstic hclléniquc reposc sur
ur)c corlceptlon spcrnlatiquc cle l'ârnc : lcs mcillcures vcrtus de
I'hrrnnrc étant localisc<es d.r.s so, spcrr)e. la s.dornie e<tait,
['crrsait-on, la mcilleurc laçon dc comrnuniqucr lc couragc à un
l('ullc guerrier...). l)over rc-jcttc ces [ralivcrncs nriiitarist"t-n p.rr-
\rcnncs > et insistc sur lc làit cluc dans le citt-i grccrluL- tout
(r)c(.)uragcait une sociabilitc< visitrle cntre honrn.r"t. ô,rt-r-rùlc llolls
l':rv.ns vu Foucault cst se'sible à la clif-tlrencc dc statut entre ies
tlp.uses et lcs éphèbes, nrais il n'i'siste pas sur lc rnécrrisrnc cle
It'rrr positiorr socialc. rri srlr l.r logiquc.lc lcurs sitrrarions
r('spcctives. cependant je ne puis ricn distinguer clans ce qu'il dit
,1rri scmblc err contradiction avec les travaux dcs nrcilleur,
lc' stùct. ""n..t,
'rrr
cles cleux volumcs scnrblc't égaicr'ent fairc :,pparaître unc
rlv.lution sigrrificative dc I'historiographie cle Foui-ault. cette
t volution rcnforce crr partic des tcnclanies quc I'on pouvait clcjà
,iisccrner da's La uoktttîé tJe savttir, sino' avant, comnre par
..'xonple
,l'atténuation clc I'optiquc < césurale > (la ruptur" l"
tlréorie de la coupurc) et ia fra'che adnrission qu'ii cxiste ",r..-des
r,lrénonrèncs évolutiû;. Il parlc ici ci'urre ( rrès lerlte e<volution > du
l,.rga'isme au christi:rnisnre et, plus l'i', de l'érotiqtre de
I'Antiquite< classiqne à l'ars dmatdi dc la bassc Antiquitér:î. Mais
tlrrrrs cctte c<volution de nouvcaux racteurs cntrent ilgalcment en
-compris la question religicusc" En l97lt, i,rt.r.ogcarrt
l:u, y
|.r-rcarlt dans so' nonvcl appartcrne't de la ruc dc vauqirarcl
.rvcc S. P. llouarict, je lui dcmarrdai s'il aveit l'intcntion d'éùnclre
'i. totrcrulr, 19fi.l /al, p. 7.1 : 198.1 (hi. p. 50.
t6l
 FOUCALI I- I OU I-Ë NIHII-ISMË I)}: L,{. (]HAIItIl
I'histoirc ( archa'ologiqtlc ,' à I'crpérience rclisicttsc. Il me
répondit rrflirmativentcnt, ajctutlnt ccpendant quc dans ccl
clclmainc cc qui I'intelrcssait récllcrncnt c'eitait la sorccllcriel+- Son
dcrnicr ouvraqe, à cc jorrr (l9tJ4) cncorc à paraîtrc, Lcs avcux dt
la chair (le quatric\nlc ct dcrnicr vetlurnc clc l'ilisftrirc dt'ltt stxualité),
constitlle ccpcnclant nnc rerflcxion srtr lc christianisnrc crtntmc
ciuintcssencc dc la foi u confèssionncllc >.
(lonrnrc sorr rnaître Nictzschc Foucault n'.rimc clc toutc
évidcncc pas la forrne d'csprit chr.iticnne. Oepcndant ricn clans lcs
dcux volumcs prc<cc<clcnts, t-rir il fàit souvcnt allusiorr au christia-
nisrrrc commc au négatif, pour einsi dirc, clc I'e<rotiqtrc ancir-unc,
r"r'cst cornl'rarablc à la drarnatisation nrarrichciennc dc I'histoirc à
laqucllc il sc cornplarsait auparavant. Assurd.mcnt technologic dc
soi ct nr:rîtrisc de soi, âLl scns ()r) ccttc clcrnie\rc cst meuv:risc parce
qu'elle constituc rrnc clonrination réprcssive, totdcnt à sc fbndrc
darts lc clrristianisnrc lrrrrcaldicrr. rriais il st'rnblc rntlirrs ilrsistcr
pour donncr lc nrauvais rôlc à ccrraincs forrncs culturclles ou à
ccrteincs clpoqtrcs. Lcs sombrcs siècles dc l'hcrmc<rrcutiqtrc dc sor
et du péché scmbicnt nroirls s'ettirer les reprochcs c'lc For-rcarrlt quc
lc grand rerrf-ermcmcnt, ia psvchiatrisation clc la fblic. I'anthropo-
iogismc i'pisténriquc ct lc svstc\nrc pcinitentiairc nrodcrnc.
L'adcptc dc la KulturËri trk s'cst-il radouci ou bicn v a-t-il dans son
sujct qurelque chosc qui cxpliqtre cc changcrnurt ?
Jc soupçonnc quc la vc<rité sc trouvc dans la sccondc hypothèsc
et dans cc qui corrstitr-rc urr parado-xc clans l'histoirc cle la pc:nséc
-clc Foucault. Je rn'cxplicluc. l)ans sl ;rrernie\rc cnvolcic orisinalc.
I'Histttirc de la,f,tlia, Foucault s'était trouvé confronté au problèmc-
de la signification dc la folic pour lcs autrcs, c'cst-à-dirc pour lcs
honrmes sairrs d'csprit qui jugcaicnt lcs fous. A I'autrc c-xtrérnité
dc son ricire vovagc historico-philosophiquc il s'attaquc au
problèmc de la significiltion clu serc p<'ur soi-nrôrne, clc la libido
clr tant c1u'ellc constitue lc rnate<riau lc plus cxplosif auquel
I'individualite< activc ptrissc ckrnncr forrnc. Mais il v a là quclqtrc
chosc d'intriqant : si lc dcrrricr the\nrc abordct par Foucault cst, à
travcrs la scxLraiité, I'aflirnration ou la mrîtrisc clc soi. oll cn(.orc
I'introspcction hantéc par lc pc<ché. qu'L'tt t:st-i1 dt, sa lon.Ere ltholtie
du su-iet? L'cnl<rdtrid conlntc la confcssion présr-rpposcnt plcrnc-
mcnt la subjcctivitr<, c'cst-à-dirc ccl;r nrônrc quc Fotrcauit (qui, sur
2.1. (ii-. l{ouurct. 1971, p. +()--tr1
t62
L'FIISr()IRE tlu t_A st,xuAt_lrÉ ssr.()N Ir()ucA{.it_.1
(c poinr, rcsta fidèlc au srructuralisrnc prcsquc jtrsqu'atr bor_rt)
rxltrs avait appris à nre<priscr c()nllnc rrriragc rrieitaphysiquc ct à
;rblnclonncr comnre ilrstnlnrent c{'aualvsc darrs l'expiication des
l)r()ccssrls soclaux. Il cst vrai Lluc, contnlc nous I'avons vll, scs
rlcrnic\rcs <ruvrcs ntcttcltt davantaqc I'acccrrt srrr lc suiet. Meis la
tlrrcstion quc llous posor]s rtrair-rtc';ant ùst dc tout autrc rlatLlre:
cllc nc portc pas sur la subjectivité conrnlc variable dcipcndantc
(pr,rclttit historiquc du 1-r611yçyi1-) rr"reis sur lc sujct cornrnc variablc
inclépcrrciantc, conrnlc tbrcc fàçonr)ant la conduite. Foucault cn
rrrrivc-t-il à rncttrc I'lccent sur lc sujct non scu]cnrcnt conilnc
tlrù'rnc nruis aussi c()nrnrc vi'ritablc fàctertir ?
I)isons lcs r:hoscs :lutrcnlcnt : cst-il possible quc. dans I'truvre
dc f]oucault clcs anrreics fJ0, lc su-jct ei aucc 1,.,i la catégorie de
i'.iction htrnrainc purc ct simplc soicnt fln.rlcrnr'rrt rachctrli, nrômc-
\r c'cst cir: façon tacitc, or.r qu'ils rcntrcnt t:tr sce\nc à ia dctrobéc?
[]otrcault était-ri qr train clc conclurc unc paix secrc\te avcc le suict ?
.|
'cprouvc pcrsonnellcnrcnr dc la tJifiri ulirt ) t.rrrc cadrcr t'histori-
(luc quc rctrtcc I'Histrtir.r_' dc Ia s(xualité avcc le lcitrnotiv c{u
pouvt>ir-savoir clans lcclucl lc sqct n'cst qtr'un instrurr.rcnt dc ia
ikrminatiou. (llr si la < bôte d'avcu o chréticnnc peut cncore ôtre
('()nçucr dans ccttc pcrspcctive , prrisqu'cilc passc son tcmps à
srrrvcillcr sers disirs sous la prcssion dc la loi rnoralc, cela À'est
"rbsolunrcnt pas possibic pour lc sujct clrcratiquc dc I'Antiquité
;uicnne. Nous sonrrncs ici cn préscrrcc cl'uti excmplc: très nct de
strjct sarn, vrsiblcnrerrt sans rclati<-xr avcc unc donrination sociale
cic I'iucliviclu.
Aux yeux de certains ;lutrcs thctoriciens, qui s'attac:hcnt aussi
.r sorrth'r lc scrrs proforrd tlc I'hist.irc ctrlrurclie. il n'v aurrit ricn
ti'(rtrangc à assimiler le progre\s dc 1'Occiclelrr à un dc<vcloppemcnt
à sranclc échcllc cle la maîtrisc dc soi. f)ans Le pricessus de
ririlisation (1939) Norbcrt Elias aflirmc quc la civilisatiàn csr avant
tout unc c<volutior.r gi'rréralc où l'on passe de contrâintes socialcs
:r une auto-contraintc (Selhstzu,an(/. I.c problème avec Foucault
(''cst quc colltntc il rc<cusc tout ltct lcs valcurs positivcs attachées
) la r, civilisatioll ') contntc proccssus qui apparaît au dc<but des
tcmps ntodcrncs pour ôtre errrsuitc renforcé par les Lurniè'rcs ct par
lc libriralisrne victoricn, il nc pcut crr bonnc logiquc accréditer unc
tcllc civrluation clc scs conséquenccs historiqucs. Ponrtant il rrc fait
:rLrcun doutc qu'à partir dc l.'rr-sage des piaisirs il accorde bcatrct-ru1-r
il'irnportance i Ia fbrcc cie la volonré clu sujet.
| {..1
Y
l-C)UCÀUL'I ()U l-tl NIIIII. ISMË I)tr t.A (il{AIRE L'HIST()IItE DË t.A sEXUAt.t'rÉ sr,r_<lN F()rrcAtir'l

La < volonté ,r cor-rstitue clr efîet ici uu conccpt clc1. F.n fait une
grrtrdc partic dc tr.' qut' Fouc'ltrlt .lit strr l'utkraitia ('t sur le scluci
dc soi clu stoïque résolu pourrait êtrc lu à la lunrière des étudcs
modcrrres sur l'histoire dc l'idéc dc volonté dans la pcnsée
iundiclue ct philosophique. I1 aurait e<té tre\s instructil- d'avoir lc
conrnrcntairc de Foucault sllr une trruvre réccntc contme 71(
'l.hcory of-Lfill in Oldssical Antiqity (1982) d'Albrecht I)ihle. Pour
pcnsée occident-ale pour ne jamais plus cn clispar.rîtrc, rrrôrrrt. .r1,r,..,
lc rcflux de la foi corlmc factcur fo'da'rcni:rl dc l:r tirrrrrt',lt.r.r
culturc occidentalc. l)ans cc cas, conrnlc Raynrrlrrd llt'll.rrr lrrr
prompt à lc renrarqucr, à préscnt que tant dc tabous sr'xrrt.ls orrt
disparu, la c1r-rcstion prcssJntc qui r-rous rcstc pose'c cst l;r srrrr..rrrrt.
conunent chacun dc nous, hommc ou fèrnmc, cl<>it-il st. (rt.)tlt.lr
rrir cornmc sujetlt'? L)ans notrc culturc hédonistc il cst t'rr r llt r

cc spécialiste clu classicisnic, professcur à Heidelberg, lc concept probable quc ccttc rcdéfinition se lasse avant t()ut crr tirnt'l r.rr ,irr
dc volonté comnrc factrlté dc i'csprit indépendante de I'intellcct ou plaisir et du de<sir. S'il cn est ainsi la geinéalouic firrrt';rltlrt.r)rr. trt
clc I'i'n-rotion n'est janrais utilisé clans la thi'oric grccque ancienne ; I'n hornmc dc désir ,r n'cst pas sans rapport avcc s()lr l)r-()l(.1 l).r,,
c'cst cssclrticllemetrt ture invcntion clc saint Auqustin, qui fut lc roujotrrs re<ussi d'r-rnc histoire critiquc du prc,:..rrt.
prcrricr à utiliser 1e conccpt dc vokrntci (t,olwûas)dans son scns
rnoderne et occidcntal, pour laire référerrce à ce qui cst au c(Fur
rrrênre dc l'lrorlmc nroral. C)r Foucatrlt consacre Les aut:ux de la
chdir la sctrie pertic historiqr-re dc son Ilistttirc de la sexualité qui
porte- srlr lc christianisrnc à la théologie paléo-chréticnne des
l)èrcs clc l'E{li:c. qtri cst- si prtissamrtrcnt tlonrintic plr saint
Augttstin. En outrc, collulte I'iuclique claircmcnt l)ihle, le rôle
crucial attribr-ié à la volonté dans les systc\nres imbriqr,rés de la
psychologic et dc la tl-réolo14ier cle saint Ar.rgustin résultc principa-
lcmettt d'un u t:xantelt dc'soi intensif )), cornmc en témoignent st:s
Oanfessionsz5 s1 I'exanren de soi intcnsif constitue précisémcnt
- Foucault, définit lc stylc morai du christianismc
lc trait c1ui, pour
et cette u bôtc d'avcu u dont I'honnre rnodcrnc cor-rstitue une
version laïquc ulte<rieure. du moins en cc qui concerne la
techrrolosic du nroi.
Or la conception eugustiniennc de la volonté, fondée qr-r'elle
était sur I'irrtrospection. ct qui était destinée à occuper unc place
si cetrtrale dar-rs la doctrine chrétiennc, trouvc sorr originc dans
r-rnc problénletiquc qui n'cst pas éthico-sexuelle nrais éthico-
rclisieuse. En outre si comnrc Foucault I'atlirrne à juste titre 1a
nraîtrise cle soi ct la constnlctlon de l'ârne (ce que Clicércln appelle
la rultura animi) c<taicllt si préérrrinentes dans l'Arrtiquité païenne,
comnl€nt se fait-il quc lcs (]rccs ct lcs I{onrains n'aient janrais
tilabort' LL' c()n('cpt dc la volorrti' ? A rr corrtrairc <lri pourrait
rérphquer que c'cst quar.rcl lc pécht< et le salut en vinrent à dorniner
les préoccupations dc la perrsée pré-nroderne quc la volonté
alltolronle. crctte structurc csscnticllc clu sujet, epparut dans la
l(r. [Jcllour, < LJne rôvcrie rrroralc D (cotnpte rùrLlu sur L'u:,t.qt dr plaislr-ç ct /-r itrlrrl r/r ,,,r)
25. l)ihle. 19ti2. n. 117 Ild.qa:inc litttrdirt , mei 19tJ4. r.
Y
)7- r(l
''. "

164 165

Chapitre 10
POR TRAIT DU
,vÉO-AAJA RCHISTE
(]ucl est lc scns fondarnetrtal dc I'ceuvrc de cet irrchéologuc dc
la pcnsée, dc cc généalogiste des rapports savoir-pouvoir, de cct
r< historien du présent t) que fut Michel Foucault ? Il cxiste trne
for.rlc dc livres qui répondent à cctte question. Voici dix ans
Angèle Krcnrer-Marietti se denandait, à la fiIr de son Foucault ,'r
I'archéolo.qie du -savttir, si I'cnsenrblc dc sotr entreprise c<teit solis-
tendu par une mdtaphore originalc. Elle en voyait une dans le
regard anatomiqrrc. ToLlt conrûre I'anatomistc qui dissèque les
cadavrcs cn allant dc la surface aux profondeurs ct en mettallt à
nu tous les clétails des différentes couches du corps, fibre par fibrc'
tissu par tissu,. mcmbrane par menrbrane, muscle' par muscle,-sans
jarnais pouvoir saisir le secret de la vie, I'historien r, archéologi-
que > dissèque une foule de discours et de pratiques en refusant
de cécler au nriragc de cette cornpréhension globale cle totalités
culturelles appartcnant au passé que recherchaient autrefois les
historiens-philosophes néo-idéalistcs. Voilà cc qui sépare Diltheir
de Foucault. Fils de médccin, I'arche<ologue du discours soumet
l'histoirc au scalpcl. C'est là ce qui caracte<rise sort cntrcprisc. Mais
que dirc de la nature de ses retsultats ? Sur ce poirtt les réponses
divergent très largement. Pour Panrela Major-Poetzl (Michel
f;oucault's Archeology o-f Motlern Culture , 19tt3) I'apport lc plus
précieur de Foucault résidc essentielleûrettt dans Lln nouveau
166
poRlRArl ou NÉI)-RNARCHTsTE
paradiume pour les scicnccs hnnraines fondé sur des pnncipes
analogues à la théorie du champ de la physiquc rnoderne. S'en
tcnant à l' < archéologie , Pamcla Major-Poetzl aflirnre qu'elle
corrstituc. :ru mêrne titrc que la physique modcrne, un modc\lc
abstrait qui impose un clrdrc à une expe<ricnce du désordrc. Sorr
point-dc-vuc cst donc cliamétralement opposé à cclui d'Hubcrt
l)rcyfus ct dc Paul Rabinow dans Nlichel t'oucault : Beyond
Structuralisrn and Hennencutics (l9ft2). Pour ces dcux autcurs la
sascsse dc Foucault consistc cn t'ffet cn cc qu'il se soit éloi,qné dc
I'archéologie ct dc scs présupposés parastructuralistcs cn fàveur
cl'unc u analytique intcrprétative ,r du < pouvoir, de la vérité et du
corps )). Pour résumcr, ce qtr'il y a de mieux chez Foucanlt c'cst
sa cénéalogie plutôt que son archéologic ou, si vous prc<ferez, son
post-structuralisntc plutôt quc son quasi-structuralismc- Cepcn-
clant si I'on gardc en mémoire la trcmpe nietzschéennc dc la
pensc<c fbucaldicnnc (qui s'accentua, j'cn convicns, après Les mots
et lL's chose-s) on s'apcrçoit vitc que le fbssé qui sépare, chez
Foucault, I'arche<ologuc du ge<néalogiste n'est pas un abîn-re. La
placc ccntralc qu'occupc Nietzschc dans la vision dc Foucault est
soulignc<c par son principal traductcur, Alan Sheridan, dans
Llithcl Foucault : T-he Will ro Truth (19U0). Sheridan suggc\re que
son héros est le Nictzsche de notre propre fin de sièclc, ce qrri
constitue unc perspcctive provocante. bcaucoup plus intéressante
cluc cellc de ceux qui, comme Annic Guédez dans son Fttucdult
(1972), ouvrâlle bien antérieur au prc<cédent, se f-ondent sur I'anri-
positivisme de I'archéologie pour finir par praticluemcnt l'annexer
à la the<orie socialc lyriquement humaniste dc Gurvitch et de
Henri LeGbvrcl ccs deux adversaires notoires du structura-
lisnrc en raison de - la pre<tcr-rdue ob-jcctivité et du < technocra-
tisme > cic cette théoric. L'un des rarcs aspects positifs de l'étudc
vcrbcusc dc Charlcs Lcmert et de Garth Gillan intitulée Michel
[:ttucault : Social Theory and TransQression (1982) est qu'cllc met le
cloigt sur une veine nietzschécnrlc transmise à Foucault oar
l];rr;illcr.
Recorrnaître I'existencc clc cc < licn avec Nietzsche )) nc met
ccpcndant pas un tcrrnc au débat sur la placc qu'occupc elr
clcrnic\rc analyse Foucault dans la théoric radicale. Alors quc pour
l. (itrctdcz. 1972. p. 10-1-l()6"
l. Lcmcrt ct (lillen, I<)82, p. 22-25
167
 FOUCAULT OU T,E NIHILISME DE I-A C]IIAIRE
Ilarry Smart (Foucault, Marxism and Oritique, 1983) sa penséc
( tral1sllressivc r cst ult atout dans la mcsurer où elle libèrc la
critiquc des crrcurs qr"r'irnpliquc I'idéal marxiste de ,r, rationalité
supérieure D tarlt dans le domaine dc la connaissancc (sous la
fbrrne d'une o science de I'histoire >) quc dans cclui de I'histoire
réelle (sous la formc du socialisrnc, qui cst atrjourcl'hui aussi
cliscrédité que lc capitalismc)r, Colin Gorclon e st d'un avis
exactenrent contrairc. Lui aussi cstimc nécessaire une nouvcllc
u logrque dc la révoltc >, rnais n'opposc pas poLlr autant lcs
dispositits de pouvoir identifiés par Foucault à la théorie mar-
xistc+. I)our Shcrician I'anatomie politique dc Foucault, qui est en
( rllpturt: radicale )) ave c la gauchc cornnle avec la droitc,
corrstitue unc nouvcllc théoric ct Llnc nouvclle pratigut: politiqucs
qui sont issues clu discrédit clui pèsc srrr lc maruisrnc'. Pclur Srnart
ccttc anatomic est bien issuc clc ce discrédit, nrais clle n'en
collstitlle pas pour autant une nouvclle théorie ct une nouvcllc
pratique : elle n'cst qu'unc < critiquc > très r"itile. Pour Gordon
Foucault identific des lbrnes de pouvoir qui e<taient jusqu'aiors
néeligées, rnais il n'est pas nécessaire dc décrirc son entrcpnsc
comnrc un défi nietzschéen lancé au nrarxisnrc.
Comment choisir erltre ces interprétations ? I)'abord il nc
m'apparaît pas possible dc rninimiscr lc lien cntre l'æuvrc de
Foucault ct celle de Nietzschc. On peut dire quc Foucault cst le
meillcur cxcrnplc de néo-nietzschéanisme que I'on puisse trouvcr
dans la pcnsée occidentale corltemporaine, ct quc de surcroît
I'utilisation qu'il fàit de Nietzsche t:st extrôrncment originaie. Il
existc unc définition bien connue de la philosophic françaisc
dcpuis la guerre , que Vincent l)escombcs fut le prcmier à
propose r, sclon laqnellc' si pendant les année s 40 la pensée
françaisc fut dominée par les trois H l{cgcl, Husserl ct
Heideggcr -
lcs années 60 llrent, elles, essenticllcment filles de
ces trois < -nraîtres du soupçon u que furcnt Marx, Nietzsche ct
Freud. Or cela cst tollt spécialen-rent vrai dc Foucault, dont les
fresques historico-philosophiques sont donrinécs par I'ornbrc
d'un irrationalismc nictzschéen qu'aucun écho dc Hegel, de
Husscrl ou de Fleideggcr ne vient troublcr. l)ans le chapitre VII
.J. Srn:rrt. l()u3. o. 136-1-17.
,1. (lordon irr (irjrclon. 19li{). p. 255-25ti.
5. Shcridan. 1980. b. 21fJ et 221.
168
poRTRArr nu NÉo-RNARCrrrs-fE
dr-r Gai savoir Nietzsche drcsse la liste des thèmes dont il reste a
f:rire I'histoire : I'amour, la convoitise, I'envie, la co'sciencc. la
pitié, la cmauté; il rnentionne égalemerrt qu'il faudrait fairc une
histoire conrparée du droit et unc autre dels pcines. Pe-ut-or.r lire
ccla sans rcconnaîtrc immédiatenrent au nroins une Dartic dL1
travail historique entrepris par Foucault ?
. Unc fois que l'olr est d'accord avec la sigrrification stratégique
clcs origines de ce travail tout ct: qui reste i'rni..
c'est de rncsurer 'ietzschéenncs
la ualcur de cette reprisc crélrricc dc Nic-tzsche à
l:rqtrellc s,.' livrc Forrcarrlt. l)lrrs Li,g, a.{.qin, Irorcrt'. lrtiit,i,ltto, qui
cst à mes yeux le livrc le plus profond écrit à cejour sur Foticault,
Vittorio (iotcsta résurirc son jugcnrent sur lui en disant oui à
I'historien ct non à sa niétaphysique de l'aliénation. Clotesta fait
I'c<loge des recherches historiqucs menécs par Foucault mars ne
parrrient pas à accepter son anthropologic historiqlle, parce que
toute vision oir les relations socialcs seraient envisagécs corrmc
norr aliéne<e s li.ri est étrangère('. Comme Nrctzsche Foucault
considère la volonré dc pirissancc de I'individu comme une
c'lonnéc qui constitlrc un dcstin incontournable. Les formes cJe
cettc libido dominandi changerrt constarnnent à travers I'histoire
rnais sa rlatlrre ne change, elle, jarnais. Dans la rnesure où
I'hornme est synonyme de volontc< de puissancc il est impossible
dc venir à bout de I'alie<nation socialement, par la violencc. La
luttc est sans fin. Foucault ne combat donc pas lcs puissances en
place au nonr d'un pouvoir plus rroble et plus hdmain : il les
r:ombat simplement parcc qu'elles ne sont pas plus légitirnes que
les forces ou les résistances qui s'opposent à elles. C'est là une
pilule trop anrère pour être avalée .en ltalie, otl la culture
d'opposition reste largement à I'abri du cyrrismc parisicn qui, tel
unc sueule-de-bois idéologique, fit suite à la vogue dc I'existen-
tialisrne. C'est pourquoi Cotesta s'efforce de faire apparaître
I'histoire critique de Foucault conrrne pure de cette noiiê vision
rlc I'hon-rmc.
Cc jugement sur Foucault pose néanmoins deux grands
problèmes. Lc premier est quc chez Foucault l'histoirc, côm-e
j'osc lc dirc ce livrc 1'a anrplemcnt de<nrontré, est loin d'être
tor-gours saine. Sans doutc ouvrc-t*ellc sorlvent dc nouvclles
perspectivcs, ce qui lui confèrc des vcrttrs hcuristiques. Mais scs
(). (lotesta, 1979, p. 172.
169
 FOUCAULT OU LE NIHILISME DE LA CHÀIRE
confirsions conccptuclles ct ses iaiblesscs explicatives (soulignons
en outrc qu'il s'agit toujours d'une n histoire à thèse u) pèsent plus
lourd quc son apport rc<el. Les données historiques sur lesquclles
s'appuic Foucault sont trop sélectives et trop déformc<es, scs
interprétations trop généralisatriccs ct trop partiale-s. Ainsi, loin
dc compter cn cllc-mômc en tant que recherchc ou pour sa
perspicacité, son histoire finit par ne valoir quc cc que vaut son
Weltanschauung, c' est-à-dirc pas grand chose.
Ccrtcs Foucault nc ccssait de répéter que sa façon d'écrirc
I'histoire n'était pas ( nornlale >. Il le réaffirme pour la dcrnière
fbis, me semblc-i-il, dans l'lntroduction de L'usigt des plaisirs oit
il signale à nouveau que scs études sont des étudcs d' < histoire >
et non pas d' < historicn )). Toutcs les équivoqucs dont il s'entourc
ne pcuvcnt ccpendant pas le tirer d'afïaire ici. Historicn ou pas ses
travaux présupposent toujours qu'il est fidèlc à la vision que
chaque (<poque a du sujet qu'il traite (la folic, lc savoir, la
punition, le sexe) et que ses documents (archivcs médicales et
adminisrratives, vieux traiteis crnpruntés à nornbre dc disciplines,
fichiers pénitcntiaires, littérature de l'éthique sexuelle, ctc. )
peuverlt lui donner raison. Le fait rnême qu'il utilisc dcs tcrmes
cornmc n document > (comme il le fait pour la derniclrc fois au
début dc L'usage dcs plaisirs) montre que malgre: tout lc mépris
u nietzschécn > qu'il affecte pour la vérité objectivc, il lui plaît tout
autant c1u'à n'importc quel historien conventionnel qu'clle parle
pour lui. En d'autres termes, quel que soit le type d'historiogra-
phie qui soit ie sien, celui des historiens ou un autre, Foucault est
le prcmier à affirmer que les preuves sont de son côté. C)n nc peut
donc gue\rc cxernpter ses analyses historiques du type d'évaluatron
auquel on sounlct généralemcnt ces études. Nous avons donc lc
droit de nous demander si ses interprétations sollt confirmées par
les faits ou si cllcs sont au contrairc trop fantaisistes ou tr<.rp
forc('cs. Or si ccrtaincs d'cntrc elles sont viaimcnt su!{gcstivcs. ;i
elles jettent mêmc r-rn jour nouveeu sur les données historiques,
bcaucoup d'autres sont souvcrlt, comnrc nous I'avons vu, trop
tirées par les cheveux pour ôtre e<tayécs par lcs fàits. Ni plus, ni
nlolns.
Lc second problèmc est que lc verdict < oui à I'historien, non
au philosophe (nietzschéen) u à tendance à ignorcr url aspect
important : Foucault est nietzschéerr soit, nietzschéen sur bien des
points csscntiels, mais il n'est pas nictzschécn des picds à la tête.
170
PORTRÀIT DU NÉO_ANARCHISTE
Comme on l'a rappelé, il peut mêrne sembler qu'il n'y a rien dc
nictzschéen dans l'élégant Kulturpessimismus auquel il s'abandonnc
parfois. I1 est vrai que cc qu'il dit de la mort de I'homrne à la fin
clc Les fttc,ts ct les choses ct de 1-'archéologie du sduoir n'a rien dc la
thrêne, du chant funèbrc. Mais ct: n'est pas non plus unc
ar"rthentique cxplosion d'nmor -fati,le ton n'cst pas non plus celui
d'un défi plein d'espoir. Nietzsche était un penseur nervcux mais
aussi enjoué, ce qui n'est pas le cas de Foucault. Même Ian
t{acking, ce philosophe de Stanford dont les écrits sur Foucaulr
témoignent d'unc grandc sympathie à son égard, convient quc
parce qu'il présuppose quc I'optimisme ct lc pcssimisme perdent
tollt sens une fois que I'on se débarrassc de I'anthropologisme et
du mvthe humaniste d'un sujet transcendental Foucault ne nous
ot-frc u aucrrn substitut à cc qui. sous.quclquc forme quc ce soit.
jaillit étcrncllemcnt dans lc cceur dc l'honrmc r /. Nictzschc faisait
au contraire surgir le surhomme qui triomphait joyeusernent du
rrihilisme. cette âme de la dc<cadence. En profbndeur la pensée dc
Foucault est peut-être à rni-chemin cntre I'assurancc de Nietzsche
ct I'ave rsion rnodernc pour la bonnc hurneur. Il cst assez
nietzschéen pour évitcf la nostalgie mais égalemcnt asscz
u rnoderne )) pour être fondamentalement sceptique quant à nos
pcrspcctives culturellcs.
Mais comme nous i'avons aussi vu, le dénigrement systémati-
que des Lumières auquel se livrc Foucault est un signe qui ne
trompe pas et qui montre bien combicn, à propos dc l'histoirc
moderne, Foucault se sépare de Nietzsche. Lady Carlisle, cettc
victorienne aux idées audacieuses qui fut la belle-mère de Gilbcrt
Murray, avait coutume de dirc : < Si quelqu'un qui ne croit pas
au progrès entre chez moi, il faut qu'il s'cn aille >E. De même chez
Foucault : quiconque dit du bien des Lumières risque le même
traitement qu'infligeait Lady Carlisle à ceux de ses hôtes qui
n'étaient pas de fervents adeptes du progrès il faut qu'il s'en
aille de son univers mental. Rien chcz Foucault- ne donne à penser
qu'il aime < le stupide xrx'siècle D, pour reprendre cette perle de
I'idéologie réactionnaire française que nous devons à Léon Bloy.
Mais il n'aime pas non plus ce que les comtiens appclaient < l'âge
7. Hacking, comptc rendu d,e Pawer/Knou'ledge, New Yrtrk Rcuieu,o.l'Books,14 rnai 19U1,
o. 37.
U. i)ité parJ. Enoch Powell dans un arrrclc sur Ia biographic dc Gilbert Murray par Francis
Wcst, Tlrncs I.ittrary'Supplement, 27 avrll 1984.
17l
 FOUCAUI-T OIJ LE NIHILISME DË LA CHAIRË
critiqllc >, delsignatrt par làle siècle du progrès et de la critique qui
sc teimitra Dar les deux révolutions qui donnent encore à Ia terre
sa forrrrc actuclie : Ia rrivolutiorr iitdr-rstriellc et la révolutlon
démocratique.
Marx, Nictzsche ct Frettd étaient fiers dc voir etr eux-tnômes
dcs hériticrs dcs Lumic\res, ce qui n'était ccrtainement pas le cas
de Fouc:rult. Et parce quc ce n'était pas le cas il écrivit une histoirc
procustécrlnc dans laquclle I'héritage du progrès bottrgeois est
grossièrcmcnt défiguré, cluancl il n'cst pas cornplùtcment nié. Cc
iaisant Foucault sc révèle très cxpùrt à un jetl typique de
I'idéologie dc la u contre-clllturc > dans ce qu'ellc a de plus
contestablc ct qui cotrsiste à ra-lairt'lc serr-ç rJe I'histoirt: m()d(rne plur
seruir les préju.qés de Ia réuoltt rtctuelle et pro.lôndément erronée
- et paradimt: de Id ulhrre
(()tûre les Ltnnières tlmme sotrrt't' prirttipdle - simplc'iren1 u de dc<tacher lc pouvoir dc h vc<rité des fortllcs
rationnelle et libérale moderne. Mettrc au pilori les origines de la
rncrderrrite< rcnforcc considérablcment cette pré-interprétotion rlu
mttnde qui pleît tant à la pcnsc<e contre-clllturellc, dcpuis Marcuse
ct Laing jusqu'à Illich et Foucault. C'est la-iaute à Voltaire, c'est ltt
-foute à Rousscau...
Il y a ccpendaut chcz Foucault ut'l autre :lspcct qui est non
nroins détcrminatrt et par lcqr:cl il est véritablcn-rcnt proche de
Nietzschc. 11 ne s'agit plus ici de la dif{érence entre lcurs
tcrrrpéranrer-rts historiqucs (pcssimiste olt optimistc, chérissant otl
déteitant les Lumières), mais dc ler"rr position épistémologique
colnmune. L)cs trois rnaîtres du soupqon c'est justenrent Nietzs-
che qui nous a enseigné à nous méfier de la raison et de la vérité.
Or Foucault est lui aussi profondément soupçollneux de ce qui se
Drésentc conlme la vérité. Pour lui tout savoir, même lc savoir
icientifiquc, cst ulr iustrumctrt de la volonté de pttissance. Les
e<pisténès ne sont que dcs espèces du genrc que constitucnt les
dispositifs dc poltvoir''. Les différentes branches du savoir
obéisscnt à des stratégie-s de domination, en fait elles u inventent r>
leurs objcts de façon à cc que I'homme ct la terre puissent être
rnicux contrôlés. La raison e.st tlne technologie du pouvoir, la
science un instrunlent dc domination.
Foucault reste par ailleurs un tant soit petl réaliste en
concédant que, quellc que soit leur origine, les règlcs, lcs savoirs
ct lcs te:chnigttes finissent par devcr-rir dc-s armes ncLltrcs qtti sont
(). Cl{. ( Le jeu de Michel Foucault, Ltp. (it.
172
POR f RAI I T) U NÉ]O-ÀNAR(-}I]S'TE
susc:cptiblcs d'ôtrc conquiscs par dcs forces socialcs différctltcs :
rrirrsiies disciplincs bourgcoises peuvcnt-ellcs ôtrc transpiantécs
drtns clcs svstèlncs de contrôle notr bottrgcois (otrLrliolls Llll ltls-
tilnt qtic lc goulag en tait à ses vcux partie), la confcssion peut
s()rtir dc sorr colltcxtc rclisicttx pour pr<Itétrer la sociéti' laïqtrc.
('tc.
Qui plus t:st, il est atl mollrs unc chosc qrrc For-tcault ne
rcll()n('c pas à prcrsentcr coltlme vraic, c'est sa proprc analytique
rlrr p<,uvoir. Nous avolts lloté ttll aspcct dc ccttt: attitude en
r.rppclant c1u'il s'appuic sur clcs clocutllctlts iristoriqucs- Mais cctte
prc'ientiorr-t<tuchc iussi le présent. Il cst cc-rt.rin que,_ conrtnr- il le
signale dans u Le jeu de Micherl Fctucar.rit n, l'crrjcri cle son ct'tlvre
rr'cst pas du tout d'érnanciper la vérité du pouvoir, nreis
..l'l'rigctmonie sociale, économique ct culturcllc, à I'intérieur
rlcsqr.rcllcs clle fonctionne à l'heure actucllc,r. Mais voyez à qtrel
point ct: propos est ambivalcnt : la vérite< cst toujours sclus la
i',r,-tpc du pouvoir et pourtarlt l'élégant-icu-dc-mots (u le pouvtlir
dc ià r'éritè o) insinue la possibilitc< d'uuc suspcnsion cle I'asservrs-
scrncnt dc la vérité ru potlvoir. Le < détachemcnt >, poLlr
ciphénrère qu'il soit, soustrait la véritf à I'influcrrce cle Ia lutte
sociale, lui ionferant par là mômc unc objectivité qui, si ellc cst
;rrécaire, n'en est pas trroins authcntiquc. Cctte_ itnpression cst
i'crrforcéc par la note ltu itrstant gramsclcnne quc donne aLr propos
l'utilisation du terme u hégémonie u, car cc qui est ccttr de la
tlréoric gramscietrne c'lc I'hégérnonic c'cst 1'appropriation de \a
culturc p". .rt',. classe dominantc à des fins de contrôle social ct
n<ln I'identiûcation de la culturc cn tallt qr"re telle au simplc
p.rouvoir
' exercé pâr une classe.
Foucauit n'oie donc finalemcllt pas inchtre sa propre théoric
clans cc qu'il dit cle la pensée des intellectucls, c'est-à-dire qu'ellc
s'cfforce d'cître ull combat et llon ullc source de lumie\rc.
l,'drdt(ologie avait avoué que la théoric sur laquelle elle reposait
.(t:rit sâns fondenrcnt, mais n'avait pas dit quc son sttccès était une
qucstion de bagarre. Or si la dénlonstration dc la vérité de son
,inalytique du pouvoir ne dépend pas dtt pragmatisnre crrré dc la
lLrttc-, il subsiste donc du rnctins une tlréorie qui se présente comme vérité
Trrrrr'. Mais dans ce cas, comme Corcsta cst
prompt à le rernarqucr,
rl y l contradiction cntrc les critc\res de vérité éuottcc<s par la
tlréoric (la vérité est puissatrct: et non lumie\rc) et le.fait que cette
t73
 F()U(lAtJLI OU LE NIHII-ISME DE LA (lI{r\litF,
thfurie prétende ûppûr(mnrcnt être elle-mîm( ecccptée comw( urdie , sltts
s(' sdr,aicr de ces criti'rcst".
L'entrcprise de Foucatilt senrblc donc au ftrnd ôtrc prise dans
un gigantcsquc dilcrrrrnc i'pistérnologiquc : si cllc dit la vi'rité,
alors la prc<tention de tttut savoir à I'objcctivitd' cst suspecte; nrais
dans cc cas contrncnt cetre théoric cllc-mônre pcut-cllc g:irantir sa
propre vérité ? Ccci resserrrblc au fanrcux paradoxc du mcntcur
crétois, et Foucault paraît tout à fait incapablc de se sortir dc ce
dilcrnme (.. qui cxpliquc qtr'il n'ait môrnc pas cssayé c1e
1'affronte r).
()n pcut certcs affirmcr quc la pcnséc cle Nietzschc aboutissair
dcjà à la mônre impassc. Mais à sa décharsc on pellt invoqucr lc
iait qu'au moins l'héritage principal dc Nictzsche n'est pas unc
recherche historiquc mais simpleûlcnt unc critique moralc, unc
répugnancc pour I'hommc décadent qui donne corps à son talcnt
d'essayiste. C'cst pourquoi il se passionnait tant pour la psycholo-
gic dcs typcs hr.rmains, qu'ils soient proft:ssionnels ou nationaux
(le: prôtre et le gucrrier, I'Allernand et I'Anglais, etc.), beaucoup
plus que pour toutc analyse proprcmcrlt sociologiquc dc la réalité
historique. Le projet dc Foucault en rant qu'historien du préscnt
le prive de ccttc excusc. Il se sert de la généaiogic pour discréditer
les préter-rtions dc ia science à la véritel sans pollrtant préscnter sa
généalogie commc un franc parti pris psychologique, celle-ci
apparaissant plutôt comme une analyse n ncutre ut'.
En mars 1983 Jùrgcn Habermas fit deux confércnces au
Colle\ge de France. Publiées en anglais sous le titrc Lectures on the
Discourse of A,todernity, elles exarnincnt certains des courants de la
pensée post-strucrturaliste ct cn particulier I'auvrc de ntaturité dc
Foucault. Pour Habcrmas, Foucault a remplacc{ le modèlc répres-
sion-émancipation inauguré par Marx et Freud (et conservé
pieuscnrent par la < théorie critique u de sa propre Ecole de
10. Cotcsta, op. cit., p. l7U-1u0.
'I
1. Au contrairc on pc'ut dire quc Nictzschc, bit'rr tlu'il soit :rvant tout un moraliste et non
un historien ni un crpisténrologue, nranitt'stc à l'égard de la vt<rité unc rttitudc qui cst
tout à iàit conrpatitrle avcc un rogriillrisnrc prrgnratiquc ct de nature fàrllibilistc, mènrc
si I'on croit habitucllcrnent lc contraire, et fait montre d'une tbrte avcrsion nour lc
nihilismc intellectrrel ct pour le scepticismc svsténrrtiquc. l)our urrc argurnmtatloll
cr;rrvaincrnte cn tàvcur dc cette approche, cf. Wilcox, 1974, pdssitn et en particulier
chap. 2, 4 et 7. Llette thèse contlrrne quc Nietzsche pcut tricn ôtrc vénéré à Saint-
(]ermain-dcs-Prris, rnlis qu'il est lirrrlerncrrt bierr rnicux cltudié à Binchamton (Ne*'
York).
174
POR RAI I I)U NFo-ANAR(,HIS'I'F-
[]rarrcfbrt) par I'analysc d'une pltrralité dc tirrnrations c'lc cliscours
t't tlt'poLrvtlirs qui sc rJ('c()r(lclrt l('s ulres Ju\.tutr('s rrrlis qui.
('()ntnllrcnrcnt aux structrlrcs dc sienification ciont traitc la théoric
t'ritiqtrc. nc pcuvent ôtrc c|f{ércncitics cn filnction clc lcur valiclite<.
ll.rbcrnras soulignc cn oLltrc que dcin'rvstitier la ctrlttrrc rr'a clc scns
tluc si I'on conscrvc un critùrc rlc vfrité pcrnrcttant cic distingucr
l.r vérité dc I'icléologic, lc savoir clc la nrystiflcation.
l)clur Habcnlras lâ néccssite clc sarder cc critèrc dcvrait nor.rs
crnpôchcr clc renonccr i I'rdcel ic',, critiquc ratiorrrrcllc cles
irrstitutions cxist:u)tcs r prôné par lcs Lurnic\res. O'cst parce qr"r'ils
s'étlricnt privés d'unc theiorie raticlnncllc au scns orj I'entctrclaicnt
ics L.truric:rcs qtrc dcs phikrsophcs de la prcnrièrc génération dc
I'Ecolc cle Frat-rcfrrrt conunc Mar I{orkhcinrer ct T. W. Adonro
lirrircnt par abandolllcr toutc approchc proprcmcnt théoriquc
ircrrrr ravelcr la critiqtrc à rrc plus ôtrc c1u'turc nésation ad httc de la
soc'ic<té colttcnlporainc. ()r lc pioblc\urc cst quc cct abandcln dtr
principc de raison univcrsclle sisnific < la fln clc la philosoplrrc,.
Flabcnnas distinsuc trois qrancls rcsponsablcs dc cc résultat pcu
qloricr.rx:la critiquc clcs ancicns clc I'Ecole dc Francfort,
I'outolorl.ic irr.rtionalistc dc l{ciclcggcr ct la généalogic clc
F<luc.rrilt't.
Haberrrras cstimc que sa pcr.rséc. torlt conrlnc ccllc dc l'Améri-
cain llawls, est un crernplc dc progrcssivismc rationnel. Mais il
rr'hésitc pas à qualifrcr clc < néo-corrscrvatellrs , clcs pcnscurs
c()nlllc Foucault, l)clcuzc ct Lyotarcl. e t cc parcc qu'ils nc
tirurnissent xllcunc justificatir>n thc<oriquc à urr svstc\rne autrc quc
lc statu quo social clui prévaut sous le capitalismcr avancc,lr.
l)ans son cL<bat te<lévisé avcc Chomsky (Arnstcrdam, 1971),
Foucault avait rcfirsé dc clc<crirc rlnc société rnocic\lc cn sc fbndant
strr I'idéc qrrc la tâchc clu re<voltrtionnairc cst dc prcndrc lc
p()uvoir, non dc trrire rc<qncr la justicc, ct qLl'cn tollt état dc cause
clcs notions abstraites conrnle-. ccllcs clc véritc<, dc justicc ct dc
r)atllrc hunrainc (qtri étaicnt toutcs dél'enducs par Chomsky)
rcflc\tcrrt néccssaircnrcnt lcs intc<rôts dc classc cl<lnrinants dc notre
..'rrlturcra. La critiqrre d'[-labcrrr-ras nrt:t lc cloigt sur I'aspcct
tlréoriquc (par opposition au plan c<thiquc) dc cetre lacune :
l -1. I Lberrn:s, l9fl-5, p,ir-rirl.
l-l ('t. l{ortv, 1()tt'l, p. l8l-197, qui prcscnrc bttn lcs problùnrcs lr<)sés 1-r1yHebcrrrras.
l i (.t. (.lrornskv r:t [:oucrrrlt in [:ldcrs. 1()7J. ( lhonrskv (()lnr11(rltc lcur dcisaccortl d:rrrs
(ilrornskl,, l()7(), p. 7-l-lt().
t75
 FOUCI AUfT OU LE NII{Il-ISME l)E LA CHAIRII
I'rbscncer volontairc, chcz Foucault, dc principcs ruiiversalistcs,
qui sont à scs ycux ligucis avcc lcs < rnythes hutnanistes r ct cn fin
dc comptc avcc la structrlrc dc pouvoir de la sociéte< rnodcrnc.
Foucault cst tout à fait conscient de rctlonccr au poiltt dc vue
trnivcrsalistc cléfcndtr par I-Iabernras. A sa phcc il nrc.t cl1 rvant
I'idéal clc l' .<' intellectucl spécifiquc , qui ioun.rirair un savoir
critiquc sans sc post:r cn < maîtrc de la vc<rité ct de la justicc >.
Alors qu'Habcrnras voit dans l'universalisnrc unc !lârantic ratlorl-
ncllc dc vciritei lroucault nc pcut y voir qu'Lu] ûiasquc clu
dognratismc. La vérite< univcrscllc n'cst pour hri qlr'une autre
fàçon dc c-lc<signcr le por.rvoir déguisé err critc\rc dc tout savoir.
Quant à l'Ecole tie Francfirrt, Foucauit rccr>nnaît que son méritc
a r<te< cl'iclcntifler conrnre problc\rne lcs < cffcts clc pouvoinr liés à
runc rationalité définic historiqucnlcnt cn ()cciclcnt dcpuis le début
cles temps moderncs, nr:ris rl rc<crlsc lc cadrc philosophiquc dc sa
< théoric critiquc n parcc c'1uc cellc-ci lur scrnblc rivéc à unc
nre<taphysiquc du sruct ct lourcle d'htrn-rar.risrnc marxistcl5.
L)ans i'un clc scs dcrnicrs corlrs au Collc\gc cle Francc, Foucault
t--xanrinc I'cssai dc Kant sur lcs Lumic\rcs. Sclon lui Kant y sorllèvc
,, la problénletiquc d'unc actu;rlitc< n. L'originalite< dc < Was ist
Aufklârlurg ? ,r rc<sidc dans la nerttcta' avcc laqncllc la question dc
l'actLralité y cst clcfinic, clans la nrcsurc ou lcs Lumières étaicnt
alors I'instant qu'ét:rit précisérncnt cn train dc vivre la culturc
occitlentalc. F<>ucauit insiste strr lc fàit cluc la philosophic cesse
ainsi dc s'intcrrc>gcr sur sa proprc appartenancc à une longuc
tradition cle raisonncnrent et dc spc<culation por-rr s'cnvisagcr clle-
nrônlc pour la prcnrie\rc fois commc une activité profôndéncnt
inrpliquée dans lc destirr dc la cortrmunauté. Kant séparc la
qucstion dc la modcrnité dc son rapport loneitudinal avcc lers
anciurs (si e<vidcntc dans < lcs que re llcs dcs ancicns ct de s
nlodcrlre s ,i dr"r débr,rt de s tcnrps ntoderncs) ct itraugurc Lur
( rapport sagital , clttrc la pcnséc ct son proprc licu historique.
Foucault conclut en disarrt qu'il cst beatrcor.rp plus important
dc rcstcr collscicnt dc la signification historiquc clcs Lumic\rcs que
dc conscrver lcurs rcliclues. En cl'autres terrre)s mêmc lorsqu'il
aborde cc licu coTrlTr.nln qu'cst l'éloge des Lunric\res il trouve le
lnoyen dc décocher trrr trait à lcur héritagc cult'rrcl. Lcs dcux
dcrniers paragraphcs du cours solrt cncorc plus c<trangcs. On y lit
15. fronrbadori, 1()111, p. (r.{-(r5.
176
PORTRAIT DU NEO-ANAR(]HISTE
quc Kant < a fondé deux grandcs traditions crltrc lcsquelles s'est
partagée la philosophie modcrnc u : la tradition dc < l'analytiquc
c'lc la vérité >, c'est-à-dire d'unc interrogation constante sur les
conditions du savoir vrai, ct la tradition d'unc < ontologic de
I'actualité > qu'inaugure I'essai de Kant sur les Lumicrcs. Tcl est,
rrr>us dit pour finir Foucault, <.. le choix philosophiqr.rc auquel nous
s()lnlnes confrontés actuellemcnt ,r. [l s'agit -soi/ d'une analytiquc
dc la vc<rité soil d' ( une penséc critique qui prendra la forme d'unc
ontologie de nous-mêmes, d'unc ontologie dc I'actr,ralité >. Cl'est
t'cttc dcuxième voic qu'ont choisic Hcgel, Nietzschc, V/eber,
I'Ecolc de Francfbrt ct Foucault lui-mêmer6.
Cctte affirmation très intércssante appelle quelques remar-
qrrcs. La première est que la façon dont Foucault joue, pour ainsi
clirc, Kant contre Kant est cxtrômement contcstable, de mômc
(luc sa réduction des travaux dc I'Ecolc de Francfort à unc
ontologie de I'actualité (car chcz Habernas l' < analytique dc la
vénté D est au moins aussi importante). Et surtout ce cours nous
fait accepterr norl un mauvais choix (car il n'y a bien sûr rien dc
rrral à s'interroger sur la naturc dc I'actualite<) mais une mauvaise
altcrnative : pourquoi en effet dcvrions-nous envisager la questlon
dc I'actualité comme se substituant et, en dcrnière analysc,
comûre s'opposant pour ainsi dire à la question de la validité cle
ir connaissancc (c'est-à-dire pour résumer, à la théorie dc la
scicnce) ? Foucault scmble raisonncr coûlme si la distinction très
ncttc qu'il établit cntre ces deux rccherches étaicnt une évidcnce
clont nous nc devions pas mcttrc en cause la iégitimité. Or cn fait
il r-r'cn est rien car, loin d'être quelque chose d'et'i'trieur à la nature de
l'actualité, la conndissance scientificlue est simplement inhérente à la
rnodernité, dont clle constitue le moteur le plus puissdnt. Nous vivons
tians urr mondc anquel la scicnce a donné sa forme. En fait,
('olnme le dit Ernesi Gellner. alors qu'autrefois la science était à
I'intérieur du monde. il semblc que rnaintenant le monde soit à
I'intérieur de la science. La scicncè est devenuc le conteneur ct le
rrrondc le contenu.
Par conséqucnt aucune histoirc du présent qui ne laisse que
pcr-r dc place, ou pas de place du tout, à une explication dc la
sr.icr.rcc, de sa nature et dt: son influence r1e pourra jamais ôtre
vt'ritat-llemcnt pe rtinente . Ricn n'était plus intrinsèque ment
lt' [J11 ça11" 1dc cc cours est publié dansle Ma,qazine littéraire,207, mai 19f14;voir p. .j9.
177
 FOLJCAUI,T OU LE LISME DE LA (JHA
nloderne quc lc développcrncnt continu dcs connaissances,
aucune théoric critique du préscnt nc peut réussir sans un exanten
sc<ricux dc la scicncc qui soit à la fois épistetmoloeique ct
sociologiqr.rc. I)c la même façon la clécision prisc par Foucault dc
sc. pencher sur la connaissance < infbrnrelle ,r plutôt que sur les
scicnccs prlres nc pouvait que paralyscr son programme. Nul
cxorcisme du sujet transccndarrtal, nullc de<tection dcs mécanis-
rrrcs de pouvoir ne pouvait compcnser la perte qui résultait, au
nivcau dc la visiorr historicluc, du manque d'attention rcquise à cc
savoir qui dclnnc sa firrnre au nrondc.
Piagct résurnc scs critiques à I'cncontrc de Foucault er.r
qualifiant sorl (ruvrc dc ,, structuralismc sans structures >. On
pourrait aussi dciplorer quc sa cartosraphie des épistémès soir sans
elpiste<rnolouic, c'est-à-dirc qu'clle nc s'accompagrle pas d'unc
théoric de la scicnce. I:inalemûû, ût dépit dc toLtt( sa rhétorique
tntihumatristc, ('est l' <, humaniste t qui l'empttrte chez [;ttucttult et c'est
pourqutti sa démarrhc u dircction d'une histoire du préscnt se réyèle être
plus unt' répuptmntc p()ur lâ mtttlernité qu'une appréhcnsion réritdhle et
ob.jcctiue de son caractère. Maleré lcur f réquentc actualité les
généalogics dc Foucault ne sont pas dénuées d'un ccrtain exo-
tisnrc. La raison cn cst qu'clies nc s'adrcssent jamais aux
prc<occupations qui sont au ccntrc dc notre e<poquc : la scicncc,
l'économic, lc rrationalismc ct la démocratie. C)r quclle < ontolo-
gic du préscnt > pourrait s'en passcr ?
La sciencc cst, entre aLltrcs c--hoscs, une pcnséc qui jugc la
pcnséc : pcrsonnc ne peut s'cxprimcr comrne il lc veut dans lc
langagc scientifiquc, il faut respcctcr des principcs universels dc
clarté et dc logique . Clettc validité de la pensc<c ne préoccupc pas
Foucault, porir qui I'archéo-généalogic sait seulemcnt qu'( on nc
pcLrt pas parlcr à n'importe quclle époque de n'importe quoi u
(L'archéolooic, II, 3).
I)ans son commentaire subtil sur L'archéolopie du sat,oirtT ,
Frank Kermodc affirme quc Foucault nous offrc une vcrsion
ne<gativc de ccs talcnts cognitifs ( tacitcs u dont Michael Polanyi
eilab<rre la théorie dans Personal Knou,lcd.qe (19511). Pour l)olarrvi la
connaissance intime d'un système coenitif confère au scicntifiquc
unc capacitc< de produirc de la connaisslnce qui nc peut êtrc
codifiée dans cles règles impcrsonnelles et explicites. Foucault
17. Kcrnrodc', Clrisis (lritic, r\rca,!orA Rn'icrt'Ltt Books, 17 nrai 1973, p.37-3).
lTil
PORIRAIT I)U NFIO-ANA lt(l[tISI'fr
irrsistc sr,rr lc côté ne<catif- clc cet aspcct clcs choscs en prcitcndant
iltr'il cst normalcrncnt inrpclssiblc dc sorrir clc cc systc\mc de
r'orrnnissance tacitc. Nous sorrmcs p:rssi's dc I'orbitc ouverrc
,lc la corrnaiss;rncc pcrsorrncllc tacitc lu cedr:c ngide dc cc quc
(.tillinswood appellc lcs n présupposés absolus , d'unc époqrre
ctrIturcllc.
Mais ccci posc un sravc proble\nre à I'histoirc < archtlologi-
(luc r car. conlnlc l)avid Learv lc renlarqlrc avcc beai.icor.rp dc
Pcrspic:rcite<, < si on rric tout..' t-ornrc de contintritd' historiqrr. I
tlc I'avcu mômc clc Foucault sa tâchc cst dc dérnontrcr "t la
tûscontinuitc< radicalc dc l'histoirc ak>rs conurcnt cxolicrucr
t;rr'il soit possiblc cle flirc rlc I'lrist,rirc- ? "l*. (.orrrmcnt nc s.'raii-ce
(plc colrunernccr à comprcndrc lc passé si or-r ne re<introcluit pas unc
ccrtainc continuité historiquc ? Lcs hynurcs conjugués dc White et
tlc Veync à la ne;cessité cle < cléfànriliariscr I'histoire u nc fcronr
.i.r
('t' ttc irrtcrrog.rtiorr.
rrr.tis tJirc
Mais ce n'est pas tout. A I'intéricur dc la grillc dcs hypothèscs
cogrritivcs qui caractériscnt unc époclue I'c<trangc u archive ,
lirtrcaldienr-rc clcs discours choisit un ccrtain < régime des objcts >.
(lc sr.rr quoi portc lc discor-rrs nc pre<cècle pas l'érncrgence drr
tliscours mais est plutôt cor-rstitué par I'ensernblc con"rplcxe des
repports existants cntre lcs institutions, lcs proccssLls soclo-
i'crlr.romiques, les tcchniqucs ct lcs modcs dc conrportcment, les
systc\ncs dc classification ct dc caractérisarioll, etc. (l'ônume<ratloll
cst dc Foucault), bref elltrc toutcs lcs rclatiorrs issucs dcs mr.rltiplcs
intcractions entrc csprit. naturr- t-t stlciétc<. Ainsi les rc\gles de
formation clu discours pcrn-lcttL'nt ou intcrdiscnt I'objet de la
<:onnaissance . L'<ril du généalogiste tentc dc pcrcer l'épaisscur du
rliscours pour idcntificr scs origincs historiqucs, c'est-à-dirc lc
u pourquoi ,r dc cct objct. Cepcndant ni la fouillc arche<ologique
rri ia rechcrchc gc<n('alogique nc s'intércsscnt au ( comment u du
tliscours du point dc vue de sa valcur cognitivc. [)ar consc<qucnt
ilucunc dcs clcux approches icrucaldicnnes cltr mondc dc la
t'onnaissancc nc visc à mesurcr conrbicn cllc conticnt dc vrai
s:rvoir sur le mondc. L'acccnt rnis strr les rclations ponvoir-savoir
tirrit par c-xpédicr sans rnénagentents lc pouvoir du savoir, tant sltr
lc: plan cognitii que sur lc plan historiclr-rc. Le problèmc c'csr qucl
l:i l)rvrd I:. Lcar,v, lVlithcl Foucauit. ;rn Hrstorilrr oi thc Scicnces Llurnrines, .Journdl o.l
rlt Llistot'y ol tlr Ilchalioral .\rir'rrr:t,s, l2 (l()7{r), p. 293.
179
 I]OUCAULT OU I,Ë NIHILISME DE LA (]HAIRË
si personnc n'a bien entendu le droit d'cxiger quc Foucault soit
épistémologue, on pcut très bien se dcmander s'il pouvait, lui qui
se définissait lui-môme comrne I'historien du présent, laisscr de
côté l'< analytique de la vérité ,r qu'impliquc la science ct son
développencnt dans le rnonde entier.
Pour parler sans détours on peut donc dire quc l'historicn du
préscnt sabote son propre projet. On ne peut nicr que, ce 1àisant,
il nous force à rcpcnser diflércntes formes passées du savoir ou
nos propres attitlldes, présentcs ou passées, par rapport à la folie,
à la punition et au sexc. Mais il y a une grande dif-lérence entre
I'historien dont la réflexion jette un jour nouveau sur le passé en
posant des questions de vastc portée suggérées par les faits, efr
quclque sorte, ct 1'historien doctrinaire qui s'efforce lc plus
souvcnt de conrprimer les annales de I'histoire dans lc lit de
Procuste des pré-intcrprétations idéologiques. Braudel apparricnr
à la première catégorie, Foucault à la secondc.
Pour en finir rapidement evec la question de l'évaluation de
I'cntrcprise historique dc Foucault on pcur ripércr quc lc moins
quc l'on puissc dire c'est qut: son degré général d'objectivité est
inférieur à la moyenne des meillcures recherchcs historiqucs d'un
siècle qui, en produisant dc multiples études de- premici ordre, a
rcndu un fort bel hommagc à Clio. Cc n'est pas là, il est vrai,
I'avis de tout lc monde. C'cst une attitude en fait très répandue
que reflètent ccs lignes de Dreyfus et Ilabinow :
r< Mesurer la vaieur cles thèscs historiques de Foucault n'implique de
toute éviderrce pâs ur1 simple appel aux taits. (...) I)ans L'impossible prison
un groupe de spécialistes du xrx' siècle confrontent leurs opinions sur
Surueiller ct punir. Lcurs réactions vont de la prudence à la condescen-
dance bien quc tout ce qu'ils réussissent à démontrer c'est quc ce n'est
qu'en dc très rarcs cndroits que Foucault ne maîtrise pas "les faits".
Comme Foucault le souligne sur un ton caustique la plupart de ces
historiens n'ont pas conrpris sol.r arplulnent, d'où il résulte que leurs
corrections factuelles mineures sorlt totalemcnt hors de propos ole.
Or L'impossible prison est le livre dc Léonard e/ a/. que nous
avons brièvement mentionné ci-dessus (.f. p. 116-125). Les r< rrès
rares endroits u otj ccs historiens prennent Foucault en flasrant
délit dc contradiction rvcc lcs laits;ont. commc nous I'avoni uu,
'19. l)reyfus ancl l].abinow, p.
19f12, 126.
I tiO
PORTRAIT DU NEO-ANARC}IISTE
tl'trne importance qui est loin d'être négligeablc puisqu'il s'agit cn
p:rrticulier de bagatelles cornme la Révolution française et le (lode
Napoléon. ll est en outre d'une inexactitudc criante d'affirmer que
t cs historiens n'ont systématiquement rien compris à Foucaulr. Il
srrflit par cxemple de lire, nrême très rapidement, les critiques quc
Irri adresse Léonard pour perccvorr qr-r'il a très bien saisi lcs
lrrirrcipales thèses développées dans Surueiller et punir. Ce qu'il ne
l.rit pas c'est de les ttccepter dans leur totalité, parce que les donnécs
lristoriqtres dont il disposc nc lcs étayent souvcllt pas. Lcs maîtrcs
(lu strulcturalisme s1 Fsuçsult n'échappe malheureusement pas
.r la rc\gle ont- la fâchcuse habitude d'esquiver les objections
- qrrc,l'y.fairt'.1àre, et à qtrclqucs honorablcs exci'prions
Lririqrtts pltttôt
prL\s cellx de leurs interprètes qui clnt de la sympathic pour lcurs
icleics examinent rarement lcs critiques dont lcurs héros sont la
ciblc. Quand ils le font ils tentent souvent de les reléguer en notc
pour mieux les récuser. C'est le traitement que réscrvcnt l)rcyfus
ct l{abirrow à L'impossihle prison. Que u les faits > soient cntrc
suillernets en dit long sur le souci d'objectivité des fbucaldiens.
l)ourtant si les faits sont d priori suspects pourquoi s'inquiétcr
qu'ils soient ( rares r ou nombreux, qu'ils fasscnt I'objet de
(\)rrcctions . rr)ineures D ou majcurcs i (.o--ent un ètrc si
slirrerncnt libcre dcs supcrstitions positivistcs pcut-il avoir
rccours à ces vcstiges dc notrc préoccupation stupicle pour la
vérité lactuelle ?
l)ans un ouvrage remarquable intitulé Le philosophe chez les
lutttphages Jacqucs Bouveressc ce't oiscau rarc parmi les
philosophes français jouissant d'une - ccrtainc célébrité parce qu'il
sc fait lc champion de normes critiques de pensée tente
:rrrdacieusement de faire comprcndrc à scs collègues -que leur
nrétier n'est pas de dire aux gcns cc qu'ils doivent penser mais de
lcur apprendre, par leur propre exemple, comment penser2('.
l.'<ruvrc dc Foucault est cependant un exemple brillant et
scicluisant d'une façon de fairc de la philosophie qui, dans sa
poursuite effrénéc dc nouvcaux sujets sperctaculaires et facilement
rrrtcrprétablcs à la lumière du parti pris idéologiquc, n'est que trop
drisircusc dc jctcr par-dessus bord la rigueur de la pensée critique.
lrorrcault n'est bien sûr oas le seul dans ce cas. L'absence de
r'olrsidération pour la forcc de I'argumentation et de la dc<monstra-
.ltt llouvercsse, 19u4.
181
 FOUCATJ I,T OU LE NIHILISME DE I-A CHAIRE
tion est clcvenue progrcssiverncnt mais résolument I'une
marqucs d'unc grandc partie dc ia pcnsée libertaire contemporaine
et lc libertarisme certainement la mcilleure étiquette que
-l'on puissc donner à lacstthéorie sociale de Foucault. Pour être plus
précis on pcut dire que, bien qu'il n'ait pas utilisé le rerme,
Foucault (rtait un anarchistc moderne. Il n'est donc pas étonnant
que de tous les maîtres-perlscurs du structuralisme c'est lui qui
soit rcsté lc plus prochc cle I'csprit dc 6U.
Il nre vient à I'csprit trois points au moins sur lesqnels
Foucault était bien d'accord avec I'atmosphère d'anarchisme
cxtrêmemcnt fervent qui inspira la révolte étudiante (et fit hisser
lc drapcau noir de I'anarchie sur la Sorbonne occupée de
mai 19613). D'abord, comnre la plupart cles soixante-huitards,
Foucault préférait les mouvcmcnts révolutionnaires déccntralisés
à ceux qui étaient unifiés, sans parler de ccux qui obéissaient à une
disciplinc. Non seulemcnt il était spontanéiste, plus proche de
ILosa Luxembourg que de Lénine, que de Trotsky, mais il nc
crclyait ni aux projets socialistcs ni, de Façon plus générale, à la
construction du socialisme. < Ii cst possible u, soutient-il, < quc
les grandes ligncs dc la sociétc< futurc soienr fournies par
l'expérience réccntc dc la drosue, du scxe, des comrnunautés,
d'autres formcs dc conscience ct d'autrcs formes d'individualité.
Si le socialismc scientifique est issu dcs utopie s du xrx' siècle il est
possiblc qu une véritable socialisation soit issue, au xxe siècle, de
I tr
ces expcrlences D-..
En second licu, comme la plupart des chefs de la révolte
années 60, Foucault f ait davantagc l'éloec des combats particuliers
que de la luttc dcs classes dans lc sens classique, économique, du
terme. Dans le nume<ro de mai 1968 dc la revue chrétienne (de
gauche) Esprit il cralte n les femmes, lcs prisonniers, lcs soldats du
contingent, les malades dans les hôpitaux, les homosexuels ri dont
lc combat est aussi radical ct aussi révolutionnaire que < le
mouvenlent révolutionnaire du prolétariat u2l. llicn qu'à ies yeux
les cleux phénornènes soient dirigés contre < le même système de
pouvoir > il n'cst pas difficile de voir vers qui le portc son cceur.
En 1983, dans une conversation avcc le dirigeant svndical non
communiste Edmond Maire, il sonqeait encore à des manièrcs dc
21. Par-dclà le bicrr et le mal, ,4rtrrel, 1,4 (1971\.
22. (lf. Foucault, Réponse à une question, Lisptit,371 (nrai 1968), p. ti5t)-tt74.
182
PORTRAI'T DU NEO-ANARC]HISl'I]
des srlrtir d'une < conccptiolt frontalc dc la ltlttc classc contre
(-l;Issc D---
Enfin, ct sllr ce point il cst ctrcore davantagc L^n accord avcc
l:r tradition anarchistc la plus purc, Foucault cst absolument
nrtrarlsigicant datrs sa me<fiauce à I'crgard dcs institutions, que'lque
rcvoluti,onnaircs qu'clles soietrt cctrsécs ôtre . A cct égard son débat
c lcs maos publié en 1972 clans I'es T'unps tnodtrnes cst
.rve
r'xcrrrplaire. Lcs r, ûtaos ),, alors soutcnus par Sartre, voulaicnt
instalrrcr des tribunaux révoltttionnaires. Foucault leur objectc
..1rrc la justice révolutionnaire de vrait complùtemel)t sc passcr dc
tribtrnaux puisquc cctlx-ci soltt Llne itrstittttion bourgcoisc, ott
plutôt qu'ils sot-ri o bourgcois )) parcc qtt'ils sont une itrstitutionla-
Maii Foucault nc sr: colttentc pas sinrplcmetrt dc sulvrc
l':rrrarclrisnre" Cc qui cn firit utr néo-dnarchisfc c'est qu'il ajoutc
tlcux aspects nollvcatlx à la théorie classiquc de I'anarchic. Err
pre rnier lieu il cst anti-utopiste. Lcs principatlx pcnseurs anarchis-
tcs du xtx' siècle étaient aussi dc grands Lltopistes. I3icn que
pnriondémcnt soupçonuellx des institutions impersonnclles, ils
tcllaicrlt à proposer de nouvelles fornlcs dc vic économique et
socialc, conrme dans lc cas du ntutualisnle clc Proudhon ou des
coopératives de Kropotkine. Le néo-anarchismc d'aujourd'hui
,rppiraît au cotrtraire commc fottdamentalcmetlt négatif. Il semble
,lt.ivoir aLlCunC pars ClnstrualtJ, SeS CrOyaItCeS consrstant cssentteliC-
n)cnt en un refus et ne s'accompagnant trullernelrt d'idéar-rx
positifs. En sccond lieu, dans sa vcrsiotr classicluc, I'anarchisme ne
des i'crruageait nullemcnt dans I'irrationalisme, ce qui scmble êtrc lc
..,t tl-t"i.rt"trant, dtt moins dcpuis Marcttsc. Au contrairc : son plus
qrand théoricien, Kropotkine, était tnême fier qu'il ait une base
scit:ntifrquc. Foucault apparaît dt>nc ainsi comme cxtrêmemcnt
rcprc<sentatif des deux ellémcnts qui défrnissent le néo-
,rnarchistnc : le né,gatiuis//,s et f irratittnaliv're ' Que ce chan€lemcnt
tlc scntimcnt afIèctant I'anarchie la rende meilleurc ou pire
r"cst là Lrnc question quejc laissc au lectcur 1e soin de trancher. Le
rrihilisrnc moderne aurait-il infligé ces caractéristiques à cctte
tredition naive mais néanmoins noble dc la penséc sociale ? Le
l:rntôrne dc Bakounine , ce lauteur de troubles romantique
li (lf. I-c Déhdt,25 (mai 1(.)li3). p.9.
11. SLrr la .justice pepulairc : dtlbrt aycc les ntaos, 1.es I'emps mL'lt'rnes, 3l{) |i-' (11)72)'
p. -335-366.
1U3
 FOUCAULÏ'OU I,E NIHILISME DE LA CHAIRE
qui, dans lc fond de son cceur, e<tait un sybarite de la destrr.rcrion,
a-t-il cu finalement raison dc la santé d'csprit et de l'humanité
dc Kropotkine ?...
La principale victimc de la plonqc.e néo-anarchiste dans
I'irrrtionalisnlc csr à mes yeux la cririquc du p.uvoir ellc-'rême,
qur est au cceur mêmc dc la théorie anarchiste. euelles qu'aient
été ses insuffisanccs sociologique s, I'aspect le plus f.rrt de
I'anarchisme classique était.sa peispicacité à r".otrt le pouuoir
"ître iociaux
social du pouuoir, c'est-à-dirc le fait que les rapports
contribuent à façonner l'histoirc au lieu de n'ôtre qlt.rt.r épiphéno-
mène des facreurs technoiogiques er économiquei. Dèr ie'départ
l'anarchismc sc n-réfia de f idée marxienne sclon raquelrË le
pouvoir pourrait êrre innocent et inoffensif-une fois qu'il rurait c<té
dibarrassé de scs bases de srructurc dc classc ct i'cxploitrtio'
socialc.
Mais les maniérismes conccptucls dc la u cratologie ,r foucal-
dienne ne scrnblent pas dérive. àe cette vision réalistei'des choses.
Au contrairc : en voyant lc pouvoir partout ct en assimila't (dans
la plus grandc partie dc son *uvre) culture ct ilomination
Foucault réduit cn fait considcirablcment, comme nous |av.ns
rema.rqué, la force explicative de scs concepts dc pouvoir. Les
gauchistes font souvcnt l'éloge de 1'analyse foucaldienne en raison
de sa capacité à mettre le doigt sur des formcs et des nivcaux de
pouvoir que le marxisme néglige. Mais en réalité cettc obsession
ctu pouvorr ne nous permct guère, dans I'ensemble, d'améliorer
notre comprc<hension objective dcs mécanismes du pouvoir,
qu'ils soient passés ou présents. Foucault lance bcaucoupt d'affi-
rrnations mais en démontre trop peu. En devenant ( contre-
culturcl n I'anarchisme grgna.'i brio. mais sa pcrception
cognitive n'cn dcvint pas pour alrtant plus aiguë. Et Folcauli fut,
après Marcuse, lc grand prêtrc qui présida à I'union de I'anar_
chisme et dc la contre-culaure.
Le structuralisme comme clirnat idéologiquc livra la pensée
française à la machine à croirc de la contri-culture. L'une dcs
armcs de la campagne contre-culturclle fut la démolition < criti-
que )) dc I'héritage des Lumières, srrarégie intcllectuellc dans
laquelle Michel Foucault joua un rôle fondarne'tal puisquc c'cst
à lui que nous devons I'ultime attaquc dans cct aisaut'sénéral
contrc lcs Lumièrt's. Livi-Strauss. lc fondateur du strucru.alisnrc
ct celui qui, en son scin, fut le prcmier éminent adepte de la
I ti4
POR'IRAI-t' D LT NÉO_A N AI{CHISl-E
(()ntre-culture, chérit cncore i'idéal dc la science et clétestc fortc-
rrrcnt l'une dcs principalcs idoles de la contre-culture, l'art rno-
tlerne, qui est à la fbis mystérieux ct apocalyptiqtter" Foucault, lc
rrrocJerniste nietzschécn, se débarrasse dc ccs rcstes de positivismc.
I)cu avant mai 196u, dans utr cntrcticn avcc Pablo Caruso (qr.ri
ilttL'rr()rlc;l ,r\'('c c()mpt:tclrce ct d'c'otrta avcc attclltion ntln scttlc-
rr)cnt Foucault nrais aussi Lévi-Strauss et Lacan), Foucault établit
rrnc clistinction cntrc deux typcs historiques de philosopl-ric : alors
rlrrc de Hegcl à L{usscrl la philosophic :rvait pour but d'atteindrc
.r unc appréirension globaie dc la réalité, dcpuis Sartre elle a
rcrroncé à ccttc ambition et s'cst tournée vcrs I'action politiqucr5.
l)ir ans plus tard la prr:sse italicnne trouvlit cnc()rc moycn de
purlcr dc Foucault corllnre du u nuovo Sartrc ut". Si cette étiqucttc
pcut apparaître conrmc purL-nrent joLrrnalistique il mc- senrble
.pr'clle conticnt cepcndant tttrc grandc part de vérité.
llierr ortcndtr Foucault ne partagcait pas les idécs dc Sartre.
(lhez IJarthcs,. pour citer un autre maîtrc des années 60, il y avait
cncore Linc vcurc ou ur1 collrant sous-jaccnt sartrien qui était loin
rl'ôtrc négligcable. Chez Foucault il n'existe à mon sens aucun
ér:ho sartricn majcur, rnais il y a néantnoins toute unc éthiquc
('rypto-sartriennc que cctte convcrsation avec Caruso résumc
bicn. l)ans la chroniquc nécrologiquc que publia Le Monde
l{oger-Pol Droit fait allusion à ce qui opposc Sartre à Foucault :
cl'un côté, un maître à penser plein de suffisance et dont les propos
()nt souvent ur1 tour dognratique, de l'autre un pctlselrr doutant
toujours de ce quc scrait sa penséc le lcndemain. Pourtant, en
di'pit de quelques changcrnents abrupts clc sujct ou de pcrspective
philosophique, le ton dc I'cnsemble de l'tr-uvrc dc Foucault cst
Ioin d'être dubitatif; ii est en tàit tout à fait assure< et suggère un
stylc intcllcctucl cotnrlun. I)ans lc passege caustique qu'il
r'()nSscrc à Sartrc dans 5pecfatles and PreJicament-s Ernest Gellner
p;rrle du u nlachismc intcllcctuel )) colnme dc i'une dcs cornpclsan-
tcs prirrcipales de i'csprit de la Rivr: Clauchc. L)ans lc ntachisrne
intcllectucl la forcc d'un argurnent n'cst pas étayée par sa qualité
Ioqiclue mais plutôt transmise par i'assurallce sans défaillarrc,c du
ton. Il s'agit d'irnpressionner, non de corlvaincre. C'était vrai de
Slraw et de Sartrc, ct ccla I'cst égalemettt cic Foucault.
l5 Voir son cntrctien avec Pabkr (lenrso rians Caruso. 1969.
.l('. (.t. L'f)ropeo, 1ll févricr 1977.
1U5
 FOUCAt,I LT OU LE NIHILIS]\1 F] DE LA CHAIRI,
Foucault partagcait éqalcment avcc Sartrc une atfitude intellcc-
tuclle. Commc lui c'était Lrn habilc apôtrc de Ia philosophic
commc art pour I'art dc la révolte. Quclquc autrc sens qu'ait pr.r
avoir pour lui la pense<c, ellc était avant tout unc révtjltc- sans
cause. Que pouvait-il v avoir clc plus sartricn que ce mélangc
bizxre dc sornbrc pessimrsrnc (ce pcssimismci à propos à"
I'hommc ct dc I'histoire qui sous-tcnd I'cuvrc dc Saitrc'dcpuis
l.-'Etrc u k Néantjusqu'à la Critique d<. la raisort dialectiquà) ct
d"agitation politiquc ? ll Iàit aucun doure c1uc, à partir d* iniiicu
'c
des annécs 70, lc rôle de Sartrc a apparrenu à Foucault.
L'rttitude sartricnne du philosophe qui bénit la révokc radicalc
sâns pour aLltant crolre cn urre utoplc est précisirrent ce qui
disti'gue Foucault de so. principal rivai p.st-structuralisic,
Jacqr-res l)errida. (lhcz L)crrida ri a cn eftct discours s'r lc
''y Unc
pouvoir, ni rhétor:ic1uc de la révoltc. fbis dc'i plus, dcrrière le:
nc<gativismc clc Foucault, dcrrièrc cette abscncc d'horizons positifi
qui lc d('rnarque dc son rnaîtrc, Nietzsche. et, à notrc époque. tout
à la fbis dcs autrcs nictzschécns corrme lcs u phiiclsoph.,s
(diorrvsiaqr.rcs) du de<sir > et de penserlrs colnnle Hàbermas, se
cachc la vision lugubr:c qu'a Sartrc de I'hommc er dc I'histoirc.
< Le bonhcur n'cxiste pas )) cst une formulc de Foucault2T. .lui
aurait pu êtrc signi:e par Sartre.
Nombreux sont ceux <1ui ont remarclué la parenté entrc le rype
d'e<criturc dc Foucaulr er lc marché parisien des idécs. (icorgc
Huppert disccrnc lc secrct du succe\s de Foucault à Saint-Gcrnrain-
dcs-Prés dans sa capacité à donncr < l'inrpression dc dire quelque
chosc de radicalemernt lrouvefu alors quc, cn nrêrnc t.nrpr. et i la
satisfaction du jeune k-crcur, il sc r.ii,clc qLlc ses "décàuvertes"
s'intc\grerrt suprômcnrent bicn dans le nrouvcnlent géne<ral des
idées qui sont alors c-n vogue ,l'. (-,ela r-sr tsscz juite, nrais il
convient mc scmblc-t-"il d'y apportcr Llnc lluancc : Foucault n'a
pcut-ôtre cn cffct rien dit qui soit, en substancc, radicalcment
nouvcau, nrars dans Ltn(- ccrti'rnc Inesure il le renouvclait pour des
orcillcs rrdrc:rles.
Disons le s ciroscs plr-rs claircment. I)cpuis une dizainc
d'annc<cs, cicpuis lc dtrhut dc- h crisc éconontiquc actucllc, la
pcnsclc radicale cst partout sur Ia défcnsivc, contrainte à unc
2.7 (li. l'.ntrcticn rvcc Clruso (voir notc 25)
2u lluppcrt, 197-1. p. 191.
1 iJ6
POR'IRAI'I D U NÉ]()-AN A R(J Tt ISl'T]
,lcrnic\rc rnuc qui lui fàit perdrc cc qui lui rcstait d'utopisnrc' ct cc
sorrs ll prcssiort d'unc critiquc de plus ctl pltts vivt-'dlt constrtlctio-
nisnrc social. Ccla est tout particuliù'rett-rcnt vrai cn Frattcc, cc
lirvcr dc la pcnseie raclicalc. La < trottvellc philclsclphic > rl'a été
(lrr'un errg,t'-tcntet-rt é.phérnèrc, rnais lcs eflcts clc I'alliancc lmpic
.itr'cilc rûlisa entrc Poppcr ct Soijénitsine scrolrt vraiscrnblablc-
tircnt durablers. I1 cst asscz cttriellx qLl'aLl llrorrlellt otj ll qaucht- clc
Mittcrrand, qui est à bicn tlcs égards bcar-rcoup nroitls u dé-
r.rtliclriisc<c r quc la sclciai-déttrocrltic cttropeicntrc, arriva att
potrv<tir, la pcnsc<c françaisc ait scntbie: plongéc cllns tltlc_ vc(ritablc
1)rtrqc dtr radicalismc. Lc journalistc du A'Ittntlc Michel Tatlt sc
pl.rîi à sottliqncr quc si cn (lrande-Brctaqnc ou cll A_llcmaenc
i':rrrticon'rrnunisrnc dcs intcllcctucls a flcuri pcnd:rnt la gtlcrrc
tl'rriclc, c'cst à ccttc c<potlLlc qu'etl Francc cltt a lc pigs l1irtd'avec lc
rrrythe dc ll retv<titltiolt ct cic ia constrtlction dtr socialistnc. Nolts
.rssistons à çrrcrscr-rt au rcfltt-x dc cctte tendattcc, rnais la rhétoriqtrc
r:rclir--llc.rf .tt.," l-rabittrdc attcréc dcpuis si longtetnps dans la
purséc dc I'intclligcntsia fiançaisc qu'cllc cst .prcsqllc dcvcttttc
pour cllc utr cadre dc pcnsc<c. Par ct>nséqucnt. cllc nc pctlt quc sc
i',crpcttucr, nrênrc si c'cst à ttrtc tichcllc plus rclchtitc, tnêtrc stltts de
étoilcs. Lc de<cor était donc posai pour unc forme dc
'.rtairuaiscscapablc d'assttrcr la continuité dtl Mythc de la Ilévoltc,
pcnséc
alimcnté par la clistraction fàvoritc (ct très sérieusc) des
'uvthc
inte:llectucls frarrçais dcpuis l'époqtrc dc tsaudelairc ct de Flaubert,
t;ui cotrsistc à rosscr lc bourge ois. La the<oric dcs râpports
1'touvoir-savoir dévcloppéc par Fotlcar-rlt satisfaisait à ce vicux
ircsoin avec ull talcnt irtde<niablc ct tlll aplornb collsomnlé,
r)otammcnt parce qu'clle nc pcrdait pas de tcrnps à cssayer de
r:rnimcr lc cathéchisnre éculé dc la fbi radicalc dc jadis. (lonrurc
S.rrtrc il ,v a bicn longtcmps, Fottcault avait appns à clistiller
I'f:lixir cle la Pure Nd'qatior1.
(lc- faisant il dcvint malhcrtrettseûlcllt l'une dcs tigures celltra-
lcs cl'nnc mc<tamorphosc hor-rtr-ttsc de 1a philosophic cor.rtinelntalc,
,1ui la piacc darrs uirc situation difficilc quc décrit ct critiquc. fbrt
.i.lroitclmcnt llouvercssel'). Tout comlncncc evec I'ironie d'r.tnc
phiiosophic qui, aprc\s avoir proclamé bicn hatrt la mort dc
l'lr,.rnrmc (c'cst 1à ulrc qucstion t<pistc<mologiquc, ccla est ccrtailr,
rnais qui est lourdc de connotations tnoralcs st>igncuscnrcnt
.t,). IJrruvtrcssc. op. tir., crr prrticulier p, 1.1-1.1. .1.+. lJ5-116. 1{)7. 151). 1(r2 ct 172-174.
IU7
 FOU CAULT' OU LË NII]ILISME DE I-A CHAIRE

orchestrécs), sc consacrc aux problèmes lcs plus brûlants de

fhumanité (la folic, lc sexe, le pouvoir et la punition, erc.) cn se
fondant sur le fait quc la philosophie er tant que rccherche sur de
vicilles abstractior.rs telles que la réalité et la vérité. la subiectivité
et I'histoire, cst rombéc ôn de'suétudc. S'asit-il là d'himilitei ?
Ilouveresse en doutc, car si ces philosophes post-philosophiclues
se ricnt des prétentions dc tout savoir ils nc sont guère enclins à Bibliographie
ctcrrdrc lcrrr sccpticisrne ) lcrrr proprt' vision glohalcrncnt nrlgativc
dc la science ct dc la société. Se ref'sanr à tôut débat critique ils
semblent ôtre victin-res dc I'illusion selon laquelle I'abserrcc de
rrrrithoclc cr tlc riqrre rrr d;rns l'argrrnrcrrt.rtiorr coirduiscnt lrrtomati-
qucnrent à comprendre lcs r, vrais problèmes ). Ils ne rongissent
pas.lc passcr pour.les ticrivains plutôt quc pour dcs p.:rrseurs
professionncls, ct pourtant lcur caractère .i littéraire , a àu mal à
cachcr un énornrc dognratisrrrc.
l)ar cxcmplc. r(tant bicn sur radicalcnrurt u critiqtre D ccttc
nouvelle plrilosophie sc complaît dans un clair rron st'quinrr : clle
rarsonnc souvent cornnle si, du fait que I'empr(.ssL'rnent à
reconnaîtrc unc illusion ou Lrne tricherie dans lc domaine dcs idécs
et des valeurs cst cn soi une saine habitude d'esprit, nous dcvrions r/ o,uvItES t)E r.ou(lAUt.T
inférer quc toute idée et toute valeur n'est quc fausse ou illusoirc.
Elle nc scrnble pas êtrc consciente que, comnc le rcmarque fort ( )uura,qts
justemcnt Hilary Putnam'l'), ravaiei la rationalité, d'unc tàçon
rclativiste, à n'êtrc que lc simple produit d'une culturc historrque Irorrcatrlt, 1951, Maladie mentale et psytho!o.qit', [)aris, [)rcsscs Univcrsitai-
donnéc c'est ôtre cst aussi réduction'iste que le positiviste logique rcs de Francc.
qr"ri rc<duit la raison au calcul scicntifique. De plus la no'vélle lrorrceult, 1961 , Folie ct dôraison : Histoire de la.fitlie à l'â,ry classiqte, Pans,
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qu'elle essaic tant de saper. Elle co'stitue donc une ( marginalité l otrc:rult, 1966, I"c.ç ntots ('t /cs rltosc.ç, Peris, (lallimarcJ.
ofhciellc )), ct il cst inhérent à son pégativisrne dc profiter de cetre l,rrrcatrlt, 1969, L'arch(olo,qie du sar.'olr, Paris, Gallirnarcl-
situation sans lc moindre rcmords nioral. l;trrrcarrlt, 1,97I, L'ordrg iu (Jis,t:ours, Leçon inauguralc au Collègc de
Léo Strauss avait coutume dc dirc qr.re, à I'c<poque moderne, Fr:urce pronoucée lc 2 de<ccmbre 1971), Paris, Clallir.n:rrcl.
plus on cultive la raiso', plus on cultive le Foucault Iorrcarrlt, 1975, Surveiller ('t pttnir : N'ai-çsanic dc la prison, Parts,
nous a nrontré qu'il n'cst pas clu tout nécessaire 'ihllisme.
de cultiver la
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2(X) 20,1
 INDEX INDEX

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S t qr
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l{or .iNr,r Se rgr,' l)rrrlo. lt'1. Varrr.r Clleudc, 156.
Iloussr-.q.u (ieorge Sebastian, 72. Vrresqurz L)iego, 51, 52, 53, 54.
Rousssau Jean-Jacqucs, 33, 138, 172. Vr:Nrr,rnr Fmnco, 121, 122. 123.
lloussrr Rayrnond, 63. VÉsar.r André, 65, 66, 71.
Il.urz-Mrcur-:r- Altbnso, 1 36, 1 3 r- . Vrvrvl l)aul. 9. U3, fJ4, 85, 156, 179.
llussur.r- IJcrtrand, 9. Vrcrrrrlrr Rlaisc, .18.
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202 203
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Septembre 1986 No 3r 968
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