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HABILITATION À DIRIGER DES RECHERCHES

Université Paris 7 - Denis Diderot

Transformations des paysages et


mutations sociales et économiques :
l'exemple de l'Hispanie pré romaine et
romaine
Volume I : Synthèse Scientifique

par Ricardo Gonz á lez Villaescusa

Directeur : Jean-Pierre Vallat


Session Décembre 2004
A Ana, de nuevo, por el tiempo robado.
REMERCIEMENTS
Arrivé à destination, il convient de jeter un oeil sur le chemin parcouru et rappeler
toutes les institutions et tous ceux qui ont fait que je puisse aujourd’hui expliquer et
défendre le travail effectué au cours des vingt dernières années. Je suis sûr d’oublier
beaucoup d’entre-eux, bien que leurs contributions et leurs ouvrages soient cités dans les
articles qui jalonnent ce travail. La liste des remerciements n’a pas d’autre but que de
rappeler au souvenir de tous les appuis et soutiens de mon activité scientifique.

Je ne peux évidemment pas oublier mon directeur de thèse, un an maintenant


après son décès. Il n’y aurait que très peu de chose à ajouter à ce qui a déjà été dit de cet
insigne archéologue valencien. Je garde également une dette envers Josep-Vicent Lerma,
du Service des Recherches Archéologiques Municipales (Valence), lequel possède une des
visions sur l’archéologie valencienne les plus pointues. Angel Fuentes, professeur de
l’Université Autonome de Madrid et membre du jury de ma thèse doctorale, quant à lui, m’a
appuyé par la suite en suivant mon évolution postérieure à la soutenance de thèse. Pour en
terminer avec ce paragraphe consacré aux remerciements hispaniques, il me faut citer
l’Université d’Alicante qui a accepté l’inscription de ma thèse doctorale.

Mon séjour au sein d’une institution comme la Casa de Velázquez a constitué une
influence de premier ordre dans ma formation. Je suis en dette avec Joseph Pérez,
directeur pendant tout le temps où je fut membre libre (1994-1997) de la section
scientifique ; avec Jean Canavaggio, directeur de la Casa de Velázquez quand fut éditée
ma thèse doctorale ; avec Jean-Gérard Gorges, avec qui j’ai collaboré au cours du
programme de recherches « Moyen Guadiana » ; enfin, je suis tout particulièrement en dette
avec Patrice Cressier, directeur d’études avec qui j’ai collaboré sur des projets scientifiques
qui ont fortement contribué à ma formation.

Je dois aussi beaucoup à Pierre Garmy pour son concours durant mes recherches
en Languedoc au moment où il occupait le poste de Directeur des Antiquités du Service
Régional de l’Archéologie de Languedoc Roussillon. Henri Galinié, directeur d’équipe au
CNRS, Archéologie et Territoires (Tours), et Jean-Luc Fiches, du Centre de Recherches
Archéologiques de Valbonne, m’a accueillir durant mon cycle post-doctoral entre 1994 et
1997, je leur en suis très reconnaissant. Je voudrais adressé quelques lignes spéciales à G.
Chouquer qui fut le tuteur scientifique de mon projet de recherches post-doctoral, et à qui je
dois toutes mes connaissances en matière de morphologie agraire et d’analyse
morphologique des paysages. Toute ma gratitude la plus affectueuse à qui je considère
comme le véritable maître de ma formation scientifique.

-2-
En outre, il me faut remercier expressément l’Université de Paris 7 – Denis Diderot
et tout particulièrement Jean-Pierre Vallat pour son conseil scientifique et son appui
personnel qui depuis 1998, mais surtout cette année, ont pris la forme de sages avis et de
justes suggestions pour la correction de déficiences et d’oublis dans mon travail. Il me faut
aussi remercier par avance les membres du jury dont les observations et suggestions
serviront indéniablement à améliorer mes propositions.

Pour finir, je tiens à rappeler ici la difficile tâche de traduction de mon texte au
français effectuée par Cédric Gameiro et la révision finale de François Amigues, Maître de
Conférence à l’Université de Perpignan et surtout collègue et amis depuis mes premiers pas
en tant qu’archéologue, vers 1984. Cependant, les erreurs ne pourront être mises qu’à mon
compte.

-3-
INTRODUCTION
« Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto
cambi. Mi sono spiegato? »
G.-T. di Lampedusa, Il Gattopardo, 1956

Tout comme l’avoue l’historien E.-J. Hobsbawn, dans son autobiographie


1
professionnelle , toutes les décisions que j’ai prises en tant que chercheur l’ont été « de
façon intuitive et accidentelle », bien qu’à la fin elles terminent par former « un tout
cohérent ». J’espère que les pages qui suivent sauront en apporter la preuve.

Il m’a semblé approprié de diviser mon activité investigatrice en trois grands


thèmes, bien que les passerelles et les références entre eux ne manquent pas. Le thème du
Monde Funéraire est un thème auquel je me suis consacré entre 1985, en tant qu’étudiant
spécialisé en archéologie, et 1994 (année de soutenance de la thèse de doctorat). Entre
1988 (date des premières fouilles de can Fita) et 2002 (date de la publication de can Fita),
je me suis employé à l’investigation du monde romain et à la romanisation d’une région en
particulier, les îles d’Ibiza et de Formentera où prédominent les recherches sur le passé
phénicien et punique. Finalement, de 1994 jusqu’à nos jours, je me suis consacré à la
recherche des paysages depuis la perspective de la morphologie agraire et des
prospections.

Il ne s’agit pas de tiroirs fermés ni de date précises, seulement des estimations.


Les trois grands blocs thématiques et géographiques se mélangent, se recoupent et
agissent entre-eux. Il n’y a que le thème du Monde Funéraire qui semble fini, alors que mes
recherches sur les îles (prospections et fouilles) ont contribué à modeler le troisième grand
bloc, et vice-versa.

Nous pourrions parler de voyage aller / retour entre la conception extensive et la


conception intensive de l’archéologie. La conception extensive est surtout due à ma
formation post-doctorale française ; au retour de mon séjour au CNRS en 1998, je me suis
décidé à publier un site fouillé dix ans plus tôt pour diverses raisons. Tout d’abord parce
qu’il me semblait impardonnable de ne pas transmettre à la communauté scientifique les
connaissances dérivées de cette fouille. J’étais convaincu qu’il ne pouvait y avoir de
pratique archéologique sans fouille, c’était là une raison scientifique de poids ; il fallait que
je revienne à la vision intensive, aux données positives de la fouille avec lesquelles je me
sentais plus à l’aise que par une réflexion sur les formes du paysage ou sur les images de

1
(E.-J. H OBSBAWN 2003)
-4-
superficie de sites fouillés. Une fois la publication finie, j’ai appris que de la fouille d’un site
l’on obtient aussi une image, et ce indépendamment de la subjectivité et des erreurs du
chercheur. L’accumulation de strates, de structures, de matériau céramique, d’échantillons
archéobotaniques… sont aussi des interprétations obtenues d’une fouille et ne sont pas
plus fiables (ni moins non plus) que les données dérivées d’une analyse morphologique ou
de l’analyse d’un texte ancien. Les registres archéologiques, documentaires, paysagers…,
bien que particuliers et spécifiques, nous donnent des images qui doivent contribuer à la
connaissance historique des sociétés du passé. Je crois les avoir pratiqué sans trop de
problèmes ni de préjugés, en effet ma formation et mon intérêt principal se sont orientés
vers le registre archéologique. J’espère aussi en faire la démonstration tout au long de ce
travail.

La réflexion sur le site de can Fita, dix années avoir été fouillé et après ma
formation post-doctorale, ainsi que le travail de récapitulation de mes recherches sur
Ebusus a deux conséquences. D’un coté, renforcer la ligne de recherche régionale qui,
jusqu’à ce jours, se composait de recherches sans liens communs ou simplement
juxtaposées. D’un autre coté, relativiser l’importance du registre archéologique comme
forme de connaissance de la réalité rurale ancienne et de la connaissance générée par
l’archéologie des paysages. Finalement je fais le choix d’une ligne de recherche future qui
tente de faire vivre les structures agraires observées par vue aérienne et qui intègre dans le
milieu environnant ce qui a été sauvé lors de fouilles ou qui intègre les images de superficie
dérivées des prospections. L’objectif est ainsi de mettre en relation les zones de résidence
et les espaces de production respectifs afin d’établir les dimensions du groupe et de la
production, ce qui est peu fréquent dans les recherches sur le monde ancien. Certes il est
vrai que les recherches menées par les médiévistes du monde musulman possèdent
l’avantage de pouvoir définir les espaces de production à travers les unités techniques qui
les constituent, le tracé du canal d’irrigation et le périmètre de terres que celui-ci comprend;
nous ne pouvons pas nous résigner à rechasser les données dérivées d’un savoir qui a
supposé tant de bons résultats pour d’autres chercheurs. Il va sans dire que je ne partage
absolument pas cette croyance funeste, de mise chez beaucoup d’archéologues, selon
laquelle si les « faits » sont correctement pris, les conclusions surgissent d’elles-mêmes.
C’est là l’objectif le plus ambitieux de mes recherches à venir.

Toutefois, il y a d’autres objectifs, secondaires, à tenir en compte. Il faut poursuivre


la formulation d’hypothèses sur l’organisation des paysages. Il s’agit de provoquer le débat,
d’établir de nouveaux objets de recherche et de nouvelles réalités historiques : en
particulier les parcellaires médiévaux ou protohistoriques, les systèmes auto-organisés ou
les formes agraires liées à l’irrigation. Ce n’est pas pour autant que la centuriation, en tant
qu’objet, sera délaissée ; il faudra continuer à la définir et à proposer de nouvelles
-5-
perspectives qui prennent en compte, non seulement l’intervention de Rome sur l’espace
conquis, mais aussi la réalité agraire indigène. Quelles sont les transformations qui se
produisent entre les formes d’exploitation et de possession de l’espace contrôlé par les
sociétés indigènes et celles que la centuriation engendra : structure agraire et assise fiscale
des terres conquises ?

La problématique de l’irrigation comme option sociale et comme générateur d’une


morphologie agraire spécifique est source de nouvelles perspectives tant sur la
modélisation des formes agraires que sur la recherche des espaces de culture. La
problématique doit contribuer à identifier les éventuelles formes agraires dérivées de
l’irrigation ancienne et médiévale et à identifier les processus de travail et de sélection des
cultures que cette option sociale entraîne.

L’évolution spécifique de l’histoire espagnole, formation d’une société musulmane


en al-Andalus et par la suite conquête chrétienne, favorise la convergence de traditions
culturelles et techniques à la fois orientales et classiques. L’investigation sur les formes
agraires médiévales doit être accompagnée d’une recherche des facteurs qui catalysent
cette convergence, à peine signalés dans ma recherche.

Pour conclure, l’intégration des données issues de l’archéologie des formes


agraires et l’analyse spatiale doivent contribuer, pour certaines régions dont les
problématiques historiques suivent les critères précédents, à comprendre ces processus
dans le cadre d’un espace géographique défini. Il faudra aborder ces espaces à partir d’un
angle intensif et pluridisciplinaire, depuis les fouilles de structures agraires ou de zones de
résidence, la prospection, jusqu’à l’interprétation morphologique.

Isona, le 13 Août 2004

-6-
RECHERCHES PREDOCTORALES
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

RECHERCHES SUR L’ARCHÉOLOGIE FUNÉRAIRE ROMAINE, RITUELS ET IDÉOLOGIE

PREMISSES

Tel est le sujet de thèse auquel je me suis


consacré entre 1985 et 1994, année où je l’ai
soutenue, tandis que sa publication date de 2001,
dans sa version complète [titre 44]. Récemment je
rappelais dans une formation de l’Université d’été de
Santander [titre 47: 146-163], quel avait été le
commencement du processus de recherche et je
résumais les principales connaissances auxquelles
j’étais arrivé concernant les aspects idéologiques.

En 1985 je commençai une recherche qui prétendait étudier les


nécropoles romaines du Pays Valencien. Peu de temps après je
pris conscience que les matériaux qui apparaissaient dans les
sépultures pouvaient faire l’objet d’une classification typologique
qui permettait de dater les enterrements, et que les tombes
pouvaient être classées selon leurs caractéristiques: couverture,
orientation, position des squelettes.

Quand je voulus classifier les trouvailles funéraires et essayer de simplifier la réalité pour
avoir une sorte de « norme » explicative, j’ai été confronté au fait que les exceptions étaient
plus nombreuses que la norme. Il y avait tellement de possibilités, y compris pour une même
époque, qu’il m’était impossible de réduire la réalité à un modèle explicatif. Le rite funéraire,
bien que stéréotypé, est unique et ne peut être réduit à une typologie, comme peuvent l’être
les céramiques, ce que j’ai découvert quelques temps plus tard. Si je voulais comprendre et
expliquer la réalité archéologique des sépultures je devais trouver les réponses à tout ce qui
avait été écrit sur la conception de la mort et dans les manifestations rituelles des
enterrements. Je me plongeais alors dans la lecture de tout ce qui tombait entre les mains sur
le sujet: anthropologie, histoire, archéologie ..., mais aussi philosophie, épistémologie, droit
romain...

Je découvris que certains archéologues l’avaient déjà fait avant moi, mais ils n’avaient jamais
explicité leur méthode; personne n’avait expliqué pourquoi telle sépulture exprimait telle
idéologie, alors que beaucoup l’affirmaient. J’essaierai de rappeler quelles étaient ces
hypothèses théoriques et de les synthétiser. L’objectif consistait à démontrer que les restes
matériels trouvés dans une sépulture avaient un contenu symbolique, un signifiant, qui
pouvait, avec l’aide de différents outils, s’interpréter comme partie intégrante du rituel
funéraire romain. L’identification du rituel conduit au cadre social dans lequel il se définit et
permet de savoir quelles sont ses résonances idéologiques. Ainsi, il nous permet d’interpréter
le rite comme un révélateur social qui a tendance à reproduire un système socio-économique
et de cette manière, il nous est possible de connaître la société dans laquelle ces rituels se
sont reproduits.

Dans une première étape il nous fallut définir le concept de rituel qui permettrait d’interpréter l’objet
funéraire comme un signe d’existence de celui-ci, ainsi que celle de l’idéologie, et de sa valeur pour
l’explication des phénomènes sociaux. Ensuite, il s’agissait de donner les clefs d’interprétation du rituel

-8-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

du point de vue du vestige archéologique ... c’est à dire, la construction d’une sémiotique de l’objet
funéraire romain, pour lequel il serait nécessaire d’apporter les différents contextes qui permettraient
d’interpréter convenablement ces symboles: le contexte archéologique, le contexte historique et le
contexte anthropologique. [titre 47: 147].

Une approche simple du problème aurait abouti à une série de types


d’enterrements, de vaisselles funéraires et à l’origine des objets qui se trouvaient dans les
sépultures, mon intention de dépasser la simple description positive me conduisit à tenter
quelque chose de véritablement plus complexe et peu fréquent chez les historiens qui ont
comme cadre théorique le matérialisme historique c’est-à-dire arriver à ce que l’on appelle
le « troisième niveau » 2, la superstructure :

Le cas de l’étude historique des superstructures est paradigmatique: on ne peut que parler
incorrectement d’une histoire totale sans tenir compte et essayer de connaître ce que l’on appelle « le
troisième niveau ». Le marxisme recule depuis longtemps devant ce thème trop difficile pour une
approche matérialiste, dont la recherche se fait attendre avec impatience. En tant qu’historiens, comment
ne pas apprécier alors la constitution d’une histoire des mentalités, d’une anthropologie historique et
d’une histoire socioculturelle de la part de la nouvelle histoire avec l’aide des sciences humaines
voisines? Jusqu’à maintenant l’historiographie avait abordé essentiellement la superstructure politique,
institutionnelle, étatique ; les nouveaux historiens français – non marxistes et marxistes - abordent
néanmoins l’analyse de la superstructure de la société civile, ce qui permet, entre autres choses,
d’entamer une recherche sur le sujet social de l’histoire dans sa globalité.

Mais, en plus, même sans connaître cette situation décrite par le théoricien Carlos
Barros, en ce qui me concerne avec une difficulté ajoutée, car il était, depuis, l’objet de la
culture matérielle, du registre archéologique. Les restes les plus matériels que peut trouver
l’historien devaient être portés au niveau de la superstructure idéologique. La question était
de savoir comment.

Ayant commencé ce travail au milieu des années 1980, période pendant laquelle
l’influence de la New Archaeology dans les universités espagnoles était grande et les
méthodes de la dite archéologie de la mort s’imposaient à l’heure d’interpréter les vestiges
matériaux des nécropoles fouillées, les effets de mode de la dite archéologie de la mort
persistaient encore comme je pus le démontrer grâce à la disposition sur un graphique des
titres qui avaient pour objet l’étude de la mort selon les différentes sciences sociales et
humaines [titre 44: 30, graphique 1]. L’archéologie de la mort était donc une source
d’inspiration incontournable. Mais, intéressé par le sujet, je ne pus éviter de me plonger
dans la lecture des historiens de la mort de l’école française, raison pour laquelle un séjour
à Paris (Centre Gustave Glotz, Paris I : École Normale Supérieure ; Centre d'Art et
Archéologie ; Bibliothèque de La Sorbonne), financé par la Generalitat Valenciana, en avril
1992 me fut d’une aide précieuse ; il me permit de réunir une ample bibliographie sur le

2
(C. B ARROS 1991)
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Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

sujet, y compris certains classiques introuvables dans les bibliothèques habituelles. Au dire
de quelques uns de mes lecteurs, je suis arrivé à une synthèse des deux écoles en
m’intégrant à la fois dans les courants de pensée anglo-saxon et français, ayant recours à
J.-J. Hatt, à M. Vovelle, comme à F. Hinard, frappant aux portes de l’anthropologie, de
l’ethnologie, de la sociologie, de l’archéologie et de l’histoire, maniant la longue comme la
courte durée, structure et conjoncture, continuité et rupture... Mais sans vouloir enlever une
seule part de vérité à qui ainsi le pensait, je crois que l’étude se revendiquait davantage des
Annales que de l’archéologie anglo-saxonne, même si à aucun moment je n’ai eu la moindre
hésitation à utiliser les résultats de cette dernière. Toutefois, la décision ne fut pas
immédiate, le type de registre archéologique et l’humilité des restes funéraires du Pays
Valencien m’aidèrent à me décider pour cette option. En préparant la recherche et l’analyse
des restes de mobiliers et des cimetières, j’arrivai à la conclusion que l’analyse propre de
l’archéologie de la mort s’adaptait plus aux nécropoles isolées car il est nécessaire que les
données d’une société soient complètes, que tout le groupe social utilise le même lieu
d’enterrement ou que puissent être considérés tous les processus taphonomiques. Les
conditions pour pratiquer cette archéologie de la mort nous renvoient principalement aux
cimetières des groupes réduits de la pré- ou protohistoire ou, même, à un groupe réduit
d’une ville donnée qui avait un seul cimetière et où, pendant des générations, se firent
enterrer les différents membres du groupe, indépendamment de leur condition sociale, mais
avec des différences de rituels, offrandes, etc.

Toutefois, le monde romain nous renvoie à une réalité bien différente. Restes de
nécropoles incomplètes ou partiellement fouillées, petits indices d’une nécropole ici, deux
enterrements isolés là, une grande nécropole urbaine de l’Antiquité tardive, une autre rurale
du haut Empire...; en définitive, l’analyse se prêtait à une étude qualitative plus que
quantitative.

D’un autre côté, je me plaignais du fait qu’il manquait une étude complète, une
histoire totale, basée sur le registre archéologique de la mort à Rome qui aurait tenu compte
de toutes les données qui circulaient et qui existaient de type anthropologique, social,
ethnologique...; le modèle latent d’une étude de ces caractéristiques était celui de M.
Vovelle, La Mort et l'Occident, de 1300 à nos jours, 1983, connue plus tard sous le nom de
vovellien [titre 44: 38]. Certaines personnes, lors de conversations informelles, me
découragèrent de le faire prétextant que ceci relevait exclusivement de la labeur des
« grands historiens » et s’adaptait mal au format d’une thèse doctorale prenant comme
référence les données archéologiques provenant du Pays Valencien. Je dois reconnaître
que pendant un certain temps je crus ce que l’on me disait, mais la fortune me sourit en me
permettant de rencontrer celui qui serait, à partir de ce moment-là, mon directeur de thèse,
E. Llobregat, séduit par le sujet et la méthode de travail que je lui présentai. Je ne peux
-10-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

éviter de me sentir redevable aux augures pour leur avertissement car cela me permit de
réfléchir à l’objet de ma recherche, consacrant un chapitre à l’historiographie sur le sujet, le
1er, et un vaste chapitre, le 3ème, de type méthodologique et théorique, dans lequel
j’exposais les raisons pour lesquelles je croyais qu’un tel projet était possible. Ce qui
finalement fut l’une des parties les plus appréciées par ceux qui m’ont lu 3.

DÉFINITION DE RITUEL

La première étape était la définition du concept de rituel qui permettrait


d’interpréter l’objet funéraire comme un signe d’existence de celui-ci, ainsi que celle de
l’idéologie, et de sa valeur pour l’explication des phénomènes sociaux. Ensuite, il s’agissait
de donner les clefs d’interprétation du rituel du point de vue du vestige archéologique, ...
c’est à dire, la construction d’une sémiotique de l’objet funéraire romain, pour lequel il serait
nécessaire d’apporter les différents contextes qui permettraient d’interpréter
convenablement ces symboles: le contexte archéologique, le contexte historique et le
contexte anthropologique.

Les rites ont une finalité communicative, c’est à dire qu ils sont un exercice de
méta-communication. Par l’intermédiaire des métaphores et des métonymies, les
participants au rituel expriment quelque chose, en même temps qu’il se passe quelque
chose, vivent l’événement de façon intense, et ils interprètent pendant l’acte rituel
proprement dit les signifiants qui lui donnent forme. Formalité, stéréotypie, condensation, et
redondance sont donc les caractéristiques communes aux manifestations rituelles.
Indépendamment des résultats immédiats obtenus par la pratique d’un rituel, son effet se
concentre en dernier ressort sur la domination sociale. La cohésion, la solidarité ou la
hiérarchisation sociale obtenues suite au rituel, sont toujours profitables au même ensemble
social.

Le rituel fait partie d’un système par lequel on peut passer de la structure sociale à
l’imaginaire de la communauté, à travers l’ interprétation théâtrale et le jeu, en modifiant, de
cette façon, la perception qu’ont ces sociétés de leur propre réalité.

Les rituels, par leur formalisme, leur stéréotypie, leur concentration, et leurs
redondances, se déroulent suivant un scénario qui prescrit les limites de la règle, en même
temps qu’il en définit les exceptions. Les participants à l’acte rituel acceptent leur rôle social
par rapport au rôle du reste des co-participants, de même que leur comportement établi au
préalable par les rituels; ainsi donc, le rituel est un révélateur de la tension qui existe entre
les éléments préétablis dans ce scénario et les limites de la prescription.

3
(A. F ERDIÈRE 2001 : 301)
-11-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

De cette façon, l’interprétation du rituel en tant qu’élément d’une idéologie


dominante ne peut être atteinte que grâce à une lecture idéologique du contexte historique
ou social dans lequel il a lieu.

La mort acquiert une valeur considérable pour l’analyse d’une société parce qu’elle
transmet, comme aucun autre aspect idéologique, les relations de pouvoir entre dominants
et dominés. La relation sociale sous-entend une tension de forces entre l’ordre établi et le
désir ou les pulsions de vie. Le pouvoir est exercé par la peur que génère la mort, et donc,
gérer la mort c’est dominer la vie. Cela suppose un exercice de pouvoir qui rejette toute
mort individuelle qui ne soit pas exemplaire: la peine de mort de l’« associal »; en admettant
et reconduisant comme bénéfice propre le sacrifice du héro. Le droit et le pouvoir, donc,
s’exercent à partir de l’opposition entre différents paramètres: destruction-domination,
puissance-impuissance, qui représentent un moyen « symbolico-magique » de lutte contre
l’angoisse que génère la mort. En conséquence, le pouvoir n’est acquis qu’au prix de la vie,
c’est pour cela que le suicide est un révélateur du lieu qu’occupe dans la société le
suicidaire et de la valeur accordée à la classe ou au secteur social qu’il représente. Les
anthropologues du suicide, à travers l’analyse de la personnalité sociologique du suicidaire,
ont pu établir comme caractéristique principale qu’il s’agit de personnes qui ne trouvent pas
leur espace social défini, à cause de leur manque de participation dans les mécanismes
productifs. Leur négation sociale devient, à travers le suicide, une auto-affirmation et un
dernier, et particulier, exercice de pouvoir sur les autres.

Dans le monde romain, l’esclave de la République tardive et des premiers temps de


l’Empire possède un droit naturel comme marchandise qu’il est, et donc, il possède le droit
au suicide. C’est-à-dire que son suicide ne sera pas puni, sans préjudice du fait qu’il soit
considéré par cette attitude comme « malus », car il attentait contre la marchandise de son
maître. Toutefois, le droit au suicide d’un esclave, quand celui-ci dispose de l’administration
de son propre pécule, n’est pas une attitude en sa faveur, mais au bénéfice de ses
possibles créanciers, qui pouvaient ainsi ester contre ses descendants sans inculper son
propriétaire, responsable de ses actes. En revanche, la situation est différente pour les
liberti et les colons, et même pour les esclaves à partir du IIIè siècle apr. J.-C. : les
tentatives de suicide vont être punies et les biens d’un suicidaire seront rapidement
confisqués.

Si l’on met en relation cette situation avec le rôle social des différents personnages
dans le cadre productif, on peut constater que la mort d’un esclave était considérée comme
un problème mineur, car il n’était autre chose qu’un outil, cher, mais un outil, en fin de
compte. Sa disparition représente un préjudice, mais pas l’arrêt des mécanismes de
reproduction du système socio-économique. Contrairement au système esclavagiste qui se

-12-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

reproduisait par la capture des esclaves en temps de guerre et pour des raisons de guerre
ou sociales, les hommes libres se reproduisent et reproduisent le système au sein d’une
famille et donc, la situation du libertus et des colons est différente car, en attentant à leur
propre vie, ils brisent la reproduction du système dans lequel ils se trouvent. Le suicide d’un
colon, père de famille, représentera la fin de la cellule productive à la tête de laquelle il se
trouvait, ce qui impliquera nécessairement son immédiate substitution.

Pour éviter ceci, le droit romain utilisera les moyens coercitifs les plus poussés: la
punition exemplaire et la confiscation de ses propres biens, comme une garantie pour éviter
l’interruption du système productif. Le suicide du colon attentait à la perpétuation du mode
de production qui allait être dominant jusqu’à l’époque moderne et la doctrine chrétienne
n’allait pas rester indifférente devant un fait d’une telle ampleur, recueillant ainsi les
préceptes moraux de la société romaine tardive.

LE SYSTÈME SÉMIOTIQUE DU RITUEL FUNÉRAIRE ROMAIN

Le rituel funéraire en général, et le romain en particulier, sont des systèmes


sémiotiques, susceptibles, comme tout système sémiotique, d’être interprétés de deux
façons: une interprétation sémantique ou sémiosique, à travers laquelle les destinataires,
devant l’expression du texte, lui confèrent un sens. Et une interprétation critique ou
sémiotique, à travers laquelle le chercheur essaie de comprendre les raisons structurales
qui motivent certaines options rituelles et pas d’autres. Dans cette interprétation sémiotique
je dus trouver la clef qui permettrait d’aller plus loin dans l’interprétation de la culture
matérielle des sépultures, c’est à dire qu’il s’agissait d’établir si les restes matériaux
trouvés, ou leur absence, à l’intérieur d’une tombe, constituent un élément dont la
signification est suffisamment explicite pour pouvoir l’interpréter comme un signe du rituel
funéraire.

Pour cela j’utilisai comme cadre théorique l’interprétation sémiologique d’ U. Eco,


appliquée au rituel et à la culture matérielle ainsi que des exemples comparatifs du propre
rituel funéraire romain. Je pris l’exemple d’un typique rituel du monde romain: le vinum
respersum, un geste qui consistait à verser du vin sur une tombe. En supposant que ce
geste fasse partie d’un système sémiotique, comme je le croyais, les émetteurs du texte
« verser du vin sur une tombe » étaient les acteurs communicatifs d’un message adressé au
reste de la société qui pouvait être considéré comme une métaphore. On pourrait alléguer
que le destinataire de ce geste était le cadavre, et que, de cette façon, devant son
inexistence physique il ne se produisait aucun acte communicatif; toutefois, il n’est pas
nécessaire d’insister sur le fait que le message peut exister sans la présence d’un récepteur
-qui d’un autre côté, dans le monde de l’imaginaire, est considéré comme un être auquel
peuvent être envoyés des messages-; ou que les authentiques destinataires des gestes
-13-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

rituels funéraires ne sont pas les morts mais les vivants. La métaphore naît donc de
l’interaction entre un interprète et un texte métaphorique, mais son interprétation provient
non seulement du texte en lui-même, vinum respersum, mais aussi du contexte général des
connaissances encyclopédiques d’une culture, à un moment précis de son évolution
historique, c’est-à-dire du contexte historique: le sens du vin pour les romains, le sens que
revêt le verser parterre sans lui donner de consommation humaine et donc, le gaspillant.
Toutefois, la genèse originaire d’une métaphore, ainsi placée dans son contexte, plongeait
ses racines dans l’expérience interne du monde et dans les processus émotifs humains
traduits dans le langage, c’est à dire ce que j’ai appelé le « contexte anthropologique » qui,
avec le contexte historique, forment ce que U. Eco définissait comme « système sémantique
global » formé par les unités culturelles et les unités sémantiques. Les unités culturelles se
manifestent à travers leurs interprétations : la parole, l’écriture, les images, les gestes, les
comportements, et ajoutai-je, les rituels. Dans l’exemple utilisé, le vinum respersum, ou
dans l’exemple plus général du banquet funéraire, silicernium o refrigerium, pouvaient être
identifiées les caractéristiques implicites d’une métaphore, parce qu’elle a deux lectures
possibles. La première lecture est la lecture explicite: toute la famille mange avant ou après
l’enterrement, à côté de l’être disparu, et le font ainsi complice du repas; la deuxième est la
lecture interprétative que faisaient les personnes présentes lors du rituel, la conciliation
avec les esprits et le réconfort personnel (il ne faut pas oublier que l’étymologie de
refrigerium est « rafraîchissement », dans le sens de « reconfort » et de « béatitude »,
terme conservé dans la langue française comme « rafraîchissement spirituel »), évitant ainsi
la sanction de la communauté. Le premier sens ne se comprend pas sans le deuxième, et
vice-versa, car il est très rare que le locuteur méconnaisse le premier sens ou fasse erreur
dans son interprétation. Ensuite, le texte « verser du vin sur une tombe » est une métaphore
parce qu’il nous renvoie à un monde possible. Monde qui n’a rien à voir avec la perception
objective du monde de l’Antiquité, mais au monde qui rend possibles les métaphores. De la
même façon qu’aujourd’hui nous déposons des fleurs sur les tombes, sans que pour cela
nous croyions que nous sommes en train de décorer la maison de nos chers décédés et que
ceux-ci se réjouissent de leur présence. Cette tournure sémiologique m’aidait parfaitement
à déraciner une fois pour toutes la confusion engendrée par l’interprétation fonctionnaliste
qui était faite habituellement par certains archéologues et qui avait déjà été formulée par les
premiers chrétiens, comme Lactance, qui se moquait des païens à cause de la célébration
de sacrifices sanglants [titre 47: 151] sans faire remarquer que les chrétiens faisaient un
sacrifice/métaphore non sanglant avec le corps et le sang du Christ, pour commémorer un
fait qui, lui, fut sanglant : la crucifixion. Toutefois, ceci n’est pas un inconvénient pour que, à
certaines occasions, les métaphores d’une culture contribuent d’une façon importante à

-14-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

modeler la perception qu’ont les personnes de la réalité, faisant naître ainsi la confusion
réalité - imaginaire.

Finalement, notre exemple peut être considéré comme une métaphore parce qu’il y
a un transfert de certaines propriétés d’un terme à l’autre de la comparaison, car une fois
accepté le sens métaphorique de « verser du vin sur une tombe », qui est que le décédé est
complice du repas que les vivants lui offrent, si l’interprétation se faisait de façon littérale et
était poussée jusqu’aux dernières conséquences des interprétations des fonctionnalistes,
ceci conduirait à un « univers désordonné », dans lequel il faudrait se rendre tous les jours
au cimetière pour déposer de la nourriture sur la tombe afin que les restes de la personne
décédée pussent se nourrir.

Une fois démontré que le rituel était un système sémiotique, l’étape suivante était
l’établissement d’un modèle dans lequel le registre archéologique trouvé à l’intérieur d’une
tombe puisse être interprété comme l’expression d’un rituel. En d’autres mots, le fait que le
langage soit un système sémiotique n’implique pas directement et de façon automatique
que celui-ci puisse s’interpréter par les données archéologiques d'une langue qui
existeraient. En outre, comment décoder ce métalangage? La façon dont s’établit une
corrélation entre le signe et le contenu découle des décisions préalables ou ultérieures à la
production même du signe. Dans le cas du rituel funéraire romain, si nous acceptons
l’exemple des verres trouvés à l’intérieur d’une tombe, rien ne nous permet d’assurer que
les récipients déposés dans une sépulture soient ceux qui furent utilisés pour l’exécution de
libations rituelles. Cependant, le registre documentaire, les textes anciens classiques nous
permettent de savoir qu’il exista la coutume d’y déposer les verres utilisés dans ce but, et
de cette façon, les premiers archéologues qui fouillèrent des sépultures et qui connaissaient
leur contexte historique purent déduire qu’il devait s’agir des récipients avec lesquels on
avait réalisé des libations et ingestions rituelles, et qu’ils avaient été déposés à l’intérieur de
la tombe. On pourrait penser que ces mêmes récipients furent utilisés dans un autre but, et
notre interprétation habituelle serait peu adaptée.

Finalement ce qui domine est un critère d’économie interprétative. Si l’on se


trouvait face à une fouille d’une culture étrangère, de laquelle nous ignorerions tout du
contexte historique, nous serions en mesure de douter sérieusement de cette interprétation;
mais ce n’est pas le cas pour la culture romaine, dont les textes et la fouille de nécropoles
permettent d’affirmer sans trop de risques qu’il s’agit des restes de libations funéraires.
Cela aurait un autre sens d’affirmer, dans le cas d’une culture dont nous ignorons le
contexte historique, que l’anthropologie permet d’interpréter que les cultures qui déposent
des récipients pour aliments à l’intérieur des sépultures réalisent des sacrifices rituels au

-15-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

moment des enterrements, mais ceci serait beaucoup moins certain et cela pourrait être la
tâche d’autres chercheurs que d’élucider l’opportunité de telles interprétations.

Je concluais que le rituel funéraire était un acte communicatif, dans le sens que J.
Habermas 4 donne à l’expression, et que sa manifestation s’inscrivait dans le processus
d’apparition de la structure sociale familiale, en transformant les interactions
symboliquement transmises, propres aux anthropoïdes et aux premières communautés de
chasseurs-cueilleurs, par un système de normes sociales que présuppose le langage et les
gestes qu’il coordonne. L’interprétation des vestiges de la culture matérielle des sépultures
avait enfin, selon mon point de vue, un cadre théorique interprétatif.

Bien que je me sentes spécialement satisfait de cette réussite méthodologique et


de la réflexion sur les aspects épistémologiques et historiographiques, qui représentent ma
« tentative de « refondation» en matière d’histoire sociale à partir des données funéraires »,
je manifeste, cependant, ma divergence avec l’opinion de A. Ferdière dans son compte
rendu sur mon étude 5 où il affirme que c’est dans ces aspects que réside l’intérêt principal.
Opinion que j’interprète plutôt comme une conséquence des distances que je prends dans
mon étude par rapport aux sujets scientifiques habituels qui occupent le chercheur dans le
nord de la France.

PRINCIPAUX RÉSULTATS

Voyons à grands traits certains des résultats dans l'application de cette méthode
sur les restes funéraires du Pays Valencien. D'abord je veux revendiquer les chapitres 4 et
5. Une étude à caractère systématique comme celle-ci a un effet évident sur l’état de la
connaissance du sujet dans la recherche de la région. L'inventaire dans un corpus critique
de toutes les nouvelles ou des références, anciennes et plus récentes, perdues ou
dispersées ; le répertoire d'images, plans, rapports de fouille, descriptions de matériaux
déposés dans des fonds de musées, études paléoanthropologiques, inscriptions
funéraires..., et de son homogénéisation dans un modèle de fiche descriptive commune est
une réalisation que possèdent très peu de régions de l'ancien Empire romain. C'est un
avantage de ce travail, qui le rendra, à en juger par les nombreux chercheurs qui y font
référence, incontournable pour longtemps et cité dans les recherches qui ont pour but la
connaissance des restes d'une certaine nécropole du Pays Valencien ou d'Espagne. De fait,
les sept années passées entre 1994 (date de la soutenance de la thèse,)et 2001 (date
d’édition de celle-ci) ont fait que J M. Abascal, membre du jury, affirme dans la présentation

4
(J. H ABERMAS 1990 a ; 1990 b ; 1992)
5
(A. F ERDIÈRE 2001 : 301)
-16-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

publique du livre, qu’une bonne partie des hypothèses qui y étaient formulées trouvaient
leur confirmation dans certaines des fouilles de cimetières qui avaient été effectuées dans
ce laps de temps.

En outre, je soulignerai les réalisations relatives aux propositions sur l'organisation


romaine de l'ancien Pays Valencien, sujet que j'ai abordé pour la première fois au Congrès
d’Orléans « Monde des morts et monde des vivants en Gaule rurale (1993) » [titre 15: 129-
135]. Aujourd’hui on connaît beaucoup mieux le réseau de villes desquelles dépend la
distribution des nécropoles et la définition des territoria, grâce à la contribution des
méthodes de l'archéologie spatiale et la définition de la culture matérielle des nécropoles
selon la ville à laquelle elles étaient rattachées. La dispersion des cimetières par rapport
aux caractéristiques physiques et la structure routière de l’époque ancienne du territoire
apporta aussi des données importantes pour la formulation de modèles de fonctionnement
de l’ensemble des villes et l'aménagement de leurs territoires. La relation entre les lieux
d’enterrements et les habitats des vivants, que ce soit dans les villes ou dans les environs
des installations rurales, apporta aussi certains modèles explicatifs qui, en observant leur
évolution diachronique, permettaient d’interpréter les nécropoles par les différentes
relations spatiales, à l’intérieur ou à l’extérieur des villes, que gardèrent les différentes
sociétés par rapport à leurs morts. Modèle que j’approfondissais un peu plus tard dans le
congrès Archéologie du cimetière chrétien, qui s’est tenu à Tours en 1994 6 même si pour
prolonger l’analyse jusqu’à l’époque médiévale je du recourir à mon ami et collègue J.-V.
Lerma [titre 22: 136-144].

Une autre vertu que je revendique était la dimension temporelle et évolutive au


niveau diachronique que j’essayais de donner à l'étude et qui n’était que la conséquence de
quelque chose qui me manquait dans les lectures que je faisais sur le monde funéraire
romain, même si elle était présente, chez les auteurs qui analysaient la mort à des périodes
historiques plus récentes. Dans différents textes sur la mort à Rome je trouvais souvent des
affirmations contradictoires, même si elles étaient étayées par des données et des
arguments invoqués par leurs auteurs. Le problème résidait dans le fait qu’un auteur se
basait sur des textes ou des matériaux d’une période alors qu’un autre se basait sur des
références d’un autre moment historique.

Aussi je trouvais étranges les différentes perceptions des chercheurs du


phénomène funéraire le long de l’Empire qui, dans certains cas appréciaient les
homogénéités culturelles sous le vernis (puissant pendant un certain temps et dans

6
(H. G ALINIÉ , E. Z ADORA -R IO eds. 1996)
-17-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

certaines provinces), dans d’autres cas, détectaient des idiosyncrasies indigénistes que l’on
pouvait entrevoir sous ce vernis à des moments et dans des lieux différents.

La vision de la diachronie, l’observation des ruptures et des évolutions, des


changements et de leur emplacement à un moment ou un autre, ainsi qu’un effort constant
pour situer la région objet d’étude dans le vaste contexte du monde romain, me permirent
de rompre avec ces tendances et surtout avec les visions historiques « anthropologisées »,
si l’on me permet l’expression, où le « sédentarisme » domine, et laisse place tout au long
des siècles à peu de transformation, pour ne pas dire à aucune. Le meilleur exemple de
ceci dans « Histoire des Mentalités » était l’oeuvre de Philipe Ariès, L'Homme devant la
mort. Aspect qui ne passa pas inaperçu à J. P. Vallat 7, qui sut voir les aspects spatio-
temporels de l’étude.

Le résultat se matérialisait donc, en un Pays Valencien singulier par rapport à


d’autres régions de l’Empire, précisément comme conséquence des précoces contacts
méditerranéens depuis son passé indigène, pendant les colonisations (hypogées,
monuments turriformes...) ou avec un passage précoce de l’incinération à l’inhumation,
pauvre quant à la quantité de mobilier dans les dépôts funéraires.

En suivant cette méthode je pus différencier trois grandes périodes qui reflétaient
l’évolution de l’attitude face à la mort et son expression matérielle dans les tombes. La
république tardive et l’expansion impériale de Rome dans la région était et continue d’être la
période de laquelle nous avons le moins de données sur la région qui nous occupe, bien
que certaines découvertes dans la ville de Valence, ultérieures à ma recherche, semblent
éclaircir certains silences dans le registre archéologique, au moins en ce qui touche aux
aspects funéraires d’une colonie romaine créée ex nihilo.

Dans la culture matérielle de ces sépultures nous trouvons une grande profusion
de mobilier correspondant à tous les moments du rituel funéraire, preuve d’un dépôt
matériel objectif, et chaque objet est l’expression d’une étape du rituel : onguentaires pour
l’onction des corps, verres, assiettes ou vases pour les offrandes d’aliments...

En ce qui concerne les sépultures, elles sont le reflet des groupes sociaux et de
leurs manifestations symboliques. Les monuments funéraires d’origine italique et à
précédents héléniques rendent évidente l’héroïsation du défunt dans le style grec. Les
sépultures des humbles consistent en des incinérations qui font penser aux incinérations
grecques dont nous pouvons voir des exemples dans l'Enéide (dans les rituels de Polidore
ou d'Anchise). Cependant, l’humilité de ces sépultures n’empêche pas qu’il y ait la même

7
(J. P. V ALLAT 2001, rapport inedit)
-18-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

profusion d’objets et d’offrandes que dans les plus riches, même si la nature des objets
déposés dans celles-ci est plus simple.

Nous trouvons peu de persistances de la culture matérielle ibérique, toujours en


relation aux urnes que contiennent les incinérations, même si les offrandes se réalisent
avec des matériaux importés. Seul un monument funéraire comme celui de Horta Major,
décoré de reliefs sculptés, est un clair exemple d’une société ibérique de haut rang qui
adopte d’autres formes d’expression.

La dispersion des cimetières de l’époque se trouve intimement liée aux villes, où se


déclencha le processus de romanisation, avec une faible population rurale. Les cimetières
se trouvent sur les voies d’accès aux villes en exposant et arborant les stratifications
sociales décrites.

Je la mets cette culture matérielle en relation avec les processus plus généraux de
l’Empire naissant. D’un côté nous trouvons une société en expansion qui prétend et qui
réussira par la suite à conquérir de vastes territoires en exportant le mode de production
esclavagiste, à travers la colonisation agricole et l’expansion de sa culture. Les classes
sociales colonisatrices sont composées de soldats, paysans libres prolétarisés et des
artisans, et de classes intermédiaires développées au sein d’une société mercantiliste de
rapide bénéfice. L’exploitation de la terre se base sur l’esclavage avec peu de mécanismes
de fixation sur la propriété, ce pourquoi l’esclave est déplacé à n’importe quel moment et
n’importe quel lieu.

À ce moment-là, la religion était celle de la Rome ancienne, à laquelle s’ajoute le


panthéon hellénique comme conséquence de l’influence grecque du moment. La religion
officielle est aussi traditionnelle que possible, faisant ressortir les points de connexion avec
l’hellénique. Dans le domaine de la philosophie ce sont les écoles traditionnelles grecques
comme le stoïcisme et le néoplatonisme qui ont une plus grande présence. Ces courants
défendent un matérialisme et un panthéisme en accord avec la société civile, ainsi qu’un
grand scepticisme quant à l’immortalité de l’âme.

Pendant la consolidation impériale jusqu’à la moitié du IIIè siècle apr. J.-C.,


l’extension coloniale atteint sa plus grande expansion, donnant lieu à la création d’un ordo
decurionum provincial et à une grande plèbe liée au développement et à l’attraction
qu’exercent les villes. L’exploitation de la propriété agricole continue d’être le système
esclavagiste, alors que surgissent en son sein les premiers embryons de mécanismes de
fixation à la terre.

Les sépultures de l’époque reflètent à grands traits la pratique des mêmes rituels et
la même disposition verticale des restes funéraires qu’au cours de la période antérieure

-19-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

mais avec une réduction sensible des objets déposés dans celles-ci. L’inhumation surgit de
façon précoce par rapport à d’autres régions de l’Empire et l’on voit augmenter le nombre
des sépultures sans mobilier.

Les monuments funéraires des classes supérieures se trouvent le long des voies
d’accès aux villes et aussi dans la campagne, partageant ainsi l’origine des styles
architecturaux de la péninsule italique (« templiformes »), des provinces orientales
(hypogées) et de celles du nord de l’Afrique (monuments turriformes). Ces monuments
comme les antérieurs sont individuels et non transférables et ont aussi la fonction d’héroïser
le défunt. Avec ces modèles architecturaux, et les premières inhumations, surgissent les
premiers sarcophages importés d’ateliers romains et faits de marbre. Les sépultures des
plus humbles sont faites de façon prédominante avec des tuiles, présentes depuis les
incinérations tardives, l’inhumation organique en contact direct avec la terre se faisant plus
usuelle.

Les cimetières urbains reflètent la stratification sociale horizontale dans l’espace


qui entoure la ville. Les voies bordées de tombes persistent, où l’on enterre les notables de
la ville et leur clientèle, alors que dans les zones plus périphériques on trouve de grands
cimetières de tegulae.

La campagne connaît sa plus forte exploitation et assiste à la multiplication de


petits cimetières, sans organisation interne apparente, quelquefois dominés par des
monuments funéraires importants. Au cours de cette période il est fréquent de rencontrer
différents cimetières avec les caractéristiques de ceux des périodes précédentes ou
l'annonce des suivantes, propres aux siècles ultérieurs. Dans certains d’entre eux nous
trouvons une profusion de mobilier, alors que dans d’autres, contemporains, celui-ci est
inexistant, ce qui semble indiquer une progressive subjectivisation du rituel et une
abstraction idéologique, rendant ainsi inutile le dépôt d’objets qui expriment la réalisation de
certains rituels.

Au cours de cette période, la religion est principalement hellénistique mais tournée


vers les cultes grecs orientaux, alors que les cultes orientaux et à mystères émergent en
parallèle, laissant place à une religion plus intimiste et domestique et aux religions du Salut.
La philosophie de l’époque trouve son expression dans les derniers souffles du stoïcisme
dont les représentants les plus importants sont Sénèque ou le propre empereur Marc
Aurèle. Surgit ainsi une philosophie qui envisage la dualité ontogénique de l’âme et du
corps, celle-là étant immortelle, et donc une idéologie de résignation qui unit la liberté
intérieure avec le conformisme politique. Nous ne devons pas oublier que l’un des
représentants de cette école philosophique était l’empereur lui-même.

-20-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

Pendant le Bas-Empire, on assiste à l’écroulement des limites de l’Empire et à la


faiblesse du pouvoir central. Les classes inférieures s’homogénéisent avec l’apparition du
colonat et des autres formes de fixation à la terre entre la moitié du Ive siècle et le début du
Vè, et en conséquence, les processus de promotion sociale se bloquent.

Les sépultures de ces temps-là représentent la transition définitive entre la


profusion d’objets des périodes précédentes et l’absence presque totale de ceux-ci de la
suivante. Parallèlement à la disparition des ampoules ou ongüentaires, on assiste à une
augmentation inversement proportionnelle des objets de décoration personnelle et des
compléments vestimentaires, déposés dans leur emplacement fonctionnel habituel, ce qui
témoigne de l’enterrement de cadavres habillés et ornés de leurs bijoux. D’un autre côté, les
offrandes alimentaires disparaissent également et laissent place à des récipients à liquides.

Les structures funéraires les plus riches sont presque exclusivement représentées
par le panthéon familial collectif. Face à la verticalité des sépultures antérieures prédomine
l’horizontalité ; l’individualisme se transforme en sépulture familiale, la structure fermée
s’ouvre, créant un bâtiment fréquenté et aménagé pour la visite. Leur caractère familial
montre que l’individu préfère appartenir à un groupe que de se distinguer individuellement.
Sont aussi fréquents, à ce moment-là, les premiers sarcophages paléochrétiens décorés et
importés ainsi que d’autres plus simples, probablement d’origine locale, taillés dans la
pierre et dépourvus de décoration. Les sépultures les plus humbles sont encore faites dans
certains cas en tegulae, bien que l’inhumation organique augmente et que surgissent les
structures en pierre en forme de ciste.

Les cimetières de cette époque ne se trouvent plus sur les voies qui conduisent
aux villes, mais incorporent leur centre névralgique : le siège épiscopal ou autour des
premières basiliques. Dans la campagne, les cimetières grandissent et ont tendance à
s’organiser intérieurement, et parfois ils sont munis d’une fermeture périphérique.

Au cours de cette période nous assistons à la prédominance des cultes orientaux


et à la reconnaissance et à l’officialisation du christianisme, qui ont comme dénominateur
commun le Salut. La philosophie de l’époque se centre sur les écoles néoplatoniciennes et
néopythagoriciennes qui fondent leur ontogénie sur la dualité du corps et de l’âme et
l’immortalité de celle-ci, même si pour cela serait nécessaire une attitude morale et éthique
canalisée socialement.

La société de l’Antiquité tardive est composée de superstructures changeantes, la


monarchie visigothique ou la byzantine, superposées à la grande masse d’hispano-romains
qui constituait la plus grande partie de la population. L’union de la gens ancienne et la
parenté germanique à donné lieu à une aristocratie de service inscrite dans une structure

-21-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

de lien de parenté avec des liens familiaux étroits. L’exploitation de la terre se fait avec une
population paysanne de plus en plus assujettie à la campagne.

La religion et la philosophie représentent l’aboutissement du processus antérieur,


le christianisme va finir par s’identifier complètement avec la romanitas et le néoplatonisme
va se maintenir.

Les cimetières et sépultures de cette période confirment cette évolution de la fin de


l’Antiquité. D’un côté, le rite funéraire se subjectivise complètement. Malgré la persistance
de certains rites de l’Antiquité comme les banquets funéraires, l’absence à l’intérieur des
sépultures des objets qui les identifieraient confirme cette subjectivation définitive.

Les panthéons familiaux disparaissent, étant substitués par l’Eglise ou les


basiliques dans les inhumations privilégiées, mais il surgit un type nouveau de sépulture
collective et familiale qui est caractéristique de ce moment: les chambres creusées de
typologie diverse. Les sépultures les plus humbles sont formées par des fosses creusées
dans la roche ou dans la terre et par les couvertures faites de pierre en forme de dalles ou
de lauzes. Avec celles-ci, on trouve quelques pseudo sarcophages formés par des
matériaux architecturaux réutilisés…

La topographie des cimetières se consolide dans le coeur des villes jusqu’au


XVIIème siècle, même si paradoxalement, dans le milieu rural, ceux-ci s’éloignent des
habitats, quelquefois construits sur des petites hauteurs, et ils grandissent en augmentant le
nombre de sépultures et en rationalisant les areae funéraires; caractéristiques qui sont en
rapport avec la croissante fixation au sol des paysans et l’existence de cimetières communs
à plusieurs exploitations, unies par une seule propriété juridique.

CONCLUSION

L’analyse archéologique se révèle adéquate pour approfondir l’étude des


superstructures idéologiques, atteignant ainsi ledit « troisième niveau », à condition que ce
soit en adoptant une attitude critique et positive d’interprétation et assistée par d’autres
disciplines.

La période analysée se situe au moment où les idéologies dominantes deviennent


–dans l’occident judéo-chrétien- subjectives à travers les principes religieux et moraux. Les
classes sociales inférieures deviennent leurs propres « chefs » moraux, le sujet lui-même
s’imposant les limites de sa mobilité physique et sociale; c’est le triomphe de l’Église et de
la religion; les restrictions constantes du gaspillage funéraire que l’on voit depuis l’époque
grecque ne seront effectives que quand ce seront les sujets eux-mêmes qui s’auto-
imposeront ce contrôle. Que reste-t-il de tout cela bien des siècles plus tard ?

-22-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

D’un point de vue méthodologique, j’ai encore confiance dans le fait d’avoir
contribué à cette « refondation » de la discipline en matière d’histoire sociale à partir des
données funéraires. Et j’admets un certain décalage entre la partie méthodologique et son
application pratique sur les sépultures du Pays Valencien, dû, fondamentalement au fait
qu’il s’agit d’un corpus élaboré sur des informations anciennes. J’estime nécessaire la
multiplication des recherches monographiques de cimetières en appliquant les méthodes et
connaissances de cette partie théorique dans la fouille d’une nécropole, pour rectifier le
modèle à sa juste mesure. Je pense particulièrement aux analyses de stratification verticale
des mobiliers dans les sépultures, à la dispersion horizontale de ceux-ci par rapport aux
cadavres, ou à des études d’organisation interne des nécropoles à partir des données
révélées par des informations d’anciennes fouilles. L’application de la méthode à de
nouvelles fouilles devrait permettre d’identifier de nouveaux vestiges de culture matérielle:
paléosols fréquentés pour les rituels, diagrammes polliniques pour l’intérieur de la sépulture
qui identifieraient des dépositions de fleurs, identification des limites des cimetières ou des
voies d’organisation interne, comme c’est arrivé dans certains cas postérieurs à ma
recherche.

Quant aux conclusions de l’étude, il ne s’agissait pas de prétendre que


l’archéologie funéraire est une clef essentielle pour aborder la connaissance des sociétés
du passé dans le détail de leur organisation et fonctionnement. Au contraire. Le «seul» but
de la démarche était d’atteindre ce « troisième niveau » , c’est à dire, l'idéologie et les
pratiques rituelles que l’on peut déduire des restes matériaux des sépultures, qui se
voyaient reflétées à grands traits dans la connaissance que nous avons de la société et de
l’économie de l’ Antiquité.

Mais il est évident, sous toutes les perspectives, qu’il manque à ce « troisième
niveau » un premier, celui des grands traits de l’évolution sociale et économique de
l’Empire, mais à niveau régional. Dans ce sens, je voudrais reporter les paroles que
prononça M. Vovelle lors d’une conférence magistrale qu’il donna à l’Université de Valence,
alors que j’étais encore étudiant ; c’était peu de temps après la publication de La Mort et
l'Occident, de 1300 à nos jours, sur l’étude de l’idéologie. Vingt ans après perdure en moi le
souvenir de la réponse qu’il apporta à mon professeur d’histoire contemporaine quand celui-
ci lui demanda si l’on pouvait concevoir une étude des structures idéologiques sans avoir de
bonnes connaissances des infrastructures. Il répondit qu’il n’y avait pas de raccourcis. Ce
qui était logique, d’un point de vue basé sur le matérialisme historique. C’est pour cela que
dans mon travail, mon obsession à tout moment fut de pouvoir donner des références à mes
observations dans le vaste contexte de l’ensemble du monde romain qui me permettait de
comprendre ce que mes sépultures reflétaient au niveau régional, en établissant les règles
générales et les exceptions au modèle global. C’étaient les avantages inhérents au fait
-23-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

d’aborder une étude des superstructures idéologiques d’un Empire. En toute certitude, les
résultats seraient beaucoup plus intéressants, nuançables et réfutables si l’on connaissait
mieux les différences économiques et sociales qui caractérisaient le territoire du Pays
Valencien pendant l’Antiquité.

Ainsi, les variations régionales observées dans le registre archéologique des


sépultures trouveraient- elles leur relation avec les différentes stratégies régionales de
chaque zone, avec les élites qui dirigeaient ces processus, avec la population indigène qui
se voyait définitivement intégrée dans une économie régionale du bassin méditerranéen ou
avec la plus ou moins grande perméabilité aux influences externes d’une région à une
autre. Ma recherche était fondamentalement un essai pour identifier l'idéologique
matérialisée dans les restes des sépultures fouillées. Un véritable essai pour systématiser
l’information archéologique disponible et susceptible de l’être pour voir, à travers les objets,
l’évolution idéologique.

Il me semble nécessaire, donc, pour suivre une ligne de recherche de ces


caractéristiques, de multiplier les études régionales comme celle que je fis, et d’approfondir
des études micro-régionales bien concrètes: un territoire d’une ville, une division
administrative ancienne..., pour ainsi pouvoir vérifier si l’évolution idéologique générale est
en relation ou non avec les changements économiques et sociaux de ces micro-régions.

MONDE RURAL ROMAIN A TRAVERS LES NÉCROPOLES

Les sépultures et cimetières ruraux sont liés à des habitats ou agglomérations:


villae, vici..., et ceux-ci, à leur tour, aux villes, capitales administratives, économiques,
politiques et religieuses d’un territoire, dans lequel s’intègrent les établissements ruraux. Il
me sembla indispensable d’aborder les aspects de l’organisation et de la distribution du
territoire dans la zone d'étude.

Les villes de l’époque romaine reconnues sur le territoire actuel du Pays Valencien
représentent un total de neuf ou dix concentrations urbaines. La comparaison entre la carte
de dispersion des principales villes de cette époque et la carte du relief du Pays Valencien
met en évidence que toutes se trouvent (mis à part Lesera) dans l’étroite plaine côtière ou
dans la limite entre celle-ci et les premières hauteurs, toujours à moins de 200 m au-dessus
du niveau de la mer et où se développent les sols colluviaux et alluviaux.

Un autre aspect qui attire l’attention est la présence de sites jalonnant les voies de
communication romaines qui ont pu être identifiées jusqu’à présent. La voie principale qui
traverse le Pays Valencien du Sud jusqu’au Nord est la Voie Augustéenne, ancienne voie
Heraklea, d’importance indiscutable dans le processus de romanisation du Pays Valencien.
Il s’agit de la voie naturelle de pénétration qui fut utilisée par l’armée de Scipion lors de son

-24-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

itinéraire depuis Ampurias jusqu’à Carthagène pendant la seconde Guerre Punique. Il ne


paraît pas nécessaire d’insister sur l’importance que revêt la proximité d’une voie de
communication pour des établissements ruraux, qui permet d’expédier les excédents
agricoles. Pour Columelle 8 la proximité d’un bon chemin se justifiait non seulement pour que
l'absence du patron absentéiste soit la moins habituelle possible, mais aussi pour favoriser
l’approvisionnement en articles non produits dans la ville ou pour faciliter le départ des
produits de la terre ; même si par la suite, le même auteur déconseille la proximité
immédiate des chaussées principales car la fréquence de passage des passants peut nuire
aux biens agricoles. La simple observation de la distance à laquelle se trouvent les
établissements ruraux par rapport aux chaussées permet de distinguer clairement que 63 %
de ceux-ci se trouvent dans les 5 premiers kilomètres de part et d’autre de la chaussée,
alors que 24 % du total se trouvent dans le premier kilomètre le plus proche de la voie. Une
fois les données placées sur une courbe on apprécie une corrélation régressive, c’est à dire
que plus la séparation de la chaussée est grande, plus les sites archéologiques se font
rares.

Yacimientos
30

25

20

15

10

0
1 km
2 km
3 km
4 km
5 km
6 km
7 km
8 km
9 km
10 km
11 km
12 km
13 km
14 km
15 km
16 km
17 km
18 km
19 km
20 km

D’un autre côté, on trouve une série d’exceptions à cette norme générale: deux
pics se trouvent entre 1, 5 et 10 km de distance, ce qui peut être identifié comme distances
préférées pour l’implantation d’établissements ruraux. Si on transfère les mesures du
système métrique décimal à celui des longitudes romain, ces concentrations se situeraient
grosso modo autour d’une demi-mille (739,25 m), 3,5 milles (5.174,75 m) et, finalement, 7
milles (10.349,5 m). En résumé, les chaussées semblent avoir joué un rôle non négligeable
dans la distribution des assises d’exploitation agricole avec des distances préférentielles
bien définies.

8
De re rustica, 1, 4.
-25-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

J’accordais aussi de l’importance à la fonction qu’ont les voies de communication


dans l’emplacement des nécropoles. Approximativement 31% des cas analysés se
trouvaient situés à l’écart d’un chemin actuel ou d’une voie ancienne détectée, ce que je
pus mettre en relation avec l’importance qu’accordèrent les agronomes latins à l’utilisation
des monuments funéraires comme points de référence pour la détermination de limites 9,
dans les questions de litiges sur des problèmes de propriété de la terre. C’est à dire, devant
l’absence de cippi gromatici, un mausolée pouvait servir à élucider si une limite avait été
déplacée de sa position antérieure, en fonction de sa pérennité et recevant quelquefois la
catégorie de ratio limitus, de ratio finium, ou fides publica. A ce sujet nous devons aussi
mettre en relation ce qui est explicite dans certains passages du Liber Coloniarum sur le
caractère de garant de la propriété de la terre où sont établies les sépultures des ancêtres.
Précisément l’un des exemples pris dans les miniatures du manuscrit Arcerianus est celui
de la présence de deux mausolées limitant une voie pavée [titre 44: fig. 23].

En considérant la différenciation chronologique et fonctionnelle de la dispersion de


ces assises, on découvre que ce sont les mausolées et les cimetières du Haut-Empire qui
montrent une plus grande proximité par rapport aux chaussées. On peut en déduire que les
établissements du Haut-Empire ont besoin des voies pour la canalisation des produits
élaborés dans l’exploitation agricole, tandis que la progressive ruralisation du Bas-Empire
va relativiser ce besoin de commercialisation d’excédents. La cellule de production de la
première époque de l’Empire existe en fonction de la ville, produisant des monocultures
intensives; en revanche les établissements plus tardifs sont des unités de production
diversifiées qui rendent possibles des échanges avec d’autres cellules, ou avec la ville,
mais dont l’ultime objectif n’est pas l’accumulation d’excédents commercialisés en grandes
quantités pour les classes commerciales urbaines. L’analyse réalisée par P. P. Ripollés sur
l’utilisation de la monnaie sur la Voie Augustéenne met l’accent sur une autre raison,
l’insécurité, pour expliquer l’abandon d’établissements qui jalonnent la voie depuis la crise
de ca. 238 apr. J.-C. Autrement dit, les voies qui, dans un premier temps, servent de voies
de pénétration de la romanisation et des innovations représenteront 10, à partir du IIIè siècle
apr. J.-C., un problème lorsque l’on se trouve dans leur entourage.

La dispersion des cimetières du haut et du bas Empire ou de l'Antiquité tardive va


dans ce même sens. La carte de dispersion des premiers semble indiquer un habitat
dispersé, avec peu de groupements, alors qu’à l’époque tardive les cimetières présentent
de plus grandes concentrations, presque toujours deux, voire allant jusqu’à six dans

9
(De sepulchris, Liber Coloniarum, La. 271-272)
10
(P. P. R IPOLLES 1999 : 264-267)
-26-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

certains cas. On peut donc observer un renforcement des groupes locaux qui ne peuvent
pas tout à fait recevoir le nom de village groupé à caractère pseudo-urbain, mais on peut
parler d’une tendance à la concentration et à l’existence d’établissements groupées ou de
constellations rurales d’établissements.

Une fois définis ces facteurs de localisation rurale, par ailleurs assez élémentaires,
il fallait nécessairement se demander quelle était la ville à laquelle ils appartenaient. Sauf
exception, les territoires des villes du Pays Valencien n’avaient pas été objets d’étude ou,
du moins, aucune d’approche globale n’avait été proposée ; je décidais donc que la
meilleure option était de proposer un modèle de territoires à partir des polygones de
Thiessen.

Partant de ces présupposés, il était possible d’obtenir une liste de distances entre
les sites étudiés et la grande ville la plus proche, à l’intérieur du polygone défini pour
chaque ville. Leur disposition sur un axe de coordonnées me permit d’observer une
régression comprise entre 1 et 72 km, qui tendait à la rarification d’établissements à mesure
que nous nous éloignions de la ville. L’absence presque totale d’assises à partir de la
distance de 60 km permettait de définir une distance limite qu’aucune ville ne dépasserait et
de déduire l’intensité d’exploitation du territoire autour du lieu central, en marquant les
limites d’espaces là où l’on observait des vides (2,5 ; 5 ; 12 ; 21,5 ; 40 et 48,5 km), donnant
lieu à une division du territoire en secteurs approximativement équidistants. Une fois ces
segments internes tracés on pouvait conclure, en fonction de la quantité de sites et de la
distance par rapport au centre urbain, la structuration productive et le pourcentage du
territoire qu’il représente par rapport au total. Une fois faites les corrections nécessaires on
pouvait distinguer les différentes aires qui configureraient un modèle théorique, comme
nous commençâmes à le faire en 1993 au Congrès d’Orléans Monde des morts et monde
des vivants..., [titre 15: 134-135] et que je pus développer plus tard dans la thèse [titre 44:
126-128].

-27-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

100
90
80 Área marginal
70 Área rural 2
60 Área rural 1
Área suburbana
50
Área periurbana
40
30
20
10
% 0
Yacimientos % Territorio %

Aire péri-urbaine, qui représente le 0,2 % et se trouve à 1-2 km de distance par


rapport au centre. Elle se trouve aux abords de la ville, ce pourquoi nous pourrions l’appeler
aussi « aire extra muros ». C’est la localisation par excellence des nécropoles urbaines.

Aire sous-urbaine, qui représente 0,6 % du territoire et se trouve à 2,5-5 km de


distance par rapport au centre de la ville. C’est un secteur de différenciation difficile par
rapport à l’antérieur car il englobe une série de nécropoles qui ne doivent pas être
confondues avec les urbaines proprement dites et qui se développent sous l’influence de la
ville.

Aire rurale 1, elle occupe 3,2 % du territoire et se trouve comprise entre 5 et 12 km


de distance par rapport au centre de la ville. Dans ce petit secteur s’accumule 22 % du total
des assises ce qui indique l’intérêt qu’elle a pour l’activité rurale, assurant l’exploitation
agricole intensive visant à la production d’excédents.

Aire rurale 2, avec une portion de 61,5 % du territoire et située entre 12 et 48 km


de distance par rapport au centre de la ville. Elle comprend 64,4 % des assises dans un
territoire qui représente 61,5 % du total, ce qui représente une distribution peu
préférentielle. Son exploitation se situerait dans les paramètres d’une agriculture extensive,
extraction de matières premières pour la construction, activités complémentaires, ou
pâturage…

Aire marginale, avec 34,7 % du territoire et entre 48 et 60 km de distance par


rapport au centre de la ville. C’est la moins intéressante du point de vue de l’exploitation
économique, pouvant être assimilé au secteur 3. La présence de 2 % des assises dans le
tiers du territoire (34,7 %) démontre qu’il s’agit de territoires de faible productivité pour des
raisons de hauteur excessive ou d’insuffisante valeur agrologique des sols.

-28-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

Il fut intéressant de constater que la plupart des cimetières du Haut Empire


comptabilisés se situaient préférentiellement dans le secteur 2, alors que ceux du Bas
Empire et de l’Antiquité tardive, l’étaient spécialement dans les secteurs 3 et 4. Aspect qui
nous permet de confirmer les appréciations sur l’installation différentielle autour des
chaussées; pendant le Bas Empire et l’Antiquité tardive, les installations agricoles ne se
trouvent pas aussi près des centres de redistribution et des voies de communication comme
cela arrive au cours des époques précédentes.

D’un autre côté, la taille des cimetières ruraux me permit de distinguer ceux du
Haut-Empire du reste. Les nécropoles de cette époque étaient de simples accumulations de
sépultures, avec un faible nombre d’enterrements alors que généralement sont fréquentes
les petites concentrations qui n’excédent pas les 5 ou 6 tombes, et même il n’est pas rare
de noter l’apparition d’une ou deux sépultures isolées dans la campagne. Pendant le Bas
Empire et l’Antiquité tardive, nous trouvons, avec la prédominance de petits et moyens
groupes de sépultures comme à l’époque précédente, la présence de grands cimetières,
inédits jusqu’à ces dates-là, et qui se trouvent au dessus du nombre maximum de
sépultures du Haut-Empire : entre 30 et 150 sépultures. Circonstance que je mis en relation
avec les différentes formes d’exploitation. D’un côté la famille vilicana aura tendance à
créer des cimetières petits et ouverts, avec un certain aspect « provisoire »; alors que la
famille coloniale aura d’autres cimetières plus grands et fermés. Non en vain, les structures
organisatrices incontestables des cimetières ne peuvent être associées qu’aux nécropoles
les plus grandes, et donc tardives, du Pays Valencien. Mais nous ne devons pas sous-
estimer la possibilité d’un réseau de peuplement différent. Il a pu exister des cimetières
communs à un ou plusieurs établissements ruraux, symptôme d’un réseau de peuplement
qui serait caractérisé par une concentration différente de la propriété de la terre sur un
unique propriétaire mais avec différents colons travaillant pour lui, créant, en conséquence,
des liens particuliers de solidarité qui mettraient en relief l’existence de cimetières
communs. Ce fait a aussi été constaté en Gaule, où l’on répertoria des cimetières collectifs
qui furent interprétés comme appartenants à différents habitats ruraux 11.
AGGLOMERATIONS SECONDAIRES

Contrairement à l’intérieur, la zone côtière de la Péninsule Ibérique est pauvre en


agglomérations secondaires. De l’extrapolation du village ancien sur la base des lieux
d’enterrement méritait d’être soulignée l’absence absolue de grands cimetières qui
témoignassent de l’existence d’agglomérations urbaines secondaires ou habitats groupés de
type vicus. Les uniques exceptions pourraient être constituées par certaines concentrations

11
(A. F ERDIERE 1988 : 249-272)
-29-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

d’inscriptions funéraires dans les régions intérieures des villes, ou de villes sans relation
directe avec la côte: les zones de Villar del Arzobispo dans l’intérieur du territoire de la ville
de Edeta et de Jérica ou Viver, Segorbe, appartenant à Saguntum, ou El Monastil, à Elda,
dans l’intérieur de la ville d'Ilici, même si dans ce cas la constatation de cette agglomération
n’est pas due à l’épigraphie mais à l’existence de structures urbaines fouillées ces
dernières années. Finalement quelques concentrations mineures de type portuaire comme
le Portus Ilicitanus, dans l’actuelle Santa Pola, ou le Portum Sucrone 12 que j’ai contribué à
identifier avec les restes qui, depuis l’époque des colonisations jusqu’au VIè siècle apr. J.-
C., se trouvent dans l’actuelle Cullera [titre 8: 60-84].

De toutes ces agglomérations urbaines, celle pour laquelle il a été fait le plus de
progrès est dans l’étude de El Monastil, qui peut s’identifier avec la Elo du Synodus
Gundemari, de l’année 610 13, auquel assiste l’évêque Sanabilis ; site où ont été réalisées
des fouilles systématiques. Ces recherches mettent en évidence un ancien oppidum
ibérique avec un hiatus entre les IIè et IIIè siècles de notre ère et qui a pu être une civitas
contributa d’Ilici. A partir des IVè et Vè siècles apr. J.-C. ; elle fait l’objet d’une revitalisation
édilitaire avec un urbanisme structuré et la présence d’une nécropole avec des monuments
funéraires tardifs, son activité se prolongeant jusqu’après le début de l’époque islamique.

Même si l’on a moins progressé dans la connaissance de la zone de El Alto


Palancia: Jérica (28 inscriptions), Caudiel (5 inscriptions), Viver (13 inscriptions), et
Segorbe (3 inscriptions) où l’on a pu identifier jusqu’à 4 emplacements possibles
d’agglomérations secondaires, identifiées initialement par l’abondance d’inscriptions
14
épigraphiques qui furent inclues dans le territoire de l’ancienne Edeta , celui de Sagonte
ou, même, dans celui d'une ville de l’actuelle zone d’Aragon. La présence d’une inscription
venant du sous-sol de Jérica (CIL II 3997), dans laquelle il est dit que Quintia Proba fit
ériger sur son pécule un arc avec des statues d’une valeur de 40 000 sesterces en son
honneur et de celui de Porcio Rufo et de Porcio Rufino, ainsi qu’un relief funéraire en
provenance d’un atelier lapidaire située dans la zone 15 ; ou l’inscription (CIL II 4009) qui
démontre l’emplacement de statues par P. Domitio Sabino et de Fabiae Atticae, sont des
éléments qui permettent de comparer ce phénomène avec celui observé par J.-L. Fiches
dans le territoire de Nîmes, où les restes funéraires traduisaient l’émergence d’une classe

12
Strabon, Chr. 3, 4,6: Σούκρωνος; Plinio, Nat. His. 3, 3, 20: Sucro fluvius et quondam oppidum;
Ravennate, 304, 7: Portum. Sucrune.
13
(E. L LOBREGAT 1977 : 94-97)
14
(F. B ELTRÁN 1980)
15
(F. A RASA 1998)
-30-
Archéologie funéraire romaine, rituels et idéologie

de paysans dépendants et d’une élite indigène qui préféraient se faire enterrer dans le
territoire agricole, grâce aux agglomérations secondaires qui, pour la plupart, étaient
d’origine indigène 16.

En tout cas, tout semble indiquer que l’on pourrait trouver ces agglomérations
secondaires sur des hauteurs voisines des agglomérations actuelles, où l’on trouve des
anciens oppida ibériques qui ont en commun leur origine indigène et dont ces origines
remontent fréquemment jusqu’à l’âge du Bronze, et qui perdurèrent jusqu’à l’époque du
Haut-Empire, même si l’absence de fouilles systématiques empêche une quelconque
affirmation catégorique 17.

En définitive, les deux cas les mieux connus ont des points communs qu’il vaut la
peine de souligner. D’un côté, avec les données dont nous disposons les exemples de la
haute vallée du fleuve Palancia montrent une continuité depuis les établissements indigènes
et semblent s’arrêter à la fin du Ier siècle apr. J.-C. ou au début du IIè et même disparaître,
pendant le Haut-Empire, pour que certains s’en occupent de nouveau et de façon
asynchronique à partir du IIIè siècle apr. J.-C., en coïncidant avec l’abandon de beaucoup
d’établissements dans la plaine au Haut-Empire. À El Monastil, l'établissement ibérique se
perpétue jusqu’aux IIè-IIIè siècles et renaît à partir du IV siècle apr. J.-C., devenant un
centre « urbain » ce qui finit par lui conférer le sixième siège épiscopal du Pays Valencien,
même s’il disparut en tant que tel une vingtaine d’années plus tard. Les deux exemples ne
semblent pas dépasser la continuité de l’habitat au-delà du IIè siècle apr. J.-C. ou, en tout
cas, les manifestations matérielles de cette survie seraient moins perceptibles dans le
registre archéologique, pour se retrouver jusque dans les premiers temps de l’installation
de l’Islam dans ces terres. La « distorsion » qu’introduit dans les formes de gestion de
l’espace le modèle colonisateur romain est une exception, une anomalie, sur la longue
durée.

16
(J. L. F ICHES 1993 : 339)
17
(F. B ELTRÁN 1980 : 354-356; R. J ÁRREGA 2000 : 241, 256-261)

-31-
RECHERCHES SUR LE MONDE INDIGÈNE PUNIQUE ET ROMANISATION À EBUSUS

PREMISSES

Au cours du temps, il semble logique qu’étant étudiant d’archéologie vers le milieu


des années 1980, mes premières études aient porté sur la classification des formes
céramiques et les possibilités que ces taxonomies offraient à l’heure de situer dans le temps
les sites archéologiques ou les strates dévoilés par la fouille. C’était le moment de la
publication des deux volumes du Atlante delle forme ceramiche I et II (1981, 1985), les deux
de la Céramique campanienne de J.-P. Morel (1981), ou du Late Roman Amphorae in the
Western Mediterranean de S.-J. Keay (1984), œuvres qui atteignaient une grande précision
dans la datation des formes céramiques stéréotypées et dans la définition de ses origines
de provenance comme conséquence finale d’un processus d’un demi-siècle de pratique
archéologique scientifique dans laquelle les trouvailles les plus nombreuses étaient les
énormes quantités de fragments de céramique. C'était également la décennie qui a connu
l’organisation des grands colloques sur The seaborne commerce of ancient Rome (1980) ;
sur la Producción y comercio del aceite en la antigüedad (1980 et 1984) ; sur les Anfore
romane e storia economica du colloque de Sienne (1986) ; le colloque de Naples sur Le
Ravitaillement en blé de Rome (1991); et, finalement, celui de La production du vin et de
l'huile en Méditerranée édité par l’École Française d'Athènes. Tous ont eu d’importantes
conséquences sur la production scientifique postérieure 18.

Simultanément dans certains milieux d’étudiants et archéologues de l’époque, ces


études étaient rejetés car elles représentaient une pratique scientifique positiviste et
descriptive, qui assumait comme finalité ultime la datation des structures ou des sites
archéologiques où apparaissait ledit registre matériel ; ces proposaient en tant
qu’alternative une interprétation qui allait au-delà de la description et de la datation des
objets matériels trouvés dans la fouille. Ceux, jusqu’alors admirés en secret, pour leur
capacité à dater des strates par la présence solitaire d’une pièce avec une forme spéciale
de la lèvre ou un carénage marqué, tombaient en disgrâce, surtout devant le progrès
inexorable de l’archéologie spatiale, qui dans certains cas substituait un fétiche, le fragment
de céramique, dans d’autres, le fragment de céramique situé dans un plan qui faisait partie
d’un grand totem, le territoire. Bien sûr, à partir de ce moment les fragments trouvés en
superficie révélaient un site archéologique et le dataient, de façon à ce que les dispersions
de points dans l’espace puissent apparaître, disparaître et faire partie d’un processus
d’exploitation du territoire.

18
(J.-H. D'A RMS , E.-C. K OPFF , (eds.), 1980 ; J.-M. B LÁZQUEZ , (coord.) 1980 ; J.-M. B LÁZQUEZ , J.,
R EMESAL R ODRÍGUEZ , (eds.) 1984 ; M. L ENOIR , D. M ANACORDA , C. P ANELLA , (eds), 1989 ;
R AVITAILLEMENT 1994 ; M.-C. A MOURETTI , J.-P. B RUN (eds.) 1993)
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Parallèlement, le concept de culture matérielle avait du succès et se répandait vers


la moitié des années soixante-dix par le biais d’archéologues italiens, médiévalistes comme
Ricardo Francovich, ou classiques, comme Andrea Carandini. Ils suivaient le marxisme
« hétérodoxe » de Witold Kula dont je découvrit pour première fois le concept, dans son
oeuvre Problemas y métodos de la historia económica, de 1963 (date de l’édition
polonaise), même si l’auteur faisait référence à un rapport de J. Rutkowski de 1946 dans
lequel le concept était déjà défini 19.

Cette « construction idiomatique » ou « construction de sémantique visqueuse »,


comme l’appela en 1993 Miquel Barceló 20, a guidé en grande mesure une bonne partie de
ma production scientifique non seulement dans cette ligne de recherche mais aussi dans
une bonne partie des autres, mais tout spécialement dans celle-ci. C’est là une des raisons
qui me pousse à l’expliquer et à la défendre face à la critique et aux propositions
alternatives, comme par exemple celle du registre archéologique, face au registre
documentaire.

La critique du concept « culture matérielle », peu utilisé actuellement, formulée par


Miquel Barceló, était surtout basée sur le manque de précision de celui-ci, car il était utilisé
inconsciemment par une bonne partie des archéologues des années 1980, et sur le fait qu’il
ne découlait pas d’une stratégie de recherche avec des procédés définis comme l’est le
registre archéologique.

Je dois reconnaître que l’expression fut utilisée sans trop de sens par une bonne
partie des chercheurs de l’époque et que la différenciation entre registre archéologique et
registre documentaire convertit l’exercice de l’archéologue en celui d’un historien sans
complexes, enfin, face aux documentalistes. Mais l’utilisation que je fis de celle-ci répondait
sans aucun doute à un contenu défini, délimité et avec une méthode décrite par A.
Carandini qui, à son tour, se basait sur des auteurs comme W. Kula. Je citais cet auteur
explicitement [titre 5: 67] et je conserve encore soulignés quelques extraits dans mon
exemplaire de Problemas y métodos de la historia económica.

Comme je l’ai dit, A. Carandini faisait l’effort pour conceptualiser l’expression


« culture matérielle », lui donnant du contenu pour l’étude de l’Antiquité, dans son livre
Arqueología y cultura material dont l’édition italienne date de 1975, même si sa mauvaise
traduction espagnole date précisément de 1984 21. Dans cette oeuvre, l’italien rompt avec la

19
(W. K ULA 1977: 65-68 , et note 9 chapitre II « El objeto de la historia económica ».)
20
(M. B ARCELÓ 1992; 1993 : 195-205)
21
(A. C ARANDINI 1984)
-33-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

conception de l’archéologie comme une histoire de l’art ou une espèce de prologue à


l’histoire de l’art; avec l’archéologie en « miettes » (de l’écologie, du paysage,
industrielle...). Il croyait en une histoire des masses, par le caractère involontaire des
« sources de cette histoire sans textes, qui est le problème de la culture matérielle », et y
incluait entre les moyens de travail « (...) la terre, comme locus standi et champ d’action,
les édifices de travail, les canaux, les rues, etc.) ». Et il pensait que ces moyens laissent
une trace, se conservent sous forme de reliques, dont l’analyse et l’étude permettent de
sérier les différentes époques historiques, définissant les limites d’un système économique
et social déterminé 22.

Dans un article préalable le même Carandini précisait l’interrelation entre


production agricole et production céramique dans la Proconsularis 23 mettant en relation la
forte présence de vaisselle de cuisine et de table sur les sites de l’Empire romain depuis le
IIè siècle apr. J.-C. et l’essor économique de cette province nord-africaine en tant que
fournisseuse de produits agricoles. En gros, l’huile et le blé africains seraient la production
principale qui partirait dans des bateaux depuis les ports pour lesquels, pour le transport
par mer, était nécessaire la fabrication locale d’amphores utilisées comme des containers.
Cette production stimulerait celle de vaisselle de table et de cuisine qui faisait partie du
chargement entre les interstices de la cargaison. Il se passait la même chose avec le couple
amphores Dressel 1 / vaisselle campanienne, Dressel 20 / terre sigillée hispanique en
relation avec les productions agricoles et les vaisselles qui les produirent (Italie, Gallia et
Hispania).

CÉRAMOLOGIE ET COMMERCE DU MOYEN-ÂGE

Vers la même époque intervinrent dans la production scientifique deux tendances


qui s’influencèrent réciproquement: l’archéologie urbaine d’urgence et l’archéologie
médiévale, qui arriva en Espagne non sans un certain retard par rapport à d’autres pays
[titre 56]; circonstance qui, combinée avec la même ligne des études céramologiques,
m’amena à participer à mon premier congrès en octobre 1984. Ma relation précoce avec le
S.I.A.M. (Servicio de Investigaciones Arqueológicas Municipales- Service de Recherches
Archéologiques Municipales) de Valence me conduisit à participer au III Congresso
Internazionale sulla Ceramica Medievale nel Mediterraneo Occidentale, organisé à Sienne
en octobre 1984 ; j’assistai en tant qu’auditeur aux polémiques, en ce temps-là difficiles à
comprendre pour moi, mais où se trama ma participation au Ier Congrès d’Archéologie

22
(A. C ARANDINI 1984 : 61, 65-71)
23
(A. C ARANDINI 1969-1970)
-34-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Médiévale Espagnole (Huesca, 1985) encore en tant qu’étudiant de la spécialité par le biais
d’une communication en collaboration avec E. Díes [titre 1: 524].

Encore qu’inconsciemment, s’accomplissaient dans ce travail certaines des


hypothèses posées, car il nous paraissait nécessaire « (...) de déterminer avec exactitude la
forme, la typologie et les éléments de datation chronologique de ces pièces qui
permettraient, au moins, de déterminer plus clairement le volume du commerce et la
dispersion des marchés de la ville de Valence » [titre 1: 6]. Le fait que l’objet d’étude porta
sur des containers de marchandises d’origine agricole d’époque médiévale trouvait sa
cause dans ce Ier congrès et dans le fait qu’il s’agissait d’un travail pionnier puisque les
containers céramiques médiévaux n’avaient pas encore fait l’objet d’une étude
systématique, et qu’apparemment, il apportait une grande quantité de documentation
médiévale sur la production et commercialisation de ces emballages.

Dans la répartition des tâches que nous envisagions en tant qu’auteurs, je me


chargeai de la partie « archéologique » du travail, c’est à dire, la description des pièces,
l’analyse de leurs contextes stratigraphiques, la recherche de parallélismes...; mon collègue
se chargea, quant à lui, de systématiser les documents médiévaux qui parlaient des pièces
qui, nous pensions, répondaient à la réalité que le registre archéologique nous apportait,
fruit des fouilles archéologiques. Bientôt nous fûmes conscients que les deux registres,
documentaire et archéologique, n’avaient qu’un seul point de contact, la capacité des
pièces, et nous nous sentîmes incapables de mettre en relation les deux registres de
données, car nous ne savions pas si la terminologie utilisée dans les documents
correspondait aux pièces. Ceci jusqu’à ce que nous décidâmes d’inverser l’argumentation et
d’accorder un caractère d’égalité aux deux registres. La documentation médiévale parlait de
certaines pièces avec des fonctions et une chronologie et pour cette même période
historique nous disposions de pièces qui avaient des capacités mesurables communes.
Pour atteindre l’objectif de mesurer la capacité des pièces, dont nous ne disposions parfois
que du dessin de la section, nous sollicitâmes l’aide d’un collègue afin qu’il conçoive pour
nous un programme que nous pourrions qualifier de « préhistoire informatique ». Ainsi, nous
avons pu, finalement, mettre en relation (même si faiblement) les documents et les jarres
qui étaient arrivées jusqu’à nous.

Les conclusions de ce travail étaient essentiellement les suivantes : la production


céramique valencienne des siècles XIVè et XVè était liée à la commercialisation d’autres
produits, notamment comme des conteneurs de vin, huile et céramique fine ; les jarres
elles-mêmes avaient une valeur en soi car elles étaient parfois embarquées et
commercialisées vides ; de plus, la cargaison des bateaux se composait aussi d’autres
produits comme des tissus.

-35-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Cinq années plus tard et déjà plongé dans la recherche sur l’Antiquité [titre 5, en
phase de rédaction du 9], surgit l’opportunité d’élargir les résultats de cette recherche,
publiée en espagnol lors d’un congrès à Rabat [titre 20] et en français dans une revue du
midi français [titre 21], à cause de la présence de ce type d’importations valenciennes dans
la région de Narbonne. Deux raisons conseillaient cette nouvelle incursion. En premier lieu
les nouvelles trouvailles qui confirmaient certains des résultats antérieurs et en deuxième
lieu, l’effet multiplicateur qu’avait engendré le premier apport, car d’autres trouvailles dans
des lieux différents avaient été publiées dont on avait pu identifier l’origine et la chronologie
des emballages céramiques, confirmant, ainsi, les premières intuitions. Même si cette fois-ci
l’allusion à la culture matérielle et à Carandini dans la première note de l’article ou dans
l’allusion à l’article « Histoire de la Culture Matérielle » de J. M. Pesez [titre 21: note 11, 45]
(dont l’édition espagnole date aussi de façon significative de l’année 1984), apparaissait de
manière explicite.

Les principales conclusions résidaient dans une augmentation, une meilleure


définition et la découverte de nouveaux types céramiques des pièces par accumulation de
nouvelles trouvailles, une datation plus affinée de la typologie et une plus grande dispersion
des produits dans la Méditerranée que ce qu'on avait cru. Ainsi, les mécanismes productifs
et les routes, mettant en évidence une grande interdépendance de la production agricole
valencienne et de la production céramique qui se concrétisait sur des réseaux commerciaux
étaient-ils mieux définis. Cela dit, ces réseaux d’échange montraient la faible importance
des emballages céramiques dans la deuxième moitié du XIVè siècle, fruit d’un échange
inégal de produits agricoles avec les draps du Nord de l’Europe [titre 21: 54-59] et d’une
production agricole faible destinée fondamentalement à la consommation locale, des
marchés urbains de la ville. Nous pûmes constater également le décollage des entreprises
commerciales à partir du XVè siècle et une plus grande circulation de produits emballés en
céramique dès 1430, bien que la présence du vin qui se dirigeait vers le nord d’Europe et
les ports méditerranéens de la côte africaine ou de la Sardaigne ne pouvait pas toujours
résulter évidente à travers les restes matériaux : les jarres, car le tonneau occupait alors un
espace dominant, bien que non exclusif. Ce ne sera qu’à partir de la IIème moitié de ce
siècle que la ville de Valence finira par dominer et monopoliser le commerce méditerranéen
de la Couronne d’ Aragon jusqu’à la crise provoquée par l’apparition des marchés
atlantiques américains. De son côté, le registre archéologique de la vaisselle de table
coïncidait avec cette sériation, en harmonie avec l’essor productif de la vaisselle gothico-
mudéjar valencienne des ateliers de Manises et Paterna 24.

24
(J. V. L ERMA 1992 : 173177)
-36-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Un autre aspect intéressant en relation avec les mécanismes de production et


distribution fut la distinction que nous pûmes faire entre les marques imprimées dans les
argiles des emballages comme des marques de potiers, alors que d’autres marques peintes
à l'ocre-rouge sur les épaules et les cols ou panses des pièces (très proches des tituli picti
des amphores romaines) représentaient les marques des compagnies commerciales pour
contrôler leurs produits lors du chargement d’un navire et suivre leur piste en cas de perte
ou de vol. Les marques des contrats commerciaux et assurances de navigation présentes
dans les protêts de lettres de change des notaires sont identiques à celles qui apparaissent
sur les pièces de céramique [titre 21: 48, fig. 1]. La différenciation entre marques imprimées
et peintures répondait, à grands traits, à la même fonctionnalité que celle des amphores de
l’Antiquité.

Comme corollaire à cette ligne de recherche il ne me reste à rappeler que,


quelques années après j’ai pu trouver une confirmation typologique et chronologique de ces
emballages, comme il arrive peu souvent dans la recherche, dans une oeuvre d’art de la fin
du XVè siècle (ca. 1495). Sur une peinture de Fernando Gallego [titre 8: 41] représentant
les Noces de Caná, et qui se trouve dans l’église paroissiale de Arcenillas (Zamora) 25, sont
représentées des jarres et des cruches, et la jarre de laquelle est extrait le vin fruit du
miracle est identique à notre type II. Comme sur le tableau, quelques exemplaires de ceux
qui sont répertoriés dans l'étude, présentent un orifice dans le tiers inférieur de la panse
servant à les vider.

EBUSUS INSULAE AUGUSTAE


Le titre 5 s’inscrit dans cette ligne de travail qui adopta en premier lieu la forme
administrative d’une maîtrise. Il s’agissait de l’étude d’un ensemble de céramiques de la
moitié du IIIè siècle apr. J.-C. qui faisait partie d’un ensemble fermé, probablement d’un
dépôt domestique réalisée sur les structures et strates d’un atelier de production céramique
d’époque punique abandonné pendant le IIè siècle apr. J.-C., bien que la zone continuât
d’être fréquentée et utilisée sous le Haut-Empire.

Cependant, les caractéristiques de l’ensemble céramique, un dépôt domestique


homogène et datable de façon assez précise et la présence de deux traditions artisanales
différenciées : vaisselles de table et de cuisine importées d’origine africaine et vaisselle
locale romaine ébusitaine de tradition punique, conseillaient d’aborder l’étude d’une
perspective anthropologique de l’histoire de l’alimentation, comme celle que réalisa M. Bats
sur les céramiques de Olbia, et de l’analyse du contact du monde indigène punique avec

25
(J.-J. M ARTIN G ONZALEZ 1988 : 99-100)
-37-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Rome. Particulièrement dans le cas du monde punique qui présente des caractéristiques
bien différentes des ibères ou gaulois quant à son niveau de
développement social et économique.

Ce travail fut une conséquence de mon implication


dans l’archéologie ébusitaine qui, datant de mes années
d’étudiant, commença avec la fouille du site rural de can Fita
en 1988, sur lequel je m’étendrai plus loin, et qui était le
point de départ d’une ligne de recherche sur le monde
romain de l’ancienne colonie phénicienne. Je dirais
seulement maintenant que les caractéristiques originelles de
l’architecture de cet établissement punique romanisé me
firent croire qu’il était nécessaire d’approfondir les
particularités de l’architecture romaine pour déterminer
l’influence de l’architecture punique dans l'établissement que j'avais fouillé. C’est de cette
façon que, peu de temps après avoir commencé ce travail, vers 1989, j’eus l’occasion de
réaliser un séjour d’un mois, financé par la Generalitat Valenciana, qui avait comme projet
cadre Architecture et urbanisme romains à Ebusus, techniques constructives et influence du
substrat indigène dans l’architecture 26.

En relation avec l’analyse du dépotoir, mon séjour à Aix-en-Provence me permit


d’accumuler une grande quantité de bibliographie sur l’Afrique romaine, sur les dépotoirs
contemporains à celui d’Ibiza trouvés dans la Méditerranée et de discuter largement avec
feu Roger Guéry à la Direction des Antiquités Africaines 27 à propos des matériaux provenant
de cette zone et sur la problématique du commerce nord-africain du IIIème siècle ap. J-C.

À cause de la finalité académique que poursuivait l’étude j’estimai nécessaire


d’établir un état de la question du IIIème siècle ap. J-C à Ebusus et, à mesure que
j’avançais dans le travail, faire ressortir l’exceptionnalité ébusitaine dans la Méditerranée
occidentale avec la présence de pièces originales et peu fréquentes dans d’autres sites de
la Méditerranée. A dire vrai, le Musée Archéologique d’Ibiza est un excellent répertoire de la
culture matérielle méditerranéenne.

L’ensemble des matériaux était composé de céramiques romaines ébusitaines de


tradition phénicienne ou ibéro-punique, vaisselle africaine de table des classes A et C,
africaine de cuisine, deux fragments d’amphores africaines, fragments de lampes africaines

26
Institut de Recherche sur l'Architecture Antique (CNRS) P. Gross (dir.). Centre Camille Jullian
d’Aix-en-Provence J.P. Morel (dir.) ; février 1990.
27
Centre d'Études NordAfricaines d’Aix-en-Provence.
-38-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

et quelques fragments de verre. D’un point de vue fonctionnel dominait la vaisselle de table
(29,9 %) et de cuisine (64,6 %) qui pouvait se classifier en casseroles, marmites, assiettes,
écuelles et plateaux et cruches pour chauffer du lait, comme elles purent être identifiées un
peu plus tard, quand je fis connaître une des pièces du dépotoir, grâce à un article
monographique dans Antiquités Africaines [titre 14].

D’un point de vue culturel et anthropologique les principales conclusions


permettaient d’identifier une koiné culinaire qui unifia les particularités des anciennes
cultures méditerranéennes tout en conservant des traits distinctifs et propres de chaque
région qui fut intégrée à l’Empire. Ces traits différenciateurs de la culture antique d’Ibiza se
manifestaient par la présence de formes céramiques propres, preuve d’évidentes traditions
locales et de résistances à cette patine homogénéisatrice de la culture romaine, bien que
nuancées par l’acceptation de modèles céramiques de la Zeugitane, dont les racines
puniques partageaient les formes céramiques locales d'Ibiza. Phénomène comparable à la
« vivacité des cultures locales, qui restent présentes tout au long de la période sans jamais
disparaître ou être entièrement dissimulées ni recouvertes par la culture greco-romaine »par
J.-B. Yon dans les provinces d’Orient 28.

D’un point de vue économique, le dépotoir de l’Avenue d’Espagne 3 permettait de


confirmer la complémentarité des productions céramiques par rapport à l’objet de
consommation que représentait la production agricole nord-africaine. L’économie ébusitaine
en serait venue à dépendre des importations africaines d'huile représentant la décadence
de la production potière locale, antérieurement beaucoup plus importante, et reflété dans
l’abandon des ateliers artisanaux auteurs des déchets de matériaux qui nous occupent.
L’artisanat potier ébusitain serait confiné à ces formes céramiques spécifiques des
traditions locales (les meilleurs exemples en sont les grandes terrines avec un bec verseur)
que ne satisfaisaient pas, elles ne pouvaient le faire, les formes céramiques importées.

Cet argument était accompagné de la connaissance des prospections thématiques


réalisées par E. Díes et J. Marí autour des contrepoids de presse et trapeta connus dans la
campagne ébusitaine et par le fait que trois des sites fouillés dans l’île sont précisément
des sites dont les principales structures visibles étaient les torcularia 29 pour la production
d’huile. De ces trois sites nous pouvons extraire quelques conclusions :

28
(J.-B. Yon 2004 : 336)
29
En ordre chronologique de réalisation des fouilles : Ses Païses de Cala d’Hort, can Corda et can
Fita.
-39-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

1. La production d’huile remonte au moins à l’époque tardo-punique ; à travers les


connaissances actuelles nous ne pouvons faire remonter le début de cette
production à des époques plus anciennes.

2. Les installations se remodèlent et la capacité des bassins de décantation


s’élargit sous le Haut-Empire, à la fin du Ier siècle apr. J.-C. ou au début du
IIème –can Fita– ou deviennent inutiles à cette même époque –Can Corda–,
concrètement entre 80 et 100 apr. J.-C. 30

3. ses Païses de Cala d’Hort et can Fita en finissent avec les installations
d’extraction d’huile au IIIème siècle ou déjà au IVème apr. J.-C.

En attendant de nouvelles données, on peut avancer que l’intégration de


l’économie locale punique ébusitaine dans un modèle économique régional dans les canaux
commerciaux du Haut-Empire finit avec une partie des torcularia ébusitaines.

A partir de ce moment-là le doute me pris. Ce doute avait trait au rôle joué dans
ces réseaux commerciaux par Ebusus. C’est à dire, quelle était la raison de la présence de
productions africaines, extraordinaires par leur rareté, comme évidence de leur plus grande
présence ici que dans d’autres ports. Il me semblait évident que si le registre archéologique
ébusitain montrait cette spécificité c’était le signe d’une plus grande fréquentation des
navicularii porteurs de produits agricoles africains et, en même temps, d’une consommation
de produits et une spécificité de l’archipel ébusitain dans le contexte des routes
commerciales méditerranéennes.

Etant données les conditions naturelles de l’île où sont exacerbées les


caractéristiques propres à la Méditerranée –aridité, sols peu profonds, relief accidenté peu
élevé mais d’aspect montagneux, peu de plaines avec des sols aptes à l’agriculture– ainsi
qu’une maigre diffusion des produits agricoles ébusitains dans les amphores ; il me sembla
plausible que le rôle joué par la ville était celui d’offrir de façon maximisée ce que les
conditions naturelles offraient d’elles-mêmes, un port et, par conséquent, un portorium, qui
permît à la ville d’obtenir des revenus grâce à sa situation géographique spéciale, sur les
routes qui sillonnent la mer depuis la Méditerranée centrale et vers l’extrême Occident.

Pour renforcer cette idée je m’appuyais alors sur les travaux de J. Rougé 31 sur
l’organisation du commerce maritime méditerranéen dans l’Empire romain et sur l’étude
sous presse de J. Ruiz de Arbulo sur l’importance des routes maritimes dans les processus

30
(R. P UIG M ORAGÓN 2003)
31
(J. R OUGÉ 1966)
-40-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

de colonisation de la Péninsule Ibérique 32. Je dois confesser, non sans une certaine honte,
que je méconnaissais à ce moment-là les travaux de M. -I. Finley 33, absent de ma
bibliographie, sur l’économie de l’Antiquité, qui auraient été d’extrême intérêt pour renforcer
cette hypothèse.

Quand l’historien de l’économie de l’Antiquité se posait des questions à propos des


villes qui ne recevaient ni butin et ni tributs, il parlait d’un groupe de villes, entre lesquelles
je n’hésite pas à inclure Ebusus :

(...) qui, par sa position géographique, étaient des chambres à compensation


et des points de transfert qui obtenaient de bons revenus des péages et taxes
de quai, ainsi que des services requis par les marchands de passage et les
tripulations des bateaux. Les navires de l'antiquité préféraient habituellement
faire de brefs arrêts chaque fois qu'il était possible d'en faire: à cela
contribuaient les particulières conditions des vents et des courants de la
Méditerranée, l'absence de boussole, la capacité limitée des amures, le peu
d'espace pour stocker les aliments et l'eau potable. 34

Avec la romanisation des Baléares et l’attaque de Scipión en 217 av. J.-C., on


agressait une colonie punique, mais on l’intégrait dans le réseau de ports de l’Empire
naissant, perdant la fonction économique qu’elle avait pu avoir à l’époque punique, tout en
conservant, inévitablement, sa position stratégique. L’essor du commerce des provinces
africaines à partir siècle II apr. J.-C. fortifiera cette intégration, davantage si possible.

Immédiatement après ce travail je fis connaître deux des pièces qui faisaient partie
du mobilier du dépotoir et une autre provenant d’un site de la côte du sud-est valencien
dans la revue Antiquités Africaines [titre 14] car il s’agissait d’une forme inédite et parce
qu’elles reflétaient cette originalité des routes commerciales qui passaient par Ebusus.
Cette découverte d’une pièce inédite engendra une autre étude monographique, avec déjà
de nouvelles trouvailles, et l’analyse des concrétions calcaires que j’identifiai et que purent
analyser d’autres auteurs, arrivant à la conclusion qu’il s’agissait d’un chauffe-lait 35.
Confirmation qui renforce le caractère domestique du dépotoir de céramiques.

En relation avec le commerce africain, je croyais fort en l’idée que l’entrée


ébusitaine dans le réseau commercial impérial signifiait la fin d’une région productrice-

32
(J. R UIZ DE A RBULO 1990)
33
(M.I. F INLEY 1986)
34
(M.I. F INLEY 1986 : 159)
35
(M. O RFILA , A. A RRIBAS 1995 : 250-251). Ces auteurs joignèrent 2 exemplaires de l'île de Majorque
aux exemplaires que j'identifiai dans ma publication (2 à Ibiza, 1 à Xàbia, 1 à Uzita et 1 à Ostia en
plus des 2 identifiés par C. Aguarod dans Caesaraugusta [titre 14: Addenda, 190]); en plus de 3
autres exemplaires de la côte ampuritana que je n'incluai pas dans mon étude.
-41-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

exportatrice de biens de consommation pour se transformer en une escale entre la


Méditerranée centrale et occidentale [titre 14: 187]. Affirmation qu’aujourd’hui je nuancerais
dans le sens qu’il serait plus approprié de parler du passage d’une économie locale à une
économie régionale, plutôt que d’une région productrice à une région exportatrice.

J’eus la chance qu’une fois l’étude du dépotoir d’Ibiza achevée, J. Fernández et O.


Granados me proposent de terminer le travail qu’ils avaient eux-mêmes commencé,
plusieurs années avant, sur les marques de sigillée déposées dans le Musée Archéologique
d’Ibiza. Il restait à terminer le catalogue des pièces, l’actualiser avec les nouvelles
trouvailles et l’étude finale dont je m’occupais.

Cette fois-ci il s’agissait d’un échantillonnage important des importations


céramiques estampillées d’origine italique, du sud de la
Gaule et hispanique qui, étant des dépôts du musée, avaient
un caractère insulaire plus large que le registre utilisé dans
le travail antérieur. Le gros des matériaux provenait de la
Péninsule Italique (61 %) ; le sud de la Gaule représentait
presque un tiers (32 %) et des ateliers hispaniques provenait
7 % des marques étudiées. Pourcentage relativement
maigre, résultat de la faible fréquence des marques dans les
formes céramiques de terre sigillée hispanique.

Les matériaux italiques commençaient à fréquenter


l’île autour des années 20-15 av. J.-C., atteignant leur
représentation maximale pendant le règne de Tibère. Les
pièces du sud de la Gaule commençaient à apparaître à l'époque de l’empereur Claude,
cohabitant avec les produits tardo-italiques, se faisant hégémoniques jusqu’à l’époque de
l’empereur Titus, tandis que les produits tardo-italiques continuaient à affluer. Les formes
céramiques hispaniques propres de Tritium Magallum commenceraient à arriver vers la
moitié du Ier siècle apr. J.-C., disparaissant avec le changement de siècle.

Dans ce cas on pourrait distinguer aussi la présence de matériaux exceptionnels


par leur faible présence dans d’autres sites de la Méditerranée. C’est le cas des produits
italiques, ou mieux, des tardo-italiques, avec la présence du plus tardif des potiers de cette
production artisanale (L. Nonius Florentinus) dont l’unique exemplaire hors de l’Italie est
celui de Ebusus (au moins jusqu’en 1992) contemporain des premières productions de
vaisselle africaine de table. Ou encore l’exemple de C·P·P, duquel on trouve dix
exemplaires entre les villes d’Alicante, Carthago Nova et Ebusus. L’absence de ces produits
de la ville portuaire voisine de Valentia (et la fréquence de pièces hispaniques à Valentia,
au détriment d'Ibiza) amenaient à penser qu’il s’agissait d’une différenciation de routes

-42-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

commerciales. En m'appuyant sur l'étude de R. Guéry 36 les produits tardo-italiques


proviendraient d'une route qui, partant d'Ostie, longerait le golfe de Gênes et la côte ligure
jusqu'au Rhône ; leur présence diminuerait ensuite de l'autre côté de cette rivière et on les
retrouverait sur la côte sud-est de la Péninsule Ibérique, fruit d'une escale dans les îles
Baléares, sur leur chemin vers la région du détroit de Cadix.

Ainsi je distinguai trois origines commerciales différenciées qui confluent à Ibiza à


partir de la moitié du siècle I ap. J.-C. [titre 9: 43] :

1. Centre et Nord d'Italie: inertie des anciennes routes commerciales et persistance


d'un échange de produits italiques là où arrivaient avec plus de difficultés les
negotiatores gauloises, jusqu'à la crise « verticale » des produits italiques qui
coïncide avec celle des provinces occidentales. Bien que le commerce italique ait
été entre les mains de marchands africains depuis, au moins, l’époque de
l'Empereur Claude.

2. Sud de la Gaule : conséquence du développement économique gaulois et de sa


relation avec la Mauretania Caesariensis, dont Ebusus serait l'escale intermédiaire
dans la trajectoire entre Narbonne et la côte algérienne.

3. Péninsule Ibérique: avec des caractéristiques similaires à la route antérieure, la


présence de produits hispaniques serait la conséquence du développement du
commerce hispanique, depuis le port de Dertosa en direction à la Mauritanie
Tingitane et Caesarensis.

Une fois de plus les conclusions de ce travail me permettaient de constater les


constantes dans l'archéologie ébusitaine : l'importance géostratégique de Ebusus sur les
routes commerciales de la Méditerranée occidentale et l'intense relation qu'elle maintint,
probablement dû à la raison antérieure, avec la région de la Tunisie depuis l'entrée de la
primitive colonie phénicienne dans la sphère d'influence de Carthage, qui finira par contrôler
les réseaux commerciaux de Tyr, vers la moitié du VIè siècle av. J.-C. 37, jusqu'au IIIè siècle
ap. J.-C., bien que les matériaux africains soient également fréquents en époque tardo-
ancienne..

OCCUPATION DU SOL À EBUSUS (FORMENTERA)

A dire vrai, j’ai pendant longtemps poursuivi l'idée de faire de cette ligne de
recherche le sujet central de ma thèse de troisième cycle, une ligne de recherche que je «

36
(R. G UÉRY 1987)
37
(C. G ÓMEZ B ELLARD 1990)
-43-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

considère encore d'indispensable réalisation » [titre 46: 15]. De façon monographique les
archéologues se sont peu occupés du monde romain ébusitain, ce qui paraît logique dans la
mesure où l'île est une double fondation, phénicienne et punique plus tard.

L’Ebusus romaine présentait une bonne liste d'avantages pour un éventuel travail
de recherche. D'un côté comprendre et décrire les différents processus de romanisation,
apparemment non violente des puniques ébusitains, « négocié », dirions-nous aujourd'hui 38,
mérite bien un effort. Ibiza et Formentera, les îles du dieu Bes, 'Ybsm, traduit au grec,
Pythiusai, ou au latin, Insulae Augustae ou Ebusus, ont un grand avantage, l'insularité, qui
représente des limites d'espace concises qui, à leur tour, représentent une série de
restrictions élémentaires, bien que non pour cela moins importantes par rapport aux
produits qui arrivent à ses côtes et qui partent de celles-ci.

Les caractéristiques méditerranéennes sont exacerbées par leur condition de relief


émergé et prolongation des chaînes de montagnes bétiques de la Péninsule Ibérique. Bien
que de hauteur peu importante, leur aspect montagneux, les plaines restent anecdotiques
dans l'intérieur ou, faiblement, sur la côte [fig. I, 1] ; et quand ces plaines se forment, elles
sont menacées par la difficulté du drainage naturel et la formation de marais littoraux qui
forment des zones humides côtières. En conséquence le développement des sols sur la
base géologique de marnes et du calcaire est moindre, dominant les sols légers et pierreux.
L'insularité amène l'exacerbation de ces conditions naturelles car quand la pression sur le
milieu est grande, celui-ci « réagit » en expulsant ses habitants. Et d'autant plus si l'île est
plus petite (Ibiza avec ses 573 km 2 , et Formentera avec 82 km 2 ) ; la première, bien qu'elle
compte avec une population autochtone de l'âge du Bronze, elle ne semble pas être très
peuplée à l'arrivée des colons phéniciens ; tandis que Formentera connut deux moments de
dépeuplement absolu : depuis la fin du deuxième millénaire jusqu'aux IVè ou IIIè siècles av.
J.-C., de façon à ce que l'occupation phénico-punique se produira sur un espace vide ; et la
période comprise entre le XVè et le XVIIIème siècles. Et l'on doit ajouter un facteur
déterminant comme l'est le caractère insulaire et le manque de protection de ses habitants
face aux attaques éventuelles des épisodes répétitifs du brigandage et la piraterie dans la
Méditerranée.

Ce n'est que plus tard, dans le cadre des cours de doctorat, que je mis en pratique
les méthodes en vigueur de l'Archéologie Spatiale, sur la totalité des sites de l'Âge du
Bronze de la petite île de Formentera [titre 4], dont la carte archéologique venait d'être
confectionnée.

38
(P. L E R OUX 2004)
-44-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

L'île a connu une importante occupation pendant le Chalcolithique, amenée à


disparaître pendant la transition entre le Bronze ancien et le Bronze moyen, ce qui se
traduit par une trentaine de petits sites qui devaient être hiérarchisés car cela ne
répondaient pas à la réalité des établissements. Les données dérivées des fouilles des
années 80 permettaient d'observer une différenciation fonctionnelle pouvant s'expliquer par
le terme de constellation d'établissements, comme on les appellera plus tard. Ces sites ont
été interprétés comme étant 10 établissements, plus une série d'installations annexes ; on
estime à environs 50 individus le nombre d'habitant de chaque établissement, ce qui
représentait au moment de l'abandon une population maximale de quelques 500 ou 600
individus ; il s'agissait d'une société hiérarchisée comme le prouve le monument
mégalithique contemporain de ca na Costa. L'économie de ces habitants était
fondamentalement basée sur l'agriculture que complétaient les ressources marines. La
comparaison entre l'estimation des ressources et les différents établissements de l'île à
travers le site catchment analysis indiquait qu'il s'agissait de la population maximale que
pouvait accueillir l'île ; ce qui provoqua son dépeuplement pendant un millénaire, jusqu'à la
fin du IVè siècle ou au IIIè siècle av J.-C., période à laquelle l'île se repeuple.

Les préhistoriens me pardonneront de m'aventurer sur un terrain aussi épineux que


celui-ci, bien que j'aie démontré ma bonne foi en ne publiant pas ce travail resté inconnu,
bien qu'en tant que rapport, il ait été utile aux préhistoriens de l'île.

Or, ce fut un exercice méthodologique au moment de pénétrer la problématique des


analyses spatiales en archéologie qui donnerait ses fruits dans l'analyse exhaustive des
sites d'époque punique et romaine de Formentera [titre 13]. Les sites analysés étaient aussi
le fruit de prospections systématiques, et la tentative pour éviter la subjectivité dans la
systématisation des périodes chronologiques se manifesta à partir du moment même où
nous avons classé les sites par périodes chronologiques. Nous avons essayé de les classer
en fonction de la plus grande ressemblance de comportement entre les siècles ; pour
chaque siècle, la centurie était définie selon les sites occupés pendant cette période
arbitraire de cent ans [titre 13 : 196]. De cette façon, nous ayons pu différencier cinq
périodes de courte durée (punique, tardo-punique, Haut Empire, Bas Empire ou Antiquité
Tardive) ; quatre d'une durée moyenne (punique, tardo-punique / Haut Empire, Bas Empire
ou Antiquité Tardive) et trois de longue durée (punique, romain ou Antiquité Tardive). Ainsi,
la périodisation admise de cinq périodes de courte durée était en fait le fruit d'un
regroupement de caractéristiques communes et de la cohérence chronologique elle-même.
Cependant, nous observions des regroupements curieux au niveau des seuils de plus faible
ressemblance parmi les siècles de la fin de l'Antiquité, parce que la dispersion des
établissements du VIè siècle était plus semblable à celle des Ier, IIè et IIIè siècles qu'à
celles de ceux qui les précèdent (siècles IV et V apr. J.-C.). Comme j'aurai l'occasion de le
-45-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

commenter plus loin, cette constatation a sa propre logique dans les caractéristiques que
nous identifions pour la période des VIè et VIIè siècles, que nous avons qualifié de phase
« créative » et de transformation.

L'étape suivante consistait à définir des caractéristiques des sites.

1. Distance de l'embarcadère naturel le plus proche ; point par lequel on communiquait


avec l'extérieur.

2. Distance du port le plus proche. Distinguons deux sites qui ont accompli cette
fonction dans les deux points de la côte Nord de l'île.

3. Pourcentage de la ressource mer par rapport à son aire de ressources.

4. Pourcentage de la ressource sel (salines actuelles) par rapport à son aire de


ressources.

5. Pourcentage de la ressource activités complémentaires (forêt, sous bois, bruyère)


par rapport à son aire de ressources.

6. Pourcentage de la ressource sol apte pour l'agriculture par rapport à son aire de
ressources.

7. Pourcentage de sol stérile ou improductif par rapport à son aire de ressources.

8. Dimension des aires de ressources théoriques de chaque établissement.

9. Perduration du site par rapport à la période précédente.

Avec ce dernier descripteur nous prétendions mesurer l'importance des


établissements à forte longévité et dont l'existence au cours des périodes précédentes est
attestée, qui étaient à l'origine, aux moments forts de l'expansion, d'autres établissements
par colonisation ou par « remplissage » des champs. Pressentant le concept défini par J.-P.
Vallat comme « modèle emboîté », parce qu'il considère deux types de temps, du temps
vécu, à long et court terme, ce qui permet de souligner le conservatisme entre deux sites
qui subsistent le même laps de temps, même s'ils ne partagent ni la date de création ni la
date d'abandon.

Continuant sur cette coïncidence de concepts et d'analyse je voudrais souligner la


proximité qu'il y a entre le concept de stabilité tel que nous l'utilisons dans le cas de
l'occupation du sol de Formentera, renforcé par une ligne de stabilité absolue [titre 13 : 199,
fig. 3], et celui de dynamisme utilisé par J P Vallat 39 dans ses recherches sur l'Italie 40.

39
(J. P. V ALLAT 2001; 2002)
-46-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Total Creación Abandono


Estabilidad E. Absoluta

20

15
(yacimientos)

10

0
IV-III II-I I-II-III IV-V VI-VII
Periodos

En définitive, nous avons pu différencier quatre types de sites selon leur spécialité
productive : agricoles, activités complémentaires et extractives, de vocation maritime,
établissements non spécialisés, et cinq sous-types, dont la périodisation a permis de
présenter les conclusions suivantes.

D'abord, nous avons pu donner une chronologie de la colonisation de l'île en


réfutant la thèse d'une île dépeuplée jusqu'à l'époque du Haut Empire. Les fouilles
archéologiques et la distribution particulière des établissements les plus anciens permirent
de réfuter l'affirmation de Strabon 41 et d'avancer de trois siècles la première colonisation de
la petite île 42 ; ce que semble, peu à peu, accepté par la communauté scientifique 43. Il s'agit
d'un phénomène en accord avec le succès commercial et le fort développement extérieur
d'Ebusus et des amphores ébusitaines dans la Méditerranée.

Bien qu'il manque encore des faits archéologiques positifs qui permettent d'élucider
nos hypothèses, étant donné l'absence de recherches systématiques à Formentera, la
distribution non aléatoire des premiers établissements colonisateurs dans l'espace et une
volonté agricole affirmée paraissent particulièrement éloquentes, tout comme le fait qu'il
s'agisse aussi de huit points encore vifs à la fin de l'antiquité. Ce sont des éléments qui me
permettent de réaffirmer le caractère pionnier et conservateur de leur liaison à la terre,
typique comme nous pourrons voir dans certains cas de sites fouillés à Ibiza. Il ne s'agit pas

40
(J. P. V ALLAT 2001 : 585-586)
41
(Chr III, 5, 1-3)
42
(J. R AMÓN 1991 : 49)
43
(C. GÓMEZ BELLARD 2003 : 224)
-47-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

d'établissements occasionnels propres d'une conjoncture, d'un événement ou de visite


sporadique, mais des établissements de longue durée comme can Fita [titre 46] ou ses
Païses de Cala d'Hort, qui subsistèrent pendant onze siècles, pratiquement sans
interruption, caractérisant et définissant le paysage rural des îles.

Durant la période suivante (IIè-Ier siècles av. J.-C.) les mêmes établissements sont
maintenus et les espaces sont remplis ; il y a conquête de nouvelles terres et nous pouvons
observer une plus grande spécialisation des établissements ruraux. Les événements de la
IIè Guerre Punique n'ont pas trop d'influence sur la société rurale des îles, il semble
simplement que nous soyons en face d'une évolution expansive des mêmes règles qui
régissent la période précédente.

Pendant le haut Empire, (I-II- moitié du IIIè siècles apr. J.-C.) l'île connaît sa
période d'expansion maximale avec l'occupation par « remplissage » de terres marginales
par des sites nouveaux, les établissements de la conjoncture, dont la fonction semble être
d'exploiter les ressources alternatives (sel, activités complémentaires), en rapport très clair
avec les embarcadères et les ports de l'île, de la production agricole qui est la fonction des
établissements et marque le territoire depuis des siècles. Aucune indication chronologique
ne nous permet de considérer de coïncidence entre forte expansion et occupation historique
de l'île et l'édicte de latinité de Vespasien de la fin du Ier siècle apr. J.-C. Toutefois, les
données extraites des excavations de sites de l'île, comme pour can Fita [titre 46] ou ses
Païses de Cala d'Hort, permettent d'avancer l'hypothèse que ce soit le moteur d'une
transformation profonde des structures agraire de nombreux établissements qui eurent
forcément une répercussion sur la gestion du territoire. L'image d'une Formentera
densément peuplée et qui représente la dispersion de dix-neuf sites habités pendant les
deux premiers siècles a probablement un rapport avec la décision de Vespasien d'accorder
le ius latii aux villes d'Hispania, ce qui transformerait Ebusus en un municipium flavium
ebusum de l'inscription CIL II 3663.

La phase suivante correspond à la seconde moitié du IIIè siècle, au IVè et au Vè


siècles apr. J.-C., nous la définissons comme une période de « crise et réorganisation ».
L'abandon des établissements marginaux est un fait quasiment assuré, bien que nous ne
pouvons rejeter l'idée d'une occupation moins perceptible à travers les fouilles ou
prospections archéologiques comme nous aurons l'occasion de le voir pour can Fita [titre
46]. Il n'y a que quatre sites dont on peut assurer le maintien de l'activité ; deux d'entre eux
remontent à la période colonisatrice, tandis qu'un autre pourrait être une installation annexe
d'un autre site de la fin du IVè siècle av. J.-C. ou du début du IIIè siècle av. J.-C. Ce qui a
priori ressemblait à un abandon de quinze établissements, serait plutôt une restructuration
parce que ceux qui sont encore en activité montrent une plus grande adaptation : Ils se

-48-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

trouvent dans des lieux qu'il leur permet une exploitation diversifiée, moins spécialisée,
avec la possibilité de réaliser différentes activités en même temps : activités extractives et
agricoles, bien que la sortie par mer des excédents ne semble pas déterminante à ce
moment.

De cette période date un site fouillé au début des années 80 et injustement oublié
par les chercheurs, à l'exception de quelques notes marginales et exceptionnelles, comme
pour castellum de can Blai [fig. I, 2] dans l'isthme qui unit la Mola avec le cap de Barbaria,
non loin du site qui perdurent dans ce secteur de l'île pendant cette période. A l'époque
nous proposions déjà de le situer dans le contexte des turres et castella du Bas Empire qui
dans la Péninsule Ibérique avaient pour mission de surveiller les chemins et les terres par
où était transportée l’annona 44 et qui, en ce qui concerne can Blai, doit être mis en rapport
avec des armées rustiques formées essentiellement de paysans réunis et armés par les
grands propriétaires et apparus de la main du patronat (patrocinium, defensor locorum).

Cependant, il faut relativiser cette interprétation car les 82 km 2 de l'île réduisent la


capacité de dissimulation des bandits sur le long terme. Nous avons du mal à croire à ce
contexte de danger interne et que les bandits puissent aller et venir en toute impunité et
projettent de mettre la main sur un coin de l'île. Il est plus probable que leurs jours aient été
comptés. Son existence, dans ce cas-là, ne paraît être justifiée que par l'accroissement de
l'insécurité et de la piraterie aux abords de l'île. Ces circonstances ont toujours préoccupé
les habitants de Formentera et furent la cause, ou au moins un des motifs, de son
dépeuplement entre le XVè siècle et le début du XVIIIè siècle. Il ne paraît pas très risqué de
poser l'hypothèse d'une augmentation de l'insécurité sur les côtes des îles, particulièrement
dans la petite qui se trouve relativement proche de la côte africaine. Cette insécurité est
plus atténuée pendant les deux premiers siècles de notre Ère mais rejaillie aux moments
conjoncturels où l'autorité romaine s'affaiblit, comme dans le cas la piraterie du Ponto
Euxino et de la multiplication des soutes et des castella côtières à partir du IIè siècle mais
surtout entre 250 et 270 apr. J.-C. dans cette région orientale, jusqu'au point de parler d'un
limes côtier ou d'un limes pontique 45. Notre objectif n'est pas d'aller au-delà de la simple
comparaison qui renforce l'hypothèse, mais il convient de préciser que l'invasion des Francs
(ca. 260 apr. J.-C.) avait pour but initial Tarraco et son port, où des navires furent autorisés
et passèrent aux côtes africaines 46 ; ils ont alors pu, en passant par ce chemin, se toper

44
(J. Arce 1988: 78, 95, 105, 112-113)
45
(N. G. D A C OSTA 2000)
46
(J. A RCE 1988 : 60)
-49-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

avec nos îles. La documentation mentionne quelques razzias de pirates originaires du Nord
de l'Afrique depuis la fin du IIè siècle et le début du IIIè 47.

La planimétrie [fig. I, 2] et l'étude architectonique effectuée par E. Díes ainsi


qu'une première approche que j'ai réalisée moi-même des matériaux trouvés dans
l'excavation, permettent de proposer de nouvelles données. D'abord le contexte historique
paraît correspondre à l'horizon « avenue de l'Espagne » [titre 5] ; c'est-à-dire qu'à première
vue la céramique peut être datée entre 240 et 260 apr. J.-C. Deuxièmement, il semble que
can Blai n'ait jamais été terminé, le castellum est un projet qui n'est jamais arrivé à son
terme ; c'est pourquoi il convient de dater la tentative à un moment postérieur aux années
citées précédemment, ce qui renforcerait certaines des hypothèses précédentes et, en
outre, serait cohérent avec la chronologie et l'interprétation proposée pour le castellum de
Santillán (Mollina, Malaga), dont on a trouvé des éléments parallèles en Afrique, en Syrie et
en Palestine 48.

Finalement la dernière occupation de l'île avant l'arrivée de l'Islam (VIè et VIIè


siècles), coïncide avec l'entrée des îles dans l'empire byzantin en l'an 534 de notre Ère. Elle
suppose une phase créative qui triple les sites de la période précédente par un curieux
phénomène de réoccupation d'établissements abandonnés au cours de la période
précédente ou qui démontrent une activité plus réduite, difficile à distinguer à travers les
fouilles archéologiques ; plus encore si nous tenons compte qu'il s'agit d'images de surface,
comme nous aurons l’occasion de le commenter par la suite à propos du site de can Fita.

En tout cas, l'image de surface des domaines agricoles de Formentera donne un


aspect assez comparable à celle du IIIè siècle av. J.-C. juste avant la grande expansion du
Haut Empire et, même, comme il a été dit, certains des anciens sites ont pu être réoccupés.
Nous avons la sensation que les grands domaines agricoles fortement enracinés « sont
recomposés de nouveau bien qu'avec des caractéristiques différenciées ». Les ruines des
anciennes installations ont dû jouer un rôle déterminant au moment de leur récupération et
tout paraît indiquer que, comme dans d'autres lieux, on y exploite à nouveau une surface
cultivée équivalente à celle d'avant les siècles de crise. Nous avons l'impression d'une
transformation harmonieuse, bien que dans une autre direction, dans laquelle les
ressources complémentaires et le bétail ont plus de poids que les produits d'une agriculture
de marché.

47
(J. M. B LÁZQUEZ 1978 : 511)
48
(R. P UERTAS T RICAS 1986)
-50-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Avant de finir cet alinéa je voudrais commencer une petite recherche autour d'un
élément du paysage ébusitain injustement oublié et qui n'a jamais fait l'objet d'une véritable
investigation, même petite. Il s'agit de ce que « l'on appelle » l'aqueduc romain de
s'Argamassa [fig. II]. Et je dis « on appelle » parce qu'il ne répond qu'à l'intuition de la
recherche locale. En effet, si l'on parle d'aqueducs, c’est que l’on se refère forcément à des
constructions romaines. Je ne nie pas, toutefois, cette possibilité mais affirmer qu'il est
romain est aussi gratuit que de le nier, étant donné l'absence d'un début d'étude qui
établirait sa source : croquis, planimétrie et analyse constructive, plus une certaine fouille
ponctuelle qui permettrait de trouver des éléments de datation sûrs.

Pour ma part, vers la fin de l'année 1989, au moment où je participais au


programme de l'aqueduc de Nîmes, j'ai effectué une série de photographies et un suivi de
son tracé final qui, d'autre part, se trouve en fonction du site de s'Argamassa une possible
usine de salaison [fig. II, 3] où j'ai effectué des fouilles au printemps de 1985 à l'époque où
j'étais encore étudiant ; cette usine fut l'objet de campagnes de fouille sans qu'on ait pu
apporter d'autres résultats que les clichés habituels. Cette première approche à l'aqueduc
m'a démontrée, en plus du fait qu'il y a différentes phases de déposition de concrétions
calcaires qui dénotent des élévations successives du canal tout au long de la phase de
construction ; Ces restes sont probablement les concrétions calcaires d'une structure
périssable qui, une fois dégradée, a laissé son empreinte dans la pente de carbonate
calcique. Toutefois, il s'agit d'un aspect qui, je le répète, doit être confirmé ou infirmé dans
les années à venir.

-51-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

RECHERCHES POSTDOCTORALES

-52-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

RECHERCHES SUR UN SITE RURAL EBUSITAIN : CAN FITA


Comme je l'ai déjà dit, mes premières recherches à Ibiza ont été marquées par la
fouille d'un établissement qui est resté en activité durant la même grande période que celle
de l'occupation du sol de Formentera. De cette
manière, un certain nombre des contradictions qui
avaient été données suite à l'interprétation des
images de surface des sites de Formentera
permettaient, quoi qu'avec prudence, d'illustrer les
phases d'occupation du site.

Ce fut le résultat d'une fouille effectuée entre


février et octobre 1988 mais qui ne fut pas publié
avant 2002 [titre 46], bien que deux d'articles
donnèrent un avant-goût de quelques découvertes qui
méritaient une publication préalable. La première
découverte se composait de l'ensemble des
fragments de peinture murale romaine trouvés durant
la fouille et qui servaient, avec d'autres matériels de
remplissage, à amortir quelques chambres ; plus les
restes de revêtement mural de tradition punique trouvés in situ, couvrant quelques murs,
[titre 12]. L'article adopta la forme d'une communication au 1er Coloquio de Pintura Mural
Romana en Hispania, tenu à Valence vers la fin de 1989, et présidé par M. Monraval avec
qui j'ai collaboré pour décrire et trouver les parallèles du premier ensemble significatif de
restes de peinture murale romaine trouvés à Ebusus. La deuxième découverte est une
marque punique imprimée dans la anse d'une amphore PE-17 publiée dans la revue Studi
Epigrafici et Linguistici sul Vicino Oriente Antico (SEL) de l'année 1990 [titre 6], pour
laquelle j'ai collaboré avec M.-J. Fuentes, professeur de langues sémitiques de l'Université
de Barcelone et auteur d'un corpus 49 sur les inscriptions phéniciennes et puniques. Les
deux articles ont été inclus, en annexes, dans la publication globale de 2002.

Dix collaborateurs prirent part à la publication définitive apportant à l'ouvrage leurs


connaissances sur la sculpture, la numismatique, l'architecture, l'épigraphie punique,
l'anthropologie physique, la peinture murale, la palynologie, la malacophaune et, pourquoi
pas, l'archéologie ébusitaine. Pour tirer le plus grand bénéfice des restes exhumés, mon
séjour pendant le mois de février 1990 à l'Institut de Recherche sur l'Architecture Antique

49
(M.-J. F UENTES 1986)
-53-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

(CNRS) 50 m'a été d'un grand secours ; j'ai pu aborder avec une plus grande solvabilité
l'étude des structures architectoniques de can Fita, peut-être les restes les plus importants
de la culture matérielle du site.

Je me dois de préciser que la perspective avec laquelle j'ai abordé l'étude du site a
été enrichie par deux influences. D'une part, mes conversations avec Jean-Luc Fiches m'ont
procuré un point de vue extérieur sur la problématique en me montrant la particularité, à
approfondir et à souligner convenablement, des caractéristiques d'un établissement type
« villa » bien antérieur aux premières villae rencontrées dans les provinces occidentales de
l'Empire romain. De l'autre, l'ensemble des recherches de Philippe Leveau sur le Maghreb
romain et les recherches sur les campagnes méditerranéennes que cet auteur réalisa avec
J.-P. Vallat et P. Sillières dans Les campagnes de la Méditerranée romaine 51. J'essayerai de
résumer les principaux résultats de l'étude.

Comme dans le cas des sites de Formentera, can Fita prend ses origines à la fin du
IVè siècle av. J.-C. Quelques matériaux permettent cette datation même s'ils restent
marginaux par rapport à ceux du IIIè siècle av. J.-C. Le bâtiment principal occupait une
surface d'environs 650 m 2 , bien que l'on trouve des restes d'activité humaine sur une
surface de presque 4 000 m 2 . Le bâtiment de cette première période était fixé sur la roche
et a été fabriqué avec des matériaux périssables qui ont laissé peu de traces, bien qu'ils
aient probablement été réutilisés et masqués par le nouveau bâtiment. Une première grande
transformation élevée au IIè siècle av. J.-C. ; on sait avec certitude qu'il était consacré,
entre d'autres activités agricoles, à la production d'huile comme le démontrent les trois
bassins de décantation qui ont été identifiés. Trois siècles plus tard, à la fin du Ier ou au
début du IIè siècle apr. J.-C., une seconde grande transformation a lieu qui voit les
structures de pressage « se moderniser » (sa fonction continue d'être l'élaboration de
l'huile) à travers des modèles et des moyens technologiques qui se développent à ce
moment-là dans toute la Méditerranée ; cela multiplie sa capacité de transformation des
produits agricoles : deux contrepoids et un seul bassin mais qui a pu contenir 3,5 fois plus
que les précédents [fig. III, 1 et 2].

C'est sûrement à ces mêmes moments que l'installation agricole s'est dotée d'une
pars urbana décorée selon les patrons décoratifs de peinture murale propres des modèles
italiques bien que transformés par le substrat indigène punique, et décorée par une

50
Projet d'études financé par la Generalitat Valenciana, sous la tutelle scientifique de Jean-Louis
Paillet et Pierre Gros: Arquitectura y urbanismo romanos en Ebusus, técnicas constructivas e
influencia del substrato indígena en la arquitectura.
51
(P. L EVEAU , P. S ILLIERES , J. P. V ALLAT 1993)
-54-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

sculpture de marbre qui représente un Hermès dionysien aussi propre des modèles
iconographiques hellénistiques et italiques. Je croyais que ces dates et le processus de
transformation pouvaient s'exprimer à travers la transformation de la vieille mapalia punique
en villa « à la romaine », point sur lequel j'insisterai par la suite. L'horizon de comparaison
est le moment où se produit une transformation très semblable à celle de ses Païses de
Cala d'Hort et, peut-être, l'expansion maximale de l'exploitation de Formentera.

Les installations agricoles continuèrent à fonctionner pendant le IIIè siècle apr. J.-
C., mais certaines dépendances furent abandonnées. La pars urbana, probablement après
un abandon prolongé, a sûrement servi de matériel de remplissage pour amortir les
installations agricoles qui entreraient dans un processus d'activité peu visible par le biais
des fouilles archéologiques que nous ne pouvons pas classer comme totalement abandonné
puisque 77 % des monnaies récupérées sur le site datent des IIIè et IVè siècles apr. J.-C. Il
semble que nous soyons en présence d'un modèle qui expliquerait l'absence d'images de
surface des sites explorés à Formentera et la réoccupation postérieure aux VIè et VIIè
siècles apr. J.-C. On peut direqu’au cours de cette période se produit la rupture du modèle
d'exploitation intensive et l’invention d’un autre, au même moment où les îles entrent dans
l'Empire Byzantin à partir de 534 apr. J.-C.

Il semble que c'est ce qui se passe avec can Fita, ou avec ses Païses de Cala
d'Hort, où la production d'huile est définitivement abandonnée, comme le prouvent l'emploi
des contrepoids des presses d'huile comme support de nouvelles parois et l'état d'abandon
du bassin de décantation. L'ancienne villa devient un petit établissement muni d'une maison
centrale et d'une petite basse-cour qui réutilise la partie supérieure des vieilles installations
remplies des matériaux et des parois de l'ancienne villa [fig. III, 3]. Cet établissement
semble exploiter avec une plus grande intensité les ressources marines et animales qu’au
cours des périodes précédentes alors que la mer a toujours été là, à coté.

Alors qu'au moment de l'étude définitive j'étais plongé dans l'archéologie du


paysage, il me paraissait indispensable de définir le terroir et la production du domaine de
can Fita à travers cette méthode d'analyse et le traitement de l'espace. Pour cela je me suis
servi de la proposition de structure agraire perceptible dans toute l'île, et qui apparaît dans
toutes les petites plaines de cette dernière, et du traitement spatial de la dispersion des
sites et de ses images de surface à travers les prospections systématiques effectuées dans
l'île [titre 46 : 73-78 ; figs. 77-81] ; Je suis arrivé à la conclusion qu'il s'agissait d'un
établissement non seulement spécialisé dans la production d'huile et qu'il pouvait disposer
d'un espace de culture associé de 115 ha et une oliveraie de 30 ha. Ainsi la production
pouvait se situer entre 11 000 et 17 000 litres d'huile par an (nécessitant un mois ou un
mois et demi pour transformer les olives) ; cela m'a amené à constater la disproportion

-55-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

entre les structures de transformation, les restes matériels du trapetum, les contrepoids et
le bassin de décantation, et l'activité générale de l'unité productive [titre 46 : 61-63].

Cette même constatation m'a conduit à mesurer de nouveau la production


insulaire, excessive, comme c'est souvent le cas dans les études sur l'économie de
l'Antiquité. Cet état de fait occultait une grande oliveraie et les grandes productions
destinées à l'exportation, mais soulignait une consommation de caractère urbain et local
pour ce qui est de la production d'huile. Il convenait donc d'affirmer, en accord avec J.-R
Torres, que les amphores qui sortirent d'Ibiza étaient celles qui contenaient du vin, mais
seulement à partir du moment de l'entrée de son économie dans les circuits commerciaux
italiques.

Avec le temps, je crois qu'il est possible de risquer une hypothèse quant aux
récipients céramiques qui ont pu servir à stocker l'huile ébusitaine. Dans la région du détroit
on a identifié deux productions d'amphores hispaniques caractéristiques de la distribution
de produits tardopuniques typiques de cette zone. Il s'agit des amphores Mañá C2B, qui
contenaient des salaisons et les Mañá C2C qui ont pu contenir de l'huile à en juger par les
restes d'olives contenus dans un des exemplaires trouvés dans l'épave Dramont A. Les
exemplaires qui nous intéressent sont les C2C, elles reproduisent des formes originaires de
Carthage et de la Méditerranée Centrale, dans les conditions morphologiques des Mañá B
et C1B (siècles IVè-IIè av. J.-C.) ; Les données que nous avons pour ces dernières laissent
penser qu'elles contenaient aussi de l'huile. Il n'existe qu'une production d'amphores
ébusitaines qui fasse référence à ces conditions centre méditerranéennes, les amphores
PE-31 produites dans l'île entre la fin du IIIè siècle et le début du IIè siècle av. J.-C., et au
dire de celui qui en a établi la classification : « la production n'a du être faite qu'à petite
échelle. En effet, nous n'avons pas connaissance d'exemplaires exportés hors de l'île, et
dans l'île elle-même, elle est très peu documentée » 52.

En clair et en guise d'hypothèse de travail, je crois qu'il est possible d'identifier


l'imitation ébusitaine (PE-31) des amphores de la Méditerranée centrale (C1B) comme
celles qui ont pu contenir l'huile sortant de l'île : si elles sont sorties de l'île, ce fut en très
petites quantités, comme nous l'avons défendu pour la production oléicole d'Ebusus. Les
C2C, quant à elles, auraient contenu la production oléicole de la région du détroit et ce
jusqu'à l'apparition dans cette même zone de contenants qui eurent un plus grand succès et
une meilleure diffusion, comme les Dr. 20. La production des îles ne peut pas être
comparée avec la production d'huile de la future Bétique et par conséquent, il est probable

52
(J. R AMÓN 1991 : 152)
-56-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

que les exemplaires de PE-31 plus tardifs coïncident avec les premières importations
d'huile, que ce soit du cercle du Détroit ou que ce soit de la Méditerranée centrale.

L'identification de l'unité de production de can Fita est une autre des


préoccupations qu'il m'a parue intéressant d'étudier et de signaler, même brièvement. Il me
semblait que la grande absente des travaux sur le monde punique est la caractérisation de
l'unité élémentaire, l'unité d'exploitation que constituent les établissements comme can Fita
ou ses Païses de Cala d'Hort. Quand nous essayons de les définir, un nom plane
constamment au-dessus de nos têtes : la villa; mais son utilisation serait incorrecte parce
que ces établissements ruraux dispersés sont une réalité très antérieure à l'influence
romaine dans l'île. Il est possible que, par habitude, les chercheurs familiers de la
problématique ébusitaine soient réticents à voir apparaître des « villae » ou des
établissements comparables à l'environnement ibérique, sans la présence du composant
humain, les colons italiques ; c'est-à-dire, ce que nous connaissons comme
53
« romanisation » .

Les noyaux ruraux puniques sont, dans leur conception, de véritables villae, et pour
cela il existe un terme punique transcrit en latin comme mapalia-ium, qui a été utilisé, par
exemple, dans l'Enéide quand Virgile se réfère aux établissements ruraux du Nord de
l'Afrique 54 puis répétée dans l'inscription d'Henchir Mettich, où nous retrouvons les termes
villa et mappalia sur le même pied d'égalité 55. Le terme et son contenu ont été récemment
analysés par P. Leveau 56 [titre 46: 69-70] et comme les villae, les établissements puniques
sont des centres de production qui à partir du IIè siècle av. J.-C. s'engagent vers une
commercialisation des excédents 57.

Finalement, il me paraissait intéressant d'entrer dans le débat des possibles


relations de production qui ont pu être données dans ce milieu. J'ai alors émis l'hypothèse
purement conjecturale, basée sur les travaux de J. Kolendo (il proposait de situer l’origine
du colonat africain à l'époque tardo impériale) qu'il puisse remonter à l'époque d'expansion
punique.

53
(P. L E R OUX 2004)
54
(E NEIDA , I, 421 y IV, 259)
55
CIL, VIII, Suppl. 4, n. 25 902: “...qui i]n f(undo) Villae Mag/nae sive Mappalia(e) Siga(e) villas
[habe]nt...”
56
(P. L EVEAU 1993 a : 162-167)
57
(P. L EVEAU , P. G ROS , F. T REMENT 1999)
-57-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Pour soutenir cette affirmation, Kolendo 58 fait valoir que certains des domaines du
Haut Empire, avec des relations de dépendance, existaient déjà à l'époque numide. Cette
tradition pré-romaine s'appuie aussi sur une phrase de Polibe (I, 72) dans laquelle il est dit
que, pendant la première Guerre Punique, les Carthaginois auraient doublé les rentes des
villes en percevant la moitié des récoltes. Pour sa part, Tite Live 59 raconte que dans une
harangue à ses troupes avant la bataille de Ticino, Anibal promettait, pour eux et leurs
descendants, des terres affranchies du paiement de rentes dans les différents lieux qu'ils
conquerraient. On peut donc en déduire que l'état carthaginois percevait des revenus
importants proportionnels aux récoltes ; facteurs qui établissaient les conditions favorables
pour le futur développement du colonat dans cette province, bien que sans exclure
l'existence d'un pourcentage inconnu de travail issu de l'esclavage dans la société punique.

Quand j'ai rédigé ma démonstration en 1998 je ne connaissais pas alors les


récents travaux de J.-L. López de Castro 60 sur la décomposition de la formation sociale
phénicienne occidentale par le contact avec Rome, bien que ses recherches, à partir
d'autres approches méthodologiques, aillent dans le même sens. J'essayerai de la résumer
dans les lignes suivantes.

La société coloniale phénicienne-punique est majoritairement composée de


paysans et d'artisans de condition libre qui ont pu utiliser, dans une certaine mesure, de la
main d'oeuvre esclave. Les colonies fondées seraient des centres autosuffisants davantage
reliés à la métropole qu'entre-elles, au moyen d'impôts et de relations commerciales
capitalisées par Tyr ou, tardivement, par Carthage, à travers les temples de Melqart, ce qui
est stipulé depuis la fondation de la ville. L'esclavage aurait été en augmentation
progressive depuis l'expansionnisme de Carthage aux Vè et IVè siècles av. J.-C., et surtout
depuis le IIIè siècle av. J.-C., ce qui conduisit les deux puissances à s'affronter au cours
des successives guerres puniques aux conséquences terribles pour les Nord-africains. Ce
processus eut pour conséquence l'accumulation de terres et donc la multiplication des
établissements ruraux ; le triomphe de Rome et l'intégration des villes de tradition punique
dans son orbite consacra le développement de la production esclavagiste, en germe et
naissante dans le monde punique, jusqu'à la transformation définitive de la société punique.

LE PAYSAGE D'IBIZA ET FORMENTERA

58
(J. K OLENDO 1979 : 147-154)
59
(XXI, 45, 5): “...agrum sese daturum esse in Italia, Africa, Hispania, ubi quisque uelit, immunem ipsi
qui accepisset liberisque...”
60
(J.-L. L OPEZ C ASTRO 1995)
-58-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Les îles d'Ibiza et de Formentera ont été pour moi un « laboratoire » où j'ai pu
appliquer les méthodes d'étude des différents thèmes de recherche que j'ai suivis, à
l'exception de l'archéologie funéraire. Pour cela depuis l'année 1993 j'ai eu l'occasion
d'appliquer les méthodes d'analyse des paysages et des formes agraires que j'avais
commencées quelques années avant (voir thème 3). Toutefois, il ne s'agit pas ici de
dévoiler les résultats que j'ai pu obtenir à partir de cette méthode d'analyse, mais plutôt de
faire part des découvertes susceptibles d’enrichir le thème 2 (Monde indigène punique et
romanisation à Ebusus). Cette année-là, je fut titulaire d'une bourse de recherche de la
Casa de Velázquez 61 [titre 16] qui m'a permis d'établir les bases de ma recherche post-
doctorale, accumulant bibliographie et photographies aériennes de différentes zones du
Pays Valencien, en plus d'établir, en collaboration avec G. Chouquer, les lignes principales
de mon étude ultérieure. Cette bourse m'a permis d'identifier une structure agraire de
caractéristiques formelles anciennes sur l'île de d'Ibiza et deux sur la petite île de
Formentera qui requièrent encore une analyse détaillée mais qui, en unissant leurs données
aux connaissances sur la distribution d'anciens établissements, me permirent d'élucider
certaines questions.

Formentera A est un parcellaire incliné à NG-5ºE spécialement bien conservé dans


la zone de la Venda des Pí des Català [titre 25 : 288] ; y sont particulièrement conservées
jusqu'à cinq unités de centuriation autour d'un seul site, can Xumeu Miquel, dont les
origines remontent à la première phase de colonisation (fin du IVè siècle ou début du IIIè
siècle av. J.-C.) et qui disparaît au IIIè siècle apr. J.-C. Une analyse précise de la
métrologie de ce secteur permettait de définir des unités minimales de la division parcellaire
interne à la centurie. Ce qui m'a alors paru très restrictif, cependant, avec le temps, je ne
l’ai retrouvé dans aucun des exemples analysés en Hispanie à cause de la disparition
d'anciennes structures parcellaires suite à l'effet de la création des paysages médiévaux
islamiques ou chrétiens.

Peu de choses ont pu être déduite de l'interaction entre la dispersion des sites et la
structure. En effet, aucune des périodes qui ont été définies ne peut se présenter comme le
moment de création de la structure, et nous ne pouvons pas établir plus de séparations.
Toutefois, à cette époque-là commençait à apparaître l'idée que certains domaines de
l'antiquité (comme des îles dans une structure) aient pu organiser et structurer le domaine
environnant. Telle pourrait être la véritable interprétation à en juger par la faible dispersion
des restes conservés de la structure et par l'empreinte intense qu'elle présentait autour d'un

61
Ville et Territoire: l'organisation du paysage à l'époque antique dans les îles d'Ibiza et de
Formentera et le territoire de la ville de Valentia, mars-mai 1993.
-59-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

établissement qui, tenant ses origines du IVè ou IIIè siècles av. J.-C., se prolongea jusqu'au
IIIè siècle apr. J.-C.

Une autre proposition de parcellaire de type centurié, Formentera B, ne résiste pas


à une révision étant donné sa faible empreinte dans la morphologie agraire, bien que nous
observions des structures par crop marks dans le site de ca s'Hereu au milieu du Ier siècle
apr. J.-C.

D'autre part le parcellaire détecté à Ibiza et incliné à NG-34ºW, coïncidant avec


l'orientation structurelle de l'île et se développant dans les rares plaines côtières, a été
spécialement utile en l'intégrant dans l'analyse du domaine du site de can Fita (voir supra)
[titre 46] et pour en proposer, comme hypothèse de travail (encore insuffisamment éclaircie)
une possible structure agraire dont les origines remonteraient à l'époque punique dans la
plaine de Sant Jordi, dans le cadre d'un projet sur lequel je m'étendrai par la suite et qui a
permis de définir un hawz ou un territoire agricole de la ville islamique [titres 30, 33 et 45]. Il
est évident que l'analyse des formes du paysage des îles apporte beaucoup plus à la
construction médiévale et moderne qu'aux paysages de l'Antiquité, comme nous aurons
l'occasion de l'observer.

CONCLUSION

Arrivé à la fin de ce volet sur les îles d'Ibiza et de Formentera, je garderais


particulièrement certaines idées fortes que je soulignerai de suite.

Les travaux effectués par rapport à la production et à la diffusion de céramique


avaient, comme je l'ai dit, une intention claire, celle d'aller au-delà de la simple description.
Il était important de mettre en évidence l'intégration d'Ibiza dans l'histoire de la
Méditerranée antique.

Dans le cas des céramiques antiques romaines, les sigillées et les vaisselles
africaines, on constatait qu'Ibiza faisait partie d'une région et d'un trafic commercial
différencié, avec pour origine la Méditerranée centrale, mais en nette relation avec la région
que les spécialistes du monde phéno-punique appellent le Cercle du Détroit. Au moins, il
s'agissait d'une manière d'interpréter l'origine de la culture matérielle punique-ébusitaine
avec des imitations de céramique attique ou campanienne et de la présence sur le sol
ébusitain (consommation) de récipients amphoriques puniques de la Méditerranée centrale.

Le principal centre d'intérêt du conflit pour le contrôle de la Méditerranée entre


Romains et Puniques fut le contrôle des sources de matières premières et d'un marché,
avec ses circuits commerciaux relatifs, définitivement unifiés et contrôlés par la suite par
Rome. Il est possible que l'apparition tardive du statut juridique ébusitain comme ville
fédérée à Rome soit une conséquence directe du besoin de Rome d'intégrer l'économie et
-60-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

les routes commerciales puniques à son profit. Il faut rappeler que si, dans le transport par
voie terrestre il existait des passages naturels ou des cols fiscalisés par les tribus sous
forme de taxes là où Anibal et ses éléphants sont passés (ce qui était considéré par les
Romains comme une forme de brigandage 62) l'exemple doit être extrapolable aux ports de
mer. Le foedus avec Ebusus fait partie de l'intégration du marché et des circuits
commerciaux puniques de la Méditerranée occidentale : les navires romains pourraient
dorénavant débarquer sans problème.

L'économie ébusitaine, hautement développée depuis les premiers moments de la


colonisation, perdrait une certaine autonomie probablement en raison de son rapport avec
les nouveaux circuits commerciaux italiques ; même si l'économie et les manifestations
culturelles ébusitaines n'ont pas été romanisées avant la moitié ou à la fin du Ier siècle apr.
J.-C. (apogée de l'expansion commerciale italique et des provinces occidentales). Cela se
manifesta par une réorganisation et par le choix de nouvelles formes de gestion de l'espace
rural, par l'adoption de techniques et d'outillages plus avancés, par l'utilisation du moulin à
huile ou encore par l'adoption des modèles décoratifs muraux typiquement italiques, ce qui
prouve l'apparition de la villa romaine. En 1990 j'avais déjà défini la situation de cette
manière [titre 5: 80]:

Avec l'entrée de l'île d'Ibiza dans la structure économique de l'Empire Romain, l’île perdit son rôle
économique mais pas son importance stratégique par rapport aux routes commerciales de la
Méditerranée, ce qui lui octroya un nouveau rôle.

Sans cette situation privilégiée qui caractérise Ebusus elle aurait très probablement fini par être un
secteur marginal et isolé ou, en termes actuels, « sous-développé » (...)

La thèse récente d'E. García Riaza, d'un foedus conséquence du contrôle des
réseaux maritimes, et la mienne sont cohérentes par rapport à l'apogée du développement
du portorium depuis la bataille de Zama, dans un clair contexte d'intégration des droits
tarifaires déjà existants pour faciliter l'échange commercial entre les régions qui seront
intégrées à l'Empire romain (et Hispania comme scène des guerres puniques est parmi les
premières) et pour augmenter les recettes d'une administration qui exige chaque fois plus
un appareil administratif 63. Ebusus n'apparaît pas parmi les stationes hispaniques mais vu
les conditions de navigation de l'Antiquité, les îles constituent un relais tout à fait approprié
pour les marins du mare nostrum ; D'après le matériel trouvé dans le sous-sol, il est
pratiquement sûr que si l'île n'était pas à proprement parler une statio douanière impériale,
elle a du percevoir des tarifs propres imposés par la ville ou des droits de péages pour le

62
(P. LEVEAU 2003 : 330)
63
(E. N ARDO , D. F ALCIANI 1999)
-61-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

passage, des droits qui font inéluctablement partie de l'ensemble fiscal homogène que
désigne le terme portorium. D'autre part, si le portorium était perçu dans chacune des huit
circonscriptions douanières qui divisent l'Empire (Britannia, Gallia, Hispania, Africa,
Aegyptus, Asia, Sicilia et Italia) la majorité des routes maritimes qui menaient à la Péninsule
Ibérique avaient Ebusus comme premier port de relais de la circonscription hispanique ; il
est donc difficile de ne pas y voir un des multiples postes douaniers qui se sont créés le
long de la côte à partir de la Seconde Guerre Punique.

D'un point de vue strictement archéologique je crois que le monde rural ébusitain a
profité de la confrontation entre l'information issue des analyses de l'espace et du paysage
et la fouille archéologique de sites. Les images de surface donnent une idée « extensive »
de l'occupation et de l'exploitation du territoire, mais l'archéologie, disons « intensive », la
fouille ponctuelle, a apporté des éléments de réflexion fondamentaux. Par exemple je crois
chaque fois plus intéressant de décrire et de modéliser précisément l'existence de ces
constellations de sites proches entre eux, qui paraissent indiquer la présence de différents
composants des domaines ruraux, l'exploitation agricole et le reste des bâtiments et des
petites installations rurales qui font partie d'une même exploitation.

D'autre part, jusqu'à une période avancée de l'époque romaine, nous ne pouvons
pas faire la différence entre les partes urbanae (la résidence) et les partes rusticae (le
hameau, les bâtiments de production et autres éléments de transformation des produits
agricoles). À can Fita ou, mieux, près du site fouillé cette partie résidentielle a dû exister à
partir de la fin du Ier siècle ou du début du IIè siècle apr. J.-C. ; elle était richement ornée
de peintures murales « à la romaine ». Si nous comparons ces données avec celles que
nous disposons pour les époques précédentes, nous nous trouvons face à un paradoxe.
Quand nous avons pour un établissent et ses abords des indices de la résidence de ses
propriétaires, nous ne trouvons pas les nécropoles rurales, omniprésentes à l'époque
punique, mais qui cessent de l'être à partir de la période tardive du IIIè siècle av. J.-C. Dans
le cas, nous ne connaissons pas la nécropole que can Fita a dû avoir dès ses débuts, au
IVè ou au IIIè siècle av. J.-C., mais les nécropoles rurales ébusitaines sont bien connues
depuis les travaux de M. Tarradell et M. Font en 1975. Ces auteurs ont déjà identifié ce
phénomène d'absence de nécropoles rurales, malgré l'existence d'établissements pendant
toute l'Antiquité 64. Ils étaient aussi conscients de ne pas trouver de trace de leur réutilisation
ou de trace de nouvelles nécropoles rurales avant le Bas Empire. D'autre part, dans le cas
de can de Fita nous avons affaire à une nécropole tardive qui fut interprétée en son temps
[titre 46 : 38] comme étant une conséquence « du lien étroit entre la propriété la terre et la

64
(M. T ARRADELL , M. F ONT 2000 : 189-197)
-62-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

situation et permanence du cimetière, ce qui prouve que les propriétaires fonciers estiment
positivement, et à long terme, (...) la création d'un cimetière familial in suo fundo ; tandis
que les classes détentrices du domaine utile, mais sans propriétés foncières, et dont les
droits sur la propriété de la terre sont éphémères tendraient à créer des cimetières ouverts
et de courte durée » [titre 44 : 121]. Si nous extrapolons ces aspects à la situation de
désintégration de la société tardo-punique en conséquence de l'influence et du contact avec
Rome, cela pourrait nous apporter des pistes de recherche intéressantes pour plus tard.

Il convient aussi de souligner que la société punique, suite à la défaite infligée par
Rome et sous son influence, subit une transformation en passant d'une économie locale à
une économie régionale ; toutefois, la sensation que les Carthaginois suivaient un chemin
assez parallèle à l'évolution de Rome est chaque fois plus forte. Le conflit armé entre les
deux sociétés était un conflit pour le contrôle des circuits économiques et des marchés
indigènes vitaux pour les deux puissances méditerranéennes. À ce débat, l'archéologie
paraît apporter des éléments de réflexion intéressants, étant donné la « continuité »
matérielle apparente de beaucoup d'aspects de la société ébusitaine tardo-punique avec la
période immédiatement postérieure aux premiers contacts et à la soumission à Rome après
la deditio.

Du point de vue des événements politiques nous ne possédons pas trop éléments
pour attribuer à l'un ou à l'autre la responsabilité des changements. Peut-être pourrions-
nous l'expliquer par le biais de la datation des premières frappes de monnaie punico-
ébusitaine, par une vocation de circulation hors de l'île ou par une nouvelle situation
politique administrative par rapport à Rome ; ce qui d'après E. García Riaza 65 pourrait
ratifier l'hypothèse selon laquelle Rome a entrepris « une politique sénatoriale commune
visant à la régularisation du contrôle sur les diverses villes maritimes hispaniques de
tradition punique, dans le contexte des opérations contre Sertorius ».

D'autre part, l'épigraphie nous donne la certitude qu'Ebusus a atteint le statut


municipal à l'époque flavienne (fin du Ier siècle apr. J.-C.) au moment où Vespasien donne
le ius latii aux villes hispaniques. Ceci ne serait qu'une coïncidence si l'essor de l'île à
l'époque du Haut Empire ne pouvait s'expliquer par cette expansion extra insulaire dès les
premières décennies du Ier siècle av. J.-C. ; mais surtout, parce que l'inscription qui nous
parle du municipium flavium fait allusion à un acte d'évergétisme de la part des cornelii
ebusitains, qui se traduit par la construction d'un aqueduc (CIL II, 3663) dont les restes sont
probablement ceux qui furent trouvés il y a quelques années à can Mises [fig. II, 5] ; ou,

65
(E. G ARCÍA R IAZA 2001 : 245)
-63-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

plus tard, à travers le financement de la dette (90 000 sesterces) de la ville d'Ebusus envers
Rome à titre d'impôts annuels 66, par un descendant de la gens des cornelii.

Ce fait explique deux aspects qui me paraissent importants : d'un côté l'existence
de familles dont l'accumulation d'excédents leur permet de pratiquer l'évergétisme ; c'est-à-
dire que leur richesse est antérieure à la concession par Vespasien du statut municipal, et
ce d'autant plus si l'on considère que sur les deux inscriptions sont représentées plusieurs
générations. D'un autre côté, la transformation, même si elle ne se fair qu’au niveau
politique, qu'ont dû éprouver celles que nous observons dans les règles de distribution des
établissements ou dans l'évolution interne de ces derniers ; bien au contraire, les données
que nous possédons sur la distribution des établissements et sur les sites semblent faire la
lumière sur les faits de l'histoire politique et administrative. Nous observons des
coïncidences intéressantes entre ces événements politiques et la vie matérielle des îles. Il a
été récemment avancé plus qu'une simple supposition à partir d'éléments comparatifs sur la
date du foedus entre Ebusus et Rome. 78 av. J.-C. a été proposé comme date possible ;
cela correspond au moment où Gades a renouvelé ou a établi l'accord officiel de fédération
avec Rome. L'expansion tardo-punique des sites de Formentera dans la phase II (siècles II-I
av. J.-C.) et la restructuration de l'établissement de can Fita à ces mêmes périodes sont des
faits qui expliquent cette accumulation de richesse, alors que l'éclosion du peuplement
ébusitain ainsi que les transformations qui en découlent (l'occupation maximale de
Formentera et l'évolution entre la mapalia punique et la villa de can de Fita) illustrent, selon
moi, la maturation du processus précédent et la romanisation effective de la société
punique. Toutefois, je ne vois aucun motif pour mettre dans une relation de cause à effet la
municipalisation et les réformes effectuées à can Fita et dans d'autres sites, comme dans
l'expansion des sites à Formentera. En d'autres mots, les transformations profondes qui
sont actuellement connues affectent les villes qui ont été nommées sièges d'événements
internationaux, comme les Jeux Olympiques. Il serait inopportun d'attribuer le résultat de
ces transformations à cette nomination à moins que ce ne soit en tant que catalyseur d'un
état préalable, de l'accumulation de richesse qui rend possible la nomination. Dans le cas
d'Hispania, et en particulier dans celui d'Ebusus, tout paraît indiquer que l'édicte de
Vespasien ne fit que confirmer et accélérer un état de fait qui, de plus, selon Patrick Le

66
(J. J UAN C ASTELLÓ 1988 : 88-90)

-64-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

Roux, a pu entraîner des redéfinitions territoriales ayant pour but un meilleur contrôle
fiscal 67.

67
(P. L E R OUX 1994)

-65-
RECHERCHES SUR L’ARCHÉOLOGIE DES PAYSAGES
Il s'agit du thème de recherche auquel je me suis entièrement consacré au cours
des quatorze dernières années, rares exceptions faites de quelques retouches apportées à
des travaux de recherche antérieurs.

Je serais bien incapable d’expliquer mon intérêt pour ce type de recherche. Pour ce
qui est de la ligne de recherche sur Ebusus mon idée était de faire une histoire totale. Je
me suis donc adressé à Gérard Chouquer en 1988 dans le but de me former dans l'analyse
des cadastres romains, ce qui constituait un paragraphe supplémentaire dans mon travail
sur can Fita (site fouillé à cette époque-là) ; et, surtout, en toile de fond il y avait le projet
sur Ebusus romaine. Je n'ai reçu de réponse qu'à la fin de l'année suivante quand il
m'informa de l'existence d'un cours par correspondance comprenant un stage final
d'évaluation, cours que j'ai suivi avec un réel intérêt entre 1990 et 1991 68.

Pour des raisons de calendrier et pour éviter que cela coïncide avec la phase finale
de ma thèse doctorale je m’étais promis à moi-même de ne rédiger aucun article avant de
l'avoir terminée ; promesse que je n'ai tenue qu'en partie seulement, puisque j'ai participé à
un bref essais, paru dans une revue spécialisée en critique archéologique, aujourd'hui
disparue, Arqritica [titre 19: 231-233], annonçant la publication de deux ouvrages de G.
Chouquer et de F. Favory : Les paysages de l’Antiquité et Les arpenteurs romains. Théorie
et pratique 69, qui finirent par marquer une inflexion définitive entre les études de cadastres
et l'archéologie du paysage.

A l'époque déjà, je me préoccupais des possibles rapprochements entre


l'archéologie spatiale et cette archéologie des paysages, la première étant une méthode que
je pratiquais depuis un certain temps. Déjà ces inquiétudes étaient le fruit d’une
insatisfaction personnelle vis-à-vis des résultats de l'archéologie spatiale, en effet celle-ci
n'identifiait pas les espaces de production de l'antiquité. À mon avis, les analyses du site
catchment (l’aire de ressources) de chaque site font abstraction de la réalité antique ; en
effet, elles se basent sur le principe que, indépendamment de l'usage actuel du sol, on peut
supposer une variation identique entre les uns et les autres usages, et que donc, la
variabilité entre les uns et les autres est un indicateur de l'intentionnalité et de la vocation
productive du groupe qui s'installe dans un endroit précis. Par conséquent, si une formation
sociale transforme profondément l'usage du sol par le biais de différents moyens techniques
et que cela résulte d'une option sociale clairement différenciée, cela peut fausser et altérer
les résultats de l’analyse de l’aire de ressources

68
Archéomorfologie, carto et photointerprétation par G. Chouquer (CNRS.
69
(G. Chouquer, F. Favory 1991 ; 1992)
Archéologie des paysages

L'exemple qui peut le mieux éclairer mes propos est celui de l'irrigation. Les terres
susceptibles d'être irriguées ne le sont pas forcément parce que, comme nous le savons,
l'irrigation est une option sociale apportée par les colons de la péninsule ibérique qui
formèrent al-Andalus. Toute analyse du territoire de captation des sites romains de l'arrière
pays de l'actuelle ville de Valence procurera une haute valeur aux sols cultivés par un
apport d'eau supplémentaire issu de l'irrigation. Il est évident que les méthodes qu'utilise
l'archéologie spatiale ne permettent pas de savoir si ces sols sont ceux qui existaient dans
l'antiquité, si toutefois ils existèrent, ni ne permettent d'évaluer l'intervention d'une société
qui transforme l'usage du sol et qui produit des biens dont la valeur à l'usage est beaucoup
plus importante que la valeur à l'échange. Suivant ainsi les principes de recherche de M.
Barceló sur les espaces agraires andalous, le hameau (alquería) islamique d'un groupe
clanique berbère d'une zone montagneuse peut subsister sur un territoire beaucoup plus
réduit (1 ha), (dû à la haute valeur d'usage des produits agricoles de subsistance du groupe
provenant des périmètres irrigués) que dans le cas d'une villa romaine spécialisée dans la
culture de la vigne, produit qui est ou peut être consommé à plusieurs kilomètres de
distance du lieu de production. Jusqu'à présent, les analyses qui ont été réalisées au sujet
des possibles territoires d'exploitation des villae romaines multiplient par 130 cet espace, et
donc, cela requière une approche différente. Par conséquent, tout aussi compliqué que cela
puisse être, il me semble que l'archéologie des paysages peut être, en des circonstances
précises, une jauge pertinente des résultats issus des méthodes de l'archéologie spatiale.
C’est ce que j’ai tenté de démontrer pour le territoire de captation de can Fita [titre 46: fig.
80] et dans l'analyse des formes du paysage de l'ager aesonensis, thème que j'aurai
l'occasion de commenter plus en avant [titre 37 = 41].

Mais, l'archéologie des paysages telle qu'elle était pratiquée dans mon pays (à
cette époque, l'étude des cadastres romains) ne me satisfaisait pas non plus. Après les
travaux pionniers du milieu des années 70, les travaux les plus spécialisés étaient alors
ceux de Enrique Ariño et de Rosa Plana. Ces deux auteurs, suivant le contexte
méthodologique et théorique de l’école de Besançon, se basaient principalement sur l'étude
des cadastres romains et grecs dans la région du val de l'Èbre et dans la région de
l'Ampurdan (le territoire d’Ampurias). Ma critique reposait essentiellement sur le fait que
dans les deux cas on omettait les différentes phases de création du paysage, à moins que
l'objectif n’ait été de différencier les moments de création paysagère et de confirmer la
datation antique des structures cadastrales recherchées. Pour ces auteurs et les régions
qu'ils étudiaient, cela était sûrement possible, mais pour celles où je commençais mon
travail, il me paraissait inadmissible d'aborder les phases antiques de création paysagère
sans entrer pleinement dans l'identification des phases les plus récentes. Ces circonstances
me conduisirent à aborder des problèmes scientifiques qui m'éloignaient des

-67-
Archéologie des paysages

problématiques habituelles et du cadre chronologique de ma spécialité mais qui, par la


suite, enrichirent mon bagage méthodologique, conceptuel et théorique ; j'ai par la suite
essayé de le transmettre à l'étude de l'Antiquité. Je fais principalement référence à deux
problématiques inépuisables, l'irrigation et la société d’al-Andalus, pour ce qu’elles
représentent en tant que rupture et discontinuité (en ce qui concerne les techniques
agraires et les formes des paysages) et pour la société hispano-romaine antérieure.

Cet éloignement m'a conduit directement à


multiplier les contacts avec ceux qui s'occupent de ces
thématiques. D'une part, avec Patrice Cressier, qui était
alors le Directeur des Etudes de la Casa de Velázquez de
laquelle j’étais membre, à propos de projets de recherche
sur la Péninsule Ibérique et tout particulièrement sur le
Maroc. Je cherchais dans ces projets la définition des
formes de l'irrigation dans un contexte où elles n'auraient
pas été perturbées par les phases plus anciennes
(hypothétiquement romaines) de création paysagère ; outre
la caractérisation des irrigations créées ex nihilo, sans
contraintes, en plaines où les formes paysagères
pourraient se développer avec un aménagement formel,
libre des limitations dérivées du relief et des terrasses.

D'autre part, j'ai collaboré avec l'équipe de Miquel Barceló. C'est en participant à
un congrès sur l'agriculture et l'irrigation en al-Andalus, qu'il sollicita ma collaboration pour
l'analyse des formes du paysage de la plaine d'Ibiza ; en effet, il se heurtait aux limitations
de l'archéologie hydraulique, développée par son équipe, pour définir et comprendre ces
espaces. Cette collaboration me permettait d'aller plus en avant dans les hypothèses
émises sur les paysages d'un espace étudié depuis quelque temps, comme l'était Ibiza et
d'aborder la construction paysagère du hawz (territoire de la ville) d'une médina d'al-
Andalus (Yabisa), créée suite à la bonification d'un marais côtier, à travers le drainage et la
construction d’un espace mixte d'exploitation agricole et d'élevage.

De ces deux collaborations, et spécialement de la deuxième, provient mon


immersion dans le cadre conceptuel initié par Pierre Guichard et développé par Miquel
Barceló. Le sujet en est la définition de la société d'al-Andalus et du modèle de l'état
tributaire basé sur le cadre théorique formulé par S. Amin dans Sobre el desarrollo desigual

-68-
Archéologie des paysages

de las formaciones sociales 70, et sur l'essai introductif de M. Barceló à la traduction de cette
oeuvre à l'Espagnol.

La somme de ces influences coïncida avec les rapports scientifiques que je


développaient avec Gérard Chouquer depuis un certain temps déjà, comme j'ai déjà dit ;
mais cela ne concrétisa que durant mon activité post-doctoral au sein de l'équipe
« Archéologie et Territoires » de Tours à l'occasion du contrat de recherche effectué pour
l'analyse des formes du paysage touchées par le tracé du TGV Méditerranéen en 1995 dans
le cadre de l'archéologie préventive [titre 27] ; cela se cristallisa, par la suite, dans un projet
de recherche post-doctoral entre 1996 et 1997, financé par le Ministère de la Science et de
la Technologie espagnol et sous la tutelle scientifique de G. Chouquer.

De ce temps datent tous mes travaux en rapport avec cette ligne de recherche sur
le paysage rural et urbain et l'archéologie préventive. Et cela correspond précisément à
l'époque où se manifesta et se cristallisa la crise épistémologique de l'école de Besançon.
À ce moment-là, mon entrée dans cette discipline ne fit que réaffirmer certaines de mes
intuitions préalables, fruit du cadre géographique de mes premières recherches, comme
l'était la nécessité de comprendre les paysages dans la diachronie. Et, surtout, la nécessité
d'établir un vaste répertoire de formes basées sur la casuistique qui me permettraient de
définir les règles générales des formes agraires, leurs interrelations, leur origine et leur
fonctionnalité, pour ouvrir des lignes de recherche futures et de proposer des
problématiques alternatives que la recherche résoudrait par la suite.

Le choix de ces zones suivait un critère basé sur l'identification préalable des
formes du paysage et facilement imputable, a priori, à une société ou à une période
chronologique précise : parcellaires dans les environs d'une fondation médiévale du XIIIè
siècle ou des régions dont la documentation médiévale parleraient de forme explicite
d'interventions d'arpenteurs médiévaux ; parcellaires d'irrigation liés à des établissements
islamiques ; des centuriations stéréotypées et sans appel du point de vue de leur
aménagement formel et d'une bonne conservation des axes qui la formaient. Mais il était
aussi nécessaire d'étudier des pistes de recherche qui dévoileraient de nouveaux objets, de
nouvelles formes agraires qui pourraient augmenter le répertoire des formes inconnues et
permettraient de disposer, à l'avenir, de nouveaux modèles formels. Dans ce sens, les
résultats ont été spécialement fructueux par rapport aux formes médiévales et modernes,
spécialement riches dans le Pays Valencien, et par rapport aux formes proto-historiques
dont nous disposons, à ce jour, de certaines hypothèses qui devront être confirmés dans le

70
(S. A MIN 1974)
-69-
Archéologie des paysages

futur, comme le soulignèrent certains auteurs dans le commentaires qu’ils firent sur mon
travail 71.

Toutefois, à mon avis, les résultats les plus intéressants sont le fruit de l'analyse
de la relation entre les formes hypothétiquement anciennes et les formes agraires des
bonifications agricoles (que se soit par irrigation ou par drainage) d'époque médiévale. Pour
la première fois, dans certaines zones qui ont fait l'objet d'une étude, on a pu distinguer la
physionomie des espaces de culture de l'antiquité des espaces de culture médiévaux, et les
règles qui ont régies ces changements ; Spécialement, dans des zones où la recherche
pionnière de M. Barceló n'avait pas pu intervenir : les huertas urbaines et les plaines
côtières où se situent les villes de l'antiquité. Je crois intéressant de rappeler les mots de
M. Barceló 72 relatifs à cette problématique :

(...) toutes les recherches qui ont été faites, qui ne sont pas légion, sur les espaces ruraux d'al-Andalus
(...) indiquent de manière évidente que les paysans ont produit un espace agricole bien différent de celui
qu'il y avait avant, même en avouant la profonde méconnaissance de ce qu'il y avait avant. Mais il n'y a
pas de doute qu'il s'agisse d'un espace agricole nouveau, (...) Je n'ai jamais voulu suggérer l’absence de
champs de terrain non irrigué. Il y en a, certes, mais l'option préférentielle, celle qui détermine tant le
secteur de résidence comme les domaines de culture, les processus de travail, son volume et le régime
alimentaire est l'irrigation. Naturellement, ce nouvel espace agricole a une séquence chronologique de
formation que nous connaissons encore très mal. Nous ne savons pas non plus, comme il a été
précédemment indiqué, sur quel ordre agraire les innovateurs arabes et berbères agissent pour modifier
et créer un nouvel espace.

De cette manière, les différentes stratégies productives et d'extraction de


l'excédent des sociétés paysannes par l'État deviennent visibles, en démontrant la
différente « distribution sociale de l'eau comme de l'espace de culture qui correspond à
chaque alquería ».

Tout cela a pris forme dans le volume Las formas de los paisajes mediterráneos,
publié par l'Université de Jaén en 2002 [titre 45], dans lequel j'ai compilé tous les articles
dispersés et publiés dans différentes langues (espagnol, catalan et français) et des rapports
de recherche alors inédits, dans une proportion approximative de 50 %. C'est pourquoi
j'indiquerai toujours une double référence : celle de l'article publié préalablement et celle du
chapitre du livre où il se reproduit parce qu'il y a parfois des nuances et des changements
qui recommandent une double lecture. Par ce volume je prétendait faire un bilan d'étape,
une halte sur le chemin, qui me permettrait une réflexion sur les lignes de recherche future
devant être abordées et sur celles qui de par la distance qu'elles supposent avec ma
spécialité devraient être abordées par des chercheurs beaucoup plus compétents en la

71
(J. L. F ICHES 2002; G. C HOUQUER 2003)
72
(M. B ARCELÓ 1992 : 247-248)
-70-
Archéologie des paysages

matière. Dans un premier temps j'aborderai les principaux résultats de mes recherches: 1)
La genèse des premiers paysages, 2) Bonification :
irrigation et drainages, 3) Planification et Fondation : le
concept de régularité organique, 4) La variété des formes
médiévales et la contribution des textes de valenciens, et
5) Archéologie préventive ; une ouverture sur de futures
lignes de recherches.

LA GENÈSE DES PREMIERS PAYSAGES : FORMES PROTO-


HISTORIQUES

Le premier article dans lequel j'ai abordé la


problématique des paysages valenciens a été écrit dans le
cadre d'un congrès sur Historia y Medio Físico. Agricultura
y regadío en al-Andalus, tenu à Almería en 1995 [titre 24].
Mais ce ne fut que l'année suivante que je concrétisai
dans mon article programmatique [titre 25] les bases de mon projet post-doctoral [titre 45:
chapitre 1]. Il y était établie la priorité d'aborder les premières structurations du paysage à
l'époque protohistorique, tel que cela avait été fait dans d'autres pays d'Europe et en France
en particulier. Cela permettait d'identifier des structures agraires dont les origines
remontaient à l'époque ibérique ou punique. Mais cela permettait aussi la révision
nécessaire des anciennes études des centuriations identifiées en Espagne avec de
nouvelles perspectives tenant compte de la diachronie et de la recherche de la fonction
parcellaire qu'accomplissaient les structures agraires

Bien que le premier rapprochement ayant l'intention d'identifier un parcellaire


d'époque protohistorique se produise dans la plaine qui domine un des sites emblématiques
de la protohistoire ibérique, la Bastida des Alcuses, cette première tentative s’est révélée
infructueuse. En effet, tout paraît indiquer que les formes agraires de la plaine d'Alcuses
sont d'époque médiévale comme nous aurons l'occasion de le voir par la suite. Toutefois,
les analyses de deux autres sites d'époque ibérique, même si elles furent effectuées dans
un contexte d'identification et d'étude de formes parcellaires de type centurié, ont donné
des résultats qui permettaient d'émettre l'hypothèse de structures agraires dont l'origine
pouvait faire référence à des sociétés protohistoriques. Je n'entrerai pas, toutefois, dans le
détail de l'apport que suppose la possible structure agraire d'époque punique identifiée à
Ibiza, puisqu'elle demeure dans le domaine le plus absolu de l'hypothèse conjecturale [titre
45: chapitre VII].

-71-
Archéologie des paysages

Il s'agit des formes agraires du territoire de l'ancienne Edeta (Liria, Valencia) [titre
25: 282, fig. 1; titre 42; 45: chapitres IV et VI; titre 48: 429-439] et de celui d’Eso-Aeso
(Isona, Lérida) [fig. IV, 1] [titre 37 = 41; 45: chapitres V et VI; titre 48: 429-439], qui
présentent de nombreux points communs bien qu'ils se trouvent assez éloignés l’un de
l’autre. Comme dans la majorité des cas d'étude espagnols, les preuves de son ancienneté
sont seulement circonstanciels, la situation spatiale des établissements ibériques, certaines
ornières, bornes ibériques qui sont alignés et orientés comme la structure générale, y
compris l'orientation de la rue principale d'un établissement situé dans la plaine... . Mais il
manque encore la fouille d'une fossé, d'un chemin dont la présence de matériaux ibériques
qui permettrait d'assurer une chronologie approximative, ou du moins d'utilisation dans le
secteur concerné de la structure antique.

Au contraire, face à toutes les preuves circonstancielles, les similitudes entre les
deux cas, sur différents aspects, leur confèrent le statut de modèle. Tout deux ordonnent
l'espace qui entoure la ville (comme c’est le cas des villes ibériques) et montrent une
morphologie assimilable à celle d'un système cohérent sans toutefois manifester
l'orthogonalité rigoureuse d'un système centurié. Cependant elles offrent une métrologie
coïncidente et articulée par un module de 525 m. On pense alors à l'ancienne mesure basée
sur la coudée de 0,525 m (0,525*1 000 = 525) qui, selon Max Guy 73, ferait partie d'un
système basé sur cette même coudé, le pied de 0,35 m (⅔ de la coudée) et du pied associé
de 0,297 m, qui se trouverait à la base de toutes les mesures parcellaires depuis l'époque
archaïque jusqu'à l'adoption du pied romain vers le IIIè siècle av. J.-C., en Grande Grèce.
Un système très semblable a pu être identifié en Syrie 74. En outre, dans les deux cas, les
structures parcellaires d'époque romaine qui se superposerait au système cohérent, forment
un angle presque identique : 27º30' pour les structures d'Isona et de 28º42' dans le cas des
structures de Liria. La différence idéale entre les deux structures étant 27º33’ [titre 45: 135-
136, fig. 51] ; c’est probablement ce que les arpenteurs cherchèrent à obtenir en situation
optimale. Cette variation angulaire offre les caractéristiques d’angles semblables, construits
à partir de l’hypoténuse, que les arpenteurs romains auraient utilisés pour différencier les
structures agraires organisées par leur opération d'arpentage de celles qui existaient
précédemment ; par conséquence, une construction géométrique de parcellaires qui
entraine une plus faible utilisation de la groma 75. Ce qui n'est pas étonnant si nous tenons
compte de l'attention spéciale que prêtent les arpenteurs romains à la réalité indigène à

73
(M. G UY 1996, 188)
74
(J. L EBLANC , J.-P. V ALLAT 1997)
75
(A. R OTH G ONGES 1996)
-72-
Archéologie des paysages

laquelle ils se trouvaient confrontés, tout comme François Favory l'a mis en évidence dans
une étude récente 76. Par la suite, nous pourrons voir un autre exemple de comparaison
entre deux centuriations romaines : les perticae de Nîmes A et Orange A, dans le
Languedoc.

Toutes ces caractéristiques et spécialement la régularité métrologique observée,


doivent nous faire abandonner l'idée que, dans les deux cas, il puisse s'agir d'une forme
auto-organisée non prévue ou, ce qui est la même chose, d'un système de formation, conçu
et mis en forme récemment par les travaux de l'école d'archéogéografie de G. Chouquer 77.

Une autre structure agraire, dont les origines peuvent remonter à la proto-histoire,
est un cas que j'ai étudié dans le Languedoc : le système de la Vistrenque [titre 45: 112-
120, 131-133, figs. 22-24]. La structure est fossilisée par des grands axes formant de
grands chemins, mais dont la conservation fossile est faible dans la masse parcellaire
actuelle. cependant, contrairement aux exemples précédents, un élément archéologique
permet d'affirmer qu'au moins un axe intégré dans la structure a été fouillé et on peut
affirmer dans ce cas qu'il a été utilisé à l'époque républicaine.

Donc, bien que j'aie tenté de trouver un module métrologique qui pouvant organiser
les plus grands axes de ce système, je n'ai pu rencontrer que quelques coïncidences, que
j'estime peu significatives, également autour d'un module équivalent à 525 m, mais
seulement dans quelques zones (autour de Garons, de Bézouce ou Saint-Vincent et
Jonquières). Au moment de rédiger le rapport en 1997, (sa publication fut plus tardive)
j'affirmais que j'avais : « (...) l'impression d'une grande régularité du fait de l'existence de
structures intermédiaires qui organisent et partagent l'espace », [titre 45: 120], faisant
référence à une proposition de G. Chouquer 78 sur les structures de la proto-histoire ; et
j'affirmais que, dans ce cas, nous ne pouvions nous trouver « (...) qu'en présence de la
seule charpente de base du réseau, la voirie. La faiblesse des surfaces concernées par ce
réseau pouvait le démontrer » [titre 45: 132].

À leur tour, ces constatations servaient mes réflexions au sujet des possibles
morfogèneses d'un système cohérent [titre 45: 141-146; fig. 31, 2]:

76
(F. Favory 2003)
77
(G. C HOUQUER 2003 ; C. L AVIGNE 2003 ; C. M ARCHAND 2003)
78
(G. C HOUQUER 1996 : 203) : « (...) réseaux protohistoriques lentement réifiés, par développement
progressif et assemblage des blocs et quartiers parcellaires. Ce développement a sans doute été
favorisé par le tracé de quelques axes principaux, pouvant servir de charpente à cette lente
organisation du parcellaire. »
-73-
Archéologie des paysages

La construction spontanée de différents réseaux, non préconçue, dans différents terroirs d'un même
finage (...), avec des espaces intermédiaires non cultivés. La cohérence géographique ou la « géométrie
naturelle de l' espace » feront le reste, et donneront lieu à une structure, qui fonctionne en réseau,
partageant des éléments communs, par exemple, les chemins, mais qui n'a jamais été conçue comme
telle. Notre recherche au sud de Marrakech, où la régularité du parcellaire d'irrigation s'étend à travers
différents territoires tribaux ; ce que peut aussi illustré l'aspect d'« îles » des différents blocs parcellaires
du système de la Vistrenque.

Ce qui annonçait, avant la lettre, les concepts de formes auto-organisées, non


planifiées, ou ce qui revient au même, d'un système de formation, concept associé dans un
premier temps à mon concept de régularité organique 79 :

La régularité organique des parcellaires de formation. (...) Ces différentes contraintes imposées par le
milieu, à l’homme, se sont posées à toutes les époques et aboutissent à la formation de parcellaires
marqués par une forte régularité organique (GONZALEZ 1996). Cette régularité peut être confondue
avec la régularité modulaire des parcellaires de fondation du Moyen Âge aux formes, parfois, aussi
souples et ductiles.

Bien que plus tard l’harmonie des concepts passerait à l’oubli, sans aucune
explication (je reviendrai plus en avant sur ce thème), il lui fut substitué le concept de
planification discrète 80.

(...) c’est l’émiettement et l’adaptation souple des champs à la topographie, à l’hydrographie et aux
chemins préexistants, que la régularité des formes issue d’une quelconque grille modulaire. On parlera
donc de planification discrète par mitages parcellaires. Le terme de discret est employé ici, à la fois, dans
son sens coutumier, c’est-à-dire qui se montre peu et qui est donc difficile à voir, mais aussi dans son
sens mathématique, où discret veut dire discontinu. Cette planification est discontinue puisque aucune
trame d’ensemble n’assure la continuité géométrique de l’espace.

En définitive, les différentes observations et les nuances que l'on trouve entre les
cas qui ont fait l'objet d'analyse, en Espagne et en France, offrent deux propositions
complètement différentes quant à leur origine et planification. D'un côté, une possible
planification dans les exemples ibériques, peut-être simultané avec l'apparition de
structures à pouvoir fort, et, d'un autre, de la formation d'une structure agraire qui ne ferait
pas l'objet d'une planification, mais d'une formation, en intégrant différents îlots dans un
espace géographique marqué par des axes linéaires qui le structurent, en donnant lieu à
une structure discontinue qui se (ré)crée au fil du temps. Mais, d'autre part, ils
accomplissent des fonctions semblables, puisque dans tous les cas les principales lignes
qui organisent l'espace, se concrétisent comme chemins creux qui ont une fonction
drainante qui évitent l'érosion et la disparition des sols.

CENTURIATIONS ROMAINES

79
(C. L AVIGNE 1997 : 155-156)
80
(C. L AVIGNE 2002 : 151)
-74-
Archéologie des paysages

Quant aux structures centuriés j'ai effectué une triple tâche. Dans un premier
temps, une révision des hypothèses de centuriations émises depuis le milieu des années 70
me paraissait nécessaire et indispensable, puisqu'elles étaient difficilement soutenables ;
en même temps, cela permettait d’éviter la confusion entre centuriations et parcellaires
médiévaux. Dans un deuxième temps, j’identifiais de nouvelles structures centuriées qui
organisent le territoire et qui étaient passées inaperçues, probablement parce que la
recherche ne s’était exclusivement centrée que sur les colonies romaines. Finalement, je
creusais les dossiers de centuriations bien connues du sud de la France, concrètement
dans la région des Costières de Nîmes, où le registre archéologique est particulièrement
riche, tant par la présence indiscutable des marbres d'Orange (Orange A) qui permettent
d'avoir la certitude du siège et de l'extension de la pertica, tant par la production scientifique
de résultats dérivés de la fouille d'éléments matériels de la structuration des champs
d'époque antique. Cette circonstance a supposé une évolution dans l'interprétation et la
compréhension organisatrice d'une structure centurié qui ne me permettrait jamais l'étude
des perticae hispaniques en général et de Valence en particulier (probablement à
l'exception d'Elche), dont les résultats dans ce sens sont encore loin d’être satisfaisants.
C'est là un aspect qui, comme on le verra plus loin, influence de manière décisive
l'archéologie des paysages qui peut être effectuée en Espagne.

Quant à la révision d'anciennes hypothèses, elle a entrainé la production de


nouvelles interprétations sur les formes agraires du moyen âge, comme on le verra le
moment venu. Un exemple singulier est offert dans le secteur de la région de Castellón:
des centuriations ont été proposées autour des villes de Castellón 81 et Villarreal 82
[titre 45:
chapitre VIII, figs. 58-60] alors qu’il s’agit en fait de parcellaires agraires qui ont
accompagnés les fondations de Jacques Ier au XIIIè siècle. Un autre exemple, que j'ai pu
évaluer, se situe dans la vallée du Genil à Grenade, près de Pinos Puente, où la présence
d'une centuriation romaine avait été défendue 83 ; je n’y ai vu pour ma part que des champs
d'irrigation créés probablement à l'époque islamique. Enfin, la Huerta de Murcie est une
autre zone à laquelle j’ai consacré du temps afin de confirmer ou réfuter les hypothèses
émises sur les centuriations romaines 84. Ce qui m'a permis d'approfondir mes
connaissances sur un paysage agraire lié à la fondation de la ville au cour de l'année 825

81
(A. L OPEZ G OMEZ 1974)
82
(A. B AZZANA 1978 ; 1984)
83
(M. C. OCAÑA 1974 : 189-192)
84
(V. M. R OSSELLÓ , G. M. C ANO 1974)
-75-
Archéologie des paysages

et, par conséquent, à la création de l'espace agraire environnant le hawz de la médina de


Murcie [titre 45: chapitre XI].

LE DOSSIER ILICI (ELCHE)

Une autre centuriation revisitée est celle de l'oppidum ibérique d'Helike, qui
deviendra la colonie d'Ilici. Cette colonie mérite une brève notice biographique de la
recherche effectuée sur la structure centuriée. La conservation excellente des limites
principales de la centuriation a fait ainsi du paysage d'Elche un des plus analysées et
étudiées d'Espagne. Publiée dans un premier temps par García y Bellido 85 , Gozálvez Pérez
en proposa une grille et une planimétrie deux années plus tard, bien considérés et acceptés
pratiquement jusqu'à nos jours, bien qu'en 1976, R Corzo ait corrigé légèrement la
proposition de Gozálvez en proposant une alternative légèrement différente. J.-G Gorges
intégra ensuite ces deux hypothèses dans une approche éclectique entre les deux
hypothèses, proposant l'existence de deux centuriations avec un degré angulaire de
différence et qui pourraient être datées de l'époque d'Auguste et de Tibère (et non de César
et d'Auguste comme j'ai confondu en 1996 et 2002 [titre 25: 158; titre 45: 437]) par le
changement de légende qui apparaît dans les séries monétaires des deux empereurs :
(Colonia Caesarina Ilici Augusta) et C.I.IL.A. (Colonia Iulia Ilici Augusta) 86, toutefois, il est
certain que le développement de l'abréviation des émissions monétaires est un problème
qui n'est pas encore définitivement réglé 87.

Les propositions formulées nous orientent vers l'hypothèse d'une colonie


triumvirale, fondée autour des années 43-40 av. J.-C. Période à laquelle correspondrait la
première émission monétaire postérieure à 42 av. J.-C., (monnaie 1, [fig. V, 1-1]). Une
deuxième deductio augustéenne (ca. 26 av. J.-C.) probablement commémorée par une
émission monétaire avec des emblèmes légionnaires et la légende AUGUSTUS DIVI. F
postérieure a 19 av. J.-C., et la légende C.C.IL.A., (monnaie 2, [fig. V, 1-2]), moment qui
coïncide avec la date d'une inscription dans laquelle apparaît un personnage, T. Statilius
Taurus, patrono, qui pourrait être identifié avec le legs d'Auguste qui a dirigé au 29 av. J.-C.
la guerre contre les Vacceos, Trévires, Cantabres et Astures, et avec le patron chargé d'une
nouvelle déduction de vétérans à ce moment-là. Une dernière émission augustéenne (ca. 12
av. J.-C.) avec le temple de Juno au verso et la légende C.I.IL.A., (monnaie 3, [fig. V, 1-3]).

85
(A. G ARCÍA Y B ELLIDO 1972)
86
(J. G. G ORGES 1983 a et 1983 b)
87
(M A M. L LORENS 1987 : 8-9; A. M ARQUES DE F ARIA 1999 : 34-35)
-76-
Archéologie des paysages

Récemment, G. Alföldy 88 a habilement combiné les données dérivées de la


numismatique, de l'épigraphie, et aussi de la tabula de bronze qu’il place dans une seconde
deductio augusteenne, pour arriver aux conclusions suivantes :

En résumant toutes les observations proposées, nous pouvons maintenir l'hypothèse selon laquelle la
fondation de la colonie d'Ilici n'a pas eu lieu en une seule fois. La colonie s'est établie, comme une
colonie Iulia et probablement déjà en ce temps comme une colonie immunis, entre 49 et 42 av. J.-C.,
peut-être déjà liée au licenciement de vétérans par César après ses victoires en Hispania durant les
années 40 et 46 et peut-être durant l'année 47. Toutefois, il est beaucoup plus vraisemblable que la
colonie ait été fondée peu de temps après le décès du dictateur, probablement en accord avec ses
plans, par ses successeurs, et très probablement au cours de l'année 42 av. J.-C. Pendant la principat
d'Auguste, pas avant 27 et probablement autour de l'an 26 av. J.-C., à un moment des guerres contre les
Cantabres et les Astures au nord-ouest de la Péninsule Ibérique, où la situation militaire a permis le
licenciement de légionnaires, ou comme plus tard, aux environs de 19 av. J.-C., quand ces guerres
terminèrent, une seconde déduction de vétérans eut lieu à Ilici. Grâce à cette réorganisation, la colonie
ilicitaine assuma aussi l'appellation d'Augusta ; sous la forme d'une contributio, le conventus civium
Romanorum d'Icosium fut incorporé à la communauté ; et au même moment la ville a probablement reçu
aussi l'Italicum ius.

En 1994, dans un article où ils révisaient les différentes hypothèses sur les
structures centuriées hispaniques, E. Ariño, J.-M. Gurt et M.-A. Martín-Bueno croyaient déjà
difficile d'accepter l'existence des deux structures, tel que le proposait J.-G. Gorges, avec
aussi peu de différence angulaire ; toutefois, ils reprenaient à leur compte l'argument réitéré
de la coïncidence des canaux d'irrigation et la grille centuriée comme argument probatoire
de la contemporanéité des deux structures agraires 89 , comme l'avait fait à l'époque
Gozálvez Pérez.

Au cours de la même année, une partie de ces auteurs, et d'autres 90, proposaient
dans un article le concept de « stratigraphie du paysage » et reconsidéraient quelques
exemples de cadastres hispaniques. Voyons quelques aspects dont a profité cette révision
de la pertica d’Ilici.

Pour commencer, ils ont distingué pour la première fois l'existence de deux
structures agraires, en plus de la structure orthogonale identifiée au préalable avec la
centuriation ; ils ont formulé l'existence d'une structure radiale qui affecte tout le « campo
d'Elche », dont l'actuelle ville d'Elche (fondée à la fin du Xè siècle) est le pôle d'attraction;
tandis que la centuriation a fondamentalement été identifiée près de l'Alcudia, la ville
antique. Au moyen de méthodes de traitement numérique non explicitées, ils ont formulé
une séquence chronologique relative qui attribuait une plus grande antiquité à la structure

88
(G. A LFÖLDY 2003 : 44-45)
89
(E. A RIÑO , J. M. G URT , M. A. M ARTÍN B UENO 1994 : 318)
90
(E. A RIÑO , J. M. G URT , A. DE L ANUZA , J. M. P ALET 1994 : 204-207)
-77-
Archéologie des paysages

centuriée, tandis que ce qui est radial serait d'époque médiévale, datation que confirme
notamment la confluence des chemins vers la ville de création médiévale.

Plus tard, en 1996, une partie des auteurs de l'article précédent 91 publièrent une
révision dans laquelle ils insistent sur la chronologie relative des deux structures, en se
basant sur l'existence d'un seul cadastre romain, et non de deux, orienté à 7,5º
sexagésimaux par rapport au nord géographique et un module de 20*20 actus équivalents à
un carré de 710 m de côté, étant la pertica plus étendue que ce qui avait été admis avant.
Quant à la structure radiale centrée sur la ville d'Elche, elle se superposerait et éliminerait
« le cadastre orthogonal, qui à partir de l'établissement de ce second aménagement de
l'espace, a perdu sa fonctionnalité précédente, en s'adaptant à la nouvelle structuration ».
Cette affirmation permet de déduire que ces auteurs datent la structure radiale de la fin du
Xè siècle, moment de la fondation de la ville d'Elche à son emplacement actuel.

La découverte dans l'Alcudia en 1996 d'un bronze [fig. V, 4], probablement une
sortitio de la déduction, fit jaillir les interprétations quant à cette déjà célèbre centuriation,
bien qu'elles n'aient pas été accompagnées de nouvelles études morphologiques. Les
auteurs recoururent aux grilles traditionnels, cependant il me parait indispensable de
procéder à une analyse morphologique détaillée afin de pouvoir définir l'emplacement
théorique sur les terres auxquelles le document fait allusion.

Quand J.-J. Chao, J.-F. Mesa et M. Serrano publient pour la première fois la tabula
de bronze en essayant de situer l'emplacement des terres auxquelles fait allusion
l'adsignatio, ils tombent dans l'erreur, comme J. Corell 92, de traduire l'expression sicci ivc
cxxx de la première phrase par 130 jugères de terrain non irrigué (secano), quand, en
réalité, la tabula d'Elche nous parle de 130 jugères asséchées, comme j'en ai moi-même
déjà apporté la correction [titre 45: 440] ainsi que d'autres auteurs 93 qui se sont penchés sur
ce document. C’est pour cela qu’ils essayèrent de placer les terres distrbuées dans la
tabula sur les terrains traditionnellement non irriguées (secano).

Pour Corell la datation de l'inscription se situerait, selon les critères épigraphiques


de la tabula, entre les trente et les quarante dernières années du Ier siècle av. J.-C., c’est-
à-dire à l'époque triumvirale, au moment où la ville acquière le rang de colonie ; d’un autre
coté, l'assignation de la tabula correspondrait à la seconde déduction d'époque
augustéenne de la colonie.

91
(J. M. G URT , A. DE L ANUZA , J. M. P ALET 1996)
92
(J. C ORELL 1999 : 63-67)

-78-
Archéologie des paysages

Les travaux d'interprétation cadastrale les plus intéressants ont été effectués, d'un
côté, par M. Mayer et O. Olesti, et de l'autre par J.-Y. Guillaumin. Cependant, ils
commettent l’erreur de vouloir, comme je l'ai dit, intégrer les terres dont nous parle la tabula
dans un terrain qu'ils ne connaissent pas et sur lequel ils n'ont effectué aucune recherche
nouvelle quant à la morphologie agraire, ce qui me paraît indispensable aux vues des
nouvelles données.

M. Mayer et O. Olesti assimilent le document de bronze à une forma ou un liber


aeris lui conférant ainsi l’aspect de résultat d'un tirage au sort, sortitio, des terres entre les
colons. Le tirage au sort serait le résultat d'une division en trois parties égales, trifinium, du
cadre centurial et la distribution de cette subdivision interne en une décurie de dix colons
recevant un lot de 6,5 jugères dans chaque centurie affectée (dont 13 jugères au total), en
mettant en rapport cette subdivision avec une adaptation de la conternatio citée par Higin
Gromatique 94 , où le tiers de la centurie est le module qui sert à attribuer la terre à chaque
decuria, et non à chaque colon. Les auteurs interprètent de manière adéquat la mesure et
arrivent à la conclusion que les 10 jugères restantes non assignées sont les limites inter-
parcellaires entre les dix parcelles plus les passages qui demeureraient non assignées de
catégorie subcesiva.

Par ces critères Mayer et Olesti essayent de placer les lots sur le terrain, et c'est là
qu'ils commettent une grosse erreur. Ils ont pris le parti d'identifier comme cardo et
decumanus maximus les axes proposés par Gorges (d'après Corzo) qui se croisent au sud-
est de la ville et, orientant avec le nord la partie supérieure du fragment de bronze ils
situent les 130 jugères sous la ville d'Elche, « dans une zone qui coïncide avec la limite
entre le territoire plat et l’amorce des premières élévations de la montagne voisine ».

À vrai dire, je ne suis pas parvenu à comprendre précisément ce que veulent


affirmer les auteurs dans leurs articles respectifs quant à la situation de la sors représentée
sur la plaque de bronze ; je crois surtout qu’ils entre dans de profondes contradictions.
D'une part, ils ne croient pas que sicci puisse se traduire par terrain non irrigué (secano),
mais sinon par terrains drainés et séchés, et d'autre part ils proposent de situer la tabula
dans le piémont de la montagne d'Elche, où il n'existe aucune possibilité que les sols aient
jamais demeurés en régime d'hydromorphie.

À notre avis, la référence à ces terres sicci permet de supposer l'existence de terres irriguées ou, plus
sûrement, drainées (la non-existence d'une pratique implique l'existence de l'autre), ce qui coïncide

93
(M. M AYER , O. O LESTI 2001 : 128; M. M AYER , O. O LESTI 2002 ; J. Y. G UILLAUMIN 2002 : 117 et note
10)
94
(H IG . G ROM ., 163, 2-14 Th = 200, 3-14 La).
-79-
Archéologie des paysages

précisément avec les secteurs mieux conservés du cadastre, autour du noyau urbain de l'Alcudia (nous
devons rappeler que le site est entouré de petits cours d'eau). Ceci coïncide avec les données
morphologiques, car, comme nous avons indiqué, il y a divers canaux de drainage et / ou d'irrigation qui
suivent l'orientation générale du cadastre et même coïncident avec sa métrique [note 34 : R. Ramos, El
Elche de hace 2.000 años. Elche, 1994, p. 43]. Cela nous rapprocherait du sens original du terme
traiectus, qui ferait référence à des passages sur les cours d'eau, dans ce cas canaux de drainage.] (...)
Il est convenu que le tronçon final de la rivière Vinalopó présente des problèmes de drainage, de sorte
que le cadastre a probablement été une méthode pour mettre en exploitation de nouvelles terres (...).
Les terres non irriguées (secano) contrastaient avec celles plus proches à la ville, probablement
récupérées à ce moment-là.95

Il est possible que les terres mentionnées aient correspondu à des espaces gagnés sur les marécages et
le delta de la rivière pendant la procédure de cadastration, avant le tirage au sort.96

Ce paragraphe mérite une explication. Il est certain que sicci doit se traduire par
séchés ou drainés mais il ne peut exister de terres drainées qui soient en même temps en
opposition avec d'autres de terrain non irrigué (secano). Sicci signifie la même chose que
terres drainées. Par conséquent, l'explication des auteurs se perd dans un labyrinthe qui
vise à ne pas entrer en contradiction avec la situation erronée de la tabula sous l'actuelle
avenue de la Libertad d'Elche, entre les limites formées par la rue José María Buck au sud,
et la place de Barcelone au nord. Comme je l'ai déjà dit, les jugères assignées sont d'une
terre qui se trouvait dans un terrain marécageux qui aurait été préalablement drainé [titre
45: 439-440], ce qui concorde avec l'affirmation de J.-Y. Guillaumin 97. En définitive, là où
Mayer et Olesti placent la tabula ilicitana il ne peut pas y avoir de terres de ces
caractéristiques-là, ce qui les conduit à critiquer un concept qu'ils ne peuvent qu'admettre,
car enfin, il suffit de retourner la carte pour que les choses aient du sens.

C'est ce que fait J.-Y. Guillaumin. Il ne s'agit probablement pas seulement d'un jeu
intellectuel comme il le soutient dans la note 3 de son étude : en optant pour l'option 4 de
l'hypothèse 1 il situe dans un vieux document cartographique (celui de Gozálvez Pérez et
pas un autre, pour clarifier les doutes exprimés par l'auteur) la situation des assignations du
document de bronze, très près déjà des sols hydromorphes qui entourent l'actuelle lagune
du Fondo ; plus concrètement il s’agit d’une zone connue comme la Foia, la dépression, le
bassin. Bien que Guillaumin le fasse dans un document proposé par Gozálvez Pérez en
1974, avec le système de coordonnées formulé par R. Corzo en 1976 et intégré dans la
position éclectique de J.-G. Gorges 98.

95
(M. M AYER , O. O LESTI 2001 : 128-129)
96
(M. M AYER , O. O LESTI 2002 : 1T6A)
97
(J. Y. G UILLAUMIN 2002 : 117 et note 10)
98
(J.-G. G ORGES 1983 a et b).
-80-
Archéologie des paysages

En 1997, en tant que membre de la section scientifique de la Casa de Velázquez,


j'ai sollicité le financement pour l’analyse la pertica d'Ilici (La pertica de Elche y su
transformación en regadío), en offrant une avance des résultats dans la publication de 2002
[titre 45: 437-442, figs. 96-101]. Les résultats principaux sont les suivants.

L'hypothèse des deux cadastres romains ayant un degré de différence ne peut être
soutenue. Il n’y en a qu’un et serait orienté à NG-8ºE : on trouve des traces de son
existence dans toute la feuille 1 : 50 000 (893-Elche) qui a comme centre approximatif la
ville d'Elche. Loin de s'agir d'un cadastre de dimensions réduites, il semble que non
seulement on le trouve dans la zone classique autour du site de l'Alcudia, mais on peut
aussi apprécier ses vestiges à l'est, dans le fondet de Sant Pere, au nord-est, à Altabix et à
Vallonga, à Crevillent, entre la ville et la lagune, et, au nord de la Montagne de Crevillent.
Pour la première fois nous bénéficions d’une cartographie complète de la pertica et d’une
analyse morphologique détaillée du secteur central de celle-ci.

L'existence de la centuriation, indéniable de par la conservation de ses structures


intermédiaires, est largement « dépassée » par la conservation d'une autre structure,
cohérente, avec des axes transversaux par rapport aux courbes de niveau. Il s'agit de la
structure radiale proposée par Ariño et d’autres auteurs en 1994 ; dans un premier temps je
l'avais assimilé à l'irrigation traditionnelle, plus tard à celle du débuts du siècle XX créé par
la compagnie Riegos de Levante, et en 2002 j'ai formulé la proposition selon laquelle on
pouvait aussi l'interpréter comme étant une structure dont l'origine remonte à la proto-
histoire. Cependant, il nous manque les données qui confirmeraient ces hypothèses. Mais,
comme on le verra plus loin, il est aussi probable qu'il ne s'agisse d'aucune de ces
propositions ou de toutes à la fois.

D'autre part, j'ai rejeté la traduction sicci = terrain non irrigué (secano) des éditeurs
de la tabula et lui ai préféré celle de « asséché », « drainé ». Et j'ai intégré l'analyse
détaillée du parcellaire dans une argumentation qui interprétait la vieille problématique de
l'origine de l'irrigation à la lumière des différentes stratégies qui président aux formes
sociales d'organisation des espaces productifs et des secteurs de résidence 99, en obtenant
des résultats très intéressants.

D'abord, la zone située au sud de l'Alcudia n'a pu être irriguée suivant les
méthodes traditionnelles avant le début du XXè siècle, ce qui fait que la coïncidence entre
canaux d'irrigation et centuriation n'explique aucune chronologie relative ; de plus, il ne
s'agit que d'infimes coïncidences. Comme à Valence, la structure des canaux d'irrigation et

99
(M. B ARCELO 1992 : 248)
-81-
Archéologie des paysages

la grille centuriée ne coïncident pas. Le site de la nouvelle fondation à l'époque islamique


n'est autre que la matérialisation physique du principe formulé par M. J.-C quand il affirme
que l'option préférentielle qui détermine tant le secteur de résidence comme les terres de
culture, les processus de travail, son volume et le régime alimentaire, est l'irrigation. La
nouvelle ville islamique abandonne la situation de l'antique Ilici (l'Alcudia) parce qu'il est
impossible de placer les champs arrosés à cet endroit-là. L'oasis-palmerai et la nouvelle
ville sont la même chose, tandis que la centuriation et la bonification des marais qui occupe
le Campo d'Elche forment une réalité spatiale et sociale bien différente. On ne peut donc
pas maintenir les vieux clichés sur l'irrigation, leur origine romaine et les centuriations.

D'autre part, la proposition de Guillaumin quant à l'emplacement du fragment de


bronze avec l'assignation m'a forcé à tenter de vérifier la solidité de cette emplacement par
rapport aux analyses morphologiques effectuées, en le plaçant dans la zone où l'affirme
l'auteur (beaucoup plus cohérente avec le terrain que la proposition de Mayer et d'Olesti)
mais avec le système de coordonnées de la centuriation proposé dans ma propre révision
de la pertica d'Ilici et une photographie aérienne qui contient plus d'information qu'une carte
topographique. Si la localisation s'avère correcte, et les lots assignés ont été réifiés sur le
terrain, la morphologie du terrain devrait donner, tout au moins, quelque indice sur cette
division si spécifique (trifinium) malgré la forte empreinte du système « radial » dans la
zone.

Pour cela j'ai choisi les quatre centuries [fig. VI, 1] qui se trouvent dans les
environs de la zone proposée par Guillaumin. L’identification qu’il donne du cardo et du
decumanus maximus ne repose que sur de simples déductions (les mêmes que les autres
auteurs qui s'en sont occupés) motivées par la forte empreinte des axes dans le terrain, et
non sur connaissance dérivée d’un document épigraphique ni sur la topographie comme
c'est le cas pour les marbres d'Orange.

Les résultats sont donc suggestifs, car dans un secteur clairement marqué et
influencé par le système radial, on observe une faible conservation des axes principaux de
la centuriation (contrairement à ce qui est fréquent dans la pertica ilicitana) à l'exception du
cardo II, qui est fortement attirée et déformé par le cardo mineur (k 2,1), qui divise la
centurie en dix parcelles. D'autre part, malgré la disparition presque absolue de K III, autour
de l'axe théorique on conserve une importante empreinte de parcelles orientées par rapport
à l'orientation dominante de la centuriation, spécialement en DV KIII et DV KII et un peu
moins en DIIII KII. C'est comme si la disparition dans ce cas avait affecté la limite plus
grande, tandis que les petites parcelles ont été conservées dans une plus grande mesure.
Finalement, et en opposition claire avec cette constatation, quelques tronçons des limites
intercisivi sont effectivement conservés, subdivisant la centurie en trifinia. Il faut souligner

-82-
Archéologie des paysages

les 284 m restants, conservés sous forme de limites parcellaires du second decumanus
mineur de DIIII (d 4,2) et les 426 m restants du second decumanus de DV (d 5,2), ce qui
conduit à penser que la proposition de Guillaumin peut être jugée assez satisfaisante, au
moins quant à la zone proposée [figs. VI, 3 et 4].

Je ne voudrais pas conclure sur l'espace consacré à Elche sans faire au préalable
une référence au système radial. Au cours de l'année 2002 j'ai exprimé mes doutes et suis
arrivé à formuler comme hypothèse de travail que les manifestations parcellaires se formant
avec une orientation comprise entre NG-9º-40ºW devaient remonter à l'antiquité, peut-être à
la proto-histoire parce qu'elles étaient aussi fortement en rapport avec le site de l'Alcudia
[titre 45: 438].

Mon appréciation est donc différente des analyses effectuées par Ariño et d'autres
ainsi que Gurt et d'autres 100, dans lesquelles ils défendent la postériorité de cette structure.
Bien qu'une bonne partie des trajets coïncidant avec cette orientation vont en direction de
l'actuelle ville d'Elche (fondation du Xè siècle) il n'en est pas moins sûr que certains de ces
trajets intégrants la même structure se dirigent vers le site de l'Alcudia, dont l'origine
néolithique et ibérique est certaine et qui subsiste, tout au moins, jusqu'à la fin du VIIIè
siècle apr. J.-C. Par conséquent, si on considère qu'il s'agit d'une structure créée par une
société déterminée, on ne peut avancer une date postérieure à la fondation de la ville
d'Elche, et oublier les chemins qui se dirigent aussi vers l'établissement antique.

Grau et J. Moratalla allaient dans le même sens dans leur étude sur le Poblamiento
ibérico en el Bajo Segura 101, en identifiant l'un de ces chemins comme une ancienne voie
entre l'établissement ibérique de l'Alcudia et celui contemporain d’El Oral. L'affirmation de
ces auteurs se base sur les arguments suivants.

1. L'existence d'une draille d'élevage joignant Elche à Guardamar, qui passant par le
site d'El Oral laisse l'empreinte d'anciennes ornières l’orientation approximative NW-
SE coïncide avec le système radial et avec les trajets que j'ai précédemment décrits.

2. Dans le district de La Foia on trouve la structure centuriée et la structure radiale


(bien que sans disposer d'éléments morphologiques qui permettent d'assurer la
datation relative de ces deux structures) qui, selon eux, seraient anciennes.

3. Dans la zone d'El Plantío, à un kilomètre au sud-est de l'Alcudia, il existe une


parcelle orientée comme la draille d'élevage et qui est « coupée » par un decumanus

100
(E. A RIÑO , J. M. G URT , A. DE L ANUZA , J. M. P ALET 1994 : 204-207 ; J. M. G URT , A. DE L ANUZA , J. M.
P ALET 1996)
101
(I. G RAU , J. M ORATALLA 2001 : 183-185)
-83-
Archéologie des paysages

du cadastre romain. Comme le vallon se dirige vers le site ancien et le rejoint au


niveau du site d'El Oral, les auteurs cités osent suggérer l'utilisation du chemin et de
la parcelle dans la période Ibérique antique.

En ce qui me concerne, j'émettrais des objections sérieuses à certains des


arguments précédents. D'abord le manque de rigueur de l'analyse morphologique, en allant
de l'échelle utilisée pour l'analyse détaillée d'une parcelle (comme celle façonnée dans la
publication définitive et qui masque la réalité de certaines des affirmations) jusqu'à la
réalisation d'une analyse morphologique basée exclusivement sur deux éléments du
paysage, une parcelle et un chemin, ce qui appauvrit les résultats obtenus. Si, à partir d'une
seule parcelle, les auteurs proposent une parcellisation préromaine (sic), cela conduit les
auteurs à ignorer d'autres chemins qui prennent la direction de l'Alcudia et ceux qui se
dirigent vers la ville d'Elche, avec une orientation semblable dans les deux cas.

Mais le plus significatif est l'argumentation selon laquelle une parcelle est divisée
par un decumanus de la centuriation, s'agissant-là probablement d'un problème dérivé de
l'échelle utilisée pour l'analyse. En l'augmentant nous obtiendrions une vision bien différente
[fig. V, 2 et 3]. En effet, la parcelle n'est pas rectangulaire comme elle nous est proposée et
comme nous pouvons l'observer sur l'illustration, où la parcelle rectangulaire idéale (en
jaune) est prolongée au nord du decumanus et ne coïncide pas avec les limites de la
parcelle réelle (en rouge). En outre, la parcelle située au sud et la parcelle située au nord
du decumanus de la centuriation présentent un emplois agricole diversifié : il s'agit d'une
culture arbustive dans la parcelle nord, tandis que dans le sud, même si on ne le distingue
pas très bien, il ne s'agit pas du même type de culture. Il ne s'agit donc pas d'une parcelle
coupée par le decumanus, mais de deux parcelles des deux côtés d'un chemin, dont les
extrémités coïncident partiellement créant ainsi un effet de continuité et non de rupture.

Deuxièmement, il convient de se s’intéroger sur l'antiquité de ce chemin en


question en se basant sur le point de départ ou d'arrivée au site de l'Alcudia de ce dernier.
En effet, si celui-ci précède la structure centuriée, pourquoi s'arrête-t-il au cardo de la
centuriation ? S'il est plus ancien que la structure centuriée il faut se demander pourquoi,
précisément, un élément de cette dernière est l'extrémité finale du trajet et celui-ci ne suit
pas « au-dessous », comme c’est le cas dans les centuries précédentes, quand « il
traverse » diverses limites de la centuriation.

Pour cela cette structure mérite d'être définie plus précisément. Sur la figure [fig.
VI, 2] on apprécie clairement comment plusieurs chemins se dirigent vers La Alcudia et
s'arrêtent aux angles des cadres de centurie. Comme je l'ai déjà signalé en son temps, ces
grands alignements, qui prennent la direction tant de La Alcudia (dans une moindre mesure)
comme d'Elche, sont perpendiculaires à la pente du terrain, tandis que les lignes
-84-
Archéologie des paysages

transversales sont parallèles aux courbes de niveau. Ces lignes transversales représentent,
du nord au sud, plusieurs trajets : (1) le premier est l'ancien chemin qui conduit d'Elche à
l'Altet ; le deuxième (2), double, se dirige ou passe au sud de l'Alcudia, ce sont d'une part
les canaux d'El Progreso (créé en 1906) et d'autre part, la 2 e Déviation d'Elche de Riegos
de Levante (créés entre 1918 et 1922 à l'aide du capital de la banque française Dreyfus) 102 ;
le suivant (3) est la 1 e Déviation d'Elche de Riegos de Levante ; finalement, le dernier trajet
(4), partiellement doublé aussi, n'est autre que le chemin qui se dirige vers le sud, touchant
les zones de marais, vers Santa Pola (l'ancien Portus Ilicitanus). Tandis que les trajets
perpendiculaires sont des voies et des chemins allant, soit vers l'Alcudia (a et b), soit vers
Elche

On peut donc affirmer que tous les trajets réunis donnent une impression de
structure identifiable, avec des ensembles parcellaires isoclines bien qu'ils ne forment pas
une structure cohérente, qui se crée avec le temps, parce que nous avons la certitude que
certains de leurs éléments datent de périodes précédentes, tandis que d'autres sont issus
de l'adaptation au terrain d'infrastructures d'irrigation d'époque récente ; une
(ré)construction qui est sédimentée dans le paysage et qui augmente au fil du temps. En
définitive, je crois que l'explication de tout cela réside dans ce qui a été défini comme trame
parcellaire auto-organisée 103.

Cependant, malgré toutes ces considérations, il me semble que l'on peut aussi
proposer, en guise d'hypothèse, l'idée que la structure centuriée se superpose à une
structure (encore insuffisamment définie) sans la transformer complètement, du moins dans
certains secteurs de la pertica. L'exemple de la centuriation de Salonae-Tragurium dans la
péninsule de Split (Croatie) pourrait être un élément de comparaison. La centuriation
étudiée par John Bradford et analysée par G. Chouquer 104, au moins pour un secteur, se
matérialise exclusivement dans ses limites majeures, tandis que la trame parcellaire est
fortement déterminée par le relief, étrangère à la grille centuriée.

En résumé, les formes du paysage d'Elche offrent un éventail de possibilités qui


méritent d'être énumérées :

1. On ne peut refuser l'idée que certains alignements de la structure orientée NG-9º-


40ºW prennent leurs origines à l'époque antique (voire proto-histoire ou antiquité au

102
(A. G IL O LCINA 1968 : 541-549 et fig. 6)
103
(C. M ARCHAND 2003 : 102-111)
104
(J. B RADFORD 1957 : 187-188, pl. 45; G. C HOUQUER 2000 : 142)
-85-
Archéologie des paysages

sens large), origine qu'il faut confirmer par la fouille des structures fossiles comme
les fossés, les chemins ou les limites parcellaires.

2. Contrairement à l'avis de mes collègues catalans, la pertica d'Ilici est plus grande
que ce qu'a proposé Gozálvez Pérez en 1974, du moins, ses manifestations
parcellaires sont-elles étendues sur tout le Campo d'Elche.

3. Rien n'est clarifié en ce qui concerne la chronologie de la, ou des déductions par
rapport aux anciennes exploitations dispersées dans la campagne d'Elche ou sur le
façonnement de ces structures au sol.

4. Toutefois, le dossier d'Elche apporte des éléments tranchants sur certains thèmes
qui, dûment analysés depuis différentes disciplines, peuvent aider à éclaircir
quelques questions d'importance comme celle de la fonction drainante des
centuriations (et en corollaire l'abandon du stéréotype sur l'origine de l'irrigation en
époque romaine), l'existence de deux possibles assignations (témoignages
épigraphiques et numismatiques) dans une ville ibérique antique, et la connaissance
du patron de l'assignation.

5. Mais le paysage du Campo d'Elche offre de grandes possibilités pour comprendre


les transformations médiévales dues aux conditions extrêmes d'aridité dans
lesquelles se développe l'agriculture dans cette zone. Les limitations de l'irrigation
traditionnelle ont forcé le transfert de l'ancienne ville au nouvel emplacement et la
différente organisation sociale de l'espace autour de ville ancienne et de la ville
médiévale respectivement.

6. En dernier lieu, et comme fait original par rapport à d'autres contributions, je crois
avoir formulé une hypothèse de travail valable, laissant en arrière les conjectures
sur l'identité de la structure « radiale », et avoir reconnu ce qui a été identifié comme
structures « auto-organisées ».

Par sa conservation et par les documents dont nous disposons, le dossier de la


pertica d'Ilici est, pour la géographie espagnole, ce qu'il y a de plus semblable au dossier
des centuriations d'Orange.

IDENTIFICATION DE NOUVELLES STRUCTURES CENTURIÉES

Actuellement, en Espagne, le travail des chercheurs étudiants les centuriations


aboutit à la production de nouveau savoirs quant aux territoires où, habituellement, se
déroule leur pratique professionnelle (Catalogne et vallée de l'Ebre fondamentalement) ; ou
bien, suite à de nouvelles révisions et bilans sur la question, ils reviennent généralement à
des exemples classiques comme Ilici (du fait de la bonne conservation du réseau centurié)

-86-
Archéologie des paysages

ou Augusta Emerita, spécialement en raison des textes des anciens arpenteurs qui y font
référence. Pour cela, les nouvelles découvertes se produisent dans les zones mentionnées
précédemment (spécialement autour d'anciennes colonies Romains ou sur d'évidents foyers
de romanisation), tandis que de nombreuses zones restent en marge de l'intérêt de la
recherche.

Suite à ma formation en morphologie agraire auprès de Gérard Chouquer, au


moment où la morphologie revient vers la diachronie, beaucoup d'anciennes structures
hypothétiquement identifiées n'ont pas été cherchés à dessein, mais ont surgis de l'analyse
des formes du paysage dans une zone déterminée. Tel est le cas des structures détectées à
Ebusus (voir supra) qui, une fois confirmée leur antiquité et romanité, mettraient en
évidence de façon notoire le mode d'organisation de l'espace agraire des petites îles ou des
fundi sans nécessité de recours à l'initiative des centres de pouvoir citoyen.

Le sud-ouest français, en Aquitaine, est une autre zone particulièrement


intéressante ; zone où j’ai collaboré avec Pierre Garmy dans le cadre de l'Action
Thématique Programmée « Grands Projets d'archeólogie métropolitaine », du programme
Morphogénèse, paysages et peuplements holocènes de la zone littorale aquitaine 105. Cette
collaboration a produit des résultats intéressants et a été le point de départ de mes
premiers travaux de comparaison entre les paysages qui forment le sujet habituel de mes
recherches et les paysages du sud français, même si dans ce cas ceux-ci se trouvait hors
de la Provence. Deux articles ont rendu compte de cette collaboration. Le premier comme
contribution au 120e CNSHS d'Aix-en-Provence (1995) [titre 34: 253-271] et le second fruit
de ma collaboration au projet CARTOPAR (Cartographie des anciens parcellaires de la
France), initialement créé par l'Université de Tours et qui, dans sa forme définitive, devint
un projet collectif de la Sous Direction de l'Archéologie [titre 23: 272-278]. Etant donné les
caractéristiques de ces deux apports, mon travail consistait fondamentalement à identifier et
à modéliser les formes des paysages observés, ainsi qu'à essayer de les insérer dans un
cadre historique nécessaire, bien que les objectifs, dans un cas comme dans l'autre soient
différents. Pour le deuxième et le dernier cas, il s'agissait d'apporter à l'« archéologie des
paysages », alors naissante, une des études micro régionales qui, à travers toute la France,
essayaient d'apporter des éléments de réflexion sur la construction paysagère, bien que
dans la majorité des autres exemples il existait des preuves positives, dues au grand
développement de l'archéologie préventive (fouille de fossés, limites de champs...), qui
étaient intégrés dans une procédure d'analyse morphologique. Tel n'était pas le cas de
notre apport, comme je l'ai déjà dit, puisque notre étude se limitait à fournir des éléments de

105
Coordonné par : J. Burnouf, J.-M. Froidefond, P. Garmy et J.-P. Tastet.
-87-
Archéologie des paysages

réflexion strictement morphologiques dans les environs du site de Brion, bien que ceux-ci
étaient accompagnés de conjectures sur la fonction qu'avait assumée, dans la structuration
du paysage, une agglomération secondaire, assimilable à l'antique Noviomagus,
dépendante de la ville de Bordeaux dans le territoire du pagus des Médulles.

Dans le premier apport, l'intégration des données dérivées de la connaissance de


l'évolution holocène de la région permettait de localiser d'anciens marais holocènes où, par
exemple, ne s’observaient pas les lignes structurantes des formes agraires de l'Antiquité. La
question de fond à élucider était de savoir si un vicus pouvait structurer « son » propre
territoire dans le territoire de la civitas à laquelle il appartenait [titre 34: 260]. C’est pourquoi
il était nécessaire de recourir à des méthodes d'analyse spatiale et d'analyse des structures
agraires afin de délimiter le territoire théorique possible d'un côté et d'un autre, si dans ce
territoire on détectait une structure agraire qui planterait dans l'espace la rationalisation et
l'intégration des espaces productifs du vicus de Noviomagus. La structure a certainement pu
être identifiée sous la forme d'une centuriation de module canonique de 20*20 actus
équivalents à 710 m, ce qui permettait de la situer à la période à laquelle elle se forge et se
dote comme « pôle urbain structurant d'une partie du territoire médocain de la cité des
Bituriges » [titre 34: 259] vers le milieu du siècle I apr. J.-C. Ce qui nous faisait douter, à la
fin de l'article [titre 34: 270], de l'idée d'une agglomération secondaire sous le contrôle
absolu du chef-lieu. Il semble que Brion / Noviomagus a pu organiser un espace spécifique
définissable et l'exploitait au moyen d'une structure agraire, indépendamment de la civitas à
laquelle elle appartenait.

D'autre part, une autre zone où j'ai identifié une centuriation inédite, a été celle de
l'actuel village d'Isona, la ville d'Eso qui frappe monnaie ibère et du Municipium Aesonensis,
dans les Pyrénées catalanes. En collaboration avec mes collègues et amis Teresa Reyes et
Joan García, et dans le cadre d'un projet financé par la Generalitat de Catalunya 106, nous
avons pu approfondir la simple identification formelle de la centuriation. Cela a été possible
grâce aux prospections systématiques effectuées préalablement par T. Reyes, laquelle a
apporté les éléments de réflexion sur l'occupation du sol, et grâce aux travaux d'intégration
des données morphologiques et paysagères dans un SIG par J. García Biosca ; les
résultats ont été publiés dans des articles en catalan [titre 37: 364-390] et en castillan [titre
41: 391-427] ; l'ouvrage Las formas de los paisajes mediterráneos [titre 45: chapitre V]
reprend les aspects strictement morphologiques ; l'article de la Table Ronde d'Avignon [titre
48: 428-439] insiste, quant à lui sur les aspects métrologiques.

106
Project de recherche de la CIRIT : Estudi territorial de l'ager aesonensis, Musé d’Isona et
Université de Lérida.
-88-
Archéologie des paysages

Les principaux résultats ont été très divers. D'un point vue purement
morphologique, laissant de coté la structure cohérente qui a déjà été évoquée
précédemment, il faut souligner l'identification d'une structure centuriée de petit module
(15*15 actus) dans un petit municipium de la Tarraconaise intérieure. Pour effectuer cette
affirmation je me suis appuyé sur divers arguments.

Tout d'abord, il semble s'agir d'une division de terres qui aurait affectée les
espaces non organisés, ou exploités lors de périodes précédentes, les terres concernées
par cette division de l'espace sont situées à la périphérie des possessions exploitées par
les structures précédentes, tel que l'on peut le voir dans le modèle numérique du terrain
[fig. IV, 2], où sont mises en évidence les manifestations parcellaires de la centuriation
dans les zones planes. Il ne semble donc pas s'agir d'une transformation profonde de la
situation précédente. Le module est de petite taille, comme il a été signalé, et comparable
avec les cadastres augustéens italiques ou hispaniques, non seulement par le module
utilisé (15*15 actus), mais aussi dans la philosophie de leur empreinte spatiale ; en effet,
ces terres périphériques, aux interventions précédentes, paraissent faire l'objet d'une
attention particulière 107, bien qu'elles soient, dans ce cas, propres de la société indigène qui
a pu les créer. En ce sens l'articulation angulaire entre les deux structures parcellaires
récidive, parce que, comme je l'ai identifié à l'époque, elle pourrait indiquer une construction
parcellaire sans l'utilisation de la groma et en recourant à la construction d'un angle varé
[titre 41: 402]. Je me suis basé sur la modélisation que réalisa A. Roth Congés à partir de la
lecture des anciens arpenteurs 108; bien que, dans ce cas et dans celui d'Edeta, elle soit,
j'insiste, entre une centuriation et une hypothèse de parcellaire proto-historique.

Je voudrais également faire pert du travail en collaboration avec J. García Biosca


sur l'analyse des différents éléments du paysage (sols, parcellaires, insolation,
établissements ruraux...) à l'aide d'un SIG qui livra des éléments de réflexion sur la
construction et la préférence dans la gestion d’espaces productifs pour chacun des
parcellaires [titre 37: 375-381 = titre 41: 406-415].

Les établissements ruraux ne paraissent pas pencher franchement en faveur des


espaces gérés par le parcellaire centurié ; en effet, seul un site du haut-empire (la villa du
cimetière de Sant Romà, munie de fours) se trouve dans un espace parcellaire clairement
centurié. Tandis qu'un site comme la ville de Lloris (objet d'un diagnostic récent dans le
cadre de l'archéologie préventive) ne paraît organiser aucun parcellaire circonvoisin orienté
telle la grille centuriée ni de structures architectoniques.

107
(G. C HOUQUER et al. 1987 : 254)

-89-
Archéologie des paysages

L'analyse peut être résumée par le tableau suivant.

Relief Ensoleillement Humidité du sol Cultures

Parcellaire Pentes Peu d'exigence Haute capacité de Peu définis bien qu'avec
cohérent légères drainage nécessité d'humidité

Parcellaire Terrains Exigence Haute capacité de Céréales et arbres fruitiers


centurié plats maximale rétention de terrain non irrigué

Caractéristiques que j'ai mises en rapport, finalement, avec les résultats obtenus
par F. Favory dans le projet A RCHAEOMEDES 109 sur la perception des sols par les anciens, ce
qui permettait d'émettre l'hypothèse que « les sols préférés pour une centuriation sont les
plus appropriés pour les cultures méditerranéennes et, par conséquent, parfaits pour les
Romains et leurs installations de villae. Il resterait à savoir si ces sols avaient déjà été mis
en culture ou si, au contraire, il s'agit d'espaces non utilisés par les ibères » ; [titre 37: 382
= titre 41: 415].

LE TRIANGLE FORMÉ PAR LES VILLES DE VALENTIA , SAGUNTUM ET EDETA


« ... AGROS ET OPPIDUM DEDIT , QUOD UOCATUM EST V ALENTIA » 110

La ville de Valence est l'un des secteurs où la révision des formes s'est révélée la
plus intéressante pour confirmer les données précédentes, bien qu'avec une importante
révision des arguments principaux qui caractérisaient les hypothèses. Il s'agit d'une des
premières colonies fondées hors de l'Italie et une des premières fondées dans la péninsule
Ibérique : deux hypothèses de centuriations on été formulées, une au nord de la ville vers le
milieu des années 70 et une deuxième au sud de la ville au début des années 80 111.

La teneur de la première hypothèse (au nord de la ville) était contenue dans le titre
de l'article (Sobre una posible centuriatio en el regadío de la acequia de Montcada) et qui a
influencé négativement, de mon point de vue, la recherche jusqu'à nos jours. Il s'agit de la
relation d'isoclination existant entre la centuriation et les canaux d'irrigation que confirmerait
la première étude de la centuriation située au sud de la colonie et en corollaire logique la
datation du paysage de la Huerta de Valencia de l'époque romaine.

108
(A. R OTH C ONGÈS 1996 : 341 y fig. 38)
109
(F. F AVORY , S.V AN DER L EEUW 1998 : 278-284)
110
(T. L IVE , Periocha, LV)
111
(G.M. Cano 1974 ; E. Pingarrón 1980)
-90-
Archéologie des paysages

La révision des deux structures parcellaires à l’occasion d’un Colloque sur


Agricultura y regadío en al-Andalus (1995) m’a permis d’exposer les éléments de réflexion
suivants [titre 24]:

1. Les deux centuriations dépassent les limites fixées par ceux qui les ont découvertes,
s'étendant au nord et au sud de la ville ; ainsi il est vrais que la première, renommée
Valence B dans mes travaux (NG-23ºE et module de 20*20 actus équivalents à 706
m), a une plus grande influence dans le nord de la ville, tandis que Valence A (NG-
18ºE et module de 20*20 actus équivalents à 704 m), la deuxième, a une plus
grande présence autour de la ville et au sud, aspects qui étaient passés inaperçus
aux yeux des auteurs précédents, à cause surtout d'une question de méthode et
d'échelle des documents avec lesquels ils travaillaient. Bien que la valeur
métrologique du pied romain soit un argument remis en question, dans le cas des
centuriations espagnoles où les vérifications archéologiques sont inexistantes, c'est
un argument qui, toute précaution prise, aide à recherche 112.

2. La variation métrique de la valeur de l'unité du pied romain utilisé dans les deux
centuriations, plus l'empreinte dans le territoire permettait de proposer l'hypothèse
d'une Valence A plus ancienne, probablement de déduction coloniale, et d'une
Valencia B conséquence d'une déduction postérieure dont le but était la bonification
des zones marécageuses du nord de la ville. C’était plus la valeur du module et elle
a été rejeté comme un discriminant chronologique ; tant qu'on ne développera pas
une archéologie des formes agraires nous ne disposerns pas d'autre critère.

3. En réalité il n'existe pas une relation d'isoclinie entre la centuriation et le réseau


d'irrigation sauf de rares et occasionnelles coïncidences. Ni le canal principal ni les
canaux secondaires qui forment le cadre des structures intermédiaires du parcellaire
de la zone ne coïncident avec la grille centuriée.

4. La superposition des zones marquées par les formes agraires et les systèmes
agraires mettait en évidence un effacement intense des formes agraires supposées
anciennes (centuriation) là où la présence des formes agraires étaient fossilisées au
moyen de canaux d'irrigation. Les preuves, loin des thèses traditionnelles, affirment
que l'irrigation est un phénomène postérieur à l'antiquité, restructurant les espaces
productifs, à la suite des différents postulats techniques et socio-économiques de
l'irrigation, en éliminant les traces d'anciennes organisations parcellaires.

112
(F. F AVORY 1991)
-91-
Archéologie des paysages

5. Pour la première fois, en plein milieu d'une huerta urbaine de grandes dimensions,
on proposait l'idée de l'existence de parcellaires islamiques avec une morphologie et
une métrique formalisées et clairement différenciées des centuriations.

6. Du point de vue méthodologique, un espace tel que le secteur métropolitain de


Valence, aux importants recouvrements sédimentaires du Turia, densément peuplée
à l'heure actuelle et ne donnant que de très rares informations sur l'occupation du
sol d'époque antique, ne pouvait pas être abordé sans prendre en considération
l'analyse morphologique et la perspective diachronique. Un rapprochement au
problème des centuriations au moyen d'un filtrage oculaire de sélection des grandes
lignes avec une certaine orientation masquait toute une réalité et donnait lieu à
l'interprétation exagérée comme possibles réseaux centuriés basé sur quelques
alignements. A titre d'exemple, je crois aujourd'hui que la structure orientée à NG-
30ºE qui apparaît sur la figure 65 [titre 45: 301] et dont je ne trouvais pas trace des
structures intermédiaires au-delà de la zone restreinte de la figure, ne doit pas être
une centuriation mais la conséquence du choix d'une orientation constante détachée
des autres éléments du paysage.

Certains de ces principes ont guidé la ligne de recherche que j’exposerai par la
suite ; ils me hantent chaque fois que j'essaie de réfléchir sur les formes agraires que
produirait une irrigation véritablement romaine. C'est-à-dire, la recherche de réponses à la
question de savoir si une irrigation dans la grille de la centuriation est possible, ou bien de
savoir si les conditions physiques de l'irrigation conditionnent à ce point les formes agraires
que du moment où nous identifions une structure de canaux de conduite d'eau, nous
sommes nécessairement en présence d'une structure non centuriée. Mais la question
suivante est évidente : Si on avait voulu créer un système d'irrigation à l'époque romaine,
celui-ci aurait-il pu être étranger à une grille centuriée ?

D'autre part, bien que j'y reviendrai plus tard, il convient de rappeler en ce moment
l'existence d'une troisième structure centuriée détectée en 1993 et exposée dans un
Rapport de Recherche [titre 16]. C’était la seule hypothèse de centuriation encore inconnue
(je l'ai conventionnellement appelé Valence C : NG-2º30 'E et module de 20*20 actus
équivalents à 710 m). Son secteur d'influence s’étendait sur tout le territoire lié
traditionnellement à la colonie de Valentia bien que sa présence soit plus notoire à l'ouest
de la ville, dans le Pla de Quart. Il ne s'agit pas d'une structure spécialement présente et
comme nous nous trouvions plongés, en 1993, dans une révision des hypothèses de
multiples centuriations, je n'ai jamais rendu compte de l'hypothèse de Valence C dans
aucun forum scientifique. Toutefois j'ai récemment ravivé cette hypothèse pour trois raisons.
D'abord, parce qu'il s'agit d'une structure qui avait été détectée à la même époque par un

-92-
Archéologie des paysages

autre chercheur, P Guerin, mais n'avait pas non plus été l'objet d'une communication ni
d'une publication formelle ; en second lieu, parce que l'articulation des connaissances
actuelles des anciennes formes agraires des trois villes qui forment le triangle (Edeta-
Valentia-Saguntum) permet de proposer l'existence d'un espace vide d'interventions qui, à
la lumière des espaces gérés par l'une ou l'autre ville, pourrait correspondre à une volonté
de la part de la ville de Valentia de gérer cet espace ; finalement, parce qu'une comparaison
entre les possibles assignations accordées aux colons de Valentia et les surfaces
théoriquement gérées par les centuriations appartenant à cette ville, m'amène à penser que
l'espace théorique structuré par Valence A et B est insuffisant et s'expliquerait par une
assignation de terres dans des perticae des villes voisines (Edeta ou Saguntum), selon la
figure récemment mise en valeur par G. Chouquer et F. Favory du ager sumptus ex vicino /
ex alieno territorio ; ou alors il faudrait évaluer la fonction qu'a pu jouer le façonnement réel
de Valence C à l'ouest de la ville pour rendre compte de l'expansion des exploitations de la
ville.
C IVITAS E DETANORUM

Comme je l'ai déjà dit, l'exemple le plus semblable à celui d'Isona, pour de
multiples raisons, est celui de la centuriation d'Edeta dans l'actuelle ville de Liria (Valence).
L'existence de cette structure centuriée a été annoncée au congrès d'Orléans de 1996 [titre
25: 281-282], développée dans les Scripta in Honorem E. Llobregat Conesa [titre 42: 301-
316] et reprise lors de la Table Ronde d'Avignon [titre 48: 428-439], et partiellement
amplifiée dans deux chapitres du livre sur Las formas..., [titre 45: chapitres IV et VI].

Les caractéristiques de la centuriation, 20*20 actus équivalents à une valeur


métrique de 706 m et une conservation spéciale des limites qui soulignent une structure
centuriée basée sur le saltus de quatre centuries de Varron. La structure ne fait pas
abstraction de ce qui précède, à savoir, une structure hypothétiquement ibérique, et
organise une grande extension de territoire. Comme proposition chronologique je me suis
appuyé sur la chronologie d'un des sites de la zone (la Lloma de Manoll) qui se trouve à
proximité d'une zone organisée par le parcellaire cohérent et quand il descend de sa
position haute entre les siècles IIè et Ier av. J.-C. (selon le modèle de romanisation proposé
pour la zone sans présence des villae républicaines) il est placé dans un espace organisé
par la structure centuriée.

Bien qu'on ne puisse pas préciser la chronologie de la structure centuriée, j'ai


proposé deux moments significatifs possibles : autour de 175-150 av. J.-C., moment de la
destruction d'Edeta, ou vers 44 av. J.-C. ; cette datation découle de la période
d'enfouissement d'un trésor de monnaies entre les ruines de la ville, détruite à un moment
indéterminé du IIè siècle av. J.-C., à en juger par la datation que nous fournissent les

-93-
Archéologie des paysages

ensembles céramiques au même niveau [titre 42 : 312]. Cela mettrait en évidence la


fréquentation de la ville, déjà en ruines, et le déplacement archéologiquement prouvé vers
la plaine, l'actuel emplacement de Mura, aux environs de la ville actuelle. Ce trésor aurait
appartenu, d'après ceux qui l'ont étudié, à un membre du band de César lors du conflit qui
l'opposa à Pompée et qui est mort de manière inattendue 113. Cet enfouissement, tout comme
les monnaies trouvées dans la partie supérieure de la colline (datant de la fin du IIè siècle
av. J.-C. et du Ier siècle av. J.-C.) poussent Mar Llorens à penser que la population
indigène se serait concentrer au sommet du « tossal » de Sant Miquel, au moins jusqu'au
développement dans la plaine, au Ier siècle apr. J.-C. de la Civitas Edetanorum.

Toutefois, les découvertes récentes effectuées dans le secteur de Mura, dans la


plaine, où se développerait le municipium edetanorum, permettent aux chercheurs d'affirmer
qu'il a pu y avoir une coexistence entre la ville de l'oppidum, réduite si l'on veut, et un
établissement dans la plaine, prenant la forme d'une dípolis. Ce qui pousse ces chercheurs
à supposer qu'un contingent militaire a pu s'installer dans la plaine tout de suite après
l'extinction de l'oppidum ; il faut alors admettre la date traditionnellement acceptée depuis
les fouilles de D. Fletcher, de 75 av. J.-C. environs. Données qui nous permettent de mettre
en rapport la structure centuriée avec la période comprise entre les guerres sertoriennes et
l'époque césaro-triumvirale. Sur cette proposition influencerait favorablement la valeur
métrique du module de cette centuriation, en la comparant avec celles de l'ager campanus
II, Nola I-Abella, Beneventum I ou Telesia II, toutes de module de 706 m et de chronologie
syllanienne ou triumvirale 114.
O PULENTISSIMA S AGUNTUM

Au cours de l'année 2002, j'ai publié une proposition de parcellaire de type centurié
dans la plaine côtière comprise entre Almenara et Puçol [titre 45: 433-436, figs. 94 et 95].
La proposition s'appuyait sur un élément du paysage supposé ancien : le trajet fossilisée de
la voie Auguste dans cette plaine côtière. Il s'agissait d'une nouveauté, insérée dans ce
chapitre, dont le cadre principal était formé par l'article présenté au Congrès d'Orléans de
1996 [titre 25], avec une intention claire : la présentation d'une hypothèse de parcellaire
centurié dans le territoire de Sagonte afin de susciter un débat et de contraster les données
morphologiques avec celles du terrain.

La réponse ne s'est pas faite attendre, et en juillet 2003 eu lieu le séminaire


Catastros, hábitats y vía romana, programme INTERREG III B de l'Union Européenne: Las

113
(M A M. L LORENS 1995 : 469)
114
(G. C HOUQUER et al. 1987 : 245-254)
-94-
Archéologie des paysages

Vías Romanas en el Mediterráneo, de la Generalitat Valenciana. J'ai été invité à prendre


part comme membre de l'USR 708 Archéologie spatiale du Centre de Recherches
Archéologiques du CNRS entre 1996 et 1997, avec J.-L. Fiches, C. Jung et F. Bertoncello.
Cette participation m'a permis de présenter quelques problématiques relatives aux
paysages de Valence qui me préoccupaient, en soulignant surtout la problématique
sagontine.j’ai ainsi pu collaborer avec l'équipe qui a organisé les prospections durant tout
ce mois de juillet dans le cadre de la voie auguste, et concevoir une intervention qui
essayerait de confirmer certaines des hypothèses morphologiques plantées autour de
l'hypothèse initiale. Cela s'est traduit par une participation à l'oeuvre collective parue lors de
ce séminaire [titre 55].

Dans la plaine côtière de Sagonte, c'est l'absence de peuplement ibérique et tardo-


ibère de la plaine côtière au nord et au sud du Palancia qui attire l'attention. Jusqu'au IIIè
siècle av J.-C. la frange côtière littorale paraît dépeuplée, et on ne trouve des sites qu'à
partir de la cote de 100 m s.n.m. et dans la vallée intérieure de ce fleuve (Palancia).

Bien que les matériaux de prospection ne permettent pas d'apporter plus de


précision quant à la chronologie, nous pouvons affirmer que le peuplement de la plaine
commence entre le IIè et Ier siècle av. J.-C. ; bien que quelques matériaux archéologiques,
dont la marge de production est, plus restreinte nous parlent de la seconde moitié du Ier
siècle av. J.-C. Indépendamment du fait que plane sur ces faits la date de ca. 54 av. J.-C.
(date de l'accès, pour une courte période, de la ville de Saguntum 115 au rang colonial, fait
récemment découvert grâce à l'analyse des émissions monétaires) et quelque soit le
moment exact, entre le IIè et le Ier siècle av. J.-C., la plaine côtière se peuple de villae et
autres établissements agricoles suite à l'effet instantané que provoque l'intégration de cette
région dans l'Empire sur l'habitat, les structures agraires et les productions agricoles. Il est
aussi possible que le peuplement de la bande côtière étroite, l'exploitation de nouvelles
terres et les nouvelles productions agricoles soient les circonstances qui préparent et
déterminent, finalement, la promotion au rang colonial et qui font qu'Arse, l'oppidum ibère,
finisse par être appelé définitivement Saguntum vers le milieu du Ier siècle av. J.-C.

Pour cette même période, C. Aranegui 116, propose le processus suivant :

En dépit de l'imperfection de la documentation dont nous disposons à l'heure actuelle, il est manifeste
que Sagunto a fait l'objet d'une reconstruction dans laquelle l'empreinte de Rome est palpable du point
de vue technique, urbain, artistique et idéologique, ce qui est tout à fait exceptionnel dans le panorama
ibérique de l'époque que cela laisse entrevoir une intervention dirigée par Rome avec le but ferme de

115
(P. P. R IPOLLÉS , M. M. L LORENS 2002 ; P. P. R IPOLLÉS , J. V ELAZA 2002)
116
(C. A RANEGUI 2002 : 252)
-95-
Archéologie des paysages

romaniser la population, non seulement par la dotation d'une certaine infrastructure urbaine, mais aussi
par les transmission de quelque chose d'aussi significatif que les coutumes religieuses de la patrie (...)
puisque la ville a certainement dû revêtir un aspect très différent de celui d'autres villes ibériques (...).

Nous pouvons désormais affirmer que l'intervention de Rome ne se manifeste pas


seulement dans l'idéologie locale ou bien dans les infrastructures urbaines, mais dans un
élément moins mis évidence jusqu'à présent : l'organisation des espaces agricoles qui
l'entouraient et l'exploitation de zones préalablement asséchées. Il existe d'autres faits
tranchants que nous ne pouvons oublier. La zone étudiée de la manière la plus détaillée, le
vall de Segó, montre une richesse extraordinaire due à une exploitation agricole depuis
l'époque romaine, à proximité de la limite la plus haute des marais côtiers et avec des
éléments qui permettent d'interpréter l'existence d'une bonification de terres dans le
contexte de l'assainissement des marais côtiers et la construction simultanée de la voie
Auguste.

Ce fut G. Alföldy qui, en 1977, affirma que les inscriptions de l'influente famille des
Baebii trouvées dans le territoire de Saguntum (dans le vall de Segó, dans la plaine et les
collines immédiatement au sud de la ville, et dans la plaine au sud du Mijares) « pourraient
avoir été la base économique qui a assuré la promotion des Baebii (...) » 117, précisément où
nous trouvons les principales manifestations de la structure centuriée. Arrêtons-nous,
d'autre part, sur les inscriptions de le vall de Segó ; il s'agit de 15 inscriptions 118 qui nous
offrent un échantillon varié des familles les plus influentes de Saguntum : les Baebii, Aemilii,
Cornelii, Sergii, Valerii. Il s'agit précisément de cinq familles dont les nomina sont les plus
représentées dans l'épigraphie sagontine, et qui coïncident, dans deux cas, avec les
gentilices des magistrats en charge des émissions monétaires durant la période coloniale :
Aemilii, Baebii et avec certains des édiles de la ville dont la trace épigraphique se trouve
dans la zone de la vall de Segó : L. Emilio qui a exercé toutes les magistratures ou G.
Emilio Nepos, édile et duovir, pour ne citer que deux exemples. C'est-à-dire qu'il s'agit de
grandes familles qui possédaient des propriétés aux bords des marais côtiers, dont une,
comme les Baebii, ont financé au moyen d'actes d'évergétisme la construction du forum de
Sagonte ; ou encore, il s’agit de certaines des familles dont les édiles coloniaux frappèrent
monnaie au cours des années où la ville fut colonie. Peut-être ne s'agit-il que d'une
coïncidence, mais les indices nous invitent à penser à une même atmosphère économique
et sociale dans laquelle la colonisation agricole de nouvelles terres, la promotion au rang
colonial, et la frappe de quatre émissions monétaires semblent s'entrelacer, sans que pour
le moment nous puissions nous prononcer sur l'ordre cause-conséquence qui les régit. De

117
(G. A LFÖLDY 1977 : 29 et fig. 4)
118
(J. C ORELL 2002, números 417-431)
-96-
Archéologie des paysages

même, la frappe de quatre courtes séries de monnaies a pu augmenter le numéraire


nécessaire aux travaux de bonification agraire et être le fruit d’un acte d'évergétisme de la
part des familles qui dégageraient un bénéfice de ces nouvelles terres. Facilitant ainsi cette
politique d'assimilation de la citoyenneté romaine qui a déterminé le changement qui s'est
produit dans le lien terre-citoyenneté depuis le début du Ier siècle av. J.-C. et qui donna à
l'aristocratie indigène 119 la possibilité de se transformer en riche propriétaire foncier. Mais
en échange d'une transformation profonde des structures de la propriété et des systèmes
productifs indigènes : la suppression des communaux, de la terre publique de l'oppidum
indigène, l'ager compascuus, au bénéfice des fundi privés, tel que l'a décrit Max Weber au
début du XXè siècle 120.

La contribution de Rome à Sagonte, au-delà d'une certaine infrastructure urbaine et


des coutumes religieuses, a pu encore se manifester et se matérialiser en mettant à la
disposition des élites indigènes les outils de son pouvoir, ce qui leur permit d'entreprendre
une politique de bonification et de conquête de nouvelles terres. La romanisation
idéologique serait chose facile, après avoir considérablement étendu les propriétés des
Baebii, Aemilii, Sergii..., et des autres notables de la ville, et cela au prix d'une
transformation profonde de la structure de l'« ager publicus » indigène.

La signification historique de cette opération de valorisation et de « création » de


sols nouveaux et de propriétés agricoles doit être intégrée dans un contexte différent de
celui d'une assignation de terres à des colons arrivés de l'extérieur. Pour cela je suivrai
fondamentalement les travaux d'E. Gabba et de F. Favory 121. L'installation de colons
italiques sur les terres des communautés indigènes alliées, traditionnellement de Rome (et
de Pompée dans le conflit qui entraîna la destruction de Valentia) n'est pas un procédé
fréquent. Comme dans le cas de Nîmes, la promotion au statut de droit latin signifie la
citoyenneté pour les élites indigènes et leurs successeurs et l'accès aux magistratures
urbaines supérieures, ainsi comme le droit au commercium. La promotion au rang de
colonie de Saguntum ne signifie obligatoirement ni l'installation de colons ni d'opérations
d'assignations de terres à romains ou italiques. Pour cette raison, le travail de datation de la
limitation observée au moyen de la dynamique des formes du paysage doit faire l'objet
d'une attention continue pour laisser ouvertes d'autres possibilités. Il existe bien un
événement pouvant se définir comme étant la genèse de la structure agraire, vers le milieu
du Ier siècle av. J.-C., mais sa datation doit continuer à s'appuyer sur la connaissance de

119
(M.-I. F INLEY 1986 : 113, 192)
120
(M. W EBER 2001 : 339)
121
(E. G ABBA 1989, 1992 ; F. F AVORY 1997)
-97-
Archéologie des paysages

l'implantation et de l'évolution du système agraire, des établissements qui exploitent le


territoire et l'ouverture de nouvelles perspectives avec l'obtention de faits positives
découlant d'une archéologie du paysage en parallèle avec d'autres disciplines.

Selon les données dont nous disposons les protagonistes de cette situation sont
plutôt des agriculteurs indigènes que des colons romains ; certes, mais il s'agit bien d'une
fonction « civilisatrice » et structurante de la société ibère sagontine, de caractère politique,
territorial, agricole et urbain qui a pu signifier la rationalisation « à la romaine » de l'espace
agricole. La création de nouveaux fundi, la transformation de la propriété collective au
bénéfice de propriétaires privés, l'introduction de nouvelles cultures spéculatives qui
donneront lieu aux fameux vins sagontins se sont révélés comme un indicateur de
développement économique et de romanité, et tout cela dans le contexte des guerres civiles
de la fin de la république : châtiment, d'une part, pour villes prenant le parti des armées
vaincues et sous forme de récompense pour les villes alliées.
L E CARREFOUR V ALENTIA -S AGUNTUM -E DETA

On ne peut comprendre la logique des territoires de trois villes, si proches et dont


l'importance dans cette zone de l'Empire a été à la fois précoce et croissante, par elles-
mêmes, mais en tentant de comprendre l'interaction qu'il y a entre elles. J'ai déjà fait part,
en 2002 [titre 45: 435-536, fig. 95], de cette relation, que l'on devine à travers la
morphologie et l'expansion des perticae construites sur leurs territoires ; mais depuis lors,
j'ai découvert plusieurs indices qui permettent d'affiner les hypothèses morphologiques et,
surtout, de deviner les grandes périodes de création des structures centuriées. On ne
dispose malheureusement pas d'arguments archéologiques qui permettent d'apporter des
éléments chronologiques fiables.

Toutefois, pour chacune des trois villes, il existe des faits qui, dûment combinés,
apportent d'intéressants éléments de réflexion pour comprendre le processus de création et
d'évolution de leur espace.

1. Edeta est le chef-lieu éponyme d'un territoire et d'une tribu ibérique qui est détruit
autour de l'année 175, tandis que le autres hameaux et villages de son territoire
succombent avant 150 av. J.-C.

2. Douze ans plus tard, en 138 av. J.-C., la seconde colonie d'Hispania, Valentia, se
fonde et termine ainsi le processus de transformation du patron territoriale d'Edeta.

3. Entre la destruction d'Edeta et le Ier siècle av. J.-C. a lieu la transformation du


patron territoriale tant d'Edeta que de Saguntum.

-98-
Archéologie des paysages

4. L'année 75 av. J.-C., 63 ans après sa fondation, Valentia , pour avoir pris le parti de
Sertorius, est détruite par les partisans de Pompée. Au même moment, il semble
qu'un groupe de « colons » se soit installé au pied de l'oppidum d'Edeta donnant lieu
à la naissance de la ville romaine.

5. L'inscription de Cupra maritima, datée de l'an 60 av. J.-C., témoigne d'une certaine
activité dans la ville de Valentia, malgré le silence des fouilles archéologiques...

6. Entre l'an 54 av J.-C. (comme date post quem) et ca. 5 ou 4 av. J.-C., peu avant le
changement d'ère, la ville de Saguntum a connu une période coloniale de quelques
décennies.

7. Depuis la destruction de l'oppidum de Sant Miquel (Edeta), le site demeure dépeuplé


bien que fréquenté ; et peut-être même habité dans le secteur le plus élevé, à en
juger par les monnaies trouvées en surface et par le trésor monétaire de l'année 44
av. J.-C. trouvée au sommet.

8. Les fouilles archéologiques de la ville de Valentia ne révèlent toujours pas le


moindre signe d'activité, bien qu'une fouille de la rue Tenerías 122 a mis à jour un
entrepôt d'amphores, que l'on peut dater des dernières 40 ou 30 années du Ier
siècle av. J.-C.

9. Les gobelets de Vicarello (en 20 av J.-C.) font preuve du même silence ; les
mentions sur Valentia y sont presque imperceptibles ; et bien que M.-J. Pena 123 l'a
récemment défendu, Strabon ne la mentionne pas entre les années 17 et 18 apr. J.-
C.

10. Un dépotoir votif daté entre l'an 5 av. J.-C. et l'an 5 apr. J.-C. date a été interprété
comme une refondation de la ville de Valentia 124. Toutefois, le silence du registre
archéologique demeure éloquent jusqu'à l'époque flavienne.

11. Au cours de cette période (ca. 4-3 av. J.-C.) à Saguntum on constate la première
inscription où apparaît la mention de municipium.

122
(P. P ASCUAL P ACHECO 1990)
123
(M. J. P ENA 2002 ; 276)
124
(R. A LBIACH et al. 1998)
-99-
Archéologie des paysages

Observant l'axe chronologique proposé, il me paraît évident que toutes ces


données s'entrelacent, même si toutes ne trouvent pas de réponse. Comme je l'ai dit, on
ne dispose pas d'éléments de datation pour les structures centuriées identifiées qui
soient fiables, mais le contexte généralisé paraît tendre vers une évolution qui pourrait
être celle que je vais exposer dans les pages suivantes.

Au cours de la période tardo-républicaine postérieure aux guerres puniques, Edeta


est détruite (autour de 175 av. J.-C.) on crée la colonie de Valentia, et Saguntum, l'autre
oppidum de la zone, commence à connaître une romanisation renforcée et garantie par
Rome, tandis que le patron spatial des établissements des territoires des deux villes
indigènes souffre des changements profonds qui, parfois, sont accompagnés de la
destruction de la majorité des villages et hameaux du territoire edetain pendant la
première moitié du IIè siècle av. J.-C. Mais cela n'entraîne pas le dépeuplement du
territoire, parce que les établissements ruraux descendent à ce moment dans la plaine
pour se transformer en Edeta au haut empire.

La fondation de Valentia en 138 av. J.-C. est effectué au carrefour des territoires
des oppida de Saguntum, Edeta, la Carencia (Turís) et de Sucro (Albalat de la
Ribera ?) 125 dans le tronçon final du Turia, un espace marécageux qui doit probablement
s'assainit grâce aux structures agraires de la centuriation Valence A. Une petite portion
des territoires des oppida de Saguntum, Edeta et de Sucro est structurée par cette
centuriation. Bien qu'il soit possible que la surface gérée pour cette structure soit
insuffisante par rapport aux chiffres de quelque 2 000 ou 3 000 colons, estimation

donnée par A. Ribera se basant sur la surface de la première ville que l'enceinte murée
républicaine de la fondation de la cité met en évidence 126.

Si nous estimons la surface accordée aux nouveaux colons, en utilisant la moyenne


que nous permettent les données connues du monde romain, nous observons
rapidement que même en prenant les estimations les plus optimistes nous ne pouvons
pas conclure à un grand nombre de colons lors des assignations de terre des trois
centuriations connues de Valentia. C'est un inconvénient propre aux territoires situés

125
(H. B ONET , C. M ATA 2002 : 236-237)
126
(C. M ARÍN , A. R IBERA 2002 a : 289; A. R IBERA 2002 b : 53)
-100-
Archéologie des paysages

dans des plaines côtières étroites. Ainsi, nous pouvons obtenir le tableau suivant en
estimant une population de 1 000 ou de 2 000 vétérans, chiffres qui peuvent donner lieu
à une population totale de 3 000 ou de 4 000 colons.

(*Colonies hors de l'Italie) Hectares / Estimation 1 000 Estimation


vétéran vétérans
2 000 vétérans

Premiers temps de la 0,5 500 ha 1000 ha


République

Ager Falernus 0,75 750 ha 1 500 ha

Loi coloniale de César en 59 2,5 2 500 ha 5 000 ha


av. J.-C.

Tabula de bronze d’Ilici ca. 3,25 3 250 ha 6 500 ha


26-19 av. J.-C. *

Vibo Valentia C.L. 192 av. J.- 5,6 5 600 ha 11 200 ha


C.

Thurii C.L. 193 av. J.-C. 7,5 7 500 ha 15 000 ha

Vétérans césariens 12,5 12 500 ha 25 000 ha

Bononia C.L. 189 av. J.-C. * 15 15 000 ha 30 000 ha

Époque imperiale 16,5 16 500 ha 33 000 ha

Aquileia C.L. 181 av. J.-C. * 24,2 24 200 ha 48 400 ha

Vétérans de M. Saturnino 25 25 000 ha 50 000 ha

(África 103 av. J.-C.)*

Source: G. Chouquer, F. Favory 1992, Les arpenteurs romains, Errance, Paris. (Elaboration propre)

Ce qui, comparé aux espaces complets des différentes centuriations étudiées à


Valencia, ou en prenant l'aire métropolitaine actuelle comme référence, nous amène à
penser à des assignations de territoire réduites, en droite ligne avec les assignations de la
fin de la République ou du chiffre de 3,25 ha de la deuxième déduction augustéenne d'Ilici,
comme le montre la tablette de bronze (voir supra).

Hectares totaux prévus Km 2

Valentia A 7500 75

Valentia B 10400 104

-101-
Archéologie des paysages

Valentia C 20800 208

Aire Métropolitaine de 49106 491


Valence

Mais en plus des assignations réduites de terre nous devons penser à la voie
ouverte par la concrétisation de l’ager sumptus ex vicino territorio 127; je la développerai par
la suite.

Au cours de l'année 75 av. J.-C., 63 années après sa fondation, Valentia est


détruite par les armées de Pompée pour avoir pris le parti des factions sertoriennes,
épisode dont l'archéologie de la ville rend bien compte 128. Depuis, Valentia partage l'aspect
quasi désertique de ville comme Edeta. Nous disposons de données relatives à la
fréquentation des deux villes après cette date, comme le trésor de la colline de Sant Miquel
de l'année 44 av. J.-C. ; l'inscription de Cupra Maritima dédiée à Afranius, lieutenant de
Pompée, par les sénateurs et les colons de Valentia de l'année 60 av. J.-C., qui pour
certains serait la preuve d'une deductio pompéienne après la destruction de la ville 129, bien
que l'idée n'ait pas encore été étayée par les fouilles archéologiques ; le dépôt d'amphores
des dernières 40 ou 30 années du Ier siècle av. J.-C. de la rue Tenerias; ou encore, la
mention de Valentia sur les gobelets de Vicarello (ca. 20 av. J.-C.). Bien que la réalité
archéologique de Valentia ne prenne pas corps avant la refondation augustéenne, et elle ne
se montre évidente qu'à l'époque flavienne ; tandis qu'Edeta, pour sa part, ne commence
pas non plus à fonctionner comme une ville jusqu'à bien entré dans le Ier siècle apr. J.-C.

D'autre part, l'épigraphie de Valence met en évidence l'existence de deux ordines


130
, celui des veterani et celui des veteres (par exemple dans l'inscription CIL II 3741 [fig.
VII]), qui montrent, comme dans peu de cas, l'existence de deux déductions coloniales et,
par conséquent apportent un élément de réflexion pour comprendre les structures
centuriées trouvées sur leur territoire. De toute manière, selon les paroles de M.-J. Pena, il
semble que les veteres sont « très sûrement les descendants des habitants de la Valentia
républicaine » tandis que les doutes sont plus grands pour les veterani, qui pourraient être
les vétérans d'une déduction augustéenne, peut-être antérieure à l'année 27 av. J.-C. 131.
Mais la dernière phrase prononcée par l'auteur dans cet article me paraît très importante et

127
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 127-135)
128
(S ALUSTIO , Hist. II, 98, 6 ; A. R IBERA , M. C ALVO 1995)
129
(L. A LMELA V ALVERDE 2001 : 72)
130
(G. P EREIRA M ENAUT 1979 : 1987)
131
(M. J. P ENA 2002 : 276-278)
-102-
Archéologie des paysages

mérite d'être soulignée. Se basant sur la survivance de Valentia après la destruction de


Pompée et sur celle des nomina uniques ou rares de Hispania (Sertorius, Brinnius,
Otacilius, Messenia), comme témoignage de la colonie originale de 138 av. J.-C., l'auteur
postule que la relation prosopographique entre Valentia et Edeta s’expliquerait de la
manière suivante :

Face à ces données, il convient de penser que quelques familles valentines de la première époque ont
pu survivre sur le territoire ou dans les villes voisines et sont retournées à Valentia à l'époque impériale
pour constituer l'ordo decurionum ueterum, intégré dans la nouvelle ville.

Cet état de la question conduit à une série d'indices et d’intuitions qui, face au
manque de données positives, sont de bonnes hypothèses de travail. L'atmosphère qui se
respire dans la zone au cours de la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. : absence de vie
urbaine évidente à Valentia et à Edeta, bien qu'il ne s'agisse pas d'un dépeuplement absolu,
le rang de colonie dont jouit Saguntum durant quelques décennies cette même période, et la
structure centuriée découverte à Saguntum comme à Edeta, me font penser à ce contexte
césaro-triumviral, si productif en ce qui concerne les structures centuriées dans d'autres
zones du futur Empire, comme le cadre chronologique le plus adéquat. La structure
centuriée d'Edeta, tellement surdimensionnée, dans un territoire indigène et hostile, à en
juger par la destruction de la ville, rappelle ces grilles qui, comme dans le cas du cadastre
d'Orange A, couvrent de vastes espaces dans le seul but de romaniser les sociétés
indigènes et servir d'instrument d'intégration de l'espace rural d'une société en voie
d'urbanisation et de municipalisation ; ce même processus qui en Italie septentrionale et
dans le sud de la Gaule, entre 46 av. J.-C. et 27-23 av. J.-C., prend le nom d'époque
cesaro-triumvirale. Ces travaux de bonification et de structuration agraire permirent
précisément l'essor de ces villes au Haut Empire. Nous pourrions supposer que c'est dans
cet espace du territoire valencien, bien qu’appartenant à la future pertica edetana, que
purent « se réfugier » quelques familles de la première colonie de Valentia. Ou, de même,
imaginer une scène dans laquelle la pertica edetana soit une conséquence directe de la
destruction de la ville de Valentia, produisant ainsi une solution discontinue dans l'espace
des villes pour les colons et anciens habitants de la ville, comme dans le cas des trois
centuriations représentées dans les marbres d'Orange, exposés dans le forum de la colonie,
et dont une seule uniquement se trouve sur le territoire de la ville.

Précisément, les seules données dont nous disposons pour les deux déductions
d'une autre colonie du Pays Valencien, Ilici, nous parlent du même contexte chronologique :
ca. 42 av. J.-C. pour la première et ca. 26 av. J.-C. pour la seconde (voir supra).

Le retard d'impulsion de la vie urbaine à Valentia, entre le moment de la


(ré)fondation augustéenne éventuelle et l'époque flavienne, quand la ville démontrera à

-103-
Archéologie des paysages

travers les fouilles archéologiques de véritables symptômes de revitalisation, cause un


certain nombre de problèmes d'interprétation, s'agissant d'une longue période. Mais, si nous
admettons les dépôts rituels du forum de Valentia comme la refondation de la ville (aux
environs de la décennie du changement d'ère) il est probable que ce moment puisse
coïncider avec l'acte initiateur des travaux de Valence B, cadastre comprenant des terres
non gérées précédemment (qui à ce moment seront bonifiées) au nord et au sud de la ville
dans les terres marécageuses de la plaine côtière. Cette structure se prolonge jusqu'aux
confins de la ville, frontière avec Saguntum, bien qu'en dépassant les limites établies par F.
Beltrán ou J. Corell 132 par critères épigraphiques, suivant ses traces jusqu'à la limite
municipale de El Puig [titre 45: 320]. Un phénomène semblable se produit avec la pertica de
Valentia C qui s'introduit dans le territoire de l'ancienne Edeta (actuel territoire de Cheste)
et, à son tour, les bords orientaux de la grande pertica edetana sont examinés jusqu'aux
limites les plus occidentales de Valence A, aux abords de la ville de Paterna.

Cette situation admet plusieurs explications qui ne s'excluent pas entre elles. Nous
pouvons penser que les limites territoriales établies par critères épigraphiques ne sont pas
correctes et qu'il faut les réviser, bien que cela corresponde aux spécialistes.
Deuxièmement, nous pouvons penser que les différentes perticae sont indépendantes du
territoire de la civitas, (de fait, elles le sont) et interpréter les structures centuriées comme
autant d'opérations de gestion d'espaces définis par le paysage (vallées, plaines côtières,
régions naturels...) étrangères ou nuançant les réalités administratives. Enfin, perticae et
territoria peuvent être interprétés dans une perspective dynamique, indépendantes l'une de
l'autre, et formant ainsi une réalité plus complexe qui intégrerait des réalités de l'espace
indigène antérieures à la fondation de la colonie, ou une communauté de colons assignés à
un espace géographique qui comprend le territoire de plusieurs villes 133.

C'est l'option que nous avons choisie, avec Jean-Luc Fiches en 1997, pour une
étude réalisée sur le territoire de Nîmes [titre 29] où nous avons constaté qu'une limite
intercisivus du cadastre Orange A aux frontières des oppida de Nîmes et d'Ugernum,
confirmait la construction au sol d'une limite administrative au moyen d'un axe de la
centuriation. En nous appuyant sur l'étude effectuée par P. Veyne au sujet de la tablette des
Ligures Baebiani où sont relatés certains des aspects d'une réalité agraire et administrative,
de différentes unités territoriales, bien que conservant un fond de carte historique sur la
réalité des organismes tribaux et de leur adaptation à une nouvelle gestion de l'espace,
nous identifions, aux deux côtés du limes intercisivus 10,5 du cadastre Orange A, les fines

132
(F. B ELTRÁN 1980, carte 2 ; J. C ORELL 2002)
133
(G. C HOUQUER sous presse)
-104-
Archéologie des paysages

nemausensium et les fines ugernensium même si tout appartenait au territorium


nemausensis après l'attribution de ces oppida ignobilia à Nemausus [titre 29: 297-298].

Bien que dans le cas de Valentia il ne s'agisse pas de la ville indigène promue au
rang de colonie, ni de l'attribution d'un oppidum à une colonie, mais d'une colonie créée à
nouveau; le territoire de Valentia serait créé à partir des portions de territoires des quatre
grandes oppida (Arse-Saguntum, Edeta, la Carencia, Sucro) qui occupaient cet espace.
Bien qu'il s'agisse des territoires définis par les polygones de Thiessen 134, les comparant
avec la figure où se concrétisent les différentes centuriations, la pertica edetana s'adapte
assez bien à l'espace de son polygone au niveau des limites de Valence, jusqu'au début de
la plaine côtière, approximativement à Paterna, tandis que les perticae de Valence B et
Valence C s'adaptent aux limites proposées par les études épigraphiques, ou les dépassent
de peu. On peut considérer que le territoire défini par les inscriptions sur pierre (lapidaires)
met en évidence une réalité formée par la totalité des inscriptions et, par conséquent, par
une photo fixe du processus terminé, par les limites historiques finales figées par deux ou
trois siècles d'accumulation d'inscriptions. Le territoire ainsi délimité sera le processus final,
le fruit de tensions entre les villes limitrophes et après la récupération, postérieure aux
destructions d'Edeta et de Valentia au IIè et Ier siècle av. J.-C. respectivement [fig. VIII, 1].

Si il en était ainsi, et si la succession de créations parcellaires signalée


précédemment est correcte, la pertica edetana serait une réalisation tenant compte des
fines edetanorum de l'oppidum préalable à la consolidation du territorium valentinum, tandis
que Valence B serait une intervention avec une délimitation exclusivement conditionnée par
le milieu, dont l'objectif serait la bonification des marais côtiers au nord et au sud de la ville.
D'autre part Valence C s'adapte, ou dépasse même, les limites du valentinum, ce qui peut
s'expliquer comme étant la fin du processus dans lequel les confins territoriaux ont été
consolidés et que l'espace déjà réduit de la colonie de Valentia est devenu trop petit, ce qui
força, de surcroît, à prendre une portion d'espace au territorium edetanum au moyen de
l'ager sumptus ex vicino territorio.

De cette manière, avec les données dont nous disposons, la succession


d'interventions régularisatrices de la morphologie agraire dans le territoire des trois villes
pourrait être la suivante [fig. VIII, 2] :

1. Phase tardo-républicaine : création de Valence A, associée à fondation de la colonie


de Valentia.

134
(H. B ONET , C. M ATA 2002 : 236-237)
-105-
Archéologie des paysages

2. Phase guerres sociales / césaro-triumviral : perticae edetana et


saguntina.

3. Phase augustéenne : perticae de Valence B et Valence C.

LANGUEDOC, LE PLATEAU DE LES COSTIÈRES

L'opportunité de pouvoir faire des recherches sur les formes de paysages de cette
zone du Languedoc remonte à un contrat de recherche datant de fin 1994, prolongé jusqu'à
l'année suivante : L'analyse des formes du paysage sur le TGV Méditerranée (Valence et
Montpellier), qui donna lieu à un Rapport de Recherche inédit [titre 27] effectué en
collaboration avec G. Chouquer et F. Gateau. Plus tard je continuai à faire des recherches
sur cette zone dans le cadre de ma formation postdoctorale (1995-1997) menée à terme à
l'UMR 6575, Archéologie et Territoires du CNRS de l'Université de Tours, et à l'USR
Archéologie Spatial du CRA de Valbonne, d'où surgit la collaboration avec Jean-Luc Fiches
[titre 29: 292-300]. Ma principale contribution à cette collaboration fut l'analyse
morphologique et les travaux de comparaison à l'exemple des Ligures Baebiani,
collaboration qui profita de l'atout puissant que constituent les connaissances de Jean-Luc
Fiches quant à la zone et quant aux cadastres nîmois.

Finalement, une grande partie de la matière du rapport inédit sur cette zone du
plateau des Costières, largement développée, ainsi que l'article cité ont été intégrés dans
un Rapport de Recherche inédit (Le rôle de la création parcellaire dans la dynamique des
paysages -Secteur nîmois-) financé par l'Unité d'Archéologie Spatiale du Centre de
Recherches Archéologiques du CNRS, et le Service de l'Archéologie du Languedoc, ce qui
en essence correspond au chapitre III de Las formas…[titre 45: 85-172].

C'est dans ce secteur que le contact entre deux perticae acquiert le plus
d'importance : celle d'Orange A, déjà mentionnée, dans son extrémité la plus occidentale
qui arrive jusqu'aux limites de la ville de Nîmes ; et celle de Nîmes A, dans son extension la
plus orientale, jusqu'au Rhône. Au cours de la recherche que j'ai menée à terme, j'ai pu
démontrer que ce contact avait été probablement effectué par la construction, à partir de
l'hypoténuse d'un axe d'Orange A, en formant un angle varé entre les deux cadastres,
marquant dans le sol des réalités administratives indigènes, en plus des structures
nouvelles, proprement agraires qui étaient sous-jacentes à la superstructure administrative
transformée à l'époque romaine [titre 29].

L'articulation géométrique des deux systèmes et la création physique de l'axe VK


10,5, à l'extrémité des Costières, ont servi tant à marquer les réalités administratives
indigènes précédentes et cadastrales différentes (pertica nemausensis et d’Orange A),
comme à construire la centuriation. Sa pérennisation sur la longue durée, marque de la

-106-
Archéologie des paysages

limite diocésaine entre Arles et Nîmes au IVè apr. J.-C., et sa conservation jusqu'à nos
jours, sont des aspects qui montrent bien, comment la forma cadastrale reflétait différents
niveaux de la réalité géographique et administrative, en plus de ses fonctions agraires les
plus évidentes. Mais à la limite occidentale des Costières (à Bouillargues), probablement
parce qu'il s'agit de l'extrémité de la pertica, on a pu mettre en évidence un autre cas de
rapports en diagonale qui indiquent la confluence de Nîmes et de Orange À ; interprété
comme indice de la construction vers l'ouest, de Nîmes A, là où commence la véritable zone
d'influence de cette pertica [titre 45: 136-137, figs. 29 et 30].

Ces analyses ont permis de signaler l'idée que le système d'Orange A a précédé de
quelques années celui de Nîmes À, dans le cadre d'une pertica « transterritoriale » dont la
vocation originale serait celle de créer les conditions d'une nouvelle relation à la terre au
sein des anciens oppida, dont un appartient au secteur d'influence de Marseille, après sa
chute en 49 av. J.-C., et avant la création de la colonie d'Arles en 45 av. J.-C. [titre 29];
nous nous trouverions, donc dans le contexte chronologique des profondes transformations
agraires des cadastres d'époque césaro-triumviral, évoquées par F. Favory 135.

Dans ce contexte et en fonction de la relative conservation de chaque système, le


cadastre d'Orange A a pu jouer ce rôle majeur sur le plateau des Costières. Mis à part le
système de la Vistrenque, dont nous trouvons des traces évidentes à travers tout le plateau,
le cadastre A d'Orange représente la superficie et la dispersion la plus importante de la
région (orientation omniprésente et présence de masses parcellaires même dans la zone de
moindre influence). Sa fonction principale a pu être de caractériser convenablement les
types d'établissements qui ont un rapport spatial avec les surfaces gérées et exploitées au
moyen de cette centuriation. Les résultats sur le territoire d'Ugernum ont déjà montré
fréquemment comment les implantations de type villae, du haut Empire ou du Ier siècle av.
J.-C., avaient une relation étroite avec ce système 136.

Pour ce qui est du système de Nîmes A, j'ai formuler une hypothèse de travail
selon laquelle la disparition du système du Vistrenque, une structure agraire protohistorique
ou système cohérent, pourrait être lié à la création d'un système de type centurié dont les
axes auraient pour fonction de drainer le plateau vers la vallée du Vistre. En effet, c'est
dans une de ces zones où l'on trouve des traces fossilisées mais aucun type de
conservation active du système du Vistrenque (aux alentours de Garons), que la
centuriation de Nîmes A se manifeste le plus clairement. Dans d’autres zones sa présence
est anecdotique et, en général, liée à un site du type villa du Haut-Empire. Dans ce cas-là,

135
(F. F AVORY 1997 : 121)
136
(F. F AVORY , J.-L. F ICHES , J.-J. G IRARDOT 1987-1989 : 82)
-107-
Archéologie des paysages

sa fonction pourrait être comparable, dans un milieu spécifiquement nîmois, à celle du


cadastre A d' Orange, et donc d'être son prolongement vers l'ouest : un cadastre
« transterritorial » lié aux oppida dépendants de Nîmes, entre 45 et 15 av. J.-C.

Par ailleurs, en ce qui concerne Nîmes B, bien que J.-L. Fiches a déjà souligné la
vrai différence entre les systèmes urbains augustéens et Nîmes B, remettant en questions
l'existence crédible d'éléments de datation dépourvus de l'argument chronologique de
référence (l'urbanisme augustéen de la ville de Nîmes, la vieille interprétation selon laquelle
un cadastre de compréhension aurait mis en exploitation les terres laissées de coté
d'Orange A est moins solide. Cependant, la dispersion spatiale sur le plateau des Costières
de superficies parcellaires ainsi orientées, en relation avec les structures agraires, semble
confirmer les premières impressions.

J'ai pu aussi apporter quelques éléments de réflexion, sous l'angle de la


morphologie agraire, aux hypothèses qui parlent d'une conquête de nouvelles terres dans
l'étang de Claussonne à l'époque antique, en parallèle à la construction de l'aqueduc de
Nîmes (milieu du Ier siècle apr. J.-C.), qui a permis de gagner 1 km 2 de terres cultivables,
les propriétaires fonciers finançant une partie des frais provoqués par la construction de
l'aqueduc 137. Nîmes B serait un cadastre de compréhension, qui aurait pour but la mise en
culture des dernières surfaces cultivables de la région ; terres marginales, bien
qu'exploitables, et le drainage des bassins endoréiques. Ce contexte de pression sur le
territoire, et la relation morphologique du tracé de l'aqueduc de Nîmes, nous situerait dans
la chronologie traditionnelle admise pour ce système.

SUR LA NOTION DE RÉGULARITÉ ORGANIQUE DANS LES PAYSAGES


H ISTOIRE D ’ UN CONCEPT

Il s’agit d’une réflexion sur les modalités de planification des formes agraires dans
l'Antiquité, en dehors du cas bien modélisé des centuriations romaines. Les archéologues
peinent quelque peu à définir les réseaux parcellaires cohérents indigènes, formes que les
chercheurs anglais désignent sous l'expression de cohesive systems 138. Comment construit-
on un tel réseau d’époque ancienne, par exemple un réseau « indigène » préromain ? Cette
réflexion s’inspire aussi des remarques faites par F. Favory dans sa thèse d’état, et reprises
dans un article au sujet de la validité de l’attribution des réseaux cohérents ou des
fluctuations des orientations des parcellaires centuriés à la protohistoire 139. J’ai essayé

137
(G. F ABRE , J.-L. F ICHES , J.-L. P AILLET 1999)
138
(F. F AVORY 1983 : 69-74)
139
(F. F AVORY 1997 : 103-104)
-108-
Archéologie des paysages

d’apporter une contribution à ce débat en faisant appel à la morphogenèse et à un concept


lié à la problématique des réseaux cohérents : la régularité organique.

En quoi, réellement, la modélisation d’une centuriation, proposée par F. Favory 140:


(« …la centuriation consistera en un réseau bidimensionnel, périodique et orienté selon une
direction déterminée et constante dans le cadre d’une pertica »), se démarque-t-elle de
celle d’un authentique réseau cohérent, comme par exemple le cohesive system des
Berkshire Downs 141? La différence principale est qu’il n’y a pas d’axes rectilignes, pas
d’orientation constante. Mais les autres éléments sont bien présents : le réseau est bien
bidimensionnel car on a une structure développée en deux dimensions ; il est aussi
périodique, car on peut apprécier l’existence d’un rythme métrologique. Et, toujours dans la
même ligne de comparaison, si l’on imagine à la place du mot pertica (qui désigne, chez les
arpenteurs romains, le territoire devant être divisé par la limitation en vue d'une assignation)
un autre, méconnu mais approprié à « l’emprise spatiale (aire géographique) et territoriale
(aire politique) des réseaux indigènes », on pourrait situer chronologiquement l'apparition
de ce terme au moment de l’évolution des communautés villageoises vers les entités micro
étatiques du deuxième Âge de Fer 142.

Mais c’est là que réside la difficulté de sa modélisation, car le manque de traits


rectilignes comparables aux axes (limites) d’une centuriation, ne nous permet pas de faire la
différence entre un axe réel préconçu, mais qui ne se verrait plus par usure et disparition, et
un autre qui aurait toujours correspondu à un axe tortueux, s’adaptant constamment à
l’orographie. Quel est le seuil que le chercheur peut tolérer pour accepter un trait qui
change sans cesse d’orientation et pour en rejeter un autre?

On pourrait proposer quelques causes pour assoir la réalité des parcellaires


protohistoriques :

1. D'ordre technique d'abord : les premiers agriculteurs auraient été plus maladroits
que les arpenteurs romains, et il est probable qu'ils ne connaissaient pas d’outil tel
que la groma.

2. Toujours sur le plan technique : en s’adaptant constamment au relief, ils


produisaient un faisceau d’orientations, reflet de la réalité du terrain ; mais
pourquoi s’adapter à la réalité du terrain ?

140
(F. F AVORY 1983 : 51)
141
(R. B RADLEY , J. R ICHARDS 1978 : 55)
142
(M. P Y 1993 : 150)
-109-
Archéologie des paysages

3. D'ordre social enfin : on peut aussi expliquer la régularité de ces parcellaires par
les types de structures sociales qui les ont produits. Mais pour cela il faut faire un
long détour.

J’ai appliqué pour la première fois le concept de « régularité organique » aux


parcellaires d’irrigation d’origine arabe. Régularité car les principaux axes qui articulent
l’espace agraire répètent des rythmes métriques [fig. IX, 2-2 B], constants malgré leur
sinuosité [fig. IX, 2-3]; organique, car le tracé des canaux est conditionné par les courbes
de niveau et ressemble au mouvement et à la forme organique d’un fleuve [titre 25: 284-
285].

Ensuite, Gérard Chouquer a appliqué le même concept aux systèmes fortuits


engendrés par le relief dominant [titre 27: 7]. C. Lavigne, d’autre part, utilisa le même
concept « La régularité organique des parcellaires de formation. (...) Ces différentes
contraintes imposées à l’homme par le milieu, se sont imposées à toutes les époques et
aboutissent à la formation de parcellaires marqués par une forte régularité organique [titre
25]. Cette régularité peut être confondue avec la régularité modulaire des parcellaires de
fondation médiévale aux formes, parfois, aussi souples et ductiles ».

Plus tard, la syntonie de concepts fut oubliée et, sans explication, fut remplacée
par celui de planification discrète. Bien que je ne sois pas en désaccord avec ce prêt, la
réalité à laquelle je pensais à ce moment-là n'était pas celle d'un système fortuit, auto-
organisé dirions nous maintenant, mais planifié.

Dans une deuxième définition, j’ai précisé le concept en considérant la possibilité


d’une « planification » de la régularité organique au sein d’un système irrigué : [titre 45 :
335-336]:

Le fait d’apprécier une multiplicité d’orientations n’empêche pas l’observation de l’utilisation de modules
et de rythmes métriques s’adaptant aux différentes orientations du parcellaire. Le fait majeur qui
conditionne cette situation est l’adaptation du tracé des acequias aux contraintes du terrain. Dans les
parcellaires irrigués, les nécessités d’adaptation constante au microrelief pour amener l’eau du barrage
jusqu’à la dernière unité parcellaire expliquent qu’on se trouve face à la construction d’un parcellaire
cohérent, mais sans une orientation dominante constante dans tout le secteur programmé. Car
l’arpenteur, ne pouvant s’affranchir de la réalité du terrain, en raison de la particularité de la fonction des
lignes du parcellaire, essaie, quand même, de créer des lots de même taille. Dans ce cas, un réseau
cohérent peut être issu d’une volonté planificatrice.

Dès 1997, au sein du projet intitulé La naissance de la ville islamique : Nakur,


Aghmat, Tamdult, et à l’occasion des travaux sur Aghmat et son système irrigué, la
recherche du système agraire de la ville d’Aghmat m’a montré le lien existant entre mon

-110-
Archéologie des paysages

concept de régularité organique [RO] et celui de géométrie de l’espace naturel [GEN] qu'on
trouve chez P. Pascon 143.

(…) le problème de l’exploitation du Hawz est extraordinairement simplifié et relève de la pure géométrie
car, partout où il est vide d’hommes, il ne dépend que d’un seul facteur: l’eau! Une fois connue la
géométrie de l’espace naturel et le site des ressources en eau, le projet d’aménagement est aisé à
concevoir à un niveau technologique donné. Voilà qui donne à réfléchir sur l’importance des
géomanciens et des hydrauliciens dans les cours almoravides et almohades!

Précisions la relation entre le deux concepts. Là où existe une géométrie de


l’espace naturel, il peut y avoir une régularité organique, mais, en revanche, la régularité
organique n’est pas la conséquence directe de la géométrie de l’espace naturel. Dans la
relation directe GENÎRO il peut s’agir d’un réseau fortuit ou bien il s’agit de la
planification discrète, ou discontinue telle que Gérard Chouquer l’a mise en évidence 144.
Mais il y a des exceptions, et on ne peut inférer un rapport ROÎGEN selon lequel la
régularité organique n’existerait que dans les espaces géographiques où une adaptation au
relief est nécessaire.

Pour tenir compte de ces nuances, on proposera différentes manières, non


exclusives entre elles, de rendre compte de la morphogenèse des systèmes parcellaires
cohérents de la protohistoire.

Une construction spontanée de divers réseaux dans différents terroirs d’un même
finage avec des espaces intermédiaires non cultivés (j'entends les concepts de terroir et
finage tels qu’ils ont été définis par R. Lebeau 145). La cohérence géographique ou la
« géométrie naturelle de l’espace » feront le reste et donneront lieu à la genèse d'une
structure qui fonctionne en réseau, partageant des éléments communs, par exemple les
chemins, mais qui n’a jamais été conçue comme telle. Les travaux que nous avons
effectués au sud de Marrakech, où la régularité du parcellaire d’irrigation s’étend à
différents territoires tribaux, prenant l’aspect d’ « îles », nous suggèrent cette possibilité. Ou
bien, quand les alignements avec une orientation dominante, vue dans le terrain, ne
paraissent pas construits par un arpenteur, vu (observé dans le détail) le caractère
irrégulier du tracé.

Une construction programmée à partir d’un projet préalable, élaboré à partir des
terres cultivées. À la différence de ce que l’on constate pour les formes romaines où les
limites des réseaux romains sont d'abord tracés avec la groma, les chemins ne seraient pas

143
(P. P ASCON 1983 : 8-9)
144
(G. C HOUQUER 2000 : 189)
145
(R. L EBEAU 1969 : 7)
-111-
Archéologie des paysages

les premiers à être construits. Au contraire, on commencerait par les champs, laissant en
négatif les chemins comme exclusion spatiale dans le projet initial. Plusieurs indices
conduisent à formuler cette hypothèse. Mais le fait principal est qu’on observe une
adaptation permanente des orientations sans qu’on puisse tout expliquer par le relief. Ce
serait précisément l’interaction de cet aspect planifié avec le facteur topographique qui
provoquerait le faisceau d’orientations propre aux systèmes cohérents. Dans la vallée du
Turia, où la régularité du parcellaire paraît liée à la « construction » d’un territoire, avec un
système hiérarchisé d’établissements spécialisés [titre 45: fig. 24 a et b : 165 ; fig. 37 et 38 :
200-201]

Une construction programmée dans le cadre d’un système agraire irrigué ou drainé,
où une préconception des éléments constitutifs est requise. Les éléments en commun de
chaque terroir doivent être nécessairement intégrés (on ne peut imaginer les choses
autrement dans le cas d'un canal d’irrigation ou de drainage), mais à l’intérieur de cet
espace préconçu, la zone cultivée est créé selon la modalité décrite dans le paragraphe
précédent. Cela peut être le cas de n’importe quel système d’irrigation ou drainage.
Toutefois si l’on conçoit ce réseau comme exemple de réseau intégré lié à un drainage, il
faut qu'il ait des connexions, et on ne peut envisager alors des blocs isolés, indépendants
entre eux. Le même exemple peut ainsi illustrer deux réalités.

On peut ajouter un dernier type qui correspondrait à la planification géométrique


par bandes de terres, droites ou ondulantes, parallèles et périodiques telles les formes du
Dartmoor (voir le détail de la forme de l’Upper Dart) ou celles de la région des Tilles et de
l’Ouche près de Dijon 146. Dans ces deux cas, l’observation est d'autant plus intéressante
qu'elle porte sur des formes archéologiques reliques ou fossiles, et non pas sur
l'interprétation de parcellaires actuels pour y trouver des formes héritées. Ce quatrième type
serait le plus proche des planifications romaines, même s’il montre des différences. En
outre, il est très comparable aux formes de planification médiévale telles que Cédric
Lavigne les a définies dans son ouvrage comme planifications discrètes 147 bien qu’il ait
emprunté ce concept de régularité organique en 1997 148. Voyons justement le cas de
l'espace rural des environs de la bastide de Gimont qu'il utilisa en 1997 pour illustrer le
concept de régularité organique, citant l'article dans lequel je fondais ce concept en 1996;
alors qu'en 2002 cet auteur expérimente un changement total, en effet il présente le même
objet de recherche, la bastide de Gimont, comme exemple de planification discrète. Je peux

146
(G. C HOUQUER 1996)
147
(C. L AVIGNE 2002 : 138-164)
148
(C. L AVIGNE 1997 : 156, fig. 6)
-112-
Archéologie des paysages

admettre ce changement et le choix d'un concept différent. Mais je ne comprends pas


l'absence d'argumentation; en effet, le texte publié en 2002 ne présente pas une seule ligne
venant appuyer ce changement. Celui-ci ne prend de sens qu'à travers la lecture de l'essai
de Gérard Chouquer 149 L’étude des Paysages dans lequel il effectue la liaison entre les
deux concepts.

Le premier cas décrit ci-dessus, comme le second, peuvent entraîner des


structures que l’on peut envisager de reconstruire en liaison avec un processus historique.
Mais en l’absence d’espaces organisés il n'est pas possible de conclure à une continuité du
réseau.

Bien que le concept ait été développé à partir de la réalité observée dans les
systèmes irrigués, il ne faut pas oublier que cette régularité organique peut être également
perçue dans des systèmes agraires non irrigués. Ainsi l’explication ne tient-elle pas
seulement aux conditions techniques liées à la circulation de l’eau mais aussi à d’autres
facteurs de caractère social. Le concept peut s’appliquer à d’autres systèmes.
D ES CONTRAINTES PHYSIQUES

Un système agraire en général, mais surtout en milieu aride, recherche la maîtrise


de l’eau, le contrôle et la gestion de l’eau excédentaire en certaines saisons, érodant ici le
sol, et recouvrant là de grandes surfaces avec des limons qui contribuent à former des sols
neufs. En d’autres saisons, quand il fait plus chaud, le manque d’eau intervient au moment
où les plantes en ont le plus besoin pour achever leur fonction végétative.

La gestion des espaces agraires est donc, pour les paysans, une tentative
permanente de tempérer ces effets extrêmes. D’un côté il s’agit d’éviter, si possible,
l’accumulation excessive d’eau de pluie à la faveur des sols agraires et d’empêcher que
l’énergie de l’eau en mouvement pendant les fortes pluies ne fasse disparaître les sols sur
lesquels repose la production. D’un autre côté, il s’agit de « discipliner » et de réguler des
ressources en eau faibles et irrégulières, dues aux précipitations hasardeuses, de manière
à ce que l’eau puisse être utilisée dans les moments critiques du stress estival, quand les
plantes en ont le plus besoin.

L’eau de ruissellement pose deux problèmes majeurs: la gravité universelle qui fait
que l’on ne peut pas déplacer l’eau autrement qu’en suivant la pente ; l’excès de vitesse par
accélération de cette même pente qui provoque l’érosion des sols. Il faut profiter de cette
force mais il arrive un moment où il faut réduire la vitesse produite par l’accélération. Dans
une canalisation l’eau fonctionne comme un fleuve : à vitesse lente les particules en

149
(G. C HOUQUER 2000 : 141)
-113-
Archéologie des paysages

suspension se déposent, et il y a donc sédimentation ; à grande vitesse l’eau enlève le sol,


et il y a érosion. Pour éviter ces problèmes, les constructeurs des réseaux irrigués ont
recours à deux solutions techniques qui s’expliquent entre-elles : une forte pente (3% en
moyenne) pour diminuer la section du canal, et un tracé sinueux pour freiner un écoulement
trop rapide 150. Nous ajouterons une troisième solution, mentionnée par les agronomes
arabes : à l’intérieur de la parcelle maintenir une légère pente pour drainer la surface, pente
qui ne doit pas être inférieure à 12 doigts pour 100 coudées, soit 0,4 % 151.

T.-F. Glick a noté que ces facteurs ont été une source de conflits à Valence au
Moyen Âge 152 car la force de l’eau des deux côtés du canal n’est pas seulement la
conséquence de la largeur du canal, mais aussi du niveau du fond, à savoir le lit. Ainsi la
quantité d’eau de chaque bras secondaire et des partiteurs est modifiée par les dépôts
sédimentaires altérant le débit et, par voie de conséquence, il y a transformation des
conditions de distribution préalables convenues par les diverses communautés.
L’information de base qui devait être conservée pour chaque partiteur, et parfois aussi pour
les canaux principaux, était non seulement la largeur mais aussi la côte du lit, afin que,
dans certains cas, l’on renforce celui-ci avec des pierres pour bien marquer le fond et
faciliter son entretien.

En milieu aride il y a aussi des contraintes qui affectent directement la capacité


agrologique du sol liée à la disponibilité en eau. Dans les vallées encaissées, l’eau est
abondante et la terre est disponible sous forme de bandes étroites ; dans les plaines, les
terres sont plus étendues mais l’eau est une ressource restreinte. Tels sont les principes
d’aménagement qui président à l’organisation des huertas, tant à l'échelle du parcellaire
que dans l’ensemble, et qui se répètent depuis l’Espagne jusqu’à l’Iran et du Roussillon
français au hawz de Marrakech 153.

Les secteurs ou périmètres irrigués sont donc le résultat d’une programmation, de


ce que Miquel Barceló appelle un diseño 154: le tracé du canal principal entoure les terres
mises en exploitation ou susceptibles de l’être, selon l’importance du groupe qui crée
l’espace agricole, et selon les contraintes mentionnées ci-dessus (hydrauliques et
disponibilité de sol), avec un mode de restitution de l’eau au système naturel. À son
extrémité, le canal versera les eaux non utilisées pour irriguer les champs soit dans le

150
(P. P ASCON 1983 : 84)
151
(L. B OLENS 1972 : 72)
152
(T. F. G LICK 1988 : 106–115)
153
(R. H ÉRIN 1977, 1990 : 59-60 ; P. P ASCON 1983, 88-89)

-114-
Archéologie des paysages

fleuve soit dans le canal d’un autre sous-secteur. Le terroir ainsi formé est enveloppé par le
cours d’eau, d’un coté, et par le canal principal, de l'autre, et il devient ainsi une unité
technique, géographique et humaine 155.

À l’intérieur de ce secteur, les eaux sont distribuées par des canaux secondaires
qui se subdivisent en « sous-secteurs ou finages de villages, dans lesquels le gradient
s’établit de façon centrifuge par rapport au barrage dans le terroir. Ce schéma théorique est
sensiblement modifié par une courbure de la acequia en aval de manière à réduire, au bout,
la surface dominée » 156. Mais, dès que cette courbure existe, elle est prise en considération
car les livelladors (niveleurs hydrauliciens) en connaissaient bien les conséquences,
puisqu’un canal courbé offre plus de résistance à l’écoulement d’eau (il faut plus d’énergie
pour impulser l’eau le long de la courbe) :

(…) quand l’eau d’un canal principal [acequia mère] se partage de façon égale
entre les deux canaux, pour la construction des cotés et des partiteurs desdits
canaux on a coutume de s’attacher à (de s’attarder sur) celle des deux qui…
va le plus droit [par rapport] au cours du canal principal. Et si l’on voit qu'une
des deux acequias va plus droit [par rapport à la acequias mère], de telle
manière que, recevant l’eau plus librement, elle en prenne plus que l’autre,
également en ligne droite, n'en reçoit, on prendra l'habitude d’élargir le
partiteur du canal qui ne va pas aussi droit, et de rétrécir le partiteur du canal
plus rectiligne, afin que celui-ci ne reçoive pas plus d’eau que celui-là, de
manière à ce que les deux soient alimentés par la même quantité d’eau 157.

C’est pour cette raison que les périmètres irrigués, en plus du tracé sinueux des
canaux, ont une forme lenticulaire. Cela est renforcé en montagne où les conditions du
terrain permettent de trouver de bons sols dans les méandres ou anciens méandres des
fleuves, formant des espaces plus aptes, par leur topographie, à une mise en exploitation
par détournement de l’eau du fleuve.
I NTERPENETRATION DE L ’ ESPACE GEOGRAPHIQUE ET DE L ’ ESPACE SOCIAL

154
(M. B ARCELO 1989 : XXV et suivs.)
155
(P. P ASCON 1983 : 84-85)
156
(P. P ASCON 1983 : 96)
157
(…) que quant laygua de alguna cequia mare se parteix per egual entre dues cequies en la
construccio dels lindors e dels partidors de les dites cequies se ha e acostuma haure sguard qual de
aquelles cequies a les quals la dita aygua se deu partir ve pus dreta al discurs de la cequia mare. E
per ço com trobant se pus dreta alguna de les tals cequies per haure e rebre laygua pus delliure
directa via ne pendria mes que no laltra que no la rebria axi dreta via per tal raho se sol e sacostuma
dar avantatge de qualque pocha latitut o amplaria al partidor de la cequia qui no ve tan dreta e se fa
pus stret lo partidor de la cequia que ve dreta, por ço que per aquell poch avantatge la cequia que no
ve dreta no reba mes aygua que laltra que no ve tan dreta ans cascuna de aquelles reben laygua ab
egualtat.
-115-
Archéologie des paysages

R. Hérin 158 a explicité le fait qu’à chaque mode de production, je dirais plutôt à
chaque formation sociale, correspond une organisation de l’espace déterminée, qui reste
inscrite dans le sol pendant un laps de temps plus ou moins long, ce qui permet une lecture
et une interprétation postérieures. C’est ce principe qui a guidé, d’une manière plus ou
moins consciente, mes propres recherches.

Dans les milieux arides ou désertiques l’eau devient une variable indépendante 159:

Si dans la loi musulmane, comme dans la loi latine, le droit de propriété apparaît comme le type même
du droit réel absolu, en droit musulman, du moins, le droit de propriété sur les eaux fait très nettement
exception à cette règle ; il n’est ni absolu ni exclusif et il est tout empreint d’une charité religieuse
commandée par une impérieuse raison géographique, la rareté de l’eau dans les pays de l’Islam, et
aussi par cette solidarité qui régnait dans les sociétés primitives.

C'est ce que je me propose d'examiner dans les prochaines lignes. Les cultures
irriguées ont besoin de soins constants et il est fréquent qu’on puisse récolter plusieurs
moissons par an, d’où la proximité entre l’habitat et les vergers afin d'assurer la surveillance
des terres et les travaux permanents associés. Ensuite, la acequia intercommunautaire est
à l’origine d’un certain nombre de rapports sociaux entre amont et aval et elle suit un tracé
géométrique rarement simple, associant des raisons topographiques et / ou sociales. Le
micro parcellaire est une conséquence du paradoxe cité plus haut sur la disponibilité de la
terre et de l’eau, à savoir qu'il y a très peu de terres là ou se trouvent les ressources en
eau. Mais le micro parcellaire est également dû à la croissance démographique qui
provoque la fragmentation des parcelles par héritage. Or ce processus comporte une limite
qui est à l’origine d’un phénomène de fragmentation du clan. Quand arrive le moment où il
n’y a plus assez de terre, le clan doit se fragmenter et se déplacer ailleurs pour assurer la
survie de l’unité sociale supérieure qu’est la tribu. On reviendra plus loin sur ce point. Tous
ces facteurs donnent une « transcription spatiale de la distribution de l’eau sous forme
d’échiquier » et une interpénétration de l’espace géographique et de l’espace social.

Cette distribution spatiale et sociale révèle aussi un accès différencié à l’eau et à la


terre, car les différents groupes sociaux et ethniques n’ont pas accès à ces ressources
d’une manière égalitaire. Le partage d'un même canal entre plusieurs communautés
villageoises joue le rôle d’élément de cohésion pour cette communauté d’irrigateurs, mais à
l’intérieur de celle-ci il existe une stratification des droits sur l’eau en fonction du rôle social
des différents groupes. Par exemple, d’après L. Ouhajou 160, 89 % des familles sans droits
en eau, les « sans eau », sont Haratine, c’est-à-dire qu’elles forment la base sociale par

158
(R. H ÉRIN 1990)
159
(D. M ENESSON 1972 : 15)

-116-
Archéologie des paysages

rapport aux Hrar et M’rabtine, ce qui n’empêche pas l’existence de correctifs entre ceux qui
sont en amont et ceux qui sont en aval des cours d’eau. Ces correctifs sont basés sur deux
formes de tours d’eau ou droits de prise d’eau pour une certaine durée : la forme allam (en
amont, avec abondance d’eau) où la disponibilité d’eau est proportionnelle à la superficie de
terre et la forme melk (en aval, moins abondant) là où la propriété de la terre est
indépendante de l’eau. Ainsi, ceux d’aval, qui disposent de moins d’eau provenant de la
rivière, peuvent acheter l’eau indépendamment de la terre, corrigeant ainsi les déficits
provoqués par la spatialisation et l’équilibre entre la terre et l’eau. Cette situation se
reproduit d’une manière semblable à Elche, en Espagne, où la dula est le tour d’eau des
terres en aval qui sont moins riches en eau 161. Le tour d’eau est ainsi soumis à la
disponibilité de cette ressource.

Cette permanence des structures spatiales nous amène à la solution pratiquée par
la société arabo-islamique quand la croissance démographique affecte le groupe et que les
ressources – en terre et par voie de conséquence, en eau – sont insuffisantes, provoquant
la segmentation clanique. Chacune des crises sociales, avant l’arrivée de la crise
environnementale, est résolue par la scission ou fragmentation du groupe, ce qui provoque
la diffusion des groupes claniques dans tout le monde islamique : diffusion des Hawara ou
des ‘Ata au Maghreb et au sharq al-Andalus. Le projet de recherches conduit par M. Barceló
depuis vingt ans a essayé de mettre en évidence les règles – pautas – de cette « diaspora »
en étudiant les caractères encore imprimés dans l’espace par la construction des espaces
irrigués d’al-Andalus.

M. Barceló 162 a pu mettre en perspective l’alternative segmentaire et l’organisation


de l’espace agricole à travers la généalogie des groupes claniques islamiques– « la
segmentation crée des identités généalogiques avec interstices spatiaux » –, détectée par
les travaux des anthropologues depuis les années cinquante, avec la rigidité et la « nature
stable des systèmes physiquement fragiles » des infrastructures hydrauliques. H. Kirchner,
de son coté, lors d’un séminaire de la Casa de Velázquez en 1998, proposait l’idée que la
dimension des espaces hydrauliques serve à estimer la surface nécessaire pour garantir
l’horizon de subsistance du groupe ; ainsi la segmentation n’aurait pas été la conséquence
de l’épuisement du débit de l'eau, mais se serait produite bien avant, pour éviter l’entrée en
crise. De cette façon, au Maghreb et en al-Andalus les vieux systèmes irrigués d’autrefois
conservent une bonne partie de l’empreinte spatiale qui les façonna à l’origine.

160
(L. O UHAJOU 1991 : 96)
161
(R. A ZUAR 1998 : 20-23)
162
(M. B ARCELÓ 1989 : XXVIII – XXIX )

-117-
Archéologie des paysages

L A PLANIFICATION A PARTIR DE L ’ ESPACE PRIVE

Pour terminer sur cette approche société / espace, il faut insister sur la différence
de construction parcellaire qui se constate selon que la programmation parte des espaces
publics ou des espaces privés.

Ce qui me paraît intéressant de remarquer c’est que l’on est en train de comparer
des formations sociales assez éloignées dans le temps (protohistoire et monde islamique),
mais peut-être pas dans leur structure sociale. Les travaux d’E. Wirth peuvent éclairer cette
apparente contradiction. Dans ses travaux sur l’urbanisme, il affirme que la ville dite
islamique doit être dénommée orientale, car il n’y a pas de différence entre les villes
abbassides, ottomanes orientales, celles du nord de l’Afrique médiévale ou les villes de
163
l’Orient Ancien des IVè-Ier millénaires av. J.-C. . Pour lui, les caractéristiques propres,
telles que les ruelles tortueuses ou les impasses, « n’existent ni dans les villes de
l’Antiquité classique ni dans les villes du Moyen Age européen… elles ne sont pas le
résultat d’une croissance anarchique et incontrôlée, mais elles furent consciemment
planifiées ». Elles sont le reflet de l’organisation tribale de l’espace. Les axes de circulation
sont une réalité économique et fonctionnelle mais pas des lieux publics : « rues et places
sont en quelque sorte un « espace négatif », le résultat d’une exclusion spatiale hors du
domaine privé… » 164. Cette différence est marquée par le poids spécifique variable concédé
par ces sociétés au domaine privé, au détriment du domaine public. Une lecture postérieure
m’a permis de mieux comprendre la modélisation, par García y Bellido de ce processus
dans le monde islamique, processus sanctionné par les fatwas et la coutume 165.

On observe sur la figure [fig. IX, 1], de manière simplifiée, la modélisation du


processus d’expansion sur l’espace public et l’appropriation privée par usurpation de J.
García y Bellido. Dans la première phase, une rue rectiligne, qu’elle soit le fait d’une
fondation musulmane ou de l’occupation musulmane d’une rue de l’antiquité, est occupée
par des marquises saillantes ou de tentes en guise d’excroissance, de prolongement des
maisons. La seconde phase voit ces appropriations être mises en dur et envahir la rue, et
dans le même temps d’autres maisons s’étendre au milieu rue par le biais d’autres
marquises ou d’autres tentes. Au cours de la troisième et dernière phase, le processus
d’expansion et de consolidation de l’espace privé, résultat de divers rapports de force et de
pressions entre les propriétaires et des sanctions successives (fatwas), a entraîné la
déformation de l‘ancienne rue rectiligne et son remplacement par une rue tortueuse: c’est

163
(E. W IRTH 1982 : 196 ; 1993 : 72-73)
164
(E. W IRTH 1993 : 79)

-118-
Archéologie des paysages

l’exclusion en négatif de l’espace public. Pour en revenir à la comparaison entre les


formations sociales lointaines, il ne faut pas oublier que la société musulmane se base sur
l’état tributaire et sur les liens tribaux au sein des communautés villageoises, au même titre
que ce qui a été suggéré pour les sociétés protohistoriques plus avancées. Dans les deux
cas, la sphère privée domine la sphère publique. De fait, les Gaulois du sud de la France
vécurent un processus d’émergence progressive du domaine public au détriment du
domaine privé, processus rendu évident par la régularisation graduelle de l’urbanisme à
166
partir du VI siècle av. J.-C. . Mécanisme comparable à celui des sociétés protohistoriques
méditerranéennes, comme les Ibères 167, ce qui va de pair avec l’apparition de l’Etat et la
décomposition des anciennes communautés villageoises.

Une hypothèse de travail que l’on peut formuler est celle qui poserait la
prépondérance du privé sur le public comme possible explication de certaines des
organisations parcellaires qui font l’objet d’une étude.
Q UELQUES EXEMPLES

Albarracín (Haut Turia, Teruel)

Dans cet exemple de la serranía d'Albarracín on distingue très bien le


fonctionnement d'un modeste système irrigué [fig. X, 1]. La petite surface cultivable est
aménagée et irriguée au moyen d'une noria ou roue d'élévation d'eau (arabe : naura) qui
élève l'eau et la déverse dans le canal principal qui entoure le périmètre irrigué, délimitant
une surface lenticulaire de terre. À l'intérieur du système, pas moins de cinq rigoles
subdivisent cet espace en essayant de créer des bandes de culture d'une surface plus ou
moins égale (les deux bandes centrales sont perpendiculaires au tracé de l'acequia
majeure), bien que l'irrégularité des contours ne permette pas d'obtenir des bandes
régulières aux extrémités du système.

Alpuente (Haut Turia, Valence)

Après la chute du Califat de Cordoue, Alpuente (Haut Turia, Valencia) devient le


chef-lieu d'une taïfa et le siège aussi, dès le début de la conquête arabo-berbère des Banu
Qasim, d'une tribu amazigh. C'est un exemple de site non exploité, dont on conserve le hisn
château-refuge (d'où est pris le cliché), la médina en bas sous l'actuel emplacement
d'Alpuente, ainsi que l'impressionnant terroir irrigué que montre la photographie. Sur l'image
on apprécie la pente douce entre les terrasses plus élevées et les points en contrebas. Le

165
(J. G ARCÍA -B ELLIDO 2000)
166
(M. P Y 1993 : 140-150)
167
(A. R UÍZ , M. M OLINOS 1993)
-119-
Archéologie des paysages

tracé d'un canal, le plus long, avec un chemin de desserte rurale, est souligné en blanc [fig.
X, 2]. Son tracé sinueux est très probablement lié à la recherche de réduction de la vitesse
de l'eau qui y circule. La limite de la terrasse inférieure est, au niveau des points soulignés,
exactement parallèle à toutes les autres terrasses situées en contrebas. La subdivision des
parcelles à l'intérieur des terrasses est perpendiculaire à ces axes, et parfois, pour
maintenir la différence de hauteur dans la bande formée par les deux axes, il y a une
deuxième terrasse subdivisant la bande en deux moitiés égales.

De cette manière les paysans constructeurs de ce terroir ont réussi à réduire la


vitesse de l'eau provoquée par la pente, à lotir et à construire des parcelles de taille
équivalente et enfin à bâtir un espace agricole qui tient compte des conditions du terrain.

Riba Roja de Turia (Camp de Turia, Valence)

La ville de Riba Roja au sud ouest de l'image [fig. XI, 1], domine deux périmètres
irrigués de la plaine alluviale du Turia. Par la photo-interprétation, on peut identifier deux
manières différentes d'organiser l'espace agricole des deux terroirs irrigués. Pour le
système le plus proche de la ville, le concept de régularité organique s'applique aux
quelques canaux qui sont parallèles entre eux, malgré leur tracé sinueux. C'est le cas des
deux canaux les plus proches du canal principal. Les parcelles s’ajustent entre-elles de
manière perpendiculaire. À l'est et en aval du fleuve, un second terroir irrigué présente un
style parcellaire tout à fait différent. Un canal principal délimite les terres non irriguées
(secano) et, dans le secteur irrigué, on observe une grande quantité de bandes
perpendiculaires, avec une métrologie remarquable et des parcelles qui subdivisent les
bandes de manière perpendiculaire, ou quelquefois en oblique.

Il est aussi intéressant de remarquer que l'un des axes délimitant les bandes se
prolonge au-delà de l'espace irrigué ce qui pourrait indiquer la mise en irrigation d'un
espace qui, dans un premier temps, ne l'était pas. Ces deux faits (division organique et en
bandes des terroirs et probable irrigation d'un ancien espace non irrigué) pourraient
indiquer une chronologie relative, à confirmer par d'autres méthodes. L'espace le plus
proche de Riba Roja daterait de l'époque islamique, tandis que l'espace divisé en bandes
serait postérieur ou même subactuel.

Nakur (Al-Hoceima, Maroc)

La zone d'étude (périmètre 14 NE [fig. XI, 2]) montre deux nécessités : d'une part
le besoin de faire passer le tracé du canal principal en l'adaptant à un cône de déjection,
d'autre part le respect d'un autre petit cône de déjection, situé en contrebas du canal, créé
soit de manière artificielle, soit comme conséquence de la dynamique fluviale du torrent. On
observe l'adaptation de la forme du canal à celle du cône principal et on peut imaginer les

-120-
Archéologie des paysages

fréquentes occasions de réfection de son tracé. Dans les terres cultivables qui ont été ainsi
gagnées, on observe plusieurs canaux secondaires perpendiculaires et sinueux qui
subdivisent l'espace de manière régulière en s'adaptant constamment à la réalité du terrain.

Aghmat (Tahannawt, Marruecos)

Dans la plaine de l'Ourika, la ville médiévale d'Aghmat a organisé différents terroirs


irrigués. Sur l’image [fig. XI, 3] il faut remarquer la régularité métrologique, d’un module
d'environ 506 m, et le parallélisme des canaux secondaires soulignés, malgré leur sinuosité.
Il s'agit des canaux distributeurs d'eau qui procèdent de l'Ourika à travers les canaux
principaux. Ceux-ci traversent la plaine en diagonale pour respecter les contraintes du
terrain. Mais une fois l'objectif atteint, les canaux secondaires peuvent organiser l'espace
d'une manière régulière. Cette image illustre très bien le schéma théorique proposé par
Paul Pascon 168 ainsi que son concept de géométrie de l'espace naturel. De la même façon,
il montre la distorsion entre le schéma théorique et la réalité du terrain.

Cultura d’algues à Bali (Indonésie)

Un cliché de Yann Arthus Bertrand sur Bali montre un parcellaire atypique dans la
mesure où il s'agit de parcelles sous-marines utilisées pour la culture industrielle d'algues.
Ici les chemins sont inutiles car la circulation et l'exploitation sont effectuées par les
pirogues qui circulent à quelques mètres au-dessus de la surface cultivée [fig. XII, 1].
Néanmoins, il est remarquable d'observer l'utilisation d'une métrologie qui entraîne une
certaine régularité, ainsi que des alignements qu'on reconnaîtrait, au sol, comme étant des
axes de circulation ou des voies. Malgré l'absence de chemins, ce système cohérent offre
une forme de régularité qu'on pourrait assimiler à la régularité organique. Il s'agit d'une
illustration parfaite et totale de planification faite à partir de l'espace privé. Il n'y a pas de
chemins publics pour se diriger dans l'espace privé, la circulation étant assurée à la surface
de l'eau. Par conséquent, la planification n'existe qu'au niveau de l'espace privé, c'est-à-
dire des parcelles de culture.
E N GUISE DE CONCLUSION

Avec la régularité organique, on dispose d'un concept utile qui permet d'avancer
sur la notion de planification, même en l'absence d'axes perpendiculaires. L'idée serait que
les sociétés paysannes s'adaptèrent aux contraintes du terrain et construisirent ces
paysages dès la protohistoire, en associant régularité organique et métrologie. Les
contraintes physiques de l'irrigation forcent cette réalité et aident à sa compréhension, bien
que ces caractéristiques ne lui soient pas exclusives. Mais le fait de faire circuler l'eau,

168
(P. P ASCON 1983 : 8-9 ; 93)
-121-
Archéologie des paysages

ainsi que l'origine orientale des techniques de construction, conduit à un besoin


technologique qui se trouve au point de convergence de traditions et de savoirs techniques,
cristallisés par al-Andalus et transmis à l'Europe occidentale depuis l'Orient à travers
l'Espagne.

D'autre part, il existe une organisation socio-spatiale liée à l'eau, tenant compte de
la communauté villageoise, des lignages, des unités techniques de distribution ou acequias
et des exploitants consommateurs d'eau en dernier lieu. Cet agencement montre des
réalités spatiales communes, identifiables partout où la technique d’irrigation du monde
musulman a été diffusée.

Une autre possibilité aiderait à comprendre les faits observés, il s’agit du poids
spécifique du privé par rapport au public dans l'organisation de l'espace des sociétés
tribales, ainsi qu'une planification de l’espace privé antérieure à celle de l'espace public. À
l'inverse, les axes rectilignes révèlent l'importance du projet préalable des chemins et des
rues à caractère public, quoiqu'un projet préliminaire de lots privés ainsi que la pression
issue des intérêts particuliers sur l'espace public modifient profondément les alignements.

Les exemples proposés doivent être approfondis, afin de permettre de mieux


connaître l’interaction entre les aspects physiques, techniques, sociaux et culturels, dont on
a reconnu l’intervention dans ces processus. On ne connaît pas très bien la relation des
éléments qui configurent la régularité organique perçue dans les paysages. Il manque la
connaissance que pourrait apporter le terrain, ce qui relativise les exemples abordés,
connus de la simple observation morphologique à partir de documents aériens. Mais cette
observation devrait permettre de sélectionner les secteurs à analyser en détail sur le
terrain. Cependant, les exemples d'Aghmat, Nakur et Elche, où les faits émanants du terrain
participent de l'argumentation, sont particulièrement éclairants.

BONIFICATION : IRRIGATION, DRAINAGES ET DEFRICHAGES

Je remarquerais la bonification agraire que supposent l'irrigation et le drainage


dans des milieux méditerranéens, et qui se formule de manière spécialement rigoureuse
dans l'expression française la « maîtrise de l'eau ».

Pour certains chercheurs, il s'agit d'une des lignes de recherche les plus
fructueuses de ma production relative aux paysages. En réalité, il est certain qu'elle a
occupé une place prépondérante dans l'éventail de mes occupations et préoccupations
scientifiques, s'agissant de l'un des débats les plus riches et fructueux d'une problématique
de premier ordre historiographique dans mon pays ; problématique que les travaux de
Pierre Guichard et Miquel Barceló, au milieu des années 70 et aux débuts des années 80,
ont encouragé.

-122-
Archéologie des paysages

J'ai tôt découvert que la méthodologie et les hypothèses théoriques ou


méthodologiques applicables aux paysages français ou italiens, dont les exemples
provenaient de ma formation auprès de G. Chouquer, devaient être nuancés, s'adapter ou
même répondre, à la réalité que l'on observait des paysages méditerranéens espagnols.

La multiplication des missions aériennes qu’il étaient nécessaires de consulter


dans les exemples français apportait peu d'éléments, par exemple, puisque, ne s'agissant
pas d'une terre à céréale ni de sols profonds, les éléments révélateurs par croissance
différentielle de la végétation ou par microreliefs étaient absents ou leurs manifestations
insignifiantes. Le prépondérance quasi absolue de l'arboriculture et de l'oranger, rendait
inutile la multiplication des missions. D'autre part, j'ai contribué à souligner l'importance de
la diachronie, puisque les éléments du paysage, hypothétiquement médiéval, étaient d'une
telle ampleur que les éluder équivalait à passer sous silence un gros pourcentage de
l'histoire du paysage en question. Et l'importance de la compréhension du réseau de
fonctionnement de l'irrigation ou du drainage m'ont conduit, finalement, à devoir considérer
la globalité des tracés linéaires constitutifs des canaux d'irrigation ou de drainage sans faire
de filtrages manuels suivant leur orientation. Les premières tentatives envisagées sous
cette méthode, apte pour l'étude des centuriations, se traduisirent par une multiplicité des
grandes lignes sans rapport qui, toutefois, faisaient partie d'une même structure agraire
inséparable : les systèmes irrigués.

Vu les caractéristiques du faux débat historiographique, comme je l'ai déjà


démontré [titre 25], les arguments morphologiques que l'on fait traditionnellement valoir
pour mettre en relation la centuriation et l'irrigation étaient insoutenables, alors, comment a-
t-il pu être la morphologie agraire d'une ancienne irrigation, si toutefois celui-ci a existé ?
Existait-il une morphologie inéluctable conditionnée par les limitations du terrain au moment
de porter l'eau aux parcelles ou, au contraire, existait-il une empreinte culturelle dans les
différentes façons d'organiser les paysages de l'irrigation ?

D'autre part, la géographie méditerranéenne est riche en marais et en zones


humides côtières, caractéristiques du relief et du régime pluviométrique, dont nous avons la
certitude que certains ont été bonifiés en époque romaine (cf. supra les exemples d'Ilici ou
de Saguntum). Ils entrent en effet dans la morphologie agraire produite par une centuriation,
mais ont aussi fait l'objet d'assèchements en époques musulmane, médiévale ou moderne,
comme j'ai pu l'illustrer à travers les exemples d'Ibiza, autour de la madina de Yabisa et de
La Punta de Valence.

Je ne pouvais pas saisir les paysages méditerranéens de la Péninsule Ibérique


sans saisir l'importante intervention, quelle que soit l'époque de mise en valeur des terres,
parmi la création des structures d'irrigation, ce qui m'a mené à collaborer à des projets de

-123-
Archéologie des paysages

recherche qui avaient pour but principal les paysages médiévaux. Fruit de ma collaboration
avec l'équipe d'archéologie agraire, ou concrètement d'archéologie hydraulique, de
l'Université Autonome de Barcelone entre 1995-1997, dans le cadre du projet Las pautas
hidráulicas de los asentamientos rurales de al-Andalus 169, dirigé et coordonné par M.
Barceló. Dont la collaboration nous avons rendu compte dans l'article présenté lors des
rencontres d'Antibes de 1996 [titre 30] et dans le volume monographique coordonné par M.
Barceló et publié en 1997 par le Consell Insulaire Ibiza et de Formentera [titre 33: 65-96]
dans lequel j'ai rédigé le chapitre V avec Helena Kirchner ; celui-ci conjuguait les données
dérivées de l'analyse morphologique effectuée par moi même, les résultats de l'étude
documentaire effectuée par H Kirchner et, finalement, les résultats des prospections
paysagères effectuées en commun, qui ont profondément marqué mon travail dans d'autres
projets. Il s'agissait de « comprendre » les lignes du paysage interprétées depuis la vision
zénithale d'une image aérienne et les intégrer dans les différentes unités environnementales
du paysage étudié. Un des objectifs explicités dans mon projet postdoctoral, établir la
nature et la fonction des transformations parcellaires [titre 45: 45], pouvait être atteint au
moyen des « prospections paysagères », en annotant la fonction de chacune des lignes
définies par photo-interprétation, en marquant les microreliefs, les nuances pédologiques, la
convergence des drainages des eaux d'écoulement, en établissant des hiérarchies de
fonctionnement des drainages ou des canaux d'irrigation, en vérifiant les types de culture
qui sont donnés dans l'une ou l'autre unité environnementale. Enfin, une compréhension du
paysage et du système agraire sous-jacent à la morphologie qui avait été précisément créée
pour exploiter d'une manière spécifique un espace déterminé.

Ces principes je les ai aussi appliqués dans le projet effectué entre 1995 et 1998 :
La naissance de la ville islamique: Nakur, Agmat, Tamdult, Casa de Velázquez / École des
Hautes Études Hispaniques (Madrid) et l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et
du Patrimoine, INSAP, (Rabat), sous la direction de P. Cressier et L. Erbati.

Cette collaboration a donné lieu à la production d'articles et de monographies,


terminés ou en cours de réalisation, sur les territoires irrigués de fondations de villes
islamisées depuis longtemps dans l'actuel Maroc et dans la Péninsule Ibérique (séminaire
codirigé avec P Cressier dont ils sont les actes compilées [titre 49]) ; avance de résultats du
projet La naissance de la ville islamique: Nakur, Agmat, Tamdult dans le séminaire antérieur
[titre 50] ; ouvrage collectif [titre 51]; participation dans les premières Journées Nationales

169
DGICYT (Dirección General de Investigación Científica y Técnica del Ministerio de Educación y
Ciencia PB93-0864)
-124-
Archéologie des paysages

d'Archéologie et Patrimoine de 1998 à Rabat [titre 52]; ou la récente contribution au


colloque de Sienne de décembre 2003 Ancient Landscapes of Maghreb [titre 53].

Les principales conclusions issues de cette collaboration sur la morphologie et la


fonction parcellaires de l'irrigation, sujet qui suscite particulièrement mon intérêt, se
trouvent dans les résultats préliminaires des rapports de recherche, intégrés au corps de
deux des chapitres du livre sur Las formas de los paisajes mediterráneos [titre 45 : chapitre
XII: Los perímetros irrigados de una ciudad emiral del Rif: Nakur (Al-Hoceima) ; chapitre
XIII: Morfología agraria y prospecciones hidráulicas del valle del Ourika-Aghmat (Provincia
de Tahannawt) ; chapitre VIII: Morfología agraria y regadío].

Voyons maintenant quelques unes des questions que je me suis posées et les
réponses respectives que j’ai tenté d’y apporter [titre 45: 264].

(…) nous dirigeons notre recherche vers deux objectifs fondamentaux : 1) connaître la morphologie
agraire que l'irrigation médiévale, qu'elle soit musulmane ou chrétienne, entraîne ; et 2) établir la
stratégie qui doit régir une analyse des possibles zones d'irrigations romaines et anciennes en général.
Ce qui nous a conduit à interroger l'objet observé pour établir les paramètres selon lesquels allait se
développer la recherche : 1) Existe-t-il des irrigations de l'antiquité comparables aux Huertas
méditerranéens médiévales ? 2) Quel aspect aurait une ancienne irrigation dans le cadre d'une
centuriation ou de tout autre forme de division parcellaire de l'antiquité romaine ? 3) Les solutions
hydrauliques similaires, comme « réponse commune à un ensemble commun problèmes et
restrictions »170, entraîneraient-elles une morphologie parcellaire du système irrigué commun à
différentes formations sociales ? 4) Quelles cultures sont l'objet de l'ancienne irrigation ? 5) Devant
l'attribution systématique de la recherche traditionnelle de toute oeuvre hydraulique aux Romains,
pouvons-nous tomber dans l'argument contraire qui nierait le caractère ancien de tout vestige ayant pour
fonction l'arrosage des champs ?

Pour cela je me suis appuyé sur des exemples d'irrigations romaines pour
lesquelles on s'est assuré de l'identité au moyen de fouilles des structures d'irrigation : Les
Bartras (Bollène, Vaucluse), captages tardifs à l'aqueduc de Nîmes, la Z.A.C. des Halles et
le Mas Carbonnel de Nîmes, les Horts de Lunel-Viel, Hérault, ou l'irrigation de Sulmona,
l'ancienne Sulmo en Italie sur laquelle je reviendrai plus tard.

À ces exemples j'ai opposé celui d'un paysage interprété en 1978 par A. Bazzana 171
comme une centuriation à cause de la régularité observée dans le paysage ; quand en
réalité elle doit être interprété comme un parcellaire de fondation de la fin du XIIIè siècle,
sous Jacques Ier, à l'occasion de la fondation de la ville de Villarreal (Castellón) et de la
colonisation agraire liée à la nouvelle ville. La structure urbaine de la ville s'identifie avec
les célèbres bastides du sud-ouest français, où domine l'orthogonalité des îlots, articulés
autour des places publiques où se trouvent habituellement des bâtiments civiques ou

170
(B. D. S HAW 1984 : 129)
171
(A. B AZZANA 1978)
-125-
Archéologie des paysages

religieux. L'irrigation de l'espace agricole environnant est aussi créée par Jacques Ier et elle
est organisée par un parcellaire qui rappelle celui des fondations du bas Moyen Âge, avec
des blocs de culture rectangulaires et en forme de losange comme dans le cas des îlots
urbains de Villareal. La seule différence avec les systèmes de champs du sud-ouest
français est la fonction des lignes structurantes qui à Valence sont arrosée par une
structure de canaux qui reproduit les tracés des chemins et les limites de champs.

Ainsi, dans les schémas d'interprétation de la huerta de Villarreal [fig. XII, 2] on


apprécie avec une grande clarté que le réseau de canaux et les limites intermédiaires de la
structure parcellaire ne font qu'un, dont l'orientation de ces limites intermédiaires va dans le
sens de la pente du terrain. Cette morphologie agraire doit être apparenté aux parcellaires
de fondation du bas Moyen Âge comme toute fondation de Jacques Ier.

L'avantage qu'offre cet exemple est que, comme dans le cas des champs romains,
la structure agraire est un système de carrefours de chemins, dans ce cas avec tendance à
l'orthogonalité, qui délimite des blocs de culture. Si à Villarreal, une structure de champs
semblable à celles de l'antiquité peut servir de charpente à un système irrigué, nous
obtiendrions une réponse négative au supposé déterminisme géographique qui n'admet
qu'une seule forme des champs irrigués. En dépit des conditions physiques de l'irrigation
imposées par le déterminisme de la force de gravité, les arpenteurs du bas Moyen Âge ont
pu imprimer dans la construction des structures agraires leur empreinte culturelle, c'est-à-
dire, un parcellaire de fondation.

Par conséquent, ce fait peut être étendu à l'époque romaine ou à tout autre
moment historique : la morphologie agraire de chaque formation sociale peut se manifester
en dépit des contraintes physiques et des techniques d'irrigation. Il n'y aurait donc pas une
morphologie parcellaire de l'irrigation « (a)historique ».

Plus tard j'ai pu le vérifier au cours de recherches menées à terme dans le cadre
du projet marocain La naissance de la ville islamique…, concrètement par l'exemple de la
ville caravanière de Tamdult [titre 39] aux portes du désert du Sahara, où la création ex
nihilo dans la plaine au pied de la petite colline où se trouve cette ville, créée au Xè siècle,
est accompagnée de la construction d'un système d'irrigation dont la morphologie, à simple
vue, pourrait paraître celle d'une strigatio. Le parcellaire est construit avec une grande
régularité quant à l’orientation (NG-45ºE) de ses limites intermédiaires, en coïncidant avec
l'orientation générale de l'inclinaison de la plaine et on observe le respect d'un module
agraire que nous ne connaissons pas [fig. XIII, 1]. La forme agraire ressemble à celle d'une
division précoce d'anciens champs romains -sans que la comparaison aille au-delà de ce
qui est strictement morphologique : une strigatio, parce qu'il s'agit fondamentalement de
blocs de culture élargis dans le sens de la plus grande dimension du territoire (NE-SO) et
-126-
Archéologie des paysages

divisées par les chemins principaux, à l'intérieur duquel, les unités les plus petites,
planches dans notre cas, se trouvent de manière transversale, comme par exemple la
strigatio de Suessa II 172.

Les observations sur le terrain ont permis d'apprécier que les unités intermédiaires
qui articulent l'espace agricole sont les canaux principaux et que les canaux secondaires
émergent de ceux-là, de manière plus ou moins transversale, vers la partie la plus basse du
microrelief formé dans la plaine ; c'est-à-dire, vers le sud-est. Aspect que nous avons aussi
pu vérifier lors de l'étude détaillée des champs, des canaux, des drains et des partiteurs.
Sur l'image on observe l'arrivée de quatre canaux à la plaine de Tamdult [fig. XIII, 2] et
l'habitat dispersé (chiffres en rouge [fig. XIII, 1]) près des exploitations agraires, formées
par de larges bandes parallèles subdivisées de manière transversale par les parcelles de
culture. Sur le terrain on appréciait les grands canaux et les planches de culture où nous
avons pu effectuer des fouilles pour vérifier la structure interne et la non-existence d'une
autre éventuelle phase de champs de culture antérieure à celle identifiée aujourd'hui dans
les champs abandonnés et un partiteur des eaux de l’ancien système hydraulique [fig. XIII,
3].

La régularité n'est donc pas étrangère aux sociétés islamiques qui pratiquent
l'irrigation, ni exclusive d'une culture déterminée comme j'ai pu le démontrer à de
nombreuses occasions ; mais dans ce cas, l'absence de relief rend propice la régularité.
Pour le moment on peut dire que dans une plaine comme celle qui se trouve au pied de la
ville de Tamdult, où les différences de niveau sont presque inexistantes, la régularité du
parcellaire est totale.

On pourrait déduire de ces exemples qu'au sein d'un parcellaire de fondation et


dans le contexte d'une plaine sans les restrictions provoquées par le relief, il est possible
de créer un système d'irrigation inscrit dans la même morphologie qu'une centuriation, pour
prendre l'exemple de l'antiquité. Toutefois cette réalité n'a pas encore été vérifiée dans le
contexte d'une grande surface d'irrigation qui aurait fait l'objet d'une structuration de type
centuriée sur le territoire.

En relation avec les marais côtiers, typiques des milieux méditerranéens, cinq
zones ont fait l'objet de mon attention et ont contribué à faire connaître cette problématique.
Le cas de Sagunto et de celui de la plaine littorale de Sant-Jordi (Ibiza), ont été déjà
commentées comme exemples de l'antiquité (voir plus haut et titre 45 : chapitre VII : 245).
L'extension de cette préoccupation à la zone comprise entre Sagunto et Valence se reflète

172
(G. C HOUQUER et al. 1987 : 171, fig. 51)
-127-
Archéologie des paysages

dans un des chapitres consacrés à la commune d'El Puig, résultat de ma collaboration avec
une entreprise pour la confection d'un Document d'Évaluation du Patrimoine Municipal de
son territoire municipale [titre 45: chapitre X: 307-326] ; dans cette zone côtière, on
distingue les lignes de drainage qui depuis le XIIIè siècle, mais surtout depuis le XVIIIè
siècle, ont asséché spécialement la zone. Un des exemples est celui du Camí de Cebolleta
« dont le fossé, à la hauteur de la Font Blanca, est situé à un niveau plus bas que les
champs adjacents et est revêtu (quand l'ancien revêtement a été préservé) par des pierres
qui facilitent le drainage de l'excédent d'eau » [titre 45: 315], comme on peut l'observer sur
la figure [fig. XIV, 1].

Une autre zone est constituée par La Punta, au sud-est de la ville de Valence, à
l'endroit de l'ancienne embouchure du Turia, où j'ai pu formaliser et définir la morphologie
agraire d'un drainage de 1386 et dont nous connaissons le coût et le temps qu'il supposa au
le conseil de la ville de Valence et au diocèse de Valence [titre 40 352-363 (catalan) = titre
46: chapitre XVI: 411-424 (castillan)].

Mais l'étude la plus intense, comme je l'ai dit précédemment, a été le fruit de ma
collaboration avec M. Barceló, dont nous présentons un résumé en français [titre 30: 228-
351], avant son édition catalane complète [titre 33: 65-96] et duquel j'ai reproduit les
aspects exclusivement morphologiques dans mon livre Las formas…, cette fois en castillan
[titre 45: chapitre XIV: 373-398].

J'ai déjà expliqué que, de cette collaboration et des méthodes d'archéologie


hydraulique conçues par M Barceló, provient mon intérêt pour la vérification empirique de la
fonction et la structure des formes du paysage identifiées par vues aériennes ou
planimétriques. De même manière, je m'intègre dans la dynamique des riches discussions
sur l'irrigation et sur l'« option sociale » que celle-ci figure comme nouvel ordre agraire
apporté en Hispania par les arabes 173. Mais l'exemple d'Ibiza est, peut-être, une des
exceptions à l'idée générale qui interprète les interventions sur le milieu pour assécher des
sols humides, comme une action de pouvoirs forts 174. Je m'explique : L'assainissement du
Prat de Vila d'Ibiza, a été interprété comme la construction de l'espace agricole au début du
Xè siècle, entre des paysans de la médina Yabisa et des paysans des alquerías,
établissements dispersés autour de la ville, c'est-à-dire, sans l'autorité politique de la
médina elle-même. La taille de l'intervention pour transformer le marais en champs de

173
(M. B ARCELO 1989 : XV ; 1997: 15)
174
(P H . L EVEAU 1993 b ;1995 ; 1997 ; 2000 ; 2001 ; 2003)
-128-
Archéologie des paysages

culture et en prairies d'élevage extensif était démesurée par rapport à la dimension de la


ville et pour M. Barceló il n'y avait d'acceptable 175 que :

(...) la considération de la convergence de travail, autant pour la construction comme pour le maintien et
la gestion des alquerías adjacentes, y compris, naturellement, la médina.

Même en acceptant cette situation, j'insiste sur la divergence d'opinion que j'ai
maintenue avec M. Barceló et H. Kirchner par courrier électronique : il s'agit d'une exception
par rapport à tous les exemples connus de drainages de sols humides, parce qu'il s'agit
d'assécher un espace qui fournit des produits typiques des milieux humides, infiniment plus
divers et plus propres d'une agriculture de subsistance que ceux dérivés d'une
transformation agraire, comme je l'ai dit au sujet de La Punta en Valence [titre 45: 414-415].

Par conséquent, les assèchements peuvent être liés à la transformation d'une économie paysanne de
subsistance en une agriculture d'échange de produits commercialisables, contexte plus favorable à la
présence de pouvoirs forts, capables d'exercer un contrôle sur les individus et les collectivités. Dans le
même sens, la grande différence entre les écosystèmes naturels mis à profit par les paysans et leur
transformation est la capacité d'auto-maintenance, d'auto-réparation et d'auto-reproduction des premiers
; tandis que les écosystèmes transformés « sont intrinsèquement instables et requièrent nécessairement
de l'énergie externe pour l'auto-maintenance ».

Quoiqu'il en soit, en admettant la non-existence d'un pouvoir fort, dans le sens d'un
pouvoir des citoyens par délégation de l'état, à l'initiative d'une telle transformation, sa
réalisation ne peut être comprise que par le rassemblement de la ville, si petite soit-elle, et
des cinq alquerías, si petites soient-elles. D'autre part, il s'avère significatif que la
transformation agraire ait pour but la production de raisins dont nous savons par les textes
d'al-Zuhri 176 qu'ils étaient exportés, au moins au XIIè siècle. Je crois, donc, qu'il s'agit d'un
saut qualitatif entre les petits espaces irrigués de montagne analysés traditionnellement par
l'équipe de M. Barceló et l'exemple de terres asséchées aux alentours de la médina de
Yabisa.

Pour finir, j'ai également pu ébaucher une autre construction paysagère d'époque
moderne dans les îles d'Ibiza et de Formentera, ainsi qu'à Valence. Il s'agit de défrichages
modernes, bien datés par la documentation, normalement au détriment de forêts et de
garrigues, qui ont comme caractéristique formelle d'être des parcellaires radiaux alignés par
les élévations du terrain [titre 25: 288, fig. 5; titre 45: 405, figs. 89 et 91].

SOLUTIONS TECHNIQUES A LA CONFLUENCE DE TRADITIONS

175
(M. B ARCELÓ 1997 : 23)
176
(A L -Z UHR ī 1968)
-129-
Archéologie des paysages

Quels sont les instruments utilisés dans la construction des systèmes d'irrigation ?
Nous pouvons penser qu'il peut y avoir une certaine relation entre la morphologie agraire
des instruments utilisés pour la construction des champs.

Il est clair que les traditions technologiques ainsi que les traités de géométrie ne
sont pas une obligation et ne sont pas nécessairement mis en pratique par les arpenteurs.
Mais leur connaissance aide à comprendre le contexte culturel dans lequel sont mises en
ouvre certaines pratiques et certaines autres non. La particularité hispanique est de
provoquer une synthèse des connaissances, puisqu'il y a eu coexistence des cultures
occidentale et classique et une formation sociale orientale permanente depuis 711 jusqu'à
1492 ou même 1609, lors de l'expulsion définitive des mauresques. Cette synthèse se
donne à voir là où les formations sociales se côtoient, dans la Marche Hispanique, en
Catalogne, au monastère de Ripoll entre la France chrétienne méridionale et occidentale, et
la frontière musulmane nord-orientale d'al-Andalus.

Or c'est dans cette région que se matérialisent deux traditions d'arpentage, fruits de
cette particularité Hispanique. Il est donc utile de s'arrêter un instant sur les copies des
manuscrits gromatiques du monastère de Ripoll. La tradition des Gromatici Veteres est
transmise dans le manuscrit ACA Ripoll 106 Geometria Gisemundi de la fin du IXè siècle,
dont la présence en ce lieu pourrait s'expliquer par l'importance des limitations et des
cadastres des possessions foncières de cet important monastère catalan 177. Le manuscrit
aurait pour but la formation culturelle et déontologique des futurs arpenteurs, mais à la
grande différence d'autres recueils comparables, on n'y trouve pas de géométrie mais des
développements de théorie et des pratiques gromatiques, portant sur les « limitations » ou
réseaux d'axes structurant les parcellaires romains. L'absence de problèmes de géométrie
pratique étonne, alors que ces questions sont fréquentes dans le manuscrit ACA Ripoll 225,
copié à la fin du Xè siècle. D'après Lucio Toneatto 178, le compilateur s'intéressait plus à la
morphologie des limitations (limites) qu'aux problèmes des dimensions des champs. Parlant
de la formation du futur arpenteur, il écrit :

(…) avec l'intérêt pratique sous-jacent pour sa propre identification et sa propre détermination [du futur
arpenteur, ndt]. Alors, peut-être, cet opuscule était-il seulement destiné à couvrir les besoins d'un secteur
de l'enseignement, à côté d'autres manuels spécialisés. Ainsi s'expliquerait très bien sa présence dans
une bibliothèque comme celle de l'abbaye, son insertion dans un recueil mixte comme le ms Ripoll 106,
et même sa composition pour une bibliothèque organisée. Sur ce dernier point, nous devons toutefois
conserver une certaine prudence179.

177
(L. T ONEATTO 1982 ; 1992)
178
(L. T ONEATTO 1982 : 286-288)
179
(L. T ONEATTO 1982 : 288 ; trad. G. Chouquer)
-130-
Archéologie des paysages

La prudence est de mise. Mais il faut toutefois mettre en rapport l'absence


des problèmes de géométrie pratique dans le manuscrit 106 avec la
180
composition diverse du manuscrit 225. Ce dernier comprend : De mensura astrolabii, De
utilitatibus astrolabii, Geometría incerti autoris, De mensura astrolapsus, Astrolabii
sententiae, De nominibus laborum laboratorum in ipsa tabula, Capitula horologii regis
Ptolomeo, Regulae de quarta parte astrolabii, Excerpta de De Temporum ratione, De
astrolabii compositione, Description d’un appareil d’horlogerie, Description d’un gnomon
(horloge solaire), De divisione igitur climatum qua fit per almucantarath.

Ce n'est pas un hasard si c'est au moment où apparaît l'astrolabe que l'on constate
la présence, dans cette même bibliothèque, de ce manuscrit didactique utilisé dans la
culture orientale d'arpentage. Ce manuscrit 225 recouvre la tradition orientale de l'emploi
pratique et de la construction de l'astrolabe, ainsi que le recueil de la Geometria incerti
autoris (GIA) qui s'insère dans la tradition antique de l'arpentage, et dont l'auteur
« emprunte des extraits aux textes gromatiques antiques et les intègre dans des ensembles
obéissant à une nouvelle logique du savoir » 181.

D’après Glick 182, suivant L. Bolens et M. Viladrich et R. Martí, avec l'usage de


l'astrolabe, les astronomes d'al-Andalus introduisirent aussi, venue d'Orient, la pratique de
la triangulation. C'est le cas de Maslama de Madrid (mort en 1008) et d'ibn al-Saffâr (mort
en 1034) dont les travaux auraient suscité l'intérêt pour l'instrument 183. Ibn al-Saffâr expliqua
comment devait être utilisé l'astrolabe pour réaliser le tracé d'un qanat et pour évaluer son
niveau. Dans le traité d'Alphonse X le Sage, ou Libro del Astrolabio llano, qui reprend la
tradition arabe, l'astrolabe est présenté comme un instrument général d'arpentage, par
exemple, « para saber la anchez de un río por el astrolabio » [« pour connaître la largeur
d'un fleuve par le biais de l'astrolabe »]. Il est également intéressant de souligner un
deuxième courant d'introduction de techniques d'arpentage et de topographie à partir du
sexagenarium au XVè siècle, depuis le Caire et commandé par l'alfaquí (savant en sciences
juridico-religieuses) de Paterna, à Valence, en 1456 184.

Dans l'Espagne médiévale, les arpenteurs, muhandis et sojuzgadores faisaient des


opérations d'arpentage à grande échelle. Et depuis environ 1290, après la diffusion de la
règle de l'astrolabe de Profeit ibn Tibbon avec fonctions trigonométriques, la triangulation

180
(J. M. M ILLAS 1931 ; G. P UIGVERT 1995)
181
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 272-273)
182
(T. F. G LICK 1992 : 38-40; L. B OLENS 1972 ; M. V ILADRICH , R. M ARTÍ 1983)
183
(J. S AMSO 2001 : 237, suivant P. K UNITZSH )

-131-
Archéologie des paysages

est devenue la procédure la plus habituelle, mais elle était déjà courante à Murcie bien
avant l'arrivé des chrétiens en 1272 185.

Il est aussi important de rappeler l'intérêt de Gerbert d'Aurillac (le futur pape
Silvestre II) pour les textes gromatiques. Or il résida près de Ripoll entre 967-970, de sorte
qu’il eut la possibilité de consulter les manuscrits qui nous occupent. De même il suivit des
études à Cordoue, ce qui nous laisse penser qu'il y apprit l'utilisation de l'astrolabe pour la
mesure des parcelles. Plus tard, mais également intéressé par ces questions, l'abbé Oliva
(1002-1046) fut et demeure le grand compilateur des savoirs pratiques du monastère. Il a
probablement participé à la rédaction d'un traité perdu, nommé De ponderibus et
mensuris 186.

Face à toutes ces questions on ne peut s'empêcher de penser que la haute


capacité technique affichée par les conquérants catalans des terres du pays valencien ou
Castille (à Murcie), trois siècles et demi plus tard - à l'heure de mesurer, diviser et assigner
les terres conquises, et qui est révélé dans les chartes de peuplement par l'emploi d'un
vocabulaire technique correspondant -, constitue une résurgence du vocabulaire des
arpenteurs de l'antiquité, et, au sol, des formes agraires, sous forme de parcellaires très
présents dans la géographie valencienne [titre 45: 67-68, figs. 3-5].

Le rencontre des deux traditions, romaine antique et orientale, se réalise pleinement


dans la conquête et la répartition du territoire de Murcie. Cette ville, fondée en 825 sur
décision étatique, disposait d’un inventaire de biens fonciers, ou azimen, fondé sur la valeur
agrologique des terres, traduite par une mesure, l’alffaba. La finalité de cette mesure était
fiscale, pour fixer le montant de la contribution due par les propriétaires des terres et des
maisons au souverain et qui était de taux variable, d’après la valeur des choses 187. La
valeur de l’alffaba était calculée sur la base d’un ratio entre la qualité agronomique des
terres et la surface exprimée en tahullas : elle allait de 1 alffaba pour 10 tahullas pour ce
qui est de la valeur minimale de la propriété, jusqu’à 1,9 alffaba pour 1,5 tahulla, comme
valeur maximale.

Les critères pris en compte dans ce calcul étaient fondés sur divers facteurs tels que
l’irrigation, l’abondance des arbres, la proximité des acequias ou de la ville, l’existence de
maisons, de marais, de terres sableuses ou argileuses; ce classement était le suivant : a-b)

184
(M. A GUIAR , J. A. G ONZÁLEZ 2001)
185
(J. T ORRES F ONTES 1959 : 6)
186
(J. M. Millàs 1931 : 249 ; voir en dernier lieu J. S AMSO 2001)
187
(J. T ORRES F ONTES 1959 : 14)
-132-
Archéologie des paysages

irrigué (deux catégories), c) irrigué occasionnellement, d) montagne, e) non irrigué mais


proche des zones irriguées, f) non irrigué 188. Classement très semblable à celui
qu’effectuaient les arpenteurs byzantins 189, ce qui met en évidence une influence orientale
commune pour les arpenteurs byzantins et ceux d'al-Andalus. Influence qui se manifeste
également à travers l’autorité exercée par le traité d'agriculture nabatéen depuis le IIIè ou
IVè siècle apr. J.-C. en Orient et en al-Andalus 190.

Enfin, dans le Repartimiento de Murcie on trouve aussi un des premiers croquis


(daté en 1272–1273) dessinant des parcelles, ayant servi de preuve dans un conflit sur la
propriété de la terre [titre 45: 332-333, fig. 75].

Toutes ces convergences font de la Péninsule Ibérique un carrefour, un bouillon


d’idées et de pratiques dont la conséquence à long terme sera la professionnalisation
précoce des arpenteurs en pays Valencien, par exemple au XVIIIè siècle 191, ou encore
l’utilisation de l’instrument du cercle pour l’arpentage dans les manuels d’apprentissage
utilisés à l’université d’Orihuela 192 [fig. XIV, 2]. Néanmoins on connaît, neuf ans avant ce
texte, un autre texte, italien celui-ci, qui évoque l’utilisation du squadro agrimensorio,
héritier le plus direct de la groma et par conséquent témoignant de techniques d’arpentage
plus archaïques 193 [fig. XIV, 3]. Cet ensemble a pour fondements l’existence, depuis le
Moyen Âge, de l’office de livellador, ainsi que l’utilisation d’instruments comme le quadrant
(mentionné dans le manuscrit Ripoll 225), ou la ballestilla, appelée également « balhistinha
do mouro », ou « bacul de Jacob » 194.

L’APPORTATION DES TEXTES ET LA VARIÉTÉ DES FORMES AGRAIRES DE VALENCE


RESURGENCE DU VOCABULAIRE TECHNIQUE D ’ ARPENTAGE ET ACCUEIL DU DROIT ROMAIN

Dans deux articles rédigés en 1995 [titre 25: 285; titre 26: 326-327], j'ai exposé la
singularité de la terminologie utilisée par les arpenteurs (partidores) de Valence du XIIIè
siècle, qui témoignait de la résurgence d'un vocabulaire rare dans les chartes de
peuplement précédentes et dont les racines remontent à la tradition classique du corpus
des arpenteurs romains (liste non exhaustive des termes dans le titre 45 : 83). J'affirmait

188
(J. T ORRES F ONTES 1959 : 18-19)
189
(L. L EFORT et al. 1991)
190
(T. F AHD 1996 : 41-52 ; 1998 : 309-320)
191
(A. F AUS 1995 : 48)
192
(J. E SPLUGUES 1766)
193
(L. P ERINI 1757 ; cité par C. P ANERAI 1984 : 116–117)
194
(L. DE A LBUQUERQUE 1988 : 10-29 ; A. F AUS 1995 : 42)
-133-
Archéologie des paysages

qu'au cours du XIè siècle apparurent les premiers témoignages de termes techniques liés à
l'arpentage, qui par la suite commencèrent à affleurer au XIIè siècle, mais c'est surtout au
XIIIè siècle, et concrètement au cours de la conquête du Royaume de Valence par le roi
Jacques Ier, qu'ils surgissent et occupent de nombreuses chartes de peuplement. J'ai
essayé d'expliquer cette situation par deux faits qui se cristallisent dans le processus de
conquête de Valence : la gestion de vastes espaces conquis avec un petit nombre
d'habitants et la réintroduction du droit romain lié à la construction naissante et timide de
l'état à la fin du Moyen Âge.

Une liste exhaustive des termes trouvés dans le Pays Valencien et en Catalogne,
et l'analyse sémantique du vocabulaire à l'aide de la récente révision de G. Chouquer et F.
Favory, concrétisée dans un dictionnaire de plus de 1 300 entrées de termes et
d'expressions gromatiques de l’Antiquité 195, révèlent des aspects de grand intérêt.

Dans un premier temps, bien que la fréquence soit haute, les expressions ne sont
pas présentes dans toutes les chartes de peuplement, ou ce qui est la même chose, toute la
tâche de repeuplement transcrite par les chartes de peuplement ne produit pas une
terminologie propre de l'arpentage de l'Antiquité, ce qui est déjà un fait significatif en lui-
même. Deuxièmement, on observe une évolution notable entre la présence de termes
descriptifs des chartes de peuplement les plus anciennes, depuis le Xè siècle, et la
présence dans celles plus tardives de phrases ou associations de concepts indiquant que
les arpenteurs essayèrent de transcrire un concept issu de l'antiquité.

Enfin, d'un côté nous trouvons des termes isolés et d'un autre des phrases dont le
contenu, dense, nous renvoie sans doute possible à l'antiquité. Comme nous le verrons,
principale association dont celles-ci rendent compte est l'expression datus et assignatus.
D'autres termes ont souffert des glissements formels dus à l'utilisation de synonymes ou à
l'évolution propre des mots, ce qui entraîne la création de vocables nouveaux fortement
utilisés. Il est aussi fréquent de trouver des expressions inconnues regroupant des termes
latins d'époque romaine mais qui acquièrent une signification, peut-être nouvelle, au Moyen
Age. Finalement, nous trouvons aussi des termes différents du à l'évolution sémantique. Le
cas le plus évident est celui de fita au lieu de terminus ou terminus fictus, fixé, cloué.

Dans l'ensemble nous pouvons classer les mots et les expressions au sein de trois
grands groupes.

Le premier correspond à des termes décrivant le territoire : il rassemble des


expressions de l'antiquité ou des emprunts (et leur respective évolution) d'anciens termes,

195
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 406-469)
-134-
Archéologie des paysages

mais on ne peut pas non plus en déduire une renaissance des termes techniques des
arpenteurs, mais plutôt une simple utilisation de contenus dont l'expression en latin ne
réside que dans le terme propre de cette langue. Ils sont plus fréquents dans les
expressions des chartes de peuplement plus anciennes.

• Acervis lapidum: Amas de pierres. Il s'agit du glissement curieux d'un terme


attribué à Boèce (Demonstratio artis geometricae, 401, 3 La) où il cite congerium
petrarum ; ou bien il s'agit peut-être d'une expression synonyme du scribe
médiéval.

• Cultis et heremis / Cultis et incultis: Division entre l’ager cultus et l’ager incultus,
mais exprimée parfois par le terme heremo ou eremo qui donnera en castillan
yermo (désert). Il est parfois précisé ce que recouvre le terme incultus: garicis.
Silvis, pasquis, liquis, lapidis...; pratis et pascuis; montaneis, planis, nemoribus,
pasquis, lignis, aquis...; prata et pasqua; seu adhuc heremo derelictis cum
pascuis. Parfois il est utilisé pour exprimer les parties d'un tout : terra erema,
partem culta partem inculta. Cultum atque heremum, rochas et petras, silvas et
garricas atque boschos, prata simul ac pascua vel molinares...

• Fitas: (sin. Terminus, borne). Du lat. fictus, clouer, fixer.

• Metitur: Du lat. metatio. Opération d’arpentage.

• Mojones et fitas: Bornes et jalons.

• Mollonem: Du lat. hispanique mutulus, diminutif de mutus, muet. Dans l’Antiquité,


existe l’expression lapis mutus, muta lapis ou mutus terminus. Cela désigne les
bornes sans inscription.

• Partida: A Valence, ce terme désigne un lieu par extension de la partition.

• Pascua / Pascua / Patua: Pâturages. Cf. Patua.

• Petra natural: Répond à l'expression des arpenteurs naturales lapis ou petra,


point de repère fait de pierre naturelle.

• Petras mobiles vel inmobiles: Distinction étrange, bien qu’il nous semble évident
que les petras immeubles se réfèrent aux points de repère fixes.

• Possessiones: Propriétés.

• Signes: Fréquentement associées à des carrefours, ce terme fait référence aux


symboles ou aux signes qui couvrent les points de repère. Dans le vocabulaire
des anciens arpenteurs nous trouvons les signa terminorum qui désignent divers
éléments de référence dans le paysage.
-135-
Archéologie des paysages

• Terminati: Délimitation au moyen de bornes.

Dans le deuxième groupe, nous trouvons des termes qui font appel à des concepts
issus de l'Antiquité, bien que ces termes soient le fruit de l'évolution de différents
synonymes de l'Antiquité ou de l'invention de nouveaux termes (néologismes) faisant
référence à des réalités anciennes. L’emploi des termes de ce groupe renvoie à une
utilisation de mots antiques mais pas nécessairement au concept.

• Albarani: Cédule, titre, documents des partiteurs ; assises des divisions et


assignations ; documents accréditatifs des propriétés. Cf. Instrumenta.

• Civitas: Utilisé exclusivement dans la charte de peuplement de Tarragone,


soulignant particulièrement la différence entre civitas et territorio.

• Dividere: Action de diviser les domaines.

• Divisor: (sin. Arpenteur). Celui qui divise les propriétés qui seront assignées.

• Instrumenta (sin. Albarani): Du latin: Instrumentum mensorum, documents


émanant de la division et de l'assignation. Assises des divisions et des
assignations.

• Partes et sortes: Désigne les parties qui divisent le territoire et qui sont
assignées à de nouveaux propriétaires, bien que l’on ne puisse pas affirmer qu’il
y ait tirage au sort.

• Partidores: Arpenteur, celui qui divise le territoire en lots.

• Partitorem hereditatibum Regni Valentie: Charge déléguée par le roi pour diriger
les travaux de division et d’assignation. Elle correspondrait au vir egregius,
iudices et advocati, de la classification des arpenteurs de l'antiquité effectuée
par M.-J. Castillo Pascual 196.

• Procuratori hereditatibum Regni Valentie: Cf. Partitorem hereditatibum Valentie.

• Quiñoneros (sin. Arpenteur): Celui qui divise le territoire en lots. De quiñón (lat.
quinio, -onis : réunion de cinq, chance de cinq dans le jeu des dés). Lot que
quelqu'un possède en association avec d'autres dans un but productif, surtout
dans le cas d’une terre distribuée pour être ensemencé. Lot de terre cultivable,
de dimension variable selon la zone.

196
(M. J. C ASTILLO P ASCUAL 1993 : 147 ; 1996)
-136-
Archéologie des paysages

• Sogueador: (Sin. Arpenteur). Celui qui mesure avec la corde ou l’arpent (soga),
instrument de mesure.

• Sors: Terme désignant les parties assignées lors de la distribution ; cependant,


la teneur des textes ne permet pas d’affirmer qu'il y ait eu effectivement recours
au tirage au sort (ou sortitio) comme à l’époque classique.

• Terminare: Borner, diviser les domaines et fixer les limites au moyen de points
de repère ou de bornes.

• Territorio: Utilisé exclusivement dans la charte de peuplement de Tarragone,


soulignant particulièrement la différence entre civitas et territorio 197

Finalement, le troisième groupe rassemble les expressions dont l'emploi ne peut


obéir qu'à une volonté expresse de reproduire des concepts et des contenus propres de
l'antiquité. Les termes de groupe renvoient nécessairement à l'action des arpenteurs et
partiteurs.

• Assignare: Donner quelque chose à quelqu'un, attribuer.

• Assignate, date et sogoxate: Domaines assignés, donnés et mesurés.

• Assignatum et terminatum / terminamus et asssignamus: Domaines assignés et


mesurés ou mesurés et assignés.

• Dare, assignare et dividere: Donner, assigner et diviser.

• Datas, divissas et assignatas: Données, divisions et assignations.

• Dedimus et assignavimus populatoribus: Nous avons donné et assignons aux


habitants.

• Dividatur inter dictos populatores: Soient divisées entre ces habitants.

• Donationes et assignationes: Donations et assignations.

• Fitata et determinata: Bornée et déterminée.

• Inventos d’aygües: synonyme d'arpenteur ; apparaît dans la charte de


peuplement d'Ifac (Alicante, 1418) : la seule autre mention qui fait référence ce
terme - inventeur – en l’associant aux techniques d'arpentage se trouve sur le
plan cadastral C d'Orange. Désigne un magistrat municipal Quintus Curtius

197
(P. L EVEAU 2002 : 12)
-137-
Archéologie des paysages

Rufus, appelé inventeur - inventeur, auteur, fondateur - d'une zone située au sud
des Furianae insulae, le long du Rhône.

• Mollonatum: Borné, bornage. Du lat. hispanique mutulus, diminutif de mutus,


muet. À l'Antiquité il existe l'expression mute lapis ou mutus terminus.

• Partitas sortes terminatas et afixuratas: Portions, lots, divisées et bornées.

• Soguejades, soguiyatas: Arpentées, domaines mesurés avec l’arpent, instrument


de l’arpenteur.

• Terminatas, divissas et soguiatas: Bornées, divisés et arpentées.

Cette liste nous offre des ensembles, des associations qui prennent tout leur sens
dans l'Antiquité comme c'est le cas pour l'ager datus et adsignatus et l'ager divisus et
adsignatus bien que le terme ager n'apparaisse jamais, peut-être du au fait que l'objet
d'assignation n'est pas un territoire étendu, un ager, mais des domaines spécifiques. On
lamente aussi l'absence du concept ager limitatus, indispensable dans l'Antiquité pour
accomplir l'étape suivante qui est de donner et d'assigner le territoire. Ceci est peut-être du
au fait que les scribes et des arpenteurs médiévaux trouvèrent une expression synonyme.
Si l'ager limitatus est le territoire qui reçoit le tracé au sol des chemins permettant d'accéder
aux domaines et de faciliter la mesure du sol 198, il paraît alors probable que les termes
fréquemment associés à datus et assignatus : hereditates terminatas, determinatas o
soguiyatas, expriment la réalité antique de l'ager limitatus ou l'ager divisus. C'est-à-dire, la
division en portions du territoire ou la « limitation », limitatio en latin, la réification au sol des
limites qui divisent les domaines et qui donnent accès aux propriétés et permettent de les
mesurer ou de les cultiver est remplacée par les partiteurs médiévaux par les concepts de
bornage (amojonamiento) (terminatas ou determinatas) ou mesures par l'arpent ou la corde
(soguiyatas). Cela donne l'impression que le vocabulaire s'adapte à une réalité plus petite
du territoire parce que si nous remplaçons l'instrument de mesure propre des arpenteurs
médiévaux, l'arpent, la corde, par ce qu'utilisaient les anciens, la pertica, nous verrions une
grande similitude entre les deux termes : hereditates soguiyatas renverrait à la même idée
que pertica ; le territoire divisé pour recevoir une délimitation pour une assignation ?

Dans le cas contraire, s'il n'existe pas une division ou une délimitation tangible au
sol, si le travail des arpenteurs ne consiste qu'à décrire un territoire ou même à le mesurer,
nous serions en présence de rigores (et non de limites) : « droite que l'oeil suit entre deux
points, comme une ligne », ce qui se rapprocherait plus des descriptions des premières

198
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 111)
-138-
Archéologie des paysages

chartes de peuplement conservées, dont le ton est plus descriptif (charte de peuplement de
Lavid, Castell d’Aguiló, 1051):

Et abet afrontaciones: de parte orientis in ipsa strada qui venit per ipsa serra de Montfred; de meridie in
termino de Bordel vel in ipsa petra natural vel in eius cruce et vadit a recta linea [el subrayado es mío]
usque ad ipsa serra de ipsa Lobatera et deinde usque ad ipsa strada qui vadet ad Sancta Columba; de
occiduo in istra (sic) strada iamdicta de Sancta Columba; de IIII vero circii in ipsa serra… usque ad ipsa
fita de ipso reguer de ipsa Vid ante ipso orto et vadit per ipsa strada qui vadit ad ipso Sanguinol usque
ad ipsa strada qui vadit ad Sancta Columba (…)

Et qui contraste clairement avec le style lié au terrain d'une charte de peuplement
de Valence de 1271, concrètement celle d'Olocau del Rei, où l'action matérielle de
l'arpenteur consiste à diviser, donner et assigner les terres aux nouveaux habitants:

(…) concedimus et comitimus vobis, Dominico et Boneto de Seta, populationem castri nostri de Olocau.
Ita quod, vos adducatis ibi populatores qui sint simul vobiscum usque ad centum casatos et possitis
vobis et eis dare, assignare et dividere villam et totam terram seu hereditates dicti castri et termini
sui…donationes et assignationes (…)

Les termes dont la signification remonte à l'Antiquité n'acquièrent pas de véritable


sens avant le début du XIIè siècle, toutefois ce n'est qu'à partir du milieu du XIIIè siècle
qu'ils prétendront avoir la signification que les anciens leur donnaient. Dans la charte de
peuplement de Balaguer (1118) apparaît pour la première fois l'association divisione sic
determinata ; à Vilanova Privadà (1166) le terme assignare ; et à Verdú (1192) sortes
terminatas partitas et afixuratas ; la première association traduisant le concept ancien datus
et adsignatus ne surgit qu'en 1243 à Vilamalefa, et trois ans plus tard (1246) à Alzira, trois
termes sont associés, « hereditates assignatas, datas, sive sogoyeratas » ; à partir de ce
moment-là ils deviennent fréquents et traduisent l'idée ancienne (mais non l'association) de
l'ager limitatus, divisus, datus et adsignatus. Dans le même ordre d'idée et au même
moment un autre concept apparaît, la possessio, nommant les domaines possessiones ; il
apparaît pour la première fois dans la charte de peuplement de Denia (1257) et dans une
seconde charte de peuplement d'Alzira (1258). Si pour les anciens cela désigne le statut de
la terre publique du peuple romain quand celle-ci est allouée par contrat à un acquéreur qui
s'engage à payer le vectigal à la res publica 199, quelle peut être, pour les partiteurs, le motif
de l'utilisation de ce terme à partir de ce moment-là ?

Nous ne faisons pas face à une usure et à un éloignement du latin classique, mais
plutôt face à une résurgence des formes linguistiques qui rappellent explicitement les
formes antiques. Par conséquent, si les différences sont telles sur une période de quelques
150 ans, que se produit-il dans les chartes de peuplement qui passent de l'utilisation de

199
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 452)
-139-
Archéologie des paysages

termes qui, quand ils coïncident avec ceux de l'Antiquité ne le font que ponctuellement, à
l'utilisation d'un vocabulaire propre des arpenteurs de l'Empire Romain ?

Toujours d’après les derniers travaux de Chouquer et de Favory 200 ainsi que ceux
de C. Moatti 201 nous pouvons rappeler les étapes qui donnaient lieu à l'assignation de terres
aux colons dans l’Antiquité :

1. Confiscation des terres à un peuple vaincu par conquête.

2. La terre conquise se convertit de ce fait en ager publicus.

3. La délimitation, le bornage et le façonnement de limites dans le sol (limites instituti)


offre la garantie de la concession aux nouveaux possessores.

4. Donner et assigner des lots ou sortes. Faisant place aux différentes catégories
développées dans le sol : ager datus et assignatus (aux colons); ager redditus
(rétrocession des terres excédentaires de l'assignation aux anciens propriétaires
indigènes); ager exceptus (non divisé, en marge de la division); ager concessus (de
juridiction de la colonie, non limité).

Les parallèles avec la situation du nouveau royaume créé aux dépens des
musulmans sont nombreux. Conquête des propriétés, déportations, délimitation et bornage,
nouveaux habitants parfois bien qu'en cas d'absence d'habitants catalans ou aragonais
nouveaux, on procédait à la rétrocession des terres aux musulmans mais non comme
propriétaires de celles-ci. Comme je l'ai auparavant avancé, la conquête féodale des
nouveaux royaumes hispaniques et la réintroduction du droit romain sont des processus
parallèles dont l'affinité conceptuelle qui se « retroalimente » comme l'expliquait R.-I.
Burns 202. Le furor legalis du XIIIè siècle qui afflige les royaumes de Castille, d'Aragon ou de
France, est clairement lié à la genèse de l'état moderne 203. Dans le cas de la Couronne
d'Aragon, Burns définissait et faisait évoluer la croisade et la guerre sainte depuis le prisme
de la « restauration » et la « reconquête », légitimant l'activité des royaumes chrétiens
s'affairant à « la récupération de portions perdues de la chrétienté » ; cela apparaît très
clairement dans la charte de peuplement de Tarragone, l'ancienne Tarraco, capital
provinciale de la Tarraconaise : « …ob restaurationem Terraconensis ecclesiae et
civitatis…cum territorio suo…civitate et extra civitatem…civitatis et sui territorii… ». La

200
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 95 y ss.)
201
(C.M OATTI 1993 : 80-82)
202
(R.I. B URNS 1981 : 54)
203
(P EREZ M ARTIN 1988 ; M ONTAGUT 1988 ; A. G OURON , A. R IGAUDIERE eds. 1988 ; A. R IGAUDIERE 1988)
-140-
Archéologie des paysages

romanisation du droit au XIIIè siècle a affecté jusqu’aux chartes de peuplement 204 et a été le
fruit de l'importante activité de réception du droit romain de la part de Jacques Ier et de la
Couronne d'Aragon. Les experts en droit formés à Bologne étaient parfois envoyés par la
Couronne, l'Église ou les nobles, parmi lesquels on peut souligner la présence de nombreux
étudiants en Lois (droit romain) catalans 205, ceux-ci entrèrent par la suite dans le corps des
conseillers légaux du roi comme juristes et répartiteurs des nouvelles terres. Beaucoup des
enseignants en Lois formés à Bologne ont été conseillers auliques et partiteurs du nouveau
royaume comme le cas célèbre de l'enseignant en Lois, Jacques Giunta ou Jacques des
lois, qui fut précepteur d'Alphonse X le Sage, conseiller de Jacques Ier, rédacteur des Siete
Partidas et grand répartiteur du nouveau royaume de Murcie, en agissant comme
jurisconsulte des litiges sur les propriétés et en dirigeant au nom du roi les travaux de
répartition du nouveau royaume.

Il se produit la même chose avec les lieutenants de Jacques Ier, Assalit de Gudar
et Eiximen Pérez de Tarassona, experts en droit et formés à Bologne, ils sont répartiteurs
des terres de Valence au nom du souverain (demeure le doute de savoir si l'étudiant
Guillem de Vic que nous trouvons à Bologne en 1218 206 est le même que Guillermum de
Vico qui exerce de partiteur 33 années plus tard à Peñíscola, Castellón, en 1251). De cette
manière, tout comme c'était le cas dans l'Antiquité, les répartiteurs bénéficient d'une
formation académique en droit 207.

Mais il reste encore à approfondir les raisons cachées qui expliquent cette
légitimation de la conquête. Un procès canonique, présenté par Burns 208 oppose le
métropolitain de Catalogne et d'Aragon et l'évêque de Tarragone, à l'évêque de Tolède sur
la juridiction du tout nouveau diocèse de Valence ; ce procès, à mon avis, agit comme
révélateur de la véritable problématique, en illustrant convenablement le problème des
partages de terres et le rôle accordé au droit romain par le nouveau souverain.

Bref. Le diocèse de Tolède exposa des arguments à caractère historique,


remontant à Pline, à Constantin ou encore aux Visigoths, pour faire valoir ses droits sur
Valence, tandis que Tarragone, avançait, par le biais des spécialistes en droit canon de
Jacques Ier, l'argument du droit de conquête et le droit de division du possesseur, rappelant
la distinction établie par les juristes latins sur la nature du droit d'occupation. Même s'il ne

204
(R. I. B URNS 1981: 83, n.16)
205
(J. M IRET 1915)
206
(J. M IRET 1915 : 155)
207
(M. J. C ASTILLO P ASCUAL 1996)

-141-
Archéologie des paysages

s'agit pas des mêmes aspects que ceux cités précédemment, ce procès illustre clairement
les divergences de point de vue entre la monarchie castillane (puisque par Tolède il faut
entendre toute la Castille) et la Couronne d'Aragon. Si nous pouvions extrapoler (ce qui
mériterait une étude en profondeur) le droit de conquête avancé par l'évêché de Tarragone
et l'ager occupatorius - ex occupatione - ou catégorie technique gromatique, correspondant
à une forme de possessio 209, nous pourrions en tirer les raisons qui expliquent l’attachement
des monarques hispaniques et de Jacques Ier au droit romain.

C'est précisément dans le Royaume de Valence et dans la Nouvelle Catalogne que


l'influence du droit romain se fait le plus sentir ; effectivement, la réception du droit romain
se produit dans le Royaume de Valence bien avant les autres royaumes hispaniques 210 et
c'est précisément dans ces deux régions que le vocabulaire technique des arpenteurs des
chartes de peuplement est le mieux implanté. La coïncidence de ces événements (la
« reconquête », la réception du droit romain et la romanisation du vocabulaire technique des
partiteurs) doit être comprise comme une tentative de Jacques Ier pour réduire et
reconquérir les prérogatives féodales des nouveaux seigneurs du royaume en construction.

Rappelons les étapes préalables nécessaires pour une assignation antique : 1)


conquête, 2) ager publicus, 3) délimitation, 4) donation, assignation et catégorisation
conséquente des terres ; on peut penser que Jacques Ier a voulu donner et assigner aux
nouveaux habitants ces terres délimitées qui avaient été préalablement converties en ager
publicus de la couronne ; ainsi le roi occupait une place prépondérante dans la construction
du nouveau royaume, par droit de conquête. Acte fondateur qui classe les terres et
conditionne les nouveaux possesseurs, habilement complété d'une justice homogène,
matérialisée lors de la rédaction des Fueros (Furs), privilèges inspirés, sinon directement
copiés, du Code Justinien et du Digeste.

À partir d'ici il devient nécessaire d'établir une ligne de recherche qui permette de
vérifier les hypothèses conjecturales et de déterminer les méthodes de travail qui
permettent de les confirmer ou de les rejeter définitivement.

D'un côté une analyse sémantique exhaustive des chartes de peuplement de


Valence et de la Catalogne nouvelle est nécessaire, qui permette de confirmer l'évolution
les contenus et les significations des nouveaux termes. D'autre part, déterminer si les
termes nouveaux ou les concepts font allusion à de nouvelles formes d'exploitation, de

208
(R. I. B URNS 1981 : 70 et suivs.)
209
(G. C HOUQUER , F. F AVORY 2001 : 106-107)
210
(A. G ARCÍA 1968 : 214-218)
-142-
Archéologie des paysages

propriété de la terre ou si ils viennent nuancer celles déjà existantes. Ceci devrait s'appuyer
sur l'exploitation systématique des archives et des contrats d'emphytéose ainsi que des
prélèvements sous forme d'impôts pour déterminer la capacité de la Couronne à obtenir de
nouvelles sources de revenus ou à réduire d'une quelconque manière les prérogatives
seigneuriales.

Une autre ligne de recherche parallèle devra déterminer l'existence de formes


agraires médiévales liées aux zones qui apparaissent dans toutes ces chartes de
peuplement et dans lesquelles les termes semblent évoquer l'implantation au sol
d'opérations d'arpentage. Si les conjectures précédentes se confirment, seules ces chartes
de peuplement qui parlent de bornages, de divisions et de domaines donnés et assignés
seraient le reflet des opérations sur le terrain ; ils devraient être possibles de les
déterminer. Autrement dit, il est nécessaire de finir la carte du Pays Valencien qui vérifie les
zones pour lesquelles les textes font mention d'opérations d'arpentage et dont l'analyse
morphologique a détecté des formes du bas Moyen Âge [titre 45, 82, fig. 4].
LA DIVERSITE DE FORMES MEDIEVALES

Face à cette situation que reflètent les documents médiévaux, quel panorama offre
la morphologie agraire du Pays Valencien ? Je rappellerai les principales propositions de
mes travaux relatives à la richesse des formes médiévales:

1. L'existence de formes auréolaires autour des habitats médiévaux dans le sud de la


France (Languedoc et Aquitaine) [titre 45, 120-128; titres 23 et 27], et dans le nord
de l'Espagne (Tierra de Campos et Catalogne) [titre 25, 288-289, fig. 6] ; là, la
présence islamique est faible ou nulle et l'évolution historique est plus semblable, à
différence des zones où la présence islamique s’étend sur plusieurs siècles.

2. Faible présence de formes hypothétiquement du bas Moyen Âge, matérialisées par


des parcellaires en bandes dans le sud de la France, dans le Languedoc (exemple
de Marguerittes) [titre 45, 124, fig. 9]. On les trouve en Espagne en parallèle aux
espaces conquis durant l'expansion féodale vers le sud ; ainsi la densité d'espaces
agraires organisés augmente en fonction de l’avancée vers le sud. Cependant, on ne
les rencontre jamais dans des pays comme, par exemple, le Maroc.

3. On localise les parcellaires en bandes à proximité des zones de peuplement de la


Reconquête ; ils s’organisent sur de vastes ou de petits espaces proches des
populations [titre 25, 240, 242, figs. 3 et 4.1], ce qui entraîne une concentration des
terres de culture autour du lieu d'habitat, là où les nouveaux habitants avaient pour
obligation de résider, sous peine de perdre les droits accordés par les seigneurs
[titre 45, 452].

-143-
Archéologie des paysages

4. Formes spécialement abondantes dans les zones de la Reconquête où les conflits


issus de la conquête féodale et, plus tard, les révoltes moresques entraînèrent le
déplacement des populations des indigènes musulmanes et le repeuplement par le
biais de nouveaux habitants chrétiens [titre 45, 452, fig. 102].

5. Près de la ville de Valence j'ai pu documenter un parcellaire de drainage servant à


l’assainissement des marais existants dans la zone de l'embouchure du Turia, dans
La Punta, comme on l'a déjà vu précédemment.

6. Finalement, les documents et les analyses morphologiques permettent même parfois


d’avancer le nom de l'auteur matériel, le partiteur d'une certaine forme agraire
identifiée sur le terrain. C’est le cas du partiteur Iacobum Linaris, qui a illustré
plusieurs de mes travaux sur le village de Beneixama dont les terres furent, à en
juger par la charte de peuplement de 1280 [titre 25 : 287; titre 26, 336 ; titre 45 : 78-
79, fig. 3], assignées et divisées par le partitorem hereditatem Regni Valentie.
Raison pour laquelle je ne reprend pas le mode d'illustration habituel, mais une
image aérienne oblique où l’on observe l'église paroissiale de Beneixama placée
sous la protection de Saint Jean-Baptiste, au carrefour de deux axes principaux du
parcellaire [fig. XV, 1]. Et une seconde illustration où l’on observe la subdivision
interne des parcelles transversales en bandes qui structurent l'espace dans le
piémont de La Solana (Beneixama) [fig. XV, 2].

En guise de conclusion je voudrais insister sur l'importance des formes agraires


dans l'espace de l'ancien Royaume de Valence, et sur l'importance qu’aurait (j’aurai
l’occasion d’insister sur ce point par la suite) une modélisation de l’ensemble de ces formes,
à l’image de ce qui a été fait pour la région de la Gascogne.

LA MORPHOLOGIE AGRAIRE ET URBAINE APPLIQUÉE À l'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

En 1993 j'ai eu l'occasion de travailler pour la Généralité de Valence sur un projet


de création d'une base de données de gestion archéologique pour la ville de Valence [titre
17]. Dans ce travail j'exposais une de mes préoccupations principales partant du fait
qu'archéologues et promoteurs immobilier sont de plus en plus amenés à travailler main
dans la main sur les projets ayant pour cadre commun la ville. L'archéologue étudie la ville
ancienne et le promoteur transforme et modèle la ville actuelle. Tout cela dans un contexte
de relations où l'archéologie est posée comme un mal nécessaire. L'archéologie est
capable, dans un vaste champ d'étude, d'améliorer la gestion urbaine et d'apporter un
élément de réflexion permettant une protection dynamique de l'ancien tracé urbain et offrant
des alternatives de construction dans des secteurs d'intérêt historique.

-144-
Archéologie des paysages

L'identification du tracé urbain est un des principaux éléments d'analyse qui permet
la compréhension de l'ancien projet urbain. Le centre historique n'est pas un ensemble
homogène. Il s'agit d'un ensemble constitué de zones isolées et juxtaposées qui, avec la
croissance urbaine au fil du temps, perd son identité individuelle pour se fondre dans une
autre différente. La principale expression de ce phénomène complexe est le tracé du
parcellaire et des rues. L'intervention archéologique en milieu urbain est le meilleur outil
pour comprendre l'ancien paysage urbain et les raisons qui expliquent une concrète et
certaine forme d'intégration du passé historique dans des projets de transformation
historique.

Les moyens mis au service d'un projet de ce type sont divers. Dans un premier
temps une recherche sur les facteurs de développement urbain est nécessaire. Phase
théorique visant à la recherche topographique sur la
longue durée et à échelle macro (1:5 000). Dans le même ordre d'idée que les Documents
d'Évaluation du Patrimoine Archéologique Urbain des Villes de France (D.E.P.A.U.). Il s'agit
de documents de synthèse de réflexion et d'orientation à partir d'un état déterminé des
connaissances. Ils analysent l'évolution topographique historique ; ce n'est pas un
inventaire proprement dit, mais une analyse parallèle du patrimoine théorique, extrapolé du
patrimoine tangible (provenant des faits positifs de la fouille). Cette analyse se détermine à
partir d'événements urbains significatifs de l'évolution historique de la ville. Chaque période
ainsi définie fait l'objet d'une analyse sous la forme de plans susceptibles d'être juxtaposés
(en suivant le principe qui se trouve à la « préhistoire » des Systèmes d'Information
Géographique, SIG 211). Par conséquent, tout élément topographique ou administratif du
passé peut être mis en rapport avec chacun des autres définis. À tout cela, il faut joindre les
destructions du sous-sol connues historiquement, pondérées par l'épaisseur des sédiments
anthropiques, des protections réglementaires... Ces D.E.P.A.U. supposent la première
synthèse nécessaire à la mise en place d'une archéologie préventive.

Toutefois, ces documents peuvent devenir très rapidement désuets et la façon de


les mettre à jour prend deux directions : premièrement, la collaboration avec les équipes
locales intéressées qui apportent des solutions visant à l'amélioration des documents vers
des objectifs urbains. Deuxièmement, le projet du C.N.A.U. suppose la future informatisation
des D.E.P.A.U. dans un S.I.G., ce qui permettra sa mise à jour en temps réel. A mon avis, il
s'agit là de la principale contribution de cette puissante machine de gestion et de
manipulation de variables géo-référencés à l'archéologie, comme je l'ai exposé dans un
compte rendu sur l'application des S.I.G. à l'archéologie en Espagne [titre 31].

211
(I. M C H ARG 1969)
-145-
Archéologie des paysages

La mise en route d'un tel projet suppose l'élaboration d'un Guide où l'on établit les
critères à considérer pour la rédaction des D.E.P.A.U. : 1) État des connaissances sur les
éléments de topographie historique. 2) Recherche archéologique sur le terrain. 3) État de la
conservation du patrimoine archéologique. 4) Cartographie historique. 5) Document définitif.
6) Publication.

Le document lui-même est réalisé par les groupes de travail locaux (services
archéologiques municipaux), tandis que c'est dans un lieu centralisé (le C.N.A.U en France)
que les critères graphiques sont uniformisés et que l'on effectue les plans ; ainsi, les
publications définitives sont faites à des échelles homogènes entre les différentes villes de
sorte qu'elles soient comparables entre elles.

Ces postulats ont présidé une bonne partie de mes collaborations avec des
entreprises, en mettant au service de l'archéologie préventive l'analyse morphologique en
milieu urbain ou rural. La première fois, ce fut lors de ma participation au projet
d'intervention archéologique effectuée dans le couvent du Carmen de Valence (1995) pour
lequel j'ai apporté l'analyse morphologique. J'y ai mis en évidence l'existence d'un
urbanisme islamique régulier, ce qui était alors certainement nouveau. Coïncidant avec mon
séjour postdoctoral dans la ville de Tours, j'ai pu consulter la bibliothèque de l'URA 365
URBAMA (Centre d'études et de recherches sur l'urbanisation du monde arabe UMR 6592
C.N.R.S. / Université de Tours). L'article a été rédigé en 1995 bien qu'il n'ait pas été publié
avant l'année 2000 par la revue de l'Institut Archéologique Allemand de Madrid, les
Madrider Mitteilungen [titre 43]. Les principaux résultats peuvent être résumés par les
éléments de réflexion suivants [titre 43 : 453 et suiv.]:

1. L'existence de structures urbaines islamiques qui conditionnent l'orientation des


murs du couvent chrétien [titre 43: 417].

2. Définition de l'urbanisme islamique de tout le quartier, du faubourg périphérique


jusqu’à la ville islamique, comparable à ceux définis par E. Wirth dans le nord
de l'Afrique et du Moyen-Orient [titre 43: 424].

3. Modélisation et prévision de l'urbanisme islamique. Ce qui a été confirmé par


une fouille postérieure, en 1998, quand on a localisé une autre rue de ce même
urbanisme.

4. Définition d'une opération urbaine médiévale chrétienne qui occupe la totalité


de l'espace d’un cimetière islamique avec une morphologie typique de
villeneuve de fondation [titre 43: 427].

Par la suite j'ai pu participer à l'intervention archéologique effectuée dans l'Église


de Saint Jean de l'Hôpital de Valence, qui à ce moment-là se trouvait au coeur de la ville ;
-146-
Archéologie des paysages

collaboration conclue par un Rapport de Recherche encore inédit [titre 38]. Ainsi, j'ai pu
démontrer que les principales caractéristiques descriptives de l'îlot urbain qui entoure Saint-
Jean sont antérieures à la construction de l'église. D'un côté, le poids de l'antiquité et,
concrètement, d'un bâtiment singulier, comme le cirque romain dont la spina passait par la
façade de l'église [fig. XVI, 1], était fondamental pour comprendre l'évolution postérieure
des lignes générales de l'urbanisme du secteur. L'architecture domestique et l'urbanisme
islamique finiront par éclaircir les détails [fig. XVI, 2] ; le dernier événement urbain (du point
de vue de la morphologie) du secteur étant l'occupation de la « juiverie » (judería). A
l'origine, ce qui deviendrait plus tard le call (« juiverie », la judería) était séparé du secteur
par une rue [fig. XVI, 3] ; de plus, l'espace entre celle-ci et la rue du Mar a pu former un îlot
urbain indépendant à l'époque islamique.

J'ai pu élargir mes connaissances de la trame urbaine de Valence dans le cadre


d'un projet de recherche effectué en 1997 : La ordenación social del espacio en la Valencia
bajomedieval: instituciones públicas y proyecto urbanístico 212 ; j'ai pu alors vérifier les
données dérivées de l'archéologie urbaine de Valence et de la copieuse documentation
médiévale de la ville.

Par cette comparaison nous avons pu observer que les fouilles réalisées dans le
sous-sol de la ville ont confirmé une vaste tâche de restructuration et de construction de
l'espace urbain entre les deux enceintes (enceinte musulmanes du Xè-XIè siècles et
chrétienne du XIVè siècle), datable des dernières décennies du XIVè siècle et du début du
XVè siècle, la documentation écrite le laissait déjà entrevoir. La nature de certaines des
interventions urbaines contemplées dans les archives a été renforcée par les données de la
fouille, comme dans le cas de la non utilisation de la palissade de l'enceinte.

D'autre part, de la confrontation entre les délimitations paroissiales et les unités


morphologiques urbaines détectées comme révélatrices d'opérations urbaines du bas
Moyen Age, on a pu dégagé l'inexistence de correspondance entre ces opérations,
cohérentes d'un point vue morphologique, et l'organisation sociale ou la propriété des
initiatives comme cela a déjà été démontré dans le cas du quartier du couvent du Carmen
[titre 43: 426-428].

L'intégration des données de fouille dans l'analyse morphologique globale de


l'urbanisme a permis d'apprécier l'héritage direct du tracé urbain actuel dans ces
restructurations détectées archéologiquement. De cette manière, la vérification, par un
nombre déterminé de fouilles, que les orientations des rues et des parcelles actuelles est

212
R. Narbona (coord.) E. Díes Cusí, E. Cruselles, et J.-M. Cruselles.
-147-
Archéologie des paysages

semblable ou identique aux orientations des structures architectoniques ou urbaines


médiévales (datées par les contextes stratigraphiques dans lesquels on les trouve) nous
permet de dépasser l'incertitude et d'affirmer que, grosso modo, l'espace urbain actuel
compris entre l'ancienne muraille arabe et celle du XIVè siècle, est l'héritier de la
programmation urbaine chrétienne. Ou, comme nous le dirions aujourd'hui, la construction
de la muraille chrétienne au XIVè siècle a supposé la légitimation urbaine pour la
requalification du sol agricole extra-muros à la muraille islamique, y compris pour celle du
XIVè siècle.

De même, les données négatives de la fouille, comme les sondages qui ne révèlent
aucune occupation jusqu'au XVIIIè siècle, nous informent sur le processus progressif
d'occupation du sol, et non d'une réalité conclue définitivement au Moyen Âge. Ainsi comme
de la fonctionnalité qui préside à l'occupation du sol ; certains espaces vides de la ville
médiévale, formés en réalité d'un espace non occupé mais avec des habitations, semblent
avoir été des dépôts limitrophes aux espaces domestiques.

Avec l'analyse du quartier du Carmen, de la zone de Saint Jean de l'Hôpital et le


travail effectué pour ce projet de recherche, j'en ai fini avec l'analyse morphologique de la
ville de Valence, mais je n'en ai jamais rendu compte scientifiquement ni par le biais d'un
article ni dans une oeuvre monographique. Les principaux résultats de ce travail peuvent
être résumés à travers les postulats suivants :

1. Identification du tracé des enceintes de la ville depuis l’époque romaine,


médiévale musulmane et chrétienne.

2. Identification des grandes orientations dominantes et leur empreinte dans la


ville actuelle dans la construction de la ville romaine, depuis le tracé constitutif
tardo-républicain jusqu’aux interventions impériales les plus tardives telles que
la trace de bâtiments publics comme le cirque.

3. Interprétation des grands axes d’accès à la ville.

4. Identification des projets urbains musulmans et chrétiens.

D'autre part, ma collaboration avec l'équipe de G. Chouquer pour l'analyse des


formes du paysage traversées par le TGV Méditerranée [titre 27] constitue ma plus grande
expérience en matière d'application de la morphologie à l'archéologie préventive en milieu
rural ;pour des raisons d'organisation du travail, mon champ d'activité s'étendait
fondamentalement du Rhône à la ville de Nîmes (le plateau des Costières), cependant j'ai
aussi travaillé sur des zones du Tricastin ou de la Durance dont les problématiques
historiques et géographiques sont bien différentes. Mais ce n’est que lors de recherches
postérieures dans la même zone que j'ai incorporé les principaux résultats de cette analyse,
-148-
Archéologie des paysages

ce qui m'a permis d'ajouter à mes arguments sur l'archéologie préventive les principes de la
morphologie agraire. Il est à regretter, toutefois, que l'interruption des travaux du tracé TGV
dans la zone ait avorté une opération fossés de vérification des données morphologiques
dans le terrain, comme celle qui fut réalisée dans la région du Tricastin qui a donné tant de
résultats et suscité tant de réflexions.

Il faut reconnaître qu'en Espagne la libéralisation du « marché » de l'archéologie,


d'une part, et la structure politico-administrative décentralisée que nous nous sommes
données à travers la Constitution de 1978, d'autre part, ne constituent pas une atmosphère
très propice à l'homogénéisation de résultats scientifiques ni à l'exécution de programmes
connexes de vérification de structures agraires ou de l'archéologie du paysage dans le
contexte d'un tracé linéaire d'une infrastructure. Ce deuxième élément est assumé dans la
mesure où cela fait partie de la personnalité historique des Espagnols et de l'évolution
politique récente, la démocratisation de mon pays. Mais le premier ne l'est pas autant et a
été plusieurs fois dénoncé depuis la fin des années 80 et le début des années 90. Il est très
difficile d'assumer cette réalité chaque fois plus évidente ces dernières années, chaque jour
une information scientifique se perd des conséquences de cette conception libérale de la
pratique de l'archéologie, spécialement explicite dans la loi sur le patrimoine de ma
Communauté Autonome [titre 56]. Au-delà de ces critiques, j'ai essayé d'apporter mes
connaissances scientifiques sur l'archéologie du paysage lors d'opérations d'archéologie
préventive à des administrations ou à des entreprises prêtes à aborder la question du
patrimoine sous l'angle de l'anticipation. Je n'ai eu vent que d'une équipe, celle de
l'Université de Saint Jacques de Compostelle en Galice, qui ait abordé, dans cette
Communauté autonome, le problème de l'archéologie préventive et l'archéologie du
paysage avec de bons résultats ; bien que très loin des problématiques géographiques et
historiques qui m'occupent normalement 213.

En ce qui me concerne, j'ai effectué deux petits rapprochements de la


problématique sur la réflexion préalable à l'aménagement du territoire municipal de deux
communes (Carcaixent [titre 28] et El Puig [titre 45 : chapitre X]) comme conseiller des
entreprises qui ont effectué les travaux préalables à l'approbation du Plan Général
d'Aménagement Urbain (PGOU) par leurs mairies.

À Carcaixent, les sites de la plaine se trouvent au-dessous du niveau de 45 m


s.n.m. espace qui, dans sa plus grande partie, a été affecté à de nombreuses occasions par
les crues du fleuve Júcar. Un premier rapprochement du parcellaire de cette zone, a mis en
évidence l'existence d'un possible parcellaire d'époque romaine qui n'apparaît clairement

213
(F. C RIADO B OADO , X. A MADO , M.-C. M ARTÍNEZ 1998 ; F. C RIADO B OADO 1999 ; M. G ONZÁLEZ 2003)
-149-
Archéologie des paysages

qu'à l'est d'une ligne qui coïncide avec le niveau habituel de débordement de la rivière. Il y
a une seconde limite qui arrive jusqu'à des zones plus hautes, mais le cas ne se présente
que dans des circonstances exceptionnelles, comme dans le cas de la crue de 1982, quand
l'éboulement du barrage de Tous a sensiblement augmenté le débit de l'eau.

La disparition des manifestations de ce parcellaire à l'ouest de cette ligne ne doit


pas être comprise comme indice de sa non-existence, mais, une série d'alluvionnements se
sont produits historiquement et camouflent l'ancienne division agraire. Les sondages
effectués par P. Carmona sur le site de Benivaire Alt prouve qu'après le Bas Empire, la
zone est passée par des périodes où elle a été transformé en un secteur marécageux. Le
parcellaire qui affecte cette zone correspond, en effet, à une époque postérieure à la
conquête chrétienne [titre 45: fig. 61].

À ces faits il faut ajouter les variations des méandres du Júcar, beaucoup d'entre-
elles récemment, qui ont entraîné la transformation de vastes secteurs des deux côtés de la
rivière. En conséquence directe, la plaine a reçu tout au long de son histoire des tonnes
dépôts sédimentaires qui ont enterré d'anciens restes archéologiques à une grande
profondeur. Les fouilles effectuées à Benivaire Alt et dans l'Ermitage de Sant Roc (Ternils)
mettent en évidence que les niveaux romains sont à plus de 1,5 m de profondeur.

Face à cette situation j'ai proposé une délimitation des sites archéologiques. Les
sites correspondent, dans certains cas, à des découvertes matérielles qui ont permis leur
localisation précise tandis que, dans certains autres, il s'agit de notices historiques qui
permettent seulement leur rapprochement en vertu des toponymes conservés. Dans tous les
cas leur délimitation précise a été impossible car le recouvrement sédimentaire que nous
venons de mentionner nous prive de matériaux archéologiques en surface; pour cette
raison, la délimitation a été effectuée, dans le premier cas, en établissant une zone de
sécurité autour des découvertes et, dans le deuxièmement, en délimitant une vaste zone
autour du toponyme actuel. Les données extrapolées des recouvrements sédimentaires et
des zones d'influence des crues de la rivière permirent une correction postérieure.

D'autre part, l'actuel centre ville de Carcaixent est la conséquence du transfert de


population à l'époque moderne par abandon de plusieurs alquerías situées aux alentours de
la rivière qui étaient périodiquement inondées par les crues. Toutefois, il y a des éléments
qui prouvent que le lieu est occupé depuis l'époque antérieure à la conquête chrétienne du
XIIIè siècle, car il est déjà mentionné dans le Repartiment de Jacques Ier. Sa situation se
trouve, en effet, dans la limite naturelle des avenues habituelles et sur une petite élévation,
c'est pourquoi il est pas à exclure qu'il s'agisse d'un point occupé au moins depuis l'époque
romaine, tenant compte du fait que la zone qui correspond à l'actuelle Plaza Mayor pourrait
se trouver à l'emplacement d'un carrefour du parcellaire romaine.

-150-
Archéologie des paysages

À la délimitation proposée pour chacun de d'eux, j'ai pensé en outre que devait être
pris en considération la sédimentation qui couvre les sites antiques. Ainsi, j'ai proposé une
délimitation en trois zones, A, B et C, en fonction de la limite habituelle des avenues
(mentionnée plus haut). Dans ces zones, les sites délimités seront protégés de tout
bouleversement du terrain à partir d'un niveau de profondeur de -1,25 m dans la zone A, de
-0,5 m dans la zone B et de 0,0 m (côte de surface) dans la zone C.

Dans le centre historique de Carcaixent, j'ai cru opportun de délimiter comme


secteur de protection archéologique l'espace que le tracé urbain mettait en évidence le
noyau original de peuplement créé à l'époque moderne. En même temps, j'ai recommandé
la réalisation d'études plus concrètes pour essayer de délimiter le parcours de l'ancienne
Via Augusta, qui devrait également être inclus comme zone de protection spéciale, de
même manière qu'à Valence dans des zones comme la rue Sagunto, où les fouilles
archéologiques ont confirmé l'existence de vestiges qui jalonnent cette voie.

La deuxième expérience peut être considérée comme la participation la plus


élaborée. Pour la municipalité de El Puig, au nord de Valence, j'ai pu proposer des zonages
et des niveaux de protection archéologique plus précis en prenant en considération la
morphologie agraire, la pédologie, les terroirs, la toponymie et la dispersion des sites
archéologiques. Ce qui m'a permis un zonage archéologique déterminé par les différentes
unités environnementales et agraires : les marais, l'extremal (extrême irrigué par les eaux
résiduelles), le jovedat (terroir irrigué par droit du canal de Montcada) et le secano (terrain
non irrigué) et la définition des zones d'attention spéciale [titre 45 : 307-326 ; figs. 70-72].
Mon intention en publiant cette réflexion dans le chapitre X de Las formas de los paisajes…,
n'était autre que d'attirer l'attention sur le potentiel de la méthode en archéologie
préventive.

-151-
NOUVELLES DIRECTIONS DE LA RECHERCHE
Nouvelles directions de la recherche

QUELLE ARCHÉOLOGIE DU PAYSAGE ?


Dans les prochaines pages je me dispose à faire une évaluation des différentes
écoles qui se sont consacrées au sujet du paysage d'un point de vue de la morphologique
dans mon pays, les plaçant dans le contexte européen actuel. Puis, j'exposerai la voie
alternative issue de l'évolution historique et du développement de la recherche dans mon
pays qui, je crois, devrait présider à l'archéologie du paysage, tout en apportant les
nuances nécessaires ; je montrerai également comment je pense appliquer ces critères à
une série de dossiers que je crois nécessaire d'approfondir.

Avec ce titre, c’est volontairement que je paraphrase Miquel Barceló dans son
article de 1992, Quina arqueología per al-Andalus? (Quelle archéologie pour al-Andalus
?) 214; article dont certains aspects me paraissent indispensables et que j'essayerai de
résumer, tout en faisant abstraction du fait que l'article cité fait référence à une archéologie
de la société islamique d'al-Andalus.

Pour M. Barceló l'archéologie doit se préoccuper de la structure de la société


qu'elle étudie. Par conséquent, c'est une archéologie dont l'objectif est la connaissance
historique de la société en question. Face aux tentatives de formuler une « archéologie
théorique » à travers l'illusion de produire des connaissances autonomes, propres de
l'archéologie, il réclame que la société soit le seul sujet historique possible, sujet qui ne
peut être compris théoriquement qu'à partir de modèles conceptuels. L'objectif de
l'archéologie historique serait donc l'identification archéologique des processus de travail
paysans, la découverte du produit dérivé de ces processus, sous forme de taux ou rente,
que se soit par un État ou par un groupe militaire ou par un ordre religieux, ou les deux à la
fois.

De cette manière, le registre archéologique généré par l'Etat produit une


information sur les formes d'accumulation fiscale et de ses frais, étant capable de distinguer
les variations du contrôle effectif de l'Etat sur la société et sur la taille spatiale de ce
contrôle, en se matérialisant dans le processus fiscal qui rend visible la relation entre l'Etat
ou les seigneurs de rente et les paysans.

À mon avis l'archéologie des paysages et / ou spatiale est un laboratoire


élémentaire pour déterminer, au sein des sociétés préindustrielles, la dimension, les
caractéristiques et l'empreinte réelle qu'a exercée une certaine société sur un milieu
déterminé. Spécialement dans le cas de l'espace d'al-Andalus, où l'évolution historique
occidentale « normale » est tronquée par la construction d'espaces agricoles différents de

-153-
Nouvelles directions de la recherche

ceux qu'il y avait avant le VIIIè siècle. Les analyses de morphologie agraire m'ont permis de
distinguer la trace de diverses formations sociales dans l'espace, de mesurer l'empreinte de
ces interventions dans des territoires non abordés jusqu'alors et d'apprécier la relation
différenciée entre des formations sociales et le milieu. Cela se traduit, au moyen de ces
« modèles conceptuels », en connaissance historique sur les sociétés du passé.

Dans les prochaines lignes je m'interrogerai sur la différence entre cette


archéologie du paysage que je défends et d'autres archéologies du paysage que l'on
pratique tant dans mon pays qu’en France.

ARCHÉOLOGIE SPATIALE ET ARCHÉOLOGIE DU PAYSAGE

A travers ce titre je veux simplement faire part de l'existence de tout un groupe de


chercheurs qui se sont préoccupés d'archéologie spatiale depuis les années 80 et qui de
nos jours se consacrent à l'archéologie du paysage avec le même bagage théorique. J'ai
aussi fait partie de ce groupe de chercheurs [titre 13], et le saut théorique et
méthodologique entre les deux est si ample qu'il me paraît difficile de croire qu'il s'agisse de
la même chose. Toutefois, je suis conscient que la majorité des chercheurs ont accompli ce
saut sans trop se justifier. Je suis aussi conscient que dans le cas des archéologues du
paysage la spatialisation des résultats et la considération des critères propres de
l'archéologie spatiale est un phénomène chaque fois plus fréquent ; c'est pourquoi de nos
jours, nous trouvons regroupé sous le label d'archéologie du paysage un amalgame
d'études qui placent l'espace, les établissements, les voies, les parcellaires ou le paléo-
environnement au centre de leurs recherches.

En ce sens le congrès qui illustre le mieux ce saut théorique est celui qui se
célébra en 1998 sous la désignation de Arqueología espacial, 19-20. Arqueología del
Paisaje, héritier de ceux consacrés à l'archéologie spatiale du « Seminario de Arqueología
de Teruel ». Lors de ce congrès se réunirent les anciens chercheurs de l'archéologie
spatiale, qui s'efforcèrent à expliquer ce déplacement théorique, des nouveaux chercheurs
de l'archéologie du paysage suivant les critères de l'archéologie spatiale, des archéologues
des formes du paysage et des archéologues de l'archéologie agraire. Le cas le plus
exemplaire est probablement celui que présenta Almudena Orejas 215 (chercheur du CSIC) ;
elle a placé le paysage au centre de ses recherches en effectuant un effort remarquable de
ce que j'ai précédemment appelé la théorisation de la méthode, suivant la philosophie de M.
Barceló.

214
(M. B ARCELÓ 1992)
215
(A. Orejas 1995 ; 1995-1996 ; 1998)
-154-
Nouvelles directions de la recherche

Il faut souligner l'effort effectué par J.-M. Ortega pour expliquer ce saut entre les
deux méthodes dans l'article De la arqueología espacial a la arqueología del paisaje: ¿Es
Annales la solución? 216 Il y propose que l'archéologie du paysage soit une réponse globale
d'Annales à l'Archéologie Spatiale de fondements écologiques. Cette réponse, ajoute-t-il,
serait une archéologie globale : économie, société, culture, basée sur un revival braudelien
articulé autour de la géographie et de la vision diachronique de la longue durée. Mais un
changement de point de vue se produit aussi depuis l'archéologie des lieux de reproduction
sociale, propre de l'archéologie spatiale, à une archéologie agraire de la production, de
l'archéologie du paysage annaliste. Toutefois, pour J.-M. Ortega 217 l'étude des centuriations
et les cadastres :

(...) ce sont les exemples les plus évidents de la structuration du paysage, de l'aménagement social et
économique du territoire et de la production, mais aussi un des échantillons les plus palpables que
l'intérêt d'Annales à réduire la question à des problèmes de morphologie agraire, en laissant en marge
les relations de propriété et le pouvoir de l'état [il fait exception de M. Clavel-Levêque pour cette
affirmation]. (…) en conclusion une archéologie agraire ou une archéologie rurale sans paysans ni
berger, au choix. Face à l'analyse sociale l'alibi est ici clair : champs de culture face à des paysans,
écologie de la forêt face à ses formes d'appropriation, techniques d'infrastructures hydrauliques faces
aux formes de partage social de l'eau, etc. (...) S'il est certain que l'« archéologie agraire » de cette
Archéologie nouvelle [en français dans le texte] du Paysage a su éviter l'économie implicite dans l'«
archéologie agraire » qui se pratiquait au temps de la New Archaeology, il reste encore à franchir le pas
suivant d'une véritable « archéologie rurale », dont le sujet central serait la paysannerie, ses processus
de travail, l'organisation des calendriers productifs, le partage du produit. (...)

(…)Or, cette Archéologie du Paysage, peut-être le dernier cas de travestissement terminologique de


l'Archéologie Spatiale, peut arriver à se transformer, avant tout, en une construction conçue pour
masquer la sclérose du positivisme rampant, toujours sous-jacent à une bonne partie des propositions
vendues sous une telle étiquette. (…)

(…) Il s'agit probablement du plus grand problème que la nouvelle Archéologie du Paysage peut hériter
de ses professeurs : une indéfinition théorique plus que prouvée, ou ce qui revient au même, une
indéfinition politique.

En tout cas, comme je l'ai déjà démontré pour l'archéologie de la mort, le paysage
souffre un effet de mode. Les titres qui auraient pu être rédigés il y a 20 ans sous d'autres
termes, font tous aujourd'hui une allusion explicite au paysage, qu'ils aient ou non à voir
avec l'archéologie du paysage. D'autre part il y a de plus en plus d'adaptations personnelles
et de « constructions de sémantique visqueuse » dans lesquelles on devine que l'intérêt
scientifique se réduit à la publication en elle-même. Les idoles comme « économie » dans
les années soixante, « cultures » dans les années soixante-dix, « mentalités » dans les
années quatre-vingt ont été remplacés par « écologie » ou « paysage ». Ou si non, voyons

216
(J. M. O RTEGA 1998 : 33-51)
217
(J. M. O RTEGA 1998 : 42-44)
-155-
Nouvelles directions de la recherche

la publication récente intitulée Ecohistoria del paisaje agrario 218, où pas une ligne ne vient
justifier l'utilisation du concept « ecohistoria » et où aucune référence n'est faite à G.
Bertrand ni R. Delort et F. Walter 219 qui sont, il ne faudrait pas l’oublier, les premiers à avoir
proposé ces concepts. Sans commentaire.

LA PÉNÉTRATION DE L'ÉCOLE DE BESANÇON EN ESPAGNE

E. Ariño 220, a effectué récemment un tour d'horizon des différentes tendances qui
ont abordé le sujet des formes des paysages en Espagne, en plus d'émettre une proposition
face à la « crise » assumée qui frappe les essais qui sont faits sur le paysage. Ce tour
d'horizon peut m'aider à développer mon propos.

La tâche pionnière des géographes (et un archéologue, E. Llobregat, mon directeur


de thèse) qui rédigèrent le volume Centuriaciones romanas en España de 1974 n'a pas eu
de conséquences sur les études postérieures puisque aucun de ceux qui se consacrent
maintenant à ce sujet n'est le disciple de ces pionniers, majoritairement géographes comme
je l'ai déjà dit.

Les premières études sur les cadastres en Hispania sont récentes. Elles ont pour
instigateurs, au cours de la décennie des 80, deux disciples de l'école de Besançon : R.
Plana en ligne directe, et un partisan reconnu de la méthodologie du tandem Chouquer-
Favory, E. Ariño. La première en travaillant principalement dans le nord-est espagnol
(Emporion, Gerunda...), tandis que le deuxième s'est surtout consacré à la vallée de l'Ebre
(Caesaraugusta) et à la révision d'anciennes hypothèses. Par la suite et, à la fin de cette
décennie ou au début des années 90, des études clairement inspirées à l'école de
Besançon commencent à être réalisées depuis l'Université Autonome de Barcelone, tandis
que les chercheurs de l'Université Centrale de Barcelone ajoutent aux méthodes typiques
de Besançon les études paléoenvironnementales apportées par les analyses
palynologiques.

C'est peut-être E. Ariño qui a effectué le plus grand effort pour systématiser et pour
apporter des éléments pour l'étude des cadastres. Formé à l'Université de Saragosse
comme disciple de M. Martín-Bueno, en 1994 avec d'autres auteurs il a proposé une lecture
stratigraphique du paysage 221. Revendication soutenue dans deux méthodes : l'analyse
méticuleuse de la documentation écrite médiévale et moderne et l'analyse de la

218
(C. G ÓMEZ B ELLARD ed. 2003)
219
(G. B ERTRAND 1975 ; R. D ELORT , F. W ALTER 2001)
220
(E. A RIÑO 2003)
221
(E. A RIÑO et al. 1994)
-156-
Nouvelles directions de la recherche

cartographie historique. Selon les auteurs ceci permet d'établir les phases de transformation
du territoire, en différenciant les éléments plus anciens des traces d'époques postérieures.
Comme il est affirmé dans l’extrait de l'article : « De plus, nous pensons qu'il est intéressant
d'analyser la morphologie des parcellaires d'autres époques pour les différencier de ceux
d'époque romaine et éviter de possibles confusions d'interprétation ». Ce qui, à mon avis,
est une perversion de la méthode, écrite noire sur blanc, car ce qui est médiéval est
seulement analysé comme filtre pour éliminer ce qui ne l'est pas, véritable objet de la
recherche.

Définissons maintenant ce qu'est la lecture stratigraphique du paysage 222:

Nous comprenons la prospection du paysage comme étant la lecture archéologique nécessaire du


paysage sur le terrain, c'est-à-dire l'analyse de la relation stratigraphique entre les divers éléments
archéologiques (voies, structures agraires, etc..) sa caractérisation et registre (...) Il s'agit d'une prise de
position personnelle à laquelle nous sommes arrivés à partir de l'étude des paysages particuliers qu'offre
la Péninsule Ibérique, résultat de géomorphologies diverses et d'une morphologie historique très
particulière. [Al-Andalus, la conquête et le repeuplement féodal] ont produit un paysage spécifique (...)
caractérisé par une réoccupation des terres, dans laquelle on utilise de nouveau un système varié de
parcellaires géométriques, qui dans certains cas se superposent et masquent les parcellaires d'époque
ancienne.

Je peux l'admettre comme métaphore, mais non comme concept utile car le texte
ne propose aucune lecture stratigraphique au sens strict (voie qui coupe ou s'adosse à une
parcelle, ou un fossé, recouverte d'alluvions modernes...), mais des lectures spatiales entre
les éléments du paysage. Comme il est fréquent, le transfert de concepts entre disciplines
différentes ne cesse de donner la sensation qu'il s'agit « d'une simple reformulation verbale
de ce qui était déjà su » 223, masquant un concept vide ou une « théorisation de la méthode »
comme dirait M. Barceló.

Une contribution de la méthode de travail proposée consiste à casser le schéma


rigide d'un modèle préconçu, suite à l'adaptation à la réalité préexistante. Ainsi, un cardo ou
un decumanus pourraient avoir été concrétisé de manière déformées au sol, depuis le
début, suite à cette adaptation aux réalités du terrain et non suite à une déformation comme
conséquence de son utilisation au cours de l'histoire. Les decumani de Barcino, par
exemple, montrent une légère déformation pour préserver une petite élévation 224. Peu de

222
(E. A RIÑO et al. 1994 : 191)
223
(E. G ARCÍA 2004 : 75)
224
(E. A RIÑO , J. M. G URT , J. M. P ALET 1996 : 149, fig. 11)
-157-
Nouvelles directions de la recherche

temps après, cette vision sera critiquée, bien que non de manière explicite, par des auteurs
de l'Université Autonome de Barcelone 225 :

Il est fréquent de lire qu'une centuriation ne répond pas à un module préétabli parce qu'elle s'adapte à
une réalité préexistante. Mais, si les axes conservés ne coïncident pas avec un module théorique, sur
quels éléments morphologiques faut-il nous appuyer si doutons-nous précisément du modèle qui sert
d'analyse ? Nous ne devons pas oublier que les éléments routiers et parcellaires, sauf de rares
exceptions, n'ont pas une chronologie en eux-mêmes, mais seulement dès qu'ils paraissent être en
rapport avec un modèle théorique.

Tout cela s'est traduit par un faible succès de l'utilisation de la notion de


stratigraphie du paysage comme concept utile pour l'étude des paysages. Preuve en est
l'indifférence d'E. Ariño lui-même envers cette notion dans son dernier article
226
méthodologique . Mais cela se traduit, en outre, par des questions d'importance que je
peut apprécier dans l'exemple d'Elche que je connais mieux. Par exemple, la simple analyse
morphologique de la pertica d'Elche me paraît plus étendue (voir plus haut) que ce
qu'affirment Ariño et d'autres auteurs ; en outre, je ne vois pas du tout la dépendance entre
les différentes structures différenciées dans le cas d'Elche, ou du moins, je n'arrive pas à
comprendre ce que signifie cette dépendance 227 ; au contraire les auteurs ne voient pas,
malgré l’« analyse régressive », l'irrigation traditionnelle qui, à mon avis, est fondamentale
pour comprendre le paysage d'Elche et le déplacement de l'ancienne Ilici vers l'endroit de la
ville islamique et actuelle, ce qui permet de mieux comprendre l'évolution des structures
paysagères détectées.

L'article le plus récent d'Ariño, qui prétend être une synthèse des études sur le
paysage, est critique envers l'utilisation effectuée par G. Chouquer du concept « plus
éclectique et ambigu » de formes du paysage face à celui de cadastre plus fréquent dans
les années 80 228. En postulant une « crise de croissance » dans les études du paysage suite
à l'introduction de nouvelles techniques, traditionnellement reléguées à l'étude de l'ancien
territoire, ce qui donne à une partie de la recherche espagnole le rôle de pionnière en la
matière, incorporant en guise de méthode les études paléoenvironnementales au moyen des
analyses palynologiques, et tout particulièrement les travaux de l'Université Centrale de
Barcelone de J.-M. Palet et J.-M. Gurt.

D'autre part, l'auteur croit que la crise de la recherche sur les paysages est due à
la faible attention prêtée à la prospection intensive combinée à l'analyse des formes des

225
(J. C ORTADELLA , O. O LESTI , A. P RIETO 1998 : 43)
226
(E. A RIÑO 2003)
227
(E. A RIÑO et al. 1994 : 206)
228
(E. A RIÑO 2003 : 98)
-158-
Nouvelles directions de la recherche

paysages ; c'est pourquoi il souligne certains des travaux que j'ai réalisés à Isona [titres 37
= 41; 45:chapitres V et VI; titre 48: 429-439], bien qu'il me faille remarquer qu'il utilise de
façon erronée, du moins peu adéquate, mon concept de régularité organique à deux
occasions 229, sans faire la moindre allusion à l'élaboration du concept ni à son créateur :

Il est très probable que nous soyons en présence d’une organisation ancienne plus ou moins régulière,
mais de croissance organique [en italique, ce qui est de ma plume], imposé par la topographie et le
drainage [en allusion à la structure régulière identifiée par O. Olesti de l'Université Autonome de
Barcelone comme une centuriation en Iluro]. (…) Un autre phénomène qui commence à être documenté
est l'utilisation de réticules géométriques modulés en actus qui n'occupent pas le paysage de manière
continue, mais plutôt à la périphérie de zones avec des parcellaires de croissance organique [en italique,
ce qui est de ma plume] de chronologie précédente (cas d'Aeso) (…)

Ce qui devrait me flatter parce que, selon P Bourdieu, « la plus grande


consécration que peut connaître un chercheur consiste à pouvoir se qualifier d'auteur de
concepts, d'effets, etc., devenus anonymes, sans sujet » 230. Bien que, en utilisant les
mêmes concepts que Bourdieu, je crois qu'il s'agit simplement de la confrontation typique
au sein d'une lutte réglée du domaine scientifique « paysages » où Ariño serait mis à
l'unisson des travaux de l'Université Centrale de Barcelone, face à ceux de l'Université
Autonome de Barcelone ou de tout autre école.

Dans cette « confrontation » l'auteur considère qu'une nouvelle interprétation du


paysage est nécessaire, « révolutionner notre système de travail » ajoute-t-il, et propose un
exemple, étudié avant et après la « crise », avant et après la nouvelle proposition
méthodologique : le territoire de Galagurris. Toujours selon P. Bourdieu, il convient de se
demander si cette révolution aura l'effet de « transformer la hiérarchie des importances »
dans le domaine scientifique en question, dans la lutte pour « être ou se maintenir
actuel » 231 ; j'essayerai de démontrer qu’en réalité il n'en est pas ainsi.

Tout d'abord, pour ce qui est de Calagurris et en partant de l'analyse du nom des
lieux qui témoigne d'une répétition de toponymes depuis le XIè siècle jusqu'à nos jours,
nous nous trouvons face à l'affirmation que le paysage ne montre que peu de différences
avec le paysage actuel ; ce qui est certainement douteux, car un paysage peut changer et
garder le toponyme ancien, reflétant ainsi une réalité antérieure. En outre, l'allusion à une
via vetera dans un document de 1162 est l'indice d'une voie ancienne, mais en aucun cas la
certitude qu'il s'agisse de la voie romaine. Par ailleurs, l'auteur ajoute que divers indices
comme la mention d'un aqueductum dans la documentation de 1046, l'existence du canal de

229
(E. A RIÑO 2003 : 100-101)
230
(P. B OURDIEU 2003 : 132)
231
(P. B OURDIEU 2003 Una lucha regulada : 111-126)
-159-
Nouvelles directions de la recherche

Sorbán, la documentation des restes d'un aqueduc romain qui ponctuellement suit
l'orientation de la centuriation, permettent d'affirmer que l'aqueduc a été modifié pour lui
donner un tracé rectiligne en accord avec la centuriation. Face à cette argumentation on est
en droit de s'interroger sur les raisons qui motivent l'adaptation du tracé d'un aqueduc à
celui des axes d'une centuriation ? Quels sont, en outre, les éléments archéologiques qui
permettent d'affirmer de telles modifications : relations stratigraphiques entre le canal
actuel, le canal médiéval et l'aqueduc romain ? Il s'agit là de conjectures, d'hypothèses de
travail, que l'on peut partager, mais en aucun cas de conclusions valables. A l'autre
extrémité on trouve l'hypothèse d'une irrigation au sein du cadastre B d'Orange, hypothèse
avancée suite à la fouille d'un canal localement isocline à la centuriation, rempli de dépôts
d'allochtones et daté en fonction des fragments de céramiques trouvés à l'intérieur 232

Par la suite, l'auteur propose un système irrigué à Valroyo avec terrassement et


nivellement des champs, ainsi qu'un parcellaire de « forme plus ou moins radiale » qui
semble dater de l'époque romaine (traces de matériel romain dans les terrasses), tandis que
la vallée du Cidacos est mise en marge de la division romaine parce qu'elle était sûrement
déjà occupée et irriguée à l'époque préromaine » [sic]. Finalement, il défend l'idée que la
perte de sol dans certaines zones serait la conséquence de l'irrigation :

Il est possible que ces sols pierreux (...) soient le résultat des processus de culture d'époque médiévale
et que leur mise en culture par irrigation ait provoqué la perte du sol transformant, par le biais des
charrues de l'époque, des terres cultivables en domaines inexploitables.

D'après mes connaissances, l'irrigation, de par ses caractéristiques (apports


extraordinaires d'eau aux cultures), est un facteur déterminant dans la conservation de sols
pour deux raisons : La première est l'apport constant de sédiments aux drains et domaines
où l'eau est acheminée. La deuxième est que les domaines sont étagés pour rationaliser
l'eau et bénéficier du phénomène de la gravité, mais tout en respectant l'horizontalité (voir
plus haut) et jouir d'une pente minimale, suffisante pour que l'eau se déplace, mais réduite
pour éviter l'érosion. Les seuls exemples connus de désertification et d'érosion des sols
sont le fait de l'abandon de l'irrigation et de la dégradation des terrasses qui contenaient le
sol ou de la salinisation des aquifères par surexploitation et abandon consécutif des
champs.

Je ne nie pas la possibilité des affirmations d'Enrique Ariño mais il n'y a pas dans
tout son raisonnement d'arguments qui viennent étayer de telles hypothèses. Où en est-on
de la révolution des méthodes de travail ?

232
(J. F. B ERGER , C. J UNG 1996 : 103-105)
-160-
Nouvelles directions de la recherche

En droite ligne avec les travaux d'Ariño, bien qu'avec des nuances, nous trouvons
ceux de J.-M. Palet, et ceux d'autres auteurs, comme c'est le cas de S. Riera, palynologue
qui apporte des données paléoenvironnementales aux analyses morphologiques de J.-M.
Palet et J.-M. Gurt. Cet auteur possède l'avantage de s'attaquer aux études du paysage au
moyen d'une étude régressive de la documentation écrite, examinée et transcrite par lui-
même, d'une analyse rigoureuse et exhaustive de la cartographie historique et, finalement,
d'une prospection intensive des tracés routiers et d'une étude de quelques paysages
agraires fossilisés. Cette méthode lui a permis d'avancer l'idée d'une évolution diachronique
de la plaine littorale de Barcelone entre le IIè siècle av. J.-C. et le XIè siècle apr. J.-C. 233,
bien qu'il ait aussi travaillé dans d'autres régions de Catalogne 234.

L'opinion critique que je pose sur ces travaux se situe à deux niveaux différenciés :
La méthodologie d'un coté, et de l'autre les objectifs poursuivis. Dans le premier cas
l'analyse morphologique effectuée est loin d'être la plus adéquate à la problématique de
recherche, à cause, surtout, de la petite échelle à laquelle travaille l'auteur (contacts des
photographies aériennes à l'échelle 1 : 33 500 environ 235) ; ce qui lui empêche d'entrer dans
le détail du parcellaire et qui conditionne l'exposé des résultats ; en effet, ceux-ci, une fois
publiées, s'expriment généralement sur des plans aux échelles proches de 1 : 178 000. Le
problème réside plus dans la méthode d'analyse que dans le résultat final ; toutefois, pour
bien comprendre les résultats, il me semble nécessaire de recourir à l'analyse des
parcellaires par le biais de clichés agrandis (échelle d'environ 1 : 15 000) ; de plus, les
résultats offerts dans la publication définitive devraient proposer des « sondages » de
certaines zones particulièrement significatives pour l'argumentation où l'analyse parcellaire
détaillée peut être mise en évidence et l'argumentation morphologique être comprise, ce qui
n'est pas toujours évident pour tout lecteur (entre 1 : 50 000 et 1 : 15 000 comme c'est le
cas pour le titre 45). À petite échelle, on perd les détails du parcellaire. En réalité, J.-M.
Palet ou E. Ariño, bien qu'invoquant le nom de G. Chouquer 236, n'incorporent pas à l'analyse
morphologique ce qui a signifié l'analyse archéo-morphologique novatrice de la fin des
années 80 et le début des 90.

D'autre part, l'existence de modules variables dans une même trame de la pertica
est un phénomène qui n'arrive, si je ne m'abuse, que dans les cadastres comme ceux de

233
(J. M. P ALET 1997)
234
(J. M. P ALET , J. M. G URT 1998 ; J. M. P ALET , S. R IERA 2001 ; J. G UITART , J. M. P ALET , M. P REVOSTI
2003 ; J. M. P ALET 2003)
235
(J. M. P ALET 1997 : 33)
236
(J. M. P ALET 1997 : 28)
-161-
Nouvelles directions de la recherche

Tarraco (Tarragone) et Barcino (Barcelone), tous deux étudiés par J.-M. Palet. Dans le cas
de Barcino, une centuriation se développe dans un module carré de 15 actus de côté, bien
que pour l'auteur l'utilisation fréquente d'un quotient équivalent à 5 actus ait dû servir à
introduire une série de variations dans le module base au secteur le plus proche à la ville,
où l'on forme des centuries de 15*20 actus et 150 iugera de surface 237. Dans le cas de
Tarragone il propose, en outre, l'existence de deux trames au sein d'une même pertica
(Tarraco IV) avec une variation de 5 degrés dans l'orientation, se juxtaposant et se
matérialisant au sol dans une zone intermédiaire en conséquence de l'adaptation des axes
de la pertica à la topographie du terrain et aux itinéraires préexistants. À vrai dire, même en
ne doutant pas de cette relation de cause à effet, une telle exception à la norme générale
(existence de différents modules et de différentes orientations dans un même pertica)
nécessite une argumentation s'appuyant sur la morphologie et sur la documentation écrite
beaucoup plus détaillée.

Finalement, un autre doute sur les travaux de J.-M. Palet concerne la spatialisation
des données dérivées des analyses paléoenvironnementales effectuées par S. Riera. Ma
remarque est la même que celle qu'effectua C. Lavigne à D. Marguerie : « les
paleoenvironnementalistes n'ont pas de planimétrie ni formes planimétriques ». Les fouilles
analysés par chaque spécialiste, les trames parcellaires d'un côté, et les pollens, semences
et charbons d'un autre, paraissent se tourner le dos parce que, contrairement à la
localisation précise dans l'espace des zones mises en culture par les centuriations ou par
d'autres systèmes parcellaires, les reconstructions des paléoenvironnementalistes
ressemblent à des schémas ou à des représentations mentales, sans surfaces ni limites. En
ce sens, les doutes posés par Claire Delhon, et d'autres, dans un article destiné à clarifier
les Perceptions et représentations de l’espace à travers les analyses archéobotaniques 238
me paraissent symptomatiques de l'utilisation du concept de mosaïque par les
paleoenvironnementalistes :

Le concept de mosaïque, issu de l’écologie végétale, est d’un grand secours pour l’archéobotaniste. Il lui
permet de décrire une certaine diversité du mileu végétal et de contourner le problème de la localisation
exacte des groupements phytosociologiques. Dans un paysage en mosaïque, on suppose que plusieurs
groupements végétaux occupant chacun de faibles superficies se côtoient dans des zones
écologiquement équivalentes et à des distances comparables du site archéologique, sans que l’on soit
toutefois en mesure de les situer précisément en un point de l’espace. (…) Le terme de mosaïque, très
pratique pour décrire l’hétérogénéité d’une végétation morcelée, ne permet cependant pas de véritable
ancrage dans l’espace car il ne comporte aucune indication sur la taille exacte, la localisation précise, le
nombre, la proximité ou la forme des parcelles occupées par chaque communauté végétale.

237
(J. M. P ALET 1997 : 111)
238
(C. D ELHON et al. 2004 : 292-293)
-162-
Nouvelles directions de la recherche

« Mosaïque hétérogène » est précisément le terme utilisé pour décrire le paysage


de la plaine de Barcelone dans un article coécrit par J.-M. Palet et S. Riera 239.

Plus dans la ligne de Besançon, on trouve des chercheurs espagnols comme Oriol
Olesti ou Rosa Plana qui ont travaillé en terres catalanes, dans le nord-est de la Péninsule
Ibérique. Certains travaux de R. Plana ont été partiellement critiqués par M. Guy 240 point de
vue de l'analyse métrologique, ce qui a permis de mettre en évidence une métrique grecque
(stade ionien de 600 pieds) pour le cadastre de l'arrière pays de la colonie grecque
d'Emporion 241; et J.-M. Palet et J.-M. Gurt 242, quant à eux, commentèrent les travaux de R.
Plana au sujet de l'identification des structures centuriées elles-mêmes. Toutefois, les deux
critiques (depuis l'aspect métrologique et morphologique) sont en accord et admettent que
le cadastre romain pourrait avoir renormé le cadastre grec préexistant. Sans disposer
encore d'éléments solides pour confirmer ou infirmer les propositions de R. Plana ou les
légitimes contre-propositions de J.-M. Palet et J.-M. Gurt, il manque à l'argumentation de
ces auteurs la démonstration morphologique que les deux trames parcellaires proposées
par R. Plana ne correspondent en réalité qu'à une unique trame parcellaire. Car, en réalité il
s'agit de la même polémique suscitée autour de l'identification de deux systèmes : le Forum
Domitii B proposé par A. Pérez et celui de Nîmes À, qui est réfuté au bénéfice d'une seule
trame dans la figure 1 de l'article de F. Favory 243. En ce qui me concerne, je soulignerait
l'effort effectué par R. Plana pour mettre en relation, d'une part, les structures agraires
détectées avec le possible système agraire qui donne lieu à une certaine production et les
relations qu'ont pu maintenir les colons grecs avec les agriculteurs indigènes.

La majorité des travaux d'Oriol Olesti souffrent des défauts que j'ai soulignés dans
le cas des contributions précédentes. La déclaration d'intentions est très éloignée des
résultats finaux et la reconstruction de la grille cadastrale paraît être l'objectif principal.
Sans aller plus loin, le décalogue proposé dans un article de 1998 comme réflexions sur
lesquelles articuler une vision réformée de l'étude des paysages, paraît être orienté vers la
reconstruction du paysage et des trames qui le composent, plus que vers l'objectif principal
spécufiée : « l'étude des sociétés qui ont transformé ces territoires » ; ou : « l'objectif
prioritaire doit être le cadastre (...) comme le façonnement dans un territoire concret tant
des relations sociales, comme des mêmes conditions dans lesquelles ils ont été

239
(J. M. P ALET , S. R IERA 2001)
240
(M. G UY 1996 : 191)
241
(R. P LANA M ALLART 1994)
242
(J. M. P ALET , J.M. G URT 1998 : 45-47)
243
(F. F AVORY 1997 : 98-99)
-163-
Nouvelles directions de la recherche

produits » 244. Que se soit dans l’ensemble du décalogue ou dans le reste de l'article, je ne
parvient pas à découvrir les stratégies proposées qui pourraient nous mener à définir ces
rapports sociaux, que j'imagine de production, ni les conditions dans lesquelles ils ont été
produits. Des rapports sociaux qui sont sensés être la matière première de l’interprétation
de cette grille centuriée restituée.

Avant d’en finir avec cet alinéa, je voudrais faire une brève mention des travaux de
Jesus Moratalla qui, même s’ils ne font pas beaucoup progresser les études sur le paysage,
ont reçu une crédibilité acritique de la part d’auteurs tel que E. Ariño et L. Abad 245. Plus
haut, dans l'espace consacré à Elche, j'ai critiqué certaines de ses approches. J'essayerai
ici de démontrer que la proposition d'extensions d'une éventuelle pertica au nord d'Elche 246
dans la moyenne vallée du Vinalopó, ne peut pas être soutenue. Tout d'abord, une des
conditions indispensables quant à l’identification des restes d'une limitation, tel que
l’aménagement formel en carreaux de centurie, n’est pas remplit romaine. La photo-
interprétation de la planche II de son étude (page 567) ne permet d'apprécier à aucun
moment l'existence d'un aménagement de l'espace centuriée [fig. XVII]. Un rapprochement
de ce même espace, important pour l'auteur comme révélateur de l'ancien parcellaire,
démontre quelque chose de bien différent. L'interprétation de la figure 2 (page 554) de son
étude ne laisse aucun doute : l'aménagement formel du parcellaire analysé est typique d'un
parcellaire en bandes étroites. Il s'agit de l'organisation d'un espace (au point de confluence
entre un torrent et le Vinalopó, territoire de Monforte) en parcelles longitudinalespar rapport
aux grandes bandes. Organisées de part et d’autre d'un axe central qui suit la pente du
terrain jusqu'à rejoindre le torrent. Il s'agit d'un parcellaire en bandes qui s’organise suivant
un module de 147*73,5 m environs [fig. XVII, 2-3]. Il n'y a rien de Romain ni dans
l'aménagement formel ni dans la métrique utilisée. La critique habituellement faite aux
chercheurs, qui oublient qu'une limitation antique est une grille d'axes périodiques et que la
division parcellaire est une trame qui commence en fonction d'unités intermédiaires
fondamentales et régulières appelées centuries, prend ici tout son sens, car ils : « (…) se
sont contentés de relever de simples trames isoclines et ont imprudemment conclu à la
présence de centuriations. Sans une reconstitution, au moins vraisamblable, de ce niveau
individuel de cohérence de la forme, on ne peut interpréter dans ce sens (…) une trame
n’est pas une forme » 247.

244
(J. C ORTADELLA , O. O LESTI , A. P RIETO 1998 : 439-440)
245
(E. A RIÑO 2003 : 100 ; L. A BAD 2003 : 124-125)
246
(J. M ORATALLA 2001)
247
(G. C HOUQUER 2000 : 132)
-164-
Nouvelles directions de la recherche

L’ARCHÉOGÉOGRAPHIE

Dans le volume 167-168 de la revue d'Études Rurales de 2003, G. Chouquer fit


part de la crise à laquelle les historiens et des archéologues de l'espace des sociétés
anciennes se trouvent confrontés 248. Selon Chouquer, la crise était due au fait que les
contenus de l'archéologie du paysage n'étaient pas clairement définis et que « nous ne
savions pas par quoi remplacer les objets usés des problématiques géographiques et
géohistoriques ». Il nous explique aussi qu'après certaines hésitations dans l'utilisation de
mots composés et spécialisés (archéomorphologie, morphohistoire, morphologie
dynamique), une nouvelle discipline appelée Archéogéographie s'installe ; ses objectifs
seraient 249:

C’est l’étude de l’espace des sociétés du passé et de ses dynamiques, dans toutes ses dimensions.
C’est l’histoire de la transformation de l’espace géographique en écoumène habité, exploité, aménagé,
transmis, hérité. Telle quelle, la discipline possède des spécialités dont certaines sont déjà opératoires :
étude des objets géographiques ordinaires et planifiés des sociétés passées (habitats, voies, et
parcellaires), la plupart sous forme hybridée ; étude des territoires ; étude des réprésentations que les
sociétés anciennes ont de leur espace. (…)

L’objectif principal est la qualification des processus dynamiques qui transforment et transmettent les
formes paysagères. Fondamentalement, cela conduit à considérer que la stratigraphie, l’empilement et
les relations géométriques verticales de couche à couche ne peuvent plus être le seul fil conducteur de
l’interprétation. Le « renversement du schéma stratifié » invite à rechercher d’autres relations, qui se
lisent dans l’espace.

Puisque je m’inclus dans cette évolution finale de l'analyse morphologique, je crois


nécessaire de commenter mes réflexions sur certains des apports du volume. D'abord je ne
peux pas m'identifier avec les objectifs définitifs pour l'archéogéographie. L'objet de mes
recherches est la société du passé, et celle-ci a une scène productive. L'implantation d'une
société dans le territoire, et spécialement les structures agraires et les parcellaires, doit
pouvoir nous informer de ses stratégies même si celles-ci ne sont pas planifiées, si toutefois
c'est possible. Je suis d'accord avec la formulation de la crise postulée, les nouveaux objets
définis et spécialement bien décrits, mais il reste encore à définir leur intégration dans le
discours historique (le seul sujet historique possible est la société) et leur relation avec les
paysans (premiers utilisateurs des structures agraires définies). J'essayerai de concrétiser
ces questions quant à certaines des contributions du volume d'Études Rurales.

L'article de Claire Marchand 250 expose de manière magistrale que l'existence des
centuriations italiennes, qui ont été conservées de manière extraordinaire jusqu'à nos jours

248
(G. C HOUQUER 2003)
249
(G. C HOUQUER 2003 : 17)
250
(C. M ARCHAND 2003)
-165-
Nouvelles directions de la recherche

sans changement remarquable pendant plus de deux mille ans, est due à une accumulation
d'éléments structurels au fil du temps. Elles ne seraient donc pas l'oeuvre de leurs
créateurs originaux, la structure s'affirme avec les siècles. J'ai moi-même déjà proposé
l'existence de ce phénomène, sans toutefois, à l’image de Claire Marchand, modéliser ce
processus, dans le cas de la prolongation de l'importante limite intercisivus 10,5 de la
centuriation Orange A sur le plateau des Costières. A l'extrémité sud de l'axe, c'est
l'orientation de la centuriation Nîmes A qui jusqu'à 1953 prédominait, mais une
restructuration parcellaire postérieure, peut-être liée au Mas des Cerisiers, a provoqué la
prolongation de cet axe d'environ 3,7 Km et la construction d'un parcellaire isocline avec la
centuriation Orange A [titre 45: 97]. Ce que C. Marchand traduit dans une phrase brillante :
« c’est une virtualité antique qui est devenue matérialité moderne » 251.

A la critique raisonnable que formule cet auteur sur la vision du paysage selon
laquelle à chaque forme doit correspondre une projection au sol d'un pouvoir institutionnel
(une forme – un pouvoir – une époque), j'en exposerai une bien différente. Si l'on admet
l'existence d'une autre réalité que révèle l'auteur (les formes auto-organisées et
autonomes), la question est donc de savoir si ces formes revitalisées ou matérialisées au fil
du temps, – forcément sous forme de limites de parcelles, parois de pierre sèche, fossés...,
et sont forcément matérialisées par quelqu'un (les paysans par exemple) – répondent à une
autonomie paysanne. S'ils sont autonomes, de qui les communautés paysannes sont-elles à
leur tour autonomes? Quel est leur poids dans le cadre productif de la région ou de ce
système auto-organisé... S'ils n'ont aucun poids, je suppose qu'il suffira de décrire la forme
agraire et de continuer à chercher des formes qui ont une signification. Si l'on me permet la
comparaison, c'est comme si on avait découvert une nouvelle espèce d'insecte. Une fois
définie, classée et dénommé, il faut l'intégrer dans la chaîne écologique à laquelle elle
appartient.

Je voudrai faire une autre observation, que je juge opportune, concernant la


question rhétorique que prononce l'auteur : « Est-il aisément acceptable de penser que la
forme centuriée, projetée sur le sol par des arpenteurs décidés à créer du neuf, soit restée
le cadre de la vie agraire, sans changement notable [en italique, ce qui releve de ma
plume], pendant un peu plus de deux mille ans ? » Même si cette question pose un doute, il
convient de répondre, tout simplement, non. Certes, les rapports sociaux, les techniques
agraires, les pouvoirs et contrepouvoirs ont été variés et multiples durant ces deux mille ans
et, par conséquent, il convient d'affirmer que ce cadre morphologique de la vie agraire a été

251
(C. M ARCHAND 2003 : 100)
-166-
Nouvelles directions de la recherche

utile tout au long de cette période ; il a été redessiné, comme le démontre l'auteur, au fil du
temps et il l'a été au sein du même aménagement formel.

Face à cette situation je crois qu'il est utile de confronter ces résultats à ceux que
j'ai obtenus dans le cas espagnol et se demander pourquoi les centuriations hispaniques
(celle des zones où la société d'al-Andalus est restée davantage de temps et a
profondément transformé les structures sociales, agraires, les champs et la technologie
agraire) n'ont pas été redessinées, à l'instar de l'exemple italien, se transformant et ne
laissant quasiment aucune trace de la conception originale des champs romains ? Ainsi,
selon M. Barceló 252:

(…) toutes les recherches archéologiques réalisées, bien qu'insuffisantes, sur les espaces ruraux d'al-
Andalus - les alquerías, qu'elles soient isolées ou parties intégrantes d'un système - indiquent de
manière très claire que les paysans ont produit un espace agraire différent de celui qu'il y avait avant,
même si l'on ignore totalement ce qu'il y avait avant.

Toutes les recherches archéologiques réalisées (bien qu'insuffisantes) sur les


anciens espaces agraires indiquent précisément la même chose. La révolution agricole,
apportée par la nouvelle société, selon A.-M. Watson 253, a rendu inutiles une grande partie
des cas ou, mieux, a transformé profondément les anciens espaces ruraux en les adaptant
à une nouvelle réalité. Plus important encore, ces paysans autonomes quant à leurs
décisions de créer de nouveaux espaces agricoles échappent, dans une certaine mesure,
au modèle historiciste des paysages critiqué par C. Marchand « une forme – un pouvoir –
une époque ». En créant l'option sociale que suppose l'irrigation, ils ont produit de nouvelles
formes d'établissements, de nouvelles façons sociales d'organiser les espaces, l'alquería ou
les systèmes d'alquerías qui partageaient un même cours d'eau et, en définitive, des
nouveaux processus de travail paysan, conséquence du contrôle que l'exigence de rente ou
de tribut introduit dans la logique productive paysanne 254.

En définitive, il est certain que dans le cas italien la revitalisation des centuriations
est un fait incontournable malgré la période de deux mille ans et le passage de différentes
sociétés, mais je doute que cela ait pu être le cas des centuriations identifiées dans
l'espace qui plus tard fut appelé al-Andalus. Au cours de ces deux miles années le sol
italien a été plus adapté au cadre morphologique créé par les centuriations que celui d'al-
Andalus. Cette différence est justement la question à laquelle il faut répondre,
indépendamment de savoir qui est le responsable de ces transformations.

252
(M. B ARCELO 1992 : 247)
253
(A. M. W ATSON 1998)
254
(M. B ARCELO passim)
-167-
Nouvelles directions de la recherche

L'article de Caroline Pinoteau suscite les mêmes observations ; elle y identifie des
trames mixtes physiologiques « hydro-parcellaires » qui seraient auto-organisées « au gré
de la vie de la population locale, sans projet social planifié global connu » 255. D'accord, mais
une fois admise cette possibilité, qu'apporte-t-elle à la connaissance de la population locale
s'il n'y a pas eu de projet social planifié?

Cédric Lavigne, pour sa part, nous parle de la planification agraire médiévale et du


concept de planification discrète 256. Il détecte l'existence de systèmes auto-organisés qui,
étant d'origine ancienne (voies, chemins et limites parcellaires principales), évoluent et
subsistent grâce aux multiples changements de détail qui les transforment. Il propose, en
outre, un espace global composé, un hybride dans le temps et dans l'espace, car sans une
analyse des formes agraires qui le structure, son étude est inconcevable. Et ce qui me
paraît le plus important 257 :

On sait aujourd’hui que les formes paysagères se transmettent et se transforment selon des processus
et des temporalités, faites de potentialités et de décalages, qui leur sont propres et qui ont à voir avec les
conditions socioéconomiques de production [en italique, ce qui est de ma plume], mais pas du tout selon
le schéma conçu jusqu’ici. C’est-à-dire non pas selon une variation en bloc, par grands seuils historiques
induisant des changements repérables et brutaux (sauf cas avérés de planification agraire), mais selon
une multitude de conditions locales, de dates très variées, suscitant, par leur enchevêtrement, la
résilience d’ensemble de la forme. Ce sont bien les mutations incessantes de la forme et des fonctions
agraires, sur une trame d’origine antique, qui construisent la stabilité structurale et non l’inertie des
systèmes agraires traditionnels : tel est le deuxième changement de perspective.

Là aussi je suis d'accord. Je répète mes propositions précédentes : Nouvelles


formes, nouveaux processus de construction paysagère, mais pourquoi ne pas les restituer
dans ces conditions socio-économiques de production ? Quel est le rôle (cas de
planification agraire prouvée et autres) accompli par ces nouvelles formes dans les
conditions de production ? Quels en sont les auteurs, seigneurs de rente ou communautés
villageoises ? Si ce sont des paysans, de quelle autorité dépendent-ils? À qui payent-ils
leurs tributs ? Ce sont des questions qui ont besoin de réponses.

Je suis sûr que l'archéogéographie est une étape, nécessaire, mais une étape dans
la recherche des paysages.

MORPHOLOGIE APPLIQUÉE : ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

255
(C. P INOTEAU 2003 : 250)
256
(C. L AVIGNE 2002 ; 2003)
257
(C. L AVIGNE 2003 : 181)
-168-
Nouvelles directions de la recherche

L'archéologie de gestion est passée d'un statut de prestige, pour les villes au
patrimoine archéologique en sous-sol riche, à la connotation d'obstacle, de barrière. Le
regard que pose sur le patrimoine une bonne partie des planificateurs du sol (urbain ou
rural) a changé au cours des vingt dernières années suite à une gestion inadaptée et
surtout à une improvisation totale. Malgré les progrès obtenus, l'heure est au
mécontentement des professionnels du patrimoine culturel (départements d'archéologie des
universités, services techniques du patrimoine, municipaux ou autonomes, les chefs
d'entreprises de l'archéologie...) qui dénoncent une protection insuffisante et déficiente du
Patrimoine Historique ; il y a aussi la méfiance, voire une peur manifeste, par ignorance,
des responsables politiques quant au patrimoine ; Et enfin, au bout de la chaîne, il y a les
utilisateurs, les citoyens qui font preuve de sentiments contradictoires allant du
mécontentement provoqué par les interventions archéologiques obstruant les villes,
jusqu'au mécontentement et à l'incompréhension quand il y a perte, même partielle, de
fragments de leur passé, de notre passé. Toutefois, l'archéologie et le patrimoine ne doivent
pas être un frein au développement ni à la gestion du territoire, mais un outil de gestion et
un facteur stratégique.

Le manque d'harmonisation entre les politiques patrimoniales et les politiques de


R+D est la cause de ce phénomène. Il y a eu un a manque de relation entre la gestion de
l'archéologie et les lignes de recherche fondamentale, ceci est du d'une part à un manque
d'implication de l'Université, parfois auto-exclue, et aussi à l'absence de consultation de
celle-ci de la part des administrations au sujet de la création de lignes de recherche qui
résoudraient les problèmes de gestion. Dans le même sens, notons qu'il n'existe pas, à
l'image des universités françaises et italiennes, de formation spécifique ni de diplôme
universitaire propre ni même pratiquement de cours d'archéologie de gestion et moins
d'archéologie préventive. Ces concepts renferment une idée de la fouille comme méthode
de connaissance destructrice du patrimoine, non renouvelable. Ils utilisent la
morphodynamique ou les analyses morphodynamiques des paysages ruraux et urbains
comme outils et placent les territoires au cours de la recherche –les villes, leurs territoires
et leur planification. Les formes des paysages sont des systèmes structurant de l'activité
agricole et les marqueurs culturels dans le milieu, et les formes de l'habitat sont les
révélateurs de la présence humaine.

Cette méthodologie permet d'aborder globalement et diachroniquement les


territoires considérant en même temps le milieu physique, sa transformation par l'homme et
la répercussion de celle-ci en crises climatiques décelables dans le registre archéologique ;
sa gestion et utilisation dans le passé et les analyses prospectives de planification future,
en se transformant en un outil qui permet d'utiliser le potentiel du patrimoine –au sens large
: historique, archéologique, paysagistique, naturel... – comme facteur de développement
-169-
Nouvelles directions de la recherche

durable en termes économiques, sociaux et environnementaux et comme facteur de


cohésion sociale. Il suffit de rappeler les zones de l'Espagne rurale dont la seule ressource
est le patrimoine et qui ont déjà défini et mis en pratique des projets stratégiques basés sur
cette ressource.

L'objectif de base devrait être de concevoir une ligne de recherche pour la création
et l'amélioration de méthodes non destructrices dans le cadre d'une archéologie préventive
qui servirait à l'aménagement du territoire et à la protection de l'environnement. Le transfert
des résultats et des techniques servirait à former des spécialistes, à définir des politiques
publiques et des protocoles pour le diagnostic et la protection du patrimoine et de
l'environnement ; cela servirait aussi à la formation permanente de membres d'entreprises
de gestion du patrimoine constituées principalement par des P.M.E. et même à la création
de départements d'archéologie préventive au sein de grandes entreprises de travaux
publics.

Contrairement aux cartes archéologiques et à la dispersion de points sur un plan,


ce qui s'avère inopérant pour la prise de décisions prospectives, il devrait être possible de
définir les éléments constitutifs de deux documents de gestion urbaine et territoriale
historico-archéologique, tels que le C.N.A.U. de Tours les a proposés : Le Document
d'Évaluation du Patrimoine Urbain et le Document d'Évaluation du Patrimoine Municipal,
(D.E.P.A.U. et D.P.A.M. respectivement) dont l'esprit devrait être celui de la conception de
plans de potentialités patrimoniales, environnementales et d'aspects techniques qui
permettent l'aménagement du territoire sous l'angle d'une approche prévoyante et
stratégique visant à déterminer les valeurs plus opportunes et transformatrices d'une
politique territoriale, comme le préconise la STRATEGIE TERRITORIALE EUROPEENNE ( ETE ).

Nous pensons, par exemple, à la définition de ces composants qui supposent des
« dépendances historiques » du sol comme la présence de patrimoine au sous-sol et de ces
facteurs qui représentent une difficulté pour transformer ces « dépendances » en
avantages. Faits qui doit faire partie intégrante des systèmes d'information géographique
(S.I.G.) territoriaux ou urbains dans un but prospectif : nous pourrions considérer le prix du
sol, la puissance des sédiments stratigraphiques, formules de définition du coût de la
prospection, fouille et documentation comme d'autres propositions de diagnostic non
destructrices. Des recherches qui se trouvent derrière la récente loi de 2001 qui régule
l'archéologie préventive en France et qui devrait prochainement, selon les syndicats, souffrir
une modification.

Pour atteindre notre objectif principal, il devrait être possible de définir une
méthodologie de catalogage, de protection, de conservation et d'exploitation durable du
patrimoine paysager à travers une archéologie du paysage, ainsi qu'une évaluation des

-170-
Nouvelles directions de la recherche

résultats et de leur rentabilité sociale. La notion de paysage définie par la Convention


Européenne du Paysage comme « une partie de territoire perçue par les populations, dont
le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et / ou humains et de leurs interactions »
(art. 1.a), doit être dotée de contenu. Pour cela la formation de spécialistes devient
nécessaire, comme le recommande aussi cette convention. Le contexte universitaire est le
plus adéquat puisque c'est là que les étudiants de troisième cycle seront formés à ces
méthodes et techniques ; puis à travers les accords université-entreprise, ils pourront
intégrer le monde du travail. C'est l'état d'esprit qui dominera cette année deux projets de
l'Université de Valence et de l'Université Autonome de Madrid. Dans le premier cas il s'agit
d'un Diploma de Agente de Patrimonio Rural (APR). Estrategias para la Revalorización del
Patrimonio Rural Valenciano ; j'y participerai en traitant le thème de la valeur patrimoniale
du paysage et de l'évolution du paysage rural de Valence. Pour ce qui est du projet de
l'Université Autonome de Madrid, il s'agit d'un cours de troisième cycle sur Nuevas técnicas
en la gestión del patrimonio, dans lequel je me chargerai d'expliquer les relations entre
l'analyse des formes et de l'archéologie agraire et l'archéologie préventive : morphologie
urbaine, rurale, pédologie, fouille de structures agraires, analyse des réseaux routiers...

Comme il a été avancé, l'archéologie du paysage et l'analyse morpho dynamique au


moyen de la cartographie historique ou actuelle en formats numériques ou numérisés ad
hoc ; la photographie aérienne ou scènes satellite, est la technique la plus adaptée pour le
développement de cartographies et de documents d'évaluation du patrimoine, d'atlas de
cartographie historique intégrés en SIG appliqués au concept de risque d'« impact
archéologique » dans l'archéologie préventive et la protection de Biens Culturels.

Dans le cadre urbain, la méthode est tout particulièrement importante car il s'agit
d'un espace réduit aux activités multiples, aux modifications historiques se succédant dans
l'espace ; de plus il s'agit d'un lieu où l'intervention contemporaine dans le sous-sol est
quotidienne et le besoin de méthodes de diagnostic indirect et non destructives est plus
grand.

Toutefois, la diversité physique et culturelle du territoire espagnol est si grande que


quelques exemples ne suffisent pas à concevoir un projet. Il s'agira donc de constituer un
vaste répertoire méthodologique à partir d'exemples de villes et de leurs territoires qui
répondent à un catalogue significatif des différentes origines culturelles, chronologiques et
physiques.

Je crois qu'il est aussi nécessaire de créer les bases d'un Observatoire Permanent
de l'Archéologie Préventive / Prospective afin de diagnostiquer et d'évaluer l'impact
économique et social des cas ayant eu recours au patrimoine comme ressource pour la
promotion du développement durable dans des zones agricoles, et pour la création d'une

-171-
Nouvelles directions de la recherche

banque de données qui serve à l'échange d'expériences dans la conception de ce type de


politiques.

Un projet de ces caractéristiques n'aurait aucun sens sans le transfert de ces


connaissances à la société civile et sans sa participation ; il s'agit d'évaluer des
expériences et d'apporter des ressources muséologiques et muséographiques nouvelles qui
montrent aux citoyens des réalités complexes, comme un territoire ou des formes agraires
ou des planifications urbaines, uniquement révélées à travers le prisme cartographique ou
télématique. Pour cela l'apport des techniques de la Société de l'Information et la
reconstruction d'espaces virtuels et d'autres moyens d'exposition, serait de premier ordre.
Nous avons aussi collaboré avec l'entreprise muséographique General de Producciones y
Diseño sur des thèmes de cette nature : territoire, centuriations et irrigation de la Huerta de
Valence intégrés dans la Machine du Temps du Musée d'Histoire de Valence (M.H.V.) [fig.
XVIII 1 et 2].

MULTIPLICATION ET MODÉLISATION DES HYPOTHÈSES MORPHOLOGIQUES


Pour diverses raisons la tâche effectuée dans l'ouvrage Las formas..., [titre 45] est
insuffisant. Dans un premier temps, la majorité des cas d'études analysés sont uniquement
le fruit d'hypothèses. Même quand certaines de ces hypothèses furent vérifiées sur le
terrain au moyen de prospections ou d'éléments de fouilles intégrés, comme à Ibiza, Isona,
Les Alcuses ou au Maroc... , [titres 35, 38, 39, 43, 46 : figs. 102-106...], je me suis
consciemment passé d'elles dans l'édition définitive de la publication. Je prétendais
provoquer le même fertile débat que connu la France durant les années 80 et 90, tout en le
mettant à jour de la critique des hypothèses morphologiques émises jusqu'à alors. Dans un
deuxième temps, même si les exemples sont nombreux, ils sont globalement insuffisants.
Les critères de sélection des cas d'études étaient conditionnés par trois éléments
globalement insuffisants mais nécessaires sur le moment ; il s'agissait, je l'avoue, de
« brûler » les étapes :

1. Critère morphologique, là où les formes du paysage étaient évidentes et liées à


des processus historiques connus et reconnaissables de colonisation agraire.

2. Critère chronologique, la tentative de constitution d'un vaste catalogue des


formes agraires allant des périodes plus anciennes aux plus récentes.

3. Un critère de connaissance scientifique, enfin, qui privilégiait des zones où l'état


avancé de la recherche ou l'existence de programmes de recherches qui
requéraient une analyse de la morphologie parcellaire.

-172-
Nouvelles directions de la recherche

Il est évident que ces trois éléments ont conditionné le contenu de l'oeuvre. Les
paysages qui y sont répertoriés sont stéréotypés, classés chronologiquement et dépourvus
d'argumentations archéologiques ; toutefois, cet ouvrage possède la vertu de présenter un
répertoire de formes qui suivent la ligne de recherche proposée par G. Chouquer.
L'identification des structures de voies et de systèmes parcellaires, et la restitution des
systèmes centuriés répertoriées dans mon essai « sont à considérer comme des
hypothèses relatives à une dimension du paysage étudié, la morphologie agraire, et en
partie seulement » 258.

Je crois nécessaire, en outre, l'élaboration d'un vaste catalogue de formes ainsi


comme une réflexion sur la formation, la création, l'évolution et la dégradation de ces
dernières dont certains des objectifs sont clairement explicités dans le tableau récapitulatif
de l'article relatif au programme de l'archéogéographie de G. Chouquer 259, et d'autres qui
peuvent apparaître :

1. Nouvelle lecture des formes agraires.

2. Apports de l'archéologie préventive.

3. Étude des formes auto-organisées.

4. Évaluation de la relation entre morphologie et archéologie.

5. Requalification de l'objet planifié.

6. Dissociation entre assignation et territoire de la ville.

7. Réévaluation des formes médiévales et modernes.

8. Nouvelle lecture du corpus des arpenteurs anciens et des textes médiévaux.

9. Planification protohistorique.

Comme point de départ, l'aspect plus « exotique » et éloigné est, je crois, la


réalisation indispensable d'une étude d'ethnoarchéologique sur la morphologie du township
Américain qui pourrait être réalisée par un étudiant américain de maîtrise ou DEA réalisant
ses études en Europe. Selon R. Lebeau ce système de division a été fixé en 1785, quand le
territoire américain a commencé à supporter une structuration en carreaux réguliers d'une
mille de côté (1 609,3 m), la section, pour distribuer l'espace entre les colons. Au tout
début, le lot de base était le quart de section, ce qui est plus grand que la centurie romaine
(un carré de 804,6 m environs de côté et de 64,7 ha de surface). Plus tard, avec la

258
(F. F AVORY 1997 : 102)
259
(G. C HOUQUER 2003 : 16)
-173-
Nouvelles directions de la recherche

colonisation du Far et du Middle West, les lots ont été doublés ou quadruplés 260. Un groupe
de 36 sections formait une unité administrative, le Township étant équivalent, mutatis
mutandis, au concept de pertica.

J'ai récemment étudié quelques images aériennes et certaines cartes à l'échelle


1:24 000 des grandes extensions de cette forme agraire à Indianapolis ou à Chicago et je
crois qu'elles offrent un excellent domaine de recherche sur une morphologie agraire proche
à celle des systèmes centuriés, domaine de recherche récemment entamé par G.
Chouquer 261. Tout d'abord, bien que ne se soient écoulées que 220 années (face aux 2 000
des paysages anciens) le paysage de colonisation n'est ni figé ni immuable. Il a souffert des
transformations, mais il a aussi assimilé, au moment de sa mise en place, des éléments de
l'ancien paysage indigène. La distinction sur les plans actuels de certaine indian road qui
serpente sous la grille omniprésente du township est symptomatique. Il est également
surprenant de constater que tout l'espace n'a pas fait l'objet de divisions matérialisées au
sol ou alors nous sommes en présence d'éléments non isoclines (non orientés par rapport
au towship) qui organisent de petits espaces. En plus du façonnement sur le terrain, visible
sur les photographies aériennes et dans la cartographie, dans cette dernière apparaît la
grille virtuelle, donc administrative, qui divise des espaces où elle n'a pas été matérialisée
sur le terrain.

Toutes ces données serviraient à apporter un élément mineur, pour ainsi dire, à la
récente histoire américaine mais, avant tout, une réflexion valable et utile pour comprendre
et essayer de connaître les processus de création, de dégradation et de construction des
paysages. Beaucoup de doutes, vus précédemment, exposés par E. Ariño sur la
matérialisation physique des centuriations seraient ainsi éclaircis.

D'un point de vue méthodologique je crois qu'une mise en commun des études des
paysages manque et devient nécessaire dans mon pays. Une réunion scientifique qui
rassemblerait les chercheurs travaillant en Espagne sur le thème de la morphologie des
paysages est indispensable ; au cours de celle-ci présiderait la même philosophie que celle
du volume 26 de la Revue Archéologique de Narbonnaise (1993) ou de la journée d'étude
du GDR 954 du CNRS le 27 février 1995, dont le texte proposé pour la réunion par J.-L.
Fiches : « Tracés directeurs de la Nîmes antique et de ses campagnes »; où on a proposé
« (…) un bilan précis, noter les évolutions, mettre en évidence un certain nombre de
questions et de problèmes méthodologiques, ouvrir des perspectives ». Réunions qui ont
contribué à établir des critères unifiés de description des cadastres, à établir les critères de

260
(R. L EBEAU 1969 : 102-103)
261
(G. C HOUQUER sous presse)
-174-
Nouvelles directions de la recherche

datation et de chronologie des limitations romaines, de bases méthodologiques pour


continuer la recherche, de définition de stratégies méthodologiques et morphologiques, de
formes de coopération entre différentes disciplines et chercheurs. La tâche reste entière
dans mon pays et la désunion entre les différents groupes qui travaillent sur ce thème est
totale.

Une autre tâche tranchante est la modélisation des formes médiévales attachées
tant à époque islamique que chrétienne. Il est nécessaire de former les étudiants
médiévistes en analyse morphologique pour qu'ils puissent continuer le processus, que j'ai
moi-même engagé, de comparaison des formes agraires de l'irrigation islamique et des
formes agraires de l'irrigation dans le Nord de l'Afrique. Cela permettra de définir les
évolutions propres et inhérentes au processus historique hispanique, ainsi que de faire
toute la lumière sur l'existence d'une morphologie propre de l'irrigation. En ce sens, une
analyse de morphologie agraire et de modélisation des parcellaires géométriques
marocains me paraît aussi d'une importance vitale (parcellaires en bandes ou en lanières)
qui sont construit dans le but d'assigner les terres comme forme de paiement aux troupes
guich (ar. djich = troupe armée) depuis le milieu du XVIè siècle 262. Terres qui ont été
administrés en collectivité, bien que les tribues soient exclusivement considérées comme
des usagers, le domaine restant la propriété éminente de l'État.

Une analyse exhaustive, en parallèle, des formes médiévales répertoriées dans le


Pays Valencien me paraît indispensable (conquête catalane postérieure au XIIIè siècle),
des textes médiévaux, principalement les chartes de peuplement, et de l'adoption du droit
romain. De sorte que la datation du vocabulaire décrit précédemment s'avère nécessaire,
ainsi qu'une étude prosopographique des principaux personnages qui étudièrent le droit
romain (Lois) à Bologne afin de les mettre en relation avec les partiteurs et arpenteurs qui
ont travaillé à la distribution et à la division les terres du nouveau royaume. Il me paraît
évident que cette incorporation du droit romain dans la pratique de la gestion de l'espace
par Jacques Ier et l'apparition d'un nouveau vocabulaire vers le milieu du XIIIè siècle n'est
pas du au hasard et que les sources d'inspiration doivent être cherchées à Bologne.
Toutefois, les tenants et les aboutissants de la démonstration n'ont pas été fixés et doivent,
à mon avis, être établis par quelqu'un dont la formation allie une base de médiéviste, une
formation rigoureuse en analyse morphologique et une connaissance du droit romain adopté
au XIIIè siècle.

Or, depuis 1996 je ne cesse de répéter que la région qui mérite une étude
approfondie et pluridisciplinaire est celle de Murcie [titre 26 : 330-331]. Un passé antique et

262
(J. L E C OZ 1965)
-175-
Nouvelles directions de la recherche

une fondation de la ville à l'époque émirale, une documentation chrétienne éloquente et la


possibilité de situer dans l'espace l'évaluation agrologique et fiscale de l'azimen (cadastre à
finalité fiscale), ainsi que la forte intervention chrétienne dans certains secteurs de la
Huerta, sont des éléments qui font de Murcie et de son environnement une région
privilégiée pour l'étude de la planification médiévale. Il semble que C. Lavigne l'a compris,
en effet il a mis en marche un projet de recherche sur la morphologie agraire de Murcie et
observe 263 :

Sur près des deux tiers de la huerta (principalement au nord et à l’est de Murcie), l’analyse
morphologique permet de mettre en évidence de très vastes trames organisées en longues bandes
parallèles, lesquelles servent de cadre à une division géométrique sur la base de champs de très petite
taille (document 4 et 5). Certaines s’étendent, avec la même orientation, sur prêt d’une dizaine de
kilomètres. D’autres ont une extension plus réduite. Il semblerait donc que la colonisation chrétienne,
organisée de façon méthodique par Alphonse X à partir de 1266, date à laquelle la ville et son territoire
sont définitivement incorporés à la couronne de Castille, soit passée, au moins pour les secteurs
concernés par la troisième et quatrième répartition, par une restructuration radicale des terroirs hérités
de l’époque musulmane. Or, la lecture des synthèses historiques anciennes et récentes fait apparaître
une interprétation différente fondée sur l’idée d’une répartition des terres aux chrétiens par transfert de la
propriété, respectant donc le cadre morphologique en place (…)

Cependant, à cette approche nous pouvons objecter qu'il est possible que cette
restructuration radicale des champs hérités d'époque musulmane soit la conséquence de
l'abandon partiel de la Huerta et de l'abandon complet des terrains non irrigués par les
mudéjares qui finirent par émigrer à Grenade, et du retour d'une bonne partie des nouveaux
habitants à leurs régions d'origine, comme l'a exposé J. Torres Fontes dans les deux
articles 264. Apparemment, entre la conquête chrétienne et le XVè siècle, de constantes
épidémies, de mauvaises récoltes, des fléaux de sauterelles et des inondations ont
contribué au dépeuplement de la zone et par conséquent à l'abandon de terres se
transformant progressivement en marais. Devant cette situation les autorités de la ville
exigeront aux Rois Catholiques la possibilité de drainer ces terres le marais avait gagné. Il
est probable qu'une partie de la restructuration observée par Lavigne est celle qui fut faite à
cette date pour planter du riz dans les zones inondable du Segura, culture totalement
absente de la documentation. Dans ce cas il est possible que structure parcellaire et
système agraire changent en même temps.

Le dernier effort nécessaire en rapport avec la modélisation de certaines des


formes identifiées comme hypothèse concerne les possibles structures protohistoriques et
la nécessaire matérialisation et identification par des méthodes archéologiques de ce que
j'ai appelé régularité organique et des formes attribuées à la protohistoire. Il devient donc

263
(C. L AVIGNE 2004, extrait du projet de recherche)
264
(J. T ORRES F ONTES 1971 ; 1972)
-176-
Nouvelles directions de la recherche

nécessaire de parvenir à modéliser certains des exemples décrits comme parcellaires


protohistoriques (Liria, Isona...) mais aussi certains des systèmes irrigués qui reproduisent
cette même morphologie.

Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle le Laboratoire d'Optique de Besançon


ne dispense plus le service d'analyse de filtrat directionnel et métrologique qui fut si utile au
cours des dernières années. A l'avenir il faudra faire un effort supplémentaire pour obtenir
ce que ce laboratoire a commencé il y a de nombreuses années : obtenir un programme
d'utilisation simple au niveau de l'usager pour pouvoir réaliser des filtrats directionnels et de
métrologie des lignes d'un paysage en particulier.

ARTICULATION DE LA MORPHOLOGIE AGRAIRE ET LES DONNÉES DE PROSPECTIONS


RELATIVES A L'HABITAT ET LES CHAMPS DE CULTURE

(...) l’analyse d'une formation sociale concrète doit tourner autour du mode de formation de l'excédent
caractéristique de cette formation, des transferts éventuels de l'excédent et vers d'autres formations et à
la distribution intérieure de cet excédent entre les différentes parties concernées (...)265

Je crois que ces mots définissent bien, à mon avis, l'objectif de l'histoire comme
forme de connaissance des sociétés du passé. Je ne nie pas qu'il existe d'autres formes de
connaissance des sociétés, mais la simple description de ses conditions de vie, de sa
culture, de ses manifestations artistiques, religion, idéologie... est insuffisante. Comment
quelqu'un qui a consacré une bonne partie de sa vie de chercheur au monde funéraire et à
l’interprétation les restes archéologiques des rituels funéraires allait-il le faire? Toutefois, la
majeure partie du temps, la majeure partie de la population, la majeur partie de l'histoire et
de notre monde, a été consacrée à la subsistance de quelques-uns et l'accumulation de
l'excédent par d'autres. Cette subsistance et cet excédent était, jusqu'il y a bien peu en
termes historiques, la finalité du travail de la terre. Paraphrasant M. Barceló, c'est là
l'objectif, à moins que l'on considère la formation, la capture, le transfert et la distribution
intérieure de l'excédent, comme quelque chose naturel. Dans ce cas, il faut expliquer ce
miracle selon lequel « les paysans s'occuperaient volontairement de maintenir un grand
groupe d'illustres oisifs » 266.

L'archéologie spatiale, du peuplement, de l'occupation du sol, des parcellaires ou


du paysage... peut et doit s'occuper de ces questions. L'archéologie des parcellaires offre
un point de vue privilégié sur l'étude des sociétés du passé. L'objet parcellaire n'est autre
que la rationalisation mise au service de la production et de l'exploitation du milieu par les

265
(S. A MIN 1974 : 67)

-177-
Nouvelles directions de la recherche

sociétés agraires. Son identification et étude, liées à d'autres méthodes et à d'autres


techniques doivent pouvoir permettre de comprendre la relation existante entre la société et
la nature en vue d'obtenir un excédent. Si, par exemple, l'arrivée des Romains en Hispania
suppose une série de changements radicaux dans les structures agraires, c'est non
seulement un indice de l'impérialisme jouisseur de certaines classes oisives, mais aussi des
nouvelles formes d'exportation du problème, d'extraction de l'excédent entre la société
colonisatrice et la société colonisée, et entre des indigènes qui verront augmentées leurs
possibilités par ces changements, et d'autres indigènes moins heureux. Tout cela canalisé
par une fiscalité spécifique qui s'occupera de transférer et de « distribuer » cet excédent.

L'information que nous possédons sur ces processus de stratégies et de


distribution est faible, malgré la connaissance produite. C'est pourquoi, à l'avenir une bonne
partie de mes recherches auront pour objectif de définir et de conceptualiser le registre
archéologique qui permet de les comprendre, principalement pour la période antique :
dispersion et taille des unités de production agraire, dimension des espaces productifs,
cohérence entre eux et les descripteurs qui permettent de définir toutes ces données. Ce
qui revient à dire, en empruntant les mots de F. Favory, « faire vivre les parcellaires
d’époque romaine pour comprendre leur fonctionnement avec l’habitat contemporain, ce qui
m’a conduit à l’occupation de l’espace structuré par ces systèmes parcellaires cohérents et
à la dynamique du peuplement » 267.

Je crois que la manière adéquate d'approfondir dans la formulation de ces


« questions » le registre archéologique est de concentrer nos efforts sur trois ou, au
maximum, quatre régions permettant d'articuler les données dérivées de l'analyse de la
morphologie agraire avec celles de la prospection des habitats et des champs de culture.
Les excellents résultats obtenus pour la vallée du Rhône 268 sont la conséquence de la mise
en pratique de ces mots que nous venons de citer. Pour moi, ces zones sont celles qui ont
été exposées précédemment : les îles Ibiza et Formentera, le triangle Liria -Valencia -
Sagunto, le Campo d'Elche et les Abruzzes italiens.

Pour commencer par la fin, je crois nécessaire, depuis longtemps [titre 45 : 269-
271], un projet 269 à mi-chemin entre la modélisation de l'analyse morphologique et
l'articulation des données morphologiques avec celles qui sont dérivées de la prospection

266
(M. B ARCELO 1992 : 245)
267
(F. F AVORY 2000 : 11)
268
(A RCHAEOMEDES 1998)
269
Pour laquelle j’ai sollicité une aide financière à l’UMR 7041 pour une mission préalable.
-178-
Nouvelles directions de la recherche

de l'habitat et des champs de culture. Il s'agit des formes du paysage de la ville de Sulmona
(Abruzzes), l'ancienne Sulmo du poète Ovide.

Cette région offre des conditions de départ qui peuvent éclairer la problématique de
la morphologie agraire de l'irrigation. Les textes de Pline et d'Ovide donnent un témoignage
assez direct d'une ancienne irrigation destinée, entre autres, à la culture du lin, très célèbre
à l'époque ; de la même manière que l'archéologie des restes de canalisations anciennes en
articulation avec un système irrigué moderne, en fonctionnement de nos jours 270. La figure
que nous offrent E. Mattiocco et F. van Wonterghem prétend mettre en rapport le réseau
hydraulique hypothétiquement ancien avec les propositions d'anciens cadastres 271 ;
cependant, elle pose quelques problèmes car il s'agit de comparer « la planimétrie [actuelle]
schématique des canaux de dérivation du Sagitario et du Gizio » selon la carte 369-II
Sulmona à l'échelle 1:25 000 de l'IGMI (Institut Géographique Militaire) et la réalité virtuelle,
ancienne, d'une des deux centuriations d'époque des Gracques (Corfinium-Sulmo I = N-
38º45 'W et module de 15*15 actus) proposées pour la plaine alluviale entre les villes de
Corfinium et de Sulmo. Il est regrettable que la grille proposé pour la centuriation
augustéenne (Corfinium-Sulmo II = N-39º30 'E et module de 20*20 actus) n’ait jamais été
présentée ni par Chouquer, ou d'autres, ni par Mattiocco et Wontherghem, puisqu'il s'agit de
l'orientation dominante de la plaine alluviale et, par conséquent, l'endroit de plus fortes
coïncidences entre la centuriation et les canaux qui arrosent la vallée dominée par
Sulmona. Si nous pouvions confirmer ces indices et ainsi prouver qu'il s'agit d'une irrigation
ancienne et de la coïncidence de ce dernier avec les axes de la centuriation Corfinium-
Sulmo II, nous aurions alors la démonstration de la thèse soutenue précédemment (voir
supra, Villareal) : la conception simultanée d'un paysage irrigué et d'une centuriation est
possible dans le même cadre morphologique. Ce qui est parfaitement cohérent avec les
intuitions des recherches menées à terme en Jingyang (Chine) par le géographe Pierre
Gentelle 272

Un élément de comparaison de cette zone d'étude se trouve dans un projet


d'archéologie préventive auquel je participe au moment où je rédige ces lignes et qui devrait
servir de base à l'union de deux zones qui ont probablement en commun la culture du lin
dans l'Antiquité. Il s'agit de la villa romaine d'Els Alters (l'Énova, Valence) qui vient d'être
fouillée dans le territoire de l'ancienne Saetabis, le lin qu'elle produisait était parmi les plus

270
(E. M ATTIOCO , F. VAN W ONTERGHEM 1995 : 202, fig. 3)
271
(G. C HOUQUER et al. 1987: 133-136, fig. 28)
272
(P. G ENTELLE 2003 : 168)
-179-
Nouvelles directions de la recherche

célèbres d'Europe selon Pline 273. Les fouilles ont mis en évidence l'existence de deux
grands bassins, séparées par une paroi de la pars urbana et que nous pouvons interpréter
comme les cuvettes de ruissellement du lin. La première approche à l'étude du paysage a
permis de situer la ville à proximités d'une zone où les sols hydromorphes dominent et sont
organisés par une structure agraire en grandes bandes de morphologie médiévale. Les
agriculteurs de la zone m'ont informée que jusqu'à la moitié du XXè siècle on y cultivait du
riz, production agricole qui représentait au XVIIIè siècle 88 % de l'activité agricole. Ce qui
suppose que les nécessités d'humidité de la culture du lin ont dû être satisfaites dans un
espace équivalent à celui qui en époque moderne était consacré au riz, la zone de sols
hydromorphes dominée par le canal principal qui apporte l'eau de la rivière Albaida. Les
conditions pluviométriques de la zone (environs 600 mm annuels face aux 800 mm de la
région de Sulmona) permettent d'aventurer l'hypothèse de la nécessité d'irrigation dans
cette zone pour la culture du lin. De même, la présence de la villa au bord d'une zone
inondable et humide rappelle le cas de la villa Le Vernai (Saint-Romain-de-Jalionas, Isère)
a dû mouiller le chanvre (besoins agrologiques très semblables au lin) aux abords d'un
milieu humide, au cours de la période comprise entre l'an 15 apr. J.-C. et le IIè ou IIIè siècle
apr. J.-C. 274

En ce qui concerne les autres régions, il s'agit de les aborder avec des critères
combinés d'analyse morphologique et spatiale. La première tentative effectuée à
Formentera avec des descripteurs adaptés à la spécificité de la région, bien
qu'exclusivement d'un point de vue spatiale [titre 13], a pu être renforcé par la conjonction
des faits venants des prospections systématiques d'Aeso et l'introduction des données
parcellaires dans un SIG (GRASS) [titre 37 = 41]. En fait, ce décrypteur des sites a été
utilisé pour la première fois dans la zone du Beaucairois 275, bien qu'il n'ait pas été pris en
considération lors d'études postérieures qui ont systématisé la méthode pour le projet
ARCHAEOMEDES .

L'objectif n'est autre que de définir les formes de l'habitat en suivant les mêmes
étapes que le projet ARCHAEOMEDES ou celles de la systématisation effectuée par F.
276
Bertoncello dans le midi ou encore celles de J.-P. Vallat en Italie, déjà citées; l'objectif est
aussi d'obtenir une typologie au moyen de méthodes d'analyses statistiques variable
(Analyse Factorielle de Similitudes et Classification Ascendante Hiérarchique) que j'ai déjà

273
(C. P LINIO S ECUNDO , Naturalis Historia, XIX, 9 : « ... ubi a Saetabis tertia in Europa lino palma »)
274
(J. F. B ERGER et al. 2003)
275
(F. F AVORY , J. L. F ICHES , J. J. G IRARDOT 1987-1988 : 71)
276
(F. B ERTONCELLO 1999)
-180-
Nouvelles directions de la recherche

utilisé moi-même dans l'étude de Formentera, même si cette méthode se trouve à la


« préhistoire » de l'informatique et des études de classification des sites. Classer ce même
habitat par des propriétés archéologiques, chronologiques ou spatiales permet d'aller au-
delà de la simple taxonomie traditionnelle (vicus, ville, hameau...). Ensuite, classer les
habitats en fonction de leur implantation dans le sol et des paysages qui les entourent ainsi
que les relations entre les habitats eux-mêmes afin de pouvoir comprendre l'organisation
des réseaux d'habitats par rapport à ces mêmes paysages.

Dans le cas des îles d'Ibiza et de Formentera, la principale question est de savoir
si l'évolution interne des forces productives de la fin du monde punique est réellement
comparable à celle du monde romain, ou s'il s'agit du résultat d'une dynamique interne due
aux contacts précoces qui confèrent à Ebusus sa condition insulaire. Et ainsi vérifier si les
structures agraires observées (de datation considérablement difficile pour le moment) sont
propres de la société punique ou de la société romaine, ou bien sont une création punique
croissant sur une transformation romaine. Afin de déterminer ces extrêmes, il me paraît
fondamental d'établir, dans un tableau global organisateur (organisation d'un ou de deux
fundi), s'il s'agit réellement d'un phénomène d'îlots parcellaires ou d'une continentalisation
morphologique des manifestations dispersées sur les îles des structures agraires isoclines
(organisation d'une grille centuriée, pertica, pour chaque île).

Les prolégomènes de la problématique concernant le triangle Liria - Valencia -


Sagunto ou même pour le Campo d'Elche sont très différents. En effet, il s'agit de vastes
territoires qui, sauf pour Edeta, manquent de prospections systématiques. Je ne vois d'autre
solution que d'affiner les analyses morphologiques de détail (on ne peut continuer à
interpréter des éléments spatiaux en rapport avec la tablette d'Elche sans établir une étude
morphologique définitive) et augmenter les prospections permettant la mise en rapport des
deux registres. Il est très probable que ces analyses de détail devront être effectuées dans
le cadre de recherches académiques sous forme de travaux de recherche divers.

Cependant, et indépendamment des problématiques historiques et morphologiques


citées plus haut, je crois indispensable de définir la chronologie de l'implantation de ces
structures centuriées dans le but de confirmer si leur plus grande prolifération date
effectivement de l'époque césaro-triumvirale ou de celle qui la précède immédiatement,
comme c'est le cas d'autres régions de la Méditerranée. Comme l'archéologie préventive
espagnole est encore très loin de développer une véritable archéologie des parcellaires, la
seule chose que je crois qu'il nous reste à faire à l'heure actuelle et pour l'instant est de
parvenir réellement « à faire vivre » les parcellaires liés aux centuriations pour comprendre
leur fonctionnement par rapport l'habitat contemporain.

-181-
Liste des travaux

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français (résumé en arabe), Bulletin d’études orientales, 21 : 7-312.

-195-
Liste des travaux

LISTE DES TRAVAUX


Liste des travaux

TRAVAUX

LA : Auteur d’un livre AC : Article dans un RR : Rapport de T : Traduction d’un article


congrès Recherche pour une revue ou
congrès

LC : Co-auteur d’un livre AR : Article dans une CR : Compte rendu


revue

CL : Coordinateur d’un AO : Article dans un


ouvrage ouvrage

1. E. Díes Cusí, R. González Villaescusa, Las


tinajas de transporte
bajomedievales y sus marcas de alfarero, Actas del I er Congreso de
1986

AC
Arqueología Medieval Española, (Huesca 17-19 Avril, 1985), Zaragoza,
1986, tomo V, pages 613-631.
2. R. González Villaescusa, Aspectos de la romanización del País Valenciano
a través del estudio de las necrópolis rurales, Jornades Internacionals
1987

AC
d’Arqueologia Romana, Granollers, 5-8 de febrero de 1987, 1-Documents
de Treball, 127-134.
3. J. Gisbert, R. González Villaescusa, P. Fumanal et al., Vinyals (Ondara).
1989

RR Una necrópolis del territorium de Dianium, 1989 (inédit).

4. R. González Villaescusa, Introducción al patrón de asentamiento de la


1989

RR Edad del Bronce en Formentera, 1989 (inédit).

5. R. González Villaescusa, El vertedero de la Avenida de España, 3 y el siglo


1990

LA III d. de C. en Ebusus, Trabajos del Museo Arqueológico de Ibiza nº 22,


1990, 160 págs. [ISBN 84-87143-01-6]

6. R. González Villaescusa, Mª José Fuentes Estañol, Nueva inscripción


1990

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AR arqueológico de Cullera desde época ibérica a la Antigüedad tardía,


Cullaira 3, 1991, pages 17-41.

9. J. Fernández, J. Oriol, R. González Villaescusa, Marcas de Terra Sigillata


1992

LC del Museo Arqueológico de Ibiza, Trabajos del Museo Arqueológico de


Ibiza nº 26, 1992, 150 págs. [ISBN 84-87143-05-9]

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Archéologie des parcellaires, G. Chouquer (dir.), Paris, 1996, pages 155-
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27. G. Chouquer, F.Gateau, R. González Villaescusa, Étude des formes du


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28. R. González Villaescusa, Asesoramiento al Plan General de Ordenación


1996

RR Urbana (PGOU). Análisis de las formas del paisaje de Carcaixent, 1996


(inédit).

29. Jean-Luc Fiches, R. González Villaescusa, Analyse morphologique et


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AO
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32. Ricardo González Villaescusa, Ville et Territoire: l'Organisation du paysage


1997

RR à l'époque antique (País Valenciano), Rapport Scientifique Membre de la


Casa de Velázquez, 1997 (inédit).

33. M. Barceló, (coord.), M. Argemí, R. González Villaescusa, H. Kirchner, C.


Navarro, El curs de les aigües. Treballs sobre el pagesos de Yâbisa (290-
1997

LC
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34. P. Garmy, R. González Villaescusa, Brion (Saint-Germain-d'Esteuil-
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Liste des travaux

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37. T. Reyes Bellmunt, R. González Villaescusa, J.E. Garcia Biosca, Estudi de


1998

AR l’ager Aesonensis (Isona i Conca Dellà, Pallars Jussà), Revista


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38. R. González Villaescusa, Análisis morfológico de la manzana de San Juan


1998

RR del Hospital de Valencia, 1998 (inédit).

39. P. Cressier, L. Erbatí, R. González Villaescusa, La naissance de la ville


1998

RR islamique au Maroc –Tamdult– 1999 (inédit).

40. R. González Villaescusa, Sobre drenatges i recs històrics a La Punta, en


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AO Els valors de la Punta. 18 arguments en defensa de l’horta, Universitat de


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41. T. Reyes Bellmunt, R. González Villaescusa, J.E. Garcia Biosca, Estudio


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AR del ager Aesonensis (Isona y Conca Dellà, Pallars Jussà), Arqueología y


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2000

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43. R. González Villaescusa, El barrio del Carmen de Valencia: análisis


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44. R. González Villaescusa, El mundo funerario romano en el País Valenciano:


Monumentos Funerarios y Sepulturas entre los siglos I a. de C-VII d. de C.,
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Casa de Velázquez-Institución Juan-Gil Albert Madrid-Alicante, 2001, 485
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45. R. González Villaescusa, Las formas de los paisajes mediterráneos:
2002

LA (ensayos sobre las formas, funciones y epistemología parcelarias: estudios


comparativos en medios mediterráneos entre la antigüedad y época

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Liste des travaux

moderna), Universidad de Jaén, Jaén, 2002, 506 págs. [ISBN 84-8439-102-


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46. R. González Villaescusa (coord.), E. Pacheco Cardona, avec la


collaboration de R. Arroyo Ilera, A. Balil, V. Borredá, E. Díes Cusí, M.
Dupré, Mª J. Fuentes, N. Márquez, M. Monraval, J. Ramón Torres, Can
2002

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Fita, onze segles d’un asentament rural de l’antigüitat ebusitana (segle IV
a.C. – segle VII d.C.), Consell Insular d’Eivissa i Formentera, Ibiza, 2002,
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AO Cressier, R. González Villaescusa (eds.) Génesis y evolución de los
paisajes de regadío medievales en la Península Ibérica: aportación de la
fotointerpretación (a paraître).
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LC Villaescusa, A. Siraj, La naissance de la ville islamique: Nakur, Agmat,
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52. P. Cressier, L. Erbati, M. Acien, A. El Boudjay, R. González Villaescusa, A.


Siraj, Nakur, capitale d’un Emirat du Haut Moyen Age, premiers résultats,
AC Plus d’un siècle de recherches archéologiques au Maroc, 1 ères Journées
Nationales d’Archéologie et du Patrimoine (Rabat : 1-4 juillet 1998), (a
paraître).
53. P. Cressier; L. Erbati, R. Gonzalez Villaescusa, E. Salesse, Le terroir
AC irrigué des établissements urbains du Maroc médiéval: un modèle et ses
variantes du Rif à l’Anti Atlas, Ancient Landscapes of Maghreb: Morocco

-202-
Liste des travaux

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54. R. González Villaescusa, Morfología agraria y regadío, en P. Cressier, R.


González Villaescusa (eds.) Génesis y evolución de los paisajes de regadío
AO
medievales en la Península Ibérica: aportación de la fotointerpretación (a
paraître).
55. R. González Villaescusa, Bonificacion de zonas palustres en el ager
saguntinus, en Catastros, hábitats y vía romana, programa INTERREG III B
AO
de la Unión Europea: Las Vías Romanas en el Mediterráneo, Generalitat
Valenciana, 2003, (a paraître).
56. R. González Villaescusa, J. V. Lerma Alegría, Le service public (?) de
l’archéologie en Espagne ou l’œuf du serpent, Atelier – Débat Forum Social
Européen, Novembre 2003 de Paris St.-Denis, Un service publique au
AO
service de la culture: l'archéologie préventive, cible particulièrement
démonstrative de l'ultra libéralisme, SGPA-CGT-Culture de la FERC-CGT (a
paraître).

-203-
Liste des travaux

FIGURES
Figures

Figure I, 1 : Modèle digital du terrain d’Ibiza et Formentera où l’on apprecie les plaines
littorales reduites.

Figure I, 2 : Castellum de can Blai (Formentera).

Figure II, 1 : Aqueduc de s’Argamassa (Santa Eulària des Riu, Ibiza).

Figure II, 2 : Aqueduc de s’Argamassa (Santa Eulària des Riu, Ibiza). Canalisation de la
dernière phase de fonctionnement.

Figure II, 3 : Vestiges de l’usine de salaisons de s’Argamassa (Santa Eulària des Riu,
Ibiza).

Figure II, 4: Aqueduc de s’Argamassa (Santa Eulària des Riu, Ibiza).


ConcretionsConcrétions calcaires et phases de canalisation.

Figure II, 5 : Aqueduc de can Mises (Ibiza).

Figure III, 1 : Can Fita. Évocation de la phase 3, fin du Ier siècle ap. J.-C. (Santa Eulària
des Riu, Ibiza).

Figure III, 2 : Can Fita. Évocation de la phase 3, de la salle du pressoir à huile de la fin du
Ier siècle ap. J.-C. (Santa Eulària des Riu, Ibiza).

Figure III, 3 : Can Fita. Évocation de la phase 4, VIè-VIIè s. ap. J.-C. (Santa Eulària des
Riu, Ibiza).

Figure IV, 1 : Territoire d’Aeso avec les traces du système cohérent sur le modèle digital du
terrain.

Figure IV, 2 : Territoire d’Aeso avec les traces de la centuriation à module de 15*15 actus
sur le modèle digital du terrain.

Figure V, 1 : Séries de monnaies d’Ilici (Elche). 1 : Émision monetairemonétaire postérieure


à 42 av. J.-C. 2 : Émision monétaire postérieure à 19 av. J.-C., légende C.C.IL.A. 3 :
Émision monétaire ca 12 av. J.-C., légende C.I.IL.A.

Figure V, 2 : Campo de Elche entre la ville actuelle au nord et les marais du Fondo au sud
sur la mission dudit vol américain de 1956.

Figure V, 3 : RefutationRéfutation de l’hypothèse de chemin protohistorique à partir de


l’analyse de detail de la parcelle qui longe ce chemin.

Figure V, 4 : Forma en bronze ou sortitio où l’on assigne 130 jugères de terres asséchées a
dix colons dans la pertica d’Ilici. Découverte en 1996. Archive de La Alcudia de Elche.

-205-
Figures

Figure VI, 1 : Fond parcellaire de la partie centrale de la pertica d’Ilici avec la proposition
des centuries qui pourraient être l’objet de l’assignation de la tabula de bronze (DIIII KII /
DIIII KIII / DV KII / DV KIII).

Figure VI, 2 : Rélévé des traces radiales qui pourraient faire parti d’un système auto-
organisé.

Figure VI, 3 : Photointerprétation de la zone de La Foia ou se trouvent les centuries DIIII KII
/ DIIII KIII / DV KII / DV KIII qui pourraient être l’objet de l’assignation de la tabula de
bronze. En rouge, division de la centurie en trifinia et subdivision interne en une décurie de
dis lots de 6,5 jugères. En jaune les vestiges conservés dans le paysage actuel de cette
pratique d’arpentage.

Figure VI, 4 : Photointerprétation de la zone de La Foia. En jaune les vestiges conservés


dans le paysage actuel de la pratique d’arpentage.

Figure VII, 1 et 2 : Inscription CIL II 3741 en calcaire (72x53-44x47 cm) de Valencia et


detail. M(arco) Nummio / Senecioni Al / bino c(larissimo) v(iro), pont(ifici) / leg(ato)
Augg(ustorum) pr(o) / pr(aetore), Valentini / Veterani et Veteres patrono, / cur(antibus)
Brin(nio) Marco et Lic(inio) Quinto.

Figure VIII, 1 : Synthèse des structures centuries dans le triangle des villes de Valentia-
Saguntum-Edeta.

Figure VIII, 2 : Proposition de l’évolution chronologique des structures centuriées dans le


triangle des villes de Valentia-Saguntum-Edeta et rapport avec les territoires des cités. 1)
Phase tardo-républicaine : création de Valence A, associée à la fondation de la colonie de
Valentia. 2) Phase guerres sociales / césaro-triumviral : perticae edetana et saguntina. 3)
Phase augustéenne : perticae de Valence B et Valence C.

Figure IX, 1 : Modélisation de la transformation d’une rue rectiligne en tortueuse dans le


monde islamique d’après J. G ARCIA -B ELLIDO 2000. 1) Une rue rectiligne, qu’elle soit le fait
d’une fondation musulmane ou de l’occupation musulmane d’une rue de l’antiquité, est
occupée par des marquises saillantes ou de tentes en guise d’excroissance/de
prolongement des maisons. 2) La seconde phase voit ces appropriations être mises en dur
et envahir la rue, et dans le même temps d’autres maisons s’étendre au milieu de la rue par
le biais d’autres marquises ou d’autres tentes. 3) Dernière phase, le processus d’expansion
et de consolidation de l’espace privé, résultat de divers rapports de force et pressions entre
les propriétaires et des sanctions successives (fatwas), a entraîné la déformation de
l‘ancienne rue rectiligne et son remplacement par une rue tortueuse: c’est l’exclusion en
négatif de l’espace public.

-206-
Figures

Figure IX, 2 : Modélisation de la construction de la « regularité organique ». 1) Construction


d’un canal tortueux (A) par les contraintes physiques dues à améner l’acheminement de
l’eau par la différence de niveau. 2) Equidistances (B) ainsi que limites de parcelles
transversales pour contruire des parcelles de même taille à partir du canal (A). 3)
Construction d’un deuxième canal (C) quidistanteéquidistante du premier. 4) Construction
d’un troisième canal (D) a partir des mêmes équidistances.

Figure X, 1 : Albarracín (Haut Turia, Teruel): Exemple de la serranía d'Albarracín où l’on


distingue très bien le fonctionnement d'un modeste système irrigué.

Figure X, 2 : Alpuente (Haut Turia, Valence). Exemple de terrain de la régularité organique


dans un système irrigué.

Figure XI, 1 : Riba Roja de Turia (Camp de Turia, Valence). La ville de Riba Roja au sud
ouest de l'image domine deux périmètres irrigués de la plaine alluviale du Turia. Par la
photo-interprétation, on peut identifier deux manières différentes d'organiser l'espace
agricole des deux terroirs irrigués : le plus proche à la ville avec la régularité organique et
un système irrigué divisée en bandes.

Figure XI, 2 : Nakur (Al-Hoceima, Maroc). Le périmètre 14 NE montre deux nécessités :


d'une part le besoin de faire passer le tracé du canal principal en l'adaptant à un cône de
déjection, d'autre part le respect d'un autre petit cône de déjection, situé en contrebas du
canal, créé soit de manière artificielle, soit comme conséquence de la dynamique fluviale du
torrent. Dans les terres cultivables qui ont été ainsi gagnées, on observe plusieurs canaux
secondaires perpendiculaires et sinueux qui subdivisent l'espace de manière régulière en
s'adaptant constamment à la réalité du terrain.

Figure XI, 3 : Aghmat (Tahannawt, Maroc). Dans la plaine de l'Ourika, la ville médiévale
d'Aghmat a organisé différents terroirs irrigués. Sur l’image il faut remarquer la régularité
métrologique, d’un module d'environ 506 m, et le parallélisme des canaux secondaires
soulignés, malgré leur sinuosité. Bali.

Figure XII, 1 : Culture d’algues à Bali (Indonésie). Un cliché de Yann Arthus Bertrand sur
Bali montre un parcellaire atypique. Il est remarquable d'observer l'utilisation d'une
métrologie qui entraîne une certaine régularité, ainsi que des alignements qu'on
reconnaîtrait, au sol, comme étant des axes de circulation ou des voies. Malgré l'absence
de chemins, ce système cohérent offre une forme de régularité qu'on pourrait assimiler à la
régularité organique. Il s'agit d'une illustration parfaite et totale de planification faite à partir
de l'espace privé.

Figure XII, 2 : Photointerprétation et photo aérienne dudit « vol américain » de Villareal


(Castellón). Irrigation dans un système parcellaire quadrillé.
-207-
Figures

Figure XIII, 1 : Photointerprétation de la plaine de Tamdult (Aqqa, Maroc) et champs


fossiles. En bleu les tracés des canaux principaux qui suministraientsubministraient en eau
l’oasis. En rouge l’habitat dispersé dans la plaine. En tirété champs actuels qui sont mis en
culture pour aprofiter l’eau superficielle.

Figure XIII, 2 : Depôts calcaires qui mettent en évidence les canaux principaux en amont de
la plaine de Tamdult et vers les sources en eau.

Figure XIII, 3 : Fouille d’un partiteur d’eau du système irrigué de Tamdult.

Figure XIV, 1 : Drainage dans la plaine cotière au nord de Valence au Camino de Cebolleta
(El Puig).

Figure XIV, 2 : Illustration du Tratado de matemáticas y geometría, Orihuela, 1766, Archivo


Histórico de Orihuela, ms. 50. de Joseph Espulgues.

Figure XIV, 3 : Squadro agrimensorio d’après L. Perini, Geometria pratica, Venecia, 1757,
cité et illustré par M. Cristina Panerai 1984.

Figure XV, 1 : Beneixama (Alt Vinalopó, Alicante). Traces induites par le parcellaire
originaire du partitorem hereditatem Regni Valentie, Iacobum Linaris (1280) aux alentours
de la ville de Beneixama.

Figure XV, 2 : Beneixama (Alt Vinalopó, Alicante). Traces induites par le parcellaire
originaire du partitorem hereditatem Regni Valentie, Iacobum Linaris (1280). DetailleDétail
de la sousdivision interne.

Figure XVI, 1 : Église de Sant Joan (Valencia). Ilôt avec indication du cirque romain antique
et l’urbanisme induit d’époque romaine.

Figure XVI, 2 : Église de Sant Joan (Valencia). Ilôt avec indication de l’urbanisme islamique
et probables azucats, impasses, d’accesd’accès lesaux maisons islamiques.

Figure XVI, 3 : Église de Sant Joan (Valencia). Ilôt avec indication du couvent de Sant
Cristobal et les évidences preuves des limites du call (juiverie).

Figure XVII, 1 : Monforte (Alicante). Réinterpretation de la dite centuriation au nord de Ilici


qui ne peut que s’interpreter comme un parcellaire en bandes.

Figure XVII, 2 : Monforte. Modélisation du parcellaire en bandes sur la carte topographique.

Figure XVII, 3 : Monforte. Modélisation du parcellaire en bandes sur la photo aérienne.

Figure XVIII, 1 : Valentia. Carte synthètique de l’urbanisme romain du Ier siècle ap. J.-C. et
rélation avec Valencia A (rouge) et Valencia B (vert).

-208-
Figures

Figure XVIII, 2 : Valentia. Réconstruction virtuelle pour le Museu d’Histoire de Valence de


la ville et les parcellaires à partir de la figure antérieure.

-209-
TABLE DES MATIÈRES
Table des matières

REMERCIEMENTS 2

INTRODUCTION 3

RECHERCHES PREDOCTORALES 7

RECHERCHES SUR L’ARCHÉOLOGIE FUNÉRAIRE ROMAINE, RITUELS ET IDÉOLOGIE 8

PREMISSES 8

DÉFINITION DU RITUEL 11

LE SYSTÈME SÉMIOTIQUE DU RITUEL FUNÉRAIRE ROMAIN 13

PRINCIPAUX RÉSULTATS 16

CONCLUSION 22

MONDE RURAL ROMAIN A TRAVERS LES NÉCROPOLES 24

A GGLOMERATIONS SECONDAIRES 29

RECHERCHES SUR LE MONDE INDIGÈNE PUNIQUE ET ROMANISATION À EBUSUS 32

PREMISSES 32

CÉRAMOLOGIE ET COMMERCE DU MOYEN-ÂGE 34

EBUSUS INSULAE AUGUSTAE 37

OCCUPATION DU SOL À EBUSUS (FORMENTERA) 43

RECHERCHES POSTDOCTORALES 52

RECHERCHES SUR UN SITE RURAL EBUSITAIN : CAN FITA 53

LE PAYSAGE D'IBIZA ET FORMENTERA 58

CONCLUSION 60

RECHERCHES SUR L’ARCHÉOLOGIE DES PAYSAGES 66

LA GENÈSE DES PREMIERS PAYSAGES : FORMES PROTO-HISTORIQUES 71

CENTURIATIONS ROMAINES 74

LE DOSSIER ILICI (ELCHE) 76

-211-
Table des matières

IDENTIFICATION DE NOUVELLES STRUCTURES CENTURIÉES 86

LE TRIANGLE FORMÉ PAR LES VILLES DE VALENTIA , SAGUNTUM ET EDETA 90

« ... AGROS ET OPPIDUM DEDIT , QUOD UOCATUM EST V ALENTIA » 90

C IVITAS E DETANORUM 93

O PULENTISSIMA S AGUNTUM 94

L E CARREFOUR V ALENTIA - S AGUNTUM - E DETA 95

LANGUEDOC, LE PLATEAU DE LES COSTIÈRES 98

SUR LA NOTION DE RÉGULARITÉ ORGANIQUE DANS LES PAYSAGES 106

H ISTOIRE D ’ UN CONCEPT 108

D ES CONTRAINTES PHYSIQUES 113

I NTERPENETRATION DE L ’ ESPACE GEOGRAPHIQUE ET DE L ’ ESPACE SOCIAL 115

L A PLANIFICATION A PARTIR DE L ’ ESPACE PRIVE 118

Q UELQUES EXEMPLES 119

E N GUISE DE CONCLUSION 122

BONIFICATION : IRRIGATION, DRAINAGES ET DEFRICHAGES 122

SOLUTIONS TECHNIQUES A LA CONFLUENCE DE TRADITIONS 129

L’APPORTATION DES TEXTES ET LA VARIÉTÉ DES FORMES AGRAIRES DE VALENCE 133

R ESURGENCE DU VOCABULAIRE TECHNIQUE D ’ ARPENTAGE ET ACCUEIL DU DROIT ROMAIN 133

L A DIVERSITE DE FORMES MEDIEVALES 143

LA MORPHOLOGIE AGRAIRE ET URBAINE APPLIQUÉE À L'ARCHÉOLOGIE 144


PRÉVENTIVE

NOUVELLES DIRECTIONS DE LA RECHERCHE 152

QUELLE ARCHÉOLOGIE DU PAYSAGE ? 153

-212-
Table des matières

ARCHÉOLOGIE SPATIALE ET ARCHÉOLOGIE DU PAYSAGE 154

LA PÉNÉTRATION DE L'ÉCOLE DE BESANÇON EN ESPAGNE 156

L’ARCHÉOGÉOGRAPHIE 165

MORPHOLOGIE APPLIQUÉE : ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE 168

MULTIPLICATION ET MODÉLISATION DES HYPOTHÈSES MORPHOLOGIQUES 172

ARTICULATION DE LA MORPHOLOGIE AGRAIRE ET LES DONNÉES DE PROSPECTIONS 177


RELATIVES A L'HABITAT ET LES CHAMPS DE CULTURE

BIBLIOGRAPHIE 182

LISTE DES TRAVAUX 196

FIGURES 204

TABLE DES MATIÈRES 210

-213-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

-I-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

3 2

5 4

-II-
Monde indigène punique et romanisation à Ebusus

-III-
Archéologie des paysages

Aeso

Aeso

-IV-
Archéologie des paysages

-V-
Archéologie des paysages

(1)

(2)
(B)
(A)

(3)

(4)

1 2

3 4

-VI-
Archéologie des paysages

-VII-
Archéologie des paysages

-VIII-
Archéologie des paysages

2
B

1 2
A

3 C 4

-IX-
Archéologie des paysages

-X-
Archéologie des paysages

-XI-
Archéologie des paysages

2

de
Al
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Ac

-XII-
Archéologie des paysages

2
-XIII-
Archéologie des paysages

3
-XIV-
Archéologie des paysages

-XV-
Archéologie des paysages

-XVI-
Archéologie des paysages

500 m

-XVII-
Archéologie des paysages

-XVIII-

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