Chailley; 1 testo dedicate a Rameau 2 ratte da.
Sean Dhllcppe Raneal; collogie orguniaee par 1a societe
21-24 Settembre 1983. Paris, Geneve- Champion Slatkine 1987
Pour une lecture critique
du premier chapitre
de la Génération Harmonique
Jacques CHAILLEY
Professeur émérite @ la Sorbonne
Quinze ans séparent la «Génération Harmonique» (1737) du « Tralté de
U'Harmonien (1722). Quinze ans durant lesquels Rameau enrichira sa
réflexion théorique et en modifiera radicalement la présentation. Jamais
pourtant il n’envisagera de revenir sur ses conclusions antérieures, et moins
encore d’en mettre Pénoncé en cause. Cette obstination & considérer sa
vérité comme découverte une fois pour toutes, au lieu de la réexaminer & la
lumidre des nouvelles données de cette période féconde, a été sans doute la
faute majeure du théoricien Rameau.
Ds les premitres pages du nouvel ouvrages'affirme le pas immense fait
en avant dans ces 15 années. Le Traité.de 1722 était un ouvrage de mono-
cordiste. Comme tous ses pr » Ranga pingalt des cordes, les
écoiitat, tes mesurait et réfléchissait sus"les trouvés. D’od sa
déclaration liminaire plagant 1a musique dais la dépendance de l'art
‘mathématique. Avec son honnéteté foncitre, il redanal clairement en
Paffaire sa dette envers Descartes, dont des sa page 3i citait comme source
de sa réflexion le syllogisme pereutant: le son est au son comme la corde est
4 (a corde; or les cordes aigués (courtes) sont conteaues dans les graves
longues) et non pas réciproquement; donc les sons aigus sont contenus
dans les graves, et-non pas réciproquement. Spéculation dont Rameau sut
tirer d’admirables conséquences, mais spéculation tout de méme, ouvrant
la porte & d’infinies discussions sur Je sens & donner au mot «contenir.
Crest de ce syllogisme que Rameau, dans son Traité, avait tiréTa notion de
‘centre harmoniquen, devenue peu aprés sa fameuse «basse fondamen-
tale>.
En 1726, dans le Nouveau Systeme de musique théorique, p. 17, paralt
pour ia prenitre fois sous sa plume fe nom de Iacoutiies Joseph Sau
‘eur. Les travaux de celui-ci étaient publiés depuis Tol ma mais n'avalent pas
encore franchi le mur épais qui sépare les artistes des sclentifiques. Les
découvertes de Sauveur auront sur la pensée de Rameau une influence déci-
sive, dont la Génération de 1737 sera le témoin principal.!
280 J. CHAILLEY
inaire de 1722: «La musique, disait
la préface du Traité, est une science qui doit avoir des régles certain
régles doivent tre tirées d'un principe évident, et ce principe ne peut guéres
nous étre connu sans le recours des mathématiques.» La Génération par-
lera différemment. «La musique, dira-tlle, est ine science physico-
‘mathématique; le son en est l'objet physique, et les rapports trouvés entre
les différens sons en font l'objet mathématique.» On mesure I’importance
de la distinction, qui pour la premiére fois retirait aux nombres une partie
du domaine qu’ils géraient seuls depuis 25 sitcles, ne laissant plus sous leur
sceptre qu'une recherche accessoire de rapports d’intervalles. De plus,
Rameau établissait une importante distinction entre l'objet et la fin: ayant
partagé l'objet de la musique entre les sciences, il restituait aux seuls artis-
tes la pleine propriété de sa finalité, en déclarant apris Descartes que «sa
fin est de plaire et d'exciter en nous diverses passions».
Désormais, Rameau va considérer le son pour Iui-méme et sous son
aspect physique. De raisonneur, il va se faire expérimentateur. Et un nou-
veau concept grice a lui va entrer dans I’étude de la musique: In «Réso-
nance des Corps sonores», Mais la définition du terme restera quelque peu
floue, de sorte que de graves malentendus ne tarderont pas a naitre, ren-
dant pour longtemps le dialogue difficile entre les artistes et les hommes de
science. Pour ces derniers, la «Résonance» n’éveille aucun autre concept
que celui d’une vibration par sympathie de certains corps sous certaines
conditions, tandis que les musiciens, entrainés par Rameau, et peut-ttre &
insu de ce dernier, inclueront dans la notion & peu prés tout ce qui
—> concerne les rapports physiques entre un son musical et ses harmoniques. Il
me souvient d'avoir dirigé en 1956 un colloque od musiciens et physiciens
ne commenctrent s*écouter mutuellement qu'une fois ce malentendu
découvert et éclaici.
‘Rameau pourtant va préciser sa «résonancen: elle est, dt-il, formée de
«trois sons différents qui résonnent ensemble (...) dans l'ordre de la pro-
portion harmonique 1, 1/3, 1/5». Fort bien, mais... ce ne sont pas les
seuls, et de cela Rameau ne semble pas se soucier. Non corrige, cette insuf-
fisance initiale interdira pour longtemps d'autres observations qui eussent
dQ s"imposer, et conduira & des conclusions qui, sans tre toujours fausses,
seront bien souvent incomplétes.
Ce que nous lisons ensuite (p. 31) au sujet du réle des mathématiques
nest pas moins inquiétant. «On peut tourner (cet objet)'de toutes les
Tagons, le combiner, le renverser, supposer des parties du tout détachées les
‘unes des autres, les supposer successives, les comparer entre elles, en cher-
cher les differences, etc., pour en faire usage selon les cas.» Diable... Com-
‘ment concilier une telle apologie de I'arbitraire avec Ia rigueur de pensée
u’a bon droit ailleurs on est accoutuimé de reconnaftre & son auteur?
La suite n'est pas pour nous rassurer. «Cet objet mathématique, cont-
‘nue Rameau, qui prend sa source dans la proportion harmonique, va deve-
nir désormais notre seul et unique guide.» Voil& qui est fort bien; mais
POUR UNE LECTURE CRITIQUE... BL
lisons la suite: «sans y oublier sa reproduction dans 1.3.5 qui sont en pro-
portion arithmétique.» Mais alors, ce n’est plus le «seul et unique guide»?
Rameau ne songe ni & signaler la contradiction, ni a se demarider sila justi-
fication physique qu’ll vient de donner a l'une s'epplique aussi & autre,
‘L*équivalence des deux proportions pouvait paraltre naturelle & ui fidn-
cordiste, elle ne I’étsit plus pour un expérimentateur qui venait de décou-
vrir Pune sans avoir rien constaté de semblable pour l'autre. Mais le Traité
avait parlé: l'expérience nouvelle ne pouvait avoir d’autre effet que de le
confirmer, il était exclu qu'elle puisse le remettre'en caiise, «Un'principe
ui ne donne pas tout, avait pourtant éefit auteur dais sa préface, mérite-
tril ce titre, en est-il un effectivement?» On sait & quels déboires l’oubli de
cette sage remarque conduira Rameau lorsque se dressera devant lui le
spectre de la consonance de l'accord mineur.
Et pourtant, ce second traité avait commencé de maniére remarquable.
‘Ayant appris de Sauveur le principe physique de la Résonance, Rameau
avait su magistralement en voir l'application. La Résonance ne confirmera
‘pas seulement une part importante de ses premieres déductions, elle lui per-
‘mettra d’expliquer les enchainements cadenciels par une série de reports
dans lesquels chaque son engendré par un fondamental antérieur peut &'son
tour devenir générateur. Il suffit, énonce sa préface, d’examiner tous les
ordres possibles de succession. Aprés I'harmonie statique dé" analyses
d’accords isolés, voici qu'il débouche sur le dynamisme des enchanements
syntactiques. La Basse Fondamentale est bien toujours «unique boussole,
Voreille, ce guide invincible du musicien » etc. Que n’a-t-il simplement
remplact l'article défini par une formule plus modeste,telle que I'«un des
principes possibles», quitte & ajouter «et de nos jours (nous sommes au
XVIII s.] Pun des plus importants», Mais c’edt été admettre qu’il n’avait
as tout dit. Il trébuchera sur le méme obstacle.
La Génération Harmonique s'ouvre par un ensemble imposant de 12
propositions que suivent 7 expériences, dont certaines empruntées & Sau-
‘veut, Elles ont pour objet de démontrer (et elles y parviennent le plus sou-
vent) que la olt le Traitétirait spéculation des nombres, la physique inscrit
les faits dans la réalité. Il ne s'agit done plus désormais de simple spécula-
tion. Les conséquences de celles-ci sont désormais inscrites dans le contexte
du «donné par la Naturen, selon la terminologie d'époque, et elles s’en
trouveront d’autant confortées. L’ensemble des «propositions» est tout &
fait remarquable, et on n’en regrette que davantage les défaillances qui,
Iélas, feront école de maniére durable.
La &t proposition constitue une date dans I'histoire de la théorie. C'est
a premiére fois sans doute que se voyait redressée I'erreur.séculaire des
‘mongcordistes, qui, on le sait, raisonnant par longueurs de cordes, pla-
‘gaient Jes plus grands nombres sur les sons les plus graves, & inverse des
fréquences qui renversent les proportions. Or cette inversion pouvait étre
‘sans inconvénient tant qu'on étudialt seulement des intervalles entre deux
sons: entre do et sol montant, Wintervalle est le méme qu'entre sol et do282 3. CHAILLEY
descendant. Mais depuis «Zarlin» au moins, on étudiait des accords @ trots
‘sons, et cette fois il n’en allait plus de méme: les wémes nombres donnaient
‘un accord majeur en montant, mineur en descendant. Les Anciens s'en
tiraient par la dualité des proportions, l’«arithmétique» et son inverse
Vaharmoniquen. Le monocorde pouvait placer les deux calculs sur le
méme plan. Or la Résonance confirmait a progression harmonique et
ignorait la progression arithmétique. Malheurewsement, celle