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Coïncidence
Phu fut à son colonialisme : le com-
15 mars 1997: Kisangani mencement de la fin. Comme’ les
tombe comme un fruit mûr. Les re- symboles mènent l’histoire, on peut
belles de Laurent-Désiré Kabila s’attendre à un effet de souffle, à des
bousculent la coalition hétéroclite ondes de choc dans tout le ((pré
qu’avaient tenté de leur opposer le carré B francophone, à commencer
clan Mobutu et les réseaux français par le Centrafrique et le Congo.
de Jacques Foccart et Charles Pas- 17 mars 1997: Jacques Foc-
qua, alliés sur ce coup (1). Kabila et cart s’éteint. Le concepteur d’un
ses troupes sont accueillis en libéra- système transfusionnel de relations
teurs : les Zaïrois, qui hésitaient à franco-africaines (la a Françafri-
reconnaître cette résurgence impro- que r) (2) en était redevenu la clef
bable du lumumbisme, paraissent de voûte. Certes, sa maladie rédui-
décidés à chevaucher l’opportunité sait de plus en plus les fils de son
de balayer, enfin, le système Mo- réseau à ceux du téléphone (eux-
butu - leur ruine personnifiée-, mêmes remplacés, souvent, par les
chaque fois remis en selle par les in- liaisons satellite), mais quel magné-
terventions occidentales (françai- tisme ! I1 exerçait sur Jacques Chi-
ses, surtout).
Le signe zaïrois est vaincu : des
Africains ont triomphé des merce- (2) Le terme a d’abord servi, dans la
naires, et non l’inverse. A l’image bouche de présidents Q amis de la France I)
et de Jacques Foccart, tels Félix Hou-
de Bob Denard, les recruteurs vieil- phouët-Boigny ou Omar Bongo, comme
lis ont montré leurs limites. IGsan- invitation à une communauté néocoloniale
gani sera peut-être au néocolonia- idéale. On ne sait s’ils en percevaient la si-
lisme de la France ce que Dien Bien gnification homophone (France à fric). En
tout cas, le terme désigne à merveille le mé-
lange des genres caractéristique du foccar-
tisme, et ses doubles fonds : il a fait for-
(1) Voir notes (13) et (14). tune...
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rac un ascendant extraordinaire (3), est fort nécessiteuse (rappelons que
et n’eut aucun mal, en mai 1995, à le financement officiel des partis et
étouffer la tentative du duo Juppé- des campagnes politiques n’appa-
Villepin de réformer le système raîtra que 30 ans plus tard, après
français de Coopération (4). En une série de scandales en métro-
pole).
D’oÙ le choix, stratégique, d’un
système clientéliste, le pamh”ia-
Zisme (6), mêlant intérêts publics et
aux commandes. privés dans l’exploitation conjointe
de deux rentes : celle des matières
premières, agricoles et minières, et
Un foccartisme à la dérive celle de l’aide publique au dévelop-
pement (APD). I1 fut jugé natu-
Revenu au pouvoir en 1958, le rel que cette double captation
général de Gaulle avait perçu l’iné- construise là-bas des fortunes
luctabilité des indépendances afri- inouïes, telles celles d’Houphouët-
caines. Jacques Foccart devient son Boigny, Moussa Traoré, Eyadéma,
plus proche collaborateur. Homme Mobutu..., puisque le taux de re-
de réseaux (dans la politique, les af- tour en France était, lui aussi, fara-
faires et,les services secrets), il ins- mineux Mais, aurait-on pu prévoir,
talle à 1’Elysée le domaine réservé )) un tel processus était tout, sauf du-
((
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. . .~ . ..... -... .
-., , . . .. . ....... .. ,
AZ~GEINE,
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Barril, Jeannou Lacaze, Paul Font- dentielles africaines (trafics multi-
bonne, Pierre-Yves Gilleron, Robert formes, blanchiment de narcodol-
Montoya...). On peut y ajouter, en lars, réseaux de prostitution, etc.).
vrac, le lobby de la francophonie, le Et ne pas oublier les multiples
Trésor (qui gère l’essentiel de l’aide moyens de chantage accumulés par
au développement dans une superbe les présidents amis (à l’occasion,
méconnaissance de ses effets), cer- entre autres, de financements oc-
taines fratemelles franc-maçonnes, cultes ou de parties fines)...
une secte mystico-politique (les ro- Pour comprendre la politique
sicruciens) et, un peu perdus, un en- française en tel ou tel pays, il suffit
semble d’acteurs plut8t généreux, d’observer quels sont les réseaux ou
parmi les ONG, les coopérants, les lobbies présents, quelles sont leurs
villes jumelées, etc. Les micro-stra- motivations générales ou spécifi-
tégies de tous ces groupes s’enchevê- ques : on peut cocher alors un cer-
trent chaotiquement, et leurs ma- tain nombre de cases, du gris au
nœuvres tactiques entrent héquem- noir. En Côte-d’Ivoire, au Togo ou
ment en collision, comme dans un au Gabon, il reste peu de cases
manège d‘autos tamponneuses. blanches. Les cases sombres sont
moins nombreuses au Tchad, mais
On pourrait dire aussi que le ré- très marquées dans le secteur mili-
seau pyramidal foccartien s’est dé- taire ou du renseignement. La
gradé en une sorte de trame, de configuration rwandaise fut à la fois
grille de mots croisés. Pour com- improbable et tragique (12).
prendre l’action - de plus en plus En résumé, ce n’est plus la Ré-
aléatoire et contradictoire - de la publique, ni même 1’Elysée qui
France en tel ou tel pays d‘Afrique, choisit et conduit la politique fran-
il faut deviner les croisements cha- çaise en Afrique, mais une nébu-
que fois différents (les cases noires), leuse aléatoire d’acteurs écono-
entre cette série d’intervenants (ver- miques, politiques et militaires, un
ticalement) et une échelle horizon- faisceau de réseaux polafisé sur la
tale de motivations. On ne peut en conservation des pouvoirs et l’ex-
exclure, chez certains acteurs plutôt traction des rentes. La logique de
désintéressés, la conscience ou l’hu- cet accaparement est d’interdire
manisme. Mais il faut a,ccordertout l’initiative hors du cercle des initiés.
leur poids aux schémas géopoli- Le système, autodégradant, se recy-
tiques primitifs cultivés par les ser- cle dans la criminalisation. I1 est na-
vices secrets. En mal d’ennemis de- turellement hostile à la démocratie.
puis la chute du mur de Berlin, ils Pendant près de 40 ans, il s’est
démonisent les hordes hamites ou abrité, aux frais du contribuable
les pions des Anglo-Saxons : le pré- français, derrière deux assurances
sident ougandais Museveni et ses tous risques : financière (la zone
alliés rwandais et sud-soudanais franc) et politique (les accords de
sont ainsi leurs ennemis jurés. Ces défense ou de coopération mili-
schémas se mêlent à une concep- taire). Des garanties en voie d’ob-
tion très myope des intérêts com- solescence accélérée.
merciaux de la France, et de la dé-
fense de la francophonie. I1 faut
encore décliner les variantes de
(12) Cf. F.-X. Verschave, Complicité
l’amitié, qui dégénèrent en prises de de génocide ? La politiq~rede la Frame au
participation dans les dispositifs Rwanda, Pans, La Découverte, 1996,
mafiem de certaines familles prési- chap. 1, 3, 5 et 6 .
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