Préface de Pierre Gilles de GENNES
Directeur de ’Ecole Supérieure de Physique et Chimie
Professeur au Collége de France
Vie do Pars
‘TH16, no Mostetars
BIBLIOTHEQUE POUR LA SCIENCE
Edition : Pour la Science S.A.R.L. - Diffusion: Librairie Belin
8, rue Férou 75006 ParisLe
HI par Bernard Lavenda
‘mouvement brownien
L’observation du mouvement aléatoire d’une particule en suspension dans un fluide a permis
Ja premidre mesure précise de la masse dé V'atome. Aujourd’hui, le mouvement brownien
sert de modele mathématique pour les processus aléatoires.
arrive parfois qu'une goutte d'eau
soit em dans un morceau
de lave lors de son refroidissement.
‘Au début du x00 sidcle, le botaniste
Scessais Robert Brown découvrit une
tele goutte dans un moreen de quartz;
cette goutte d'eau était restée intacte
‘pendant des millions d'années et aucune
spore ni aucun pollen portés par le vent
¢t la pluie navaient pu la container.
Tl examina la goutte d'eau A Taide d'un
‘4csient animées d'un mouvement irrégu-
lier et incessant. Le mouvement était
fale A Bows vat 36 oborvé
ur des le pollen en suspension
Sans eat. Cette nouvelle experience
rendait caduc son explication antérieure
du phénonne, & savoir que « Ia vitalité
oe cannes pw fn mallee »
une plante) longtemps apres la mort
Geta plane eth que om moléoules
« vivaient » puisqu'elles bougeaient ».,
Brown coneut albe June tre, que
agitation des les emprisonn
a'Finténeur du quartz devalt etre un
phénoméne plus physique que biologi-
‘que, mais il n'alla pas plus loin dans son
explicati
Lrexplication correcte du mouvement
bbrownien est maintenant bien connue :
un grain de pollen ou de poussitre
suspendu dans un fluide est soumis &
‘un bombardement incessant par les
‘molécules qui constituent le fluide. La
Sod west nas sutlsarament impo
isolée n'est j t impor-
tante pour que son effet sur la particule
suspendue soit visible au microscope.
‘Cependant, si un plus grand nombre de
molécules frappent en méme temps In
particule d'un cOté, elles peuvent dépla-
‘cer celle-ci de fagon notable.
Par conséquent, le mouvement brow-
nen est un double phéooméne aléa-
tore etal dela particule spend
st rendu aléatoire par les fluctuations
gies dee vet det models
voisines. ‘comme le microscope
constitue un filtre qui ne visualise que
les effets des fluctuations relativement
permet que d’entrevoir la complexité du
‘vrai trajet. Si le pouvoir de résolution
du microscope pouvait étre augmenté
Gun facteur, dix, ceat ou mille, les
effets, dus aux bombardements par des
groupes de molécules de plus en plus
petites, seraient détectés. A chaque
sarandissement, es partes del traeo-
de la particule qui semblent
; qui, semblent
Tun des premiers phénoménes naturels
dont Ia caractéristique est d’étre sembla-
ble & Iui-méme & chaque agrandisse-
meat, Benoit Mandelbrot a appelé frac-
tals les objets géométriques ayant I
propriété remarquable qu'une partie,
‘magnifig, est géométriquement sembla~
ble au tout.
Phénoménes probabilistes
Dis le début du sitele, Métude du
mouvement brownien a des prolonge-
meats féconds en physique, en chimie
et en mathématiques. Albert Einstein
utilise comme méthode d'observation
pour confirmer T'existence des atomes
et des molécules. De plus, Einstein
montre que la mesure de’ certaines
propriétés de particules en mouvement
brownien permet de déterminer plu-
sieurs constantes physiques importantes
telles que les masses des atomes et des
molécules et Ia valeur du nombre
a’Avogadro. Le nombre d’Avogadro,
Gal a 6 Xx 10%, est le nombre de
molécules lémentaires dans une mole
@un corps (la mole est une unité
chimique standard pour toute subs-
tance). L’étude du mouvement brow-
nien a également affiné notre compré-
hhension théorique des principes de ta
thermodynamique, principes qui
avaient &é formulés sur la base de
sénéralisations empiriques trop som-
Plus récemment, l'étude du mouve-
meat brownien a donné naissance & des
techniques mathématiques importantes
pour Wétude générale des processus
aléatoires. Ces techniques ont &é appli-
‘quées au contréle du « bruit » élec-
tromagnétique; elles ont amélioré notre
mn de la dynamique des
‘amas stellaires, de l'évolution de sys-
témes écologiques et des fluctuations
boursitres,
Paradoxalement, le mouvement
‘brownien ne suscite, au XIX* sidcle,
gurupinrt bic Les sciatsqus
ue pensaient que ce phénoméne
Get a0 des courant. Chermigues
ocaux induits par des petites diférences
de température dans le uide. Or, si tel
Giait le cas, des particules voisines
seraient entrainées par le méme courant
local et elles se déplaceraient toutes dans
la méme direction ; cette prédiction était
atcomplet dsaccord avc fobservation
‘sous microscope. Au contraire les mou-
‘vements des ‘en suspension
sont indépendants les uns des autres,
méme quand les particules sont separées
par une distance inférieure A leur propre
diamdtre.
‘Au début du sides, plusicurs résultats
‘expérimentaux pointaient en faveur
une origine moléculaire du mouve-
‘ment brownien. Par exemple, on savait
que plus Ia taile de la particule était
lus rapide état son mouvement‘Vibe Pats
‘PETE, re Moutcinétique des gaz, dévelo James
Glerk' Maxwell ct Ludwig. Boltzmann
vers 1870, ce n'est qu’en
1905 qu'Einstein formula de fagon
Quantitative et précise la théorie cinéti-
que du mouvement brownien,
La théorie cinétique
La théorie cinétique des gaz permit,
pour Is premizre fois, d'expliquer les
propriétés macroscopiques d'un gaz sur
la base du mouvement des atomes 5 ds
le xvi sidcle, & la suite des travaux de
Boyle et Mariotte, on sait que la
Pression dans un gaz est inversement
roportionnelle & son volume : quand
le volume d'un gaz diminue, & tempéra-
ture constante, la pression atugmente
proportionnellement & la diminution de
son volume; inversement quand le
volume augmente, la pression diminue.
Selon Ia théorie cinétique, Ia. pression
sur les parois d'un récipient contenant
tun volume de gaz résulte du bombarde-
ment constant des particules sur ces
parois. La pression augmente lorsque le
volume diminue parce que le taux de
bombardement des particules est plus
important pour un petit volume que
pour un grand. "
De méme, ‘il existe une relation
directe entre la pression et la tempéra~
ture. Quand Ia température d'un gaz
sgmente & volume constant, la pression
‘augmente proportionnellement ; quand
a température diminue, la pression
diminue également. La’ température
correspond, dans Ia, théorie cinétique,
a la valeur de l'énergie cinétique
moyenne des particules. Toute élévation
de température augmente lénergic
moyenne de bombardement, et, par
conséquent, la pression du gaz sur les
parois.
Pour un gaz dit « parfait », ces deux
relations sont résumées en’ une loi
simple. Cette loi énonce que, pour une
mole de gaz, le produit de la pression
par le volume du gaz divise par sa
température absolue est égal & une
constante. Cette constante, appelée
constante universelle du gaz et désignée
par la lettre R, est égale a 1,99 calories
par mole par degré celsius.
La percée conceptuelle majeure de la
théorie cinétique consista & abandonner
toute tentative de description du mouve-
‘ment des particules individuelles et & y
substituer une approche statistique du
‘mouvement qui tire avantage du grand
nombre de particules en présence : plus
ce nombre est grand plus les écarts
relatifs par rapport & I configuration
moyenne sont faibles. Cest pourquoi la
théorie cinétique est souvent appelée
mécanique statistique.
‘Avec le recul du temps, ill parait
évident qu'une particule de poussiére ov
un grain de pollen, inséré dans Me
ronnement atomique dun gaz ou d'un
liquide, doit étre animé d'un mouve-
10
ment brownien mais, pour apprécier Ia
contribution d’Einstein, il faut se rappe-
ler que l'on n'accordait, il y a 80 ans,
qu'un statut provisoire a la réalité
physique des atomes et des molécules.
Le physicien allemand Wilhelm Ost-
wwald considérait Vatome comme un
«< concept hypothétique qui permet une
description trés pratique » de la ma-
titre, Emst Mach affirmait que toutes
‘entités théoriques, comme les atomes et
Jes molécules, n’étaient que des fictions
‘commodes.
Einstein est plus réaliste, En 1905,
crit que le but primordial des recher-
ches en théorie atomique est de décou-
wrir des fats qui confirment Mexistence
Gatomes de taille définie. Dans cette
optique, écrit Einstein, « je découvris
Que, d'aprés la théorie' atomique (Cest-
A-dire Ia théorie cinétique), des parti-
cules en suspension devaient tre ani-
rmées d'un mouvement et que ce mouve-
ment devait étre observable. A cette
Epoque, Fignorais qu'on avait observé
tun tel’ mouvement depuis fort long-
temps ». Ainsi Einstein prédit avant
tout, le monde que Je mouvement de
particules en suspension dans un fluide
devait révéler existence des atomes.
Einstein ne connsissait pas les observe
ions de Brown mais il démontra que
la détection de telles particules confir-
‘merait la théorie cinétique : la conclu-
ion surprenante de son travail fut une
Equation qui permettait de mesurer
précisément In masse de latome.
La diffusion .
La théorie atomique du mouvement
brownien élablie par Einstein comporte
deux parties. La premitre, de nature
mathématique, établit une équation de
‘d'une particule brownienne
en suspension dans un milieu fiuide, La
seconde partie, plus physique, relic Ia
vitesse mesurable de la diffusion de 1a
particule & d'autres quantités physiques,
tlle que I noe Avoparo tt
constante des fait
Pour expriner Ya. cifusion d'une
particule avec le langage mathématique
de la mécanique classique, il faut
connaitre deux quantités : Ia vitesse
initiale de la particule, Ia grandeur et
la direction des impulsions que la
particule regoit en un temps donné. La
particule brownienne subit environ 10
collisions par seconde et toute influence
essa vitesse initiale sur son comporte-
‘ment ultérieur est effacée, en un temps
extrémement court, par les collisions
moléculaires. D’autre part, le nombre
immense de particules fait qu'il est exclu
de vouloir décrire les impulsions indivi-
duellement, Einstein abandonna V'idée
‘une description mécanique de la diffu-
sion d'une particule brownienne et
cchoisit une approche probabiliste.
Pour obtenir le résultat d’Einstein, il
est utile d'imaginer un petit volume, de
forme arbitraire, entourant un espace od
les particules peuvent diffuser. Le nom-
bbre de particules & Vintéricur de ce
volume change en fonction du temps :
ce nombre est augmenté par le ux de
particules qui pénétrent dans élément
de volume, et diminué par le flux de
particules qui en sortent. Le flux de
particules entre deux points d'un ffuide
varie proportionnellement & Ia diffé-
rence des concentrations des particules
entre ces deux points. Le coefficient de
roportionnalité est appelé cocficient de
diffusion D, et sa valeur doit étre
déterminée expérimentalement. La rela-
tion entre le fiux et In variation de Ia
concentration est connue sous le nom
de loi de Fick, baptisée ainsi en Vhon-
eur du physicien Adolphe Fick.
‘La formulation mathématique de cet
état des choses conduit & une équation
ifférentielle appelée équation de diffu-
sion. Cette Squation est résoluble si la
position initiale de la substance qui
difuse est spécife, ainsi que les limites
de Pespace accessible & Ia substance. La
solution est une expression mathémati-
‘que qui donne Ia concentration de ia
substance diffusante en chaque point de
Vespace et & chaque instant. Si la
substance diffusante est initialement
concentrée sur In surface d'une mem-
bbrane perméable qui sépare un récipient
fen deux moitiés, la solution de Péqua-
tion de diffusion est une famille de
courbe en cloche. Le centre de chaque
courbe en cloche coincide avec la
membrane et, au cours du temps, la
courbe s'dargit et s'aplatit (oir la figure
2
Le déplacement des particules
existe une autre fagon d'interpréter
chaque courbe en cloche, ol! tout poi
de la courbe est considéré comme la
densité de probabilité de diffusion d'une
particule brownienne & partir de Ia
membrane. Le choix du terme « densité
de probabilité » est approprié car, de
meme que Ia densité d'une substance
ordinaire multipliée par son volume
représente Ia masse de cette substance,
Ja densité de probabiité multiplice par
uune grandeur appropriée représente une
pprobabilité. Pour Ia courbe en cloche,
la grandeur appropriée (correspondant
‘au « volume ») est une longueur : c'est
la distance entre deux points de Maxe
horizontal du graphique. Le produit de
cette distance, par la hauteur moyenne
de la courbe en cloche entre ces deux
ints, est une probabilité.
Pia peobeblitd de trouver la particule
brownienne dans une région donnée du
jent A un instant donné est propor-
tionnelle a la surface, & Vintérieur de la
courbe en cloche correspondant a cet
‘instant, comprise entre deux droites
verticales. Chaque ligne verticale passe
par l'un des points de l'axe horizontal
‘qui correspond & une limite de Ia région
Pe