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UNIVERSITE PARIS 13

« U.F.R des Lettres, des Sciences de l’Homme et des Sociétés »

N°|_|_|_|_|_|_|_|_|_|_|

THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS 13
Discipline : Histoire contemporaine
présentée et soutenue publiquement
par
Monsieur Aurélien DURR

Titre :

Albert TREINT : itinéraire politique (1914-1939)


(volume 1)

___________
Directeur de thèse :
Monsieur Jacques GIRAULT
___________

JURY
Monsieur Michel DREYFUS, directeur de recherche au CNRS (Université Paris 1)
Monsieur Jacques GIRAULT, professeur à l’Université Paris 13
Madame Jacqueline LALOUETTE, professeur à l’Université Paris 13
Monsieur Marc LAZAR, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris
Monsieur Bernard PUDAL, professeur à l’Université Montpellier 1

Année universitaire 2005-2006


L’étude de l’itinéraire politique d’Albert Treint, membre du Comité pour l’adhésion à la
troisième Internationale, dirigeant du PCF puis militant au sein de l’opposition communiste et
de la gauche antistalinienne, apporte un éclairage nouveau sur l’histoire du mouvement
ouvrier français de l’entre-deux guerres. Il participe à la création du parti communiste
français et joue un rôle de premier plan dans la bolchevisation, période de l’histoire du parti
qui apparaît à bien des égards constitutive de sa spécificité. Enfin, il intervient dans les
polémiques et les luttes politiques qui caractérisent les premières années du mouvement
trotskyste français.
Son action politique a fréquemment été résumée aux trois années (1923-1925) au
cours desquelles il exerce les plus hautes fonctions dans le PCF et applique la politique
dictée par la direction de l’Internationale Communiste. Il laisse l’image d’un dirigeant
autoritaire menant d’une main de fer la bolchevisation et la chasse aux opposants
« trotskystes » et « droitiers ». Son engagement au sein de l’opposition de gauche et sa
production militante consacrée à l’évolution du mouvement communiste et à la recherche
d’une nouvelle voie révolutionnaire témoignent d’une réflexion novatrice et non-conformiste
jusqu’ici méconnue.
En raison de l’absence d’archives personnelles, notre démarche privilégie l’analyse
du discours politique à travers notamment les articles et les brochures. Elle révèle une
personnalité complexe et ambivalente, que l’on ne peut résumer par la caricature du
« capitaine Treint », popularisée par ses détracteurs.

Albert Treint : Political career (1914-1939).

The study of Albert Treint’s political career, member of the committee for the support
of the Third International, leader of the French Communist Party and militant of the
communist opposition within the anti-stalinist left, brings a new light of the history of the
french labour movement in the interval war period. He contributed to the creation of the
French Communist Party and played a major role in its bolshevisation process, period of the
history of that party which appears with many regards as a clear component of its specificity.
He also played a prominent part in the controversies and the political struggles which
characterize the first years of the french trotskyst movement.
His political action was frequently reduced to the three years (1923-1925) during
which he occupied the highest positions in the French Communist Party, applying the policy
dictated by the direction of the Third International. He has left the image of an authoritative
leader ruling his party with a iron hand according to that row model which was the Russian
Communist Party, leading witch hunt campains against the “trotskyst” and “rightlys”
opponents. His commitment to the opposition led by the Left and its militant production
devoted to both the evolution of the communist movement and the search of new
revolutionary ways reflects an innovative and nonconformist thought ignored up to now.
Our approach singles out the analysis of his political speeches particularly through
articles and booklets because of the absence of personal archives. It reveals a complex and
ambivalent personality, which cannot be summarized by the caricature of ‘capitain Treint”,
popularized by its detractors.
__________________________________________________________________________

Discipline : Histoire

Mots clés : France, Histoire politique, Histoire du mouvement ouvrier, Communisme


international, Communisme français, extrême gauche, dissidence.

UFR des Lettres, des Sciences de l’Homme et des Sociétés, 99 avenue Jean-Baptiste
Clément, 93430, Villetaneuse.
Remerciements

Je remercie ici tous ceux qui, à divers titres, m’ont aidé au cours de mes
recherches et dans la rédaction de cette thèse. Tout d’abord, je pense à M. Jacques
Girault qui, tout au long de mon travail, m’a conseillé, écouté et réconforté, m’évitant
ainsi bien des écueils et me donnant la volonté de poursuivre.
Je remercie également les équipes des Archives départementales de la
Seine-Saint-Denis, de la Bibliothèque Marxiste de Paris, du CERMTRI et du Musée
Social pour leur disponibilité et leurs conseils.
Ma gratitude va également M. Michel Roger qui, en plus de sa connaissance
du mouvement ouvrier, m’a ouvert ses fonds d’archives personnelles. De même, je
remercie M. Henri Simon pour m’avoir permis de consulter le fonds Chazé.
Enfin, un remerciement particulier à Pierre Boichu, Mikaël Bonard, Fabien De
La Cruz, Sylvain Hilaire, Laurent Sabathier et Marc Taillandier pour leur précieuse
aide.

1
Table des abréviations.

ARAC : Association républicaine des anciens combattants.


BDIC : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine.
BMP : Bibliothèque marxiste de Paris.
BNF : Bibliothèque nationale de France.
BO : Bureau d’organisation.
BP : Bureau politique.
BSI : Bureau socialiste international.
CAP : Commission administrative permanente de la SFIO.
CASR : Comité d’action socialiste révolutionnaire.
CC : Comité central.
CCCP : Commission centrale de contrôle politique.
CD : Comité directeur
CDS : Comité de défense du syndicalisme.
CE de l’IC : Comité Exécutif de l’Internationale communiste.
CE (la) : Commission Exécutive de la Ligue communiste.
CEDIAS : Centre d’études, de documentation, d’information et d’action sociales.
CERMTRI : Centre d’étude et de recherche sur les mouvements trotskystes et
révolutionnaires internationaux.
CGT : Confédération générale du travail.
CGTU : Confédération générale du travail unitaire.
CHAN : Centre historique des archives nationales.
CHS : Centre d’histoire sociale du XXe siècle.
CLC : Contre le Courant.
CRC : Comité de rassemblement communiste.
CRRI : Comité de reprise des relations internationales.
CTI : Comité pour la Troisième Internationale.
CUP : Comité d’unité prolétarienne.
EE de l’IC : Exécutif Elargi de l’Internationale communiste.
FAF : Fédération des anarchistes de langue française.
FOI : Front ouvrier international.
FUE : Fédération unitaire de l’enseignement (CGTU).
GBL : Groupe bolchevik-léniniste.

2
GR : Gauche révolutionnaire
GSR : Groupe syndicaliste révolutionnaire.
IAG : Bureau international d’unité socialiste révolutionnaire (Bureau de
Londres)
IC : Internationale Communiste.
IFHS : Institut français d’histoire sociale (Archives nationales).
IHS : Institut d’histoire sociale.
IISG : Institut international d’Histoire sociale (Amsterdam).
JC : Jeunesses communistes.
JMO : Journal de marche et d’opérations.
JS : Jeunesses socialistes.
JSR : Jeunesses socialistes révolutionnaires.
KAPD : Parti communiste ouvrier d’Allemagne.
KPD : Parti communiste d’Allemagne.
La RP : La Révolution Prolétarienne.
OGI : Opposition de gauche internationale.
OSP : Parti socialiste indépendant néerlandais
PCB : Parti communiste belge.
PCC : Parti communiste chinois.
PCF : Parti communiste français.
PCR : Parti communiste russe.
PCT : Parti communiste tchécoslovaque.
PC d’URSS : Parti communiste de l’Union des républiques socialistes soviétiques.
PCI : Parti communiste italien.
PCI : Parti communiste internationaliste.
POI : Parti ouvrier internationaliste.
POUM : Parti ouvrier d’unification marxiste.
PSI : Parti socialiste italien.
PUP : Parti d’unité prolétarienne.
P-V : Procès-verbal.
RGASPI : Archives sociales et politiques de la fédération de Russie.
RI : Régiment d’infanterie.
RP : Région parisienne.
RSP : Parti socialiste révolutionnaire néerlandais.
SAP : Parti socialiste ouvrier d’Allemagne.

3
SDN : Société des nations.
SFIC : Section française de l’Internationale Communiste.
SFIO : Section française de l’Internationale ouvrière.
SHAT : Services historiques de l’Armée de terre.
SI : Secrétariat international (de l’Opposition de gauche).
SNI : Syndicat national des instituteurs.
SPD : Parti social-démocrate d’Allemagne.
SRI : Secours rouge international.
UNC : Union nationale des combattants.
URSS. Union des républiques socialistes soviétiques.
USPD : Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne.

4
Introduction

L’itinéraire politique d’Albert Treint a fréquemment été ramené à son rôle dans
la bolchevisation du PCF, que ce soit par les témoins de l’époque ou par ceux qui ont
étudié le parti français au cours de l’entre-deux guerres. Pour analyser le parcours
de ce militant qui, après avoir participé à la fondation de la section française de la
troisième Internationale, en devient l’un des dirigeants avant d’en être exclu sous
l’accusation de trotskysme, nous avons été confronté à une série de
questionnements et de paradoxes. Comment ce militant socialiste, jusqu’alors
inconnu et démobilisé au cours de l’année 1919, parvient-il à intégrer la direction de
la SFIC dès sa création ? Quelle est sa part de responsabilité dans les errements de
la première phase de la bolchevisation ? Nous ne pouvons nous contenter des
explications avancées pour justifier sa rupture avec la majorité communiste et son
ralliement à l’opposition « trotskyste », dont il avait été l’un des principaux
adversaires. De même, son retour au parti socialiste SFIO en 1935, présenté comme
un cheminement logique par de nombreux anciens communistes1, nous semble
motivé par une autre logique. Les témoignages de militants l’ayant côtoyé, qui
portent sur lui des jugements à partir de considérations psychologiques2, ne nous
permettent pas de mieux saisir le personnage. Il nous faut comprendre pourquoi
Treint s’est attiré autant d’inimitiés et comment cette image négative a influé sur la
perception du personnage chez les historiens du mouvement communiste en France.
Treint, à l’instar de Souvarine3, de Rosmer4 et d’autres, fait partie de cette génération

1
A l’exemple de Frossard, le premier secrétaire général du PCF ou encore de Maurice Paz, exclu
trois mois avant Treint.
2
Dans ses mémoires, Humbert-Droz le qualifie « d’homme peu intelligent », d’ « ambitieux borné et
hargneux ». En écho, Marguerite Rosmer dans une lettre à Trotsky le dépeint sous les traits d’un
homme qui « ne se [résigne] pas à ne pas être chef, sans avoir cependant aucunes des vertus
requises pour cette destination ». Par le suite, Trotsky, dans une lettre à Victor Serge, le qualifie de
« maniaque », tandis que Valois avec qui Treint a collaboré à la fin des années trente, parle d’un
« demi-fou ou d’un impulsif, […] c’est un homme plein de replis ténébreux. » (Pour les références, cf.
infra.).
3
Boris Souvarine (1895-1984) : Dessinateur d’art puis journaliste ; membre du Comité de défense du
socialisme international, du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), puis
secrétaire du Comité de la troisième Internationale. Fondateur du Bulletin Communiste, membre du
CD de la SFIC, représentant du parti français à l’Exécutif de l’Internationale, membre du secrétariat et
ème
du Présidium. Dirigeant de l’aile gauche du parti communiste, exclu en juillet 1924 lors du 5
congrès de l’IC. L’Un des fondateurs du Cercle communiste Marx et Lénine puis animateur du Cercle
communiste démocratique (1931-1934).
4
Alfred Rosmer (1877-1964) : Employé aux écritures, correcteur. Rédacteur de la Vie ouvrière ;
représentant à Moscou du Comité de la troisième Internationale ; membre du Comité Exécutif de l’IC.
Membre du CD et du BP du PCF. Exclu en décembre 1924. Rédacteur de la Révolution prolétarienne
et de La Vérité. Membre de la Ligue communiste (1929-1930).
5
vaincue des premiers partisans de la révolution russe, des fondateurs du parti
communiste, rejetés pour avoir contesté l’évolution du mouvement communiste.
Pourtant, malgré son exclusion et son abondante production militante visant à
réfléchir sur les causes de l’échec de la révolution mondiale et sur l’évolution du
régime soviétique vers une forme de dictature totalitaire, l’évocation de Treint renvoie
presque exclusivement à sa formule, devenue célèbre, sur la « volaille » socialiste ou
encore au surnom de « capitaine Treint », en référence à son attitude autoritaire à la
direction du parti français. A la fois considéré comme l’un des responsables de la
faillite du PCF par les militants oppositionnels et comme un adversaire du
communisme par les membres du parti, l’image de Treint résulte probablement de ce
double rejet. La lecture des témoignages et des descriptions de ses contemporains
ne nous incitent pas à développer une quelconque empathie à l’égard de ce
personnage. Il nous fallait pourtant nous détacher de cette vision parfois caricaturale
et superficielle et pousser plus loin la réflexion sur la portée de l’action militante de
Treint et sur sa place dans le mouvement ouvrier français. L’enjeu de ce travail n’est
pas de magnifier le rôle méconnu d’un homme, ni même de le réhabiliter, mais de
comprendre pourquoi ce militant, peu apprécié et jugé excessif et peu diplomate,
parvient à accéder aux plus hautes fonctions au sein du PCF ; pourquoi, malgré un
rejet quasi-unanime au sein de l’opposition communiste, il demeure un militant
incontournable dans l’optique de la construction d’une formation oppositionnelle
structurée. Ces questionnements témoignent de la nécessité de s’attarder sur son
itinéraire politique.
Notre étude ne constitue pas à proprement parler une biographie. Ce genre
réclame une réflexion large sur la vie d’un individu de sa naissance à son décès et
implique de parvenir à la connaissance de ses caractéristiques sociales, de son
itinéraire familial et scolaire, de sa trajectoire socioprofessionnelle. En mettant
l’accent sur les grands évènements structurants d’une vie, sans lesquels il ne peut y
avoir de biographie5, l’exercice suppose de s’intéresser à un « grand homme », une
personnalité ayant marqué une période. Dans le champ historique, une biographie
ne peut être comprise que comme un incessant dialogue entre histoire particulière et
histoire générale. En raison du manque d’archives, faire porter notre étude sur
l’ensemble de la vie de Treint risquait d’aboutir à une biographie à certains aspects
anecdotiques, sans grand intérêt sur le plan historique. Cependant, s’il ne s’agit pas

5
LE GOFF J, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », Le débat, n° 54, mars/avril
1989, p. 48-53.
6
de l’histoire d’une vie, notre travail doit déboucher sur l’histoire d’une vie militante. A
travers l’itinéraire politique de Treint, nous voulons aborder le communisme français
en traitant d’une période moins connue de son histoire. De plus, notre étude se veut
une réflexion sur l’engagement militant en confrontant le passé d’un individu avec la
reconstruction verbale qu’il en présente6. Concernant Treint, cette approche se
révèle particulièrement féconde dans le sens où, tout en remettant en cause les
principes constitutifs de son engagement politique, il se refuse constamment à jeter
un regard rétrospectif sur son propre rôle et sur ses fautes. Notre objectif ne consiste
pas à énumérer les grandes étapes de son engagement militant pour produire un
récit linéaire de l’évolution de sa pensée mais d’interroger une période au travers
d’une vie militante et apporter un éclairage différent sur l’histoire du mouvement
ouvrier révolutionnaire français.
Albert Treint, durant toute la période de l’entre-deux guerres, consacre la
majeure partie de son temps au militantisme au sein d’organisations révolutionnaires.
Permanent du PCF dès sa création, il doit par la suite reprendre une activité
professionnelle non militante. Mais son objectif reste prioritairement le financement
de son activité politique. Toutes ses relations privées, y compris sa vie de couple, se
trouvent liées à ses engagements. La date de la séparation avec sa femme
correspond à celle de son passage à l’opposition et à son exclusion7. Il se met par la
suite en ménage avec Nelly Rousseau qui suit une évolution politique parallèle à la
sienne. Autrement dit, la vie militante et la vie privée de Treint s’entremêlent et
justifient une problématique centrée sur son engagement politique.
Notre démarche privilégie une analyse du discours politique (articles, textes
programmatiques, discours officiels). Elle peut paraître limitée voire dangereuse sur
le plan méthodologique mais elle nous est imposée par les archives disponibles. A
travers cette réflexion sur un itinéraire politique individuel, nous ne nous contentons
pas de décrire les opinions et les convictions de Treint, mais plutôt d’illustrer une
période, de saisir un contexte, à travers une vie militante, celle d’une personnalité
ambivalente et complexe, d’un observateur critique de la société.
Concernant le cadre spatio-temporel, nous avons été amené à faire certains
choix, le plus souvent motivés par le manque d’archives mais aussi par l’obstacle de

6
PENEFF J, La méthode biographique, Paris, Armand Colin, 1990, 144 p.
7
Au début de l’année 1934, la femme d’Albert Treint est toujours membre du PCF. Au début des
années trente elle assume la fonction de gérante de la Librairie de l’Humanité. Voir Archives de police,
BA 1718.

7
la langue. Ainsi, après avoir étudié le fonds du RGASPI concernant l’activité de
Treint en tant que membre de l’appareil de l’IC, nous avons décidé de nous
cantonner au rôle de Treint au sein du mouvement communiste français et de
n’aborder sa dimension internationale qu’au travers de la problématique des relations
entre le PCF et l’IC. La délimitation des bornes chronologiques (1914-1939) nous a
été dictée par notre volonté de restreindre notre étude à la période durant laquelle
Treint milite dans des organisations politiques et a laissé des traces de cette activité.
Issu d’une famille de condition sociale modeste, son père étant contrôleur
dans les omnibus parisiens et sa mère ménagère8, Albert, Edmond Treint, naît à
Paris le 13 février 18899. A dix-sept ans, il s’inscrit au concours d’entrée à l’Ecole
Normale d’instituteurs10 qu’il réussit brillamment11. Il entre à l’Ecole Normale d’Auteuil
le 1er octobre 1905 pour trois années de formation. Il s’engage ensuite dans l’armée
en devançant l’appel. Une fois son devoir militaire accompli, il rejoint son premier
poste d’instituteur à Asnières où il exerce d’octobre 1910 à mars 1913 puis à Paris à
partir du 1er avril 1913. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale l’oblige,
une première fois, à quitter son poste. Dès la fin de son service militaire, Treint se
marie avec Marie, Louise Colinest, dont il a un enfant, Fernand, né le 24 février
1914. Enfin, en 1912 ou 191312, il adhère à la dix-neuvième section de la Seine du
parti socialiste SFIO. Ces seules informations ne nous permettent pas de connaître
les raisons de son engagement politique, ni de dresser un portrait de l’homme avant
1914. Nous commençons ainsi notre étude au déclenchement de la Première Guerre
mondiale, lorsque Treint est mobilisé.
Le choix d’inclure l’expérience militaire de Treint dans le cadre temporel de
notre étude s’explique par l’influence déterminante de l’épreuve traumatisante que
constitue la vie dans les tranchées dans ses engagements ultérieurs. Son
comportement en tant que soldat mais aussi en tant que sous-officier, nous permet
également de mieux percevoir les contradictions et la complexité du personnage. Au
terme de la guerre, alors que de nombreux démobilisés adhèrent au parti socialiste

8
Voir l’acte de naissance de Treint. Archives de Paris, 5MI 3R 1283.
9
Ces informations sont les seules dont nous disposons quant au milieu social dans lequel évolua
Treint au cours de son enfance et son adolescence. Malgré nos recherches, nous n’avons pu
découvrir d’archives personnelles. De même, il s’est avéré impossible de recueillir des témoignages
de descendants de Treint.
10
Sur le fichier d’inscription (Archives de Paris, D2T1 302) il n’est fait aucune mention de ses origines
scolaires.
11
Albert Treint obtient un total de 182 points ¾, le minimum requis pour être admis étant de 150
points.
12
Selon sa fiche biographique dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous
ème
la direction de MAITRON J et de PENNETIER C, 4 partie, 1914-1939.
8
SFIO, Treint hésite à poursuivre sa carrière militaire, avant de rallier le courant le
plus antimilitariste du parti. Ce virage brutal sert par la suite d’argument à ses
contradicteurs dans le cadre des polémiques à l’intérieur du PCF. On lui reproche en
effet de ne pas agir par conviction mais par intérêt, au nom de ses ambitions
personnelles. Son parcours n’est en effet pas exempt de certaines contradictions et
de revirements qui révèlent une personnalité ambitieuse, obstinée et orgueilleuse.
Néanmoins, dès cette période de l’après guerre, il manifeste sa volonté d’ancrer son
action dans le cadre de la lutte pour la transformation de la société et de la victoire
du socialisme révolutionnaire. Sur ce point, l’unité de pensée tout au long de la
période de l’entre-deux guerres est indéniable.
Militant de second ordre au sortir de la guerre, Treint devient progressivement
un des membres les plus actifs du Comité pour la Troisième Internationale, alors en
plein reclassement. Au sein de l’organisation, il appartient au courant le plus
influencé par l’expérience révolutionnaire russe, qui souhaite faire du parti socialiste
une organisation révolutionnaire inspirée du modèle bolchevik. Il contribue
activement, aux côtés de nombreux autres militants socialistes « nés de la guerre »,
à faire basculer la majorité socialiste en faveur de l’adhésion à la Troisième
Internationale. Peu d’indications nous permettent de saisir comment il parvient à
devenir un militant en vue du CTI et un membre du premier comité directeur du PCF.
Son dynamisme et son zèle de jeune converti ne peuvent suffire à expliquer son
ascension fulgurante au sein de la gauche communiste.
Entre 1921 et la fin de l’année 1922, date à laquelle il obtient le poste de co-
secrétaire général du PCF, Treint devient un acteur essentiel dans la lutte que se
livrent deux tendances antagonistes. D’un côté, ceux qui souhaitent soumettre le
parti français aux volontés de l’IC, pour en faire une section disciplinée d’une
organisation révolutionnaire internationale, et de l’autre, une majorité qui demeure
réticente à l’égard de certains schémas bolcheviks et tente de les adapter à la réalité
française. Dans ce contexte de conflits, de tensions et de luttes fractionnelles, Treint
se distingue par ses qualités de polémiste et d’organisateur et par la violence de ses
diatribes contre ses adversaires. Il se révèle également comme l’un des plus
farouches partisans de l’alignement complet de la ligne du parti sur les décisions
prises à Moscou, témoignage de sa conviction profonde quant à la supériorité de la
doctrine de l’IC. Nous devons cependant nous interroger sur l’ambiguïté de son
attitude à l’égard de la direction de l’Internationale, notamment lorsqu’il s’oppose aux
solutions de conciliation entre tendances décidées lors des Exécutifs Elargis. Dès

9
cette époque, Treint se démarque de la majorité des anciens membres du CTI par
une posture gauchiste caractérisée par des appels à la discipline, à l’épuration du
parti et par son refus de transiger. Il se forge alors progressivement cette image
d’homme autoritaire et sectaire, y compris au sein de la gauche. De même, ses
prises de position, notamment sur la question du front unique et de « l’impérialisme
rouge » témoignent de son approche très personnelle des questions théoriques
débattues dans le mouvement communiste et de sa volonté de s’imposer en tant que
théoricien en se démarquant de Souvarine, considéré alors comme le véritable
leader de la gauche française. Cet individualisme, doublé d’une volonté d’imposer
ses conceptions sans concertation est à la source de nouveaux conflits, après
l’accession de Treint au secrétariat général du PCF.
A partir de 1923, la nouvelle direction commence à mettre en place les
réformes d’organisation réclamées par Moscou et à appliquer la ligne politique,
définie lors du quatrième congrès mondial de l’IC, qui met en avant la conquête des
masses et la lutte contre le militarisme français. Cette première phase de la
métamorphose organisationnelle et théorique du parti, que Treint qualifie de
« bolchevisation », dure jusqu’au début de l’année 1926. Durant cette période, le
PCF change profondément de visage. La forte diminution des effectifs, consécutive
aux départs du début de l’année 1923, est en partie compensée par l’adhésion de
syndicalistes et de jeunes ouvriers, favorisant une pénétration progressive des
communistes dans l’entreprise. Le parti se dote d’une direction plus centralisée où le
pouvoir de décision se trouve concentré entre quelques mains. Il commence à former
de nouveaux cadres, tous issus du milieu ouvrier et constitue progressivement un
appareil dévoué, discipliné et hiérarchisé. Il développe l’agitation et la propagande,
notamment par le biais de sa presse, de grands rassemblements, de campagnes de
mobilisation, notamment contre l’occupation de la Ruhr, et n’hésite pas à recourir aux
actions subversives et à employer la violence contre ses « ennemis ». Un nouveau
type de parti, simple section d’une organisation révolutionnaire internationale, voit
ainsi le jour. Mais il ne s’agit pas d’un processus linéaire. La volonté des dirigeants
russes de l’IC d’instrumentaliser les sections nationales dans le cadre des luttes de
pouvoir à la tête du PCR contribue à l’accélération du processus au cours des
années 1924-1925. Nous devons chercher à comprendre quel est le rôle réel joué
par Treint durant ces années cruciales dans l’élaboration de l’identité du PCF. Le
qualificatif de « bolchevisateur », fréquemment accolé à son nom ainsi qu’à celui de

10
Suzanne Girault13, se justifie par la nature de son action à la tête du parti.
Cependant, faire de ces deux dirigeants, les seuls responsables des errements et
des échecs ne permet pas de saisir la réalité du phénomène de la bolchevisation. Ce
terme prend très rapidement un sens péjoratif dans la bouche d’anciens membres de
la gauche passés dans l’opposition. A peine sont-ils majoritaires à la direction que
les membres de cette tendance s’affrontent sur les modalités d’application de la
réorganisation. Le conflit trouve son origine dans les critiques concernant les
méthodes de direction autoritaires de Treint. Souvarine devient le porte-parole du
mécontentement et de la méfiance à l’égard de Treint. Tous deux convaincus d’être
les garants de l’orientation révolutionnaire du PCF, ils s’affrontent pour le contrôle du
parti. La victoire de Treint et l’exclusion de Souvarine, puis de deux autres anciens
leaders du CTI Monatte14 et Rosmer, doivent cependant être analysées sous l’angle
de la lutte entre les dirigeants du PCR. Le conflit intérieur prend une dimension
internationale lorsque Souvarine commence à critiquer les dirigeants du PCR et
risque d’entraîner le PCF derrière lui. Face à cette menace, Treint représente à la
fois l’adversaire de Souvarine et un dirigeant autoritaire et dévoué, capable
d’imposer les conceptions de l’IC. Est-il un simple instrument entre les mains de
Zinoviev, ou au contraire un personnage machiavélique, exclusivement guidé par ses
ambitions personnelles ? Nous devons réfléchir aux motivations qui l’ont réellement
animées et à sa perception des enjeux de la lutte en cours entre La troïka
Zinoviev/Kamenev/Staline et Trotsky.
Après le cinquième congrès mondial de l’IC, placé sous le signe de la
bolchevisation, le PCF traverse une période de désordre intérieur. La nouvelle
direction, au nom de l’enracinement dans les usines, détruit les anciennes structures
et réorganise le parti de manière arbitraire et bureaucratique. Sur le plan politique, la
direction manie une rhétorique gauchiste qui allie les appels à l’insurrection, à la lutte
révolutionnaire et des attaques contre les autres organisations ouvrières, accusées

13
Suzanne Girault (1882-1973) : Institutrice répétitrice en Russie ; adhère au parti communiste russe
en mars 1919 et devient secrétaire du groupe communiste français de Kiev ; Entre en avril 1921 au
Comintern comme traductrice au secrétariat sur le travail auprès des femmes ; envoyée en France en
au cours de l’année 1921. Elle devient secrétaire adjointe de la fédération de la Seine, entre au CD
puis au BP ; membre suppléante du Comité Exécutif de l’IC en juillet 1924. Ecarté de la direction du
PCF à la fin de l’année 1925, elle rejoint l’opposition et crée, au côté de Treint, le groupe L’Unité
er
Léniniste. Exclue du PCF le 1 février 1928, elle réintègre le parti en mars 1930 après une démarche
d’autocritique.
14
Pierre Monatte (1881-1960) : Correcteur d’imprimerie ; militant syndicaliste révolutionnaire ;
fondateur en 1909 de la Vie ouvrière et en 1925 de la Révolution prolétarienne. Membre du PCF entre
1923 et 1924.

11
de faire le jeu du fascisme. Treint, qui séjourne à Moscou durant la majeure partie de
l’année 1924, tient une place spécifique puisqu’il est l’un des principaux instigateurs
de cette orientation et le relais entre l’IC et le PCF. Il devient ainsi le symbole d’une
période marquée par la chute des effectifs, la désorganisation, le mécontentement
des militants et l’isolement du parti. Confronté à l’échec d’une politique qu’il a appelé
de ses vœux, Treint tergiverse, s’oppose aux autres membres du BP et aux
représentants de l’IC qui réclament un assouplissement de la ligne, avant de prôner
à son tour de nouvelles méthodes de direction et un changement de ligne politique. Il
nous faut comprendre les raisons de ce revirement dans un contexte de division au
sein du Bureau politique du PCF et de conflit dans le parti russe après la rupture
entre Zinoviev et Staline.
La disgrâce puis l’exclusion de Treint doivent notamment être abordées sous
l’angle de la lutte que livrent au sein du PCR l’Opposition unifiée, qui rassemble les
partisans de Zinoviev et de Trotsky, et la direction contrôlée par Staline avec l’appui
de Boukharine. Mais les facteurs internationaux ne suffisent pas à expliquer les
raisons de sa mise à l’écart lors du sixième Exécutif Elargi de février/mars 1926, ni
de son exclusion au début de l’année 1928. Entre ces deux dates, Treint réside de
nouveau à Moscou et prend une posture singulière dont il faut étudier toutes les
implications. En tant que représentant du PCF, Il défend la direction française contre
les critiques du CE de l’IC, tout en manifestant son soutien à la direction
Boukharine/Staline. Dans le même temps, il marque ses divergences sur les
questions internationales, prémices d’une remise en cause de la ligne politique de
l’IC. Ce comportement équivoque témoigne de ses interrogations concernant
l’évolution du mouvement communiste international après les échecs successifs en
Allemagne, en Angleterre, en Chine et ailleurs. A son retour en France, en juin 1927,
il rallie l’opposition menée par Suzanne Girault dont il devient le principal animateur.
Le groupe, formé d’anciens membres de la tendance de gauche, reprend à son
compte les arguments et la tactique de l’Opposition unifiée. Le parcours de Treint
diffère sensiblement de ces derniers puisque auparavant, il a fermement condamné
l’opposition russe. Il nous faut exposer les grands axes du discours de cette
« opposition de gauche » et notamment sa dénonciation du « stalinisme », définie
comme une déviation droitière de la ligne politique de l’IC et du PC d’URSS mais
également étudier les rapports avec les autres groupes oppositionnels français.
L’exclusion de Treint et des autres membres de L’Unité Léniniste, nom du
groupe et de la revue qu’ils publient depuis décembre 1927, se déroule dans le cadre

12
d’une violente campagne antitrotskyste menée dans toutes les sections de l’IC, après
que Trotsky eut refusé de suivre Zinoviev et Kamenev sur la voie de la capitulation. A
l’instar de ces derniers, Suzanne Girault abandonne la lutte oppositionnelle peu
après avoir été exclue et rompt avec Treint. Ce dernier fonde alors un nouveau
groupe, le Comité pour le redressement communiste, et tente de fédérer autour de
son nom tous les opposants qui approuvent la tactique de redressement des partis
communistes et de l’Internationale préconisée par Trotsky. Treint prend activement
part aux tentatives de création d’une organisation oppositionnelle structurée à
l’échelle nationale et internationale. Entre 1928 et 1933, l’unification des groupes
français se réclamant de « l’opposition de gauche » se heurte à une série de
difficultés découlant de la multiplicité de ces formations et de l’histoire de leur
création. En tant qu’ancien dirigeant du PCF et responsable de nombreuses
exclusions, Treint se trouve au centre de la problématique de l’unification de
l’opposition française. Nous devons présenter les enjeux de cette unification, les
débats théoriques qui agitent ce microcosme et le rôle spécifique tenu par Trotsky.
Dès la fin de l’année 1927, ce dernier rédige un document programmatique, intitulé
« Nouvelle étape »15 qui, déterminant un cadre idéologique et tactique, sert de base
au reclassement de l’opposition en France comme à l’étranger. Après son expulsion
d’URSS et son installation à Prinkipo en Turquie, il s’attelle à la tâche de constituer
des fractions d’opposition sur la base des petits groupes qui se réclament de
l’opposition de gauche. Les rapports qu’il entretient avec Treint témoignent de sa
volonté de n’écarter a priori aucun militant, en dépit de l’implication de ce dernier
dans les campagnes antitrotskystes dans les années vingt. Malgré la création du
groupe de La Vérité, qui devient en 1930 la Ligue communiste, Trotsky échoue dans
sa tentative de rassemblement et contribue au contraire à accentuer les divisions.
L’échec du ralliement de Treint à la Ligue communiste et la crise que traverse cette
organisation dès les premiers mois de sa création illustrent l’impossibilité de trouver
un cadre théorique commun alors même que l’évolution de la situation internationale
pose de nouvelles questions au mouvement communiste oppositionnel.
Les mutations du régime soviétique sous la direction de Staline, devenu le
dirigeant incontesté du parti russe, provoque des dissensions parmi les militants
oppositionnels. La tactique de redressement des partis et de l’Internationale
préconisée par Trotsky implique que ces organisations demeurent dans la sphère

15
Trotsky, « Nouvelle étapes », Œuvres (janvier/juillet 1928), Institut Léon Trotsky, 1988, p. 25-50.
13
idéologique du bolchevisme léninisme, thèse que certains rejettent. En Allemagne,
en Italie ou en France des groupes se réclamant de l’opposition de gauche appellent
à la constitution de nouveaux partis révolutionnaires et dénoncent la faillite de l’IC et
du parti russe. Au début de l’année 1933, Treint publie des brochures consacrées à
ces questions qu’il convient d’étudier en détail. Pour la première fois, il rejette la
tactique de redressement et propose de constituer une quatrième Internationale, qui
se substituerait à l’IC. De plus, en s’appuyant sur les écrits du dirigeant oppositionnel
allemand Hugo Urbahns16, il affirme que l’Etat russe se trouve sous le contrôle de la
bureaucratie d’Etat qui s’est élevée au rang de classe sociale. Selon lui, ayant
abandonné la voie de la construction du socialisme, l’URSS s’oriente vers le
renforcement du pouvoir de l’Etat et rejoint ainsi la tendance générale au
« capitalisme d’Etat ». Tous ces nouveaux concepts que manie Treint doivent être
compris dans le sens d’une réflexion plus large sur la nature du stalinisme et du
communisme tel qu’il a été défini par Lénine et les bolcheviks.
Treint suit, à partir de 1933, un parcours tortueux au sein de l’extrême gauche
française qui l’amène, après avoir participé à la conférence d’unification d’avril 1933,
à rejoindre le parti socialiste, où il fonde un petit groupe qui publie une revue intitulée
La Lutte Finale. En contact avec d’autres tendances de la gauche socialiste, il
collabore également au journal Nouvel Age publié par Valois17 et participe, avec de
ce dernier, à plusieurs initiatives pour dénoncer les risques de guerre mondiale. Les
grands évènements politiques des années trente, que sont l’arrivée au pouvoir
d’Hitler en Allemagne, la journée du 6 février 1934 à Paris, la victoire du Front
populaire ou encore la guerre d’Espagne, influent sur sa réflexion politique et le
poussent toujours plus loin sur la voie de la remise en cause des principes politiques
qui ont guidé son engagement tout au long des années vingt et du début des années
trente. Dans les années qui précèdent la guerre, la pensée de Treint s’articule autour
de trois points : 1° une opposition à la guerre d’essence révolutionnaire, 2° une
réflexion sur le stalinisme et le caractère totalitaire du régime soviétique, 3° la

16
Hugo Urbahns (1890-1947) : Instituteur social-démocrate, membre du KPD en 1920 et héros du
soulèvement de Hambourg (1923). Exclu du parti en 1926 pour ses positions gauchistes, il participe à
la fondation du Leninbund.
17
Georges Valois (1878-1945) : De son vrai nom Gressent. Valois fut proche des milieux anarchistes
et disciple de Georges Sorel. A partir de 1910, il rejoint les tendances monarchistes et l’Action
Française où il devient spécialiste des questions économiques. En 1924, il rompt avec Maurras et
lance son propre mouvement d’obédience fasciste : « le Faisceau ». Cependant, il entame à partir de
1928 un nouveau virage politique et se rapproche d’intellectuels radicaux dont il publie les textes dans
sa revue Les cahiers Bleus puis s’engage ensuite dans le mouvement coopératif. A compter de 1932,
Valois accentue son virage à gauche et crée l’hebdomadaire Nouvel Age qui devient par la suite
quotidien. Voir GUCHET Y, Georges Valois, Paris, L’harmattan, 2001, 324 p.
14
recherche d’une nouvelle voie révolutionnaire. Ces grands axes de réflexion donnent
à ses écrits politiques un caractère original et novateur jusqu’ici méconnu.
Dans l’historiographie du communisme français, le rôle de Treint dans les
premières années du PCF a longtemps été ignoré ou réduit à ses responsabilités
dans les errements de la première phase de la bolchevisation. Dans la première
Histoire du parti communiste français, publiée par André Ferrat18 sous le contrôle du
PCF19, Treint apparaît comme le principal responsable de la tendance « sectaire du
PCF »20, exclu par la suite pour trotskysme. Après la Seconde Guerre mondiale le
PCF, devenu un parti de masse à la marge du système politique français, s’emploie
à contrôler et instrumentaliser son histoire21. Dans ce contexte, les premières années
du parti sont présentées comme une période d’affrontement entre les
révolutionnaires appuyés par l’IC et les tendances qualifiées de « trotskystes » de
« sectaires » ou encore « d’opportunistes ». Concernant Treint, on se contente alors
d’une référence à sa formule sur la « volaille socialiste », censée illustrer les
outrances de la direction des années 1924-192522. Les ouvrages de synthèse,
publiés successivement par Gérard Walter23 puis par Jacques Fauvet24, traitent de
Treint exclusivement à travers les luttes de tendances des années 1923-1924,
toujours dans le but d’illustrer son « autoritarisme » et son « sectarisme »25. A partir
des années 1960, les travaux universitaires concernant le communisme français se
multiplient, ouvrant la voie à de nouveaux champs d’étude. Cependant, alors que les
origines et la naissance du PCF ainsi que le parti de masse, après le tournant du

18
André Ferrat : Membre du CC du PCF comme délégué des Jeunesses communiste à partir
d’octobre 1924, puis comme membre élu, membre du Bureau politique de 1928 à 1936, rédacteur en
chef de l’Humanité de 1932 à 1934 ; exclu du PCF en 1936 ; animateur de la revue oppositionnelle
Que Faire ?
19
Ferrat A, Histoire du parti communiste français, Paris, Bureau d’édition, 1931, 259 p.
20
« Cette tendance est au contraire caractérisée par une série de déviations sectaires, mécaniques,
infantiles ; sa seule qualité réside dans le fait qu’elle dénonce le trotskisme […] Treint avec la majorité
de la direction de la Fédération de la Seine se prononce rapidement contre le trotskisme. Cependant,
pour la masse du Parti, ses explications sont peu claires, sa politique sectaire et ses arguments
grossiers font souvent le jeu des trotskistes. Ses arguments sont si peu convaincants qu'il ne peut se
convaincre lui même comme le démontrera son évolution ultérieure, lorsque trois ans plus tard il
passera ouvertement au trotskisme. », Ibid.
21
GROPPO B et PUDAL B, « Historiographie des communismes français et italien », dans Le siècle
des communismes, Paris, Ed. de l’atelier, 2000, p. 73-78.
22
Voir Histoire du parti communiste français : manuel, élaboré par la commission d’histoire auprès du
Comité Central du parti communiste français, sous la dir. de Jacques Duclos et François Billoux,
Paris, Ed. Sociales, 1964, 774 p.
23
WALTER G, Histoire du parti communiste français, Aimery Somogy, 1948, 390 p.
24
FAUVET J, Histoire du parti communiste français, Paris Fayard, 1964, 285 p.
25
Fauvet décrit Treint comme : « un inoubliable gaffeur, inventeur, parmi d’autres, de la formule
"plumer la volaille socialiste", but qu’il assignait au Front unique et que le parti allait s’entendre
reprocher jusqu’à la fin des temps. […] Autoritaire sans autoritarisme, ce "capitaine" fait mentir le mot ;

15
Front populaire, font l’objet de nombreuses études, rares sont les travaux portant sur
la période 1923-1933. Progressivement, des chercheurs se penchent sur cette
période intermédiaire de l’histoire du parti, tels Philippe Robrieux26 ou Serge
Wolikow27. Des biographies de Souvarine28 ou encore de Rosmer29 apportent un
nouvel éclairage sur le rôle joué par les premiers partisans de la révolution russe et
du bolchevisme, devenus les premiers « désenchantés » du communisme. Tous ces
travaux permettent d’appréhender le processus de mise en place dans les sections
de l’IC d’une ligne politique qui vise à transformer l’identité de ses sections et qui
passe par un renouvellement générationnel et sociologique, une modification des
structures héritées de la SFIO et du régime intérieur. Notre travail est une
contribution à la compréhension de cette première phase de la bolchevisation ainsi
qu’une réflexion sur le parcours d’un personnage qui, malgré la multiplication des
études sur le communisme français, reste trop souvent présenté comme un simple
exécutant de Zinoviev, un ambitieux prêt à toutes les manœuvres. Cette vision
caricaturale doit être nuancée, de manière à comprendre comment ce militant a pu
accéder aux plus hautes responsabilités dans le PCF.
Concernant le parcours de Treint au sein de la gauche communiste et
socialiste des années 1930, nous nous sommes heurté au manque de travaux
portant spécifiquement sur la France. Depuis une dizaine d’années cependant ce
champ d’étude, longtemps délaissé par les universitaires, fait l’objet de nombreux
travaux scientifiques et de nouvelles approches qui s’éloignent de l’histoire militante
telle qu’elle s’est développée dans les années 197030. Dans le cadre de notre travail
nous nous sommes notamment appuyé sur les travaux de Pierre Broué ou de Michel
Dreyfus ainsi que ceux de Damien Durand sur la naissance de l’opposition de
gauche internationale31, Jean-paul Joubert sur le pivertisme32 ou encore Gilles

il n’a rien d’un chef. Il ne s’entend avec personne et n’a, de surcroît, aucun sens de l’organisation
alors qu’il prétend centraliser à l’excès le parti. », Ibid., p. 57.
26
ROBRIEUX P, Histoire intérieure du parti communiste, tome 1, 1920-1945, Paris, Fayard, 1980, 583
p.
27
WOLIKOW S, Le parti communiste français et l’Internationale communiste (1925-1933), Thèse de
doctorat, université paris VIII, 1990.
28
CHAIGNEAU J-L, Boris Souvarine, militant internationaliste (1919-1933), Thèse de doctorat, sous la
direction de René GIRAULT, 1995.
29
GRAS C, Alfred Rosmer et le mouvement révolutionnaire international, Paris, Maspéro, 1971, 531
p.
30
Voir la Déclaration du BLEMR (Bulletin de liaison des études sur les mouvements révolutionnaires)
qui devient par la suite Dissidences, juin 1998 ainsi que MOREAU A, « Pour une nouvelle histoire de
l’extrême gauche », BLEMR, n° 5, avril 2000, p. 3-5.
31
DURAND D, Opposants à Staline, l’opposition de gauche internationale et Trotsky, Pensée
Sauvage, 1988, 280 p.
32
JOUBERT J-P, A contre Courant, le Pivertisme. Thèse de doctorat, IEP de Grenoble, 1972, 557 p.
16
Vergnon sur les gauches européennes33. Cependant, si l’histoire du trotskysme a
droit à une certaine attention34, toute une frange de la gauche communiste n’a fait
l’objet d’aucune étude scientifique. L’itinéraire atypique de Treint au sein de
l’opposition française, le fait qu’il ait appartenu à des groupuscules créés par lui-
même, en marge des principales formations politiques, ne doit cependant pas être
considéré comme anecdotique. Son étude ouvre la voie à une réflexion plus large
sur les débats qui traversent la société française durant la période de crise
économique et politique des années 1930.
Le premier écueil auquel nous avons été confronté au sujet des sources
touche à l’impossibilité de consulter un fonds d’archives personnelles. Etant donné
son activité militante et son rôle dirigeant dans les groupes créés tout au long des
années trente, Treint s’est très probablement constitué un fonds documentaire
(correspondance, journaux, brochures ainsi que des comptes rendus d’assemblées).
Comment expliquer que ce fonds n’ait pas été déposé. Nous ne pouvons qu’avancer
des hypothèses ? A-t-il été détruit? Est-il conservé par un particulier ? Nous avons
donc été amené à prospecter dans de nombreuses directions. Etant donné
l’éparpillement des fonds qui conservent une trace de l’activité militante de Treint,
nous nous sommes penché en premier lieu sur les sources imprimées. Les travaux
universitaires cités ci-dessus constituent des outils de recherche et des guides de
sources, notamment pour l’étude de l’opposition de gauche en France et dans le
reste de l’Europe. Les mémoires et souvenirs35, s’ils doivent être maniés avec
précaution en raison du parti pris de l’auteur et des erreurs découlant de
l’éloignement avec les évènements racontés, permettent de restituer une
atmosphère, de révéler certains points ignorés ou minorés.
La presse représente une source majeure et parfois unique pour aborder
l’activité quotidienne, les assemblées ou encore les congrès des organisations
politiques auxquelles Treint a collaboré. Il s’agit cependant de la production de ces
mêmes organisations. Son exploitation requiert de connaître le contexte politique

33
VERGNON G, Catastrophe et renouveau, Socialistes, communistes et Oppositionnels d’Europe et
d’Amériques du Nord sous l’impact de la victoire nazie : crises et reclassements (1933-1934), thèse
de doctorat, sous la dir. de BROUE P, Grenoble II, 1994.
34
Concernant l’historiographie du trotskysme, Jean Guillaume LANUQUE souligne le renouveau de la
recherche universitaire depuis 1995 et les nouvelles approches telles que les études
prosopographiques qui permettent de mieux connaître le mouvement trotskyste français. Voir le
compte rendu de son intervention à l’université d’été de la LCR, Dissidences, n° 12-13, octobre
2002/janvier 2003, p. 7.
35
Nous pensons notamment aux souvenirs publiés de Rosmer (Moscou sous Lénine), par Maurice
Jacquier (Simple militant), Jean Rabaut (Tout est possible) ou encore Fred Zeller (Témoins du siècle).
17
intérieur dans lequel les articles ont été écrits, mais aussi de réaliser une large revue
de presse et de croiser les informations obtenues avec d’autres sources. Seule cette
méthode permet de saisir la portée réelle d’un article et de comprendre les enjeux
d’un discours le plus souvent formaté, en raison de la discipline d’organisation à
laquelle s’astreignent les militants. Pour la période allant de 1919 à 1928, l’étude des
principaux organes de presse du PCF et de l’IC36 publiés en France est primordiale
pour appréhender les grandes étapes de la métamorphose du mouvement
communiste, les évolutions et les ruptures dans la ligne politique mais également les
divergences d’opinion parmi les militants communistes. Concernant plus
spécifiquement Treint, une étude approfondie de sa production militante, du
vocabulaire employé, du ton à la fois virulent et exalté et de ses articles nous
renseigne sur l’apparition d’une rhétorique spécifique alliant dogmatisme et une
certaine forme de démagogie, qui distingue le discours communiste de celui des
autres formations de la gauche française. Son abondante production, écrite
principalement entre 1923 et 1925, témoigne de son statut de permanent et de
dirigeant mais aussi de son rôle de courroie de transmission entre le PCF et l’IC.
Concernant la fin des années 1920 et des années 1930, la profusion de journaux,
revues, brochures et tracts de l’opposition communiste constitue un terrain privilégié
d’investigation, aussi riche qu’inexploité. Etant donné la taille réduite de ces
formations politiques et l’absence d’archives d’organisation, la presse constitue la
source irremplaçable malgré ses inconvénients. A travers elle, il ne s’agit pas
seulement de procéder à une analyse du discours, mais également de saisir l’activité
quotidienne à travers les assemblées et les meetings, de tracer un portrait des
militants mais aussi, lorsque la revue représente une tendance à l’intérieur d’une
organisation de plus grande envergure, à l’exemple de la Lutte Finale au sein du
parti socialiste SFIO, de suivre les débats qui agitent les militants de l’intérieur avec
un regard à la fois original et décalé. Enfin, l’étude des revues oppositionnelles
publiées sous la direction de Treint37, par ailleurs disséminées sur plusieurs centres
d’archives, permet de reconstituer les identités spécifiques et la richesse des
démarches théoriques des formations de la gauche communiste et socialiste.
Les sources imprimées ne peuvent être considérées comme le seul moyen
d’investigation et doivent être croisées avec les sources d’archives publiques et

36
L’Humanité, l’Internationale (quotidien du soir), le Bulletin Communiste, Les Cahiers Communistes,
Les Cahiers du Bolchevisme, La Correspondance Internationale et l’Internationale Communiste.
37
L’Unité Léniniste, Le redressement Communiste, l’Etincelle, La bataille ouvrière, la Lutte Finale.
18
privées. Les archives publiques ne nous ont pas été d’une grande utilité, exception
faite du dossier militaire38 et du dossier d’instituteur39 qui contiennent un certain
nombre informations essentielles pour comprendre le parcours politique de Treint
avant la Première Guerre mondiale. En revanche, les fonds de la série F740, de
même que les archives de police, déjà largement exploitées, ne nous ont pas
apporté de piste nouvelle, ni d’information concernant le rôle de Treint au sein du
PCF. Nous soulignons cependant l’existence de deux cartons41 contenant une
intéressante documentation (bulletins intérieurs, tracts, procès-verbaux
42
d’assemblées) sur la Ligue communiste de 1930 à 1933 .
Les archives d’organisation43 et principalement les archives du PCF et de l’IC
constituent la source essentielle de notre étude. Le fonds français des archives de
l’Internationale Communiste44 contient quantité d’informations inestimables sur la vie
intérieure du PCF, dont les procès-verbaux des assemblées du parti, les rapports
ainsi qu’une abondante correspondance. Les fonds du RGASPI, que nous n’avons
pu étudier comme nous l’aurions souhaité, regroupent l’ensemble des documents
concernant l’activité de Treint à Moscou ― dont les procès-verbaux des Exécutifs
Elargis et des commissions françaises ―, sur son statut au sein des différentes
instances ainsi que la correspondance entre Treint et le secrétariat de l’IC.
Enfin, les fonds d’archives privés se sont parfois révélés d’une grande
richesse. Nous avons notamment consulté les archives personnelles de dirigeants
communistes, socialistes et oppositionnels déposés en centre spécialisés tels que
Trotsky, Souvarine, Monatte, Renoult, Mougeot, Bouët, Pivert, Valois, Chazé, ainsi
que les archives Cachin et Humbert-Droz qui ont été publiées. Le CERMTRI, qui
reçoit des fonds personnels de militants, possède également une importante
documentation sur l’opposition de gauche française, principalement d’obédience
trotskyste mais pas uniquement, ainsi qu’une collection de revues publiées par Treint
au cours des années 1930. Pour conclure nous souhaitons particulièrement
souligner la richesse du fonds Chazé, en partie détenu par M. Henri Simon45, qui

38
Conservé au SHAT (Services historiques de l’Armée de terre).
39
Conservé aux archives de Paris.
40
Archives nationales.
41
F7 14796-14797.
42
D’autres documents sur la vie de cette organisation au début des années 1930 se trouvent à l’IISG
d’Amsterdam.
43
Nous avons également travaillé sur le fonds de l’ARAC, conservé à Vincennes. Il contient
cependant très peu d’informations sur l’activité de l’association durant les années vingt.
44
Aujourd’hui conservé sous forme microfilm aux Archives départementales de Seine-Saint-Denis.
45
Une autre partie se trouve à la BDIC mais n’a pas été classée.
19
contient une documentation abondante et méconnue sur les tentatives d’unification
de l’opposition communiste dans les années 1930 et sur les relations qui en
découlent. Nous y avons également trouvé de nombreuses informations sur la
formation de l’Union Communiste46 ou encore sur la conférence contre la guerre
tenue à Saint-Denis en août 1935. Concernant spécifiquement notre étude, notons la
présence de lettres de Treint ainsi que les collections de L’Unité Léniniste et de La
Lutte Finale accompagnées de plusieurs brochures et tracts signés Treint.

46
Notamment une importante collection de l’Internationale, le journal de l’organisation.

20
CHAPITRE I : DE LA
GUERRE AU
COMMUNISME.

21
Lorsque l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914, les
dirigeants des principales puissances européennes sont loin de concevoir l’ampleur
et les répercussions d’un tel acte sur la situation géopolitique mondiale. Durant les
quatre années que dure le conflit, toutes les grandes puissances impérialistes et la
quasi-totalité des états européens se trouvent impliqués dans le premier
affrontement militaire à l’échelle mondiale.
En France, la déclaration de guerre bouleverse le paysage politique et
syndical. Depuis plusieurs années déjà, face à la montée des périls de guerre, le
pays se préparait à l’issue inéluctable, notamment par le vote d’une loi portant le
service militaire à trois ans. A partir de 1905, la France et l’Allemagne s’opposent
notamment sur la question du Maroc, et provoquent en contrecoup une montée en
puissance du patriotisme de part et d’autre du Rhin.
Dans ce contexte de nationalisme exacerbé, les socialistes et les syndicalistes
révolutionnaires européens opposent leurs idéaux internationalistes et pacifistes.
Mais, lorsque se déclarent les hostilités, la social-démocratie, jusqu’alors opposée à
la guerre, s’aligne sur les positions bellicistes des gouvernements. Le congrès de
l’Internationale socialiste qui devait se tenir au mois d’août est reporté sine die. En
France la SFIO et la CGT font le choix de la défense nationale, face à
« l’envahisseur allemand ».
S’il militait déjà dans les rangs de la SFIO avec certaines responsabilités1, le
parcours politique d’Albert Treint ne débute réellement qu’en 1914. Le
déclenchement de la Première Guerre mondiale bouleverse profondément la vie de
cet instituteur de banlieue, républicain et athée mais qui, selon toute vraisemblance,
n’appartient pas à la frange politique la plus radicale et internationaliste de la gauche
française. Il est difficile d’appréhender le parcours de Treint au cours de ces années
qui mènent à la guerre. L’absence complète d’archives personnelles et de
témoignage se fait cruellement sentir pour définir son attitude en général face à la
guerre, plus précisément face au déclenchement du conflit et à la politique d’union
sacrée initiée par la SFIO.

1
Citant une déclaration de Treint en 1915, provenant d’un rapport de police, ROBERT J-L indique qu’il
e
était ancien secrétaire de la 19 section de la Seine de la SFIO, voir Ouvriers et mouvement ouvrier
parisiens pendant la grande guerre et dans l’immédiat après-guerre, Thèse d’Etat, sous la dir. d’A.
PROST, juillet 1989, p. 1359.
22
A/ La première guerre mondiale (1914-1919)

1) Un parcours militaire sans reproche.

En 1908, Treint termine son année d’apprentissage en tant qu’Elève-maître à


l’Ecole Normale d’Auteuil. Dès cette époque, il est en contact avec un milieu
socioprofessionnel favorable aux idées pacifistes2 et qui développe une rhétorique
anti-guerre par le biais de sa presse syndicale3. Etait-il alors lui-même sensible au
discours antimilitariste ? Amené à remplir ses obligations militaires, il choisit de
s’engager volontairement par devancement d’appel pour trois ans, le 6 octobre
19084. Sur ses sentiments à l’égard de l’armée française et plus généralement sur la
question militaire, nous ne possédons qu’une seule référence concernant cette
période. Dans un avis concernant une affaire dont nous reparlerons ultérieurement,
le lieutenant colonel Lardant écrit :
« Arrivé le 1er avril 1910 comme sous lieutenant de réserve au 21e RI
(régiment d’infanterie), cet officier professait alors des idées plutôt avancées,
pour ne pas dire antimilitaristes : il ne s’en cachait pas du reste et paraissait
être un convaincu »5.
Lorsqu’il effectue son service militaire, Treint milite déjà dans les rangs de la
SFIO et occupe la fonction de secrétaire de sa section. Ce témoignage, s’il ne nous
permet pas de connaître les raisons de son engagement et la teneur de son
discours, nous éclaire sur sa personnalité. Il apparaît comme un homme sûr de lui,
n’hésitant pas à étaler ses convictions.
Incorporé au 131e RI (basé à Orléans), l’apprentissage militaire de Treint se
déroule sans incident notoire. Ses capacités physiques sont remarquées au cours
d’un stage à l’Ecole Normale de gymnastique et d’exercice de Joinville (18 mai-18
août 1909). A cette époque, il fait acte de candidature au titre d’élève officier et
termine son service militaire avec le grade de sous-lieutenant. Son dossier souligne
un excellent comportement au cours de la dernière année d’apprentissage, lui

2
Voir GLAY E, Les instituteurs et la guerre, Bulletin général des Amicales, n°2 (février 1916). L’auteur
explique qu’avant la guerre les instituteurs étaient classés dans le camp des anti-patriotes en raison
de leur engagement syndical.
3
Voir notamment l’Ecole Emancipée.
4 e
Dossier militaire d’Albert Treint, SHAT, 5 Y 156743.

23
permettant de se classer 12e sur les 66 élèves ayant obtenu un grade d’officier.
L’appréciation générale de ses qualités dans l’accomplissement du devoir militaire
révèle un jeune homme : « Intelligent, travailleur, énergique » susceptible de faire
« un bon officier de réserve »6. Il se trouve ensuite affecté à Langres, dans le 21e RI,
où il accomplit ses dernières manœuvres avant de rejoindre la vie civile. Il est de
nouveau bien noté, en dépit de certaines réserves d’un officier supérieur:
« Officier très bien doué, instruit, vigoureux, mais qui manque de maturité et
n’a pas la notion des devoirs qu’impose la qualité d’officier. Il a suffisamment
d’étoffe pour éviter de retomber à l’avenir dans les mêmes errements. A fait
vigoureusement les manœuvres d’automne. »7
Libéré en septembre 1910, il rejoint immédiatement son poste d’instituteur dans la
région parisienne. Il accomplit néanmoins deux stages volontaires, en 1912 et 1913,
au cours desquels il met en valeur ses capacités d’officier.
Il est surprenant qu’un homme en apparence acquis aux idées antimilitaristes
accomplisse son service militaire avec une telle énergie et devienne officier de
réserve. Cela dénote certainement une personnalité en pleine construction sur le
plan politique et tiraillée par des sentiments contradictoires qui resurgissent en 1914
lorsque la France, dans sa très grande majorité, s’engage dans la voie du patriotisme
et du bellicisme.

2) Le mouvement socialiste face à la guerre.

« Le 31 juillet, Jaurès était assassiné. Le premier août, mobilisé avec les


troupes de couverture, j’endossai l’uniforme du 35ème d’infanterie. Et tous les
socialistes de France, à commencer par le père Vaillant, se serrèrent autour
du drapeau tricolore »8.
Cette vague de nationalisme que décrit Frossard9 submerge la SFIO et l’ensemble
des partis socialistes européens au début du mois d’août 1914. Pourtant
l’Internationale socialiste faisait figure de principale force antimilitariste, comme en
témoigne la résolution du congrès extraordinaire de Bâle en 1912, vécue alors

5
Dossier militaire, Ibid.
6 e
Relevé de note obtenue par l’élève officier de réserve Treint du 131 RI, Ibid.
7
Relevé de notes pour les manœuvres d’octobre 1912, Ibid.
8
FROSSARD L-O, Sous le signe de Jaurès, souvenirs d’un militant, Paris, Flammarion, 1943, p. 50.
9
Oscard, Louis Frossard (1889-1946). Instituteur puis journaliste. Militant socialiste secrétaire général
de la SFIO en 1918. Premier secrétaire général du Parti communiste à sa naissance en 1920. Rentré
au Parti socialiste SFIO.
24
comme une manifestation d’internationalisme et d’unité socialiste face aux menaces
de guerre10. De son côté, la CGT a voté le principe de grève générale en cas de
déclenchement d’un conflit qui impliquerait la France. La SFIO, lors de son congrès
national en juillet 1914, approuve une motion, inspirée par Vaillant, appelant à
l'insurrection plutôt qu'à la guerre11. L’annonce de l’attentat de Sarajevo, le 28 juin
1914, est accueillie avec peu d’émotion. Les principaux dirigeants socialistes ne
croient pas que ce conflit régional puisse entraîner les principales puissances
européennes dans la guerre. La brusque dégradation de la situation internationale
après l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie suivie de la déclaration de guerre à la Serbie,
prend les partis socialistes de vitesse. Lors de la dernière réunion de la deuxième
Internationale ― le BSI12 du 29 juillet 1914 ― les délégués des partis socialistes
estiment qu’une solution de conciliation demeure envisageable et ne prennent
aucune autre décision que celle d’avancer la date du congrès international. Il n’aura
jamais lieu. Dès les premiers jours d’août 1914, les socialistes rallient l’Union sacrée,
à l’exception des russes, des serbes et des italiens.
Plusieurs raisons sont avancées pour justifier ce brusque retournement13. Les
partis socialistes européens ne peuvent rester insensibles à la montée en puissance
du sentiment nationaliste jusque dans leurs propres rangs. Ce sentiment existait déjà
avant le mois d’août 1914, mais il restait largement sous-estimé. Les voix qui
s’élevaient pour défendre une vision plus nationaliste du socialisme, notamment chez
certains dirigeants socialistes allemands et autrichiens, étaient jugées minoritaires.
Une fois passée l’épreuve des faits, les partis membres de l’Internationale socialiste
se coalisent avec les gouvernements dont ils dénonçaient la politique belliciste. Les
socialistes français justifient leur attitude par la nécessité de défendre la patrie des
droits de l’homme contre la réaction allemande. En face, les allemands affirment
défendre, à travers leur nation, un certain modèle du socialisme. Ce tournant marque
la victoire d’un socialisme national « qui privilégie la politique intérieure sur les
déterminations internationales »14 et la fin de l’unité du mouvement socialiste
international.

10
HAUPT G, Le congrès manqué, L’Internationale à la veille de la Première Guerre mondiale, Paris,
Maspéro, 1965, p. 46-48.
11
COURTOIS S, LAZAR M, Histoire du parti communiste français, Paris, PUF, 1995, p. 30-34.
12
Le Bureau socialiste international.
13
Voir DREYFUS M, « Les conséquences de la grande guerre sur le mouvement socialiste », dans Le
siècle des communisme, Paris, Ed. de l’Atelier, 2000, p. 99-104.
14
GALISSOT R, PARIS R, WEILL C (sous la dir. de), « La désunion des prolétaires », n° spécial du
Mouvement social, n° 147, avril/juin 1989, p. 12.

25
Treint succombe-t-il à cette atmosphère d’hystérie nationaliste et
revancharde? Au mois d’août 1914, très peu de voix s’élèvent pour dénoncer cette
guerre et les plus pacifistes rallient leurs camps respectifs, préférant attendre la suite
des événements. Comme la majeure partie de la population, Treint envisage un
conflit de courte durée. Appelé lors de la mobilisation générale du 2 août 191415, il
rallie la cause de la défense de la patrie face à l’agression allemande. Dans une
lettre déjà citée, le lieutenant colonel Lardant précise que, si auparavant Treint
professait des idées antimilitaristes, la guerre avait radicalement changé ses
dispositions16. Il s’engage ainsi dans un conflit dont il ne peut imaginer l’ampleur et
les conséquences.

3) La campagne militaire d’Albert Treint.

Treint rejoint le 21e RI avec le grade de lieutenant. Rassemblé à


Rambervilliers17, le régiment part renforcer les troupes dans l’offensive de Lorraine
engagée par l’armée française. Elle se solde par un cinglant échec et de très
nombreuses pertes humaines. Le 21e RI bat en retraite avec l’ensemble de l’armée
de Lorraine, et effectue une longue marche qui l’amène au bord de la Marne. Les
conditions difficiles de la retraite ainsi que les températures très élevées affaiblissent
de nombreux soldats victimes de la chaleur. Treint n’y échappe pas et est évacué18
le 26 août, pour ne retrouver son régiment que le 17 octobre. A cette date le 21e RI
participe, depuis le début du mois d’octobre, à la résistance face à l’offensive
allemande autour d’Arras. Cette bataille marque, pour le régiment de Treint, le début
de la guerre des tranchées. Il se trouve en effet directement engagé, sur le plateau
de Notre-dame de Lorette, dans l’un des combats les plus sanglants de toute la
Première Guerre mondiale pour l’armée française19.
Sur ce plateau, le régiment résiste à une offensive allemande20 avant de
devoir se terrer sous la violence des bombardements ennemis. L’historique précise

15
Dossier militaire.
16
Dossier militaire, lettre datée du 18 avril 1917.
17 e
Les informations sur la campagne militaire du 21 RI proviennent de l’historique du régiment, publié
en introduction du Journal de marche et d’opérations, SHAT, 26 N 593.
18
Concernant les causes de son évacuation le dossier militaire précise uniquement : « malade ».
19 e
L’historique du 21 RI précise : « A cette date commençait la tragédie sanglante de N-D de Lorette
qui allait durer sans désemparer pour le régiment du 7 octobre 1914 au 15 décembre 1915.
20
Le rédacteur de l’historique précise que cette offensive allemande fut une véritable hécatombe et
qu’au mois de janvier (3 mois après l’offensive) on voyait encore les cadavres « feldgrau » assis les
uns contre les autres.

26
qu’en raison de l’impréparation de l’armée française, les soldats durent, dans
l’urgence, creuser les tranchées à l’aide de couteaux et de baïonnettes. Une fois les
positions stabilisées, une longue attente débute pour les armées ennemies, l’hiver
figeant le conflit dans le froid et la boue :
« C’est alors la lutte contre un nouvel ennemi plus terrible que le boche : la
boue, la boue dans laquelle on endure sans arrêt les pires souffrances, la
boue qui produit les pieds gelés. La glaise gluante dans laquelle on s’enlise et
dans laquelle on meurt »21.
Les grandes opérations reprennent avec le retour du printemps. Le 5 mars, le 21e RI
participe à une attaque visant à prendre une tranchée adverse, mais la manœuvre
échoue. Dans cette opération Albert Treint ainsi qu’un autre lieutenant se signalent
par leur conduite héroïque. Par la suite, il est cité à deux reprises22 pour des actions
particulièrement courageuses voire téméraires. Les généraux français ont donné une
importance stratégique à la prise de la chapelle en ruine. Dans ce contexte
particulièrement difficile où le soldat risque sa vie à chaque instant, Treint fait preuve,
au combat, d’une totale abnégation.
Les récits décrivant l’horreur, le carnage que fut la bataille de N-D de Lorette,
les quantités de cadavres jonchant en permanence le sol du no man’s land23,
éclairent l’attitude sans concession que Treint prend par la suite sur la question de la
guerre. Revenant dans un article sur cette bataille, Treint souligne que dans ce
conflit, les atrocités furent mutuelles et les soldats des deux armées furent victimes
d’une guerre où la prise d’une chapelle juchée sur un plateau justifiait le sacrifice de
dizaines de milliers de soldats. Il évoque par ailleurs l’utilisation d’armes chimiques
par l’armée française au cours de la bataille :
« Au commencement d’avril 1915, bien avant les attaques allemandes par le
gaz, alors qu’il ne pouvait être question de représailles, les unités d’infanterie
de la 13e division qui tenaient alors le plateau de Lorette touchèrent des

21 e
Historique du 21 RI
22
« Le … à N-D de Lorette, a conduit avec le plus grand courage la section à l’assaut des tranchées
allemandes. S’est maintenu avec 6 hommes pendant plusieurs heures à quelques mètres de la
position ennemie, n’a regagné nos lignes, le soir venu, que sous la menace d’être fait prisonnier et
e
lorsque les fusées pleines de boue refusaient tout service. Ordre n° 44 du 13 avril 1915 du 21 ».
e
« Cité à l’ordre de la 26 brigade. Le 23 avril à N-D de Lorette, au cours d’un tir de réglage effectué
par l’artillerie française sur des tranchées ennemies très rapprochées, ne s’est pas retiré avec sa
troupe dans la zone neutre. S’est maintenu dans les tranchées de première ligne pour observer le tir.
A noté avec un sang froid et un calme remarquable tous les "fronts" d’arrivée, les a indiqués au fur et
à mesure sur un croquis très précis donnant des indications très utiles pour le réglage. Ordre n° 2 du
e
28 avril 1915 à la 26 brigade.
23
Zone située entre les tranchées adverses.
27
grenades dites lacrymogènes. Ces grenades étaient formées d’une ampoule
de verre protégée par une mince enveloppe de tôles à facettes. La notice qui
les accompagnait recommandait de la jeter aux yeux.
J’ai eu la curiosité d’ouvrir une de ces grenades. Elle contenait du vitriol […]
J’ai vu un allemand vitriolé de la sorte le 11 mai 1915 au poste de secours de
la Faisanderie. Je n’oublierai jamais cette face rongée par l’acide, contractée
par la douleur, avec de grands yeux blancs entourés par le rouge des chairs à
vif. »24
Le 12 mai 1915, au cours d’une opération de défense de la Chapelle
récemment conquise, Treint est grièvement blessé par balle à la mâchoire25. Evacué,
il ne rejoint son régiment qu’au cours du mois de septembre 1916. L’unique
document de son dossier militaire, concernant son activité durant un an et demi,
mentionne qu’il fut soigné comme officier de service à la place de Paris puis qu’il fut
détaché au dépôt d’éclopés d’Arc les Gray. A ce sujet Treint explique, dans une lettre
adressée à Frossard en juillet 1921, qu’il prit la parole au cours d’une réunion de
socialistes minoritaires, tenue rue de Bretagne, à Paris. Selon lui, cette intervention
faillit le mener devant le conseil de guerre26. Toutefois son dossier militaire ne fait
jamais référence à une enquête concernant sa participation à des réunions
socialistes minoritaires27.
De retour en campagne, le 16 septembre 1916, Treint se trouve de nouveau
engagé au cœur d’une des plus intenses zones de conflit. En effet le 21e RI, après
avoir combattu jusqu'à la fin du mois de décembre 1915 sur le plateau de Lorette, se
positionne sur le front près de Verdun durant quelques mois pour consolider la
résistance française face à l’offensive massive de l’armée allemande. Peu après, le
régiment est de nouveau déplacé pour participer à la grande offensive franco-
anglaise lancée à partir de juillet 1916 sur la Somme. Treint rejoint un régiment
engagé dans une offensive désespérée n’aboutissant qu’à des gains territoriaux
symboliques. Le mois de juillet a vu se briser l’assaut des armées anglaise et
française sur une ligne de défense allemande très bien organisée. L’offensive de

24
Treint A, « Grenades à vitriol », Les semailles, n°13, février 1920, p. 19.
25
Dossier militaire.
26
Voir Syndicalisme révolutionnaire et communisme : les archives de Pierre Monatte, présentées par
MAITRON J et CHAMBELLAND C, Paris, Ed. Maspero, 1968, p. 370-372.
27 ème
Jean-Louis ROBERT cite une déclaration de « Train » au cours d’une réunion de la 19 section de
la Seine, le 28 novembre 1915. Voir « Ouvriers et mouvement ouvrier parisiens pendant la grande
guerre et l’immédiat après guerre », op. cit., p. 1359. Dans le dictionnaire du mouvement ouvrier
français, il est également indiqué qu’il a pris la parole « en faveur d’une paix honorable » au cours de
plusieurs réunions organisées par la SFIO.
28
septembre marque le deuxième effort pour tenter de percer le front. Au cours de
cette manœuvre le 21e RI se distingue par la prise des villages de Deniécourt et
Bovent28, fortifiés par les allemands. Dès son retour sur le front, Treint se trouve
impliqué dans une très violente et très meurtrière offensive, sur un terrain détruit,
bouleversé :
« Après la Meuse, la Somme est devenue terre ruinée, rasée, exfoliée, sans
nulle trace de vie. Elle est méconnaissable. […] La terre est aussi lunaire qu’à
Verdun : des trous d’obus à l’infini dans les champs, des bois abattus, des tas
de pierres perdus dans les champs saccagés. »29
Il est une fois de plus témoin de ces scènes de désolation et de mort, conséquences
de la guerre à outrance. Ces batailles ont le goût du sang et du sacrifice inutile. Plus
d’un million de morts au total pour un gain territorial franco-anglais d’environ 10 km
sur la totalité du front. A partir du mois de septembre, les rapports soulignent le
« mauvais état d’esprit » et le découragement qui règne dans les rangs de l’armée
française. Parler de découragement semble dérisoire face à l’ampleur de la tragédie
vécue par les acteurs de cette guerre. Le 21e RI quitte le front de la Somme à la mi-
octobre pour une période de repos d’un mois avant de revenir à l’arrière pour des
travaux de fortification. Fin décembre le régiment, définitivement relevé, part pour
une période d’apprentissage de plusieurs mois. En avril 1917, il est appelé pour
participer à une offensive à l’est de Chateau-Thierry, finalement annulée.
Cette année 1917 débute pour Treint par une évolution dans sa carrière
militaire. De retour sur le front depuis deux mois, il est élevé au grade de capitaine, le
27 janvier. Sa hiérarchie le considère comme un excellent officier, ainsi qu’en
témoigne le mémoire de proposition au titre de capitaine30 :
« […] le lieutenant Treint s’est fait apprécier comme un officier intelligent,
consciencieux, dévoué et d’une belle tenue au feu. J’estime ces éloges très
justifiés. Le lieutenant Treint est tout à fait digne d’être promu capitaine.
(Lieutenant-colonel de Rieucourt : Chef de corps).
Depuis son retour, j’ai vu le lieutenant Treint à l’œuvre, il donne l’impression
d’un très bon officier et l’est certainement. Je lui confierai très volontiers le

28 e
Pour cette offensive réussie, le 21 RI est cité à l’ordre de l’armée et obtient la fourragère aux
e
couleurs de la croix de guerre. (Historique du 21 RI).
29
MIQUEL P, les oubliés de la Somme, Paris, Taillandier, 2002, p. 222-223.
30
Voir le dossier militaire d’Albert Treint.

29
commandement d’une compagnie et appuie très favorablement sa proposition.
(Colonel Schmidt : commandant de la 26e brigade d’infanterie) »
Cette promotion se justifie à la fois par l’attitude courageuse au combat et le sens de
la discipline de Treint mais également par le besoin croissant de nouveaux officiers,
l’armée française ayant subi de lourdes pertes au cours des trois premières années
du conflit.
Comment Treint se comporte-t-il à l’égard des simples soldats ? Est-il
autoritaire, apprécié ou détesté ? Exception faite de sa lettre à Frossard de juillet
192131, aucune source ne vient éclairer cet aspect de son comportement au cours du
conflit. Il y affirme que sa compagnie était connue « sous le nom de compagnie du
soviet » et que dans l’exercice de ses fonctions il faisait tout son possible pour éviter
les souffrances aux soldats placés sous son commandement32. Sans mettre en
doute la bienveillance de Treint à l’égard de ses subordonnés, ses assertions
semblent exagérées. Il ajoute en effet qu’en raison de ses idées politiques et de sa
tolérance, il fut victime de brimades de la part des officiers supérieurs33. Au regard de
son dossier, ces problèmes avec la hiérarchie ne présentent a priori aucun caractère
politique. Ceci ne nous permet pas de savoir si Treint était apprécié en tant qu’officier
et en tant qu’homme par les soldats placés sous son commandement. Tout au plus,
nous pouvons souligner qu’avec sa personnalité entière, fière, son assurance et du
fait de son courage au front, il devait être respecté34.
Peu après avoir été promu capitaine, Treint connaît un premier conflit avec sa
hiérarchie. Le 29 avril 1917 il rejoint le 41e RI pour prendre le commandement de la
3ème compagnie, après avoir été changé de corps d’office sur les ordres du général
Martin de Bouillon (commandant de la 13e division), et avoir effectué une punition de
trente jours d’arrêts simple :
« Affecté depuis le 8 mars 1917 au commandement de la 12ème compagnie,
cet officier a semé le désordre dans le groupe des officiers du dépôt
divisionnaire de la 13e DI, à propos d’une histoire absolument anodine, il a
monté contre son chef de bataillon, commandant le dépôt, une sorte de cabale

31
Cf. supra.
32
Syndicalisme révolutionnaire et communisme…..op. cit., p. 370.
33
« Sauf par un colonel libéral, j’ai été fréquemment brimé, sous divers prétextes, mais en réalité à
causes de mes idées. » Ibid.
34
Dans une lettre datée du 17 juin 1922, le commandant Magagnosc apporte quelques éléments de
réponse, à prendre avec circonspection étant donnée l’animosité qu’il devait nourrir à l’égard de Treint
(cf. infra). Il écrit en effet : « […] car j’ai su par la suite qu’il (Treint) exerçait sur les officiers du groupe
au dépôt divisionnaire une influence détestable, ayant beaucoup de bagout et une très grande
assurance »
30
qui a abouti à ce double résultat de lui faire octroyer 30 jours d’arrêt simple et
de faire remplacer le commandant du dépôt divisionnaire […] »35
Cette affaire débute par une simple note de service du commandant Magagnosc36,
datée du 28 mars 1917, au sujet d’une marque de respect extérieur au général de
division qui n’aurait pas été rendue par des soldats membres du 21e RI. Cette note
est adressée au sous-lieutenant Pretôt, lui même sous la responsabilité directe de
Treint. Or ce dernier, mécontent de la procédure employée, réagit par l’envoi d’une
réclamation destinée au colonel dirigeant l’infanterie de la division. Il prend la
défense de l’officier incriminé dans la note de service et explique qu’il se sent lui
même accusé, en tant que commandant de groupe, d’avoir manqué d’autorité. De
plus, faisant preuve d’un esprit particulièrement procédurier, il accuse son supérieur
de ne pas suivre les voies hiérarchiques, autrement dit de ne pas s’être adressé
directement à lui37. Face à cette réclamation, le commandant Magagnosc reçoit
Treint et, diplomatiquement, lui propose de retirer son observation, considérant cette
affaire anodine. Ce dernier, refusant ce compromis, demande une annulation écrite.
Le commandant paraît très surpris par son attitude et la tournure de leur entrevue :
« Ne connaissant pas le caractère arrogant, hautain, plein de suffisance du
capitaine Treint, et voulant lui faire comprendre qu’il faisait fausse route, que
sa réclamation n’avait aucune raison d’être, je me heurtais à un parti pris
absolu, à une intransigeance caractérisée. […] Indigné de cette attitude
insolente, je le congédiais immédiatement en lui disant que je transmettrai sa
réclamation. »38
Le 30 mars, Treint rédige une nouvelle réclamation et accuse le commandant d’avoir
fait pression sur lui pour obtenir le retrait de sa première réclamation39. Sa
description de l’entrevue correspond en grande partie à celle du commandant mais

35 e
Rapport du lieutenant-colonel Lardant (commandant du 21 RI). Les documents se rapportant à
cette affaire se trouvent dans le dossier militaire d’Albert Treint. Ils constituent, avec des documents
concernant une seconde affaire, la partie la plus importante du dossier.
36
Le supérieur direct de Treint.
37
Réclamation datée du 28 mars 1917 : « Cette note de service contient des reproches qui paraissent
e
adressés aussi bien au sous-lieutenant Pretôt qu’au capitaine commandant le 21 RI (Treint) […]. Le
capitaine […] s’étonne que cette note ait été adressée directement au sous-lieutenant Pretôt sans lui
avoir été communiquée au préalable. Si la voie hiérarchique doit être suivie en montant, elle doit
également, dans l’intérêt du service, être suivie en descendant. »
38
Lettre du commandant Magagnosc, 24 avril 1917.
39
Deuxième réclamation de Treint au colonel commandant l’infanterie datée du 30 mars 1917 : « Je
tiens à vous faire remarquer : […] 3°) Que ma réclamation n’a été transmise qu’au bout d’un entretien
de une demi heure au cours duquel je fus soumis tour à tour à des procédés d’intimidation et à des
procédés de prétendue bienveillante camaraderie, procédés contre lesquels je tiens à exprimer toute
mon indignation. »

31
leur analyse des événements diverge. Pour lui, Magagnosc a utilisé un ton
bienveillant uniquement dans le but d’obtenir un retrait de la réclamation et non pour
mettre un terme à cette affaire anodine. Etant persuadé d’être dans son droit, il
reconnaît même avoir employé un ton sec à l’égard de son supérieur.
Le conflit s’envenime au sujet d’un soldat hospitalisé et qui doit rejoindre le
corps actif. Lors d’un nouvel entretien, Treint présente un document qui, selon lui,
prouve que le soldat hospitalisé ne peut rejoindre le corps actif. Le commandant
demande à voir la pièce, ce qu’il refuse prétextant ne devoir le remettre qu’à son
colonel. Le ton monte entre les deux hommes et le commandant obtient que Treint
lui fournisse une copie du document incriminé :
« Il me dit alors : je vais la chercher. Et saluant, raide, faisant avec affectation
demi tour par principe, il sort de mon bureau. Quelques instants après, il
revenait avec les papiers en question et notamment, me dit-il, avec l’original
de la pièce. Il s’approche de la fenêtre, et comme j’étais debout à côté de lui, il
me dit en scandant les mots : "je vais vous en donner lecture". Frappé du ton
dont il m’avait dit ces paroles, je lui demandais : " Ne puis-je pas en prendre
connaissance moi-même ?"Il me répondit sur un ton tranchant : non ! Et
comme stupéfait, je lui demandais si par hasard, s’était parce qu’il n’avait pas
confiance, il précisa : "Non, je n’ai pas confiance, car après les procédés
d’intimidation qui ont été inaugurés ici, je ne peux pas me dessaisir de ces
papiers". »40.
L’attitude de Treint ne découle pas d’un refus de la discipline militaire, même s’il est
parfois jugé arrogant et difficile à commander, mais caractérise au contraire sa
volonté d’imposer son autorité. Persuadé d’être dans son bon droit, il tente d’ailleurs
de saisir la hiérarchie contre son supérieur immédiat.
A la vue de cette affaire, Treint apparaît comme un homme sûr de lui,
intransigeant et même quelque peu paranoïaque. Le supérieur qu’il accuse
d’acharnement à son égard, doit changer d’affectation, puni pour avoir été trop faible
et indulgent. Treint écope de trente jours d’arrêts contre lesquels il s’élève dans une
lettre au général Martin de Bouillon, considérant que les motifs de sa punition sont
infamants et atteignent son honneur d’officier. Il ressort de cette lettre l’impression

40 e
Lettre du commandant Magagnosc au général de la 13 DI, 30 mars 1917.
32
d’un homme qui place très haut son honneur personnel, au point de comparer sa
punition aux terribles bombardements de N-D de Lorette41.
Treint rejoint à la fin avril son nouveau régiment, qui stationne en Champagne.
Peu de temps après, il part pour une durée d’un mois suivre un « cours de
mitrailleuse », stage durant lequel il reçoit des félicitations42. La fin de l’année 1917
se déroule dans un calme relatif, le régiment restant le plus souvent à l’arrière pour
des périodes d’instruction. Le rédacteur du « journal de marche et d’opération »
indique seulement la participation à quelques « coups de mains ». Nous ne
possédons aucune information sur l’état d’esprit qui règne dans le régiment lorsque
se propagent les mutineries. Le 7 avril 1918, le 41e RI rejoint le front de la Somme à
Hangard où l’armée allemande passe à l’offensive. Pour la seconde fois, comme lors
de l’assaut de N-D de Lorette, Treint reçoit une balle dans la mâchoire. Dans son
unique article retraçant son expérience du front, Treint revient sur cette blessure et
évoque l’attitude des soldats allemands qui lui laissèrent la vie sauve :
« Le 25 avril 1918, je fut étendu à Hangard en terrain découvert à 50 mètres
des lignes allemandes par une mitrailleuse. Mes brancardiers debout sur la
plaine, sont venus me chercher en plein jour. Les mitrailleuses allemandes
n’ont pas tiré. Il y a eu de part et d’autre des braves gens qui, souvent, étaient
les gens les plus braves et qui firent tout ce qu’ils pouvaient pour ne pas
aggraver l’essentielle atrocité de la guerre. »43
Du fait de cette blessure, Treint ne participe pas aux derniers combats. Envoyé à
l’hôpital de Beauvais, il n’a pas réintégré son régiment le 11 novembre 1918, date de
cessation des hostilités entre la France et l’Allemagne. Il faut néanmoins encore
attendre de longs mois avant que les nombreuses troupes stationnées aux frontières
de la France ne soient démobilisées.
De retour dans le régiment le 25 novembre 1918, il est maintenu au corps
d’infanterie divisionnaire, à Molshein en Alsace, où se trouvent de nombreux
officiers, désormais en surnombre. Loin de vouloir quitter le service actif, Treint
demande, dans une lettre datée du 1er décembre 1918, à obtenir le commandement

41
Lettre de Treint au Général Martin de Bouillon, 3 avril 1917 : « Quand j’ai reçu la notification de la
punition que vous m’avez infligée, j’ai ressentie l’impression la plus pénible ressentie dans toute ma
vie. Je préfère à cela l’impression rude et pénible des combats de Lorette où j’ai reçu trois citations et
où j’ai été proposé par le commandant Gaitet pour la légion d’honneur. Je préfère à cela l’impression
des bombardements d’Ablaincourt…. ».
42
« Monsieur le capitaine Treint, […] est l’objet de félicitations au général Gouraud commandant la
ème e
4 armée pour le zèle et l’intelligence dont il a fait preuve pendant son stage. » JMO du 41 RI,
SHAT, 26 N 623.
43
Treint A, « Grenades à vitriol », art. cit.
33
d’une compagnie. Il justifie sa requête par le fait que des compagnies, dirigées par
des sous-lieutenants, pourraient l’être par des capitaines, disponibles pour occuper
cette fonction. Pour prétendre au commandement, il fait également valoir son
comportement exemplaire au combat. En réponse, le colonel Martinet ―
commandant le 41e RI ― rappelle que d’autres officiers attendent un
commandement, que Treint ne peut revendiquer un traitement de faveur et que l’on
ne dépossède pas un officier, fût-il moins gradé, de son commandement sans
véritable raison. Jointe à la réclamation de Treint, ce colonel fait parvenir une lettre à
son supérieur :
« Eu égard à sa belle conduite au feu, je me suis toujours montré très
indulgent pour les nombreuses négligences qu’il commettait dans le
commandement intérieur de sa compagnie. Je ne puis donc être que
péniblement surpris de la tournure qu’il a donné à sa réclamation et je ne puis
m’empêcher de rappeler qu’il a été jadis médiocrement noté et qu’il a été
l’objet d’une sanction très sévère à la suite d’incidents des plus fâcheux où il a
fait preuve d’un esprit d’indiscipline caractérisé. »44.
Treint refuse l’arbitrage du colonel Martinet et demande une mutation dans
une autre division. Il pousse l’obstination jusqu’à faire parvenir une réclamation au
ministre de la guerre45. Fin janvier 1919, il reçoit finalement plusieurs affectations
successives (service des chemins de fer du Midi, instruction publique en Alsace et
enfin dépôt du 41e RI à Rennes). Sur décision du maréchal commandant en chef, il
reçoit l’ordre de rejoindre le dépôt du 41e RI à la date du 10 février. Au lieu de se
soumettre à cette décision, il tente par tous les moyens d’entraver son application. Le
12 février, il demande à subir un examen médical au centre de Schelestadt, et
résiste au médecin chef qui le déclare apte à rejoindre son poste à Rennes46. Il écrit
également une lettre au ministre de la guerre (29 janvier 1919) pour demander sa
titularisation dans l’armée active ainsi que son passage dans l’armée coloniale, pour
y être affecté en tant qu’officier instructeur à l’armée polonaise.
Enfin, il envoie une lettre, datée du 7 février 1919, au président du Conseil
(Georges Clemenceau) dans laquelle il fait valoir son amitié avec Adrien Bertrand,

44 e
Lettre du colonel Martinet au colonel commandant le CID/138 , 11 décembre 1918.
45
Lettre de Treint au ministre de la guerre, 25 décembre 1918.
46
Treint fait valoir qu’il ressent des fourmillements à sa main gauche, consécutifs à sa dernière
blessure, et qu’il se sent trop fatigué pour faire le voyage jusqu’à Rennes. Le médecin chef réplique
que peu de temps auparavant Treint faisait des ballades à cheval et qu’il ne voit aucune raison
médicale pour le maintenir hospitalisé.

34
qui fut collaborateur de Clemenceau au journal L’Homme enchaîné. Il expose les
raisons pour lesquelles il refuse son affectation, persuadé ― comme lors de l’affaire
qui l’opposa au commandant Magagnosc ― d’être victime d’une cabale :
« Mon crime : s’est d’être instituteur et de ne pas aller à la messe. Peu importe
que j’ai fait et bien fait la guerre. Peu importe que dans l’exercice de mon
commandement, j’ai toujours été tolérant aux catholiques […] Et cela parce
que je suis instituteur et républicain. Oh cela on ne l’avouera jamais mais alors
qu’on me donne un autre motif valable. […] Une fois déjà, pour des raisons
politiques à l’origine de l’affaire, raisons inavouables et inavouées, j’ai été
écrasé. L’on m’a changé de régiment, et l’ordre portait : pour convenances
personnelles. »
Il ajoute que la guerre l’a ruiné47, que le solde d’officier à l’intérieur ne permet pas de
vivre décemment et conclut qu’on cherche, du fait de ses opinions, à lui faire
connaître une vie de misère. Incontestablement ses convictions ont dû lui amener
bien des inimitiés. Cependant, contrairement à ses affirmations, les sanctions qui
l’ont frappé s’expliquent par son attitude intransigeante à l’égard de sa hiérarchie et
ne semblent pas avoir de caractère politique.
Grâce à ses multiples courriers ou pour d’autres raisons48, Treint parvient à
éviter de rejoindre le dépôt de Rennes. Il est envoyé à Paris et hospitalisé à Issy-les-
Moulineaux du 21 février au 5 avril 1919, date à laquelle il part en congé illimité de
démobilisation. Durant cette période, il fait une demande pour incorporer l’armée
polonaise, requête acceptée le 3 mai 1919. Dans une lettre datée du 30 mai 1919, il
déclare cependant renoncer à cette affectation, selon lui, pour des motifs
exclusivement politiques:
« Notamment après l’armistice, j’ai été brimé par mon colonel. Pour échapper
à cette brimade, j’ai cru bon de demander à être détaché en Pologne. On ne
savait pas alors ce qui ce tramait là-bas. Quelques jours avant ma
démobilisation, j’ai eu à remplir une feuille de demande. A ce moment-là on
commençait à deviner la politique contre-révolutionnaire qui se tramait contre
la Russie. Je résolus de faire semblant de marcher et, sous le couvert de cette
demande, de procéder à une enquête personnelle. Alors humble militant du

47
Dans une lettre antérieure au ministre de la Guerre (Georges Clemenceau), Treint explique qu’il a
dû vendre « à vil prix » des actions des mines du nord qu’il possédait et qu’il a eu une ferme rasée à
Bazoches, perdant ainsi tout ce qu’il possédait.
48
Aucun document ne vient éclairer les raisons de ce changement d’affectation.

35
parti, je n’engageais que moi par cette tactique, imprudente peut-être. De mes
conversations avec des officiers d’état-major de la mission polonaise, de mes
conversations avec diverses personnalités, je tirais cette conclusion qu’il
s’agissait bien d’étrangler la Russie des Soviets. Quelques temps après ma
démobilisation, je recevais mon affectation dans l’armée polonaise. […] Ne
voulant pas participer à la lutte contre la Russie, j’ai refusé cette
affectation. »49
Treint écrit cette lettre alors que, membre du CD du jeune parti socialiste
SFIC, il est accusé par un journaliste du Populaire « d’être venu au communisme par
intérêt, n’ayant pu obtenir une situation militaire dans l’armée active ». Peu de temps
avant sa démobilisation, il envisage en effet de poursuivre sa carrière militaire.
Cependant, durant le mois d’avril qui précède son affectation dans l’armée polonaise,
il retrouve sa famille50 et un environnement social connu. Ces deux facteurs,
combinés à son refus de servir dans l’armée polonaise, expliquent sa décision finale
d’abandonner sa carrière militaire. Revenu à la vie civile dès le mois d’avril 1919, il
reprend rapidement sa place de militant au parti socialiste et retrouve son emploi
d’instituteur.
Treint partage cette douloureuse expérience de la guerre avec de nombreux
autres hommes. Si chaque histoire est unique, tous les combattants ont en commun
le souvenir de la boue, du froid et de la mort. En 1919, lorsque les soldats reviennent
progressivement chez eux, chacun rapporte avec lui des sentiments mitigés, haine
viscérale de la guerre, irrépressible besoin d’oublier mais aussi les souvenirs de
franche camaraderie. Parmi eux, une minorité, au nom de cette expérience,
s’engage dans le combat politique pour que plus jamais un tel massacre ne se
reproduise mais aussi plus simplement pour faire valoir leurs droits. Au sortir de la
période d’union sacrée, Treint retrouve le parti socialiste en pleine effervescence,
voyant ses effectifs croître rapidement grâce à l’adhésion de nombreux jeunes
n’ayant d’autre expérience politique que les années de guerre. A trente ans, Treint
connaît bien le parti et retrouve vraisemblablement sa place à la 19e section de la
Seine. Il s’engage dès lors dans les rangs du Comité pour la troisième Internationale
et milite en faveur d’un redressement révolutionnaire du parti. Ce dernier se trouve

49
Lettre de Treint à Frossard, juillet 1921, syndicalisme révolutionnaire et communisme, op. cit., p.
371.
50
Il faut rappeler que Treint est marié et qu’il a un enfant, né peu de temps avant le début de la
guerre.

36
en effet partagé entre ceux qui assument la ligne politique des années de guerre et
ceux qui veulent refonder le socialisme français, sous l’égide de la troisième
Internationale.

37
B/ Vers la scission de Tours.

La France de 1919 présente un double visage : d’un côté, celui d’une


puissance possédant une armée victorieuse, qui a lavé son honneur en reprenant
l’Alsace et la Lorraine, mais sur de nombreux autres plans, la France offre l’image
d’un pays sinistré. L’essentiel du conflit s’est déroulé sur son territoire avec pour
conséquence de très nombreuses destructions ainsi que des pertes humaines
colossales. Près de huit millions de français ont porté l’uniforme et environ un million
cinq cent mille sont morts sur le champ de bataille. Les forces vives de la nation, qu’il
s’agisse des paysans, des ouvriers ou de l’intelligentsia, ont été frappées. Les zones
touchées par les bombardements sont entièrement à reconstruire. De nos jours
encore, certains périmètres autour de Verdun restent considérés comme des zones
mortes, constituées de terre, de restes humains et de ferraille. Plus de 300000
maisons, de nombreux édifices publics du nord de la France, les voies ferrées, les
routes ont été détruits. De nombreuses terres agricoles sont infertiles, provoquant
notamment une baisse d’un tiers de la récolte de blé entre 1914 et 1918. La
production de minerai de fer a diminué de 60% et tous les secteurs industriels
français sont atteints. La reconversion d’une économie française principalement
tournée vers la guerre et la démobilisation des troupes massées aux frontières nord
du territoire posent également des problèmes.
Sur le plan géopolitique, les conséquences de la guerre sont désastreuses
pour la France comme pour le reste de l’Europe. A l’aube du XXe siècle l’Europe
demeurait « le centre incontesté du pouvoir, de la richesse, de l’intelligence et de la
civilisation occidentale »51. En 1919, la France comme l’Angleterre, pour ne parler
que des vainqueurs, connaissent un rapide déclin, les Etats-Unis devenant
progressivement la principale puissance industrielle et politique du monde.
Néanmoins, avec la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919, l’Allemagne,
déclarée responsable du conflit, doit payer pour les dommages subis par la France et
ses alliées. Cette clause est considérée comme l’assurance que l’Allemagne,
endettée pour de très longues années, ne pourra reconstituer sa puissance d’antan
et menacer ses voisins. Ce traité offre aussi au gouvernement une réponse à tous
ceux qui se plaignent de la situation économique et sociale du pays : « l’Allemagne

51
HOBSBAWM E J., op. cit., p. 35.
38
paiera ! ». Pourtant très rapidement apparaissent les limites de ce traité que seule la
France, à l’opposé de l’Angleterre et des Etats-Unis, veut faire appliquer
intégralement. Le gouvernement français s’accroche à l’espoir chimérique d’assurer
son redressement et son retour au statut de grande puissance coloniale sur le dos
d’une Allemagne qui a perdu une partie de ses territoires et qui connaît d’immenses
difficultés financières, économiques et des troubles sociaux.
Lorsqu’au mois d’avril 1919 Treint revient à la vie civile, l’Etat français doit,
comme de nombreux autres états européens, faire face à l’agitation ouvrière, attisée
par les appels à la révolution mondiale venus de la Russie soviétique. Face à
l’augmentation des prix et la baisse des salaires, les mineurs lorrains déclenchent un
mouvement de grève qui amène le gouvernement à accorder la journée de huit
heures. En dépit de cette concession, les grèves se prolongent tout au long de
l’année et le 1er mai à Paris une manifestation réunit plus de 500000 personnes52.
Cependant, l’agitation ouvrière reste cantonnée à certains secteurs d’activité et ne
prend pas un caractère révolutionnaire, comme dans d’autres pays d’Europe du sud
et de l’est. Au sein du mouvement syndical et socialiste, des voix encore peu
nombreuses ― issues de tendances minoritaires formées dans les rangs de la SFIO
et de la CGT au cours de la guerre ― se font entendre en faveur d’une radicalisation
de la lutte de classe et de la création d’organisations ouvrières révolutionnaires.

1) La gauche socialiste et les conséquences de la guerre.

En 1914, la SFIO et la CGT approuvent l’union sacrée au nom de la défense


de la patrie menacée. Néanmoins, des militants issus de leurs rangs, tout d’abord
esseulés puis de plus en plus nombreux, font entendre leurs désaccords et
dénoncent un conflit inutile et meurtrier. De cette cassure dans le mouvement
socialiste et syndicaliste français découle, à partir de 1917, des divergences dans les
directions de ces organisations qui aboutissent à la mise à l’écart des hommes les
plus compromis dans la collaboration gouvernementale et à la montée en puissance
de courants révolutionnaires attirés par la révolution russe.

52
BRON J, l’Histoire du mouvement ouvrier, tome 2, Paris, Les éditions ouvrières, 1970, p. 173-175.
39
Dès le mois de septembre 1914 l’écrivain français Romain Rolland53 publie
deux articles contre la guerre dans Le Journal de Genève. Ces articles redonnent
des couleurs au courant pacifiste, bien pâle depuis le déclenchement des hostilités.
En France, un groupe anarcho-syndicaliste réunit autour du journal La Vie Ouvrière
propose, par ses analyses, une approche différente des causes de la guerre. Il est
en contact avec Léon Trotsky, sur le sol français depuis la fin de l’année 1914, et
avec d’autres immigrés russes réunis autour du quotidien russe Nache Slovo (Notre
Parole). Dans ce groupe informel, on retrouve les principales personnalités opposées
à l’union sacrée :
« Une fois par semaine, désormais, dans la boutique du quai de Jemmapes,
Trotsky et ses amis russes retrouvent Monatte, Alfred Rosmer, Merrheim54,
Bourderon55, Guilbeaux56, et aussi l’instituteur Fernand Loriot57 par qui se fera
la jonction avec les éléments socialistes. »58
La tenue d’une conférence des opposants à la guerre à Zimmerwald, en
Suisse du 5 au 8 septembre 1915, marque le véritable réveil des minoritaires dans le
mouvement socialiste européen. Elle réunit sous la même bannière des
personnalités aux objectifs politiques divergents. Si le manifeste adopté par les
participants dénonce le caractère impérialiste de la guerre59, la majorité, de tendance
pacifiste, reste fidèle à l’Internationale socialiste et propose simplement une réforme
de cette dernière. Seule une minorité, emmenée par Lénine, propose la création
d’une nouvelle Internationale, regroupant les opposants à l’union sacrée. Le
manifeste, fruit d’un compromis, n’appelle pas encore les socialistes des différents
pays belligérants à voter contre les crédits de guerre. Quelques mois après, une
deuxième conférence se déroule à Kienthal (24-30 avril 1916). La délégation

53
Romain Rolland (1866-1944) : Professeur d'enseignement supérieur (École normale, puis
Sorbonne, de 1895 à 1912). Vit ensuite uniquement de sa plume. Prix Nobel de Littérature (1915)
décerné en 1916. Pacifiste, un temps compagnon de route du mouvement communiste.
54
Alphonse Merrheim (1871-1925) : Chaudronnier en cuivre ; syndicaliste révolutionnaire, secrétaire
intérimaire de la CGT en 1914 ; délégué à la conférence de Zimmerwald.
55
Albert Bourderon (1858-1930) ; ouvrier tonnelier ; socialiste allemaniste ; coopérateur et syndicaliste
révolutionnaire, puis réformiste ; secrétaire de la Fédération du Tonneau. Délégué à la conférence de
Zimmerwald.
56
Henri Guilbeaux (1884-1938). Ecrivain, journaliste, fondateur de la revue Demain (1916-1917).
57
Fernand Loriot (1870-1932). Instituteur ; trésorier de la Fédération des instituteurs en 1912 ;
socialiste, membre du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI).
58
TROTSKY, Le mouvement communiste en France (1919-1939), Textes choisis et présentés par
BROUE P, Paris, les éditions de Minuit, 1967, p. 18.
59
« Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est
certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l’impérialisme. […] La guerre révèle
ainsi le caractère véritable du capitalisme moderne qui est incompatible, non seulement avec les
intérêts des classes ouvrières et les exigences de l’évolution historique…. » Le manifeste de
Zimmerwald est rédigé par Léon Trotsky. Voir les Cahiers du CERMTRI, n° 84, mars 1997.
40
française est constituée de trois députés socialistes en opposition avec la ligne de la
SFIO : Pierre Brizon60, Raffin-Dugens et Alexandre Blanc61. Le texte adopté illustre la
radicalisation des opposants à la guerre en exhortant les socialistes à se retirer des
« gouvernements capitalistes de guerre »62 et à ne plus voter les crédits de guerre.
Ces deux conférences, si leur portée reste minime, aboutissent en France à la
constitution du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), issu d’un
regroupement entre le « Comité d’action international » ― principalement animé par
des militants syndicalistes et anarchistes (Bourderon, Merrhein, Péricat63, Vergeat64)
― et une minorité socialiste zimmerwaldienne65. En parallèle émerge, au sein de la
SFIO, une minorité pacifiste en désaccord avec la ligne de la direction et qui rejette
les thèses des zimmerwaldiens66. Dans la fédération de Haute-Vienne s’élèvent les
premières voix interpellant la SFIO sur la nécessité de travailler à une paix rapide et
équitable. Bientôt l’Isère, le Rhône et une forte minorité de la Seine se joignent à
cette fédération67. Au cours de l’année 1916, la minorité socialiste de la Seine
emmenée par Jean Longuet68 et la fédération de la Haute-Vienne créent Le
Populaire, organe socialiste soutenant la défense nationale mais qui, contrairement à
l’Humanité, appelle à une paix sans vainqueur ni vaincu. La fédération de la Seine
organise des réunions pour populariser ces thèses au près de la base socialiste.
Treint, alors en congé de convalescence à la suite de sa première blessure, participe
probablement à plusieurs de ces conférences et intervient pour défendre les thèses
de la minorité longuetiste69. Le congrès de la SFIO de décembre 1916, marque un
premier succès pour la minorité pacifiste qui obtient 1407 mandats, la majorité
d’union sacrée en obtenant 1537.

60
Pierre Brizon (1878-1923); professeur d'enseignement primaire supérieur ; militant et député
socialiste.
61
Alexandre Blanc (1874-1924). Instituteur ; marié, père de deux enfants dont un adoptif ; militant
socialiste, puis communiste ; député du Vaucluse.
62
Texte adopté à la conférence de Kienthal, Cahiers du CERMTRI, n° 84.
63
Raymond Péricat (1873-1958) : Militant syndicaliste et communiste ; secrétaire de la Fédération du
Bâtiment de 1908 à 1912 ; secrétaire du Comité d'action internationale (CAI), du Comité de défense
syndicaliste (CDS) ; membre de la commission exécutive du Comité pour la reprise des relations
internationales (CRRI) et du Comité de la troisième Internationale.
64
Marcel Vergeat (1891- disparu en mer Blanche vers le 1er octobre 1920 avec R. Lefebvre et
Lepetit) : Ouvrier tourneur mécanicien ; militant syndicaliste révolutionnaire.
65
Pour une étude complète de la naissance de la gauche zimmerwaldienne dans le mouvement
ouvrier français, voir KRIEGEL A, Aux origines du mouvement communiste français, p. 118-132.
66
« […] dans le dernier trimestre de l’année 1915 et au début de 1916, la plate-forme de Zimmerwald
sert de référence pour le reclassement des courants qui, en France, se situent dans l’opposition à la
politique majoritaire socialiste et syndicaliste », Ibid., p. 121.
67
COURTOIS S et LAZAR M., op. cit., p. 32.
68
Jean Longuet (1876-1938) : Petit-fils de Karl Marx ; avocat et journaliste ; dirigeant socialiste ;
député de la Seine ; maire socialiste de Châtenay-Malabry (Seine).
69
cf. supra.
41
En mars 1917, le déclenchement de la première révolution russe modifie
l’équilibre de plus en plus instable entre minoritaires et majoritaires de la SFIO70. Un
autre événement contribue à accroître encore l’audience des minoritaires dans le
parti. Le 17 avril 1917, débute l’offensive du Chemin des Dames qui coûte la vie à
250000 soldats français et provoque une grande vague de mutineries. Elle vient
rappeler aux hommes politiques de tous bords que le moral de l’armée française est
au plus bas et que les mots d’ordre de paix touchent de plus en plus la population
française.
Les regards du camp allié se tournent vers la Russie. Le régime mis en place
en mars 1917 est de plus en plus instable et la volonté du gouvernement Kerenski de
poursuivre la guerre suscite le mécontentement des soldats russes, tandis que ce
choix stratégique rencontre un ferme soutien du côté des alliés dont, bien sûr, la
France. Cette situation favorise la montée en puissance des bolcheviks emmenés
par Lénine et Trotsky qui prônent quant à eux un arrêt immédiat des hostilités. Le 7
novembre 1917, le gouvernement Kerenski tombe sans aucune résistance,
permettant aux bolcheviks, alliés avec d’autres fractions de la social-démocratie
russe, de s’emparer du pouvoir. Très rapidement ces derniers entament des
négociations avec l’Allemagne71 qui aboutissent à la signature d’un armistice dès le 5
décembre 1917 puis à la signature d’un accord de paix au mois de mars 1918. Pour
la France, cette nouvelle est de mauvais augure car l’armistice permet à l’Allemagne
de concentrer son effort de guerre sur le front ouest. Dans la SFIO, la nouvelle de la
deuxième révolution russe provoque la consternation. L’Humanité publie plusieurs
articles pour dénoncer « le coup d’état » de Lénine. Seule une petite minorité
révolutionnaire très engagée dans le combat pacifiste soutient les bolcheviks. Mais la
majorité des socialistes considère cette prise de pouvoir comme une tentative de
dictature personnelle, d’autant plus dommageable que l’armistice conclut avec
l’Allemagne affaiblit la France et ses alliés72.
Quelle est la position de Treint face à l’annonce de la prise de pouvoir des
bolcheviks ?73 En tant que soldat, vivant dans l’enfer des tranchées depuis plus de

70
« La révolution russe, en Mars 1917, s’abattit comme une tornade sur les majoritaires et les mit en
déroute. Elle souleva, dans les masses, un enthousiasme inouï, quasi-délirant. », FROSSARD L-O,
op. cit., p. 67.
71
Sur les pourparlers de Brest-Litovsk, voir Trotsky, Ma vie, Paris, Gallimard, 1953, p. 420-456.
72
Voir COURTOIS S et LAZAR M, op. cit., p. 35-36 ainsi que dans Le PCF, étapes et problèmes,
1920-1972, Paris, ed. Sociales, ROBERT J-L, « les origines du PCF », p. 30.
73
En l’absence de témoignage direct, de lettre ou d’autre source, nous pouvons seulement émettre
des hypothèses.

42
trois années, il apparaît difficile de concevoir la perte d’un allié comme une bonne
nouvelle. De plus, il n’avait alors accès qu’à des informations partiales et orientées
sur la réalité des événements en Russie. En tant que militant socialiste, Treint
semble proche des positions de la minorité longuetiste et son attitude lors de sa
démobilisation, même s’il explique a posteriori avoir refusé son affectation dans
l’armée polonaise pour ne pas participer à la lutte contre la Russie révolutionnaire74,
permet de douter de son adhésion aux thèses des bolcheviks en 1918. La deuxième
révolution russe, du fait du contexte de la guerre, jouit dans le mouvement socialiste
français d’une image plutôt négative qui n’évolue que lentement au cours des
années 1918-191975.
Malgré ces divergences sur l’appréciation de la révolution russe, les
longuetistes et les zimmerwaldiens forment un bloc opposé aux majoritaires, qui
pousse le parti à refuser la participation de ses membres au gouvernement d’union
sacrée76. Le 30 juillet 1918, cette minorité favorable à une paix de compromis prend
le contrôle de la direction de la SFIO, avec l’appui de la gauche pro-bolchevik77. Lors
du congrès extraordinaire de Paris (6-9 octobre 1918), L-O Frossard accède au
siège de secrétaire général de la SFIO et Marcel Cachin, qui a évolué d’une position
belliciste vers celle de la paix de compromis, devient directeur de l’Humanité à la
place de Renaudel. Fernand Loriot, ardent soutien des bolcheviks et du défaitisme
révolutionnaire, devient trésorier adjoint du parti.
L’armistice de novembre 1918 marque une nouvelle étape dans le renouveau
de la SFIO. Pour les ex-majoritaires, partisans de la défense nationale, la victoire de
la France démontre la validité de la ligne politique du parti au cours de la guerre.
Pour la nouvelle majorité, la fin de la guerre offre l’occasion de reconstruire la SFIO
sur les valeurs cardinales de l’internationalisme et de la lutte contre la guerre. Le
parti connaît alors une croissance rapide de ses effectifs puisque de 28000
adhérents en 1917, la SFIO passe à 139000 en 1918, pour atteindre 180000 en
1920. Avec les démobilisations de l’année 1919, toute une nouvelle génération de
militants ayant fait l’expérience de la guerre rejoint les rangs socialistes, modifiant

74
cf. supra.
75
« C’est pourquoi l’année 1918 est finalement caractérisée au plan du mouvement ouvrier français,
non par une montée brutale du courant d’adhésion au bolchevisme, mais bien plutôt par un
développement relativement modeste certes, néanmoins réel de toutes ses organisations regroupées
sur une plate-forme d’opposition modérée. », KRIEGEL A, Aux origines…op. cit.
76
La SFIO ne participe pas au gouvernement Clemenceau du 16 novembre 1917 malgré les vœux de
la droite et des centristes majoritaires.
77
Dans ses mémoires, Frossard souligne que ce succès de la minorité n’est rendu possible que grâce
à l’appui des « bolchevisants », op. cit.
43
profondément la physionomie de la base du parti78. Malgré cet afflux, les socialistes
subissent un échec électoral. Lors des élections législatives du 16 novembre 1919, si
la SFIO recueille plus de 300000 voix supplémentaires par rapport à la dernière
élection législative, en raison du mode de scrutin le nombre de députés socialistes
siégeant à l’assemblée nationale passe de 102 à 62. La campagne s’est déroulée
dans un contexte de tension politique et de virulente propagande anti-socialiste, la
SFIO étant accusée de faire le jeu des bolcheviks.
Traversé par de nouveaux courants, de nouvelles idées, de nouvelles
aspirations et surtout marqué par l’expérience de la Première Guerre mondiale, le
parti socialiste que retrouve Treint en 1919 a connu de profondes transformations.
Peu de temps après son retour à la vie civile, Treint renoue avec le militantisme
politique, activité à laquelle il consacre la majeure partie de son temps. Les quatre
années de combats ont laissé des traces et ont contribué à façonner ses idées
politiques. Il rejoint rapidement les rangs de la gauche socialiste favorable à
l’adhésion à la Troisième Internationale. On est en droit de se demander si son
comportement politique est principalement guidé par des aspirations pacifistes ou
par les appels à la révolution mondiale lancés par les bolcheviks russes et
répercutés dans la SFIO par le Comité pour la troisième Internationale.

2) Le pacifisme comme facteur de l’engagement ?

La question de la pratique de la guerre d’où découlent le pacifisme et


l’antimilitarisme est l’un des aspects essentiels de l’expérience de Treint pour
comprendre son parcours politique ultérieur et son adhésion aux idéaux
communistes. Tout au long du conflit, au même titre que de nombreux autres
soldats, il nourrit l’espoir d’une paix rapide qui puisse mettre un terme au calvaire
enduré dans les tranchées. Cependant, loin de participer aux mutineries ou de
refuser de poursuivre la campagne militaire, il accomplit son devoir de soldat
jusqu’au bout, faisant preuve de courage et d’abnégation. On ne peut alors, le
concernant, parler d’un refus de l’autorité militaire ou de pacifisme absolu, mais
plutôt d’un pacifisme patriotique caractérisé par le refus de toute action politique qui
pourrait affaiblir le pays face à l’adversaire.
En 1919, une fois la victoire acquise et la démobilisation effectuée, les anciens
combattants reviennent à la vie civile et à leurs occupations antérieures sans pouvoir

78
Voir DROZ J, Histoire générale du socialisme, tome 3 : de 1918 à 1942, Paris, PUF, 1977, p. 338.
44
effacer le souvenir des combats et de la vie dans les tranchées. Comme le montre
Antoine Prost79, le souvenir de l’expérience de la mort forge chez les anciens
combattants un fort sentiment de patriotisme mêlé d’antimilitarisme et de pacifisme.
On peut parler pour beaucoup d’entre eux de la fierté d’avoir participé à la victoire de
leur pays ainsi que, dans une certaine mesure, d’un sentiment de supériorité,
particulièrement prononcé à l’égard des non-combattants80. Treint n’est certainement
pas étranger à ces sentiments qui caractérisent l’esprit des mouvements d’anciens
combattants. Pour autant, sa réflexion sur la guerre et le militarisme demeure
originale à plusieurs égards.
Les écrits de Treint publiés dans l’immédiat après-guerre sont extrêmement
rares. Il faut une nouvelle fois se référer à son unique article paru dans Les
Semailles81, dans lequel il revient sur son expérience de soldat. Il en ressort un rejet
caractérisé des horreurs de la guerre :
« Les atrocités de la guerre furent internationales. Partout ce fut la sarabande
sadique des instincts de brutalité à nouveaux réveillés. Des deux côtés ce fut
aussi les actes de sauvagerie organisés et prémédités par certains dans les
deux commandements adverses. »
Derrière cette dénonciation sans concession de la guerre, Treint ne semble pas
animé par l’esprit du pacifisme intégral mais il tire une autre leçon politique de ce
conflit. Pour lui, seul l’internationalisme peut à l’avenir éviter que se renouvelle un
affrontement mondial entre les peuples :
« Ah oui camarades allemands, camarades français, vous tous humbles
victimes de la tuerie prolongée. Si nous, les revenants, nous ne criions pas
l’horreur et la haine de la guerre qui soulevaient vos âmes d’agonisants, si
nous ne criions pas cela, ce serait vous tuer une seconde fois. Et comment ne
pas proclamer ces grandes leçons d’internationalisme surgies de la guerre
elle-même ? La terre des combats, qui dans la paix nourrissait les hommes et
dans la terre les ensevelissait indistinctement, la terre des combats, cette
grande blessée de la guerre, elle aussi nous donnait à sa façon des leçons
d’internationalisme […] Nous tous, les combattants de tous les pays, nous
avons quitté cette fange, mais nos âmes gardent, indélébile, l’empreinte
internationale des souffrances de cinq années. »

79
PROST A, Les anciens combattants 1914-1940, Paris, Ed. Gallimard/Julliard, 1977, 247 p.
80
HOBSBAWM E J, op. cit., p. 50.
81
Treint A, « Grenades à vitriol », art. cit.
45
A la parution de cet article, en février 1920, Treint participe de plus en plus
activement aux débats à l’intérieur de la fédération de la Seine de la SFIO. Son texte
ne doit donc pas être lu seulement comme un témoignage mais plutôt comme un
écrit à vocation militante. Ceci amène à s’interroger sur le lien entre son expérience
de la guerre et l’adhésion aux thèses de la gauche révolutionnaire socialiste. Comme
le souligne Yves Santamaria82, si l’on s’intéresse aux militants qui propagèrent et
défendirent des positions pacifistes au cours de la guerre, nombreux furent ceux qui
refusèrent par la suite d’adhérer aux thèses bolchevistes. La question vaut d’être
posée pour Treint.
L’expérience terrible qu’il a vécue joue inévitablement un rôle dans sa
maturation politique et l’évolution de sa réflexion sur le monde qui l’entoure. Pour
autant, à aucun moment il ne porte dans ses écrits un regard critique sur son rôle
d’officier dans l’armée française et, au sortir de la guerre, il envisage même de
poursuivre une carrière militaire. Lorsque Treint décrit l’horreur des combats
auxquels il a participé, il ne s’agit nullement d’une diatribe à caractère pacifiste. En
dénonçant le militarisme et la guerre, il rédige une charge à caractère politique
contre le système capitaliste dominant. D’ailleurs, à contre courant de la société
française de l’époque et des principales associations d’anciens combattants, Treint
désapprouve le traité de Versailles qui fait du peuple allemand le principal
responsable du conflit et qui fait peser sur lui le poids moral des crimes commis par
l’ensemble des belligérants. A travers le traité de Versailles, son article vise
l’organisation capitaliste de la société, selon lui génératrice de guerre. Par la suite,
Treint n’hésite pas à se faire le porte-parole d’un militarisme rouge qu’il justifie par
son caractère révolutionnaire. Seule importe la destruction d’un système, par l’emploi
de tous les moyens disponibles, y compris la violence armée mise au service du
mouvement ouvrier.
Si l’expérience de la guerre contribue à faire évoluer Treint vers les positions
de la gauche radicale, le contexte politique et social de la France de 1919 et le
renouveau du mouvement ouvrier contribuent également à ce cheminement
politique, de même que la montée en puissance des thèses bolchevistes au sein de
la SFIO. Treint rejoint les rangs du Comité de la troisième Internationale et, jusqu’à
l’issue du congrès de Tours, milite en faveur de l’adhésion sans condition de la SFIO
à l’Internationale communiste.

82
Yves SANTAMARIA « Passions pacifistes et violences révolutionnaire aux origines du communisme
français », Communisme, n° 67-68, 2001, p. 41-68.
46
3) Le Comité de la Troisième Internationale et la lutte pour l’adhésion.

Suite à la création de la troisième Internationale, au mois de mars 1919, le


CRRI adhère le 17 avril puis, le 8 mai 1919, change de nom et devient le Comité de
la Troisième Internationale. L’organisation se fixe désormais comme but de faire
dans le mouvement ouvrier français de la propagande en faveur de la révolution
russe. A plus long terme, son objectif reste cependant la création d’un parti
véritablement révolutionnaire, ainsi que le rappelle Trotsky dans un article paru dans
la Pravda du 26 novembre 1919 :
« Il est évidemment urgent de créer, d’avance, des bastions d’organisation à
travers le pays, […] Nos camarades de France sont précisément en train de
se consacrer à cette tâche. […] construire une organisation pratiquement toute
neuve en assumant simultanément la direction d’un mouvement de masse en
voie de développement rapide »83.
La commission exécutive du CTI nouvellement créé regroupe alors Fernand Loriot,
Marcel Martinet84, Pierre Monatte, Gaston Monmousseau85, Raymond Péricat, Alfred
Rosmer, Louise Saumoneau86 et Henri Sirolle87. Le Comité rassemble alors des
socialistes, des syndicalistes révolutionnaires ainsi que des syndicalistes
anarchistes, qui quittent le CTI dès la fin de l’année 1919. A cette date, le groupe
comporte environ une centaine de membres88.
Au cours de la première moitié de l’année 1919, Treint retrouve sa place à la
fédération de la Seine, au sein de la 19e section, dont il était secrétaire avant-guerre.
Il collabore au Populaire, organe de la fédération, et participe activement aux
assemblées du parti, nombreuses dans cette période agitée89. Première fédération
de la SFIO, dirigée par un bureau fédéral composé en majorité de militants proches

83
Cité dans TROTSKY, Le mouvement communiste en France op. cit., p. 57.
84
Marcel Martinet (1887-1944). Militant révolutionnaire socialiste et pacifiste.
85
Gaston Monmousseau (1883-1960) : Ouvrier aux ateliers parisiens des chemins de fer de l'État.
Avant la Première guerre mondiale, militant anarchiste et antimilitariste, puis, durant la guerre,
animateur de la tendance minoritaire «révolutionnaire» au sein de la CGT Secrétaire de la Fédération
des cheminots en avril 1920.
86
Louise Saumoneau (1875-1950) : Couturière, puis journaliste ; militante féministe, pacifiste et
socialiste.
87
Henri Sirolle (1885-1962) : Cheminot ; militant anarchiste et secrétaire adjoint de la Fédération CGT
des cheminots.
88
Sur la création du Comite de la Troisième Internationale, voir KRIEGEL A., op. cit., p. 323-326.
89 er
Voir Treint A, « Le congrès extraordinaire de la fédération de la Seine », Le Populaire, n° 502, 1
septembre 1919, p. 1. Treint se contente de faire un compte rendu des débats sur la préparation des
élections législatives de novembre 1919, dans la Seine, sans lui-même prendre position.
47
des reconstructeurs90, les débats avec les deux autres principales tendances
constituées au sein de la SFIO ― les ex-majoritaires d’union sacrée et le CTI ― y
sont plus âpre qu’ailleurs. Portée par une base militante attirée par l’expérience
révolutionnaire de la Russie soviétique, Le CTI dispose d’une plus grande influence
que dans le reste du parti. L’échec électoral de novembre 191991 met la direction
centriste en porte-à-faux face au CTI qui avait repoussé le programme électoral. De
plus, la répression et la violence des attaques contre les candidats ont contribué à
radicaliser encore un peu plus la base communiste de la Seine.
Quelle position politique adopte Treint au cours de l’année 1919 ? Est-il
immédiatement un partisan actif de la tendance de gauche favorable à l’adhésion à
la troisième Internationale ? Ou n’évolue t-il pas plutôt progressivement en prenant
part aux nombreux débats organisés dans la Seine et en s’empreignant de
l’atmosphère qui règne à ce moment dans la fédération ? Nous ne pouvons affirmer
que Treint ait intégré le CTI dès 1919. Il n’est fait aucune mention de sa présence, ni
dans une réunion, ni dans un meeting organisé par le CTI92. Sa participation au
comité en tant que membre actif est seulement confirmée au début de l’année 1920,
Treint ayant signé la motion du CTI appelant à l’adhésion immédiate de la SFIO à la
Troisième Internationale93.
Trois jours avant la tenue du congrès national de la SFIO, le CTI remporte une
première victoire. Lors du congrès de la fédération de la Seine, la motion pour
l’adhésion à la troisième Internationale (motion Loriot) recueille 9930 voix contre
5988 aux reconstructeurs et 616 à la droite. Dans le Bulletin Communiste, Souvarine
crie victoire, soulignant qu’avec de très faibles moyens de propagande, le CTI a
« déterminé au sein du Parti, un puissant mouvement d’opinion, dont le mot d’ordre
est l’adhésion immédiate à la 3e Internationale »94. En dépit de la place que Treint
tient désormais au sein du CTI, il ne fait pas partie des délégués de la Seine envoyé
à Strasbourg pour défendre l’adhésion immédiate du parti à la troisième
Internationale.

90
Regroupant des hommes tels que Jean Longuet, Paul Faure ou L-O Frossard, cette tendance prône
la reconstruction de l’unité socialiste d’avant-guerre par la création d’une nouvelle Internationale
rassemblant tous les courants révolutionnaires du socialisme. Elle rejette par contre l’adhésion à la
troisième Internationale.
91
cf. supra.
92
Aucune référence à Treint n’apparaît dans la correspondance et les divers écrits des militants les
plus actifs du CTI, tels que Loriot, Monatte, Rosmer ou Souvarine.
93
L’Humanité, 7 février 1920, p. 2.
94 e er
Souvarine B, « La 3 Internationale en France », Bulletin Communiste, n° 1, 1 mars 1920, p. 2.
48
Le Congrès de Strasbourg (25-29 février 1920) se déroule dans une
atmosphère de vive tension. Dès la première journée des débats, l’annonce du
déclenchement d’une grève générale des cheminots rappelle aux congressistes
l’esprit frondeur qui règne chez les ouvriers. La direction contrôlée par les
reconstructeurs autour de Frossard, Longuet et Paul Faure95 sait qu’il faut compter
avec la gauche qui vient de montrer sa force au congrès de la fédération de la Seine
et qui appelle à rompre avec la deuxième Internationale, symbole du social-
patriotisme et de la collaboration de classe dans lesquels sont tombés les socialistes
européens. Le débat sur la politique générale du parti voit de nombreux
représentants de la gauche se succéder à la tribune pour dénoncer l’attitude de la
SFIO pendant la guerre. Les jeunes militants, anciens combattants comme Treint,
semblent bien décidés à éliminer les hommes les plus représentatifs des errements
de la période 1914-1918. L’intervention de Raymond Lefebvre96, très violente à
l’égard des anciens dirigeants, représente la pensée de cette nouvelle gauche issue
de la guerre :
« On a surtout jusqu’ici, comme le disait Vaillant-Couturier97, parlé du passé.
Ce n’est pas l’envie qui me manque de parler d’un passé qui, à nous tous,
ceux de la génération massacrée, emplit notre bouche de bile et de sang,
parce qu’il y a entre ceux qui ont collaboré à l’Union sacrée et ceux qui l’ont
subie un tel fossé de martyrs et de lamentations, que jamais rien ne pourra le
combler. […] La France de la défense nationale, pour vous, c’est, oui, ce pays
de cendres, cette étendue de terre couverte de cadavres de la mer du Nord
aux Vosges, cette ferraille et toute cette boue purulente qui l’entoure comme
un collier de honte ; La France de la défense nationale, pour vous, ce sont les
généraux triomphants et les mutilés… »98
Derrière la violence des attaques à l’encontre de l’ex-majorité d’union sacrée et de
l’évocation de l’expérience de la guerre et de la mort, transparaît, à l’instar de l’article

95
Paul Faure (1878-1960) : Publiciste. Militant du POF puis de la SFIO après l'unité de 1905.
96
Raymond Lefebvre (1891- Disparu en mer au large de Mourmansk à l'automne 1920) : Écrivain,
journaliste. Membre du Parti socialiste SFIO (1916-1920) ; membre du comité directeur du
mouvement Clarté (1919-1920) ; membre du CTI (1919-1920) ; créateur de l'ARAC ; journaliste au
Populaire, au Journal du Peuple, à L'Humanité, à Clarté.
97
Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) : Avocat, écrivain, permanent communiste, journaliste. Adhère
à la SFIO en décembre 1916. Membre fondateur de l'Association républicaine des anciens
combattants et du mouvement Clarté. Militant du CTI.
98 ème
Discours de Raymond Lefebvre au 17 Congrès national, compte rendu sténographique, p. 250-
256.
49
de Treint99 l’appel pressant à rejoindre la nouvelle Internationale et à reconstruire le
mouvement révolutionnaire, afin d’éviter que se reproduise pareille tragédie.
Les reconstructeurs, notamment grâce aux discours de Paul Faure, qui
dénonce la volonté d’épuration des dirigeants russes, et de Longuet, pour qui la
troisième Internationale n’a pas encore d’existence réelle, rassemblent une majorité
sur une motion d’adhésion à la troisième Internationale sous condition. Néanmoins,
les partisans de l’adhésion immédiate et sans condition ont montré leur force et
bénéficient du soutien appuyé de Moscou, qui jouit d’une aura grandissante. Le
Comité Exécutif de l’Internationale Communiste (CE de l’IC) représenté par Henriette
Roland-Holst100, marque de son empreinte le congrès socialiste par son appel à
construire un nouveau parti :
« Nous attendons de vous, camarades français, que vous poursuiviez votre
marche en avant, que vous ne vous laissiez pas endormir par des phrases et
des déclamations qui dissimulent les anciennes pratiques, mais que vous
luttiez pour créer un parti solide, un parti de combat éliminant le poids mort du
social-patriotisme et du réformisme. »101
Si la majorité ne suit pas les injonctions de la représentante de l’IC, le congrès a mis
en évidence l’aspiration de nombreux militants socialistes à rejoindre l’Internationale
communiste et à orienter la SFIO sur une ligne nettement révolutionnaire. De plus, il
a contribué à éclaircir la situation, soulignant l’existence de deux lignes inconciliables
au sein du parti et le poids grandissant du CTI102.
Le CTI connaît alors de profonds changements dans sa direction. Péricat et
Sirolle, en désaccord avec la ligne politique, quittent le Comité, suivis quelques mois
plus tard de Louise Saumoneau qui dénonce les attaques contre Longuet103. La
direction du CTI subit également la répression gouvernementale qui s’abat sur le
mouvement ouvrier français lors du mouvement de grève de mai 1920. Le 3 mai,
Monatte, Loriot, Souvarine et Monmousseau sont inculpés de complot contre la
sûreté de l’Etat et arrêtés104. Quasiment tous les leaders du CTI se retrouvent en
prison alors même que les multiples réunions contradictoires qui se déroulent dans le
parti nécessitent la présence de tous les militants sur le terrain. Pour pallier à ces

99
cf. supra.
100
Henriette Roland-Holst (1869-1952) : Poète et écrivain. Membre du parti communiste hollandais.
101
Ibid., p. 134.
102
Voir Loriot F, « Le congrès de Strasbourg », Bulletin Communiste, n° 2, 18 mars 1920, p. 1-2.
103
Voir la lettre de démission de Louise Saumoneau dans le Populaire, n° 936, 17 novembre 1920, p.
2.
104
COURTOIS S et LAZAR M, op. cit., p. 49.
50
absences, le CTI doit faire appel, pour les meetings comme pour le fonctionnement
quotidien du Comité, à des militants qui jusqu’alors avaient joué un rôle plus effacé.
Dans ce contexte, Treint participe pour la première fois, en juin 1920, à un meeting
du CTI ― organisé pour protester contre l’emprisonnement de ses militants ― en
tant qu’orateur principal au côté de Rappoport105, Vaillant-Couturier et d’autres106. Il
s’impose progressivement comme l’un des agitateurs du CTI, notamment dans la
fédération de la Seine, tandis que la question de l’adhésion accapare l’attention des
socialistes.
Début juin 1920, Cachin107 et Frossard, deux des leaders de la tendance des
reconstructeurs ― jusqu’alors réticents à l’égard des bolcheviks et de l’IC ―
rejoignent Moscou pour discuter des conditions d’adhésion de la SFIO. Seul Rosmer,
membre du CTI mais pas de la SFIO, vient défendre les positions de la gauche
française108. Ce voyage permet d’envisager la possibilité d’une scission majoritaire,
grâce à l’alliance des centristes et de la gauche, qui entraînerait une large frange des
socialistes français dans l’adhésion à la troisième Internationale. A leur arrivée à
Moscou, Cachin et Frossard apprennent la convocation du deuxième congrès
mondial de l’IC pour le 15 juillet, auquel ils sont officiellement invités le 26 juin. Le
mandat initialement fixé par leur parti ne prévoit pas la participation à ce congrès. Ils
doivent obtenir l’autorisation pour siéger au congrès à titre consultatif, demande
examinée lors du conseil national de la SFIO qui se tient à Boulogne le 4 juillet 1920.
La question posée est délicate pour la majorité centriste car elle n’a que peu de
nouvelles des discussions entre les deux délégués français et les dirigeants de l’IC.
De plus, elle ne souhaite pas relancer le débat sur l’adhésion, provisoirement résolu
au congrès de Strasbourg par les reconstructeurs, qui tiennent au statut quo
permettant de maintenir l’unité socialiste. Les leaders de la gauche et surtout
Souvarine ne manquent pas une occasion de railler l’attentisme de la direction

105
Charles Rappoport (1865-1941) : Docteur en philosophie, publiciste socialiste puis communiste.
Membre de la Fédération des socialistes indépendants de France, puis du Parti socialiste français.
Rallié au guesdisme jusqu'en 1914, membre du CRRI puis du CTI.
106
Le Bulletin Communiste, n° 13, 10 juin 1920, p. 12.
107
Marcel Cachin (1869-1958) : professeur privé de philosophie puis permanent socialiste et
journaliste ; militant guesdiste puis socialiste unifié de la Gironde ; conseiller municipal de Bordeaux
(1900-1904), de Paris (1912-1914) ; directeur de l'Humanité (depuis 1918) ; député de la Seine (1914-
1932); membre de la Commission administrative permanente du Parti socialiste : suppléant (1905),
titulaire (1907-1909, 1912-1920).
108
Concernant le déroulement du séjour de Cachin et Frossard en Russie et surtout de l’évolution de
leur position face à la question de l’adhésion à la troisième Internationale, voir COURTOIS S et
LAZAR M, op. cit., p. 50-52 ainsi que CHAIGNEAU J-L, op. cit., p.146-166. Concernant le rôle de
Rosmer voir GRAS C, Alfred Rosmer et le mouvement révolutionnaire international, Ed. Maspéro,
Paris, 1971, p. 175-181.
51
centriste et l’accusent d’être plus révolutionnaire dans les paroles que dans les
actes109.
Le conseil national doit se prononcer sur deux questions : la demande de
Cachin et Frossard sur l’extension de leur mandat, ainsi que sur une motion de
soutien aux emprisonnés déposé par le CTI qui sous-entend la nécessité pour le
parti d’adhérer immédiatement à la troisième Internationale. Au cours des débats, au
côté de Rappoport, Treint intervient au nom du CTI, apparaissant pour la première
fois comme un acteur de premier plan dans cette discussion qui touche à l’avenir du
socialisme français. Rappoport annonce que les membres du Comité s’abstiendront
sur le vote de la réponse à Cachin et Frossard. Treint intervient pour justifier la
position du CTI, calquant son argumentaire sur celui développé par Souvarine
quelques jours plus tôt dans un article paru dans l’Humanité du 1er juillet. Il critique
les reconstructeurs, coupables à ses yeux de double jeu, puisqu’ils se disent en
accord avec les principes de l’Internationale tout en refusant de voter une motion qui
veut les mettre en application110. Au vote, la motion qui autorise Cachin et Frossard à
siéger à titre consultatif recueille 2735 mandats contre 454 à la motion Renaudel et
1362 abstentions. Concernant la solidarité vis-à-vis des emprisonnés, la motion du
CAP recueille 2874 mandats contre 1351 à celle du CTI. Ces résultats constituent un
léger recul de la gauche, comparé aux résultats de Strasbourg, mais soulignent dans
le même temps la volonté de la majorité de poursuivre le dialogue avec l’IC en vue
d’une prochaine adhésion.
Après le conseil national, Treint publie, pour la première fois, un article dans le
Bulletin Communiste. En propagandiste du Comité, il revient sur l’accusation de
complot contre la sûreté de l’Etat qui vise les dirigeants du CTI. Cet article vient en
écho à la motion déposée au conseil national. Sur un ton ironique, il tente de
démontrer que la notion de complot sur laquelle s’appuie l’accusation n’a aucun
fondement juridique et que le juge d’instruction tente tout simplement d’empêcher les
révolutionnaires de s’exprimer, pour protéger le régime capitaliste contre les
travailleurs conscients et radicalisés par les appels de l’IC :
« Allez-y de votre Haute Cour, qui n’est plus la Basse Cour où se rassemblent
pour les cris d’alarme les vieilles oies chargées de garder le Capitole
capitaliste. »111

109 er
Varine, « Le conseil national socialiste », Bulletin Communiste, n°16, 1 juillet 1920, p. 2-3.
110
Voir le compte rendu des débats publié dans l’Humanité du 5 juillet 1920, p. 1-2.
111
Treint A, « Réflexions sur le complot », Bulletin Communiste, n° 22, 5 août 1920, p. 14.
52
Treint développe ici un style imagé personnel, parfois heureux, parfois maladroit, que
l’on retrouve dans les nombreux articles publiés par la suite. Il compare ainsi le
mouvement révolutionnaire aux ions112 capables de détruire la structure d’un atome,
telle la minorité révolutionnaire, petite par la taille mais capable de détruire la
structure de la société capitaliste.
La campagne pour le soutien et la solidarité aux prisonniers se déroule dans
les assemblées du parti et dans la presse socialiste, mais le CTI, voulant profiter de
ce formidable moyen de propagande qu’est l’arrestation de trois des leaders,
organise une série de meetings. Treint participe, en tant qu’orateur, à plusieurs
d’entre eux aux côtés de Rappoport, René Reynaud113, Jean Ribaut114, Henri
Torrès115, Vaillant-Couturier et Vergeat. Le premier se déroule dans la salle de
l’Union des syndicats de la Seine, rue de la Grange aux Belles le 10 juin 1920 et
réunit plusieurs milliers d’auditeurs116. Il intervient ensuite dans plusieurs réunions
organisées dans la banlieue parisienne (St Ouen, Puteaux)117. Ces meetings lui offre
l’occasion de mettre en avant ses talents d’orateur et sa phraséologie si particulière
pour se faire connaître de la base socialiste de la fédération de la Seine où les
militants sont les plus sensibles au mot d’ordre de l’adhésion immédiate à la
troisième Internationale. Cette campagne de soutien aux emprisonnés constitue ainsi
un formidable tremplin politique pour Treint.
Vers la fin de l’année 1920, il prend la parole dans un meeting organisé en
hommage à la révolution russe118 et qui constitue l’une des premières manifestations
unitaires entre la gauche et les ex-reconstructeurs désormais favorables à
l’adhésion. En effet, après deux mois passés en Russie, Cachin et Frossard
reviennent en France convaincus de l’intérêt d’une adhésion sans condition à l’IC119.
Une partie des reconstructeurs suit les deux leaders tandis que l’autre, autour de
Paul Faure et de Longuet, continue à défendre les positions exprimées dans la
motion de politique internationale votée à Strasbourg. Le CTI se voit, du fait du

112
Selon lui : « Ils [les ions] font du bolchevisme moléculaire », Ibid.
113
René Reynaud (1892-1932) : Gérant du Bulletin Communiste ; secrétaire du CTI.
114
Jean RIBAUT : Militant du Parti socialiste SFIO du IIIe arr. de Paris, il fut délégué de la Seine au
congrès de Strasbourg (février 1920) à l'issue duquel il fut élu à la CAP. Après l'arrestation de
Fernand Loriot (voir ce nom), il devint en mai 1920 secrétaire par intérim du CTI.
115
Henry Torrès (1891-1966) : Avocat et socialiste.
116
Voir le compte rendu de la réunion paru dans le Bulletin Communiste, n° 14, 17 juin 1920.
117
Voir respectivement le Bulletin Communiste, n° 15, 24 juin 1920, p. 16 ; n° 17, 8 juillet 1920, p. 16.
118
« La république des Soviets acclamée à la salle Wagram », le Populaire, n° 927, 8 novembre 1920,
p. 1.
119
Voir FROSSARD L-O, De Jaurès à Lénine, ed. de la nouvelle revue socialiste, 1930, 309 p. ainsi
que Marcel CACHIN, Carnets, Tome 2, sous la dir. de PESCHANSKI D, Paris, CNRS, 1997.
53
ralliement d’une partie des centristes, conforté dans son attitude intransigeante. A
quelques mois du congrès de Tours, il diffuse dans les rangs socialistes des tracts
pour se féliciter du ralliement des deux militants et expliquer pourquoi la SFIO doit
adhérer sans plus attendre à la troisième Internationale120 :
« Marcel Cachin, directeur de l’Humanité, et Frossard, secrétaire du parti
socialiste, ont fait une enquête en Russie, et sont revenus en France comme
des partisans déclarés de l’adhésion à l’Internationale Communiste. Le
mouvement de ralliement à l’Internationale de Moscou devient irrésistible. »
Pourtant, de nombreux militants de la gauche doutent encore de la sincérité de ce
ralliement. Pour eux, le parti qui va naître de l’adhésion doit se prémunir contre
toutes les formes d’opportunisme qui existaient dans la deuxième Internationale :
« En effet, instruite par l’expérience, l’Internationale Communiste est en garde
contre la corruption et les déviations. Elle ne tombera pas dans les erreurs et
les fautes de l’ancienne Internationale, déchue et discréditée. […] Dans la
nouvelle Internationale, il n’en est pas de même. Il faut, pour y entrer,
satisfaire à certaines conditions, il faut donner des preuves de dévouement à
l’action communiste internationale. »
Le Comité apparaît d’ailleurs divisé sur la question de l’alliance avec les ex-
reconstructeurs. Pour certains, il faut une scission à gauche qui éliminerait tous ceux
qui n’ont pas fermement soutenu la troisième Internationale depuis la fin de la
guerre, tandis qu’un groupe plus conciliant souhaite, au contraire, une scission plus
large qui entraîne la majeure partie de la SFIO dans la construction du nouveau
parti121.
A l’approche du congrès de Tours, trois motions sont mises en débat au sein
du parti. Elles permettent de délimiter les camps qui s’affronteront bientôt pour
décider de l’avenir du socialisme français. La motion Léon Blum, intitulée « résolution
pour l’unité internationale », dénonce les principes d’organisation bolchevique du
parti et plus particulièrement celui de la dictature du prolétariat sous la direction d’un
parti. Elle critique également la volonté de soumission des syndicats au parti. Cette
motion regroupe les militants qui se réclament de la tradition du socialisme français.
La motion Longuet rejoint la motion Blum sur plusieurs points : critique de

120
Voir notamment le tract « Pourquoi il faut adhérer à l’Internationale Communiste », IHS, fonds Boris
Souvarine, dossier n° 3.
121
En raison de l’absence de compte rendu des débats au sein du Comité, nous ne pouvons
connaître l’opinion de Treint sur cette question.

54
l’organisation bolchevique du parti, volonté de conserver l’indépendance et l’unité du
socialisme français. Cependant, elle approuve les thèses révolutionnaires de l’IC et
propose une adhésion sous condition. La troisième motion, intitulée motion Cachin-
Frossard ― même si le véritable auteur en fut Boris Souvarine122 ― reprend les
thèses votées lors du deuxième congrès mondial de l’IC tout en précisant que ces
dernières ont été adaptées à la situation française123. La gauche et les ex-
reconstructeurs se sont entendus sur une motion qui affirme avant tout la nécessité
de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la mise en place d’une dictature exercée
sous la direction d’un parti centralisé et discipliné. Une des thèses les plus
importantes de cette motion justifie l’exigence du contrôle des bonnes mœurs
communistes. Fidèle aux décisions du deuxième congrès mondial de l’IC, le
parlementarisme est dénoncé mais non rejeté, le parlement pouvant servir de tribune
pour la propagande révolutionnaire. Enfin, elle rappelle la nécessaire coordination
parti/syndicat, l’importance de la propagande dans le milieu paysan ainsi que le
devoir de solidarité à l’égard de la Russie soviétique124. Il s’agit ici de thèses
respectant parfaitement l’orthodoxie communiste telles que définies par l’IC, mais
édulcorées au regard des 21 conditions125.
Les trois motions, illustrations des lignes de fracture qui traversent la SFIO,
sont discutées au Congrès de la fédération de la Seine qui s’ouvre le 14 novembre
1920. Au cours des trois séances (14-21-28 novembre 1920), les grands leaders
socialistes interviennent, conscients que le prochain congrès national mettra fin à
l’unité socialiste. Le discours de Renaudel est hué par l’assemblée, de même que
celui de Bracke126, mettant en évidence le rejet de l’attitude passée de la SFIO par
une large majorité des militants. Cependant, ce n’est pas le passé mais l’avenir qui
occupe les esprits. Frossard défend les conditions d’adhésion imposées par l’IC et
souligne que la construction d’un parti révolutionnaire nécessite « un minimum
d’unité de doctrine, de méthode et de discipline »127. Blum lui réplique que la
doctrine, les méthodes et l’organisation de l’IC sont étrangères au socialisme.
Longuet explique quant à lui qu’il restera dans le parti, tout en émettant des réserves
sur certaines des conditions d’adhésion à l’IC. Le 28 novembre, le vote des

122
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 221-222.
123
Voir l’Humanité du 3 novembre 1920 ainsi que le Bulletin Communiste n° 40, 4 novembre 1920.
124
Ibid.
125
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 222.
126
Voir l’Humanité, 22 novembre 1920, p. 1-2.
127
Ibid.
55
résolutions donne 13488 voix à la motion d’adhésion contre 2114 à la motion
Longuet-Paul Faure et 1061 à la motion Blum-Paoli.
Au terme du congrès, Treint est élu délégué pour le congrès de Tours. La
majorité écrasante obtenue par la motion Cachin-Frossard témoigne, s’il en était
encore besoin, que le parti se dirige vers la scission. Pour autant, la propagande du
CTI se poursuit activement par le biais de la presse du parti et des réunions
publiques. Dans ce cadre Treint intervient lors des assemblées et devant des publics
divers pour marteler la nécessité de se préparer à la lutte révolutionnaire en créant
un véritable parti communiste. Le 3 décembre 1920, il participe à une réunion du
Comité de défense syndicaliste (CDS) où il se déclare prêt, après avoir pris les
armes pour défendre le territoire national, à les reprendre pour instaurer le régime
des soviets en France128. Ces appels à l’action immédiate, cette rhétorique de la
violence révolutionnaire deviennent récurrentes dans ses interventions, tout comme
une constante glorification de la mémoire des trois « martyrs » du communisme
français, Lefebvre, Lepetit et Vergeat129. Lors d’une réunion en Indre et Loire à
quelques jours du congrès de Tours, il déclare :
« Raymond Lefebvre a eu raison de dire que Poincaré méritait 18 balles dans
la peau. D’après lui la révolution ne peut se faire pacifiquement car la
bourgeoisie n’abandonnera jamais volontairement ses privilèges, il est donc
nécessaire de se préparer à la lutte. »130
Le fait que Treint, à quelques semaines d’une échéance aussi importante que le
congrès national de la SFIO, fasse partie des hommes chargés de propager les
conceptions du CTI témoigne de ses qualités d’orateur et de propagandiste et de sa
capacité à capter son auditoire, notamment grâce à sa rhétorique violente et exaltée.

4) Le congrès de Tours (25-30 décembre 1920).

Présent pour la première fois, en tant que délégué de la Seine, à un congrès


national de la SFIO, Treint assiste et participe dans une certaine mesure à la
séparation du mouvement socialiste français en deux formations antagonistes. Le

128
Voir les rapports de la direction de la Sûreté Générale pour décembre 1920, AN, F7 13973.
129
Ces trois hommes ont péri en mer. Ils rentraient de Russie où ils venaient de participer au
deuxième congrès mondial de l’IC.
130
Ibid.
56
déroulement dramatique du congrès131, marqué par une série de rebondissements
tels que l’arrivée du télégramme de Zinoviev ― véritable bombe qui élimine les
espoirs des centristes de voir Longuet et Paul Faure rejoindre les partisans de
l’adhésion ― où encore l’intervention de Clara Zetkin132 ― arrivée par surprise et
dont le discours galvanise les délégués en grande majorité acquis à l’IC ―,
contribuèrent à renforcer au fur et à mesure le poids des partisans de l’adhésion et à
donner à l’assemblée le caractère d’un événement historique pour le mouvement
ouvrier français.
En tant que délégué de la fédération de la Seine ― qui a donné près de 80%
de ses mandats à la motion Cachin-Frossard ― et membre du CE du CTI, Treint doit
influer sur le cours du congrès pour que l’on aborde la seule question importante aux
yeux de la gauche : l’adhésion à la troisième Internationale et la séparation avec la
droite socialiste qui en découle. Il intervient dès le début de la première journée pour
proposer un changement d’ordre du jour et demander que l’on traite directement la
question de l’adhésion à l’IC :
« Au nom d’un nombre important de délégués au Congrès, je demande la
modification de l’ordre du jour. Je demande que l’on discute d’abord la
question primordiale, qui est la question de l’Internationale, d’abord parce que
c’est la question la plus importante et qu’il convient par conséquent qu’elle
vienne en premier lieu, et ensuite parce que si vous ne la faisiez pas venir en
premier lieu vous alourdiriez tout le débat sur le rapport des discussions de
tendance.»
Derrière un apparent empressement133 se cache une tactique élaborée par les
délégués de la Seine, élus sur la motion Cachin-Frossard. Il s’agit, par ce vote à
caractère symbolique, de montrer la force numérique des partisans de l’adhésion et
surtout la discipline de la gauche. Quelques jours avant le congrès, les représentants
de la Seine avaient, dans un appel aux délégués de province, demandé que tous les
partisans de l’adhésion soient présents dès la première séance134. Selon eux, à quoi
bon discuter des affaires courantes du parti alors que sa physionomie sera bientôt

131
Voir notamment CHARLES J, GIRAULT J, ROBERT J-L, TARTAKOWSKY D, WILLARD C, Le
congrès de Tours, Paris, Ed. Sociales, 1980, 918 p. ou encore KRIEGEL A, Le congrès de Tours,
Paris, Julliard, 1964, 258 p.
132
Clara Zetkin (1857-1933) : Institutrice. Militante social-démocrate, elle rallie l’Internationale
communiste dès sa fondation.
133
La CAP de la SFIO avait décidé que la première journée serait consacrée à la discussion des
rapports sous la réserve qu’à propos d’aucun d’eux ne s’engage un débat de fond. Et dès la deuxième
journée serait posée la question de l’Internationale.
134
Ibid., p. 62.
57
bouleversée. En écho, dans l’Humanité du 26 décembre 1920, Souvarine publie un
article expliquant que la scission est désormais une réalité, le rôle du congrès n’étant
que de l’entériner135.
Par la suite, Treint n’intervient plus dans le déroulement du congrès, du moins
en tant qu’orateur. Et finalement, le 29 décembre 1920, au cours de la séance de
nuit, les délégués procèdent au vote sur les motions déposées. Jules Blanc est
chargé de la lecture des résultats :
« Pour la troisième Internationale : 3208 mandats. Pour la motion Longuet :
1022 mandats, abstention : 397 mandats. Pour la motion Leroy : 44 mandats,
abstention : 32. Pour la motion Pressemane : 60 mandats. »
Un ultime débat s’engage pour savoir si les reconstructeurs restent ou non dans le
parti mais après un dernier vote la scission est consommée. Les délégués du Comité
de résistance à l’Internationale et les reconstructeurs quittent définitivement la salle
du manège. Il est 2h45 du matin, la majorité du parti socialiste SFIO rejoint
officiellement le mouvement communiste international.
Le 30 décembre s’ouvre la dernière journée du congrès de Tours, et la
première journée de congrès du parti socialiste français SFIC (section française de
l’Internationale Communiste). On règle les affaires les plus urgentes, telles que la
publication d’un manifeste appelant les militants socialistes à rester dans la SFIC
issue du congrès et seule véritable héritière de la SFIO. La séance de l’après-midi
est consacrée aux débats sur le rapport du secrétariat, le rapport financier ainsi que
sur la question des jeunesses, de l’Humanité et autres. Ce rapide survol n’a
évidemment pas pour but de régler toutes les questions essentielles mais
simplement d’affirmer la continuité du travail et de la vie du parti. Dernier acte
politique de la journée, les congressistes désignent les membres des organismes
centraux du parti : Comité Directeur (CD), conseil d’administration et de direction de
l’Humanité. Les membres du CTI entrent en nombre dans ces organismes. Quant à
Treint, il devient membre titulaire du nouveau CD136.

135
Varine, « La scission », l’Humanité, p. 1.
136
Comité Directeur du parti. Titulaires : Alexandre Blanc, Boyet, Bureau, Cartier, Marcel Cachin,
Coen, Dunois, Dondicol, Albert Fournier, Frossard, Gourdeaux, Ker, Georges Levy, Loriot, Lucie
Leiciague, Paul-Louis, Méric, Rappoport, Renoult, Louis Sellier, Servantier, Souvarine, Treint, Vaillant-
Couturier.
Suppléants : Bestel, Marthe Bigot, Hattenberger, Laloyau, Mercier, Marthe Pichorel, Palicot, Rebersat.

58
Entre 1914 et 1920, le mouvement socialiste français a connu de profondes
mutations, sous l’effet de la Première Guerre mondiale puis de la révolution russe.
L’unité acquise en 1905 ne peut résister aux questions que ces deux événements
posent quant à l’identité même du parti et à sa place dans la société. En tant que
militant socialiste, Treint se trouve lui-même confronté, en 1914, au dilemme de son
engagement militant et de son statut de militaire. Tout au long de la guerre, s’il ne
cesse de croire à la possibilité d’une paix sans vainqueur ni vaincu, il se comporte,
dans le combat, en soldat discipliné et consciencieux. Il se révèle également comme
un meneur d’homme, fier et sûr de lui, mais dans le même temps comme quelqu’un
de susceptible, procédurier voir paranoïaque. Au sortir de la guerre, malgré deux
blessures graves et des difficultés avec la hiérarchie, il hésite entre la poursuite de
sa carrière militaire et un retour à la vie civile et à ses engagements politiques.
Une fois réintégré les rangs du parti socialiste, alors en proie aux
interrogations et aux critiques sur l’attitude de sa direction au cours de la guerre, il
prend une position ferme et tranchée. Si Treint, comme la quasi-totalité des
socialistes, a approuvé l’union sacrée, il manifeste à son retour un rejet total de
l’ancienne direction qui a participé au gouvernement et l’a soutenu sans état d’âme.
A l’instar de nombreux jeunes qui rejoignent les rangs de la SFIO à cette époque, il
considère qu’après les années de la barbarie guerrière, il faut redonner une
orientation nettement révolutionnaire au mouvement ouvrier français. S’il ne semble
pas avoir adhéré immédiatement à la révolution des bolcheviks, il se tourne
progressivement vers ce régime qui maintient, malgré les offensives des généraux
« blancs » aidés par les grandes puissances européennes, un pouvoir
révolutionnaire dans un grand Etat et qui prône la construction d’un véritable
internationalisme ouvrier pour détruire le capitalisme, responsable du massacre et de
l’oppression des ouvriers.
Au sein du CTI, qu’il rejoint au tournant des années 1919-1920, Treint milite
en faveur d’une adhésion immédiate et sans condition de la SFIO à la troisième
Internationale. A partir de mai 1920, alors qu’il n’avait jusqu’alors occupé que des
fonctions subalternes, il participe aux meetings organisés par le comité en tant
qu’orateur principal et démontre ses talents d’agitateur. Il se signale également par la
violence de sa rhétorique et de ses appels à la révolution immédiate. Ainsi, lorsqu’au
congrès de Tours la SFIO se divise en deux tendances antagonistes, il devient
membre de l’instance dirigeante de la SFIC et propagandiste, fonction dont il se sert

59
dès lors pour propager dans les rangs ouvriers sa conception radicale de la lutte
révolutionnaire.

60
CHAPITRE II : TREINT
ET LA PREMIERE
CRISE DU PCF.

61
Après Tours, si une section française de la troisième Internationale est
officiellement constituée, le parti révolutionnaire reste à construire. La nouvelle
organisation conserve les structures et les anciens fonctionnaires de la SFIO. Malgré
les assertions de son nouveau secrétaire général1, elle reste composée d’un agrégat
de tendances politiquement hétérogènes, soulignant la persistance de son identité
socialiste. Les premiers mois d’existence du nouveau parti, en dépit des difficultés
inhérentes à la scission, voient l’acquittement des militants accusés de complot
contre la sûreté de l’Etat, la victoire sur les socialistes dissidents lors des élections
législatives partielles à Paris et le succès d’un emprunt lancé pour renflouer les
caisses2. Sur le plan intérieur, lors des congrès fédéraux organisés suite au congrès
de Tours, les majoritaires attirent la plus grande part des effectifs de la SFIO3.
Pendant plusieurs mois, le Comité Directeur travaille sans désaccord apparent entre
les représentants des différentes tendances et sans intervention de l’IC dans les
affaires intérieures4.
En l’absence des deux principaux dirigeants, Treint occupe une place
éminente au sein du CTI mais également au CD, qui en fait l’un de ses principaux
propagandistes. Contrairement à la majorité des membres du CD, en tant que
permanent, il consacre la totalité de son temps au parti et parcours le pays pour en
propager les nouveaux mots d’ordre. A partir du mois de juillet, il participe activement
aux débats qui secouent le parti, et s’impose comme un des leaders de la minorité
de gauche après le premier congrès du PCF. Remarqué pour son intransigeance et
son ardent militantisme pour imposer au PCF les décisions de l’IC sur les
modifications de son organisation et de sa ligne politique, il devient, en 1922, l’un des
protagonistes incontournables du conflit autour de la question du front unique et des
luttes de tendances.

1
Présentant les listes du CD, il affirme, « Ces listes […] sont composées exclusivement de
camarades animés du même esprit, des mêmes préoccupations et résolus aux mêmes efforts
socialistes dans le pays. J’insiste sur ce point, comme je l’ai fait hier soir à la fin de notre séance, il n’y
a plus désormais ici de reconstructeurs ou de membres du Comité de la troisième Internationale, il n’y
a plus que des membres d’un même parti également résolus à la même besogne de propagande,
d’agitation et de recrutement communiste. » Cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 275.
2
Frossard L-O, de Jaurès à Lénine, Ed. de la nouvelle revue socialiste, 1930, p. 187.
3
120000 membres de la SFIO rejoignent le nouveau parti.
4
Au début de l’année 1921, l’Exécutif de l’IC est accaparé par de nombreux problèmes (insurrection
de Cronstadt, insurrection en Allemagne) et s’intéresse peu à la France. Voir Le mouvement
communiste en France, op. cit., p. 99.
62
A/ 1921 : L’unité de façade et les premiers conflits.

1) Treint propagandiste du nouveau parti.

S’il n’a joué jusqu’alors qu’un rôle secondaire dans la construction du parti
français, En 1921, Treint passe sur le devant de la scène et s’affirme comme un
leader de la gauche. Dans une certaine mesure, il profite du manque de cadres pour
se rendre indispensable, d’autant plus qu’il déploie à cette époque une intense
activité politique, étant à la fois membre du CD, du CE du CTI et du CC de l’ARAC5.
Ces multiples fonctions, impliquant de nombreux déplacements à travers le pays, se
révèlent incompatibles avec son emploi d’instituteur, ce qui l’amène à prendre un
congé d’une année6. Dès janvier 1921, il est délégué au congrès fédéral du Maine-
et-Loire pour représenter le CD et amener la fédération à rejoindre les positions de la
nouvelle majorité7. En plus de ces déplacements « officiels », il se rend en Suisse, au
nom du CTI, pour prendre contact avec Humbert-Droz8 et le renseigner sur les
résultats du congrès de Tours9. Selon le rapport d’un agent des renseignements
spéciaux, Treint aurait informé le dirigeant suisse sur les menées conspiratrices et la
mise en place, en liaison avec les organisations syndicalistes révolutionnaires, d’une
organisation spécialisée dans le travail clandestin, notamment au sein de l’armée
française10. Si, du fait de sa connaissance de l’armée et de son goût pour l’action,
Treint peut prétendre à jouer le rôle d’organisateur d’une structure souterraine, il

5
Voir compte rendu du congrès de l’ARAC, l’Humanité, n° 6354, 17 août 1921, p. 2.
6
Il obtient un congé à compter du 11 février 1921. Archives de Paris, dossier instituteur, état des
services.
7
Le 25 janvier, Treint rend compte au CD de sa délégation au congrès du Maine-et-Loire. L’Humanité,
n° 6152, 26 janvier 1921, p. 4.
8
Jules Humbert-Droz (1891-1971) : Pasteur et militant socialiste. Partisan de la troisième
Internationale et fondateur du PC suisse. Dès 1921, il rejoint Moscou et devient secrétaire du CE de
l’IC.
9
Compte rendu des renseignements spéciaux, 10 janvier 1921, SHAT, 7N2 2941, dossier 2878.
10
Treint aurait notamment déclaré : « Le Comité exécutif de la troisième Internationale à Paris prend
la direction du mouvement socialiste et communiste français et coordonne l’action du parti socialiste,
d’une part (dirigé par Vaillant-Couturier et Frossard) et l’union des syndicats de la Seine, d’autre part
(aujourd’hui dirigée par Tommasi). […] Le parti socialiste communiste surveille attentivement le
développement de la crise économique, poursuit sa propagande parmi les chômeurs, les troupes de
couleurs et dans les régiments stationnés à Paris et dans les grands centres. Le but poursuivit est de
se rendre maître, à un moment donné, par un coup de force, de la capitale et de plusieurs grandes
villes de France. Treint a ajouté que le moment choisit pour déclencher les troubles serait
vraisemblablement celui où le gouvernement se déciderait à employer la force contre l’Allemagne. »,
Ibid.

63
apparaît cependant peu probable que le PCF puisse constituer un appareil
clandestin durant cette période, d’autant plus que la direction issue de la SFIO
s’opposerait à ce type de pratique. On peut supposer que cette organisation
clandestine n’a jamais dépassé le stade des paroles, du moins durant les premières
années d’existence de la SFIC.
Libéré de ses obligations professionnelles, Treint se consacre à la
propagande, en tant qu’orateur, lors des meetings en faveur de Loriot et Souvarine
organisés dans le cadre des élections législatives partielles dans le 2ème secteur de
la Seine11. Cette campagne se déroule deux mois après la scission de Tours alors
que le parti a perdu une partie de ses cadres. Les propagandistes socialistes ont
majoritairement choisi de demeurer à la SFIO12. Les nouveaux propagandistes se
recrutent principalement dans la fédération de la Seine. Cependant, au cours de ces
premiers mois d’existence, le nouveau parti manque singulièrement de militants
d’expérience pour sillonner les sections et propager ses mots d’ordre13.
En parallèle à la campagne électorale, le parti socialiste SFIC14 met en place,
en liaison avec l’Union des syndicats de la Seine, un Comité d’action contre la guerre
et déclenche une campagne contre la mobilisation de la classe 1919, décidée par le
gouvernement du Bloc national. Celle-ci prend la forme d’articles dans la presse du
parti, de meetings et de distributions de tracts. Autour du 10 mars, les militants
entament une campagne d’affichage d’un tract intitulé « Contre les menaces d’une
nouvelle guerre », signé par les membres du CD. La déclaration, au ton prudent et
modéré, se contente de dénoncer le militarisme français en Allemagne qui
« cherchera demain à étendre et à intensifier son action de violence » et de rappeler
son opposition à « l’inapplicable » traité de Versailles. Tout au plus, le CD lance un
appel velléitaire à « nous dresser contre nos chauvins »15. Le ton des interventions
de Treint, lors des meetings organisés par le Comité d’action, tranche nettement cet
appel. Il exhorte en effet son auditoire « à agir très vite et recourir à l’action directe,
au sabotage, à la grève générale, à l’insurrection »16.

11
Treint intervient à plusieurs reprises lors de réunions électorales, notamment aux côtés de Vaillant-
Couturier et Cachin. AN, F7 13973.
12
Voir TARTAKOWSKY D., Les premiers communistes français, Paris, Presse de la fondation
nationale des sciences politiques, 1980, p. 28-33.
13
Lors du congrès administratif de mars 1921, Frossard se plaint que le parti n’ait pu conserver que
trois délégués à la propagande. Cité par TARTAKOWSKY D., op. cit., p. 31.
14
Il prend le nom de parti communiste SFIC au congrès administratif de mai 1921.
15
Copie du tract signé par l’ensemble du CD du parti socialiste SFIC. AN, F7 12893.
16
Rapport de la direction de la Sûreté générale sur la réunion du comité d’action contre la guerre du 9
mars 1921. AN, F7 13973.
64
Treint développe, dans chacune de ses interventions, une rhétorique
révolutionnaire, à la fois provocatrice et exaltée, soulignant à plusieurs reprises la
nécessité de la violence révolutionnaire. Il multiplie les discours appelant les ouvriers
à « prendre les armes », à « abattre la société capitaliste pour mettre fin aux
guerres ». Cette rhétorique peut paraître décalée dans la France victorieuse de
l’après-guerre, mais elle fait forte impression sur un public acquis à la cause
révolutionnaire. Elle provoque la réaction des autorités puisque, suite à une réunion
à Nevers, Treint est poursuivi pour « excitation de militaire à la désobéissance »17.
Une nouvelle déclaration du CD18, protestant contre la mobilisation de la
classe 19, appelant à l’insoumission et dénonçant la politique extérieure de la
France, attire de nouveau l’attention des autorités sur Treint. Il est convoqué devant
le conseil départemental de l’enseignement primaire de la Seine19, en vue de sa
révocation. Cette répression administrative qui touche plusieurs instituteurs20
membres du CD permet d’engager une action sur l’indépendance des instituteurs et
la question de la neutralité dans l’enseignement public21. Dans ce cadre, Treint fait
paraître son premier éditorial dans l’Humanité, consacré au droit des instituteurs de
« propager la doctrine communiste en dehors de l’école »22. Il y répond par avance à
l’accusation de « manquement grave à ses obligations professionnelles », affirmant
qu’il n’a, selon lui, jamais outrepassé les limites de son droit d’expression en tant que
citoyen :
« Si le gouvernement pense qu’il n’est pas possible d’être à la fois instituteur
public et militant communiste, avant de brandir contre nous des peines
disciplinaires, qu’il fasse proclamer législativement cette incompatibilité.
Comme notre ami Souvarine, au procès des communistes, nous disons : " Si
vous voulez frapper, faites une loi contre les communistes" ».

17
L’Humanité, n° 6260, 15 mai 1921, p. 2. Dans un premier temps, le quotidien annonce que Treint
est convoqué chez le juge suite à une réunion à Nevers et à la participation de Treint au collage
d’affiches annonçant une prochaine réunion. Le lendemain (14 mai 1921), l’Humanité affirme que
Treint a été mis en état d’arrestation pour « outrage à magistrat ». L’information est infirmée le
lendemain.
18
L’Humanité, n° 6249, 4 mai 1921, p. 1.
19
Suite à un rapport de l’inspecteur d’Académie, daté du 30 mai 1921. P-V du conseil départemental
de l’enseignement primaire du 2 juillet 1921, Archives de Paris, D2T1 494.
20
Loriot et M. Bigot sont également visés par la menace de révocation.
21
Lettre de Treint à Bouët, non datée, IFHS, 14 AS 445.
22
Treint A., « Instituteurs communistes », l’Humanité, n° 6290, 14 juin 1921, p. 1.
65
Le 2 juillet 1921, le conseil départemental, réuni à l’Hôtel de ville de Paris, entend
Marthe Bigot23 et Treint, Loriot étant absent. Après avoir écouté la défense des deux
instituteurs24, le conseil délibère et décide de révoquer Treint, par 18 voix contre
1025, tandis que Marthe Bigot est maintenue dans ses fonctions26. Le conseil justifie
cette différence de traitement par l’excellent dossier professionnel de cette dernière.
Celui de Treint ne contient cependant aucune critique concernant son comportement
devant ses élèves. Cette décision contradictoire s’explique plutôt par l’attitude de défi
de Treint à l’égard du conseil auquel il lance, selon le compte rendu de l’Humanité :
« Votre sentence ne me jugera pas, elle vous jugera »27.
Pour cette même affaire28, Treint est déféré, à la fin de l’année 1922 devant un
conseil d’enquête militaire en vue de la révocation de son grade de capitaine. Le
conseil doit répondre à deux questions : « 1° M. Treint est-il dans le cas d’être
révoqué de son grade comme ayant été révoqué de son emploi civil par mesure
disciplinaire ? 2° M. Treint est-il dans le cas d’être révoqué pour faute grave contre la
discipline ? »29. Après enquête, au cours laquelle il déclare à l’officier Girardet qu’il a
signé « en toute connaissance de cause » la déclaration et « que son avis n’a pas
changé »30, Treint est révoqué de son grade. Une nouvelle fois, la mesure qui le
frappe apparaît ambiguë et peu fondée puisque tout en reconnaissant qu’il n’y a pas
de faute grave contre la discipline, le conseil décide la révocation au seul motif que
Treint a reçu une sanction dans le cadre de son emploi civil. Frappé par la répression
gouvernementale, Treint perd en une année la totalité de ses revenus. Dès lors, sa
vie professionnelle et dans une certaine mesure sa vie personnelle se résument au
parti communiste dont il devient l’un des cadres professionnels dévoués à la cause
révolutionnaire. Ces mesures qui le touchent contribuent à développer à son égard
une réputation d’intransigeance, d’inflexibilité.

23
Marthe Bigot (1878-1962) : Institutrice ; syndicaliste ; féministe ; dirigeante socialiste puis
communiste.
24
Voir compte rendu de la réunion dans l’Humanité, n° 6309, 3 juillet 1921, p. 2.
25
La décision prend effet le 12 septembre 1921. Voir le document à en-tête de la direction de
l’enseignement primaire, daté du 12 septembre qui indique notamment que : « Considérant que M.
Treint s’est ainsi livré à une manifestation incompatible avec ses devoirs de fonctionnaire et
d’éducateur de la jeunesse, qu’il a manqué à ses obligations professionnelles de la manière la plus
grave et ne peut plus conserver les fonctions d’instituteur public », SHAT, dossier militaire.
26
P-V du conseil départemental de l’enseignement primaire, Archives de Paris, D2T1 494.
27
Ibid.
28
Dès le 4 mai, le préfet de la Seine fait parvenir la déclaration signée par le CD du parti socialiste
SFIC, aux cabinets des ministres de l’intérieur, de l’instruction publique ainsi que de la guerre. SHAT,
dossier militaire.
29
Ordre de renvoi devant le conseil d’enquête, 4 octobre 1922, Ibid.
30
Rapport de Girardet, 19 novembre 1922, Ibid.
66
A partir d’avril 1921 Treint, délégué permanent à la propagande, entame un
tour de France et visite des fédérations restées majoritairement aux mains de la
SFIO, la fédération indépendante du Jura ainsi que des régions sans véritable
organisation ouvrière. Ces tournées se déroulent dans le cadre de la lutte d’influence
engagée entre le nouveau parti et la SFIO. En mai 1921, il fait une longue tournée
dans la Nièvre31 et dans l’Orne qui lui vaut sa première inculpation32. En juin, il
participe à plusieurs réunions contradictoires dans la vallée de la Loire33 et
notamment à St-Nazaire et Trignac qui, selon le rapport du commissariat de St-
Nazaire, obtiennent un certain succès34. Il prend ensuite la parole dans une réunion
― organisée par la fédération autonome du Jura ― tenue à St-Claude et apporte la
contradiction à Paul Faure. Celle-ci donne lieu à un long compte rendu de son
intervention concluant que « la fédération du Jura n’ira pas chez les dissidents »35.
En août et septembre, il poursuit son périple, visitant la Vendée puis la Haute-
Marne36.
En quelques mois, en plus des nombreux meetings parisiens, des réunions du
CD ou du CE du CTI, ces déplacements lui permettent de rencontrer les militants de
province, de se constituer un réseau de relations et d’amitiés. Elles lui servent
également à parfaire son discours doctrinal et à diffuser dans les fédérations de
province la ligne politique du CTI, qui cherche alors à imposer à la direction de la
SFIC les décisions du 3ème congrès mondial de l’IC sur la réorganisation du parti et
sur la question syndicale37. Treint rédige, à cette époque, plusieurs plans de
conférences destinés aux futurs cadres ainsi qu’à la diffusion de la doctrine du
nouveau parti dans les fédérations38. De cette expérience de terrain, il tire deux
articles sur la société française et plus spécifiquement sur la paysannerie39 et les

31
Rapport du 14 mai 1921, AN, F7 13004.
32
Cf. supra. Voir également le compte rendu paru dans l’Internationale, n° 48, 26 mai 1921, p. 2.
33
Compte rendu dans l’Internationale, n° 86, 3 juillet 1921, p. 2 : « Après avoir visité la région de la
vallée de la Loire, depuis la basse Indre jusqu’à Trignac où son succès s’est affirmé chaque jour
d’avantage, notre camarade Treint a fait à Nantes deux conférences de quartier qui ont attiré de
nombreux auditeurs. […] Les contradictions apportés par le secrétaire de l’ancienne fédération permet
à Treint d’écraser par d’irréfutables arguments la politique de trahison de la fraction dissidente.»
34
Rapport du 7 juillet 1921, AN, F7 12893.
35
L’Humanité, n° 6326, 20 juillet 1921, p. 4.
36
L’Humanité, n° 6358, 20 Août 1921, p. 4 et n° 6391, 23 septembre 1921, p. 2.
37
Voir notamment la lettre de Trotsky à Cachin et Frossard du 14 juillet 1921, Le mouvement
communiste en France (1919-1939), op.cit., p.116-119.
38
Le Bulletin de la presse communiste, destiné à la presse de province du parti, publie deux plans de
conférence rédigés par Treint, intitulés « capitalisme et paysans » (n° 26, 23 août 1921) et « La
famine en Russie » (n° 27, 6 septembre 1921).
39
Treint A., « Le paysan et la terre », Bulletin Communiste, n° 23, 2 juin 1921, p. 381-382.
67
classes moyennes40 généralement considérées comme réfractaires aux idées
communistes. Lui juge au contraire que, dans une période de crise telle que traverse
la France, ces groupes sociaux recèlent des potentialités révolutionnaires. Il perçoit
chez les paysans pauvres une « tendance communautaire qui cherche à dominer [et
qui] se transformera aisément en une inébranlable volonté communiste »41 et parmi
les classes moyennes « victimes de la concentration capitaliste », une tendance à
exprimer son mécontentement « par des bulletins de vote communiste ». Cette
analyse, en décalage avec la situation sociale réelle de la France, vient corroborer
celle des dirigeants de l’IC qui jugent qu’en France, la situation sociale et politique
permet d’envisager un mouvement révolutionnaire à court terme42.
En plus de sa fonction de propagandiste délégué du CD, Treint devient
progressivement, au nom du CTI, l’un des propagateurs, des vulgarisateurs, des
thèses de l’IC au sein de la SFIC. Cet activisme, alors même que Souvarine critique
l’attitude et l’inactivité des représentants de la gauche à l’égard de Frossard et de la
majorité du CD43, lui vaut d’être désigné pour représenter le PCF44 au congrès du
parti socialiste italien, sympathisant de la troisième Internationale45. Après l’échec de
Livourne, le Présidium de l’IC veut mettre la pression sur le dirigeant du PSI (Serrati)
pour qu’il exclue l’aile droite du parti, condition impérative à la fusion avec le PCI et à
l’adhésion à la troisième Internationale. En plus de sa délégation46, l’IC demande au
parti français d’envoyer un représentant de la gauche, susceptible d’appuyer ses
efforts pour imposer ses volontés à la direction serratiste.
Treint se rend à Milan pour assister au 18ème congrès du PSI (10/16 octobre
1921), intervient au nom du PCF et participe aux entretiens entre la direction
italienne et la délégation de l’IC aboutissant à un constat d’échec et à la rupture

40
Treint A., « Les classes moyennes et le communisme », Bulletin Communiste, n° 26, 23 juin 1921,
p. 431-432.
41
Il appuie sa démonstration sur quelques exemples d’exploitations communautaires de ressources
naturelles dans les régions qu’il a parcouru (Nièvre, les Landes).
42
Voir notamment la lettre de Trotsky à Cachin et Frossard, 14 juillet 1921, op. cit., p. 116-119.
43
Lettre de Souvarine à Loriot, 21 décembre 1921, Fonds Souvarine, IHS. Nous y reviendrons.
44
Dans une lettre au CD, datée du 25 novembre 1921, Souvarine écrit que contrairement à certaines
affirmations, il ne s’est pas opposé à l’envoi de Treint au congrès du PSI : « Il est faux de prétendre
que c’est moi qui est proposé l’envoi de Loriot et Vaillant-Couturier en Italie. […] C’est donc à tort qu’il
a été dit au camarade Treint que c’est moi qui n’ai pas voulu qu’il soit délégué en Italie. », IHS, fonds
Souvarine.
45 ème
Concernant le PSI, la résolution finale du 3 congrès de l’IC dénonce l’attitude de la direction
« serratiste » du parti depuis le congrès de Livourne, marqué par la scission du PSI et la création du
parti communiste d’Italie. Cependant, convaincue de la possibilité de réunir la majorité du PSI et le
PCI, l’Internationale envoie une délégation au congrès de Milan.
46
Composée de Clara Zetkin et Walecki. BROUE P., Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit.,
p. 248.
68
définitive, Serrati47 refusant l’exclusion des partisans de Turati (aile droite du PSI).
De retour en France, après avoir « visité »48 plusieurs villes du nord de l’Italie, Treint
publie une série d’articles attaquant avec véhémence Serrati et la direction
« opportuniste » du PSI. Il n’a pas de mot assez dur pour décrire les débats du
congrès :
« Ce mensonge maximaliste unitaire empoisonnait tellement l’atmosphère,
que l’on se sentait respirer plus librement quand parlait un réformiste : c’était
un vent contraire qui soufflait alors, mais c’était un vent plus pur […] Dans
l’atmosphère du congrès de Milan, il y avait des relents de nationalisme
infect. »49
Il impute l’échec des discussions avec les représentants de l’IC et le comportement
hostile d’une partie des délégués italiens à la volonté de Serrati de « faire bafouer
par le congrès la troisième Internationale ». Il dresse par ailleurs un portrait sévère
du dirigeant italien :
« Serrati, astucieux, sans scrupule, rusé, habile à manier les hommes par les
petits moyens, Serrati dont la froide et féroce ambition dépasse le talent, est
l’imprésario qui depuis des mois fait jouer devant une grande partie du
prolétariat d’Italie, qui s’y laisse prendre, la comédie de la préparation des
masses à la révolution communiste. »50
Le point de vue développé dans ses deux articles suscite un débat au CD,
Jacques Mesnil51 ayant fait un compte rendu plus pondéré du congrès de Milan52.
Rappoport publie, dans L’Internationale, un article critiquant l’intransigeance de l’IC à
l’égard du PSI. De son côté, Treint affirme que ses écrits reflètent les positions de
l’IC et qu’il s’était entendu avec Walecki53 pour « mener une campagne impitoyable
contre Serrati »54. Cependant, les membres de la direction de l’IC ne partagent pas
tous cette position. Clara Zetkin, très critique à l’égard de la direction du PCI, qu’elle

47
Giacinto Serrati (1874-1926) : Leader de l’aile « maximaliste du PSI », internationaliste pendant la
guerre, il résiste ensuite à l’application des 21 conditions pour l’adhésion à la troisième Internationale.
48
Treint A, « Impressions d’Italie », La Correspondance Internationale, n° 11, 17 novembre 1921, p.
91.
49
Treint A, « Après le congrès de Milan », l’Humanité, n° 6427, 29 octobre 1921, p. 1.
50
Ibid.
51
Jacques Mesnil (1872-1940) : Journaliste et historien d'art qui évolua de l'anarchisme au
communisme, mais resta fondamentalement « libertaire ».
52
Mesnil J, « Le congrès de Milan », l’Humanité, n° 6411/6414/6417, 13/16/19 octobre 1921, p. 3.
53
Maximilian Walecki (1877-1938) : Mathématicien et physicien. Membre du parti socialiste polonais,
il participe à la conférence de Zimmerwald et devient dirigeant du parti communiste polonais.
54
Lettre de Loriot et Frossard à Souvarine, 8 novembre 1921, IHS, fonds Souvarine.
69
juge confuse et sectaire55, regrette la scission du PSI qui laisse de nombreux
ouvriers italiens hors de l’IC et souhaite aboutir à une solution de compromis avec
Serrati. En fait, le compte rendu de Treint s’appuie très largement sur les positions
de Bordiga56 qui pousse à la rupture définitive avec le PSI, y compris avec son aile la
plus favorable à l’adhésion immédiate à l’IC57. Soucieux de décrédibiliser les
socialistes italiens aux yeux des communistes français, Treint n’hésite pas à
suggérer que le PSI collabore avec le gouvernement et participe à la répression du
mouvement ouvrier italien, alors même que les socialistes sont les plus durement
touchés par les expéditions punitives des squadris fascistes :
« C’est dans la province de Milan, fief de Serrati que les communistes sont le
plus en butte aux brutalités policières et le plus gênés dans leur action
publique. Ce n’est pas un pur hasard. Je ne veux par dire par là qu’il y ait déjà
une entente formelle entre les socialistes et le gouvernement. […] L’agression
gouvernementale contre les communistes, combinée avec la carence de la
protestation socialiste, voilà la forme de collaboration des classes implicite,
subtile et presque insaisissable déjà pratiquée par Serrati. »58
Ici se révèle toute l’ambiguïté des positions politiques de Treint et de son
attitude au sein du PCF. Au CD et dans ses interventions publiques, il revendique
son soutien sans faille à la ligne politique de l’IC, ce qui implique son approbation de
la collaboration du centre et de la gauche dans la gestion du parti. Pour son premier
déplacement « officiel » à l’étranger, il s’affirme au contraire comme un partisan
d’une politique intransigeante à l’égard des « centristes », proche des positions de
Bordiga ou de la gauche allemande qui veulent un parti débarrassé de toute
influence social-démocrate et composé exclusivement de militants ouvriers
disciplinés autour d’une organisation centralisée59. La première crise que traverse le
PCF, à partir de juillet 1921, lui offre justement l’occasion de manifester son
animosité à l’égard de Frossard et Cachin tout en revendiquant son soutien
indéfectible à l’IC.

55
Voir notice biographique de Clara Zetkin dans le Dictionnaire biographique de l’Internationale
communiste, Paris, Ed. de l’atelier, 2001.
56
Amadeo Bordiga (1899-1970). Leader de la tendance « communiste abstentionniste » du PSI, il
devient le principal dirigeant du PCI après le congrès de Livourne.
57
Le groupe Maffi, Riboldi, Lazzari.
58
Treint A., « Après le congrès de Milan », art. cit.
59
Voir BROUE P., Histoire de l’internationale communiste, op. cit., p. 226-227.
70
2) Souvarine critique la direction du PCF et la gauche.

Lors de la deuxième journée du congrès extraordinaire du parti (16-17 mai


1921), réuni principalement pour adopter les nouveaux statuts du parti60, Treint
intervient pour réaffirmer l’unité et l’entente générale régnant au CD :
« Il y a eu parfois des divergences sur la nécessité d’engager un mouvement
à une heure où à une autre, mais sur la doctrine, aucune divergence ne s’est
manifestée »61.
A la séance précédente, Frossard a déclaré que la politique du CD a été « poursuivie
dans un accord parfait et unanime »62 provoquant une réplique de Cartier63. Celui-ci
rappelle que la mobilisation de la classe 1919 a entraîné un débat, sur les mots
d’ordre du parti à destination des jeunes, au cours duquel il s’est opposé à la
majorité au côté de Treint64. Mais les décisions du CD sont finalement toutes votées
à l’unanimité et cette concorde perdure encore plusieurs mois. La direction peut ainsi
afficher une unité de façade, que les partisans du CTI malgré certaines critiques65 ne
souhaitent pas rompre, et une atmosphère apaisée après les tensions du congrès de
Tours.
Les différents courants issus de la SFIO n’ont cependant pas disparu, et sur
ce point les nouveaux statuts reconnaissent l’existence des tendances et leur droit
de représentation lors des congrès66. Le nouveau parti reproduit une géographie des
tendances similaire à la SFIO, avec une droite et un centre issus de l’ancien courant
des « reconstructeurs » ainsi qu’une gauche et une extrême-gauche, issues pour
leur part du CTI. A l’exception du groupe constitué autour de Souvarine, Loriot ou
Treint, aucune des autres tendances n’accepte pleinement ― pour des raisons
diverses ― le modèle bolchevique du parti révolutionnaire et toutes s’opposent à
l’intervention de l’Internationale dans les affaires intérieures du parti67. Ainsi quand, à
la suite du 3ème congrès mondial de l’IC, parviennent à la direction du PCF les
premières missives, signées Trotsky, intimant d’établir des relations régulières avec

60
Compte rendu dans l’Humanité, n° 6263, 18 mai 1921, p. 1-2.
61
Le Populaire, n° 40, 18 mai 1921, p. 2.
62
Cité par ROBRIEUX P., Histoire intérieure… op. cit., p. 60.
63
Joseph Cartier (1867 ; mort à une date inconnue) : Monteur en fer ; élu à la CAP du Parti socialiste
en février 1920 ; membre du Comité directeur du Parti communiste (décembre 1920-janvier 1923).
64
Le Populaire, n° 39, 17 mai 1921, p. 2.
65
Voir notamment les amendements aux statuts du parti présentés par le CTI, Bulletin Communiste,
n° 18, 5 mai 1921, p. 309-312.
66
ROBRIEUX P., op. cit., p. 65.
67
Voir KRIEGEL A., Aux origines du mouvement communiste français, op. cit., p. 869.

71
l’Exécutif de l’IC, de réorganiser son appareil, de sanctionner les militants
s’exprimant dans des journaux non soumis au contrôle du parti68 et enfin de
développer le travail au sein des syndicats69, les divergences fondamentales entre
tendances refont surface.
Le CD, contrôlé par Frossard et la majorité centriste, décide de temporiser et,
tout en approuvant en apparence les résolutions de l’IC, de ne rien faire pour les
appliquer. Par exemple, le 19 juillet, le CD dénonce l’attitude politique de Brizon et
décide de le déférer devant la commission des conflits ; cette dernière n’est
finalement saisie du cas Brizon que le 17 novembre70. Quant au Journal du peuple,
qui publie des articles critiquant les « oukazes » de Moscou et s’en prend plus
particulièrement à la personnalité de Souvarine71, il ne fait l’objet d’aucune sanction,
exceptée l’annonce de Frossard de la cessation de sa collaboration au journal de
Fabre72. Que ce soit sur la question de la modification de la structure du parti où sur
celle du rapport entre le parti et les syndicats, le CD reste obstinément silencieux.
Cette attitude amène rapidement une crise avec Souvarine, point de départ d’un
conflit entre le centre et la gauche.
Souvarine ― représentant du PCF à Moscou ― fait parvenir à la direction du
PCF, à partir de la fin juillet 1921, des lettres déplorant la teneur de certains articles
parus dans la presse communiste et en général le manque de travail. Devant
l’absence de réponse, son ton se fait de plus en plus autoritaire. Il devient la cible de
militants qui refusent l’interventionnisme de l’IC et considèrent que Souvarine est
mandaté pour défendre le parti et non l’attaquer73. A travers les critiques de
Souvarine sur l’inaction du CD74, son silence et sa passivité face aux attaques contre
l’IC dans les journaux du parti, se posent les questions de la subordination du PCF

68
Il s’agit principalement des cas de Henri Fabre, qui dirige le journal du peuple et de Pierre Brizon
qui dirige La Vague. Dans ces deux journaux s’expriment des militants qui critiquent, parfois
sévèrement, la politique de l’IC.
69
Lettre de l’Exécutif au CD du PCF, 26 juillet 1921, dans Le mouvement communiste en France, op.
cit., p. 124-130.
70
Il s’agit de l’une des nombreuses critiques du travail du CD faites par Treint lors de la commission
politique du congrès de Marseille. Voir Compte rendu de la séance du 27 décembre 1921 de la
commission politique, rédigée par Treint. IHS, fonds Souvarine.
71 ème
Depuis le 3 congrès de l’IC, Souvarine est le représentant permanent du PCF auprès de
l’Internationale. Il est également membre de son Présidium.
72
Henri Fabre (1876-1969) : Journaliste et socialiste. Membre du PCF en 1921-1922.
73
Pour une étude complète de la question voir, CHAIGNEAU J-L., op. cit., p. 391-413.
74
« Pourquoi ce CD ne dirige t-il rien ? […] Pourquoi avez-vous peur de discuter avec les
syndicalistes ?, pourquoi avez-vous peur de parler du troisième congrès, d’en vulgariser les
résolutions, d’en discuter les thèses ? […] A l’exécutif, on est littéralement scandalisé, et à juste titre,
de cette indifférence du parti français à l’égard de l’Internationale. », Lettre de Souvarine à Frossard,
26 septembre 1921. IHS, fonds Souvarine.

72
aux directives de l’Internationale et des résistances face à la volonté de cette
dernière de transformer une organisation de type social-démocrate en un parti
révolutionnaire construit sur le modèle bolchevik. Ces questions se posent avec
d’autant plus d’acuité que, dans un premier temps, l’ensemble du CD, tendance de
gauche y comprise, réprouve le ton des lettres de Souvarine, le rendant en partie
responsable de l’âpre polémique qui l’oppose, par organes de presse interposés, à
Fabre. Le 8 novembre, le CD vote une résolution ― à l’unanimité ― à la demande
de Ker75 et de Loriot condamnant « les polémiques personnelles entre communistes
[qui] n’ont pas leur place dans les organes du parti »76. Même si elle vise avant tout
les rédacteurs du Journal du peuple, Souvarine réagit avec virulence à cette
résolution qui constitue, selon lui, une infamie à son égard. Sa déception est d’autant
plus grande que « ses camarades de tendance » ont approuvé la résolution :
« Quand je vois que les attaques les plus abjectes contre l’Internationale,
contre l’Exécutif ou contre moi, sont considérées comme des "polémiques
personnelles" où l’on attribue les mêmes torts qu’à un diffamateur répugnant.
[…] Quand je vois tout cela, je suis en droit de douter désormais de l’utilité
d’un effort pour redresser actuellement le mouvement communiste en
France. »77
Les récriminations de Souvarine à l’égard de la gauche ne s’arrêtent pas à
cette seule résolution mais touchent à son attitude politique depuis le troisième
congrès de l’IC. Isolé à Moscou, il escomptait s’appuyer sur un certain nombre de
camarades ― il cite Loriot, Ker, Reynaud, Torrès, Treint, Vaillant-Couturier78 ― pour
constituer un pont entre le PCF et l’Internationale et travailler à la transformation du
parti français. Il considère que face à l’attitude équivoque des centristes et aux
attaques de la droite, les militants de la gauche ont été au mieux inactifs, au pire
complaisants. Sur ce point, il est difficile de connaître dans quelle mesure ces griefs
se portent sur Treint. Lorsque Souvarine le cite dans sa lettre à Loriot79, il indique le
nom des militants avec qui il envisage de travailler à l’avenir. Dans un premier temps,

75
Antoine Ker (1886-1923) : Elu membre, le 11 avril 1920, de la commission exécutive de la
fédération de la Seine. Partisan de la troisième Internationale, il fut nommé membre du Comité
directeur du Parti communiste et du comité de direction de l'école du propagandiste. Collaborateur de
l'Humanité et de la Vie ouvrière, il était alors chargé de la liaison entre le parti français, le KPD et
l'Internationale et jouait le rôle de secrétaire pour les relations internationales.
76
Cité par CHAIGNEAU, J-L., op. cit., p. 406.
77
Lettre de Souvarine « à plusieurs camarades », 21 décembre 1921, IHS, fonds Souvarine.
78
Lettre de Souvarine à Loriot, 18 décembre 1921, IHS, fonds Souvarine.
79
Ibid.
73
Souvarine ne considérait pas Treint comme un collaborateur crédible80, et il faut
attendre le congrès de la fédération de la Seine de décembre 1921 ― au cours
duquel Treint intervient énergiquement pour défendre les thèses de l’IC ― pour qu’il
le mentionne comme l’un des membres actifs de la tendance de gauche. Au
contraire son courrier du 21 décembre, énumérant ses principaux reproches, vise
plus particulièrement Loriot, Vaillant-Couturier et R. (Reynaud ?) qu’il avait désignés
comme étant les militants les plus sûrs, aux dirigeants de l’Internationale et à
Humbert-Droz81.
Quelle fût l’attitude de Treint à l’égard de la direction du PCF entre la fin du
troisième congrès de l’IC et le premier congrès du PCF ? Jusqu’au congrès de
Marseille, les résolutions du CD ont été votées à l’unanimité. Cependant, comme le
relève Loriot en 1922, il existait depuis juillet 1921 des désaccords, portant sur
l’organisation et la politique générale que la tendance de gauche a préférés taire
pour éviter de déclencher une crise qui couvait déjà82. Sur d’autres sujets, la gauche
rejoint le centre pour critiquer des thèses de l’IC jugées inapplicables en France.
Notamment, la question du rapport parti-syndicat divise les militants de la gauche. Le
premier congrès de l’ISR a voté une résolution qui, tout en affirmant la supériorité du
parti sur le syndicat et en proclamant « la nécessité d’un contact étroit et d’une
liaison organique entre les diverses formes du mouvement ouvrier révolutionnaire
[comme] hautement désirable », reconnaît l’autonomie du mouvement syndical83.
Cette résolution, perçue comme un appel au noyautage des syndicats par les
communistes, est très majoritairement rejetée par les syndicalistes français, et
provoque aussi des réticences dans le PCF. Sur ce point, Souvarine condamne
nettement les articles de Dunois84, Méric85 et critique l’attitude générale du CD qui se

80
Le fait que Treint se soit rangé au CD, au début de l’année, au côté de militants tels Cartier, que
Souvarine considère comme un « gauchiste » peu digne de foi (voir lettre à Loriot du 19 décembre),
explique certainement ce jugement. Notons également que J-L CHAIGNEAU affirme également que
« Souvarine ne faisait pas non plus l’unanimité auprès de ses camarades de Gauche Rappoport,
Méric et Treint », op. cit., p. 282.
81
Humbert-Droz, se rend une première fois en France, en octobre 1921, avec pour mandat de
« s’informer sur la vie du parti communiste français et pour intervenir avec les pleins pouvoirs dans le
sens des décisions du Comité Exécutif ». Humbert-Droz J., De Lénine à Staline : dix ans au service
de l’Internationale communiste (1921-1931), Neuchatel, Ed. de la baconnière, 1971, p. 21.
82
« La majorité actuelle du parti […] invoque la prétendue unité qui régnait au sein de l’ancien CD.
Parce que nos noms figurent en bas des thèses qui ont été votées à Marseille. On soutient qu’il n’y a
entre nous aucune divergence politique. C’est faux […] ». Déclaration de Loriot à l’assemblée
générale de la fédération de la Seine (février 1922), BMP 19.
83 ème
Sur les discussions de la commission syndicale du 3 congrès de l’IC et la création de l’ISR, voir
GRAS C., Alfred Rosmer et le mouvement révolutionnaire international, op. cit., p. 223-232.
84
Dunois Amédée (1878-1945) : Anarchiste, collaborateur de l’Humanité. Partisan de la tendance des
reconstructeurs, il rallie ceux de l’adhésion à la troisième Internationale en octobre 1920. Membre du
premier CD du PCF il appartient à la tendance de gauche.
74
contente de voter une motion réaffirmant « l’autonomie traditionnelle du
syndicalisme »86.
Quant à Treint, il intervient dans le débat par le biais d’articles87 approuvant
intégralement le point de vue de l’IC, tout en ménageant la susceptibilité des
syndicalistes révolutionnaires français par le rappel de la volonté du parti
communiste de respecter l’autonomie et l’indépendance du syndicalisme français88.
Sa démonstration vise avant tout à dédramatiser le débat et banaliser la motion de
l’ISR qui n’est selon lui qu’une formalisation de l’action commune existant déjà sur le
terrain :
« Syndicalistes révolutionnaires et communistes en face de la réaction
grandissante ont senti depuis quelques mois l’impérieux besoin de coordonner
leur action. […] Par des comités d’action, une liaison étroite, limitée à des
objets précis, s’est donc formée entre le syndicalisme minoritaire, le Parti
Communiste et l’ARAC »89.
Reprenant l’argumentation de Trotsky90, il souligne que l’expression « liaison
permanente et organique » ne signifie pas « subordination des syndicats à
l’organisation politique » mais propose simplement de favoriser le travail commun
des organisations du prolétariat en toute indépendance. Il considère que l’ISR a fait
preuve de « sagesse » et, tenant compte des particularités nationales, n’a pas
imposé de liaison organique, se bornant à préciser qu’elle est « hautement
désirable ». Treint se permet de conclure sur un ton léger, en évoquant « l’amour »
du parti pour les syndicalistes révolutionnaires :
«Nous, Parti, nous aimons une confédération du travail révolutionnaire. Nous
lui déclarons notre amour. […] Si la confédération révolutionnaire ne veut pas
se marier avec lui, tant qu’elle refuse le doux hyménée, le parti reste disposé,
quand elle le voudra, à faire avec elle l’amour libre. »
L’argumentation modérée caractérise assez bien l’attitude de la tendance de
gauche et sa volonté d’éviter les conflits avec la majorité du CD. Treint, dont l’article

85
Victor Méric (1876-1933) : Journaliste et écrivain. Socialiste anarchisant puis membre du PCF
(1920-1923).
86
« Le Parti communiste et les syndicats », l’Humanité, 23 juillet 1921, p. 1.
87
Treint A., « Le parti communiste et les syndicats », Bulletin Communiste, n° 31, 28 juillet 1921, p.
511-512.
88
« Nous comprenons très bien que le syndicalisme révolutionnaire attaché à ses traditions soit
chatouilleux lorsqu’il peut penser que son indépendance est menacée d’être menacée. Le Parti
Communiste doit le rassurer pleinement. », Ibid., p. 512.
89
Ibid., p. 511.
90
Voir la lettre de Trotsky à Cachin et Frossard, 14 juillet 1921, dans Le mouvement communiste en
France, op. cit., p. 116-119.
75
vise à défendre le point de vue de l’ISR, se réfère largement à la position du CD sur
le nécessaire respect de l’indépendance syndicale91. Souvarine, depuis Moscou,
n’accepte pas le ton de la polémique et exige plus de fermeté face aux
syndicalistes92. Lorsque la crise éclate ouvertement à Marseille, Treint montre alors
qu’il sait faire preuve de détermination dans la lutte de tendance et qu’il est décidé à
engager la bataille pour faire appliquer les décisions de l’Internationale.

3) Du congrès fédéral de la Seine au premier congrès du parti.

Le congrès de la fédération de la Seine (4/11/18 décembre 1921) préfigure les


débats de Marseille. Lors de la première séance, la question de la désignation des
membres du CD au congrès de Marseille provoque une « vive controverse »93,
première d’une longue série. Elle oppose une majorité favorable à un mandat
impératif des délégués de la Seine à la gauche, autour de Loriot et Treint, qui
souhaite que seul le congrès du parti ― une fois qu’une majorité claire se sera
dégagée ― puisse désigner les membres du CD. Treint dépose une motion
reprenant cette position94, qui est repoussée à une large majorité. Il s’agit du premier
épisode d’un affrontement entre les tenants d’un parti fédéraliste ― proche du
modèle de la SFIO ― et ceux qui veulent, conformément aux principes de l’IC, un
parti centralisé avec une direction restreinte, aux pouvoirs politiques élargis.
La séance du 11 décembre, déjà longuement décrite par P. Robrieux95, voit
une attaque concertée de tous les opposants au projet de présidium et de
réorganisation des organes de direction96. Au travers de cette question, Souvarine

91
Nous retrouvons cette même volonté dans un autre article consacré au possible regroupement des
forces entre le parti communiste et le « parti syndical-communiste » de Monatte. Treint A, « Les
perspectives communistes en France », La Correspondance Internationale, n°13, 23 novembre 1921,
p. 108-109.
92
Lettre de Souvarine à Cachin et Frossard, 17 août 1921, IHS, fonds Souvarine.
93
Compte rendu dans l’Internationale, n° 240, 4 décembre 1921, p. 2.
94
« Treint dépose alors une motion préjudicielle confirmant les déclarations de Loriot et faisant
confiance au congrès national pour désigner le Comité Directeur selon la majorité qui se dégagera à
Marseille », l’Humanité, 6 décembre 1921, n° 6464, p. 1.
95
ROBRIEUX P, op. cit., p. 83-88.
96 ème
Treint lit en séance le projet qui prévoit « conformément aux thèses du 3 congrès mondial » de
« retoucher » les statuts du parti et de créer un bureau exécutif de 5 membres chargé des affaires
courantes. Ce projet s’oppose à celui de Frossard, accepté par le CD (Boyet, Loriot, Mercier, Treint se
sont abstenus). Dans l’Humanité du 24 décembre (n° 6483), ces quatre militants publient une
déclaration justifiant leur vote : « Tous les militants du parti s’accordent pour convenir que le
fonctionnement actuel du CD est défectueux. […] En constituant un bureau exécutif automatiquement
formé par certains fonctionnaires du parti et en instituant des commissions dont le fonctionnement
n’est pas précisé n’ayant avec les membres du bureau aucun lien défini et dont le rôle consiste
uniquement à fournir des rapports au CD, le projet Frossard ne correspond ni aux nécessités de la
bonne organisation du parti, ni aux thèses de l’Internationale Communiste.
76
est constamment visé, accusé de vouloir imposer un régime de centralisation
oligarchique97. L’intervention de Frossard, très attendue, vise à apaiser les tensions
et démontrer que le PCF approuve et applique les décisions de l’Internationale sauf
si ces dernières ne correspondent pas à la situation française98. Il conçoit le conflit
Fabre-Souvarine et les attaques dont ce dernier est l’objet comme de simples
querelles personnelles qui n’impliquent pas l’IC. Treint lui réplique en affirmant au
contraire qu’à travers Souvarine, on cherche à atteindre l’Exécutif de l’IC99.
Lors de la dernière séance (18 décembre), consacrée à la fin du débat sur la
politique générale du parti et au vote des motions, Treint lit une déclaration ― signée
par Loriot et lui-même ― appelant à voter pour la notion portant son nom et
dénonçant le procès d’intention de la majorité :
« Il n’est jamais entré dans l’esprit d’aucun membre du Comité Directeur
d’instaurer de dictature d’un groupe de fonctionnaire actif sur une masse
d’adhérents passifs et d’organiser cette centralisation formelle réprouvée par
les résolutions du 3ème congrès. »100
La motion Treint regroupe finalement 1535 mandats, autrement dit bien peu face à la
motion du comité exécutif de la fédération (5596 mandats) et l’amendement Ker,
soutenu par Frossard et Cachin (3658). En voulant imposer les recommandations de
l’IC sans alliance ni discussion préalable, la gauche est largement battue dans une
fédération acquise aux partisans d’un modèle d’organisation fédéraliste. Elle
conserve néanmoins cette attitude intransigeante au cours du premier congrès
national du PCF.
Peu avant le congrès de Marseille, le PCF reçoit deux missives de Moscou101.
Le CE de l’IC énumère toute une série de reproches à l’encontre de la direction du
PCF, concernant les questions de la réorganisation de la direction, de la politique
syndicale et du contrôle de la presse, autrement dit les critiques que la gauche a

97
« Ce n’est d’ailleurs pas centralisation oligarchique qu’il faut dire, mais centralisation de secte. Et
l’instigateur de cette cabale contre le Parti, c’est le délégué à Moscou […] », l’Humanité, n° 6470, 12
décembre 1921, p. 1.
98
Cette remarque concerne plus particulièrement le refus d’appliquer la motion de l’IC sur le rapport
parti-syndicat. Voir ROBRIEUX P., op. cit., p. 86.
99 ème
« Si le parti regrette son adhésion à la 3 Internationale, il le dira. Nous redeviendrons minorité.
Mais nous n’accepterons pas que l’on donne un coup de poignard dans le dos de l’Internationale ».
100
Déclaration de Treint au congrès de la Seine, l’Humanité, n° 6478 ; 19 décembre 1921, p. 1. Ce
passage est extrait d’une résolution sur la politique générale, présentée par la minorité à la
commission des résolutions.
101
L’une adressée au congrès du PCF, l’autre au CD. Elles sont toutes deux rédigées par Zinoviev,
Humbert-Droz et Souvarine et datées du 19 décembre 1921. Le mouvement communiste en France,
op. cit., p. 135-43.

77
développé lors du congrès de la fédération de la Seine. La seconde lettre, adressée
uniquement au CD, répond aux attaques du Journal du peuple, dénonce la passivité
de la direction et apporte un appui politique clair à Souvarine et à la tendance de
gauche :
« Autant qu’on peut suivre d’ici les luttes à l’intérieur du parti français, nous
voyons que la ligne de conduite juste contre les demi-réformistes est
représentée par Loriot à Paris et par Souvarine à Moscou. Nous espérons que
le comité directeur mènera la même lutte contre les demi-réformistes. »
Le soutien de l’IC ne suffira pas à la gauche, minoritaire au congrès national, pour
imposer ses conceptions.
Le premier congrès national du PCF, qui s’ouvre le 25 décembre 1921, doit
arbitrer le conflit entre la direction du parti et son représentant à Moscou. Il doit
également discuter de l’application des résolutions de l’IC sur l’organisation, sur la
formation de noyaux communistes dans les syndicats, ainsi que sur la tactique du
front unique. Au cours des cinq journées de discussion, Treint déploie ses talents de
polémiste et se range résolument dans le camp des partisans de l’Internationale.
Grâce à ses interventions ― souvent autoritaires et cassantes ― contre la politique
du CD et contre les contradicteurs de Souvarine102, il apparaît au grand jour, au côté
de Loriot ou Vaillant-Couturier.
Le premier jour, après une matinée plutôt calme, la 2ème séance marque le
début de l’offensive contre le délégué du parti auprès de l’IC. Dès lors, la question
Souvarine, occupe près d’un tiers des débats du congrès103. Méric, Verfeuil104,
Pioch105, Auclair106 interviennent tour à tour pour obtenir de la part des délégués la
condamnation de Souvarine. A l’inverse, Bestel107 intervient pour « rendre
hommage » à l’activité de Souvarine au CE de l’IC et souligner que, contrairement
aux affirmations de certains, ce dernier a été obligé de « batailler contre les

102
Voir notamment le compte rendu d’un dialogue entre Méric et Treint au congrès de Marseille, dans
le Populaire, n° 269, 2 janvier 1922, p. 1 :
Treint : « Vous pouvez en parler vous de discipline. »
Méric : « Ce n’est pas toi qui me l’apprendra la discipline »
Treint : « A moins que ce ne soit la discipline militaire ».
103
Selon les observations de J-L CHAIGNEAU qui consacre par ailleurs un long développement aux
débats du congrès de Marseille, op. cit., p. 414-431.
104
Raoul Verfeuil (1887-1927) : Journaliste. Militant socialiste, puis communiste.
105
Georges Pioch (1873-1953) : Journaliste et homme de lettre. Militant socialiste, partisan de
l’adhésion à la troisième Internationale. Membre suppléant au premier CD de la SFIC.
106
Adrien Auclair (1895-1948) : Socialiste partisan de l’adhésion à la troisième Internationale.
Représentant des jeunesses auprès du premier CD de la SFIC.
107
Emile Bestel (1886- . ) : Second représentant du PCF auprès de l’IC.

78
camarades Trotsky et Zinoviev » et « a apporté le point de vue français ». De son
côté Frossard, qui ne souhaite pas que le cas Souvarine revienne constamment au
centre des débats, place son intervention108 sous le signe du rassemblement. Il
répond à la fois aux arguments de la droite et de la gauche et souligne que, même
s’il approuve dans l’ensemble le travail accompli par Souvarine à Moscou, il
considère que son ton et certaines de ses formules ont pu blesser. Il réfute
l’appellation de droite que Souvarine étiquette sur le dos de certains109. En réalité, si
à de nombreuses reprises les débats se concentrent sur le cas Souvarine, la
question sous-jacente concerne les rapports entre le PCF et l’Internationale110.
Jusqu’à la dernière séance, le 30 décembre, le cas Souvarine demeure au centre
des débats et finit par déclencher une crise profonde.
Dans ce contexte difficile, Treint monte à la tribune, lors de la quatrième
séance (26 décembre), en toute fin de soirée111. Son intervention porte
principalement sur la réorganisation du parti et sur les faiblesses du CD actuel. Avec
habileté, il entame son discours par un rappel des efforts fournis dans l’urgence,
depuis la scission :
« Eh bien, avec les faibles moyens dont nous disposions, nous sommes allés
dans tout le pays porter la bonne propagande. Nous nous sommes intéressés
à l’administration du parti lui-même, à celle des fédération et, […], on peut dire
que les uns et les autres, sans ordre et sans méthode, c’est entendu ― parce
qu’on ne peut pas avoir de l’ordre et de la méthode lorsqu’il s’agit de régler
des problèmes urgents ― nous avons été tour à tour administrateurs,
propagandistes, journalistes. »112

108 ème
Intervention lors de la 4 séance, le lundi 26 décembre (après-midi). Voir compte rendu dans
l’Humanité, n° 6480, 27 décembre 1921, p. 1-2.
109
« Une droite qui ressemblerait ainsi à Méric, Verfeuil, Fabre, Rappoport, Mayoux ça n’existe pas,
ce n’est pas une droite. Une droite c’est une opposition qui s’affirme sur des idées, une opposition
dont tous les membres ont des traits communs, une opposition qui s’insurge contre une discipline qui
doit être librement acceptée de tous ».
110
« En réalité des opinions diverses se confrontent : d’une part ceux qui veulent rester indépendant
par rapport à l’Internationale et qui font d’une pierre deux coups en attaquant Souvarine délégué du
parti jugé trop autoritaire, et Souvarine représentant membre de l’exécutif de l’IC, d’autre part ceux qui
ne souhaitent pas faire de procès d’intention, veulent minimiser les divergences entre l’IC et le parti
français en adaptant la lettre des résolutions à l’esprit français, et qui considèrent "l’affaire Souvarine"
soulevée par la droite comme une affaire individualités ; et encore ceux qui soutiennent Souvarine et
veulent démontrer qu’il y a à travers la "question Souvarine" une divergence fondamentale de
conception entre l’IC et le parti français […] », CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 415.
111
La séance consacrée à la politique générale du parti. Il parle après les interventions de Vaillant-
Couturier, Frossard, Verfeuil, Pioch et Loriot.
112 ème
P-V de la 4 séance, RGASPI, 517/1/38.
79
Il constate ensuite qu’en dépit de cette générosité dans l’action des militants, la
direction connaît certaines faiblesses et commet des erreurs113 qui mettent en
évidence la nécessité de repenser et de réorganiser la direction sur le modèle
proposé par l’Internationale. Il tente alors de démontrer à une assemblée de plus en
plus hostile que le CD, réuni quelques heures par semaine, ne peut à la fois se
charger des nombreuses tâches administratives et débattre des orientations
politiques du parti. Ceci explique, selon lui, l’absence de directive sur la tactique « au
point de vue électoral, au point de vue syndical, au point de vue coopératif ». Pour
résoudre ces difficultés, il demande au CD de désigner un « présidium » de 5
membres chargé des tâches administratives et politiques « qui sont les actes
permanents que doit accomplir un grand parti qui veut vivre ». Cette proposition
provoque une série d’interruptions et le président de séance demande à Treint de
quitter la tribune, son temps de parole étant écoulé. Ce dernier dénonce alors la
censure qui, selon lui, frappe la gauche et dont il se juge victime114. Prenant le
contre-pied de la première partie de son intervention plus modérée, il conclut sur le
registre de la lutte contre les déviations du communisme, par une allusion sur la
nécessité d’épurer le parti et d’y faire respecter la discipline :
« Le prolétariat est, dit-on, passé à la défensive et le sentiment de la discipline
s’en est trouvé affaibli, comme dans toutes les armées qui passent à la
défensive. Nous voyons que, partout, dans les partis, le vieil esprit
opportuniste relève la tête. Nous voyons que les éléments individualistes et
libertaires assimilés un peu tardivement peut-être, relèvent également la
tête. »115
En dehors des séances plénières, Treint participe à une réunion, tenue durant
la troisième journée du congrès, entre la sous-commission de politique générale116

113
Il évoque l’article de Rappoport sur le congrès de Milan, paru dans le Journal du peuple critiquant
les décisions de l’Internationale, l’absence de sanction contre La vague et le Journal du peuple. Il
ajoute : « En tout cas, à propos de cette campagne journalistique et confusionniste, s’il est une
dictature que nous ne devons pas subir, c’est la dictature des marchands de papier qui, sans
responsabilité, sont toujours à l’affût de tout ce qu’ils peuvent pour leurs intérêts […] », Ibid.
114
« Si, après les attaques passionnées dont nous avons été parfois l’objet, nous n’avons pas la
possibilité de nous exprimer devant le congrès…(vives protestations)…je vais descendre de cette
tribune. Mais non sans avoir dit que la parole d’un militant a été étouffée. (Nouvelles protestations,
interruptions) ». Ibid.
115
Ibid.
116
Treint, membre de cette commission (au côté de Brodel, Rappoport, Renoult et Soutif) est
également président de la séance et prend en note les débats : « Pour moi, j’affirme avoir noté toutes
les interventions sinon mot à mot toujours du moins argument par argument. A la lecture de ce
compte rendu, il sera aisé de savoir si ce furent à Marseille des personnes ou des politiques
différentes [souligné par l’auteur] qui s’affrontèrent. Lettre de Treint à Souvarine, 19 janvier 1921,
Fonds Souvarine, IHS.
80
― chargée d’élaborer la motion de politique générale117 ― et la délégation de
l’Internationale118. Il s’agit pour les deux délégués de l’IC de tenter d’infléchir, dans le
sens voulu par le CE de l’IC, l’orientation politique de la motion. Celle-ci contient une
allusion à la polémique entre Fabre et Souvarine et dénonce plus particulièrement
l’attitude de ce dernier. Elle présente également une proposition de réorganisation de
la direction avec la création d’un bureau exécutif chargé « des besognes
administratives et politiques d’ordre secondaire », doublée d’une condamnation du
centralisme oligarchique, et enfin une condamnation de la tactique du front unique
prolétarien, votée par le CE de l’IC quelques jours auparavant. En définitive, la
motion est imprégnée de la volonté de démontrer que le PCF reste souverain, quitte
à s’opposer de front aux conceptions de l’IC.
Entre les représentants de l’IC et la sous-commission, la discussion s’engage
sur la question du front unique. Le 18 décembre 1921, le CE de l’IC a adopté les 25
thèses sur le front unique119, dont il veut faire la tactique du mouvement communiste
pour conquérir les masses. Dans un premier temps, il doit la faire avaliser par ses
sections. Immédiatement la direction du PCF manifeste son hostilité. Par le biais de
la motion, elle condamne cette tactique jugée inapplicable en France et
contradictoire avec les évènements de Tours. Au cours de la réunion, Rappoport
s’interroge : « Le front unique est-il un appel aux troupes ou aux chefs réformistes et
opportunistes ? » Renoult lui fait écho : « Qu’on le veuille ou non, le front unique
implique un certain rapprochement avec les dissidents. Cela est pour nous
inacceptable. Quand Frossard a pris dans son discours position contre le front
unique, le Congrès l’a approuvé d’une façon imposante. »120 Parmi les militants
français présents, seul Treint se déclare ouvertement favorable au front unique :
« Je pense que la tactique du front unique est bonne et correspond à
l’ensemble de la situation internationale. Sans doute les modalités de cette
tactique en France doivent être conçues en tenant compte de la faiblesse des
dissidents dont il ne faut à aucun prix redorer le blason. […] Le front unique,
loin d’être un retour à l’unité, n’est possible que par suite de l’existence de
partis communistes distincts. Loin d’être un retour à l’ancienne unité, le front

117
La motion, inspirée par Frossard, a été adoptée à l’unanimité par la sous-commission, moins la
voix de Treint. Compte rendu de la réunion de Treint, Ibid.
118
Il s’agit de Walecki et Bordiga que Treint a déjà rencontrés à Milan.
119
Cf. infra.
120
Ibid., p. 6.
81
unique est le moyen concret d’éclairer la masse égarée par les réformistes et
de l’amener au communisme »121.
Quant aux deux délégués de l’IC, ils s‘étonnent que le PCF, sans engager une large
discussion à la base, puisse prendre une position si catégorique contre le front
unique. Bordiga raille l’intransigeance des français sur cette question122. Finalement,
après de longues palabres, ils obtiennent que la commission délibère de nouveau
sur la question et la pose à l’ordre du jour d’un prochain CD. Le conflit autour de
l’application du front unique en France est néanmoins loin d’être réglé et se pose
avec acuité tout au long de l’année 1922.
Les autres points de discorde concernent les thèmes qui secouent le congrès
depuis deux jours123 et qui posent en filigrane la question Souvarine. Walecki
demande que la référence au « centralisme oligarchique » disparaisse de la motion
mais se heurte sur ce sujet à l’intransigeance de Renoult124. Sur la question du
contrôle de la presse et les articles polémiques publiés dans le Bulletin Communiste
et le Journal du peuple, Fabre, appuyé par Rappoport, demande que Souvarine soit
fermement rappelé à l’ordre. Walecki lui réplique :
« En réalité vous avez donné dans votre motion un coup à gauche contre
Souvarine. Vous avez oublié de donner un coup à droite. Vous n’avez rien dit
du contenu des articles de Fabre. »125
S’ensuit une polémique entre Treint et Rappoport à propos l’article que ce dernier a
fait paraître dans le Journal du peuple sur le congrès de Milan, Treint lui reprochant
de donner « des leçons de tact et de tactique à Moscou »126. Finalement, les
membres de la sous-commission reconnaissent la nécessité de dénoncer les
agissements de Fabre et Brizon et promettent que leur volonté se traduirait dans les
actes127. Il s’agit de la seule concession acquise par la délégation de l’IC. Sur la
question de la réorganisation de la direction, tout en regrettant que la motion
repousse l’idée du présidium, Walecki demande que l’on retire au moins le terme de

121
Ibid., p. 11.
122
« Je suis très heureux, moi qui appartient à un parti accusé parfois d’extrême intransigeance, de
voir se manifester l’intransigeance des camarades français. Mais intransigeance ne veut pas dire
simplicisme (sic) ! Il faut appliquer notre intransigeance au réel. Il faut être intransigeant tout en
pénétrant la masse. », Ibid., p. 7.
123
Voir également la longue retranscription des débats par ROBRIEUX P., op. cit., p. 94-98.
124
Daniel Renoult (1880-1958), Correcteur d’imprimerie et journaliste. Socialiste puis membre du CD
du PCF. Directeur de l’Internationale (quotidien communiste du soir).
125
Ibid., p. 14.
126
Selon Walecki, Ibid., p. 15
127
Renoult : « Cela cessera, nous en donnons l’assurance. […] Nous vous assurons que cette fois il y
aura non des paroles mais des actes de notre part. », Ibid., p. 17-18.
82
« secondaire », concernant les attributions du bureau exécutif qui doit être créé.
Malgré ces propositions, les délégués du PCF et de l’IC se séparent sans être
parvenus à un accord. Après de nouvelles délibérations, auxquelles participe Treint,
la sous-commission propose cependant une nouvelle motion qui donne satisfaction à
la gauche et à l’IC sur le contrôle de la presse et la réorganisation de la direction.
Du 27 au 29 décembre, le congrès discute des questions syndicale, agraire,
de la défense nationale et entend un discours de Bordiga au nom de l’IC. Enfin, la
dernière séance, qui s’ouvre le 29 décembre à 21 heures, est consacrée au vote des
motions sur la question syndicale et sur la politique générale du parti, pour finir sur
l’annonce des résultats de l’élection du CD. C’est l’incident. Si Loriot, Vaillant-
Couturier et Treint128 sont élus, Souvarine en revanche avec 1842 voix perd sa
place. Aussitôt Loriot monte à la tribune et, avec émotion129, proclame qu’il
démissionne du CD130. Treint, suivi de Vaillant-Couturier et Dunois, fait de même et
déclare :
« Camarades, appartenant avec Loriot, avec Souvarine, à la même doctrine,
qui est celle de l’Internationale communiste, doctrine à laquelle j’avais cru que
le parti avait adhéré à Tours, je ne saurais que me solidariser avec la
déclaration qui vient de vous être lue par Loriot. Je ne siégerais pas dans le
nouveau comité directeur. »131
Pendant plusieurs heures, à l’initiative de Bestel, Ker et Tommasi132, on tente de
trouver une solution de conciliation133, des conciliabules se tiennent dans les
couloirs. Puis, à la tribune Frossard appelle le parti à l’unité et Méric dénonce le
manque de discipline de la gauche. Les démissionnaires, par la voix de Loriot et de
Treint, font preuve de fermeté et placent le conflit sur le terrain politique, convaincus
qu’à travers Souvarine, l’IC est visée :

128
Avec 2870 voix, Treint est élu suppléant. L’internationale, n° 266, 30 décembre 1921, p. 1.
129
« Loriot monta à la tribune. L’ex-instituteur de Puteaux était pâle ; entre ses mains, la feuille de
papier sur laquelle il avait écrit sa déclaration tremblait. On sentait que cet homme ne jouait pas la
comédie. ». Le populaire, n° 269, 2 janvier 1922.
130
« Etroitement solidaire de la politique de Souvarine qui est la politique de l’Internationale
communiste et d’autre part respectueux de l’article 18 des statuts qui précise que la majorité du parti
dirige le parti, je considère que ma présence au comité directeur est impossible. En conséquence j’ai
l’honneur de donner au congrès ma démission. » Cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 427.
131 ème
Procès-verbal de la 11 séance, RGASPI, 517/1/40.
132
Alexandre Tommasi (1886-1926) : Syndicaliste minoritaire membre de la commission
administrative de la CGT, militant socialiste puis communiste.
133
Bestel propose de : « renouveler notre confiance à Souvarine et son mandat de délégué à
l’exécutif. […] On ne peut pas dire que Souvarine ait été battu sur des questions politiques. ». Cité par
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 427.
83
« Depuis quelques temps, les désaccords doctrinaux étaient apparus
sourdement entre les uns et les autres. Nous n’avons pu apporter
suffisamment tôt ses différends doctrinaux devant l’ensemble du parti. Nous
avons peut-être eu tort mais c’est parce que nous pensions qu’ils allaient
s’atténuer et que le congrès n’allait pas par une manifestation politique écarter
non seulement Souvarine mais la politique qu’il représente. »134
Le mot de la fin revient à Frossard :
« Je dis à Loriot, Treint et Vaillant-Couturier, vous avez raison. Inutile de
prolonger plus longtemps ce pénible débat. Nous acceptons la situation dans
laquelle nous nous trouvons. Vous nous avez donné la direction du parti, nous
la prenons. »135
Le congrès se termine dans cette situation confuse, où, du fait des
démissions, Souvarine redevient finalement membre suppléant du CD. Une crise
profonde s’ouvre au sein du parti. Elle se répercute sur les relations entre le PCF et
l’IC. En effet, la tactique du front unique, accueillie avec hostilité à Marseille, met en
évidence la volonté d’autonomie existant dans les rangs et jusque au sein de la
direction du PCF. Dès lors l’IC s’appuie ouvertement sur la tendance de gauche pour
imposer ses idées au parti français.
Après Tours, Treint était entré au CD comme membre titulaire. Au congrès de
Marseille, réélu membre suppléant, il démissionne. Cependant, sa position au sein
du parti s’en trouve renforcée. Au cours de l’année 1921, du fait de sa révocation et
de ses tournées à travers la France, il se fait connaître, ne se distinguant néanmoins
pas des autres membres du CD, tous étant accaparés par de nombreuses tâches
dans le jeune parti encore mal organisé. Tout au plus s’est-il signalé par sa prise de
position sur la mobilisation de la classe 19 en appelant, avec Cartier, le parti à
passer à l’action.
Les congrès de la fédération de la Seine et de Marseille le révèlent comme
l’un des leaders de la tendance de gauche. Au cours de ses deux assemblées,
toutes ses interventions sont imprégnées de la volonté de défendre et de faire
appliquer le point de vue de l’IC, alors même que la majorité est tentée par une ligne
plus indépendante. Cette posture ne peut être perçue comme un calcul politique de

134
Intervention de Treint, RGASPI, 517/1/40. Cette intervention est critiquée par plusieurs militants qui
reprochent aux démissionnaires de créer une situation de crise et de ne pas s’être exprimés plus tôt.
Voir l’Internationale, n° 266, 30 décembre 1921, p. 2.
135 er
« Impression sur la dernière séance du Congrès », Le populaire, n° 265, 1 janvier 1922.

84
sa part mais bien comme une manifestation de sa conviction profonde de la
supériorité des positions doctrinales de l’IC et du parti russe. Cette conviction
l’amène à démissionner de son poste au CD. Même si cette décision est finalement
condamnée par le CE de l’IC136, elle lui apporte une évidente légitimité au sein de la
gauche et contribue à construire sa réputation d’intransigeance. Dans ses lettres,
écrites après le congrès de Marseille, Souvarine manifeste à plusieurs reprises son
approbation de l’attitude des démissionnaires et plus particulièrement de celle de
Treint137, qu’il perçoit désormais comme un militant précieux dans la lutte de
tendance engagée. Pour l’IC également Treint représente un pion essentiel sur
l’échiquier français. Il devient un acteur incontournable dans le conflit qui oppose le
PCF à l’Internationale sur la question du front unique.

136
Résolution du CE de l’IC, 9 janvier 1921, RGASPI, 517/1/60.
137
« Quant à votre attitude à l’égard de l’ensemble du Parti, il me semble que c’est Treint qui a
prononcé les paroles vraies et courageuses qu’il fallait dire : rentrer dans la minorité et recommencer
la lutte pour faire prévaloir les idées communistes ». Lettre de Souvarine à Lecache, 6 janvier 1921,
IHS, fonds Souvarine.
85
B/ La crise de 1922.

Le premier janvier 1922, l’IC et l’ISR lancent conjointement un appel « Pour


l’Unité du Front prolétarien »138. Il s’agit d’amener les partis communistes à
s’adresser, pour des actions ponctuelles, à toutes les autres formations ayant des
« appuis dans la classe ouvrière, sans égard aux divergences qui les séparent,
pourvu qu’ils soient tous animés du désir de combattre pour les revendications les
plus pressantes de la classe ouvrière »139. Cet appel au front unique, qui constitue le
premier grand tournant tactique de l’IC, découle de la prise de conscience de
l’évolution de la situation politique en Europe et de la nécessité de réorienter l’activité
des partis communistes vers la lutte pour les revendications immédiates du
prolétariat. Les prémices de cette évolution datent du 3ème congrès mondial. Il faut
cependant attendre la fin de l’année 1921 et l’adoption de « la tactique du front
unique prolétarien »140, pour que celle-ci soit généralisée à l’ensemble du
mouvement communiste international. Une conférence internationale, réunissant les
principaux partis communistes pour discuter des modalités pratiques de l’application
de la nouvelle tactique, doit avoir lieu le 10 février 1922141.
Dès le congrès de Marseille, la majorité du PCF a exprimé son hostilité à la
tactique du front unique, qui implique de s’adresser aux dirigeants du « parti
dissident ». Dans un contexte de tensions exacerbées entre tendances, suite aux
démissions de Marseille, les débats se résument à une lutte d’influence entre les
partisans d’une stricte application des décisions de l’IC et tous ceux qui, pour des
raisons diverses, s’opposent au tournant tactique. A ceci, vient s’ajouter les
questions non réglées à Marseille du contrôle de la presse et de l’exclusion de
Fabre, de la réorganisation de la direction et du travail syndical. De plus, le parti subit
une chute de ses effectifs142 et un premier revers électoral lors d’élections cantonales
partielles en mai 1922.

138
Publié en France dans le Bulletin Communiste, n° 3, 12 janvier 1922.
139
Ibid.
140
Le 18 décembre 1921, le CE de l’IC adopte les « Thèses sur l’unité de font prolétarien et sur
l’attitude à adopter envers les ouvriers adhérant aux Internationales II et II½, à celle d’Amsterdam et
aux organisations anarchistes-syndicalistes ».
141
Nous nous contentons ici d’un bref rappel historique sur les origines de la tactique du front unique.
Pour de plus amples informations, voir notamment BROUE P, Histoire de l’Internationale communiste,
op. cit., p. 249-262.
142 er
Entre le 1 octobre 1921 et le 31 juillet 1922, le PCF perd plus de 30000 adhérents. KRIEGEL A.,
Aux origines du mouvement communiste français, op. cit., p. 857.
86
Treint, avec l’appui de Souvarine et des dirigeants de l’IC, loin de jouer
l’apaisement, s’empare au contraire de toutes ces questions conflictuelles pour
mener une véritable offensive contre la direction. Autour de lui, il constitue une
fraction, décidée à mener le PCF jusqu’à la scission, si nécessaire. Cependant, au
sein même de la gauche, de nombreux militants s’opposent aux méthodes de Treint
et à la brutalité dont il fait preuve. Notamment lorsqu’il exprime sa conception du
front unique par une formule devenue célèbre, il s’attire les reproches des partisans
du front unique, pour qui ces propos ne font que desservir la cause qu’ils défendent.
Mais, fermement soutenu par l’IC et devenu l’un des piliers de la gauche, Treint
s’affirme, malgré son manque de crédit chez les militants, comme l’un des dirigeants
du parti.

1) Le front unique pour « plumer la volaille socialiste » ?

Le 17 janvier 1922, le nouveau CD issu du congrès de Marseille vote une


résolution, qui réaffirme le rejet de la tactique du front unique, considérée comme
inapplicable en France143 et convoque une assemblée des secrétaires fédéraux
destinée à discuter cette thèse. La majorité centriste garde en mémoire la scission
douloureuse à Tours et refuse de se dédire en proposant une collaboration avec des
dirigeants socialistes et syndicalistes qu’elle critique vertement depuis un an. Pour
elle, la question de l’unité se résume avant tout au risque de retour à l’unité
organique ou du moins à l’affaiblissement du PCF face aux « dissidents ». Le 19
janvier 1922, la fédération de la Seine discute à son tour du front unique qu’elle
condamne à une très large majorité144. De même, lors de la conférence des
secrétaires fédéraux, la quasi-totalité des fédérations se prononce contre le front
unique. La direction semble s’appuyer sur une large approbation de la base jusqu’au
sommet.
En réalité, la situation apparaît bien plus complexe. Que se soit dans le camp
des opposants comme des partisans du front unique, les arguments et les
motivations divergent. Lors d’une l’assemblée de la fédération de la Seine, Treint, qui

143
« Le comité directeur estime que l’application de la tactique du front unique est impossible dans
notre pays en ce qui touche l’accord avec les états-majors dissidents et majoritaires fédéraux. Il
estime qu’elle représente pour l’Internationale des dangers certains contre lesquels des garanties
devront être prises. Il donne mandat en ce sens à ses délégués à la conférence internationale de
février. », l’Humanité, n° 6502, 12 janvier 1922, p. 1.
144
1206 voix contre le front unique, 49 voix pour, 149 voix pour l’ajournement de la discussion et 48
abstentions, l’Internationale, n° 287, 20 janvier 1922, p. 1.
87
intervient pour défendre la tactique du front unique, réfute les classifications
arbitraires concernant cette question :
« [Treint] affirme ensuite qu’on ne saurait dire que les partisans du front
unique sont à droite et que leurs opposants sont à gauche »145.
Si la très grande majorité des opposants regroupe les militants proches du centre,
ceux que l’on qualifie d’extrême-gauche, derrière Renoult et Méric, rejettent
également le front unique. Les deux tendances dénoncent une manœuvre
politicienne146 qui peut amener le parti vers les pires compromissions et vers la
participation gouvernementale voire dissoudre l’IC dans l’Internationale socialiste147 :
« Ce premier point, donc, doit être mis hors de discussion. Le front unique se
fait avec les chefs pour atteindre plus sûrement les masses. […] J’ai le droit de
dire que le front unique, dans certaines conditions et sous certaines réserves
mène tout droit à une sorte de participation gouvernementale. »148
Frossard craint que « l’unité d’action ne conduise rapidement à l’unité
d’organisation »149 ou du moins ne favorise tous les militants qui regrettent l’unité
socialiste d’avant Tours. Il s’appuie sur quelques articles, parus notamment dans le
Journal du peuple sous la signature de Fabre, et qui se réjouissent de l’adoption de
cette tactique par l’IC, prélude au retour à l’unité socialiste. Si Frossard reconnaît que
cette droite n’a qu’une très faible influence dans le parti150, cet argument lui sert
surtout à railler les partisans de gauche du front unique, défenseurs acharnés de la
scission un an auparavant, et désormais au côté de la droite pour promouvoir le
dialogue avec les socialistes et les syndicalistes majoritaires.
Les principaux partisans de l’application du front unique appartiennent en effet
à la tendance de gauche et derrière Dunois, Rosmer, Vaillant-Couturier ou Treint,
revendiquent l’application intégrale des thèses de l’IC, impliquant de s’adresser aux
chefs socialistes et syndicalistes majoritaires, en vue de la réalisation d’actions
temporaires. Au sein de cette tendance, une petite minorité, qui clame son accord
avec l’IC, souligne la spécificité de la situation française et se déclare partisane du

145
« Le congrès fédéral de la Seine étudie le problème du front unique », l’Humanité, n° 6510, 20
janvier 1922, p. 2.
146
Voir Méric V., « Sur le front unique », l’Humanité, n° 6511, 21 janvier 1922, p. 1.
147
Renoult D., « La quiétude de Rosmer », l’Humanité, n° 6600, 20 avril 1922, p. 1.
148
Frossard L-O, « Contre le front unique », Bulletin Communiste, n° 7, 16 février 1922.
149
Ibid.
150
Frossard L-O, « Pour le front communiste international », l’Humanité, 29 janvier 1922, n° 6519, p.
1.
88
front unique à la base, sans compromission avec les chefs réformistes151. En
définitive, au début de l’année 1922, les partisans inconditionnels du front unique, tel
qu’il a été pensé à Moscou se résument à une poignée de militants qui, du fait du
soutien de l’IC, possèdent une influence supérieure à leur poids numérique. En dépit
de l’homogénéité apparente de cette tendance, des différences d’interprétation sur
les buts du front unique apparaissent dans les écrits et les discours de ses
principaux représentants.
Dans le cadre de la controverse engagée dans le parti suite au vote de la
résolution du CD rejetant la front unique, Treint publie un article152 réaffirmant les
principes de la tactique de l’IC et agrémente sa démonstration de formules censées
clarifier la question et répondre aux arguments de la majorité centriste. Le CD
conteste le bien-fondé d’un rapprochement avec les réformistes, il répond que la
tactique a été, volontairement ou involontairement, mal interprétée :
« On voit par là combien se trompent ceux qui voient dans la tactique du front
unique un pas vers le rapprochement avec les chefs dissidents ou vers le
retour à l’ancienne unité. Se rapprocher, oui, mais pour se quereller avec les
chefs opportunistes et réformistes, et pour que, dans la querelle, les masses
donnent raison au communisme. […] D’abord, en aucun cas, la tactique du
front unique ne devra permettre aux chefs disqualifiés devant la majeure partie
de l’opinion ouvrière de redorer leur blason. »153
Treint analyse avant tout le front unique, non comme une alliance temporaire rendue
nécessaire par la volonté de lutte des ouvriers, mais comme une manœuvre tactique
visant à affaiblir les socialistes154, en vue de faire leur procès devant l’opinion
ouvrière et de se présenter comme les garants de l’unité.
Parmi les défenseurs du front unique, seul Treint souligne avec tant
d’insistance, le côté manœuvrier de cette tactique. Si à plusieurs reprises Rosmer ou
Dunois prennent soin de rappeler que l’IC ne propose pas le retour à l’unité155, ils

151
Voir Rappoport C, « Pour le front unique prolétarien », l’Humanité, n° 6510, 20 janvier 1922.
Reynaud, ancien secrétaire du CTI, se déclare également partisan du front unique à la base lors d’une
ème
réunion de la 9 section de Paris, l’Internationale, n° 284, 17 janvier 1922, p. 4.
152
Treint A, « pour le front unique », Bulletin Communiste, n° 4, 26 janvier 1922.
153
Ibid., p. 65-66.
154
Dans son discours du 4 décembre 1921, à la séance de l’Exécutif de l’IC, Zinoviev affirmait : « Les
ème
gens d’Amsterdam et de la 2 Internationale ne comprennent que trop bien le pourquoi véritable de
nos mots d’ordre […] ». Mais il rejetait dans le même temps une conception purement manœuvrière
de la tactique. Cité dans Les cahiers du CERMTRI, n° 65, Juin 1992
155
Voir notamment Dunois A, « A propose du front unique », Bulletin Communiste, n° 3, 19 janvier
1922 : « Il ne s’agit donc pas de reconstituer les unités brisées et justement brisées, puisqu’elles
89
perçoivent et présentent avant tout le front unique comme un moyen de se lier aux
masses et de répondre, avec souplesse, aux évolutions de la situation mondiale et à
la nécessité de reconstituer les forces du mouvement ouvrier, affaibli par « l’offensive
de la bourgeoisie »156. La tactique du front unique, loin d’être une machination, ne
serait en définitive que la réponse appropriée aux évolutions du capitalisme mondial
et à la volonté du prolétariat de lutter avant tout pour l’amélioration des conditions
matérielles157.
Si Treint approuve la nécessité de réaliser le front unique « pour des actions
déterminées et sur des mots d’ordre précis », il fait sur ce point une lecture
personnelle des thèses de l’IC et des contributions des dirigeants de l’IC sur lesquels
il appuie sa démonstration. Selon lui, dans cette période « d’offensive désespérée du
capitalisme », toute lutte réformiste devient révolutionnaire :
« Aujourd’hui, si le prolétariat résiste victorieusement sur le front des huit
heures et de la conservation des salaires, la situation économique du monde
est telle que le régime capitaliste saute. Il y a coïncidence entre la réforme et
la révolution ; la réforme est un équivalent pratique de la révolution. Cela
permet aux communistes, sans rien abandonner de leur volonté
révolutionnaire, d’appeler le prolétariat à lutter pour des buts concrets et
immédiats et par là entraîner au combat derrière eux toute la classe
ouvrière. »158
Affirmer que dans les conditions actuelles, il n’existe plus d’antagonisme entre
réforme et révolution provoque les sarcasmes des opposants au front unique159,
mais aussi les critiques des partisans qui jugent ces arguments inopportuns160.

n’avaient d’unité que le nom. Au vieux rêve unitaire, l’Internationale oppose aujourd’hui le Front
prolétarien unique, c’est à dire des actions communes en vue d’objectifs limités. »
156
GRAS C., op. cit., p. 265.
157
Voir l’appel de l’IC : « Pour l’Unité du Front prolétarien », Bulletin Communiste, n° 3, 12 janvier
1922.
158
Treint A., « Pour le front unique », art. cit.
159
Voir notamment Duret J., « Coup de barre à gauche », l’Internationale, n° 404, 18 mai 1922, p. 4 :
« En préconisant la lutte pour des objectifs immédiats, nous ne vouons cependant pas retomber dans
les mêmes erreurs que le camarade Treint et ses amis, partisans du front unique. Nous répudions
avec énergie et nous combattons comme excessivement dangereuse toute théorie qui consisterait à
faire croire à la masse qu’à l’heure actuelle […] il n’y a plus d’antagonisme entre réforme et
révolution. »
160
Karl Radek, dans un article consacré au front unique intitulé « Les tâches immédiates de
l’Internationale communiste, publié dans La Correspondance Internationale du 4 janvier 1922
s’interrogeait sur la possibilité que « ces luttes dépassent promptement les limites de l’action
réformiste et deviennent des luttes pour la conquête du pouvoir […] et que les masses ouvrières qui
s’y engagent pleines d’illusions réformistes s’y révolutionnarisent peu à peu ? ». Cependant cette
remarque ne vise pas à assimiler les luttes pour des réformes partielles à une lutte révolutionnaire
globale.
90
Au cours des nombreux meetings et assemblées du parti, organisés dans le
cadre de la controverse sur la tactique du front unique, Treint réaffirme avec force
son analyse, employant à plusieurs reprises les formules sur « les réformes
révolutionnaires » ainsi que sur la tactique consistant à « se rapprocher des masses
et même des chefs, mais pour se quereller, et afin que les masses prennent parti
pour les communistes dans la querelle »161. En dépit du faible succès de ces
formules ― les partisans du front unique sont systématiquement battus lors de ces
assemblées ―, il récidive lors de l’assemblée des secrétaires fédéraux, le 22 janvier
1922. Il y assure ne pas comprendre pourquoi le front unique provoque tant de
réticence, puisque loin d’être une tactique de compromission, il s’agit au contraire de
lutter contre l’influence des chefs socialistes. Et, pour illustrer cette thèse, il lance à la
tribune que le front unique consiste à « plumer la volaille socialiste »162. Cette
expression pour le moins abrupte et imprudente à l’égard des socialistes avec
lesquels on prétend construire le front unique, est passée sous silence dans les
comptes rendus de l’assemblée et les participants ― y compris les opposants ― se
gardent d’en faire la publicité163.
Désigné par Souvarine164, Treint165 participe au 1er Exécutif Elargi de l’IC (21
février/4 mars 1922), réuni pour discuter notamment de la tactique du front unique166.
La délégation française comprend, Cachin, Renoult, Métayer et Sellier, mandatés
pour défendre les positions du PCF et, au coté de Treint, Ker Souvarine et Rosmer
― ces deux derniers résident alors à Moscou ―, comme représentants de la
minorité n’ayant que des voix consultatives. La discussion sur la tactique du front
unique occupe 6 des 17 séances plénières de la conférence (du 25 au 28 février)167.

161 e
Voir compte rendu de l’intervention de Treint à la 9 section de la fédération de la Seine,
l’Internationale, n° 284, 17 janvier 1922, p. 4 ; ainsi qu’au congrès fédéral de la Seine, l’Humanité, n°
6510, 20 janvier 1922, p. 2.
162
Rosmer A., Moscou sous Lénine, Paris, p. 262 : « [Treint] monta à la tribune pour défendre la
tactique que l’un après l’autre les secrétaires fédéraux condamnaient (46) ou approuvaient (12)
mollement. Il le fit de telle façon que son intervention fut une véritable catastrophe. C’est lui qui, en
cette occasion, lança la formule destinée à devenir célèbre : plumer la volaille ».
163
Voir compte rendu parus dans l’Internationale, n° 289-290, 22-23 janvier 1922 et l’Humanité, n°
6513, 23 janvier 1922.
164
Voir lettre de Souvarine aux membres de la gauche, 11 janvier 1922, IHS, fonds Souvarine.
165
Voir en annexe, le questionnaire rempli par Treint lors de son arrivée en Russie.
166
En fait, l’ordre du jour était bien plus chargé. Furent abordées entre autre les questions de la
situation du PCF suite aux démissions de Marseille, de l’Opposition ouvrière dans le PCR. Voir Cachin
M., Carnets, tome 3 (1921-1933, Paris CNRS Ed., 1998 ; plus particulièrement la préface 1922, p. 82-
83.
167
Ibid., p. 83. Nous reviendrons ultérieurement sur les autres questions abordées lors de cet Exécutif
Elargi et plus particulièrement sur la question française. Pour un compte rendu des débats, voir les
ouvrages cités ci-dessous ainsi que Frank P., Histoire de l’Internationale communiste, tome 1, Paris,
Ed. de la brèche, 1979, p. 198-208.
91
La discussion s’ouvre sur un rapport général de Zinoviev, au cours duquel il
rappelle à ses détracteurs que la tactique du front unique est avant tout dictée par la
volonté des masses de réaliser l’unité ouvrière168. Débute ensuite une vive
discussion qui met aux prises la majorité favorable aux thèses de l’IC avec les
délégations françaises, italiennes et espagnoles. Après les interventions de
Renoult169 ― qui justifie la position du PCF par la situation spécifique de la France ―
et de Terracini170 ― qui, au nom du parti italien, dénonce l’opportunisme de la
politique de conquête des masses ― Zinoviev, Trotsky171 et d’autres172 répondent
aux objections des français et des italiens et demandent aux délégués de voter
intégralement les thèses de l’IC.
Dans ce contexte, Treint intervient, au cours de la séance du 27 février, pour
présenter le point de vue de la minorité, montrer que le PCF n’est pas unanimement
opposé au front unique et que plusieurs fédérations appliquent déjà cette tactique au
niveau local173. Si dans l’ensemble, son discours est calqué sur les thèses de l’IC
(offensive capitaliste, nécessité de se lier avec les masses par des mots d’ordre
unitaires), il profite de la prestigieuse tribune pour attaquer avec véhémence la
direction et l’accuser de « complaisance » à l’égard des opposants à l’IC. Si, à l’instar
de la majorité de la délégation française, il reconnaît l’existence de difficultés dans
l’application du front unique en France, celles-ci sont dues, selon lui, exclusivement à
la présence d’un courant « opportuniste de droite » qui veut reconstruire l’unité
socialiste. Il demande en conséquence l’épuration du parti en préalable à
l’application du front unique. Il s’illustre surtout en répétant, devant les délégués des
principaux partis communistes, les formules dont il s’est servi dans les discussions
internes du PCF°:
« Dans la période où nous sommes, toute réforme est révolutionnaire, parce
que la bourgeoisie ne peut pas la satisfaire. […] Il y a coïncidence, dans la
situation d’aujourd’hui entre la réforme et la révolution qui s’équivalent
pratiquement. […] Les soi-disant réformistes sont inertes en face de l’offensive

168
Voir Humbert-Droz J., De Lénine à Staline, op. cit., p. 42-44.
169
Voir le Bulletin Communiste, n° 16-17, 22 avril 1922.
170
Umberto Terracini (1895-1983) : Militant socialiste opposé à la guerre, il rallie le PCI au congrès de
Livourne.
171
Discours de Trotsky, prononcé le 26 février 1922, dans Le mouvement communiste en France, op.
cit., p. 147-163.
172
Interviennent également Radek, Lounatcharski, Thalheimer.
173
Discours de Treint publié sous le titre « A propos du Front Unique », Bulletin Communiste, n° 15,
13 avril 1922, p. 284-286. Il consacre prés de la moitié de son intervention à montrer qu’à la base, le
parti rallie progressivement les thèses de l’IC.
92
patronale. Ou bien, lorsqu’ils parlent de réformes, il s’agit de réformes à
rebours, de retro-réformisme. »174
Soucieux de briller par un discours offensif, il expose sa vision manœuvrière et
manichéenne du front unique :
« Parce que cette tactique, réalisant l’unité d’action de la classe ouvrière,
permet en même temps de démasquer les chefs réformistes, Frossard nous
accuse, et l’Exécutif avec nous, de machiavélisme naïf. […] Un moment
viendra où les réformistes resteront en chemin et où, usant de notre droit de
critique, nous saurons les démasquer. Et puis si par hasard quelques chefs
locaux menaient la lutte jusqu’au bout et se convertissaient au communisme,
quel mal y aurait-il ? Je suis d’ailleurs assez sceptique là-dessus. […] Nous
nous rapprochons des chefs réformistes, c’est entendu, chaque fois qu’il s’agit
d’une action précise ; puis l’action terminée, nous nous en éloignons ; nous
nous rapprochons et nous nous éloignons d’eux alternativement comme la
main se rapproche et s’éloigne de la volaille à plumer. »175
Les thèses de l’IC sur la tactique du front unique sont votées à une très large
majorité et la motion déposée par les délégations française, italienne et espagnole
opposées aux alliances avec les organisations socialistes, repoussée. A cette
occasion Ker, Souvarine et Treint font une déclaration affirmant leur accord avec les
positions de l’Internationale. De leurs côté, les trois délégations minoritaires, ayant
obtenu une certaine souplesse quant aux modalités d’application du front unique et à
la possibilité d’exprimer leur point de vue lors des prochaines assemblées de l’IC,
font une déclaration, lue par Cachin, affirmant leur discipline et leur fidélité aux
décisions de l’IC176. Renoult intervient une dernière fois pour réitérer ses critiques et
sa crainte « qu’un programme minimum fasse tort à l’idée révolutionnaire. Il en
profite pour marquer ses distances avec le discours de Treint :
« Nous savons bien que ceux qui ont élaboré les thèses ne le font pas une
minute dans cette optique mais nous nous défions des interprétations comme
celle de Treint (parfaitement dit Lozovsky177). Nous sommes d’accord avec
l’Exécutif sur le fond, sur la tactique : l’appel aux masses doit se faire sur le

174
Ibid., p. 284.
175
Ibid., p. 286.
176
Cachin M., op. cit., p. 94.
177
Alexandre Lozovsky (1878-1952) : Il réside en France à partir de 1908. Secrétaire du syndicat des
chapeliers. Membre du groupe bolchevik et du CRRI. Il rejoint Moscou en 1917 et devient un dirigeant
du mouvement syndical et œuvre à la fondation de l’Internationale syndicale rouge.
93
terrain économique mais nul besoin d’accord, de tractations avec les chefs
des partis politiques ennemis. »178
Malgré la déclaration faite par la délégation française, la direction du PCF
n’envisage pas d’appliquer le front unique et se contente, après l’Exécutif Elargi, de
poursuivre le débat dans ses rangs. Quant à la gauche, principalement à l’instigation
de Treint, elle durcit le ton et accuse la direction centriste d’utiliser la presse
communiste pour développer la propagande contre le front unique et de tenter
d’étouffer la voix de ses contradicteurs179. Dans sa séance du 14 avril 1922, le CD
vote une nouvelle résolution contre le front unique et repousse une proposition
d’action commune des socialistes pour le premier mai. Cette volonté manifeste de
s’opposer aux décisions de l’IC conduit au vote, par le conseil national du PCF (22-
23 avril 1922), d’une résolution s’opposant « aux accords avec les Etats-majors des
socialistes ou syndicalistes réformistes » et s’en remettant au 4ème congrès mondial
de l’IC pour « trancher définitivement la question avec toute l’autorité nécessaire. »180
Les débats soulignent le fossé entre la majorité du parti ― Renoult s’élève contre les
méthodes de discussion instituées lors de l’Exécutif Elargi181 ― et la gauche qui
considère la discussion sur les principes du front unique close et demande que les
discussions portent exclusivement sur les modalités d’application. Bouthonnier
dépose une motion dans ce sens182 et soulève des protestations indignées contre
l’attitude dictatoriale de la gauche. Treint intervient ensuite, plaide en faveur d’une
stricte discipline à l’égard des décisions de l’IC et invoque le centralisme
démocratique pour justifier la décision de l’Exécutif sur le front unique183. La gauche
propose alors une motion « Treint », opposée à celle de la majorité, réaffirmant que
les débats sur le front unique sont clos, que le PCF doit se soumettre à la discipline
communiste et respecter la parole donnée par sa délégation à Moscou. Au vote la
gauche est largement battue, sa motion recueillant 638 voix contre 3277 à celle de la
commission des résolutions, 296 abstentions et 348 absents184. L’IC réagit par une
résolution condamnant les décisions du conseil national et dans le même temps,
décide d’envoyer Humbert-Droz en France pour soutenir la tendance favorable à l’IC.
Grâce à sa politique habile, le représentant de l’IC obtient un changement d’attitude

178
Ibid., p. 179.
179
Voir Frossard L-O, « Front Unique ! », l’Humanité, n° 6614, 5 mai 1922, p. 1.
180
Bulletin Communiste, n° 18, 29 avril 1922, p. 351-352.
181
Intervention de Renoult, l’Humanité, n° 6603, 23 avril 1922, p. 1.
182
Ibid., p. 2. La motion est largement repoussée.
183
Intervention de Treint, Ibid., p. 2.
184
L’Humanité, n° 6606, 26 avril 1922, p. 4.
94
de Frossard et de sa majorité. Cependant, sur la question du front unique, en dépit
d’une nouvelle déclaration de soumission185, il faut attendre le tournant du début de
l’année 1923, pour que le PCF commence à appliquer cette tactique.
L’attitude de Treint tout au long de la controverse sur le front unique a
progressivement forgée sa réputation d’autoritarisme, d’intransigeance, de
dogmatisme, d’extrémisme verbal. Dans le Journal du peuple, Fabre l’affuble
désormais, en référence à son passé militaire, du sobriquet de « capitaine Treint »,
surnom qui le suivra tout au long de son parcours politique. Mais, c’est avant tout sa
formule sur « la volaille socialiste »186 qui lui vaut les critiques et la condamnation à
l’intérieur du parti. Lors de son intervention au conseil national d’avril, Treint tente
bien de tempérer ses propos et d’affirmer qu’ils sont mal interprétés, qu’il souhaite
une application loyale du front unique187, il est trop tard. La formule, rapidement
célèbre chez les socialistes, comme chez les syndicalistes réformistes, devient
synonyme de duplicité, de tromperie, de manœuvre des communistes. Par la suite, à
chaque proposition d’action commune, les socialistes n’auront de cesse de rappeler
la sentence malencontreuse. Au sein du parti, les opposants au front unique ne se
privent pas de retourner la formule contre son auteur et de le tourner en dérision188.
Quant aux autres membres de la gauche, s’ils se taisent tout d’abord189, ils se
gardent de reprendre la formule à leur compte et d’en faire la publicité. Devant
l’ampleur des réactions, Treint tente de répondre à ses détracteurs et de revendiquer
la légitimité et l’opportunité de ses propos :
« Partisan du front unique et ne m’amusant pas à jouer sur les mots,
complètement dépourvu d’aptitude pour ce genre de prestidigitation politique
qui consiste à montrer et à escamoter dans le même moment le front unique,
je repousse la formule : avec les masses sans les chefs. Avec les masses,

185
Lors de l’Exécutif Elargi (7-11 juin 1922) la délégation française, avec Frossard à sa tête, approuve
la résolution de la commission française qui demande au PCF d’appliquer la tactique du front unique.
Résolution de l’Exécutif Elargi, séance du 11 juin 1922, Bulletin Communiste, n° 28, 6 juillet 1922.
186
Dans le compte rendu de l’intervention de Treint au premier plénum de l’Exécutif Elargi, paru dans
l’Humanité (n° 6583, 3 avril 1922), la formule polémique était passée sous silence. Mais le Bulletin
Communiste (n° 15) publia in-extenso le discours de Treint.
187
Voir le compte rendu du conseil national du PCF dans le Populaire, n° 380, 23 avril 1922, p. 2 :
« Puis le citoyen Treint vint essayer de rectifier ses écrits de ces derniers temps. Ce fut dit-on assez
vaseux. Enfin, il paraît qu’il veut bien consentir à ne plus plumer la volaille dissidente. Aurait-il
l’intention de nous fricasser avec notre pelage ? Il paraît que non. Nous voilà pleinement rassurés. »
188
A partir de la fin avril apparaît dans plusieurs articles des références ironiques à la formule de
Treint. Pour exemple voir Méric V, « Sur un document », l’Humanité, n° 6614, 5 mai 1922, p. 1 :
« Vous vous plaignez amèrement des procédés qu’on emploie pour ridiculiser et déconsidérer le mot
d’ordre du front unique. Voyons ! Voyons ! Est-ce moi qui ai inventé "la volaille à plumer". »
189
Par la suite, Rosmer, Souvarine et d’autres, en conflit avec Treint, expliqueront qu’ils n’ont jamais
approuvé la formule qu’ils trouvaient maladroite et caricaturale.
95
sans les chefs réformistes, c’est le but à atteindre. Il s’agit précisément des
moyens d’y arriver. […] Le parti ne peut recruter des communistes que dans la
masse inorganisée et parmi les non-communistes organisés ailleurs. Cela
qu’est-ce, sinon plumer les organisations réformistes ? La volaille se défendra.
Et elle cherchera à nous plumer. C’est son droit. Un combat de coq quoi ! Moi
j’ai confiance dans la victoire du coq communiste. Je croyais que pour penser
cela, il suffisait d’être communiste. Faut-il que j’en aie une dose de
machiavélisme naïf et de rouerie puérile ! »190
Cette réponse, qui témoigne de son refus d’admettre sa maladresse et d’abandonner
sa vision schématique et réductrice du front unique, fait de lui l’une des cibles
favorites de tous ceux qui critiquent les thèses de l’IC. Si certains discours ou articles
de Treint laissent à penser qu’il n’est pas forcément un fin politicien, il démontre par
contre qu’il sait devenir, avec le soutien de l’IC et de Souvarine, un acteur
incontournable dans la lutte de tendance au sein du parti.

2) Treint et la tentation de Livourne191.

Avant le congrès de Marseille, Souvarine avait exprimé son acrimonie à


l’encontre de la tendance de gauche, qu’il jugeait passive et pusillanime192. Une fois
au courant des démissions des quatre, il leur fait parvenir une lettre manifestant son
approbation et se déclarant démissionnaire du comité directeur et de l’Exécutif193. Il
vote également contre une résolution du CE de l’IC critiquant ces démissions194. Il
s’en explique à Loriot et Treint. Les démissions constituent, selon lui, « l’événement
capital des derniers mois », bien qu’elles ne soient que « le point de départ de
l’action à mener »195. Il les exhorte à amplifier la crise en attaquant la direction, en
multipliant les articles et les déclarations et en poussant tous les militants
susceptibles de se solidariser à leur cause à démissionner de leurs mandats

190
Treint A, « La volaille à plumer », l’Humanité, n° 6616, 7 mai 1922, p. 5.
191
Au congrès de Livourne (janvier 1921), la gauche du PSI a fait scission, avec l’appui des délégués
de l’IC, pour former le parti communiste d’Italie.
192
Lettre de Souvarine du 21 décembre 1921, IHS, fonds Souvarine.
193
Lettre de Souvarine à Loriot (envoyée aux trois autres démissionnaires), 9 janvier 1922, Ibid.
194
Dans sa résolution du 9 janvier 1922, le CE de l’IC qualifie les démissions de « fautes » et rejette
celle de Souvarine. Dans son rapport sur le déroulement du congrès de Marseille, Walecki souligne
avoir réuni les quatre démissionnaires pour les faire revenir sur leur décision et que « l’on a admis [sa]
manière de voir, sauf Loriot et Treint [qui] persistaient à considérer leur démission comme une bonne
tactique ». RGASPI, 517/1/67.
195
Lettre de Souvarine à la gauche, 20 janvier 1922, IHS, fonds Souvarine.
96
représentatifs. A Treint, qui lui écrit qu’il faut lancer l’offensive et rompre nettement
avec les centristes, il répond :
« J’en sais déjà assez pour acculer les adversaires [Frossard et la direction]
ou bien à sacrifier la bande Fabre, Méric et Cie, ou bien à se déclarer
ouvertement solidaire et, par conséquent, contre nous. En ce cas, la situation
sera clarifiée, et l’on pourra foncer sur l’ennemi avec toute la violence
nécessaire. Je suis absolument de ton avis quant à la nécessité d’une attitude
nette, dénuée de subtilités diplomatiques. […] Tes paroles finales au Congrès
de la Seine sont les seules que j’ai approuvées sans réserves. »196
Contrairement à Dunois, Vaillant-couturier ou même Loriot qui veulent à tout
prix maintenir l’unité du parti197, Treint est persuadé, à l’instar de Souvarine, que la
gauche peut prendre le contrôle du parti, ou bien en créer un nouveau, débarrassé
de toute influence social-démocrate, et envisage de lancer l’offensive contre la
direction dans ce sens. Lors de l’Exécutif Elargi, tandis que les représentants de l’IC
à la commission française cherchent un compromis acceptable par tous, Treint se
distingue par son acharnement à vouloir faire condamner unilatéralement la
direction.
En dehors du front unique198, la commission française, réunie dans le cadre
du premier Exécutif Elargi, aborde toutes les questions en suspend depuis le
congrès de Marseille, c’est-à-dire la réorganisation du parti, le contrôle de la presse
et la question syndicale. Avant l’ouverture du plénum, Souvarine, Ker et Treint se
sont retrouvés à plusieurs reprises pour discuter de la situation et élaborer une
position commune199. La première séance de la commission ― présidée par Trotsky
― est marquée par un accrochage entre Souvarine, Treint et Renoult. Ce dernier
minimise la portée des attaques de la droite dans le Journal du peuple et surtout fait
porter une large part de responsabilité, dans la crise que traverse le PCF, à

196
Lettre de Souvarine à Treint, 20 janvier 1922, Ibid.
197
Lorsque Loriot fait une déclaration au congrès fédéral de la Seine (20 janvier 1922) pour souligner
les responsabilités du CD dans la crise du parti, il prend soin de réaffirmer la volonté de la gauche de
travailler avec la majorité. BMP 19.
198
Cf. supra.
199
Dans une lettre datée du 10 février (IHS, fonds Souvarine), Souvarine écrit : « Ker et Treint sont ici
depuis quelques jours, le premier ayant précédé le second d’une semaine. […] L’accord s’est très vite
établi entre nous. L’accord s’établira aussi aisément avec l’Exécutif. ». Dans un article à la mémoire
de Ker (Bulletin Communiste, n° 32, 21 juillet 1923), il écrit : « Le court séjour de Ker à Moscou
restera dans ma mémoire comme un des souvenirs les plus cher que je conserverai de lui […] La nuit
nous discutions jusqu’à l’aube autour du samovar, en compagnie de Walecki, causeur étincelant, et
de Treint. »
97
Souvarine, accusé d’avoir envenimé « les luttes personnelles »200. Celui-ci réplique
que la crise a pour unique origine la lutte politique entre la droite, bénéficiant de la
complaisance du comité directeur, et la gauche, qui se bat pour faire appliquer les
principes de la troisième Internationale. Treint confirme qu’au sein du parti se déroule
une lutte de tendance et conclut son intervention abruptement :
« Ceux qui ont le droit de parler dans le parti, c’est nous ; ceux qui ont le droit
de se taire, ce sont les gens de droite et ceux qui leur sont complaisant. »201
Les deux séances suivantes se déroulent dans la même atmosphère de
tension, Zinoviev et Trotsky tentant d’apaiser les passions. Au cours de la deuxième
séance, Souvarine propose la tenue d’un congrès extraordinaire « pour examiner la
situation et adopter un programme politique qui nous départagera »202.
Immédiatement, Trotsky repousse cette suggestion qui ne peut qu’accroître les
tensions et qui porte en germe une nouvelle scission. Au terme de cette séance,
Zinoviev pose quatre questions à la délégation française, qui doivent servir de base
au règlement du conflit203. La réponse des délégués français204 satisfait les dirigeants
russes, mais pas les représentants de la gauche. Souvarine, et plus encore Treint,
n’acceptent pas l’idée d’un compromis et veulent que l’IC les appuie, avec toute son
autorité, pour imposer un changement en profondeur des méthodes de direction du
PCF et l’élimination de tous les récalcitrants. Treint récuse le blâme de l’IC contre
l’attitude des quatre démissionnaires, convaincu que seules la force et la lutte à
outrance peuvent guérir le parti205. Par discipline, Il approuve cependant l’arbitrage
de l’Internationale. Le texte final, approuvé par l’ensemble des représentants du PCF
présents à Moscou, ménage la direction et critique l’attitude de la gauche à Marseille
qui « peut servir d’impulsion à la formation de fractions à l’intérieur du parti ». Par
contre, le texte souligne la nécessité de lutter contre la tendance réformiste qui se
développe et de rompre définitivement avec le Journal du peuple206.

200
Rapport de Renoult, Bulletin Communiste, n° 16, 20 avril 1922, p. 306.
201
Intervention de Treint, Ibid., p. 307.
202
Ibid., p. 307.
203
« 1) Que comptez-vous faire pour mettre un terme aux progrès de la droite représentée par le
Journal du Peuple et son directeur ? 2) Que comptez-vous faire à l’égard des quatre
démissionnaires ? 3) Quelle sera votre attitude à l’égard des syndicats ? Que pensez-vous du régime
des fractions dans le parti ? »
204
Renvoi de Fabre devant la commission des conflits aux fins d’exclusion ; réintégration des quatre
démissionnaires ; application de la thèse, votée à Marseille, sur le travail du parti dans les syndicats ;
refus du régime des fractions dans le parti. Voir discours de Trotsky du 2 mars 1922 sur les résultats
de la commission française, Le mouvement communiste en France, op. cit., p. 164-177.
205
Bulletin Communiste, n° 16, 15 avril 1922, p. 308.
206
Ibid.
98
Treint rentre de Moscou207 convaincu que Frossard et ses partisans ne
respecteront pas la parole donnée à Moscou et que, pour construire un véritable parti
révolutionnaire, la gauche doit assumer seule la responsabilité de la direction. Il sait
qu’il est appuyé dans cette entreprise par Souvarine, lui aussi persuadé de la
nécessité de poursuivre l’offensive. Il consacre dès lors une part importante de son
activité à contrôler la direction, à l’accuser constamment de faire preuve d’indiscipline
et de dévier de la ligne communiste. Dans un rapport au CE de l’IC, Ker écrit :
« Quant à Treint, j’ignore quelle influence il a subie à Moscou après mon
départ, mais il nous ait revenu plus agressif que jamais. Il s’imagine que, par
une lutte de tendance, il va redonner au parti la vigueur qui lui manque, mais il
comprend cette lutte de tendance de telle sorte que lui et ses amis deviennent
en ce moment, la bête noire du parti. »208
Treint met à profit son poste de délégué du CD à la propagande, pour
propager dans les fédérations de province209 les positions de la gauche, notamment
sur la question du front unique et pour prendre à partie la majorité centriste. Grâce à
l’intervention de rédacteurs partisans de la gauche, l’Humanité publie des comptes
rendus élogieux et orientés des interventions de Treint. Suite au congrès fédéral de
la Nièvre, on peut lire dans les colonnes du quotidien :
« Sur proposition de Treint, le congrès décida, après la clôture des travaux,
d’entendre hors séance le compte rendu de la conférence de Moscou […]
Maintenant la question du front unique dans la Nièvre va être étudiée dans un
tout autre esprit et la légende qui tendait à représenter comme réformistes les
partisans de cette tactique est définitivement détruite. »210
Dès le lendemain Frossard, qui réplique à l’accusation de partialité de la presse
communiste, lancée notamment par Rosmer, rappelle la note parue la veille :
« Heureux nivernais qui sont désormais éclairés ! Me serait-il permis
d’observer modestement qu’il est plus facile de détruire une légende dont je
ne sache pas qu’aucun de nous ait contribué à la répandre, que de "plumer" la
fameuse "volaille" dont le citoyen Treint nous a montré avec insistance la
docilité à cette opération par quoi se résout à ses yeux, le front unique. »211

207
Soulignons qu’il s’agissait du premier voyage de Treint en Russie. Aucune source ne nous permet
cependant de connaître ses observations et ses sentiments suite à la découverte de la Russie
révolutionnaire.
208
Rapport de Ker au CE de l’IC, 30 avril 1922, RGASPI, 517/1/93.
209
Au début de l’année 1922, Treint se rend notamment dans le Var et dans la Nièvre.
210
Dans « La vie du parti », l’Humanité, n° 6614, 4 mai 1922, p. 5.
211
Frossard L-O, « Front unique ! », l’Humanité, n° 6615, 5 mai 1922, p. 1.
99
Au lieu de coopérer, comme le prévoyait la résolution de l’Exécutif, les
relations entre le centre et la gauche se limitent le plus souvent à ce type
d’escarmouches et de menaces réciproques. La direction, en dépit de ses
promesses, manifeste effectivement peu de volonté à appliquer les décisions de la
commission française. Elle se trouve en partie poussée à cette attitude par le
comportement agressif de certains militants de la gauche, décidés à provoquer la
rupture. C’est le cas de Treint qui, dans une lettre adressée au secrétaire général212,
l’accuse de ne pas respecter les engagements pris durant l’Exécutif Elargi et de
mener une politique de fraction213. Il lance un ultimatum et l’avertit que, si la direction
ne tient pas compte des critiques des militants de la gauche, ils seraient « fondés à
former, [eux aussi] à l’intérieur du parti, une fraction qui se donnerait pour but la lutte
contre l’opportunisme et pour le respect des décisions internationales ».214
Treint sait que la motion Trotsky condamne la formation des fractions mais
que l’IC, exaspérée par la résistance passive des français, commence à se tourner
vers la gauche pour tenter d’infléchir la ligne politique du PCF. Devant la lenteur de
la commission des conflits pour exclure Fabre215, le CE de l’IC, en vertu de l’article 9
des statuts de l’Internationale et comme le demandait la gauche, décide l’exclusion
de Fabre, ainsi que l’envoi d’un représentant (Humbert-Droz) en France. Dans le
même temps, elle fait parvenir une lettre au PCF, pour manifester son
mécontentement face à l’attitude de la direction au cours du conseil national d’avril,
notamment sur la question de la réintégration des quatre démissionnaires216. Trotsky

212
Lettre de Treint à Frossard, 7 avril 1922, IHS, fonds Souvarine.
213
Verfeuil, membre du CD, a poursuivi sa collaboration au Journal du peuple. De plus, l’Humanité a
publié un article de Renaud Jean, dirigé contre le front unique. Treint écrit : « si ces faits sont tolérés
par la Direction du parti, ils ne tarderont pas à être suivis par d’autres de même nature. Lutte contre
l’opportunisme, respect et mise en œuvre des décisions, rien ne subsistera plus des bases sur
lesquelles tu sais bien que repose la motion Trotski. », Ibid.
214
Ibid.
215
A cette période, l’IC reçoit des lettres alarmantes quant aux débats de la commission des conflits
er
qui ne semble pas décidée à exclure Fabre. Dans une lettre à Souvarine, datée du 1 mai 1922, Ker
écrit : « L’affaire Fabre marche comme nous avions pensé qu’elle marcherait, étant donné la
procédure adoptée. […] [Dupont] doit déposer son rapport cette semaine, après quoi nous pourrions
savoir des surprises … désagréables. ». Voir également la lettre de Rosmer à Trotsky du 14 mai
1922, où, ne connaissant pas la décision du CE de l’IC, il lui annonce que la commission des conflits
se prononcera contre l’exclusion, IHS, fonds Souvarine.
216
« Ainsi, tous les membres de la délégation, de même que tous les membres de l’Exécutif Elargi
étaient tombés unanimement d’accord sur la nécessité du retour au comité directeur des camarades
qui avaient donné leur démission au congrès de Marseille. […] Le sens politique exigeait l’explication
simple, claire et minutieuse de cette question dans des articles de fond dans la presse du parti. Or
rien de semblable ne fut fait. La question fut réduite à un vote de pure forme préparé dans les
coulisses, c’est à dire derrière le parti, sans article, ni discours explicatif. […] Il est absolument évident
que cette manière d’agir doit nécessairement susciter et renforcer l’impression dans la masse non
homogène du parti que l’Internationale ou "Moscou" présente des ultimatums politiques et
100
écrit à plusieurs membres du PCF pour justifier les décisions du CE de l’IC. Il
exprime son désir d’arriver à une alliance de la gauche et du centre, pour diriger le
parti217, tout en mettant en garde cette dernière :
« Si le centre demeure dans sa léthargie actuelle, ne se manifestant que par
des boutades contre le front unique, alors la renaissance, la consolidation, le
développement de la fraction de gauche sont absolument inévitables et c’est
entre ses mains que résidera le sort du parti. »218
Treint interprète-t-il ce changement de ton comme un blanc-seing pour
développer la lutte fractionnelle ? C’est en tout cas l’avis d’Humbert-Droz, arrivé à
Paris au début du mois de mai 1922. Dans un rapport à l’Exécutif219, daté du 30 mai
1922, il dresse le tableau des différentes tendances du parti. Concernant la gauche,
il souligne son manque d’homogénéité, avec d’un côté un groupe Vaillant-Couturier,
Dunois « prêts à collaborer avec Frossard et opposé à une politique de scission » et
un groupe Treint qui parle « de la nécessité d’un Livorno français. »220. Deux mois
plus tard, Dunois apporte un témoignage confirmant les assertions d’Humbert-Droz :
« Il est exact que d’assez nombreux camarades croient à la nécessité d’un
Livourne français. J’y ai cru moi-même quelques temps (dans l’intervalle des
deux Exécutifs Elargis). »221
Néanmoins, les jugements d’Humbert-Droz à l’encontre de Treint sont entachés d’a
priori222 et, comme il l’avoue lui-même, il n’avait « que peu de relations avec lui et ne
le [mettait] pas dans le secret de [ses] intentions. »223
L’animosité est partagée et Treint accepte mal d’être tenu à l’écart par
Humbert-Droz. Il écrit à Souvarine224 pour lui signaler l’attitude partisane du

d’organisation incompréhensibles et non motivés auxquels le comité directeur se soumet par


discipline. » Lettre du CE de l’IC au PCF, 12 mai 1922, RGASPI, 517/1/62.
217
Voir la lettre à Rosmer du 22 mai 1922, Le mouvement communiste en France, op. cit., p. 178-181.
218
Ibid., p. 179.
219
Humbert-Droz J., De Lénine à Staline, op. cit., p. 74-81.
220
« Des bruits très alarmants circulent d’après lesquels l’Exécutif serait décidé à provoquer une
nouvelle scission du parti français appuyé sur la fraction de gauche. On parle dans la fraction Treint
d’un Livorno français et de la nécessité d’une nouvelle scission. Ces bruits se répandent dans le parti
et ne sont pas faits pour amener la clarté », Ibid., p. 79.
221
Ibid., p. 82.
222
Lors de son premier séjour en France, à la fin de l’année 1921, Humbert-Droz jugeait déjà
sévèrement Treint. Dans ses mémoires, il précise son opinion : « Cette gauche était personnifiée par
Albert Treint, homme peu intelligent, qui répétait les formules de Moscou avec beaucoup de ténacité,
dont les idées personnelles, quand il en avait, étaient saugrenues et franchement provocatrices. […]
j’étais obsédé par les interminables discours de Treint avec lequel toute discussion aboutissait à un
monologue fastidieux ». Ibid., p. 27 et 81-82.
223
Ibid., p. 81.
224
Cette affirmation s’appuie sur des sources indirectes car nous n’avons pu retrouver la totalité de la
correspondance entre Treint et Souvarine au cours de cette période.
101
représentant de l’IC et son refus de discuter avec la gauche, autrement dit avec lui-
même. Souvarine, principalement renseigné sur la vie du parti par les lettres de
Treint225, rédige alors un rapport, destiné aux membres du Présidium, qui
conformément aux lettres de Treint, critique le comportement d’Humbert-Droz à
l’égard de la gauche, tout en soulignant les progrès de cette dernière dans le parti et
plus particulièrement dans la fédération de la Seine. Il conteste enfin les affirmations
d’Humbert-Droz quant à l’existence d’une volonté scissionniste au sein de la
gauche226.
Conséquence de cette lettre et de son rapport précédent, Humbert-Droz,
reçoit un courrier de Zinoviev227 qui lui enjoint d’agir avec fermeté, de pousser la
direction à agir dans le sens des décisions de l’IC et surtout de soutenir la gauche
dans sa lutte pour la conquête du parti. Zinoviev, à l’instar de Souvarine ou de Treint,
envisage la perspective d’une nouvelle scission et, dans cette optique, lui demande
de s’appuyer sur la gauche seule tendance, selon lui, loyale à l’égard de l’IC :
Ah, quelle aurait besoin de cette épuration-là, notre section française ! Et cela
viendra tôt ou tard. […] Les choses ont déjà trop avancé. Le centre, s’il désire
vraiment s’unir avec la gauche, doit montrer en fait qu’il sait lutter contre la
droite. Autrement le parti tel qu’il existe aujourd’hui est voué à sa perte. Je le
répète, nous sommes parfaitement au courant des côtés faibles de Treint, des
erreurs de Souvarine etc., mais nous ne pouvons quand même pas oublier ce
qui est essentiel, c’est que ces camarades luttent de fait et non pas en paroles

225
Selon Humbert-Droz. Rosmer confirme : « Je ne suis pas en correspondance avec Souvarine et je
n’ai écrit du reste à personne (à Moscou) depuis que vous êtes ici. Mais je puis très bien imaginer
l’origine du rapport de Souvarine et de toute cette histoire. A plusieurs reprises j’ai entendu exprimer
autour de moi la crainte que vous subissiez plus ou moins l’influence des éléments du centre et de la
droite, avec lesquels vous vous rencontriez souvent, tandis que vous n’avez jamais eu d’entretien
avec le camarade Treint, […] », Ibid., p. 83.
226
« Il n’y a pas de fraction de gauche, contrairement à ce qu’a dit Frossard. Il y a un certain nombre
de camarades de Paris qui s’assemblent pour discuter des questions de vie ou de mort du parti, en
raison de l’attitude de la direction et des diverses délégations envoyées à Moscou qui abandonnent
les unes après les autres leurs engagements. […] Les éléments les plus actifs de la gauche, Treint,
Rosmer, Tommasi, Suzanne Girault ont travaillé en complet accord avec Talheimer et Schuller. Ils ont
essayé de se mettre en rapport avec Humbert-Droz qui les a systématiquement évités. […] La gauche
n’a pas cessé de faire des avances aux meilleurs éléments de centre pour un travail commun.
Humbert-Droz reconnaît dans un de ses rapports que Dunois et Vaillant-Couturier manifestent cet état
d’esprit, mais il dit que Treint est dans un état d’esprit différent. C’est absolument inexact. Treint n’a
pas cessé d’inciter Frossard à une collaboration et je le tiens non seulement de Treint, mais de
Frossard lui-même. », Lettre de Souvarine aux membres du Présidium, 28 juin 1922, RGASPI,
517/1/84.
227
Lettre de Zinoviev à Humbert-Droz, 4 juillet 1922. Archives Jules Humbert-Droz, tome 1 : origines
et débuts des partis communistes des pays latins (1919-1923), Dordrecht, Ed. D. Reidel publishing
compagny, 1970, p. 231-236.

102
contre les contristes et qu’ils défendent sincèrement les principes de
l’Internationale communiste. »228
Humbert-Droz, comme il s’en explique dans ses mémoires, choisit au
contraire de mener une politique « prudente d’indépendance et de stricte neutralité à
l’égard des fraction existantes ». Il réfute les accusations de Treint quant à sa
partialité à l’égard de la gauche et envoie un questionnaire aux principaux membres
de cette tendance229, pour témoigner de sa volonté de travailler avec tous. Il reçoit le
soutien de Dunois et Rosmer, qui tous deux accusent Treint d’être responsable de
cette campagne contre un représentant de l’IC qui refuse de mener une politique
autoritaire. Cet épisode met en lumière l’absence d’homogénéité au sein de la
tendance de gauche et montre qu’elle est affaiblie par le départ de Loriot230 et par la
rupture avec Ker, opposé à la tactique du front unique en France231. Dans ses
rapports, Humbert-Droz met, à plusieurs reprises, l’IC en garde contre toute tentation
scissionniste, soulignant que ce n’est pas la gauche encore fragile, mais le centre qui
tient les fédérations et qu’en cas de rupture, seule une petite minorité quitterait le
parti.
Pour Treint, au contraire, la gauche fait des progrès constants et pourrait
détenir la majorité, si l’IC et son représentant se décident à l’appuyer pleinement.
Selon lui, elle contrôle déjà près de la moitié de la fédération de la Seine et, grâce à
ses tournées, progresse en province. Les conditions sont donc réunies pour rompre
avec le centre et prendre seule la direction232. Si « la fraction Treint »233 gagne
effectivement du terrain dans la fédération de la Seine, concernant la province où
Frossard et Cachin restent très populaires234, Treint s’illusionne quant à l’influence
d’une gauche souvent jugée autoritaire. Persuadé que seule une lutte totale, menant

228
Ibid., p. 234-235.
229
A Dunois, S. Girault, Rosmer, Treint et Vaillant-Couturier. La lettre se compose d’une série de
questions revenant sur les affirmations de Souvarine : « 1° Avez-vous personnellement essayé de
vous mettre en rapport avec moi et ai-je systématiquement évité de vous rencontrer ? […] », Ibid., p.
266.
230
A partir d’avril 1922, Loriot met entre parenthèse sa carrière politique. Peu après avoir été réintégré
au CD, il donne de nouveau sa démission pour raison de santé.
231
« Cette fraction a été affaiblie par l’abandon de Loriot, retiré complètement de la scène politique et
par sa politique à l’égard de Ker, que Treint et ses amis ont éliminés sans explication préalable parce
qu’il n’était pas partisan du front unique en France. De Lénine à Staline, op. cit., p. 79.
232
Nous nous appuyons ici sur la lettre de Souvarine aux membres du Présidium du 28 juin, nourrie
par les informations de Treint. Souvarine déclare notamment que les tournées effectuées par Treint
comme délégué permanent du parti ont gagné également plusieurs fédérations de province. RGASPI,
517/1/84.
233
Humbert-Droz nomme ainsi le groupe de militants constitué autour de Treint, dont il ne précise pas
les noms Nous pouvons supposer qu’il s’agit de militants tels : Suzanne Girault, Ilbert, Fromentin et
d’autres qui vont constituer l’armature de la future direction de la fédération de la Seine.
234
Voir ROBRIEUX P., op. cit., p. 110.
103
à l’élimination de la droite et du centre peut guérir le PCF, il s’engage à contrecœur
dans les discussions pour aboutir à une alliance de la gauche et du centre. Il garde
cependant en tête l’idée qu’avec l’appui de l’IC, la gauche prendra à elle seule la
direction du PCF.

3) Vers une alliance de la gauche et du centre ?

Le conseil national d’avril 1922 a montré qu’en dépit de l’optimisme des


dirigeants de l’IC, la majorité n’était pas décidée à appliquer les résolutions de
l’Exécutif Elargi. Treint qui avait, lors de la commission française, manifesté des
réticences envers le compromis proposé par Trotsky, accuse le centre de préférer
une alliance avec la droite « opportuniste » :
« La motion Trotski avait pour objet de substituer au bloc du centre et de la
droite contre la gauche, le bloc du centre et de la gauche. Elle constituait un
pacte conclut entre le centre et la gauche sur la base de la lutte contre la
droite et sur la base de la mise en œuvre des décisions internationales. […]
Là, aussi bien dans la préparation que dans le vote des motions, il y a eu bloc
du centre et de la droite contre la gauche. […] Le parti ne doit pas être trompé
par des protestations verbales d’attachement à l’Internationale et le centre doit
choisir entre la droite anti-communiste et Moscou. »235
Depuis son retour de Moscou, lui-même n’a rien fait pour favoriser le rapprochement
avec Frossard et la majorité du CD, ni pour accomplir « un travail régulier et sans
discorde »236. La réaction de l’IC, qui proclame son mécontentement par la voix de
Trotsky237 et décide l’exclusion de Fabre, lui offre une nouvelle occasion d’affirmer la
différence entre le centre et la gauche et la volonté de cette dernière d’appliquer
avec fermeté et discipline toutes les décisions de Moscou.
Dans le Journal du peuple, Fabre mène campagne contre les résolutions de
l’IC et s’en prend plus particulièrement à Souvarine et Treint238. Cependant, la
commission des conflits, qui doit se prononcer sur l’exclusion du journaliste, fait
traîner la procédure avec l’aval de la direction. Suite à la décision de l’IC, le CD
attend le 30 mai pour entériner la sanction et deux jours supplémentaires pour en

235
Treint A, « La minorité au Conseil National du P.C. Français », La Correspondance Internationale,
n° 36, 10 mai 1922, p. 276-278.
236
Ibid., p. 277.
237
Lors de l’Exécutif Elargi du 9 mai. Voir aussi la lettre de l’IC au PCF du 12 mai, cf. supra.
238
Voir CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 491-493.

104
informer le parti. Si Fabre et les partisans de la droite réagissent avec virulence
contre l’autoritarisme de Moscou et la capitulation du CD, la gauche se saisit
également de l’affaire pour démontrer que Frossard et le centre ne veulent pas
rompre avec la droite. La Commission des conflits, qui se réunit le 8 juin 1922,
s’élève contre les décisions de l’IC et déclare « qu’elle aurait écarté la peine
d’exclusion contre Fabre »239. De plus, tous ses membres démissionnent, les uns
pour protester contre « le dessaisissement de la commission » et les autres contre
les décisions de cette même commission. Le 17 juin, le CD se réunit pour définir sa
position dans cette affaire. La commission désignée par le CD, présente une motion
déclarant que la commission des conflits a outrepassé ses droits et annule ses
décisions. La gauche lui oppose une motion « Treint », qualifiant l’attitude de la
commission des conflits de « révolte ouverte contre les décisions internationales » et
demandant sa dissolution pure et simple240. Une nouvelle fois, la gauche et le centre
s’opposent sur une question majeure qui divise le parti et le centre l’emporte par le
biais d’un compromis avec ceux qui critiquent l’exclusion de Fabre241. Quant à la
gauche, elle a de nouveau fait état de son intransigeance, favorisant un
regroupement de toutes les autres tendances contre elle242.
Lors du second Plénum de l’Exécutif Elargi (7-11 juin 1922), la question
française se trouve encore au centre des débats. La délégation comprend Frossard,
Cartier, Rappoport243 et Lucie Leiciague244. Deux visions de la situation du
s’opposent à travers les discours de Frossard245, qui dénonce la formation d’une
fraction de gauche et met en avant les progrès réalisés depuis Tours, et de
Souvarine246, qui réfute ces assertions et rappelle que les conflits sont liés à la
faiblesse du CD. Trotsky prononce un discours très incisif qui, tout en rappelant la
volonté de l’IC d’aboutir à une collaboration loyale entre le centre et la gauche, s’en
prend avec virulence à l’attitude de la majorité du CD qui n’a pas respecté les

239
« Rapport de la commission des conflits », l’Humanité, n° 6688, 18 juin 1922, p. 2.
240
Motion Treint à la séance du CD du 17 juin 1922. Deux autres motions, présentées par Méric et
Verfeuil prenaient position en faveur de la commission des conflits. Ibid.
241
La motion de la commission désignée par le CD est approuvée par 12 voix (Cachin, Dondicol,
Faure, Garchery, Gourdeaux, Ker, Levy, Paul Louis, Paquereaux, Renoult, Soutif et Dormoy). La
motion Treint recueille 9 voix (M. Bigot, L. Colliard, Dunois, Hattenberger, Laporte, Péri, Tommasi,
Treint, Vaillant-Couturier).
242
Dans son rapport au Présidium de l’IC du 27 juin 1922, Humbert-Droz regrette que la gauche n’ait
pas abandonné la motion Treint pour rallier celle de la commission. RGASPI, 517/1/67.
243
Charles Rappoport (1865-1941), Docteur en Philosophie, publisciste socialiste puis communiste.
Membre du CTI et du premier CD de la SFIC.
244
Lucie Leiciague (1880-1962) : Militante socialiste puis communiste, membre du CD.
245
Intervention de Frossard, Bulletin Communiste, n° 29, 13 juillet 1922.
246
Troisième intervention de Souvarine, Bulletin Communiste, n° 35, 24 août 1922.
105
promesses faites en février. A l’inverse du Plénum de février-mars, il manifeste avec
force l’appui de l’IC à la tendance de gauche et déplore les attaques dont ces
derniers sont victimes. Concernant la question du front unique, il déclare :
« J’ai lu l’article du camarade Treint paru dans la Correspondance
internationale247 sur le front unique et je vous dis, camarades, que le meilleur
article en langue française paru jusqu’alors, c’est celui du camarade Treint, et
je vous conseille à tous de le lire. »248
Au terme de la discussion, la commission française249 propose une résolution
adoptée en séance plénière le 12 juin250, qui préconise l’homogénéisation et la
modification de la composition sociale ― plus de la moitié des membres doivent être
ouvriers ― du comité directeur, la création d’un véritable bureau politique. Elle
recommande également de « modifier radicalement les bases d’organisation
actuelles de la fédération de la Seine », un contrôle plus strict des militants
communistes travaillant dans les syndicats, de la presse du parti251, réclame
l’élimination des éléments « d’extrême-droite » et invite « l’aile gauche […] à ne pas
se constituer en fraction séparée ». Enfin, la résolution adresse un blâme à
Renoult252 pour avoir « violé manifestement ses devoirs de membre de
l’Internationale communiste et […] foulé aux pieds les engagements pris et
solennellement acceptés […] ».
Malgré un certain nombre de réserves, principalement sur la question du front
unique, du travail syndical et du blâme à Renoult, Frossard, au nom de la délégation
française, s’engage à « rapporter au Parti les résolutions qui vont être prises, à les
expliquer, à les commenter, à les défendre, à faire en sorte que, dans le plus court
délai, elles soient pourvues de leur sanction pratique. »253 Sous l’impulsion de
Frossard, la majorité du centre semble se résigner à appliquer une politique
réclamée à cor et à cri par la gauche. La collaboration entre les deux principales
tendances du PCF peut-elle enfin voir le jour ? Si une partie de la gauche approuve
certaines concessions nécessaires pour coopérer avec le centre, une fraction autour

247
Il s’agit d’un article intitulé « Le mouvement ouvrier dans le nord de la France », qui paraît en
France dans le n° 45, 10 juin 1922, de La Correspondance Internationale.
248
Intervention de Trotsky du 8 juin, Bulletin Communiste, n° 36, 31 août 1922.
249
La commission est composée de Trotsky, Clara Zetkin, Bordiga, Kreibich et Zinoviev.
250
La résolution est publiée dans l’Humanité, n° 6672, 2 juillet 1922, p. 1.
251
La résolution souligne que les membres du PCF ont été « informés de façon complètement
inexacte sur le sens et la signification de la tactique du Front unique. »
252
Il est accusé d’avoir mené campagne contre les décisions de l’Internationale, particulièrement sur
la question du front unique.
253
Déclaration de Frossard, Bulletin Communiste n° 29, 13 juillet 1922.
106
de Treint reste réticente et considère que seule la « discipline communiste » doit
prévaloir dans les rapports entre tendances. En écho à la résolution de l’Exécutif254,
Treint publie un éditorial255 qui donne une interprétation extrêmement restrictive de la
collaboration entre le centre et la gauche, ne pouvant être fondée que sur une
épuration générale du parti. Répondant par avance à Frossard qui revendique la
discipline librement consentie à l’égard de l’Internationale, il souligne qu’une direction
centralisée implique une soumission complète aux idées communistes et que seule
une discipline de fer, comparable à la discipline militaire, garantit le développement
du parti :
« Nous le disons nettement, on ne saurait admettre la liberté de penser en
anticommuniste dans un parti communiste. Notre parti, notre Internationale,
comme le disait Trotsky, n’est pas un club, ni une académie. C’est une
organisation de lutte ouvrière en vue de la révolution. […] Un ouvrier dans son
langage, où l’humour s’alliait au bon sens, me disait l’autre jour : "Il y en a qui
me demandent quelle différence il y a entre la discipline militaire et la
discipline communiste. C’est bien simple : Dans la discipline militaire, on vous
f… dedans ; dans la discipline communiste, on vous f… dehors." Très juste.
[…] Liberté de penser, oui ! Mais sur le terrain du communisme. »256
Exprimer de manière si brutale, si caricaturale et si peu diplomatique la nécessité
d’une discipline commune, voulue par l’IC, ne facilite pas le rapprochement avec les
militants du centre, sincèrement communistes, mais qui ne peuvent qu’être
rebutés257 par cette déclaration. De plus, assimiler la discipline communiste à celle
de l’armée, n’est pas la manière la plus habile de défendre les idées de l’IC dans les
rangs d’une organisation acquise aux idées antimilitaristes. Mais si, du fait de son
comportement, Treint ne jouit pas d’une grande considération dans les rangs du
PCF, il bénéficie de l’appui des plus hauts dirigeants de l’IC qui apprécient sa

254
Ici Treint ne peut connaître le contenu exact de la résolution de l’Exécutif Elargi. Mais par sa
correspondance, notamment avec Souvarine, il sait que les dirigeants de l’IC sont décidés à l’épreuve
de force avec la majorité du CD, pour l’obliger à choisir entre l’Internationale et la droite.
255
Treint A., « Liberté de pensée », l’Humanité, n° 6656, 16 juin 1922, p. 1.
256
Ibid.
257
Comme suite à sa déclaration sur « la volaille à plumer », cet article entraîne de nombreuses
réactions. Voir notamment : Renaud Jean, « Propos "anticommunistes" ? », l’Humanité, n° 6669, 29
juin 1922, p. 1 ; Méric V., « En lisant l’apocalypse », l’Humanité, n° 6674, 4 juillet 1922, p. 1 ; Duret J.,
« Liberté de penser et le droit de ne pas penser », l’Internationale, n° 441, 24 juin 1922, p. 4. Ce
dernier réplique notamment : « Mais en fin de compte, un parti ce n’est pas un cloître, tous ces
membres ne doivent pas sur toutes ces questions de tactique avoir une opinion identique. […] En ce
cas, nous pourrions discuter longtemps pour savoir s’il est vraiment communiste de dire qu’à l’heure
actuelle il n’y a plus d’antagonisme entre réforme et révolution » (Il fait ici référence à l’argumentation
de Treint sur la question du front unique, cf. supra).
107
combativité. Dans sa lettre à Humbert-Droz du 4 juillet, Zinoviev écrit que « seul le
camarade Treint a su prendre une ligne de conduite juste » sur l’affaire de la
commission de conflits258. Et Trotsky, après l’avoir cité en référence dans un discours
à l’Exécutif, lui fait parvenir une lettre259 l’invitant à poursuivre la lutte pour l’épuration
du parti260, tout en le mettant en garde contre la constitution d’une fraction pouvant
mener à la scission. Convaincu que l’IC approuve sa posture intransigeante, peut-il
s’entendre avec Humbert-Droz, qui tente de parvenir à une alliance du centre et de la
gauche ?
Après le retour de Frossard de Moscou, Humbert-Droz note un certain
apaisement et un changement d’attitude de la gauche et de Treint qui « ont cessé
leur opposition systématique à Frossard et l’on appuyé dans sa bataille contre
Renoult »261. Dans le même temps, le représentant de l’IC se désole néanmoins du
manque de sens politique et de certaines démarches maladroites de Treint. Lors
d’une séance, tenue au mois de juillet, ce dernier propose un ordre du jour
dénonçant le manque de travail du CD ― il n’a pas été réuni depuis trois semaines
― alors même que la majorité des membres de la gauche sont absents et votent par
mandat. Cette initiative provoque « un violent débat entre Treint d’une part, Frossard,
Cachin, Cartier de l’autre qui lui reprochèrent de critiquer le travail des autres alors
que lui-même est très inactif et préfère travailler pour sa fraction que pour son
parti. »262. L’altercation tourne à la mise en accusation des méthodes de la gauche et
après cette séance houleuse, le bureau du parti vote un texte qui rejette en bloc les
critiques de Treint et le place face à ses propres carences263.
Il faut attendre le retour de Souvarine, fin juillet 1922, pour que s’instaure un
dialogue entre les deux principales tendances du parti. La première séance du CD, à
laquelle il participe, donne pourtant lieu à un violent accrochage entre, d’un côté

258
Archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 234.
259
Lettre de Trotsky à Treint (non datée mais que nous pouvons situer à la fin de juin 1922). RGASPI,
517/1/73.
260
Il affirme : « Il faut mener la lutte jusqu’au bout. Elle sera d’autant moins douloureuse que les
éléments révolutionnaires du parti, c’est à dire la majorité incontestable, montreront moins
d’indulgence pour les éléments individualistes du journalisme et du parlement qui n’ont pas la volonté
ou sont incapables de devenir véritablement révolutionnaire et de se soumettre à la discipline d’un
parti de combat. ». Ibid.
261
Rapport d’Humbert-Droz au Présidium, 14 juillet 1922. RGASPI, 517/1/67.
262
Rapport d’Humbert-Droz au Présidium, 3 août 1922. RGASPI, 517/1/67.
263
La résolution du bureau « constate l’inanité des reproches adressés à la direction du parti par
l’ordre du jour de Treint et soucieux d’épargner le temps du comité directeur, il ne croit pas utile
d’insister d’avantage sur le procès de tendance qui lui est fait, se réservant le droit de comparer en
temps voulu l’activité qu’il a déployé avec celle du fonctionnaire du parti qui prétend établir sa
carence. ». IHS, fonds Souvarine.
108
Souvarine et Treint et de l’autre Cachin et Pioch264. En dépit de cet incident, une
première rencontre est organisée, à l’instigation d’Humbert-Droz, entre des
représentants de la gauche et du centre en vue d’aplanir les différends, à l’approche
du congrès national. Le représentant de l’IC envoie une série de rapports rassurants
sur la volonté de travailler du CD et sur l’attitude accommodante de Souvarine :
« La situation générale s’améliore lentement […] grâce aussi à la rentrée de
Souvarine, qui infiniment mieux que Treint, s’efforce de réaliser l’accord avec
le centre gauche. Ce n’est pas sans une certaine inquiétude que j’ai vu le
retour de Souvarine qui, jusqu’ici, avait guidé Treint dans une politique très
souvent maladroite et qui rendait une collaboration avec le centre très difficile.
Mais Souvarine, dès son retour, fut beaucoup plus conciliant que Treint et
surtout mit dans les rapports personnels avec Frossard un esprit de
collaboration réel et sincère que Treint, malgré sa bonne volonté, n’avait pu
réaliser. […] Treint avait fait un effort, mais toute son attitude personnelle était
faite d’hostilité à Frossard qui le lui rendait bien, et la collaboration que nous
souhaitons si nécessaire à la vie du parti était rendue très difficile par l’hostilité
personnelle de ces deux hommes. »265
La gauche remporte une première victoire significative avec l’adoption d’un
projet de révision des statuts, largement conforme aux souhaits de l’IC. Souvarine a
su reculer sur certains points pour ne pas heurter la majorité266, alors que depuis
plusieurs mois, les débats achoppaient sur ce projet de modification statutaire267 qui
ne tenait pas compte des réserves du centre. Treint n’est par ailleurs pas intervenu
dans ces négociations, étant en Allemagne durant une partie du mois d’août, pour
participer à plusieurs meeting sur la question des procès des socialistes

264
« A la première séance du comité directeur et de la commission de presse, Cachin et Pioch m’ont
invectivés avec une violence inouïe sans aucun prétexte. Treint reçut aussi une bonne part des injures
les plus grossières de la part de Cachin ». Lettre de Souvarine au Présidium, 16 août 1922. RGASPI,
517/1/84.
265
Archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 301 (lettre à Zinoviev du 14 août 1922).
266
A la commission des statuts et de la presse, la gauche a obtenu la rédaction d’un projet conforme
aux recommandations contenues dans la résolution de l’Exécutif de juin 1922. Sur la question du
contrôle de la presse, au prix de concessions sur la question de la collaboration aux « journaux
bourgeois », la gauche obtient un renforcement du pouvoir de contrôle politique de la direction du parti
sur la presse communiste. Pour la première fois, le PCF rompt véritablement avec les traditions du
socialisme français dont il est issu.
267
Avant le retour de Souvarine, la commission des statuts et de la presse comprenait : Soutif
(secrétaire), M. Bigot, Frossard, Renoult, Treint, Verfeuil. Voir le rapport d’Humbert-Droz au
Présidium, 25 juillet 1922. RGASPI, 517/1/67.
109
révolutionnaires en Russie268 et pour renforcer les liens entre le PCF et le KPD269.
Dans une lettre au secrétaire de la fédération du nord, il exprime sans précaution son
sentiment profond quant au rapprochement de la gauche et du centre, qu’il conçoit
comme une simple manœuvre visant à terme à la disparition du centre270. Au sein de
la gauche, d’autres militants partagent cette opinion, convaincus qu’ils représentent
désormais la principale force politique et peuvent réclamer la majorité au CD ainsi
que la direction des organes du parti. Par l’entremise d’Humbert-Droz, plusieurs
dirigeants des deux principales tendances se réunissent notamment pour discuter de
la lettre de Treint, qui est parvenue à Frossard, et des prétentions de la gauche.
Répondant aux inquiétudes manifestées par le centre, Souvarine déclare rejeter les
affirmations de Treint :
« En tous cas, si Treint a écrit une chose semblable, c’est sous sa propre
responsabilité et à un moment où, très pessimiste sur l’avenir du parti, il a cru
la scission inévitable. Ce point de vue n’est en aucune manière celui de la
gauche qui veut tenter loyalement l’accord avec le centre sur les bases
établies par l’Internationale. »271
Les représentants des deux tendances s’entendent pour rédiger, en commun une
motion de politique générale pour le congrès national du parti et aboutir à un accord
concernant la répartition des postes de direction. Première manifestation de cette
fragile alliance, le centre vote avec la gauche les nouveaux statuts de la fédération
de la Seine.
La principale fédération du parti est contrôlée depuis 1921 par une direction
composée majoritairement de militants critiques à l’égard des orientations tactiques
décidées par l’IC lors du 3ème congrès mondial. A plusieurs reprises, la majorité a
repoussé la tactique du front unique ainsi que toute modification de l’organisation qui
irait dans le sens d’un centralisme accru. La tendance de gauche minoritaire contrôle
cependant plusieurs sections et déploie, avec l’appui de l’IC272, une intense activité.

268
Treint avait déjà publié un article retraçant « l’activité contre-révolutionnaire » des socialistes
révolutionnaires russes. « Le socialisme révolutionnaire contre-révolutionnaire », Bulletin
Communiste, n° 21, 18 mai 1922, p. 6-8.
269
Voir le rapport d’Humbert-Droz du 9 août 1922. Au cours de ce déplacement, Treint prend la parole
dans plusieurs meetings organisés dans de grandes villes allemandes. Suite à ce séjour, il publie un
article décrivant « la misère du prolétariat allemand ». Treint A, « Cannibalisme Economique,
l’Humanité, n° 6743, 11 septembre 1922, p. 1.
270
Nous n’avons pu consulter cette lettre. Voir Rapport Humbert-Droz du 14 août 1922, op. cit., p.
303.
271
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev, 17 août 1922, op. cit., p. 307.
272
Suzanne Girault, envoyée en France dans un premier temps pour recueillir des fonds pour la
Russie, s’installe en France sur ordre de l’IC, transportant avec elle des fonds destinés au PCF et
110
La lutte au sein de la fédération porte principalement sur la modification de sa
structure d’organisation. Lors des Exécutifs Elargis de févier-mars et de juin, la
direction de l’IC, dans ses résolutions, avait appelé la fédération à « modifier
radicalement les bases d’organisation actuelles » et à repousser « le principe du
fédéralisme […] absolument incompatible avec les intérêts réels d’une organisation
révolutionnaire. »273. En écho, Treint dénonce dans l’Humanité « le fédéralisme
grossier et démagogique »274 des statuts de la fédération de la Seine et appelle à la
constitution d’une direction centralisée et réduite. Le discours de Frossard devant
l’assemblée générale de la fédération, le 3 juillet 1922, marque un tournant.
Commentant les résolutions de l’Exécutif Elargi de juin, il se déclare favorable à une
révision des statuts275. Puis, le CE de l’IC fait parvenir une lettre à la fédération, lui
enjoignant de « se constituer selon les règles contenues dans les thèses de
l’Internationale sur la structure et l’organisation des partis communistes »276.
Deux projets de révision des statuts277 sont proposés aux militants de la Seine
en vue du congrès fédéral. Lors de la séance du 20 août, grâce au bloc du centre et
de la gauche278, le principe de modification des statuts dans le sens du projet A est
adopté à une très large majorité ― par 163 voix contre 29 au projet B ―. Lors de la
séance du soir, un long débat a lieu sur la question de l’article 9279. Dans ce cadre,
Treint fait une longue intervention pour défendre le droit de l’IC à intervenir
directement dans la vie des sections nationales. Il s’en prend à tous ceux qui ont
voté avec la majorité après s’être opposés à la gauche sur la question du front
unique ou encore sur la question syndicale et met en exergue la motion de discipline
communiste280. Treint revient par la suite sur cette séance pour se réjouir de la
victoire du point de vue de l’Internationale et de la déroute du « fédéralisme

probablement à soutenir la lutte des minoritaires de la Seine. Voir BOICHU P., « Suzanne Girault :
itinéraire d’une bolchevik française », DEA, sous la dir. de J. GIRAULT, Paris XIII, 2000, p. 41-42.
273
Résolution sur la question française, adoptée le 12 juin 1922, cf. supra.
274
Treint A, « Centralisme démocratique », l’Humanité, n° 6644, 4 juin 1922, p. 1.
275
Voir le compte rendu de l’assemblée générale dans l’Humanité, n° 6674, 4 juillet 1922, p. 2.
276
Le mouvement communiste en France, op. cit., p. 196-201.
277
Le projet A reprend les propositions de l’Internationale, visant à créer une direction centralisée et le
projet B défend les statuts adoptés un an auparavant, en y apportant quelques modifications. Voir
l’Humanité, n° 6683, 13 juillet 1922, p. 5.
278
Notamment Frossard et Suzanne Girault se succèdent à la tribune pour défendre le projet A.
Compte rendu du congrès fédéral dans l’Internationale, n° 498, 20 août 1922, p. 1 et dans l’Humanité,
n° 6724, 23 août 1922, p. 2.
279
Déjà invoqué pour le cas Fabre, cet article permet au CE de l’IC d’intervenir directement dans la
vie du parti pour exclure un militant qui a enfreint les règles.
280
Voir l’intervention de Treint dans l’Internationale, n° 499, 21 août 1922, p. 1. Il déclare notamment :
« Quoi ! Nous pourrions engager la vie des prolétaires dans une action de masses ! Et nous n’aurions
pas le droit d’exclure un membre qui compromet la sécurité du Parti ».
111
oligarchique »281. S’il reconnaît que cette victoire a été permise par l’alliance du
centre et de la gauche, il considère qu’elle est uniquement due au fait que « le centre
commence à abandonner sa politique d’hésitation ». Il dénonce malgré cela une
atmosphère empoisonnée et accuse, sans nommer, certains de propager des
calomnies contre les militants de gauche282. Il s’en prend à la « tendance Renoult »,
qu’il accuse d’avoir voté le projet A par opportunisme et de poursuivre sa lutte contre
l’application du centralisme démocratique en dénonçant l’application de l’article 9 :
« Mais les véritables sentiments de la coalition Renoult se traduisent assez
clairement par les tentatives de sabotage du Congrès quand les camarades
de gauche prennent la parole. L’immense majorité du Congrès a dû intervenir
à différentes reprises pour huer cette obstruction systématique. La coalition
Renoult se sentant abandonnée par la masse du parti et blâmée par
l’Internationale, feint de rallier le centralisme et combat indirectement l’article 9
en attaquant son application. »283
Sur ce point, il souligne que le centre conserve une attitude ambiguë et n’affirme pas
clairement sa position, insinuant ainsi que le centre reste proche de « la coalition
Renoult » et qu’il n’a pas réellement rallié les positions de l’Internationale.
Cet article témoigne de la suspicion qui persiste entre le centre et une partie
des militants de la gauche, mais également le triomphalisme et la présomption de
cette dernière qui, après cette première victoire, se targue de pouvoir diriger à elle
seule le parti. En vue de la séance du 10 septembre qui doit désigner le nouveau
comité exécutif et renouveler la direction, la gauche réclame les deux tiers du comité
exécutif, tout en laissant le secrétariat et la trésorerie à des membres du centre284.
Ces derniers refusent cette transaction, qui leur laisse les responsabilités de gestion
de la fédération sans pouvoir de contrôle politique. Ils déclarent vouloir poursuivre
leur collaboration avec la gauche exclusivement dans le cadre d’une gestion paritaire
de la fédération ou être prêt à se retirer complètement pour laisser à la gauche
l’entière responsabilité de la direction. Humbert-Droz, qui participe directement aux

281
Treint A, « Le congrès de la Seine », La Correspondance Internationale, n° 65, 30 août 1922, p.
500-502.
282
« Je dois néanmoins signaler un péril. Comme avant Marseille, les calomnies commencent de
nouveau à circuler contre les militants de gauche. Les visant inégalement, ces calomnies tendent
évidemment à décomposer la gauche et à la discréditer. L’un prend trop de vacances, l’autre prend un
plaisir sadique à piétiner son parti, un troisième ne fait pas son métier de propagandiste. » Ibid., p.
501. Cette dernière accusation vise directement Treint.
283
Ibid. Treint grossit ici démesurément les incidents qui l’ont opposés à Renoult, ce dernier l’ayant
interrompu à plusieurs reprises au cours de son intervention.
284
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev, 2 septembre 1922, Archives… op. cit., p. 325-326.
112
tractations entre la gauche et le centre, met en garde les dirigeants de l’IC contre une
prise de contrôle de la fédération ― et à plus forte raison du parti ― par la gauche
sans appui du centre. Il estime que la gauche ne compte pas dans ses rangs
suffisamment de militants aptes à diriger la fédération et qu’elle est mal perçue par la
base :
« Des hommes comme Monatte et les syndicalistes, qui peuvent être gagnés
au parti et qui lui donneraient son assise prolétarienne, sont plus éloignés de
Souvarine et de Treint que de Frossard. […] Le dernier congrès de la Seine où
la gauche avait une écrasante majorité, fut lamentable de tenue : des injures,
du tapage ; la gauche fut incapable de relever le débat et des ouvriers, en
sortant, des délégués qui votaient avec la gauche, disaient : plus ça change,
plus c’est la même chose. »285
Au cours des séances suivantes du congrès fédéral, la gauche affermie son
succès, les délégués votant à une large majorité en faveur du projet A, amendée
dans le sens d’un centralisme renforcé286. Le maintien de l’article 9 est voté à la
quasi-unanimité287, ainsi que la motion de la gauche ― concernant l’attitude du parti
face aux menaces de guerre ― qui « préconise la liaison avec l’Internationale et
l’appel à tous les partis et groupements se réclamant de la classe ouvrière. »,
autrement dit l’application du front ouvrier unique contre la guerre288. Seule la
désignation du nouveau CE, lors de la séance du 10 septembre, donne lieu à une
vive discussion entre la gauche, qui réclame deux tiers des membres, et le centre qui
dénonce la lutte de tendance orchestrée par la gauche289. Les deux groupes
parviennent finalement à un accord concernant le CE, Marrane290 devient secrétaire
général et Suzanne Girault secrétaire adjointe. Treint exprime sa satisfaction, tout en
considérant qu’il s’agit avant tout d’une victoire de la gauche et en émettant certaines
réserves concernant l’attitude du centre :
« La plus importante des fédérations françaises, la plus centrale, est
maintenant en accord complet avec l’Internationale. Elle comprend une
majorité des deux tiers, formée par l’union du centre et de la gauche, sur le

285
Ibid., p. 327.
286
L’obligation de la représentation des minorités au CE de la fédération est supprimée.
287
Compte rendu dans l’Humanité, n° 6736, 4 septembre 1922, p. 2.
288
Treint A, « Le communisme à Paris », La Correspondance Internationale, n° 69, 13 septembre
1922, p. 533.
289
Voir l’intervention de Frossard, l’Humanité, n° 6743, 11 septembre 1922, p. 2.
290
Georges Marrane (1888-1976) : Mécanicien horloger, socialiste membre de la tendance des
« reconstructeurs » qui rallie les partisans de l’adhésion à la troisième Internationale à la vieille du
congrès de Tours.
113
terrain du communisme. Elle sera dirigée principalement par une gauche
prédominante qui entraînera les éléments du centre, de bonne volonté mais
encore un peu mous. »291
Pour Treint, comme pour Souvarine, ce congrès fédéral de la Seine marque une
première étape dans le redressement et manifeste la progression et la pénétration
des conceptions de la gauche. Ils sont tous deux persuadés que l’ensemble du parti
suivra le chemin de la fédération de la Seine lors du prochain congrès national et
dans cette perspective envisagent de prendre seuls la direction. Le déroulement du
congrès de Paris montre au contraire que ce groupe inflexible au sein de la gauche
s’illusionne quant à son influence réelle dans le PCF.

A l’approche du deuxième congrès du PCF, Treint est devenu l’un des


protagonistes les plus en vue dans la lutte que se livrent les tendances constituées.
Son nom commence à circuler comme un possible remplaçant de Frossard au poste
de secrétaire général. Il n’a pourtant quasiment aucune expérience de dirigeant et
ses alliés, situés dans la frange autoritaire de la tendance de gauche, sont très
minoritaires dans le parti. Il peut, en revanche, revendiquer son engagement
permanent en faveur d’une adhésion totale aux thèses de l’Internationale et du
communisme russe, son dévouement à la cause du parti ― notamment suite à sa
révocation ― voire son activité au sein de l’ARAC292. Mais, depuis le congrès de
Marseille, il s’est principalement fait connaître par ses déclarations maladroites et
provocatrices sur la question du front unique et sur d’autres sujets. De plus, son goût
pour les manœuvres d’appareil, ses rappels incessants à la discipline d’organisation,
à la nécessité d’épurer les rangs du PCF et son refus de discuter avec ses
contradicteurs, lui valent de nombreuses inimitiés. En dépit de ses erreurs et de
l’hostilité de la majorité du parti à son égard, les dirigeants de l’Internationale le citent
en référence et poussent leur représentant en France à collaborer avec lui et avec la
fraction de la gauche la plus intransigeante à l’égard de la direction du PCF.
Treint entretient lui-même une attitude ambiguë à l’égard de l’IC. Il réclame
une discipline stricte et l’application intégrale des décisions de l’IC alors que, dans le
même temps, il critique la tactique de l’alliance du centre et de la gauche, voulue par
Moscou, et tente de constituer une fraction luttant sourdement pour une nouvelle

291
Treint A, « Le communisme à Paris », art. cit.
292
Treint est réélu membre du CC de l’ARAC, lors du congrès de Limoges d’août 1922. Voir
l’Humanité, « La tribune du combattant », n° 6725, 24 août 1922, p. 4.
114
scission. Il développe à plusieurs reprises une conception du parti élitiste ― une
organisation formée exclusivement d’une avant-garde révolutionnaire disciplinée et
débarrassée de toute influence social-démocrate ― proche de celles de la direction
italienne ou de la gauche allemande. Mais, contrairement à ces derniers, Treint ne
propose pas une ligne politique claire, divergente de celle de l’IC. Il ne rejette ni le
parlementarisme, ni les combinaisons électorales, ni le travail dans les syndicats
réformistes. Malgré son intransigeance et ses déclarations maladroites, Treint
constitue, dans la tête des dirigeants de l’IC, l’un des militants susceptibles de
participer à la construction d’une direction alternative à la direction centriste, qui
refuse d’appliquer certaines des résolutions de l’Exécutif.

115
CHAPITRE III :
TREINT, UN
SECRETAIRE
GENERAL IMPOSE
PAR L’IC.

116
Dans la continuité du premier congrès du PCF, le congrès de Paris s’ouvre
dans une atmosphère de luttes intestines entre les tenants de la discipline et de
l’alignement à l’égard de l’IC et ceux qui, à des degrés divers, souhaitent que le parti
conserve son autonomie et sa fidélité aux traditions du mouvement ouvrier français.
Ce clivage cache des divergences à l’intérieur même des tendances constituées. Le
centre, derrière Frossard et Cachin, apparaît comme la tendance la plus influente, la
seule susceptible de diriger le parti. Mais en son sein, des désaccords se
manifestent entre ceux qui, par opportunisme ou par conviction, veulent collaborer
avec la gauche et donner une orientation plus révolutionnaire au PCF, et ceux qui
voudraient au contraire pousser plus loin dans la voie de l’indépendance. De même,
au sein de la gauche, un groupe plus intransigeant pousse à la rupture définitive
avec le centre, tandis que les autres n’entrevoient pas de sortie de crise hors de la
collaboration des deux principales tendances.
Les protagonistes de l’affrontement du congrès de Paris se retrouvent à
Moscou pour participer au 4ème congrès mondial de l’IC. Les dirigeants russes ―
Trotsky en particulier ― exploitant ces divergences et mettant à profit le prestige
dont ils jouissent, tentent d’imposer une solution de compromis qui évite la scission
et qui renforce le poids des partisans de l’IC au sein de la direction. Cette politique
habile rompt la solidarité au sein de la tendance du centre et contribue au
rapprochement avec la gauche. Pour la première fois, en intervenant directement
dans les affaires intérieures du parti et en imposant ses solutions, l’IC modèle à sa
guise la direction du PCF. De nombreux opposants à cet interventionnisme, au
premier rang desquels Frossard, quittent alors le parti. Beaucoup de ces
démissionnaires sont d’anciens cadres de la SFIO, ralliés tardivement au principe
d’une Internationale communiste et qui restent rétifs à la discipline imposée par les
bolcheviks. Ces départs favorisent l’arrivée aux commandes d’une nouvelle
génération marquée par la Première Guerre mondiale et la Révolution russe. Dans
ce contexte de renouvellement, Treint, qui ne jouit pas d’une grande popularité et qui
demeure l’une des cibles principales des attaques du centre et de la droite lors du
congrès de Paris, accède au poste de secrétaire général au côté de Louis Sellier1.
Cette nouvelle direction émerge dans un contexte de recrudescence des
tensions internationales autour du problème des réparations de guerre. Confronté à
des difficultés économiques et à la lenteur de la reconstruction, le gouvernement

1
Louis Sellier (1885-1978) : Conseiller municipal de Paris depuis 1914. Membre de la tendance des
« reconstructeurs » et membre du premier CD de la SFIC.
117
français, mené par Poincaré, revendique avec fermeté le droit d’obtenir les
dédommagements prévus par le traité de Versailles. Après plusieurs retards dans les
versements, il décide d’employer la force en envahissant la Ruhr. Pour les
communistes, l’attitude intransigeante du gouvernement français pose la question
des menaces de guerre entre Etats européens mais aussi celui des menaces
d’intervention étrangère contre toute tentative de soulèvement ouvrier en Allemagne.
L’IC déclenche alors une campagne internationale contre le militarisme, à laquelle le
PCF prend activement part. Il dénonce le militarisme et l’impérialisme français, sans
que ces mots d’ordre, plutôt mal reçus dans la population française, ne soient
discutés ou critiqués au sein de la direction. La répression qui s’abat sur le parti
français au cours de cette période contribue à renforcer l’unité et la solidarité de ses
membres. Cependant, de nouvelles divergences surgissent au sein de la gauche qui
dirige désormais le parti, preuve que le PCF n’a pas encore trouvé l’unité organique
voulue par l’IC.

118
A/ Vers la conciliation entre le centre et la gauche.

1) A Paris, le congrès de la division.

Le succès remporté par la gauche alliée au centre dans la fédération de la


Seine permet d’envisager un compromis entre les deux tendances pour mettre un
terme à la crise et construire une direction stable. Malgré certaines réticences,
Frossard et Souvarine rédigent une motion commune sur la politique générale du
PCF qui insiste sur l’application des 21 conditions et sur la réorganisation des
structures de direction dans le sens voulu par l’IC. Elle s’oppose à trois autres
motions (Dondicol2/Renoult, Verfeuil, Rappoport)3. Sur les questions du front unique
et du travail syndical, les deux tendances trouvent également un terrain d’entente en
dépit des réserves du centre concernant l’application du front unique sur le terrain
électoral4. L’accord se fait sur le plan du programme et de la ligne politique, mais la
répartition des postes demeure une question épineuse. Humbert-Droz, à l’origine de
la commission mixte, destinée au dialogue entre tendances, pressent le risque de
rupture et demande à l’Exécutif l’envoi d’un second délégué pour l’épauler et faciliter
les discussions avec les dirigeants la gauche qui « suspectent [son] impartialité »5.
Manouilski6 arrive en France à la mi-septembre, alors qu’Humbert-Droz a rejoint la
Suisse pour quelques semaines. Il trouve à ses côtés Franz Dalhem7 ― présent
depuis plusieurs semaines et participant aux principales réunions du parti ―, signe
de la volonté de l’Exécutif de l’IC de surveiller de près la tournure des événements.
Les rapports du second délégué de l’IC soulignent qu’il se trouve confronté aux
mêmes difficultés qu’Humbert-Droz, et notamment à l’intransigeance de la gauche.
Après avoir fait preuve de souplesse, Souvarine pousse de nouveau, avec
l’appui de Treint, dans le sens d’une politique d’affrontement, incitant les militants de

2
Eugène Dondicol (1874-1933) : Militant socialiste puis membre du premier CD du PCF. Il appartient
alors à la tendance du « centre droit ».
3
L’Humanité, n° 6750, 18 septembre 1922, P. 4.
4
Motion Frossard/Souvarine sur le front unique, Ibid.
5
Humbert-Droz, op. cit, p. 93.
6
Dimitri Manouilski (1883-1959) : Il réside en France de 1907 à 1917, il rejoint la Russie en 1917 et
adhère au parti bolchevik. Chargé de diverses missions à l’étranger, il est également dirigeant du parti
communiste ukrainien.
7
Franz Dalhem (1892-1981) : Membre du parti socialiste indépendant d’Allemagne après la guerre, il
approuve la fusion avec le KPD en 1920 et en devient l’un des dirigeants.

119
la gauche à se comporter avant tout comme des représentants de leur tendance
engagée dans la lutte pour le contrôle du parti. A cet égard, la discussion sur la
tribune libre ― ouverte dans l’Humanité pour permettre aux tendances de présenter
leurs positions respectives en vue du congrès national ― lors du CD du 5 septembre
19228, témoigne de la dégradation des relations, causée notamment par l’attitude
manœuvrière de la gauche. Pioch, Cachin et Renoult interviennent pour signaler que
la dernière « page du parti » dans l’Humanité contient exclusivement des articles
écrits par des membres de la gauche et qu’elle a été insérée sans l’accord de la
commission9 responsable de sa publication. Treint, accusé d’avoir volontairement
ignoré la commission pour composer la page à sa guise, réplique qu’il a dû décider
de la publication dans l’urgence et n’a pu consulter les autres responsables.
L’évidente duplicité de Treint provoque alors des échanges houleux avec Cachin et
Renoult, aggravés par la proposition de ces derniers de confier la direction du
Bulletin Communiste à une commission de 5 membres, Souvarine étant accusé de
l’utiliser comme organe de tendance10.
L’affaire Verfeuil met également en évidence l’autoritarisme d’une partie de la
gauche et sa volonté de pousser le centre soit à rompre, soit à s’aligner entièrement
sur ses positions. Dès le mois de juillet, Treint avait demandé l’exclusion de
Verfeuil11, arguant que ce dernier écrivait dans le Journal du peuple, dont le directeur
était exclu du parti. Le CD se contente de prononcer un blâme, refusant de suivre
l’avis de Treint. Mais début septembre, Le Matin publie une lettre de Verfeuil dans
laquelle il attaque l’IC en des termes virulents12. Le CD décide de le déférer devant le
congrès contre l’avis de la gauche qui réclame l’exclusion immédiate13. Le CE de la
fédération de la Seine, en majorité contrôlé par la gauche, se saisit de l’affaire, exclut
Verfeuil de la fédération et demande au CD de ratifier sa décision. Cette initiative
entraîne une nouvelle séance agitée du CD. Dans un premier temps, la majorité
approuve la décision de la fédération de la Seine (par 13 voix contre 11) et, passant
outre les statuts du parti, prononce l’exclusion de Verfeuil, comme Treint et

8
A cette séance, les membres du CD votent également l’exclusion de Mayoux et de Malnoury.
Compte rendu de la séance du 5 septembre 1922, l’Humanité, n° 6743, 11 septembre 1922, p. 4. Voir
également BMP 30.
9
La commission de « la page du parti » est composée de Paul Louis, Cachin, Soutif et Treint.
10
Compte rendu du CD du 5 Septembre, Ibid.
11
Humbert-Droz s’opposait à cette exclusion, rappelant l’influence de Verfeuil et le risque d’amplifier
la crise dans le PCF. De Lénine à Staline…op. cit., p. 85-86.
12
ROBRIEUX P, op. cit., p.108.
13
Compte rendu de la séance du CD du 14 septembre 1922, l’Humanité, n° 6748, 16 septembre
1922, p. 2. Treint alors en tournée dans l’est de la France ne participe pas au débat.
120
Souvarine le réclament14. Devant la volonté de la gauche, approuvée par la majorité,
d’utiliser les statuts en fonction de ses desseins propres, Frossard propose
immédiatement sa démission du poste de secrétaire général. Par cette menace, il
obtient un second vote aboutissant au maintien de Verfeuil dans le parti jusqu’au
congrès national, qui doit statuer sur son sort 15.
Ces deux affaires reflètent le mauvais climat régnant entre les deux
principales tendances et les prétentions de la gauche à diriger seule le parti
aggravent la situation. Elle revendique en effet la majorité au CD, au présidium16 et la
direction de l’Humanité17. Souvarine réclame l’élimination de Cachin de toute
instance dirigeante. En cas de refus, il estime, tout comme Treint, que la gauche doit
rester dans la minorité et reprendre une attitude d’opposition frontale. Les deux
représentants de l’IC18 et celui du KPD rejettent cette volonté hégémonique19. Devant
la détermination de la gauche à prendre les postes clés au détriment du centre avec
qui elle prétend vouloir collaborer, Frossard organise ses partisans en fraction et tient
des réunions séparées. Dès lors, les deux représentants de l’IC se voient contraints
de faire la navette entre les réunions de tendances pour proposer des solutions
d’arbitrage, chaque fois repoussées20. Dans un premier temps, Humbert-Droz
suggère une répartition égale des postes, perspective rejetée par la gauche. Dans
une lettre confidentielle, adressée à Zinoviev et Trotsky, il justifie son opposition à
l’idée de laisser tout le pouvoir à la gauche :
« Il y aurait dans le parti une très vive émotion et une crise profonde si, au
lendemain du congrès, des hommes qui sont populaires comme Cachin et
Frossard étaient remplacés, à la tête du parti, par Souvarine et Treint qui sont
très peu populaires et qui [ne] connaissent [que] peu ou pas la classe ouvrière
et le mouvement syndical. J’avoue très franchement que Treint ne me paraît

14
« Treint craint que l’annulation de la décision du comité fédéral ne trouble profondément la
confiance des militants. […] Souvarine fait observer que dans l’état actuel des choses, les statuts ne
peuvent être malheureusement qu’une arme politique dont la majorité politique se sert contre la
minorité. Il ne croit pas dans ses conditions, qu’il convienne d’attacher une importance exagérée aux
formalités statutaires. ». CD du PCF du 26 septembre 1922, BMP 30.
15
Le second vote donne 16 voix pour le maintien de Verfeuil dans le parti contre 15, ibid.
16
C’est-à-dire au futur Bureau politique.
17
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev, 14 août 1922, Archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 305.
18
Dans un rapport à l’Exécutif, daté du 30 septembre 1922, Manouilski critique « l’attitude
inconciliable » de la gauche qui refuse de gouverner avec le centre. RGASPI, 517/1/64.
19
Une autre partie de la gauche, derrière Rosmer et Vaillant-Couturier, souhaite un partage équitable
du pouvoir entre les tendances et considère que Souvarine et Treint surestiment les forces de la
gauche. GRAS C., op. cit., p. 267.
20
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev, 10 septembre 1922, archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p.334-
335.
121
pas capable d’être secrétaire politique du Parti français ; il lui manque une
maturité et un sens politique certains. »21
Manouilski, dont Souvarine et Treint escomptaient un appui ferme, renouvelle
les propositions de gestion paritaire, persuadé que la gauche ne peut diriger le parti
sans l’appui du centre. Il propose à Frossard de prendre la direction de l’Humanité et
d’envoyer Cachin, avec qui Souvarine refuse de collaborer, à Moscou comme
représentant du parti22, mais le secrétaire du PCF rejette cette solution. Malgré une
décision de l’Exécutif, qui demande que le futur CD soit composé sur une base
paritaire23 et les courriers dans lesquels Zinoviev critique la formation de fractions et
les volontés hégémoniques24, Manouilski se heurte au refus de la gauche de
gouverner avec le centre. Sous l’influence de Souvarine et Treint, ses représentants
à la commission mixte accusent les militants du centre de duplicité. Ils s’appuient sur
des articles de Paul Louis25 et Cachin, qui critiquent la motion Frossard/Souvarine. Ils
prétendent que le centre joue double jeu et prépare une alliance avec la tendance
Renoult26. Les militants visés signent une déclaration27, publiée le 24 septembre, qui
dénonce « les classifications arbitraires en tendance » et reproche implicitement à la
gauche son arrogance et son attitude manœuvrière. Celle-ci réplique par une
« réponse à une déclaration »28, où elle accuse le centre de « rompre les
engagements contractés en commun » et de combattre sournoisement les motions
rédigées conjointement. A deux semaines du début du congrès national de Paris,
l’affrontement devient inévitable.
Pour Treint, seul le centre peut être tenu responsable de la situation de
crise29. Il accuse le secrétaire général de rassembler derrière lui diverses tendances,
dont certaines opposées à l’accord avec la gauche :
« Il y a ceux qui veulent sincèrement travailler avec la gauche et avec
l’Internationale. La gauche est de tout cœur avec eux. Il y a ceux qui se rallient

21
Archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 337.
22
Frossard L-O, op. cit., p. 194-195.
23
Lettre de Manouilski à Humbert-Droz, 28 septembre 1922, De Lénine à Staline, op. cit., p. 95.
24
« Ayant appris que la gauche (Souvarine, Treint et autres) exige pour sa tendance les deux tiers
des places au futur Comité directeur, le Comité exécutif de l’Internationale communiste déclare qu’il
ne soutient pas cette exigence et la considère comme erronée. » Lettre de Zinoviev cité dans de
Lénine à Staline, op. cit., p. 95.
25
Paul Lévi dit Paul Louis (1872-1955) : Publiciste socialiste, membre de la CAP de la SFIO puis
membre du CD du PCF.
26
Rapport de Manouilski à l’Exécutif, 30 septembre 1922, RGASPI, 517/1/64.
27
« Déclaration du centre », l’Humanité, n° 6756, 24 septembre 1922, p. 5.
28 er
« Réponse à une déclaration », l’Humanité, n° 6763, 1 octobre 1922, p. 5.
29
Treint A, « La crise du parti français », Bulletin Communiste, n° 42, 12 octobre 1922, p. 11-12.

122
par opportunité politique, mais respectent les engagements pris. La gauche
attend ceux-là aux actes. Il y a ceux qui représentent dans le centre la
pénétration du groupe Renoult. La gauche saura combattre énergiquement
ceux-là, quels qu’ils soient. »30
Cette classification arbitraire en sous tendances vise plus particulièrement Paul Louis
« qui attaque la gauche sur la question syndicale » et Cachin qui a écrit dans le
Bulletin de la presse communiste31 un article critique vis-à-vis de la motion
Frossard/Souvarine. Ces faits, qu’il qualifie tout simplement de trahison, prouvent la
volonté de rupture avec la gauche et d’union avec la tendance Renoult d’une partie
du Centre. A cela vient s’ajouter la « déclaration » séparée du centre qu’il juge
« équivoque » et destinée à discréditer la gauche par « des allusions
empoisonnées ». En conséquence, il affirme que l’attitude inflexible de la gauche est
exclusivement conditionnée par l’hypocrisie du centre et non par le désir de prendre
seule les rênes du parti32.
Depuis le début des négociations, dans le cadre de la commission mixte,
Treint, appuyant Souvarine, s’oppose pourtant aux propositions de conciliation faites
par les représentants de l’IC, convaincu que la gauche possède la majorité et doit
diriger seule. L’attitude ambiguë de certains centristes sert ainsi de prétexte pour
présenter, lors d’une nouvelle réunion de la commission mixte quelques jours avant
le congrès, des propositions provocatrices et volontairement inacceptables pour le
centre. La délégation de la gauche comprend Ilbert33, Rosmer et Treint. Ce dernier
prend la parole pour signifier les conditions d’un accord :
« ― Nous refusons de collaborer avec Cachin et Paul Louis, qui sont en
coquetterie avec le groupe Dondicol-Renoult. Nous ne voulons pas qu’ils

30
Ibid., p. 11.
31
L’article de Cachin est publié dans le Bulletin Communiste, n° 42, 12 octobre 1922, p. 12. Il affirme
notamment : « Le débat s’est engagé concrètement sur trois sortes de motions. Il en est une qui
s’intitule notion de politique générale [Frossard/Souvarine]. Elle ne justifie pas ce titre ambitieux. On
se contente en effet essentiellement d’y passer en revue l’œuvre du Comité Directeur sortant. On le
fait de manière sommaire et avec une sévérité qui nous apparaît comme injuste. »
32
« Un pacte est signé. Quelques signataires le trahissent. Qui déclare la guerre ? Ceux qui trahissent
ou ceux qui dénoncent les traîtres ? […] A ceux-là, la gauche aime mieux déclarer la guerre
franchement que de faire comme eux : pratiquer la guerre sans la déclarer. […] L’accord sur la base
paritaire ne peut plus être envisagé avec le centre actuel. […] Il faut que le congrès de Paris forme
une direction capable de mener la politique de l’Internationale avec le maximum d’énergie intelligente.
Cela ne peut se réaliser que par la collaboration de la gauche et d’un centre épuré des traîtres à
l’accord centre-gauche, quels qu’ils soient. », Ibid., p. 11-12.
33 ème
Léon Ilbert (1893- . ): Commis ambulant des PTT (révoqué). En 1922, il est secrétaire de la 20
section de la Seine.
123
entrent dans le prochain Comité directeur. Nous posons la candidature de
Dunois à la direction de l’Humanité. »34
Frossard réagit fermement et s’oppose à ce qu’un partisan de sa tendance soit exclu
des négociations, rappelant que seuls les membres du centre sont habilités à choisir
leurs représentants au futur comité directeur35. Il choisit d’accepter l’épreuve de force
voulue par Souvarine et Treint, le centre étant assuré d’obtenir une majorité au
comité directeur, comme l’ont montré les congrès fédéraux36. Le jour même du début
du congrès, Humbert-Droz et Manouilski réunissent les représentants des deux
principales tendances avec une dernière proposition en forme d’ultimatum. Ils
préconisent la parité au CD (12-12), au BP (3-3), la direction double de l’Humanité
(Cachin et Rosmer), le secrétariat revenant à Frossard avec un adjoint choisi par la
gauche37. Le centre refuse cette ultime proposition de conciliation et décide de porter
la question de la répartition des postes devant le congrès national, tandis que la
gauche accepte contre la volonté de Souvarine et Treint, qui rejettent l’arbitrage de
l’IC. Le deuxième congrès national du PCF prend la tournure d’un affrontement
violent entre tendances, où les discussions sur la ligne politique, le travail quotidien
et les perspectives laissent place aux attaques personnelles et aux manœuvres
politiciennes.
Le deuxième congrès national du PCF, qui se déroule salle de la Grange-aux-
Belles, s’ouvre dans une ambiance de tension et de conflit larvé. Aux divergences
sur la question de la répartition des postes viennent s’ajouter les attaques
personnelles et les calomnies proférées de part et d’autre. Treint, qui dans ses
articles accuse plusieurs dirigeants du centre de trahison et de duplicité, voit en
retour les insinuations à son encontre se multiplier. Par ses appels répétés à la
discipline et à l’épuration nécessaire, il cristallise sur sa personne l’antipathie de tous
ceux qui refusent l’autoritarisme revendiqué de la gauche. Dès la fin septembre,
Souvarine notait, dans une lettre au Présidium de l’IC38, que des bruits l’accusant
d’être payé par Moscou pour défendre le front unique circulaient dans le parti. Dans

34
Frossard L-O, op. cit., p. 197.
35
Lettre de Frossard à Treint, Ilbert et Rosmer, 13 octobre 1922, Archives Jules Humbert-Droz, op.
cit., p. 373.
36
Dans la plupart des fédérations, la motion Frossard/Souvarine a largement obtenu la majorité mais
à plusieurs reprises, ces votes étaient accompagnés de réserves, visant l’attitude de la gauche. Par
contre, dans le congrès du Pas-de-Calais, auquel Treint participe, la motion Frossard/Souvarine, est
largement battue par 19 voix contre 68 à la motion Dondicol/Renoult (l’Humanité, n° 6752, 20
septembre 1922, p. 4). Il intervient également au congrès de la Corrèze au côté de Soutif.
37
Lettre de Manouilski et Humbert-Droz aux fractions du centre et de la gauche, 15 octobre 1922,
Archives Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 374-375.
38
Lettre de Souvarine au Présidium, 28 septembre 1922. RGASPI, 517/1/84.
124
le cadre des débats du congrès, si Treint joue par rapport à Souvarine ou Vaillant-
Couturier un rôle plus effacé, il reste l’une des cibles privilégiées des militants
opposées à la gauche. Il doit notamment répondre à l’accusation d’avoir été, avant
de rentrer au parti socialiste, un agent de recrutement pour l’armée polonaise39.
Cette insinuation, qui relève de la calomnie40, permet de mesurer à quel point
l’animosité à son encontre est répandue dans les rangs du parti. A de multiples
reprises, lorsque un intervenant critique l’attitude de la gauche dans les derniers
mois et souhaite illustrer son propos, les références au passé militaire de Treint et à
sa volonté de régenter le parti telle une caserne s’imposent d’elles-mêmes. Lors de
la séance dans la nuit 18 au 19 octobre Vaillant-Couturier, qui défend la position de
la gauche lors des pourparlers des semaines précédentes, doit répondre aux
attaques spécifiques qui visent Treint mais aussi Souvarine :
« On a présenté la gauche comme un couvent où l’abbé Souvarine exigeait
l’obéissance, où le capitaine Treint mettait tout le monde au garde-à-vous. […]
La gauche n’obéit pas aux ordres du capitaine Treint ou du dictateur
Souvarine, mais elle est disciplinée. C’est parce qu’ils ont fait du travail qu’on
les connaît. On a reproché à Treint de travailler pour sa tendance, mais il a
travaillé pour que le parti français soit plus près de la troisième Internationale.
Il a bien travaillé pour le parti. »41
Dès la première séance Renaud Jean42, qui intervient dans le cadre de
l’examen des rapports des fédérations, dénonce l’existence des tendances, des
luttes internes incompréhensibles pour la base qui nuisent à l’unité du parti. Ses
critiques visent plus particulièrement certains collaborateurs du Bulletin
Communiste43 accusés de réduire la nécessaire discussion à un vulgaire échange
d’invectives. Sans citer explicitement Treint, il fait référence à un article où ce dernier
mettait en cause « la liberté de pensée »44 au sein du parti. Les questions politiques
que les délégués doivent examiner sont reléguées au second plan. Après Renaud
Jean, Souvarine défend le Bulletin Communiste et justifie la lutte menée par la
gauche par la nécessité de redresser le parti et d’en faire une section disciplinée de

39
Ces insinuations, qui avaient déjà été proférées dans le Populaire en juillet 1921, s’appuyaient sur
le fait que Treint ait fait une demande pour être muté comme instructeur dans l’armée polonaise avant
de refuser cette affectation. Cf. supra.
40
Treint s’interroge sur l’attitude de Frossard et sur le fait que l’on laisse ces bruits courir, ibid.
41
Compte rendu de la séance de nuit (18-19 octobre), l’Internationale, n° 558, 19 octobre 1922, p. 1.
42
Jean jean dit Renaud Jean (1887-1961) : Paysan, militant socialiste puis communiste. Député
depuis 1920.
43
Intervention de Renaud Jean, l’Humanité, n° 6778, 16 octobre 1922, p. 1.
44
Titre d’un article de Treint paru dans l’Humanité. Cf. supra.
125
l’IC. Il ajoute que «quand le parti sera en harmonie avec l’Internationale, le Bulletin
Communiste redeviendra l’organe de tout le parti. »45
Lors de la séance du 17 octobre, consacrée à la discussion sur la politique
générale du parti, Ker prend la parole pour défendre la motion Frossard/Souvarine.
Son intervention constitue cependant un réquisitoire contre la gauche qu’il accuse
« d’avoir porté à son paroxysme l’esprit de tendance, de l’avoir mis au dessus du
Parti. »46 Il affirme que certains militants souhaitent un l’affrontement dans l’espoir de
provoquer une nouvelle scission47. Cette remarque entraîne un échange de vue
acerbe entre Frossard et Treint48, qui est ici directement visé et déclare n’avoir
jamais souhaité la scission et s’être contenté d’en constater les risques. Ker souligne
ensuite que le centre, d’accord avec la gauche sur le plan des motions, rejette ses
prétentions à faire appliquer une discipline trop stricte. Il revient sur les discussions
de la commission mixte pour montrer que par ses exigences inacceptables ― la
majorité au CD et au BP et l’élimination de Cachin ―, la gauche porte la
responsabilité de la situation de crise. Sur la question Cachin, il prend Treint à
partie :
« Et quant toi, Treint, portes un jugement pareil sur Cachin, crois-tu donc que
ta rigidité communiste soit si absolue ? »
Sommé de se justifier, Treint réplique qu’il ne s’agit pas d’une question de personne
et que la demande de sanction est motivée par les articles de Cachin contre la
motion Frossard/Souvarine49. Après cette interruption, Ker conclut sa diatribe contre
la gauche en appelant le parti à « désigner lui-même les hommes qui doivent le
diriger » ― insinuant que la gauche a tenté de s’imposer par des manœuvres
souterraines ― et quitte la tribune sous les huées des délégués de la gauche,
mêlées aux applaudissements du reste de la salle.

45
Intervention de Souvarine, l’Humanité, n° 6778, 16 octobre 1922, p. 2.
46
Intervention de Ker, l’Humanité, n° 6780, 18 octobre 1922, p. 2.
47
Il appuie ses dires sur une déclaration que Treint lui a fait au cours du congrès de Marseille :
« Nous allons à un congrès de Livourne ». Ibid.
48
« Treint : on ne peut pas transformer la constatation d’un fait en l’affirmation d’une volonté.
Frossard : Quand on ne veut pas la scission, on n’en entretient pas la volonté dans les esprits.
Treint : Quand on ne veut pas la scission, on n’en entretient pas la possibilité dans les faits. », Ibid., p.
2.
49
« Nous avons signé centre et gauche, des motions sous l’égide de l’Internationale. Mais il y a des
signataires qui n’ont pas scrupuleusement rempli leurs engagements. Par conséquent, il était juste
que nous exigions qu’ils ne soient pas admis à collaborer avec nous. Mais la personnalité de Cachin
n’est pas en cause. », Ibid.
126
Souvarine intervient ensuite et certains crient : « dictateur ! ». Réagissant à
l’intervention de Ker, il déclare que « la rupture est consommée »50, que la gauche
refuse de collaborer avec le centre et répond aux accusations qui visaient plus
spécifiquement Treint :
« On a attribué à la gauche le désir d’un Congrès de Livourne alors qu’elle en
a eu la crainte. Or, on peut résumer le discours de Ker en un mot : Livourne.
Mais la gauche ne fera rien pour cela ; nous resterons dans le Parti, il faudra
que vous nous en chassiez (bruits). »51
Il relève les incohérences du centre, qui après avoir participé à la commission mixte,
critique maintenant ces pourparlers et demande que la question soit réglée par le
congrès. Il rappelle que cette commission fut réunie une première fois sur demande
de Frossard et de l’IC, la gauche n’ayant fait qu’accepter la discussion. Concernant
Cachin, il déclare, à l’instar de Treint, que leurs attaques s’expliquent par des
divergences politiques fondamentales et non par de animosité personnelle.
A la séance suivante, Manouilski lance un appel à l’unité52, mais son
intervention reste sans effet. Le lendemain, Frossard réclame à son tour une solution
de conciliation, soulignant le danger qui pèse sur le PCF :
« Si le centre prend seul la direction, c’est le conflit probable avec
l’Internationale ; si c’est la gauche, c’est le conflit avec le parti. Je demande si
un effort nouveau de conciliation n’est pas possible. »53
Il propose la création d’une commission, constituée de représentants des fédérations
n’ayant pas participé aux discussions antérieures, qui statuera sur le choix de la
direction. Souvarine répond qu’il s’agit d’une manœuvre politicienne grossière et que
le centre et Frossard voulaient cette crise :
« La situation est grave. Celui qui l’a créée, c’est Frossard
(applaudissements). Nous nous sommes mêlés à toutes les tentatives de
conciliation. Mais nous disons que la déclaration de la gauche faite hier à cette
tribune est vraiment la seule qui réponde aux circonstances. En effet, croyez-
vous que l’on puisse former un Comité Directeur homogène avec ceux qui ont
porté contre nous des accusations ignominieuses. »54

50
Intervention de Souvarine, Ibid.
51
Ibid.
52
Ibid.
53
Intervention de Frossard, l’Humanité, n° 6781, 19 octobre 1922, p. 1.
54
Intervention de Souvarine, Ibid.
127
Il propose que la séance suivante se tienne à huis clos pour permettre une
discussion franche, suggestion acceptée par la majorité des participants. Souvarine
et Frossard prennent de nouveau la parole lors de cette séance privée. Le
représentant de la gauche récuse les accusations lancées contre sa tendance d’avoir
voulu « disposer du congrès à l’insu de celui-ci »55 et de se battre exclusivement
pour prendre les postes de direction. Frossard répond par un long historique de son
action passée à la tête du parti, des difficultés et surtout de sa volonté de quitter le
secrétariat général après le congrès. Son discours, empreint de sincérité, touche
l’auditoire56. Puis Franz Dalhem lance un dernier appel à l’alliance du centre et de la
gauche.
L’ultime séance s’ouvre le 18 octobre à 20H30. Verfeuil, qui doit être exclu,
revendique sa liberté de conscience et fustige l’autoritarisme de la gauche :
« […] nous tenons à déclarer que nous refusons de faire le pas de l’oie
derrière le capitaine Treint, ou la corvée de quartier aux ordres de l’adjudant
Souvarine. Nous entendons garder notre liberté de penser et notre liberté de
critique […] »57
En réponse à cette diatribe, le rapporteur de la commission des conflits58, réunie
pour statuer sur les cas de Brizon, François et Marie Mayoux59, Barabant60,
Vacher61, Ronin, Henri Sellier62, Verfeuil et ceux qui ont signé la motion présentée
par ce dernier, annonce l’exclusion de tous ces militants. Dans sa déclaration, il mêle
le nom de Jaurès à ceux des exclus. Cet amalgame provoque un scandale et
Frossard monte à la tribune pour fustiger « ceux qui insultent Jaurès »63. L’incident
se prolonge durant plusieurs minutes, jusqu’à l’intervention de Vaillant-Couturier
expliquant qu’il y a malentendu et que personne n’a voulu insulter la mémoire de
Jaurès.

55
Ibid., p. 2.
56
Ibid.
57
Intervention de Verfeuil, l’Humanité, n° 6782, 2O octobre 1922, p. 1.
58
La commission des conflits est constituée majoritairement de militants issus de la tendance de
gauche.
59
François (1882-1967) et Marie (1878-1969) Mayoux: Instituteurs, militants socialistes puis
communistes.
60
Henri Barabant (1874-1951): Militant socialiste puis socialiste. En conflit avec la direction depuis le
début de l’année 1922.
61
Arthur Vacher (1886- . ) : Avocat. Militant socialiste puis communiste.
62
Henri Sellier (1883-1943) : Militant socialiste puis communiste, conseiller général de la Seine et
maire de Suresnes depuis 1919.
63
ROBRIEUX P, op. cit., p. 117.

128
Dans cette ambiance électrique et alors que le congrès siège depuis près de
vingt heures, intervient le vote des délégués. La motion de politique générale
(Frossard/Souvarine) recueille 2690 voix contre 696 (Dondicol-Renoult), 192
(Renaud Jean), 58 (Verfeuil), 34 (Heine64), 20 (Rappoport), 19 (Poldès65) et 187
abstentions66. De même, les motions sur le front unique et la politique syndicale
obtiennent une large majorité. On soumet alors aux délégués trois motions sur la
désignation du CD. Vaillant-Couturier, pour la gauche, propose d’accepter l’arbitrage
de l’IC et de former un CD sur une base paritaire. Cachin réplique en appelant le
congrès à voter pour un CD constitué exclusivement de représentants de la
tendance du centre qui siègera jusqu’au 4ème congrès mondial de l’IC. La motion de
Cachin l’emporte d’une courte majorité (1698 voix contre, 1516 pour la gauche et
814 abstentions). Vaillant-Couturier remonte à la tribune pour lire une motion du
délégué de l’Exécutif :
« En présence d’un Livourne français, l’Internationale demande à la gauche
d’entrer au CD sur la base paritaire, aussi bien de prendre les postes que le
congrès lui confiera tant dans le bureau politique que dans les autres organes
du parti. En vous inclinant devant la volonté de l’Internationale, après avoir
convoqué votre fraction vous déclarerez réserver votre droit de protester
contre la situation ainsi créée devant le congrès mondial. »67
Après une interruption de séance, et malgré une ultime tentative de conciliation,
Cachin demande aux délégués d’entériner leur vote. Tommasi indique que devant
l’attitude du centre, la gauche s’abstient sur tous les votes et en appelle au 4ème
congrès de l’IC. Les délégués approuvent ensuite la composition du CD, du Conseil
d’administration de l’Humanité et de la commission de contrôle68. Avant de clore le
congrès, on vote sur les exclusions proposées par la commission des conflits. Seuls
Verfeuil, François et Marie Mayoux sont exclus, les autres cas étant renvoyés devant
le CD.
En prenant seuls la direction, les leaders du centre entrent en rébellion
ouverte contre l’IC et créent une situation de crise telle qu’à gauche, comme au
centre de nombreux militants envisagent la scission du parti communiste.

64
Maurice Heine (1884-1940) : Membre de la tendance d’extrême gauche de la fédération de la
Seine.
65
Léo Poldès (1891-1970) : Journaliste, militant socialiste puis communiste.
66
Votes sur la motion de politique générale, l’Humanité, n° 6782, 20 octobre 1922, p. 2.
67
L’Humanité, Ibid.
68
Tous ces organes sont composés exclusivement de membres de la tendance du centre. Voir
l’Humanité, Ibid.
129
Cependant, témoignage de leurs divergences et de leurs tergiversations, les
dirigeants du centre s’en remettent aux décisions du 4ème congrès de l’IC, malgré la
condamnation explicite de leur attitude au congrès de Paris par Manouilski69 et
Humbert-Droz. De leur côté, les leaders de la gauche, en contradiction avec les
recommandations de Manouilski, annoncent qu’ils quittent leurs postes. Entre autre,
Treint démissionne de son poste de délégué permanent du CD70. L’attitude du centre
renforce ceux qui souhaitent une politique de rupture amenant la gauche seule à la
direction du parti, d’autant plus que les votes du congrès ont mis en évidence son
poids grandissant dans toutes les fédérations. Pendant que Souvarine et Rosmer
partent à Moscou, les autres leaders organisent une campagne pour dénoncer
l’attitude scissionniste du centre et appeler à la discipline à l’égard des décisions du
4ème congrès mondial de l’IC, qui débute le 5 novembre 1922. Treint prend une part
prépondérante dans le travail d’organisation de la campagne et de propagande dans
les fédérations.

2) Treint et la stratégie de rupture de la gauche.

Les leaders de la gauche démissionnent de tous leurs postes dans le PCF dès
le 20 octobre 1922. Puis, ils font parvenir à Cachin une lettre affirmant qu’en dépit de
leurs démissions, les rédacteurs « restent à la disposition du journal jusqu’à ce qu’il
ait été pourvu à [leur] remplacement »71. En réponse, le CD publie une résolution
dénonçant les agissements de la gauche et l’accusant implicitement d’empêcher le
fonctionnement de l’Humanité et d’amplifier la crise72. Les représentants de l’IC
critiquent également cette attitude, craignant qu’elle n’accroisse encore le risque de
scission, bien réel à la fin du mois d’octobre. Ils demandent à tous les militants de
rester à leurs postes et de travailler loyalement en attendant que le 4ème congrès
mondial statue sur la question française.

69
Dès le 21 octobre 1922, Manouilski fait parvenir au CD une lettre dans laquelle il déclare :
« Devant le parti tout entier, la délégation de l’Exécutif et les représentants des partis frères sont
unanimes à constater que toute la responsabilité de la situation créée retombe sur la fraction du
centre. », l’Humanité, n° 6785, 23 octobre 1922, p. 1.
70
« Démissions », l’Humanité, n° 6782, 20 octobre 1922, p. 1.
71
Les Cahiers Communistes, n° 1, 9 novembre 1922, p. 14. Cette deuxième lettre n’est pas publiée
dans l’Humanité.
72
« Les citoyens Souvarine, Dunois, Treint, Reynaud, Martinet, Tommasi et Tourrette ont, sans
prévenir le Comité directeur, ni le directeur de l’Humanité, fait passer vendredi dernier, dans le journal
du parti, une lettre de démission contenant des affirmations inexactes et destinées de toute évidence
à semer dans les organisations communistes l’émotion et le désarroi. », Ibid. p. 13.
130
Dalhem écrit à Treint dans ce sens73 et demande aux leaders de la gauche de
collaborer avec les dirigeants du centre. Dans sa réponse, Treint justifie les
démissions et critique les propositions du délégué allemand :
« Faux, faux, absolument faux, ce que tu exposes dans ta lettre.
Naturellement, si l’Internationale épouse ton point de vue nous ferons tout ici
pour l’appliquer loyalement. Mais je veux encore penser que l’Internationale
sera plus raisonnable. »74
Selon lui, Dalhem et les délégués de l’IC commettent l’erreur de vouloir transposer à
l’intérieur du parti la tactique du front unique pour obliger les dirigeants du centre à
appliquer la politique de l’IC. Il rejette cette assimilation en soulignant que les deux
tendances sont soumises à la même discipline, rendant ainsi inopérante cette
tactique75. Treint n’a pas abandonné l’idée de rompre avec le centre pour constituer
un parti avec les seuls militants favorables à la gauche. Depuis le congrès de
Marseille, il demeure persuadé que seule cette mesure draconienne peut venir à
bout de la crise et permettre la naissance d’un parti communiste. Au cours de l’année
1922, il s’est opposé à plusieurs reprises, avec Souvarine, aux tentatives de
conciliation faites par les délégués de l’IC. Il s’est également montré réticent à
discuter dans le cadre de la commission mixte et le résultat du congrès de Paris le
conforte dans ses convictions76. Il écarte par ailleurs l’idée d’une possible
collaboration au sommet, après les insultes et les incidents qui ont émaillé les débats
du congrès national77.
Treint estime que le congrès a mis en évidence une progression sensible de la
gauche en province et que de nombreux militants qui désapprouvaient l’attitude de la
gauche à l’égard du centre, dans un premier temps, s’éloignent désormais d’une
direction décrédibilisée. Il est, selon lui, possible d’envisager un front unique avec la

73
Nous n’avons pu consulter que la réponse de Treint.
74
Lettre de Treint à Dalhem, 6 novembre 1922, RGASPI, 517/1/67.
75
« A l’intérieur du parti, nous sommes comme gauche dans la même organisation que les centristes,
tenus à la discipline formelle des partis communistes dans un parti qui ne l’est pas. Aucune liberté de
manœuvre ou d’expression que celle que nous prenons en violation de cette discipline. […] On ne
donne pas sa démission du front unique parce qu’on y conserve sa liberté d’expression, ou si on la
limite, c’est volontairement. On donne sa démission de postes rétribués soumis aux centristes parce
qu’on ne peut accepter de contribuer à une besogne de rupture dans le parti et dans l’Internationale.
[…] Si les centristes créaient le parti indépendant dont ils rêvent, je n’éprouverais aucune gêne à faire
FU avec eux. Mais être ligotés dans les organes centraux d’une même organisation, ce n’est pas du
tout la même chose. », Ibid.
76
« Nous avons fait le front unique avec les chefs centristes. Cela a produit la congrès de Paris, où
les chefs centristes se sont démasqués et on rompu le front unique. », Ibid.
77
« J’espère d’ailleurs que la décision de l’Internationale ne nous obligera pas à un recollage au
sommet du parti. Nous pouvons traîner nos personnes physiques à un même CD. Aucun travail
effectif ne pourra être réalisé. », Ibid.
131
base du centre et de priver ainsi la direction de ses troupes. Toute décision de
l’Internationale qui obligerait la gauche à collaborer avec les chefs du centre ne ferait
alors que rompre ce mouvement général vers la gauche et l’affaiblirait au profit de
Frossard et des membres du CD issu du congrès de Paris78.
Immédiatement après le congrès, ce sentiment qu’aucun retour en arrière
n’est possible, que les liens avec les leaders du centre sont définitivement rompus,
prédomine au sein de la gauche. Souvarine accuse Frossard et ses partisans d’avoir
manœuvré pour s’approprier la ligne politique défendue par la gauche tout en les
écartant79. Dunois, dans l’éditorial du premier numéro des Cahiers Communistes,
considère que le congrès de Paris a mis en évidence un « conflit de principe » entre
« opportunistes et radicaux »80 et Vaillant-Couturier renchérit en écrivant que le
congrès de Paris n’était qu’un épisode dans le conflit « entre l’esprit de la deuxième
Internationale et celui de la troisième. »81. Dans un texte signé par l’ensemble des
leaders82, la gauche fait retomber l’entière responsabilité de l’échec du congrès sur le
centre et l’accuse de pratiquer une politique scissionniste :
« En repoussant les propositions de la délégation de l’Exécutif, appuyées par
tous les représentants des partis frères, le Centre cherche seulement à
gagner un peu de temps jusqu’au congrès mondial. Ce peu de temps, le
Centre l’emploiera à dresser le Parti contre l’Internationale, préparant ainsi
presque inévitablement la rupture. […] Contre la politique du Centre, qui
prépare la rupture avec l’Internationale et la révolution russe et qui mène à la
scission dans le Parti français, tous les communistes doivent s’insurger. »83

78
« La collaboration avec le centre est impossible au sommet alors qu’elle est tout à fait possible à la
base. Le parti est en voie de comprendre tout à fait ces deux vérités. La rupture à la base apparaîtrait
comme un crime. Le recollage au sommet apparaîtrait comme une immoralité. C’est au moment où
nos centristes sont partout discrédités ou en voie de l’être que vous voulez leur donner encore une
fois l’investiture de l’Internationale. […] Les masses du centre commencent à se détourner de leurs
chefs. […] Si on recolle au sommet, ces masses du centre se diront : Nous nous pressons peut-être
un peu de lâcher nos chefs, l’Internationale est moins sévère que nous pour eux. […] Actuellement,
recoller avec les chefs, c’est arrêter le mouvement vers nous des masses du centre. Au fond de toute
cette tactique, il y a la sous-estimation de la gauche. », Ibid.
79
Souvarine, « La leçon du congrès », Bulletin Communiste International, n° 43, 26 octobre 1922, p.
794.
80
Dunois, « Conflit de personnes et conflit de principes », Cahiers Communistes, n° 1, 9 novembre
1922, p. 2-3.
81
Vaillant-Couturier, « La crise devant la Seine et le Nord », Ibid., p. 6-7.
82
Dunois, Souvarine, A. Treint, Vaillant-Couturier, Rosmer, Tommasi, M. Merlay, Suzanne Girault.
83
« La crise et ses responsabilités », Bulletin Communiste International, n° 43, 26 octobre 1922. Voir
également « Pour l’unité communiste nationale et internationale », Cahiers Communistes, n° 1, 9
novembre 1922, p. 4. Signé par les mêmes militants, ce second texte reprend le même argumentaire
en ajoutant un appel à l’union du centre et de la gauche « à la base ».
132
Décidée à engager une intense campagne dans le parti, la gauche doit faire
face à une difficulté majeure. Démissionnaires de la rédaction de l’Humanité, les
militants sont également privés de la direction du Bulletin Communiste, remise entre
les mains de Paul Louis par décision du CD, réunie le 20 octobre 1922. Premier acte
de la lutte fractionnelle, la gauche publie son propre numéro, intitulé Bulletin
Communiste International84. Dans un second temps, elle fait paraître son propre
organe, hors du contrôle du CD, intitulé Cahiers Communistes. En parallèle, les
principaux militants se répartissent les tâches pour organiser la résistance à la
nouvelle direction et pour propager leurs mots d’ordre. Souvarine et Rosmer partent
à Moscou pour représenter la gauche au congrès mondial de l’IC et les militants
restés en France se partagent le travail au sein du parti et de la CGTU. Il s’agit, en
plus de la parution de leur organe de presse, d’intervenir dans les assemblées
réunies pour discuter de la crise, de diffuser des tracts et de coordonner l’action de
tous les militants favorables à la gauche.
Déployant toute son énergie et ses talents d’organisateur85, Treint prend de
nombreuses responsabilités, puisqu’en plus d’intervenir dans les assemblées86,
d’écrire de nombreux articles, il devient gérant des Cahiers Communistes et prend
en charge la coordination et la planification de toutes les actions de la gauche au
sein du PCF. Il prend par ailleurs prétexte de cette activité débordante pour justifier
sa démission du poste de délégué permanent du parti :
« Justification pratique : Je fais actuellement un travail absolument
indispensable pour l’organisation et la direction de la gauche. Pourrais-je le
faire si j’étais propagandiste. Le centre se débarrasserait de moi en
m’envoyant prêcher les paysans de la Lozère, et le tour serait joué. »87

84
Bulletin Communiste International, n° 43, 26 octobre 1922.
85
Dans une lettre à Souvarine, datée du 17 décembre 1922, Dunois souligne que Treint « est
décidément un très bon organisateur ». Cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 678.
86
Il intervient notamment à l’assemblée d’information de la fédération de la Seine du 2 novembre
1922, au cours de laquelle Cachin, Renoult, Heine, Marrane et Vaillant-Couturier font un compte
rendu du congrès national. Voir les Cahiers Communistes, n° 1, 9 novembre 1922, p. 7. Dans la lettre
à Dalhem, Treint décrit son intervention : « Je suis intervenu également. Exposé sobre et documenté
de ce qui s’est passé entre les deux fractions. Examen de la situation. Critique de la campagne
nationaliste de Cachin, de son attitude dans la question syndicale. Critique de l’incompréhension de la
part du centre de ce que doit être un parti communiste. Appel à l’union par la base contre les chefs
centristes responsables de la rupture et pour le travail pratique de mise en application des motions de
gauche votées par le Congrès de Paris. Appel à la discipline internationale. La salle salue la
péroraison pourtant faite avec sobriété en se levant et en chantant l’Internationale. »
87
Lettre de Treint à Dalhem, 6 novembre 1922, RGASPI, 517/1/67.
133
Il rédige une circulaire, destinée aux « correspondants locaux »88 de la gauche,
mettant en place tout un dispositif destiné à récolter des fonds, faire circuler les
informations et favoriser la pénétration des positions de la gauche jusque dans les
sections. La circulaire enjoint aux partisans de la gauche d’adresser un compte
rendu de la situation deux fois par mois, de rassembler les souscriptions pour la
publication du Bulletin Communiste International, pour « subvenir aux frais de
correspondances et pouvoir faire se déplacer quelques camarades en province », de
diffuser la presse favorable aux thèses de la gauche89, de répandre les tracts et
brochures « servant la cause de l’Internationale ». Elle recommande également de
faire voter par les sections des ordres du jour demandant au parti de s’incliner devant
les décisions du 4ème congrès mondial de l’IC et au niveau local, de ne pas
démissionner de son poste et de collaborer avec les centristes « sincères ». Au
centre de ce dispositif, Treint reçoit directement à son domicile les fonds et répartit
les moyens en fonction des demandes, notamment en ce qui concerne les
propagandistes90.
Le principal outil de la propagande de la gauche reste les Cahiers
Communistes. On y publie, en plus des articles de Dunois, Treint ou Vaillant-
Couturier, des textes de syndicalistes membres ou non du parti. Maurice
Chambelland91, qui au sein de la CGTU combat les conceptions de la gauche et de
l’Internationale sur la question syndicale, fait paraître un texte accusant le centre de
dresser la CGTU contre l’Internationale, et de manœuvrer pour apparaître comme
les seuls garants de l’autonomie du syndicalisme français92. Il ajoute préférer
l’attitude « brutale, excessive » de la gauche au centre « louvoyant et équivoque ».
L’hebdomadaire sert de tribune pour rendre compte des discussions à Moscou entre

88
Circulaire datée du 28 octobre 1922, IHS, fonds Souvarine. Voir en annexe.
89
Le Bulletin Communiste International, La Correspondance Internationale, la Lutte des classes,
l’Avant-garde (organe des jeunesses communistes).
90
« Les correspondants locaux seront informés à l’avance quand l’un de nos camarades sera dans
leur localité. Provoquer pour cette date une réunion réservée aux membres du parti. Quand le
concours d’un propagandiste de gauche est jugé indispensable, m’adresser la demande suffisamment
à l’avance. Ne faites de telle demande que dans les cas vraiment très importants. », Ibid.
91
Maurice Chambelland (1901-1966) : Militant syndicaliste et membre du comité de la fédération
communiste des Vosges.
92
Chambelland M, « Autonomie, oui, complicité, non », Cahiers Communistes, n° 2, 16 novembre
1922, p. 10-11. Il écrit : « La vérité, c’est que les leaders du Centre se livrent à une manœuvre
absolument déloyale. Connaissant les préventions des militants syndicalistes à l’égard des thèses de
l’Internationale Communiste en matière syndicale et le désaccord existant entre la CGTU et
l’Internationale Syndicale Rouge, ils se servent de ces préventions, de ce désaccord, pour rester à la
direction du Parti, pour poursuivre leur politique d’équilibrisme, de compromis entre l’opportunisme, la
e
tradition démocratique et la netteté révolutionnaire de la III Internationale, pour justifier la rupture,
pour préparer la scission. »

134
la délégation française et les membres de la commission française et pour publier les
textes des représentants de l’IC au congrès de Paris qui tous imputent la
responsabilité de la crise au centre93.
Peu après la fin de congrès Manouilski, dans une lettre au nouveau CD,
soutient que « la responsabilité de la situation créée retombe sur la fraction du
Centre »94 et témoigne de l’attitude conciliante de la gauche. Le bureau politique,
nouvellement créé, publie ce document en y adjoignant une réponse rejetant la
responsabilité de la crise sur la gauche et fustigeant la partialité du représentant de
l’IC95. Il rappelle qu’au cours des discussions, la gauche a fait preuve
d’intransigeance puis, voyant qu’elle était battue, a tenté de manœuvrer avec le
soutien de Manouilski96, pour prendre la direction du parti contre l’avis du congrès :
« En présence de ces faits, les délégués du Centre au 4e Congrès mondial
sont fondés à soutenir que le camarade Manouilski n’a pas été un arbitre mais
qu’il a visiblement favorisé la tendance de gauche. Le Secrétariat du Parti et
l’ancien Comité Directeur étaient pourtant informés que l’Exécutif s’opposait à
toute tentative de la Gauche pour s’assurer la direction ou même la
suprématie quelconque dans la direction du Parti. »97
En réponse, les Cahiers Communistes publient une déclaration d’Humbert-Droz98,
repoussant les accusations du BP concernant la partialité de Manouilski et sa
dernière tentative d’arbitrage. Par la suite, l’organe de la gauche fait paraître un texte
dans lequel Manouilski accuse Frossard d’examiner « les résultats du congrès sous
un angle menchevik »99 et de refuser de voir la responsabilité du centre dans l’échec
du congrès.
Ces témoignages et articles viennent renforcer la gauche qui peut développer
dans son organe et dans les assemblées du parti sa vision du déroulement des
pourparlers entre tendances et du congrès. Elle diffuse un tract100 répondant aux
attaques du centre. Elle l’accuse de mentir sur la question des démissions, sur les
exigences de la gauche lors des pourparlers, sur le déroulement du congrès et

93
Dalhem F, « Une opinion allemande », « Une opinion belge », Bell T, « Une opinion anglaise »,
Cahiers Communistes, n° 2, 16 novembre 1922, p. 11-15.
94
« Une lettre du délégué de l’Exécutif », l’Humanité, n° 6785, 23 octobre 1922, p. 1.
95
« La réponse du bureau politique », Ibid., p. 1-2.
96
Le BP fait ici référence à la lettre de Manouilski, lue après le vote, qui demandait à la gauche
d’accepter les places que le congrès voudrait bien lui donner.
97
Ibid., p. 2.
98
« Après Manouilski, Humbert-Droz », Cahiers Communistes, n° 1, 9 novembre 1922, p. 11.
99
« Un article de D. Manouilski », Cahiers Communistes, n° 4, 30 novembre 1922, p. 34-36. L’auteur
revient en particulier sur l’incident autour du nom de Jaurès lors de la dernière séance du congrès.
100
Tract intitulé « Mensonges du Centre et Vérités de Gauche », BMP, fonds Renoult.
135
l’attitude du délégué de l’IC à l’égard des tendances. Treint rappelle l’épisode de la
dénonciation par Ker, lors de la troisième journée du congrès, des discussions entre
tendances101. Après s’être opposé, durant tout le mois de septembre, à une alliance
entre le centre et la gauche et avoir critiqué en privé les concessions, il prétend que
l’ensemble de la gauche a négocié avec le centre sans aucune arrière-pensée et
avec l’espoir qu’une « fusion intime se réaliserait dans le travail commun », au
contraire du centre qui ne songeait qu’à conserver le pouvoir102. L’argumentation
consiste à persuader la base que seul le centre fait preuve d’intransigeance en
rompant avec la gauche sur des questions de places, en préférant entrer en conflit
avec l’IC plutôt que de perdre la direction, en réanimant dans le parti le « vieil esprit
nationaliste, démocratique et parlementaire des partis de la 2e Internationale »103.
Dans un appel à la base104, la gauche s’en remet à l’IC, réclame le respect
des décisions du 4e congrès mondial et pousse le centre à appliquer intégralement la
motion Frossard/Souvarine. Elle demande à tous ses partisans de constituer des
commissions syndicales locales et fédérales, d’exiger que le parti engage une
campagne en faveur du front unique et organise la lutte en commun sur les huit
heures et le maintien des salaires ainsi qu’une « campagne ininterrompue » contre le
traité de Versailles et l’occupation de la Rhénanie. De son côté, Treint consacre
plusieurs articles à l’application du front unique par le nouveau CD. Le premier105 se
présente sous la forme d’une analyse critique des actions lancées par la direction106
pour favoriser le développement du front unique. Il constate la volonté d’appliquer la
tactique tout en soulignant que, constituée de militants qui par le passé se sont
opposés au front unique, la direction se trouve confrontée à ses propres
contradictions, ce qui l’amène à commettre des maladresses. Tout d’abord, Treint
relève une campagne de presse insuffisante pour soutenir les initiatives du parti et
pour mettre en évidence le mouvement général, dans toutes les organisations

101
Treint A, « Dans quel esprit la Gauche a négocié avec le centre », Cahiers Communistes, n° 1, 9
novembre 1922, p. 5-6. Voir également « Quatre faits », p. 12.
102
« Le centre a négocié comme si le Comité Directeur et le Bureau Politique devaient être
éternellement le théâtre d’une lutte parlementaire entre les deux fractions composantes. La gauche a
négocié comme si l’on devait aboutir, au bout de peu de temps, à fondre les deux fractions dans le
travail commun. », Ibid., p. 5.
103
« Pour l’unité communiste nationale et internationale », texte collectif de la gauche, cf. supra.
104
« Au travail », Cahiers Communistes, n° 1, 9 novembre 1922, p. 12.
105
Treint A, « Le Centre à l’école du front unique », Cahiers Communistes, n° 2, 16 novembre 1922,
p. 7-9.
106
A partir de la fin du mois d’octobre 1922, la nouvelle direction du PCF organise une conférence sur
les huit heures et le maintien des salaires, organise des réunions en faveur de l’amnistie et y invite
toutes les organisations du mouvement ouvrier, y compris le parti socialiste et la CGT.

136
ouvrières, en faveur du front unique. Il épingle le vote par le CD d’un programme
d’action trop limité pour regrouper toutes les composantes du mouvement ouvrier.
Enfin, il dénonce la lenteur entre les décisions et leur mise en application. Treint
conclut qu’en dépit de sa bonne volonté, la direction sabote le front unique107
Au nom de la gauche, Treint envoie au CD une lettre108 pour l’assurer de
« l’appui de la Gauche en ce qui concerne l’application des décisions et résolutions
du Congrès de Paris, ainsi que l’application des décisions de l’Internationale ». Peu
après, dans l’Humanité109, il s’en prend à l’attitude des socialistes qui ont refusé le
front unique proposé par le PCF arguant des intentions malveillantes des
communistes :
« Ils ne veulent pas être "LA VOLAILLE A PLUMER" [souligné par l’auteur].
Mais ils seront plumés si leurs méthodes apparaissent aux ouvriers en lutte
comme contraire à l’intérêt prolétarien. […] Libre aux socialistes de ramasser
quelques phrases de Lénine, de Zinoviev, de Trotsky, ou de moi-même ; de
les isoler de leur contexte et d’essayer d’en tirer argument contre le front
unique avec les communistes. »110
Dans ce texte, destiné à « la page du parti », Treint se garde de polémiquer avec la
direction, mais n’hésite pas à manifester franchement ses doutes quant à la volonté
des centristes d’appliquer le programme contenu dans la motion Frossard/Souvarine.
Dans l’organe de la gauche, il les accuse de vouloir transformer le front unique en
une nouvelle formule du « Bloc des gauches »111. A contre-courant d’autres leaders
de la gauche qui conçoivent la possibilité d’une solution de sortie de crise grâce aux
discussions menées à Moscou, il pense que le centre manœuvre et ne veut pas
appliquer la ligne de l’IC.
Pendant plusieurs semaines, Treint, comme il explique à Dalhem, pense que
la gauche, après l’échec du congrès de Paris, refusera désormais de collaborer avec
les dirigeants centristes. Cependant, devant la tournure des discussions à Moscou112
et l’attitude conciliante des délégués du centre et de la tendance Renoult, plusieurs

107
« Nous ne voulons pas juger de la sincérité du Centre. En fait il y a sabotage politique du front
unique. Peu nous importe que ce sabotage soit ou non volontaire. La Gauche doit obliger le Comité
Directeur centriste à prendre toutes les mesures propres à faire réunir le front unique. », Ibid., p. 9.
108
Treint A, « Pour le front unique », lettre du 13 novembre 1922, Cahiers Communistes, n° 2, 16
novembre 1922, p. 9.
109
Treint A, « Ultimatum ou front unique », l’Humanité, n° 6819, 26 novembre 1922, p. 5.
110
Ibid.
111
Treint A, « Amnistie, Front unique et Lutte de classes », Cahiers Communistes, n° 4, 30 novembre
1922, p. 39-41.
112
Cf. infra.
137
leaders de la gauche, opposés à la perspective de rester dans une attitude purement
critique ou de prendre seuls les rênes du pouvoir113, se prennent à espérer qu’une
collaboration loyale puisse s’établir. Dunois appelle à tendre la main à tous ceux qui
ont rallié la politique de l’Internationale :
« Le danger d’une rupture avec l’Internationale Communiste, si pressant dans
les jours qui suivirent le congrès de Tours, semble s’être définitivement
évanoui. […] Ce n’est pas de [la gauche] qu’est venue, le 19 octobre,
l’initiative de la rupture ; ce n’est pas elle, encore une fois, qui refusera de
reprendre demain, avec le Centre, une collaboration qui demeure d’autant
plus possible que les masses du Parti sont unanimes à l’exiger. »114
Treint, au contraire, met en garde contre toute tentative de reconstituer une
unité artificielle et constate, avec un certain dépit, que les dirigeants de l’IC, tout en
manifestant leur soutien à la gauche, s’orientent vers une solution de sortie de crise
inspirée des propositions qu’Humbert-Droz et Manouilski avaient faites avant le
congrès de Paris. Convaincu que l’IC réitère les erreurs de ses représentants en
France, il enjoint les militants de gauche à ne pas attendre les décisions du congrès
mondial et à engager la lutte pour que la gauche prenne le contrôle du parti :
« Après la tourmente du Congrès de Paris, c’est dans le Parti la tendance au
calme plat. Beaucoup de camarades disent : "Ne nous occupons plus de la
crise. Nous ne voulons pas connaître de tendance. Attendons les décisions du
4e Congrès, nous les appliquerons. […] C’est une formule de passivité. Son
succès s’explique par l’abattement consécutif au surmenage politique de ces
deniers mois. Il faut réagir. Le parti doit s’occuper de sa crise. Il doit la
comprendre dans ses causes et dans son développement. […] Le salut du
parti est dans l’activité de la gauche, suscitant l’activité du parti tout entier. La
tolérance parfois excessive de l’Exécutif vis-à-vis des chefs du centre, a
certainement eu pour cause un manque d’activité de la gauche. […] Compte
sur l’Internationale, mais compte d’abord sur toi ! AIDE-TOI, MOSCOU
T’AIDERA. »115
Treint manifeste en privé une opposition vigoureuse à un nouveau compromis qui ne
ferait, selon lui, que prolonger indéfiniment la crise. Dans ses articles, il développe un

113
Dunois, Vaillant-Couturier et Rosmer ont toujours été favorables à la collaboration avec le centre et
critiquent les volontés hégémoniques de Souvarine ou de Treint. Voir GRAS C, op. cit., p. 273.
114
Dunois, « Perspectives d’avenir », Cahiers Communistes, n° 5, 7 décembre 1922, p. 49-51.
115
Treint A, « Aide-toi, Moscou t’aidera », Cahiers Communistes, n° 3, 23 novembre 1922, p. 22-23.

138
ton plus modéré et met constamment en avant l’accord intégral entre la gauche et
l’IC, tout en multipliant les sous-entendus sur la nécessité de donner tout le pouvoir à
la gauche et en critiquant les initiatives de la direction. Cependant, devant la volonté
de la majorité de la gauche, il se range aux décisions de la commission française,
malgré son scepticisme.

3) La commission française au 4e congrès mondial de l’IC.

Parmi les nombreuses questions116 abordées lors du 4e congrès mondial de


l’IC (5 novembre/5 décembre 1922), la crise du parti français occupe le devant de la
scène. Le 9 novembre 1922, Zinoviev, présentant le rapport du CE, traite
longuement de la question française et plus particulièrement deux aspects : la lutte
fractionnelle dans les rangs du PCF et l’attitude de la direction à l’égard de la ligne
politique de l’IC, notamment sur la question du front unique. Il dénonce un courant
social-démocrate qui veut « transporter dans la 3e Internationale bien des usages de
la 2e »117 et apporte, au nom de l’IC, son soutien à la gauche en dépit de certaines
réserves :
« La troisième tendance est celle qui est réellement communiste. Nous
acceptons tous ce que les camarades de cette tendance ont fait. Ils ont
commis de grandes fautes au congrès de Paris. Personnellement je considère
la démission de nos camarades comme une lourde faute, mais l’appui moral
de l’Internationale Communiste est acquis à ce groupe et nous sommes
décidés à le lui accorder. »118
Les débats qui suivent ce rapport voient de nombreux intervenants s’en prendre au
PCF et le qualifier « d’aile droite de l’IC ». Rosmer abonde dans ce sens et
condamne « l’esprit nationaliste »119 régnant dans les rangs du parti et la volonté de
dresser les ouvriers français contre la tactique du front unique. Il répond en cela aux
interventions de Ferdinand Faure120 et de Duret121.

116
Le congrès est notamment marqué par un rapport de Lénine, lors de la séance du 13 novembre
1922, sur les résultats de la NEP au cours duquel il aborde également les problèmes d’organisation
de l’IC et de ses sections. Plusieurs projets de programme de l’IC dont un de Boukharine sur lequel
nous reviendrons, sont également présentés.
117 e
« Echos du IV congrès mondial », Cahiers Communistes, n° 4, 30 novembre 1922, p. 43.
118
Ibid., p. 44.
119
Compte rendu de la séance du 12 novembre 1922, Cahiers Communistes, n° 5, 7 décembre 1922,
p. 59.
120
Ferdinand Faure (1880-1963) : Militant socialiste puis membre du premier CD de la SFIC.
121
Il explique en quoi la tendance Renoult se différencie du centre et quelles sont les raisons de leur
opposition à la tactique du front unique. Il revient sur la manière dont Treint présentait le front unique
139
Les discussions concernant la crise spécifique du parti n’avancent pas,
notamment du fait de l’absence de certains protagonistes majeurs. Il faut attendre le
16 novembre et l’arrivée de Cachin, Renoult et Ker122 pour que la commission
française puisse réellement aborder le problème de la constitution d’une direction
homogène. Signe de l’importance que les dirigeants de l’IC donnent à la question, la
commission française réunit de nombreux délégués dont le président de l’IC,
Zinoviev, ainsi que Lénine, sous la présidence de Trotsky, Humbert-Droz étant
désigné comme secrétaire123.
Dans un premier temps, les séances de la commission se déroulent dans une
ambiance tendue et les délégués du centre subissent de vives critiques124.
Cependant, Trotsky, fidèle à la tactique utilisée par l’IC lors des Exécutifs Elargis
précédents, privilégie les négociations entre le centre et la gauche avec l’objectif de
constituer une direction paritaire comprenant toutes les tendances ayant déclaré leur
fidélité à l’IC. Il refuse de suivre Souvarine qui le presse de pratiquer une politique
plus énergique et de constituer une nouvelle direction sous l’égide de la gauche125.
Au contraire, Trotsky choisit de manœuvrer pour briser l’unité du centre et faire jouer
la discipline à l’égard de l’IC. Informé126 de l’appartenance de fonctionnaires du PCF
à la franc-maçonnerie et à la Ligue des droits de l’homme, il met en demeure tous les
membres du parti français de quitter ces « organisations bourgeoisies » et impose
qu’aucun membre de ces organisations ne puisse avoir de responsabilité dans le
parti. Cette « 22e condition » touche toutes les fractions constituées et permet
d’imposer l’autorité de la commission sur les délégués français.
A Moscou, le franc-maçon Ker cède immédiatement et annonce qu’il quitte
l’organisation. Mais en France, ce « diktat » venu de Moscou déclenche des

― « dans la période actuelle, arracher une réforme à la bourgeoisie et faire la révolution, c’est la
même chose » ― qu’il considère comme dangereuse pour le parti et conclut sur la volonté de sa
e
tendance de respecter les décisions de l’IC. Compte rendu de la 4 séance (11 novembre), La
er
Correspondance Internationale, n° 27, 1 décembre 1922, p. 4-6.
122
Frossard, sollicité avec insistance pour assister au congrès, a refusé de se rendre une nouvelle fois
à Moscou. Voir Frossard L-O, De Jaurès à Lénine, op. cit., p. 198-199.
123
Pour la composition complète de la commission, voir le Bulletin Communiste, n° 48, 30 novembre
1922, p. 899.
124
« Cachin, Ker et Renoult sont arrivés pour s’entendre copieusement engueuler. Ils ont l’échine
souple et encaissent tout, ici. C’est une bande de pleutre qui n’ont pas le courage de soutenir leur
position. Humbert-Droz, De Lénine à Staline, op. cit., p. 116.
125
En accord complet avec Treint sur ce point, Souvarine était en contact avec Trotsky et remit, à la
sous-commission (Clara Zetkin, Bordiga, Kolarov, Humbert-Droz, Katayama, Manouilski et Trotsky)
chargée de rédiger un texte de proposition, une déclaration demandant un positionnement nettement
favorable à la gauche. Voir CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 658.
126
Selon ROBRIEUX P, Trotsky est renseigné par Vaillant-Couturier. Histoire intérieure…op. cit., p.
125. Humbert-Droz affirme lui que Trotsky « feignit de découvrir » l’appartenance de fonctionnaires du
PCF à ces organisations. De Lénine à Staline, op. cit., p. 119.
140
protestations, exacerbées par les déclarations fracassantes de Treint127. Il raille les
militants franc-maçon qui s’opposaient à la centralisation des structures du PCF ou à
la tactique du front unique et qui dans le même temps appartiennent à une
organisation très hiérarchisée à laquelle collaborent des militants d’horizons
politiques divers. Ce double langage illustre, selon lui, le manque de sincérité et
l’opportunisme de certains. Il voit dans « le noyautage maçonnique » une explication
à certains aspects de la crise, insinuant que des militants tentent de déstabiliser
sciemment le parti au profit de ses ennemis. Il juge ainsi que cette 22e condition
aurait dû figurer dans le texte de l’Internationale dès 1920 et justifie la mise en
demeure de la commission française avec une phraséologie qui lui ait propre :
« Que voulez-vous ? Chacun sait que je suis un de ces sectaires qui sont
jaloux de faire garder la porte du temple par le plus grand nombre possible de
monstres horribles et menaçants. […] C’est que le temple, la forteresse, c’est
le temple et la forteresse du prolétariat, c’est l’Internationale Communiste. Et
quiconque ne veut pas y laisser pénétrer les subtils démons de l’influence
bourgeoise ou des ennemis masqués de la classe ouvrière, ne saurait prendre
trop de précautions. »128
La mesure contre les francs-maçons et les membres de la Ligue des droits de
l’homme s’ajoute à la résolution générale129 soumise à la délégation française. Celle-
ci attribue la responsabilité de la crise à « la politique d’attente indécise » du centre
et exige l’élimination de ceux qui maintiennent dans le parti les « mœurs et coutumes
de la société bourgeoise ». En conséquence, la résolution impose, en plus de
l’éviction des membres d’organisations « bourgeoises », que cesse toute
collaboration de journalistes du parti à la « presse bourgeoise » et enfin que le parti
désigne, pour les élections, des listes de candidats comprenant « au moins 9/10e
d’ouvriers ». La résolution invite enfin le PCF à se consacrer à la question coloniale
et à créer un « bureau permanent d’action coloniale ».
Si dans les grandes lignes cette résolution marque une victoire de la gauche,
l’arbitrage sur la question de l’organisation souligne la volonté de Trotsky et de
la commission de ne pas déstabiliser le PCF, en s’appuyant sur les propositions

127
Treint A, « Maçonnerie ou Communisme ? », Cahiers Communistes, n° 5, 7 décembre 1922, p. 51-
53.
128
Ibid., p. 51.
129 e
« Résolution sur la question française adoptée par le 4 congrès mondial », Cahiers Communistes,
n° 7, 21 décembre 1922, p. 91-95.
141
faites par les délégués de l’IC avant le congrès de Paris. La résolution130
recommande la constitution d’un CD sur la base de dix membres titulaires et
trois suppléants du centre, neuf titulaires et deux suppléants de la gauche, ainsi
que 4 titulaires et 1 suppléant de la tendance Renoult131. Le Bureau Politique est
composé sur la base de trois membres au centre, trois à la gauche et un à la
fraction Renoult. La résolution prévoit également de partager la direction de
l’Humanité entre Dunois et Cachin, ce dernier conservant le statut de directeur.
Frossard et Souvarine, en tant que membres « les plus qualifiés et autorisés de
leurs tendances »132 sont nommés délégués à l’Exécutif de l’IC. Enfin, le
secrétariat général doit désormais être assuré sur une base paritaire par un
membre du centre et un de la gauche. La délégation décide de maintenir
Frossard avec Sellier comme suppléant et désigne Treint pour la gauche.
Humbert-Droz avait déjà à plusieurs reprises mis en garde les dirigeants de l’IC
contre ce choix133. Cependant, sur ce point, Trotsky et la commission française
ont cédé aux exigences de la gauche et plus particulièrement de Souvarine134.
La commission française soumet à la délégation du PCF un programme
d’action générale135 reprenant presque intégralement les propositions soumises par
la gauche à la commission française. Ce programme en quinze points insiste sur la
nécessité de relancer l’action ouvrière sur le terrain des revendications immédiates
(journée de huit heures, hausse des salaires), de mener campagne pour la création
de conseils d’usine, d’appliquer la tactique du front unique pour développer les
actions de masse, de former des commissions syndicales tout en luttant pour le
rétablissement de l’unité syndicale, de « mettre au premier plan des préoccupations
du parti » la lutte contre le traité de Versailles, de développer l’agitation et la
propagande dans l’armée en « s’inspirant du principe de l’armement du prolétariat et

130 e
Texte complet des décisions du 4 congrès mondial de l’IC concernant la répartition des
responsabilités au sein du parti, voir Humbert-Droz J, De Lénine à Staline, op. cit., p. 120-122.
131
Liste du nouveau CD élaborée par les fractions :
Centre ― titulaires : Marcel Cachin, Frossard, Garchery, Gourdeaux, Jacob, Laguesse, Lucie
Leiciague, Marrane, Paquereaux, Louis Sellier. Suppléants : Dupillet, Pierpont, Plais.
Gauche ― titulaires : Bouchez, Cordier, Demusois, Dunois, Rosmer, Tommasi, Treint, Vaillant-
Couturier. Suppléants : Marthe Bigot, Salles.
Fraction Renoult ― titulaires: Barberet, Dubus, Fromont, Werth. Suppléants : Lespagnol.
132
Ibid., p. 121.
133
Cf. supra.
134
En France, lors des négociations entre tendances, Souvarine avait à plusieurs reprises émis le
souhait que Treint devienne secrétaire général du PCF. Voir Humbert-Droz J, De Lénine à Staline, op.
cit., p. 99.
135
« Programme d’action du Parti Communiste Français », Cahiers Communistes, n° 7, 21 décembre
1922, p. 103-105. Le programme est également publié dans l’Humanité, n° 6847, 24 décembre 1922,
p. 5.
142
du désarmement de la bourgeoisie ». Il préconise également d’organiser le travail
communiste dans les colonies, notamment par le soutien des revendications des
populations coloniales exploitées, de développer la propagande dans la classe
paysanne et chez les ouvriers par la création d’organisations locales, d’améliorer la
liaison entre le parti et les jeunesses communistes, de développer l’action
communiste dans les coopératives et au parlement, de développer l’éducation
marxiste de la base par la création d’écoles du parti et enfin de promouvoir un
nouveau modèle de parti centralisé et discipliné.
Dans son rapport136, Trotsky, présentant les résultats des travaux de la
commission française, s’interroge sur l’attitude de la fraction centriste et sa volonté
d’appliquer intégralement les décisions prises. Dans la résolution générale, l’IC a
nettement pris position en faveur de la gauche sans pour autant écarter le centre de
la direction. L’application de la résolution française dépend donc de l’attitude des
militants centristes en France. Au cours de la séance de la commission française du
2 décembre 1922, tous les délégués français font, au nom de leurs tendances
respectives, des déclarations proclamant leur volonté d’appliquer les décisions
votées. Cachin et Renoult, tout en réitérant leurs réserves sur certains points
déclarent « se soumettre loyalement »137. Souvarine déclare que « la gauche
s’enorgueillit de l’approbation que sa tactique a trouvée au congrès [et qu’elle]
continuera, à l’avenir, à observer une attitude disciplinée »138. Seul Renaud Jean
critique la procédure de désignation du CD, tout en affirmant rester discipliné à
l’égard de l’Internationale. La résolution française est adoptée à l’unanimité moins
deux abstentions. Mais le doute subsiste quant à la volonté des délégués du centre,
en particulier de Cachin139, de respecter leur parole une fois en France. Par ailleurs,
la direction du PCF, apprenant les décisions de la commission française, reste dans
l’expectative, tandis que plusieurs militants s’engagent sur la voie de la résistance à
l’Internationale. De son coté, la gauche déclare dans l’Humanité « accepter
inconditionnellement les décisions du congrès mondial »140, mais derrière cette
unanimité de façade, perce la déception des plus intransigeants, spécialement
Treint, qui escomptaient un appui plus ferme de l’IC et ne désirent pas reprendre la

136
Le mouvement communiste en France, op. cit., p. 221-260.
137
Cahiers Communistes, n° 7, 21 décembre 1922, p. 97 et La Correspondance Internationale, n° 32,
9 décembre 1922, p. 2.
138
Ibid.
139
Voir Humbert-Droz J, De Lénine…, op. cit., p. 123.
140
L’Humanité, n° 6832, 9 décembre 1922, p. 5. La déclaration est également publiée dans les
Cahiers Communistes, n° 6, 14 décembre 1922, p. 67.
143
collaboration avec le centre au sommet. Seule une collaboration franche des deux
tendances peut pourtant donner une valeur aux décisions de Moscou et sortir le parti
de la crise.

144
B/ Treint, co-secrétaire général emprisonné.

1) La fin du conflit entre le centre et la gauche.

Une fois les décisions du 4e congrès mondial de l’IC connues, la majorité du


CD, sous l’influence de Frossard141, attend le retour des délégués français pour
prendre position et approuver la résolution de la commission française. Une petite
minorité, derrière Soutif142, s’engage alors résolument dans la voie de la rupture avec
l’Internationale risquant, en cas de ralliement d’autres leaders du centre, d’entraîner
le parti sur la voie de la scission. A ce propos, Dunois écrit à Souvarine qu’au cours
de la semaine qui précède le retour des délégués de Moscou « nous avons été […] à
deux millimètres de la scission »143. Mais à leur retour en France, les délégués du
centre et de la tendance Renoult respectent leurs engagements et prennent
fermement position en faveur de l’approbation des décisions du congrès mondial.
Amer et surpris par le brusque revirement de ses alliés, Frossard accuse Cachin, lors
d’une entrevue, d’avoir renié les idées qu’il défendait quelques semaines auparavant
et de l’avoir personnellement trahi. Ce dernier lui répond : « Les résolutions sont
votées, elles sont la loi de l’Internationale, je suis l’homme de l’Internationale et je
suis prêt à briser tous les obstacles »144. Le CD se réunit du 12 au 16 décembre
1922 pour entendre les rapports des délégués (Ferdinand Faure, Rieu145,
Paquereaux146, Werth147, Renoult, Cachin, Ker, Delplanque) et seul Faure se
prononce contre les résolutions du congrès. Le 16, le CD adopte une résolution qui
affirme sa « discipline loyale à l’égard de l’Internationale » et sa volonté « d’agir
immédiatement en vue d’assurer l’application effective de ses décisions »148. Il fixe
au 21 janvier 1923 la date du conseil national destiné à entériner les décisions du

141
Dans l’Humanité du 7 décembre 1922, Frossard a signé un éditorial qui laisse entrevoir ses
réticences et ses doutes quant à l’attitude à adopter à l’égard de l’IC.
142
Il est alors secrétaire administratif du PCF.
143
Lettre de Dunois à Souvarine, 17 décembre 1922. Citée par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 678.
144
Rapport d’Humbert-Droz à Zinoviev, Trotsky et Kolarov, 30 décembre 1922, De Lénine à Staline,
op. cit., p. 133.
145
Roger Rieu (1896-1936) : En 1922, Il est secrétaire de la fédération de Gironde.
146
Marius Paquereaux (1885-1943) : Militant socialiste puis communiste, secrétaire de la fédération
de Seine-et-Oise.
147
Gérard Werth : Ouvrier métallurgiste, membre de la tendance Renoult.
148
L’Humanité, n° 6840, 17 décembre 1922, p. 1.
145
congrès mondial. Si une petite minorité s’abstient149, Frossard vote la résolution.
Cette première étape franchie laisse entrevoir la victoire des partisans de
l’application inconditionnelle des décisions de l’IC.
Le centre sort affaibli et divisé de cette première épreuve. Alors que Frossard
hésite encore à se plier aux décisions de la commission française, Ker et Cachin
agissent avec détermination pour rallier leurs partisans aux décisions de l’IC150. Le
21 décembre, le BP ratifie l’exclusion de Soutif prononcée le 18 décembre par le
comité fédéral de la Seine, pour non respect des engagements pris. Dans tous les
organes directeurs du parti, la majorité du centre et de la tendance Renoult se
placent résolument sur la ligne de la gauche et s’opposent à leurs anciens alliés. La
gauche peut se réjouir, puisque elle a su rester unie et la ligne politique qu’elle
défend depuis 1921 triomphe. Dunois, qui au début de décembre manifestait ses
craintes, constate avec un plaisir non dissimulé que le centre, par son refus de briser
la discipline de l’IC, contribue à mettre fin à la crise :
« Louis Sellier, Marcel Cachin, Paquereaux, Ker lui-même, ont rendu en cette
occurrence à l’Internationale un service dont l’Internationale leur tiendra
compte. Leurs interventions énergiques ont entraîné samedi soir le vote par le
comité directeur, d’un ordre du jour de fidélité inconditionnée à l’Internationale
Communiste et l’adhésion en bonne forme à toutes les décisions du 4e
congrès. »151
Comme depuis le début du conflit, les militants de la gauche manifestent leur volonté
d’appliquer intégralement les décisions de l’IC sans discussion et de reprendre leur
collaboration au sommet avec les leaders du centre. La grande majorité considère
que seule une coopération loyale de toutes les tendances peut mettre un terme à la
crise et que la gauche « doit sortir de son rôle négatif de critique pour prendre une
part active dans le travail positif du parti »152. Néanmoins, un groupe autour de Treint
et Reynaud continue de penser qu’il fallait rester dans l’opposition et conquérir la
majorité pour diriger le PCF153.

149
Cordon, Jacob, Ledoux, Morizet, Soutif, Tourly.
150 e
Voir notamment Cachin, « Les décisions du 4 congrès », l’Humanité, n° 6844, 21 décembre 1922,
p. 4. Ker quitte la franc-maçonnerie et Cachin, Sellier, Garchery la Ligue des droits de l’homme.
151
Dunois, « A petits pas vers le matin », Cahiers Communistes, n° 7, 21 décembre 1922, p. 89-90.
152
Rapport d’Humbert-Droz à Zinoviev, Trotsky et Kolarov, 30 décembre 1922, op. cit., p. 132.
153
Ibid.
146
Treint clame qu’il appliquera les résolutions de l’IC « qui ont force de loi pour
tous les communistes »154 et qu’il accepte de collaborer avec le centre155. Dans le
même temps, il multiplie les menaces et les mises en garde :
« C’est l’expérience du travail en commun qui permettra de savoir si les chefs
du Centre répondront aux espoirs de la Gauche et de l’Internationale. […] La
Gauche souhaite que parmi les chefs du Centre qui dès maintenant acceptent
sans réserve les décisions du 4e Congrès, aucun, dans l’avenir, ne se dérobe
au devoir communiste. »156
Dans ses articles, bien qu’il se déclare discipliné, il marque ses réticences devant les
décisions de la commission française157. Dans ses lettres privées, il avoue nettement
sa « répugnance » à collaborer et ses craintes quant au comportement du centre
dans les semaines à venir158. Alors que Dunois ou Rosmer louent la fermeté de
Cachin ou de Ker face aux opposants à l’Internationale, Treint poursuit ses attaques
et s’érige en censeur159. Analysant deux articles parus dans l’Humanité et le Bulletin
Communiste dans lesquels Cachin appelle à appliquer toutes les décisions sans
discussion, il se contente d’extraire quelques phrases qu’il juge ambiguës et l’accuse
d’entretenir le doute sur sa volonté d’appliquer réellement les résolutions. Cachin a
écrit qu’il fallait « désarmer les critiques vaines » et que les délégués français et l’IC
avaient « renouvelé leur contrat ». Treint estime que ces propos constituent la
preuve que Cachin ne croit pas à ses propres promesses160. Il ne croit pas au
ralliement du centre161 et demeure convaincu que seule la gauche peut mettre en
œuvre la politique de l’Internationale. Cette suspicion cache en réalité une opposition

154
Treint A, « Vers un Parti Communiste », Cahiers Communistes, n° 7, 21 décembre 1922, p. 106.
155
Deux semaines auparavant, il affirmait que cette collaboration ne pouvait plus être envisagée, cf.
supra.
156
« Vers un Parti Communiste », art. cit.
157
Dans « la page du Parti » Treint publie un article où, en plus de critiquer les réactions de la
direction devant la résolution du congrès, il déclare : « Même si [les décisions prises] ne nous plaisent
pas parfaitement, nous ferons tout pour les appliquer, quelles qu’elles soient. ». Treint A, « Quelles
qu’elles soient ! », l’Humanité, n° 6840, 17 décembre 1922, p. 5.
158
Lettre de Treint à Bouët, 12 décembre 1922. IFHS, 14 AS 446.
159
Treint A, « Adhésion sans retour ou contrat renouvelé ? », Bulletin Communiste, n° 52, 28
décembre 1922, p. 824-825.
160
« Demander à la Gauche qu’elle cesse de critiquer : jamais ! Plus le centre montrera de volonté
communiste, plus nous le critiquerons. […] En tout cas, Cachin ne peut parler de désarmer les
critiques vaines, sans qu’aussitôt dans notre Parti encore malade, certains ne voient dans ces paroles
une pointe contre les critiques de la Gauche et de l’Internationale vis-à-vis du Centre. […] Contrat
renouvelé ! Se présente-t-on le Parti français comme passant un contrat, traitant d’égal à égal avec
l’ensemble de toutes les autres sections de l’Internationale. Dans notre Parti encore malade, ne voit-
on pas le danger de telles formules ? », Ibid.
161
Le 31 décembre 1922, Treint attaque encore le centre, notamment sur les carences de la
campagne du parti sur la question de la Ruhr, preuve selon lui de l’absence de changement. Treint A,
« Travail communiste ! », l’Humanité, n° 6854, 31 décembre 1922, p. 5.
147
aux décisions du congrès, qu’il est lui-même chargé de mettre en œuvre en tant que
futur co-secrétaire général.
Treint publie cet article, dirigé contre le centre, dans le premier numéro du
Bulletin Communiste, de nouveau sous le contrôle de la gauche162. Il contient
également un article dans lequel Souvarine affirme que seule sa tendance a lutté
pour le communisme et a su apporter les solutions justes pour résoudre la crise163.
De nombreux militants s’insurgent contre cette volonté manifeste de poursuivre les
polémiques et d’humilier ceux qui se sont soumis. De son côté, Frossard croit de
moins en moins à la volonté de Treint et Souvarine de travailler conjointement,
estimant au contraire qu’ils mèneront la lutte jusqu’à l’élimination complète du
centre164. Sellier doit intervenir auprès de Treint pour que cessent les attaques :
« j’ai fait une démarche personnelle auprès du camarade Treint en vue
d’attirer son attention sur l’inconvénient qu’il pourrait y avoir à continuer cette
forme de polémique qui rappelle par trop les critiques qui ont précédé le
congrès de Paris. Quelque justifiées qu’elles aient pu être dans cette période,
notre sentiment très net est que nos camarades de la gauche devraient
s’imposer de ne rien écrire au moins qui soit susceptible d’humilier ou de
décourager les camarades de la tendance du centre qui se sont ralliés avec
une loyauté et une compréhension parfaite à la politique de
165
l’Internationale. »
Humbert-Droz et le CE de l’IC font également part de leur réprobation à
l’égard de certains membres de la gauche et soulignent la menace de scission que
cette attitude hostile fait peser sur le parti166. Ils craignent que cela ne contribue à
rallier les partisans de Frossard à la minorité décidée à s’opposer aux décisions du
4ème congrès de l’IC. L’application des décisions les plus sensibles, telle que
l’épuration du parti, nécessite une collaboration sincère des deux tendances, sous
peine de renforcer le camp des protestataires. Au sein de la gauche cependant, la
majorité se montre déterminée à collaborer, à l’exemple de Rosmer qui, au côté de

162 e
Suite au décisions du 4 congrès mondial, la gauche cesse de publier les Cahiers Communistes (7
numéros parus) et le CD désigne de nouveau Souvarine comme directeur du Bulletin Communiste,
suppléé par Dunois durant son absence.
163
Souvarine, « La gauche avait raison », Bulletin Communiste, n° 52, 28 décembre 1922, p. 819-822.
164
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev et Trotsky, 9 janvier 1923, De Lénine… op. cit., p. 137.
165
Rapport de Sellier au CE de l’IC, 3 janvier 1923. Cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 715.
166
« Vous exposeriez le parti à un danger mortel si vous continuiez à combattre avec acharnement
des hommes comme Cachin et ne compreniez pas que notre tâche, en ce moment, est de lutter la
main dans la main avec Cachin et les autres camarades contre les dissidents et les déserteurs. »
Lettre du CE de l’IC à la gauche, 15 janvier 1923, RGASPI, 517/1/114.
148
Cachin et Humbert-Droz, participe à la « commission des litiges »167 qui réorganise la
rédaction de l’Humanité. Les démissionnaires de la gauche sont réintégrés et des
militants proches de Frossard ― qu’Humbert-Droz qualifie de « bande de jeunes
intellectuels sans lien avec la classe ouvrière » ― sont écartés168. Rosmer contribue
à faire entrer des syndicalistes tels Monatte, qui se voit confier la page sociale et
Martinet, qui s’occupe désormais de la page littéraire169.
Frossard tergiverse depuis plusieurs semaines. Abandonné par Cachin et Ker,
assistant à la mise à l’écart de militants qui lui sont proches, il décide après une
dernière entrevue avec Humbert-Droz, de démissionner de son poste et du parti170.
Le représentant de l’IC craint, à juste titre, que cette défection n’entraîne de
nombreuses fédérations dans la dissidence et réduise le PCF à l’état de secte171. La
menace se concrétise lorsque les opposants à la nouvelle ligne du parti s’organisent
au sein d’un « Comité de défense communiste » et diffusent une déclaration signée
par 86 militants172. La réaction de la direction ne tarde pas. Le 17 janvier, le CD vote
l’exclusion des signataires de la déclaration, éliminant par avance toute opposition
dans la perspective du conseil national.
L’hémorragie de militants, redoutée un temps par Humbert-Droz, n’a pourtant
pas lieu, pour deux raisons majeures. Tout d’abord, l’opposition trop hétérogène ne
se mobilise pas dès les décisions du congrès de l’IC connues et ne parvient pas à
justifier la nécessité de rompre avec l’IC. De plus, le 10 janvier, la répression
gouvernementale s’abat sur le parti et les militants ayant participé à la conférence
d’Essen sont arrêtés les uns après les autres et inculpés de « complot contre la
sûreté intérieure et extérieure de l’Etat »173. Le réflexe de solidarité joue et étouffe
toutes les voix dissidentes, et la répression accroît le prestige du parti auprès des
militants qui critiquaient jusqu’alors le manque de combativité du PCF. Ainsi, l’arrivée
de nouveaux membres compense en partie la perte de quelques fédérations.
Humbert-Droz, constatant l’incapacité de l’opposition à toucher la base, annonce au
CE de l’IC que la situation intérieure s’améliore :

167
Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev, Trotsky et Kolarov, 30 décembre 1922, De Lénine… op. cit., p.
134.
168
Il s’agit principalement de Noël Garnier, Bernard Lecache, Henri Torrès, Tourly, Pioch.
169
GRAS C, op. cit., p. 275.
170
Voir l’Humanité, n° 6858, 4 janvier 1923 p. 1. Le quotidien publie la lettre de démission de Frossard
ainsi qu’une seconde dirigée contre l’attitude de la tendance de gauche.
171
Dans son rapport du 9 janvier, Humbert-Droz prévoit « un déchet de 50 à 60% », op. cit., p. 138.
172
La déclaration, accompagnée d’une réponse du BP est publiée dans l’Humanité, n° 6861, 7 janvier
1923, p. 5.
173
Cf. infra.
149
« Sans doute si le parti avait continué à se désagréger de l’intérieur dans les
luttes fractionnelles, Frossard aurait eu des chances de le manœuvrer et de
l’entamer, et la résistance pouvait devenir dangereuse. Mais tel n’est pas le
cas. […] L’unité idéologique du parti se forge et devient une réalité. Les
fractions tombent d’elles-mêmes et c’est la meilleure preuve de santé ; la crise
prenant fin, leur rôle prend fin aussi. La gauche elle-même a décidé de ne plus
se réunir. »174
Treint ne partage pas cet optimisme et refuse de rendre les armes. Dans le
cadre des négociations sur la restructuration de la direction et la répartition des
postes entre tendances, lui seul s’acharne contre ses anciens adversaires en
demandant le limogeage de Ker175 de la rédaction de l’Humanité, contre l’avis du
représentant de l’IC et des autres membres de la gauche. Cette inflexibilité
s’explique en partie par sa conviction profonde que les membres du centre
s’opposeront de nouveau à l’IC et replongeront le PCF dans la crise et que seul un
parti épuré, où tous les militants acceptent sans discussion la « discipline
communiste », peut devenir une véritable organisation révolutionnaire. Opposé aux
concessions faites envers le centre par le représentant de l’IC et ses camarades de
tendance, il écrit à Trotsky un rapport sur la situation du parti et demande que
Souvarine rentre en France pour participer au conseil national176. Il espère avec son
appui pouvoir faire basculer le parti en faveur de la gauche. Lui-même ne participe
finalement pas au conseil national. Le 10 janvier, il est arrêté et emprisonné à la
prison de la Santé, limitant ainsi ses possibilités d’action177.
Les principaux opposants ayant été exclus et la voix des membres les plus
inflexibles de la gauche étant affaiblie par l’emprisonnement de Treint, le conseil
national de Boulogne, tenu le 21 janvier 1923, se déroule sans heurt et dans une
atmosphère de concorde. Humbert-Droz craignait que Souvarine, rentré de Moscou,
ne ravive les tensions « par ses méthodes de travail personnel et ses
polémiques »178. Contrairement aux craintes du représentant de l’IC, Souvarine se

174
Rapport du 16 janvier 1923, De Lénine à Staline, op. cit., p. 430.
175
Malgré son approbation des décisions du congrès mondial Ker, en tant qu’ancien franc-maçon, est
écarté de la direction du parti et de l’Humanité mais Humbert-Droz propose qu’il soit maintenu au
poste de rédacteur. Treint critique cette proposition et demande que Ker soit obligé de signer ses
articles sous un autre nom. Rapport d’Humbert-Droz du 30 décembre 1922, op. cit., p. 134.
176
Lettre de Treint à Trotsky, 6 janvier 1923, BMP 43.
177
Emprisonné au régime politique, Treint reste en contact permanent avec le BP et le CD, peut faire
publier ses écrits et recevoir des visites aussi nombreuses que souhaitées. La limite de son action
tient principalement à son absence physique au conseil national.
178
Rapport d’Humbert-Droz à Zinoviev, Trotsky et Kolarov, 16 janvier 1923, Archives Jules Humbert-
Droz, op. cit., p. 429.
150
montre décidé à collaborer avec les militants du centre qui ont approuvé les
décisions de l’IC179. Le conseil national est notamment marqué par les interventions
de Sellier, qui critique sévèrement l’attitude de Frossard, de Kolarov180, de Rosmer,
qui rapporte sur la question syndicale181 et de Souvarine qui prend la parole pour
traiter du programme de l’Internationale et plus spécifiquement du projet de
Boukharine, développé lors du 4e congrès mondial182. Après la journée de
discussion, les délégués votent à mains levées pour désigner les membres de la
nouvelle direction183. La liste proposée par la délégation française à Moscou a été
légèrement remaniée, du fait de la démission de Frossard et du refus de certains
militants d’accepter les postes proposés.
Au terme d’une crise qui dure depuis la fin de l’année 1921, la direction est
renouvelée en profondeur. Seuls 12 des membres du nouveau CD sont d’anciens
élus de Tours et de Marseille184. Les partisans des tendances de droite et d’extrême
gauche185 qui s’opposaient à l’interventionnisme de l’IC ou à la réorganisation du
parti ont tous été éliminés. Marquée par l’empreinte de la volonté de l’IC, la nouvelle
direction est rajeunie, majoritairement composée d’ouvriers et étroitement liée avec
l’IC sur le plan idéologique. Les nombreux « intellectuels » et anciens cadres de la
SFIO, qui constituaient l’ossature de l’ancienne direction, deviennent minoritaires. Le

179
Voir CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 715.
180
Vassil Kolarov (1878-1950) : Secrétaire général du CE de l’IC et délégué de l’IC, en l’absence
d’Humbert-Droz qui a quitté la France pour éviter d’être à son tour arrêté.
181
Il propose notamment de créer des cellules communistes au sein de la CGT réformiste. Voir GRAS
C, op. cit., p. 278.
182
Cf. infra.
183
Le nouveau CD comprend :
Pour l’ancienne tendance du centre ― Sellier (commis ambulant des PTT, conseiller municipal de
Paris), Cachin (professeur, député), Jacob (secrétaire de la fédération du textile), Garchery (employé
de commerce, conseiller municipal de Paris), Lucie Leiciague (sténographe), Marrane (ouvrier
mécanicien, secrétaire de la fédération de la Seine), Gourdeaux (employé des PTT), Laguesse
(instituteur révoqué, secrétaire de la fédération de Seine-et-Marne), Paquereaux (Tourneur, secrétaire
de la fédération de Seine-et-Oise), Henriet (Vannier). Suppléants : Pierpont (ouvrier textile), Dupillet
(ouvrier mineur).
Pour l’ancienne tendance de gauche ― Rosmer (employé), Treint (instituteur révoqué), Vaillant-
Couturier (député), Souvarine (journaliste), Cordier (couvreur), Bouchez (mécanicien), Tommasi
(ouvrier de la voiture-aviation), Demusois (cheminot), Dunois (journaliste). Suppléants Salles
(métallurgiste), Rieu (employé).
Pour l’ancienne tendance Renoult ― Gayman (employé), Fromont (ouvrier de la voiture-aviation),
Dubus (mineur), Werth (métallurgiste). Suppléants : Lespagnol (employé).
Pour l’ancienne tendance Renaud Jean ― Renaud Jean (député).
Bureau Politique : Cachin, Sellier, Marrane, Treint, Rosmer, Souvarine, Werth.
Secrétariat du Parti : Sellier, Treint.
Conseil d’administration de l’Humanité : Fournier, Bestel, Evrard, Renaud Jean, Sellier. Suppléants :
Rebersat, Dejoint (pour l’ancienne tendance du centre). Clamanus, Reynaud, Godonnèche, Merley,
Laporte. Suppléante : Louise Bodin (pour l’ancienne tendance de gauche). Pietri, Allesard (pour
l’ancienne tendance Renoult).
184
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 710.
185
Delplanque, Heine et Lavergne sont exclus lors du conseil national.
151
parti s’engage sur la voie de l’action révolutionnaire et renouvelle en profondeur ses
méthodes d’agitation et de propagande186. Il mène, dans un contexte de tensions
internationales et de répression politique, une campagne contre l’occupation de la
Ruhr, qui mêle pour la première fois actions clandestines et front unique
d’organisations révolutionnaires (PCF, JC, CGTU, ARAC), derrière des mots d’ordre
marqués par l’internationalisme et l’antimilitarisme révolutionnaire. De sa prison,
Treint participe activement à la campagne et se distingue en proposant une analyse
de la situation qui s’appuie sur le programme développé par Boukharine lors du 4e
congrès mondial.

2) Treint et l’occupation de la Ruhr.

Depuis 1921, les réparations de guerre constituent une question capitale dans
les relations franco-allemandes et plus généralement dans les relations entre
l’Europe occidentale et les Etats-Unis. Dans un premier temps, face aux réticences
des gouvernements allemands successifs à acquitter les sommes prévues par le
traité de Versailles, la France pousse ses partenaires (Grande-Bretagne, Italie,
Belgique) à l’intransigeance, maintenant ainsi illusion d’un bloc des pays vainqueurs.
La fermeté de la France s’explique notamment par le fait que le paiement des
réparations conditionne la reconstruction du pays et l’équilibre des finances
publiques. De plus, de nombreux hommes politiques et industriels français voient
dans les lourdes contraintes financières imposées, une garantie contre un
redressement économique rapide de l’Allemagne, et espèrent une possible implosion
de l’entité politique allemande en plusieurs états. Mais les Etats-Unis et la Grande-
Bretagne s’opposent aux desseins de la France et font pression pour que son
gouvernement modère ses exigences. Le gouvernement anglais craint que, grâce
aux livraisons de charbon allemand, la France constitue un puissant secteur
métallurgique qui affaiblirait l’industrie britannique.
Au début de l’année 1922, le président du Conseil Aristide Briand, partisan
d’une attitude plus souple à l’égard de l’Allemagne démissionne. Il est remplacé par
Raymond Poincaré, tenant d’une stricte application du traité de Versailles. A l’été
1922, le chancelier Cuno annonce que l’Allemagne se trouve dans l’impossibilité de
poursuivre le versement des réparations et demande un moratoire de six mois. Le
gouvernement français, suivi par la Belgique, s’y oppose et propose que l’Allemagne

186
TARTAKOWSKY D, Les premiers communistes français, op.cit., p. 52.
152
remette temporairement entre les mains des alliés les mines de la Ruhr. Dans l’esprit
de Poincaré, cette solution permet de poursuivre le versement des réparations par
prélèvement direct et de favoriser à terme la création d’un Etat tampon, vassal de la
France. Un retard dans des livraisons en nature fournit l’occasion pour le
gouvernement français de saisir la commission interalliée chargée de l’exécution des
réparations. Le 26 décembre 1922, cette dernière autorise la France à prendre
possession militairement de la Ruhr et le 11 janvier 1923, des troupes franco-belges
pénètrent dans la Ruhr. Le gouvernement allemand réplique et appelant les autorités
de la zone occupée à la « résistance passive ». C’est le début de l’épreuve de force.
Lors du 4e congrès mondial de l’IC, les tensions entre la France et l’Allemagne
sont évoquées sans pour autant envisager spécifiquement le scénario de
l’occupation de la Ruhr187. Devant la perspective de l’entrée des troupes françaises
en Allemagne, les partis communistes des différents pays concernés s’organisent.
En France, le 21 décembre 1922, le CD du PCF désigne une délégation de cinq
membres (Cachin, Gourdeaux188, Marrane, Paquereaux, Treint) pour participer au
comité d’action (CA) constitué au côté de la CGTU pour mener campagne contre
l’occupation de la Ruhr. Pour le PCF, cette première expérience de lutte contre la
guerre et la campagne qui s’engage, marquée par l’antimilitarisme révolutionnaire et
l’internationalisme, permettent de mesurer l’évolution de la ligne politique depuis le
dernier congrès de l’IC. La direction tente pour la première fois d’appliquer la tactique
du front unique et de coordonner son action au niveau international. Avec l’appui des
Jeunesses Communistes, elle organise un travail clandestin au sein de l’armée
française par le biais de petites cellules communistes. A contre courant de l’opinion
de la majorité de la population française nettement anti-allemande, le PCF dénonce
l’impérialisme français et appelle à la fraternisation des soldats français et allemands.
Treint, devenu l’un des principaux leaders du parti, déclare, à la tribune d’un meeting
organisé pour dénoncer l’impérialisme français, qu’en cas de progression de l’Armée
rouge vers l’ouest, le rôle des communistes serait de lui ouvrir les frontières du
pays189.
Devant la menace imminente d’invasion de la Ruhr, l’IC agit en menant une
action coordonnée des partis communistes des pays concernés et en organisant une
conférence internationale à Essen, en Allemagne les 6 et 7 janvier 1923. Y

187
BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 296.
188
Henri Gourdeaux (1881-1961) : Militant syndicaliste, socialiste puis communiste. Membre du CD.
189
Voir l’Humanité, n° 6858, 4 janvier 1923, p. 2.
153
participent les partis communistes de France, d’Allemagne, d’Angleterre, de
Belgique, de Hollande, d’Italie et de Tchécoslovaquie ainsi que des organisations
syndicales190. Le PCF envoie quatre représentants (Cachin, Ker, Hueber191 et Treint)
et la CGTU deux (Monmousseau et Semard). Au terme des deux journées de débat
sur les actions à mettre en place pour coordonner la lutte contre les « impérialismes
rivaux », les représentants des différents partis adoptent un manifeste soulignant « la
faillite du traité de Versailles » et « le danger toujours plus proche d’un nouvel
incendie mondial »192 et appelant à l’union de tous les travailleurs par-dessus les
frontières. Le manifeste renvoie dos-à-dos « l’impérialisme français et allemand » et
fustige « le nationalisme phraseur des soi-disant socialistes nationaux ». Dans son
compte rendu, Treint signale la constitution d’un comité d’action européen qui
« pourra en toute circonstance se réunir presque instantanément »193 et qui se fixe
comme première tâche de préparer une grève générale préventive194. En conclusion,
il propose aux organisations syndicales réformistes de participer au comité d’action
et à la préparation de la grève contre les menaces de guerre.
En dépit du caractère irréaliste du mot d’ordre de grève générale et de la
faible audience des communistes dans le pays, le gouvernement, qui surveille les
allées et venues des membres du PCF195, décide d’intervenir préventivement et
d’arrêter les militants en vue dans la campagne contre l’occupation de la Ruhr. Le 10
janvier 1923, Treint, Marrane et Gourdeaux sont arrêtés et inculpés de « complot
contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat », de même que les syndicalistes
Monmousseau, Lartigue196 et Piétri197. Ils sont suivis par Semard, Cazals198, Ker,
Hueber et Cachin, dont l’immunité parlementaire est levée le 18 janvier 1923. Treint
est interpellé à son domicile, 3 rue Carducci, le mercredi 10 janvier au matin, et son

190
Treint A, « La conférence d’Essen », l’Humanité, n° 6864, 10 janvier 1923, p. 1.
191
Charles Hueber (1883-1943) : Ouvrier serrurier et mécanicien, secrétaire de la fédération du Bas-
Rhin.
192
« Contre l’Impérialisme capitaliste, contre l’occupation de la Ruhr », manifeste d’Essen, La
Correspondance Internationale, n° 39, 8 janvier 1923, p. 1-2.
193
Treint A, « La conférence d’Essen », art. cit.
194
L’armée française envahit la Ruhr le lendemain de la publication de cet article.
195
Dans leurs rapports de surveillance, les agents de la Sûreté Générale précisent les dates
auxquelles les délégués français ont quittés et sont revenus sur le territoire. Un des rapports précise
notamment : « C’est ainsi que le 9 janvier, Cachin et Treint étaient de retour à Paris et assistaient à
une réunion à la maison des syndicats », AN, F7 12901.
196
Joseph Lartigue (1886-1938) : Commis des PTT, membre de la Commission exécutive de la
CGTU.
197
Charles Piétri (1883-1928) : Secrétaire du syndicat des instituteurs libres de la Seine et militant
communiste.
198
Léopold Cazals (1892-1965) : Militant syndicaliste, secrétaire et membre de la Commission
exécutive de la CGTU et militant communiste.
154
appartement est perquisitionné199. Contrairement au récit fait dans l’Humanité200, la
police se saisit d’un certain nombre de documents relatifs à la conférence d’Essen
que Treint avait malencontreusement conservés201. Il est incarcéré pour près de
quatre mois dans un quartier réservé de la prison de la Santé202 où il peut recevoir
de fréquentes visites, toute la documentation souhaitée et faire publier les nombreux
articles écrits durant son « temps libre »203. Elu co-secrétaire général du PCF le 21
janvier204, il montre dès lors sa volonté de contrôler les affaires du parti depuis sa
cellule et d’imposer ses vues par le biais d’une abondante correspondance. Il
consacre également son temps à la rédaction d’articles portant sur la situation
géopolitique de l’occident et les conséquences de l’occupation de la Ruhr sur les
alliances issues de la Première Guerre mondiale.
Lors de son intervention, salle de la Grange-aux-Belles, le 3 janvier 1923,
Treint avait esquissé de façon schématique sa vision de l’évolution du système
capitaliste en Europe depuis 1918. Selon lui, les intérêts divergents des
« impérialismes » français, anglais et américains mènent l’Europe vers une nouvelle
conflagration. Ces nouvelles tensions résultent de la concurrence franco-anglaise
dans le secteur de la métallurgie et du problème du contrôle des régions
pétrolifères205. Ces luttes d’influence pour le contrôle des matières premières
s’expliquent par une métamorphose du système capitaliste après la Première Guerre
mondiale206. Le déroulement du conflit a conditionné un transfert des richesses parmi
les pays les plus impliqués, brisant l’homogénéité d’avant-guerre et faisant naître une
hiérarchie au sein des pays capitalistes207. Cette nouvelle hiérarchie est pérennisée

199
Le dossier relatif aux arrestations suite à la conférence d’Essen contient des coupures du Matin et
de du Journal des débats décrivant les opérations de police chez Treint et chez les autres militants
interpellés, Ibid.
200
« C’est à 8h45 que ces messieurs se présentèrent chez A. Treint, 3 rue Carducci, pour l’arrêter. Ils
ont du renfort. Ils sont au moins 7 si ce n’est 8. Pendant deux heures ils fouillent cherchent et ne
trouvent rien mais pour ne pas avoir l’air de repartir bredouilles, ils emportent quelques papiers sans
importance et destinés à être détruits. », l’Humanité, n° 6865, 11 janvier 1922, p. 1.
201
Dans une lettre à Souvarine, Reynaud affirme que « le nom des délégués étant allés à Essen et la
formule du mandat donné à ses délégués avaient été saisis chez Treint », 20 juin 1923. IHS, fonds
Souvarine. En fait le nom des délégués d’Essen était déjà connu du gouvernement par le biais des
agents de la Sûreté Générale.
202
Voir, en annexe, la photo de Treint dans la cellule de Cachin, au côté d’autres militants
communistes et syndicalistes emprisonnés. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, Fonds
Gourdeaux.
203
Durant toute sa détention, ses articles paraissent sous le pseudonyme de Bertreint.
204
Cf. supra.
205
L’Humanité, n° 6858, 4 janvier 1923, p. 2.
206
Bertreint, « Fascisme européen », l’Humanité, n° 6873, 19 janvier 1923, p. 1.
207
« Homogène en 1914, le capitalisme est sorti de la guerre hétérogène et hiérarchisé. Quatre
groupes se sont formés. Au sommet l’Amérique et son Dollar, puis l’Angleterre et sa Livre. Ensuite le
155
par le traité de Versailles, qui institue la domination des économies des pays
vainqueurs sur les pays vaincus. Ces déséquilibres issus de la guerre sont à la base
de la crise actuelle et de l’occupation de la Ruhr par le gouvernement français, qui
tente de rétablir la puissance économique du pays au détriment des pays vaincus.
Selon Treint, cette nouvelle organisation entraîne une crise générale de la
production qui ne peut qu’aboutir à un nouvel affrontement des puissances
impérialistes. Au cours de la guerre, tous les pays belligérants ont dû développer leur
appareil industriel pour faire face aux besoins des armées et accroître artificiellement
l’émission de « papier monnaie » pour financer cet effort industriel. Avec la fin de la
guerre, ce système se retrouve face à une chute de la consommation et à
l’impossibilité d’écouler une production sans cesse plus abondante. Cette situation
entraîne une « rupture de l’équilibre des changes » :
« Dans chaque groupe, l’industrie achète difficilement aux groupes supérieurs
à cause du change trop élevé : mais par contre, à travers les tarifs
protectionnistes, elle achète aisément aux pays du groupe inférieur.
Inversement, dans chaque groupe, l’industrie vend difficilement aux pays du
groupe inférieur et aisément à ceux du groupe supérieur. En gros, on peut dire
par exemple que le Franc tend à acheter en Allemagne où le Mark est
déprécié, tandis que la Livre et le Dollar achètent volontiers en France pour la
même raison. »208
Ce déséquilibre dans les échanges entre nations maintient ainsi le système
capitaliste dans un « état d’instabilité permanente » d’où découle une exacerbation
des rivalités entre les pays et la formation de nouveaux blocs d’alliance.
Dans ce contexte, l’occupation de la Ruhr manifeste la formation d’un bloc
franco-belge opposé au bloc anglo-américain, ce qui induit la fin du traité de
Versailles, conçu comme entente des pays vainqueurs209. Treint estime que
l’Angleterre ne s’est pas opposée frontalement à la France car ses intérêts vitaux
n’étaient pas directement menacés et parce que le gouvernement devait faire face à
des difficultés dans son empire (Irlande, Egypte, Inde) mais qu’une fois les difficultés
passées, il « interviendra énergiquement pour s’opposer à la domination industrielle

groupe des Etats continentaux, vainqueurs ou neutres avec le Franc comme indice. Enfin l’Allemagne
et les débris d’empires centraux avec le Mark pour indice. », Ibid.
208
Ibid. Treint développe une analyse similaire dans plusieurs autres articles. Voir notamment
er
Bertreint, « Traits essentiels du Capitalisme d’après-guerre », Bulletin Communiste, n° 5, 1 février
1923, p. 65-68, ou encore Bertreint, « La politique européenne du fascisme », La Correspondance
Internationale, n° 4, 2 février 1923, p. 50-51.
209
Bertreint, « La fin du traité de Versailles », l’Humanité, n° 7000, 25 février 1923, p. 1.
156
de la France sur le continent ». Face à la volonté de l’Angleterre de limiter les
ambitions de la France, il soutient, en s’appuyant sur un discours de Mussolini, qu’il
existe une volonté commune des puissances continentales de constituer un bloc
commun, sous la bannière du fascisme, dans lequel les capitalistes allemands
s’allieraient aux capitalistes français et italiens pour résister à l’Angleterre210.
L’occupation de la Ruhr, en plus d’être une manifestation des rivalités
impérialistes, devient un moyen de renforcer le capitalisme et de préserver les profits
des entreprises, qu’elles soient françaises ou allemandes211. Treint explique que le
patronat allemand s’appuie sur le nationalisme de la population allemande en
général et de la Ruhr en particulier pour imposer une hausse du temps de travail et
une baisse des salaires au nom de la lutte contre l’impérialisme français. De plus, il
montre que les troupes françaises, réprimant les grèves ouvrières dans la Ruhr,
constituent un supplétif aux forces de l’ordre de l’Etat allemand menacées par
l’agitation ouvrière :
« Certes, il y a un antagonisme pour savoir comment on se partagera, entre
profiteurs français et profiteurs allemands, les fruits du surtravail que les
généraux français imposent par la force aux mineurs de la Ruhr. Mais il y a
toujours accord entre les mangeurs de dividendes français et allemands pour
arracher ce surcroît de travail et pour imposer le surcroît de misère aux
mineurs allemands. »212
Par la suite, constatant que les négociations ont repris entre les dirigeants français,
allemands et anglais, Treint écrit que l’occupation de la Ruhr constitue simplement
un nouvel épisode de la guerre mondiale et de « l’union sacrée » des capitalistes
« pour tirer profit du sang ouvrier répandu »213. Toute cette analyse vient corroborer
la ligne de la direction du KPD qui vise à souligner la responsabilité commune des
« impérialismes » français et allemand et à dénoncer un conflit fait « sur le dos de
leurs classes ouvrières »214.

210
« Cette politique rencontre en France des échos. Elle va dans le sens de notre capitalisme
extrémiste et chauvin. Pour être menée à fond, elle nécessite l’extension systématique du fascisme à
la France et à l’Allemagne. Le sens historique de la répression anti-communiste actuelle est peut-être
que la politique de Poincaré, consciemment ou inconsciemment, ouvre les voies aux violences
fascistes à l’intérieur et à la politique de Mussolini à l’extérieur. », Bertreint, « Fascisme européen »,
art. cit.
211
Bertreint, « Du profit capitaliste fait avec la misère allemande », n° 6881, 27 janvier 1923, p. 1.
212
Ibid.
213
Bertreint, « Le trafic du sang ouvrier », La Correspondance Internationale, n° 15, 20 avril 1923, p.
218.
214
BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 297.
157
Concernant la question des actions à mener pour organiser la lutte contre
l’occupation de la Ruhr, Treint ― en accord avec le CD du PCF ― s’aligne sur les
positions de la direction allemande. Le KPD est divisé sur la nature des actions à
mener. La tendance de gauche, conduite par Ruth Fischer215 et Maslow216, appelle à
l’armement des ouvriers, à la création de milices et à l’appropriation des usines par
les travailleurs, tandis que la direction du KPD prône la tactique du front unique pour
tenter de rallier les ouvriers socialistes217. En écho, depuis sa prison, Treint met en
garde « les éléments généreusement impulsifs » contre la tendance « à riposter par
une action immédiate »218 et pointe le manque de préparation des organisations
ouvrières et la certitude de l’échec d’une grève menée par les seuls militants
communistes. A l’instar de la direction allemande, il conclut à la nécessité de rallier
les socialistes en leur proposant le front unique :
« Pour réaliser cette vaste agitation, qui seule permettra l’action de classe, le
parti doit chercher à réaliser l’unité de front avec les autres organisations
ouvrières. Les troupes réformistes hésitent entre les formules des
Amsterdamiens à Rome et les platitudes de la Société des Nations. Par nos
propositions obligeons les chefs à se prononcer et à dire s’ils veulent donner
vie à leurs propres formules, s’ils veulent transporter la lutte de classe des
palabres de leurs congrès dans la réalité du combat […] »219
Treint consacre plusieurs articles aux propositions de front unique de l’IC aux
organisations réformistes220 et se lance dans une controverse par journaux
interposés avec des dirigeants socialistes221. Si, au cours de l’année 1922, il s’était
démarqué par sa rhétorique violente et ses formules abruptes contre les dirigeants
socialistes, le ton est cette fois-ci nettement plus consensuel. Au nom de la
nécessaire unité du mouvement ouvrier, il déclare vouloir « abandonner nos griefs
légitimes pour ne considérer que le péril de guerre qui enveloppe l’Europe », sans
pour autant réussir à convaincre puisque les socialistes français, de même que la
CGT, repoussent les propositions communistes.

215
Ruth Fischer (1895-1961) : Etudiante à Vienne, elle participe à la fondation du Parti communiste
autrichien avant de rejoindre Berlin. Au sein du KPD, elle dirige la tendance de gauche.
216
Arkadi Maslow (1891-1941) : Etudiant à Berlin, il rejoint le KPD à sa création et devient dirigeant de
la tendance de gauche avec Ruth Fischer.
217
Ibid., p. 296-298.
218
Bertreint, « La grève générale de classe », n° 6869, 15 janvier 1923, p. 1.
219
Ibid.
220
Voir notamment Bertreint, « Pour l’action commune des organisations du prolétariat », l’Humanité,
n° 6893, 29 janvier 1923, p. 1.
221
Cf. infra.
158
Lutte contre les menaces « fascistes » pesant sur l’Europe et appels au front
unique constituent les grandes lignes d’un discours qui n’appartient pas
spécifiquement à Treint. Il joue son rôle de propagandiste et se contente de
répercuter les mots d’ordre d’une campagne orchestrée depuis Berlin et Moscou et
qui l’amène à dénoncer plus spécifiquement les visées annexionnistes du
gouvernement Poincaré à l’encontre de la Rhénanie222. Ainsi, après que Zinoviev eut
dénoncé les menaces pesant sur la Russie révolutionnaire223, il infléchit son discours
et défend la thèse d’un plan concerté contre la Russie. L’occupation de la Ruhr
devient dès lors une opération « contre révolutionnaire »224 menée conjointement par
la France et les autres « Etats impérialistes » pour empêcher le développement de la
révolution en Allemagne et éviter ainsi « la jonction politique, économique, militaire
des forces révolutionnaires de la Russie et de l’Allemagne ». Cet article marque les
prémisses de l’évolution de la campagne du PCF de la dénonciation des risques de
guerre vers le soutien à la révolution allemande à venir.
Depuis sa prison, Treint, qui dispose de journées entières pour réfléchir et
écrire ne se cantonne pas à l’occupation de la Ruhr. Il tente de se mêler de tous les
débats, considérant que son opinion de nouveau secrétaire général ne peut pas être
ignorée. Ses réflexions, parfois sommaires ou contradictoires, rédigées dans un style
souvent ennuyeux et alambiqué et finalement peu accessibles aux ouvriers qu’elles
sont censées toucher, provoquent des tensions avec les autres dirigeants. A
plusieurs reprises, ceux-ci refusent de publier certains articles ou les modifient avant
publication, provoquant sa colère.

222
Bertreint, « Les deux politiques de M. Poincaré », La Correspondance Internationale, n° 10, 16
mars 1923, p. 150-151 et « L’intrigue de la Ruhr », La Correspondance Internationale, n° 49, 24 avril
1923, p. 2. Il soutient que Poincaré poursuit une politique mise en place en 1918 [Poincaré est
Président de la République] visant à séparer la Rhénanie du reste de l’Allemagne et à la rattacher par
la suite à la France pour créer ainsi un Etat tampon
223
Dans la Pravda du 16 mai 1923, Zinoviev écrit : « les événements de la Ruhr, l’ultimatum de
Curzon, l’assassinat de Vorovsky, la tournée triomphale du maréchal Foch en Pologne sont les
maillons d’une même chaîne » (cité par BROUE P, op. cit., p. 301). Autrement dit, il existe un plan
concerté entre les puissances impérialistes pour déstabiliser la Russie et empêcher la propagation de
la révolution en Europe et chacun de ces événements ― l’assassinat d’un diplomate russe,
l’ultimatum de Curzon (secrétaire d’Etat au Foreign Office britannique) sommant le gouvernement
soviétique de mettre fin à l’activité de ses agents en Afghanistan, en Inde et en Perse et l’occupation
de la Ruhr ― doivent être compris comme l’une des étapes dans la réalisation de ce plan.
224
Treint A, « Ruhr et contre révolution », l’Humanité, n° 7100, 6 juin 1923, p. 1.
159
3) Impérialisme rouge et front unique.

Lors de son audition par le juge d’instruction225, M. Jousselin, Treint se voit


rappeler ses déclarations lors du meeting du 3 janvier 1923. Il avait proclamé que
« l’armée rouge est une armée de classe au service du prolétariat tout entier » dont
le rôle est d’intervenir en Allemagne, comme en France, pour défendre la révolution
si cette dernière venait à éclater226. Le juge d’instruction y voit une référence
évidente au discours programmatique de Boukharine devant le 4e congrès mondial,
qui a entraîné de nombreux remous dans la presse française. Dans son projet de
programme de l’IC227, le théoricien du parti bolchevik tire les conséquences de la
situation politique mondiale, caractérisée par les transformations de la structure du
capitalisme et par l’existence d’un Etat prolétarien viable. Il propose que l’IC
poursuive son action sur une ligne de « tactique offensive » et critique l’idée que
l’œuvre révolutionnaire puisse se poursuivre par des revendications partielles et de
transition. Autrement dit, l’Etat prolétarien doit devenir l’instrument de la conquête
révolutionnaire, impliquant ainsi la possibilité de l’intervention d’une armée
révolutionnaire dans un pays en cours de révolution, mais aussi la possibilité d’une
alliance entre l’Etat prolétarien et un Etat bourgeois contre un autre Etat bourgeois.
Ce programme, soumis comme base de discussion aux délégués, doit être
étudié dans toutes les sections et si nécessaire corrigé et étayé pour être de
nouveau discuté lors du 5e congrès de l’IC. Une fois connu en France, Treint s’en
empare immédiatement et, tout en reconnaissant la nécessité d’examiner le projet de
programme, défend la validité des postulats théoriques de Boukharine228. Après ses
déclarations provocatrices, lors du meeting de la Grange-aux-Belles, il précise sa
pensée et soutient qu’un Etat prolétarien a le droit et le devoir d’utiliser son armée
pour préparer la révolution :
« La victoire du prolétariat sera le résultat du choc armé des classes. […]
Dans le choc armé des classes, l’armée rouge, l’armée du premier Etat
prolétarien a, comme disait en février dernier Trotsky, son mot gigantesque à
dire. […] L’armée rouge n’est pas une armée nationale, l’armée rouge est une
armée de classe, l’armée de la classe ouvrière, elle ne connaît pas de

225
« Le pseudo-complot : Treint à l’instruction », l’Humanité, n° 6898, 13 février 1923, p. 1.
226
L’Humanité, n° 6858, 4 janvier 1923, p. 2.
227 e
« Discours de Boukharine au IV congrès », Bulletin Communiste, n° 1, 4 janvier 1923, p. 5-14.
228
Treint A, « Le Programme de l’Internationale », Bulletin Communiste, n° 1, 4 janvier 1923, p. 4-5.
160
frontière. Impérialisme russe, non. Impérialisme de classe, oui. […]
Impérialisme, oui ! Impérialisme ouvrier, impérialisme rouge. »229
Cet article vise avant tout à répondre aux protestations du parti socialiste contre le
discours de Boukharine et à souligner que ceux qui dénoncent un « impérialisme
russe » menaçant la paix, sont les mêmes qui ont participé le plus activement à
l’union sacrée durant la Première Guerre mondiale. Mais son argumentation se
transforme en un plaidoyer en faveur d’un « l’impérialisme rouge ».
Au sein du parti, la direction déplore le schématisme et la maladresse de
l’article et plus particulièrement le fait que Treint accole les mots ouvrier et
impérialisme. Sellier écrit à Souvarine et Trotsky pour leur faire part de son opinion :
« A la fin de cet article où notre camarade affirme comme saine l’idée de
l’impérialisme ouvrier me paraît être une figure dangereuse. Il y a des mots qui
hurlent de se trouver accouchés et je ne crois pas qu’il soit nécessaire pour
faire entrer dans la tête des ouvriers français une idée très juste en elle-même
d’employer certaines formules imprudentes qui provoquent des résultats
exactement contraires à ceux qu’on en attend. »230
Les réactions de désapprobation se multiplient. Dunois231 déclare qu’il s’agit d’une
« imbécillité » et Duret232, qui représente le parti à Moscou, écrit à Renoult que
« Treint a mis les pieds dans le plat avec son intelligence habituelle ». L’arrestation
de Treint permet dans un premier temps d’éviter que le débat ne s’envenime. Le 21
janvier 1923, Souvarine intervient au conseil national sur la question du rapport de
Boukharine. Exprimant l’opinion de la majorité, il souligne que le projet de
programme de Boukharine doit être soumis à la discussion et qu’il ne peut s’agir de
prendre définitivement position pour ou contre sans que le débat ait eu lieu au sein
du parti. Il laisse clairement entendre qu’il est en désaccord avec Boukharine et
Treint sur la question de « la tactique offensive »233 tout en déclarant vouloir éviter
« les déclarations trop sommaires » et il invite le parti à ouvrir à la base la discussion
sur le programme de l’IC.
Après le conseil national, les risques de scission consécutifs aux départs et
aux exclusions du début de l’année s’éloignent et le parti retrouve une atmosphère

229
Treint A, « Socialisme de guerre et communisme de guerre », l’Humanité, n° 6859, 5 janvier 1923,
p. 1.
230
Rapport de Sellier au CE de l’IC, 9 janvier 1923, cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 690.
231
Lettre de Dunois à Renoult, non datée, BMP, fonds Renoult.
232
Lettre de Duret à Renoult, 18 février 1923, BMP, fonds Renoult.
233
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 704.

161
apaisée propice au travail. Des tiraillements apparaissent néanmoins entre les
emprisonnés et la direction libre. Treint et Cachin considèrent qu’étant donné leur
régime d’incarcération, ils peuvent participer effectivement à la vie du parti et
intervenir dans les débats du CD et du BP auxquels ils appartiennent. Souvarine, en
charge de la réorganisation de l’Humanité et qui, à ce titre, la dirige en l’absence de
Cachin, note l’existence d’un « désaccord latent, quelquefois indéfinissable entre les
camarades emprisonnés et ceux qui sont libres »234. Il reproche à Treint d’écrire de
trop nombreux articles, impossibles à insérer dans le quotidien, et de critiquer sans
cesse le travail politique sans pour autant faire de proposition pratique pour améliorer
la situation235. A cela viennent s’ajouter des divergences politiques sur la question de
« l’impérialisme ouvrier » et de l’application de la tactique du front unique notamment
avec les « dissidents »236. Humbert-Droz fait état des querelles entre d’un côté
Souvarine et le BP et de l’autre Treint :
« Les rapports avec Treint sont aussi difficiles. Il envoie de prison des
quantités d’articles où il renouvelle ses déclarations sur le militarisme et
s’acharne à avoir raison, articles où il traite la question syndicale d’une façon
très dangereuse. Le BP lui a demandé de modifier certains de ses articles.
Dunois et Souvarine lui remanient sa copie et Treint proteste et s’indigne
qu’un secrétaire général n’ai pas le droit d’écrire tout ce qui lui passe par la
tête. »237
Point de départ de ce litige, l’Humanité publie un article dans lequel Sellier
prend le contre-pied de Treint238. Immédiatement, celui-ci se fait un devoir de
répondre et rédige un article destiné à être publié dans le Bulletin Communiste239. Il

234 er
Lettre de Souvarine à Zinoviev, 1 mars 1923, RGASPI, 517/1/130. Il écrit également à Doriot :
« La grande difficulté est d’unifier les trois foyers idéologiques, si j’ose dire, qui concourent à
l’orientation du parti : la rue Montmartre, la rue La Fayette et la rue de la Santé. Les prisonniers ont
très souvent un point de vue à eux sur lequel ils sont tous d’accord en tant que prisonniers, de Treint à
Monmousseau en passant par Cachin et Marrane et en allant parfois jusqu’à Lecoin. », Lettre de
Souvarine à Doriot, 8 mars 1923, IHS, fonds Souvarine.
235
« Treint écrivait chaque jour une dizaine d’articles que l’Humanité ne pouvait publier. D’autre part il
faisait, à propos du travail politique du parti, des critiques, souvent justifiées et avec lesquelles nous
sommes pleinement d’accord, qui ne nous donnaient pas les moyens d’améliorer les choses », Ibid.
236
Il s’agit du parti d’unité communiste créé par Frossard avec d’autres exclus du PCF.
237
Rapport d’Humbert-Droz au CE de l’IC, 21 avril 1923, RGASPI, 517/1/110.
238
« Il n’y a pas plus de "militarisme rouge" que "d’impérialisme rouge" ou de "capitalisme ouvrier" ; on
ne peut employer ces formules que par métaphore. L’expérience prouve qu’il y a danger à le faire,
dans la période de confusion ou les amateurs et les arrivistes de toutes nuances s’efforcent avec tant
d’obstination à pêcher en eau trouble. », Sellier L, « Il n’y a pas de militarisme rouge », l’Humanité, n°
6890, 5 février 1923, p. 1.
239
« Ne voulant pas instituer une discussion polémique dans l’Humanité, j’ai écrit pour le Bulletin
Communiste un article […] », Lettre de démission de Treint, envoyée au BP, 5 mars 1923, IHS, fonds
Souvarine. Voir en annexe.
162
réplique point par point aux critiques de Sellier et réaffirme que « la notion
d’impérialisme rouge est une notion parfaitement correcte […] [et qu’elle] est aussi
légitime que l’emploi d’expressions comme "lutte de classe" et "dictature du
prolétariat" […] »240. Il précise sa pensée et tente de démontrer que le terme
d’impérialisme ne doit pas être compris dans le sens « péjoratif » dans lequel on
l’emploie habituellement, mais qu’il doit être interprété dans un sens marxiste :
« L’impérialisme d’une nation, d’une classe, signifie étymologiquement de la
façon la plus claire, la plus précise que cette nation, que cette classe vise à la
domination du monde. […] Le mot impérialisme ouvrier exprimerait à la fois
l’objectif transitoire de la lutte des classes et l’internationalité de cette lutte. Ce
n’est pas à titre de métaphore que l’on peut l’employer, mais dans son sens
plein et littéral. »241
Pour les membres du bureau politique, Souvarine en particulier, il n’est pas
acceptable de laisser cette polémique se poursuivre et surtout de laisser Treint
employer des formules unanimement rejetées et qui ne peuvent être comprises par
les sympathisants du PCF. Souvarine conserve, dans un premier temps, l’article
sans le faire publier puis le soumet au BP qui décide, lors de la séance du 27 février
1923, de ne pas le publier et surtout d’interdire à l’avenir l’utilisation des expressions
« impérialisme ouvrier » et « militarisme rouge »242. Une fois la décision connue,
Treint réplique en faisant parvenir au BP une lettre de démission du poste de
secrétaire général. Il s’insurge contre le fait que Sellier puisse critiquer ses écrits
sans que lui soit donnée la possibilité de répondre:
« Pour toutes ces raisons, je ne puis admettre la censure dont je suis l’objet et
qui est pratiquée avec une désinvolture intolérable à la faveur de mon
emprisonnement. Autant j’ai combattu le droit de discuter dans le Parti les
principes fondamentaux du communisme et le droit de gêner par l’excès de la
critique les actions en cours, autant je défendrai le droit légitime de chacun à
la discussion communiste dans l’intérieur du parti. Puisque ce droit m’est
aujourd’hui retiré […], il ne me reste plus qu’une manière de me faire
entendre. Je vous remets ma démission de secrétaire du Parti
243
Communiste. »

240
Ibid.
241
Bertreint, « Discussion sur l’"impérialisme" et le "capitalisme" ouvriers (sic) », Bulletin Communiste,
n° 13, 29 mars 1923, p. 105-106.
242
Séance du BP du 27 février 1923, RGASPI, 517/1/122.
243
Lettre de démission envoyée au BP, 5 mars 1923, IHS, fonds Souvarine. Voir en annexe.
163
Le chantage à la démission fonctionne. Si dans un premier temps le CD
confirme la décision du BP, ce dernier soucieux de ménager les susceptibilités de
chacun et d’éviter qu’une nouvelle crise ne mette à mal l’unité du parti décide de
publier l’article en l’expurgeant de certains passages jugés trop polémiques. Sa
publication s’accompagne d’une note de Souvarine expliquant que la notion
d’impérialisme a un sens compris par tous et ne peut-être prise dans son seul sens
étymologique, comme le fait Treint244. Cette décision, appuyée par Humbert-Droz et
Sellier est, au contraire, critiquée par Souvarine qui considère qu’il faut répondre
avec fermeté aux prétentions de Treint et ne pas le laisser imposer ses volontés au
reste de la direction245. Mais la menace exercée par Treint, doublée de celle de
Cachin de démissionner de la direction de l’Humanité246, a raison de la volonté des
membres du BP. La publication de ce nouvel article sur le « militarisme rouge »
relance inévitablement le débat et amène Humbert-Droz à publier un article
rectificatif qui, sans citer Treint et sans affirmations polémiques, repousse les
concepts de militarisme ou d’impérialisme rouge247. Témoignage de la volonté de le
ménager, Treint est autorisé à publier une réponse à la note parue en même temps
que son article précédent. Il y souligne que Souvarine n’a, selon lui, pas répondu à la
question et que le mouvement ouvrier peut s’emparer du terme impérialisme, comme
il s’est emparé des termes dictature et Etat, pour leur donner un contenu marxiste248.
La polémique s’éteint rapidement, notamment du fait de la volonté du BP de
ne pas envenimer les rapports avec Treint, mais également de l’attitude conciliante
de Souvarine qui ne souhaite pas porter la controverse devant tout le parti249.
Contrairement aux apparences, les rapports entre les deux hommes restent cordiaux
et leur collaboration n’est pas affectée par les divergences d’ordre politique. Dans
une lettre à Zinoviev et Trotsky, Souvarine écrit que l’absence de Treint se répercute

244
« Puisque Bertreint nous invite cordialement à la discussion, nous lui ferons observer que sa
définition de l’impérialisme est tout à fait erronée, du point de vue marxiste. On se demande ce que
vient faire ici l’étymologie, quand il s’agit d’une notion à laquelle un contenu est donné par l’économie
moderne (interprétée selon la méthode marxiste), et non par le latin. », Souvarine, « Remarques à
propos de l’impérialisme », Bulletin Communiste, n° 13, 29 mars 1923, p. 106-107.
245
« Rappelez-vous l’histoire de "l’impérialisme ouvrier". Si l’on m’avait écouté alors, si l’on n’était pas
revenu sur la décision que j’avais fait adopter vis-à-vis de Treint, est-ce que celui-ci n’aurait pas à
nous en remercier aujourd’hui ? ». Lettre de Souvarine à Sellier, 30 juin 1923, IHS, fonds Souvarine.
246
Cachin accuse Souvarine d’avoir volontairement perdu deux de ses articles qui devaient être
publiés dans le quotidien. Voir Humbert-Droz J, De Lénine… op. cit., p. 146.
247
Humbert-Droz J, « Réflexions sur le projet Boukharine », Bulletin Communiste, n° 15, 12 avril 1923,
p. 151-155.
248
Bertreint, « A propos de l’"Impérialisme" », Bulletin Communiste, n° 15, 12 avril 1923, p. 155.
249
Voir CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 730. Il souligne que Souvarine était occupé par la réorganisation
de l’Humanité et affaibli par la maladie.
164
sur le travail du secrétariat général car « il a précisément la méthode et l’esprit qui
font défaut à nos secrétaires actuels ». Il ajoute :
« Depuis le moment où se sont produits ces désaccords, j’ai pu me rendre
chaque semaine à la Santé où j’ai eu avec Treint des échanges de vues qui
ont dissipé les motifs d’acrimonie personnels. Mais quant aux positions qu’il a
prises sur la question de "l’impérialisme ouvrier" et sur celle du front unique,
Treint s’y cramponne obstinément. »250
Sur l’application de la tactique du front unique, les deux hommes se trouvent
en effet en désaccord. Mais dans ce cas, Souvarine s’oppose seul à la ligne
défendue par la majorité de la direction. Avant même le début de l‘occupation de la
Ruhr, le PCF a multiplié les appels en direction de la SFIO et de la CGT, dans le but
d’organiser des actions de masses et de préparer une grève générale de
protestation. Dans ce cadre, Treint comme Cachin militent pour taire les divergences
politiques avec les socialistes et que cessent les attaques dans la presse
communiste. Treint, à l’instar de la direction du KPD, pense que seule une alliance la
plus large possible peut permettre d’organiser un mouvement de protestation
efficace contre l’occupation de la Ruhr251. Ses articles visent à souligner qu’entre le
PCF et la SFIO aucun désaccord sur le plan politique ne fait obstacle à l’action
commune. Il reproduit des extraits d’interventions de Compère-Morel252 devant la
Chambre des députés et laisse entendre que les propositions socialistes de lutte
contre l’occupation de la Ruhr sont « plus audacieuses, plus colorées » que celles
des communistes253. L’Internationale socialiste, de même que « l’Internationale
syndicale » et « l’Internationale de Londres »254 rejettent cependant l’idée d’une
action commune avec l’IC.
En dépit de cette rebuffade, le PCF renouvelle au mois d’avril sa proposition
de front unique contre l’occupation de la Ruhr à la SFIO et propose de l’élargir ―
dans le cadre de la journée du 1er mai ― à la question des revendications
immédiates des travailleurs (salaires, droit syndical…)255. De nouveau, la SFIO
rejette la proposition du PCF et plusieurs leaders socialistes écrivent dans la presse
socialiste pour justifier leur attitude. Loin de menacer les dirigeants socialistes ou de

250
Lettre de Souvarine à Zinoviev et Trotsky, 22 avril 1923, RGASPI, 517/1/130.
251
Cf. supra.
252
Adéodat Compère dit Compère-Morel (1872-1941) : Député, membre de la SFIO.
253
Bertreint, « Pour l’action commune des organisations du prolétariat », art. cit.
254
Il s’agit du regroupement des partis socialistes indépendants non affiliés aux Internationales
socialiste ou communiste.
255
Voir l’Humanité, n° 7052, 18 avril 1923, p. 1.
165
les accuser de trahison comme il a pu le faire auparavant, Treint s’emploie à
répondre posément et à souligner que le front unique ne constitue en rien une
manœuvre, mais au contraire une volonté sincère de s’unir pour défendre les
travailleurs. Répliquant à Compère-morel qui estime que le front unique n’est pas
moralement acceptable et que seul le retour à l’unité pouvait aboutir à une lutte
commune, il écrit :
« Il ne s’agit pas de savoir si, dans la lutte entre socialistes et communistes,
des violentes polémiques se sont produites, que, de chaque côté, à tort ou à
raison, l’on peut trouver injuste ! Il ne s’agit pas de dire : nos doctrines sont
trop différentes pour que nous puissions nous rencontrer sur une même
tribune. […] Nous ne sommes actuellement pas assez puissants, ni les uns ni
les autres, pour venir à bout séparément de cette tâche. Unissons nos efforts
pour entraîner la masse des travailleurs inorganisés qui ne comprennent rien
à nos divisions. »256
Toute son argumentation vise à démontrer qu’il s’agit de l’intérêt commun des deux
partis et non d’une mise en concurrence des deux doctrines dans le cadre de
l’action. Une fois la décision de la SFIO connue, Treint refuse d’entrer sur le terrain
de la polémique et feint de ne pas comprendre les raisons qui poussent les
socialistes à rejeter les propositions du PCF257. De même, lorsque qu’un député
socialiste reprend dans le Populaire la formule sur « la volaille à plumer » pour
montrer que, pour les communistes, la tactique du font unique vise avant tout à
affaiblir la SFIO, Treint répond calmement258, sans invective et sans formule choc sur
« les combats de coqs »259. S’il rejette l’idée de loyauté mise en avant par le député
socialiste et évoque l’attitude de la SFIO au cours de la Première Guerre mondiale, il
s’agit toujours de souligner que socialistes comme communistes ont commis des
erreurs, qui ne doivent pas entraver l’action commune.
Au cours de cette controverse avec les socialistes, Treint revient à plusieurs
reprises sur la question de l’unité organique et repousse à chaque fois l’idée d’un
possible retour en arrière. Dans le PCF, tous ceux qui militaient pour la réunification
des deux organisations ont été exclus au cours de l’année 1922. Cependant, la
nouvelle ligne politique à l’égard de la SFIO est si ambiguë, qu’au sein même du

256
Bertreint, « Le front unique est possible parce qu’il est nécessaire », l’Humanité, n° 7053, 19 avril
1923, p. 1.
257
Bertreint, « Le front unique nécessaire et possible », l’Humanité, n° 7058, 24 avril 1923, p. 1.
258
Bertreint, « La faute du député Mouret », l’Humanité, n° 7060, 26 avril 1923, p. 1.
259
Cf. supra.
166
parti, des militants considèrent que l’on se dirige à terme vers la réunification. Sur ce
point, plusieurs phrases équivoques de Treint entretiennent cette idée. S’il rejette
clairement « l’unité de 1914 à 1918 […] [qui] s’est effondrée dans le bourbier
sanglant de la guerre mondiale »260, il écrit, en réponse à Compère-Morel que le
Front unique est réalisable immédiatement alors que « la réalisation [de l’unité
politique] ne saurait être immédiate »261. Devant le risque de confusion et
d’interprétation erronée des articles de Treint, le représentant de l’IC doit à son tour
publier un article pour préciser l’attitude du parti et réaffirmer que le front unique n’a
rien de commun avec le retour à l’unité d’avant-guerre262. En dehors du problème de
l’unité, la nouvelle ligne du PCF à l’égard des socialistes entraîne d’autres erreurs,
notamment sur le plan électoral, des militants envisageant la possibilité de participer
au « bloc des gauches », lors des élections législatives. En dépit de cette confusion
et de l’affaiblissement de la critique communiste envers la SFIO, Treint revendique la
paternité de la nouvelle ligne263 et soutient que sa définition du front unique est fidèle
à celle qu’en fait le CE de l’IC.
Souvarine juge au contraire que cette volonté de la direction du PCF de
réaliser le front unique au prix d’une atténuation de la critique est contraire à l’esprit
de la tactique et risque d’affaiblir le parti. Il prend prétexte du refus des socialistes et
des syndicalistes réformistes de participer à l’action au côté des communistes sur la
question de l’occupation de la Ruhr, pour publier des articles fustigeant cette
attitude264. En totale contradiction avec ceux de Treint, ces articles contribuent à
entretenir la tension entre les emprisonnés265 et la direction restée libre. Durant toute
la période où Souvarine réside en France, les deux hommes restent en contact,
discutent et tentent d’aplanir leurs divergences, limitant ainsi le risque d’affrontement.
Néanmoins, après le départ de Souvarine pour Moscou266 et la libération de Treint,

260
Bertreint, « La faute du député Mouret », art. cit.
261
Bertreint, « Le front unique nécessaire et possible », art. cit.
262
Humbert-Droz J, « Front unique ou Unité ? », l’Humanité, n° 7062, 28 avril 1923, p. 1.
263
« J’ai réussi à faire rectifier quelques erreurs tactiques qui, s’étant produites dans la phase du front
unique où nous sommes, risquaient de compromettre le succès que nous attendions ». Lettre de
démission de Treint, 3 mars 1923, IHS, fonds Souvarine.
264
Voir notamment Souvarine B, « Jaunes… ! », l’Humanité, n° 7009, 5 mars 1922, p. 1. Ainsi que
Souvarine B, « Le courage de la lâcheté », Bulletin Communiste, n° 11, 15 mars 1923, p. 161-162.
265
Sellier, dans son rapport du 17 mars à Zinoviev et Trotsky note : « Notre camarade Treint et
l’ensemble de nos camarades de la santé avaient jugé deux des articles de notre camarade
Souvarine attaquant violemment les réformistes comme des reproches prématurés. » Cité par
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 726.
266
Souvarine quitte la France le 12 mai 1923.

167
leurs personnalités autoritaires et orgueilleuses se heurtent, entraînant un nouveau
conflit au sommet du parti.

Aidé par le contexte international tendu et par la répression gouvernementale


qui s’abat sur le PCF, la métamorphose de la direction et les exclusions de tous les
opposants à la nouvelle ligne décidée par le 4e congrès mondial de l’IC, se déroulent
sans crise majeure dans l’organisation. Fin janvier, le CE de l’IC constate la réussite
de sa politique à l’égard du PCF ; les anciennes tendances disparaissent ; les
décisions du 4e congrès de l’IC sont acceptées à l’unanimité lors du conseil national ;
enfin le parti s’engage sans discussion ni réticence dans la campagne contre
l’occupation de la Ruhr. Cependant derrière ce tableau idyllique d’une section
modèle de l’IC disciplinée et formant un bloc politique homogène, apparaissent de
nouvelles divergences qui dans un premier temps s’expriment sourdement. Elles
portent sur la question de l’application de la tactique du front unique et sur des points
de doctrine d’apparence secondaire mais qui portent en germe des conflits de plus
grande ampleur.
Devenu co-secrétaire général au cours de sa période d’emprisonnement,
Treint escompte profiter de son nouveau statut pour peser sur la ligne politique du
parti et pour imposer ses conceptions, qu’il considère comme étant celle de l’IC. Au
cours des débats de l’année 1922, il s’était déjà distingué par la violence de ses
propos, par son ton autoritaire et cassant ainsi que par son assurance et son orgueil.
Devenu l’un des principaux dirigeants, il estime que son point de vue ne peut plus
être ignoré et doit être pris en compte dans la définition de la ligne politique du parti.
Au lieu de proposer des bases de discussion, Treint impose des thèses souvent trop
schématiques, voire simplistes ou en contradiction avec celles qu’il défendait
antérieurement. Ainsi, il se rallie à la théorie de « l’offensive révolutionnaire »
proposée par Boukharine dans son projet de programme de l’IC et développe toute
une analyse ― par ailleurs approfondie et dans l’ensemble pertinente ― sur les
contradictions entre Etats européens et les risques de crise majeure qui en
découlent. Dans le même temps, il milite au sein du PCF pour un front unique le plus
large possible qui implique de modérer les mots d’ordre du parti et de ne pas
s’engager dans la voie de l’action révolutionnaire immédiate. Cette confusion, ce
schématisme, cette tendance à emprunter et répéter des idées dont il n’a pas
toujours saisi toutes les implications et surtout la susceptibilité et l’autoritarisme de
Treint font craindre à d’autres dirigeants et à Humbert-Droz des difficultés dans la

168
gestion commune du parti une fois ce dernier hors de prison. Sa libération provisoire
a lieu le 7 mai 1923267, puis le Sénat, constitué en Haute cour, se déclare
incompétent pour juger l’affaire268, avant que le 13 juin le juge d’instruction ne
prononce un non lieu269. Treint peut désormais occuper effectivement son poste de
co-secrétaire général et diriger le parti selon ses conceptions et ses méthodes.

267
Voir l’Humanité, n° 7071, 8 mai 1923, p. 1. Le quotidien communiste publie à cette occasion une
photo de Treint quittant la Santé.
268
Voir l’Humanité, n° 7089, 26 mai 1923, p. 1.
269
« Le rideau tombe sur la farce du "Complot" », l’Humanité, 14 juin 1923, p. 1.

169
CHAPITRE IV : 1923,
ANNEE DE
RECONSTRUCTION
OU DE CRISE ?

170
A la libération de Treint, la mobilisation des militants, consécutive à la
répression qui s’est abattue sur la direction, faiblit. Une large majorité de la
population française approuvant la politique de fermeté menée par Poincaré, la
campagne contre l’occupation de la Ruhr ne rencontre pas le succès escompté dans
le milieu ouvrier français. Le PCF se trouve de plus en plus isolé sur la scène
politique et se révèle incapable de toucher les ouvriers. Sur le plan intérieur, il reste
désorganisé, notamment du fait de l’emprisonnement de certains dirigeants et des
départs consécutifs à la démission de Frossard. Cela ne suffit cependant pas à
expliquer la mauvaise liaison entre le centre et la province, le désordre régnant à la
rédaction de l’Humanité et la baisse des effectifs qui passent d’environ 75000 au
début de l’année 1923 à environ 50000 à la fin.
Treint se considère être l’homme à même de mettre un terme à cette
désorganisation chronique et de faire du PCF un instrument révolutionnaire
homogène et discipliné. Il s’appuie sur l’expérience menée dans la fédération de la
Seine sous la houlette de Suzanne Girault, où l’instauration d’une discipline stricte et
la concentration des pouvoirs de décision entre quelques mains ont radicalement
changé le visage de la fédération. Dès son entrée en fonction, Treint impose des
modifications tactiques et une réorganisation du parti visant à améliorer les relations
entre le centre et la province et à rééquilibrer le travail au sein des organes de
direction.
Cependant sa volonté de passer en force sans consulter les organismes
censés diriger le travail du secrétariat, l’absence de collaboration avec le second
secrétaire général suscitent de nombreuses résistances, à la base comme au
sommet. En réponse, Treint développe des méthodes de direction de plus en plus
autoritaires, en ayant recours à la manipulation des militants, au chantage et à la
menace, le tout au nom de la discipline d’organisation. Certains dirigeants assimilent
cet autoritarisme à une tentative de dictature personnelle et, si une majorité décide
de tolérer cet état de fait avec l’espoir que l’IC interviendra pour rétablir la démocratie
à l’intérieur de l’organisation, d’autres, autour de Rosmer et de Souvarine,
s’interposent au nom du centralisme démocratique.
Derrière ces désaccords sur les méthodes de travail et de direction se cachent
des divergences politiques. Déjà, durant son emprisonnement Treint s’était opposé à
Souvarine sur la question du front unique ou encore du « militarisme rouge ». A partir
du mois de juillet 1923, la discussion entre les deux hommes sur l’attitude à l’égard
du parti socialiste mais aussi des autres organisations ouvrières prend une nouvelle

171
tournure. Souvarine, constatant que la majorité cède aux méthodes brutales de
Treint, rentre en France et, exploitant du mécontentement qui règne dans le parti,
engage une bataille politique en vue du congrès national, à Lyon. De son côté, Treint
considère avoir mené à bien des réformes nécessaires, avoir contribué à accroître
l’influence communiste dans les syndicats et associations ouvrières. Il justifie les
excès de centralisation et de discipline par le manque de travail d’autres militants. Il
perçoit dès lors la moindre critique comme une manœuvre visant à l’écarter et tente
de constituer un groupe de partisans dans le parti, au risque de réactiver les luttes
internes.

172
A/ Une gestion autoritaire du parti

1) Conflits de personnes.

Libéré le 7 mai 1923, Treint accède au poste de co-secrétaire général du PCF.


Conséquence de la discussion sur « l’impérialisme ouvrier »1, il se montre peu
désireux de travailler, notamment avec les membres de la rédaction de l’Humanité,
leur reprochant d’avoir voulu le censurer. Humbert-Droz met en garde le CE de l’IC
contre le danger que représente, selon lui, la présence de Treint à la direction2. Il
souligne son peu d’empressement à se mettre au travail, l’accuse même d’avoir
voulu constituer « une fraction Treint "impérialisme ouvrier" » et de menacer la
stabilité retrouvée du parti. Il lui reproche également ses méthodes autoritaires, sa
volonté de diriger seul, d’imposer ses solutions et « sa conception mécanique de la
discipline »3. Par exemple, le CD du PCF a voté une résolution pour mettre fin à un
conflit entre la fédération du Bas-Rhin et celle de la Moselle, qui provoque le
mécontentement de cette dernière. Pour éviter une dislocation de cette fédération,
Humbert-Droz propose qu’une solution médiane, donnant satisfaction aux deux
parties, soit recherchée. Treint choisit au contraire de passer en force et d’imposer la
résolution du CD, arguant qu’il existe au sein de la fédération de Moselle « une
déviation sur la question du mouvement syndical »4. Le représentant de l’IC lui
reproche alors d’agir avec brutalité, au nom de schémas politiques abstraits, plutôt
que de chercher la conciliation, alors même que le parti se trouve dans une phase de
convalescence.
Illustration de ses méthodes autoritaires et de sa volonté de régenter le parti,
peu après avoir intégré son poste, Treint déclenche une crise entre la direction du
parti et celle de l’Humanité. L’affaire résulte de la perte d’une note du comité d’action
contre l’occupation de la Ruhr, accompagnée d’une note de Treint5. Le CD du PCF

1
Cf. supra.
2
Archives Humbert-Droz, op. cit., p. 485-492.
3
Ibid., p. 490.
4
Treint A, « Forgeons notre parti de classe », l’Humanité, n° 7123, 29 juin 1923, p. 1. Treint accuse
les dirigeants de la fédération de Moselle d’être favorable à la constitution d’un syndicat inter-
entreprises, autrement dit d’être favorable à la constitution d’une force politique concurrente du PCF et
de reproduire les erreurs du KAPD en Allemagne. (Sur le KAPD, cf. infra.)
5
Lettre de Reynaud à Souvarine, 20 juin 1923, IHS, fonds Souvarine.

173
ordonne alors une enquête pour connaître les causes de ce dysfonctionnement et
Treint, accompagné de Marrane, se rend à la rédaction du journal pour interroger les
différents protagonistes et faire un rapport. Le CD, réuni le 22 mai pour discuter du
rapport, décide le vote d’un blâme à l’égard de Dunois, Labrousse6, Reynaud et
Tourette7. Cette sanction a été obtenue sous la pression de Treint, qui menace de
démissionner de son poste s’il n’est pas suivi par la majorité8. Cette décision entraîne
immédiatement une crise ouverte entre le CD et la rédaction. Les militants incriminés
dénoncent la partialité du rapport et le jugement expéditif, alors même qu’ils n’ont
pas été entendus par le CD. Ils ne comprennent pas que Dunois et Labrousse, qui
ne sont pas impliqués dans la perte de la note, soient également sanctionnés9. Dans
un premier temps, ils décident de refuser la sanction et demandent à être reçus par
la direction. Le 30 mai 1923, une partie du BP se réunit pour envisager un possible
compromis mais de nouveau la majorité se heurte à l’intransigeance absolue de
Treint :
« Dès l’ouverture de la séance, Treint ne nous laissait aucune illusion sur le
ton de cette entrevue. Il ne s’agissait point d’arranger l’affaire ; il y avait des
camarades coupables qui comparaissaient devant une fraction du bureau
politique. Je n’ai pas besoin de te dire la violence qu’a pu atteindre un tel
entretien. Alors que Treint, avec un entêtement et un orgueil qui ne me
surprennent pas, demandait que le parti soit saisi de ces incidents, nous
avons, Dunois, Labrousse, Tourette, Sellier, Marrane et moi demandé que
Charpentier10 tranche la question, nous inclinant à l’avance devant les
décisions de celui-ci, quelles qu’elles soient. Treint refusa obstinément,
"n’acceptant pas l’arbitrage de Charpentier, qu’autant que celui-ci
représenterait l’opinion de l’exécutif". Malgré les objurgations de Marrane, il ne
céda pas. »11

6
Ernest Labrousse (1895-1988) : Professeur, militant socialiste puis communiste.
7
Guy Tourette (1884-1924) : Typographe et correcteur, membre du CTI.
8
« Nous retenons que ce blâme n’a été obtenu par Treint que sous la menace formelle de
démissionner du Secrétariat général du parti », Ibid.
9
Reynaud suppose que « depuis sa sortie de la Santé, Treint semble vouloir se venger de l’attitude
de certains d’entre nous vis-à-vis de lui », Ibid.
10
Il s’agit du pseudonyme d’Humbert-Droz.
11
Lettre de Reynaud à Souvarine. Cette version des faits est corroborée par Humbert-Droz dans son
rapport au CE de l’IC du 14 juin 1923.
174
Devant l’obstination de Treint, le BP cède et maintient le blâme pour les quatre
militants, exacerbant un peu plus les tensions, principalement entre Dunois et
Treint12.
Revenant malgré tout devant le CD, l’affaire se conclut par la décision de
réorganiser l’Humanité et de tenter d’améliorer les relations entre la direction et la
rédaction. Treint présente un rapport dans ce sens et fait voter le principe d’une
réunion quotidienne de la rédaction à laquelle un membre de la direction doit
assister13. Cependant, la réunion, à laquelle participe le représentant de l’IC, se
déroule le plus fréquemment en l’absence du représentant de la direction14
renforçant ainsi la dualité entre la direction du parti et celle du journal. La volonté de
Treint d’imposer par la coercition une réforme pourtant souhaitée par tous aboutit au
contraire à éloigner un peu plus les deux organes, contribuant à maintenir le parti
dans un état chronique de désorganisation et favorisant la mésentente et
l’incompréhension entre les militants. Ainsi, lorsque Rosmer rentre de Moscou, il
trouve l’Humanité « dans une situation difficile », du fait des dysfonctionnements, de
la baisse du tirage et des difficultés budgétaires15. Il organise alors une réunion avec
Suzanne Girault, Doriot et Treint pour dresser un état des lieux et faire connaître ses
critiques et celles de Souvarine. Treint réagit sèchement, repoussant par avance
toute modification des méthodes de direction mises en place :
« Cette réunion ― sur les résultats de laquelle je m’étais bien illusionnée ―
n’a rien donné. Treint a pris très mal mes critiques. Il en était tout à fait surpris
et offusqué. […] Nous avions l’air de parler chacun un langage différent. Il était
d’ailleurs fatigué, ayant fourni un gros effort depuis sa libération, et se montrait
très acariâtre. Je lui fis remarquer qu’il était trop complètement dépourvu de
bonne humeur pour pouvoir faire bien son travail et lui conseillai de se reposer
une quinzaine. Mais il prit fort mal ma proposition. »16
Rosmer constate qu’au cours des deux derniers mois, Treint s’est
« solidement installé » à son poste de secrétaire, au détriment de Sellier pourtant
pourvu des mêmes prérogatives. Il déclare à Souvarine être prêt à « se mettre en
travers » pour rétablir une gestion collégiale. En effet, face à la virulence de Treint et

12
Dans son rapport du 23 juin 1923, Humbert-Droz écrit que « Treint et Dunois s’écrivent
journellement sur un ton de plus en plus aigre. » Archives Humbert-Droz, op. cit., p. 492.
13
Ibid.
14
Il s’agit de Tommasi.
15
Lettre de Rosmer à Souvarine, sans date (juillet 1923), IHS, fonds Souvarine.
16
Ibid.

175
à sa volonté d’imposer ses conceptions et ses solutions, Sellier, à l’instar des autres
membres du BP, préfère s’incliner et le laisser mener le parti à sa guise plutôt que de
s’opposer frontalement17. Convaincu que le double secrétariat est une erreur,
préjudiciable au bon fonctionnement du parti, il demande par ailleurs qu’un
secrétariat unique soit rétabli et que lui-même ne soit pas reconduit dans cette
fonction, considérant ne pas avoir une personnalité adéquate pour diriger18.
Humbert-Droz confirme que tous les membres du BP, sans exception, craignent par
dessus tout d’entrer en conflit et attendent que lui-même s’oppose à Treint pour le
soutenir19. Le représentant de l’IC appelle par ailleurs de ses vœux le retour de
Rosmer pour faire contrepoids.
Les témoignages de Reynaud, Rosmer, Sellier et Humbert-Droz concordent
quant à la manière dont Treint fait constamment peser sur le BP la menace d’une
démission et de constitution d’une fraction appuyée principalement sur la fédération
de la Seine. Reynaud souligne notamment que durant la crise entre la direction du
parti et l’Humanité, « la furie épistolaire de Treint [a] atteint son apogée »20. Sellier
déclare de son côté, qu’à chaque tentative de contestation, « ce sont une
quarantaine de lettres qui partent dans toutes les directions pour mobiliser les
partisans de Treint »21. Le représentant de l’IC confirme qu’un groupe de militants
très actifs soutient fermement chacune des initiatives du secrétariat. Il affirme avoir
vainement mis en garde Treint contre ses méthodes dictatoriales qui risquent de
désagréger le parti22.
La personnalité autoritaire de Treint et l’appui d’un groupe de fidèles ne
suffisent pas à expliquer, qu’au sein du BP, aucun militant ne s’élève contre
l’absence de collaboration et les erreurs du secrétariat. Rosmer et Souvarine, qui
résistent à Treint, sont absents ou surchargés de travail. Cachin, qui reste l’une des
personnalités les plus populaires du parti, se désintéresse alors de la gestion
quotidienne et des conflits internes pour se replier sur l’activité parlementaire et le
travail journalistique23. De plus, les membres du BP, précédemment partisans de la

17
Je veux bien lutter contre nos adversaires […] ; mais il m’est décidément impossible de me colleter,
à tout bout de champs, avec un camarade. » Lettre de Sellier à Souvarine, 24 juillet 1923, RGASPI,
517/1/117.
18
Ibid.
19
Rapport d’Humbert-Droz du 23 juin 1923, Ibid.
20
Lettre de Reynaud à Souvarine, Ibid.
21
Rapport d’Humbert-Droz du 23 juin 1923, Ibid.
22
« D’autre part, malgré l’avertissement tout amical et privé que je lui ai adressé au sujet de ses
méthodes autoritaires et brutales, il continue à mener le parti comme un régiment. », Rapport
d’Humbert-Droz du 23 juin 1923, Ibid.
23
Carnets Cachin, op. cit., p. 64.
176
fraction centriste mise à l’écart depuis la fin de l’année 1922, craignent de donner
l’impression de s’opposer, à travers Treint, à l’Exécutif de l’IC, et ce malgré le soutien
que leur apporte Humbert-Droz.
A ces conflits entre membres de la direction, s’ajoutent des divergences
d’ordre politique, qui tournent à l’affrontement personnel. Treint a préparé une thèse
sur le problème de la Ruhr, dont il a présenté les grandes lignes lors d’une
assemblée de la fédération de la Seine, le 31 mai 192324, avant de la lire au BP25. Il
publie ensuite un premier article sur la question des réparations, dans le but
d’engager le débat et de lancer une réflexion sur « le programme communiste des
réparations »26. Il soutient que les revendications concernant les réparations doivent
être liées aux revendications immédiates du prolétariat et non pas liées à la question
de la mise en place d’un régime révolutionnaire. Autrement dit, il s’agit de définir un
ensemble de mots d’ordre que le mouvement ouvrier puisse immédiatement
s’approprier, dans la situation politique du moment, et ainsi développer la lutte contre
l’accaparement des fonds destinés aux réparations par « les classes possédantes et
profiteuses de la guerre ».
Dès la semaine suivante, Marcel Ollivier27 publie à son tour un article de
contribution au débat proposant un ensemble de revendications immédiates, devant
être comprises comme « un moyen de mettre les masses en mouvement »28. Il
préconise la création d’impôts frappant les bénéfices de guerre, le capital et les
successions ainsi que la suppression des impôts indirects et des impôts sur les
salaires « qui pèsent surtout sur la classe ouvrière ». Il ajoute que ces revendications
impliquent le rejet du devoir de réparation inclu dans le traité de Versailles pour lui
substituer celui du principe de responsabilité internationale de la bourgeoisie29. Il
précise enfin que ce programme, irréalisable dans le cadre du régime capitaliste,
implique le développement de la lutte du prolétariat et la « réalisation de l’unité de
front du prolétariat ».

24
Voir Ollivier M, « Le problème des réparations », Bulletin Communiste, n° 26, 28 juin 1923, p. 841.
25
Dans son rapport du 14 juin 1923, Humbert-Droz précise : « [Treint] a lu à la dernière séance du
Bureau politique une thèse sur le problème de la Ruhr et des réparations, si incomplète et si simpliste
qu’elle ne faisait pas mention de la dette allemande à l’égard de la France ».
26
Treint A, « Le problème des réparations », Bulletin Communiste, n° 25, 21 juin 1923, p. 313-314.
27
Marcel Ollivier (1898- . ) : Correcteur, membre des jeunesses communistes et collaborateur de l’IC.
28
Ollivier M, « Le problème des réparations », art. cit.
29
« […], c’est au prolétariat de chaque pays à imposer à sa bourgeoisie respective le principe que,
seule, la bourgeoisie responsable de la guerre est tenue d’en payer les frais et d’en réparer les
dommages », Ibid.
177
Deux semaines après, Treint présente à son tour une série de revendications
immédiates30. A l’instar d‘Ollivier, il montre que « c’est dans le cadre d’une vaste
solution internationale que doit se mouvoir toute solution nationale » et appelle tous
les partis communistes intéressés à la question à définir leur attitude. Il propose
comme principal mot d’ordre d’action « la saisie des valeurs réelles appartenant aux
grands capitalistes »31. Dans un premier temps, selon lui, il faudra préciser qu’il s’agit
de la saisie des valeurs réelles par l’Etat bourgeois mais que cette revendication doit
permettre par la suite de populariser le mot d’ordre du « contrôle ouvrier et paysan
de la production ». De cette nouvelle revendication découlera celle du gouvernement
ouvrier et paysan puis la dictature de l’Etat prolétarien. Treint conclut que ce
« programme communiste » peut suffire à « mettre les masses en mouvement » et
déclencher une vague révolutionnaire en France.
Dans sa réponse, Ollivier déplore le schématisme des propositions de Treint :
« Tout cela est excellent sur le papier. Le malheur, c’est que ces propositions
sont complètement utopiques. Il semble que Treint comprenne d’une façon
abstraite et mécanique le mouvement concret, dialectique de l’histoire. »32
Il relève que le mot d’ordre de la saisie des valeurs réelles, emprunté au KPD, ne
correspond absolument pas à la situation du pays et ne peut être compris par les
masses françaises33. Offusqué, Treint s’empresse de répliquer34 sur un ton qui ne
peut qu’envenimer la polémique. Son « programme des réparations » est réaliste et
susceptible de « mettre les masses en mouvement, tandis qu’Ollivier se contente de
proposer au prolétariat d’attendre passivement35. Il estime que les mots d’ordre
empruntés au KPD trouvent leur pertinence dans le contexte français, où ils
répondent à des nécessités différentes. En Allemagne, il s’agit d’un mot d’ordre
« coordinateur et régulateur », tandis qu’en France, la saisie des valeurs réelles et le
gouvernement ouvrier et paysan sont des mots d’ordre destinés à jouer « le rôle

30
Treint A, « Le problème des réparations », Bulletin Communiste, n° 28, 12 juillet 1923, p. 361-362.
31
Il s’agit d’un mot d’ordre lancé par le congrès des Conseils d’entreprise allemand et repris par le
KPD, sous forme de projet de loi. Le mot d’ordre consiste à ordonner la saisie par le gouvernement
allemand de 51% des valeurs réelles pour que les classes possédantes participent aux réparations.
Voir le Bulletin Communiste, n° 31, 2 août 1923, p. 1-2.
32
Ollivier M, « Objections au camarade Treint », Bulletin Communiste, n° 31, 2 août 1923, p. 440.
33
« C’est pourquoi je crois utile de réagir vigoureusement contre les propositions de Treint. Elles
révèlent une recrudescence dangereuse de cette vieille maladie "gauchiste" qui est la maladie
spéciale des doctrinaires et qui a déjà fait tant de mal à la classe ouvrière. », Ibid.
34
Treint A, « Que propose Ollivier ? », Bulletin Communiste, n° 33, 16 octobre 1923, p. 493-494.
35
« Ce que nous propose Ollivier, c’est attendre passivement que le rapport des forces en présence
change à l’avantage du prolétariat, […] Sans qu’il s’en rende bien compte, la thèse d’Ollivier est une
thèse de passivité et d’opportunisme. », Ibid.
178
d’entraîneur ». Il conclut en retournant contre Ollivier l’accusation de déviation
gauchiste36.
Avec le numéro 34 du Bulletin Communiste, la polémique prend un nouveau
tournant. La revue contient un article de Souvarine critiquant la ligne politique du
parti inspirée par Treint37, ainsi qu’une nouvelle riposte d’Ollivier, dépassant le cadre
de la discussion d’origine et s’en prenant aux méthodes de la direction et aux erreurs
politiques propagées par le secrétariat du PCF, autrement dit par Treint38. Il déclare
que ces mots d’ordre ne peuvent être compris et « n’auraient d’autre résultat que
d’agiter une couche toute à fait superficielle du prolétariat ». Il précise sa pensée
concernant la dérive gauchiste de la direction :
« Ce que je propose, c’est d’engager la lutte contre le dogmatisme et le
mécanisme de la pensée, qui dominent actuellement dans les sphères
dirigeantes du Parti et qui règnent déjà en maîtres à la Fédération de la Seine.
[…] Le Parti s’est déjà débarrassé du réformisme et de l’opportunisme.
L’heure est venue pour lui de se débarrasser du sectarisme et du
doctrinarisme, qui menacent de le paralyser complètement s’il n’y met pas bon
ordre. »
Treint prolonge la polémique39 en répliquant sur le ton de l’ironie et en
affichant son assurance face à ses contradicteurs :
« Ollivier a bien tort de croire qu’il m’a mis en colère ; il m’amuse
prodigieusement ».
La lettre qu’il envoie à Sellier40 témoigne au contraire de sa profonde exaspération et
de sa volonté de se placer exclusivement sur le terrain de la lutte politique et non
plus de « la polémique entre camarades ». Fidèle à sa méthode, il demande à être
relevé de ses fonctions si le parti ne prend pas « immédiatement [souligné par
l’auteur] les mesures nécessaires pour que le Bulletin Communiste n’ait plus comme
caractéristique d’être une arme dirigée contre l’un des secrétaires du Parti ». Il
sollicite une autorisation pour se rendre à Moscou auprès du CE de l’IC pour pouvoir
se défendre contre ce qu’il considère être une campagne dirigée contre lui.

36
« Ollivier ne devrait pas oublier, quand il m’accuse de gauchisme, que c’est la passivité
révolutionnaire dont il fait preuve qui finit toujours par engendrer soit l’opportunisme, soit le centrisme,
soit le gauchisme », Ibid.
37
Souvarine B, « Quelques problèmes internationaux », Bulletin Communiste, n° 34, 23 août 1923, p.
504-507. Nous y reviendrons.
38
Ollivier M, « Réponse au camarade Treint », Bulletin Communiste, n° 34, 23 août 1923, p. 509-510.
39
Treint A, « Ollivier et son monstre », Bulletin Communiste, n° 35, 30 août 1923, p. 526.
40
Lettre de Treint à Sellier, Les Sables d’Olonne, 27 août 1923, RGASPI, 517/1/133.
179
Un nouvel article de Souvarine41 renforce la conviction de Treint que ce
dernier tente, depuis Moscou, de le déstabiliser en s’appuyant sur le
mécontentement dans le parti. En quelques mois, l’atmosphère se dégrade en effet,
du fait des multiples conflits entre militants, voire entre les organes du parti. Des voix
de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer l’autoritarisme et la brutalité
des méthodes de Treint, comme en témoigne Humbert-Droz :
« Des secrétaires de fédérations se plaignent du ton des lettres de Treint.
"Sellier, disent-ils, nous traitait en camarades, en collaborateurs, Treint nous
traite comme des subordonnés qui n’ont qu’à recevoir et exécuter des
ordres". »42
De son côté, Treint reste persuadé d’avoir l’appui de l’IC et de mettre en oeuvre les
décisions du dernier congrès mondial. Il s’agit, dans son esprit, de transformer
totalement le parti communiste, de lui donner une unité idéologique et d’en faire, à
l’instar du parti russe, un instrument révolutionnaire qui puisse sur injonction de ses
dirigeants engager la lutte révolutionnaire.

2) Première tentative de réorganisation du parti.

Depuis 1922, sous la pression de l’IC et de la gauche, le PCF s’engage dans


la voie de la réforme de son organisation et en particulier de ses organes de
direction, sans avoir pour autant modifié radicalement les structures héritées de la
SFIO. Pour l’ancienne tendance de gauche, désormais majoritaire, le PCF doit être
capable de recruter de nouveaux militants, issus de la classe ouvrière, et de
sélectionner les cadres aptes à diriger un futur mouvement révolutionnaire. Il doit
aussi, par sa capacité de propagande et d’action, être en mesure d’influencer les
autres organisations du prolétariat, en particulier les syndicats.
Treint milite avec acharnement en faveur de cette réorganisation et de la
création d’une direction restreinte, centralisée et disciplinée. En tant que co-
secrétaire, il s’attelle à cette tâche pour lui prioritaire, dès sa sortie de prison. Selon
lui, le PCF vient de traverser une première étape qui consistait à forger son unité
idéologique et à se débarrasser de « la pénétration subtile de la pensée bourgeoise

41
Dans son article « Les Etats-Unis d’Europe », Bulletin Communiste, n° 36, 6 septembre 1923,
Souvarine intervient à son tour dans le débat sur le programme des réparations et écrit que la tactique
de Treint est « erronée, inopportune, anachronique, ne [tient] pas compte des conditions concrètes de
l’Europe d’après-guerre […] ».
42
Rapport du 23 juin 1923, De Lénine….op. cit., p. 156.
180
réformiste »43. L’objectif est de faire, d’une organisation tournée vers la propagande
et l’action parlementaire, un parti d’action révolutionnaire qui soit « l’instrument de la
lutte quotidienne du prolétariat ». Il constate que le travail de la direction se
complique en raison des trop nombreuses tâches bureaucratiques, que les
fédérations manquent d’activité et d’initiative et s’en remettent trop souvent aux
décisions de la direction, faisant peser le risque de développement d’un
« centralisme bureaucratique ». Pour conjurer cette menace, il souhaite appliquer les
principes du centralisme démocratique, qui impliquent de modifier l’organisation en
créant plusieurs régions :
« C’est en réalisant progressivement l’organisation du parti en grandes
régions, que nous échapperons au centralisme bureaucratique et que nous
réaliserons dans le travail commun la liaison intime, vivante, entre le centre et
la masse de nos adhérents. »44
Treint fait parvenir une première circulaire45 demandant aux secrétaires de
fédération de faire remonter tous les mois un compte rendu de l’activité46 de la
fédération, et annonçant la création de « délégués permanents » chargés de veiller à
l’exécution des décisions de la direction. Peu après, il présente, devant le CD du
PCF, un rapport sur la réorganisation du parti47. Il y décrit les principaux « vices de
l’organisation actuelle », à savoir l’absence d’appareil de contrôle et les relations
directes entre la direction et de trop nombreuses fédérations. Il propose trois
remèdes à cette situation, la constitution de régions, la création de délégués du parti
et l’amélioration de la liaison entre organes grâce à la convocation d’une
« conférence des organes centraux ». L’organisation en régions vise à créer une
direction régionale pourvue d’un service de propagande et d’un organe de presse
régional. Apparaît ainsi un échelon intermédiaire entre la direction et la fédération,
censé simplifier, dans l’esprit de Treint, les relations avec la base. Les délégués du
parti, qui constituent le nouvel appareil de contrôle, notamment au niveau des
nouvelles régions, sont pourvus de nombreux pouvoirs. D’après le rapport, ils
deviennent les seuls militants habilités à faire le lien entre les régions, les fédérations
et la direction et s’occupent de propagande, formation, organisation, contrôle

43
Treint A, « Forgeons notre parti de classe », art. cit.
44
Ibid.
45
Circulaire du secrétariat n° 12, 21 mai 1923, RGASPI, 517/1/133.
46
« Attitude des partis bourgeois, des partis ouvriers, disparition et création de sections, effectifs de la
fédération, action générale du parti, action syndicale. », Ibid.
47
Treint A, « La réorganisation du Parti », Bulletin Communiste, n° 28, 12 juillet 1923, p. 363-364.

181
politique. Après leur désignation et la convocation d’une première conférence des
délégués permanents, Treint annonce qu’à compter du 1er août 1923, la relation
entre les fédérations et la direction se fait exclusivement par le biais des délégués
régionaux48. Avec le volontarisme qui le caractérise, il pense avoir réussi, en deux
mois, à mettre en place une réforme pérenne de l’organisation.
Pourtant, la majorité de la direction, de même que le représentant de l’IC,
critiquent vertement les propositions de Treint. Quant aux fédérations, elles ne
comprennent pas ces réformes ― et plus particulièrement la présence de délégués
régionaux investis de nombreux pouvoirs sans avoir été choisis par la base ― qui
ont été imposées sans discussion. Les critiques sont de deux ordres. Tout d’abord
concernant les propositions de réorganisation en elles-mêmes, plusieurs militants
font remarquer que la création d’un nouvel échelon complique les relations entre la
base et la direction et accroît le risque de développement de la bureaucratie49. Les
critiques majeures portent sur les délégués permanents. Ils risquent d’empiéter sur
les prérogatives des secrétaires fédéraux et produire un effet inverse à celui
recherché, puisque ces militants choisis par le centre renforcent la dépendance des
fédérations à l’égard de la direction. Humbert-Droz déplore « les gros défauts » de
« l’organisation et de la vie intérieure »50, le manque d’activité du BP qui « ne se
réunit que deux fois par semaine et n’aborde guère, comme par le passé, que de
petites questions d’organisation ou des questions politiques secondaires ». Il
reconnaît que la division en région et la création de délégués régionaux peut
« donner d’excellents résultats »51. Mais il estime que ces délégués, pourvus de
pouvoirs très étendus, deviennent « de véritables préfets du Bureau politique » et
que, au lieu de contribuer au développement des fédérations, ces derniers
accroissent au contraire la dépendance des fédérations à l’égard de la direction52.
Les principaux reproches concernant la réorganisation du parti portent plus
sur la manière dont le secrétariat ― c’est-à-dire Treint ― impose ses décisions, que
sur le fond en lui-même. Dans sa lettre à Souvarine53, Rosmer écrit que « Treint

48
Circulaire du secrétariat, non datée (fin juillet), RGASPI, 517/1/133.
49
Vazeilles M, « Sur la réorganisation du parti », Bulletin Communiste, n° 36, 6 septembre 1923, p.
548-549.
50
Rapport du 14 juin 1923, Archives Humbert-Droz, op. cit., p. 488.
51
Rapport d’Humbert-Droz, 20 septembre 1922, Archives… op. cit., p. 43.
52
Humbert-Droz cite par ailleurs plusieurs exemples de questions politiques secondaires qui auraient
dû être réglé au niveau local mais qui sont finalement remontées jusqu’au BP, Ibid.
53
Lettre sans date (juillet 1923), IHS, fonds Souvarine.
182
pense pouvoir mener de [sa position de secrétaire] le parti à coups de circulaires »54.
Sur cette question, le représentant de l’IC ― dans ses rapports à Zinoviev ― se fait
le porte-parole des protestataires de plus en plus nombreux qui s’élèvent contre
l’autoritarisme de Treint et sa volonté de diriger seul, sans prendre en compte les
avis divergents et surtout sans respecter les statuts du parti qui donnent le pouvoir
de décision politique au CD. Celui-ci a voté le rapport sur la réorganisation, mais
assorti de nombreuses réserves et restrictions :
« De vives critiques avaient été formulées contre cette nouvelle organisation
et les pouvoirs préfectoraux des délégués. Le Comité directeur avait décidé de
ne pas organiser tout le parti sur ce mode, mais d’essayer d’abord dans deux
ou trois régions. »55
Treint, ne tenant absolument pas compte de ces critiques, décide d’appliquer
intégralement son texte, de créer les nouvelles régions sur la totalité du pays et
refuse de modifier les attributions des délégués permanents. Pour Humbert-Droz, il
s’agit d’une tentative de dictature personnelle56.
A l’approche du conseil national du PCF (14-15 octobre 1923), Humbert-Droz
pense que Treint a commis trop d’erreurs, s’est attiré de nombreuses inimitiés et
devrait être critiqué au cours des débats, principalement sur la question de la
réorganisation. La première séance du conseil national, consacrée aux rapports des
fédérations, se déroule pourtant sans attaque majeure contre les méthodes de la
direction ou contre le principe de la réorganisation, mais la plupart des secrétaires
soulignent la chute des effectifs. Marrane, secrétaire de la fédération de la Seine,
présente un rapport57 mettant en avant les progrès réalisés sur le plan de
l’organisation, grâce à une centralisation accrue et au développement de l’appareil
administratif et souligne l’esprit de discipline qui règne désormais dans les rangs de
la fédération58. Lors de la deuxième séance, Treint intervient à son tour pour décrire

54
En effet, à partir de mai 1922, le secrétariat multiplie les circulaires aux fédérations, portant
fréquemment sur des questions secondaires telles que le recrutement des soldats libérés (circulaire n°
10), le problème de l’appartenance de patrons au parti (circulaire n° 18), les cartes de sympathisant
(circulaire n° 23), RGASPI, 517/1/133.
55
Rapport d’Humbert-Droz, 20 septembre 1923, Ibid.
56
« Je vous ai signalé que le Comité directeur joue un rôle tout à fait secondaire et que le rôle capital
est celui du Bureau politique ; mais de plus en plus, le Bureau politique lui-même se résume dans le
camarade Treint qui fait en définitive ce qu’il veut des décisions prises. […] Il veut conduire le parti à
sa guise et sa politique personnelle et autoritaire prépare de nouvelles crises et la nuit au parti. »,
Ibid., p. 44.
57
Rapport de Marrane, RGASPI, 517/1/120.
58
« A l’heure actuelle, la presque totalité des membres de la fédération sont à la disposition du centre
fédéral et répondent très exactement aux mots d’ordre qui leurs ont donnés. », Ibid.

183
les grandes lignes de la réorganisation et indiquer les premiers résultats, notamment
concernant « la liaison plus étroite entre les différents organismes centraux »59. Suit
un débat sur le rôle des délégués permanents et la concentration des pouvoirs entre
leurs mains. Guy Jerram60 ainsi et Rieu considèrent que les hommes qui ont la
direction politique d’une région, ne doivent pas avoir la direction administrative, sous
peine d’être débordés61. Rieu propose la création d’une commission chargée de
contrôler l’activité des délégués, suggestion repoussée par les délégués du conseil
national sur proposition de Treint. Au terme des deux journées de débat62, Treint
peut crier victoire :
« Placé devant l’organisation régionale du Parti, le Conseil national l’a dans
l’ensemble approuvé. De nombreuses critiques de détail ont été apportées.
[…] En se basant sur l’expérience des autres partis, elle a voulu créer, et elle y
a réussi, une organisation qui réponde aux nécessités de la lutte à mener ;
une organisation qui doit être fortifiée et perfectionnée par l’expérience de tout
le Parti. »63
En dépit de quelques critiques d’ordre secondaire, la réorganisation du parti, telle
qu’il l’a conçue et imposée au CD du PCF, a été avalisée par les délégués des
fédérations et aucune voix ne s’est élevée pour dénoncer l’excès de centralisation et
les méthodes arbitraires du secrétariat.
Le mécontentement envers certains aspects de cette réorganisation n’a pas
pour autant disparu. A son retour en France, Souvarine accuse les autres membres
de la direction d’hypocrisie à l’égard de Treint64, et engage l’offensive contre les
erreurs commises dans l’organisation, notamment dans la fédération de la Seine65.
Ses principales critiques portent sur le manque d’activité du CD, « le déplacement de
l’autorité directoriale »66 vers le BP et le secrétariat mais aussi le centralisme
exagéré67 et le rôle des délégués régionaux, point sur lequel il conteste les
conceptions de Treint :

59 ème
Intervention de Treint à la 2 séance du 14 octobre 1923, RGASPI, 517/1/120.
60
Guy Jerram (1896-1951) : Correcteur, typographe, militant communiste et membre de l’ARAC.
61
Intervention de Guy Jerram et de Rieu, Ibid.
62
Nous reviendrons sur les autres sujets traités au cours du conseil national.
63
Treint A, « Le Conseil National des 14-15 octobre », Bulletin Communiste, n° 43, 25 octobre 1923,
p. 774-776.
64
Rapport d’Humbert-Droz du 23 novembre 1923, op. cit., p. 157.
65
Nous reviendrons sur l’affrontement entre Treint et Souvarine ultérieurement.
66
Souvarine B, « En vue du Congrès », Bulletin Communiste, n° 2, 11 janvier 1924, p. 41-44.
67
« De plus, on doit reconnaître qu’il y a eu de la part des dirigeants (pas de tous, heureusement),
une tendance à favoriser cet état de choses regrettable, en s’abstenant de stimuler la vie intérieure
des sections et en croyant avoir réglé une question par l’envoi d’une circulaire. », Ibid.
184
« Treint voit dans leur création l’avantage de soulager le Secrétariat d’une
énorme partie du courrier, et par la suite un remède contre la paperasserie.
Nous lui ferons observer que la paperasserie répartie entre douze camarades
reste la même paperasserie, tant par le volume que par le contenu. […] Il faut
donc que l’institution des délégués régionaux comporte d’autres avantages
que celui mis en avant par Treint. »68
Le jugement d’Humbert-Droz sur les premiers résultats de la réorganisation est
encore plus sévère : la réorganisation en régions reste en partie artificielle et « la vie
s’en va du parti ». Il souligne que, malgré la création d’un bureau d’organisation et la
répartition des tâches69 entre les deux secrétaires, Treint refuse de collaborer et
continue de s’occuper des questions politiques et des questions administratives70.
Conscient que le représentant de l’IC et de nombreux dirigeants souhaitent
l’écarter du secrétariat, Treint réplique en faisant parvenir au CE de l’IC71 son propre
rapport ― accompagné d’un rapport de Guy Jerram, délégué du parti pour la région
du Nord ― pour y défendre son bilan personnel, mais aussi justifier les causes des
dysfonctionnements du parti et de son manque d’activité politique. Il reconnaît que la
direction mérite des critiques et que le BP fonctionne mal, mais il l’explique par le
manque de discipline et d’assiduité de certains membres « qui passent d’avantage
leur temps à critiquer qu’à travailler ». Il signale la difficulté de réunir le BP à l’heure,
écourtant la durée des séances. En conséquence, Il rejette l’accusation de mener
une politique personnelle puisque s’il a dû « prendre parfois certaines dispositions
personnelles », cela provient uniquement de l’absence de volonté de travailler
d’autres militants. Enfin, il critique le manque d’objectivité des deux représentants de
l’IC72 qui informent Moscou « de manière unilatérale »73. Treint reste convaincu
d’avoir mené, dans des conditions difficiles, la politique voulue par l’IC, d’avoir réalisé
une réorganisation indispensable du PCF et d’être victime d’une campagne déloyale
de la part de militants intéressés par son poste.

68
Ibid.
69
Après le retour de Treint de Moscou, le BP décide la création de deux secrétariats, Treint étant
désormais en charge des questions politiques et Sellier de l’organisation. Rapport d’Humbert-Droz du
15 octobre 1923, RGASPI, 517/1/110.
70
« La création d’un bureau d’organisation n’a pas sensiblement amélioré la situation parce que Treint
veut tout avoir en main. C’est un terrible désorganisateur. Sellier a des relations avec les fédérations,
mais Treint dirige les délégués régionaux qui, eux, dirigent les fédérations. Comme Sellier ignore ce
que fait Treint, on peut s’attendre sous peu à des conflits certains. », Rapport d’Humbert-Droz du 23
novembre 1923, op. cit., p. 157.
71
Rapport de Treint au CE de l’IC, 14 décembre 1923,
72
Il s’agit d’Humbert-Droz et de Rakovsky.
73
Ibid.
185
Cette première réorganisation, marquée par une centralisation accrue et un
développement, encore timide, d’une bureaucratie au sein du PCF, doit-elle être
comprise comme une première étape de la bolchevisation organisationnelle du
parti ? Dans le Bulletin Communiste74, Gabriel Péri75 défend la réorganisation et la
nécessité de constituer « un appareil centralisé de libération prolétarienne » tout en
jugeant qu’elle ne va pas assez loin. Il considère que le remaniement des structures
doit avoir pour objectif de « prolétariser le Parti », ce qui nécessite dans un avenir
proche la création de cellules d’usine, appelées à devenir « la base organique du vrai
parti communiste ». Selon lui, l’intérêt principal de la réorganisation effectuée est
justement « d’ouvrir la perspective de réformes nouvelles »76. La réforme, imposée
par Treint, correspond à une volonté générale de donner au PCF un visage
communiste. Aucun des militants restés dans le parti, après le départ de Frossard,
ne conteste le principe de la réorganisation voulue par l’IC. Les résistances
découlent plutôt de la méthode autoritaire avec laquelle Treint a mis en place ces
changements, que des changements en eux-mêmes. En ce sens, nous pouvons
considérer que cette réorganisation ouvre la voie à la bolchevisation du parti77.
Cependant, la constitution de quelques régions chapeautant les fédérations et la
création de délégués régionaux répond plus à la nécessité de palier aux difficultés de
liaison entre le centre et les fédérations et à la surcharge de travail de la direction.
Autrement dit, la réorganisation répond plus à des carences provenant du passé,
qu’à une logique de bolchevisation, telle qu’elle sera pratiquée ultérieurement.
Finalement, s’il est indéniable que Treint souhaite transformer le PCF pour en faire
un parti ouvrier, révolutionnaire, discipliné et centralisé, les réformes proposées
restent bien en deçà de l’objectif affiché.

3) La fédération de la Seine gérée par le tandem Treint-Suzanne Girault.

Après le congrès fédéral d’août 1922, la nouvelle direction de la fédération,


constituée de militants du centre et de la gauche78, entreprend une réorganisation
sur les bases du centralisme démocratique, en rupture avec le fédéralisme de

74
Péri G, « Structures communistes », Bulletin Communiste, n° 39, 27 septembre 1923, p. 599-600.
75
Gabriel Péri (1902-1941) : En 1923, Péri est dirigeant des jeunesses communistes et l’un des
principaux acteurs de la campagne du PCF contre l’occupation de la Ruhr.
76
Ibid.
77
Voir notamment JEDERMAN, La bolchevisation du PCF 1923-1928, Paris, Maspéro, 1971, 117 p.
L’auteur fait remonter le début de la bolchevisation du PCF au départ de Frossard.
78
Cf. supra.
186
l’ancienne direction. Elle implique une épuration intérieure constante des éléments
hostiles aux réformes prônées par l’IC. Suzanne Girault, encore inconnue dans le
mouvement ouvrier parisien mais soutenue par l’IC, est élue secrétaire adjointe le 10
septembre 1922 et s’implique dès lors totalement dans la mise au pas de la
fédération de la Seine. Dévouée et fidèle à l’IC, elle devient au cours de l’année 1923
le personnage central de la fédération, après l’emprisonnement de Marrane79 durant
les premiers mois de l’année 192380.
La nouvelle direction, composée majoritairement de membres de la tendance
de gauche, se distingue immédiatement par ses méthodes expéditives à l’égard des
opposants81 et des minorités politiques. Dans une déclaration, Delplanque, membre
de « l’extrême-gauche » ― majoritaire dans la fédération un an auparavant ―
dénonce, avec Lavergne et Heine, la volonté de la nouvelle majorité « d’étouffer » la
minorité, notamment en empêchant ses représentants de s’exprimer lors du conseil
fédéral82. Après le départ de Frossard, suivi par de nombreux militants de la Seine, et
les exclusions prononcées contre l’extrême gauche au conseil national de janvier
1923, la fédération a perdu, selon une estimation d’Humbert-Droz83, près de la moitié
de ses effectifs et ne compte plus que 4000 membres.
Débarrassée de toute opposition interne, la direction se lance dans la
réorganisation complète de la fédération autour de ces effectifs réduits. L’unité
idéologique étant acquise, elle s’engage dans un travail de recensement et de
classement de ses membres dans le but de créer des groupes d’usine, des fractions
communistes dans les syndicats, de préparer à l’action illégale et de former des
cadres84. Ce travail d’organisation interne s’accompagne d’une centralisation accrue,
la direction décidant des priorités et imposant ses choix aux sections, sans que
celles-ci puissent les discuter. Selon Souvarine, « la direction a semblé imposer le
silence »85 et les militants qui émettent des réserves sont menacés de sanction.
Cette attitude autoritaire, que certains qualifient de « centralisme militaire », est
principalement le fait de Suzanne Girault qui dirige la fédération d’une main de fer,
comme en témoigne cet incident, rapporté par Humbert-Droz86. Monatte, désireux

79
Il est secrétaire fédéral depuis septembre 1922.
80
Voir BOICHU P, Suzanne Girault, itinéraire d’une bolchevik française, op. cit., p. 46-47.
81
Dès le mois de septembre 1922, le CE de la fédération de la Seine décide l’exclusion de Verfeuil,
contre l’avis du CD. Cf. supra.
82
Déclaration de Delplanque, non datée (janvier 1923), RGASPI, 517/1/119.
83
Rapport du 13 mars 1923, RGASPI, 517/1/110.
84
Voir rapport de Souvarine sur la fédération de la Seine, 23 novembre 1923, IHS, fonds Souvarine.
85
Ibid.
86
Rapport d’Humbert-Droz du 12 février 1923, RGASPI, 517/1/110.
187
d’adhérer au PCF, participe à une réunion des membres de la gauche, fin 1922, au
cours de laquelle est soulevé le problème de l’attitude autoritaire de Suzanne Girault
à la direction de la fédération de la Seine. L’affaire découle de la décision de la
commission des conflits de la Seine ― contrôlée par la gauche ― de retirer à Ilbert
ses fonctions officielles dans le parti. Ce militant est accusé « d’avoir détourné des
sommes destinées à la solidarité ouvrière » quelques années auparavant.
Cependant, Ilbert est soutenu par Suzanne Girault87 qui, apprenant la décision de la
commission, décide de la déchirer et d’en faire voter une autre favorable au maintien
d’Ilbert. A la réunion de la tendance de gauche, Treint intervient pour défendre à son
tour Ilbert en prétextant que s’attacher à un vol « était une morale bourgeoise ».
Humbert-Droz précise que cet incident et le comportement de Suzanne Girault et de
Treint ont incité Monatte à réfléchir avant d’adhérer.
Le représentant de l’IC multiplie, dans ses rapports, les mises en garde contre
les erreurs de la direction de la fédération de la Seine et contre la brutalité de
certaines méthodes. Il estime que la chute conséquente des effectifs s’explique en
partie par « les méthodes très autoritaires et souvent trop centralisées »88. La
direction, repliée sur elle-même et occupée par les questions d’organisation, se
désintéresse des aspects politiques et n’engage aucune action pour recruter de
nouveaux membres et redonner vie aux sections de plus en plus atones et
dépendantes des décisions du bureau fédéral. Il s’agit, selon lui, d‘une déviation
grave et d’une incompréhension des tâches de redressement de la fédération telles
qu’elles ont été fixées par l’IC89. Souvarine confirme que la direction de la fédération
se confine trop souvent dans des tâches d’organisation, emploie des « méthodes
bureaucratiques »90 et ne profite pas des circonstances politiques favorables du
début de l’année 1923 pour organiser une véritable campagne de recrutement. En
dépit de ses tentatives pour attirer l’attention du BP sur les erreurs commises dans la
Seine, celui-ci laisse la direction fédérale faire à sa guise.
Suzanne Girault bénéficie de l’appui sans faille de Treint, ce qui explique en
partie l’absence de réaction du BP. Lorsque Humbert-Droz s’élève contre l’absence
de recrutement, Treint défend cette « tactique de la porte fermée », expliquant que la
fédération doit avant tout organiser et encadrer ses effectifs avant d’envisager de

87
Humbert-Droz précise qu’Ilbert faisait parti « du petit clan Treint-Suzanne Girault et était devenu un
homme de confiance de la gauche et un des militants en vue de la fédération de la Seine. », Ibid.
88
Rapport du 13 mars 1923, RGASPI, 517/1/110.
89
Rapport du 3 et du 21 avril 1923, RGASPI, 517/1/110.
90
Rapport de Souvarine sur la fédération de la Seine, op. cit.
188
nouvelles adhésions91. La réorganisation de la fédération de la Seine constitue le
modèle qu’il souhaite voir appliquer à l’ensemble du parti. Il dresse un tableau
idyllique des résultats du travail accompli sous la direction de Suzanne Girault :
« Travail syndical, "coopératif", défense des intérêts ouvriers, propagande,
démonstrations publiques, tout cela s’est traduit dans la Seine par une
organisation solide, cohérente disciplinée, qui a permis aux seuls
communistes de reconquérir la rue lors de la manifestation du Luxembourg.
[…] Activement, sans déviation, la fédération de la Seine a travaillé. Elle est
devenue un organisme robuste et maintenant capable d’assimiler pour un
travail vraiment communiste, un nombre accru de prolétaires. Je suis certain
qu’une période fructueuse de recrutement va s’ouvrir pour la fédération de la
Seine et que parallèlement son influence ne cessera de grandir sur les
masses travailleuses de Paris et de la banlieue. »92
Conscient que d’autres dirigeants français ne partagent pas son optimisme et
que le représentant de l’IC informe Moscou sur la faiblesse de la fédération et les
fautes commises par sa direction, Treint envoie un rapport du secrétariat93, destiné à
être lu lors de l’Exécutif Elargi de juin 1923. Prenant le contre-pied d’Humbert-Droz, il
affirme que le CD soutient la direction de la fédération de la Seine, que l’on constate
de bons résultats au niveau syndical et au niveau de la constitution « de noyaux
communistes d’usines » et enfin que les effectifs se redressent pour atteindre 6000
adhérents. Malgré ce rapport et la présence d’un dirigeant de la fédération à
Moscou94, qui tente de justifier l’absence de recrutement, l’Exécutif décide d’envoyer
au CD du PCF une lettre, datée du 23 juillet 1923, pour rappeler que le travail
d’organisation intérieure ne peut être séparé du travail de recrutement et que la
direction du parti doit inviter la direction de la Seine à modifier certaines de ses
méthodes95. Alors que la lettre était adressée au CD, le CE de l’IC reçoit en réponse
une lettre personnelle de Treint96 dans laquelle il défend les conceptions du comité
fédéral. Il énumère les progrès réalisés sur le plan de l’organisation, sur le plan
syndical. Il reconnaît que les effectifs ne sont « pas en rapport avec le nombre de
lecteurs de l’Humanité », mais justifie ce fait par l’histoire récente de la fédération et

91
Rapport d’Humbert-Droz du 23 juin 1923, RGASPI, 517/1/110.
92
Treint A, « Forgeons notre parti de classe », art. cit.
93
Rapport du secrétariat au CE élargi de juin 1923, RGASPI, 517/1/125.
94
Il s’agit de Salles. Voir le rapport de Souvarine sur la fédération de la Seine.
95
Ibid.
96 er
Lettre de Treint au CE de l’IC, 1 août 1923, 4 p. IHS, fonds Souvarine.
189
la composition sociale de l’agglomération parisienne97. Enfin, il s’élève contre la
proposition de Kuusinen98 d’organiser une « semaine de recrutement »99, qu’il juge
« mécanique et artificielle » :
« J’ai vécu de très près la vie de la fédération de la Seine et je crois que
Kuusinen se trompe absolument sur les méthodes et les intentions de la
fédération de la Seine. […] En un mot, le Comité fédéral de la Seine pense
avec juste raison, à mon sens, que le recrutement, pour être sérieux, doit être
la conséquence du travail et de l’action du parti. Toute autre conception
aboutirait à introduire dans le parti des ouvriers qui n’y resteraient pas et le
parti deviendrait un lieu de passage avec tous les inconvénients que cela
comporterait »100
Le CD du PCF discute finalement des critiques du CE de l’IC envers la
fédération de la Seine101. Les débats portent principalement sur les erreurs
d’organisation. On lui reproche d’avoir poussé trop loin la centralisation, d’avoir aboli
les groupes de quartier, d’avoir nommé trois nouveaux fonctionnaires alors que les
effectifs de la fédération ne justifient pas un tel développement de l’appareil et enfin
d’avoir nommé Ilbert ― au passé douteux ― fonctionnaire du parti. Le CD décide la
restauration des groupes de quartier et demande au comité fédéral de stimuler la vie
des sections et d‘organiser une campagne de recrutement. Au conseil national du
14-15 octobre 1923, le rapport de Marrane, à contre-courant des reproches du CD,
met en avant les progrès réalisés dans l’organisation et la discipline quasi-militaire
régnant dans les rangs de la fédération, notamment lors des tentatives de
mobilisation de militants102. Les conceptions d’organisation et de discipline de Treint
et de Suzanne Girault, malgré les protestations et les critiques du CD, semblent
acceptées par la majorité du parti. Treint qui a assisté, à Moscou, à une conférence
des partis voisins de l’Allemagne (20 septembre 1923) et s’est entretenu avec

97
« Il faut tenir compte aussi que l’agglomération parisienne, à côté d’un grand nombre d’ouvriers,
comprend tout un monde de petits fonctionnaires syndicables : instituteurs, postiers, cheminots, qui
sont plus rebelles à l’organisation que dans les départements. », Ibid.
98
Otto Kuusinen (1881-1964) : Professeur de philosophie, député en 1907 au parlement de Finlande,
il est l’un des membres fondateur du parti communiste finlandais.
99
La rédaction de la lettre au CD a été confiée, sur décision du CE de l’IC, à Kuusinen. Le contenu de
la lettre résulte d’un vote collectif, ce que Treint ne semble pas avoir compris en attribuant la paternité
des propositions exclusivement à Kuusinen.
100
Ibid., p. 2.
101
Rapport d’Humbert-Droz, 20 septembre 1923, Archives…(tome 2), op. cit., p. 41-42.
102
Il qualifie les militants parisiens de « combattants au service du prolétariat ». Rapport du secrétaire
de la fédération de la Seine au conseil national, RGASPI, 517/1/120.
190
Zinoviev, affirme que le président de l’Internationale a approuvé le travail de la
fédération103.
Souvarine, qui depuis plusieurs mois multiplie les articles critiquant Treint,
rentre en France à la fin du mois d’octobre 1923, avec la ferme intention de dénoncer
les erreurs de la direction. Il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de la
réorganisation et de la centralisation mais de contenir les excès d’autoritarisme et de
bureaucratisme dans l’application de la réorganisation. Peu après son retour, il s’en
prend à la gestion de la fédération de la Seine, symbole des errements de la
direction du parti. En dépit des critiques du CD, la direction fédérale, encouragée par
Treint, n’a pas tenu compte des conseils et continue de gérer la fédération à sa
guise104. Dans ses rapports, le représentant de l’Internationale ne cesse de déplorer
l’inactivité politique de la fédération105 et souligne le développement d’une opposition
interne, menée par Ollivier106 et des proches de Renoult. Il reproche également à la
direction fédérale de « saboter » la campagne de recrutement décidée par le CD en
accord avec l’IC107. Dans l’un des ses derniers rapports, avant de quitter la France, il
suggère à Zinoviev d’envisager « un changement de personnel » dans la Seine108.
Souvarine, conscient que le comportement du bureau fédéral soutenu par
Treint provoque un mécontentement croissant dans le parti et dans la fédération de
la Seine, soumet un rapport sur la fédération au CD et au BP109. Le document
constitue un réquisitoire sévère, tout en relevant les aspects positifs de la
réorganisation, contre les méthodes de direction de Suzanne Girault et de Treint qu’il
juge « mécaniques, dépourvues d’esprit politique ». A l’instar d’Humbert-Droz, il cite
plusieurs exemples d’actions organisées par la fédération ― des manifestations
dans les rues de Paris ― qui, si elles témoignent de la discipline des militants
communistes parisiens, sont dépourvues d’intérêt et mettent en évidence l’absence

103
Lettre de Souvarine à Zinoviev, 16 novembre 1923, RGASPI, 517/1/130. Dans ce courrier,
Souvarine met Zinoviev en garde : « S’il est exact que vous avez donné votre approbation, ce ne sera
pas pour rendre service au parti, comme vous ne tarderez pas à vous en apercevoir. »
104
Rapport d’Humbert-Droz du 8 décembre 1923, op. cit., p. 158.
105
Il montre comment le bureau fédéral attend les instructions de la direction du parti pour engager
une campagne en faveur de l’amnistie de Midol et Sadoul, au lieu d’engager une discussion au niveau
de ses sections pour définir les moyens de mener campagne. Rapport du 20 septembre 1923,
Archives… tome 2, op. cit., p. 42.
106
Dans le Bulletin Communiste, Ollivier critiquait déjà « le dogmatisme » de la direction du PCF, cf.
supra.
107
Le 12 novembre, le secrétariat du PCF a fait parvenir à l’ensemble de ses fédérations une
er
circulaire (n° 24) pour l’organisation d’une campagne de recrutement, du 1 au 15 décembre 1923.
RGASPI, 517/1/133.
108
Rapport du 8 décembre 1923, Ibid.
109
Rapport de Souvarine sur la fédération de la Seine, op. cit.

191
de réflexion politique qui doit précéder toute action. Souvarine demande en
conséquence d’opérer des changements pour que les sections ne soient pas
simplement des exécutantes, mobilisées par une direction omnipotente.
Treint tente bien de défendre « la tactique des démonstrations de rue »110
organisées par la fédération de la Seine en mettant en avant les nécessités
techniques et la difficulté de réunir des manifestants dans les rues de Paris, très
contrôlées par les forces de l’ordre. Il reconnaît que, si les actions sont une réussite
dans le sens où les militants communistes ont pu défiler librement dans un faubourg
durant quelques heures, elles n’ont néanmoins réuni qu’un petit nombre d’ouvriers.
Selon lui, l’organisation d’un petit groupe discipliné constitue la première étape avant
d’envisager des actions de masse. Mais le BP puis le CD, après avoir entendu le
rapport de Souvarine, décident de condamner plus fermement ces conceptions
d’organisation. Le BP111 vote une résolution préconisant « des modifications […]
aussi bien dans le statut d’organisation de la fédération que dans sa tactique. ».
Cette résolution est un camouflet pour Suzanne Girault et la direction fédérale mais
plus encore pour Treint, alors engagé contre Souvarine dans une lutte politique
intense, en vue du congrès national du PCF112. La question des modifications dans
l’organisation de la fédération de la Seine est encore abordée à plusieurs reprises
par la CD en 1924. A la séance du 2 janvier, Treint lit une lettre du bureau fédéral
protestant contre certaines « erreurs de fait »113 du rapport de Souvarine, mais
reconnaissant l’exactitude du fond, après avoir décidé, en accord avec Suzanne
Girault, de faire une autocritique limitée pour tenter de conserver son poste. Mais
progressivement, la question des erreurs commises en 1923 est occultée par de
nouvelles problématiques, modifiant de nouveau les rapports de force dans le parti et
dans la fédération de la Seine.

110
Treint A, « Les conditions d’une démonstration de rues à Paris », Bulletin Communiste, n° 52, 27
décembre 1923, p. 951-952.
111
P-V du BP du 14 décembre 1923, RGASPI, 517/1/122.
112
Nous y reviendrons.
113
P-V du CD du PCF, 2 janvier 1923. BMP 62.
192
B/ Conflits avec l’ARAC et les anarchistes.

La politique autoritaire de Treint au sein du Parti n’est pas sans conséquence


sur les relations avec les autres composantes du mouvement ouvrier influencées par
la doctrine communiste. A partir du milieu de l’année 1922, suite aux directives de
l’IC, le PCF mobilise et organise ses militants au sein des syndicats, des
coopératives et des associations ouvrières. L’objectif est d’accroître l’influence du
PCF et si possible de prendre le contrôle de ses organisations en les dotant de
direction à majorité communiste et ainsi de favoriser l’ancrage du parti dans le milieu
ouvrier. Cette pénétration ne se fait pas sans heurts, notamment du fait de la
brutalité des méthodes de la direction et de l’image exécrable dont jouit le secrétaire
général auprès des militants ouvriers non communistes.

1) Treint et la crise de l’ARAC.

L’association républicaine des anciens combattants (ARAC), créée au début


de l’année 1917 par Henri Barbusse, Georges Bruyère114, Raymond Lefebvre et Paul
Vaillant-Couturier, entend lutter contre la guerre et contre le principe de la défense
nationale en régime capitaliste, défendre les « intérêts matériels et moraux des
anciens combattants et victimes de guerre » et permettre « l’union des anciens
combattants et victimes de guerre »115. Elle regroupe en son sein des militants qui
refusent le patriotisme des autres associations d’anciens combattants et ont pour
idéal l’antimilitarisme. Avec les divisions au sein du mouvement socialiste et syndical
français, apparaissent au sein de l’ARAC des tendances constituées par les
communistes prônant un antimilitarisme révolutionnaire, tandis qu’une autre
tendance favorable au pacifisme intégral et à la lutte contre toutes les formes de
militarisme ― constituée de militants proches de mouvement libertaires ou
socialistes ―, milite en faveur de l’indépendance complète de l’association.
Dès lors, un conflit de plus en plus violent oppose, au CC de l’ARAC, les
militants membres du PCF qui constituent en 1922 une majorité et ceux qui
dénoncent une mainmise du parti. Treint, en tant que secrétaire général participe
activement à la prise de contrôle de l’ARAC par le PCF. Il a adhéré peu après sa

114
Georges Bruyère (1893-1923) : Ouvrier métallurgiste et militant socialiste.

193
démobilisation mais joue durant les premières années de vie de l’association un rôle
effacé et ne collabore pas à la direction de l’association, à l’exception de sa
participation à une réunion commune des CC de la FOP116 et de l’ARAC le 8
novembre 1920117. Au congrès national de Clermont-Ferrand de juillet 1923, fort de
son statut de secrétaire général du PCF, il intervient dans les débats qui secouent la
direction de l’ARAC.
Depuis la fin de l’année 1922, la majorité fédérale de la Seine critique l’attitude
du CC de l’ARAC élu au congrès national de Limoges (1922) et demande la réunion
d’un conseil national118. Elle l’accuse d’être à la solde du PCF et de n’avoir mené
aucune campagne contre les menaces de guerre et l’occupation de la Ruhr. L’ARAC
a en effet été maintenue dans un premier temps à l’écart du comité d’action119 contre
l’occupation de Ruhr au motif que ses membres appartiennent déjà au PCF ou à la
CGTU. Pour la majorité fédérale, il s’agit d’une tentative « d’inféoder l’ARAC au Parti
Communiste »120 et de modifier ses méthodes d’action, l’association s’étant
jusqu’alors jointe à d’autres organisations ouvrières ou pacifistes pour mener la lutte
contre la guerre. Le CC de l’ARAC convoque le conseil national pour le mois de
février 1923, avant de le transformer en congrès national, « en raison des
événements graves ». Réuni, le 18 février 1923, le congrès national aboutit à un
changement de majorité, les militants communistes étant désormais minoritaires au
CC.
Commence alors l’épreuve de force entre les tendances communiste et
pacifiste, au cours de laquelle cette dernière tente d’écarter les communistes des
postes de direction121, provoquant une série de démissions122 et la paralysie de
l’association durant plusieurs mois, alors même que l’armée française occupe la
Ruhr. Au mois de mai, à l’initiative du PCF se constitue un « comité de redressement
de l’ARAC » qui engage une campagne de presse dénigrant la nouvelle majorité.
Dans ce cadre, Treint intervient à son tour en tant qu’adhérent de l’association. Son

115
Statuts de l’ARAC, Archives de l’ARAC, 1W7.
116
Fédération ouvrière et paysanne des mutilés et anciens combattants.
117
AN, F7 13976.
118
« Réponse à la calomnie », déclaration signée par les membres du CD fédéral de la Seine de
l’ARAC. Archives de l’ARAC, 1W7.
119
Constitué à la fin de l’année 1922 par le PCF et la CGTU, cf. supra.
120
Ibid.
121
Des militants communistes élus à des postes administratifs sont finalement écartés grâce à
l’institution d’un vote par procuration, permettant à des membres du CC absent de participer à la
désignation de la direction de l’ARAC.
122
« Aux membres de l’ARAC », déclaration de la minorité du CC, l’Humanité, n° 7018, 13 mars 1923,
p. 5.
194
article123, très violent à l’égard de la majorité du CC, fustige le mensonge de la
neutralité politique revendiquée par la nouvelle direction de l’ARAC :
« A l’actuelle majorité nous n’avons pas besoin d’arracher son masque de
neutralité. Ce masque tombe de lui-même et nous voyons apparaître un
visage aux traits confus, un visage informe et monstrueux. Sur ce visage, une
grimace de réformisme dissident ou résistant qui balbutie je ne sais quel
pathos trop anarchisant pour ne pas être reconnu. »124
Selon lui, le conflit dans l’ARAC met aux prises la doctrine de la lutte de classe
propagée par le PCF avec la doctrine « de collaboration de classe et de pacifisme
humanitaire » de la majorité du CC. Il affirme que seule une organisation structurée
et décidée à employer la violence pour détruire le régime capitaliste peut réellement
lutter contre les menaces de guerre et ajoute :
« C’est la dure loi de l’âge impérialiste qu’il faille fabriquer de la paix avec de
la violence. Et c’est un immense progrès de voir les exploités toujours plus
nombreux comprendre que la violence ne doit pas servir à leur mutuel entre-
déchirement, mais les unir contre leurs exploiteurs. »125
Ces affirmations doivent être mises en parallèle avec celles faites quelques
mois plus tôt sur le « militarisme rouge » et « l’impérialisme ouvrier »126. Elles
montrent que Treint, en dépit des condamnations quasi-unanimes dans le PCF, n’a
pas abandonné ses conceptions sur la violence révolutionnaire. Cette diatribe contre
l’esprit pacifique, au lieu d’aider les communistes de l’ARAC, risque au contraire de
renforcer l’aile pacifiste qui rappelle que la mission de l’association consiste à lutter
contre « toutes les guerres ». Même si le secrétaire général du PCF conclut son
article par un appel à l’unité en soulignant que les communistes resteront disciplinés
dans l’action, ses arguments ne peuvent que contribuer un peu plus à envenimer le
débat et dégrader l’image des communistes auprès des anciens combattants non
politisés.
La campagne des communistes ne se limite pas aux arguments de Treint et
bénéficie de l’appui de Barbusse et de Vaillant-Couturier qui conçoivent le rôle de
l’ARAC dans le cadre d’une collaboration avec les organisations révolutionnaires.
Efficacement relayée dans la presse du parti et de la CGTU, elle aboutit à la

123
Treint A, « Sauvons l’ARAC », l’Humanité, n° 7114, 20 juin 1924, p. 2.
124
Ibid.
125
Ibid.
126
cf. supra.

195
convocation d’un nouveau congrès national, le 14 juillet 1923, à Clermont-Ferrand.
La matinée est consacrée à la lecture des différentes motions d’orientation127. La
motion des communistes remporte la majorité des suffrages et ceux-ci peuvent de
nouveau faire élire un CC favorable à la collaboration avec le PCF128. L’ancienne
majorité lit alors une déclaration pour dénoncer une victoire acquise grâce à une
intense campagne de presse, rendue possible par « une profusion d’argent dont on
ignore la provenance », allusion à peine voilée aux aides de Moscou129. Lors de la
séance de l’après-midi, Treint intervient pour lire, au nom de la nouvelle majorité, une
motion d’unité qui demande « qu’aucune exclusion ne [soit] prononcée pour faits
d’idées, soit pour le passé, le présent et l’avenir ; d’abandonner toutes campagnes
de caractère calomnieux au sein de l’association contre les camarades d’une autre
tendance. »130 Elle est adoptée par 269 voix pour et 1 voix contre, ainsi que 63
abstentions. Treint déclare ensuite que contrairement à certaines craintes, le retour
d’une majorité communiste au sein du CC ne nuira pas à l’indépendance de
l’association puisque le PCF doit « organiser un contrôle de ses membres à
l’intérieur de l’ARAC et non un contrôle de l’ARAC »131. Un dernier vote sur une
motion Barbusse, qui affirme que « l’antimilitarisme ne peut qu’être révolutionnaire,
sinon il est réactionnaire », met en évidence la large victoire des communistes au
congrès132, qui se termine par le vote du nouveau CC dans lequel Treint entre à
nouveau133.
L’ARAC agit désormais en collaboration étroite avec le PCF qui accroît ainsi
son influence sur le milieu des anciens combattants antimilitaristes. S’agit-il pour
autant d’une véritable victoire ? Grâce à la campagne énergique, le parti a réussi à
éviter de perdre son influence sur une association d’anciens combattants alors que
ces derniers jouent un rôle majeur dans la société française de l’après-guerre. Il
s’agit d’une victoire contre les militants qui dénoncent les intrusions de Moscou au
côté des résistants exclus ou démissionnaires du PCF au début de l’année 1923.

127
Au moins trois motions différentes s’affrontent dont une présentée par « les membres de la
majorité du comité central ». Rédigée par l’ancienne majorité, elle insiste sur l’indépendance de
l’ARAC à l’égard de « toute école politique » et contre toute forme de militarisme. Elle rejette
également la possibilité pour un membre de l’ARAC de se présenter à une élection. Archives de
l’ARAC, 1W7.
128
Fourrier M, « Le congrès national de l’ARAC : l’ancienne minorité devient majorité », l’Humanité, n°
7139, 15 juillet 1923, p. 1.
129
Ibid.
130
Voir l’Histoire de l’ARAC, 1923-1924, Archives de l’ARAC, 1W7.
131
« Le redressement révolutionnaire de l’ARAC est accompli », l’Humanité, n° 7140, p. 1.
132
La motion Barbusse obtient 230 mandats contre 117 à celle des pacifistes, Ibid.
133
« L’ARAC restera unie », l’Humanité, n° 7141, 17 juillet 1923, p. 1.
196
Mais les violentes polémiques d’avant le congrès de Clermont-Ferrand ont laissé des
traces et en dépit de la résolution d’unité, la minorité se constitue en « Comité de
défense antimilitariste »134. Très rapidement, le comité de la Seine prononce, en
violation des décisions du congrès national, une série d’exclusions pour « appel à la
scission »135. De nombreuses sections quittent alors l’ARAC en fustigeant la
subordination de l’association au PCF136. Elle s’enfonce dans une longue période de
troubles137. Le PCF n’a dès lors plus le contrôle138 que d’une association très
affaiblie, sans aucune vie et surtout composée presque exclusivement de militants
communistes, limitant ainsi fortement la pénétration du parti dans le milieu des
anciens combattants.

2) Conflit sanglant avec les anarcho-syndicalistes.

Depuis le congrès constitutif de la CGTU (St Etienne, 25 juin-1er juillet 1922),


le PCF crée des commissions syndicales et incite ses membres à entrer dans les
syndicats, de manière à accroître l’influence communiste dans un milieu très réticent
à l’égard des partis politiques. Au cours de l’année 1923, avec l’arrivée de la
tendance de gauche à la tête du PCF, les liens se resserrent. Lors de l’affrontement,
fin 1922, entre le centre et la gauche, plusieurs syndicalistes révolutionnaires non
membres du parti139, avaient publié des articles dénonçant les manœuvres
politiciennes du centre et soutenant implicitement l’arrivée de la gauche à tête du
PCF140. Au mois de mai, Monatte qui jouit d’un grand prestige dans le mouvement
ouvrier français, fait sa demande d’adhésion141. De plus, pour la première fois, le
PCF et la CGTU coordonnent leurs actions au sein d’un comité d’action pour mener
la lutte contre l’occupation de la Ruhr142. Cependant, si l’arrivée de nombreux
ouvriers à la direction du PCF facilite le rapprochement avec les syndicalistes
révolutionnaires, ces derniers restent très réservés à l’égard de certains dirigeants

134
Histoire de l’ARAC, Archives de l’ARAC, 1W7.
135
Ibid.
136
Voir notamment l’organe de l’association des libérés et victimes de guerre, Le libéré, n° 105, 15
décembre 1923. Archives de l’ARAC, 1Z9.
137
Rapport de la Sûreté Générale sur l’ARAC pour 1923-1924. AN, F7 13976.
138
En janvier 1924, le BP charge Treint de suivre l’évolution de l’ARAC, puis constitue une
commission (Costes, Treint Vaillant-Couturier). Mais Treint s’occupe peu de l’ARAC par la suite. Voir
P-V des BP du PCF, 28 janvier et 2 février 1924, BMP 64.
139
Chambelland, Monmousseau, Monatte. Ce dernier n’est pas membre de la CGTU mais de la CGT.
140
Voir également la lettre collective des syndicalistes révolutionnaires publiée dans le Bulletin
Communiste, n° 45, 9 novembre 1922.
141
Stagiaire durant six mois, il devient officiellement membre du parti en novembre 1923.
142
Cf. supra.
197
communistes ― particulièrement Souvarine et Treint ― considérés comme des
politiciens très éloignés de la classe ouvrière143. Le comportement autoritaire de la
direction du parti et de la fédération de la Seine fait craindre aux militants de la
CGTU une volonté de subordination des syndicats aux directives du PCF, une fois
les communistes installés à la direction.
Depuis la prison de la Santé, Treint proclame144 la sincérité du PCF à l’égard
du syndicalisme, la volonté de respecter son l’indépendance et de lutter en faveur de
l’unité syndicale. Il cherche à démontrer que les communistes, de même que toutes
les autres tendances politiques du mouvement ouvrier ont le droit de s’organiser au
sein des syndicats pour faire valoir leurs conceptions. Il rejette l’accusation de
« briseur d’unité » que certains militants syndicalistes, partisans d’une indépendance
totale à l’égard des partis politiques, professent à l’égard des communistes :
« Briser l’unité syndicale, c’est ou bien ne rien comprendre au syndicalisme,
ou bien commettre un crime contre le prolétariat. Ce n’est pas du côté des
vrais communistes qu’on a trouvé les briseurs d’unité syndicale. »145
Sur la question syndicale, un consensus s’établit à la direction du parti
français pour développer la pénétration des militants communistes dans les
syndicats tout en militant pour la réunification de la CGT et de la CGTU146. La
direction ― la fédération de la Seine est en pointe sur ce point ― pousse à la
création de commissions syndicales et crée une commission syndicale centrale,
chargée de coordonner cet effort. Même si, au conseil national d’octobre 1923,
Rosmer souligne dans son rapport147 la faiblesse et le manque d’activité de ces
commissions, tout ce travail d’organisation aboutit à un premier résultat lors du
congrès national de la CGTU, tenu à Bourges du 12 au 17 novembre 1923. Au terme
de six journées de débats houleux148, auxquels participent plusieurs leaders du PCF

143
Après avoir observé le comportement de Treint, Monatte avait préféré reporter la date de sa
demande d’adhésion. Cf. supra. Dans une lettre à Zinoviev, datée du 5 octobre 1922, Humbert-Droz
écrit que « Monatte, Monmousseau ont encore plus de préventions contre Souvarine et Treint que
contre Frossard »,
144
Bertreint, « Partis et syndicats », l’Humanité, n° 7048, 14 avril 1923, p. 1.
145
Ibid.
146
Il s’agit des thèses développées par Rosmer lors des conseils nationaux du PCF de janvier et
d’octobre 1923. Voir GRAS C, op. cit., p. 278-279.
147
Ibid., p. 279.
148
Les débats entre communistes et anarcho-syndicalistes prennent une tournure violente et Treint
est interpellé à plusieurs reprises par son sobriquet : « capitaine Treint ». Congrès national
ème
extraordinaire. 2 congrès de la CGTU. Tenu à Bourges du 12 au 17 novembre 1923 et conférence
féminine du 11 novembre, Paris, Maison des syndicats, 654 p.
198
dont Treint149 et Suzanne Girault, les délégués votent à une très large majorité la
motion d’orientation de la majorité150, favorable au rapprochement avec le PCF. Le
nouveau bureau confédéral se compose de militants syndicalistes révolutionnaires
qui, par la suite, adhèrent au PCF151.
La CGTU comprend trois tendances principales ; les anarcho-syndicalistes
(anarchistes et CDS152) qui rejettent tout rapport avec le parti communiste et
l’adhésion à l’ISR ; les syndicalistes révolutionnaires regroupés autour du journal la
Vie Ouvrière, dans un premier temps réticents à l’égard du PCF mais qui s’en
rapprochent depuis le début de l’année 1923 ; et les syndicalistes communistes
organisés dans les commissions syndicales. Au cours de l’année 1923, apparaît une
nouvelle tendance baptisée GSR153, favorable à l’autonomie syndicaliste tout en
soulignant la nécessité de discuter avec les communistes. Pour le PCF, l’objectif ―
atteint à Bourges ― consiste à gagner la majorité syndicaliste révolutionnaire aux
vues du parti, tout en évitant une nouvelle scission syndicale et en isolant les
anarcho-syndicalistes.
Conscients que les communistes, grâce à l’organisation des commissions
syndicales, acquièrent une influence croissante au sein de la CGTU, les anarcho-
syndicalistes et les syndicalistes des GSR s’unissent pour dénoncer lors d’un comité
confédéral (août 1923) les commissions syndicales, qu’ils considèrent comme une
tentative de noyautage. Les communistes répliquent en rappelant le droit de toutes
les tendances du syndicat à s’organiser en son sein. Treint, dénonce la volonté des
minoritaires d’aboutir à une nouvelle scission, plutôt que d’accepter la collaboration
avec les communistes :
« Le dernier Comité Confédéral de la CGTU, […] a précisé pour nous le péril
de scission créé par la minorité anti-communiste, coalisant tout ce qui a dans
le cœur la haine de Moscou. […] la minorité anti-communiste, se compose des
anarchistes et du comité de défense syndicaliste (CDS) composé de

149
Le BP du PCF ne souhaitait pas que Treint participe au congrès de la CGTU et lui imposa
finalement de ne pas prendre la parole. Selon Souvarine, au cours des débats, il se fît, en tant que
secrétaire du PCF, « injurier pendant plusieurs jours sans pouvoir se défendre ». Lettre de Souvarine
à Zinoviev, 13 février 1924, IHS, fonds Souvarine.
150
Voir l’Humanité, n° 7264, 17 novembre 1923. La motion de la majorité regroupe 978 syndicats, la
motion de la fédération du Bâtiment (anarchistes) 222 syndicats, la motion des GSR (Groupes
syndicalistes révolutionnaires) 147 syndicats.
151
Il s’agit de Monmousseau, Dudilleux, Berrar et Racamond.
152
Comité de défense syndicaliste.
153
Groupe syndicaliste révolutionnaire. Minorité formée autour de Marie Guillot, Cazals et Lartigue.
199
syndicalistes purs résolument "antimoscovites" et pénétrés de l’influence
anarchiste. »154
Il durcit le ton à la suite du congrès de Bourges et déclare que les dirigeants
anarchistes et syndicalistes se comportent en « contre-révolutionnaires » et
« professent des doctrines qui impliquent la croyance à la démocratie
bourgeoise »155. A propos du congrès de Bourges et du succès remporté par les
communistes alliés à la majorité confédérale, il affirme la volonté des militants
syndicaux de rejeter le syndicalisme « sectaire » et les méthodes des « anarcho-
subordoneurs » qui « pratiquent contre les ouvriers, syndiqués comme eux, la
dictature de la trique »156, en menaçant de quitter la CGTU. La minorité de la CGTU
riposte en déclarant que les communistes tentent de détruire « l’œuvre syndicale »157
et de favoriser les tensions scissionnistes pour prendre le contrôle du syndicat.
158
Dans ce contexte, le PCF organise, à la Grange-aux-Belles , un meeting
électoral dénonçant l’occupation de la Ruhr et ses conséquences en France et
réclamant des hausses de salaires pour les ouvriers. Les anarchistes condamnent
cette intrusion des communistes sur le terrain des revendications immédiates des
ouvriers ainsi que l’utilisation d’une salle réservée à un usage syndical. Il y voient
une nouvelle preuve de la volonté du PCF d’instrumentaliser les syndicats à leur
profit. Ils s’en prennent particulièrement à Treint, qu’ils considèrent comme un
politicien, de surcroît ancien militaire, étranger au milieu ouvrier159. Sa réplique, en
première page de l’Humanité, la veille du meeting, met le feu aux poudres :
« Du Libertaire au Peuple voilà tous nos anarcho-réformistes en grand émoi.
Quel scandale ! Pensez donc ! Le Parti communiste au lieu de faire de
l’électoralisme se met à défendre les intérêts immédiats de la classe ouvrière !
Quatre colonnes dans le Libertaire pour dénoncer l’attentat communiste contre
la pureté du syndicalisme ! […]. A raison de quatre colonnes de protestation
par meeting, je pensais trouver quatre-vingt-seize colonnes d’injures et de

154
Treint A, « Le congrès de Limoges », La Correspondance Internationale, n° 33, 25 août 1923, p.
498-499.
155
Treint A, « Réflexions sur le congrès de Bourges », Bulletin Communiste, n° 51, 20 décembre
1923, p. 929-931.
156
Ibid.
157
ROBRIEUX P, op. cit., p. 141.
158
Sur la dégradation des relations entre les anarchistes et les communistes et sur le drame de la
Grange-aux-Belles voir BOULOUQUE S et GOMOLINSKI O, « L’anticommunisme libertaire »,
Communisme, n° 62-63, 2000, p. 29-40.
159
Notamment, dans un article du Libertaire du 10 janvier 1924 (n° 24, p. 2) intitulé « La crise du parti
communiste », l’auteur raille la rhétorique militaire de Treint : « Ah ! qu’en style militaire ces choses de
caserne sont dites réglementairement ».
200
malédictions contre le Parti communiste. J’ai été déçu. Je n’avais plus pensé
que le Libertaire ne dispose par jour que de vingt-quatre colonnes et que les
nécessités journalistiques l’obligent à dire des bêtises sur les sujets les plus
variés, l’empêchent de manger du communiste de la première à la dernière
ligne. »160
Il ajoute, sur un ton narquois, que les anarchistes préfèrent collaborer avec « les
bourgeois » plutôt qu’avec les communistes dont ils craignent la supériorité de la
doctrine. Le libertaire réplique : « Tous ce soir à la Grange-aux-Belles ». De Treint, il
écrit : « Il a l’impudence d’écrire au nom du prolétariat, ce soudard de la guerre qui
vit sur le dos du prolétariat. Sa plume ne nous intimide pas d’avantage que son
sabre »161. Les arguments cèdent la place aux invectives et laissent présager un
meeting agité.
Le 11 janvier 1924, le meeting débute à 20h45162, en présence d’une majorité
de militants communistes, de syndicalistes de la Seine dont une minorité anarchiste
décidée à faire entendre sa voix. Dès le discours d’ouverture d’Ilbert, l’ambiance est
tumultueuse163. L’intervention de Marthe Bigot, qui aborde la question du
syndicalisme, provoque un gigantesque chahut et un début de bagarre, au cours de
laquelle divers objets volent indistinctement en direction de la tribune et des
auditeurs. Malgré la tentative de Barthe164 de calmer la salle en déclarant que les
syndicalistes ne sont pas venus troubler le meeting165, le vacarme redouble lorsque
Cachin monte à la tribune. Il ne peut se faire entendre et au pied de la tribune une
nouvelle bagarre débute. Seule une intervention de Boudoux166 parvient à ramener
suffisamment de calme pour permettre à Treint d’entamer son exposé. Les militants,
venus protester contre la présence du PCF dans la salle, ne peuvent accepter que
Treint, qui les a provoqués la veille, puisse s’exprimer et de nouveau le tumulte
reprend. L’orateur se tourne alors vers les anarchistes regroupés dans un coin de la
salle et leur lance : « Vous nous accusez d'être des dictateurs. Les véritables

160
Treint A, « Purement économique », l’Humanité, n° 7318, 10 janvier 1924, p. 1-2.
161
Le Libertaire, n° 25, 11 janvier 1924, p. 4.
162
Le déroulement des événements provient des coupures de la presse communiste, anarchiste,
syndicale mais aussi de la presse d’information quotidienne contenues dans le fonds Monatte (Musée
social).
163
Voir notamment le compte rendu de l’Humanité, n° 7320, p. 1-2.
164
Secrétaire du syndicat des terrassiers. Selon les comptes rendus des événements, Barthe
intervient avant ou après Marthe Bigot.
165
Le Peuple, n° 1101, 12 janvier 1924, p. 1.
166
Membre du syndicat des charpentiers du fer.
201
dictateurs sont ceux qui sabotent cette réunion. Dictateurs ! Dictateurs ! »167. Dans le
même temps, certains militants anarchistes, décidés à faire taire le secrétaire
général du PCF s’approchent de la tribune. Et soudain, vers 21h45, plusieurs coups
de feu sont tirés, blessant plusieurs militants dont deux mortellement168 et
provoquant un début de panique et l’évacuation de la salle.
Le lendemain, l’Humanité accuse le groupe d’anarchiste d’être à l’origine des
coups de feu169. Treint ajoute que parmi eux se trouvaient des agents provocateurs
qui ont tiré sur les communistes pour provoquer l’affrontement. Cette accusation, non
étayée, cache mal le profond malaise provoqué par le déroulement des événements.
En effet, le récit du Libertaire170 apparaît bien plus proche de la réalité. L’arrivée de
Treint aurait été accueillie « à coup de sifflets et de paroles indignées », entraînant
une réplique violente de ce dernier et un début de mouvement de foule. Des militants
communistes, massés au pied de la tribune, auraient alors sorti des revolvers et,
dans la mêlée générale, ouvert le feu. Philippe Robrieux, s’appuyant sur un
témoignage de Ferrat171, affirme que Treint a lui-même ordonné au service d’ordre
du parti172 de tirer, comme lors d’une manœuvre militaire. Cependant, dans la
confusion générale et étant donné que des militants communistes sont également
atteints, il est douteux que Treint ait pu demander froidement au service d’ordre de
mettre en joue avant d’ordonner de tirer. Il apparaît plutôt que ses gestes furieux,
ajoutés à la panique du moment, aient été compris comme le signal pour tirer sur les
anarchistes et repousser leur assaut. Les principaux quotidiens d’information qui

167
Voir le compte rendu des évènements paru dans l’Humanité, n° 7320, p. 1-2. De son coté Treint
prétend même qu’il s’est contenté de dénoncer l’obstruction des anarchistes et que c’est la salle qui
aurait scandé : dictateurs ! Voir Treint « un crime contre le prolétariat », Ibid.
168
Nicolas Clos, ajusteur mécanicien, revendiqué par les communistes et Adrien Poncet, plombier
couvreur, militant anarchiste.
169
« Du côté des perturbateurs part un coup de feu tiré en direction de la tribune. Un camarade
s’affaisse, dans une mare de sang. Une véritable fusillade crépite. D’autres camarades tombent. De
tous côtés partent des cris. Des femmes s’évanouissent. C’est l’affolement. Les bancs sont
renversés. », Ibid.
170
Le Libertaire, n° 26, 12 janvier 1924, p. 1.
171
ROBRIEUX P, op. cit., p. 143. FALIGOT R. et KAUFFER R. reprennent dans leur ouvrage sur
Cremet cette version des évènements : « Face à l’adversaire qui avance, pas question de reculer.
Comme naguère au front, il avait commandé au service d’ordre communiste le feu à volonté ». As-tu
vu Cremet ?, Paris, Fayard, 1991, p. 107.
172
Depuis quelques mois, le parti a constitué un service d’ordre restreint, armé de revolvers, destiné
prioritairement à encadrer les démonstrations de rue et si nécessaire à défendre les militants
communistes. D’après un témoignage de Valois, datant de 1938, Treint lui aurait affirmé avoir été à
l’origine du service d’ordre, l’avoir organisé et avoir participé à plusieurs de ses actions violentes et
notamment à la manifestation de la rue Danrémont en avril 1925. Voir La Coopération Culturelle, n° 9,
juillet 1938, p. 13.
202
relatent les faits, déclarent que l’origine des coups de feu est inconnue173. L’enquête
menée par les services de police et par la justice ne donne aucun résultat et n’aboutit
à aucune condamnation174. Elle révèle simplement que certains coups de feu sont
partis de la tribune où se tenaient les communistes175. Treint, entendu à titre de
témoin par un juge d’instruction, se contente de renouveler ses accusations à
l’encontre des anarchistes et de déclarer que des communistes ne peuvent pas avoir
saboté un meeting du PCF176. En dépit de ses dénégations et à la lumière des
multiples témoignages publiés les jours suivants, la responsabilité de Treint et du
service d’ordre dans le drame ne fait aucun doute177.
Le PCF continue cependant de nier l’évidence et d’accuser les anarchistes
d’être les seuls responsables de la fusillade. L’Humanité affirme qu’ils étaient armés
et préparaient depuis le début du meeting une action violente178. Soulignant que
plusieurs victimes ― un mort et plusieurs blessés ― étaient sympathisants ou
membres du parti, ils prétendent que les communistes ne peuvent être à l’origine de
la fusillade. Le parti participe activement aux obsèques de Nicolas Clos et tente ainsi
de se donner l’image de victime du drame de la Grange-aux-Belles. Le quotidien
communiste entend discréditer la parole de Boudoux, un des anarchistes blessés
lors de la fusillade, en publiant des allégations sur sa malhonnêteté et sa duplicité179.
Quant à Treint, attaqué avec virulence par la presse anarchiste et syndicaliste, il
continue d’affirmer que les coups de feu ont été tirés depuis les rangs des
anarchistes par des « agents provocateurs » issus des rangs policiers ou
fascistes180. Désireux de faire oublier sa propre responsabilité dans la fusillade, il
échafaude un complot orchestré par « la grande industrie » avec l’appui des
politiciens du Bloc national, visant à favoriser l’arrivée au pouvoir d’un régime
fasciste « de terreur anti-ouvrière ». Selon lui, les anarchistes qui n’exercent pas de
contrôle sur leurs militants, serviraient de point d’appui pour apporter la discorde

173
Voir Le Quotidien, n° 213, 12 janvier 1924, p. 3 ; l’’Echo de Paris, n° 15289, 12 janvier 1924, p. 1 ;
L’œuvre, n° 3025, 12 janvier 1924, p. 1
174
A la demande des anarchistes, les instances confédérales de la CGTU constituent une commission
d’enquête, qui ne publiera jamais les résultats. Voir BOULOUQUE S, « 11 janvier 1924, 33 rue de la
Grange-aux-Belles », Le monde Libertaire, n° 24, 25 décembre 2003-11 janvier 2004.
175
Le Libertaire, n° 30, 16 janvier 1924, p. 1 et l’Egalité, n° 55, 16 janvier 1924, p. 1.
176
L’Humanité, n° 7325, 17 janvier 1924, p. 2.
177
En 1929, Deux anarchistes témoins des événements, Julien Le Pen et Albert Guigui, livrent le nom
d’un des tireurs. Il s’agit de Gabriel Ducoeur, communiste et responsable de la fédération des
cheminots. BOULOUQUE S, « 11 janvier 1924, 33 rue de la Grange-aux-Belles », art. cit.
178
Ibid., p. 1.
179
Ibid., p. 1.
180
Treint A, « Les conséquences », l’Humanité, n° 7326, 18 janvier 1924, p. 1-2.
203
dans le mouvement ouvrier et affaiblir le parti communiste, qui seul peut s’opposer à
l’instauration du fascisme.
« Dans quelle mesure y a t-il utilisation du drame policier de la rue de la
Grange-aux-Belles ? Dans quelle mesure y a t-il préméditation politico-
policière d’un drame monté en vue de son exploitation politique ultérieure ?
Peu importe. Le péril est là. Sous le masque de l’anarchie, les provocateurs
ouvrent la voie au fascisme et à la dictature aggravée de l’industrie
lourde181. »
Cette démonstration, qui s’appuie sur l’existence d’un improbable complot, ne trouve
aucun écho dans le parti et n’entraîne aucune réaction, notamment parce que le PCF
est à quelques jours de son congrès national et Treint, sur la sellette, risque être
écarté de la direction. Dans ce contexte, critiquer le secrétaire général risquerait de
faire retomber la faute du service d’ordre sur l’ensemble du PCF et la direction
préfère laisser Treint se défendre maladroitement et étouffer l’affaire.
Si la presse anarchiste et syndicaliste se déchaîne contre les violences
exercées par le PCF, leur cible principale demeure Treint, qui devient à leurs yeux le
symbole des dérives militaristes et dictatoriales de la doctrine communiste. Deux
jours après les événements de la Grange-aux-Belles, le Libertaire titre « L’horrible
crime bolcheviste »182 et abreuve Treint d’injures et de qualificatifs tous plus violents
les uns que les autres. Le secrétaire du parti serait selon eux « un officier supérieur
galonné de l’armée rouge », un « boucher galonné », « un Galliffet183 Moscovite »184.
Il compare l’article de Treint paru dans l’Humanité du 12 janvier185 aux textes signés
par Daudet et insiste sur la responsabilité du secrétaire général puisque « c’est sur
un geste de Treint que les Tchékistes ont tiré ». Le Peuple, quotidien de la CGT,
publie une violente déclaration du bureau du syndicat unique du bâtiment
(anarchiste) dans laquelle un militant affirme que « l’armée rouge de la Seine
exécute les ordres sanguinaires de ses chefs, à l’appel du capitaine Treint. »186. Le
journal publie également en manchette une phrase attribuée à Treint après le
meeting : « Il y avait tout de même une belle salle ! », censée illustrer le cynisme du
secrétaire général du PCF. D’autres journaux, proches de la gauche socialiste et de

181
Ibid., p. 2.
182
Le Libertaire, n° 27, 13 janvier 1924, p. 1.
183
Général qui réprima la commune de Paris.
184
« Assassins ! », Ibid.
185
Cf. supra.
186
« L’émotion causée par le drame », le Peuple, n° 1102, 13 janvier 1924, p. 1.
204
la CGT, dénoncent « le fascisme rouge »187 et le sectarisme de la direction du PCF
inféodée à Moscou.
Cette campagne touche peu le parti et ne l’empêche pas de poursuivre son
implantation dans la CGTU. Les anarchistes tentent d’utiliser le drame de la Grange-
aux-Belles pour mobiliser les syndicalistes anti-communistes, mais ils ne peuvent
que constater leur perte d’influence. Les membres du bureau confédéral adhèrent au
PCF en 1924 et 1925 et participent dès lors aux instances dirigeantes du parti. Les
méthodes violentes du service d’ordre communiste n’ont pas nuit à l’image du PCF
auprès des syndicalistes révolutionnaires. Par contre, la réputation de Treint pâtit de
cet incident dont il est tenu personnellement responsable par de nombreux militants
de la CGTU, mais aussi du PCF. L’utilisation du sobriquet de « capitaine Treint »,
apanage des communistes dissidents188, se répand dans les milieux syndicalistes
ainsi qu’au sein du PCF, parmi les militants qui critiquent l’autoritarisme de la
direction. Dans les milieux anticommunistes, Treint incarne désormais le
« militarisme rouge » et la « dictature du parti », image dont il ne peut se débarrasser
par la suite189. Neuf jours après le meeting de la Grange-aux-Belles, l’Humanité
accuse même des anarchistes d’avoir tiré sur Treint dans les rues de Lyon190. Cet
incident se déroule au début du congrès national du parti, mais étrangement le
quotidien du parti ne l’évoque plus par la suite, sans que l’on sache si Treint fut
effectivement victime d’un « attentat »191.

187
L’Egalité, n° 55, 16 janvier 1924, p. 1. L-O Frossard est directeur politique de ce journal.
188
C’est à dire exclu du PCF en 1922 et au début de l’année 1923
189
Plusieurs années après qu’il ait été exclu du PCF, les anarchistes refuseront toujours de collaborer
avec Treint. Cf. infra.
190
« Ce soir, un groupe de camarades qui se dirigeait vers la Bourse du Travail où se tenait le
meeting organisé par le Parti, à l’occasion du Congrès, a essuyé, au coin des rues Marignan et
Turenne, des coups de revolver. A cet endroit est situé le siège de l’Union anarchiste lyonnaise. Une
des balles effleura le visage de Treint et alla s’écraser aux pieds de Guy Jerram. », l’Humanité, n°
7328, 20 janvier 1924, p. 1 ainsi que Le Libertaire, n° 41, 27 janvier 1924, p. 2.
191
Le Libertaire évoque cette affaire sur le ton de l’ironie : « l’Humanité et le agences complaisantes
ont annoncé que le capitaine Treint avait "essuyé" une décharge de revolver à Lyon. Puis … plus rien.
[…] Immédiatement après l’agression le capitaine fut conduit dans une clinique et privé de ses habits
et autres ornements militaires. […] Heureusement, trois fois heureusement, on ne trouva rien de
dommageable sinon l’ordinaire trou de balle que dame nature fait cadeau à tous les êtres vivants. On
ne pouvait sérieusement l’imputer aux anarchistes. », « Trou de balle », le Libertaire, n° 41, 27 janvier
1924, p. 2.
205
C/ L’affrontement Treint/Souvarine.

1) Souvarine dénonce les erreurs politiques de Treint.

Souvarine quitte la France le 12 mai 1923192 pour reprendre son poste à


Moscou. Au cours des quatre mois de son séjour en France, plusieurs désaccords
politiques avec Treint ― question de l’impérialisme ouvrier, application du front
unique, attitude à l’égard des résistants ― surgissent. Treint emprisonné ne peut
peser sur la définition de la ligne politique du parti et lorsqu’il tente d’imposer ses
conceptions par le chantage193, Souvarine lui résiste et lui rend visite en cellule pour
aplanir les divergences. La collaboration politique entre ces deux hommes,
jusqu’alors unis au sein de la tendance de gauche, ne semble pas rompue.
Souvarine considère toujours Treint comme un bon organisateur, nécessaire au
fonctionnement du secrétariat du parti194, même s’il pense qu’il doit être encadré au
sein du BP, pour ne pas commettre de faute politique.
Treint, depuis son élection au poste de co-secrétaire général, a acquis un
statut prééminent et manifeste sa volonté, une fois libéré, de prendre fermement en
main la direction et n’est plus disposé à accepter les leçons politiques de qui que ce
soit, y compris de Souvarine. A propos de la controverse sur la question de
« l’impérialisme ouvrier » et des commentaires de Souvarine parus dans le Bulletin
Communiste195, Treint fait publier un rappel à l’ordre196, qui peut paraître superflu
puisque Souvarine ne dirige plus la revue, destiné à marquer sa volonté de faire
régner la discipline et d’imposer le contrôle du secrétariat sur toutes les décisions du
parti.
Souvarine continue, comme à son habitude, d’entretenir une correspondance
abondante pour faire part de ses divergences politiques et protester contre certaines
méthodes de travail. Quelques jours après son arrivée à Moscou, il envoie au BP un

192
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 730.
193
En menaçant de démissionner, cf. supra.
194
Lettre de Souvarine à Zinoviev, 22 avril 1923, RGASPI, 517/1/130.
195
Cf. supra.
196
« A propos d’une note parue dans le dernier Bulletin Communiste relative à la clôture de la
discussion sur l’impérialisme ouvrier, le Bureau politique rappelle que ses décisions doivent être
publiées par l’intermédiaire du secrétariat du Parti avant de faire l’objet dans la presse de
commentaires ou d’interprétations personnelles de la part de camarades du parti. », Bulletin
Communiste, n° 21, 24 mai 1923, p. 260. Trent est l’auteur de cette note signée par le CD.
206
premier courrier pour manifester son désaccord avec le rapport de Sellier destiné à
l’Exécutif Elargi, principalement sur la question du front unique et de « l’admission
des résistants au Comité d’action »197. Il déclare vouloir remettre à l’Exécutif un
rapport, critiquant l’application de la tactique du front unique selon les conceptions de
Sellier et Treint, et demande à être « libéré de [ses] postes responsables » si l’IC
donne raison aux deux secrétaires. Souvarine déplore le ton conciliant du PCF à
l’égard des socialistes. Ses reproches visent particulièrement les articles de Treint,
jugés trop complaisants. Il signale au BP, que l’IC réprouve la conception française
du front unique telle qu’elle est présentée par Treint :
« En effet, peu après mon arrivée à Moscou, et déjà sur la route, à Berlin où
j’avais vu beaucoup de camarades de l’Internationale, j’ai pu constater que
tous sans exception étaient contre la manière de voir de Treint dans les
questions qui ont provoqué des différends entre nous. Notamment son article
d’Imprekorr où il faisait un éloge de Paul Faure a stupéfié tous ceux qui l’ont
lu. »198
Dans cet article, le secrétaire du PCF, dresse un tableau de l’évolution de la
SFIO depuis la scission de 1920199. Soucieux de justifier son attitude et la nouvelle
ligne du parti dont il est l’instigateur200, il marque l’influence retrouvée des socialistes
sur les ouvriers français et l’unité du parti sous la houlette de son secrétaire général
Paul Faure201. Treint cherche simplement à souligner que dans la période actuelle de
relative stabilité économique de la France, le discours réformiste de la SFIO touche
une part croissante de la population, justifiant ainsi la tactique du front unique et le
rapprochement avec les chefs socialistes. Cependant, le ton complaisant et les
arguments maladroits de cet article, publié dans une revue diffusée dans tous les
sections de l’IC, sont perçus comme une déviation de la tactique du front unique et
une volonté d’orienter le PCF vers une véritable alliance politique avec les
socialistes, d’autant plus que la majorité du BP semble approuver les conceptions de
Treint.

197
Lettre de Souvarine au BP, 24 mai 1923, IHS, fonds Souvarine.
198
Lettre de Souvarine au BP, 24 juin 1923, IHS, fonds Souvarine.
199
Treint A, « Les socialistes Français à Hambourg », La Correspondance Internationale, n° 19, 19
mai 1923, p. 295-296.
200
C’est du moins ce qu’il affirme dans sa lettre de démission du 8 mars 1923, Cf., supra.
201
« Avec un réel talent, avec un grand art politique, avec un tact parfait, Paul Faure, le secrétaire
général du parti socialiste […] excelle à maintenir l’Unité de son organisation dans la confusion
poétique et dans le bon garçonnisme d’une camaraderie souriante, indulgente et sceptique au fond. »,
Treint A, « Les socialistes français à Hambourg », art. cit.
207
Lors de l’Exécutif Elargi de juin 1923, Souvarine présente son rapport mettant
en avant ses divergences avec la direction française avec l’espoir de voir l’IC arbitrer
en sa faveur et obtient satisfaction. Zinoviev, informé à la fois par Souvarine et par
Humbert-Droz202, dénonce, dans le passage sur la question française de son
discours d’ouverture, la confusion et les erreurs de Treint, sur la question du front
unique mais aussi de l’impérialisme ouvrier :
« L’expression d’"impérialisme ouvrier" a jeté quelques confusion dans les
esprits. Un de nos meilleurs militants, le camarade Treint, a voulu identifier la
victoire du prolétariat sur la bourgeoisie avec l’"impérialisme ouvrier". La
presse bourgeoise a tiré parti de ce mot. Nous n’avons rien de commun avec
l’impérialisme qui est le propre de la bourgeoisie […]. Notre camarade Treint a
aussi laissé entendre qu’il fallait émousser quelques peu nos critiques envers
la social-démocratie. C’est une opinion erronée. »203
Souvarine, satisfait de la prise de position de l’IC et de son président, estime
ne pas devoir prolonger le débat, convaincu que le parti respectera les décisions de
l’IC et que les critiques de Zinoviev réduiront l’influence de Treint au sein du BP. Il
constate néanmoins avec les courriers de Reynaud, Rosmer, Sellier204 qu’en dehors
de ses conceptions politiques, les méthodes de direction de Treint créent un malaise
et risquent à terme de replonger le PCF dans la crise. Mis au courant de l’affaire du
blâme imposé par Treint à la rédaction de l’Humanité, il se contente de faire la leçon
à Sellier205 et de lui conseiller de savoir tenir tête « à un camarade qui se trompe et
qui gueule plus fort que vous ». A Reynaud et Dunois, il réitère ses critiques sur les
fautes politiques collectives et sur l’absence de réaction devant l’autoritarisme de
Treint :
« Je connais les défauts de Treint et je vois qu’ils se développent. […] Il est
trop facile de mettre tout sur le dos d’un seul. Lorsque j’étais là, je savais très
bien résister à Treint et faire en sorte que rien de fâcheux n’arrive au parti de
ce fait. […] Si seulement vous aviez raison contre Treint au point de vue

202
Dans ses rapports, le représentant de l’IC met Zinoviev en garde contre les conséquences
néfastes pour le parti des méthodes de direction de Treint. Cf. supra.
203
Discours de Zinoviev à la première séance de l’Exécutif Elargi, Bulletin Communiste, n° 26, 28 juin
1923, p. 392.
204
Lettre de Reynaud du 20 juin 1923 lettre de Rosmer (non datée, juillet 1923), cf. supra.
205
« Au lieu d’utiliser les qualités de Treint, vous favorisez le développement de ses défauts. […]
Rappelez-vous l’histoire de "l’Impérialisme ouvrier". Si l’on m’avait écouté alors, si l’on n’était pas
revenu sur la décision que j’avais fait adopter vis-à-vis de Treint, est-ce que celui-ci n’aurait pas à
nous en remercier aujourd’hui ? Rappelez-vous l’histoire du Front unique, où vous avez changé d’avis
par faiblesse devant Treint, ce qui vous obligera d’en changer encore une fois pour suivre la vraie
ligne de l’Internationale. Lettre de Souvarine à Sellier, 30 juin 1923, IHS, fonds Souvarine.
208
politique. Mais vous l’avez laissé commettre faute sur faute quant à la
question du front unique. Vous m’avez laissé seul réagir contre lui et ceux qui
n’osaient pas le contredire. »206
Il propose cependant d’examiner la gravité de la situation au CE de l’IC et
d’envisager, si nécessaire la convocation de Treint à Moscou mais souligne à
plusieurs reprises sa volonté de ne pas trop s’immiscer dans les querelles internes,
étant déjà très pris par ses diverses activités à Moscou. La réponse de Sellier207, lui
annonçant qu’il préfère céder et renoncer à son statut de secrétaire général,
convainc cependant Souvarine d’agir pour contrecarrer l’influence de Treint.
Ayant constaté que la direction s’est gardée de commenter les décisions de
l’Exécutif Elargi de juin et continue de commettre des fautes dans l’application du
front unique208, Souvarine rédige un article209 pour expliquer les décisions de l’IC
mais en réalité entièrement tourné contre Treint. Il commence par rappeler que dans
son discours d’introduction, Zinoviev a fermement condamné les conceptions du co-
secrétaire général du PCF. Il détaille les fautes commises dans l’application de la
tactique du front unique. Tout d’abord, les articles « de discussion » avec Compère-
Morel, ou encore l’éloge de Paul Faure. Ces faits témoignent d’une interprétation
fausse d’une tactique qui n’a pas pour but d’affadir la critique mais au contraire de
rester ferme, d’autant plus que la forme comme le fond des articles sont en complète
contradiction avec ceux écrits un an plus tôt et dans lesquels Treint appelait les
communistes à « plumer la volaille socialiste »210. Sur l’ensemble des questions
politiques qui se posent au parti français, Souvarine se présente comme le porte-
parole de l’IC, face au secrétaire général qu’il juge piètre doctrinaire :
« L’erreur de Treint ne s’exprime pas seulement dans son amabilité envers les
noskistes211 français les plus piteux, mais dans toute sa conception des
problèmes du front unique, de l’unité syndicale, des rapports entre les

206
Lettre de Souvarine à Dunois et Reynaud, 30 juin 1923, IHS, fonds Souvarine.
207
Lettre de Sellier à Souvarine, 24 juillet 1923, RGASPI, 517/1/117.
208
Dans une lettre au BP, datée du 17 août, il s’indigne contre la participation des communistes à une
cérémonie commémorant la mémoire de Jaurès au côté des socialistes : « Nous ne devons pas être
prisonniers de notre formule et ne sommes pas obligés de choisir un terrain défavorable pour
appliquer notre tactique : or il n’y a pas de terrain qui soit plus défavorable qu’une cérémonie à la
mémoire de Jaurès. », IHS, fonds Souvarine.
209
Souvarine B, « Quelques problèmes internationaux », Bulletin Communiste, n° 34, 23 août 1923, p.
504-507.
210
« Que peuvent penser les ouvriers de cette aménité soudaine, contrastant si fortement avec les
polémiques meurtrières de la veille ? », Ibid.
211
Ce terme fait référence au social-démocrate allemand Noske, ministre de la guerre en 1918, qui a
permis la violente répression contre les communistes.

209
diverses organisations ouvrières et les question connexes. Si on reprenait une
à une ses diverses interventions, il faudrait s’arrêter à chaque idée pour la
contredire, au nom de la tactique du Comintern. »212
Lorsque Souvarine imposa Treint au secrétariat général du parti, au côté de
Frossard, il voyait en lui un organisateur mais ne pensait pas qu’il allait s’occuper de
la ligne politique du PCF et surtout s’imposer au sein du BP au point de devenir le
dirigeant incontesté. Par cet article virulent, Souvarine escompte diminuer l’influence
de Treint, au moins sur le terrain idéologique, et permettre un rééquilibrage des
forces au secrétariat et au BP.
Souvarine intervient par la suite dans la polémique opposant Treint à
Ollivier213 sur la question des réparations, une fois de plus pour réfuter les arguments
du secrétaire général214. Désormais fermement installé aux commandes du parti,
Treint n’est pas disposé à accepter les leçons politiques de Souvarine. Convaincu
que ce dernier déforme la pensée des dirigeants de l’Internationale et qu’il est lui-
même le garant de l’application de la ligne politique fixée par l’IC, il réplique en deux
temps. Il envoie une lettre à Sellier215 pour lui faire part de son indignation à la
lecture du numéro 34 du Bulletin Communiste, qui contient les articles d’Ollivier et de
Souvarine, dirigés contre lui. Il accuse Souvarine de « ne pas mettre la main à la
pâte », de se cantonner dans un rôle purement critique dans le but inavoué de mener
« une lutte de tendance », avec l’appui de militants français. Premier résultat, Sellier
demande au CE de l’IC216 d’intervenir auprès de Souvarine pour que cesse cet
« acharnement » contre un secrétaire général du PCF. Il propose que tous les
articles polémiques passent par le contrôle du CD ou du BP afin d’éviter que le parti
ne replonge dans les luttes fractionnelles de l’année 1922.
Treint n’abandonne pas son droit de réponse, qu’il estime naturel, et publie un
article dirigé contre Souvarine217. Il ne s’agit pas réellement d’une réponse aux
attaques mais plutôt d’une démonstration visant à désamorcer les critiques politiques
en montrant la volonté de Souvarine de réactiver les luttes de tendance pour prendre

212
Souvarine fait notamment référence à un article dans lequel Treint défend la nécessité de
l’indépendance syndicale (cf. supra.), ou encore au fait qu’il approuve l’entrée des résistants dans les
comités d’action sur l’amnistie. Ibid.
213
Cf. supra.
214
Voir Boris Souvarine, « Les Etats-Unis d’Europe » et « La question des réparations », Bulletin
Communiste, n° 36 et 44, 6 septembre et 1 novembre 1923.
215
Lettre de Treint à Sellier, 22 août 1923, Les sables d’Olonne, RGASPI, 517/1/133. Cf. supra.
216
Lettre de Sellier au CE de l’IC, 30 août 1923, cité par CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 753.
217
Treint A, « Souvarine exorcise des fantômes », Bulletin Communiste, n° 38, 20 septembre 1923, p.
580-582.
210
le contrôle du parti. Il tient à atténuer les reproches de Zinoviev, qui pour une part
« n’étaient pas fondés » et qui, de plus, ont été déformés par Souvarine :
« L’article de Souvarine est une espèce de microscope déformateur que notre
ami veut mettre sur les yeux du parti pour lui faire voir que chaque fois qu’il y a
eu divergence entre lui et moi, Treint avait tort et Souvarine avait raison. »218
Au contraire, faisant l’historique de la polémique sur le front unique, il souligne que,
s’il est à l’origine des initiatives du parti219, la direction l’a approuvé, à l’exception de
Souvarine. Il s’agissait de divergences entre Souvarine et le reste du PCF et non de
divergences avec Treint. Ces articles de polémiques avec les chefs socialistes furent
acceptés sans aucune discussion, tandis que les articles dans lesquels Souvarine
les accusait d’être « des lâches, des traîtres, des laquais », provoquèrent des
remous, la direction du PCF l’obligeant finalement à cesser sa campagne.
Ainsi, le refus des socialistes est exclusivement imputable à Souvarine,
puisque celui-ci leur a offert un prétexte pour repousser les propositions de front
unique220. Par sa méconnaissance de la psychologie des ouvriers socialistes, que le
PCF cherche à conquérir, il a saboté les efforts engagés qui avaient déjà permis
d’instaurer une discussion et selon Treint, « d’intéresser les ouvriers socialistes à
l’union des forces prolétariennes dans l’action ». Habilement, Treint reprend à son
compte les reproches de nombreux communistes et syndicalistes sur l’attitude de la
gauche et de Souvarine en particulier ; il ne participe pas à l’activité quotidienne du
parti et se contente de critiquer ; il s’enferme dans des schémas abstraits sans tenir
compte des nécessités du moment :
« Souvarine veut opérer dans l’abstrait, en ignorant la psychologie des
masses ouvrières que nous voulons gagner. Nous, nous voulons nous saisir
de la psychologie actuelle des masses, nous y atteler pour les amener au
communisme. […] A propos du front unique, quand j’écris, quand je parle,

218
Ibid., p. 580.
219
« C’est sur mes instances pressantes que la direction du Parti adressa au congrès socialiste de
Lille le télégramme par lequel nous offrions aux dissidents de constituer, avec toutes les organisations
ouvrières, le front unique du prolétariat […]. Si je n’étais pas intervenu, il n’y aurait point lieu de
discuter aujourd’hui de la manière dont nous avons appliqué le front unique en cette occasion, car il
n’y aurait eu de notre part aucune proposition de front unique. […] Généralement, les propositions de
front unique faites par le parti ne furent soutenues par l’Humanité et par notre Bulletin de la presse
communiste que tardivement et sur mes instances pressantes. », Ibid., p. 580 et 582.
220
« […] le Populaire, se saisissant du prétexte maladroitement fourni par Souvarine écrivait : Voyez
comme on nous traite ! Comment voulez-vous que nous fassions le front unique avec les
communistes ! Il paraît, selon Souvarine, que le Populaire m’a envoyé promener et que la leçon ne
m’a pas servi. Je n’ai jamais vu quelqu’un rejeter sur les autres, avec tant de désinvolture que
Souvarine, les conséquences de ses propres maladresses. » Ibid., p. 581.

211
quand j’agis, je me préoccupe beaucoup moins de savoir si mon attitude est
conforme à je ne sais quel rigorisme abstrait, que de savoir si je vais
rapprocher les ouvriers socialistes et les ouvriers politiquement inéduqués de
la conception des conditions de leur victoire de classe. »221
Soucieux de minimiser les critiques que le président de l’IC a émis à son
encontre, Treint se présente comme un fidèle exécutant de la tactique du front
unique. Si Souvarine revendique son statut de membre de l’Exécutif, Treint se pare
de l’autorité idéologique acquise au cours des derniers mois, en tant que secrétaire
général. Il montre sa volonté de poursuivre la polémique, voire d’engager une lutte
politique à plus grande échelle pour empêcher Souvarine de le discréditer à Moscou
et de l’affaiblir au sein du BP. Justifié par des divergences politiques secondaires, la
polémique entre les deux hommes s’intensifie et prend un tour de plus en plus
personnel. Au mois de septembre, Treint se rend à Moscou pour participer à la
conférence des partis voisins de l’Allemagne. Il peut ainsi plaider sa cause auprès de
Zinoviev et justifier son action au secrétariat222. Nous ne connaissons rien des
discussions qui eurent lieu à Moscou avec Souvarine, mais dans son rapport du 5
octobre 1923, Humbert-Droz indique que d’après les lettres de Treint, les relations
seraient devenues « plus difficiles encore »223, lui faisant craindre un retour des luttes
de tendance à la direction du PCF.

2) Contre-attaque de Treint au conseil national.

De retour en France pour prendre part au conseil national, auquel Souvarine


ne participe pas, et défendre son bilan face aux critiques qui se multiplient, Treint
veut conserver sa place au secrétariat, alors qu’à Moscou il fut question de
changements à la direction224. Dans l’attente du congrès national, le conseil national
doit discuter la ligne du parti sur deux questions primordiales dans un proche avenir :
les actions envisagées pour soutenir la révolution allemande en cours de préparation
et la tactique électorale en vue des élections législatives de mai 1924225.

221
Ibid., p. 582.
222
Lettre de Souvarine à Zinoviev, 16 novembre 1923, RGASPI, 517/1/130.
223
Humbert-Droz, Archives…, op. cit., p. 54.
224
Depuis plusieurs mois, le représentant de l’IC et des membres du PCF, tel Sellier, demandaient à
Moscou d’envisager la nécessité d’un changement à la tête du parti. D’après Humbert-Droz, le BP
aurait discuté de la possibilité de placer Rosmer au secrétariat général du PCF. Rapport du 5 octobre
1923, Ibid., p. 55.
225
Lors des deux journées, les délégués abordent également les questions de la réorganisation du
parti en régions et la question syndicale. Cf. supra.
212
La question de la tactique électorale provoque de nombreux débats. Les
socialistes et les radicaux s’engagent dans des tractations en vue d’une alliance
électorale et, de son côté, le parti communiste envisage de constituer un bloc
électoral, dont les contours restent encore à définir. Humbert-Droz propose, début
juin 1923, de mettre à l’ordre du jour d’un CD la question de la tactique électorale.
Treint propose la formule : « Bloc ouvrier, front unique de tous les prolétaires contre
la bourgeoisie »226. Il dénonce la volonté des socialistes et de certains radicaux
d’amener les communistes à pactiser avec eux le temps des élections, au nom de la
lutte contre le Bloc national. Fidèle à la ligne qu’il défend dans le cadre de
l’application du front unique, il souligne que la participation des socialistes au bloc
ouvrier reste envisageable et demande à la base socialiste de se prononcer sur cette
éventualité. Il prétend ainsi placer les socialistes devant l’alternative de l’alliance
avec la bourgeoisie ou avec les communistes. Cette formule, qui permet des listes
communes avec « les réformistes et les frossardistes227», est rejetée par le reste des
membres du BP. Certains, comme Sellier et Cachin, tout en s’opposant à toute forme
de combinaison électorale avec les socialistes songent à des listes sur lesquelles
seraient acceptés « des syndicalistes et des socialistes de gauche ayant condamné
la tactique collaborationniste et blocarde de leurs partis »228. Le reste du BP souhaite
que le PCF se présente seul avec son programme complet, repoussant ainsi l’idée
de l’application de la tactique du front unique dans le cadre des élections, au nom du
risque d’électoralisme persistant dans certaines fédérations et du rejet que cela
provoquerait chez les syndicalistes révolutionnaires. Après que l’IC eut fait parvenir
un document sur les conditions d’application de la tactique du Bloc ouvrier et
paysan229, la discussion reprend lors de deux séances du CD, au mois de
septembre230. De nouveau, elle met aux prises trois tendances. Certains veulent que
le PCF ne fasse pas de proposition de front unique aux socialistes, considérant que
cette tactique ne s’applique pas aux élections. Très proche d’eux, un autre groupe
demande que les communistes s’adressent aux socialistes avec un programme tel
qu’il soit obligatoirement repoussé et enfin un troisième groupe souhaite que la

226
Treint A, « Pièges électoraux », l’Humanité, n° 7087, 24 mai 1923, p. 1.
227
C’est à dire avec la SFIO et l’Union Socialiste-Communiste, qui regroupe des dissidents du PCF.
228
Ibid., p. 487.
229
Le terme de Bloc ouvrier et paysan est emprunté à Renaud Jean. Rapport d’Humbert-Droz, 20
septembre 1923, Archives…, tome 2, op. cit., p. 39. Voir également le compte rendu du discours de
Renaud Jean annonçant la tactique du « Bloc ouvrier et paysan » devant la chambre des députés,
l’Humanité, n° 7112, 18 juin 1923, p. 1-2.
230
Treint, alors à Moscou, ne participe pas aux discussions.
213
proposition de front unique puisse déclencher un débat dans les rangs socialistes,
sans que pour autant elle puisse être acceptée par la direction de la SFIO.
Le 15 octobre 1923, la séance de la matinée du conseil national est
entièrement consacrée à la tactique électorale et du Bloc ouvrier et paysan. Treint
défend à nouveau sa proposition de front unique le plus large possible231. Depuis son
voyage à Moscou, il a pris conscience de la volonté de la très large majorité de
l’écarter du secrétariat lors du prochain congrès. Ce souhait collectif s’appuie sur les
erreurs dans la réorganisation du PCF et les fautes commises dans l’application du
front unique. A l’instar de Souvarine, de nombreux communistes dénoncent le
manque de fermeté à l’égard des dirigeants socialistes, ainsi que le risque
électoraliste que les propositions de Treint font peser232. Soucieux de défendre sa
position et de montrer que ces critiques sont injustifiées, Treint reprend à son compte
les craintes exprimées par les autres intervenants et déclare :
« Je peux calmer facilement toutes les appréhensions à ce sujet [le risque
électoraliste]. Nous avons été unanimes à penser qu’aux prochaines élections,
sauf les députés actuellement en exercice et qui n’ont pas démérité, aucun
membre de la direction du Parti, de la rédaction de l’Humanité, aucun
fonctionnaire du Parti ne pourra être candidat. Ainsi, nous ferons la preuve
devant l’opinion ouvrière, devant l’opinion syndicale que notre Parti n’est pas
une machine destinée à tromper les ouvriers pour arracher des mandats
parlementaires au profit de ses dirigeants. »233
Alors que le conseil national est réuni pour ouvrir la discussion en vue du congrès et
non pour prendre une décision, Treint insiste pour que les délégués se prononcent
immédiatement, arguant de la nécessité de donner des gages aux syndicalistes
révolutionnaires de la volonté du PCF d’éliminer toute pratique électoraliste234. La
discussion se focalise dès lors sur la proposition de Treint et sur la question du vote
immédiat. Cachin intervient pour approuver la position de Treint sur la nécessité de
mettre en place un programme clair et réellement communiste qui ne puisse être

231
Intervention de Treint au conseil national, RGASPI, 517/1/120.
232
Plusieurs interventions manifestent une réelle défiance à l’égard de l’électoralisme et du
parlementarisme et invitent le PCF à ne présenter que des candidats ouvriers pour montrer que le
PCF a bien rompu avec les pratiques électorales de la SFIO. Ibid.
233
Intervention de Treint, Ibid.
234
« La seule divergence qui s’était produite au comité directeur sur cette question, c’était de savoir si
la décision devait être prise par le Conseil national ou par le Congrès. […] D’autres, dont je suis,
pensent qu’à l’heure actuelle, au moment où nous allons engager notre action qu’il était bon que notre
Conseil national prenne dès aujourd’hui cette décision afin de lutter dès maintenant par nos actes
mêmes contre les préventions syndicales qui pourraient nous empêcher d’entraîner les masses
syndicales à l’action révolutionnaire à laquelle nous les convions », Ibid.
214
accepté que par de « véritables révolutionnaires ». Il s’étonne par contre de la
déclaration sur les fonctionnaires du parti, puisqu’il apprend « que cette décision a
été prise par le comité directeur ». Il conseille que la motion soit moins affirmative et
impérative235. Sellier souligne à son tour que le conseil national n’a pas à se
prononcer sans qu’un débat ait eu lieu dans les fédérations, tout en confirmant que la
proposition de Treint reflète bien la position du CD. La motion est finalement mise au
vote. Avant que le vote ait lieu, plusieurs intervenants se succèdent. Rappoport
considère qu’il s’agit d’une « surenchère anti-parlementaire […] démagogique »236
qui risque de priver le parti de très bon éléments pour la bataille électorale et conclut
par une boutade : « Camarade Treint, votre train va trop vite. ». Mais la majorité des
intervenants adhère à la proposition et notamment Suzanne Girault qui déclare que
les représentants des fédérations doivent prendre leurs responsabilités pour « ne
pas donner le spectacle d’un conseil national divisé »237. La motion Treint est
approuvée à l’unanimité moins trois voix238.
Le conseil national représente incontestablement un succès pour Treint, alors
qu’Humbert-Droz et plusieurs dirigeants escomptaient une condamnation ferme de
ses erreurs. Il fait avaliser les principales initiatives de la direction sur le plan de la
réorganisation et remporte une victoire personnelle en obligeant les délégués à se
prononcer sur l’impossibilité pour les fonctionnaires du parti de participer aux
prochaines élections législatives. En se présentant comme le garant de l’orientation
révolutionnaire du parti, comme le promoteur de l’ouvriérisation et du rapprochement
avec les syndicalistes révolutionnaires, il tente d’asseoir son autorité239 et de
répondre aux critiques de ses détracteurs, qui l’accusent de développer une vision
opportuniste de la tactique du front unique sur le plan électoral. Il profite de la
campagne de soutien à la révolution allemande pour justifier son choix d’imposer
sans concertation préalable sa motion :
« Mais nous sommes pressés par les événements. […] Les événements
d’Allemagne se précipitent. La révolution gronde dans le Reich disloqué. Il
fallait, par un acte clair, vaincre d’un coup, tout de suite, les préventions d’une

235
Intervention de Cachin, Ibid.
236
Intervention de Rappoport, Ibid.
237
Intervention de Suzanne Girault, Ibid.
238
L’Humanité, n° 7232, 16 octobre 1923, p. 1.
239
Humbert-Droz considère qu’il s’agit d’un « coup de force démagogique » et demande que l’IC
oblige la direction à revenir sur cette décision. Rapport du 8 décembre 1923, De Lénine…op. cit., p.
158.
215
partie des masses contre l’arrivisme électoral attribué aux dirigeants du
parti. »240
Le conseil national discute également, au cours d’une séance privée, de la
situation allemande et adopte un « plan de lutte »241 qui reprend les propositions
adoptées lors de la conférence des pays voisins de l’Allemagne, à Moscou. Après la
chute du gouvernement Cuno, en août 1923, l’IC et le parti russe appellent au
déclenchement de la lutte décisive242. Le KPD s’engage alors dans la voie de la
préparation de l’insurrection. La direction française, après avoir mené campagne
contre l’occupation de la Ruhr, entame une campagne de soutien à la révolution
allemande. La propagande en faveur du parti allemand est entravée par le sentiment
anti-allemand dominant dans les masses françaises et par l’exploitation dans la
presse hexagonale des propos nationalistes tenus par plusieurs dirigeants
communistes allemands243. Humbert-Droz souligne à plusieurs reprises les effets
néfastes du caractère nationaliste de la tactique du KPD, rejetée jusque dans les
rangs du PCF244.
Depuis le début du mois d’août, Treint publie des études245 consacrées à la
situation allemande et à la lutte à venir entre le communisme et le fascisme246. Il
justifie les accents nationalistes des discours du KPD par la nécessité pour les
communistes allemands de rallier les classes moyennes et les franges de la
population ouvrière touchées par la rhétorique des fascistes247. Selon lui, la situation
de l’Allemagne en 1923 justifie que le KPD développe le mot d’ordre de « l’intégrité
du Reich », puisqu’il s’agit de lutter pour « l’unité révolutionnaire du prolétariat

240
Treint A, « Le conseil national des 14-15 octobre », art. cit., p. 775.
241
Ibid., p. 776.
242
Sur les discussions du bureau politique du PCR et le « projet de thèse » de Zinoviev sur la
question allemande, voir BROUE P., op. cit., p. 323-324.
243
Concernant le discours de Radek sur le jeune nationaliste allemand Schlageter et la tentative du
KPD de toucher les groupes de la droite nationaliste allemande, Ibid., p. 306-307.
244
Le 6 septembre, il écrit que « la tactique du parti allemand à l’égard des nationalistes rend
infiniment plus difficile la tâche du parti communiste français et diminue les sympathies des masses
pour la révolution allemande » et le 20 septembre il ajoute que « les camarades du parti sont très
troublés par les déclarations nationalistes et ne les comprennent pas », De Lénine…op. cit., p. 148-
149.
245
En tout quatre articles entre le 28 juillet et le 15 août 1923 dans lesquels Treint décrit la situation
sociale et politique allemande (« Vont-ils encore trahir », l’Humanité, n° 7155, 31juillet 1923), ainsi que
l’attitude du gouvernement français face à la crise allemande (« Face au gouvernement ouvrier
d’Allemagne : Mr Poincaré à la parole », l’Humanité, n° 7168, 13 août 1923, p. 1 et « l’Internationale
ploutocratique : les baïonnettes de Mr Poincaré protègent les capitalistes allemands », l’Humanité, n°
7170, 15 août 1923, p. 1).
246
Treint A, « La révolution gronde outre-Rhin : Face au fascisme », l’Humanité, n° 7152, 28 juillet
1923, p. 1.
247
Treint A, « Les formes nouvelles de la lutte internationale des classes », Bulletin Communiste, n°
31, 2 août 1923, p. 454-457.
216
allemand » et contre les menaces d’intervention de l’armée française en cas de
soulèvement révolutionnaire248. La montée en puissance du fascisme allemand
nécessite d’engager contre eux une lutte qui ne soit pas seulement militaire, mais
également idéologique, pour éviter de reproduire les erreurs des communistes
italiens qui, d’après Treint, ont été vaincus par les fascistes, « faute de les avoir
politiquement désagrégés »249. S’il reconnaît le risque que cette tactique puisse
« engendrer le nationalisme dans la classe ouvrière », il proclame qu’elle seule
permettra la victoire du prolétariat allemand.
Dans les rangs du PCF, la majorité des militants refuse, contrairement à
Treint, de cautionner la tactique du parti allemand, même si, ayant été avalisée par
l’IC, il est difficile de la critiquer ouvertement. Les communistes français accueillent
avec soulagement le changement de discours du KPD, qui abandonne en septembre
les mots d’ordre nationalistes. Suite à la réunion de Moscou, le PCF accroît
sensiblement son effort de propagande et organise de nombreux meetings,
notamment dans la Seine, qui attirent peu d’auditeurs250. Treint, conscient de
l’apathie des ouvriers, rappelle l’importance de l’enjeu des évènements qui se
déroulent en Allemagne :
« La révolution allemande mûrit rapidement ! Elle est historiquement
imminente. Pour quand ? se demande en France l’élite révolutionnaire. C’est
une question qui n’a plus guère de sens en Allemagne. Là-bas, au désir
impatient de la lutte qui enfiévrait les masses ouvrières lors des grandes
grèves qui amenèrent la chute de Cuno, s’est substituée la certitude mâle,
joyeuse, tranquille, que les combats décisifs vont bientôt se livrer. »251
Les décisions du conseil national ne font qu’avaliser cette certitude, partagée
par la direction française, que la deuxième phase de la révolution mondiale est
enclenchée et qu’une fois les ouvriers installés au pouvoir en Allemagne, l’agitation
révolutionnaire s’étendra à la France. Convaincus de l’inéluctable victoire du parti
allemand et de la reprise de la poussée révolutionnaire après une série d’échec252,
les militants du PCF peuvent difficilement critiquer Treint lorsqu’il invoque les
évènements allemands pour justifier des mesures censées préparer le parti à la lutte

248
Treint A, « La révolution écrasera le fascisme », l’Humanité, n° 7231, 15 octobre 1923, p. 1.
249
Ibid., p. 456.
250
Dans son rapport du 22 octobre, Humbert-Droz écrit que « la masse ouvrière, même
sympathisante est complètement endormie. Les réunions, même avec nos meilleurs orateurs sont très
peu fréquentées », De Lénine….op. cit., p. 151.
251
Treint A, « Pour quand ? », l’Humanité, n° 7227, 11 octobre 1923, p. 1.
252
Notamment en Italie puis en Bulgarie.
217
révolutionnaire. Quelques semaines après que le conseil national eut adopté un plan
de lutte qui prévoit notamment l’appel à la grève générale en cas de tentative
d’intervention de l’armée française contre les ouvriers allemands, le soulèvement
préparé par le KPD, avec l’appui de l’IC, échoue totalement. Le 21 octobre 1923, la
direction du KPD annule la grève générale qui devait déclencher l’insurrection
générale et seuls les communistes d’Hambourg se soulèvent. Le gouvernement
allemand reprend rapidement le contrôle de la ville, mettant fin à l’espoir d’un
soulèvement révolutionnaire253. Le 12 novembre, le CD du PCF prend acte de la
retraite du KPD et déclare que la révolution allemande est reportée254.
Dans l’Humanité255, Treint fait un parallèle avec la révolution française pour
montrer que l’échec du mois d’octobre n’est qu’une étape et « que nous sommes
maintenant dans la période qui précède immédiatement l’assaut décisif ».
Souvarine256 estime au contraire que l’offensive révolutionnaire ne peut avoir lieu
prochainement car le parti allemand a montré qu’il n’était pas encore préparé. Il
défend ainsi le choix de la direction allemande qui a préféré reculer plutôt que d’aller
vers une défaite assurée. Il souligne également les erreurs du KPD dans l’application
de la tactique du front unique mais son réquisitoire vise avant tout Treint, avec qui il
est en profond désaccord sur cette question257. Depuis son retour en France, peu
après l’annonce de l’échec allemand, Souvarine mène ouvertement la bataille et
rallie une majorité dans le CD comme au BP. Treint, qui jusqu’au lendemain du
conseil national tenait fermement les rênes de la direction, se voit contester son
pouvoir.

3) Défaite de Treint au congrès de Lyon.

Dans son rapport du 23 novembre 1923, le représentent de l’IC signale le


danger que le retour de Souvarine fait peser sur l’unité du parti, du fait du conflit qui
l’oppose à Treint :

253
Voir BROUE P, op. cit., p.342-345.
254
Voir la déclaration du CD publiée dans l’Humanité, n° 7259, 12 novembre 1923, p. 1.
255
Treint A, « Pas d’impatience ! Du travail ! », l’Humanité, n° 7251, 4 novembre 1923, p. 1.
256
Souvarine B, « Quelques leçons d’un échec », Bulletin Communiste, n° 47, 22 novembre 1923, p.
841-842.
257
« Il n’est pas douteux que l’expérience saxonne a révélé des fautes de nos camarades dans
l’application du front unique. […] Or, notre tactique du front unique perd son contenu révolutionnaire si
le parti révolutionnaire renonce à l’initiative, ou agit de telle sorte que, pratiquement, l’initiative ne soit
plus dans ses mains. […] La tactique du front unique n’est pas une formule rigide liant ses
promoteurs, mais une conception vivante […] », Ibid.
218
« Avec Treint aussi il y a sans cesse des disputes aigres. Souvarine accuse le
parti d’hypocrisie. Au dernier Bureau politique il a déclaré vouloir soulever au
congrès son différend avec Treint à propos de la tactique, bref l’atmosphère
du parti se charge et devient très pénible. »258
Contrairement aux craintes d’Humbert-Droz, si le conflit entre les deux hommes se
poursuit jusqu’au congrès de Lyon, il n’engendre pas de nouvelle crise majeure. En
menant la lutte sur les fautes commises dans la réorganisation, sur la centralisation
excessive et l’autoritarisme de la direction et de la fédération de la Seine259,
Souvarine regroupe derrière lui une très large majorité du CD, la même qui avait
jusqu’alors approuvé la politique de Treint.
Souvarine fait figure de maître d’œuvre de l’organisation du congrès de Lyon.
Avec Rosmer et Dunois, il participe à la commission chargée de remanier le projet de
programme260. Il tente d’ouvrir une large discussion à la base en préconisant que le
parti se livre à des échanges de vues, des critiques concernant le bilan comme le
futur. Fin décembre261, il constate avec regret que la presse n’a pas encore ouvert
ses colonnes au débat et propose aux militants plusieurs axes de réflexion tournant
autour de l’organisation, de la tactique électorale et syndicale ainsi que des
problèmes posés par les événements d’Allemagne. Il développe ces thèmes dans un
article destiné à alimenter le débat sur le futur programme du parti262, en présentant
les infléchissements dans la tactique politique générale. Il avertit que le congrès de
Lyon ne peut mettre à l’ordre du jour la vaste question du programme de
l’Internationale, du fait du manque de préparation. La discussion ne peut dès lors
porter que sur « un programme immédiat », autrement dit un plan de lutte visant à
l’instauration du gouvernement ouvrier et paysan en France, première étape de la
révolution sociale. Les principales questions à l’ordre du jour concernent la tactique
électorale, l’organisation pratique en vue des élections263 et l’organisation générale
du parti, c’est-à-dire le rétablissement de l’équilibre entre les organes de direction
ainsi que l’amélioration de la liaison entre le centre et la province.
Sur le plan de la tactique générale, Souvarine souligne la nécessité de
poursuivre le travail engagé par la direction et propose un certain nombre d’inflexions

258
Humbert-Droz, De Lénine… op. cit., p. 157.
259
Cf. supra.
260
P-V du CD du PCF du 2 janvier 1924, BMP 62.
261
Souvarine B, « Notre congrès », Bulletin Communiste, n° 51, 20 décembre 1923, p. 921-922.
262
Souvarine B, « En vue du Congrès », Bulletin Communiste, n° 2, 11 janvier 1924, p. 41-45.
263
Il soulève ici le débat sur l’éligibilité des fonctionnaires du parti ainsi que sur la règle des neuf
dixièmes d’ouvriers candidats du parti. Nous y reviendrons.
219
sur la tactique du front unique qu’il considère comme le principal « point faible du
parti »264. Il revient sur le débat qui l’opposa à Treint quelques mois auparavant et
propose que le congrès de Lyon modifie sa conception du front unique dans le sens
d’une tactique de combat contre le réformisme et non d’une tactique de
« renoncement à l’initiative » et de collusion avec les socialistes et les résistants. Ses
critiques majeures à l’égard de la direction, Treint en particulier, portent moins sur la
ligne politique suivie en 1923 ― restée fidèle aux principes édictés par l’IC ― que
sur les fautes commises dans la réorganisation et les méthodes trop centralisatrices
et autoritaires265. Le manque de préparation du congrès est selon lui symptomatique
du manque de vie dans le parti, dû aux déséquilibres des organes de direction. Il
note le manque d’activité du CD, ne s’occupant que de « questions administratives »
au lieu de « diriger le parti et tous ses organes », l’omnipotence du BP devenu le
seul organe de direction. Il montre que ces déviations découlent simplement de
méthodes de travail erronées de certains dirigeants, cette affirmation visant
explicitement Treint :
« Nous avons dit ce que l’expérience d’une année nous a semblé condamner
dans les méthodes de travail de la Direction. […] Pour ce qui est de
l’organisation générale du Parti, une critique s’est élevée de nombreuses
sections et fédérations contre ce qu’on appelle un centralisme exagéré. […]
De plus, on doit reconnaître qu’il y a eu, de la part des dirigeants du parti (pas
de tous heureusement) une tendance à favoriser cet état de chose regrettable,
en s’abstenant de stimuler la vie intérieure des sections et fédérations et en
croyant avoir réglé une question par l’envoi d’une circulaire. »266
Dans la presse, Souvarine évite, à quelques exceptions, de s’en prendre
directement à Treint, mais dans le cadre des séances du BP et du CD, les
accrochages entre les deux hommes se multiplient. Le 4 janvier267, Souvarine
dénonce le rapport moral présenté par Treint, le jugeant très insuffisant, voire hors
sujet268. Cette remarque entraîne automatiquement une réplique de ce dernier, qui
considère que Souvarine caricature la situation et « ne connaît pas le parti».

264
Souvarine B, « Le front unique en France », Bulletin Communiste, n° 3, 18 janvier 1924, p. 65-67.
265
Souvarine B, « Le congrès de Lyon », Bulletin Communiste, n° 1, 4 janvier 1924, p. 1-3.
266
Souvarine B, « En vue du Congrès », art. cit., p. 44-45.
267
P-V du CD du PCF du 4 janvier 1924, BMP 62.
268
Dans son article intitulé « Le congrès de Lyon » (art. cit.), il écrit : « Le rapport du camarade Treint,
pour intéressant qu’il soit comme rappel de l’activité du Parti, ne répond à ce qu’attend le Parti comme
"rapport moral". Celui-ci doit être un document engageant la responsabilité collective de la Direction et
rendant compte de la situation du Parti. Au lieu de cela, nous avons un exposé personnel de Treint,
[…] ».
220
Cependant, sur ce point, le CD suit l’avis de Souvarine et demande que le rapport
moral soit amélioré.
Le rapport moral de Treint269 se compose d’une longue description des
événements de l’année 1923 et d’un historique des actions engagées par le PCF
contre l’occupation de la Ruhr, l’application de la tactique du front unique, la lutte
pour les revendications immédiates (vie chère, amnistie, lutte contre la répression),
la liaison avec les autres organisations du prolétariat et enfin la réorganisation du
parti. Il juge que la direction a accompli, dans une situation difficile, une « œuvre »
politique immense faisant du PCF « un parti digne du prolétariat et digne de
l’Internationale ». Malgré ce satisfecit adressé en partie à lui-même, il ne peut
occulter les nombreuses critiques et attaques dont il est l’objet dans la presse du
parti, comme au CD. Conscient qu’il lui sera difficile de conserver sa place au
secrétariat, il tente d’infléchir ses positions sur les points les plus critiqués de son
action. Concernant la tactique du front unique, il reconnaît que des « erreurs ont été
commises » sans plus développer puis il consacre toute une partie ― intitulée
« autocritique » ― aux méthodes de direction et pour la première fois reconnaît
certains errements qu’il avait jusqu’alors contestés :
« De haut en bas, la liaison des efforts a été souvent insuffisante. Notamment
notre Bureau politique a presque absorbé tout le travail de la direction et n’a
pas suffisamment rendu compte de son activité devant le Comité directeur qui,
ainsi, n’a pas eu suffisamment de vie. […] Il en est résulté un centralisme
exagéré et qui, en dehors de notre volonté, tend à prendre le caractère d’un
centralisme militaire où chacun ne ferait plus qu’obéir passivement aux ordres
d’en haut. »270
Il s’agit pour lui de détacher sa personne des critiques que les délégués des
fédérations ne peuvent manquer d’apporter à la tribune et de rendre la direction
collectivement responsable de cette centralisation excessive271. Humbert-Droz
s’insurge contre cette autocritique qu’il juge dénuée de sincérité et destinée à
dissimuler ses responsabilités, dans le seul but de conserver son poste de secrétaire
général272.

269
Treint A « Rapport politique d’un Secrétaire », Bulletin Communiste, n° 1, 4 janvier 1924, p. 21-36.
Le titre original était « Vers un parti communiste » mais Souvarine a choisi d’en modifier l’intitulé.
270
Ibid., p. 34-35.
271
« Il ne s’agit pas de faire des critiques dirigées contre des personnes et qui aboutiraient à une
renaissance artificielle des luttes de tendances. », Ibid.
272
Rapport d’Humbert-Droz à Zinoviev, 2 janvier 1924, RGASPI, 517/1/150.
221
A l’approche du congrès, Treint espère encore pouvoir contrer l’offensive
menée par Souvarine pour l’éliminer du secrétariat, en constituant une fraction
s’appuyant principalement sur la fédération de la Seine. Cette manœuvre implique
de faire amende honorable et de se présenter comme un homme de dialogue, ouvert
aux critiques273. Elle implique également de se différencier de Souvarine pour donner
à la lutte entre les deux hommes le caractère d’une lutte politique. Treint s’appuie sur
les craintes exprimées par certains syndicalistes révolutionnaires d’une résurgence
de l’électoralisme dans le PCF. Fort de la motion sur la non éligibilité des
fonctionnaires qu’il avait imposée lors du conseil national, il reprend à son compte
ces craintes en se présentant comme le porte–parole d’une gauche ouvriériste,
espérant ainsi rallier les syndicalistes révolutionnaires qui ont adhéré au parti. Au
CD274, il lit plusieurs lettres de syndicalistes dénonçant un danger électoraliste et
demande qu’on organise un débat avant le congrès. Souvarine réplique que le parti a
déjà pris des mesures contre l’électoralisme et qu’il s’agit d’un « danger
hypothétique »275. La tentative de Treint d’imposer une discussion sur le danger
électoraliste fait long feu.
Le congrès de Lyon (20-23 janvier 1924) se déroule sans heurt, ni lutte de
tendance. Le conflit tant redouté entre Souvarine et Treint n’a en définitive pas lieu,
faute de combattant. La première journée est consacrée aux rapports des
fédérations. Le lendemain, les délégués débattent durant toute la journée de la
tactique électorale et de l’attitude à l’égard des socialistes. Une fois la tactique du
Bloc ouvrier et paysan adoptée, le congrès vote le principe de l’envoi d’une lettre au
congrès national de la SFIO pour renouveler la proposition de former un bloc
électoral sous trois conditions impératives276, inacceptables pour la SFIO. La
résolution sur la tactique du front unique entérine ce changement d’attitude, voulu
par Souvarine277. Concernant la question des candidats présentés par le parti, une

273
« Et je souhaite que les colonnes du Bulletin et la tribune de l’Humanité soient pleines de vos
suggestions, de vos critiques et même de vos rudesses et de vos sévérités, comme les colonnes de la
Pravda sont pleines de la vie qui bouillonne en ce moment dans les sections du Parti russe à la veille
du prochain Congrès bolchevique. » Treint A, « Entre communistes, la discussion est ouverte »,
l’Humanité, n° 7311, 3 janvier 1924, p. 4.
274
P-V du CD du PCF du 2 janvier 1924, BMP 62.
275
Souvarine B, « En vue du Congrès », art. cit., p. 43.
276
Bloc électoral exclusivement national, rupture avec le bloc des gauches et lutte en commun des
socialistes et des communiste pour l’unité syndicale.
277
« L’emploi de lettres ouvertes aux chefs des partis se réclamant de la classe ouvrière est
insuffisant. […] Le front unique ne saurait impliquer ni l’altération du droit de critique communiste
envers les réformistes, ni le renoncement au devoir d’initiative du Parti », Voir Souvarine B, « Après le
congrès de Lyon », Bulletin Communiste, n° 7, 15 février 1924.

222
polémique oppose des militants qui voient dans la motion Treint, une déviation
ouvriériste et gauchiste278, à la majorité qui défend une résolution de la commission
politique qui rappelle la règle fixée par le conseil national. Treint ne peut dès lors se
saisir de la discussion, puisque Souvarine et la majorité des délégués réaffirment
avec force des principes qui permettent d’écarter tout danger électoraliste279.
Le 22 janvier 1924, les délégués doivent débattre des rapports moral et
politique du secrétariat, mais cette journée prend un tour solennel avec l’annonce du
décès de Lénine280. La discussion sur le bilan de la direction se déroule dans une
atmosphère d’unanimité. Tous les intervenants soulignent, avec plus ou moins de
force, le centralisme excessif, le manque de vie dans le parti, le développement de la
bureaucratie. Les deux derniers intervenants de la journée sont Souvarine et Treint.
Le premier revient sur certaines de ses critiques, déjà exprimées dans ses articles,
notamment concernant « l’inertie du parti », le « centralisme excessif », le manque
d’activité du CD. Il appelle à faire un effort d’organisation, à relancer une véritable
campagne de recrutement, à développer l’éducation des cadres et enfin à
développer les cellules d’usines pour améliorer l’implantation du PCF dans la classe
ouvrière281. Au nom du secrétariat, Treint répond aux critiques282. Confronté à
l’unanimité contre les méthodes de direction instaurées dans la fédération de la
Seine par Suzanne Girault et au secrétariat par lui-même, il n’a d’autre choix que de
s’associer à certaines critiques, notamment concernant la tactique, la réorganisation
et l’excès de centralisme. Sur la création des délégués régionaux, il rejette
l’accusation d’avoir favorisé un développement de la bureaucratie. Son discours,
sans polémique, ni attaque, répond point par point aux critiques et met en évidence
les progrès réalisés par le PCF.
La résolution sur la tactique et l’organisation du parti, présentée par la
commission politique et votée à l’unanimité lors de la dernière journée, consacre la
défaite de Treint. Elle reprend le point de vue de Souvarine sur la question de la
discipline, du centralisme, du manque de vie dans le parti283. Dans le Bulletin

278
Voir compte rendu de la deuxième journée, l’Humanité, n° 7330, 22 janvier 1924, p. 2.
279
La résolution confirme que « 1°) La règle sera de présenter des listes composées d’ouvriers et
paysans travailleurs, à l’exclusion des militants consacrés en permanence au parti. 2°) Le Comité
directeur présentera les députés sortants ayant donné les preuves de leur fidélité au parti. », Ibid.
280
L’Humanité, n° 7331, 23 janvier 1924, p. 1-2.
281
Intervention de Souvarine à la séance du 22 janvier 1924, l’Humanité, n° 7332, 24 janvier 1924, p.
4.
282
Intervention de Treint, Ibid.
283
« [la direction du parti] a établi un centralisme excessif, une discipline trop mécanique et ses
préoccupations nécessaires d’organisation intérieure et administrative, ainsi que certains défauts de
fonctionnarisme et de bureaucratie ont gêné sont travail politique. Il n’a pas été consacré au
223
Communiste, ce dernier souligne que le congrès de Lyon s’inscrit dans la continuité
mais constitue néanmoins une rupture sur le plan des méthodes de direction :
« Le fait le plus remarquable a été l’unanimité avec laquelle l’ensemble des
militants actifs ont réagi contre les fautes passées, tant dans la Fédération de
la Seine que dans tout le Parti. […] Quand un Parti s’oriente avec un pareil
ensemble, c’est un signe indéniable de cohésion et de progrès politique. »284
Pour Treint le désaveu est cinglant même s’il s’est associé au vote. Cette attitude
manifeste son désir de conserver un poste dirigeant alors que les résolutions
adoptées mettent en évidence la volonté de la majorité d’éliminer le double
secrétariat et d’écarter les anciens titulaires, au profit d’un militant de moindre
envergure mais consensuel. En fin de congrès, les délégués acceptent les listes
présentées par la commission politique pour la composition des organes directeurs
du parti.285. Le CD se caractérise dans l’ensemble par la continuité avec le précédent
exception faite de l’entrée de plusieurs syndicalistes révolutionnaires.
Le 25 janvier 1924, Le CD se réunit286 pour désigner les membres du BP, du
secrétariat ainsi que les représentants du PCF auprès de l’IC. Depuis plusieurs
semaines l’abandon du double secrétariat a été décidé. Etant donné le déroulement
du congrès national et la teneur de la résolution sur la tactique et l’organisation du
parti, Treint ne peut être reconduit dans ses fonctions et Sellier ne le souhaite pas.
Après discussion, le choix des membres du CD se porte sur Cremet287. Peu avant la
réunion, Treint se concerte avec plusieurs membres du CD pour tenter de se faire
élire par surprise288. Cette manœuvre produit l’effet inverse à celui désiré. Il se voit
vertement attaqué par la quasi-totalité des membres du CD et lors du vote, il est non

recrutement les efforts nécessaires, […] Le Bureau politique a absorbé presque tout le travail de
direction. Le Comité directeur n’a pas suffisamment joué son rôle ; […] Nos fédérations et sections, se
croyant tenues d’attendre les indications du Centre, se sont trop souvent abstenues d’agir. ». Cité par
Souvarine, « Après le congrès de Lyon », art. cit., p. 178.
284
Ibid., p. 177.
285
Le nouveau CD comprend : Brout, Cachin, Cordier, Cremet, Dallet, Doriot, Dunois, Dupillet,
Gaymann, Gourdeaux, Jacob, Marrane, Midol, Renaud Jean, Rosmer, Sellier, Semard, Suzanne
Girault, Souvarine, Tommasi, Treint, Vaillant-Couturier, Werth, Monatte ainsi que Bazin, Boin,
Cadeau, Jerram et Péri pour la province. L’Humanité, n° 7332, 24 janvier 1924.
286
Concernant cette séance (datée par erreur du 26 janvier), voir ROBRIEUX P, op. cit., p. 205.
287
D’après Souvarine, Treint s’était lui-même engagé à s’effacer et à voter pour Cremet. Lettre de
Souvarine à l’Exécutif de l’IC, 13 février 1924, IHS, fonds Souvarine.
288
Treint, après avoir déposé sa candidature par le biais de Gourdeaux, demande à ce que le CD
choisisse entre lui et Sellier. Puis, après l’élection de Sellier, Gourdeaux dépose une liste pour le BP,
ne comprend pas Treint, du fait de son départ pour Moscou. Voir la lettre du CD du PCF au Présidium
de l’IC, 19 février 1924, RGASPI, 517/1/170.
224
seulement écarté du secrétariat, qui revient finalement à Sellier289 assisté de Cremet
et Marrane, mais également du BP pour être désigné représentant du PCF auprès
de l’IC, au côté de Souvarine290.
Lors de la réunion suivante291, malgré la réprobation générale des méthodes
employées pour conserver son poste, Sellier, appuyé par d’autres membres du CD,
demande à Treint de rester en France pour participer à la campagne électorale292
considérant qu’un départ immédiat « pourrait être interprété comme une disgrâce ».
Treint souhaite au contraire être envoyé le plus rapidement possible à Moscou et
exige que la date de son départ soit fixée. Cette volonté de rejoindre rapidement
Moscou a fréquemment été analysée comme un calcul politique, pour lui permettre
de se ranger derrière la majorité du PCR et ainsi combattre Souvarine en se mettant
« au service de Zinoviev »293. En réalité, quelques jours après le congrès de Lyon, le
CD n’a pas encore pris de position concernant la question russe et Treint souhaite
simplement plaider sa cause auprès de l’Exécutif, considérant qu’il n’a fait que mener
la politique de l’IC et que les critiques qui lui ont été adressées ne se justifient pas.
Lorsqu’il avait été attaqué dans le Bulletin Communiste, en juillet 1923, il avait déjà
demandé à être envoyé à Moscou pour pouvoir s’expliquer et combattre l’influence
de Souvarine au CE de l’IC. Treint, comme la majorité du PCF, n’a semble t-il pas
encore pris conscience de l’enjeu de « la discussion » dans le PCR et ne peut
imaginer que Zinoviev se prépare à modeler les directions des sections de
l’Internationale à sa guise.

Au cours de l’année 1923, les conflits au sein de l’appareil ont changé de


nature. Jusqu’au 4ème congrès mondial de l’IC, différentes tendances politiques ayant
une vision antagoniste du rôle du parti et de l’idéologie communiste se côtoyaient au
sein de la direction, rendant inenvisageable la construction d’un parti homogène et
discipliné. Avec le départ de Frossard, seuls les militants ayant approuvé
inconditionnellement les principes d’organisation et la tactique politique de l’IC
demeurent dans le parti. Au cours de l’année, la direction applique la tactique du

289
Dans une lettre à Zinoviev, datée du 5 février 1924, Sellier explique s’être représenté contre Treint,
à la demande de membres du CD qui craignaient que « la candidature de Cremet [ne résiste pas]
devant celle de [Treint]. ». RGASPI, 517/1/177.
290
Voir BMP 62. Le P-V de la réunion, très succinct, indique uniquement le résultat du vote et la
désignation de Treint au poste de représentant du PCF.
291
P-V du CD du PCF, 29 janvier 1924. BMP 62.
292
Treint est élu secrétaire de la commission électorale. Ibid.
293
CHAIGNEAU J-L, op. cit., p. 841. Cette analyse se retrouve dans la quasi-totalité des ouvrages
consacrés à l’histoire du PCF dans les années vingt.
225
front unique en multipliant les propositions d’action commune avec les socialistes.
Elle développe le travail communiste dans les syndicats ainsi que dans d’autres
organisations ouvrières. Elle mène une campagne antimilitariste, axée sur des mots
d’ordre révolutionnaires et organise pour la première fois un véritable travail
clandestin. Elle tente une réorganisation de ses structures, basée sur le principe du
centralisme démocratique. L’année 1923 marque une première étape dans la
formation d’un parti révolutionnaire tel qu’il est défini par l’IC.
Pourtant, les huit mois au cours desquels Treint dirige le secrétariat et dans
les faits l’ensemble du parti se caractérisent par une crise de l’organisation en raison
de la chute des effectifs, des méthodes de direction qui enlèvent toute initiative à la
base et entraînent un mécontentement latent néfaste à la mobilisation des forces
militantes. Sur le plan de la tactique politique, le front unique échoue. Le PCF s’avère
incapable d’atteindre les masses et le rapprochement avec les autres organisations
ouvrières ne se fait pas sans heurt. Les campagnes du parti et plus particulièrement
le soutien à la révolution allemande ne mobilisent que les militants communistes déjà
acquis à la cause sans toucher les masses ouvrières. Les nombreuses critiques qui
s’abattent sur Treint lors du congrès de Lyon laissent à penser que 1923 fut une
nouvelle année de crise pour l’organisation.
Cependant toutes les réformes mises en place et la tactique suivie ont été
approuvées par la majorité et par l’IC. Il apparaît dès lors que le mécontentement,
duquel découle en partie l’inactivité et la désorganisation, provient principalement du
rejet de la personnalité et des méthodes de travail de Treint. Certains l’accusent de
déviation gauchiste, autrement dit de vouloir faire du PCF une secte politique ultra
hiérarchisée et disciplinée et de faire preuve de dogmatisme. Souvarine, de son côté,
l’accuse de développer une ligne « opportuniste », en voulant favoriser à tout prix le
rapprochement des communistes et des socialistes. Toutes ces critiques mettent en
évidence le manque de sens politique de Treint, doublé d’un orgueil personnel qui
l’empêche d’entendre la critique et de collaborer avec les autres membres de la
direction. Persuadé que les faiblesses découlent simplement d’un manque de
discipline et de volonté, il impose ses solutions, avec la conviction de servir les
intérêts du parti. Après avoir été vaincu au congrès de Lyon et malgré ses
déclarations, il refuse toujours de reconnaître des erreurs personnelles. Pensant
avoir été éliminé par le biais de manœuvres et non en raison de son impopularité, il
recourt lui-même aux manœuvres politiques, devenant le principal opposant à
Souvarine et le leader de la lutte contre le trotskysme.

226
CHAPITRE V : LA
BOLCHEVISATION
« EST NEE EN
FRANCE DANS LA
LUTTE CONTRE LA
1
DROITE » .

1 ème
Intervention de Treint lors de la 3 séance de l’exécutif Elargi, mars 1925, RGASPI, 415/163/123.
227
Depuis la fin de l’année 1922 et le retrait progressif de Lénine, une lutte
d’influence se déroule au sein de la direction du PCR entre Trotsky et un groupe
constitué principalement de Kamenev, Staline et Zinoviev. La Russie traverse une
période difficile sur le plan économique et social, marquée par une hausse du
chômage et l’apparition de la « crise des ciseaux »2. La situation s’aggrave au cours
de l’été 1923 et impose une série de réformes économiques. Lors du 12ème congrès
du PCR, en tant que rapporteur sur la situation économique, Trotsky propose une
réorientation de la NEP3, approuvée par le congrès mais critiquée officieusement par
ses adversaires politiques, qui entravent sa mise en pratique. Le conflit sous-jacent
entre Trotsky et la Troïka, qui ne porte pas uniquement sur les questions
économiques, s’intensifie brutalement suite à l’envoi par Trotsky d’une lettre au CC
et à la CCC du PCR4, dans laquelle il met en garde contre la situation de rupture
entre le CC et le parti. Il voit deux causes majeures à cette crise : le mécontentement
des ouvriers et des paysans face à la situation économique et le développement
dans le parti d’un régime interne « injuste et malsain »5. A cette lettre fait écho une
seconde, envoyée au BP du PCR par 46 vieux militants du PCR6, dénonçant la
politique économique erronée et le régime « intolérable » du parti. Lors d’une réunion
commune du CC et de la CCC du PCR, les deux documents sont discutés et
condamnés, la résolution fustigeant le caractère fractionnel de ces initiatives.
La direction du parti russe ne peut cependant faire l’économie d’une
discussion sur les difficultés intérieures. Zinoviev ouvre le débat dans la presse par
un article critique sur « les tâches du parti », tandis que le BP discute de la nécessité
d’un « Cours nouveau »7. Cette initiative débouche sur une résolution reconnaissant
l’existence d’un bureaucratisme et appelant au développement de la « démocratie
ouvrière » dans les rangs du parti. Malgré le vote de la résolution à l’unanimité du CC
du PCR, le conflit rebondit lorsque Trotsky publie une série de considérations sur le
« Cours nouveau », dans lesquelles il critique la « vieille génération », leur rôle dans
la bureaucratisation et demande un renouvellement de l’appareil, appuyé sur la jeune
génération. La Troïka réagit tout d’abord par la voix de Staline qui, dans un article

2
Il s’agit d’une hausse des prix industriels combinée avec une stagnation des prix agricoles, rendant
la production des industries soviétiques inaccessible à une majorité de la population russe.
3
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 358-359.
4
« Lettre aux membres du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle du Parti
Communiste Russe (b), 8 octobre 1923, Cahiers du CERMTRI, n° 105, juin 2002, p. 7-14.
5
Ibid.
6
« Lettre des 46 au Politburo du Comité Central du PCR (b) », Ibid., p. 15-21.
7
Voir PODCHTCHEKOLDINE A M, « Cours nouveau : prologue d’une tragédie », Cahiers Léon
Trotsky, n° 41, p. 92-97.
228
publié dans la Pravda du 15 décembre 1923, accuse Trotsky d’organiser un groupe
fractionnel8. Puis Zinoviev intervient à son tour et parle de résurgence du
« trotskysme », terme qui apparaît pour la première fois dans le débat entre les deux
tendances de la direction russe.
A la même période la Troïka prend conscience de la nécessité de prendre le
contrôle des sections de l’IC où Trotsky et l’opposition pourraient trouver un appui. Il
dépêche des émissaires dans les principales sections, dans le but de sonder les
opinions et de préparer le terrain. A la 13ème conférence du PCR, l’opposition russe
est condamnée dans une résolution qui parle d’abandon du « léninisme » et de
« déviations petites-bourgeoises »9. La Troïka attend de tous les partis qu’ils
approuvent l’orientation politique du PCR et condamnent les « déviations
menchevistes » et le « fractionnisme » de l’opposition. Cependant, plusieurs sections
refusent de s’aligner et de dénoncer l’opposition, parmi lesquelles le PCF. Souvarine,
appuyé par la majorité du CD élue au congrès de Lyon, critique la tournure prise par
la discussion russe et fait voter une résolution qui appelle à l’unité du PCR. Il devient
dès lors une cible pour la Troïka et ses émissaires en France.
Deux facteurs favorisent les manœuvres pour écarter Souvarine. Tout d’abord
l’existence d’une tendance minoritaire autour de Treint qui repousse la nouvelle
orientation du parti, et deuxièmement le développement d’une campagne
internationale en vue de la bolchevisation des partis communistes. En France
comme ailleurs, cette bolchevisation prend la forme d’une chasse aux opposants et
de l’adoption d’une ligne idéologique baptisée léniniste. Conduite par Treint et la
direction du PCF, avec l’appui de l’IC, cette opération politique et idéologique est un
véritable succès. Lorsque la discussion rebondit à la fin de l’année 1924, autour de la
publication par Trotsky de sa préface « les leçons d’Octobre », le PCF s’aligne
instantanément et condamne le trotskysme et la droite internationale.

8
Voir SORLIN P et I, Lénine, Trotski, Staline 1921-1927, Paris, Armand Colin, coll. Kiosque, 1961, p.
134-137.
9
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 383.
229
A/ L’exclusion des anciens leaders de la gauche.

1) Les répercussions de la « discussion russe » sur le PCF.

Souvarine est informé pour la première fois de la formation d’une fraction au


sein du BP du PCR, dirigée contre Trotsky, lors de son passage à Berlin, en octobre
192310. Une fois en France, il se charge de renseigner le parti sur « la discussion
russe » en publiant dans le Bulletin Communiste les principaux documents et en
apportant ses propres commentaires. Concernant les questions de la vie intérieure
du PCR ainsi que du redressement économique de la Russie, Souvarine marque sa
préférence pour les solutions exprimées par Trotsky sans pour autant prendre
explicitement position11. Jusqu’au congrès de Lyon, aucun autre dirigeant français
n’intervient pour appuyer ou infirmer ses articles. Par ailleurs, une très large majorité
des militants du PCF semble se désintéresser totalement de la question, au regret de
Souvarine12.
Vers la fin du mois de décembre, la « discussion » prend de plus en plus
distinctement l’aspect d’une lutte politique au sommet et apparaissent les premiers
articles dans la presse russe dénonçant le « fractionnisme » de l’opposition russe,
ainsi que des articles de Staline et Zinoviev dirigés contre la personne de Trotsky13.
Tout en publiant plusieurs articles de membres de la majorité du PCR, Souvarine
critique la tournure prise par la « discussion » et s’en prend plus spécifiquement à
Staline, considérant qu’il donne une tournure personnelle à la controverse et quitte le
terrain du débat d’idées en accusant l’opposition de fractionnisme et en dénigrant
Trotsky14. En outre, il fait parvenir une lettre à Zinoviev pour lui faire part de ses

10
Selon CHAIGNEAU J-L, il en aurait été informé par Radek. Voir op. cit., p. 744.
11 e
Voir notamment Souvarine B, « Les tâches du parti bolchevik » et « Le XIII congrès du parti
bolchevik », Bulletin Communiste, n° 49 et n° 50, 6 et 13 décembre 1923.
12
Quelques semaines avant le congrès de Lyon, Souvarine s’étonne de n’avoir reçu que trois lettres
au sujet de la question russe. « Notre congrès », Bulletin Communiste, n° 51, 20 décembre 1923, p.
921-922.
13
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 377.
14
« Celui-là se trompe qui s’imagine pouvoir devant le prolétariat mondial, séparer les noms de
Trotsky et de Lénine. ». Souvarine B, « Le "Cours nouveau" du parti bolchevik », Bulletin Communiste,
n° 1, 4 janvier 1924, p. 4-6.
230
désaccords quant à la campagne contre l’opposition en soulignant que « porter
atteinte à l’autorité de Trotsky, c’est amoindrir le prestige de la révolution russe »15.
Lors du congrès de Lyon, la question reste en suspens et aucune résolution
n’est présentée aux délégués. Le PCF ne peut cependant ignorer plus longtemps le
conflit qui touche la principale section de l’IC. A la séance du CD du 12 février 1924,
Souvarine lit une résolution du BP sur la question russe allant nettement à l’encontre
des décisions de la 13ème conférence du PCR16. Elle affirme que :
« Le Parti communiste français a suivi les discussions récentes du parti
communiste russe avec le plus vif intérêt et pris connaissance avec grande
attention des matériaux essentiels à ces discussions […] Le Comité directeur
estime que le rôle de l’Internationale, dans le cas où celle-ci serait appelée à
donner son opinion, serait de rechercher la base sur laquelle le Parti dans son
ensemble, rejetant à l’arrière-plan toutes les divergences secondaires, est
résolu à poursuivre son œuvre fondamentale »17
Cette résolution reprend les positions exprimées par Souvarine depuis plusieurs
semaines. Mais le texte suscite des réserves chez certains membres du CD. Treint,
Suzanne Girault, mais aussi Sellier et Semard demandent à être mieux informés
avant de voter et refusent de se prononcer. Souvarine leur réplique que les sections
de l’IC sont qualifiées pour intervenir dans les débats du PCR et que la résolution
vise simplement à souligner la nécessaire cohésion du parti russe. Treint soumet au
CD une contre motion lui demandant de « mandate[r] indicativement ses délégués
pour travailler à l’unité du parti russe, sur la base des décisions de
l’Internationale »18. Malgré les réticences exprimées, la résolution du BP est adoptée
à l’unanimité moins les voix de Treint, Suzanne Girault et l’abstention de Semard.
Ce vote doit-il être compris comme un choix délibéré de Treint et Suzanne
Girault de s’aligner sur la majorité du PCR ? Tout d’abord, les séances du CD,
depuis le congrès de Lyon, se déroulent dans une ambiance tendue du fait de
l’obstruction systématique pratiquée par ses deux militants19. A la suite de la réunion

15
Lettre de Souvarine à Zinoviev, 6 janvier 1924, cité par ROBRIEUX P, op. cit., p. 203.
16 e
Dans sa résolution finale, la XIII conférence du PCR condamne le « fractionnisme de Trotsky » et
la déviation antiléniniste » de l’opposition. BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 383.
17
P-V du CD du PCF, BMP 62. La résolution est également publiée dans l’Humanité, n° 7359, 20
février 1922, p. 4.
18
Ibid.
19
Dans une lettre au Présidium de l’Exécutif de l’IC, datée du 13 février 1924, Souvarine déclare :
« Au Comité directeur, [Treint] a mené à toutes les séances une obstruction systématique qui a
empêché tout travail utile. Il a été, avec son unique partisan Suzanne Girault, battu à l’unanimité sur
toutes les questions discutées. Il s’est efforcé en vain, à propos de questions artificiellement
évoquées, de dresser une fraction du Parti contre la direction. », IHS, fonds Souvarine.
231
du 25 janvier 1924, au cours de laquelle il fut éliminé du BP, Treint s’oppose
systématiquement à toutes les initiatives de la majorité, notamment en regimbant à
participer à la campagne électorale et en demandant à partir au plus vite à Moscou20.
Il critique la lettre du CD au Labour party21 et dénonce « les illusions réformistes »
que l’attitude du PCF crée dans le mouvement ouvrier. A deux reprises, il soulève la
question et, malgré le vote à l’unanimité de la lettre ― moins sa voix et celle de
Suzanne Girault ―, tente de faire naître artificiellement un débat22. Son vote contre
la résolution sur la question russe doit aussi être compris dans le cadre de cette
tactique d’obstruction systématique. Il apparaît difficile de savoir si, dès le début du
mois de février, Treint a politiquement pris position en faveur de la majorité du PCR,
étant donné que, contrairement à Souvarine, il ne s’est encore jamais exprimé sur la
question russe dans la presse du parti. Il faut cependant souligner le parallèle entre
la discussion dans le parti russe sur la question de la démocratie intérieure et de la
lutte contre la bureaucratie et les débats à l’intérieur du PCF avant le congrès de
Lyon. Dans une certaine mesure, on retrouve dans les arguments de Souvarine sur
la centralisation excessive et l’absence de vie du parti, ceux de Trotsky sur le
« régime injuste » et le manque de « démocratie ouvrière »23 dans le PCR. Treint,
dont les méthodes de direction ont été rejetées par une très large majorité, ne peut
voter la résolution Souvarine qui légitime les arguments de l’opposition russe et par
conséquent ceux de Souvarine à son égard. Enfin, depuis le début du mois de
février, Treint est entré en contact avec les délégués de l’IC24 qui lui signifient le
soutien du CE de l’IC et sa volonté de le faire réintégrer au sein du BP. Tenant sa
revanche et pouvant ainsi laver l’affront de sa non réélection au BP, il s’oppose à la
résolution de Souvarine sur la question russe sans pour autant avoir politiquement
pris position en faveur de la majorité du PCR et contre Trotsky. Ce vote constitue
plus un nouvel épisode dans la lutte que se livrent Treint et Souvarine, depuis le
milieu de l’année 1923, qu’un conflit politique.

20
P-V du CD du PCF du 29 janvier 1924, BMP 62. Cf. supra.
21
En janvier 1924, le Labour Party remporte les élections législatives en Grande-Bretagne. Rosmer,
chargé par le CD de suivre les affaires anglaises, propose alors une lettre reconnaissant la spécificité
du travaillisme britannique et l’enjoignant de respecter ses promesses électorales à l’égard de la
classe ouvrière britannique. Voir le Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril 1924, p. 250-251.
22
P-V du CD du PCF du 5 février 1924, BMP 62.
23
Lettre de Trotsky aux membres du CC et de la CCC du PCR, 8 octobre 1923. Voir Les cahiers du
CERMTRI, n° 105, juin 2002, p. 7-14.
24
Humbert-Droz ayant quitté la France, le délégué de l’IC chargé de suivre le congrès de Lyon est
Lozovsky. Au début du mois de février 1924, il est rejoint par Manouilski et Gouralski, deux membres
du PCR proches de Zinoviev. Il faut souligner que Treint avait déjà rencontré Gouralski lors du
congrès du KPD en novembre 1923.
232
Pour Zinoviev, la victoire de Souvarine au congrès de Lyon représente un
danger potentiel et risque de compromettre la campagne engagée par la direction du
PCR. En tant que président de l’IC, il doit veiller à ce que les sections de ne puissent
intervenir dans le débat russe et donner du poids à Trotsky et ses partisans. Il mène,
à partir de janvier 1924, une opération internationale visant à destituer et remplacer
toutes les directions des sections critiques à l’égard de l’IC ou du PCR25. En France,
deux facteurs contribuent à hâter l’intervention de l’IC. Tout d’abord Souvarine, qui
ne cache plus son soutien à Trotsky, définit la ligne politique du PCF depuis le
congrès de Lyon. De plus, Trotsky jouit dans ce pays d’un immense prestige et d’une
grande autorité26. Ce lien particulier qui l’unit au communisme français remonte à la
première guerre mondiale27. Au cours des années 1921-1922, il suit les affaires
françaises au nom de l’IC et impose l’alliance du centre et de la gauche lors des
Exécutifs Elargis de l’année 1922, ainsi que la résolution sur la question française,
lors du 4ème congrès mondial de l’IC, qui aboutit à la prise de contrôle de la direction
par la gauche28. A la mort de Lénine, la une de l’Humanité se compose de deux
photos, une de Lénine seul et une seconde avec Trotsky et Kamenev29. Le 25,
l’éditorial intitulé « Adieu Illitch ! Adieu chef ! » est signé Léon Trotsky30.
Le refus de Treint d’accepter les décisions du dernier congrès national et ses
manœuvres pour tenter de constituer une fraction représente pour Zinoviev un
terrain idéal pour ébranler et soumettre la direction du PCF et faire prévaloir le point
de vue de la majorité du PCR contre les défenseurs de Trotsky. Dans un premier
temps, le CE de l’IC envoie au PCF une lettre pour s’étonner de la non réélection de
Treint au BP, puisqu’il est délégué à Moscou31, et prétendre que cette décision fait
peser un risque de crise politique du fait de l’influence de l’ancien secrétaire général

25
Les agents de Zinoviev interviennent principalement dans le parti allemand, le parti tchécoslovaque
et le parti polonais. Voir ROBRIEUX, op. cit., p. 370-381.
26
Selon l’historien américain Robert WOHL, « Il n’existait pas de fraction trotskiste en France au
début de 1924. Mais il existait un culte de Trotsky dont les racines remontaient à la guerre. […]
Trotsky avait capté l’imagination du mouvement ouvrier français. Il était devenu leur, et son
engagement dans les affaires du parti communiste en avait fait le dirigeant le mieux connu en
France. », cité par BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 379.
27
Trotsky s’installe en France à partir de novembre 1914 et se lie d’amitié avec Rosmer et Monatte et
les militants de la Vie ouvrière. Voir BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 144-157.
28
Cf. supra.
29
L’Humanité, n° 7331, 23 janvier 1924, p. 1.
30
L’Humanité, n° 7333, 25 janvier 1924, p. 1.
31
« Il nous semble que le CD a commis en désignant le BP une erreur qui peut singulièrement
compliquer la situation au sein du parti. Il s’agit de l’attitude de la majorité envers le camarade Treint.
[…] Ainsi Treint ne peut pas porter un système de responsabilité au BP mais il peut représenter tout le
parti au CE de l’IC. Cette décision nous semble artificielle : un membre du Présidium de l’IC doit être
membre du BP de son CD, autrement il sera incapable de représenter tout le parti et de prendre en
son nom des décisions autorisées. » Lettre du CE de l’IC, signée Kolarov, RGASPI, 517/1/154.
233
sur la fédération de la Seine et les militants issus de la CGTU32. En réponse, l’IC
reçoit du secrétaire général un courrier rappelant dans quelles circonstances Treint
fut écarté du BP33, ainsi qu’une lettre du CD34 rappelant les conditions du vote et la
décision unanime de ne pas désigner Treint au BP, étant donné son départ pour
Moscou. Les membres du CD s’étonnent des allégations du CE de l’IC concernant
les relations avec la fédération de la Seine et la CGTU et l’obligation de compter le
représentant du PCF parmi les membres du BP35. Cependant, le CD déclare « tenir
compte » des « désirs » de l’Exécutif et annonce le remplacement au BP de
Tommasi par Treint.
Le 14 février, le BP, qui discute de la lettre de l’Exécutif, décide du départ « le
plus tôt possible » de Treint pour Moscou et charge Cachin de rédiger la réponse36.
Mais dès le 18 février, l’influence des délégués de l’Exécutif, qui font pression sur les
dirigeants français au nom de la discipline de l’Internationale et de la fidélité à
Lénine, se fait sentir37. La lettre annonçant la réintégration de Treint est adoptée par
cinq voix pour, seul Souvarine votant contre. Il demande que le BP soit réélu et
s’oppose à la démission de Tommasi, mais le CD approuve la lettre par douze voix
contre sept et deux abstentions. Avant ce vote, Souvarine rédige une lettre38 pour
s’insurger contre la résolution du CE de l’IC, qu’il juge en contradiction avec les
décisions du congrès national approuvées par l’IC, espérant qu’elle n’a « qu’une
valeur indicative ». Le ton est très sévère à l’égard de Treint, dont il rappelle les
nombreuses fautes commises durant l’année 192339. Il juge son activité passée
« pernicieuse et irresponsable » et celle présente « malfaisante et négative ». Il
souligne que Treint n’a aucun soutien dans le parti et que seule la résolution de l’IC
lui donne un poids politique40. Sur ce dernier point, Souvarine découvre, lors du

32
« Treint a avec lui la fédération de la Seine et tous les membres de la CGTU, contre lui, tous les
autres. Cette division est grosse de sérieuses conséquences. », Ibid.
33
Sellier rappelle la manœuvre de Treint au CD du 25 janvier 1924 et demande que Treint aille
« achever sa formation de militant de tête à la grande école politique qu’est le Comité Exécutif de
l’Internationale Communiste ». Lettre à Zinoviev du 5 février 1924, RGASPI, 517/1/177.
34
La lettre, rédigée par le BP (18 février 1924), est soumise au CD le lendemain. RGASPI, 517/1/170.
35
« Dans le passé, les délégués de l’Exécutif ne faisaient pas obligatoirement parti du Bureau
Politique. Le Présidium n’avait jamais jusqu’ici formulé cette obligation. », Ibid.
36
P-V du BP du PCF du 14 février 1924, BMP 64.
37
Le 13 février, Souvarine écrit à Lozovsky, pour connaître sa position à l’égard de Treint et Suzanne
Girault. Ces deux derniers affirment que les interventions du représentant de l’IC au CD visaient à
mettre en accusation l’attitude de Souvarine dans la question russe. Souvarine lui demande d’infirmer
ces déclarations. RGASPI, 517/1/190.
38
Lettre de Souvarine au CE de l’IC du 13 février 1924, IHS, fonds Souvarine.
39
Souvarine énumère la question de « l’impérialisme rouge », les rapports avec les syndicats, avec la
rédaction de l’Humanité, l’application du front unique.
40
« Mais voici tout à coup que le Présidium semble prendre fait et cause pour Treint, en disant que
ses fautes n’ont pas plus d’importance que celles des autres, et qu’il a toutes les qualités pour être
234
congrès fédéral de la Seine que, grâce à l’action souterraine des délégués de l’IC,
Treint compte de nombreux soutiens.
Après avoir mené l’offensive contre la gestion de la fédération de la Seine par
le tandem Treint-Suzanne Girault, Souvarine avait obtenu la décision d’un
remaniement de moitié de la direction fédérale41. Lors de la première séance du
congrès fédéral, le 17 février 1924, après que Suzanne Girault eut fait adopter une
résolution affirmant la fidélité de la fédération au parti bolchevik et aux
« enseignements » de Lénine42, les délégués se voient proposer deux motions. Une
motion Chasseigne43, soutenue par Souvarine demandant le renouvellement du
comité fédéral, et la motion du comité fédéral proposant d’intégrer trois membres de
l’opposition fédérale. La motion du bureau fédéral l’emporte finalement par 73 voix
contre 60. Première déconvenue pour Souvarine, doublée le lendemain par le vote
du CD en faveur du retour de Treint au BP. A cette date, la majorité du CD et du BP
ont rallié l’IC et Souvarine décide de tirer toutes les conclusions de ce retournement
de situation et propose sa démission du BP44, qui est refusée.
La fidélité de la majorité du BP et du CD acquise et Souvarine étant désormais
en minorité, Treint et les délégués de l’IC enclenchent une nouvelle phase de la
campagne pour la reprise en main du PCF. Il s’agit de montrer qu’il existe au sein de
l’Internationale une convergence de vue entre plusieurs groupes pour mener une
« révision du bolchevisme » en s’appuyant sur le prestige de Trotsky. Lors de la
séance du CD du 25 février, Klein45 intervient pour présenter les positions de la
direction de l’IC sur la question russe et la question allemande. Il parle de l’apparition
d’une « droite » représentée par Trotsky et l’opposition dans le PCR et par la
direction Brandler46-Thalheimer47 dans le KPD48, ce qui provoque une controverse

membre du Bureau politique. C’est l’unique chose qui puisse fournir un terrain solide à Treint pour ses
buts contre la Direction du Parti, en invoquant l’opinion de l’Exécutif. », Ibid.
41
Voir P-V du CD du PCF du 29 janvier 1924, BMP 62. Dans un premier temps, la direction fédérale
avait accepté cette proposition de renouvellement partiel.
42
Compte rendu du congrès fédéral de la Seine, l’Humanité, n° 7357, 18 février 1924, p. 2.
43
François Chasseigne (1902-1977) : Journaliste, militant socialiste puis communiste. En 1923, c’est
l’un des responsables de l’activité antimilitariste du PCF.
44
« Que j’ai tort ou raison, le fait est que je ne puis souscrire à votre politique. Je la subirai par
discipline, je ne saurais la conduire comme dirigeant du parti. Il ne me reste qu’à rendre au CD le
mandat qu’il m’a confié. », Lettre de Souvarine au secrétariat du PCF, 22 février 1924. Publiée dans
Est-Ouest, n° 15, février 1985, p. 36-37.
45
Pseudonyme d’Abraham Gouralski (1890-1960) : Economiste. Membre du Bund, il adhère au parti
bolchevik en 1917. Au nom de l’IC il devient ensuite membre de la direction du KPD avant de
rejoindre la France comme représentant permanent de l’IC.
46
Heinrich Brandler (1881-1967) : Membre de la Ligue Spartacus puis dirigeant du KPD
47
August Thalheimer (1884-1948) : Dirigeant de la Ligue Spartacus puis du KPD.
235
avec Souvarine. Puis le 28 février, à l’assemblée fédérale de la Seine, réunie pour
discuter de la question anglaise, Treint prononce devant 1500 personnes une
diatribe contre les « déviations droitières » de la direction française dans l’application
du Bloc ouvrier et paysan et sur la question anglaise49. Le lien artificiel, qui relie la
direction du PCF, du KPD et Trotsky, est établi. Souvarine résume l’intervention de
Treint :
« C’a été la charge à fond sur le thème que tu connais : tentative
internationale de révision du bolchevisme, fautes de Trotski en Russie, de
Brandler en Allemagne, de toi en France sur l’affaire anglaise. […] Attaques
faciles contre Trotski en disant que ce n’est pas parce qu’il est Trotski qu’on
n’a pas le droit de le critiquer […] »50.
En face, Souvarine apparaît bien seul et ses tentatives pour démontrer qu’il se
contente de présenter la question russe de manière exhaustive et impartiale51 se
heurtent à une majorité décidée à suivre la ligne de l’IC. Esseulé au BP, Souvarine
dispose du Bulletin Communiste pour répliquer et convaincre la base du parti. Il
utilise ses éditoriaux pour défendre la ligne de la direction sur la question anglaise52,
répondre aux accusations ainsi que pour dénoncer les tentatives d’importer la
discussion russe dans le PCF dans le but d’aligner toutes les sections de l’IC sur les
positions de la majorité du PCR. Il refuse de dénoncer une « droite » allemande
fantasmagorique53, alors même que l’IC tente d’obtenir de la part de ses sections
une condamnation unanime de la direction Brandler-Thalheimer, rendue seule
responsable de l’échec de la révolution allemande54. Il reproche à Treint de critiquer
Brandler après avoir été son seul soutien dans le PCF55. Après l’échec d’octobre
1923, Treint s’était rendu en Allemagne pour participer au congrès du KPD, au cours
duquel il avait attaqué la gauche allemande56. A l’époque, il n’accusait pas la

48
Le P-V de la séance du 25 février (BMP 62) ne donne pas le compte rendu exhaustif de
l’intervention de Klein, mais Souvarine en donne les grandes lignes dans une lettre à Rosmer datée
du 3 mars 1924, IHS, fonds Souvarine.
49
Treint dénonce la lettre de Rosmer au Labour party.
50
Lettre de Souvarine à Rosmer, 3 mars 1924, IHS, fonds Souvarine.
51
Voir Souvarine B, « La discussion vue de France », Bulletin Communiste, n° 6, 8 février 1924, p.
145-151.
52
Souvarine B, « Le Labour Party au pouvoir », Bulletin Communiste, n° 8, 22 février 1924.
53
Souvarine B, « L’Allemagne et la révolution », Bulletin Communiste, n° 9, 29 février 1924.
54
Voir BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 367-372.
55
« […] on envoie des émissaires à droite et à gauche pour raconter que le Bureau politique français
soutient Brandler, alors que le seul Brandlérien en France n’était autre que Treint, lequel m’accusait,
déloyalement d’ailleurs, d’être avec la gauche allemande. », lettre de Souvarine à Pierre Pascal, 22
février 1924, IHS, fonds Souvarine.
56
Regroupée autour de la fédération de Berlin Brandebourg, dirigée par Ruth Fisher et Maslow.
236
direction allemande d’avoir commis de fautes et affirmait que le recul d’octobre ne
remet pas en cause la révolution allemande57. En février 1924, il fait au contraire
chorus avec l’IC et fustige la direction Brandler pour avoir commis des erreurs dans
l’application du front unique et de n’avoir pas cru à la révolution. Souvarine ne
manque pas de relever la versatilité et l’opportunisme de Treint.
De retour au BP, Treint engage un nouveau combat, visant à enlever le
Bulletin Communiste des mains de Souvarine. Déjà, lors de l’assemblée de la Seine
du 28 février, Rieu était intervenu pour critiquer la ligne de la revue concernant la
question russe58. A la séance du BP du 2 mars59, on lit une lettre de Treint dénonçant
le ton polémique des articles de Souvarine et demandant à pouvoir publier une
réponse. Souvarine refuse de l’insérer et le 10 mars60, il est blâmé pour indiscipline
et se voit retirer la direction du Bulletin Communiste. Souvarine a publié un article
pour répondre aux accusations de partialité dans le traitement de la question russe. Il
montre que, contrairement aux dires de ses contradicteurs, il a publié vingt-deux
textes de la majorité russe pour seulement quatre de la minorité et ajoute :
« Qu’il se trouve des gens pour raconter après cela que le Bulletin favorise
l’opposition par le choix des textes et la "présentation", cela prouve seulement
combien il est rare de rencontrer des contradicteurs honnêtes. […] On se
lasse de tout, même de discuter avec des partenaires sots ou
61
malhonnêtes. »
Le CD réunit le 13 mars 1924 doit ratifier la décision du BP de changement de
direction de la revue. Mais Souvarine résiste au nom du droit de discussion entre
communistes. Treint réplique :
« Il n’y a pas seulement dans la question du Bulletin Communiste une
question formelle mais encore il y a là une question politique. Le Bulletin doit-il
représenter oui ou non la pensée du parti et de l’Internationale. »62
Les deux représentants de l’IC présents à la réunion appuient ce point de vue et, en
dépit d’une proposition de conciliation de Vaillant-Couturier, le CD ratifie la décision
du BP par 14 voix contre 8 à la motion Vaillant-Couturier.
Dans le dernier numéro sous sa direction, Souvarine publie finalement l’article
de Treint, mais en y ajoutant une petite note protestant contre l’attitude du BP63, ce

57
Cf. supra.
58
Lettre de Souvarine à Rosmer, 3 mars 1924, IHS, fonds Souvarine.
59
P-V du BP du PCF du 2 mars 1924, BMP 64.
60
P-V du BP du PCF du 10 mars 1924, Ibid.
61
Souvarine B, « Nos crimes », Bulletin Communiste, n° 10, 7 mars 1924, p. 278.

237
dernier lui ayant interdit de répondre. L’article incriminé64 constitue pourtant une
attaque en règle contre Souvarine et Rosmer. Treint commence par accuser
Souvarine d’avoir peur de la contradiction et d’utiliser le Bulletin Communiste comme
un instrument personnel. Mais sa démonstration vise à réfuter les thèses de Rosmer.
Selon lui, le travaillisme britannique ne se distingue en rien des autres partis de la
social-démocratie et doit donc être traité par les communistes, dans le cadre du front
unique, comme les autres partis. Il accuse en conséquence la « majorité » d’avoir
dénaturé le front unique65. Revenant sur la polémique qui l’a opposé à Souvarine sur
la question du front unique, il affirme avoir toujours été soutenu par l’IC, oubliant par
la même les critiques de Zinoviev à son encontre lors de l’Exécutif Elargi de juin
192366. Cependant, il peut désormais proclamer, sans crainte d’être contredit, son
accord avec la direction de l’IC.
A l’instigation de Gouralski et Manouilski, Treint67 présente, lors du CD du 18
mars 1924, des « thèses sur la tactique du PCF et sur les problèmes posés devant
l’Internationale Communiste »68. Il s’agit de faire oublier la motion sur la question
russe et l’orientation politique du PCF, votée sous l’influence de Souvarine, et mettre
le parti en conformité avec la ligne politique de l’IC et du PCR. Concernant la France,
le texte prend pour postulat une situation pré-révolutionnaire qui implique de donner
une orientation révolutionnaire à la tactique du front unique et du Bloc ouvrier et
paysan. Ceci induit de lutter contre « les graves dangers de déviation réformiste » et
« le péril de la droite ». Mais les passages cruciaux concernent la réorganisation du
parti et les questions anglaise, allemande et russe. Conformément aux décisions de

62
P-V du CD du PCF du 13 mars 1924, BMP 62.
63
« Le secrétariat nous interdit la moindre rectification des assertions inexactes de l’auteur du
précédent article et le moindre commentaire de ses affirmations anticommunistes sur "la volaille à
plumer". Par discipline, nous nous inclinons naturellement. Mais nous estimons que cette conception
de la discussion imposée par le BP est absolument contraire à l’intérêt du Parti et de l’Internationale,
et nous en appellerons à la prochaine assemblée du Parti. Ce n’est pas cela, mais pas cela du tout,
que l’Internationale a entendu et défini par la discipline. », Bulletin Communiste, n° 11, 14 mars 1924,
p. 302.
64
Treint A, « Communisme et Travaillisme », Bulletin Communiste, n° 11, 14 mars 1924, p. 301-302.
65
« La majorité a accepté l’envoi d’une lettre au Labour Party ne contenant aucune proposition
d’agitation en commun en vue d’une action commune. On a critiqué avec juste raison la politique du
front unique qui se bornerait à l’envoi d’une lettre ouverte aux réformistes. […] Aujourd’hui, il ne s’agit
même plus de lettre ouverte ; il s’agit d’un texte confidentiel qui n’est publié nulle part : c’est la tactique
de la lettre entr’ouverte, entr’ouverte pour quelques initiés. », Ibid., p. 302.
66
Cf. supra.
67
Présenté par Treint, ces thèses ont été rédigées par une commission, désignée lors du CD du 10
mars 1924, comprenant les trois cités ci-dessus ainsi que Sellier et Cremet. Mais en réalité, le texte
avait déjà été préparé par Treint et Gouralski, la commission se contentant d’apporter quelques
retouches. Lettre de Souvarine à Rosmer, 3 mars 1924.
68
Thèse publiée dans le Bulletin Communiste, n° 13, 28 mars 1924, p. 323-327.
238
l’Internationale69, le texte annonce le renforcement du travail de création de cellules
communistes d’usine comme base d’organisation du parti ; la création ou le
renforcement d’une série de commissions70 ; l’incorporation « du groupe
parlementaire dans l’appareil du parti » et le renforcement du contrôle de la presse
pour en faire des instruments de propagande exclusivement dirigés par la direction et
enfin la mise en place de cours marxistes pour développer l’éducation communiste
des cadres. Tous les grands principes de la bolchevisation organisationnelle sont ici
énoncés. Par la suite ils seront simplement systématisés.
Sur les questions internationales, les thèses sont en parfaite adéquation avec
la ligne politique inspirée par la Troïka. Le Labour party constitue une fraction de la
bourgeoisie, et son action néfaste doit être dénoncée. L’échec de la révolution
allemande résulte d’une mauvaise application de la tactique du front unique par « la
droite allemande ». Cette dernière s’est alliée à la social-démocratie, au nom de la
lutte en commun contre le fascisme alors que, selon l’IC, la social-démocratie « a
joué le rôle d’une aile du fascisme bourgeois »71. Cette thèse développée par
Zinoviev72 et amenée à connaître un grand succès dans le mouvement communiste
international, apparaît ici pour la première fois dans un texte officiel du PCF. Cette
assertion, en contradiction complète avec la pratique antérieure du front unique par
Treint et le parti, illustre le tournant idéologique pris et l’alignement sur la ligne
zinoviéviste. Sur la question russe, un mois après avoir déclaré qu’il ne pouvait se
prononcer pour une tendance, les thèses affirment que le CD, désormais informé,
approuve les décisions de la 13ème conférence du PCR. Les idées de Trotsky et de
l’opposition sont qualifiées de « déviation menchevique ». Pour la première fois
apparaît toute une rhétorique, un vocabulaire propre à la discussion russe, qui n’avait
jusqu’alors jamais été utilisé dans le PCF. Il n’est question que de « ligne
bolcheviste », de « base rigide du bolchevisme ». On énonce le risque d’une
déviation de « la voie bolcheviste tracée par Lénine », qui implique de renforcer la
discipline du parti, de limiter la démocratie et surtout de remettre la direction du PCR

69
Le 21 janvier 1924, le CE de l’IC publie un plan de réorganisation générale des partis communistes
qui propose une réforme radicale des structures, impliquant notamment la création de cellules d’usine,
ces dernières devenant à terme la base exclusive d’organisation des partis communistes. Voir le
Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril 1924, p. 240-241.
70
Commissions syndicales, coopératives, paysannes, coloniales.
71
« Thèses sur la tactique du PCF…. », art. cit., p. 326.
72
Après l’échec de la révolution allemande, Zinoviev commence à accuser la social-démocratie de
s’être alliée au fascisme pour faire échouer le mouvement révolutionnaire. Dans le même temps, il
critique l’application de la tactique du front unique par la direction allemande, tentant ainsi de faire
oublier les responsabilités de la direction de l’IC. BROUE P, op. cit., p. 369.
239
entre les mains de « la vieille garde bolcheviste », la seule à même de diriger le
parti73.
S’appuyant sur le prestige de la révolution russe, ces thèses inspirées par les
délégués de Zinoviev imposent au PCF un nouveau modèle idéologique que l’on
baptise léninisme, bien que sur de nombreux points, il s’écarte des idées de Lénine
et de la pratique communiste de l’époque de Lénine. Le CD74, fermement tenu en
main par les délégués de l’IC, approuve à l’unanimité moins trois voix75 ces thèses
qui rompent avec l’orientation politique de la direction issue du congrès de Lyon. Lors
de la discussion, Monatte s’en prend particulièrement au passage concernant la
question russe et Rosmer, tout en dénonçant certains aspects politiques76, dénonce
plutôt la méthode consistant à amener des thèses rédigées sans aucune discussion
préalable. En outre, il déclare renoncer à son poste au BP et au secrétariat de
l’Humanité. Par la suite Dunois, alors à Moscou pour représenter le PCF, écrit à
Sellier pour lui faire part de son opinion, en tant que membre du CD :
« […] la forme de cet interminable et morne document a provoqué en moi une
sorte d’écœurement. Quel est le plat élève qui a rédigé ces phrases
alambiquées, pédantesques, obscures, effroyablement indigestes, où je défie
n’importe quel ouvrier de culture moyenne de se reconnaître et de
comprendre quelque chose ? […] j’étais résolu enfin à ne pas me demander si
l’auteur de la thèse n’avait pas eu uniquement pour but de faire servilement la
cour à ceux des dirigeants de l’Internationale qui sont aussi des dirigeants du
Parti russe […].»77
Exception faite de ces quelques voix discordantes, les membres du CD rallient
la ligne de l’Internationale dans le silence. Face aux représentants de l’IC qui jouent
du prestige de l’Internationale, les mêmes militants qui dénonçaient les méthodes de
travail et l’autoritarisme de Treint, se rassemblent derrière lui pour défendre la
discipline intérieure et condamner les déviations de droite. Aucun cependant n’écrit
dans la presse communiste pour justifier cet alignement soudain sur les thèses de la
direction de l’IC, ou pour critiquer Souvarine. Mais tous laissent Treint multiplier les

73
« La vieille garde bolcheviste qui, sous la direction de Lénine, a non seulement créé le parti
bolchevik, mais a traversé toutes les épreuves révolutionnaires en Russie, notamment depuis 1905,
présente, en tant que groupe, les meilleures garanties d’expérience, de fermeté et de clairvoyance
communistes. Elle forme un groupe historique qui, seul, est capable d’assurer la cohésion entre les
divers éléments composant le Parti et de maintenir intacte la ligne bolcheviste du Parti. », Ibid., p. 327.
74
P-V du CD du PCF du 18 mars 1924, BMP 62.
75
Souvarine et Monatte votent contre et Rosmer s’abstient.
76
Il dénonce « un courant dangereux « à la recherche du menchevisme ».
77
Lette de Dunois à Sellier, 8 avril 1924, Syndicalisme révolutionnaire…op. cit., p. 375-376.
240
provocations et les attaques contre « la droite française ». Lorsque Souvarine écrit à
Sellier pour protester contre la décision du BP de le renvoyer à Moscou, il lui réplique
que ce choix se justifie par « des raisons politiques »78, autrement dit ceux qui
s’opposent à la « ligne bolcheviste » de Treint ne peuvent rester à la direction du
PCF. En un mois, la direction de l’IC, en s’appuyant sur Treint et Suzanne Girault, a
écarté le danger d’une section réfractaire à la nouvelle ligne politique et après avoir
ouvert la voie à la bolchevisation idéologique du parti, elle peut maintenant lancer sa
bolchevisation organisationnelle.

2) L’exclusion de Souvarine.

Après le vote du 18 mars, Treint peut donner libre cours à ses attaques contre
les déviations de la « droite française ». Une fois le Bulletin Communiste dirigé par
Calzan79, il publie un article donnant sa vision des événements80. Selon lui, depuis
1923, une série de désaccords81 divise la direction du PCF, conditionnant le
développement de nouvelles tendances de droite, du centre et de gauche : une
droite composée de Souvarine et Rosmer auxquels « nous eûmes la douleur de voir
s’allier Monatte », un centre indéfini, et une gauche constituée autour de la fédération
de la Seine, autrement dit de Suzanne Girault et de lui-même. Il caractérise la droite
comme une tendance « pessimiste » et hostile « vis-à-vis du Comité Central du Parti
russe » et la gauche comme la seule tendance fidèle aux principes de l’IC. Après
avoir présenté cette géographie schématique des tendances, il admoneste
Souvarine et, reprenant les thèses votées par le CD, lance les mots d’ordre
constitutifs de la nouvelle identité du parti :
« Sur la base du léninisme, du bolchevisme, l’Internationale doit unir toutes
ses forces pour compenser dans la mesure où c’est possible la disparition de
Lénine. Notre mot d’ordre est clair : Pas de débolchevisation du Parti russe,
mais au contraire, bolchevisation de tous les Partis Communistes. Là est le

78
Lettre de Sellier à Souvarine, 12 mars 1924, IHS, fonds Souvarine.
79
Claude Calzan (1876-1959) : Professeur d’allemand. Membre de la SFIO, membre de la tendance
Zimmerwaldienne puis dirigeant de la fédération du Rhône de la SFIC. Annonce du changement de
direction dans le Bulletin Communiste, n° 12, 21 mars 1923, p. 309.
80
Treint A, « Dans la voie tracée par Lénine », Bulletin Communiste, n° 13, 28 mars 1924, p. 321-322.
81
« Perspectives de la Ruhr et du développement de la rivalité impérialiste franco-anglaise,
appréciation de la situation après Chemnitz, appréciation sur le Labour Party lors de sa victoire
électorale, appréciation sur le Bloc oppositionnel russe, méthodes d’application du front unique,
conditions du développement du Parti et rapport avec les grandes organisations ouvrières, rapports
du parti et de l’Humanité, application du centralisme dans les conditions données par la réalité. »,
Ibid., p. 321.
241
secret de la victoire décisive du prolétariat sur la bourgeoisie à l’échelle
mondiale. »82
Treint est-il l’inventeur de ce nouveau terme voué à un grand avenir ? Sellier nous
éclaire sur ce point83 en expliquant que Treint avait proposé d’introduire dans les
thèses les termes de bolchevisation et débolchevisation pour « caractériser la
position qu’il a prise dans les débats récents du Comité Directeur ». Le CD ayant
refusé d’insérer ces formules, Treint se serait « vengé » en les ajoutant dans chaque
conclusion de ses articles. Mais Pierre Broué84 précise que ce même terme apparaît
quelques jours après sous la plume de Gouralski, laissant planer un doute sur sa
paternité.
Malgré l’approbation par la majorité des thèses du CD, de nombreux militants
trouvent que Treint leurs donne une coloration schématique et exagère les
dissensions à la tête du parti. Lucie Colliard85 et Vaillant-Couturier86 se désolidarisent
de la majorité, Dunois portant le jugement le plus sévère. Il déclare voter contre les
thèses et stigmatise l’article de Treint :
« Je vote contre votre thèse parce que le jour que projette sur elle l’article de
Treint me la rend foncièrement inacceptable, […] Mais sous couleur de
combattre les tendances, qui nuisent à l’unité et à la discipline du parti, on
s’attache à les créer et cela de la façon la plus arbitraire et la plus sotte. Avec
cette manie pédante de tout schématiser, de tout réduire à des abstractions
inertes et inintelligibles, on fabrique de toute pièces une droite, un centre et
une gauche. […] A qui Treint fera t-il croire que Souvarine et Rosmer sont plus
près de la social-démocratie que Cachin et Louis Sellier, ou même que Treint
et Suzanne Girault ? Treint a une facilité prodigieuse à se prendre aux
forgeries (sic) de son imagination déformatrice […] L’attitude de Treint est
strictement intolérable. Il est impossible de monter au capitole avec moins de
tact et de mesure, plus de lourdeur et plus de brutalité. Je demande si, oui ou
non, Treint sera laissé libre d’écrire toutes les billevesées qui peuvent germer
dans sa cervelle, et de porter au Parti d’incalculables préjudices. »87

82
Ibid., p. 322.
83
Sellier L, « Tout le parti autour de sa Direction », Bulletin Communiste, n° 18, 2 mai 1924, p. 423-
425.
84
Histoire de l’Internationale Communiste…op. cit., p. 383.
85
Lucie Colliard (1877-1961) : Institutrice, militante syndicaliste, socialiste puis communiste. Membre
suppléant du CD du PCF.
86
P-V du CD du 23 avril 1924, BMP 62.
87
Lettre de Dunois à Sellier, 8 avril 1924, op. cit., p. 377-379.
242
D’autres lettres88 et interventions lors d’assemblées témoignent de la stupeur de
nombreux militants qui, ayant lu l’article, découvrent que, selon Treint, Souvarine,
Rosmer et Monatte constituent la droite du parti.
Souvarine ne peut cependant pas profiter de ce réflexe de solidarité face à la
brutalité et au schématisme des attaques dirigées contre lui. Fidèle à son goût pour
la polémique, décidé à faire valoir son point de vue et à ne pas laisser Treint imposer
une ligne « bolcheviste » qu’il comprend comme une tentative de mise au pas du
parti, il riposte en plusieurs phases. Tout d’abord, il écrit à Zinoviev pour justifier son
attitude sur la question russe et plus particulièrement concernant Trotsky89 et critique
fermement les méthodes employées dans le PCF par les délégués de l’IC. Dans le
même temps, il rédige une « Lettre aux abonnés du Bulletin Communiste »90 pour
faire part aux cadres du parti ― principaux lecteurs de la revue ― de sa volonté de
publier une revue pour défendre ses conceptions. Cette lettre vise la direction et plus
spécifiquement la « fraction » ayant mené la campagne contre le Bulletin
Communiste, autrement dit Treint et Suzanne Girault. Bien que Souvarine s’en
défende, elle constitue un acte d’indiscipline dont le BP prend prétexte pour l’accuser
de fractionnisme et lui retirer définitivement la direction de la revue :
« Aujourd’hui le camarade Souvarine a pris sur des questions essentielles une
position nettement opposée à celle de la direction du Parti. Cette dernière, en
de pareilles conditions, ne pouvait que faire jouer les règlements du parti, tant
en ce qui concerne la direction politique de la presse, que la discipline dont le
comité directeur doit répondre devant le congrès »91
Si quelques militants souscrivent au projet de revue, les membres du CD, y compris
ceux rejetant la ligne politique de « la gauche », sont unanimes à condamner le
manque de discipline et l’individualisme de Souvarine.
Souvarine prépare également une « Résolution sur la situation générale et
l’Internationale Communiste »92. Il réaffirme les positions de la majorité du PCF issue
du congrès de Lyon sur les questions russe, allemande et anglaise, qu’il vient
défendre lors d’assemblées d’information organisées dans la Seine. Son exposé, lors

88
Voir notamment les lettres de Bonte et Herclet, Ibid., p. 375 et 379.
89
« Ce que je désapprouve, c’est la guerre menée contre le camarade Trotsky et ceux qui sont
soupçonnés, à tort ou à raison, de "trotskysme" […] Ce n’est pas que je sois devenu "trotskiste" […]
Je répète que les propositions de Trotsky me paraissent d’autant plus excellente que le comité central
lui-même en a adopté l’essentiel. », Lettre de Souvarine à Zinoviev, 20 mars 1924, cité par PANNE J-
L, Boris Souvarine, op. cit., p. 141.
90
L’Humanité, n° 7396, 27 mars 1924, p. 5.
91
Déclaration du CD, Ibid.
92
L’Humanité, n° 7402, 3 avril 1924, p. 4.
243
de la séance du 2 avril 1924, reprend les grands thèmes abordés dans ses thèses et
appelle le PCF à ne pas se diviser sur les questions extérieures93. Concernant les
attaques de Treint dans le Bulletin Communiste, il montre que dans le débat interne,
l’utilisation des appellations de « droite » et de « gauche » n’a aucun sens et
s’explique simplement par la volonté de diffamer les contradicteurs. La partie la plus
offensive de son intervention concerne la question russe. Il reproche à la direction du
PCR et de l’Internationale de déformer la pensée de l’opposition et à celle du PCF
d’étouffer le débat en ne publiant pas tous les documents94. Enfin, faisant allusion au
déroulement de la discussion dans le PCR et aux calomnies visant spécifiquement
Trotsky, il s’écrit : « Il y a quelque chose de pourri dans le Parti et dans
l’Internationale, il faudra y porter le fer rouge. »95. Pour de nombreux jeunes militants
qui assistent à l’assemblée, en attaquant la direction de l’Internationale, Souvarine
sort du cadre de la controverse entre militants et se place en dehors du parti96. Réuni
le 3 avril, le BP décide de publier une déclaration répondant « aux affirmations
inexactes » de Souvarine « aveuglé par la passion politique »97, qui s’en prend dans
une assemblée du parti à la direction du PCR et de l’IC98. Il l’accuse par ailleurs
d’être responsable de la non parution de la brochure de Trotsky.
Lors de la réunion suivante, le 4 avril99, l’intervention de Treint vise
exclusivement Souvarine. Il répond tout d’abord à l’accusation d’avoir soutenu
Brandler en 1923, avant de se retourner contre lui, en affirmant avoir été le seul à
« critiquer les erreurs opportunistes de la droite » au BP. Reprenant un discours de
Zinoviev à la 13ème conférence du PCR, il déclare que l’opposition russe « a retenu
l’élan de la révolution allemande », appuyée en cela par ses partisans français,
Souvarine et Rosmer, qui « n’ont pas cru à la révolution allemande ». Pour justifier
cette accusation dénuée de tout fondement, Treint fait référence à l’opposition de
Souvarine aux méthodes d’agitation de la fédération de la Seine, donnant à la
discussion de 1923 sur ses erreurs de direction le caractère d’une lutte politique

93
L’Humanité, n° 7403, 4 avril 1924, p. 2.
94
Souvarine fait référence au texte de Trotsky « Cours nouveau » qui n’a pas été publié. A la tribune,
il brandit la brochure et déclare : « qu’on cache quelque chose au parti », Ibid.
95
Voir déclaration du BP, l’Humanité, n° 7403, 4 avril 1924, p. 1 ainsi que P-V du BP du PCF du 3
avril 1924, BMP 64.
96
ROBRIEUX P, op. cit., p. 214.
97
L’Humanité, n° 7403, 4 avril 1924, p. 1.
98
Dans une réponse publiée le lendemain, Souvarine affirme ne pas avoir voulu « mettre en cause la
direction du parti russe ou de l’Internationale, mais la direction de la fédération de la Seine et certains
dirigeants ». L’Humanité, n° 7404, 5 avril 1924, p. 2.
99
Voir le compte rendu de l’intervention dans le fonds Souvarine (IHS) ainsi que dans l’Humanité, n°
7405, 6 avril 1924, p. 2.
244
internationale qu’elle n’a jamais eu. Il poursuit son exposé par la question russe et
les « erreurs de Trotsky ». Il se contente de compiler les imputations parues dans la
presse russe sur « la conception trop exclusivement technicienne du plan » chez
Trotsky, sa conception erronée de la NEP et ses attaques démagogiques contre la
direction du PCR dans la Pravda sur la question de la démocratie dans le parti.
S’appuyant sur les déclarations tonitruantes de Souvarine deux jours plus tôt100,
Treint conclut en montrant qu’il existe une « droite internationale » qui, au nom de
« la démocratie abstraite », tente de « réviser la base ancienne du bolchevisme » et
place la nouvelle direction dans la ligne de la direction russe :
« Nous sommes avec la vieille garde bolchevique formée à l’école de Lénine,
pendant vingt ans, à travers la vie illégale et deux révolutions. En France il n’y
a pas de vieille garde. La vieille garde se formera dans des luttes bien
autrement sévères que celles que nous avons vécues. Mais elle ne saurait se
former dans la lutte contre la vieille garde bolchevique, âme du mouvement
communiste mondial. »101
Ce discours simpliste et réducteur, qui présente l’opposition française comme faisant
partie d’une organisation internationale baptisée « droite internationale », touche
néanmoins un auditoire très attaché à l’IC et au parti russe et sensible aux
arguments de la menace de révision du bolchevisme et de la nécessité de maintenir
une discipline ferme. Le 11 avril a lieu la dernière assemblée fédérale consacrée à la
crise du parti102. Elle met aux prises d’un côté Monatte, Rosmer et Souvarine et de
l’autre Suzanne Girault. Les trois opposants dénoncent les classifications
schématiques et la « crise artificielle fomentée par ceux qui voient le parti russe
menacé de "débolchevisation" »103. Monatte ajoute que la crise provient de la
politique de fraction menée par les militants qui n’ont pas accepté l’éviction de Treint
du BP. Ces arguments portent peu dans une fédération majoritairement acquise aux
idées de « la gauche » et où les militants ont été choqués par les diatribes de
Souvarine contre la direction de l’IC et du PCR.
Cette dernière réunion met en évidence la solidarité politique existant entre
Souvarine, Monatte et Rosmer, même si ces deux derniers adoptent une attitude
plus prudente concernant la question russe. Le prestige de Monatte à la base du

100
« Si quelque chose est pourri dans l’Internationale, c’est du côté de la droite internationale »,
compte rendu de l’assemblée du 4 avril 1924, IHS, fonds Souvarine.
101
Ibid.
102
L’Humanité, n° 7412, 13 avril 1924, p. 2.
103
Intervention de Souvarine, Ibid.
245
parti fait peser le risque d’un développement de l’opposition appuyée sur quelques
fédérations de province. Après avoir dénoncé « la droite » dans la fédération de la
Seine, la nouvelle direction déclenche l’offensive dans l’ensemble du parti, comme
en témoigne la lettre de Bruyère à Souvarine104. Venu à Paris faire une
communication au nom de la fédération de la Seine-Inférieure, il rencontre Treint et
Cremet. Ils l’interrogent sur l’opinion des militants de sa fédération et lui fournissent
une série de « renseignements » sur la question russe et la droite en insistant sur le
fait que Trotsky a une attitude révisionniste et que personne ne doit le soutenir.
Treint demeure le personnage le plus actif dans la lutte contre l’opposition. A l’œuvre
à l’intérieur du parti pour rallier les cadres et dans les assemblées pour convaincre la
base, il poursuit la publication d’articles au ton de plus en plus virulent et offensant
contre Souvarine et « la droite internationale ».
En introduction aux thèses de Souvarine, il place un article dénonçant leur
caractère « révisionniste » et regrettant qu’elles soient publiées105. Il revient sur les
déclarations de Souvarine lors de l’assemblée du 2 avril 1924. Selon lui, avoir brandi
devant l’assemblée la brochure « Cours nouveau » au lieu de la remettre à la
direction pour publication, avoir déclaré qu’« il y a quelque chose de pourri dans le
parti et dans l’Internationale », souligne la volonté de Souvarine de se faire le porte-
parole de Trotsky dans le PCF et de le placer au dessus de toute critique106. Il estime
de plus que cette défense de Trotsky ne se justifie aucunement puisque le BP du
PCR a adopté une résolution garantissant sa place au sein de cet organisme. Il
s’offusque contre les termes de « courtisan de l’Internationale », de « thèses
importées » ou encore de « crise artificiellement fabriquée en France », utilisés par
des membres de l’opposition contre la direction et conclut que l’opposition russe est
« bien mal défendue en France ».
Une semaine après, Treint franchit un cap supplémentaire en renouvelant
dans la presse les accusations qu’il avait portées lors de l’assemblée d’information
de la Seine du 4 avril. Il tente de nouveau de démontrer l’existence d’une « droite
internationale » avec des ramifications dans de nombreuses sections de l’IC107.

104
Lettre de Bruyère à Souvarine, 15 avril 1924, IHS, fonds Souvarine.
105
Treint A, « Contre toute Thèse révisionniste », Bulletin Communiste, n° 15, 11 avril 1924, p. 361-
363.
106
« […] Souvarine prend toute discussion des opinions politiques de Trotsky pour une calomnie à
l’adresse de ce dernier. Nous aimons beaucoup Trotsky, nous l’admirons encore plus. Mais quand
nous estimerons qu’il se trompe, nous ne le suivrons pas ! […] Rien n’est plus dangereux pour un
mouvement révolutionnaire que de placer un homme, si grand soit-il, au dessus de toute critique
politique », Ibid., p. 362.
107
Treint A, « Contre la Droite Internationale », Bulletin Communiste, n° 16, 18 avril 1924, p. 385-391.
246
D’après lui, Souvarine, Monatte et Rosmer108 sont les trois principaux leaders de
cette tendance dans le PCF. Il répond aux interrogations des nombreux militants109
qui ne comprennent pas ou récusent ces classifications. Pour mettre en évidence
leurs fautes, il évoque le parcours politique sans reproche des trois, avant d’en venir
à leurs « erreurs de droite ». Monatte et Rosmer ne comprennent pas la politique
syndicale et défendent des principes proches de l’anarcho-syndicalisme. Souvarine
soutient une fausse conception du front unique. Il énumère les affirmations de
Rosmer et Souvarine sur « les thèses importées » et la « crise artificiellement
créée », la déclaration de Monatte au CD110 qui, selon lui, « enferme le Parti dans sa
tâche quotidienne », pour conclure :
« Notre opposition est bien une opposition de droite, de liquidationnisme, de
pessimisme et de défaitisme révolutionnaire. »111
Il en vient alors au fond de sa démonstration. Les erreurs constatées en France se
retrouvent dans d’autres sections de l’IC. En Allemagne, l’ancienne direction a
commis des fautes dans l’application du front unique. En Pologne, la direction n’a
pas su profiter d’une situation révolutionnaire et mène une « politique nationaliste ».
En Russie, Radek112, Krassine, Trotsky et d’autres proposent des réformes
économiques qui visent à réintroduire une part de capitaliste et à donner la direction
économique du pays aux « éléments influencés par la bourgeoisie ». Tous ces faits
prouvent qu’il existe une identité politique commune et une volonté d’orienter la ligne
politique de l’IC dans le sens d’une « révision du bolchevisme », même s’il reconnaît
qu’on ne peut encore parler de véritable organisation :
« C’est vrai, les droites ne sont pas encore à l’alignement dans
l’Internationale. La question est de savoir s’il faut les laisser s’y mettre, s’il faut
les laisser se lier, s’organiser, adopter une plate-forme commune, prêcher un
bolchevisme révisé, qui ne pourrait être qu’un néo-menchevisme. […] C’est
clair : les droites des divers partis se ménagent et se favorisent les unes les
autres. Il est vraisemblable qu’elles bloqueront, au Ve Congrès, contre le
Comité central russe. »113

108
Pour le conflit entre Treint, Monatte et Rosmer, cf. infra.
109
« Quand nous parlons d’une droite dans le Parti français, certains camarades sont troublés. Et cela
s’explique. […] Ce qui trouble quelques camarades, qui sont parmi les meilleurs, c’est que notre droite
actuelle est issue de l’ancienne gauche. », Ibid., p. 385.
110
Cf. infra.
111
Ibid., p. 389.
112
Karl Radek (1885-1939) : Militant social-démocrate, zimmerwaldien, il devient l’un des membres
dirigeants de l’IC.
113
Ibid., p. 390-391.
247
Au CD, tout le monde ne partage pas les conceptions de Treint et quelques
militants font connaître leur mécontentement en retirant leur vote en faveur des
thèses du CD114. Ils constituent cependant une petite minorité et n’expriment leurs
réserves que dans des lettres à caractère privé ou dans les assemblées du parti. La
majorité se contente d’acquiescer silencieusement ou de modérer certaines des
outrances de Treint, tout en approuvant la « ligne bolcheviste » de la direction.
Sellier, dont nous connaissons les sentiments à l’égard de Treint, joue, en tant que
secrétaire général, le rôle de modérateur. Il intervient dans le Bulletin Communiste
pour appeler à l’unité du parti et émettre un certain nombre de réserves quant aux
« jugements personnels » de Treint et à son goût pour les néologismes115. Il lui
reproche surtout d’avoir assimilé Rosmer et Monatte à Souvarine, en dépit de leurs
différences. Pour le secrétaire général, seules des « divergences politiques »
séparent « momentanément » Monatte et Rosmer de la direction tandis que
Souvarine entretient « une attitude de rébellion hautaine […] qui pourrait le conduire
très loin »116. Mais, si le ton de Sellier diffère de celui de Treint, la finalité demeure. Il
s’agit d’isoler l’opposition et de contribuer à l’alignement du PCF sur la ligne de l’IC.
Les articles de Treint, même s’ils sont décriés, atteignent leur cible en ancrant dans
l’esprit des jeunes militants qu’il existe un « péril de droite », représenté par Trotsky
en Russie et Souvarine en France.
Souvarine, après les échecs de ses interventions précédentes, tente de faire
prévaloir son point de vue en passant par dessus la direction. Il diffuse la brochure
« Cours nouveau » avec une préface de sa plume, dans laquelle il s’insurge contre
les attaques envers Trotsky et critique de manière virulente le dogme du
léninisme117. Cette préface, écrite dans un contexte de développement du culte de
Lénine et du « léninisme », choque de nombreux militants qui ne peuvent accepter
cette remise en cause des principes édictés par les plus grands dirigeants de la
Russie révolutionnaire. Ils perçoivent la critique du « léninisme », comme une
attaque contre Lénine lui-même. Cette publication hors du contrôle du parti constitue
un acte d’indiscipline caractérisé qui facilite le travail de la direction. Réuni le 3 mai

114
Voir Sellier L, « Tout le Parti autour de sa Direction », Bulletin Communiste, n° 18, 2 mai 1924, p.
433-435.
115
« En outre, le camarade Treint voit, à la faveur de la même optique, un danger excessif de
"révisionnisme", de "liquidationnisme", de "menchevisme" et de "confusionnisme". », Ibid.
116
Ibid., p. 434.
117
« Nous nous élevons contre la tendance déjà apparue de déifier Lénine, de faire du léninisme une
religion ». Cité par PANNE J-L, op. cit.
248
1924, le BP du PCF118 vote un blâme à Souvarine « 1) pour s’être approprié une
brochure envoyée par l’Internationale et destinée au Comité directeur, 2) pour l’avoir
éditée clandestinement avec une préface de lui. ». Kolarov, au nom du CE de l’IC,
envoie un message de soutien au CD, condamnant les « actes d’indiscipline » de
Souvarine119. A cela vient s’ajouter un article de Sellier affirmant que Souvarine
cherche clairement à constituer une fraction en s’appuyant sur le nom de Trotsky120.
Envoyé à Moscou, en même temps que Treint, pour reprendre sa place au CE de
l’IC et participer au 5ème congrès mondial de l’IC, Souvarine ne peut plus se défendre
alors même que se prépare un conseil national qui doit choisir entre ses thèses et
celles du CD et entériner la nouvelle orientation du parti.
Avant de quitter Paris pour Moscou, Treint laisse à la rédaction du Bulletin
Communiste un dernier article pour rappeler en quoi les thèses de Souvarine
constituent une révision du bolchevisme121, pourquoi l’opposition française doit être
condamnée et enfin pour fixer les grand axes des travaux du conseil national. Il
demande que les délégués votent les thèses du CD sans y apporter la moindre
modification pour éviter toute manœuvre de l’opposition et remette à la délégation
pour le 5ème congrès mondial, un mandat indicatif. Il sait que, sous l’action conjuguée
des représentants de l’IC et des délégués de la direction, les fédérations se
préparent à voter pour les thèses de la majorité et ainsi parachever la prise de
contrôle de « la gauche » sur la direction et sa victoire personnelle sur Souvarine.
Dans la Seine, le congrès fédéral adopte les thèses du CD par 134 voix contre 15122.
Les fédérations de province suivent la même voie123. Nulle part, les thèses de
Souvarine ne réunissent une minorité susceptible de gêner la direction124. Le
déroulement du conseil national vient finaliser cette victoire.
Lors de la première séance, le 1er juin 1924, les rares délégués opposés aux
thèses de la direction adoptent une attitude prudente et se cantonnent à quelques
critiques de second ordre125. Le représentant de l’IC, Gouralski, intervient pour
condamner fermement Souvarine en l’accusant d’avoir « lutté » contre Lénine et de

118
P-V du BP du PCF du 3 mai 1924, BMP 62.
119
L’Humanité, n° 7435, 7 mai 1924, p. 1.
120
Sellier L, « Le Cours Nouveau et le Parti Français », Bulletin Communiste, n° 19, 9 mai 1924, p.
459-460.
121
Treint A, « Le plus grand Danger », Bulletin Communiste, n° 19, 9 mai 1924, p. 457-459.
122
Compte rendu dans l’Humanité, n° 7447, 19 mai 1924, p. 2.
123
Voir ROBRIEUX P, op. cit., p. 215-216.
124
Exception faite de la fédération de la Seine-Inférieure où les thèses du CD n’obtiennent que 36 voix
et 16 contre.
125
Sur l’intervention de Monatte, voir CHAIGEAU J-L, op. cit., p. 914.
249
s’être mis hors du parti par son indiscipline. Les autres interventions suivent le même
schéma126 ; condamnation des erreurs de l’opposition et de l’indiscipline de
Souvarine et appel à ancrer le PCF dans « la ligne bolcheviste »127. Le lendemain,
les délégués votent les thèses du CD par 2353 mandats contre 3 et 10 abstentions et
adoptent une déclaration adressée au 13ème congrès du PCR128. La ligne défendue
par Treint depuis le mois de février 1924 triomphe et lui-même, depuis Moscou, se
réjouit de l’unanimité du parti et de l’orientation des débats.
A Moscou, Souvarine, qui se sait battu et menacé d’exclusion, décide de
poursuivre la lutte. Invité à parler au 13ème congrès du PCR (23-31 mai 1924), il ne
se fait aucune illusion quant aux chances de l’opposition d’être écoutée129. Le 28 mai
1924, il prononce cependant un discours très offensif, dénonçant les « calomnies et
mensonges » propagés à l’encontre de Trotsky130. L’auditoire accueille ce discours
avec des interpellations ironiques et un dédain manifeste131. Treint, qui assiste
également au congrès au nom du PCF, dépeint l’ambiance du congrès et les
principales interventions des leaders bolcheviks, sans faire référence au discours de
Souvarine132. Il souligne que l’opposition fut largement battue, après avoir pu
s’exprimer librement. Dans la plus pure rhétorique « léniniste », il conclut par une
envolée sur la discipline et l’unité du parti russe133.
Une fois l’opposition défaite en Russie, la direction du PCR se tourne vers les
sections de l’Internationale. A quelques semaines du 5ème congrès mondial, Zinoviev

126
Voir l’Humanité, n° 7461et 7462, 2 et 3 juin 1924 ainsi que Ibid., p. 914-917.
127
« Il faut faire l’impossible pour rester dans la ligne droite du bolchevisme pour que nos partis
communistes deviennent des partis bolcheviks, comme le parti russe. C’est à dire des partis ayant
une rigidité absolue de principes, une discipline jamais enfreinte, des membres prêt à tous les
er
sacrifices sous un contrôle sévère ». Intervention de Sellier, 1 juin 1924.
128
« Le conseil national du Parti communiste français constitué par 91 fédérations sur 93 vient de
décider par 2353 mandats sur 2368 la solidarité sans réserve avec la position du comité central du
Parti communiste russe sur tous les points de la discussion. Le conseil national adresse son fraternel
e
salut au XIII congrès du parti communiste russe et aux camarades de l’Internationale communiste,
leur fait pleine confiance pour continuer sur la ligne rigide du Léninisme dans la dictature vigilante du
prolétariat, à sauvegarder les positions essentielles de la révolution mondiale. »
129
« Je ne sais si Trotsky parlera au congrès. Il est possible que non : à quoi bon perdre son temps
devant un auditoire de fonctionnaires rigoureusement triés sur le volet et dont le vote est acquis
d’avance ? », Lettre de Souvarine à Rosmer, 21 mai 1924, IHS, fonds Souvarine.
130
Compte rendu du discours de Souvarine, Est-Ouest, n° 15, février 1985, p. 37-38.
131
« L’intervention de Souvarine fut accueillie par le congrès assez froidement. Il souleva à maintes
er
reprises les rires et de vives interruptions. », l’Humanité, n° 7460, 1 juin 1924, p. 3.
132
Treint A, « Le bolchevisme est aujourd’hui plus fort que jamais », l’Humanité, n° 7465, 6 juin 1924,
p. 1.
133
« Clairvoyant, souple dans ses moyens, inflexible dans ses buts, régi par une discipline de fer
consentie avec intelligence, le Parti bolchevik, dont l’unité vient d’être renforcée en quelques mois par
l’adhésion de plus de cent mille ouvriers, tient entre ses mains plus fortement que jamais le sort de
l’Union des Républiques soviétiques. […] Le bolchevisme, encore une fois vainqueur en Russie,
continuera à animer de son souffle puissant les partis frères et l’Internationale et à les entraîner dans
la voie du réalisme révolutionnaire. », Ibid.
250
annonce un congrès sous le signe du « léninisme » et de la bolchevisation,
autrement dit, de la lutte contre toutes les oppositions134. Avant l’ouverture du
congrès, l’Exécutif de l’IC se réunit en session élargie pour préparer les débats mais
également pour aborder le cas particulier de Souvarine qui reste membre du
Présidium de l’IC et représente toujours le PCF. Dès le début de la séance135, la
délégation française ― Maranne, Tommasi et Treint ― lit une déclaration pour
demander que Souvarine ne puisse participer aux travaux de l’Exécutif Elargi
qu’avec une voix consultative136. Les délégués français soulignent les nombreux
actes d’indiscipline commis par Souvarine et le fait qu’il ne représente plus l’opinion
de la majorité pour justifier cette proposition. Surpris, Souvarine demande à pouvoir
répondre à ce « tissu de mensonges et d’appréciations plus que tendancieuses ».
Radek intervient pour préciser que les débats ne peuvent que porter sur des
questions statuaires et l’invite à répondre par écrit. A son tour, Treint prend la parole
pour s‘élever contre les accusations de Souvarine137. Zinoviev s’oppose à la
proposition de la délégation française arguant du statut de Souvarine et de la
proximité du congrès mais soutient l’idée de constituer une commission
« Souvarine » pour juger ses infractions à la discipline. Souvarine intervient alors à
nouveau pour se défendre et dénoncer le procès personnel qui lui ait fait. Il reconnaît
avoir commis des actes d’indiscipline qu’il justifie par les attaques dont il fut victime
et ajoute :
« Je crois que personne ici ne sera étonné si je dis qu’au fond de tout cela il
ne s’agissait pas de cas d’indiscipline, mais simplement de faire en sorte
d’obtenir cette unanimité de cent pour cent qui, paraît-il est maintenant de
rigueur dans les organisations de l’Internationale. Je n’ai pas l’intention quant
à moi de troubler la belle harmonie de l’Exécutif Elargi, ni du Congrès. […] Je
déclare que ce n’était pas mon intention et ce n’est pas mon intention
d’engager ici une lutte tout à fait vaine. »138

134 e
Voir notamment Zinoviev, « Préparons-nous aux travaux du V congrès », Bulletin Communiste, n°
17, 25 avril 1924.
135
Compte rendu de la séance : « Le cas Souvarine devant l’Exécutif Elargi », Bulletin Communiste,
n° 26, 27 juin 1924, p. 630-631.
136
Selon Humbert-Droz, Treint est à l’origine de la déclaration de la délégation. De Lénine à Staline,
op. cit., p. 232.
137
« Je prends simplement la parole pour protester contre l’accusation de mensonges apportée par le
camarade Souvarine contre les faits allégués. Ces faits sont allégués par la délégation ; plusieurs
d’entre eux ont déjà donné l’occasion à la direction du Parti de prendre des sanctions contre le
camarade Souvarine. », Ibid.
138
Ibid.
251
Après cette déclaration, qu’Humbert-Droz qualifie de suicide politique139, Zinoviev
conclut en soulignant qu’elle n’a « rien de commun avec le communisme », puis il fait
adopter la proposition de réunir une « commission Souvarine » et de maintenir sa
voix délibérative.
Lors des dernières journées du 5ème congrès mondial de l’IC (17 juin-8 juillet
1924), la commission Souvarine140 se réunit pour statuer sur son sort. La délégation
française, décidée à obtenir une sanction exemplaire141, multiplie les attaques, tant
sur le plan de l’indiscipline que sur l’attitude politique générale de Souvarine depuis
plusieurs années. Elle n’hésite pas à faire référence à sa visite à la prison de
Boutirky142 et à plusieurs affaires secondaires concernant son travail de directeur du
Bulletin Communiste143. Toujours combatif, Souvarine rédige un mémoire pour
répondre à chacun des points soulevés et montrer l’inanité des accusations de la
délégation. Concernant le conflit avec Treint depuis 1923, il affirme qu’il ne s’agissait
pas d’une lutte personnelle mais bien d’une lutte politique contre « ses idées, ses
méthodes, sa tactique » :
« J’étais absolument d’accord avec l’Exécutif et avec l’ensemble de mon parti
sur l’appréciation des actes de ce camarade, tant sur "l’impérialisme rouge"
que sur la "volaille à plumer", tant sur ses agissements dans la Fédération de
la Seine que sur son rôle au Congrès syndical de Bourges, tant sur sa façon
d’exercer ses fonctions de secrétaire que sur sa conception de l’organisation.
Il est vrai que depuis, l’Exécutif et le Parti ont changé d’avis. Mais c’est après
[souligné par l’auteur] ma révocation du Bulletin que la nouvelle politique a été
inaugurée par le vote de nouvelles "thèses". Tant que j’ai été au Bulletin, c’est
moi qui ai défendu la ligne de l’Internationale et du Parti. »144
Il conclut en montrant que les motivations réelles de la direction du PCF ne sont pas
politiques mais personnelles. Il s’agit d’éliminer « un camarade dont le seul crime est

139
Humbert-Droz, De Lénine à Staline, op. cit., p. 232.
140
Elle comprend : Frounzé, Molotov suppléant (Russie), Freimuch, Heinze suppléant (Allemagne),
Maranne (France), Terracini, Rienzi suppléant (Italie), Kreibich (Tchécoslovaquie), Stewart
(Angleterre), Butzuriano (Balkans), Walecki (Pologne), Scheflo (Norvège), Olgin (Etats-Unis), Allonso
(Espagne), Jacquemotte (Belgique), Vouiovitch.
141
Dans une lettre à Zinoviev du 10 juin 1924, Treint demande que Souvarine soit « écarté de l’activité
du parti français et même de France pendant un temps assez long », RGASPI, 517/1/159. Voir en
annexe.
142
A Moscou, en 1921, Souvarine s’est rendu à la prison de Boutirky pour connaître le sort des
anarchistes emprisonnés.
143
Voir Souvarine « Réponse point par point aux accusations de la délégation française », IHS, fonds
Souvarine.
144
Ibid.
252
d’avoir eu sur la question russe une opinion non officielle », en employant pour cela
la calomnie et le mensonge.
La défense de Souvarine se heurte à la volonté d’une partie de la délégation
française, autour de Treint et de Suzanne Girault145, d’obtenir son exclusion pure et
simple. Cependant d’autres membres, arguant que la délégation n’a reçu aucun
mandat du parti pour demander l’exclusion, militent en faveur d’un simple renvoi à la
base. Finalement la commission, suivant une proposition des délégués russes,
décide de proposer une exclusion temporaire et tous les délégués présents se
rallient à cette solution, exception faite des délégués italiens146. Lors de la deuxième
séance de l’Exécutif Elargi qui fait suite au congrès, cette décision est approuvée. Le
19 juillet, l’Humanité annonce l’exclusion en titrant « Le cas Souvarine »147 et ajoute
ce commentaire :
« Souvarine crut être une force personnelle. L’orgueil le brisa et le perdit !
Défendant une classe dont il n’était pas issu, il n’en comprit qu’imparfaitement
les besoins. […] C’est dans la mesure où toutes les survivances du "Moi"
individualiste seront détruites que se formera l’anonyme cohorte de fer des
bolcheviks français. »148
Souvarine, qui depuis la création du PCF se battait pour faire d’un parti social-
démocrate, traversé par les courants politiques divers, une organisation disciplinée et
unifiée sur le plan idéologique, se trouve assimilé à ces anciens cadres de la SFIO,
incapables d’entrer dans le moule d’un nouveau parti. Les militants avec qui il avait
travaillé à cette transformation, ont joué un rôle essentiel dans son exclusion.
Souvarine avait imposé le nom de Treint pour entrer au secrétariat, fin 1922, parce
qu’il voyait en lui un militant discipliné, travailleur et bon organisateur mais pas un
leader politique. Dès lors que ce dernier a voulu s’émanciper de sa tutelle politique,
les deux hommes sont entrés en conflit. Leur lutte personnelle, masquée par des
arguments politiques, avait tourné à l’avantage de Souvarine avant que les délégués
de l’IC n’apportent un soutien décisif à Treint. Par la suite, Souvarine ne pardonne
pas à Treint son rôle dans la crise du début de l’année 1924, dans son exclusion et

145
« Quand après des discussions laborieuses, la délégation a dû se prononcer, la clique Treint et Cie
a naturellement demandé l’exclusion pure et simple ». Lettre de Rosmer à Monatte, 18 juillet 1924,
Syndicalisme révolutionnaire et communisme, op. cit, p. 392.
146
« Je ne te raconte pas en détail les séances de la commission. Après discussion, les Français
sortirent leur proposition, les russes en firent une, plus modérée dans la forme, soulignant le fait qu’il
s’agissait d’une mesure temporaire. Tout le monde s’y rallia ― sauf les italiens qui, toutes tendances
réunies, tinrent bon. », Ibid.
147
L’Humanité, n° 7508, 19 juillet 1924, p. 1.
148
Ibid.
253
l’accuse d’avoir rallié la ligne politique de l’IC pour satisfaire ses ambitions
personnelles et se venger de sa défaite au congrès de Lyon. De son côté, Treint ne
revient jamais sur son rôle personnel dans l’exclusion de Souvarine, se contentant
d’affirmer que ce dernier avait entamé un glissement politique vers « la droite »,
rendant son exclusion inévitable, et cachant ainsi les motifs personnels qui l’ont
animé sous une lutte politique apparente.

3) L’exclusion de Monatte et Rosmer.

Dès les prémices de la crise de 1924, le nom de Rosmer apparaît à côté de


celui de Souvarine. Treint lui reproche principalement d’être à l’origine de la lettre au
Labour party et de soutenir la ligne politique impulsée par Souvarine149. Lors de la
séance de l’assemblée de la fédération de la Seine du 28 février 1924, il l’accuse de
participer à « la tentative internationale de révision du bolchevisme »150, autrement
dit de faire partie de « la droite » française. La place de Rosmer au sein de la
direction du PCF diffère pourtant sensiblement de celle de Souvarine. En 1923, les
deux hommes s’allient contre Treint et dénoncent de concert son autoritarisme, ses
méthodes de gestion et, après le congrès de Lyon, dirigent le PCF en bonne entente.
Cependant Rosmer conserve une attitude critique vis-à-vis de certains aspects de la
personnalité de Souvarine151. Ainsi, lorsque le CD se rallie à la ligne de l’IC en mars
1924, Rosmer, pourtant au centre des attaques, choisit d’observer une attitude
prudente, contrairement à Souvarine qui s’engage ouvertement dans la lutte contre
Treint et la nouvelle majorité.
Lors de la séance du CD du 18 mars 1924, contrairement à Souvarine et son
ami Monatte, il se contente de s’abstenir de voter les nouvelles thèses du CD152 tout
en les dénonçant et en déclarant qu’il ne participera plus au BP. Monatte, au
contraire, vote contre et lit une déclaration pour se justifier153. Il montre que les
thèses n’apportent pas de solution à la crise du parti. Selon lui, les origines des
difficultés proviennent des erreurs de la direction en 1923, sur la politique syndicale

149
Treint A, « Communisme et Travaillisme », art. cit.
150
Lettre de Souvarine à Rosmer, 3 mars 1924, IHS, fonds Souvarine.
151
Entre 1921 et 1923, Rosmer avait critiqué à plusieurs reprises le comportement parfois hautain de
Souvarine et son ton cassant. En avril 1924, sa femme écrit d’ailleurs à Humbert-Droz : « Je pense
bien comme vous et les deux hommes dont vous parlez [Souvarine et Treint] sont les vers rongeurs
de notre parti ». Rosmer partage probablement cette opinion. De Lénine à Staline, op. cit., p. 159.
152
Cf. supra.
153
Déclaration de Monatte au comité directeur du 18 mars 1924, Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril
1924, p. 252-253.
254
et sur la tactique du front unique, la question russe étant étrangère aux divisions
actuelles dans le PCF :
« La fièvre tenace du sommet tient pour une large part au fait que depuis plus
d’un an la direction du Parti s’est chargée seule de l’examen de toutes les
questions sans appeler le Parti à y collaborer. […] D’aucuns veulent
aujourd’hui classer et diviser le Parti d’après les problèmes qui se posent dans
l’Internationale et sur lesquels le Parti, même dans sa direction, est, de façon
notoire, insuffisamment renseigné. »154
Monatte constitue un danger pour la direction, du fait de son prestige dans le milieu
ouvrier français et de son influence chez les syndicalistes. Ce refus d’approuver les
nouvelles thèses sert de prétexte pour déclencher une offensive contre la droite
« pessimiste » et « opportuniste », représentée par Souvarine, Monatte et
Rosmer155. Entre la fin du mois de mars et la mi-avril, Treint accentue la pression sur
les opposants. Lors de l’assemblée d’information de la fédération de la Seine du 4
avril 1924, il prétend que Rosmer, comme Souvarine ne croyait pas à la révolution
allemande. Puis il publie son article156 dans lequel il classe Monatte et Rosmer dans
la « droite internationale » qui « parle le même langage que les pires opportunistes ».
Concernant la déclaration du 18 mars, il écrit : « Monatte n’apporte rien au Parti, que
critique absolument stérile » et « enferme le Parti dans sa tâche quotidienne ». Il
conclut par un appel à battre cette opposition en piétinant « s’il le faut toutes nos
amitiés ».
La réaction ne se fait pas attendre. Après lecture de l’article, Monatte écrit à
Sellier pour lui annoncer sa démission des postes de rédacteur et de chef de la
rubrique de la vie sociale157. Il réplique en deux temps dans le Bulletin Communiste
au sujet de ses critiques sur le fonctionnement des commissions syndicales158 et sur
la constitution des cellules d’usines dans le parti159. Il revient sur la géographie des
tendances inventées par Treint qu’il récuse avec humour :
« On nous a d’ailleurs classé en tendances. Mais la géographie de Treint est
fantaisiste. Sa classification ne me convient pas. J’ai beau me regarder dans
la glace, non seulement je ne me trouve pas la tête désespérée d’un

154
Ibid.
155
Treint A, « Dans la voie tracée par Lénine », art. cit.
156
Treint A, « Contre la Droite Internationale », art. cit.
157
Lettre de Monatte à Sellier, 22 avril 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 385-386.
158
Monatte, « Première réponse à Treint », Bulletin Communiste, n° 19, 9 mai 1924, p. 461.
159
Monatte, « Seconde réponse à Treint », Bulletin Communiste, n° 20, 16 mai 1924, p. 484.
255
pessimiste, mais je ne vois pas un type de Droite. […] Treint a une mauvaise
vue ; il prend sa gauche pour sa droite. Cela ne m’affecte pas autrement ! »160
Le secrétariat reçoit une lettre collective d’autres rédacteurs de l’Humanité161
également opposés à la nouvelle ligne et qui se sentent offensés par l’article
précédemment cité, Treint ayant critiqué le contenu du quotidien162. Dénonçant la
« besogne de fraction » accomplie163 depuis le mois de février et affirmant leur
solidarité avec Monatte, ils déclarent vouloir « rentrer dans le rang » pour pouvoir
défendre leur point de vue à la base sans être accusés de saboter le parti.
Suite à ces démissions, la direction tente d’obtenir le retour de Monatte et
Rosmer à la rédaction de l’Humanité. Sellier164 et le représentant de l’IC165
reconnaissent les exagérations de Treint et appellent à l’unité. La manœuvre
fonctionne. L’opposition est divisée, avec d’un côté Souvarine décidé à défendre ses
conceptions jusqu’à son exclusion et isolé à Moscou et de l’autre Monatte et Rosmer,
écartés des postes de direction mais décidés à rester dans le parti quitte à taire
certaines de leurs divergences. Lors du conseil national, l’opposition fait difficilement
entendre sa voix sur la question russe par le biais de Monatte. Ne pouvant apporter
des preuves sur une tentative de déstabilisation de Trotsky ou sur la poursuite du
conflit au sommet du PCR, il se contente de dénoncer une nouvelle fois les attaques
jugées injurieuses de Treint et la discussion biaisée dans le PCF, sans réellement
convaincre. Lors du 5ème congrès mondial de l’IC, l’opposition, représentée dans la
délégation par Rosmer et Dunois, se fait très discrète. Monatte, invité à se rendre à
Moscou par Lozovsky166, puis par Zinoviev167, choisit de rester en France en
expliquant qu’en tant que minoritaire, il ne peut représenter que son propre point de

160
« Première réponse à Treint », art. cit.
161
Lettre au secrétariat datée du 23 avril 1924 et signée Rosmer, Charbit, Antonini, Godonnèche,
Chambelland. Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 386-387.
162
« Les premiers indices du péril liquidationniste peuvent déjà s’observer en France. Dans notre
journal l’Humanité, le Parti n’apparaît plus guère […] L’horizon des luttes grévistes est rétréci à la
grève elle-même. Les combats quotidiens du prolétariat ne sont reliés que bien faiblement au vaste
développement de la lutte révolutionnaire », art. cit., p. 388.
163
« Treint continue dans les colonnes du Bulletin Communiste, ses mensonges et ses divagations.
[…] La besogne de fraction accomplie par Treint depuis le congrès de Lyon a jeté le Parti dans la
confusion complète. […] Le Parti n’a pas réagi contre le travail de fraction accompli par Treint parce
qu’il est paralysé par un fractionnisme stérile et envahisseur », Lettre au secrétariat, 23 avril 1924, op.
cit.
164
Cf. supra.
165
Voir Klein, « Les tâches du Conseil national », Bulletin Communiste, n° 22, 30 mai 1924.
166
Lettre de Lozovsky à Monatte, 7 mai 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 387.
167
Treint, dans sa lettre datée du 10 juin 1924 avait demandé à Zinoviev d’inviter Monatte à Moscou
pour « l’y battre politiquement d’une manière très démonstrative ». Quelques jours plus tard, le
président de l’IC envoie un télégramme demandant à Monatte de venir « pour nous expliquer sur les
différences existantes ». Voir en annexe.
256
vue et ne voit donc pas l’intérêt de participer au congrès168. A Moscou, Rosmer reste
fidèle à son attitude, consistant à attendre une situation plus favorable pour lancer
une offensive politique à un moment opportun169. Il se range aux décisions de la
délégation française et vote l’exclusion temporaire de Souvarine, contribuant ainsi à
une facile victoire de Treint et de la « gauche », qui obtient les postes clés dans le
parti et dans l’Internationale. Même attitude à l’égard de la nouvelle ligne politique de
l’IC qu’il fustige dans ses lettres privées170, mais dont il se déclare solidaire dans les
assemblées. Il escompte pouvoir, à terme, rassembler tous les mécontents et influer
sur la direction, sans pour autant rompre avec l’IC.
En réalité, au retour de la délégation française à Paris, la direction durcit
encore le ton à l’égard de l’opposition, avec l’espoir de la pousser hors du parti. En
application des décisions du 5ème congrès mondial, elle met en place une
réorganisation profonde du parti qui passe par le renforcement de l’appareil et le
remaniement de la presse. Sous la direction de Suzanne Girault, on profite de ses
transformations pour écarter les gêneurs. Dès le 22 mai, Treint indiquait comment la
refonte de l’appareil devait servir à lutter contre l’opposition :
« Réduction de notre appareil. […] Mes vues sont les suivantes, à titre de
suggestion. […] Garder nos délégués régionaux sûrs et liquider les autres.
Confier nos régions actuelles à nos délégués sûrs et à nos députés sûrs, ces
derniers étant mis au courant par nos régionaux sûrs. […] D’une manière
générale, profiter de la transformation pour mettre l’appareil du parti entre les
mains de camarades politiquement sûrs. Faire travailler les autres éléments
sous la direction de ceux-ci. On peut dès maintenant procéder à la liquidation
des éléments mauvais. »171
Confrontée à des difficultés financières, la direction décide un plan de réduction
drastique de ses dépenses et en tire argument pour mettre en pratique les
propositions formulées par Treint quelques mois auparavant. Lors du CD du 5 août

168
Lettre de Monatte à Zinoviev, 16 juin 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 388.
169
« Je suis tout à fait persuadé que, pour l’instant, nous ne devons pas abdiquer. Il faut attendre que
ceux qui grognent dans les coins se décident à parler. […] Jusqu’à ce que ce réveil se produise, nous
devons nous borner à collectionner les déclarations, les contradictions, les stupidités les plus
caractéristiques dont la seule énumération, quand nous les sortirons, constituera un réquisitoire
formidable contre la soi-disant gauche léniniste. », Lettre de Rosmer à Monatte, 26 août 1924,
Syndicalisme et Communisme, p. 403.
170
« Mais sur le congrès, on a guère envie d’écrire, pour nous c’était du connu, de l’archiconnu, du
trop connu, […] On a bolchevisé à tour de bras et dans toutes les langues. […] Il y a le front unique
par en haut, le front unique par en bas, le front unique par en haut et par en bas, c’est d’un ridicule
complet dans tous les sens », Lettre de Rosmer à Monatte, 18 juillet 1924, Ibid.
171
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 22 mai 1924, RGASPI, 517/1/161.
257
1924172, Marrane présente un plan de réduction des dépenses qui prévoit la
disparition de plusieurs éditions régionales de l’Humanité, de journaux édités sous le
contrôle de la direction, ainsi qu’une diminution des effectifs de l’Humanité
permettant, selon Rosmer, « de se débarrasser des indésirables »173. Quelques
semaines plus tard, Il fait état des premiers effets avec l’élimination de quatre
rédacteurs « indésirables »174, laissant la rédaction du quotidien sous le contrôle de
« la gauche »175.
La reprise en main de l’Humanité se fait sentir à bien des égards. L’heure
n’est plus à la discussion et à la controverse mais à l’application des décisions du
5ème congrès mondial. Alors même que le parti entame une modification radicale de
ses structures internes, aucune voix critique n’est tolérée dans les colonnes du
quotidien, ni d’ailleurs dans celle du Bulletin Communiste. Les comptes rendus des
assemblées témoignent également de cette volonté de présenter un parti unifié et
discipliné, entravé dans son bon fonctionnement par quelques éléments extérieurs.
Le 17 août 1924, la fédération de la Seine organise une assemblée pour faire le
compte rendu du 5ème congrès de l’IC et présenter les tâches du parti pour les mois à
venir. Plusieurs opposants souhaitent intervenir176, revendication rejetée au prétexte
qu’il s’agit d’une réunion d’information et que seules les questions écrites sont
acceptées. Protestant contre cette décision, Chambelland est hué par la grande
majorité de la salle. Il rédige alors une série de questions concernant l’exclusion de
Souvarine et l’application du front unique, et un second militant, Ranc177, interroge la
direction sur l’existence d’un « testament de Lénine »178. Pour seule réponse, les
militants se voient accusés de colporter « des ragots » et Chambelland est
explicitement menacé de sanction pour avoir fait référence à la malhonnêteté de
Werth179. Dans son compte rendu, l’Humanité se contente de parler de tentatives

172
P-V du CD du PCF du 5 août 1924, BMP 62 ainsi que la lettre de Rosmer à Monatte, 11 août 1924,
Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 395.
173
Ibid.
174
Lettre de Rosmer à Monatte, 26 août 1924, Ibid., p. 402.
175
Dans une lettre datée du 13 septembre 1924, Suzanne Girault annonce à Treint « un grand
nettoyage » avec les démissions de Raveau et Reynaud et ajoute « Bon débarras ! ». RGASPI,
517/1/161.
176
Voir les lettres de Chambelland à Monatte, 17 et 22 août 1924 ainsi que la lettre de Marzet à
Monatte, 20 août 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 396-401.
177
Robert Ranc (1905-1984) : Apprenti typographe, membre des jeunesses communistes et proche
de Monatte et Rosmer.
178
Lettre de Chambelland à Monatte, 22 août 1924, Ibid.
179
Chambelland : « On a exclu le camarade Souvarine au nom de la discipline, qu’attend-on pour
exclure le citoyen Werth au nom de l’honnêteté ? », Ibid. Sur l’affaire Werth, cf. infra.
258
d’obstruction de quelques oppositionnels et de la réaction unanime de la salle pour
dénoncer ces agissements180.
Décidée à exclure les opposants les plus actifs, la direction mène l’offensive
sur plusieurs plans. Au sein des fédérations, elle fait pression sur tous les cadres qui
critiquent les méthodes de réorganisation et demande à chacun de prendre
clairement position vis-à-vis de l’opposition. Delagarde181, membre suppléant du CD,
témoigne des méthodes de dissuasion employées contre lui182. Pour avoir critiqué
dans une lettre la politique syndicale, il est menacé d’être démis de son poste au
syndicat des ouvriers sur métaux, au motif que dans « un parti bolchevik », on ne
peut laisser un communiste d’opposition à la tête d’un syndicat. Il ajoute :
« J’ai senti que j’avais (sic) qu’à renier ce que je croyais être juste et
immédiatement je rentrais en grâce et l’on m’offrait les postes que j’aurais
désirés. »183
Depuis Moscou, malgré certaines difficultés de liaison, Treint contribue à la
campagne contre Monatte, Rosmer et leurs partisans. Le 28 août 1924, il demande
au BP184, sur instruction du CE de l’IC, d’exiger un article signé Monatte et Rosmer
sur la question suédoise. Suite au 5ème congrès mondial, l’ancien dirigeant du PC
suédois, Hoeglund, a rompu avec l’IC provoquant une scission au sein de son parti.
La manœuvre consiste à amener les opposants dans les principales sections à
prouver leur fidélité à l’IC, en appelant à la discipline et à la lutte contre les
déviations. Soit ils se rangent derrière leur direction, approuvant par la même la
campagne contre « la droite », soit ils refusent, ce qui constitue une preuve de leur
solidarité avec la « droite internationale » et justifie une mesure d’exclusion. Le 5
septembre, Treint fait parvenir à Suzanne Girault deux lettres destinées à Monatte et
Rosmer et précise la tactique :
« Ou bien Rosmer et Monatte accepteront d’écrire l’article demandé, et alors,
nous ruinerons l’argumentation d’Hoeglund qui prétend avoir des appuis à
l’intérieur de l’IC. […] Ou bien Monatte et Rosmer refuseront d’écrire ces
articles et alors ils montreront que l’opposition en France et sur une pente tout
à fait dangereuse. »185

180
L’Humanité, n° 7533, 18 août 1924, p. 2.
181
Victor Delagarde (1890-1954) : Mécanicien en instruments de précision. Syndicaliste, anarchiste
puis membre du PCF.
182
Lettre de Delagarde à Monatte, 5 août 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 394.
183
Ibid.
184
Lettre de Treint au BP du PCF, 28 août 1924, RGASPI, 517/1/161.
185
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 5 septembre 1924, Ibid.
259
Dans sa lettre adressée aux deux militants186, Treint prend en effet prétexte des
déclarations d’Hoeglund sur les soutiens dont il bénéficierait au sein de l’IC pour
justifier sa demande et précise que « les droitiers » Brandler et Radek ont accepté
d’écrire un article. Monatte et Rosmer de leur côté s’y refusent et vont s’en
expliquer187. Au moment opportun, la direction saura utiliser ce refus.
Treint fait également parvenir un article188 justifiant la lutte contre « la droite
française »189. En s’appuyant sur les conclusions de la thèse sur la tactique de l’IC,
adoptée au 5ème congrès mondial, selon lesquelles le monde occidental traverserait
une période caractérisée par « un renouveau des illusions démocratiques
pacifistes », il appelle le PCF à renforcer sa discipline et la lutte contre les déviations.
Selon lui, après avoir affronté une première offensive de « la droite » constituée par
« une coalition du néo-menchevisme de Souvarine et du néo-gauchisme ouvriériste
teinté de syndicalisme pur de Monatte », le PCF serait confronté à une deuxième
offensive autour de la question de la réorganisation du parti sur la base des cellules
d’usine. Cette situation justifie d’opérer une nouvelle sélection, visant à éliminer tous
les opposants à la ligne bolcheviste190.
Au sein de la direction du PCF, on approuve la nécessité d’une épuration, en
poussant les partisans de Rosmer et Monatte soit à quitter le parti, soit à commettre
une faute justifiant une exclusion. Au cours du mois de septembre, Treint reçoit
plusieurs lettres, signées de Suzanne Girault et Gouralski, indiquant « qu’il faudra
expulser du parti quelques leaders de la droite afin de le mieux consolider et d’en
finir avec les groupements clandestins »191. Lors de la conférence des secrétaires
fédéraux192 (21-22 septembre 1924), les quelques représentants de la minorité
présents ― Delagarde, Guillou193, Monatte194 ― tentent de faire entendre leur voix
concernant l’attitude de la délégation française au 5ème congrès de l’IC à l’égard de

186
Lettre de Treint à Monatte et Rosmer, 5 septembre 1924, Ibid.
187
Cf. infra.
188
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 26 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
189
Treint A, « Une Droite dans l’Internationale Communiste, une Gauche dans Amsterdam », Bulletin
Communiste, n° 42, 17 octobre 1924, p. 986-992.
190
« Les militants actifs et courageux qui n’ont pas une base doctrinale communiste solide, ou bien
l’acquerront, ou bien quitteront nos rangs, séduits qu’ils seront par les illusions démocratiques et
pacifistes. […] Cela se fera dans une lutte ardente contre l’opportunisme dans nos propres rangs. »,
Ibid., p. 988.
191
Voir les lettres de Lepetit (Gouralski), 6 septembre et 11 octobre 1924 et Suzanne Girault, 13
septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
192
Conférence organisée suite à la fusion des fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise pour
constituer la fédération de la Région Parisienne, dans le cadre de la bolchevisation.
193
Edmond Guillou (1882- . ) : Entrepreneur de Maçonnerie. Militant socialiste puis communiste.
194
Compte rendu de la conférence dans l’Humanité, n° 7574 et 7575, 23 et 24 septembre 1924, p. 1
et p. 2.
260
Souvarine, ou encore de souligner la partialité des comptes rendus dans l’Humanité.
Ces intervenants se gardent de remettre en cause les décisions de l’IC. La direction
répond néanmoins avec brutalité. Semard déclare que l’opposition a provoqué une
« explosion de trotzkisme » et Cadeau qu’elle est « presque en dehors du parti »195.
Au terme de la première journée, l’assemblée vote une première résolution
condamnant « un retour offensif de la tendance de droite masquée sous des
critiques d’ordre secondaire » et « toute tentative de rouvrir la discussion sur la crise
intérieure du PC russe aujourd’hui terminée théoriquement et pratiquement, comme
la volonté de nuire et de décomposer le Parti en entravant son travail politique et de
réorganisation sur la base des cellules d’entreprise »196. Le lendemain, elle vote une
seconde résolution chargeant le BP du PCF de « prendre toutes les mesures
nécessaires pour que ces éléments se plient [aux idées et aux mots d’ordre de
l’Internationale] ou qu’ils démissionnent »197. Jamais encore Monatte, Rosmer et
leurs partisans n’avaient été attaqués avec une telle virulence, ni accusés d’être des
ennemis du parti. En déformant leur point de vue, en les calomniant, en donnant à
toute tentative de discussion le caractère d’une lutte fractionnelle, la direction montre
sa détermination à écraser l’opposition et à instaurer le monolithisme dans le PCF.
Au cours des semaines qui suivent cette assemblée, les départs et les
exclusions se multiplient. Dès le 24 septembre 1924, Chambelland écrit au
secrétariat pour annoncer qu’il démissionne198. Le jour même, le BP décide son
exclusion, suivie en octobre et novembre de celles de Delouze, Forcy, Jouen,
Hattenberger199, Guillou, qui se sont exprimés en faveur de l’opposition200. De leur
côté, Delagarde, Monatte et Rosmer adressent, le 5 octobre 1924, une lettre au CD
pour faire part de leur indignation face aux attaques dont ils sont victimes et répondre
aux calomnies201. Ils soulignent que, contrairement aux assertions contenues dans
les deux résolutions votées par l’assemblée des secrétaires fédéraux, ils n’ont pas
rouvert la discussion sur les crises russe et allemande et sur la situation anglaise et
n’ont manifesté aucune opposition politique aux décisions du 5ème congrès mondial.

195
Lettre de Monatte, Rosmer et Delagarde au BP, 5 octobre 1924, Syndicalisme et Communisme,
op. cit., p. 403-406.
196
Résolution parue dans l’Humanité, n° 7574, 23 septembre 1924, p. 1.
197
L’Humanité, n° 7575, 24 septembre 1924, p. 2.
198
Lettre de Chambelland au secrétariat du PCF, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 401-402.
199
César Hattenberger (1887-1928) : Comptable. Militant socialiste zimmerwaldien, membre du CTI et
du premier CD de la SFIC.
200
BOICHU P, Recherche sur les exclusions dans le parti communiste français, Maîtrise d’Histoire,
sous la dir. de Jacques GIRAULT, Paris XIII, 1999, p. 108-110.
201
Lettre de Delagarde, Monatte et Rosmer, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 403-406.
261
Ils affirment au contraire que la réorganisation sur la base des cellules d’entreprise,
la lutte pour l’unité syndicale ou encore la position prise par l’IC à l’égard des trade-
unions anglais ne peuvent qu’être approuvées par eux, de même que les décisions à
l’égard Hoeglund ou de Souvarine. Ils montrent que dans le compte rendu de
l’assemblée des secrétaires fédéraux, l’Humanité a déformé l’intervention de
Monatte. Reprenant les graves accusations portées contre eux, ils ajoutent :
« Nous marcherions sur les traces de Frossard, de Paul Lévi, nous ferions le
jeu ou la besogne du Bloc des Gauches. Merci bien. […] Nous sommes entrés
au Parti pour servir la Révolution ; il n’a pas dépendu de nous que nous la
servions ailleurs que dans le rang ; on ne réussira pas à nous faire passer
pour des saboteurs du Parti et de la préparation révolutionnaire du
prolétariat. »202
En aucun cas cette lettre, dans laquelle les trois militants revendiquent leur
fidélité à l’IC, ne peut constituer un motif d’exclusion. La direction choisit alors de
l’étouffer. Malgré une promesse orale de Semard, le Bulletin Communiste ne la
publie pas203. De plus, le secrétaire général204, sans évidemment faire référence à
cette lettre, publie un éditorial205 dans lequel il renouvelle toutes les attaques contre
Monatte et Rosmer et affirme qu’ils seront condamnés par le prochain congrès
national du PCF206. Treint, revenu de Moscou début novembre207, prend part à la
campagne. Dans le premier numéro des Cahiers du Bolchevisme208, il définit les
principales tâches du parti à l’approche du congrès national209. Il présente le
renforcement de la lutte contre « la droite » comme la priorité, au motif qu’elle se
serait organisée sur le plan international et préparerait une offensive. A l’appui de
cette thèse, il se contente de rappeler que Monatte et Rosmer ont refusé d’écrire

202
Ibid.
203
Lettre de Rosmer à Semard, 16 novembre 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 406-
407.
204 ème
Depuis le 5 congrès mondial de l’IC, Semard est secrétaire général du PCF. Nous y
reviendrons.
205
Semard P, « Contre toutes les déviations », l’Humanité, n° 7671, 13 novembre 1924, p. 1.
206
« Ce congrès lui signifiera une fois pour toute que les déviations de droite […] ne seront plus
admises dans l’IC et que ceux qui persévéreraient à les soutenir seraient impitoyablement chassés du
PC. », Ibid.
207
Avant de rentrer en France, Treint participe au congrès du parti communiste Tchécoslovaque (31
octobre-2 novembre 1924). Voir La Correspondance Internationale, n° 75, 11 novembre 1924, p. 835-
838.
208
A la date du 21 novembre 1924, la revue Cahiers du Bolchevisme remplace le Bulletin
Communiste fondé par Souvarine. Treint devient directeur de la rédaction.
209
Treint A, « Congrès de Bolchevisation », Cahiers du Bolchevisme, n° 1, 21 novembre 1924, p. 2-9.
262
contre Hoeglund210. Cette seule preuve ne peut suffire, aux yeux des militants
français, à faire de Monatte et Rosmer des agents de « la droite internationale ».
Treint s’applique à tisser progressivement ce lien imaginaire. Il s’agit de montrer qu’il
existe une convergence entre l’attitude de Monatte et Rosmer à l’égard de la
direction du PCF et les rebondissements de la lutte entre Trotsky et la Troïka au sein
du PCR211.
Après la publication des « Leçons d’Octobre », ouvrage dans lequel Trotsky
revient sur l’attitude de Kamenev et Zinoviev au cours des évènements d’octobre
1917, la Troïka développe une intense campagne contre Trotsky, accusé de vouloir
remplacer le léninisme par le trotskysme, en tant que doctrine du mouvement
communiste mondial. Après s’être développée en Russie, la campagne gagne les
autres sections de l’IC. En France, Treint se charge de faire publier les principaux
textes de la majorité, tout en apportant ses considérations personnelles sur le
trotskysme212. Il se sert de cette campagne pour faire de Monatte et Rosmer les deux
représentants du trotskysme. Revenant sur la crise du début de l’année 1924, il
décrit Souvarine et Rosmer comme deux « disciples »213 de Trotsky ayant tenté de
faire du PCF un bastion du trotskysme. Dans des textes antérieurs, il avait déjà relié
les conflits au sein de la direction en 1923 avec la discussion en Russie. Mais ici, il
tente de démontrer, a posteriori, que ce conflit mettait au prise la majorité léniniste et
une fraction trotskyste minoritaire, mais cependant puissante au début de l’année
1924. La « droite internationale » devient « trotskyste », autrement dit une
organisation politique, structurée idéologiquement et s’appuyant sur le nom de
Trotsky pour mener une lutte fractionnelle à l’échelle de l’IC214. Il ne reste plus qu’à

210
« L’opposition n’a pas grandi, bien au contraire, mais elle s’est organisée. Nous n’avons pas de
preuve matérielle absolument incontestable de l’existence fractionnelle de l’opposition à l’échelle
internationale. Mais nous observons. […] Il est tout à fait caractéristique que notre opposition n’ait pas
écrit une ligne contre Hoeglund, le Frossard suédois. Et cela au moment où Hoeglund clamait partout
son accord avec la droite internationale. J’ai personnellement écrit avec instance à Rosmer et à
Monatte pour les prier d’écrire contre Hoeglund. Ma lettre a été transmise par le Parti. Nous attendons
encore les articles de Monatte et de Rosmer. On n’est jamais tout à fait en désaccord avec ce qu’on
se refuse à combattre. », Ibid., p. 5.
211
Pour la première fois, dans l’article cité ci-dessus, apparaît le terme de « trotskysme ». Treint
accuse Trotsky de tenter d’imposer une nouvelle idéologie au parti russe et de profiter des difficultés
dans la construction du socialisme pour l’exploiter au profit de sa tendance.
212
Nous y reviendrons.
213
Treint A, « Contre Trotsky : sur la question des perspectives révolutionnaires », Cahiers du
Bolchevisme, n° 2, 28 novembre 1924, p. 71-77.
214
« Notre droite n’est plus qu’une poignée d’hommes égarés par leur admiration béate de la
personne de Trotsky et incapable de formuler une pensée politique cohérente. Les apôtres de la
démocratie dans le Parti, n’osent pas défendre ouvertement l’indéfendable trotskysme. […] Incapables
de sauver le trotskysme, ils veulent, non sauver la personne de Trotsky qui n’a jamais été menacée,
mais ils veulent préparer la domination personnelle de Trotsky sur le parti russe et sur
263
définir les caractéristiques idéologiques du trotskysme, évidemment opposées au
léninisme, en s’appuyant sur les nombreux articles parus en Russie, dénonçant le
trotskysme.
Accusés d’être des ennemis du parti, de vouloir le saboter, de tenter d’en faire
un bastion du trotskysme, Monatte et Rosmer ne se font plus d’illusion quant à la
volonté de la direction de les exclure lors du prochain congrès national, sans leur
laisser la moindre occasion de s’exprimer. Accompagnés de Delagarde, ils décident
d’éditer et de diffuser, hors du contrôle du parti, une « Lettre aux membres du Parti
Communiste »215 pour répondre aux attaques et démontrer la duplicité et la
mauvaise foi de la direction. Ils commencent par souligner l’impossibilité d’exprimer
dans la presse du parti un point de vue autre que celui de la direction, comme le
montre l’épisode de leur lettre au CD dissimulée aux militants ou encore le traitement
de la nouvelle discussion dans le PCR. Mais la lettre constitue avant tout une diatribe
contre Treint et ses démonstrations politiques schématiques. Ils rappellent que d’un
texte à l’autre ils ont successivement appartenu à la « droite », au « néo-gauchisme
ouvriériste » et se préparent à retourner à la droite « trotskyste » :
« Mais sous la plume et dans la bouche de Treint et de ses amis, les mots
changent rapidement de sens. Dès le lendemain, nous redevenions la droite
pestiférée. Il suffit sans doute de ne pas bâiller d’admiration devant les
cabrioles de Treint pour être rangé dans la droite. »216
Pour eux, ces qualificatifs cachent en réalité une crise interne du PCF, indépendante
de la crise traversée par l’IC. Les principaux signes sont l’inactivité du CD, la baisse
du tirage de l’Humanité, les difficultés financières et les luttes internes au sein de la
direction. Toutes ces faiblesses s’expliquent par la politique de fraction menée par
Treint et Suzanne Girault et par leurs méthodes de direction « autocratiques » :
« C’est d’ailleurs parce que les dirigeants de la fraction qui dirige sont effrayés
des résultats de leur propre gestion qu’ils crient si fort contre la droite. […] Il
est beaucoup question d’homogénéité, d’alignement, de discipline. Du haut en
bas du Parti, on établit une cascade de mots d’ordre auxquels on doit obéir
sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramentel :
Capitaine, vous avez raison ! Une mentalité de chambrée se crée et les

l’Internationale. » Treint A, « Contre Trotsky : sur le rôle du fascisme et de la social-démocratie »,


Cahiers du Bolchevisme, n° 3, 5 décembre 1924, p. 130.
215
Lettre du 22 novembre 1924, publiée dans les Cahiers du Bolchevisme, n° 4, 12 décembre 1924,
p. 211-215.
216
Ibid., p. 212.
264
mœurs de sous-offs s’installent. Il n’est plus question que d’appareil à faire
fonctionner, de permanents à instituer. Bientôt la bureaucratie du Parti fera la
pige à celle de l’Etat français. »217
Les trois signataires s’attendaient à être exclus lors du congrès national, mais
la direction se saisit de l’occasion pour en hâter la mise en oeuvre. En plus d’être un
virulent pamphlet politique, cette lettre constitue une manifestation d’indiscipline
suffisante pour justifier la convocation d’une conférence extraordinaire et une
sanction exemplaire. Dans la réponse du BP218, une avalanche d’épithètes plus
outrageants les uns que les autres s’abat sur les têtes de Monatte et Rosmer, tels
que « Frossardisme le plus grossier », « individualisme anarchisant et petit-
bourgeois », « trotskysme mal affiné », « conceptions politiques rétrogrades ». Quant
à la lettre, qualifiée d’« attentat politique »219, de « geste criminel », son seul objet
serait de saboter le parti. Tous ces qualificatifs outranciers visent à faciliter
l’exclusion. Comment en effet s’opposer à l’exclusion de tels ennemis du parti ?
Le 30 novembre, le 1er rayon, auquel appartiennent Delagarde, Monatte et
Rosmer, se réunit et vote l’exclusion à l’unanimité moins une abstention, suivi par de
nombreux autres rayons, cellules et fédérations220, qui votent tous des résolutions
condamnant la « droite » et les « déviations trotskystes ». Enfin le 5 décembre 1924,
une conférence nationale extraordinaire, qui regroupe les membres du CD ― dont
Monatte et Rosmer venus se défendre ― et 43 délégués de province, vote
l’exclusion des trois à l’unanimité moins deux absentions221. Dans leurs interventions,
Rosmer et Monatte expliquent avoir voulu simplement défendre leurs conceptions
dans le cadre de la préparation du congrès national et réveiller un parti devenu inactif
du fait des mauvaises méthodes de direction222. Treint et les autres orateurs de la
direction se contentent en réponse de reprendre les arguments contenus dans la
« réponse du BP ». La résolution finale témoigne de l’hystérie qui s’empare de la
direction, les trois exclus étant accusés de s’être alliés aux forces
« antiprolétariennes » :
« Au moment où le fascisme agresseur, avec la complicité du Bloc des
Gauches, cherche par sa démagogie sociale d’aujourd’hui à préparer les

217
Ibid., p. 214-215.
218
La réponse du BP est publiée avec la lettre des trois. Cahiers du Bolchevisme, n° 4, 12 décembre
1924, p. 216-225.
219
Préface du BP à la lettre de Monatte, Rosmer et Delagarde, Ibid., p. 209.
220
GRAS C, op. cit., p. 309-310.
221 e
Drôme et 51 rayon, l’Humanité, n° 7695, 7 décembre 1924, p. 1.
222
GRAS C, op. cit., p. 311.
265
violences antiprolétariennes de demain, […] la Droite, infime fraction du Parti,
à peine une poignée d’hommes, se joint de l’intérieur à l’ennemi commun de la
classe ouvrière et de la paysannerie pour porter en pleine bataille un coup de
plus au Parti. »223
Un mois après les exclusions, Herclet écrit à Rosmer224 pour critiquer la lettre
aux membres du parti communiste qui a, selon lui, facilité le travail de la direction du
PCF. Il signale qu’à Moscou, les exclusions n’ont pas été comprises et que Treint a
été sévèrement rappelé à l’ordre pour avoir chassé Monatte et Rosmer sans prendre
conseil. Faire peser le poids de l’exclusion sur sa seule personne nous semble
cependant réducteur et insuffisant. Au cours des semaines qui ont précédé la
conférence extraordinaire du 5 décembre 1924, Treint a bien joué un rôle majeur
dans la campagne, notamment en assimilant Monatte et Rosmer à une opposition
trotskyste internationale imaginaire, ou encore en leur demandant d’écrire un article
contre Hoeglund. Mais lui-même s’est contenté de répercuter en France les mots
d’ordre de l’IC, qui mène alors dans toutes les sections une nouvelle offensive contre
« les droites ». De plus, les autres membres de la direction, au premier plan
desquels Semard, Doriot225, et Cremet226, ont multiplié les attaques et les
manœuvres pour étouffer les voix dissidentes, alors que Treint demeurait à Moscou.
Enfin, malgré les divergences entre les membres du BP sur certaines questions
politiques, la décision de convoquer une assemblée extraordinaire pour exclure les
trois opposants a été prise à l’unanimité. Par la suite, on imputera facilement aux
seuls Suzanne Girault et Treint, les excès d’autoritarisme des années 1924-1925, en
oubliant que l’ensemble du BP ― véritable instance dirigeante du parti ― approuvait
la ligne bolchevisatrice de l’IC et que tous ses membres rivalisaient de qualificatifs
outranciers à l’encontre de toute voix dissidente.

223
Ibid., p. 312.
224
Lettre de Herclet à Rosmer, 3 janvier 1925, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 418.
225
Voir l’intervention de Doriot lors de la conférence nationale extraordinaire, l’Humanité, n° 7695, 7
décembre 1924, p. 1.
226
Voir Cremet, « La lutte contre la droite dans le Parti », l’Humanité, n° 7693, 5 décembre 1924, p. 3.
266
B/ Treint, meneur de la « gauche » bolchevisatrice.

1) Première phase de la bolchevisation organisationnelle du PCF.

Au nom de l’alignement idéologique du PCF sur les principes du bolchevisme


léninisme, certains des leaders de l’ancienne tendance de gauche du PCF ―
Souvarine et Rosmer ― sont écartés de la direction du parti avant de connaître
l’exclusion. Durant toute l’année 1924, Treint mène campagne contre les militants qui
critiquent les attaques contre Trotsky ou la création d’un dogme léniniste. Il s’impose
comme le leader de cette nouvelle gauche bolchevisatrice en s’opposant à
Souvarine sur la question russe dès février 1924 et en contribuant à faire adopter par
le CD, dans sa séance du 18 mars, des thèses politiques approuvant les positions de
la direction du PCR227. Dès lors, son nom devient indissociable de cette période de
bolchevisation du PCF.
Le principe de la bolchevisation ne s’arrête pas à une simple tentative
d’homogénéisation idéologique de la direction d’un parti. Dans l’esprit de ces
concepteurs, il s’agit avant tout de créer des partis révolutionnaires d’un type
nouveau, en s’inspirant de l’expérience russe228. La bolchevisation vise à effacer les
dernières traces du passé social-démocrate des principaux partis communistes
européens. Cela passe par une refonte radicale de leur organisation interne, dont les
grands axes sont définis dans une résolution du CE de l’IC, adoptée le 21 janvier
1924229. Le texte souligne que les structures héritées des partis sociaux-démocrates
sont en contradiction avec « le but final du Parti communiste mais aussi avec ses
objectifs immédiats ». Principale question posée : comment faire d’un parti tourné
vers l’action électorale et parlementaire, une organisation liée à la classe ouvrière,
l’organisant en vue de l’action révolutionnaire ? Pour permettre cette liaison du parti
et des ouvriers, la résolution fixe comme tâche primordiale la création de « cellules
d’usine » qui doivent constituer la base de l’organisation. Elle détermine ensuite les
modalités de constitution des cellules, leurs fonctions et pouvoirs. Elle stipule

227
Cf. supra.
228
Voir « Lénine, parti bolchevique et principes d’organisation », JERDERMAN, La bolchevisation du
PCF 1923-1928, Paris, Maspéro, 1971, p. 10.
229
Publiée en France dans le Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril 1924, p. 240-241.

267
également la nécessité de créer des « cellules de rues » pour les militants travaillant
hors des « usines, fabriques, ateliers, magasins ». Ces cellules se regroupent dans
les grandes villes en « rayons » et dans les moyennes villes et villages en « sous-
rayons » qui constituent le deuxième échelon du parti et élisent, lors de
« conférences de rayon et de sous-rayon », les comités de rayon. Les principales
fonctions politiques des cellules sont :
« Mener l’agitation et la propagande communiste parmi les ouvriers230 […]
Conquérir les postes électif dans l’entreprise […] Intervenir dans les conflits
économiques […] Déraciner l’influence des autres partis politiques […] Militer
parmi les femmes et la jeunesse de l’usine et les enrôler dans la lutte […] »231
Consciente des difficultés induites par cette réorganisation profonde, le CE de l’IC
propose de la réaliser progressivement, après avoir organisé une discussion
préparatoire.
Dès 1923, la fédération de la Seine, dirigée par Suzanne Girault avec l’appui
de Treint, avait poussé à la création de cellules d’usine sans grand résultat232. Lors
des élections législatives du 11 mai 1924, le PCF remporte un succès électoral dans
la Seine233. Treint y voit une conséquence de la réorganisation de la fédération sur
les principes de la bolchevisation, qui a permis de mieux lier le parti aux ouvriers234. Il
se présente comme le promoteur, au côté de la direction de « gauche » de la
fédération, de la première étape de la réorganisation235. Peut-on pour autant affirmer,
comme le font Stéphane Courtois et Marc Lazar, que Treint fut le principal artisan de
la bolchevisation organisationnelle du PCF ? Ils écrivent en effet qu’il devient « le
grand "réorganisateur" du PCF » et qu’il mène « la création des cellules […] à un
rythme effréné »236. En réalité, s’il assume incontestablement le rôle de

230
Notamment la publication d’un journal d’usine, la diffusion de la littérature du parti.
231
Ibid., p. 241.
232
Cf. supra. Rapport du secrétariat du PCF au CE de l’IC, Juin 1923. Treint annonce la création de
« noyaux communistes d’usines » dans la Seine. Voir Treint A, « Enracinons le Parti dans les
Usines », Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril 1924, p. 237-239.
233
Le PCF obtient 26% des suffrages, soit le tiers de son électorat national. COURTOIS S, LAZAR M,
op. cit., p. 81.
234
« Le fait d’avoir eu une ligne politique toujours très sûre, d’avoir réalisé une excellente influence sur
le mouvement syndical, d’avoir commencé à se lier solidement avec la masse prolétarienne des
usines, tout cela a été pour beaucoup dans le succès. Le parti doit reconnaître cela et en tirer profit. ».
Treint A, « Après les élections », Bulletin Communiste, n° 24, 13 juin 1924, p. 577-579.
235
Dans une lettre à Henriet ( ?°), datée du 22 mai 1922, Treint écrit, à propos des résultats
électoraux dans la Seine : « Si la Seine a remporté un tel succès, c’est […] parce qu’elle a toujours eu
la ligne politique juste : celle de l’Internationale et c’est aussi parce que son organisation est la plus
liée avec la masse, la plus évoluée vers le type achevé d’une organisation communiste. », RGASPI,
517/1/161.
236
COURTOIS S, LAZAR M, op. cit., p. 88 et 91.

268
propagandiste et de théoricien de la bolchevisation, son implication sur le plan
pratique se révèle mineure. Pour lui, avant d’être une méthode d’organisation, la
bolchevisation constitue un instrument politique d’éducation, de contrôle interne et
d’homogénéisation idéologique.
La création de cellules d’usine, la refonte des structures dans le sens du
centralisme démocratique sont acceptés par toutes les tendances du PCF depuis
1923, l’ancienne gauche ayant toujours milité dans le sens d’une ouvriérisation et
d’un renforcement de la direction. Il faut cependant attendre les thèses237 rédigées
conjointement par Treint et Gouralski pour que soit décidée une mise en application
systématique des principes édictés par le CE de l’IC en janvier. Elles fixent pour
tâche principale la transformation du parti « en l’organisant sur la base des cellules
d’usine », la création de plusieurs commissions spécialisées, le développement de
l’éducation communiste ainsi que le renforcement du contrôle sur le groupe
parlementaire et sur la presse pour en faire des « instruments de propagande » de la
direction238. Treint conduit la campagne dans la presse communiste et l’appelle à
« s’enraciner » dans les usines239. Paraphrasant la résolution du CE de l’IC, il écrit
que « l’organisation d’un Parti est déterminée par les buts qu’elle poursuit », ce qui
implique une réforme des structures du PCF, héritées d’un parti social-démocrate :
« Les différences d’organisation entre les Partis social-démocrates et les
Partis communistes traduisent l’antagonisme qui existe entre les buts contre-
révolutionnaires poursuivis par les uns et les buts révolutionnaires poursuivis
par les autres. […] aussi les Partis socialistes, uniquement soucieux du but
électoral, se bornent à organiser leurs membres en sections d’habitation, qui
mènent une vie somnolente et se réveillent seulement aux approches des
élections. »240
Il retrace les expériences faites dans les fédérations de la Seine et du Nord et fixe
comme tâche immédiate le lancement d’une campagne de discussion, la création
d’un réseau de « commissions de réorganisation » et l’ouverture d’une « tribune des
cellules » dans le Bulletin Communiste pour informer les militants sur les premières
réalisations. A mots couverts, il souligne cependant les limites de la discussion, le

237
Il s’agit des thèses votées à la séance du CD du 18 mars 1924.
238
« Thèse sur la Tactique du PCF et sur les Problèmes posés devant l’Internationale Communiste »,
art. cit., p. 325.
239
Treint A, « Enracinons le Parti dans les Usines », art. cit.
240
Ibid., p. 237.
269
principe même de la réorganisation ne pouvant être mis en cause241. Dans le même
numéro du Bulletin Communiste, on trouve également une série de documents
relatifs à la constitution des cellules d’usine, dont un texte émanant de la fédération
de la Seine242, contenant une série de directives pratiques. Dans l’esprit de « la
gauche », l’heure n’est déjà plus à la discussion, mais à l’application des principes et
des méthodes édictés par l’IC et par elle-même.
Malgré ce volontarisme affiché et le mot d’ordre de bolchevisation ressassé
dans la presse du parti, les premiers effets tardent à se faire sentir dans les faits. Il
ne s’agit pas seulement de transformer les sections en cellules d’usine, mais aussi
de créer des sous-rayons et des rayons, des régions qui doivent remplacer les
fédérations. La direction doit être réorganisée, du fait de la création des
commissions. Néanmoins, entre avril et juillet 1924, le PCF se soucie avant tout des
élections législatives, des conflits à la direction et de la préparation du 5ème congrès
mondial de l’IC. Lorsque Treint quitte la France, au début de mai 1924, le
mouvement débute à peine et très peu de cellules fonctionnent concrètement. Il faut
attendre le 3 juin 1924 pour que le CD désigne une commission sur la création des
cellules d’usine243, dont les principaux membres quittent la France dans les jours
suivants pour se rendre au congrès mondial de l’IC. Avant que Suzanne Girault ne le
rejoigne à Moscou, Treint lui fait part de ses réflexions quant à la réorganisation du
PCF. Il doit intervenir auprès du CE de l’IC pour obtenir une aide financière, le parti
faisant face à des difficultés de trésorerie244. Après concertation avec la direction de
l’IC, il suggère une diminution de l’appareil qui serve à écarter les opposants245. Pour
lui, la réorganisation n’est pas une fin en soi mais un objectif politique.
La question de la refonte des structures des partis communistes prend une
place centrale dans les débats du 5ème congrès mondial de l’IC. La résolution « sur la
réorganisation du Parti sur la base des cellules d’entreprises »246 appelle à
systématiser les premières expériences, en soulignant le retard pris dans la majorité
des sections de l’IC. On ne fixe pas de délai, cependant le rapporteur du projet de

241
« Au risque de donner quelques entorses à la démocratie formelle, le Parti doit s’organiser de telle
façon que dans son sein l’opinion des cellules ait toujours la prépondérance. », Ibid.
242
« Directives pour le travail d’usine en général », Bulletin Communiste, n° 14, 4 avril 1924, p. 243-
244.
243
Commission constituée de : Suzanne Girault, Semard, Sauvage, Doriot, Gourdeaux, Costes,
Marthe Bigot, Dionnet, Dupuis. P-V du CD du PCF du 3 juin 1924, BMP 62.
244
Lettre de Treint et Sellier à Zinoviev, 4 avril 1924, RGASPI, 517/1/161.
245
Cf. supra, lettre de Treint à Suzanne Girault, 22 mai 1924, Ibid.
246
La Correspondance Internationale, n° 61, 2 septembre 1924, p. 651-652.
270
résolution considère que « trois à vingt mois » suffisent à mener à bien l’opération247.
Concernant la France, Zinoviev déclare que « le mouvement des cellules d’usine est
encore dans l’embryon […] il n’y a encore que 120 cellules d’usines. On ne saurait
prendre au sérieux ce résultat »248. Une fois connues les exigences de l’IC, la
nouvelle direction du PCF249 se hâte de mettre en œuvre la réorganisation complète
du parti, sans même tenir compte des conseils de prudence donnés dans la
résolution250.
Lors de la séance du CD du 29 juillet 1924251 Sellier, faisant le compte rendu
du 5ème congrès, indique que la réorganisation sur la base des cellules d’usine est
décrétée tâche primordiale et doit s’achever au 1er janvier 1925. Puis, Suzanne
Girault annonce une première refonte de l’appareil et de la direction, marquée par
deux innovations majeures : la création d’un bureau d’organisation, chargé de
préparer et de superviser la réorganisation en cellules, et l’affirmation de la fonction
de direction politique du BP. Ces deux évolutions caractérisent le renforcement du
poids de la « gauche » au sein de la direction du PCF suite au 5ème congrès mondial.
Au BP, Suzanne Girault, secondée par son compagnon Sauvage252, prend en charge
la réorganisation et, du fait des relations privilégiées qu’elle entretient avec Treint253,
contribue à la définition de la ligne politique, devenant ainsi une autorité éminente.
En accord avec l’IC, elle estime que le traitement de choc que doit subir le parti
nécessite une direction ferme faisant appliquer la discipline par des méthodes
autoritaires, si besoin est. Face aux critiques de militants qui s’étonnent de l’absence
de discussion des nouvelles thèses, elle répond : « Il faut travailler et accepter sans
discussion les résolutions du 5ème congrès et les thèses du parti »254. Conséquence
de cette conception, le CD élu par le congrès de Lyon perd toutes ses prérogatives
et ne se réunit plus qu’épisodiquement pour approuver les plans de la direction sans
même les discuter. Pour Suzanne Girault et la nouvelle majorité, il n’est plus

247
Cité dans Est-Ouest, n° 578, 16-30 septembre 1976, p. 15.
248
Cité par JERDERMAN, op. cit., p. 38. Voir également le passage du rapport de Zinoviev sur
er
l’activité de l’Exécutif, consacré à la section française. Bulletin Communiste, n° 31, 1 août 1924.
249
Le BP est désormais composé de Semard, Sellier, Cremet, Suzanne Girault, Marrane, Cachin,
Doriot, Treint. Semard devient secrétaire général du PCF en remplacement de Sellier.
250
« Cette œuvre devra se faire méthodiquement et soigneusement afin de ne perdre aucune force.
[…] La réorganisation doit s’accomplir progressivement des parties inférieures de l’organisation
jusqu’aux parties supérieures. »
251
P-V du CD du PCF du 29 juillet 1924, BMP 62.
252
François Sauvage (1879-1946) : Employé. Syndicaliste, socialiste puis communiste. Secrétaire
administratif de la Seine et secrétaire du bureau d’organisation (BO).
253
Cf. infra.
254
P-V du CD du PCF du 12 août 1924, BMP 62.
271
représentatif et ne peut plus exercer ses fonctions255. Le BP, réorganisé à Moscou,
devient le seul véritable organe de direction256. Durant plusieurs mois, seuls
quelques militants, aidés du BO, se trouvent habilités à décider de l’avenir du parti et
de la refonte complète de son organisation. Dans ces conditions, celle-ci prend un
caractère nettement bureaucratique, puisque seul un petit groupe, débordé de travail
et interprétant les tâches à accomplir de manière étroite et mécanique, décide du
cadre dans lequel s’applique les décisions de l’IC. Le BP et le BO traitent tous les
problèmes posés aux différents échelons par des circulaires, ordonnances et autres
plans de travail. Nous retrouvons ici les méthodes de Treint et de la direction de la
fédération de la Seine en 1923.
Le 11 août, Suzanne Girault présente au BP257 son plan de travail, qu’elle
soumet ensuite pour approbation au CD258. Il prévoit une refonte immédiate et
complète de l’organisation, sous le contrôle du BP et du BO. Toute l’ancienne
structure doit être détruite, pour créer immédiatement sur l’ensemble du territoire des
cellules d’usine. Quant aux cellules de rues, pourtant prévues par les résolutions de
l’IC, leur constitution n’est envisagée que dans les cas particuliers de villages isolés.
Suzanne Girault et Sauvage préparent ensuite les circulaires à adresser à chaque
fédération et section et annoncent qu’un effort particulier doit être réalisé dans la
Seine et dans le Nord pour servir de modèle aux autres fédérations259. Ces
circulaires fournissent des instructions particulièrement minutieuses quant à la
constitution des cellules d’usines : par quelle voie les créer, comment incorporer les
isolés, quelle doit être l’attitude des cellules nouvellement créées dans les
entreprises. Une fois cette première étape lancée, sans même vérifier la viabilité du
modèle proposé, la direction enclenche la création des régions, destinées à
remplacer les anciennes fédérations pour tenter de s’adapter aux réalités
économiques de la France et relier les campagnes aux régions industrielles. Assez
rapidement, il apparaît cependant que la réorganisation ne peut s’effectuer selon les

255
Lors du CD du 19 août 1924, Gayman souligne que le rôle du CD est de diriger politiquement le
parti, le BP n’ayant qu’un rôle d’exécution. Suzanne Girault lui répond qu’au contraire, le BP est un
organe politique et que le CD doit simplement « rectifier la ligne en cas de problème », conception en
complète contradiction avec les thèses de l’IC sur l’organisation du parti communiste.
256
Dans sa réponse à la lettre de Monatte, Rosmer et Delagarde, le BP reconnaît que le CD « a joué
un rôle effacé » et explique que la direction a préféré ne pas le réunir pour éviter l’obstruction des
membres de l’opposition. Il ajoute : « le Bureau politique devait pratiquement assumer jusqu’au
prochain Congrès la responsabilité de la direction et pousser à fond comme il l’a fait l’exécution des
ème
tâches prescrites par le 5 Congrès mondial. », Cahiers du Bolchevisme, n° 4, 12 décembre 1924,
p. 219.
257
P-V du BP du PCF du 11 août 1924, BMP 64.
258
P-V du CD du PCF du 12 août 1924, BMP 62.

272
plans imaginés au sommet et que les pratiques autoritaires et administratives de la
direction contribuent à accroître les difficultés260.
A Moscou, Treint montre peu d’intérêt pour la question de la réorganisation du
parti. Dans ses lettres au BP et à Suzanne Girault261, il transmet des informations
concernant la situation des sections de l’IC, propose une série de campagnes et de
mots d’ordre à lancer et critique certains aspects de l’activité, notamment au niveau
de la presse262. A plusieurs reprises, il signale le manque de liaison entre Paris et
Moscou et l’absence d’information sur la vie quotidienne du parti263. Il faut attendre la
mi-septembre pour qu’il reçoive une lettre de Suzanne Girault264 qui l’informe
vaguement de premiers succès dans la région parisienne et des difficultés
rencontrées dans la fédération du Nord. Là-bas, le secrétaire de la fédération,
Jerram, critique l’envoi par la direction de Cadeau265, chargé de superviser la
réorganisation mais qui ne prend aucune part à l’activité politique de la fédération266.
Le 17 septembre, Treint demande au BP d’écrire et d’envoyer un rapport sur la
réorganisation du parti et signale que la question lui est « posée journellement »267. A
cette date, exception faite de la circulaire aux fédérations et sections dont un
exemplaire lui est parvenu et des informations concernant les critiques de Jerram, il
connaît mal la situation intérieure du PCF. Il doit se contenter des informations
souvent partiales que lui envoient les responsables français. Au nom du BO,
Sauvage écrit pour lui annoncer qu’il fait parvenir un rapport sur la réorganisation et
lui affirme que, pour la région parisienne, « les cellules et les rayons se développent
rapidement »268. Seul le représentant de l’IC en France, Gouralski, lui fait part des

259
P-V du BP du PCF du 16 août 1924, BMP 64.
260
« Ces pratiques administratives devaient nécessairement se traduire par une très grande brutalité
dans l’exécution : on détruisit précipitamment l’ancienne organisation, on voulut ignorer toute étape,
disloquant sans précaution les sections locales. L’édification de la nouvelle base ne pouvant suivre le
rythme des décrets, le parti connut, situation pour le moins paradoxale au regard du but poursuivi, six
mois d’anarchie organisationnelle. », JEDERMAN, op. cit., p. 43.
261
RGASPI, 517/1/161.
262
Nous y reviendrons.
263
« Il est tout à fait désagréable, non seulement pour moi, mais aussi pour notre gauche,
responsable du Parti, que je sois obligé de répondre : "Je ne connais rien que ce que l’on connaît par
les journaux, je n’ai reçu aucune nouvelle directe de nos camarades". », lettre de Treint à Suzanne
Girault, 21 août 1924, RGASPI, 517/1/161.
264
Lettre de Suzanne Girault à Treint, 13 septembre 1924, Ibid.
265
Paul Cadeau (1890-1978) : Chauffeur de taxi. Militant syndicaliste et communiste, membre du CD
du PCF en 1924.
266
Dans une lettre, lue à la séance du BP du 10 septembre 1924, Jerram déclare approuver le
principe de la réorganisation mais critique les méthodes de la direction et particulièrement l’envoi de
Cadeau « qui ne travaille pas alors que la fédération a besoin de militants ».
267
Lettre de Treint au BP du PCF, 17 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
268
Lettre de Sauvage à Treint, 26 septembre 1924, Ibid.
273
difficultés rencontrées pour créer les cellules, hors de la Seine et du nord269.
Finalement, dans toute cette première période, Treint assiste à la réorganisation sur
la base des cellules d’usine en spectateur éloigné et, par ailleurs, ne montre pas un
grand intérêt pour cette question.
A son retour en France, Treint prend la direction de la « commission d’agit-
prop »270, créée dans le cadre de la réorganisation de la direction et se cantonne
principalement dans les tâches politiques d’éducation des militants et d’agitation. En
plus des missions définies par la BP, il contribue à la pénétration dans le parti de la
ligne léniniste par le biais de la presse271, de la publication de matériaux de
propagande à destination des militants. Au nom de cet effort pour l’homogénéisation
idéologique, il tient une place centrale dans la lutte contre l’opposition. Par contre, il
ne prend jamais part au travail pratique de réorganisation et ne siège pas au BO. Au
sein de la direction, le rôle de coordinateur de la transformation du PCF revient à
Suzanne Girault. Il ne s’agit pas ici de dédouaner Treint des méthodes brutales et
bureaucratiques employées par la direction au cours des années 1924-1925. Durant
toute cette période, il soutient activement ces méthodes. Si depuis Moscou, il n’a pu
prendre connaissance de l’existence de difficultés pour créer des cellules d’usines,
une fois de retour en France, il contribue activement à faire taire toutes les voix qui
s’élèvent pour demander des changements dans les méthodes de réorganisation. Sa
responsabilité dans les excès et les erreurs dans l’application de la réorganisation du
PCF est plus politique que pratique. Cela ce comprend, si l’on s’intéresse aux
conceptions de Treint concernant la bolchevisation :
« Notre mot d’ordre de bolchevisation du Parti communiste est né en France
dans la lutte contre la droite, dans la lutte contre les dangers néo-
opportunistes qui se sont manifestés à la fin de décembre 1923 et au
commencement de 1924, de sorte que pour nous le mot d’ordre de
bolchevisation est né dans des circonstances telles qu’il nous est apparu tout
de suite que la bolchevisation, c’était non seulement la réorganisation
intérieure du parti, mais que c’était aussi en premier lieu une ligne politique
juste et une lutte contre les déviations de droite, contre les déviations
opportunistes. »272

269
Lettre de Gouralski à Treint, 26 septembre 1924, Ibid.
270
Agitation et propagande.
271
Treint dirige les Cahiers du Bolchevisme, organe théorique du PCF.
272 ème
Intervention de Treint à la 3 séance du plénum de l’EE de mars 1925, RGASPI, 495/163/123.
274
Il souligne ici comment, dans son esprit, prédominent les tâches politiques sur les
tâches pratiques, dont il se désintéresse. Si, en 1923, il est l’instigateur des
premières tentatives pratiques de réorganisation, il ne peut pour autant être qualifié
de « grand réorganisateur » du PCF.

2) Une direction « treintiste » ?

Ce néologisme a parfois été employé273 pour caractériser l’influence politique


de Treint sur le PCF en 1924 et 1925. Il prend la signification d’un synonyme de
« zinovievisme », au sens où l’alignement politique du PCF sur l’IC, à partir de mars
1924, se fait sous l’impulsion de Treint. Nous repoussons cependant l’utilisation de
ce terme qui tend à accréditer l’idée de l’existence d’un courant « léniniste » ou de
« gauche » autour de Treint dès la fin de l’année 1923. Dans sa lutte contre
Souvarine, Rosmer et Monatte, Treint tente de créer un lien artificiel entre la crise
traversée par le PCF en 1923 et la crise du PCR. Une fois les trois militants
rebaptisés « droite » du PCF274, il peut se présenter comme le leader de la
« gauche », autrement dit de la seule tendance ayant suivi la ligne bolcheviste et
léniniste sur les questions anglaise, allemande, de l’unité syndicale et sur la tactique
du front unique275. A partir de la fin mars 1924, la fédération de la Seine, dont les
méthodes avaient été dénoncées à la quasi-unanimité du CD, devient sous la plume
de Treint « la forteresse de la gauche et de l’Internationale ». Il attribue également
les bons résultats électoraux du PCF lors des élections législatives de mai 1924, à la
ligne politique impulsée par la « gauche » :
« […] nos élections sont venues fort à propos nous permettre une vérification
expérimentale de la justesse de la politique préconisée par la Gauche et qui a
rallié rapidement la majorité du Comité directeur du Parti, grâce à l’union du
Centre et de la Gauche. […] Les récentes élections montrent l’absurdité des
critiques apportées contre la Fédération de la Seine. C’est elle qui est dans la
bonne voie et cela confirme la justesse de la politique menée par le Parti entre
le Congrès de Paris et celui de Lyon. »276

273
Voir notamment ROBRIEUX P, op. cit., p. 233 et 238. Ce terme a été repris dans d’autres travaux
historiques consacrés au parti communiste des années vingt.
274
Treint A, « Dans la voie tracée par Lénine », art. cit.
275
« Thèses sur la tactique du PCF et sur les problèmes posés devant l’Internationale Communiste »,
art. cit.
276
Treint A, « Après les élections », art. cit., p. 577.

275
Treint ressuscite les trois tendances qui, jusqu’au début de l’année 1923,
composaient l’identité politique du PCF. Après le départ ou l’exclusion de tous ceux
qui revendiquaient l’indépendance à l’égard de l’IC, seuls les militants favorables à la
constitution d’un parti de type nouveau, simple section d’une organisation
révolutionnaire internationale, restent dans les rangs du PCF, faisant disparaître de
fait les tendances. Treint tente ici de présenter la nouvelle « gauche » comme la
seule tendance ayant suivi la ligne de l’IC. Cependant les militants arbitrairement
classés au centre ou à droite rejettent catégoriquement ce découpage277.
Dans le Bulletin Communiste paraît une série d’articles tendant à accréditer
l’idée que face aux nouveaux problèmes posés au mouvement communiste
international, de nouvelles divisions idéologiques apparaissent au sein de la direction
du PCF. Dans un article écrit pour répondre aux critiques de l’opposition sur les
thèses adoptées par le CD278, Gaston Faussecave279 fait de Treint l’homme qui a
« vu juste » en premier. Il martèle l’idée que « c’est la gauche, par Treint » qui a
remis le PCF dans la ligne de l’IC. Sur les questions de l’analyse de l’évolution du
capitalisme, de la situation anglaise, allemande, sur la lutte à la direction du PCR,
seul Treint, appuyé par la gauche, a évité au parti de sombrer dans les erreurs de la
droite. Dans le même numéro du Bulletin Communiste, Rieu ajoute à son tour que
« Treint [est] l’homme d’une politique juste »280. Par cette affirmation, il répond aux
voix qui s’élèvent dans certains cercles du parti pour demander que Treint, comme
Souvarine, soit écarté de la direction pour mettre fin aux luttes internes281. Rieu voit
en Treint un homme « autoritaire, personnel, d’abord difficile » mais rejette comme
une manœuvre politique, visant à critiquer la « politique juste » de la « gauche », de
vouloir le placer sur le même plan que Souvarine. Si le propos diffère quelque peu,
les deux articles, reprenant la thèse de l’existence de courants idéologiques
divergents à la direction du PCF dès 1923, font de Treint l’instigateur d’une ligne « de
gauche ». Depuis Moscou, Treint juge cependant ces deux articles maladroits282.

277
Pour les positions de Souvarine, Monatte et Rosmer sur cette question, cf. supra. Dans un article
consacré à la crise à la direction du PCF, Sellier critique également ces découpages, « Tout le Parti
autour de sa Direction », art. cit.
278
Faussecave G, « Sur les thèses », Bulletin Communiste, n° 20, 16 mai 1924, p. 486-488.
279
Gaston Faussecave (1895-1957) : Ouvrier typographe. Militant communiste et partisan de la
gauche. Compagnon de Marguerite Faussecave (1896-1973).
280
Rieu R, « Un peu de clarté », Ibid., p. 481-483.
281
Avec l’appui de Doriot, plusieurs membres des Jeunesses communistes ont demandé, tout en
approuvant les thèses de la gauche à ce que Treint, du fait de sa personnalité, soit mis à l’écart de la
direction, provoquant des tensions au BP. Voir séance du 21 mai 1924, BMP 64.
282
« C’est d’autre part une erreur de Rieu de m’attaquer dans son article. Quant on mène la même
bataille, il est mauvais de se donner des coups. Même atténués les uns les autres : on fournit des
276
Selon lui, la gauche doit apparaître avant le congrès de l’IC comme un bloc politique
uni, soudé et non comme un assemblage de personnalités.
Treint considère en effet que, depuis le début de l’année 1923, les tendances
n’ont pas disparu mais restent en sommeil. En vue du 5ème congrès de l’IC, il
recommande à Zinoviev283 de constituer une direction restreinte, composée
majoritairement par des membres de « la gauche » et appuyée par le « centre ». Il
dresse un tableau de la direction où des individualités ― Doriot, Sellier, Cachin ―
dirigent leurs propres tendances et manœuvrent pour leurs intérêts personnels.
Concernant Souvarine, Monatte et Rosmer, il préconise de les écarter de la direction,
au motif que « la droite est liquidée ». Selon lui, le véritable danger vient de Doriot
qui vote les thèses de la majorité mais « a ses jeunesses bien en main […] et
cherche à utiliser la droite et le centre comme des instruments contre l’Internationale
et la gauche française à la première occasion ». Pour appuyer cette affirmation, il
n’hésite pas rapporter une conversation tenue neuf mois plus tôt284. Il juge que
Tommasi escompte une victoire de la droite pour prendre un poste de direction. Il
voit dans le comportement de Sellier une volonté manœuvrière, voire machiavélique,
pour affaiblir la « gauche » et redonner la direction du parti au « centre ». Sellier,
depuis le congrès de Lyon, déclare vouloir quitter le secrétariat, après le 5ème
congrès de l’IC. Treint le comprend comme une tactique visant à donner dans un
premier temps tout le pouvoir à la « gauche », pour ensuite utiliser ses difficultés
pour revenir à la direction avec l’appui de l’IC et ainsi « diriger réellement le parti »285.
Après ces quelques observations, Treint soumet à Zinoviev un plan de
réorganisation de la direction devant permettre de renforcer, à terme, le poids de la
gauche :
« Je pense que l’Internationale doit : 1° Soutenir très ouvertement la Gauche
française. 2° Ne donner aucune espèce d’investiture au Centre. 3° Manœuvrer
avec la Gauche pour faire participer le Centre à la direction du parti, avec

armes à l’adversaire. C’est également une erreur de Faussecave d’avoir trop eu l’air de faire une
apologie de la gauche sur mon nom. », Lettre de Treint à Suzanne Girault, 21 mai 1924, RGASPI,
517/1/161.
283
Lettre de Treint à Zinoviev, 10 juin 1924, 4 p., RGASPI, 517/1/159. Voir en annexe.
284
« […] Doriot garde l’esprit de l’opposition russe et s’est rallié au Comité Central russe, uniquement
par tactique. D’ailleurs Doriot a dû dans le passé s’engager très en avant dans la voie de l’opposition
russe. Lors de la délégation que nous avons accomplie ensemble auprès du Parti allemand après
octobre, Doriot m’a dit que la direction de l’Internationale pourrait changer bien plus tôt que je ne le
pensais et que si je persévérais dans ma politique, je pourrais bien, moi et les dirigeants de la Seine,
être en dehors de l’Internationale. […] Comme cette conversation a eu lieu sans témoins, je vous la
rapporte à titre strictement confidentiel. », Ibid.
285
Ibid., p. 3.
277
prépondérance de la Gauche. […] 7° Préparer une future direction du parti où
la Gauche : Treint, Monmousseau, Suzanne Girault, Semard, ait la direction
réelle du parti et de tous ses organes. Le centre devra faire partie du futur
Comité directeur, mais avec une influence réduite. 8° Notre Gauche doit être
actuellement encore entraînée. Elle doit s’habituer à marcher en se passant
de ma présence quotidienne. Il est bon que je reste en Russie, en reprenant,
de temps en temps le contact direct avec la France […] »286.
Ce schéma tactique se réfère explicitement aux solutions proposées par Trotsky, lors
du 4ème congrès de l’IC, pour mettre un terme à la crise traversée alors par le PCF et
donner une majorité aux partisans de l’Internationale. A l’époque, Treint s’était
opposé à l’idée d’une alliance de la gauche et du centre et militait, au côté de
Souvarine, pour que la gauche assume seule le pouvoir287. En 1924, la situation ne
ressemble plus en rien à celle de 1922 et les schémas politiques arbitraires de Treint
visent avant tout, comme il l’affirme, à lui donner un « rôle d’arbitrage »288 et de
rassembleur.
Lors du 5ème congrès, la direction de l’IC reprend à son compte certaines de
ces propositions. Tout d’abord, suite au départ de la délégation française ― qui
comprend quasiment tous les leaders du parti ― pour Moscou, le représentant de
l’IC constitue, en accord avec les membres du BP, une direction intérimaire
majoritairement composée de militants de la « gauche »289. Puis, à la suite des
délibérations de la commission française, la nouvelle direction, constituée selon une
architecture proche des propositions citées ci-dessus290, donne à la « gauche » la
majorité, même si l’IC maintient Cachin à son poste, alors que Treint voulait l’écarter.
En réalité, Zinoviev n’a pas réellement suivi l’avis de Treint mais se contente
simplement de reconduire à leurs postes ceux qui se sont opposés à Souvarine et
clament leur fidélité à l’IC et à la ligne léniniste. A son retour en France, Sellier
déclare, lors de la séance du CD du 29 juillet 1924291, qu’il n’y a plus à la tête du parti
« une alliance centre-gauche, mais une direction de gauche appliquant les décisions

286
Ibid., p. 3.
287
Cf. supra.
288
Ibid., p. 3.
289
Le BP intérimaire comprend Cachin, Calzan, Cremet, Berlioz, Cadeau, Ferrand, Sauvage, Rieu et
le secrétariat intérimaire Cadeau, Rieu et Sauvage. P-V du CD du PCF du 3 juin 1924, BMP 62.
290
Il proposait une « direction étroite », composée de « Treint, Semard, Cremet, Sellier, Doriot ».
Dans son esprit les deux derniers devaient être par la suite écartés de la direction et remplacés par
des membres de la gauche comme Monmousseau. Lettre de Treint à Zinoviev, 16 juin 1924, RGASPI,
517/1/159.
291
P-V du CD du PCF du 29 juillet 1924, BMP 62.
278
politiques de l’IC et la politique léniniste qui est celle de la gauche ». La nouvelle
direction ne découle pas des instructions de Treint mais de la volonté de l’IC de bâtir
une direction fidèle en s’appuyant notamment sur lui et ses proches. Lors du 5ème
congrès, l’IC a agi selon les mêmes méthodes avec les partis allemand,
tchécoslovaque, ou polonais dont les anciens dirigeants critiquaient la ligne politique
de l’IC et les attaques contre Trotsky292. La nouvelle équipe dirigeante du PCF ne
peut être qualifiée de direction « treintiste » puisqu’elle résulte des choix stratégiques
de l’IC et non de la seule volonté de Treint. En outre, la majorité des membres du BP
considère toujours Treint comme trop autoritaire, orgueilleux et individualiste et ne se
solidarise qu’en raison de son rôle dans la crise du début de l’année et des soutiens
dont il bénéficie à Moscou.
Après le 5ème congrès mondial cependant, les proches de Treint, et plus
particulièrement Suzanne Girault, exercent la réalité du pouvoir dans le parti. Sellier,
malade, s’éloigne durant quelques mois et Cachin participe peu aux activités de la
direction et se cantonne dans son rôle de journaliste et de député. Suzanne Girault
mène dès lors une véritable politique de fraction et place tous les partisans de la
« gauche » aux postes stratégiques. Profitant de la réduction du personnel de
l’Humanité et de quelques départs, les militants proches de la nouvelle direction
entrent à la rédaction293. Sauvage, le compagnon de Suzanne Girault, devient
secrétaire du BO et dirige à ses côtés la réorganisation du PCF, Calzan reste à la
direction du Bulletin Communiste et Cadeau part dans le nord pour coordonner la
réorganisation de la fédération, mais aussi s’opposer à Jerram, le secrétaire de la
fédération, considéré comme proche de l’opposition. Les hommes qui dirigèrent la
fédération de la Seine avec Suzanne Girault s’installent désormais à la direction du
parti.
Cette politique de fraction transparaît également dans le refus de condamner
Werth et Brousse, partisans de la gauche et accusés, à juste titre, de détournement
de fonds294. Ces deux militants, membres du PCF et de l’ARAC, étaient chargés de
transmettre à l’association des sommes versées par le PCF. En avril 1924, le CC de
l’ARAC découvre que la majeure partie des sommes a disparu. Une commission,

292
BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 367-385.
293
Cf. supra. Et les lettres de Rosmer à Monatte, 11 et 26 août 1924, Syndicalisme et Communisme,
op. cit., p. 394-396 et 402-403.
294
Dossier sur l’affaire de détournements de fonds, RGASPI, 517/1/202.
279
composée de dirigeants du PCF ― Sellier, Vaillant-Couturier, Rieu295 ― et de
l’ARAC, est nommée296 et conclut à la culpabilité de Werth et de Brousse, tout en
soulignant le rôle ambigu de Treint dans cette affaire :
« En aucun moment, il a été établi que le camarade Treint avait négligé de
transmettre des sommes qui lui aurait été versées, il n’en existe pas moins
qu’il a toute sa responsabilité dans cette affaire, et comme délégué du Comité
Directeur et comme membre du Comité Central de l’ARAC connaissant la
situation particulièrement défectueuse des finances de cette Association. »297
Treint prend la défense des deux accusés en s’appuyant sur un prétexte fallacieux.
Répondant au CC de l’ARAC298, il souligne que les sommes disparues étaient
destinées à un travail clandestin ― l’agitation en faveur de la révolution allemande ―
et que la question aurait dû rester à l’intérieur du parti et ne pas être soumise à des
non communistes299. De même, lorsque la question de l’exclusion de Werth et de
Brousse est posée par des membres du PCF, la direction répond que « les ragots »
ne peuvent constituer un motif de sanction300. Malgré leur probable culpabilité, les
deux hommes demeurent à l’ARAC et au PCF, protégés par Treint depuis Moscou et
par la direction301.
La correspondance entre Treint et Suzanne Girault témoigne des tensions
persistantes au sein de la direction, malgré les déclarations sur l’unité idéologique
suite au congrès mondial de l’IC. Dans une lettre personnelle302, Suzanne Girault
avoue ne pas croire à la sincérité de Sellier et de Doriot303. Elle critique également
l’attitude de Semard et de Monmousseau pour finalement ne donner crédit qu’au
représentant de l’IC. Treint partage l’opinion de Suzanne Girault, particulièrement
concernant les cas de Monmousseau et de Doriot304. Il juge que ce dernier ne pourra

295
Werth, également convoqué, ne participe qu’à la première réunion. Soulignons par ailleurs
l’obstruction systématique des membres du PCF qui malgré les convocations, n’assistent qu’a deux
des cinq séances.
296
P-V de la commission d’enquête réunie du 2 au 6 juin 1924, Ibid.
297
« Rapport établi par les délégués de l’ARAC à la commission spéciale d’enquête », Ibid.
298
Lettre de Treint au CC de l’ARAC, 29 septembre 1924, Ibid.
299
Seule une partie des membres du CC de l’ARAC militent au PCF.
300
Chambelland, qui a posé la question de l’exclusion de Werth lors de l’assemblée d’information de
la Seine du 17 août 1924, est lui-même menacé de sanction pour avoir « colporté des ragots ». Lettre
de Chambelland à Monatte, 22 août 1924, Syndicalisme et Communisme, op. cit., p. 400 et cf. supra.
301
Werth est finalement exclu du PCF en mars 1925, après décision du BP. Voir P-V du BP du PCF
du 14 février 1925, BMP 95.
302
Lettre de Suzanne Girault à Treint, 13 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
303
« [Sellier] nous a manœuvré et cherche encore à le faire. On va l’envoyer te remplacer. Doriot
marche droit. Il est très intéressant à observer. A mon avis, c’est avec une très grande facilité qu’il
dévierait mais il s’observe et se tient à flot. Il est paraît-il très inquiet de mon opinion. C’est bien mais
je sais qu’il ne faut pas s’y fier. », Ibid.
304
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 17 septembre 1924, Ibid.
280
faire partie « du groupe fondamental du Parti », que s’il devient moins ambitieux.
Comme dans sa lettre à Zinoviev, il fait référence à son projet de constituer un
« groupe fondamental » de « gauche » qui doit, à terme, diriger seul le parti et dans
lequel il pense jouer le rôle de guide et d’arbitre. En attendant, depuis Moscou, il
tente de définir théoriquement et pratiquement, en accord avec l’IC, la ligne politique
du PCF, ligne répercutée à la direction par Suzanne Girault305. Ils forment à deux
cette première ébauche de « groupe fondamental » envisagé par Treint.
Une première remarque s’impose au sujet de l’influence de Treint sur la
direction du PCF, entre août et novembre 1924. En dépit de l’amélioration de la
liaison entre la France et la Russie, il ne cesse de se plaindre des retards dans
l’envoi des matériaux ― presse française, P-V des réunions, rapports sur la situation
du parti ― ainsi que l’absence de réponse à ses nombreuses lettres adressées au
BP, au représentant de l’IC en France ou à Suzanne Girault306. Ces difficultés de
liaison limitent son poids réel sur la conduite politique du PCF durant cette période.
En tant que représentant du parti à Moscou et que secrétaire de l’IC chargé de la
France, de la Belgique307 et leurs colonies, sa fonction consiste principalement à
informer le parti sur la situation au sein des autres sections de l’IC308, à transmettre
les suggestions et critiques concernant le travail quotidien et les infléchissements de
la ligne politique réclamées par l’Exécutif de l’IC.
De la correspondance entre Treint et le parti se détachent deux thèmes
principaux : la question de l’unité syndicale internationale et la tactique du front
unique. Lors du congrès de l’ISR, tenu à la suite du congrès de l’IC, émerge l’idée
d’une dissolution de l’organisation syndicaliste communiste internationale, soutenue
par les dirigeants des syndicats russes309. Ces derniers militent en faveur d’une
réunification syndicale au niveau international par l’entrée des syndicats russes au
sein de l’Internationale d’Amsterdam. Cette manœuvre, qui vise à constituer une aile
révolutionnaire au sein de l’organisation syndicaliste réformiste, implique au plan des
sections de l’IC, le développement d’une campagne en faveur de la réunification
syndicale et de la dissolution de l’ISR. Elle suscite des réticences parmi certains

305
Treint lui a demandé de se faire charger par le BP « de l’information et des rapports avec
l’Internationale », Lettre de Treint à Suzanne Girault, 12 août 1924, Ibid.
306
Voir les lettres de Treint à Suzanne Girault, 21 août 1924 et au BP, 28 août 1924, Ibid.
307
Voir la lettre de Treint à la direction du parti communiste belge, demandant l’envoi de matériaux sur
la situation de ce parti. 13 août 1924, RGASPI, 495/93/19.
308
Durant cette période, Treint demande à la direction du parti de prendre position sur la crise du parti
suédois, la lutte au sein de la direction du parti tchécoslovaque, l’attitude du parti italien face au
fascisme, les erreurs du parti espagnol…..
309
GRAS C, op. cit., p. 303.
281
syndicats affiliés à l’ISR ― notamment au sein de la CGTU ― mais aussi à la
direction du parti communiste allemand. De son côté, Treint multiplie, dans ses
lettres, les appels pour que le parti prenne clairement position en faveur de cette
tactique voulue par l’IC et influe sur l’attitude de la CGTU. Il demande au BP que la
campagne sur l’unité syndicale prenne le pas sur toutes les autres et que tous les
dirigeants y participent310. Il réclame que le PCF fasse pression sur la direction du
KPD qui a voté une résolution contraire à la ligne de l’IC311. Il écrit un article312 pour
préciser les principes de la nouvelle tactique syndicale et les mots d’ordre du parti
qui en découlent. Pour expliquer le rapprochement des syndicats russes avec les
syndicats réformistes, Treint se contente de répéter les justifications théoriques
proposées aux communistes lors du 5ème congrès de l’IC et du congrès de l’ISR. La
situation géopolitique internationale, caractérisée par « un renouveau des illusions
pacifistes et démocratiques » et un « renforcement de la bourgeoisie internationale »,
justifie une attitude souple à l’égard des syndicats réformistes. Le rapprochement
avec l’Internationale d’Amsterdam doit se faire autour de trois mots d’ordre313 : « 1°
reconnaissance de la nécessité de la lutte des classes, 2° fusionner l’ISR et
Amsterdam par un Congrès mondial d’Unité, 3° Proclamer l’égalité des droits de tous
les syndiqués, qui peuvent s’organiser en tendances pour défendre leur point de vue
à l’intérieur de l’unité syndicale reconstruite »314.
En septembre, une délégation des syndicats russes participe au congrès des
trades unions britanniques et l’hypothèse d’une réunification au sein d’Amsterdam
semble se confirmer d’autant qu’elle est appuyée par Zinoviev. Cependant les
dirigeants du PCF issus du mouvement syndicaliste révolutionnaire315 et l’équipe
dirigeante de la CGTU316 la rejettent. Le 30 septembre, Treint dresse pour
Zinoviev317 un tableau des courants en France sur la question de l’unité syndicale.
Un premier courant, représenté par Suzanne Girault et lui-même, est favorable à

310
Lettre de Treint au BP, 19 août 1924, RGASPI, 517/1/161.
311
« […] le conseil national allemand a pris une résolution qui n’est guère dans l’esprit du Comintern
et du Profintern. On parle par exemple dans cette résolution de poser comme condition de l’unité,
l’acceptation du programme de l’Internationale Syndicale Rouge, ce qui constitue en réalité une
politique de scission. », Ibid.
312
Treint A, « Conditions et Buts de l’Unité Syndicale Internationale », Bulletin Communiste, n° 37, 12
septembre 1924, p. 869-874.
313
Treint incite à plusieurs reprises auprès de Suzanne Girault et du BP (lettres du 21 et du 28 août
1924), pour que ces trois mots d’ordre soient au centre de la campagne.
314
Ibid., p. 871.
315
Notamment par Semard, le secrétaire général du PCF, bien qu’il ne prenne pas position
officiellement sur la question.
316
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 12 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
317
Lettre de Treint à Zinoviev, 30 septembre 1924, RGASPI, 517/1/159.
282
l’adhésion des syndicats russes à l’Internationale d’Amsterdam, et un courant
« gauchiste » autour de Monmousseau et des membres du PCF issus de la CGTU
milite en faveur d’un congrès de réunification des deux Internationales. Il conclut en
soulignant la nécessité de « lutter ouvertement contre toute tendance qui
présenterait l’entrée des syndicats russes dans Amsterdam comme une manœuvre
opportuniste ». Cette lettre met en évidence la volonté de Treint de se conformer à la
ligne du CC du PCR. En effet, dans l’article précédemment cité, il affirmait avec force
son refus de l’entrée « de la CGT russe dans Amsterdam », considérant qu’il
s’agissait d’une faute tactique318. Mais, dans sa correspondance avec Suzanne
Girault, il fait état de l’intervention de Zinoviev au CC du PCR en faveur de l’entrée
des syndicats russes dans l’organisation réformiste, et se déclare en accord avec
cette solution319. Il motive sa brutale conversion en expliquant que le mot d’ordre de
congrès de fusion ne donne pas les résultats escomptés, ce qui amène à envisager
la solution de l’entrée des syndicats russes dans l’Internationale d’Amsterdam. Il
envoie un nouvel article320 pour justifier la nouvelle tactique de Zinoviev, arguant de
la formation d’une « aile gauche au sein de l’Internationale d’Amsterdam ».
Cette capacité de Treint à négocier les virages politiques se manifeste
également sur la question du front unique et des relations avec les autres forces
politiques du mouvement ouvrier. Sous l’influence de Zinoviev, le 5ème congrès
mondial adopte une nouvelle formulation de la tactique du front unique321, désormais
conçue comme une tactique de lutte contre la social-démocratie. Dans son rapport
sur l’activité de l’Exécutif, il défend l’idée que la social-démocratie est à la fois « l’aile
gauche de la bourgeoisie », mais aussi une « aile du fascisme »322. Cette conception
du front unique, qui correspond dans les faits à l’abandon de la tactique, a été
approuvée par la délégation française, mais Treint demande au BP323 d’accentuer la
campagne contre la deuxième Internationale et de dénoncer le rôle des anarchistes.
Sous sa plume, la SFIO devient, de nouveau, une force politique destinée à briser le
mouvement ouvrier qu’il faut combattre sans compromission324. Sur proposition du

318
« J’ai été, et je suis encore, contre l’adhésion de la CGT russe à Amsterdam. Non pour des raisons
de principes. […] Nous n’avons pas le droit de nous désarmer nous-même et de liquider l’ISR avant la
fusion par le Congrès mondial d’unité. Ce serait jeter au rancart une arme que nous ne pourrions pas
tout de suite remplacer », art. cit., p. 873.
319
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 12 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
320
Treint A, « Une droite dans l’Internationale Communiste, une gauche dans Amsterdam », art. cit.
321
BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 405.
322
Cité par Humbert-Droz, De Lénine à Staline, op. cit., p. 243.
323 er
Lettre de Treint au BP, 1 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
324
« Le réformisme est un bipède engendré par la bourgeoisie, qui se promène dans la politique le
pied droit dans le camp bourgeois, le pied gauche dans le camp prolétarien. Le réformisme meut avec
283
CE de l’IC, il enjoint le parti de renforcer la campagne contre les anarchistes car « la
lutte contre le bloc des gauches comporte au premier plan la lutte contre les
anarchistes qui doivent être dénoncés par nous comme partie intégrante du bloc des
gauches »325. Par le biais d’un article, il se charge de donner une première impulsion
à la campagne. S’appuyant sur un texte de la fédération du bâtiment CGTU ― tenue
par les anarchistes ― qui dénonce l’utilisation de la main d’œuvre étrangère en
France, il écrit que les anarchistes deviennent une force contre-révolutionnaire, alliée
au fascisme :
« Nationalisme exaspéré, violence contre les ouvriers étrangers et contre les
organisation révolutionnaires, ce sont déjà quelques traits du fascisme. […] Le
fascisme tente de faire son entrée en France sous le masque de l’anarchie. Il
tente de prendre pied dans notre mouvement ouvrier. »326
Malgré les demandes répétées de Treint, la campagne contre les anarchistes dans la
presse reste modérée au regard de l’article cité. Il paraît d’ailleurs dans la presse
avec retard, au point que Treint s’interroge sur de possibles divergences politiques
entre lui et la direction sur ce point327. Semard lui répond que la prudence des
anarchistes ne permet pas de trouver d’angle d’attaque328. En réalité, une partie de
la direction réprouve le caractère outrancier de l’article et se refuse à assimiler
anarchisme et fascisme. De retour en France, Treint relance cette campagne et
franchit un pas supplémentaire en accusant les socialistes de constituer l’aile gauche
de fascisme et en lançant le mot d’ordre de « lutte contre le social-fascisme ».
L’alignement progressif du PCF, malgré les résistances sur la question de
l’unité syndicale et du front unique, met en évidence le processus de bolchevisation
idéologique du parti. Sous la pression de Treint, la direction adopte cette ligne
politique zinoviéviste qui allie optimisme révolutionnaire et repli sectaire à l’égard des
socialistes et des anarchistes désormais désignés comme alliés de la bourgeoisie et
bientôt du fascisme. Une fois en France, Treint accentue encore ce revirement
idéologique, en donnant à la ligne zinoviéviste une coloration personnelle encore
plus schématique et extrémiste.

précaution son pied droit pour ne rien démolir du capitalisme. De son pied gauche, il brise les
organisations ouvrières et écrase le prolétariat en lutte. Le monstre a beau porter un masque ouvrier :
voilà ce qu’il fait. ». Treint A, « Les socialistes de Poincaré », l’Humanité, n° 7572, 21 septembre 1924,
p. 1.
325
Lettre de Treint au BP du PCF, 5 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
326
Treint A, « Le fascisme sous le masque de l’Anarchie », Bulletin Communiste, n° 41, 10 octobre
1924, p. 976-979.
327
Lettre de Treint à Suzanne Girault, 26 septembre 1924, RGASPI, 517/1/161.
328
Lettre de Semard à Treint, 29 septembre 1924, Ibid.
284
A la fin de l’année 1924, les anciens leaders de la gauche sont soit exclus, soit
rejetés dans la minorité, désormais qualifiée de droite, voire de fraction du
trotskysme international. Parmi les anciens dirigeants du CTI, seuls Treint et Vaillant-
Couturier appartiennent encore à la direction du PCF, avec certaines réserves pour
le second. Ecarté de la direction au début de l’année 1924 et condamné pour ses
erreurs dans la gestion du parti et pour ses méthodes autoritaires, Treint a été
réhabilité sous l’action conjuguée des représentants de l’IC et de la majorité du CD
qui choisit de s’aligner sur les positions de l’IC plutôt que d’entrer en conflit avec le
PCR et l’IC. Redevenu le dirigeant le plus en vue du PCF, Treint conduit, au côté de
Suzanne Girault et des autres leaders ― Sellier, Semard, Doriot ― la bolchevisation
idéologique et organisationnelle du parti.
Première étape de cette transformation, les principaux opposants sont évincés
de la direction avant de connaître l’exclusion au nom de la lutte contre « la droite
internationale ». Ce terme, forgé par Treint et les représentants de l’IC en France
sert de cadre idéologique et de justification aux mesures disciplinaires qui s’abattent
sur les militants. Cette même droite devient à la fin de l’année, sous la plume de
Treint, une fraction trotskyste menant de concert avec Trotsky une tentative de
révision de la ligne politique du mouvement communiste internationale. Treint joue
un rôle primordial dans la constitution d’un cadre idéologique nécessaire pour
permettre l’exclusion des esprits critiques et la formation d’une direction alignée sur
le PCR. Néanmoins, il ne peut être tenu pour unique responsable de la répression et
de l’élimination des opposants. Il manœuvre effectivement pour obtenir l’exclusion
pure et simple de Souvarine lors du 5ème congrès mondial de l’IC et propose à
Zinoviev « d’écarter Monatte et Rosmer ». A partir d’août, l’ensemble de la direction,
y compris Doriot et Sellier, participe activement à la campagne en faveur de « l’unité
monolithique du parti » et s’en prend aux voix dissidentes, sans que Treint ait besoin
d’intervenir depuis Moscou. Enfin, l’exclusion de Delagarde Monatte et Rosmer est
votée à la quasi-unanimité et approuvée par le BP, seule instance dirigeante du parti.
Le nom de Treint est indissociable de la période de la bolchevisation. Avec
Suzanne Girault, il organise une fraction composée de membres issus
majoritairement de la direction de la fédération de la Seine, très influente à la suite
du 5ème congrès de l’IC. Ces militants conduisent la première étape de la
bolchevisation organisationnelle du PCF. Treint joue un rôle fondamental sur le plan
théorique en lançant dans la presse, dès le mois d’avril, la campagne pour la

285
création des cellules d’usine. Par contre, son rôle pratique se révèle mineur. Durant
toute la première étape de la réorganisation, il se trouve à Moscou et ne marque pas
beaucoup d’intérêt pour la question. De retour en France, il se préoccupe
principalement des tâches politiques et des questions internationales. Lui-même se
perçoit plus comme le guide idéologique, le théoricien de « la gauche ». Au cours de
la controverse avec Souvarine, il se présente d’ailleurs comme l’homme qui, dès
1923, a mené la politique de l’IC et tenter de lutter contre les déviations qui se
faisaient jour. Cette analyse a posteriori de la crise de 1923 et de l’irruption de la
question russe dans les débats internes du PCF, fait de lui le leader de la gauche
bolchevisatrice.
Mais en réalité, son poids politique au cours de la période s’explique avant
tout par le soutien dont il bénéficie de la part de Zinoviev. L’IC a manœuvré en
France comme ailleurs pour confier la direction de ses sections à des hommes sûrs
et fidèles à la majorité du PCR. Dès lors qu’il s’éloigne quelque peu de la ligne
politique fixée à Moscou et commet des erreurs, il perd progressivement son appui.
Au début de l’année 1925, le PCF s’enfonce de nouveau dans une crise politique
majeure. La tendance de « gauche » Treint-Suzanne Girault ne résiste pas à cette
épreuve et perd progressivement son influence politique au profit de jeunes militants
ouvriers formés à l’école du léninisme.

286
CHAPITRE VI :
L’ECHEC DE LA
DIRECTION DE
« GAUCHE ».

287
Après le 5ème congrès mondial de l’IC, la direction du PCF a le vent en poupe.
Les élections législatives ont souligné l’ancrage du parti dans la société française et
la croissance des effectifs laisse croire que la période des crises successives, que le
parti traverse depuis sa fondation, touche à sa fin. Sur le plan intérieur, l’annonce de
la refonte complète de l’organisation ne provoque pas de réels remous. Les voix
discordantes sont étouffées, au nom de la lutte contre la droite internationale, contre
le trotskysme, dans l’optique de la construction d’un parti monolithique et discipliné.
Convaincu de la justesse de ses vues et de son rôle de guide de la gauche,
Treint estime qu’il faut profiter la conjoncture favorable pour ancrer le parti dans les
masses et lui faire jouer son rôle d’avant-garde du mouvement ouvrier. Pour réaliser
cet objectif, le parti doit pousser les ouvriers et les paysans sur la voie de l’action
révolutionnaire immédiate, même si le contexte politique ne s’y prête pas forcément.
Pendant plusieurs semaines, à coup de mots d’ordre irréalistes, la direction entretient
une agitation factice parmi ses militants. La manifestation de commémoration de
Jaurès fait croire au succès de cette tactique. Mais l’illusion ne dure guère. Les
actions organisées les semaines suivantes montrent au contraire que, loin de mettre
les ouvriers en mouvement, les appels à la lutte révolutionnaire démobilisent les
militants communistes. Au sein de la direction, on commence à s’interroger sur la
pertinence de cette tactique. A cela vient s’ajouter l’échec patent de la réorganisation
sur la base des cellules d’usine. Le congrès national de Clichy et l’Exécutif Elargi de
mars-avril 1925 confirment en apparence la ligne suivie jusqu’alors. En réalité la
période de stabilité de la direction, sous l’égide de la gauche, touche à sa fin.
Confrontée au mécontentement de la base, à l’opposition qui se renforce et
aux critiques de l’IC, la direction se divise en fractions concurrentes. Alors que le
parti doit faire face à une série d’échec (élections municipales, désorganisation du
parti, conflit avec la CGTU), plusieurs dirigeants militent en faveur d’une ligne
politique plus modérée et d’une plus grande ouverture du parti à l’égard des autres
forces politiques de gauche. Treint souhaite au contraire durcir encore le ton et
profiter de la campagne contre la guerre du Maroc pour préparer le parti au
déclenchement de la guerre civile contre « l’impérialisme français ». Sur ce point et
d’autres, il se heurte au représentant de l’IC ainsi qu’à Suzanne Girault, dont il était
jusqu’à présent très proche. Cependant, après l’échec de la grève de 24h, organisée
pour protester contre la guerre du Maroc et contre les « impôts Caillaux », il se rend
progressivement à l’évidence. Le PCF traverse une nouvelle crise dont la direction

288
ne peut sortir indemne. Il opère alors un virage tactique, mettant définitivement fin à
la domination de « la gauche ».

289
A/ Treint et la ligne politique volontariste du PCF

1) La campagne antitrotskyste.

Après intervention de la direction du PCF, Treint rentre en France au mois de


novembre 1924, pour participer à la préparation du prochain congrès national1. Le
CE de l’IC, qui autorise ce séjour, charge Treint de mener la lutte contre Trotsky au
sein du parti français. Comme lors de la première « discussion russe », au début de
l’année, Zinoviev mobilise toutes les sections de l’IC pour appuyer l’offensive contre
le « trotskysme ». Ce nouvel épisode débute avec la parution de l’ouvrage de Trotsky
sur l’année 1917 et son introduction, précédée de quelques articles dans lesquels il
revient sur l’attitude des dirigeants du PCR avant la révolution d’octobre 19172. Il
démontre que face à une situation révolutionnaire, même de vieux dirigeants
révolutionnaires peuvent se tromper. Sous l’apparence d’une étude historique, son
propos vise ses adversaires politiques. La Troïka, qui attendait l’occasion d’affaiblir la
position de Trotsky au sein du parti russe, trouve son prétexte3. Elle déclenche dans
la presse russe une campagne contre le trotskysme, qui débute le 2 novembre 1924
par la parution, dans la Pravda, d’un article non signé intitulé : « Comment il ne faut
pas écrire l’histoire d’octobre ». Il accuse Trotsky de falsifier l’histoire et de provoquer
une nouvelle discussion dans le but affaiblir la direction du PCR. Suit une série
d’articles, écrite par les principaux dirigeants russes, aux titres évocateurs :
« Léninisme ou Trotskysme », « Trotskysme ou Léninisme », « Bolchevisme ou
Trotskysme »4. Ces trois articles, et d’autres encore, reprennent le même
argumentaire ; Trotsky veut réviser la ligne politique du parti en remplaçant le
léninisme par le trotskysme. Chacun s’attache à définir l’ancien et le nouveau
trotskysme. Au terme de deux mois de campagne acharnée, le CC du PCR vote une
résolution condamnant le trotskysme comme « déviation du communisme »5. Autre
conséquence, Trotsky démissionne du commissariat du peuple à la guerre.

1
Lettres de Treint à Suzanne Girault, 10 septembre et 3 octobre 1924, RGASPI, 517/1/161.
2
SORLIN P et I, « Lénine, Trotski, Staline », op. cit., p. 172-174.
3
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 447.
4
Ecrits dans l’ordre par Kamenev, Staline et Zinoviev.
5
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 457.
290
En France, la campagne contre Trotsky se développe rapidement. En
novembre, l’Humanité publie « Comment il ne faut pas écrire l’histoire d’Octobre »6.
Puis le 28 novembre, le quotidien insère une déclaration du CD destinée à la
direction du PCR :
« [Le Comité directeur] condamne avec force les tentatives de recommencer
sous une forme idéologique, la lutte contre le Comité central léniniste du Parti
communiste russe, tentatives faites par l’opposition guidée par le camarade
Trotsky. »7
Sans la moindre discussion au sein des instances dirigeantes, et encore moins à la
base, le CD se réunit pour avaliser une résolution rédigée par le BP. La direction
peut se prévaloir de son attitude d’élève disciplinée à l’égard de la Troïka.
Au même moment, la direction du PCF prépare l’exclusion de, Monatte,
Rosmer et Delagarde. Dans leur « lettre aux membres du parti »8, les trois militants
lui reprochent d’avoir attaqué Trotsky sans même publier les textes incriminés9. Dans
sa réponse, le BP annonce que tous les textes nécessaires à la compréhension de la
nouvelle discussion doivent être publiés mais que les traductions imposent des
délais expliquant le retard pris. Effectivement, en décembre, Treint publie, dans les
Cahiers du Bolchevisme, la préface de Trotsky10. Dans le même temps, l’Humanité
et la revue théorique du parti proposent les articles de Kamenev, Staline et
Zinoviev11 dénonçant la menace trotskyste ou encore une résolution des jeunesses
communistes russes. Aux textes émanant de la direction du PCR viennent s’ajouter
les résolutions votées par d’autres sections de l’IC12 et, bien entendu, les articles,
interventions et résolutions provenant du PCF. On trouve, dans les huit premiers
numéros de la revue, une moyenne de quatre articles ― sur un total de huit à dix
articles par numéro ― consacrés à la lutte contre le trotskysme. Au contraire de la

6
L’Humanité, n° 7670 à 7675, 12 à 17 novembre 1924, p. 3. L’article est publié ensuite dans La
Correspondance Internationale, n° 76, 13 novembre 1924 et les Cahiers du Bolchevisme, n° 1, 21
novembre 1924.
7
« Le PC français au PC russe », l’Humanité, n° 7686, 28 novembre 1924, p. 1.
8
Cf. supra.
9
« C’est leur droit de publier à grand fracas des critiques du discours et de la préface ce Trotsky ;
mais c’est le devoir élémentaire de faire connaître ce discours et cette préface. En ayant tardé à le
faire, ils ont montré leur profond mépris pour les membres du parti. »
10
Trotsky, « Les leçons d’Octobre », Cahiers du Bolchevisme, n° 5 et 6, 19 décembre et 26 décembre
1924.
11
Voir les Cahiers du Bolchevisme, n° 5 à 8, 19 décembre 1924 au 9 janvier 1925. L’Humanité publie
également un article ainsi qu’une intervention de Zinoviev sur la question du trotskysme. N° 7695,
7décembre 1924, p. 4 et n° 7723, 4 janvier 1925, p. 4.
12
Voir notamment la résolution du KPD, l’Humanité, n° 7691, 3 décembre 1924, p. 4, ainsi que celle
du PC tchécoslovaque, Cahiers du Bolchevisme, n° 7, 2 janvier 1925.

291
première discussion russe qui avait donné lieu à un débat contradictoire, aucun texte
défendant les positions de Trotsky, ou réfutant l’existence d’un trotskysme ne paraît
dans la presse communiste, exception faite de la lettre de Monatte, Rosmer et
Delagarde publiée après leur exclusion.
Treint tient une place centrale dans cette campagne antitrotskyste et s’en sert
pour réaliser ses objectifs sur le plan interne. Il présente Monatte et Rosmer comme
les disciples de Trotsky13, membres d’une organisation internationale conduisant une
action simultanée dans toutes les sections de l’Internationale pour remplacer le
léninisme par le trotskysme comme idéologie du mouvement communiste mondial.
Ces textes visent aussi à définir théoriquement le trotskysme. Le terme apparaît en
effet pour la première fois dans le quotidien du parti, le 13 novembre 1924, et ne
signifie rien pour une majorité de militants. Lors de la première discussion russe,
Treint avait reproché à Souvarine la partialité de ses commentaires. Devenu lui-
même directeur de la revue théorique du parti, ses articles reprennent terme pour
terme les arguments de la direction du PCR. Il se contente d’y ajouter ses propres
conceptions, notamment concernant l’existence d’une organisation trotskyste
internationale. Sous sa direction, les Cahiers du Bolchevisme deviennent
probablement l’un des organes de la presse communiste internationale les plus
farouchement antitrotskystes.
Dès le premier numéro14, Treint annonce une série d’études analysant les
trois points sur lesquels Trotsky s’éloigne du bolchevisme :
« 1° la perspective révolutionnaire ; 2° l’appréciation des méthodes de lutte de
la bourgeoisie, fascisme et social-démocratie ; 3° la conception même de ce
que doit être un parti bolchevique. »15
Le postulat de départ reprend la thèse développée par Staline16. Depuis 1903,
léninisme et trotskysme s’affrontent au sein du parti bolchevik. Les idées
développées par Trotsky sur les questions économiques ou sur le régime intérieur du
parti sont des résurgences de l’ancien trotskysme combattu par Lénine17. Ce « néo-
trotskysme » se caractérise par une conception social-démocrate du parti, par la

13
Cf. supra.
14
Treint A, « Congrès de Bolchevisation », art. cit.
15
Ibid., p. 6.
16
Staline, « Trotskysme ou Léninisme », Cahiers du Bolchevisme, n° 7, 2 janvier 1925.
17
Treint A, « Contre Trotsky : Sur la conception du Parti et du rôle du Parti », Cahiers du
Bolchevisme, n° 5, 19 décembre 1924, p. 289-295.
292
volonté de placer l’économie entre les mains de « spécialistes bourgeois »18 et par le
manque de confiance dans les perspectives révolutionnaires19. Le trotskysme
représente donc un courant de la social-démocratie et non du communisme. Pour
aboutir à cette conclusion, Treint se sert de citations tronquées, déforme la pensée
de Trotsky et se contredit lui-même. Sans entrer dans les méandres de cette
démonstration, revenons sur la question de l’analyse de la situation internationale.
En juillet 1924, Trotsky développe l’idée d’un renforcement du capitalisme américain
devenant la principale force économique et politique, et par là même le pilier du
système capitaliste mondial. Cette domination américaine favorise une stabilisation
du système capitaliste et l’arrivée au pouvoir dans les principales démocraties
européennes « d’éléments démocratico-pacifistes de la société bourgeoise »20.
Analysée par Treint, cette thèse devient une preuve de pessimisme révolutionnaire,
puisqu’elle définit une période stabilisation qui n’est pas favorable au développement
des mouvements révolutionnaires. Il lui oppose l’idée de la fin de la « période
démocratico-pacifiste », remplacée par une période « démocratico-fasciste »21. Cette
assertion s’appuie sur des discours de Zinoviev qui, depuis le 5ème congrès de l’IC,
présentent la social-démocratie et le fascisme comme deux instruments politiques
aux mains de la bourgeoisie et annoncent l’avènement d’une nouvelle période de
lutte aiguë entre les forces politiques révolutionnaires et contre-révolutionnaires.
Treint résume cette thèse :
« Fascisme, social-démocratie, anarchie, sont des organisations qui
combinent la violence anti-prolétarienne avec la démagogie sociale. […]
Malgré les rivalités intérieures à la classe bourgeoise, fascisme, social-
démocratie, anarchie combinent leurs efforts selon une stratégie et une
tactique très habile, dirigée contre la Révolution, contre le prolétariat et contre
les communistes. […] Toute la période démocratico-pacifiste dans laquelle
nous entrons, c’est la période de la guerre civile s’étendant sur des dizaines
d’années et prévue par Karl Marx, […] »22.

18
Treint A, « Contre Trotsky : Sur la question des perspectives révolutionnaires », Cahiers du
bolchevisme, n° 2, 28 novembre 1924, p. 71-79.
19
Treint A, « Contre Trotsky : Sur le rôle du Fascisme et de la Social-Démocratie », Cahiers du
Bolchevisme, n° 3, 5 décembre 1924, p. 129-138.
20
Trotsky, « Des perspectives de l’évolution mondiale », publié dans Europe et Amérique, Paris, Ed.
Anthropos, 1971, p. 7-49.
21
« Sur le rôle du Fascisme et de la Social-Démocratie », art. cit.
22
Ibid., p. 136-138.

293
Il contredit, dans cet article, ses propos tenus quelques semaines plus tôt au sujet de
la campagne sur l’unité syndicale. Il justifiait alors la tactique de l’IC par la nécessité
de manœuvrer dans une situation géopolitique marquée par « le renouveau des
illusions pacifistes et démocratiques »23. Il s’agit désormais de démontrer, par une
lecture tendancieuse, qu’en faisant de la social-démocratie une force politique
pacifiste, Trotsky s’allie à elle et devient dès lors un instrument de la contre-
révolution.
Cette longue démonstration sur les déviations idéologiques du trotskysme
demeure inintelligible pour de nombreux lecteurs des Cahiers du Bolchevisme et
bien plus encore pour les simples militants. Cependant, combinés avec des
interventions dans les assemblées du parti et les résolutions votées par les cellules
et les rayons24, ces articles contribuent à ancrer, dans l’esprit des communistes
français, la conviction que se déroule une lutte idéologique au sein de l’IC. Ils
détériorent l’image de révolutionnaire dont Trotsky jouit en France. Après la presse,
la campagne antitrotskyste se poursuit dans le cadre de la préparation du congrès
national de Clichy. Lors des congrès régionaux, la direction fait voter des résolutions
condamnant les erreurs de Trotsky et les déviations idéologiques de la « droite
internationale »25. Elle peut ainsi prétendre qu’une discussion a eu lieu, aboutissant à
la condamnation unanime de la droite et du trotskysme. Les membres de l’appareil
envoyés dans les régions ont parfaitement joué leur rôle26 au point que, parmi les
330 délégués, aucune région n’a choisi d’opposant à la direction. Treint peut
fièrement baptiser le congrès de Clichy : « Le congrès de la bolchevisation »27.
Comme les résolutions des congrès régionaux le laissaient prévoir, la
dénonciation des agissements de l’opposition trotskyste prend une place centrale
dans les débats du 4ème congrès national du PCF, tenu du 17 au 21 janvier 1925.
Lors de la première journée, après les interventions de Dunois et Loriot invités par la
direction à venir exprimer les griefs de l’opposition, Treint fait sensation en donnant

23
Treint A, « Conditions et Buts de l’Unité Syndicale », art. cit.
24 e
Par exemple, l’Humanité du 10 décembre 1924 (n° 7698) publie une motion déclarant que le 26
rayon « s’élève avec la dernière vigueur contre les déviations trotskystes et contre les tentatives de
réviser la doctrine du communisme international grâce à une fausse interprétation des évènements
historiques. »
25
Voir compte rendu des congrès de la région parisienne et de la région nord, l’Humanité, n° 7716, 28
décembre 1924, p. 4 et n° 7734, 15 janvier 1925, p. 5.
26
Dans une lettre à Herclet, Julien Aufrère signale que la direction a envoyé aux congrès régionaux
des délégués chargés de « faire le procès de Trotsky ». Il cite en exemple le congrès de la région
Nord où cinq délégués du centre sont intervenus. Lettre du 16 janvier 1925, RGASPI, 517/1/294.
27
Voir Treint A, « Le congrès de bolchevisation du PCF », La Correspondance Internationale, n° 13,
21 février 1925, p. 112-115.
294
lecture d’une lettre interceptée, rédigée par Souvarine et destinée à Rosmer28. Il cite
certains extraits, sortis de leur contexte, des réflexions de Souvarine sur l’évolution
du parti russe :
« Il y aura plus tard un petit nombre de démissions, de gestes de dégoût, mais
la majorité du Parti suivra, ce Parti aux nuques baissées […] Le salut serait
dans une crise mettant la Révolution en danger. Alors tout le Parti se
tournerait vers Trotsky. »
Cette lettre provoque évidemment la consternation dans l’assemblée et
permet à Treint d’étayer sa thèse du développement d’une « véritable fraction contre-
révolutionnaire »29 avec des ramifications dans les principales sections de l’IC et
s’appuyant sur le nom de Trotsky :
« Une tendance se fait jour, qui s’appuie sur des éléments intellectuels et
petits-bourgeois, qui cherche à utiliser les difficultés non pour les résoudre,
mais pour les utiliser à son profit, […] qui cherche et désigne en Trotski le
Sauveur providentiel, qui s’évertue à créer autour de lui une atmosphère de
plébiscite aveugle, non seulement en Russie mais dans le monde entier »30.
Au cours de la troisième journée, Treint lit son rapport sur la situation
internationale et les tâches du parti31. Nouvelle occasion pour lui d’opposer léninisme
et trotskysme en reprenant, devant les délégués du parti, la démonstration
développée dans la série d’articles « Contre Trotsky ». Malgré son caractère quelque
peu obscur32, l’intervention vient renforcer la conviction des délégués du rôle néfaste
joué par Trotsky en Russie et de l’existence d’une « droite trotskyste » en France,
s’appuyant sur les thèses de celui-ci pour combattre la direction « bolchevique » du
PCF. Le lendemain de la clôture, l’Humanité33 titre sur la défaite de la droite sur le
plan international, du fait de l’adoption par le congrès de Clichy des thèses de la
majorité et de la résolution du CC du PCR condamnant Trotsky34. Dans un compte
rendu du congrès35, Treint insiste longuement sur la défaite de l’opposition de

28 ère
Compte rendu de la 1 journée du congrès, l’Humanité, n° 7737, 18 janvier 1925, p. 2.
29
Ibid.
30
Treint A, « Le congrès de bolchevisation du PCF », art. cit., p. 113.
31
Publié dans les Cahiers du Bolchevisme, n° 2, 28 novembre 1924, p. 89-101.
32
Selon un représentant de l’IC qui assiste au congrès, « Treint a développé son thème sur un plan si
peu populaire que malgré le grand silence et l’extrême attention tendue de la part des congressistes,
on sentait qu’il existait une rupture entre l’intellect collectif qu’était le congrès et l’intellect individuel du
rapporteur ». Rapport non signé, RGASPI, 517/1/231.
33
L’Humanité, n° 7742, 23 janvier 1925, p.1.
34
L’intervention de Trotsky devant le CC du PCR et la résolution sont publiés dans l’Humanité, n°
7739, 20 janvier 1925, p. 4.
35
Art. cit.
295
« droite » et annonce que le PCF « a liquidé le trotskysme ». Rappelant le prestige
dont Trotsky jouissait, il se réjouit de la rapidité avec laquelle cette idéologie a été
extirpée des rangs du parti français. Il l’explique par la lutte menée sur le plan de la
théorie, façon de s’attribuer les mérites de la campagne contre la « déviation
idéologique du trotskysme » qu’il a lui-même conduite.
Lors de l’Exécutif Elargi de mars-avril 1925, il revient longuement sur la « lutte
idéologique » contre le trotskysme dans son rapport sur la bolchevisation du PCF,
puis dans une seconde intervention36. Justifiant l’exclusion de Monatte et Rosmer, il
fait le distinguo entre la « droite française » et le trotskysme, reconnaissant
implicitement l’utilisation de qualificatifs impropres contre eux. Il ajoute néanmoins
que, sans être à proprement parler des trotskystes, ils formaient un courant « plein
de sympathies pour le trotskysme » dès la création du CTI37. Tous les anciens
leaders de ce courant de la SFIO, puis du PCF, ayant été exclus ou appartenant
désormais ― comme Loriot et Dunois ― à l’opposition, il s’élève lui-même au rang
de dirigeant historique de la gauche léniniste française. Son intervention sur la
bolchevisation38 ― où le « nous » doit être compris comme un synonyme de « je » ―
laisse transparaître cette certitude d’avoir, par ses articles sur les déviations du
trotskysme, éliminé à lui seul le danger représenté par Trotsky en France et d’avoir
imposé la ligne de l’Internationale.
Malgré les allégations de Treint sur l’anéantissement du trotskysme et
l’impuissance de la droite, le mouvement oppositionnel connaît au contraire un
nouvel essor. Il se manifeste dès le congrès de Clichy par les interventions de
Dunois et Loriot, puis par une série de trois lettres à l’IC, signées par des cadres
influents du parti39. Ils y fustigent les méthodes autoritaires de la direction et
informent l’IC sur l’échec de la politique de bolchevisation du PCF, sans jamais

36 ème ème
3 séance de l’Exécutif Elargi, 26 mars, 495/163/123 et 11 séance, 3 avril 1925, RGASPI,
495/163/153.
37
« En réalité, depuis la constitution du Comité pour la troisième Internationale, il y a toujours eu deux
groupes de camarades, un favorable au léninisme et l’autre plein de sympathies pour le trotskysme,
ème
de tempérament révolutionnaire mais étranger au marxisme. », Intervention lors de la 11 séance,
Ibid.
38
« Nous avons mené en particulier une lutte idéologique tout à fait approfondie contre les déviations
du trotskysme, et le fait qu’à l’heure actuelle, dans la totalité du parti français, les déviations du
trotskysme sont éliminées est tout à fait significatif, non seulement pour la France mais pour
l’Internationale tout entière. Le Camarade Trotsky avait en France un très grand prestige. […] Et le fait
que dans le pays qui était sentimentalement le plus attaché à Trotsky, le trotskysme ait été éliminé
avec facilité constitue pour l’Internationale la preuve que le trotskysme n’est susceptible d’aucun
ème
avenir dans le mouvement communiste et prolétarien. ». Intervention lors de la 3 séance, Ibid.
39
« Lettre des 80 », 14 février 1925 ; « lettre des 130 », mai 1925 ; « lettre des 250 », 25 octobre
1925, 517/1/294-295, RGASPI.

296
remettre en cause la ligne politique de l’IC ou parler des luttes à la direction du PCR.
Après avoir réagi avec brutalité dans un premier temps, la direction se contente de
passer sous silence ces manifestations du mécontentement croissant dans les rangs
du PCF, avant de publier certains documents de l’opposition et de tolérer l’ouverture
d’une discussion dans les organisations du parti40. A partir du mois de mars 1925, à
quelques exceptions notables41, les qualificatifs trotskysme/trotskyste disparaissent
des débats internes. Cela s’explique par la nature des arguments de l’opposition
mais aussi par l’évolution du contexte politique à l’intérieur du PCR. Après l’éviction
de Trotsky du commissariat à la guerre, la violente campagne antitrotskyste, qui
caractérisa la fin de l’année 1924, cesse rapidement et celui-ci adopte une position
de repli. Lors de l’Exécutif Elargi de mars-avril 1925, la délégation française42 lui
demande de se désolidariser de la revue La Révolution Prolétarienne43. Quelques
mois après, il écrit au CC du PCF pour condamner « son caractère et son ton [qui]
justifient l’exclusion »44. Dès lors, la campagne antitrotskyste n’a plus lieu d’être. Elle
resurgit finalement au milieu de l’année 1927, mais les acteurs ont changé de rôle et
Treint en est l’une des premières victimes.

2) Offensive révolutionnaire et lutte contre le social-fascisme.

La fin de l’année 1924 se caractérise par un effort soutenu de réorganisation


du parti et par une répression accrue contre toutes les formes d’opposition. Sur le
plan de l’activité politique, le parti connaît un tournant majeur avec le retour de Treint
en France. Depuis le 5ème congrès mondial, la direction délaissait quelque peu le
travail d’agitation et les grandes campagnes politiques. Treint, agissant de concert
avec l’IC, estime au contraire que le PCF se trouve en France face à une situation
potentiellement révolutionnaire, nécessitant une réorientation de la ligne politique.
Lors du BP du 18 novembre 192445, il est chargé de préparer, avec le délégué de l’IC
(Gouralski), les thèses sur la situation internationale et les tâches du parti. Son

40
Nous y reviendrons.
41
Voir notamment Ferrat J, « Les bases de la droite dans le parti français », Cahiers du Bolchevisme,
n° 19, 15 mai 1925, p. 1201-1205. L’auteur explique que les critiques de la « droite » s’appuient sur la
doctrine trotskyste.
42
« Une question à Trotski », La Correspondance Internationale, n° 45, 28 avril 1925, p. 356.
43
La revue est crée par Monatte, Rosmer et d’autres exclus du PCF. Les premiers numéros sont
centrés sur la vie intérieure du PCF et la défense de Trotsky. Voir GRAS C, op. cit., p. 320, 321 ainsi
que Les cahiers du CERMTRI, n° 46, septembre 1987.
44 er
L’Humanité, n° 9792, 1 octobre 1925, p. 4.
45
P-V du BP du 18 novembre 1924, BMP 64.

297
article, publié dans le premier numéro des Cahiers du bolchevisme, préfigure la
réorientation de la tactique politique. La période « démocratique-pacifiste » arrive à
son terme et annonce « une montée de la révolution prolétarienne »46. Il faut
chercher à se lier avec les masses prolétariennes et préparer l’action décisive. Les
thèses47, qu’il présente au BP, viennent renforcer cette appréciation de la
conjoncture. Il proclame la « période démocratique-pacifiste » terminée et annonce la
proximité de l’effondrement du capitalisme, ouvrant une nouvelle période
révolutionnaire. Son analyse s’appuie sur le constat d’un retour aux affaires dans
plusieurs pays de gouvernements conservateurs ― aux Etats-Unis et en Grande-
Bretagne ― et d’un renforcement des politiques répressives à l’égard du mouvement
ouvrier48. Il en conclut que le système capitaliste, miné par « les contradictions
intérieures » ― autrement dit par l’intensification des rivalités économiques entre les
principales puissances impérialistes ―, ne peut survivre à la nouvelle crise qu’il
traverse. La volonté des Etats-Unis d’étendre le plan Dawes49 à la France, le
développement d’un « colonialisme économique », annoncent une montée des luttes
ouvrières dans les pays concernés. Ce plan, loin de stabiliser l’économie mondiale
au profit des Etats-Unis, laisse entrevoir l’effondrement du capitalisme et l’arrivée au
pouvoir des partis communistes. L’heure est à la préparation de la lutte, à l’action
immédiate et au renforcement de la discipline communiste.
Les premiers effets se font rapidement sentir. Conscient de la faiblesse du
parti en province, Treint soumet à la direction un mot d’ordre censé renforcer la
liaison entre le PCF et le monde paysan. Le 15 novembre 1924, le quotidien du PCF
publie, en première page, un article exhortant les paysans à « prendre la terre à
coups de fusils » et à « donner l’assaut aux forces unies du gouvernement bourgeois
et du capitalisme financier, industriel et terrien »50. Treint, qui préconise une
intensification de l’action parmi les paysans51, répète ce mot d’ordre lors de
manifestations, de meetings ou dans ses articles et ajoute que le PCF, une fois au
pouvoir, distribuera gratuitement les terres « à ceux qui les cultivent »52. A

46
Treint A, « Congrès de Bolchevisation », art. cit., p. 5.
47
Treint A, « Thèses sur la situation internationale », art. cit.
48
Il parle ici des politiques de « terreur blanche » en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie, Ibid.
49
Le plan Dawes, conçu par un comité d’expert, présidé par un banquier américain, le général Dawes,
prévoit un rééchelonnement de la dette de plusieurs pays débiteurs des Etats-Unis, dont l’Allemagne.
Il offre en contre-partie une ouverture accrue des économies européennes aux capitaux américains.
50
« La terre à coups de fusils », l’Humanité, n° 7623, 15 novembre 1924, p. 1.
51
Voir notamment un compte rendu d’une séance du Comité d’action du 22 décembre 1924 par un
informateur, AN, F7 12897.
52
Treint A, « Sus au fascisme ! » et « Debout les usines ! », l’Humanité, n° 7686 et 7707, 28
novembre et 19 décembre 1924, p. 1.
298
l’instigation de Treint, la direction lance également le mot d’ordre de « tribunal
révolutionnaire » pour juger les responsables « de la vie chère », de la guerre
impérialiste et de la montée du fascisme. Dans le même temps, il annonce, en vue
d’organiser le contrôle ouvrier des usines et la défense prolétarienne face au danger
fasciste, la création des CUP53. Inspiré d’un modèle d’organisation imaginé par
Zinoviev, il s’agit de grouper tous les ouvriers, sans distinction de parti et sans que
l’initiative en revienne à la cellule communiste, sur le lieu de l’usine. Treint résume le
concept par cette formule :
« Le Comité d’Unité Prolétarienne est non l’organisation d’un parti, d’un
syndicat ou d’une secte philosophique, il est l’organisation de la masse elle-
même. »54
Les CUP, une fois formés à l’échelle locale, doivent se réunir par région et aboutir,
au niveau national, à la convocation annuelle d’un « Congrès national des Usines
françaises ». A toutes ces innovations tactiques vient s’ajouter la campagne pour
l’unité syndicale55, engagée depuis plusieurs mois. Treint espère, avec cette
avalanche de mots d’ordre, amener les ouvriers et les paysans à la lutte, provoquer
des désordres et des grèves et déstabiliser le régime.
Dans l’immédiat, les évènements semblent lui donner raison. Le 23 novembre,
une manifestation organisée lors du transfert des cendres de Jaurès au Panthéon
tourne à la démonstration de force pour le PCF. Le gouvernement de Cartel a
organisé une cérémonie grandiose, destinée à souligner l’unité de la gauche
républicaine face aux forces politiques nationalistes et aux communistes. Ces
derniers, pour protester contre « l’accaparement de Jaurès par le Cartel », se sont
donnés rendez-vous aux Champs-Elysées. Au sein de l’imposant cortège, les
ouvriers reprennent les slogans et les chants du parti56. Les interventions des leaders
communistes sont ovationnées57. La harangue que prononce Treint symbolise la
surenchère et la logomachie révolutionnaire qui deviennent l’apanage de certains
dirigeants. Alors que les ouvriers se retrouvent dans la rue pour commémorer la
mémoire de Jaurès, il martèle les principaux mots d’ordre du parti :

53
Comités d’unité prolétarienne.
54
Treint A, « Debout les usines ! », art. cit.
55
Cf. supra.
56
Plus de 100000 personnes, alors que l’Humanité en annonce cinq à dix fois plus. Voir ROBRIEUX
P, op. cit., p. 220-221.
57
Cachin et Vaillant-Couturier se contentent d’évoquer la mémoire de Jaurès.

299
« Nous exigeons un tribunal révolutionnaire pour juger les Poincaré, les
Millerand, les Clemenceau responsables de la guerre et de l’agression contre
la Russie soviétique et en même temps les organisateurs de la misère des
travailleurs. Nous exigeons un tribunal révolutionnaire pour juger Millerand,
fauteur de fascisme. Nous exigeons la saisie des grandes banques et des
entreprises qui doivent être placées sous votre contrôle ouvrier. Nous
exigeons l’expropriation des grands propriétaires fonciers. Nous voulons
donner la terre à qui la travaille. Le paysan travailleur est le frère de l’ouvrier.
Nous réaliserons l’unité syndicale malgré les chefs réformistes, valets de la
bourgeoisie. »58
Il enjoint les manifestants à constituer des « centuries prolétariennes », pour
préparer le déclenchement de la guerre civile et instaurer la dictature du prolétariat.
Applaudi par la foule, Treint s’illusionne quant à la portée réelle de son discours et à
la conscience politique des ouvriers.
Dans les semaines qui suivent, le parti organise des meetings, censés prolonger
la dynamique de la manifestation du 23 novembre. Le 11 décembre 1924, une
réunion publique, centrée sur la question du fascisme et de la trahison de la
social-démocratie, a lieu salle de la Grange-aux-Belles59. Elle est suivie d’un
meeting au Pré-St-Gervais60, autour des thèmes de l’unité syndicale et de la
lutte contre le fascisme. Ces deux réunions constituent un véritable désaveu
pour la direction61. Seuls les plus convaincus des militants communistes s’y
rendent. Treint considère que ces échecs s’expliquent par la faiblesse des
organisations chargées de la préparation des réunions62 et refuse de voir que
les mots d’ordre et les discours enflammés ne correspondent absolument pas
aux attentes des ouvriers français.
Le développement d’une rhétorique révolutionnaire et de surenchère
démagogique correspond incontestablement au retour de Treint en France.
Cependant les autres leaders reprennent à leur compte ses discours. Dans une

58
Compte rendu de la manifestation, l’Humanité, n° 7682, 24 novembre 1924, p. 1.
59
« Une magnifique démonstration du prolétariat parisien », l’Humanité, n° 7700, 12 décembre 1924,
p. 1. Dans son intervention, Treint lance de nouveau un appel à la guerre civile.
60
L’Humanité, n° 7710, 22 décembre 1924, p. 1.
61
Dans son rapport de surveillance des activités communistes, l’informateur parle de « four ».
Soulignons qu’à cette période les rapports exagèrent le poids réel du parti et sa capacité à organiser
des actions révolutionnaires. AN, F7 12897.
62
Rapport de surveillance de la réunion du Comité d’action, AN, F7 12897. Dans l’Humanité, il
reconnaît implicitement l’échec de la manifestation qu’il attribue au mauvais temps et aux difficultés du
parti pour se lier avec les masses. Treint A, « Le vrai mot d’ordre : dans chaque usine un comité anti-
fasciste d’unité prolétarienne », l’Humanité, n° 7710, 22 décembre 1924, p. 1.
300
intervention devant la Chambre des députés, Doriot déclare que les conditions pour
la prise du pouvoir sont réunies et que « contre la bourgeoisie décadente ; la
violence prolétarienne est légitime »63. Semard et Cachin écrivent dans l’Humanité
des éditoriaux pour populariser le mot d’ordre de tribunal révolutionnaire64. Le
secrétaire général et Doriot déclarent, lors des meetings du mois de décembre 1924,
que l’heure de l’action décisive approche, que le parti doit se préparer à la guerre
civile et présentent aux auditeurs différents aspects de la préparation en vue de cet
objectif. Les procès-verbaux du BP ne laissent pas entrevoir d’hésitation ou de
critique quant aux exagérations et à l’anachronisme de certains mots d’ordre. Seul
Marrane65, au nom de l’IC, souligne l’imprudence de certaines déclarations sur la
création de « centuries prolétariennes » ou sur le travail clandestin dans les colonies
et dans l’armée qui risque de faciliter le travail de surveillance et de répression du
gouvernement66. En dehors de ces remarques secondaires, l’IC approuve aussi la
combativité et la résolution de la direction.
Autre conséquence de cette analyse de la situation française, le PCF change
radicalement son discours envers les autres forces politiques du mouvement ouvrier,
abandonnant de fait la tactique du front unique. Treint accuse en effet les socialistes
et les anarchistes de participer à une coalition politique contre le danger
révolutionnaire représenté par le PCF. L’influence grandissante des ligues
nationalistes s’explique par la volonté de la bourgeoisie de parer au danger d’un
soulèvement du prolétariat en constituant une garde armée. Le fascisme représente,
à ses yeux, un front unique de toutes les forces politiques unies contre le seul PCF67.
Pour justifier ces conceptions simplistes et schématiques d’un paysage politique
français bipolaire, avec un bloc révolutionnaire formé par le seul parti communiste et
la CGTU contre toutes les autres organisations politiques et syndicales, il se base
sur quelques maigres observations et affabulations. Il affirme que le gouvernement
de Bloc des gauches laisse discrètement les organisations « fascistes » se

63
L’Humanité, n° 7698, 10 décembre 1924, p. 2.
64
Voir l’Humanité, n° 7690 et 7692, 2 et 4 décembre 1924, p. 1.
65
Marrane s’est rendu à Moscou en remplacement de Treint.
66
P-V du BP du PCF du 19 décembre 1924, BMP 64.
67
« Le fascisme affiche ouvertement la violence et l’esprit nationaliste, il entraîne les classes
moyennes et les ouvriers arriérés, jusque-là rebelles à l’organisation ; la social-démocratie se
camoufle d’internationalisme et recourt plus hypocritement à la violence, elle agit plus spécialement
sur les ouvriers et les petits travailleurs déjà organisés ; l’anarchie opère plus spécialement dans les
milieux syndicaux des pays latins et cherche à exploiter le passé du syndicalisme révolutionnaire.
Mais à travers toutes ses nuances, il y a maintenant identité fondamentale entre le fascisme, la social-
démocratie et l’anarchie, combinant la violence anti-prolétarienne et la démagogie sociale [souligné
par l’auteur]. », Treint A, « Thèses sur la situation internationale », art. cit., p. 96.
301
structurer68, pendant que tout son appareil de répression policière se tourne vers la
lutte contre le PCF69. La descente de police à l’école centrale du parti à Bobigny70
vient conforter sa conviction que le gouvernement veut écraser le mouvement
communiste. Il écrit que si dans les rangs des élèves communistes, certains
jugeaient ses déclarations sur le « social-fascisme » exagérées, « le commissaire de
police Herriot et son flic Renaudel sont devenus, bien malgré eux, les meilleurs
professeurs de l’école léniniste ! »71. A cela vient s’ajouter l’intervention des forces de
police pour tenter de mettre un terme à la grève des sardinières de Douarnenez72. A
la lumière de ces quelques faits, il écrit que l’heure de l’affrontement final entre le
fascisme allié à la social-démocratie et le parti communiste approche73.
L’ensemble de la direction approuve cette analyse de la montée en puissance
du fascisme en France et de la menace que les ligues feraient peser sur le
mouvement ouvrier français. Lors du BP du 26 décembre, le représentant de l’IC
affirme que la menace fasciste connaît une évolution rapide et nécessite les mesures
appropriées pour se préparer à la lutte74. De son côté, Sellier déclare, dans son
projet de thèses sur la situation nationale, que « nous n’allons pas vers le fascisme,
nous y sommes ! »75. Face aux appels répétés de la direction du PCF à s’organiser
pour résister à la menace fasciste, les autorités françaises s’interrogent sur sa
capacité à mener une opération subversive de grande ampleur. La presse
quotidienne s’empare des rumeurs sur un plan de préparation à la guerre civile et à
la prise du pouvoir des communistes par des actions violentes76.
La question de la préparation de nouvelles manifestations et d’actions
violentes dans les rues provoque par ailleurs les premières dissensions au sein du
BP. Tandis que Treint veut pousser toujours plus loin dans la voie de la subversion,

68
Treint considère l’Action française, les Unions civiques du Général de Castelnau ainsi que la Ligue
nationale républicaine de Millerand comme des organisations fascistes.
69
Treint A, « Sus au fascisme ! », art. cit.
70
Le 6 décembre 1924, sur ordre du gouvernement, la police fouille le bâtiment où se tiennent les
cours de l’école centrale et saisit quelques cahiers d’élèves.
71
Treint A, « Social-fascistes ! Faussaires ! », l’Humanité, n° 7698, 10 décembre 1924, p. 1.
72
Les pêcheurs et les ouvrières de Douarnenez se sont mis en grève pour obtenir une hausse des
salaires. Le mouvement est soutenu par le parti communiste et la CGTU et notamment par le maire
de la commune de Douarnenez, le communiste Le Flanchec.
73
Treint A, « Le vrai mot d’ordre : Dans chaque usine un comité anti-fasciste d’unité prolétarienne »,
art. cit.
74
P-V du BP du 26 décembre 1924, BMP 64.
75
Sellier L, « Projet de thèse sur la situation nationale », Cahiers du Bolchevisme, n° 6, 26 décembre
1924.
76
Dans les rapports de surveillance, un informateur fait état de la volonté du PCF de se procurer des
armes. Selon la note du 22 janvier 1925, Treint serait chargé d’acheter des armes à feu lors de ses
voyages en Belgique et en Allemagne, AN, F7 12897.

302
les autres dirigeants freinent, conscients que le parti n’a pas la force des ambitions
révolutionnaires de Treint. Ils se font les porte-parole des militants qui critiquent
l’atmosphère faussement révolutionnaire créée par la direction77. Par la voie de
Loriot, les opposants à l’orientation politique et aux schémas tactiques élaborés
depuis deux mois, commencent à se faire entendre publiquement. Celui-ci rédige, au
côté de Berthelin78, un projet de résolution sur la situation internationale79 en vue du
congrès de Clichy. Il appelle le parti à rejeter les thèses de Treint bâties sur une
vision arbitraire et schématique des questions internationales :
« Le parti repousse, dans l’appréciation de la situation mondiale les
conceptions simplistes tendant à substituer à l’analyse objective des faits, des
jugements sommaires, des appréciations hâtives, aboutissant bien plus à
créer une situation pour justifier une thèse qu’une thèse pour traduire la
véritable situation.
Il réfute l’idée de la fin de « la période démocratique pacifiste » en soulignant qu’au
contraire le capitalisme connaît une phase de stabilisation sous la domination de
l’économie américaine. Cette situation ne permet pas d’envisager de grand
mouvement révolutionnaire à cours terme. De même, il juge l’affirmation de la
formation d’un bloc politique entre le fascisme et la social-démocratie en
contradiction complète avec la réalité, puisque « la démocratie est par essence anti-
fasciste » et que la social-démocratie lutte concrètement contre les manifestations du
fascisme. En conséquence, il fixe comme tâche du parti pour l’avenir le renforcement
de l’organisation et une meilleure éducation des militants et repousse l’organisation
d’actions révolutionnaires prématurées80. Treint répond par le mépris, la qualifiant de
thèse « parsemée d’erreurs d’opportunistes [et] complètement étrangère au
communisme »81. Il ne doute pas qu’elle soit repoussée par le congrès national.
Avant Clichy, qui doit être le congrès de la consécration de la « gauche
léniniste » et de ses thèses politiques, Treint se rend quelques jours à Moscou dans
le cadre de son mandat de représentant du PCF et de membre du CE de l’IC. Ce

77
Dans une lettre à l’IC, Rieu se moque des affiches imprimées sous la direction de Treint pour la
manifestation du 23 novembre qui ont dû être jetées. Elles représentaient Lénine « sous des aspects
terrifiants, avec impression rouge naturellement, pour donner d’avantage l’impression d’un
sanguinaire, d’un cruel. » Lettre du 19 mars 1925, RGASPI, 517/1/294.
78
Pierre Berthelin : Instituteur. Militant syndicaliste et communiste, il est exclu du parti peu après son
intervention au congrès de la région parisienne dès 20-21 décembre 1924.
79
Cahiers du Bolchevisme, n° 8, 9 janvier 1925.
80
Concernant la question de la bolchevisation du PCF, il souligne l’échec de la campagne de création
des cellules, l’absence de démocratie interne et l’autoritarisme de la direction, ibid.
81
Treint A, « Lutter sans cesse pour la bolchevisation », Cahiers du Bolchevisme, n° 6, 26 décembre
1924, p. 371.
303
séjour a été décidé par le BP dès son retour en France82. Il doit simplement faire le
compte rendu de l’activité du parti au cours des deux derniers mois et présenter les
documents préparatoires au congrès national. Contrairement à ses attentes, il est
sévèrement rabroué par les dirigeants de l’IC83. On lui reproche d’avoir exclu
Monatte et Rosmer sans véritable motif et d’avoir instauré un régime trop
autoritaire84. De même, les thèses de Treint et Sellier sur les questions
internationales et nationales subissent plusieurs modifications85. Enfin, le CE de l’IC
demande d’abandonner les mots d’ordre de tribunal révolutionnaire et de bloc avec
la paysannerie. C’est un désaveu cinglant pour le BP et pour Treint en particulier.
Depuis deux mois, il tient une place éminente et pousse la direction à mener une
politique toujours plus offensive, alors même que les autres membres du BP
commencent à prendre conscience du caractère artificiel des appels à la guerre civile
et à « la dictature d’en bas »86. Au congrès de Clichy, il n’est néanmoins pas fait état
des critiques de l’IC et la ligne politique de la « gauche léniniste » semble triompher.

3) Du congrès national de Clichy à l’Exécutif Elargi de l’IC.

La direction le clame depuis plusieurs semaines, le 4ème congrès national du


PCF doit être le « congrès de la bolchevisation ». Dans l’esprit des leaders de la
« gauche léniniste », il clôt la première phase du processus de bolchevisation et doit
tirer le bilan de la transformation des sections locales en cellules d’usines. Dans son
rapport sur la réorganisation, Suzanne Girault concède un certain retard, des
difficultés inattendues et annonce un nouveau délai de trois mois pour finaliser le
travail entrepris. Les délégués adoptent par ailleurs le principe de statut type87,
élaboré par la section d’organisation de l’IC, qui donne un cadre réglementaire au
processus de refonte des organisations, entamé quelques mois auparavant. Ces

82
P-V du BP du PCF du 14 novembre 1924, BMP 64.
83
Sur ce point, nous devons nous fier au témoigne d’Herclet, militant révolutionnaire vivant à Moscou,
mais qui n’est pas membre du PCF et critique sa direction. Cependant son témoigne semble digne de
foi.
84
« Marrane se trouvait à Moscou lorsque vous avez été exclus, son rapport devant l’Exécutif a été
jugé insuffisant et un télégramme a été envoyé demandant des explications. Treint est venu à son
tour, et malgré tout ce qu’il a dit, Zinoviev a déclaré, pour commencer, que s’était très regrettable
d’exclure des ouvriers, que le régime instauré dans le parti français ne peut durer et qu’il faudra le dire
au congrès du parti. ». Lettre de Herclet à Monatte, 12 janvier 1925, syndicalisme et Communisme,
op. cit., p. 423.
85
Lors d’une séance (3 mars 1926) de la commission française, durant l’Exécutif Elargi de février
mars 1926, Treint rappelle que ses thèses soumises au congrès de Clichy ont été « rectifiées » par le
Présidium de l’IC. RGASPI, 495/164/308.
86
Formule utilisée par Treint dans l’éditorial de l’Humanité « Le vrai mot d’ordre… », art. cit.
87
Le projet de statut type est publié dans La Correspondance Internationale, n° 9, 7 février 1925.
304
statuts s’attachent à rompre définitivement la filiation au socialisme français. Le
centralisme démocratique est érigé en principe de fonctionnement de l’organisation
et la cellule devient le noyau fondamental du parti88. Les noms des subdivisions
locales sont modifiés ― Cellules, sous-rayon, rayon, région ― de même que celui de
l’instance dirigeante ; le terme de Comité directeur (CD) disparaît au profit de celui
de Comité central (CC).
Sur le plan de la bolchevisation politique et idéologique, le leitmotiv reste la
constitution d’une direction homogène et la lutte contre l’opposition de « droite » et le
trotskysme89. Après la discussion du rapport moral de Semard90, dans lequel il
consacre un long passage à la lutte contre « les déviations du léninisme » et
annonce la fin de la période d’épuration idéologique, Dunois et Loriot interviennent à
leur tour91. Les deux militants reviennent sur les « mots d’ordre prématurés » et les
exagérations au sujet du fascisme. Ils dénoncent les méthodes de direction et la
constitution d’un centralisme bureaucratique étouffant la vie à la base du parti.
Dunois souligne, en référence aux exclusions de Monatte et Rosmer, que le BP
recourt bien trop souvent à cette sanction au détriment de la discussion franche et
loyale. Tous deux parlent du manque d’éducation des cadres et la volonté d’imposer
une idéologie léniniste, caricature du marxisme. Ils sont soutenus par Rappoport, qui
critique l’ouvriérisme de la direction et la suspicion à l’encontre des intellectuels92.
En dépit de ces quelques voix discordantes, la ligne politique de la direction
est approuvée à l’unanimité des délégués du congrès. Les thèses sur la question
syndicale, sur les questions nationales et internationales qui maintiennent le parti
dans la voie de l’offensive révolutionnaire comme politique de liaison avec les
masses ouvrières et paysannes et, sur le plan intérieur, de la lutte pour
l’homogénéisation idéologique, sont avalisées. Un représentant de l’IC signale
néanmoins que le rapport de Treint sur les perspectives révolutionnaires et la lutte
contre le fascisme a laissé l’auditoire perplexe et contenait de plus « des affirmations
discutables sinon contradictoires »93. Malgré les critiques de l’IC avant le congrès, les
premières dissensions au BP, la « gauche », autour de Suzanne Girault, Treint,
Doriot et Semard, garde le contrôle de la direction, comme en témoigne le nouveau

88
Voir article 6 des statuts votés par le BO du CE de l’IC, 4 mai 1925.
89
Cf. supra.
90
Publié dans le numéro spécial des Cahiers du Bolchevisme, 20 décembre 1924.
91
Compte rendu de la première journée, l’Humanité, n° 7737, 18 janvier 1925, p. 2. Voir également
BMP 88.
92
Compte rendu de la deuxième journée, l’Humanité, n° 7738, 19 janvier 1925, p. 1.
93
Rapport d’information non signé, RGASPI, 517/1/231.
305
CC du PCF94, duquel Dunois a été écarté en raison de son attitude oppositionnelle.
Le nouveau BP réunit Sellier, Suzanne Girault, Cachin, Treint, Doriot, Semard,
Jacob95, Cremet96. Semard est reconduit à son poste de secrétaire général. La
direction reste sensiblement identique à celle nommée lors du 5ème congrès mondial
de l’IC, alors que Treint espérait écarter Sellier et Cachin.
Dans son article bilan, publié dans La Correspondance Internationale97, Treint
se réjouit de cette « victoire du léninisme » et fixe les tâches du parti. Il appelle à
poursuivre dans la voie suivie depuis le congrès de l’IC. Tout d’abord partir à la
conquête des ouvriers en préparant le parti à la lutte révolutionnaire et à un
affrontement violent avec le fascisme98. Deuxièmement, après avoir vaincu sur le
plan idéologique, entamer la seconde phase de la bolchevisation :
« Ainsi, dans une atmosphère de sérénité et de force intérieure, commence la
deuxième phase de la bolchevisation. Renforçant son appareil et son
organisation, le parti bolchévisé, bolchévisera le prolétariat et les masses
travailleuses de la France et des colonies. »99
Pour la première fois dans la jeune histoire du PCF, un congrès national marque une
continuité avec la période précédente, tant sur le plan de l’équipe de direction que
sur celui de la ligne politique. Malgré cette apparente permanence, les reproches du
Présidium de l’IC sur la définition du fascisme et sur la ligne politique démagogique
engendrent une série de mises au point et de réajustements. Les mots d’ordre jugés
en décalage avec la situation réelle du pays disparaissent, pour être remplacés par
une cascade de nouveaux « mots d’ordre d’action immédiate »100, censés mieux

94
Il est constitué de : Titulaires : Semard, Treint, Suzanne Girault, Sellier, Cachin, Doriot, Maranne,
Cremet, Vaillant-Couturier, Renaud Jean, Marty, Sauvage, Costes, Desusclade, Calzan, Garay, Rieu,
Dupuis, Lozeray, Ben Semain, Marguerite Faussecave, Chasseigne, Gourdeaux, Jacob, Midol,
Demusois, Rabaté, Berrar, Kirsch, Castel, Cadeau, Thorez, Fromage, Freidrich, Barré, Carlier.
Suppléants : Péri, Reynaud, Peiraudeau, Cat, Fayet. Délégué au CC : Barbé, Ferrat (jeunesses),
Dormans (pupilles), Berlioz (Bureau latin). L’Humanité, n° 7742, 23 janvier 1925, p. 1.
95
Henri Jacob (1896-1976) : Ouvrier tisseur. Militant syndicaliste et communiste. Membre du CD du
PCF depuis 1922.
96
Jean Cremet (1892-1931) : Ouvrier chaudronnier. Militant syndicaliste, socialiste puis communiste.
Secrétaire fédéral de la Loire-inférieure depuis 1922.
97
Treint A, « La congrès de bolchevisation du PCF », art. cit.
98
« Il est probable que la campagne pour les élections municipales du 3 mai 1925 se déroulera dans
une atmosphère de violences fascistes. », Ibid., p. 114.
99
Ibid., p. 114.
100
« 1) Organisation des masses pour la lutte contre la vie chère. Contrôle ouvrier et paysan des prix
et des marchés. 2) Lutte pratique des masses pour les huit heures. Interdiction au patronat de
licencier un seul ouvrier tant que la journée de 8 heures n’est pas effectivement appliquée. […] 3)
Organisation de la lutte politique et de la lutte défensive armée des masses contre le fascisme.
Désarmement et dissolution des organisations fascistes. 4) Lutte contre la colonisation de la France et
de l’Europe par le capital anglais et américain ; lutte contre le plan Dawes et son extension en
France. » Ibid.
306
correspondre à la situation et favoriser la liaison du parti avec les ouvriers. Ils ne
découlent pas plus que les anciens d’une réflexion collective sur la conjoncture
politique et économique mais de nouveau d’une construction arbitraire. Pour justifier
le revirement tactique, Treint affirme qu’en huit jours la situation a changé, rendant
les anciens mots d’ordre inopérants :
« Il a fallu des mots d’ordre précis pour à la fois souligner la vague de
démagogie fasciste et socialiste et présenter devant les masses le Parti
communiste sous son véritable jour. Ce but a été atteint par les mots d’ordre
lancés. […] Mais quant la lutte anticommuniste s’est atténuée, il aurait fallu
tout de suite, tout en maintenant ces mots d’ordre d’orientation, mettre au
premier plan des mots d’ordre susceptibles de grouper les masses pour
l’action immédiate dans une atmosphère déjà moins chargée d’électricité
politique. Nous avons changé notre tactique huit jours après que la situation
était changée. »101
Ces quelques lignes témoignent de sa conception mécanique de la propagande et
du rôle de l’agitation parmi les masses. En outre, elles cachent mal son embarras
face à l’échec complet des appels révolutionnaires et face aux difficultés pour
toucher les ouvriers, hors du cercle restreint des militants communistes. Il apparaît
plus facile d’accuser le parti de manque de flexibilité et de réactivité, que de remettre
en cause une analyse générale de la situation que le congrès national vient
d’approuver.
Concernant la définition et la tactique de lutte contre fascisme, Treint procède
également à une série de rectifications qu’il justifie par « l’atténuation mouvementée
de la lutte anticommuniste »102. Selon lui, la situation reste potentiellement
révolutionnaire à courte échéance, du fait de la crise économique, du développement
des luttes coloniales et de la faillite politique et économique du Bloc des gauches. Le
fascisme, instrument de la bourgeoisie pour lutter contre le PCF dans cette période
d’instabilité, poursuit son développement. Seulement, il est désormais soutenu plus
discrètement par la bourgeoisie qui tente d’apaiser la situation et de permettre un
retour à la stabilité politique. Dans la série d’éditoriaux103 que fait paraître Treint fin
janvier, début février, les accusations de collusion entre anarchisme, social-

101
Treint A, « Le fascisme en France », Cahiers du Bolchevisme, n° 11, 30 janvier 1925, p. 695.
102
Ibid., p. 694.
103
Voir notamment Treint A, « Réforme électorale et fascisme », « Debout contre le fascisme en
action », l’Humanité, n° 7746 et 7749, 27 et 30 janvier 1925, p. 1.

307
démocratie et fascisme disparaissent, de même que les appels à combattre
prioritairement les forces politiques du Bloc des gauches. Seul un article, concernant
la préparation des élections municipales fait exception104. Il exhorte le parti à se
préparer à répondre aux violences fascistes inévitables lors de la campagne des
élections municipales qui se déroulera dans « un climat de guerre civile »105. Sur ce
point, il réitère ses allégations sur l’alliance du Bloc des gauches et du fascisme pour
lutter contre la menace électorale que fait peser le PCF :
« Ensuite, partout où le communisme menacera sérieusement la grande
bourgeoisie, Bloc des gauches et fascisme s’uniront contre lui, […]
Cependant, contre la montée des forces prolétariennes, fascisme et Bloc des
gauches, qui sont deux formations de la bourgeoisie, ne peuvent que s’unir
contre les communistes. »106
Malgré toutes les critiques et le rejet quasi-unanime, de la base du PCF au sommet
de l’IC, de sa définition du fascisme, il défend une nouvelle fois cette idée.
Cependant, il le fait dans le seul cadre de la revue théorique et en prenant soin
d’apporter certaines nuances. Il n’est question que d’alliance du fascisme et de la
social-démocratie et non plus d’unité idéologique entre ces deux forces politiques.
Cette distinction, qui peut sembler anecdotique, annonce pourtant un nouveau
tournant dans le discours du parti et une prise de conscience des erreurs théoriques
des mois passés.
Cette prise de conscience progressive se retrouve, dans une moindre mesure,
sur le plan des méthodes de direction et de réorganisation. Première étape, le BP
tente de remanier la direction politique de l’Humanité pour remédier à la
désorganisation du journal et à la baisse du nombre de lecteurs. Le principe de la
réorganisation du quotidien a été pris dès le printemps 1924. Au cours de l’année, de
nombreux anciens rédacteurs ont démissionné ou ont été exclus et remplacés par
des hommes proches de « la gauche »107, avec un résultat catastrophique et une
baisse du nombre de lecteurs. Treint a beau clamer que l’Humanité est désormais
dans la ligne du parti108, il doit reconnaître à mot couvert que le journal perd des

104
Treint A, « Les élections municipales », Cahiers du Bolchevisme, n° 13, 13 février 1925, p. 785-
790.
105
« Dans la région parisienne notamment, il est à prévoir que les élections municipales se
dérouleront dans une atmosphère d’escarmouches, de guerre civile, et il faut penser dès maintenant à
la protection de nos réunions par un service d’ordre prolétarien. », Ibid., p. 786.
106
Ibid., p. 785-786.
107
Cf. supra.
108
Treint A, « Une Droite dans l’Internationale Communiste, une Gauche dans Amsterdam », Bulletin
Communiste, art. cit., p. 988-989.
308
lecteurs109 et connaît des difficultés financières. A la première séance du BP110,
nommé suite au congrès de Clichy, Gouralski intervient pour fustiger la « pauvreté »
du quotidien et le manque de suivi des campagnes politiques111. On décide de
modifier le comité de rédaction ― désormais composé de Cachin, Treint et Lozeray
― et d’améliorer la liaison entre le BP et le comité de rédaction en retirant la
direction politique du journal à Calzan, pour la remettre à Treint. Quelques semaines
après, il part en délégation dans le nord de la France, puis en Tchécoslovaquie,
avant de rejoindre Moscou. Il n’exerce donc plus son rôle de directeur politique,
remis provisoirement entre les mains de Lozeray112 et Gabriel Péri. Tout au long de
l’année 1925, le problème de la direction politique du journal revient au BP. Par deux
fois, Treint se voit de nouveau désigné, avec Doriot et Semard, mais n’exerce jamais
cette fonction plus de quelques semaines. Il faut attendre l’année 1926 pour que la
direction politique du quotidien se stabilise quelque peu113.
La direction fait face à une première fronde de la base concernant les
mesures décidées au congrès de Clichy, dans le cadre de la deuxième phase de la
bolchevisation. Le plan adopté prévoit une hausse des cotisations des adhérents,
refusée dans les cellules. Au BP114, Gouralski soulève ce problème et demande que
« le parti batte en retraite » et organise une discussion, avant d’arrêter une décision.
Treint suit cet avis, en soulignant la gravité de la situation :
« La question des cotisations démontre que le contact est rompu entre la
direction et la masse des adhérents puisque le congrès de Clichy avait adopté
à l’unanimité les propositions faites en accord avec Dupont (Gouralski) »115.
Lors du BP suivant116, Ilbert déclare que la base proteste contre le fait de n’avoir pas
été consultée alors même qu’elle doit faire face aux difficultés occasionnées par la
réorganisation en cellule. Cette situation impose de modérer les cotisations, si le
parti ne veut pas perdre d’adhérent. Seul Sauvage, au nom du BO, et Suzanne

109
Dans leur « Lettre aux membres du parti » Monatte, Rosmer et Delagarde dénoncent les
mensonges de Treint sur l’augmentation du tirage de l’Humanité, qui a en réalité chuté. Dans sa
réponse, le BP répond que « le tirage est sensiblement égal à celui de l’an dernier » et dédouane
Treint de son affirmation mensongère.
110
P-V du BP du PCF du 25 janvier 1925, BMP 95.
111
Il souligne que la rubrique de « la vie du parti » n’est pas utilisée à bon escient et qu’il faudrait
publier des textes d’intellectuels communistes, tel Barbusse ou Vaillant-Couturier.
112
Henri Lozeray (1898-1952) : Ouvrier typographe. Membre de la direction des jeunesses
communiste et spécialiste de la lutte anticolonialiste. Membre du CC du PCF.
113
Nous remercions Alexandre COURBAN pour les informations concernant les difficultés de
réorganisation de l’Humanité en 1925.
114
P-V du BP du PCF du 6 février 1925, BMP 95.
115
Ibid.
116
P-V du BP du PCF du 10 février 1925, BMP 95.
309
Girault rejettent cette vision pessimiste, cette dernière accusant même « la droite »
de mener sur ce sujet une campagne de déstabilisation de la direction. Le BP décide
néanmoins d’accorder des réductions, dans l’attente d’une discussion visant à faire
accepter le principe de la hausse des cotisations.
Enfin, le BP117 doit examiner la situation des régions nord et lyonnaise, toutes
deux en rébellion ouverte contre les méthodes des représentants de la direction,
respectivement Cadeau et Carlier118. Il décide d’envoyer Treint dans le Nord pour
tenter de corriger les fautes de Cadeau et poursuivre la lutte contre le dirigeant de la
région, Guy Jerram, qui conserve une attitude critique contre la direction. Concernant
Carlier, il se résout, sur proposition de Treint, à le déplacer, tout en envoyant une
résolution au comité de la Région lyonnaise approuvant la ligne politique défendue
par celui-ci119.
Comme en témoignent les délibérations, le BP prend progressivement
conscience du mécontentement des militants et de l’échec de ses méthodes de
direction. Mais en dépit d’appels à la négociation120 et à la conciliation, la majorité
réagit, dans un premier temps, en durcissant encore ses positions et en menant une
lutte d’appareil contre tous les opposants déclarés. Dans une lettre à Humbert-Droz,
Dunois121 évoque les brimades dont il est victime depuis son discours au congrès de
Clichy :
« On ne discute pas plus dans le Parti aujourd’hui qu’hier, parce que si on
pouvait discuter, si l’on pouvait abolir ce régime insupportable du silence dans
les rangs ! [souligné par l’auteur] Le règne des Treint et des Girault ne durerait
guère. […] On ne règne que par la terreur, l’intimidation et l’astuce. Je pourrais
te citer vingt faits. Voici le plus récent, qui précisément me concerne. A ma

117
Ibid.
118
Aimé Carlier (1901- . ) : Membre des Jeunesses communiste puis actif à Marseille puis dans la
er
région lyonnaise. Membre de la tendance de gauche. Le 1 juillet, le Comité de la région de Lyon
envoie au CE de l’IC une lettre déclarant, au sujet de Carlier : « Cet aventurier, aujourd’hui honni de
tout le monde, même des fonctionnaires qui le soutenait alors, individu taré dont nous ne pourrions
trop dépeindre ce qu’il est qu’en annexant à la présente un exemplaire de la motion de contrôle voté
contre lui par le congrès de la fédération des Bouches du Rhône à laquelle il appartenait. ». RGASPI,
517/1/295.
119
Dans leur lettre au CE de l’IC, les membres du Comité se moquent de cette décision : « [Carlier] fut
cependant défendu mordicus par le BP du parti, Treint ― son chef ― en tête. Semard, à une
conférence de rayon, succédant à une conférence précédente où une motion contre Carlier avait été
votée à la grosse majorité, refusa de reconnaître les fautes politiques de Carlier, et par bravade,
déclara que si le centre le retirait, c’est parce que son rôle était fini !! et qu’il allait être réutilisé
ailleurs. », Ibid.
120
Lors du BP du 10 février 1925, Gouralski demande « d’avoir une tactique bien mesurée » et de
« corriger au plus tôt les fautes commises ». BMP 95.
121
Lettre de Dunois à Humbert-Droz, 9 février 1925, IHS, fonds Souvarine.

310
cellule, j’ai conquis tout de suite la confiance des camarades. Le rayon m’a
chargé de faire devant les futurs propagandistes une douzaine de "conférence
d’éducation" […] Dès que le centre eut appris la chose, il convoqua (avant
hier) les délégués du rayon pour leur savonner les oreilles. Défense de me
laisser enseigner. »
Il raconte également comment on lui a retiré la direction des éditions du parti, en le
maintenant à un poste subalterne. Ce récit est corroboré par une lettre envoyée au
CE de l’IC par 80 membres du parti122, décidés à faire entendre leur voix. Ils dressent
la liste des manœuvres d’intimidation dans les assemblées du parti, les sanctions qui
s’abattent depuis un an sur ceux qui tentent de « discuter » les décisions du BP. Fort
de ce constat, ils mettent en garde contre le danger d’avoir une direction non
contrôlée par la base, qui ne respecte plus les statuts qu’elle a fait voter, risquant à
terme de tuer toute vie politique dans le parti.
Pendant plusieurs mois, la direction ne tient pas compte de ces
avertissements et, en plus de la lutte d’appareil, relance dans la presse la campagne
contre « la droite »123. Dans les assemblées124, les partisans de la direction étouffent
les voix dissidentes. Dans le même temps, ils continuent à présenter des bilans
flatteurs de leur action, particulièrement sur la question de la bolchevisation. Au BP,
plusieurs membres admettent qu’une majorité des cellules n’existe que sur le papier,
que le parti est en proie à la désorganisation et que la direction centrale fonctionne
mal. Dans leur lettre, les « 80 », font écho à ces appréciations et soulignent
l’impossibilité de poursuivre la réorganisation selon les modalités appliquées
jusqu’alors125. Au contraire, au nom du BO et de la direction, Sauvage présente, lors
de la conférence d’organisation de l’IC, un rapport sur la réorganisation faisant
exclusivement état des succès126. Il retrace le travail accompli depuis le début de
l’année 1924, pour conclure, qu’à la date du 1er mars 1925, 2500 cellules d’usine

122
Lettre des 8O au CE de l’IC, 14 février 1925, RGASPI, 517/1/294.
123
Tout au long de l’année 1925, la direction multiplie dans les Cahiers du bolchevisme les attaques
contre Loriot, désormais qualifié de chef de la droite « révisionniste » et « social-démocrate ».
124
Lors de la séance du 8 février 1925 de l’assemblée de la fédération de la Seine, Loriot et Dunois
sont sans cesse interrompus et insultés, notamment par Treint. Voir le compte rendu paru dans
l’Humanité, n° 7759, 9 février 1925, p. 1.
125
« L’Exécutif actuel prendrait une lourde responsabilité s’il affirmait que la bolchevisation des partis,
la réorganisation de ceux-ci sur la base des cellules d’usine, leur constitution, la forme et le rôle de
leur bureaucratie, leur activité propre dans le cadre du parti communiste mondial, sont des questions
épuisées sur lesquelles il n’y a pas revenir ». Lettre de Loriot à Zinoviev, 14 février 1925, RGASPI,
517/1/294.
126 ème
Rapport de Sauvage lors de la 2 séance de la conférence d’organisation de l’IC, La
Correspondance Internationale, n° 24, 27 mars 1925, p. 183-184.
311
fonctionnent127. Selon lui, la refonte de l’organisation a été accomplie avec facilité et
ses effets bénéfiques se font sentir, avec un développement de la vie politique à la
base et une meilleure liaison avec le milieu ouvrier128. Ainsi, la délégation qui se rend
à Moscou, pour participer à l’Exécutif Elargi de mars-avril 1925, s’enferme dans ses
certitudes et continue de voir, dans les critiques qui se multiplient, une lutte
idéologique de « la droite social-démocrate » contre l’esprit du communisme.
Avant l’Exécutif Elargi, Treint se déplace fréquemment et participe peu aux
délibérations du BP129 et des autres organismes directeurs du parti. Il part en
déplacement dans le nord, avant de se rendre en Allemagne puis en
Tchécoslovaquie, pour intervenir dans une série de conférences, au nom du CE de
l’IC130. Après un rapide séjour en France, pour préparer la campagne des élections
municipales ― Treint est candidat dans le 14ème arrondissement de Paris ― il rejoint
Moscou. La délégation française au 5ème Plénum de l’Exécutif Elargi est l’une des
plus fournies et comprend notamment Semard, Doriot, Cachin, Suzanne Girault,
Thorez, Marty, Rabaté131, Jacob, Alloyer132. La question française ne se trouve pas
au centre des préoccupations de l’IC et ne fait l’objet ni d’une commission spécifique,
ni même d’une résolution. Concernant l’organisation des travaux, Treint participe à la
commission d’agit-prop et à la commission tchécoslovaque133. En séance plénière, il
prononce un discours sur la bolchevisation du PCF et un second sur la lutte contre le
trotskysme dans l’IC et dans le PCF134. Ses deux principaux discours bilans se
caractérisent par le satisfecit adressé à lui-même et à la tendance de « gauche ». La
commission sur l’agit-prop étudie les résultats des premières expériences de
changement de la pratique de l’agitation, le 5ème congrès ayant décidé la rupture
avec les méthodes issues du socialisme135. Treint expose les progrès réalisés depuis

127
En réalité, ce chiffre est très largement surestimé et prend en compte de nombreuses cellules qui
n’existent que sur le plan administratif. Voir JEDERMAN, op. cit., p. 48-49.
128
Dans La Correspondance Internationale, Marrane dresse un tableau identique de la réussite de la
bolchevisation organisationnelle, n° 9, 7 février 1925.
129
Entre le 13 février et le 14 avril 1925, Treint n’assiste qu’une seule fois au BP, BMP 95.
130 er
Voir le discours prononcé par Treint, le 1 mars 1925 à la conférence de l’organisation de Prague,
er
Cahiers du Bolchevisme, n° 16, 1 avril 1925, p. 998-1002. En novembre 1924, Treint était déjà
intervenu, au nom de l’Internationale, lors du congrès national du parti communiste tchécoslovaque.
Voir La Correspondance Internationale, n° 75, 11 novembre 1924.
131
Octave Rabaté (1899-1964) : Ouvrier mécanicien, secrétaire des jeunesses communiste et
secrétaire de la fédération unitaire des métaux (CGTU)
132
Robert Alloyer (1900-1935) : Ouvrier typographe. Militant des jeunesses communistes puis
membre de la Commission centrale de contrôle politique.
133
« Nomination des commissions », La Correspondance Internationale, n° 30, 4 avril 1925.
134
Cf. supra.
135
TARTAKOWSKY D, op. cit., p. 64-65.
312
la création en France d’un « appareil central de propagande et d’agitation »136, tant
sur le plan de l’éducation des cadres que de l’agitation en milieu ouvrier. Il propose
en conclusion un projet de réorganisation visant à développer cet appareil et
remédier à la surcharge de travail. Dans son deuxième discours137, prononcé en
séance plénière, il dresse un tableau général de l’activité politique du PCF depuis le
5ème congrès de l’IC. Sur tous les chantiers de réforme déterminés par l’IC, neuf mois
plus tôt, le PCF a, selon lui, réalisé des progrès notables. Il dresse la liste de toutes
les campagnes menées sur le plan de la lutte pour l’unité syndicale, pour la création
de CUP, contre la politique coloniale de l’Etat français, pour les revendications
immédiates du prolétariat. Sur le plan intérieur, l’éducation doctrinale des militants
s’améliore138 et, grâce à la création des cellules d’usine, le parti se lie efficacement à
la classe ouvrière française. De même, il existe désormais une « liaison étroite »
avec la main d’œuvre étrangère et avec les paysans. Il note néanmoins un certain
nombre de « difficultés » concernant la liaison entre les différents organes, la vie
politique des cellules d’usine139, la faiblesse de la province, l’agitation dans le milieu
paysan ou chez les ouvriers étrangers. Ces quelques réserves, qui contredisent le
discours tenu plus haut, ne semblent pas le déranger, puisqu’il déclare, en
conclusion, que le PCF a réussi en quelques mois une mue complète et qu’il est
désormais un véritable parti léniniste.
Concernant le cas du PCF, la principale question traitée, en dehors du bilan
de la bolchevisation, concerne les relations entre le PCF et la CGTU140. Le
rapprochement entre les deux organisations, prévu depuis 1923, connaît un coup
d’arrêt. Les dirigeants de la centrale syndicale rejettent les mots d’ordre de la
direction du PCF ainsi que la campagne pour l’unité syndicale, jugée
« liquidationniste » et déraisonnable. A cela vient s’ajouter l’absence de concertation
entre les deux directions et les mauvaises relations personnelles entre
Monmousseau et Suzanne Girault141. Après discussion, les deux directions décident
de se réunir à nouveau, les principaux dirigeants de la CGTU devant adhérer au parti

136
Discours du 2 avril 1925, RGASPI, 495/163/103.
137
Compte rendu du discours dans l’Humanité, n° 7808, p. 3, dans La Correspondance Internationale,
n° 32, 8 avril 1925. Voir aussi RGASPI, 495/163/123.
138
Il reprend ici son discours devant la commission d’agit-prop.
139
« En ce qui concerne les cellules elles vivent, elles perçoivent les cotisations de leurs membres et
c’est déjà le signe qu’elles vivent, elles développent une bonne activité technique dans l’usine, elles
utilisent les moyens techniques de propagande d’une tout à fait bonne façon, mais leur activité
politique est encore faible et doit être développée. », Ibid.
140
Voir Carnets Cachin, op. cit., p. 244-245.
141
Voir la correspondance entre Treint et Suzanne Girault, RGASPI, 517/1/161.
313
et participer aux travaux du BP. Exception faite de cette question où l’Internationale
fait directement pression, le PCF est plutôt bien traité, voir érigé en modèle dans les
discours de certains dirigeants142. Mais derrière ces apparences, la direction de l’IC
s’inquiète du développement de l’opposition, des méthodes toujours aussi brutales et
des généralisations théoriques143 de Treint, qui poussent le parti dans la voie de
l’aventurisme et du repli sectaire. A partir du mois d’avril, les représentants de
l’Internationale144 se succèdent à Paris, pour infléchir la ligne politique et corriger les
fautes dont les effets se révèlent désastreux. Le soutien dont Treint, Suzanne Girault
et la « gauche » en général ont joui depuis 1924 s’évanouit, suscitant de nouveaux
conflits. Le langage d’autosatisfaction, tenu par la délégation française à l’Exécutif
Elargi, n’est plus de mise dès le retour en France. Les difficultés et les échecs
s’additionnent, révélant que le PCF s’enfonce, une fois de plus, dans une grave crise
interne.

142
Voir le rapport de Manouilski sur la situation du PC Tchécoslovaque. Cité dans les Carnets Cachin,
op. cit., p. 243.
143
Dans son discours sur la bolchevisation du PCF, Treint a encore une fois affirmé que la crise en
France était imminente et qu’il fallait se préparer à l’action révolutionnaire. Il a également répété que
l’on assistait à une « fascisation » de la social-démocratie. RGASPI, 495/163/123.
144
Gouralski, Humbert-Droz puis Manouilski.
314
B/ Crise du parti et luttes de tendances.

1) Reculs et échecs.

A trois mois des élections municipales, Treint fait état des excellentes
perspectives qu’offre la campagne électorale et notamment de la possibilité de
conquérir « un grand nombre de municipalités de la banlieue rouge »145. Dans le
même temps il assure que, face à cette menace communiste, la bourgeoisie
s’organise et arme les milices fascistes, puis met en garde contre « l’atmosphère
d’escarmouches de guerre civile » qui régnera dans les semaines à venir. Face à ce
risque, il appelle le PCF à se préparer à répliquer par la violence et à organiser « un
service d’ordre prolétarien » pour protéger les réunions communistes. Sur le plan de
la tactique électorale, il annonce le maintien d’une ligne intransigeante à l’égard des
autres forces politiques de la gauche. Les candidats de la liste du Bloc ouvrier et
paysan ne pourront s’allier au second tour qu’avec les candidats acceptant le
programme de revendications immédiates du PCF. Celui-ci comporte une série de
propositions difficilement acceptables par un candidat socialiste ou radical, ce qui
garantit, dans l’esprit de Treint, que le parti ne tombe pas dans l’électoralisme et la
compromission avec une social-démocratie « en voie de fascisation ».
Au BP, Treint n’est pas seul à considérer que le parti doit se préparer à faire
face aux menaces de violences fascistes qui ne manqueront pas de se produire.
Doriot travaille activement à la création d’un service d’ordre dans les jeunesses146,
susceptible de faire office de « groupe de combat », face aux militants des ligues
nationalistes. Le BP pose la question de la constitution d’un service d’ordre,
notamment après l’expulsion de militants communistes, lors d’un meeting organisé
par la Ligue des patriotes, au gymnase Japy147. La direction renforce
progressivement le petit noyau autour de membres des jeunesses communistes et
constitue une garde armée, prête à faire face à une bataille de rue. A plusieurs

145
Treint A, « Les élections municipales », Cahiers du Bolchevisme, n° 13, 13 février 1925, p. 785.
146
Voir note de surveillance du PCF du 22 janvier 1925. Ce document fait état de la volonté des
communistes de se procurer des armes, mission confié à Treint. AN, F7 12897.
147
Sur l’incident, voir Treint A, « Debout contre le fascisme en action », l’Humanité, n° 7749, 30 janvier
1925, p. 1. Au BP du 10 février, Doriot demande de tirer les leçons de cette expulsion et d’améliorer le
service d’ordre, BMP 95.

315
reprises, militants communistes et membres de ligues en viennent aux mains lors de
rassemblements, renforçant une haine attisée par les dirigeants des deux camps qui
s’accusent réciproquement d’être responsable des violences. Finalement, le 23 avril
1925, le « service d’ordre » du PCF, dirigé par Chasseigne, tente d’empêcher la
tenue d’un meeting des Jeunesses patriotes, rue Damrémont. La rencontre des deux
groupes tourne à l’affrontement et les militants communistes font usage de leurs
revolvers, tuant quatre militants nationalistes et en blessant plusieurs autres. Le
lendemain, la presse quotidienne condamne unanimement la violence des
communistes et des voix s’élèvent pour demander l’interdiction du PCF148. La
direction se montre plutôt embarrassée. A quelques jours des élections municipales,
cet incident risque de lui faire perdre des voix dans la classe moyenne urbaine, mais
aussi chez les ouvriers de province. L’Humanité du 24 avril sort avec un simple filet
annonçant l’incident mais aucune explication149. Le 25 avril, le quotidien du parti
publie enfin un appel du CC déclarant que le parti continuera à se défendre, ainsi
qu’un éditorial dans lequel Treint150 explique que les fascistes sont les seuls
responsables des violences, qu’ils avaient préméditées et que le PCF leur a donné
une « rude » leçon151. Quelques jours après152, il présente une version quelque peu
différente des faits, en accusant cette fois-ci le gouvernement d’avoir introduit des
agents provocateurs dans les rangs du PCF et dans ceux des Jeunesses patriotes
pour provoquer une altercation et mener campagne contre la violence des
communistes153. Ces explications maladroites et insuffisantes ne peuvent justifier
que des jeunes inexpérimentés et impulsifs se soient trouvés en possession d’armes
à feu. Dans une seconde lettre adressée au CE de l’IC154, des opposants soulignent
la responsabilité politique écrasante de la direction dans le déroulement des faits :

148
COURTOIS S, LAZAR M, op. cit., p. 92.
149
Selon Marty, ce silence s’explique par l’embarras de la direction. Dans une lettre à Zinoviev, il
affirme par ailleurs que le PCF a été victime d’une provocation orchestrée par le gouvernement. Il
souligne l’erreur d’avoir envoyé des « jeunes exaltés » plutôt que des militants « maîtres d’eux ».
Lettre de Marty à Zinoviev, 3 mai 1925, RGASPI, 517/1/272.
150
Treint A, « Partout les mêmes ! », l’Humanité, n° 7834, 25 avril 1925, p. 1.
151
« Le fascisme a voulu la bataille préparée par lui contre les communistes. Il l’a eue. Il n’a pas
trouvé devant lui les seuls communistes. Il a trouvé avec les communistes, le prolétariat, les petits
travailleurs, artisans et boutiquiers, qui entendent bien ne pas se laisser terroriser par les
"mussolinistes" d’ici. », Ibid.
152 er
Treint A, « Le sens du 1 mai 1925 », l’Humanité, n° 7839, 30 avril 1925, p. 1.
153
Dès années après, il aurait affirmé à Georges Valois ― militant de la droite nationaliste en 1925 ―
être responsable des évènements et avoir poussé les jeunes communistes à utiliser la violence, dans
le but de créer une atmosphère de guerre civile qu’il prédit depuis plusieurs mois. Voir La coopération
culturelle, n° 9, juillet 1938, p. 13.
154
« Lettre des 130 », 11 mai 1925. Elle fait suite à la lettre des 80. RGASPI, 517/1/294.
316
« Ce qui s’est passé le 23 avril fut une faute politique lourde dont les
conséquences pèseront longuement sur la Parti français. Mais ce serait une
faute plus lourde encore que de considérer le fait isolément et de ne voir en lui
qu’un accident. C’est au contraire l’aboutissement normal, la conséquence
directe des méthodes d’organisation, d’éducation et de propagande, employée
par une direction qui, trop longtemps, a joué au petit jeu de la guerre civile et
de l’illégalité. »155
Au soir du premier tour des élections municipales156, les résultats montrent que la
grande majorité de la population rejette l’utilisation de la force contre les adversaires
politiques. Les évènements de la rue Damrémont ne suffisent cependant pas à
justifier l’ampleur du recul électoral.
D’un avis général, l’échec électoral s’explique avant tout par la faiblesse d’un
parti totalement désorganisé à la base et les méthodes centralisées et
administratives de la direction qui ôtent toute initiative aux cellules. Le BP, sans
consulter la base, intervient dans la désignation des candidats et modifie la tactique
sans même ouvrir une discussion au CC. La commission d’agit-prop fait parvenir aux
rayons des « brochures massives, indigestes, coûteuses, que personne n’acheta,
que personne ne lut »157. Suite à un rapport de Cat158, soulignant que le parti n’est
pas prêt à affronter les élections, le BP159 décide que contrairement aux affirmations
précédentes de Treint, les candidats communistes se désisteront, en cas de menace
de victoire « fasciste », en faveur des socialistes. Ce revirement tactique, décidé
sans aucune concertation ni la moindre explication contribue à démobiliser une base
décontenancée par les directives contradictoires de la direction. De son côté Marty,
qui participe activement à la campagne en tant que propagandiste, signale un certain
nombre de dysfonctionnements et un manque d’organisation du centre160. Les
meetings manquent de préparation et les orateurs sont envoyés, en dépit du bon
sens, dans des régions éloignées géographiquement. Pour lui aussi, le manque de

155
Ibid.
156
Au soir du premier tour, la liste du Bloc ouvrier et paysan ne compte que deux élus à Paris et
conserve quelques bastions en Banlieue (Bobigny) et en province (Douarnenez). Voir l’Humanité, n °
7842, 4 mai 1925, p. 1-2.
157
Voir « la lettre des 130 », Ibid., ainsi que « Lettre des 250 », Cahiers du Bolchevisme, n° 35, 15
janvier 1926, p. 146. Ces brochures ont été rédigées et envoyées par la Commission centrale d’agit-
prop, autrement dit sous la responsabilité directe de Treint.
158
Catulle Cambier dit Victor Cat : Membre de la Commission municipale centrale.
159
P-V du BP du PCF du 17 mars 1927, BMP 95.
160
Lettre de Marty à Zinoviev, 3 mai 1925, RGASPI, 517/1/272.
317
sens politique des « bureaucrates » du centre et la centralisation excessive
expliquent la mauvaise préparation de l’élection.
Au soir du 3 mai 1925, la plupart des leaders communistes, battus se
désistent au profit de socialistes ou de radicaux pour sauver le parti d’un naufrage
électoral et conserver quelques municipalités161. Treint, qui se présentait dans le
quartier Plaisance (14ème arr. de Paris) arrive en deuxième position, derrière le
candidat de la SFIO162. Jusqu’alors, dans la presse du parti, il accusait les socialistes
de faire le jeu du fascisme163, voire de se « fasciser ». Le voici forcé, en contradiction
complète avec ses propos antérieurs, d’appeler à voter pour le candidat socialiste :
« Vous êtes 5200 travailleurs qui vous êtes prononcés pour M. Grangier,
candidat socialiste dans le quartier Plaisance. […] M. Grangier n’a pas hésité
dans une affiche de dernière heure à représenter le candidat communiste
comme « ayant offert son épée à la Pologne blanche »164. Malgré cela, vous
êtes encore 5200 travailleurs qui avez encore l’illusion que le parti socialiste
peut dans une certaine mesure défendre vos intérêts. Eh bien, pleinement
d’accord avec mon parti, ma candidature sera retirée, puisqu’à Plaisance, le
parti communiste arrive derrière le parti socialiste. »165
Grâce à l’apport des voix socialistes et radicales, le PCF réussit à limiter le
recul et remporte finalement quelques municipalités supplémentaires dans « la
ceinture rouge » de Paris166. Mais les résultats ne ressemblent pas au raz-de-marée
communiste annoncé par Treint dans la région parisienne, puisque par rapport à
1924, il perd près de 30% de voix. En province il demeure inexistant sur le plan
électoral167. En février, Treint avait affirmé :

161
Notamment Semard ou Suzanne Girault. Celle-ci ne pouvait cependant être élue.
162
Treint (BOP) : 4493 voix ; Grangier (SFIO) : 5520 voix ; Gérard (Bloc national) : 3939 voix ;
Doignon (Bloc des gauches) : 2006 voix. L’Humanité, n° 7842, 4 mai 1925, p. 2.
163
« Le prolétariat se servira de toutes ses armes pour lutter contre ses ennemis de classe. […] Le 3
mai, en se serrant autour de leur parti communiste, les travailleurs des villes et des champs peuvent
obliger le trio Briand-Caillaux-Painlevé à rentrer ses griffes pour un instant. Ils se sépareront des chefs
cartellistes : radicaux socialisant et socialistes embourgeoisés, fourriers du fascisme. » Treint A,
« Premier mai, 3 mai, 10 mai », l’Humanité, n° 7841, 3 mai 1925, p. 2.
164
Référence au passé militaire de Treint.
165
Treint A, « Les électeurs de M. Grangier », l’Humanité, n° 7843, 5 mai 1925, p. 1.
166 ème
« On ne maintient au 2 tour, que le petit nombre de candidats et de listes que l’on espérait faire
passer, grâce à l’appoint des voix de gauche. Partout ailleurs, nos candidats et nos listes furent
retirés, et le mot d’ordre fut donné de battre le réactionnaire, donc de voter pour le cartelliste. Grâce à
cet opportunisme inopiné, nos sept élus parisiens purent être sauvés, et même on réussit à en obtenir
un huitième. », « Lettre des 130 », RGASPI, 517/1/294.
167
Le PCF, grâce aux désistements, remporte six élus supplémentaires à Paris ainsi que les
municipalités de Malakoff, Ivry, Clichy, Villejuif, Vitry, Gennevilliers, Bezons, Achères. Voir l’Humanité,
n° 7849, 11 mai 1925, p. 1-2.
318
« Le résultat des élections municipales nous [fournira] la vérification
expérimentale, non de notre ligne politique dont nous sommes sûrs qu’elle est
correcte, mais des détails de notre tactique. »168
Il ne peut être question de reconnaître le désaveu cinglant de la tactique à l’égard
des autres forces de la gauche, la direction s’attache donc à déterminer les causes
externes qui pourraient justifier, aux yeux de la base, la débâcle électorale et le
reniement de son propre discours.
Tous les intervenants, lors des BP, réunis après le premier tour des élections,
s’accordent à reconnaître un déficit d’organisation, et notamment l’absence de vie
politique dans les échelons intermédiaires. Suzanne Girault souligne le manque de
coordination au sommet169, de même que Cachin qui recommande l’ouverture d’une
large discussion et « d’écouter les critiques » des militants. Gouralski prononce un
réquisitoire contre « le centralisme excessif de la direction » et la campagne
détachée des revendications des ouvriers et trop axée sur la lutte contre le
fascisme170. Plus qu’un simple recul, il voit dans ces résultats une « faillite » du PCF.
La majorité des dirigeants français repoussent ce jugement, Semard allant jusqu’à
déclarer qu’étant donné le contexte politique, on doit « être satisfait des
résultats »171. Treint approuve cette position. Pour lui, le recul du parti s’explique par
une série de causes extérieures qui ne peuvent être imputées à la direction. Les
événements de la rue Damrémont ont éloignés « les masses inorganisées et la
classe moyenne du parti », la décision de la direction du KPD de maintenir son
candidat au second tour des élections présidentielles allemande n’a pas été
comprise172. La seule faute politique du parti est de n’avoir pas su ajuster ses mots
d’ordre aux attentes des ouvriers. Sur le plan technique, il reconnaît une campagne
organisée tardivement du fait de l’absence de nombreux cadres délégués à l’Exécutif
Elargi et les défaillances de l’organisation173. On le charge d’écrire, pour les Cahiers
du Bolchevisme174, un article reprenant cette analyse et annonçant la décision de
consulter la base et d’ouvrir une tribune de discussion. Il prend soin de fixer les

168
Treint A, « Les Elections municipales », art. cit., p. 786.
169
« Notre faute est de ne pas avoir su faire vivre les rayons. Nous devons donc faire disparaître la
ème
centralisation excessive, donner vie aux rayons et mettre debout l’organisation prévue par le 5
congrès. », P-V du BP du 6 mai 1925, BMP 95.
170
P-V du BP du 12 mai 1925, BMP 95.
171
Ibid.
172
Au deuxième tour, alors que Thaelmann, le candidat communiste, arrivait en troisième position
derrière un candidat du centre (Marx) et celui de la droite nationaliste, la direction du KPD l’a maintenu
favorisant la victoire de Hindenburg.
173
P-V du BP du PCF du 6 mai 1925, BMP 95.
174
Treint A, « Les problèmes les plus urgents », art. cit.
319
limites du droit de critique, qui doit s’inspirer « véritablement de l’intérêt du
mouvement prolétarien en même temps que de l’esprit communiste ». Ceci signifie
que la direction interdit de remettre en cause la ligne politique générale ainsi que le
principe de la réorganisation sur la base des cellules d’usine175, pourtant seules
véritables causes de la défaite électorale. Derrière une apparente volonté
d’ouverture, la direction se crispe sur ses positions, consciente qu’un débat en
profondeur, véritablement libre pourrait entraîner sa chute. Elle préfère invoquer la
menace de « la droite » pour justifier les sanctions qui continuent de s’abattre sur
tous ceux ― militant ou organisation ― qui réclament des changements en
profondeur et qui voient dans la défaite électorale la faillite de la direction.
En son sein, les divergences sur les remèdes à apporter à la crise, contribuent
à accentuer l’état de désorganisation interne. Les élections ont révélé, à ceux qui en
doutaient, que les cellules n’existent que sur un plan administratif, rendant
impossible la constitution des échelons intermédiaires. Il faut cependant encore
plusieurs mois avant que le BP ne prenne conscience de la nécessité de changer
ses méthodes de travail et n’instaure un peu plus de souplesse. Dès le lendemain
des élections, Gouralski pose la question des délégués du centre, envoyés en
province et incapables de travailler en bonne entente avec les militants locaux,
rompant ainsi le lien entre la base et la direction176. En septembre, après deux mois
de conflits et de tiraillements177, la question de la réorganisation revient au centre
des débats. Treint, qui s’est éloigné de la majorité sur plusieurs points, affirme
désormais que la crise s’explique par une conception fausse de l’organisation du
parti, du fait de la domination des organes administratifs sur les organes
politiques178. De son côté, Suzanne Girault défend le travail effectué par le BO
depuis sa création179 et accuse les organes politiques ― principalement la
commission d’agit-prop dirigée par Treint ― de ne pas faire vivre politiquement les
cellules et les rayons180. La discussion ne porte pas sur le principe même de la
réorganisation, mais sur les fautes commises au sommet et sur l’absence de

175
« Quant à ceux qui, même s’ils partent d’une base juste, critiqueraient pour tirer des conclusions
fausses et pour éloigner le Parti de la ligne politique du bolchevisme, ils seront impitoyablement
combattus par la masse du parti et par la direction. […] A ceux qui confondraient la normalisation avec
le retour à l’indiscipline et à l’activité fractionnelle, le Parti tout entier se chargera de donner pour
commencer l’avertissement le plus sévère. », Ibid.
176
P-V du BP du PCF du 26 mai 1925, BMP 95.
177
Nous y reviendrons.
178 er
P-V du BP du PCF du 1 septembre 1925, BMP 96.
179
Ibid.
180
P-V du BP du PCF du 17 septembre 1925, BMP 96.

320
coordination entre le secrétariat, le BP, le BO et les différentes commissions. Par la
voix de Suzanne Girault, le BO soumet de nouvelles propositions censées prolonger
l’œuvre de bolchevisation tout en rendant sa cohérence à l’organisation du parti. Elle
propose de créer les sous-rayons ainsi que les cellules de rue. Ces solutions
constituent un recul par rapport au modèle de réorganisation envisagé un an plus tôt.
Les sections territoriales devaient totalement disparaître pour être partout
remplacées par des cellules d’usine, seule base d’organisation du parti. Au mois de
mai, Treint affirmait qu’aucun retour en arrière n’était envisageable et que le parti
devait porter son effort sur la constitution des cellules d’usine181. Devant l’échec
flagrant de ces conceptions, le BO recule et préconise la création des cellules de rue.
Il s’agit de répondre à ceux qui réclament un retour aux anciennes formes
d’organisation. Cette revendication est explicitement formulée fin octobre, dans une
lettre signée par plus de 280 militants182 et envoyée au CE de l’IC. Ils dressent un
bilan catastrophique « d’une année de bolchevisation à outrance ». A travers une
série d’exemples, ils montrent que les cellules d’usine, constituées le plus souvent de
rattachés183, ne peuvent fonctionner correctement. La responsabilité en incombe
uniquement aux méthodes employées par de jeunes cadres ouvriers mal formés et
nommés par le centre184. En conséquence, ils rejettent le principe des cellules de rue
et des sous-rayons, considérant que seul un retour à la section territoriale et
l’application du principe du centralisme démocratique peuvent résoudre la crise
d’organisation.
Au sein du BP, beaucoup contestent l’utilité de ces nouvelles subdivisions
administratives qui risquent d’ajouter à la confusion et ne peuvent constituer une
réponse à l’échec des cellules d’usine185. Treint estime qu’on ne peut répondre au
« malaise » du parti par une nouvelle mesure administrative. Pour lui, seule une
meilleure formation politique des instructeurs chargés de mener la réorganisation en

181
Treint A, « Les problèmes les plus urgents », art. cit., p. 1196.
182
« La lettre des 250 », Cahiers du bolchevisme, n° 35, 15 janvier 1926.
183
Il s’agit de membres de la cellule ne travaillant pas dans l’entreprise.
184
« Le principe d’un appareil est loin d’être mauvais en soi. […] Mais l’appareil du PC français est
tout autre chose dans son essence et sa destination. Expression directe d’un bureau politique
omnipotent, il est au service, non du Parti, mais d’une fraction. Un népotisme éhonté a présidé à sa
formation, entraînant un gaspillage d’argent formidable. Pour devenir secrétaire, dactylographe,
propagandiste, instructeur, point n’est besoin d’avoir des aptitudes et de connaître la doctrine. Il suffit
"d’être dans la ligne", d’aller par le pays en chantant les louanges du Comité Central et de livrer
bataille à tous ceux qui ne marchent pas au pas ou n’observent pas le silence dans les rangs. », Ibid.
185
Cremet souligne notamment que les sous-rayons risquent d’être confondus avec d’autres
organismes du parti (CUP, commission syndicale). Chasseigne et Costes font également remarquer
que les sous-rayons ne pourront être constitués tant que les cellules fonctionnent mal. P-V du BP du
11 septembre 1925, BMP 96.
321
province permettrait de faire triompher les conceptions de la direction et de battre les
opposants à la réorganisation sur la base des cellules d’usine186. Semard soutient
cette position au contraire des membres du BO, derrière Suzanne Girault et
Sauvage, qui jugent que les instructeurs doivent se contenter de remplir leurs tâches
d’organisation. Ces divergences révèlent la rupture, au sein de la tendance de
« gauche », entre les tenants de la poursuite de la réorganisation grâce à un
renforcement de l’appareil et le maintien d’une discipline stricte dans l’organisation et
ceux qui, comme Doriot, Semard ou Treint voient dans la crise une lutte politique ne
pouvant être résolue par des mesures administratives. Après la conférence nationale
(18-20 octobre 1925), le BP décide d’écarter Sauvage du BO187 et Suzanne Girault
du secrétariat188 du parti. Il s’agit de donner aux militants un signal quant à la volonté
de changer de méthodes et d’ouvrir une véritable discussion politique. A la fin de
l’année 1925, l’unité de la « gauche léniniste », qui prétendait bolcheviser le PCF en
quelques mois et édifier une direction monolithique, se trouve mise à mal par des
divergences sur les solutions à apporter à la crise d’organisation. La faillite de la
réorganisation se double d’une incapacité à influencer les masses, comme l’ont
montré les résultats des élections mais aussi l’échec de la politique syndicale de la
« gauche ».
Après plusieurs mois d’incompréhension entre les directions du PCF et de la
CGTU, les délégués à l’Exécutif Elargi décident de renforcer la coordination entre les
deux organisations et de donner vie aux commissions syndicales189. Le 15 avril,
Monmousseau et Dudilleux190 participent au BP, réuni notamment pour discuter des
modalités de participation des représentants de la CGTU dans les instances du
PCF191. La pression de l’IC semble avoir fonctionné, les deux dirigeants syndicaux
acceptant de mener campagne pour l’unité syndicale et de faire travailler leurs
militants au sein des CUP. Sur ces deux points, la CGTU était jusqu’alors en

186
« L’erreur des camarades qui s’occupent de l’organisation est qu’ils posent le problème à côté. […]
Il faut d’abord résoudre le problème politique. Vous faites battre vos instructeurs sur une question
politique avec une base d’organisation, parce que vous ne leur apprenez pas le travail politique. Il est
indispensable que les instructeurs s’occupent d’abord de politique et ensuite d’organisation. », P-V du
BP du PCF du 17 septembre 1925, BMP 96.
187
Il est remplacé par Thorez, P-V du BP du PCF du 23 octobre 1925, BMP 96.
188
Semard est secrétaire du parti mais depuis 1924, il est secondé par Suzanne Girault qui prenait en
charge toutes les questions touchant à la réorganisation du PCF.
189
Les commissions syndicales regroupent les militants membres du PCF au sein d’un syndicat. Voir
l’intervention de Semard au CC du PCF du 16 avril 1925, RGASPI, 517/1/241.
190
Edouard Dudilleux (1881- . ) : Ouvrier imprimeur. Militant syndicaliste et communiste. Membre de la
commission exécutive et du bureau de la CGTU.
191
P-V du BP du PCF du 15 avril 1925, BMP 95.
322
désaccord avec le PCF192. En contrepartie, les dirigeants du PCF offrent plusieurs
places au CC à des membres du Bureau confédéral et des espaces supplémentaires
dans l’Humanité pour exposer les revendications immédiates de la CGTU. Malgré
cette apparente bonne volonté, la suspicion persiste. Les syndicalistes
révolutionnaires demeurent convaincus de la volonté des communistes de prendre le
contrôle de la CGTU. De leur côté, Suzanne Girault, Semard et Treint accusent le
bureau confédéral de déviation droitière et d’opposition à la bolchevisation du PCF et
à ses tentatives pour s’ancrer dans le monde de l’entreprise193.
Manifestation de l’absence de coordination et des divergences politiques, les
deux organisations se montrent incapables de préparer en commun les
manifestations du 1er mai, chacune ayant déjà arrêté ses propres mots d’ordre194.
Malgré cela, les deux dirigeants de la CGTU se disent satisfaits de la première
entrevue et participent aux travaux du BP. Mais contrairement à leurs attentes, ils ne
sont pas systématiquement invités aux séances et s’en plaignent195. Le 12 mai196, les
dirigeants des deux organisations se rencontrent à nouveau, en présence de
Gouralski, pour discuter de l’adhésion des militants syndicalistes et de la direction
unique pour les commissions syndicales. Monmousseau indique que, si la volonté de
rapprochement existe au sommet, la base de la CGTU reste réticente et défend son
indépendance à l’égard du parti communiste. Concernant l’adhésion des membres
de la centrale syndicale au parti, Il souligne la nécessité d’agir en souplesse et avec
discrétion pour ne pas heurter la base syndicaliste et provoquer une nouvelle crise
au sein de la CGTU. Ces pourparlers témoignent de l’ampleur des différends
séparant les deux organisations, un an et demi après la victoire des syndicalistes
communistes au congrès de Bourges, et des lacunes du PCF sur le plan du travail
syndical197.

192
La direction de la CGTU voyait dans les Comité d’unité prolétarienne (CUP), une volonté du PCF
de créer, sur le lieu de l’entreprise, une organisation concurrente du syndicat et sous son contrôle
exclusif.
193
En février 1925 Semard fait parvenir à la direction de l’IC un mémorandum insistant sur la
mauvaise volonté des dirigeants syndicaux à accepter la bolchevisation et l’activité du parti dans les
entreprises. Carnet Cachin, op. cit., p. 245.
194
P-V du BP du PCF, 15 avril 1925, BMP 95.
195
La lettre de Monmousseau est lue lors de la séance du BP du 6 mai 1925. Sauvage répond en
accusant les délégués de la CGTU de ne pas répondre aux convocations du BO et Treint ajoute que
l’initiative revient à la CGTU qui doit se déplacer « spontanément » chaque fois que la situation
l’exige. BMP 95.
196
P-V du BP du PCF du 12 mai 1925, BMP 95.
197
Au cours de la séance, Monmousseau déclare que « parfois les cellules du parti n’ont aucune
influence sur les syndicats et les camarades ne veulent pas que la CGTU soit trop proche du PCF.
Treint reconnaît alors l’absence de vie des fractions communistes au sein des syndicats et la
323
Depuis les actions contre l’occupation de la Ruhr, le PCF et la CGTU n’ont
plus mené de grande lutte en commun. L’intervention de l’armée française au Maroc
contre des insurgés dirigés par Abd-el-Krim permet de relancer la collaboration
autour de la lutte contre la politique coloniale de l’Etat français198. On constitue un
Comité d’action (CA) regroupant le PCF, la CGTU et l’ARAC199, avec pour objectif de
toucher les masses ouvrières par le biais de propositions d’action commune faites à
la SFIO et la CGT et des premiers congrès d’usines200. Rapidement, il apparaît que
cette coopération sincère ne peut s’instituer tant que des désaccords politiques entre
la direction du PCF et de la CGTU persistent. Le premier accrochage porte sur la
définition du rôle des CUP. Pour Suzanne Girault et Treint, ils doivent servir à
regrouper les « masses inorganisées ». Monmousseau rejette cette définition des
CUP, qui pourrait en faire à terme de nouvelles organisations syndicales contrôlées
par le PCF201. Il critique également les déclarations outrancières de Treint lors de
meeting sur la guerre du Maroc202. Pour la majorité des militants syndicalistes, cette
action politique ne peut servir de déclencheur révolutionnaire chez les ouvriers. A
cette divergence vient s’ajouter un différend sur les méthodes d’action du parti dans
les syndicats. Chasseigne et Thorez contestent le dirigisme de la direction qui
communique uniquement par le biais de circulaires. Cette attitude confirme, selon
eux, le manque de compréhension de la psychologie et des traditions de la base
syndicaliste203. Effectivement, devant les difficultés rencontrées pour mobiliser les
militants de la CGTU avec les mots d’ordre du PCF, la gauche du parti, autour de
Suzanne Girault, Sauvage, Desusclade204 et Treint, critique de plus en plus

nécessité de trouver des cadres communistes ayant une bonne « technicité syndicale » pour renouer
le dialogue avec la CGTU. Ibid.
198
Au printemps 1925, l’armée du chef rifain Abd-el-Krim attaque des postes de l’armée française
après avoir vaincu les armées espagnoles. En juillet 1925, le Maréchal Pétain organise une riposte
militaire franco-espagnole et engage 160000 soldats français dans des combats qui durent près d’un
an.
199
Voir P-V des BP du PCF du 22 et 26 mai 1925, BMP 95.
200
Les quelques CUP constitués ont élu des délégués qui se réunissent de juillet à septembre 1925
lors de congrès régionaux. Dans l’esprit des dirigeants communistes, ces assemblées doivent
constituer une première démonstration de l’unité ouvrière contre la guerre. Voir Treint A, « Le congrès
ouvrier », l’Humanité, n° 7887, 18 juin 1925, p. 1.
201
Suzanne Girault publie dans l’Humanité, un article rédigé en commun avec Sauvage et Treint,
laissant entendre que les CUP sont de nouveaux syndicats. Lors de l’Exécutif Elargi de février Mars
1926, Treint reconnaît que cet article était maladroit et qu’il n’était d’ailleurs pas destiné à être publié.
Séance de la commission française du 2 mars, RGASPI, 495/164/308.
202
« Dans son discours Treint a dit qu’il fallait faire comprendre aux masses que nous voulions la
défaite de l’impérialisme français. Il y a une démarcation à établir entre les mots d’ordre à lancer dans
les masses et la campagne à l’intérieur du parti. », P-V du BP du PCF du 7 août 1925, BMP 95.
203 er
P-V du BP du PCF du 1 septembre 1925, BMP 96.
204
Clément Desusclade (1894-1943) : Ouvrier métallurgiste. Membre du CC depuis 1925.
324
violemment la ligne « droitière »205 de la CGTU et le manque « d’esprit communiste »
au sein des commissions syndicales. Suzanne Girault demande un renforcement de
l’appareil du parti pour mieux contrôler ces organismes et instaurer une discipline
plus stricte :
« Il faut poser la question des syndicats de masse […] et préparer les esprits à
la transformation complète de l’organisation syndicale pour faire disparaître
l’autonomisme, le fédéralisme et le remplacer par le centralisme
démocratique. C’est la tâche des fractions et des communistes militant dans
les syndicats. »206
Treint approuve cette position et accuse les communistes membres des syndicats de
ne pas participer à l’activité du parti et de ne pas respecter la discipline. Aucun des
deux ne comprend qu’étant donnée la défiance des syndicalistes à l’égard du PCF
seule une attitude souple et patiente peut, à terme, permettre la constitution d’une
direction unique et le renforcement de l’influence communiste dans les syndicats.
Deux faits mettent en évidence les difficultés de collaboration entre le PCF et la
CGTU sous l’égide de la gauche.
En août 1925, pour protester contre l’exécution de plusieurs communistes en
Pologne, Treint décide d’organiser une « manifestation contre la terreur blanche »
devant l’ambassade de Pologne à Paris. Depuis le début de l’année, il mène la
campagne contre la répression qui s’abat sur les mouvements communistes dans
plusieurs pays d’Europe de l’est207. Début août, un premier communiste polonais est
fusillé, suivi par trois autres quelques semaines plus tard208. Les deux meetings
contre « la terreur blanche », organisés à l’initiative de Treint et du comité de la
région parisienne n’ont obtenu qu’un succès relatif, loin des appels à la mobilisation
de masse lancés dans le quotidien du parti. Pour cette manifestation à la mémoire
des quatre communistes polonais, Treint exhorte la population ouvrière à descendre
dans la rue et prévient le gouvernement qu’aucune interdiction ne pourra empêcher
la démonstration de masse209. Le mardi 25 août, seuls 150 militants communistes
défilent dans les rues de Paris sans atteindre l’ambassade de Pologne. Les appels à

205
Intervention de Desusclade, Ibid.
206
P-V du BP du PCF du 11 septembre 1925, BMP 96.
207
Treint A, « La terreur blanche en Pologne », l’Humanité, n° 7723, 4 janvier 1925, p. 1.
208
Treint A, « Botwin assassiné ! Sauvons Hibner, Kniewsky et Rutkowsky », « A bas les bourreaux
blancs de Pologne, de Roumanie et de Bulgarie », l’Humanité, n° 9741 et 9751, 11 et 21 août 1925, p.
1.
209
Treint A, « Hibner, Kniewsky et Rutkowsky sont assassinés », l’Humanité, n° 9752, 22 août 1925,
p. 1.

325
la démonstration de masse violente n’ont pas mobilisé les ouvriers parisiens, peu
concernés par les quatre morts polonais. Le manque d’organisation et de liaison
avec la CGTU contribue également à l’échec. Treint avait demandé l’avis du
secrétariat sur l’opportunité d’appeler à manifester le mardi 25 août et obtenu son
accord210. Le même jour, la CGTU organisait pourtant une « fête de l’unité »,
réunissant de nombreux militants qui auraient pu venir renforcer les rangs
communistes. Incapables de se concerter, les deux organisations se sont
concurrencées. Suzanne Girault reproche à Monmousseau de ne pas avoir levé la
séance de la « fête de l’unité », ni appelé à manifester aux côtés des communistes. Il
réplique qu’en raison de la présence de militants de la CGT, l’annulation du meeting
aurait entraîné de vives critiques contre les communistes. De plus, seul le secrétariat
du PCF doit être tenu pour responsable, la fête de l’unité ayant été annoncée de
longue date. Cette nouvelle mésentente augure mal de la prochaine grève générale
de 24h, principale action préparée par le PCF, en collaboration avec la CGTU, pour
protester contre la guerre du Maroc.
En dépit du retentissement de la campagne contre la guerre du Maroc dans la
population française, le PCF ne parvient pas à mobiliser les ouvriers et encore moins
à gêner le déroulement des opérations militaires. En 1924, le PCF a envoyé un
télégramme de félicitation à Abd-el-Krim, suite à sa victoire sur l’armée espagnole.
Après l’entrée en guerre de l’armée française contre les rebelles marocains, le
comité d’action lance un manifeste « aux ouvriers et paysans de France et des
colonies ». Il adresse des propositions de front unique au parti socialiste et à la CGT
autour de mots d’ordre volontairement inacceptables pour les organisations
réformistes et pour une large majorité de la population française211. Cette tentative
de front unique s’appuie sur les CUP et les premiers congrès ouvriers qui se tiennent
au mois de juillet 1925. Si le congrès de la région parisienne constitue un demi
succès pour le parti, du fait de la participation de socialistes et de syndicalistes de la
CGT212, les autres soulignent le manque d’influence du parti en province213. Après la

210
P-V du BP du PCF du 4 septembre 1925, BMP 96 et la commission politique du 25 août 1925,
BMP 98.
211
1° Paix immédiate avec le Rif ; 2° Fraternisation des soldats français et rifains ; 3° Reconnaissance
de la république rifaine ; 4° Evacuation immédiate du Maroc. Voir P-V du BP du PCF du 22 mai 1925,
BMP 95.
212
Tenu les 4 et 5 juillet 1925, le congrès ouvrier de la région parisienne réunit 2470 délégués dont
130 socialistes et 160 adhérents de la CGT. Compte rendu dans l’Humanité, n° 7904 à 7906, 5 à 7
juillet 1925. Voir notamment l’intervention de Treint sur la situation financière, lors de la première
journée (n° 7904, p. 1).
213
Les autres congrès ont lieu à Lille, Bordeaux, Lyon, Marseille, Strasbourg, Strasbourg et Béziers.
En comptant le congrès de la région parisienne, ces assemblées réunissent au total 7320 délégués
326
tenue des congrès, la campagne contre la guerre au Maroc s’essouffle. Gouralski
intervient à plusieurs reprises au BP, pour demander de la relancer en la liant aux
revendications immédiates intéressant directement le prolétariat français. Dès lors, le
Comité d’action appelle à la préparation d’une grève générale de 24h pour protester
contre la guerre du Maroc. Il y adjoint les mots d’ordre de « lutte contre les impôts
pesant sur les ouvriers et les paysans » et de « stabilisation du franc sur le dos des
capitalistes »214.
Treint participe, avec Suzanne Girault et Gouralski, à la commission chargée
de préparer la grève générale. Dans son esprit, il s’agit avant tout de mener une lutte
idéologique au sein du PCF et dans autres organisations ouvrières pour imposer
l’idée de la grève de masse comme instrument de la politique révolutionnaire215.
Début octobre, dans un long article destiné à enclencher la dernière phase de la
préparation de la grève216, il revient longuement sur la motion de grève générale. Il
oppose le concept de grève de masse comme instrument de la lutte révolutionnaire
au « mythe » de la grève générale, telle que la conçoivent les syndicalistes « purs ».
A travers cette démonstration, il répond à ceux qui ― au sein du parti socialiste, de
la CGT mais aussi du PCF et de la CGTU ― voient dans cet appel à la grève un
« coup de bluff » communiste, sans aucune conséquence sur le déroulement des
opérations militaires. Treint rédige cet article après avoir constaté, lors de réunions
de la commission de grève, le pessimisme d’une majorité des cadres syndicaux217. Il
explique cette attitude par « l’esprit syndicaliste » et l’influence bourgeoisie au sein
de la CGTU. Trop de cadres, liés à la bourgeoisie, refusent de donner un caractère
politique aux luttes ouvrières, affaiblissant le mouvement de l’intérieur218. Ces
attaques contre le syndicalisme, présenté comme un instrument de la bourgeoisie,
contribuent à éloigner un peu plus les militants de la CGTU des communistes et à
ralentir encore la préparation de la grève. Pour donner un second souffle et relancer
une dynamique de front unique, le Comité d’action fait de nouvelles propositions de

dont 320 syndiqués CGT, 200 socialistes, 31 autonomes et 1173 sans partis. JEDERMAN, op. cit., p.
90.
214
L’idée de grève générale de 24h a été émise pour la première fois dans les résolutions votées lors
du congrès ouvrier de la région parisienne
215
Commission politique du PCF du 7 juillet 1925, BMP 98.
216 er
Treint A, « La prochaine grève générale de 24 heures », Cahiers du bolchevisme, n° 28, 1
octobre 1925, p. 1827-1835.
217
P-V du BP du PCF du 25 septembre 1925, BMP 96. Lors de cette séance Monmousseau reconnaît
que les militants de la CGTU sont sceptiques, tout en soulignant qu’ils travaillent à la préparation de la
grève.
218
Treint A « La prochaine grève générale de 24 heures », art. cit.

327
front unique au parti socialiste et à la CGT. Les mots d’ordre les plus avant-gardistes
sont abandonnés au profit d’une série de revendications plus modérées219, que les
directions de la SFIO et de la CGT rejettent cependant. Sur ce point, Treint s’oppose
à la majorité du BP et critique tout au long de la période de préparation de la grève,
l’abandon des mots d’ordre les plus révolutionnaires220. Il estime que seule une
campagne, alliant la lutte pour les revendications immédiates du prolétariat et les
perspectives révolutionnaires à plus long terme221, peut mobiliser le prolétariat
français et permettre une lutte efficace contre la guerre du Maroc.
Réunie le 6 octobre pour discuter du déclenchement de la grève générale de
24h, la commission politique222 du PCF opte pour la date du 12 octobre 1925. Ce
choix s’explique par la volonté de la direction de relier la grève contre la guerre du
Maroc avec une grève dans les transports en commun de la région parisienne qui
doit avoir lieu le dimanche 11 octobre. La plupart des intervenants font des réserves.
Suzanne Girault rejette le choix du lundi qui ne permet pas aux ouvriers de se
concerter la veille. Treint pense qu’il aurait fallu lancer la grève dans les transports
parisiens et la grève de 24 h plus tôt, pour éviter les manœuvres de la police. Doriot
et Thorez remarquent qu’une grève lancée plus tôt aurait limité le mouvement en
province, tout en permettant de se concentrer sur la région parisienne223. Enfin
Monmousseau fait des réserves sur l’opportunité de déclencher une grève alors que
les militants de province n’ont pas eu le temps de se préparer et que la grève dans
les transports parisiens reste hypothétique224. La commission politique retient tout de
même la date du 12 octobre et comme prévu, l’Humanité de la veille demande à tous
les ouvriers de cesser le travail et de venir participer aux manifestations organisées
par le comité d’action225.

219
« Le Comité d’action a décidé de joindre à ses mots d’ordre de grève, la convocation d’urgence
des Chambres, dont nous exigeons, sous la pression de la grève générale : a) La cessation
immédiate des hostilités ; b) La libération de tous les prisonniers civils ou militaires frappés pour avoir
lutté contre la guerre ; c) La réintégration des ouvriers frappés pour fait de grève, d) le remplacement
des impôts Caillaux par un prélèvement sur le gros capital et ses revenus. », Treint A, « La prochaine
grève générale de 24 heures », art. cit., p. 1833.
220
Nous y reviendrons.
221
Voir Treint A, « Pour une grève générale de masse », l’Humanité, n° 9767, 6 septembre 1925, p. 1.
Il tente de démontrer que la seule réponse aux préoccupations quotidiennes des français face à la
guerre (hausses des impôts, familles endeuillées), se trouve dans la lutte autour des mots d’ordre
révolutionnaires tels que la fraternisation et le défaitisme.
222
P-V de la commission politique du PCF du 6 octobre 1925, BMP 98.
223
Doriot : « Les raisons de Treint sont sérieuses et les décisions de la majorité ne sont pas
excellentes. Il n’y aura pas de gros mouvement en province, seule la région parisienne est importante.
Perdre la grève à Paris pour quelques dizaines de milliers de grévistes en province est une faute
politique. » Thorez : « La proposition de Treint aurait été la meilleure. », Ibid.
224
La grève des transports parisiens n’a finalement pas lieu.
225
L’Humanité, n° 9802, 11 octobre 1925.
328
Le bilan de cette journée ne peut permettre de conclure ni à un échec
complet, ni à un succès. Le nombre de grévistes reste bien en dessous des
espérances du PCF. Le 13 octobre, le quotidien du parti annonce près d’un million
de grévistes, alors qu’il n’y en a eu guère plus de trois cent mille226. Les
manifestations de rues n’ont entraîné que les communistes convaincus et se soldent
par la mort de l’ouvrier métallurgiste Sabatier. Néanmoins, le parti a montré une
certaine capacité à mobiliser pour des objectifs politiques et non simplement
économiques. La grève permet aussi de mieux cerner les zones de forces du parti
dans la région parisienne, mais aussi dans le nord, le Gard ou encore autour de
Saint Etienne227. Au BP228, les appréciations divergent. D’un côté, Semard, Thorez,
Chasseigne et Monmousseau qualifient la grève d’échec et mettent en avant la
faiblesse de la province, les auditoires clairsemés dans les meetings et surtout le
manque d’organisation et de coordination qui donne l’image d’un parti affaibli. Au
contraire Gouralski, Suzanne Girault et Treint estiment, qu’en dépit de certaines
faiblesses et fautes dues au manque d’expérience, la grève est une réussite et qu’il
faut prolonger cette première action. Ce dernier publie trois articles sur les résultats
de la grève de 24h. Répliquant à la presse quotidienne nationale qui parle de
« fiasco communiste »229, Treint accuse le gouvernement d’orchestrer cette
campagne comme il a préparé les violences qui ont émaillé la journée de grève :
« Que veut la bourgeoisie, son brelan ministériel d’assassins : Painlevé,
Briand, Caillaux et sa valetaille de chefs réformistes ? Le plan est clair.
Présenter la récente grève générale comme un échec. Isoler la classe
ouvrière et ses organisations de masse des communistes. Se servir des
éléments de guerre civile qui imprégnèrent la journée de lundi pour abattre le
parti par tous les moyens : politiques, juridiques et illégaux. Ce plan est
destiné à échouer lamentablement. »230
Il reconnaît un certains nombres « d’erreurs de détails » dues à l’inexpérience et aux
hésitations de certains membres du comité d’action. Mais il adresse un satisfecit à la
fois au comité d’action qui « a témoigné de sa maturité politique et d’une grande
maîtrise de soi »231 et à la direction du PCF qui a dirigé, sans dominer ni étouffer les

226
COURTOIS S, LAZAR M, op. cit., p. 93.
227
Voir GIRAULT J, Benoît Frachon, communiste et syndicaliste, Paris, Presse de la fondation
nationale des sciences politiques, 1989, p. 75.
228
P-V du BP du PCF du 14 octobre 1925, BMP 96.
229
Treint A, « Le plan bourgeois », l’Humanité, n° 9806, 15 octobre 1925, p. 1.
230
Ibid.
231
Treint A, « La grève de lundi dernier : sa portée historique », n° 9807, 16 octobre 1925, p. 1.
329
autres initiatives232. Il souligne, en conclusion, la portée historique de cette grève,
ouvrant de nouvelles perspectives dans la lutte contre « l’impérialisme français »,
tout en reconnaissant qu’il s’agit pour le moment d’une « lutte défensive »233 visant à
réveiller les masses et non d’une « lutte offensive révolutionnaire ».
Au contraire, de nombreux militants jugent qu’il s’agit bien d’une défaite et que
la faute en retombe exclusivement sur la direction234. Indéniablement, la préparation
de la grève s’est déroulée dans une ambiance de chaos organisationnel, surtout en
province. Les débats au sein du comité d’action mais aussi du BP ont souligné les
divergences politiques persistantes entre les communistes et les syndicalistes.
Concernant les CUP, contrairement aux affirmations de Treint, le PCF s’est montré
incapable d’entraîner les autres organisations du mouvement ouvrier français dans la
lutte contre la guerre du Maroc. Enfin, les discussions sur les mots d’ordre du parti,
les hésitations quant à l’opportunité de lancer une grève générale ont révélé
l’ampleur des divergences politiques et le retour des luttes fractionnelles au sommet
du PCF.

2) La fin de la direction Treint/Suzanne Girault.

Confrontée aux difficultés, l’unité du groupe dirigeant constitué lors du 5ème


congrès mondial de l’IC se fissure dès la première moitié de l’année 1925. Le
tandem Treint/Suzanne Girault, couple politique emblématique de la première phase
de la bolchevisation, se désagrège lui aussi. La correspondance de Treint, lors de
son séjour à Moscou, laissait transparaître la complicité des deux personnages et la
proximité de leurs conceptions politiques235. Mais, face à la désorganisation
provoquée par la politique de bolchevisation de la gauche, Suzanne Girault
considère qu’un renforcement de l’organisation et des mesures administratives
résoudront les difficultés passagères. Au contraire, Treint juge nécessaire de mener
une lutte politique contre les opposants et les hésitants. Comme par le passé, il
cherche à reconstituer une fraction qui, sous son impulsion, apporte les rectifications

232
« Toutes les décisions du Comité central d’action furent prises à l’unanimité et bien que le rôle
directeur du Parti ai été très visible, nul élément, même n’appartenant pas au Parti, ne s’est senti à un
moment dominé, ni diminué. Diriger pour le Parti, n’est pas commander de haut. Diriger, c’est inspirer
la confiance par de justes propositions, c’est aussi susciter et coordonner l’initiative des éléments
avec lesquels il mène la lutte commune. » Treint A, « Elargissons ce premier succès », l’Humanité, n°
9810, 19 octobre 1925, p. 1.
233
Ibid.
234
Voir la « lettre des 250 », Cahiers du bolchevisme, n° 35, 18 janvier 1926, p. 147.
235
Cf. supra.
330
nécessaires et rendre à la direction son homogénéité. Dans une note sur la
surveillance de l’activité du parti236, un informateur fait état de la constitution d’un
groupe autour de Treint et Doriot, dirigé contre les « centristes » et la « droite »,
représentée par Cachin. Une intervention de Jacob, lors de la commission française
de l’Exécutif Elargi de février-mars 1926 confirme cette observation. Dès le mois de
mai 1925, Treint propose de reconstituer une fraction de gauche avec Doriot,
Sauvage ainsi que Suzanne Girault237. Néanmoins, au sein du BP, la majorité
s’interroge sur l’opportunité de persister dans la ligne du volontarisme
révolutionnaire. De son côté Treint insiste au contraire pour renforcer cette
orientation, persuadé que seuls des mots d’ordre d’action peuvent mobiliser les
masses derrière le PCF et réaliser à terme le front unique prolétarien.
Lors du déclenchement de l’offensive française contre le leader Abd-el-Krim et
son armée de rebelles marocains, au mois de mai 1925, Treint, en déplacement, ne
participe pas aux travaux du BP. A son retour, il critique la focalisation du parti sur la
guerre du Maroc et demande que la campagne soit reliée avec les revendications
touchant directement la classe ouvrière française. Selon lui, en combinant l’agitation
contre la guerre du Maroc avec les revendications immédiates, le PCF peut
déclencher un mouvement politique de grande ampleur238. Les mots d’ordre doivent
intégrer les aspirations révolutionnaires qui ne manqueront pas de se développer
chez les ouvriers, au cours de la lutte. Les débats de la commission politique du 21
juillet 1925239 montrent que les autres membres de la direction ne partagent plus cet
optimisme. En accord avec l’IC, ils proposent comme mots d’ordre : Fraternisation ;
paix immédiate avec le Riff ; Indépendance du Riff ; évacuation militaire du Maroc ; le
Maroc aux marocains. Treint insiste pour que le parti parle également de « la défaite
de l’impérialisme français », arguant de l’importance de relier ses revendications
immédiates et les perspectives révolutionnaires. Autrement dit, le parti reste trop
timoré et ne prend pas en compte les formidables possibilités qu’offre la guerre du
Maroc, qu’il présente comme le point de départ d’un nouveau conflit mondial. Il
s’attire les répliques péremptoires de Gouralski et de Suzanne Girault. Vouloir
comparer ce conflit et la guerre mondiale n’a aucun sens, les deux situations, sur le

236
Note du 2 mai 1925, AN, F7 12897.
237
Quatrième séance, 2 mars 1926, RGASPI, 495/164/308.
238
P-V du BP du PCF du 12 juin 1925, BMP 95.
239
BMP 98.
331
plan national et international, étant totalement différentes240. Seul Doriot soutient du
bout des lèvres la thèse de Treint, jugeant que la guerre du Maroc « attise les
rivalités impérialistes » et les risques de guerre mondiale.
En dépit de l’opposition de la majorité, Treint expose son point de vue dans
plusieurs articles. Il établit un parallèle entre la situation de 1925, après l’engagement
de la France au Maroc, et celle des années 1914-1918. La présence à la tête du
gouvernement de Paul Painlevé, comme en 1917241, témoigne de la volonté
d’engager l’armée française dans un nouveau conflit long et sanglant. Comme lors
des grandes offensives des deux dernières années de la Première Guerre mondiale,
le gouvernement, avec l’assentiment de toutes les forces politiques ― exception faite
du PCF ―, se prépare à sacrifier la classe ouvrière au nom des intérêts politiques et
économiques de la France242. Cette guerre coloniale contient donc les germes d’une
nouvelle « guerre impérialiste » et doit être exploitée par les organisations
révolutionnaires pour abattre le régime capitaliste. Il défend cette analyse dans un
projet de thèse243 reprenant, en les dénaturant, les idées développées par Lénine sur
la guerre impérialiste. Il rappelle qu’en fonction des types de conflits244, les
communistes doivent adapter leurs tactiques et leurs mots d’ordre. La lutte contre la
guerre impérialiste nécessite la dénonciation de toute forme de nationalisme et de
pacifisme et le développement de la propagande parmi les masses en faveur du
défaitisme245. Face à la guerre du Maroc, le PCF doit combiner des actions partielles,
tels les appels au boycott ou à la grève, avec le mot d’ordre de défaitisme qui vise à
entraîner les travailleurs sur la voie de la lutte révolutionnaire246. Il met en garde

240
Gouralski : « On ne peut comparer la guerre du Maroc et la guerre mondiale. Le PCF est seul à
dénoncer la guerre, il ne peut envisager de déclencher aujourd’hui ou demain la guerre civile. » ;
Suzanne Girault : « Il faut cesser de dire que les guerres coloniales contiennent des germes de
guerres internationales. », Ibid.
241
Treint A, « Painlevé, Nivelle, traîtres à la France travailleuse », l’Humanité, n° 7890, 21 juin 1925,
p. 1.
242
Treint A, « les masses françaises trahies par le Cartel », l’Humanité, n° 7895, 26 juin 1925, p. 1.
Ces deux articles (voir ci-dessus) constituent une réplique à Painlevé qui avait déclaré que par ses
appels à la fraternisation le PCF trahissait la France.
243 er
Treint A, « Essai de thèse sur la guerre impérialiste », Cahiers du Bolchevisme, n° 24, 1 août
1925, p. 1540-1546.
244
« La guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie, les guerres coloniales et nationales, la
guerre contre révolutionnaire contre l’Union Soviétique, la guerre interimpérialiste », Ibid.
245
« Les communistes sont pour la défaite militaire de l’impérialisme de leur pays. Toute autre
conception est la négation de la lutte des classes, car lorsque le prolétariat lutte contre sa bourgeoisie,
il affaiblit nécessairement et favorise sa défaite militaire. », Ibid.
246
« Quand il prêche le défaitisme, quand il montre le chemin de la transformation de la guerre
impérialiste en guerre civile, le Parti communiste, indépendamment de la masse plus ou moins
nombreuse qu’il entraîne actuellement, représente objectivement les véritables intérêts de tout le
prolétariat, de tous les paysans, travailleurs, de toutes les masses [souligné par l’auteur]. », Ibid., p.
1546.
332
contre le rapprochement avec la gauche socialiste et les intellectuels opposés à la
guerre, qui risque de créer des illusions. Le PCF doit se tenir à la marge de toutes
les autres forces politiques et civiles, qui protestent contre l’engagement français au
Maroc, pour constituer une alternative révolutionnaire.
Cette thèse ― que Treint publie sans demander l’approbation du CC et du
BP247 ― vient contredire les positions de la majorité. Le BP, en accord avec
Gouralski, estime que le parti affaibli ne peut se livrer à une surenchère
révolutionnaire qui risquerait de l’isoler un peu plus sur la scène politique et de le
couper des ouvriers. Seuls des mots d’ordre admissibles par les ouvriers socialistes
et par tous les opposants à la guerre peuvent servir de base à l’action du parti et
permettre de réaliser le front unique au sein du comité d’action contre la guerre du
Maroc. Manifestation de cette volonté de rechercher une base d’alliance la plus large
possible, la commission politique248 décide de maintenir lors des élections
cantonales de juillet 1925 la tactique de désistement en faveur du candidat de la
gauche le mieux placé au second tour. Seul Treint s’élève contre cette décision et
insiste pour que le désistement soit conditionné à une déclaration du candidat en
faveur de la fraternisation et du défaitisme au Maroc. Sa motion est rejetée au profit
de celle maintenant la tactique des élections municipales. Isolé au sein de la
direction, Il déclenche une offensive interne contre « l’opportunisme »249 et s’obstine
à défendre ses conceptions. Lorsque le BP décide de soutenir un appel
d’intellectuels250 renommés contre la guerre du Maroc, Treint consacre un éditorial à
déplorer leurs hésitations et leurs « opinions erronées et dangereuses°»251. Il
énumère les points sur lesquels ces intellectuels s’écartent des positions du parti ―
reconnaissance du droit à la colonisation, refus de prendre position sur le plan
politique, appel à un règlement international du conflit par le biais de la SDN ― et en

247
Pour justifier cette liberté prise avec la discipline du parti, il explique qu’en raison de son séjour en
Allemagne au mois de juillet, il n’avait pu participer aux débats internes et que son texte apporte
simplement une contribution supplémentaire à la discussion. Ibid., p. 1540.
248
P-V de la commission politique du PCF du 21 juillet 1925, BMP 99.
249
« Je vous adresse ci-joint la déclaration du CC au sujet des élections cantonales supplémentaires,
étant donné qu’Albert nous traite tous d’opportunistes, de traîtres, de partisans de la guerre, etc. à
cause de ce document. Au moment actuel, six semaines seulement après les élections municipales,
nous ne pouvions pas changer notre tactique. Premièrement les socialistes se sont mis dans
l’opposition ; deuxièmement, leur victoire aux élections est très considérable ; troisièmement, le Parti
n’aurait rien compris à des volte-face si peu justifiées. […] Albert proposait, soit de poser des
conditions aux socialistes, soit de maintenir nos candidatures et de permettre ainsi l’élection des
candidats de la droite. Il était le seul de cet avis. D’après mon opinion, vous devez communiquer au
Bureau Politique votre accord ou votre désaccord avec ce document. Cela ne mettra pas Albert à la
raison mais cela le retiendra. », Lettre de Gouralski au CE de l’IC, 22 juillet 1925, RGASPI, 517/1/218.
250
Parmi lesquels : Georges Duhamel, Victor Margueritte, Paul Eluard.
251
Treint A, « Les intellectuels, la guerre et nous », l’Humanité, n° 9724, 25 juillet 1925, p. 1.
333
profite pour marteler que seule une ligne révolutionnaire ferme permet de mener une
lutte efficace contre la guerre du Maroc.
« Nous saluons avec joie tous ces intellectuels qui dans la lutte la plus ardente
viennent vers le prolétariat. Mais, nous ne pouvons, sans trahir l’intérêt des
opprimés du monde entier, et aussi, sans faire injure à ces courageux
intellectuels qui se dressent contre la guerre du Maroc, renoncer à combattre
les opinions erronées et dangereuses, qui chez eux, se mélangent à des
vérités fortement soulignées. Il est d’ailleurs tout à fait normal que les milieux
intellectuels reflètent les hésitations et les contradictions des classes
moyennes. […] Il n’y a qu’une voie devant nous : la paix et l’évacuation du
Maroc par la fraternisation qui permet, sans faire couler le sang des soldats, la
défaite militaire de l’impérialisme français. Il y a trois mois, la ligne générale
d’une politique juste, c’était la lutte contre le retour du Bloc national et contre
le fascisme. Il fallait pousser le Bloc des gauches au pouvoir pour achever de
le discréditer devant les masses. Aujourd’hui, c’est la guerre du Maroc. C’est
la grande guerre dont les conséquences iront se développant. Aujourd’hui, le
parti communiste, sur aucun terrain, ne peut renoncer, sans aller vers
l’opportunisme, à appeler les masses à se grouper contre la guerre. »252
Cet article suscite la colère de plusieurs membres du BP. Gouralski déclare
que « l’article sur les intellectuels est insupportable. Treint nous fera perdre la
masse »253. Il condamne fermement son indiscipline, son individualisme et s’affirme
prêt à engager une lutte politique contre lui. Suzanne Girault dénonce son
« gauchisme » et sa volonté de reconstituer une fraction contre la majorité du BP.
Deux jours plus tard, le CC254 étudie à son tour la question de l’attitude du PCF face
à la guerre du Maroc et du conflit politique déclenché par Treint. Tour à tour Suzanne
Girault, Doriot, Thorez, Semard et le représentant de l’IC interviennent pour rejeter le
mot d’ordre de défaitisme qui, tel que l’exprime Treint, risque d’éloigner le parti des
masses. Ce dernier justifie son indiscipline par sa fidélité à la ligne « de gauche »
suivie par le PCF depuis 1924255. Il soumet au CC une proposition de résolution

252
Ibid.
253
Ibid.
254
P-V du CC du PCF du 29 juillet 1925, BMP 99.
255
« La fraternisation n’est qu’un des moyens du défaitisme, l’autre étant l’intensification de la lutte
des classes. […] Quand je parle de faire la proposition aux socialistes de mener la lutte contre la
guerre, on me répond qu’il faut lutter contre la réaction. Précisément, il faut voir que la guerre est la
forme la plus aiguë de la réaction. […] On dit encore que les événements de la rue Damrémont ont
été la conséquence de notre de notre campagne trop vive contre le fascisme, mais pour ma part j’ai
caractérisé cette campagne en disant que l’on employait le canon lourd contre le fascisme et le fusil
334
déplorant la tactique du deuxième tour des élections cantonales. En réponse, Thorez
dépose une contre résolution votée à l’unanimité du CC, moins la voix de Treint.
Battu dans le parti, il est également désavoué par le CE de l’IC qui approuve la
tactique suivie par le PCF256.
Durant plusieurs semaines, malgré les résolutions votées à l’unanimité, Treint
s’obstine à réaffirmer ses conceptions à chaque occasion, montrant par là son
dédain pour la discipline, dès lors qu’il se trouve en minorité. Au BP, Monmousseau
lui demande de se contenter de reprendre les mots d’ordre du parti, après qu’il ait
déclaré que les communistes voulaient « la défaite de l’impérialisme français », lors
d’une réunion publique d’information257. Dix jours après, Monmousseau s’élève cette
fois contre un article258 dans lequel Treint présente le défaitisme comme la seule
tactique de lutte viable259, alors qu’il avait été mandaté pour rédiger un texte reliant la
question des salaires, de la hausse des impôts avec la guerre du Maroc. Enfin,
attaqué de toutes parts lors du CC du 19 août 1925, Treint réitère ses critiques à
l’égard de la ligne politique concernant la guerre du Maroc qu’il juge trop timorée et
« en arrière » par rapport aux revendications formulées par les congrès ouvriers260.
De nouveau mis en minorité, il ne paraît toujours pas vouloir se ranger à l’avis de la
majorité.
Cette discussion se déroule dans un contexte de tension entre les directions
du PCF et de la CGTU et alors que la préparation pour la grève de 24h prend du
retard en raison des problèmes d’organisation mais aussi du manque de mobilisation
de la base du parti et des syndicats261. Le comportement de Treint contribue à
compliquer la situation. Face à ses actes d’individualisme et d’indiscipline, Gouralski
écrit au CE de l’IC262 pour faire part des divergences politiques profondes qui
séparent Treint du reste de la direction et demander son retour à Moscou. Il espère

mitrailleur contre le bloc des gauches. Les incidents de la rue Damrémont montre que l’éducation
politique du service d’ordre reste à faire. Un mot d’ordre peut être juste et mal interprété. », Ibid.
256
« Le Présidium est heureux de constater que le CC du PCF, en confirmant sa tactique des
dernières élections municipales, est resté dans la ligne juste, surtout que rien n’aurait pu justifier un
changement de tactique. » Lettre de Kuusinen au CC du PCF, sans date, RGASPI, 517/1/1218.
257
P-V du BP du PCF du 7 août 1925, BMP 95.
258
Treint A, « Comment lutter contre la guerre », l’Humanité, n° 9746, 16 août 1925, p. 1.
259
« Il faut affaiblir le fauve impérialiste, l’abattre si possible. C’est le seul chemin de la paix véritable.
Il n’y aura pas de paix durable dans le monde tant qu’il y aura des opprimés et des exploités. […] Plus
les travailleurs se défendent réellement contre la guerre et ces conséquences, plus ils affaiblissent
leur bourgeoisie. Affaiblir le capitalisme qui mène à la guerre, c’est travailler à sa défaite militaire. La
lutte des classes exige le défaitisme. Dans la guerre comme dans la grève, l’intérêt du prolétariat,
c’est la défaite de son propre capitalisme. », Ibid.
260
Déclaration de Treint au CC du PCF, RGASPI, 517/1/241.
261
Cf. supra.
262
Nous n’avons pu consulter cette lettre.
335
ainsi mettre un terme au conflit et reconstituer l’homogénéité de la direction. Cette
menace amène Treint à transiger et à abandonner progressivement ses attaques
contre « l’opportunisme ». Le 25 septembre 1925, en pleine préparation de la
conférence nationale du PCF, il déclare qu’un accord ayant été trouvé sur les thèses
« il ne voit pas l’utilité de se rendre à Moscou comme on lui a demandé »263.
Gouralski enregistre la déclaration et se réjouit de l’issue du conflit. En réalité
d’autres sujets de discordes, parmi lesquels la question de l’Alsace Lorraine,
entretiennent l’animosité, la suspicion et conditionnent le développement de la lutte
fractionnelle à la direction du parti.
Après avoir séjourné dans la région, Treint fait un rapport au BP264 sur la
situation politique en Alsace Lorraine. Un mouvement en faveur de l’autonomie agite
la population et particulièrement la bourgeoisie locale265. Tout en se déclarant
favorable au principe de la libre disposition, il propose de constituer une commission
d’enquête pour étudier les sentiments de la population d’Alsace Lorraine et
déterminer les possibilités offertes par cette situation. Le BP approuve cette initiative
et décide la publication d’une déclaration sur le « principe du droit du peuple d’Alsace
Lorraine à l’autodétermination ». Le débat reprend le 11 septembre266 et fait
apparaître des divergences sur la question. Treint estime que ce courant
autonomiste ouvre de grandes perspectives révolutionnaires, étant donné qu’il peut
contribuer à affaiblir l’impérialisme français en cas de perte de la région, mais aussi
mettre à mal le traité de Versailles267. Le parti ne doit donc pas hésiter à contracter
une alliance temporaire avec un mouvement autonomiste, contrôlé par la
bourgeoisie, pour servir ses propres intérêts268. En contradiction avec son refus de
cautionner les alliances électorales avec les socialistes et le Cartel des gauches, il
prône dans ce cas un front unique temporaire avec des forces politiques hostiles au
communisme. Derrière l’apparente versatilité se cache une conception purement
manœuvrière de la tactique du front unique. Dans son esprit, ce ne sont plus les
socialistes mais la bourgeoisie autonomiste d’Alsace Lorraine qui constitue « la
volaille à plumer ». Le discours du parti doit simplement s’adapter aux nécessités

263
P-V du BP du PCF du 25 septembre 1925, BMP 96.
264 er
P-V du BP du PCF du 1 septembre 1925, BMP 96.
265
Ce mouvement s’explique par le rejet de l’interventionnisme de l’Etat français et notamment par la
volonté du premier gouvernement Herriot d’imposer la laïcisation de l’Alsace-Lorraine.
266
P-V du BP du PCF du 11 septembre 1925, BMP 96.
267
Il développe cette analyse dans plusieurs articles. Voir notamment « Avant Locarno » et « Silence
gêné », l’Humanité, n° 9791 et 9794, 30 septembre et 3 octobre 1925, p. 1.
268
P-V de la réunion commune du BP et du BO du 12 septembre 1925, 12 septembre 1925.

336
pratiques du moment sans perdre l’objectif final de la lutte contre l’impérialisme
français. D’autres membres du BP, appuyés par le dirigeant alsacien Charles
Hueber, mettent au contraire en garde contre une tactique qui risque de brouiller le
discours communiste et qui ne peut donner les résultats escomptés par Treint, en
raison de la faiblesse du PCF en Alsace Lorraine269. Le BP adopte finalement un
texte de Treint demandant l’organisation d’un plébiscite en Alsace Lorraine et le
retrait des « troupes d’occupation » françaises.
Après avoir participé au congrès ouvrier et paysan de Strasbourg270, Treint
enjoint le BP de donner une place prioritaire ― après la lutte contre la guerre du
Maroc ― à la question de l’Alsace Lorraine271. Il estime que le résultat du congrès ―
les délégués ont voté en faveur des mots d’ordre proposés par le PCF ― montre la
combativité des ouvriers et l’influence grandissante du parti parmi eux272. Pour
donner une nouvelle impulsion à la campagne, il propose de lancer le mot d’ordre
d’indépendance de l’Alsace Lorraine pour déborder les leaders du mouvement
autonomiste et faire du PCF le moteur de la lutte nationaliste. Il se heurte cette fois-ci
à une majorité qui refuse d’aller plus loin que la revendication en faveur de
l’autonomie273, considérant que la formule « indépendance de l’Alsace Lorraine » ne
correspond pas à la volonté de la population et que l’influence des communistes ne
permet pas d’envisager le déclenchement d’un mouvement révolutionnaire. Treint
n’assiste pas à cette séance du BP, protestant ainsi contre ces décisions274.
Face à la montée du mécontentement, les dirigeants tentent cependant de
faire taire leurs divergences, avec l’espoir que la conférence nationale puisse
apporter des solutions. Le BP se contente dans un premier temps de publier les
thèses de la direction sur la situation politique, l’organisation du parti, la guerre, les
questions financières275, avant d’annoncer l’ouverture d’une « tribune libre » dans
l’Humanité276. A un mois de la conférence, peu de cellules ont mis à l’ordre du jour la

269
Chasseigne : « Ne serons nous pas grignotés par le séparatisme au lieu de le grignoter ? », P-V du
BP du 11 septembre 1925, BMP 96.
270
Tenu le 20 septembre 1925. Voir Treint A, « Le congrès ouvrier et paysan de Strasbourg », n°
9784, 23 septembre 1925, p. 1.
271
P-V du BP du PCF du 25 septembre 1925, BMP 96.
272
Voir aussi P-V du CC du PCF du 22 septembre 1925, BMP 99.
273
Voir aussi la commission politique du 29 septembre 1925, BMP 98.
274
Devant l’absence de Treint, mais aussi de Doriot, Semard et Monmousseau, Gouralski déclare ;
« Je constate qu’à la réunion d’aujourd’hui ne sont présents que les camarades qui sont à peu près
d’accord entre eux. Je considère que l’absence précisément d’autres camarades, dans l’opinion
desquels se font jours quelques nuances, a objectivement un caractère politique ». P-V du BP du PCF
du 15 octobre 1925, BMP 96.
275
Voir l’Humanité, n° 9780 à 9783, 19-22 septembre 1925.
276
L’Humanité, n° 9794, 3 octobre 1925, p. 3.
337
discussion des thèses du centre et l’opposition sillonne les régions, profitant du
mécontentement à la base. Les lettres de cellules et de militants, publiées dans les
premières semaines d’octobre, témoignent de cette exaspération. La direction est
montrée du doigt pour ses méthodes autoritaires et bureaucratiques et tous
soulignent l’absence de vie à la base du parti277. Le BP décide la publication des
thèses de Paz/Mahouy278 et de Loriot/Hairius279 qui toutes deux font écho aux
critiques de la base face à l’échec de la réorganisation sur la base des cellules
d’usine et face aux erreurs politiques sur la question de la guerre du Maroc280.
Devant ce déferlement de critiques, la direction veut sauver les apparences et se
présenter unie. Treint est chargé de répondre aux attaques de « la droite » dans
deux articles qui, tout en qualifiant l’opposition de « minuscule fraction
d’intellectuels », instaurent une part d’autocritique281.
Durant les trois journées que dure la conférence nationale (18-20 octobre 1925)
aucun contradicteur ne vient rompre l’harmonie voulue par la direction. Le BO,
contrôlé par Suzanne Girault et Sauvage, s’est assuré, au cours des semaines
précédentes, que l’assemblée ne se transformera pas en tribune contre la politique
de la direction282. Elle ne peut se permettre que la discussion, tolérée dans la presse
du parti, ne dépasse ce cadre. Comme lors du congrès national de Clichy, aucun
représentant de l’opposition n’est finalement délégué et la direction invite Loriot, Paz
et Hattenberger, mais ceux-ci déclinent l’invitation283. En conséquence, les débats
sur les principaux rapports se limitent à quelques critiques convenues sur les
« fautes d’optimisme » commises par la CC et le BP ou encore la réorganisation
« trop hâtive »284. Lors de la deuxième journée, consacrée au rapport sur la guerre

277
Voir notamment, dans l’Humanité la lettre de la cellule 124, n° 9794, 3 octobre 1925, p. 5 ; la lettre
de Georges Leroy, n° 9795, 4 octobre 1925, p. 5 ou encore la lettre de Gourget sur la situation de
l’organisation dans la région parisienne, n° 9804, 13 octobre 1925, p. 4.
278
L’Humanité, n° 9808, 17 octobre 1925, p. 4.
279
L’Humanité, n° 9809, 18 octobre 1925, p. 5.
280
Paz et Mahouy accusent la direction d’avoir lancé des mots d’ordre « mal adaptés et prématurés »
qui ont empêché la réalisation du front unique avec les autres forces politiques opposées à la guerre.
281
Treint A, « Réponse à Loriot » et « Loriot fédéraliste », l’Humanité, n° 9808 et 9809, 17 et 18
octobre 1925, p. 4 et 5.
282
Lors de la discussion sur la préparation de la conférence, Suzanne Girault propose de laisser les
conférences régionales désigner leurs délégués pour prouver que « contrairement à ce que dit la
droite nous n’agissons pas mécaniquement ». Elle insiste par contre pour que le BP stipule clairement
que la conférence nationale « n’a pas vocation à changer la direction ». P-V du BP du PCF du 2
octobre 1925, BMP 96. En réalité, en laissant la liberté aux conférences régionales de choisir leurs
délégués, la direction ne prend aucun risque puisque cet échelon du parti est généralement sous le
contrôle du centre.
283
L’Humanité, n° 9809, 19 octobre 1925, p. 2.
284
Voir la discussion sur le rapport de Semard. Compte rendu de la première journée, Ibid.
338
de Treint285, ou lors de la troisième journée, marquée par les rapports de Suzanne
Girault sur la question nationale et de Sauvage sur la réorganisation du parti, aucun
délégué ne fait état du mécontentement et des doutes qui dominent à la base, tant
sur l’échec dans la création des cellules d’usines que sur celui de la grève générale
de 24 heures. Illustration de cette homogénéité de façade, les thèses soumises au
vote des délégués sont toutes adoptées à l’unanimité des voix. Dans la presse, les
leaders communistes qui dressent le bilan de la conférence se réjouissent de la large
discussion et de la défaite de l’opposition, témoignages de la bonne santé du parti286.
Concernant la discussion sur la guerre du Maroc et les moyens de lutter contre,
Treint clame sa satisfaction devant le triomphe des thèses de la direction :
« La Conférence a examiné tous les problèmes posés à son ordre du jour : la
lutte contre la guerre en général et celle du Maroc en particulier, l’attitude
envers les mouvements nationaux et coloniaux, ainsi que la lutte pour l’unité
syndicale. […] Le Parti tout entier, par la pratique du centralisme
démocratique, qui critique, qui coordonne les initiatives, qui combat
impitoyablement les déviations, en assimilant fraternellement toutes les
bonnes volontés révolutionnaires, saura continuer le rassemblement des
masses pour la défense de leurs intérêts les plus immédiats, et par là même
préparer la victoire révolutionnaire. »287
Les débats au BP288, au lendemain de la conférence nationale, révèlent que,
contrairement aux déclarations triomphalistes, la majorité des dirigeants
reconnaissent que cette dernière assemblée n’a répondu ni aux attentes de la base,
ni aux leurs et que le malaise persiste289. Tour à tour, Gouralski, Semard et Doriot
notent l’atmosphère de crainte qui régnait durant les trois jours et le caractère
artificiel des débats. Seule Suzanne Girault tire un bilan positif de la conférence qui

285
Voir Treint A, « La deuxième journée de la conférence nationale du PC », l’Humanité, n° 9810, 20
octobre 1925, p. 1.
286
Par exemple, Semard écrit : « La Conférence Nationale d’Ivry s’est ouverte sous les meilleurs
auspices. […] Sur tous les problèmes, une large discussion, sans contrainte aucune. On sent
nettement que les délégués sont à l’aise et possèdent une plus grande maturité politique qu’au
congrès de Clichy. La normalisation du Parti se poursuit ; nous nous débarrassons de ce mécanisme
fâcheux qui ― nécessaire au moment de la réorganisation du parti ― doit disparaître
complètement. », « La Conférence Nationale du Parti Communiste Français », La Correspondance
Internationale, n° 108, 4 novembre 1925, p. 919-921.
287
Treint A, « Le sens de la conférence nationale du Parti », l’Humanité, n° 9814, 24 octobre 1925, p.
1. Voir également Treint A, « La Situation financière et nos tâches politiques », Cahiers du
er
Bolchevisme, n° 30, 1 novembre 1925, p. 2019-2027.
288
P-V du BP du PCF du 23 octobre 1925, BMP 96.
289
Dans une résolution sur les résultats de la conférence nationale, le CC déclare que la véritable
discussion n’a pu avoir lieu et que « le malaise persiste », Cahiers du Bolchevisme, n° 31, 15
novembre 1925, p. 2125-2127.
339
« a montré que le parti vivait et qu’il n’était pas en crise grave »290. Les autres
intervenants291 pensent au contraire qu’il faut désormais prendre un tournant radical,
tant sur le plan de la ligne politique que sur celui de l’organisation et des méthodes
de direction, sous peine de voir l’opposition prendre le contrôle du parti. Si la majorité
s’accorde sur le diagnostic, elle diverge sur le remède et principalement sur la
question du renouvellement de l’équipe dirigeante. L’arrivée de Manouilski en
France, mandaté par l’IC pour trouver des solutions à la crise, laisse présager de
grandes manœuvres politiques au sommet du PCF. Treint sait qu’avec Suzanne
Girault, il représente un symbole des excès et des errements de cette première
phase de la bolchevisation. Contrairement à celle-ci, il choisit avec un opportunisme
certain, de prôner une rupture politique et la détente intérieure, de sorte que
Manouilski soit obligé de s’appuyer sur lui et le conserver à sa place au sein de
l’équipe dirigeante. Alors que le parti prépare une conférence extraordinaire, censée
mettre un terme à la crise, les fractions jusqu’alors en gestation, apparaissent au
grand jour.

Les fautes commises depuis le 5ème congrès mondial sont imputables à


l’ensemble de la direction, ainsi d’ailleurs qu’à l’IC qui, à plusieurs reprises, a
approuvé la ligne politique et les méthodes de direction du BP. Lorsque arrive l’heure
de l’examen de conscience, il devient nécessaire de chercher les boucs émissaires.
Condamner toute la direction reviendrait à offrir le parti à l’opposition, ce à quoi l’IC
ne peut se résoudre. Treint, qui connaît bien les arcanes de l’IC, comprend que
l’arrivée de Manouilski en France ― qui était déjà intervenu en 1924 pour écarter
Souvarine ― signifie que l’IC veut imposer des changements et apaiser la crise. Il
sait qu’avec Suzanne Girault, Sauvage, Calzan et quelques autres, il représente un
symbole de la « déviation gauchiste »292 que l’IC dénonce désormais pour tenter de
justifier l’échec relatif la bolchevisation.
A la fin de l’année 1925, les cellules d’usine, qui devaient constituer l’armature
du parti, fonctionnent mal et doivent être abandonnées au profit de cellules de rues. Il
en découle une désorganisation qui se répercute sur les échelons intermédiaires et
détériore la liaison entre le sommet et la base du parti. Mais, en dépit de ces

290
P-V du BP du PCF du 23 octobre 1925, BMP 96.
291
Treint ne participe pas à la séance du BP du 23 octobre 1925.
292 ème
En février 1926, lors du 6 plénum de l’Exécutif Elargi, les fautes de la direction sont
caractérisées comme « gauchistes ».

340
difficultés, le PCF a pris au cours de l’année le tournant organisationnel voulu par l’IC
et les structures du parti des années 1930, centralisé et dirigé par une direction
restreinte, sont constituées. Au regard des directives du 5ème congrès de l’IC, la
gauche n’a pas réussi à accroître l’influence du parti sur les syndicats, à faire de sa
presse un véritable instrument de propagande entre les mains de la direction, ni à
former suffisamment de nouveaux cadres. Cependant, les commissions syndicales,
d’agit-prop et l’école léniniste récemment mises en place, commencent à fonctionner.
Le bilan d’une année de bolchevisation organisationnelle, sous la direction de la
gauche, apparaît négatif au regard des déclarations triomphalistes du congrès de
Clichy. Sur le fond, les principales structures du futur parti communiste en gestation
sont désormais en place.
Sur le plan politique, les campagnes contre le colonialisme de la France et la
guerre du Riff, contre la « terreur blanche », contre la politique de reconstruction de
l’Europe sous l’égide des Etats-Unis, n’ont pas touché les masses ouvrières et
paysannes et ont souligné l’isolement du PCF sur la scène politique française.
Pourtant, aucun militant ne critique le bien fondé de ces campagnes, qui découlent
d’une ligne politique édictée par l’IC. Seule les erreurs d’organisation provoquent le
mécontentement et de vives critiques. L’époque où des membres du parti
dénonçaient l’absence d’indépendance du parti à l’égard de l’IC et du parti russe
semble loin. La gauche a réussi à imposer le léniniste dans les rangs communistes,
mais la brutalité des méthodes employées et le renforcement de l’activité de
l’opposition pousse l’Internationale à intervenir pour écarter les militants les plus
impliqués dans les excès et les erreurs de la direction de gauche.
Le nom de Treint est associé à l’exclusion de Monatte, de Rosmer et de
Delagarde, coupables d’avoir exprimé leurs désaccords. Il est également à l’origine
des mots d’ordre tels que « la terre à coup de fusils » et « tribunal révolutionnaire »
qui lui ont valu les réprimandes de l’Exécutif. Ses analyses sur la crise capitaliste
imminente et la « fascisation » de la social-démocratie, destinées à justifier les
appels au soulèvement et à la constitution de « centuries prolétariennes » l’ont
discrédité. Enfin, son individualisme, son indiscipline et son obstination à vouloir
imposer des conceptions rejetées par une large majorité font de lui une probable
victime du remaniement qui se profile, d’autant plus qu’il a perdu le soutien dont il
bénéficiait au sommet du mouvement communiste international. Mais Treint connaît
l’appareil international et comprend que les accusations de « déviations gauchistes »

341
qui se sont abattues sur le KPD293, le menacent lui aussi. Pour conserver sa place au
sein de l’équipe de direction, il doit manœuvrer et défendre à son tour la détente
intérieure et une politique plus pondérée à l’égard du mouvement ouvrier français.
Brutalement, il modifie la teneur de son discours et justifie ce revirement en parlant
d’un changement de situation qu’il est le seul à percevoir. Avec une indéniable
habilité politique, il constitue, au côté de Doriot, une fraction au sein de la direction,
évitant ainsi de se retrouver isolé. Confiant dans cette manœuvre politique, il estime
ainsi pouvoir sauver sa place au sommet du PCF.

293 er
Le 1 septembre 1925, le KPD reçoit une lettre du CE de l’IC qui condamne fermement les
déviations de Ruth Fisher et de Maslow. Après avoir assisté au congrès du KPD en juillet, Treint
dénonce les « fautes gauchistes » commises par la direction allemande, notamment sur la question
syndicale et le maintien du candidat communiste au second tour des élections présidentielles, P-V du
BP du PCF du 31 juillet 1925, BMP 95.

342
CHAPITRE VII :
TREINT ECARTE DE
LA DIRECTION DU
PCF.

343
Les années 1926-1927 constituent une période transitoire dans la vie du PCF.
Il se trouve confronté à une situation intérieure instable du fait des divisions au sein
de la direction du PCF, de la reprise des luttes de tendances et de la crise de
l’organisation après deux années de bolchevisation. De jeunes dirigeants, tels Doriot,
Cremet ou Thorez, appuyés par Semard, prônent le changement et manifestent leur
volonté de jouer un rôle de premier plan. Avec l’appui de l’IC, cette nouvelle
génération de militants communistes s’installe au sommet du parti et tout en
affirmant la continuité avec la période précédente, impulse une série de
changements. Durant l’année 1926, le PCF est confronté à l’instabilité de la situation
politique française, après l’échec du cartel des gauches, et au retour d’un
gouvernement d’union nationale sous la direction de Poincaré. Cette conjoncture
impose de repenser les rapports du parti avec les socialistes et de redéfinir la
tactique du front unique. Au cours des deux années précédentes, la direction du PCF
a fait preuve d’intransigeance à l’égard de la SFIO, refusant tout contact avec les
dirigeants socialistes ; accusés de « social-fascisme ». Dès la fin de l’année 1925, la
direction communiste fait de nouvelles propositions de front unique et abandonne la
rhétorique révolutionnaire qui caractérisait ses précédents appels. Au cours de
l’année 1926, elle poursuit son rapprochement et pratique des accords électoraux
« circonstanciels », avec les socialistes mais également avec les radicaux. Ce virage
brutal n’est pas sans provoquer des critiques de la part de militants qui peinent à
suivre ces nouveaux revirements tactiques. Sur le plan de la réorganisation
intérieure, la direction assouplit ses positions et abandonne les méthodes brutales et
unilatérales de la période précédente. Mais, malgré l’adoption d’une ligne politique
plus souple et la détente intérieure, les dirigeants ne parviennent pas à surmonter
leurs divisions et à constituer un groupe homogène. Le conflit au sommet du parti
russe contribue à accroître ces tensions.
Après la mise à l’écart de Trotsky, la Troïka se disloque. Lors du 14ème
congrès du PC d’URSS, Zinoviev et Kamenev affrontent Staline, désormais allié à
Boukharine. Ayant remporté une large victoire, la nouvelle majorité
Staline/Boukharine se tourne vers les sections nationales de l’IC et élimine
progressivement tous les dirigeants susceptibles d’apporter un soutien à la nouvelle
opposition russe. Zinoviev et Kamenev, marginalisés, entament un rapprochement
avec Trotsky et ceux qu’ils avaient jusqu’alors combattus. Dans un premier temps,
« l’Opposition unifiée » dénonce la ligne politique « droitière » de la nouvelle
majorité. Elle critique également les fautes de l’IC dans sa gestion de la crise

344
anglaise, après l’échec de la grève générale en mai 1926 ou encore la tactique
d’alliance du parti communiste chinois avec le Kuomintang1, voulue par l’IC. Ils
accusent la nouvelle majorité du parti russe d’abandonner les perspectives de
révolution internationale au profit d’une politique nationaliste de développement du
socialisme dans un seul pays. Si dans un premier temps, ce nouveau conflit au
sommet du parti russe passe pour une simple controverse politique, la violence des
échanges et les sanctions politiques qui s’abattent sur les opposant témoignent de la
lutte pour le pouvoir que se livrent les héritiers de Lénine.
Face à cette nouvelle crise politique au sein de l’IC, la direction française
apparaît hésitante et se contente d’enregistrer la victoire du groupe
Staline/Boukharine sans condamner l’opposition. Treint, qui lutte pour conserver son
poste à la direction du parti, se démarque et prend fait et cause pour la nouvelle
majorité. Considéré jusqu’alors comme un allié de Zinoviev, il dénonce le
« gauchisme » de l’Opposition unifiée et de ses partisans dans les sections de l’IC.
Malgré ce repositionnement politique, il est lui-même écarté de la direction du PCF
au nom de la rupture avec ce gauchisme dont il demeure l’un des symboles.

1
Cf. infra.
345
A/ De la conférence extraordinaire de décembre 1925 au
6ème Exécutif Elargi de l’IC.

1) Reclassements à la direction.

Les déclarations optimistes qui suivent la conférence nationale du PCF ne


suffisent pas à masquer l’ampleur de la crise et l’absence de direction. Tous les
membres du BP savent qu’il est impossible de faire l’économie d’une véritable
discussion et qu’il faut rapidement mettre à l’ordre du jour les modifications à
apporter pour rétablir un minimum de solidarité et de travail en commun entre les
dirigeants du parti. Lorsque la question du renforcement du secrétariat vient devant
le BP2, les principaux militants pressentis pour en faire partie se dérobent. Suzanne
Girault, qui assume les tâches quotidiennes dévolues au secrétaire, refuse de
prendre seule la responsabilité des fautes et demande la constitution d’une véritable
direction collective3. Semard et Doriot, prétextant de leurs nombreuses occupations4,
repoussent cette proposition, entraînant un débat avec Gouralski, qui accuse Doriot
de « s’écarter de la direction ». Leur refus s’explique par des considérations
tactiques. L’équipe dirigeante a désormais pris conscience que le BP, dans l’attente
d’un arbitrage de l’IC, est en sursis. Il s’agit de se positionner dans l’optique d’une
restructuration des organes de direction. La défiance, l’hypocrisie, les ressentiments
provoqués par ces manœuvres politiques favorisent l’apparition de tendances
concurrentes, rendant encore plus difficile le travail au quotidien. Marrane, de retour
de Moscou, rapporte l’inquiétude du CE de l’IC à la suite des rapports des délégués
étrangers en France « qui ont observé six ou sept tendances à la direction du
parti »5. Doriot déclare, quelques mois plus tard, qu’avant la conférence
extraordinaire de décembre 1925, trois tendances cohabitaient au BP ; la première

2
P-V du BP du PCF du 23 octobre 1925, BMP 96.
3
« Il n’y a pas de secrétariat effectif à la direction du parti. Il n’y a en réalité de responsabilité devant
le Comité central que celle de Suzanne Girault. Il n’y a pas de direction collective. Doivent faire partie
des réunions : Semard (secrétaire général), Cremet (responsable du BO), Marrane et Doriot. » Ibid.
4
Semard dirige l’Humanité et Doriot, en plus d’être député, dirige les jeunesses communistes.
5
P-V du BP du PCF du 14 novembre 1925, BMP 97.
346
représentée par Treint et lui-même ; la seconde par Thorez et Semard ; la troisième
par « un autre petit morceaux qui est resté dans l’expectative »6.
Le rapprochement entre Treint et Doriot date du début de l’année 19257, bien
qu’à plusieurs reprises, ils se soient heurtés, notamment sur la question de la guerre
du Maroc. Treint craint avant tout que l’IC, pour sortir le parti de la crise, n’applique la
même méthode que dans le KPD, où les dirigeants qui symbolisaient les déviations
« gauchistes » ont été écartés au profit d’une direction « centriste ». Son principal
objectif consiste à faire oublier son rôle dans les errements des mois passés et à se
démarquer des « gauchistes » Suzanne Girault et Sauvage, pour se repositionner au
centre et se présenter comme l’un de ceux qui ont compris le plus tôt la nécessité
d’un infléchissement, tant sur les méthodes de travail que sur la ligne politique. Son
brutal revirement porte principalement sur deux points : l’excès d’autoritarisme et les
fautes dans l’application de la tactique du front unique. Treint qui prônait quelques
semaines auparavant une discipline sans faille et l’exclusion des leaders de la
« droite »8, ainsi qu’une ligne politique volontariste et de galvanisation des masses
par des mots d’ordre révolutionnaires, se singularise désormais par ses appels à la
souplesse et à la modération.
Avant même la conférence nationale d’Ivry, Treint, dans un rapport sur la
situation de la région nord, s’en prend à Cadeau et l’accuse d’avoir fait preuve de
brutalité en « éliminant les éléments social-démocrates sans leur avoir arraché les
ouvriers »9. Son implication dans les méthodes brutales contre l’opposition l’amène à
observer une attitude prudente, laissant le soin à Doriot, moins concerné, de
dénoncer l’autoritarisme de Suzanne Girault et de Sauvage. Il se contente, dans un
premier temps, de militer, sur tous les cas de conflits à l’intérieur du parti ou avec les
autres organisations révolutionnaires, en faveur d’un changement d’orientation. Lors
de la première véritable discussion sur les divergences politiques au sommet du
parti10, Treint se tient à l’écart. Le débat porte sur l’inefficacité du secrétariat, le
manque de liaison entre les différents organismes et les mesures à prendre pour

6
Intervention de Doriot lors de la deuxième séance de la commission française de l’Exécutif Elargi de
février mars 1926, RGASPI, 495/164/304.
7
Cf. supra.
8
« Prenons par exemple la lutte contre la droite où Treint préconisait la politique de l’exclusion par le
BP alors que tout le BP, d’accord avec le représentant de l’IC, était pour une discussion ouverte et
profonde et pour des exclusions, le cas échéant, par la base et non par le BP. » Intervention de Jacob
lors de la quatrième séance de la commission française de l’Exécutif Elargi de février mars 1926,
RGASPI, 495/164/308.
9
P-V du BP du PCF du 9 octobre 1925, BMP 96.
10
Voir P-V du BP du PCF du 14 novembre 1925, BMP 97.
347
remédier au « malaise ». Chaque intervenant expose ses griefs et ses suggestions
pratiques. Costes, qui représente le comité de la région parisienne, dénonce le
« manque d’extériorisation des décisions de la direction ». Concernant la province,
Cremet dresse un bilan identique et parle de « méfiance politique contre certains
membres de la direction du parti ». Suzanne Girault leur répond que ce manque de
liaison et cette incompréhension entre la direction et les régions s’explique avant tout
par l’absence d’homogénéité de l’équipe dirigeante, découlant de divergences
politiques et tactiques. Elle préconise de reformer la direction autour d’une équipe
solidaire sur le plan politique et, si nécessaire, d’écarter les minoritaires, elle
comprise :
« Mais s’il y a des divergences, que l’on constitue une direction homogène. Si
je suis, moi, l’élément qui empêche la direction du Parti de travailler,
expliquons nous ; constituons cette direction homogène et si Suzanne Girault
doit être écartée, écartez-là. L’intérêt du prolétariat est bien au-dessus de
cela. »11
En replaçant les désaccords politiques au centre de la discussion, elle réplique
directement à Monmousseau et Gouralski. Le dirigeant de la CGTU nie en effet les
divergences politiques et voit dans les dysfonctionnements du BP et le manque
d’organisation du parti la cause principale de la crise. Le représentant de l’IC juge
également que « l’incapacité de la direction à organiser le travail » constitue le
facteur principal expliquant l’incapacité du PCF à mener une campagne politique
efficace et à mobiliser ses membres autour des mots d’ordre définis par la direction.
Il accuse explicitement le BO ― c'est-à-dire Suzanne Girault et Sauvage ― d’être
responsable des difficultés de liaison entre les différents organismes du parti et de
l’absence de collaboration avec les dirigeants de la CGTU12. Seules les conceptions
autoritaires de « la gauche française »13 ont entravé la marche en avant du parti et
pas un quelconque manque d’homogénéité politique.
Doriot profite de la tournure prise par les débats pour marquer à son tour sa
désapprobation de l’autoritarisme excessif dont il tient Suzanne Girault et Sauvage

11
Ibid.
12
« J’accuse le BO de l’absence de liaison entre le BO et le BP. […] Il faut condamner les méthodes
qui font que jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à créer une direction unique, mais au contraire,
à écarter certains camarades. Il faut créer un secrétariat collectif, poser devant le BP¨la question du
travail devant la CGTU. », Ibid.
13
« La gauche du parti allemand a réussi à discréditer toute la gauche de l’IC. Ce serait une
catastrophe si nous avions encore l’expérience d’une autre gauche, celle du Parti français, se
montrant incapable. », Ibid.

348
pour seuls responsables. Après avoir pris les commandes du parti après le 5ème
congrès mondial de l’IC, la fraction de gauche a été incapable de s’ouvrir aux
membres d’autres tendances et de constituer une véritable direction collective. Il
explique cette attitude par le sentiment de supériorité qui animait alors la gauche et
leur manque de confiance envers ceux qui se sont ralliés à la nouvelle majorité en
1924. S’il ne peut éviter de mettre en cause Treint, Doriot le disculpe en partie,
soulignant que ce dernier s’est éloigné de la direction :
« Pourquoi y a-t-il un courant d’hostilité contre Suzanne et contre Sauvage ?
Ce n’est pas seulement à cause de la question d’organisation, mais parce que
c’était Suzanne qui avait la responsabilité politique du Parti et Sauvage la
responsabilité de l’organisation. On n’a pas donné l’impression qu’il y avait
une direction collective. Treint avait un moment partagé les critiques dirigées
contre votre groupe. Mais comme sur plusieurs questions il y avait des
divergences entre lui et vous, vous êtes restés seuls. »14
Treint se garde d’intervenir et de se solidariser avec les autres dirigeants de la
gauche, montrant par là même qu’il s’est probablement concerté avec Doriot pour
déclencher les hostilités et se démarquer. Au centre de toutes les critiques, Suzanne
Girault et Sauvage s’accrochent à l’idée que les fautes d’organisation découlent non
pas de méthodes erronées mais bien du manque d’homogénéité politique. Ils
apparaissent néanmoins sur la défensive et se préparent à quitter leurs postes à la
direction du parti.
Deuxième étape dans la stratégie élaborée pour apparaître comme le groupe
central de la direction, Doriot et Treint préconisent un virage brutal dans l’application
de la tactique du front unique. A partir du mois de novembre, le BP envisage de
s’adresser directement à la direction de la SFIO, jusqu’alors accusée de dérive
fasciste et de trahison du mouvement ouvrier. Les propositions portent sur la lutte
contre le fascisme et la création d’un programme financier commun. Le contexte
politique et économique est alors dominé par les difficultés financières de l’Etat
français et l’instabilité gouvernementale15. Cette crise offre un excellent terrain
d’agitation aux ligues d’extrême-droite, farouchement opposées à la politique menée
par les différents gouvernements issus de la victoire du cartel des gauches en 1924.

14
Ibid.
15
Le président du Conseil Paul Painlevé démissionne le 27 octobre 1925 et reforme immédiatement
un nouveau gouvernement, renversé le 22 novembre 1925 et remplacé par un gouvernement formé
par Aristide Briand.

349
Peu après la chute du troisième cabinet Painlevé (29 octobre/22 novembre 1925),
Treint évoque la nécessité d’appliquer la tactique du front unique16 « par en haut » et
si nécessaire de soutenir un gouvernement contenant des ministres socialistes17.
Pour justifier ce désaveu de la pratique du front unique depuis le milieu de l’année
1924, il se réfère aux erreurs dans la lutte contre le fascisme et souligne la « volonté
des masses » favorables aux solutions préconisées par la SFIO. Le PCF aurait
surestimé le danger fasciste, avant de commettre l’erreur inverse en le passant sous
silence, et serait en passe d’en commettre une nouvelle en posant le problème sous
l’angle « fascisme ou communisme ». Ses déclarations sur le paysage politique
français bipolaire, irrémédiablement scindé entre un bloc révolutionnaire et un bloc
fasciste18, semblent oubliées. Il ne s’agit pas, dans son esprit, de reconnaître ses
propres fautes mais au contraire d’affirmer la pertinence de ses raisonnements
antérieurs, en passant sous silence ou en modifiant les passages aujourd’hui
compromettant. En effet, il proclame toujours que la social-démocratie, comme le
fascisme, reste un instrument du capitalisme dans sa lutte contre le mouvement
ouvrier. Seulement, il estime désormais que seule une tactique souple, impliquant
une alliance avec ses propres ennemis, peut donner des résultats. De même, à
propos du front unique, il suggère d’appliquer la tactique avec subtilité, en évitant les
erreurs « gauchistes » :
« Ce serait une faute de proposer le front unique sur autre chose que ce que
peut vouloir actuellement la masse quand elle va dans le sens de ses intérêts.
Nous ne réaliserions alors le front unique qu’avec ceux qui sont déjà d’accord
avec nous sur beaucoup de points. Ce ne serait pas le front unique, mais le
simulacre du front unique. […] Vouloir d’emblée proposer le front unique sur
tout notre programme, c’est nier la nécessité de la lutte en commun pour les
revendications immédiates, c’est nier la nécessité des manœuvres politiques
contre la bourgeoisie. […] Mieux vaut une grève de dix minute faites par toute
l’usine qu’une grève de 24 heures faite par le quart de l’usine. »19

16 er
Treint A, « La crise du régime en France et le front unique », Cahiers du bolchevisme, n° 32, 1
décembre 1925, p. 2179-2192.
17
« Nous avons même fait de l’acceptation de ces mots d’ordre par un gouvernement cartelliste ou
socialiste pur, la condition sous laquelle nous défendrions un tel gouvernement contre les attaques de
la réaction. Nous avons tout intérêt, en effet, à pousser les chefs socialistes, soit à participer
directement au gouvernement, soit à former seuls un gouvernement. », Ibid., p. 2190.
18
Cf. supra.
19
Ibid., p. 2190.

350
Ici encore, aucune repentance concernant les mots d’ordre révolutionnaires, tels que
« la terre à coups de fusils » ou encore « transformation de la guerre Maroc en
guerre civile », dont il ne peut nier la paternité. Mais s’il se démarque ostensiblement
des « gauchistes » dont il raille les tendances sectaires, il prend soin de conclure par
un long réquisitoire contre la droite, accusée de verser dans « l’opportunisme » et
d’être plus proche des chefs réformistes que de la masse révolutionnaire. Depuis
1924, les opposants dénonçaient les erreurs de la direction dans l’application de la
tactique du front unique et militaient en faveur de propositions acceptables par les
masses ouvrières20. Comment ne pas voir dans le revirement tactique des dernières
semaines, une preuve de la justesse des critiques de l’opposition et de la nécessité
de l’associer à la direction du parti ? En s’appuyant sur une lecture tendancieuse de
ses arguments, il tente, par un raisonnement confus et hypocrite, de démontrer qu’il
ne peut y avoir aucune comparaison entre le front unique tel que le conçoit « la
droite » et tel que le conçoit la direction21. En s’en prenant à « l’opportunisme » de
l’opposition, il répond également aux détracteurs qui, au sein de la direction,
l’accusent de tomber dans les travers de la droite, après avoir commis des erreurs
« gauchistes ».
En militant pour un changement de ligne politique, Treint se contente de suivre
un mouvement initié par d’autres membres du BP, dès le début du mois de
novembre. Semard est le premier à avancer de nouvelles thèses et formules qui font
rapidement leur chemin. Il propose que, dans le cadre de la lutte contre le fascisme,
le parti s’affirme comme un défenseur des libertés républicaines22 et fasse des
propositions de front unique aux organisations socialistes « à tous les échelons ». A
cette séance du BP, seul Cachin approuve immédiatement cette déclaration. Les
autres intervenants se contentent de reconnaître la gravité du péril fasciste, sans
pour autant faire de proposition pratique. Treint soumet une série de mots d’ordre
censés contrer la propagande fasciste auprès des couches sociales populaires et de
la petite bourgeoisie. Il suggère notamment d’organiser de grandes manifestations.

20
« Le devoir du Parti est, au contraire, de rallier les masses autour de ces mots d’ordres ; pour cela il
ne faut pas qu’il rejette un mot d’ordre comme opportuniste sous prétexte qu’il pourrait être accepté
par les ouvriers social-démocrates. Telle est cependant la conception de la direction. » Thèses
Paz/Mahouy, l’Humanité, n° 9808, 17 octobre 1925, p. 4.
21
« Et surtout, il ne faut laisser s’établir nulle confusion. La droite a dit : front unique sur des mots
d’ordre acceptable par les chefs réformistes. Nous disons : front unique sur des mots d’ordre
exprimant ou stimulant la volonté actuelle des masses lorsque cette volonté va dans le sens de leurs
intérêts. », « La crise du régime en France et le front unique », art. cit., p. 2191.
22
« Il faudra sans doute que dans quelques temps nous défendions non pas la constitution
républicaine, mais son contenu. La classe ouvrière doit défendre les maigres libertés que lui donne le
régime républicain : 8 heures, droit syndical etc. », P-V du BP du 17 novembre 1925, BMP 97.
351
En revanche, il ne se prononce pas sur les propositions de Semard, montrant sa
réticence à s’adresser directement aux chefs socialistes, qu’il considère toujours
comme des alliés du fascisme23. Suzanne Girault, qui participe à la séance, choisit le
silence, manifestant ainsi son désaccord avec les nouvelles orientations
préconisées. Le BP décide finalement d’organiser une série de meetings et de
campagnes d’affichage et de présenter des nouvelles propositions de front unique.
Constatant le retard dans l’application des dispositions prises, s’expliquant autant par
des divergences au sein de la direction que par la désorganisation du parti, le BP24
décide de constituer une commission composée de Doriot, Thorez et Treint, chargée
de préparer le travail d’agitation contre le fascisme. Le jour même, l’Humanité publie
un projet de front unique, envoyé à la SFIO25, qui contraste avec ceux présentés
précédemment26. Il s’agit d’un programme précis et complet, mais limité aux
« revendications immédiates les plus urgentes » et faisant l’impasse sur la question
des guerres coloniales, le gouvernement ouvrier et paysan et tout autre mot d’ordre
susceptible de heurter la sensibilité des dirigeants socialistes. Le 24 novembre, deux
jours après la chute du gouvernement Painlevé, le parti publie un nouveau texte
dans lequel il se déclare prêt à soutenir un gouvernement de cartel pour empêcher la
formation d’un « gouvernement réactionnaire »27. Treint, qui manifestait quelques
doutes et souhaitait cantonner les propositions de front unique à la base socialiste,
prend à son tour le virage tactique, sans se départir de son attitude ambiguë et
manœuvrière.
Le 24 novembre 192528, le BP discute des premiers effets de la nouvelle
tactique et notamment du rôle de la fraction communiste à la Chambre des députés.
Treint se réjouit des effets bénéfiques des appels au front unique et des possibilités
d’alliance avec la gauche socialiste :
« Monmousseau a très bien marqué la situation dans laquelle nous sommes.
Devant l’opinion, nous apparaissons comme les arbitres entre le Cartel des

23
« La bourgeoisie est capable de combiner les moyens dont elle dispose et qui sont de différentes
sortes : fascisme, social-démocratie, pour créer une situation compliquée et troubler le prolétariat qui
peut laisser passer une situation révolutionnaire sans être capable d’agir, comme cela était le cas en
Allemagne », Ibid.
24
P-V du BP du PCF du 21 novembre 1925, BMP 97.
25
« Proposition de front unique aux organisations socialistes », l’Humanité, n° 9843, 21 novembre
1925, p. 1.
26
Sur l’évolution du discours communiste au cours du mois de novembre, voir WOLIKOW S, Le parti
communiste français et l’Internationale communiste (1925-1933), op. cit., p. 180-185.
27
« Aux travailleurs », l’Humanité, n° 9846, 24 novembre 1925, p. 1.
28
P-V du BP du PCF du 24 novembre 1925, BMP 97.
352
gauches et la droite. Nous avons une politique habile à mener, difficile, mais
qui peut nous rapporter beaucoup. »29
Il s’affirme partisan d’une politique de soutien à un gouvernement qui reprendrait, au
moins en partie, le programme financier du PCF. Cependant, il met en garde contre
le danger « opportuniste » représenté par cette tactique. Il estime que le parti ne doit
pas perdre de vue que l’objectif du front unique reste la conquête des masses
ouvrières influencées par la social-démocratie et que cette tactique est dirigée tout
autant contre la droite que contre les socialistes et les forces politiques du cartel30. Il
n’a pas abandonné cette conception étroitement manœuvrière de la tactique du front
unique, qu’il résumait trois années auparavant par sa célèbre formule sur « la volaille
à plumer », à laquelle il fait de nouveau référence :
« On a beaucoup parlé de la fameuse "volaille à plumer" et nos adversaires,
dénaturant le sens de cette formule, nous accusent de vouloir leur tendre un
piège. Il y a un piège, en effet, dans le front unique. Ce n’est pas le piège
misérable que les méchants communistes tendent aux bons socialistes. C’est
le piège que tend l’histoire aux chefs et aux partis qui, liés à la bourgeoisie, ne
peuvent lutter jusqu’au bout avec le prolétariat. »31
Marrane, Cremet et Semard critiquent cette vision purement tactique du front unique,
trop centrée sur les luttes parlementaires et demandent que le parti ne perde pas de
vue l’objectif premier, « se rapprocher des masses ». Le secrétaire général souligne
que l’abandon de certains mots d’ordre, tel que l’évacuation du Maroc, trouble la
base et qu’il convient de mieux expliquer pourquoi le parti concentre son activité sur
la lutte contre le fascisme.
Le parti organise, le 26 novembre 1925 à Luna-park, un meeting au cours
duquel plusieurs dirigeants32 viennent présenter aux 20000 auditeurs les grandes
lignes de la politique du PCF. Loin d’afficher une unité retrouvée derrière la ligne
politique redéfinie ces dernières semaines, les orateurs exposent des analyses

29
Ibid.
30
« Nous commettrions une grosse faute si nous nous hypnotisions sur la lutte directe contre le
fascisme. Il faut lutter contre par notre action vis-à-vis du bloc des gauches et des socialistes. », Ibid.
31
Il ajoute : « Nous communistes, parce que nous sommes sûrs de lutter jusqu’au bout avec et pour le
prolétariat, nous n’avons pas peur de perdre des plumes dans la pratique du front unique : nous
sommes une volaille qui n’a pas peur d’être plumée. », « La crise du régime en France et le front
unique », art. cit., p. 2189.
32
Orateurs : Cachin, Doriot, Garchery, Monmousseau, Semard et Treint. Voir l’Humanité, n° 9849, 27
novembre 1925, p. 1-2.
353
différentes et parfois contradictoires de la tactique de lutte contre le fascisme33.
Treint réitère ses appels à la lutte violente pour briser le fascisme34, alors qu’il était
censé reprendre les seuls mots d’ordre de front unique, votés au BP. Cremet lui
reproche de dissimuler ses véritables intentions et de varier son discours en fonction
de son auditoire35. Le lendemain du meeting, Treint soutient en effet Doriot, accusé
d’avoir déformé le sens des modifications apportées à la tactique du front unique.
Devant le BP36, Marrane lit une lettre du comité de la région parisienne, dans laquelle
les militants s’étonnent des déclarations faites par Doriot au comité régional, le 25
novembre 1925. Il aurait affirmé que le « parti s’était rendu compte que nous avions
appliqué la tactique du front unique comme des enfants », alors même que la
direction prétend ne pas avoir changé de tactique et s’être contentée d’y apporter
quelques retouches. Au nom de la région parisienne, Costes37 vient confirmer cette
version des faits38. Doriot est implicitement accusé de vouloir, avec Treint, apparaître
auprès de la base comme l’instigateur de la nouvelle politique du parti et de s’en
attribuer les mérites. Il réplique que « jamais ni Treint, ni [lui], n’[ont] envisagé un
changement dans notre tactique du front unique ». Il considère que le parti doit dire
franchement qu’il a commis des fautes qu’il tente aujourd’hui de corriger. Treint
intervient ensuite pour appuyer la démarche de Doriot :
« Il ne peut s’agir d’une révision du front unique qui est une tactique bien
déterminée par l’expérience et par toutes les décisions de l’Internationale.
Mais au cours de cette année, nous avons beaucoup oscillé, tantôt faisant des
erreurs de droite, tantôt de gauche. »39
Avoir retiré les candidats communistes aux élections cantonales fut une « erreur de
droite ». Par contre, certains mots d’ordre imposés aux CUP constituèrent des
« erreurs gauchistes ». Pour remédier à ce manque de ligne claire et déterminée, le
parti doit se concentrer sur les masses et réussir à mieux les mobiliser :

33
Suzanne Girault : « La situation dans le parti n’est pas nette, […] et au meeting d’hier soir, nous
avons vu que chaque orateur peut avoir sa pensée, mais qu’il n’y a pas de clarté sur la tactique, dans
le parti. P-V du BP du PCF du 27 novembre 1925, BMP 97.
34
« A la violence des capitalistes, qui défendront leurs privilèges, il faudra opposer la violence
prolétarienne. Il faudra briser l’Etat bourgeois, et sur ses ruines, bâtir le gouvernement ouvrier et
paysan […] ». L’Humanité, n° 9849, 27 novembre 1925, p. 2.
35
P-V du BP du PCF du 27 novembre 1925, BMP 97.
36
Ibid.
37
Alfred Costes (1888-1959) : Ajusteur mécanicien. Secrétaire de la région parisienne en 1924 et
membre du CC eu 1925.
38
« Avant que Doriot ne prenne la parole, je l’ai prévenu que des camarades de droite avérés allaient
poser la question : "Le parti abandonne t-il sa pensée". Doriot a répondu en disant : "Oui, il y a eu
faute et le parti communiste doit être capable de se critiquer" », Ibid.
39
Ibid.
354
« La mobilisation révolutionnaire du prolétariat comporte trois mesures. Nous
devons 1° grouper les masses sur leurs revendications immédiates, 2° les
élever jusqu’à notre compréhension de la lutte, 3° les organiser dans de
vastes organisations de front unique. La mobilisation révolutionnaire, cela ne
signifie pas du tout appeler les masses sur nos mots d’ordre, ou même
simplement sur des choses qui dépasseraient de beaucoup les masses. »40
Cette déclaration illustre la volte-face de Treint qui, en accord avec Doriot, tente de
se désolidariser d’une direction qu’il estime collectivement responsable des échecs.
Il s’attire les répliques agacées de Suzanne Girault, rappelant son attitude passée
sur la question du défaitisme et l’accusant de préconiser une tactique
« opportuniste »41, de Thorez42 et de Cremet qui critiquent son double langage43.
L’adoption des changements tactiques porte un nouveau coup à l’unité de la
direction déjà mise à mal par les discussions précédentes et par l’atmosphère de
soupçon régnant au BP. C’est dans ce contexte que Manouilski44, envoyé par l’IC
pour trouver une solution aux carences et à la division de la direction, intervient.
Lors de sa première apparition, il se contente d’une courte intervention pour
rappeler les aspects positifs de l’activité du parti et déclarer qu’il n’y a pas dans le
PCF, « de crise semblable à celle que le KPD vient de traverser ». Le BP prend
ensuite la décision de se réunir deux jours plus tard, pour prolonger la discussion
mais aussi de convoquer une conférence extraordinaire45, à peine un mois et demi
après la conférence nationale d’Ivry. Lors de la séance suivante46, il intervient plus
longuement et débute en justifiant sa présence en France par une lettre de Gouralski
demandant des informations sur les événements au sein de la direction du PCR.
Après un rapide résumé de la teneur de la discussion russe, il en vient à ce qui
constitue la véritable raison de sa présence, la crise au sommet du PCF. D’emblée,
son ton se fait grave :

40
Ibid.
41
« Dans l’exposé de Treint, c’est une tactique tout à fait opportuniste qui nous est préconisée. […] En
tout cas, on ne pouvait pas dire que la direction du parti a commis une faute tant que cela n’est pas
prouvé. », Ibid.
42
« La région du Nord, elle aussi, s’émeut et demande des explications. Celles de Treint ne me
satisfont pas. Nous ne devons pas concevoir la tactique du front unique sous la forme d’une tactique
consistant à ne présenter que ce qui est voulu par les masses. », Ibid.
43
« Pour ceux qui ont assisté au meeting de Luna-Park, Treint qui se déclare d’accord avec les
déclarations faites par Doriot à la réunion des agitateurs, nous a prononcé hier un discours
démagogique qui est la contrepartie même des déclarations de Doriot, en disant qu’à la révolution
fasciste, nous opposerons la révolution communiste. », Ibid.
44
Il est signalé dans les P-V sous le pseudonyme de Kirsch.
45
Selon Serge WOLIKOW, op. cit., p. 310. La décision n’apparaît pas dans le P-V de la séance.
46
P-V du BP du PCF du 29 novembre 1925, BMP 97.
355
« Je serais franc, et quand on parle d’erreurs de Sauvage et de Suzanne
Girault, quand on parle de constituer un nouveau "cabinet", j’éprouve de
grandes inquiétudes. […] Je suis venu en éprouvant moins de pessimisme
que maintenant. Après mes conversations avec les différents camarades, je
considère la situation dans votre parti comme très sérieuse. Vous avez plus
qu’un malaise, le commencement d’une crise. »47
Il dresse un constat sévère de l’état d’esprit au BP et signale que, si tous dénoncent
le rôle néfaste de Sauvage et Suzanne Girault48, les fautes sont collectives. Il
s’adresse plus spécifiquement à Doriot et Treint, leur demandant d’être moins
individualistes, de ne pas « travailler dans leur coin ». Il soumet une première série
de propositions de réformes de la direction centrale : intégrer à la direction les vieux
militants tels que Sellier et Renaud Jean, constituer un secrétariat collectif autour de
Semard, Cremet et Marrane et donner plus de place aux représentants de la CGTU
au BP mais aussi au BO.
Le lendemain, la séance49 débute par une discussion sur les divergences
entre le PCF et le KPD concernant les questions de politique internationale50, puis se
poursuit sur les problèmes de la direction du parti. Manouilski réitère, son jugement
sur l’absence d’homogénéité politique et de solidarité51 au sein de l’équipe
dirigeante. Il s’en prend une seconde fois à Doriot et Treint :
« Doriot, dans lequel j’ai le plus grand espoir, pour son avenir comme chef du
parti, peut me dire que je suis sentimental. […] Je comprend qu’il faut
chercher à faire prévaloir sa politique, mais celui qui cherchera à jouer au
chef, celui-là se cassera le cou et cassera le cou à son parti. […] Pour Treint,
tout le monde a compris qu’il y avait eu dans certaines de nos discussions, un
désaveu de ses conceptions. »52

47
Ibid.
48
« En ce qui concerne le parti, fier, tout le monde m’a dit : "La cause du malaise c’est que Sauvage a
un caractère brusque, qu’il a voulu imposer toutes les décisions du BP ; c’est que Suzanne Girault a
un point de fer". », Ibid.
49
P-V du BP du PCF du 30 novembre 1925, BMP 97.
50
Les partis français et allemand s’accusent mutuellement de développer une analyse nationaliste
des conséquences du pacte de Locarno. Pour le KPD, l’accord visant à stabiliser la situation entre
l’Allemagne et ses partenaires ouest-européens (principalement admission de l’Allemagne à la SDN
en échange de la reconnaissance des frontières occidentales héritées de la guerre) profite avant tout
à la bourgeoisie française. Au contraire, le PCF estime que l’accord témoigne de l’inversion du rapport
de force entre les deux pays et du renforcement de l’impérialisme allemand.
51
« La situation est intolérable : les camarades du secrétariat guettent les erreurs des uns et des
autres, pour se dénigrer », Ibid.
52
Ibid.
356
A la suite de cette intervention, chaque dirigeant étale devant les autres ses
désaccords, ses critiques, ses solutions. Pour autant, chacun campe sur ses
positions, entérinant la ligne de fracture entre ceux qui voient dans la crise une
faiblesse de l’appareil et ceux qui jugent au contraire que le malaise découle avant
tout des fautes et différents politiques. Suzanne Girault, Cremet, Monmousseau,
Sauvage et Thorez, s’ils ont des divergences de vues entre eux, pensent tous que
les mauvaises méthodes de travail, le manque de liaison entre les organismes du
parti, l’absence de solidarité entre les membres du BP expliquent la crise actuelle du
PCF. Doriot et Treint estiment que les fautes politiques passées, entraînant une
rupture entre le parti et la masse, sont la cause principale des difficultés du moment.
Comme lors de ses interventions précédentes, Treint insiste sur l’importance
d’adopter une tactique plus souple visant à mobiliser les ouvriers53. Doriot, tout en
affirmant que « le véritable problème se trouve dans la question politique »54,
renouvelle ses attaques contre Suzanne Girault, l’accusant d’avoir employé des
méthodes « mécaniques » et « personnelles » et propose qu’elle soit écartée de la
direction55. Celle-ci rejette ces accusations, rappelant qu’elle se trouvait souvent
seule au secrétariat et n’avait d’autre choix que de prendre seule les décisions
impliquant toute la direction. Elle s’en prend longuement à Doriot et Treint qui
rejettent toutes les fautes sur quelques camarades, oubliant leurs propres erreurs56.
Tout en défendant la ligne politique du parti, elle prend à contre-pied leurs thèses,
estimant qu’eux seuls commettent des fautes politiques :
« Suivant Doriot et Treint, le malaise est dû à la mauvaise politique de la
direction. Je persiste à penser que notre politique a été juste. […] Je l’ai dit
franchement : il n’y a pas de travail collectif parce qu’entre nous existent des

53
« Le fond du problème c’est le rapport du parti avec les masses en général dans la situation
actuelle. […] Nous devons chercher à mobiliser les masses sur des mots d’ordre légèrement en avant
des masses, mais compréhensibles par elles, susceptibles de grouper leur volonté pour la lutte. […]
Et voilà quelle est la cause du malaise dans le parti. […] Une grande partie de nos différents avec les
syndicats, sont dus aussi à ce que par l’intermédiaire de nos militants de nos syndicats, nous faisions
demander à la masse plus que ce qu’elle pouvait donner. Pourquoi nos régions ne se développent t-
elles pas ? Pour les mêmes raisons et cela pas tant à cause de la faiblesse de notre appareil qu’il faut
d’ailleurs perfectionner. […] Voilà où je vois la solution de nos difficultés. Si nous n’opérons pas de
redressement, ayant à choisir entre les traits gauchistes et la droite, le parti irait vers la droite. », Ibid.
54
Ibid.
55
« Je ne crois pas que cela soit bon pour la politique du parti, que Suzanne conserve une place
prépondérante, personnelle à la direction. […] Je puis travailler collectivement, mais je ne puis forcer
la camarade Suzanne à travailler collectivement avec moi. Au secrétariat, Suzanne y dominait par sa
ligne politique et par sa formation, puis il y avait les mais de Suzanne. », Ibid.
56
« Si je voulais suivre Doriot sur ce terrain, je pourrais avoir une position tout à fait favorable à la
direction du parti, en demandant à Treint, responsable du BO, qui n’a assisté que deux fois à ses
réunions, et qui se plaint aujourd’hui de l’absence de liaison : "Mais qu’as-tu fait ?". », Ibid.

357
divergences politiques. Je suis heureux que Kirsch soit venu et qu’il s’en
aperçoive. Des camarades ont tendance à exagérer beaucoup les fautes du
parti. »57
En conclusion du débat, Manouilski tente une synthèse entre les différentes positions
exprimées, soulignant à la fois le besoin de renforcer la liaison du parti avec les
ouvriers, mais aussi de reconstruire une direction plus homogène et plus solidaire.
Sur ce second point, il préconise de répartir les tâches du secrétariat entre quatre
dirigeants et de déplacer Suzanne Girault ainsi que Sauvage. Il espère, par ces
mesures consensuelles, éviter que le conflit ne prenne une tournure trop
personnelle. Le lendemain, le débat ouvert depuis quelques semaines au BP doit
être solutionné par une conférence nationale extraordinaire, où chacun espère faire
triompher ses conceptions et obtenir l’appui, à la fois du parti et du représentant de
l’IC, dans l’attente de l’Exécutif Elargi à Moscou.

2) La conférence nationale extraordinaire et ses conséquences.

Contrairement aux conférences nationales convoquées régulièrement, cette


assemblée extraordinaire n’a été précédée d’aucune discussion à la base. Décidée
quelques jours plus tôt, sous la pression de Manouilski, elle regroupe uniquement les
membres du BP et les secrétaires régionaux, autrement dit des fonctionnaires du
parti, ainsi que quelques fonctionnaires de la CGTU (secrétaires d’unions
départementales). Deux types d’interventions dominent la première journée58. D’un
côté, les secrétaires régionaux présentant les rapports sur la situation des diverses
régions, ainsi qu’un certain nombre de critiques à l’égard du centre. De l’autre, les
membres du BP qui s’affrontent devant les membres du CC et les cadres du parti,
exposant les divisions et les luttes d’influence entre les principaux dirigeants.
Dans son intervention, en ouverture de conférence, Manouilski laisse entendre
que les causes de la crise ont été déterminées et que le BP, après plusieurs jours de
discussion, est arrivé à un accord, notamment en décidant « certains changements
personnels à la direction ». Le but de la conférence doit être de permettre aux cadres
moyens d’exprimer le mécontentement de la base et d’entériner les modifications
tactiques et d’organisation. Pourtant l’intervention de Doriot vient remettre en
question ce bel agencement et donne aux débats le caractère d’un vif affrontement

57
Ibid.
58
P-V de la conférence extraordinaire, BMP 91.
358
entre partisans du « cours nouveau » et « résistants ». S’appuyant sur les critiques
des secrétaires régionaux et du représentant de l’IC, il prononce un réquisitoire
contre la politique de la direction. Il dénonce l’absence de démocratie et
l’autoritarisme, le manque de liaison entre le centre et la province, l’insuffisance du
travail syndical, ayant conditionné la crise avec la CGTU et la mauvaise application
de la tactique du front unique et déclare en conclusion :
« Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est déclarer solennellement au parti qu’il y a
quelque chose de changé dans son cours et que nous voulons entendre la
base. »59
La formule irrite. D’autant plus que Doriot n’a parlé que des fautes de la direction,
allant jusqu’à rendre le PCF seul responsable des relations difficiles avec la CGTU.
Successivement Semard, Cremet et Thorez, se sentant directement visés, viennent
défendre la politique du parti et l’activité de la direction. Tous trois rejettent les
« critiques négatives »60 qui font porter tout le poids des fautes sur le dos de
quelques boucs émissaires. Le secrétaire général, qui depuis plusieurs mois
demandait des changements dans la tactique du parti, rejette le principe d’un « cours
nouveau » dont il estime qu’il vise surtout à servir les ambitions personnelles de
Doriot. Cremet s’étonne de la virulence des critiques actuelles, alors que quelques
semaines auparavant Doriot, membre du BP, approuvait le travail de la direction et la
ligne politique61. Il s’en prend à l’idée de « cours nouveau » qu’il qualifie de « thèse
inacceptable », suivi de Thorez qui déclare ne pas comprendre « l’atmosphère de
panique qui pousse certains camarades à parler de cours nouveau ». Les trois ont
été surpris par la tournure de la discussion après le discours de Doriot. Alors qu’ils se
présentaient devant la conférence pour exposer les mesures de sortie de crise, les
voici dans l’obligation de consacrer la majeure partie de leur intervention à défendre
l’activité du parti.
Doriot, dans l’espoir de se démarquer des autres dirigeants, passe à
l’offensive contre ceux qu’il qualifie de « résistants » :
« La crise éclate dans un parti communiste quand la direction ne se rend pas
compte de la nécessité d’un changement politique ; quand la direction s’en
rend compte il n’y a seulement que malaise. S’il y a résistance ― et les

59
Ibid.
60
Intervention de Cremet : « On a mal posé le problème en apportant seulement des critiques
négatives. Il fallait voir dans quelles conditions le malaise s’est développé. », Ibid.
61
« Il y a trois semaines, des critiques directes au BP, y en avait-il ? Point du tout. C’est après la
grève de 24 heures que ses critiques se sont élevées. », Ibid.
359
discours de Cremet et Semard sont des discours de résistants ― il y aura
crise. »62
Il compare la crise du PCF avec celle traversée par le KPD et assimile l’attitude
d’une partie de la direction française avec celle de la gauche allemande qui refusait
les changements et qui dû être écartée, opération à laquelle Manouilski prit
activement part. Il espère que les membres de la conférence, approuvant l’idée d’une
rupture complète avec la période antérieure, obligeront la direction à se démettre
collectivement et imposeront une nouvelle équipe constituée autour de ceux qui
prônent un « cours nouveau ». Lors de cette première journée, il ne peut cependant
compter que sur l’appui de Treint, qui reste réservé63, et de Marion64. Manouilski
s’élève contre cette comparaison entre la crise allemande et celle du PCF, prenant
clairement position en faveur de ceux qui défendent la continuité, sur le plan
politique, avec la période précédente. Au terme de la première journée, on décide de
constituer une commission65 chargée de rédiger une « Lettre ouverte au parti »,
conciliant les deux positions exprimées. Le lendemain, la discussion reprend avec
une intensité nouvelle.
Semard entame la seconde journée de la conférence par une longue réponse
à Doriot. Il l’accuse de rompre la solidarité du BP66 devant le parti dans le seul but de
déclencher une crise, de créer artificiellement des tendances et de s’imposer à la
direction, détruisant ainsi toutes les tentatives pour constituer une véritable direction
collective :
« Semard : […] J’ai eu l’impression que l’on voulait transformer notre malaise
en crise. Je n’en prendrai pas la responsabilité. Si vous allez trop loin, cours
nouveau implique des hommes nouveaux, et c’est l’interprétation que l’on en
donnera.
Doriot : C’est toi qui nous attaques.
Semard : Je n’aime pas que l’on prenne toutes ses responsabilités pour
pouvoir dire contre certains camarades qu’il faut un changement. Il faut

62
Ibid.
63
Dans une courte intervention, il se contente de répéter qu’il faut « réviser notre application de la
tactique du front unique », tout en se déclarant « solidaire » des fautes commises jusqu’alors.
64
Paul Marion (1899-1954) : Journaliste, professeur à l’école communiste de Bobigny. « J’ai alors
quelques craintes que deux tendances se fassent jour, des camarades reconnaissant résolument qu’il
faut s’engager dans une nouvelles voie, ainsi que les camarades Treint et Doriot avec lesquels je me
sens entièrement solidaire ; tandis que d’autres au contraire marquent de l’hésitation. », Ibid.
65
La commission est composée de Villatte, Béors, Charles, Devernay, Semard, Thorez, Costes,
Trouillard, Treint, Fromage et Doriot., Ibid.
66
« Les fautes de la direction du parti ne peuvent être exploitées contre tel ou tel membre du BP alors
que nous avons toujours été solidaires. », Ibid.
360
modifier l’application du front unique, mais cela ne signifie pas le cours
nouveau. »67
Thorez puis Suzanne Girault, qui intervient pour la première et unique fois,
soutiennent Semard. Le premier refuse d’endosser l’étiquette de résistant, estimant
au contraire avoir été, avec Cremet et Semard, un précurseur dans l’application de
méthodes de travail plus juste ainsi que dans la réorientation de la ligne politique.
Suzanne Girault vient répéter devant la conférence que le principal obstacle au bon
fonctionnement du parti demeure la désorganisation de la direction. Elle reconnaît
avoir commis des erreurs et comme devant le BP propose de se retirer de la
direction pour facilité la constitution d’un secrétariat uni et solidaire68. Consciente
qu’elle doit être écartée, sous peine de mécontenter la base pour qui elle représente
le symbole de l’autoritarisme et du centralisme excessif de ces derniers mois, elle
prend soin de rappeler qu’elle n’est pas seule responsable. Cette remarque vise
Doriot mais surtout Treint, à qui elle ne pardonne pas le comportement versatile et
les manœuvres des dernières semaines, dans le seul but de conserver sa place69.
Elle se présente au contraire comme un modèle de militant humble et dévoué,
acceptant le verdict du parti, au nom de l’intérêt général70.
En écho, Treint se place sur le terrain de la solidarité face aux fautes
commises et de l’homogénéité de la direction devant le « péril de la droite »71.
Constatant que la démarche personnelle de Doriot contrarie une majorité de
délégués et le représentant de l’IC72, il opte pour une attitude plus conciliatrice qu’au

67
Ibid.
68
« Il y a eu Suzanne Girault qui représentait le secrétariat parce qu’elle y était seule, comme
Sauvage était seul à l’organisation. Tous les deux seuls responsables, incarnent devant le parti toutes
les fautes de la direction. J’ai demandé en juin que l’on me retire de la direction. Je vais demander à
la commission que vous avez nommé qu’elle me retire, […] », Ibid.
69
Dans ses mémoires, Suzanne Girault écrit que sa rupture avec Treint provient de désaccords sur
les méthodes de direction : « Nos désaccords profonds [souligné par l’auteur] ont commencé quand
j’ai dit à A. T. [Albert Treint] que ni lui ni moi n’étions qualifiés pour diriger le Parti, que notre tâche
consistait à rechercher un camarade digne et capable de remplir ce rôle. Tous ceux qui nous
entouraient (Doriot, etc.) ne visaient qu’à ce but. Et c’est en partie parce que je percevais chez eux
ces visées personnelles et non l’intérêt du Parti, que je les combattais si âprement et que tous ils me
détestaient profondément. », Fonds Suzanne Girault, 265 J, Archives départementales de Seine
Saint-Denis
70
« Jamais, je ne poserai devant le parti la question des susceptibilités personnelles, mais je
travaillerai dans le sens que j’ai indiqué aujourd’hui, partout où l’on me mettra : cellules, BP si l’on
pense que j’y ai encore ma place. », Ibid.
71
« Nous devons dire qu’à la direction du parti, nous sommes tous solidairement responsables des
erreurs comme des choses justes. Il y a péril si demain l’on s’en va de la conférence avec l’idée que
deux tendances existent. […] Nous devons voter une résolution unanime. Nous ne devons pas oublier
qu’une droite existe, composée d’intellectuels qui exploitent toutes nos divergences. », Ibid.
72
En fin de séance, Manouilski déclare : « J’avais cru hier que la discussion était finie. Il faut en finir
avec la légende des résistants. […] La pensée de l’Exécutif n’est pas que c’est tel ou tel camarade qui
361
BP. Contrairement à ses craintes, personne ne réclame son éviction de la direction,
comme en témoigne la décision finale de la conférence. Le nouveau secrétariat se
compose de Semard, Marrane, Cremet et Doriot. Treint, ainsi que Suzanne Girault,
conserve sa place au BP73 et devient membre de la commission politique chargée de
contrôler l’Humanité. Selon Philippe Robrieux, cette conférence, qui maintient en
place l’ancienne direction ― exception faite de Sauvage qui quitte le BO et de
Suzanne Girault éliminée du secrétariat ― marque « l’apogée du zinoviévisme
français »74. Au contraire, Stéphane Courtois et Marc Lazar voient dans cette
conférence un épisode dans l’élimination des zinoviévistes au sein de l’IC75. Enfin
Serge Wolikow souligne qu’elle constitue « l’amorce d’un changement sensible »76,
puisque avec l’entrée de Doriot au secrétariat et la désignation de Thorez
responsable de l’organisation, une direction proche de celle désignée par le congrès
de Lille, en juin 1926, se constitue. Nous estimons qu’il convient de dissocier les
sorts de Treint et Suzanne Girault. Au terme de la conférence, cette dernière,
marginalisée, ne tarde pas à s’opposer à la nouvelle ligne politique du parti. Son
éviction du secrétariat constitue bien l’acte de décès de la direction formée suite au
5ème congrès mondial de l’IC. Néanmoins, la désagrégation de la tendance de
« gauche » remonte à plusieurs mois et Treint s’est progressivement rapproché de
Doriot, espérant faire oublier son rôle dans la première phase de la bolchevisation.
On ne peut réduire son revirement à sa seule volonté de conserver son poste au
sommet du parti. Il a compris les attentes de la base, après une année de chaos
organisationnel et d’échecs dans la mobilisation des ouvriers français, et se félicite
de la tournure prise par les débats et des décisions sur la tactique du front unique :
« Le parti ne doit pas apparaître aux travailleurs seulement comme le parti de
la révolution, mais aussi le parti de la lutte pour les revendications immédiates
précises. […] Le parti doit apprendre à pratiquer exactement la tactique du
front unique, la seule qui puisse arracher les masses au fascisme et les
défendre contre les dangers menaçants. […] Une telle politique, la seule
possible, la seule efficace, la seule qui permette la mobilisation révolutionnaire
des masses et le développement du parti ne peut être mis en œuvre que par

va à l’avenir diriger la politique du parti. L’Exécutif n’a confiance en personne. Il y confiance en une
direction collective du CC et du BP. », Ibid.
73
Le nouveau BP est constitué de ; Semard, Marrane, Cremet, Doriot, Suzanne Girault, Sellier,
Thorez, Monmousseau, Dudilleux, Cachin, Treint.
74
ROBRIEUX P, op. cit., p. 240.
75
COURTOIS S et LAZAR M, op. cit., p. 94.
76
WOLIKOW S, op. cit., p. 234-237.
362
l’union et la mobilisation de toutes les forces du parti et par un changement
profond dans les méthodes de direction, d’organisation et de liaison à
l’intérieur du parti. »77
Avec Doriot, ils n’ont pourtant pas réussi à faire accepter le principe d’un « cours
nouveau » dans le parti. Seul ce fait témoigne réellement de la perte d’influence
politique de Treint. Son maintien au BP et à la commission de contrôle de l’Humanité
en fait malgré tout l’un des dirigeants majeurs du PCF. Quelques mois auparavant,
après les menaces de Gouralski de le renvoyer à Moscou, sa situation semblait plus
instable. Il craignait en outre d’être, avec Suzanne Girault, tenu personnellement
responsable des échecs et des fautes du parti. Au terme de la conférence, personne
n’a réclamé son éviction et il peut toujours espérer jouer un rôle majeur, notamment
en se présentant comme l’un des instigateurs de la « lettre ouverte à tous les
membres du parti »78.
La lettre ouverte, rédigée par la commission désignée à la conférence, avant
d’être adoptée par le BP79, répond à deux objectifs. Premièrement, présenter au parti
les changements et définir précisément la nouvelle politique afin d’éviter les
mésententes ou les erreurs d’interprétation. Deuxièmement, répondre à la « lettre
des 250 » que l’opposition fait circuler dans les cellules80. Résultat d’un compromis
entre tendances, la lettre se contente de réaffirmer l’objectif de la conquête des
masses, sans proposer de véritable modification dans l’application de la tactique du
front unique, puisqu’elle en limite le cadre aux comités d’unité prolétarienne, aux
comités d’action et autres comités de défense paysanne. Exception faites des appels
aux dirigeants socialistes, elle ne laisse entrevoir aucune véritable rupture avec la
période précédente. On constate la même frilosité sur la question de la
réorganisation du parti ou de la création d’une direction unique avec la CGTU, la
lettre se contentant de réaffirmer les objectifs, sans faire de proposition pratique. La
seule véritable nouveauté demeure l’appel à l’unité dans les rangs du parti, qui vise
avant tout les militants ayant signé la « lettre des 250 »81, et l’annonce de
changements dans les méthodes de direction. Au final, malgré certaines inflexions

77
Treint A, « La conférence du Parti », l’Humanité, n° 9856, 4 décembre 1925, p. 1.
78
Publiée dans l’Humanité, n° 9858, 6 décembre 1925, p. 5.
79
P-V du BP du 5 décembre 1925, BMP 97.
80
Cette lettre n’est par ailleurs publiée que plusieurs semaines après la lettre ouverte et précédée
d’une réponse spécifique. Les Cahiers du Bolchevisme, n° 35, 15 janvier 1926, p. 141-150.
81 er
Dans une réponse publiée dans le Bulletin Communiste (n° 11, 1 janvier 1926, p. 162-164) puis
dans les Cahiers du bolchevisme (n° 36, 21 janvier 1926, p. 230-234), plusieurs signataires de la lettre
des 250 accusent la direction d’avoir réuni la conférence à l’insu du parti et de reprendre à son
compte les propositions de l’opposition, tout en le cachant au parti.
363
dans la politique générale82, la « lettre ouverte », témoigne de la difficulté de rompre
avec la période précédente. Pour Treint, il s’agit cependant d’un document essentiel.
Ayant été associé à sa rédaction, elle doit lui garantir, en tant qu’instigateur de la
détente intérieure et du renouvellement de la pratique politique, une place au sein de
la direction. Au cours des deux mois précédant l’Exécutif Elargi, il s’affirme comme
l’un des défenseurs les plus actifs de l’orientation politique définie dans la lettre83.
Dans les semaines suivantes, les débats du BP révèlent que, si les solutions
proposées dans la lettre ouverte ont été adoptées à l’unanimité de la conférence
nationale, leur mise en œuvre pratique occasionne de nouvelles discussions. A la
fois rédacteur en chef des Cahiers du Bolchevisme et chargé par le BP de détailler le
programme financier du parti dans l’Humanité, Treint en profite pour défendre sa
conception du front unique, sans en référer au BP ou au secrétariat. Dans ses
éditoriaux sur les projets du ministre des finances, Louis Loucheur84, il énumère les
mots d’ordre de front unique, éliminant ceux qui ne lui conviennent pas et en ajoutant
de nouveaux85. Exaspéré par cet individualisme, Semard lui demande de se justifier
sur l’abandon du mot d’ordre de nationalisation des banques et de contrôle ouvrier et
de cesser d’en lancer de nouveaux auxquels « les ouvriers ne comprennent rien »86.
Soutenu par Doriot, Treint réplique que la situation mouvante exige de la souplesse
et que « la masse profonde n’est pas prête en ce moment à combattre pour la
nationalisation ». Cette légère altercation montre que, malgré les décisions de la
conférence, chacun espère faire triompher ses conceptions. De même, la
modification des formes d’organisation du front unique suscite un débat. Lors d’une
conférence de l’école léniniste de Bobigny, Bernard87 affirme qu’il faut abandonner
les comités d’action au profit des CUP, mieux contrôlés par le parti88. Treint
considère que ces formes d’organisation se sont révélées efficaces, notamment dans

82
« Politique juste vis-à-vis des masses et pratique exacte du front unique, lutte pour les
revendications immédiates et politique syndicale bien adaptée aux circonstances. Une politique
intérieure et une direction du Parti rassemblant et assimilant l’immense majorité des forces du Parti,
qui sont saines, dans une organisation cohérente et souple, tout cela se tient, tout cela constitue les
éléments de la même politique générale. », Ibid.
83 er
Voir notamment : Treint A, « Vers plus de clarté », Cahiers du bolchevisme, n° 34, 1 janvier 1926,
p. 1-10. Il y défend de nouveau la thèse selon laquelle toutes les difficultés traversées jusqu’alors
aurait pour cause principale les « erreurs gauchistes » dans l’application du front unique. Il annonce
également la tenue d’une grande discussion sur les nouvelles orientations du parti.
84
Ministre des finances du gouvernement Briand jusqu’au 16 décembre 1925.
85
Voir Treint A, « contrôle nécessaire » et « A bas les endormeurs », l’Humanité, n° 9861 et 9864, 9
et 12 décembre 1925, p. 1.
86
P-V du BP du PCF du 15 décembre 1925, BMP 97.
87
Alfred Bernard (1899-1944) : Militant syndicaliste et membre de l’ARAC, il est également membre
de la commission nationale de contrôle.
88
Ibid.
364
la lutte contre la guerre du Maroc et que les comités d’action demeurent « la forme
définitive du front unique »89. Il n’envisage d’autres types d’organisation que comme
des « formes transitoires » du front unique, vouées à devenir des comités d’action.
Sur ce point, il se heurte à Doriot et Gouralski qui pensent au contraire qu’une
tactique souple implique le développement de multiples formes d’organisation90. Ces
débats découlent de la multiplication des propositions de front unique, de la part
d’organisations diverses, auxquelles la direction est confrontée91. Ils traduisent à la
fois les divergences de vue sur les nouvelles orientations et sur l’analyse de la
situation sociale, politique et économique française, mais aussi l’incapacité à
formuler précisément les objectifs du front unique et la nature des rapports avec le
parti socialiste, la CGT ainsi que les organisations « bourgeoises », telles la Ligue
des droits de l’Homme et les francs-maçons.
Le 31 décembre 1925, le BP92 discute des propositions de front unique à la
SFIO, réunie en congrès début janvier 1926. Le parti socialiste, confronté aux
difficultés gouvernementales du cartel et à la question de la formation d’un
gouvernement comprenant des ministres socialistes, traverse une période de débats
intenses. Pour les dirigeants communistes, il s’agit de définir une tactique permettant
d’affaiblir la direction et de se rapprocher des ouvriers socialistes. Cachin, convaincu
que le parti socialiste va à la scission, propose de lancer un appel direct au front
unique dans l’espoir d’attirer la gauche socialiste vers le PCF. La majorité du BP
repousse cette idée, estimant qu’une proposition de collaboration directe avec les
chefs socialistes serait mal reçue par la base communiste93 et que le PCF doit se
contenter d’une simple proposition de soutien à un gouvernement socialiste dont « la
politique [irait] dans le sens des intérêts des ouvriers »94. Pour Treint, les
considérations tactiques priment et il lui apparaît inopportun, alors que « les chefs se
disputent », de faire des propositions de front unique qui auraient pour effet de le

89
« Le Comité d’action, qui a déjà un passé glorieux, demeure la forme définitive du front unique.
C’est en son sein que doit de plus en plus s’unifier et se coordonner la lutte ouvrière. », « Vers plus de
clarté », art. cit., p. 9.
90
« D’après les articles de Treint, les CUP et les CA apparaissent comme la forme définitive du front
unique. C’est une espèce de fétichisme du front unique. La tactique du front unique se compose en
réalité d’une multitude de formes qui peuvent varier de jour en jour. », Intervention de Gouralski au CC
du PCF du 31 janvier 1926, BMP
91
Le PCF reçoit notamment une proposition de constitution de comités de vigilance antifascistes, de
la part de la Grande Loge de France. BP du 10 décembre 1925, BMP 97.
92
P-V du BP du 31 décembre 1925, BMP 97.
93
Thorez déclare : « Je ne crois pas à une scission dans le Parti SFIO. […] Nos camarades Bonte et
Devernay du Nord se demandent si l’on ne combat plus les socialistes. », Ibid.
94
Intervention de Doriot, Ibid.

365
regrouper contre le PCF. Le BP décide finalement de rédiger un appel à la base
socialiste, sans s’adresser directement à la direction de la SFIO, s’opposant ainsi à
la volonté de l’IC qui, dans un télégramme envoyé la veille du congrès socialiste,
demandait de faire des propositions directes au congrès95. Cette intervention de l’IC
fait rebondir le débat96 et, si le BP maintient son point de vue à l’unanimité, les avis
divergent sur l’attitude à tenir face au parti socialiste divisé. Treint considère que, par
le biais de la tactique du front unique, il faut travailler à la scission97. Semard et
Doriot, appuyés par Gouralski, s’opposent fermement à cette conception, estimant
qu’il n’y à rien à attendre d’une scission socialiste. Ils se prononcent au contraire
pour envisager à l’avenir de faire des propositions de front unique à la direction,
s’alignant ainsi sur les conceptions de l’IC. Malgré ces différents, Treint est choisi
pour présenter, devant un CC élargi (30 janvier/2 février 1926), le rapport sur la
situation politique et le front unique98. Discuté avant la réunion du CC, Doriot et
Marrane s’étonnent que Treint face, dans son rapport, l’impasse sur les problèmes
soulevés lors des BP précédents99 et se limite à un exposé généraliste.
Effectivement, devant le CC élargi, Treint se contente de réaffirmer la nécessité
d’appliquer une tactique souple et de chercher à tout prix à se lier avec les ouvriers
socialistes et syndicalistes100. Suite à son intervention, plusieurs militants
s’interrogent sur les applications pratiques et notamment de la constitution de
comités au côté « d’organisations bourgeoises ». Plusieurs voix s’élèvent contre la
décision de la direction de ne pas envoyer de proposition de front unique au congrès
socialiste101. En écho à ces déclarations, un représentant de l’IC, sous le
pseudonyme d’Hugo102, accuse la direction du PCF d’indécision et d’attentisme.
Dans leurs réponses, Thorez et Treint reconnaissent un certain nombre d’erreurs de
détail, tout en défendant la tactique générale et le choix de ne pas s’adresser
directement au parti socialiste. Malgré les critiques et ses zones d’ombre, l’exposé
de Treint sert de base à la rédaction de la résolution sur le front unique, témoignant

95
L’IC fait ensuite parvenir une lettre pour regretter que le PCF n’ait pas suivi ses conseils. Voir
WOLIKOW S, op. cit., p. 263-264.
96
P-V du BP du 14 janvier 1926, BMP 149.
97
« Faisons des propositions, pas à la tête, mais aux fédérations, aux sections, surtout là où il y a des
ouvriers qui ont marché derrière la gauche. Nous pouvons même faire, auprès d’ouvriers socialistes
qui ont une éducation doctrinale, une propagande théorique, pour leur montrer que pour une politique
de classe, ce sont nos solutions seules qui comptent. », Ibid.
98
P-V du BP du 28 janvier 1926, BMP 149.
99
P-V du BP du 29 janvier 1926, BMP 149.
100
L’Humanité, n° 9918, 4 février 1926, p. 3.
101
Voir les interventions d’Ilbert, Roques, Bonte, Ginestet, Ibid.
102
Selon Serge WOLIKOW, il s’agit peut être d’Eberlein (membre du KPD), op. cit., p. 252.
366
de son influence politique et de sa place au sein de la direction, au début de l’année
1926.
Autre conséquence de la conférence nationale extraordinaire et de la lettre
ouverte, la direction se voit contrainte d’ouvrir un véritable débat sur les orientations
du parti et sur les fautes passées, pour répondre à l’offensive de l’opposition. Avec la
lettre des 250, celle-ci a montré que, contrairement aux dires de la direction, elle
dispose d’une audience notable. Après les changements opérés début décembre,
l’opposition dénonce dans des assemblées du parti et dans les revues
oppositionnelles103, le double discours de la direction et la censure qui continue de
s’abattre sur les voix dissidentes104. Depuis plus d’un an, l’opposition déplorait
l’autoritarisme et le centralisme excessif de la direction, les erreurs dans l’application
de la tactique du front unique, dans la définition du fascisme ou encore l’analyse de
la situation politique générale. Sur tous ces points, le BP a dû reconnaître la
nécessité d’opérer un tournant. Il prend cependant bien soin de se différencier de
l’opposition « de droite », accusée d’être plus proche de la social-démocratie que du
communisme et d’exploiter le malaise pour détruire le parti105.
Conscient que ces arguments ne peuvent suffire à faire taire l’opposition, le
BP106 prend, sur proposition de Semard, la décision d’organiser une confrontation
avec des délégués de l’opposition, dans le cadre d’assemblées d’information. Seuls
Treint et Sellier107 critiquent l’idée d’organiser une campagne idéologique contre
l’opposition. Ce dernier regrette « le manque d’autorité » de la direction et propose
que tout acte d’indiscipline, tel de collaborer à une revue oppositionnelle, soit
immédiatement sanctionné par l’exclusion108. Treint estime que la campagne menée
jusqu’alors suffit amplement et que donner la parole à l’opposition contribuerait à la
crédibiliser aux yeux de la base109. Mais la majorité, Gouralski compris, penche pour
une attitude plus souple, visant à éviter de donner de nouveaux arguments à

103
Le Bulletin Communiste de Souvarine et La révolution Prolétarienne de Monatte et Rosmer.
104
Voir la Lettre de Loriot au BP, 15 décembre 1925, publiée dans les Cahiers du Bolchevisme, n° 34,
1 janvier 1926.
105
Voir « La lettre ouverte à tous les membres du parti », art. cit., ou également Treint A, « Vers plus
de clarté », art. cit.
106
P-V du BP du 17 décembre 1925, BMP 97.
107
Il participe de nouveau aux réunions du BP.
108
« Le fait qu’un membre du Parti ait pu écrire au Bulletin Communiste est inouï. Ma pensée sur
Souvarine, c’est que c’est un être immoral, corrompu, qui a des préoccupations autres que purement
politique. J’étais d’avis que Loriot devait être exclu. », Ibid.
109
« La droite fait une politique de bluff. Nous avons rectifié nos erreurs ; la droite amplifie son bluff et
nous accable de lettres. […] Il ne faut pas que le BP, à chaque manifestation de la droite, réponde par
une déclaration politique, en donnant ainsi l’impression d’accorder à la droite une importance qu’elle
ne mérite pas. », Ibid.
367
l’opposition déjà influente dans plusieurs régions110. Le BP décide d’envoyer des
représentants de la direction dans les assemblées du parti pour annoncer l’ouverture
d’une « large discussion » et d’approuver les exclusions prononcées par les cellules
contre les militants qui collaborent aux revues oppositionnelles. En janvier 1926, le
comité de la région parisienne organise quatre assemblées d’information, dont
l’Humanité rend longuement compte111. Treint, Doriot, Semard, Cremet et Thorez, y
interviennent pour, dans la droite ligne de la lettre ouverte, reconnaître les fautes de
la direction et défendre la nouvelle orientation. Chaque intervention est ponctuée
d’attaques virulentes contre la droite, accusée « d’exploiter au profit de
l’opportunisme les mécontentements »112. Loriot, Paz113 et Hairius114 tentent de
rétablir la vérité sur la nature de l’opposition, face aux attaques calomnieuses des
dirigeants du PCF. Loriot affirme que l’IC a imposé un « cours nouveau » au PCF,
reprenant les orientations politiques défendues par l’opposition115. Il dénonce ensuite
la déformation des conceptions de l’opposition, visant plus particulièrement Treint.
D’autres intervenants, tel Humberdot116, font la critique des erreurs « gauchistes des
mois précédents, tout en se démarquant de la « droite ». Après un mois de réunions
contradictoires, le CC élargi vient clore temporairement la campagne d’information et
de discussion. Elle a permis au mécontentement de s’exprimer plus ouvertement,
tout en neutralisant en partie l’argumentaire de l’opposition. La direction peut
compter sur le soutien de l’IC qui, dans une résolution117, condamne les militants qui
collaborent au Bulletin Communiste et à La Révolution Prolétarienne et déclare
repousser la demande de réintégration de Souvarine. Les dirigeants du PCF se
réjouissent du succès de cette tactique d’ouverture et d’un recul de l’opposition,
confrontée à la question de la discipline exigée par l’IC118.

110
Cremet : « Treint sous-estime l’importance de la droite qui utilise la faiblesse politique de nos
cellules, à laquelle naturellement notre lettre ouverte n’a pas pu encore apporter de remède. », Ibid.
111
Voir l’Humanité, n° 9887, 9888, 9894, 9900, 9907, 4/5/11/17/24 janvier 1926.
112
Intervention de Treint, l’Humanité, n° 9887, 4 janvier 1926, p. 2.
113
Maurice Paz (1896-1985) : Avocat et historien. Militant socialiste puis communiste. Opposant à la
bolchevisation.
114
Roger Hagnauer dit Hairius. Instituteur. Militant syndicaliste et communiste. Opposant à la
bolchevisation.
115
Intervention de Loriot, l’Humanité, n° 9888, 5 janvier 1926, p. 1.
116
René Humberdot (1896-1986) : Militant socialiste puis communiste, membre du CTI. Opposant à la
bolchevisation. L’Humanité, n° 9894, 11 janvier 1926, p. 3.
117
L’Humanité, n° 9906, 23 janvier 1926, p.1.
118
« Les quatre récentes assemblées d’information de la Région parisienne ont institué une large
discussion qui va maintenant se poursuivre dans toutes les cellules du parti et qui constituera une
excellente préparation à notre prochain congrès national. La droite, dont, quoi qu’elle dise, la voix n’a
jamais été étouffée dans le parti, la droite, dont les documents essentiels ont été publiés dans
l’Humanité ou dans les Cahiers, la droite s’est montrée de plus en plus clairement comme une fraction
opportuniste, poursuivant la révision du communisme avec l’appui d’éléments extérieurs et ennemis.
368
En adoptant une attitude plus souple, la direction a réussi à éloigner la
menace d’une scission qui pesait à la fin de l’année 1925. Elle ne peut tolérer
l’indiscipline des militants qui collaborent aux revues oppositionnelles, sous peine de
perdre toute autorité. Cependant, exclure tous les leaders de l’opposition risque
d’éloigner définitivement de nombreux militants que la direction espère récupérer. Le
31 décembre, le BP119 étudie les mesures à prendre à l’égard de ceux qui
collaborent à la revue de Souvarine, mais aussi les exclusions prononcées par des
cellules. L’IC, par la voix de ses représentants en France, fait pression pour que l’on
n’ait pas recours aux exclusions collectives120, tandis que Sellier, Marrane et Treint
réclament au contraire des mesures exceptionnelles contre les indisciplinés.
Gouralski réussit à obtenir, dans un premier temps, l’envoi d’une lettre aux
collaborateurs des revues oppositionnelles, leur demandant de « rompre avec les
ennemis du parti »121. Aucouturier, au nom du comité de rédaction du Bulletin
Communiste, se déclare prêt à abandonner la publication de la revue, en échange de
la réintégration des oppositionnels exclus et du rétablissement de la liberté
d’expression au sein du parti122. Cette lettre est publiée accompagnée d’une réponse
annonçant que, face aux prétentions « absolument inacceptables », le secrétariat
prendra les mesures adéquates contre les récalcitrants123. Le CC, réuni le 7 janvier
1926124, décide de ratifier les exclusions d’Hairius, d’Aucouturier et de Fulconis125,
prononcées par leurs cellules. Ces mesures de rétorsion ne concernent qu’un tout
petit nombre d’animateurs de l’opposition et tous ceux qui annoncent leur démission
des revues oppositionnelles sont réintégrés126. Par cette politique habile, la direction
rompt la solidarité au sein de l’opposition. Lorsqu’en avril 1926, elle décide

[…] Du malaise qu’il vient de traverser et qui commence à se dissiper, le parti sortira plus fort, plus
intransigeant dans ses buts, plus souple dans ses moyens, en un mot, mieux trempé pour les grandes
luttes qui s’annoncent. », Treint A, « Le travail fractionnel de la droite définitivement condamné »,
l’Humanité, n° 9906, 23 janvier 1926, p. 1. Voir également, « Comment la droite manœuvre », Cahiers
du Bolchevisme, n° 36, 21 janvier 1926, p. 227-230 ; ou encore Semard P, « Les dangers de la droite
dans le PCF et ses provocations », La correspondance internationale, n° 31, 10 mars 1926, p. 279-
281.
119
P-V du BP du 31 décembre 1925, BMP 97.
120
WOLIKOW S, op. cit., p. 288-291.
121
Elle est publiée dans l’Humanité, n° 9886, 3 janvier 1926, p. 4.
122
L’Humanité, n° 9899, 16 janvier 1926, p. 4.
123
« Votre présence continue à la tête du Bulletin Communiste, malgré les avertissements qui vous
ont été donnés, montre clairement vos intentions. Pour le seul fait de votre collaboration à cet organe,
de nombreuses cellules réclament votre exclusion. La direction du Parti, certaine d’exprimer la volonté
unanime du Parti, vous invite de nouveau et pour la dernière fois, à cesser immédiatement toute la
collaboration, aussi bien au Bulletin Communiste de Souvarine, qu’à La Révolution Prolétarienne, de
Monatte. », Ibid.
124
P-V du CC du 7 janvier 1926, BMP 141.
125
Henri Fulconis (1899- . ) : Militant syndicaliste et communiste. Opposant à la bolchevisation.
126
P-V du BP du 30 janvier 1926, BMP 149.
369
l’exclusion d’autres militants proches des cercles de l’opposition127, elle ne rencontre
que peu de résistance.
En arrivant à Moscou pour participer à l’Exécutif Elargi, les principaux
dirigeants du PCF peuvent se prévaloir d’un redressement de la situation intérieure
et d’une victoire relative sur l’opposition « de droite ». Treint, qui a pris activement
part à la campagne d’information et de discussion des derniers mois, croit que sa
légitimité au sein de la direction ne peut plus être remise en cause. Il pense quitter la
France pour quelques semaines. En fait, il part pour plusieurs mois.

3) « Le plénum de la grande pénitence »128.

Lorsque s’ouvre le 6ème Exécutif Elargi de l’IC, le 14ème congrès du PC


d’URSS129 (18-31 décembre 1925) s’est conclu par une victoire de Staline et
Boukharine sur le groupe Zinoviev/Kamenev. Zinoviev demeure cependant président
de l’Internationale, pour quelques mois encore130. La direction française a été
informée de la nouvelle « discussion » au sommet du parti russe par Manouilski, lors
d’une séance du BP élargi131. En réalité, ceux capables de lire le russe, dont Treint,
suivent les débats par le biais de la Pravda. Dans son exposé, le représentant de
l’Internationale critique longuement l’opposition, constituée par Zinoviev et Kamenev.
Il les accuse d’être « pessimistes », de défendre des conceptions proches du
trotskysme et conclut en enjoignant le parti à « mettre la question russe à l’étude ».
La discussion qui succède à cette intervention montre que, parmi les dirigeants
français, l’expectative domine. Tous perçoivent la gravité des divergences, sans
saisir le rapport de force existant et la réalité de la situation. Suzanne Girault,
appuyée par Marrane qui critique l’exposé « unilatéral »132 de Gouralski, demande
qu’aucune décision ne soit prise, ni aucune résolution votée, tant que tous les
documents ne sont pas connus. A l’opposé, Treint, qui a déjà qualifié la nouvelle
opposition russe « d’hystérique »133, se considère parfaitement informé et en accord

127
Hattenberger, Leroy et Mahouy. Voir BOICHU P, Recherche sur les exclusions dans le parti
communiste français entre 1924 et 1928, op. cit., p. 131-132.
128
Intervention de Treint lors de la troisième séance de la commission française. RGASPI,
495/164/306. Le terme de plénum de l’Exécutif remplace celui d’Exécutif Elargi.
129
Le parti communiste russe est devenu parti communiste d’URSS.
130
Zinoviev démissionne de la présidence de l’IC le 26 octobre 1926.
131
P-V du BP élargi du 31 décembre 1925, BMP 97.
132
Ibid.
133
Intervention de Marrane : « Camarades, c’est très heureux si Treint a suffisamment de
documentation pour pouvoir juger mais je [pense] (illisible) qu’en ce qui concerne la majorité des
370
avec la majorité du CC du PC d’URSS134. Après un nouvel exposé de Gouralski135, le
CC vote une résolution appelant à l’unité du parti sur la base de la soumission de
l’opposition aux décisions de la majorité. Après ce vote, un nouvel incident oppose
Treint et Marrane136. Ce dernier souligne que Treint utilise l’organe théorique du parti
pour défendre ses conceptions137 alors que le BP ne s’est pas prononcé sur le fond.
Il l’accuse implicitement d’exploiter la question russe pour servir ses intérêts
personnels. Pourquoi s’est-il si rapidement aligné sur la majorité du PC d’URSS ?
S’agit-il d’une volonté de rompre avec la ligne politique défendue par Zinoviev depuis
plusieurs années ou plutôt d’une manœuvre politique pour bénéficier de l’appui des
militants russes et surtout éviter d’être assimilé à « l’extrême gauche », dont il sait
qu’elle sera une des cibles de la majorité lors de l’Exécutif Elargi.
Après décision du CC du PC d’URSS138, la question russe n’est pas mise à
l’ordre du jour de l’Exécutif Elargi139. Les travaux de l’assemblée, qui débutent le 17
février 1926, portent principalement sur la situation dans les sections anglaise,
allemande et française, ainsi que sur la réorientation de la tactique politique dans la
période de stabilisation du capitalisme140. Les représentants de la « gauche »,
allemande, italienne141, polonaise ou française, rendus responsables des erreurs des
années 1924-1925, subissent de violentes attaques. L’altercation, qui suit le rapport
sur les travaux de la commission allemande, et la lecture d’une déclaration des
représentants de la gauche142 laissent entrevoir la formation d’une tendance de
gauche, opposée à la ligne politique de l’IC, mais aussi du PC d’URSS143. Par
contre, les interventions des membres de la délégation française, en séance

membres du BP et du CC, il n’en est pas de même. […] Aussi quand j’entends Albert déclarer que
l’opposition est une opposition hystérique, je ne peux m’associer à une telle déclaration. », Ibid.
134
Treint : « Personnellement camarades, je me juge suffisamment informé dans la question russe et
je me range tout à fait aux côtés de la majorité du comité central », Ibid.
135
P-V du CC du 8 janvier 1926, BMP 141.
136
P-V du BP du 14 janvier 1926, BMP 149.
137
Voir Treint A, « La discussion russe », Cahiers du Bolchevisme, n° 36, 21 janvier 1926, p. 204.
138
Lettre du 13 janvier 1926, envoyée aux sections de l’IC. Voir FRANK P, op. cit., p. 435.
139
Seuls deux délégués, Engel du KPD et Bordiga évoquent la question russe. Ce dernier critique la
décision de ne pas mettre à l’étude une question qui touche l’ensemble du mouvement ouvrier
ème
international. Voir « La gauche du PC d’Italie. Bordiga au 6 exécutif élargi de l’IC (février-mars
1926), Les cahiers du CERMTRI, n° 102, septembre 2001, 79 p.
140
Voir la séance d’ouverture et le discours de Zinoviev. La Correspondance Internationale, n° 26, 2
mars 1926, p. 227-229.
141
Bordiga, représentant de la gauche italienne, est le seul délégué à avoir voté contre le rapport sur
l’activité du comité exécutif.
142
Ruth Fisher, Maslow.
143
Sur cette question également, c’est Bordiga qui exprime le plus ouvertement, dans ses différentes
interventions, son opposition à la théorie du « socialisme dans un seul pays », défendue notamment
par Staline. « La gauche du PC d’Italie », op. cit.
371
plénière, portent presque exclusivement sur la situation française144, exception faite
d’un discours dans lequel Semard critique les conceptions de Bordiga et dénonce les
divisions au sein de la délégation russe145. La question française, abordée à de
nombreuses reprises en séance plénière, fait par ailleurs l’objet d’une commission
spéciale, au cours de laquelle les divisions latentes au sein du BP ressurgissent.
La commission française, présidée par Manouilski et composée de
représentants de toutes les sections146, se réunit à cinq reprises, avant d’aboutir à un
projet de résolution sur la situation en France et la politique du PCF. La délégation
française comprend les principaux membres du BP, à l’exception de Suzanne
Girault, Cachin et Sellier, ainsi que plusieurs représentants provinciaux. Zinoviev et
Staline participent activement aux travaux de la commission. Elle débute par un
rapport de Semard, traitant de la situation économique, sociale et politique française.
Ces questions passent cependant au second plan pour laisser place à une longue et
âpre discussion sur les problèmes internes du PCF, nourrie par une lutte de
tendance entre d’un côté Cremet, Semard, Thorez et de l’autre Doriot et Treint. Dans
sa première intervention147, Doriot oriente immédiatement les débats sur les fautes
passées de la direction et sur les conséquences de la conférence extraordinaire dès
1er et 2 décembre 1925. Après avoir décrit la situation dominée, avant décembre, par
« un malaise dans le parti, notamment sur les rapports avec les syndicats, le front
unique et le régime intérieur du parti », il se place sur le terrain des luttes
personnelles et de l’attitude des membres du BP face aux changements réclamés
par la base. Il affirme qu’avant la conférence, trois tendances se sont constituées :
« On a donné le spectacle d’un BP divisé en trois tronçons : un représenté par
le camarade Treint et moi, un tronçon composé par les camardes Thorez et
Semard et un autre petit morceau qui est resté dans l’expectative. »148
Par cette déclaration, il se présente comme le véritable artisan des changements
opérés depuis deux mois. Il prend cependant soin de se positionner en rassembleur
et de demander que les militants compromis dans les erreurs « gauchistes » ne
soient pas écartés des postes à responsabilités149. A plusieurs égards, son attitude

144
Voir notamment discours de Semard, Monmousseau, Thorez et Engler, La Correspondance
Internationale, n° 33, 13 mars 1926.
145 ème
Intervention de Semard lors de la 20 séance, La Correspondance Internationale, n° 53, 26 avril
1926.
146
Voir La Correspondance Internationale, n° 26, 2 mars 1926, p. 229.
147
Deuxième séance de la commission française (28 février 1926), RGASPI, 495/164/304.
148
Ibid.
149
Il fait ici référence à Suzanne Girault et Sauvage.

372
rappelle celle prise par Staline qui, lors du 14ème congrès du PC d’URSS luttait
ouvertement contre Zinoviev et Kamenev tout en appelant à l’unité de la direction et
à ne pas utiliser de mesure autoritaire dans le cadre d’une discussion politique150.
Après Lozovsky, Thorez répond à Doriot, rejetant la géographie des
tendances proposée par ce dernier et les qualificatifs de « résistant » ou « hésitant ».
Après avoir rappelé que les fautes passées incombent uniquement à « la gauche »
et à sa politique de fraction, il revient plus longuement sur le rôle des dirigeants dans
la réorientation politique. Il estime qu’en oubliant de parler des aspects positifs de
l’activité du parti et en se focalisant sur ses fautes, Doriot et Treint ont commis des
erreurs « opportunistes »151. Les termes de l’affrontement se précisent. En se
présentant comme les initiateurs du « cours nouveau », Doriot et Treint se placent
sur le terrain idéologique, espérant prendre la direction du parti avec l’appui des
dirigeants russes et notamment de Staline. Cremet, Semard et Thorez se portent
garant de la continuité et mettent en avant leur rôle dans l’application des décisions
de la conférence du 1er et 2 décembre 1925. Dans son intervention152, Cremet réitère
les propos de Thorez, mais vise plus spécifiquement Treint. Il rappelle que
concernant la guerre du Maroc, ce dernier défendait des conceptions gauchistes, en
proposant comme mot d’ordre d’action « la transformation de la guerre du Maroc en
guerre civile ». Il réfute l’idée que Treint ait pu jouer un rôle particulier dans le
tournant de décembre 1925153.
Lors des deux premières séances, Treint a été, de nombreuses fois, pris à
partie, entre autres par les délégués provinciaux. Il se trouve dans une situation
différente de celle de Doriot, qui mène l’offensive contre Semard et ses alliés. Il
espérait, après la conférence extraordinaire de début décembre, ne pas avoir de
nouveau à se justifier sur son rôle à la direction du parti, entre le 5ème congrès
mondial de l’IC et septembre 1925. Il débute son intervention en affirmant que face

150 ème
Intervention de Staline Au 14 congrès du PC d’URSS : « Nous sommes contre les exclusions,
nous sommes contre la méthode des amputations, aujourd’hui on en exclu un, demain un autre, et à
chaque fois le parti s’ampute. On sait où cela commence, mais on ne sait où et comment cela se
termine. »
151
« Il faut indiquer aussi, camarades, ceci. Pourquoi avions-nous une telle position d’hésitation ?
D’abord, chez nos camarades Doriot et Treint, ce n’était pas non plus tout à fait clair. A ce moment là,
nous pouvions avoir l’impression qu’on allait tomber de l’erreur extrême gauchiste dans l’erreur
opportuniste », Ibid.
152 ème
4 séance de la commission française, 2 mars 1926, RGASPI, 495/164/308.
153
« Je crois quand même qu’on est mal venu de venir dire qu’on était dans le groupe qui a préconisé
et réalisé la conférence du 2 décembre, alors que dans le BP, qui l’a décidée, notre camarade Treint a
oublié de prendre position à ce sujet. Je ne crois pas non plus qu’il soit juste de classer dans le
second groupe les camarades qu’il qualifie de résistants, alors que ce sont eux qui ont depuis
quelques temps senti et signalé la crise et préconisaient les modifications qui s’imposaient. », Ibid.
373
aux fautes commises, la solidarité entre les dirigeants s’impose154. Pourtant, toute sa
démonstration témoigne de sa volonté de se dissocier des autres membres du BP et
de faire oublier son rôle dans les erreurs « de nature fantaisistes »155 commise par la
tendance de gauche. Face au développement du « malaise dans le parti », il prétend
avoir pris, en accord avec Gouralski, la décision de réunir la gauche pour proposer
une série de rectifications, et de s’être heurté à de nombreuses résistances.
Suzanne Girault refusait tout changement de la ligne politique, estimant que seule
l’organisation technique était à corriger. D’autres membres du BP ― il cite Thorez ―
émettaient également des réserves sur l’abandon de certains mots d’ordre. Deux
tendances politiques se sont ainsi constituées avant de s’affronter lors de la
conférence extraordinaire de décembre 1925. Après cette assemblée, de nouvelles
divergences ont vu le jour, lors du vote de la résolution sur la question au CC du 8
janvier 1926, Suzanne Girault, Marrane, Sauvage, Thorez et d’autres ayant refusé de
voter le passage enregistrant la déclaration de discipline de l’opposition russe. Treint
en conclut qu’il existe un accord tacite de soutien entre les « résistants » français et
l’opposition russe emmenée par Zinoviev156. En dressant ce parallèle entre les
situations française et russe, il cherche à démontrer qu’il représente, avec Doriot, le
seul groupe apte à diriger le parti dans la ligne de l’IC. Comme par le passé, Il
s’appuie sur la tendance majoritaire au sein du PC d’URSS pour mener des
manœuvres politiques internes et déjouer les plans de la majorité de la délégation
française, qui souhaite l’écarter du BP.
Après avoir exposé sa vision de la situation interne du PCF, Treint consacre la
majeure partie de son discours à répliquer aux délégués qui évoquent sa part de
responsabilité dans les erreurs « gauchistes » commises tout au long de l’année
passée157. Il estime ne pas avoir commis de fautes personnelles, ni n’avoir jamais

154
« Il ne s’agit pas d’éluder la solidarité, nous sommes tous solidaires de ce qui a été fait, mais si tout
de même les responsabilités étaient les mêmes, une direction qui les éluderait serait une direction qui
aurait une lâcheté politique et ne serait pas digne de diriger le parti. », Intervention lors de la troisième
séance, 29 février 1926, RGASPI, 495/164/306.
155 ème
« Tout ce groupe de gauche était le groupe fondamental au 5 congrès. Mais ce groupe n’a pas
suivi une politique juste avec parfois des erreurs politiques vis-à-vis des masses, parfois de nature
fantaisistes. », Ibid.
156
« Mais nos camarades ont refusé de voter le passage qui enregistrait la déclaration de discipline
de la minorité. Ils disaient que l’indiscipline dans le parti russe se justifiait car elle avait raison. L’IC est
intervenue dans le débat sans apporter une ligne claire. Zinoviev a dit qu’il y avait avant tout un
danger de droite contre lequel il fallait lutter et que l’on pourrait rectifier les erreurs d’extrême gauche
après. Les résistants ont donc expliqué qu’ils étaient eux dans la ligne de l’Internationale puisque
celle-ci avait critiqué le parti français. », Ibid.
157
« Maintenant, il y a aussi une troisième manière de masquer la question, c’est de poursuivre aussi
cette petite campagne qui consiste à parler des fautes spéciales du camarade Treint. », Ibid.

374
dévié de la ligne fixée par l’IC. Plusieurs intervenants ont souligné que lors des
discussions sur la campagne contre la guerre du Maroc, Treint a proposé de lancer
comme mot d’ordre d’action du parti : « transformer la guerre du Maroc en guerre
civile »158 et a défendu ce point de vue contre l’avis de la majorité. Malgré ses
articles publiés et les procès-verbaux du BP et du CC, Treint soutient n’avoir jamais
défendu de mot d’ordre pour « l’action immédiate », mais seulement comme
« perspective révolutionnaire ». De même, lors des élections cantonales de juin
1925, il affirme n’avoir jamais voulu poser comme condition au désistement en faveur
des candidats socialistes, que ceux-ci se prononcent en faveur de l’évacuation du
Maroc. Humbert-Droz l’interrompt immédiatement et l’accuse de mentir159. Il n’est
pas le seul à s’exaspérer devant cet argumentaire. Treint ne se contente pas de
soutenir qu’il n’a aucune responsabilité particulière dans les fautes « gauchistes »
dénoncées dans la lettre ouverte de décembre 1925, il en rejette l’entière
responsabilité sur ses anciens alliés et sur le représentant de l’Internationale160.
Cette défense maladroite, loin de clore le débat sur son rôle personnel, contribue au
contraire à le recentrer sur son attitude tout au long de l’année 1925.
Lors de la séance suivante161, les intervenants se succèdent pour répondre et
démontrer que Treint a joué un rôle crucial en 1925. Point par point, Humbert-Droz
démonte sa démonstration, citations à l’appui. Dans ces articles, Treint a écrit que la
situation était révolutionnaire et qu’il fallait se préparer à la guerre civile, alors
qu’aucune information ne permettait d’aboutir à cette conclusion. Il a donné une
définition erronée du phénomène fasciste162 en France, entraînant une mauvaise

158
Cf. supra.
159
« Treint : « En ce qui concerne les élections cantonales. […] Je demandais à ce moment-là qu’au
deuxième tour, la règle générale du parti soit de dire : Quand nous arrivons au second tour derrière un
socialiste ou un cartelliste, nous votons pour lui à condition qu’il se prononce pour la paix immédiate.
Humbert-Droz : Ce n’est pas vrai. Tu as ajouté cela : si on posait la question de la paix immédiate au
Maroc, tous les socialistes donneraient une déclaration écrite, tu as ajouté qu’il fallait leur faire dire
d’être pour l’évacuation du Maroc.
Treint : C’est absolument faux ! Je t’invite à faire la preuve de ce que tu avances. », Ibid.
160
« Treint : Ici je dois dire que le camarade Gouralski n’a pas eu une bonne influence dans toute
cette année. Il arrivait, il préparait les séances. Evidemment nous avons eu des responsabilités, et la
faiblesse de le laisser faire. Mais il s’autorisait au nom du camarade Zinoviev.
Jacob : Il était le délégué de l’Internationale.
Treint : « Je dis que le camarade Gouralski se couvrait au nom du camarade Zinoviev et que le
camarade Zinoviev n’a pas donné de telles instructions.
Manouilski : « Tout le monde connaît le camarade Gouralski. Je crois que votre intervention est inutile.
Toutes les lettres venant de l’Internationale, toute l’Internationale en porte la responsabilité. », Ibid.
161
Quatrième séance (2 mars 1926), RGASPI, 495/164/308.
162
« Maintenant, nous allons voir les erreurs qu’il avait commises dans ses appréciations du fascisme.
[…] Il est naturel, lorsque l’on classe tout ce qui est en dehors du communisme dans le fascisme, que
le parti devait adopter une tactique adéquate à la situation. […] Ce point a déjà été relevé par le
camarade Lozovsky qui nous a expliqué combien il était surpris de voir, au moment d’une crise aiguë,
375
application de la tactique du front unique. Concernant la question des mots d’ordre
contre la guerre du Maroc, il cite un passage dans lequel Treint explique la nécessité
de lancer le mot d’ordre de transformation en guerre civile, « pour que les masses s’y
rallie ». Enfin, il l’accuse d’être responsable des mauvaises relations entre la CGTU
et le PCF. Humbert-Droz ne cherche pas simplement à attirer l’attention sur le rôle
de Treint dans les fautes « gauchistes » des années 1925, il veut établir que ce
dernier a été incapable de proposer une analyse théorique correcte de la situation et
qu’en conséquence, il doit être écarté de la direction. A plusieurs reprises, en tant
que représentant de l’IC en France, il avait demandé que Treint ne soit pas placé à la
direction du parti163. Il espère cette fois-ci, qu’avec l’appui de la délégation française
et du fait des changements à la direction du PC d’URSS, ses arguments portent
enfin.
Treint reprend immédiatement après la parole pour protester contre la
partialité de l’intervention164. Ne pouvant nier ses propres écrits, il doit se contenter
de nouveau de déclarer que les fautes commises ne peuvent pas lui être
personnellement imputées :
« D’autre part, Humbert-Droz apporte une série de critiques sur les fautes qui
ont été commises par le parti. Nous avons déjà nous même reconnu ces
fautes et nous les avons rectifiées. […] Si nous avons commis des erreurs,
nous devons en même temps dire que l’Internationale n’ait jamais intervenu et
que, par conséquent, elle a aussi une grosse partie de la responsabilité car il
était de son devoir de faire des rectifications lorsqu’une section nationale se
trompait. »165
Au sein de la délégation, Semard166, appuyé par les délégués de la province167,
demande, à l’instar d’Humbert-Droz, que Treint et Suzanne Girault, soient écartés du

au moment où le fascisme rassemblait toutes ses forces, lancer le mot d’ordre "A bas le régime
parlementaire". », Ibid.
163
Cf. supra.
164
Il déclare : « L’intervention d’Humbert-Droz, dirigée avec acharnement contre moi, porte un
caractère politique dont il est utile de dégager nettement la signification et les conséquences.
Humbert-Droz, dans toute une série de questions, m’a attribué presque exclusivement des
responsabilités que je partage avec toute la direction du parti. […] L’intervention d’Humbert-Droz a
ouvert la voie aux camarades, qui comme Jacob, demandent mon élimination du BP. », RGASPI,
517/1/329.
165
RGASPI, 495/164/308.
166
Voir la déclaration signée Semard, Cremet, Thorez, RGASPI, 517/1/329
167
« Au cours des débats de la commission française, il est apparu que deux camarades portent plus
particulièrement la responsabilité des fautes passées. Ce sont les camarades Suzanne Girault et
Treint. L’expérience antérieure des fautes commises, la nécessité de ne plus les renouveler, posent
impérieusement la question de l’élimination immédiate, sans attendre le prochain congrès du Parti, de
ces deux camarades. Nous disons nettement que les camarades Suzanne Girault et Treint doivent
376
BP. Minoritaire et montré du doigt, Treint voit tous les efforts qu’il a accomplis depuis
quelques mois, pour se démarquer de Suzanne Girault et faire oublier son rôle dans
direction « de gauche », réduits à néant. Les décisions de la conférence
extraordinaire de décembre 1925, qui appelaient à l’unité de la direction et lui
garantissaient de conserver un poste au sommet du parti, se voient remises en
question par la volonté de la majorité de construire une nouvelle direction autour du
groupe Semard. La déclaration de Staline168, qui intervient officiellement dans les
affaires françaises pour la première fois, laisse envisager une solution de conciliation
et le maintien de Treint au BP. Son intervention constitue un désaveu pour Treint,
puisqu’il ne le cite pas parmi les membres du futur groupe dirigeant169. Cependant, il
demande aux délégués français de ne pas retirer « du groupe dirigeant les
personnes qui luttent contre la droite ». Staline conseille donc le maintien de Treint
mais aussi de Suzanne Girault au BP. Dès décembre 1925, Treint a clairement pris
position en faveur de la majorité du PC d’URSS, mais Suzanne Girault s’est montrée
plus réticente. Staline, confronté à des dirigeants français peu pressés de
condamner l’opposition russe, opte pour une attitude de modéré et de conciliateur,
ménageant à la fois le groupe Semard, qui possède la confiance de la délégation
française, et le groupe Doriot/Treint, proche des positions de la nouvelle majorité du
PC d’URSS. Doriot intervient par ailleurs pour approuver cette proposition de
maintien de l’ancien groupe dirigeant, alors même qu’il demandait jusqu’alors
l’élimination de Suzanne Girault du BP170. En revanche, Semard s’oppose à cette
solution et souligne que les débats ont mis en évidence la volonté de la majorité de
construire une direction stable et homogène.
On constitue alors une sous-commission chargée d’entendre les principaux
protagonistes et de proposer une solution de sortie de crise. Dans leur nouvelle

être éliminés de la direction du parti. » Déclaration signée Mazières (région parisienne), Duisabou
(région marseillaise), Perer (région nord), Devernay (région nord), Stenger (région Alsace-Lorraine),
Seux (région parisienne), RGASPI, 517/1/329.
168
Cinquième séance (6 mars 1926), RGASPI, 495/164/312.
169
« Il est tout à fait exact que le parti ne peut lutter contre la droite, ni contre l’extrême gauche, ni
contre qui que se soit, s’il ne possède pas au sein du groupe dirigeant, une majorité compacte
pouvant frapper avec ensemble sur le même point. […] Je pense qu’un tel groupe doit se former, je
crois qu’il est déjà formé ou qu’il se formera bientôt autour de camarades comme Semard, Cremet,
Doriot, Monmousseau. », Ibid.
170
Déclaration de la délégation des jeunesses, signée par Doriot : « […], la délégation de la jeunesse
se déclare en plein accord avec les propositions du camarade Staline, faites devant la commission
française, comme étant les seules susceptibles d’assurer effectivement l’unification de la direction du
mouvement ouvrier. Voir également une déclaration de Monmousseau et de Simonin, RGASPI,
517/1/329.
377
déclaration, Semard, Cremet et Thorez171 réclament le remplacement au BP de
Suzanne Girault et de Treint par deux militants liés au mouvement syndical et
revendiquent un rôle dans la nouvelle direction, chargée de mener à bien les
changements politiques décidés lors de la conférence nationale extraordinaire et de
diriger la lutte contre la droite. Treint172 se place également sur le terrain de la
conférence dès 1er-2 décembre 1925 pour revendiquer son droit à conserver une
place au sein de la direction. S’appuyant sur la déclaration de Staline, il considère
que les défis que le parti doit affronter imposent la reconduction de l’ancienne
direction. En mauvaise posture, Treint tente d’opposer Staline à Semard, en agitant
le spectre d’une rupture entre le PCF et la majorité du PC d’URSS173. Mais cette
manœuvre échoue, comme en témoigne la déclaration de la délégation russe, qui
critique la volonté de Treint de mêler la question russe aux affaires internes du parti
français174. De plus, la délégation russe abandonne la position de Staline et se rallie
à celle de la majorité de la délégation française en proposant le maintien de Treint à
Moscou comme délégué permanent du PCF. Il s’agit d’un compromis entre
tendances puisque Suzanne Girault et Treint conservent leur place au BP, la
décision d’exclusion revenant au CC du PCF. Mais Treint se trouve concrètement
mis à l’écart de la direction et perd tout le bénéfice des décisions de la conférence
extraordinaire de décembre 1925.
Ce compromis, qui constitue une victoire personnelle pour Semard, est voté à
l’unanimité, à l’exception du passage concernant Treint, qui recueille 18 voix contre
5175. La commission française discute ensuite et adopte un projet de résolution176
déterminant la tactique politique du PCF, face à l’évolution de la situation
économique, sociale et politique française. Le texte revient sur les questions de la

171
RGASPI, 517/1/329.
172
Déclaration de Treint, RGASPI, 517/1/329.
173
« A la fin de la dernière séance de la commission française, Semard a posé deux conditions pour
assumer la direction du parti français. La première condition, c’est mon élimination du BP et celle de
Suzanne Girault. La seconde condition, c’est un remaniement du BP assurant une direction stable au
groupe Semard, Cremet, Thorez. […] Les conditions posées par Semard pour continuer à assumer
les fonctions de secrétaire général, ne sont pas conformes aux conclusions du camarade Staline
devant la commission française, et cela risque de créer des relations pas normales avec le parti
russe. », Ibid.
174
« Nous estimons que les déclarations de Monmousseau et Treint selon lesquelles les déclarations
de la majorité de la délégation du PCF provoqueraient une aggravation des relations entre le PCF et
le PCR ne correspondent pas du tout à la vérité. […] et, nous considérons spécialement nuisible toute
tentative d’exploiter la question russe qui n’a rien a faire dans la question dont il s’agit. », RGASPI,
517/1/329.
175
Doriot, Simonin, Guy Jerram, Monmousseau, Treint votent contre.
176
Résolution de l’Exécutif Elargi sur la question française, La Correspondance Internationale, n° 64,
25 mai 1926, p. 702-712.

378
réorganisation, de la constitution d’une direction unique et de l’application de la
tactique du front unique. Enfin, la troisième partie est consacrée à la lutte contre la
droite. Cette résolution constitue un texte fondateur pour l’orientation du PCF au
cours des deux années suivantes177. En conclusion des débats sur la question
française, Humbert-Droz lit, en séance plénière178, le rapport de la commission
française. Treint intervient ensuite pour justifier son refus de voter le passage de la
résolution consacré aux « fautes ultra gauches ». Il y est écrit que « la tendance de
Treint de transformer la guerre coloniale en guerre civile, quand elle était examinée
par lui sous l’angle d’une perspective relativement proche, était dans les
circonstances déterminées une faute politique grave ». Treint estime qu’on lui
attribue une faute qu’il n’a pas commise, mais déclare qu’en dehors de cette réserve,
il approuve la résolution. En accord avec les nouvelles orientations politique et
tactique, il s’oppose à son maintien à Moscou. Au cours des semaines suivantes, il
s’enferme dans une attitude de protestation et de résistance, qui ne contribue pas à
accroître son crédit auprès de la direction de l’IC.

177
Voir la longue analyse que Serge Wolikow consacre à cette résolution, op. cit., p. 366-391.
178 ème
19 séance (14 mars 1926), La Correspondance internationale, n° 51, 23 avril 1926, p. 493-495.
379
B/ De nouveau à Moscou.

1) Discussion sur les perspectives internationales.

Depuis le 5ème congrès mondial de l’IC Treint, membre du Comité Exécutif, a


été coopté au Présidium, dès la fin de l’Exécutif Elargi. En tant que représentant du
PCF à Moscou, il participe aux activités du secrétariat des pays latins. Il est
également membre du bureau d’organisation ainsi que de la commission syndicale
de l’IC. En dépit de sa mise à l’écart de la direction du PCF, il conserve une place
éminente au sein de l’appareil de l’IC. Durant plusieurs mois, il ne collabore
cependant que très occasionnellement aux travaux de ces différents organes. Malgré
la clôture de l’Exécutif Elargi et l’adoption des décisions de la commission française à
la grande majorité des participants, Treint espère toujours obtenir son retour en
France, estimant que la décision de le maintenir à Moscou constitue une sanction
politique injustifiée. Le 24 mars 1926, le Présidium179 de l’IC discute des résultats de
la commission française et des décisions concernant la constitution d’une direction
du PCF plus homogène. Il examine une lettre180, dans laquelle Treint demande la
révision de la décision de la commission. Après lecture du document, Treint
intervient pour proposer une résolution181 inspirée de sa lettre, et se justifier devant la
direction de l’IC. Manouilski propose une autre résolution appelant à la constitution
d’une majorité stable, autour de Semard, avec la participation de Monmousseau,
Doriot et Cachin182. Treint considère que faire du groupe Semard le pivot dans la
constitution d’une majorité stable risque, contrairement à l’effet escompté, de
relancer les luttes entre tendances. Il pense qu’une direction stable ne peut être

179
P-V de la séance du Présidium, RGASPI, 495/2/66. Voir également 517/1/324.
180
Nous n’avons pu consulter d’exemplaire de cette lettre.
181
« Le Présidium, considérant que le camarade Treint a lutté contre toutes les formes successives de
l’opportunisme (Longuet, Frossard, Souvarine, Monatte et Rosmer) et qu’il a été parmi ceux qui ont
travaillé le plus activement au redressement politique du 2 décembre, décide que le camarade Treint
doit retourner dans le parti français jusqu’au prochain congrès du parti. Le Présidium entend
manifester ainsi sa volonté d’unir toutes les forces du parti dans la lutte contre la droite et pour
l’application pleine et entière des décisions du 2 décembre et de l’Exécutif élargi. ». Document
manuscrit signé Treint, RGASPI, 517/1/324.
182
« Le Présidium estime que la question des déplacements de personnes du BP doit être décidée
par le CC du PCF lui-même. Tous ces déplacements qui ont pour but d’assurer au BP une majorité
plus stable, ayant à sa tête le camarade Semard comme secrétaire général, doivent être exécutés
sous la condition obligatoire de la collaboration la plus intime et la participation la plus étroite des
camarades Monmousseau, Doriot et Cachin. », Ibid.
380
construite, sans exclusive, qu’autour de ceux qui ont approuvé les décisions de la
conférence extraordinaire de décembre 1925 et de l’Exécutif Elargi. Il ne cesse de se
référer aux décisions de la conférence extraordinaire qui ont, selon lui, montré la
capacité du parti à corriger lui-même ses propres fautes, sans intervention de l’IC. En
tant qu’initiateur et protagoniste de cette assemblée, sa présence à Paris, alors que
les décisions commencent à être appliquées, est indispensable. Il agite par ailleurs la
menace de nouveaux conflits et d’un arrêt du processus de redressement du parti,
en raison de son absence183. Concernant les raisons invoquées par les délégués
français pour demander son maintien à Moscou, il rejette l’idée d’être « discrédité »
et de devoir être éloigné pour éviter les attaques contre lui184. Il estime au contraire
qu’il reste l’un des piliers de la direction, sans lequel le parti français risque de
sombrer dans les affrontements et la déviation politique. Malgré la violence des
attaques dirigées contre lui lors de la commission française, il refuse de voir qu’il est
marginalisé et reste convaincu, qu’en rentrant à Paris pour participer aux débats qui
doivent précéder le 5ème congrès national du PCF, il peut retrouver le rôle de leader
de « la gauche », qu’il tient depuis 1924.
Au sein du Présidium, il ne peut plus compter sur l’appui des russes. Tour à
tour, Manouilski et Zinoviev interviennent pour réfuter les arguments de Treint et
proposer que les décisions de la commission française soient avalisées. Le président
de l’Internationale lui rappelle que la discipline du parti implique de se soumettre aux
décisions de la majorité et justifie son éloignement en l’accusant d’avoir une large
part de responsabilité dans les conflits intérieurs et de défendre une ligne
personnelle dangereuse, qui n’est pas celle de la conférence extraordinaire :

183
« Enfin, sans vouloir recommencer le débat sur la question française, il est utile de voir la
répercussion qu’aura en France mon maintien à Moscou. J’ai été parmi ceux qui ont fait le
redressement du 2 décembre. Il y avait beaucoup de camarades qui désiraient depuis longtemps ce
redressement, mais qui voulaient le faire sans briser le parti. […], ces camarades qui sont une partie
importante de l’ancienne gauche et dont j’ai été l’expression, qu’est ce qu’ils vont comprendre à mon
maintien à Moscou ? Cela va porter un trouble en eux. Ils comprendront cette mesure comme je ne
sais quel demi désaveu du 2 décembre. […] L’autre face de la question, on peut dire que le parti
ème
français est unanime pour le 2 décembre. Depuis le 5 congrès, toute une couche de fonctionnaires
a été formée dans le parti, sur la base des fautes que nous avons commises ensemble, mais que
nous avons su redresser. […] Cette couche de camarades qui veulent plus ou moins ruser avec le 2
décembre, quand elle verra qu’un des camarades qui a lutté pour le 2 décembre est retenu à Moscou,
prendra de l’audace pour lutter contre le 2 décembre. », RGASPI, 517/1/324.
184
« Certains camarades comme Semard ont dit à l’intérieur de la commission française que le
camarade Treint était discrédité dans le Parti français. Je pense que si s’était exact, il n’y aurait pas
tant d’opposition à ma rentrée à Paris. […] On a invoqué aussi comme motif (pas officiellement) que le
camarade Treint était beaucoup attaqué, qu’il fallait l’épargner en le gardant ici. C’est inacceptable
d’envisager les choses ainsi. », Ibid.

381
« Mais j’ai le sentiment que Treint a beaucoup contribué à créer cette
méfiance entre le groupe Semard et le groupe Doriot Monmousseau et à faire
naître ici deux groupes dans la centrale. Treint a moins que personne le droit
de se plaindre du fait que peut-être maintenant se dessineront une majorité et
une minorité. »185
Zinoviev affaibli n’a plus les moyens de faire pression sur les sections nationales.
Cependant, la mise à l’écart de Treint, qui parmi les dirigeants français s’est
prononcé le plus tôt contre l’opposition russe, lui laisse espérer le soutien de la
direction du PCF. En désignant Treint comme un fauteur de troubles, après s’être
appuyé sur lui pour mener la lutte contre Souvarine et pour imposer la ligne de l’IC, il
prend sa revanche contre un ancien allié devenu partisan de la nouvelle majorité
russe. La réponse de Treint, très agacé d’être accusé de « monopoliser » la
conférence du 2 décembre et de contribuer au renforcement de l’opposition186,
témoigne de l’animosité entre les deux hommes. Si Treint ne peut plus compter sur
Zinoviev et ses partisans, il ne peut non plus escompter le soutien de la nouvelle
majorité russe, qui se satisfait du compromis de l’Exécutif Elargi sur la question
française. Enfin, en dehors des questions de lutte de tendances, plusieurs membres
du Présidium, au premier rang desquels Humbert-Droz, militent depuis longtemps
pour qu’il soit éloigné de la direction du parti français. Mise au vote187, la résolution
de Treint est repoussée et son maintien à Moscou définitivement avalisé.
N’ayant pas prévu de séjourner à Moscou durant plusieurs mois, Treint
présente une requête au secrétariat de l’IC pour se rendre quelques semaines en
France, le temps d’organiser son absence et de faire quelques démarches188. Il
invoque principalement des raisons personnelles touchant à sa famille. Il reçoit
l’accord de Zinoviev et du secrétariat pour un séjour de deux semaines. Seulement, il

185
Il ajoute : « La ligne qui fut adoptée à la conférence du 2 décembre est la bonne ; elle n’est
aucunement le monopole du camarade Treint, mais une propriété commune de l’IC. […] La lutte
contre la droite sera encore très âpre. Je crois que la ligne indiquée par Treint dans ses déclarations
n’est pas désignée pour faciliter la lutte contre la droite ; au contraire. Si ces affirmations restent dans
les archives de l’IC, tout cela n’est pas un grand mal ; mais si elles sont répandues, elles entraîneront
une désorganisation du CC et par là-même rendront plus difficile la lutte contre la droite. », Ibid.
186
« Premièrement, je n’ai pas prétendu que j’ai le monopole du 2 décembre, mais je dis que j’ai été
parmi les camarades qui ont préparé activement le 2 décembre ; […] Quatrièmement, je n’accepte
pas du tout l’accusation de faciliter l’action de la droite. », Ibid.
187
Nous ne connaissons pas le résultat précis.
188
« Lorsque je suis venu à l’Exécutif élargi, il n’avait à aucun moment été envisagé en France que je
devais rester à Moscou. J’ai donc laissé à Paris un grand nombre d’affaires matérielles et
personnelles sans être réglées. Par exemple je dois m’occuper de la situation de mon fils en vue
d’une absence prolongée. Par exemple encore, la pension militaire à laquelle j’ai droit en France
serait perdue pour moi si je ne faisais pas sous peu des démarches nécessaires. », Lettre de Treint
au secrétariat de l’IC, 25 mars 1926, RGASPI, 517/1/329.
382
apprend peu après que son départ est conditionné au retour de Jacob, deuxième
représentant français qui vient de quitter Moscou pour Paris. Persuadé qu’en
l’empêchant de rentrer rapidement en France, Humbert-Droz et d’autres veulent le
punir pour son opposition aux décisions de l’Exécutif Elargi, il rédige une nouvelle
lettre au secrétariat189 et décide de refuser tout travail ou collaboration dans les
organes de l’IC. Après une semaine de boycott, il annonce qu’il reprend sa place190
et obtient peu après un départ anticipé, malgré les « manifestations regrettables ―
grève et protestations d’un style très violent ― »191 dont il s’est rendu coupable.
L’affaire rebondit après son retour de France. Ruth Fisher ayant obtenu, sans vote
du Présidium, son retour en Allemagne, il envoie une lettre de protestation192. Cette
décision, obtenue sans difficulté, prouve selon lui que la direction de l’internationale
est sous influence gauchiste et que les « brimades », dont il pense avoir été victime,
avaient un caractère politique. Il accuse implicitement Zinoviev de se servir de
l’extrême gauche communiste pour organiser la lutte contre Staline dans l’IC193 et se
présente comme une victime de ces manœuvres, donnant ainsi un caractère
hautement politique à une affaire anodine.
Les discussions politiques sont alors dominées par les rumeurs sur le conflit
entre Staline et Zinoviev/Kamenev et sur un possible rapprochement entre ces
derniers et Trotsky. Treint, s’il passe peu de temps à Moscou, sait que de nouvelles

189
« J’ai demandé un congé de 2 semaines à passer à Paris pour y régler des affaires matérielles
urgentes. […] Par Piatnisky et Ercoli, j’ai appris que ma demande est ajournée jusqu’au retour du
camarade Jacob, pour le motif qu’il faut absolument à Moscou un camarade français. Ma demande
étant antérieure au départ de Jacob, je fais remarquer que si l’on voulait poser ainsi la question, il
fallait le faire avant [souligné par l’auteur] le départ du camarade Jacob […] Si je ne pars pas dans les
jours tout prochains, il s’agit de dommages matériels qui réduisent à la misère ma première femme et
mon fils âgé de onze ans et d’une santé délicate et coûteuse. […] J’accepte de grand cœur, comme je
l’ai toujours fait, la discipline communiste, mais je ne puis confondre le respect de la discipline
communiste nécessaire avec l’acceptation d’un régime de brimade. », Lettre de Treint au secrétariat
de l’IC, 30 mars 1926, RGASPI, 517/1/329. Voir en annexe.
190
« J’ai résisté par le seul moyen qui me restait pour faire comprendre à certains camarades qu’on
ne piétine pas certaines choses sans raison politique sérieuse. Puisque ma résistance n’a pas abouti
à déterminer dans le secrétariat une majorité contre le formalisme bureaucratique de certains
camarades, qui les conduit à pratiquer un régime d’odieuses brimades, je ne veux pas la prolonger.
Mais si je reprends dès aujourd’hui le travail, je maintiens absolument ma protestation. », Lettre de
Treint au secrétariat de l’IC, 6 avril 1926, RGASPI, 517/1/329.
191
Lettre d’Humbert-Droz au secrétariat du PCF concernant le séjour de Treint en France, 14 avril
1926, RGASPI, 517/1/329.
192
Lettre de Treint au Présidium et au secrétariat de l’IC, à la délégation russe et allemande, 14 juin
1926, RGASPI, 517/1/329.
193
« Il y a là une chaîne qui, si elle n’est rompue, risque de tirer toute l’IC vers les erreurs gauchistes.
Le cas de Ruth Fischer montre que des influences dans ce sens s’exercent à la direction de
l’Internationale. Je ne veux pas faire un parallèle entre la facilité avec laquelle Ruth Fischer peut, en
dehors du Présidium, obtenir une décision de départ immédiatement appliquée et les difficultés et
lenteurs qui ont été opposées à mes demandes de voyage […] Un tel parallèle ne laisse pas
cependant d’être significatif. En effet, si j’ai toujours combattu la droite, j’ai aussi, en prenant l’initiative
du 2 décembre, combattu le gauchisme. », Ibid.
383
luttes se préparent au sommet du PC d’URSS. Il quitte Moscou vers la mi-avril et ne
rentre qu’à la fin du mois de mai 1926194. A son retour, il participe à la discussion au
Présidium195 sur les suites de la grève générale en Angleterre196 et sur une thèse de
Boukharine où le théoricien du parti russe défend la poursuite de l’alliance avec les
Trade Unions britanniques, au nom de la spécificité du mouvement ouvrier anglais.
Treint commence par souligner qu’un désaccord entre lui et le second représentant
du PCF, absent à la réunion, ne lui permet de s’exprimer qu’en son nom personnel. Il
retire deux enseignements principaux de l’expérience de la grève générale anglaise :
la « trahison » des chefs du conseil général des Trade Unions et un certain nombre
d’erreurs de préparation de la part de la direction de l’Internationale, qui ont empêché
de mieux soutenir le mouvement anglais. Il prend soin de se démarquer des critiques
« des gauchistes allemands qui prétendent interpréter ces faiblesses comme la
preuve que l’IC s’est livrée à l’opportunisme »197. Il vote la thèse de Boukharine et
réclame le maintien du comité anglo-russe, manifestant ainsi son soutien à la ligne
défendue par la majorité du PC d’URSS. Son intervention se distingue néanmoins
par sa conclusion. Treint évoque pour la première fois l’idée que, dans leurs
réactions devant la grève générale, les capitalistes européens ont montré leur
volonté de s’unir. Ce fait souligne, selon lui, l’évolution de la situation internationale
avec la formation d’un bloc européen opposé aux Etats-Unis d’Amérique. Dans les
mois suivants, il consacre l’essentiel de son activité politique à défendre cette thèse.
Exception faite de cette intervention au Présidium et de sa participation à
quelques séances du secrétariat latin198, il est difficile de connaître les activités de
Treint à Moscou, d’autant qu’avant la fin du mois de juin 1926, il quitte de nouveau
Moscou, pour participer au 5ème congrès national du PCF (20-26 juin 1926). Il en fait
la demande dans une lettre adressée au secrétariat199 en même temps que Fromage

194
Il ne participe à aucune séance du Présidium entre mi-avril et fin mai, RGASPI, 495/2/68-70.
195
P-V de la séance du Présidium du 4 juin 1926, RGASPI, 495/2/73.
196 er
Le 1 mai, en soutien aux mineurs anglais, le conseil général des trades unions (syndicats)
déclenche la grève générale, entraînant rapidement plusieurs millions d’ouvriers. Alors que le
mouvement continue de se développer, les dirigeants du conseil général, après une rencontre avec le
premier ministre, capitulent et demandent la reprise du travail, brisant l’élan des ouvriers en lutte.
Malgré cela, les syndicats russes restent alliés aux trades unions, au sein d’un comité anglo-russe.
Voir BROUE P, « Histoire de l’Internationale Communiste », op. cit., p. 406-422.
197
Intervention de Treint, RGASPI, 495/2/73.
198
P-V des séances du secrétariat latin, RGASPI, 495/32/1.
199
« Comme membre du CC et du BP du parti français, je demande à assister au congrès de mon
parti. Il est bien entendu d’ailleurs que ma participation au congrès ne saurait voiler le fait que le
courant que j’exprime plus particulièrement dans le parti a été, par suite de mon maintien à Moscou,
partiellement éliminé de la discussion et que ce fait a eu des conséquences politiques non
négligeables. », Lettre de Treint au secrétariat, RGASPI, 517/1/329.
384
et Jacob200, deux autres représentants du PCF. Il apparaît que leur participation au
congrès n’a pas été envisagée, mais les trois militants obtiennent gain de cause,
bien qu’il leur soit demandé de voyager à leurs frais201. En participant aux débats,
Treint espère défendre son rôle dans le tournant politique de décembre 1925 et
obtenir son retour en France et sa réintégration au sein de la direction.
Depuis l’Exécutif Elargi, les conflits entre les dirigeants connaissent un
apaisement tout relatif. Lors du CC élargi dès 6-8 avril 1926202, les membres de la
délégation évoquent la lutte entre les deux principaux groupes de la direction et les
solutions proposées par les militants russes. La formule de direction
Semard/Cremet/Thorez/Doriot/Monmousseau est avalisée par le CC. L’assemblée
décide de maintenir Suzanne Girault et Treint au BP, dans l’attente du 5ème congrès
national. La direction, conformément aux orientations de la résolution sur la question
française, met en place une discussion à l’échelon régional et local, permettant aux
cadres moyens et aux militants de s’exprimer, tant sur les erreurs dans les méthodes
de direction que sur les problèmes de réorganisation, loin d’être réglés. Les colonnes
de l’Humanité s’ouvrent aux critiques des représentants d’autres tendances et de
simples militants203. En dépit de ces efforts d’ouverture, la situation du parti demeure
très fragile, notamment en raison du manque d’activité politique et de l’absence de
solidarité entre les dirigeants, comme en témoigne Humbert-Droz, venu assister au
congrès national en qualité de représentant de l’IC. Selon lui, tous les dirigeants
cherchent à se constituer un fief, dans une optique de conquête de la direction204.
Dans ce contexte, Treint, rompu aux manœuvres politiques souterraines, pourrait
jouer des rivalités personnelles pour construire de nouvelles alliances, même si son
éloignement a contribué à affaiblir sa position205. La question russe, après l’annonce

200
Voir la lettre des deux militants protestant contre leur absence au congrès du PCF, Ibid.
201
Lettre du secrétariat de l’IC au secrétariat du PCF, 19 juin 1926, RGASPI, 517/1/324.
202
P-V du CC élargi, BMP 141.
203
Voir notamment, dans la tribune de discussion, un article de Renaud Jean critiquant l’organisation
du parti (n° 10002, 30 avril 1926, p. 4) ; la déclaration de la tendance Humberdot/Morin (n° 10016, 14
er
mai 1926, p. 6) ; une déclaration du 1 rayon de la région parisienne sur l’organisation (n° 10010, 8
mai 1926, p. 6).
204
« Le groupe Semard lui-même est loin d’être homogène et compact. Il y a des rivalités mesquines,
une lutte sourde de tous contre tous pour le pouvoir dans le parti. Chacun taille son fief, son tremplin.
Doriot, dans les jeunesses, Thorez, dans le nord, Monmousseau, dans la CGTU. Cremet convoite le
secrétariat général à la place de Semard et manœuvre de façon à ne pas avoir trop de solidarité dans
la direction collective. » Lettre d’Humbert-Droz (date ?). Dans une seconde lettre, datée du 19 juin
1926, il ajoute ; « Le congrès se passera sans doute sans incidents et sans batailles. […] La lutte pour
le pouvoir au sein du parti continuera. Doriot veut la direction et manœuvre, flatte et annexe la CGTU,
tout au moins le bureau confédéral. Le groupe Semard est un mythe, une création que nous avons
imaginée à Moscou, mais qui n’existe pas en réalité. », De Lénine à Staline, op. cit., p. 268-271.
205
Dans sa lettre du 19 juin, Humbert-Droz écrit que, lors d’une entrevue, Doriot lui a affirmé vouloir
« abandonner Treint à son sort sans se noyer et se discréditer avec lui », Ibid.
385
de l’alliance entre Zinoviev et Trotsky, peut le favoriser, ayant eu connaissance de ce
nouvel épisode de la lutte au sommet du parti avant les militants français et ayant
pris nettement position en faveur du groupe Staline/Boukharine. Même si la question
russe n’est pas débattue en public lors des six journées du congrès, elle se trouve au
centre des discussions et des manœuvres206. Cependant, au cours du congrès,
Treint joue un rôle plutôt effacé et étonnamment, prend une position qui l’isole à la
fois du groupe dirigeant et de toutes les tendances constituées au sein du parti.
Les trois premières journées du congrès sont consacrées à la discussion sur
le rapport moral du secrétariat, lu par Semard207. Son intervention, dans la droite
ligne des décisions de la conférence extraordinaire et de l’Exécutif Elargi, est un
mélange d’autocritique et d’appel à l’unité de toutes les tendances en accord avec la
nouvelle ligne du parti. Les orateurs se succèdent ensuite pour rendre compte des
difficultés rencontrées au niveau local, poser des questions sur la nouvelle
orientation et rappeler l’ampleur de la tâche à accomplir208, mais aussi pour répondre
au nom de la direction. L’ancienne direction, et plus particulièrement Suzanne Girault
et Treint, est constamment visée et accusée de « gauchisme », de « sectarisme » ou
encore « d’autoritarisme ». Treint n’intervient à aucun moment au cours des débats
et n’est défendu par aucun représentant de la direction, Doriot y compris.
Le quatrième jour, Semard présente un rapport sur la situation internationale
et la situation politique française, reprenant les thèses de l’Exécutif Elargi sur les
tensions entre les « blocs impérialistes » et, concernant la France, sur la rupture du
bloc des gauches et le danger d’un retour de la droite, alliée au fascisme209. Le
lendemain, Treint intervient à son tour sur la situation nationale et internationale et la
stratégie du parti qui en découle210. Il commence par se placer au dessus des
tendances, se présenter comme un simple militant exprimant ses opinions211. Il
développe une thèse qui tient en deux points majeurs. Premièrement, la stabilisation
capitaliste constatée depuis quelques années est ébranlée par une série de faits

206
« Les questions russes et de multiples ragots circulent dans les couloirs. Cela seul intéresse. […]
[Le parti] juge secondaire la lutte contre le capitalisme français et primordiale la question de savoir si
l’on est avec Staline, ou Zino (sic), ou Trotsky. », Ibid., p. 272.
207 ème
Voir le compte rendu sténographique du 5 congrès de Lille, Paris, Bureau d’Edition, 1927. Ainsi
que l’Humanité, n° 10054 à 10060, 21-27 juin 1926.
208
Voir les interventions de Morin pour la tendance centriste ou de Renaud Jean, Ibid.
209
Compte rendu sténographique, op. cit., p. 296-354.
210
Ibid, p. 385-399. Voir aussi le compte rendu de la cinquième journée dans l’Humanité, n° 10058, 25
juin 1926, p. 1-2, avec la dernière photo de Treint publiée dans le quotidien.
211
« Plus que jamais, il est nécessaire d’examiner cette situation en elle-même et de donner son
opinion, sans se demander quels groupes ou quels hommes, dans le parti ou dans l’Internationale,
cette opinion peut favoriser tactiquement. », Ibid., p. 385.
386
nouveaux212, conditionnant un renforcement des antagonismes entre les états
capitalistes. Deuxièmement, les conflits entre les différents états européens passent
au second plan pour laisser place à une rivalité entre les Etats-Unis et un bloc
« anglo-européen » de plus en plus soudé. C’est là le point le plus original de sa
démonstration. Se référant à une série de citations, tirées de la presse quotidienne
européenne, il affirme que la solidarité entre les états européens se renforce au point
d’envisager la constitution d’une organisation supranationale, devenant le principal
adversaire politique et économique des Etats-Unis213. Il prolonge une réflexion
entamée par Trotsky, en 1924, sur les conséquences du développement de
l’hégémonie américaine sur le système capitaliste mondial214. Dans les controverses
de l’année 1924, Treint avait combattu l’idée de la naissance d’un « super-
impérialisme » américain auquel aboutissait Trotsky215. Il présente sa thèse comme
la seule alternative aux conceptions trotskystes, autrement dit comme la seule
analyse léniniste de la situation internationale :
« S’il est vrai que l’Europe, en dépit de ses antagonismes capitalistes internes,
ne va pas vers une coalition contre les Etats-Unis, alors l’Amérique est déjà si
puissante qu’elle pourra durablement faire la loi à l’Europe divisée […]. Alors
c’est Trotsky qui, il y a deux ans, avait raison sur ce point ; alors les thèses
internationales de notre congrès de Clichy sont fausses ; alors nous allons
vers le super-impérialisme ; alors nous révisons un point fondamental du
léninisme. Ceux qui pensent ainsi doivent le dire. Nous les combattrons ; mais
la clarté complète sur cette question est nécessaire. »216
Fidèle à une conception dogmatique de la discussion politique, il estime que sa thèse
ne souffre aucune nuance, aucune réserve et que tous les évènements récents
viennent la renforcer. En proposant cette analyse, qui diverge à la fois des positions
de la direction de l’IC et de l’opposition russe, il tente d’apparaître comme un militant
au-dessus des tendances, fidèle aux seuls principes du léninisme. En ce qui

212
Grève générale en Angleterre, crise financière et politique en France, coup d’Etat du Maréchal
Pilsudski en Pologne.
213
« Il y a objectivement une base pour l’établissement d’une solidarité capitaliste européenne contre
l’Amérique. […] Ainsi, les antagonismes capitalistes intérieurs à l’Europe tendant à s’atténuer
relativement et à passer au second plan, tandis que l’antagonisme entre les Etats-Unis et l’Anglo-
Europe se renforce de plus en plus, tend à passer au premier plan et à devenir l’antagonisme
fondamental, à l’intérieur du système capitaliste. », Ibid. p. 386 et 388.
214
Voir Léon Trotsky, Europe et Amérique, Textes réédités et présentés par Naville P, Paris, ed.
Anthropos, 1971, 110 p.
215
Voir la série d’articles intitulée « Contre Trotsky », publiée dans les Cahiers du Bolchevisme en
décembre 1924, cf. supra.
216
Compte rendu sténographique, op. cit., p. 389.
387
concerne la question nationale et la vie intérieure du parti, son exposé se situe dans
la droite ligne de la conférence extraordinaire de décembre 1925. Il se contente
d’appeler le parti à appliquer la tactique du front unique sans commettre d’erreur217 et
à lutter pour reconquérir l’unité syndicale. Il conclut sur les problèmes internes de
direction, en ouvrant de nouveau la polémique sur le rôle respectif de chacun des
dirigeants dans la décision du tournant de décembre 1925. Il s’en attribue, avec
Doriot, le mérite et en profite pour répondre à tous ceux qui, depuis le début du
congrès, l’accusent d’être, avec Suzanne Girault, le principal responsable des fautes
passées218.
Exception faite de Suzanne Girault219, personne ne vient à la tribune contester
la version des évènements, décrite de manière partiale par Treint, probablement par
volonté de ne pas relancer les hostilités entre dirigeants. Les orateurs se succèdent
en revanche pour réfuter les thèses de Treint, soulignant son isolement et sa
disgrâce, au moins parmi les délégués réunis à Lille. Tous insistent sur le fait qu’il
s’agit d’une simple vision de l’esprit, d’un schéma abstrait, appuyé sur une analyse
trop simplificatrice de la situation internationale. Cremet, à travers une série
d’exemples, explique que les conflits entre les Etats européens sont trop nombreux
pour envisager un véritable rapprochement. Il remarque que Treint a oublié
d’évoquer la question de l’URSS qui, par son existence même, empêche toute
consolidation entre les pays européens220. Pour conclure, il lui reproche de définir de
nouvelles perspectives internationales totalement contradictoires avec celles qu’il a
votées lors de l’Exécutif Elargi. La résolution sur les questions internationales stipule

217
Sur ce point, il se déclare en accord avec Semard qui prône, un front unique large, visant à
atteindre les classes moyennes et pas uniquement les ouvriers et les paysans. Ibid., p. 393.
218
« Il faut aussi que les attitudes des uns et des autres ne soient pas dénaturées. Avec Suzanne,
avec toute l’ancienne direction, avec l’ensemble du parti, j’ai commis des fautes. Mais avec Doriot, j’ai
été de ceux qui ont pris l’initiative de les corriger le 2 décembre, malgré les résistances de Suzanne
dans les semaines qui ont précédé le 2 décembre. Aujourd’hui tout le monde veut s’approprier le 2
décembre. Je n’y vois aucun inconvénient. Quand nous avons fait le 2 décembre, nous avons eu
l’ambition que tout le parti se l’approprie et se l’assimile pleinement. Je ne veux chicaner personne sur
ses hésitations lorsqu’il s’est agi de redresser les erreurs commises. Le camarade Polonais qui, le 2
décembre, a qualifié Semard, Cremet et Thorez de résistants, a eu tort. Mais ces camarades doivent
reconnaître qu’ils ont eu, à ce moment, des hésitations. », Ibid., p. 398.
219
« Notre camarade Treint a cru devoir faire allusion à l’attitude de certains camarades de la direction
du parti. […] Quant à dire que nos camarades Semard, Cremet et Thorez demeuraient passifs et
qu’un camarade polonais avait pu les traiter de résistants, notre camarade Treint sait bien qu’ils
n’étaient pas résistants mais hésitants. […] Ils ont été hésitants en raison de ce que la question venait
d’une façon tout à fait nouvelle. Mais est-ce nécessaire de parler de ces choses-là ? Je ne le pense
pas. », Ibid., p. 495.
220
« Il ne faut pas poser le problème ainsi : bloc anglo-européen contre l’Amérique, d’une façon aussi
unilatérale que l’a fait Treint, surtout pour une raison beaucoup plus importante : il a oublié tout
simplement qu’il ne peut y avoir de stabilité tant qu’il y a l’URSS, tant qu’il y a la révolution russe ; »,
Ibid., p. 449.
388
que le monde traverse une période de « stabilisation relative », tandis qu’en suivant
la thèse de Treint, il faut conclure au déclenchement d’une guerre dans un avenir
proche, du fait de l’antagonisme entre les deux blocs constitués. Doriot s’arrête plus
longuement sur l’hypothèse de la constitution d’un bloc « anglo-européen » qu’il
qualifie « d’utopie »221, et ironise sur le caractère « prophétique » de l’exposé de
Treint. L’intervention de Costes se distingue par son caractère brusque. Il se
contente de le mettre en garde contre toute défiance à l’égard des thèses de
l’internationale, qui pourrait le mener sur le chemin de l’opposition222.
Après cette première salve de réponses223, Treint tente de répliquer à chacun
et bat en retraite. Il déclare avoir simplement ouvert un débat, à ses yeux essentiel
pour l’avenir de l’IC et regrette que l’on ait employé à son encontre un ton polémique,
en l’accusant de se rapprocher de l’opposition224, de développer une thèse
opportuniste225. Mais il n’affirme plus, comme dans sa première intervention,
proposer la seule thèse fidèle à la ligne léniniste. Malgré ces précisions, Semard, qui
en tant que rapporteur répond à tous les orateurs intervenus au cours des deux
journées de discussion, abonde dans le sens de Doriot et Cremet en soulignant le
caractère hâtif et schématique des conclusions de Treint. Enfin, le dernier jour c’est
au tour d’Humbert-Droz de réfuter sa thèse en l’accusant de s’éloigner de
l’Internationale, voire de défendre des positions social-démocrates226. Au terme de
trois journées de débats, les conceptions de Treint ont été repoussées, à l’unanimité
du congrès. De plus, la volonté des dirigeants de ne pas entamer une nouvelle
bataille pour la direction du parti, contribue à maintenir Treint à l’écart. Absent de la
commission politique qui décide la composition de la nouvelle direction, il assiste
impuissant à la mise à l’écart du CC des représentants de la tendance de gauche227,

221
« Je voudrais donner ici quelques exemples qui montrent que l’union de l’Europe, à l’heure
actuelle, sous la forme que prédisait Treint hier, est une chose tout à fait utopique. », Ibid., p. 469.
222
Dans son intervention, Suzanne Girault insiste également sur le fait que la thèse de Treint
s’oppose totalement à la thèse de l’Internationale. Ibid., p. 493.
223
D’autres intervenants dénoncent l’intervention de Treint, mais surtout, aucun ne vient lui apporter le
moindre soutien.
224
« Pour avoir souligné certains flottements inévitables, tant que des perspectives claires ne seront
pas tracées, le camarade Costes m’a tout doucement poussé du côté de Bordiga et de Ruth Fisher. »,
Ibid., p. 510.
225
« Si l’une des perspectives que j’ai tracées se réalise, je laisse mes contradicteurs prendre le train
opportuniste pour Genève, mais je ne me croirais pas obligé, par soucis d’unité, d’y monter avec eux.
Je pense que ces paroles sont assez nettes pour qu’on n’aille pas propageant la légende stupide que
je mets ma confiance dans la SDN, comme on a osé le dire à cette tribune. », Ibid., p. 514.
226
« Mais c’est de la part de notre camarade Treint une conception dangereuse de la Société des
Nations, conception que l’Internationale ne partage pas et qui se rapproche singulièrement de celle
des social-démocrates », Ibid., p. 534.
227
Cadeau, Calzan, Desusclade, Sauvage.
389
symboles des déviations « gauchistes » du parti, mais surtout de son élimination,
avec Suzanne Girault, du BP, sur demande d’Humbert-Droz228.
Avec la clôture du 5ème congrès national, une page de l’histoire du parti est
tournée. Parmi les membres de l’ancien BP, Treint était le dernier militant ayant joué
un rôle au sein du Comité pour la troisième Internationale. Dans le nouveau BP229,
Cachin et Sellier incarnent toujours cette ancienne génération venue du socialisme
au communisme. Mais seul Treint représentait encore ce courant de la gauche
communiste qui, avec Souvarine et Loriot, a lutté pour faire du PCF un véritable parti
révolutionnaire discipliné, simple section d’une organisation mondiale. Le vote des
statut-types230, calqués sur le modèle du parti bolchevik ― à quelques exceptions
près ―, constitue l’aboutissement de leur démarche de rupture avec le modèle
socialiste français, engagée en 1920. Treint a ardemment milité pour que le parti
français prenne le visage qu’il a désormais, avec une direction rajeunie et
ouvriérisée. Pour avoir contribué à cette évolution vers un modèle bolchevik, mais
aussi pour avoir joué un rôle dans le tournant de la fin de l’année 1925, Treint estime
avoir sa place au sein de cette nouvelle direction. Pourtant, en défendant au congrès
une thèse critiquant les perspectives internationales déterminées par l’IC, tout en
s’affirmant paradoxalement en accord avec la nouvelle majorité, Treint s’est aliéné
de probables soutiens et s’est isolé. Comment expliquer une telle attitude ? Seul un
objectif politique peut être avancé pour justifier sa volonté de se démarquer. A
Moscou déjà, il avait évoqué au Présidium son opinion sur l’apparition d’une nouvelle
solidarité entre les états européens face aux Etats-Unis, sans soulever d’objection.
Sa thèse s’oppose à la fois aux idées développées par Trotsky et par Zinoviev lors
de son intervention au dernier Exécutif Elargi. Au sein de la direction française, la
confusion règne sur la question russe. Espère-t-il rallier derrière son nom les
partisans de la nouvelle majorité Boukharine/Staline ? Il se heurte cependant à la
volonté des autres membres du BP de ne pas rompre l’unité de façade de la
direction et de ne pas le réintégrer dans le jeu politique interne, de peur qu’il ne
vienne contrarier les ambitions de chacun. L’intervention d’Humbert-Droz, farouche

228
« Le Bureau politique fut constitué de treize membres. La commission politique du congrès élimina,
à ma demande, Treint et Suzanne Girault de ce bureau et cette décision fut ratifiée par le congrès. »,
De Lénine à Staline, op. cit., p. 274.
229
Semard (secrétaire), Cachin, Cremet, Doriot, Marrane, Sellier, Thorez, Bernard, Monmousseau,
Midol, Renaud Jean, Dudilleux, Racamond, plus un représentant des jeunesses et un de la région
parisienne.
230
Lors de la dernière journée du congrès de Lille.
390
détracteur de Treint, scelle son sort, en décidant de l’écarter du BP et de le renvoyer
à Moscou.
Après la clôture du congrès, Treint reste quelques jours à Paris, le temps
notamment d’écrire un article sur les questions financières231. De retour à Moscou, il
découvre un article d’Humbert-Droz, dans la Pravda et un second de Bernard, dans
le Bolchevik, dénonçant le caractère fantaisiste son intervention au congrès du PCF.
A cela, Bernard ajoute une série d’attaques personnelles, l’accusant d’avoir
manœuvré avec Doriot pour prendre le contrôle du PCF232. Treint proteste dans un
premier temps lors de la séance du Présidium du 27 août 1926233 et demande la
possibilité d’insérer un texte de rectification234. Il fait également parvenir au PCF un
article résumant ses deux interventions de Lille et plaidant pour son droit à proposer
aux militants français une thèse « fruit d’une étude qu’[il poursuit] depuis plus d’une
année »235. Deux mois après, dans le contexte du rapprochement franco-
allemand236, il publie un nouvel article sur la formation d’un bloc « anglo-
européen »237. Il s’agit encore de démontrer que face au développement de la
puissance industrielle américaine et face à la menace de prise de contrôle de leurs
économies par le capital américain, les états européens renforcent leur solidarité
contre leur ennemi commun. Selon Treint, les appels d’industriels allemands et
français en faveur d’une union douanière entre les deux pays ainsi que l’entrée de
l’Allemagne dans la SDN, attestent de la volonté commune d’aboutir à la formation
d’un bloc politique uni. Il estime en conclusion que sa démonstration anéantit le
raisonnement développé par Trotsky dans « Europe et Amérique », et qu’au sein de

231
Treint A, « Grande pénitence ? Oui, mais pour qui », l’Humanité, n° 10074, 11 juillet 1926, p. 1. Il
s’agit du dernier article de Treint publié dans le quotidien communiste.
232
Nous n’avons pu consulter ces deux articles. Nous nous appuyons sur une lettre de Treint au BP
er
du PCF, du 1 septembre 1926, demandant la publication dans les Cahiers du Bolchevisme, d’un
article réponse. RGASPI, 495/32/9.
233
RGASPI, 495/2/83.
234
Cette affaire donne lieu à un nouvel accrochage avec le Secrétariat de l’IC. Le procès-verbal de la
séance du Présidium ne fait pas mention de la demande de Treint et de la promesse de Boukharine
d’insérer le texte de réponse. Treint refuse alors de signer le procès verbal et menace de saisir le
Présidium, estimant que l’on cherche à étouffer ses protestations. Il faut une lettre de Kuusinen,
mentionnant l’engagement pris par Boukharine, pour que Treint retire sa plainte. Voir la lettre de Treint
au secrétariat de l’IC, 3 septembre 1926, RGASPI, 517/1/329.
235
Treint A, « Europe et Amérique », Cahiers du Bolchevisme, n° 57, 15 septembre 1926, p. 1745-
1755.
236
Après la rencontre de Briand et Stresemann à Thoiry et l’entrée de l’Allemagne dans la SDN.
237
Treint A, « L’entrée de l’Allemagne dans la SDN et le rapprochement franco-allemand. », Cahiers
du Bolchevisme, n° 61 et 62, 27 novembre et 15 décembre 1926, p. 2013-2018 et 2358-2367.
391
l’IC deux thèses s’affrontent238 et doivent être confrontées, pour établir la tactique
révolutionnaire des années à venir.
Lors du 7ème Exécutif Elargi (22 novembre-16 décembre 1926), Treint défend
de nouveau sa thèse239. Dans cette période de lutte au sommet du parti russe entre
l’Opposition unifiée et la majorité, derrière Boukharine et Staline, les positions de
Treint sont-elles perçues comme une menace ? Tour à tour Boukharine puis
Pepper240 réfutent l’idée de la formation d’un bloc d’Etats européens unis. Tout
d’abord, le nouveau dirigeant de l’Internationale241, dans son rapport sur les
questions internationales, repousse les perspectives évoquées par Treint, tout en
conservant un ton mesuré242. Puis Pepper243 sur un ton plus brutal, déclare que la
thèse de Treint est erronée parce qu’elle s’appuie sur le même postulat que les
théories de Trotsky ou de Radek, façon de lui dénier l’originalité de sa démarche et
de le renvoyer dans le camp de l’opposition244. Finalement, la « thèse sur la situation
internationale et les tâches de l’Internationale Communiste » est adoptée par
l’ensemble des délégués, Treint y compris. Devant la menace d’être rejeté dans

238
« Que devient l’Europe ? Diverses hypothèses se précisent peu à peu. Les uns pensent que si
l’Europe sort de son morcellement, les rivalités y sont irrémédiablement telles qu’elle ne parviendra
point à coaliser toutes ses forces. Et déjà l’on évoque la possibilité d’un partage de l’Europe entre
deux groupes rivaux ; le groupe franco-allemand et le groupe anglo-italien, se créant chacun une base
économique large et servant chacun de centre d’attraction pour les petits Etats. […] Il y a une autre
thèse que j’ai exposée au Congrès du Parti français à Lille. Les partisans de cette thèse pensent que
deux hypothèses sont possibles : ou bien un développement assez rapide vers une situation
immédiatement révolutionnaire […] Ou bien l’Europe se développant très lentement vers des
situations révolutionnaires, le système impérialiste Anglo-européen à travers toutes ses contradictions
intérieures finira par coaliser ses forces et par les organiser contre la Russie soviétiste, contre les
peuples coloniaux en lutte pour leur indépendance, contre sa propre classe ouvrière et contre
l’impérialisme rival des Etats-Unis. », Ibid., p. 2365-2366.
239 ème
Intervention de Treint lors de la 24 séance (24 novembre 1926), La Correspondance
Internationale, n° 136, 17 décembre 1926, p. 1711-1712. Il reprend exactement l’argumentation
développée dans ses derniers articles.
240
Pseudonyme de Pogány, militant hongrois membre de l’Exécutif de l’IC.
241
Boukharine dirige l’IC depuis la démission de Zinoviev de son poste de président, le 26 octobre
1926.
242
« Treint affirme que les contradictions au sein de l’Europe occidentale sont éclipsées par
l’antagonisme fondamental entre l’Amérique et l’Europe. Dans une certaine mesure, Treint a raison de
situer cet antagonisme au premier plan. Comme dans toute erreur il y a dans celle-ci un brin de vérité.
[…] La bride de vérité que renferme l’analyse de Treint est la compréhension du fait que
l’antagonisme entre l’Amérique et l’Europe sur l’arène mondiale, dans toute l’économie mondiale, a
pris un caractère gigantesque. Son tort est de confondre l’ampleur de l’antagonisme avec son degré
d’acuité. », Intervention de Boukharine, La Correspondance Internationale, n° 131, 7 décembre 1926.
243
Le choix de Pepper pour répondre à Treint s’explique par le fait que ce dernier a utilisé plusieurs
citations d’une brochure de Pepper sur « les Etats-Unis socialistes d’Europe » pour construire sa
démonstration.
244
« L’affirmation du processus de nivellement dans l’Europe capitaliste, dans les théories de Trotsky,
de Radek et de Treint, contredit la conception léniniste de la loi de l’inégalité du développement
capitaliste, […]. La Thèse de Treint est en relation étroite avec les affirmations faites par Trotsky et par
ème
Zinoviev à la 15 Conférence du parti […] », La Correspondance Internationale, n° 136, 17
décembre 1926, p. 1713.
392
l’opposition et sanctionné245, il rallie la ligne majoritaire, tout en continuant par la
suite d’exprimer des réserves. En 1927, il rédige encore deux études sur la montée
en puissance du capitalisme américain et les risques de guerre avec le Mexique.
Cette perspective démontre, selon lui, la validité de sa thèse défendue avant et
pendant le 7ème Exécutif Elargi. Malgré les décisions de cette assemblée, il obtient du
BP246 de défendre ses conceptions dans la presse du parti français247. A Moscou, le
Présidium lui sert de tribune pour défendre son point de vue sur l’impérialisme
américain248. En dépit de cette divergence avec la ligne politique de l’IC, Treint
affirme son soutien à la ligne imprimée par la direction Boukharine/Staline, même si,
en tant que représentant du PCF, il contribue activement au déclenchement d’un
conflit entre la direction du PCF et de l’IC.

2) Treint et la crise entre le PCF et l’IC.

Pour la période allant du retour de Treint à Moscou, après le congrès de Lille


jusqu’au 7ème Exécutif Elargi de l’IC, nous possédons peu de témoignages de son
activité, que se soit en tant que membre du Présidium et du secrétariat latin, qu’en
tant que représentant du PCF. Les procès verbaux des assemblées auxquelles il
participe, de même que la correspondance échangée avec le parti français et les
différents organismes de l’IC, révèlent qu’il joue un rôle mineur et effacé. Il déplore à
plusieurs reprises de n’avoir aucun contact avec le PCF, autre que la documentation
officielle, régulièrement envoyée à Moscou :
« Bonne poignée de main, et non de dieu, donnez des nouvelles plus précises
et plus vivantes que vos procès verbaux froids comme le marbre et où il n’est
pas toujours facile de s’y reconnaître. »249

245
Le second représentant du PCF à Moscou, Jacob, qui a défendu l’Opposition unifiée, perd son
poste.
246
« Je vous demande également de ne pas clore la discussion sur [la question des perspectives
internationales], étant entendu que je n’abuserai pas et que cette discussion, sera contenue dans les
limites qui ne gênent pas le développement de l’activité quotidienne du Parti. », Lettre de Treint au BP
du PCF, 8 janvier 1927, RGASPI, 517/1/497.
247
Voir Treint A, « La puissance impérialiste des Etats-Unis – Ses visées », Cahiers du Bolchevisme,
n° 71, 30 avril 1927, p. 534-540 et « Contre l’impérialisme yankee », Cahiers du Bolchevisme, n° 72,
15 mai 1927, p. 591-594.
248
Voir P-V de la séance du Présidium du 24 janvier 1927, RGASPI, 495/2/92
249 er
Voir la lettre de Treint au BP du PCF, 1 septembre 1926, RGASPI, 495/32/9, ainsi que la lettre du
8 septembre 1926 au secrétariat du PCF, 517/1/324, RGASPI : « […] Je n’ai pas de liaison vivante
avec le centre du parti. Aussi, je suis parfois désarmé pour répondre à certaines critiques, ne
connaissant pas suffisamment les intentions de la direction du parti. »

393
Sa correspondance avec le secrétariat de l’IC laisse entrevoir un certain nombre de
difficultés dans son activité quotidienne. Il se plaint de ne pas recevoir de
convocation pour les séances de la commission syndicale et de la commission
d’organisation dont il est membre, mais également de n’être qu’irrégulièrement
convoqué au Présidium250. A cela viennent s’ajouter quelques complications dans sa
vie quotidienne251.
Les procès verbaux des séances du Présidium252 montrent que, tout en
faisant preuve d’assiduité, Treint participe peu aux discussions de l’assemblée253. Il
faut attendre le début de l’année 1927 pour qu’il prenne activement part aux
délibérations. Après le 7ème Exécutif Elargi, au cours duquel il n’a joué qu’un rôle
secondaire, il intervient plus régulièrement, dans un esprit le plus souvent assez
critique, bien qu’il prenne constamment soin d’affirmer son accord avec la ligne
politique de l’IC. Parmi les nombreux sujets traités, deux questions primordiales sont
à l’ordre du jour : l’organisation d’une campagne internationale de lutte contre l’Italie
fasciste et les évènements en Chine. Sur ces deux questions, il se démarque de la
majorité en soulignant certaines erreurs d’analyse de l’IC. En Italie, Après une
tentative d’attentat, perpétrée contre Mussolini, la répression s’abat sur les militants
socialistes et communistes. Le Présidium discute des modalités de la campagne à
mener contre le fascisme et d’un programme de front unique254. Treint critique le mot
d’ordre de « formation de comité d’agitation », estimant que la situation italienne
impose des mots d’ordre plus clairs et plus mobilisateurs, tel que « formation de
comité antifasciste ». Concernant la question chinoise, Treint émet également un
certain nombre de réserves. Il s’agit d’une question primordiale, qui mobilise
l’attention de l’Internationale. Depuis 1924, le petit parti communiste chinois a
intégré, sur proposition de l’IC, le Kuomintang ― formation nationaliste regroupant
diverses sensibilités politiques, luttant toutes pour la réunification et l’indépendance
de la Chine ― avec l’espoir d’en prendre le contrôle. En mars 1926, le général
Tchang Kaï-chek ― le nouveau dirigeant du parti ―, inquiet de l’influence
grandissante des communistes, impose de nombreuses restrictions à leur activité au
sein du Kuomintang, sans rencontrer de résistance ou de critique de la part de l’IC.

250
Lettre de Treint au secrétariat de l’IC, 10 septembre 1926, RGASPI, 517/1/329.
251
Treint se plaint notamment de ne pas avoir obtenu de nouveau logement, sa femme et son fils
l’ayant rejoint au mois de juillet. Lettre du 29 juillet 1926, Ibid.
252
RGASPI, 495/2/81 à 495/2/98.
253
Les procès verbaux, sur l’ensemble de la période, ne font état que de trois interventions de Treint.
254
P-V du Présidium du 24 janvier 1927, RGASPI, 495/2/92.

394
La direction estime en effet que le Kuomintang, parti regroupant plusieurs classes
sociales, peut mener la révolution nationale, première étape vers la révolution
prolétarienne255. Et, malgré les appels de leaders communistes chinois et de
l’Opposition unifiée à rompre l’alliance entre les communistes et le Kuomintang, l’IC
maintient sa tactique jusqu’aux massacres des syndicalistes et des communistes
ordonnés par Tchang Kaï-chek sur l’ensemble du territoire chinois ― plus
particulièrement à Shanghai et Canton, en avril 1927. En janvier et février 1927, le
Présidium discute à plusieurs reprises des évènements en Chine et Treint, s’il fait
quelques remarques sur le manque de préparation au niveau international de la
campagne pour le soutien de la révolution chinoise256, ne remet à aucun moment en
cause la politique d’alliance avec le parti nationaliste. Jusqu’en mai 1927, exception
faite du débat sur l’antagonisme entre l’Europe et les Etats-Unis, Treint revendique
son soutien à la ligne politique défendue par la direction Boukharine/Staline.
Concernant la question française, Treint joue un rôle ambigu, entraînant une
crise entre l’IC et sa section française. A partir de janvier 1927, il manœuvre
ouvertement contre le dirigeant du secrétariat latin, Humbert-Droz, dans le but de
l’écarter de ce poste. L’animosité entre les deux hommes remonte aux premiers
séjours d’Humbert-Droz en France, en tant que représentant de l’IC257. Les
interventions de ce dernier pour éloigner Treint de la direction, lors du 6ème Exécutif
Elargi et du congrès de Lille ont contribué encore à accroître la tension. Cette
mésentente empêche toute collaboration entre la délégation française et le
secrétariat latin et contribue à envenimer les relations entre le PCF et l’IC, après
qu’Humbert-Droz eut fait parvenir en février 1927 une lettre au BP du PCF, critiquant
l’activité du parti français, notamment concernant l’application de la tactique du front
unique. Il écrit également qu’au sein de la direction française des « courants
antimoscovites » se développent. Cette affirmation engendre des protestations, dont
Treint se fait le porte-parole.
Après le congrès de Lille, la nouvelle direction du PCF met en application la
ligne politique définie dans la lettre ouverte de décembre 1925 et approuvée par l’IC
au 6ème Exécutif Elargi et par le parti français au congrès de Lille. Elle se caractérise
par une détente intérieure, une pause dans la réorganisation du parti, avec la

255
Sur l’analyse de Boukharine et Staline concernant la révolution en Chine, voir BROUE P, La
question chinoise dans l’Internationale communiste 1926-1927, Paris, EDI, 539 p.
256
P-V du Présidium du 9 février 1927, RGASPI, 495/2/92.
257
Cf. supra.

395
création de cellules de rue rappelant l’ancienne organisation en sections territoriales.
Sur le plan politique, le PCF applique le mot d’ordre « allez aux masses », en
pratiquant la tactique du front unique au sens le plus large et en privilégiant les
revendications immédiates, ouvrant la voie à l’amélioration des relations avec la
CGTU258. Cette politique est soutenue par le nouveau représentant de l’IC en
France, Humbold259, en accord avec Boukharine et Staline. Concernant la question
russe, après l’exclusion de Zinoviev du BP du PC d’URSS260, la majorité de la
direction française continue d’observer une attitude prudente. Tandis qu’Humbert-
Droz, resté en France après le congrès de Lille, demande au BP d’approuver la
décision d’exclusion de Zinoviev, Semard, demande qu’une discussion ait lieu et que
les documents justifiant la sanction soient publiés261. En septembre, Cremet,
Marrane et Semard continuent de critiquer le manque d’information et refusent de
prendre position sur le fond de la question russe. Pourtant, après l’annonce de la
déclaration de soumission de l’Opposition unifiée262, le BP amorce un virage politique
brutal en votant deux résolutions, dans sa séance du 28 octobre 1926, annonçant la
fin de la discussion sur la question russe et condamnant « la ligne antiléniniste du
bloc oppositionnel »263. Pour le 7ème Exécutif Elargi, réuni pour étudier l’évolution de
la situation mondiale et la question russe, le PCF envoie une délégation composée
de militants ayant approuvé les résolutions condamnant par avance l’Opposition
unifiée264. La délégation française accepte les éliminations des partisans de
l’opposition des postes responsables de l’Internationale et le CC du PCF vote, au
retour de cette dernière, une nouvelle résolution dénonçant fermement l’activité de
l’opposition russe mais aussi française265. L’osmose entre la direction de l’IC et sa
section française pourrait paraître totale.

258
Malgré des tensions sur la question de la main d’œuvre étrangère, une partie de la CGTU prône
une limitation de l’immigration ouvrière en raison de la croissance du chômage chez les ouvriers
français, en contradiction avec les principes internationalistes du communisme.
259
Pseudonyme de Petrovsky, ancien militant du Bund (parti socialiste ouvrier juif) puis membre de
l’appareil de l’IC, il a déjà effectué plusieurs séjours en France et notamment en 1924, dans le cadre
de la lutte contre Souvarine.
260
Sur décision du CC du PC d’URSS, le 23 juillet 1926. Annonce faite dans l’Humanité, n° 10089, 26
juillet 1926, p. 4.
261
P-V du BP du PCF du 30 juillet 1926, BMP 150.
262
Le 16 octobre, les principaux dirigeants de l’Opposition unifiée déclarent renoncer à toute activité
fractionnelle. Voir Vaillant-Couturier, « La minorité russe s’est inclinée », l’Humanité, n° 10173, 18
octobre 1926, p. 1.
263
Voir les Cahiers du Bolchevisme, n° 60, 6 novembre 1926, p. 1979-1981.
264
Suzanne Girault et Jacob, pour avoir refusé de condamner l’opposition russe, en sont écartés, P-V
du BP du PCF du 28 octobre 1926, BMP 151.
265 er
Publiée dans les Cahiers du Bolchevisme, n° 65, 1 février 1927, p. 160-162.
396
En réalité les délégués qui reviennent témoignent de l’atmosphère de défiance
à l’égard de la délégation française, à leur arrivée à Moscou266, et les membres du
BP s’étonnent de l’intransigeance de l’IC à l’égard du PCF267. Dans son rapport,
distribué à tous les délégués avant l’ouverture de l’Exécutif Elargi, Boukharine a émis
une série de jugements sévères sur l’activité du PCF, incapable d’analyser la
situation politique, après l’avènement de Poincaré au pouvoir268 et d’organiser la
riposte ouvrière269. Semard et Thorez, attribuent cette mauvaise appréciation au
manque d’information et à la faiblesse de la délégation française, incapable de
rendre compte de la réalité de l’action du parti. La direction décide tout de même le
maintien de Treint à Moscou, désormais secondé par Cremet. En réalité, les débats
du BP montrent que, si l’on s’interroge sur le travail de la délégation française, la
majorité exprime surtout de l’agacement à l’égard de l’IC qui critique durement la
nouvelle direction, installée depuis quelques mois, qui doit faire face à une situation
délicate. Le BP décide notamment de préparer une « réponse politique sévère » à un
article de Glebowa270, publié dans la revue théorique de l’IC, qui reprend des
critiques faites à l’Exécutif Elargi sur le travail de la section d’agit-prop du PCF,
malgré les explications données par la délégation française. Semard demande à
Treint de relayer les protestations du parti, et lui écrit ;
« Il est assez extraordinaire que les seuls articles qui nous parviennent des
camarades de l’IC ne soient que des attaques contre le parti et sa
direction. »271
Après le 7ème Exécutif Elargi, Treint, qui avait jusqu’alors adopté une position
en retrait, développe une intense activité épistolaire, à la fois officielle et personnelle.
Dans ses rapports au BP du PCF, il insiste sur deux points : le soutien de la
délégation française à la ligne politique du parti français et à l’activité quotidienne de
la direction, exception faite de réserves sur certains points de détail, et le
comportement « hostile » de certains dirigeants de l’IC et leur manque de
collaboration avec la délégation française. Ces accusations visent en particulier
Humbert-Droz :

266
P-V du BP du PCF du 30 décembre 1926, BMP 152.
267
Costes : « Nous avons eu l’impression en recevant les informations de l’Exécutif que l’on essaie de
dire que l’ancienne direction a tenté de faire quelque chose et que la nouvelle fait moins. », Ibid.
268
Formé le 21 juillet 1926, le gouvernement d’union nationale de Poincaré met fin à l’expérience du
cartel des gauches, débutée en 1924.
269
La Correspondance Internationale, n° 131, 7 décembre 1926.
270
Membre du secrétariat latin et du CE de l’IC.
271 er
Lettre de Semard à Treint, 1 janvier 1927, RGASPI, 517/1/496.
397
« L’activité du camarade Humbert-Droz, hostile au parti français continue à se
développer. Il s’est saisi de l’incident regrettable de Tours272 pour mettre en
cause toute la direction du Parti, sans avoir pris le moindre contact avec la
délégation française et sans avoir cherché à connaître les mesures déjà prises
pour redresser les fautes de la région de tours dans les pourparlers avec les
socialistes. »273
Il ajoute que cette volonté de s’en prendre à l’orientation politique du PCF est
partagée par d’autres. Le rejet d’une résolution sur l’organisation du PCF, rédigée en
commun par la délégation française et la section d’organisation de l’IC, par une
commission composée de Piatnitsky274, Ercoli275 et Sméral276, les nombreuses
critiques sur la campagne contre le chômage277, témoignent, d’après lui, de
l’animosité à l’égard de la direction française. Treint pense qu’au sein de l’appareil de
l’IC, de nombreux militants soutiennent dans l’ombre l’opposition unifiée278 et tentent
de déstabiliser le PCF, favorable à la ligne politique de la nouvelle majorité. Dans sa
correspondance personnelle279, il développe cette thèse ouvertement et met en
garde contre des intentions supposées de modifier de nouveau la composition de la
direction. Alarmé par ces bruits, Semard interroge le secrétariat latin sur l’existence
d’un projet de remaniement280. Dans cette lettre, il se plaint de la partialité
d’Humbert-Droz et dénonce la démarche accomplie auprès de Dunois pour sonder
les dispositions de Monatte et Rosmer à l’égard du PCF et envisager leur

272
Lors d’élections locales, la campagne pour le front unique avec les socialistes se transforme en
campagne pour l’unité organique entre le PCF et la SFIO, ce qui oblige la direction à intervenir pour
recadrer la campagne.
273
Lettre de Treint au BP du PCF, 8 janvier 1927, RGASPI, 517/1/497.
274
Ossip Piatnitsky (1882-1939) : Membre du parti bolchevik depuis 1903 et membre de l’Exécutif de
l’IC.
275
Pseudonyme de Palmiro Togliatti (1893-1964). Militant socialiste, il rallie le PCI à Livourne et en
devient dirigeant en 1924. Il est également membre du Présidium de l’IC.
276
Bohumir Sméral (1880-1941) : Dirigeant de la social-démocratie tchèque puis du parti communiste
tchèque, il occupe de nombreuses fonctions dans l’appareil de l’IC après 1926.
277
Sur ce thème, le PCF a lancé une campagne autour des mots d’ordre du « travail pour tous » et de
« l’arrêt de l’immigration collective ». Dans une lettre du 21 janvier 1927, Treint déclare soutenir ces
mots d’ordre, tous en critiquant leur caractère lacunaire, notamment en raison du manque de
perspectives révolutionnaires. Ibid.
278
Dans une lettre au BP du PCF de juin 1927, Cremet rappelle qu’au début de l’année, Treint
accusait Humbert-Droz « d’être l’arrière garde du trotskysme, avec Zinoviev comme allié ». RGASPI,
517/1/497.
279
Nous n’avons pu les consulter. Cependant, dans une lettre du 25 février 1926, destinée à Semard,
Cremet déclare s’être élevé contre les nombreuses lettres personnelles de Treint, envoyées en
France, qui contribuaient à compliquer les relations avec l’IC. RGASPI, 495/55/6.
280
« Nous, nous souvenons qu’à l’Exécutif, le bruit a circulé que la direction de notre parti présentait
une unité de façade, mais qu’elle n’était pas homogène et qu’il n’existait pas de noyau de direction.
Ce bruit aurait-il trouvé écho chez les militants responsables de la Section des pays latins. », Lettre du
2 février 1927, RGASPI, 495/55/15.
398
réintégration281. L’amertume à l’égard de l’IC se cristallise sur la personne
d’Humbert-Droz et Treint joue un rôle primordial dans la détérioration des relations
entre le secrétaire de l’IC et le parti français282.
Le 4 février 1927, le Secrétariat latin se réunit pour discuter de la situation
dans le parti français, en présence de Petrovsky283 rentré de France. Après un
rapport de Stepanov284, critiquant la politique du parti sur la question du Front
unique, de la tactique électorale ou de l’unité syndicale, l’assemblée décide de
convoquer une commission spéciale285, chargée de régler les différends entre l’IC et
sa section française. Dans son compte rendu de la réunion286, Treint affirme que
seuls certains points de la politique du parti, sur la question de l’aide aux chômeurs
et de l’immigration ont donné lieu à une discussion et que « dans l’ensemble, le
secrétariat a approuvé l’activité du Parti français et a même souligné les succès
obtenus ». De son côté, Humbert-Droz envoie, le 17 février 1927, une lettre au BP,
répondant à celle de Semard, datée du 2 février 1927. Il écrit qu’au sein de la
direction du PCF se développe un esprit « anti-moscovite » et que la délégation
française refuse de collaborer avec le secrétariat latin. Il s’explique sur sa démarche
auprès de Dunois. Cette lettre sème le trouble en France et laisse présager des
débats houleux entre Humbert-Droz, qui estime que le PCF doit reconnaître ses
erreurs et se redresser, et Treint, qui considère au contraire que le parti français suit
une ligne juste, étant donnée sa faiblesse du moment. Dans ce contexte particulier
du début de l’année 1927, où une section nationale peut critiquer le travail des
organes de l’IC sans craindre de mesure de rétorsion, Treint espère obtenir l’éviction
d’Humbert-Droz, qu’il voit comme le principal obstacle à son retour à la direction du
PCF.
La commission française se réunit pour la première fois le 23 février 1927287.
Elle débute par un rapport d’Humbert-Droz résumant ses griefs à l’encontre des
français. Sa principale critique porte sur la tactique électorale du parti et le

281
Monatte a révélé l’existence de ces démarches d’Humbert-Droz dans La Révolution prolétarienne,
n° 25, janvier 1927, p. 3.
282
« Mais au même moment, le Parti communiste français nous envoyait une lettre de plaintes contre
le secrétariat latin en général et moi en particulier, plaintes provenant d’informations très
tendancieuses de Treint », Humbert-Droz, De Lénine à Staline, op. cit., p. 278.
283
Pseudonyme de David Lipec (1886-1937) : Membre de l’appareil de l’IC, chargé des pays
anglophones et, pendant une période, de la France.
284
Membre du PCF d’origine bulgare et membre du CE de l’IC.
285
Elle est composée de Staline, Boukharine, Kuusinen, Murphy, Haken, Maggi, le secrétariat latin,
Treint, Cremet et Martel. Voir la lettre de Cremet à Semard, 25 février 1927, RGASPI, 495/55/6.
286
Rapport de Treint au BP du PCF, 5 février 1927, RGASPI, 517/1/496.
287
P-V de la première séance de la commission française, RGASPI, 495/55/7.
399
rapprochement avec les socialistes lors des élections sénatoriales et de législatives
partielles dans le Nord. Il pense que, par ces compromissions avec la social-
démocratie, le parti perd son visage révolutionnaire pour devenir progressivement un
« appendice du bloc des gauches ». A cela s’ajoute une apathie de la direction face
au retour de la droite au pouvoir après la formation du gouvernement Poincaré, la
faiblesse de la campagne de soutien aux mineurs anglais en grève. Il affirme, en
conclusion, que le parti perd son identité communiste et s’éloigne de l’IC. Petrovsky
repousse cette vision pessimiste et excessive de la situation et de l’activité du PCF,
qui selon lui fait des progrès et corrige ses fautes. Contrairement à Humbert-Droz, il
souhaite un élargissement du front unique, un rapprochement avec les socialistes
étant nécessaire pour éviter l’isolement. Sans surprise, Treint approuve l’intervention
de Petrovsky et rejette le rapport d’Humbert-Droz qu’il juge partial, voire
malhonnête288. Son exposé vise à démontrer que si quelques fautes ont été
commises, la direction les a constamment corrigées. Pour lui, la situation de crise
que traverse la France impose une application de la tactique du front unique, seul
chemin pour toucher les ouvriers. Il cautionne la constitution de listes unitaires
socialistes/communistes, dès le premier tour des élections dans le nord et les
accords passés avec les socialistes et les radicaux pour les élections sénatoriales.
Sur l’ensemble des questions abordées dans la discussion, il affirme que la direction
du PCF mène une politique juste. Cremet, même s’il juge certaines affirmations
d’Humbert-Droz excessives, récuse le tableau flatteur de l’activité de la direction,
estimant que de graves fautes ont été commises et continuent de l’être289 sans que
personne intervienne, sous peine d’être accusé de faire le jeu de l’opposition de
gauche. Cette dernière remarque vise plus particulièrement Treint qui tente à
plusieurs reprises d’assimiler Humbert-Droz à Zinoviev. Enfin, parmi les autres
intervenants, Boukharine déclare que, contrairement à certaines rumeurs, aucun
changement de direction ne doit être envisagé. Quant à Staline, il se place en
position de conciliateur, renvoyant dos-à-dos Humbert-Droz, pour ses critiques trop
vigoureuses, et la direction du PCF, pour avoir dévié d’une politique de classe au
profit d’une politique de compromis. Si cette intervention ne solutionne en rien les
problèmes soumis à la commission française, elle aboutit à la décision de rédiger

288
« En ce qui concerne le passé, je pense que dans tout ce qu’Humbert-Droz a dit les proportions
sont changées, et en accumulant les faits autrement qu’ils ne sont dans la réalité, on arrive à changer
la physionomie du parti, on arrive à confondre toutes les fautes, celles qui se commettent au sommet
et celles qui se commettent à la base. », Ibid.
289
Il est notamment en désaccord avec la tactique du parti sur la question de l’unité syndicale.
400
une lettre de compromis ― écrite par Petrovsky et corrigée par Humbert-Droz ― que
la commission doit ensuite approuver.
La commission se réunit pour la seconde fois le 1er mars 1927290. Une longue
discussion s’engage sur la lettre de Petrovsky et Humbert-Droz. Tous les participants
reconnaissent qu’elle a un caractère trop général et ne règle aucun problème. Pour
Treint, elle fait trop de place à la critique, tandis qu’Humbert-Droz la trouve au
contraire trop timorée. Les autres intervenants conviennent de la nécessité de
donner des précisions sur les points litigieux. On décide que les deux rédacteurs
proposent chacun un nouveau projet tenant compte de ces observations. La séance
est également marquée par une altercation entre Humbert-Droz et Treint, portant sur
la question des élections sénatoriales et sur les rapports entre la délégation française
et le secrétariat latin. Treint reproche au secrétariat latin d’envoyer des articles et des
lettres au PCF sans consulter la délégation française, empêchant ainsi toute
« collaboration intime ». Puis, il vise plus explicitement Humbert-Droz en soulevant la
question de la tentative de pourparlers avec Monatte et Rosmer. Il affirme que ces
manœuvres souterraines ont détérioré la confiance entre le PCF et l’IC. Il pose
implicitement comme condition à amélioration des relations, l’élimination d’Humbert-
Droz du secrétariat latin. Celui-ci lui réplique que les relations personnelles
conflictuelles expliquent le manque de collaboration et non de quelconques
divergences politiques291, ce que Treint récuse. Selon lui, les difficultés proviennent
non de désaccords personnels mais bien de divergences politiques entre le
secrétaire de l’IC et la direction française292. Il l’accuse de n’avoir jamais su s’orienter
politiquement dans le PCF et d’avoir soutenu ses adversaires, autrement dit d’être
inapte à s’occuper des affaires françaises293. Conscient qu’en limitant le débat à un

290 ème
P-V de la 2 séance de la commission française, RGASPI, 495/55/9.
291
« Mais il est tout à fait exact que, tant que le camarade Cremet a été loin, il n’y a pas eu entre le
secrétariat latin et la délégation française une collaboration très intime. Cela tient probablement en
partie dans les rapports personnels qui existent entre le camarade Treint et moi. Il y a de longues
années que nous avons beaucoup de peine à collaborer et nous entendre. », Ibid.
292
« Je pense qu’Humbert-Droz rapetisse tout à fait la question lorsqu’il dit qu’ici le travail commun est
difficile parce qu’il y a de vieux rapports personnels qui ne sont pas très bons entre Humbert-Droz et
moi. Je ne pense pas qu’il y ai de mauvais rapports personnels, du moins pas de ma part, ni de la
sienne non plus », Ibid.
293
« Mais je pense qu’entre l’ensemble du parti français et le camarade Humbert-Droz, il y a une série
de faits qui évidemment rendent les rapports assez délicats. […] Mais c’est que dans le passé, le
camarade Humbert-Droz est intervenu à contre sens dans les tournants de la vie du parti. […] Je ne
demande qu’à me tenir en contact étroit avec le camarade Humbert-Droz, mais il faut constater que le
camarade Humbert-Droz a une appréciation politique qu’il maintient sur la parti français, et moi de
mon côté, je maintiens mon appréciation qui est différente de la sienne. Et, évidemment, si je vais
trouver le camarade Humbert-Droz, je me heurte avec lui, et Il y a toutes les luttes du passé qui
viennent se greffer là-dessus. C’est un fait. », Ibid.

401
différent politique entre lui et le PCF, Treint tente une manœuvre de diversion,
Humbert-Droz propose lui-même de ne plus s’occuper des questions françaises à
l’avenir. Cremet intervient pour le soutenir et rappeler que Treint est en partie
responsable de la détérioration des relations avec l’IC294. Isolé au sein même de la
délégation française, Treint doit accepter de discuter sur la base du projet
d’Humbert-Droz, texte plus critique à l’égard du PCF mais préféré par l’ensemble des
participants295. Mis en minorité sur les questions politiques, il défend à la séance
suivante toute une série d’amendements, destinés à infléchir le ton du texte.
La dernière séance de la commission française296 est largement consacrée
aux amendements apportés par la délégation française. Durant plusieurs heures, les
participants discutent de l’ajout d’un verbe, de la modification d’une formule, le plus
long débat portant sur la question des accords circonstanciels avec les socialistes ou
d’autres formations « bourgeoises ». Selon la formulation proposée par Humbert-
Droz, il est clairement indiqué qu’il faut bannir le principe même des accords
circonstanciels. Treint défend une formulation plus souple, qui laisse la possibilité
d’envisager des alliances temporaires, si le parti les juge nécessaires. Il se heurte à
Staline, qui souhaite que la lettre indique clairement l’interdiction formelle des
accords circonstanciels. Au fur et à mesure de la discussion, sur les points litigieux,
la commission s’oriente dans le sens de la critique voulue par Humbert-Droz, au
grand dam de Treint. Il soulève alors la question de la lettre personnelle d’Humbert-
Droz au CC du PCF, demandant qu’elle soit caractérisée comme une faute politique
dans la lettre de l’IC297. Il assure ne pas vouloir écarter Humbert-Droz du secrétariat
latin, mais simplement obtenir un accord politique permettant de reprendre la
collaboration sur de nouvelles bases298. Sur ce dernier point, il ne parvient pas
convaincre les représentants russes, Staline et Boukharine refusant d’ajouter une

294
« J’ai vu en France les lettres officielles de la délégation française, mais d’un autre côté ― je le dis
au camarade Treint ― il y a toute une série de lettres personnelles qui existent entre les camarades
de la délégation française et les membres du parti. […], et l’on doit dire que les rapports entre le parti
français, l’IC et le secrétariat latin sont en grande partie l’effet de ces lettres personnelles. », Ibid.
295
Voir le rapport de la délégation française au BP, 11 mars 1927, RGASPI, 517/1/497.
296
P-V de la séance du 9 mars 1927, RGASPI, 495/55/11.
297
L’ensemble de la délégation, Cremet y compris, a signé une déclaration, envoyée le 4 mars 1927 à
la délégation française pour s’élever contre les affirmations d’Humbert-Droz sur « l’esprit anti-
moscovite » se développant à la direction du PCF et demander des explications supplémentaires sur
les démarches auprès de Monatte et Rosmer. RGASPI, 517/1/521.
298
« Le camarade Humbert-Droz nous reproche aussi de poser des questions de personnes. Je
pense que nous avons posé des questions politiques ; à aucun moment, ce n’est une mesquine
question de personne que nous posons vis-à-vis du camarade Humbert-Droz. […] Enfin le camarade
Humbert-Droz parle d’un remaniement du secrétariat latin qui le libérerait de la responsabilité des
affaires françaises. Je pense que si quelqu’un pose une question de personne, c’est le camarade
Humbert-Droz, mais ce n’est pas nous. », Ibid.
402
condamnation d’Humbert-Droz. Après cette dernière altercation, la lettre de l’IC au
PCF, amendée par la délégation française, est approuvée à l’unanimité. Au cours
des trois séances de la commission, Treint est apparu comme le plus farouche
défenseur de la ligne politique appliquée depuis le congrès de Lille. Il a obtenu que
les accusations de « déviation électoraliste » et de « paresse syndicale », contenues
dans le premier projet d’Humbert-Droz, soient retirées. Mais sur le fond, la
commission a donné raison au secrétaire de l’IC. En condamnant les accords
circonstanciels299, la pratique des listes communes et le manque d’activité sur le plan
syndical, elle impose une réorientation à gauche de la ligne du parti. Néanmoins,
malgré le vote de la commission française, la question n’est pas close. L’arrivée de
Thorez prolonge la discussion de plusieurs semaines.
La séance du Présidium, qui doit approuver la lettre, est reportée, sur
demande de la délégation française300, qui profite de ce laps de temps pour proposer
un nouveau projet contenant plusieurs modifications sur la tactique électorale, le
rapport avec les socialistes ou encore la question de l’unité syndicale. Deux séances
du Présidium, le 1er et 2 avril 1927301, sont nécessaires pour parvenir à un nouveau
compromis. Treint fait encore preuve d’une grande énergie pour défendre la position
du PCF, au point d’être rappelé à l’ordre par Boukharine302, tandis que Thorez se
contente de demander que l’on prenne en compte le point de vue français. Kolarov
rédige finalement un nouveau projet, comprenant une série d’appréciations positives
sur « la consolidation du CC du PCF », sur la qualité de la campagne antimilitariste
du parti. La lettre définitive est approuvée le 2 avril 1927 et envoyée au PCF303. Elle
constitue un succès pour Humbert-Droz, car malgré la guérilla menée par la
délégation française ― Treint en particulier ―, elle impose un changement de ligne
politique. Humbert-Droz a, de plus, obtenu un soutien sans faille de Boukharine et de
Staline.

299
« De tels accords pourraient priver le Parti de la possibilité d’exercer son hégémonie dans la lutte
des masses laborieuses contre l’oppression capitaliste et faire apparaître notre Parti aux yeux des
masses comme un participant d’un nouveau Cartel des gauches », Lettre 2 avril 1927, RGASPI,
495/2/96.
300
Rapport de la délégation française au BP du PCF, 19 mars 1927, RGASPI, 517/1/497.
301
P-V des séances du Présidium, RGASPI, 465/2/96.
302
Dans son intervention, Boukharine souligne que les nouveaux amendements proposés s’éloignent
de la ligne définie par la commission, notamment lorsque, pour justifier les accords électoraux avec
les socialistes, il affirme que « certains social-démocrates peuvent pratiquer la lutte de classe ». Treint
coupe alors brusquement Boukharine pour lire le texte français qui a, selon lui été, mal traduit. Ce
dernier lui réplique : « Tout à l’heure j’argumenterai contre cette rédaction-là. Vous êtes tenus de lire
ce qui est écrit à la machine. Pourquoi êtes-vous si excité ? », Ibid.
303
Lettre du Présidium au CC du PCF, 2 avril 1927, RGASPI, 495/2/96. Lue au BP et au CC, elle ne
sera finalement jamais publiée. Voir WOLIKOW S, op. cit., p. 906-917.
403
Une fois la lettre envoyée, Treint change totalement de comportement envers
Humbert-Droz, à la grande surprise de celui-ci :
« Treint cherche maintenant une collaboration quotidienne avec moi. C’est
une vraie lune de miel dont je suis parfois fort embarrassé, mais qui vaut
mieux que le boycottage précédent. Dans l’intérêt d’une amélioration des
rapports entre le parti français et l’Internationale […] on peut bien subir
quelques discours de Treint. J’espère du reste que son zèle de jeune marié
s’atténuera au bout de quelques semaines, car une telle intimité est aussi
anormale que le boycottage qui l’a précédé. »304
Dans un rapport du 8 avril305, Treint écrit effectivement vouloir établir des liens étroits
avec le secrétariat latin, afin d’éviter qu’apparaissent de nouvelles divergences.
S’agit-il d’une volonté sincère d’appliquer les décisions de la commission française et
du Présidium ou plutôt d’une attitude tactique, dictée par la nécessité de s’aligner sur
la majorité ? Jusqu’au 8ème Exécutif Elargi (18-30 mai 1927), aucun incident ne vient
perturber les rapports entre le secrétariat latin et la délégation française. La
confiance entre l’IC et la délégation semble restaurée et Treint manifeste son
approbation de la politique de la majorité du parti russe. Il est désigné pour participer
à la petite commission chinoise, réunie lors du 8ème Exécutif Elargi pour discuter de la
politique de l’IC en Chine, après la « trahison » de Tchang Kaï-chek. Le sujet est
hautement sensible pour Staline et Boukharine, depuis que l’Opposition unifiée s’en
est emparée pour dénoncer les erreurs tactiques commises en Chine. Cette
désignation témoigne de la confiance de la direction de l’IC envers Treint.
Exception faite de ses interventions et articles sur la formation d’un bloc
européen, Treint a toujours affiché son soutien à la direction Staline/Boukharine et en
a fait un argument pour revendiquer son droit à participer à la direction du PCF. Il a
notamment dénoncé la formation d’une opposition de gauche, autour de Suzanne
Girault306. Il reste potentiellement un dirigeant pour le PCF. Pourtant, les événements
de Chine modifient profondément son attitude, de manière implicite dans un premier
temps puis plus ouvertement. Lors des débats de l’Exécutif Elargi, il refuse de voter
une résolution condamnant Trotsky pour avoir écrit un texte que lui-même n’avait pu
lire307. Puis il s’oppose ouvertement à la tactique préconisée par Boukharine et

304
Lettre du 8 avril 1927, De Lénine à Staline, op. cit., p. 280.
305
Rapport de la délégation au BP du PCF, RGASPI, 517/1/497.
306
Cf. infra.
307 er
Cf. infra. Voir Est-Ouest, n° 620, 1 -30 septembre 1978, p. 298-300.
404
Staline à la petite commission chinoise308. Il vote cependant la résolution chinoise
avec la majorité et, immédiatement après la fin de l’Exécutif, rentre en France. Les
dirigeants français s’interrogent alors sur l’opportunité de le réintégrer au BP,
d’autant qu’il a su défendre le parti français à Moscou. Très rapidement, Treint
marque ses réserves concernant la politique internationale de l’IC, jetant la suspicion
à son égard. Peu après il rejoint l’opposition de gauche, au côté de Suzanne Girault.

Au cours de l’année 1926 et du début de l’année 1927, Treint tente par tous
les moyens de conserver sa place à la direction du PCF. Allié à Doriot, il réclame dès
la fin de l’année 1925 un « cours nouveau » et une rupture complète avec les erreurs
« gauchistes » de la période précédente. Il s’était éloigné de Suzanne Girault et de la
direction du PCF sans rompre avec les principes politiques qui guidèrent son action à
la tête du parti depuis 1923. Son revirement politique brutal, alors que les équipes
dirigeantes mises en place au 5ème congrès mondial de l’IC sont progressivement
démises de leurs fonctions au profit de directions centristes, témoigne d’un certain
opportunisme politique. Après avoir été l’un des plus fervents partisans de l’action
immédiate, du rejet de toute forme de compromission avec les partis « bourgeois » et
du monolithisme, il prône plus de souplesse dans l’application du front unique et
dénonce les excès d’autoritarisme de la période précédente. Malgré cette soudaine
conversion, il ne peut faire oublier ses articles appelant les ouvriers et les paysans à
déclencher la guerre civile et ses diatribes contre les socialistes alliés du fascisme.
Sommé à plusieurs reprises de reconnaître ses fautes personnelles, Treint répond
invariablement que les responsabilités sont collectives, lui-même n’ayant fait que
suivre la ligne de l’IC en accord avec le BP. En 1924, dans une lettre à Zinoviev, il se
voyait comme un meneur, un guide pour cette gauche désormais décriée. Il refuse
cependant d’endosser une quelconque part de responsabilité. Son orgueil le porte au
contraire à penser qu’il lui incombe de corriger les fautes « gauchistes » et
d’appliquer la ligne politique défendue par la nouvelle majorité du PC d’URSS.
Au regard de l’attitude d’autres dirigeants communistes européens des
années 1924-1925, tels Suzanne Girault, Ruth Fisher et Maslow qui, après avoir été
écartés, critiquent la nouvelle ligne de l’IC avant de rejoindre l’opposition unifiée,
Treint suit un parcours original. Il rallie la nouvelle majorité tout en entamant une
réflexion qui l’amène à proposer une analyse hétérodoxe sur la question des

308
Cf. infra. Voir La lutte Finale, n° 5, 7 septembre 1935, p. 25-30, ainsi que l’intervention de Treint au
CC du PCF du 11-12 janvier 1928, BMP 275.
405
perspectives internationales, qu’il défend avec obstination. Ce comportement
l’éloigne à la fois de ses anciens alliés, qui critiquent sa versatilité, et de la nouvelle
majorité, qui craint son individualisme. Sa rupture avec la direction de l’IC et du PCF,
au cours de l’année 1927, doit être analysée sous l’angle de cette démarche
personnelle, qui allie à la fois manœuvres politiques et convictions personnelles, et
non comme une manifestation de la fidélité à Zinoviev et au « zinoviévisme ».

406
CHAPITRE VIII :
L’EXCLUSION.

407
Dans une lettre adressée au CE de l’IC1, au mois de juillet 1927, Treint
déclare voter contre la résolution du CE de l’IC sur la question chinoise. Ce texte
constitue une attaque en règle contre le « groupe Staline-Boukharine », autrement dit
contre la direction de l’IC. Rien, dans sa correspondance, ses prises de positions
politiques ou ses votes précédents ne laissait présager une position si critique à
l’égard de Staline et de la direction de l’IC et encore moins un quelconque soutien à
l’opposition unifiée russe. Lorsqu’il rentre en France, à la fin du mois de mai 1927,
Treint passe pour un partisan de la majorité. Malgré ses déclarations sur la question
des relations internationales et de la formation d’un bloc européen contre les Etats-
Unis2, malgré l’animosité de nombreux militants qui n’ont pas oublié les années
1923-1925 et son autoritarisme, la direction s’interroge sur l’éventualité de son retour
au sein du BP.
En quelques semaines, il prend cependant ses distances avec la majorité et
se rapproche de l’opposition. A Moscou, il avait déjà manifesté quelques réserves
sur la politique internationale de l’IC et ses doutes l’amènent à manœuvrer au sein
du PCF pour l’amener vers une ligne plus critique à l’égard de la direction Staline-
Boukharine. Econduit par les dirigeants français, il poursuit cette démarche avec le
groupe de Suzanne Girault et entame un travail fractionnel qui le pousse
progressivement sur la voie de l’exclusion.
La question de l’alignement sur l’IC, portée par Treint et l’opposition de
gauche, est au centre des débats du parti durant la deuxième moitié de l’année 1927
et au début de l’année 1928. Après le 8ème Exécutif, l’IC met l’accent sur les menaces
de guerre qui pèseraient sur l’URSS et sur la nécessité pour ses sections de placer
au centre de leur activité la défense de la patrie socialiste et la lutte pour la
radicalisation des ouvriers. Pour le PCF cette nouvelle définition de la situation
internationale et des tâches des partis communistes implique de rompre avec la ligne
suivie depuis la conférence extraordinaire de décembre 1925. Cette perspective
déclenche de vives polémiques au sein de la direction, dans un contexte de
désorganisation et de tension. En effet, depuis le mois d’avril 1927, la répression
gouvernementale s’est abattue sur le parti et plusieurs membres du BP séjournent à
la prison de la Santé. Dans ces circonstances, plusieurs mois sont nécessaires aux

1
« Déclaration du camarade Treint adressée au CE de l’IC le 22 juillet 1927 sur la question
chinoise », dans, Les documents de l’opposition française et la réponse du parti, édité par les Cahiers
du Bolchevisme.
2
Cf. supra.

408
représentants de l’IC pour imposer un tournant politique qui se caractérise, dans un
premier temps, par l’abandon de la tactique électorale de front unique avec les
socialistes au profit de la tactique « classe contre classe », qui interdit les
désistements des candidats communistes au profit de socialistes. Après plusieurs
CC et des débats houleux entre dirigeants, une conférence nationale (30 janvier-1er
février 1928) adopte la nouvelle ligne dictée par l’IC et, au même moment, exclut
Treint et les autres représentants de l’opposition de gauche des rangs du PCF.

409
A/ Treint, un militant isolé.

1) Treint et l’opposition dans le PCF.

Après une période d’accalmie, consécutive à la conférence extraordinaire de


décembre 1925, l’opposition fait entendre sa voix. Au mois de janvier 1927, Boris
Souvarine fait de nouveau paraître le Bulletin Communiste3, auquel collaborent des
membres du parti. La direction réagit brutalement contre ces militants qui s’étaient
opposés à la politique de bolchevisation et qui dénoncent toujours le manque de
démocratie et la désorganisation. Barenton, député communiste, est exclu pour avoir
publié un texte en dehors du contrôle du parti, demandant le rétablissement de la
démocratie dans le parti4. La même sanction s’abat sur Engler5 et de Goujon6. Au
cours d’un meeting houleux, tenu à Rouen, ils répliquent avec violence à
Bouthonnier, envoyé par la direction pour combattre l’opposition de « droite »,
organisée et influente dans la région de la Basse-Seine7. En réaction à ces
exclusions, jugées arbitraires et administratives, Lucie Colliard, Delsol8, Dionnet9,
Gauthier, Madeleine Marx10, Mosès, Paz et Roy11 signent une lettre de protestation.
Ils mettent en cause l’attitude la direction utilisant la provocation pour entraîner des
exclusions disciplinaires12. Les signataires de la lettre, déférés devant la CCCP du
parti et blâmés, échappent à l’exclusion immédiate13.
Parallèlement, une seconde tendance oppositionnelle se constitue autour de
Suzanne Girault. Ecartée de la direction du PCF dès la fin de l’année 1925, elle
s’éloigne progressivement de la majorité et critique la réorientation de la ligne du

3
Voir le Bulletin Communiste, n° 16-17, janvier-mars 1927.
4
Voir l’Humanité, n° 10296, 18 février 1927, p. 2.
5
Victor Engler (1884-1935) : Militant syndicaliste et communiste, opposant à la bolchevisation.
6
Germaine Goujon (1893-1980) : Tisseuse, militante syndicaliste et communiste, opposante à la
bolchevisation.
7
Ils sont tout d’abord exclus par le Comité régional de la Basse-Seine. Cette exclusion est confirmée
par la suite par le BP du PCF.
8
Clément Delsol (1889-1972) : Ouvrier métallurgiste, dirigeant syndicaliste et militant communiste.
9
René Dionnet : Militant syndicaliste et communiste.
10
Il s’agit de Magdeleine Paz, la femme de Maurice Paz.
11
Marcel Roy (1902-1976) : Ajusteur mécanicien. Militant syndicaliste et communiste. Opposant à la
bolchevisation.
12
« Frappant exemple de la méthode habituelle ! On parle de "battre idéologiquement" l’Opposition et,
en réalité, en fait de lutte politique, on diffame les personnes, on provoque et on ment. Pas de lutte
politique : des ragots et des faux qu’on sanctionne par des exclusions administratives », BMP 222.
13
L’Humanité, n° 10328, 12 mars 1927, p. 5.
410
parti, qui tourne le dos aux principes politiques qui guidèrent la gauche au cours des
années précédentes. Le débat sur la question russe entraîne une rupture plus
franche. Lorsque la question de la condamnation de l’opposition russe se pose dans
le PCF, la direction hésite dans un premier temps à se prononcer sans une véritable
discussion, avant de s’aligner sur la nouvelle majorité et de voter des résolutions
condamnant « la ligne antiléniniste du bloc oppositionnel »14. Lors d’une réunion du
CC du PCF, le 21 octobre 1926, Suzanne Girault, appuyée par Jacob, refuse de
voter un texte saluant la soumission de l’opposition russe à la majorité et réclame un
supplément d’information15. En conséquence, elle est écartée de la délégation
française envoyée au 7ème EE de l’IC. Au cours de cette assemblée, Semard accuse
nommément Jacob de se livrer à une activité fractionnelle et d’être en contact avec
des membres exclus de l’IC16. Alfred Bernard, membre de la délégation française,
reprend dans son intervention les mêmes attaques à l’encontre de Suzanne Girault17.
En réponse cette dernière fait parvenir une lettre au secrétariat du parti réfutant en
bloc toutes les accusations :
« Je n’ai pas développé d’activité fractionnelle et je défie qui que ce soit d’en
apporter seulement un commencement de preuve. Quant à mes soi-disant
relations avec Souvarine, cette déclaration est une infamie. Ce n’est pas
d’aujourd’hui que je considère Souvarine comme un contre révolutionnaire. »18
L’Humanité publie alors une rectification d’Alfred Bernard affirmant qu’il y a eu une
erreur dans le compte rendu de son intervention et qu’il n’a jamais accusé Suzanne
Girault de travail fractionnel, ni de lien avec Souvarine. Ce démenti ne peut suffire à
apaiser la tension entre l’opposition et la direction.
Lors du CC du 11-13 janvier 192719, Suzanne Girault vote avec trois autres
camarades contre la résolution finale de l’EE qui dénonce l’activité de l’opposition
unifiée russe et de ses partisans dans les sections de l’IC20. Malgré ce refus
d’avaliser la condamnation de Zinoviev, Trotsky et leurs partisans, la direction
conserve une attitude pondérée à l’égard de l’opposition de « gauche », pendant

14
Cf. supra.
15
L’Humanité, 22 octobre 1926, p. 2.
16
L’Humanité, n° 10232, 16 décembre 1926, p. 33.
17
Cette déclaration est publiée dans l’Humanité, n° 10243, 27 décembre 1926, p. 3.
18
L’Humanité, n° 10252, 5 janvier 1927, p. 5.
19
BMP 204.
20
L’EE vote une résolution excluant définitivement Souvarine ainsi qu’une seconde confirmant
l’exclusion de Maslow, Ruth Fischer, Urbahns, Scholem et Schwan du KPD. Tous ces anciens
dirigeants allemands ont formée un groupe d’opposition qui publie et diffuse les textes de l’Opposition
unifiée russe. La Correspondance Internationale, n° 25, 20 février 1927, p. 351.
411
qu’une répression sévère s’abat sur l’opposition de « droite »21. Tandis que
Barenton, Engler et d’autres sont exclus, les représentants de la gauche22 continuent
à avoir occasionnellement accès à la presse du parti. Ils font notamment publier une
lettre de Suzanne Girault au BP ainsi qu’un article de Cadeau23. De même, ils sont
autorisés à intervenir lors des réunions préparatoires à la Conférence nationale du
PCF qui doit se tenir au mois de juin 192724. Cette modération s’explique
principalement par la proximité des critiques de l’opposition de gauche et de celles
de l’IC. Dans sa longue lettre au BP, Suzanne Girault dénonce l’inaction de la
direction après l’arrivée au pouvoir de Poincaré, face à la hausse du chômage
provoquée par la rationalisation capitaliste, mais aussi l’opportunisme du BP
concernant la réalisation du front unique avec le parti socialiste SFIO. Ces critiques
font écho à celles formulées par Humbert-Droz et l’IC au cours de la dernière session
de la commission française25. La direction doit attendre que Suzanne Girault et ses
partisans prennent position contre la ligne politique de l’IC (Question chinoise,
dissolution du comité anglo-russe) pour pouvoir engager la lutte. Cependant, ce
comportement prudent à l’égard de la gauche empêche la constitution d’une
solidarité commune entre les opposants.
La direction convoque, pour le mois de juin, une conférence nationale, qui doit
se prononcer sur les questions internationales et les problèmes intérieurs du PCF.
Dans ce cadre, Suzanne Girault espère fédérer tous les opposants, sur le modèle de
l’Opposition unifiée russe. Pourtant, à la conférence régionale de la région
parisienne, qui précède de peu la conférence nationale, l’opposition, de « droite »
comme de gauche, subit une large défaite. Une résolution condamnant l’opposition
dans le PC d’URSS est votée à la presque unanimité. Elle affirme que dans la région
parisienne, les opposants s’unissent contre la majorité :

21
Les termes de droite et de gauche sont les qualificatifs employés par la direction à l’égard des
groupes constitués pour les premiers par les militants qui depuis 1924 critiquent la bolchevisation et
pour les seconds par les partisans de Suzanne Girault. Par la suite nous emploierons le terme
d’Opposition de gauche (avec une majuscule) concernant la nébuleuse de groupes formée au niveau
européen autour de la personnalité de Trotsky. Le terme d’opposition de gauche (sans majuscule)
renvoie simplement aux petits groupes informels partisans de l’Opposition unifiée russe.
22
Au début de l’année 1927 la tendance de gauche de l’opposition dans le PCF regroupe des
militants tels que : Béors, Cadeau, Calzan, Faussecave, Suzanne et Léon Girault, Jacob, Sauvage.
23
Paul Cadeau, « Réponse à un défenseur du léninisme », Cahiers du Bolchevisme, n° 70, 15 avril
1927.
24 er
Gaston Faussecave intervient à la conférence d’information du 1 rayon, Léon Girault à celle du
ème ème
6 et Calzan du 35 .Cahiers du Bolchevisme, n° 70, 15 avril 1927.
25
Cf. supra.

412
« [La résolution] marque d’abord le néant de l’affirmation de l’opposition dans
la RP qui prétend ne pouvoir se prononcer faute de matériaux. Elle enregistre
ensuite la constitution d’un bloc d’opposition entre les éléments extrêmes
gauchistes (Calzan, Sauvage, Cadeau) y compris les bordighistes26, et la
minorité de droite (Paz, Roy, Delsol). »27
En réalité, les deux groupes, en dépit de certains points de convergence, n’ont pu
trouver de terrain d’entente. Suzanne Girault aurait tenté de prendre contact avec
des militants proches de La Révolution Prolétarienne, sans que le rapprochement ne
puisse se réaliser28. Pour de nombreux oppositionnels, Suzanne Girault demeure le
symbole des méthodes brutales de bolchevisation et des exclusions arbitraires. De
plus, leurs critiques à l’égard de la direction divergent. Tandis que la gauche
dénonce la ligne politique « droitière » du PCF, les opposants de « droite » réclament
le retour de la démocratie intérieure et l’abandon de la réorganisation sur la base des
cellules d’usine. Enfin, sur la question russe, tandis que Suzanne Girault et ses
partisans soutiennent ouvertement l’Opposition unifiée, le groupe Paz29 refuse de se
prononcer et milite pour qu’une solution de conciliation, évitant une crise du PC
d’URSS, soit trouvée. L’opposition se présente donc divisée à la conférence
nationale.
Treint rentre en France quelques jours avant la conférence. Pour beaucoup, il
reste, avec Suzanne Girault, le responsable de la bolchevisation et certains
s’interrogent sur son possible ralliement à l’opposition de gauche. Depuis la fin de
l’année 1925, les deux anciens dirigeants ont cependant une attitude diamétralement
opposée. Notamment dans l’exercice de ses fonctions de représentants du PCF à
Moscou, Treint a constamment défendu la ligne politique de la direction du PCF
contre les critiques de l’IC. Au regard de ces faits, rien ne permet d’envisager un
rapprochement avec l’opposition de gauche. De plus, il s’est prononcé à plusieurs
reprises contre Suzanne Girault. En février 1927, lorsqu’il apprend que celle-ci aurait
déclaré avoir eu une discussion à caractère politique avec sa compagne, il réagit

26
Il s’agit d’une opposition minoritaire au sein de la région parisienne constituée de militants italiens,
dirigé par Perrone, défendant les thèses de Bordiga et ayant émigré en France suite au Congrès de
Lyon du parti communiste d’Italie. Cette fraction organisée au sein du PCF, s’oppose aux thèses de
l’IC sur « le gouvernement ouvrier et paysan », « le front unique » et « la lutte anti fasciste », depuis
plusieurs années. A cette époque, une minorité, emmenée par Pappalardi, se détache du groupe
italien affirmant qu’il est désormais impossible d’œuvrer au redressement de l’IC. La gauche
communiste d’Italie, édité par le Courant Communiste Internationaliste, 1991, p. 248-249.
27
L’Humanité, n° 10418, 21 juin 1927, p. 5.
28
Voir BOICHU P, Recherche sur les exclusions dans le parti communiste français, op. cit., p. 157.
29
Du nom du leader des opposants qualifiés de « droitiers » par la direction.
413
vigoureusement. Dans une lettre destinée au CC30, il reconnaît l’existence de cette
conversation mais nie son éventuel caractère politique. Il indique que sa compagne
s’interrogeait simplement sur la réalité des divergences politiques entre les deux
militants et sur les causes de rupture de leurs relations personnelles. Treint insiste
par ailleurs sur le fait qu’il condamne l’attitude politique de Suzanne Girault31 et qu’il
souhaite réintégrer la direction du parti.
En juin, les membres du BP discutent de la place de Treint au sein de la
direction après une année à Moscou et de l’opportunité de l’intégrer au BP
intérimaire, au départ simplement en tant qu’auditeur. Sur cette question les avis
divergent. Doriot32 et Semard soutiennent le retour de Treint dans les plus hautes
instances du parti tandis que Thorez s’y oppose. Doriot rappelle que, malgré des
divergences sur les questions internationales33, Treint ne s’est jamais opposé à la
politique de la majorité durant son année de mandat de délégué du parti français
auprès de l’IC :
« Albert était, qu’on le veuille ou non, notre second et souvent notre premier
représentant à l’Internationale.
On ne peut pas assimiler Albert et Suzanne Girault. Suzanne Girault a fait
contre nous un travail fractionnel, contre l’Internationale aussi ; Albert a
soutenu notre politique. Les décisions du congrès de Lille ne sauraient en
aucun cas signifier qu’Albert est condamné à mort pour la vie. »
Il souligne également que, dans cette période difficile, après les vagues successives
d’arrestations de militants et de dirigeants communistes, le parti ne peut se passer
d’un militant d’expérience et discipliné. Aucun compte rendu de réunion ni aucune
lettre ne permet néanmoins d’affirmer que des discussions furent engagées avec
Treint à son retour en France et que lui même ait envisagé la possibilité de réintégrer
le BP. Son attitude au cours de la conférence nationale montre que Treint s’est
rapproché des positions de l’Opposition unifiée russe et qu’il critique la ligne politique
de l’IC. En refusant de suivre la majorité, il ne peut espérer réintégrer la direction du
PCF

30
Lettre de Treint, datée du 25 février 1927, RGASPI, 517/1/497.
31
« Je regrette que la camarade Suzanne Girault en était réduite lors du dernier Comité Central à
recourir à toute une série d’arguments dont la pauvreté est évidente pour tous. », ibid.
32
Lettre de Doriot à Thorez, 23 juin 1927, RGASPI, 517/1/529.
33
Il fait ici référence à la thèse de Treint sur la formation du Bloc européen contre les Etats-Unis,
ème
repoussée lors du 7 EE de l’IC.

414
2) La Conférence nationale de St Denis (26-29 juin 1927).

Les réunions préparatoires, organisées avant la conférence de St Denis, ont


permis de mesurer l’ampleur du soutien de la base à la politique de la direction du
parti. L’opposition de gauche n’a que deux délégués et la droite aucun, bien que Roy
ait obtenu un mandat de faveur pour exprimer les idées de sa tendance34. Lors de la
première journée de la Conférence, entièrement consacrée à la discussion des
questions internationales, Alfred Bernard présente un rapport résumant les thèses
adoptées par l’IC lors du 8ème EE. Il insiste tout particulièrement sur la défense de
l’URSS, selon lui, directement menacée par les forces impérialistes, puis accuse les
socialistes d’être des alliés objectifs de la bourgeoisie. Cette intervention vient à
contre-courant de la ligne politique suivie par le parti depuis 1926 sur la question du
front unique. Depuis la prison de la Santé, Monmousseau et Semard rédigent une
lettre dans laquelle ils critiquent cette orientation et manifestent leur volonté de
poursuivre dans la voie définie au congrès de Lille, impliquant de ne pas recourir aux
invectives contre les socialistes35. Ce débat sur l’application en France de la nouvelle
ligne politique de l’IC se prolonge jusqu’au début de l’année 192836.
Au cours de la discussion qui suit le rapport de Bernard, les membres de
l’opposition de gauche, Calzan et Béors37, interviennent sur la question chinoise.
Selon eux, la trahison de Tchang Kaï-chek illustre les erreurs de l’IC en Chine et la
politique erronée de la direction qui choisit la voie de l’alliance avec la bourgeoisie
chinoise plutôt que la voie révolutionnaire. Ils se prononcent par ailleurs pour la
création de soviets en Chine. Ils critiquent également la politique du parti russe sur la
question paysanne. Sur ces thèmes, les deux militants reprennent explicitement les
arguments développés par l’Opposition unifiée contre la direction Staline-Boukharine.
Enfin, Calzan observe que la direction exige que le parti se prononce sur la question
russe alors même que les thèses de l’opposition n’ont pas été publiées. D’après le
compte rendu de l’Humanité, ces interventions, assez mal accueillies, se déroulent
sans incident ni obstruction.

34
Roy rejette par ailleurs ce mandat expliquant qu’il refuse de cautionner, par sa présence, une
discussion qui a été préparée en dehors des règles de la démocratie interne et en abusant des
méthodes administratives. Cahiers du Bolchevisme, n° 76, 15 juillet 1927, p. 798-799.
35
« C’est de l’application méthodique et intelligente du front unique que dépend le succès de notre
tactique vis-à-vis du Parti socialiste. Ils ne faut pas nous borner à répéter que les chefs socialistes
trahissent et font le jeu de la bourgeoisie […] », l’Humanité, n° 10424, 27 juin 1927, p. 4.
36
Sur ce point, voir WOLIKOW S, op. cit., p. 971-1092.
37
Louis Béors (1899-1971) : Tourneur sur métaux. Militant syndicaliste et communiste. Membre de la
direction de gauche et proche de Suzanne Girault.
415
La deuxième journée débute par une l’intervention de Treint sur les questions
internationales. A Moscou quelques jours plus tôt, il manifestait des réserves au sujet
de la politique menée par la direction Staline/Boukharine38. Après avoir participé à la
sous-commission chinoise, il connaît mieux la situation en Chine que les autres
membres du PCF, qui n’ont eu accès qu’aux informations officielles. Il est d’autre
part en possession d’une lettre rédigée par une délégation de représentants du parti
russe qui détaille les fautes commises par le parti communiste chinois avec l’appui
de l’IC. Il s’agit d’un véritable réquisitoire contre la tactique décidée par Staline et
Boukharine. Treint a réussi à se procurer cette lettre dans des conditions insolites39.
En dévoilant le contenu de ce document, Treint pourrait donner du poids aux
arguments de l’opposition, affaiblir la direction et l’obliger à ouvrir un véritable débat
sur la politique de l’IC en Chine. Pourtant, il se contente d’appeler à la défense de la
révolution chinoise et de la révolution russe face à la menace des impérialismes
étrangers. Il s’affirme dans l’ensemble en accord avec la tactique préconisée par
l’Internationale et critique sévèrement les positions de l’opposition russe, qualifiant
leurs thèses politiques sur la question chinoise de « déviations gauchistes ». Son
intervention se démarque cependant de celle de la majorité lorsqu’il explique que
quelques erreurs ont été commises et qu’il réclame une autocritique de la direction
comme de l’opposition russe pour revenir à une politique plus juste40. Il marque
également quelques réserves sur la question du Comité anglo-russe.
Doriot et Bernard se succèdent ensuite à la tribune pour réfuter les allégations
de Treint selon lesquelles l’IC aurait bien commis des fautes. Ils se déclarent contre
la discussion entre la direction et l’opposition réclamée par Treint, considérant que
l’on ne peut discuter avec des adversaires du communisme41. La séance de l’après-
midi est consacrée au rapport de Thorez sur la France puis à un débat sur les tâches
du parti. A l’exception de Calzan, qui intervient pour accuser le parti d’inactivité,
d‘opportunisme et de défaitisme face notamment à l’arrivée au pouvoir de Poincaré,
les délégués approuvent l’activité de la direction depuis le congrès de Lille. Au cours

38
Cf. supra.
39
Dans un entretien à B. Lazitch datant de 1965, Treint explique qu’il aurait subtilisé le document
dans le bureau de Piatnitsky alors qu’il se trouvait seul et qu’il l’aurait envoyé en France à son
domicile. Ce document est donc en sa possession lorsqu’il participe à la Conférence nationale de St-
Denis. Il est impossible de dire si Treint a obtenu la lettre comme il le raconte ou s’il ne l’a pas
simplement obtenue par le biais d’oppositionnels russes.
40
« L’opposition représente un grand danger. Elle veut grossir la critique, elle cherche à nous ramener
vers une politique gauchiste. Mais nous devons comprendre que la meilleure manière de lutter contre
cette opposition c’est de faire notre propre autocritique, autocritique saine pour éviter et rectifier les
erreurs. » Compte rendu de la séance, l’Humanité, n° 10425, 28 juin 1927, p. 1-2
41
.Ibid.
416
de la séance de nuit, les résolutions sur les questions nationales et internationales
sont votées à la quasi-unanimité. Treint vote également les deux résolutions mais
avec réserve concernant les questions internationales. Il monte à la tribune pour se
justifier42.
Concernant la question chinoise, il constate que les matériaux nécessaires à
la discussion ont été fournis en retard ou ne l’ont pas été. Il développe ensuite sa
thèse sur la révolution agraire en Chine. Il estime que l’alliance du moment entre le
Kuomintang et le parti communiste chinois doit être abandonnée puisque la
révolution agraire se développe à grande vitesse. L’opposition de la bourgeoisie,
majoritaire dans le Kuomintang, à toute réforme agraire risque d’aboutir à
l’écrasement militaire du mouvement révolutionnaire paysan. Le PCC doit donc
préparer les ouvriers à la lutte et envisager de lancer le mot d’ordre de création de
soviets ouvriers et paysans43. Il reconnaît d’un autre côté que, si la situation n’évolue
pas rapidement, il peut être envisageable de conquérir le Kuomintang de l’intérieur
pour l’orienter vers une politique véritablement révolutionnaire44. Il conclut en
rappelant, qu’étant donnée la complexité de la situation, personne ne peut affirmer
avoir la solution juste et infaillible et que seul un échange de vue sans invective peut
éviter à l’avenir que des erreurs se reproduisent :
« La complexité de la situation chinoise et de la situation internationale ne
permet à personne d'être certain de tenir entre ses mains la vérité absolue,
[illisible] en cas de désaccord de jeter à la face des autres l’accusation de
trahison, comme le fait l’opposition d’une manière qui est loin d’aider à
comprendre la situation et à trouver les solutions. »
Il en vient ensuite à la thèse sur les dangers de guerre, dont il critique le
passage sur l’attitude de la CGT russe dans le Comité anglo-russe. Il s’oppose à une
résolution qui reconnaît au seul Conseil Général des Trade Unions britanniques le
rôle de porte-parole unique du mouvement syndical. Il estime que la politique
d’alliance entre la CGT russe et la direction réformiste des syndicats anglais, qu’il
avait jusqu’alors soutenue, doit désormais être abandonnée. En maintenant les
ouvriers anglais sous la coupe des chefs syndicalistes réformistes, cette tactique

42
Voir le document manuscrit de la déclaration de Treint lors de cette séance, RGASPI, 517/1/497.
43
C’est la thèse défendue par l’opposition unifiée en Russie, Voir les thèses de Zinoviev sur la
révolution chinoise remise au BP du PC d’URSS le 14 avril 1927, dans Les Cahiers du CERMTRI, n°
43, décembre 1986.
44
Il s’agit cette fois-ci, par un résumé très succinct de la thèse défendue par la direction Staline-
Boukharine.

417
freine leur volonté de lutte, sans apporter les bénéfices escomptés par la Russie sur
le plan diplomatique45. En dépit de cette critique, il prend ses distances avec les
positions de l’Opposition unifiée russe46 qui, dès 1926, réclamait l’abandon de la
tactique d’alliance au sein du comité anglo-russe estimant qu’elle dénaturait
« l’essence révolutionnaire de la tactique du front unique »47.
Treint prend une posture d’arbitre apte à peser le pour et le contre des
différentes propositions soumises au vote, d’un militant discipliné capable d’analyser
dialectiquement tous les aspects des thèses qui s’affrontent dans le mouvement
communiste international. Comment expliquer cette attitude qui l’éloigne de la
direction sans pour autant le rapprocher du groupe de Suzanne Girault, qu’il qualifie
à plusieurs reprises de tendance gauchiste ? Ses déclarations sur les fautes
« opportunistes » de l’IC, concernant la question chinoise et le comité anglo-russe,
font peser sur lui la suspicion et lui ferment les portes du BP. Treint espère t-il
prendre le contrôle de la direction du PCF en organisant une fraction autour de son
nom ? Au terme de la conférence nationale, il ne peut que constater son isolement.
Les militants communistes, qui doivent faire face à la répression gouvernementale,
se désintéressent des questions de politique internationale que Treint soulève et ne
peuvent accepter que la ligne définie par la direction de l’IC puisse être qualifiée
d’erreur par un représentant du PCF à Moscou, fut-il ancien secrétaire général.
Treint se rapproche alors de l’opposition de gauche. Il officialise sa rupture avec la
majorité dans une lettre adressée à l’IC.

3) Première dénonciation du stalinisme.

Au cours des mois de juillet et août Treint passe d’une attitude de prudente
réserve à une opposition farouche à la ligne de l’IC, sans qu’aucun événement
majeur ne vienne l’expliquer. Dès le 1er juillet 1927, mécontent du compte rendu de la
dernière séance de la Conférence nationale, Treint réclame, dans une lettre publiée

45
« Les arguments apportés à la tribune de l’Exécutif au nom de l’Internationale pour justifier l’attitude
de la CGT russe à la dernière réunion de Berlin ne sont pas valable du point de vue de la lutte des
classes, que cette lutte soit menée sur le terrain syndical ou sur le terrain de la diplomatie de l’Etat
prolétarien. […] Plus le gouvernement Baldwin isole diplomatiquement l’Union soviétique et veut
intimider son gouvernement, et plus les syndicats russes doivent appeler les masses ouvrières
anglaises à lutter contre l’agression qui se prépare contre l’URSS », déclaration de Treint, RGASPI,
517/1/497.
46
« L’attitude l’opposition russe qui réclamait la sortie de la CGT russe du comité anglo-russe était
une attitude de gauchisme caractérisé, qui aurait abouti à isoler les masses syndicales russes des
masses syndicales anglaises. », Ibid.
47
BROUE P, op. cit., p. 455.
418
par l’Humanité48, une discussion sérieuse et la publication de l’ensemble des
documents se rapportant aux questions abordées. Il pense qu’ainsi, par un travail en
commun, l’unité du parti pourra être préservée :
« Je suis persuadé qu’une telle discussion aurait pour effet la condamnation
des erreurs de l’opposition et le redressement de certaines fautes de la
majorité, et j’estime qu’au terme d’une telle discussion, il n’est pas impossible
de prévoir la collaboration de la majorité et des meilleurs éléments de
l’opposition sur la base du bolchevisme, sur la base d’une saine autocritique
du Parti, par le Parti lui-même et sur la base du respect par tous de la
discipline nécessaire du Parti. »49
Lorsque cette lettre est publiée, Treint en prépare déjà une seconde,
nettement moins consensuelle, pour protester contre une résolution sur la question
chinoise. A la mi-juillet, le CE de l’IC vote en effet une nouvelle résolution qui
approuve la ligne politique de l’Internationale et fait retomber la responsabilité des
erreurs commises dans le développement de l’action révolutionnaire sur le PCC. En
tant que membre du CE, Treint envoie une longue déclaration explicative dans
laquelle il affirme voter contre la résolution, ainsi qu’une lettre justifiant sa démarche
et demandant la publication de sa déclaration dans Le Bolchevik, la Pravda et La
Correspondance Internationale. Il insiste pour qu’elle soit l’intégralement publiée :
« Je parle de ma déclaration de vote et non de citations tronquées comme on
en fait trop souvent en déformant complètement ainsi le sens de ce qui a
réellement été écrit. »50
La suite de cette lettre est un résumé succinct de la déclaration qu’il convient
d’analyser plus en détail tant elle marque un changement complet d’attitude de Treint
et son passage explicite sur les positions de l’Opposition unifiée russe.
Treint fait parvenir au CE de l’IC une véritable diatribe contre le « groupe
Staline/Boukharine », en même temps qu’un témoignage à charge sur la politique
menée en Chine. Il affirme que les décisions concernant la tactique de l’IC en Chine
ont été prises par quelques dirigeants, sans aucune concertation51. De nombreux

48
L’Humanité, n° 10427, 30. juin 1927, p. 2.
49 er
Lettre d’Albert Treint au BP (1 juillet 1927), publiée dans les Cahiers du Bolchevisme, n° 76, 15
juillet 1927, p. 802. Voir en annexe.
50
Lettre qui précède la déclaration de Treint adressée au CE de l’IC du 22 juillet 1927 sur la question
chinoise, RGASPI, 517/1/587.
51
« La politique de plus en plus fausse pratiquée en Chine par le groupe Staline-Boukharine n’a pu
aboutir à l’opportunisme le plus complet et à toute une série de défaites, que grâce à l’ignorance des
faits politiques les plus importants qui éclairent la véritable situation, ignorance dans laquelle ont été
tenus non seulement le parti russe, l’IC et ses sections nationales, mais aussi dans la plupart des cas,
419
documents et informations ont été cachés aux militants communistes, notamment la
répression menée pour le gouvernement national chinois et par le Kuomintang, les
mesures de désarmement des ouvriers et des paysans, des télégrammes et des
lettres démontrant les erreurs d’appréciation de l’IC en Chine, ainsi qu’un discours
dans lequel Staline vante l’alliance du PCC et du Kuomintang, prononcé quelques
jours avant le début du massacre des communistes. Il rappelle enfin que le dernier
plénum de l’Exécutif s’est tenu dans une atmosphère de confidentialité, sans aucune
discussion possible et sans qu’aucun compte rendu ne soit publié, ce qui constitue
une première dans l’histoire de l’IC.
Selon Treint, le groupe Staline/Boukharine mène une politique « contre-
révolutionnaire », qui rompt avec les principes édictés par Lénine et l’IC lors des
premiers congrès mondiaux. Il impute l’ensemble des erreurs commises par le PCC
aux directives de l’IC imposées par des dirigeants « faisant preuve d’une myopie
bureaucratique extrêmement grave ». Pour qualifier les méthodes et la ligne politique
suivie par la direction du PC d’URSS, il emploie un néologisme encore jamais utilisé
dans les rangs communistes mais destiné à un grand avenir, le stalinisme :
« L’internationale a combattu le trotskisme d’autrefois. Elle le combattrait
encore s’il tentait de ressusciter. Mais ce n’est pas là le danger actuel. Et
même le fait que le camarade Trotsky s’est placé dans la question chinoise
sur une position léniniste dans son ensemble, permet d’espérer que le danger
trotskiste ne renaîtra pas. Le danger actuel, c’est le stalinisme, c’est à dire le
système d’étouffement bureaucratique et de terreur administrative dans le
parti russe et dans l’Internationale, système destiné à empêcher ou à briser
toute protestation contre la politique opportuniste d’aujourd’hui, ainsi qu’à
masquer la faillite grandissante de cette politique. Contre ce danger il faut
maintenant combattre sans merci. A bas le stalinisme, vive le léninisme !
[souligné par l’auteur] »52
Sous sa plume, le terme de stalinisme doit être compris comme un synonyme de
droite et ne désigne finalement pas un seul homme mais toute la direction du PC
d’URSS et notamment Boukharine et ses partisans.

le Présidium de l’IC lui-même. » Déclaration publiée dans une brochure spéciale éditée par les
Cahiers du Bolchevisme, intitulé « Les documents de l’opposition française et la réponse du parti ».
Elle est diffusée quelques mois plus tard pour justifier l’exclusion de Treint et d’autres militants
oppositionnels.
52
Ibid.
420
S’il avait jusqu’alors tergiversé et soutenu la ligne majoritaire du bout des
lèvres, cette déclaration souligne sa volonté de mener campagne contre la politique
de Staline/Boukharine. Le BP lui demande alors de cesser immédiatement ses
attaques et de reconnaître ses erreurs sur les questions internationales53. En
réponse, il déclare ne plus vouloir participer à la direction :
« Mais en raison de mes divergences sur le Comité anglo-russe, sur la
question chinoise et sur la situation intérieure du parti russe, ma collaboration
au centre du parti n’est plus possible que sur des modalités mineures. »54
Après son vote contestataire adressé au CE de l’IC, Treint franchit une
seconde étape dans sa stratégie de dénonciation de la ligne politique de l’IC en
exprimant ses divergences au cours d’une assemblée du parti français. Le CC du
PCF, réuni les 3-4 août 1927, doit discuter de deux questions prioritaires, les tâches
du parti et les questions internationales. Profitant de la tribune offerte, Treint
présente aux cadres du parti son analyse de la question chinoise, centrée sur une
critique au vitriol de la politique « opportuniste et antiléniniste » du groupe
Staline/Boukharine. La seconde partie de son intervention concerne l’insurrection
des ouvriers de Vienne du mois de juillet 1927.
En s’appuyant sur les articles leaders parus dans l’Humanité au moment des
événements, Treint explique que le parti français est resté inerte et n’a pas su
profiter du contexte favorable. Ces erreurs découlent, selon lui, de l’alignement du
PCF sur la ligne politique de l’IC. Comme pour la Chine, le parti n’a pas appelé à
l’insurrection révolutionnaire. Il s’est contenté de soutenir verbalement les ouvriers
autrichiens sans voir les possibilités révolutionnaires qui s’ouvraient en Europe55. Il a
de plus présenté le parti socialiste d’Autriche comme une force révolutionnaire :
« Ici, nous retombons au niveau des Souvarine, des Monatte et des Rosmer
qui, dans leur fameux projet de lettre au Labour Party, glorifiaient en 1924 le
gouvernement de Mac Donald. »
Par le biais d’une critique « de gauche » des erreurs du PCF dans l’analyse de la
situation autrichienne, Treint espère rallier, ou du moins troubler les membres du CC.

53
P-V du BP du PCF du 21 juillet 1927, BMP 210.
54 er
Cahiers du Bolchevisme, 1 août 1927, n° 77, p. 847-848.
55
« Cette politique est radicalement fausse sur tous les points essentiels, qu’il s’agisse de l’analyse de
l’origine du mouvement, de l’analyse des forces motrices de la Révolution, de l’appréciation du rôle de
la social-démocratie et du rôle du parti communiste ou de l’appréciation de la situation internationale
et de la Révolution autrichienne. », « La vérité qu’on cache sur la Chine et sur l’insurrection
viennoise », déclaration du camarade Treint sur la politique internationale des 3-4 août 1927, dans
Les Cahiers du Bolchevisme, les documents de l’opposition française et la réponse du parti.
421
Lors de la discussion qui suit, il subit au contraire de nombreuses attaques56. Le 3
août, il est longuement interrogé par Racamond57 et Thorez sur son ralliement à
l’opposition russe mais aussi sur les sources qui lui permettent d’affirmer que l’IC
mène une politique « opportuniste » en Chine. Thorez s’étonne notamment que les
documents auxquels Treint fait référence dans sa déclaration aient pu être cachés.
Le lendemain, Treint doit attendre la fin de la soirée pour pouvoir répliquer à une
série d’interventions l’accusant de manœuvrer pour déstabiliser le parti à son profit58.
Il déclare que la direction tente d’étouffer sa voix59. La réplique de Sellier est
tranchante : « Je voudrais demander à Treint s’il va continuer longtemps à se foutre
du monde ». Ce dernier lui rappelle quelles méthodes il employait lorsqu’il dirigeait le
parti60. Effectivement, son passé limite la portée de son argumentation en faveur de
la démocratie et du respect du droit des minorités.
Treint escomptait probablement, grâce à ses révélations, provoquer une crise
politique et un vote de défiance envers la majorité, mais le CC réaffirme son soutien
à la direction. Par contre, Barré61 et Béors approuvent l’intervention de Treint. Au
cours du mois de juillet, Treint a probablement rencontré des membres de
l’opposition de gauche et peut-être des représentants de l’Opposition unifiée, tel
Piatakov62. Le ralliement désormais manifeste de Treint à l’opposition inquiète les
membres du BP qui connaissent son activisme. Ils craignent qu’en se renforçant,
l’opposition de gauche devienne le point de ralliement de tous les mécontents et
déstabilise une direction déjà fragilisée.
Dès le 16 juillet, Monmousseau envoie une lettre au BP préconisant de tenir
Treint à l’écart63. Lors d’une entrevue, ce dernier lui aurait déclaré qu’il prévoyait une
crise dans l’IC qui donnerait le pouvoir à l’opposition en Russie. Dans un premier
temps, le BP se contente de mener une courte campagne contre lui en publiant ses

56
Voir BMP 206.
57
Julien Racamond (1885-1966) : Boulanger. Secrétaire de la CGTU et membre du BP du PCF.
58
Voir l’intervention de Thorez (BMP 206).
59
« Vous avez accumulé beaucoup de choses et parlé très longtemps, c’est un procédé très connu,
cela laisse une impression sur l‘ensemble des membres et ne permet pas de répondre ; je ne vous le
reproche pas, c’est normal quand on est la majorité »
60
Sellier parle d’assemblées secrètes organisées par Treint
61
Henri Barré (1888-1972) : Ouvrier forgeron puis correcteur typographe. Membre de l’ancienne
direction Treint/Girault et proche de Treint.
62
Iouri Piatakov (1890-1937) : Membre de l’Opposition unifiée, il travaille alors à la mission
diplomatique de l’URSS à Paris et aurait contribué financièrement à la publication de plusieurs revues
oppositionnelles
63
Lettre de Monmousseau au BP, Paris, 16 juillet 1927, « Les documents de l’opposition française et
la réponse du parti », op. cit., p. 114.
422
lettres et la réponse du BP64. Elle prend la forme d’un conseil qui se veut amical, de
ne pas quitter la ligne du parti. La lettre du 22 juillet 1927 et la déclaration au CC du
3-4 août amènent le BP à modifier sa tactique. Il apparaît évident qu’aucun travail
politique n’est possible avec Treint et plutôt que de lui offrir des tribunes, la direction
choisit de le réduire au silence, d’autant que pour certains dirigeants, ses
déclarations sont une manœuvre visant à déstabiliser le BP à son profit :
« Il ne s’agit plus actuellement entre nous et Treint de petites divergences de
détails sur le caractère de la répression en France mais il s’agit déjà d’une de
ses manœuvres dont nous connaissons notre camarade Treint tout à fait
friand. »65
Treint disparaît des colonnes de l’Humanité, exception faite d’une résolution sur les
tâches du parti, votée lors du CC du 3-4 août 192766. En dehors de ce bref encart, le
BP ne fait plus aucun commentaire sur les divergences avec lui. Cette situation
perdure jusqu’au mois de novembre.
Lors de la séance du BP du 21 juillet 192767 Doriot, qui un mois plus tôt voulait
rendre à Treint sa place au sein de la direction, propose de l’exclure du CC. Les
autres dirigeants repoussent cette mesure qui risque de le remettre en scène alors
qu’il demeure très isolé. Treint jouit toujours d’une très mauvaise réputation, les
années où le « capitaine » dirigeait le PCF étant encore dans toutes les mémoires.
Seule une minorité de militants, notamment certains jeunes attirés par son
dynamisme et son jusqu’auboutisme verbal, peuvent être tentés de le suivre sur la
voie oppositionnelle. Parmi les oppositionnels exclus, il reste le symbole des
méthodes « zinoviévistes » et de la bolchevisation. Enfin, il a tardé à prendre
ouvertement fait et cause pour l’opposition russe, s’aliénant de possibles soutiens.
Le choix de ne pas engager d’épreuve de force avec Treint et l’opposition de
gauche s’explique également par la situation exceptionnelle que connaît le PCF en
août 1927. Nombre de dirigeants étant emprisonnés, les réunions du BP se
déroulent à la prison de la Santé. Après la manifestation contre l’exécution de Sacco
et Vanzetti, le 23 août 1927, au cours de laquelle les manifestants communistes ont

64 er
Voir les Cahiers du Bolchevisme, n° 77, 1 août 1927.
65
Intervention de Thorez à la séance du CC du 3 août 1927, BMP 206.
66
« Le Comité Central du Parti approuve l’ensemble de l’autocritique faite par et sur le rapport de
Thorez, et repousse le système de critique apporté par Treint et Béors, considèrent en effet que ce
système de critique, loin de tendre à améliorer la ligne du parti, ne vise qu’à présenter cette ligne
comme opportuniste et fausse, dans le but de se constituer une plate-forme politique sur les questions
françaises », l’Humanité, n° 10464, 6 août 1927, p. 4.
67
BMP 210.

423
repoussé les forces de l’ordre et pris le contrôle de certains quartiers parisiens, le
gouvernement multiplie les mesures contre les communistes68. Elles contribuent à
entretenir une atmosphère pré-révolutionnaire dans le parti. La campagne de
l’opposition ne rencontre quasiment aucun écho chez des militants accaparés par la
lutte contre le gouvernement. Mais la direction ne reste pas totalement inerte devant
l’ampleur des révélations sur la politique chinoise de l’IC et sur les changements
tactiques initiés par les dirigeants russes. Même si les arguments présentés par
Treint sont immédiatement rejetés, plusieurs dirigeants s’interrogent sur ses sources,
notamment au sujet de la question chinoise. Costes, après avoir signalé l’évolution
fulgurante de Treint, demande à Humbert-Droz que l’IC fasse parvenir les documents
cachés dont parle ce dernier pour que le CC puisse en prendre connaissance69. De
même, Semard se plaint auprès de Thorez que le parti ne soit pas averti des
changements de tactique en cours dans l’IC70.
Treint est de nouveau entendu lors du CC du PCF du 10-11 septembre 1927.
Reconnaissant avoir employé un ton polémique dans ses interventions précédentes,
il fait une déclaration qui lui vaut d’échapper à toute sanction71. Au mois d’octobre, le
conflit redouble d’intensité, alimenté par l’activité fractionnelle de l’opposition de
gauche et par la campagne antitrotskyste, lancée à l’initiative de la direction de l’IC.
Dans ce contexte, Thorez met en garde contre l’expérience et les capacités de
nuisance de Treint en tant qu’oppositionnel72. Il devient dès lors au yeux de la
direction un ennemi politique qui doit être éliminé des rangs du PCF.

68
Voir ROBRIEUX P, Histoire intérieure…, op. cit., p. 290-291.
69
Costes précise bien qu’à moins que l’IC juge que la documentation est publiable, celle ne sera pas
diffusée en dehors du CC du PCF. Lettre de Costes (pour le secrétariat du PCF) à Jules Humbert-
Droz, 9 août 1927, RGASPI, 517/1/480.
70
« Mais à propos des affaires chinoises, il faut une fois de plus et fermement [souligné par l’auteur]
faire observer que le parti n’a rien reçu directement sur les changements de tactique que par des
articles de presse, ou communiqués de Tass et que sur un mot d’ordre aussi sérieux que celui des
soviets, il aurait été bien que la direction en soit informée par lettre plus explicative du CE de l’IC.
Nous avons constaté une fois de plus que les informateurs de l’opposition sont plus diligents et plus
prolixes que la direction de l’Internationale. », Lettre de Semard à Thorez, 13 août 1927, RGASPI,
517/1/529.
71
Dans une lettre remise au CC Treint déclare : « Déférant au désir de la CP et considérant que la
forme sous laquelle j’ai présenté mon point de vue dans ma déclaration du 4 août au CC ne
correspondant pas exactement au fond politique de ma pensée et peut permettre, aux adversaires du
parti, une exploitation dangereuse, je demande au CC de me donner la possibilité de rédiger une
nouvelle déclaration […] », publiée dans « Les documents de l’opposition française….. » op. cit., p
118.
72
« En ce qui concerne plus particulièrement la France, j’ai personnellement l’opinion que Treint est
plus dangereux qu’on ne le croit généralement. Sa grande expérience, notamment dans le domaine
de l’activité fractionnelle, jointe aux entraves que l’emprisonnement apporte au travail des militants les
plus qualifiés de la direction en font un adversaire que l’on ne peut sous-estimer. […] D’autant plus
que Treint, abandonnant ses “écarts de langage“ et ses “violences verbales“ par trop outrancières,
s’oriente vers un semblant de ligne politique sur les questions internationales et cherche à créer une
424
base oppositionnelle sur les problèmes particuliers du parti français. » Lettre de Thorez aux membres
du BP emprisonnés à la Santé, 11 octobre 1927, RGASPI, 517/1/529.
425
B/ Treint, dirigeant de l’opposition française ?

1) La campagne antitrotskyste de 1927.

A la fin du mois de septembre les événements s’accélèrent en Russie. Le 30


septembre 1927, l’Humanité annonce qu’un groupe de 14 oppositionnels, accusé
d’avoir créé une organisation secrète en contact avec des éléments antisoviétiques,
est exclu du parti russe73. Puis le 2 octobre, l’organe du PCF annonce l’exclusion de
Trotsky du CE de l’IC74, pour avoir défendu les organisateurs d’une imprimerie
illégale. Cette affaire découle de la volonté de l’opposition de faire paraître en Russie
sa plate-forme politique dans le cadre des débats qui précèdent le 15ème congrès du
PC d’URSS. Cette publication leur est refusée. Ils décident en conséquence de la
publier par leurs propres moyens en organisant une imprimerie clandestine.
L’imprimerie est découverte grâce à un agent de la Guépéou, ancien officier de
l’armée de Wrangel, et les exemplaires de la plate-forme saisis. Cette affaire permet
de justifier les mesures disciplinaires qui s’abattent sur les opposants. En France,
elle sert de prétexte pour ouvrir dans les colonnes de la presse du parti une
campagne contre l’Opposition unifiée.
Semard publie, le 3 octobre 1927, un leader75 accusant l’opposition d’être une
alliée de la social-démocratie. Il s’en prend plus particulièrement à Trotsky qui
voudrait affaiblir la dictature du prolétariat. Ces accusations, non étayées, s’appuient
sur les calomnies professées dans la presse russe et diffusées en France76. Dans un
second article, il tente de justifier l’exclusion de la direction de l’IC de celui qui reste,
aux yeux de nombreux militants, l’égal de Lénine et le créateur de l’Armée rouge :
« Les travailleurs qui nous lisent, et se souviennent du rôle de premier plan
joué par Trotsky au moment de la révolution d’octobre 1917, dont on va
bientôt fêter le 10ème anniversaire, peuvent s’étonner qu’il soit aujourd’hui

73
Voir également la décision du Présidium de la commission de contrôle de Moscou du PC d’URSS,
La Correspondance Internationale, n° 102, 8 octobre 1927.
74
L’Humanité, n° 10521, 2 octobre 1927, p. 3.
75
Semard P, « Le soutien du socialisme », l’Humanité, n° 10522, 3 octobre 1927, p. 1. Ce texte est le
résumé d’un autre article de l’auteur paru quelques jours auparavant dans les Cahiers du
er
bolchevisme, n° 81, 1 octobre 1927 et intitulé « L’opposition fait une besogne de démolisseurs ».
76
Voir entre autres les numéros 101 et 102 de La Correspondance Internationale, 5 et 8 octobre
1927, notamment un article de la Pravda, où l’opposition est accusée d’être liée à la social-
démocratie, de briser la discipline du parti et surtout de vouloir constituer un parti trotskyste en URSS.
426
exclu du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Nous leur devons
quelques explications. L’exclusion de Trotsky et de Vouïovitch a été motivé
par leur activité fractionnelle et clandestine mise au service d’une politique
fausse et de théories qui visent à réviser celles de Marx et de Lénine »
Involontairement, à travers ses propos, Semard nous permet d’appréhender le
malaise du PCF à l’annonce de l’exclusion d’un des plus grands chefs de la
révolution russe, toujours adulé malgré la campagne antitrotskyste des années 1924-
1925. Le prestige de Trotsky se confond en partie avec celui dont jouit le parti russe
dans son ensemble. Il faut montrer que Trotsky, devenu un dirigeant de l’opposition,
est rejeté par tout le parti russe. L’Humanité publie les moindres informations en
provenance de Russie : « Le Comité de Moscou approuve l’exclusion de Trotsky du
Comité Exécutif de l’Internationale Communiste »77, « Tout le parti Communiste de
l’URSS est indigné de l’action désorganisatrice de l’opposition »78, « A Moscou et à
Leningrad, de grandes assemblées du parti condamnent l’opposition »79. On apprend
également que dans une cellule de Moscou, Rakovsky n’a recueilli que 14 voix sur
516, et dans une seconde 18 sur 92, pour Kamenev80. En distillant ainsi les
informations soulignant l’isolement de l’opposition et l’attitude unanime du parti
russe, la direction sape la sympathie des militants français à l’égard des dirigeants
de l’opposition russe. Un militant ouvrier français peut-il alors imaginer que ces
assemblées du parti russe ne sont plus que des chambres d’enregistrement et
qu’aucune voix dissidente n’y est tolérée ?
Suite aux exclusions de Trotsky et Zinoviev du CC du PC d’URSS, La
Correspondance Internationale publie de nombreux articles et interventions de
dirigeants russes dirigés contre l’opposition « trotskysme », et notamment un
discours de Staline à la séance plénière du CC et de la CCC81. Le secrétaire général
accuse ses adversaires politiques de s’allier avec les forces contre-révolutionnaires82
et de vouloir abattre le régime soviétique pour s’installer au pouvoir et mettre fin à
l’expérience révolutionnaire ouverte en 1917. Répondant aux thèses de l’opposition
selon lesquelles le parti russe serait menacé par une « dégénérescence
thermidorienne », il explique qu’au contraire seule l’opposition a dégénéré passant

77
L’Humanité, n° 10529, 10 octobre 1927, p. 3.
78
L’Humanité, n° 10532, 13 octobre 1927, p. 3.
79
L’Humanité, n° 10548, 29 octobre 1927, p. 3.
80
L’Humanité, n° 10550, 31 octobre 1927, p. 3.
81
Discours de Staline publié dans La Correspondance Internationale, 12 novembre 1927, n° 114. Voir
l’analyse de l’intervention faite par ROBRIEUX P, op. cit., p. 286-287.
82
Il fait ici référence à l’affaire de l’imprimerie illégale.
427
du trotskysme au menchevisme et aujourd’hui au libéralisme. En conclusion, il
réclame l’exclusion de Trotsky et Zinoviev qui, selon lui, défendent désormais des
thèses contre-révolutionnaires et ne respectent plus la discipline du parti.
En France, la campagne antitrotskyste se déroule en parallèle et les
principaux dirigeants communistes s’inspirent des articles publiés dans la presse
russe. Dans l’Humanité, Vaillant-Couturier reprend et amplifie l’accusation de lien
entre l'opposition et la « réaction blanche »83. Il conclut en appelant le parti à
« anéantir politiquement » l’opposition. Thorez84 affirme qu’un parti trotskyste se
constitue au sein de l’IC et invective l’opposition russe85. Il estime en conclusion que
l’IC a trop patienté avant d’exclure ces « ennemis ». Un mois auparavant, les
dirigeants prenaient soin, en évoquant l’opposition russe, de rappeler le passé
révolutionnaire des ses chefs et évitaient les déclarations trop polémiques. Pressés
par les représentants de l’IC, ils s’alignent et reprennent à leur compte la rhétorique
antitrotskyste de la direction du PC d’URSS, qui fait de tous les partisans de
l’Opposition unifiée des ennemis du communisme et des traîtres qui doivent être
exclus sans discussion86.
Une fois ce matraquage idéologique accompli, la direction française clôt « la
discussion » sur la question russe en votant des résolutions avalisant toutes les
décisions du PC d’URSS et de l’IC. A la séance du CC du PCF du 9 novembre 1927,
les membres votent à l’unanimité une résolution approuvant l’exclusion de Trotsky et
Zinoviev du CC du PC d’URSS et « flétrissant » l’activité de l’opposition87. Puis, sans
que la question soit discutée au CC, le BP approuve la décision d’exclusion des deux
leaders oppositionnels du parti russe88. Mais cet alignement sur les positions de la
direction russe et cette campagne antitrotskyste dans les rangs du PCF ont-ils
l’approbation de la base du parti ? L’Humanité essaye d’accréditer cette thèse en

83
Vaillant-Couturier P, « Opposition et contre-révolution », l’Humanité, n° 10546, 27 octobre 1927, p.
1.
84
Thorez M, « L’ennemi dans la forteresse », l’Humanité, n° 10565, 15 novembre 1927, p. 1.
85
« C’est le parti néo-mencheviste, des déserteurs de 1917 et des “trotskystes“ de toujours, qui subit
la pression des couches sociales hostiles à la dictature du prolétariat et qui parle déjà le langage
d’une autre classe. »
86
Nous pourrions également citer les articles de Bouthonnier et de Renaud Jean, publiés
respectivement dans l’Humanité, n° 10566, 16 novembre 1927, p. 1 et n° 10568, 18 novembre, p. 1,
qui développent un argumentaire similaire, faisant de l’opposition russe un ennemi à abattre.
87
Résolution publiée dans la brochure « les documents de l’opposition…. » op. cit., p. 122. Signalons
que ce vote à l’unanimité c’est fait en l’absence de plusieurs militants de l’opposition, dont Treint, qui
furent convoqués irrégulièrement.
88
Résolution publiée dans l’Humanité, n° 10569, 19 novembre 1927, p. 1.

428
publiant des résolutions de Comité régionaux ou encore de cellules du parti qui
toutes approuvent sans réserve la répression qui s’abat sur l’opposition russe.
Au terme de la campagne et après une chasse aux opposants dans tous les
organes du parti russe, l’opposition russe est totalement défaite. Le 15ème congrès du
PC d’URSS, qui se déroule du 2 au 19 décembre 1927, constitue un triomphe pour
Boukharine et Staline. A l’occasion des festivités du 10ème anniversaire de la
révolution d’octobre, l’Opposition unifiée manifeste dans les rues de Moscou. Une
violente répression s’abat aussitôt sur les militants oppositionnels89. Pour tout
compte rendu de ces manifestations, l’Humanité, publie une déclaration du CC du
parti russe accusant l’opposition d’avoir utilisé la violence et d’avoir organisé des
réunions illégales. Les comptes rendus du 15ème congrès du parti russe suivent le
même schéma. Seules les interventions des majoritaires sont publiées et les
nombreuses exclusions qui frappent « les trotskystes » sont bruyamment
90
approuvées .
Devant l’ampleur de la défaite, l’Opposition unifiée éclate. Une frange de celle-
ci, derrière Zinoviev et Kamenev, capitule, tandis qu’avec Trotsky d’autres militants
optent pour la résistance, s’exposant aux arrestations et aux déportations. Au milieu
du mois de janvier 1928, Trotsky part en déportation comme de nombreux autres
militants de l’opposition, envoyés aux confins du territoire russe. Le 15ème congrès
marque assurément la fin d’une période. Pour certains, il s’agit simplement de la
victoire de Staline sur Trotsky dans la lutte pour le pouvoir91. Pour d’autres, la défaite
de l’Opposition unifiée résulte des défaites subies par la révolution en Europe et ne
peut se résumer à un conflit entre deux hommes92. Néanmoins, cette fin d’année
1927 se caractérise par la montée en puissance de Staline qui contrôle désormais le
parti russe et marque de son empreinte le mouvement communiste. Après avoir
approuvé l’exclusion des oppositionnels russes, le PCF se lance dans une
campagne d’épuration interne dont Treint, dénoncé comme trotskyste, constitue l’une
des cibles principales.

89
Dans Ma vie, p. 614, Trotsky décrit comment les manifestants furent traitées : « Les oppositionnels
décidèrent de participer aux cortège avec leurs pancartes. Les mots d’ordres exposés n’étaient
nullement dirigées contre le parti : “Tirons sur la droite, le koulak et le nepman, sur le bureaucrate“,
“Exécutons le testament de Lénine“ […]. Le 7 novembre 1927, les pancartes de l’opposition furent
arrachées aux porteurs, mises en pièce ; les porteurs eux-mêmes subirent les sévices d’équipes
spécialement recrutées pour cela. ».
90
Voir l’Humanité, n° 10600 à 10602, du 20 au 22 décembre 1927.
91
Voir notamment ULAM A, Staline, l’homme et son temps, tome 1 : La montée, Calmann-
Lévy/Gallimard, Paris, 1977, 536 p.
92
Voir notamment MARIE JJ, Staline, Paris, Fayard, 2001, 994 p.
429
2) Treint exclu du CC du PCF.

Au début du mois d’octobre 1927, Thorez fait part au BP de ses craintes quant
au pouvoir de nuisance de Treint. Il souligne que ce dernier connaît bien l’appareil du
parti et possède certains soutiens et relais qu’il peut activer à son profit93. Durant le
mois de septembre l’opposition française et Treint ne font pourtant pas beaucoup
parler d’eux. Ils n’ont commis aucun acte d’indiscipline et Treint a fait une déclaration
de conciliation au CC du 10-11 septembre 192794. Il est cependant difficile
d’appréhender la réalité de l’activité de l’opposition française. Elle reste totalement
absente des colonnes de la presse du parti et aucune publication d’oppositionnels à
l’intérieur du parti ne rend compte de leur activité. De plus, La Révolution
Prolétarienne et le Bulletin Communiste ne nous renseignent pas, durant cette
période, sur les agissements de l’opposition interne. Les animateurs de ces revues,
entre autres Rosmer, Monatte et Souvarine, refusent tout contact et toute
collaboration avec l’opposition de gauche et plus particulièrement avec Treint. Tout
laisse cependant à penser que, malgré une certaine passivité, l’opposition de gauche
tente de s’organiser et de se rapprocher des autres opposants.
Par la voix de Semard, le BP répond favorablement aux sollicitations de
Thorez. Il lui écrit que le parti prépare une campagne contre l’opposition, débutant
par l’édition d’un bulletin d’information spécial à l’occasion du 10ème anniversaire
d’octobre. Concernant Treint, il approuve pleinement le jugement sur sa
dangerosité :
« D’accord avec toi sur Treint, notre CC comprendra maintenant la faute qu’il
a commise en ne publiant pas ses élucubrations et en le maintenant dans le
CC. Nous croyons que le prochain CC doit l’exclure de son sein en lui donnant
un sérieux avertissement. »95

93
« En ce qui concerne plus particulièrement la France, j’ai personnellement l’opinion que Treint est
plus dangereux qu’on ne le croit généralement. Sa grande expérience, notamment dans le domaine
de l’activité fractionnelle, jointe aux entraves que l’emprisonnement apporte au travail des militants les
plus qualifiés de la direction en font un adversaire que l’on ne peut sous-estimer. », Lettre de Thorez
aux membres du BP emprisonnés, 11 octobre 1927, RGASPI, 517/1/529.
94
Treint a reconnu avoir présenté son point de vue sur les questions internationales de manière
exagérée. Par contre, au cours de ce même CC il intervient dans le débat sur les tâches du parti
français et se montre très critique à l’égard de la direction du parti, notamment sur l’organisation de la
manifestation pour Sacco et Vanzetti, sur l’application de la tactique du front unique. Il déclare au
cours de son intervention que le parti suit une ligne « opportuniste ». Mais il n’y a dans ses propos,
aucun fait qui puisse nourrir une accusation de fractionnisme. Voir BMP 207.
95
Lettre de Semard à Thorez, 16 octobre 1927, RGASPI, 517/1/529.
430
La publication dans La Correspondance Internationale d’un article reprenant des
d’extraits d’une lettre de Scholem96 se félicitant du fait que Treint ait rejoint
l’opposition française, offre l’occasion de lancer cette campagne. Scholem affirme
que le ralliement de l’ancien secrétaire général à l’opposition de gauche aurait « jeté
la confusion dans les rangs du parti français ». En réponse, La Correspondance
Internationale97 publie un article au ton très caustique, dans lequel l’auteur minimise
la portée de l’évènement en soulignant l’incohérence de Treint et le peu de crédit
dont il jouit chez les militants français :
« [Scholem] affirme que le passage de Treint du côté de Trotsky a jeté la
confusion dans les rangs du parti français. Il est évident que Scholem a tout
simplement voulu spéculer sur l’ignorance de son auditoire. Dans le parti
communiste français ainsi que dans l’Internationale communiste, personne ne
prend Treint au sérieux. Le terme “brouillon“ lui va si bien qu’en général on
l’écoute en souriant même quand il dit des choses justes. Vouloir faire croire
que le passage de Treint à l’opposition est une victoire, cela n’est possible que
lorsque l’on est en proie au désespoir complet et que l’on saisit pour se sauver
des “cordes pourries“. »
L’article insiste sur le fait que des oppositionnels allemands publient des
lettres de Treint et de l’opposition russe. Ces faits prouveraient qu’une organisation
fractionnelle trotskyste, dirigée par Trotsky, Souvarine, Maslow, Sneevliet98 mais
aussi Treint, serait en cours de formation. Ces accusations ne s’appuient sur aucune
preuve tangible autre que la publication de lettres de Treint dans une revue
oppositionnelle allemande99, mais justifient le lancement d’une campagne contre
l’opposition française. Peu après, la diffusion de la « Déclaration des 83 » pour le
compte de « l’opposition de gauche de l’Internationale Communiste »100 vient
cependant corroborer les assertions de la direction, cette brochure n’ayant pu être

96
Scholem est membre de l’opposition de Gauche du PC allemand, exclu au côté de Ruth Fisher et
de Maslow.
97
Cet article est publié dans la Correspondance Internationale du 19 octobre 1927, n° 105 et repris
par l’Humanité, n° 10535, 24 octobre 1927, p. 3 sous le titre « Dans tous les pays les partis
communistes repoussent les manœuvres de l’opposition trotskiste ».
98
Militant syndicaliste hollandais, expert de la Comintern en Chine et membre de l’Exécutif. De retour
en Hollande, il devient le dirigeant du syndicat indépendant NAS, période au cours de laquelle il se
rapproche de Trotsky.
99
« Quant à la publication de lettres de Treint par l’opposition, elle est une preuve de plus de
l’organisation du travail fractionnel à l’échelle internationale. », Ibid.
100
« La déclaration des 83 » est suivie de discours, thèses articles, résolutions de Zinoviev et Trotsky.
Fonds Chazé.
431
éditée et diffusée sans l’aide financière des oppositionnels russes séjournant en
France101.
Le 29 octobre 1927, l’Humanité publie une résolution du comité régional de la
région parisienne102 demandant l’exclusion de Treint du CC au motif qu’il serait le
principal animateur de l’opposition internationale en France103. Cette résolution
annonce les décisions du prochain CC, au cours duquel la question de l’opposition
internationale se trouve au centre des débats.
Ce CC du 8-9 novembre 1927 marque un tournant dans l’histoire du PCF pour
deux raisons principales. La première séance est entièrement consacrée à la
discussion des tâches politiques et d’une lettre de l’IC critiquant l’activité antérieure
du parti. Maurice Thorez, de retour de Moscou, y présente un rapport qui appelle la
direction à appliquer la nouvelle ligne politique formulée par l’IC quelques mois
auparavant104. Le compte rendu des débats105 montre que cette nouvelle stratégie ―
particulièrement la tactique électorale « classe contre classe » ― est accueillie avec
une certaine circonspection, même si la majorité des intervenants approuve les
propositions de l’Internationale106. Deuxièmement l’assemblée décide, après avoir
entendu certains représentants, de sanctionner les militants oppositionnels de droite
comme de gauche. La première séance a lieu en l’absence des membres du CC
proches de l’opposition107. Les débats débutent sans eux. Le CC se déroule dans
des conditions particulières, le lieu de réunion ne devant pas être connu des
autorités. Les convocations ont donc été envoyées tardivement. Il semble que la
direction ait envoyé les convocations aux membres de l’opposition de manière à ce
qu’ils ne puissent se rendre au rendez-vous fixé dans les temps. Lors de la séance
de l’après-midi, le délégué de l’Internationale présente son rapport sur l’opposition
russe. Pour justifier les mesures disciplinaires appliquées par le parti russe, il
énumère les points sur lesquels l’opposition s’éloigne de la majorité : le défaitisme

101
Des oppositionnels russes tels Chliapnikov, Préobrajensky, Piatakov, travaillant au consulat, à la
mission commerciale ou à l’ambassade, aidèrent à la naissance d’une opposition française,
notamment sur le plan financier. Voir BROUE P, Histoire de l’Internationale Communiste… op. cit., p.
461.
102
Publiée dans l’Humanité, n° 10548, 29 octobre 1927, p. 5.
103
« C’est pourquoi le Comité régional, devant le danger grave constitué par le travail de
désorganisation criminelle poursuivi par l’opposition russe et internationale, demande au CC de voter
l’exclusion immédiate du camarade Treint du CC. Cette décision doit servir d’avertissement solennel
au camarade Treint, le PCF ne pouvant tolérer aucun travail de désorganisation du Parti. », Ibid.
104
Cf. supra.
105
BMP 208.
106
Voir WOLIKOW S, op. cit., p. 1023-1053.
107
Le cas de Béors, membre du CC est particulier. Il n’a pas été convoqué car il est alors déféré
devant la CCCP et cette commission a décidé qu’il ne pouvait, de ce fait, participer au CC.
432
sur la question de la construction du socialisme dans un seul pays, la tentative de
construction d’un parti trotskyste, la question chinoise. Concernant l’opposition
française, il aborde rapidement la question Treint, uniquement pour balayer les
arguments de ce dernier avec mépris :
« Camarades, je dois vous demander de m‘épargner le besoin de m’occuper
des accusations de Treint dans la question viennoise. Elles sont tellement
bêtes qu’on ne peut pas s’en occuper. »108
Malgré ce dédain affiché, il conclut en rappelant que l’opposition française, comme
l’opposition russe, organise un travail fractionnel, ce qui justifie les mesures
d’exclusion.
Le deuxième jour, Bouthonnier, chargé du rapport sur l’opposition française,
commence par constater que l’opposition, toujours absente, refuse de se présenter
devant le CC :
« Notre camarade Treint s’est présenté hier dans l’après-midi au secrétariat
du parti, et on lui a indiqué qu’il pourrait assister à la séance de nuit s’il le
désirait. Il a déclaré qu’il ne voulait pas se rendre à cette parodie de Comité
Central. »109
Il consacre la majeure partie de son intervention à l’activité de Treint et de
l’opposition de gauche. Concernant le groupe Paz, il observe que leurs actions
coïncident le plus souvent avec celles de l’opposition de gauche. Il passe en revue
toute une série de faits récents justifiant, selon lui, des mesures disciplinaires, puis
accuse Treint d’avoir spéculé sur la faiblesse du CC, qui ne l’a pas exclu lors de la
session précédente, et d’avoir dès lors entamé le travail fractionnel. Bouthonnier lui
reproche d’être entré en contact avec un groupe bordiguiste de Paris depuis
plusieurs années opposé à l’IC110 ; d’avoir voulu utiliser l’ARAC, par le biais de Barré,
pour mettre la main sur des fichiers d’adresses de militants ; d’avoir tenté de faire
publier un article par le biais de l’organe de l’ARAC111 dans lequel il affirme que la

108
BMP 208.
109
Ibid.
110
Cf. supra. Aucun document ne nous permet de confirmer ou d’infirmer l’existence de relations entre
Treint et l’opposition de gauche italienne.
111
L’organe de l’ARAC se nomme alors Le Feu. Il semble que ces accusations soient fondées
puisque l’orateur affirme détenir l’original de l’article à paraître. Concernant la tentative de
récupération du fichier d’adresse, l’Humanité du 15 décembre 1927 publie en p. 5 une lettre de Louis
Richard, membre de l’ARAC. Celui explique qu’il reçoit des documents de l’opposition et que ceci ne
peut être du qu’au fait qu’il soit membre responsable de l’ARAC. Cette lettre semble bien prouver que
l’opposition a tenté de toucher les militants communistes en utilisant des organisations affiliées. Par
contre il est impossible de vérifier par le biais d’archives de l’ARAC qui, pour cette période, n’ont pas
été conservées.
433
direction du parti russe se dirige vers la liquidation de la révolution russe. Il aurait
également tenté d’obtenir des adresses en contactant des militants syndicalistes et
des membres du SRI. Enfin, il désigne Treint comme le véritable responsable de la
publication en brochure de « la déclaration des 83 » de l’opposition russe, même si
cette brochure est signée par Gaston Faussecave. Pour toutes ces raisons, le
rapporteur réclame une sanction exemplaire112. Il demande ensuite au CC
d’approuver les exclusions des oppositionnels russes. Cet appel précède l’annonce
de l’ouverture d’une grande discussion et de la publication des documents de
l’opposition pour la mi-décembre. Comme en 1924 et 1925, le parti doit prendre
position sans connaître les documents incriminés et sans véritable discussion à la
base.
Parmi les intervenants qui participent à la discussion sur le rapport de
Bouthonnier, aucune voix ne vient briser l’unanimité qui règne dans la dénonciation
de l’opposition. Certains demandent plus de sévérité et veulent interdire à Treint de
participer au prochain CC113. Un autre membre affirme qu’il est lié à Souvarine.
Plusieurs intervenants apportent des preuves supplémentaires du travail fractionnel
de l’opposition de gauche. Ginestet114 déclare approuver les mesures disciplinaires
et demande au parti de régler également le cas de la revue Clarté115 qui a pris des
positions favorables à l’opposition russe. Seule l’intervention de Doriot dénote dans
ce concert d’approbations. Après avoir justifié l’attitude modérée du CC, il souligne la
nécessité d’une grande discussion impliquant la présence de Treint. Enfin, il répond
à Barette qui parlait d’une liaison Souvarine-Treint, en rappelant que les divergences
entre ces deux hommes rendent impossible tout travail en commun. Cette
intervention ne vise pas à réhabiliter Treint, mais au contraire à l’obliger à venir se
justifier devant le parti, pour donner plus de poids à son exclusion.
Au terme de la deuxième journée, l’assemblée vote une résolution générale
sur l’opposition internationale. L’opposition russe est une nouvelle fois condamnée,
particulièrement pour s’être alliée « aux pires éléments expulsés de l’IC ». La

112
« Nous pensons également qu’aujourd’hui même, sans attendre d’avantage, nous devons exclure
le camarade Treint du Comité Central. Il n’est pas présent mais nous devons d’abord le frapper parce
que les faits sont indiscutables, avec cependant la possibilité pour lui de venir au prochain CC se
défendre s’il le juge nécessaire. Le parti n’a aucun intérêt, aucune raison d’empêcher Treint de se
défendre. Nous avons fait l’effort maximum pour le toucher, pour le rencontrer et l’amener devant le
Comité Central. », BMP 208.
113
Intervention de Dallet, BMP 208.
114
Edmond Ginestet (1900-1963) : Militant syndicaliste et communiste, membre du CC du PCF.
115
Clarté est une revue fondée par Barbusse à laquelle participent des rédacteurs membres du parti
mais qui n’est pas sous son contrôle direct.
434
seconde partie concerne l’exclusion de Treint du CC du PCF, motivée par son
« travail fractionnel ». La résolution se conclut sur une menace d’exclusion du parti
qui vise les militants de l’opposition de gauche mais également de droite :
« Le CC, en outre, invite Treint, Barré, Gaston Faussecave ainsi que les
camarades Georges Birard, Delfosse, Paz, Hasfeld, Madeleine Marx, qui se
sont publiquement solidarisés d’une façon fractionnelle avec l’opposition
russe, à cesser immédiatement tout travail fractionnel sous peine d’être
déférés devant le CC aux fins d’exclusion. »116

3) Première tentative d’unification de l’opposition.

Confrontée à l’attitude intransigeante du CC, l’opposition décide à son tour de


passer à l’offensive. En quelques semaines, le groupe Paz et le groupe Treint font
paraître une série de documents et de réponses aux attaques du parti. Par la voix de
Treint, l’opposition de gauche conteste la validité des décisions prises par le CC du
8-9 novembre. Selon lui, aucun membre de la gauche n’a pu se rendre à la réunion
parce que la direction voulait empêcher l’opposition de s’exprimer. Treint, Barré et
Faussecave font parvenir au BP des lettres de protestation117. Toutes soulignent le
caractère étrange d’une assemblée réunie sans ordre du jour préalable et avec des
convocations envoyées à la dernière minute, ce que son caractère illégal ne peut
expliquer à lui seul :
« Je tiens à vous faire remarquer que mon absence fut indépendante de ma
volonté. J’ai en effet trouvé votre convocation en rentrant de mon travail à 20
heures, convocation m’enjoignant de me trouver à 8h10 à la porte de Vitry. Il
m’a été impossible de m’y trouver ayant un travail urgent à terminer. M’étant
rendu libre pour l’après-midi et le lendemain, je me suis rendu au secrétariat
du parti à 15 heures. Là a commencé une petite comédie sur laquelle vous
avez certainement eu des détails. Le camarade Renaud Jean, membre du BP,
cherchait aussi le CC. Après une attente assez longue sous la pluie au métro
Lancry, nous avons été conduits en un lointain coin de banlieue. Arrivée à
17h30 nous avons attendu plus d’une heure une liaison qui ne vint pas. Force

116
Résolution publiée dans « Les documents de l’opposition française et la réponse du parti », op. cit.,
p.122-123, ainsi que dans l’Humanité, n° 10562, 12 novembre 1927, p. 4.
117
BP du 25 novembre 1927, BMP 210.
435
nous fut de rentrer à Paris, bredouilles évidemment. […] De tels procédés ont
pour but de composer une assemblée triée sur le volet. »118.
Aucune des protestations n’ayant été publiée, le groupe Treint se résout à faire
connaître son point de vue par ses propres moyens. Vers la fin du mois de
novembre, il publie et diffuse une brochure intitulée « Contre la scission ! Pour l’unité
du parti et de l’Internationale ! »119. Le texte s’ouvre sur un appel à lutter contre « la
scission staliniste en voie de réalisation ». Il est néanmoins principalement consacré
au déroulement et aux décisions du dernier CC. Les signataires contestent la validité
des décisions prises et notamment l’exclusion de Treint, considérant que la légalité
du parti n’a pas été respectée. Ils prennent par ailleurs soin d’ajouter leur qualité de
membre du CC en signant leur brochure. Ils dénoncent également la manière dont
fut traité Béors « seul membre du Comité Central travaillant à l’usine » qui n’a pas
été convoqué. En conclusion, ils menacent de publier eux même leur plate-forme
politique si le parti leur refuse ce droit.
Cette lutte engagée contre les décisions du CC du 8-9 novembre a pour
première conséquence de rapprocher les groupes Treint et Paz. Ce dernier fait
paraître le premier numéro de la revue oppositionnelle Contre le Courant120. En
dernière page, il publie une brève consacrée au CC du 8-9 novembre qui reprend, en
quelques lignes, les protestations formulées par l’opposition de gauche. Elle souligne
une volonté de rapprochement pour unir leurs forces face à l’attitude répressive de la
direction. Mais, contrairement à la thèse que tente d’accréditer la direction du PCF,
les deux groupes restent totalement indépendants l’un de l’autre. Les préjugés
demeurent tenaces, comme en témoigne ce récit d’une rencontre entre des
membres du groupe Paz et Treint :
« Sur sa demande, en novembre 1927, nous sommes entrés en contact avec
Treint. Certes nous gardions une prévention justifiée contre le bolchevisateur
mué en oppositionnel, analogue à celle que nous éprouverions si on nous
annonçait que Cachin n’est plus patriote. Mais il ne suffisait pas d’avoir sur la
question un sentiment personnel, il fallait juger Treint sur ses actes politiques,
[…] »121.

118
Lettre de Marguerite Faussecave au BP du PCF, 20 novembre 1927. RGASPI, 517/1/588.
119
Brochure signée par Barré, Béors, Marguerite Faussecave, Suzanne Girault et Treint, conservée
dans le Fonds Monatte, Musée Social. Le texte est également publié dans la brochure intitulée « Les
documents de l’opposition française et la réponse du parti ». Voir en annexe.
120
Voir la réédition en fac-similé de la collection de Contre le Courant, Maspéro, 1971. Premier
numéro le 20 novembre 1927.
121
« Une étape franchie », Contre le Courant, n° 20-21, 15 décembre 1928.
436
Premier résultat de cette démarche, les deux groupes se réunissent pour faire
parvenir, le 1er décembre 1927, un télégramme intitulé « Front uni contre la
scission » au 15ème congrès du PC d’URSS122. Il s’agit d’un appel à la discussion
dans le parti russe et à la réintégration des oppositionnels exclus. Ce court texte a dû
être âprement discuté entre les deux groupes et il reste particulièrement modéré au
regard des documents diffusés jusque-là par l’opposition de gauche. Le terme de
stalinisme, récurrent dans les textes de Treint, n’apparaît pas. Cette première
expérience du travail en commun ne débouche sur aucune avancée dans la voie de
l’unification. Il reste difficile d’effacer trois années de lutte. Le groupe Paz demande à
Treint de reconnaître ses erreurs et celles de la direction « gauchiste » au cours de
la période de bolchevisation. Ce dernier aurait oralement promis que la parution
prochaine de la plate-forme politique de la gauche serait l’occasion d’admettre les
fautes de la direction Treint/Girault123. Dans ce document, les membres du groupe
Treint/Girault se contentent finalement d’affirmer que les fautes commises furent
collectives, la gauche ayant tout au plus commis quelques erreurs de tactique
provoquées par son « impatience révolutionnaire ». Devant cette déclaration pour le
moins timorée, le groupe Paz rompt tout contact. Cet épisode marque la fin de la
première tentative d’unification des oppositions françaises.
L’activité politique de Treint ne faiblit pas pour autant. La direction ayant
déclaré au CC du 8-9 novembre l’ouverture de la discussion, il s’estime en droit de
faire paraître un article défendant les positions de la gauche. Il fait parvenir au
secrétariat et au BP du PCF un texte intitulé « l’opposition léniniste contre les chefs
réformistes »124 et accompagne son article d’une lettre dénonçant avec emphase la
censure :
« Sachez que l’on peut cacher la vérité aux ouvriers un mois, deux mois, un
an, deux ans ; mais qu’on ne peut cacher la vérité éternellement. Et quand la
vérité communiste, emprisonnée pour un temps arrive à se montrer, elle se
venge impitoyablement de ceux qui l’ont séquestrée. »125

122
Télégramme signé : Henri Barré, Eugénie Barré, Béors, Berthier, Briard, Cadeau, Calzan, Lucie
Colliard, Maria Cotton, Déglise, Delfosse, Delsol, Dionnet, Dubois, Engler, Gaston Faussecave,
Marguerite Faussecave, Suzanne Girault, Germaine Goujon, Hasfeld, Lautard, Liliane Levy, Malterre,
Magdeleine Marx, Maurice Paz, Roy, Salles, Sauvage, Albert Treint, Léon Girault. Télégramme publié
dans Contre le Courant, n° 2-3, 2 décembre 1927.
123
« Une étape franchie », art. cit.
124
RGASPI, 517/1/497.
125
Lettre de Treint au secrétariat et au BP du PCF, 29 novembre 1927, Ibid.

437
L’article vise à répondre aux accusations de collusion entre l’opposition « trotskyste »
et la social-démocratie. En reprenant la thèse sur la « dégénérescence
thermidorienne »126 du régime soviétique, proposée par Trotsky, il cherche à
démontrer que les dirigeants socialistes soutiennent Staline et non l’opposition
« léniniste », puisque l’aboutissement de la dégénérescence d’un régime
révolutionnaire ne peut être que le retour vers la social-démocratie. Cette justification
le place sur le terrain délicat de l'analyse du régime soviétique. Un régime ouvrier
révolutionnaire peut-il redevenir social-démocrate ? Staline souhaite t-il mettre en
place un régime démocratique en Russie ou poursuivre dans la voie de Lénine ?127 A
ces questions essentielles Treint tente de répondre. Mais il se garde bien de
constater un changement fondamental en Russie et se contente de théoriser au
regard de l’orientation du régime soviétique sous Staline, sans remettre en cause
son essence révolutionnaire. Cet article dirigé contre la politique de la majorité du PC
d’URSS et de l’IC n’est pas publié, les colonnes de la presse communiste restant
fermées à l’opposition. Les seuls documents émanant de l’opposition de gauche sont
publiés en brochure et avec la réponse appropriée. La direction reprend simplement
à son compte les méthodes que Treint appliquait en 1924-1925. Il avait à plusieurs
reprises empêché l’opposition de s’exprimer, au nom de la discipline et du
monolithisme d’une organisation communiste. Son plaidoyer pour la démocratie et le
droit de tendance se heurte à son propre passé de « bolchevisateur ». Pour pouvoir
répliquer aux attaques de la direction et s’allier avec d’autres opposants, l’opposition
de gauche doit définir une ligne politique claire et accepter de jeter un regard
rétrospectif sur son rôle dans la « dégénérescence » du mouvement communiste
qu’elle dénonce.
La « plate-forme politique »128, premier document programmatique de
l’opposition de gauche, fixe certains axes de la ligne politique que Treint défend au

126
Il s’agit d’une analogie historique, proposée par Trotsky, qui met en parallèle d’un côté les
événements du 9 thermidor en France marqués par la chute de Robespierre et des jacobins et de
l’autre la montée en puissance de Staline et de ses affidés. Autrement dit, Staline serait le
représentant d’une nouvelle bourgeoisie soviétique souhaitant la fin de la période révolutionnaire et un
retour progressif au capitalisme.
127
« Et nous oppositionnels, nous disons : Le parti de Lénine et le prolétariat russe ont bien fait de
prendre le pouvoir en octobre 1917. La révolution russe est la base et le début de la révolution
mondiale. Avec une politique juste [souligné par l’auteur], il est possible de progresser parallèlement
vers la Révolution mondiale et vers le socialisme en URSS. Et nous combattons la politique de Staline
comme politique fausse, incapable de réaliser ces buts. », Ibid.
128
Intitulée « Pour le bolchévisme, pour le léninisme ! Contre la révision staliniste dans l’Internationale
et dans le parti français ». Elle est publiée par le PCF dans la brochure « Les documents de
l’opposition et la réponse du parti », op. cit. L’opposition de gauche la diffuse également par ses
propres moyens, sous forme de brochure, au mois de décembre 1927.
438
cours des cinq années à venir. Remise à la direction du PCF pour publication dans le
cadre de la discussion, elle comprend deux parties principales. Elle aborde tout
d’abord les problèmes relatifs à la situation internationale, à l’IC et à la question
russe. La seconde partie est plus spécifiquement centrée sur le PCF. Etant donné
les thèses développées, l’influence de Treint, probable rédacteur principal, ne fait
aucun doute. Le texte combine les positions développées par l’Opposition unifiée
russe129 et celles développées par Treint depuis 1926. La situation mondiale se
caractérise, selon les auteurs, par une rivalité accrue entre l’Europe et les Etats-Unis.
Treint estime qu’il en découle une tendance à la constitution d’un bloc européen
uni130. Sur ce point cependant, le document évoque également les rivalités
intereuropéennes, preuve que les positions de Treint ne sont pas partagées par tout
le groupe131. Concernant la politique de l’IC, la thèse s’inspire largement des idées
développées par Trotsky et Zinoviev, sur les causes de l’échec des révolutions
anglaise en 1926 et chinoise en 1927, et que Treint expose dans sa lettre à l’IC de
juillet et dans son intervention au CC d’août 1927.
La thèse centrale porte sur l’affrontement entre deux idéologies au sein de
l’IC, le léninisme et le stalinisme que les auteurs tentent, dans un long
développement, de définir. Le stalinisme est présenté comme une nouvelle idéologie
rompant avec les pratiques politiques antérieures du régime soviétique. Le nouveau
groupe dirigeant, par sa politique d’alliance avec les forces politiques bourgeoises à
l’extérieur132 et avec les couches sociales « thermidoriennes »133 à l’intérieur, aurait
entrepris de ramener la Russie sur la voie du capitalisme. Cette analyse des
idéologies antagonistes qui s’affrontent dans le mouvement communiste amène les
auteurs à aborder la question du trotskysme et de leur rôle dans les luttes des
années 1924-1925. Loin de remettre en cause leur attitude et celle de Zinoviev, ils
soulignent au contraire que Trotsky a reconnu ses erreurs, dans une déclaration faite
le 15 décembre 1926 au cours du 7ème EE de l’IC134. Revenant pour la première fois

129
Voir « la déclaration des 83 de l’opposition unifiée (1927) », les Cahiers du CERMTRI, n° 43,
décembre 1986.
130
Cf. supra.
131
Suzanne Girault a combattu en 1926, la thèse de la formation d’un bloc anglo-européen.
132
Alliance avec les syndicats réformistes en Angleterre et avec le Kuomintang en Chine.
133
D’après Trotsky les couches sociales « thermidoriennes » sont constituées des Koulaks (paysans
riches), des nepmans (nouvelle bourgeoisie enrichie par la politique de la NEP) ainsi que la
bureaucratie (qui trouve ses origines dans la classe ouvrière).
134
« Il est faux que nous défendions le trotskysme. Trotsky a déclaré devant toute l’Internationale
communiste, que sur toutes les questions de principe, où il a controversé avec Lénine, c’est Lénine
qui a eu raison, en particulier sur la question de la révolution permanente et de la paysannerie. »,
Ibid., p. 34.
439
sur leurs responsabilités, Treint et la gauche concèdent que Zinoviev et les dirigeants
des sections qui travaillèrent avec lui commirent des erreurs « inspirées par la
passion révolutionnaire ». Ils rejettent l’idée d’une continuité entre les méthodes
employées dans les années 1924-25 et la répression administrative pratiquée en
1927135. Dans cette première partie, en reprenant l’argumentaire et la phraséologie
de l’Opposition unifiée, ils s’efforcent d’apparaître comme la seule opposition
orthodoxe, le seul groupe « bolchevik-léniniste », comme ils se sont eux-mêmes
baptisés. Il s’agit de montrer que Treint et Suzanne Girault restent les seuls
dirigeants français qui, malgré leurs fautes, n’ont jamais dévié de la ligne léniniste.
La plate-forme revient plus longuement sur ce sujet dans la seconde partie
consacrée au communisme en France.
A travers une critique des erreurs du PCF, la plateforme vise plus
spécifiquement trois dirigeants : Doriot, Semard, Monmousseau. Ils sont tous trois
accusés de porter la responsabilité des échecs et de la crise du PCF et d’avoir
conservé la direction uniquement grâce au soutien au groupe Staline. Les
campagnes sont passées au crible de la critique « léniniste », dans le but de
démontrer que le parti s’éloigne de la lutte révolutionnaire. Les opposants accusent
la direction de ne pas avoir su : mener la campagne contre l’inflation du franc ;
organiser la lutte des ouvriers au sein de l’usine ; favoriser l’émergence d’une lutte
commune entre les ouvriers et les chômeurs ; ainsi que de préférer les alliances
circonstancielles avec les chefs socialistes plutôt que d’appliquer la tactique du font
unique pas le bas. Il s’agit des critiques formulées par Suzanne Girault dans sa lettre
au BP d’avril 1927. Sur toutes ces questions, la position de Treint demeure plus
équivoque. Jusqu’au mois de juin 1927, il soutenait sans état d’âme la direction en
dépit des fautes qu’il dénonce désormais avec véhémence. Il s’en justifie en
expliquant avoir été trompé par Staline :
« Le camarade Treint vit assez tôt le péril en France, et quel redressement
politique et tactique il fallait opérer, mais il ne sentit pas la véritable situation
en Russie et ne comprit pas que le groupe Staline ne pouvait nullement opérer
le redressement nécessaire et qu’en s’alliant à lui, il favorisa la main mise de
ce groupe opportuniste sur le parti. La camarade Suzanne Girault sentit

135
Dans l’Internationale, sous la direction de Zinoviev, on lutta contre les fautes opportunistes, mais
jamais avec les procédés de répression qu’emploie aujourd’hui le groupe Staline contre le
bolchévisme. », Ibid., p. 35.
440
vivement le danger opportuniste que constituaient le groupe Staline en Russie
et le groupe Doriot-Semard-Monmousseau en France. »136
Cette explication apparaît insuffisante au regard du compte rendu de la commission
française de février-mars 1927, durant laquelle Treint défendit la direction
« Doriot/Semard/Monmousseau » contre les représentants de l’IC et contre Staline.
Elle témoigne du malaise persistant et du compromis passé entre les deux anciens
dirigeants pour éviter d’évoquer les divergences passées.
La plate-forme revient ensuite sur les fautes commises avant décembre 1925.
Treint et Suzanne Girault reconnaissent avoir voulu entraîner « les masses trop en
avant dans la voie révolutionnaire » et avoir utilisé pour ce faire une « pression
parfois mécanique ». Que de détours pour parler des méthodes administratives, de
la discipline de fer imposée au parti et des nombreuses exclusions d’opposants à la
bolchevisation. De plus, désireux à la fois de ne pas juger trop sévèrement les
années de direction de la gauche et de se dédouaner de leurs fautes, Suzanne
Girault et Treint rappellent qu’ils n’étaient pas à l’époque les seuls responsables des
fautes commises dans l’application de la bolchevisation, Doriot, Semard et
Monmousseau étant déjà membres de la direction. La bolchevisation ne fut
effectivement pas le seul fait du couple politique Suzanne Girault/Treint, mais ils
laissent ici sous-entendre que finalement les erreurs de ces années furent commises
malgré eux137. Derrière une apparente volonté d’autocritique, c’est presque un
satisfecit que l’opposition de gauche s’adresse à elle-même.
En conclusion, l’opposition fait des propositions pratiques que l’on peut
assimiler à un programme mais qui ne permettent pas de définir une ligne politique
tant celles-ci restent générales. Elle appelle le parti à organiser un congrès précédé
d’une large discussion, à utiliser la campagne électorale à venir138 pour faire de
l’agitation révolutionnaire. Concernant la définition de la ligne politique, elle propose
de lutter pour l’unité syndicale, contre la répression, contre les dangers de guerre
impérialiste et de défendre la Russie soviétique. Mais toutes ces propositions

136
Ibid., p. 55-56.
137
« Mais il faut marquer que l’ancienne direction, c’était la direction actuelle, plus les camarades
Treint et Suzanne Girault. Sur l’ensemble de la ligne politique suivie alors, la direction actuelle porte
donc sa part de responsabilité. Mais si les décisions furent presque toutes prises à l’unanimité, il faut
reconnaître que dans les discussions du Bureau politique, la gauche représentée par Treint et
Suzanne Girault, cherchait à entraîner la direction du parti dans la voie révolutionnaire, tandis que les
éléments comme Doriot et Monmousseau tendaient sans cesse vers les solutions opportunistes. »,
Ibid., p. 54.
138
Il s’agit des élections législatives de 1928.
441
demeurent proches de celles formulées par la direction. Il n’y a finalement que sur
les questions internationales que les propositions divergent réellement 139.
Cette plate-forme constitue plus une critique de l’évolution du mouvement
communiste qu’un réel programme politique de la tendance « bolchevik-léniniste ».
Toute la partie consacrée aux questions internationales est très largement inspirée
des textes de l’opposition russe et semble ainsi s’adresser à l’ensemble des forces
oppositionnelles soutenant l’Opposition unifiée. Tandis que la partie consacrée au
PCF s’adresse plus spécifiquement à « la gauche »140 du parti, autrement dit aux
militants partisans de la direction en 1924-1925. Ainsi, tout en reconnaissant sur le
bout des lèvres avoir commis des erreurs, Treint et Suzanne Girault se présentent
comme les seuls garants de l’orientation révolutionnaire du parti.

139
Les propositions empruntées à l’opposition russe sont principalement la cessation de la répression
dans le parti russe, la réintégration des oppositionnels exclus et la mise en place d’une véritable
discussion à l’échelle internationale avec publication de tous les documents, ceux de l’opposition
compris.
140
En conclusion de la plate-forme les auteurs lancent un appel au groupe Cremet pour qu’il rejoigne
l’opposition. Celui-ci avait sévèrement critiqué l’activité de la direction au début de l’année 1927.
442
C/ L’opposition exclue du PCF.

1) Une élimination en deux temps.

En quelques semaines, la direction se trouve confronté à une opposition de


plus en plus déterminée, avec d’un côté le groupe Paz qui publie la revue Contre le
Courant et de l’autre le groupe Treint, qui dénonce l’exclusion de ce dernier du CC
du PCF. Face à cette opposition bicéphale, elle adopte deux attitudes différentes. Le
BP du 18 novembre 1927 vote une résolution141 affirmant une nouvelle fois l’ancrage
du PCF sur la ligne politique de la majorité du PC d’URSS. Celle-ci approuve et
applaudit les exclusions de Trotsky et Zinoviev du parti russe. Un court passage de
la résolution menace aussi clairement l’opposition française de lui faire subir le
même sort142.
Les débats du BP143 suivant montrent que la question ne peut pas être traitée
de manière unilatérale. Le « travail fractionnel de l’opposition » est au centre des
débats après la publication du premier numéro de Contre le Courant. Bouthonnier
intervient pour réclamer le départ des rédacteurs communistes de la revue Clarté et
l’exclusion pour ceux qui s’y refuseraient. Concernant le groupe Paz, il demande que
les militants ayant écrit dans Contre le Courant soient déférés devant la commission
centrale de contrôle et exclus. Il fait une proposition identique pour Treint, tout en
soulignant la nécessité d’ouvrir une discussion pour battre politiquement l’opposition
de gauche, qui représente selon lui un véritable danger du fait de son influence dans
certaines régions144. La majorité du BP repousse cependant une exclusion trop
hâtive de Treint. Si tout le monde semble approuver une exclusion rapide des
membres du groupe Paz, avec l’opposition de gauche, le BP prône la discussion
avant toute nouvelle mesure disciplinaire.

141
Publiée dans l’Humanité, n° 10569, 19 novembre 1927, p. 1.
142
« [Le BP] déclare qu’il réagira impitoyablement contre les oppositionnels trotskystes en France s’ils
se livrent à des actes fractionnels de nature à porter atteinte à l’unité du Parti français et de
l’Internationale Communiste. »
143
Bureau Politique du 25 novembre 1927. Présents : Cachin, Bouthonnier, Costes, Ferrat,
Monmousseau. BMP 210.
144
Il fait notamment référence à Barré qui voyage fréquemment en province et diffuse les idées de
l’opposition de gauche.

443
Officiellement, l’opposition de gauche constitue un groupe extrêmement
minoritaire, largement battu lors du CC du 8-9 novembre 1927. Pourtant, dans leurs
interventions au BP, les dirigeants craignent son influence et soulignent que les
arguments de la gauche portent chez les militants. Certains envisagent la possibilité
d’une capitulation du groupe Treint puis d’une réhabilitation partielle et progressive
qui éviterait une nouvelle crise. Lors du BP du 25 novembre Costes signale la
mauvaise l’ambiance qui règne dans la région parisienne, les militants s’interrogeant
sur les raisons de la non parution des documents de l’opposition, pourtant promis par
la direction. Monmousseau se montre le plus réticent à prendre des mesures
disciplinaires contre Treint :
« Il ne faut pas traiter négligemment le manifeste de Treint. Treint n’excelle
que dans une position critique. Autant il était stupide à la direction, autant il
devient dangereux lorsqu’il est dans l’opposition. Son manifeste est
intelligemment composé. Il y a aussi une chose qu’il ne faut pas sous-estimer.
C’est qu’il propose une plate-forme de discussion qui est à peu de chose près
celle de la direction du parti. Il reprend la position de Trotsky en face du parti
russe ».
Doriot, qui participe à la réunion du BP du 8 décembre 1927, abonde dans le sens de
Monmousseau et de la majorité du BP. Il approuve l’exclusion de « la droite » et
s’oppose à celle de la gauche tant qu’une discussion n’a pas été organisée. Il critique
la lenteur dans la parution des documents alors que Treint ne cesse d’interpeller la
direction par la publication de brochures145.
Le 26 novembre 1927, l’Humanité annonce qu’en raison de la parution de
Contre le Courant, onze militants146 sont déférés devant la Commission de contrôle.
Puis le quotidien publie une déclaration du 6ème rayon sur l’exclusion de Paz,
Magdeleine Marx, Berthier, Métayer et Gamelon. Les trois derniers sont sanctionnés
pour avoir soutenu Paz et Marx. Quant à Georges Briard et Marcel Roy, ils ne
peuvent participer la conférence du 4ème rayon alors même qu’ils avaient reçu un
mandat leurs cellules respectives pour défendre le point de vue de l’opposition. La
direction emploie des méthodes expéditives pour les empêcher de parler. Les deux
exclus décrivent l’ambiance de la conférence :

145
Doriot s’écrie qu’il faudrait « une Humanité tous les jours pour publier ses œuvres ! ».
146
Lucie Colliard, Maria Cotton, Delfosse, Delsol, Dionnet, Juin, Hasfeld, Magdeleine Marx, Maurice
Paz, Marcel Roy et Loriot.
444
« Le dimanche 4 décembre a eu lieu la Conférence du Quatrième Rayon. La
voix de la base doit s’y faire entendre. Dûment mandatés par nos cellules,
nous nous y rendons. Mais quelle n’est pas notre stupéfaction, lorsque nous
apprenons, à l’arrivée, que, déjà, nous serions exclus ! Sans que nous en
ayons été avisés, sans que nous ayons été entendus, cette mesure aurait été
prise “par en haut“, et notre présence serait, paraît-il incompatible avec les
statuts du parti. »147
Ils tentent malgré tout de s’exprimer mais un vote de la salle, qui révèle qu’une forte
minorité souhaite les entendre, autorise leur expulsion.
La direction s’emploie à empêcher que les militants exclus ne puissent
organiser un mouvement de protestation à l’intérieur du parti. Des cellules,
notamment la cellule 28 et Lecourbe auxquelles certains exclus appartenaient, sont
dissoutes148 et reconstituées ultérieurement. Pour répondre à la répression, les
militants menacés d’exclusion font parvenir une dernière lettre à la CCC du PCF149
pour justifier la publication de documents par leurs propres moyens. Pour eux, leur
indiscipline répond aux méthodes bureaucratiques et particulièrement au fait que la
presse du parti leur soit fermée depuis longtemps. Soucieux de ne pas se présenter
comme les seules victimes de la direction, ils rappellent que la déclaration de Treint
au CC du 3-4 août 1927 n’a toujours pas été publiée.
Ces arguments ne modifient pas les décisions attendues de la CCC et du BP.
Les militants déférés devant la CCC sont exclus du PCF. Dans l’Humanité, Doriot
justifie cette sanction en énumérant les désaccords entre ces militants et la majorité
depuis plus de quatre ans150. Il s’agissait, selon lui, « d’une fraction de droite »
étrangère au parti, devenue une représentante du trotskysme en France. Le parti a
donc fait preuve d’indulgence en patientant jusqu’à l’envoi du télégramme au 15ème
congrès du PC d’URSS, acte qui a lui seul justifie l’exclusion151. A l’égard de

147
Briard G, Roy M, « la démocratie dans le parti », Contre le Courant, n° 4, 18 décembre 1927, p. 20.
148 er
L’Humanité, n° 10581, 1 décembre 1927, p. 5.
149
Cotton Maria, Delfosse, Delsol, Dionnet, Hasfeld, Marx Magdeleine, Paz, Roy, « A la Commission
de Contrôle », Contre le Courant, n° 2-3, 2 décembre 1927, p. 28.
150
Les différends portaient sur la création des cellules d’usine, sur le mot d’ordre de fraternisation
lancé par le PCF durant la guerre du Maroc, etc.
151
« Mais leurs derniers actes devaient révolter les plus patients, les moins enclins à user de mesures
disciplinaires. D’abord la publication d’un organe contre-révolutionnaire, ensuite l’envoi d’un
ème
télégramme commun avec Treint et Suzanne Girault […] au 15 Congrès du PC d’URSS pour
demander la réintégration des exclus, des saboteurs du PC d’URSS. C’était suffisant. Il fallait en
finir. », Doriot J, « Pour mettre fin aux actes fractionnels de la droite », l’Humanité, 12 décembre 1927,
p. 5.
445
Suzanne Girault et Treint, qui ont signé le télégramme, le ton reste modéré même si
la sanction les vise indirectement :
« Quant au groupe Treint-Suzanne Girault, il ne sort pas grandi de cette
opération. Il est des alliances politiques qui déshonorent. Dans la discussion
qui s’ouvre devant le Parti nous aurons l’occasion d’en reparler avec nos soi-
disant gauchistes. »152
L’ouverture d’une grande discussion avait été promise lors du CC du 8-9
novembre. Fin novembre, aucun document n’a encore été publié et, comme l’ont
souligné des membres du BP, de nombreux militants s’interrogent sur la volonté
réelle de publier les matériaux de l’opposition. D’autant que la « discussion » débute
par l’exclusion de Gaston Faussecave par le Comité du 1er rayon153. Cette décision
est motivée par la publication par ce dernier de brochures de l’opposition de gauche
de l’Internationale Communiste. Le Comité de rayon explique que Faussecave
voulait imposer une discussion « stérile » au parti alors que celui-ci ne souhaite pas
discuter. Cette décision laisse présager une « discussion » unilatérale.
L’article que Treint fait parvenir à l’Humanité n’est jamais publié154 et les
dirigeants multiplient les attaques contre l’opposition de gauche. Thorez ouvre la voie
dans un article sur l’exclusion de Trotsky et Zinoviev du PC d’URSS155. Non sans
ironie, il cite des lignes écrites par Treint en 1924 alors qu’il menait la lutte contre
Trotsky. Dès le début de la campagne contre l’opposition de gauche, Treint,
personnalité à la fois emblématique et controversé de l’opposition de gauche, devient
la cible favorite.
Pierre Semard franchit un seuil en publiant un article où Treint est assimilé
aux « forces de la bourgeoisie » qui veulent déstabiliser et détruire l’URSS.
Paraphrasant Staline et son « front unique allant de Chamberlain à Trotsky », il écrit
que Treint appartient désormais à une fraction allant des socialistes à l’extrême
gauche156. En l’assimilant aux militants exclus et aux adversaires du communisme, le
secrétaire général le désigne à la vindicte des militants et prépare son exclusion.

152
Ibid.
153
Décision publiée dans l’Humanité, n° 10570, 20 novembre 1927, p. 5.
154
Cf. supra.
155
Thorez M, « Léninisme ou trotskysme », l’Humanité, n° 10576, 26 novembre 1927, p. 1.
156
« Les ouvriers ne seront pas peu étonnés de voir Souvarine, Paz et Treint alliés. Ce triumvirat des
chefs oppositionnels ne se rencontre pas au hasard ; toujours dans les périodes difficiles qui exigent
du sang froid, du travail et de la discipline, les défaitistes, les fantaisistes et les impatients qui se
donnent comme les plus avancés et les plus “gauchistes“ se retrouvent. Ainsi le front antibolchevik qui
“va de Chamberlain jusqu’à Trotsky“ se prolonge en France jusqu’à la fraction dite “de l’opposition de
gauche“ que dirigent Treint et Suzanne Girault, à nouveau réunis ! », Semard P, « L’élargissement du
front antibolchevik », l’Humanité, n° 10584, 4 décembre 1927, p. 1.
446
Toutes ces accusations sont énoncées sans aucune confrontation des arguments
politiques, sans preuve d’une alliance entre Souvarine et Treint, ni sur la volonté de
ce dernier de créer un nouveau parti. Puis Doriot, pourtant plus réservé à l’égard de
Treint et de l’opposition de gauche dans ces interventions au BP, écrit un article en
forme de diatribe157. Comme Souvarine ou Rosmer plus tôt, Treint a rejoint le camp
« trotskyste » après avoir été vaincu par les difficultés, son défaitisme l’ayant
inexorablement attiré dans le camp adverse. Ces articles exploitent le même
argumentaire. La preuve de l’inconsistance et de l’incohérence de l’opposition de
gauche, c’est que leur chef, Treint, défend aujourd’hui les idées qu’il a combattues
hier. Son passé politique et son attitude face aux « trotskystes » de 1924-1925 ne
peut que jouer contre lui et, surtout, ne contribue pas à rendre sa position lisible par
les militants. Son passé, utilisé par la direction pour le discréditer, empêche
également toute alliance sérieuse avec les autres forces oppositionnelles.
Un autre aspect de la discussion consiste à répondre aux attaques de
l’opposition sur la question de la validité du CC du 8-9 novembre et sur l’exclusion de
Treint. Plusieurs militants accusent la direction d’avoir sciemment empêché les
oppositionnels de participer aux délibérations en les convoquant en retard. Le
secrétariat fait publier des lettres158 dans lesquelles des participants au CC
expliquent avoir été régulièrement convoqués et n’avoir eu aucune difficulté pour
trouver la salle où se tenait l’assemblée. Les lettres de membres du CC dénonçant le
caractère anti-statutaire des décisions du CC ne sont en revanche pas portées à la
connaissance du parti.
Le BP souhaite mettre en œuvre rapidement toutes les décisions prises pour
contrecarrer, affaiblir, isoler puis éliminer l’opposition de gauche. En conclusion de sa
plate-forme politique, celle-ci lançait un appel à Cremet ― « qui a parfois combattu
l’opportunisme de la direction D.S.M.159 » ― à rejoindre l’opposition pour combattre
le stalinisme. Le BP envoie à Cremet les comptes rendus des dernières séances
dans lesquelles les intervenants s’interrogent sur ses positions politiques et lui
demandent de condamner nettement Treint. En réponse Cremet fait parvenir un
courrier160 où il s’explique sur ses désaccords passés avec la direction. Il prend soin
de souligner que dans toutes les assemblées du parti depuis 1925, il a toujours voté

157
Doriot J, « Treint-Souvarine », l’Humanité, n° 10587, 7 décembre 1927, p.1.
158
« Comment l’opposition écrit l’histoire », l’Humanité, n° 10586, 6 décembre 1927, p. 5.
159
D.S.M. : Doriot, Semard, Monmousseau.
160
Lettre de Cremet au BP de PCF, 23 décembre 1927, RGASPI, 517/1/497.

447
contre les thèses de l’opposition avec la majorité. Il affirme n’avoir jamais été en
accord avec Treint qui, pour lui, a entamé son évolution vers le trotskysme dès
1926 :
« Depuis cette date l’évolution de Treint est très visible, et elle prend parfois,
les formes du ridicule au plus haut degré, dans sa lutte contre l’IC. Boycottant
l’IC pendant quatre mois, n’allant à aucune séance ni de Présidium, ni de
commissions, Treint commença à formuler théoriquement sa déviation
trotskiste par Europe et Amérique. »
Il utilise habilement cette question pour rappeler à la direction ses errements passés.
Lors de la Commission française de février 1927, lorsque l’IC soutenue par Cremet,
critiquait la ligne politique de la direction du PCF, celle-ci préférait laisser Treint
s’opposer à Humbert-Droz plutôt que de reconnaître ses erreurs161. Cremet rejette
donc toute hypothèse d’alliance entre lui et Treint. La direction doit faire son mea
culpa et reconnaître qu’elle a trop longtemps laissé Treint manœuvrer contre l’IC.
Même si cette lettre prend la forme d’un cinglant réquisitoire, elle rassure le BP sur la
menace de propagation des idées de l’opposition de gauche.
Il faut attendre la fin du mois de janvier pour que la brochure compilant les
documents de l’opposition soit publiée par les Cahiers du Bolchevisme. Elle apparaît
bien tardivement pour nourrir la discussion, alors que depuis plusieurs semaines les
dirigeants multiplient les condamnations politiques à l’égard de Treint et de
l’opposition en général. La brochure intitulée « Les documents de l’opposition
française et la réponse du parti » contient une sélection de lettres, de déclarations et
la plate-forme adressées par Treint et l’opposition de gauche au secrétariat, qui avait
jusque alors refusé de les publier. Les réponses du parti, et notamment le texte
analysant la plate-forme politique de l’opposition de gauche, datent de plusieurs
mois.
Dans ce dernier texte, Le BP reprend point par point les accusations de
l’opposition pour la placer face à ses propres contradictions. Que se soit sur les
questions internationales ou sur la politique suivie par la direction du PCF depuis
1926, Treint et dans une moindre mesure Suzanne Girault ont approuvé les
orientations politiques qu’ils qualifient désormais « d’opportunistes », voire de
« contre-révolutionnaires ». Il appuie sa démonstration sur les déclarations de Treint

161
« Je sais que la direction du PCF qui n’aimait pas entendre la critique a préféré, par ses documents
politiques envoyés à l’IC (lettre contre la responsabilité de Droz au secrétariat latin, polémique contre
moi) soutenir la ligne de Treint dans les questions françaises. », Ibid.
448
en faveur de la nouvelle majorité, fin 1925162, ainsi que sur les articles dans lesquels
il défend la ligne politique de l’IC sur la question du comité anglo-russe. Concernant
les critiques spécifiques contre la direction « Semard/Monmousseau/Doriot », le BP
leur reproche d’employer des arguments mensongers et calomniateurs plutôt que de
proposer une critique constructive. Il souligne que Suzanne Girault et Treint font
preuve de mauvaise foi lorsqu’ils accusent la direction de diviser le parti et de ne pas
respecter le droit des minorités163. Il ironise sur le passé révolutionnaire dont se
réclament Treint et Suzanne Girault en rappelant que de nombreux membres de
l’ancienne gauche, issus du CTI, ont ensuite été exclus du parti. En conclusion, la
direction invite l’opposition à reconnaître ses erreurs, comme l’ont fait Zinoviev et
Kamenev au 15ème Congrès du PC d’URSS164 :
« L’opposition doit se soumettre absolument à ces conditions, ou la direction
du parti se verra obligée de poser la question de leur présence dans le Parti à
la Conférence Nationale du Parti. »165
Lorsque la direction publie cette brochure, la discussion est quasiment close
et seule une capitulation sans condition, doublée d’une autocritique, peut permettre à
Suzanne Girault et Treint de conserver une place dans les rangs du parti. Depuis la
fin de l’année 1927, ceux-ci publient une revue oppositionnelle, intitulée L’Unité
Léniniste. Cet acte fractionnel est à lui seul synonyme d’exclusion.

2) L’Unité Léniniste.

Une fois la discussion ouverte, la direction clame sa victoire sur l’opposition.


L’exclusion des militants du groupe Paz n’a pas provoqué de crise et l’opposition de
gauche n’a pas pu tirer parti du mécontentement de certains militants, malgré
l’activisme de ses représentants. Tout au long du mois de décembre 1927 et de
janvier 1928, les militants oppositionnels, Treint étant l’un des plus dynamiques,
déploient une intense activité politique et s’invitent dans de nombreuses assemblées

162
« Treint resta fidèlement attaché à la majorité anti-trotskiste. Il fut le premier, membre du Bureau
Politique, à approuver bruyamment la politique de la majorité et la théorie du « socialisme dans un
seul pays » […] Pendant son séjour de plus d’une année en Russie, il se déclarait solidaire de la
majorité. », « Les documents de l’opposition française» op. cit., p. 141.
163
« "C’est le régime d’opposition bureaucratique et le régime intérieur du parti qui sont la cause du
travail fractionnel", affirme l’opposition. Sortant de la plume des "démocrates" Treint et S. Girault, cette
affirmation ne manque pas de saveur. », Ibid., p. 156.
164
« Nous considérons comme notre faute principale de nous être engagés dans des actions, dans la
lutte contre le CC du parti et d’avoir soulevé ainsi le réel danger d’un deuxième parti ». Extrait de la
déclaration de Zinoviev et Kamenev publiée dans l’Humanité, n° 10600, 20 décembre 1927, p. 3.
165
« Les documents de l’opposition française et la réponse du parti », op. cit., p. 163.
449
du parti avec parfois un certain succès, notamment dans la région parisienne. André
Thirion, alors membre du 5ème rayon, décrit le travail d’agitation réalisé par Treint à la
fin de l’année 1927 :
« A l’époque où se situent ces conversations Ruth Fisher était vouée aux
gémonies comme gauchiste ainsi que son homologue française Suzanne
Girault et un autre ex dirigeant français, Albert Treint. Celui-ci troublait dans
notre rayon, les cellules d’Issy-Les-Moulineaux qu’il abreuvait de discours
trotskistes. Nous avions beaucoup de mal à l’isoler afin de préparer son
exclusion du Parti. »166
A cette époque le 5ème rayon, sans être acquis à l’opposition de gauche, se montre
néanmoins très critique à l’égard de la direction. Il demande notamment que celle-ci
aille plus loin dans le redressement de la ligne politique « centriste »167. Lors de la
deuxième session de la conférence du 5ème rayon168, ses dirigeants s’opposent aux
représentants du comité régional ― Costes et Cadine ―, venus pour défendre la
ligne du BP. L’opposition de gauche est représentée par Léon Girault169 et des
membres de la cellule ouvrière d'Issy-Les-Moulineaux. Ils réclament que Treint soit
entendu au cours de la conférence, demande rejetée par les délégués. Lors du vote
final, la thèse du 5ème rayon l’emporte sur celle du comité régional. Les représentants
du comité régional quittent immédiatement la salle en accusant le 5ème rayon de faire
bloc avec l’opposition de gauche. Cette crainte de voir des protestataires rallier
l’opposition s’avère pourtant sans fondement. Malgré son attitude critique, la majorité
du 5ème rayon ne se solidarise jamais avec Treint et ses partisans.
Dans plusieurs autres rayons de la région parisienne, l’opposition de gauche
compte des représentants170. Elle est même majoritaire dans la cellule Thomson qui
appartient au 8ème rayon171. Lors d’une conférence d’information, organisée par ce
rayon, Suzanne Girault et Treint viennent défendre le point de vue de l’opposition. Ils
trouvent un auditoire bien disposé à leur égard. Le secrétaire du rayon tente alors de
les empêcher de parler :

166
THIRION A, Révolutionnaire sans révolution, ed. R. Laffont, Paris, 1972, 580 p.
167
A la suite du CC du 8-9 novembre, le BP du PCF publie une lettre ouverte dans laquelle elle
reconnaît certaines erreurs et déclare vouloir les corriger dans le sens voulu par l’IC.
168
Session du 15 janvier 1928. Voir L’Unité Léniniste, n° 6, 19 janvier 1928, p. 16.
169
Léon Depollier : fils de Suzanne Girault.
170 ème
Dans le 8 rayon, Béors, Copin et Sauvage sont membres du comité de rayon, jusqu’à leur
exclusion, le 18 décembre 1927.
171
GLUCKSTEIN D, Aux origines du trotskisme français (1924-1929), Mémoire de maîtrise sous la
direction de REBERIOUX M, Paris VIII, décembre 1974, p. 116.
450
« La base réagit contre la dictature des bureaucrates. Comme l’interdit est
spécialement jeté par Radi172 contre Treint, celui-ci déclare : “Pour ne pas
permettre au bureau du rayon de saboter l’assemblée, je renonce à parler et
je me tiendrai après la séance à la disposition des camarades qui veulent
savoir les raisons spéciales pour lesquelles les stalinistes veulent m’empêcher
de parler : je passe la parole à Suzanne Girault“. Comme Suzanne Girault va
parler, l’électricité s’éteint. L’équipe de saboteurs stalinistes a coupé le
courant. L’indignation de l’assemblée est à son comble […]. A la fin de la
séance, un grand nombre d’ouvriers entraînent Treint dans une salle de café
jusqu’à 2 heures et demie du matin, l’opposition peut s’expliquer, documents
en main, sur la question chinoise. »173
A d’autres occasions, le plus souvent dans des cellules d’usine, Treint est
autorisé à prendre la parole au nom de l’opposition de gauche, comme dans la
cellule Talbot174, le 28 novembre 1927. Celle-ci vote par ailleurs une motion qui
appelle la direction à ne pas prendre de sanction avant d’avoir discuté. Le 4
décembre, il intervient au côté de Barré dans une conférence d’information du 5ème
rayon. Ce dernier est également très actif au cours des deux derniers mois
précédent son exclusion, notamment en province. Dans l’Avant-garde de Tours, un
membre du BP signale que l’opposition possède plusieurs soutiens dans l’Indre-et-
Loire, La Vienne175, le Maine-et-Loire176. Rien ne permet cependant d’affirmer que
des groupes constitués dans ces départements aient réellement soutenu l’opposition.
Tout au plus, le groupe Treint peut se prévaloir d’une certaine influence sur le rayon
d’Amiens où la cellule 77, réunie le 5 janvier 1928, vote une déclaration demandant
une large discussion et la publication de tous les documents de l’opposition177.
Dans la région parisienne, si l’opposition est constamment battue au niveau
des rayons, quelques cellules se solidarisent avec les militants de la gauche. La
cellule 201 (1er rayon) vote une motion protestant contre l’exclusion de Gaston
Faussecave par le comité du rayon178. De même, la cellule 185 conteste, par 9 voix

172
Renan Radi (1903-1977) : Militant socialiste et communiste, membre du CTI puis de la direction de
la région parisienne.
173
L’Unité Léniniste, n° 6, 19 janvier 1928, p. 18-19.
174
Voir L’Unité Léniniste, n° 1, 15 décembre 1927, p. 12.
175
Il semble effectivement que Barré est une certaine influence sur des cellules de Poitiers. Voir
Contre le Courant, n° 20-21, 15 décembre 1928, p. 5.
176
L’Unité Léniniste, n° 2, 22 décembre 1927, p. 14.
177
L’Unité Léniniste, n° 5, 12 janvier 1928, p. 14.
178
Exceptionnellement cette protestation est publiée dans l’Humanité, n° 10598, 18 décembre 1927,
p. 5.
451
sur 12, l’exclusion de son secrétaire, Salles, sanctionné par le comité de rayon, en
raison de sa participation au comité de rédaction de L’Unité Léniniste179. Enfin, dans
le 2ème rayon, la cellule 359 vote une résolution contre toutes les exclusions et se
refuse de fait à reconnaître celle d’Eugénie Barré, membre de cette cellule.
Concernant cette dernière, la direction applique la méthode qui a prévalu lors de
l’exclusion des militants de l’opposition « de droite », et dissout la cellule180.
Mais ces succès locaux, témoignages de l’ancrage des militants de
l’opposition de gauche, ne constituent pas des victoires à l’échelle du parti. Malgré
les protestations, les militants qui se solidarisent avec le groupe de L’Unité Léniniste
sont exclus individuellement sans provoquer de conflit. Les protestations des
quelques cellules oppositionnelles sont noyées dans la masse des motions
d’approbation de la politique de la direction. Finalement avant février 1928, un seul
groupe de militants décide de se constituer en fraction. Il s’agit d’une partie de la
sous-section juive emmenée par Jean-Jacques181. L’intense propagande menée par
Treint et quelques autres militants est loin d’avoir les effets escomptés. La direction
conserve sans aucune difficulté le contrôle de l’appareil au niveau local.
L’opposition, n’ayant plus accès à la presse du parti, publie sa propre revue,
probablement grâce aux subsides d’oppositionnels russes en France182. Le premier
numéro de L’Unité Léniniste sort le 15 décembre 1927. Immédiatement après la
parution de Contre le Courant, les membres du groupe Paz participant à la revue ont
tous été déférés de la CCC à fin d’exclusion. Par contre, Treint et Suzanne Girault,
dont la direction sait qu’ils dirigent l’opposition et par conséquent la nouvelle revue,
ne sont pas immédiatement menacés d’exclusion ni même déférés devant la CCC.
Ils ont pris soin de ne pas faire apparaître leurs noms dans le comité de rédaction183,
et seuls ceux dont le nom apparaît dans la revue, tel Béors, Copin et Sauvage, sont
sanctionnés184. Concernant Treint, Suzanne Girault ou Barré, la direction fait preuve

179
L’Unité Léniniste, n° 6, 19 janvier 1928, p. 16.
180
L’Unité Léniniste, n° 5, 12 janvier 1928, p. 13.
181
8 militants de cette sous-section signent une déclaration dénonçant l’opportunisme de la direction
du PCF et déclarant leur accord avec la plate-forme de l’opposition internationale de gauche. L’Unité
Léniniste, n° 6, 19 janvier 1928, p. 19.
182
Des oppositionnels russes aidèrent financièrement les militants français qui publièrent les
documents de l’opposition internationale en France. De même Paz toucha des subsides pour publier
Contre le Courant. Treint qui était en contact avec les mêmes militants russes devait également
profiter de cette aide financière.
183
Pour le premier numéro de L’Unité Léniniste, le comité de rédaction est officiellement composé de
A. Ballu, G. Copin, G. Faussacave, E Linck, Salles auquel vient s’ajouter M. Normand au n° 2, suite à
son exclusion.
184 ème
Béors et sauvage sont exclus par le comité du 8 rayon, le 18 décembre 1927.
452
de prudence et décide d’attendre que le CC et la conférence nationale de février
1928 prennent des mesures disciplinaires.
L’Unité Léniniste se présente sous la forme d’un bulletin imprimé sur un papier
de bonne qualité. Il paraît une fois par semaine (le jeudi) jusqu’au numéro 9 puis
devient bimensuel par la suite. Chaque numéro contient soit seize, soit vingt pages.
La régularité et la qualité d’ensemble de la revue laissent entrevoir l’ampleur des
moyens financiers à la disposition du groupe. Chaque numéro est construit autour du
même modèle. Tout d’abord un article leader non signé ainsi qu’une série de
rubriques : « Dans le parti et dans l’Internationale », « Tribune de discussion », ou
encore une autre intitulée « Flèches bolcheviques », dans laquelle des déclarations
et écrits de dirigeants du PCF sont analysés sur un ton polémique. La revue publie
enfin des « documents cachés », tels que des documents de l’opposition russe non
publiés en France, ou encore des déclarations, des lettres de l’opposition française.
Le titre choisi, L’Unité Léniniste, renvoie à l’identité politique du groupe et marque la
continuité idéologique entre la direction de gauche des années 1924-1925 et le
groupe oppositionnel formé en 1927.
La question de la discipline est au centre de la réflexion de L’Unité
Léniniste185, le sujet revenant à plusieurs occasions dans des articles justifiant
l’attitude de Treint, Suzanne Girault et les autres. Durant la première phase de la
bolchevisation, ils se présentaient comme les garants, les gardiens de la « discipline
de fer » qui devait transformer une organisation encore marquée par les influences
social-démocrates en un parti monolithique, tout entier tourné vers l’action
révolutionnaire. En 1927, Ils revendiquent le droit de ne pas respecter les règles
d’organisation qu’ils ont contribuées à forger186. Ce droit à l’indiscipline communiste
qu’ils affirment s’appuie sur plusieurs exemples passés, notamment lorsque les
membres de l’ancien CTI, organisés en fraction, menaient la lutte contre Frossard187.
Il s’agit de revendiquer une continuité entre la tendance qui a imposé la discipline de

185
Voir notamment « L’unité Léniniste pour sauver la révolution », L’Unité Léniniste, n° 1, 15
décembre 1927, p. 2-4.
186
« [La direction] s’écrie : Voyez cette gauche : elle préconisait la discipline la plus stricte quand elle
était au pouvoir dans le Parti : et maintenant qu’elle est dans l’opposition, elle se dresse contre la
discipline. N’est ce pas là de sa part un reniement des principes proclamés et appliqués par elle, dans
le but misérable de renverser la direction actuelle pour se mettre à sa place ! N’est ce pas là
camarades le langage que ne cesse de tenir la fraction actuellement dirigeante ainsi que son
appareil ? Et ce langage porte, il faut le reconnaître, sur un grand nombre d’ouvriers du Parti et
d’ouvriers sympathisants. […] Mais il s’agit d’autre chose. Il s’agit de savoir si un révolutionnaire, si un
communiste, peut accepter de se courber sous la discipline opportuniste. », « Discipline
révolutionnaire : oui ! Discipline opportuniste : non ! », L’Unité Léniniste, n° 4, 5 janvier 1928, p. 1-3.
187
« Les cas d’indiscipline », L’Unité Léniniste, n° 5, 12 janvier 1928, p. 1-3.
453
l’IC au parti français et l’opposition qui refuse cette même discipline. Derrière une
apparente contradiction, le groupe Treint tente d’assimiler Doriot, Monmousseau et
Semard à Frossard, pour se présenter comme les seuls garants de l’orientation
révolutionnaire du PCF. Cette analogie entre la direction de 1922 et celle de 1927
leur évite de se pencher sur les conséquences des méthodes qu’ils ont eux-mêmes
imposées au parti et dont ils sont désormais les victimes.
Autre référence à la direction des années 1924-1925, le groupe Treint justifie
son activité oppositionnelle par la nécessité de lutter contre les résurgences de la
« droite », voire de « l’extrême droite »188. Sur ce point, le discours de L’Unité
Léniniste, calqué sur celui de la plateforme politique de l’opposition, se heurte au
tournant tactique du PCF, qui se manifeste notamment par l’adoption de la tactique
« classe contre classe » pour les prochaines élections législatives. En refusant le
front unique électoral avec les socialistes ou les radicaux, la direction répond à
l’accusation d’électoralisme professée par l’opposition de gauche. Pourtant cette
dernière rejette cette tactique, estimant qu’elle s’appuie sur une analyse erronée de
la situation sociale en France. Ils opposent au maintien des communistes au second
tour dans toutes les situations, la tactique du front unique consistant à pousser les
chefs réformistes au pouvoir189. Ils jugent que la tactique classe contre classe,
« faussement intransigeante » et « sectaire », risque de couper le parti de la « petite
bourgeoisie », considérée comme une classe sociale perméable à l’influence des
communistes. Ils appellent donc au retour à l’ancienne tactique, pourtant
responsable des dérives électoralistes qu’ils dénonçaient. Cette incapacité à
caractériser l’orientation politique du PCF et à saisir les enjeux du tournant tactique
de l’année 1927 rend le discours de L’Unité Léniniste inaudible. Comment des
militants peuvent-ils accepter le qualificatif de droitier, appliqué à une direction dont
plusieurs membres sont emprisonnés et qui développe une rhétorique de lutte de
classe et d’affrontement proche de celle employée Treint en 1924-1925 ?

188
« La gauche momentanément dissociée, a été éliminée de la direction effective du Parti. Les
opportunistes qui sous son contrôle participaient à la direction du Parti, une fois libérés de son
influence et soumis à celle de Staline ont glissé rapidement vers l’extrême droite du Parti. A l’heure
présente, l’extrême droite du Parti, c’est sa direction actuelle [souligné par l’auteur]. », « L’Unité
Léniniste pour sauver la révolution », art. cit., p. 3.
189
« Lorsque la masse est illusionnée par des chefs acceptant en parole un programme qui va dans le
sens de ses intérêts, le Parti doit pousser ses chefs au pouvoir et les soumettre à la critique
impitoyable, qui jointe à l’expérience des masses détruira les illusions. ». L’Unité Léniniste revient à
plusieurs occasion sur cette question, notamment dans un article critiquant la lettre ouverte aux
membres du parti (n° 1) ou encore dans le numéro 3 : « Tactique électorale », p. 3.
454
La revue mène également une campagne spécifique contre Doriot. Ce dernier
fut en 1927, un des représentants de l’IC en Chine. Treint l’accuse d’avoir déjeuné
avec un dirigeant nationaliste (le général Li-Ti-Tsin) directement impliqué, selon lui,
dans un coup d’Etat contre-révolutionnaire à Canton, fin 1926-début 1927. Par cette
polémique, Treint cherche à mettre en lumière la collusion entre des dirigeants de
l’IC et des membres du Kuomintang responsables des massacres d’avril 1927. Dès
son premier numéro, le journal pose plusieurs questions à Doriot : était-il au courant
du premier coup d’état à Canton ? Si oui, pourquoi a t-il mangé avec le général et
sinon pourquoi lui a t-on caché l’existence de ce coup d’état190 ? Doriot réplique lors
d’une conférence d’information des cadres de la région parisienne, le 15 décembre
1927, puis dans une lettre parue dans l’Humanité191. Il ne réfute pas avoir rencontré
le général Li-Ti-Tsin mais explique que le repas a eu lieu en février, deux mois avant
le coup d’état de Canton d’avril 1927. Il nie par contre le premier coup d’état en
décembre 1926-janvier 1927, dont parle Treint192. Le fait que Doriot réponde
directement aux accusations et le ton âpre que prend rapidement la polémique
montre que Treint touche un point sensible : la question de la politique de l’IC en
Chine. Par la suite L’Unité Léniniste, au travers de sa rubrique « Flèches
bolcheviques », revient à maintes reprises sur cette affaire en accusant Doriot de
cacher l’existence du premier coup d’état et la collusion de l’IC avec des contre-
révolutionnaires193. Mais cette affaire, embarrassante pour la majorité, n’a finalement
aucune conséquence quant à la suite de la discussion avec l’opposition. Les
militants, accaparés par les questions nationales (répression gouvernementale,
élections législatives de 1928), s’intéressent peu aux questions internationales.
Un autre sujet récurrent dans les colonnes du journal concerne les rapports
entre le groupe Treint et celui de Paz. Plusieurs militants proches de L’Unité
Léniniste s’interrogent sur l’intérêt, pour l’opposition de gauche, de s’allier avec
d’anciens adversaires194. Derrière la question de la nécessaire alliance des forces

190
Voir « question gênantes mais pas pour les oppositionnels » dans la rubriques flèches
bolcheviques, L’Unité Léniniste, n° 1, p. 7.
191
Voir la lettre de Doriot dans la rubrique La vie du parti, L’humanité, n° 10602, 22 décembre 1927, p.
5.
192
Doriot l’accuse de répéter les « calomnies » diffusées par l’opposition russe : « Je me souviens fort
bien qu’en causant avec Treint, à mon retour de Chine, de cette calomnie, il ne répondit par quelques
appréciations peu flatteuses pour son nouveau coéquipier, Karl Radek. Treint savait donc
pertinemment que Radek avait menti. », Ibid.
193
Voir la rubrique « flèches bolcheviques » des numéros 3 à 6.
194
La polémique fait référence à la signature en commun par des membres des deux groupes du
ème
télégramme des trente adressé au 15 congrès du PC d’URSS. Voir la lettre de C. Lautard parue
dans le premier numéro de L’Unité Léniniste.
455
oppositionnelles se pose toute une série de problèmes qui touchent aux luttes
passées dans le parti. Ainsi, l’opposition de gauche, tout en marquant son « vif
intérêt » pour Contre le Courant, l’accuse de refuser de reconnaître ses fautes dans
les discussions passées195. Malgré la volonté de Treint et des dirigeants de
l’opposition de gauche d’entamer un dialogue constructif avec le groupe Paz, l’unité
d’action entre les deux groupes ne se réalise pas. Les divisions du passé restent trop
fortes et surtout Suzanne Girault et Treint conservent une très mauvaise image
auprès des militants proches de Contre le Courant.
Enfin, L’Unité Léniniste se caractérise par l’importance donnée aux questions
internationales et à la dénonciation sans concession de la politique de Staline,
considéré comme le principal responsable des échecs du mouvement communiste
international. Ces premières tentatives d’analyse du rôle spécifique de Staline196 font
de L’Unité Léniniste l’une des premières revues antistaliniennes parues en France.
Les critiques visant la direction du parti sont en revanche nettement plus ambiguës.
Notamment parce que de nombreux militants de la gauche collaborèrent avec la
direction jusque en juillet 1927. Sur les questions internes au PCF, l’opposition de
gauche se contente de dénoncer le manque de démocratie et n’apporte aucun
programme alternatif. Il est néanmoins intéressant de constater que L’Unité Léniniste
ne se place pas sur une position de rupture à l’égard du parti. Elle appelle au
contraire à un redressement à gauche de ligne politique et demande aux militants
sympathisants de ne pas « déserter » le parti mais au contraire de poursuivre le
travail de l’intérieur197.

3) Le CC et la Conférence Nationale de janvier 1928.

Au mois de janvier 1928, le PCF tient deux assemblées centrées sur la


question de l’opposition. Tout d’abord un CC puis une Conférence Nationale qui
aboutissent à l’exclusion des dirigeants de l’opposition. Peu avant la mise en œuvre

195
« Il y a deux ans, dans la passion de la discussion, il est possible que le groupe Paz n’ait pas été
vis-à-vis de la Gauche placé dans les conditions les plus favorables pour prêcher toute sa pensée et
pour rectifier sa formule fausse et équivoque [souligné par l’auteur]. Aujourd’hui, d’un point de vue
critique de gauche, le groupe Paz combat la direction opportuniste, véritable extrême droite du Parti.
Entre la Gauche et le groupe Paz, la passion de la discussion est tombée. Ce serait un grand pas vers
l’unification des forces révolutionnaires, sur la base du léninisme, si le groupe Paz exprimait
publiquement sur la question de la fraternisation lors de la guerre du Maroc, un point de vue juste et
inattaquable. », « Le groupe Paz et la fraternisation », L’Unité Léniniste, n° 5, 12 janvier 1928, p. 5.
196
Voir notamment « La théorie staliniste du socialisme dans un seul pays », L’Unité Léniniste, n° 3, p.
12-13.
197
« Il faut rester dans le Parti », l’Unité Léniniste, n° 2, 22 décembre 1927, p. 14.
456
de cette mesure ultime, la direction accroît la pression qui pèse sur les opposants en
publiant deux lettres émanant de « la fraction trotskyste »198. L’Unité Léniniste
s’empresse de publier à son tour les documents199, en affirmant qu’il s’agit de
faux200. La première lettre porte sur les rapports que l’opposition russe voudrait
entretenir avec les groupes d’opposants français et allemands. Trotsky dénonce les
tendances à la capitulation des ex-zinoviévistes tels Ruth Fisher et Maslow et
s’interroge sur l’attitude future du groupe Treint/Suzanne Girault :
« Si Treint et Suzanne Girault hésitent entre la capitulation et le soi-disant
trotskysme, il faudra les abandonner à leur propre sort. Dans tous les cas,
nous ne pourrons marcher main dans la main avec ce groupe que dans le cas
où il se délimitera impitoyablement, clairement et d’une manière précise des
capitulards. »
L’auteur évoque les possibilités de regroupement en France entre les différents
groupes d’opposition. Trotsky, sans réellement prendre en compte les divergences
qui divisent l’opposition française, spécule sur une alliance possible du groupe
Contre le Courant et du groupe Treint :
« Dans le cas d’une position juste de la part du groupe Treint/Suzanne Girault,
la fusion des deux groupes est désirable dans le plus proche avenir. Dans ce
cas, selon nous, il ne peut être question de la part du groupe de 1926, d’exiger
unilatéralement de la part du groupe de 1923 la reconnaissance de ses fautes,
ainsi qu’a proposé de le faire S…. Il est extrêmement désirable d’attirer
Rosmer à collaborer au journal Contre le Courant. »201.
La deuxième lettre concerne plus spécifiquement l’opposition du PC d’URSS.
Trotsky y réaffirme, à l’instar de l’Unité Léniniste, la nécessité pour les militants
oppositionnels de poursuivre la lutte de l’intérieur et surtout de ne pas orienter le
travail politique vers la constitution d’un nouveau parti, voire d’une nouvelle
internationale. Ces lettres, si elles n’attestent pas de l’existence d’une opposition
internationale organisée, viennent au meilleur moment pour la direction du PCF.
Comment, devant ces documents, Treint et Suzanne Girault pourront-ils encore

198
Les deux lettres sont publiées dans la Pravda du 15 janvier 1928 puis dans l’Humanité du 16
janvier, p. 3. L’auteur des lettres est en fait Léon Trotsky.
199
Les lettres publiées par l’Unité Léniniste sont sensiblement différentes que celles publiées par
l’Humanité. Il apparaît clairement que l’organe du PCF a volontairement déformé certains passages.
Par exemple : « Si Treint et Suzanne Girault hésitent entre la capitulation et le soi-disant
trotskysme[…] » devient « Si T et S. G. hésitent entre la capitulation et le trotskysme[…] ».
200
Trotsky reconnaîtra par la suite la véracité des documents publiés. Voir Trotsky, « La crise de
l’Internationale », Contre le Courant, n° 15-17, 25 octobre 1928, p. 10.
201
« L’opposition combattue par des faux », L’Unité Léniniste, n° 7, 26 janvier 1928, p. 6.
457
affirmer ne pas être en contact avec des membres exclus de l’IC et ne pas être
des agents du trotskysme en France ?
Le CC du PCF a déjà longuement abordé la question de l’opposition. Les
séances dès 10-12 janvier 1928 visent à prononcer l’exclusion du CC de tous les
membres oppositionnels et préparer leur exclusion définitive. Depuis août 1927,
l’opposition de gauche avait joui d’une relative clémence. Treint a été exclu du CC
lors de la dernière réunion mais Barré, Béors, Margueritte Faussecave et Suzanne
Girault en restent membres. Cette modération tenait à une double ambiguïté.
L’opposition, tout en multipliant les actes fractionnels, prétendait vouloir poursuivre
son travail dans le cadre du parti et la direction espérait qu’il serait possible de
parvenir à un accord. Début janvier, l’atmosphère est plus tendue. La question de
l’opposition n’étant pas à l’ordre du jour de la première séance, il est demandé à
Treint de bien vouloir quitter la salle202. Réfutant la validité de son exclusion et
arguant de son statut de membre du Présidium du CE de l’IC, Treint réclame le droit
de participer à la totalité des débats, mais la majorité repousse cette demande. En
réponse, les oppositionnels se solidarisent avec Treint et quittent la salle pour ne
revenir qu’à la cinquième séance durant laquelle la question de l’opposition est
débattue.
La séance débute par un rapport de Bouthonnier, construit sur deux
accusations : la collusion entre les oppositionnels de gauche et des membres exclus
de l’IC tel Souvarine et leur capitulation à l’égard de l’idéologie trotskyste.
Bouthonnier fustige tout spécialement les articles de Treint et ses déclarations sur le
stalinisme et le pouvoir de Staline au sein du PC d’URSS. La suite de son
intervention reprend les arguments déjà développés dans sa précédente intervention
au CC. Le moment fort de cette séance reste le discours de Treint qui se déroule
dans une atmosphère houleuse, l’orateur étant fréquemment interrompu par des
interventions parfois agressives, plus souvent ironiques. Pour commencer, il déclare
ne pas se faire d’illusion quant à la suite des débats. Il sait qu’il participe à son
dernier CC et demande que cette journée soit l’occasion d’une franche explication.
La première partie de son intervention est plutôt défensive. Il réfute avoir capitulé
devant le trotskysme tout en reconnaissant avoir évolué sur certains sujets. Puis, il

202
Treint était invité au CC pour pouvoir répondre aux accusations et non pas pour participer à
l’ensemble des débats, alors que Treint conteste toujours la validité de son exclusion et prétend être
membre à part entière du CC. Voir BMP 274-275 pour l’ensemble du procès verbal du CC du 10-12
janvier 1928.

458
accuse la direction d’avoir biaisé la discussion en ne publiant pas les documents de
l’opposition à temps et en organisant des assemblées d’information où les opposants
étaient sous représentés. Enfin sur la question de la discipline, il prétend ne pas être
sorti des limites définies par le parti, notamment en ne publiant pas certains
documents gênants pour la direction de l’IC :
« Maintenant j’attends pour les publier203 que l’on m’ait mis à la porte du parti.
Tant que je serais dans le parti, je tacherai de maintenir la discussion dans le
parti. »
Immédiatement Ferrat lui réplique : « Et L’Unité Léniniste ? ». Treint répond en
prétendant ne pas être responsable de la publication de la revue204 et reprend le
cours de son intervention. Il se dérobe devant cette question qui revient à la fin des
débats.
La deuxième partie de l’intervention est beaucoup plus offensive. Treint
concentre ses critiques sur les questions internationales et plus particulièrement la
question chinoise. Il parle notamment du repas de Doriot avec le général Li-Ti-Tsin et
accuse Boukharine d’avoir menti sur la situation en Chine pour couvrir les erreurs de
l’IC205. Cette dernière affirmation provoque des interruptions virulentes telles que :
« tu as le cerveau mal fait. […] Tu ne parles pas français…. »206. Ses déclarations ne
peuvent que choquer un auditoire totalement acquis à la révolution russe et à ses
chefs. Au contraire, Treint porte un regard très critique sur l’URSS et son parti. Il
proclame que les statistiques économiques sont truquées, que le régime évolue vers
un retour au capitalisme. Les échanges avec la salle soulignent sa désillusion, son
amertume à l’égard du PC d’URSS207. La fin de l’intervention marque un constat de
rupture définitive entre lui et le CC. Excédé par les interruptions fréquentes, Treint

203
Treint fait référence à la lettre de Shanghai
204
Le nom de Treint n’apparaît alors pas dans le comité de rédaction du journal.
205
Treint s’appuie sur un échange qu’il a eu avec Boukharine alors qu’il participait à une séance du
secrétariat de l’Internationale (3 mai 1927). Le débat portait sur la nécessité de pousser les paysans
chinois à déclencher la lutte pour la révolution agraire. Boukharine et Staline auraient alors proposé,
considérant que la situation n’était pas favorable, d’empêcher le développement de la lutte. Treint fait
alors parvenir un billet à Boukharine posant plusieurs questions sur l’opportunité de cette décision.
Boukharine lui répondit qu’effectivement la situation justifiait cette manœuvre attentiste. Le problème
est que Boukharine connaissait alors le contenu de lettre de Shanghai dans laquelle les émissaires de
l’IC soulignaient la nécessité d’engager la lutte révolutionnaire. Voir « La lettre de Shanghaï », BNF, 8-
02N 2389.
206
BMP 275.
207
Par exemple, cet échange avec le secrétaire général et l’un des futurs dirigeants du PCF :
« Semard : Le parti russe a répondu. Treint : Je dirai tout à l’heure comment il est possible de
répondre dans le régime crée par Staline dans le parti russe. Barbé : 100.000 ouvriers ont adhéré au
parti russe. Treint : On obtient facilement des adhésions dans un parti gouvernemental ! (Rires
prolongés). »

459
interrompt son discours et déclare ne rien vouloir ajouter. Mais l’assistance entend
bien le pousser dans ses derniers retranchements et l’interroge une nouvelle fois sur
L’Unité Léniniste sachant qu’il est en porte-à-faux sur cette question :
« Voix diverses : et L’Unité Léniniste, n’oublie pas.
Treint : j’ai lu L’Unité Léniniste. (Hilarité) Je dis que je considère pour ma part
que la politique suivie par L’Unité Léniniste est juste. »
Il refuse de répondre aux autres questions, arguant que l’assemblée ne s’adresse
pas à la bonne personne. Cette position intenable contribue à décrédibiliser la fin de
son intervention. Treint conclut son dernier discours dans un CC par une envolée
pleine d’emphase, qui fait ressortir le courage politique de cet homme face à une
assemblée pour le moins hostile et décidée à l’humilier :
« […] Ici vous n’avez pas le pouvoir, vous ne disposez pas d’une petite Sibérie
où vous pourrez nous envoyer. Vous nous chasserez peut-être du parti
(interruption : du mouvement ouvrier). Nous verrons ! Vous nous chasserez
peut-être du parti, mais vous savez nous avons été d’autres fois en minorité, à
ce moment là la majorité disait que notre cause était mauvaise. Vous nous
connaissez. La lutte entre l’opposition et le stalinisme commence seulement,
vous m’entendez ?
Semard : On t’enverra en Chine, tu feras un bon général.
Treint : C’est tout à fait caractéristique que chaque fois qu’il y a de
l’opportunisme dans le parti, il reprend la même calomnie.
Semard : Ce n’est pas une calomnie. »
Suzanne Girault intervient dans une atmosphère plus calme. Elle se contente
par ailleurs d’approuver pleinement le discours de Treint et d’appeler à la poursuite
de la lutte. Mais elle semble être sur la défensive, regrettant qu’une véritable
discussion n’ait pas eu lieu. Plusieurs intervenants montent à la tribune pour fustiger
l’intervention contre-révolutionnaire de Treint. Et logiquement, le CC vote une
résolution excluant, Béors, Barré, Marguerite Faussecave, Suzanne Girault du CC du
PCF et préparant leur exclusion du parti.
Le déroulement et les décisions du CC amènent une kyrielle de commentaires
dans la presse du parti et dans les organes oppositionnels. L’Unité Léniniste publie
un leader208 présentant l’intervention de Treint comme une victoire de l’opposition.

208
« La base contre le sommet », L’Unité Léniniste, n° 6, 19 janvier 1928, p. 1-3. Le titre marque la
volonté de l’opposition léniniste de se présenter comme l’expression de la base révolutionnaire
opposé à une direction de chefs réformistes.
460
Selon les auteurs, ses révélations sur la politique de l’IC en Chine ont troublé
l’assemblée et obligé le représentant de l’IC à intervenir pour reconnaître la véracité
de certaines affirmations de l’opposition, tout en relativisant leur portée. Doriot
répond qu’après le dernier CC du PCF et la publication des lettres de « la fraction
trotskyste internationale », l’opposition ayant définitivement choisi le camp du
trotskysme, le parti peut exclure ces militants « qui doivent être chassés de la famille
prolétarienne » lors de la Conférence Nationale209.
Cette assemblée, réunie du 30 janvier au 1er février 1928 marque l’étape
ultime du processus d’exclusion, dernière occasion pour l’opposition de gauche de
s’exprimer dans le cadre du parti. La Conférence s’ouvre sur un rapport de
Bouthonnier210 semblable aux précédents à l’exception d’un point ; jusqu’alors, il
concluait ses interventions par des menaces de sanctions, ici il propose une porte de
sortie à Treint et aux autres. Par le biais d’une série de questions211 il suggère la
possibilité d’un compromis sur le modèle de la capitulation de Zinoviev et Kamenev.
Suzanne Girault intervient la première pour répondre à la direction. Sa déclaration
est la plus défensive212. A aucun moment elle n’aborde les questions politiques de
fond. Elle se contente de réfuter le droit à la Conférence nationale de décider de leur
exclusion. Le corps de son intervention concerne la question de la discipline. Sur
cette question, plutôt que d’expliquer à l’assemblée les raisons politiques qui l’ont
amenée à faire un travail fractionnel, elle se contente d’un laborieux exposé
reprenant l’argumentaire de L’Unité Léniniste sur la question de la discipline dans
l’histoire du mouvement communiste international et français.
Barré au contraire, comme Treint ensuite, se concentre sur les questions
politiques qui éloignent irrémédiablement l’opposition léniniste de la direction du
PCF. Il présente à l’assemblée les thèses de l’opposition sur les dangers de guerre
et sur le comité anglo-russe. Le discours de Treint se déroule dans une atmosphère
bien plus calme que celle du dernier CC. Son temps de parole est même prolongé à
la demande du président de séance. Il centre son intervention sur la question de
l’évolution du régime russe et des menaces de « déviations thermidoriennes ». Au

209
Doriot J, « L’ultimatum de Trotsky », l’Humanité, n° 10635, 24 janvier 1928, p. 1-2.
210
Voir le compte rendu de la première journée dans l’Humanité, 31 janvier 1928, p. 1 et 4.
211
1°: Prennent-ils l’engagement de cesser immédiatement leurs publications fractionnelles, de
dissoudre leur fraction et de rompre toutes relations avec l’opposition internationale ? 2°: Entendent-ils
reconnaître les décisions du CC de novembre et lutter pour leur application ?
212
Voir le compte rendu des interventions de Suzanne Girault, Barré et Treint dans « La fin de
l’opposition trotskiste en France », Bulletin d’information (publié par la section centrale d’Agit-Prop), n°
22, février 1928.

461
regard des deux interventions précédentes, elle semble plus fouillée, plus
approfondie, avec en arrière plan les prémices d’une réflexion à plus long terme sur
un possible échec de la révolution initiée par Lénine :
« L’Etat russe est un Etat prolétarien, mais comme Lénine l’a écrit, il subit la
pression des forces bourgeoises, la pression des bureaucrates, la pression du
monde extérieur, et il faut faire attention parce qu’en ce moment le caractère
prolétarien de l’Etat soviétique est en train de s’altérer de plus en plus. […]
Nous ne pouvons pas être sans inquiétude quand nous voyons les ennemis
de l’URSS pénétrer nos institutions et les révolutionnaires déportés en Sibérie.
Nous disons que ce n’est pas la voie de la correction des fautes, ce n’est pas
la voie du redressement. »
Pour autant, son intervention est loin d’être aussi incisive que lors de ses prestations
précédentes, elle prend parfois des accents pathétiques et semble envahie par une
certaine forme de résignation.
Au contraire, la déclaration commune que présente l’opposition, une fois les
débats clos, se montre nettement plus vigoureuse. Elle répond aux conditions
posées pour ne pas procéder aux exclusions par une série d’autres conditions213
préalables à la fin du travail fractionnel. Elle reste unie politiquement face à une
direction qui tente de la diviser en proposant une solution de conciliation.
Contrairement à l’opposition russe, elle ne se scinde pas à l’heure de l’exclusion.
Devant la détermination de l’opposition à défendre ses conceptions politiques, il ne
reste plus aux délégués, après un dernier discours de Barbé, qu’à voter la résolution
déclarant l’exclusion du PCF de Treint, Suzanne Girault, Barré et Marguerite
Faussecave. Elle est adoptée à l’unanimité moins une voix (Body214) et quatre
abstentions. Pour Treint, même si son engagement en faveur du communisme se
poursuit en dehors du parti français, une page est tournée.

213
Les membres oppositionnels du CC demandent à la conférence nationale d’user de son autorité
pour faire casser les causes de l’activité fractionnelle de l’opposition et de se prononcer :
1° Pour l’ouverture immédiate de la discussion large et libre sur la question russe, la question
chinoise, la question de la lutte contre la guerre et le Comité anglo-russe, la question française et la
politique générale de l’IC.
2° Pour la publication dans un délai d’un mois, de tous les documents essentiels […].
3° Pour l’ouverture dans les CB d’une tribune de discussion ouverte à l’opposition, […].
4° Pour la possibilité accordée aux membres de l’opposition de venir défendre leur point de vue
devant toutes les assemblées du parti.
5° Pour la levée immédiate de toutes les sanctions dans le Parti russe et dans l’IC, étant donné que
celles-ci faussent la discussion […]. « La fin de l’opposition trotskiste en France », Bulletin
d’information, n° 22, p. 105-106.
214
Marcel Body (1894- . ) : Ouvrier typographe. Membre de la mission militaire française à Petrograd,
rallié aux bolcheviks avec Jacques Sadoul et Pierre Pascal.
462
Plusieurs raisons expliquent l’échec de l’opposition de gauche et sa
marginalisation au sein du PCF. La plupart de ses membres, Suzanne Girault et
Treint en particulier, jouissent d’une mauvaise réputation. Pour preuve, suite à la
conférence nationale, la quasi-totalité des membres du 15e rayon auquel Treint était
rattaché approuve son exclusion. Ce rayon est pourtant composé de nombreux
militants sensibles aux idées de l’opposition mais qui voient avant tout en Treint
l’homme de la bolchevisation. Cette image d’homme sectaire et autoritaire s’est
forgée durant la période où il a dirigé le PCF aux côtés de Suzanne Girault et de la
gauche. Désormais dans l’opposition, cette gauche se heurte à la difficulté de trouver
des alliés qui se situent pour la plupart parmi ceux qu’ils ont combattus auparavant.
Toute tentative de rapprochement implique donc la nécessité de porter sur leur rôle
passé un regard rétrospectif critique. Dans tous ses textes, l’opposition de gauche se
refuse à reconnaître autre chose que des erreurs de détail, estimant avoir suivi une
ligne juste durant les années 1924-1925. Cette attitude contribue à sa défaite.
Son échec découle également des ambiguïtés non levées lorsque Treint et
Suzanne Girault s’associent pour lutter contre la direction. Sur les questions
internationales, Treint défend toujours sa thèse du bloc anglo-européen que
Suzanne Girault a combattue. Dans sa plateforme politique, le groupe reprend à son
compte les critiques de Suzanne Girault sur la ligne « de droite » de la direction.
Treint, qui a soutenu durant un an et demi l’orientation politique de la direction, se
contente d’affirmer avoir été trompé pour justifier son revirement. Sur ces points,
l’opposition semble bâtie sur des compromis, qui empêchent toute véritable
clarification politique. Dès lors, elle s’enferme dans un schéma politique bancal qui
fait de la direction du PCF et des dirigeants du PC d’URSS, Staline et Boukharine,
des représentants de la droite, désormais qualifiée de staliniste, contre laquelle la
gauche s’est toujours battue. Le groupe Treint se montre incapable d’analyser le
tournant de l’IC au cours de l’année 1927 et le changement de ligne politique du PCF
avec l’adoption de la tactique « classe contre classe ». Cette erreur d’analyse
amène, dès février 1928, la rupture entre Treint et Suzanne Girault, lorsque cette
dernière reconnaît tardivement que le PCF a modifié la ligne politique qu’elle
critiquait en 1926-1927. Pour Treint, au contraire, le tournant « gauchiste » du PCF
constitue une simple manœuvre politique. Il s’engage dans une voie opposée à celle
de Suzanne Girault, celle de la lutte oppositionnelle.

463
CHAPITRE IX :
L’OPPOSITION DE
GAUCHE, UNE UNITE
IMPOSSIBLE.

464
La fin des années 1920 constitue pour Treint une période de bouleversements
et de remises en question sur le plan politique et sur le plan professionnel. Depuis
septembre 1921, révoqué de ses fonctions d’instituteur, il vit grâce à son statut de
permanent du parti qui lui assure des revenus réguliers. Une fois exclu, il se trouve
dans l’obligation de chercher un emploi lui permettant de vivre et de financer ses
activités politiques. Associé à Henri Barré, il fonde une entreprise de frottage de
parquets1, avant de devenir correcteur dans une imprimerie grâce à l’intervention de
Monatte2. Barré, forgeron de métier, le rejoint à ce poste. Les revenus procurés par
ces emplois successifs permettent à Treint de participer activement aux activités de
l’opposition française, alors principalement orientée vers la publication et la diffusion
de textes de l’opposition internationale et principalement russe, et de poursuivre son
action pour le « redressement du parti français » dont il se considère toujours
membre. Difficile à appréhender, l’opposition communiste française, début 1928, se
compose d’une multitude de petits groupes, organisés au sein du PCF avant d’en
être exclus, ayant pour seul point commun la solidarité à l’égard de l’opposition russe
et du plus illustre de leur représentant, Trotsky.
A partir de 1924, Souvarine et les militants regroupés autour du journal La
Révolution Prolétarienne se targuent de leur soutien sans faille à l’égard du combat
que mène Trotsky dans le parti russe, sans pour autant former une fraction unie à
laquelle pourrait s’agréger les opposants successifs à la ligne de l’IC et du PCF.
Depuis 1928, Contre le Courant et L’Unité Léniniste se prévalent de la fonction de
centre de ralliement pour l’opposition de gauche. Mais l’histoire du parti, marquée par
les crises politiques répétées, les luttes pour le contrôle de la direction et les
exclusions qui en découlent, continue de peser lourdement sur les relations entre les
différents groupes de l’opposition. Les années à venir sont affectées par de
nombreux débats théoriques, de crises et de reclassements politiques. En raison de
son passé et de sa responsabilité dans la lutte contre le trotskysme et dans la
bolchevisation, Treint représente à lui seul un obstacle sur le chemin de l’unification

1
Voir Fiche biographique du Dictionnaire du mouvement ouvrier français… op. cit.
2
Dans une lettre à Trotsky, datée du 4 avril 1929 (Archives Trotsky conservés à Houghton library de
l’Université d’Harvard, bob. 5507-6077), Treint indique travailler dans une imprimerie comme
correcteur « grâce au syndicat ». Et une main anonyme a ajouté en annotation, sans plus de
précision, « c’est Monatte ». Même si cette hypothèse paraît tout à fait vraisemblable, étant donné la
solidarité existant entre militants ouvriers malgré les divergences politiques, on peut être surpris que
Treint puisse compter sur l’aide de Monatte après les conflits qui opposèrent les deux hommes par le
passé.

465
de l’opposition française, d’autant plus qu’il n’a de cesse de revendiquer un rôle de
dirigeant.

466
A/ Treint et la nébuleuse de l’opposition internationale.

1) l’opposition russe affaiblie par la répression.

Suite au 15ème congrès du PC d’URSS, plusieurs dirigeants oppositionnels


russes, tel Zinoviev et Kamenev, capitulent. Malgré cette lourde défaite, l’opposition
russe continue à irriguer les petits noyaux oppositionnels occidentaux en réflexions
théoriques sur les questions internationales et sur l’avenir du mouvement
communiste. Ainsi, dès la fin de l’année 1927, Trotsky, dans son texte « Nouvelle
étape »3, définit ce que doit être l’opposition de gauche internationale4, fait le point de
son action passée et fixe ses orientations politiques futures. Sur la base de ce texte,
les groupes d’opposition européens entament les discussions et se définissent les
uns par rapport aux autres.
Pour Trotsky, le parti russe connaît une crise sans précédent qui se manifeste
par l’exclusion de l’aile gauche du parti au profit de la bourgeoisie russe et
internationale. La montée en puissance de ces nouveaux éléments met en lumière le
principal danger pesant désormais sur la révolution russe, la « dégénérescence
thermidorienne »5. Il estime que les défaites subies par le mouvement communiste
en Allemagne, en Chine et ailleurs affaiblissent le pouvoir ouvrier en URSS.
Toutefois, il affirme que le régime reste dans son essence révolutionnaire et n’a pas
dégénéré6. Thermidor accompli, cela signifierait, selon Trotsky, que la bourgeoisie

3
Trotsky, « Nouvelle étape », Œuvres (janvier 1928-juillet 1928), Institut Léon Trotsky, 1988, p. 25-50.
Ce texte, écrit dès la fin du mois de décembre 1927 alors que Trotsky est encore pour quelques
semaines à Moscou, ne sera connu des groupes d’oppositions occidentaux que plusieurs mois après
et contribue alors à accélérer les reclassements, notamment en France au sein du groupe l’Unité
Léniniste. Nous en reparlerons.
4
Le terme d’opposition de gauche internationale sans majuscule fait référence à la nébuleuse des
groupes qui se réclament du communisme et entretiennent des contacts avec Trotsky. Par contre
employé avec une majuscule, il s’agit de l’organisation créée le 6 avril 1930 à Prinkipo par Trotsky et
quelques partisans et qui exclut de nombreux groupes de la gauche communiste.
5
« La défense de la dictature signifie la lutte contre les éléments de Thermidor, pas seulement dans le
pays tout entier, mais dans l’appareil d’Etat et les couches influentes du parti lui-même. […] La lutte
contre le danger de Thermidor est une lutte de classe. La lutte pour arracher le pouvoir des mains
d’une classe est une lutte révolutionnaire. La lutte pour des changements — parfois décisifs, mais
toujours sous le règne de la même classe — est une lutte réformiste. Le pouvoir n’a pas encore été
arraché des mains du prolétariat. Il est encore possible de redresser notre ligne actuelle, […]. La
condition la plus importante — mais pas la seule — de la victoire de Thermidor serait un écrasement
de l’Opposition tel qu’il n’y aurait plus à en avoir peur. », Cf. supra.
6
« Cela signifie-t-il toutefois que l’exclusion et même l’amputation de l’Opposition toute entière
constitue le passage à Thermidor, devenu un fait accompli ? Non, il s’agit seulement de la préparation
467
détient à nouveau le pouvoir en Russie dans le cadre d’un régime de transition qu’il
nomme « le Kerenskysme à rebours ». Mais pour l’heure, il considère que les
événements à venir feront grossir les rangs de l’opposition bolchevique. Il réfute
l’idée de la refondation du mouvement révolutionnaire par la création d’un deuxième
parti, qui ne peut résulter, selon lui, que de l’écroulement de la dictature du
prolétariat et de la victoire de Thermidor. Il appelle donc l’opposition à se battre pour
redresser le parti de l’intérieur. En conclusion, après avoir souligné que l’opposition
russe doit élargir son combat à l’échelle internationale, il donne trois conseils sur le
travail pratique qu’elle doit accomplir en Russie comme ailleurs :
« 1 : l’auto éducation théorique est une tâche essentielle pour chaque
oppositionnel et l’unique gage sérieux de sa fermeté. […].
2 : Un oppositionnel, indépendamment du fait qu’il demeure dans le parti ou
en soit exclu, doit militer activement dans toutes les organisations
prolétariennes et soviétiques en général. […]
3 : Il est nécessaire d’en appeler à l’Internationale pour chercher à poser
devant le 16ème congrès la question de l’Opposition dans toute sa plénitude. »
Ce texte permet de comprendre les développements futurs de l’opposition de gauche
et les divisions entre « trotskystes » et les petits groupes qualifiés « d’extrême
gauche » ou « d’ultra gauche » communiste. Toutes ces références théoriques,
Thermidor, le Kerenskysme à rebours, toutes les questions soulevées sur le rôle de
Staline ou sur le deuxième parti sont au centre des débats théoriques et tactiques qui
agitent les groupes oppositionnels communistes au cours des années suivantes.
Les deux lettres d’instructions de Trotsky à Pierre7, publiée par la Pravda puis
en France par l’Humanité et divers organes de l’opposition mettent encore un peu
plus en lumière la place prépondérante que joue alors l’opposition russe. En plus de
définir les grandes orientations de la ligne politique que doit suivre l’opposition de
gauche, Trotsky tente de peser sur l’organisation des noyaux oppositionnels
européens. En France, il propose d’opérer un rapprochement de Contre le Courant
et de L’Unité Léniniste8 mais son attention ne se porte pas exclusivement sur ce

à Thermidor dans le cadre du parti. La fraction stalinienne, en abattant la barrière prolétarienne de


gauche, est en train, contre son propre gré, de paver la voie à la marche au pouvoir de la bourgeoisie.
Mais ce phénomène n’est pas encore accompli, ni en politique, ni dans l’économie, ni dans la culture,
ni dans la vie quotidienne. », Ibid.
7
Pierre était le pseudonyme de N. N. Perevertsev, l’un des principaux responsables de l’opposition de
gauche en Europe. Les deux lettres sont adressées par Trotsky quelques jours avant son départ de
Moscou, autour du 10 janvier 1928.
8
Cf. supra.

468
pays. L’Allemagne est également au centre de ses réflexions, d’autant plus que la
principale tendance de l’opposition semble s’orienter vers la construction d’un
nouveau parti et que deux de ses principaux dirigeants, Ruth Fisher et Maslow,
prennent une position équivoque à l’égard de Zinoviev et Kamenev en tentant de
justifier leur capitulation. Trotsky montre aussi un grand intérêt pour le
développement de l’opposition en Tchécoslovaquie, en Belgique ou en Hollande.
Trotsky se montre conscient de l’importance de ces groupes européens pour
la poursuite de la lutte entamée dès 1923 alors que l’opposition russe connaît des
difficultés. Nous assistons aux prémices d’un phénomène de bascule entre
l’opposition russe et l’opposition internationale qui devient effectif à partir de 19299.
Les militants russes ne peuvent poursuivre leur combat en Russie en raison de la
répression, des déportations et des capitulations en série de figures emblématiques
de l'opposition.
La répression contre l’opposition russe s’accentue au mois de janvier 1928. Le
BP du PC d‘URSS fait arrêter et déporter plusieurs milliers de militants récemment
exclus du parti. Trotsky est envoyé au Kazakhstan, à Alma-Ata et des hommes
comme Radek, Rakovsky, Serebriakov, Preobrajensky10 sont expédiés à plusieurs
centaines voire plusieurs milliers de kilomètres de Moscou. Grâce aux militants
restés à Moscou et souvent passés dans la clandestinité, la fraction peut entretenir
une activité de propagande. Quant aux déportés une liaison épistolaire, tolérée par le
GPU, maintenue pendant plusieurs mois, permet de poursuivre les débats entre
exilés. Rapidement il apparaît qu’une frange conséquente, au motif que le parti russe
engage un tournant à gauche, se prépare à rallier la majorité et à faire son
autocritique11. Des zinoviévistes mais également de vieux partisans de Trotsky, tels
Piatakov ou Serebriakov, prenant exemple sur Zinoviev et Kamenev, choisissent de
capituler. Pour ceux qui restent inflexibles, les conditions de détention se dégradent
sensiblement, notamment du fait de l’isolement, le GPU ayant décidé de contrôler
plus sévèrement le courrier et de l’utiliser comme une arme psychologique. La
distribution de la « Critique du projet de programme de l’internationale

9
DURAND D, Opposant à Staline, l’Opposition de gauche internationale et Trotsky, Pensée Sauvage,
1988, 266 p.
10
Voir Contre le Courant, n° 7 et 8, 22 janvier et 11 février 1928. Les articles leaders des deux
numéros sont consacrés à la dénonciation des déportations. A noter que de son côté, L’Unité
Léniniste consacre nettement moins d’articles aux déportations tout en condamnant aussi fermement
la répression.
11
Trotsky, Œuvres, op. cit. Voir l’introduction de BROUE, p. 17.
469
Communiste »12 de Trotsky à de nombreux délégués présents au 6ème congrès
mondial de l’IC ainsi que la lutte entre Staline et Boukharine au sommet du parti
russe expliquent ce raidissement des organes de contrôle policier. Le 16 décembre,
le GPU demande à Trotsky de cesser toute activité politique sous peine « d’un
transfert de [sa] résidence dans un autre endroit »13. Trotsky refusant de céder au
chantage, Staline prend la décision de le faire expulser. Début février 1929, il quitte
définitivement l’URSS pour rejoindre, dans un premier temps, Constantinople en
Turquie. Par la suite, il s’installe à Prinkipo où pendant plusieurs années il s’attelle à
la tâche de former et d’organiser l’Opposition de gauche dont le centre de gravité se
trouve désormais en Europe de l’ouest.

2) Une opposition internationale en gestation.

Une première conférence, prémisse d’une future organisation internationale,


réunit à Berlin, au mois de décembre 1927, des délégués allemands et russes et
quelques autres de divers pays européens14. Elle n’aboutit à aucune décision
concrète permettant la création d’une structure de liaison entre les différents
groupes. Les militants exclus des partis communistes, organisés à l’échelle nationale
et parfois locale, ne forment à l’échelle internationale qu’une nébuleuse informelle
« de petits groupes ou de cercles d’études »15.
Néanmoins l’année 1928 voit apparaître plusieurs nouvelles fractions en
Europe et ailleurs. En Belgique, lors de la conférence du 11-12 mars 1928,
l’opposition de gauche naît officiellement. Les militants du PCB réunis doivent
prendre une position commune sur la question de l’opposition dans le parti
communiste russe. Sur les 108 délégués présents, les 34 partisans des thèses de
l’opposition, suspendus pour six mois, répliquent en quittant la salle, reconnaissant
de fait la scission du parti belge16. Contrairement à de nombreux autres partis
européens, la fraction de gauche qui se constitue est, à l’échelle nationale, bien plus
importante qu’ailleurs puisqu’elle regroupe environ un tiers des anciens membres du
PCB. Organisée très rapidement, dès la fin du mois de mars, elle publie un
hebdomadaire intitulé Le Communiste.

12
Ibid., p. 210-416.
13
Trotsky, Ma vie, op. cit., p. 644.
14
DURAND D, « Opposants à Staline », art. cit., p. 35.
15
Trotsky, Lettre à R. Ioudine, 26 mai 1928, Œuvres, p. 174.
16
Voir « la scission du parti belge », Contre le Courant, n° 10, 31 mars 1928, p. 1-3.
470
En Autriche apparaît, dès le début de l’année 1927, une fraction de gauche
dirigée par Josef Frey17. Numériquement très faible, elle subit une grave crise au
mois d’avril 1928 avec l’exclusion de Kurt Landau18, accusé de défendre des thèses
ultra-gauchistes19. Il faut également citer la formation de groupes d’opposition en
Hollande, sous la direction de Henk Sneevliet, ou encore en Tchécoslovaquie.
Toutes ces formations regroupent quelques dizaines de militants. L’opposition de
gauche européenne comprend aussi une fraction de gauche italienne, dites
bordiguiste, organisée principalement en France et en Belgique, à New York et
même en Russie. En Chine, l’échec du mouvement révolutionnaire génère la
création d’une fraction autour de Chen Duxiu20 et de Peng Shuzi. Aux Etats-Unis,
depuis plusieurs années, de petits groupes d’opposition s’organisent autour de
communautés d’immigrés allemands et russes21, mais aucune tendance n’est issue
du PC américain. La rupture se produit à la suite du 6ème congrès mondial de l’IC.
Les deux délégués envoyés par les PC américain et canadien (James P Cannon22 et
Maurice Spector23) semblent avoir été fortement influencés par la « Critique
programme de l’IC » de Trotsky ainsi que par l’intervention d’un délégué indonésien
critiquant la ligne de Boukharine en Chine. De retour dans leurs pays, ils s’opposent
à la ligne de la direction et s’organisent en fraction. Cannon est exclu aux côtés de
plusieurs autres dirigeants d’envergure du PC américain (Shachtman, Abern24 et
Swabek25). Ils publient The Militant et fondent en 1929 une Ligue Communiste26
regroupant des centaines de jeunes travailleurs et de militants chevronnés.
Nous n’avons pas encore évoqué le cas particulier de l’Allemagne. Malgré la
défaite de 1923, ce pays reste un foyer révolutionnaire. Le mouvement communiste y
traverse une grave crise qui se manifeste par un éparpillement des forces

17
Josef Frey, était membre du BP du PC autrichien. Il est exclu au début de l’année 1927 pour avoir
soutenu Trotsky.
18
Kurt Landau, ancien rédacteur de la Rote Fahne de Vienne, exclu du PC autrichien en 1927 au côté
de Frey.
19
Dès 1927 et contrairement à l’opinion de Trotsky et de la majorité de l’opposition autrichienne,
Landau avait proposé que la fraction se constitue en parti indépendant. Mais il est exclu en 1928 pour
avoir défendu la thèse selon laquelle il fallait que l’opposition abandonne le mot d’ordre de défense de
l’URSS, l’Etat russe ayant ,selon lui, dégénéré et perdu son caractère ouvrier.
20
Chen Duxiu fut un des fondateurs du PC de Chine et fut secrétaire général jusqu’en 1927 avant de
démissionner pour manifester son désaccord avec la politique menée alors par l’IC.
21
DURAND D, op. cit.
22
James P. Cannon était un ancien membre du parti socialiste américain, devenu l’un des principaux
dirigeants du PC américain.
23
Maurice Spector est originaire d’Ukraine. Il est arrivé à la tête du PC canadien à l’âge de 20 ans. Il a
toujours refusé d’engager son parti dans la voie de la condamnation du trotskysme.
24
Ces deux hommes étaient anciens dirigeants des Jeunesses Communistes.
25
Dirigeant ouvrier à Chicago.
26
Voir Contre le Courant, n° 33-34, 10 juillet 1929, p. 24.
471
révolutionnaires. Dès 1919, le KPD connaît une première scission donnant
naissance au KAPD27. Par la suite, l’histoire tumultueuse du parti allemand entraîne
des vagues de départs successifs28. Au début de l’année 1928, on dénombre deux
groupes principaux29. Le groupe Brandler-Talheimer, issu de la vague d’exclusion de
1924, regroupe plusieurs centaines de militants et dispose de plusieurs organes
régionaux. Mais il demeure à l’écart des débats sur la question russe et n’entretient
aucune relation avec l’opposition russe. Le groupe Maslow-Urbahns forme la
deuxième tendance de l’opposition communiste allemande30. Il est issu des vagues
d’exclusions de 1926-1927 et influence un nombre important de militants
communistes allemands. Il possède un hebdomadaire, Die Fahne des
Kommunismus31 et réunit de nombreux « zinoviévistes » et anciens dirigeants. Dans
le cadre de la préparation de la conférence de Berlin, Ruth Fischer aurait rencontré
Suzanne Girault et Treint à Paris32. Cette tentative de rapprochement entre des
militants oppositionnels qui se réclament de l’héritage de la gauche bolchevisatrice
ne donne aucun résultat. Il faut également citer le groupe Korsch33, dont les thèses
d’ultra-gauche34 s’éloignent de celles soutenues par l’opposition de gauche. Une
partie de ce groupe se rapproche du KAPD au milieu de l’année 1927.
A l’approche du congrès du KPD d’Essen, en mars 1927, la direction accentue
la répression, éliminant la majeure partie des partisans de l’opposition de gauche
encore dans le parti35. Ces exclusions massives favorisent le développement d’un
groupe puissant autour de Ruth Fischer, Maslow et d’Hugo Urbahns, qui s’oriente
progressivement vers la constitution d’une organisation indépendante du KPD. Lors

27
Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne.
28
Pour une étude exhaustive de la bolchevisation du KPD et ses conséquences, voir WEBER H, Die
Wandlung des deutschen kommunismus, die stalinisierung des KPD in der weimarer Republik,
Francfort, Europaïsche Verlagsalt, 1969.
29
Voir TEXTOR K, « La crise du PC Allemand », Bulletin Communiste, n° 20-21, juillet-septembre
1927, p. 338-340.
30
Sans entrer dans les détails, cette tendance est elle-même traversée par plusieurs sous-courants.
Voir DURAND D, op.cit.
31
Le Drapeau du Communisme.
32
Voir le Bulletin Communiste, n° 28-29, août-décembre 1928, p. 446 ; ZIMMERMANN R, Der
Leninbund : Linke Kommunisten in der Weimarer Republik, Düsseldorf, Droste Verlag, 1978 ; BROUE
P, « La gauche allemande et l’opposition russe » Cahiers Léon Trotsky, n° 22, septembre 1985, p. 14.
33
Karl Korsch : (1886-1961). Adhérent de l’USPD en 1917 puis du KPD en 1920, il devient membre
du Reichstag (1924-1928). Exclu du KPD en 1926, il édite au côté de Schwarz, la revue
oppositionnelle Kommunistische Politik. Il prend dès lors position contre l’idée du redressement de l’IC
et qualifie le régime soviétique de « dictature contre le prolétariat ». Voir l’introduction de BRICIANER
dans Korsch K, Marxisme et contre révolution, Paris, Seuil, 1975, 283 p.
34
BAHNE S, « Entre le "Luxembourgisme" et le "stalinisme" l’opposition d’ultra gauche dans le KPD »,
Cahiers de l’ISEA, tome 6, n° 12, décembre 1972.
35
ZIMMERMANN R, op. cit. p. 49. Selon l’auteur, près de 1300 membres du parti allemands sont
exclus en 1927.
472
d’élections locales, à Altona en septembre 1927, l’Opposition de gauche présente
pour la première fois une liste opposée à celle du KPD36. La fraction de gauche
allemande prend-elle le chemin de la création d’un second parti ? Trotsky s’en
inquiète et, dans ses « instructions à Pierre », dénonce la tendance de l’opposition
allemande à vouloir former une organisation indépendante37. Effectivement
l’opposition allemande annonce en mars la création du Leninbund et tient son
congrès de fondation à Berlin, les 8-9 avril 192838.
Cette nouvelle organisation revendique prés de 6000 adhérents et dispose de
plusieurs organes de presse. Un mois à peine après sa création, elle connaît
cependant une première vague de défections avec le départ de Ruth Fischer,
Maslow, Scholem. Les deux premiers étaient toujours en contact avec Zinoviev
malgré sa capitulation. Rejetant la participation du Leninbund aux élections
législatives de 1928, ils rompent et demandent leur réintégration dans le KPD39.
Selon eux, la participation aux élections manifeste la volonté de certains militants de
rompre définitivement avec le parti communiste et d’abandonner la tactique du
redressement des partis communistes et de l’IC de l’intérieur. Après ces départs,
l’organisation amoindrie s’éloigne progressivement des positions défendues par
Trotsky sur la défense de l’URSS et prône la création de nouveaux partis
révolutionnaires. Au début de l’année 1929, elle reste cependant en contact avec
d’autres groupes européens qui se réclament de l’opposition de gauche. Le 17
février 1929, au côté d’organisations belge, française et hollandaise, le Leninbund
organise une première conférence internationale autour d’un thème fédérateur : la
défense de Trotsky et des opposants russes déportés et emprisonnés40. Le groupe
Contre le Courant y représente l’opposition française, même s’il ne l’incarne pas à lui
seul. A l’instar des autres pays européens, l’opposition française, traversée par des
fractures théoriques et tactiques, est morcelée en une multitude de petits groupes
plus ou moins concurrents.

36
Cette expérience est un véritable échec, leur candidat n’ayant obtenu que 365 voix contre plus de
19000 à la liste du KPD.
37
« La formation d’une Ligue des communistes de gauche est fausse. […] Le nom de fédération ne
donnera rien, mais il peut devenir le pseudonyme d’un deuxième parti ».
38
Le groupe Treint leur envoie une lettre de salutation.
39
Voir les lettres de Maslow/ Ruth Fischer et de Scholem/Hesse publiée dans l’Unité léniniste, n° 16,
17 mai 1928, p. 14.
40
« Une conférence internationale », Contre le Courant, n° 23, 25 février 1929, p. 5.

473
3) L’opposition communiste en France.

De nombreux groupes constitués par des militants exclus du PCF se


réclament de l’opposition communiste. Deux des principales organisations, Contre le
Courant et L’Unité Léniniste41, se revendiquent du « marxisme-léninisme » qu’ils
opposent au stalinisme, défini comme déviation de la ligne orthodoxe tracée par
Lénine. D’autres groupes réfutent totalement l’existence d’un léninisme créé de toute
pièce en 1924 pour lutter contre Trotsky. Ils ne reconnaissent pas à la gauche le droit
de se prévaloir d’une attitude orthodoxe et celui de rejeter de facto à « la droite » les
militants qui ont eux mêmes lutté contre les dérives dans le mouvement communiste
depuis 1924. Ces découpages idéologiques ne facilitent pas l’approche et la
compréhension du monde de l’opposition communiste française. D’autant plus qu’à
ces questions théoriques viennent s’ajouter des conflits, des haines et des
ressentiments issus des luttes politiques des années passées.
Boris Souvarine qui jouit d’un statut particulier au sein de la mouvance
oppositionnelle, depuis 1926, a repris la publication du Bulletin Communiste et a
fondé le cercle Marx-Lénine. Elle n’est pas une organisation politique tournée vers la
lutte mais plutôt « un foyer d’étude ouvert aux révolutionnaires soucieux de s’élever à
la hauteur des problèmes sociaux de l’époque »42. Souvarine entretient de bonnes
relations avec le groupe Monatte-Rosmer. Par le biais du Cercle, il participe
activement au développement de l’opposition en France, notamment avec le groupe
Paz avant et après son exclusion du PCF. Il tisse aussi des liens avec le groupe
d’opposition de Lyon (autour de Soudeille43), avec les opposants de la Seine
inférieure (Engler) et avec le groupe de Limoges (autour de Body). Les jeunes
militants issus de la revue Clarté, Pierre Naville44 et Gérard Rosenthal45, passent
aussi par le Cercle46. Toutefois, si le Cercle fait encore figure de foyer de l’opposition
française au début de l’année 1928, Souvarine prend une position de plus en plus

41
Sans soulignement, il s’agit du nom du groupe et non de la revue.
42
PANNE J-L, « Aux origines du Cercle communiste démocratique » dans Boris Souvarine et la
critique sociale, sous la direction d’Anne ROCHE, Paris, ed. La découverte, 1990, p. 31-46.
43
Jean-Jacques Soudeille (1899-1951) : Militant syndicaliste et communiste. Membre suppléant du
CD en 1924 puis opposant à la bolchevisation.
44
Pierre Naville (1904- . ) : Journaliste, membre du mouvement surréaliste, il s’oriente en 1925 vers le
PCF et devient dirigeant de la revue Clarté. A partir de 1927, il se rapproche de l’opposition russe et
de Trotsky. Exclu du PCF en février 1928. Voir CUENOT A, Pierre Naville (1904-1993), biographie
intellectuelle d’un révolutionnaire marxiste. Thèse de doctorat, Paris 13, 2003.
45
Gérard Rosenthal (1903- . ): Avocat au barreau de Paris. Membre du mouvement surréaliste et
militant communiste. Proche de Pierre Naville il le suit dans son évolution vers l’opposition.
46
Ibid., p. 33-34.
474
critique envers l’opposition de gauche internationale et Trotsky, le plaçant à la
marge47. A la fin de l’année 1927, il publie dans le Bulletin Communiste48 un article
manifestant une très grande désillusion à l’égard de l’évolution du régime russe.
Selon lui, il s’est formé dans le parti « un néo-bolchevisme conservateur » qui
entraîne progressivement l’URSS sur la voie du capitalisme d’Etat. Il appelle les
communistes critiques à se réunir pour réfléchir en attendant une nouvelle vague
révolutionnaire et juge très sévèrement la tactique suivie par l’opposition
internationale :
« Le léninisme est l’opium de l’Internationale. L’opposition a commis la faute
impardonnable de donner dans le léninisme. Elle a respecté la momification
du corps de Lénine et la momification de son œuvre. […] Elle a contribué à
monter la machinerie religieuse sous laquelle elle s’est fait écraser. »
Dans les débats qui secouent l’opposition communiste, il défend des positions
novatrices et hétérodoxes, notamment sur l’évolution du régime soviétique. Trotsky,
en désaccord, considère que Souvarine évolue vers la droite du mouvement
ouvrier49 et, même s’il ne rompt pas, prend ses distances avec lui.
Le groupe Monatte-Rosmer publie depuis 1925 La Révolution Prolétarienne.
Le noyau du groupe est principalement constitué de syndicalistes s’éloignant du
communisme pour privilégier l’action syndicale. Rosmer, resté fidèle à l’idée du parti,
cesse progressivement sa collaboration à la revue pour se consacrer à l’action
proprement politique50. Avec Souvarine, le groupe Monatte-Rosmer est un
précurseur de l’opposition française. En 1928, ils se sont très nettement écartés du
terrain d’action du parti communiste, de l’opposition internationale et de Trotsky.
Malgré cela, ils continuent à influencer et à participer à l’activité d’autres formations
de l’opposition communiste.
Dans plusieurs régions les traditions oppositionnelles se perpétuent à l’image
du groupe dirigé par Soudeille ou encore de Limoges, où Body lance en septembre
1928 un hebdomadaire oppositionnel régional intitulé La Vérité. Malgré les
collaborations prestigieuses51, le journal disparaît rapidement. Il est difficile de

47
Voir JACQUIER C, Boris Souvarine, un intellectuel antistalinien de l’entre-deux guerres (1924-
1940), Thèse de Doctorat de sociologie politique, sous la dir. de KRIEGEL A, 1994.
48
Souvarine, « Octobre noir », Bulletin Communiste, n° 22-23, octobre/novembre 1927.
49
Trotsky, deuxième lettre à Pierre, 14 janvier 1928, Œuvres, op. cit., p. 62.
50
GRAS C, op. cit., p. 350.
51
Souvarine et Monatte participent à la rédaction du journal.

475
classer ces formations qui, même s’ils participent au bouillonnement oppositionnel
des années 1927-1928, n’ont le plus souvent qu’une influence locale.
Un autre groupe formé par Pierre Naville et Gérard Rosenthal apparaît dans
cette période charnière. Les deux militants forment le noyau de la revue Clarté52
devenue La Lutte de Classes, alors proche de Souvarine. Ils adhèrent au Cercle fin
1927, début 192853, et même s’ils entretiennent des relations avec les militants de
Contre le Courant54 ils se montrent très réservés sur l’opposition de gauche55. Par
l’intermédiaire de Trotsky, ils connaissent cependant, à partir de 1929, une évolution
inverse à celle de Souvarine et rejoignent les rangs de l’Opposition de gauche
française.
Deux groupes se revendiquent de l’opposition de gauche au début de l’année
1928, le groupe Treint/Suzanne Girault et celui de Paz. Ce dernier joue un rôle
central en tentant de devenir un pôle unificateur. Il est constitué de nombreux
éléments ouvriers, de militants proches de l’opposition depuis 1924 et apparaît le
plus à même de rassembler l’opposition française sous une seule bannière. Au cours
de l’année 1928, plusieurs militants d’autres tendances s’expriment dans les
colonnes de Contre le Courant. Cette revue constitue l’une des armes majeures du
groupe Paz pour tenter de s’imposer comme noyau d’une future organisation unifiée.
Il ne s’agit pas à proprement parler de l’organe d’une tendance, mais avant tout la
boîte aux lettres de l’opposition russe, lui donnant ainsi une place à part parmi les
multiples revues publiées alors56.

52
Cette revue fondée par Henri Barbusse était très proche du PCF. Sous l’impulsion de ses jeunes
rédacteurs elle s’en éloigne au cours de l’année 1927. Finalement le BP du PCF décide, fin 1927, de
demander aux « communistes » de cesser leur collaboration à cette revue.
53
PANNE J-L, « aux origines… », op. cit., p. 36.
54
Pierre Naville et Gérard Rosenthal publient un témoignage de leur séjour en URSS dans Contre le
Courant, n° 8, 11 février 1928, p. 21-22.
55
« Ce qu’on a appelé vers 1926-1927 l’opposition de gauche (en occident) s’est principalement
résumé dans des éléments exclus de la direction pour des erreurs monumentales et désireux de
regagner par une surenchère démagogique le suffrage des éléments les plus avancés du prolétariat
révolutionnaire. […] Aujourd’hui nous voyons, en France, des groupes nombreux se réclamer de
“l’opposition de gauche“, sans du reste que cette tendance soit autrement définie que par un accord
superficiel avec les éléments irréductibles de l’opposition russe. », Lettre de Naville à Trotsky publié
dans La Lutte de Classes, septembre 1929.
56
Dans sa maîtrise (op. cit.), GLUCKSTEIN D propose une étude très complète de Contre le Courant.
Il souligne notamment qu’un article sur cinq publié dans cette revue provient de l’opposition russe et
de Trotsky en particulier. Mais il s’intéresse également à sa diffusion, à son audience parmi les
ouvriers communistes, aux crises successives que traverse le comité de rédaction. Il conclut que,
malgré la légitimité que lui apporte son statut d’organe de l’opposition reconnu par Trotsky, la revue,
après des débuts prometteurs, n’a pas réussi à mettre à profit le capital de sympathie acquis au
départ. Elle s’est notamment révélée incapable de proposer un programme politique clair sur les
questions françaises.
476
En France, la gauche italienne joue également un rôle non négligeable57.
Dans le parti communiste d’Italie, les militants proches de Bordiga, chassés du parti
en 1926, doivent se résoudre à l’exil. En juillet 1927, suite à une scission, se
constitue officiellement une première fraction de gauche italienne, dirigée par
Pappalardi. La deuxième fraction a des représentants dans plusieurs pays et
particulièrement en France, autour notamment d’Ottorino Perrone58. Cette fraction,
qui compte alors moins de 200 membres, crée progressivement une organisation
centralisée, indépendante du PC, avec des organes centraux (CC puis CE), des
fédérations nationales (belge, française) et provinciales (Paris, Lyon, Bruxelles, New
York) coiffant des sections locales59. La conférence de Pantin d’avril 1928 représente
la première étape de la fondation de l’organisation60. La Fraction y vote une
résolution s’appuyant sur les thèses de Bordiga, tout en marquant sa solidarité avec
la lutte engagée par Trotsky et l’opposition russe. Elle place clairement son action
dans le cadre du redressement de l’IC et de la lutte contre le « centrisme stalinien »
tout en conservant ses bases propres, dont notamment le rejet des décisions des
3ème et 4ème congrès mondiaux de l’IC. Au regard de la résolution de Pantin61, nous
pouvons considérer la Fraction de gauche italienne comme partie intégrante de
l’opposition de gauche malgré ses spécificités.
Une partie de la gauche italienne, sous l’influence de Pappalardi62, se détache
de la Fraction de gauche italienne. Le groupe basé à Lyon publie à partir de
novembre 1927 le Réveil Communiste. Dans l’article « Que faire ? »63, il présente
ses orientations politiques. Selon lui, la dictature du prolétariat n’existe plus en URSS
et l’IC est en voie de disparition. Les origines de cette dégénérescence se trouvent
dans la NEP, rupture du processus révolutionnaire en cours et origine de la
bureaucratisation du PCR qui commence à se détacher de la classe ouvrière. Le

57
Elle est fréquemment présentée sous l’étiquette de gauche bordiguiste bien que les militants italiens
la rejettent. Voir La Gauche Communiste d’Italie, publication du CCI, 1991, p. 5.
58
Ottorino Perrone (dit Vercesi). Membre du PSI puis du PCI italien. Il a joué un rôle important dans
l’organisation clandestine du parti, ce qui lui vaut plusieurs arrestations. Il s’enfuit pour la France en
novembre 1926 avant d’être exclu vers la Belgique en août 1927. Malgré l’exil, il continue à tenir un
rôle politique essentiel dans la fraction de gauche.
59
La Gauche Communiste d’Italie, op. cit., p. 65.
60
Treint, qui entretenait des relations avec plusieurs militants italiens, était peut-être présent à cette
conférence, en tant qu’auditeur.
61
La Gauche Communiste d’Italie, op. cit., p. 67.
62
Michelangelo Pappalardi : membre de la fraction abstentionniste du PCI, il s’expatrie en Autriche
dès 1922 et quitte le PC en 1923. A partir de 1924, il s’installe en France et œuvre, en contact avec
Bordiga, à la construction d’une Fraction de gauche du PCI.
63
« Que Faire ? », Le Réveil Communiste, n° 1, novembre 1927 ; dans Invariance, mai 1996,
publication hors commerce.

477
groupe réfute toute possibilité de redressement des partis communistes officiels et
toute alliance avec les partisans de Trotsky. Extrêmement minoritaire, il se situe à
l’écart de l’opposition de gauche, tout en la nourrissant de ses réflexions sur l’échec
du modèle russe pour la construction d’un régime prolétarien.
Pour des raisons historiques, tactiques ou idéologiques, l’opposition française,
en 1928, n’a pas trouvé le chemin de l’unité. Les sujets de discordes sont nombreux :
la nature sociale de l’Etat russe, l’attitude à l’égard du PCF, la légitimité pour
prétendre unifier en son sein les différentes forces de l’opposition. Le soutien à la
lutte de l’opposition russe ne peut servir de ciment à l’unité. Mais tous les groupes
oppositionnels en France s’accordent sur un sujet, le refus de travailler, voire
simplement de discuter avec Treint, considéré comme le principal responsable de la
bolchevisation et comme un militant peu sûr politiquement.

4) Treint et l’opposition en France.

Treint, depuis sa déclaration au CC du PCF d’août 1927, a mis toute son


énergie, tous ses talents de propagandiste, au service de la cause de l’opposition
russe. Il n’a pas hésité à affronter des auditoires hostiles et a rapporté et diffusé en
France des documents embarrassants pour la direction de l’IC et du PC d’URSS. Il
pourrait faire figure pour l’opposition française de recrue de valeur, lui l’ancien
membre du Comité pour la Troisième Internationale, devenu co-secrétaire général du
PCF. Mais au contraire, il cristallise autour de sa personne des sentiments d’hostilité,
d’aversion et de rancune. Les multiples raisons expliquant cette opinion générale ne
sont pas toujours motivées sur le plan politique.
Le rôle joué par Treint, au côté de Suzanne Girault, dans la bolchevisation du
PCF, explique en partie ce rejet. Sur le plan personnel, on le tient pour unique
responsable de la propagation par le PCF de mots d’ordre schématiques ou
politiquement contre productifs tels que « la volaille à plumer » ou encore « prendre
la terre à coups de fusils ». De plus, Treint reste considéré, bien qu’il s’en défende,
comme un partisan de Zinoviev et l’on pense qu’il suivra l’exemple de son mentor
pour capituler à la première occasion sous un prétexte fallacieux. La personnalité de
Treint, son autoritarisme qui lui a valu son surnom de capitaine, son goût pour les
manœuvres politiques souterraines et une certaine morgue ne contribuent pas à
améliorer ses relations avec les autres dirigeants oppositionnels. Il tente pourtant de
se rapprocher de certains en promettant un mea-culpa sur les erreurs de la

478
bolchevisation64. Ces tentatives de réconciliation et son exclusion du PCF ne lui
valent aucun regain de sympathie.
Concernant Souvarine ou Rosmer, une haine viscérale les sépare
irrémédiablement de Treint et ne permet d’envisager aucun travail politique en
commun. Ceux-ci, derrière la question de la bolchevisation, ne pardonnent pas à
Treint de les avoir battus politiquement, de les avoir mis en minorité dans le parti
avant de les faire exclure, alors qu’ils le considéraient comme un simple exécutant et
non un dirigeant d’envergure. Pour Rosmer, la haine semble avoir dépassé le
domaine de la politique comme le confirme ce témoignage :
« Rosmer ne pouvait pas voir Treint en personne. J’ai vu Rosmer, parlant
dans une assemblée de quinze personnes, et, voyant entrer Treint, passer par
toutes les couleurs… et il est sorti. »65
Souvarine ne revient quasiment jamais sur son rôle dans l’ascension de Treint au
sein de la gauche et sur les luttes des années 1923-1924. Il ne prononce que
rarement son nom et uniquement pour souligner tout le dédain qu’il a pour L’Unité
Léniniste et pour le personnage qu’il considère toujours comme un simple suppôt de
Zinoviev qui rentrera bientôt dans le rang. Lorsque des membres du groupe Paz,
proche de lui, proposent une alliance tactique avec Treint, celui-ci s’empresse de
dénoncer l’idée même d’une rencontre66.
Pour les militants de La Lutte de Classes, qui n’ont pas participé aux conflits
des années 1923-1924, la question Treint ne se pose pas sur le plan personnel. Ils
dénoncent avant tout les effets néfastes de la bolchevisation et considèrent Treint et
Suzanne Girault responsables de l’échec de cette politique qui, si elle avait été
menée pertinemment, aurait constitué pour le parti « un progrès théorique et
historique »67. Mais même s’ils font du cas Treint une question de principe pour
refuser toute unification en 1928, leur attitude évolue à partir de 1929.
A l’extrême-gauche de l’échiquier de l’opposition française, les jugements ne
sont pas moins sévères. Pour Le Réveil Communiste, Treint totalise deux tares

64
Voir « Une étape franchie », Contre le Courant, n° 20-21, 15 décembre 1928, p. 2.
65
Témoignage de Pierre Frank (entretien du 2 octobre 1974 avec GLUCKSTEIN D), op. cit., p. 142.
66
Voir les lettres de Lucie Colliard à Boris Souvarine (28/02 et 16/03/1928). IHS, fonds Souvarine,
carton correspondance A-D.
67
« En 1924, le parti comprenait encore une majorité de petits-bourgeois et d’ouvriers inéduqués. Il
était impossible de créer en quelques mois un parti organisé sur la base de cellules d’entreprises […]
La direction Treint-Girault crut la chose possible, et malgré la mise en garde d’un certain nombre de
camarades dès cette époque, appliqua avec une brutalité et une absence de compréhension
ème
devenues légendaires dans le parti français les directives arrêtées du 5 congrès. », Fourrier M,
Gérard F, Naville P, « Thèse sur l’organisation du parti », La Lutte de Classes, juillet 1928.
479
majeures. En tant que dirigeant communiste, il fut l’artisan de la bolchevisation et en
tant qu’oppositionnel, il défend la ligne du bolchevisme-léninisme, qu’ils perçoivent
comme une étiquette derrière laquelle se cache le « zinovievisme » :
« La bolchevisation a apporté comme résultats : par l’application du système
des cellules, la mort politique des masses des sections du Komintern ; par
l’application du système de recrutements inspirés à la conception du parti de
masse, la transformation des partis communistes en partis social-démocrates.
[…] Les éléments centristes de “l’Unité Léniniste“ n’ont pas non plus changé
d’habillement. Leur étiquette est du reste bien claire : ils déclarent avoir
commis des fautes, mais en réalité dans leur “Plateforme de l’Opposition
française“ (éditée par Gaston Faussecave) ne changent pas leur ligne. »68
Sur la question de l’analyse de la situation en Russie, le jugement tranche encore
plus :
« Pour Treint, ce clown de la pensée et de la plume, le problème se résout par
la question strictement personnelle du caractère de Staline, envisagée comme
un élément subordonné à d’autres dans le testament de Lénine. »69
Jusqu’à l’extrême gauche, Treint garde l’image du zinoviéviste, qui fut
l’instrument d’une politique qui le dépassait et dont il est incapable de tirer les leçons
politiques. Néanmoins Treint influence des militants proches de ces cercles de
l’extrême-gauche et évolue par la suite vers les idées défendues par Le Réveil
Communiste. Avec la Fraction de gauche du PCI, il semble qu’il n’y ait pas eu de
collaboration politique en 1928, la bolchevisation étant pour eux aussi une tache
indélébile dans le parcours politique de Treint.
Finalement seuls les militants du groupe Paz, poussés dans ce sens par les
représentants de l’opposition russe, ont accepté une collaboration occasionnelle
avec Treint et son groupe. Mais l’expérience ne se poursuit pas au-delà de la
signature en commun d’un télégramme70. Malgré le pragmatisme affiché, l’animosité
à son égard et la question de la bolchevisation restent des obstacles de taille sur la
voie d’une véritable collaboration politique. Cependant, les contacts avec Treint se
poursuivent tout au long des années 1928-1929.
Albert Treint jouit d’une image extrêmement négative dans toutes les couches
de l’opposition. Les anciens militants, exclus du PCF en 1924-1925, ne peuvent

68
« La marche vers la gauche », Le Réveil Communiste, n° 2, janvier 1928.
69
Ibid.
70
Cf. supra.
480
oublier son rôle dans la bolchevisation et les campagnes antitrotskystes. Il
représente le parangon de la girouette politique qui après avoir fait la chasse à
l’opposition rejoint ses rangs sans reconnaître les fautes commises dans les années
passées. Mais il faut nuancer les jugements présentés ci-dessus. Dans son combat
politique quotidien, et malgré sa personnalité, Treint attire une quantité non
négligeable de militants qui le suivent dans le groupe de L’Unité Léniniste puis du
Redressement Communiste. De ce fait, il s’avère être un personnage incontournable
dans l’optique de la construction d’une opposition de gauche unie.

481
B/ De L’Unité Léniniste au Redressement Communiste.

1) La crise et la disparition de L’Unité Léniniste.

Le groupe de L’Unité Léniniste sort renforcé de l’épreuve de l’exclusion,


aucune défection dans ses rangs n’étant alors à déplorer. Par sa déclaration à la
conférence nationale, le 31 janvier 192871, il a montré une attitude combative et une
indéniable homogénéité. Pourtant Suzanne Girault, de même que Jacob, prennent
d’ores et déjà une posture en retrait, le deuxième allant jusqu’à condamner certains
traits de l’activité de l’opposition. Suzanne Girault, de son côté, se contente dans ses
interventions de critiquer l’attitude du PCF sur des questions de forme (Illégalité de
certaines réunions, décisions antistatutaires), mais laisse Treint et Barré développer
les arguments du groupe sur les questions de fond.
La capitulation de Zinoviev et de Kamenev, dès décembre 1927, suivie à partir
de mars 1928 par toute une série d’autres représentants de l’opposition russe, peut
amener à court terme des divergences d’analyse sur les raisons de leur capitulation.
De plus, le groupe Treint-Suzanne Girault, isolé au sein de l’opposition française, se
trouve confronté aux questions induites par le tournant politique adopté par le PCF
lors de la conférence nationale et risque de ne plus parler d’une seule voix.
Dans les trois numéros de L’Unité Léniniste publiés suite à l’exclusion du
groupe, la ligne définie reste inchangée. Il s’agit d’œuvrer au redressement du parti
comme le proclame le titre du huitième numéro. Le groupe, qui continue par ailleurs
à intervenir dans quelques réunions du PCF72, définit également des objectifs de
lutte pour les mois à venir. Face à la situation politique nationale et internationale et
devant les difficultés du PCF, il détermine les trois axes principaux de sa réflexion et
de son action :
« Trois faits doivent à l’heure actuelle fixer plus particulièrement l’attention de
tous les ouvriers : la répression grandissante en France, la récente tentative
de la Deuxième Internationale d’exploiter à son profit la déportation de
Trotsky, et enfin la persistance en Chine du mouvement révolutionnaire »73.

71
Cf. supra.
72
Voir le compte rendu des assemblées, L’Unité Léniniste, n° 9, 9 février 1928, p. 12.
73
« La voie juste », L’Unité Léniniste, n° 9, 9 février 1928, p. 1-3.
482
Le groupe semble alors projeter son action dans la durée d’autant plus qu’il
accroît sa renommée en publiant enfin la « lettre de Shanghai »74 sur laquelle
s’appuie Treint pour justifier ses positions sur la question chinoise. Dans la préface à
la lettre, il souligne l’importance d’un document réquisitoire contre la politique de l’IC,
écrit par des représentants de la majorité. Il affirme à nouveau que les maux actuels
de l’IC et du PC d’URSS ont pour origine commune la politique du groupe Staline75.
La brochure contient, en plus de la lettre, la retranscription d’un échange de billets
entre Boukharine et Treint que ce dernier avait cité lors d’une séance du CC du PCF
(10-12 janvier 1928) et qui avait provoqué des réactions d’indignation76. Ce
document prouve en effet que Boukharine, au courant des « opinions erronées » de
la direction chinoise, les a couvertes.
Le document était très attendu dans les cercles de l’opposition car il s’agit
d’une source directe prouvant les manœuvres de la direction russe pour cacher
certains pans de sa politique. Contre le Courant publie une note appelant à lire ce
document tout en s’interrogeant sur sa parution tardive. Treint a t-il voulu le
conserver pour faire pression sur l’appareil du PCF ?77 En effet, la préface de Treint
ne répond pas à certaines questions : Pourquoi avoir attendu autant de temps pour
publier le document ? Comment est-il parvenu entre ses mains ?
Treint affirme implicitement ne pas avoir révélé le document par discipline et
pour ne pas nuire au mouvement communiste. Il aurait finalement décidé sa
publication pour mettre en lumière les dangers de la politique « opportuniste » de
Staline et dénoncer la duplicité de son discours78. Ce jugement de Treint est-il
encore partagé par l’ensemble du groupe ? Les deux premiers numéros publiés suite
à l’exclusion défendent la même ligne, celle de la poursuite de lutte pour le
redressement du PCF et de l’IC. Il est difficile de discerner les divergences entre
rédacteurs, la quasi-totalité des articles portant une signature collective. Sur ce point
Jean-Jacques affirme, par la suite, que la collaboration entre Treint et Suzanne
Girault s’est arrêtée au 9ème numéro :

74
Treint A, « La vérité sur la Chine : La lettre de Shanghai, document inédit caché par Staline »,
L’Unité Léniniste, Paris, 24 p. BNF, 8-02N 2389.
75
« Il est maintenant incontestable que le groupe Staline dans la direction de la politique chinoise,
s’est en fait substitué à la direction régulière de l’Internationale. A celle-ci le groupe Staline a caché la
véritable situation. […] Non seulement le groupe Staline a fait en Chine une politique opportuniste,
mais il a formulé l’idéologie anti-marxiste qui couronne la fausse politique. », Ibid., préface p. 2-3.
76
Cf. supra.
77
« La lettre de Shanghai », Contre le Courant, n° 10, 31 mars 1928, p. 20.
78
« Les paroles et les manœuvres de Staline qui a réussi à rallier Zinoviev, ne pourront pas
durablement masquer le glissement opportuniste qui altère le plus en plus le caractère prolétarien de
l’Etat soviétique […] », Préface de Treint à la lettre de Shanghai, p. 4.
483
« L’Unité Léniniste était publiée par les deux groupes fusionnés : Treint-Barré
d’une part, Suzanne Girault d’autre part. Cet organe fut publié comme un
organe du bloc jusqu’au numéro 9, seul l’éditorial de ce numéro 9 ayant été
élaboré en commun (9 février 1928). Les numéros suivant furent uniquement
l’expression des capitulards du groupe Suzanne Girault qui avaient accaparé
les ressources matérielles et le journal commun du bloc »79
L’étude du onzième numéro80 met en évidence l’évolution sensible de la ligne
politique. L’éditorial81 invite l’opposition à dénoncer la tactique électorale « classe
contre classe » lors de la Conférence Régionale de la région parisienne et un second
article fustige le manque de travail syndical des communistes. Mais plus loin, le
journal publie un article de la Pravda assorti du titre suivant : « L’opposition avait vu
juste : le grand danger koulak reconnu par la majorité ». C’est une reconnaissance
explicite d’un tournant à gauche de la direction du PC d’URSS, que Treint réfute,
estimant qu’il ne s’agit que d’un « zigzag de droite à gauche » et non d’un véritable
redressement. La rupture, effective depuis plusieurs semaines, est officiellement
annoncée dans le numéro suivant82. Treint revient très peu par la suite sur la
chronologie de la rupture avec Suzanne Girault. Pour cette dernière, le retour au
front unique « à la base », qui exclut les alliances avec les dirigeants socialistes, le
discours offensif et ouvriériste et la réorientation progressive de la tactique syndicale
― l’accent étant de nouveau mis sur la conquête des syndicats ― répondent à ses
critiques et place de nouveau le parti sur la ligne des années 1924-1925. De son
côté, Treint estime qu’elle a « capitulé » car elle n’approuvait pas la ligne politique
défendue par l’opposition de gauche :
« Après le 15ème congrès du PCUS et le 9ème Plénum de l’Exécutif, Suzanne
Girault, suivant l’exemple de son chef Zinoviev, capitula. C’est à dire que
Suzanne Girault abandonna la plateforme de l’Opposition […] La scission fut
faite avec Suzanne Girault sur son refus d’accepter notre ligne politique fixée
dans nos thèses de février 1928 (Thermidor, Kérenskysme à rebours, austro-
marxisme à rebours, défense de l’URSS, les deux partis, tactique passée du

79
Jean-Jacques, « L’opposition en France, historique et perspectives », étude envoyée à Trotsky, 14
p., 15 mai 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard).
80 er
L’Unité Léniniste, n° 11, 1 mars 1928.
81
« Préparons la troisième Conférence Régionale », Ibid., p. 1-3.
82
« Nos camarades A. Treint et H. Barré ayant des divergences sérieuses avec nous sur
ème
l’appréciation de la situation présente en URSS, les décisions du 15 congrès du PCR et de notre
conférence nationale, nous demandent de ne plus les compter parmi les membres du comité de
rédaction de l’Unité Léniniste. Nous retirons donc leurs signatures », L’Unité Léniniste, n° 12, p. 2.
484
bloc oppositionnel en Russie, les différents groupes de l’opposition et
l’unification des forces communistes). »83
Treint profite de cet épisode pour se présenter, au contraire de son ancienne
camarade, comme le plus orthodoxe des militants de l’opposition de gauche, celui
qui a défendu dans son intégralité les thèses de Trotsky. Toutefois cette rupture
demeure une défaite politique pour lui. Premièrement la grande majorité du groupe,
constitué par des militants de « la gauche » du PCF qui avaient jusqu’alors soutenu
Treint, choisit la voie de l’autocritique et du retour dans les rangs du PCF.
Deuxièmement, c’est un échec sur le plan financier, Treint et Barré n’ayant plus de
journal et ayant surtout perdu les fonds alloués par l’opposition russe84.
Pour Suzanne Girault et ses partisans, si l’option de la réintégration n’est pas
immédiatement envisagée, le ton à l’égard du PCF change radicalement. Calzan, qui
participe à la Conférence Régionale de la région parisienne, exprime dans une
intervention, le virage brutal de L’Unité Léniniste :
« Selon Calzan, l’offensive contre le Koulak a été engagée grâce à Zinoviev et
Kamenev. C’est là, dit-il, une nouvelle orientation à gauche que nous
soulignons avec joie, car, sans aucun doute, cette politique d’orientation aura
sa répercussion dans toutes les sections de l’Internationale (Humanité du 19
mars). »85
Après l’annonce de sa rupture avec Treint, le groupe Suzanne Girault poursuit
la publication de L’Unité Léniniste. La cible principale des auteurs n’est plus le PCF
et le PC d’URSS mais l’opposition internationale et plus particulièrement le
Leninbund86, coupable à leurs yeux de s’orienter vers la constitution d’une
organisation indépendante et concurrente du KPD. A la même période la Pravda
dénonce dans ses colonnes les oppositionnels européens qui s’orientent vers un
second parti. Le journal affirme par exemple que Treint se présenterait aux
prochaines élections législatives françaises87. L’Unité Léniniste publie plusieurs
lettres du Redressement Communiste, nom du nouveau groupe formé autour de
Treint et Barré, adressées au congrès du Leninbund, mettant en garde la direction

83
Etude de Jean-Jacques, art. cit., p. 4.
84
Ces fonds seront finalement reversés dans les caisses du PCF. GLUCKSTEIN D, op. cit., p. 136,
entretien avec Pierre Frank (2 octobre 1974). Jean-Jacques, dans son étude pour Trotsky, souligne
également que « les capitulards » se sont « accaparés les ressources matérielles ».
85
« Sur le chemin de Zinoviev ? », Contre le Courant, n°10, 31 mars 1928, p. 19.
86
Voir notamment « Pour le redressement de l’Internationale Communiste, pas dans la voie du
Leninbund », L’Unité Léniniste, n° 14, 12 avril 1928, p. 1-2.
87
Voir lettre de Trotsky à A. G. Beloborodov, 23 mai 1928, dans Œuvres, op. cit., p. 168.

485
allemande contre la tentation de construire un nouveau parti ouvrier. Le groupe
Treint juge alors cette initiative « dangereuse et sectaire », mais affirme dans le
même temps sa solidarité avec la nouvelle organisation oppositionnelle88. Dans le
numéro suivant, L’Unité Léniniste publie deux lettres de militants allemands quittant
le Leninbund pour rejoindre le KPD. La seconde lettre, signée Ruth Fisher et
Maslow, souligne la nécessité pour les oppositionnels de gauche de rentrer dans le
parti pour poursuivre le redressement qui a débuté après le 15ème congrès du PC
d’URSS. Elle apporte un soutien de taille aux militants du groupe Suzanne Girault qui
s’engagent dans la même voie en affirmant leur foi dans la possibilité de
redressement des partis communistes et de l’IC. Selon eux, la direction du PC
d’URSS appliquant désormais le programme de l’opposition (lutte contre les koulaks,
arrêt de la répression), il n’existe plus de raison valable de ne pas réintégrer le
parti89.
Conclusion logique de la démarche engagée, le groupe annonce, dans le dix-
septième numéro, la cessation de la parution de L’Unité Léniniste. Il déclare
officiellement demander la réintégration dans le parti et entame même un processus
d’autocritique en reconnaissant la validité de la tactique électorale « classe contre
classe » décidée par le PCF90. Les membres du groupe Suzanne Girault estiment
cependant ne pas avoir abandonné leurs positions mais au contraire avoir permis,
par leur lutte, le redressement politique du parti, condition indispensable à leur
retour. Si le PCF a effectivement pris un tournant politique qu’ils jugent favorable,
leurs justifications concernant la situation politique en URSS témoignent d’une
certaine résignation. Alors que Trotsky et des milliers d’oppositionnels sont toujours
emprisonnés ou envoyés en déportation, ils déclarent qu’en Russie « l’ère des
exclusions, des déportations, est close ». Dans ce dernier numéro, les anciens
opposants font même un éloge de Staline, garant de l’orientation à gauche du PC
d’URSS et de l’IC91.
Dans l’opposition française, cette conversion ne surprend pas vraiment. Le
groupe Paz réagit à la nouvelle dans un article au ton sarcastique :

88
Lettre du Comité de redressement bolcheviste du parti français et de l’internationale au congrès de
fondation du Leninbund, l’Unité Léniniste, n° 15, 26 avril 1928, p. 14-17.
89
« Pour le redressement de l’Internationale Communiste, pas dans la voie du Leninbund », art. cit.
90
« L’Unité Léniniste cesse de paraître », L’Unité Léniniste, n° 17, 31 mai 1928, p. 1.
91
« L’Unité Léniniste pense que Staline veut lutter contre les ennemis du communisme et notamment
qu’il reprend les points de vue de l’opposition sur la manière de lutter contre la bureaucratie. », « Les
buts poursuivis par L’Unité Léniniste », L’Unité Léniniste, n° 17, 31 mai 1928.
486
« Le numéro 17 du journal de Suzanne Girault nous apprend une triste
nouvelle : L’Unité Léniniste cesse de paraître ; ce régal bi-mensuel nous sera
désormais refusé ! […] Ce que l’on peut affirmer en tout cas sans risque de se
tromper, c’est que les « Bolcheviks-Léninistes français » sont tout à fait mûrs
pour retourner au giron de la bureaucratie qu’ils n’auraient jamais dû quitter.
[…] Comme ils sont dignes de Zinoviev dont récemment encore ils
stigmatisaient la “faiblesse de caractère qui, comme en 1917, l’a mené à la
désertion“. Bon voyage ! Adieu L’Unité Léniniste. »92
Suzanne Girault et son compagnon François Sauvage adressent, dès le 6 juin
1928, leur demande de réintégration au PCF et à l’IC. Celle-ci n’intervient finalement
qu’en 1930 à la suite d’une nouvelle autocritique. Renvoyée à la base durant les
années trente, Suzanne Girault ne retrouve jamais la place qu’elle a occupé
auparavant. Il est difficile de savoir si les seuls motifs politiques expliquent son choix
de rentrer dans le rang. Au regard du parcours si singulier de cette femme militante
bolchevique de la première heure, arrivée tardivement en France, la rupture avec le
parti peut apparaître comme un obstacle insurmontable93. Suite à cet épisode, les
liens politiques qui unissaient Treint et Suzanne Girault se rompent définitivement.
Au côté de Barré, de deux anciens militants des Jeunesses Communistes (Déglise94
et Jean-Jacques95) et d’individualités situées à Poitiers, Agen, Nanterre et Puteaux96,
Treint fonde le Comité pour le Redressement Communiste du Parti et de
l’Internationale (CRC). Le groupe, alors dans une situation financière très délicate, ne
peut militer efficacement. Il est isolé sur le plan politique. Mais, dès le mois de juin
1928, Contre le Courant relance l’idée d’une unification des formations
oppositionnelles qui approuvent les principes édictés par Trotsky dans « Nouvelle
étape ».

92
« Adieu L’Unité Léniniste », Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p. 20-21.
93
« On peut néanmoins imaginer la rupture que doit représenter l’exclusion pour une femme de
quarante-six ans, qui ne connaît de la société française que le petit microcosme du parti, et qui se
retrouve du jour au lendemain en marge de son environnement familier. Dans son entourage proche,
en effet, son fils Léon et son gendre Georges Altman militent dans les rangs du parti en tant que
permanents. », Intervention de Pierre BOICHU sur l’itinéraire de Suzanne Girault au séminaire de
DEA, dirigé par Jacques GIRAULT.
94
Maurice Déglise (1903-1972) : Adhère au JC en 1925 et milite dans la jeune garde de l’ARAC.
Après avoir pris position en faveur de Treint et Suzanne Girault, il est exclu des JC au côté de Jean-
Jacques.
95
Tchernobelsky, dit Jean-Jacques, membre des Jeunesses Communistes, il participe en 1927 à la
direction de la sous-section juive et prend position en faveur de Treint et Suzanne Girault. Il est exclu
des JC en avril 1928.
96
Voir Jean-Jacques, « l’Opposition en France : historique et perspectives », art. cit., p. 4.
487
2) L’échec de la tentative d’unification.

Une fois exclu du PCF, le groupe Paz manifeste sa volonté d’aboutir à


l’unification de l’opposition, sans exclusive. Il estime pouvoir jouer le rôle de pivot de
l’opposition française, grâce au dialogue privilégié qu’il entretient avec les
représentants de l’opposition russe mais aussi grâce à son combat passé contre la
bolchevisation puis contre la direction Semard. Il ne peut être accusé de collusion
avec les bolchevisateurs, ce qui lui permet de se poser en rassembleur. En février
1928 le groupe avait pris l’initiative de proposer une rencontre entre Naville, Treint,
Souvarine et les militants de La Révolution Prolétarienne. Ce fut un échec, en dépit
de la rédaction d’un tract commun dénonçant les déportations et les mensonges de
l’Humanité97. Plusieurs signataires refusaient d’apposer leur nom au côté de celui de
Treint, qui fut donc écarté. De plus, cette action ne connut pas de suite immédiate.
Pour relancer l’idée d’un front uni des forces de l’opposition française, le
groupe Paz envoie une lettre ouverte aux principaux groupes de l’opposition
française98. Cette initiative souligne le désir de toucher la presque totalité de
l’opposition en ménageant les susceptibilités de chacun, en tenant compte des
divergences et des haines accumulées par le passé. La question de la bolchevisation
reste un sujet particulièrement sensible qui, s’il est évoqué, ne peut qu’aboutir à
l’ostracisme du groupe Treint. En conséquence, le terme de bolchevisation
n’apparaît à aucun moment dans la lettre, les auteurs préférant éviter la polémique
en parlant des différences de réaction des groupes oppositionnels face à la
dégénérescence du parti. La lettre précise qu’à aucun moment il n’est question de
proposer une fusion immédiate, objectif irréalisable. Il s’agit plus prosaïquement de
faire travailler les militants autour de valeurs qui forment un socle commun à toute
l’opposition :
« C’est un fait qu’il existe plusieurs groupes communistes d’Opposition. Nous
désignions ainsi les groupes qui, demeurant sur le terrain du marxisme
révolutionnaire et de la nécessité d’un Parti de classe, s’opposent
irréductiblement au cours stalinien. […] Malgré les différences importantes

97
« Pour la révolution russe. Pour le prolétariat international. », Contre le Courant, n° 9, 6 mars 1928,
p. 17-18.
98
La lettre est adressée à : Marcel Body et son groupe oppositionnel, le Cercle Marx et Lénine, la
Fraction de gauche du PC d’Italie, le Groupe Barré-Treint, le groupe lyonnais de l’opposition (Souzy),
La Lutte de Classe, le Réveil Communiste, Rosmer et la Révolution Prolétarienne. La lettre, datée du
2 juin 1928, est publiée dans le n° 12 de Contre le Courant, 28 juin 1928, p. 1-3.

488
dans l’analyse qu’ils donnent de la situation actuelle, ces groupes d’accord sur
les principes essentiels, ont de plus ceci en commun : tous mènent une lutte
de gauche contre la déviation opportuniste de l’Internationale Communiste,
[…] »
Pour la première fois, un groupe propose une définition large de ce que pourrait être
une future opposition unie sans prendre pour référence unique ses propres thèses.
Deux expressions apparaissent primordiales dans cette définition : « cours stalinien »
et « lutte de gauche ». Ces deux termes visent à définir le terrain idéologique sur
lequel se réalisera l’unification. Mais plusieurs militants réfutent la validité de ces
étiquettes et de ces classifications.
Une fois définie ce que pourrait être l’opposition, les auteurs rappellent
l’immensité de la tâche qui incombe à l’opposition au regard de ses faibles moyens.
Ils proposent un objectif assez modeste, la création d’un organe commun où chaque
tendance pourrait s’exprimer librement et ainsi faciliter les rapprochements. En
conclusion, la lettre suggère de réunir une conférence nationale de l’opposition à
Paris, les 14 et 15 juillet 1928 avec trois questions à l’ordre du jour99. Elle souligne
aussi que le refus de collaborer serait la preuve du manque de « confiance dans
[ses] propres arguments ».
Cette lettre ne provoque pas les effets escomptés. Rosmer et Le Réveil
Communiste ne répondent pas. Seuls le CRC et le groupe lyonnais d’opposition
acceptent la proposition, tout en émettant de sérieuses réserves sur certains aspects
de la démarche et sur sa viabilité finale. Toutes les autres formations refusent et
invoquent des motifs propres, avec des points de convergences dans les arguments
utilisés.
Tous considèrent que l’hétérogénéité en France se justifie par des
divergences idéologiques majeures ne pouvant se résoudre par une simple
conférence. Pour Body l’initiative est simplement prématurée100. Pour la Fraction de
Gauche du PC d’Italie101 il convient, avant d’envisager des actions communes, de
définir une plate-forme politique acceptée par tous et non le contraire. La réponse la
plus acerbe provient du Cercle Marx-Lénine102 qui déclare refuser de travailler avec

99
1) La situation économique et politique. 2) Le problème de l’opposition. 3) L’organe unique de
l’opposition.
100
Voir Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p. 24.
101
« Réponse de la Fraction de Gauche », Contre le Courant, n° 13, 5 août 1928, p. 7-8.
102
« Réponse du Cercle Marx Lénine », Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p. 8-9. La lettre est
signée par les secrétaires du Cercle, Mahouy et Rosen, mais Paz déclare par la suite que l’auteur en
est Souvarine.
489
des groupes qui ne peuvent se revendiquer du marxisme. Tous les acteurs de
l’opposition se révèlent en accord sur ce constat : l’hétérogénéité de l’opposition
française est, dans une certaine mesure, nuisible à son action. Cette constatation, au
lieu d’amener les groupes à coopérer, est utilisée comme prétexte pour justifier de
son isolement. Par ses arguments, le Cercle Marx-Lénine apporte la réponse la plus
péremptoire aux propositions du groupe Paz. Ceux-ci réfutent absolument les termes
de léninisme et de stalinisme évoqués dans la lettre ouverte103. Naville et Gérard
Rosenthal104 rejoignent sur ce point Souvarine et déclarent ne pas reconnaître la
formule de « lutte contre le stalinisme ». Quant à la Fraction de Gauche, elle juge
cette formule tout à fait insuffisante, considérant que la grave crise que traverse l’IC
ne peut être rapportée uniquement à la question de Staline et s’explique par des
causes bien plus profondes.
Le dernier point de convergence concerne les questions de l’appréciation de
la bolchevisation et le refus de travailler avec ses responsables, autrement dit avec
le CRC. Naville refuse d’envisager une action commune avec Treint « qui du reste ne
représente que lui-même ». Il considère que ce dernier n’est absolument pas sûr
politiquement, trop versatile et qu’il reste plus proche de Suzanne Girault que de
l’opposition. La réponse du Cercle Marx-Lénine se distingue par plus de sévérité. Ils
ne citent pas explicitement le nom de Treint, mais il est clairement visé :
« Vous reconnaissez, dans les bolchevisateurs de 1924, des communistes
avec vous “d’accord sur les principes essentiels“. Nous voyons en eux les
produits les plus malfaisants de l’asservissement, de la crétinisation, de la
corruption des partis communistes. […] Or, vous avez fait alliance avec un
groupe de ces bolchevisateurs et vous persistez dans une volonté d’action
commune avec ses débris. Libre à vous, mais renoncez à nous y mêler. »
Derrière la question Treint, tous les groupes craignent que se reproduise une alliance
calquée sur le modèle de l’opposition russe, c’est-à-dire entre les oppositionnels de
la première heure et les « zinoviévistes ». Treint se retrouve une nouvelle fois au
centre d’une problématique qui dépasse pourtant la question de sa personne.

103
« Nous n’acceptons pas plus le léninisme que nous ne connaissons le stalinisme, comme nous
n’avons jamais admis l’existence d’un “trotskisme“. […] Le stalinisme nous n’avons pu encore le
découvrir, pas même à l’aide de vos assertions. […], rien n’autorise à enrichir d’un nouveau spectre la
dérisoire collection de fantômes fabriquée pendant la crise communiste pour les besoins d’une cause
inavouable sous les noms de trotskisme, de radekisme, de luxembourgisme, de brandlerisme, de
bordigisme, de souvarinisme et autres ismes illusoires. »
104
« Réponse de La lutte de Classes », Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p. 4-5.
490
Lui-même répond positivement à la proposition du groupe Paz105. Au regard
des autres réponses, le CRC apparaît comme le plus convaincu de la nécessité et de
l’importance de la conférence, même s’il émet un certain nombre de réserves. Selon
lui, une conférence nationale ne doit pas être une fin en soi mais servir de base à
l’organisation d’une conférence internationale qui constitue la seule échelle à laquelle
la lutte doit s’organiser. A l’instar des autres groupes, il souligne le danger d’une
fusion mécanique de l’opposition sans discussion sur les points qui font débats106. Il
jette d’emblée l’anathème sur le Cercle Marx-Lénine et le groupe Naville, cédant lui
aussi à la volonté de polémiquer plutôt que de discuter :
« Le cercle Marx-Lénine n’a jamais défini sa position politique. […] Nous
soulignons entre autres choses que les erreurs de Souvarine sur le
mouvement ouvrier anglais, […], nous apparaissent le placer politiquement
bien plus près de Staline que de nous. Quant au groupe dit de La Lutte de
Classes, nous rejetons catégoriquement la pensée d’une rencontre avec lui.
Composé d’éléments intellectuels bourgeois, abâtardis et dégénérés, se
livrant à des dissertations sur les sujets les plus pourris et les plus déprimants
[…] »
Sachant qu’une unification des forces de l’opposition est impossible, le groupe Treint
choisit d’instrumentaliser l’initiative du groupe Paz à son profit en se présentant
comme une organisation ouverte et sensible à la thématique de l’unité, tout en
posant des conditions inacceptables à la réalisation de celle-ci. Cette réponse ne fait
par ailleurs pas l’unanimité au sein du CRC et déclenche un premier conflit interne.
Dans tous les groupes, les querelles de personnes passent avant l’intérêt que
pourrait représenter un travail en commun. En toute logique, l’idée de la conférence
est abandonnée. Paz, dans un article analysant les réponses des différents
groupes107, considère néanmoins que l’initiative a au moins eu un aspect positif. Elle
a « révélé les antagonismes latents » et précisé les positions de chacun, ce qui
représente finalement la première étape pour permettre l’ouverture de discussions
sincères. Cependant, immédiatement après cette tentative d’unification, les tensions
s’accroissent nettement et le débat laisse place à toute une série de polémiques qui
repoussent à un horizon lointain tout rapprochement. Suite à la proposition de

105
« Réponse du Groupe du Redressement Communiste », Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p.
6-7.
106
Pour le CRC les deux questions sur lesquelles les groupes de l’opposition divergent sont le rôle du
parti et le travail syndical.
107
Paz M, « Une mise au point nécessaire », Contre le Courant, n° 12, 28 juin 1928, p. 10-14.
491
conférence, Maurice Paz publie une réponse à une lettre dans laquelle des
« camarades » accusent son groupe de s’être concerté avec Treint avant d’envoyer
la lettre ouverte à l’opposition et de lui avoir ouvert les colonnes de la revue108. Paz
accuse alors Souvarine d’être à l’origine de ces rumeurs malveillantes, lancées pour
nuire à Contre Le Courant109. Dans le numéro suivant, Delfosse publie une
rectification110, dédouanant Souvarine de la responsabilité de ces rumeurs. Cette
anecdote témoigne de l’ambiance délétère qui règne dans les rangs de l’opposition.
Pour Treint l’hypothèse d’un regroupement d’envergure autour du CRC ne
peut être envisagé à court terme, tant les préventions à son égard restent fortes. Il
estime néanmoins avoir la légitimité pour participer, voire diriger la future opposition
de gauche. Il poursuit donc ses prises de contacts en France comme à l’étranger, et
plus particulièrement avec Léon Trotsky, une fois celui-ci installé à Prinkipo.

108
Dans cette lettre, les « camarades » affirment que Treint se cache sous le pseudonyme de Flavius.
Voir Paz M, « Souvarine récidive », Contre le Courant, n° 13, 5 août 1928, p. 9.
109
« Mais c’est désormais une habitude chez Souvarine, lorsqu’il a tort, de chercher une diversion en
répandant des ragots, en faisant courir des canards et en accusant de "manoeuvres". De manœuvres,
jusqu’à présent, on en constate que chez lui. Quoi qu’il en soit, c’est en vain que Souvarine cherchera
à atténuer l’effet déplorable qui a été causé par sa réponse en jetant la suspicion sur nous. », Ibid.
110
Delfosse, « A propos de l’article Souvarine récidive », Contre le Courant, n° 14, 10 septembre
1928, p. 9.
492
C/ Le Redressement Communiste (1928-1929).

1) Composition et activité du groupe en 1928.

Le CRC naît au mois de mars 1929, suite au départ de Treint et Barré du


comité de rédaction de L’Unité Léniniste. La minorité, représentant une sensibilité
antistalinienne opposée à tout compromis avec la direction du PCF, se manifestait
déjà au sein du groupe Treint-Girault. Parmi les anciens de L’Unité Léniniste, on
retrouve aux côtés de Treint et Barré, Nelly Rousseau111, Gaston et Marguerite
Faussecave112, Béors113 ainsi que Marc Chirik114. Plusieurs militants des Jeunesses
Communistes115 participent à la fondation du Comité mais seuls deux noms nous
sont connus : Tchernobelsky et Maurice Déglise. André Prudhommeaux116 est
également membre du Comité sans que l’on sache s’il participa à sa fondation. Dans
le premier numéro de la revue Le Redressement Communiste117 apparaissent
également les noms de J. Lapierre, Sanciaume et Marcel S118.
Le CRC ne compte qu’un seul militant ayant de l’influence dans le mouvement
ouvrier français, Treint. Malgré cette faiblesse, il revendique le statut de seul groupe
oppositionnel défendant intégralement les idées de l’opposition de gauche en
France119. Comparé aux autres formations de l’opposition française, le CRC possède
une structure organisationnelle mieux définie et plus centralisée. Tous les groupes

111
Compagne d’Albert Treint depuis 1927. Elle le suivra dans son évolution politique tout au long des
années trente.
112
Leur nom n’apparaît dans aucun des documents publiés par le Comité pour le Redressement
Communiste. Par contre RABAUT J indique qu’ils étaient membres de ce groupe, Tout est possible,
Paris, Ed. Denoël, 1974, p. 26. Ont-ils quitté le groupe à la faveur de la crise de décembre 1928 ?
113
Comme pour le couple Faussecave, seul RABAUT J indique son appartenance au groupe. Voir
également sa fiche biographique dans Le dictionnaire du mouvement ouvrier français.
114
Marc Chirik, dit Marc est né à Kichinev, en Russie. Il s’installe en France en 1924 et intègre la sous
section juive du PCF. Il participe à la fondation de L’Unité Léniniste qu’il quitte en mars 1928 au côté
de Treint. Voir « Marc Laverne et la Gauche communiste de France (1920-1970) », tome 1, textes
choisis, rassemblés et présentés par Pierre Hempel, ed. internes du CCI, Paris, 1993.
115
La composition exacte de ce groupe en mars 1928 n’est malheureusement pas connue. Les seules
indications précises se trouvent dans l’étude de Jean-Jacques, « L’opposition en France…. », art.cit.,
p. 4.
116
André Prudhommeaux, dit Jean Cello, étudiant à Paris il collabora à plusieurs occasions à la revue
Clarté avant de rejoindre le Comité pour le Redressement Communiste.
117
Le Redressement Communiste, n° 1-2, octobre 1928.
118
Nous ne possédons aucune référence biographique concernant ces trois militants. Il s’agit peut-
être de pseudonymes.

493
de militants à Paris, en banlieue et en province sont constitués en comités reliés
entre eux par un secrétariat composé de Treint et Barré120. Cette structure
pyramidale donnant un grand pouvoir au secrétariat évoque, à une moindre échelle,
l’organisation centralisée du PCF issue de la bolchevisation. Très rapidement cette
structure, trop rigide pour un petit groupe, entraîne de nombreux conflits, Treint et
Barré gardant la haute main sur la définition de la ligne et des tâches politiques.
Dès sa création, le fonctionnement du CRC se heurte à des difficultés
financières, Suzanne Girault ayant conservé l’intégralité des fonds destinés à la
publication de L’Unité Léniniste. En outre, les membres, tous de condition sociale
modeste, ne peuvent contribuer que modiquement à l’effort financier nécessaire pour
développer une activité politique d’envergure, rendant la publication d’un organe de
presse régulier impossible. Sur les six premiers mois de son existence, le CRC doit
se limiter à la publication de deux brochures de propagande.
La première121, recueil de documents permettant de mieux cerner l’orientation
et les objectifs politiques du groupe, contient deux articles, signés Treint et Barré
ainsi qu’un appel pour la libération des bolcheviks emprisonnés. Elle renferme
également une série de brèves portant sur les raisons de la rupture avec le groupe
Suzanne Girault, sur les relations avec Paz et une note soulignant la nécessité de
travailler avec le Leninbund ― malgré la participation de l’organisation aux élections
en Allemagne ― et l’opposition belge.
L’article principal, intitulé « Litvinoff ou Lénine »122 dénonce l’orientation de la
politique étrangère de l’URSS et le projet de désarmement proposé par Litvinov123
dans le cadre d’une coopération avec les grandes nations capitalistes au sein de la
SDN. A cette politique de compromis avec les Etats capitalistes, Treint oppose la
pratique politique de Lénine qui, selon lui, savait passer des accords tactiques tout
en restant inflexible sur les principes révolutionnaires. Staline reste la cible privilégiée
de Treint. Il voit en lui la cause principale, voire unique, de la dégénérescence du
régime soviétique et des échecs des mouvements révolutionnaires. La politique

119
« Ainsi, sur notre base politique, c’est-à-dire la plate-forme de l’Opposition dans toute sa plénitude,
nous avons formé un groupe de constitution essentiellement et même uniquement ouvrière [souligné
par l’auteur]. », Jean-Jacques, « L’opposition en France…. », art. cit., p. 4.
120
Voir la déclaration du Comité pour le Redressement Communiste, « Sur le régime intérieur du
groupe », Contre le Courant, n° 20-21, 15 décembre 1928, p. 4-7.
121
Date inconnue. Conservée au CERMTRI, carton Albert Treint.
122
Treint A, « Litvinoff ou Lénine », Documents édités par le Comité pour le Redressement
Communiste, sans date.
123
Commissaire aux affaires étrangères de l’URSS.

494
étrangère de l’URSS, qu’il place dans la continuité des politiques de collaboration
avec les bourgeoisies anglaise et chinoise dans le cadre du Comité anglo-russe et
du Kuomintang, ne peut qu’être inspirée par Staline :
« Ainsi, le projet de désarmement de Litvinoff est le produit le plus récent de
cette politique louvoyante de Staline. […] Aujourd’hui, le révisionnisme de
Staline essaye de couvrir la politique fausse, sur la question de la paix comme
sur les autres, par d’habiles commentaires affirmant parfois en paroles la
doctrine bolchevique la plus orthodoxe au moment où celle-ci est violée
outrageusement dans la pratique. »
Le second article, signé Barré, traite de l’affaire du Donetz124 où, selon la
Pravda, des « spécialistes bourgeois » ont sciemment saboté la production. Pour
l’auteur, cette affaire souligne le bien-fondé des thèses de l’opposition russe sur la
lutte contre les koulaks et la bourgeoisie russe. Alors que de nombreux groupes de
l’opposition française s’interrogent sur la nature révolutionnaire du régime soviétique,
ces deux articles font ressortir la volonté du CRC de se placer dans la ligne de la
plate-forme de l’opposition russe. Le CRC défend une conception orthodoxe de la
lutte oppositionnelle, considérant que la dégénérescence provoquée par les erreurs
politiques de quelques dirigeants ne remet pas en cause l’œuvre révolutionnaire de
Lénine et la nature révolutionnaire du régime soviétique. L’URSS doit en
conséquence être défendue contre les nombreuses menaces extérieures et
intérieures que dénoncent alors les autorités du pays125.
La deuxième brochure126, s’appuyant également sur la plate-forme de
l’opposition russe, dénonce pêle-mêle la situation catastrophique de l’économie de
l’URSS, la politique sur la question coloniale, la théorie du socialisme dans un seul
pays et la politique « opportuniste » de Staline. Elle s’achève sur une « Déclaration
complémentaire de la Minorité du Comité de Redressement » signé Treint et Jean-
Jacques. Tout en affirmant leur accord complet avec l’appel au 6ème Congrès, les
deux hommes marquent leurs différences sur l’analyse des perspectives politiques
en URSS. Pour eux, la victoire de l’aile droite du PC d’URSS (Rykov) constitue une
menace imminente qui conduirait à la naissance d’un nouveau parti anticommuniste.

124
Bassin minier en URSS.
125 ème
Depuis le 8 Exécutif Elargi, l’IC dénonce les menaces de guerre contre l’URSS, consécutives à
la rupture des relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et l’URSS. Le procès des
« saboteurs » du Donetz (18 mai-17 juillet 1928), dites affaire Chakhty, est l’occasion de dénoncer les
complots « contre-révolutionnaires » ourdis à l’intérieur même de l’URSS.
126
Appel du Comité pour le Redressement Communiste, « A tous les ouvriers révolutionnaires ! Au
ème
6 Congrès de l’Internationale », 6 août 1928. Conservé au CERMTRI, carton A. Treint.
495
Si cette perspective se réalisait, elle imposerait la construction d’un nouveau parti
communiste :
« Le jour où nous nous trouverions, non plus devant les zigzags centristes,
mais devant la victoire rykoviste définitivement assurée dans le parti russe et
dans l’Internationale ; ce jour-là, face à ce nouveau parti, anti-communiste et
semi-thermidorien, dans les cadres d’organisations duquel le redressement
communiste serait devenu impossible, le devoir de l’opposition serait de
poursuivre à travers une lutte longue, acharnée, difficile, persévérante, le
rassemblement et l’unification de toutes les forces vraiment communistes,
[…] ».
Cette déclaration ne remet pas en cause les fondements de la ligne politique du CRC
s’appuyant sur les thèses de Trotsky développées dans « Nouvelle étape », qui
considérait que la victoire de l’aile droite du PC d’URSS impliquerait la construction
d’un nouveau parti révolutionnaire. Mais contrairement à Treint, Trotsky estime que
cette victoire de la droite ne peut se réaliser à court terme, puisque selon lui,
Boukharine et Rykov, les leaders de la droite, s’appuient sur une base sociale
favorable au retour au capitalisme encore faible en URSS127.
Peu de groupes français s’intéressent alors à la question du deuxième parti.
Les positions varient plutôt autour de la fidélité au PCF ou, au contraire, au refus de
reconstituer un nouveau parti dans une période de reflux révolutionnaire128. Cette
prise de position place Treint à la marge de l’opposition française et, de manière plus
étonnante, en minorité au sein du groupe qu’il a contribué à créer quelques mois plus
tôt129. Dès avril 1928, Treint et Barré avaient, dans une lettre au congrès du
Leninbund, montré toute l’ambiguïté de leurs positions sur cette question du second
parti. Tout en insistant sur la nécessité de concentrer l’action politique sur le

127
« Ce qu’il y a de rassurant au premier coup d’œil, c’est que les partis politiques des classes
possédantes ont été détruits de fond en comble, que les nouveaux propriétaires sont politiquement
atomisés, que la droite, à l’intérieur du parti, par crainte du noyau prolétarien, et encore freinée par le
passé, ne peut se résoudre à prendre ouvertement appui sur les nouveaux propriétaires. » Trotsky,
« Le danger de bonapartisme et les tâches de l’opposition », Œuvres, Tome 2 (août 1928-février
1929), p. 312-327. Ce texte est écrit le 21 octobre 1928, plusieurs mois après que Treint eut souligné
le danger imminent de victoire de l’aile droite. Trotsky considère que les rapports de force au sein du
parti n’ont pas évolué depuis la fin de l’année 1927, lorsqu’il rédigea « Nouvelle étape ».
128
C’est notamment la position du Cercle Marx-Lénine ou du Réveil Communiste.
129
Quelques semaines plus tard, certains membres du CRC révèlent cependant que Treint s’est
approprié leur position sur la question du second parti, après l’avoir combattue, cf. infra.
496
redressement des partis communistes existants, les deux militants approuvaient
implicitement la tactique du Leninbund de constitution d’un parti indépendant130.
Mis à part la diffusion des deux brochures citées, l’activité politique du CRC
reste restreinte. Nous citerons la manifestation de commémoration de la Commune
au cours de laquelle des jeunes membres du CRC brandissent une pancarte
appelant à « l’Unité Communiste »131. Il faut attendre le mois d’octobre pour que
paraisse le premier numéro du Redressement Communiste, revue du groupe, et que
soient organisées des conférences publiques. Le groupe mène alors campagne pour
la défense de Trotsky et des oppositionnels en danger132, ainsi que contre la
politique étrangère de l’URSS133.
Treint continue de sonder les opposants à la ligne politique du PCF, dans une
optique d’unification de l’opposition autour de son groupe. Dès la constitution du
CRC, il contacte des militants politiques et syndicalistes, tel Bouët134, pour élargir son
audience. Il entretient également les relations avec le groupe Paz. Le CRC organise,
le 3 novembre 1928, une conférence générale dont l’ordre du jour comprend
l’amélioration du fonctionnement du Comité ainsi qu’un débat sur la question de
l’unité de l’opposition. A cet égard, le secrétariat fait parvenir une convocation à
Contre le Courant. En réponse, le groupe Paz pose comme condition préalable à la
discussion sur l’unification la reconnaissance explicite des fautes du passé135.
Les questions de la bolchevisation et de l’attitude passée de Treint continuent
d’empoisonner les rapports avec les autres groupes. Elles provoquent également
une crise au sein du CRC. La conférence du groupe, repoussée à plusieurs reprises,
est finalement annulée. Treint craint d’être mis en accusation et préfère maintenir

130
Lettre du Comité pour le Redressement bolcheviste du parti français et de l’Internationale (Treint-
Barré) au congrès de fondation du Leninbund, L’Unité Léniniste, n° 15, 26 avril 1928, p. 13.
131 ème
Voir la brochure d’appel au 6 congrès mondial de l’IC, p. 3.
132
Le n°1-2 (octobre 1928) du Redressement Communiste titre « Trotsky en danger de mort ! ». Il
contient deux lettres de militants russes déportés puis le texte de Trotsky « Nouvelle étape », alors
inédit en France.
133
Avant la publication du premier numéro du Redressement Communiste, le CRC fait paraître une
nouvelle brochure, le 6 octobre 1928, intitulée « A bas la signature du pacte Kellog », qui renouvelle la
condamnation de la politique étrangère de l’URSS.
134
Louis Bouët (1880-1969) : Instituteur et militant syndicaliste révolutionnaire, membre de la
Fédération unitaire de l’enseignement et dirigeant de l’Ecole Emancipée. Voir la lettre de Treint à
Bouët, 28 avril 1928, IFHS, 14 AS 475 : « Mon cher Bouët, en ce qui concerne l’opposition, et notre
Comité de Redressement, je voudrais savoir ce que tu en penses. […] Ne vois-tu pas le drame
historique qui se joue et que c’est l’existence même de la révolution russe qui est en jeu et l’avenir
révolutionnaire de tout le mouvement ouvrier ».
135
« Aussi croyons-nous qu’avant tout essai de regroupement, ces camarades doivent reconnaître
publiquement et sans réticences leurs erreurs. Ils devraient l’avoir fait depuis longtemps. Toute autre
attitude semblerait indiquer qu’ils n’ont pas renoncé complètement à la politique et aux méthodes du
passé. », « Au groupe du Redressement Communiste », Contre le Courant, n° 15-16-17, 25 octobre
1928, p. 40.
497
l’unité artificielle de Comité en évitant certaines questions. En dépit de cette
manœuvre, la crise éclate le samedi 1er décembre 1928 lors d’une réunion
convoquée par Contre le Courant et à laquelle Treint a promis de participer avec son
groupe. Présent à l’ouverture, il fait une brève déclaration indiquant qu’il ne peut
rester136, mais que Barré et Déglise sont mandatés pour répondre à sa place sur la
question des fautes respectives de chacun, notamment dans la mise en place de la
bolchevisation du PCF. Cette attitude pusillanime provoque des réactions indignées
des membres du groupe Paz mais également des membres du CRC137. En réponse
Prudhommeaux lit deux déclarations : la première sur la légende du trotskysme et la
deuxième dénonçant le régime intérieur du groupe. Face à l’ampleur des attaques
visant Treint mais aussi le secrétariat du CRC, Barré se soumet à la volonté de la
majorité :
« La réaction de Barré à cette lecture fut ce qu’on pouvait en attendre :
contraint et forcé, il sortit de sa poche un papier — le fameux papier dont il
n’est pas possible d’obtenir copie ! — dont il lut certains passages
condamnant la légende du trotskysme… Mais, après les précisions
accablantes apportées contre leurs leaders par les camarades du
Redressement Communiste, il est permis de se demander que nous eut
réservé la poche droite de Barré si les choses, ce soir là, avaient tourné
autrement, s’il n’en serait pas sorti un papier pourfendant le “trotskysme“ et
ressuscitant les attaques contre l’Opposition Communiste qualifiée de
“droite” ? ».
Malgré cette manœuvre d’apaisement, la réunion entraîne le départ de
plusieurs membres138. Le CRC apparaît une nouvelle fois isolé et sans avenir
politique. D’autant plus que la déclaration sur le régime intérieur du groupe révèle sa
faiblesse organisationnelle, provoquée par les méthodes autoritaires de Treint et
Barré. Une des causes de la crise tient au refus de Treint de reconnaître ses
nombreuses erreurs politiques commises à la direction du PCF. Faisant preuve une
fois de plus d’une attitude orgueilleuse et paranoïaque, il estime que les attaques

136
Treint savait qu’il serait mis en accusation et que la question des erreurs du passé serait une
nouvelle fois posée. Il préfère quitter la réunion arguant d’une autre réunion ou il devait prendre la
parole.
137
« Une étape franchie », Contre le Courant, n° 20-21, 15 décembre 1928, p. 1-2.
138
Nous ne connaissons pas le nombre de départs. La déclaration lut par Prudhommeaux n’est par
ailleurs pas signée. En ce qui concerne ce dernier, loin de rejoindre le groupe Paz, il va se lier avec le
groupe du Réveil Communiste puis évoluer vers l’anarchisme.
498
dirigées contre lui n’ont aucun fondement politique et que l’on cherche en fait à
abattre le meilleur dirigeant de l’opposition139.
Mais la déclaration de Prudhommeaux ne concerne pas uniquement la
question du passé politique de Treint. Elle révèle qu’il a dirigé le groupe avec des
méthodes qui mêlent autoritarisme, hypocrisie voire fourberie. Il dévoile comment le
secrétariat Treint-Barré utilisait les difficultés techniques du groupe pour faire passer
en force ses textes sans aucune concertation. La déclaration complémentaire de
« L’appel au 6ème Congrès Mondial de l’IC » précisant l’opinion de « la minorité » sur
la question du deuxième parti n’était en fait qu’un résumé de la position majoritaire,
qu’il s’est approprié :
« L’appel au 6ème Congrès, rédigé par Treint, contenait une déclaration sur le
deuxième parti que l’ensemble des camarades moins un, fut d’accord pour
repousser. Treint a fait paraître sous sa signature, non la partie repoussée,
mais un exposé atténué de son point de vue se rapprochant de la ligne
générale du groupe, et il a amputé le texte commun de sa conclusion politique
qu’il a transporté dans le paragraphe 5 de son texte personnel — le tout sous
couvert "des nécessités de la mise en page" »140.
La déclaration révèle que le secrétariat a ralenti la constitution des comités de
province puis a empêché la tenue de la conférence générale du CRC car plusieurs
militants s’éloignaient des positions défendues par Treint et Barré :
« En l’absence d’une conférence démocratique définissant les bases
constitutives de l’opposition du Redressement Communiste, le secrétariat
Treint-Barré se prétend dépositaire d’une orthodoxie imaginaire. Il en profite
pour accuser de déviation les camarades qui ont le malheur de s'opposer à
ses méthodes de discussions ; avant même qu’ils aient exprimé leur point de
vue, ces camarades, dans une lettre officielle du secrétariat, sont dénoncés
comme révisionnistes et accusés de péchés politiques imaginaires. »
En conclusion Prudhommeaux revient sur des réunions organisées par le
CRC plusieurs vendredis d’affilée et où Treint aborda la question de la
bolchevisation. Au lieu de reconnaître sa responsabilité dans la politique de
bolchevisation, il préféra travestir le passé en se présentant comme le seul militant

139
Après son départ de la réunion, Treint est accusé par Paz de ne pas vouloir condamner la
bolchevisation. Barré répond à Paz qu’il refuse d’aborder cette question, car il s’agit d’une question
personnelle et non pas d’une question politique.
140
« Sur le régime intérieur du groupe », déclaration de Prudhommeaux, Contre le courant, n° 20-21,
15 décembre 1928, p. 4.
499
ayant lutté contre « l’autocratie » de Souvarine puis contre les méthodes mécaniques
de Suzanne Girault. Il reconnaît volontiers avoir eu un rôle de premier plan dans les
années 1924-1925, mais dans le même temps refuse d’endosser une partie des
erreurs commises. Cette attitude fuyante aboutit à la crise et à l’affaiblissement du
CRC. Néanmoins, de nouveaux militants viennent renforcer le groupe et, surtout,
Treint noue un dialogue politique avec Trotsky le replaçant au centre de la
problématique de l’unification de l’opposition en France.

2) Contacts épistolaires entre Treint et Trotsky.

Le CRC reste isolé sur le plan national mais tente de tisser des liens avec
d’autres groupes de l’opposition internationale et principalement avec Hugo Urbahns.
Peu après la rupture avec Suzanne Girault, Treint est invité au congrès de fondation
du Leninbund141. Malgré des divergences tactiques, touchant à la question du
redressement des sections de l’IC et de la constitution d’un parti indépendant142, le
CRC manifeste sa volonté de travailler en collaboration étroite avec le groupe
allemand dans le but de fonder une véritable organisation internationale de
l’opposition communiste143. Les relations entre les deux formations politiques se
poursuivent tout au long des années 1928-1929, sans aboutir à une réelle
collaboration politique. Urbahns se contente de publier quelques articles de Treint
dans la presse du Leninbund144.

141
Pour des raisons financières, le groupe Treint ne peut s’y faire représenter. Voir la lettre de Treint-
Barré au Congrès du Leninbund, 6 avril 1928, L’Unité Léniniste, n° 15, 26 avril 1928, p. 4. (Il s’agit
d’une première lettre répondant simplement à l’invitation. Une deuxième lettre abordant les questions
politiques est publiée dans le même numéro de L’Unité Léniniste, voir ci-dessous).
142
Le CRC dans une longue lettre au Congrès de fondation du Leninbund rappelle que la tâche
primordiale de l’opposition internationale reste le redressement de l’IC. Mais contrairement à Trotsky
qui dénonçait la volonté du Leninbund de se constituer en organisation indépendante, Treint et Barré
font, sur cette question, une réponse plus modérée : « A la question : le redressement bolcheviste des
partis et de l’IC est-il possible ? Personne ne peut répondre avec certitude par oui ou par non, parce
que personne, dans la situation actuelle si compliquée ne possède les éléments de certitude dans
l’une ou l’autre des directions. ». Lettre de Treint-Barré du 4 avril 1928, Ibid, p. 13.
143
« La lutte acharnée pour le redressement bolcheviste du parti et de l’Internationale exige
impérieusement le rassemblement des forces oppositionnelles dans une solide fraction internationale,
c’est pourquoi nous prions votre congrès de ce prononcer en faveur de la convocation d’une
conférence internationale ayant pour but d’examiner les nouveaux problèmes qui se posent devant
nous, […], Ibid.
144
« Par exemple à propos de son bloc avec Treint. J’ai évoqué la question un peu en plaisantant
pour qu’[Urbahns] soit tout à fait à son aise. Il s’est presque fâché, disant qu’il n’a jamais songé à faire
un tel bloc, que, s’il a publié des articles de Treint c’est parce que celui-ci les lui a envoyés, […] »,
Lettre de Rosmer à Trotsky, 4 août 1929, Correspondance 1929-1939, Paris, Gallimard, 1928, p. 40.
Signalons également que Paz écrivait à Trotsky (21 février 1929), qu’il n’y avait quasiment pas de
relation entre son groupe et le Leninbund à cause des relations existant entre Urbahns et Treint,
DURAND D, op. cit., p. 39.
500
Le CRC place au centre de ses préoccupations et de son activité politique la
constitution d’une organisation internationale de l’opposition145. Toutefois cette
unification internationale, du fait des nombreuses divergences, se révèle difficilement
réalisable. Seule la personne de Trotsky, auréolé de son rôle dans la Révolution
russe et de son combat contre la direction du PC d’URSS, pourrait servir de ciment à
cette unification. Mais déporté, il n’a aucun contact direct avec les groupes
d’opposition européens. Plusieurs émissaires sont chargés de faire ce travail de
liaison dont Salomon Kharine146, dit Joseph, pour la France. A la fin de l’année 1928,
il entre en relation avec le CRC pour discuter des conditions de l’unification des
forces oppositionnelles. Ces contacts témoignent de la volonté de Trotsky de
n’écarter à priori aucun des groupes défendant la ligne définie dans « Nouvelle
étape ». Treint rentre cependant immédiatement en conflit avec Joseph qui lui
demande de faire son autocritique concernant la bolchevisation et la lutte contre le
trotskysme :
« Nous sommes en discussion avec des membres du groupe Trotsky se
trouvant ici. Ce camarade, que nous appellerons J. pose comme condition à
l’unification des forces oppositionnelles, l’acceptation de points de vue que
nous estimons faux, dangereux et préjudiciables au développement de
l’opposition. […] Le camarade J. tout d’abord, a émis la prétention d’exiger de
nous la reconnaissance de l’infaillibilité du groupe Trotsky entre 1923 et 1925,
alors que dans la plate-forme de l’opposition russe, Trotsky proclame
exactement le contraire […].147
Obstinément, Treint s’accroche à la position défendue dans la plateforme politique
de L’Unité Léniniste. Les erreurs furent collectives et ne peuvent être imputés
exclusivement à l’ancienne direction du PCF. La liaison entre les deux hommes
cesse. Treint demeure néanmoins convaincu qu’en travaillant avec Trotsky, le CRC
deviendra naturellement la formation prééminente de l’opposition française. En
attendant des échanges directs avec ce dernier, le Comité s’implique dans les
initiatives aspirant à regrouper les forces de l’opposition internationale.
Le 17 février 1929, cinq jours après l’arrivée de Trotsky en Turquie, se tient à
Aix-la-Chapelle la première conférence des formations se réclamant de l’opposition

145
Voir la réponse du CRC à la « Lettre ouverte aux Communistes d’Opposition », Contre le Courant,
n° 12, 26 juin 1928, p. 6.
146
Salomon Kharine, économiste diplômé de l’Institut des professeurs rouges, était alors chef du
bureau d’information de la délégation commerciale de l’URSS à Paris.
147
Lettre de Treint à Dubois, 29 novembre 1928, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 56-58.
501
internationale148 avec pour unique résultat la création d’un « Secours Trotsky » et
d’un « Comité contre les déportations ». Ces deux comités n’ont finalement qu’une
courte existence et leur action se résume à récolter des fonds dont, ni Trotsky, ni les
déportés russes ne bénéficieront149. Le CRC, pourtant invité, n’envoie pas de
délégué à la conférence, faute de moyens financiers suffisants150 mais aussi en
raison de la crise intérieure que traverse l’organisation suite au départ des opposants
à Treint151. Isolé en France et tenu à l’écart par les représentants de Trotsky, le CRC
revendique, dans sa lettre de salutation, le statut de principal groupe ouvrier et
d’unique représentant de l’opposition de gauche française152.
Absent de la conférence, le CRC n’a aucun représentant dans le Comité créé.
Il désire pourtant collaborer aux luttes quotidiennes de l’opposition. Suite à la
conférence, il distribue un tract annonçant la création d’un « Fonds Trotsky pour
secourir les communistes russes victimes de la répression », qui lui permet de
revendiquer une certaine paternité sur les décisions de la conférence d’Aix-la-
Chapelle153. Il s’agit d’une véritable entreprise de récupération de cette initiative, qui
vise avant tout à présenter le CRC comme le principal soutien de Trotsky en France.
Le tract invite les donateurs potentiels à faire parvenir l’argent directement au
domicile de Treint. Cette initiative fait long feu et ne touche que le petit cercle
restreint des sympathisants du CRC. Quelle somme fut recueillie et quelle en fut son
utilisation ? Elle servit probablement au fonctionnement du Comité et à la publication
de documents.

148
Présidé par Urbahns, la conférence réunit des groupes provenant d’Autriche, des Etats-Unis,
d’Italie des Pays-Bas… Le Leninbund représente l’Allemagne et Contre le Courant la France.
149
Voir DURAND D, op. cit., p. 38-40.
150
Lettre du CRC à la Conférence internationale de l’Opposition d’Aix-la-Chapelle, 14 février 1929,
IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 48-49.
151
Cf. supra.
152
« En pleine crise intérieure, nous avons rassemblé pour approuver notre ligne politique plus de
signatures qu’aucun groupe oppositionnel n’en a rassemblées depuis que la lutte est devenue sévère
et jamais l’aide matérielle de la base ne fut si importante. […] Nous pensons que la Conférence d’Aix-
la-Chapelle se placera avec une netteté absolue sur cette ligne politique. C’est pourquoi nous
demandons à la Conférence dans son ensemble et à tous les groupes participants de se situer
nettement par rapport à la plate-forme russe de 1927 […] ». Le CRC, si l’on s’en tient aux signatures
des documents collectifs, regroupe une cinquantaine de militants. Il est impossible de déterminer
l’origine sociale et les parcours militants de la grande majorité des signataires. Soulignons qu’Alfred
Bardin, futur membre dirigeant de la Ligue Communiste est probablement membre du Comité (Il signe
sous le pseudonyme de Léon). Finalement, malgré la crise de décembre 1928, le CRC reste
numériquement l’un des plus importants de l’opposition française.
153
« Le Comité du Redressement Communiste a décidé, pour répondre à l’appel de l’opposition russe
et pour mener l’agitation nécessaire, d’élargir les décisions de la Conférence oppositionnelle
internationale d’Aix-la-Chapelle, en créant l’organisation de secours qui s’impose […] ». Tract du CRC
intitulé « Dans les prisons de Staline ; 63 bolcheviks font la grève de la faim ». Fonds Chazé. Voir en
annexe.
502
Dès le lieu de résidence de Trotsky connu, Treint se hâte d’envoyer un
premier courrier contenant les documents publiés jusqu’alors par le CRC ainsi
qu’une lettre154 pour lui proposer un partenariat politique. Selon lui, Contre le Courant
n’a pas de ligne politique claire et voudrait « enterrer » le CRC, seul groupe français
aligné totalement sur les positions politiques de Trotsky155. Puis, le CRC publie une
« Lettre ouverte au camarade Trotsky »156 dans laquelle Treint reconnaît, pour la
première fois dans un document publié, s’être trompé sur la question du
trotskysme157. Par cet acte de contrition, il cherche à se présenter comme le seul
allié sérieux, discipliné et conscient de ses erreurs passées :
« Nous sommes des premiers et quelles qu’aient été nos lourdes fautes et nos
graves erreurs dans le passé, quelle qu’ait été notre part de responsabilité
dans l’application de méthodes qui ont servi de pipe-line, malgré nous, à la
marchandise opportuniste, quelles qu’aient été nos fautes d’appréciations et
nos impatiences révolutionnaires trop souvent maladroites, nous avons
conscience d’avoir entendu la leçon de l’expérience et de servir la révolution.
En accord politique avec vous complètement, nous avons l’ambition de croire
que, ayant éliminé nos erreurs passées, nous sommes mieux armés pour
servir la cause du prolétariat. »158
Dès son arrivée en Turquie, Trotsky fait de l’unification des groupes français
l’un des chantiers prioritaires. Plusieurs militants français lui rendent visite, dès le
mois de mars 1929. Tout d’abord Paz, puis un groupe de jeunes militants159, le
couple Rosmer, Naville et Gérard Rosenthal. Tous viennent proposer leur
contribution à la constitution de cette organisation160. Face à l’hétérogénéité des

154
Lettre de Treint à Trotsky (envoyée à l’ambassade de Russie à Constantinople), 26 février 1929,
IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 23-24.
155
« Il est d’ailleurs à remarquer que de notre propre mouvement nous nous sommes sur la ligne
d’ensemble toujours trouvés d’accord avec vous. », Ibid.
156
Le Redressement Communiste, n° 3, janvier 1929, p. 1-3.
157
« Très loyalement, les camarades Treint et Barré reconnaissent que sur la foi d’altérations, de
mensonges, de falsifications honteuses et déshonorantes, ils avaient fait crédit à la légende grossière
d’un trotskysme créé artificiellement […], Ibid.
158
Ibid.
159
Il s’agit de Raymond Molinier, sa femme, Jeanne Martin des Pallières et David Barozine (Pierre
Gourget). Raymond Molinier a occupé de nombreux emplois avant d’ouvrir un cabinet de contentieux
avec son frère Henri. Il est également membre du PCF depuis 1921 (il adhère avec sa femme). Exclu
une première fois en 1924 il est réintégré mais rejoint les rangs oppositionnels. Il participe notamment
au Cercle Marx-Lénine de Souvarine au côté de sa femme. Il est définitivement exclu du PCF fin
1929. David Barozine, d’origine russe, a adhéré au PCF à sa création. Opposant à la bolchevisation, il
est exclu en 1927 puis participe à l’activité de Contre le Courant.
160
Trotsky se réjouit de la visite des ces militants dévoués à la cause révolutionnaire, exception faite
de Paz dont il doute de la volonté de se consacrer réellement à la lutte oppositionnelle. De nombreux
ouvrages traitent du voyage des oppositionnels français à Prinkipo. Pour plus d’informations voir
notamment : DURAND D, op. cit., p. 45-49, RABAUT J, Tout est possible, op. cit., chap.1, GRAS C,
503
groupes français, Trotsky qui souhaite faire aboutir au plus vite son projet
d’unification des forces oppositionnelles propose, pour clarifier la situation et
permettre de séparer « les éléments prolétariens conséquents » des
« opportunistes », trois critères d’évaluation des tendances : la politique du comité
syndical anglo-russe, le cours de la révolution chinoise et enfin la politique
économique en URSS et le lien avec la théorie du socialisme dans un seul pays.161.
En revanche, il souligne qu’il se refuse à prendre la question des conceptions
autoritaires concernant le régime intérieur du parti comme critère d’évaluation162.
Au regard des trois critères proposés, le CRC fait partie des groupes que
Trotsky souhaite voir collaborer à l’entreprise de constitution d’une organisation
oppositionnelle structurée. Sur la question du comité anglo-russe comme sur la
question chinoise Treint, depuis qu’il a rejoint l’opposition, défend les thèses de
l’opposition russe en France. Le fait d’écarter la question du régime intérieur du parti
témoigne de la volonté de Trotsky de ne pas évincer Treint. Pourtant, les militants qui
viennent à Prinkipo l’invitent à le tenir à l’écart. Tous se rejoignent pour constater
l’impossibilité de travailler avec lui, tant du fait de sa personnalité que de ses
méthodes politiques. Pour Paz, la crise du CRC démontre que Treint n’a rien renié
de son passé et qu’il reste impossible d’envisager une collaboration163. Rosmer se
montre étonnement réservé sur la question mais recommande à Trotsky la plus
grande prudence :
« Vous vous êtes trouvé tout de suite devant le cas Treint. Je comprends que
vous ayez été surpris par l’hostilité absolue manifestée à son égard. […] Il a
été l’instrument de Zinoviev dans la bolchevisation, […] c’est lui qui a
contribué le plus à égarer le parti français et durant tout le temps où il fut le
vrai chef de ce parti il accumula les fautes sur les fautes. Peut-on l’utiliser
aujourd’hui ? […], parmi nos amis c’est une réponse négative : on n’oublie pas
et on craint beaucoup son voisinage. Naturellement je ne vois aucun
inconvénient à ce que vous lui écriviez […] »164

Alfred Rosmer et le mouvement communiste internationaliste, Maspero, Paris, 1971, p. 354-355,


Naville P, Trotsky vivant, Maurice Nadeau, Paris, 1979. Voir également Maurice Paz, « Quatre jours
avec Trotsky », Contre le Courant, n° 25-26, 22 mars 1929, p. 1-3.
161
Trotsky, « Critères de différenciation », 31 mars 1929, Œuvres, op. cit., p. 122-128.
162
« Quelques camarades pourront s’étonner que je ne fasse pas référence ici à la question du
régime du parti. Ce n’est pas une omission, je le fais délibérément. Un régime de parti n’a pas de
signification indépendante, pas de valeur en soi. C’est un facteur qui dérive de la politique du parti. »,
Ibid., p. 123.
163
« Une étape franchie », art. cit.
164
Lettre de Rosmer à Trotsky, 14 avril 1929, op. cit., p. 20-22.
504
Marguerite Rosmer se charge de rappeler que derrière la problématique politique du
travail en commun, se pose la question de la personnalité de Treint et du danger qu’il
ferait peser sur l’unité de l’opposition de gauche:
« Il y a eu par la suite chez cet homme, de tels non-sens, de telles
contradictions, de telles déloyautés, qu’il ne jouit plus maintenant d’aucun
crédit. De plus il appartient à ces catégories d’hommes ne se résignant jamais
à ne pas être “Chef“, sans avoir aucune des vertus requises pour cette
destination. […] Alors pourquoi ménager des hommes, pourquoi pactiser avec
ceux desquels nous n’attendons que mensonges et sottises irréparables ? »165
Quant à Naville, il juge que le groupe Treint n’a aucune tradition oppositionnelle et
appartient à la tendance « zinoviéviste » avec laquelle on ne peut construire un
véritable courant de gauche166. Malgré ces avis unanimes, Trotsky se refuse cesser
de correspondre et répond invariablement que, même s’il s’agit d’une question
délicate, Treint demeure un militant actif qui influence des ouvriers qui constituent
des recrues potentielles pour, l’opposition de gauche en formation167. Selon lui, la
question ne peut donc être abordée d’un point de vue personnel. Seules la doctrine
et l’activité politique comptent et de ce point de vue, Treint ne peut être tenu à l’écart.
A compter de la lettre du 26 février 1929, Treint fait parvenir régulièrement des
nouvelles de l’activité de son groupe et de la publication des documents envoyés par
Trotsky168. Il ne cesse de souligner que contrairement au groupe Paz, le CRC, par
ces écrits, poursuit la lutte pour le redressement de l’intérieur du PCF. Il apparaît
convaincu de la volonté de Trotsky de faire du CRC le pôle de rassemblement de la
future opposition de gauche en France.
Mais, pour un simple malentendu, la relation entre les deux hommes se tend
soudainement. Trotsky lui a fait parvenir un article intitulé : « Ce que nous nous
préparons à publier en premier lieu ». Treint pense qu’il souhaite lui confier la

165
Lettre de Marguerite Rosmer à Léon et Natalia Trotsky, 16 avril 1929, op. cit., p. 23-24.
166
Lettre de Naville à Trotsky, La Lutte de classe, septembre 1929. Publiée dans Naville P, L’entre-
deux guerres, EDI, Paris, 1975, p. 114-115.
167
Voir les réunions de travail entre Trotsky et le groupe Molinier à Prinkipo. Trotsky répond à Marzet
qui propose de ne pas écrire à Treint qu’il faut une collaboration de tous les éléments. P-V de la
réunion du 4 mai, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 56-58. Voir également deux lettres de Trotsky à
J. Kharine, avril 1929 et 9 mai 1929, Œuvres, tome 3 (février-mai 1929), p. 130-133 et 214-215. Dans
la première lettre, Trotsky écrit que « Treint est quelqu'un d’énergique, qui s’efforce de sortir de sa
chambre, ce que ne font pas assez de nos partisans. […] Si Treint marche de conserve avec nous,
nous avons tout à y gagner. ». Dans la deuxième, il rappelle à Kharine qu’il est impossible de
repousser Treint car il a publié diligemment les documents envoyés.
168
Treint fait parvenir huit lettres entre le 26 février et le 30 avril 1929. IHS, fonds Trotsky (Harvard),
bob. 42-43.
505
publication des documents169. Il demande à rencontrer Joseph pour discuter des
détails techniques. Mais les rapports entre les deux hommes restent très mauvais,
Treint étant persuadé que le représentant de Trotsky cherche, en collaboration avec
le groupe Paz, à écarter le CRC. Il appuie donc sa demande de collaboration de
menaces170. Trotsky, mis au courant de cette missive menaçante, répond qu’il
souhaite poursuivre une collaboration franche avec lui et qu’il réprouve nettement le
ton employé171. Il lui rappelle que Contre le Courant reste à ses yeux le groupe le
plus fidèle à une ligne politique juste. Trotsky s’immisce ici au cœur du conflit avec
Paz, ce que Treint ne peut accepter. Il estime que Trotsky doit être cohérent avec lui-
même. Il lui fait parvenir une lettre accompagnée d’une étude signée Jean-Jacques
et intitulée « L’opposition en France, historique et perspectives, critérium pour
l’appréciation des groupes »172. Les deux documents ont recours à la même
argumentation : Trotsky crée « une situation équivoque et préjudiciable au
développement de l’Opposition »173 en s’appuyant exclusivement sur le groupe Paz
en France. Dans son étude, Jean-Jacques dresse le catalogue des questions sur
lesquelles le groupe Paz s’éloigne de l’opposition russe. Ils font de la question du
régime intérieur du parti une clé du problème des erreurs politiques. Sur les
questions françaises (Grève du Nord, répression policière au congrès du PCF de St-
Denis), ils ne prennent pas clairement position. Ces faits mettent en lumière, selon
l’auteur, l’attitude « centriste » de Contre le Courant, incapable de définir nettement
sa ligne politique sur les questions électorale et syndicale. Pourquoi, dans ces
conditions, Trotsky maintient-il sa confiance à Contre le Courant ? Treint s’interroge :
est-ce par amitié politique ou parce qu’il est mal informé sur les réalités

169
Lettre de Treint à Trotsky, 13 avril 1929, Ibid. En réalité Trotsky souhaite faire cette publication sur
une base internationale et envoie cet article au CRC à simple titre d’information, voir la lettre de
Trotsky à Treint, 20 avril 1929, œuvres, op. cit., p. 158-159.
170
« Quelques camarades pourront s’étonner que je ne fasse pas référence ici à la question du
régime du parti. Ce n’est pas une omission, je le fais délibérément. Un régime de parti n’a pas de
signification indépendante, pas de valeur en soi. C’est un facteur qui dérive de la politique du parti. »,
Lettre de Treint à Joseph, 12 avril 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 42-43.
171
« Je dois ajouter que je regrette beaucoup le ton de votre lettre au camarade Joseph. Les menaces
sont des pratiques assez courantes en URSS […] mais nous devons, dans l’Opposition, nous abstenir
de menacer, surtout pour l’obtention d’une collaboration […] », « Je dois ajouter que je regrette
beaucoup le ton de votre lettre au camarade Joseph. Les menaces sont des pratiques assez
courantes en URSS […] mais nous devons, dans l’Opposition, nous abstenir de menacer, surtout pour
l’obtention d’une collaboration […] », Lettre de Trotsky à Treint, 20 avril 1929, Ibid.
172
Lettre de Treint à Trotsky, 30 avril 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob 38-39. Etude de Jean-
Jacques, Ibid. Voir également Henri Barré, « Le problème de l’Unité de l’Opposition, Le Redressement
Communiste, n° 4, mars 1929. Dans cet article Barré répond aux attaques du groupe Paz (Contre le
Courant du 15 décembre 1928) en l’accusant de n’avoir aucune position claire sur les questions
françaises, sur la question de la situation de l’économie capitaliste en liaison avec les dangers de
guerre et surtout d’entretenir un rapport ambigu avec la droite de l’Internationale.
173
Lettre de Treint à Trotsky, Ibid.
506
françaises ?174 Dans la bataille que se livrent les groupes de l’opposition française,
Treint se présente comme un bouc émissaire, la victime de méthodes déloyales.
Pourtant Il n’a de cesse de dénigrer l’adversaire, notamment dans la lettre suivante
intitulée « mise en garde des procédés de Contre le Courant » où il ajoute une petite
note manuscrite :
« Avez-vous lu dans le n° 6 de Contre le Courant cette correspondance
particulière qui dit : “Rassurer les ruraux d’abord [souligné par l’auteur] ;
s’inspirer ensuite de la différenciation sociale parmi eux“. Contre le Courant
publie sans un mot de commentaire. Que dites-vous de cette politique :
D’abord favoriser le Koulak, ensuite le combattre ! Vraiment non, je ne puis
prendre comme phare le groupe Contre le Courant. J’aime à voir clair ! Et dire
que c’est sur la question russe où Contre le Courant est le plus clair ! »175
Treint emploie fréquemment cette méthode qui consiste à choisir quelques lignes
d’un article sorties du contexte général pour en faire dériver une analyse de la ligne
politique du journal. Dans son esprit, Paz et ses partisans représentent toujours la
« droite » du mouvement communiste qu’il combattait au sein du PCF, même s’il
déclare vouloir collaborer d’égal à égal.
La réponse de Trotsky à cette campagne ne se fait pas attendre. Sa lettre176
est un réquisitoire contre les méthodes employées. Il lui rappelle les erreurs
commises en 1924-1925 qui devraient l’inciter à la modestie. Néanmoins Trotsky
réaffirme sa volonté de poursuivre les contacts :
« Sans apprécier suffisamment ces grandes questions et les conséquences
qui en ont découlé, vous vous emparez de petits faits passagers et
insignifiants que vous traitez tout de suite comme de grandes fautes appelant
l’excommunication des coupables ou presque. […] Je dois vous avouer que je
m’étonnai beaucoup de cet abus du verbalisme et de cette chicane. Je ne pus
comprendre comment on pouvait perdre son temps et faire perdre le leur aux
autres avec des "critiques" pareilles. Or vous persistez d’employer des
procédés pareils contre les éléments de l’Opposition et en même temps, je

174
« De plus, les agents de Joseph et Contre le Courant ont tenté de détruire notre groupe par le
mensonge, la calomnie, les abus et les extorsions de signatures. Il faudra non seulement que Joseph
et Contre le Courant précisent et corrigent leur politique, il faudra aussi qu’ils renoncent à ces mœurs,
digne de Iaroslawsky, mais qui ne doit pas trouver place dans l’Opposition. […] Dès que vous serez
exactement informés, nous sommes certains que vous mettrez votre appréciation des divers groupes
en accord avec les critères que vous posez et que nous avions, de nous-mêmes, déjà posés à
plusieurs reprises. », Lettre de Treint à Trotsky, Ibid.
175
Lettre de Treint à Trotsky, 14 mai 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 38-39.
176
Lettre de Trotsky à Treint, 23 mai 1929, Œuvres, op. cit., p. 231-235.
507
suis sûr, que, si vous vouliez y mettre un peu de bonne volonté au lieu de
mauvaise, vous pourriez beaucoup mieux que d’autres, dégager les faits et les
principes des expressions conventionnelles,[…]. J’étais — et je reste malgré
l’expérience des dernières semaines — partisan décidé de votre collaboration
à ce travail en commun. »
Treint ne répond pas directement à cette lettre. Il y fait simplement référence
dans un courrier daté du 15 juin 1929177. Du côté de Trotsky, comme de celui de
Treint, on semble vouloir maintenir à tout prix les contacts. Cependant la création du
journal La Vérité met un terme à la correspondance entre les deux hommes. Après
avoir tenté en vain d’en obtenir la direction, Treint se retrouve une fois de plus à
l’écart de l’opposition de gauche. Le choix de Trotsky de créer un nouvel
hebdomadaire et d’en confier la direction à Rosmer mécontente également le groupe
Paz. Treint, adepte des revirements tactiques, s’allie alors à Contre le Courant dans
la dénonciation de l’ingérence de Trotsky dans les affaires intérieures françaises.

Dès les premières tentatives de création d’une organisation oppositionnelle,


unifiant sur le plan organisationnel et politique les nombreux groupes français, Treint
s’affirme à la fois comme un acteur clé et comme un militant singulier. Après la
rupture avec Suzanne Girault, le groupe qu’il constitue se révèle incontournable dans
l’optique de l’unification. Les autres formations oppositionnelles s’entendant
cependant pour rejeter toute forme de collaboration avec Treint, du moins tant qu’il
n’accepte pas de faire une véritable autocritique et de reconnaître son rôle dans la
lutte contre le trotskysme et dans la bolchevisation brutale du PCF. Malgré cette
unanimité contre sa personne, Treint se situe constamment au centre de la
problématique de l’unification de l’opposition.
Sa position à l’égard de Trotsky contribue notamment à cette situation. Depuis
1924, le leader bolchevik constitue une référence pour tous ceux qui critiquent
l’évolution du mouvement communiste. Son intransigeance face à la direction du PC
d’URSS, entraînant sa déportation puis son exil hors d’URSS, contribue à renforcer
son prestige auprès des militants de l’opposition. Sa production théorique sert de
référence pour analyser l’évolution du régime soviétique et pour définir la tactique de
lutte contre les directions des partis communistes. Dans ces analyses, Treint reprend
à son compte les thèses de Trotsky sur la « déviation thermidorienne », le

177
Lettre de Treint à Trotsky, 15 juin 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 38-39.
508
« kerenkysme à rebours » qui menacent le caractère révolutionnaire du régime
soviétique. De même, son analyse du « stalinisme », évolue progressivement et
parallèlement aux travaux de Trotsky. Dans un premier temps, Treint définissait le
stalinisme comme une politique visant à la restauration du capitalisme en URSS.
Après le changement de ligne politique de l’IC et les premiers signes du conflit au
sommet entre Staline et Boukharine, le stalinisme devient le synonyme de
« centrisme », autrement dit d’une ligne politique de conciliation entre les forces
favorables au retour au capitalisme et celles qui militent pour une politique
révolutionnaire. Ce suivisme fait de Treint l’un des premiers trotskystes orthodoxes,
même si une analyse plus détaillée montre qu’en réalité il continue de suivre une
réflexion politique qui lui est propre, bien qu’elle se nourrisse des apports de la
pensée de Trotsky.
Depuis 1926, il porte sur l’évolution de la situation mondiale un regard différent
de celui de l’IC comme de Trotsky178 et analyse les questions internationales au
travers du prisme de ses conceptions, rejetées par l’ensemble des autres acteurs du
mouvement communiste. Sur la question de la tactique de l’opposition internationale,
il entretient une attitude ambiguë sur la question de la création d’un nouveau parti
révolutionnaire et manifeste une certaine volonté de se rapprocher de la gauche
communiste qui prône une rupture complète avec le mouvement communiste
orthodoxe. Pour autant, il ne manifeste jamais de véritable divergence avec Trotsky
et au contraire il s’appuie sur les thèses de ce dernier pour justifier ses positions.
Cette attitude contribue à faire peser la suspicion sur lui, même si le problème
principal pour les autres groupes oppositionnels demeure son passé de
bolchevisateur.

178
Cf. supra.

509
CHAPITRE X :
LA LIGUE
COMMUNISTE : LA
CRISE PERMANENTE
(1929-1932).

510
Depuis Prinkipo, Trotsky tente de rassembler les groupes se réclamant de
l’Opposition de gauche au sein d’une organisation internationale, destinée à
coordonner leurs actions et à les unifier politiquement. Dans un premier temps,
Trotsky a porté plus spécifiquement son attention sur la France, mais il se heurte aux
divisions et aux différends politiques entre les nombreux groupes. Après cet échec, il
se consacre à la constitution de l’organisation internationale et réunit plusieurs
personnalités à Prinkipo. Alfred Rosmer, Jakob Frank, Wolfgang Salus1 ainsi que le
chinois Lui Renjing s’y retrouvent. Ces quatre militants annoncent la constitution d'un
groupe international intitulé « Opposition », puis la création d’un « Comité
international provisoire de l’Opposition communiste de gauche »2. Un embryon
d’organisation voit enfin le jour.
A peine constitué, ce comité se trouve confronté aux dissensions entre
certains groupes qui se réclament de l’Opposition de gauche et Trotsky. Un premier
conflit découle d’un texte rédigé par Trotsky et signé du « Comité de rédaction
d’Opposition » appelant à l’annulation d’une manifestation organisée par l’IC, le 1er
août 1929. Cette démonstration communiste internationale, organisée le jour
anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, vise à dénoncer les
menaces de « guerre imminente » contre l’URSS. Elle témoigne du tournant tactique
pris par l’IC depuis le 6ème congrès mondial de l’IC et plus encore le 10ème Exécutif
Elargi de juillet 1929. Désormais l’IC exige que les sections dénoncent le « social-
fascisme » des organisations socialistes3 et poussent à la scission du mouvement
ouvrier, notamment par la création de syndicats communistes dans tous les pays.
Considérant que la période de stabilisation du capitalisme, définie lors du 6ème
Exécutif Elargi, s’achève, les communistes doivent s’engager dans la voie de « la
radicalisation des masses » par le biais de la grève politique générale et des appels
à la révolution immédiate.
Trotsky estime qu’il s’agit d’une répétition des fautes politiques commises
suite au 5ème congrès mondial de l’IC, sous la direction de Zinoviev. Mais au sein de
l’opposition, plusieurs groupes ― dont les leaders dirigeaient les partis communistes
en 1924-1925 ― critiquent cette prise de position et appellent à manifester le 1er

1
Jacob Frank et Wolfgang Salus sont alors les deux secrétaires de Trotsky.
2
Durand D, op. cit., p. 61.
3
Cette dénonciation du « social fascisme » s’appuie sur les événements de Berlin. Le premier mai
1929, le KPD a organisé une importante manifestation, réprimée dans le sang (37 morts et 194
blessés graves) par la police sous les ordres d’un préfet social-démocrate. Voir, BROUE P, Histoire
de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 485.

511
août. Peu après, un second conflit oppose Trotsky à plusieurs groupes
oppositionnels sur la question de l’affrontement entre l’URSS et la Chine à propos
d’une ligne de chemin de fer contrôlé par les russes, sur le territoire chinois.
En France, dans ce contexte de divisions et de divergences politiques, un
nouvel hebdomadaire, intitulé La Vérité, voit le jour. Autour de ce journal fondé
principalement par Rosmer, un groupe se constitue progressivement. Dans l’esprit
de Trotsky, cette initiative est censée relancer la dynamique de création d’une
fraction communiste unie. En fait, elle déclenche, une longue période de conflit avec
les groupes tenus à l’écart et notamment avec Treint. Pourtant, à partir de 1931,
après la disparition du CRC, Treint se rapproche progressivement de la Ligue
communiste ― nom que prend le groupe en avril 1930 ― et intègre sa direction en
1931. Mais déjà, la Ligue communiste, malgré le soutien de Trotsky, ne peut plus se
prévaloir du statut de principale organisation de l’opposition. Après un premier conflit
entre les dirigeants et le départ de Rosmer, le principal membre fondateur,
l’organisation entre dans une longue phase de crise intérieure.

512
A/ Nouvelles dissensions au sein de l’opposition.

1) Le 1er août et le conflit sino-russe.

Une fois le contact rétabli avec Trotsky, Rosmer s’engage dans le travail
politique en vue de l’unification de l’opposition internationale. Après avoir lancé,
depuis Prinkipo, l’appel à la création d’un organe de presse international, il se rend
en Autriche, en Allemagne puis en Belgique4 pour discuter et définir, dans chaque
pays, quel groupe aura la charge de publier l’organe de l’opposition internationale.
En France, après plusieurs mois de discussions, Trotsky confie finalement l’édition
française de la revue oppositionnelle à Rosmer5 et rompt avec le groupe Paz. Cette
décision s’explique notamment par des désaccords concernant l’appel lancé par l’IC
à manifester le 1er août et le conflit sino-soviétique.
L’IC a décidé de préparer, pour le 1er août 1929, une grande journée de lutte
contre la guerre et les menaces d’agression contre l’URSS, qui doit prendre la forme
de puissantes manifestations de rues. Trotsky réclame l’annulation de la
manifestation, considérant que l’IC, face au manque de perspectives
révolutionnaires, choisit l’option de la fuite en avant gauchiste et joue avec la vie des
ouvriers communistes. Cet appel provoque de nombreuses réticences chez les
groupes oppositionnels européens6. En France, Trotsky obtient uniquement la
signature du comité de rédaction d’Opposition7. En effet, pressentis pour signer, les
militants de La Révolution Prolétarienne, de Contre le Courant, ou encore Naville,
refusent tous, considérant que ne pas participer à la journée serait une erreur8. Paz,
au bord de la rupture avec Trotsky, publie plusieurs articles appelant les

4
Durant l’été 1929.
5
« […] de tous les candidats possibles à la direction de l’hebdomadaire, Rosmer est celui qui a le plus
de titres à la confiance, et Treint celui qui en a le moins. Je ne veux pas dire par là que Rosmer n’a
jamais commis d’erreurs. », Trotsky, « Lettre à la rédaction de la lutte de classes », 11 août 1929. Voir
Le mouvement communiste en France, op. cit., p. 329-337.
6
Voir Durand D, op. cit., p. 64-66.
7
La Vérité, dont le premier numéro paraît le 15 août 1929 devait, à l’origine s’appeler Opposition.
8
Lettre de Marguerite Rosmer à Trotsky, 7 juillet 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p. 30-
32.
513
organisations révolutionnaires à participer activement à la préparation et aux
manifestations du 1er août9.
Treint, depuis son passage dans les rangs de l’opposition, s’était
constamment aligné sur les thèses de Trotsky. Sur cette question, il marque ses
divergences et, à l’instar de Contre le Courant, demande aux militants de l’opposition
française de participer aux manifestations prévues :
« C’est pourquoi, et sans que cela comporte la moindre adhésion de sa part à
la funeste politique qu’il n’a pas encore la force d’empêcher, notre Comité du
Redressement Communiste appelle les ouvriers révolutionnaires à limiter le
plus possible l’échec en participant à la journée du premier août dans toute la
mesure de leurs forces et selon les formes efficaces correspondant à la
situation dans laquelle ils se meuvent. ».10
Il répond à l’analyse développée par Trotsky dans La Vérité11, dont il approuve la
logique tout en rejetant les conclusions. Pour lui, le mot d’ordre de lutte contre les
dangers de guerre conserve toute son acuité, même si aucune menace de guerre
imminente ne pèse sur l’URSS. Le développement des antagonismes entre, d’un
côté, l’impérialisme américain et, de l’autre, les impérialismes européens12 ne peut
aboutir à terme qu’à une guerre visant à « liquider la révolution déclinante ». Il relève
que les dirigeants de l’IC « par leur incapacité à préparer et organiser la lutte […]
mènent la journée du premier août à l’échec inévitable », et propose plusieurs
mesures permettant d’éviter cet échec prévisible : abandon de la tactique « classe
contre classe », proposition de Front Unique aux organisations socialistes,
réorganisation des groupes de défense ouvrière pour protéger les manifestations et
enfin déplacer la journée d’action du jeudi 1er août au dimanche 4 août, journée plus
propice aux mobilisations de masses.
Sur tous ces points, Treint se rapproche de l’analyse de Trotsky mais,
contrairement à lui, conclut qu’il faut « limiter dans la mesure du possible l’échec
inévitable »13. Il s’agit d’un double désaveu du principal dirigeant de l’opposition
internationale. En plus de s’opposer à son appel, Treint propose à Urbahns et Contre

9 er
Voir notamment Obin J, « le 1 août et l’Opposition », Contre le Courant, n° 33-34, 10 juillet 1929, p.
7-8. L’auteur se nomme en réalité Mill, membre d’un groupe ouvrier juif de la région parisienne, il
rejoint ensuite La Vérité.
10 er
« La journée du 1 août », Le Redressement Communiste, n° 6, 14 juillet 1929, p. 1-2.
11 er
Trotsky, « Que prépare la journée du 1 août ? », la Vérité, n° 1, 15 août 1929.
12
Treint s’appuie sur son analyse des perspectives internationales, développée au congrès de Lille du
ème
PCF et lors du 7 Exécutif Elargi. Cf. supra.
13
En France, la répression qui s’est abattue sur le PCF et la CGTU empêche les militants de préparer
la journée d’action pour en faire une manifestation de masse. Voir ROBRIEUX P, op. cit., p. 339-340.
514
le Courant de travailler à l’unification, en s’appuyant sur leur rejet des positions du
leader de l’opposition internationale :
« Avec Urbahns nous estimons que l’Opposition ne saurait se borner à
critiquer : à chaque instant, elle doit proposer des solutions positives. Contre
le Courant a pris sur ce point une position juste. Nous saluons ce fait nouveau
comme un pas vers l’unité oppositionnelle. »14
Ayant appris la décision de créer un nouvel hebdomadaire de l’opposition en dehors
des groupes constitués, Treint décide de s’unir, dans la dénonciation du « diktat » de
Trotsky, avec Paz ― qu’il n’avait eu de cesse de fustiger auparavant ― et Urbahns.
Ces deux derniers pensaient obtenir l’appui de Trotsky, pour diriger l’opposition dans
leurs pays respectifs. Treint, qui veut conserver une audience et une visibilité au sein
de l’opposition française et internationale, choisit de s’allier à des tendances de
l’opposition ayant pour principal point de convergence de dénoncer l’ingérence du
dirigeant russe et l’attitude servile de certains militants à son égard. Le conflit entre la
Chine et l’URSS accroît encore le fossé entre les deux camps.
En juillet 1929, le gouvernement de Tchang Kaï-chek, voulant reprendre
possession de la ligne de chemin de fer de l’est chinois donnée en concession à la
Russie tsariste, arrête des fonctionnaires soviétiques y travaillant. Pour l’URSS, cette
ligne représente un grand intérêt stratégique puisqu’il s’agit de la seule véritable voie
de communication entre Vladivostok, à l’extrême orient de la Russie, et le reste du
territoire. L’incident provoque des affrontements militaires entre les deux pays.
L’URSS rejette la responsabilité de l’agression sur les états européens, leur
reprochant d’inciter le gouvernement chinois à l’attaquer.
Trotsky réagit vigoureusement, et accuse le gouvernement chinois, après
avoir écrasé le mouvement ouvrier et paysan sur son sol, de vouloir s’en prendre à
son voisin révolutionnaire, corroborant la thèse officielle du gouvernement soviétique.
Il appelle l’opposition à défendre l’URSS en cas de guerre15. Peu de militants
oppositionnels se rangent à cette position : Rosmer et le groupe de La Vérité16, Kurt
Landau17, les américains du Militant18, la fédération de Charleroi de l’Opposition

14 er
« La journée du 1 août », art. cit.
15
« Il est superflu que je précise qu’au cas où la guerre serait imposée aux Soviets, l’Opposition se
donnerait entièrement à la cause de la défense de la Révolution d’Octobre », Trotsky, « Le conflit
Soviéto-Chinois et les tâches de l’Opposition », Contre le Courant, n° 36-37, 21 septembre 1929, p.
18-21.
16
Voir les lettres de Rosmer à Trotsky, 11 et 13 août 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p.
45-49.
17
Dans une lettre, Landau accuse Contre le Courant d’avoir quitté les positions de l’Opposition de
gauche et de considérer que l’URSS n’est plus un état prolétarien : « Précisément parce que vous ne
515
belge ou encore la Fraction de Gauche italienne19. A l’opposé le Leninbund, La
Révolution Prolétarienne ainsi que Van Overstraeten20 et la majorité de l’opposition
belge dénoncent la politique coloniale, « social-impérialiste » de l’URSS et
considèrent que la politique suivie par Staline le rend responsable de la situation. En
conséquence, ils proposent tous, comme solution à la crise, la restitution de la ligne
de chemin de fer à la Chine21.
Ce refus d’accepter le principe de la défense de l’URSS exaspère Trotsky, qui
se charge d’écrire et de répondre aux militants qu’il espère faire collaborer à
l’Opposition de gauche22. Il profite également de cette controverse pour rompre
définitivement avec Contre le Courant. Le groupe français est l’un des premiers à
prendre une position diamétralement opposée à celle de Trotsky, dans un éditorial
retentissant23. Le comité de rédaction, tout en soulignant qu’il ne défend pas le point
de vue de Tchang Kaï-chek, demande aux ouvriers de « ne pas prendre parti pour la
bureaucratie stalinienne » et de protester contre cette « politique semi-coloniale ».
Son argumentation se fonde sur une analyse remettant en cause ses positions
antérieures concernant la nature de classe de l’Etat soviétique. Jusqu’alors, Contre
le Courant soutenait, à l’instar de Trotsky, qu’en dépit du processus de
« dégénérescence thermidorienne », l’URSS restait un Etat prolétarien. Ce conflit
modifie radicalement sa position :
« L’Union soviétique de 1929, n’est plus la Russie rouge de 1917. L’appareil
d’Etat abâtardi de l’URSS, dont Staline et les bureaucrates embourgeoisés
sont devenus les maîtres, n’a plus grand chose de commun avec l’Etat
prolétarien forgé par Lénine et les bolcheviks, de 1917 à 1923. L’appareil
d’Etat et la bureaucratie ne sont plus le pouvoir du prolétariat ; ils ne
représentent pas la classe ouvrière russe, mais déjà une classe intermédiaire
et privilégiée, ayant des intérêts distincts et souvent en opposition directe avec
les intérêts des ouvriers russes. »24

reconnaissez pas qu’il y a une tendance vers Thermidor, mais considérez déjà le processus comme
terminé, vous n’apercevez pas les tendances contraires, vous ne voyez pas que le rôle révolutionnaire
de l’URSS n’est nullement achevé. », Contre le Courant, n° 36-37, 21 septembre 1929, p.16-17.
18
« Signes de danger en Orient », Militant, 15 août 1929, paru dans Contre le Courant, Idem.
19
Voir GLUCKSTEIN D, Aux origines du trotskysme français, op. cit., p. 190
20
War Van Overstraeten (1891-1981) : Militant communiste belge, secrétaire général et membre de
l’exécutif de l’IC. Exclu en 1928.
21
Voir les articles publiés dans Contre le Courant, n° 36-37, 21 septembre 1929. Voir également
Durand D, op. cit., p. 66-68.
22
Lettre de Trotsky à Van Overstraeten, 26 janvier 1930, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 38-39.
23
« Le Conflit Sino-Russe » ; Contre le Courant, n° 35, 28 juillet 1929, p. 1-4.
24
Ibid., p. 1.
516
Si la question du conflit sino-soviétique déclenche un large débat dans les
rangs de l’opposition, Treint reste extrêmement discret et ne soutient, en son nom,
aucune des opinions qui s’affrontent. Le Redressement Communiste ne consacre
aucun article à la question. Cette attitude qui peut surprendre ― Treint a
abondamment écrit sur la question chinoise ― témoigne de ses interrogations et de
ses doutes sur un sujet qui pose le problème du soutien à l’URSS. Il faut se référer à
une résolution de la minorité du syndicat des Cuirs et Peaux, présentée au congrès
confédéral de la CGTU, pour connaître le point de vue du groupe et de Treint25. Elle
affirme, tout en rendant les dirigeants de l’URSS responsables de la situation, que la
révolution russe doit être défendue par les organisations révolutionnaires26.
Reprenant les positions officielles du gouvernement soviétique, elle accuse les Etats-
Unis, par une politique de double jeu, de pousser la Chine contre l’Etat
révolutionnaire, dans le but de prendre le contrôle du chemin de fer de l’est chinois.
Le texte n’aborde pas la question de la nature de classe de l’Etat soviétique, pourtant
au centre des débats. Sur plusieurs sujets ― la manifestation du 1er août, mais aussi
la création de nouveaux partis révolutionnaires pour pallier à la faillite des partis
communistes officiels ― le CRC défend une opinion proche de Contre le courant ou
du Leninbund. Il s’oppose par contre à eux sur la question de la défense de l’URSS.
A l’instar de Trotsky, il estime que le seul Etat révolutionnaire doit être défendu
contre les visées impérialistes des Etats-Unis et des Etats européens.
Le conflit sino-soviétique permet à Trotsky d’avancer dans son entreprise de
constitution d’une opposition homogène. Le processus de délimitation idéologique
nécessaire aboutit non pas au rassemblement, mais à l’élimination de plusieurs
groupes. Les positions adoptées sur la question de la nature de l’Etat russe tracent,
selon lui, la ligne de démarcation entre les véritables « bolcheviks-léninistes », les
« gauchistes » et les « opportunistes » :
« Le n° 35 (23 juillet) de Contre le Courant consacre au conflit soviéto-chinois
un article de fond, qui constitue, depuis le premier mot jusqu’au dernier, un
enchaînement désespérant d’erreurs à moitié social-démocrates, à moitié
ultra-gauches. […] Si l’on ne peut pas dire que Thermidor soit accompli, il est
tout aussi impossible de dire que la politique de l’Etat soviétique soit
capitaliste ou impérialiste. Le centrisme est faire des zig-zags entre le

25
« Il faut sauver la CGT-U », Le Redressement Communiste, n° 7, 16 septembre 1929, p. 1-2.
26
« L’est Chinois ne doit pas devenir une base d’opération contre la Révolution russe. Contre ce
danger, tous les ouvriers révolutionnaires du monde doivent se dresser. », Ibid. p. 1.
517
prolétariat et la petite bourgeoisie. Identifier le centrisme avec la grande
bourgeoisie, c’est simplement ne rien comprendre […] »27
La question de la nature de classe de l’Etat soviétique et celle de la défense de
l’URSS qui en découle resurgiront à de nombreuses reprises dans les débats au sein
de l’opposition communiste. Dès 1929, la rupture entre Trotsky et le Leninbund se
produit sur ce sujet28. Avec Contre le Courant, la polémique sur le conflit sino-
soviétique vient conclure un processus de rupture entamé autour du problème de la
création d’un hebdomadaire de l’opposition en France.

2) La Vérité : hebdomadaire de rassemblement ou de division ?

Lorsque Paz se rend à Prinkipo29 en mars 1929, Trotsky considère Contre le


Courant comme le seul groupe sur lequel il peut s’appuyer dans la perspective de
l’unification. Il le charge de la mission politique, primordiale à ses yeux, de créer
l’hebdomadaire qui servira de base à l’unification. Jusqu’en juin 1929, il n’a de cesse
de rappeler l’urgente nécessité de ce travail. Mais la lente dégradation des rapports
entre les deux hommes l’amène à modifier ses projets. En avril 1929, Contre le
Courant dénonce30 « l’offensive générale » de la quasi-totalité des autres groupes31
de l’opposition française contre eux. L’argumentation vise avant tout à démontrer que
lui seul représente la pensée de l’opposition de gauche en France32. Cette manière
d’envisager le travail en commun avec les autres groupes, mécontente Trotsky33. Par
ailleurs, Paz rechigne à lancer un hebdomadaire, considérant que la vraie priorité
demeure la constitution de la plate-forme de l’opposition et que les problèmes
financiers ne permettent pas d’envisager la transformation de leur revue à court
terme34. Après des discussions prolongées avec Rosmer, Trotsky décide de passer

27
Trotsky, « Le conflit Soviéto-Chinois…. », art. cit.
28
ZIMMERMANN R, Der Leninbund….op. cit., p. 164-167.
29
Lors de la rencontre entre les deux hommes, Trotsky a été désagréablement surpris par l’attitude de
Paz : « Il m’a suffi de passer quelques jours avec Paz pour gagner, dans le contact personnel,
l’impression que ce n’est pas un révolutionnaire, et à peine même un homme qui peut devenir
révolutionnaire. », lettre de Trotsky à Van Overstraeten, 26 janvier 1930, IHS, fonds Trotsky (Harvard),
bob. 38-39.
30
« Feu à gauche », Contre le Courant, n° 27-28, 12 avril 1929, p. 26-29.
31
Le groupe Souvarine, Le Réveil Communiste (l’opposition de gauche italienne), le groupe Naville
réuni autour de la revue La lutte de Classes et le CRC.
32
« Enfin, le seul fait que Trotsky marque son accord avec nous, que nous marquions notre accord
avec lui, que nous combattions côte à côte, n’est pas pour rien dans l’offensive qui se poursuit ici,
prolongement raccourci, faible reflet de la lutte en Russie. Comme on n’ose pas encore s’attaquer
ouvertement à Trotsky, on s’en prend naturellement à ses camarades d’idées. », Ibid.
33
Durand D, op. cit., p. 80.
34
Lettre de Paz à Trotsky, 25 juin 1929, cité par Durand D, p. 83.
518
en force et de créer le nouvel hebdomadaire en dehors des groupes déjà constitués
et en s’appuyant sur des jeunes, tels Molinier ou Frank35. Cette décision suscite une
réaction courroucée de Paz, qui considère que son groupe reste le véritable
représentant de l’opposition en France. Le processus de rupture trouve son origine
dans l’incompréhension entre les deux hommes. Paz ne conçoit pas qu’après plus
d’une année d’étroite collaboration, Trotsky puisse choisir d’autres militants pour
mener à bien son projet. Tandis que ce dernier accuse Paz de passivité et considère
que ses critiques contre le nouvel hebdomadaire s’explique par le fait qu’il ait perdu
son rôle prééminent au sein de l’opposition française36.
Avec Treint également, l’annonce de la création d’Opposition conduit à la
rupture. Le 15 juin, dans une lettre37 d’où il ressort que Trotsky ne répond plus à ses
sollicitations, il s’interroge : « Nous ne savons pas encore si vous nous comptez
parmi votre base internationale ». Il l’accuse implicitement de ne pas pratiquer « un
bon régime intérieur de l’Opposition » en cachant certaines informations38 et en
décidant arbitrairement quel groupe l’ensemble de l’opposition doit rallier. L’annonce
de la parution du nouvel hebdomadaire, placé sous la direction de Rosmer, surprend
tout autant Treint que Paz. Le CRC écrit une dernière lettre à Trotsky pour lui faire
part de son étonnement39. Pour eux, Rosmer reste un syndicaliste qui, par le passé,
a défendu les idées de la droite40 et ne s’est pas prononcé sur les questions
actuelles. Son unique qualité « c’est sans doute d’être resté neutre et de n’avoir pas
participé aux polémiques entre les groupes d’opposition ». Treint n’admet pas que
Trotsky, après avoir lui-même fixé les frontières idéologiques de l’Opposition de
gauche, se ravise et constitue arbitrairement un nouveau groupe, sans même en
discuter avec ceux qui avaient accepté cette délimitation :
« Il y a en France deux groupes : Contre le Courant et le Redressement
Communiste qui ont à des degrés divers mené la lutte oppositionnelle sur la
base des critères fixés par vous. Or ces deux groupes ont été délibérément
écartés des conversations et discussions préalables à la création et à la
parution du nouvel organe oppositionnel ».

35
Pierre Frank (1905-1984): Militant communiste puis oppositionnel, exclu du PCF en août 1929.
36
Lettre de Trotsky à Van Overstraeten, Ibid.
37
Lettre de Treint à Trotsky, 15 juin 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard), bob. 23-24.
38
Il parle de la capitulation de Radek qu’il a appris en lisant « les journaux officiels de Staline ».
39
Lettre à Trotsky signé, Barré, Jean-Jacques et Treint, 24 juillet 1929, IHS, fonds Trotsky (Harvard),
bob. 23-24.
40
Défense du groupe Brandler, soutien au gouvernement travailliste de Mac Donald en Grande-
Bretagne. Cf. supra.
519
Le fait que Treint s’insurge contre la mise à l’écart de Contre le Courant, qu’il a tant
critiqué, témoigne des prémices d’un rapprochement entre deux groupes réunis dans
la dénonciation des méthodes de Trotsky.
Treint s’emporte et accuse Trotsky d’exporter dans l’opposition française les
méthodes de la bureaucratie stalinienne, en refusant la confrontation des points de
vue dans le cadre d’une large discussion. En plus d’avoir écarté les représentants
légitimes de l’opposition française, il considère que sa démarche, loin de régler les
problèmes et de rassembler l’opposition, ne fait « que compliquer la situation ». En
constituant un nouveau groupe sur des bases politiques mal définies et en éliminant
d’anciens militants, Trotsky ne court-il pas le risque d’affaiblir plutôt que de renforcer
l’opposition et de déclencher de nouvelles crises ? Treint en est persuadé et, tout en
déclarant accepter de collaborer, il le met en garde contre les conséquences
néfastes de ses méthodes :
« Nous examinerons le contenu de la revue Opposition. Nous marquerons
notre accord avec elle si la ligne politique est conforme à la ligne politique et
aux critères fixés par vous jusqu’ici ; […] Nous entendons, d’ores et déjà,
dégager toute responsabilité si l’avenir prochain nous apportait la preuve
d’une orientation politique et tactique nouvelle contraire aux intérêts de
l’opposition qui se confondent avec ceux du mouvement révolutionnaire, en
France comme à l’échelle mondiale. »41
Trotsky considère au contraire que la rupture permet d’espérer la formation
d’un groupe homogène en France. Quant à Contre le Courant et au CRC, qui
regroupent plus de militants que La Vérité, il assure qu’ils disparaîtront bientôt, leurs
militants rejoignant soit l’Opposition de gauche, soit la social-démocratie :
« Loin de regretter la situation créée par ce conflit précipité, je m’en réjouis.
Nous aurons les coudées libres pour avancer et pour bousculer, et puisque
nous aurons les coudes plus solides et plus expérimentés, nous réussirons.
[…] Quant à CLC, au moment où ils se détachent de nous, ils n’existent déjà
plus. Ca veut dire qu’ils existent même moins que le Redressement
Communiste. »42
Venant s’ajouter à ce conflit, les articles publiés de part et d’autre au sujet de
la journée du 1er août et du conflit sino-soviétique ne peuvent qu’entraîner la rupture
définitive des relations. Les rédacteurs de Contre le Courant multiplient les attaques

41
Ibid., p. 3.
42
Lettre de Trotsky à Marguerite Rosmer, 12 juillet 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p. 33.
520
à l’encontre du nouveau groupe. Ils publient tout d’abord une « lettre ouverte à La
Vérité »43, reprenant approximativement les mêmes arguments que Treint. Tout en
posant une série de questions sur le mode de fonctionnement et sur la place du
nouveau journal dans l’opposition, ils se déclarent prêts à collaborer. Dans le même
temps, ils mettent en garde contre « toute tentative pour implanter dans l’opposition
les méthodes bureaucratiques du parti officiel ». Dès le numéro suivant, le ton
change. Le journal publie trois articles consacrés à La Vérité et dénonçant les
erreurs de Trotsky. Il accuse les militants du nouvel hebdomadaire de refuser la
discussion44 et d’être opposés à l’unification. Mais le groupe réserve ses principales
attaques à Trotsky45 qui, en contradiction avec ses positions antérieures, a signé la
déclaration de Rakovsky46. Dans le même numéro, Paz et ses partisans affirment
que le PCF s’est « désagrégé » sous l’effet du régime bureaucratique et appellent en
conséquence l’opposition à rassembler les « morceaux sains qui se détachent du
parti ». Ces déclarations rapprochent un peu plus Contre le Courant du Leninbund47
et l’éloignent de Trotsky qui prône toujours le redressement de l’intérieur. Ce 38ème
numéro, symbole de l’évolution rapide du groupe, n’a pas de suite. Quelques
semaines plus tard, il est remplacé par Le Libérateur, un hebdomadaire censé
concurrencer La Vérité sur son terrain. Contrairement aux prédictions de Trotsky, la
guerre entre les groupes se poursuit et Treint continu d’y jouer un rôle primordial.
Contre sa volonté, Trotsky a favorisé un rapprochement entre Treint et Paz dirigé
contre lui.

3) Treint et Le Libérateur.

La rupture entre Treint et Trotsky marque les prémices du processus de


disparition du CRC. Le dernier numéro du Redressement Communiste (n° 7) paraît
le 16 septembre 1929. Le CRC qui compte une cinquantaine de membres48 connaît

43
Contre le Courant, n° 36-37, 21 septembre 1929, p. 1-2.
44
« Refus de répondre », Contre le Courant, n° 38, 22 octobre 1929, p.16. Ils soulignent que le
groupe de La Vérité refuse de discuter les points de vue qui s’opposent sur le conflit sino-soviétique et
dénonce la publication d’articles « non orthodoxes ».
45
« Un pas en arrière », Contre le Courant, n° 38, 21 octobre 1929, p. 1-7.
46
Rakovsky, proche de Trotsky et déporté en Sibérie, a adressé au CC et à la CCC du PC d’URSS
une déclaration reconnaissant le cours à gauche de la politique du parti russe et demandant la
réintégration des oppositionnels. Contre le Courant considère qu’il s’agit d’une trahison des thèses de
l’Opposition russe et une capitulation. Treint ne se prononce alors pas officiellement sur la question
mais expliquera, par la suite, qu’il était aussi opposé à la déclaration de Rakovsky.
47
Contre le Courant publie, dans ce même numéro, une lettre du Lenindund adressée à Trotsky et
répondant à ses attaques sur la question du redressement du parti et de l’IC.
48
53 membres du CRC signent la résolution de la minorité du syndicat Cuirs et Peaux.
521
une nouvelle série de départs. Jean-Jacques, dès le mois de septembre 1929, prend
contact avec Rosmer49 et rejoint rapidement le groupe de la région parisienne de La
Vérité. Par la suite, d’autres militants suivent le même chemin :
« Parmi les nouveaux camarades qui sont venus à nous, il y en a avec
lesquels, je crois, nous pourrons bien travailler ; il semble, par exemple, que le
Jean-Jacques (de Treint) va s’installer définitivement chez nous ; pour
d’autres, des conversations et des discussions sont encore nécessaires »50.
Pour Treint, Barré et les militants restés au CRC, la stratégie reste inchangée. Le
groupe n’ayant plus la capacité d’attirer de nouveaux militants et de développer un
travail de propagande, tente de se rapprocher du groupe Paz.
Le groupe Rosmer, en dépit de sa croissance rapide dans les premiers mois
de son existence51, rencontre de nombreuses résistances et essuie des critiques de
la part des militants proches de la tendance syndicaliste de La Révolution
Prolétarienne et surtout du Libérateur, dont le premier numéro paraît le 20 novembre
1929, et qui tente de se développer en concurrençant La Vérité52. Le comité de
rédaction reste équivalent à celui des derniers numéros de Contre le Courant53, mais
la ligne politique du journal évolue sensiblement. Il publie les thèses de Brandler et
tente de s’appuyer sur le mouvement autonomiste, issu de la crise de la CGTU. Il fait
de l’unification des groupes de l’opposition française un des leitmotivs de son action
politique en opposant son attitude à celle de La Vérité, jugée sectaire. Le groupe
participe à la conférence organisée, le 8 décembre 1929, par les six conseillers
municipaux de Paris qui quittent le PCF pour créer le Parti Ouvrier et Paysan.
Le Libérateur s’empresse de répondre positivement à la convocation pour une
conférence régionale de l’opposition, organisée par le groupe d’opposition
communiste du 15ème rayon. Le 26 janvier 1930, Le Libérateur, La Vérité, le CRC, le
groupe d’opposition de Savigny, ainsi que plusieurs individualités54, se retrouvent
pour débattre des sujets les plus sensibles dans l’opposition française. L’ordre du
jour comprend : la situation nationale et internationale (imminence de la guerre,
radicalisation des masses), la tactique syndicale, la question du régime intérieur de

49
Lettre de Rosmer à Trotsky, 18 septembre 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p. 64.
50
Lettre de Rosmer à Trotsky, 6 octobre 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p. 69. Maurice
Déglise était certainement en contact avec Rosmer. Il rejoint la Ligue Communiste à sa création en
avril 1930.
51
Un groupe d’ouvriers juifs et un autre constitué d’ouvriers hongrois rejoint la Vérité au mois de
décembre 1929.
52
Mais faute de moyen, le Libérateur ne paraît qu’une fois toute les deux semaines.
53
A l’exception de Delfosse.
54
Une soixantaine de militants participent à la conférence. Voir Rabaut J, op. cit., p. 57.
522
l’opposition, la fusion de l’opposition dans la région parisienne et la convocation
d’une conférence nationale et internationale à bref délai55. Le déroulement de la
conférence, loin de permettre une large discussion, met en lumière l’ampleur de la
fracture entre La Vérité et les autres groupes présents, personne n’étant prêt à
abandonner l’attitude qui prévaut depuis quelques mois. Dès le début de la
conférence, Rosmer fait une déclaration indiquant l’impossibilité d’aboutir à
l’unification en raison de l’attitude des autres groupes56. Après le rapport d’un ouvrier
du 15ème rayon sur les questions nationales et internationales, Treint intervient à son
tour sur la liaison entre l’opposition russe et l’opposition française, sur les relations
entre l’Europe et les Etats-Unis et sur les dangers de guerre. Il dénonce la
déclaration de Rakovsky qu’il présente comme une capitulation. Les militants de La
Vérité réagissent vigoureusement, considérant qu’il s’agit d’une attaque directe
contre l’opposition russe et contre Trotsky. Dans son compte rendu de la conférence,
La Vérité fustige tout particulièrement Treint, l’accusant de développer des thèses
ultra-gauchistes, incohérentes et volontairement dirigées contre eux :
« Dès que la discussion s’engagea et qu’intervinrent Treint et les
représentants du Libérateur, elle déborda les cadres du rapport pour se diriger
contre l’opposition russe et contre nous. […] Treint dénonça le monolithisme,
non celui introduit par Zinoviev et continué par Staline, mais celui que
l’opposition russe veut, paraît-il, imposer. […] Pour montrer qu’il avait des
idées originales, Treint fit un exposé briandesque sur l’Europe unie contre
l’Amérique. Puis il attaqua vivement la lettre de Racovsky au Comité central.
[…] Pour nous qui ne l’avions pas revu depuis le temps (1924) où il fut imposé
― d’en haut ― à la direction du Parti communiste français, contre la volonté
du Parti, nous retrouvions un Treint pareil à lui-même. Avec la même
inconscience que jadis, quand il dénonçait le “bonapartisme“ de Trotsky, il
qualifiait maintenant Racovsky de capitulard. »
Pour Naville, Treint cherche avant tout, grâce à des manœuvres politiciennes, à
s’aligner les groupes opposés à La Vérité pour tenter de s’imposer à la tête de

55
« Vers une conférence de l’Opposition », Le Libérateur, n° 5, 20 janvier-5 février 1930, p. 4.
56
« Au début de la séance du matin, nous avons fait une déclaration disant que nous comprenions
e
très bien le désir des camarades de l’opposition du 15 rayon, de voir toutes les forces d’opposition
s’unir ; en même temps nous rappelions qu’on ne peut ignorer le passé de l’opposition, et que si les
deux groupes qui existent depuis plusieurs années n’ont pu s’unir, c’est que des divergences politique
sérieuses les séparent […] Que dans ces conditions, nous ne voyions pas qu’un débat sur des
questions trop générales, pourrait donner des résultats pratiques, qu’il fallait, au contraire, aborder de
front les sujets de divergences car c’était le seul moyen de réaliser la sélection souhaitable. » « La vie
de l’opposition », La Vérité, n° 21, 31 janvier 1930, p. 8.
523
l’opposition57. Les militants du groupe Paz estiment au contraire que l’intervention de
Treint exprime les positions de la majorité des participants sur la question du conflit
sino-russe et l’appréciation de Thermidor, et laisse entrevoir la possibilité d’une
unification des forces oppositionnelles. Le groupe de La Vérité, se sentant en
minorité et battu, tente alors de manœuvrer pour en empêcher la réalisation. En
refusant de participer à la commission des résolutions, formée pour tenter d’aboutir à
une position commune, ses représentants bloquent toute avancée, provoquant
l’exaspération des autres participants58.
Si l’on compare la ligne défendue par le groupe Paz ― autonomie syndicale,
publication des thèses de Brandler ― avec les positions de Treint, un rapprochement
entre ces deux anciens adversaires surprend. Quelques mois auparavant, Treint
expliquait à Trotsky qu’il ne pouvait envisager de travailler avec Contre le Courant,
étant donné ses erreurs « de droite ». A la conférence, il apparaît bien plus tolérant
et souple sur la ligne de ses alliés. Tenu à l’écart par Trotsky et conscient de la
faiblesse du CRC, il espère après unification avec le groupe Paz et, si possible, le
groupe du 15e rayon, s’imposer comme l’un des leaders incontournables de
l’opposition française. Première concrétisation de ce rapprochement, Treint écrit,
dans la tribune libre du Libérateur, un article sur la nouvelle journée de manifestation
organisée par l’IC59. Il y dénonce la très mauvaise préparation de la démonstration
communiste par le PCF alors que le contexte international de crise devrait favoriser
les mobilisations de masses. Il prédit un nouvel échec consécutif à celui de la
journée du 1er août, ne faisant que décrédibiliser un peu plus le parti français. Cette
première collaboration reste sans suite. Le Libérateur disparaît, faute de moyens
financiers et d’une audience dans l’opposition. Le groupe se scinde rapidement, Paz
rejoignant la SFIO, d’autres le Parti Ouvrier Paysan ou la Ligue Syndicaliste.
Quelques uns rejoignent La Vérité qui devient la Ligue Communiste (Opposition de
gauche) en avril 1930. La tentative d’unification avec le groupe Paz en pleine
déliquescence se conclut par un échec qui se répercute sur le CRC. Après la

57
« A cette occasion, [Naville] s’en prend sévèrement à Treint qui, par de multiples manœuvres avec
e
Contre le Courant en 1929, puis avec Le Libérateur et les camarades du 15 rayon, ou bien avec le
Comité pour l’Indépendance du Syndicalisme tente, dans un but étroitement personnel, de jouer un
rôle particulier, sans succès, par des intrigues répétées […]. » Cité par CUENOT A, op. cit., p. 135.
58
Dans le compte rendu de la réunion, Le Libérateur écrit : « Ainsi, de leurs premiers contacts avec
e
La Vérité, les camarades du 15 rayon et tous les ouvriers présents ont retenu ceci : en la personne
de ces aristocrates de l’opposition, ils se trouvent en face d’un état-major qui n’a plus grand chose à
envier à l’état-major stalinien. […] Triste similarité dans les méthodes et dans les hommes. Ces
méthodes ont fait le vide autour du parti. Elles feront également le vide autour de la petite chapelle de
La Vérité. », « Vers l’unification de l’opposition », n° 6, 5-20 février 1930, p. 1.
59
A. Treint, « L’aventure du 6 mars », Le Libérateur, n° 7, 5-20 mars 1930, p. 2.
524
disparition de son groupe, Treint ne participe plus directement aux activités de
l’Opposition de gauche en France. Il entre néanmoins en contact avec Molinier, alors
à la recherche d’alliés pour prendre le contrôle de la Ligue Communiste. C’est pour
Treint l’occasion d’entrer dans l’organisation soutenue par Trotsky, sans pour autant
abandonner ses positions critiques quant à la constitution du groupe en 1929.

525
B/ Treint et la Ligue Communiste.

1) Premières crises de la Ligue Communiste.

En devenant la Ligue Communiste (section française de l’Opposition de


gauche internationale), le noyau de militants qui constituait le groupe de La Vérité se
renforce, entre autre grâce à l’arrivée de militants issus du Libérateur ou du CRC.
Cette période d’essor doit beaucoup à Rosmer qui tente d’ouvrir l’organisation et
d’étendre son influence au-delà des cercles parisiens. A partir de mars 1930, il entre
en contact avec Dommanget60, l’un des dirigeants de la fédération de
l’enseignement, qui représente au sein de la CGTU un courant minoritaire très
critique à l’égard de la direction confédérale, sans être favorable à la tendance
syndicaliste autonomiste61. La fédération de l’enseignement prépare un manifeste
appelant au redressement de la CGTU62, dont les propositions se rapprochent de
celles préconisées par la Ligue. De cette tentative d’élargir l’audience syndicale du
groupe63 naît, en avril 1930, l’Opposition Unitaire. Ainsi, la Ligue Communiste,
nouvellement créée, apparaît de plus en plus comme la seule organisation apte à
fédérer les divers courants de l’opposition en France
Cependant, dès sa fondation, la Ligue Communiste connaît un conflit interne.
Lors de la désignation de la Commission Exécutive (CE)64, Rosmer décide, avec
l’accord de Pierre Naville, d’écarter Raymond Molinier65. Dans sa correspondance
avec Trotsky, Rosmer fait état d’un conflit larvé entre les groupes Naville et Molinier.
Tout en affirmant sa neutralité, il ne cesse de souligner le dévouement de Naville et
juge au contraire Molinier « pas très capable politiquement »66. A l’inverse, Trotsky,

60
Maurice Dommanget (1888-1976) : Instituteur. Militant socialiste, communiste puis oppositionnel.
Secrétaire général de la Fédération unitaire de l’Enseignement de 1926 à 1928.
61
Ces deux militants sont membres de la Ligue Syndicaliste, organisation qui a pris l’initiative d’une
déclaration « pour reconstruite l’unité syndicale », signée par 22 militants de la CGT et de la CGTU.
Pour l’Opposition de gauche et pour Trotsky, cette déclaration commune avec des dirigeants du
syndicat réformiste constitue une véritable trahison. Voir Trotsky, « Monatte a franchi le Rubicon », La
Vérité, n° 67, 19 décembre 1930.
62 er
Le manifeste est publié dans La Vérité, n° 34, 1 mai 1930, p. 4-6.
63
GRAS C, Alfred Rosmer et le mouvement ouvrier révolutionnaire international, op. cit., p. 367.
64
Elle comprend Rosmer, Naville, Gourget, Mill, D Lévine, Gérard et Frank.
65
ROCHE G, « La rupture de 1930 entre Trotsky et Rosmer : Affaire Molinier ou divergences
politiques ? », Cahiers Léon Trotsky, n° 9, p. 13.
66
Lettre de Rosmer à Trotsky, 10 novembre 1929, Correspondance (1929-1939), op. cit., p.61.
Jusqu’en juin 1929, Alfred et Marguerite Rosmer n’ont de cesse de mettre en garde Trotsky contre le
526
séduit par le dynamisme de Molinier, se montre beaucoup plus critique concernant
Naville qu’il estime trop intellectuel, trop dédaigneux vis-à-vis de certains militants67.
Il est contrarié que Molinier ne soit pas membre de la direction de La ligue et que, de
plus, Rosmer lui ait préféré Gérard68, proche de Naville69. Il considère que la
présence de Molinier au CE aurait permis un équilibre entre les tendances,
débarrassant l’organisation des menaces de lutte fractionnelle.
Il ne peut se douter que Molinier, bien avant la création de la Ligue
Communiste, manœuvre pour prendre le contrôle du groupe. Au sein de La Vérité, il
compte sur l’appui de son frère Henri, de sa femme et de Pierre Frank, ainsi que sur
le soutien de Sedov70, qui partage avec Molinier une aversion pour Naville.
Ensemble, ces militants échafaudent des combinaisons politiques dirigées contre
Naville71. Rosmer, en écartant Molinier de la CE, espère apaiser les tensions et
remettre Molinier à sa place. Ce dernier réagit au contraire en déclenchant une
offensive contre la direction Naville/Rosmer. Il l’accuse de ne pas organiser le travail
parmi les jeunes, d’avoir mal préparé une manifestation d’Indochinois à l’Elysée72 et
de commettre des erreurs dans le travail syndical. Pierre Frank, lors d’une séance de
la CE, menace de poser la question de la manifestation de l’Elysée devant le groupe
de Paris, dans le but de dresser les militants parisiens contre la direction.
Pour Rosmer cette manœuvre est orchestrée par Molinier. Il exige qu’il soit
relevé de ses fonctions de secrétaire du groupe de Paris. Mais Molinier, avec le
soutien du Secrétariat International de l’Opposition de gauche, s’oppose à cette
décision73. Ayant été désavoué, Rosmer quitte progressivement ses fonctions à la
tête de l’organisation. Il est d’autant plus amer que contrairement à ses attentes,
Trotsky défend Molinier et refuse d’entendre ses mises en garde :

comportement de Molinier. Au contraire, ils considèrent Naville comme l’un des meilleurs éléments de
l’opposition française, malgré leurs faiblesses : « Vous savez mon cher Léon Davidovitch, qu’au sujet
de nos jeunes camarades Gérard et Naville, je me rassure chaque jour un peu plus en particulier pour
N[aville] que je connais mieux. […] Ils sont très dévoués à notre cause et lui appartiennent vraiment
corps et âme. », Lettre de Marguerite Rosmer à Trotsky, 19 mars 1930, p. 131.
67
Lettre de Trotsky à Marguerite Rosmer, 21 janvier 1930, Ibid., p. 121.
68
Il s’agit de Gérard Rosenthal.
69
Lettre de Trotsky à Rosmer, 26 juin 1930, cité par ROCHE G, art. cit., p. 13.
70
le fils de Léon Trotsky. A plusieurs occasions Sedov joue le rôle de courroie de transmission entre
Molinier et Trotsky en incitant son père à critiquer sévèrement les fautes de Naville. Voir D Durand,
op. cit., p. 190-191.
71
Dans une lettre à Sedov, datée 9 janvier 1930, Molinier déclare : « Ce soir, réunion de notre fraction
et décision de débarquer Naville et de régler la seconde étape prévue. On ne peut plus piétiner. ».
Cité par Durand D, op. cit., p. 191.
72
Un groupe d’Indochinois organise une manifestation surprise devant l’Elysée le 22 avril 1930 avec
l’appui de la Ligue Communiste. 12 militants sont arrêtés et expulsés de la métropole. C’est un échec
pour la Ligue Communiste qui perd une part de son influence acquise dans les milieux immigrés.
73
Gras C, op. cit., p. 370.
527
« R[aymond] M[olinier] a pris cette attitude parce qu’il prétend avoir votre
appui ; selon son interlocuteur, il le laisse entendre à mots couverts ou bien le
dit ouvertement. Dans ces conditions il a pu finalement mobiliser contre nous
d’excellents camarades qui sont, comme nous, fixés sur ses capacités
politiques, mais qui le considèrent comme votre homme de confiance et, par
suite, n’ont pas voulu ratifier la mesure que nous demandions contre lui et qui
était strictement nécessaire. »74
Trotsky s’investit un peu plus dans la crise en recevant Naville et Molinier à Prinkipo,
en août 1930. Au terme de la discussion, les deux militants français acceptent « la
paix de Prinkipo », qui permet à Molinier de rentrer dans la CE. La manœuvre
politique a parfaitement fonctionné et avec le retrait progressif de Rosmer, le groupe
Molinier prend le contrôle de la direction de la Ligue Communiste.
A compter de juillet 1930, Rosmer cesse de correspondre avec Trotsky et
délaisse la direction de la Ligue et de La Vérité, avant de quitter définitivement
l’organisation en décembre 1930. Il justifie son départ par « le régime intérieur de la
Ligue »75 et « la formation d’un foyer malsain » qui lui rappelle « trait pour trait, les
débuts du triste zinoviévisme en France ». En revanche, il réfute l’idée que son
départ soit lié à des divergences politiques ou personnelles avec Trotsky76. Depuis le
début de l’année 1930, ces deux hommes sont cependant en désaccord sur la
tactique syndicale et l’attitude de la Ligue au sein de l’Opposition Unitaire. Trotsky
rejette l’idée d’un rapprochement avec la fédération de l’enseignement, qu’il juge trop
hétérogène politiquement, et estime que la Ligue doit militer dans le mouvement
syndical avec ses propres conceptions et non dans le cadre d’une alliance
« stérile »77. Il qualifie par ailleurs les militants de la Ligue Communiste favorables à
l’Opposition Unitaire d’« aile opportuniste », qu’il oppose à « l’aile marxiste » de
Molinier et Frank. La nouvelle majorité, opposée depuis le début à la politique de
Naville et Rosmer, s’empresse de torpiller l’Opposition Unitaire après sa première
conférence78. Alors qu’un texte sur l’unité syndicale a été adopté, la CE de la Ligue
vote une résolution demandant sa modification dans le sens de la reconnaissance

74
Lettre de Rosmer à Trotsky, 24 juin 1930, Correspondance (1929-1939), op. cit., p. 152.
75
Lettre de Rosmer à la fédération de Charleroi, juin 1931, Musée Social, fonds Mougeot.
76
Ibid.
77
Léon Trotsky, « Les erreurs des éléments droitiers de la Ligue dans la question syndicale », La
Vérité, n° 71, 16 janvier 1931.
78
LE BARS L, La fédération unitaire de l’enseignement, thèse de doctorat, Paris 13. Voir p. 650 à 662
pour l’analyse des causes de la rupture progressive entre la Ligue Communiste et l’Opposition
Unitaire puis la mort de cette dernière.
528
explicite du rôle du parti au sein du syndicat79. Puis, le 6 mars 1931, elle vote une
nouvelle résolution déclarant que l’Opposition Unitaire « ne peut grouper que des
militants approuvant la plate-forme syndicale de la Ligue Communiste. »80 La rupture
d’avec la Fédération unitaire de l’Enseignement entraîne le départ de militants
favorables à la tactique de l’Opposition Unitaire.
La Ligue, affaiblie par la crise qu’elle vient de traverser, perd l’influence qu’elle
avait progressivement acquise dans le milieu syndicaliste et laisse partir les militants
à l’origine de la constitution du groupe. Pour Rosmer, qui entretient des contacts
avec les opposants regroupés dans la Gauche Communiste81, la Ligue est une
organisation en voie de disparition qu’il faut « abandonner »82. Il voit, dans la
situation de l’organisation en 1930, une analogie avec celle du PCF en 1924 :
« Molinier a repris à son compte les “manœuvres, intrigues, fraction“ de Treint
et le camarade Trotsky, en lui donnant ostensiblement son appui, lui a permis
de se hisser à la direction de la Ligue et de s’y maintenir contre la volonté
certaine de l’immense majorité des camarades de la Ligue. Est-ce un pur
hasard qu’on a vu apparaître ces derniers temps, le nom du camarade Treint
dans l’activité de la Ligue, de ce héros de la funeste bolchevisation qui ne
s’est découvert des sympathies pour l’Opposition que le jour ou le clan
zinoviéviste a été supplanté à la direction par le clan stalinien ? »83
Une fois Rosmer hors de l’organisation, Treint participe en effet aux activités de la
Ligue, en tant que sympathisant. Le groupe Molinier, en proie aux difficultés de
l’organisation et aux luttes intestines, cherche des soutiens à l’extérieur. Pour Treint,
la crise de 1930-31 souligne le bien-fondé de ses positions en 1929 sur la formation
de l’Opposition de gauche. Il intervient de plus en plus fréquemment dans les débats
et reprend contact avec Trotsky.

79
La résolution affirme en conclusion : « Si l’Opposition Unitaire rejetait la politique communiste
présentée par l’Opposition communiste, nous estimerions qu’elle abandonnerait sa voie de
redressement de la CGTU ».
80
LE BARS L, op. cit., p. 653.
81
Gourget, Collinet, Aimé Patri, Claude Naville (frère de Pierre) ainsi que le groupe des « étudiants »
autour de Jean Prader quittent la Ligue Communiste. Une partie d’entre eux crée la Gauche
Communiste qui, à partir d’avril 1931, publie un bulletin intitulé Le Communiste.
82
Lettre de Rosmer à Mougeot, 2 octobre 1931, Musée Social, fonds Mougeot.
83
Lettre de Rosmer à la fédération de Charleroi, 22 juillet 1931, Musée Social, fonds Mougeot.
529
2) Vers une alliance Molinier/Treint.

Après l’échec de la conférence d’unification de janvier 1930 et la disparition du


Libérateur, Treint change de tactique et, après avoir lutté contre, tente de se
rapprocher de l’organisation trotskyste. Il lui fait parvenir un document dans lequel il :
« estime que l’opposition communiste doit former sa tendance propre et militer
parmi les ouvriers de la CGTU majoritaires comme minoritaires pour résoudre
dans le sens communiste les problèmes que la vie pose devant les
syndicats. »84
Probablement grâce aux anciens militants du CRC membres du groupe de Paris de
la Ligue Communiste, Treint suit le conflit qui secoue la Ligue au sujet de la tactique
syndicale et de l’alliance en cours de réalisation avec la majorité fédérale de
l’enseignement. Il tente de s’immiscer dans les débats en soumettant sa position à
l’avis de la Ligue. Les rédacteurs de La Vérité réagissent par des sarcasmes et
accusent Treint de manœuvrer pour provoquer des conflits dans la Ligue85.
Avec le développement des luttes fractionnelles à partir de mai 1930, Treint
trouve un terrain favorable pour se rapprocher de la tendance qui, contrairement à
Rosmer et Naville, souhaite qu’il participe aux activités de la Ligue. En effet le groupe
Molinier/Frank contrôle le groupe de la région parisienne et organise des réunions
contradictoires auxquelles assistent des membres du PCF. Treint intervient au moins
à deux reprises86, en tant qu’orateur indépendant. Il noue ainsi des contacts
débouchant sur une collaboration politique. Lorsque le conflit entre la nouvelle
direction et le groupe favorable à l’Opposition Unitaire prend de l’ampleur, Molinier
propose à Treint d’intervenir dans le débat interne en publiant un article résumant sa
position sur la question syndicale. La proposition étonne d’autant plus que Treint n’a
encore jamais manifesté son désir d’adhérer à la Ligue. Pour plusieurs membres du
CE, dont Naville, cette intrusion de Treint dans la vie interne de la Ligue cache une
nouvelle manœuvre de Molinier :

84
« Les leçons d’une conférence d’unification », La Vérité, n° 35, 9 mai 1930, p. 8.
85
Ibid. Les auteurs soulignent que lors de la conférence d’unification de janvier 1930, Treint avait fait
bloc avec les militants du Libérateur qui, pour une partie, défendaient des thèses proches du Comité
pour l’Indépendance du Syndicalisme. Ils affirment par ailleurs que Treint lui même aurait approuvé, à
cette conférence, les discours favorables au Comité pour l’Indépendance ; mais les comptes rendus
ne permettent pas de confirmer ces affirmations. On peut néanmoins en douter car dans les
documents publiés par le CRC, Treint s’est toujours déclaré partisan de la formation d’une fraction de
l’Opposition de gauche au sein de la CGTU (voir Le Redressement Communiste n° 7).
86
Voir La Vérité, n° 37, 23 mai 1930, p. 7 sur une réunion dans le 20 arr. et n° 50, 22 août 1930, p. 8
sur une réunion à Bagnolet.
530
« Que signifie la publication d’un article, même de discussion de Treint ? La
Ligue veut des explications là-dessus. Treint n’a jamais été militant de
l’Opposition Unitaire. La publication de son article dans la tribune de
discussion n’est qu’un prétexte. Prétexte de quoi, c’est ce qu’il faut savoir. »87
Malgré les protestations, Treint publie un article88 contre la déclaration des
2289, qu’il considère comme « une opération politique et syndicale dirigée contre le
communisme et contre l’unité syndicale elle-même ». Il apporte son appui à Molinier,
qui cherche à imposer la tactique de formation d’une fraction indépendante de la
Ligue Communiste au sein de la CGTU90. Treint manifeste tout de même certaines
réserves. Il indique notamment que La Vérité occupe « la position politique la plus
proche de la [sienne] » tout en critiquant un article dans lequel Trotsky a établi un
parallèle entre l’Opposition Unitaire et le comité anglo-russe91 :
« C’est une double erreur, d’une part, d’assimiler le comité anglo-russe à une
organisation syndicale et, d’autre part, de confondre l’activité véritablement
communiste avec la politique fausse de la fraction Staline »
En défendant une position intermédiaire, souhaite t-il ménager la tendance Naville,
critiquée par Trotsky, ou simplement souligner son indépendance et sa singularité au
sein de l’Opposition de gauche ? Face aux sollicitations de plus en plus insistantes
de Molinier, Treint hésite à s’investir pleinement dans la Ligue, considérant qu’il
subsiste des désaccords, principalement sur les questions internationales (attitude à
l’égard de l’URSS, regroupement capitaliste européen)92. De son côté, Molinier

87
Lettre de Naville à Paul (secrétaire de la Ligue), 9 février 1931, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 9.
88
Treint A, « La lutte pour l’Unité Syndicale », La Vérité. Il est publié en trois parties dans les numéros
80 (20 mars 1931), 81 (27 mars 1931) et 84 (17 avril 1931). En réalité, sans que la CE n’en ait été
tenue au courant, Molinier à déjà fait paraître un premier article de Treint intitulé « La révolution
espagnole », La Vérité, n° 76, 20 février 1931, p. 1.
89
A l’instigation du Comité pour l’Indépendance du syndicalisme, 22 militants confédérés, unitaires et
autonomes signent, le 9 novembre 1930, un appel à la reconstruction de l’unité syndicale. L’appel est
combattu à la fois par le PCF et par les partisans de Trotsky. Ce dernier publie par ailleurs un article
condamnant fermement Monatte qui a signé cet appel, « Monatte a franchi le Rubicon », La vérité, n°
67, 19 décembre 1930.
90
« Le parti communiste est l’organisation des éléments les plus conscients du prolétariat sur la base
de la doctrine révolutionnaire, en vue d’éclairer, d’influencer et d’entraîner l’ensemble de la classe
ouvrière et de ses organisations. […] Il faut forger l’outil ; il faut lui donner le champ d’action maximum,
la faire travailler dans toute la classe ouvrière, notamment dans la classe ouvrière syndicalement
organisée. », Treint A, art. cit., n° 80, p. 3.
91
Trotsky, « Les erreurs des éléments droitiers de la Ligue…. », art. cit.
92
Lettre de Treint à Molinier (non datée), IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob.56-58. Molinier avait
proposé à Treint d’écrire un article sur l’URSS et la question européenne. Ce dernier répond qu’il
préfère tout d’abord poursuivre sa collaboration sur les question syndicale avant d’envisager une
collaboration plus poussée à La Vérité : « Quand nous aurons fini sur la question syndicale, nous
pourrons éclaircir dans la discussion le problème sur lequel tu me demandes un article. Je crois que
c’est plus sage de faire ainsi. »
531
multiplie les entrevues et plaide pour la parution de son article face aux critiques de
membres de la CE93. Par tous les moyens, Molinier tente d’impliquer Treint dans la
vie de la Ligue qui, depuis février 1931, traverse une période de crise aiguë. La
question des rapports avec la FUE continue d’empoisonner les relations entre le
groupe Naville et la nouvelle direction, à quoi viennent s’ajouter des divergences sur
l’appréciation du tournant du PCF94 et un conflit autour de la gestion, par la nouvelle
direction, d’une grève des mineurs du nord au début de l’année 1931. Cette dernière
question entraîne la rupture entre Molinier et le groupe juif95, principal groupe ouvrier
de la Ligue. Sans son appui, Molinier risque de perdre la direction et il doit chercher
de nouveaux alliés pour reconstituer une majorité solide au sein de la région
parisienne.
Treint cède aux sollicitations de Molinier et participe au conseil national de la
Ligue (24-25 mai 1931) qui tente de régler provisoirement les conflits dans l'attente
d'une conférence nationale. Dès la première séance, une dispute éclate autour de la
représentation de la minorité dans la délégation de la région parisienne96 et de la
participation de Treint. Il obtient l’autorisation d’assister au conseil national par 15
voix pour et 10 contre97. Après les questions d’organisation, Molinier intervient au
nom du secrétariat, dresse un tableau de l’état de la Ligue ainsi que des questions à
l’origine de la discorde et du refus de certains militants de travailler avec la nouvelle
direction.
Les débats se résument à une défense par la direction du bilan des derniers
mois et une attaque en règle de la politique de l’ancienne direction sur la question
syndicale et sur les rapports avec le PCF. A l’inverse, la minorité défend son bilan
puis insiste sur le manque de démocratie dans la Ligue, l’activité politique inexistante

93
P-V du CE du 12 mars 1931 de la Ligue Communiste, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 2.
94
A compter de la fin de l’année 1930, par la voix de ses principaux dirigeants, le PCF décide une
inflexion de sa politique ultra-gauchiste notamment en revenant à la tactique de front unique à la base
et en invitant la base à critiquer les erreurs commises au cours des dernières années. Cette
modification de la ligne politique du parti est voulue par Moscou et aboutit à un remodelage de la
direction du PCF et la montée en puissance de Thorez, au détriment de Barbé et Célor. Voir
ROBRIEUX P, Histoire intérieure…op. cit., p. 342-360.
95
Le groupe juif, présent au sein du groupe de la région parisienne de la Ligue où il détient la majorité
grâce à sa vingtaine de membres, est constitué d’ouvriers d’origine polonaise, lituanienne…
Considéré par la direction comme un groupe de langue, il jouit dans les faits d’une large autonomie et
revendique le statut de principal groupe de la Ligue puisqu’il représente à lui seul environ 1/5 des
effectifs de l’organisation. Voir la déclaration du groupe juif au secrétariat international, 25 mars 1932,
IISG, fonds Trotsky, dossier n° 955.
96
Les délégués choisis par le groupe de la région parisienne ne comprennent aucun membre de la
minorité (autour de Prader et de Claude Naville) car ces derniers ne participent plus depuis quelques
mois aux réunions du Comité Régional de la région parisienne. Voir Bulletin intérieur de la gauche
française, n° 1, AN, F7 14796.
97
Bulletin intérieur n° 1, Ibid., p. 5. Le groupe Naville vote contre la participation de Treint.
532
et la baisse du nombre de militants et de lecteurs de La Vérité. Dans son
intervention, Feroci98 souligne que les faiblesses de l’organisation ne s’expliquent
pas simplement par la politique d’une fraction ou d’une autre :
« La Ligue a été fondée par des groupes disparates. Elle a manqué et
manque de liaison avec la classe ouvrière et d’homogénéité. Si la lutte
intérieure est aussi aiguë, c’est qu’au lieu des problèmes politiques on met la
lutte sur un terrain d’organisation. »99
Malgré l’âpreté de la discussion et les critiques virulentes, le conseil national vote les
résolutions présentées par la direction sur le renouvellement de la CE100 et la tenue
de la conférence nationale. Le conseil a permis aux opposants de s’exprimer avec
comme conséquence, l’annonce de la cessation de la parution du bulletin de la
Gauche Communiste ― groupe proche de Rosmer — en attendant la conférence
nationale.
Treint n’intervient dans les débats que pour souligner ses désaccords avec le
groupe Molinier, notamment sur la question de l’appréciation des changements en
cours à la direction du PCF. Molinier considère qu’il s’agit d’un facteur positif, signe
de l’influence de la base ouvrière sur la direction du parti français. Treint, comme
Naville, voit dans les critiques contre certains dirigeants communistes une simple
manœuvre politique et non une réelle volonté de rompre avec les erreurs politiques
des années précédentes. Lors du débat sur les questions internationales, Treint
manifeste également sa différence en accusant Trotsky et le Secrétariat International
de l’Opposition de gauche d’être responsable de la faiblesse du mouvement
oppositionnel international101. Il réaffirme que Trotsky aurait dû soutenir des groupes
comme le Redressement Communiste au lieu de favoriser la formation de nouveaux
groupes hétérogènes.

98
Pseudonyme d’Alfonso Leonetti, membre de la NOI (Nouvelle opposition italienne) travaillant au
sein de la Ligue comme groupe de langue et indépendamment comme fraction du parti communiste
italien.
99
Ibid., p. 12.
100
Trois nouveaux militants, Buren, Lebourg et Walfisz sont élus au CE en attendant la conférence
nationale et le vote des militants pour élire une nouvelle direction.
101
En Allemagne, l’Opposition de gauche se scinde en mai 1931 après une bataille que Pierre Broué
résume par la formule de l’Historien allemand M. Stobnicer : « Un conflit sans divergences entre un
militant ouvrier quelque peu mégalomane [Kurt Landau] et un provocateur stalinien [Roman Well] »,
Trotsky, op. cit., p. 681. Roman Well, en manœuvrant à la direction de l’opposition allemande a
favorisé la rupture entre l’organisation de Berlin et celle de Leipzig. Soulignons que Roman Well est
également intervenu dans la Ligue pour soutenir Molinier/Frank contre le groupe Naville. Il participe
notamment au CE du 16 mai 1931 qui précède le conseil national. Voir Bulletin intérieur n° 1, p. 3.

533
L’attitude très critique de Treint, lors de ce conseil national, n’entame pourtant
pas la volonté de Molinier de l’amener à intégrer les rangs de la Ligue. Probablement
par son entremise, un nouveau contact épistolaire s’établit entre Treint et Trotsky.
Malgré la volonté apparente de travailler en commun, il ressort de ce premier
échange qu’une série de désaccords, portant sur la déclaration Rakovsky, « la
question de la révolution permanente, la question des regroupements capitalistes et
de la situation réelle de la révolution russe »102, persistent. Pour Trotsky, sur toutes
ces questions, Treint « force toutes les proportions et toutes les perspectives » mais
ne doit pas être tenu à l’écart puisque « les temps et les conditions changent et avec
eux changent en même temps les hommes »103. En dépit de la volonté de
conciliation de Trotsky et du désir de Molinier de s’adjoindre Treint à la direction,
plusieurs mois de discussions sont nécessaires. L’admission de Marc Chirik à la
Ligue, lors de la CE du 9 juin 1931, marque une nouvelle étape. Elle est acceptée à
une large majorité104, malgré l’opposition de Gérard et Naville, pour qui « l’adhésion
de Marc veut dire l’adhésion de Treint »105. Dernière étape avant l’adhésion, au mois
de septembre, Treint se rend à Prinkipo pour rencontrer Trotsky et tenter d’aplanir
les divergences politiques.

3) Treint à Prinkipo (septembre 1931).

Trotsky a toujours manifesté le désir de collaborer avec Treint, tout en


conservant une attitude prudente à son égard. En l’invitant à Prinkipo, il lui permet
d’acquérir un nouveau statut au sein de l’Opposition de gauche internationale. De
son côté, Treint ne vient pas en disciple docile, prêt à toutes les concessions, mais
en militant indépendant, souhaitant imposer ses vues et les conditions de son
ralliement. Nous n'avons aucun témoignage sur la rencontre. Seule leur
correspondance permet d’appréhender la nature des discussions et l’état d’esprit des
deux hommes. Une fois à Prinkipo, Treint — à l’initiative de Trotsky — écrit une

102
Léon Trotsky, critique du projet de déclaration d’entrée dans la Ligue de Treint, 23 mai 1931, IISG,
fonds Trotsky, dossier n° 957. Nous n’avons pu retrouver d’exemplaire du projet de déclaration de
Treint.
103
Ibid.
104
9 voix pour, trois contre et 2 abstentions. P-V du CE de la Ligue, 9 juin 1931, IISG, fonds Ligue
Communiste, cote : 2.
105
Intervention de Gérard, Ibid. Avec Naville les deux hommes multiplient les démarches pour
dénoncer l’entrée de Treint dans la Ligue. Ils s’appuient notamment sur la lettre de Trotsky concernant
la correspondance avec Treint pour souligner que, comme en 1929, Treint maintient des positions
politiques opposées à celle de la Gauche, voir Bulletin intérieur de la gauche française, op. cit.

534
première lettre pour exposer l’ensemble de ses divergences et de ses griefs à l’égard
de Trotsky et de la Ligue Communiste106. Il revient sur des questions déjà évoquées
à plusieurs reprises. Selon Treint, les erreurs dans la fondation du groupe de La
Vérité trouvent leurs origines dans l’appréciation erronée de Trotsky des fautes
commises durant la période 1923-1925. Son raisonnement part du principe que, s’il a
lui-même commis des erreurs à l’époque où il dirigeait le PCF parce qu’il fut trompé
par la politique de Zinoviev et de Staline, Trotsky s’est également fourvoyé, en
s’alliant avec les « opportunistes » Souvarine, Rosmer, Paz, Loriot ou en signant les
thèses de Radek sur l’échec de la révolution allemande :
« Vous avez deux poids et deux mesures selon qu’il s’agit du camarade
Trotsky ou du camarade Treint, d’un camarade de l’opposition hétérogène de
1923 ou d’un camarade de la direction hétérogène de 1923. »107
Treint minimise le poids de ses erreurs, tout en donnant une importance
démesurée à celles de Trotsky, estimant que « plus l’envergure du militant est
grande et plus grande est sa responsabilité ». Partant de ce principe, il souligne que
Trotsky, en refusant de travailler avec le groupe formé par lui, a commis la seule
véritable faute, responsable de l’état de division de l’Opposition de gauche
française :
« Au lieu d’écouter ces camarades isolés et défaillants qui s’opposaient à
travailler avec le groupe du redressement, le camarade Trotsky aurait dû leur
faire comprendre la nécessité d’organiser l’opposition française avec la
collaboration du seul groupe qui, trois ans durant, presque sans liaison avec
les déportés, avait élaboré une politique juste dans l’ensemble. […] [Le
Redressement Communiste] a protesté contre le fait que trois ans de luttes
oppositionnelles acharnées de la part du Redressement ont moins compté
que la conversion hâtive et superficielle de Rosmer en quelques entretiens à
Constantinople. […] Ces erreurs doivent être corrigées à fond. Le fait même
que la Ligue soit obligée pour se développer d’entrer en lutte contre ses
éléments fondateurs (Rosmer – Naville) et de travailler en commun avec ceux
qu’elle avait d’abord écartés montre à quel point le processus de

106
Lettre de Treint à Trotsky, 13 septembre 1931, IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob. 38-39. Voir en
annexe.
107
Ibid.
535
rassemblement organique de l’opposition française a été erroné et montre
dans quel sens il faut corriger les erreurs du passé. »108
Il s’attribue le mérite d’une amélioration de la situation intérieure de la Ligue et
estime qu’en rejoignant la direction Molinier/Frank, les anciens membres du CRC
corrigent les fautes commises en 1929. Après avoir abordé les questions spécifiques
à l’opposition française, Treint critique certains points de la théorie de la révolution
permanente, signifiant par là qu’il refuse de considérer Trotsky comme l’unique
théoricien de l’Opposition de gauche. Toute sa démonstration vise à mettre Trotsky
en face de ses responsabilités politiques tout en lui déniant le statut de véritable
dirigeant de l’Opposition de gauche.
Cette lettre vient après un échange oral entre les deux hommes, au cours
duquel Trotsky a affirmé qu’il le considérait comme « un débris de la fraction
zinoviéviste, comme une sorte de staliniste de gauche »109. Suite à cet entretien les
deux hommes sont au bord de la rupture110. Dans la réponse à la première lettre de
Treint, Trotsky pousse encore plus loin ses critiques et fustige son attitude, sa
volonté de fuire ses responsabilités, en réduisant la discussion politique à une simple
énumération des fautes des uns et des autres. Selon lui, ces faits caractérisent la
perte de toute doctrine, l’enfermement dans un esprit d’indépendance sectaire qu’il
appelle — suprême injure pour Treint — le souvarinisme111. Derrière ses remarques
caustiques, transparaît la volonté de jauger l’évolution politique de Treint, de
l’amener à se positionner clairement sur les questions que Trotsky juge essentielles
dans l’éventualité de son adhésion à la Ligue :
« Avez vous compris que, dans la lutte contre le “ trotskysme“, vous étiez les
instruments inconscients des forces de Thermidor ? Oui ou Non ? […]
Soutenez vous encore cette critique archi réactionnaire, thermidorienne par
ses racines sociales, que vous développiez dans le passé en commun avec

108
Ibid.
109
Ibid.
110
Treint affirme avoir été à deux reprises au bord de quitter Prinkipo et de rentrer en France.
111
« Dans les rangs de l’Opposition de gauche, surtout sa section française, s’est pas mal répandue
une maladie de l’esprit que j’aimerais, sans aller jusqu’à l’analyse de ses racines sociales, désigner
par le nom de son représentant le plus achevé : le souvarinisme. […] L’esprit de cénacle, sans
racines, sans axe, sans objectifs clairs, la critique pour la critique, se cramponner à des vétilles, se
battre pour des moucherons tout en gobant des chameaux, tels sont les traits de ce type avant tout
préoccupé de conserver son petit cercle ou son indépendance personnelle. […] Camarade Treint, ce
n’est pas autre chose que la maladie du souvarinisme. De tout mon cœur, j’espère que vous en
guérirez. », Ibid.
536
les épigones et en complète solidarité avec eux ? Sur cette question cardinale,
il n’y a et ne peut avoir aucune concession. »112
Puis Trotsky lui soumet une série de questions concernant son attitude à l’égard des
décisions du 5ème congrès mondial de l’IC113, qu’il avait approuvées en 1924. Treint
accepte, en dépit du ton employé, de répondre. Il certifie être en accord avec les
positions de l’Opposition de gauche internationale114. Néanmoins, il consacre la
majeure partie de sa lettre à réfuter l'accusation de vouloir atténuer ses fautes
passées et à souligner une fois encore que Trotsky s’est fourvoyé en soutenant
l’opposition française de 1923. Concernant la question de la théorie de la révolution
permanente, il renouvelle ses objections. Trotsky aurait commis une erreur d’analyse
sur la question de la transition — après une révolution prolétarienne — entre l’ancien
régime et la dictature du prolétariat115, l’obligeant à mener campagne contre lui en
1924-1925.
Les deux hommes campent sur leurs positions et la dernière lettre de Trotsky
avant son départ ne fait que constater l’état de fait. Treint est blessé par certaines
formules, notamment sur le « souvarinisme » et, de son côté, Trotsky considère que
Treint n’a toujours pas compris la théorie de la révolution permanente, l’un des
fondements idéologiques de l’Opposition de gauche116.
A la lecture de la correspondance, nous devrions conclure à l’échec des
discussions. Treint n’a modifié aucune de ses appréciations sur les questions
politiques soulevées, alors que pour Trotsky un accord complet sur le programme et
la stratégie de l’Opposition de gauche est un préalable à tout travail en commun. En
réalité, les écrits ne permettent pas de saisir tous les aspects de leurs discussions et
derrière la brutalité de certaines critiques, tout laisse à penser que les deux hommes
souhaitent développer leur collaboration. Pour preuve, Treint propose à Trotsky

112
Ibid.
113
Les questions portent sur l’attitude à l’égard du mot d’ordre de dictature des ouvriers et paysans
pour les pays coloniaux, sur la formation de l’internationale paysanne et la politique de la Ligue anti
impérialiste et enfin sur le mot d’ordre des Etats-Unis soviétiques d’Europe.
114
Lettre de Treint à Trotsky, 17 septembre 1931, IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob. 70-71.
115
Selon Treint, alors que Lénine avait affirmé la nécessité d’une phase intermédiaire entre la chute
du tsarisme et la dictature du prolétariat, Trotsky affirmait que la dictature du prolétariat succéderait
immédiatement à l’ancien régime, Ibid.
116
« Vous n’avez pas encore jusqu’à présent étudié les travaux essentiels de l’Opposition de gauche
sur la question de la révolution permanente ; dans une considérable mesure, vos objections actuelles,
que je considère comme tout a fait fausse et touchant aux limites du républicanisme vulgaire, peuvent
s’expliquer par l’insuffisance de vos connaissances. […] S’il n’y avait pas communauté d’idées sur
cette question de principes, il serait mieux que vous ne vous hâtiez pas de rejoindre l’Opposition,
parce que cela s’avérerait purement formel et conduirait inévitablement à une rupture à la première
épreuve sérieuse. », Lettre de Trotsky à Treint, 22 septembre 1931, IHS, fonds Trotsky (Harvard),
bob. 70-71.
537
d’écrire un ouvrage sur « les positions des gouvernements français, des partis
français et de la presse française à la suite du traité de Versailles de 1871 »117. Ce
dernier accepte de soutenir l’entreprise et propose le futur ouvrage à la maison
d’édition allemande Fischer118. Le livre ne voit pas le jour, du moins en collaboration
avec Trotsky, mais il souligne le rapprochement effectué entre les deux hommes, qui
se concrétise par la participation de Treint à la conférence nationale de la Ligue
Communiste en octobre 1931, suivie de son entrée à la CE. Treint accède enfin à la
direction de l’Opposition de gauche en France et s’engage, dès lors, dans la lutte
acharnée entre les fractions avec le désir d’imposer, dans la Ligue, les idées qu’il
défendait avec le CRC.

117
Lettre de Trotsky aux éditions Fischer, 10 octobre 1931, Fonds Trotsky (Harvard).
118
« Votre maison d’édition ne se chargerait-elle pas d’un tel manuscrit ? Mon ami français A. Treint
n’a pas de nom comme écrivain, mais c’est un fin connaisseur de toutes les nuances de la vie
politique française. Il manie fort bien sa langue natale et possède une plume plutôt agile. », Ibid.
538
C/ La direction Molinier/Treint.

1) La conférence nationale du 2-4 octobre 1931.

Entre le conseil national de mai et la conférence nationale, la situation dans la


Ligue s’est stabilisée, malgré un conflit provoqué par la publication, par Naville, d’un
article de Kurt Landau119 et malgré l’attitude du groupe juif, qui après avoir soutenu
Molinier, s’oppose désormais à la direction. En dépit de ces litiges, tous les groupes
de province, dont ceux d’Halluin et de Montigny-en-Gohelle ― en conflit ouvert avec
la direction ―, tous les opposants, y compris le groupe de Claude Naville (la Gauche
communiste), sont représentés à la conférence. Treint, ainsi que Gourget et deux
membres de l’opposition bordiguiste italienne assistent aux séances à titre
consultatif. Au total, la conférence réunit une trentaine de militants120. Etant donné
l’état de division de la Ligue et la présence de militants non affiliés, la réunion
apparaît plus comme une nouvelle tentative d’unification de l’opposition française,
sous l’égide de l’organisation soutenue par Trotsky.
Les principales questions à l’ordre du jour sont : la désignation d’une nouvelle
CE et la crise de la Ligue, la tactique syndicale, la question du tournant et de
l’attitude à l’égard du PCF. De la discussion des différents rapports politiques doit
découler un programme politique et une tactique pour les mois et les années à venir.
Toutefois, quasiment aucune de ces questions n’est abordée, les débats portant
principalement sur les causes de la crise dans la Ligue. Au terme des trois jours de
discussion, seul le rapport moral a été discuté et a donné lieu au vote de
résolutions121. Ce document rédigé par le secrétariat, autrement dit par Molinier et
Frank, se compose de trois parties principales. Tout d’abord un rapide historique de
l’Opposition de gauche en France et de la formation de la Ligue Communiste,
accompagné d’une étude succincte des principales questions politiques posées à
l’organisation (le tournant du parti, la question syndicale, la grève des mineurs et la
nouvelle direction). La deuxième partie dresse un état des lieux de la Ligue depuis le

119
En Allemagne, l’affrontement dans l’opposition allemande entre la fraction de Roman Well et celle
de Kurt Landau provoque la rupture entre Trotsky et ce dernier.
120
Voir le tableau récapitulatif de la répartition des mandats pour la conférence, Bulletin intérieur de la
Ligue Communiste, octobre 1931, p. 15, F7 14796. AN

539
conseil national de mai 1931. Selon les auteurs, la Ligue traversait, jusqu'à ces
derniers mois, une crise mortelle122.
Molinier et Frank, noircissent volontairement le bilan de l’ancienne direction,
mais ne peuvent cacher les divisions et la faiblesse de l’organisation depuis qu’ils la
dirigent. Les deux groupes principaux, la région parisienne et le nord, se sont
décomposés et ne travaillent plus avec la direction. En province, les groupes ne
dépassent pas quatre militants, comme à Marseille, Lyon et Toulouse. Enfin dans
l’est, la Ligue ne compte plus que deux groupes constitués à Chaligny et Nancy123.
Concernant l’influence syndicale, les auteurs reconnaissent « les insuffisances »
découlant de la crise avec l’Opposition Unitaire. En réalité, la Ligue ne compte plus
dans ses rangs de militant ayant des responsabilités dans la CGTU, à l’exception de
Buren124, secrétaire du syndicat unitaire des transports à Dijon. Sinon, l’organisation
ne revendique que quelques « sympathisants » parmi les cheminots de Dôle, les
bateliers de Dunkerque ou encore dans les syndicats du textile, du bois et du
bâtiment à Halluin. Quant à la région parisienne, le rapport reconnaît une activité
« trop rudimentaire », puisque le travail syndical se limite à la présence de membre
du groupe juif au sein des syndicats des cuirs et peaux, métaux et maroquinerie.
En réponse à cette situation difficile, le rapport fixe, dans sa troisième partie,
les tâches et perspectives futures de la Ligue concernant le recrutement125, le travail
dans les syndicats126 et la réorganisation de la presse. Mais la principale évolution,
dans la tactique politique, concerne le rapport de la Ligue avec le PCF :
« L’axe de notre activité doit être le parti. Si nous nous considérons comme
une fraction de l’IC, ce n’est pas pour des raisons d’attachement sentimental
mais parce qu’il ressort de notre analyse que la révolution russe et l’IC
constituent les seules forces révolutionnaires vitales pour le prolétariat.

121
Naville P, « Après la conférence nationale de la Ligue Communiste », Bulletin intérieur de la Ligue
Communiste, op. cit.
122
« Depuis des mois, pour toutes les raisons qui ont leur cause dans l’origine de l’opposition :
diversité de ses courants politiques, régime interne défectueux, la Ligue Communiste croulait. Nous
avons tout fait pour empêcher son effondrement. », Rapport moral du secrétariat, IISG, fonds Trotsky,
cote : 957.
123
La situation actuelle de la Ligue, ses effectifs, son influence, Rapport moral du secrétariat, p. 9-13,
Ibid.
124
Robert Buren : Militant syndicaliste et communiste, exclu du PCF en 1929. Membre de la CE de la
Ligue.
125
Le secrétariat fixe une série de conditions pour adhérer à la Ligue. Tout membre de la Ligue doit
être membre ou exclu du PCF, être syndiqué ou militer au Secours Rouge, accepter la discipline de
l’organisation et reconnaître le rôle dirigeant de la CE. Ibid., p. 15.
126
Le secrétariat abandonne définitivement la tactique de l’Opposition Unifiée et propose la création
de fractions au sein de la CGTU. Ibid., p. 15.
540
Partant de cette constatation, c’est dans et pour le parti que doivent être
plantées nos racines. »127
Pour bien marquer le changement d’orientation, le secrétariat propose d’envoyer une
lettre ouverte au parti français demandant la réintégration de tous les oppositionnels
en échange de la suppression de sa presse et de son action publique.
En conclusion, le rapport revient sur la question de la direction et de
l’opposition interne. Il déclare que Rosmer n’appartient plus à la Ligue128 et que le
groupe de la Gauche communiste doit reconnaître ses erreurs et accepter la
discipline de la fraction. Concernant la direction future, il revendique la nécessité de
la construire autour de la CE sortante, en y adjoignant de nouveaux militants :
« Cette direction devra comprendre d’autres camarades contre lesquels même
nous avons lutté mais qui doivent y rentrer avec le désir d’une collaboration
loyale, le nivellement de part et d’autre des querelles intestines et le respect
des décisions prises à la conférence nationale. »129
Ces quelques lignes font, sans le nommer, explicitement référence à Treint, que
Molinier souhaite faire entrer à la direction. Invité à la conférence comme simple
sympathisant, il fait dès le premier jour une demande d’adhésion à la Ligue,
immédiatement acceptée130, et remet une déclaration justifiant cette décision. Loin
de répondre aux conditions posées par Trotsky pour qu’il participe à la direction,
Treint se contente de reconnaître une nouvelle fois les erreurs commises entre 1923
et 1927. Sur la question de la révolution permanente, essentielle aux yeux de
Trotsky, Treint affirme :
« Sur les questions fondamentales des forces motrices de la révolution russe
et de ses rapports avec la révolution mondiale, les thèses d’avril de Lénine et
de Trotsky et la théorie de la révolution permanente telle qu’elle est formulée
actuellement par le camarade Trotsky représente dans son essence et
appliquée à la situation nouvelle le prolongement vers l’avenir des thèses
d’avril. »131
Si, sur la forme, il donne des gages sur la reconnaissance de la validité de la théorie
de la révolution permanente, sur le fond, il n’a pas évolué. Il prend soin de préciser

127
Ibid., p. 13.
128
« C’est pourquoi nous demandons à la conférence nationale de faire sienne, la récente déclaration
du camarade T[rotsky], dans sa lettre à la CE, “Rien à faire“ », Ibid., p. 18.
129
Ibid., p. 19.
130
Vote de la résolution sur la demande d’adhésion de Treint : 52 pour, 8 contre et 12 abstentions.
131
Déclaration de Treint, Bulletin intérieur de la Ligue Communiste, op. cit., p. 19.

541
être en accord avec la théorie « formulée actuellement » et non pas avec la totalité
de la théorie de Trotsky. Ceci confirme que Treint n’a pas changé de point de vue
depuis son voyage à Prinkipo.
Malgré cette déclaration équivoque, Molinier souhaite faire entrer Treint à la
CE, en dépit de nombreux opposants et de militants qui souhaitent la simple
reconduction de la CE antérieure, considérant qu’au lieu de définir une ligne politique
claire, la conférence s’est contentée de discuter le rapport moral. Le secrétariat
décide de passer en force et propose une liste pour la CE comprenant Treint ainsi
que Marc Chirik. La liste est votée par 44 voix pour, 16 contre et 12 abstentions132.
Adhérent depuis deux jours à la Ligue Communiste, Treint devient membre de sa
direction133 sans qu’aucun débat sérieux n’ait eu lieu dans l’organisation, que la
totalité des divergences entre lui et la Ligue n’ait été réglée. Sa présence à la
direction, provoque de nouvelles tensions, prélude à une nouvelle crise de
l’organisation.
En organisant la conférence nationale, la direction s’était fixée deux objectifs :
résoudre la crise interne et définir un nouveau cap politique. Au terme des trois jours,
aucun débat sur l’avenir politique de l’organisation n’a eu lieu, seul le rapport moral
ayant servi de base à l’élaboration d’un programme qui se limite à demander la
réintégration des oppositionnels dans les rangs du PCF. La présence de Treint au
CE exacerbe la crise interne. Le groupe de la Gauche Communiste, qui avait
accepté de participer aux débats, rompt définitivement avec la Ligue et publie de
nouveau son propre bulletin134. De même, Naville fait part de son mécontentement
face au déroulement de la conférence et à l’entrée de Treint à la CE, mais maintient
son attitude antérieure consistant à critiquer la direction tout en acceptant d’y
collaborer135. Le groupe juif, qui constituait, malgré certaines divergences, l’un des

132
Bulletin intérieur de la Ligue Communiste, op. cit., p. 24.
133
la nouvelle CE de la Ligue Communiste comprend Frank, Treint, Blasco, R. Molinier, Fuks, Naville,
Doudain, Félix, Walfisz, Cornette, Paget, Marc, De Vreyer, Courdavault, Craipeau.
134
« […] tu as dû recevoir ces jours-ci le premier numéro du Communiste, bulletin ronéotypé, qui est
édité par les mêmes camarades moins Gourget, qui avaient, il y a quelques mois, publié un bulletin ; à
la demande de plusieurs camarades, dont Cornette d’Halluin, ils avaient décidé de le suspendre avant
la conférence nationale, espérant que cette conférence pourrait remettre de l'ordre dans la maison.
Malheureusement il n'en a rien été, tout a continué comme par le passé, avec pourtant encore une
aggravation : la présence de Treint, tout de suite installé à la direction. », Lettre de Rosmer à
Mougeot, 29 novembre 1931, Musée Social, fonds Mougeot. Voir également le n° 1 du Communiste,
novembre 1931.
135
« La CN qui avait à son ordre du jour quatre rapports politiques, n’en a pas abordé un seul. Le
rapport moral seul, c’est-à-dire en somme le déblaiement du passé, a été discuté. Il n’est sorti de la
conférence aucun texte ni résolution, sauf une motion d’organisation. […] La nomination de Treint à la
direction, quelques heures après son adhésion à la Ligue ouvre une nouvelle phase de la vie de
l’opposition de gauche en France. Il ne s’agit pas dans ce cas d’une adhésion sur la base de la
542
appuis de la direction Molinier-Frank, dénonce également l’irruption de Treint à la
direction136 et se replie sur la région parisienne, faisant planer la menace d’une
scission de la Ligue.
En octobre 1931, Treint devient dirigeant d’une organisation dont il a toujours
critiqué l’hétérogénéité et dont la CE ne contrôle plus que quelques groupes
restreints, puisque celui d’Halluin refuse de collaborer et que la situation dans la
région parisienne se dégrade très rapidement. Il ne doit sa place au CE qu’au
soutien indéfectible de Molinier qui cherche à reconstituer une majorité. Mais la
collaboration politique entre les deux hommes peut-elle dépasser le cadre d’une
alliance de circonstance ?

2) Treint et la lutte fractionnelle à la CE.

Dès la conférence terminée, Treint reprend contact avec Trotsky pour lui faire
part de la situation nouvelle :
« Je viens, vendredi, samedi et dimanche dernier d’assister au congrès de la
Ligue. J’ai donné mon adhésion et j’espère qu’il n’en résultera que du bien.
J’ai l’intention de vous écrire plus longuement une autre fois à ce sujet. »137
Trotsky répond :
« Je me réjouis sincèrement d’apprendre votre adhésion à la Ligue, et j’espère
qu’il n’en sortira que du bien. […] Je suis heureux que vous n’ayez pas
emporté des souvenirs fâcheux. Les “attaques“ n’étaient pas dictées — vous
n’en doutez pas j’en suis sûr — par quelques préventions personnelles, mais
tout au contraire par l’intérêt de la cause commune, comme je la
comprends. »138

coïncidence de deux positions. La CN n’a abordé aucune question politique, ni adopté aucun
document ; d’autre part Treint a présenté à la conférence une lettre où se retrouvent à peine voilées,
toutes les anciennes erreurs, et de nouvelles conceptions sur la révolution permanente. Une lettre de
Trotsky à Treint, communiquée à la conférence, avertissait cependant sans équivoque sur ce point. »,
Déclaration de Naville après la conférence nationale, Bulletin intérieur de la Ligue Communiste, op.
cit., p. 25-26.
136
« En ce qui concerne Treint, soulignons que le groupe juif s’est opposé à son admission dans la
Ligue pour des motifs analogues à ceux qu’a formulé le camarade Trotsky en ce temps », Déclaration
du groupe juif au secrétariat international et à toutes les sections de l’Opposition internationale de
gauche, IISG, fonds Trotsky, cote : 955.
137
Lettre de Treint à Trotsky, 5 octobre 1931, IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob. 70-71.
138
Lettre de Trotsky à Treint, 10 octobre 1931, IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob. 70-71.
543
Malgré les divergences passées et présentes, Trotsky estime que Treint, en
intégrant la direction, viendra renforcer le groupe Molinier139. Néanmoins, lors de cet
échange épistolaire, apparaît un premier désaccord sur les moyens de mener à bien
le redressement de l’organisation. Treint propose de développer la collaboration
politique avec la gauche italienne, « par une discussion loyale, sans déformation de
leur pensée et sans exagérations polémiques »140. Une délégation du groupe italien
a participé à la conférence nationale141 et fait en théorie partie de l’Opposition de
gauche internationale. Mais, contrairement à Trotsky, les italiens prônent
l’impossibilité de redresser les sections de l’IC en dehors de la victoire des fractions
de l’opposition, transformées en partis142. Cette proposition met en évidence la
proximité entre Treint et la Fraction de gauche italienne sur la question du rôle de la
fraction d’opposition. Trotsky réagit négativement et lui demande de se préoccuper
avant tout de donner un nouveau souffle politique à la Ligue.
Treint s’emploie immédiatement à la tâche fixée et devient l’un des membres
les plus actifs de la CE. Dans la continuité de sa collaboration passée, il intervient
dans des réunions organisées par la Ligue et, certainement du fait de son statut
d’ancien secrétaire du PCF, devient un des représentants de la Ligue auprès du parti
français. Le 12 octobre 1931 — il participe pour la première fois à la CE — il est
désigné pour défendre les positions de la Ligue sur le front unique au meeting de
Bullier143, organisé par le PCF pour présenter le programme et la tactique électorale
avant les élections législatives de 1932. Selon le compte rendu de l’Humanité, les
réactions de la salle à l’intervention de Treint sont très négatives144. Thorez vient à la
tribune lui répliquer que le PCF restera fermé aux oppositionnels tant qu’ils n’auront
pas condamné leur attitude passée. A plusieurs autres occasions, lors de réunions
contradictoires avec la présence de membres du PCF, Treint intervient comme

139
« Pour mettre en peu d’ordre dans la Ligue, la collaboration avec Treint me paraît absolument
nécessaire. Personne ne propose de lui confier toute la direction. Elle doit rester collective dans le
sens le plus ferme du mot. » Lettre de Trotsky à Henri Molinier, 5 janvier 1932, IHS, fonds Trotsky
(Harvard).
140
Lettre de Treint à Trotsky, 5 octobre 1931, Ibid.
141
Il s’agit de Gatto Mammone, Vercesi, Bianco et Toto. La gauche communiste d’Italie, op. cit., p. 79.
142
Bulletin d’Informations de la Fraction de gauche italienne, n° 3 et n° 4, novembre 1931 et janvier
1932, cité dans La gauche communiste d’Italie, op. cit., p. 79.
143
P-V de la CE de la Ligue, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 2.
144
« Mais voici un revenant : Albert Treint à la tribune, qui veut condamner l’orateur socialiste. On voit
la manœuvre, d’autant plus qu’il émet la prétention — lui exclu du PC— de parler en son nom !
Devant la réaction de la salle, il est contraint d’abandonner sa tactique. […] Treint se lance ensuite et
ce n’est pas le moins comique, dans une étude du front unique où il critique (oui ! oui !) la politique du
parti quant à la direction que celui-ci doit assumer dans les mouvements ouvriers. L’accueil de la salle
est caractéristique, les huées s’élèvent, vigoureuses, unanimes. », L’Humanité, 14 octobre 1931, p. 2.
544
orateur principal145. On le retrouve également au côté de Molinier et Frank lorsque la
direction de la Ligue décide d’aller apporter la contradiction à Rosmer, qui anime une
conférence consacrée à l’histoire de la Troisième Internationale146.
En tant que membre de la CE, Treint participe au comité de rédaction de La
Vérité. Profitant de sa longue expérience de la presse communiste, il devient
responsable de la mise en page du journal et de la rédaction de textes d’étude sur
les sujets d’actualité147. Les débats sur le contenu des articles se déroulent sur fond
de luttes fractionnelles entre le groupe juif, le groupe Naville et le groupe Molinier-
Treint. Lors de la CE du 12 octobre 1931, Treint, chargé de rédiger un article sur le
tournant du PCF, propose de reprendre intégralement les positions défendues
auparavant par le Redressement Communiste. Or, Treint a toujours soutenu,
contrairement à la majorité de la Ligue, qu’il s’agissait d’une manoeuvre
« opportuniste » qui ne correspondait pas au véritable redressement de la ligne du
parti réclamée par l’opposition. Cette volonté d’imposer à la CE son point de vue
suscite des réactions hostiles du représentant du groupe juif, Félix, mais aussi de
Naville et de Frank. Le débat, porte sur l’appréciation de Thermidor ― l’un des
fondements de la théorie de l’Opposition de gauche ―, c’est-à-dire sur la possibilité
ou non de redresser l’IC et ses sections nationales148.
En dépit de ces divergences et du refus d’accepter, sur certaines questions,
de défendre les positions de Trotsky et de la majorité, Treint consacre, en cette fin
d’année 1931, toute son activité politique à la Ligue et aux luttes de tendance au sein
de la direction149. Deux questions focalisent l’attention des militants : la tactique

145
Voir la lettre de Treint à Trotsky, 5 octobre 1931 : Treint intervient dans un meeting au cours duquel
la Ligue présente devant 300 personnes dont des militants du PCF, sa demande de réintégration dans
le parti. Voir également des réunions organisées par le groupe de la région parisienne pour exposer
leur point de vue sur la crise économique ainsi que sur la crise politique allemande. La Vérité, n° 111,
15 février 1932, p. 4.
146
Mougeot souligne que les trois hommes sont chassés de la réunion par des militants
« énergiques », lettre de Mougeot, 17 décembre 1931, Musée Social, fonds Mougeot.
147
Malgré l’étude des P-V de la CE il est le plus souvent impossible de connaître les auteurs des
articles publiés dans La Vérité, ceux-ci n’étant pas signés.
148
A la CE deux militants Voisin et Mill (représentant du Secrétariat International) défendent Treint et
soulignent la nécessité de réviser la formule de Thermidor, qui ne serait plus adaptée à la situation :
« On a exagéré la portée du tournant, le tournant reflue, il faut étudier cela. Treint pense que le
tournant est bloqué. Il a suffi de reprendre un certain contact avec les masses. Sur Thermidor, il faut
parler franchement. Mais peut-on parler de la situation actuelle avant la discussion dans la Ligue »
(intervention de Voisin). Tous les autres membres présents dénoncent l’article qui ne correspond pas
à la ligne de l’Opposition de gauche. P-V de la CE de la Ligue du 26 octobre 1931, IISG, fonds Ligue
Communiste, cote : 2.
149
« Le bouquin que je suis en train de préparer, il y a du retard. Motifs : la Ligue m’a pris beaucoup
plus de temps que je ne pouvais le prévoir avant d’y entrer, en raison de sa crise ; j’ai été pendant
trois semaines immobilisé par mon lumbago et je viens de faire face à une offensive de grippe. »,
Lettre de Treint à R. Molinier, 28 décembre 1931, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 24.
545
syndicale de la Ligue et la définition du rôle de la fraction d’opposition et de sa
position par rapport au PCF. Avant même son adhésion, Treint présentait à Trotsky
un schéma politique et une tactique de lutte pour redresser la Ligue :
« Le camarade Treint présente les choses de cette façon : d’un côté, il y a les
“liquidateurs“, le groupe juif, et de l’autre les conciliateurs (Naville et Gérard) et
c’est pourquoi il est nécessaire de diriger notre politique vers l’amputation des
liquidateurs maintenant pour s’occuper des conciliateurs ultérieurement. »150
Dès son entrée à la CE, Treint déclenche les hostilités dans le but de pousser le
groupe juif vers la sortie. Ces derniers, après avoir lutté contre la direction Rosmer-
Naville, s’opposent à la direction Molinier-Treint, l’accusant de mener une campagne
« xénophobe » et de rejeter toute forme de collaboration151.
La première phase des manœuvres politiques, orchestrée par Molinier et
Treint, a lieu au sein de la région parisienne où se déroule une discussion sur
l’attitude de la Ligue au prochain congrès de la CGTU. La question de l’unité
syndicale se trouve au centre des débats après que la direction de la CGT ait, pour
la première fois, fait des propositions unitaires à la CGTU. Lors de l’assemblée de la
région parisienne du 11 octobre 1931, trois positions s’affrontent152 : le groupe
Naville continue de défendre la politique de l’Opposition Unitaire visant à redresser la
ligne de la CGTU, le groupe juif soutient la proposition du congrès de fusion de la
CGT et de la CGTU, adoptée quelques mois auparavant par la direction de la Ligue
et, de son côté, le groupe Treint-Molinier-Frank propose de défendre la ligne de la
rentrée en bloc des unitaires au sein de la CGT, à la condition que les droits
syndicaux des communistes soient garantis153. Au terme des débats, les militants

150
Trotsky n’est pas d’accord avec ce schéma et considère qui s’il y a bien une lutte a mener, c’est
contre Naville qui «même restant dans les rangs de la Ligue, il demeure notre adversaire
irréconciliable. […] c’est pourquoi il est tout a fait faux de prendre la question Naville comme une
question de fonction, c’est à dire, un dérivé, une quantité dépendant de la question du groupe juif. »,
Circulaire de Trotsky à la Ligue Communiste, IISG, fonds Trotsky, cote : 955.
151
« L’époque de la direction Treint-Molinier, après la CN est la plus triste dans la vie de la Ligue.
C’est dans cette période que sont nées les accusations de “liquidateurs“ et “bundistes“, portées contre
le groupe juif. Malgré que le groupe juif ait comme par le passé rempli continuellement ses tâches,
discuté ouvertement au grand jour ses positions, on a préféré chercher par des manœuvres
sournoises par des calomnies et tout simplement par une campagne xénophobe, à pousser dehors
les camarades du groupe juif et détruire son travail. », Lettre du groupe juif au Secrétariat International
et à toutes les sections de l’Opposition internationale de gauche, op. cit., p. 3.
152
Voir « La discussion sur l’unité syndicale dans la région parisienne », La Vérité, n° 100, 17 octobre
1931, p.6 et n° 102, 31 octobre 1931, p. 4.
153
Treint, au cours des débats, résume ainsi la tactique : « Dans la perspective à venir, il est
nécessaire que le levain révolutionnaire ne soit plus isolé de la pâte réformiste. », Ibid.
546
parisiens vote, à une large majorité, une résolution approuvant la tactique du congrès
de fusion préconisée par le groupe juif154.
Pour la fraction dirigeante de la Ligue, cette résolution constitue une défaite
qui creuse un peu plus le fossé entre la région parisienne et la CE. A l’approche du
congrès de la CGTU, la discussion reprend au cours d’une commission syndicale,
réunie le 3 novembre 1931. Il s’agit une nouvelle fois de définir la position des
représentants de la Ligue à l’égard de la direction confédérale ainsi que de la
minorité du Comité pour l’indépendance du syndicalisme. Une nouvelle fois, Treint et
Molinier s’opposent à Félix qui souhaite que les délégués de la Ligue votent avec la
majorité contre la minorité155. Au contraire, Treint, comme la majorité de la CE,
défend une ligne plus critique à l’égard de Monmousseau. Pour lui, il faut profiter de
la discussion sur le rapport d’activité pour dénoncer les erreurs de la direction, son
refus de travailler dans le sens de la réalisation de l’unité syndicale. Finalement,
Treint propose que les représentants de la Ligue s’appuient sur une résolution
antérieure de Frank qui, de fait, entérine les positions de la direction156.
En minorité dans la Ligue sur la question de l’unité syndicale, la direction se
révèle incapable de prendre une position ferme et préfère escamoter la discussion.
Ce choix se révèle désastreux. L’unique représentant de la Ligue qui intervient au
congrès de la CGTU ― Buren — se trouve dans l’incapacité de tenir la position
déterminée par la CE. Après avoir dénoncé la politique de la majorité confédérale, il
vote finalement le rapport moral de la direction uniquement pour ne pas donner
l’impression de soutenir les minoritaires. Ce revirement rend son intervention
incompréhensible157. La CE158, qui se réunit après le congrès, ne peut que constater

154
« La situation créée par le congrès de Japy ne nous oblige pas à changer de position. Au contraire,
notre position, c’est-à-dire la lutte pour inviter les centrales syndicales à convoquer un congrès de
fusion, admettant pour la centrale unifiée la démocratie syndicale et le droit de fraction, est renforcée.
[…] La ligue condamne vigoureusement les positions adoptées successivement par les camarades
Raymond et Treint, qui, sous le couvert de la phrase radicale : “les communistes n’ont pas peur d’être
en minorité dans une organisation réformiste“ défendent une position liquidatrice qui rejoint celle des
renégats Juin et Martin. », « La résolution « Félix » est adoptée par 19 voix contre 1 et X abstentions.
Frank, Raymond et Henri Molinier, Sarah, Blasco et Treint, considérant la discussion non terminée et
la résolution basée sur des interpellations (sic) erronées de leurs opinion, ont de ce fait, refusé de
prendre part au vote. », Bulletin intérieur de la Ligue Communiste, octobre 1931, op. cit.
155
P-V de la CE et de la commission syndicale de la Ligue Communiste du 3 novembre 1931, IISG,
fonds Ligue Communiste, cote : 2.
156
« Le congrès de la CGTU sera dominé par la question de l’unité. C’est par elle que nous devons
aborder les autres questions : notre malheur c’est que la Ligue n’est pas prête dans son ensemble.
C’est pourquoi il serait dangereux d’adopter une formule nouvelle. », Intervention de Treint à la
commission syndicale du 3 novembre 1931, Ibid.
157
Dans une lettre à Mougeot, datée du 27 novembre 1931 (Musée Social, fonds Mougeot), Rosmer
témoigne de l’échec de l’intervention du représentant de la Ligue : « Tu as vu qu’après avoir démoli
l’Opposition unitaire que nous avions aidé à se constituer et qui, si on lui avait permis de se
développer, aurait joué un rôle important au congrès de la CGTU, ils sont arrivés à ce congrès avec
547
le fiasco de la tactique définie. Le débat se poursuit sur plusieurs réunions et Félix en
profite pour pointer les contradictions de la direction, qui critique durement la CGTU
sans aller au bout de ses opinions. Il rend Treint responsable de cet échec :
« Nous avons montré au congrès que nous n’avons pas de position stable. On
n’a pas pu nous faire avaler la position de Treint. On a vu les contradictions
flagrantes (vote du rapport moral). […] La majorité incapable d’avoir un point
de vue. Le congrès peut avoir des conséquences graves et il faut un
programme de lutte. Je propose que la Ligue reprenne sa position de congrès
de fusion et commence en contact avec l’enseignement et les fonctionnaires
une bataille qui pourra permettre de grouper quelque chose. »159
Treint réplique en proposant une résolution dédouanant la direction de toute
responsabilité160. Cette attitude provocatrice vise à provoquer un conflit et permettre
l’exclusion du groupe juif161. Devenue le théâtre d’un affrontement entre tendances,
la CE se trouve totalement paralysée.
La controverse sur l’attitude du KPD accroît encore la crise. Confronté à la
montée en puissance du parti national-socialiste d’Adolf Hitler depuis les élections
législatives de septembre 1930, le KPD refuse toute alliance avec les sociaux-
démocrates. Suivant la ligne fixée par la direction de l’IC, il les accuse d’être les
« alliés objectifs des fascistes » et le principal adversaire du mouvement
révolutionnaire. Concrétisation de cette ligne, le KPD prend part au référendum lancé
à l’initiative des nazis pour dissoudre le landtag de Prusse contrôlé par les sociaux-
démocrates. Les communistes réalisent ainsi une alliance de fait avec le parti
d’Hitler.

un délégué, représentant un syndicat minuscule. Que, de plus, ce délégué a déclaré un jour, à la fin
de son intervention, voter contre le rapport moral et que le lendemain, il s’est levé pour rectifier et dire
qu’il votait pour. Comédie lamentable ! »
158
P-V de la CE de la Ligue, 11 novembre 1931, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 2.
159
Intervention de Félix, CE de la Ligue du 15 novembre 1931, Idem.
160
Ibid.
161
« 1°) Couper avec les liquidateurs et par voie de conséquence avec les conciliateurs. On peut et on
doit le faire dans des conditions claires pour la province et le mouvement international. 2°)
Naturellement je repousse absolument l’idée de substituer pour la séparation nécessaire, un concours
d’abonnement à la clarification politique. […] 3°) Transformer le bloc Molinier, Frank, Treint, Blasco,
Craipeau…etc. en une solide fraction en éclaircissant les problèmes politiques. C’est la seule voie. Et
si ça ne se voir pas de l’extérieur, c’est parce que l’on bâillonne avec des moyens formellement
irréguliers la plupart du temps, les liquidateurs et les conciliateurs. Une telle situation ne peut se
prolonger, on vit sur un petit volcan. Si faible numériquement que soit la Ligue après les séparations
nécessaires, elle deviendra un centre d’attraction pour les communistes et sa force pour redresser le
parti s’accroîtra. » Lettre de Treint à Molinier, 28 décembre 1931, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 24.

548
Considérée comme dangereuse jusque dans les rangs du KPD, cette ligne
politique suscite la consternation au sein de l’Opposition de gauche. En décembre
1931, Trotsky publie une « Lettre à un ouvrier communiste allemand » dans laquelle
il dénonce la tactique du KPD et l’appelle à « conclure un bloc avec les sociaux-
démocrates contre les fascistes ». Il affirme notamment :
« Si le fascisme conquérait effectivement le pouvoir, cela signifierait non
seulement la liquidation physique du Parti communiste, mais aussi sa faillite
politique complète. […] C’est pourquoi l’arrivée des fascistes au pouvoir
rendrait, selon toute vraisemblance, nécessaire la création d’un nouveau parti
révolutionnaire et d’une nouvelle internationale. »
Pour la première fois, le principal dirigeant et idéologue de l’Opposition de gauche
évoque l’hypothèse de la création de nouvelles organisations révolutionnaires. Il
prend cependant soin de conditionner ce tournant tactique à une « faillite » qu’il juge
alors improbable et met en garde ceux qui considèrent la victoire fasciste comme
inéluctable. D’autres tendances de l’opposition communiste, telles que la Fraction de
Gauche italienne ou le Leninbund de Urbahns, jugent au contraire que l’attitude du
KPD à l’égard des sociaux-démocrates confirme la dégénérescence de l’IC et la
nécessité de construire de nouvelles organisations révolutionnaires.
Treint estime que ce débat doit permettre de délimiter les positions
idéologiques des tendances qui s’affrontent à la direction de la Ligue et ainsi
d’éliminer le groupe juif162. En apparence, personne au sein de la Ligue n’approuve
le principe de la construction de nouveaux partis. Le groupe juif, de même que
Molinier et Frank rejettent toute rupture avec le PCF et prônent un rapprochement
avec la direction française, voire la réintégration dans les rangs du PCF pour
accélérer son redressement. Treint entretient une attitude nettement plus ambiguë. Il
clame son accord avec les positions exprimées par Trotsky dans sa « Lettre à un
ouvrier communiste allemand », mais il en retient principalement l’affirmation de la
nécessité de construire une nouvelle organisation, en cas de « faillite » de l’IC. De

162
« Je répète une fois de plus : ce n’est pas le confusionnisme intellectuel de Gérard-Naville qui crée
l’aile liquidatrice Emile-Félix, c’est parce qu’il y a une aille liquidatrice insuffisamment combattue dans
la Ligue d’un point de vue communiste que Gérard-Naville peuvent entretenir une confusion qui leur a
jusqu’ici profité et qui fait barrage protecteur en faveur des liquidateurs. Ce n’est plus maintenant une
thèse de Treint, les faits sont confirmés : plus Marc et moi avons développé la lutte contre Félix et
Emile (liquidateur), plus Gérard, Naville, Mill ont dû faire apparaître clairement leur bloc réel avec les
liquidateurs. […] En un mot, la lutte à fond contre Gérard-Naville est fonction de la lutte à fond contre
l’aile liquidatrice et je ne puis admettre, comme semble l’esquisser le document interne de LD
[Trotsky] que la lutte contre l’aile liquidatrice soit fonction de la lutte contre le confusionnisme de
Gérard-Naville », Lettre de Treint à Molinier, 5 janvier 1932, Ibid
549
plus, il continue de militer activement pour un rapprochement avec la Fraction de
gauche italienne et dans ses lettres privées, il ne cache pas sa proximité avec leurs
thèses163.
En s’appuyant sur le débat théorique le plus sensible au sein de la CE — quel
est le rôle de la Ligue : fraction de gauche du PCF ou fraction de gauche du
mouvement ouvrier ? — Treint tente d’imposer à la direction des schémas politiques
et des combinaisons fractionnelles qui renforcent son rôle à la CE. Ces méthodes
aboutissent à un premier résultat, le groupe juif retire ses représentants de la CE,
limitant un peu plus encore les liaisons entre la direction et le groupe de la région
parisienne164. Pour Treint, il ne s’agit pas d’une victoire, le groupe juif restant
membre de la Ligue alors qu’il réclame leur exclusion pure et simple. De son côté,
Trotsky s’inquiète de l’évolution de la situation, considérant que des tensions au sein
du groupe dirigeant pourraient « pousser petit à petit la majorité dans les griffes de
Treint »165. Cette méfiance à l’égard de Treint, partagée par de nombreux militants,
dans le contexte de crise que traverse la Ligue Communiste, aboutit inévitablement à
de nouvelles luttes fractionnelles et à de nouvelles ruptures.

Au cours des années 1929-1931, la question de la place de Treint au sein de


l’Opposition de gauche se pose à plusieurs reprises. Depuis son exclusion du PCF, il
se présente, avec son groupe, comme un point de rassemblement pour tous ceux
qui approuvent les thèses de Trotsky. Dans le même temps, il ne se départit pas de
son attitude indépendante, notamment en refusant de dénoncer les thèses du
Leninbund sur la création de nouveaux partis communistes. Il continue également de
défendre se thèse sur la formation d’un bloc européen contre les Etats-Unis, menant
à terme à une nouvelle guerre. Cette perspective est rejetée par les autres groupes
oppositionnels. Pour toutes ces raisons, il apparaît difficile de classer Treint et d’en

163
« Le rôle de l’opposition de gauche, c’est de lutter pour reconquérir au communisme les partis et
l’Internationale Communiste. C’est dans la lutte pour le redressement liée au développement de la
lutte des classes révolutionnaires [souligné par l’auteur], que l’on verra si le redressement est
possible. Mais si par malheur le redressement des partis et de l’Internationale Communiste n’était pas
possible, se démontrait impossible historiquement, alors mais alors seulement, l’opposition devrait
s’ériger en parti et en Internationale, continuant l’œuvre de la troisième. », Lettre de Treint à Molinier
du 28 décembre 1931, Ibid
164
Nous n’avons pas pu consulter les P-V de la CE de la Ligue pour décembre 1931 et janvier 1932.
er
A compter du 1 février 1932, la CE se réunit sans représentant du groupe juif. De plus, dans sa
« déclaration au secrétariat international et à toutes les sections de l’Opposition internationale de
gauche », le groupe juif déclare : « Il est compréhensible que le groupe juif, défendant son existence
menacée, était amenée à faire parfois des gestes pas tout à fait heureux, comme par exemple la
révocation de ses membres de la CE », op. cit.
165
Lettre de Trotsky à Sedov, 17 janvier 1932, fonds Trotsky (Harvard).
550
faire un partisan de Trotsky, ou des petits groupes oppositionnels qui prônent la
rupture complète avec le mouvement communiste orthodoxe.
De plus Treint jouit d’une piètre image parmi les militants oppositionnels qui
n’ont pas oublié sa responsabilité dans la bolchevisation et dans la lutte contre les
opposants, qualifiés tour à tour de trotskystes ou de droitiers. Sur ce point, Treint
refuse obstinément de faire son examen de conscience et de reconnaître ses fautes
personnelles. Son schéma de défense est identique à celui qu’il adopta à la fin de
l’année 1925, au cours de la conférence extraordinaire du PCF166. Selon lui, les
fautes sont collectives et ne peuvent être imputées à une seule personne. Il estime
ainsi avoir été trompé par Staline et Zinoviev, mais également par Trotsky qui, par
ses fautes politiques, l’aurait obligé à mener une lutte politique contre lui dans le
PCF. Cette posture s’explique par sa conviction qu’il n’a jamais dévié de la ligne
« léniniste » qu’il défend depuis le début des années 1920, contrairement à Trotsky
et à de nombreux autres militants oppositionnels. Malgré cette attitude, qui fait peser
sur lui la suspicion des autres leaders de l’Opposition de gauche, il garde contact
avec Trotsky et rejoint finalement la Ligue communiste, qu’il avait dans un premier
temps dénigré.
Treint adhère à la Ligue dans un contexte difficile, grâce à l’appui de Molinier
et contre la volonté de la majorité des militants. Il entre avec un esprit revanchard,
souhaitant prouver à Trotsky qu’il a commis une erreur politique en 1929, en édifiant
le groupe de La Vérité sans tenir compte du CRC. Avant même son adhésion, il
propose à Trotsky un schéma politique où l’on retrouve sa volonté de faire triompher
ses conceptions politiques en s’appuyant sur « l’aile marxiste » contre les tendances
« liquidationnistes » et « confusionnistes ». Fidèle à son attitude rigide, dogmatique
et parfois brutale, il ne conçoit le redressement de l’organisation que par une
politique d’épuration. Trotsky apparaît partagé entre le désir de voir un militant de
valeur venir renforcer une direction défaillante et le risque que Treint ne prenne trop
d’importance et entraîne la Ligue hors de la ligne politique de l’Opposition de gauche.
A la fin de l’année 1931, le bilan de trois mois de présence à la CE est pauvre.
Les tendances coexistent toujours et empêchent, par des discussions formelles et
interminables, tout développement du travail pratique et l’attitude dogmatique de
Treint ne fait qu’accroître les tensions. La Ligue est réduite à un petit groupe de
militants parisiens, quasiment coupé de la province, des milieux syndicalistes, sans

166
Cf. supra.
551
influence sur le PCF. Treint ne porte évidemment pas seul la responsabilité de cette
situation catastrophique, mais de nombreux militants développent à son égard un
sentiment d’aversion. Lorsque des divergences politiques avec Molinier voient le
jour, elles se transforment immédiatement en lutte de tendance et entraîne la Ligue
dans une nouvelle scission.

552
CHAPITRE XI :
RUPTURE AVEC
L’OPPOSITION DE
GAUCHE (JANVIER
1932-AVRIL 1933).

553
Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne se trouve à plusieurs reprises
au centre des préoccupations du mouvement communiste international. Depuis la fin
de l’année 1929, le pays est frappé de plein fouet par la crise économique
consécutive au krach de la bourse de New York, le 24 octobre 1929. Dès lors le
secteur industriel allemand s’effondre et le nombre de chômeurs explose,
déclenchant une vague d’agitation sociale. Profitant de cette situation, le parti
national-socialiste d’Hitler commence alors sa marche vers le pouvoir. Face à cette
menace, le KPD, obéissant aux ordres de l’IC, s’enferme dans la tactique « classe
contre classe » qui fait des sociaux-démocrates du SPD les principaux adversaires
du communisme. En septembre 1931, lors du référendum du Land de Prusse, le
KPD s’associe au parti national-socialiste pour renverser le gouvernement social-
démocrate. Au sein de l’opposition de gauche, plusieurs groupes oppositionnels
prônent, depuis plusieurs années, l’abandon de la tactique du redressement de l’IC
et appellent à la construction de nouveaux partis communistes, seul remède selon
eux contre la dégénérescence du mouvement révolutionnaire. Mais la majorité,
derrière Trotsky, estime qu’en dépit des échecs révolutionnaires des dernières
années et de l’attitude du KPD à l’égard des nationaux-socialistes, l’opposition doit
lutter, en tant que fraction pour le redressement de l’IC et de ses sections. Au cours
de l’année 1932, Hitler poursuit sa marche vers le pouvoir et devient Chancelier le 30
janvier 1933. Quelques semaines après, les partis politiques sont interdits et le KPD
s’effondre en quelques jours, sans avoir mené la moindre lutte. Jusqu’au bout, les
communistes allemands et l’IC ont refusé de s’allier avec d’autres forces politiques,
espérant pouvoir tirer profit de la victoire d’Hitler.
Au sein de la Ligue Communiste, comme dans les autres organisations
affiliées à l’Opposition de gauche, la tactique du KPD puis son effondrement sans
combat posent la question du rôle de la fraction d’opposition et de la nécessité de
constituer une nouvelle organisation révolutionnaire. Ce débat se trouve au centre
des luttes de tendances qui secouent l’organisation tout au long de l’année 1932. En
principe, tous les membres de la Ligue adhèrent au principe du redressement de l’IC
et de ses sections. Dans les faits, tandis que la majorité autour de Frank et du
groupe juif rejette totalement l’idée de la transformation de la Ligue en organisation
indépendante, Treint pense au contraire que cette hypothèse doit être envisagée, en
cas de défaite du mouvement révolutionnaire en Allemagne. De cette divergence
découle un conflit sur l’attitude de la Ligue à l’égard de la direction « centriste » du
PCF. Les premiers veulent modérer leurs critiques et proposer une forme de

554
collaboration alors que Treint réclame une stratégie de rupture, estimant que le PCF
n’est plus sous le contrôle des ouvriers mais d’un groupe de fonctionnaires obéissant
à la bureaucratie stalinienne.
La rupture entre la direction de la Ligue et Treint n’a pourtant pas lieu sur cette
question mais sur les méthodes de direction de Molinier. La solidarité politique entre
les deux hommes, déjà mise à mal par les divergences politiques, ne résiste pas à
un différend concernant la lutte contre les autres tendances de la Ligue. Eliminé de
l’organisation sans en être officiellement exclu, Treint fonde son propre groupe avec
quelques partisans et s’éloigne dès lors très rapidement de la ligne politique
défendue par Trotsky et l’Opposition de gauche. Il se rapproche des positions de
petits groupes d’extrême gauche allemand et italien qui voient dans le régime
soviétique une forme d’Etat capitaliste dirigée par une nouvelle classe sociale
constituée de bureaucrates issus du milieu ouvrier. Enfin, la victoire d’Hitler en
Allemagne constitue pour lui le signe ultime de la faillite des partis communistes
orthodoxes qui l’amène à militer pour une refondation complète du mouvement
révolutionnaire.

555
A/ Le divorce entre Treint et Molinier.

1) Divergences au sein du groupe « anti-liquidateur »1.

Depuis la fin de l’année 1931, Molinier a rejoint Trotsky à Prinkipo, laissant


Treint et Frank représenter la fraction dirigeante de la Ligue, au sein de la CE et du
comité régional de la région parisienne. Dans sa correspondance avec Molinier,
Treint signale l’apparition de désaccords avec Frank, conséquence du débat en
cours sur le rôle de la fraction. Il lui reproche de développer « une mystique » du
parti en refusant d’amplifier la lutte contre la direction « centriste » du PCF :
« En résumé, on peut ainsi esquisser les divergences. Frank : Le centrisme
est une partie du mouvement communiste qui se trompe […] Sur le terrain de
la révolution russe, il représente quand même, malgré ses fautes, les intérêts
historiques du prolétariat. Aussi l’opposition n’a d’avenir que comme fraction
du parti et réintégrée, elle tend à disparaître par sa victoire même. Tout ce qui
est d’une autre opinion dévie vers le deuxième parti. Et quand on pousse
Frank dans ses derniers retranchements, il répète avec son doux entêtement
et en grognant : Et puis l’Internationale, c’est l’Internationale et le parti, c’est le
parti. »2
Dans sa « Lettre à un ouvrier communiste allemand »3, Trotsky a critiqué la
perspective de la transformation des fractions d’opposition en parti, sans pour autant
l’exclure totalement. Cette prise de position, au lieu de clarifier les choses, permet au
contraire toutes les interprétations et contribue à accroître les tensions. Frank trouve
dans ce document un prétexte pour réclamer l’exclusion de Naville et de Gérard4,
lors d’une réunion du comité de la région parisienne consacrée à la situation en
Allemagne. Treint juge cette initiative déplorable et contradictoire avec l’offensive
menée jusqu’alors contre le groupe juif. Il accuse Frank de manœuvrer pour éviter

1
C’est une des appellations que Treint utilise pour désigner le groupe qu’il forme alors au CE au côté
de Molinier et Frank. Lettre de Treint à Molinier, 28 décembre 1931, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 24.
2
Ibid.
3
Cf. supra.
4
Ces deux militants jugent que le PCF suit une ligne politique qui exclut toute possibilité de
redressement, sans pour autant réclamer la création d’un nouveau parti. Frank les accuse néanmoins
de renoncer au rôle de fraction de la Ligue communiste. Voir CUENOT A, op. cit., p. 145-156.
556
l’exclusion du groupe juif5. La question de la transformation de la fraction en parti
révèle les divergences au sein de la fraction dirigeante entre Frank ― proche des
positions du groupe juif ― et Treint ― en accord avec Naville ―. Entre eux, Molinier
se tient dans l’expectative et se contente d’informer Trotsky de l’évolution des débats
sans approuver l’un ou l’autre. La querelle prend un tour plus personnel lorsque lors
d’une autre assemblée générale de la région parisienne, à laquelle Treint n’assiste
pas en raison d’une grippe, Frank l’accuse de défendre une « position liquidatrice »
et de s’éloigner de la ligne politique de l’Opposition de gauche. Treint envisage, dès
lors, la possibilité de rompre le bloc politique et de ne plus accepter de
responsabilités, laissant Frank diriger seul la Ligue6.
Trotsky, en raison de la présence de Molinier à Prinkipo, suit de près les
soubresauts à la direction de la Ligue. Lui-même déplore le manque de sens
politique de Frank et son comportement sectaire à l’égard des minoritaires. Il craint
que cette lutte interne sur le rôle de la fraction ne mène la Ligue à sa perte7. Il lui
reproche également son attitude à l’égard de Treint. :
« De toute évidence, Frank ne laisse pas passer une seule occasion de faire
une bêtise. Il est en train de mener une bataille contre le groupe juif, contre
Naville et Gérard et sans avoir mené ce combat jusqu’au bout, il s’est
empressé de déclencher une lutte frénétique contre Teint − basé sur sa propre
clairvoyance quant aux trahisons futures de Treint. »8
Avec l’entrée de Treint à la CE de la Ligue, Trotsky, sans nourrir d’illusion sur les
possibilités de maintenir une collaboration politique à long terme, espérait permettre
la constitution d’une direction plus stable autour de Molinier. Les initiatives de Frank
risquent de mettre à mal ce projet.

5
« Le fond politique de tout ceci, c’est que Frank s’attelle à l’impossible tâche de mener à fond la lutte
contre Naville et Gérard tout en atténuant la lutte contre Emile et Félix. Et il est évident pour qui à la
moindre expérience politique que les deux termes de la politique de Frank sont absolument
contradictoires. Et pourquoi Frank veut-il atténuer la lutte contre Emile et Félix ? Parce qu’au fond, il
part de la même mystique qu’eux vis-à-vis du parti et de l’Internationale dirigés par les centristes.
Parce que Frank fait aussi des réserves sur “ la lettre à un ouvrier communiste d’Allemagne“ de LD.
Parce que Frank dit : Si le PC allemand ne combat pas le fascisme, c’est moins grave que la trahison
de la deuxième Internationale en 1914. La trahison passive est moins grave que la trahison active. Et
même si le PC allemand et l’IC ne combattent pas le fascisme hitlérien, LD n’a peut être pas raison
d’envisager l’opposition s’érigeant en parti sur cette base. », Lettre de Treint à Molinier, 5 janvier
1932, Fonds Ligue Communiste, cote : 24, IISG.
6
Ibid.
7
« Quant à la grande discussion sur la fraction, elle me paraît tout à fait scolastique. Vous existez
comme fraction. Est-ce que cela ne suffit pas ? […] Ne croyez-vous pas que les philosophes de Paris
ont trop interprété la fraction tandis qu’il s’agit de la pratiquer ? Il faut en finir avec cette exégèse
ecclésiastique qui ne peut que disloquer le reste de la Ligue. », Lettre de Trotsky à L. Sedov, 10
janvier 1932, fonds Trotsky, (Harvard).
8
Ibid.
557
Par ses interventions, Trotsky contribue pourtant à envenimer les conflits.
Depuis la fondation de la Ligue, il estime que Naville n’y a pas sa place et il ne cesse
de le critiquer durement. Dans une lettre destinée à la CE de la Ligue9, il met en
cause à la fois le groupe juif et Naville. Il reproche au premier son manque de
collaboration à l’activité de la Ligue, tout en estimant qu’il a sa place au sein de la
direction, au contraire de Naville, dont il souhaite explicitement l’élimination. A la CE,
réunie le 1er février 1932, Frank s’appuie sur cette lettre pour proposer une nouvelle
fois de sanctionner, voire d’exclure Naville, considérant qu’il est « irresponsable »
politiquement. Treint s’élève contre ces méthodes et demande qu’un débat,
s’appuyant sur des arguments politiques et non personnels, ait lieu. Prenant le
contre-pied de Trotsky, il apporte son soutien à Naville, donnant un caractère encore
plus confus à la polémique entre les membres de la CE10. Seul Molinier, qui rentre en
France au début du mois de février 1932, peut éviter l’éclatement de la direction. Il
dispose de l’appui politique de Trotsky, ainsi que d’un pouvoir financier
considérable11, qui en fait le véritable dirigeant de la Ligue. La correspondance
entretenue avec la France durant son séjour à Prinkipo, ne permet pas de connaître
ses intentions vis-à-vis de Treint et de Frank, mais lui seul semble en mesure d’éviter
une nouvelle scission.
Avec l’accord de toutes les tendances, la CE décide de réunir, pour la fin du
mois d’avril, une session élargie qui doit donner à la Ligue une majorité solide et
définir une ligne politique sur les questions des rapports de la fraction avec le PCF,
de la tactique électorale ou encore sur les perspectives internationales, dans cette
période de crise économique12. Dans l’attente de cette réunion générale, la CE
discute d’un texte, résumant les positions de l’organisation, à adresser au congrès
national du PCF, réuni à Paris du 11 au 19 mars 1932. Treint, expliquant qu’aucun
débat politique sur la question du rapport fraction/parti − primordiale à ses yeux − n’a

9
Lettre de Trotsky du 15 janvier 1932. Nous n’avons pu la consulter. Pour connaître son contenu,
er
nous nous sommes appuyé sur le P-V de la CE de la ligue du 1 février 1932, IISG, fonds Ligue
Communiste, cote : 3.
10
« La lettre de Trotsky ne caractérise pas la tendance Félix qui est extrêmement faible. Naville a fait
des progrès très nets que Trotsky oublie. […] Mais on ne peut pas substituer la notion d’origine
sociale à la position politique. Si Naville par son activité rompt avec la position liquidatrice, je serais
er
très heureux qu’il reste dans la Ligue. », Intervention de Treint à la CE du 1 février 1932, IISG, fonds
Ligue Communiste, cote : 3.
11
Molinier, grâce aux affaires financières qu’il entretient avec son frère Henri, fournit la majorité des
fonds nécessaire au fonctionnement de la Ligue et à la parution de sa presse. Lors des conférences
nationales, c’est également lui qui procure les fonds indispensables au voyage des délégués de
province. Ce contrôle des finances de l’organisation lui offre un moyen de pression, même s’il se
défend d’en user.
12
Voir P-V de la CE de la Ligue du 20 février 1932, Ibid.
558
eu lieu, refuse de participer à la rédaction du document. Avant la réunion, il a diffusé
dans les groupes de province une résolution sur cette question, dans le but d’obliger
la CE à mettre ce point à l’ordre du jour de la réunion. Sa manœuvre ayant échoué, il
s’enferme dans une attitude de boycott13. Blasco et Frank − les deux secrétaires de
la Ligue − répondent vertement à cette intervention. Ils lui reprochent d’avoir caché
ses divergences lors de son adhésion et de prendre une posture intransigeante,
alors qu’une position commune doit être définie rapidement, le congrès du PCF se
réunissant quelques semaines plus tard. Blasco estime qu’en raison de ses
déclarations, Treint n’a plus sa place à la CE14. Sur un ton plus modéré, Molinier le
critique à son tour et lui rappelle les devoirs d’un membre d’une organisation
politique et la nécessité du travail en commun. Malgré quelques protestations sur la
méthode de travail de la CE, Treint accepte finalement de participer à la
commission15 qui doit rédiger le texte.
Le lendemain, la CE se réunit de nouveau pour discuter du contenu de la
lettre au congrès du PCF. Treint profite de son intervention pour réaffirmer la
nécessité d’une large discussion politique afin de définir le rôle de la fraction,
considérant qu’il s’agit de la question politique qui conditionne toutes les autres et
justifie l’existence de la Ligue :
« D’après [Treint], il existe deux conceptions : les camarades qui défendent la
première pensent que la fraction centriste se met encore sur les bases du
communisme et que l’opposition doit se proclamer la fraction du parti lorsqu’en
réalité le problème c’est d’arracher le parti à la fraction centriste. Treint lui, au
contraire, estime que le procès de redressement ne peut pas se comprendre
avec une diminution de notre activité fractionnelle et qu’en aucun cas on ne
peut y renoncer. C’est dans la voie de légitimation de notre fraction dans le
parti communiste qu’il faut chercher le redressement. »16
Frank réagit en déposant une motion déclarant que « la CE refuse de s’engager
dans une discussion scolastique sur la fraction et décide d’aborder les problèmes

13
« Pour faire un document commun, il faut être d’accord sur la question principale : rapport parti,
fraction, centrisme. Dans une situation comme aujourd’hui, le mieux serait que des camarades ayant
la majorité fassent le document. », Intervention de Treint à la CE du 28 février 1932, Ibid.
14
« D’accord avec Frank. Les raisons données aujourd’hui pour ne pas participer pouvaient être
données il y a huit jours. Mais Treint pense que les divergences sont trop grandes pour travailler
ensemble sur un document. Prochain CE élargi, il faudra combattre la tendance liquidatrice du groupe
juif et le groupe Treint/Marc. », Intervention de Blasco à la CE du 28 février 1932, Ibid.
15
Elle est composée de Blasco, Naville et Treint.
16
P-V de la CE de la Ligue du 29 février 1932, Ibid.
559
concrets qui se posent au parti […] »17. La motion est rejetée, notamment par
Molinier qui juge le point de vue de Frank « inadmissible ». Conséquence des
désaccords persistants, deux résolutions d’orientation18 du texte pour le congrès du
PCF sont mises au vote. La CE se divise nettement en deux camps, Naville
soutenant la résolution Treint, tandis que Walfisz ― le représentant du groupe juif ―
vote la résolution Frank. Chaque tendance rivalise d’affirmations péremptoires sur
l’impossibilité de concilier les deux orientations. Blasco et Frank déclarent que Treint,
en abandonnant le principe du redressement du PCF, s’éloigne de l’Opposition de
gauche et de Trotsky. Treint rejette cette interprétation et explique qu’il se contente
d’envisager une perspective déjà évoquée par Trotsky dans sa « Lettre à un ouvrier
communiste allemand ». Seul Molinier, tout en soutenant la résolution de Treint,
considère que les deux propositions se complètent19. Après un débat houleux, la CE
désigne une commission, composée de Treint, Frank et Molinier, pour rédiger le
texte définitif20. Avec l’appui de Molinier, la résolution de Treint, complétée par
quelques passages de celle de Frank, devient la base d’orientation du texte définitif.
Ce compromis ne règle pas la crise mais au contraire l’avive. En réponse, Blasco et
Frank donnent leur démission du secrétariat, au motif qu’ils ne constituent plus la
majorité de la Ligue et qu’ils ne peuvent plus prendre de responsabilité politique,
ayant été désavoués21. Fort du soutien de la majorité, Treint fait une intervention
apaisante où, à l’inverse des déclarations des semaines passées, il affirme qu’une
position commune peut être trouvée et que le compromis ne peut constituer un motif
de démission. Tous les autres membres interviennent dans le même sens, à
l’exception de Marc, qui estime que le secrétariat doit démissionner, mais qu’il doit

17
Ibid.
18
Résolution Treint : Le document à adresser au parti à l’occasion du congrès doit, sur la base de
l’activité passée du parti 1) Montrer que la fraction centriste se meut dans le camp révolutionnaire hors
de la base de principe du communisme. 2) Y opposer les solutions communistes de l’Opposition de
gauche en face de la crise. 3) Montrer que l’Opposition de gauche, seule fraction communiste, ne peut
redresser le parti que part son activité fractionnelle, sa légitimation comme fraction dans le parti afin
d’arracher le parti à la fraction centriste pour le conquérir au communisme. (Votée par Treint, Marc,
Molinier).
Résolution Frank : La CE rédige le document au parti sur les points suivants : 1) critique de l’activité
passée du PC et de l’IC et causes principielles des erreurs centristes (socialisme dans un seul pays,
social-fascisme). 2) Importance de la situation présente : rôle de l’IC et carence criminelle de la
direction centriste. 3) Solutions apportées par l’Opposition de gauche sur les plus importants
problèmes. 4) l’Opposition de gauche, rejetée des rangs de l’IC sous la pression des forces anti-
prolétariennes, combat pour ramener l’IC dans la ligne du prolétariat. L’abandon par le centrisme des
principes marxistes, implique que le redressement de l’IC ne peut être assumé qu’au moyen d’une
lutte permanente coordonnée, donc justifie historiquement et politiquement la création et l’existence
de la fraction. (Votée par Craipeau, Blasco et Frank).
19
P-V de la CE de la Ligue du 7 mars 1932, Ibid.
20 ème
Voir la lettre au 7 Congrès du PCF, La Vérité, n° 113, 15 mars 1932, p.2-4.
21
P-V de la CE de la Ligue, 14 mars 1932, Ibid.
560
continuer à fonctionner dans l’attente de la CE élargie, qui définira la nouvelle
majorité. Leur démission est finalement repoussée.
Au terme de cette confrontation, Treint a consolidé sa position au sein de la
CE. La majorité, y compris Molinier, a défendu ses conceptions contre celles de
Frank. Néanmoins la Ligue, toujours à la recherche de son équilibre, doit faire face à
d’autres divisions et d’autres débats. Le comité de la région parisienne, où le groupe
juif possède la majorité, est au bord de la scission et ne cesse de s’opposer à la CE.
Sous l’impulsion de Trotsky, Frank et d’autres militants réclament toujours l’exclusion
de Naville. Le comité de rédaction de La Vérité est désorganisé par ces conflits.
Enfin, la participation de la fraction de gauche italienne à l’activité de la Ligue22
provoque toujours autant de réticences. Sur toutes ces questions, Treint défend une
orientation diamétralement opposée à celle de Frank, appuyé par Molinier, dont
l’attitude louvoyante et manoeuvrière, ne contribue pas à apaiser les tensions.
Si les trois hommes se rejoignent sur la nécessité de lutter contre le groupe
juif et contre Naville, ils ne s’accordent pas sur les méthodes. A chaque tentative
d’imposer des sanctions disciplinaires, Treint répond invariablement qu’il faut d’abord
« pousser à fond le débat politique et exclure dans la clarté politique ». Lorsque
Frank et Molinier proposent de démettre Naville de la gérance de La lutte de
classes23 et de l’éliminer du comité de rédaction de La Vérité, Treint proteste contre
la méthode, considérant que la CE mène « une lutte non politique contre Naville ». A
la séance du 20 février, Molinier réclame l’exclusion d’Emile24 et d’André (membres
du groupe juif) pour avoir déclaré, à l’assemblée de la région parisienne, que
l’Opposition de gauche n’est plus qu’une agence publicitaire de Trotsky25. Treint

22
Malgré les réticences de Trotsky et de la majorité de la CE, Treint continue de proposer de
collaborer avec la fraction de gauche italienne. Un membre du groupe est finalement autorisé à
assister aux CE du 9 et du 20 février 1932 mais les discussions font ressortir l’ampleur des
divergences, notamment sur l’appréciation du parti et de l’IC et la perspective du redressement de ces
derniers. Seuls Treint et Marc, qui considèrent que la « fraction centriste » a définitivement quitté le
terrain du communisme, continuent de promouvoir le rapprochement des deux organisations. Les
contacts entre la Fraction de gauche italienne et l’Opposition de gauche sont par la suite
définitivement coupés.
23
La résolution du secrétariat adoptée par la CE du 20 février 1932 stipule : La CE de la Ligue
Communiste considérant que Naville par une série de positions politiques fausses, le plus souvent
sans principes (bloc avec Rosmer, le groupe de la gauche communiste, le groupe juif) et l’application
soutenue de méthodes étrangères aux règles d’organisation communiste (publication de La Lutte de
Classes en dehors de tout contrôle, utilisation d’un article de Landau après sa rupture avec l’OGI,
[…]), a justement perdu la confiance des sections de l’OGI et met en danger de par ses fonctions de
gérant l’organe théorique de l’OGI. Décide : 1) De retirer à Naville la gérance de La lutte de Classes ;
2) de confier la gérance de La Lutte de Classes à un camarade respectueux des règles d’une
organisation communiste et ayant la confiance de la majorité de la CE.
24
Elie Rosijansky dit Emile : D’origine lithuanienne, il adhère à la Ligue communiste en 1931. Il
collabore à l’organe mensuel de l’opposition en langue Yiddich die Klorhejt.
25
P-V de la CE de la Ligue, 20 février 1932, Ibid.
561
dépose une motion demandant l’abandon de toute sanction dans l’attente de la CE
élargie, qui devra régler les conflits sur la base d’une discussion politique.
Le différend avec Molinier ne concerne pas un point de théorie mais la
question primordiale de la méthode de direction d’une organisation politique. Treint,
s’il reste intransigeant et convaincu de la nécessité politique des exclusions, a tiré la
leçon des années où il dirigeait le PCF et se saisissait de la moindre faute
organisationnelle pour procéder aux exclusions. Molinier persiste dans sa volonté de
régler la crise dans la région parisienne par des exclusions immédiates. Cet
autoritarisme s’explique notamment par les attaques dont il est l’objet de la part des
membres du groupe juif26. Lors de la réunion du groupe de la région parisienne,
précédant la CE du 21 mars 1932, il fait voter, à une courte majorité, l’exclusion de
Félix. Mais la CE refuse de confirmer cette exclusion temporaire27. La majorité, sur
proposition de Treint, vote une résolution réintégrant Félix28. Pour Molinier, qui se
sent lâché, il s’agit d’une question de principe. Il propose, en conséquence, sa
démission de la CE, qui lui est refusée. Il éprouve du ressentiment à l’égard de
Treint. Ce dernier, conscient que son attitude à la CE risque d’entraîner une rupture
personnelle, lui écrit une lettre justifiant son comportement :
« 3) Notre lutte sur les méthodes d’organisation.
a) Il faut d’abord bien te convaincre qu’il ne s’agit pas d’une lutte personnelle.
b) Tu cherches à faire triompher des méthodes que tu crois justes et que je
crois mortelles, c’est pourquoi je ne puis renoncer à en appeler à la base
avant qu’il ne soit trop tard.
c) Ceci posé, notre lutte actuelle (impossible à éviter parce qu’il s’agit de
questions immédiates où tu ne renonces pas à faire triompher ton point de
vue ni moi le mien parce que tous deux nous croyons avoir raison et qu’il
s’agit du sort de l’opposition) notre lutte actuelle doit prendre un autre
cours. »29

26
Plusieurs membres du groupe juif dont Félix et Bolgar participent à des réunions organisées par
Rosmer et font des interventions dirigées essentiellement contre Molinier, qu’ils accusent d’être
incapable politiquement et de ne pas être apte à diriger la Ligue Communiste. Voir P-V de la CE de la
Ligue du 21 mars 1932, Ibid.
27
Félix doit être exclu pour une période de six mois.
28
Résolution Treint sur déclaration du groupe juif : La CE prend acte de la déclaration émanant d’un
certain nombre de camarades, y compris Félix, et déclarant renoncer à toute intervention extérieure
contre la CE. En conséquence, constatant que la raison ayant motivé l’exclusion de Félix par la RP
n’existe plus, la CE décide que Félix demeure membre de l’organisation. La CE confirme que la
discussion des questions en litige sera poussée à fond jusqu’à la solution de la crise de la Ligue sur la
base communiste.
29
Lettre de Treint à Molinier, 24 mars 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 24.
562
Treint reproche à Molinier de déclencher une offensive politique contre le groupe juif
sans concertation avec les membres de sa tendance et d’agir par orgueil et
« sensibilité personnelle », sans réfléchir aux conséquences politiques de ses actes.
Il lui propose de tirer un trait sur ce conflit et de repartir sur des bases politiques
claires :
« Pourquoi ne pas essayer d’associer nos qualités et nos défauts qui se
complètent et en faire bénéficier toute l’organisation ? Allons-nous nous
rendre esclaves des coups que nous n’avons pas pu ne pas nous porter ? Je
ne sais si mes paroles sauront trouver le chemin de ton cerveau et de ton
cœur. Je l’espère. S’il en est ainsi, il faudra arriver pour que ce soit solide à
une sincérité réciproque absolue. »30
Malgré le ton apaisant de la lettre et la proposition de reprendre une collaboration
politique sur des bases saines, Molinier ne pardonne pas à Treint de l’avoir
désavoué. Motivé par des raisons plus personnelles que politique, il tente de
nouveau d’imposer des sanctions au groupe juif, provoquant une rupture définitive
avec Treint.

2) La dissolution de la région parisienne.

La CE du 21 mars 1932 constitue une séance charnière à plus d’un titre.


Concernant les rapports entre Treint et Molinier, elle marque à la fois le dernier acte
de leur collaboration politique et le premier du conflit qui les oppose par la suite. Au
début de la réunion, Treint, attaqué sur une affaire d’apparence insignifiante, est
défendu par Molinier. Dans le numéro 113 de La Vérité31 paraît une note indiquant
que « les études documentaires et historiques sont publiées sous la direction du
camarade Treint ». Il s’agit simplement de faire paraître son nom dans le journal, de
manière à obtenir une carte de presse, nécessaire pour son activité politique.
D’ordinaire, aucune signature n’apparaît dans le journal, celui-ci étant sous la
responsabilité collective de la CE. Frank et Blasco se saisissent de ce prétexte et
accusent Treint de vouloir « chevaucher »32 la CE. Molinier, qui avait donné son
accord à la parution de la note, demande et obtient que la CE cesse cette
discussion. Cet incident clos, Treint interroge Molinier sur l’existence d’une lettre

30
Ibid.
31
La Vérité, n° 113, 15 mars 1932, p. 4.
32
Intervention de Blasco à la CE du 21 mars 1932, Ibid.

563
dans laquelle Trotsky aurait écrit, à propos de la réorganisation récente du comité de
rédaction de La Vérité autour des différentes tendances de la CE33, « que la
composition de l’ancien comité de rédaction était mauvaise parce qu’elle comprenait
l’ennemi d’hier, celui d’aujourd’hui et celui de demain »34. Molinier, Blasco et Frank
affirment ne jamais en avoir entendu parlé. Treint, suspicieux concernant les
positions de Trotsky à son égard, dépose une résolution enregistrant « l’affirmation
du camarade Molinier qu’aucune lettre privée n’existe contenant de la part du
camarade Trotsky une telle affirmation »35. Frank vote contre et un autre membre
s’abstient. L’absence d’unanimité suffit à Treint pour croire à la réalité d’une telle
lettre36.
Toutes ces tensions, ces bruits de couloir, ces attaques personnelles,
combinés avec le conflit entre Treint et Molinier sur la question des méthodes
d’organisation, concernant la région parisienne, aboutissent inévitablement à une
crise ouverte entre la tendance Molinier-Frank et celle constituée principalement par
Treint et Marc. Molinier et Frank parlent ouvertement de dissoudre l’organisation de
la région parisienne, pour la reconstituer autour des seuls militants proches de la
direction. Le 25 mars, Marc et Treint envoient aux groupes de province un document
intitulé « sonner l’alarme », dénonçant la menace de dissolution37. Alors que dans sa
lettre privée à Molinier, Treint parlait d’apaisement et de collaboration, ce document,
diffusé sans avoir été approuvé par la CE, ressemble à une déclaration de guerre. Le
ton est particulièrement incisif et provocateur à l’égard de Molinier, visé sans être
nommé :
« Substituer à la direction élue par la base une direction désignée par le
sommet, ce serait, dans la situation de la région parisienne, provoquer une
scission dans la nuit ; ce serait en outre développer dans la Ligue une régime
intérieur pire que celui des staliniens dans le parti. Alors comment l’opposition
de gauche pourrait-elle ensuite s’élever contre le mauvais régime intérieur du
parti. »

33
Voir P-V de la CE de la Ligue du 15 mars 1932, Ibid.
34
« Résolution sur une soi-disant lettre », P-V de la CE de la Ligue, 21 mars 1932, Ibid.
35
Idem.
36
« Si une telle résolution n’a pas été votée par tous, cela constitue pour moi la présomption qu’une
telle lettre existe. A la prochaine CE, je me prononcerai. », Intervention de Treint, Idem.
37
« [d’] une partie de la CE [qui] veut exclure immédiatement Félix malgré sa rétraction, destituer le
comité régional régulièrement élu et imposer à la région parisienne un triumvirat nommé par la CE. »,
Voir le bulletin intérieur, 10 avril 1932, AN, F7 14796.
564
Molinier réplique à la CE et par la biais du Bulletin intérieur38, consacré en
totalité au conflit en cours39, alors qu’il paraît pour la première fois en plusieurs mois.
Dans un premier article, il répond aux attaques de Treint sur les méthodes
d’organisation et de discussion à l’intérieur de la Ligue. Alors qu’il avait toujours
soutenu Treint, malgré quelques divergences, il l’accuse désormais d’être le
principal, voire l’unique, responsable des désordres de l’organisation40. Il se présente
comme le garant de la discipline de l’organisation, respectueux de la démocratie
interne et de la discussion, décidé à imposer les « conceptions véritablement
communistes », qu’il oppose à « l’éclectisme politique » de Treint. Le deuxième
article, plus explicite, met en évidence la rupture entre les deux hommes, qui se
manifeste par l’utilisation d’un ton exclusivement polémique, au détriment d’un
véritable débat politique. Treint accuse la CE d’utiliser des méthodes staliniennes,
Molinier rétorque qu’il s’agit d’une simple manœuvre et ironise sur ses nouvelles
conceptions d’organisation41.
A la CE, chaque décision, chaque débat, envenime le conflit. Marc est
délégué de la direction auprès de la région parisienne et, grâce à sa médiation, la
scission entre le groupe juif et la Ligue a été évitée. Lors de la séance du 5 avril42, le
secrétariat dépose une motion d’ordre retirant la délégation à Marc pour la confier à
Molinier. Il justifie cette sanction par le non respect des règles d’organisation43. Marc

38
Idem.
39
Le Bulletin intérieur contient trois documents signés par Molinier, le texte de Treint et Marc envoyé
aux groupes de province ainsi qu’un autre document, signé Marc et intitulé « Contre l’abus et
l’arbitraire ». Il va plus loin que Treint, plaide pour le respect de la démocratie « jusqu’à la dernière
limite » à l’intérieur de l’organisation et accuse la tendance Molinier de bafouer les règles
d’organisation par l’utilisation de méthodes arbitraires et d’attaques personnelles contre les
opposants. Il cite en exemple le report de la CE élargie de décembre 1931 à mai 1932, ainsi que la
ème
publication du document pour le 7 congrès du PCF, sans l’organisation d’une véritable discussion
dans l’organisation.
40
« Le grand mal fut depuis la CN la concession faite par la CE au camarade Treint " pendant la
discussion politique, les cas d’indiscipline ne seront pas réprimés." Ce fut là une abdication des
principes élémentaires d’une organisation communiste qui devait entraîner les plus grands désordres,
ce qui ne manqua point. », Molinier R, « Politique, Organisation, Méthodes », Bulletin intérieur, 10 avril
1932, p. 1-4.
41
« Encore une fois, ne bâtissez pas les conceptions de vos adversaires avec les faiblesses qui les
feraient être à la merci de vos arguments. Pas de procès d’intention, pas de libéralisme outrancier.
Chacun sait en effet qu’Albert à la main ferme et qu’il n’est pas rongé par la démocratie ! Et puis, sur
un tel tremplin, il est trop drôle ! », R. Molinier, « Les deux méthodes : brève réponse à Treint et à
Marc », Ibid.
42
Nous n’avons pas pu consulter les P-V de la CE de la Ligue Communiste entre le 21 mars et le 5
avril.
43
Le document envoyé à la province et intitulé « sonner l’alarme », était à l’origine une résolution sur
le travail du comité régional de la région parisienne qui aurait dû être discutée par la CE avant d’être
distribuée à l’ensemble de l’organisation. P-V de la CE de la Ligue du 5 avril 1932, Ibid.
565
proteste et revendique son droit à défendre ses conceptions dans l’organisation44.
Treint proteste à son tour contre l’arbitraire de la direction. Mis en minorité à la CE45
et décidé à faire entendre sa voix, il opte pour un renversement d’alliance brutal et
s’unit, au sein du comité de la région parisienne, avec le groupe juif, pour dénoncer
l’autoritarisme de Molinier et Frank. Comme par le passé, il fait preuve
d’opportunisme politique en s’alliant avec ceux qu’il qualifiait de « liquidateurs »
quelque semaines auparavant. Pour lui, seul le but compte et seul ce renversement
d’alliance peut lui permettre de faire triompher ses conceptions au sein de la Ligue.
Sur la question des relations avec le PCF et de la définition du rôle de la
fraction, Treint avait, notamment grâce à l’appui de Molinier, réussi à imposer ses
idées pour la rédaction du texte au 7ème congrès du PCF. Lorsque la CE discute à
nouveau de la tactique électorale du PCF pour les élections législatives de 1932 et
de l’attitude de la Ligue, Molinier, en contradiction flagrante avec ses votes
précédents, soutient une résolution de Frank et Blasco qui met la Ligue au service du
PCF et propose l’envoi d’une souscription pour aider financièrement le parti46. Treint
s’élève contre ce revirement :
« On va se mettre à la disposition du parti ? Quand Raymond approuve cela,
cela prouve : 1) Qu’il n’a rien compris à la contre-thèse qu’il a signé avec
nous. Sommes-nous au service du parti ? Oui. Comment ? En redressant sa
politique, c’est-à-dire dans la lutte acharnée contre la fraction centriste. Nous
nous mettons à la disposition de la fraction centriste, sous ses directives
politiques et d’organisation. C’est une lettre de capitulation. Ou la lettre

44
« Vous avez voulu réviser la résolution de ne pas prendre de mesure [de dissolution de la région
parisienne]. Si je viens au nom de cette résolution, j’ai le droit d’alarmer devant cette menace.
J’estime que ce fut un de mes meilleurs actes contre un groupe qui usurpe l’organisation. Ensuite j’ai
demandé qu’on alerte la province car la CE devait se réunir à bref délai. Au nom de quoi Raymond
vient-il ? D’une fraction qui veut briser l’organisation. […] Maintenant vous voulez relever Marc et en
mettant Raymond on provoquera l’indiscipline. Je dois continuer jusqu’à la CE élargie. Sinon je
dénoncerai. L’organisation vous jugera. Nous vous empêcherons de prendre des mesures
d’exclusion. Aucune discipline ne nous arrêtera. », Intervention de Marc à la CE du 5 avril 1932, Ibid.
45
A la CE du 7 avril 1932, Treint et Marc présentent une résolution dénonçant la volonté de la CE de
dissoudre la région parisienne. Molinier présente une contre-résolution repoussant « les insinuations
et affirmations erronées, non fondées de la résolution Marc » adoptée par 4 voix contre 1 abstention
(Treint) et un vote contre (Marc). P-V de la CE du 7 avril 1932, Ibid.
46
La résolution, particulièrement alambiquée, précise que tout en le critiquant, la Ligue soutiendra le
parti dans tous les cas de figure : « Au second tour, là où le Parti maintiendra son candidat, alors
qu’une juste politique nécessiterait le désistement, la Ligue communiste qui, dès le premier tour, aura
exposé son point de vue à ce sujet, fera campagne pour le candidat du PC, afin de ne pas entraver
l’expérience des camarades abusés par le centrisme pour se convaincre de la fausseté de la politique
qu’ils suivent. ». Résolution de la CE « La Ligue communiste et les élections », La Vérité, n° 114, 8
avril 1932, p. 1.
566
n’apporte rien de plus à ce que nous disons tous les jours, c’est-à-dire qu’elle
amène la confusion. »47
Il refuse en conséquence de participer à la campagne et de défendre le point de vue
de la majorité dans les réunions publiques. Treint, peu disposé à faire des
concessions, attend le moment propice pour battre politiquement et renverser la
direction Molinier ou bien quitter la Ligue. Le déroulement de la CE élargie lui donne
l’occasion de rompre48.
La CE élargie réunit, en plus des membres habituels, plusieurs représentants
des tendances de la région parisienne ainsi que des militants du nord, du Pas-de-
Calais, de l’est et de la Charente inférieure49. En dehors de la question du règlement
de la crise dans la région parisienne, l’ordre du jour de l’assemblée comporte la
question du rôle de la fraction par rapport au parti, celle de l’unité syndicale et le
travail parmi les jeunes. Au cours des deux journées de débat, la tendance Molinier-
Frank consolide son influence et son contrôle sur l’organisation en faisant voter une
résolution générale dénonçant les positions des minorités, c’est-à-dire du groupe juif
et de Treint. Concernant le groupe juif, la résolution précise que l’assemblée rejette
leurs positions sur la question de l’unité syndicale et sur la question de la situation en
Allemagne50. Concernant Treint, elle fustige son attitude au cours des semaines
passées51 et repousse sa conception sur le rôle de la fraction vis-à-vis du PCF :
« Comme position politique, le camarade Treint transformant les principes
communistes, le centrisme en des abstractions, confondant la fraction
centriste dirigeante avec le parti, considère les partis comme étant de simples
"organisations révolutionnaires" n’ayant rien de commun avec le
communisme ; par conséquent que les Partis ne sont plus des Partis
communistes ».
La résolution sur les questions d’organisation52 que la tendance Treint propose à la
CE élargie, reprend des considérations déjà développées à la CE et présentées dans
un contre projet de lettre au 7ème congrès du PCF. Elle demande « l’élimination de la

47
Intervention de Treint à la CE du 7 avril 1932, Ibid.
48
Nous n’avons pu consulter les P-V de la CE entre le 7 avril et la CE élargie, qui a lieu les 15 et 16
mai 1932.
49
Compte rendu de la CE élargie paru dans La Vérité, n° 116, 18 mai 1932, p. 4.
50
« Résolution présentée par le secrétariat de la Ligue à la CE élargie du 15 mai 1932 », La Lutte de
Classes, n° 39, 15 juin 1932, p. 21-26.
51
« Le camarade Treint a refusé de participer à la rédaction en commun d’un document pour le
Congrès du Parti, d’écrire des articles pour La Vérité, de prendre la parole pour la Ligue, dans des
réunions publiques, en un mot d’apporter un travail effectif pour l’organisation. », Idem.
52
Résolution pour la CE élargie, « Les problèmes d’organisation et l’Opposition de gauche », AN, F7
14797.
567
fraction Emile-Félix » et soumet, comme base principale de travail à la Ligue, la
reconstruction de l’IC et des partis communistes par une « régénération
communiste », tout en envisageant la possibilité de construire de nouveaux partis et
une nouvelle internationale. Elle constitue un réquisitoire contre l’activité du
secrétariat et contre ses solutions pour remédier à la crise de l’organisation. Pour
Marc et Treint, le secrétariat a profité de la profusion des tendances et de la
confusion pour se maintenir à la tête de l’organisation en évitant toute clarification
politique53. Pour doter la Ligue d’une direction stable et homogène, ils proposent la
tenue, dans les quatre mois, d’une conférence internationale de l’Opposition de
gauche qui définirait un programme politique, accepté par tous, servant de base à la
reconstruction. En attendant, sur le modèle de la trêve qu’ils avaient proposé dans
l’attente de la CE élargie, ils réclament la mise en place d’un statut provisoire jusqu’à
la conférence internationale54.
La résolution, votée par la CE élargie, repousse ces propositions et, sur
demande du secrétariat, décide de dissoudre la région parisienne et de la placer
sous le contrôle de la CE. Ses membres doivent faire une demande de re-adhésion
individuelle :
« 3) La CE élargie déclare incompatible avec les principes communistes
d’organisation qui sont à la base de la Ligue communiste les points de vue de
la résolution d’organisation Marc-Treint, points de vue qui équivaudraient
purement et simplement à supprimer l’Opposition de gauche et à faire de
l’organisation un agrégat hétérogène de groupes et d’individus sans
responsabilité et sans force politique et déclare que toute action indisciplinée
dans le sens des positions condamnées par la CE élargie entraînera les
sanctions de l’organisation. […}
5) […] La CE élargie en conséquence charge la CE de reformer et de diriger
momentanément la région parisienne sur la base de l’observation des règles

53
« Incapable de définir exactement la nature de la fraction centriste et la nature de l’Opposition de
gauche, le secrétariat est incapable de définir exactement les rapports entre la fraction centriste,
l’Opposition de gauche et le parti. […] Le secrétariat masque sa confusion politique sur ce problème
fondamental en réduisant la Ligue à n’être qu’une fraction propageant les points de vue du camarade
Trotsky. […] Pourvu que ces éléments [non communistes] acceptent formellement de propager les
documents du camarade Trotsky et certains de ses points de vue, le secrétariat de la Ligue les
accueille dans l’organisation et leur distribue des tâches pratiques […]. », Ibid., p. 2.
54
Ils proposent, dans l’attente de la conférence internationale, que chaque tendance puisse
s’exprimer dans la presse de l’organisation et participe au « contrôle effectif » des organismes de la
Ligue. Ils demandent également de « ne pas imposer aux membres d’une tendance en minorité la
défense publique du point de vue de la majorité », Ibid., p. 5.
568
d’organisation et l’acceptation des décisions prises par la conférence nationale
et la CE élargie. »55
Conséquence de la dissolution de la région parisienne, la trentaine de membres de
ce groupe régional se trouve en dehors de la Ligue et comme le précise clairement la
résolution, ne peuvent y entrer de nouveau que par une demande individuelle, qui
signifie l’approbation des décisions de la CE élargie. Durant plusieurs semaines, le
groupe de la région parisienne n’est plus constitué que d’une poignée de militants
partisans de la tendance Molinier-Frank. Le groupe juif refuse, en effet, dans un
premier temps, de signer la lettre de demande d’adhésion56. Après quelques
tractations politiques, ses membres acceptent de retourner dans la Ligue, reformant
ainsi un groupe d’une vingtaine de militants57.
Treint, suivi par quelques militants, refuse de signer cette lettre de demande
d’adhésion. Il participe tout de même à deux CE, fin mai et début juin 1932. Il
intervient au nom de la Fraction de gauche, nom du groupe qu’il vient de former avec
d’autres militants exclus58 qui revendiquent toujours leur appartenance à l’Opposition
de gauche internationale et considèrent les décisions de la CE élargie illégales. Au
sein de la Ligue, cette rupture provoque peu de réactions, La Vérité ne signale pas
dans ses colonnes le départ de Treint et des autres militants. Pourtant, durant
quelques mois, les contacts entre la Ligue et la Fraction de gauche se poursuivent
sans aboutir à une quelconque collaboration politique.

55
« Résolution présentée par le secrétariat à la CE élargie du 15 mai 1932 », Ibid.
56
Les membres du groupe juifs motivent leur refus par le fait que : 1) La dissolution de la RP fut
adoptée à la CE élargie sous la pression du secrétariat, tandis que les délégués de province ont
constamment affirmés qu’ils ne comprennent rien à ce qui se passe dans la RP. 2) À cause de la
privation du droit de vote à trois membres de la CE régulièrement élus à la conférence nationale. 3)
Parce que le secrétariat a décidé la dissolution de la RP non pour la réorganiser sur des bases plus
saines, mais seulement pour se débarrasser de toute responsabilité pour la politique fausse qu’il a
menée avec Teint-Marc. Lettre type envoyées par tous les membres du groupe juif à la CE de la
Ligue, 28 mai 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 6.
57
Voir la lettre du groupe juif au secrétariat international et à toutes les sections de l’Opposition
internationale de gauche, op. cit. Ainsi que le rapport d’activité du secrétariat pour la deuxième
conférence nationale de la Ligue, septembre 1933, AN, F7 14796.
58
Capdeville, Marc Chirik, Nelly Rousseau, Sarah, Waiss.
569
B/ La Fraction de gauche.

1) Toujours membre de l’Opposition de gauche internationale ?

Si Treint refuse de signer la lettre de demande d’adhésion, il continue à


clamer sa fidélité aux principes de l’Opposition de gauche internationale et
notamment à l’objectif de redressement de l’IC et des partis communistes. Son
principal grief, justifiant son attitude et celle des militants qui l’ont suivi, concerne les
méthodes de direction du groupe Molinier/Frank. En réponse à la CE, Treint fait
parvenir une lettre, dans laquelle il exige la reconnaissance de son statut de membre
de plein droit de l’organisation et dénonce la dissolution du groupe de la région
parisienne qui constitue « une violation des décisions de la CE élargie »59.
Unanimement, les membres de la CE60 rejettent ses exigences et exhortent Treint à
suivre les voies définies par la CE élargie pour reprendre sa place dans la région
parisienne et dans l’organisation nationale. Il n’est fait mention d’aucune divergence
politique qui ferait obstacle à son retour. Seul le refus de se plier aux décisions,
explique l’attitude de la CE à l’égard de Treint, Marc et des autres.
Pour la dernière fois, Treint participe aux débats de la Ligue lors de la CE du 7
juin 193261. La situation a nettement évolué depuis la dernière séance et les
revendications qu’il présente ont un caractère plus radical, puisqu’il demande la
reconnaissance et la réintégration de la Fraction de gauche, qu’il vient de créer62.
Tout aussi catégoriquement, les membres de la CE rejettent ces nouvelles exigences
et menacent de rompre définitivement avec les signataires de la lettre s’ils persistent
à revendiquer le droit de se constituer en fraction63. Cette dernière tentative de

59
Nous n’avons pu consulter d’exemplaire de cette lettre mais le P-V de la séance de la CE du 31 mai
1932, à laquelle Treint participe, nous permet de nous faire une idée du contenu. IISG, fonds Ligue
Communiste, cote : 3.
60
A la suite de la CE élargie, la CE est reconduite, mais Marc et Treint n’en sont plus membres
puisqu’ils refusent de demander leur réintégration.
61
Treint présente une nouvelle lettre que nous n’avons pu consulter.
62
Signalons qu’Henri Barré, qui n’avait pas suivi Treint dans la Ligue, le rejoint au sein de la Fraction
de gauche.
63
« Blasco : Ces camarades ont la prétention de constituer la fraction de gauche. Alors, qu’est-ce que
la Ligue ? Nous ne pouvons accepter une chose pareille. […] Il n’est pas possible d’entrer dans
l’organisation avec un tel document sans la briser. Il faut opposer un refus catégorique.
Raymond : Nous ne sommes pas un parti mais sa fraction de gauche. En entrant avec ce document,
c’est recommencer l’ancienne vie de la région parisienne.
570
conciliation se conclut par un constat d’échec, chaque groupe campant sur ses
positions. La Fraction de gauche n’abandonne pas l’idée de faire reconnaître son
statut de membre de la Ligue. Treint participe à une réunion organisée par le groupe
juif, destinée à protester contre la dissolution de la région parisienne et discuter des
conditions de réadmission de ses membres. Contrairement aux militants juifs qui
manifestent leur volonté de parvenir à un compromis, Treint proclame la
détermination de son groupe à ne rien céder à la CE de la Ligue, approfondissant un
peu plus le fossé qui les sépare désormais64.
La Fraction de gauche s’adresse également par courrier au Secrétariat
International, instance supérieure de l’Opposition de gauche, et à son principal
dirigeant, Trotsky, pour insister une nouvelle fois sur le caractère illégal de la
dissolution mais surtout pour souligner leur attachement à l’Opposition de gauche
internationale et leur volonté de travailler à l’unification des forces de l’Opposition de
gauche en France :
« Notre fraction scandaleusement exclue de la Ligue, par les manœuvres du
groupe Molinier, demeure partie intégrante de l’Opposition de gauche
internationale et, puisque malgré notre résistance, la scission voulue et
préparée de longue main par le groupe Molinier s’est accomplie, nous prions
le camarade Trotsky et le secrétariat international de nous communiquer
directement les documents destinés aux organisations adhérentes à
l’Opposition de gauche internationale. Nous vous demandons également de
vous prononcer sur l’appel que nous faisons de notre exclusion devant tous
les organes responsables de l’Opposition de gauche à tous les degrés […] »65
Dans un premier temps, le Secrétariat international  auquel Frank participe
en tant que représentant de la Ligue  se désintéresse de la question et ne répond
ni à la Ligue, ni à la Fraction de gauche. Près de deux mois après, Il fait finalement

Naville : Treint oppose la fraction de gauche au reste de la Ligue. Cette délimitation ne tient pas
debout. L’opposition de gauche est une tendance. On pourrait envisager des actions communes mais
pas une organisation commune dans les conditions présentées par Treint. Vous devez retirer cette
déclaration, sinon vous vous retrouvez vous-même hors de la Ligue. », P-V de la CE de la Ligue du 7
juin 1932, Ibid.
64
Lors de la CE du 13 juin 1932, qui discute des conséquences de la réunion, Blasco déclare :
« L’intervention de Treint a été d’une violence inouïe, craignant je crois une capitulation des
camarades juifs ». De son côté, Naville déclare : « Pour Treint, c’est regrettable. On retrouve le même
d’il y a trois ou quatre ans. On ne doit pas tout lui céder. ». IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 3.
65
Au cours du mois du juin, la Fraction de gauche fait parvenir deux courriers au SI de Berlin sans
recevoir la moindre réponse. Nous n’avons pu consulter le deuxième courrier. Dans la première lettre,
les signataires annoncent la publication du n° 1 du Bulletin de la fraction de gauche française, que
nous n’avons également pu consulter. Lettre de Treint/Marc/Waiss à Trotsky et au Secrétariat
International, 24 juin 1932, IISG, fonds Trotsky, cote : 939.
571
parvenir un courrier à la CE de la Ligue qui, tout en manifestant certaines réserves
quant à la méthode employée66 pour régler la crise du groupe de la région
parisienne, apporte son soutien à la direction et désapprouve l’attitude du groupe
Treint sans se prononcer sur le fond, c’est-à-dire sur l’appartenance de celui-ci à
l’Opposition de gauche Internationale67. Cette réaction tardive et timorée souligne
une volonté de conciliation, qui n’est partagée ni par le groupe de Treint, ni par la
Ligue. A plusieurs reprises, La CE discute de l’attitude à tenir à l’égard de la Fraction
de gauche et des possibilités de collaboration lors de meetings publics. Elle décide
de ne travailler en commun que sur des questions pratiques où les deux groupes
conservent un point de vue identique68. Elle tente d’isoler et d’étouffer la Fraction de
gauche en ne lui communiquant que tardivement les documents de l’Opposition de
gauche Internationale, que le Secrétariat international ne lui fait pas directement
parvenir.
Dans une seconde lettre69, la Fraction de gauche s’insurge contre cet état de
fait. Ses membres réclament le droit, au nom de leur appartenance à l’Opposition de
gauche internationale, à communiquer directement avec le Secrétariat international,
sans passer par la CE de la Ligue dont ils ne reconnaissent plus l’autorité. Ils s’en
prennent à Molinier qu’ils accusent de profiter des moyens financiers dont il dispose
pour contrôler la Ligue70. Répondant au Secrétariat international, qui leur demande
de donner leur réadhésion, les membres de la Fraction de gauche affirment ne pas
avoir quitté l’organisation mais en avoir été exclus à cause de leurs divergences sur
les méthodes de direction. Ils mettent en garde contre ces procédés qui selon eux
s’apparentent aux « tares stalinistes » du PCF, à des pratiques « néo-zinoviévistes »

66
« La dissolution de la RP par la CE élargie, quoi qu’étant un peu aiguë, semblait devoir être
inévitable dans la situation de la dernière période ». Lettre du SI à la CE de la Ligue française, 17
juillet 1932, IISG, fonds Trotsky, cote : 943.
67
« Nous ne pensons pas que les accusations du camarade Treint et autres, qui disent ne pouvoir
défendre leur avis dans la Ligue, soient justifiées. Toute la documentation de la Ligue française (par
exemple le bulletin intérieur) a montré que ces camarades ont la pleine possibilité de défendre leur
avis au sein de la Ligue. Cette possibilité doit leur rester entièrement. […] Nous considérons que ce
groupe doit revenir sur son erreur en donnant, sur la base de la discipline et de la démocratie
intérieure, sa réadhésion à la Ligue. », Ibid.
68
P-V de la CE de la Ligue communiste du 19 septembre 1932, Ibid.
69
« Lettre ouverte au Secrétariat International, 29 août 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote :
12.
70
[…] si la discussion est permise, elle l’est dans la mesure où cela plaît au groupe Molinier qui
dispose à son gré des moyens matériels et financiers de l’organisation et qui peut déclencher ou
arrêter brusquement tout débat : c’est ainsi que paraît ou ne paraît pas le bulletin intérieur ou toute
autre publication selon la volonté du groupe Molinier. […] mais le groupe Molinier en s’assurant la
prépondérance par des moyens non politiques, fait de la Ligue, plutôt une société d’édition des
œuvres du camarade Trotsky, montée sur le mode capitaliste, (ce qui n’est pas sans utilité) qu’une
véritable organisation de l’Opposition de gauche», Ibid.
572
qui allient les manœuvres politiques souterraines, la calomnie contre les opposants71
et l’autoritarisme. La Fraction de gauche réitère sa demande de rattachement au
Secrétariat international et réaffirme sa volonté de travailler à l’unification des forces
de l’opposition en France72, tout en certifiant le caractère irrévocable de sa décision
de former une fraction séparée de la Ligue.
Le Secrétariat international ne répond pas à cette lettre et, à l’instar de la
Ligue, décide d’ignorer la Fraction de gauche alors même que celle-ci lui fait parvenir
régulièrement le bulletin qu’elle édite. La correspondance entre Frank, en poste à
Berlin, et Molinier souligne l’isolement de Treint et de son groupe et la rareté des
contacts entre les deux groupes en France :
« Tu me demande ce que faisait Treint à Bullier73, absolument invisible. Il
n’était pas à Bullier, il se replie sur lui-même, a acheté une cravate avec
pompons bleus, c’est tout ce que je peux te dire d’intéressant de lui. »74
A plusieurs occasions, Frank évoque le Bulletin de la Fraction de gauche que le SI
reçoit et, sur un ton sarcastique, conseille à plusieurs reprises à Molinier d’éviter tout
contact avec Treint et de se contenter de l’ignorer75. Néanmoins la CE de la Ligue
fait, au mois de septembre une dernière offre de conciliation et propose à la Fraction
de gauche de participer à la prochaine conférence nationale de la Ligue, ainsi que
d’assister aux CE76. Le groupe de Treint ne donne pas suite à cette proposition et se
rapproche de l’opposition du 15ème rayon avec qui il espère organiser une
réunification des différents groupes français, qui ne se fasse pas sous l’égide de la
Ligue.

71
La direction de la Ligue accuse la Fraction de gauche de propager la théorie du second parti et de
défendre des principes d’organisation anti-communistes. Voir la résolution de la CE élargie, La Lutte
de Classes, n° 39, 15 juin 1932.
72
Pour eux, l’Opposition de gauche française comporte désormais trois groupes : La Ligue
ème
Communiste, La Fraction de gauche et l’Opposition du 15 rayon, Ibid.
73
Meeting organisé par le PCF pour exposer ses positions sur la situation en Allemagne.
74
Lettre de Molinier à Frank, 11 août 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 14.
75
Lettres de Frank à Molinier, 10 septembre 1932 : « On reçoit aussi les bulletins de ce brave Albert
qui ne craint vraiment pas le ridicule ». 5 novembre 1932 : « A propos, j’ai lu aujourd’hui les n° 6 et 7
du bulletin de Treint. A quoi ces gens peuvent tomber ! […] Une conclusion à tirer c’est de ne pas
avoir de rapports de camaraderie avec eux, mais seuls les rapports qui seront imposés par les
circonstances ». 14 décembre 1932 : « Ce brave Treint ne lit rien de la presse internationale de
l’Opposition. Il ramasse dans la presse de la Ligue et dans le canard de Rosmer tout ce qu’il croit utile
pour sa lutte. Je ne crois pas utile de lui répondre dans La Vérité, mais s’il y a des copains dans la
Ligue qui pourraient être troublés par lui, il est rudement facile de les éclairer. 29 janvier 1933 : « Le
bulletin de Treint est très drôle : ce conflit entre Treint et Marc, ces qualités littéraires de Sarah, de
Nelly et de biens d’autres ; je comprend que Treint préfère que son bulletin ne paraisse qu’une fois
par mois. », IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 14.
76
Lettre de la Ligue à la Fraction de gauche, 23 septembre 1932, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 11.
573
En choisissant de constituer un groupe indépendant, Treint escomptait peser
sur la Ligue et sur le Secrétariat international et ainsi permettre son retour sans avoir
à se soumettre aux exigences de Molinier et de la majorité de la CE. Mais en
quelques mois, du fait de l’attitude intransigeante des deux parties, les divergences
s’amplifient et la Fraction de gauche s’enferme dans une logique de cercle de
discussion et perd toute influence sur les militants de la Ligue.

2) L’activité politique de la Fraction de gauche.

La Fraction de gauche regroupe environ une dizaine de militants77, pour la


plupart issus de la Ligue Communiste. Les autres formations politiques, avec qui ils
entretiennent des relations, la désignent sous le nom de « groupe Treint ». Seules
deux personnalités, Albert Treint et Marc Chirik, et dans une certaine mesure Henri
Barré, peuvent se prévaloir de leur passé politique et de leur influence dans le milieu
de l’opposition française. Une étude exhaustive de ce groupe se révèle extrêmement
délicate, en raison de sa taille réduite, ainsi que de l’absence de documents publiés,
exception faite du bulletin intérieur, intitulé L’étincelle78.
Après avoir tenté en vain, entre le mois de mai et d’août 1932, de revendiquer
leur appartenance à l’Opposition de gauche internationale et de faire valoir leur droit
à participer à l’activité de la Ligue79, la Fraction de gauche se retrouve isolée. Du fait
de son caractère groupusculaire et de ses moyens financiers dérisoires, elle ne peut
atteindre qu’un petit groupe de militants à Paris et Bagnolet, malgré des tentatives
pour garder le contact avec les formations de l’Opposition de gauche :
« Depuis mai dernier où nous fûmes exclus de la Ligue, notre fraction n’a pu
que marquer l’essentiel de ses positions doctrinales et politiques dans un petit
bulletin dactylographié à vingt exemplaires. Ce bulletin a été envoyé, d’une
part, au secrétariat international, au camarade Trotsky et à tous les groupes

77
Il ne nous a pas été possible de retrouver le nom de l’ensemble des militants ayant appartenu à la
Fraction de gauche. Lors de la conférence d’unification de l’opposition française, en avril 1933, le
groupe est représenté par six militants dont, en plus de ceux précédemment cités, Louvard et De
Soutun (?), mais Treint et sa compagne Nelly Rousseau n’en font plus partie. Voir feuille de présence
des délégués à la conférence d’unification, fonds Chazé (conservés par Henri Simon).
78
En l’absence d’archives personnelles de Treint, nous n’avons pu avoir accès aux P-V des réunions
du groupe. De même, nous n’avons pu consulter qu’une faible part de la correspondance de la
Fraction de gauche avec les autres groupes. Enfin, nous n’avons pu consulter que les numéros 8 à 10
de L’étincelle.
79
Les sept premiers numéros du bulletin intérieur de la Fraction de gauche, que nous n’avons pu
consulter, sont, d’après certaines indications, exclusivement occupés par des documents sur la crise
de la Ligue et des appels au SI et à l’Opposition de gauche en général.

574
qui se réclament de l’opposition de gauche et dont nous avions l’adresse et,
d’autre part, à nos camarades de province, demeurés dans la Ligue. Ces
envois une fois faits, il ne restait plus qu’un ou deux bulletins que nous
faisions circuler parmi nos propres adhérents et sympathisants. »80
Avec d’aussi faibles moyens, le groupe ne peut intervenir ni dans les réunions
et meeting organisés par le PCF, ni dans la vie de la Ligue, et se recentre sur une
activité de cercle d’étude. Les militants de la Fraction de gauche affirment ne pas
avoir rompu avec la Ligue en raison de divergences politiques, mais pour dénoncer
le non respect des règles de fonctionnement d’une organisation communiste par le
groupe dirigeant81. Une majorité des articles, publiés dans les numéros 8 à 10 de
L’étincelle, se placent effectivement sur la ligne politique définie par la Ligue.
Concernant le redressement du mouvement syndical, Marc défend le principe du
congrès de fusion CGT-CGTU82, mot d’ordre adopté par la Ligue. Sur la question de
l’attitude à l’égard du PCF et sur le rôle du centrisme, la majorité de la Fraction
continue de prôner la tactique du redressement des partis communistes et de
l’Internationale. Dans le même temps, à l’initiative de Treint83, les militants qui
critiquent cette stratégie politique et préconisent la construction de nouveaux partis
s’expriment dans le bulletin.
Capdeville84 publie un article85 qui, malgré un style approximatif et des
arguments parfois réducteurs, propose deux thèses à contre-courant des idées
admises dans l’Opposition de gauche et plus généralement dans le mouvement
communiste. En s’appuyant sur les événements de Bullier86, il explique que face à la
violence de « l’appareil stalinien », l’opposition doit abandonner « la politique du

80
« Un pas en avant », L’étincelle, n° 8, 15 novembre 1932, p. 2-3, BDIC, fonds Chazé.
81
Voir la « Lettre ouverte au Secrétariat International », 29 août 1932, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 12.
82
Chirik M, « bilan d’une année de direction centriste dans le mouvement syndical », L’étincelle, n° 8,
15 novembre 1932, p. 18-19 et « Décentralisation bureaucratique ou sections syndicales vivantes »,
n° 10, 1 janvier 1933, p. 11-12.
83
En préambule à la tribune de discussion du n° 8 de L’étincelle, Treint, tout en rappelant son
attachement aux positions de l’Opposition de gauche, invite la Fraction à débattre de la question :
« Nous publions ci-dessous l’article du camarade CA [Capdeville]. Cet article exprime un point de vue
qui se situe en dehors des limites politiques de la fraction de gauche. Nous espérons dans la
discussion et par notre activité ramener le camarade CA sur les positions de la fraction qui sont bien
connues. Notre fraction lutte pour le redressement communiste de l’Internationale et de la révolution
russe. ».
84
Il s’agit peut-être de Albert-Emmanuel Capdeville, ouvrier métallurgiste et monteur en chauffage,
exclu du PCF en 1929, qui rejoint alors la Ligue Communiste.
85
Capdeville, « Pour une autre attitude de l’opposition », L’étincelle, n° 8, 15 novembre 1932, p. 20-
21.
86
Au cours d’un meeting organisé dans la salle Bullier à Paris, le service d’ordre du PCF à exclut
violemment les représentants de l’opposition.
575
raisonnement » et « de la joue tendue » qui fait le jeu des « centristes ». Il voit dans
la recrudescence de la violence et de la calomnie, à l’encontre des opposants, la
preuve de l’échec de la tactique du redressement des partis et de l’IC. A rebours de
l’attachement des révolutionnaires pour l’URSS et sa révolution victorieuse, il remet
en cause l’idée selon laquelle, malgré les erreurs, les dirigeants russes construisent
une société communiste87. Par le passé, d’autres groupes ou militants, y compris en
France, ont développé une analyse identique sur l’évolution de l’expérience
révolutionnaire russe vers une forme de dictature de la bureaucratie. Souvarine, dès
1927, dans le Bulletin Communiste, parle de la « trahison » des dirigeants russes et
proclame la fin de l’expérience révolutionnaire88. A la fin de l’année 1932, il porte un
jugement encore plus définitif, qualifiant le régime économique mis en place par
Staline de « capitalisme d’Etat »89 et dénonçant la dictature d’une bureaucratie
exploitant le prolétariat90. A l’extrême gauche du mouvement révolutionnaire, la revue
l’Ouvrier Communiste91 qualifie le régime russe de dictature de la bourgeoisie92.
Jamais ce type d’analyse n’avait cependant trouvé place dans une revue se
réclamant de l’Opposition de gauche. A travers cet article, on peut y voir les
premières manifestations de l’évolution de Treint sur la question de la nature de
classe de l’état soviétique et sur la question du deuxième parti, qui en découle. Il
témoigne également des prémices d’une remise en cause, par les militants de
l’Opposition de gauche, de la tactique du redressement des partis communistes et de
l’Internationale, même si à la fin de l’année 1932, ces thèses provoquent de
nombreuses réticences, y compris dans les rangs de la Fraction de gauche93.

87
« Et puis, que comprenons-nous par société communiste ? Est-ce comme en Russie la dictature de
la violence en ce sens qu’elle bâillonne les droits les plus élémentaires de la liberté de penser, où
quiconque à le courage de s’élever contre la position des bureaucrates est traité d’une drôle de façon,
[…] A mon avis, l’expérience russe qui était l’espoir de millions d’êtres sombre aujourd’hui, sous la
direction de ceux qui ont créé autour d’eux un fanatisme digne de l’Internationale du pape, dans une
triste aventure et que le mal fait est si grand qu’au lieu d’être un point de mire et de concentration elle
devient sujet à l’indifférence. […] ; ce n’est plus que la hideuse figure du fonctionnarisme pourri, lequel
n’a rien à envier à la corruption social-démocrate. », Ibid.
88
Souvarine B, « Octobre noir, le Bulletin Communiste, n° 22-23, octobre/novembre 1927.
89
Souvarine B, « Quinze ans après », La critique sociale, n° 7, janvier 1933, p. 1-6.
90
« La dictature transitoire et impersonnelle du prolétariat est devenue dictature de caste privilégiée
sur la masse laborieuse et tend à se perpétuer à son profit exclusif. », Ibid., p. 2.
91
Revue publiée en France entre 1929 et 1931 par un groupe d’opposants du PCI dont Michelangelo
Pappalardi.
92
Voir notamment « Récents progrès de la dialectique matérialiste chez Trotsky et ses épigones »,
l’Ouvrier Communiste, n° 1, octobre 1929.
93 er
Michaud J, « Réponse au camarade Capdeville », L’étincelle, n° 10, 1 janvier 1933 : « L’abîme qui
sépare la Troisième Internationale et celle d’Amsterdam est encore si tranchant, si profond, malgré le
centrisme, que le camarade Capdeville fait montre d’une légèreté irréfléchie en affirmant que la même
corruption caractérise les deux Internationales », p. 28.
576
Sur la question des relations internationales et de la montée en puissance des
Etats-Unis face aux pays européens, Treint, contrairement à Trotsky qui soutient que
les états européens ne peuvent s’unir et former un bloc contre les Etats-Unis, estime
que :
« […] la croissance disproportionnée de l’impérialisme des Etats-Unis fait de
lui le rival commun et le plus redoutable contre lequel les impérialismes
européens, en dépit de leurs rivalités mutuelles, ont de plus en plus tendance
à se liguer. »94
La crise du paiement des dettes de guerre des pays européens95 et la formation d’un
front commun des débiteurs européens (France, Angleterre, Allemagne, Italie…)
contre les Etats-Unis, prouve qu’il existe une volonté des états européens d’aboutir à
la formation d’un bloc politique anglo-européen. Cette thèse qu’il défend depuis
1926, témoigne de la permanence et de l’originalité de sa réflexion sur les questions
géopolitiques. Seuls les arguments, dans la polémique qui l’oppose à Trotsky, ont
varié. En 1926, il rejetait la perspective de la formation d’un « super impérialisme »
américain ― défendue par Trotsky96 ― comme une déviation du léninisme. En 1932,
il considère que l’erreur de Trotsky provient de son refus d’accepter que
l’affaiblissement de la révolution russe97 permette à l’Europe de constituer à son tour
un bloc impérialiste aussi puissant que celui des Etats-Unis. Cette polémique
scolastique souligne la volonté de Treint de se démarquer de Trotsky et de
l’Opposition de gauche, mais aussi de s’imposer comme l’un des théoriciens du
mouvement oppositionnel en France. Séparé du trotskysme officiel sur le plan
organisationnel et sur le plan théorique, il milite pour une unification de l’opposition,
avec l’objectif de gagner la majorité au projet de construction d’un nouveau parti et
d’une nouvelle internationale révolutionnaire, au sein desquels il pourrait jouer un
rôle prépondérant.
L’aspect le plus notable de l’activité politique de la Fraction de gauche, à partir
d’octobre 1932, porte sur l’unification des groupes de l’Opposition de gauche non

94 er
Treint A, « Regroupements capitalistes et dettes de guerre », L’étincelle, n° 10, 1 janvier 1933, p.
25-27.
95
En juin 1932, à la conférence de Lausanne, l’Allemagne, en pleine crise financière, obtient un
rééchelonnement de ses dettes, qui équivaut à une annulation. Dès lors, la France, suivie par la
Belgique, déclare ne plus payer ses dettes de guerre aux Etats-Unis, puisque l’Allemagne ne verse
plus de réparation de guerre.
96
Trotsky, Europe et Amérique, op. cit.
97
« La dégénérescence de la révolution russe et de la troisième Internationale libère le régime
capitaliste […] les impérialistes, libérées de la menace révolutionnaire, ont les mains plus libres pour
développer politiquement leurs rivalités aggravées par la crise mondiale. », Ibid., p. 25.
577
reconnus par le Secrétariat international et par Trotsky. Le 15 octobre 1932, en
réaction à une initiative de la Ligue Communiste98, la Fraction de gauche publie un
appel pour organiser une conférence d’unification réunissant : « la Ligue, l’Opposition
du 15ème rayon, la Gauche Communiste et l’opposition de gauche [Fraction de
gauche] »99. Elle dénonce la volonté de réaliser l’unification de manière
« bureaucratique »100, en imposant la « confrontation des points de vue des divers
groupes dans un cadre préétabli fixé par la Ligue […] »101. La Fraction de gauche fait
la proposition ambitieuse de réunir une conférence qui, mettant les groupes sur un
pied d’égalité, élaborerait la plateforme politique et les statuts de la future opposition
française unifiée. Après les tentatives infructueuses de 1928 et 1930102, la question
de l’unification fait figure de véritable serpent de mer de la vie politique de
l’opposition française. Dans un premier temps, cette nouvelle démarche semble
vouée à l’échec. Seul le groupe de l’Opposition de gauche de la banlieue ouest (ex.
Opposition du 15ème rayon), souscrit à l’objectif de réunir une conférence d’unification
à court terme103 même si, dans ses réunions, certains membres manifestent des
réserves quant à la personnalité et au comportement jugé sectaire de Treint104.
Parmi les autres groupes et organisations contactés, personne ne répond à
l’exception du Secrétariat international qui rejette l’initiative. Il oppose, à la
proposition d’unification, l’idée que chaque groupe travaille de son côté, « les
événements se chargeant de montrer qui a raison »105. Malgré cet échec, La Fraction
de gauche suggère au groupe de l’Opposition de gauche de la banlieue ouest

98
Sur décision de la CE, la Ligue communiste invite les groupes dissidents à participer aux travaux de
la Conférence Nationale à venir, mais sans droit de vote. Voir la lettre de la Ligue à la Fraction de
gauche, 23 septembre 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 10.
99
« Pour une conférence d’unification », L’étincelle, n° 7, 15 octobre 1932, publiée de nouveau dans
le n° 10, p. 13.
100
Deuxième lettre envoyée « A tous nos camarades oppositionnels de gauche », AN, F7 14797.
101
« Pour une conférence d’unification », art. cit.
102
Cf. supra.
103
Lettre de l’Opposition de gauche de la banlieue ouest à la Fraction de gauche, 5 décembre 1932,
Fonds Chazé : « Nous sommes prêts à confronter nos points de vue avec les camarades des autres
groupes existants. Mais, ainsi que nous l’avons déclaré récemment au représentant de la Ligue
Communiste, nous tenons à ce que cette confrontation des points de vue soit faite au cours d’une
conférence à laquelle tous les camarades des groupes oppositionnels pourraient s’exprimer
librement. »
104
Voir P-V des réunions du groupe de l’Opposition de gauche de la banlieue ouest, Fonds Chazé.
Par exemple Max, qui fut membre du groupe juif de la Ligue et surtout Benjamin Péret, qui tenta en
vain de rentrer dans la Ligue mais qui en fut repoussé, suite à une rencontre avec Treint, Molinier et
Naville, au cours de laquelle ces trois militants lui expliquèrent qu’il ne pouvait appartenir à la Ligue,
étant lié aux surréalistes. Lettre de Benjamin Péret, 21 mars 1932, IISG, fonds Ligue Communiste,
cote : 9.
105 er
Sarah, « Vers l’unification », L’étincelle, n° 10, 1 janvier 1933, p. 14 à 16. Nous n’avons pu
consulter la lettre de réponse du SI.

578
d’engager une « démarche communautaire » auprès de la Ligue et de la Gauche
Communiste106. Le groupe Treint fait parvenir aux autres organisations une lettre
proposant de « réaliser l’unité des forces et de leurs efforts pour un meeting de
commémoration de la mort de Lénine »107 et les invite préalablement à une réunion
préparatoire, qui doit se tenir le 13 janvier 1933. Seul le groupe de la banlieue ouest
accepte d’y participer. De son côté, la Ligue repousse l’invitation en précisant qu’elle
organise de son côté un meeting public, consacré notamment à la commémoration
de Lénine. Elle s’oppose à toute initiative visant à unifier les petits groupes
oppositionnels108. De même, la Gauche Communiste refuse de participer à un
meeting commun, considérant qu’il s’agit d’une « tentative de front unique, pour la
réalisation d’un but restreint »109. Par contre, elle se déclare prêt à participer à une
conférence d’unification réunissant ceux qui se réclament de l’Opposition de gauche.
En dépit de ses appels constant à l’unité, la Fraction de gauche connaît, au
mois de janvier 1933, une crise interne. La proposition de Treint de modifier la
périodicité du bulletin110 déclenche le conflit. Une partie des militants, derrière Marc
et Sarah, juge que cette décision ne se justifie pas sur le plan matériel et entrave
l’action quotidienne du groupe, le transformant un peu plus en cercle d’étude111. La
réponse de Treint met en lumière l’acuité de l’antagonisme entre les deux tendances.
Sans le moindre argument politique, il s’en prend personnellement à Sarah, en
l’accusant de ne jamais participer aux actions du groupe et de faire preuve de
lâcheté112. En complément, il publie le procès-verbal de la réunion qui indique que la

106
Lettre signée Barré, Marc, Davannes et Treint, non datée, fonds Chazé.
107
Lettre de la Fraction de gauche à la Ligue Communiste, la Gauche Communiste et le groupe
ème
d’opposition de la banlieue ouest (15 rayon), 6 janvier 1933, IISG, fonds Ligue Communiste, cote :
11.
108
« Nous faisons nos réserves les plus expresses sur l’utilité de réunions pareilles. Nous croyons que
les divergences et les positions respectives des divers courants peuvent et doivent se faire jour
surtout et avant tout par leur activité politique concrète au sein du mouvement ouvrier et non à travers
l’alchimie des réunions dans lesquelles les représentants des divers courants remâcheraient entre eux
les arguments qui ont justifié et qui justifie leur séparation. », Réponse de la Ligue Communiste au
groupe Treint, 11 janvier 1933, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 11.
109
Réponse de la Gauche Communiste à la Fraction de gauche, 11 janvier 1931, fonds Chazé.
110
L’étincelle, jusqu’alors bimensuelle devient mensuelle. Voir n° 10, p. 28 à 31.
111
« L’opposition doit se garder de deux dangers : […] 2) le danger de se livrer à des études
théoriques à l’écart du mouvement ouvrier. Cela mène à une activité de cercle. L’élaboration théorique
nécessaire doit se faire dans l’action ou en participant activement au mouvement ouvrier. », Safir-
Lichnevsky Sarah, « Pour l’action », Ibid.
112
« Notons que parfois, l’activité de la camarade Sarah prend des formes contestables. Ainsi quand
nous fûmes poussés hors de Bullier le 2 décembre par le service d’ordre centriste, la camarade Sarah
regarda tranquillement ce fait de sa place, sans en bouger. Nul doute que pour rester impassible et
pour réprimer les réflexes élémentaires de la solidarité de lutte, elle a dû déployer beaucoup d’activité
intérieure. ». Treint A, « Réponse à la camarade Sarah », Ibid.
579
majorité approuve le changement113. Il s’agit des seules indications sur le conflit dont
nous disposons. Le onzième numéro de L’étincelle ne paraîtra jamais. Treint, suivi
par Nelly Rousseau, quitte la Fraction de gauche. Cependant, la séparation ne porte
pas sur un problème d’organisation mais sur une question doctrinale : la nécessité
de construire un deuxième parti et l’appréciation de la nature de classe de l’Etat
soviétique. La correspondance de Frank et Molinier nous apporte des indications sur
les raisons de la rupture :
« Le groupe Treint est dissous. Nelly et Treint ont démissionné et publient des
documents tout à fait du genre Urbahns »114
« Sur Treint nous ignorons tout à fait leur rupture, nous n’avons reçu aucun
document. Crois-tu qu’il laisse tout choir ou bien qu’il jette son grappin sur
autre chose genre Belfort ? »115
Les références au groupe allemand d’Urbahns et à celui de Belfort témoignent du
tournant idéologique pris par Treint. Tous deux prônent la création de nouveaux
partis, considérant que le mouvement communiste orthodoxe a failli dans sa mission
révolutionnaire. Cette question se trouve au centre des discussions de la conférence
d’unification que la Fraction de gauche a contribué à mettre en place mais à laquelle
elle se présente elle-même divisée.

113
La proposition de Treint est adoptée par 9 voix contre 4 et 1 abstention, Ibid.
114
Lettre de Molinier à Frank, 6 février 1932, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 14.
115
Lettre de Frank à Molinier, 11 février 1932, Ibid.
580
C/ La conférence d’unification d’avril 1933.

Entre le 30 janvier 1933, date de l’accession d’Hitler à la chancellerie du Reich


et le mois d’avril, le désastre tant redouté et annoncé par de nombreux militants de
l’opposition a eu lieu. Le KPD, plus puissant parti communiste d’Europe, est anéanti.
Dans le même temps, Hitler obtient, fin mars 1933, les pleins pouvoirs116, balayant
les illusions de tous ceux qui voyaient en lui un simple feu de paille. Cet événement
traumatique pour le mouvement révolutionnaire international engendre toute une
série de reclassements politiques en France et ailleurs. A cette période, Treint rompt
avec l’Opposition de gauche et remet en cause les théories constitutives de son
parcours politique antérieur.

1) Les thèses de Treint pour la conférence d’unification.

Suite aux démarches engagées par la Fraction de gauche, Le groupe de


l’opposition communiste de la banlieue ouest prend l’initiative, le 19 janvier 1933,
d’envoyer aux autres organisations de l’Opposition de gauche française117, une lettre
d’invitation à la future conférence d’unification. Il convie ces différents groupes à
participer à un comité d’organisation destiné à discuter des questions mises à l’ordre
du jour et à publier un bulletin préparatoire, sous la responsabilité de tous les
groupes participants. Pour amorcer le débat, il propose trois points « qui nécessitent
une discussion immédiate » :
« 1) la politique de masses de l’avant-garde communiste.
2) Appréciation du régime soviétique et de ce qu’est devenue la dictature du
prolétariat en URSS.
3) Appréciation de l’IC et de ses perspectives politiques. Comment réaliser le
redressement communiste ? »
Peu après, Treint et sa compagne rompent avec la Fraction de gauche mais
continuent à s’impliquer dans l’organisation et la préparation de la conférence. Treint

116
Profitant de l’incendie du Reichstag, le 27 février 1933, le gouvernement d’Hitler adopte un décret
interdisant le KPD et lance une première vague d’arrestations des militants communistes. En
quelques jours, l’appareil du parti s’effondre, soulignant la faiblesse de l’organisation communiste
réputée la plus puissante d’Europe.
117
La lettre est envoyée au Secrétariat International, à la Ligue Communiste, à la Gauche
Communiste, à la Fraction de gauche, à la Fraction de gauche du PCI et à la Nouvelle Opposition
Italienne. AN, F7 14797.
581
fait parvenir au groupe de la banlieue ouest un courrier indiquant leur nouvelle
situation et revendiquant leur participation en tant que « groupe démissionnaire de la
fraction de gauche »118. A ce titre, il réclame le droit d’envoyer un délégué au
« comité de contrôle de la discussion et du bulletin intergroupe »119. Après
discussion120, les membres du groupe de la banlieue ouest rejettent cette demande,
estimant :
« […] ne pas pouvoir considérer que les deux camarades puissent constituer
un groupe. En conséquence, nous avons indiqué aux deux camarades
démissionnaires de la fraction de gauche que leur participation à la
conférence ne pouvait avoir qu’un caractère individuel. Pour les mêmes
raisons, nous n’avons pu retenir leur candidature au comité de contrôle du
bulletin. »
Treint réplique par une lettre, dont il demande expressément la publication dans le
bulletin préparatoire de la conférence121. Il y dénonce les méthodes employées et le
« malaise » qui résulte de « l’obscurité » des décisions prises, notamment celle de
ne pas reconnaître le statut de groupe à sa compagne et à lui-même. Il y voit une
volonté d’étouffer les voix dissidentes s’écartant des thèses officielles de l’Opposition
de gauche, autrement dit de ceux qui ne reconnaissent pas le caractère prolétarien
de l’Etat russe et « estiment impossible le retour au communisme dans les cadres de
la troisième Internationale »122.
Dans sa lettre du 21 janvier 1933, Treint suggère que les invitations soient
étendues à d’autres groupes, jusqu’ici considérés comme hors du champ politique de
l’Opposition de gauche française : le Groupe des étudiants (Prader123, Max…), le
groupe dissident de la gauche italienne (Mathieu, Gandi)124 ainsi que la fédération
communiste indépendante de l’Est. Pourquoi ces trois groupes ? Ils ont tous en

118
Lettre de Treint au groupe de la banlieue ouest, 21 janvier 1933. La lettre précise : « Un conflit
intérieur a amené deux camarades à démissionner de la fraction de gauche. De la solution qui sera
donnée au conflit actuel entre la fraction de gauche et le groupe démissionnaire dépendra la réunion
ou la séparation des deux tronçons et aussi vraisemblablement pour une part le classement définitif
des camarades dans l’un ou l’autre tronçon en cas de séparation. »
119
Lettre du groupe de la banlieue ouest, 24 février 1933, fonds Chazé.
120
Voir le P-V de la réunion du groupe de la banlieue ouest, 3 février 1933, fonds Chazé.
121
Bulletin préparatoire de la conférence politique de l’opposition communiste de gauche, avril 1933.
Fonds Chazé.
122
Lettre de Treint, 13 mars 1933, publiée dans le bulletin préparatoire. Voir en annexes.
123
Edouard Labin, dit Prader : Membre des Jeunesses Communistes, il est exclu en 1930. Il rejoint
alors la Ligue Communiste jusqu’en mars 1931 puis se rapproche du Cercle Communiste
Démocratique de Souvarine. En 1933, l’Ecole Emancipée publie ses articles sur « le sort du prolétariat
d’URSS », dans lesquels il soutient la thèse du capitalisme d’Etat.
124
Ces militants forment un groupe intitulé : Pour la renaissance communiste.

582
commun de remettre en cause le caractère prolétarien de l’Etat russe et la tactique
du redressement des partis et de l’IC. A l’instar de Treint, le groupe « Pour la
renaissance du communisme » a rompu sur cette question avec la fraction de
gauche du PCI. La fédération communiste indépendante de l’Est, constituée par
d’anciens membres du PCF, de Belfort et du Doubs qui l’ont quitté entre 1927 et
1932, publie un organe hebdomadaire intitulé Le travailleur communiste, syndical et
coopératif. Lors de son congrès, le 20 novembre 1932, à Valentigney125, elle adopte
un manifeste appelant à la création d’un nouveau parti126. Cette déclaration
d’intention lui vaut la sympathie de plusieurs groupes, dont le groupe des
étudiants127, ainsi que le Cercle Communiste Démocratique de Souvarine, qui
participe au congrès128. Après sa rupture avec la Fraction de gauche, Treint, de
nouveau isolé, cherche de nouveaux alliés pour défendre ses conceptions à la
conférence d’unification. Malgré la proximité de la fédération communiste
indépendante de l’Est et du groupe des étudiants avec Souvarine et le Cercle
Communiste Démocratique, il joue de son influence pour leur permettre de faire
entendre leur voix129.
Dans le cadre de la préparation de la conférence d’unification, Treint publie
une brochure de contribution à la discussion préparatoire, intitulée : « Pour déchiffrer
l’énigme russe »130, qu’il fait parvenir à l’ensemble des groupes concernés. Il cherche
à démontrer qui l’opposition française ne peut s’unir sur de vieux schémas politiques
ne tenant plus compte de la réalité de la situation du mouvement communiste
mondial et de la fin de la période révolutionnaire en URSS. Il appelle les militants à
réfléchir sur la nécessité de construire de nouveaux partis et une nouvelle
internationale. Ces propositions s’appuient sur deux thèses qui constituent le corps
de sa démonstration. Par le biais d’une étude historique de la transformation du

125
RABAUT J, op. cit., p.93.
126
Ducret M, « Un nouveau Parti », Le travailleur, n° 26, 26 novembre 1932.
127
Lettre de Jean Prader, publiée dans Le travailleur, n° 28, 10 décembre 1932 : « Nous essayons de
propager cette idée [le nouveau parti] et nous avons constaté depuis plusieurs mois qu’une sorte de
réveil commençait à s’opérer autour d’elle dans des groupes oppositionnels épars. »
128
VERGNON G, « Catastrophe et renouveau : socialistes, communistes et oppositionnels d’Europe
et d’Amérique du nord sous l’impact de la victoire Nazie : crises et reclassements (1933-1934) »,
Thèse de doctorat d’histoire, Grenoble II, 1993, p. 36-37.
129
La fédération communiste indépendante de l’est n’est finalement pas invité à participer à la
conférence, les organisateurs estimant que « inviter ces camarades reviendrait à anticiper sur les
conclusions de la conférence. », Lettre du groupe de la banlieue ouest, 24 février 1933, fonds Chazé.
Dans sa lettre du 13 mars, Treint s’insurge contre ce refus, alors que la Ligue communiste peut
participer à la conférence en dénonçant à l’avance l’idée même de l’unification.
130
Treint A, « Pour déchiffrer l’énigme russe », thèses du camarade Treint sur la question russe, 27
mars 1933. BDIC, F pièce res. 523/1. Nous n’avons pu consulter les trois premiers chapitres de la
brochure.
583
système économique et politique en Russie depuis 1917, il soutient qu’un nouveau
groupe social, la bureaucratie d’Etat, profitant des difficultés du pays et de sa
situation spécifique, a accaparé progressivement les rênes du pouvoir politique et
économique, se constituant progressivement en classe sociale. Son analyse s’inspire
des thèses des groupes dissidents de l’opposition italienne, qui dès 1927, affirmaient
que la NEP constituait le point de départ de l’abandon des positions
révolutionnaires131, aboutissant à la prise de pouvoir de la bureaucratie132. Treint
s’appuie également sur les théories de Lucien Laurat133, qui voit dans la société
soviétique un nouveau type d’organisation de classe, avec l’apparition d’une
bureaucratie dominant politiquement et économiquement le prolétariat. Mais, tout en
empruntant à ces théories et à d’autres134, il présente un schéma qui lui est propre.
Selon lui, la fin du contrôle de l’Etat soviétique par les ouvriers et la prise de pouvoir
de la nouvelle classe bureaucratique datent de 1928. Pourquoi 1928 ? Il explique
que dès la période de la guerre civile, une bureaucratie, « formée d’ouvriers
déclassés et dévoyés, de bourgeois et de petits-bourgeois ralliés »135 s’est formée,
sous la protection de l’Etat que Lénine réorganisait. La période de la NEP a favorisé
le contact des militants révolutionnaires avec ces éléments « bourgeois » qui se sont
laissés « corrompre » par les privilèges de la bureaucratie136. Sous l’influence
grandissante de cette bureaucratie, l’IC a adopté une tactique menant aux échec de
la révolution en Allemagne, en Chine et ailleurs. En réaction s’est alors constituée

131
Ces thèses s’inspirent elles-mêmes des thèses de Miasnikov, militant bolchevik, opposé dès 1921
à la NEP ainsi qu’à la tactique du front unique avec les organisations social-démocrates. Il militait pour
le rétablissement de la démocratie ouvrière. Il est exclu du parti russe en 1922, arrêté en 1923 et
s’enfuit d’URSS en 1928.
132
« L’idéalisation de la NEP se présente à son début comme une première manifestation idéologique
d’une classe ou de plusieurs couches sociales qui ne sont pas la classe ouvrière et elle marque, par
conséquent, un progrès considérable des nouvelles couches sociales dans l’appareil étatique, lequel
par sa bureaucratisation et par le régime intérieur du PCR, s’est déjà progressivement détaché de la
classe ouvrière.[…] La bureaucratisation de l’appareil étatique, l’éloignement total de cet appareil de la
classe ouvrière […], dénotent que la dictature du prolétariat en Russie n’est plus la réalité dans le
pays de la plus grande révolution de la classe ouvrière. », « Que faire », Le réveil communiste, n° 1,
novembre 1927.
133
Otto Maschl, dit Lucien Laurat : Militant du parti communiste autrichien puis de l’IC et oppositionnel
dès le milieu des années 1920. Installé en France dès 1927, il participe notamment au Cercle
Communiste Démocratique de Souvarine et publie en 1931 un ouvrage sur l’économie en URSS où il
tente de démontrer que « l’oligarchie soviétique est une classe, avec un revenu provenant de
l’exploitation de la population », Voir L’économie soviétique, sa dynamique, son mécanisme, Paris,
Valois, 1931.
134
Treint se réfère également aux écrits d’Urbahns, qui anime toujours le Leninbund ainsi qu’à toutes
les revues et journaux où s’expriment les militants et intellectuels « francs-tireurs » : la Critique
Sociale de Boris Souvarine, l’Ecole Emancipée, qui publie les articles de Simone Weil sur l’Allemagne
ou ceux de Prader.
135
« Pour déchiffrer l’énigme russe », op. cit.
136
« Ainsi, sous la NEP et dans l’isolement révolutionnaire de la Russie, se développa puissamment
la bureaucratie dans l’Etat et dans le Parti », Ibid.
584
une Opposition de gauche, dont l’exclusion du parti marque, pour Treint, la fin de la
dictature prolétarienne en Russie137. Cette place donnée à l’opposition russe dans la
lutte contre la dégénérescence bureaucratique fait l’originalité de l’analyse de Treint
et rappelle qu’il vient tout juste de rompre avec l’Opposition de gauche internationale.
Cependant, sa thèse s’éloigne définitivement de la ligne politique et des positions sur
l’Etat soviétique de l’Opposition de gauche. Pour lui, la bureaucratie soviétique s’est
définitivement installée au pouvoir, devenant une nouvelle classe sociale dirigeante,
en éliminant tous ses adversaires. Il résume cette idée par la formule « feu à gauche
puis feu à droite ». Entre 1926 et 1928, la bureaucratie a dirigé ses attaques contre
l’Opposition de gauche, avant de se retourner entre 1928 et 1930 contre les forces
politiques et économiques (le paysan capitaliste, le koulak, le trafiquant privé, le
nepmen) qui souhaitaient une restauration du capitalisme privé :
« […] la bureaucratie soviétique, qui opérait pour son propre compte, fit croire
à la classe ouvrière que cette lutte contre le capitalisme privé et pour le
développement du capitalisme d’état était menée dans l’intérêt de la révolution
prolétarienne. […] Dès la fin de 1930, l’Etat soviétique, le parti russe et la
troisième Internationale se sont définitivement délimités, […] comme des
organes servant les intérêts propres de la bureaucratie soviétique contre la
révolution prolétarienne russe et mondiale et contre la restauration du
capitalisme privé en Russie. »
Dans la seconde partie, Treint s’attache à réfuter les principes théoriques
constitutifs de l’identité de « l’opposition trotskyste ». Il repousse désormais le
« concept de dégénérescence thermidorienne » et le principe du redressement des
partis communistes et de l’IC, qu’il défendait quelques mois auparavant et qui ont
structuré son activité oppositionnelle, depuis L’Unité Léniniste jusqu’à sa rupture
avec la Fraction de gauche. Une divergence fondamentale le sépare de Trotsky et
ses partisans : la question de la nature de classe de l’Etat soviétique. Il accuse
Trotsky de nier la réalité et de ne pas tenir compte d’un changement fondamental
dans la société russe, la prise de pouvoir de la bureaucratie soviétique, constituée en
classe sociale indépendante. Prôner la tactique du redressement implique de croire
qu’en dépit de leurs fautes, le PC d’URSS et l’IC restent des instruments

137
« Tant que l’opposition ne fut pas exclue, le caractère prolétarien de l’Etat soviétique ne fut pas
irrémédiablement compromis, et c’est dans ce sens, mais dans ce sens seulement, que jusqu’en 1928
l’Etat soviétique peut être défini comme un état prolétarien en proie à des altérations bureaucratiques
de plus en plus graves. », Ibid.

585
révolutionnaires aux mains de la classe ouvrière. Trotsky ne peut admettre qu’une
autre classe sociale se soit emparée du pouvoir sans remettre en cause les
fondements théoriques de l’Opposition de gauche138. Ce dernier consacre
effectivement plusieurs textes à réfuter l’idée que la bureaucratie soit une classe
sociale indépendante et qu’elle ait pu prendre le contrôle de l’Etat soviétique. Il
considère que la bureaucratie ne représente qu’un groupe dégénéré au sein de la
classe ouvrière139. A cette affirmation Treint oppose les faits et la formation d’un
groupe bénéficiaire de l’économie nationalisée russe qui s’est progressivement
constitué en classe sociale. Le pouvoir n’étant plus dans les mains du prolétariat,
Treint appelle à rompre définitivement avec le mouvement communiste officiel pour
s’engager dans une nouvelle aventure révolutionnaire.
Cette brochure sur « l’énigme russe » souligne le chemin idéologique
parcouru par Treint depuis janvier 1933 et la profondeur du gouffre qui le sépare
désormais de l’Opposition de gauche. Cette conversion peut paraître abrupte, mais
elle marque l’aboutissement d’une démarche personnelle, d’une singularité dans son
parcours politique antérieur et en même temps du traumatisme de la catastrophe
allemande. Toujours combatif et persuadé de la supériorité de ses analyses, Treint
se présente en minoritaire à la conférence d’unification.

2) Le déroulement de la conférence (avril/mai 1933).

Du 8 au 10 avril 1933, au café Augé, rue des Archives, se déroulent les trois
premières réunions, visant à délimiter les frontières idéologiques entre les groupes
participants et définir plus précisément le cadre de l’unification. Plus d’une
cinquantaine de militants sont réunis140. En dehors des représentants de groupes, on
compte plusieurs individualités, parmi lesquelles Treint, ou encore Simone Weil141. Il
s’agit d’une véritable réussite, étant donné l’attitude de la Ligue Communiste, qui tout

138
« Le parti allemand est dirigé par l’Internationale et celle-ci par la bureaucratie soviétique,
maîtresse absolue de l’Etat russe. Admettre comme un fait accompli la trahison de l’Internationale,
serait admettre que l’Etat russe actuel n’est plus prolétarien. Cela l’opposition trotskiste aveuglée ne
saurait l’admettre […] », Ibid.
139
Voir notamment, Trotsky, « La quatrième Internationale et l’URSS, la nature de classe de l’Etat
soviétique », Œuvres, tome 2 (juillet-octobre 1933), op. cit.
140
Au total, ce sont plus de 70 militants qui participeront aux réunions de la conférence d’unification,
qui s’étale sur près de deux mois. Voir la feuille de pointage, fonds Chazé.
141
Voir PETREMENT S, La vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1997, 707 p. ; Simone Weil, Œuvres
complètes, sous la dir. de DEVAUX A et DE LUSSY F, Tome 2 Paris, Gallimard, 1988 p. 202-206 ;
ainsi que Peregalli A, « Simone Weil e lo stalinismo (1932-1933 »), quaderni del Centro Studi Pietro
Tresso, n° 7, novembre 1995.
586
en acceptant de participer, n’a cessé de louvoyer142. Dans un premier temps, la CE
avait donné son accord formel, mais la confirmation de leur présence vient
tardivement et accompagnée de nombreuses réserves. De son côté, le Secrétariat
international répond à l’invitation deux jours avant le début de la conférence143, se
contentant de rejeter l’initiative144 et d’appeler les participants à rejoindre les rangs
de la Ligue. Le ton de leur lettre laisse présager de l’attitude de la Ligue en séance.
Sinon, les positions exprimées, dans le cadre des discussions préparatoires,
permettent d’envisager un accord sur tous les points à l’ordre du jour de la
conférence145.
Le sujet au centre des discussions porte sur la nature de l’Etat russe et sur la
question fraction ou parti ? Le groupe de la Gauche Communiste propose un
rapport146 qui doit servir de base à la discussion. Cette contribution fondamentale va
servir de socle idéologique à la future organisation alors en gestation. Le texte est
imprégné par la volonté de se démarquer à la fois des positions de la Ligue ― c’est-
à-dire de Trotsky ― et de celles énoncées par la minorité favorable à la construction
de nouveaux partis et d’une nouvelle internationale. A l’instar de Treint, la Gauche
Communiste définit la bureaucratie soviétique comme « une caste pratiquement
inamovible » qui s’est emparée du pouvoir par « un processus d’usurpation », ce qui
« ne permet plus d’affirmer le caractère ouvrier de cet Etat ». Le groupe de la
banlieue ouest, qui par ailleurs approuve « dans les grandes lignes » le rapport,
réfute cette analyse de la nature de l’Etat soviétique. S’appuyant sur les thèses de
Trotsky, elle soutient au contraire que :
« le caractère ouvrier de l’Etat soviétique ne saurait être contesté tant que
subsisteront la socialisation de la grande industrie, la nationalisation de la
terre et le monopole du commerce extérieur »147
Dans le groupe de la Gauche Communiste, une ambiguïté subsiste puisque,
tout en soutenant que l’URSS n’est plus un Etat ouvrier, elle continue à défendre le

142
Lettre du groupe de la banlieue ouest, 24 février 1933, fonds Chazé.
143
Lettre du Secrétariat International au groupe de la banlieue ouest, 6 avril 1933, fonds Chazé.
144
Le SI dénonce l’hétérogénéité politique des groupes invités : « Or, à votre conférence, vous avez
convoqué un nombre de groupes qui se distinguent par une variété énorme de conceptions
fondamentales, en partie par leur caractère sans principe ; groupes envers lesquels l’Opposition de
Gauche Internationale, à travers une dure lutte de cristallisation, a tracé à plusieurs reprises sa ligne
de démarcation. », Ibid.
145
1) La question russe et l’appréciation de l’IC, 2) Le parti et les masses, 3) Le régime intérieur de
l’opposition de gauche.
146
« Les contradictions de la révolution russe », Bulletin préparatoire…op. cit.
147
« Résolution du groupe d’opposition communiste de gauche de la banlieue ouest sur la question
russe », Bulletin préparatoire… op. cit.
587
mot d’ordre de défense de l’URSS contre toute agression. Cela révèle la difficulté
pour de nombreux groupes, pourtant désillusionnés depuis plusieurs années, de
conclure à la fin de l’expérience révolutionnaire débutée en 1917. Ils apparaissent
abasourdis devant l’enchaînement des événements et incapables d’accepter les
conséquences de leurs propres analyses. La Gauche Communiste admet que le
parti et l’IC soit devenus « des instruments de la domination bureaucratique sur la
classe ouvrière », mais dans le même temps « rejette comme prématurée dans la
conjoncture actuelle du mouvement révolutionnaire, la formation de nouveaux partis
communistes, en marge des PC réellement existant ». En rejetant également la
politique de redressement de l’IC, suivie par la Ligue Communiste, elle s’enferme
dans une posture attentiste. Seule la Fraction de gauche continue de prôner
ouvertement la tactique de redressement du PCF en appelant à sa
« réorganisation »148. Les trois principaux groupes présents à la conférence se
placent à mi-chemin entre la ligne de l’Opposition de gauche officielle et celle des
partisans de la construction d’une quatrième Internationale. Cette ligne médiane leur
permet de trouver un terrain d’entente nécessaire à l’unification.
Dès la première séance, le samedi 8 avril 1933, la délégation mandatée par la
Ligue et conduite par Molinier, refuse de discuter en présence des partisans de la
quatrième internationale qu’elle définit ainsi :
« Durant cette période, quelques étudiants parasites, prétentieux et flâneurs,
jetaient dans quelque brasserie enfumée “les bases de la quatrième
Internationale“, Treint et Patri viennent les rejoindre. La cinquième
internationale va naître. »149.
Elle demande purement et simplement leur exclusion150. La majorité des délégués
présents, estimant que la présence des partisans de la quatrième Internationale était
connue et qu’il convient de connaître précisément les positions de chacun avant de
prendre une telle décision, rejettent l’exigence des représentants de la Ligue, qui
quittent la conférence. De leur côté, les minoritaires font une déclaration critiquant les
méthodes de préparation de la conférence. Ils dénoncent l’absence de la Fédération
indépendante de l’Est et du Cercle Communiste Démocratique, qui indique la volonté

148
« Les problèmes de l’unification », contribution de la Fraction de gauche, Ibid.
149
« A propos d’une journée de palabre », La Vérité, n° 150, 14 avril 1933, p. 3.
150
« Nous demandons l’exclusion de tous ceux qui nient la nature prolétarienne de l’Etat soviétique
car nous pensons que la conférence ne doit pas se baser sur les problèmes politiques mais sur les
questions d’organisation qui maintiennent éparpillés les différents groupes qui se réclament du
camarade Trotsky », cité dans Pour la renaissance communiste, n° 3, 17 avril 1933.

588
de la majorité de limiter la discussion et d’adopter « a priori les points de vue figés de
l’opposition trotskiste »151. Avant toute discussion sur l’unification, ils réclament une
clarification politique sur la question russe.
Dès lors, le débat se restreint aux seules questions de l’appréciation de la
nature de l’Etat russe et de la nécessité de construire de nouveaux partis et une
nouvelle internationale. Lors de la première séance, Treint se distingue en défendant
seul la thèse que l’Etat soviétique n’a plus rien d’ouvrier152. Il est rapidement rejoint
par le groupe des étudiants, Pour la renaissance communiste et par Simone Weil,
dont l’intervention sur le fascisme en Allemagne marque les esprits :
« Elle disait à peu près, parlant de la victoire du fascisme en Allemagne :
“C’est la faillite des espoirs qu’on avait mis en la mission historique du
prolétariat“. Elle semblait dire que “cette mission historique du prolétariat“
n’était qu’une fiction marxiste et qui n’avait aucun sens. D’après Collinet,
certains de ceux qui entendirent cet exposé en furent profondément choqués.
Ils ne pouvaient accepter cette négation de leurs dogmes et de leurs
espoirs. »153
Au terme de la troisième journée de discussion, les groupes majoritaires déposent
une déclaration proposant comme principes de base pour la poursuite de la
discussion : 1) La lutte contre le stalinisme, 2) le rejet de la création d’un nouveau
parti et « de la préparation d’une deuxième révolution en URSS, tant que les
conquêtes d’octobre ne seront pas complètement effacées », 3) le refus de
considérer les partis communistes et l’IC comme de simples appendices de la
bureaucratie soviétique154. A la fin de la séance, Alfredo155, membre de la fraction de
gauche du PCI, intervient pour défendre l’idée que la question essentielle n’est pas la
nature de l’Etat soviétique mais la création d’une fraction française unifiée.
L’intervention, applaudie par la majorité, contribue au départ de Treint, suivi par le
groupe des étudiants, Simone Weil, la minorité de la fraction de gauche du PCI et
Patri156. Ces derniers se réunissent à part pour rédiger un texte commun résumant
leurs positions.

151
Le document reproduisant cette déclaration ne contient pas les signatures des militants l’ayant
présentée. D’après son contenu, on ne peut douter qu’elle soit le fait des individualités et des petits
groupes partisans de la quatrième Internationale.
152
La gauche communiste de France, publication du CCI, p. 7.
153
PETREMENT S, La vie de Simone Weil, op. cit., p. 235.
154
Déclaration de la conférence d’unification (séance du 10 avril) votée par 25 voix et 15 abstentions
(les étudiants et Treint), fonds Chazé.
155
Bruno Bibi
156
Membre de la Gauche Communiste.
589
Une fois cette délimitation accomplie, les délégués de la conférence décident
d’écrire une lettre à la Ligue, l’exhortant à participer de nouveau aux efforts
d’unification157. La CE de la Ligue décide d’envoyer une nouvelle délégation aux
séances du 22 et 23 avril158. Les pourparlers se déroulent dans une ambiance
pénible que décrivent deux membres de la Ligue qui décident de rallier les partisans
de l’unification :
« La conférence eu lieu le samedi 22 et le dimanche 23. Les deux premières
séances, celles du samedi soir et du dimanche matin furent perdues en
discussion avec la délégation de la Ligue qui, à tout instant s’accrochait à
n’importe quoi pour poser des ultimatums. La conduite de la délégation fut une
véritable comédie. L’impression que nous avons eue, c’est qu’elle ne voulait
pas rester à la conférence et cherchait tous les prétextes pour s’en aller.
Finalement, ce prétexte, elle le trouva dans une déclaration présentée par le
bureau de la conférence. »159
La délégation de la Ligue soumet à la conférence un programme en onze points,
adopté par une préconférence internationale de l’Opposition de gauche, dont elle
réclame l’acceptation. Le bureau de la conférence répond qu’il est prêt à accepter
ces onze points comme base de discussion avec l’Opposition de gauche
Internationale, mais non comme base de discussion pour l’unification en France
puisque ce texte n’a pas été discuté préalablement par les différents groupes. En
réponse, la Ligue se retire définitivement160. Après cet enchaînement de débats
stériles, les trois principaux groupes161 se retrouvent le 7 mai, puis les 10 et 14 juin
1933 et créent le groupe de la Gauche Communiste. Ils votent une résolution
politique, qui reprend les grandes lignes des contributions présentées dans le
Bulletin préparatoire, et une « résolution sur le régime intérieur et les tâches
d’organisation de la Fraction de gauche du PCF »162. La dernière séance est
consacrée à la nomination d’une commission exécutive dont les principales tâches

157
« Lettre ouverte à tous les membres de la Ligue Communiste », 12 avril 1933, fonds Chazé.
158
P-V de la CE de la Ligue du 12 avril 1933, IISG, fonds Ligue Communiste, cote : 4.
159
Lettre de Félix et Rimbert, membres du groupe juif de la Ligue Communiste, non datée, fonds
Chazé.
160
« Résolution concernant la Conférence dite d’unification », La Vérité, n° 152, 28 avril 1933.
161
La Fraction de gauche du PCI qui participait aux débats refuse de se joindre à la nouvelle
organisation, arguant de l’absence d’une véritable plate-forme politique. Elle critique également la
précipitation qui ne peut qu’aboutir « à une répétition des mêmes crises, déboires et déceptions
connus par la Ligue », Résolution de la CE de la Fraction de gauche du PCI après la conférence
d’unification, fonds Chazé.
162
Fonds Chazé.
590
sont : l’organisation de la fraction en groupes de travail, la publication d’un organe
central, intitulé Le communiste163 et l’élaboration d’une plate-forme politique.
Au mois de septembre 1933 une nouvelle crise frappe la Ligue. La direction
Naville/Molinier décide d’exclure des membres de la majorité de la région parisienne.
Trente-cinq militants se solidarisent avec les exclus et forment l’Union
Communiste164 qui publie son propre journal, intitulé l’Internationale. Dès novembre,
des délégations de l’Union Communiste et de la Gauche Communiste se retrouvent
et décident l’unification des deux groupes sous le nom d’Union Communiste165. Cette
nouvelle formation devient numériquement la plus importante de l’opposition en
France puisque de son côté la Ligue Communiste, après le départ de la moitié de
ses effectifs, n’est plus constituée que d’une trentaine de militants. Ainsi les artisans
de la conférence sont partiellement parvenus au but fixé, regrouper les forces de
l’opposition. Mais l’Union Communiste s’est déjà écartée de la ligne politique
formulée entre avril et juin puisque le nouveau groupe reconnaît la faillite de la
troisième Internationale et l’impossibilité de réformer les partis communistes officiels.
Elle se refuse cependant à envisager la construction d’une nouvelle Internationale,
considérant que « les conditions ne s’y prêtent pas »166.

3) Vers une quatrième internationale ?

Le 22 avril 1933, les militants ayant quitté la conférence d’unification après la


troisième séance, tiennent une réunion167 à part qui aboutit à la rédaction d’une
déclaration commune, probablement rédigée par Simone Weil168. Elle plaide pour
une réorientation du travail oppositionnel vers la création d’une quatrième
Internationale. Les signataires exposent les points sur lesquels ils se séparent des
« partisans de l’orthodoxie trotskyste » :
« Ils jugent impossible de considérer l’Etat russe actuel où ne subsiste, sinon
sur le papier, aucunes des formes politiques ou économiques du contrôle

163 er
Cet organe reprend le nom du journal de la Gauche Communiste. Voir n° 12, 1 août 1933,
premier numéro sous la responsabilité du nouveau groupe qui publie la « résolution politique adoptée
par la conférence d’unification du 14 juin 1933 », p. 12.
164
Déclaration des trente-cinq, 13 octobre 1933, fonds Chazé. La déclaration est reproduite dans le
premier numéro de l’Internationale.
165
Voir le P-V de la réunion commune des deux groupes le 5 novembre 1933, fonds Chazé. Voir
également Chazé H, « Chronique de la révolution espagnole », Spartacus, n° 110, août-septembre
1979, p. 6.
166
P-V de la réunion commune du 5 novembre 1933.
167
Aucun compte rendu des débats n’a pu être consulté.
168
PETREMENT S, La vie de Simone Weil… op. cit., p. 235.
591
ouvrier, comme un Etat de travailleurs s’acheminant vers l’émancipation
socialiste. […] Mais en fait le règne nécessairement provisoire du parti
bolchevik a été suivi par le règne d’un héritier qui est non pas le prolétariat
russe, mais la bureaucratie d’Etat. […] Elle oriente l’URSS non vers une
disparition mais vers un accroissement continu du pouvoir d’Etat. […] Ils
considèrent que la troisième Internationale, en dépit du caractère prolétarien
de l’orientation confusément révolutionnaire de la base, a cessé de
représenter le communisme selon la définition de Marx, […] Pour eux, le
devoir actuel des militants conscients est de rompre moralement avec la
Troisième Internationale comme ils ont rompu avec la Deuxième
Internationale embourgeoisée. »
Puis les signataires définissent les objectifs qu’ils assignent au mouvement
révolutionnaire et précisent l’originalité de leur démarche :
« La formation d’une nouvelle organisation sur le plan national et international
représente pour eux non une perspective immédiate et actuelle mais une
perspective historique vers laquelle il convient d’orienter dès maintenant
l’effort d’éclaircissement, d’éducation et de propagande. […] Ils ajoutent que
les conceptions qui viennent d’être exposées constituent simplement les
points sur lesquels ils se sont rencontrés à la suite d’un effort personnel de
réflexion accompli indépendamment les uns des autres ; […] Ils font donc
expressément remarquer que, jusqu’ici, ils ne sont solidaires les uns des
autres que sur le contenu de la présente déclaration. »169
Suivent quatorze signatures : Benichou, Gina Benichou, Suzanne Devoyon, Max,
Petitgand, Prader, Rabaut170 (groupe des étudiants), Gandi, Mathieu (Pour la
renaissance communiste), Capdeville (ex Fraction de gauche), Patri (ex Gauche
Communiste), Nelly Rousseau, Treint et Simone Weil.
La conclusion de la déclaration met en lumière, derrière l’indépendance
affichée, l’hétérogénéité de militants qui, par le passé, furent membres de mêmes
organisations et s’y sont combattus171. Leur seul terrain d’entente concerne la
dénonciation du régime bureaucratique stalinien en URSS. Dans ces conditions, il ne
peut être question d’envisager la constitution immédiate d’une quatrième

169 er
« Déclaration à la conférence dite d’unification », La bataille ouvrière, n° 1, 1 juillet 1933, p. 6-7.
170
Jean Rabaut (1912-1989) : Journaliste et historien. Membre des jeunesses communistes et exclu
en 1932. Proche de Prader.
171
Par exemple, le groupe des étudiants s’était opposé, en mai 1931, à l’adhésion de Treint dans la
Ligue
592
Internationale ― d’autant plus qu’ils n’ont quasiment aucun relais à l’étranger ―, ni
même à la création d’une nouvelle formation politique. Pourtant, notamment sous
l’impulsion de Treint, certains de ces militants se réunissent et organisent des actions
ponctuelles, tout en insistant à chaque fois sur le caractère personnel et indépendant
de leur collaboration. En mai 1933, ils publient le « Projet de programme et de statut
du Komintern ouvrier » de Miasnikov172, document qu’ils affirment avoir découvert
après la réunion du 22 avril173. Les conclusions sur la nature de l’Etat russe,
auxquelles aboutit Miasnikov, sont effectivement très proches de celles contenues
dans la déclaration du 22 avril. Il définit la bureaucratie soviétique comme une classe
sociale, possédant le pouvoir économique et politique et exploitant le prolétariat174.
Mais si les conclusions se rejoignent, l’analyse des causes diffère
fondamentalement. Pour Miasnikov, le prolétariat russe a perdu le pouvoir dès le
lendemain de la guerre civile. Dès lors, le parti bolchevik est devenu un instrument
de la bureaucratie, transformant les conquêtes d’Octobre ― soviets, syndicats,
coopératives ― en de simples appendices du parti et instaurant une dictature, non
pas prolétarienne, mais « social-bureaucratique ». Il découle de cette analyse une
proposition de plate-forme politique pour la constitution d’un nouveau parti et d’une
nouvelle Internationale qui s’éloigne des conceptions défendues par Lénine et par les
courants communistes orthodoxes et oppositionnels
Sans entrer dans une analyse exhaustive, deux remarques s’imposent :
Miasnikov donne une place prépondérante au syndicat dans la création de la future
Internationale ouvrière. Il estime que « […] des syndicats de production englobant le
prolétariat tout entier, […] prendront en main la direction du contrôle d’Etat,
contrôlant l’activité des soviets et celle de la coopération. », et les partis politiques se
transformeront en « partis techniques ». Miasnikov voit dans le parti unique une des
causes de la dégénérescence de la révolution prolétarienne en Russie :

172
Brochure publiée hors organisation, 15 mai 1933, avec la seule adresse de Treint pour la
correspondance. AN, F7 14797.
173
« Plusieurs de ces camarades [présents à la réunion du 22 avril] s’étant trouvés par la suite réunis
apprirent que dès 1930, le camarade Miasnikov avait formulé très précisément les mêmes
conclusions sur la nature de classe de l’Etat soviétique et que divers documents du camarade
Miasnikov ont été passés sous silence non seulement par les staliniens mais aussi par l’opposition
trotskiste. En apprenant cela, les camarades présents décidèrent à titre individuel [souligné par les
auteurs] de faire connaître le présent projet de programme du groupe ouvrier russe auquel appartient
Miasnikov. », « Avertissement », Ibid.
174 ème
« [La bureaucratie] lutte contre la bourgeoisie et contre la 2 Internationale, non pour un
gouvernement ouvrier, mais pour un capitalisme d’Etat, pour un Etat bureaucratique avec un système
administratif à parti unique. », « Projet de programme et de statut du Komintern ouvrier », op. cit.
593
« L’Etat ouvrier ne peut admettre un système d’administration par un parti
unique, le pouvoir illimité d’un seul parti privant toute la population du droit et
de la liberté d’organisation de partis, de parole, de presse, de réunion… »
Par certains aspects, ce projet de plateforme se rapproche des thèses défendues par
la gauche hollandaise et allemande175 et combattues par Lénine dans « La maladie
infantile du communisme », mais s’en éloigne sur d’autres points. Miasnikov ne peut
être considéré comme un théoricien de l’opposition communiste dont est issu Treint.
La publication de cette brochure témoigne du parcours singulier de ces militants qui
partagent la conviction que la révolution russe a failli, sans être capable de s’unir
autour d’un projet révolutionnaire.
On retrouve la signature de Treint, au côté de celles des membres du groupe
des étudiants, dans une déclaration des deux minorités du syndicat de
l’enseignement de la Seine176. Elle fait suite à une réunion au cours de laquelle
Prader, répondant à un militant de la CGTU, accusa le KPD d’avoir lutté contre Hitler
avec une âme de vaincu. Voici les fait relatés par l’Humanité :
« Labin, qui signe Prader, dans l’Ecole Emancipée des articles dégoûtants sur
la Russie soviétique, et qui appartient au groupe Treint, eut ensuite la parole.
Dès les premiers mots, il fut visible qu’il cherchait à provoquer l’assistance. Au
lieu d’aborder le sujet à l’ordre du jour, il commence par insulter grossièrement
le parti communiste allemand qui, dit-il, “a trahi la classe ouvrière“. »177
Dans la déclaration, les membres de la tendance de la Ligue Communiste et ceux de
la majorité fédérale soulignent que les dirigeants communistes présents
empêchèrent par tous les moyens possibles, violence y compris, Prader de
s’exprimer. Ils dénoncent une violation de la démocratie syndicale, orchestrée par la
CGTU. Encore une fois cette action en commun avec des signataires de la
déclaration du 22 avril vise un but précis et pratique et ne constitue pas l’amorce de
la formation d’une véritable organisation qui s’orienterait vers la quatrième
Internationale. Néanmoins, Treint poursuit la publication de petits bulletins
ronéotypés et crée bientôt un nouveau groupe, l’Effort Communiste, dont l’activité est
principalement tournée vers la réflexion politique.

175
Voir « La gauche Hollandaise », publication du CCI.
176
« Mœurs staliniennes », Le travailleur, n° 61, 15 juillet 1933.
177
Ibid.
594
En quelques semaines, entre janvier et février 1933 Treint modifie
profondément son discours sur l’URSS et sur l’Internationale et rompt
idéologiquement avec l’Opposition de gauche. La grande majorité des oppositionnels
continuent de voire dans l’URSS la « forteresse du prolétariat », le gardien de la
révolution. Dans ce cadre, écrire et déclarer que l’Etat russe n’a plus aucune des
caractéristiques d’un Etat ouvrier et doit être délaissé pour se tourner vers une
nouvelle expérience révolutionnaire, a quelque chose d’iconoclaste. Treint n’hésite
cependant pas à briser certains dogmes et, comme il a coutume de le faire, à
prendre une position tranchée, sans nuance possible. Pour expliquer cette
conversion brutale, on ne peut se contenter de parler de l’impact de la victoire du
nazisme ou encore de son rapprochement avec les groupes politiques qui prônent la
construction de nouveaux partis révolutionnaires. En effet, cette rupture est déjà en
germe dès 1931-1932 lorsqu’il s’oppose à Frank sur la question des rapports entre la
Ligue Communiste et le PCF, lorsqu’il appelle à la construction d’une nouvelle
Internationale « en cas de trahison », trahison qu’il juge inévitable bien avant janvier
1933, ou lorsqu’il refuse de signer la lettre d’adhésion à la Ligue.
Cette rupture avec l’Opposition de gauche est le résultat d’un cheminement
idéologique personnel qui se nourrit des défaites successives du mouvement
révolutionnaire en France, comme dans le reste du monde. Elle se double d’une
réflexion sur la démocratie ouvrière, le droit des minorités et les méthodes de
direction d’un parti. Après son exclusion du PCF en 1928, cette rupture irrémédiable
avec l’Opposition de gauche le place à la marge du mouvement révolutionnaire au
côté d’autres « francs-tireurs »178 qui ne se reconnaissent plus dans aucune des
organisations constituées. Il entame alors une démarche d’analyse sur le stalinisme
qui l’amène progressivement à porter un regard de plus en plus critique sur
l’expérience révolutionnaire en Russie et sur le modèle bolchevik.

178
Nous empruntons ce terme à Gilles VERGNON, qui définit ainsi des militants tels que Rosmer,
Souvarine ou encore Simone Weil qui rejettent le stalinisme comme le trotskysme, sans abandonner
les perspectives de révolution sociale. Op. cit., p. 32-37.

595
CHAPITRE XII : DE
L’ANTISTALINISME
AU SOCIALISME
LIBERTAIRE (1933-
1939).

596
Dès 1933 Treint se distingue de la majorité de l’Opposition internationale par
sa position intransigeante à l’égard de Staline et de l’URSS. Le refus de voir dans
l’Etat soviétique un Etat ouvrier pose les bases d’une analyse de plus en plus
poussée de l’évolution du régime soviétique et de la ligne politique de l’IC. Durant la
seconde moitié des années trente, avec l’adoption des tactiques de Front populaire,
le mouvement communiste international connaît un nouvel essor. L’URSS occupe
une nouvelle place dans le concert des nations en participant activement à
l’élaboration de nouvelles alliances politiques et militaires dirigées contre l’Allemagne
Hitlérienne. En même temps, le pays connaît une vague de répression politique sans
précédent, marquée par les procès de Moscou et l’exécution de la totalité de la
« vieille garde » du parti bolchevique.
En France, le parti socialiste SFIO désormais allié avec le PCF, de même que
l’opposition communiste, entretiennent une attitude ambiguë à l’égard de l’URSS,
perçue comme le pays de la révolution socialiste en voie de réalisation, en dépit de
la mainmise de Staline sur le pouvoir et de la répression. Treint, au contraire, voit
dans la tactique du Front populaire et dans l’attitude pragmatique de la diplomatie
soviétique de nouvelles manifestations de la fin de la révolution. Il ne cesse d’affirmer
qu’en Russie, « il existe bien un prolétariat et une dictature, mais pas de dictature du
prolétariat »1. Redevenu membre du parti socialiste SFIO, il entreprend une réflexion
qui l’amène à remettre en cause les fondements de la doctrine bolchevique, à rejeter
en partie l’expérience historique de la révolution de 1917 et à prôner une nouvelle
voie révolutionnaire.

1
Treint A, « Ni Führer, ni parti Führer », Nouvel Age, n° 229-230, 28 août 1937, p. 5.
597
A/ L’Effort Communiste.

Lors de la conférence d’unification d’avril 1933, la Ligue Communiste avait


exigé, en préalable à toute discussion, l’exclusion de tous les militants favorables à
une quatrième Internationale. Trois mois plus tard, cette même organisation place
pourtant au centre de son programme politique, la construction d’une nouvelle
Internationale voulue par Trotsky. Dès le 12 mars 1933, celui-ci se prononce, dans
une lettre au secrétariat international2, en faveur de la construction d’un nouveau
parti en Allemagne, sans remettre alors en cause la tactique du redressement de
l’IC. Dans l’Opposition de gauche internationale (OGI), cette prise de position
provoque de nombreuses réticences3 et il faut près de deux mois de discussions à
Trotsky pour imposer ses conceptions. D’autant plus qu’au cours de cette période, ce
dernier évolue encore et se prononce pour la création de nouveaux partis
communiste même hors d’Allemagne4. Depuis le mois de mars, il est entré en
contact avec des dirigeants de partis socialistes indépendants, tel Jakob Walcher5 ou
Thomas6, tous les deux membres du SAP. Cette formation est une composante de
l’IAG regroupant des partis socialistes qui n’adhèrent ni à la deuxième, ni à la
troisième Internationale7. Lors d’une conférence tenue à Bruxelles en juin 1933, l’IAG
s’est prononcée en faveur de la « recréation du mouvement ouvrier international »8 et
a convoqué pour la fin du mois d’août une conférence internationale des
organisations socialistes et communistes qui se trouvent hors des deux
Internationales. Trotsky réussit à convaincre l’OGI d’y participer9. Une fois installé en

2
« Il faut un nouveau parti en Allemagne », Œuvres, tome 1, op. cit., p. 55-58.
3
VERGNON G, Socialistes, communistes et oppositionnels d’Europe... op. cit., p. 394-397. Voir du
même auteur, « Les bases du tournant de Trotsky vers la quatrième Internationale », Cahiers Léon
Trotsky, n° 29, juin 1985.
4
« Il faut construire de nouveau des partis communistes et une nouvelle Internationale », Œuvres, 1,
op. cit., p. 251-260.
5
Militant du KPD exclu en 1923 au côté de Brandler. Membre du KP-O –parti communiste opposition),
il est entré avec son organisation dans le SAP, dont il a pris le contrôle.
6
Ancien diplomate soviétique en suisse puis installé en Allemagne, membre du KP-O puis du SAP, au
côté de Walcher.
7
Sont membres de cette organisation, l’Independant Labour Party (ILP), le SAP, le parti socialiste
indépendant néerlandais (OSP), le parti ouvrier norvégien (DNA) et un parti socialiste indépendant
polonais. Voir BUSCHAK W, Das Londoner Büro. Europäische linkssozialisten in der
zwischenkriegszeit, IISG, Amsterdam, 1986 ainsi que la thèse de DREYFUS M, Bureau de Londres
ou IVe Internationale ? Socialistes de gauche et trotskystes en Europe (1933-1940), Paris X,
novembre 1977, 418 p.
8
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 782.
9
Lors du plénum du Secrétariat International, tenu à Paris les 19 et 20 août 1933, Ibid.
598
France10, il engage des pourparlers avec le SAP, l’OSP et le parti socialiste
révolutionnaire néerlandais (RSP) de Sneevliet pour entamer le travail préparatoire à
la création d’une quatrième Internationale.
En apparence, Treint et tous ceux qui prônaient depuis quelques mois la
création d’une nouvelle Internationale sont rejoints par la majorité des partis ouvriers
non affiliés. En réalité les divergences sont nombreuses et Treint ne manque pas de
railler11 le tournant de Trotsky et l’incohérence de ses positions.

1) L’Effort Communiste et les tentatives de constitution d’une nouvelle Internationale.

Le groupe l’Effort Communiste se constitue suite à la conférence d’avril 1933.


Il s’agit d’une formation de taille extrêmement réduite qui comprend Treint, Nelly
Rousseau, Capdeville et quelques autres militants12. Son activité se résume
principalement à la publication d’études de Treint et d’une revue ronéotypée intitulée
La bataille ouvrière dont la diffusion ne dépasse pas les cercles de Paris et de
Bagnolet13. Dans ce bulletin, Treint continue de militer activement pour la création
d’une nouvelle Internationale14. Dans l’article leader, il analyse la volte-face de
Trotsky au sujet de la création d’un nouveau parti en Allemagne15 et souligne les
contradictions de ce mot d’ordre. Considérer que le KPD a « failli » implique selon lui
l’abandon de la tactique du redressement de l’IC qui, comme la deuxième
Internationale, a abandonné le terrain de la lutte révolutionnaire16.
Quelques mois plus tard, l’OGI abandonne la perspective du redressement de
l’IC et se range, à son tour, dans le camp des partisans d’une nouvelle
Internationale. En dépit de cette avancée, Treint reste réservé quant aux possibilités

10
Trotsky quitte Prinkipo et s’installe en France à partir du 24 juillet 1933. Ibid., p. 767.
11
L’article de Trotsky paru dans La Vérité qui appelle l’OGI à rechercher une base politique commune
avec les socialistes de gauche est signé Gourov. Treint se moque de ce pseudonyme en expliquant
qu’il s’agit du nom que prend Trotsky quand il a peur de se « gourer », Rabaut J, op. cit., p. 107.
12
A l’exception de E Le Trouit et T Leibot (signataires de la demande d’adhésion à la SFIO en 1934),
il ne nous a pas été possible de retrouver les noms de la totalité des militants ayant collaboré à
L’Effort Communiste.
13
De nombreux articles du premier numéro de La bataille ouvrière sont consacrés à la vie municipale
et aux réunions politiques à Bagnolet, où milite Capdeville.
14
Treint A, « Il faut préparer la création du parti révolutionnaire du prolétariat », La bataille ouvrière, n°
1, août 1933, p. 1-3.
15
Lorsque Treint rédige cet article, il n’a pas encore pris connaissance du nouveau revirement de
Trotsky qui appelle, depuis le 15 juillet 1933, à la construction de nouveaux partis et d’une nouvelle
internationale.
16
« La trahison ouverte du parti stalinien allemand n’est que la conséquence de la trahison de la
Troisième Internationale accomplie plusieurs années auparavant sous la direction de la bureaucratie
soviétique […] « Qu’il soit social-démocrate ou social-bureaucrate, aucun parti n’est redressable
quand son appareil est passé sous le contrôle direct ou indirect d’une classe exploiteuse. », Ibid.
599
de rapprochement avec Trotsky et l’OGI dont les positions lui semblent toujours
aussi incohérentes. A ses yeux, la question principale, conditionnant la création
d’une nouvelle organisation révolutionnaire, reste la reconnaissance de
l’anéantissement de l’Etat ouvrier, désormais sous le contrôle de la bureaucratie
soviétique :
« Si le camarade Trotsky se refuse à reconnaître la bureaucratie soviétique
comme une classe distincte, il sera obligé pour justifier la création de partis
révolutionnaires de proclamer que la bureaucratie soviétique a trahi au
bénéfice de la bourgeoisie mondiale alors que la lutte de la bureaucratie
soviétique contre le monde impérialiste crève les yeux de tous. »17
En dépit de ces divergences doctrinales, lors de la venue de Trotsky en
France, l’Effort Communiste propose son aide à la Ligue pour assurer la sécurité du
vieux chef révolutionnaire. Le groupe s’insurge contre la campagne orchestrée par
l’Humanité qui vise, selon eux, à exciter la haine de certains éléments incontrôlables
pour les pousser au meurtre. Staline aurait envoyé Trotsky en Turquie, en espérant
qu’il serait la cible d’attaques de la part des nombreux russes blancs exilés dans le
pays. Devant l’échec de cette tactique, il aurait décidé d’autoriser la venue de
Trotsky en France avec l’espoir machiavélique qu’un « fanatique exaspéré » tente de
l’assassiner18.
En dehors de cette proposition de collaboration sans caractère politique,
l’Effort Communiste reste très critique envers la Ligue Communiste et l’OGI. Il s’en
prend également aux autres tendances de l’opposition communiste et plus
spécifiquement à la « gauche unifiée »19 qu’il accuse d’avoir étouffé la discussion sur
la défense de l’URSS pour éviter une victoire des partisans d’une nouvelle
Internationale20. Rejetant tous les groupes qui ne se placent pas strictement sur la
même ligne politique, l’Effort Communiste apparaît comme un petit cercle de
militants esseulés sur la scène politique oppositionnelle française. Il n’est
apparemment pas convié aux travaux de la première conférence rassemblant les
principales organisations non affiliées aux deux grandes Internationales21.

17
Voir la brochure intitulée : « Où en sommes-nous ? », éditée par L’Effort Communiste, BDIC, F
pièce res. 523/2.
18
« Trotski en France », Ibid.
19
Treint nomme ainsi le groupe issu de la conférence d’unification d’avril 1933.
20
Il s’agit de l’Union Communiste. Voir Rousseau N, « Une macédoine de tendances, la nouvelle
gauche unifiée », La bataille ouvrière, n° 1, août 1933.
21
DREYFUS M, ainsi que VERGNON G indiquent la présence de l’Effort Communiste en tant que
groupe invité. Nous ne pouvons qu’infirmer cette information. La présence d’un groupe si restreint à
cette conférence nous paraît peu probable, d’autant plus que Treint lui-même n’indique jamais avoir
600
La conférence de Paris ouvre le 27 août 1933 en présence de trente-neuf
délégués et seize invités représentant quatorze organisations22. Trois questions
principales sont à l’ordre du jour23 mais la discussion se focalise sur le premier point
portant sur l’objectif principal de la conférence, la fondation d’une nouvelle
organisation internationale. Trois positions s’affrontent alors24. Le premier groupe
prône l’action commune avec les deux Internationales existantes, la réunification du
mouvement ouvrier autour de ces dernières et rejette l’idée d’une quatrième
Internationale25. Le deuxième groupe, principalement représenté par l’ILP, appelle à
« achever une organisation centrale des partis socialistes révolutionnaires », tout en
collaborant avec l’IC qui représente encore selon eux « une force de ralliement ».
Enfin le troisième groupe s’unit autour de l’idée que la deuxième et la troisième
Internationale ont fait faillite, mais diverge sur la tactique qui en découle.
Suite aux rencontres entre Trotsky (OGI) et les dirigeants du RSP, du SAP et
de l’OSP, ces quatre formations présentent à la conférence une déclaration
commune, dite « déclaration des quatre »26. Les signataires affirment rejeter la
théorie du « socialisme dans un seul pays » ainsi que les théories « réformistes et
centristes de gauche ». Ils constatent la faillite des deux Internationales précédentes
et la nécessité d’en construire une nouvelle. Enfin, ils se prononcent en faveur de la
défense de l’URSS, « Etat prolétarien », contre l’impérialisme et la contre-révolution.
Dans une déclaration annexe, l’OGI se prononce contre la théorie du « capitalisme
d’Etat » en URSS27. D’autres représentants, tout en reconnaissant la légitimité de
l’objectif, considèrent que dans la situation de reflux révolutionnaire, la création d’une

assisté à la conférence. Il apparaît plutôt que l’Effort Communiste se contente de publier une brochure
visant à propager la déclaration du Leninbund à la conférence puis d’organiser, avec des militants de
Pour la renaissance communiste, une réunion des partisans de la quatrième internationale, cf. infra.
22
L’ILP, le SAP et le NAP (parti ouvrier norvégien), le RSP et l’OSP (néerlandais), le parti socialiste
italien maximaliste, le PUP (parti d’unité prolétarienne), le NSPP (parti socialiste indépendant de
Pologne), le PC indépendant de suède, le PS indépendant de Roumanie, les socialistes
révolutionnaires de gauche russe, la Fédération communiste ibérique, le Leninbund, l’OGI. Il n’existe
aucun procès verbal des débats. Nous pouvons néanmoins nous référer au compte rendu paru dans
La vérité, n° 171, 8 septembre 1933, p. 4.
23
1) La lutte internationale de la classe ouvrière, 2) Le boycott contre le fascisme allemand et 3) Les
conditions de convocation des congrès ouvriers internationaux.
24
DREYFUS M, Bureau de Londres… op. cit., p. 64-69. Voir également VERGNON G, Catastrophe et
renouveau… op. cit., p. 411-416.
25
Il regroupe le NAP et le PUP. Voir les interventions des deux représentants, La Vérité, art. cit.
26 er
La Vérité, n° 170, 1 septembre 1933, p. 1. La déclaration a été rédigée par Trotsky et amendée
par les représentants des formations partenaires, BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 784.
27
« Identifier le régime social de l’URSS au « capitalisme d’Etat » du type américain, italien ou
er
allemand signifie ignorer la question fondamentale du régime social », La Vérité, n° 170, 1
septembre 1933, p. 4.
601
nouvelle internationale est prématurée28 et refusent de soutenir la déclaration des
quatre.
Le Leninbund constitue la troisième tendance qui, tout en appelant à la
« création de nouveaux partis communistes ainsi que d’une nouvelle direction
internationale du prolétariat », repousse les conceptions des quatre qu’il juge
réformistes :
« La nouvelle Internationale ne peut pas être simplement la réunion des débris
et résidus du mouvement ouvrier actuel. Elle doit bien plutôt se constituer
comme la réunion des nouveaux groupes et partis qui se forment et se
transforment. Ceux-ci doivent se rendre compte des changements
économiques et politiques survenus dans le monde capitaliste comme en
Union soviétique. […] [Les fondateurs de la quatrième Internationale]
n’abordent pas plus l’analyse des tentatives du capitalisme pour surmonter la
crise (capitalisme d’Etat) qu’ils ne portent un jugement marxiste sur l’URSS et
sur les questions qui s’y rattachent. Pour cette raison, la proposition faite à la
conférence de créer une quatrième Internationale dans de telles conditions ne
peut que discréditer l’idée même de la nouvelle et nécessaire Internationale
et, par suite, cette proposition, sous la forme où elle s’est fait jour, doit être
rejetée »29.
En contrepartie, Urbahns soumet trois propositions en vue de la formation d’une
nouvelle Internationale : la création d’un bureau d’information, d’un organe de
discussion et la mise en place d’une action commune contre la réaction fasciste et
les dangers de guerre.
Au terme de la discussion, la « déclaration des quatre » qui devait avoir valeur
de résolution, devient une simple déclaration, pour un problème de traduction30. La
résolution votée par la majorité se contente de réaffirmer une nouvelle fois la faillite
des deux Internationales tout en avançant des propositions floues en vue d’un
rassemblement des socialistes révolutionnaires. Le front commun en faveur de la
quatrième Internationale se fissure dès la première épreuve. L’OGI et le RSP
rejettent le texte mais les deux autres formations ayant signé la « déclaration des
quatre » votent la résolution. Par la suite, les discussions qui se prolongent entre

28
Voir la déclaration du représentant de la Fédération communiste ibérique.
29
« Déclaration du Leninbund sur la quatrième Internationale », 28 août 1933, complément de la
brochure rédigée par Surier J, « Soyons logique », éditée par l’Effort Communiste, 2 février 1934,
fonds Chazé.
30
VERGNON G, op. cit., p. 413.
602
l’OGI et les trois autres partis n’aboutissent pas, malgré une « conférence
préparatoire » qui se tient dans l’appartement des parents de Simone Weil, le 30
décembre 1933, à Paris31.
De leur côté, les partisans d’une quatrième Internationale, renonçant à la
défense de l’URSS, se réunissent à Paris le 29 janvier 193432. Y participent Treint et
Nelly Rousseau, Mathieu et Gandi de Pour la renaissance communiste et enfin des
représentants du Leninbund. Ces trois groupes déclarent approuver la déclaration
d’Urbahns à la conférence de Paris. Dans la continuité de cette initiative, l’Effort
Communiste lance un « Comité d’études pour la quatrième Internationale »33 qui se
fixe pour tâche de regrouper :
« […] tous les groupes et camarades isolés qui, ayant pris conscience de la
trahison de la Deuxième et de la Troisième Internationale sont résolus à
déminer scientifiquement les bases de principe de la future Internationale qu’il
est nécessaire de créer. »
L’appel précise que les principes qui régissent cette première entreprise de
regroupement sont « la liberté d’action et de pensée, ce qui est absolument
nécessaire dans la période d’élaboration ». Depuis la déclaration du 22 avril 1933,
cette affirmation de l’indépendance de chaque groupe revient de manière récurrente
dans les documents publiés par Treint et son groupe. Cette remise en cause de la
discipline, du monolithisme et des principes d’organisation du mouvement
révolutionnaire communiste, s’appuie sur la propre expérience politique de Treint,
notamment de la bolchevisation du PCF et des luttes intestines dans l’Opposition de
gauche.
Ce travail théorique engagé par Treint, sur la nécessité de constituer de
nouvelles organisations du prolétariat, se double d’une réflexion plus large sur les
évolutions de l’économie mondiale depuis la crise de 1929 et sur l’intégration de
l’URSS dans le concert des nations capitalistes. Il rassemble toutes ses analyses
dans une brochure qui paraît au mois de janvier 1934.

31
BROUE P, Trotsky, op. cit., p. 787-788.
32
Voir la brochure intitulée « Soyons logiques », p. 5.
33
Ibid.
603
2) « Capitalisme d’Etat et quatrième Internationale »34.

Ce document de 47 pages se compose de deux parties principales. Dans un


premier temps, en s’appuyant sur les thèses d’Urbahns, Treint analyse la tendance
mondiale actuelle vers le capitalisme d’Etat. Dans un second temps, il répond à la
brochure de Trotsky, parue en octobre 1933, sur la nature de classe de l’Etat
soviétique35. La brochure est publiée dans un contexte de reclassement politique où
la question de la quatrième Internationale tient une place primordiale. En France, au
sein de l’Union Communiste comme de la fraction de gauche italienne36, des
militants défendent l’idée que l’Etat russe n’est plus prolétarien et que la défense de
l’URSS doit être abandonnée. Quant à l’OGI, elle traverse une période de doute
consécutive à l’échec de la tentative de rapprochement avec les partis socialistes de
gauche.
Pour Treint, il s’agit de démontrer comment la compréhension du phénomène
du capitalisme d’Etat conditionne la compréhension de la nature de classe de l’Etat
soviétique et modifie la tactique de lutte révolutionnaire. Son analyse de la tendance
générale vers le capitalisme d’Etat n’est pas originale mais s’appuie sur des théories
dont les racines se trouvent en Russie et en Allemagne37. Cependant, son étude se
caractérise par un ton spécifique, une volonté de dramatiser les enjeux du débat38.
Selon lui, le capitalisme libéral traverse une crise structurelle et éprouve la nécessité,
pour se pérenniser, de modifier « sa structure antérieure » pour prendre une forme
originale : le capitalisme d’Etat. Ces changements se manifestent par une implication
croissante de l’Etat dans l’économie et par l’apparition de nouveaux régimes
« modernes ». Celui-ci combine désormais entre ses mains le pouvoir politique et le
pouvoir économique, permettant « une concentration de toutes les forces » pour

34
Treint A, « Capitalisme d’Etat et quatrième Internationale », Brochure publiée par L’Effort
Communiste, Paris, 18 janvier 1931, 47 p., BDIC, F pièce res. 523/5.
35 er
Trotsky, « La quatrième Internationale et l’URSS. La nature de classe de l’Etat soviétique », 1
octobre 1933, Œuvres, 2, op. cit., p. 243-268.
36 er
Voir entre autre « Vers l’Internationale deux et trois quarts ? », Bilan, n° 1, 1 novembre 1933, p.
12-31.
37
Urbahns, dont s’inspire Treint, reprend lui-même des idées de Volodia Smirnov (du groupe russe
des décistes) ou encore Otto Rühle (un des théoriciens du communisme des conseils) qui affirment
tous deux, dès le début des années trente, qu’il existe alors dans le monde une tendance universelle
vers le capitalisme d’Etat. Voir BOURRINET P, « Victor Serge. Totalitarisme et capitalisme d’Etat.
Déconstruction socialiste et humanisme collectiviste », Dissidences, n° 12-13, octobre 2002-janvier
2003, p. 26-32.
38
« L’histoire sociale de notre planète est entrée dans une période nouvelle, grosse de conflagrations
si terribles que, peut-être, la race humaine est destinée à périr dans la catastrophe si la révolution
prolétarienne n’accomplit pas à temps son œuvre salvatrice. », Capitalisme d’Etat et quatrième
Internationale, op. cit.
604
réaliser « à l’extérieur l’expansionnisme le plus puissant dans les compétitions
internationales […] » et « à l’intérieur du pays, la dictature absolue de l’avant-garde
impérialiste la plus consciente sur l’ensemble des forces capitalistes et contre les
forces de la révolution prolétarienne. »39. Cette nouvelle forme d’Etat a pour
corollaire le développement du totalitarisme, c’est-à-dire l’absorption complète de la
société civile par l’Etat40 et une exacerbation du nationalisme :
« Aussi, quand le capitalisme d’Etat s’empare de toutes les entreprises de la
nation, publiques et privées, économiques, diplomatiques, politiques et
militaires pour en faire une gigantesque super entreprise nationale
industriellement et militairement équipée, il ne peut réaliser la direction de
cette super entreprise que sous la forme d’un pouvoir absolu imposant
hiérarchiquement au pays tout entier une discipline de fabrique et de caserne
dans une atmosphère surchauffée de nationalisme enthousiaste et
41
mystique. »
Treint estime que la Première Guerre mondiale, imposant aux Etats de
devenir « contrôleurs et maîtres » de l’économie pour subvenir aux besoins de leurs
armées, a engendré cette évolution du capitalisme. Après une période de
rétablissement du capitalisme libre consécutive à la fin de la guerre, la crise
économique de 1929 a favorisé l’évolution vers des « régimes nationaux d’économie
dirigés par des moyens d’Etat ». Pour assurer la stabilité de leur régime, les Etats
des principales puissances économiques se sont progressivement convertis au
capitalisme d’Etat. Pour lui, toutes les expériences menées en Europe et en
Amérique pour sortir de la crise, qu’elles soient autoritaires ou dans le cadre de
régimes démocratiques, procèdent de la même volonté de modifier la nature du
capitalisme pour assurer sa survie.
A partir de 1922, l’Italie, par le biais du fascisme, a instauré un régime de
capitalisme d’Etat, suivie par l’Allemagne « raciste ». Dans les deux cas, l’Etat a pris
le contrôle de l’économie par le biais de méthodes de terreur dirigées contre les
ouvriers. « L’expérience Roosevelt » aux Etats-Unis représente, selon Treint, une
autre forme de capitalisme d’Etat. Là-bas, en réponse à la crise, l’Etat a organisé une
politique de relance de l’économie par la consommation en augmentant les salaires
et en diminuant le temps de travail. Ce troisième exemple souligne que le capitalisme

39
Treint A, op. cit., p. 4.
40
BOURRINET P, art. cit., p. 26.
41
Treint A, op. cit., p. 5.
605
d’Etat est une tendance universelle mais protéiforme, puisqu’il se développe dans le
cadre de situations économiques et politiques diverses42. Mais, insiste Treint, malgré
ses différences, il s’agit d’une tendance générale qui touche d’autres Etats tels que le
Japon, la Turquie, l’Autriche ainsi que, dans une moindre mesure, l’Angleterre et la
France. Il résume cette affirmation par la formule « le capitalisme d’Etat appelle le
capitalisme d’Etat »43. Il se penche plus particulièrement sur la Russie qui constitue
un cas original en ceci que le capitalisme d’Etat s’est développé sur la base d’un
régime de dictature du prolétariat où toutes les entreprises sont déjà nationalisées,
tandis qu’ailleurs le secteur privé reste dominant :
« Dans le capitalisme d’Etat des pays impérialistes, le secteur nationalisé géré
comme une propriété indivise de la classe dominante ne se compose guère
que d’entreprises et de services publics pour la plupart hérités du régime
démocratique antérieur, tandis que le secteur privé, d’un poids prépondérant,
est constitué par les anciennes entreprises qui conservent une certaine
autonomie de gestion dans les cadres de l’économie nationalement dirigée.
Les proportions sont inversées dans le capitalisme d’Etat en Russie. […] Cette
inversion des proportions au bénéfice du secteur nationalisé du capitalisme
d’Etat détermine en Russie une structure interne historiquement nouvelle de la
classe exploiteuse et dominante : cette classe n’est plus constituée, comme
dans les pays impérialistes, par des capitalistes privés mais par la
bureaucratie soviétique qui, possédant les grands moyens de production et de
répartition sous la forme indivise, se présente comme un seul et gigantesque
capitalisme collectif. »44
Il définit le régime stalinien comme la forme « la plus aboutie » de capitalisme
d’Etat, mais se montre incapable de déterminer les phases de son évolution et se
contente d’affirmer que le capitalisme d’Etat s’est développé en Russie « depuis
plusieurs années ». Dès le début des années 1920, les anarchistes et la gauche
communiste45 définissaient la Russie comme un Etat capitaliste contrôlant
l’ensemble de la vie économique. Treint rejette cette thèse qui dénigre l’expérience

42
Même si l’Etat américain ne peut pas être qualifié de totalitaire, Treint affirme qu’il n’hésitera pas à
employer la coercition si les ouvriers venaient à s’opposer à « l’expérience Roosevelt ».
43
Ibid., p. 9. Otto Rühle a déjà défendu cette thèse sur la tendance universelle au capitalisme d’Etat
dans un livre publié sous le pseudonyme de Carl Steuermann, La crise mondiale ou vers le
capitalisme d’Etat, Paris, NRF, 1932. Cité par BOURRINET P, art. cit.
44
Ibid., p. 13.
45
Autour Anton Pannekoek et Hermann Gorter, les deux communistes de gauche hollandais et
allemand proche du KAPD.

606
révolutionnaire en Russie sous la direction de Lénine. Mais, il se montre incapable
de sortir de l’ambiguïté qui consiste à voir dans la NEP et la politique du groupe
Zinoviev/Staline les prémices de la dégénérescence du régime socialiste et de
l’apparition de la bureaucratie, sans pour autant remettre en cause le modèle
bolchevik. A travers cette brochure transparaît néanmoins une démarche de
recherche du secret de l’évolution du régime soviétique dans un cadre théorique
explicatif. Tout au long des années 1930, Treint poursuit cette réflexion, toujours plus
loin sur la voie du rejet du bolchevisme léninisme.
Une fois défini le phénomène, Treint étudie le positionnement des deux
internationales. Il en déduit que l’une comme l’autre, en dépit de leurs
« phraséologies révolutionnaires », font partie intégrante du capitalisme mondial et
ne peuvent être redressées46. Il conclut, en conséquence, sur la nécessité de
constituer une quatrième Internationale regroupant toutes les forces politiques
opposées au capitalisme. Mais il pose immédiatement les limites de ce
regroupement en précisant qu’il doit découler d’une analyse convergente sur la
question du capitalisme d’Etat et sur la reconnaissance des fautes passées des
différents acteurs de l’opposition47.
Dans la seconde partie du texte, Treint répond, point par point, à la brochure
de Trotsky consacrée à la question de la nature de classe de l’Etat soviétique.
Trotsky axe sa démonstration autour de la question : « l’effondrement de l’IC ne
signifie t-il pas en même temps l’effondrement de l’Etat qui est issu de la révolution
d’octobre ? »48 Il analyse, à travers le prisme de cette question, les arguments de ses
contradicteurs pour démontrer que la situation en URSS n’a pas d’équivalent dans le
reste du monde, qu’en dépit du pouvoir de la bureaucratie stalinienne, l’Etat russe
reste prolétarien et que le rôle de la quatrième Internationale reste de défendre les
conquêtes d’octobre, autrement dit le régime soviétique. Trotsky consacre plusieurs
chapitres à réfuter les thèses d’Urbahns sur le capitalisme d’Etat, considérant
qu’elles n’ont aucune base théorique sérieuse49. En conclusion, il conteste l’idée que

46
La troisième Internationale est devenue l’instrument de la bureaucratie soviétique et donc du
capitalisme d’Etat. Quant aux partis socialistes ― qui ne reconnaissent pas le capitalisme d’Etat mais
parlent du développement en Russie, en Allemagne ou en Italie de formes intermédiaires entre le
capitalisme et le socialisme ― ils luttent, selon Treint, « non pas dans l’intérêt du socialisme mais
dans l’intérêt du capitalisme libre ».
47
Plus particulièrement Souvarine et Trotsky.
48
Trotsky, « La quatrième Internationale.. », op. cit., p. 243.
49
Trotsky rejette, pour qualifier les régimes italien, allemand et américain, le terme de capitalisme
d’Etat et lui préfère celui « d’économie planifiée ». Il réfute l’idée que ces régimes puissent avoir un
caractère progressif dans l’optique d’une future révolution socialiste. Enfin, il repousse
catégoriquement l’idée que le régime russe puisse représenter une des formes de capitalisme d’Etat.
607
la bureaucratie soviétique constitue une classe sociale et qu’elle se soit emparée du
pouvoir en URSS.
Pour Treint, Trotsky commet toute une série de fautes qui « découlent de ses
erreurs sur la Russie » et n’a pas compris ce qu’étaient l’essence du capitalisme
d’Etat et les changements profonds qu’il impliquait dans les sociétés futures. Le
principal point de divergence entre les deux hommes porte néanmoins sur
l’appréciation du rôle de la bureaucratie soviétique que Trotsky, en utilisant une
métaphore médicale, définit comme un cancer bureaucratique au sein de la classe
ouvrière, donc comme une partie du prolétariat. Treint rétorque qu’en exploitant et en
opprimant le prolétariat, la bureaucratie s’en est détachée et a acquis son statut de
classe sociale. Il cherche à démontrer que Trotsky, face à une réalité qui infirme ses
thèses, préfère se pencher sur les aspects théoriques des questions soulevées, au
détriment d’une analyse de la situation concrète50. Puis il dresse un tableau
accablant de la vie des ouvriers russes et de la violence de l’Etat pour conclure que
« l’absolutisme bureaucratique, bien plus étouffant que l’ancienne autocratie tsariste,
ne peut se comparer qu’à la tyrannie fasciste ». Ces allégations sur le totalitarisme
régnant en URSS, corroborées par la suite par les témoignages de Victor Serge51 ou
d’Ante Ciliga52, révèlent l’évolution de Treint sur la question russe. En assimilant le
régime stalinien au fascisme, il s’éloigne un peu plus de la ligne de l’OGI. Le gouffre
politique qui sépare désormais Treint et Trotsky ne permet plus d’envisager une
collaboration au sein d’une hypothétique quatrième Internationale. Les événements
du 6/12 février 1934, amènent les deux hommes à réviser certaines de leurs
positions dans un sens commun, sans pour autant les rapprocher.

50
« En somme, tout le raisonnement du camarade Trotsky revient à dire : d’une part l’économie est
prolétarienne en Russie parce que l’Etat y est prolétarien et, d’autre part, l’Etat est prolétarien en
Russie parce que l’économie planifiée y est prolétarienne. […] Nul révolutionnaire clairvoyant ne doit
se laisser enfermer dans le cercle vicieux où s’épuise le grand talent et la belle énergie du camarade
Trotsky. Le plus terrible des lions devient parfaitement inoffensif aussi longtemps qu’il tourne en rond
en se mordant la queue […] Le camarade Trotsky serait bien embarrassé s’il lui fallait descendre des
sommets nébuleux de l’abstraction sur le terrain solide du concret pour y découvrir les conquêtes
d’octobre épargnées par la contre-révolution bureaucratique. », Ibid., p. 41.
51
Victor Serge (1890-1947) : Journaliste, essayiste, poète et romancier. Militant anarchiste puis
communiste, il réside à Moscou et travaille pour l’IC. Proche de l’opposition et de Trotsky, il est arrêté
une première fois en 1928, puis en 1933. Il est libéré et expulsé d’URSS en 1936 après une
campagne internationale en sa faveur.
52
Ante Ciliga (1898-1992) : Secrétaire du parti communiste de Croatie à 24 ans. Envoyé en 1926 à
Moscou, il enseigne à l'école du parti yougoslave. En 1929 il adhère à l'opposition. Arrêté en 1930, il
passe trois ans en prison à Leningrad avant d'être déporté en Sibérie. Échappe à la mort par une
mesure d'expulsion ordonnée par Vichinski en 1936. La même année Ciliga entreprend la rédaction
de ce qui deviendra Dix ans au pays du mensonge déconcertant.

608
3) La journée du 6 février 1934 et ses conséquences.

Le suicide d’Alexandre Stavisky53 « d’un coup de revolver qui lui a été tiré à
bout portant »54 est à l’origine d’une crise politique débouchant sur les événements
insurrectionnels du 6 février 1934. Cette affaire, qui mêle escroquerie financière et
corruption d’hommes politiques proches du parti radical, se déroule dans un contexte
politique agité. Les ligues d’extrême droite55, très actives depuis 1932, s’en emparent
pour tenter de déstabiliser le régime parlementaire, tandis que la droite parlementaire
fait de même avec l’objectif d’affaiblir la majorité radicale à la chambre des députés.
Durant tout le mois de janvier 1934, les ligues multiplient les démonstrations
violentes dans les rues de Paris, poussant le gouvernement Chautemps à la
démission. Quelques jours après sa désignation, Daladier, le nouveau président du
Conseil, décide de limoger le préfet de police, Chiappe, qu’il accuse de négligence
dans l’affaire Stavisky. Cette mesure, contre un homme proche des milieux
d’extrême droite, provoque la colère des ligues qui appèlent à manifester, le 6 février
1934, devant la Chambre des députés réunie pour voter la confiance au nouveau
gouvernement Daladier. La manifestation, qui réunie des anciens combattants de
l’UNC, les ligues, des élus du Conseil municipal de Paris mais aussi des
communistes de l’ARAC56, dégénère. Les échauffourées font dix-sept morts et près
de deux mille trois cent blessés et obligent Daladier à renoncer au poste de président
du Conseil dès le lendemain. L’ancien président de la République Doumergue
revient sur le devant de la scène pour former un gouvernement d’union nationale.
Pour de nombreux militants communistes et socialistes, les évènements du 6
février constituent une tentative manifeste de coup d’Etat fasciste des ligues alliées
avec la droite catholique et conservatrice. Un mot d’ordre prend le pas sur tous les

53
Juif d’origine ukrainienne, Alexandre Stavisky est un escroc impliqué dans une série de
malversations qui le conduisent en prison. Grâce à l’appui d’hommes politiques bien placés, il est
rapidement remis en liberté et reprend ses activités. A partir de juillet 1933, ses affaires frauduleuses
sont progressivement mises à jour, provoquant sa fuite. Il est retrouvé mort, le 9 janvier 1934, dans un
chalet à Chamonix.
54
Titre ironique du Canard Enchaîné qui, comme de nombreux journaux de gauche comme de droite,
pense que Stavisky ne s’est pas suicidé mais a été assassiné pour l’empêcher de dévoiler ses liens
avec la classe politique française.
55
Forme d’expression privilégiée du courant nationaliste en France qui se caractérise par
l’antiparlementarisme, la xénophobie, l’anti-communisme et l’aspiration à un Etat fort. Parmi les plus
actives, on trouve l’Action Française de Charles Maurras ou la Ligue des Croix-de-Feu présidée par le
lieutenant-colonel François de La Rocque.
56
Selon Serge BERSTEIN, ces différents groupes ont manifesté avec des motifs propres et le plus
souvent divergents. Notamment la Ligue des Croix-de-Feu ne partageait pas le désir d’autres
tendances de l’extrême droite de faire tomber le régime parlementaire par la violence, voir Le 6 février
1934, Paris, Gallimard, 1975.
609
autres : unité d’action. Néanmoins, la direction du PCF, dans un premier temps, agit
seule et organise sa propre manifestation antifasciste le 9 février. D’autres
organisations engagées dans la lutte antifasciste57 préparent une grève générale et
une manifestation pour le 12 février, auxquelles le PCF et la CGTU sont contraints
de se rallier. Le jour de la manifestation, une vague unitaire s’empare de la base des
grands partis et les deux cortèges se fondent place de la Nation. Cependant, la
direction du PCF, en dépit d’un courant unitaire parmi ses militants, ne modifie pas
sa ligne « classe contre classe ». Doriot décide alors de rompre avec le parti et
engage le rayon de Saint-Denis dans la voie de la lutte unitaire antifasciste avec la
section socialiste locale58.
Dans le parti socialiste, les événements du 6 et 12 février suscitent le
développement du courant en faveur du front unique anti-fasciste, notamment dans
la fédération de la Seine, tenue par Marceau Pivert59 et Jean Zyromski60. Sous la
houlette de ces deux hommes, plusieurs réunions communes sont organisées avec
des membres de la Ligue Communiste et des contacts sont pris avec Doriot à Saint-
Denis. L’agitation des ligues contribue ainsi à la prise de conscience, au sein du
mouvement ouvrier français, de la nécessité d’organiser la lutte en commun.
Treint est ébranlé par les émeutes du 6 févier en France ainsi que par le
soulèvement des milices socialistes à Vienne61. Tous ces épisodes violents,
annonciateurs de nouvelles crises majeures, modifient son approche de la tactique
d’organisation de la lutte révolutionnaire. Il s’en explique dans la brochure intitulée
« Où va la France »62, qui paraît en août 1934, et dans laquelle il se livre à une
analyse de la crise du 6 février, de ses causes et de ses conséquences. Selon lui,
les événements du 6 février viennent corroborer la thèse selon laquelle le capitalisme
d’Etat tend à s’emparer du pouvoir dans tous les grands pays industrialisés. Il

57
Les différentes tendances de l’opposition communiste, le parti socialiste, le parti radical, la CGT, la
Ligue des Droits de l’Homme.
58
Depuis le mois de janvier 1934, Doriot s’oppose à la ligne anti-socialiste de la direction du PCF,
notamment en votant contre la résolution du Bureau Politique, approuvant la ligne de l’IC, soumise au
CC du PCF du 24-25 janvier 1934. Voir ROBRIEUX P, Histoire intérieure… op. cit., p. 451-452.
59
Marceau Pivert (1895-1958) : Professeur de sciences physiques. Militant syndicaliste, et socialiste.
Membre de la CAP de la SFIO depuis 1933. Voir KERGOAT J, Marceau Pivert, socialiste de gauche,
Paris, ed. de l’atelier, 1994.
60
.Jean Zyromski (1890-1975) : Militant socialiste et membre de la CAP de la SFIO depuis 1924.
61
Au début du mois de février, des combats opposent en Autriche, et plus particulièrement à Vienne,
l’armée aux milices socialistes (Schutzbund) que le gouvernement de Dollfuss a fait interdire. La
répression fait de très nombreuses victimes. Voir BROUE P, Histoire de l’Internationale
Communiste…, op. cit., p. 630-631.
62
Treint A, Où va la France ; après la semaine des émeutes sanglantes (6-12 février 1934), BDIC,
fonds Lefeuvre.

610
considère l’émeute comme une tentative évidente de coup d’état fasciste orchestré
par « les capitalistes les plus conscients [qui] se rendent compte que le régime doit
changer de structure pour lutter efficacement contre la révolution ouvrière et contre
les impérialismes rivaux »63. Les émeutes et la répression policière témoignent de la
lutte que se livrent les éléments favorables à la démocratie bourgeoise partisane du
capitalisme libre et « l’avant-garde fasciste » qui tente d’imposer le capitalisme
d’Etat64 en France en s’appuyant sur les modèles italien et allemand. Une fois posés
ce qu’il considère comme les véritables enjeux de l’insurrection, Treint analyse
l’évolution de la société française à travers le prisme de ce postulat.
Fidèle à l’analyse marxiste des classes sociales fondamentales en régime
capitaliste, Treint propose un tableau de l’évolution de la bourgeoisie, du prolétariat
et des classes moyennes ― cette dernière ne constituant pas une classe homogène
― depuis le début de la crise économique en France. Ce tableau, quelque peu
schématique, présente la bourgeoisie comme une classe qui, malgré certaines
divergences65, tend majoritairement, sous l’effet de la crise, vers le fascisme.
Concernant le prolétariat, il souligne son découragement et sa désorganisation
malgré les prémices d’un réveil qui se manifeste par les appels en faveur du front
unique, depuis la seconde moitié de l’année 1933, provenant de la gauche de la
SFIO66. Treint se préoccupe principalement de l’évolution de la classe moyenne
depuis 1932 qui, par son hétérogénéité et son inconstance politique, représente la
clé du rapport de force entre les deux classes sociales antagonistes. Et selon lui,
depuis les élections de 1932, la classe moyenne, exaspérée par l’impuissance
parlementaire, se tourne vers les solutions autoritaires proposées par la droite
nationaliste67. Il voit dans l’attitude ambiguë de la SFIO à l’égard des radicaux, une
des causes du mécontentement des classes moyennes et note que l’orientation à

63
Ibid., p. 3.
64
Depuis plus d’un an, Treint défend la thèse que le fascisme ne serait que l’une des manifestations
du capitalisme d’Etat. Il précise ici : « Le fascisme est un mouvement de corruption matérielle et
idéologique des mécontents et des déclassés au bénéfice du capitalisme d’Etat, dernière forme vitale
de l’impérialisme. », p. 3.
65
Treint explique qu’au sein de la bourgeoisie cohabitent plusieurs tendances. Les partisans du
capitalisme d’Etat avec un pouvoir démocratique fort (les néo-socialistes), les partisans d’un
capitalisme libre secondé par un Etat fort (les « fidèles de Tardieu » et enfin les partisans d’une
dictature nationaliste antiparlementaire (monarchistes et fascistes).
66
Principalement les fédérations de la Seine et du nord.
67
Treint part du postulat qui veut que tous les événements politiques, mineurs ou majeurs (victoire
d’Hitler en Allemagne, chute d’un ministère…) induisent automatiquement un déplacement vers la
droite ou vers la gauche (autrement dit vers la réaction ou vers la révolution prolétarienne) des
classes moyennes.
611
gauche de la ligne du parti, suite au départ des néo-socialistes, a permis un retour
d’une frange des classes moyennes au côté du prolétariat68.
Dans l’atmosphère de récession économique et d’affaiblissement de la France
sur les marchés mondiaux, de montée en puissance du « nationalisme intégral » et
des organisations qui s’en réclament69, survient l’affaire Stavisky70. Elle contribue à
placer la question de la nécessité d’un régime autoritaire au centre des débats71. Les
émeutes fascistes découlent des échecs et de la corruption de la démocratie
bourgeoise, de la montée en puissance des partisans du fascisme mais également,
selon Treint, du rôle néfaste joué par le PCF. En refusant toute proposition de front
unique venant de la SFIO, le parti français affaiblit le mouvement ouvrier et fait le jeu
du fascisme72. Il voit dans cette situation une analogie avec les circonstances de
l’arrivée d’Hitler au pouvoir et met en garde les organisations ouvrières :
« Faute de s’accorder aujourd’hui pour mener la lutte urgente, les ouvriers de
toutes tendances seraient fatalement écrasés ; et c’est le fascisme victorieux
qui réunirait d’office dans ses maisons de torture et dans ses camps de

68
« Ainsi, la politique socialiste de soutien à éclipses frayait la voie du pouvoir au chauvinisme de
droite tout en prétendant, très sincèrement d’ailleurs, lui en barrer la route. Ce qui prouve en définitive
que ce n’est pas l’arithmétique parlementaire qui décide mais la lutte de classe, vivante et complexe,
comme la vie elle-même. Contrairement au but qu’elle s’assignait, la politique de compromis
équivoques avec les radicaux menait infailliblement à une situation où le prolétariat impuissant et
démoralisé se serait trouvé face à face avec la coalition dictatoriale de toutes les forces bourgeoises
et petites-bourgeoises. », Ibid., p. 10.
69
Selon Treint, Jean Chiappe, le préfet de police de Paris qui joue un rôle prépondérant dans le
déclenchement des événements du 6 février, est une éminence grise du fascisme favorisant le
développement des groupes de la droite nationaliste : « En même temps, Chiappe s’oriente vers les
groupes extrémistes du nationalisme. Il entretient des rapports cordiaux avec Maurras et Daudet de
l’Action française, avec Taittinger des jeunesses patriotes et en général avec les divers chefs des
mouvements fascistes. […] ; il proclame son admiration pour le fascisme italien, il séjourne
fréquemment dans la péninsule et fait à l’occasion sa cour à Mussolini. […] Outre les services de toute
nature qu’il dirige, Chiappe dispose d’une troupe armée de 25000 agents. Il y introduit de nombreux
corses […] Ainsi, Chiappe tout à la fois développe sa popularité dans son île natale et se constitue à
Paris même un noyau dur de policiers armés dévoués par-dessus tout à leur chef, qui s’affirme
pratiquement inamovible. Parallèlement, le recrutement de 7000 agents en 7 ans parmi les Jeunesses
Patriotes oriente nettement la police parisienne vers le fascisme. Ibid. p. 14.
70
Treint consacre plusieurs pages à présenter le parcours criminel de Stavisky et ajoute que, selon
lui, cet homme serait un agent double franco magyare. Il souligne particulièrement que l’homme
possédait des participations dans de nombreux titres de la presse française.
71
« Mais les escroqueries généralisées et publiquement étalées ébranlent l’autorité de la classe
dominante et détruisent sa cohésion. C’est pourquoi le fascisme, en qui s’incarne l’instinct de
conservation du régime, s’efforce dans la recherche effrénée de profit, de substituer à la corruption
évidente et déréglée de la démocratie bourgeoise, les sévères disciplines du capitalisme d’Etat […] »,
Ibid., p. 19.
72
Treint pense d’ailleurs que la direction de l’IC souhaite une victoire du fascisme en France plutôt
qu’une révolution prolétarienne qui « menacerait le pouvoir » de la bureaucratie soviétique, Ibid., p.
24-25.
612
concentration tous les militants qui auraient échappé au poteau
d’exécution. »73
Le prolétariat affaibli, toutes les conditions sont réunies pour engager « la lutte armée
décisive […] entre les forces de la dictature nationale capitaliste et le gouvernement
de la démocratie bourgeoise ». Le limogeage de Chiappe sert de prétexte à la frange
extrémiste pour déclencher, le 6 février, une insurrection, prévue longtemps à
l’avance, mais qui échoue. Le déroulement de la soirée74 et le recul des émeutiers
représentent une victoire de la démocratie bourgeoise. Victoire de courte durée
puisque dès le lendemain, Daladier démissionne et « capitule devant le fascisme ».
Treint conclut que les émeutes et les événements qui les suivent aggravent le
danger d’instauration d’un régime fasciste en France.
Treint s’intéresse ensuite au rôle joué par la SFIO et le PCF lors de cette
journée. L’attitude de ce dernier, qui par le biais de l’ARAC a mélangé ses forces à
celles des fascistes75, constitue la preuve de la « duplicité des chefs staliniens » qui,
au nom de la lutte contre la démocratie bourgeoise, s’allient à la réaction. Treint
estime néanmoins, à la lumière des événements du 6 février, que la SFIO prend
progressivement une orientation révolutionnaire. A l’approche des émeutes, la
direction et la fédération de la Seine ont alerté et mobilisé leurs forces et le groupe
socialiste à la Chambre s’est refusé à provoquer une crise ministérielle « qui aurait à
coup sûr abouti après de multiples péripéties à la victoire complète et définitive du
fascisme en France. ».
Les journées de manifestation ouvrière du 9 et 12 février 1934 viennent
conforter l’analyse de Treint. Le 9 février, les militants communistes, esseulés dans
les rues de Paris, sont écrasés par les forces de police76. Tandis que, grâce à la
volonté de la base socialiste et communiste, « la journée du 12 février fut une
gigantesque riposte populaire aux violences sanglantes et meurtrières commises la

73
Ibid., p. 23.
74
Treint consacre plusieurs pages à présenter le déroulement des événements, heure par heure.
75
Treint estime qu’il s’agit d’un véritable front unique entre le parti communiste et les fascistes :
« C’est pourquoi, si le front unique avec les fascistes est à rejeter absolument, il faut le rechercher
même avec un parti socialiste embourbé dans le réformisme […] Et cependant les zélateurs de
Staline […] prétendent, par une évidente inconséquence doublée d’un non moins évident contre sens,
que, pour gagner à la révolution des travailleurs égarés par leurs chefs, il faut accepter l’action
commune avec les fascistes et le refuser avec le Parti Socialiste. Du moins c’est la thèse du moment,
que plus tard on jettera par-dessus bord quand les intérêts de la bureaucratie soviétique l’exigeront. »,
Ibid., p. 37.
76
Treint consacre encore plusieurs pages à décrire les combats de rue dans l’est de la capitale et
explique que le gouvernement Doumergue a tendu un guet-apens policier dans lequel le PCF est
tombé.

613
semaine précédente […] ». Elle fut la première étape de la formation d’un front
unique antifasciste dont les principaux bénéficiaires sont, selon Treint, les formations
du « secteur marxiste » opposées à la politique du PCF77. Il tire trois autres
enseignements de la journée du 12 février : le recul du PCF, la dissidence de Doriot
et « l’orientation révolutionnaire » de la SFIO. Il nuance cette dernière appréciation
en soulignant qu’au cours des évènements, la direction socialiste a lancé des mots
d’ordre démocratiques parfois « progressifs » mais également « régressifs »78. Il
proclame néanmoins que les prises de position de la SFIO permettent d’envisager
son redressement dans un sens révolutionnaire. Tirant la conclusion de ses
observations, Treint fait une demande d’adhésion à la SFIO.

4) Redresser le parti socialiste SFIO.

En tant que groupe, l’Effort Communiste a adopté la ligne politique défendue


par Treint depuis le début de l’année 1933 : la faillite des deux internationales
implique la refondation du mouvement révolutionnaire par la création de nouvelles
organisations. Concernant plus spécifiquement la SFIO, Treint souligne, dans une
brochure79 publiée à la suite du congrès national de la SFIO de juillet 193380, toute
l’hostilité qu’il nourrit alors à l’égard de la formation socialiste. Selon lui, la lutte entre
la tendance néo-socialiste81 et le courant majoritaire n’est qu’un nouvel épisode dans
la lutte que se livrent « les deux tendances antagonistes du capitalisme : […]
l’idéologie fasciste et l’idéologie démocratique ». Il considère que la défaite des néo-
socialistes et le renforcement du poids des fédérations majoritairement ouvrières de

77
« Ainsi, pendant la semaine sanglante de février, le rapport de force dans le camp des travailleurs
s’est modifié en faveur de la gauche socialiste, de la Ligue trotskiste et de divers groupes
d’opposition, c’est-à-dire en faveur des tendances qui s’efforcent d’agir selon la doctrine marxiste. »,
Ibid., p. 47.
78
D’après Treint, la situation nécessite l’adoption de mots d’ordre démocratiques ayant pour but de
« réaliser l’union des plus larges masses » et rend impossible une lutte révolutionnaire immédiate. Il
juge, par contre, que la SFIO a commis l’erreur de propager des mots d’ordre démocratiques
« régressifs » comme « la défense de la république » qui entretiennent les illusions sur la possibilité
de réaliser la révolution par la voie démocratique. Il les oppose aux mots d’ordres « progressifs » (lutte
contre le fascisme, lutte contre l’Union Nationale, dissolution de l’assemblée nationale) qui permettent,
au contraire, d’éliminer ces illusions et d’amener les ouvriers sur la voie révolutionnaire.
79
A. Treint, « A propos du congrès socialiste de juillet », BDIC, F pièce res. 523/2.
80
Réuni à la Mutualité, le 16 juillet 1933.
81
Tendance réunie autour de Pierre Renaudel, Adrien Marquet, Marcel Déat…. qui défend la
nécessité de réorienter le parti socialiste en direction des classes moyennes et appelle à une révision
doctrinale centrée sur les mots d’ordre : « Ordre, Autorité, Nation ». Le 6 novembre 1933, la CAP de
la SFIO décide l’exclusion des leaders néo-socialistes. Voir VERGNON G, « Des socialistes
″révolutionnaires″ en France ? », Cahiers Léon Trotsky, décembre 1984, p. 68-78.
614
la Seine et du nord ne peuvent être considérés comme une première étape dans le
redressement de l’organisation socialiste :
« Il faut dénoncer cette illusion tout en comprenant bien que, dans le parti
socialiste comme dans le parti stalinien d’ailleurs, nombreux sont les ouvriers
qui ne comprendront la nécessité de fonder un parti et une Internationale
révolutionnaire qu’après s’être expérimentalement convaincus par leur propre
lutte de l’impossibilité de redresser leurs partis respectifs. »
En 1933, Treint milite en faveur d’une quatrième Internationale en partant du
postulat selon lequel aucune réforme, aucun changement de direction ne peut
permettre de redresser la SFIO, sclérosée par l’influence bourgeoise et
démocratique. Ces conceptions sont néanmoins bousculées par les événements du
6 et 12 février 1934. En un peu plus d’une année, Treint prend son deuxième virage
doctrinal, bien plus brutal et inattendu. En contradiction complète avec toutes les
positions exprimées précédemment, il déclare qu’il est désormais possible
d’envisager un redressement révolutionnaire de la SFIO et que, par ailleurs, celui-ci
« est déjà amorcé »82. Il abandonne la perspective de construction d’une quatrième
Internationale, puisque désormais les conditions nécessaires à la régénération du
mouvement révolutionnaire sont réunies au sein de la deuxième Internationale. Le
groupe de l’Effort Communiste disparaît sans que l’on sache si ce tournant découle
d’une décision collective ou si, au contraire, il entraîne de nouvelles ruptures avec
d’autres militants opposés à l’adhésion à la SFIO.
Face aux événements et à la menace d’un coup d’Etat fasciste que la majorité
des militants, qu’ils soient socialistes, communistes ou oppositionnels de gauche,
jugent imminente, les attitudes divergent. Au sein de l’opposition française, la
Fédération Communiste Indépendante de l’Est, qui jusqu’alors prônait la construction
de nouveaux partis, disparaît suite à la défection de ses leaders qui adhèrent à la
SFIO83. D’autres militants, tel le dirigeant du SAP allemand Boris Goldenberg, réfugié
en France, suivent le même chemin84. Quelques mois plus tard, c’est au tour de la
Ligue Communiste de prendre un « tournant décisif »85. Trotsky estime que, face au

82
Demande d’adhésion au PS, 26 mars 1934, signée par A. Treint, E. Le Trouit, N. Rousseau, T.
Leibot. Publié dans la brochure intitulée, « Les mystères du front unique », BDIC, F. pièce res. 523/4.
Voir la demande d’adhésion dans son intégralité en annexes.
83
RABAUT J., Tout est possible… op. cit., p. 140-141.
84
Pour Boris Goldenberg seule l’adhésion à la SFIO peut permettre de toucher les masses et de les
orienter dans un sens révolutionnaire. VERGNON G., « Des socialistes révolutionnaires en
France ? », art. cit., p. 76-77.
85
Trotsky, « La Ligue devant un tournant décisif », Œuvres, tome 4 (avril 1934-décembre 1934, p.
103-110.
615
tournant du PCF et de la SFIO86 sur la question du front unique, la Ligue doit
« s’adapter courageusement et rapidement à la nouvelle situation » et entrer dans la
SFIO pour ne pas être tenu à l’écart du front unique qui se dessine alors. De
nouveau, avec quelques mois de retard, Trotsky aboutit aux mêmes conclusions que
Treint concernant la tactique de l’opposition communiste. Cependant leurs analyses
divergent. Tandis que Treint espère, par le front unique et le retour des tendances
révolutionnaires au sein du parti socialiste SFIO, redresser l’organisation, Trotsky
souhaite, au contraire, organiser une fraction qui orientera les ouvriers socialistes
vers la construction d’une quatrième Internationale87.
La conférence nationale de la Ligue Communiste du 24 août 1934 décide
finalement l’entrée dans la SFIO et la formation en son sein du Groupe Bolchevik
Léniniste (GBL), dont l’organe reste La Vérité. Toutefois une minorité refuse cette
perspective et se sépare de l’organisation trotskyste. Certains publient leur propre
bulletin, intitulé Le prolétaire d’avant-garde, d’autres choisissent de rejoindre l’Union
Communiste88. En effet, au sein de l’extrême gauche française, de nombreux
groupes et individualités89 rejettent totalement la perspective de redressement de la
deuxième Internationale. Parmi eux, l’Union Communiste fustige tout front unique
comprenant le PCF et la SFIO :
« […] qui ne veulent pas et sont incapables de mener des combats, qui
rejettent a priori toute critique, par conséquent toute tendance révolutionnaire,
qui évitent le contrôle effectif des masses, ne réalisent nullement le FU »90
Pour eux, la décision identique de Treint et de la Ligue d’adhérer à la SFIO, au lieu
d’offrir aux tendances révolutionnaires un accès aux masses contribue, a contrario, à
la « canalisation des masses dans l’intérêt à la fois du réformisme et en définitive de
la bourgeoisie française, à la fois dans l’intérêt de la bureaucratie soviétique, intérêts
qui actuellement coïncident. »91 Malgré la présence de nombreux ouvriers et le

86
Cf. supra.
87
« La seule possibilité pour notre organisation de participer, dans les conditions données, au front
unique des masses, c’est d’entrer dans le parti socialiste. Aujourd’hui comme hier, plus que jamais,
nous jugeons nécessaire de lutter pour les principes du bolchevisme, pour la création d’un parti
véritablement révolutionnaire, et pour la quatrième Internationale. », Ibid., p. 108.
88
RABAUT J., Tout est possible… op. cit., p. 152.
89
Voir Souvarine B., « Les journées de février », La critique sociale, n° 11, mars 1934, p. 201-205.
Mais aussi, La gauche communiste d’Italie, op. cit., p. 99-100, concernant les positions de la Fraction
de gauche italienne à l’égard du front unique anti-fasciste.
90
Bulletin intérieur de l’Union Communiste, août 1934, p. 5, fonds Chazé.
91
Ibid. Voir les Bulletin du groupe de la banlieue ouest, n° 5 et 6, mars et 23 avril 1934, fonds Chazé.
Dans une analyse des événements du 6 et du 12 février, ces militants de l’Union Communiste
soulignent que les manifestations du 12 février avaient « pour mot d’ordre essentiel la défense de la
démocratie bourgeoise ».
616
développement d’une tendance de gauche, autour de Marceau Pivert, l’Union
Communiste oppose à l’entrée dans la SFIO le mot d’ordre de « regroupement des
marxistes léninistes »92. Cependant, par le biais du « Cercle d’études marxistes » de
Courbevoie, l’organisation entretient des contacts avec la gauche socialiste et plus
particulièrement avec Treint, qui intervient à plusieurs reprises93 notamment pour
exposer ses positions sur la nature de l’Etat russe.

92 er
« Le regroupements des marxistes léninistes s’impose », L’Internationale, n° 7, 1 août 1934, p. 4.
ème
Soulignons que depuis 1929, le groupe d’opposition du 15 rayon qui s’est fondu dans l’Union
Communiste fut toujours l’un des initiateurs principaux des tentatives de regroupement de l’opposition
en France.
93
Dans le n° 7 de L’Internationale, il est indiqué que Treint participe au trois dernières réunions du
cercle, dont une fois au côté de Claude Just (membre de la tendance Comité d’action socialiste
révolutionnaire au sein de la SFIO). Les exposés de Treint portent sur la défense nationale ainsi que
sur « le rôle de l’URSS dans un conflit impérialiste et […] les dangers de croire encore au caractère
prolétarien de l’Etat soviétique. », p. 4.
617
B/ La Lutte Finale : tendance antistalinienne de la SFIO.

Le 26 mars 1934, avec trois autres militants issus de l’Effort Communiste,


Treint fait sa demande d’adhésion. Elle devient effective le 20 juillet 193494. S’il
rejoint tout d’abord la XVe section de la SFIO95, il milite par la suite à la XIXe
section96. Peu après son adhésion, il fonde le groupe La Lutte Finale, doté d’un
bulletin du même nom. Cette tendance représente une infime minorité au sein de la
gauche socialiste qui compte de nombreuses autres tendances97. La plus influente
est la Bataille Socialiste de Jean Zyromski et Marceau Pivert. Plus à gauche, le
Comité d’action socialiste révolutionnaire (CASR) provient du groupe l’Action
socialiste exclue en 1933. Evoquons également les deux tendances « planistes »98,
la Révolution constructive et Combat marxiste, animé par Lucien Laurat et sa
compagne Marcelle Pommera.
Le groupe Treint apparaît isolé, du fait de ses positions antisoviétiques et
contre le front unique avec la « direction stalinienne », alors même que la direction
de la SFIO, avec l’appui de la gauche, s’oriente vers l’action commune avec le PCF.
Néanmoins, en participant activement à la vie de l’Entente des jeunesses de la Seine
et de la fédération de la Seine et en collaborant au mouvement contre la guerre, La
Lutte Finale influe sur les débats politiques qui traversent le mouvement socialiste au
cours de la deuxième moitié des années trente.

1) Le tournant du PCF : du front unique au front populaire.

La conférence nationale du PCF, tenu à Ivry du 23 au 26 juin 1934, entérine


un tournant tactique voulu par l’IC et par la direction du PC d’URSS. Depuis le début
de l’année 1934, l’URSS infléchit significativement l’orientation de sa politique

94 e
Voir le fichier des militants de la 15 section de la SFIO. CHS, fonds Marceau Pivert, 559 AP 1.
95
Voir Rabaut J., op. cit., p. 134.
96 e
Treint est rayé du fichier des militants de la 15 section de la SFIO.
97
HOLH T., L’identité politique des courants et tendances de la gauche de la SFIO, du congrès de
Tours au début de la quatrième république. Etude d’une pratique, Thèse d’Histoire, sous la dir. de Mr
WOLIKOW S., 2001, Université de Bourgogne.
98
Sur le planisme et les thèses du belge Henri De Man, voir VERGNON G, Catastrophe et
renouveau… op. cit., p. 509 et suivante. Voir également la présentation des deux groupes planistes
de la SFIO p. 546-551.
618
étrangère99, entraînant des répercussions au sein du Komintern. Thorez et
Vassart100, alors à Moscou, se voient imposer une nouvelle ligne politique, rompant
totalement avec la tactique « classe contre classe », et appelant à l’unité d’action
avec la SFIO. Malgré les réticences compréhensibles face à ce changement de cap,
les délégués présents à la conférence nationale acceptent l’idée d’une d’alliance
politique avec la SFIO et d’une modification de la ligne politique de plus grande
ampleur101. Lors de cette conférence Doriot, qui prônait depuis plusieurs mois la
nécessité d’une alliance avec les socialistes, est exclu du parti. Il devient la cible des
autres dirigeants, qui l’accusent d’avoir voulu transformer le front unique en une
simple « manœuvre vulgaire »102. Il convient en effet de légitimer la nouvelle ligne
politique et de dissimuler le caractère brutal du changement d’orientation. Pour cela,
l’exclusion de Doriot est associée à celle de Treint, dont la formule sur « la volaille à
plumer » reste dans toutes les mémoires. La direction du PCF tente ainsi de donner
l’apparence d’une continuité historique à la ligne du parti :
« Nous sommes des partisans convaincus et acharnés du front unique de lutte
antifasciste. Nous voulons effectivement organiser et réaliser l’action
commune avec les ouvriers socialistes. Faut-il rappeler que nous avons
chassé Treint du parti précisément parce que pour lui la tactique du front
unique consistait à ″plumer la volaille″ ? Faut-il rappeler que l’homme de la
″volaille à plumer″ s’est précisément réfugié auprès de Trotsky avant de
retomber dans le parti socialiste ? »103
Gitton104, de son côté, voit des similitudes entre l’attitude de Doriot et Treint :
« C’est-à-dire qu’il n’y a pas chez Doriot le souci d’établir le front unique de
lutte entre ouvriers communistes, socialistes et sans parti, mais pour lui il y a
simplement le souci de manœuvres, au même titre que le citoyen Treint dans
le front unique. Il est très caractéristique que Treint qui défendait de telles
théories a trahi notre parti, a échoué dans les bras de Trotsky, pour finir dans

99
Depuis la fin de l’année 1933 la France et l’URSS ont entamé des pourparlers en vue d’un pacte
d’assistance mutuelle contre l’Allemagne qui aboutit à un accord de principe, signé le 4 juin 1934.
100
Albert Vassart (1898-1958) : Militant syndicaliste et dirigeant communiste. En 1934, il est le
représentant du PCF auprès de l’IC.
101
Comme le soulignent COURTOIS S. et LAZAR M. : « En trois jours le PCF est donc passé du refus
de choisir entre fascisme et démocratie bourgeoise, du front unique à la base et de la lutte immédiate
de la classe ouvrière pour le pouvoir des soviets, au soutien, sans doute momentané, à la démocratie
bourgeoise, au front unique au sommet sans conditions et à la défense des classes moyennes et du
pays », op. cit., p. 123.
102
Intervention de Gitton à la conférence nationale, l’humanité, n° 12977, 27 juin 1934, p. 4.
103
Rapport de Thorez à la conférence nationale, l’Humanité, n° 12974, 24 juin 1934, p. 4.
104
Marcel Gitton (1903-1941) : Ouvrier du bâtiment. Dirigeant syndicaliste et communiste.
619
les rangs de la social-démocratie. Quand nous voyons le chemin suivi par
Doriot, on s’aperçoit qu’il y a ici une similitude absolue. »105
En réponse aux allégations qui se multiplient106, Treint écrit une « mise au
point nécessaire »107 dans laquelle il revient sur son attitude passée au sujet de la
question du front unique108. Contrairement à ce qu’affirment les intervenants à la
conférence nationale du PCF, il estime avoir toujours lutté pour « le front unique de
toutes les organisations prolétariennes avec droit de critique mutuelle devant la
classe ouvrière », au contraire du PCF qui, en appliquant la théorie du social-
fascisme, a empêché « l’unité d’action de se réaliser » et « a contribué à la victoire
d’Hitler ». En définitive, Treint juge la conversion soudaine du PCF comme le simple
résultat d’une manœuvre politique orchestrée depuis Moscou par la « contre
révolution bureaucratique » ne faisant « qu’adapter sa politique aux changements
intervenus dans la situation mondiale. »109 Le tournant français découle simplement
d’une lutte d’influence que se livrent, selon Treint, Staline et Vorochilov, le second
étant favorable aux alliances avec les démocraties européennes pour neutraliser
l’Allemagne. Le changement d’attitude temporaire du PCF est par conséquent une
manifestation de la victoire de Vorochilov sur Staline et la coalition antifasciste en
formation une simple combinaison diplomatique. Il ne tient alors pas compte du
caractère spécifique de la dictature stalinienne. Pour lui, Staline, comme les autres
dirigeants du PC d’URSS, n’est qu’un exécutant au service de la bureaucratie
soviétique. Toute la politique du mouvement communiste est alors conditionnée aux
intérêts immédiats de cette bureaucratie110.

105
Intervention de Gitton à la séance du 27 juin, art. cit.
106
Entre le 25 juin et le 4 juillet 1934, le nom de Treint, constamment associé à celui de Doriot, revient
à de nombreuses reprises dans les colonnes de l’Humanité. Il s’agit, à chaque fois de dénoncer les
conceptions manœuvrières du front unique.
107
La « Mise au point nécessaire » est publiée dans la brochure intitulée Les mystères du front
er
unique, BDIC, F pièce res. 523/4 ; ainsi que dans l’Internationale, n° 7, 1 août 1934, p. 4.
108
« Je me suis prononcé contre le front unique de Staline avec Tchang Kaï-check, le Galliffet de la
commune de Shanghai, front unique au nom duquel le gouvernement soviétique arma les généraux
du Kuomintang et désarma les ouvriers chinois. Je me suis prononcé contre le front unique de Staline
avec les koulaks (paysans capitalistes) contre les ouvriers russes qui voulaient maintenir les
conquêtes d’octobre. », Ibid.
109
« Les mystères du front unique, op. cit., p. 4.
110
« La bureaucratie soviétique, en effet, n’est pas antifasciste par principe. Elle combat ou ménage
tel ou tel fascisme selon qu’il la gêne ou qu’il la favorise dans le jeu diplomatique international. […]
Alors que le robuste antifascisme prolétarien mènerait à la révolution socialiste, l’antifascisme mutilé
par la bureaucratie soviétique s’oriente non seulement vers la guerre impérialiste mais ce qui est
beaucoup plus grave, vers la participation de certains prolétariats à cette guerre impérialiste sous la
direction de leur propre bourgeoisie. » Ibid., p. 6.

620
Cette analyse du tournant du PCF, qu’il voit uniquement comme une
manifestation de la politique étrangère cynique de l’URSS, ne trouve quasiment
aucun écho au sein de la SFIO, dont la très large majorité des militants appelle de
ses vœux la réalisation de l’unité ouvrière et considère l’URSS comme la patrie du
socialisme en voie de réalisation. Même au sein de la gauche, la quasi-totalité des
tendances, Bataille Socialiste ou GBL, prône la défense de l’URSS, entretenant ainsi
un discours ambigu à l’égard du PCF111. Avec La Lutte Finale, seul Combat Marxiste
rejette toute initiative unitaire avec les communistes112.
La concrétisation du front unique et l’évolution rapide du discours des
dirigeants du PCF confortent Treint dans son analyse. La volonté de la direction du
PCF de réaliser « à tout prix »113 le front unique avec la SFIO, malgré les réticences
des dirigeants de cette dernière, aboutit, le 27 juillet, à la signature d’un pacte d’unité
d’action. Le 9 octobre, Thorez propose pour la première fois la création d’un « front
commun de la liberté et de la paix » et « un large front populaire antifasciste », puis
le 24 octobre il lance un appel à la constitution d’un « Front populaire de la liberté, de
la paix et du travail », élargi au parti radical114. Un nouveau pas est franchi lorsque le
15 mai 1935 la France et l’URSS signent un pacte d’assistance mutuelle. La
rencontre entre Laval115 et Staline se conclut par un communiqué : « Monsieur
Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par
la France pour maintenir sa force au niveau de sa sécurité ». Immédiatement la
direction du parti approuve le communiqué puis réoriente totalement sa ligne
politique. Il renonce à s’opposer à la croissance du budget militaire, abandonne sa
campagne contre la loi portant à deux ans la durée du service militaire et stoppe sa
propagande antimilitariste. Enfin, le 14 juillet 1935, le PCF défile dans les rues de
Paris, au côté des militants socialistes et radicaux, derrière le drapeau tricolore et au
son de la Marseillaise. L’orientation nationaliste prise par le Front populaire entraîne

111
Trotsky, tout en dénonçant le tournant opportuniste du PCF dicté par les intérêts diplomatiques de
l’URSS, affirme : « Nous l’avons déjà dit : le Front unique des partis socialiste et communiste renferme
en soi des possibilités grandioses. Si seulement il le veut sérieusement, il deviendra demain le maître
de la France. », « Où va la France ? », Le mouvement Communiste en France (1919-1939), op. cit., p.
470-471
112
Voir VERGNON G., « Catastrophe et renouveau… », op. cit., p. 543. Trotsky, dans une lettre à la
direction du GBL signale que : « un ami m’écrit que Treint aurait lu dans les sections socialistes des
rapports sur l’URSS tout à fait dans le sens de Laurat. Dans ce cas, il faut se délimiter
impitoyablement de Treint : rien ne pourrait aider mieux les staliniens en poussant vers eux les
ouvriers révolutionnaires qu’une attitude équivoque de notre part vis-à-vis de l’URSS », Œuvres, tome
4, p. 260.
113
Voir le discours de Maurice Thorez à la conférence nationale du PCF le 26 juin 1934.
114
COURTOIS S. et LAZAR M., op. cit., p. 124.
115
Pierre Laval est alors ministre des Affaires étrangères.
621
de nombreuses critiques au sein de la gauche socialiste. Le 14 juillet 1935, les
jeunesses socialistes, en queue de cortège, défilent aux cris de « Gouvernement
ouvrier et paysan Front populaire de combat ! Milice ouvrière ! A bas la défense
nationale ! »116. Treint est à leur côté117.
La Lutte Finale, tendance ultra minoritaire au sein de la SFIO, influence
néanmoins certains militants des jeunesses socialistes. Depuis janvier 1935, elle
diffuse son bulletin dans lequel ses militants multiplient les articles dénonçant le
« sabotage stalinien du front unique »118. Leur thèse tient en une affirmation
majeure : le PCF s’est résolu au front unique prolétarien pour lui ôter tout caractère
révolutionnaire. Comment ? En empêchant l’organisation de milices ouvrières
armées au nom de l’autodéfense des masses » et en refusant de lui donner un
programme politique « à la hauteur de la conscience populaire »119. Avec l’affirmation
du Front populaire et le rapprochement de la SFIO, du parti communiste et du parti
radical, les positions de La Lutte Finale se radicalisent. Si Treint voyait dans le front
unique des potentialités révolutionnaires, il considère par contre le Front populaire
comme une simple répétition du cartel des gauches qui mène à terme la France vers
un régime fasciste :
« Certes, le Front populaire est en train de devenir un grand mouvement, mais
c’est au prix de l’altération de la conscience de classe des travailleurs. Sous le
couvert d’un vague anti-fascisme, le cartel des gauches ressuscite et s’élargit
sans cesse. Et parallèlement le front unique d’après le 6 février 1934 perd son
orientation révolutionnaire. Les illusions sur la démocratie bourgeoise
renaissent. […] Cet obscurcissement de la lucidité du prolétariat c’est la
néfaste politique de Blum et Thorez. »120
Citer ces deux hommes comme responsables communs d’une même politique n’est
pas fortuit. Treint analyse le Front populaire comme une première étape de la
réunification de la SFIO et du PCF sous la direction de Moscou et la mise en place

116
RABAUT J., op. cit., p. 165.
117
« Et l’on voit, leur emboîtant le pas, casquette de toile en tête, lunettes au bout du nez, à la fois
pénétré et goguenard, Treint, plus que jamais capitaine. », Ibid.
118
Malemont, « Sabotage stalinien du front unique », La Lutte Finale, n° 1, 15 janvier 1935, p. 16-20.
119
« Quand les staliniens veulent borner le programme du front unique antifasciste à n’être qu’un bric-
à-brac de petites réformes disjointes de la grande et double revendication des socialisations et du
pouvoir, ils se traînent en arrière et au dessous de la conscience des masses et freinent leur
combativité. », Ibid., p. 18.
120
Treint A., « Monsieur Staline approuve pleinement la politique de l’impérialisme français », La Lutte
Finale, n° 3, 14 juillet 1935, p. 13-14.
622
d’une direction bicéphale, aisément manipulable121. Il voit la main de Staline et de la
bureaucratie soviétique derrière chaque manœuvre politique dans laquelle le PCF se
trouve impliqué. Il pense que le Front populaire n’est en rien un phénomène politique
spécifique à la France, mais un plan décidé par la diplomatie de l’URSS dans le
cadre de ses alliances avec les Etats européens. Il le compare d’ailleurs avec le
« front unique » de l’IC et du Kuomintang en 1927, et conclut son réquisitoire par la
formule : « Le Front populaire c’est le Kuomintang français ; c’est la trahison ». Dans
un autre article il déclare que le Front populaire, irrémédiablement corrompu par les
directions des trois partis, ne peut être redressé et qu’il doit être « brisé ».
Un autre aspect de la déclaration Laval/Staline indigne particulièrement Treint,
la conversion du PCF en faveur de la défense nationale122 qui permet par ailleurs le
rapprochement avec le parti radical. Il relate ainsi, avec ironie, l’attitude des « chefs
staliniens » qui firent manifester leurs troupes, le 14 juillet 1935, derrière le drapeau
tricolore, puis applaudir le discours de Daladier, honni par les mêmes communistes
un an auparavant. Il s’agit selon lui de la première étape de la collaboration de classe
qui mènera irrémédiablement à l’union sacrée. Ces démonstrations nationalistes et le
soutien à la défense nationale provoquent des tensions entre la majorité et la gauche
de la SFIO. Au sein de la Bataille Socialiste les dissensions se précisent entre
Zyromski, qui se rapproche de la direction et se déclare partisan de l’unité d’action et
de la fusion organique avec les communistes et Pivert, qui dénonce l’union sacrée et
clame la nécessité de l’offensive révolutionnaire, seul moyen de lutter pour la paix123.
La montée en puissance du GBL dans la fédération de la Seine et dans l’Entente des
Jeunesses Socialistes de la Seine exacerbe les tensions entre une minorité
révolutionnaire et la direction de la SFIO, qui se décide à éliminer de ses rangs les
éléments perturbateurs.

121
« […] On peut voir aujourd’hui à la tête du comité central de coordination la direction Blum-Thorez.
Chaque groupe croit avoir la confiance d’en haut mais l’un et l’autre ne sont que des instruments que
l’on peut éventuellement briser l’un par l’autre. L’ambassade de la rue de Grenelle répartit ses
confidences calculées et ses suggestions impératives entre les chefs du Populaire et ceux de
l’Humanité. Ainsi, la politique du mouvement ouvrier français s’élabore dans les entrevues
mystérieuses de Potemkine tantôt avec Blum parfois assisté de Vandervelde, et tantôt avec Péri,
l’agent de liaison de Thorez. », Ibid., p. 5.
122
Treint consacre plusieurs pages à rappeler les positions de Lénine sur la défense nationale,
réfutant en bloc tous les arguments développés par les dirigeants du PCF pour justifier le tournant
idéologique. Il brocarde plus particulièrement la thèse circulant dans les rangs du PCF selon laquelle
les renoncements du Front populaire ne seraient qu’un « plan génial, machiavélique et secret » conçut
par Staline pour installer un régime révolutionnaire en France.
123
RIOUX J-P., Révolutionnaires du Front populaire, 10/18, Paris, 1973, p. 26. Le conflit en Ethiopie
contribue également à la rupture entre les deux hommes, Zyromski approuvant la position de la
direction de la SFIO en faveur d’un arbitrage de la SDN tandis que Pivert profite de cet épisode pour
réaffirmer l’indépendance du prolétariat dans un conflit qui oppose les puissances impérialistes.
623
Au congrès national, tenu à Mulhouse du 9 au 12 juin 1935, la direction de la
SFIO, engagée dans la dynamique de l’unité d’action avec le PCF, met en garde les
militants du GBL contre toute tentative d’obstruction124. Tessier, à propos des
décisions du congrès, écrit qu’il marque la victoire « du socialisme opportuniste
traditionnel »125 caractérisée par l’approbation de « l’alliance franco-russe », qui
mène en France à « l’unité sur la base de l’union sacrée » et à la défense nationale.
Etrangement, il conclut que ce congrès « marque un pas en avant » du fait de la
croissance des tendances révolutionnaires.
Profitant de l’attitude des Jeunesses socialistes de la Seine, lors de la
manifestation du 14 juillet 1935, la direction de la SFIO hâte l’exclusion des
dirigeants de l’Entente des Jeunesses Socialistes de la Seine. Lors du congrès
Fédéral, les tendances de gauche (Zeller126, GBL, Spartacus), unies derrière une
motion commune127, obtiennent une très large majorité. La délégation de la Seine au
congrès national comprend vingt-quatre délégués pour la tendance Zeller, dix-neuf
pour le GBL, onze pour Spartacus, quatorze pour la tendance Mireille Osmin128 et
enfin deux pour la tendance Lutte Finale qui ne s’est pas associée à la motion
majoritaire, malgré les similitudes quant aux analyses sur le Front populaire et sur
l’union sacrée129. Au congrès national des jeunesses, tenu à Lille le 30 juillet 1935, la
majorité vote l’exclusion130 de treize des dirigeants de la tendance révolutionnaire de
la Seine, dont Fred Zeller131. Dès lors, le départ des GBL des jeunesses et de la
SFIO n’est plus qu’une question de semaines. La tendance JSR de Zeller suit la

124
Blum réplique à Molinier, qu’il accuse de trahison : « Camarade Molinier, je vous dirai sans aucune
espèce de ménagement ou de précaution oratoire, qui si l’unité organique pouvait s’établir entre les
communistes et nous et que, pour les raisons que vous venez d’indiquer, cette unité laissât en dehors
d’elle même le petit groupe où vous figurez, j’en prendrai très aisément mon parti. ». Cité par Rabaut
J., op. cit., p. 164.
125
Tessier J., « Le congrès socialiste de Mulhouse », La lutte finale, n° 3, 14 juillet 1935, p. 21-24.
126
Fred Zeller a adhéré aux JS en 1930 avant d’être élu au CA puis au bureau de l’Entente en 1932.
En 1934, il est secrétaire fédéral et membre du comité national mixte (CNM). Au sein de l’Entente il a
fondé la tendance jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR), tout d’abord opposé à la tendance
bolchevik-léniniste avant de s’en rapprocher.
127
Cette motion, en contradiction avec la ligne officielle de la SFIO, fustige le social-patriotisme et
l’union sacrée. Voir Révolution, n° 10, août 1935, p. 2.
128
Tendance proche de la direction de la SFIO.
129
La motion Lutte Finale, signée par Tessier J., Delabie J-J, Lucas J., Borteaux P. affirme
notamment : « La politique du front populaire doit être combattue avec la plus grande énergie car, en
préparant les pires déceptions, elle fraye la voie au fascisme » ou encore « la lutte contre le fascisme
exige une campagne contre toute forme d’union sacrée, l’ennemi étant d’abord chez nous ». Elle se
différencie de la motion majoritaire uniquement sur la question de la nature de classe de l’Etat
soviétique. Voir La Lutte Finale, n° 3, p. 37-40.
130
Les 13 militants sont exclus pour : s’être prononcés en faveur de la construction d’une quatrième
Internationale, pour avoir dénigré la politique du parti socialiste, pour avoir attaqué des militants du
parti et des JS. Voir la motion d’exclusion, IHS, fonds Trotsky (Harvard), 17314.
131
Rabaut J., op. cit., p. 166-167.
624
même voie, au contraire des jeunes proches de La Lutte Finale qui, tout en
manifestant leur solidarité avec les exclus, déclarent vouloir poursuivre leur lutte
dans les rangs de la SFIO132. Lors d’un déjeuner organisé à son domicile peu après
le congrès de Lille, Treint explique à Zeller que dans la situation actuelle la seule
attitude conséquente consiste à « s’accrocher » au parti socialiste, « seule terre
d’asile où se retrouvent tous les déçus du communisme qui espèrent y défendre
leurs idées » et à lutter pour la réintégration133. Contrairement à Trotsky, qui pousse
ses partisans à sortir de la SFIO et à construire un nouveau parti, Treint ne croit pas
que les conditions soient réunies et persiste dans la voie du redressement
révolutionnaire de la SFIO. En dehors du parti socialiste, il s’engage cependant dans
une initiative de regroupement des forces politiques et syndicales opposées à la
défense nationale et à l’union sacrée, mais dont les objectifs, purement défensifs,
visent à organiser un front commun contre les menaces de guerre.

2) L’union sacrée et la conférence de St-Denis.

Suite à la déclaration Laval/Staline deux initiatives identiques voient le jour. La


Révolution Prolétarienne publie un manifeste intitulé « Trahison »134 fustigeant
Staline qui « vend le prolétariat français pour les besoins de sa propre politique
nationale » et appelant tous les opposants à la défense nationale à se manifester.
Puis elle adresse une circulaire « à une cinquantaine de militants, appartenant à
toutes les tendances du mouvement révolutionnaire »135 proposant de préparer une
conférence nationale des adversaires de la guerre et de l’union sacrée. Cette
circulaire reçoit une audience inattendue, le journal recevant plusieurs dizaines de
réponses136 favorables à la tenue « d’un nouveau Zimmerwald ». A l’initiative de
militants de Nouvel Age et de la fédération unitaire de l’enseignement, un second
appel en vue de l’organisation d’une conférence aboutit à la tenue d’une réunion, le

132
Lors du congrès extraordinaire des JS de la Seine, le 17 novembre 1935, le conseil national de la
SFIO confirme les exclusions. Treint intervient au nom de La lutte finale pour manifester sa solidarité
avec les exclus et appeler à la lutte dans les rangs de la SFIO. Révolution, n° 16, décembre 1935, p.
4.
133
ZELLER F., Témoins du siècle : de Blum à Trotsky au Grand Orient de France, Grasset, Paris,
2000, p. 139.
134
La Révolution Prolétarienne, n° 199, 25 mai 1935.
135
La Révolution Prolétarienne, n° 200, 10 juin 1935.
136
Notamment de M. Pivert, M. Paz, G. et L. Bouët, G. Serret, G. Valois, du GBL.
625
23 mai rue de l’Abbaye, à laquelle assistent une vingtaine de militants, dont Treint et
deux autres membres de La Lutte Finale137.
Deuxième étape, tous les groupes partisans d’un rassemblement contre
l’union sacrée se réunissent le 28 mai à la maison de la Mutualité dans le but
d’unifier leurs efforts et de créer un comité d’organisation unique. Mais Charbit,
représentant de La RP, demande que Valois138 ne figure pas dans le comité
d’organisation en raison de son passé. Derrière cette question de personne se cache
une opposition entre une orientation communiste d’un certain nombre de
groupements et les conceptions anarcho-syndicalistes de La RP139. Lors de la
réunion, les droits de Valois à siéger au comité sont fermement défendus par Collinet
de la Fédération Unitaire de l’Enseignement, par Molinier (GBL) et par Treint140. Avec
les militants de Nouvel Age ces derniers se retrouvent le 8 juin et rédigent une
déclaration commune « Contre l’union sacrée, contre la guerre, pour la
141
révolution » . De leur côté, les membres de La RP réunissent, le 4 juin, les militants
et groupes ayant répondu à leur questionnaire142. Les deux assemblées distinctes
conviennent de l’impératif de ne former qu’un seul comité. Néanmoins le 13 juin, la
délégation composée de membres de Nouvel Age et des groupes ralliés à lui,
attendue pour participer à la réunion organisée par La RP, ne se présente pas. Seuls
des délégués de l’Union Communistes y participent. Une déclaration commune
« Contre la guerre qui vient »143 est signée par tous les participants, à l’exception de
l’Union Communiste144. A la mi-juin, le mouvement contre la guerre et l’union sacrée,
qui se voulait unitaire, est représenté par deux comités d’organisation et par deux
déclarations communes.
En dépit de l’hétérogénéité politique et des conflits qui prévalent dans ce type
de rassemblement de groupes appartenant tous à la sphère de la gauche
révolutionnaire, une même référence au conflit de 1914-1918, à la « nouvelle

137
A la réunion participent plusieurs membres de Nouvel Age, de la SFIO (dont M. Pivert), de l’Union
Communiste, du PUP, du GBL et de nombreux militants syndicalistes dont deux membres de la
Fédération unitaire de l’enseignement. Nouvel Age, n° 43, 20 juin 1935, p. 4.
138
Notice biographique, cf. introduction.
139
« Un comité contre l’union sacrée », l’Internationale, n° 15, 2 juillet 1935, p. 1.
140
« Quelques explications », La Révolution Prolétarienne, n° 202, 10 juillet 1935, p. 9.
141
Nouvel Age, n° 43, 20 juin 1935, p. 1.
142
« Quelques explications », art. cit.
143
« Contre la guerre qui vient », AN, fonds Marceau Pivert, 559 AP 1.
144
« C’est à cette réunion que nous avons dû prendre position devant la nouvelle déclaration
commune proposée par La Révolution Prolétarienne. Quoi que ayant déjà signé un texte dans le
comité primitif, nous étions prêt à en signer un de même orientation, mais devant certaines
divergences et surtout devant le refus de démasquer la social-démocratie comme facteur d’union

626
trahison » et à la nécessité d’un nouveau Zimmerwald ressort des deux déclarations
communes rédigées indépendamment l’un de l’autre145. Tandis que la déclaration
commune publiée dans Nouvel Age dénonce « la politique qui prépare une guerre
mondiale, et qui la justifie avec les mêmes sophismes, avec les mêmes artifices de
propagande que la guerre de 1914 »146, le manifeste initié par La RP fait ressortir
que la déclaration de Staline « remet en cause la leçon si chèrement payée que le
mouvement révolutionnaire a tirée de la guerre de 1914. »147. Tous s’accordent pour
voir dans la nouvelle alliance franco-russe un retour à la période précédant le
premier conflit mondial durant laquelle le mouvement ouvrier européen s’est engagé
dans la voie de l’union sacrée, d’autant plus que l’attitude du PCF, qui rappelle celle
de la SFIO en 1914, vient corroborer les craintes de répétition148. Dans ce cadre, la
lutte antifasciste, telle qu’elle est préconisée par les grands partis ouvriers, est vécue
comme un dévoiement de la lutte révolutionnaire qui mène à un nouveau conflit et à
l’union sacrée sous le drapeau de l’impérialisme français :
« Enfin, pour combattre un fascisme étranger, nous n’acceptons pas de
confondre notre lutte avec celle que mènerait contre lui, à des fins que nous
répudions, notre propre impérialisme. »149
Si le souvenir de la guerre de 1914-1918 permet de rassembler toutes les forces
opposées à la défense nationale et à l’union sacrée, certains voient dans le
mouvement en gestation la nécessité de s’organiser politiquement en vue de la lutte
révolutionnaire tandis que pour d’autres, le refus de l’union sacrée « dénote un
rapport à la guerre beaucoup plus essentialiste »150 caractérisé par une posture

sacrée, nos camarades déclarèrent le texte inacceptable. », « Un comité contre l’union sacrée », art.
cit.
145
« […] l’étude de cette proposition d’un “nouveau Zimmerwald“ renseigne l’histoire du mouvement
ouvrier français sur l’expérience de 1914-1918. L’analyse des discours soutenant l’initiative de cette
conférence ne cerne pas un discours constitué ; elle dénote pour l’ensemble des minorités formant la
gauche révolutionnaire, un égal rapport au traumatisme du premier conflit. Tous mobilisent la mémoire
du premier conflit pour légitimer leur positionnement, réfuter la position du mouvement communiste,
questionner le pacte d’unité d’action SFIO/SFIC. », CHAMBARLHAC V., « Le meeting de Saint-
Denis : Contre la guerre et l’union sacrée (1935) », Dissidences, n° 11, Juin 2002, p. 10.
146
Nouvel Age, n° 43, 20 juin 1935, p. 1.
147
« Contre la guerre qui vient », Ibid.
148
Voir lettre de l’Union Communiste à G. Serret du 17 mai 1935, Fonds Chazé : « Les militants
demeurés communistes [souligné par l’auteur] sont aujourd’hui placés devant une situation analogue
à celle qui a suivi le 4 août 1914. Blum et la SFIO est prête à une guerre démocratique. Cachin et le
PC sont prêt à n’importe quelle guerre pourvu qu’ils ne soient pas seuls et qu’ils n’aient rien à perdre.
[…] L’union sacrée est donc en bonne voie, et en tout cas la trahison n’est plus seulement une
possibilité des deux partis mais une réalité en maturation. »
149
« Contre la guerre qui vient », Ibid.
150
CHAMBARLHAC V., art. cit., p. 13.
627
purement pacifiste. A ces divergences sur la finalité de la conférence, viennent
s’ajouter des clivages idéologiques et tactiques préexistants151.
En dépit de la médiation d’une délégation de la Fédération Unitaire de
l’Enseignement qui aboutit à la réunification des deux comités d’organisation, le
problème de la participation de Valois entretient les tensions jusqu’à la conférence
de Saint-Denis, qui doit avoir lieu les 10-11 août 1935. A la première réunion du
comité unique, le 2 juillet, la question de la représentation de Nouvel Age au comité
occupe tous les esprits et après de nouveaux débats houleux, Nouvel Age décide de
se retirer purement et simplement du comité d’organisation152. Seconde
manifestation des tensions persistantes, le meeting organisé salle Albouy, le 10
juillet, ou doivent s’exprimer plusieurs militants à la base du mouvement153, se
déroule en l’absence de représentants de La RP. Y interviennent successivement un
militant du rayon oppositionnel de Saint-Denis, Lhuillier de l’action léniniste, Collinet
de la Fédération Unitaire de l’Enseignement, Gérard du GBL, Marceau Pivert et
Valois qui explique « les raisons pour lesquelles il est passé du fascisme à
l’internationalisme ouvrier »154. Loin de faire l’unanimité, le discours de Treint sur « la
contre-révolution bureaucratique qui sévit en Russie » entraîne le vote d’un additif à
la motion contre la guerre, préconisant la défense de l’URSS155. Le meeting réunit
des militants partisans d’une action révolutionnaire concertée et non pas d’un simple
rassemblement le plus large possible contre la guerre. Mais, au sein même de cette
tendance, plusieurs questions (rôle de la SFIO, nature de classe de l’Etat soviétique)
font débat. En dépit de ses affirmations156, les positions de Treint restent
extrêmement minoritaires dans la gauche révolutionnaire.
Malgré toutes les difficultés d’organisation, les divergences et les conflits
internes, l’appel pour la conférence est une réussite. Plus de 1600 personnes157,

151
L’Union Communiste explique qu’elle fixe comme but « unique et limité » à la conférence
d’organiser une réaction efficace contre la politique d’union sacrée et non pas un regroupement
révolutionnaire destiné à suppléer à l’absence d’un parti du prolétariat. Il critique l’attitude des militants
socialistes participant au comité d’organisation : « Ce n’est pas au sein de la SFIO et de la CGT, ni
par leur intermédiaire, comme le déclare Boville, soutenu par Treint, que se mènera la lutte contre
l’union sacrée. ». « Un comité contre l’union sacrée », art. cit.
152
Nouvel Age, n° 46, 11 juillet 1935, p.2.
153
Voir le tract d’invitation diffusé par « le comité de coordination des groupes révolutionnaires »,
CERMTRI, carton 1935.
154
« Salle Albouy le 10 juillet », La Lutte Finale, n° 3, 14 juillet 1935, p.33-34.
155
L’additif est voté à une « très large majorité, 12 voix contre et 11 abstention », Ibid.
156
« En réalité, le nombre des camarades estimant l’Etat russe comme non prolétarien était
sensiblement plus élevé ; mais les dirigeants trotskistes obligent, par discipline de secte, certains
adhérents de leur groupe à voter contre leur conscience », Ibid.
157
Voir la liste des adhérents à la conférence, fonds Chazé.
628
représentant une trentaine d’organisations158, adhèrent à la conférence. Les
contributions sur les moyens de lutter contre la guerre et l’union sacrée se multiplient
dans les revues et journaux affiliés à la conférence et permettent un véritable
échange d’opinions et d’expériences. L’espoir est grand de voir naître en France un
véritable mouvement contre l’union sacrée qui dépasse les clivages politiques
traditionnels.
Le samedi 10 Août 1935, entre 500 et 700 délégués159 pénètrent dans l’Hôtel
de ville de Saint-Denis, pour débattre autour de quatre points principaux160. En dépit
du succès que représente le rassemblement de plus de 500 militants autour de la
lutte contre la guerre, les comptes rendus des divers acteurs soulignent tous
l’éclectisme de la salle qui se manifeste dans la composition du bureau
d’organisation des débats161. La journée de samedi voit se succéder à la tribune
pléthore d’intervenants exposant les positions des groupes ou organisations qu’ils
représentent. Certains prônent l’organisation d’un mouvement structuré aux objectifs
révolutionnaires clairement affichés, tandis que d’autres souhaitent constituer un
vaste rassemblement apolitique cantonné à des activités de lobbying contre la guerre
auprès des partis politiques. Le représentant de l’Union Communiste résume le
sentiment général au terme de la première journée :
« […] il fallait assurément beaucoup de patience aux révolutionnaires pour
écouter les longues interventions des pacifistes et autres défenseurs de la
SDN, du désarmement, des conversations avec Hitler, de la défense de la
paix, etc. Chaque orateur exposa comment son organisation ou lui-même
estimait que la lutte devait être menée. Il apparut qu’entre deux parties de ces
groupements et tendances un langage commun n’existait pas. »162

158
La Révolution Prolétarienne, n° 204, 10 Août 1935, signale « des sections entières du parti
socialiste, trois ententes départementales de jeunesses socialistes […] des organisations syndicales
[…] des organisations pacifistes en grand nombre, dont plusieurs de jeunes : Ligue internationale des
anciens combattants, Patrie Humaine, Ligue scolaire pour la paix, Union des jeunes pacifistes, enfin le
mouvement anarchiste presque au complet. ».
159
500 selon le compte rendu de La Révolution Prolétarienne, n° 205, 25 août 1925, p. 3 ; 700 selon
celui paru dans L’émancipation, n° 391, 15 septembre 1935, p. 14 ; enfin L’Internationale, n° 17, 20
septembre 1935 précise : « A la première séance, le samedi après-midi, plus de 500 présents. Au
cours des deux jours, peut-être 700 à 800 personnes assistèrent à la conférence », p. 3.
160
L’ordre du jour comprend 1° La situation politique actuelle et les menaces de guerre après le pacte
franco-soviétique et la déclaration de Staline ; 2° Caractères qu’auraient les guerres à venir. Forme
possibles de l’union sacrée ; 3° La solidarité internationale et les moyens de lutter contre la guerre ; 4°
Organisation d’un mouvement contre la guerre et contre l’union sacrée.
161
Le bureau comprend Perigaud (SFIO), Rolland (rayon de Saint-Denis), Frank (GBL), Bouët (FUE),
Chambelland (Révolution Prolétarienne), Bauchet (pacifiste) et un anarchiste. Voir Chambelland M.,
« La physionomie des débats », La Révolution prolétarienne, n° 205, 25 août 1935, p. 7.
162
« La conférence de Saint-Denis », L’Internationale, n° 17, 20 septembre 1935, p. 4.
629
Les tenants de solutions pacifistes, réunis autour des anarchistes et des
syndicalistes de La RP, fustigent et brocardent les organisations communistes
oppositionnelles venues si nombreuses et incapables de s’entendre entre elles, tout
en appelant à la formation d’un grand mouvement révolutionnaire unifié, comme le
remarque Chambelland à propos de l’inscription des orateurs :
« Mais quelle avalanche de toutes les minuscules organisations d’opposition
communiste ! […] Il y a l’Action léniniste, l’Union Communiste, la Lutte finale,
le groupe Que Faire ?, les bolcheviks-léninistes de la Vérité, les bolcheviks-
léninistes dissidents, etc., etc. L’un annonçait 17 membres et faisait inscrire 2
orateurs pour une demi-heure chacun. Un autre voulait quatre orateurs pour
50 membres. Pour certains comme Treint ― qui demandait une heure de
parole ― fonder une organisation ce n’avait été qu’adopter un pseudonyme, le
groupe de la “Lutte finale“ étant le pseudonyme du capitaine (1 adhérent, pas
toujours d’accord avec lui-même). Quel débordement de chefs en puissance !
Quelle invasion de stratèges ! Que de Lénine en herbe ! »163
Achoppant sur l’hostilité réciproque entre les pacifistes et les révolutionnaires,
les deux premières séances de débats se résument à une succession d’interventions
sans proposition concrète quant aux modalités de l’organisation de la lutte en
commun contre la guerre. Les divisions entre les groupes partisans de la lutte
révolutionnaire compliquent encore la situation. Les bolcheviks-léninistes appellent à
la construction d’une quatrième Internationale, tout en cantonnant leur activité
politique au sein de la SFIO ; l’Union Communiste et l’Action léniniste réclament la
construction d’un nouveau parti et dénoncent l’illusion du redressement de la
SFIO164. A ces premières divergences vient s’ajouter la question de la défense de
l’URSS, qui transcende les clivages politiques établis. Treint, dont l’intervention porte
sur la nécessité d’une organisation la plus large possible pour développer l’action
contre la guerre et sur la modernisation des armes de guerre165, conclut par la
négation complète du caractère prolétarien de l’URSS. La salle réagit plutôt

163
Chambelland M., « Physionomie des débats », art. cit. Voir également le compte rendu des débats
paru dans La Patrie Humaine, n° 177, 23 août 1935, p. 1.
164
Voir lettre de René (Action léniniste) à l’Union Communiste, 10 septembre 1935, fonds Chazé. Voir
également « Nos projets de résolutions pour la conférence nationale contre l’Union sacrée »,
L’Internationale, n° 16, 2 août 1935. L’Union Communiste dénonce la formation d’un parti unique
PCF/SFIO dans le cadre du Front populaire et la réalisation de l’unité syndicale sous l’égide de leurs
bureaucraties respectives.
165
« Enfin Treint vint dire avec autorité des choses très justes (et il fut à peu prés le seul à les dire) sur
les modifications que les derniers perfectionnements apportés aux armes de guerre imposaient à la
tactique révolutionnaire et antiguerrière. ». R. Messac, Le Barrage, n° 62, 15 août 1935, p. 4.
630
favorablement à cette déclaration166. Une « trotskiste dissidente de Marseille »
intervient à son tour pour s’opposer à la défense de l’URSS. Au contraire, les
représentants du GBL réclament que la résolution finale spécifie clairement le devoir
de défense du prolétariat, de même que le représentant du groupe Que Faire ? dont
l’intervention sur la défense de l’URSS167 est « fraîchement accueillie »168 par la
salle169.
Alors que s’ouvre la troisième séance (dimanche après-midi), seules deux
avancées sont à noter. Le rapport de Serret170 (FUE) sur la guerre171, qui a ouvert la
conférence, est approuvé par une très large majorité. Deuxièmement, plusieurs
militants syndicaux ont pris l’initiative de réunir une commission syndicale visant à
« coordonner, à l’occasion des congrès confédéraux, les efforts des minoritaires et
étudier le problème de la constitution d’une minorité révolutionnaire dans la CGT
unique de demain ». La dernière séance, normalement dévolue à la discussion d’une
résolution et des suites à donner à la conférence, est accaparée pendant plus de
deux heures par une discussion houleuse sur « le cas Valois ». Dès le dimanche
matin, Chazoff (anarchiste) intervient pour protester contre la présence de Valois. Ce
dernier expose ensuite « les raisons intellectuelles qui l’ont fait venir de droite à
gauche » et obtient le soutien de la majorité de la salle172. Cependant, l’annonce de
la composition de la commission de résolution, comprenant Valois, déclenche un
« grand tumulte » orchestré par des anarchistes et des membres de La RP. En face,
au côté de la FUE, Treint défend impétueusement le droit de Nouvel Age d’être
représenté par Valois et s’en prend violemment à ses détracteurs173. L’assemblée

166
« [Treint] conclut par une négation catégorique et fort applaudie du caractère socialiste de
l’URSS ». Chambelland M., art. cit., p. 9.
167
Dans son compte rendu, Que Faire ?, n° 9-10, septembre/octobre 1935, souligne que : « Les
débats de cette conférence furent dominés par une seule chose : la lutte contre l’URSS et l’IC. C’était
d’ailleurs le seul thème qui dans cette hétérogénéité obtenait l’unanimité. […] Nous avons fait appel
aux éléments communistes qui se trouvaient dans cette conférence, pour que tous ceux qui se
placent sur le terrain communiste se rassemblent et discutent entre eux la question de la guerre. Mais
cet appel est resté sans écho : parce que les uns, influencés par Treint et Doriot, étaient dominés par
une haine antistalinienne et que pour lutter contre Staline ils sont prêts à s’allier avec n’importe qui ; et
les autres, […] voulant construire une quatrième Internationale espéraient trouver des adhérents dans
cette conférence. »
168
L’Internationale, n° 17, art. cit.
169
Suite à l’intervention du représentant du groupe Que Faire ? , une minorité du même groupe
dépose une déclaration nuançant les positions du groupe, CERMTRI, carton 1935.
170
Gilbert Serret (1902-1943) : Instituteur, militant syndicaliste révolutionnaire. Secrétaire de la
Fédération unitaire de l’Enseignement de 1930 à 1932.
171
L’émancipation, art. cit., p. 14-15.
172
Ibid., p. 16
173
Chambelland qui préside la séance et critique la présence de Valois décrit l’altercation :
« Dommanget et Salducci, ainsi que Collinet et Naville, de même que Treint, mènent grand tapage
contre ceux qui ne veulent pas de Valois. […] Salducci a beau me traiter de dictateur, en compagnie
631
vote finalement en faveur du droit de Nouvel Age de se faire représenter « par qui
bon lui semble » et passe au vote d’une résolution a minima créant une commission
de travail devant définir un plan d’action contre la guerre et préparer une nouvelle
conférence à caractère international174.
En dépit de l’incident Valois et de l’incompréhension entre pacifistes et
révolutionnaires, l’action de la conférence se prolonge sans rupture immédiate. Mais
en réalité, la question Valois a laissé des traces profondes et les mécontents sont
nombreux. Le 13 août, le Peuple publie un article de Chazoff, particulièrement
virulent envers ceux qui ont appuyé Valois175. De son côté, La RP consacre une part
importante de son compte rendu au « cas Valois » et annonce ne pas participer au
nouveau comité uniquement en raison de sa présence. Elle affirme également que
l’incident prouve la volonté des groupes d’opposition de détourner la conférence à
leur profit :
« En bloquant derrière Valois, les militants de la Fédération unitaire de
l’enseignement, les trotskistes partisans de la IVe Internationale, le capitaine
Treint et les autres groupes d’opposition, tous ces éléments se sont réunis
beaucoup plus derrière une idée que derrière un homme ; ils ont fait bloc
derrière l’idée du nouveau parti politique révolutionnaire, idée que le Comité
provisoire avait écartée. »176
Du côté de l’Union Communiste et de certains partisans de la formation d’un
parti révolutionnaire, la décision de poursuivre la conférence dans le cadre d’un
comité comprenant les tendances pacifistes et révolutionnaires entraîne des
contestations. Selon eux, la majorité de la conférence a clairement indiqué « que la
lutte contre la guerre n’est pas séparable de la lutte révolutionnaire du prolétariat »,
ce qui implique de ne pas poursuivre l’action entamée « sur des bases
confusionnistes »177 de la première conférence. Ainsi, les partisans de la lutte
révolutionnaire présentent le « cas Valois » comme un prétexte utilisé par les
pacifistes pour faire échouer la conférence. Pour La RP au contraire, il s’agit d’une

du capitaine Treint, je maintiens que les inscrits doivent parler. A un moment Valois est à la tribune.
Décevant l’attente générale il n’annonce pas qu’il s’efface. Au contraire, fort de l’appui visible et ardent
de certains délégués de l’Enseignement unitaire et du capitaine Treint, il s’impose. ». La Révolution
Prolétarienne, art. cit.
174
Les deux autres points de la résolution sont : 1° Salut fraternel aux ouvriers de Toulon et de Brest ;
2° Affirmation de la solidarité de la conférence avec les jeunes socialistes exclus.
175
Dans son article intitulé : « La séance continue et la farce commence » il écrit entre autre : « Leur
âme de valet les destinait à la trahison. Ils n’ont pas failli à leur destinée. Ils ont trahi hier, ils trahiront
demain. Leur vie est de trahir. »
176
« Notre position après la conférence », La Révolution Prolétarienne, Ibid.
177
L’Internationale, n° 17, p. 3.
632
question de principe, toute collaboration avec « un individu louche »178 étant
inacceptable. Toutes ces préventions pèsent lourdement sur les séances de la
commission réunie au mois d’août et de septembre 1935.
Dans un premier temps, quasiment toutes les organisations et groupes ayant
des représentants à la commission désignée à Saint-Denis participent aux
délibérations. Lors de la première séance, le 13 août, deux questions sont à l’ordre
du jour : le « cas Valois » et « la forme et le contenu de l’action à entreprendre :
politique ou pas politique ? »179. Cette deuxième question monopolise les débats et
divise pacifistes et partisans de l’action révolutionnaire. Mais au sein de cette
seconde tendance s’opposent ceux qui demandent que les actions ne soient pas
dirigées contre les partis ouvriers et ceux qui dénoncent le Front populaire comme un
facteur d’union sacrée et de guerre. Au terme de la première journée, Treint et Guy
Jerram sont désignés pour présenter un rapport sur ces questions essentielles. Le
« débat sur le caractère de la politique de paix des travailleurs »180 se poursuit à la
deuxième séance (20 août) repoussant la rédaction d’une résolution à la séance
suivante. Toutefois, la question ne sera jamais close, le « cas Valois » accaparant de
nouveau toutes les attentions.
Entre la deuxième et la troisième séance paraît le numéro de La RP très
critique à l’égard du déroulement de la conférence et de la présence de Valois181.
Dédaignant cette campagne, Treint, Colette Audry182 (FUE) et le représentant des
Jeunesses socialistes de la Seine souhaitent cantonner les débats à l’action contre la
guerre et plus spécifiquement à la question de la guerre d’Ethiopie183, au centre de
l’actualité internationale184. Alors que les menaces de guerre s’accentuent, la
question Valois risque d’annihiler les efforts pour réaliser « la synthèse » entre

178
Terme employé par Chambelland.
179
« Après la conférence de Saint-Denis », L’émancipation, n° 393, 29 septembre 1935, p. 32.
180
Ibid., p. 33.
181
Il est notamment écrit que : « l’œuvre de sa vie » est « la désagrégation du mouvement ouvrier ».
« Le cas Valois. Les raisons de notre attitude », La Révolution Prolétarienne, n° 205, 25 août 1935, p.
4-7.
182
Colette Audry (1906- . ) : Professeur. Militante syndicaliste et socialiste.
183
Treint publie une étude sur la guerre d’Ethiopie, analysant les conséquences internationales de
l’invasion italienne. La Lutte Finale, n° 4, 11 novembre 1935, p.1-20. Il intervient à plusieurs reprises
dans la commission pour placer prioritairement cette question à l’ordre du jour, voir L’émancipation,
Ibid. Dans sa lettre à Bouët du 28 août, Treint indique : « Nous n’avons pas pu réussir, faute de nous
être suffisamment concertés, à faire mettre à l’étude la question Abyssine, 14 AS 487, IFHS.
184
Depuis le début de l’année 1935, la France et l’Angleterre cherchent appui auprès de Mussolini
pour contenir les visées expansionnistes de l’Allemagne nazie. Les pourparlers débouchent sur les
accords de Stresa (14/15 avril 1935). En contrepartie de son soutien, Mussolini espère obtenir la
neutralité bienveillante des démocraties européennes, concernant ses projets d’invasion de l’Ethiopie.
L’Italie déclenche son offensive le 3 octobre 1935 mais, contrairement aux espoirs de Mussolini, la
SDN vote immédiatement des sanctions que la France et l’Angleterre se chargent d’appliquer.
633
révolutionnaires et pacifistes « qui peut permettre au mouvement de Saint-Denis de
durer et de progresser »185. Treint, très actif dans la commission, se consacre à
« éviter la brisure », persuadé de la nécessité « d’utiliser la volonté spontanée de
ceux qui veulent le désarmement, la révision pacifiste des traités, l’objection de
conscience et croient que ces moyens peuvent être efficaces même en régime
capitaliste » et donner ainsi « un caractère de masse » au mouvement de Saint-
Denis186. A rebours de la caricature du « capitaine », intransigeant et autoritaire, qui
le poursuit encore, notamment auprès des militants de La RP, Treint joue, au sein de
la commission, un rôle de médiateur, afin d’unir toutes les forces face au péril de
guerre.
En dépit de ses efforts, la question Valois aboutit à la scission du mouvement.
Le 3 septembre, plusieurs organisations187 menacent de quitter la commission, si le
« cas Valois » n’est pas réglé. Après vote188, la majorité de la commission décide de
proposer le remplacement de Valois par un autre délégué de Nouvel Age et envoie
une délégation auprès des militants de La RP, pour leur faire part de ces
propositions, acceptées dans un premier temps189. Cependant, le 21 septembre, les
représentants de La RP annoncent « rompre définitivement avec les amis de M.
Valois »190. Conséquence de cette décision, les militants de Saint-Denis et de l’action
socialiste quittent à leur tour la commission. Devant ces défections, Treint infléchit
son discours et condamne le « bloc de pacifistes vulgaires qui croient sincèrement à
la possibilité définitive d’un politique de paix du capitalisme » et qui « veulent torpiller
[la conférence de septembre] en faisant la scission dans la commission élargie ; et,
comme ils veulent cacher leur visage politique, ils veulent faire la scission sur le cas
Valois. »191
En dépit de toutes ces difficultés, la deuxième conférence a lieu au mois de
septembre, grâce au travail de la commission. Le visage politique du mouvement
contre la guerre s’est sensiblement modifié dans le sens d’un regroupement

185
Lettre de Treint à Bouët, 21 août 1935, IFHS, 14 AS 487.
186
Ibid.
187
Les représentants du rayon de Saint-Denis, de l’Action socialiste, des combattants de la Paix et
Guy Jerram. Ils s’associent aux pressions de La révolution prolétarienne et de La Patrie Humaine, qui
pourtant ne participent pas à la commission. Voir L’émancipation, Ibid. Ainsi que la lettre de Treint à
Bouët, 28 Août 1935, Ibid.
188
Proposition adoptée par 8 voix contre 5 et 1 abstention, lettre Treint à Bouët, Ibid.
189
Voir compte rendu de la délégation, « Le "cas Valois" et la Révolution prolétarienne », Nouvel Age,
n° 50, 26 septembre 1935, p. 4.
190
L’annonce accompagne un article de Monatte dénonçant l’attitude de la délégation de la
commission. « Les saboteurs du mouvement contre la guerre », La Révolution Prolétarienne, n° 207,
25 septembre 1935, p. 6-7.

634
révolutionnaire dans lequel Treint s’engage pleinement. La lutte contre la guerre
devient le leitmotiv de son engagement politique.

3) De l’antistalinisme à l’antiléninisme ?

En entrant au parti socialiste SFIO, Treint cherche à profiter de la démocratie


intérieure et des possibilités de « trouver un large champ de travail »192 parmi les
militants et sympathisants socialistes. Contrairement à d’autres tendances
constituées, La Lutte Finale s’affirme comme un groupe dont les positions politiques
sont, le plus souvent, contradictoires avec la ligne officielle de la direction. Peut-on
pour autant dénier à La Lutte Finale le qualificatif de courant socialiste ? Par les
alliances, le plus souvent temporaires et infructueuses, qu’il a forgé avec d’autres
tendances de la gauche socialiste, le groupe ancre son action dans le cadre des
problématiques traversant la SFIO au cours de la deuxième moitié des années
trente.
Suite à la déclaration Laval/Staline et au développement de l’unité d’action
entre le PCF et la SFIO, Treint et La Lutte Finale ont su se lier avec d’autres
tendances de la SFIO193 pour construire une initiative contre la guerre et l’union
sacrée. Peu après cette première expérience, les principaux protagonistes
socialistes à la conférence de Saint-Denis se retrouvent pour fonder une nouvelle
tendance au sein de la SFIO : la Gauche Révolutionnaire194. Treint, accompagné de
Tessier, participe à la réunion constituante, le 30 septembre 1935. L’hétérogénéité
politique est réelle et les participants se regroupent principalement autour de la
personnalité de Pivert195, ses conceptions d’organisation servant de base à la
constitution de la tendance. Ce dernier opte pour une tendance structurée par une
organisation stricte196. Au contraire Treint propose, dans cette période de répression

191
Lettre de Treint à Bouët, 28 Août 1935, Ibid.
192
« Déclaration constitutive du groupe La Lutte Finale », La lutte Finale, n° 1, 15 janvier 1935, p. 1-4.
193
Avec Marceau Pivert et la gauche de la Bataille socialiste, l’Action socialiste (Mallarte et Périgaut),
Révolution constructive (Beaurepaire), les jeunes de l’Entente de la Seine (en cours d’exclusion) et le
GBL (exclu de la SFIO en novembre 1935).
194
« Sous [les] auspices [de la Gauche Révolutionnaire], traditions socialistes, communistes se
côtoient, donnent forme à la nouvelle organisation. […] Socialiste, elle est l’un des pôles de
regroupement antifasciste, révolutionnaire elle mord une frange hostile à la défense nationale,
proposant la révolution avant la guerre. », HOHL T, op. cit., p. 448-449.
195
Voir KERGOAT J., op. cit., p. 93.
196
Compte rendu de la réunion constituante de la Gauche Révolutionnaire, AN, fonds des amis de
Marceau Pivert, 22 AS 1.
635
interne197, la création d’un « cartel de tendances unies par une discipline
commune », justifiant sa position par les divergences politiques, notamment sur la
Russie198. La proposition est rejetée, la majorité adoptant sur le champ une plate-
forme politique en sept points199 à laquelle Treint ne s’associe pas. La Lutte Finale
demeure une tendance isolée au sein de la SFIO, même si elle entretient de bonnes
relations avec la Gauche Révolutionnaire, officiellement constituée le 3 octobre 1935.
Treint et La Lutte Finale trouvent une audience principalement au sein des
jeunesses socialistes de la Seine. Une majorité de ses membres sont des jeunes
résidant en banlieue parisienne (Courbevoie et Asnières)200. Ces militants
s’engagent aux côtés des exclus du congrès de Lille, de même que Treint qui
participe au congrès extraordinaire de l’Entente de la Seine, le 17 novembre 1935,
pour y dénoncer les mesures d’exclusion201. Les jeunes de La Lutte Finale prennent
part à la création des Jeunesses Socialistes Révolutionnaires (JSR) où ils forment un
groupe d’environ dix à quinze militants202 dont Tessier, membre du Comité Central
de l’organisation. Par leur entremise, Treint intervient dans les cercles d’études des
JSR pour développer les thèses de La Lutte Finale203. Le 1er juin 1936, les JSR
fusionnent avec les GBL pour former le parti ouvrier internationaliste (POI). Le
groupe « influencé par Treint »204, s’opposant à la formation d’un nouveau parti205,
quitte les JSR et rejoint les Jeunesses Socialistes de la Seine. Jusqu’à la conférence
nationale de Creil, début avril 1937, La Lutte Finale conserve un certain ascendant

197
Après l’exclusion des dirigeants de la gauche de l’Entente des jeunesses de la Seine, 11 dirigeants
du GBL sont convoqués devant la commission des conflits et sont exclus le 2 octobre. Le conseil
national confirme la sentence le 17 novembre.
198
Intervention de Treint, Ibid. Soulignons qu’il défend une position proche de celle exprimée par
Molinier qui, au nom des GBL, souhaite la constitution d’un cartel de tendances. Marceau Pivert, tout
en revendiquant la solidarité avec le GBL, craint que ces derniers n’imposent leurs conceptions et
propose de limiter la collaboration à la création d’un « comité de coordination ».
199
Voir KERGOAT J., op. cit., p. 94. Voir également La Gauche Révolutionnaire, n° 1, 20 octobre
1935, p. 1-2.
200
Tessier, Delabie, Lucas, Borteaux. Voir la motion Lutte finale pour le congrès des jeunesses de
Lille (1935), La Lutte Finale, n° 3.
201
Révolution, n° 16, décembre 1935, p. 4.
202
« Où en sommes nous », Le jeune léniniste, n° 4, Août 1936, p. 1.
203
Notamment dans le cadre du Cercle Karl Liebknecht, Treint fait un exposé sur l’insurrection
chinoise et la question russe. Révolution, n° 27, 27 mars 1936, p. 4.
204 er
Lettre de Van (JSR) à Trotsky, 1 juin 1936, IHS, fonds Trotsky (Harvard), Bob 5507-6077.
205
Ils affirment qu’avant d’envisager la création d’un nouveau parti « tout camarade qui veut devenir
révolutionnaire doit s’imposer hardiment l’étude des problèmes nouveaux » que sont la crise du
capitalisme, le fascisme, la nature de l’Etat russe, la faillite de toute démocratie bourgeoise, les
armements nouveaux, la guerre et les nouveaux moyens de répression et enfin comment doit
s’organiser le parti pour répondre aux conditions nouvelles. Nous retrouvons ici les thématiques
chères à Treint. Voir « Sur le nouveau parti », La Lutte Finale, n° 6-7, 27 mai 1936, p. 71-74. Le Texte
est signé par 7 membres du CC de la JSR : Berthe, Corvin, Duco, Delabie, Lebreton, Lessard,
Tessier.
636
auprès des jeunes militants de la Seine, même si celui-ci s’étiole au gré de l’évolution
politique de Treint206.
Comment expliquer l’influence de La Lutte Finale sur les jeunes socialistes,
alors que, dans le même temps, le groupe se maintient, dans la SFIO, à l’état de
minuscule cercle d’étude ? Nous avançons l’hypothèse selon laquelle, au sein de la
gauche socialiste, elle est le seul groupe qui, sous l’influence de Treint, apporte une
analyse originale et intransigeante sur l’évolution du socialisme en URSS. Au sein
des groupes trotskystes ou de la gauche socialiste (pivertiste), la question de la
nature de classe de l’Etat soviétique reste un sujet sensible, borné par les positions
de Trotsky ou par celle de la direction de la SFIO, devenue alliée du PCF. En dépit
des informations sur la répression menée contre toute forme d’opposition et sur la
pauvreté de la très grande majorité de la population russe, ces derniers affirment que
l’URSS reste la nation qui construit le socialisme. Pour certains jeunes qui
s’interrogent et refusent de voir en Staline un dirigeant socialiste, Treint fournit un
éclairage différent, bien que parfois dogmatique et schématique.
Reprenant les analyses développées par Treint depuis le début de l’année
1933, la déclaration constitutive du groupe La Lutte Finale affirme notamment que
« la révolution russe a lentement péri par le poison intérieur de la bureaucratie »,
devenue classe dominante en URSS. L’Etat russe actuel n’a plus aucune des
caractéristiques d’un Etat socialiste, mais au contraire celui d’un Etat dictatorial dirigé
« par un parti sévèrement hiérarchisé intégrant de gré ou de force […] toutes les
classes, toutes les organisations et toutes les institutions du pays ». La montée en
puissance de la bureaucratie russe est présentée, avec le développement du
fascisme, comme deux facettes d’une même réalité207, le développement du
capitalisme d’Etat à l’échelle mondiale:
« Le bureaucratisme russe issu de la dégénérescence de la révolution
d’octobre et le fascisme issu de la concentration bourgeoise se présentent
ainsi comme les formes les plus achevées du capitalisme d’Etat. »208
Une fois posés les concepts de bureaucratie soviétique et de capitalisme d’Etat, qui
constituent le socle des thèses de Treint concernant l’analyse de l’URSS, La Lutte

206
Tessier rompt avec La Lutte Finale au début de l’année 1937, Voir La Lutte Finale, n° 10, 20 janvier
1937.
207
Treint affirme : « En dépit de différences secondaires, quoi-que importantes, bureaucratisme russe
et fascisme réalisent essentiellement, par le moyen du seul parti légal et hiérarchisé de la classe
dirigeante, l’Etat totalitaire intégrant de gré de ou de force toutes les couches sociales, tous les
groupements et toutes les institutions du pays. », « Vers une gauche révolutionnaire unifiée », La
Lutte Finale, n° 2, 15 mai 1935, p. 2.

637
Finale consacre de nombreux articles à l’évolution de la situation politique en URSS,
à partir des informations fragmentaires qui parviennent en France, visant à
démontrer que la Russie n’est plus un Etat prolétarien mais bien l’une des formes les
plus abouties de dictature capitaliste.
Dès le premier numéro du bulletin, en plus de la déclaration constitutive et
d’une étude sur le fascisme, Treint publie un article consacré à l’assassinat de Kirov
qu’il considère comme une manœuvre machiavélique de Staline pour s’assurer le
contrôle de la bureaucratie soviétique :
« Il est probable aussi que l’attentat se rattache obscurément à l’âpre bataille
fractionnelle qui se poursuit depuis des années à l’intérieur de la bureaucratie
soviétique elle-même. […] C’est en tout cas une singulière et bien troublante
coïncidence que Kirov, devenu le principal rival de Staline, ait été précisément
victime de l’attentat. »209
Ces observations témoignent de sa prise de conscience du rôle spécifique de Staline
et de sa place à la tête du parti russe. Suit une étude de J. Surier sur les décrets du
gouvernement soviétique à compter de 1929, avec, en filigrane, la question
suivante : Que reste t-il des acquis de la révolution de 1917 ? Selon lui, les décisions
du gouvernement soviétique vont toutes dans le sens de l’abolition du contrôle
ouvrier et de la disparition de la démocratie ouvrière. Il insiste plus particulièrement
sur les décrets exaltant le sentiment nationaliste, tout en restreignant sérieusement
la liberté de circulation et les droits de la personne210. Toutes ces observations
l’amènent à « nier catégoriquement la nature prolétarienne de l’Etat russe ».
Principalement par le biais de l’examen du changement d’orientation de la
politique étrangère de l’URSS, qui se manifeste notamment par l’entrée à la SDN
puis par le pacte d’assistance mutuelle franco-russe, Treint axe sa démonstration sur
la disparition de la révolution russe et des principes qui la guidaient. Selon lui, face
aux bouleversements géopolitiques du début des années trente, qui voient l’URSS
enserrée par des régimes belliqueux (Allemagne et Japon), menaçant directement le
territoire national, « la bureaucratie soviétique » met en place une politique d’alliance
avec les puissances occidentales qui vise à :

208
« Déclaration constitutive du groupe La Lutte Finale », art. cit., p.3.
209
Treint A., « L’assassinat de Kirov et la répression bureaucratique en Russie », La Lutte Finale, n°
1, 15 janvier 1935, p. 21-26.
210
L’auteur cite le décret du 6 juin 1934 qui « assimile tout franchissement non autorisé des frontières
soviétique à un acte de trahison. […] Notons en passant que la publication de ce décret est
accompagnée de commentaires inspirés par l’idéalisme chauvin le plus effréné. Voilà qui est bien loin
de l’internationalisme de Karl Marx ». Surier J., « La fin d’une illusion », La Lutte Finale, Ibid.

638
« entraîner ses alliés impérialistes dans une contre-agression préventive.
Ecraser l’Allemagne avant qu’elle ait achevé de réarmer, telle est la logique de
la dictature soi-disant socialiste qui règne sur le fameux sixième du globe. […]
Tout comme le fascisme, tout comme la démocratie bourgeoise et avec la
même hypocrisie, le bureaucratisme russe prépare à la guerre sous prétexte
qu’il faut être fort pour sauvegarder la paix »211
La participation de l’URSS aux manœuvres diplomatiques de la France contre
l’Allemagne et de l’Angleterre contre l’Italie met ainsi en évidence la politique
opportuniste des dirigeants russes qui, au nom de la lutte antifasciste et de la
sauvegarde de la paix, tentent de protéger leurs propres intérêts en entraînant « les
travailleurs du monde entier dans la guerre contre l’Allemagne et le Japon [et en
avivant] les rivalités entre nations capitalistes »212.
Sur toutes les questions primordiales qui se posent alors au mouvement
révolutionnaire français (lutte antifasciste, lutte contre les menaces de guerre, unité
d’action socialiste/communiste) Treint développe un argumentaire qui se résume
ainsi : une juste appréciation de ces problèmes nécessite une juste appréciation de
la question russe, qui conditionne toutes les autres213. Il estime, en effet, que les
dirigeants de Moscou, par le biais du PCF, « exercent une grande influence sur les
masses »214 et manœuvrent au sein des deux grands partis ouvriers en fonction de
leurs propres intérêts. Cette thèse caricaturale, qui grossit démesurément l’influence
des agents soviétiques sur la politique française, Treint l’applique à son analyse du
Front populaire qui devient, dès lors, une simple « machination stalinienne et
bourgeoise […] destinée à étouffer par tous les moyens, au nom de la révolution,
n’importe quelle tentative d’action révolutionnaire »215. Après la victoire électorale de
mai 1936 et les grèves de mai-juin, Treint pousse plus loin son schéma faisant du
Front populaire une simple conséquence de l’alliance franco-russe et une manœuvre
dirigée par Staline. Il explique notamment que les premières grèves, contrôlées par
le PCF, visaient exclusivement à favoriser l’URSS dans le cadre des négociations

211
Treint A, « Si tu veux la paix, prépare la révolution », La Lutte Finale, n° 6-7, 27 mai 1936, p. 8.
212
Treint A, « Monsieur Staline approuve pleinement la politique de l’impérialisme français », La Lutte
Finale, n° 3, 14 juillet 1935, p. 4.
213
Treint A, La question russe et la lutte contre la guerre, brochure éditée par La Lutte Finale, 8 août
1935.
214
Ibid., p. 1.
215
La citation n’est pas de Treint mais exprime très précisément sa position. Jacques, « La
signification politique des exclusions », La Lutte Finale, n° 5, 7 décembre 1935, p. 6.
639
diplomatiques en cours216. Autrement dit, l’agitation ouvrière de mai-juin 1936, pour
une partie issue de la spontanéité des masses et de la volonté de se battre pour
transformer la victoire électorale en lutte directe pour l’amélioration des conditions de
travail et de vie, s’explique aussi par un complot organisé dans les hautes sphères
du pouvoir217 et à l’extérieur, scellant ainsi l’alliance contre l’Allemagne hitlérienne.
L’absence de réaction du patronat se justifie par les assurances qu’il aurait reçues
« de la fraction de gauche de l’impérialisme français » et « des chefs staliniens »218,
que le mouvement n’aurait pas de caractère révolutionnaire. Selon Treint, l’attitude
des chefs communistes et syndicaux qui, après les accords de Matignon, appellent à
la fin du mouvement alors même que celui-ci connaît un second souffle, prouve le
bien-fondé de ses affirmations.
On peut s’étonner que Treint, tout en reconnaissant l’ampleur et la puissance
de l’agitation ouvrière de mai-juin, y voit avant tout une sombre machination. D’autant
plus qu’à la même époque, la théorie du complot orchestrée depuis Berlin ou
Moscou, fait florès dans les cercles de la droite française219. Chez Treint, ce
raisonnement manichéen, qui laisse peu de place à une analyse raisonnée des
multiples facteurs qui concourent au développement des événements de mai-juin,
s’explique essentiellement par une grande désillusion à l’égard de tous les partis
ouvriers et groupes révolutionnaires et par le rejet des doctrines révolutionnaires, qui
se manifestent notamment lorsqu’il affirme à l’égard des trotskystes :
« Ils se seraient révélés comme ce qu’ils sont réellement : de néfastes
aventuriers, à la fois sectaires et démagogues, s’éloignant toujours davantage
du marxisme. La Révolution française a commencé, telle fut leur appréciation
de la situation. L’usine aux ouvriers, formation immédiate de soviets, tels

216
« Incontestablement, les dirigeants staliniens ont organisé avec soin le déclenchement des
premières grèves sur le tas. […] D’autre part, ils tenaient à arracher immédiatement de larges
satisfactions pour les ouvriers des usines de guerre de manière à y assurer ensuite la paix sociale qui
permettrait la fabrication intensive des armements destinés à soutenir la Russie au cas où celle-ci
s’engagerait dans un conflit militaire […] La genèse de cette gigantesque bataille de classe s’explique
à la fois par une formidable effervescence ouvrière et par toute une série de manœuvres visant à
utiliser cette effervescence en faveur des intérêts de la bureaucratie soviétique et de larges couches
de l’impérialisme français », Treint A., « Occupations d’usines et Front Populaire », La Lutte Finale, n°
er
9, 1 août 1936, p. 2. Voir également « Sur la grande vague de grèves », l’Ecole Emancipée, n° 40,
28 juin 1936, p. 639-641.
217
Treint parle de la volonté du groupe Finaly de mettre la main sur l’économie du pays en s’alliant au
gouvernement de Front populaire, Ibid, p. 3. Sur cette question voir également les thèses
développées par Valois dans Nouvel Age à la même époque.
218
Ibid., p. 5.
219
Voir LEFRANC G, Juin 1936 : l’explosion sociale du Front populaire, Paris, Julliard, 1966, p.228-
233. Il cite notamment un article de J. Bardoux, paru dans la Revue de Paris du 15 août 1936, qui
affirme que les événements de mai-juin 1936 sont un complot communiste en vue d’étendre la
révolution à la France.
640
furent leurs mots d’ordre. Or la seule révolution française qui ait commencé
consiste dans un nouvel agencement du régime bourgeois. »220
Principalement à partir de 1936, bien que l’on en trouve les prémices dans ses écrits
de 1935, Treint étend sa critique du stalinisme à un rejet plus global de toutes les
doctrines issues de la révolution russe. Il passe progressivement de l’affirmation que
le régime soviétique n’est plus révolutionnaire à une remise en cause de l’expérience
même de la révolution russe, à travers une analyse de plus en plus poussée des
erreurs du léninisme. Il se déclare néanmoins toujours fidèle au marxisme et prône
désormais la mise en place d’un socialisme à la fois révolutionnaire et utopique, basé
sur « la démocratie des consommateurs ».
Au cours des années 1934 à 1937, La Lutte Finale, que ce soit sur la question
du fascisme, de la lutte contre la guerre ou de l’unité ouvrière, représente une
tendance singulière, plaçant au centre de sa réflexion la question de l’appréciation de
la nature du régime russe. Les diatribes de Treint contre Staline et la bureaucratie
soviétique devenus des alliés de circonstance de la bourgeoisie française, les
nombreux articles du bulletin dénonçant les conditions de vie désastreuses du
prolétariat et l’absence de toute démocratie ouvrière, et surtout l’affirmation
récurrente que l’URSS n’est en rien un régime révolutionnaire mais au contraire l’une
des formes les plus abouties du capitalisme d’Etat, permet d’affirmer que La Lutte
Finale constitue bien une tendance antistalinienne à l’intérieur de la SFIO. Elle
subsiste néanmoins dans un parti qui a fait le choix du rapprochement avec le PCF
et qui fait taire les voix trop critiques à l’égard de l’URSS. Après 1935, la direction
continue tout de même de tolérer La Lutte Finale dans ses rangs, car le groupe n’a
qu’une influence marginale, ne dépassant pas quelques cercles des jeunesses
socialistes.

220
Treint A., « Occupation des usines…. », art. cit., p. 9.
641
C/ Socialisme utopique et lutte contre la guerre.

A partir de 1936, le parcours politique de Treint connaît de nouveaux


infléchissements. La victoire du Front populaire, dont le programme contient
l’amnistie générale, lui permet d’envisager de retrouver un poste d’instituteur. Dès le
8 juin, il fait parvenir au nouveau ministre de l’Education nationale, une demande de
réintégration221. Après plusieurs démarches222, il est officiellement affecté dans une
école du 11ème arrondissement de Paris.
Sur le plan politique, si Treint reste membre de la SFIO jusqu’en 1938, La
Lutte Finale végète, n’étant plus constituée que d’une poignée de militants (peut-être
simplement de lui et sa compagne Nelly Rousseau). Après juin 1936, le bulletin se
compose exclusivement d’études de Treint, le dernier numéro de la série (n° 11)
datant du 20 juin 1937. Cependant plusieurs brochures paraissent en mars 1938.
Depuis la conférence de Saint-Denis, il s’est rapproché de Valois et participe, comme
collaborateur, à l’équipe de Nouvel Age223. Il collabore également à différentes
actions contre la guerre initiées par un groupe de militants, autour de Valois.

1) Après Saint-Denis : vers la guerre…

La commission issue de la conférence de Saint-Denis, profondément divisée,


du fait de l’impossible conciliation entre tendances pacifistes et révolutionnaires,
s’avère incapable, durant plus d’un mois d’organiser le moindre travail en commun.
Cependant, lors de la 6ème réunion (17 septembre 1935), un projet de manifeste sur

221
« Monsieur le ministre, J’ai l’honneur de vous demander de me réintégrer dans mes fonctions
d’instituteur public du département de la Seine (Paris). J’ai été révoqué en 1921, pour raison politique,
en raison de mon activité extra-scolaire, alors que j’étais sur la demande en congé sans traitement,
[…] Contrairement à une affirmation erronée, qui a circulé dans les sphères ministérielles, il est
inexact que j’ai à un moment quelconque refusé une réintégration qui ne m’a jamais été offerte. Je
veux ajouter accessoirement que, par suite de mes blessures de guerre ― 50 % d’invalidité ― je ne
puis plus exercer que difficilement mon métier actuel de correcteur. […] ». Lettre publiée dans l’Ecole
Emancipée, n° 39, 21 juin 1936, p. 631.
222
Dans sa correspondance avec Bouët (IFHS, 14 AS 187), Treint fait état de sa surprise
devant sa réintégration ― annoncée dans l’Humanité du 18 juin 1936, n° 13698, p. 2 ― et demande
de poursuivre la campagne pour une « véritable amnistie administrative : poste équivalent à celui
occupé lors de la révocation, rappel d’ancienneté, régimes des versements pour la retraite » (lettre du
19 juin 1936). Par la suite, Treint poursuit ses démarches et demande l’appui de l’Ecole Emancipée
pour obtenir un poste immédiatement et non en octobre (lettre du 10 juillet), revendication acceptée
dans les jours qui suivent (lettre du 20 juillet).
223
Dans son numéro 54, 7-11 novembre 1935, Nouvel age annonce sa transformation en quotidien et
présente l’équipe des collaborateurs parmi lesquels figurent Treint ainsi que Colette Audry, Michel
Collinet (FUE), E. Berth, H. Corsaut, Simone Kahn.
642
le conflit italo-éthiopien224, fruit de la conciliation entre les tendances révolutionnaires
et pacifistes toujours représentées à la commission225, ainsi qu’une résolution226
annonçant la convocation d’une deuxième conférence, sont adoptés. Le dessein de
la conférence de Saint-Denis de réunir tous les courants opposés à la guerre est-il
encore réalisable ? La deuxième conférence en souligne le caractère chimérique. Le
28 septembre 1935, moins d’une soixantaine de militants227 se retrouvent, à la
Mutualité, pour discuter du conflit italo-éthiopien et des suites à donner au
mouvement. De nouveaux les débats prennent rapidement une tournure polémique.
Les partisans de l’action révolutionnaire réclament une rupture immédiate avec les
pacifistes228 et les représentants de la Ligue des combattants de la paix s’opposent à
la majorité sur la question coloniale. Ces derniers prêchent la non résistance du
peuple éthiopien pour qu’ils « s’honorent devant l’Humanité » et déclarent rompre
avec le mouvement si leur position n’est pas prise en compte229. Au terme d’une
journée de palabre, le règlement du conflit est différé à une prochaine commission de
résolution. En fait, la rupture est consommée. Le 9 octobre, la commission vote une
résolution présentée par la FUE qui affirme notamment : « La lutte contre la guerre
est inséparable de la lutte pour la révolution prolétarienne en France dont elle ne
constitue qu’un des aspects »230. Le mouvement semble avoir trouvé un second
souffle en s’affirmant comme un rassemblement révolutionnaire. Cependant, en dépit
d’un meeting, à Paris en décembre 1935, les défections se multiplient, transformant
progressivement le comité en une coquille vide.

224
Intitulé « Agissons contre la guerre ! Contre tous les impérialismes ! » le projet dénonce le rôle de
la SDN et appelle au soutien au peuple éthiopien et à la fraternisation des soldats engagés dans le
conflit. AN, fonds M. Pivert, 22 AS 1.
225
Tessier, dans La Lutte Finale souligne : « Cette résolution, qui cependant contenait de bonnes
choses, n’était malgré tout que le résultat d’un compromis bâtard ; aussi ne disait t-elle rien sur le rôle
des deux Internationales politiques, rien non plus sur l’attitude de l’URSS livrant du mazout à la flotte
italienne. n° 5, 7 décembre 1935, p. 14.
226
Résolution publiée dans l’Emancipation, n° 393, 29 septembre 1935, p. 35.
227
60 selon le compte rendu paru dans l’Ecole Emancipée, n° 8, 3 novembre 1935 et 40 selon celui
paru dans le Bulletin d’informations et de liaison de l’Union Communiste, n° 2, Novembre 1935.
Tessier se contente de souligner que « le petit nombre de délégués était symptomatique du malaise
général », Ibid.
228
Particulièrement les représentants de l’Union Communiste.
229
L’Ecole Emancipée, n° 8, 3 novembre 1935, p. 116.
230
La résolution critique l’URSS « qui participe au concert impérialiste », souligne « l’impuissance et le
danger des méthodes réformistes », appelle à la fraternisation des soldats et revendique le mot
d’ordre défaitiste de Lénine, « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ». Elle est
signée par la FUE, la GR, le GBL, l’Entente des jeunesses socialistes de la Seine, plusieurs
fédérations de la SFIO, la jeunesse syndicaliste des PTT, Nouvel Age, Action Léniniste, Lutte Finale
et construction sociale. Tract du Comité de liaison et d’action contre la guerre et l’union sacrée, AN,
fonds M. Pivert, 22 AS 1.
643
Durant quelques mois, un comité d’organisation se réunit régulièrement
malgré l’absence de plusieurs représentants de groupes signataires de la résolution
du 9 octobre231. Puis, dans une déclaration publiée dans l’Internationale232, l’Union
Communiste annonce son retrait, principalement car « le comité actuel est composé
dans sa grande majorité de groupes qui appartiennent à la SFIO, se soumettent à sa
discipline et refusent de condamner impitoyablement le Front populaire […] »233.
Puis, après la réunification de la CGT et de la CGTU, les membres de la FUE
dissoute donnent à leur tour leur démission, Collinet proposant la dissolution du
comité. Après vote, le comité est maintenu par 5 voix (GBL, JSR, Lutte Finale, Action
léniniste et Nouvel Age) contre 4 (FUE, GR, 15ème section SFIO et construction
sociale), entraînant le départ de ces derniers234. Treint, chargé d’écrire aux membres
de la FUE, justifie ainsi la poursuite du comité :
« Quant à l’isolement de la masse, il est fatal dans une certaine mesure dans
une phase comme celle d’aujourd’hui où il faut lutter contre le courant.
Cependant le travail ne manque pas. Si nous savons rassembler et unir les
quelques milliers de révolutionnaires actuellement épars, ils pourront
conquérir la masse quand elle se détournera du front populaire. Sinon, ce sera
le fascisme de droite ou de gauche. »235
Après la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, Le comité organise un dernier
meeting, salle Albouy, qui réunit selon Treint, 800 auditeurs236 et fait paraître un
bulletin237 . Le comité ne fait plus parler de lui par la suite, hormis un éphémère
« comité prolétarien de coopération franco-espagnole », formé des deux dernières
organisations représentées (Lutte Finale et Nouvel Age) et de quelques
individualités238. Un regroupement des tendances révolutionnaires, autour d’un
thème rassembleur, s’avère une fois de plus irréalisable.

231
Voir plusieurs documents à en-tête du comité d’organisation signés Tessier et Collinet
(secrétaires). Fonds Chazé.
232
« Aux adhérents du comité contre la guerre et l’Union sacrée », n° 18, 15 novembre 1935, p. 4,
ainsi qu’une lettre à Collinet, datée du 19 novembre, fonds Chazé.
233
Après le départ de la majorité des groupes appartenant à la SFIO ou leur départ de la SFIO (GBL,
JSR), Le secrétaire Tessier, tentera, en vain, de faire revenir l’Union Communiste. Lettre du 27 janvier
1936, fonds Chazé.
234
Lettre de Tessier à Bouët, 30 janvier 1936, AN, fonds Bouët, 14 AS 488.
235
Lettre de Treint à Bouët, sans date, Ibid.
236
Lettres de Treint à Bouët, 21 et 27 mars 1936, Ibid.
237
Monde Nouveau, bulletin du centre de liaison contre la guerre et l’union sacrée. Seul deux
numéros (février puis mars 1936) paraissent. BNF, FOL JO 1518.
238
Colette Audry (GR), Lhuillier (CGT, coiffeurs), Fortin (revue anarchiste), Michaud (JSR), René
(Peuples coloniaux)…… Le comité annonce organiser une collecte pour « les orphelins de la guerre
sociale, Nouvel Age, n° 97, 2-16 août 1936, p. 1.
644
En dépit de cet échec, Treint poursuit sa réflexion, entamée depuis plusieurs
années, sur la guerre, son caractère futur et sur la place de celle-ci dans les rapports
de force entre Etats, en collaboration avec Valois et d’autres militants proches de
Nouvel Age. Il soutient qu’une future guerre amènerait inéluctablement à
l’instauration du fascisme dans tous les pays belligérants. Mais l’aspect le plus
original de ses écrits sur la guerre concerne le caractère destructeur que prendrait
celle-ci, du fait de la mécanisation et des progrès scientifiques et techniques. Les
contacts avec des figures scientifiques et intellectuelles proches de Nouvel Age,
renforcent ses certitudes quant à la menace que ferait peser une nouvelle guerre sur
l’humanité toute entière. Dans sa déclaration constitutive, le groupe La Lutte Finale
affirmait déjà :
« Avec les progrès scientifiques, la puissance des moyens de destruction a
distancé d’une manière probablement définitive la puissance des moyens de
protection ; et ce fait, […] ferait de la future guerre mondiale un épouvantable
cataclysme où risquerait de sombrer la civilisation et peut-être même
l’existence de l’humanité »239
Cette thématique de « la guerre d’anéantissement » se retrouve dans la totalité des
articles de Treint consacrés à la question de la guerre. Tel un prophète de
l’apocalypse, il dépeint des lendemains où :
« l’ampleur des dévastations purement matérielles se combinant avec
l’énormité des hécatombes humaines déterminerait très vite l’effondrement de
la science et des techniques modernes, les labeurs séculaires seraient à
recommencer ; sur l’emplacement des cités autrefois si brillantes, il n’y aurait
plus que des hordes de rescapés errant autour des décombres au sein d’une
nature redevenue hostile et menaçante. Ainsi s’accomplirait la régression vers
on ne sait quelle barbarie. »240
Ces descriptions catastrophistes d’un futur improbable, mettent en évidence une
certaine naïveté, un discours schématique s’appuyant sur des allégations non
étayées. Cela s’explique, entre autre, par la volonté de Treint de dramatiser les
enjeux de la lutte contre la guerre ainsi que par sa conviction profonde de la
nécessité de réaliser la « révolution socialisatrice mondiale ». Ce discours se nourrit

239
La Lutte Finale, n° 1, 15 janvier 1935, p. 3.
240
Treint A, « Si tu veux la paix, prépare la révolution », La Lutte Finale, n° 6-7, 27 mai 1936, p. 25.
Nous retrouvons, cette thématique de « l’anéantissement de l’humanité », du « suicide collectif » dans
la majorité des articles de Treint publiés dans La Lutte Finale, voir n° 2, p. 5 ; n° 4, p. 15 ; n° 5, p. 23 ;
n° 10, p. 27.
645
également de sa propre expérience de la guerre et de sa conviction, forgée par le
constat de la multiplication et du perfectionnement des armements, du caractère
destructeur d’une future conflagration mondiale. En tant qu’ancien soldat et officier,
Treint dispose d’un certain savoir en matière de stratégie militaire et se préoccupe
particulièrement des bouleversements induits par les progrès techniques. Cela lui
permet d’affirmer que « la future guerre mondiale serait bien autre chose que la
répétition, à quelques variantes près, de celle de 1914 »241. Il se base sur le fait que
désormais les progrès de l’aviation permettent de transporter « non seulement les
traditionnelles torpilles explosives mais des gaz toxiques et des bombes
incendiaires » et de porter la destruction sur n’importe quelle partie d’un territoire
visé : « En une nuit, Paris, Londres, Rome, Berlin peuvent être détruites et jonchées
de cadavres »242. Cette constatation explique qu’en France, comme ailleurs, les
Etats-majors aient mis en place des « plans de dissémination militaire, industrielle et
géographique » et préparé l’évacuation des grandes cités de toute leur population.
Ces analyses ancrent dans son esprit la certitude d’une catastrophe en cas de
nouvelle guerre.
Chaque conflit ― la seconde moitié des années trente n’en manque pas ―
est ainsi, pour Treint, l’occasion de mesurer la volonté de chacune des grandes
puissances militaires de s’affronter, et de spéculer sur les implications stratégiques
des alliances diplomatiques qui se nouent et se dénouent. Tout d’abord, la guerre
italo-éthiopienne, qui débute en octobre 1935, et dont les préparatifs sont au centre
des débats des organisations affiliées au mouvement contre la guerre et l’union
sacrée, est présentée par Treint comme un conflit opposant « l’impérialisme le plus
ancien et le mieux pourvu [l’Angleterre] et de l’autre le plus récent et le plus mal servi
[l’Italie] »243 séparant l’Europe en deux camps ennemis. Dans ce contexte, il souligne
l’attitude louvoyante et opportuniste de l’URSS244 mais aussi de la France, qui
cherche à se rapprocher de l’Italie ― pour former un front commun contre
l’Allemagne ― tout en ménageant l’allié anglais. Il élargit son champ d’étude en

241
Treint A, A bas la guerre ! Après le congrès international de février 1938, brochure éditée par La
Lutte Finale, 17 mars 1938, p. 7.
242
Ibid., Voir également l’«Etude sur la guerre » de Tessier, La Lutte Finale, n° 2, 15 mai 1935, p. 23-
32.
243
Treint A, « La guerre d’Ethiopie », La Lutte Finale, n° 4, 11 novembre 1935, p. 1.
244
A plusieurs reprises, Treint affirme que l’URSS, désormais liée à la France par un pacte
d’assistance mutuelle « se trouvera dans l’un des groupes impérialistes » lors de la prochaine guerre
et qu’elle n’hésitera pas à rompre les alliances contractées auparavant en fonction de ses intérêts
propres. Voir notamment, « Vers une gauche révolutionnaire unifiée », La Lutte Finale, n° 2, p. 4.
646
replaçant le conflit dans le contexte de tensions internationales245, tout en minimisant
sa portée en expliquant qu’en raison du risque d’embrassement général, « les
hostilités resteront circonscrites à l’Italie et à l’Ethiopie »246. Pour replacer son étude
dans le cadre du mouvement contre la guerre, il fait ressortir les opportunités
révolutionnaires offertes par le conflit, notamment du fait de la déstabilisation
intérieure de l’Italie247, de la possibilité de propager les mots d’ordre de fraternisation
des soldats italiens et éthiopiens et de « boycott ouvrier » de l’Italie fasciste :
« Tant que la guerre demeure circonscrite, le soutien du peuple éthiopien doit
se manifester d’une manière immédiate et pratique par le boycott du fascisme
italien ; […] La fraternisation, praticable dès maintenant entre les troupes
belligérantes ainsi qu’entre toutes les flottes méditerranéennes, doit évoquer
constamment cette large perspective de libération humaine. »248
Nous retrouvons, dans cet article, les thèmes tels que la montée en puissance du
capitalisme d’Etat, le rôle contre-révolutionnaire de l’URSS et les menaces de
nouvelle guerre mondiale dévastatrice qui constituent l’architecture du discours de
Treint et qu’il applique comme grille de lecture à l’ensemble des événements
politiques de la fin des années trente et particulièrement au conflit espagnol.
A l’instar des autres groupes de la gauche révolutionnaire, Treint participe aux
débats provoqués par la guerre civile espagnole et par l’attitude du gouvernement de
Front populaire, en France. Le 17 juillet 1936, les troupes nationalistes, dirigées par
les généraux Franco et Sanjurjo, se soulèvent, provoquant une large révolte
populaire. Le 20 juillet, l’Espagne est soit sous le contrôle des militaires rebelles, soit
sous celui de comités de travailleurs en armes. Ces événements se déroulent dans
un contexte politique international extrêmement tendu, après la remilitarisation de la
Rhénanie par le gouvernement allemand. Arguant des menaces de généralisation du
conflit, mais également pour des questions de politique intérieure, le gouvernement
français prend l’initiative de proposer aux Etats européens un pacte de non-
intervention. Ce choix est à l’origine de multiples dissensions au sein de la gauche
française (socialiste, libertaire, syndicaliste révolutionnaire, gauche communiste). La

245
Il signale le rôle du Japon qui cherche à mettre la main sur les richesses naturelles et le potentiel
agricole de l’Ethiopie.
246
« La guerre d’Ethiopie », art. cit., p. 16.
247
Dans un autre texte, consacré au fascisme italien, Treint met en évidence le lien entre le
développement de la crise économique et les visées expansionnistes de Mussolini. Selon lui,
l’économie de guerre permet le développement du capitalisme d’Etat en Italie et ainsi favorise l’unité
nationale, alors même que l’économie du pays est affaiblie et que la misère se développe. Treint A,
ème
« Le fascisme italien » (2 partie), l’Homme Réel, n° 42, juin 1937, p. 15-24.
248
« La guerre d’Ethiopie », art. cit., p. 13.
647
GR et Pivert soutiennent la politique de non intervention249, de même que certains
anarchistes et syndicalistes, au nom du pacifisme250. Au sein de la gauche
communiste, les militants réunis autour de la revue Bilan, refusent de soutenir une
lutte antifasciste, qu’ils considèrent comme une nouvelle formule de l’union
sacrée251. Au côté du PCF, au sein de ces mêmes courants, de nombreux militants
se déclarent partisans de l’intervention.
Treint, qui prend nettement position en faveur de l’intervention de la France,
insiste, dès le mois d’août 1936, sur le fait que l’Allemagne et l’Italie « arment et
armeront les fascistes espagnols » et ajoute que seul le soutien à la « révolution
espagnole » est efficace et permettra « le surgissement de la révolution socialisatrice
française »252. Dans un premier temps, il adhère à la thèse de la lutte antifasciste en
Espagne, au motif que « la politique de "neutralité", apporte pas non plus la paix, la
vraie paix », tout en concédant que l’intervention « serait un facteur de guerre, et
probablement de guerre à très brève échéance »253. Cependant, à cet argument
avancé par Blum et par d’autres, il oppose deux constations. Premièrement, cet
argument pour le moins fataliste :
« Que le capitalisme de chez nous d’ailleurs aide ou non les antifascistes
espagnols, ces deux variantes de la politique, par des chemins différents c’est
vrai, mènent l’une et l’autre à la guerre »
Deuxièmement, la guerre civile, aboutissant à la victoire des révolutionnaires, peut
être un facteur progressif sur « la route de l’affranchissement humain » et de la paix
universelle. Ainsi, « la fourniture d’arme au peuple espagnol […] est la seule politique
qui puisse empêcher la marche à la guerre impérialiste »254.
Une fois posées ces quelques considérations, Treint s’intéresse plus
particulièrement à l’attitude de l’URSS et replace le conflit espagnol dans le cadre
des manœuvres diplomatiques aboutissant à la formation de deux blocs
antagonistes (Angleterre, France, URSS et Allemagne, Italie, Japon). Selon lui, le
revirement de l’URSS ― tout d’abord partisan de la non intervention avant de
soutenir militairement le gouvernement de Front populaire ― s’explique par cette
double problématique posée à la bureaucratie soviétique :

249
KERGOAT J., op. cit., p.109-110.
250
RIOUX JP., Révolutionnaires du Front populaire, 10/18, Paris, 1973, p. 224-232.
251
Voir « La consigne de l’heure, ne pas trahir », Bilan, n° 36, octobre 1936.
252
« Vive l’Espagne ouvrière », La Lutte Finale, n° 9, p. 33.
253
Treint A, « Considérations sur les évènements d’Espagne », l’Homme Réel, n° 36, décembre 1936,
p. 30.
254
Ibid., p. 33.
648
« Il s’agit, d’une part, de se débarrasser de l’hitlérisme qui convoite l’ancien
empire des tsars et, d’autre part, de mobiliser les masses antifascistes du
monde entier contre l’hitlérisme sans déclencher une vague révolutionnaire
internationale dont les inévitables remous balaieraient les maîtres actuels du
Kremlin »255.
L’aide militaire de Moscou doit être comprise comme une manœuvre « visant à
rabaisser la lutte antifasciste au niveau de la défense d’une république démocratique
bourgeoise » en imposant l’élimination des partis révolutionnaires du gouvernement
espagnol et favorisant le développement d’un « gouvernement antifasciste fort »
auquel pourrait s’allier le « national-capitalisme français »256. En dehors de ces
intérêts immédiats en Espagne, l’URSS souhaite intégrer le bloc antifasciste qui se
constitue autour de la France, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Les positions
apparemment divergentes de la France et de l’URSS, vis-à-vis de l’Espagne, ne sont
ainsi que les deux facettes d’une même politique visant à l’élimination des tendances
révolutionnaires, tout en affaiblissant le fascisme :
« Bien plus, on peut soutenir qu’objectivement, entre le bureaucratisme russe
et les impérialismes démocratiques, il y a division du travail. […] Par ailleurs,
la prétendue neutralité franco-anglaise agrémentée de l’intervention
stalinienne permet aux gouvernements de Paris et de Londres de jouer au
Comité de non-intervention le rôle d’arbitre et de gagner ainsi le temps de
bloquer solidement avec le gouvernement de Washington »257.
Le rapprochement entre Moscou et le gouvernement légitime espagnol aboutit
à l’élimination progressive du POUM et aux journées de mai 1937 à Barcelone258, au
cours desquelles les membres de la CNT et du POUM affrontent les communistes
dans les rues de la ville. Treint révise alors son appréciation sur la nature du conflit
espagnol et rejette en partie l’opposition fascisme/antifascisme au profit de ce qui
constitue à ses yeux le véritable antagonisme, la lutte entre « la révolution
socialisatrice et toutes les formes de capitalisme d’Etat. »259. Le principal
enseignement de la guerre civile espagnole, aux yeux de Treint, est la formation d’un

255
Ibid., p. 38.
256
Treint A., « La leçon d’Espagne », La Lutte Finale, n° 10, 20 janvier 1937, p. 5-6.
257
Ibid., p. 8.
258
A ce sujet, Treint A, « Sur les événements de Barcelone », Nouvel Age, n° 171, 13 juin 1937, p. 1.
Immobilisé suite à un grave accident de voiture, Treint fait parvenir une lettre au journal dans lequel il
s’insurge contre les calomnies, lancées par les communistes, accusant les trotskystes d’être des
agents de la Gestapo. Il estime que ces événements seront fatals à la révolution sociale ibérique.
259
Treint A, « l’Espagne et la paix », l’Homme Réel, n° 37, janvier 1937, p. 50-58.

649
bloc entre « le bureaucratisme russe et le national-capitalisme de gauche », facilitée
par l’élimination des tendances révolutionnaires en Espagne. Réduit à une lutte entre
« deux fractions de la bourgeoisie dont l’une bénéficie de l’appui de Rome et Berlin,
tandis que l’autre, soutenue par Moscou, appelle à son secours Paris et
Londres »260, le conflit espagnol permet d’appréhender les différents éléments
constitutifs de la future guerre impérialiste et impose la constitution « d’un front
révolutionnaire de tous les militants clairvoyants »261.
A la même période, Nouvel Age publie un appel « Pour une conférence
nationale contre la guerre »262 reprenant, dans les conclusions de Treint quant à « la
transformation de la lutte révolutionnaire espagnole en une guerre entre
impérialistes » et ajoutant « nous n’avons pas non plus à vous démontrer que la
préparation de la guerre est aujourd’hui générale et active et qu’elle va de Paul
Reynaud à Maurice Thorez et même au-delà ». Les initiateurs proposent de réunir
les militants « non pour élaborer une doctrine commune mais pour organiser une
action commune », tout en s’appuyant sur l’expérience de Saint-Denis263, dont la
nouvelle conférence se veut le prolongement. Une première réunion est fixée pour le
7 juin 1937, à la Mutualité.
Est-il possible, face aux questions posées par le réarmement allemand et la
guerre civile espagnole, d’envisager un rassemblement de pacifistes intégraux et de
révolutionnaires ? Instruit de l’échec de Saint-Denis, Nouvel Age propose un cadre
de coordination vague, n’imposant aucune discipline, ni solidarité aux groupes et
individus signataires et surtout suggère de diviser la conférence en deux sections,
pacifistes et révolutionnaires, qui « pourront collaborer, lier leur action quand elles le
jugeront utiles »264. La lutte contre la guerre se limite dès lors à un certain nombre
d’actions pratiques immédiates ― baptisées « technique de lutte contre la
guerre »265 ― et n’évoque en rien « l’action révolutionnaire du prolétariat inséparable
de la lutte contre la guerre »266. Par ailleurs, le comité d’initiative de la conférence,
constitué le 25 juin 1937, regroupe très majoritairement des organisations pacifistes

260
« La leçon d’Espagne », art. cit., p. 22.
261
Treint A., « Les événements de Barcelone », La Lutte Finale, n° 11, 20 juin 1937, p. 5.
262
Nouvel Age, n° 186, 3 juin 1937, p. 1.
263
Le rédacteur de l’appel affirme par ailleurs que l’échec de Saint-Denis n’est dû qu’à « un coup
monté contre [Nouvel Age] » organisé par Doriot et ses lieutenants. Ibid.
264
« Conférence contre la guerre », Nouvel Age, n° 189, p. 2.
265
« Propositions à soumettre à l’assemblée générale du 2 août », Nouvel Age, n° 214, 16 juillet 1937,
p. 2.
266
Selon la résolution de la FUE sur la lutte contre la guerre, signée par Nouvel Age et par La Lutte
Finale en octobre 1935.
650
et des éléments anarchistes267. Malgré l’absence de références à la lutte
révolutionnaire contre le capitalisme d’Etat et contre la bureaucratie soviétique, La
Lutte Finale fait partie des signataires. Comment expliquer la participation de Treint,
aux côtés de groupes dont certains ont approuvé la politique de non-intervention du
Front populaire, et lorsque aucun texte ne souligne la nécessité de la lutte
révolutionnaire contre le capitalisme ? Lors de son intervention à la conférence du 2
août 1937, il s’explique :
« La guerre ne peut disparaître que si l’on abat révolutionnairement le régime
capitaliste qui l’engendre irrémédiablement. Beaucoup de pacifistes ne posent
pas ainsi la question dans toute sa rigueur. Les camarades de La Lutte Finale
pensent que les nécessités de la lutte contre la guerre amèneront
expérimentalement les pacifistes à se battre sur le plan révolutionnaire.
D’ailleurs, les camarades de La Lutte Finale ne dogmatisent pas. Ils sont prêts
eux-mêmes à recevoir les leçons de la réalité et ils s’efforcent de comprendre
les arguments de tous ceux qui ne pensent pas exactement comme eux. C’est
pourquoi ils travailleront et lutteront au sein de la Conférence permanente
contre la guerre, dans un esprit de coordination des efforts […] »268
Sans mettre en doute la largeur d’esprit revendiquée de Treint et sa volonté de
travailler au sein d’un mouvement le plus étendu possible ― après l’échec du comité
issu de Saint-Denis réduit à quelques groupes révolutionnaires ― nous ne pouvons
exclure l’hypothèse selon laquelle, profitant de la structure souple permettant de
s’organiser en tendances, il aurait envisagé par un travail interne, d’imposer une
orientation plus révolutionnaire au mouvement.
Dans le cadre de la préparation de la conférence, Treint se contente de
soumettre comme « proposition d’action pratique contre la guerre » des « mesures
pour l’assainissement des cinémas »269 et l’« application des méthodes modernes à
la fraternisation préventive »270. Puis, à l’issue de l’assemblée générale du 2 août
1937, il devient responsable, au sein de la « commission culturelle », de la
surveillance de la production cinématographique et de l’organisation de

267
Groupements signataires (dans un premier temps) : Association des anciens combattants du front,
ème
Centre de redressement révolutionnaire, Droit à la Vie, Groupe libertaire du 17 , Jeunesses
antimilitaristes, Lutte Finale, Nouvel Age, Parti d’Unité Prolétarienne, La Vague et Amis de La Vague
et membres du comité à titre individuel : Desnois (Groupe Paysans), Emery, Geuffroy (Union
Anarchiste), Marchal (Fédération Anarchiste de langue Française), Messac (l’Ecole Emancipée).
268
« Déclaration des groupes ou des militants fondateurs de la conférence contre la guerre », La
coopération culturelle, n° 4, septembre 1937, p. 2.
269
Il s’agit de s’opposer à la diffusion de films glorifiant la guerre
270
Nouvel Age, n° 217, 21 juillet 1937, p. 1.
651
manifestations dans les salles271. Le mouvement acquiert une certaine notoriété en
propageant le slogan : « Ni pétrole, ni mazout, ni charbon aux Etats bellicistes ! »272.
Treint participe en tant qu’orateur, au côté de M. Pivert, G. Pioch, Valois et d’autres,
à une réunion de la « conférence permanente contre la guerre », le 19 novembre
1937273 suivie d’une seconde, salle Wagram, le 21 janvier 1938, présidée par
plusieurs scientifiques de renom274. Cette dernière, qui réunit selon Nouvel Age275
près de 2000 auditeurs, marque l’apogée du mouvement. Victime de tensions
internes et de l’impossibilité de transformer ses propositions pratiques en actions
concrètes, la « conférence permanente contre la guerre » s’éteint progressivement
au printemps 1938.
En juillet 1938, Valois revient sur l’échec de la conférence276 et des autres
campagnes de Nouvel Age contre la guerre277. Selon lui, loin d’avoir été victime de
ses faiblesses internes, l’échec de la conférence résulte d’une conspiration
internationale, fomentée par les services secrets (français, anglais, américains et
russes, mais aussi allemands et italiens !), « les banques et les trusts ». Une
opération subversive, au sein de la conférence permanente contre la guerre, aurait
été organisée dans le but de « briser l’action contre la guerre, de rompre le front des
organisations en lutte contre la guerre, et de dissocier l’action entreprise en donnant
aux groupes des objectifs différents. »278 Le reflux du mouvement s’explique par « un
mystérieux mot d’ordre » ou encore par « un travail obscur » organisé par des agents
secrets infiltrés dans le mouvement et auxquels Treint aurait apporté son concours :
« Un mystérieux mot d’ordre est donné, et tandis que les organisations de
bases continuent de demander l’embargo, les états-majors font un silence
total sur la proposition qu’ils avaient eux-mêmes adoptés. Dans le même

271
La coopération culturelle, n° 4, septembre 1937, p. 2.
272
La coopération culturelle, n° 5, 11 septembre 1937, p. 1. Le mot d’ordre est diffusé et repris par
l’ensemble des journaux et bulletins des organisations adhérentes au comité et s’étend au-delà, sans
jamais trouver de relais dans la presse quotidienne.
273
La réunion rassemble près de 600 auditeurs dont la présence officielle d’un secrétaire de
l’ambassade d’URSS. L’intervention de Treint porte sur « les nouveaux aspects de la lutte contre la
guerre ». Nouvel Age, n° 273, 23 novembre 1937, p. 1.
274
L. Lapique, A Chevalier, G. Urbain et F. Joliot-Curie. Ces scientifiques ont signés un appel
déclarant que face à la technicité de la conduite de la guerre, seules des mesures techniques, tel
l’embargo sur le pétrole, peuvent mettre fin à la guerre. Nouvel Age, n° 287, 11 décembre 1937, p. 1.
275
N° 310, 26 janvier 1938, p. 1.
276
La coopération culturelle, n° 9, juillet 1938.
277
Campagne pour le salaire-or ou contre la dévaluation et l’inflation.
278
Valois G., « Avant propos », Ibid., p. 1-2.
652
temps, à la conférence contre la guerre, La Lutte Finale (c’est-à-dire Treint)
n’assiste plus aux conférences »279.
Toujours selon Valois, il participe au côté « d’un certain R., roumain récemment
immigré », à la constitution d’un groupe de « concentration révolutionnaire » interne
à la conférence et visant à « imposer au mouvement et au journal la direction d’un
comité formé d’éléments étrangers à Nouvel Age »280.
En réalité, La rupture entre Treint et Valois découle du refus de ce dernier de
prendre part aux tentatives de regroupements initiées par plusieurs groupes dont La
Lutte Finale. Suite à l’Anschluss, des militants du 19e arrondissement de Paris
décident de constituer un « Intergroupe d’action révolutionnaire »281 pour relancer la
campagne de lutte contre la guerre. Dans le même temps, Treint participe, au côté
de Maurice Junker, dirigeant de la minorité du PUP282, à la création d’une
« fédération révolutionnaire »283. Plusieurs membres de Nouvel Age collaborent à
ces différentes initiatives mais Valois se montre réticent et ne vient pas aux
assemblées qui prolongent pourtant le mouvement de la « conférence permanente
contre la guerre ». Le 27 avril 1938, les protagonistes de ces différentes initiatives se
réunissent pour créer un « Comité de coordination révolutionnaire » qui rassemble la
Lutte Finale, la minorité du PUP, des membres de la Gauche Révolutionnaire, du
POI, de Nouvel Age, de l’Union marxiste révolutionnaire ainsi que des anarchistes de
la FAF284. Valois déclenche alors une campagne contre les collaborateurs de Nouvel
Age qui participent au comité285, en affirmant que ceux-ci tentent de noyauter son
mouvement et d’en prendre le contrôle. Dans sa correspondance avec Treint, il
ajoute qu’il refuse de participer au comité de coordination révolutionnaire en raison
de la présence « d’individus louches ». Dans un premier temps, Treint le rassure

279
Valois G., « Notre campagne contre la guerre », Ibid, p. 5.
280
Valois reprend à son compte des calomnies propagées par le PCF quelques années auparavant :
Treint aurait été exclu du PCF en 1925 (sic) après avoir affirmé vouloir « plumer la volaille socialiste ».
Il ajoute : « Ce que nous savions nous avait fait penser que Treint était ou un demi-fou ou un impulsif,
en tout cas un homme absolument inapte à l’action. Après son retournement, à la lumière de ce que
nous lui avons vu faire contre nous sans l’ombre d’une raison, nous concluons qu’il est à la merci de
qui le manœuvre, ― ou que c’est un homme plein de replis ténébreux ». Ibid., p. 13.
281
Voir la brochure de Treint, « Le rassemblement des révolutionnaires », Mai 1938, Centre d’histoire
de Science Po, fonds Valois, VA 47. Egalement, le dossier VA 46 contient un tract diffusé par
« l’Intergroupe » intitulé « Il faut construire la paix ».
282
Une majorité du PUP, au côté de Paul Louis avait rejoint la SFIO. La minorité révolutionnaire est
alors dirigée par Maurice Juncker.
283
Voir L’unité révolutionnaire, organe de la minorité du PUP et notamment les n° 24-25, 20-25 mars
1938, p. 2.
284
Voir le communiqué de création du Comité ainsi que le projet de statut. Fonds Valois, VA 46.
285
Voir la brochure d’Anne Darbois, « Pourquoi j’ai quitté Nouvel Age », mai 1938, fonds Valois, VA
47.

653
quant à la volonté collective de faire entrer Nouvel Age de plein droit dans le comité
et quant à l’absence de risque de noyautage286. Mais confronté aux insinuations de
Valois, qui le vise à son tour287, il décide de publier une brochure dénonçant son
comportement « dictatorial »288. Attaqué de toutes parts par les membres du Comité
de coordination révolutionnaire, Valois et Nouvel Age s’éloignent définitivement des
groupes avec lesquels ils voulaient organiser la lutte contre la guerre.
De son côté Treint, grâce à sa collaboration avec la minorité révolutionnaire
du PUP, participe à la conférence de Paris, organisée par le Bureau de Londres
entre le 19 et le 24 février 1938. L’ordre du jour comprend principalement le
problème de la guerre et la question russe289. Du fait de sa participation à la guerre
d’Espagne, des accords de défense qui la lie avec certaines démocraties
occidentales, la question de l’attitude du mouvement socialiste indépendant vis-à-vis
de l’URSS se pose avec acuité290. De cette première problématique découle celle de
la nature même de l’Etat soviétique et de la nécessité ou non de le défendre. Sur
chacune de ces deux questions Treint soutient, en liaison avec le PUP :
« qu’en Russie règne maintenant une nouvelle classe exploiteuse qui, par la
contre-révolution technocratique, a institué là-bas son système original de
capitalisme d’Etat totalitaire et le maintient par la propagande officielle
combinée à la corruption et à la terreur individuelle. »291

286
« Après l’alerte de l’Anschluss [souligné par l’auteur], une impulsion spontanée a porté les
révolutionnaires à conjuguer leurs efforts dans des intergroupes. Une fois constitués, certains de ces
intergroupes, apprenant mutuellement leur existence, sont entrés en relation les uns avec les autres.
[…] Il n’y a rien, absolument rien, d’inamical à votre égard ni à l’égard de Nouvel Age dans la tentative
de révolutionnaires de toutes tendances de coordonner leurs activités sur une base fédéraliste qui
exclut toute idée et toute possibilité de noyautage d’un groupement par un autre. », Lettre de Treint à
Valois, 24 avril 1924, fonds Valois, VA 46.
287
Voir lettres de Treint à Valois et Rodrigues, 10 et 15 mai 1938, fonds Valois, VA 46.
288
« Qu’est-ce que Nouvel Age ? : Une organisation qui prêche le fédéralisme libertaire et qui pratique
le centralisme oligarchique ! Une organisation qui s’efforce de discréditer les groupements sur
lesquels il lui est impossible de dominer ! Une organisation qui jette la suspicion sur l’ensemble des
militants révolutionnaires ! », « Le regroupement des révolutionnaires », op. cit., p. 22.
289
Pour l’ordre du jour complet, les organisations participantes et le déroulement des débats, voir
DREYFUS M., op. cit., p. 307-322 ainsi que ZIMMERMANN R., op. cit., p. 278-285.
290
Selon Treint, concernant la question de la guerre, « la discussion a porté sur un seul point. Dans
les pays impérialistes alliés à la Russie, l’intérêt des masses travailleuses est-il de participer à la
guerre sous la direction de leur bourgeoisie ? « A bas la guerre », brochure éditée par La Lutte Finale,
17 mars 1938, p. 1.
291
Cette thèse s’oppose à celle des « brandlériens » qui défendent le caractère prolétarien de l’Etat
soviétique et à celle des « sapistes » qui affirment, à l’instar de Treint, que l’Etat russe n’est plus
prolétarien mais qu’il se développe économiquement sur les bases d’octobre et doit donc être
défendue. Cette seconde position, adoptée par la majorité, sert de base à la rédaction de la résolution
finale. Voir Treint A, « Les bases d’octobre sont détruites », Brochure publiée par La Lutte Finale, 26
mars 1938, p. 1-2.

654
Si avec la majorité, il repousse le concept de « la guerre de la démocratie contre
le fascisme », assimilé à l’union sacrée et approuve le défaitisme révolutionnaire
comme moyen de lutter contre la guerre, il marque son opposition sur
l’appréciation de l’attitude de l’URSS292. Reprenant les concepts développés
dans le cadre de la « conférence permanente contre la guerre » sur la technicité
de la guerre et le pouvoir de destruction des nouveaux armements, il souligne
que la question de la guerre pose de nouveaux problèmes qui réclament de
nouvelles réponses. Il s’accapare et détourne le mot d’ordre de boycott des
énergies fossiles, lancé par la « conférence permanente contre la guerre », pour
appeler le mouvement révolutionnaire à « mettre la main sur ces produits et, de
la sorte, désarmer les fauteurs de guerre »293.
Treint continue de défendre la nécessité du rassemblement de tous les
courants révolutionnaires pour s’opposer efficacement aux menaces de guerre et se
montre très critique vis-à-vis des positions adoptées par le Bureau de Londres.
Jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il poursuit son militantisme
en faveur d’un regroupement révolutionnaire, seule alternative à une guerre qui
détruirait toute civilisation sur terre. Cette position l’amène à soutenir les accords de
Munich, considérant qu’en évitant la guerre immédiate, ces accords offrent un répit
au mouvement révolutionnaire. Treint n’a écrit aucun texte relatif à cette question.
Par contre, lors des élections pour le conseil syndical du SNI de février 1939, Treint
se présente sur la liste du « cercle syndicaliste de l’enseignement ». Dans son
programme, sur la question de la paix, cette tendance affirme notamment :
« La lutte de classe des ouvriers se refusant à " l’union sacrée" incite les
gouvernements à la prudence, les pousse dans la voie des compromis qui
reculent la guerre, et laissent aux travailleurs le temps dont ils ont besoin pour
reconstituer une Internationale Syndicale soustraite aux influences des divers
"syndicalismes d’Etat", et capable ainsi de sauver l’humanité de l’horrible
tourmente d’une guerre mondiale »294.
Quelques mois plus tard, l’Europe entre en guerre. Le déroulement des événements
amène Treint à réviser radicalement ses opinions. Après la libération de la France, il

292
En s’appuyant sur la résolution sur la question russe, la majorité soutient que le germe
révolutionnaire en URSS peut servir de base pour transformer la guerre impérialiste en guerre
révolutionnaire, justifiant ainsi certaines combinaisons diplomatiques.
293
« A bas la guerre », op. cit., p. 16.
294
L’école du grand Paris, n° 4, janvier 1939, p. 16.
655
rejoint durant quelques mois l’armée française et participe à l’occupation de
Vienne295.

2) …Ou vers la société de l’abondance.

Dans l’organe interne des JSR, paraît, au mois d’août 1936, un article
consacré à une nouvelle doctrine « des plus invraisemblable […] propagée par le
journal Nouvel Age auquel collaborent Valois et Treint » : la démocratie des
consommateurs :
« Et d’abord de quoi s’agit-il. Le socialisme traditionnel a fait faillite : "A bas
tout étatisme" […] Tout le fond de la doctrine imaginée par ces deux illuminés,
dont on connaît par ailleurs le passé, est là : pas de dictature du prolétariat,
démocratie économique (égalité du patron et de l’exploité) et sociale ; c’est
une philosophie de petit-bourgeois libéral qui nie l’existence des classes. »296
L’auteur de cette diatribe, probablement aigri par l’attitude des membres de La Lutte
Finale297, commet l’erreur de mettre les deux hommes sur le même plan. S’il est
incontestable qu’à partir de 1936, Treint revendique, dans sa revue, la possibilité
d’arriver à « la société de la surabondance » et développe des principes généraux de
la « démocratie des consommateurs »298, la paternité de la doctrine revient
entièrement à Valois et à d’autres collaborateurs de Nouvel Age.
En 1934, soulignant la montée du fascisme comme alternative économique au
capitalisme libre décadent depuis 1929, Treint préconisait l’utilisation des possibilités
offertes par le machinisme pour libérer l’homme, dans le cadre d’un « plan
socialiste » :
« Mais, lorsque les classes seront en tout lieux abolies, lorsque l’exploitation
des unes par les autres ne sera plus qu’un mauvais souvenir et lorsque, enfin,
les hommes auront mis en commun tout ce qu’ils possèdent, alors la machine
deviendra leur servante, alors le travail d’innombrables esclaves d’acier fera

295
Nous ne possédons aucun document ou témoignage nous permettant d’éclairer l’évolution politique
de Treint après septembre 1939. Néanmoins, dans une lettre à l’inspecteur d’académie, datée du 10
avril 1946, Treint indique avoir été, sur sa demande, affecté au gouvernement militaire de Vienne en
septembre 1945. Archives de Paris, dossier instituteur.
296
Hic Marcel, « La démocratie des consommateurs ou l’art d’accommoder les restes », Le jeune
léniniste, n° 4, août 1936, p. 10-12.
297
Les jeunes membres de La Lutte Finale, ont quitté, en juin 1936, les JSR pour retourner dans les
jeunesses socialistes de la Seine (SFIO).
298
Treint A., « Si tu veux la paix, prépare la révolution », La Lutte Finale, n° 6-7, 25 juin 1936.
656
régner partout la paix et le bonheur au sein d’une propriété matérielle et
culturelle enchanteresse. »299
Mais ce plan socialiste s’appuyait sur un Etat prolétarien devenant « surveillant du
secteur privé et dirigeant du secteur nationalisé ». Il se référait alors explicitement au
modèle de développement économique en Russie après la guerre.
En 1936, Treint prône toujours la socialisation de tous les moyens de
production, mais désormais cette révolution doit être réalisée en dehors de tout
cadre étatique et dans le respect des libertés individuelles. Pour énoncer les grands
principes de cette société idéale, à la fois révolutionnaire et démocratique, il se fonde
explicitement sur des concepts établis par Valois depuis le début des années
trente300. En collaboration avec un cercle d’intellectuels et d’économistes (J. Duboin,
J. Dubois, J. Nocher, G. Rodrigues)301, ce dernier affirme que « l’humanité est entrée
dans un nouvel âge », du fait des progrès de la science et de la technique. L’homme
a trouvé, dans la nature inanimée, des réserves d’énergie remplaçant celle de
l’homme ou de l’animal. De ce fait, « le travail de l’homme sera remplacé par le
travail mécanique et par l’énergie prise directement à la nature inanimée ». Cette
révolution technique ouvre la voie à la « société de l’abondance »302, les capacités
de production étant démultipliées par cette révolution. Valois propose une nouvelle
forme d’organisation rationnelle de la société. Il part du constat d’une crise
structurelle du capitalisme et rejette « toute réalisation étatique de la socialisation
[qui] aboutit finalement et fatalement, à une sorte de fascisme économique
nécessairement complété un jour par un fascisme politique, c’est-à-dire par la
concentration entre les mains d’un petit nombre d’hommes ou même d’un homme,
d’un pouvoir totalitaire. »303 Il convient donc de créer une forme nouvelle d’Etat,
décentralisé et coopératif : « la démocratie de consommateurs », basée sur les
principes de « l’économie distributive »304 et répartissant les richesses produites de
manière égalitaire. La finalité de cette nouvelle organisation politique et économique
étant la naissance d’un « homme nouveau », vivant dans une société sans classe

299
Treint A, « Ou va la France ? », op. cit., p. 69.
300
Pour un résumé complet des théories politiques et économiques de Valois dans les années trente,
voir Guchet Y, « Georges Valois », op. cit., p. 267-299.
301
Voir « Le plan de Nouvel Age, notes préliminaires », Nouvel Age, n° 63-64, 6 février 1936, p. 2.
302
Thèse de J. Dubois, reprise et développée par G. Rodrigues dans Droit à la vie.
303
Cité par Guchet Y., op. cit., p. 289.
304
Voir Nouvel Age, n° 151-152, 21 février 1937. Valois y précise les modes d’organisation, de gestion
et les principes juridiques de cette économie socialiste et libertaire. Il y indique notamment que la
base de l’organisation est « l’individu et ce qui lui appartient ». Puis il décrit tout un ensemble
d’organes de gestion, allant de la commune à la région, chargés de la redistribution des richesses
créées et tous basés sur le principe de « la gestion aux usagers ».
657
délivrée de toute menace de guerre par la création de fédérations allant de l’échelle
communale à l’échelle planétaire305. On peut juger ce « plan de nouvel âge » court,
réducteur et utopique, voire erroné philosophiquement quant à la nature même de
l’Homme. Il constitue néanmoins une doctrine, fruit d’observations et de réflexions
collectives, présentant un ensemble cohérent de propositions alternatives.
Treint, s’il participe principalement au mouvement contre la guerre initié par
Nouvel Age, est influencé par les nouvelles théories économiques de Valois et des
collaborateurs du journal. Dans le cadre d’une étude sur les conséquences de la
remilitarisation de la Rhénanie306, il aborde les questions de la physionomie et du
système économique de la société post-révolutionnaire, terrain sur lequel il s’était
très peu engagé jusqu’alors. Dans ce cadre, il reprend à son compte les concepts de
démocratie de consommateurs et de société de l’abondance, sans jamais en
indiquer l’origine à ses lecteurs307. A l’instar de Valois, partant du principe de faillite
du capitalisme, inapte à redistribuer la « pléthore de richesses produites »308, et de
sa destruction à court terme dans un affrontement mondial entre les puissances
impérialistes, il affirme l’impératif de transformation de notre société par « la
socialisation des moyens de production » et un développement exponentiel de la
consommation grâce à une politique de redistribution de la production surabondante,
créant un cercle vertueux dans lequel le secteur socialisé supplante progressivement
le secteur privé309 :
« Dès que, les échanges avec l’extérieur étant assurés, un produit du secteur
socialisé deviendra largement surabondant par rapport aux besoins, il sera
distribué gratuitement, à tous et sans limitation [souligné par l’auteur] dans les
magasins habituels dont les vendeurs se transformeront en simples
conseillers des preneurs. […] C’est ainsi que, pour commencer, le secteur
privé se trouvera amputé d’une industrie complètement monopolisée

305
« La vie nationale et internationale », Ibid., p. 18.
306
Treint A, « Si tu veux la paix, prépare la révolution », art. cit.
307
Lorsque Valois revient sur les raisons de la rupture avec Treint, il l’accuse d’avoir publié une
brochure s’attribuant la paternité des thèses développées par Nouvel Age : « Treint, sans crier gare, a
publié contre nous une brochure qui ne mérite pas l’ombre d’une réplique, d’une rectification. Sachez
seulement que nous y sommes accusés de n’avoir rien inventé et d’avoir plagié, qui et quoi ? La Lutte
Finale, qui est une revue polycopiée rédigée par lui et qui doit bien avoir une vingtaine de lecteurs ! »,
La coopération culturelle, n° 9, juillet 1938, p. 13.
308
Ici Treint reprend explicitement les idées de J. Dubois et de G. Rodrigues.
309
Voir Duboin J., La grande révolution qui vient, Paris, Ed. Nouvelles, 1934. Treint s’inspire du
schéma de propagation de la société de l’abondance proposé par Duboin, p. 180-186.
658
désormais par le secteur socialisé agrandi, devenu le seul fournisseur d’un
article dont chacun pourra user sans autre limite que celle de son désir. »310
Le raisonnement de Treint et les positions développées par Valois concordent.
Nous retrouvons par ailleurs chez les deux hommes le même souci d’opposer à la
notion d’Etat, celle de la liberté, seule valeur garante d’un authentique régime
socialiste311. Cependant, là où Valois s’applique, avec une certaine rigueur théorique,
à établir la validité de ses positions, à poser les différentes données d’une question,
pour tenter d’y répondre par des propositions pratiques, Treint se contente de
s’approprier ces concepts et d’affirmer leur viabilité par une série de démonstrations
sommaires, alourdies par un certain nombre de formules hasardeuses, rendant de
fait son propos peu crédible. Par exemple, analysant le remplacement du profit par le
besoin, il tente de démontrer comment, par la redistribution, l’on stimulera l’envie de
consommer, moteur de la nouvelle économie :
« Désormais, les besoins des masses sont le seul stimulant possible de
l’économie ; et plus ils sont satisfait plus ils s’accroîtront. Mais, si l’appétit vient
en mangeant, inversement il s’atténue par un jeûne prolongé. […] Oui,
l’appétit vient en mangeant ; mais quand l’appétit initial manque, il faut prendre
l’apéritif avant de se mettre à table. La distribution socialiste de l’abondance
stérilement stockée par le capitalisme sera l’apéritif du nouveau régime. »312
Son texte, parsemé de sentences du même ordre et de raccourcis, souligne les
faiblesses et les zones d’ombre d’une démonstration qui pose plus de questions
qu’elle n’offre de réponses. De même, face au problème des mesures de rétorsion
contre les réfractaires, obligatoires pour imposer un système basé sur la volonté
collective, Treint feint de croire qu’une simple carte, donnant droit à tous les produits
distribués gratuitement et retirée « en cas d’abus grave »313, résoudra le problème.
Devons nous imputer ces affirmations rudimentaires à une certaine naïveté ou plutôt
à un intérêt relatif pour les questions pratiques de fonctionnement du système ? Car,
sur d’autres points, touchant à la doctrine politique du nouveau régime, son analyse
devient plus pénétrante.

310
Ibid., p. 43.
311
« L’emprise toujours plus étouffante sur l’ensemble de la société, qui est la tendance fondamentale
de tout véritable Etat, n’a rien de commun avec l’extension ininterrompue de la liberté, qui compte
parmi les caractéristiques les plus importantes du pouvoir socialiste. […] Les hommes ne sont
véritablement libres que s’ils ont la même possibilité de se nourrir, de se vêtir, de se loger, de se
reposer, de se distraire, de se cultiver. », Ibid., p. 56.
312
Ibid., p. 47.
313
Ibid., p. 44.
659
Concernant les aspects politiques de la révolution socialisatrice, Treint
s’écarte des positions de Valois pour greffer, à la problématique générale du mode
de propagation de la révolution, des thèmes qu’il affectionne : la question de
l’insurrection ouvrière, inéluctable pour « abolir le pouvoir des exploiteurs »314, où
encore celle de l’impératif de propagation de la « révolution socialisatrice » à
l’ensemble de la planète315 :
« […] nulle vraie révolution ne peut s’accommoder de son entourage
capitaliste qui, non content de multiplier contre elle ses intrigues et ses
menaces volontaires, il fait en outre involontairement subir les dangereuses
répercussions de ses désordres économiques. La coexistence de longue
durée du capitalisme et de la révolution est impossible. […] il faut que la
révolution écrase le capitalisme, sinon c’est le capitalisme qui écrase la
révolution. »316
Ces questions se rattachent directement au modèle de développement de la
révolution socialiste en URSS, centré sur un Etat-parti, que Treint considère comme
une « colossale duperie » et qu’il oppose à la véritable révolution socialisatrice,
fédéraliste et libertaire, seule garante d’un avenir où « l’humanité s’épanouira dans la
joie et la vie deviendra un perpétuel enchantement »317. Ces réflexions l’amènent à
remettre en cause le modèle léniniste du parti unique, conçut comme seul instrument
de la dictature du prolétariat, permettant de réaliser la socialisation de l’économie.

3) « Ni Führer, ni parti Führer ».

Dans le numéro de juin 1937, La Lutte Finale annonce la parution prochaine


d’une étude dans laquelle Treint expose une doctrine nouvelle, dont la revue
présente les grandes lignes318 sur quelques pages :
« Même un parti prolétarien unique qui intégrerait les éléments
révolutionnaires ne pourrait pas devenir l’instrument de la révolution. […]
Historiquement, partout où le prolétariat a disposé d’un parti unique, il n’a pas
pu s’emparer du pouvoir. […] Chaque fois qu’un mouvement révolutionnaire a
pris le pouvoir, la dégénérescence tend à s’accomplir par le moyen d’un parti

314
Ibid., p. 36. Valois, de son côté, rejette la nécessité de recourir à la violence révolutionnaire.
315
Ici Treint s’approprie, en la simplifiant, la théorie de la « Révolution permanente » de Trotsky.
316
Ibid., p. 62.
317
Ibid., p. 45.
318
Treint a été victime d’un accident automobile quelques semaines auparavant.
660
unique qui soumet les masses à la discipline de la contre-révolution. […]
L’exemple russe projette sur ces phénomènes une aveuglante clarté. »319
En fait de nouvelle doctrine, il s’agit avant tout de l’aboutissement d’un travail de
relecture de l’expérience historique de la révolution russe, entamé dès la fin des
années vingt. Ce cheminement personnel a amené Treint, dans un premier temps, à
critiquer les erreurs du stalinisme, puis à déclarer la fin de l’expérience
révolutionnaire en Russie. A partir de 1934-1935 apparaissent les premiers éléments
d’une remise en cause de l’essence même du bolchevisme, de sa base doctrinale et
des idées de Lénine. Il s’interroge sur la notion de dictature du prolétariat comme
seule formule permettant de donner une orientation socialiste au régime
révolutionnaire :
« Or, après examen, on est bien obligé de convenir que cette notion, si elle
n’est pas rigoureusement délimitée, entraîne obligatoirement des erreurs
mortelles pour la révolution qu’elle prétend servir. »320
Avec la brochure « Contre le parti unique : Ni führer, ni parti führer »321, la
remise en cause prend une tournure plus radicale. Le corps de sa démonstration
tourne autour de l’idée que le parti unique, faute de constituer un instrument
révolutionnaire, représente au contraire : « l’instrument parfait du capitalisme d’Etat.
Il constitue l’armature finalement indispensable de l’Etat totalitaire ». Selon Treint,
cette idée est confirmée par « toute l’expérience historique ». Toutes les victoires
révolutionnaires sont dues à « la multiplicité des organisations de masses et des
groupes doctrinaires. »322. A l’inverse, lorsque un seul parti ouvrier existe, la
révolution est nécessairement battue323. Ce raisonnement par analogie s’appuie sur
une lecture orientée de l’histoire. Considérer les révolutions de 1871, 1905 et 1936
comme des « victoires révolutionnaires » relève de l’autopersuasion ou de la
manipulation des faits. De plus, il écarte tout exemple contradictoire avec sa
démonstration par des justifications lapidaires324.

319
« Ni führer, ni parti führer », La Lutte Finale, n° 11, 20 juin 1937, p. 27-31.
320
« Conçue comme phénomène durable la dictature du prolétariat est une notion absurde et
néfaste », La Lutte finale, n° 6-7, 25 juin 1936, p. 50. Voir également n° 11, 20 janvier 1937, p. 34.
321
Brochure publiée dans Nouvel Age, n° 229-230, 28 août 1937. Voir en annexes.
322
Il cite en exemple les révolution de 1871 (La commune de Paris), 1905, 1917 (les deux révolutions
russes) et 1936 (la révolution catalane).
323
Révolutions de 1919 en Allemagne ; de 1919-1920 en France ; de 1927 en Chine et de 1934 en
Autriche.
324
Notamment pour la révolution de 1923 en Allemagne. Treint affirme simplement que l’échec de
l’insurrection est du au fait qu’aucun des deux partis ouvriers, « stalinien et réformiste », n’était
révolutionnaire.
661
En dépit de ces faiblesses, son étude sur le parti unique soulève de
nombreuses questions relatives au rôle du parti unique dans le développement d’un
régime et d’une idéologie totalitaire. Il souligne qu’en tant que garant d’une
orthodoxie, le parti devient un instrument d’oppression et de contrôle de la société
mais également de fanatisation de ses membres325. Cette coercition interne s’appuie
sur un appareil hiérarchisé subordonnant la majorité aux décisions des organes
supérieurs, eux-mêmes entre les mains de quelques hommes et « inéluctablement le
parti Führer fait surgir le Führer individuel ». Le déroulement des procès de Moscou
qui voient des membres de la « vieille garde » confesser des crimes imaginaires pour
ne pas nuire au parti illustre cette puissance de la « mystique » du parti unique :
« Comment les staliniens s’y sont-ils pris pour faire avouer des choses
indubitablement fausses ? Suggestion, intimidation, torture ? C’est possible et
même probable. […] Mais cela n’explique pas tout. […] Chez les
oppositionnels russes c’est l’ardente conviction qui a lentement fléchi […] Pour
eux le parti était devenu un absolu auquel tout devait être sacrifié.
D’instrument de libération humaine, le parti bolchevique avait beau se muer en
instrument d’une nouvelle oppression, il restait quand même leur parti. »326
Treint n’affirme pas uniquement son hostilité envers le parti unique mais
finalement envers toute forme d’organisation en parti327, qu’il oppose à « la
démocratie fédéraliste et libertaire », seul régime apte à construire la future « société
de l’abondance » et à permettre le contrôle des masses sur le processus de
socialisation de l’économie. Enfin, il critique plus spécifiquement la notion de « parti
unique du prolétariat ». Considérer qu’une organisation révolutionnaire doit s’appuyer
spécifiquement sur une classe sociale relève, selon lui, du « crétinisme de classe »,
autrement dit d’une vision réductrice des rapports sociaux et des possibilités
révolutionnaires offertes par toutes les couches de la société. Cette brochure, qui
constitue l’un des derniers textes politiques de Treint publié, ne doit donc pas être
compris comme un simple réquisitoire dirigé contre l’URSS et son modèle de
construction d’une société communiste mais plutôt comme une tentative, appuyée

325
« Aussi, le parti unique, qui pratique l’inquisition et l’excommunication, qui ordonne de vastes mises
en scènes spectaculaires, qui exige de tous l’initiative combinée à la plus stricte obédience et qui
militarise toute la vie, s’organise t’il sur la base d’une discipline active et passive qui participe tout
ensemble de l’Eglise, du couvent et de la caserne. », Ibid., p. 5.
326
Treint A., « les procès de Moscou », La Lutte Finale, n° 11, 20 juin 1937, p. 16.
327
Un an auparavant, dans La Lutte Finale, n° 6-7, art. cit., il revendiquait encore le bien-fondé d’un
regroupement des révolutionnaires au sein d’un grand parti, tout en repoussant sa réalisation à une
date ultérieure.

662
sur les concepts développés par l’équipe de Nouvel Age, de poser les bases d’une
doctrine révolutionnaire autour des valeurs de la démocratie, de la liberté, de
l’humanisme328. Ce travail de refondation d’un mouvement révolutionnaire implique
désormais l’abandon des principes doctrinaux que sont la dictature du prolétariat, le
parti unique instrument de la révolution socialiste. Peut-on pour autant considérer
Treint comme un « anticommuniste », comme l’affirment ses détracteurs ?329
Cette question complexe touche un grand nombre de militants issus des rangs
du PCF qui, par la suite ont pris position contre la doctrine communiste. Comme le
souligne Guillaume Bourgeois, le terme d’anticommunisme s’est forgé dans les
premières vagues d’exclusions du PCF, la notion servant par la suite à désigner tous
ceux « qui ne sont plus dans la ligne, ceux qui ne respectent plus les normes d’un
parti qui en est venu à considérer qu’il a le monopole du marxisme sur le plan de la
théorie […] »330. L’auteur énumère les parcours politiques d’anciens membres du
PCF, tels Frossard, Souvarine, Monatte, Rosmer, Chambelland ou encore Paul
Marion, Doriot, qui furent exclus au cours des années 1920-1930 et accusés
d’anticommunisme. Cependant, les parcours de Doriot ou de Paul Marion qui
rompent avec le PCF avant de verser dans un anticommunisme d’essence
nationaliste ne correspondent pas au cheminement politique de Treint. A l’opposé,
Rosmer, bien que taxé d’anticommunisme, rejeta tout au long de son existence cette
étiquette, ce qualifiant lui-même de « communiste antistalinien »331. Christian Gras
affirme que la différence se fait finalement entre « les communistes antistaliniens
[qui] restent attachés au communisme et affirment que Staline l’a trahi » et « certains
[qui] en viennent à poser que le stalinisme est assimilable au léninisme ou au
marxisme et deviennent antiléninistes ou antimarxistes. »332 Si l’on retrouve bien
dans les textes de Treint, à partir de 1935, cette tendance à amalgamer stalinisme et
communisme et à voir dans la doctrine bolcheviste l’origine de la déviation
stalinienne, rien ne permet de le rattacher au courant antimarxiste. Lui-même ne
cesse de mettre en avant sa fidélité au marxisme et au socialisme et sa volonté de
prolonger l’œuvre de Marx et d’Engels, tout en affirmant son refus du dogmatisme333.

328
Treint oppose le « crétinisme de classe » à « l’humanisme révolutionnaire », Ibid., p. 7.
329
Voir Le jeune léniniste, art. cit. Dans la presse de la gauche communiste, exception faite de cet
article, les positions de Treint sont ignorées.
330
BOURGEOIS G., « les ex-communistes français et l’anticommunisme 1920-1940 », Communisme,
n° 62-63, p. 14.
331
GRAS C., op. cit.,p. 383.
332
Ibid., p. 384.
333
« Le véritable marxiste n’est pas le perroquet qui répète mécaniquement les formules de Marx ; le
véritable marxiste, c’est le militant qui applique la méthode scientifique à l’étude de l’évolution des
663
Il est incontestable que, jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale,
Treint se rattache, par ses idées et son militantisme, au courant marxiste.
Cependant, vers la fin des années trente, la plupart de ses textes ont trait à
l’évolution du régime politique en URSS et à ce qu’il estime être l’échec complet du
modèle bolchevique du parti unique. Ainsi, s’il ne peut être considéré comme un
théoricien de l’anticommunisme334, pour autant son regard rétrospectif sur
l’expérience soviétique et sa critique fouillée des principes d’organisation
communiste nous permettent de le qualifier d’anticommuniste intransigeant car en
effet « est-il un anticommunisme plus radical que celui qui consiste à passer au crible
la doctrine communiste, c’est-à-dire ce qui fait la spécificité même du phénomène,
pour la réfuter point par point et conclure à l’erreur dans l’analyse et à la nocivité
dans les conséquences ? »335

En 1933, Treint rompt avec les schémas politiques constitutifs de son


parcours politique depuis son exclusion du PCF. Sa réflexion centrée sur
l’expérience de la révolution russe et sur les caractéristiques du régime soviétique
l’éloigne progressivement de la mouvance de l’Opposition de gauche dont il se
réclamait jusqu’alors. Affirmer pour autant qu’il rejoint le giron socialiste se révèle
réducteur. Les positions qu’il développe tout au long de la seconde moitié des
années trente l’éloigne à la fois des communistes, des socialistes et de la majorité
des dissidents.
Dès 1933, reprenant les concepts élaborés notamment par Urbahns, il affirme
que la Russie soviétique n’est plus un Etat prolétarien mais une nouvelle forme
d’Etat dirigé par une bureaucratie constituant une classe sociale distincte.
Parallèlement, il s’approprie la notion de capitalisme d’Etat. Selon lui, la tendance au
renforcement du pouvoir des Etats, qu’ils soient fascistes, staliniens ou
démocratiques, manifeste une crise du capitalisme qui mène le monde vers un
nouvel affrontement plus destructeur que la Première Guerre mondiale. Cette
analyse globalisante fait de tous les régimes politiques existant des manifestations

phénomènes sociaux actuels. », Déclaration de Treint (pour La Lutte Finale) dans Monde Nouveau, n°
2, mars 1936, p. 3. Voir également dans « Les bases d’octobre sont détruites », p. 18 : « Pour ceux
qui font de Marx un pape, du marxisme un dogme et du Capital une Bible, et qui, précisément à cause
de cela ne sont pas marxistes, il faut souligner les erreurs commises dans ses géniales anticipations
par Engels en accord complet avec Marx. »
334
Comme le devient progressivement Boris Souvarine.
335
BERSTEIN S. et BECKER J-J, Histoire de l’anticommunisme en France, tome 1 : 1917-1940, Ed.
Olivier Orban, 1987, p. 155.
664
du renforcement du pouvoir du capital et de la lutte que se livrent les élites mondiales
(bourgeoisie et bureaucratie) pour renforcer leur pouvoir.
Ces concepts de classe bureaucratique et de capitalisme d’Etat placent Treint
à la marge du mouvement socialiste qu’il réintègre en 1934. Ils l’amènent à rejeter le
Front populaire et à critiquer le mouvement antifasciste de la seconde moitié des
années trente. Treint dénonce sans relâche la complaisance, voire la
compromission, des socialistes et intellectuels de gauche à l’égard de la Russie de
Staline. Il rejette notamment le principe de « la défense de l’URSS » revendiquée
aussi bien par les communistes orthodoxes que par les dissidents et les socialistes.
A la dichotomie fascisme/antifascisme constitutive des grands combats politiques
des années trente, Treint oppose celle de socialisme libertaire/capitalisme d’Etat qui
le place parmi les rares militants de la gauche marxiste qui revendiquent la nécessité
de lutter à la fois contre le fascisme et contre le stalinisme. Sous sa plume, la motion
de capitalisme d’Etat devient progressivement synonyme de totalitarisme. Par le
biais de son étude sur le principe du parti unique336, il introduit ce concept jusqu’alors
employé par le mouvement antifasciste pour caractériser les régimes mussoliniens et
hitlériens mais que seuls une infime minorité des militants de la gauche communiste
dissidente appliquent à l’analyse du régime stalinien337. Sans être réellement
originale, la pensée de Treint, qui allie antistalinisme et socialisme utopique s’éloigne
à la fois de l’Opposition de gauche et de l’anticommunisme revendiqué par certains
exclus du PCF. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, il s’affirme sa fidélité à la
théorie marxiste tout en poursuivant un cheminement qui l’éloigne de plus en plus
des principes qui ont guidés son itinéraire politique depuis 1918. Cependant au
déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il reste fidèle à une ligne directrice :
seule la révolution socialiste peut sauver l’humanité et favoriser l’émergence d’une
société égalitaire.

336
« Ni führer, ni parti führer », op. cit.
337
Voir TRAVERSO E, Le Totalitarisme, Paris, Seuil, 2001, 923 p.

665
Conclusion

Au terme de notre étude, nous voulons évoquer la question de la nécessité


d’une thèse sur Albert Treint et du choix de nous limiter aux aspects politiques de sa
vie. L’absence d’archives personnelles, de nouveaux témoignages ou d’archives
inexploitées concernant le parti communiste français, rendait notre entreprise
périlleuse. Nous avons fait le choix de suivre le parcours sinueux de Treint
principalement au travers de ses articles et de ses brochures publiées durant la
période de l’entre-deux guerres, avec le risque de se focaliser sur un seul point de
vue et de nous perdre dans les méandres d’une production politique souvent
répétitive et marquée par un discours idéologique uniformisé que l’on retrouve sous
la plume de nombreux autres permanents du parti communiste français. Cependant,
cette analyse des articles, des brochures, de la correspondance et des P-V des
réunions d’organisation, une fois remis dans leur contexte, nous a permis de révéler
un parcours original, celui d’un militant devenu dirigeant communiste, en dépit de son
manque de légitimité, puis d’un dissident qui a participé aux principaux événements
fondateurs de l’opposition communiste de gauche.
Concernant la naissance et les premières années du parti communiste
français, il apparaît qu’au-delà de l’antagonisme entre la tendance favorable à
l’indépendance du parti et les membres du CTI, des débats et des luttes internes
divisent l’aile gauche du parti et entraînent des conflits et la première vague
d’exclusion des « premiers bolcheviks français ». Ainsi, les exclusions de Souvarine,
Rosmer ou Monatte ne découlent pas exclusivement de l’affrontement au sommet du
PCR mais aussi d’une lutte d’influence au sein de la gauche française. Notre étude
nous a également permis d’aborder la question de la bolchevisation à travers le
parcours de celui qui reste considéré comme l’un des principaux organisateurs de la
refonte de l’organisation du PCF. Notamment grâce au travail de Jerderman, les
modalités de cette réorganisation sont désormais bien connues. En revanche, le rôle
des différents membres de la direction demeure moins connu. Il apparaît ainsi que
contrairement à une idée généralement admise, Treint n’a pas participé activement à
la mise en place pratique de la bolchevisation, dont il se désintéressait. Il a, par
contre, joué un rôle crucial sur le plan idéologique, entraînant le parti toujours plus
loin sur la voie d’une ligne politique radicale et allant jusqu’à s’opposer aux autres
dirigeants et au représentant de l’IC, lorsque ceux-ci tentent d’infléchir la ligne

666
politique. Notre travail nous a enfin permis de mieux connaître les causes de la
naissance du mouvement trotskyste en France et de la gauche communiste
oppositionnelle. Concernant cette période de la fin des années 1920 et des années
1930, de nombreux travaux ont été consacrés au trotskysme et à la gauche
socialiste. Pourtant la gauche communiste et antistalinienne se compose d’une
multitude de petits groupes qui ne peuvent être classés dans l’une ou l’autre de ces
deux familles politiques. Au sein de l’extrême gauche et de l’ultra gauche, des
militants proposent une analyse hétérodoxe et novatrice des événements politiques
des années 1930, qui demeurent encore aujourd’hui largement méconnus. A travers
Treint, nous avons montré la nécessité de poursuivre les recherches sur ces
mouvements politiques précurseurs de la gauche communiste antistalinienne de
l’après-guerre, dont les archives restent le plus souvent inexploitées.
Pour toutes ces raisons, ce travail sur l’itinéraire politique de Treint se justifie
pleinement. Il nous a également permis de proposer un regard historique débarrassé
des a priori sur un personnage décrié et le plus souvent évoqué à travers la
caricature du « capitaine ». Progressivement, se dessine le portrait d’un homme plus
complexe qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, cette étude nous a permis de
suivre un militant dans la vague révolutionnaire consécutive à la Première Guerre
mondiale et dans la naissance et le développement d’une nouvelle organisation
révolutionnaire internationale. L’itinéraire politique de Treint se fond dans le
mouvement communiste français, que se soit au sein du PCF ou de l’opposition.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il revendique son attachement à l’objectif de la
transformation de la société par une révolution « socialisatrice »1 et de la destruction
du capitalisme. La Seconde Guerre mondiale et l’après guerre se trouvent
délibérément hors du cadre de notre étude. Son choix de réintégrer l’armée française
de libération2, après avoir dénoncé toutes les formes de militarisme, marque une
nouvelle étape dans l’évolution de sa pensée. Le manque d’information concernant
cette période et l’après guerre ne nous permet toutefois pas de déterminer les
raisons qui l’amènent à cesser son activité militante3.

1
Treint A, « Ni Führer, ni parti führer », op. cit.
2
Voir le dossier instituteur de Treint (Archives de Paris, D2T1).
3
D’après le témoignage du militant communiste Beaugrand (conservé au CHS), Treint, alors réfugié à
Corency dans la Nièvre, continuait de se passionner pour les questions géopolitiques et semblait
désireux de débattre et de convaincre. Les très rares témoignages recueillis sur l’activité de Treint
après la guerre ne nous permettent pas de poursuivre nos investigations.

667
Malgré cette activité politique incessante durant l’entre-deux guerres, la
présence de Treint dans la mémoire du mouvement communiste concerne
exclusivement la première phase de la bolchevisation du PCF. Indéniablement, au
cours de cette période, il joue un rôle crucial qui contribue à forger une image de
gauchiste, de sectaire, du capitaine dirigeant un régiment de révolutionnaires. Dans
ses premières interventions, en tant que propagandiste communiste, il se distingue
par la virulence de ses propos et par ses appels constants à la guerre civile pour
renverser la démocratie « bourgeoise ». Il montre alors une incontestable fascination
pour la violence révolutionnaire et pour les méthodes expéditives dans la lutte contre
les adversaires du communisme, qui transparaît notamment dans sa prise de
position en faveur du « militarisme rouge ». Lorsque, à deux reprises, le service
d’ordre du PCF tue des militants ― deux ouvriers salle de la Grange-aux-Belles en
janvier 1924 et quatre membres des ligues nationalistes rue Damrémont en avril
1925 ― Treint se trouve impliqué, même s’il est impossible d’établir sa part de
responsabilité exacte dans ces incidents. Aux côtés d’autres militants du CTI, il est
parmi les plus ardents défenseurs de la construction d’une organisation centralisée
et hiérarchisée. Lorsqu’il accède au secrétariat général du parti, en 1923, il met en
place une première réforme4, prémices de la réorganisation complète du parti, une
année plus tard. Dans son esprit, il s’agit de renforcer les pouvoirs de la direction et
de transformer une organisation marquée par son passé social-démocrate et une
armée de révolutionnaires, prête à réagir à la moindre injonction de ses dirigeants.
Nous le retrouvons aux avant-postes lorsque, selon les recommandations de l’IC, le
parti communiste français détruit les anciennes structures pour tenter d’ancrer le
parti dans les usines, crée un nouvel appareil, ouvre des écoles de formation des
militants et vote de nouveaux statuts qui renforcent le poids de l’IC et la
centralisation. Treint joue un rôle secondaire dans la mise en œuvre pratique de
cette transformation du parti français. En revanche, il est le principal propagandiste
de cette bolchevisation ― il est probablement l’inventeur du terme et en tout cas le
premier à l’employer ― et surtout le meneur dans la lutte contre tous ceux qui
critiquent la direction. Entre 1924 et 1925, il publie, dans la presse quotidienne et
théorique du parti, une série d’articles justifiant l’exclusion des « trotskystes », des
« droitiers », au nom du monolithisme du PCF. Malgré les déconvenues et son
exclusion, il continue de prôner durant plusieurs années une conception autoritaire et

4
La création des délégués régionaux.
668
dogmatique d’une organisation révolutionnaire. Le CRC, qu’il a créé en 1928, se
divise lorsque une minorité l’accuse de monopoliser la direction. Puis, trois années
après, lorsqu’il adhère à la Ligue Communiste, alors en crise, il s’empresse
d’engager une lutte contre ceux qu’il qualifie de « liquidationnistes » et de
« conciliateurs » parce qu’ils ne sont pas sur la même ligne que lui. Dans la seconde
moitié des années 1930, en complète contradiction avec ses positions antérieures, il
milite néanmoins pour une discipline librement consentie au sein des partis, qui
laisse la possibilité à chaque sensibilité de s’exprimer.
En parallèle à cette conception rigide d’une organisation politique, Treint fait
preuve, tout au long de ces années, d’un comportement acerbe à l’égard de ses
adversaires, mais pas seulement. Lors des conflits qui l’opposent à ses supérieurs
durant la Première Guerre mondiale, il révèle une personnalité orgueilleuse et
dominatrice. Ses propres alliés reconnaissent qu’il n’est pas d’un abord facile, tout en
y voyant une qualité, la preuve d’un vrai tempérament de révolutionnaire inflexible5.
Le témoignage d’Humbert-Droz, en dépit de sa partialité, nous éclaire quant à la
difficulté de collaborer avec Treint dès qu’un désaccord apparaît6. Toutes les
appréciations de ceux qui l’ont côtoyé convergent sur un point, il est difficile de
discuter avec lui dès lors qu’il a une position arrêtée. Enfin, ses revirements
successifs et ses manœuvres d’appareil, en contradiction avec son intransigeance et
sa droiture affirmées, contribuent encore à dégrader son image auprès des autres
militants. Sa tentative pour conserver le poste de secrétaire général alors qu’il a
promis, après son échec au congrès de Lyon, de s’écarter pour laisser la place à un
candidat consensuel, précipite la décision du BP de l’envoyer à Moscou. Son brutal
virage politique et son alliance avec Doriot, à la fin de l’année 1925 lui valent les
critiques de la part de tous ceux ― au premier rang desquels Suzanne Girault ― qui
ont dirigé le parti à ses côtés. La suite de son itinéraire politique est jalonné de
nouveaux revirements que l’on ne peut attribuer à de basses manœuvres
politiciennes comme lorsqu’il rompt avec la fraction de gauche (opposition) pour
s’engager en faveur de la construction d’un nouveau parti révolutionnaire. Mais tout
ceci renforce sa réputation de militant versatile, peu sûr politiquement et en fin de

5
Ainsi Souvarine applaudit dans un premier temps l’intransigeance de Treint à l’égard de ses
adversaires de tendance et le pousse jusqu’au secrétariat du parti, avant d’entrer en conflit avec lui.
6
« Ancien instituteur et ancien officier, [il] avait tous les défauts d’un pion et d’un adjudant. Toute
discussion avec lui était impossible. Il avait toujours le dernier mot parce que son interlocuteur se
lassait de ses pédantes démonstrations. Il était le type du bureaucrate borné et imbu de lui-même qui
voulait faire sentir son pouvoir en donnant des ordres. ». Humbert-Droz J, L’œil de Moscou à Paris,
Paris, Julliard, 1964, p. 203.
669
compte trop individualiste. Dresser ce catalogue de faits et d’attitudes, qui explique
en partie l’image exécrable dont jouit Treint au sein du mouvement ouvrier français,
ne suffit cependant pas à le cerner et à faire comprendre son rôle dans le
mouvement communiste de l’entre-deux guerres.
Dans le CTI, où il se fait connaître, il est tout d’abord considéré comme un
militant de grande valeur en raison de ses capacités d’organisateur et de son
dynamisme. Au sein de la jeune SFIC, constituée majoritairement de militants
socialistes qui ont adhéré à la troisième Internationale mais qui tentent de défendre
l’identité et l’indépendance du socialisme français, la posture inflexible de Treint est
approuvée par toute la gauche. Par ailleurs, le discours de ce dernier est calqué sur
celui de Souvarine ou de Loriot, qui font également preuve de brutalité à l’égard de la
« droite » et de la direction « centriste ». Durant les deux premières années
d’existence du PCF, la totalité des membres du CTI réclame une discipline de fer et
la constitution d’une direction restreinte, sur le modèle du parti bolchevik. Si Treint ne
peut être considéré comme un parangon de cette gauche la plus farouchement pro
bolchevique, il partage avec de nombreux autres militants qui la constituent
l’expérience de la guerre, le rejet du socialisme traditionnel (parlementarisme,
électoralisme) et la conviction dans la nécessité de changer la société, par la
violence si nécessaire. Après la dissolution de la tendance de gauche, suite aux
décisions du quatrième congrès mondial de l’IC, des dissensions apparaissent entre
les anciens alliés. Les méthodes de direction de Treint, jugées autoritaires, sont au
centre des discussions et entraînent progressivement une rivalité entre d’un côté
Souvarine, appuyé par la majorité du CD, et de l’autre Treint, soutenu par la
fédération de la Seine. Ce conflit débouche sur la décision de retirer Treint du poste
de secrétaire général du parti et de l’envoyer à Moscou. Cette sanction n’est
nullement motivée par des divergences d’ordre idéologique mais simplement par la
nécessité d’éviter que des conflits d’ordre personnel ne viennent briser l’unité du
parti. La lutte menée par Zinoviev contre les dirigeants des sections de l’IC refusant
de condamner Trotsky et le trotskysme vient modifier les termes du conflit et une
nouvelle division apparaît entre les anciens membres du CTI. En condamnant
Trotsky et en approuvant la ligne politique définie par la nouvelle majorité du PCR,
Treint estime poursuivre l’œuvre de construction d’une organisation révolutionnaire,
disciplinée et hiérarchisée. Dans son esprit, la bolchevisation organisationnelle et
idéologique du PCF s’inscrit dans cette démarche de rupture avec le modèle
socialiste français, entamée en 1920. Mais pour les autres anciens leaders (Loriot,

670
Monatte, Rosmer, Souvarine), la bolchevisation aboutit à subordonner le PCF aux
intérêts d’une tendance et d’étouffer toute forme de contestation. En moins d’un an,
tous ces anciens dirigeants de la gauche sont exclus ou s’opposent à la politique
menée par la direction. De son côté, Treint essaye de s’approprier l’identité de cette
gauche en défendant l’idée d’une filiation entre son action à la tête du parti et celle
du CTI depuis 1919.
Treint se trouve à son tour écarté de la direction du PCF, au début de l’année
1926, après plusieurs mois de crise. Entre 1924 et 1925, Treint et Suzanne Girault
tentent de mener à bien la bolchevisation organisationnelle et idéologique avec pour
résultat une désorganisation complète et une chute des effectifs. La mue de
l’organisation social-démocrate vers un parti jeune, ouvriérisé, discipliné est
cependant en passe d’être réalisée. Mais devant le mécontentement provoqué par
les méthodes de la direction, l’IC intervient pour favoriser la constitution d’une
nouvelle direction. Paradoxalement, aucun des militants issus de la gauche
intellectuelle radicale qui furent à l’initiative de la création du parti communiste
n’appartient à la direction élue au congrès de Lille. En raison de leurs critiques, ils
ont été vaincus et écartés de l’organisation qu’ils ont contribué à créer. Lorsque
Treint rejoint à son tour les rangs de l’opposition communiste et dénonce la ligne
politique de la majorité du PC d’URSS, il revendique de nouveau la continuité avec le
CTI, la tradition de la gauche communiste. En faisant référence aux luttes menées au
sein de la SFIO puis contre Frossard, il défend le droit à « l’indiscipline
révolutionnaire »7. Bien qu’il s’en défende, Treint suit le mode de pensée de
Souvarine, de Rosmer ou de Loriot qui ont imposé la discipline d’organisation
lorsqu’ils appartenaient à la majorité avant de revendiquer le droit à la libre parole
dans l’opposition. Pour se justifier, il invoque une distinction dialectique entre
« indiscipline opportuniste » et « indiscipline révolutionnaire ». Treint se révèle
finalement trop indépendant et trop orgueilleux pour accepter de se soumettre dès
lors qu’il n’approuve plus l’orientation politique de la direction de l’IC.
Nous retrouvons dans la production intellectuelle de Treint cette attitude
paradoxale faite de suivisme et d’indépendance d’esprit. Durant les premières
années d’existence du PCF, il se distingue par son engagement en faveur d’une
d’adhésion sans réserve du parti français aux thèses de l’IC. Il fait alors preuve d’une
souplesse théorique qui lui permet d’épouser tous les tournants tactiques imposés

7
« Les cas d’indiscipline », L’Unité Léniniste, n° 5, 12 janvier 1928, p. 1-3.
671
par Moscou. Sur ce point, la question de l’application de la tactique du front unique
est caractéristique de son comportement. A la fin de l’année 1921, au nom de la
« conquête des masses », l’IC demande à toutes ses sections de mettre en place
des actions communes avec les militants socialistes et d’entrer en contact avec leur
direction. Au sein du PCF, seule une partie de la gauche approuve cette tactique.
Dans ce contexte, Treint se révèle un des plus ardents défenseurs du front unique,
ce qui lui vaut d’être remarqué par les dirigeants russes mais aussi d’être décrié et
accusé d’être un homme lige de l’IC. En 1924, à l’initiative de Zinoviev, l’IC demande
à toutes les sections de rompre les contacts avec les directions socialistes, au nom
du « front unique par en bas » et de la lutte contre le « social-fascisme ». Désormais
sous le contrôle de la « gauche », la direction approuve la nouvelle tactique, malgré
les réticences et les critiques de la base et de l’opposition. Treint se montre toujours
aussi zélé, allant jusqu’à accuser la SFIO et les anarchistes d’être les alliés objectifs
des ligues nationalistes. Quelques mois après, il prend position en faveur de la
reprise des relations avec les chefs socialistes, redevenus à ses yeux des alliés
potentiels du parti communiste. Il justifie ce nouveau virage par des nécessités
tactiques spécifiques à la France qu’il est le seul à percevoir mais, en réalité, il se
contente ici encore de s’aligner sur la nouvelle ligne de la majorité de l’IC.
Cette « loyauté » à l’égard de la ligne politique majoritaire lui permet de se
maintenir à la direction du PCF de 1921 au début de l’année 1926, longévité
exceptionnelle à cette période8. Cependant, sa production intellectuelle au cours de
ces années témoigne d’une certaine hétérodoxie, d’une volonté de se démarquer et
de revendiquer le statut d’idéologue de la gauche du parti communiste. Sa célèbre
formule sur « la volaille à plumer », son refus de collaborer avec le centre malgré les
décisions du quatrième congrès mondial de l’IC ou encore ses articles sur
« l’impérialisme rouge », s’inscrivent dans cette démarche. Il nous semble réducteur
de définir Treint comme un simple courtisan, un instrument entre les mains des
dirigeants de l’IC. S’il témoigne de sa fidélité, Treint n’hésite pas à manifester ses
divergences sans pour autant développer une pensée originale. Nous repoussons
donc l’utilisation du terme de treintisme. Ce néologisme, fréquemment employé
comme synonyme de zinoviévisme, pourrait également être destiné à caractériser
une pensée originale. Mais finalement, Treint n’est ni un simple partisan de Zinoviev,

8
Seuls Cachin, Sellier, Treint et Vaillant-Couturier, élus du premier CD à la suite du congrès de Tours,
figurent encore dans le CC élu à Lille en juin 1926. Mais parmi ces hommes, seul Treint a occupé des
fonctions au sommet du parti durant toute la période.
672
ni un idéologue, mais simplement un militant communiste profondément convaincu
de la supériorité du bolchevisme et décidé à taire ses divergences au nom de la
discipline d’organisation. Son intervention, au congrès national de Lille, au cours de
laquelle il développe une analyse de l’évolution de la situation internationale
différente de celle de la majorité, constitue le premier signe d’un malaise et témoigne
d’une certaine indépendance inhérente à sa personnalité. Il ne s’agit pas d’un
discours de rupture, bien qu’il puisse être compris comme un signe avant-coureur de
sa décision de rejoindre les rangs de l’opposition, mais il souligne sa volonté de
poursuivre une démarche intellectuelle personnelle, tout en s’appuyant sur les
travaux d’autres dirigeants communistes.
Dans tous ses écrits politiques, de 1927 à 1940, transparaît la nécessité
d’aller chercher chez d’autres certaines réflexions théoriques, tout en proposant
constamment une analyse originale, fruit de l’assimilation et du mélange de plusieurs
pensées. Dans un premier temps, il s’approprie les thèses de Trotsky sur la
« dégénérescence thermidorienne » du parti russe et de l’IC et sur un ensemble de
questions relatives à l’évolution du mouvement communiste international. Ses écrits
se démarquent néanmoins d’autres partisans de l’opposition de gauche, notamment
sur la question de la création de nouveaux partis communistes. Tandis que Trotsky
et la grande majorité des militants oppositionnels français rejettent cette perspective,
Treint se montre sensible aux arguments des groupes italiens et allemands qui
prônent cette solution. Il se distingue également en continuant de défendre sa thèse
sur la formation d’un bloc anglo-européen concurrent des Etats-Unis. Ces
divergences avec Trotsky contribuent à accélérer sa rupture avec l’Opposition de
gauche. Au début de l’année 1933, dans un contexte de crise politique, consécutive
à l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne, il quitte le petit groupe qu’il avait
constitué après son départ de la Ligue Communiste et se prononce en faveur de la
création d’une quatrième Internationale. Selon lui, le mouvement révolutionnaire est
confronté à deux défis : se régénérer et se réorganiser après la faillite de l’IC et du
PC d’URSS9 et lutter contre le « capitalisme d’Etat », nouveau stade de
développement du capitalisme. Il s’appuie ici sur les travaux d’Hugo Urbahns, de
Lucien Laurat et d’autres « francs-tireurs » qui ne se reconnaissent pas dans les
organisations politiques constituées. La spécificité de la démarche de Treint se

9
Il estime que l’Etat russe n’est plus contrôlé par les ouvriers mais par une nouvelle classe sociale
constituée par la bureaucratie d’Etat. Ses thèses sont résumées dans la déclaration du 22 avril 1933,
cf. infra.
673
trouve dans cette recherche d’une nouvelle voie révolutionnaire qui l’amène à
rejoindre le parti socialiste SFIO et à s’ouvrir à de nouveaux horizons politiques.
Dans le cadre d’une campagne contre les menaces de guerre10, menée de 1935 à
1939, il collabore avec des militants anarchistes, socialistes de gauche et avec le
groupe de Nouvel Age qui se situe à la marge des courants politiques traditionnels.
Au carrefour de toutes ces influences, Treint propose une analyse des
mutations du monde centrée sur l’évolution des rapports de force entre les
principales puissances politiques (Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, France et
URSS). Il s’attarde plus longuement sur la nature du régime soviétique et sur sa
place et son rôle dans les conflits internationaux de la seconde moitié des années
trente. Dès 1927, il contribue à imposer le terme de stalinisme dans le cadre des
débats sur l’évolution du mouvement communiste. Conformément aux thèses de
Trotsky, il le définit, dans un premier temps, comme une tendance « centriste » ou
« conciliationniste » au sein du PC d’URSS, avant d’entamer une étude plus
approfondie et plus féconde sur le premier exemple de régime politique issu de la
dégénérescence d’une révolution ouvrière. Dans ce cadre, il est l’un des premiers
militants de la gauche antistalinienne à établir un parallèle entre stalinisme, fascisme
et nazisme avec comme axiome l’existence d’une tendance générale au capitalisme
d’Etat. Selon lui, le régime stalinien se caractérise principalement par : l’apparition
d’une nouvelle classe sociale ― la bureaucratie ― ayant progressivement pris le
contrôle du parti ; le renforcement continu du pouvoir de l’Etat désormais seul acteur
politique et économique du pays et ayant absorbé la société civile et la disparition de
toute forme de contrôle ouvrier. Pour toutes ces raisons, Treint estime que le régime
stalinien constitue une forme de capitalisme d’Etat. Mais il va plus loin. Il souligne les
similitudes entre le système politique mis en place par Hitler et celui de l’URSS :
volonté totalitaire qui se manifeste par la discipline sociale et la contrainte d’Etat,
existence d’un parti unique qui se confond avec l’Etat. Ces observations l’amènent à
conclure que, malgré leurs origines différentes, nazisme et stalinisme ont une identité
commune et représentent tous deux « la forme la plus aboutie de capitalisme
d’Etat »11. Dans le contexte politique de la seconde moitié des années 1930, ces
assertions hétérodoxes suscitent l’ironie et ne touche qu’une infime minorité de

10
Le mouvement issu de la conférence de Saint-Denis est lancé suite à la signature du pacte
Laval/Staline organise des campagnes pour dénoncer notamment la guerre d’Ethiopie et la guerre
civile espagnole.
11
« Déclaration constitutive du groupe La Lutte Finale », art. cit., p. 3.

674
militants antistaliniens appartenant à la gauche socialiste. En effet, au sein du
mouvement socialiste, toute tendance confondue, la défense de l’URSS est une
opinion admise, particulièrement dans le contexte du Front populaire et de la lutte
antifasciste. A la marge du mouvement socialiste, Treint apporte ainsi un éclairage
non-conformiste et novateur sur le front populaire et les grèves de mai 1936, sur la
guerre d’Espagne et les crises successives qui annoncent la Seconde Guerre
mondiale. Néanmoins, son analyse apparaît parfois trop schématique et
manichéenne, notamment lorsqu’il grossit démesurément l’influence de l’URSS et de
Staline sur la marche du monde. Il fait néanmoins partie de ces rares militants
français qui, dès le milieu des années 1930, se sont interrogés sur la nature politique
de l’URSS et sur les visées totalitaires du régime mis en place par Staline et se
revendiquent à la fois de l’antistalinisme et de l’antifascisme.
Pour conclure, nous voudrions revenir sur le rapport que Treint entretient avec
son passé de militant communiste. Alors jeune membre du CD du PCF, Treint dut
affronter les interrogations d’autres militants sur son passé de militaire et sur son
projet de rejoindre le corps expéditionnaire français en Pologne. Dans le contexte de
violents affrontements de tendances et de recours aux arguments polémiques, Treint
s’enferme dans la dénégation, attitude qu’il reproduit par la suite. Ce refus de parler
de son passé et d’accepter de reconnaître ses fautes contribue longtemps à
entretenir la suspicion à son égard. A partir de 1927, lorsqu’il rejoint l’opposition, il
est immédiatement confronté à son passé de bolchevisateur. Ses alliés potentiels lui
réclament un acte de repentance qu’il se refuse à accomplir. Comme nous l’avons
souligné, il estime au contraire avoir toujours suivi la ligne politique juste, celle de la
gauche issue du CTI, même s’il concède certaines erreurs « inspirées par la passion
révolutionnaire »12. Il tend constamment à s’ériger en victime d’une machination des
militants exclus au cours de la première phase de bolchevisation pour le tenir à
l’écart de l’opposition française. Cette ligne de défense l’amène à développer une
conception révisionniste de l’histoire du parti communiste qui s’appuie sur la
conviction que si des fautes ont bien été commises, elles sont de la responsabilité de
tous les acteurs, direction et opposition13. Il refuse ainsi d’évoquer le rôle particulier

12
« Plate-forme politique de l’opposition de gauche », op. cit.
13
Dans sa controverse avec Trotsky, lors de sa visité à Prinkipo, Treint écrit : « […], vous m’imputez
comme péché originel les erreurs que j’ai commises à la direction du parti et que j’ai caractérisées
dans nombre de documents. Vous exagérez d’ailleurs considérablement les erreurs que j’ai commises
et leur portée en me solidarisant avec la fraction Zinoviev à laquelle je n’ai jamais appartenu et contre
laquelle j’ai mainte fois lutté dans le CC et dans le BP français, en 1924-1925. […] Vous avez deux
poids et deux mesures selon qu’il s’agit du camarade Trotsky ou du camarade Treint, d’un camarade
675
qu’il a joué durant les années 1924-1925, notamment dans la lutte contre le
« trotskysme ».
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, malgré tous ses écrits sur le
bolchevisme et le léninisme, Treint se garde constamment d’évoquer son cas
particulier. Lorsqu’il publie une brochure dénonçant le principe même de
l’organisation en parti, il évite de revenir sur la conception autoritaire qu’il a défendue
durant de longues années et qui a contribué à façonner le parti communiste des
années 1930 qu’il dénonce avec véhémence. Il est symptomatique de constater
qu’aucun des documents publiés jusqu’en 1938 ne permet de connaître le regard
qu’il porte sur son propre rôle de militant, alors que la majeure partie de ses
réflexions touchent à l’évolution du mouvement communiste et sa
« dégénérescence ». A quoi attribuer cette attitude ? Est-ce par sentiment de
culpabilité, par orgueil ou par ce qu’il estime que les fautes individuelles s’effacent
derrière la responsabilité collective ? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses,
notamment du fait de l’absence de Mémoires. Aucune information ne nous permet de
savoir si, ayant abandonné toute activité militante, Treint s’est penché sur son propre
passé de communiste et d’oppositionnel et s’il a conservé une trace écrite du résultat
de ce travail de mémoire.

de l’opposition hétérogène de 1923 ou d’un camarade de la direction hétérogène de 1923. », Fonds


Trotsky, IHS.

676
Sources

Archives publiques.

CHAN (Centre historique des Archives nationales)

Fonds F⁷ : Police générale

F⁷ 12893
Surveillance socialistes/communistes (1921).
Rapports des préfets dont :
• Compte rendu de réunions au cours desquelles TREINT prend la parole.
• Copie de l’affiche du PS SFIC, signée par les membres du CD.

F⁷ 12897
Surveillance du PCF (1925). Série de notes signées « un correspondant ».
• Informations sur les conflits au sein de la direction du PCF et notamment sur les
divergences entre TREINT et les autres membres du BP.

F⁷ 12901
Surveillance du PCF (1923/1925) dont :
• Conférence d’Essen et arrestation des dirigeants communistes dont TREINT.

F⁷ 12919
Surveillance de la préparation de la grève du 12 octobre 1925.

F⁷ 13004
Rapports de la préfecture de la Nièvre (1921) :
•Compte rendu des conférences de TREINT dans le département.

F⁷ 13179
Surveillance de l’ARAC (1925/1926).

677
F⁷ 13743
Surveillance des fonctionnaires, instituteurs, enseignants (1919).

F⁷ 13973
Surveillance des communistes et antimilitaristes (1920/1923) :
• Compte rendu de meetings auxquels TREINT participe.

F⁷ 13975
Surveillance des étrangers (1925) :
• Compte rendu de réunions entre TREINT et des représentants de l’IC.

F⁷ 13976
Surveillance de l’ARAC (1920/1924).

F⁷ 14796
Surveillance du « groupe bolchevik-léniniste » dont :
• Bulletins intérieurs de la Ligue Communiste d’octobre 1931 et décembre 1932.

F⁷ 14797
Surveillance de l’opposition communiste :
• Affiche et Tracts de la Ligue Communiste.
• Tracts du CRC.
• Plusieurs bulletins intérieurs de la Ligue Communiste.
• Brochure publiée par TREINT intitulée : « Projet de programme et de statuts du
Komintern ouvrier de Miasnikov ».
• Documents relatifs à la conférence d’unification de l’opposition d’avril 1933.
• Un numéro de l’Etincelle, revue de la fraction de gauche (opposition) (n° 10).
• Documents relatifs à la crise au sein de la Ligue Communiste (1932-1933).

F⁷ 14974
Surveillance de la CGTU (1919-1929).

F⁷ 14975
Surveillance des manifestations (1918-1930) dont :
• Compte rendu de meetings organisés par le PCF avec TREINT comme orateur.

678
Archives de Paris.

Dossier instituteur

1948 W 11
Plusieurs documents concernant l’état des services de TREINT.
Demande de mise en retraite.
1 lettre de TREINT demandant à réintégrer le personnel enseignant (10/04/46).
Documents relatifs à la radiation de TREINT (1940/1941).

D2T1/ 274
Dossier d’inscription à l’Ecole Normale d’instituteurs.
Résultat du concours d’admission.

5 MI 3 R 1283
Acte de naissance d’Albert TREINT.

Autres
2 MI LN 1926/83-84-85-86-87-88
Dénombrement de la population parisienne, liste nominative de 1926 pour le 19ème
arrondissement.

SHAT (Service historique de l’armée de terre).

5Ye 156-743
Dossier militaire (Il est composé de cinq sous-dossiers).

Le premier sous-dossier contient :


• Etat des services.
• Livret matricule d’officier.
• Diverses informations : Citations, blessures….

Le deuxième sous-dossier contient :


• Plusieurs documents relatifs au passage de TREINT par le dépôt des éclopés du
21e RI.

Le troisième sous-dossier contient :


• Dossier du concours pour l’obtention du titre d’élève officier de réserve.
679
• Mémoire de proposition pour le titre de capitaine.
• Feuillet individuel de campagne avec citations.
• Correspondance concernant les conflits entre TREINT et sa hiérarchie.

Le quatrième sous-dossier contient les documents relatifs au conflit entre TREINT et


Magagnosc :
• Plusieurs lettres de TREINT à sa hiérarchie.
• Compte rendu de la punition infligée à TREINT.

Le cinquième sous-dossier contient divers documents relatifs à la période l’après


guerre dont :
• Etat de proposition d’un officier demandant à être affecté à l’armée polonaise.
• Documents relatifs à la révocation de TREINT du grade de capitaine (enquête, P-V
de la séance du conseil d’enquête)
• Correspondance autour des conflits entre TREINT et sa hiérarchie dont deux lettres
de TREINT adressées au ministre des armées (07/12/18 et 29/01/19) et une
adressée au président du Conseil (7/02/19).
• Documents relatifs à la révocation de TREINT de sa fonction d’instituteur.

Journal de marche et d’opérations (JMO)

Dans l’annuaire des armées, pour l’année 1914, Albert TREINT est indiqué dans les
effectifs du 21e RI (26e brigade, 13e division, 7e corps à Langres) où il possède le
grade de sous lieutenant. Au cours de la guerre de 1914-1918, Albert Treint sert
respectivement dans le 21e RI, le 41e RI et le 131e RI.
26 N 593 : JMO du 21e RI (1914-1916).
26 N 623 : JMO du 41e RI (1917-1919).

Archives de la préfecture de police de Paris.

Malgré mes requêtes déposées auprès du directeur, il s’est avéré impossible


d’obtenir le dossier personnel d’Albert TREINT.
Aucun des autres fonds étudiés ne nous a apporté d’informations concernant les
activités politiques de TREINT.

RGASPI 1.

Nous avons dépouillé systématiquement le fonds français dans l’optique de montrer


quelle fut l’ascension d’Albert TREINT au sein du parti, quelle fut son activité et son
rôle dans le PCF lorsqu’il fut le dirigeant effectif (1924-1925), puis de quelle manière

1
Archives sociales et politiques de la fédération de Russie.
680
se déroulèrent sa chute et son exclusion. Mais nous avons également porté un
regard attentif sur son travail et sur sa place au sein de l’Internationale Communiste.

1921

517-1-38
136• Intervention de TREINT au congrès de Marseille lors de la troisième séance
(26/12/21).

517-1-40
343• Déclaration de TREINT lors de la 11ème séance du congrès de Marseille
(29/12/21) suite à la démission de Loriot du CD. Voir également les débats qui font
suite à cette déclaration.

1922

517-1-60
Série de documents relatifs à la situation du PCF à la suite du congrès de Marseille.

517-1-62
Divers dont :
26• Lettre du CE de l’IC au PCF (12/05/22).

517-1-64
Divers dont :
1• Lettre du CE de l’IC à Humbert-Droz (23/06/22).
13• Lettre de Zinoviev à Humbert-Droz (28/07/22).
45• Lettre d’un représentant de l’IC (30/09/22).

517-1-67
Divers dont :
12• Rapport de Walecki au CE de l’IC (13/01/22).
17• Rapport de Bordiga au CE de l’IC (14/01/22).
44• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (08/05/22).
47• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (30/05/22).
59• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (27/06/22) dont une motion
signé TREINT (annexe B).
79• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (14/07/22).
91• Lettre de Rosmer à Humbert-Droz.
92• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (25/07/22).
103• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (03/08/22).
681
131• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (17/08/22).
143• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (22/08/22).
148• Lettre de Souvarine à Zinoviev et Trotsky (29/08/22).
333• Rapport d’Humbert-Droz au Présidium de l’IC (30/12/22).
339• Lettre de TREINT à Dahlem (06/11/22).

517-1-73
Divers dont :
189• télégramme du Présidium au CD du PCF concernant la question des
démissions.
255• Lettre de Trotsky à TREINT.

517-1-84
Correspondance de Souvarine dont :
43• Lettre de Souvarine au membres du Présidium (28/06/22)
54• Lettre de Souvarine au Présidium (16/08/22).
81• Lettre de Souvarine au Présidium (28/09/22).
102• Lettre de Souvarine à Trotsky et aux membres de la commission française
(15/11/22).

517-1-89
Compte rendu des CD du PCF pour l’année 1922.

517-1-93
Rapport du secrétaire international (Ker) au CE de l’IC dont :
21• Rapport du 29 avril 1922
23• rapport du 30 avril 1922 qui aborde le rôle et l’influence de TREINT dans le
PCF à cette période.

517-1-108
Divers dont :
102• Article de TREINT intitulé «La minorité au CN du PC français».

1923

517-1-110
Correspondance d’Humbert-Droz avec les dirigeants de l’IC dont :
6• Lettre d’Humbert-Droz de Suisse (12/02/23) dans laquelle il évoque la
naissance « d’un clan TREINT/Suzanne Girault » à la gauche du PCF.
12• Lettre d’Humbert-Droz à Zinoviev (03/04/23).
14• Lettre d’Humbert-Droz à l’IC (21/04/23).
19• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (14/06/23) dans lequel il s’en prend violemment
aux méthodes de TREINT et demande son élimination du poste de secrétaire
général du parti.
682
26• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (23/06/23) dans lequel il critique les méthodes
autoritaires de TREINT.
33• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (29/09/23).
51• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (15/10/23).
53• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (22/10/23).
59• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (23/11/23) dans lequel il évoque les prémices
de l’affrontement entre Souvarine et TREINT.
65• Rapport d’Humbert-Droz à l’IC (08/12/23).

517-1-117
Correspondance entre l’IC et le PCF dont :
16• Lettre de TREINT au secrétariat de l’IC (13/08/23).

517-1-120
Compte rendu du CN du PCF des 14-15/10/23 où TREINT intervient à de
nombreuses reprises :
50• Intervention de TREINT sur l’organisation du parti.
101• Intervention de TREINT sur la question de la tactique électorale.

517-1-121
P-V des CD du PCF (janvier/mars 1923).

517-1-122
P-V des BP du PCF (année 1923).

517-1-128
Déclaration de la minorité (Dunois, Souvarine, TREINT….) à propos de la réponse
du CD aux dernières décisions de l’Exécutif Elargi.

517-1-130
Lettres de Souvarine à Zinoviev :
12• Lettre à Zinoviev du 01/03/23.
23• Lettre à Zinoviev et Trotsky (22/04/23) dans laquelle Souvarine évoque ses
désaccords avec TREINT.
33• Lettre à Zinoviev (25/10/23) suite au retour de Souvarine à Paris.

517-1-131
Divers dont :
17• Compte rendu de la conférence d’Essen (6-7/01/23).

517-1-133
Divers dont :
Circulaires du secrétariat général du PCF.
47• Lettre de TREINT à Sellier.

683
517-1-135
Divers dont :
«Vers un parti communiste» signé TREINT (annexe n° 19).

1924

517-1-150
Correspondance dont :
1• Rapport d’HUMBERT-DROZ à Zinoviev (2/01/24).
70• Lettre manuscrite de Klein à Mizheritz sur la situation en France, non datée
(probablement de décembre 1924).

517-1-152
Divers dont :
7• Lettre de l’IC félicitant le PCF après le Vème congrès mondial et expliquant
l’exclusion de Souvarine (23/07/24).

517-1-154
Correspondance entre l’IC et le PCF :
14• Télégramme de Kuusinen (non daté).
21• Lettre de l’IC au PCF critiquant l’absence de liaison régulière (06/02/24).
26• Lettre de l’IC au CD du PCF, signée Kolarow (13/02/24) demandant au parti
français de réviser la composition du BP en faveur de TREINT.
144• Communication de Bela-Kun à TREINT (01/12/24).

517-1-158
Compte rendu du CD du PCF (janvier/février 1924).

517-1-159
Correspondance de TREINT dont :
32• Lettre de TREINT à Piatnisky, Moscou (03/06/24).
33• Lettre confidentielle de TREINT à Zinoviev, Moscou (10/06/24).
46• Lettre de TREINT au Présidium de l’IC (22/09/24) concernant le rapport de l’IC
sur la semaine internationale de propagande contre la guerre en France.
51• Lettre de TREINT à Zinoviev, Moscou (30/09/24).

517-1-161
Correspondance d’A. TREINT avec divers membres du PCF et de l’IC :
21• Lettre de Suzanne Girault à TREINT (29/04/24).
21a• Lettre manuscrite de Suzanne Girault à TREINT (03/05/24).
24• Lettre de TREINT à Monmousseau (21/05/24).
26• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (21/05/2424).
684
28• Lettre de TREINT à Eugénie (22/05/24).
29• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (22/05/24).
30• Lettre de TREINT à Henriet (22/05/24).
31• Lettre de TREINT à Hélène (22/05/24).
32• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (22/05/24).
35• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (26/05/24).
38• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (28/05/24).
41• Lettre de TREINT à Calzan (02/06/24).
43• Lettre de TREINT à Franklin (02/06/24).
46• Lettre de TREINT à Suzanne Girault, Calzan et Ilbert (4/06/24).
50• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (12/08/24).
54• Lettre de TREINT à Semard (13/08/24).
61• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (19/08/24).
63• Lettre de TREINT au BP du PCF (19/08/24).
73• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (21/08/24).
83• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (25/08/24).
84• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (28/08/24).
85• Lettre de TREINT au BP du PCF (28/08/24).
88• Lettre de TREINT à Monmousseau (28/08/24).
99• Lettre de TREINT à Lepetit (01/09/24).
101• Lettre de TREINT au BP du PCF (01/09/24).
108• Lettre de TREINT à A. Richard (01/09/24).
110• Lettre de TREINT à N’Guyen (01/09/24).
113• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (05/09/24).
117• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (05/09/24).
118• Lettre de TREINT au BP du PCF (05/09/24).
124• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (05/09/24).
130a• Lettre manuscrite de Suzanne Girault à TREINT (06/09/24).
137• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (08/09/24).
138• Lettre de TREINT à Liouba (08/09/24).
139• Lettre de TREINT au BP du PCF (08/09/24).
147• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (10/09/24).
148• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (10/09/24).
151• Lettre de TREINT à Liouba (12/09/24).
152• Lettre de TREINT au BP du PCF (12/09/24).
155• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (12/09/24).
156• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (12/09/24).
162• Lettre manuscrite de Suzanne Girault à TREINT (13/09/24).
170• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (15/09/24).
173• Lettre de TREINT à Lepetit (17/09/24).
175• Lettre de TREINT au BP du PCF (17/09/24).
182• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (17/09/24).
185• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (22/09/24).
187• Lettre de N’Guyen à TREINT (19/09/24).
193• Rapport de TREINT au BP du PCF (22/09/24).
200• Lettre de TREINT au BP du PCF (24/09/24).
205• Lettre de TREINT au BP du PCF (24/09/24).
206• Lettre de TREINT au BP du PCF (26/09/24).
216• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (26/09/24).
220• Lettre de TREINT au CC de l’ARAC (29/09/24).
227• Lettre de Semard à TREINT en réponse à plusieurs lettres de TREINT
(29/09/24).

685
232• Lettre de TREINT à Calzan (29/09/24).
235• Lettre de TREINT au BP du PCF (01/10/24).
239• Lettre de TREINT à Lepetit (02/10/24).
242• Lettre de TREINT à Monmousseau (02/10/24).
245• Lettre de TREINT au BP du PCF (03/10/24).
247• Lettre de TREINT au BP du PCF (03/10/27).
249• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (03/10/24).
261• Lettre de Suzanne Girault à TREINT (08/10/24).
265• Lettre de Sauvage à TREINT (11/10/24).
276• Lettre de TREINT à Semard (26/11/24).
292• Lettre de TREINT à Suzanne Girault (non datée).

517-1-168
P-V des CD du PCF, janvier/février 1924.

517-1-170
Divers dont :
7• Lettre du CD du PCF au Présidium sur la réintégration de TREINT dans le CD.

517-1-172
P-V des BP du PCF pour l’année 1924.

517-1-177
Divers dont :
11• Lettre de Sellier à Zinoviev (5/02/24) sur la candidature de TREINT au poste
de secrétaire général du PCF.
55• Lettre du secrétariat du PCF à l’IC (01/10/24).
67• Lettre du secrétariat du PCF à l’IC (02/10/24).
70• Lettre de protestation de TREINT au Présidium de l’IC (14/10/24).
86• Lettre manuscrite de TREINT à Zinoviev (11/11/24).

517-1-197
Divers dont :
45• Lettre de Bruyère à Souvarine (15/04/24).
48• Réponse de Souvarine à la lettre de Bruyère.

517-1-198
Divers dont :
1• Lettre de Souvarine au Présidium de l’Exécutif de l’IC (13/02/24).
17• Lettre de Souvarine à Lozovsky (13/02/24).

517-1-202
Divers dont nombreux documents concernant un détournement de fonds provenant
du PCF et destiné à l’ARAC :
7• Premier rapport de la commission spéciale de contrôle (16/06/24).

686
24• Rapport sur les relations entre l’ARAC et le PCF.
31• Rapport des délégués de l’ARAC à la commission spéciale d’enquête
(30/04/24).
P-V de la commission spéciale de contrôle, tenue du 2 au 13 juin 1924 sur la
question des détournements de fonds (voir les pages 34 à 39).
60• Lettre de Barbusse à TREINT (19/09/24).
65• Lettre signée un des secrétaires du Comintern au CC de l’ARAC (29/09/24).

517-1-204
Articles de TREINT publiés dans l’H ou le BC.

1925

517-1-218
Divers dont :
2• Lettre de (?) à TREINT (10/01/25).
107• Lettre de Kuusinen au CC du PCF qui affirme le soutien de l’IC à la politique
de la direction du PCF.

517-1-231
Matériel sur le 4ème congrès du PCF dont :
103• Rapport de TREINT sur «La situation internationale, le trotskysme, les tâches
du parti».

517-1-234
Documents sur la conférence nationale du PCF (18-20/10/1925).

517-1-236
Compte rendu de la conférence nationale de décembre 1925 dont :
19• Intervention de TREINT à la séance du 1er décembre.
44• Intervention de TREINT lors de la séance du 2 décembre sur les erreurs
commises dans l’application du front unique.

517-1-239
Divers dont :
1• Résolution du CC du PCF sur la conférence nationale.
55• Lettre d’information du Secrétariat du CE de l’IC signée Humbert-Droz sur la
conférence nationale du PCF (21/11/25).

517-1-241
P-V des CC du PCF (19/01/25 au 18/08/25) dont :
227• Manuscrit d’une déclaration de TREINT au CC.

687
517-1-242
P-V des CC du PCF (01/09/25 au 16/12/25).

517-1-255
P-V des commissions politiques pour l’année 1925.
63• Voir notamment la commission politique du 30/06/25.

517-1-258
Document sur la question de la guerre du Maroc.

517-1-267
Lettres de Semard à Zinoviev et à l’IC.

517-1-272
Lettres de Marty à Zinoviev (1925) dont :
19• Lettre du 3/05/25 dans laquelle Marty se montre très critique à l’égard de la
direction du PCF.

517-1-274
Matériel sur le travail du parti (Agit-Prop., section d’information) :
12• Lettre de TREINT (direction de l’Agit-Prop.) à l’Exécutif, (25/04/25).
17• Lettre de TREINT à Semard (22/06/25).

517-1-294
Matériaux sur l’opposition au sein du PCF :
8• Lettre de Julien Aufrère à Herclet (16/01/26) sur l’état du parti et l’opposition.
16• Lettre de Loriot à Zinoviev (14/02/26).
33• Lettre de 80 oppositionnels au CE de l’IC.
108• Lettre de Rieu à l’Exécutif de l’IC (19/03/25).
176• Lettre de Loriot, Paz et Dunois au CE de l’IC (11/05/25).
197• Lettre de Dunois au BP et au CC du PCF (11/05/25).

517-1-295
Matériaux sur l’opposition :
3• Rapport critique sur l’état du parti fait par le comité de Lyon pour le CE de l’IC
(01/07/25).
57• Lettre d’un groupe d’oppositionnels au CC du PCF (09/08/25).
72• Lettre d’oppositionnels aux membres du PCF (30/07/25) sur la question de la
politique marocaine du parti.
102• Thèse Loriot/Hairius.
123• «Lettre des 250».
173• Demande de réintégration de Souvarine.

688
517-1-299
Lettres d’Humbert-Droz sur l’échec de la direction TREINT/Girault.
3• Lettre d’Humbert-Droz à la délégation française et CC du PCF (26/03/25).
4• Lettre d’Humbert-Droz à la rédaction des CB (09/04/25).
8• Article d’Humbert-Droz intitulé «Réponse à TREINT».
97• Lettre du comité de rédaction du BC au comité du parti (04/02/25).

517-1-307
Divers dont :
42• Article de TREINT paru dans le n° 71 d’Imprekorr (28/04/25).

1926

517-1-321
Correspondance entre l’IC et le CC du PCF dont :
35• Lettre de l’Exécutif de l’IC au CC du PCF (26/05/26) sur le renouvellement de
la direction du parti.

517-1-324
Divers dont matériel sur l’Exécutif élargi de l’IC de mars 1926 :
24• Questions de TREINT lors de la séance du Présidium du 24/03/26.
26• Intervention de Manouilski sur les changements à la tête de la direction du
PCF (même date).
28• Réponse de TREINT à l’intervention de Manouilski.
Suite des débats autour du changement de direction entre Zinoviev,
Manouilski et TREINT (34• à 41•).
47• Lettre d’Humbert-Droz au secrétariat du PCF (14/04/26) sur la question du
maintien de TREINT à Moscou.
172• Lettre d’Humbert-Droz au secrétariat du PCF (04/08/26).

517-1-329
Matériaux sur l’activité de TREINT au sein de l’IC et sur la mise en cause de
l’ancienne direction TREINT/Girault :
16• Document manuscrit émanant du Présidium (24/03/26).
17• Intervention de TREINT à la séance du Présidium du 24/03/26.
Comptes rendus de la commission française au Présidium de mars 1926 (18• à 47•)
dont :
25• Déclaration de TREINT sur la mise en cause de son activité à la direction du
PCF.
28• Autre déclaration de TREINT dans laquelle il attaque Semard.
31• Déclaration de Semard, Cremet et Thorez.
36• Déclaration de Monmousseau.
42• Déclaration du BP du PCF à la délégation du PCR.
47• Lettre de TREINT au secrétariat de l’IC (21/03/26).
48• Lettre manuscrite de TREINT au secrétariat de l’IC (30/03/26).
52• Lettre manuscrite de TREINT au secrétariat de l’IC (06/04/26).
689
54• Lettre de TREINT au secrétariat de l’IC (30/03/26).
67• Lettre de TREINT au secrétariat de l’IC (07/06/26).
69• Lettre de TREINT au Présidium de l’IC, au secrétariat de l’IC, à la délégation
russe au Présidium, à la délégation allemande (14/06/26).
Lettres de TREINT au secrétariat de l’IC sur son activité au sein de la
délégation française (78• à 148•).

517-1-338 à 517-1-341
Comptes rendus du congrès national du PCF de juin 1926 (Lille).

517-1-364 à 517-1-366
P-V des BP du PCF (1926).

517-1-437
Divers dont :
3• Compte rendu de l’assemblée d’information de l’organisation de Paris du PCF.

517-1-449
Matériaux sur l’opposition de gauche dans le PCF en 1926.

1927

517-1-477
Divers dont :
89• Lettre de Hoffmaier à TREINT sur la situation du parti belge.

517-1-480
Matériaux sur la section féminine et les rapports PCF/IC :
145• Lettre du secrétariat du PCF à Humbert-Droz (09/08/27) sur la prise de
position de TREINT favorable à l’Opposition unifiée et au groupe de Suzanne
Girault.
152• Compte rendu du CC des 3-4 août 1927.
196• Lettre d’Humbert-Droz à Semard (21/11/27).

517-1-496
Correspondance dont :
1• Lettre de Semard à TREINT (01/01/27).
Correspondance entre TREINT (secrétaire de l’IC) et divers membres de la
direction du PCF (2• à 37•)

517-1-497

690
Correspondance et rapports de la délégation française aux instances dirigeantes du
PCF dont :
41• Lettre de TREINT au BP concernant ses rapports avec Suzanne Girault
(25/02/27).
140• Lettre de TREINT au BP (26/12/27).
141• Lettre au secrétariat et au BP du PCF (29/11/27) pour revendiquer le droit à la
libre discussion dans le parti.
142• Article de TREINT non publié intitulé «L’opposition léniniste contre les chefs
réformistes».
159• Manuscrit d’une déclaration de TREINT lors de l’Exécutif de juin 1927 dans
laquelle il proclame entre autre son opposition à la politique de l’IC en Chine.

517-1-506
Séance du CC du PCF du 8-9/11/27 autour de l’exclusion de TREINT/Girault.

517-1-507
P-V des BP du PCF (janvier/avril 1927).

517-1-508
P-V des BP du PCF (mai/décembre 1927).

517-1-516
Résolution du BP du PCF sur l’opposition (09/11/27).

517-1-521
Matériaux sur la crise entre l’IC et le PCF :
131• Lettre de la délégation française à la délégation russe (04/03/27).
135• Lettre du BP du PCF au Présidium de l’IC (10/03/27).

517-1-529
Correspondance dont :
1• Lettre de Semard à Thorez (13/08/27) à propos de TREINT.
6• Lettre de Thorez aux membres du BP emprisonnés à la Santé (11/10/27).
13• Réponse de Semard à la lettre de Thorez (16/10/27).
20• Lettre de Doriot à Thorez (23/06/27).

517-1-530
Correspondance de Semard dont :
1• Lettre de Semard à TREINT (10/02/27).
70• Lettre de Semard au CC du PCF (fin 1927).

517-1-532
Divers sur l’exclusion de Béors dont :
2• Communication du secrétariat sur le cas Béors.

691
517-1-587
Divers dont :
102• Lettre de TREINT qui précède sa déclaration adressée au CE de l’IC
(22/07/27) sur la question chinoise.

517-1-588
Divers dont :
74• Interventions au BP du PCF sur le cas TREINT (28/07/27).
104• Lettre de Thibo au BP du PCF (23/12/27).

517-1-590
Divers dont documents sur le cas Suzanne Girault.

517-1-591
Divers dont matériaux sur le cas TREINT :
1• Lettre de TREINT au BP du PCF (25/02/27).
2• Lettre de TREINT à la direction de l’Humanité (01/07/27).
145• Article de TREINT intitulé «En France : les perspectives communistes» (non
daté).
182• Projet de résolution de TREINT sur la situation nationale et les dangers de
guerre.

517-1-595
Correspondance dont :
1• Lettre de Cremet au CC du PCF (15/01/27).
13• Lettre de Cremet au BP du PCF (26/06/27).

1928

517-1-622
Divers dont :
1• Résolution de l ‘Exécutif de l’IC sur l’exclusion de TREINT/Girault du PCF.

517-1-653
P-V du CC du 10-12/01/28 consacré au groupe oppositionnel TREINT/Girault.

517/1/654
Rapport de Doriot au CC du PCF du 11/01/28 sur la question de l’opposition.

692
517-1-715
Divers dont :
1• Lettre de TREINT et Suzanne Girault aux membres du CE de l’IC (janvier
1928).

517-1-717
Divers dont :
7• n° 17 de l’Unité Léniniste.

517-1-1135
Informations concernant la femme de TREINT.

__________________

495-270-7453
Dossier biographique d’Albert TREINT : Celui-ci se compose de documents le plus
souvent connus en France datant pour la plupart de 1927. On y trouve également
des documents concernant Suzanne Girault :

4• Enquête remplie par TREINT lors de son entrée en Russie en 1922 (voir en
annexes).
7• Déclaration écrite de TREINT au CC du PCF des 10-11/09/27.
10• Lettre de TREINT au BP du PCF datée du 1er juillet 1927.
13• Lettre de Semard à Doriot datée du 2/07/27
17• Communication du BP du PCF au CR et au CC
18• Déclaration de TREINT au CE de l’IC sur la question chinoise (22/07/27).
26• Déclaration de TREINT sur la politique intérieure du CC (3-4/08/27).
47• Thèse de TREINT sur la situation nationale et les dangers de guerre et thèse
sur l’insurrection viennoise.

495-2-60 à 495-2-98
P-V des séances du Présidium auxquelles TREINT participe (24/03/26 à 04/05/27).

495-51-1
P-V des séances de la commission syndicale (TREINT n’est présent qu’à deux
reprises : 13/04/26 et 04/09/26).

495-32
Secrétariat Latin :
-1 P-V des séances du secrétariat latin (mai/juillet 1926)
-3 P-V de la séance commune du secrétariat latin et du secrétariat allemand
(28/07/26).
-5 P-V du secrétariat des pays de langue espagnole (juin/août 1926).

693
-7 P-V des séances du secrétariat latin (août/décembre 1926).
-9 Documents relatifs aux activités du secrétariat latin dont plusieurs lettres de
TREINT.

495-55
Commission française :
-7 P-V de la première séance de la commission française (23/02/27).
-9 P-V de la deuxième séance (1/03/27).
-11 P-V de la troisième séance (09/03/27).
-15 Correspondance entre le secrétariat du PCF et celui de l’IC.

495-153
Exécutif Elargi de 1925 :
-103 P-V de la commission sur l’agit-prop (02/04/25).
-123 P-V de la troisième séance de l’EE. (• 44 : discours de TREINT).
-153 P-V de la onzième séance de l’EE (03/04/25).

495-164
Exécutif Elargi de 1926 :
-304 P-V de la deuxième séance de la commission française (28/02/26).
-306 P-V de la troisième séance de la commission française (29/02/26).
-308 P-V de la quatrième séance de la commission française (02/03/26).
-312 P-V de la sixième séance de la commission française, avec l’intervention de
Staline (06/03/26).

495-93-19
Fonds Belge : TREINT au cours de ces années au sein de l’appareil de l’IC fut
chargé, en tant que secrétaire de l’IC de la Belgique.

Divers dont :
6• Lettre de TREINT à la direction du PCB (13/08/24).

Archives privées.

Archives du parti communiste français2

Les archives du PCF, déposées jusqu’en 2004 à la BMP, se trouvent désormais aux
archives départementales de Seine-Saint-Denis.

Bobine 3 MI 6/1
2 Congrès de Tours : correspondances, articles de presse (1920)
3 Congrès de Tours : résolutions, tracts (1920/1921)

2
Archives provenant de l’ex institut du marxisme léninisme (Moscou) (1921-1939).
694
5 Correspondances (1920)
6 Correspondances (1920)
10 Correspondances (1921)
12 Congrès de Marseille : thèses ; rapport (1921/1922)
13 Congrès de Marseille (1921)

Bobine 3 MI 6/2

14 Congrès de Marseille : séances plénières, motions, amendements (1921)


15 Congrès de Marseille : discussion, motions (1921)
16 Congrès de Marseille : résolutions, appels (1921)
19 Fédération de la Seine : congrès, résolutions, motions (1922).

Bobine 3 MI 6/3

23 Congrès de Marseille : articles de presse (1921)


24 Congrès de Marseille : articles de presse (1921) ; CGT (1921)
26 Correspondance.
28 Congrès de Paris : déclarations, motions, votes, articles de presse (1922)
29 Congrès de Paris : rapports (1922)
30 Comité directeur : P-V (1922).
32 Rapports, correspondances adressés au Comité Exécutif de l’IC (1922)
35 Congrès de Paris : déclarations, manifeste (1922)

Bobine 3 MI 6/4

38 Bulletin de la Presse communiste. Bulletin Communiste (1922)


40 Conseil national (1923)
41 Conseil national (1923)

Bobine 3 MI 6/5

43 Rapports, correspondances, organisation, Comité Directeur (1923)


44 Comité directeur : P-V (1923)
45 Comité direction et Bureau Politique : P-V (1923)
47 Documents relatifs au conflit consécutif au congrès de Paris
49 Circulaires du secrétariat et documents relatifs au conflit entre TREINT et
Souvarine (1923).

Bobine 3 MI 6/6

59 Congrès de Lyon : correspondances, rapports (1924)


60 Comité national (1924)
61 Comité national (1924)

Bobine 3 MI 6/7

62 Comité directeur : P-V (1924)


64 Bureau Politique : P-V (1924)

Bobine 3MI 6/8

695
79 Correspondances : affaire Monatte, Rosmer, Souvarine (1924)

Bobine 3 MI 6/10

88 Congrès de Clichy : rapports, articles de presse (1925)


89 Congrès de Clichy : rapports, interventions (1925)
90 Conférence nationale : articles de presse, résolutions, thèses (11/19 octobre
1925)
91 Conférence nationale : interventions (1er/2 décembre 1925)

Bobine 3 MI 6/11

95 Bureau Politique : P-V (1925)


96 Bureau Politique : P-V (1925)

Bobine 3 MI 6/12

97 Bureau Politique : P-V (1925)


98 Commission politique : P-V (1925)

Bobine 3 MI 6/13

99 Conflit TREINT/ majorité du BP (1925)


100 Bureau d’organisation : P-V (1925).
108 Circulaires de l’Agit-Prop centrale (1925).

Bobine 3 MI 6/17

135 Congrès de Lille (1926)


136 Congrès de Lille (1926)
137 Congrès de Lille (1926)
138 Congrès de Lille (1926)
139 Congrès de Lille (1926)
140 Congrès de Lille : thèses, résolutions, procès-verbaux des Commissions
(1926)

Bobine 3 MI 6/20

141 Comité Central : P-V (1926)


142 Comité Central élargi : P-V (1926)
143 Comité Central : P-V (1926)

Bobine 3 MI 6/21

144 Comité Central : P-V (1926)


145 Comité Central : P-V (1926)
146 Comité Central : rapports (sans date)

Bobine 3 MI 6/22

149 Bureau Politique : P-V (1926)

696
Bobine 3 MI 6/29

202 Correspondances, rapports, affaire Albert TREINT (1927)


203 Correspondances (1927)
204 Comité Central : P-V, résolutions (1927)
205 Correspondances. Comité Central : P-V (1927)

Bobine 3 MI 6/30

206 Comité Central : P-V (1927)


207 Comité Central : P-V (1927)
208 Comité Central : P-V (1927)

Bobine 3 MI 6/32

214 Comité Central : résolutions (1927)


222 Commission Centrale de Contrôle Politique : convocations, correspondances,
rapports (1927)

Bobine 3 MI 6/37

259 Divers : sur l’opposition au sein du PCF (1927)


260 Correspondances (1927)
261 Commission de Contrôle Centrale Politique : correspondances, résolutions
(1927)

Bobine 3 MI 6/42

284 Correspondances (1927/1928)

Fonds Renoult3

Carton 7 :
Correspondance pour 1922/1923 dont :
• Lettre de Duret à Renoult (18/02/23).

Divers documents concernant les conflits entre la gauche et le centre suite au


congrès de Paris dont :
• Tract de la gauche intitulé « Mensonge du Centre et Vérités de la Gauche ».
• Motion de l’opposition de gauche de la Fédération de la Seine (1922) intitulée
« Motion tendant au rejet du Rapport moral du secrétaire de la Fédération de
la Seine ».

Divers documents concernant les débats sur la tactique du front unique en 1922.

3
Désormais consultable aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.
697
Divers documents concernant le fonctionnement de l’Humanité et de l’Internationale
(quotidien du soir) en 1922.

CERMTRI (centre d’étude et de recherche sur les


mouvements trotskystes et révolutionnaires
internationaux).

Concernant le CERMTRI, nous noterons qu’il n’existe pas de cote ou de


numérotation permettant de repérer un document. Par contre, un effort tout
particulier est fait par l’équipe qui anime le centre pour constituer des catalogues et
faciliter l’accès à certains documents, par exemple en numérisant progressivement
les collections de journaux et revues.

Fonds Albert Treint

Pour le Redressement Communiste.


Collection (incomplète) de la revue Le Redressement Communiste dont :
• n° 1-2 (octobre 1928), n° 3 (janvier 1929), n° 4 (mars 1929), n° 5 (format
brochure, 29/03/1929), n° 6 (14/07/1929), n° 7 (16/09/1929).
+ 3 suppléments datés respectivement du 6 avril, du 15 avril et du 6 octobre
1929.
• Appel du comité pour le redressement communiste du parti et de
l’Internationale (1928) intitulé « A tous les ouvriers révolutionnaires ! Au 6ème
congrès de l’Internationale ! ».
• Documents édités par le comité pour le redressement communiste du parti et
de l’Internationale (1928) intitulé « Litvinoff ou Lénine ».
• Tract du 25/03/1929 intitulé « Après Clichy, debout pour la riposte ! ».
• Tract du 27/03/1929 intitulé « A bas la politique du recul ! ».

Pour le groupe La Lutte Finale.


Collection (incomplète) de la revue La Lutte Finale dont :
• n° 1 (15/01/1935), n° 3 (14/07/1935), n° 4 (11/11/1935), n° 5 (7/12/1935), n°
10 (10/01/1937), n° 11 (20/06/1937).
• Brochure intitulée « La question russe et la lutte contre la guerre » (08/08/35).
• Brochure intitulée « A bas la guerre ! Après le congrès international de
février » (17/03/1938).
• Brochure intitulée « Les bases d’octobre ont été détruites » (26/03/1938).
• Brochure intitulée « Capitalisme d’Etat et 4ème Internationale ».

Autres

698
Carton 1921/1922
Documents publiés par le CTI (tendance de gauche du PCF) dont :
• Brochure du CTI intitulée : « La résolution d’adhésion à la troisième
Internationale.
• Plusieurs numéros des Cahiers Communistes.

Carton 1925/1930
Documents divers dont :
• Plusieurs numéros du Bulletin international de l’Opposition de gauche.
• Deux P-V de la CE de la Ligue Communiste
• Bulletin d’information de la centrale d’Agit-Prop. Intitulé « La fin de l’opposition
trotskiste en France : La discussion sur l’opposition internationale et française
à la Conférence Nationale du PC (30 janvier/1er février) », n° 22, février 1928.

Carton 1933
Documents divers sur l’opposition de gauche internationale dont :
• Brochure de TREINT « Capitalisme d’Etat et quatrième Internationale (déjà
citée).
• Collection (incomplète) du Bulletin international de l’Opposition de gauche.
• Brochure de l’Opposition de gauche sur « La déclaration des quatre » à la
conférence d’unification d’août 1933.

Carton 1934/1935
Documents divers sur l’opposition de gauche internationale dont :
• Documents sur l’activité des groupes révolutionnaires au sein de la SFIO.
• Plusieurs exemplaires de journaux et revues de groupes oppositionnels
communistes et de la gauche socialiste.
• Documents relatifs à la conférence contre la guerre et l’union sacrée de Saint-
Denis (août 1935) dont une « déclaration de la minorité de la rédaction de la
revue Que faire ?.

Carton 1936
Documents divers sur l’opposition de gauche internationale dont :
• Le jeune léniniste, n° 4 (août 1936) : Un article est consacré à l’activité de La
Lutte Finale au sein de la SFIO. Un second dénonce la collaboration entre
Valois et TREINT.

Carton 1937
Documents divers sur l’opposition de gauche internationale dont :
• Exemplaires de revues de la gauche communiste dont Le jeune léniniste,
Clarté…

Voir également Raymond Molinier, Mémoires d’un militant trotskyste, 110 p.

699
Archives de l’ARAC

1W7
Dossier sur le 6ème congrès de l’ARAC (Clermont-Ferrand ; 1923) qui contient un
tract de la tendance minoritaire du Comité Directeur fédéral intitulé «Réponse à la
calomnie».

1Z9
Dossier comprenant des pièces diverses dont quelques journaux des années 1920
(Le réveil des combattants, l’Antimilitariste, l’Humanité…) dont l’Humanité n° 7140 du
16/07/1923 :
1• Article intitulé «Le redressement révolutionnaire de l’ARAC est accompli» qui
marque la victoire de la tendance majoritaire au sein du CC de l’ARAC
représentée par Barbusse et par TREINT.

1W42
Documents divers dont des souvenirs
13• Souvenirs d’Auguste Touchard sur la bataille de la Ruhr et sur la conférence
d’Essen (janvier 1923).
14• Document sur l’histoire de l’ARAC intitulé «l’union dans l’ARAC» qui décrit la
situation intérieure de l’association à la suite du congrès de Clermont-Ferrand
de 1923.

BDIC. (Bibliothèque de documentation internationale


contemporaine).

F pièce rés 523/1-5


Ensemble de 5 textes signés A. TREINT de 1933 à 1935 (Fascicules multigraphiés).
1 Pour déchiffrer l’énigme russe. Thèse du camarade A. TREINT sur la question
russe. 27 mars 1933 (20 p.)
2 Où en sommes nous ? Recueil de divers articles précédés d’une déclaration
collective. Russie, France, Allemagne (8 p).
3 Où va la France ? Après la semaine des émeutes sanglantes (6-12 février
1934), 99 p.
4 Les mystères du front unique (6 p).
5 Capitalisme d’état et quatrième internationale (47 p).

Groupe La Lutte Finale.

700
O pièce 41466
Documents sur la commune, 1er fascicule : Thiers et Bismarck, La lutte finale, 1937,
36 p.

F pièce 4558
Congrès des jeunesses socialistes : motion lutte finale (26 octobre 1935), la lutte
finale, 1935, 5 p.

F pièce rés 523/6


Surier Jacques, Soyons logiques ! Sur la nature de classe de l’état russe actuel. Sur
quelques fautes de méthode du cam. Trotsky, 2 février 1934, 6 p.

F pièce 533/réserve
Liste des archives du fonds Spartacus.

Voir également le fonds Chazé (cf. infra).

CEDIAS-Musée social.

Fonds Monatte

Le fonds Monatte contient un dossier (dossier 9-1) sur les incidents de la Grange-
aux-Belles du 11 janvier 1924. Il est constitué :
• De coupures de la presse communiste (l’Humanité), anarchiste (Le Libertaire),
syndicaliste (La vie ouvrière, Le Peuple, Le terrassier), socialiste (Le
Populaire) et d’information (L’œuvre, L’écho de Paris, Le quotidien, La journée
industrielle, Le progrès) relatant les événements et la polémique qui s’en suit.

Dossier 11
Il contient plusieurs documents émanant de l’opposition du PCF en 1927-1928 dont :
• Un tract intitulé « Contre la scission ! Pour l’unité léniniste du Parti et de
l’Internationale », signé Barré, Béors, Marguerite Faussecave, Suzanne
Girault, TREINT.

Fonds Mougeot

Correspondance dont :
• Lettres de Rosmer à Mougeot sur la crise au sein de la Ligue Communiste
(1931-1933).
• Lettre de Trotsky à l’opposition belge sur les difficultés en France concernant
la création de l’Opposition de gauche.

701
• Documents relatifs aux premières tentatives d’unification de l’opposition (1928-
1930).

IISG (International Institute of Social History)

Fonds Ligue Communiste

Dossier 1/3
P-V de la CE de la Ligue Communiste

Dossier 6
Correspondance dont :
• Lettre de Marc Chirik demandant d’adhérer à la Ligue Communiste (02/09/30).
• Lettre de membres du groupe juif à la direction de la Ligue suite à la
dissolution de la région parisienne (mai 1932).

Dossier 8
Correspondance de Molinier.

Dossier 9
Correspondance générale dont :
• Lettre de Naville à Paul ( ?) concernant l’entrée de TREINT dans la Ligue
Communiste (09/02/30).
• Lettre de Benjamin Péret au sujet du rejet de sa demande d’adhésion par la
CE de la Ligue (21/03/32).

Dossier 11
Documents sur la fraction de gauche dont :
• Correspondance entre la direction de la Ligue et le groupe de TREINT suite à
la dissolution de la région parisienne et à la décision de la minorité de ne pas
faire de demande de réintégration.
• Lettres de la fraction de gauche au secrétariat international de l’Opposition de
gauche.
• Lettres de Frank à Molinier sur le conflit avec TREINT.

Dossier 24
Correspondance entre TREINT et Molinier (1932) (5 lettres).

Fonds Trotsky

Dossier 938

702
Correspondance entre la Ligue Communiste et le secrétariat international de
l’Opposition de gauche (1932).

Dossier 939
Correspondance de la fraction de gauche (opposition) dont :
• Lettre de TREINT/Marc/Waiss au SI et à Trotsky (24/06/32).

Dossier 943
Correspondance du SI avec la Ligue Communiste (1932).

Dossier 944
Correspondance du SI dont :
• Lettre du SI au groupe de la banlieue ouest concernant la conférence
d’unification d’avril 1933 (06/04/33).
• Lettre de la Ligue Communiste à la fraction de gauche (opposition) (14/10/32).

Dossier 952
P-V de la CE de la Ligue Communiste (1931/1933).

Dossier 955
Documents concernant la crise de la Ligue Communiste (1932/1933) dont :
• Déclaration du groupe juif (février 1933).

Dossier 957
Documents sur l’activité politique de la Ligue Communiste (1931/1932).

IFHS (Institut Français d’Histoire Social) :

Fonds BOUET

14 AS 441
Correspondance pour 1920 dont :
• Une lettre de TREINT (pièce n° 403)

14 AS 445
Correspondance pour 1921 dont :
• Une lettre de TREINT (pièce n° 643)

14 AS 446
Correspondance pour 1922 dont :
• Une lettre de TREINT datée du 12 décembre 1922 (pièce n° 439)

14 AS 475
Correspondance pour 1928 dont :
• Une lettre de TREINT datée du 8 avril 1928 (pièce n° 375)

703
14 AS 487
Correspondance pour 1935 dont :
• Trois lettres de TREINT (pièce 618 à 623)

14 AS 488
Correspondance pour 1936 dont :
• Sept lettres de TREINT (pièce n° 399) concernant les difficultés au sein du
Comité contre la guerre et l’union sacrée.
• Deux lettres de Tessier (secrétaire du comité contre la guerre et l’union sacrée
à Collinet (29/01/36 et 30/01/36)

Fonds des amis de marceau Pivert

22 AS 1
Documents sur la fondation du PSOP

Documents sur la fondation de la gauche révolutionnaire (GR) au sein de la SFIO,


dont :
• P-V de la réunion de la GR (14/10/35).
• P-V de la réunion constituante de la GR avec la participation de TREINT
(début octobre 1935).
• Plateforme politique de la GR et tract d’appel à la fondation de la GR.

Documents concernant la conférence contre la guerre et l’union sacrée de Saint-


Denis (août 1935) (tracts et brochures).

22 AS 3
Documents concernant les conflits au sein de la SFIO et des Jeunesses socialistes
en 1937 et la création de la GR

Brochure sur les conférences internationales de Genève (12/09/38) et de Bruxelles


(29-30/10/38) intitulée « Par-dessus les frontières, des mains se tendent ».

Fonds Chazé.

Nous tenons ici à remercier M. Henri SIMON, chez qui est déposée la majeure partie
du fonds Chazé. Il se compose de quinze dossiers (réorganisés par l’auteur). La
seconde partie se trouve actuellement à la BDIC, mais elle est actuellement
incommunicable.
Les dossiers non présentés ci-dessous regroupent une riche documentation sur
l’ensemble de l’activité militante de Chazé (Gaston Davoust) des années 1920 aux
années 1960 ainsi que plusieurs collections de revues et journaux.

Dossier 7
704
Il contient des documents relatifs à la formation de l’Union Communiste dont :
• Des P-V des Commission exécutives de l’organisation.
• Le n° 1 du Bulletin d’informations et de liaison (bulletin interne de l’Union
Communiste)

Dossier 8
Il contient une abondante documentation sur la préparation de la conférence
d’unification d’avril 1933 dont :
• La correspondance entre les diverses organisations concernées dont plusieurs
lettres de TREINT et de la fraction de gauche (opposition) au groupe du 15ème
rayon (organisateur de la conférence).
• Des contributions (textes programmatiques) et des résolutions votées par les
organisations participantes.
• Plusieurs textes concernant les débats entre tendances de la Ligue
Communiste sur le problème de la participation à la conférence.
• La circulaire d’invitation et le programme de la conférence.
• Le Bulletin préparatoire de la conférence politique de l’opposition communiste
de gauche regroupant plusieurs rapports et résolutions des groupes
participants.
• La feuille d’émargement des deux premières séances de la conférence.

Dossier 9
Il contient des documents concernant l’activité du groupe du 15ème rayon (également
appelé groupe de la banlieue ouest) dont :
• Quatre numéros du Bulletin de l’opposition de gauche du 15ème rayon.
• Divers rapports politiques non signés.
• La correspondance entre le groupe et d’autres organisations dont la Fraction
de gauche (opposition).
• Des P-V des réunions du groupe pour 1932-1934.

Dossier 11-15.
Ces dossiers contiennent :
• Plusieurs numéros du Bulletin intérieur de l’Union Communiste.
• La correspondance entre l’Union Communiste et d’autres organisations autour
de la préparation de la conférence contre la guerre et l’union sacrée (Saint-
Denis, août 1935).

La partie du fonds conservée à la BDIC contient plusieurs collections de revues


publiées par des groupes se réclamant de l’opposition de gauche et de la gauche
socialistes dont :
• La Collection complète de L’Unité Léniniste (n° 1-17).
• La brochure intitulée « La vérité sur la Chine, suivie de « La lettre de
Shanghaï », publiée par L’Unité Léniniste
• Les 9 premiers numéros de La Lutte Finale.
• 2 numéros de l’Etincelle (organe de la fraction de gauche).
• 1 numéros de La bataille ouvrière (organe de la fraction de gauche
opposition).

Il regroupe également plusieurs brochures publiées par Treint entre 1933 et 1935.

705
Nous y trouvons de la correspondance, des tracts, des brochures et des
contributions relatifs à la préparation et au déroulement de la conférence de Saint-
Denis d’août 1935 dont :
• Des tracts d’invitation à la conférence.
• Des bulletins d’inscription à la conférence.
• Divers documents émanant du Comité de coordination contre la guerre et
l’union sacrée, issu de la conférence de Saint-Denis.

Pour conclure, il convient de souligner que ce fonds offre de nombreuses


perspectives dans l’optique d’une meilleure connaissance de l’activité des petits
groupes formant la nébuleuse de l’opposition communiste et de la gauche socialiste
au cours des années 1930.

IHS (Institut d’histoire sociale).

Archives Souvarine.

Dossier non numéroté


• Lettre de démission du secrétariat signée TREINT (18 mars 1923).
• Plusieurs lettres de Souvarine au BP critiquant l’activité de Treint au
secrétariat du PCF, Moscou (août 1923).
• Lettre de Souvarine au Présidium de l’IC sur la réintégration de Treint au BP
(13 février 1924).
• Lettre de Souvarine à Rosmer (3 mars 1924).
• Compte rendu de l’assemblée fédérale de la région parisienne du 4 avril 1924.
• Réponse de Souvarine aux accusations de la délégation française lors du 5ème
congrès de l’IC.
• Lettre de Loriot à Zinoviev (14 février 1925).
• Lettre de Dunois à Humbert-Droz (9 février 1925).

Dossier 3
• Tract du CTI intitulé « Pourquoi il faut adhérer à l’Internationale Communiste ».
• Résolution sur la dissolution du CTI.
• Lettre de Souvarine au CD du PCF concernant la désignation de TREINT pour
représenter le parti au congrès du PSI de Milan, (25 novembre 1921).
• Lettre de Souvarine à Loriot, (18 décembre 1921).
• Lettre de Souvarine aux membres de la gauche du PCF (ex CTI), Moscou (21
décembre 1921.
• Compte rendu de la réunion du 27 décembre 1921 entre la sous-commission
de politique générale et la délégation de l’IC, lors du congrès de Marseille,
rédigé par TREINT.
• Lettre de Souvarine à Loriot, Moscou (9 janvier 1922).
• Lettres de Souvarine à la gauche du PCF, Moscou (janvier 1922).
• Lettre de Souvarine à TREINT, (20 janvier 1922).
• Lettre de TREINT à Frossard (7 avril 1922).
706
• Lettre de Rosmer à Souvarine (1er mai 1922).
• Lettre de Rosmer à Trotsky (14 mai 1922).
• Circulaire de TREINT envoyée aux partisans de la gauche du PCF (28 octobre
1922).

Dossier 5
• Programme d’agitation du parti contre l’occupation de la Ruhr et contre la paix
de Versailles, signé TREINT (mars 1923).
• Lettre de Souvarine au BP du PCF, (mai/juin 1923).
• Lettre de Reynaud à Souvarine sur les conflits provoqués par TREINT (20 juin
1923).
• Plusieurs lettres de Souvarine et Rosmer autour des conflits entre la direction
de l’Humanité et TREINT (juin 1923).
• Lettre de Treint au CE de l’IC (1er août 1923).
• Mémoire de Souvarine au CD sur la fédération de la Seine (23 novembre
1923).

Dossier 12
• Lettre de Lucie Colliard à Souvarine (28 février 1928).
• Correspondance entre le Cercle communiste Marx Lénine et Contre le
Courant (juin/septembre 1928).

Archives Léon Trotsky

Les Archives Léon Trotsky sont conservées à la Houghton Library (Harvard college),
Massachusetts. Par l’intermédiaire de M. Pierre Rigoulot, nous avons obtenu une
copie microfilm des documents nécessaires à nos recherches.

Bobine 23-24
• Plusieurs lettres de TREINT à Trotsky concernant la place du CRC au sein de
l’opposition française (février/avril 1929).
• Texte intitulé « Mise en garde contre les procédés de Contre le Courant »
signé TREINT (14 mai 1929).
• Etude de Jean-Jacques (membre du CRC) intitulée : « L’opposition en France,
historique et perspectives. Critérium pour l’appréciation des groupes » (15 mai
1929).
• Correspondance entre le CRC et Trotsky suite à la création du groupe de La
Vérité (juin 1929).
• Lettres (manuscrites) de TREINT à Trotsky, écrite durant son séjour à Prinkipo
(septembre 1931).
• Lettre de TREINT à Trotsky annonçant son adhésion à la Ligue Communiste
(5 octobre 1931).
• Lettre de Dionnet (Cercle communiste Marx Lénine) à Trotsky (29 juin 1929).

Bobine 38-39
• Lettre de Trotsky à Souvarine (3 juillet 1929).
• 5 lettres de Trotsky à TREINT sur la collaboration avec le CRC (mai 1929).
• Réponse de Trotsky à TREINT concernant son adhésion à la Ligue
Communiste (10 octobre 1931).
707
• Lettre de Trotsky à Van Overstraeten sur les divergences autour du conflit
sino-russe (26 janvier 1930).

Bobine 42-43
• Lettre de Trotsky à Engler, TREINT, Paz, Van Overstraeten (2 mai 1929).

Bobine 48-49
• Lettre du CRC à la conférence internationale de l’opposition d’Aix-la-Chapelle
(14 février 1929).
• Lettre du CRC au Conseil des commissaires du peuple de Moscou (29 janvier
1929).

Bobine 56-58
• Lettre de Trotsky au groupe de La Vérité sur les luttes dans l’opposition
française (février 1930).
• Lettre de TREINT à Molinier (non datée).
• P-V des réunions du groupe La Vérité (1929).

Bobine 70-71
• Lettre de Trotsky intitulée « Ce que je dirais à TREINT » (mai 1929).

Bobine 72-73
• Plusieurs documents émanant de la Gauche Révolutionnaire de Marceau
Pivert (1935).
• Plusieurs numéros du Redressement Communiste et quelques tracts du CRC.

Bobine 74-75
• Appel du CRC intitulé « Pour sauver la révolution russe et l’Internationale », 20
p. (20 mars 1929).

Centre d’histoire de Science Po

Fonds Valois

VA 46
Dossier « Comité de coordination révolutionnaire », organisation issue du
mouvement contre la guerre initié notamment par Nouvel Age et auquel participe
TREINT au nom de La Lutte Finale :
• Brochure d’Anne Darbois intitulée ; « Examen des méthodes pour la
coordination des forces révolutionnaire et l’organisation du mouvement
"Nouvel Age" » (14/05/38).
• Tract de l’intergroupe d’action révolutionnaire du 19e intitulé « Il faut construire
la paix ».
• Projet de statuts du centre de redressement révolutionnaire.
• Lettre de Maurice Junker à Gustave Rodrigues (16/05/38) sur les tensions
entre les membres du centre de redressement révolutionnaire et Nouvel Age.
708
• Communiqué du 9 mai 1938 rendant compte d’une réunion commune en
présence de membres du cercle d’étude et d’action sociale, de La Lutte
Finale, de la GR, du centre de redressement révolutionnaire, du POI, de
l’Union marxiste révolutionnaire, du PUP, de la Fédération des anarchistes de
langue française (FAF), des Jeunesses libertaires.

Dossier correspondance de Valois dont :


• Une lettre de Maximilien Rubel à Valois (8 mai 1938) concernant les rapports
de l’auteur avec TREINT et leur volonté commune de créer un « centre de
ralliement des volontés et activités révolutionnaires ».

Collection (incomplète) de l’Unité révolutionnaire, organe de la minorité du PUP :


• n° 2 : octobre 1937 ; n° 24-27 : mars/avril 1938 ; n° 29 : 14/05/38, n° 32 :
31/05/38.
-
Correspondance TREINT/Valois :
• Six lettres de TREINT à Valois (février/mai 1938).
• Une lettre de Valois à TREINT (17/05/38).

VA 47
Correspondance de Valois autour de l’affaire Anne Darbois.

Brochure d’Anne Darbois intitulée « Pourquoi j’ai quitté Nouvel Age » (mai 1938).

Brochure de La Lutte Finale intitulée « Le rassemblement des révolutionnaires » (mai


1938).

CHS du XXe siècle (Centre d’histoire sociale du XXe


siècle)

Fonds Marceau Pivert

559 AP 1
Documents sur l’activité politique de Marceau Pivert jusqu’en 1939 dont :
• Répertoire des militants de la 15e section de la Seine de la SFIO avec mention
de Treint et de sa compagne Nelly Rousseau.
• Plusieurs tracts et brochures relatifs au mouvement contre la guerre et l’union
sacrée issu de la conférence de Saint-Denis d’août 1935.

559 AP 2
Documents autour de la création du FOI (Front ouvrier international) issu de la
conférence de Bruxelles d’octobre 1938.

Autres.

709
Souvenirs de G. Beaugrand intitulés « Né à la belle époque » apportant un
témoignage sur l’activité de TREINT durant la Seconde Guerre mondiale.

710
Presse

Presse du parti communiste français

• Bulletin Communiste :
Organe du Comité de la troisième Internationale ; hebdomadaire ; du n° 1
(01/03/1920) au n° 48-49 (3/11/1921). Devient organe du PCF du n° 50
(10/11/1921) au n° 46 (14/11/1924), consultable à la BNF, au CERMTRI, à la
BDIC, au CEDIAS-Musée Social, à l’IHS. Voir également un numéro du
Bulletin Communiste International, n° 43 (26/10/1922). Il est publié par les
membres de la tendance de gauche qui, ayant perdu la direction du Bulletin
Communiste, revendiquent le droit de publier leur propre organe, qui devient
ensuite les Cahiers Communistes.

• Cahiers Communistes :
Organe de la tendance de gauche ; hebdomadaire. Sept numéros publiés (n°
1 09/11/1922 à n° 7 21/12/1922). Consultable à la BNF et au CERMTRI.

• Cahiers du Bolchevisme :
Organe théorique du PCF ; hebdomadaire. Consultable à la BNF, CEDIAS-
Musée Social, IHS.

• Correspondance Internationale (la) :


Organe de l’Internationale communiste ; parution irrégulière. Consultable à la
BNF, au CEDIAS-Musée Social, à l’IHS.

• L’Humanité :
Organe du PCF suite au congrès de Tours ; quotidien, consultable à la BNF, à
la BDIC et au CEDIAS-Musée Social.

• L’Internationale :
Quotidien communiste du soir (avril 1921 à novembre 1922), consultable à la
BNF et à la BDIC.

Presse communiste dissidente

• Action Léniniste (l’) :


Organe du groupe de l’Action Léniniste, périodique. Quelques numéros dans
le fonds Chazé.

711
• Bilan :
Bulletin théorique de la fraction de gauche (italienne) ; mensuel. N° 1
novembre 1933 à n° 47-48 décembre 1937-janvier 1938. Quelques numéros à
la BDIC. Plusieurs articles ont été publiés dans la revue Invariance
(publication hors commerce). Nous remercions ici Michel Roger pour avoir mis
sa collection personnelle à notre disposition.

• Bulletin Communiste :
Hebdomadaire publié sous la direction de Souvarine de 1925 (n° 1,
23/12/1925) à 1933 (plusieurs interruptions). Consultable à la BNF, au
CERMTRI, à l’IHS.

• Bulletin international de l’opposition communiste de gauche :


Organe du SI de l’Opposition de gauche ; périodicité variable. Plusieurs
numéros conservés au CERMTRI ainsi que dans le fonds Chazé.

• Communiste (le) :
Bulletin de la gauche communiste (groupe Gourget, Claude Naville) (1931-
1933) ; mensuel. Succède au Bulletin de la gauche communiste (1931).
Consultable au CERMTRI (collection incomplète).

• Contre le Courant :
Organe de l’opposition communiste (groupe Paz) ; mensuel. N° 1 20/11/1927
à n° 38 22/10/1929. Réédition en fac-similé, Maspero, 1971.

• Egalité (l’) :
Publiée sous la direction de L-O Frossard suite à sa démission du PCF ;
hebdomadaire. Premier numéro 17 janvier 1923. Consultable à la BDIC.

• La bataille ouvrière :
Organe du groupe TREINT. Un numéro (n° 1, 1er juillet 1933) consultable dans
le fonds Chazé.

• La Vérité :
Organe de l’opposition communiste, de la Ligue Communiste, du Groupe
Bolchevik Léniniste puis du POI (n° 1 15/08/1929) ; hebdomadaire.
Consultable au CERMTRI, à la BDIC.

• La Vérité (Limoges) :
Publié par Marcel Body ; périodicité variable. 1930-1932.

• Le Redressement Communiste :
Organe du CRC ; périodicité variable. Du n° 1-2 (octobre 1928) au n° 7
(16/09/1929). Consultable au CERMTRI, dans le fonds Chazé.

Voir également :
Appel du Comité pour le Redressement Communiste : « A tous les ouvriers !
au 6ème congrès de l’Internationale », 6 août 1929.
Documents publiés par le Comité pour le Redressement Communiste :
« Litvinoff ou Lénine », 1928.

• Le Réveil communiste :

712
Organe du groupe d’avant-garde communiste ; périodique. Plusieurs articles
publiés dans la revue Invariance (publication hors commerce).

• L’étincelle :
Organe de la fraction de gauche (opposition). Numéro 8 (15/11/32) à n° 10
(1/01/33). Consultable dans le fonds Chazé.

• Libérateur (le) :
Organe du groupe Paz qui succède à Contre le Courant ; bimensuel. N° 1
(20/11-05/12/1929) à n° 8 (05/-20/03/1930). Consultable à la BDIC.

• L’internationale :
Organe de l’Union Communiste ; mensuel. 1934-1939. Consultable à la BDIC
et dans le fonds Chazé.

• L’Ouvrier communiste :
Organe des groupes ouvriers communistes, août 1929-août 1930. Plusieurs
articles publiés dans la revue Invariance (publication hors commerce).

• L’Unité Léniniste :
Organe du groupe l’Unité Léniniste ; hebdomadaire puis bimensuel. Du n° 1
(15/12/1927) au n° 17 (31/05/1928). Consultable à la BNF, dans le fonds
Chazé. Voir également la brochure « La lettre de Shanghaï » (1928).

• Lutte de Classes (la) :


Revue théorique de la Ligue Communiste ; mensuel. 1928-1935. Consultable
à la BDIC, au CERMTRI.

• Lutte Ouvrière (la) :


Revue du parti ouvrier internationaliste, mai 1936-juillet 1939. Consultable au
CERMTRI et à la BDIC.

• Que Faire ? :
Revue mensuelle communiste puis revue révolutionnaire marxiste, novembre
1934 à juillet 1939. Consultable au CERMTRI.

• Travailleur de Belfort (le) :


Organe de la Fédération communiste indépendante du Doubs, puis de la
fédération communiste indépendante de l’Est ; hebdomadaire (un moment
trihebdomadaire). Juin 1932/avril 1934. Consultable à la BNF.

• Unité révolutionnaire (l’) :


Organe de la minorité du PUP ; mensuel puis hebdomadaire. 1937-1938 ?
Consultable (5 numéros) dans le fonds Valois (Centre d’histoire de Science
Po).

• IVe Internationale :
Revue théorique mensuelle du POI, section française de la IVe Internationale,
octobre 1936-mai 1939. Consultable au CERMTRI.

713
Presse socialiste et gauche révolutionnaire

• Combat marxiste (le) :


Mensuel, octobre 1933-avril 1936. Consultable à la BNF.

• Gauche révolutionnaire (la) :


Bulletin intérieur de la SFIO (tendance Marceau Pivert) ; mensuel. 1935-1937.
Consultable à l’OURS.

• Juin 36 :
Organe de la fédération socialiste de la Seine puis du PSOP ; bimensuel.
Février 1938-mars 1940. Consultable au CERMTRI.

• La Lutte Finale :
Revue publiée par le groupe de TREINT ; périodicité variable. Du n° 1
(15/01/35) au n° 11 (20/06/37). Consultable dans le fonds Chazé, au
CERMTRI (quelques numéros).

Voir également les brochures de La Lutte Finale :


Treint A, « Thiers et Bismarck », 1935.
Treint A, « Monsieur Staline approuve pleinement la politique de l’impérialisme
français », 9 juillet 1935.
Treint A, « La question russe et la lutte contre la guerre », 8 août 1935.
Treint A, « A bas la guerre ! Après le congrès international de février 1938 »,
17 mars 1938.
Treint A, « Les bases d’octobre ont été détruites », 28 mars 1938.
Treint A, « Le rassemblement des révolutionnaires », fin mai 1938.

• La Vague :
Hebdomadaire socialiste et pacifiste (n° 1 : 05/01/1918). Consultable à la
BDIC.

• Le Populaire de Paris :
Organe de la fédération de la Seine du parti socialiste SFIO. Consultable à la
BDIC.

• Révolution :
Organe des jeunesses socialistes de la région parisienne ; mensuel. N° 1
15/12/1934. Consultable au CERMTRI.

Presse syndicaliste

• Bulletin général des amicales d’institutrices et d’instituteurs publics de France et


des colonies. Consultable à la BNF.

• L’antiguerrier :
Organe de l’ARAC ; mensuel. 1924. Un numéro consultable à la BNF.
714
• L’ARAC :
Organe de l’ARAC ; mensuel. 1921-1922. Un numéro consultable à la BNF.

• L’Ecole du grand Paris :


Organe de la section de la Seine du syndicat national des instituteurs et
institutrices ; mensuel.

• L’Ecole Emancipée :
Organe de la fédération unitaire de l’enseignement, puis revue pédagogique ;
hebdomadaire. Consultable à la BNF, au CERMTRI, AU CHS.

• Les Semailles :
Bulletin officiel du Syndicat unitaire de l’enseignement de la Seine.
Consultable à la BNF.

• Réveil syndicaliste (le) :


Organe du Cercle syndicaliste lutte de classe ; bimensuel. 1938-1939.
Consultable au CERMTRI et au CEDIAS-Musée Social.

• Révolution Prolétarienne (la) :


Revue bimensuelle syndicaliste communiste puis syndicaliste révolutionnaire
(1925-1939). Consultable à la BNF, BDIC.

• Vie Ouvrière (la) :


Organe de la CGT puis de la CGTU ; hebdomadaire. Consultable à la BNF.

Autres

• Critique Sociale (la) :


Revue publiée sous la direction de Boris Souvarine ; bimestrielle. N° 1 mars
1931 à n° 11 mars 1934. Réédition en fac-similé, Ed. de la différence, 1983.

• La patrie humaine :
Hebdomadaire du pacifisme intégral, 1931-août 1939. Consultable à la BNF.

• Le Barrage :
Organe de la Ligue internationale des combattants de la paix ; hebdomadaire.
Mai 1934-août 1939. Consultable à la BNF.

• L’Homme réel :
Mensuel du syndicalisme et de l’humanisme, août 1934 à septembre 1938.
Consultable à la BNF.

• Monde nouveau :
Bulletin du Centre de liaison contre la guerre et l’union sacrée, deux numéros
(février, mars 1936). Consultable à la BNF.

• Nouvel Âge :

715
Journal dirigé par Valois et Rodrigues ; hebdomadaire puis quotidien. 1934-
1939. Consultable à la BNF. Voir n° 229-230 (28/08/37), brochure de Treint
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Bibliographie

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Jean-François SIRINELLI, Paris, PUF, 1995, 1068 p.

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DREYFUS Michel, Guide des centres de documentation en Histoire ouvrière et


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Exercice biographique et étude des sources.

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militants, biographie et mouvement ouvrier : autour du MAITRON, dictionnaire
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Dijon, 1996, 315 p.

Le contexte social, politique et économique.

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AGHULON Maurice, La république, tome 2 : de 1932 à nos jours, Paris, Hachette,


1992, 550 p.

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733
Table des annexes.

1. Illustration parue dans l’Humanité du 21 mai 1925, p. 1 (n° 7859), p. 735


2. Questionnaire d’entrée lors du premier séjour de Treint en Russie (2 février
1922), p. 736
3. Circulaire de Treint aux partisans de la gauche (28 octobre 1922), p. 737
4. Treint à la prison de la Santé (cellule Cachin), p. 742
5. Lettre de démission de Treint du secrétariat général (5 avril 1923), p. 743
6. Lettre de Treint à Zinoviev lors de son deuxième séjour à Moscou (16 juin
1924), p. 746
7. Lettre de protestation de Treint suite aux décisions de l’Exécutif Elargi de
février/mars 1926, adressée au CE de l’IC, p. 750
8. Lettre de Treint au BP officialisant sa rupture avec la majorité du PCF (1er
juillet 1927), p. 753
9. Tract de L’Unité Léniniste intitulé « Contre la Scission ! Pour l’Unité Léniniste
du Parti et de l’Internationale ! », p. 756
10. Tract du Comité pour le Redressement Communiste intitulé « 63 bolcheviks
font la grève de la faim », p. 760
11. Lettre de Treint à Trotsky (Prinkipo, le 13 septembre 1931), p. 761
12. Lettre de Treint au comité d’organisation de la conférence d’unification d’avril
1933 annonçant sa rupture avec la Fraction de gauche, p. 772
13. Déclaration d’adhésion au parti socialiste (SFIO) (26 mars 1934), p. 776
14. Brochure intitulée « Ni Führer, ni parti Führer » publiée dans Nouvel Age, n°
229-230, 28 août 1937, p. 777
15. Représentation schématique de l’itinéraire politique d’Albert Treint (1919-
1939), p. 785

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© CEDIAS-Musée Social

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Fonds Gourdeaux (Archives départementales 93) ©
Cellule de Cachin.
De droite à gauche :
En bas : Cachin, Hollein.
En haut : Jacob, Marrane, Laporte, Gourdeaux, Treint, Péri.

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Demande d’adhésion au parti socialiste.

Considérant :
1) Que le redressement révolutionnaire du parti stalinien est devenu
impossible, ce parti étant inféodé à la bureaucratie soviétique, c’est-
à-dire à la nouvelle classe exploiteuse et dominante qui, par suite de
la dégénérescence de la révolution a instauré en Russie un système
original de capitalisme d’état.
2) Que la faillite de la démocratie bourgeoise ne peut se faire en
définitive qu’au bénéfice, soit de la révolution prolétarienne soit du
fascisme qui, par un changement brutal de structure, édifie le
capitalisme d’état, c’est-à-dire la concentration dictatoriale, sous la
direction d’un même état-major, du pouvoir politique et la puissance
économique.
3) Que, par suite, le parti socialiste, sous peine de dépérir, est obligé
d’appeler la classe ouvrière à réaliser, en dépit du sabotage
stalinien, son front unique de classe, pour conquérir le pouvoir de
haute lutte en vue d’édifier ensuite progressivement la société
communiste.
4) Que les conditions objectives, au fur et à mesure que le parti
socialiste en prend conscience, rendent possible son redressement
révolutionnaire et que celui-ci est déjà amorcé.
5) Que, si la deuxième Internationale s’avère, à l’expérience, capable
d’accomplir jusqu’au bout son redressement révolutionnaire, la
création de la quatrième Internationale ne saurait être envisagée.
Les camarades soussignés, anciens membres ou sympathisants du parti
communiste, demandent leur adhésion au parti socialiste pour y travailler
loyalement à la victoire de la révolution prolétarienne.
Paris, le 26 mars 1934 : A. Treint, E. Le Trouit, N. Rousseau, T Leibot.
(Demande d’adhésion publiée dans la brochure « Les mystères du front
unique »).

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Index des noms
Bartosek Karel, 724
A
Bauchet, 629
Abd-el-Krim, 324, 326, 331 Bazin, 224
Abern Martin, 471 Beaugrand Georges, 667, 710
Agulhon Maurice, 718 Beaurepaire Claude, 635
Allonso, 252 Becker Jean-Jacques, 664, 718
Alloyer Robert, 312, 752 Bela-Kun, 684
Alphandery Fernande, 732 Bell Tom, 135
Altman Georges, 487 Belobordov A G, 485
André, 561 Benichou, 592
Andreu Pierre, 726 Béors Louis, 360, 412, 415, 422, 423, 432, 436,
Antonini, 256 437, 450, 452, 458, 460, 493, 691, 701, 757, 759
Attias Eric, 729 Berlioz Joanny, 278, 306
Auclair Adrien, 78 Bernard Alfred, 149, 364, 390, 391, 411, 415, 416,
Aucouturier Georges, 369 721, 724
Audry Colette, 633, 642, 644 Berrar Jean-louis, 199, 306
Aufrère Julien, 294, 688 Berstein Serge, 609, 664, 718
Auroyer Emmanuel, 729 Berth Edouard, 642
Berthe, 636
B Berthelin Pierre, 303
Bagget Blaine, 720 Berthier, 437, 444
Bahne Siegfried, 725 Bertrand Adrien, 34
Baldwin Stanley, 418 Bestel, 58, 78, 83, 151
Ballu A, 452 Bianco, 544
Barabant Henri, 128 Bibi Bruno, 589
Barbé Henri, 306, 459, 462, 532 Bigot Marthe, 58, 65, 66, 105, 109, 142, 201, 270
Barberet Henri, 142 Billoux François, 15
Barbusse Henri, 193, 195, 196, 309, 434, 476, 687, Birard Georges, 435
700 Bismarck Otto, 701, 714
Bardin Alfred, 502 Blanc Alexandre, 41
Bardoux Jacques, 640 Blanc Jules, 58
Barenton Raymond, 410, 412 Blasco, 542, 547, 548, 559, 560, 563, 566, 570, 571
Barette Raoul, 434 Blum Léon, 54, 55, 622, 623, 624, 625, 627, 648,
Barjonnet André, 720 732, 780
Barré Henri, 306, 422, 433, 435, 436, 437, 443, Bodin Louise, 151
451, 452, 458, 460, 461, 462, 465, 482, 484, Body Marcel, 462, 474, 475, 488, 489, 712
485, 487, 488, 493, 494, 495, 496, 497, 498, Boichu Pierre, 1, 111, 187, 261, 370, 413, 487, 722,
499, 500, 503, 506, 519, 522, 570, 574, 579, 723
701, 759 Boin, 224
Barthe, 201 Bonard Mikaël, 1

787
Bonte Florimond, 243, 365, 366 Buren Robert, 533, 540, 547
Bordiga Amadeo, 70, 81, 82, 83, 106, 140, 371, Burglen Joel, 723
372, 389, 413, 477, 681 Burles Jean, 721
Borteaux P, 624, 636 Buschak Willy, 598, 726
Botwin, 325 Butzuriano, 252
Bouchardeau Huguette, 726
C
Bouchez Arthur, 142, 151
Boudoux Francis, 201, 203 Cachin Marcel, 19, 43, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,
Bouët Louis, 19, 65, 147, 497, 625, 629, 633, 634, 58, 64, 67, 68, 70, 75, 76, 77, 91, 93, 103, 105,
635, 642, 644 108, 109, 117, 120, 121, 122, 123, 124, 126,
Boukharine Nicolas, 12, 139, 151, 152, 160, 161, 127, 129, 130, 133, 140, 142, 143, 145, 146,
164, 168, 344, 345, 370, 384, 386, 390, 391, 147, 148, 149, 151, 153, 154, 155, 162, 164,
392, 395, 396, 397, 399, 400, 402, 403, 404, 165, 176, 201, 213, 214, 215, 224, 234, 242,
408, 415, 416, 417, 419, 420, 421, 429, 459, 271, 277, 278, 279, 299, 301, 306, 309, 312,
463, 470, 471, 483, 496, 509 313, 314, 319, 323, 331, 351, 353, 362, 365,
Boulouque Sylvain, 200, 203, 733 372, 380, 390, 436, 443, 627, 672, 734, 742, 747
Bourderon Albert, 40, 41 Cadeau Paul, 224, 261, 273, 278, 279, 306, 310,
Bourderon Roger, 721 347, 389, 412, 413, 437
Bourgeois Guillaune, 663, 721, 728 Cadine, 450
Bourrinet Philippe, 604, 605, 606, 728 Caillaux Joseph, 288, 318, 328, 329
Bourseiller Christophe, 726 Calzan Claude, 241, 278, 279, 306, 309, 340, 389,
Boville Henri, 628 412, 413, 415, 416, 437, 485, 685, 686
Brabant Jean-Marc, 727 Cannon James, 471
Bracke Alexandre, 55 Capdeville Albert, 569, 575, 576, 592, 599
Brandler Heinrich, 235, 236, 244, 260, 472, 519, Carel Antoine, 723
522, 524, 598, 765 Carlier Aimé, 306, 310
Briand Aristide, 152, 318, 329, 349, 364, 391 Carrey Maurice, 718
Briard Eugène, 437, 444, 445 Cartier Joseph, 58, 71, 74, 84, 105, 108
Bricianer Serge, 472 Castel, 306
Brizon Pierre, 41, 72, 82, 128 Castelnau (de), 302
Brodel Louis, 80 Cat Victor, 306, 317
Bron Jean, 39, 718 Cazals Léopold, 154, 199
Bronstein, 761 Célor Pierre, 532
Broué Pierre, 16, 17, 40, 68, 70, 86, 153, 157, 159, Chaigneau Jean-Louis, 16, 51, 55, 62, 72, 73, 74,
216, 218, 228, 229, 230, 231, 233, 236, 239, 78, 79, 83, 104, 133, 140, 145, 148, 151, 161,
242, 279, 283, 290, 384, 395, 418, 432, 469, 164, 167, 206, 210, 225, 230, 722, 723
472, 511, 533, 598, 601, 603, 610, 722, 724, Chambarlhac Vincent, 627, 728
728, 729, 731 Chambaz Bernard, 721
Brousse Charles, 279, 280 Chambelland Colette et Maurice, 134, 197, 256,
Brout Marcel, 224 258, 261, 280, 629, 630, 631, 633, 663
Brunet Jean-Paul, 720, 726 Chamberlain Neville, 446
Bruyère Georges, 193, 246, 686 Charbit Ferdinand, 256, 626

788
Charles Jean, 57, 720 356, 357, 359, 360, 361, 362, 368, 372, 373,
Charpier Frederick, 726 376, 377, 378, 385, 388, 389, 390, 396, 397,
Chasseigne François, 235, 306, 316, 321, 324, 329, 398, 399, 400, 401, 402, 442, 447, 448, 689,
337 692, 720, 749
Chaubreuil Anne-France, 729 Cuenot Alain, 474, 524, 556, 729
Chautemps Camille, 609 Cuno Wilhelm, 152, 216, 217
Chazé, 1, 19, 431, 502, 574, 575, 578, 579, 582, Curzon Nathaniel, 159
583, 586, 587, 589, 590, 591, 602, 616, 627,
628, 630, 644, 701, 704, 711, 712, 713, 714 D

Chazoff Jules, 631, 632 Daix Pierre, 720


Chevalier A, 652 Daladier Edourd, 609, 613, 623
Chiappe Jean, 609, 612, 613 Dalhem Franz, 119, 128, 131, 133, 135, 137, 738
Chirik Marc, 493, 534, 542, 569, 574, 575, 702 Dallet Rolland, 224, 434
Chliapnikov Alexandre, 432 Darbois Anne, 653, 708, 709
Ciliga Ante, 608 Daudet Léon, 204, 612
Clemenceau Georges, 34, 35, 43, 300 Davannes, 579
Clos Nicolas, 202, 203 Dawes Charles Gates, 298, 306
Coen Antonio, 58 De La Cruz Fabien, 1
Colinest Marie, 8 De Man Henri, 618
Colliard Lucie, 105, 242, 410, 437, 444, 479, 707 De Soutun, 574
Collinet Michel, 529, 589, 626, 628, 631, 642, 644, De Vreyer, 542
704 De Warle Jean-Michel, 725
Compère-Morel, 165, 167, 209 Déat Marcel, 614
Copin, 450, 452 Déglise Maurice, 437, 487, 493, 498, 522
Cordier Marcel, 142, 151, 224 Dejoint, 151
Cordillot Michel, 718 Delabie J-J, 624, 636
Cordon, 146 Delagarde Victor, 259, 260, 261, 264, 265, 272,
Cornette Albert, 542 285, 291, 309, 341
Corsaut Henri, 642 Delaporte Sophie, 718
Corvin Mathias, 636 Delfosse Henri, 435, 437, 444, 445, 492, 522
Costes Alfred, 197, 270, 306, 321, 348, 354, 360, Delouze, 261
389, 397, 424, 443, 444, 450 Delplanque, 145, 151, 187
Cotton Maria, 437, 444, 445 Delporte Christian, 718
Coudène Christian, 729 Delsol Clément, 410, 413, 437, 444, 445
Courban Alexandre, 309 Delwit Pascal, 725
Courdavault René, 542 Demusois Antoine, 142, 151, 306
Courtois Stéphane, 25, 41, 42, 50, 51, 268, 316, Depretto Jean-Paul, 721
329, 362, 619, 621, 720, 724 Desnois, 651
Coouturier Louis, 720 Desusclade Clément, 306, 324, 325, 389
Craipeau Yvan, 542, 548, 560 Deutscher Isaac, 726
Cremet Jean, 202, 224, 225, 238, 246, 266, 271, Devoyon Suzanne, 592
278, 306, 321, 344, 346, 348, 353, 354, 355, Dieter Wolf, 720

789
Dionnet René, 270, 410, 437, 444, 445, 707 Dupont, 100, 309
Doignon, 318 Dupuis, 270, 306
Dollfuss Engelbert, 610 Durand Damien, 16, 469, 470, 471, 472, 500, 502,
Dommanget Maurice, 526, 631 503, 511, 513, 516, 518, 527, 727, 729
Dondicol Eugène, 58, 105, 119, 123, 124, 129 Duret Jean, 90, 107, 139, 161, 697
Doriot Jacques, 162, 175, 224, 266, 270, 271, 276, Durr Aurélien, 723
277, 278, 280, 285, 301, 305, 306, 309, 312, Duxiu Chen, 471
315, 322, 328, 331, 332, 334, 337, 339, 342,
344, 346, 347, 348, 349, 352, 353, 354, 355, E

356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, Eberlein Hugo, 366
365, 366, 368, 372, 373, 377, 378, 380, 382, Elleinstein Jean, 720, 724
385, 386, 388, 389, 390, 391, 405, 414, 416, Eluard Paul, 333
423, 434, 440, 441, 444, 445, 447, 449, 454, Emery, 651
455, 459, 461, 610, 614, 619, 620, 631, 650, Emile, 78, 549, 557, 561, 568
663, 669, 691, 692, 693, 720, 746, 747, 748, Engels Frederick, 663, 664, 783
749, 753, 754 Engler Victor, 372, 410, 412, 437, 474, 708
Dormans, 306 Ercoli, 383, 398, 750, 752
Dormoy Jean, 105 Evrard Henri, 151
Dosse François, 717
Doudain Maurice, 542 F

Doumergue Gaston, 609, 613 Fabre Henri, 72, 73, 77, 79, 81, 82, 86, 88, 95, 97,
Dreizer, 761 98, 100, 104, 111
Dreyfus Michel, 16, 25, 598, 600, 601, 654, 717, Faligot Roger, 202, 720
720, 722, 724, 725, 727, 728, 729, 732 Faure Ferdinand, 105, 139, 145
Drobnis, 761 Faure Paul, 48, 49, 50, 53, 56, 57, 67, 207, 209
Droz Jacques, 44, 684, 717, 718, 725, 726, 727 Faussecave Margueritte et Gaston, 276, 277, 306,
Dubief Henri, 718 412, 434, 435, 436, 437, 446, 451, 458, 460,
Duboin Jacques, 657, 658, 731 462, 480, 493, 701, 758, 759
Dubois Jean, 657, 658 Fauvet Jacques, 15, 720
Dubus Arthur, 142, 151 Favier Jean, 719
Duclos Jacques, 15 Fayet, 306
Duco, 636 Félix, 542, 545, 547, 548, 549, 557, 558, 562, 564,
Ducret Marcel, 583 568, 590
Dudilleux Edouard, 199, 322, 362, 390 Feroci, 533
Duhamel Georges, 333 Ferrand, 194, 196, 197, 278, 700
Duisabou Roger, 377 Ferrat André, 15, 202, 297, 306, 443, 459
Dunois Amédée, 58, 74, 83, 88, 89, 97, 101, 102, Finaly Horace, 640
103, 105, 124, 130, 132, 133, 134, 138, 142, Fischer Ruth, 158, 383, 411, 472, 473, 538, 742,
145, 146, 147, 148, 151, 161, 162, 174, 175, 757
208, 209, 219, 224, 240, 242, 256, 294, 296, Foch Ferdinand, 159
305, 306, 310, 311, 398, 399, 683, 688, 706 Forcy, 261
Dupillet, 142, 151, 224 Fortin, 644

790
Fourcault Annie, 721 Ginsburg Shawl, 721
Fournier A, 58, 151 Girardet, 66
Fourrier Marcel, 196, 479 Girault Suzanne, 11, 12, 13, 102, 103, 110, 111,
Franco Fransisco, 647 113, 132, 171, 175, 186, 187, 188, 190, 191,
Frank Pierre, 91, 479, 485, 511, 519, 526, 527, 528, 192, 199, 215, 223, 224, 231, 234, 235, 241,
530, 533, 536, 539, 540, 542, 543, 545, 546, 242, 243, 245, 253, 257, 258, 259, 260, 264,
547, 548, 549, 554, 556, 557, 558, 559, 560, 266, 268, 270, 271, 272, 273, 274, 277, 278,
561, 563, 564, 566, 567, 569, 570, 571, 573, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 288,
580, 595, 629, 702, 785 290, 304, 305, 306, 310, 312, 313, 318, 319,
Freidrich, 306 320, 322, 323, 324, 326, 327, 328, 329, 330,
Freimuch, 252 331, 332, 334, 338, 339, 340, 346, 347, 348,
Freud Sigmund, 781 349, 352, 354, 355, 356, 357, 358, 361, 362,
Frey Joseph, 471 363, 370, 372, 374, 376, 378, 385, 386, 388,
Fromage René, 306, 360, 384 389, 390, 396, 404, 405, 408, 410, 411, 412,
Fromentin Maurice, 103 413, 414, 415, 418, 422, 436, 437, 439, 440,
Fromont, 142, 151 441, 442, 445, 446, 448, 449, 450, 451, 452,
Frossard Louis-Oscard, 5, 24, 28, 30, 36, 43, 48, 453, 456, 457, 458, 460, 461, 462, 463, 472,
49, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 62, 63, 64, 67, 476, 478, 479, 482, 483, 484, 485, 486, 487,
68, 69, 70, 71, 72, 75, 76, 77, 79, 81, 83, 84, 88, 490, 493, 494, 500, 508, 669, 671, 682, 684,
93, 94, 95, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 685, 686, 689, 690, 691, 692, 693, 701, 723,
106, 108, 109, 110, 111, 113, 114, 117, 119, 748, 759
121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, Girault Jacques, 1, 57, 111, 261, 329, 487, 721,
132, 135, 136, 137, 140, 142, 145, 146, 148, 723, 729, 732, 733
149, 150, 151, 162, 171, 186, 187, 198, 205, Girault René, 16, 723
210, 225, 262, 263, 380, 453, 663, 671, 706, 712 Gitton Marcel, 619, 620
Frounzé Mikhaïl, 252 Glay Emile, 23
Fulconis Henri, 369 Glebowa, 397
Gluckstein Daniel, 450, 476, 479, 485, 516
G
Godonnèche Victor, 151, 256
Gaiewsky, 711 Goldenberg Boris, 615
Gaitet, 33 Gombin Richard, 727
Galliffet Gaston, 204, 620 Gomolinski Olivia, 200
Gamelon, 444 Gorter Herman, 606
Gandi, 582, 592, 603 Gotovitch José, 725
Gandu Agnès, 722 Goujon Germaine, 410, 437
Garay, 306 Gouralski August, 232, 235, 238, 242, 249, 260,
Garchery Jean, 105, 142, 146, 151, 353 269, 273, 274, 297, 309, 310, 314, 319, 320,
Garnier Noël, 149 323, 327, 329, 331, 332, 333, 334, 335, 337,
Gaucher Roland, 721 339, 346, 348, 355, 363, 365, 366, 367, 369,
Gauthier M, 410 370, 374, 375
Gayman Vital, 151, 272 Gourdeaux Marie-Thérèse et Henri, 58, 105, 142,
Ginestet Edmond, 366, 434 151, 153, 154, 155, 224, 270, 306, 742

791
Gourget Pierre, 338, 503, 526, 529, 539, 542, 712, Humbert-Droz Jules, 5, 19, 63, 74, 77, 92, 94, 100,
768, 769 101, 102, 103, 105, 108, 109, 110, 112, 119,
Grangier, 318 120, 121, 122, 124, 130, 135, 138, 140, 142,
Gras Christian, 16, 51, 74, 90, 121, 138, 149, 151, 143, 145, 146, 148, 149, 150, 151, 162, 164,
198, 265, 281, 297, 475, 503, 526, 527, 633, 167, 168, 173, 174, 175, 176, 177, 180, 182,
663, 727 183, 184, 185, 187, 188, 189, 190, 191, 198,
Grinschtein, 761 208, 212, 213, 215, 216, 217, 219, 221, 232,
Grintschenko, 761 251, 252, 254, 283, 310, 314, 375, 376, 379,
Groppo Bruno, 15, 724 382, 383, 385, 389, 390, 391, 395, 396, 397,
Guchet Yves, 14, 657, 727 398, 399, 400, 401, 402, 403, 404, 412, 424,
Guerin Daniel, 719 448, 669, 681, 682, 683, 687, 689, 690, 706,
Guilbeaux Henri, 40 725, 750, 752
Guillou Edmond, 260, 261 Humbold, 396

H I

Hairius, 338, 368, 369, 688 Iaroslawsky, 507


Haken Joseph, 399 Ilbert Léon, 103, 123, 124, 188, 190, 201, 309, 366,
Harmel Claude, 733 685
Hasfeld Marcel, 435, 437, 444, 445, 739 Ingerfliom Claudio, 724
Hattenberger César, 58, 105, 261, 338, 370 Ioudine, 470
Haupt, 25, 719 Ivanof, 761
Heijenoort Jean Van, 731, 732
J
Heine, 129, 133, 151, 187
Heinze, 252 Jacob Henri, 142, 146, 151, 224, 306, 312, 331,
Hempel Pierre, 493, 731 347, 375, 376, 383, 385, 393, 396, 411, 412,
Henriet, 151, 268, 685 482, 511, 742, 750
Herclet Auguste, 243, 266, 294, 304, 688 Jacquemotte Joseph, 252
Herriot Edouard, 302, 336 Jacquier Maurice, 17, 475, 730
Hesse Max, 473 Jaurès Jean, 24, 53, 62, 128, 135, 140, 209, 288,
Hibner Wladislaw, 325 299, 723
Hic Marcel, 656 Jean-Jacques Tchernobelsky, 452, 474, 483, 484,
Hilaire Sylvain, 1 485, 487, 493, 494, 495, 506, 519, 522, 707,
Hindenburg Paul, 319 718, 725, 727
Hirsch Robert, 729 Jeannessen Stanislas, 719
Hitler Adolf, 14, 548, 554, 555, 581, 594, 611, 612, Jederman, 186, 273, 312, 327, 721
620, 629, 644, 673, 674, 780 Jerram Guy, 184, 185, 205, 224, 273, 279, 310,
Hobsbawm Eric, 38, 45, 719 378, 633, 634
Hoeglund Zett, 259, 260, 262, 263, 266 Joliot-Curie Fréderic, 652
Hoffmaier, 690 Joubert Jean-Paul, 16, 727, 729, 730
Holh Thierry, 635, 729 Jouen, 261
Hueber Charles, 154, 337 Jousselin, 160
Humberdot René, 368, 385 Juin, 89, 268, 444, 547, 627, 640, 713, 714, 731

792
Juncker Maurice, 653 Lardant, 23, 26, 31
Just Claude, 617 La Roque François de, 366
Lartigue Joseph, 154, 199
K
Laurat Lucien, 584, 618, 621, 673, 731
Kahn Simone, 642 Lautard C, 437, 455
Kamenev, 11, 13, 228, 233, 263, 290, 291, 344, Laval Pierre, 621, 623, 625, 635, 674
370, 373, 383, 427, 429, 449, 461, 467, 469, Lavergne Adrien, 151, 187
482, 485 Lazar Marc, 25, 41, 42, 50, 51, 268, 316, 329, 362,
Katayama Sen, 140 619, 621, 720, 721
Kauffer Rémi, 202, 720 Lazitch Branco, 416
Ker Antoine, 58, 73, 77, 83, 91, 93, 97, 99, 100, Lazzari Constantino, 70
103, 105, 126, 127, 136, 140, 145, 146, 147, Le Bars Loïc, 528, 529, 733
149, 150, 154, 682 Le Flanchec Daniel, 302
Kerenski Alexandre, 42 Le Goff Jacques, 6, 717
Kergoat Jacques, 610, 635, 636, 648, 719, 727 Le Trouit E, 599, 615, 776
Kesler Jean-François, 729 Lebourg, 533
Ketz Salomon, 730 Lebreton, 636
Kharine Salomon, 501, 505 Lecache Bernard, 85, 149
Kirov Sergueï, 638 Lecoin Louis, 162
Kirsch, 306, 355, 358 Ledoux, 146, 731
Klein, 235, 236, 256, 684 Lefebvre Raymond, 41, 49, 56, 193, 721
Kniewsky Wladislaw, 325 Lefranc Georges, 640, 731, 732
Kolarov Vassil, 140, 145, 146, 149, 150, 151, 233, Legrand Michel, 717
249, 403 Leibot T, 599, 615, 776
Korsch Karl, 472 Leiciague Lucie, 58, 105, 142, 151
Krassine, 247 Lénine, 5, 14, 17, 40, 42, 53, 62, 74, 91, 92, 101,
Kreibich, 106, 252 103, 120, 122, 137, 139, 140, 142, 143, 145,
Kriegel Annie, 41, 43, 47, 57, 71, 86, 475, 721, 725 148, 149, 150, 164, 180, 215, 216, 217, 219,
Kunde Kurt, 733 223, 228, 229, 230, 233, 234, 235, 239, 240,
Kuusinen Aïno, 190, 335, 391, 399, 684, 687 241, 245, 248, 249, 251, 252, 254, 255, 258,
267, 275, 283, 290, 292, 303, 332, 345, 385,
L 390, 399, 404, 420, 426, 427, 429, 438, 439,
Leboursier, 462, 474, 475, 480, 488, 489, 490, 491, 494,
Labrousse Ernest, 174 495, 496, 503, 516, 537, 541, 579, 584, 593,
Lafon François, 730 594, 607, 623, 630, 643, 661, 698, 707, 712,
Laguesse Paul, 142, 151 724, 726, 756, 759, 768, 785
Laloyau Paul, 58 Leroy Georges, 58, 338, 370
Landau Kurt, 471, 515, 533, 539, 561 Lespagnol Robert, 142, 151
Lanuque Guillaume, 17 Lessard, 636
Lapierre J, 493 Leveque Pierre, 719
Lapique Louis, 652 Lévi Paul, 122, 262
Laporte Maurice, 105, 151, 742 Lévine Daniel, 526

793
Levy G, 58, 105, 437 Margueritte Victor, 333, 458
Levy Jean, 719 Marie Jean-Jacques, 429, 725, 727
Lhuillier René, 628, 644 Marion Paul, 360, 663
Liebknecht Karl, 636 Marquet Adrien, 614
Linck E, 452 Marrane Georges, 113, 133, 142, 151, 153, 154,
Liouba, 685 162, 174, 183, 187, 190, 224, 225, 258, 271,
Li-Ti-Tsin, 455, 459 301, 304, 312, 346, 353, 354, 356, 362, 366,
Litvinoff Maxime, 494, 495, 698, 712 369, 370, 374, 390, 396, 742, 746, 748
Longuet Jean, 41, 48, 49, 50, 53, 54, 55, 57, 58, 380 Martel, 399
Loriot Ferdinand, 40, 43, 47, 48, 50, 53, 58, 64, 65, Martelli Roger, 721
66, 68, 69, 71, 73, 74, 76, 77, 78, 79, 83, 84, 96, Martin Roger, 732
97, 103, 294, 296, 303, 305, 311, 338, 367, 368, Martin de Bouillon, 30, 32, 33
390, 444, 535, 670, 671, 681, 688, 706, 762 Martin des Pallières Jeanne, 503
Loubet Jean-Louis, 727 Martinet Marcel, 34, 47, 130, 149
Loucheur Louis, 364 Martinov,
Lounatcharski Anatoli, 92 Marty André, 306, 312, 316, 317, 688
Louvard, 574 Marx Karl, 5, 41, 293, 427, 474, 488, 489, 490,
Lozeray Henri, 306, 309 491, 496, 503, 592, 638, 663, 707, 781, 785
Lozovsky Salomon, 93, 232, 234, 256, 373, 375, Marx Magdeleine, 410, 435, 437, 444, 445
686, 752 Marzet Lucien, 258, 505
Lucas J, 624, 636 Maslow Arkadi, 158, 236, 342, 371, 405, 411, 431,
Luzzato Sergio, 719 457, 469, 472, 473, 486
Mathieu, 582, 592, 603
M Maurras Charles, 14, 609, 612
Mac Donald Ramsay, 421, 519 Max, 578, 582, 592
Maffi Fabrizio, 70 Mayoux Marie et François, 79, 120, 128, 129
Magagnosc, 30, 31, 32, 35, 680 Mazières, 377
Maggi, 399 Mazuy Rachel, 722
Mahouy A, 338, 351, 370, 489 Medvedev Roy, 725
Maitron Georges, 8, 28, 717, 731 Mercier, 58, 76
Malemont, 622 Méric Victor, 58, 74, 75, 78, 79, 83, 88, 95, 97,
Mallarte Jules, 635 105, 107
Malterre, 437 Merlay M, 132
Mammone Gatto, 544 Merrhein Alphonse, 41
Manouilski Dimitri, 119, 121, 122, 124, 127, 130, Mesnil Jacques, 69
135, 138, 140, 232, 238, 314, 340, 355, 356, Messac Régis, 630, 651, 778
358, 360, 361, 370, 372, 375, 380, 381, 689, Métayer, 91, 444
746, 750, 752 Miasnikov Gabriel, 584, 593, 594, 678
Marchal, 651 Michaud J, 576, 644
Marchetti Christophe, 730 Michel Claude, 733
Marenko, 761 Midol Lucien, 191, 224, 306, 390
Margolin Jean-Louis, 724 Mill, 514, 526, 545, 549

794
Millerand Alexandre, 300, 302 526, 527, 528, 529, 530, 531, 532, 533, 534,
Miquel Pierre, 29, 719 535, 539, 540, 542, 543, 545, 546, 549, 556,
Mizheritz, 684 557, 558, 559, 560, 561, 571, 578, 591, 631,
Molinier Raymond, 503, 505, 519, 525, 526, 527, 702, 712, 729, 785, 786
528, 529, 530, 531, 532, 533, 534, 536, 539, Nick Christophe, 728
540, 541, 542, 543, 544, 545, 546, 547, 548, Nivelle Robert, 332
549, 550, 551, 552, 555, 556, 557, 558, 559, Normand M, 452
560, 561, 562, 563, 564, 565, 566, 567, 569, Noske Gustav, 209
570, 571, 572, 573, 574, 578, 580, 588, 591, Nouschi André, 718
624, 626, 636, 699, 702, 708, 729, 785
O
Mollier Jean-Yves, 719
Molotov Viachtcheslav, 252 Olgin, 252
Monatte Pierre, 11, 19, 28, 40, 47, 48, 50, 76, 113, Ollivier Marcel, 177, 178, 179, 191, 210
149, 187, 197, 198, 201, 224, 233, 240, 241, Osmin Mireille, 624
243, 245, 247, 248, 249, 253, 254, 255, 256,
257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265, P

266, 272, 275, 276, 277, 279, 280, 285, 291, Paczkowski Andrzej, 724
292, 296, 297, 304, 305, 309, 341, 367, 369, Paget, 542
380, 398, 399, 401, 402, 421, 430, 436, 465, Painlevé Paul, 318, 329, 332, 349, 350, 352
474, 475, 526, 531, 634, 663, 666, 671, 696, Palicot, 58
701, 731, 746, 747, 749, 762, 785 Panné Jean-Louis, 243, 248, 474, 476, 722, 724,
Monmousseau Gaston, 47, 50, 154, 162, 197, 198, 728
199, 278, 280, 283, 313, 322, 323, 324, 326, Pannekoek Anton, 606
327, 328, 329, 335, 337, 348, 352, 353, 357, Paoli, 56
362, 372, 377, 378, 380, 382, 385, 390, 415, Pappalardi Michelangelo, 413, 477, 576
422, 440, 441, 443, 444, 447, 449, 454, 547, Paquereaux Marius, 105, 142, 145, 146, 151, 153
684, 685, 686, 689, 746, 748 Paris Robert, 25, 718
Moreau Aurélien, 16 Pascal Pierre, 236, 462, 725
Morin, 385, 386 Patri Aimé, 529, 588, 589, 592
Morizet André, 146 Paz Maurice, 5, 338, 351, 368, 410, 413, 433, 435,
Mosco Pierre, 722 436, 437, 443, 444, 445, 446, 449, 452, 455,
Mosès, 410 456, 474, 476, 479, 480, 486, 488, 489, 490,
Mougeot Auguste, 19, 528, 529, 542, 545, 547, 701 491, 492, 494, 497, 498, 499, 500, 503, 504,
Mouret, 166, 167 505, 506, 507, 508, 513, 515, 518, 519, 521,
Murphy Thomas, 399 522, 524, 535, 625, 688, 708, 712, 713, 762,
Mussolini Benito, 157, 394, 612, 633, 647, 781 764, 768, 769, 785
Peiraudeau, 306
N
Peneff Jean, 7, 717
Naoumof, 761 Pennetier Claude, 8, 717, 721, 724, 725
Narinski Mikhaïl, 725 Pepper John, 392
Naville Pierre et Claude, 387, 474, 476, 479, 488, Peregalli Arturo, 586, 729
490, 491, 503, 504, 505, 513, 518, 523, 524, Perer, 377

795
Péret Benjamin, 578, 702 R
Perevertsev M N, 468
Rabaté Octave, 306, 312
Péri Gabriel, 105, 186, 224, 306, 309, 623, 742
Rabaut Jean, 493, 503, 583, 615, 616, 622, 728
Péricat Raymond, 41, 47, 50
Racamond Julien, 199, 390, 422
Perigaud, 629
Racine Nicole, 722
Perrone Ottorino, 413, 477
Radek Karl, 90, 92, 216, 230, 247, 251, 260, 392,
Peschanski Denis, 53, 723
455, 469, 519, 535, 764
Petitgand, 592
Radi Renan, 451
Pétrement Simone, 586, 589, 591, 728
Raffin-Dugens Jean-Pierre, 41
Petrovsky, 396, 399, 400, 401
Rakovsky Christian, 185, 427, 469, 521, 523, 534
Piatakov Ioury, 422, 432, 469
Ranc Robert, 258
Piatnitsky, 398, 416, 750, 752
Rappoport Charles, 51, 52, 53, 58, 69, 74, 79, 80,
Pichorel Marthe, 58
81, 82, 89, 105, 119, 129, 215, 305
Pierpont, 142, 151
Raveau, 258
Pietri Simon, 719
Reberioux Madeleine, 450, 729
Piétri Charles, 154
Rebersat, 58, 151
Piketty Guillaume, 717
Rémond René, 719
Pilsudski Joseph, 387
Renaud Jean, 100, 107, 125, 129, 143, 151, 213,
Pioch Georges, 78, 79, 109, 120, 149, 652
224, 306, 356, 385, 386, 390, 428, 435, 757
Pivert Marceau, 19, 610, 617, 618, 623, 625, 626,
Renaudel Pierre, 43, 52, 55, 302, 614
628, 635, 636, 643, 648, 652, 704, 708, 709,
Renoult Daniel, 19, 58, 80, 81, 82, 88, 91, 92, 93,
714, 727, 729
94, 97, 98, 105, 106, 108, 109, 112, 119, 120,
Plais, 142
122, 123, 124, 129, 133, 135, 137, 139, 140,
Pluet-Despatin Jacqueline, 728
142, 143, 145, 146, 151, 161, 191, 697
Podchtchekoldine A M, 228, 725
Revol René, 729
Poincaré Raymond, 56, 118, 152, 157, 159, 171,
Reynaud Paul, 53, 73, 89, 130, 146, 151, 155, 173,
216, 284, 300, 344, 397, 400, 412, 416, 718, 719
174, 176, 208, 209, 258, 306, 650, 707, 718
Poldès Léo, 129
Ribaut Jean, 53
Pommera Marcelle, 618
Riboldi Ezio, 70
Poncet Adrien, 202
Richard A, 433, 685, 727
Prader Jean, 529, 532, 582, 583, 584, 592, 594
Rienzi, 252
Prajer Rodolphe, 731
Rieu Roger, 145, 151, 184, 237, 276, 278, 280, 303,
Prat Michel, 728
306, 688
Preobrajensky Evgeni, 469
Rieucourt, 29
Pressemane Adrien, 58
Rigoulot Pierre, 707, 722
Pretôt, 31
Rioux Jean-Pierre, 623, 648, 728
Procacci Gulianno, 725
Robert Jean-Louis, 22, 28, 42, 57, 721, 723
Prost Antoine, 22, 45, 719, 723, 733
Robespierre Maximilien, 438
Prudhommeaux André, 493, 498, 499
Robrieux Philippe, 16, 71, 76, 77, 82, 103, 120,
Pudal Bernard, 15, 724
128, 140, 200, 202, 224, 231, 233, 244, 249,
Putfin Guy, 733
275, 299, 362, 424, 427, 514, 532, 610, 722
Roche Anne, 474, 526, 527, 728, 729
796
Rodrigues Gustave, 654, 657, 658, 708, 716, 778 Sanciaume, 493
Roger Michel, 1, 712, Sanjurjo José, 647
Rolland Romain, 40, 629 Santamaria Yves, 46, 722
Ronin, 128 Safir- Lichnevsky Sarah, 547, 569, 573, 578, 579
Roosevelt Franklin D, 605, 606, 779 Saumoneau Louise, 47, 50
Rosen Charles, 489 Sauvage François, 16, 270, 271, 272, 273, 278, 279,
Rosenthal Gérard, 474, 476, 479, 490, 503, 526, 306, 309, 311, 322, 323, 324, 331, 338, 340,
527, 534, 546, 549, 556, 557, 628, 785, 786 347, 348, 349, 356, 357, 358, 361, 362, 372,
Rosmer Alfred et Margueritte, 5, 11, 16, 17, 40, 47, 374, 389, 412, 413, 437, 450, 452, 469, 487,
48, 51, 74, 88, 89, 91, 95, 99, 100, 101, 102, 686, 727
103, 121, 123, 124, 130, 132, 133, 138, 139, Schlageter Léo, 216
142, 147, 148, 151, 171, 175, 176, 182, 198, Schmidt, 30
208, 212, 219, 224, 232, 233, 236, 237, 238, Scholem Werner, 411, 431, 473
240, 241, 242, 243, 244, 245, 247, 248, 250, Schor Ralph, 718, 730
253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, Schuller, 102
262, 263, 264, 265, 266, 267, 272, 275, 276, Schwan, 411
277, 279, 285, 291, 292, 295, 296, 297, 304, Schwarz, 472
305, 309, 341, 367, 380, 398, 401, 402, 421, Scot Jean-Paul, 721
430, 447, 457, 474, 475, 479, 488, 489, 500, Sedov, 527, 550, 557
503, 504, 505, 508, 511, 512, 513, 515, 518, Sellier Louis, 58, 91, 117, 128, 142, 146, 148, 151,
519, 520, 522, 523, 526, 527, 528, 529, 530, 161, 162, 163, 164, 167, 174, 175, 176, 179,
533, 535, 541, 542, 545, 546, 547, 561, 562, 180, 185, 207, 208, 209, 210, 212, 213, 215,
573, 595, 663, 666, 671, 681, 696, 701, 706, 224, 225, 231, 234, 238, 240, 241, 242, 248,
707, 727, 729, 747, 768, 769, 785 249, 250, 255, 256, 270, 271, 276, 277, 278,
Rousseau Nelly, 7, 493, 569, 574, 580, 592, 599, 279, 280, 285, 302, 304, 306, 356, 362, 367,
600, 603, 615, 642, 709, 776 369, 372, 390, 422, 672, 683, 686, 727, 744,
Roussel Jacques, 729 746, 747, 748, 749
Rousso Henri, 719 Semard Pierre, 154, 224, 231, 261, 262, 266, 270,
Roy Marcel, 410, 413, 415, 437, 444, 445, 725 271, 278, 280, 282, 284, 285, 301, 305, 306,
Rubel Maximilien, 709 309, 310, 312, 318, 319, 322, 323, 329, 334,
Rühle Otto, 604, 606 337, 338, 339, 344, 346, 351, 353, 356, 359,
Ruscher Anne, 730 360, 361, 362, 364, 366, 367, 369, 372, 373,
Rutkowsky, 325 376, 377, 378, 380, 381, 382, 385, 386, 388,
Rykov Alexeï, 495, 496 389, 390, 396, 397, 398, 399, 411, 414, 415,
424, 426, 427, 430, 440, 441, 446, 447, 449,
S 454, 459, 460, 488, 685, 686, 688, 689, 690,
Sabathier Laurent, 1 691, 693, 748, 749, 753
Sacco Nicola, 423, 430 Serebriakov, 469
Sadoul Jacques, 191, 462 Serge Victor, 5, 16, 355, 362, 366, 379, 604, 608,
Salducci Jean, 631 609, 718, 720, 721, 722, 723, 724, 725, 728, 730
Salles Pierre, 142, 151, 189, 437, 452 Serrati Giacinto, 68, 69, 70
Salus Wolfgang, 511 Serret Gilbert, 625, 627, 631

797
Servantier, 58 Staline Joseph, 11, 12, 74, 228, 229, 230, 290, 291,
Seux, 377 292, 370, 372, 373, 377, 378, 383, 390, 395,
Shachtman Max, 471 402, 404, 405, 408, 416, 420, 427, 429, 438,
Shuzi Peng, 471 440, 446, 454, 456, 458, 459, 463, 468, 470,
Silone Ignaccio, 725 483, 486, 490, 491, 494, 495, 502, 509, 516,
Simon Henri, 1, 19, 574, 719 519, 531, 551, 576, 597, 600, 607, 613, 620,
Simonin, 377, 378 621, 622, 623, 625, 627, 629, 631, 635, 637,
Sirinelli François, 717 638, 639, 641, 663, 674, 675, 694, 714, 725,
Sirolle Henri, 47, 50 756, 758, 759, 762
Sméral Bohumir, 398 Stavisky Alexandre, 609, 612
Smirnov Volodia, 604 Stenger, 377
Sneevliet Henk, 431, 471, 599 Stepanov Ivan, 399
Sorel Georges, 14 Stewart, 252
Sorlin Pierre, 229, 290 Stobnicer M, 533
Soubrof, 761 Stresemann Gustav, 391
Soudeille Jean-Jacques, 474, 475 Studer Brigitte, 725
Soutif Edmond, 80, 105, 109, 120, 124, 145, 146 Surier Jacques, 602, 638, 701
Souvarine Boris, 5, 10, 11, 16, 19, 48, 50, 51, 52, Swabek Arne, 471
54, 55, 58, 64, 65, 68, 69, 71, 72, 73, 74, 76, 77,
T
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 91, 93, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 107, Taillandier Marc, 1,
108, 109, 113, 114, 119, 121, 122, 123, 124, Taittinger Pierre, 612
125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, Talheimer Auguste, 102, 472
134, 136, 137, 138, 140, 142, 143, 145, 148, Tardieu André, 611
150, 151, 155, 161, 162, 163, 164, 165, 167, Tartakowsky Danielle, 57, 64, 152, 312, 719, 721,
171, 173, 174, 175, 176, 179, 180, 182, 184, 722
187, 188, 189, 191, 192, 198, 199, 206, 207, Tchang Kaï-chek, 394, 404, 415, 515, 516, 620
208, 209, 210, 211, 212, 214, 218, 219, 220, Terracini Umberto, 92, 252
221, 222, 223, 224, 225, 226, 229, 230, 231, Tessier Jean, 624, 635, 636, 637, 643, 644, 646,
232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 240, 241, 704
242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 250, Textor Karl, 472
251, 252, 253, 254, 255, 256, 258, 260, 261, Thaelmann Ernst, 319
262, 263, 267, 275, 276, 277, 278, 285, 286, Thibo, 692
292, 295, 310, 340, 367, 368, 369, 380, 382, Thiers Adolphe, 701, 714
390, 396, 410, 411, 421, 430, 431, 434, 446, Thirion André, 450, 731
447, 458, 465, 474, 475, 476, 479, 488, 489, Thomas Albert, 598
490, 491, 492, 500, 503, 518, 535, 576, 582, Thorez Maurice, 306, 312, 322, 324, 328, 329, 334,
583, 584, 595, 607, 616, 663, 664, 666, 669, 344, 347, 352, 355, 357, 359, 360, 361, 362,
670, 671, 682, 683, 684, 686, 688, 695, 696, 365, 366, 368, 372, 373, 374, 376, 378, 385,
706, 707, 712, 715, 722, 723, 728, 730, 762, 785 388, 390, 397, 403, 414, 416, 422, 423, 424,
Spector Maurice, 471 425, 428, 430, 432, 446, 532, 544, 619, 621,
622, 623, 650, 689, 691, 753

798
Tillon Charles, 724 Urbain G, 652
Tommasi Alexandre, 63, 83, 102, 105, 129, 130,
V
132, 142, 151, 175, 224, 234, 251, 277, 748
Torrès Henri, 53, 73, 149 Vacher Arthur, 128
Toto, 544 Vaillant Edouard, 24, 25
Touchard Auguste, 700 Vaillant-Couturier, 49, 51, 53, 58, 63, 64, 68, 73,
Tourly Robert, 146, 149 78, 79, 83, 84, 88, 101, 102, 103, 105, 121, 125,
Tourrette Guy, 130 128, 129, 132, 133, 134, 138, 140, 142, 151,
Traverso Enzo, 665, 719 193, 195, 197, 224, 237, 242, 280, 285, 299,
Trotsky Léon, 5, 11, 12, 13, 16, 19, 40, 42, 47, 67, 306, 309, 396, 428, 672, 759
68, 71, 75, 79, 92, 97, 98, 100, 104, 105, 106, Vaksberg, 725
107, 108, 117, 121, 137, 140, 141, 143, 145, Valentinof, 761
146, 148, 149, 150, 160, 161, 164, 165, 167, Valois Georges, 5, 14, 19, 202, 316, 584, 625, 626,
228, 229, 230, 231, 232, 233, 235, 239, 243, 628, 631, 632, 633, 634, 640, 642, 645, 652,
244, 245, 246, 247, 248, 250, 256, 263, 267, 653, 654, 656, 657, 658, 659, 660, 699, 708,
278, 279, 285, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 709, 713, 716, 727, 731, 778
296, 297, 344, 383, 386, 387, 390, 391, 392, Vannof, 761
404, 411, 412, 420, 426, 427, 428, 429, 431, Van Overstraeten War, 516, 518, 519, 708
438, 439, 443, 444, 446, 457, 461, 465, 467, Vandervelde Emile, 623
468, 469, 470, 471, 472, 473, 474, 475, 476, Vanzetti Bartolomeo, 423, 430
477, 478, 482, 484, 485, 486, 487, 492, 496, Vassart Albert, 619
497, 500, 501, 502, 503, 504, 505, 506, 507, Vasseur Laurence, 730
508, 509, 511, 512, 513, 514, 515, 516, 517, Vazeilles M, 182
518, 519, 520, 521, 522, 523, 524, 526, 527, Vercesi, 477, 544
528, 529, 531, 532, 533, 534, 535, 536, 537, Verfeuil Raoul, 78, 79, 100, 105, 109, 119, 120,
538, 539, 540, 541, 542, 543, 544, 545, 546, 121, 128, 129, 187
549, 550, 551, 554, 555, 556, 557, 558, 560, Vergeat Marcel, 41, 53, 56
561, 564, 568, 571, 572, 574, 576, 577, 578, Vergnon Gilles, 17, 583, 595, 598, 600, 601, 602,
585, 586, 587, 588, 598, 599, 600, 601, 603, 614, 615, 618, 621, 729, 730
604, 607, 608, 614, 615, 619, 621, 624, 625, Viet-Depaule Nathalie, 717
636, 637, 660, 670, 673, 674, 675, 682, 683, Vigreux Jean, 718
701, 702, 703, 707, 708, 724, 725, 726, 727, Villatte Ernest, 360
728, 729, 730, 731, 732, 734, 737, 756, 758, Voisin, 545
759, 761, 764, 765, 766 Voltaire, 781
Trouillard, 360 Vorochilov Klement, 620
Turati Turati, 69 Vorovsky Vaclav, 159
Turmann, 761 Vouïovitch Voja, 427

U W

Ulam Adam B, 429, 725 Waiss, 569, 571, 703


Urbahns Hugo, 14, 411, 472, 500, 502, 514, 515, Walcher Jacob, 598
549, 580, 584, 602, 603, 604, 607, 664, 673

799
Walecki Maximilien, 68, 69, 81, 82, 96, 97, 252, Z
681
Zeller Fred, 625, 732
Walfisz, 533, 542, 560
Zeraffa Dray, 720
Walter Gérard, 15, 722
Zetkin Clara, 57, 68, 69, 70, 106, 140
Weber Herman, 472, 725
Zimmermann Rüdiger, 472, 518, 654
Wehenkel Henri, 725
Zinoviev Grigori, 11, 12, 13, 16, 57, 77, 79, 89, 92,
Weil Simone, 584, 586, 589, 591, 592, 595, 603,
98, 102, 106, 108, 109, 110, 112, 121, 122, 137,
726, 728, 729
139, 140, 145, 146, 148, 149, 150, 159, 162,
Weill, 25, 718
164, 165, 167, 183, 191, 198, 199, 206, 208,
Well Roman, 533, 539
209, 211, 212, 216, 221, 225, 228, 230, 231,
Werber Eugen, 719
232, 233, 234, 238, 239, 240, 243, 244, 250,
Werth Nicolas , 142, 145, 151, 224, 258, 279, 280
251, 252, 256, 257, 263, 270, 271, 277, 278,
Werth Gérard, 724, 725
281, 282, 283, 285, 286, 290, 291, 293, 299,
Willard Claude, 57, 721, 723
304, 311, 316, 317, 344, 345, 370, 371, 372,
Winock Michel, 719
373, 374, 375, 381, 382, 383, 386, 390, 392,
Winter Jay, 720
396, 398, 400, 405, 406, 411, 417, 427, 428,
Wohl, 233
429, 431, 439, 440, 443, 446, 449, 461, 467,
Wolikow Serge, 16, 352, 355, 362, 366, 369, 379,
469, 473, 478, 479, 482, 483, 484, 485, 487,
403, 415, 432, 618, 718, 720, 721, 722, 723,
504, 511, 523, 535, 551, 607, 670, 672, 675,
724, 725, 730
681, 682, 683, 684, 686, 688, 689, 706, 734,
Wrangel Piotr, 426
746, 756, 758, 759, 761, 762
Zyromski Jean, 610, 618, 623

800
Table des matières

Remerciements 1

Table des abréviations. 2

Introduction 5

Chapitre I : De la guerre au communisme. 21

A/ La première guerre mondiale (1914-1919) 23


1) Un parcours militaire sans reproche. 23
2) Le mouvement socialiste face à la guerre. 24
3) La campagne militaire d’Albert Treint. 26

B/ Vers la scission de Tours. 38


1) La gauche socialiste et les conséquences de la guerre. 39
2) Le pacifisme comme facteur de l’engagement ? 44
3) Le Comité de la Troisième Internationale et la lutte pour l’adhésion. 47
4) Le congrès de Tours (25-30 décembre 1920). 56

Chapitre II : Treint et la première crise du PCF. 61

A/ 1921 : L’unité de façade et les premiers conflits. 63


1) Treint propagandiste du nouveau parti. 63
2) Souvarine critique la direction du PCF et la gauche. 71
3) Du congrès fédéral de la Seine au premier congrès du parti. 76

B/ La crise de 1922. 86
1) Le front unique pour « plumer la volaille socialiste » ? 87
2) Treint et la tentation de Livourne. 96
3) Vers une alliance de la gauche et du centre ? 104

Chapitre III : Treint, un secrétaire général imposé par l’IC. 116

A/ Vers la conciliation entre le centre et la gauche. 119


1) A Paris, le congrès de la division. 119
2) Treint et la stratégie de rupture de la gauche. 130
e
3) La commission française au 4 congrès mondial de l’IC. 139

B/ Treint, co-secrétaire général emprisonné. 145


1) La fin du conflit entre le centre et la gauche. 145
2) Treint et l’occupation de la Ruhr. 152
3) Impérialisme rouge et front unique. 160

801
Chapitre IV : 1923, année de reconstruction ou de crise ? 170

A/ Une gestion autoritaire du parti 173


1) Conflits de personnes. 173
2) Première tentative de réorganisation du parti. 180
3) La fédération de la Seine gérée par le tandem Treint-Suzanne Girault. 186

B/ Conflits avec l’ARAC et les anarchistes. 193


1) Treint et la crise de l’ARAC. 193
2) Conflit sanglant avec les anarcho-syndicalistes. 197

C/ L’affrontement Treint/Souvarine. 206


1) Souvarine dénonce les erreurs politiques de Treint. 206
2) Contre-attaque de Treint au conseil national. 212
3) Défaite de Treint au congrès de Lyon. 218

Chapitre V : La bolchevisation « est née en France dans la lutte contre la droite ». 227

A/ L’exclusion des anciens leaders de la gauche. 230


1) Les répercussions de la « discussion russe » sur le PCF. 230
2) L’exclusion de Souvarine. 241
3) L’exclusion de Monatte et Rosmer. 254

B/ Treint, meneur de la « gauche » bolchevisatrice. 267


1) Première phase de la bolchevisation organisationnelle du PCF. 267
2) Une direction « treintiste » ? 275

Chapitre VI : L’échec de la direction de « gauche ». 287

A/ Treint et la ligne politique volontariste du PCF 290


1) La campagne antitrotskyste. 290
2) Offensive révolutionnaire et lutte contre le social-fascisme. 297
3) Du congrès national de Clichy à l’Exécutif Elargi de l’IC. 304

B/ Crise du parti et luttes de tendances. 315


1) Reculs et échecs. 315
2) La fin de la direction Treint/Suzanne Girault. 330

Chapitre VII : Treint écarté de la direction du PCF. 343

A/ De la conférence extraordinaire de décembre 1925 au 6ème Exécutif Elargi de l’IC. 346


1) Reclassements à la direction. 346
2) La conférence nationale extraordinaire et ses conséquences. 358
3) « Le plénum de la grande pénitence ». 370

B/ De nouveau à Moscou. 380


1) Discussion sur les perspectives internationales. 380

802
2) Treint et la crise entre le PCF et l’IC. 393

Chapitre VIII : l’Exclusion. 407

A/ Treint, un militant isolé. 410


1) Treint et l’opposition dans le PCF. 410
2) La Conférence nationale de St Denis (26-29 juin 1927). 415
3) Première dénonciation du stalinisme. 418

B/ Treint, dirigeant de l’opposition française ? 426


1) La campagne antitrotskyste de 1927. 426
2) Treint exclu du CC du PCF. 430
3) Première tentative d’unification de l’opposition. 435

C/ L’opposition exclue du PCF. 443


1) Une élimination en deux temps. 443
2) L’Unité Léniniste. 449
3) Le CC et la Conférence Nationale de janvier 1928. 456

Chapitre IX : L’opposition de gauche, une unité impossible. 464

A/ Treint et la nébuleuse de l’opposition internationale. 467


1) l’opposition russe affaiblie par la répression. 467
2) Une opposition internationale en gestation. 470
3) L’opposition communiste en France. 474
4) Treint et l’opposition en France. 478

B/ De L’Unité Léniniste au Redressement Communiste. 482


1) La crise et la disparition de L’Unité Léniniste. 482
2) L’échec de la tentative d’unification. 488

C/ Le Redressement Communiste (1928-1929). 493


1) Composition et activité du groupe en 1928. 493
2) Contacts épistolaires entre Treint et Trotsky. 500

Chapitre X : La Ligue Communiste : la crise permanente (1929-1932). 510

A/ Nouvelles dissensions au sein de l’opposition. 513


1) Le 1er août et le conflit sino-russe. 513
2) La Vérité : hebdomadaire de rassemblement ou de division ? 518
3) Treint et Le Libérateur. 521

B/ Treint et la Ligue Communiste. 526


1) Premières crises de la Ligue Communiste. 526
2) Vers une alliance Molinier/Treint. 530
3) Treint à Prinkipo (septembre 1931). 534

C/ La direction Molinier/Treint. 539


803
1) La conférence nationale du 2-4 octobre 1931. 539
2) Treint et la lutte fractionnelle à la CE. 543

Chapitre XI : Rupture avec l’Opposition de gauche (janvier 1932-avril 1933). 553

A/ Le divorce entre Treint et Molinier. 556


1) Divergences au sein du groupe « anti-liquidateur ». 556
2) La dissolution de la région parisienne. 563

B/ La Fraction de gauche. 570


1) Toujours membre de l’Opposition de gauche internationale ? 570
2) L’activité politique de la Fraction de gauche. 574

C/ La conférence d’unification d’avril 1933. 581


1) Les thèses de Treint pour la conférence d’unification. 581
2) Le déroulement de la conférence (avril/mai 1933). 586
3) Vers une quatrième internationale ? 591

Chapitre XII : De l’antistalinisme au socialisme libertaire (1933-1939). 596

A/ L’Effort Communiste. 598


1) L’Effort Communiste et les tentatives de constitution d’une nouvelle Internationale. 599
2) « Capitalisme d’Etat et quatrième Internationale ». 604
3) La journée du 6 février 1934 et ses conséquences. 609
4) Redresser le parti socialiste SFIO. 614

B/ La Lutte Finale : tendance antistalinienne de la SFIO. 618


1) Le tournant du PCF : du front unique au front populaire. 618
2) L’union sacrée et la conférence de St-Denis. 625
3) De l’antistalinisme à l’antiléninisme ? 635

C/ Socialisme utopique et lutte contre la guerre. 642


1) Après Saint-Denis : vers la guerre… 642
2) …Ou vers la société de l’abondance. 656
3) « Ni Führer, ni parti Führer ». 660

Conclusion 666

Sources 677

Table des annexes. 734

Index des noms 787

Table des matières 801

804

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