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En 1156, le très puissant roi d’Angleterre et duc de Normandie, d’Aquitaine et autres lieux
Henri II Plantagenêt vint à Gisors pour rendre hommage pour ses terres françaises à son
suzerain Louis VII, roi de France.
Les deux souverains se rendent donc en marche de leurs états respectifs pour réaffirmer, en
même temps qu’ils semblent en minimiser la portée, la toute puissance de l’Etat royal dont
nul ne peut s’exonérer fut-il tout puissant et bien plus que son suzerain
De même lorsque le roi ou le duc convoquent le ban et l’arrière ban de leurs fiefs, ils font
usage du droit de ban. Le ban, dans notre histoire, est en effet d’abord une juridiction de
souveraineté sur les frontières, liée au droit qu’avait l’autorité de soumettre à leur disposition,
y compris par violence, proportionnellement au revenu et à la qualité de chaque fief, ceux qui
étaient capables de se ranger sous une bannière et l’autorité d’un banneret en constituant ainsi
une bande. Tous y accourent même si souvent la ruine dues aux dépenses qu’ils engagent, et
la mort au combat sont au rendez-vous de la folie conquérante des grands de ce monde.
En contrepartie de cette obéissance à la loi du ban, ceux qui refusaient de s’y soumettre ne
pouvaient qu’être bannis, soit sortis du consensus féodal qui leur assure sécurité et protection,
de la sociabilité, voire en résidence assignée.
De petits vavasseurs d’arrière ban résidant aux marches des états ducaux ou royaux seront
ainsi entraînés dans des aventures qui leur échappent le plus souvent, pour la plus grande
gloire de Dieu et de ses représentants terrestres.
Ainsi en va-t-il de l’appellation commune « jeunes des banlieues » qui définit à la fois un
territoire vécu réellement et un territoire imaginaire marqué par une culture collective de la
marge et de l’enfermement, dans leur assignation à cet espace « en marche » de nos sociétés.
On conviendra que cette acception du terme est bien représentative du territoire vécu
aujourd’hui par nombre des jeunes de nos banlieues. Car la banlieue désigne bien au niveau
de notre imaginaire social et ce territoire du ban et sa juridiction. Ils sont aujourd’hui vécus
sur un plan symbolique d’une façon exacerbée par la jeunesse, et, dans la mesure où la
convocation au service de l’intérêt collectif ne s’y exerce plus, comme celui de l’abandon le
plus banal.
En même temps que nous décrivons une société marquée par la variabilité et la plurialité de
systèmes d’organisation sociale, (Maffesoli, 1985), que l’on a peine à unifier, à côté des
Nations, les Régions les Villes, centres de la vie démocratique font assaut de créativité pour
manifester leur attachement à la fondation en se rangeant sous un mythe spécifique réel ou
inventé, le plus souvent inventé, créant ainsi de nouveaux centres périphériques calqués sur
les modèles anciens.
Tout se passe comme si alors que le social a évolué dans la voie de l’éclatement du corps
social désormais constitué de néo tribus », peut-être parce que l’on ne nomme que ce qui
n’existe plus, (Maffesoli, 2007), la présence de l’Etat ne cesse de se réaffirmer aux marges, à
s’imposer souvent au prix de l’exercice d’un véritable violence pas seulement symbolique,
comme l’ordonnateur absolu de l’être ensemble. On a vu ainsi un ministre de l’intérieur, dans
un double mouvement, se précipiter dans les quartiers sensibles de la banlieue et en
stigmatiser les habitants.
A la fin du Moyen Age (14ème -15ème siècles), on construisait semblablement de gigantesques
Théâtres en rond à la porte des villes où dans le communion aux spectacles des Mystères
médiévaux (Rey Flaud, 1971). S’y réaffirmait l’adhésion de tout un peuple, toutes conditions
et origines sociales mêlées, à un corpus doctrinaire et à une organisation sociale théocratico
orientée que les grandes découvertes, l’ouverture des marchés, l’irruption sur la scène sociale
d’une nouvelle classe, celle des marchands, étaient justement en train de battre en brèche,
effort désespéré, dans un société en mutations, de garantir symboliquement la cohésion
sociale ramenée au centre du cercle magique, le Théâtre en rond
René Lourau a bien décrit (1978) le fait qu’au moment où la forme étatique passe à l’échelle
mondiale, on découvre que l’inconscient, en dernière analyse, c’est l’État, que nos idées, nos
sentiments, nos émotions sont commandés par lui, que ses désirs sont des ordres, les nôtres
ne sont que des réponses obséquieuses à ce qu’il permet, tolère, impose ou interdit.
Pour lui, l’Etat donne forme à nos représentations du monde, plus ou moins rationnelles, il
s’installe dans notre imaginaire comme étant la forme majeure de l’inconscient social. Entre
les contre courants qu’il nie, il vise à la disparition des marges sociales.
La pacification de l’Etat, indique t–il, c’est la guerre permanente d’un force tendant à
l’hégémonie contre d’autres force qui tendent à préserver leur indépendance, c’est la volonté
d’imposer la représentation d’un centre unique et sacré, d’un super espace de légitimation
englobant les diverses communautés en les niant et en les supprimant.
Il est le nouveau sacré et résiste de ce fait à toutes les analyses, imposant une situation fictive
des rapports sociaux en parfait décalage avec la réalité vécue.
Militants, travailleurs intellectuels, associations, politiques, nous sommes tous traversés par
l’Etat, par les implications de cette forme sociale hégémonique et universelle.
Les vieux élus locaux jacobins l’ont bien compris qui luttent pour le maintien du cumul des
mandats. Le non cumul présente en effet un risque, l’abandon du consensus modélisant.
Combien de Conseil Généraux ont calque leur modes de fonctionnement, y compris dans
l’organisation spatiale de leurs débats, sur les figures sénatoriales ou de l’Assemblée
Nationale ?
Un imaginaire éclaté.
Pour Castoriadis (Le Seuil, 1975), cela semble être possible, car le comportement des
individus inclut une certaine dose d'imprévisibilité, car la véritable raison est que l'humain est
force de création : chaque écart par rapport au comportement typique institue de nouvelles
façons de se comporter. A une même situation, l'homme peut donner des réponses différentes.
Les réponses aux questions que nous nous posons centralement sur le monde et sur l'histoire
se situent toujours sur un terrain d'où sont, par construction, exclus l'imaginaire radical
comme social historique et comme imagination radicale, l'indétermination, la création, la
temporalité comme auto altération essentielle.
En effet, il n’est pas normal, du point de vue de l’Etat inconscient, (et c’est aussi vrai dans le
domaine universitaire) d’accepter ou d’aider le mouvement qui dérange les formes, mais il est
normal, sous prétexte de défendre les valeurs républicaines, d’accepter ou d’aider les forces
qui figent les rapports sociaux. Rien d’étonnant donc que la vie sociale émigre ailleurs…
Comme l’a écrit Michel Maffesoli (1979), à l’inverse de la pensée héritée, «il y a une
noblesse de la masse, faite de cynisme, ou de relativisme par rapport aux valeurs, qui fait fi
des impératifs moraux (tout en s’y pliant apparemment) et qui constitue l’élément de la
socialité, ce par quoi le collectif prend corps ».
De fait, pour René Barbier (1996), la société, dans le déroulement de sa propre histoire, et à
partir des changements dans sa base technico-économique, des rapports de force entre les
groupes et les fractions de classes sociales qui cherchent à asseoir leur hégémonie, mais
également de phénomènes naturels et cosmiques sur lesquels nul n'a de prise, engendre sans
discontinuer un magma de significations imaginaires sociales, s'imposant à tous dans une
méconnaissance instituée. L'idéologie n'est que la part rationalisée et rationalisable de
l'imaginaire social. Les institutions sont des réseaux symboliques, constitués comme "bains de
sens" pour les agents sociaux. Au niveau des groupes et des classes sociales, cela donne un
processus conflictuel
entre ce qui est de l'ordre de l'institué et de l'ordre de l'instituant dans chaque institution. Cette
lutte entre l'instituant et l'institué reflète la dialectique même de l'imaginaire social qui est à la
fois leurrant et créateur.
Sociales parce qu'elles valent et s'imposent à tous les membres de la société, sans être
nécessairement sues comme telles. Les formations idéologiques apparaissent comme des
ensembles identitaires rationalisables du fond magmatique de l'imaginaire social. Ceux qui
présentent le plus haut degré de cohérence et d'efficacité politique dans un certain contexte.
Ainsi la relégation imposée par la logique centralisatrice de l’Etat qui vide les centres de
l’humain pour le reporter sans cesse en périphérie, peut- être interrogé sous cet angle des
territoires qui produisent comme espaces imaginaires mais vécus comme tels les significations
imaginaires sociales de notre, époque. Par ailleurs, l’observation des créations dues aux
cultures urbaines (slam, hip hop, human big box, etc) nous en apprend également beaucoup
sur ce qui est mis en œuvre alors que les cultures mercantiles et industrielles nous éloignent
de plus en plus de toute création vive dans l’ordre d’une représentation consumériste
préfabriquée.
Pour les banlieues, modernes lieux du ban, les territoires réels sont, eux, marqués
physiquement par le fait que de nombreux jeunes des couches populaires, éprouvent, sur ces
territoires où ils vivent, des difficultés d'accès à l'emploi ou à la culture par manque de
mobilité "physique" ou "culturelle". La capacité à « être nomade » constitue un capital, au
même titre que les revenus et les relations professionnelles, amicales, familiales, il ne repose
pas seulement sur la possession de moyens de transport individuels ou l’accès à des moyens
de transport collectifs, mais sur des compétences et des stratégies particulières qui peuvent
s’acquérir, s’apprendre (d’où l’utilité de la formation non seulement au savoir faire mais
encore au savoir être). Pour certains, les difficultés de déplacement sont réelles, mais pour la
majorité d'entre eux, le principal frein à la mobilité reste la crainte de sortir du cadre de vie
familier et la peur de "l'ailleurs, par manque de capacité à appréhender des univers différents
vécus comme hostiles. Symboliquement cet enfermement est, de fait, vécu par la majorité de
la jeunesse des quartiers populaires comme une mise à l’écart, une mise au ban et il n’est pas
inutile d’interroger le sens à ce niveau
Le territoire est là enfermement car la banlieue peut aussi être territoire de refuge, prés de la
mère qui veille du haut de sa fenêtre et dont la fonction surprotectrice ne saurait être
minimisée dans un univers où les espaces du Travail et de l’Urbain sont eux entièrement
voués à l’héroïsme ascensionnel, à la conquête d’une place « au soleil », à la compétition
forcenées vers les cimes de hiérarchies dont la plupart ignoreront toujours les voies d’accès,
lesquelles sont précisément modélisées par le cursus honorum en vigueur dans le système
étatique..
La mobilité fait partie de notre quotidien : migration journalière pour se rendre sur son lieu de
travail, migration du week-end, destinations de vacances toujours plus lointaines. Elle est la
marque du nomadisme entre des territoires décrits aussi par leurs fonctions, et liés à
l’éclatement de leurs espaces de vie. Et le véritable enjeu de la mobilité se situe dans leurs
têtes, dans leurs représentations du monde et de leur environnement, dans leur imaginaire. Si
la notion d’insertion a, elle-même, éclaté, « vivre et travailler au pays » est un slogan qui n’a
plus aucun sens sur la majorité de nos territoires.
Les jeunes des banlieues ont constaté que leurs conditions d'existences étaient de moins en
moins liées à des choix électoraux, et de moins en moins dépendantes de leurs qualités
personnelles. La pertinence du discours managérial sur la "compétence" et le "risque" qui
assureraient la promotion des individus et profiteraient à l'ensemble de la collectivité est tenu
pour une imposture. La pauvreté est de moins en moins considérée comme un accident
incombant aux individus eux mêmes, c'est à la société qu'elle est désormais attribuée (73 %),
ils observent en parallèle une vraie absence d’alternative politique, se radicalisent à l'égard
des institutions de la société et constatent une radicalisation d'attitude de la société à leur
égard.
Pour René Barbier, l'institution sociale a dés lors pour fonction essentielle l'autoconservation
par le truchement d'une socialisation de la psyché, d'une fabrication d'individus sociaux
conformes et appropriés. L'institution leur fournit des pôles identificatoires et surtout un sens
qui tente de recouvrir sans cesse "l'Abîme du monde, de la psyché elle-même pour elle-même,
de la société elle-même pour elle-même...Le sacré est le simulacre institué de l'Abîme : la
religion confère une figure ou figuration à l'Abîme - et cette figure est présentée à la fois
comme Sens ultime et source de tout sens ". On convient qu’ici l’institution est largement
défaillante. Mieux comme le décrit Michel Maffesoli (1979) depuis vingt ans, nous nous
trouvons dans un contexte où l’omniprésence du pouvoir dans ses manifestations diverses
s’adresse à des atomes et ne joue plus son rôle de structurant social, tel que l’avaient rêvé les
fondateurs de la Res Publica au siècle des Lumières.
La question de la marge est donc bien située historiquement et socialement en référence aux
marches et au ban, qui sont des formes à la fois socio historiques et sociologiques.
Elle manifeste le refus du pouvoir comme structurant social, soit dans le rejet du politique à
l’extérieur de la société, soit dans l’indifférence généralisée pour la politique mise, par un
effet de retour singulier, au ban des valeurs de la jeunesse.
Emergent alors d’autres formes sociale, communautaires, fondées sur un lien affectif puissant,
constituant précisément la puissance sociétale que Maffesoli oppose au pouvoir politique.
Centralité et territoires.
Briser la centralité bureaucratique, c’est travailler non plus au niveau des décentralisation de
l’Etat mais à celui des territoires réels, dans des espaces vécus comme ils sont et non tels que
l’Institution voudrait qu’ils soient, des territoires témoignant d'une appropriation à la fois
économique, idéologique et politique (sociale donc) de l'espace par des groupes qui se
donnent une représentation particulière d'eux mêmes, de leur histoire, de leur singularité, y
compris quand ils sont en cours de recomposition, ce qui est le cas de la majorité d’entre eux.
Car, penser le territoire, c'est penser d’abord une idée fondée sur la volonté d'un groupe
tissant du lien social localisé, créant des solidarités à l'échelle locale, se voulant co-auteur
d'un développement de proximité.
Dans cette voie, la lecture des paysages tant urbains que ruraux, comme formes symboliques
vécues réellement, a quelque chance de contribuer à l'approche renouvelée du territoire si le
paysage est interprété comme symbole et signature de l'action d'un groupe social, comme
image qui révèle un territoire car l’espace est facteur de participation et d’ambivalence
(Durand, 1969).
A l’encontre d’une objectivité technocratique qui refuse la confrontation avec l’objet, les
imaginaires locaux à l’œuvre dans nos quartiers, nos banlieues, nos espaces ruraux, doivent
être épiphanisés quand ils tentent de dresser une expérience vivante contre le monde objectif
de la mort (Durand, ibidem), quand ils visent à transformer le monde en faisant appel à
l’imagination créatrice, dans ce supplément d’âme que requiert la fonction fantastique que
l’angoisse contemporaine tend à annihiler au profite de tous les déterminismes.
LA LOGIQUE DE COMMUNAUTE.
Nos politiques sont par définition d’abord affaire de la cité (polis) et leur caractère public
renforce le fait qu’elles concernent les communautés humaines, non pas au sens archaïque du
terme, mais en regard aux mutations actuelles au sens de « communautés de devenir »
(Heurgon et Landrieu, 2007), soit de rassemblements d’hommes liés par le devenir qu’ils
partagent : sens partagé, sens du devenir, sens des valeurs communes, sens des logiques et
rationalités culturelles, sens d’une vocation collective, sens d’un développement, sens d’une
évolution progressive, sens du commun, de ce qui est mis en commun, du lien fondateur.
C’est le Sens dans lequel chacun peut s’engager. Pour qu’il y ait appropriation active il faut de
fait que la communauté de devenir en arrive à se faire son propre auteur (Ardoino, 1977) en
se dotant dans son histoire d’une structure, d’une distribution des rôles.
Une communauté de devenir a une histoire, qu’elle soit ancienne ou jeune. La considération
de cette histoire est indispensable à la pensée du devenir et à tout projet qui s’y investit. Le
développement d’Internet, pour ceux qui sont attentifs à ce qui se développe massivement, en
est un laboratoire foisonnant (Heurgon et Landieu, ibidem).
Dès lors aussi les cités, les communes, les pays, dans leur évolution, deviennent des
communautés de devenir ou découvrent qu’elles le sont, dans une logique de communauté qui
se cherche, s’expérimente et se déploie, où chacun puisse y trouver ses méthodes et ses bases.
- appropriation active de la recherche de solutions et des modes de réalisation selon les façons
"culturelles" de travailler au plan local car la lutte contre toute politique instituée passe par la
lutte contre le concept de centre et contre toute centralité, lieu de la domination qui se
dissimule souvent derrière les aspects fonctionnels de la régulation indispensable à n’importe
quelle échelle du territoire. Car le pouvoir est représentation, théâtre, simulacre, et ne vite que
de spectateurs participant à l’action devant leur télévision (Louarau, 1978)..
Passer des indicateurs sociaux (toujours relatifs et préformés) aux analyseurs sociaux,
interroger simultanément la parole, les savoirs et leur écriture, moins tenir compte de ce souci
de rigueur et d’objectivité qui a coupé de l’existence ce qu’elle a de chaud ou de désordonné
(Maffesoli, 1985), que de l’effervescence sociétale, réinvestir sa dimension mythique, c’est
sans doute contrebattre cette propension des marges à imiter le centre, pour discerner les
cristallisations de sens porteuses de promesses et de nouveaux investissements entre inter
subjectivité et intra subjectivité, pour mieux saisir l’altérité et la communication.
Pour casser l’axe vertical dans les relations sociales, former à l’allonomie.
Nous postulons pour notre part qu'appliqués à la formation des sociologues et
intervenants sociaux, les projets dans lesquels ils se trouvent impliqués ne peuvent
faire l'économie d'une prise en compte des catégories du trajet anthropologique
énoncées par Gilbert Durand, lequel voit dans toute pratique symbolique la
conjonction jamais achevée, toujours provisoire entre données subjectives et
intimations du milieu et l'intervention sociologique accomplit bien cette mystérieuse
alchimie qui consiste à jeter ensemble des données verticales: biographies, recours à
l'histoire de vie des sujets, à leur imaginaire radical, aux mythes qui viennent les
informer de leur histoire de leurs déterminants personnels ou collectifs inconscients et
les soumissions aux contraintes des réalités naturelles, sociales, économiques,
organisationnelles qui structurent le champ de toute recherche.
Ceci nous entraîne à faire un sort désormais scellé à des points de vue qui tenteraient
encore de traiter le monde social comme une chose, faisant des enseignants et des
sociologues qu'ils forment, des mécaniciens du réel alors que l'on doit plutôt tendre à y
promouvoir des veilleurs, des éveilleurs, des accoucheurs de sens dans un déchiffrage
et un décryptage de la réalité qui est certes leur affaire mais également celle de leurs
partenaires, c'est à quoi ils ne sont la plupart du temps guère préparés.
La question toujours sous jacente de l'objectivité dans l'approche des choses sociales
est là derrière, bien présente, et l'on s'accordera pour penser que le fait d'en remettre en
cause l'intimation terroriste ne détruit nullement le caractère universel de la démarche
scientifique. Car, d'une part, aucune théorie donnée ne peut atteindre à la complétude
et, de l'autre, nous savons qu'il n'y a pas de conscience sans histoire ni d'histoire sans
corps, car l'expérience individuelle est irréductible et bien réelle. La réalité en ce sens
est aussi l'imaginaire, "la conscience naissant par sauts quantiques".
Jacques Ardoino (1977) a montré que l'un de ces courants les plus travaillés depuis les
années soixante, celui de l'autogestion pédagogique, a été introduit dans la vie sociale
sur la base de traditions intellectuelles fortement implantées dans le consensus social
(Charles Fourier et les phalanstères au 19ème siècle). Le groupe de diagnostic en
Amérique, est lui-même héritier des idéaux démocratiques de la philosophie des
Lumières et du modèle psychanalytique. Initié sur une critique radicale du modèle
bureaucratique, interrogeant ses bases institutionnelles, il met l'accent d'emblée sur les
attitudes du formateur en situation, sur ses implications libidinales, professionnelles
et/ou politiques comme sur son implication, confronté en cela à plusieurs modèles
possibles.
Du point de vue de la formation des intervenants, cela revient à leur remettre entre les
mains ce des outils conceptuels afin qu’ils participent à la mise en place des activités
communautaires. Leur intervention se situe dès lors à trois niveaux:
• analyser : renvoyer aux groupes sociaux l'image de leur fonctionnement, clarifier les
messages, expliciter les sentiments,
• comprendre : recueillir des idées, livrer des informations, des clarifier les synthèses,
faire le point sur les questions en rapport aux terrains,
• mobiliser : donner des conseils, faire émerger des modèles à partir des situations
concrètes rencontrées,
Le champ de la formation en sociologie devrait donc être conçu comme un milieu propice à
faire évoluer les individus par un double mouvement de distanciation/implication, par la mise
en œuvre de l'esprit critique d'une façon désinstrumentée. Il doit, de fait, contribuer à agir sur
les institutions existantes car l'éducation joue un rôle essentiel dans la formation des sociétés.
Elle est chose "éminemment sociale".(Durkheim).
Au service de cette ambition cette formation des sociologues doit être celle d’une "clinique
sociale" à décliner certes en psychosociologique, sociologique, économique, en tout cas
multiréférentielle.
Sur un plan plus général, cette position tend à dénoncer la supériorité de ceux qui savent sur
ceux qui sont supposés ne rien savoir.
La méthode autogestionnaire est de ce fait pertinente pour établir le contact entre le savant et
le non savant. Cela suppose une définition de la culture non pas en terme de capital accumulé,
ou de bien à commercialiser que l'on a ou que l'on n'a pas mais comme une réalité socio
culturelle, un acte, car, à l'encontre d'une vision nourricière de l'acte formateur ou culturel, la
culture n'est pas une chose achevée, finie, une nourriture, un objet ou un ensemble de biens, et
il y a autant de manières d'aborder la réalité que d'individus.
Les auteurs anglo saxons qui se sont attachés à désinstrumentaliser le modèle lewinien
(Corey, 1953) ont insisté sur le fait que ce sont les praticiens eux-mêmes, étudiant leurs
problèmes scientifiquement, qui doivent la fonder, ils souhaitent que les praticiens eux-mêmes
deviennent des chercheurs car il ne suffit pas, que le travail des praticiens soit étudiés, ils
doivent le faire eux-mêmes et il en définissent ainsi les conditions :
Il s’agit bien de ruse sociale, pour parvenir à cette « Conquête du présent » dans le but
d’assurer la cohésion sociale, laquelle est faite d’actes, de pratiques, de représentations, qui
sont partagées et vécues collectivement (Maffesoli, 1979).
Nous revenons, dans cette perspective au trajet anthropologique cher à Gilbert Durand, au
nomadisme et à l'errance dans lesquels Michel Maffesoli voit les conduites les plus
socialement partagées à l'époque que nous vivons.
Il s'agit véritablement d'une anthropo logique, elle passe par une posture méthodologique,
celle que Barbier nomme avec Jean-Louis Legrand une implexité, soit une confrontation
armée entre les postures de l'implication et les données de la complexité. Ancrée résolument
dans un processus "aux frontières", la dynamique va y revêtir la forme de la recherche-action
existentielle, production de connaissances et transformation de la réalité.
Au delà des postures "totalitaires" encore inculquées à leur insu aux étudiants en intervention
sociale, nous professerons que ce n'est pas parce que la pensée n'a pas fini de comprendre, ce
qui est souvent le cas dans les pratiques qui nous préoccupent ici, qu'elle n'atteint pas une
réalité que nous savons elle-même toujours relative. Relativisme dont nous ne pouvons que
nous féliciter. N'est-ce pas dans l'extraordinaire plasticité des formes sociales que réside,
comme l'avait pensé Simmel, l'espoir de leur permanence?
Bibliographie
Corey Stephen, Action Research to improve school practices, Colombia University, 1953.
Maffesoli, Michel, La violence totalitaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, rééd de 1979.
Rey Flaud Henri, Le cercle magique, essai sur le théâtre en rond à la fin du Moyen Age,
Paris, Gallimard, Idées, 1971.