Você está na página 1de 13

Cet article est disponible en ligne à l adresse :

http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ELA&ID_NUMPUBLIE=ELA_126&ID_ARTICLE=E
LA_126_0169
Analyse des valeurs du passé composé et de l imparfait par des apprenants
coréens
par Jin-Ok KIM
| Klincksieck | revue de didactologie des langues-cultures
2002/2 - N°126
ISSN 0071- 190X | ISBN | pages 169 à 179
Pour citer cet article :
Kim J.-O., Analyse des valeurs du passé composé et de l imparfait par des apprenants c
oréens, revue de
didactologie des langues-cultures 2002/2, N°126, p. 169-179.
Distribution électronique Cairn pour Klincksieck.
© Klincksieck. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est
autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de
a licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous q
uelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des
cas prévus par la législation en vigueur
en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interd
it.
ANALYSE DES VALEURS
DU PASSÉ COMPOSÉ ET DE L IMPARFAIT
PAR DES APPRENANTS CORÉENS
Résumé : Les commentaires métalinguistiques de trois apprenantes coréennes
recueillis lors d un exercice à trou sur l emploi du passé composé et de l imparfait
français montrent les problèmes de leurs analyses de ces temps
verbaux. On constate d abord que les notions de base nécessaires à une
analyse du temps et de l aspect, telles que la notion temporelle inhérente à
la sémantique du verbe et la notion d intervalle occupé par un procès ne sont
pas clairement établies. La clôture d un intervalle, ainsi que les mises en
relation d intervalles représentent les majeures difficultés d analyse,
auxquelles l enseignant devra apporter une aide pertinente.
1. INTRODUCTION
Quelle que soit la méthode d enseignement qu on adopte, une classe
de langue ne peut se passer de grammaire. Tout simplement parce
qu une langue comporte des régularités qui, avec les irrégularités ou les
exceptions, constituent la grammaire d une langue. Ces régularités
rendent possible un enseignement déductif, inversement à la façon dont
un enfant apprend la langue de son entourage. C est pourquoi on
suppose qu une classe de langue constitue un « raccourci » d apprentissage.
Il existe deux aspects dans l apprentissage d une langue étrangère
ainsi conçu : l acquisition de connaissances grammaticales d une part, et
l automatisation de l utilisation de ces connaissances à l oral, d autre
part. Si l on pense, avec Carlo (1997), qu une situation d « interaction
duelle pédagogique » est plus favorable que les autres situations pédagogiques
à l automatisation de l utilisation des connaissances acquises
ou à leur « instrumentalisation », une classe de langue traditionnelle
peut difficilement arriver à accomplir cette tâche, compte tenu de l insuffisance
de temps et du nombre des élèves. La situation de classe nous
semble ainsi mieux adaptée pour l acquisition de connaissances grammaticales,
qui, bien conçues et bien présentées, constitueront une aide
indéniable pour les apprenants.
Dans l enseignement de toute discipline, il est notoire que ce que les
apprenants assimilent réellement d une leçon n est pas toujours ce que l enseignant
pense transmettre. L apprentissage de la grammaire d une langue
étrangère ne fait pas exception. De nombreux enseignants de français langue
étrangère témoignent, en particulier, des difficultés rencontrées par les
apprenants pour acquérir l expression de la temporalité, notamment les relations
entre les valeurs correspondant à différentes formes morphologiques
verbales. Dans ce contexte, l idéal est d avoir accès à ce que comprennent
réellement les apprenants pour pouvoir intervenir sur leur raisonnement
dans la compréhension qu ils ont de ce phénomène linguistique temporel.
C est dans cette perspective que nous présenterons ici quelques
problèmes que nous avons relevés dans la conception et l analyse qu ont
faites trois apprenantes coréennes (Kim, Lee, Kang) de niveau avancé sur
les temps passés du français, notamment, du passé composé et de l imparfait.
Ces observations ont été formulées à partir de leurs commentaires
métalinguistiques oraux lors d un exercice à trou 1, accompli à deux
reprises dans un entretien avec nous-même 2 à deux ans et demi d intervalle
en moyenne.
2. FONCTIONNEMENT DU PASSÉ COMPOSÉ ET DE L IMPARFAIT
Outre le présent, le passé composé et l imparfait nous semblent être les
temps verbaux qui doivent être maîtrisés prioritairement, car la référence au
passé est en effet plus fréquente que la référence au futur. Toute la question
est de montrer en quoi les temps imparfait et passé composé sont différents.
Avec le passé composé, on voit un événement dans son ensemble, du
début à la fin. La fin d une action ou d un événement est un élément
important pour son emploi. Elle peut être indiquée par l emploi du passé
composé lui-même ou par la précision de l intervalle de l action à l aide
des circonstanciels temporels (ex. « Il a plu pendant tout leur voyage »).
Le passé composé a aussi la capacité de former le temps-repère d un
événement, et une suite de phrases au passé composé signifie, sans l aide
d aucun autre moyen, que les actions ont eu lieu dans l ordre des phrases.
Discursivement parlant, c est un temps de l avant-plan (Hopper, 1979,
Weinrich, 1986). Le passé composé renvoie aux événements dans le passé,
c est-à-dire, avant le moment d énonciation ; mais combiné souvent à des
verbes de types transitionnels qui finissent aussitôt qu ils ont commencé,
il peut renvoyer au présent, en se référant plutôt à l état résultant de l action.
Ainsi, « il est parti » signifie plutôt l état (il n est plus là) que l action
de partir elle-même.
170
1. Cet exercice à trou était utilisé au départ dans une classe de remise à niveau, destinée
aux
étudiants étrangers inscrits à l Université de Paris III en 1995.
2. Ces entretiens métalinguistiques ont été effectués dans le cadre d une thèse de 3e cycle
nouveau régime en cours à l Université de Paris III.
Quant à l imparfait, il ne peut pas constituer en lui-même un tempsrepère.
Il s appuie sur un temps déjà fixé. Il saisit un événement en considérant
« une portion » entre le début et la fin. L impression de « durée »
est due notamment, selon Riegel et al. (1994), à ce non-marquage de la
fin d action. Il est temporellement concomitant avec le temps-repère.
Selon le type de verbe, il peut marquer un état (« Je l ai accompagné à
la gare. Il y avait beaucoup de monde ») ou le déroulement d une action
au moment du temps-repère (« j ai rencontré Paul qui partait à
Chamonix »). Avec ces caractéristiques, il marque souvent l arrière-plan
d un récit (Weinrich, 1986) 3. Toujours relié à un temps-repère, le procès 4
à l imparfait entretient avec ce dernier divers types de chevauchement : le
chevauchement avec l intervalle-repère peut être total (« quand il était
jeune, il était très maigre »), partiel (« quand ils sont arrivés, il pleuvait
») ou multiple, par l itération du procès sur l intervalle-repère (« à
l époque, je le voyais souvent »).
3. ANALYSES DES COMMENTAIRES DE TROIS APPRENANTES
CORÉENNES
L exercice à trou qui a été utilisé est le suivant :
Mettre les verbes entre parenthèse au passé composé ou à l imparfait.
1. Je (dormir) quand mon fils me (téléphoner) d Australie hier soir.
2. Dimanche dernier, j ai rencontré Paul qui (partir) pour Chamonix. Il (avoir) beau
coup
de bagages et ses skis sur l épaule. Alors, je l (accompagner) à la gare. Il y
(avoir) énormément de monde dans le train et il (ne pas pouvoir) trouver de place
assise.
3. Quand il (ouvrir) la porte, elle lui (sourire) et lui (dire) : « je t (attendre)
! »
4. Mes amis norvégiens (vouloir) depuis longtemps visiter la Bretagne. Ils y (part
ir)
enfin la semaine dernière. Mais quand ils (arriver) à Rennes, il (pleuvoir) et il (p
leuvoir)
pendant tout leur voyage.
5. Paul (avoir) vingt ans quand il (avoir) son accident de montagne. Il (rester)
huit
mois à l hôpital. Quand il en (sortir), il (être) très faible et très maigre : on (ne pas
le reconnaître).
6. Hier, un accident (se produire) au carrefour de la rue Cailloux et de l avenue
d Italie. Il (pleuvoir). Un enfant d une dizaine d années (faire) du skateboard sur le
trottoir de la rue Cailloux. Quand il (arriver) au carrefour, il (ne pas pouvoir
) ralentir
et (tomber) sur l avenue d Italie juste au moment où une voiture (arriver). Elle
l (heurter) violemment. Il n y (avoir) qu une seule personne à cet endroit là. Ce
passant (courir) dans la cabine téléphonique d à côté pour appeler Police Secours.
Pendant qu il (téléphoner), la voiture (filer). L enfant (se retrouver) tout seul, il
(avoir peur) et (réussir) à partir lui aussi ; pourtant il (avoir mal) sûrement ! Quan
d
l homme (ressortir) de la cabine, il n y (avoir) plus personne ! Quand la police
(arriver), c est lui qu elle (emmener) au Commissariat.
Dans l exercice à trou en question, les commentaires de nos trois apprenantes
portent sur ce qui fonde leur choix du temps verbal pour chaque
171
3. On notera que l imparfait peut aussi marquer l avant-plan comme dans « je l ai vu. Il
tirait
un chariot ».
4. Un « procès » désigne ici l ensemble d un verbe et de ses arguments. Nous utilisons ce
terme car il permet d indiquer aussi bien une action qu un état.
verbe, éléments auxquels on n a le plus souvent pas accès quand on
observe seulement la production. De plus, le fait de les avoir interviewées
deux fois avec un délai entre les rencontres nous permet de voir la différence
ou l évolution de l analyse qu elles mettent en oeuvre, même pour
les cas où le choix reste le même dans les deux entretiens.
Par rapport au coréen, les deux formes verbales du passé du français
sont analysées comme une division de forme et de fonction, tout comme
les verbes espagnols ser et estar correspondent au seul verbe être en français.
D ailleurs, dans le second entretien, l apprenante Lee remarque qu en
français il existe deux façons de marquer le passé, alors qu en coréen, il
n y en a qu une : « [pour marquer le passé] En général, on met -ôt en
coréen. Mais en français, il y a aussi l imparfait » 5.
3. 1. Constante : choix de temps verbal et analyse discursive
Nous avons observé d abord une certaine constance d analyse dans les
deux entretiens quand les mêmes choix de temps verbal ont été effectués :
les verbes pour lesquels le passé composé a été choisi les deux fois sont
analysés par Lee et Kim du point de vue discursif marquant l avant-plan,
et par Kang du point de vue aspectuel du parfait (le fait qu une action soit
accomplie). Les verbes pour lesquels l imparfait a été choisi lors des deux
entretiens avec la même analyse concernent chez toutes les apprenantes
l analyse de l arrière-plan. Ce phénomène nous montre que les fonctions
discursives (avant-plan, arrière-plan) des deux temps verbaux en français,
phénomène bien connu chez les linguistes (Weinrich, Hopper), sont faciles
à acquérir et peu sujettes au changement.
3. 2. Problèmes d analyse de ces apprenantes
Les commentaires métalinguistiques nous permettent également d observer
ce qui pose un problème ou ce qui fait défaut dans les analyses des
apprenantes. Nous présenterons ici l absence de quelques-uns de ces
points importants pour la conceptualisation des deux temps. Ils constituent
donc pour l enseignant des éléments qu il faut prendre en compte et sur
lesquels il faudra insister dans son cours.
3. 2. 1. Bornage de l intervalle
Les commentaires des trois apprenantes nous montrent qu elles ne
portent pas leur attention sur le bornage de l intervalle d un procès pour
l emploi du passé composé, alors qu une marque de délimitation d un
intervalle durant lequel se déroule une action ou un état, constitue précisément
une des conditions pour son emploi. La phrase « il (pleuvoir) pendant
tout leur voyage » en est un exemple, pendant tout leur voyage marquant
172
5. Dans les extraits du corpus présentés dans cet article, nous avons enlevé certains
signes de
transcription (pauses, hésitations, expressions maladroites ou erronées) pour facili
ter la lecture
et la compréhension.
les bornes de l intervalle. Lee, interviewée une deuxième fois après deux
ans et sept mois, choisit toujours l imparfait au lieu du passé composé, en
utilisant, lors du second entretien, les arguments de « répétition »,
« description de la situation », et de la notion de durée (« on considère la
durée comme longue »). Kim choisit également l imparfait, car « si on ne
regarde que la période du voyage, c est une action continue. L état continu,
donc l imparfait ». Mais le passé composé est possible pour elle, « parce
que pendant tout leur voyage, là, on parle après avoir terminé le voyage ».
Car en effet, même pour une « action continue », lorsqu elle se situe dans
un intervalle borné ou clos, l emploi du passé composé est nécessaire. Et
le fait de parler d un événement du passé, forcément terminé, n impose pas
automatiquement l utilisation du passé composé.
Kang semble être une exception en choisissant l intervalle clos comme
argument majeur de son choix du passé composé. Elle se souvient qu on
n utilise pas l imparfait en présence de pendant. Mais la non-distinction
entre pendant et pendant que la fera hésiter, lors du second entretien, sur
le choix du temps pour le verbe téléphoner, dans « pendant qu il (téléphoner),
la voiture a filé » : pendant, accompagné d éléments marquant
une durée quelconque (ex. pendant les vacances, pendant une semaine)
marque en soi la clôture de l intervalle, entraînant l emploi du passé
composé, alors que pendant que, suivi d une proposition, exprime le
déroulement d une action ou d un état et entraîne l imparfait.
Une autre phrase, « il (rester) huit mois à l hôpital », relève du même
argument de l intervalle clos. Lee choisit l imparfait dans le premier entretien
parce que « c est une durée par rapport à l action de sortir ». Mais
lors du second entretien, deux ans et demi après, elle choisit le passé
composé. Son argument concerne l intervalle clos cette fois-ci, mais au
lieu de repérer huit mois, qui marque en soi la fin de l intervalle, elle
explique plutôt le bornage droit en utilisant l information apportée par la
phrase suivante, « quand il est sorti de l hôpital, [ ] ». De même, Kim
choisit l imparfait dans le premier entretien, en disant que « ça a duré
longtemps », et dans le second, deux ans et onze mois après, en utilisant
toujours la notion de « durée », mais celle incluse dans le verbe (« verbe
de durée, donc restait »). Kang, quant à elle, reste toujours sensible, dans
un autre exemple, à la clôture de l intervalle, et choisit le passé composé
en disant : « dans un temps donné, il a plu constamment. » Nous constatons
ainsi que, face à un procès, ces apprenantes retiennent davantage le
caractère duratif et continuel que le caractère borné.
3. 2. 2. Confusion entre le lexique verbal et le rapport entre deux procès
Les commentaires de ces apprenantes montrent aussi qu elles ne distinguent
pas dans leur analyse le niveau de la sémantique du verbe et le
niveau relationnel entre deux procès, que ceux-ci se trouvent dans une
phrase complexe ou dans une suite de phrases simples : le terme
« action » est utilisé pour désigner à la fois le procès d avant-plan lorsque
deux procès sont mis en relation et le type de procès inhérent au verbe au
173
passé composé ayant une borne interne. De même, le terme « état » est
employé pour désigner à la fois le procès qui sert d arrière-plan, marqué
à l imparfait, et le lexique verbal d état ou d activité qui n a pas de fin.
La confusion concerne notamment le verbe d état (ou d activité) et le
procès servant d arrière-plan lors de la mise en relation de deux procès.
La notion de « durée » incarne cette confusion et celle-ci perdure jusqu au
second entretien. L informatrice Kim choisit l imparfait, lors du premier
entretien, pour le verbe sourire parce que « le sourire, c est une action
[ ] qui dure ». Lors du second entretien, elle choisit aussi l imparfait en
raison du verbe rester, considéré comme un « verbe de durée ».
Chez les autres apprenantes, la non-distinction entre le niveau du lexique
verbal et le niveau relationnel entre procès rend contradictoires leurs propres
explications. Elles en prennent parfois conscience par interaction avec nousmême,
mais sans pouvoir s en sortir. Pour le verbe reconnaître dans « il
était très maigre et faible : on ne le reconnaissait pas », Kang choisit, lors
du second entretien, d abord le passé composé parce que c est « momentané
», en se référant ainsi à la notion de durée incluse dans le verbe luimême.
Mais à la question d acceptabilité de l emploi de l imparfait, elle
répond après une longue réflexion que c est possible aussi, en argumentant,
par une mise en relation, que l imparfait indique, dans ce cas-là, « l état »
où il se trouvait quand il sortait de l hôpital. Peu après, Kang prend
conscience de la contradiction entre son analyse du type de procès inhérent
au verbe (reconnaître est momentané) et son analyse en terme d état :
« Tiens, c est un peu bizarre. Reconnaître est un verbe de perception. Estce
qu un verbe de perception peut rester dans un état ? C est un peu bizarre.
À mon avis, le sens du verbe lui-même joue aussi un rôle [ ]. »
Le même phénomène est observé chez Lee, lors du premier entretien, à
propos du choix de l imparfait auquel elle est arrivée après un long tâtonnement,
pour le verbe partir dans « Dimanche dernier, j ai rencontré Paul
qui (partir) pour Chamonix ». Le procès à l imparfait ayant été analysé
auparavant comme « état » par Lee, par lequel elle entendait l arrière-plan
(procès durant lequel a lieu un autre événement), l enquêtrice lui demande
si partait est aussi l état. À ce moment-là, Lee prend conscience du hiatus
entre la désignation « état » et partait, qui est, comme le lui fait remarquer
l enquêtrice, une action, du point de vue du verbe.
Les cas de correspondance fréquents entre les deux niveaux comme le
verbe dormir dans « je dormais quand mon fils m a téléphoné hier soir »
sont sans doute à l origine de cet amalgame. Mais la possibilité de l emploi
de l imparfait pour des verbes de type transitionnel comme partir,
sortir, arriver, démontre la nécessité de la distinction des deux niveaux
d analyse, même si cette combinaison semble plus difficile à concevoir
(cf. Kihlstedt 1996) 6. La distinction permet de sortir de la contradiction
174
6. Cette difficulté cognitive est également observée chez nos apprenantes. Ainsi, elle
s n ont
rencontré aucune difficulté à employer l imparfait avec des verbes d état et d activité («
dans laquelle sont enfermées nos deux apprenantes et d apprendre les jeux
de perspective entre procès mis en relation selon le choix des temps
verbaux et les types de verbes.
3. 2. 3. La notion de « durée »
Le terme « durée » est indispensable à l explication de la référence
temporelle et des phénomènes d aspect mais il est à manipuler avec
précaution, car il engendre des confusions de différents concepts, comme
le montrent les commentaires des apprenantes. Par exemple, Kim utilise,
dans le premier entretien, le terme durée tantôt dans le sens de la durée
d un intervalle durant lequel un procès est effectif, tantôt dans le sens du
déroulement d un procès (l aspect imperfectif).
Outre le déroulement d un procès, la notion de durée utilisée par ces
apprenantes couvre trois choses différentes : a) elle peut renvoyer à la
durée incluse dans la sémantique du verbe seul, b) à la durée de l intervalle
durant lequel un procès est effectif, c) ou encore la durée de l intervalle
d un procès mis en relief par un autre procès qui est inclus dans
le premier (comme le procès de dormir qui inclut celui de téléphoner dans
« je dormais quand mon fils m a téléphoné hier soir »). Dans le second
entretien où Kim se montre beaucoup plus sensible au type de procès
inhérent aux verbes, elle choisit l imparfait pour le verbe sourire dans
« quand il a ouvert la porte, elle lui (sourire) et lui a dit : je t attendais
» : « souriait, d abord, le verbe sourire, ça ne finit pas en une
seconde, mais il dure un peu, donc elle n a pas dû sourire la bouche
entr ouverte et fermer de nouveau la bouche comme ça. Je pense qu elle
a continué à sourire. C est pour ça, l imparfait ». Ses analyses sont basées
sur deux références à la notion de durée : la durée du procès inhérent au
verbe (« le verbe sourire, ça ne finit pas en une seconde ») et la durée de
l intervalle durant lequel est effectif un procès (« Je pense qu elle a
continué à sourire »).
L apprenante Lee donne un autre exemple d analyse de la notion de
durée. Elle utilise d une part, une notion de durée relative entre deux
procès reliés, l un au passé composé, relativement plus court, et l autre à
l imparfait, relativement plus long, et d autre part, une durée subjective
qu un locuteur attribue à un procès, qui détermine l emploi de l imparfait,
si la durée est perçue longue, ou celui du passé composé, si la durée est
perçue courte. Cette notion de durée subjective est utilisée, dès le premier
entretien, pour le verbe avoir mal dans « il (avoir mal) sûrement » : Lee
répond que les deux choix (passé composé ou imparfait) sont possibles
selon les locuteurs, ce qui donne une liberté de choix : « c est par rapport
aux gens qui parlent qui décrivent cette situation ».
175
accompagné à la gare. Il y avait énormément de monde dans le train »), contrairement aux
verbes transitionnels avec lesquels elles ont eu le plus d erreurs (« il n a pas pu ra
lentir et est
tombé juste au moment où une voiture arrivait » ; « on ne le reconnaissait pas » ; « j ai
rencontré Paul qui partait pour Chamonix »).
La « liberté du locuteur » dans le choix des temps verbaux existe en
effet mais pas dans la conception qu en donne Lee. Elle réside dans le fait
qu un locuteur peut envisager et présenter un procès soit en déroulement
(ou un état, selon les verbes), soit comme accompli, par rapport à l intervalle
qui sert de repère : elle ne consiste pas à juger d une façon subjective
et libre un intervalle donné comme court ou comme long. L idée de
la liberté dans le jugement de la durée d un procès persiste dans le second
entretien : Lee met d abord le verbe pleuvoir à l imparfait dans « il (pleuvoir)
pendant tout leur voyage ». Mais à la question de l enquêtrice de
considérer l emploi du passé composé, elle admet cette possibilité selon
l interprétation des adverbes ou des circonstanciels temporels : « [ici,
pendant tout leur voyage], on peut mettre l imparfait ou le passé composé
selon ce qu on pense de l adverbe ». Mais cette idée de la durée subjective
du locuteur coexiste avec l idée de la durée relative entre deux
procès : « [on peut mettre le passé composé] Si on considère le pendant
quelque chose comme une durée courte, par rapport à un autre événement
qu on raconte ». Or le procès pleuvoir dans cette phrase n est pas
mis en relation avec un autre procès, ce qui rend impossible de recourir
au principe de relativité entre procès. Les deux principes dont Lee dispose
(liberté du locuteur ou relativité subjective, et relativité de durée entre
procès) sont vrais chacun séparément, et semblent s appliquer dans des
contextes distincts. Mais considérés ensemble, ils sont contradictoires dans
ce cadre. Il est donc bien nécessaire d insister sur le fait que la liberté du
choix de temps verbal du locuteur ne réside pas dans l interprétation
subjective de la durée d un intervalle, mais dans la mise en perspective
des procès entre eux.
3. 2. 4. Chevauchement d intervalles
Lorsque deux procès (ou plus) sont mis en relation, il est important pour
l apprenant de savoir que le choix du temps verbal a une conséquence sur
le fait qu ils se chevauchent ou non, et aussi sur le type de chevauchement.
Certains types, notamment le chevauchement partiel d inclusion d un
procès au passé composé dans un autre à l imparfait semblent bien connus
de nos apprenantes. Le repérage de ce schéma est d autant plus facilité
lorsque le procès à l imparfait se combine avec un verbe de type d état ou
d activité, et le procès au passé composé, avec un verbe borné ou transitionnel.
Ainsi, les verbes dormir et téléphoner dans la phrase « je (dormir)
quand mon fils me (téléphoner) d Australie hier soir » et les verbes arriver
et pleuvoir dans « Quand ils (arriver) à Rennes, il (pleuvoir) » ont été bien
mis respectivement à l imparfait et au passé composé par toutes nos apprenantes,
avec, une évaluation du type « c est facile ».
Mais elles éprouvent des difficultés à reconnaître le même type de
chevauchement dans d autres contextes. Pour la phrase, « quand il
(ouvrir) la porte, elle (sourire) et lui a dit : je t attendais », Kim choisit,
dans les deux entretiens, le passé composé pour le verbe ouvrir et l imparfait
pour le verbe sourire, tout en sachant que le procès de sourire a
lieu après celui d ouvrir la porte : elle privilégie dans son analyse le fait
176
que le personnage féminin continue à sourire, (« En disant je t attendais,
je pense qu elle souriait toujours ») et fait abstraction du fait que l emploi
de l imparfait entraîne ici que le sourire a commencé avant l ouverture de
la porte. En fait, elle met en relation le procès de sourire avec le procès
de dire, au lieu de le relier avec le procès d ouvrir la porte. L ordre des
procès semble négligé et l imparfait prend en charge ici seulement la
continuité du sourire.
Kang effectue une autre analyse des types de chevauchement pour la
même phrase. Lors du premier entretien, le rapport entre le procès
« ouvrir la porte » mis au passé composé et l autre « sourire » à l imparfait,
est analysé comme un chevauchement total, où les deux procès se
superposent exactement de bout en bout : « les deux actions se passent en
même temps, vraiment en même temps », à la différence de l analyse
effectuée pour « Je dormais quand mon fils m a téléphoné hier soir » qui
relève pourtant du même schéma.
On observe donc bien que le fait d avoir une connaissance ne signifie
pas qu elle est disponible dans tous les contextes pour l apprenant.
L absence de constance d attention sur les rapports entre procès, constatée
également chez d autres apprenants coréens, devra conduire l enseignant à
insister sur les types de chevauchements de différents procès mis en relation
(par ex. série de procès au passé composé, série de procès à l imparfait,
combinaison de procès au passé composé et de procès à l imparfait).
4. CONSÉQUENCES DES EXERCICES ET DES EXEMPLES
UTILISÉS DANS LA CLASSE
Les témoignages d apprenants coréens montrent également l influence
des exemples utilisés dans la classe dans leur compréhension du système
du passé en français. Les cas relevés dans leurs témoignages concernent
d abord l emploi alternatif du passé composé et de l imparfait dans une
certaine structure de phrase et les verbes utilisés dans la classe. Lee, dans
le premier entretien, choisit l imparfait pour le verbe arriver dans « quand
la voiture (arriver), c est lui qu elle [la police] a emmené ». Elle s est
demandé si on pouvait utiliser deux fois le même temps. Visiblement,
l emploi de deux passés composés la gênait. À la demande de l enquêtrice,
elle dit qu elle avait travaillé « le passé composé et l imparfait avec
cette formule de phrase [phrase complexe avec les deux temps] ».
L enseignement du passé composé et de l imparfait en classe de français
langue étrangère est effectivement souvent basé sur la contrastivité
entre les deux temps. Le fait de montrer le contraste dans la même phrase,
au moyen de phrases complexes induit cet effet imprévu chez les apprenants.
Lee garde toujours l idée d emploi alternatif des deux temps au
second entretien et dit qu on peut utiliser en alternant le passé composé
et l imparfait pour les verbes ouvrir et sourire dans « quand il (ouvrir) la
porte, elle lui (sourire) ». Nous lui avons demandé si l emploi de deux
passé composés était possible. Elle répond : « Je n ai pas tellement envie
177
de dire comme ça mais je crois que j ai déjà vu des phrases comme ça ».
De plus, l emploi alternatif des deux temps se fait dans une structure
particulière de la phrase complexe : « Je ne sais pas si c est correct mais,
quand il y a une subordonnée qui commence par quand, et ensuite la principale,
en général, si on considère ça comme une règle, j avais pensé que
si l une des deux est un arrière-plan et l autre est un événement, pour l un,
on utilise l imparfait, et pour l autre on emploie le passé composé. »
Une autre apprenante coréenne à qui l on a demandé de faire le même
exercice a choisi l imparfait dans « il (pleuvoir) pendant tout leur
voyage », et justifie son choix en disant qu elle a toujours vu le verbe
pleuvoir à l imparfait à l école. Ces deux témoignages nous montrent
l importance de la structure et du choix de verbes dans les exemples
utilisés pour illustrer les emplois du passé composé et de l imparfait. La
phrase-type qui est souvent utilisée est du type « je dormais quand mon
fils m a téléphoné hier soir ». Dans cette phrase, le verbe mis à l imparfait
est un verbe d activité, et le verbe mis au passé composé est un verbe
borné. C est le cas typique de la correspondance entre le rôle discursif de
l imparfait (arrière-plan) et du passé composé (premier plan) et le type de
procès inhérent au verbe. Ce type d exemple empêche de distinguer différents
niveaux d analyse (niveau du verbe, niveau discursif) et renforce la
difficulté cognitive, qui semble naturelle, d envisager un verbe transitionnel
en déroulement (comme dans le cas de partir).
5. CONCLUSION
Comme l explique bien Slobin (1996), face à un même événement,
chaque langue opère un découpage du temps différent et choisit de
marquer linguistiquement différentes portions de l intervalle. L acquisition
du système temporel d une langue étrangère nécessite ainsi un changement
de vision profond au niveau conceptuel, d où les difficultés de son
apprentissage, quelles que soient les langues en contact.
Formés à un certain type de conception et de marquage temporels, les
apprenants de différentes langues maternelles peuvent avoir des difficultés
différentes dans leur acquisition des temps passés du français. Certaines
que peuvent rencontrer les apprenants coréens ont pu être dégagées grâce
à la sollicitation de commentaires métalinguistiques.
Les commentaires montrent que les notions de base nécessaires à l analyse
des phénomènes temporo-aspectuels ne sont pas évidentes.
L enseignant devra ainsi d abord distinguer et expliquer 1) la notion de
temporalité contenue dans la sémantique du verbe ; 2) la notion d intervalle
occupé par un procès et sa clôture (qui détermine l emploi du passé
composé) ; et 3) les types de chevauchements entre les procès mis en relation
dans une phrase complexe ou dans l organisation discursive. Pour la
présentation de ces concepts de base, l enseignant choisira des termes
métalinguistiques clairs qui ne provoquent pas d ambiguïtés (contrairement
à durée, etc.) et les illustrera avec de bons exemples qui permettent
178
aux apprenants d identifier clairement ces concepts. L accent sera mis
particulièrement sur la distinction entre deux niveaux : d une part, le
niveau lexical, c est-à-dire la temporalité incluse dans la sémantique du
verbe, et d autre part, le niveau relationnel entre procès, qui se situe au
niveau phrastique ou inter-phrastique. Pour cela, il faudra fournir aux
apprenants des exemples et des exercices textuels qui puissent montrer
tous les jeux de valeurs temporo-aspectuelles et discursives que peuvent
engendrer les différentes combinaisons entre les procès au passé composé
et à l imparfait, combinés eux-mêmes avec différents types de verbes.
Jin-Ok KIM 7
Université de Paris III DELCA
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CARLO, Catherine. 1997. Caractère structurant de l interaction duelle dans
l acquisition d une langue étrangère, Thèse de 3e cycle nouveau régime,
sciences du langage, Université de Paris VIII, 257 p.
HOPPER, Paul J. 1979. « Aspect and Foreground in Discourse », in Syntax and
Semantics, vol. 12, Discourse and Syntax, Talmy Givon (ed.), NY, London,
Toronto, Sydney, San Francisco : Academic Press, pp. 213-241.
KIHLSTEDT, Maria. 1998. La référence au passé dans le dialogue. Étude de
l acquisition de la temporalité chez des apprenants dits avancés de français,
Thèse pour le doctorat, Institutionen för franska och italienska, Université de
Stockholm, Cahiers de la recherche 6, 277 p.
MONTREDON, Jacques. 1981. Enseignement des temps verbaux à un public
d étudiants japonais dans une didactique du français langue étrangère. Thèse
de doctorat de troisième cycle, linguistique et enseignement du français,
Université de Franche-Comté, Besançon, 263 p.
NOYAU, Colette. 1991. La temporalité dans le discours narratif : construction
du récit, construction de la langue, Thèse pour le diplôme national d habilitation
à diriger des recherches, sciences du langage, Université de Paris VIII, 2
vol., Chapitre II : La temporalité dans le discours et dans l acquisition des
langues, pp. 39-75.
RIEGEL, Martin. PELLAT, Jean-Christophe. RIOUL, René. 1994. Grammaire
méthodique du français, Paris : Presses universitaires de France, 646 p.
SLOBIN, Dan Isaac. 1996. « From thought and language to thinking for speaking
», dans John. J. Gumperz, Stephen C. Levinson (eds.), Rethinking
Linguistic Relativity (Studies in the Social and Cultural Foundation of
Language, n° 17), Cambridge University Press, pp. 70-96.
WEINRICH, Harald. 1989. Grammaire textuelle du français, Paris : Alliance
française, Didier-Hatier, 671 p.
179
7. Pour tout commentaire, kimjinok@yahoo.com

Você também pode gostar