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Friedrich RUTTNER†
Eric MILNER
John DEWS
Traduction : J-M Van Dyck
• Origine et distribution
• Caractères comportementaux
• Caractères morphologiques de lʼabeille noire
• Variabilité géographique dans les populations dʼabeille noire
• Origine et distribution
La recherche dont je vais vous parler comble une réelle importante population sauvage a pu maintenir les carac-
lacune dans la science apicole : cʼest une étude complète tères de lʼabeille noire jusquʼà nos jours. Une colonie an-
sur lʼabeille noire européenne, Apis mellifera mellifera glaise aurait été établie avec succès en 1838 en Nouvelle-
Linnaeus (1758). Cette race particulière dʼabeilles mellifè- Zélande, ainsi que dʼautres en Australie deux ans plus tard,
res était et reste lʼarchétype de cette espèce. Elle en est une dont lʼune essaima et devint rapidement sauvage (COTTON,
des races les plus importantes, bien quʼelle soit devenue 1842, 1848).
lʼune des plus négligées dans le monde des apiculteurs. La capacité étonnante de cette abeille à sʼadapter à un
Peu dʼautres races dʼabeilles ont une histoire aussi longue, climat frais, à des hivers longs et à de nouveaux horizons
tant sur le plan de lʼexploitation apicole que sur celui de la aurait mérité plus dʼintérêt de la part du monde scientifi-
colonisation de nouveaux territoires. Dʼailleurs, ne parle- que et apicole. On a décrit bien plus souvent et en détail
t-on pas presque partout dans la littérature apicole de des races méditerranéennes ou proches-orientales alors
« lʼabeille commune » ? Ce fut la première abeille dé- que, dans certaines régions, lʼabeille noire est sur le point
crite scientifiquement, par Carl von Linné lui-même, dans de disparaître. Seuls quelques chercheurs se sont mis à étu-
son ouvrage fondamental « Systema Naturae » en 1758 dier les caractères et les avantages économiques de cette
mais aussi trois ans plus tard dans la publication locale « abeille commune », entre autres B. COOPER† en Angle-
« Fauna Suecica ». Cʼest avec des colonies de cette race que terre (et la BIBBA, lʼassociation quʼil a créée), des cher-
J. DZIERZON inventa en 1845 en Allemagne la première cheurs russes, des Français, des Norvégiens et lʼassociation
ruche à cadres mobiles et que L. LANGSTROTH aux USA des apiculteurs suisses.
introduisit lʼ « espace dʼabeille » (bee space). Nous présentons dans ce document les connaissances
Ce fut aussi la première abeille introduite en Amérique du actuelles sur lʼhistoire et lʼévolution de lʼabeille noire,
Nord, devenant par millions, très rapidement, un élément sa vaste distribution et son comportement, ainsi quʼune
essentiel de la faune locale et de la vie dans les forêts de analyse statistique dʼune série dʼéchantillons provenant de
la Nouvelle-Angleterre et de Virginie. Le même phénomène sa région dʼorigine. Pour une bibliographie plus complète,
sʼest produit en Australie, notamment en Tasmanie où une voir RUTTNER (1988).
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ORIGINE ET DISTRIBUTION
La race Apis mellifera mellifera a connu, étaient probablement très complexes française présente plus de variété que
il y a environ 8.000 ans, une extension pendant la dernière partie de la glacia- celle des autres régions. Cela indiquerait
rapide similaire à celle que l’on a pu tion. On l’a montré récemment au cours la présence d’un réel pool génétique pour
observer à une époque plus récente. Pen- de recherches dans les cavernes de cette cette race. Les chaînes de montagnes res-
dant la première période chaude post- région : parmi les pollens d’une forêt arc- tent toujours des barrières extrêmement
glaciaire, des essaims ont progressé vers tique (des pins), un petit nombre d’arbres efficaces pour les abeilles. Elles l’étaient
le nord et vers l’est, traversant toute à feuillage caduc comme le noisetier, le d’autant plus à cette époque où les gla-
l’Europe des Pyrénées à l’Oural et s’aven- chêne ou le hêtre se retrouvent de manière ciers perpétuels infranchissables étaient
turant plus loin vers le nord qu’aucune permanente depuis environ 16.000 ans. plus vastes et descendaient presque
autre race (fig. 1). Il est certain que pen- On a trouvé les mêmes espèces d’arbres jusque dans la mer.
dant la période des grands froids, aucune dans des traces de charbon de bois lais- Cela explique comment trois races dif-
abeille n’a pu survivre entre les Alpes, les sées par les hommes de l’époque (LAVILLE férentes ont pu se développer sur une
Carpates et l’immense glacier qui couvrait & RENAULT-MISKOVSKY, 1977). courte distance le long de la côte nord de
le nord de l’Europe. La bande de terres On explique mieux ce phénomène em- la Méditerranée occidentale : les A.m. ibe-
entre les deux était couverte d’une toun- barrassant en imaginant qu’il existait rica, mellifera et ligustica. Des études sur
dra sans arbres, balayée par de terribles des vallées bien orientées et abritées les abeilles de la Péninsule Ibérique et du
vents secs et glacés. La seule possibilité des vents parmi les plateaux et collines Maroc donnent des détails intéressants
de survie était à la côte méditerranéenne où le climat était encore glacial. Ces ni- sur les liens étroits entre les populations
et probablement, comme pour les hom- ches écologiques ont pu servir de refuge à d’abeilles ouest-européennes et nord-
mes, dans quelques régions du sud-ouest des populations d’abeilles isolées, ce qui africaines (CORNUET & FRESNAYE, 1989 ;
de la France. Les conditions climatiques pourrait expliquer que l’abeille indigène CORNUET et al., 1989).
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LA CONQUÊTE DU NORD
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L’APICULTURE DE FORÊT
EN EUROPE DE L’EST
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L’ABEILLE NOIRE À L’OUEST
ET AU SUD
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COLONISATION Parmi les diverses conquêtes de l’abeille Nous devons donc nous rendre compte
DE NOUVEAUX TERRITOIRES noire, il faut remarquer la terrible forêt que, vers 1860, toutes les zones tempé-
sibérienne. Elle l’a colonisée depuis la fin rées fraîches des deux hémisphères ont
La faculté d’envahir et d’établir des po- du 18e siècle et tout au long du 19e siècle. été exclusivement colonisées par une
pulations permanentes dans un secteur La seule exception est l’extrême est de la seule race, l’abeille noire.
non encore colonisé par cette espèce est Sibérie (Ussurie), où des abeilles ukrai- Les limites de l’adaptabilité de cette
un indicateur d’une disposition généti- niennes ont été importées par les colons race très souple se sont révélées dans
que particulière. L’abeille noire répond (ALPATOV, 1974). Actuellement, la moitié les régions subtropicales et tropicales
très bien à ce critère. En Europe, elle a du miel récolté en Russie est produite d’Amérique Centrale et du Sud. Là, c’est
permis de remonter les limites nord des dans cette région (BILASH, 1979). l’abeille ibérique qui a été importée. C’est
possibilités d’une apiculture économique Le nouvel environnement idéal pour la cousine de l’abeille noire, en principe
permanente d’environ 7°(800 km). l’abeille noire fut évidemment l’Amérique mieux adaptée à ces pays chauds. Mais
Comme nous l’avons dit plus haut, l’api- du Nord, semblable à celui de Bashkirie. quasi aucune colonie sauvage ne s’y est
culture a débuté en Norvège vers la fin À partir des abeilles importées sur la côte installée. Par contre, lorsque de vérita-
du 18e siècle et s’est étendue vers le nord est au début du 17e siècle, une formidable bles abeilles tropicales sont arrivées, les
jusqu’au cercle arctique dans toute la population sauvage s’est rapidement éta- abeilles dites « africanisées », originaires
Scandinavie. Un développement sembla- blie et étendue vers l’ouest, bien plus ra- d’Afrique du Sud, elles se sont fermement
ble a eu lieu en Finlande où des abeilles pidement que la colonisation humaine. La établies, éliminant toutes les colonies
furent introduites au cours du 18e siècle chasse au miel dans les colonies sauvages d’origine européenne. Ceci démontre as-
depuis la Suède et l’Estonie (KOIVULETO, logées dans les arbres devint un sport fa- sez clairement que l’abeille noire euro-
1974). vori (EDGELL, 1949). A certains endroits, péenne, de même que sa cousine ibéri-
Par conséquent, si on mentionne par- on a estimé que la population sauvage que, est une abeille de la zone tempérée
fois une abeille norvégienne ou finlan- était plus importante que les popula- fraîche, incapable de s’adapter aux tropi-
daise (Frère ADAM, 1983), il faut garder tions en ruches connues (TAYLOR, 1986). ques. En conclusion, on peut affirmer que
à l’esprit que ces abeilles noires ont une Alors que seules des colonies d’italiennes vers 1850, l’abeille noire s’était répandue
histoire très différente de l’abeille noire ou de carnioliennes ont été utilisées en dans un secteur plus grand et comprenant
de France ou des Iles Britanniques : on apiculture pendant plus de 100 ans (les une plus grande variété de conditions éco-
n’importa leurs ancêtres qu’il y a 200 ans raisons en seront expliquées plus tard), logiques que n’importe quelle autre sous-
à peine. Les populations d’abeilles des ALPATOV (1929) a pu trouver des colonies espèce d’Apis mellifera. Actuellement, la
Iles Britanniques du nord (Orkneys, Shet- noires pures, identifiées par des mesu- zone d’influence de l’abeille noire couvre
lands, max. 60,8°N) sont probablement res morphométriques, dans différentes le continent eurasien depuis les Pyrénées
aussi liées à des importations humaines. régions des Etats-Unis. Aujourd’hui en- jusqu’à la Sibérie Orientale. Elle a recou-
Dans ces zones atlantiques, le problème core, des gènes de l’abeille noire sont vert une partie appréciable de l’Amérique
majeur pour une apiculture pérenne n’est présents dans les populations sauvages du Nord, de l’est de l’Australie, de la Tas-
pas tant l’hivernage en milieu trop rude (SHEPPARD, 1988). manie et de la Nouvelle-Zélande
que la difficulté de réussir les vols nup- On observe une réussite similaire en Il est étonnant de constater son degré
tiaux au cours de ces étés frais extrême- Tasmanie où l’abeille noire fut importée d’adaptabilité dans les différentes parties
ment venteux et pluvieux. en 1835. Tant les abeilles de l’immense de ce territoire : en l’Europe de l’Ouest que
population sauvage des forêts d’euca- l’on peut considérer comme son berceau,
lyptus que les colonies d’abeilles noires cette race montre les caractères typiques
contrôlées dans la région centrale de d’une abeille atlantique, vivant dans un
Tarraleah ont gardé, pour la plupart climat tempéré sans valeurs extrêmes,
des caractères, les valeurs typiques de bien adaptée à une récolte tardive impor-
l’abeille anglaise. tante (bruyère). Dans la zone méditerra-
En Nouvelle-Zélande, Mary Anna Bumby néenne (Provence, Corse), la même race
arriva le 20 mars 1938, apportant avec montre le modèle bimodal caractéristique
elle une ruche d’abeilles de Thirsk, des autres races méditerranéennes : dimi-
Yorkshire (BIELBY, comm. pers.) ; elle nution de ponte en été et second pic en
reçut deux ruches supplémentaires d’Aus- automne (FRESNAYE et al, 1974). Cepen-
tralie. COTTON (1848, p.53) parle d’une dant, en Russie continentale et orientale
population sauvage prospère, le miel ainsi qu’en Amérique du Nord, l’abeille
étant récolté et vendu par les Maoris. noire s’est montrée capable de faire face
Un échantillon d’abeilles prélevé sur une à des conditions climatiques continenta-
colonie sauvage de l’Ile du Sud montre les extrêmes avec des hivers très froids et
les caractères typiques de A. m. mellifera des étés chauds.
(BIELBY, 1989).
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• Caractères comportementaux
L e s n o m s d e l’a b e i l l e n o i r e e n E u r o p e :
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Fig.4 Cadre
de couvain dont
les réserves de
nourriture sont
tout près du 3 échantillons : CI = 1,95; tomentum =
couvain, 0,41 mm). Il a un cheptel d’environ 2.000
le pollen étant colonies. En 40 ans, la récolte maxima-
d’ailleurs sous le pour une colonie a été de 350 livres
le couvain (± 175 kg), et la moyenne maximale par
(COOPER 1978). rucher est de 150 livres (± 75 kg). Depuis
quelque temps, les récoltes moyennes
sont nettement plus faibles. L’année 1975
a été bonne et les 1.300 colonies ont don-
né 57 tonnes de miel (± 44 kg par colonie)
(comm. pers.). Dans le sud de la Norvège,
Standard (WBC en Belgique) est de bonne couvain, un cadre soit pondu au-delà du aux environs de Flekkefjord (58°17’N,
dimension, alors que d’autres prétendent cadre de pollen, ce pollen étant consom- 6°39’E) dans un espace limité entre la mer
qu’un demi-corps doit être associé au mé ensuite suivant les besoins et rempla- et des roches granitiques, l’apiculture dé-
corps de couvain. De plus, la quantité de cé par du couvain (MILNER, comm. pers.). pend exclusivement de la floraison de la
couvain est toujours limitée par les gran- Il y a d’ailleurs, dans ce domaine, des va- bruyère. D’autres races que l’abeille noire
des quantités de pollen que cette abeille riations importantes selon les lignées et sont incapables de faire face à cet envi-
a l’habitude de stocker, même sous le sélections géographiques. ronnement qui ne procure que quelques
couvain, formant une bande continue de La bruyère est la plante nectarifère typi- faibles rentrées jusqu’au mois d’août. Le
pollen sur tout le pourtour, habitude qui que sur la côte atlantique européenne, de Frère ADAM rapporte explicitement que
ne se rencontre pas chez les autres races, Biarritz (48°28’N,1°33’W) à Trondheim les colonies du rucher de l’Abbaye n’ont
et la tendance à stocker le miel auprès du (63°25’N, 10°23’E) en passant par les récolté de la bruyère distante de 2 miles
nid à couvain (Fig.4). montagnes des Iles Britanniques. La miel- 1/4 (3,62 km) que tant qu’elles étaient
Cette disposition du couvain, une zone lée commence en juillet avec la bruyère peuplées d’abeilles noires.
compacte entourée de cercles denses cendrée («http://erick.dronnet.free.fr/ On traitera plus loin du problème de l’hi-
de pollen et de miel, apparaît comme belles_fleurs_de_france/erica_cinerea1. vernage avec du miel de bruyère.
l’idéal aux apiculteurs suisses qui appré- htm» Erica cineréa L.) et continue en Toutefois, ces considérations sur des ré-
cient l’abeille « nigra », appelée le type août avec la grosse récolte sur la bruyère gions de la côte atlantique ne nous don-
HUNGLEW. Avec ce type d’abeille, la sélec- callune («http://erick.dronnet.free.fr/bel- nent qu’un seul aspect des populations
tion s’oriente vers une production modé- les_fleurs_de_france/calluna_vulgaris. d’abeilles noires. Dans d’autres zones
rée de couvain. « Si une reine pond le ca- htm» Calluna vulgaris Hull.). Dans ces zo- d’occupation de la mellifera, les popula-
dre de couvain de latte à latte, je l’élimine nes, les fleurs sont souvent assez rares au tions locales montrent d’autres adapta-
immédiatement », me dit un jour Alois printemps et début de l’été, à peine assez tions environnementales de leur rythme
SCHWARZENBERGER, président de l’Asso- nombreuses pour permettre aux colonies du couvain. En France, seules les lignées
ciation des Apiculteurs Tyroliens. Avant de survivre. Seules des abeilles spécia- du Sud-Ouest, région landaise à bruyè-
que l’absolue nécessité du pollen pour lement adaptées sont capables de faire res, présentent ce type d’activité du cou-
l’élevage des larves soit connue, les face à une aussi courte période de miel- vain. Les lignées de la région parisienne
apiculteurs parlaient de « plaques de lée monoflorale (Fig.3b). « La première et environs, qui disposent d’une miellée
pollen », qui bloquent la ponte de la miellée convenable pour les apiculteurs de printemps, ont un rythme de couvain
reine. Pourtant les abeilles consomment du nord de la Grande-Bretagne n’arrive tout à fait différent, de type « central
parfois très rapidement ce pollen, ou el- jamais avant la mi-juillet. Leurs abeilles européen », comportant un pic printa-
les l’ôtent si nécessaire, manifestement, ne commencent jamais le couvain avant nier et un déclin dès le 15 juillet (Fig.3a)
l’abeille noire préfère cette disposition. la fin d’avril. De telles colonies ne sont (LOUVEAUX 1969). Dans la zone méditer-
Au printemps, il arrive que l’on observe commercialisées nulle part et ces apicul- ranéenne, la courbe du couvain a un pro-
un rayon complet de pollen juste contre teurs ont des difficultés à se fournir en fil nettement bimodal, avec une réduction
le dernier cadre de couvain. On pourrait abeilles ». Cette constatation du Schweize- marquée au cours de l’été chaud et sec
alors craindre une limitation de la ponte rische Bienenzeitung, 1940, p. 475 est de et un second pic en automne (Fig.3d). En
de la reine, mais lors d’une visite ulté- H.J. WADEY (Sussex). Les notes de Athole fait, on trouve en France tous les profils
rieure, on observe une zone de cellules KIRKWOOD, du Perthshire, Ecosse, sont de couvain possibles, en rapport avec les
vides ou fraîchement pondues. Le pollen intéressantes. Il n’a jamais tenté de conditions climatiques locales (LAVIE et
ne forme donc pas nécessairement un soustraire ses colonies « locales » aux in- FRESNAYE, 1973).
obstacle à l’extension du nid à couvain. Il fluences diverses des environs, mais une Chez A. m. mellifera, le type de rythme du
arrive aussi que, lors d’un printemps doux analyse récente montre qu’elles sont en couvain est lié aux conditions climatiques
permettant l’expansion rapide du nid à général de type autochtone (moyenne de locales, pas à la race.
Agressivité - Tempérament
Le comportement de l’abeille noire sur le
cadre est nerveux dans toute la zone de
distribution. Les abeilles ne restent ja-
mais tranquillement sur le couvain com-
me le font d’habitude les italiennes et les
carnoliennes. Elles désertent facilement
le centre du cadre pour se regrouper sur
les bords, particulièrement par tempéra-
tures fraîches (comportement très préjudi-
ciable au couvain qui, suite à une visite par
temps frais, subira les développements de
mycoses diverses. NdTr). Par temps chaud,
quand la colonie est ouverte, elles courent
et volent ça et là. Stimulées, elles aban-
donneraient facilement la ruche, compor- d’ailleurs servir de mesure de ce métissa- aux apiculteurs britanniques d’inclure des
tement qui fut utilisé par les apiculteurs ge (« incompatibilité de tem-pérament », produits de nettoyage dans l’ensemble de
traditionnels pour faire des essaims arti- COOPER). La réputation d’agressivité de leur équipement.
ficiels à partir des paniers. Cette manière l’abeille noire provient essentiellement,
de travailler permettait aussi de récolter selon notre expérience, de la présence Operculation du miel
le miel tout en gardant les abeilles, plutôt de métisses dans la plus grande partie de Les abeilles des Iles Britanniques et de
que la vieille méthode de destruction de son aire de distribution. Norvège sont réputées pour leur miel re-
l’essaim au-dessus des vapeurs de soufre. couvert d’opercules blanc nacré. On peut
Certaines lignées sont extrêmement irri- Usage de la propolis y voir des variations de couleur en fonc-
tées par la moindre fumée et on les a vues L’abeille noire est au deuxième rang seu- tion de la récolte, les opercules de prime-
se précipiter sur du miel operculé qu’el- lement derrière la caucasienne en ce qui vère ou de sainfoin, par exemple, mais la
les rongent, plutôt que de se servir aux concerne la quantité de propolis récoltée. spécificité des opercules de l’abeille noire
cellules ouvertes. Des lignées plus douces On la trouve à l’entrée, parfois accumu- est sa forme bombée, avec une mini-bulle
se montrent beaucoup plus calmes sur les lée pendant l’hiver, formant de vérita- d’air entre la cire et la surface du miel,
cadres, moins enclines à courir en tous bles rideaux, dans toutes les fissures et conformation qui empêche le « pleura-
sens si on les manipule sans ou avec peu entre les lattes des cadres adjacents.La ge » (mais qui est également bénéfique
de fumée (MILNER, DEWS). La tendance à quantité de propolis que l’on retrouve pour la conservation du miel car, grâce à
piquer est variable également : certaines dans les ruches représente une diffé- la glucose-oxydase qu’il contient, une pe-
colonies sont tout à fait dociles alors que rence essentielle entre l’abeille noire et tite quantité d’eau oxygénée est produite
d’autres attaquent avant même d’être les autres races européennes importantes et stérilise la cellule après l’operculation.
dérangées. Le comportement défensif (italiennes et carnoliennes). Dans le sud NdTr). Comme, sur le continent, les oper-
des colonies non métissées varie depuis de la France, nous avons vu utiliser une cules de l’abeille noire sont plus foncés
la colonie docile jusqu’à la colonie as- bouteille d’alcool pour décaper les doigts et généralement plus « mouillés », on ne
sez agressive. Mais la tendance à piquer après chaque visite, cette bouteille cons- peut pas considérer ce caractère comme
augmente fortement chez les métisses. tituant l’un des outils essentiels de la pa- typique à cette race.
L’augmentation de cette agressivité peut noplie de l’apiculteur. On conseille aussi
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Maladies l’abeille noire. La cause principale de vais temps (économie) et l’usage intensif
La sensibilité de l’abeille noire des Iles l’incidence plus élevée des teignes chez de la propolis (protection mécanique et
Britanniques à l’acariose est un fréquent l’abeille noire est sans aucun doute son biochimique). De fait, cette abeille est
sujet de controverse. Selon le Frère ADAM, comportement hygiénique peu déve- établie tout le long de la frontière nord
c’est elle qui a exterminé toute la popula- loppé. Les plateaux de ruches, d’habitude de survie de l’espèce, la « zone de com-
tion de cette race dans les années 1916- parfaitement propres chez la carnica ou bat » pour la survie, au-delà de laquelle
1925. C. BUTLER (1954) estime que 90 % la ligustica, sont souvent, dans les ruches la pérennité n’est pas garantie. Les offres
des colonies ont péri au cours de cette d’abeilles noires, couverts de particules abondantes de nectar lors des longues
période, et A.M. STURGES (1928) donne de cire et autres déchets, aliment idéal journées d’été sont plus que compensées
des chiffres semblables. Ces auteurs ainsi pour les teignes. Mais ce caractère est par les longs hivers mortels et le manque
que d’autres ont fait leurs observations également variable, car certaines lignées de sites d’enruchement convenables pour
principalement dans le sud où les impor- sont de bonnes nettoyeuses (MILNER, les aventurières du Grand nord. Au niveau
tations avaient été les plus importantes. comm. pers.). de cette limite, des saisons plus rudes se
Aucune étude statistique valable n’est produisent à intervalles irréguliers et cau-
cependant disponible pour étayer cette Les métisses sent alors de lourdes pertes, favorables à
controverse. Malgré des importations Les croisements de l’abeille noire avec les la sélection, mais aussi de cruels reculs.
massives, on trouve en Angleterre du autres races, spécialement la carnica, sont Dans le sud, modéré ou chaud, où l’hi-
Nord, en Ecosse et au Pays de Galles des parmi les plus prolifiques que j’aie jamais vernage n’est pas le principal problème,
colonies indigènes ou « quasi indigènes » rencontrés. Les F1 se développent rapi- la stratégie pour éviter l’extinction est
(B. COOPER, 1987; J. DEWS, 1987; données dement en colonies puissantes au prin- la reproduction abondante lors d’années
morphométriques de cette publication). temps, elles sont saines, hivernent très favorables. Dans le nord, c’est l’économie
Le Frère ADAM et STURGES ont dit fréquem- bien et leurs productions de miel sont, qui s’est évidemment avérée la stratégie
ment que les colonies italiennes et métis- la plupart du temps, nettement supérieu- la plus efficace pour pallier le manque de
ses ont moins souffert que les colonies res à celles de chacun des deux parents. nourriture, le risque d’abeilles à vie cour-
noires. Mais il faut noter que l’on n’a pas L’inconvénient majeur de ces métisses, te (longs hivers) et le départ hâtif du cou-
observé de telle catastrophe sur la partie obstacle radical à leur usage apicole (en vain (retour du froid). Décrivant ainsi les
« abeille noire » du continent européen. Il régions densément peuplées) est leur traits comportementaux de l’abeille noire
semble donc plausible qu’une coïncidence terrible agressivité, contraste surprenant en relation avec l’apiculture, nous devons
de plusieurs facteurs ait été responsable avec les deux parents. toujours avoir à l’esprit que, bien que cet-
de ces pertes dramatiques au cours de ces te abeille ait été choisie sans interruption
années (suggérée par BAILY en 1981). Il CARACTÉRISATION GÉNÉRALE par la Nature, elle n’a jamais fait l’objet
est possible que la parcimonie du couvain DU COMPORTEMENT d’une sélection continue par des spécia-
liée à la longévité de l’abeille noire soit DE L’ABEILLE NOIRE listes, à la différence d’autres races uti-
un de ces facteurs. Car il est bien connu lisées en apiculture moderne comme les
des pathologistes apicoles que les dégâts On pourrait résumer la plupart des carac- italiennes, les carnioliennes ou les Buck-
de l’acariose peuvent être déjoués par un tères décrits ci-dessus en une « extrême fast, race créée et améliorée par le Frère
remplacement rapide de la population - prudence économique comme stratégie ADAM. On l’a décrite simplement comme
couvain abondant et durée de vie courte. face à un environnement rigoureux ». une abeille trouvée dans la campagne,
Il n’est cependant pas probable qu’une La plupart de ces caractères vont dans l’abeille locale, habituellement aux mains
population entière ait été éliminée com- la même direction, tels le lent dévelop- de simples apiculteurs isolés.
plètement par un parasite. Actuellement, pement printanier (printemps nordique L’abeille noire est sûrement une race dont
on doit admettre que, dans le nord en incertain), la modération du couvain on a négligé la sélection rationnelle et
tout cas, l’abeille indigène ou presque toute l’année (économie de nourriture), le développement de ses conditions op-
pure est moins susceptible aux domma- la longévité des ouvrières (compensation timales d’utilisation. Toute comparaison
ges des acariens que les étrangères ou les du point précédent), le modèle compact devrait tenir compte de ces différences de
métisses (MÖBUS, comm. pers.). du nid et des provisions (économie et ga- niveaux vis-à-vis de l’apiculture.
Le « désintérêt envers la fausse tei- rantie hivernale), la rapide modification
gne » est un autre défaut attribué à de l’étendue du couvain en cas de mau-
13
• Caractères morphologiques de lʼabeille noire
Au 19e siècle, la situation était très sim-
ple pour les spécialistes apicoles : on
pouvait, sans risquer de se tromper, con-
sidérer qu’une abeille noire ou foncée,
quelle qu’elle soit, était de la race noire
européenne Apis mellifera mellifera. Son
nom l’indiquait : abeille brun-noir ou
abeille commune, zwarte bij en Hollan-
de, abeille sombre (dark bee) en Angle-
terre, abeille noire en France, Belgique,
Allemagne, nigra en Suisse. Même dans
une région toute différente, en Sicile
par exemple, on a décrit sans hésitation
une abeille noire appartenant à cette
race nordique. D’autre part, à cette épo-
que, toute marque jaune sur l’abdomen
constituait une preuve de métissage. A
tort, les apiculteurs se basent encore
aujourd’hui sur la couleur pour classer
les abeilles.
Ensuite, on a commencé à importer, sur- Photographie typique d’une abeille noire : le corps foncé, costaud, le tomentum étroit.
tout dans l’ouest et le centre de l’Europe, Photo : H. Guerriat
non seulement des reines italiennes (de
plusieurs régions) mais aussi des reines Le scientifique allemand G. GOETZE (1899- 2,0. Chez les carnioliennes et les italien-
des deux autres races foncées de la zone 1964) a décrit en détail les caractères ty- nes par contre, la moyenne des CI d’une
tempérée, la carniolienne et la cauca- piques permettant de reconnaître « A. m. colonie est supérieure à 2,4.
sienne. Dès ce moment, les métisses sont mellifera » parmi toutes les autres races :
devenues beaucoup plus communes, • La longueur de la pilosité : ce sont les
mais ces nouvelles métisses étaient tou- • L’indice cubital (CI), qui se mesure sur poils de la toison sur le 5e tergite abdomi-
tes sombres et quasi indétectables par la les veines de l’aile antérieure des ouvriè- nal, qui est aussi la 3e zone velue appelée
couleur malgré leur évidente irritabilité res. Cet indice (nombre sans dimension) 3e tomentum. On la mesure en observant
et leur agressivité, habituelles dans les est le rapport entre la longueur du seg- l’abdomen de profil. Chez l’abeille noire,
croisements de la noire avec une autre ment de veine a) et celle du segment la longueur de cette pilosité dépasse
race. b) : CI = a/b, voir Fig.6. Chez l’abeille 0,40 mm, alors qu’elle est inférieure à
Il est devenu indispensable de trouver noire, a) étant assez court tandis que b) 0,35 mm chez la carnica et encore plus
d’autres caractéristiques qui permet- est long, l’indice cubital est donc relati- courte chez l’italienne.
traient de reconnaître l’abeille noire à vement faible, généralement inférieur à
coup sûr.
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Di
DS
Fig.7a. Exemple d’écart discoïdal négatif, typique de l’abeille noire :
le point Di se trouve du côté de l’attache de l’aile.
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CRITÈRES MORPHOMÉTRIQUES
DETERMINANTS
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moyenne minimum maximum écart-type
Mais quelles preuves a-t-on que ces caractères sont Pilosité (mm) 0,438 0,401 0,505 0,030
bien ceux de l’abeille originale du nord de l’Eu- Indice cubital 1,721 1,557 1,900 0,098
rope ? Ecart discoïdal –2,398 –4,400 0,000 1,280
mm –9,0 mm +3,0 mm
Depuis au moins cent ans, l’abeille noire a été (extrêmes individuels)
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3. Les « abeilles d’Oslo ». On a trouvé des dizaines servé trois exemples d’ailes aussi longues que cel- Les découvertes d’Oslo ont un intérêt particulier
de milliers d’abeilles dans les couches de la Phase les de Norvège et même, dans l’ouest de l’Irlande, à plusieurs titres :
9a/c (datée de 1175 à 1225, donc vers l’an 1200) une longueur de 9,71 mm. La valeur de la largeur a. On ne mentionne aucune abeille en Norvège
du chantier de fouilles de Gamlebyen au centre de l’aile avant n’est pas très bien représentée avant le 18e siècle, mais y a quelques traces d’api-
de la vieille ville d’Oslo, qui avait complètement dans nos échantillons de fouilles car la plupart culture au haut Moyen-age. Il est maintenant
brûlé en 1624 (incendie pendant 3 jours). Les des ailes étaient abîmées sur leur bord postérieur prouvé que l’abeille existait bien en Norvège à
abeilles étaient mélangées à de la terre accumu- et nous n’avons pu en mesurer que huit en tout. cette époque.
lée à la sortie d’un drain. Mais aux deux endroits, cette largeur était éga- b. Dans les fouilles de Gamlebyen, on a trouvé un
Les abeilles trouvées à York et à Oslo correspon- lement faible. A. m. mellifera a en général une grand nombre de restes de plantes et de grains de
dent parfaitement aux A. m. mellifera actuelles, y tendance aux ailes étroites, et nous avons trouvé pollen qui ont pu être identifiés. La flore cultivée
compris la pure abeille indigène britannique ac- deux autres exemples d’abeilles actuelles de cette et sauvage de cette époque, pommier, merisier,
tuelle. Les différences dans les angles des veines race dont les ailes avaient moins de 3,0 mm de noisetier, céréales, lin, houblon, etc., indique un
alaires sont indépendantes des adaptations éco- large. climat plutôt doux et des conditions favorables à
logiques. Les moyennes des onze angles mesurés la survie de colonies d’abeilles sauvages. On peut
sur les échantillons vikings d’York et d’Oslo s’in- dès lors en conclure qu’une population d’abeilles
sèrent dans l’écart type des moyennes globales sauvages a pu se développer en Norvège à cette
de la race (Fig.10). En ce qui concerne la taille époque, comme en Suède ou dans les pays baltes.
des ailes, elles sont très longues et étroites com- Mais elles ont péri plus tard quand le climat s’est
parées aux moyennes de l’abeille noire : en fait, détérioré. Les abeilles d’Oslo datant du 12e siècle
ces abeilles ont les plus longues ailes observées viennent documenter ce postulat des fluctuations
jusqu’ici chez Apis mellifera. Mais nous avons ob- de la frontière septentrionale de A. m. mellifera
que nous avions énoncée sur base de raisons éco-
logiques.
Lieu Aile avant (mm) Indice cubital Angles des veines alaires (°) (voir Fig.10)
Caractère Long. Largeur C.I. A4 B D7 E9 G18 I10
Table 4. Caractéristiques de l’aile avant d’abeilles trouvées dans des dépôts archéologiques à York (a) et à Oslo (b) comparées
aux valeurs des 12 échantillons d’abeilles noires récents (c) (abeilles de pays du Nord-Ouest européen). n = nombre de spéci-
mens; x = moyennes; sd = standard deviation = écart-type; dimensions de l’aile en mm.
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• Variabilité géographique dans les populations dʼabeille noire
Il n’est pas surprenant de trouver des Pour tenter de détecter des différences On le voit bien sur la Fig. 9 : il est dif-
variations morphologiques entre les po- mesurables entre ces abeilles et d’autres ficile de déterminer un modèle de distri-
pulations d’abeilles de pays aussi diffé- populations locales, on a réalisé une ana- bution clair et net. Les zones de Grande-
rents que la France, la Grande-Bretagne lyse multivariante avec les 34 caractères Bretagne, de France, de Norvège et de
et l’Irlande, la Scandinavie et la Russie mesurés sur les 45 colonies échantillons. Bashkirie se recouvrent en grande partie
centrale. Cette aire de distribution est Si, dans le diagramme de tous les points et les deux échantillons irlandais sont sur
tellement gigantesque que les scientifi- résultant de cette analyse, chaque en- la surface, mais très nettement séparés
ques ont donné à une même abeille des semble des points d’une région forme une l’un de l’autre. En conclusion, aucune
noms différents selon la région : grappe distincte, bien séparée, chacune variation morphologique notable ne s’est
1. abeille noire, sombre, brune ou com- correspondant à la population de cette produite chez l’abeille noire au cours de
mune pour l’abeille anglaise, françai- région (par exemple la Grande-Bretagne, l’expansion post-glaciaire de ces vingt
se, hollandaise ou allemande. la Norvège ou la Bashkirie...), c’est qu’il derniers millénaires. Malgré les différen-
2. abeille de bruyère dans le nord-ouest est possible de distinguer morphométri- ces climatiques, la race a traversé toute
de l’Allemagne et aux Pays-Bas, bap- quement les populations respectives de l’Europe en gardant son homogénéité
tisée A. m. lehzeni par von BUTTEL- ces régions. Si, au contraire, les différen- dans la région tout entière. Cela s’expli-
REEPEN en 1906. Ce terme fut appliqué tes grappes se recouvrent l’une l’autre, que par la relative rapidité de cette expan-
plus tard par GOETZE (1964) à l’abeille c’est qu’il n’existe aucune différenciation sion. À plus forte raison, les colonisations
scandinave et par BUTLER (1954) à « morphologique » liée à la zone géogra- beaucoup plus récentes de Tasmanie et de
l’abeille britannique. Cette variété est phique (ce qui n’exclut pas des différen- Nouvelle-Zélande montrent une popula-
décrite comme très grande, très noire ces sur les autres caractères des abeilles tion dont les caractères sont exactement
et extrêmement essaimeuse. On rap- noires de ces différentes régions. NdTr.). ceux de l’abeille noire originale.
porte qu’avec une seule colonie de ces
abeilles de bruyère, ayant plusieurs Fig. 9. Analyse
essaims secondaires et les essaims statistique des �����
ayant eux-mêmes des essaims primaire 45 colonies
et secondaires, on a obtenu des taux échantillons
de reproduction de 1:12 jusqu’à 1:14. d’abeille noire
3. l’abeille de forêt de Russie centrale, provenant de
A. m. silvarum (ALPATOV, 1935), la diverses régions
plus orientale des variétés de l’abeille décrites précé-
noire. demment, faite
4. la nigra, A. m. nigra, une lignée sé- en parallèle avec ����������
lectionnée en Suisse. Elle possède 10 échantillons ��������
un corps vraiment très noir, mais les de l’abeille
�
autres caractères sont intermédiaires ibérique et 6
(CI et pilosité), probablement suite échantillons de
aux métissages qui ont précédé cette l’abeille marocai- �
sélection. ne. Les abeilles
Au Tyrol, la fédération locale d’apiculture noires mellifera
a préservé et réussi à maintenir une véri- se retrouvent �
table lignée indigène de l’abeille noire (la toutes en grappe �
Braunelle : braun = brun en allemand). compacte, sché-
matisée par un
parallélogramme
bien distinct des deux autres races voisines. ������
Cependant, le recouvrement de certaines aires
sur le parallélogramme ne permet pas de diffé- ���������
rencier clairement les populations locales. �������
Les colonies uniques sont symbolisées par des
lettres (D : Danemark, E : Irlande, T : Tyrol). �����������������
������������
�����������
20 ���������
Région Latitude n Tergites Longueur Longueur Proboscis
3+4 aile avant patte arrière (langue)
Table 5. Comparaison de la taille (mm) de différents éléments corporels pour quelques lignées
différentes de l’abeille noire. Les françaises sont plus petites mais possèdent la plus longue langue.
« n » est le nombre de colonies échantillons.
Si l’on compare les caractères individuels, groupe de l’INRA à Montfavet (CORNUET, LE DÉCLIN DE L’ABEILLE NOIRE
en gros, la situation est très semblable. FRESNAYE, LAVIE, TASSENCOURT et al.,
Mais en ce qui concerne la taille, il y a une 1975, 1978, 1982), on peut distinguer L’abeille noire était au summum de son
nette différence entre les échantillons de morphométriquement plusieurs popu- extension vers 1850. Les deux facteurs
l’abeille noire française (4 colonies) dont lations locales : celles de la Région pa- qui ont profondément modifié la pratique
les abeilles sont plus petites et l’ensem- risienne, de Bretagne, des Landes, des apicole ont aussi provoqué le déclin pro-
ble des autres régions où les abeilles sont Cévennes, de Provence, autant de régions gressif de l’abeille noire.
plus grandes mais avec une langue (pro- aux différences légères mais statistique- 1. L’invention du cadre mobile a rendu
boscis) plus courte (voir Table 5). Cette ment significatives. Ces constatations possible et quasiment illimitée la mani-
différence de taille était déjà décrite sont très intéressantes car elles révèlent pulation à l’intérieur de la colonie. Dans
par ALPATOV (1929) lorsqu’il étudiait les d’importantes différences comporte- le panier ou le tronc traditionnel, la co-
populations d’abeilles de Russie. Évi- mentales (voir la section « Rythme du lonie demeurait presque intacte. L’une
demment, l’abeille noire française, mal- couvain »). La France étant le refuge pré- des techniques utilisées était le transfert
heureusement trop peu représentée dans sumé de l’abeille noire au cours de l’aire des abeilles. Le comportement nerveux
notre collection, se situe à un endroit glaciaire, sa population est donc la plus (course en tout sens et envol spontané)
privilégié dans la zone de A. m. mellifera. ancienne de tout le nord du continent, ce de l’abeille noire et sa propension à quit-
Comme l’ont montré les recherches du qui explique cette diversification. ter les cadres et même la ruche en cas de
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dérangement s’accommodait bien de ces Ce phénomène a été le plus marqué aux populations de cette race, peu ou pas mé-
pratiques. Ce même comportement est Etats-Unis, en Australie, en Europe cen- tissées. Peu d’apiculteurs s’investissent
cependant tout à fait malvenu lorsqu’on trale (Allemagne). Aux USA, les effets néanmoins pour la sélectionner et l’adap-
doit visiter une colonie sur cadres mobi- du métissage avec l’abeille noire restent ter aux méthodes d’apiculture actuelles.
les. encore sensibles, par une plus grande ir- Au moment de la sortie de l’article de
2. Une profonde modification de l’agricul- ritabilité de leurs lignées dites « italien- RUTTNER et al. (1990), on ne connaissait
ture a commencé presque simultanément nes » comparées aux pures ligustica, mal- que deux adresses pour obtenir des reines
et n’a pas cessé de s’amplifier jusqu’à gré le grand nombre d’apiculteurs pro- pures de A. m. mellifera. Actuellement,
présent. Les récoltes tardives comme le fessionnels et le réapprovisionnement une vingtaine de groupements ou entre-
sarrasin, les adventices des champs et assuré par un petit nombre d’éleveurs. prises en proposent.
des fossés ont peu à peu disparu, le trè- L’influence de l’abeille noire est proba- Une liste des principaux éleveurs de toute
fle blanc des pâtures lui-même n’est plus blement beaucoup plus prononcée dans l’Europe est publiée sur le site allemand
qu’un souvenir. Les zones à bruyères ont la population sauvage. www.apis-mellifera-mellifera.de.
été fortement dégradées par le manque Aucun pays de la zone d’origine de l’abeille Dans les îles Britanniques, un certain
de pâturage par les troupeaux qui entre- noire n’est resté à l’abri de fortes impor- nombre de groupes affiliés à la BIBBA tra-
tenaient leur structure peu arborée et tations de l’étranger, au point qu’il est vaillent chacun dans leur région. Ils ont
assuraient les semis réguliers. En de très difficile de déterminer à l’heure actuelle retrouvé, multiplié et amélioré par sélec-
nombreux endroits, ces landes ont dis- si la population locale représente l’abeille tion des survivantes de l’abeille autoch-
paru pour faire progressivement place à noire native ou une descendante métissée tone britannique. On a observé des varia-
de la forêt mono-espèce. Mais on pourrait plus ou moins transformée. Pour parler de tions régionales, avec des caractéristiques
aussi parler de la disparition du cheval et ces lignées locales plus ou moins métis- comportementales différentes, notam-
de sa nourriture favorite, le sainfoin. Les sées, B. COOPER (1987) utilise le terme ment une propension à l’essaimage dans
récoltes principales de nectar sont deve- de « quasi indigène ». Cependant, des les zones à bruyères. On a donc encouragé
nues printanières ou du début de l’été. résultats convergents d’études biomé- l’élevage des lignées locales et les achats
Les zones de cultures intensives devien- triques dans plusieurs régions indiquent extérieurs ne sont recommandés qu’au
nent des déserts apicoles, forçant les api- que l’abeille noire native existe encore départ de zones présentant des condi-
culteurs à transhumer vers la forêt classi- (COOPER : en Angleterre; LAVIE, CORNUET tions environnementales semblables.
que proche où la végétation normale s’est et al. : en France; BORNUS : en Pologne;
maintenue. Seules les colonies fortes se ALPATOV, MISSIS, SCHAKIROV : en Russie; La chance de trouver de telles lignées
développant rapidement ont une chance RUTTNER : dans plusieurs pays). est beaucoup plus élevée dans le nord
d’avoir de bons rendements dans ces con- Il est étonnant que l’abeille noire soit et l’ouest des îles Britanniques que dans
ditions. Nourrir est devenu une nécessité, aussi homogène d’un bout à l’autre de le sud.
non seulement pour l’hivernage des for- son territoire, dans des régions aussi Avant chaque début de programme d’éle-
tes populations, mais souvent aussi pour distantes que la Bretagne et la Bashkirie vage et de sélection, il est important,
maintenir le couvain entre les miellées. (4.000 km) (voir Fig. 1, dans la première pour éviter toute perte de temps et de
Ces techniques de gestion ont exigé la partie). Ce n’est qu’en France que l’on a travail et de pénibles déceptions, de faire
mise au point d’une abeille différente pu distinguer un certain nombre de popu- une mesure des deux caractères des vei-
de la race mellifera, plutôt branchée sur lations locales (LOUVEAUX, 1969; LAVIE & nes de l’aile et de la longueur de la pi-
un art de l’autosuffisance. Ces dernières FRESNAYE, 1972; CORNUET et al., 1975). losité sur des échantillons d’au moins 20
années cependant, le colza est devenu Ces résultats différents pourraient s’ex- abeilles prises dans les colonies que l’on
la seule récolte de certains secteurs et pliquer par la différence d’âge des popu- destine à l’élevage. Comme nous l’avons
l’abeille noire indigène s’est développée lations : on peut admettre que la France, déjà signalé, la BIBBA organise régu-
suffisamment pour donner des récoltes dont le sud fut le refuge de l’ère glaciaire, lièrement des classes de formation à la
très satisfaisantes. fut aussi la première à être colonisée pratique de la morphométrie de l’abeille.
On peut donc dire que, pendant plus de progressivement dans certaines zones Renseignements : www.bibba.com
cent ans, les circonstances n’ont pas été protégées, alors que les populations de
favorables à l’abeille noire. Ce n’est pour- mellifera des zones périphériques sont
tant pas par hasard si le Rév. Johannes comparativement plus récentes. L’expan- L’abeille noire possède un certain
DZIERZON, qui fut le premier à utiliser sion générale date probablement de la nombre de caractères qui valent
le cadre mobile en Europe centrale, fut première période chaude post-glaciaire la peine d’être conservés.
aussi le premier importateur de reines Atlanticum, il y a environ 10.000 ans. Les connaissances et les méthodes
italiennes dans la zone de l’abeille noire d’élevage actuelles faciliteront
(1852). Un certain désintérêt les efforts de ceux qui tentent
Peu après commencèrent les importations Une autre réalité ressort à l’évidence de de renouer avec cette abeille
en masse d’italiennes, de carnioliennes, cette vue d’ensemble : il est certain que trop longtemps négligée.
de chypriotes et d’autres races vers les l’abeille noire est reléguée et presque
pays européens et vers les USA. Les mé- partout négligée par le monde apicole,
tissages qui s’ensuivirent, particulière- mais il est exagéré de clamer qu’elle
ment agressifs, ont conduit à remplacer n’existe plus sous sa forme pure. Il existe
parfois complètement l’abeille locale. encore dans de nombreux pays de vastes
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CONCLUSIONS
Ouvrage original : The Dark European Honey Bee BIBBA, 1990, 52 p. - ISBN 0-905369-08-4
Avec leur autorisation.
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Pour en savoir plus..,
nous vous invitons à venir découvrir notre site web :
www.cari.be
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