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Claude Cahen

Un document concernant les Melkites et les Latins d'Antioche au


temps des Croisades
In: Revue des études byzantines, tome 29, 1971. pp. 285-292.

Résumé
REB 29 (1971)Francep. 285-292.
C. Cahen, Un document concernant les Melkites et les Latins d'Antioche au temps des Croisades. — Parmi les diplômes arabes
de Sicile édités par Cusa se trouve un acte concernant une église Notre-Dame à Antioche. Ce contrat daté de 1213 est passé
entre un diacre latin du sanctuaire de Saint-Pierre et un prêtre kyr Marî, par devant le frère prieur Bâyân ; il est contresigné par
les interprètes qui semblent être des Grecs. Ce document, traduit et commenté, donne le peu de renseignements que l'on ait sur
les biens de Notre-Dame de Getsemani à Antioche : par contrat de donation, un bien latin passe au clergé grec.

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Cahen Claude. Un document concernant les Melkites et les Latins d'Antioche au temps des Croisades. In: Revue des études
byzantines, tome 29, 1971. pp. 285-292.

doi : 10.3406/rebyz.1971.1446

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1971_num_29_1_1446
UN DOCUMENT CONCERNANT LES MELKITES
ET LES LATINS D'ANTIOCHE
AU TEMPS DES CROISADES

Claude CAHEN

Au milieu des actes arabes de Sicile publiés au siècle dernier par S. Cusa1
s'en trouve un2 que l'éditeur ne paraît pas avoir distingué des autres3 et
qui pourtant mérite de l'être, puisqu'il provient non pas de Sicile, mais de la
Principauté franque d'Antioche. La présence d'un tel document dans des
archives siciliennes ne surprendrait que ceux qui ignoreraient combien dé
maisons religieuses de l'Orient Latin avaient en Sicile des maisons-sœurs,
où parfois tout ou partie de leurs archives, lors de la reconquête islamique
en Syrie, devaient pouvoir être rapatriées et ont été retrouvées de nos jours4.
Mais le fait qu'en ce cas le document ait été un acte isolé échoué au milieu
d'un fonds différent a détourné de lui l'attention de ceux qu'il aurait dû
intéresser. Dans ma Thèse sur La Syrie du Nord à V époque des Croisades et
la Principauté Franque d'Antioche (Paris 1940), il est donc resté inutilisé,
comme il l'est resté aussi dans l'étude spécialement consacrée par St. Run-
ciman à la grécité d'Antioche au temps des Croisades5. Nous avions certes
des circonstances atténuantes, mais l'acte est assez important, et regrettable
par conséquent la lacune. Bien qu'un peu éloigné maintenant de cet ordre
de recherche, je crois donc bien faire d'en parler ci-après.

1. Salv. Cusa, / diplomi greci ed arabi di Sicilia, Π, 4, Palerme 1868.


2. II, p. 645-649.
3. Il en a été donné d'un point de vue lexicographique sicilien (!) et sans caractéri-
sation historique meilleure une traduction italienne par Trovato dans F. G. Arezzo,
Sicilia. Miscellanea di studi..., Palerme 1950, p. 77 sq. J'ai dû cette référence, il y a long
temps, à Jean Richard.
4. Le plus important exemple est celui de Notre-Dame de Josaphat.
5. Actes du 9e Congrès d'Etudes Byzantines, Salonique 1953.
286 C. CAHEN

L'édition de Cusa, bien qu'elle puisse peut-être, si Ton disposait du manusc


rit, être améliorée sur un ou deux détails, fournit un texte certainement
suffisant pour l'utilisation que nous avons à en faire. Je ne compliquerai
donc pas la tâche de cette Revue en reproduisant le texte arabe, dont je
donnerai simplement la traduction, seule accessible à la plupart de ceux que
le document a des chances d'intéresser.

Voici donc ma traduction :


Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Je dis, moi diacre du sanctua
ire sacré de St-Pierre, Jean, que, lorsque le prieur à Notre-Dame de Getse
mani était Arnaud, il me donna l'église ruinée dite de la Shaboûba (la
Vierge) avec toutes ses dépendances en terre et autres choses, et il en fit un
diplôme latin. Le lieu resta entre mes mains jusqu'à l'heure présente. Mais
j'étais toujours endetté en raison de la ruine du lieu qui était une église.
Alors... un prêtre bien vu de Dieu Kyr (?) Marî (?) fils d'Ibriqîlî (?), et lui
demandai de prendre possession du lieu et de rebâtir l'église, ce à quoi je
l'aiderais pour ma part afin qu'on y mentionnât pour l'avenir mon nom et
celui de mes deux enfants. Mais il n'accepta que s'il le recevait en pleine
propriété perpétuelle aux mêmes conditions où je l'avais eu, et l'affaire en
resta là parce que je ne trouvai personne d'autre qui voulût l'occuper en
raison de sa ruine et de son délabrement.
Là-dessus j'appris que le noble prieur Frère Bâyân à Sainte-Marie Latine
avait occupé les biens de Notre-Dame de Getsemani à Antioche, porteur
d'un ordre du Prieur Frère Adam à Notre-Dame de Getsemani et de tous
les frères du couvent susdit, stipulant que tout ce qu'il ferait pour les affaires
du couvent aurait valeur définitive. J'allai donc le trouver et lui fis connaître
la situation ; il vint au lieu-dit, le trouva en ruines, et vit qu'il n'en pouvait
résulter pour le couvent aucun profit petit ni grand ; je fis alors venir le
prêtre susdit et lui remis le diplôme latin qui était en ma possession, et le
prieur susdit lui enregistra le lieu par l'entremise du maître juge du sanctu
aire sacré de Saint-Pierre Sire Simon, Dieu lui prolonge sa protection, st
ipulant que le bien serait désormais sa propriété perpétuelle à lui et à ses
héritiers et qu'il en reviendrait annuellement au couvent susdit un montant
de 2 1/2 dinars dont 1 comptant chaque année au mois d'août, après exempt
ion du dîmoûs (impôt) pendant deux ans à partir de l'année présente, à savoir
la première année en date et la seconde, afin que cela aidât le bénéficiaire à la
reconstruction du sanctuaire susdit, le début du versement au droit du
couvent de N.-D. de Getsemani étant au mois d'août de la troisième année.
Il était fait une obligation au prêtre de reconstruire l'église, de commencer
tout de suite, et de se charger de son service, de sa restauration, et de son
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dîmoûs annuel... précisée, et toujours responsable de son dîmoûs. Et ni le


couvent ni moi Bâyân le prieur susdit ni aucun de mes successeurs à l'admi
nistration de N.-D. de Getsemani ne t'imposerons à toi prêtre susdit ni à
tes remplaçants aucun droit nouveau ni aucune augmentation d'un seul
dirham ni équivalent ; désormais tu as et tes remplaçants auront la pleine
disposition de ce lieu de telle sorte que tous les enregistrés-chargés de
dîmoûs gèrent leur dîmoûs perpétuel et continu avec pleine maîtrise et
autorité efficace, qu'il prospère et grandisse pour tes droits et tes besoins
comme tu le veux et le choisis, sans aucun obstacle d'aucun genre qui sur
vienne pour toi ni pour tes remplaçants. Si tu tardes à verser le dîmoûs à
l'heure dite et qu'il s'écoule un an, quelle que soit l'année, et qu'on entre
dans l'an suivant de quinze jours, le couvent susdit pourra saisir le lieu et en
percevoir le dîmoûs tout entier, après quoi le lieu te reviendra. Si jamais un
présomptueux (Dieu nous en garde) détruit cet écrit, qu'il t'en veuille pour
ce lieu à toi, à tes remplaçants ou à quiconque aura reçu livraison de cet
écrit, il incombera au couvent sacré de faire opposition, de le repousser ou
de te défendre, toi ou tes remplaçants, pièce en mains, en justice, et d'assurer
le lieu entre tes mains ou celles de tes remplaçants, sans inconvénient ni
redevance.
Ce lieu est limité des quatre côtés comme suit : à l'est par la rue qui l'avoi-
sine ; à l'ouest, la place et la ruine sous... le couvent ; au sud les maisons
et le jardin de Yânî al-Kâmîdârî et le jardin de Yârî fils de Mardalâ ; au
nord enfin la rue aussi et la terre de Sire (?)... aujourd'hui aux mains de son
héritier le nomîkoûs Românoûs ; c'est de ce dernier côté qu'ouvre la porte
pour entrer et sortir sur la rue bordiere en ce lieu.
En foi de quoi il t'a été écrit ce document pour être à toi exclusivement
après qu'il m'eût été lu à moi le prieur Bâyân et à moi le diacre Jean, qu'il
eût été traduit et que nous l'eussions compris et eussions mis nos croix de
nos piopres mains en son sommet, et que nous eussions demandé des t
émoins. Et moi, le prieur Bâyân je l'ai confirmé de mon sceau de cire à son
extrémité. Ecrit dans la dernière dizaine du mois de âdâr (mars) de l'an
courant du monde 6721 (1213). En Dieu le secours.

Lieu du sceau :
Dans l'original susdit en lettres latines en haut et à la fin témoignage
d'al-Nûmîloûs. Ecrit par le prêtre (?)...
Moi Stéphane fils de... le latin ai confronté ce document avec l'original
et l'ai trouvé conforme en texte et en sens, sans addition ni retranchement,
en foi de quoi j'ai signé.
Moi le prêtre Georges fils du prêtre Grégoire ai confronté, etc.
288 C. CAHEN

Moi Grégoire (?)... fils de ... fils de ... ai confronté ce document avec
l'original et ai trouvé les deux identiques de texte et de sens, en foi de quoi
j'ai signé.
Moi Samuel fils de Nûmîloûs... ce document avec l'original, etc.

***

Tel est donc ce texte, dont pour toute la Syrie-Palestine sous domination
franque il n'existe aucun équivalent jusqu'à ce jour. Il s'agit de la traduction
arabe d'un acte original latin concernant des rapports entre clercs « grecs »
et latins. De ces rapports nous avons quelques autres témoignages, mais peu,
et cet acte est le seul dont nous ayons la version arabe, bien que l'existence
même de cette version suggère, sans que nous en ayons d'attestation
formelle, que de telles traductions étaient souvent exécutées. Entendons-
nous : nous n'ignorions naturellement pas que les chancelleries franques
étaient capables de faire rédiger quand besoin était des actes en arabe,
que les services de douanes en particulier et bien naturellement employaient
un personnel indigène s 'exprimant en cette langue : mais ici nous avons un
exemple de traduction pour laquelle on a probablement eu recours, comme
pour le transfert de l'acte latin original, au personnel de Saint-Pierre d'An-
tioche. Même les Archives de l'Hôpital, je crois, n'ont rien livré de ce genre.
Normalement la maison latine ne devait en effet conserver que l'original
latin, et l'acte arabe, ici, était destiné au contractant indigène. Est-ce donc
celui-ci en l'occurrence qui, de rite grec, se serait ultérieurement replié, ou
ses héritiers, en Sicile ? Ou l'acte aurait-il en quelque occasion fait retour à
Sainte-Marie Latine6 ? Questions sans réponse.
L'acte nous est donné sous une forme de composition un peu bizarre
plus que vraiment anormale. Dans une première partie il consiste en l'ex
posé fait par le diacre Jean à la première personne de ses rapports avec Getse-
mani, le prêtre Marî7, puis le Frère Prieur Bâyân ; dans la seconde celui-ci
prend la parole, à la première personne à son tour, et s'adresse à Marî à la
seconde personne ; puis en conclusion Jean et Bâyân ensemble reprennent
la parole à la première personne du pluriel, celui-ci seul cependant attestant
qu'il scelle l'acte. Puis viennent les certificats de traduction conforme, par
quatre interprètes. Ces interprètes, vu leur nom, ont toutes chances d'être

6. Si celle-ci a récupéré le bien, le contrat n'ayant pu être exécuté ; mais on s'attendrait


à ce qu'une mention en figurât sur l'acte.
7. La lecture Kyr (Kurios) Marî est hypothétique, mais telle était la prononciation
du nom traduisant « monsieur » pour les Grecs telle qu'on la trouve en des textes orien
taux variés, A la lecture cependant Kyr et Marî pourraient n'être qu'un seul mot.
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des Grecs ; le premier se dit certes soit Latin soit fils de Latin, mais comme
il s'appelle Stéphane il peut être de famille mixte ou religieusement latinisé,
aussi bien pourtant que latin de souche ; il y avait des Latins qui s'étaient
mis à l'arabe.
Il n'est dit nulle part que le contractant du côté antiochien soit un homme
de religion « grecque ». Mais son nom n'est pas latin, et les Latins ne par
laient pas arabe8. Parmi les autochtones à Antioche les Grecs étaient
vraisemblablement, surtout depuis la reconquête byzantine du Xe siècle,
la majorité ; et si l'on peut certes envisager a priori aussi des Arméniens ou
des Monophysites, il y a en faveur des Grecs les arguments suivants :
d'abord, l'Eglise grecque et l'Eglise romaine étant, du point de vue de cette
dernière, plus ou moins identiques, les accords de ce genre y étaient plus
normaux qu'entre Eglises différentes ; en outre, les Monophysites portaient
des noms arabes ou syriaques, les Arméniens des noms arméniens, que,
malgré l'incertitude des formes ici données, on reconnaîtrait vraiment
mal9. L'usage de la langue arabe en ce milieu « grec »10 surprendrait
seulement ceux qui ignoreraient que par exemple dès avant la Croisade et
en période byzantine le moine byzantin Nicon de la Montagne Noire
(près d 'Antioche) s'était plaint que les « Grecs » là ne comprissent presque
plus que l'arabe11...
Le contenu de l'acte est en résumé le suivant. Un diacre latin (?) de
Saint-Pierre d'Antioche, Jean, avait reçu d'Arnaud, Prieur de Notre-Dame
de Getsemani, par un diplôme latin, une église en ruines, à charge de la

8. Le nom de Jean pourrait être aussi bien grec que latin, mais j'opte pour latin d'une
part, sans que ce soit démonstratif, parce qu'on lui donne un acte latin, d'autre part,
parce que la transcription arabe Djwân correspond mieux à la forme latine du nom qu'à
la grecque. Il a des enfants, mais pour un diacre et en ce temps est-ce impossible ?
9. Plus encore si l'on admet la lecture Kyr. Ajoutons que l'acte est daté selon l'ère du
monde byzantin. Et voir ce que nous dirons ci-après des mots « grecs » dîmûs et nomikos.
10. En cela je ne suis pas d'accord avec Runciman (supra note 5). Si on entend qu'au
temps de la domination latine Antioche comptait une importante et influente population
de rite grec, certes. Mais le lecteur de l'article précité reste sous l'impression que ces
« Grecs » étaient vraiment grecs, parlaient grec, etc. Et cela vraiment je ne crois pas qu'on
puisse le dire. Runciman lui-même cite d'ailleurs un texte, il est vrai postérieur, de Ma-
chairas, attestant que l'Eglise « grecque » d'Antioche parlait arabe.
11. C'était la raison pour laquelle celui-ci, vers 1080, faisait traduire en arabe ses
traités religieux rédigés par lui en grec (voir Angelo Mai, Scriptorum veterum nova collectio,
IV, 2, p. 155 sq.). Autre exemple dans Le Muséon de 1969. Dès les alentours de l'an 800,
l'un des principaux disciples de St. Jean Damascene, Théodore Abu Qurra, avait choisi
d'écrire en arabe, et non naturellement comme pouvaient le faire les autres chrétiens
d'Orient (d'ailleurs eux aussi assez vite arabisés) en syriaque ou toujours en grec. La
reconquête byzantine d'Antioche, qui n'avait rien changé à la position de la ville, plus
proche du monde arabe que du monde grec, avait peu modifié la situation.

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restaurer et de l'entretenir ; mais n'y étant pas parvenu, ce dernier avait


cherché à conclure une sorte d'association avec un collègue, le prêtre Kyr
Marî, sans que la chose aboutît. Finalement en 1213 un nouveau Prieur de
Notre-Dame de Getsemani, Adam, avait chargé le Prieur Bâyân (Balian ?)12
de Sainte-Marie Latine de s'occuper des affaires de son église à Antioche ;
Bâyân remet à Marî l'église en question aux conditions désirées par ce
dernier, qui ne font plus de part à Jean. Les obligations sont précisées et le
lieu sommairement décrit.
Il n'est pas évident que les faits dont il s'agit doivent quelque chose à la
date à laquelle ils se sont passés. Il faut tout de même avant de les commenter
en eux-mêmes se rappeler ce à quoi correspond à Antioche la période où
ils se situent, sinon l'année 1213 en elle-même. C'est la période où l'on trouve
en conflit d'une part le Prince d'Antioche Bohémond IV appuyé sur la
Commune de cette ville, d'autre part le Roi d'Arménie Léon Ier, prétendant
à la succession d'Antioche pour son petit-fils Raymond Roupen, et malgré
des nuances soutenu par l'Eglise Latine ; ce dernier point explique que
Bohémond ait soutenu le Patriarche grec d'Antioche considéré comme
intrus et schismatique par l'Eglise Latine ; dans la Commune d'Antioche
d'ailleurs l'influence de la population « grecque » était considérable. Il
faut cependant aussi avoir présent à l'esprit que, pour l'Eglise Latine, les
Grecs, à la différence des Monophysites, Arméniens, etc., faisaient partie
de ses fidèles, auxquels il n'y avait donc pas à reconnaître d'autonomie, et
que par conséquent les clercs grecs étaient ses sujets comme les clercs
latins13.
Sur Notre-Dame de Getsemani, église consacrée à la Vierge, la document
ation dont nous disposions pour la période de l'Orient Latin ne nous per
mettrait à peu près de rien savoir. L'église avait été améliorée par les Francs,
mais, selon le Père Vincent, elle n'avait pas d'existence autonome, et était
gérée par les Bénédictins de Notre-Dame de Josaphat14. Cependant on ne
trouve rien la concernant dans les archives assez bien conservées de cette
communauté ; l'acte que nous étudions ici, sans impliquer d'intégration
normale dans la communauté de Sainte-Marie Latine, suggère peut-être
avec elle des hens spéciaux, quoique les listes en notre possession des biens
de cette maison ne paraissent pas mentionner Getsemani. Celle-ci devait
bien en tout cas avoir une autonomie suffisante pour disposer de ses biens,

12. C'est la transcription normale, par exemple pour le nom de Balian d'Ibelin.
13. Pour ces questions voir ma Syrie du Nord, p. 331-332, et 5e partie, ch. I, II et V.
14. Il n'y a à référer que globalement aux Regesta Regni Hierosolymitani de Röhricht,
avec l'index.
UN DOCUMENT CONCERNANT LES MELKITES 291

puisque tel est l'objet du présent acte. Et elle avait un prieur en la personne
d'un certain Arnaud, apparemment vers la fin du XIIe siècle, auquel devait
avant 1213 succéder Adam.
La date où commence l'histoire ici narrée, c'est-à-dire celle de la première
concession, ne peut être ni très proche de 1213, puisque le diacre Jean fait
état d'une situation assez longue, ni très éloignée, puisque tout de même
c'est le même Jean qui vivait en 1213 et avait été, apparemment déjà majeur,
l'objet de la première concession. On aimerait savoir si celle-ci avait été
faite avant ou après la chute de Jérusalem (1187). Mais même si son église
avait été perdue, le prieur avait dû, comme bien d'autres, trouver refuge
finalement à Acre. Seulement, il n'avait probablement plus le moyen de
s'occuper de ses possessions d'Antioche, et il charge en 1213 d'une mission
à cet égard son collègue sans doute plus riche Bâyân/Balian, prieur de Sainte-
Marie Latine, qui devait avoir prévu un voyage à Antioche pour les affaires
de sa propre église.
N.-D. de Getsemani avait donc jadis possédé à Antioche une petite
église de la Vierge, inconnue autrement sauf erreur. Cette église était déla
brée et abandonnée, on ne peut savoir depuis quand. La maison mère à
Jérusalem souhaita la faire restaurer, vers la fin du XIIe siècle, mais, ne
disposant apparemment pas de clerc ou autre personne à elle, concéda le
terrain et la ruine à un diacre de la Cathédrale de Saint-Pierre d'Antioche,
Jean. La concession devait être assez large, puisqu'il en était fait un diplôme,
et si l'on prend le texte au pied de la lettre, il s'agissait d'une propriété15 :
néanmoins il paraît difficile d'admettre qu'une église ait pu donner un de
ses biens en pleine propriété, et d'autre part sûrement Jean avait à payer
quelque chose, comme devait après lui en avoir à payer son successeur
introduit dans l'épisode suivant, et là il sera clair qu'il s'agit d'un cens à
Getsemani.
Jean n'ayant cependant pas été en état d'assurer la restauration de l'église,
Bâyân de Sainte-Marie Latine décide pour Notre-Dame de Getsemani
de donner droit aux demandes du prêtre Kyr Marî, celui-ci évidemment un
« Grec », qui d'une part avait refusé auparavant une formule d'association
avec Jean et désirait être le seul « propriétaire », d'autre part, pour pouvoir
mener à bien la restauration, demandait une exemption d'impôt pendant
deux ans. Encore une fois il ne s'agit pas d'une absolue propriété, puisqu'il
y aura un cens à verser : néanmoins la concession, telle qu'elle est, est faite
à Kyr Marî et à ceux qui viendront après lui.

15. L'arabe, en tout cas, a traduit mulk, qui est le terme juridique pour propriété.
292 C. CAHEN

II est difficile de commenter la description des lieux, qui est trop vague
pour qu'on puisse la rattacher à rien de connu. Disons seulement qu'elle
est faite de la même manière que dans la plupart des actes tant arabes
que latins, et que les noms, difficiles à assurer, sont plutôt « syriens » que
grecs, ce qui confirme le cosmopolitisme de la population.
Deux termes méritent une attention particulière, dîmûs et nomikos. Celui
que nous avons rendu par « cens » est le terme d'origine grecque arabisé
dîmûs, de dèmosion, littéralement impôt public, mais naturellement, dans
la confusion des notions de public et privé qui régnait alors, redevance du
même genre à verser à un quelconque détenteur d'autorité ou propriété
« publiques »16. L'usage du mot est un exemple intéressant de la survivance
dans l'usage populaire de mots bannis du vocabulaire officiel, qu'il soit
arabe ou latin : ni les textes juridiques-administratifs arabes, ni les actes
de l'Orient Latin ne le citent en effet normalement. Mais sa survivance
effective en Syrie est attestée par le fait qu'il réapparaît brusquement dans
les textes ottomans enregistrant les usages du régime antérieur, et qu'il
existe aujourd'hui encore. L'autre terme qui attire l'attention, nomikos,
notaire, est lui aussi absent des textes tant latins qu'arabes, où il a peut-être
comme correspondants judex et ra'is, en fait des espèces de chefs de quart
iers17. Romanos est évidemment un Grec, mais il a hérité, s'il faut bien
lire « sire », d'un Latin.
C'est en bon arabe qu'est désigné le montant du dîmûs à payer : 2 1/2 di
nars, alors que dans les actes latins on parlait de « besants » et dans les actes
grecs d'hyperpères. On n'en conclura pas que le montant soit calculé en
dinars des pays arabes ; on ne précise pas, parce que cela était sans doute
sous-entendu pour les contractants, s'il s'agit du besant/dinar local et peu
répandu d'Antioche ou du dinar « tyrien » usuel dans le Royaume d'Acre/
Jérusalem18. Il est fait également allusion au dirham, la monnaie d'argent
en arabe, mais sans que le texte permette d'y voir une référence à aucune
monnaie particulière.
Les faits que l'acte nous révèle ont existé. Le hasard les a longtemps
dissimulés, le hasard les a ensuite dévoilés. Leçon aussi de modestie.

16. C'est à tort que Trovato traduit emphytéose. Sur le mot voir surtout R. Mantran-
J. Sauvaget, Règlements ottomans (de Syrie), Beyrouth 1951, p. 5, n. 3.
17. Sur le nomikos voir en particulier Hélène Ahrweiler, L'Histoire et la Géograp
hie de Smyrne entre les deux occupations turques (1081-1317) particulièrement au XIIIe
siècle, TM 1, 1965, index s.v. (p. 200).
18. Sur le dinar d'Antioche voir encore ma Syrie du Nord, p. 468-471 ; sur le dinar
tyrien, on trouvera les références les plus à jour dans l'article de A. S. Ehrenkreutz,
Dinars arabes frappés par les Croisés, Journal of the Economie and Social History of the
Orient, 1964, p. 167-182.

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