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REVUE BIBLIQUE

Typographie Firmin-Didot et C'^ — Paris


NOUVELLE SÉRIE SEIZIÈME ANNÉE TOME XVI

REVUE BIBLIQUE
PUBLIEE PAR

L'ÉCOLE PRATIQUE D'ÉTUDES BIBLIQUES

ÉTABLIE Alj COUVENT DOMINICAIN S \INT-ÉTIEiNNE DE JÉRUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, ÉDITEUR

RUE BONAPARTE, 90

1919

OCT 1 7 1959
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES
{suite) (1)

11

LES ORIGINES DE l'aME JOIVE

[suite) (2)

3° Après le siège de ,^)87.

De ces faits le plus rapproché est rtiorrible catastrophe de 587.


Il nous faut dire quelle fut lattitude de Jérémie et d'Ézéchiel
en ces douloureuses occurrences. Il ne sera d'ailleurs pas nécessaire
de longuement insister pour saisir dans le langage de ces voyants ce
qui pouvait servir à l'instruction des exilés et, directement ou indi-
rectement, contribuer à l'orientation de leurs esprits.
Ily avait un certain temps déjà que, conformément à" Toracle
d'Ézéchiel (3), Nabuchodonosor, après avoir consulté ses présages
touchant la route à suivre en se dirigeant vers l'Occident, avait
négligé la voie du pays d'Ammon et pris celle de Jérusalem. De
Riblah il avait envoyé une partie de son armée contre Tyr, le seul

appui sérieux que Sédécias comptât parmi les petits peuples médi-
terranéens. Pendant ce temps, des troupes imposantes, dans les-
quelles, à côté des soldats de la métropole, prenaient place les con-
tingents des peuples tributaires (i), étaient descendues en Palestine.
Elles paraissent avoir suivi à peu près le même itinéraire que jadis
celles de Sennachérib. Rien ne leur a d'abord résisté. Trois villes

(1) Cf. RevU'- Biblique, 1916, p. 299-341; 1917, p. 54-137, 4ol-488; 1918, p. 3:{6-402.

(2) Cf. Revue Biblique, 1917, p. 451-488; 1918, p. 336-402.


(3) Ez., XXI, 23-28.
('t) Jer., ixviv. 1. Les mots « et tous les peuples » manquent dans les meilleurs témoins
des Septante.
6 REVUE BIBLIQUE.

seulement tiennent encore : Lachis et Azéka au Sud-Ouest, dans le


voisinage de la Philistie, et la capitale (1). L'angoisse est extrême.
Or voici que, sur l'ordre de Yahweh, Jérémie va lui-même se pré-
senter à Sédécias. Son langage est terrible Jérusalem tombera cer- :

tainement aux mains de l'envahisseur et sera brûlée le roi sera livré ;

au monarque chaldéen, le verra de ses yeux et, comme Jéchonias,


sera mené en exil. La seule garantie que le prophète ose formuler
est que Sédécias ne sera pas victime du glaive: il mourra en paix,
on brûlera des parfums en son honneur au milieu des cris de deuil
et des lamentations (2).
Soit que Lachis et Azéka fussent tombées aux mains de l'ennemi,
soit qu'à la faron de Sennachérib, le général en chef eût envoyé un

corps de troupes contre la Ville Sainte, les habitants de Jérusalem


aperçurent bientôt les Chaldéens qui approchaient des murailles-
Désireux de prévenir le siège, dont ils redoutaient les horreurs, les
Judéens avaient fait une sortie pour arrêter l'ennemi (3). Hélas I il

était diflicile de s'illusiomier sur l'issue d'une pareille manifestation


et le souvenir du tableau qu'avant 598, Jérémie avait fait de la force
irrésistible desarmées babyloniennes (4) ne pouvait manquer de re-
venir aux esprits d'un grand nombre des défenseurs. Un autre sou-
venir toutefois paraît les avoir hantés, celui du miracle que Yahweh
avait opéré en faveur d'Ézéchias on se demandait si le Tout- :

Puissant n'arrêterait pas les efforts des Chaldéens comme jadis il

avait fait ceux des Assyriens de Sennachérib (5i. C'est pour sonder
Jérémie à ce sujet que Sédécias l'envoya consulter par Pashûr et le
prêtre Sophonie (6 Or ce n'était pas de tels prodiges qu'il s'agissait.
.

YahAveh lui-même va se faire l'adversaire de son peuple, le repousser


au dedans des murailles et l'y assiéger à main étendue, à bras puis-
sant, avec colère, fureur et grande indignation. Il va appeler à son
secours les pires fléaux, la peste et la famine; ceux qu'ils épar-
gneront, à la cour et parmi le peuple, seront, avec Sédécias, livrés
aux mains de Nabuchodonosor, qui, sans pitié, les passera au fil de
l'épée (7). Il n'y aura qu'un moyen de se soustraire à ces extrémités
et d'avoir la vie sauve; sortir, pour se rendre aux Chaldéens. de cette
ville qui va être livrée aux mains du roi de Habylone et brûlée (8 .

(1) Jer., XXXIV, :. — (2) Jer., xvxiv, 2-6.


(3) Jer., XXI, 4.
(4) Jer., Tin, 13-17; iv, 10, U; XVI, 16; etc., et les retouches probables destinées à ap-
pliquer aux Chaldéens ce qui était dit des Scythes dans Jer., iv, 5-vi, 30.
(5) Cf. Is., XXXVII, 14-38: Il Reg., xix, 14-37. — (tj) Jer., xxi, 1, 2. — (7j Jer., xxi, 3-7.
— (8) Jer., xïi, 8-10.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 7

A ces lugubres déclarations, un diaskévaste a ajouté deux petits oracles


qui éclairent le sens de ces anathèmes. C'est parce qu'il n'a pas suivi
les conseils de Yahweh touchant le bon gouvernement de son peuple
(|ue Sédécias va subir un sort si désastreux (1); c'est parce que la
capitale s'est endurcie dans le crime qne Yahweh la chAtiera selon
ses œuvres, envoyant son feu pour dévorer la forêt de Jérusalem, ses
alentours et jusqu'à ses plus sombres retraites (2).
Si ces deux petites prophéties sont, comme bien il semble, d'une
date antérieure, il faut constater que, dans sa réponse à ceux qui le
consultent, Jérémie se contente de simples déclarations. Nous avons
déjà noté que telle est son attitude depuis la quatrième année de
Sédécias: il la gardera désormais presque constamment. Il n'y a plus
rien à dire au misérable peuple de Palestine!... Tout autre est la
manière d'Ézéchiel s adressant aux exilés. Le 10 du dixième mois
de l'an 9 (Janvier 588 Yahweh lui adresse la parole en ces termes
1. :

« Fils de l'homme, mets par écrit la date de ce jour, de ce propre

jour-ci; le roi de Babylone s'est jeté sur Jérusalem en ce jour


même i3 » La raison de cet ordre est aisée à comprendre. D'une
.

part, l'événement qui se produit en Palestine est assez important


pour que, dès la première heure, les captifs en soient avertis. D'autre
part, il est d'un haut intérêt que ses compagnons puissent cons-
tater, à des marques évidentes, la présence et la force de l'Esprit
qui anime le prophète et lui communique les secrets d'en haut.
Il faudra longtemps pour que, par les voies ordinaires, la nouvelle

du lugubre événement parvienne en Chaldée: on constatera alors


que, sur un fait que par lui-même il ne pouvait nullement connaître,
Ezéchiel a été très exactement renseigné. Toutefois, plus que de les
annoncer avec certitude, il était nécessaire d'expliquer de si ter-
ribles événements et, une fois encore, de prévenir la désolation que
de telles confidences risquaient de produire parmi les captifs. D'où
l'action symbolique 4) que le prophète reçoit ordre d'accomplir et
dont le récit n'est pas exempt d'obscurités. Le sens général se laisse
percevoir sans trop de peine: quant aux détails, il nous semble que
M. Kraetzschmar en a, mieux que qui que ce soit, saisi la portée.
L'action symbolique se décompose en deux épisodes. On se rap-

(1) Jer., XXI, 11, 12.— (2) Jer., xxi, 13, 14.
(3) Ez., XXIV, 1, 2.

(4) Rien n'empêche, à proprement parler, i|u'il s'agisse d'une action symbolique réelle-
ment exécutée par le prophète. On notera toutefois la formule : >< Propose une parabole »
"ly^p 'lïî^Q). Ile se pourrait qu'il s'agît ici d'une simple allégorie prononcée par le pro-

phète.
8 REVUE BIBLIQUE.

pelle que les chefs du peuple demeuré en Palestine se comparaient


volontiers aux meilleurs morceaux de viande qu'à la façon dune
chaudière, abritaient les murs de Jérusalem (li: les captifs n'étaient
que les os de rebut et les déchets. ÉzéchieJ reprend cette parabole,
mais en la retournant. Il prépare une chaudière, y verse de l'eau ;

il y dépose ensuite des morceaux de viande, les meilleurs morceaux

— cuisse et épaule —
d'une viande de choix, avec les meilleurs os.
Il entasse alors du bois sous la chaudière, il chauffe avec vigueur
jusqu'à ce que se produise Fébullition, jusqu'à ce que la cuisson soit
complète (-2 A ce point de vue, le traitement di^in produit son effet,
.

mais la chaleur n'arrive pas à réduire la rouille qui couvre l'intérieur


de la chaudière. On enlève alors, morceaux par morceaux et sans
tirer au sort, la viande et les os, et la chaudière demeure vide (3).
D'après M. Kraetzschmar ce premier épisode est en rapport avec les
événements de 598. A cette date, les meilleurs éléments de la capi-
tale se trouvèrent enveloppés dans l'épreuve du siège; elle leur fut
salutaire. Ainsi méritèrent-ils d'être épargnés, d'être retirés à temps
de la chaudière, d'être envoyés en terre d'exil pour y attendre les
événements et y représenter l'espérance de l'avenir. Ce premier
épisode aboutit donc à un encouragement à l'adresse des exilés.
Mais à Jérusalem il ne demeure que la rouille. Kt le prophète
en explique la signification. Elle symbolise le sang versé, répandu
sans pudeur sur la roche nue, pour qu'il soit visible aux yeux de
tous V). Elle sjTiibolise, par voie indirecte, tous ceux qui, par leur
persévérance dans la violence et le désordre, provotpient la colère
divine. Aussi bien, de tous ces événements, Vahweh n'est pas absent.
La remarque est utile pour soutenir les exilés c'est Yahweh qui :

conduit tous ces mouvements jusqu'à l'heure où il lui plait de mani-


fester ses décisions (5). Cette heure est arrivée; de là le deuxième
épisode. Sous la chaudière vide, mais toujours couverte de sa rouille,
Ezéchiel entasse à nouveau du bois; de nouveau il allume un immense
brasier. Rien n'y fait la rouille ne fond pas, ne s'en va pas, elle
:

résiste au fou (Oj. Il faudra en conséquence car désormais Yahweh —


n aura ni repentir, ni pitié —
que le châtiment soit totalement pro-
portionné à la conduite et aux forfaits des Judéens demeurés en

(1) Ez., XI, .3. — (2) Ez., XXIV, 3-5. — (3) Ez.. x\iv, 6''.

(4) Ez., XXIV, 7. — (5 Ez., xxiv, 8.


(6) Ez., XXIV. 9-12. Traduire le vers. lO"- : « Éloigne la viande, vide ;lire pi~ au lieu de
npiri la sauce, et que les os soient consumés par le feu. > Ce verset e.>t ainsi le complé-
ment (le 6' : il y a peut-être eu de? déplacements de texte.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES.

Palestine (1). Qu'on accepte donc sans récriminatioa l'issue fatale ré-

servée à la capitale criminelle !

Ces idées n'étaient pas neuves. iMais il y avait grande utilité à les
inculquer dans les esprits, à une heure de si dure épreuve, à un

moment qui devait avoir une influence immense sur l'avenir. De telles
déclarations étaient d'ailleurs opportunes à d'autres il égards;
y
avait d'autres illusions à détruire. A Jérusalem on comptait toujours
sur les moyens humains, sur
les secoui^s de l'étranger. Quels étaient
les peuples dont on pouvait espérer l'appui, il est assez difficile de
le dire. A s'en tenir à l'ambassade de l'an i, il faudrait mentionner
Édora, Moab, Ammon, Tyr et Sidon \2). Les hésitations de Nabucho-
donosor sur le chemin de l'Occident (3), la di^ision de son armée
à Riblah i), prouvent qu'Ammon. Tyr et sans doute Sidon, persé-
vèrent dans leur attitude rien ne semble indiquer quÉdom et Moab
;

soient revenus sur leurs premières démarches. Ammon toutefois ne


pouvait mettre que de faibles ressources au service des Judéens;
d'autre part, Tyr, déjà bloquée parlarméechaldéenne, était absorbée
par' le souci de sa propre défense. Aussi c'était surtout vers l'Ég-ypte
qu'on jetait les regards, vers cette Egypte dont le pharaon Apriès
avait été le principal propagateur de l'esprit de révolte. Nul doute
que, dans la mesure où les troupes babyloniennes ne réussissaient
pas à interrompre les communications, de nombreux messages ne
fussent dirigés vers la vallée du NiL Les espoirs étaient immenses
comme immense quoique avec de longs retards,
était la détresse. Or.
les captifs recevaient la nouvelle de tous ces mouvements. EnChaldée

comme en Palestine, les esprits s'échauflaient. la fermentation allait


toujours croissant. Il était urgent de dissiper les malentendus et de
prévenir de funestes désillusions.
On peut ne manquait pas à sa
croire qu'en Palestine, .lérémie
mission. Ne pas de reprendre avec de nouvelles adap-
lui suffisait-il
tations ces oracles contre iMoab, Ammon, Édom (.5) dont, nous l'avons

(1) Ez., XXIV, 13, 14.


(2) Jer., xwn, 3. — (3j Ez., xxi. 24-26.
(4) La suite de l'histoire de Sédécias
Jer.. xxxix, 5; lu, 9, 26. 27) montre bien que
Nabuchodonosor était demeuré à Riblah avec ce que Ion pourrait appeler son état-major.
C'est de là, « du Nord » que d'après Ez., xxvi, 7, il expédia des contingents contre Tyr.
Ne comraença-t-il à les envoyer qu'après le onzième mois de la onzième année (cf. Ez..
XXVI, 1 ou bien ne fit-il alors, prolitant des forces laissées libres par la chute de Jérusa-
1

lem, qu'augmenter des contingents dirigés contre Tyr dès le début de la campagne ? Il est
de décider la question avec des textes précis
difficile ; beaucoup d'historiens se placent au
point de vue de la seconde h)-pothèse.
(5) Jer., XLViii; VLix, 1-6: xi.ix. 7-22.
10 REVUE BIBLIQUE.

dit, les premiers éléments pouvaient remonter au temps de Joachim?


Signaler les dangers que couraient eux-mêmes ces royaumes, n'était-ce
pas le meilleur moyen de montrer leur impuissance à venir au se-
cours de Juda? D'autre part, le prophète d'Anathoth avait à maintes
reprises proclamé le néant de la confiance que le peuple de Dieu
mettait en FÉgypte fli; il n'avait, ici encore, qu'à se répéter. Aussi
bien, ne l'oublions pas le temps n'était plus où il prononçait de
:

longs discours devant des auditeurs indignes de l'entendre ou inca-


pables de le comprendre. En revanche, Ézéchiel parlait en Chaldée.
11 serait peut-être difficile de rattacher à cette date les courtes pro-
phéties contre Ammon, Moab et Édom (2 . Si elles remontaient à cette
période, les griefs de dureté à l'égard de Juda (3) devraient être mis
en connexion avec les extrémités du siège de 598. Il serait alors
particulièrement topique de rappeler au peuple, à l'heure même où
ilrecherche l'appui de ces petites nations, l'attitude arrogante avec
laquelle,il y a dix ans à peine, elles ont applaudi à sa détresse.

Quoi qu'il en soit de ces pages, il est d'autres prophéties du fils de


Buzi qu'on ne saurait hésiter à lire à cet endroit. Ce sont les oracles
très clairement datés qui sont dirigés contre l'Egypte et contre Tyr.
Nous n'avons pas à les analyser avec détail, leur portée étant plutôt
secondaire dans la question qui nous occupe.
Déjà Ézéchiel s'était exprimé sur le compte de l'Egypte [k). Assez
peu de temps sans doute avant la septième année ^5), elle lui était
apparue comme « l'autre grand aigle (C) » qui cherchait à détourner
la vigne de Juda de l'aigle chaldéen. Pour prévenir l'empressement
de ses compatriotes, il leur avait fait la déclaration suivante « Le :

pharaon n'agira pas pour lui (Juda, dans la guerre, avec une grande
armée et un peuple nombreux, quand on élèvera des terrasses et
qu'on construira des tours pour faire périr beaucoup d'hommes (7) ».
renouveler les appréciations qu'en d'autres temps, Isaïe avait
C'était
formulées contre « La Superbe-qui-reste-assise (8) ». Le 12 du
dixième mois de l'an 10 (Janvier 587) (9 ), un an jour pour jour après

(1) Jer., II. 14-19, 36; etc.; xLvi, MO, 13-26 'au cas où plusieurs éléments de cet oracle

remonteraient à la période qui nous occupe).


(2) Ez., XXV, 1-7, 8-11, 12-14. Il est difficile de préciser le rôle joué en ces circonstances
par les Philistins, auxquels est consacré l'oracle suivant (vers. 1.5-17).
(3) Ez., XXV, 3, 6, 8, 12.

(4) Ez., XVII.


(5) A en juger du moins par la place que cet oracle occupe un peu avant celui du
chap. XX.
(6) Ez., XVII, 7. — (7) Ez., xvii, 17. — (8) Is., xxx, 7. — (;»;, Ez., xmx, 1: cf. II Reg.,
XKV, 1.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. U
le commencement du siège, le fils de Buzi revenait sur ce sujet,
apportant de nouvelles nuances à ses développements. Reprenant la
métaphore dont rabsaqeh de Sennachérib (1),
s'était jadis servi le

il comparait le pharaon au roseau qui se casse dans la main de qui

s'y appuie et la déchire (2); c'était dire avec netteté la vanité des
espérances fondées sur la vallée du Nil. Mais Ézéchiel allait plus loin.
Comme emparé d'Asdod (3),
avait fait Isaïe lorsque le tartan s'était
il montrait l'Egypte elle-même vouée au malheur et à la ruine. Le
crocodile, avec tous les poissons qui se seraient attachés à ses écailles,
sera retiré du tieuve et jeté dans le désert; le pays si fertile, privé
de ses animaux exterminés, dépeuplé de ses hommes mis à mort ou
dispersés parmi les nations, ne sera plus qu'une solitude désolée (4).
Il n'en faudra pas moins pour châtier l'orgueil du souverain (5), et
ce désastre se prolongera quarante années durant (6). On verra alors
les déportés d'Egypte revenir en leur vallée, mais pour ne plus cons-
tituer qu'un royaume très humble, incapable de dominer, incapable
surtout de jeter l'illusion en la maison d'Israël et de lui inspirer une
vaine confiance ;7). A la même époque appartient un autre oracle
dépourvu de datation (8). Il ne que développer un point parti-
fait

culier de la prophétie qui précède : la fin de l'Egypte. Mais, cette


fois, les couleurs sont particulièrement sombres et les traits eschato-
logiques ne font pas défaut (9). On notera cfue les causes attribuées
à ce formidable anathème sont les mêmes que dans le premier dis-
cours : l'orgueil de TÉgypte (10). Les issues sont pareilles : extermi-
nation et déportation (11). Cette fois l'instrument des vengeances di-
vines est explicitement désigné comme pour Jérémie (12), c'est :

Nabuchodonosor, à la tête de la nation féroce entre toutes (13).


D'autre part, aucun rayon d'espérance ne vient traverser le noir
horizon.
Au moment où le prophète les faisait entendre, de tels avertisse-
ments étaient particulièrement opportuns,ne pouvaient pas mais ils

être compris. Les meilleures du pays natal.


nouvelles arrivaient
Contrairement aux annonces des voyants, le pharaon s'était mis en
marche; le danger de son approche avait paru assez sérieux au
Chaldéen pour l'amener à interrompre le siège de la capilale (14- Si ).

(1) Is., xwvi, 6. — (2) Ez., XXIX, 6, 7. — (3) Is., xx. — (4) Ez., xxix, 4, 5, 8, 9% 10,
11. — (5) Ez., XXIX, 3, g"». — (6) Ez., xxix, ll\ 12. — (7) Ez., xxix, 13-16; cf. Jer., xlvi,
26\ —(8) Ez., XXX, 1-19. — (9)^z., xxx, 3, 12aa, I8a«. — (10) Ez., xxx, 10, 18, 19. —
(11) Ez., xxx, 4, 5-9, 13-17», et, pour la captivité, 17^ 18''S. — (12) Jer., xlvi, 20-26. —
(13) Ez., xxx, 10-12.
(14) Jer., xxxvii, 4.
12 REVUE BIBLIQUE.

les oracles de Janv'ier à Mars (1) sont en relation avec cet épisode de
rhistoire du siège, il faut conclure que Tentrée d'Apriès en Palestine
remontait à quelque quatre ou cinq mois auparavant Août-Sep-
tembre 588;. En tout cas Jérémie, qui était sur les lieux, avait
apprécié l'événement de la même manière qu'Ézéchiel. Ils étaient, à
cette date comme en tant d'autres circonstances, en plein désaccord
avec leurs émules dans le prophétisme. Les faux voyants, dans leur
exaltation, ne se lassaient pas de dire et de redire « Le roi de Ba- :

bylone ne reviendra pas contre ce pays (2)! » Sans doute que. tout
en ouvrant son Ame à l'espérance et à la joie, Sédécias n'avait pas
dépouillé toute crainte. Il envoya Yukal et le prêtre Sophonie près
du voyant d'Anathoth pour le supplier d'intercéder devant Yahweli
en faveur du peuple !3). La réponse du prophète fut cinglante :

« Vous direz au roi de .luda qui vous a envoyés pour m'interroger :

L'armée de Pharaon qui est sortie pour vous secourir va retourner


au pays d'Egypte, et les Chaldéens reviendront combattre contre cette
ville; ils la prendront et la brûleront. Ainsi parle Vahweh Xe vous :

faites pas illusion en disant Les Chaldéens s'en iront tout à fait de
:

notre pays; car ils ne s'en iront pas. Et même quand vous auriez

battu toute l'armée des Chaldéens qui combattent contre vous, et qu'il
ne resterait d'eux que des blessés, ils se relèveraient chacun de sa
tente et brûleraient cette ville (i-i ». Un incident nous montre quelle
était à cette date la versatilité du peuple et de ses chefs. Lorsque
1 ennemi se préparait à attaquer la capitale, Sédécias avait fait une
alliance avec tout le peuple de Jérusalem; on était convenu « de
publier un alfranehissement, afin que chacun renvoyât libre son es-
clave et sa servante, hébreu ou hébreuse, et qu'il n'y eût personne
qui retint en servitude un Juif son frère (ô) ». Un tel accord rappelle
d'assez près l'ordonnance deutéronomique concernant le renvoi des
esclaves hébreux au terme de la sixième année (6). Etait-ce le motif
religieux de fidélité à la Loi qui, seul ou en part avec d'autres consi-
dérations, avait inspiré les chefs de Juda.^ On peut se le demander;
des critiques, remarquant qu'il s'agissait seulement du peuple de
Jérusalem, ont soupçonné qu'en prévision du siège, on se débar-
rassait volontiers des bouclies inutiles. Toujours est-il qu'au moment
où Chaldéens étaient à la poursuite des Égyptiens, les habitants
les
de Jérusalem étaient revenus sur leur décision ils avaient repris leurs ;

esclaves (7), juste au moment où ceux-ci pouvaient profiter du travail

(1) Ez., XXIX, 1-16; XXX, 1-19. — (2) Jer., xxxvii, 18; cf. xxxvii, S. — (3j Jer., xxxvn. 3.
— (4j Jer., XXXVII, 7-9. — (5) Jer., xxxiv, 8-10. — (6) Deut.. xv, 12-18. — (7) Jer.. xxxiv,
11.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 13

qu'ils avaient fait à leur avantage pendant tout l'été. Jérémie eut
mission de protester contre cette injustice. Il se plaça naturellement
sur le terrain de la prescription deutéronomique, si longtemps mé-

connue par les pères, mise enfin à exécution aux jours d'extrémité,
alors que, pour éviter le châtiment, on se préoccupait de faire ce qui
est droit aux yeux de Yahweh, purs, de nouveau et dès la première
apparence de sécurité, misérablement violée. (Grandement coupable
est la rupture d'une alliance contractée au Temple, en présence de

Yahweh lui-même (1 Puisqu'ils ont ainsi entrepris sur la liberté de


.

leurs frères, Yahweh. pour les punir, prononcera contre les coupa-
bles un édit de liberté, mais... pour aller à l'épée, à la peste et à la
famine {2 Pareils au jeune taureau qu'au moment de contracter
.

alliance, ils ont partag-é pour passer entre les deux moitiés, Sédécias,
les chefs de Juda et les chefs de Jérusalem, officiers de la cour et
prêtres, et tous ceux qui ont fait cause commune avec eux, seront
livrés aux mains de leurs ennemis et de ceux qui en veulent à leur
vie, et leurs cadavres seront la pâture des oiseaux du ciel et des bêtes
de la terre (3). Yahweh va donner ses ordres à l'armée babylonienne

qui éloignée de la capitale pour qu'elle y revienne, quelle com-


s'est

batte contre elle, qu'elle la prenne et la brûle; les villes de Juda, de


leur côté, deviendront un désert sans habitants (i .

Avant que cet ordre ne fût donné, Jérémie, qui jusque-là allait et
venait parmi le peuple (5 voulut profiter du répit pour se rendre au
,

pays de Benjamin de retirer de là sa portion du milieu du


« afin
peuple ». Mais on l'arrêta à la porte de la capitale et on l'accusa de
passer aux Chaldéens. Malgré ses protestations, il fut conduit aux
chefs qui s'emportèrent, le battirent et le mirent en prison dans une
basse-fosse, sous les voûtes, dans la maison du scribe Jonathan (6).
Le prophète devait, jusqu'à la fin du siège, demeurer en captivité,
expiant la liberté tout apostolique de son langage.
Cependant les Chaldéens étaient revenus et Sédécias comprenait
la gravitédu danger. Aussi fit-il en secret retirer Jérémie de la basse-
fosse pour l'amener en son palais et l'interroger « Y a-t-il une :

parole de Yahweh? » — « Oui )>, répondit le voyant, et il ajouta: « Tu


seras livré entre les Babylone (7) )>. En même temps
mains du roi de
il représentait au souverain l'injustice du traitement dont il était la

victime Sédécias ordonna qu'on le tînt à vue dans la cour de la pri-


;

(1) Jer., XXXIV, 12-16. — (2) Jer., \xxiv, 17. — (3) Jer., xxxn, 18-21. — [i\ Jer., xxxiv, 22.
(5) Jer., xxxMi, 4*.

(6) Jer., xxxvii, 10-14. Cette demeure avait été transformée en prison.
(7) Jer., xxxvu, 15, 16.
14 REVUE BIBLIQUE.

son ; il se préoccupa même d'assurer sa subsistance jusqu'à ce que le


pain de la ville fût consommé
(1). Le fils d'Helcias n'avait rien d'un

diplomate il était de ceux au


;
regard desquels la parole de Dieu
ne saurait être enchaînée, qui sont prêts à souffrir et, s'il le faut, à
mourir pour son indépendance. Nombreux, semble-t-il. étaient les
passants qui traversaient la cour de la prison. Or, faisant fi du
danger, Jérémie saisissait toute occasion de proclamer ce que Dieu
lui avait révélé touchant l'issue du siège : « Ainsi parle Yahweh : Celui
qui restera dans cette ville mourra par lépée, par la famine ou par
la peste; mais celui qui sortira pour se rendre aux Chaldéens aura
la vie sauve... Ainsi parle Yahweh : Cette ville sera livrée à larmée
du roi de Babylone et il la prendra (2). » Le vaillant champion du
Seigneur ne savait fléchir il rappelait toujours : les mêmes décisions
divines et il en tirait les conséquences.
Ce qui devait arriver arriva. Un groupe de chefs, ayant entendu
ces discours, dénonça le prophète au roi, l'accusant de décourager
le peuple et les hommes de guerre, de vouloir le malheur de la
nation, et non son bien; ils réclamaient contre lui la peine de mort.
Tout en faisant l'aveu de son impuissance, Sédécias déclara aux
chefs qu'il abandonnait Jérémie à leur pouvoir. Ils s'emparèrent
alors du voyant et avec des cordes le descendirent dans une citerne
boueuse où il devait fatalement périr (3 i. Il fut sauvé par l'eunuque
éthiopien Ebédmélék. Informé de ce qui se passait, ce dernier vint
auprès du roi protester contre de tels procédés ; il obtint gain de
cause et put délivrer l'infortuné prophète (4). Aussi bien Sédécias
n avait-il rien d'un endurci: il avait à un assez haut degré l'intelli-
gence des choses de Dieu pour subir le prestige de celui que si visi-
blement dirigeait l'Esprit d'en haut. Aussi désira-t-il avoir avec Jéré-
mie une nouvelle entrevue; en grand secret il le fit amener à l'entrée
de la cour des gardes qui menait au Temple. A ses questions et après
avoir demandé des assurances, le prophète fit cette réponse, pareille à
celles qui avaient précédé : « Ainsi parle Yahweh des armées. Dieu
d'Israël : Si tu sors pour te rendre au roi de Babylone, tu auras la vie
sauve, cette ville ne sera pas brûlée, tu vivras, toi et ta maison. Mais si

tu ne sors pas vers les chefs du roi de Babylone, cette ville sera livrée
aux mains des Chaldéens qui la brûleront, et toi tu ne leur échap-
peras point (5). » A de nouvelles instances Jérémie fit face en ré-
futant les objections du souverain et en multipliant les supplications

(1) Jer., xxxvK, 17-20. — (2) Jer., xxxviii, 1-3.


(3) Jer., xxxYiii, '1-6. — (4) Jer.,-xxxviii, 7-13. — (5) Jer., xxxviii, 14-18.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. i:,

en faveur de Fattitude qui seule pouvait assurer le salut (1). Pour


tinir,5édécias demandait au tils d'Helcias de garder sur ce qui venait
de se passer le plus complet silence; il avait si grand'peur des
chefs (2)!... Jérémie demeura dans la cour des gardes jusqu'à la
prise de Jérusalem i3); on sait qu'à cette heure suprême Nabucho-
donosor se préoccupa de veiller à la sécurité de l'homme de Dieu (4).
Ainsi s'achevait la phase de beaucoup la plus importante da minis-
tère de Jérémie. A ce moment suprême, il ne s'était pas démenti;
l'héroïsme dont, toute sa vie durant, il avait fait preuve, il le poussait

jusqu'à l'oubli de soi le plus complet, jusqu'au martyre. Aussi son


souvenir serait-il en bénédiction dans le Judaïsme; nul prophète ne
paraît avoir laissé un nom
profondément sympathique à la pos-
aussi
térité. Mieux que cela du fils d'Helcias que se sont for-
: c'est à l'école

mées toutes les âmes intrépides qui, tant de fois au cours des siècles
suivants, ont dû affronter la persécution et la mort pour la défense
des droits de Dieu et le respect de sa parole et de sa Loi aux grandes ;

lieures de crise, le souvenir du voyant d'Anathoth a été l'un des


soutiens les plus efficaces de l'àme juive 5 ( .

Le retour des Chaldéens paraît avoir pris place au commencement


du septième ou du huitième mois de la dixième année (Septembre-
Octobre 588) (6). La nouvelle en arriva en Chaldée au début du premier
mois de l'an Jl (fin Mars 587) (7). Le 7 (8j, Ézéchiel tirait la morale
de cet incident, si gros de conséquences. Redoutait-il de nouvelles
illusions? Craignait-il de voir se former dans les âmes l'espoir que
l'entreprise du pharaon, manquée une fois, pût être renouvelée avec
succès? En tout cas, il s'appliqua à détruire toute vaine confiance.
déclare le pharaon a déjà un bras cassé et il est impossible de
Il le :

luirendre la force nécessaire pour tenir une épée; bien plus, ses
deux bras vont être bientôt brisés (9). Et il répète ses prédictions
antérieures sur l'extermination et la dispersion des Égyptiens, sur le
rôle de Nabuchodonosor (10). Près de deux mois plus tard, le 1"^ du
troisième mois de l'an 11 (fin 3Iai 587 1
(11), le fils de Buzi reprenait le
même- thème. Comparant le pharaon, figure de l'Egypte, à un cèdre
magnifique, dont les rameaux servaient d'asile aux oiseaux du ciel,
d abri aux bêtes des champs, d'ombrage à une multitude de nations,

(1) Jer., .vxxYin, 19-23. — (2) Jer., xxwiii, 21-27. — (3) Jer., xxxviii, 28. — (4) Jer.
XXXIX, 11-14; XI., 1-6.

(5) Cf., V. g. II Mach., XV, 13-16.


(6) C'estdu moins ce que l'on peut conclure de la date de Ez., xxx. 20.
(7) Déduit de la même donnée.
(8) Ez., xxx, 20, — 00 Ez., xxx, 21. 22. — (10) Ez., xxx, 23-26. — (11) Ez., xxxi, 1.
16 REVUE BIBLIQUE.

auquel les arbres du jardin de Dieu portaient envie ^ans pouvoir


l'égaler (1), Yahweh articulait contre lui le grief d'orgueil et de
fierté (1).Le châtiment est proche. Le cèdre-pharaon sera livré à un
maître de peuples, à la nation féroce entre toutes; ils le couperont
et en jetteront les débris à tous les vents; ce sera une leçon pour
tous les arbres plantés sur les eaux 3 Tous sont voués au même sort,i
.

condamnés à se voir mêlés aux plus humbles enfants des hommes qui
descendent dans la fosse (4). Sans doute la nature inanimée elle-
même s'unira aux peuples pour le deuil du grand cèdre (5). Mais
quand, au séjour des morts, il sera couché parmi les incirconcis et
les victimes du glaive, tous ceux qui lui portaient en\âe seront con-
solés (6).
Cet enseignement avait une portée exceptionnelle au regard d'Ézé-
chiel. Jérusalem avait déjà capitulé qu'à deux reprises il y revint,
le 1" (7) et le 15 (8) du douzième mois de l'an 12 (Février-Mars 585) ;

même alors, toutes les illusions n'étaient pas tombées, comme le

prouvaient les événements qui suivirent meurtre de Godolias (9). le

Mais, cette fois, c'étaient des lamentations que le voyant entonnait :

chant de deuil sur la chute du Lion-des-Nations, sur le sort du


Crocodile-des-Fleuves. tiré hors des eaux, abandonné sur le sol,
livré en pâture aux oiseaux et aux bêtes ilO;; profond gémissement
sur le peuple d'Egypte, descendu dans les profondeurs de la terre,
au séjour des morts, pour y rejoindre toutes les grandes puissances
dupasse (11). On sait qu'en entrant en Egypte, où lentrainaient malgré
lui ces fugitifs de .luda auxquels le meurtre de Godolias faisait re-
douter la vengeance de Nabuchodonosor, Jérémie reprit, lui aussi,
ses prédictions antérieures sur l'invasion et la dévastation de la

vallée du Nil par le roi de Babylone (12).


C'est des mêmes préoccupations, des mêmes convictions et des
mêmes sentiments que procédaient déjà, à la fin de la onzième année
(1" du onzième mois de l'an 11: fin Janvioa 586 (13), les beaux
oracles contre Tyr et Sidon (14 ). Le prophète les prononçait au moment
où, délivré des soucis qu'auparavant Jérusalem lui avait causés, Na-
buchodonosor allait concentrer toutes ses forces contre la métropole

(1) Ez., XXXI, 2-9. — (2) Ez., xxxi, 10. — (3) Ez., xxxi, 11-14\ — (4) Ez., xxxi, 14''.

— (5)fe., XXXI, 15, 16\ — (6) Ez., xxxi, IGi-'lS.


(7) Ez., xxxii, 1. — (8) Ez., xxxn, 17. — (9) Jer., xli-xuv. — (lOj Ez., xxxii, 2-16. —
(11) Ez., xxxu, 18-32.— (12) Jer., xLm, 8-13; cf. xlvi. 13-26.
(13) Ez., XXVI, 1.
(14) Ez., XXVI xxvii, 1-9-
; [9''-25'], 25^-36; xxviu, 1-10; 11-19; 20-26. 11 n'est pas probable
que tous ces oracles soient du même jour. La date initiale marque surtout le début du
cycle.
LAME JUIVE AU TEMPS DE PERSES. 17

phénicienne. Il s'agissaitencore de montrer la vanité des illusions


que l'on se faisait au sujet des alliances humaines. Sans doute, Tyr
s'était, à maintes reprises dans le passé, montrée favorable au peuple
de Dieu (li; tout récemment elle avait fait cause commune avec Sé-
décias contre l'hég-émonie chaldéenne. Mais de quel secours pouvait
être son intervention alors qu'elle était elle-même condamnée à lutter
— et en vain — pour sa propre existence contre l'ennemi commun?
Toutefois, au moment où parlait Ézéchiel, un autre argument était
à sa portée : jalouse d'une capitale envers laquelle elle affichait de la
sympathie, mais qui au fond était une rivale à ses yeux, Tyr n'avait-
elle pas applaudi à la chute de Jérusalem (2) ? Excité par son patrio-
tisme, le voyant n'en saluait qu'avec plus d'enthousiasme la ruine
de la reine des mers, le naufrage du grand navire à l'équipement
duquel tous les peuples apportaient leur contribution (3).
Bien qu'on ne la puisse comparer à celle qu'ont fournie les autres
oracles, la contribution des prophéties contre les nations à la for-
mation de l'àme juive ne saurait être négligée. Leur influence s'est
exercée dans le domaine spéculatif et dans le domaine pratique.
En premier lieu, ces vibrantes déclarations aboutissaient à mettre
en puissant relief le souverain domaine de Yahweh sur les peuples.
Dès l'aurore du prophétisme, Amos (4) et Osée (5) l'avaient affirmé
avec force. Isaïe (6) l'avait exprimé avec la magnificence coutumière
-de son langage. Jérémie [1] avait repris la même idée, Ézéchiel la
soulignait avec la vigueur ordinaire de ses images et de ses compa-
raisons. A mesure que se renouvelaient les occasions de la signaler,
cette idée pénétrait de plus en plus profondément dans les esprits.
Elle allait consoler les captifs qui, sur la terre de Chaldée, atten-
daient l'heure de Babylone. Elle deviendrait bientôt l'un des dogmes
lesplus fondamentaux de la foi juive, l'une de ces convictions maî-
tresses auxquelles on éprouverait le besoin de s'attacher quand on

1) Qu'on se rappelle, par exemple, les alliances de Saloraon et d'Achab avec Tyr.
(2 Ez.. xxvi, 2,

3) Ez., xxvii, 1-9», 25''-36. On remarquera que, dans les oracles contre le roi de Tyr,
Yahweh articule, comme
à propos de l'Egypte, le grief d'orgueil (Ez., xxviii, 2-6, 9, 17). 11
est aussi ([uestioa d'injustice et de violences rxxviii, 16, 18); on peut aussi relever une
note d'ingratitude envers Dieu qui avait comblé le roi de faveurs (xxvui, 12-14).
Le siège de Tyr par Nabuchodonosor fut très long, pour n'aboutir d'ailleurs qu'à des ré-
sultats imparfaits. <'e sont ces délais qui motivèrent le petit oracle d'Ez., xxix, 17-21.
(4) Am., I, 1-u, 3.
{:y) Os., IX, 1-9, et quelques autres traits épars. D'ordinaire Osée concentre son attention
sur le peuple d'Israël.
(6) Is., X, 5-34; xiii-xxm.
7) Sans parler de divers traits épars dans les autres oracles, cf. Jer., xlvi-li.
REVUE BIBLIQUE 1919. —
N. S., T. XVI. 2
18 HEVLE BIBLIQUE.

se verrait en butte aux mauvais traitements de tous les empires qui


surgissaient les uns après les autres. De cet article du symbole,
Habacuc (1) avait déjà donné la formule, qui se trouvait reproduite
au terme des oracles de Jérémie contre les nations c N'est-ce pas la :

volonté de Yahweh que les peuples travaillent pour le néant et les


nations au protit du feu, et ils s'y épuisent (2 » .

Ces réflexions et ces prédications devaient, en second lieu et d'une

façon toute pratique, tenir les auditeurs fidèles des prophètes en


défiance contre tout commerce avec les nations, ils comprendraient,
à la lumière de l'histoire, et la vanité des résultats que les ancêtres
avaient poursuivis dans les compromissions politiques, et les dangers
qui en avaient été et qui en seraient toujours la conséquence pour
la foi et la vie religieuse. D'une portée immédiate, ces considérations
les mettraient à l'abri des séductions dont le séjour en Chaldée pou-
vait être la source. Dans la suite, elles inspireraient l'une des atti-
tudes extérieurement les plus saillantes du Judaïsme; elles abouti-
raient à en faire une société fermée, repliée sur elle-même, toujours
sur la réserve vis-à-vis de l'étranger, sans cesse préoccupée de res-
treindre les ii;ifluences iné\'itables du mélange avec les païens.
Mais déjà nous sommes loin de la ruine de Jérusalem!.. Car, le
9 du quatrième mois de l'an 11 (Juin-Juillet 587) (3), la Ville Sainte
est tombée aux mains de l'ennemi. De cette catastrophe la nouvelh'
est arrivée en terre d'exil le 5 du dixième mois (fin Décembre 587) (i).
De Teliet quelle y devait produire, Ézéchiel avait été informé et
avait averti ses compagnons environ deux ans auparavant (5). Cette
lumière lui était venue à propos d'un événement de sa vie familiale.
Le fils de Buzi avait vu périr par un coup soudain sa femme, les *<

délices de ses yeux » (6). Conformément à l'ordre que Yahweh lui

avait donné en lui annonçant ce malheur (7), il s'était abstenu de


pleurs et de lamentations, il avait omis tous les rites traditionnels

du deuil (8). Comme le peuple lui demandait la raison d'une sem-


blable attitude, il avait répondu : « Ainsi parle le Seigneur Yahweh :

délices
Je vais profaner mon sanctuaire, l'orgueil de votre forre, les
de vos veux et lamour de vos âmes et vos fils et vos filles que vous ;

(1) Hab.. II. 1:5. — (2) Jer., i.i, 58.

(3) Jer., xxxix, 2.


Ez., xxxin, 21, d'après la correction (« an 11 » au lieu de >< an 12 ») que nous avon.*
(4j

signalée ailleurs (cf.Revue biblique, 1917, p. 80, note 7).


Telle est la date que l'on adoptera si l'on applique à tout le chapitre la donnée four-
(5)

nie par Ez., XXIV. 1.


(6) Ez., XXIV, 18. — (7; Ez., XXIV, Ifv. — (8) Ez., xxiv, 16'', 17.
L'AME JLfIVE AU TEMPS DES PEllSKS. 19

avez quittés tomberont par l'épée. Vous ferez alors ce que j'ai fait :

vous ne vous couvrirez pas la barbe et vous ne mangerez pas le pain


de consolation; vos turbans resteront sur vos têtes et vos chaussures
à vos pieds; vous ne vous lamenterez pas et vous ne pleurerez pas;
mais vous vous consumerez dans vos iniquités et vous ,i;émirez l'un
près de l'autre (1) ». On se souvint de cet oracle quand on se ressaisit
après ral)attement silencieux qu'avait causé la parole de ce fugitif (2)
dont, en ces mêmes circonstances, prophète avait reçu l'annonce
le

lointaine (3), et dont, le ï du dixième mois au soir, Yahweh venait


en une extase de lui faire pressentir l'arrivée immédiate (i).
A la venue du messager se rattache une modification de la condi-
tion du voyant qui devait être de grande importance. En conformité
avec une dernière prophétie de l'an 9 (5), la bouche d'Ézéchiel
s'ouvrit, sa langue se délia, son mutisme prit fin (6j. 11 allait pouvoir
entrer bientôt dans la seconde phase de sa carrière prophétique,
devenir plus que jamais un emblème pour le peuple et donner aux
captifs des enseignements plus précieux encore que ceux qu'il leur
avait jusque-là, dispensés. Pendant cette nouvelle période d'activité,
comme durant la première, les manifestations de son apostolat se-
raient en parfait accord avec celles des voyants de Palestine.

Nos renseignements sont abondants et précis touchant Tétat d'es-


prit des Juifs de Palestine en présence du coup terrible que Nabu-
chodonosor avait porté à la capitale et au pays. Nous l'avons dit, en
effet (7) les Lamentations sont un écho fidèle des sentiments
:

qu'éprouvèrent Jérémie et ceux qui l'entouraient au moment de la


catastrophe et dans les temps qui d'assez près la suivirent. D'autre
part, en prenant place dans la liturgie des jours de deuil commémo-
ratifs, ces chants ne pouvaient manquer de contribuer à iixer la

mentalité de ceux qui ne demandaient qu'à communier le plus par-


faitement possible à la douleur universelle.
Pas n'est besoin de nous attarder longuement sur ces pages, belles
entre toutes, mais dans lesquelles les idées sont d'autant plus faciles
à saisir que l'expression en est renouvelée sous tant de formes. Inutile
surtout d'insister sur le souvenir de la grande détresse de cette sainte

(1) Ez., XXIV, 19-23. — (2) Ez., ïxiin, 21. — (3) Ez., xxiv, 25, 26. — (4) Ez., xxxiii, 22'.
(5) Ez., ixiv, 27. — (6) Ez., xxxill, 22''.

f7) Cf. Revue Biblique. 1916, p. 326-332.


20 REVUE BIBLIQUE.

cité qui dès le début nous apparaît si majestueuse en sa tristesse :


ville, jadis populeuse, aujourd'hui solitaire; souveraine, jadis grande

parmi les nations, aujourd'hui pareille à une veuve; reine des pro-
vinces, maintenant soumise à la corvée (1). Les métaphores s'accu-
mulent pour exprimer l'inexprimable blessure, la misère sans pareille,
causées par les coups répétés de l'ennemi (2). Mais le poète ne s'en
tient pas à ces traits généraux. Il revit dans le détail toutes les phases
de la grande angoisse encerclement si étroit qu'on ne peut échap-
:

per (3), défense devenue impuissante devant les traits des assail-
lants (4), œuvre simultanée de l'incendie (5) et de l'horrible famine (6),
appels inutiles aux amants des jours de prospérité (7), aux vains se-
cours d'une nation qui ne peut arriver (8). Puis, après le renverse-
ment des remparts (9), c'est le spectacle des violences du vainqueur
qui pénètre dans la ville la destruction des demeures privées et des:

palais (10), puis, plus terrible que toutes les autres épreuves maté-
du Temple par les étrangers et le pillage de ses
rielles, la violation

trésors '11). Cependant le Chaldéen poursuit les habitants dans les


rues, épie chacune de leurs démarches (12), en attendant qu'il entasse
à tous les carrefours les cadavres des enfants et des vieillards, des
jeunes gens et des jeunes filles (13). Aucune classe de la société n'est
épargnée : les rois, les princes et les nobles sont humiliés (14); les
anciens sont immolés sur les places à côté des prêtres (15), à moins
que ces derniers ne soient associés aux prophètes dans le suprême
holocauste des parvis du Temple (16). On a le sentiment que tout
est fini (17) en même temps que l'atteignent
:
des épreuves physiques
de toutes sortes, le peuple a la douleur de perdre tous ses privi-
lèges spirituels, ce qui faisait sa joie et causait son orgueil : plus
de plus de Loi, plus de visions (18). Cependant la vue des maux
fêtes,

qui l'entourent ne fait pas oublier au prophète les soulfrances de


ceux qui ont dû se courber sous les chaînes de l'exil (19). Il se rappelle
le sort fait au roi, à l'oint de Yahweh dont, malgré son indignité, la
présence était un gage d'espérance; il le voit avec ses compagnons
de fuite, pourchassé dans les déserts et à travers les montagnes, pris
finalement dans les fosses de l'ennemi (20). Il contemple les princes,

brutalement poussés devant le vainqueur dans les colonnes de

(1) Lam., I, 1. — (2) Lam., n, 1\ 11'', iS'; m, 4, 5, 6, 47, 48, 53, 54; iv, 1. — (3) Lam.,
11,
22*"=; m, 7\ —(4) Lam., m, 12, 13. — (5) Lam., ii, 3"=. — (6) Lam., i, 11"'', 19'; ii, 11%
12, 19% 20'' ; IV, 3, 5, 7-10. — (7) Lam., i, 2''% 19». — (8) Lara., iv, 17; cf. l', 7''. — (9) Lam.,
H, 2''% 5^ 8, 9\ — (10) Lam., ii, 2% S"». — (11) Lam., i, 10. — (12) Lam., iv, 18". —
(13) Lam., ii, 4\ 21. — (14) Lam., ii, 2" : iv, 2. —(15) Lam., i, 19'^'. — (16) Lam., ii, 20<=.

— (17) Lam., iv,


18''. — (18)Lam., ii, 6'% 9'". — (19) Lam., m, 7\ — (20) Lam., iv, 19, 20.
l.A.ME JUIVE AU TE-MPS DES PERSES. 21

captifs (1); il se lamente sur le départ des jeuues filles et des jeunes
gens (2), sur la misère, l'angoisse et les corvées du peuple (3).

Aussi le poète associe-t-il sa douleur, ses signes de deuil et ses


larmes à ceux des prêtres (5), des anciens iG) et des jeunes
(ii

Douleur immense qu'en vain les comparaisons s'épuisent à


filles (7).

traduire (8). Douleur sans égale, qui ne connaît ni trêve (9), ni con-
solation (10 Sentiment d'abjection
. qu'augmente le souvenir de i H )

la gloire passée 12"! et de la prospérité antique (13), qu'exaspèrent la


joie ironique des vainqueurs (li), letriomphe des ennemis traditionnels
qui sont dans la montagne d'Édom (15). le mépris des passants (16),
le dédain de ceux qui jadis multipliaient les témoignages d'estime (17).

Sentiment de dégoût qui exclut tout bonheur et toute paix, et parfois

jusqu'à l'espoir en Yahweh (18).


A ce dernier sentiment toutefois le poète ne s'arrête pas défini-
tivement. Il lui est trop facile de reconnaître le caractère hautement
providentiel de l'épreuve. Il sait, en effet, quel est l'auteur de ces
maux (19). Il n'ignore pas qu'ils sont la manifestation de la colère
de Yahweh que Yahweh lui-même a mandé les ennemis pour
(20 ,
le
châtiment (21), en même temps qu'il éloignait les défenseurs (22) et

retirait son propre appui (23). Sans doute il s'est montré dur et
sévère (2i), il a dépouille toute pitié (25 ,
oubliant les privilèges d'Is-
raël et de Sion 26), fermant ses oreilles à la prière (27) ou
<
mieux éten-
dant un nuage entre lui et Israël pour qu'elle ne puisse passer (28).
Mais, en même temps qu'il relève tous ces traits de rigueur, l'auteur
des Lamentations se plait à reconnaître que Yahweh a poursuivi
la réalisation d'un plan de sagesse. Il a agi dans une entière jus-
ne faisant d'ailleurs que réaliser des menaces depuis long-
tice (29),
temps proférées (30 seules les visions mensongères des prophètes
;

ont pu donner le change 31). La vraie cause de tant de maux est, en


i

conséquence, facile à discerner. Elle est à chercher dans la rébellion

(1) Lam., I, 6''^; II, 6% 9''. (2) Lam., i, 18'. — (3) Lam., i, :J. —
(4) Lam., n, iV^; ni, 48, 49, 51. (5) Lam., i, i^. — (6) Lam., n, 10"''. (7) Lam.— —
I, 4<=-, n, 10'. — (8] Lam., i, 2% 4, 8% 9% 13% 16», 20»'; il, 5<^; in, 15, 16. (9) Lam., —
I, 12; n, 13; m, 19. —
(10) Lam., i, 9S 16^ 17", 21». (11) Lam., i, 11". —
(12) Lam., i, —
6*.— (13) Lam., I, :\ —
(14) Lam., i, 7% 211^ n, 16, 17'; m, 14, 46, 63.
; (15) Lam., iv, —
21». — (16) Lam., n, 15. —
(17) Lam., i, 8''. —
(18) Lam., in, 17, 18.
(19) Lam., I, 15'; n, 22"; ni, 2, 3, 9, 11, 43. —
(20) Lam., i, 12% 13; u, 4'; m, 1, 10;
IV, 11. — (21) Lam., i, 14% 15^ l'*»; n, 7% (22) Lam., I, 15». —
(23) Lam., ii, 3\ — —
(24) Lam., n, 20». —
(25) Lam., ii, 2". (26) Lam., u, 1=. —(27) Lam., m, 8. —
(28) Lam., m, 44. On remarquera d'ailleurs que, d'un bout à l'autre, les chap. n et m
mettent directement au compte de Yaliweii tous les maux dont souffrent la malheureuse
cité et tout le pays.

(29) Lam., i, 18». — ;30) Lam., n, IT^-''. — (31) Lam., u, 14.


22 RE^UE BIBLIQUE.

du peuple (1), dans la multitude de ces olïenses (2) qui ont souillé
Jérusalem et Israël (3), dans Ténormité de ces prévarications, plus
graves que celles de Sodome dont la peine fut si terrible (i). Dieu n'a
eu pour ainsi dire qu'à former une gerbe de tous ces péchés et à en faire
porter le poids à la nation (5;. Et l'on se plaît à insister sur les fautes
'
particulièrement graves de ces chefs spirituels, prêtres et prophètes,
qui, au lieu de conduire la nation dans les sentiers de la justice,
ont multiplié les violences et entretenu les illusions jusqu'à la
dernière heure, jusqu'au moment où le peuple lui-même, instruit
par l'épreuve, les a rejetés comme impurs et abandonnés à la colère
de Yahweh (6).

L'une des élégies s'achève sans un mot de consolation (7). Deux


autres n'aboutissent qu'à un appel à la justice divine contre des enne-
mis après tout aussi coupables qu'Israël lui-même [S); tout au plus
déclare-ton que le péché de la fille de Sion a pris fin, qu'elle n'ira
plus en exil (9). Mais le troisième poème ne s'arrête pas à ces sombres
perspectives. Sans doute, l'auteur a un instant, lui aussi, perdu
espoir (10). Maisil s'est ressaisi (11), après avoir conjuré Yahweh
de se souvenir de l'affliction du peuple (12). C'est déjà une preuve
de la miséricorde divine qu'Isracl ne soit pas anéanti (13). Or cette
miséricorde et cette bonté, loin d'être épuisées, se renouvellent sans
cesse (li). Yahweh ne rejette pas à jamais et le châtiment lui répu-
gne (15). D'ailleurs, même lorsqu'il le soumet à la discipline sévère,
c'est pour le bien du coupable 1 10 . Aussi le mieux à faire, c'est, ;i

l'heure mauvaise, de se résigner, d'attendre en silence la déli-


vrance (17 en ne se plaignant que de sa propre iniquité (18). C'est, après
i,

avoir examiné ses voies, de faire l'humble aveu de ses fautes à celui
qui seul peut pardonner (19), de l'invoquer jusqu'à ce qu'il regarde
du haut des cieux (20), jusqu'à ce qu'il fasse entendre sa réponse (21)
La violence des méchants, leur dureté envers
et réalise le salut (22).
les vaincus,ne lui échappent pas (23); il ne peut manquer de leur
rendre selon l'œuvre de leurs mains (2'*). Tous ces mouvements
d'idées tableau des malheurs du siège (25) et de la captivité (26), de
:

la violence et de la brutalité des ennemis (27), du deuil de la

(1) Lam., I, 20'"', 22'-. —


Lam., i, 5'', 8'. (2) (3) Lam., i, 8', 9% 17'. — 4) Lam., —
IV, 6. — (5) Lam., I, 14»''. —
Lam., iv. 13-16. (6)
(7) Lam., ii. —
(8) Lam., i, 21% 22"''; iv, 21'', 22''. (9) Lam., iv, 22». —
(10' Lam., m, —
18. —(11) Lam., m, 21, 24. (12) Lam., m, 19. — (13) Lam., m, 22. —
(14) Lam., ni. —
22% 23, 25. —
(15) Lam., m, 31-33. (16) Lam., m, 27. — (17) Lam., m, 26, 28-30. — —
(18) Lam., m, 37-39. —
(19) Lam.. m, 40-42.
— (20) Lam., m, 50. —
(21) Lam., m, 55-57. — —
(22) Lam., III, 58. (23) Lam., m, 3'.-36, 59-63.
" (24) Lam., m, 64-66. —
(25) Lam., —
V, 2, 4, 6, 8. 9, 10. —
(26) Lam., v, 5, 9, 10. —
(27) Lam., v, 11, 12, 13, 16».
I.'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 23

nation (1); confession des fautes de la génération [présente (2y;


reconnaissance plus pénible des responsabilités encourues du fait de la
solidarité avec le passé (3) ; recours plein d'espoir en Yahweh (4) :

lous ces sentiments se retrouvent, résumés, dans l'admirable prière


qui termine le petit recueil.
En tous ces mouvements d'idées, d'autre part, il est aisé de recon-
naître une parfaite conformité avec l'enseignement des prophètes.
Sans remonter plus haut, nous avons déjà vu avec quelle invincible
constance Jérémie et Ézéchiel avaient montré dans le péché de Juda

la cause inéluctable des maux sans nombre qui allaient fondre sur la
nation. Mais, s'il était rempK de menaces, l'héritage littéraire des
voyants renfermait aussi de nombreuses et magnifiques promesses.
Les livres d'Isaïe et de Michée, sans parler de ceux d'Amos et d'Osée,
contenaient des oracles on ne peut plus propres à exciter l'espérance.
Mais il est permis de penser que le peuple prêtait plus volontiers
attention aux paroles de ses contemporains. Or sur les lèvres de ces
derniers, il n'y avait pas que des anathèmes et des annonces de châ-
timent. Nous l'avons déjà dit (5) pendant tout le cours de sa longue
:

carrière, le fils d'Helcias avait tempéré la plupart de ses sombres pers-


pectives par quelques prédictions de bonheur (6). Toutefois c'est à
l'heure la plus lugubre de son ministère quil fut favorisé des visions
les plus réconfortantes. Il avait déjà été arrêté par la faction de la
porte de Benjamin et emprisonné dans la cour des gardes du palais (7) ;

et, à plusieurs reprises déjà, il avait prêché la soumission aux Ghal-


déens (8). Or il nous dit lui-même quelle fut l'occasion des principaux
de ces oracles de salut. Il reçut un jour la visite de son cousin Ha-
naméel, venu pour lui demander d'exercer le droit de rachat sur un
champ qu'il exploitait à Aiiathoth (9). Déjà prévenu de cette visite

(1) Lam., V, 3, 14, 15. — (2) Lam., \, 16'-18. — (3) Lara., v, 7. — (4) Lam., v, 19-22.

(5) Cf. Revue Biblique, 1917, p. 482-487.


(6) Cf. Jer., m, il, 12, 13, 14-18, 19, 21, 22, 23-25: IV, 1. 2'% 27''; XVIII. 8: XXin. 1-8.
L'anathème contre les nations (Jer., xxv, 15-38) se rattache aussi, nous le verrons, au
même raouveraent d'idées (cf. aussi wvii, 7''; xxix, 10-14).
(7) Cf. Jer., XXXVII; cf. xxxii, 2. — (8) Cf. Jer., xxi, 1-10; xxxvii, 6-9, 15-20; xxxii, 2-5.
(9) Jer.,xxxu, 8\ Le droit de rachat dont il s'agit ici est en rapport avec la législation
de Lev., xxv, 25. Dans ce texte on vise le cas où un Israélite devenu ]»auvre, a dii vendre
une portion de sa propriété : « alors son gô'ël (^N5 : le terme même qui désigne le vengeur
du sang), son propre parent viendra et rachètera OHà) la vente de (ce qu'aura vendu son
frère. » Le droit de rachat, ici comme dans Jer., xxxii, 7, est désigné par le mot "^Nm
in^xan '!22U''52}- Dans le cas de Hanaméel, la vente n'a pas encore eu'lieu et Jérémie est

prié d'intervenir pour que le champ ne passe pas, même transitoirement, à un étranger.
24 REVUE BIBLIQUE.

par une révélation divine (1), Jérémie se sentit encore poussé (2) à
conclure le contrat et à en accomplir avec soin toutes les forma-
lités 3). Le prophète avait grand besoin d'expérimenter en cette cir-

constance tout le poids d'une parole de Yahweh. d'entendre une dé-


claration telle que celle-ci : « On achètera encore des maisons, des
champs et des vignes en ce pays li. » De telles sugeestions, une

telle déclaration étaient en contraste si violent avec ce que le fils

d'Helcias savait des desseins de châtiment du Très-Haut, avec ce qu'il


voyait de leur accomplissement (5 ,
qu'au terme d'une longue prière
dans laquelle il en appelle à toutes les marques de la gran-
deur divine, à toutes les interventions miséricordieuses en faveur
d'Israël (6). il éprouve le besoin de demander des lumières et des
explications (7). C'est en réponse à cette prière qu'il reçoit les pro-
phéties réconfortantes renfermées dans le chap. xxxii. Celles du cha-
pitre suivant sont assez étroitement rattachées aux précédentes par
la formule d'introduction qui les annonce 8,. De bons juges estiment

enfin que les oracles des chap. xxx-xxxi appartiennent au même


cycle. Il propos de noter qu'aux éléments qui remon-
est d'ailleurs à
tent sûrement jusqu'à Jérémie il s'en est joint d'autres à des dates
diverses; plusieurs de ces derniers ne figurent pas encore dans la
vei'sion grecque et sont en conséquence assez. récents.
Quelles sont donc les lignes générales de ces perspectives sur l'a-
venir, découvertes à Jérémie? Il ne faut pas chercher dans ces cha-
pitres l'ordre logique qui correspondrait à nos procédés d'exposition.
C'est à nous de faire l'œuvre de synthèse k l'aide de matériaux dis-
tribués un peu au hasard.
Au prophète, si surtout celui-ci prend la peine de l'invoquer, Vah-
weh, qui a un égal pouvoir pour la conception des plus sublimes pro-
jets et pour leur exécution, se réserve de manifester de grands et
inaccessibles secrets (9). Il ne s'agit de rien moins que de ce « jour »
célèbre entre tous dans le langage de la prophétie, fécond en ter-
reurs, en épouvantes, en angoisses (10) et qui trouve son cadre, en
un sens large, dans la fin des temps (11). On le sait, en effet, toute

[I] Jer., XXXII. 6, 7. — (2) Jer., xxxii, 8'', 14. — 3; Jer., xxxii, 0-14. — (4) Jer., xxxii,
15. —(5) Jer., xxxii, 23, 24. — '6) Jer., xwii. 16-22. — '7) Jer., xxxii. 25. — (8) Jer.,
xxxiu, 1.

(9) Jer., xxxiii, 2, 3.


XXX, 5-7\ On appelle « jour de Yahweli », dans le langage biblique et surtout
(10) Jer.,
prophétique, une circonstance dans laquelle se manifestent, avec un éclat tout particulier,
les attributs et surtout la puissance de yall^^eh. Le plus souvent il s'agit des grandes
interventions qui doivent inaugurer les temps messianiques.
(II) Jer., XXX, 24.
[."AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 2ri

prophétie en quelque manière, eschatologique.


messianique est,

Si est avant tout marquée


de ce jour de Yaliweh la première phase
par des effets d'angoisse, ceux-ci ne seront pas définitifs pour Jacol) ;

il en sera délivré (1). Même en ces pages chargées de promesses, le

voyant revient sur les fautes qui ont amené le châtiment (2), sur la
gravité de la Ijlessure de Jérusalem, sur les coups que, la traitant à
la façon d'un ennemi, Yahweh lui a portés, sur le délaissement dont
elle a été l'objet de la part de ses amants d'autrefois (3). Mais c'est

toujours pour déclarer que, si la peine est appliquée avec justice,


elle n'aboutira pas quand même à l'extermination (i), que les plaies
seront un jour pansées et guéries (5), que. si dévasté qu'il soit, le
pays pourra renaître '6. Après avoir été avec Israël pour le châtier,
YaliAveh sera avec lui pour le sauver (7j. Car c'est du salut qu'il
s'agit, et le mot sera retenu pour exprimer ces interventions de la

providence et de la grâce divine qui, dans la loi d'amour, auront pour


fin d'ouvrir aux âmes les portes du royaume de Dieu. D'ailleurs, le
prophète met sur les lèvres de Yahweh un autre terme qui, lui aussi,
aura de l'avenir; il est question de rachat, de rédemption (8). Et,
pour donner une haute idée de cette œuvre de salut, Yahweh a déjà
proclamé, en des oracles antérieurs à ceux que nous étudions, qu'elle
fera oublier celle qui prit place lors de la sortie d'Egypte (9).
L'angoisse ne sera définitive que pour les païens. Dès l'an i de
Joachim, dans l'oracle qui servait de conclusion au rouleau qui de-
vait être lu au Temple, nous voyions tous les peuples appelés à boire
à la coupe de la colère disine, à s'y enivrer jusqu'à ce qu'ils chancel-
lent, pris de folie, devant l'épée que Yahweh doit envoyer accomplir
parmi eux son œuvre d'extermination (10). Déjà commence à ses-
quisser cette théorie qui tiendra une si grande place dans les docu-
ments postérieurs à l'exil et surtout dans la littérature apocalyptique
et d'après laquelle l'humiliation des nations, considérées comme for-
mant un bloc hostile à Dieu et à son peuple, constituera le premier acte
dans le grand drame du salut d'Israël ill). On notera toutefois que
(I) Jer., XXX, 7''. — (2j Jer., xxx, 14, 15; xxxii, 26-35. — (3) Jer., xxx, 13-15. —(4) Jer.,
XXX, Jl''. — (5) Jer., xxx, 17. — (6) Jer., iv, 27. — (7) Jer., xxx, 11^; cf. xxxi, 6(Vulg. 7).
— (8) Jer., -xxxi, 10 l'Vulg. 11 —
1. 9i Jer., xvi, i4, 15; xxiii, 7, 8.

(10) Jer., XXV, 15-2f;.


(II) Nous aurons à nous expliquer à ce sujet dans la suite de notre travail et notamment
à propos des visions de Zacharie. Remarquons que, dans les livres prophétiques d'Isaïe et
d'Ezéchiel, peut-être à l'origine dans celui de Jérémie, les rédacteurs définitifs semblent
avoir été guidés par la même idée lorsqu'ils ont placé les Oracles contre les nations
entre la section spécialement consacrée au châtiment du peuple de Dieu et celle (|ui. tantôt
est tout entière consacrée à l'annoncedu salut, tantôt, si elle renferme encore des menaces,
fait une place plus grande aux promesses (cf. Is., xiii-xxm entre i-xii et xxiv-lxm; Ez.,
26 REVUE BIBLIQUE.

rénumération des nations vouées au châtiment aboutit ici au peuple


concret dont à cette date la menace est la plus redoutable en atten-
dant que lexpérience prouve combien cette crainte est fondée. La liste
des peuples à enivrer s'achève, sous le voile de la cryptographie.
avec le nom de Babylone (1). Dans les prophéties qui font l'objet
propre de cette étude Yahweh appelle l'attention du voyant unique-
ment sur les peuples dont Israël a à se plaindre. Ceux au milieu des-
quels il a été dispersé seront exterminés (2), ses ennemis recevront
des coups à tous égards pareils à ceux qu'ils lui auront portés (3).
Il ne faut pas croire d'ailleurs que, dans cette œuvre de salut et

de rédemption, Yahweh fasse arbitrairement succéder les faveurs


aux châtiments. Il faut au point de départ la contrition et la conver-

sion du peuple. Yaliweh veut entendre les génùssements dEphraim


repentant; il veut entendre Ephraïm reconnaître son Dieu, confesser
sa honte et sa confusion, le voir plier sous le poids du péché de sa
jeunesse (4). C'est alors seulement, à moins que, par une intervention
particulière et toute individuelle, il extermine les impies du milieu
de la nation (3), c'est alors seulement qu'il se sentira le Dieu do
toutes les familles d'Israël (G) ; alors seulement aussi qu'il donnera
libre cours aux manifestations de son amour. Car c'est l'amour qui
inspire sa conduite et ses desseins de pardon. Sans doute c'est le
propre de sa nature d'être miséricordieux, de ne pas garder sa co-
lère à toujours (T). Mais Israël a une place à part dans ses prédilec-
tions; Yahweh l'aime d'un amour éternel et c'est ce qui explique sa
longue patience Ephraïm
pour lui un fils chéri, l'enfant pré-
(8). est
féré; dès qu'à son sujet il parle de châtiment, ses entrailles s'émeu-
vent et la pitié l'emporte (Oi. Un mouvement de conversion et il
ne contiendra plus ses sentiments de tendresse (10).

xxv-xxxn entre i-x\iv et x\xiii-xi.Mn de même, dans la version des Septante, Jer.. xx\,
:

14- XXXI, 44 (=, avec un ordre dillérent, xlvi-u du texte massorétique) entre i-xxv, 13 et
xxxii-Li (= XXV, 15-xLV, 5 du texte massorétique).

(1) Jer., XXV, 2(5'' : « elle roi de Sésac boira après eux ». Le nom de Sésac ("î'w'kl*

désigne Babylone C'Il) selon le procédé d'écriture cryptographique connu sous le nom
i'at^'bas. L'alphabet hébreu étant divisé en deux sections (n *, D n) les dernières — —
lettres de la deuxième section remplacent successivement celles qui sont au début de la

première et réciproquement r N. "t.* =


:;, ^1= ;;,... z =
''I; d'où ~|*^"kL*
''22. = =
L'emploi de cette cryptographie dans le texte qui nous occupe a pour but, ou bien de fixer
l'attention des lecteurs en la piquant, ou bien de cacher le sens de la déclaration à ceux
qui porteraie«t intérêt à Babylone.
(2) Jer., XXX, 11'', — (3) Jer., xxx, 16, 20\
(4) Jer., XXXI, 17, 18 (Valg. 18, 19): cf., in, 12, 13, 14= : iv, V; xviii, 8. — (5) Jer., xxx,
23, 24. — (6) Jer., xxx, 23 CVulg. xxxi, 1). — (7) Jer., m, 12. — (8) Jer., xxxi, 2 (Vulg. 3).
— (9) Jer., XXXI, 19 (Vulg. 20). — (lO) Jer., xxxi, 18, 19i..i (Vul^. 19, 20b?).
I/AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 27

On sait que l'appellation d'Ephraïm désigne avant tout le royaume


du Nord. C'est vers lui, en effet, qu'après l'avoir déclaré moins cou-
pable que Juda, vers qui depuis si longtemps porte la peine de
lui,

sa faute, c'est vers lui que Yahweli dirige dabord ses regards; dail-
leurs, si Israël est fils par rapport à Yahweh, Ephraïm ne tient-il pas
la place de premier-né (1)? Aussi quand viendra le jour » annoncé, <.<

il sera délivré, le joug qui pèse sur lui sera rompu, les liens qui

l'accablent seront brisés (2). Dans le désert allusion délicate aux —


souvenirs des origines et réminiscence probable du prophète Osée (3)
— le peuple échappé au glaive trouvera grâce devant son Dieu qui
le regarde de loin et veut lui procurer le repos ik-). Qu'en con-
séquence le serviteur de Yahweh dépouille toute crainte; il revien-
dra, il trouvera la paix et la sécurité (5i. Que Rachel, la mère de
Joseph et de Benjamin, l'ancêtre d'Ephraïm et de Manassé, mette un
terme à son deuil, aux lamentations qu'elle profère sur ses fils parce
qu'ils ne sont plus son œuvre aura sa récompense et ils reviendront
;

du pays de l'ennemi (6). A plusieurs reprises, en effet, le prophète


nous montre Yahweh qui se prépare à rassembler les dispersés
d'Ephraïm de tous les pays où ils ont été chassés avec colère (7),
qui fait publier son projet parmi les nations (8), qui du Nord et de
tous les coins de la terre ramène ses protégés par les meilleures
voies, guidés par des signaux qu'Us sont censés avoir eux-mêmes
posés. Groupe immense —
car personne ne manque à l'appel (9) —
unissant aux éléments les plus vigoureux de la nation ceux qui, au
contraire, ont besoin de secours et d'appui (10 1. Il semble à Yahweh
que le retour soit trop lent (11), si grand est son désir de les rétablir

comme autrefois '


12) là où ils étaient jadis (13), de les rebâtir au mi-
lieu des cris d'allégresse et des transports de joie (14), en leur assu-
rant consolation et sécurité (15).
Dans ces prophéties, ainsi qu'il arrive d'ordinaire, les éléments qui
concernent la restauration nationale se fusionnent étroitement avec
ceux dont le caractère est nettement messianique il est à peu près ;

impossible de les isoler les uns des autres. Les promesses d'ordre
matériel abondent : multiplication glorieuse des enfants d'Israël (16) ;

(1) Jer., XXXI, 8'' (Vulg. 9'). — [2] Jer., xxx, 7^ 8. — (3) Os., ii, 16 (Vuig. 14). —
(4) Jer., XXXI, 1, 2' (Vulg. 2, 3"). — (5) Jer., xxx, 10; cf. xlvi, 27, 28. — (6) Jer., xxxi,

14-16 (Vulg. 15-17). — (7) Jer., xxxi, 9'' (Vulg. 10''); xxxii, 37^ 44\ — (8) Jer., xxxi, 9'
(Vulg. 10'). — (9) Jer., xxin, i. — (10) Jer., xxxi, 7, 8% 20 (Vulg. 8, 9% 21). — (11) Jer.,
\xxi, 21* (Vulg. 22*). — (12) Jer., xxx, 20*: xxxi, 27'' (Vulg. 28''): xxxiii, 7, 11''. —
13) Jer., xxin, 3: xxx, 3. — ("14) .1er., xxxi 3, 6 (Vulg. 4, 7). — (15) Jer., xxx, 10'' ; xixi,
12 (Vulg. 13) ; \xiii, 37.
(16) .Ter., xxx, 19''; cf. xxnr, 3.
28 REVTE BIBLIQUE.

réédifi cation des demeures, des palais et des villes 1,; culture pro-
ductive des vignes plantées sur les montagnes de Samarie (2) gué- ;

rison de toute langueur, abondance de toutes sortes de biens (3).


Mais les perspectives d'ordre spirituel ne font pas défaut et l'on nous'
laisse entrevoir, comme l'un des caractères de ces temps nouveaux,
le zèle sans précédent avec lequel le peuple s'attachera à Yahweh
considéré comme son époux (4). Toutefois c'est plutôt à propos de
Juda, ou encore au sujet du peuple tout entier, considéré dans la
fusion de ses deux éléments actuellement séparés, que se découvrent
ces horizons plus élevés et plus vastes. Car Yahweh fera aussi revenir
Juda vers son pays et ses villes (5), sur lesquels de sa montagne sainte
il se plaira à répandre ses bénédictions (6), dans lesquels la vie nor-

male reprendra son cours (7) et la prospérité contrastera avec la dé-


solation extrême qui l'aura précédée (8). Bien plus, c'est, en certains
oracles, Juda et Israël qu'ensemble Yahweh ramène vers la terre
jadis donnée aux pères (9); c'est à Israël et à Juda qu'à la fois il
adresse nombre de ses paroles (10). Sans doute en faveur de ces deux
éléments de la famille de Jacob, on aime encore à développer les
visions de gloire ot de bonheur temporels capables de soutenir Iqs
âmes dans la misère présente. Yahweh mettra sa joie à faire du bien
au peuple rétabli dans son unité, à le planter dans le pays, à l'y
faire vivre en sécurité (11) son zèle à réaliser les promesses de félicité
;

sera pareil à la rigueur avec laquelle il aura accompli les menaces


de châtiment (12). Ici néanmoins les aperçus au caractère nettement
spirituel occupent une bien plus grande place. Un trait les conditionne,

(1) Jer., XXX, 18; \x\i, 3 (Vulg. 4). — (2; Jer., xxxi, 4 Vulg. .ôj. — (3) Jer., xxxi, 11 .-i>,

IS"" (Vulg. 12^i'', U'-).

(4) Tel peut être du moins le sens de la phrase très difficile de Jer., xxxi, 21'' (Vulg. 22'') :

« car Yahweh a créé une (chose) nouvelle sur la terre : une femme entourera un homme »

Le grec porte : Ôtt éxtitcV K-Jpto; <îw-ripixv tlz y.xTasj-E-T'.v xaivr.v, èv <TMTr,ç>'.OL Tîîp'.e/SjffovTai

avôptoTtat; comme on le voit, des motâ sont traduits qui ne figurent pas dans Thébreu
massorétique. et le sens général est tout différent. Le syriaque porte : ^iv^ )^; ^o^oe
lii.^ . .-.tM |N-»ni \I^i[^ \i'^. Le mot --^M précise le sens de 22iDP ; le Pael de oi veut

dire aimer, caresser, exciter à l'amour. Pour le reste, le syriaque est conforme à l'hébreu.
Le Targum a une glose intéressante : bs^'w"! r^l H'iZT ii'J''ii1 NT"" 1"11 "it KH 1"'N

Nn'i'lix'^ "jirîjnl : « car voici : le Seigneur crée une (chose^ nouvelle sur la terre et le

peuple de la maison d'Israël s'attachera à la Loi. »

(5j Jer., XXXI, 22 (Vulg. 23). — (6) Jer., xxxi, 23, 24 (Vulg. 24, 25 . — 7) Jer., xxxn, 43,
44. — (8) Jer., xxxni, 10, 11. — (9) Jer., xxx, 3; cf. m, 18. — (10) Jer., xxx, 4; xxxi, 26,
27, 30, 31 (Vulg. 27, 28, 31, 32); xxxiil, 7, 14. — (llj Jer., xxxii, 37, 41.
xxxn, 42. Le contexte immédiat, vers. 36-44, paraîtrait limiter à Juda ce
(12) Jer.,
trait et ce qui suit; mais des versets tels que 30 et 32 sont explicites dans le sens des
deux éléments du peuple considérés en leur ensemble.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 29

auquel nous nous sommes attachés ailleurs la valeur de rindmdu, :

son indépendance vis-à-vis des pères en matière de responsabilité


etde sanctions personnelles (1). Une idée d'ensemble les enveloppe.
Le prophète qui avait prêché la fidélité à l'alliance dont le Deu-
téronome était le code, qui en avait déploré la violation i2), entre-
voit encore sous forme d'alliance les rapports futurs de Yahweh avec
son peuple. Seulement cette alliance nouvelle différera
profondément
de l'ancienne. Celle-ci avait été conclue, en la personne des pères,
avec la nation tout entière considérée dans son ensemble et comme une
personne morale or, loin de produire les effets que l'on en attendait,
;

elle a été lamentablement violée (3). Aussi, reprenant son œuvre, c'est
avec chaque individu que Yahweh traitera désormais. Il écrira sa loi
dans tous les [cœurs dociles (i); il se manifestera directement à un
chacun, sans que. pour le connaître, on ait besoin des enseignements
dautrui (5). A chacun il pardonnera les fautes dont il pourrait
encore se rendre coupable, à moins qu'il ne s'ag-isse de le désolida-
riser de tout lien avec la faute nationale (6). De ces fidèles un nouveau
peuple se formera avec lequel, par une conséquence toute naturelle,
se trouvera conclue cette alliance au caractère nouveau, mais dont le
mot final pourra être le même que celui de jadis « ils seront mon :

peuple et je serai leur Dieu (7). » Pour leur bonheur et celui de leurs
enfants, ces fidèles auront un même cœur et suivront une même voie,
dans le sentiment d'une crainte salutaire de ce Dieu qui ne cessera
plus de leur faire du bien (8). Cette alliance nouveau trait dis- —
tinctif — sera éternellement durable ^9), étrangère aux vicissitudes
des choses dici-bas, comparable, en sa fermeté, aux lois les plus
inébranlables de la nature (10).
De ce peuple nouveau le chef sera évidemment Yahweh lui-même ;

ilsera le berger de ces brebis qu'il aura rassemblées (11 j. Elles lui
seront soumises (12), mais en même temps elles obéiront à Da^dd, leur
roi, que Yahweh suscitera pour elles (13). Celui-ci se plait en effet à le
déclarer à son peuple il donnera, pour représentants de sa per-
:

sonne et de sa suprême autorité, des pasteurs, des chefs selon son


cœur, capables de paître les brebis avec intelligence et sagesse {!%)
et de bannir toute crainte de leurs âmes (15). Mais, parmi ces chefs, il

(I) Jer., XXXI, 28, 29 (Vulg. 29, 30}. Cf. Revue Biblique, 1918, p. 371 à 377.
^2) Cf. Jer., XI. —(3) Jer., xxxi, 30, 31 (Vulg. 31, 32). — (4) Jer., xxxi, 32 (Vulg. 33l.
— (5) Jer., XXXI, 33' (Vulg. 34»). — (6) Jer., xxxi, .33'- (Vulg. 34''); cf. xxxiu, 8. —
(7) Jer., XXXI, 32'- (Vulg. 33'-); xxxu,, 38. — 'S, Jer., xxxii. 39, 40. — (9) .Jer., xxxii, 40.
— (10) Jer., XXXI, 34-36 (Vulg. 35-37).
(II) Jer., XXXI, 9h (Vulg. 10'). (12) Jer., — xxx, 9'. — (13) Jer., xxx, 9\ — [M] Jer., m,
15; xxiii, 4. —(15) Jer., xxiu, 4'.
,

30 RKVUE BIBLIQUE.

en est un qui est'par excellence le vicaire de YaliMeh, qui porte émi-


nemment le titre de roi (1) ou au moins celui de noble ou de gouver-
neur (2). D'une part, il se rattachera à l'antique race royale (3);
mais en même temps et plus étroitement qu'aucun de ses sujets, il
vivra dans l'union à Yahweh (V); c'est pour cette raison qu'il sera un
rejeton juste, qu'avec le salut inaugurera en .luda le règne de
il

l'équité et du droit, qu'il méritera d'être appelé Yahiveh-Sidq^nu


Yahweh-notre-justice (5). Il sera d'ailleurs assuré d'une descendance
qui ne connaîtra pas de déclin (6i l'alliance divine sera aussi ferme
;

avec la royauté qu'avec peuple lui-même (7).le

Avec presque autant de sympathie que sur le souverain du futur


royaume le regard du prophète se lixe sur la capitale n'est-elle pas :

avant tout la demeure, la résidence de Yahweh? Sans doute elle a


beaucoup souffert des rigueurs du siège (8); les cadavres s'y sont
entassés lorsque Yahweh y poursuivait le châtiment de l'iniquité (9).
Mais elle sera rebâtie; le voyant se plait à énumérer les quartiers
dans lesquels l'œuvre de restauration sera plus sensible, probable-
ment parce que davantage ils auront souffert (10 Sans doute encore .

un grand changement se sera produit au Temple, puisqu'il n'y


aura plus d'arche. Mais on en fera vite son deuil et on ne songei^
pas à remplacer ce symbole de la présence divine; la \'ine tout
entière apparaîtra comme le trône de Yahweh (11) et deviendra une
source de bénédictions pour le pays tout entier (12). De toutes parts
on accourra pour solliciter les faveurs divines. Ici les Israélites du
Nord viennent par petits groupes s'établir à Sion 13). Ailleurs on
les voit se leveren masse, au signal donné par les gardes postés sur
les montagnes, pour monter à Jérusalem auprès de Yahweh, leur
Dieu (14); ils viennent rendre grâces, en offrant des sacrifices, pour
les bienfaits de toutes sortes qu'ils ont déjà reçus (15), C'est aux fêtes
surtout, à ces fêtes qui groupent toutes les classes de la société,
qu'éclate, en même temps que la louange en l'honneur du vrai Dieu,
la sainte allégresse dont leur àme déborde (16;. Ce n'est pas tout.

(1) Jer., xxin, S»-. — (2) Jer., xxx, 21 (|''~N, S;y*D). — (3) Jer., xxiii. 5; xxx, 9'':

xxxiu, 15 (ce texte manque dans les Septante;. — (4) Jer., xxx, 21.
(5) Jer., xxin, 6; xxxm, 15. 16 (ce texte manque dans les Septante). Il semble y ayolr
un rapprochement intentionnel entre cette épithite et le nom du roi Sédécias [Sidqi-
Yâhû = Yahweh [est] ma justice;.
(6) Jer., xxxra. 17, 22 (manquent dans les Septante;. —
(7) Jer., xxxiii, 20, 21, 23-26
(manquent dans les Septante).
(8) Jer., xxxui, 4. —
(9) Jer., xxxm, 5. —
(10) Jer., xxxi, 37-39 (Vnlg. 38-40). —
(11) Jer., m, 16, 17. —
(12) Jer., xxxi, 23, 24 (Vulg. 24, 25). (13) Jer., m, 14. — —
(14) Jer., XXXI, 5 (Vulg. 6). —
(15) Jer., xxxi, il (Vulg. 12); xxxm. il. (16) Jer, —
XXXI, 11, 12 (Vulg. 12, 13); XXXIII, 11.
l/AMt; JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3;

Gi'àce à ces manifestations de la puissance


et de la J)Outé du Très-
Haut, le nom
de Jérusalem devient glorieux painii les nations (1) ;

elles se rassemblent à leur tour auprès du trône de Yahweh (2i,


désireuses, en même temps que de recevoir docilement la lumière,
de participer aux bénédictions qui leur doivent venir en Israël et par
Israël (3). Ces idées ont déjà leur place dans les premiers oracles
du voyant d'Anathoth mais les visions de la prison en précisent le
;

sens et en accentuent la portée. La résidence royale sera vraisembla-


blement comme jadis auprès du Temple; mais, dans les parvis
eux-mêmes, évolueront les diverses classes du clergé. Les prêtres
auront nécessairement le bénéfice de la prospérité du culte divin (4).
D'autre part, un oracle qui ne ligure pas, il est vrai, dans les Sep-
tante, nous montre Yahweh traitant le sacerdoce avec les mêmes
ég-ards que la royauté: pas plus que de souverains davidiques sur
le trône, il ne manquera jamais de prêtres pour offrir l'holocauste,

le sacrifice quotidien et l'oblation (5). L'alliance est perpétuelle


avec le sacerdoce comme avec la dynastie (6).

III

Rien n'était plus apte à soutenir le courage des Israélites malheu-


reux que de leur rappeler, à l'heure où la plus atroce des calamités
allait les atteindre, les glorieuses destinées de leur race. Non seule-
ment, en voyant tomber Jérusalem, ils trouveraient dans leur foi
à la parole prophétique le gage de leur espérance en la restauration
de ces murailles vénérées,le stimulant du zèle qui les pousserait eux-

mêmes, le moment venu, à assurer à cette œuvre leur concours le


plus dévoué et le plus efficace. Non seulement, à l'heure où la vie
nationale subirait le plus terrible arrêt qu'elle eût jamais connu, ils
garderaient la certitude qu'un jour elle serait rétablie. Non seule-
ment, en parcourant leur pays dévasté par l'ennemi, ils se diraient
avec confiance qu'eux ou leurs descendants ensemenceraient à nou-
veau, dans un avenir plus ou moins lointain, les collines et les vallées,
y planteraient des vignes productives. Non seulement, au départ
des éléments les plus influents de la population pour les plaines de
la Chaldée, ils se consoleraient en pensant que les plus jeunes de ces
captifs ou au moins leurs fils viendraient repeupler le pays désert.
Non seulement, enfin et surtout, lorsque, gravissant l'esplanade du

(1) Jer., xxMii, 9. — (2j Jer., m, 17. —(3) Jer., i\, 2. — (4) Jer., xwi, 13 (Vulg. 14).
— (5) Jer,, xxMii, 18.— (6j Jer., xxxni, 21''.
.

32 REVUE BIBLIQUE.

Temple, en contempleraient, le cœur brisé et les yeux pleins de


ils

larmes, le ravage complet et l'immense désolation, ils pourraient


faire quelque trêve à leur deuil bruyant, dans la conviction que
Yaliweh reprendrait, à la date qu'il s'était à lui-même fixée, posses-
sion de sa montagne trois fois sainte L'appel aux éternelles destinées
d'Israël serait l'arg-ument le plus puissant pour prémunir contre
toutes les dépressions de la douleur et du pessimisme ceux qui, par
le souci de leur valeur morale ou de leur réforme, par leur résigna-
tion sincère et active au châtiment, par la mise en commun de leurs
efforts en vue de la préparation des rénovations futures, par leur
apostolat auprès de leurs frères envahis par la tiédeur ou Tindiffé-
rence, étaient appelés, sinon à hâter Iheure de la miséricorde divine,
du moins à faire que les temps d'épreuve ne fussent pas prolongés.
Israël ne pouvait pas mourir, Israël même ne pouvait demeurer
aux portes du tombeau, puisque de lui l'humanité tout entière avait
besoin pour participer aux bénédictions du vrai Dieu, puisque Yahweli
lui-même, par les privilèges qu'il lui avait octroyés, en avait fait

en quelque sorte son auxiliaire indispensable pour la diffusion de


son saint nom parmi les nations : quelles pensées réconfortantes,
quel soutien aux heures où les âmes même les plus nobles et les
meilleures risqueraient de fléchir sous le poids de l'angoisse et du
malheur I . .

iMalheureusement le peuple demeuré en Palestine après 587 n'était


pas capable de comprendre ce beau langage. Ceux-là même qui, en
les chantant, saisissaient le sens des Lamentations ne donnaient à
l'espérance qu'une place très secondaire; d'ailleurs, s'il était vrai que
le troisième poème cinquième étaient d'une époque postérieure
et le
à celle des trois autres, il faudrait reconnaître que tout d'abord les
chants de deuil s'arrêtèrent à peu près exclusivement à l'expression de
la profonde détresse causée par le désastre national. Mais combien,
parmi ceux qu'on appellera les « Palestiniens », étaient susceptibles
de s'arrêter même aux sentiments exprimés en ces élégies, même aux
sentiments de pénitence et de deuil! Très médiocre, très bas nous —
aurons bientôt l'occasion de le décrire —
était le niveau moral et
religieux de ces tristes représentants du peuple de Dieu. Pour la
plupart sans doute, ils demeurèrent indifférents aux clartés que Jéré-
mie s'était plu à voir passer dans le sombre horizon.
Aussi bien le prophète d'Anathoth l'avait lui-même déclaré :

c'était sur la terre d'exil qu'il fallait faire reposer les espérances de
relèvement. Or, au moment où les compagnons de Sédécias y appor-
taient le recueil des visions dont le fils d'Helcia s avait été favorisé dans
I.'AME JLIVE AU TEMPS DES PERSES. 3:]

la cour de la prison, Ezéchiel était à son tour sur le point d'entre-


prendre la grande prédication de l'avenir glorieux.
Il n'avait pas attendu l'avons dit. pour parler
cette date, nous
d'espérance. Depuis un certain temps déjà, son apostolat individuel,
ses appels à la conscience et à la responsabilité personnelles étaient
en rapport avec l'annonce et la préparation de la restauration du
peuple (1). Même, en plusieurs circonstances, il avait projeté les
lumières de la révélation sur divers points de la grande attente
d'Israël. premier cycle de ses actions symboliques, il avait
t>ès le

tempéré la très sombre âpreté de ses prédictions de ruine en annon-


çant qu'un reste du peuple, lui-même soumis à de rudes épreuves,
leur survivrait pourtant cil. De ce reste le voyant esquisse en
quelques traits les destinées dans sa proclamation au.\ montagnes
d'Israël 3 L'oracle sur la fin imminente [ïj se développe, il est
.

vrai, sans un rayon d'espoir. Mais, dans la grande vision (les fautes
et de la ruine de Jérusalem 5), l'idée du reste qui doit survivre
est sous-jacente à l'intervention de l'homme vêtu de lin marquant
au front ceux que doit épargner le cliàtiment ('6). A la page sui-
vante du recueil, pourrait-on dire, les jiaroles d'espérance se font
jour à propos de l'antithèse établie entre le sort réservé aux exilés et
celui qui attend les Palestiniens (7). On retrouve ces promesses
dans les épilogues de doux des longues descriptions de l'ino-ratitude
de .lérusalem et du peuple choisi (8 dans celui de la parabole des ,

aigles et (9;.du cèdre


Toutefois c'est après l'arrivée des compa-
gnons de Sédécias que ces prophéties d'espérance se multiplient. A
prédire les temps heureux, à préparer ses auditeurs à leur avènement
le prophète paraît avoir été invité, sinon par une nouvelle vision

inaugurale, au moins par un appel particulier destiné à fixer l'orien-


tation définitive de la seconde partie de sa carrière (10 \ous re- t.

viendrons, dans un
aux termes mêmes de cet appel.
instant,
Mais ce qu'il importe de noter auparavant, c'est combien urgente
était l'intervention du voyant, combien difficile allait être cette nou-

\elle phase de son ministère. Jadis, il avait prédit qu'au jour où ils

apprendraient la nouvelle de la chute de Jérusalem sous les coups


du de Babylone, les captifs, plongés dans une douleur muette,
roi
n'auraient qu'à se consumer dans leurs iniquités et à gémir l'un près

(1) Cf. Kevue Biblique, 1918. p. 371 à .377.


(2) Ez., V, 1-4. — (3) Ez., VI, 8:10. — (4) Ez., vu. — (5) Ez.. mii-xi. — (6) Ez., ix, L>'.-..

3'', 4, 6'.s, 11. — (7j Ez., M, 14-21. — (8) Ez., xvi, 53-63: xx, 39=.-44. — (9) Ez., xvii,'
22-24. — flO) Ez., xxxiii, 1-20.
REVUE BUil.tOLE' VJ[\>. — M. S., T. XVI. o
3t REVUE BIBLIQUE.

de l'autre (i ). On serait tenté de dire que les exilés prirent trop à la

lettre ces directions. Le livre d'Ézéchiel ne renferme que très peu


d'indications historiques. A deux reprises toutefois des allusions très
précises nous montrent, dans les temps qui suivirent, sans doute
d'assez près (2), les événements de 587, les captifs plongés dans le
plus noir découragement « Nos fautes et nos péchés sont sur nous
:

et par eux nous dépérissons, et comment vivrons-nous (3)? «Et avec

plus de tristesse encore Nos ossements sont desséchés et notre


: <(

espoir a péri, nous sommes perdus (4)! On peut se demander si )>

c'était le sentiment de leurs fautes personnelles qui, sajoutant au


contre-coup des événements, exerçait sur les captifs une influence
aussi déprimante. La tentation serait grande de penser que, malgré
les déclarations antérieures du fils de Buzi touchant la responsa-
bilité individuelle, son entourage se sentait accablé par l'iniquité
séculaire, y voyait la cause de ses malheurs, estimait que la seule
attitude à prendre consistait à accepter l'arrêt de mort et à s'y
résigner. Et le langage du prophète laisse entendre que telle est
la manière de parler du plus grand nombre de ceux qui l'en-
tourent (5). Ainsi donc ni la lecture des oracles de Jérémie que nous
analysions plus haut, ni celle des pages si brillantes renfermées
dans les recueils d'Amos et d'Osée, d Isaïe et de Michée n'avaient eu
de prise ni d'influence sur ces Ames accablées. Du moins la parole
du voyant de l'exil aurait-elle raison de ce pessimisme? Ce que nous
lirons plus tard dans la seconde partie du livre d'Isaïe (G) nous for-
cerait à tout le moins de conclure que les effets de cette prédication
ne furent pas durables. Mais le livre d'Ézéchiel lui-même nous fournit
des indices trop clairs de la limitation très restreinte de ces résul-
en effet, à propos de ses visions de restauration nationale
tats. C'est,

et de ses perspectives d'avenir messianique que le prophète nous


parle des dispositions avec lesquelles ses auditeurs écoutaient ses
discours (7). Sans doute on témoignait de l'intérêt à sa parole : les
exilés du village s'en entretenaient dans les ruelles, assis le long
des murs et ils s'entraînaient à aller entendre le voyant '^8) ; ils

(1) Ex., wiv, 23.

(2)Les oracles d'Ez., x\\iii-\xxix ue sont pas datés. Ils remontent à des époques sans
doute assez différentes les unes des autres mais on peut croire que le mouvement de
;

découragement auquel le prophète fait allusion suivit d'assez près la nouvelle terrifiante
de catastrophe qui avait atteint la Ville Sainte. D'ailleurs, après s'être manifesté dès
la
les premiers temps, ce mouvement se perpétua longtemps dans la suite.
(3) Ez., xxxui, 10. —
(4) Ez., xxxvii, 11. —
(5) Ez., xxxiii, 10»; xxxvii, 11" (dans les
deux cas il s'agit de la « maison d'Israël » en général). — (6) Is., xl, 27; xli, 8-10; xlii,
18-20, 23; XLiii, 1,8; etc. — (7) Ez., xxxiii, 30-33. — (8) Ez., xxxin, 30.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3o

venaient près de lui comme à une réunion intéressante et, assis tout
autour de la cour de sa demeure ou dans son modeste divan, ils
prêtaient une oreille attentive; il était pour eux un chanteur agréable
<{ui a belle voix et joue bien de son instrument (1). Mais ils ne
gardaient pas ses discours ;
on s'en apercevait à la manière dont ils

négligeaient de conformer la pratique de leur vie à lidéal vers


lequel il voulait les entraîner en prévision des temps nouveaux; ils

continuaient de faire ce qui flattait leur goût; en particuKer ils

étaient âpres au gain (2),

Ce sont peut-être ces attitudes elles-mêmes qui expliquent la forme


que revêtent, dans le livre d'Ézéchiel, les oracles concernant l'avenir
d'Israël. Ils se laissent facilement répartir en trois cycles (3). Des
prophéties qui constituent le premier cycle le contenu peut être con-
sidéré comme étant de tout point parallèle aux enseignements des
autres voyants sur le même sujet. Mais, si les similitudes de fond sont
assez saillantes pour illustrer par un exemple très précis la thèse
depuis longtemps établie de la continuité de l'enseignement pro-
phétique, les différences de forme sont, d'autre part, tout aussi
propres à attirer l'attention. Dans les livres d'Isaïe (ii et de Michée,
les oracles qui traitent de l'avenir glorieux du peuple de Dieu sont
disséminés (5) au travers des diverses sections, sans doute parce
qu'ils ont été prononcés en des circonstances et à des dates très diver-
ses; rien, en conséquence, de surprenant à ce qu'ils soient assez
indépendants les uns des autres et assez malaisés à synthétiser. Les
j)rophéties aualogues de remontent toutes sensiblement à
.Jérémie
la même époque et c'est par lui-même ou par son secrétaire Barucli
qu'elles ont été groupées en un petit fascicule du recueil général
de ses œuvres (6). Néanmoins ces oracles sont loin de s'enchaîner
selon un ordre logique, on
serait tenté de dire selon un ordre :

précis quelconque. en va tout autrement dans la troisième partie


Il

<lu livre d'Ézéchiel (7), celle qui renferme les prophéties relatives à
la restauration. Les oracles du premier cycle (8) notamment se sui-
vent selon un plan parfaitement satisfaisant, même du point de vue de
la logique la plus exigeante. En relevant ce contraste, ne serait-il
pas permis de penser que la disposition adoptée par Ézéchiel n'est
pas primitive ou du moins est assez artificielle? N'est-il pas vraisem-
blable qu'à la façon des autres voyants, le fils de Buzi prononça

(1) Ez., xwiii, 31', 32'. — (2) Ez., xxxiii, 31'', 32''.

(3) Ez., xxxui-xxxvii; xxxviu-xxxix; xl-xlviii. — (4) Is., ii, 1-4; iv, 2-6; mi. 10-16:
MU, 23-IX, 6; XI, l-9> 10-16; XII; etc. — (5) Mi., il, 12, 13; iv ; V; vu, 11-13, l.j-17. —
(6) Jer., xxx-xxxiii. — (7) Ez., xxxiii-xi.vni. — (s) Ez., xxxur-xxxvu.
M-i REVUE BIBLIQUE.

d'al)ord. au far et mesure des révélations divines et selon que les


circonstances en pouvaient favoriser Tintelligence, les divers oracles
dont nous parlons? >."est-ilpas croyable que c'est plus tard seulement,
et après avoir constaté l'insouciance et l'apathie de ses auditeurs,
qu'il songea à synthétiser ses enseignements en une sorte de court
livret, apte, en circulant au milieu de son entourage, à retenir davan-
tage lattention. à provoquer de salutaires méditations (1 ? Quoi qu'il
en soit, la disposition mémo de ses oracles on rend l'analyse plus'
aisée. D'ailleurs ne nous y trompons pas la similitude de fonds ;

que nous avons signalée entre ces prophéties d'Ezéchiel et celles qui
leur correspondent dans les recueils des autres voyants, n'exclut pas
la présence de différences très caractéristiques. La plupart de ces
dernières tiennent aux idées maîtresses qui domiuent toute la prédi-
cation du fils de Buzi, spécialement à ses vues touchant la respon-
sabilité individuelle.
Au débute par deux séries de considérations préli-
fait, le livret

minaires dont la première n'est autre chose que la proclamation


renouvelée de cette donnée si chère à Ézéchiel (2). C'est là ce qu'avec
nombre d'auteurs, dont les vues nous paraissent justifiées, nous con-
sidérons comme un nouvel appel divin destiné à fixer le caractère
do la seconde phase de la carrière du voyant. Au début de cetle
période de son activité, comme à l'origine même de son ministère,
le h's de Buzi se sent établi par Dieu comme une sentinelle, investie
d'une mission personnelle auprès de ceux qui l'entourent '3). A cha-
cun d'eux il doit faire entendre la parole de jugement ou do conseil
que Yahweh prononce à leur sujet Il doit, on autres choses,i^'i. .

leur rappeler que chacun dispose de sa propre personne, sans avoir


rien à redouter ni à espérer des fautes ou des vertus do ses ascen-
dants: d'un chacun même dépend, à toute période de sa vie, celte
orientation définitive dans le bien ou dans le mal qui servira de base
d'appréciation en vue des rétributions divines (5 Ainsi chacun sera .

jugé selon ses œuvres 6;; ainsi, quoi qu'on en dise dans l'entourage
du prophète, s'affirmera la parfaite rectitude des voies de Yahweh (7)..
Uuau lieu donc de se laisser abattre ou décûurager,>chacun réforme
sa c^-ndnite. Yahweh ne veut pas la mort du coupable, mais sa
conversion et sa vie pourquoi donc la maison d'Israël moui-
:

rait-elle , 8 ? S'il est nécessaire de rappeler d'un trait ces considé-


rations, gardons-nous d'insister : c'est déjà pour nous une idée

(1) Ez., \x\iii, 33 peut èlre allégué à lappui de ceUe observation.


(2) E/., \xxiii, 1-20. — (3) Ez., \\\m, 1-7. — ('i) Ez., xxmu, 8, .9. — 5) Ez., xwiii,
12-lG. — (G) lz..\x\iil, 20''.
— ':; Kz.. xxxiii, 17-20\ —(S) Ez.,xxxii', 11.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. H

familière que le nouveau royaume ne sera composé que des seuls


individus qui s'en rendront dignes.
Nous n'avons pas non plus à nous attarder sur le deuxième oracle
préliminaire. C'est une réponse à ces prétentions des Juifs de Pa-
lestine dont nous avons déjà i>arlc. Se rappelant qu'étant tout seul,
Abraliam avait eu le pays de Canaan en partaue. ces faux frères, « les
habitants de ces ruines-là on concluent qu'étant nombreux, ils se
-^

suffisent à eux-mêmes et n'ont aucun besoin des exilés (1 à leurs ;

yeux, les captifs sont des indésirables », qui peuvent fort bien de-,
mourer en Chaldée. Ce sentiment s'était déjà fait jour entre les deux
sièges de Jérusalem (2) et Ézéchiel en avait pris occasion d'affirmer
à nouveau le privilège des déportés (3 , déjà proclamé par Jérémie.
Celte fois c'est aux Palestiniens que le voyant s'adresse (ii. ils per-
sévèrent dans les prévarications séculaires, dans ces fautes qu'à plu-
sieurs reprises il s'est plu à relever comme des exemples typiques de
l'infidélité d'Israël (5); et ils oseraient revendiquer à leur profit la
possession du pays, sinon l'œuvre même de la restauration!... Illusion
profonde sont voués à la mort
! Ils ceux qui seront dans les ruines :

tomberont victimes du glaive, ceux qui seront dans les citadelles et


les cavernes mourront de la peste, ceux qui seront dans les champs

serviront de pâture aux bétcs fauves ((i). Le pays sera transformé en


un désert, l'orgueil de sa force prendra fin et personne ne passera
plus au travers des montagnes désolées i7). Et c'est en exerrant ce
châtiment que Yahweh fera éclater sa gloire (8).
Ainsi l'avenir est aux seuls exilés. C'est en leur faveur que jadis Ézé-
chiel proclamait à nouveau la doctrine du petit reste autrefois chère à
Isaïe (9); c'est pour leur instruction qu'il montrait l'homme vêtu de
lin parcourant les rues de la Ville Sainte afin de marquer d'un signe

ceux qui, par leur docilité et leur zèle, méritaient d'échapper au


châtiment (10 et de prendre place en cette élite. La justice divine
i

continuera de faire triompher les mêmes principes et, parmi les


exilés, ceux-là seuls seront appelés à participera l'œuvre et aux béné-
dictions futures qui, par la rectitude de leur conduite, s'en seront
montrés dignes.
Mais, pour les conduire à leurs brillantes destinées, il faut à ces
ànies des guides. Comme toute la description de l'avenir est en fonc-
tion de la restauration nationale, la première mission que la prophétie

'!) Ez., XXMII, 24. — (2; E/.., \i, 15. — (3 Ez.. \I, 16-20. — (4t Ez., \X\iil, 25\ —
.11 Ez., wxiii, 25, 26; cf. XMii, 6-8, 11-13, l.'.-17. — 6) Ez., xwiii, 27; cf. xi, 21. —
Ti Ez., wxiii, 28. — (8) Ez., xxxiii, 29.
".I) Ez. V, 1-4 (cf. Is., M, 13''; VII, 3; \, 20-22; olc). — lo; Ez.. ix, 2'>, 3'', 4, 6'>, 11.
38 REVUE BIBLIQUE.

attribue à ces chefs, c'est de retirer les exilés des divers pays où ils

sont dispersés. Or voici que la pensée des chefs de l'avenir évoque le


souvenir de ceux du passé, que la mention des exilés rend plus fraîche
Fimpression des souffrances qu'ils ont endurées. Ézéchiel, qui. dans
la première partie de sa carrière, était apparu comme le messager
impassible des plus redoutables anathèmes, devient l'interprète atten-
dri d'oracles au travers desquels passe un souffle généreux de pitié
et de bienveillance. J^e souvenir de la détresse des exilés devient
d'abord l'occasion d'une charge contre les princes d'autrefois (1), ces
« pasteurs qui se paissaient eux-mêmes », exploitant jusqu'à les tuer
pour s'en nourrir, les brebis grasses du troupeau, se montrant, d'autre
part, tout à fait indifférents vis-à-vis de ce qui était débile, malade,
blessé, n'ayant aucune sollicitude pour ramener ce qui était égaré,
chercher ce qui était perdu, ne voyant, en un mot, dans l'exercice de
l'autorité, qu'une source de profits personnels (2i. Aussi, faute de
pasteurs qui les retiennent ou les recherchent, les brebis s<^ sont
dispersées sur toute la face du pays, elles ont erré sur les collines et
lesmontagnes, jusqu'à ce qu'elles soient devenues la proie des bêtes
sauvages (3). C'est, à la manière des anciens prophètes i^ et avec plus (

de vigueur encore, faire retomber dune faron très nette la respon-


sabilité du malheur du peuple sur ses chefs, sur les rois qui n'ont
pas su le gouverner. Aussi, après avoir fait le procès de ces mauvais
pasteurs, Yahweh prononce-t-il leur sentence. Il ira à eux, leur rede-
mandera ses brebis, leur arrachera cette proie de la bouche, et ne
leur laissera plus de troupeau à paître (5). A une date où la royauté
n'existe plus, une partie de cette sentence a nécessairement un carac-
tère rétrospectif : Vahweh est déjà allé vers ces mauvais rois pour
les détrôner et les déposséder. Que si le prophète rappelle ce qui ap-
partient au passé, c'est pour marquer que la sentence est sans repen-
tance et que, au moins d'une certaine manière, la déchéance de la
dynastie est définitive.
effet, c'est Yahweh lui-même qui prendra en main la
Désormais, en
direction du troupeau, lui qui en aura souci 6i. qui le mènera paître (

et se reposer (7). Son action sera désormais aussi immédiate et,

comme on doit s'attendre à le lire dans un message d'Ézéchiel, aussi


individuelle que possible. Il passera en revue son troupeau, comme
fait un berger quand ses brebis sont éparses; il retirera les siennes

(Ij Ez., XXXIV, 1-10. — (2) Ez., XXXIV, 2-4. — (3) Ez., \x\iv, 5, 6. — (4) Cf. Am., mi,
:-9; vni, 1-3; Os.,T, 10-14; Tii, 3-12: Is., T. 8-17; xxvili, 14-22; Mi., HI, 1-4, 9-12; Jer..
XXII, 1 -XXIII, 2. — (5) Ez., XXXIV, 7-10.
(6) Ez., XXXIV. 11, 15. — '"'
Ez., xxxiv, 14.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3")

de tous les lieux où elles ont été dispersées en un jour de nuages et

de ténèbres, il les fera sortir du milieu des peuples (l); il aura une
particulière sollicitudepour les plus faibles, il pansera les blessées et
Son action toutefois ne s'exercera pas indis-
fortifiera les débiles (2).
tinctement envers toutes les brebis. Un jugement préludera à leur
rassemblement, qui se continuera pendant tout l'exercice du gouver-
nement divin 3). Yahweh discernera avec soin entre brebis et brebis,
béliers et boucs (4), brebis grasses et brebis maigres (ô), condam-
nant les béliers et les boucs et les brebis grasses (6). Il ne semble
pas qu'il faille voir dans les béliers, les l)Oucs, les brebis grasses, des
catégories diverses de coupables ; il s'agit partout des puissants. Si
l'on voulait à tout prix distinguer des nuances différentes, on pourrait
songer, d'une part, à ceux qui, à des degrés divers, sont dépositaires
de l'autorité et, de l'autre, à ceux que leur seule richesse met en une
situation avantagée : encore faudrait-il se demander si cette distinc-
tion correspond vraiment au milieu que le prophète a en vue. En
tout cas, aux uns et aux autres, ce que Yahweh reproche c'est leur
dure oppression de ce qui est pauvre, de ce qui est faible. Nous assis-
tons à une scène de pâture et dabreuvage. Pour avoir une bonne
place à la pâture et à l'étang, boucs et brebis grasses heurtent du
flanc et de l'épaule, donnent des coups de cornes jusqu'à écarter et
mettre dehors les brebis débiles (7). Ce n'est pas assez de leurs :

pieds ils foulent ce qu'ils laissent de la pâture et de l'eau (8 C'est .

pour sauver ses bre])is maigres, pour qu'elles n'aient plus à brouter
ce que les pieds des puissants ont foulé, à boire ce qu'ils ont troublé,
que Yahweh exercera avec persévérance le jugement (9). Ses bien-
faits seront pour ceux-là seuls qui s'en montreront dignes. Il les ra-

mènera sur leur propre sol, sur les montagnes d'Israël, dans les
vallées et dans tous les lieux habités du pays; là ils paîtront dars
de gras pâturages et reposeront en un bon bercail (10). Là il fera
avec ses brebis une alliance de paix, écartant les bêtes féroces, afin
qu'on puisse demeurer avec sécurité dans le désert et dormir dans les
forets (11). Comblée de bénédictions, arrosée de pluies bienfaisantes,
la terre se couvrira d'une végétation de renom et donnera ses pro-
duits en abondance (12 La sécurité sera complète quand le peuple
1.

sera, d'une part, à l'abri de la famine et. de l'autre, préservé de l'op-


probre des nations (i:î C'est à ces signes que les fils d'Israël recon-
.

(1) Ez., \x\iv, 12. — Ez., \\.\iv,


(2; — Ez., wxiv,
10'. (3) le"". — (4) Ez., wxiv, 17. —
(5) Ez., XXXIV, 20. — Ez., \xxiv, 17-21. — Ez., \xxiv,
(6) (7) 21. — (8) Ez., \xxiv, 18. —
(9) Ez., xxxiv, 19, 22. — (10) Ez., \xxiv, 14. — (11: Ez.,l.J, x\\iv, 25, 28^3. — (12) Ez..
xxxiv, 27*, 29<''. — (13) Ej!., xwiv, 28;i''\ 29''.
40 RKVUE BIBLIQUE.

naîtront que parfaite est l'alliance conclue par Yaltweh avec eux, qu'il
est VTaiment leur Dieu et qu'ils sont son peuple (1 .

boa pasteur pour son trou-


Telles sont les sollicitudes de Yahweli
peau; il fallait s'y arrêter puisque c'est sans doute une des pre-
mières fois (2 que Yabweli se donne ce titre avec quelque insistance.
Si étroite toutefois que soit son union avec son peuple, si immédiate
que soit son action, elles ne vont pas jusqu'à exclure la présence de
tout intermédiaire. Sans doute l'antique dynastie a été maudite et le
temps des mauvais pasteurs est passé. Mais la dynastie elle-même
peut être renouvelée et redevenir digne de gouverner la nation
puritiée. Au fait, si Yahweh veut être à tout prix le Dieu de ses brebis,
il aura quand même un prince au milieu d'elles (3 ,
prince qui ne
sera que sou serviteur, mais auquel pourtant il communiquera son
titre de pasteur (ï); ce prince sera de race davidique et il l'appelle
<« David mon Dans un autre oracle, le descendant de
serviteur » 5).

la race antique renouvelée porte le titre de roi (C) et est proclamé


souverain pour toujours (7). Déjà, dans la parabole des deux aigles
et du cèdre, Yalnveb avait annoncé qu'un jour il prendrait un ra-

meau au cèdre élevé, à l'extrémité de ses brandies, qu'il le plante-


rait sur la montagne baute et élevée d'Israël, que le jeune arbre
pousserait des branches, porterait des fruits, deviendrait un cèdre
majestueux, capable d'abriter tous les oiseaux du ciel 8 . Il faut
toutefois le reconnaître pour mieux accentuer la condamnation
: soit

portée contre les anciens souverains, soit pour mettre plus parfaite-
ment en relief le caractère immédiat de l'action divine, soit encore
pour prévenir toute suspicion de la part des Chaldéens, Ézécbiel insiste
peu sur ce roi des temps nouveaux auquel Isaïe, Miellée, Jéréniie et
déjà Anios avaient consacré tles pages si élevées et si éloquentes; le
titre même qu il lui attribue, prince, /tr/s/' —
comporte quelque —
cbose de diminué.
Au retour des Israélites en leur pays il semble à première vue
qu'une grave difficulté s'oppose. La terre de Juda est occupée par les
descendants des habitants anciens que Nabuchodonosor y a lais-
sés '9i; mais surtout elle a été envahie par de nombreux étrangers
qui, venus des pays environnants, ont occupé les places abandonnées.

1 Ez., xwiv, 30. ;J1.


(2,-Cf. Jer.jWM. 9 (Vulg. lOijPs., wm ;Vulg. wiij; etc.— -i Ez., wxiv, 24; cf. xxwii, 2".

N-ir: . — (4) Et.., XXXIV, 23. — (5) Ez. \x\iv, 23, 24: xwvii, 24, 25 ("1*1" ''T^i*). —
(6) Ez., wxvii, 24 (DniSî? Tp^). — ^7) Ez., xxxvii, 25. — 8 Ez., xvii, 22, 23.

(9) II Reg., XXV, 12; .1er., Xi.\ix, 10; lii, 16.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 37

les champs laissés en JacliL're par les exilés. Il y a des Edomites, des
Moabites, des fils d'Aminoii. peut-être déjà des habitants de l'an-
cienne Philistie et jusqu'à des Arabes du désert (li. Peu importe.
Yahweh, qui confondra une multitude de nations pour retirer les
exilés de leurs terres (2), Yahweh, qui humihe le monde païen pour
glorifier son peuple, n aura pas de peine à rendre à Israël le pays
que celui-ci La plupart des immi:.;rants qui occupent
doit habiter.
la Palestine, ont profité du malheur de .luda pour témoigner de
leur jalousie et de leur haine: ils ont participé au pillage, multiplié
leurs rires et leurs méchants propos à l'heure du désastre, dévasté,
convoité le pays (3) jusqu'au moment où ils ont pu s'écrier:" Ha!
Ha! les ruines éternelles sont devenues notre propriété (i). » Aussi
le a-t-il de nouveau mission de s'adresser aux collines
prophète
aux vallons et aux ravins, aux ruines désolées et aux villes
d'Israël,
abandonnées (5) pour leur dire que Yahweh a parlé dans sa jalousie
et sa fureur contre ce reste des nations et contre l'Idumée qui, le co^ur
lout joyeux et le mépris dans l'àme, se sont adjugé son pays pour
eu faire leur proie; elles aussi, les nations qui entourent Israël por-
teront leur opprobre (G). Parmi ces peuples, il en est un qui vient
d'être désig-né par son nom et contre lequel portent avec une force
toute particulière les traits renfermés dans l'oracle que nous venons
d'analyser. C'est le peuple d'Edom; Yahweh lui consacre une pro-
phétie tout entière (7), dans laquelle il formule les censures les plus
graves. Malgré les liens de parenté qui les unissaient à Israël, les
Edomites lui ont toujours manifesté des dispositions hostiles et une
haine implacable (8 Mais cette antipathie s'est exprimée avec une
.

force toute particulière au jour de la calamité et de l'iniquité finales.


Et le prophète leur reproche d'avoir livré au glaive les enfants d'Is-
raël (9) : allusion possible à la conduite des Edomites lorsque Nabu-
chodonosor chargea de Juda de se faire les instruments de
les voisins
ses propres veng-eances (10\ ou encore à tels actes de violence qui

(i/t Cf. Neh., Il, 10, 19; m, 33, 35 Vulg. iv, 1, 3i: iv, I (7): vi, 1; etc. Sans doute oa
ne peut pas conclure d'une façon absolue de ce qui existait en 44.'> à ce qui se produisit
aussitôt après 587; néanmoins, si le mouvement d'immigration n'a pas dés l'origine
entraîné tous les groupes dont parle le Mémoire de Néliéinie, il a du. pour plusieurs
d'entre eux, se produire de très bonne heure
(2) Cf. Ez., \\\iv, 12, 13, 27, 28, 29. — (3; E/.., wwi, 3.

(4; Ez., wwi, 2, en lisant, avec le grec ipr.ijLa , riîZ^T ou iT^'^Gw au lieu de r'*Z2,
« hauteurs » (le même mot qui désigne les hauts lieux !i éternelles.
(5) Ez.,\x^\I, 4, 6 : cf. Ez., M, 3. — (Gj Ez.. wwi, 5, 7. — 7) Ez., \\\\. — 81 Ez., \xxT, 5"»
0) Ez., \\\v, 5'.^''.

(10) (I Reg., XXIV, 2; il est vrai qu'on iiienlionne des bandes de Chaidéens, de Syriens.
42 REVUE BIBLIQUE.

auraient pris place à Foccasion du siège et sur lesquels l'histoire garde


le silence. En tout cas ils ont applaudi au malheur du peuple, au
coup qui frappait la capitale et le pays ; ils se sont promis de tirer

leur profit de cette détresse (1). Une telle conduite n'est pas seule-
ment injurieuse pour Israël : c'est Yahweh lui-même qui a été bravé,
Yahweh qui habitait ces montagnes (2). Aussi ne se bornera-t-il pas
à chasser Edom comme il fera les autres peuples (3!; il le traitera

selon la fureur et la haine qu'il a lui-même manifestées (4) ; il le

poursuivra dans ses montagnes de Séir au milieu desquelles il multi-


pliera les cadavres et dont il fera ensuite d'éternels déserts '5). C'est
alors seulement, après l'expulsion et le châtiment des étrangers,
que les montagnes d'Israël pousseront leurs rameaux et porteront
leurs fruits pour le peuple qui est près de revenir, que Yahweh va
ramener, qui rebâtira les ruines, habitera les villes et les rétablira
nombreux que jamais, semblable
pareilles à des places fortes (6). Plus
aux troupeaux de brebis saintes que l'on conduisait à Jérusalem pour
les grandes solennités (7 le peuple, rayonnant des cités qui regor-
,

geront d'habitants (8), se répandra dans tout le pays, comblé, lui


aussi plus que jamais, des bénédictions divines (O; il cultivera et
ensemencera les champs redevenus féconds 10). La terre, aujourd'hui ;

dévastée, mais rendue pareille à un jardin d'Eden 11), sera bien-


veillante à ceux qui l'habiteront; elle ne les dévorera plus, ni ne les
privera plus d'enfants. Elle ne fera plus broncher sa nation; d'autre
part, elle ne portera plus l'opprobre des peuples (12),
Pas plus que .lérémie, Ézéchiel ne s'en tient à ces thèmes de pros-
périté matérielle et terrestre, chers à tous les voyants. Une page
particulièrement importante, mais non entièrement isolée, déciit
l'action purificatrice de Yahweh dans les âmes. Alors qu'ils étaient
répandus au milieu des peuples, il n'a pas abandonné les captifs; il
a été pour eux un sanctuaire au milieu des nations i,13); il a touché
leurs âmes et, à son souvenir, leur cœur adultère s'est brisé et ils se
sont pris en dégoût (l'i.). Mais c'est surtout quand, rassemblés du
milieu des peuples, recueillis des pays de dispersion, ils recevront à
nouveau la terre des ancêtres en partage (lô que Yahweh s'appli-

de Moabites, dAmmonites et qu'on ne dit rien des Edoniites: toutefois le mot 2"^N Syrie

ou Aram] a été souvent substitué par les copistes au mot N~N.


x\xv, 10, 12, 15.
(1) Ez., —
(2) Ez., 5xx\, 10'', 13. — (3^ Ez., xxwi, 5-7. — f4) Ez.,

XXXV, 11, —
(5) Ez., XXXV, 2-4, 5-9, 14, 15. — (6) Ez., xxxvi, 8, 10, 33, 35''.— (7) Ez.,

XXXVI, 37, 38. — (8) Ez., xxxm, 10'', 11», 38\ —


33'', Ez ^9) , xxxvi, 11', — (10) Ez.,
XXXVI, 9. — (11) Ez.. xxxvi, .34, 35". — (12) Ez., xxxvi, 12-15.
(13) Ez.. XI. 16''. — (14) Ez., VI, 9. — (15) Ez., 17: xx, 41,
xi, 42: xxxvi. 24, '28^
LAME JUIVE A[: TEMPS DES PERSES. 43

quera à les sanctifier. Il fera sur eux une aspersion d'eaux pures, et
les lavera de toutes leurs souillures et de toutes leurs ignominies (I ;

leurs abominations et leurs idolâtries ne profaneront plus le pays (2


et ne déshonoreront plus le nom divin (3). En même temps il leur
donnera un cœur nouveau, substituant à leur cœur endurci à leur cœur ,

de pierre, un cœur de chair (i); il mettra au dedans d'eux un esprit


nouveau qui ne sera autre chose qu'une communication de son pro-
pre Esprit et qui les rendra dociles à ses ordonnances, fidèles à ses
lois (.5). C'est alors qu'à vrai dire il se souviendra de l'alliance con-

clue avec Israël aux jours de sa jeunesse et qu'il la renouvellera pour


jamais (6). C'est alors seulement qu'au sens complet de ces termes, les
fils d'Israël seront et qu'il sera leur Dieu (7). Alors
son peuple et

alors seulement, pourront habiter en sécurité ce pays auquel


ils il

accordera — il se plait à le déclarer de nouveau bénédiction — et

prospérité (8).

Bien que répétées sans doute h plusieurs reprises, semble que ces
il

prédications n'aient pas produit des effets étendus ni durables. Après


avoir combattu pendant toute la première partie de sa carrière un
optimisme irréfléchi, Ézéchiel se trouvait maintenant en présence
d'un pessimisme et d'un découragement indéracinables {9j. C'est en
vue d'y porter remède qu'il est favorisé de la grande vision des osse-
ments desséchés (10). Inutile d'en rappeler le contenu à nos lecteurs,
ni d'en signaler la beauté grandiose. Remarquons seulement quel en
est le point de départ, quelle point d'arrivée, quelles les deux phases;
pour ce faire, laissons-nous guider, non par des idées préconçues ni
par une exégèse superficielle, mais par les explications du prophète
lui-même (11). Les ossements desséchés, tout à fait desséchés qui.
en si grand nombre, couvrent la plaine, « c'est toute la maison d'Is-
raël (12) )), c'est-à-dire, selon toute probabilité, l'ancien royaume du
Nord et celui de Juda; ce sont les exilés de ces deux régions qui, dis-
persés aux quatre coins du monde, vivent d'une vie si misérable
qu'elle est toute voisine de la mort, qu'elle leur a inspiré à eux-mêmes
un insurmontable pessimisme; ce sont ces exilés qui, du fait même
de leur dispersion, ne constituent plus un peuple, sont morts comm<>
peuple, à telle enseigne que Yahweh peut les regarder comme en-
fermés dans leurs tombeaux (13), que seul Vahweh peut les faire

Il Ez., \\x\i, 25. — (2) Ez., M, 18. — (3) Ez., x\, 39''. — (4) Ez., \i, 19: \xx>i, 2H. —
(5;Ez., XI, 19-.3, 20'; xxx\i, 26, 27. — (6 Ez., \vi, 60, 62\ — (7) Ez., xii. 20''; xxwi, 28''.

— (8) Ez., xxxvi, 29'', 30, 34-38.


(9) Ez., XXXVII, 11. — (lO)Ez., wwii. 1-1 i. — (11) Ez., wwii, 12-14. — (12)Ez., xxxvu,
1, 2, 11». — (13^ Ez., \x\Mi. 12'.i.
44 REVUE BIBLIQUE.

revivre, peut savoir si en réalité ils revivront (1). Or c'est de ces


ossements que Vahweh lui-môme, avec une précision très expressive,
annonce la réunion en forme de corps, puis la résurrection (2) ce :

sont ces exilés qu'il fera sortir de leurs tombeaux et qu'en forme de
peuple il ramènera dans leur pays i3). L'œuvre de résurrection,
en cllet, s'opère en deux phases. Les ossements se réunissent, des
muscles, de la chair, de la peau les recouvrent, ils reprennent une
forme humaine; de même les Israélites épars se grouperont à nouveau
en une masse, en une forme do nation V». Mais les ossements n'ont >

pas encore repris la vie. Pour la leur communiquer, il faut que


l'Esprit de Dieu les pénètre, que, des quatre vents du ciel — l'Esprit
est personnifié comme une sorte d'être intermédiaire, non toute-
fois sans quelque assimilation avec le vent — il vienne et entre en
eux; alors seulement, ils cesseront d'être des niasses inertes, ils se
ils constitueront une grande, très grande
tiendront sur leurs pieds,
armée même
ne redeviendra vraiment un peuple qu'au
(ô).^De Israël
jour où Vahweh mettra son Esprit dans les exilés; alors seulement la
vie nationale sera, à proprement parler, rétablie (6 . Bien plus, dans
un livre prophétique où les idées se suivent avec tant de logique,
tout porte à croire qu'au mot Esprit sattache ici la même signification
que nous signalions il n'y a qu'un instant. L'Esprit de Yahweh qui
rendra au peuple sa vie nationale sera le même qui communiquera
à ses membres la vraie vie religieuse, purihée de tout alliage suspect ;

vie de sincérité, de rectitude, de docilité à la loi divine, hans toute la


force du terme, le nouveau peuple sera un peuj)le fidèle.
La vision a pour complément l'action syniboli(pie des deux scep-
tres (7). Sur l'un d'eux se lit l'écriteau à Juda. Sur l'autre à Jo- : :

seph. Le prophète les doit rapprocher de telle sorte qu'ils ne forment


plus cju'un seul sceptre dans sa main (8). C'est pour marquer l'union
future des tribus du Nord, groupées autour d'Ephraïm, avec celles
du Sud, groupées autour de Juda (9). Pas plus que les autres pro-
phètes, Ezécliiel ne peut [)rendre son parti du schisme lamentable

I) Ez., wwii, 3. — 2 Ez., wwii, 4-G. —


(3i Ez., wwii, 1M4. — (4) Ez., wxvii,
7, 8, 12, 13. — (b) Ez.,wwii, 9, 10.
(6) Ez., xxxvii, 14. On le voit donc, Tobjel propre de la vision des osseinenls desséchés
n"esl nullement la résurrection des niorls, au sens oii l'on entend celte expression en
l'appliquant aux idées clirétiennes. Ce dojime parait être enseigné pour
la première fois, au
moins d'une façon claire, dans Dan., \ii, 2, 3 (cf. toulelois Is., \\\i, 19 Ce que l'on peut .

dire néanmoins, c'est que la métaphore dont Ézéchiel se sert pour annoncer la renais-
sance disraid suppose que l'idée de la résurrection des défunts était compréhensible pour
ses auditeurs, ne leur était pas entièrement étrangère cf. .lob., xi\, 23-27, dont le sens
est d'ailleurs très difficile à fixer).
(7) Ez., xxwii, 15-28. —(8) Ez., xwvii. IG. 17. 20. — :'.('
Ez., wwn, 18, 19.
LAME JCIVl': AU TEMPS DES PEllSES. 4 5

(jui a divisé la nation. Ce sont tous les tils d'Israël sans distinction

que Yahweh rassemblera du milieu des païens; c'est à eus. tous


qu'il donnera les montagnes, le pays il avai^
d'Israël, la terre dont
assuré la possession à Jacob et qu'avaient habitée leurs ancêtres com-
muns (1). Il les ramènera à leur état premier (2). En eux tous il

accomplira de purilication que nous décrivions plus haut et


le travail

qui les préservera de tout retour vers les œuvres du passé (3) en la :

faveur de tous il renouvellera l'alliance de paix, l'alliance éternelle,


gage de toutes sortes de bénédictions (ï). D'eux tous il fera pour
jamais un seul peuple à la tète duquel il mettra le futur roi de race
davidique (5). En la faveur de tous enfin, il érigera à nouveau son
sanctuaire, heureux de fixer sa demeure au milieu d'eux, au-dessus
d'eux (6). Car il n'a pas à jamais déserté sa montagne sainte, la
haute montagne d'Israël. A l'avenir comme par le passé, il prendra
plaisir à voir tout ce qu'il y a dans le pays l'y servir, à y recevoir les
oti'randes des rapatriés et les prémices de tout ce qu'ils lui con-
sacreront (7). C'est ainsi que Yahweh fera pousser une corne à la

maison d'Israël (8).


Telle est la prodigieuse richesse de ces pages dans lesquelles on
entend l'écho de toutes les prophéties antérieures. On a Timpressioii
que ces oracles supposent la plupart de ces visions d'avenir dont les
critiques rejettent si volontiers l'authenticité pour les reporter après
l'exil, et qu'ils les résument. Toutefois nous n'avons pas encore sig-nalc
l'élément qui, plus que les autres peut-être, contribue à les carac-
tériser. D'abord, au moment où il parle de la rentrée du peuple en
son pays et de l'œuvre de purification qu'il veut accimiplir, Yabweh
met en relief avec beaucoup de netteté la parfaite gratuité de ses in-
terventions. Il rappelle que, dans le passé, les fils d'Israël ont souillé
le pays par leurs œuvres, par sang qu'ils ont répandu, par leurs le

infâmes idoles. Leur conduite était devant leur Dieu comme la souil-
lure d'une femme et c'est ce qui a provoqué sa colère et déchainé le
châtiment (9). Or ils n'ont pas compris le sens de l'épreuve. Ar-
rivés sur la terre d'exil, ils ont continué leurs prévarications. Et
c'étaitun déshonneur pour Yahweh, une profanation de son saint nom
lorsque, parmi les nations où ils étaient dispersés, on disait « C'est :

son peuple, c'est de son pays qu'ils sont sortis (10), Ils le compren-

(l)Ez., wxvii, 21, 2"-^2, 25". — (2 Ez., \m, 55. — (3) Ez., wwii, 23'''«, 24''. — (4) Ez..
wxvu, 23''.i, 26'''«, 27''. — {:>} Ez., xwvii, 22, 2i% 25''.J. — (G) Ez., wwii, 26''>, 27% 28''.

— (7) Ez., XX, 40. — (8; Ez.. xxix, 21.

9) Ez., XXXVI, 17-19.


(10) Ez., XXXVI, 20. On remarquera ([u'n cel endroit '

"C~p Dll-'PX l")?!!'!; cf. vers.


,

46 REVUE BIBLIQUE.

dront eux-mêmes un jour. Quand ils auront été purifiés, quand leur
cœur et leur esprit auront été changés, quand Yahvveh aura fait pour
eux l'expiation, ils rougiront au souvenir de leurs aliominations, ils
fermeront la bouche de confusion, ils se prendront en dégoût (1);
ils seront humiliés même quand ils compareront leur conduite à celle

des païens [-2). En conséquence, l'œuvre de salut ne saurait être la


récompense de leurs mérites « Ce n'est pas à cause de vous que je
:

le fais, maison d'Israël... (3) » Ces rétlexions, auxquelles feront écho


plusieurs passages de la seconde partie du livre disaïe, montrent
que tout n'était pas parfait sur la terre d'exil, parmi ceux-là mêmes sur
qui les prophètes faisaient reposer leurs espoirs.
Il faut en tout cas chercher à l'œuvre divine un autre but, une lin

indépendante de ceux-là mêmes qui en bénéficient « C'est parce que :

j'aieu pitié de mon saint nom; c'est à cause de mon saint liom que
vous avez déshonoré parmi les nations au milieu desquelles vous
êtes allés... (ï) ». Ainsi le but de Faction de Yahweh. dans l'oHivre
du salut et de la rédemption de son peuple, c'est l'honneur de son
nom, son propre honneur. Aussi bien, ce principe a-t-il une portée
autrement générale. Dans une autre prophétie, où il finit en l'appli-
quant aux interventions miséricordieuses de l'avenir (5), Yahweh
l'a d'abord appliqué à celles du passé. C'était par égard pour son nom
afin quïl ne fût pas profané aux yeux des Égyptiens devant lesquels
il avait fait connaître qu'il ferait sortir Israël de la vallée du Nil,

que, malgré leurs crimes, Yahweh avait tiré les fils de Jacob de la
maison de servitude (6); la même raison avait motivé les pardons
successifs après les infidélités du désert (T). Cet honneur de son nom,
cette gloire personnelle, Yahweh veut les acquérir au regard d'Isrard
et au regard des païens. C'est cette même finaUté qui est exprimée,
lorsqu'il déclare qu'il veut « se g-lorifier », « se sanctifier », c'est-à-
dire se montrer glorieux, se montrer saint, ou affirmer sa transcen-
dance, selon l'élément fondamental de l'idée de sainteté. Ainsi par
l'œuvre de purification qu'il accomplira en faveur des Israélites, il

21, 22, 23, et aussi \\, 39"; dans \iii, 19, on parle de « profaner « Yahweh lul-rnènie :

^nis* niS'^inn*) et xxxix, 7 C&J 'i;r'~p~iZkL*~n.S SmN N'^), on emjiloie le verbe SS" jPiel
et Hiphil) qui évoque l'idée de profanation cérémonielle (souiller, rendre impur, au point
de vue rituel et légal). Ce terme se retrouve à plusieurs reprises dans la Loi de sainteté
à propos du nom de Dieu, tout comme dans Ezéchiel (Lev., xvni, 21 xix, 12; xx, 3 xxi, ; :

6; xxu, 2, 32).
(1) Ez., VI, 9; XVI, 61, 63; xxwi, 31. — (2) Ez., xvi, 54; cf. m, 5-7 et v, 6, 7. —
(3) Ez., XXXVI, 22=':i, 32'; cf. xx, 44''.

(4) Ez., XXXVI, 21, 22''. — (5) Ez., xx, 44\ — (6) Ez., xx, 9. — (7) Ez., xx, 14, 22.
i;ame juive al' temps des perses.

" se sanctifiera » en eux à la vue des nations ( 1 ) ; de même lorsqu'il


frappera Sidon, il < se glorifiera » et < se sanctifiera » en elle parmi
les peuples (2i. L'on peut se demander quel sera le mode précis et
spécifique de cette glorification. Elle consistera sans doute, en ce
que. par son action même, par la splendeur de ses manifestations,
Yahweii révélera sa puissance et sa transcendance. On pourrait penser
aussi qu'à l'arrière-plan de ces concepts se trouve l'idée qui est
exprimée avec tant de force dans la seconde partie du livre d'Isaïe (3),
à savoir, qu'en accomplissant ses œuvres après les avoir prédites,

IJieu révélera la maîtrise absolue avec laquelle il préside à l'histoire


du monde, en même temps que la sagesse suprême avec laquelle il

dirige le cours des événements. Peut-être même pourrait-on allég-uer,


à l'appui de cette hypothèse, des formules telles que celles-ci : « Moi,
Vahweh, j'ai parlé (i) », « Moi, Yahweh, j'ai dit el je ferai (5) ». « Ils
sauront que moi, Yahweh, j'ai parlé dans ma jalousie, quand j'aurai
assouvi mon courroux sur eux i6). »
En connexion étroite avec ce sujet est une formule qui revient très
souvent dans Ézéchiel et qui indique, elle aussi, le but que Yahweh
poursuit en ses conduites. C'est la formule « Yous saurez (ou Ils sau-
ront) que je suis Yahweh (7). » Parfois elle se lit, dune manière
absolue et indépendante, à la fin (8) ou au cours (9) d'un développe-
ment; elle a alors l'apparence dune conclusion générale ou d'une
remarque incidente. Ce sont les cas les plus fréquents. Mais parfois
aussi la relation est directement établie avec le fait particulier qui
doit mettre en évidence la présence et l'action divines : « Et vous
saurez que je suis Yahweh quand leurs morts seront au milieu de
leurs autels 10 . » D'ailleurs la formule présente quelques variantes :

« Vous saurez que c'est moi, Yahweh, qui frappe (11 ) » ; « Yous saurez
que. moi, Yahweh, j'ai répandu mon courroux sur eux 1
1-2; •>
;
« Toute

(1) Ez., \\\vi, Ti. D'ailleurs on trouve dans le raèine verset Je sanctilierai mon grand :

nom, qui est déshonoré, parmi les nations au milieu desquelles vous lavez déshonoré,
(2)Ez., xwin, 22, 25. — 3) Is., \u, 21-29; xuii, 8-13; xuv, G-8: XLvni, 1-16. (4) Ez., —
A, 17;xxi, 22, 37(Vulg. 16.32); xxviii, 10.— !5)Ez., xvii, 24. — (6) Ez-, v, Î3 (cf. xvii, 21».
(7) Ez., \i, 7, 13% 14''; VII, 4, 27; xi, 12; xii, 15, 16, 20; xnt, y, 14, 21, 23; Xiv, 8; x\,
7; XVI, 62; \\, 38, 44: \xii, 16; xxm, 49; \\iv, 24, 27; XW, 5, 7, 11, 17; xxvi, ti ;

wviiu 23, 24; XXIX, 9, 16, 21 ; x\x, 8, 19, 25, 26: \KXli, 15; xxxiv, 27; x\xv, 4, 9, 1%
15; xvxvi, 11, 36, 38; Xïxra. 6, 13, 14, 28; etc.
(8) Ez., M, 7, 14'-; VII, 4, 27: XI, 12; Xtl, 16, 20; \ni, 2:i ; v\l(, 16; \\UI, 4'); \\i\, 24,
27; XW, 5, 7. 11, 17; xxvi, 6: xxviii, 24: x\iv, 16, 21; \v\, 19, 26; xxxv, 4, 9; xxxvi,
38; xxxvii, 6, 14; etc.
(9; Ez., XIII, 9, 14, 21: \iv, 8; wi, 62; \\, 38; WMii, 23; xxii, 9; x\xv, 12; x\x\i,
11; etc.
(10) Ez., VT, 13^ cf. \ii, 15; \v, 7; \\, 42, 44; x\\, 8, 25. — ;il) El., vri, 9. — (12) E/..,
wil, 22.
48 REVUE BIBLIQUE.

chair verra que c'est moi, Yahweli qui l'ai allumée [la llainme dévo-
rante] (1) » ;
« Ils sauront ma vengeance
formule sert (2) » ;
etc. Cette

d'abord à préciser le but des interventions divines dans l'histoire


d'Israël, mais dune manière très spéciale dans les sanctions qui ont
châtié les prévarications nationales. Alors qu'en tant de manières il

les poursuivait pour leurs crimes, et à mesure que sur eux s'abattaient
les fléaux, les enfants d'Israël ont dû apprendre que c'était Yahweh qui
les frappait : la première partie du livre d'Ézéchiel est toute pleine de
cette idée (3). C'est comme un nouveau mode d'éducation, se substi-
tuant à celui des bons procédés et des attentions délicates, dont la fail-

lite a été à peu près complète V . Toutefois la, présence et l'action de


Yahweh n'apparaîtront pas avec moins d'éclat dans l'o'uvre du salut,
dans la restauration et la sanctification futures. Yaliweli l'avait dé-
claré en des oracles antérieurs, il se plaît à le redire maintenant
que toute l'activité du prophète est à la préparation de l'avenir :

Israël « saura que je suis Yahweh » lorsqu'il verra se succéder les


diverses phases de sa propre résurrection (5) il le reconnaîtra, lors- ;

qu'après avoir brisé les barres de leur .joug' et les avoir délivrés de
ceux qui les asservissaient . son Dieu aura, en effet, assez de puis-
sance pour ramener les exilés au pays qu'il avait juré, la main levée,
de donner à leurs pères 7) ». lorsqu'il aura renouvelé son alliance
avec eux 8) et (jue. les multipliant outre mesure, il les comblera de
bénédictions dans le pays renouvelé (9). Il le saura (juand il aura
discerné les motifs mêmes de l'action divine, entièrement indépen-
dants de ses propres mérites (10 Le sens de la locution ne saurait
.

faire difficulté. OKuvres de châtiment ou de miséricorde, de ruine ou


de délivrance, toutes ces interventions font éclater tant de puissance,
de majesté et de grandeur, tant de justice en même temps et de bonté,

en un mot, des attributs si transcendants, qu'on ne peut manquer de


reconnaître leur auteur et de confesser que cet auteur est Yalnveh.
Au regard d'Ézéchiel, l'action de et dans Yahweh dans le monde
l'histoire que mettre en relief et n'a d'autre but que de îiiettre
ne fait

relief sa sainteté, la grandeur et la gloire de son nom. Voilà ce que


le prophète voit en tout, ce qui l'a si profondément saisi au jour de

sa vision inaugurale, ce qui le frappe de plus en plus à mesure que


se déroulent les événements auxquels il est mêlé et que s'éclairent
les horizons de l'avenir. Voilà e qui, en même temps, lui donne une i

(1) Ez.,\\i, 'i(Vulg. \\, 48); « r. \\i, 10(5). — (2) Ez., x\v, 14. — (3 Ez., vi, 7, 13% 14'';e(r.
— ('(j Cf. Ez.. \M, 6-34; \\. 5-8, 10-13; elc. — (5) Ez., xxxvii, 6, 13, 14. — (6) Ez., \\\iv,
27. — (7! Ez., x\. 42. — [S; Ez., xvi, 62. — (9) Ez., xxxvi, 11. — (10) Ez., xx, 44.
LAME JUIVE A[ TEMPS DES PERSES. 40

si profonde conviction de sa petitesse quand il se trouve en pré-


sence de Yahweli et que Yahweh daigne s'entretenir avec le (( fils

d'homme » il) quil est.

IV

Les fils d'Israël ne seront pas les seuls à faire l'expérience de la


majesté divine; Yahweh veut aussi que ses interventions dans le
monde physique et dans l'histoire profitent aux nations.
Lorsqu'on lit les « charges » d'Isaïe contre les peuples païens, on
constate que plusieurs des jugements de châtiment sont suivis de pro-
messes de restauration et de conversion magnifique au vrai Dieu 2).
iMalgré que leur contenu cadre assez fidèlement avec celui d'autres
prophéties sûrement authentiques i3}, les critiques prétendent sou-
vent que ces sortes d'épilogues ne remontent pas au voyant du hui-
tième siècle. Ils hésitent pareillement à attribuer à Jérémie les petites
antiennes aux données analogues (4) qui figurent à la fin des oracles
contre les nations, pour la plupart eux-mêmes très discutés, que ren-
ferme le livre du prophète d'Anathoth. En tout cas, Je livre d'Ézéchiel
ne contient que très peu de semblables promesses.
Sans doute la finale de l'une des prophéties dirigées contre l'E-
gypte (5) annonce la restauration de l'empire des pharaons; mais
si, au bout de quarante ans, Yahweh doit rassembler les captifs d'E-

gypte dispersés parmi les peuples, s'il doit les ramener dans le pays
de leur origine, c'est sous la réserve expresse qu'ils n'y seront plus
qu'un humble royaume, le moindre des royaumes, réduits en nombre
et incapables de s'élever au-dessus des nations et de les dominer, inca-
pables de redevenir un objet de confiance pour la maison d'Israël,

La locution ~X~'i|:, qui ne revient pas moins de quatre-vingt-sept fois dans


11)

Ezéchiel(ii, 1, 3, tj. 8: m, l, 3, 4, 10, 17, 25; etc.) et que l'on traduirait plutôt par « fils
d'homme » que par l'expression plus solennelle « Fils de l'homine ». est à peu près
synonyme de D~X ou r\S', et signifie « homme ». On peut la rapprocher de la formule
usuelle en syriaque ^^. Dans le livre d'Ézéchiel, où elle ne vient que sur les lèvres de
^ ahvNeh, elle sert à mettre en relief la petitesse de l'homme au regard de Dieu. On sait
que, dans le livre de Daniel et dans certaines apocalypses apocryphes, la même locu-
tion, appliquée au Messie, une tout autre portée; mais le sens fondamental demeure
a
le même (cf. Dan., vu, 13; Livre dHénoch, xlvi, 3; xlvui, 2; lxii, 5, 7, 14; lxiii.
11;
i.xtx, 26, 27, 29; Lxx, 1 ; lxxi, 17). Dans ces livres d'ailleurs (Dan., vin, 17: Hen.. lx, 10;
i.xxi, 14), la locution, appliquée à des hommes, prend le même sens que dans Ezéchiel.
(2) Is., xvm, 7, après 1-6; xix, 16-25, après 1-15: xxiii, 15-18, après 1-14. — (3) Is.. u.
1-4. — (4) Jer., XLViH, 47; xux, 6, ."ÎQ.

(5) Ez., XXIX, 13-1(1.


REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 4
50 REVUE BIBLIQUE.

propres seulement à lui rappeler le crime dont jadis elle se rendait


coupable en se tournant vers eux. De la conversion des Égyptiens
à Yalnveh, pas un seul mot.
Très particulière est en revanche la situation faite à Sodome, en
l'un des oracles concernant le péché séculaire. Nous l'avons dit :

Sodome Samarie dans une parenté étroite avec Jéru-


est associée à
salem; elles sont lune et l'autre sœui's de Jérusalem, et toutes trois
sont filles dune même mère héthéenne, dun même père amorrhéen (1.
Du vice de telles origines elles ont senti toutes trois les effets, avec
cette différence que Jérusalem a été beaucoup plus perverse que
ses deux sœurs (2 . Le jugement, qui a associé les coupables dans
la sentence de châtiment 3). doit aussi les associer, quand la justice
aura son œuvre, dans le pardon et la restauration. Aussi Yahweh
fait

rétablira-t-il Sodome et Samarie. puis Jérusalem au milieu d'elles (4;.


Il les rétablira dans leur premier état (5\ en attendant que de ses
sœurs il fasse des filles, c'est-à-dire des cités dépendantes, de la

future capitale du royaume de Dieu (6;. Mais quelle est la raison


d'être de cette intervention divine en faveur de Sodome? La même
que celle de l'intervention en faveur de Samarie, et l'une et l'autre
ont pour but l'éducation de Jérusalem. Par sa conduite plus crimi-
nelle, celle-ci a en quelque sorte justifié ses sœurs ^7), elle a fait
paraître leurs crimes moins atroces. Mais sa confusion, commencée
le jour où elle se trouvera associée dans le châtiment à ces sœurs —
(1) Ez., svi, 44-46. — (2) Ez., \\i, 44, 45, 47-51. — (3) Ez., \\l, 43, 52.

(4) Ez., XVI, 53. Le texte porte : r''2*w'-D»NI (Q'rè[y]) : ^nri2lr) "jnmiUJ-rNt ''nsui

:î)^2x:^ -Ti:2i piçc (Q'rè[i] : p-nu;) n•^2U7-n^f•^ n^riini aip (QTê[y] .- n^ntz;)

ri:~jhn2 'lT'i2w' Q'rê[yl : ri2U). On noiera que le Q'"rèj] âpp«ie le plus souvent

la forme ri2w' contre la forme îTi2*Ç : du Kt'ib'' 'la première fois néanmoins le Kn'ih''

a lui-même ":nni2r). Quant à ces termes n''2ï7 ouJ113tZ^, ils expriment d'ordinaire, ou

bien l'idée abstraite de captivité, ou bien l'idée concrète, quoique générale, d'un groupe
de captifs. D'où, même pour notre passage, la traduction assez fréquente : « Je ramènerai
les captifs de Sodome. » Mais précisément cette idée de captivité ne va pas à propos de
Sodome, dont les habitants ne sont pas allés en exil. Or. dans .lob, xui, 10, cette locu-
tion,appliquée à Job lui-même, ne pent vouloir dire que rétablir dans l'étal ancien, :

ramener l'état ancien. Rien ne s'oppose à ce qne cette signification soit adoptée à propos
d'un groupe ethnique tout aussi bien qu'à propos d'un individu et telle est, en ellét, la
signification la plus naturelle dans le texte qui nous occupe. Pour la fin de la phrase, le

texte massorétique -|':ri2*»l* r*2L.'' ne donne pas de sens acceptable; il faut, d'accord avec

le grec (xaî àjtouTp£4>w Tr.v àitocxpoçYiv (7oy), lire ^r)'';^kù* ''r2\L*'l. On a ainsi : « Et je

retournerai leur sort, le sort de Sodome et de ses filles, et le sort de Samarie et de ses
filles : et je retournerai ton sort au milieu d'elles. »

(5) Ez., \vi, 55. — (6) Ez., xvi, 61. — (7) Ez., xvi,
52''.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. .1

Sodome surtout — qu'elle a tant méprisées il j, sera bien plus grande


([uand elle les verra participer à la restauration, bénéficier comme
elle-même de la miséricorde divine (2) . Ce qui achèvera de Fhumilier,
.0 sera lacté suprême de bonté par lequel Yahweli lui subordonnera
ces sœurs de jadis (3) qui auraient, semble-t-il, mérité de la dominer
H jamais. La pensée est belle qui rend les interventions de la bonté
plus efficaces que les coups de la justice quand il s'agit de toucher
les coupablesde les amener à résipiscence. On peut dire que, par
et

la place qu'elle est appelée à prendre parmi les « filles de Jérusalem »,


Sodome est, dans une certaine mesure, associée à l'espérance mes-
sianique, qu'implicitement sa conversion est présupposée. Mais il est
à craindre qu'en poussant ainsi à bout les conséquences de la parole
prophétique, on ne dépasse notablement la pensée même et les
intentions du voyant.
Rien de pareil en tout cas pour les autres peuples. Sans doute Ézé-
chiel est persuadé que l'action divine ne sera pas sans influence sur
les nations. Vahweh les a perpétuellement en vue dans ses diverses
interventions. Mais il semble qu'il ne poursuive d'autre but que
d'amener ces peuples à reconnaître son nom, sa grandeur, sa puis-
sance, en un mot ses principaux attributs. Sans doute on peut et on
doit dire que cette reconnaissance elle-même est un premier pas, un
acheminement vers la conversion, vers cette soumission à l'autorité
divine, vers cette adhésion à la parole de Yahweh, vers ce culte de
Yahweh qui caractériseront la vie de tous les citoyens Juifs et —
païens —
du royaume messianique et que les textes d'Isaïe et de Jéré-
mie auxquels nous avons fait allusion décrivent avec tant d'éclat ;

mais, avec Ézéchiel, nous ne sommes qu'à ce premier pas et nous y


restons. On pourrait, il est vrai, envisager la question d'un autre
point de vue, dire, par exemple, que, si les textes du livre d'Isaïe
nous montrent le terme de l'activité divine, ceux du livre d'Ézéchiel
nous révèlent les moyens qui seront mis en œuvre. La remarque
serait juste, objectivement parlant; mais on risquerait, en adoptant
cette interprétation, d'introduire dans la pensée même du prophète
des nuances qui lui sont étrangères. Ces réserves faites, on remarquera
que le fils de Buzi, —
ou Yahweh par son intermédiaire se plaît à —
revenir sur l'impression que par son action Yahweh se propose
d'exercer sur les peuples étrangers. Ce but il l'a poursuivi dans le
passé lorsque, traitant avec les Israélites prisonniers dans la vallée
du Nil ou errant dans le désert, il voulait à tout prix que son nom ne

(1) Ez., XVI, 52', 5*3-58. — 2) Ez., \\i, .4. — > Ez.. wi, 61.
52 REVLE BIBLIQUE.

fût pas déshonoré, « profané » au regard des nations (1 ). Il poursui-


vra ce morne but dans l'œuvre du salut d'Israël. Par leur conduite au
milieu des peuples parmi lesquels ils ont été dispersés, les captifs
eux-mêmes déshonorent son saint nom, le profanent (2). C'est pour
cette raison qu'il va intervenir; c'est afin de faire reconnaître par les
nations la sainteté de son nom, sa propre sainteté, qui risquent d'être
à jamais méprisées, qu'il va les manifester dans ses conduites envers
Israël (3). Mais, dune manière peut-être plus efficace encore, Dieu
poursuit cette fin dans elles-mêmes. Le
ses rapports avec les nations
châtiment qu'il infligera aux Ammonites (i aux Moabites (5 aux , ,

Edomites (6), aux PhiUstins i7), aux Tyriens (8), aux Sidoniens (9\
aux Égyptiens dO) doit leur apprendre, tout comme aux Israélites,
qu'il est Yahweh. leur faire reconnaître sa propre vengeance; l'œu-
vre de restauration en faveur des Égyptiens tendra, elle aussi, à
la même fin (11). Le caractère, le mode de ces interventions doivent
être tels que ceux qui en seront l'objet ne puissent se méprendre sur
celui qui en est l'auteur. Comme Vahweh le dit à propos de Sidon 12 1
,

il se glorifiera au milieu des peuples: il fera éclater sa gloire avec

tant de. magnificence qu'on ne pourra en aucune façon la méconnaî-


tre. Voilà pourquoi, comme ceux qui s'adressent à Israël, les oracles

contre les nations sont sans cesse scandés par la formule : « Et


vous saurez (ou Et ils sauront) que je suis Yahweh. »

Cette éducation des peuples étrangers ne se réalisera point toutefois


en un seul acte. Les interventions qui marqueront leur châtiment,
celles qui aboutiront au salut et à k restauration dlsraëd ne leur
révéleront pas à ce point la nature et les attributs de Yahweh qu'à
tout jamais ils soient disposés à lui rendre hommage leur indiscipline :

persévérera ou se ranimera, même après ces manifestations, pour-


tant si éclatantes, de la grandeur divine. Il en faudra d'autres pour
assurer au vrai Dieu le triomphe défînitit. Aussi Ézéchiel va-t-il

introduire dans la prophétie un élément nouveau qui jusque-là n'y


avait point pris place et sur lequel il est à propos de s'expliquer.
Pour Isaïe, abstraction faite de ces chapitres xxiv-xxvii de son
livre qui forment un tout à part, pour .(érémie et pour Michée,

(1) Ez.. \x, 9, 14, 22. — (2) Ez., xxxm, 20, 21, 22, 23. — (3) Ez., xxxvi, 21, 22, 23. —
(4) Ez., XXV, 5, 7. — (3) Ez., xxv, 11. — (6) Ez., xxv, 14. — (7) Ez., xxv, 17. — (8) Ez.,

XXVI, 6. — Ez., xxviii,


(1») 22, 23, 24, 26. — (10) Ez., xxix. 9, 21; xxx, 8. 19, 25, 26;
xxxn, 15. — (11) Ez., XXIX, 16. — (12) Ez., xxvm, 22^i.
LAiME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. o3

comme pour Amos et Osée, les perspectives d'avenir glorieux s'arrê-


tent au rétablissement national d'Israël, mis en relation immédiate
avec les temps et l'œuvre messianiques. C'était pour eux, en bloc,
la fin des temps. Mieux vaudrait dire les derniers temps, ia der-
:

nière période des temps. Selon notre manière de parler, en effet,


lin des temps et fin des temps et renouvellement du
du monde, fin

monde physique, substitution de nouveaux cieux et d'une nouvelle


terre à ce qui existe aujourd'hui, sont choses à peu près identiques.
Or, bien que, adoptant en partie son langage, ils aient pu emprun-
ter certains traits aux concepts de l'eschatologie populaire, les pro-
phètes du huitième siècle n'ont pas englobé dans leurs visions la
métamorphose finale du monde; ce domaine sera exploré par les
auteurs d'apocalypses. C'est sur la terre actuelle et dans des condi-
tions, au point de vue physique, sensiblement pareilles aux conditions
actuelles que l'œuvre de Dieu doit se manifester; c'est même ce
qui explique la présence de ces promesses de bénédictions qui ont
pour but de rendre le sol fertile; la nouvelle terre des apocalypses
aura par elle-même la plus riche fécondité. Néanmoins, du fait qu'au
regard de ces voyants, la période de la restauration nationale et
de l'avènement messianique —
c'est une seule et même période —
constitue le dernier âge du monde, on peut à juste titre parler d'es-
chatologie à leur sujet. Et il est pareillement convenable d'employer
ce terme à propos d'F]zéchiel le cadre général de ses visions d'ave-
:

nir est, en effet, le même.


Mais voici où éclate la différence. Les prophètes du huitième siècle

et du septième voient tout ce qui regarde le dernier âge du monde


sensiblement sur le même plan, un peu comme il arrive dans les
tableaux chinois ou sur les bas-reliefs assyriens ils ne distinguent ;

pas de périodes consécutives, d'horizons successifs. C'est Ezéchiel


qui semble avoir été le premier à établir de semblables distinctions.
Ce n'est pas que sa vision de l'avenir soit complète. Lui non plus
ne va pas jusqu'à ce qu'il faudrait appeler, dans un sens tout à fait
strict, la fin des temps après comme avant les suprêmes manifes-
:

tations qu'il est appelé à contempler, l'histoire du monde se déve-


loppe à la manière de l'histoire actuelle. Lui non plus ne fait pas
intervenir ces transformations physiques qui, dans les apocalypses,
aboutissent à la création de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre,
au renouvellement du cosmos. Sans doute il y a bien çà et là, dans
les chapitres auxquels nous faisons allusion (1), des traits qui ne

Il Ez., \\x\iii-x\\ix.
.

o4 REVLE BIBLIQUE.

sont en rapport ni avec la constitution réelle du pays d'Israël, ni


avec les ^dcissitudes qui normalement s'y succèdent. Dune part,
en effet, « l'imagerie » apocalyptique ne sest pas formée et déve-
loppée tout dun coup, et il n'y a rien en soi de surprenant à ce
qu'on lui trouve des antécédents en Ézéchiel. D'autre part, les auteur»
d'apocalypses ont emprunté divers éléments de leurs descriptions
à lescliatologie populaire, et Ézéchiel a pu fort bien puiser à la
même source. En tout cas les traits dont nous parlons sont isolés et
après la g-rande intervention divine, c'est le monde actuel qui con-
tinue de vivre, c'est l'histoire actuelle qui se renouvelle, quoique
dans des conditions meilleures, plus favorables au règne de Dieu.
Ce qui est propre au fils de Buzi, c'est d'avoir perçu deux horizons
successifs dans le développement de ce règne. C'est, par delà la

restauration nationale et la première victoire de Dieu sur le monde,


d'avoir considéré une seconde \ictoire aboutissant à un triomphe
cette fois tout à fait définitif. !*lus tard sans doute, les apocalypses
relégueront ce triomphe jusqu'à la tin des temps et le mettront en
relation avec la transformation physique de l'univers. Mais la pensée
d'Ézéchiel ne va pas encore jusque-là; la vérité, dans l'Ancien Tes-
tament, ne se fait jour que lentement et par étapes successives.

Deux locutions précisent la situation chronologique des événements


envisagés dans les textes que nous devons étudier (1 ), ainsi que leurs
rapports avec l'objet des visions précédentes, de celles-là même qui
ont pour thème l'avenir glorieux d' Israël. Nous sommes transportés
« après beaucoup de jours..., à la fin des années ». « à la fin des
jours Nous avons déjà souligné la valeur de ces expressions.
(2). »

Qu'elles ne nous fassent point perdre de vue la terre et le monde


actuels, nous en avons la preuve dans la description qui nous est faite
de l'état du peuple de Dieu au moment où se produisent les grands
événements que contemple le voyant. Israël est une nation soustraite
à l'épée, rassemblée d'entre i)eaucoup de peuples, séjournant main-
tenant en sécurité sur les montagnes d'Israël depuis longtemps
désertes (3), habitant un pays ouvert dont les demeures sont sans
murailles, sans verrous ni portes '4i, élevant des troupeaux et

acquérant des biens au milieu de ruines maintenant repeuplées,


situées d'ailleurs au centre de la terre [ô'

Or l'événement qui marquera ces temps lointains sera l'invasion


de peuples immenses se précipitant sur la terre d'Israël. L'armée

. (1) Ez., xxxviii-xxxix. — (2; Ez., XXXVIII, 8% 16\ — (3 Ez.. xwvin. 8. 12'", 14''. —
(4) Ez., xxxvni, 11''. — (5) Ez.. xxxvin, 12'';^.
LAME .RIVE AU TEMPS DES PERSES. 5b

aura pour chef un roi à l'allure plus ou moins mystérieuse Gog du : ,

pays de Magog (1;, dont le nom reviendra dans la littérature apo-


calyptique (2) et qui apparaît, sorte d'Antéchrist de lancienne Loi,
comme le chef de toutes les puissances lig-uées contre Yahweh et
son peuple. 11 est prince de Rôs, de Mésék'' et Tùb'al (3;. On ne

peut tenter aucune identification digne dé fixer l'attention à propos


du premier de ces peuples; quant aux deux autres les Mmku —
et Tubalii des inscriptions cunéiformes, ce sont des nations de l'Asie —
Mineure. La suprématie de Gog s'étendra, en outre sur les peuples
de Paras, de Kùs, de Pût, de Gômér et de Tôg-''armâh (ii. L'iden-
tificationde Paras avec les Perses ne soulève aucune objection;
d'autre part, Gômér 'Gimirnya des inscriptions) et Tog 'armâh nous
reportent encore en Asie Mineure. Uuant à Kus lEthiopiens) et Pût,

(1) Ez.. xxxvin, 2; cf. ixxix, 6. Il n'y a pas à chercher à identifier le souverain dont il
est ici question avec «fuelque personnage historique, contemporain d'Ézéchiel. Gog appar-
tient à l'avenir éloigné, à des temps assez indéterminés, mais certainement lointains; si

Ézéchiel s'adresse à lui. c'est par une ligure de style et afin de rendre son oracle plus frai>
pant (\x\viu, 2; xxxix, 1). Mais on peut, au point de vue linguistique, chercher à éta-

hlir des rapprochements qui renseigneraient sur l'origine du mouvement de peuples qui
va être décrit. Deux de ces comparaisons méritent de retenir l'attention celle avec Gôgi, :

qui, dans une inscription d'Assurbanipal (Cylindre B, col. IV, 1. 1, 2: cf. Eherhard Schra-
DEH. Keillnsch riftliche Bihliot/ie/., Sammlung von assyrischen und babylonisclten Tex-
ten in t'mschrift und i'bersetzung, II, p. 178-181, note 102 apparaît comme roi de ,

Sahi, au Nord-Est de rAssjT-ie; celle avec Gùgn, forme assyrienne (cf. parmi les inscrip-
tioHS d'Assurbanipal, celle des Annules du Rassam-Cylinder. col. II, 1. 95: E. Schradeb.
op. cit.. p. 172-173) de Gygès, roi de Lydie. On a aussi pensé à Gagaya. qui, dans les
Lettres de Tell-el-Amarna { KeiUnschriftliche Bibliothek, t. V, p. 5) désigne des Barbares
du Nord: En toute hypothèse, c'est vers le Nord qu'il faudra chercher le séjour et le point
de départ de Gog (cf. Ez., ixxis, 2, 6). Ici d'ailleurs îl ai'paraît avant tout comme le chef
des armées appelées au combat suprême, sans qu'U faille se préoccuper outre mesure d'en
préciser la physionomie, nécessairement un jieu vague et mystérieuse. Le nom de pays
Magog (xxxviii, 2, le H de direction s'est détaché du mot précédent, nïlX, pour se placer,

à la façon d'un article, devant le nom propre, 513*2") pourrait être traité comme étant en

rapport de dérivation avec ilj (au moyen du O locatif : pays de Gog), soit que le nom du
roi ail été artificiellement déduit de celui du pays, soit que dérivé le nom du pays ait ô,té
de celui du roi. La seconde hypothèse ne doit pas être retenue-, on trouve, en effet, dans
Gen., X, 2 un peuple de Magog parmi les fils de Japheth et au milieu des nations de l'Asie
Mineure nouvelle indication touchant le point de départ de la grande révolte. H est pro-
:

bable que c'est l'invasion des Scj-thes, à lépoque de Josias. qui a servi de prototype pour
la description des grands mouvements de la lin des temps.

(2) Cf. Apoc, XI, 7.

'3) Kz., xxvMii, 2, 3; \\\i\, 1. 11 faut, en ellet. dans la locution *wN"' N'il*:, regarder

"w n:1 comme un nom de |)sys, de la même manière que Szn '^U?*2. La traduction
prince souverain (à l'instar de ÏTNirî
'J~i. grand prêtre) de Mé^ék'- et Tùb'';ll
« » ne parait
pas vraisemblable.
(4) Ez., xxxviii, ."), 0.
:j6 revue biblique.

ce sont, selon toute probabilité ;1), des peuples africains; le der-


nier est peut-être le Punt des inscriptions égyptiennes, situé dans
la partie méridionale du rivage éthiopien de la Mer Rouge. On voit
ainsi, groupés sous la conduite de Gog et pour l'assaut final, des
peuples nouveaux, jusque-là étrangers à la vie d'Israël, et des peu-
ples anciens. Deux dentre eux sont trèsprobablement africains;
mais pour la plupart ils sont asiatiques. Par rapport à Israël ce sont
des septentrionaux [i)\ c'est que le Xord fut toujours la voie prin-
que tel fut en particulier, l'itinéraire suivi
cipale des invasions; c'est
par ces hordes de Scythes, dont la ruée, à raison de leur nombre,
du désordre et de l'impétuosité de leurs mouvements, causa une
impression si vive au début de la carrière prophétique de Jéré-
mie (3). Deux autres remarques auront encore leur utilité. D'abord,
que la plupart des peuples réunis par Gog sont étrangers à l'his-
toire du passé d'Israël, tels, par conséquent, que, selon toute pro-
Ijabilité, ils n'ont pas été les témoins de cette action éminente qui
met en relief les attributs de Yahweh. Ensuite, que ces peuples
sont très distants les uns des autres — Put et Kùs sont fort loin
ae Mésék'' et de ïiib''al — comme
pour bien afhrmer que l'armée
rebelle groupera une multitude de nations venues de toutes les
directions. C'est véritablement l'assaut général du monde païen coa-
lisé contre Israël et Yahweh, et il semble que ce soit la première

fois que s'exprime avec autant de force et de netteté une idée

destinée à tenir une place très importante dans la prophétie post-


exilienne et dans la littérature apocalyptique.
Cette multitude de peuples constituera une armée immense, che-
vaux et magnifiquement équipés, troupe nombreuse avec
cavaliers
le bouclier et lécu, tous maniant l'épée \ Ces bataillons arriveront .

sur la terre d'Israël pareils à Foiiragan, au nuage qui va couvrir le


sol (5). Il semble que cette puissance, à laquelle rien ne parait devoir
résister, se meuve, sous les ordres de son chef, dans la plus complète

indépendance vis-à-vis de toute autre autorité. Il n'en est rien. C'est


Yahweh lui-même qui mène ces envahisseurs, et il se plaît à le répéter.
C'est lui qui les tire durement, comme on fait un animal ou un pri-
sonnier, avec des crocs à la mâchoire, lui qui les fait sortir de chez
eux, après les avoir invités à faire leurs préparatifs , lui qui per-
pétuellement les tient sous ses ordres 7). Sans d<»ute ni Gog ni les

(1) Il n'y a pas lieu, en effet, de songer ici aux Cossiens, à propos de U?i;.
(2) Ez., xxxix, 2, 6. — (3) Jer., iv, 5 - vi, 30; cf. Se, i.

(4) Ez., xxxvTii, 4-7, 15. — (5) Ez., xxxvui, 9. 16a?. — (6) Ez., wxviii, 4, 7, IG""^; \xxi\, 2.

(7) Ez., XXXVIII, 8=''' (selon le sens le plus probable de TpBn).


LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 57

siens ne s'en rendent compte; ils s'attribuent à eux-mêmes les mau-


vais desseins qu'ils ont conçus ;i . Tel est aussi l'avis de ces autres
peuples — peuples de commerçants Saba, Dédan, trafiquants de :

Tharsis — qui, sans prendre part eux-mêmes aux grands mouve-


ments, les suivent avec intérêt, interrogent à leur sujet ceux qui les
dirigent, dans l'espoir d'en tirer quelque profit [2 Ils se trompent. .

Yahweh gouverne si bien tous ces ébranlements de peuples qu'aux


jours d'autrefois il a annoncé (iog et ses invasions par ses serviteurs
les prophètes d'Israël 3 : or, prédire et ensuite réaliser ses prédic-
tions,queiaut-il de plus pour affirmer son souverain domaine? Les
oracles anciens auxquels Ézéchiel fait allusion paraissent bien être ceux
que .lérémie Sophonie avaient prononcés au sujet des Scythes {ï\
et

Ces terribles prédictions n'avaient pas, au regard du fils de Buzi, une


réalisation suffisante et complète dans les entreprises que ces bar-
])ares n'avaient pu mènera bonne fin au temps du roi Josias; elles
attendaient encore leur plein accomplissement. Ézéchiel ne sera pas
le dernier à reprendre d'anciens oracles pour y découvrir un sens

plus profond que celui qui leur avait été d'abord attribué, pour
annoncer une réalisation nouvelle, plus complète et moins indigne
de la parole de Dieu 5 .

Mais pour quelle fin Yahweh a-t-il mandé Gog, la-t-il attiré sur la

terre d'Israël? Il ne s'agit plus ici, en eti'et, de Finstruction du peu-


ple choisi, qui se refait avec peine après les commotions qu'il a subies

pour l'expiation de ses fautes. Le but que va poursuivre Yahweh est,

pourrait-on dire, plus universaliste que les fins qu'il a eues en vue
jusqu'alors. Ses interventions présentes tendent à l'instruction immé-
diate des nations, des puissances hostiles. Si, en etfet, Yahweh les a
amenées sur la terre d'Israël, c'est pour leur faire essuyer le désastre
seul capable de leur que jamais plus elles
donner la leçon salutaire
n'oublieront. Dès qu'elles foulent le sol en quelque sorte sacré, Yahweh
sent le courroux lui monter aux narines (6 Il procède aussitôt au .

jugement ,7 Les grands fléaux tremblement de terre véhément,


. :

épée, guerre civile, peste, meurtres, pluie, grêle, feu et soufre s'abat-
tent sur la malheureuse armée, pourtant si fière de son nombre (8 .

On accumulés à cet endroit tous ces éléments des descriptions


voit
antiques et populaires du «jour de Yahweh 9 » qui prendront une si

(1) Ez., wxvui, 10-12. — {•>) Ez., xxxviii, 13. — 3) Ez., wwiii, 17. — 4) Jer., iv, 5-vi,
30; So., I. — (5) Cf., par exemple, l'interprétation des soixante-dix années de .lérémie
(Jer., XXV, II, 12) dans Dan., ix, 24-27.
(6) Ez., xwviii, 18. — (7) Ez., xxxvni, 22'. — (8) Ez., wxviii, 19 22. — 9) Cf. Am., v,

18-20; Is., \m (noter les vers. 6, 9); Jer., iv, 23-26; Se, i, 7-18.
r.8 REVUE BIBLIQUE.

grande place dans les visions apocalyptiques; mais alors ils seront
mis en connexion avec la suprême catastrophe qui bouleversera
Tordre cosmique actuel. C'est ainsi que Yahweh fera tomber des
mains de Gog l'arc et les flèches (l)f qu'il l'abattra lui-même avec tous
ses bataillons sur les montagnes d'Israël et sur la face des champs (2),
qu'il le donnera en pâture aux oiseaux du ciel et aux animaux sau-
vages (3). Bien plus le châtiment ira se propageant jusqu'au pays des
envahisseurs (4). La déroute sera telle que pendant sept ans, les
Israélites —
après ce dernier combat, ils n'auront plus besoin d'armes
— se chaulferont avec les sept espèces de dépouilles que l'ennemi
aura laissées derrière lui, sans qu'il leur faille aller chercher du bois
dans la forêt i5). Le désastre sera tel quil ne faudra pas moins de
sept mois pour enterrer les cadavres (6); on les déposera dans la
vallée d'Abarim, à l'Est de la Mer Morte, au Nord-Ouest du plateau
de Moab (7), c'est-à-dire en deliors de la Terre Sainte. Telle sera
la multitude des cadavres que le lieu de leur sépulture fermera

l'entrée de la vallée; celle-ci prendra dès lors le nom de Vallée de


Hamon-(iog (Vallée de la multitude de Gog) (8). Si d'ailleurs on
prend soin denterrer les cadavres, ce n'est point par égard pour les
morts. Les commentateurs relèvent volontiers ici une différence
d'attitude entre Ézéchiel et Isaïe. Ce dernier, au huitième siècle,
ne voyait aucun inconvénient à ce que les cadavres des Assyriens

(1) Ez., XXXIX, 3. —(2) Ez., xxxix, 4', Tr.-— (3) Ez.. xwix, 4''. — (4) Ez., xxxix, 6. —
(5) Ez., XXXIX, 9, 10. — (6) Ez., xxxiv, 12.,

(7) Ez., xxxix, 11°. Le texte porte D'i'inyn "la, « la vallée des passants. » Sans doute
tel pourrait être le nom de la vallée, et ce nom pourrait s'expliquer par un chemin très»

fréquenté qui la traverserait ou la suivrait; on a aussi pensé que les passants étaient
ceux qui composaient les armées de Gog lui-même. Cette dernière interprétation est
invraisemblable, puisque, d'après le vers. 11'', elle recevra un nom nouveau en rapport

avec les armées de Gog. D'autre part, il est assez étrange que le mot nll^V soit employé
avec deux sens différents en deux versets très rapprochés (vers. 11" et vers. 14, 15; ici les

D''*11jr sont ceux qui « passent » dans le pays à la recherche des cadavres de lennemi).
En partant de l'indication géographique que fournit le vers. 11 (« à l'Orient de la mer '

[MorleJ nombre de commentateurs songent à une région et à une vallée en rapport avec
»),

cette montagne d'Abarim (D'IIS"" 1.1 simple différence de vocalisation) dont est ques-
;

tion à propos de Moïse (Num., \xmi, 12: wxiii, 47, 48; Dent., wxii, 4;i) et qui est en
connexion avec le mont Nébo.
(8) Ez., XXXIX, H»;.''. Au lieu de D'ill^HTIX XTl nGOriT dont la traduction (d'ordi-
naire : « et elle [la vallée pleine de cadavres] fermera la voie aux passants ») présente de
sérieuses difficultés grammaticales, les Septante (:ial 7tepioixoSoiJ.ï)ffoj(7iv tb T:spt(TT(5(j.iov zffi

çâpayYCi?, et ils fermeront l'ouverture de la vallée) et la Peschitto ({l-jA ovio;-»ffiio, « et ils

fermeront la vallée ») ont traduit comme s'il y avait NlinTlX îlQDnl (nlIlirriTIX aurait

été ajouté pour fournir un sens quand le texte déformé fut devenu inintelligible), ce qui
donne une signification bien mieux adaptée au contexte.

à
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 59

demeurassent sur le sol d'Israël jusqu'à ce qu'ils fussent dévorés par


les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre (1). Au regard d'Ézéchiel,
des préoccupations de pureté cultuelle interviennent qui ne pesaient
pas sur l'àme du fils d'Amos la présence de ces cada\Tes souille-
:

rait le pays 2 Voilà pourquoi il faudra que les habitants les ense-
.

velissent hors de la terre sainte. Voilà pourquoi on enverra, sept


mois durant, des hommes par tout le territoire avec mission offi-
cielle de les recueillir; voilà pourquoi, au terme des sept mois, on
continuers^ les recherches et, si l'on trouve des ossements humains,
on mettra à côté un signal pour que les enterreurs puissent les
reconnaître (3). Dans ces descriptions, des traits déjà nombreux :

tremblement de terre avec ses suites, pluie de feu et de soufre,


importance du nombre 7, vallée de Hamon-Oog i4), etc. annon- —
cent la littérature apocalyptique. Il en est de même de ce festin de
coursiers et de cavaliers, de héros et de guerriers que Yahweh ]3ré-

pare sur sa table, comme une sorte de complément de l'immense


sacrifice déjà organisé sur les montagnes d'Israël; à ce festin il con-
voque les oiseaux d« toutes sortes et tous les animaux des champs
pour qu'ils se repaissent à satiété de la chair et de la g\raisse des
vaillants, pour qu'ils boivent jusqu'à l'ivresse le sang des princes de
la terre (5).
Ainsi donc Yahweh aura le dernier mot dans suprême
ce conflit
ave€ les nations; il sera vainqueur, il conduira 1-es événements comme
il les a prévus et annoncés. En cet épisode décisif il poursuivra, avec
plus d'éclat que jamais, les fins qu'il a constamment données à ses
interventions. Il se montrera saint en Gog » au regard des peuples
<(

afin que tous le montrera grand et saint


reconnaissent (6 j
; il se et il

se fera connaître aux yeux de beaucoup de nations et elles sauront qu'il

est Yahweh (7. En sauvant son peuple, à cette heure dernière, il

raajùfestera son saint nom


au milieu d'Israël lui-même et le soustraii^a
à toute profanation; mais en même temps les peuples sauront qu'il
est Yahweh, saint en son peuple, et tel sera le résultat de la parfaite
conformité des événements avec les prédictions 8 De même le temps .

des ensevelissements sera un temps glorieux pour Israël, parce que

(1) Is., xviii, 5, G. —


(2) Ez., xwix, 12^«, 10''. — (3) Ez., xx\i\, 14, 15.
(4) Nous ne tenons pas compte de xxxix, 16^ : « Et aussi le nom d'une ville est Ha-
monali », qui est attesté par les versions grecque et syriaque de Targura semblerait indi-
quer une autre leron). mais n'en présente pas moins de grandes diftlcultés d'exégèse. Le ver-
set semble dire qu'une viile doit, par son nom même, perpétuer le souvenir du passage
des innombrables troupes de Gog et, sans doute aussi, du désastre quelles ont essuyé.
(5) Ez., XXXIX, 17-20.
(6) Ez., xxxviu, 16''. — (7) Ez., wxvin, 23. — (8) Ez., xxxix, 6-8.
60 [iEVUE BIBLIQUE.

Yahweh fera alors éclater sa gloire (li. Mais le prophète ne se con-


tente pas de suggérer ces pensées par des remarques en passant. Tout
l'épilogue de cette vision fameuse i2i est consacré au développement
de cette idée. Le jugement suprême, à main étendue, sur les armées
de Gog sera avant tout la manifestation de la gloire de Yahweh
parmi les nations. Les peuples acquerront alors l'intelligence du sens
complet de l'histoire, ils comprendront alors la raison d'être des con-
duites de Dieu par rapport à son peuple, le pourquoi de l'abandon
dans lequel il l'a laissé après ses crimes, le livrant aux coups de ses
ennemis aux rigueurs de l'exil, mais aussi le pourquoi du triomphe
et
qu'il lui assurera, de la pitié qu'il lui témoignera par zèle pour la
sainteté de son propre nom les nations seront confuses en voyant le
;

peuple de Dieu demeurer tranquille en ses montagnes sans que per-


sonne le puisse inquiéter ni atteindre 3). Israël, de son côté, sera
instruit pour jamais, après qu'il aura vu de cet immense
la vanité
elfort de ses ennemis; pour jamais il Yahweh, heureux
reconnaîtra
de se voir rassemblé par lui du milieu des peuples, ramené sur son
sol sans que personne soit resté en arrière, pénétré de l'influence de
cet Esprit que son Dieu répandra sur lui, se gardant de lui cacher
désormais sa face. L'impression de glorification produite sur les
nations servira à l'instruction d'Israël lui-même (4).

C'est ainsi que, commencé au cours de l'histoire du peuple de Dieu


rétabli dans son pays, cet épisode y trouve encore son achèvement.

VI

Immense fut le retentissement de toutes ces paroles en l'esprit de


ceux qui consentaient à voir en Ézéchiei autre chose qu'un agréable
diseur. Non seulement elles leur apportaient l'écho des prédictions
antérieures, mais elles les invitaient à scruter les livres qui les ren-
fermaient, à se pénétrer de leurs enseignements. Aussi le découra-
gement fmit-il par disparaître de ces âmes pour faire place peu à
peu à l'attente la plus \i\e et la plus impatiente. La splendeur de
l'avenir qui s'ouvrait à leurs regards, la magnificence des horizons
qui se dégageaient devant Israël et, par Israël, devant l'humanité
tout entière : en davantage pour
fallait-il captiver?
les retenir et les
Elles avaient beau ne constituer qu'une élite peu nombreuse, elles

(1) Ez., XXXIX, 13. — (2) Ez., xxxix, 21-29. — (3) Ez., xxxix, 21, 23-26 ([26»] « et ils [les
peuples étrangers] porteront...., [26'] quant ils [les Israélites] liabileront.... »). — (4) Ez.,
XXXIX, 22, 27-29.
T;AME juive au temps des perses. 61

seraient, le jour venu, une de ces forces avec lesquelles il faut comp-
ter; elles seraient, poussées par leur foi en la parole de Yahweh,

capables d'entreprendre et de réaliser les plus grandes choses.


L'espérance en la restauration nationale et, en union indissoluble
avec elle, l'attente des temps messianiques : tel fut, parmi les éléments
qui déjà concouraient à la première ébauche de l'àme juive, celui
que les derniers messages de Jérémie et la seconde série des pré-
dications d'Ézéchiel contribuèrent davantage à accentuer. Mais voici
que dans cette attente même la dernière vision du fils de Buzi (1)
va introduire une note qui jusqu'ici ne s'y faisait guère remarquer.
On ne saurait dire à quelle distance chronologique cette prophétie
se doit situer par rapport à celles que
nous venons d'étudier.
Celles-ci, ne sont pas datées et, comme nous l'avons remar-
en efiet,

qué, il y a des chances qu'elles synthétisent un enseignement qu'à


partir de 587, Ézéchiel aurait donné d'une façon assez continue; il
est môme possible, sinon fort probable, qu'il l'ait exposé et répété
jusqu'à la veille de cette extase qui prit place le 10 du mois, au
commencement (2) de l'an 25 de « notre captivité », an li de la
ruine de Jérusalem (3).
Il faut d'abord essayer de saisir l'objet précis de ce long oracle qui
forme un tout aux éléments harmonieusement enchaînés. Par le trait
principal qui le domine, il se présente comme la contre-partie de

celui qui prit place le 5 du sixième mois de l'an 6 (4). Le prophète


avait vu jadis Yahweh quitter le Temple souillé par toutes sortes de
profanations, la Ville déjà atteinte par l'incendie, le pays pareille-
ment rempli de sang et d'injustices. La main de Yahweh, qui est sur
lui, va de nouveau l'emmener, en des visions divines, au pays d'Is-

raël et le placer « sur une montagne très élevée (5) », dans laquelle
il n'est pas difticile de reconnaître la colline même du Temple. Il

va assister d'abord à la reconstruction de la demeure de Yahweh,


au centre d'une Palestine purifiée des crimes du passé et divisée
entre les tribus selon les règles de la plus stricte justice. Il n'y a pas
de doute en effet, que la description de la Terre Sainte qui termine
la prophétie (6) se rattache à la description du Temple qui la com-
mence (7). Il est de la nature de la vision que les divers éléments
s'y succèdent en tableaux rapides, s'appelant les uns les autres.

(1) Ez., xL-xLviii; on sait toutefois qu'un petit oracle contre l'Égjpte (x\ix, 17-21) est

de deux ans postérieur ;i cette grande vision.


(2) Il est assez naturel d'entendre cette expression du premier mois lui-même.
(3) Ez., XL, 1.

(4) Ez., viii, 1. — (."i) Ez,., XL, 2. — (6) Ez., xlvii-xlviii. — (7) Ez., xl, 5 - xlii, 20.
62 REVLE BIBLIQUE.

C'est k
voyant qui, dans son récit, est obligé de les séparer, d'en
accentuer la suite et le développement, pouvant d'ailleurs adopter à
cet égard l'ordre que lui inspirent ses convenances et ses préoccupa-
tions personnelles. Quand le sanctuaire est construit, le prophète
est témoin de la rentrée solennelle de Yaliweh (1).

Il est évident que ce retour et la construction du Temple qui le

précède doivent être traités comme prenant place au début de l'ère


de la rédemption et du salut, à l'aurore des temps messianiques. Si
même l'on se souvient que, dans la perspective indécise de la pro-
phétie, ces temps apparaissent sensiblement sur le même plan que
la restauration d'Israël, que cette réédification de la
il faut conclure
demeure de Yabweh, cette réorganisation du pays sont, au regard
d'Ézéchiel, en connexion étroite avec la phase initiale de la période
qui doit suivre Fexil. Il est aisé de le reconnaître toutefois ces des- :

criptions dépassent, dans la pensée du voyant lui-même, les condi-


tions susceptibles de se réaliser dans une simple restauration natio-
nale et Ton comprend fort bien que ni les rapatriés de 538 ni ceux
de 521 aient jamais songé qu'ils allaient reproduire sur le terrain le
progamme grandiose du voyant de l'exil. Non seulement, dans la pen-
sée du fils de Buzi, les divers horizons de l'avenir se rapprochent jus-
qu'à paraître sur le même plan, mais les éléments qui les constituent
et qui devraient les distinguer s'entremêlent jusqu'à ne pouvoir plus
être séparés avec certitude et précision. Il en est ici comme dans la

section qui précède : dunepart, la description tient à la terre actuelle


par des attaches puissantes; mais, d'autre part, il y a des traits qui
ne conviennent pas à la terre actuelle, il y en a même plus que dans
l'oracle consacré à la défaite des troupes de Gog. La raison de la
différence se conçoit d'ailleurs sans trop de peine. Les discours pré-
cédents avaient pour objet la préparation des âmes à l'ère future, le
procédé de leur sanctification. Ici, en revanche, nous sommes au seuil
même du monde nouveau, nous y pénétrons, nous y vivons. Rien de
surprenant si,, en beaucoup de points, les descriptions de l'avenir
dépassent les conditions du présent. Rien de surprenant si un nombre
de traits toujours croissant tient déjà des conceptions et révélations
qui bientôt se feront jour dans la littérature apocalyptique ; bientôt
il sera évident que le nionde actuel ne suffit pas à la réaUsation de si

brillantes perspectives, qu'il faut les transporter sur une nouvelle


terre et en de nouveaux cieux. La remarque s'applique à de nom-
breux endroits de la vision qui nous occupe. Elle est d'une évidence

(1) EZ., XLIII, 1-5.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 03

particulière pour ce qui concerne la description de la nouvelle Terre


Sainte. Les frontières sont exprimées en un langage qui cadre parfai-
tement avec l'état réel du sol palestinien (1); mais la division entre
les tribus est présentée en un schématisme impossible à appliquer
dans la réalité (2).
Quand Yahweh est rentré dans son pays et dans son temple, la
vie du nouveau peuple peut sans aucun obstacle se développer et
s'épanouir; nous sommes à la dernière phase de Ihistoire, au delà
de laquelle le prophète ne voit plus rien. Cette vie consistera en
une sorte d'échange de bons procédés entre Dieu et le peuple désor-
mais fidèle celui-ci multipliera ses hommages (3) et YaliAveh le
:

comblera de bénédictions (i). Mais cette vie sera encore, elle aussi
et à un double point de vue, conditionnée par les circonstances
actuelles. Non seulement, en effet, elle est présentée comme tenant
à la terre actuelle, s'y exerçant et s'y développant, mais encore, le
culte de Yahweh qui en est l'élément primordial est conçu à l'instar
du culte actuel. Par culte de Yahweh on entend très nettement ici

les rites extérieurs, et ces rites extérieurs de l'avenir, le prophète le


voit dans la figure des rites présents, dont la lumière de la révélation
ne le détache pas encore. De ce chef le programme qu'il expose (5)
a des connexions étroites avec l'œuvre de restauration religieuse
qui devra accompagner la restauration nationale au sortir de l'exil
et avec la montagne du Temple; mais, par plus d'un détail, il
déborde ce cadre et postule celui que fourniront les apocalypses. Il

en est de même, et avec plus de force encore, de la manière dont est


présentée l'action bienfaisante de Yahweh (6).
Par ce que nous venons de dire nous arrivons à souligner une
continuité étroite entre la vision suprême et les autres oracles
d'Ezéchiel. Des critiques, qui n'appartiennent pas à un passé lointain,
avaient vulgarisé des idées différentes. A leurs yeux, la grande vision
prenait place longtemps après celles qui l'avaient précédée; mais,
de plus, les idées qui s y faisaient jour correspondaient à une phase
nouvelle dans l'évolution de la pensée prophétique : un grand
travail s'était opéré dans l'esprit d'Ezéchiel et le programme final
en exposait les résultats. Tel n'est plus aujourd'hui le langage
de la plupart des exégètes. Et à bon droit. Non seulement, en eflet,
ily a lieu de songer à la continuité chronologique dont nous parlions
plus haut. Mais la vision suprême apparaît comme le couronnement

(1) Ez., XLMi, 15-20. — (2) Ez., XLvm, 1-29.


(3) Ez,, XLiii, 13 -XL VI, 24. — (4) Ez., xlvh, 1-12. — (5) Ez., xl\-xlvi. — (6) Ez., xi.vii,
1-12.
64 REVUE BIBLIQUE.

de tout l'édifice des révélations antérieures, appelé par une multitude


de pierres d'attente. C'est ce que nous remarquerons avec soin,
comparant fidèlement, d'une part, ce tableau unique en son genre,
soit avec les oracles du fils de Buzi qui l'ont précédé, soit même
avec ceux des voyants plus anciens; d'autre part, relevant les
traits qui ont un caractère véritablement nouveau. Une autre question
préalable pourrait encore être posée, à savoir, si, logiquement par-
lant, le grande prophétie n'aurait pas sa place avant
contenu de la

ce qui concerne la défaite des armées de Gog. Mais on l'entrevoit


déjà. Poser cette question, c'est méconnaître ce qu'il faut avoir
perpétuellement présent à l'esprit que, dans les %isions d'Ézéchiel,
:

les perspectives ne se distinguent pas avec netteté et les éléments


des plans successifs se confondent.
Il serait tout à fait hors de saison de vouloir entrer dans les détails

fort complexes que comporte l'exégèse des neuf derniers chapitres


du livre d'Ézéchiel. Nous n'avons ici qu'à recueillir et à signaler
les idées générales qui dominent ces descriptions.
Ce qui attire d'abord l'attention du voyant, c'est la reconstruction
du Temple (1). Ce n'est pas la première fois que le mont Sion tient
une place dans les perspectives des prophètes relatives à l'avenir
d'Israël. Au regard Yahweh devra aux
des voyants du huitième siècle,
temps messianiques y affirmer sa présence (2), en même temps
qu'il attirera à cette montagne, élevée au-dessus de toutes les autres,
les peuples avides de recevoir son enseignement (3) ou simplement
désireux de lui oll'rir leurs dons et leurs hommages (i La découverte i.

de la loi deutéronomique, qui attachait une si grande importance


au sanctuaire hiérosolymitain, devait, semble-t-il, lui assurer un rôle
plus important dans les oracles consacrés à l'œuvre future du salut
d'Israël. Aussi Jérémie fait-il à plusieurs reprises allusion au mont
Sion de l'avenir (5); quant à Ézéchiel, il n'en dit qu'un mot avant
la ruine de Jérusalem en 587 (6); et jusqu'alors ni l'un ni l'autre
Temple lui-même. Il faut attendre que le sanctuaire
n'insistent sur le
salomonien soit détruit pour qu'on s'intéresse à sa reconstruction.
Ézéchiel en parle dans la première partie de son programme de
restauration (7). Mais c'est seulement dans la vision finale qu'il
est appelé à envisager l'œuvre avec détail. La réédification de la

(1) Ez., XL, 5 -xui, 20. — (2) Is., IV, 5 6. — (3) Is., Ii, 2, 3; Mi., iv, 1, 2; cf. Is., xi,
ga, lo»». _ (4) Is., xvili, 7; wui, 18. — (5) Jer., m, 17; XXXI, 5 (Vulg. 6), 11 (12), 22 (23);

xxxiii, 11, 18, 21, 22 (18), 21, 22 manquent dans les Septante. •— (6)Ez., xx, 40. — (7) Ez.,

xxxvii, 26\ 27.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 60

demeure divine lui est expliquée par « un homme dont l'aspect

est celui de lairain et (|ui tient à la main un cordeau de lin et une


canne à mesurer (1) ». Le trait est déjà apocalyptique, mais on

en saisit la raison d'être. D'une part, la sainteté transcendante de


Vahweh le doit tenir à bonne distance de la matière, et elle com-
porterait difficilement qu'il s'abaisse à des explications touchant les
détails d'une construction. D'autre part, l'économie de la vision
demande que Yahweh n'interA'ienne qu'au moment où, dans sa
demeure réédifiée, il fera sa rentrée solennelle (2). On remarquera
d'ailleurs que l'homme à l'aspect d'airain parle comme Yahweh
lui-même et avec la même autorité. Il en use d'abord pour fixer

l'attention d'Ézéchiei sur la vision que celui-ci devra retenir, puis


enseigner à la maison d'Israël ;3).
Le vestibule du Temple (4) ressemblerait assez étroitement à ceux des temples grecs
vu antis, s'il deux colonnes qui rappellent Booz et Yakin de
était sûr que les

1"édifice salomonien (-5; étaient situées à rextrémité des deux retraits des murs

latéraux de l'édifice. Du vestibule, le prophète et son guide pénètrent dans le


Saint (6), dont les dimensions sont les mêmes que dans l'ancien sanctuaire (7). Des
éléments du mobilier liturgique d'autrefois on ne mentionne que « quelque chose
qui a l'aspect d'un autel en bois..., la table qui est devant Y'ahweh » (8). Le guide
divin pénètre seul dans le Saint des Saints (9), dont l'accès est interdit aux prêtres
eux-mêmes pareilles à celles de jadis (10), les dimensions donnent la forme géomé-
:

trique parfaite d'un cube. Aucune description de mobilier, car le programme du


culte nouveau suppose qu'après l'exil farche aura disparu pour jamais. L'ornemen-
tation intérieure des diverses parties de l'édifice (11' et des portes (12) rappelle,
malgré certaines différences d'une appréciation parfois difficile, celle du temple
salomonien (13). Comme pour ce dernier, trois étages de petites cellules, desti-
nées à renfermer les objets du culte, entourent les deux faces latérales et l'arrière
du nouvel édifice (14). Le tout, environné d'une plate-forme, repose sur un soubasse-
ment (1-5) dont la hauteur est implicitement indiquée par les dix degrés qui mènent
au vestibule (16) et qui, de son côté, est entouré par un espace libre.
Les nombreux rapprochements que nous venons d'indiquer entre
le temple d'Ézéchiei et celui de Salomon mettent en relief la con-
tinuité qui doit exister entre l'ordre nouveau et l'ordre ancien. Les
divers édifices qui se succéderont sur la montagne sainte n'appa-

1 Ez., \L, 3. — (2) Ez., xuii, 1-5. — (3) Ez., xl, 4.


(4) Ez., XI., 48, 49. — (5) I Reg., vu, 15-22; II Chron., in, 15-17. — (6) Ez., xli, 1, 2.
Reg., VI, 17 donne la longueur de quarante coudées et ai, 2 donne la largeur de
7) I

vingt coudées.
(8) Ez., xu, 21'', 22. — (9) Ez., xli, 3, 4. — (10) I Reg., vi, 20. — (11) Ez., xu, 15^-20,
26. —(12) Ez., XLI, 21% 23-25. —(13) I Reg., vi, 4, 14-16, 18, 20-22, 29-35. — (14) Ez., xu^
5-7, S*', 9% 11; cf. 1 Reg., VI, 5-10. — (15) Ez., xli, 8% 9\ 10. —(16) Ez., xl, i9'v (en
lisant avec les Septante [xal ètcI Séxa àvatJa8[Aûv àvÉoaivov en' a-jxô] lil"* TlT^yD^I

^"'N 11!?'' (' et on y montait par dix degrés », au lieu de I'iSn iS^i Tit7N* ni^2?a21, « e

par les degrés [par^ lesquels on y montait »;.

REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 5


66 REVUE BIBLIQUE.

raissent et n'apparaîtront toujours que comme les phases diverses


dun même établissement. Toutefois le dernier élément de la des-
cription que nous venons d'analyser introduit une idée et une pré-
occupation qui, pour n'être pas entièrement nouvelles, vont prendre
une importance qu'elles n'avaient pas jusqu'alors. Il ne semble pas
que le temple salomonien comportât la plate-forme et le soubassement
de dix degrés dont nous venons de parler. Ces deux éléments ten-
dent à mettre en relief un souci qui va s'exprimer par diverses
autres mesures le souci de l'isolement aussi complet, aussi parfait
:

que possible, de la demeure du Très-Saint. La transcendance de


Yahweh, telle qu'Ézécbiel la comprend, l'exige nécessairement il :

faut que le Temple soit, autant que faire se peut, séparé de tout
contact profane, susceptible de porter atteinte à la sainteté divine.
De là aussi les parvis. Une première cour intérieure carrée
(1) de cent coudées de

côté (2), s'étend en avant du temple proprement dit. Elle domine de


du vestibule et

huit degrés l'espace environnant (3) nouvelle mesure il ne semble pas qu'une
: —
pareille terrasse existât dans l'édiQce salomonien en vue d'accentuer l'isolement —
de la demeure divine et de mettre en relief la sainteté de celui qui y réside. Trois
portes donnent accès à cette cour, par l'Est, le Nord et le Midi (4) dans le parvis
:

ou. en rapport avec lui, dans les portes elles-mêmes, sont des tables pour la prépa-
ration des sacrifices (-5), des chambres pour les prêtres (6 qui, avant de faire leurs

fonctions, doivent quitter leurs vêtements profanes et en revêtir de sacrés (7). Le mur
extérieur du parvis se continue de chaque côté du Temple lui-même-, là, il est en
relation avec deux autres séries de chambres, réparties en trois étages, en retrait

l'un sur l'autre, séparées par une allée (8). Complétées de chaque côté par une
cuisine 9), ces deux de chambres servent aux repas sacrés des prêtres (10
séries c'est 1 :

là aussi qu'ils déposent leurs vêtements liturgiques après les cérémonies ;llj. C'est
ainsi qu'en contact immédiat avec la demeure divine, on ne trouve que des per-
sonnes et des objets consacrés : des prêtres revêtus de leurs saintes parures, des
victimes préparées pour le sacrifice et, de ce chef, déjà sanctifiées. Yahweh ne
sera immédiatement entouré que de sainteté. — Derrière le Temple, à l'Ouest et

au delà de l'espace libre en bordure de la terrasse, se trouvera un grand maga-


sin 'l'2): il avait son analogue dans le sanctuaire préexilien (13).
L'ancien temple comportait, nous l'avons insinué, uu parvis analogue à celui que
nous venons de décrire mais il n'avait plus d'autre enceinte que celle qui englobait
;

tous les édifices salomoniens, sacrés et profanes. Il n'en sera plus de même désor-
mais. Une
cour extérieure entourera tout l'ensemble dont on vient de parler, inter-
rompue seulement, en arrière de la demeure divine, par le grand magasin. Elle s'élè-
vera de sept degrés au-dessus.du terrain environnant 14 trois portiques y donneront 1 :

accès U-J,. eu face de ceux du parvis intérieur, séparés de ceux-ci par un espace de

(1) Ez., XL, 28-47. — (2) Ez., XL, 47. — (3 Ez., xl, 31, 34, 37. — (4) Ez., xi., 28-37.
— (5) Ez., XL, 38-43. — (6) Ez., sx, 44-46. — (7) Ez., xuv, 17. — (8) Ez., xlu, 1-12. —
(9)Ez., XLVi, 19, 20.— (10) Ez.. xlh, 13. — (11) Ez., xlh, 14; cf. xliv, 19.— (12) Ez.,
xu, 12; (les vers. 13-15" sont consacrés à des mensurations d'ensemble). — (13) Cf. 11

Reg., xxtn, 11(?).


(14) Ez., XL, 22, 26. — (15) Ez.. xl, 6-16, 20-23, 24-26.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 67

cent coudées (l). Ces cent coudées représenteront la largeur de la cour au delà du
pavé qui longera les murailles extérieures et sur lequel seront bâties trente cham-
bres dont on ne précise pas l'emploi. Il est possible qu'en connexion avec les
(2)

cuisines placées aux angles de la cour :;;, elles servent aux repas sacrés des laïques.
Un mur de cinq cents coudées de côté entourera ce parvis extérieur « pour séparer
le sacré du profane » (4). Voilà, en eftet, la préoccupation constante qui se manifeste
dans les dispositions prises en vue de la construction de l'édiflce. Le mur dont
on
vient de parler a spécialement pour but d'isoler la demeure divine de la demeure
royale, de telle sorte
que le seuil du palais ne touche plus le seuil du Temple (5; ;

désormais, eu conséquence, la maison d'Israël, elle et ses rois, ne pourront plus


souiller le saint nom de Yah weh par leur idolâtrie et par les cadavres de leurs rois (6 :

il
Yahweh, pourra habiter avec eux pour jamais (7\
cette condition seulement,

Isoler le sacré du profane, cela veut dire encore, isoler ce qui est
plus saint de ce qui l'est moins. C'est ce que montre clairement la
situation faite au Temple futur au milieu du pays renouvelé.
Au moment où on le partagera, la demeure divine prendra place dans une bande
réservée allant de la Méditerranée au Jourdain et comptant vingt-cinq mille coudées
de longueur ]\'ord-Sud 8j. Cette bande n'appartiendra à aucune tribu en particulier:

mais, en souvenir du passé, elle sera située entre les territoires de Juda et de Ben-
jamin (9). Elle sera divisée, dans le sens de la largeur en trois zones. Celles de

l'Ouest et de l'Est appartiendront au prince (10), qui ne pourra rien en aUéner à per-
pétuité en dehors de sa famille, en faveur d'un esclave, par exemple 'il). La zone
intermédiaire sera carrée, avec vingt-cinq mille coudées de côté (12). On pratiquera
y
trois subdivisions dans le sens de la longueur. Les deux subdivisions septentrionales

auront ensemble vingt mille coudées de longueur (13;; elles constitueront la part
prélevée pour Yahweh et jouiront d'un caractère sacré 14;. Celle qui est le plus
au >ford sera réservée aux prêtres et traitée comme très sainte (1.5); c'est au milieu
d'elle, isolé encore par une bande de terrain de cinquante coudées 'IG), que se trou-
vera l'emplacement destiné au Temple et à ses parvis (17). La deuxième subdivision
territoriale sera pour les lévites qui y habiteront, sans en aliéner la moindre par-
celle (18). En6n la dernière subdivision, avec seulement cinq mille coudées de long,
sera pour la ville et appartiendra à la maison d'Israël. La ville elle-même se dressera
au milieu, formant un carré de quatre mille cinq cents coudées de côté (19 avec ,

trois portes sur chaque face, chacune portant le nom d'une des tribus (20). Elle
s'appellera Yahweh-kunmâh ^^Yahweh est là) (21); bien que séparée du Temple par
une partie de la portion des prêtres, par celle des lévites, elle sera une Ville Sainte.

(1) Ez., XL, 19, 23, 27. — (2) Ez., XL, 17, 18. — (::!) Ez., xlm. 21-24.
(4) Ez., XL, h; xLii, 15-20. II faut lire sans doute, en conformité avec une suggestion des
Septante (vers. 17, nr^/yc, au lieu de xaXajxo;), ni'SN. coudées, au lieu de D'-p, roseaux.
Une muraille de cinq cents roseaux de côté — l'''" 12 — ne cadre pas avec le contexte.
(5) Ez., xLHi, 8\ —
(6) Ez., xLm, 7, 8\ 9'. — (7) Ez., xliu, 9''; cf. 7\

(8) Ez., XLv, 1 ; xLvm, 8. — (9) Cf., d'une part, Ez., XLvni, 7 et, de l'autre, xLvni, 23. —
(10) Ez., XLV, 7, 8^ XLViii, 21, 22. — (11) Ez., xlvi, 16-18. — (12) Ez., xlv, 1»y; xlvui, 20'.
— (13) Ez., XLV, Vi (en lisant, avec les Septante [st/.odt yyk\.é.^t(\, « vingt » au lieu de
i( dix » |D'''^iu" au lieu de ITliry] et en combinant les données de xl\ui, 9, 10, 13). —
(14) Ez., XLV. 1; XLvni, 9, 14; cf. 21. — (15) Ez., XLV, 3, 4; XLvni, 9-12. — (16) Ez., xn.
2''. — (17) Ez,, XLV, 2* [cf. 3^ 4^ XLvm, 8'', lON. — (18) Ez., xlv, 5; XLvni, 13, 14. —
(19) Ez., XLvui, 15'', 16. — (20) Ez., xlvui, 30-34. — (21) Ez., \i.\iii, 35.
08 REVUE BIBLIQUE.

elle bénéficiera de la présence de Yahweh qui à jamais habitera en son sanctuaire,

comme sur un trône, au milieu des enfants d'Israël (1) ; selon le mot de Jéréniie (2),

elleméritera elle-même d'être appelée trône de Yahweh. Le reste de la troisième

subdivision de la portion réservée, renfermera la banlieue de la ville (3) et deux


sections destinées à être cultivées au profit des habitants; ceux-ci pourront venir de
toutes les tribus (4), toutes les tribus ayant un droit égal sur la capitale.

Une grande préoccupation d'égalité se manifeste, en effet, dans le sort fait à

chaque tribu. Elles ont toutes pour leur possession et territoire des bandes de terrain
allant de la Méditerranée au Jourdain (5) : zones qui d'ailleurs sont partagées au
sort entre les fils d'Israël et les étrangers établis au milieu d'eux (6;. Les zones de
Dan, Aser, Nephthali, Manassé. Ephraïm, Ruben, Juda sont au Nord (7), celles de
Benjamin, Siméon, Issachar, Zabulon, Gad sont au Sud (8) de Jérusalem. Comme
on le voit, la situation respective des tribus est changée Dan n'a plus qu'une pos- :

session septentrionale; Issachar et Zabulon sont séparés d'Aser et Nephthali; les


territoires et de Benjamin sont intervertis: Ruben et Gad sont ramenés en
de Juda
Cisjordane. La future Terre Sainte ne comprendra, en eftet, que l'ancien Canaan
proprement dit. La dépression du Jourdain constituera la frontière orientale (9) ;

la Méditerranée et le torrent d'Egypte formeront la limite occidentale (10]. Dans la

mesure où l'on peut procéder à des identifications probables et saisir la portée


exacte des termes (11;, la frontière du Nord paraît à peu près telle que dans le

passé (12): celle du Sud en revanche, descendant jusqu'à Cadés, semble dépasser
l'antique frontière historique (13 .

Ainsi doncune Terre Sainte;


: dans cette Terre Sainte, une zone —
réservée à Dieu et au prince et, de ce chef, plus sainte dans cette ;

zone, la portion réservée à Dieu et encore plus sainte; — dans cette
portion, séparée de la section réservée à la capitale, la section réser-
vée au clergé et de nouveau plus sainte; — dans cette section, la

partie très sainte appartenant aux prêtres; — dans cette partie, la

bande neutre isolant Taire du Temple puis la muraille séparant ;



le sacré du profane, ou mieux, du moins sacré; puis le parvis —
extérieur; — puis le parvis intérieur; — puis le vestibule et le Saint.

C'estpar tous ces degrés croissants de sainteté que Ton arrive jus-
qu'au Saint des saints, la demeure proprement dite de Yahweh (14).
Comment mettre davantage en relief la sainteté par excellence? On
peut se demander si la pensée et la vision prophétiques ne débor-

dent pas la réalité. Si même le plan du Temple est réalisable sur le


mont Moriah, il semble difficile d'adapter sur le sol les détails qui

(I) Ez., xuii, 7% 9''. — (2) Jer., m, 17. — (3) Ez., xLvni, 17. — (4) Ez., xlvih, 18, 19.

(5) Ez., xLvii, 13, 14.


— (6) Ez., xi.vii, 21-23. — (7) Ez., XLnii, 1-7. — (8) Ez., XLVin,
23-28. — (9) Ez., xi.vil, 18. — (10) Ez., xi.Tii, 19»?, 20.
(II) Cf. J. P. VAN Kasteren, s. J., La frontière septentrionale de la Terre Promise,
dans Revue Biblique, 1895, p. 23-36. —(12) Ez., xi.vn, 15-17.

(13) Ez., xLvu, 19.

(14) D'après Ez., xuii, 12, la montagne du Temple tout entière parait être « saint des

saints », cest-à-dire très sainte.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. (.9

concernent la ville et les portions des prêtres et des lévites ;


il parait
plus difficile encore de concilier avec la préoccupation d'égalité qui
l'anime le partage du sol entre les tribus (1). Peu importe l'idée :

demeure s'exprime dans toute sa force.


et
On peut dire qu'il s'agit surtout ici d'une sainteté physique. D'au-
tres traits montrent que le prophète ne s'en contente pas. 11 est
d'ailleurs à propos de noter que cette sainteté physique se confond
avec la transcendance sur laquelle on ne saurait trop insister pour en
faire la base de l'autorité divine dans Tordre moral tout aussi bien
que dans l'ordre matériel. Cette préoccupation s'était déjà aftirmée
lorsqu'avant l'exil, Ézéchiel reprochait aux prêtres de n'avoir pas

distingué eux-mêmes ni enseigné au peuple à distinguer entre le


sacré et le profane, le pur et l'impur (2); mais dans le programme
d'avenir elle se manifeste avec une véritable acuité. Dès lors une
remarque s'impose. Nous avons précédemment remarqué (3) que le
fils de Buzi était un disciple fervent du code deutéronomique. Néan-

moins il faut reconnaître que, bien qu'insinuée en une foule de


manières, l'idée de la sainteté divine ne figure pas sous sa forme
propre dans le livre de la Loi découvert par Helcias (4) en aucune :

façon elle n'y tient une place comparable à celle qu'elle occupe dans
la vision suprême du fils de Buzi. Il convient donc de se demander
si, en ce domaine, le voyant de Chaldée, éclairé par la révélation,

fait œuvre d'initiateur, ou si ses préoccupations ne sont pas en con-

nexion avec tel ou tel autre code du Pentateuque. Il se pourrait


que, d'accord avec le Deutéronome pour ce que l'on appellerait le
cadre de son enseignement, notamment pour le souci du Temple
unique dans le passé et l'avenir d'Israël, il eût, pour nombre de
détails, des affinités avec d'autres parties de la Loi. Nous avons déjà
constaté (5) qu'en certaines de ses remarques particulières se ratta-
chant soit à la censure des désordres (6), soit aux règles de justice (7),

(1) Le tracé de frontières conyentionnelles en ligne droite, sans tenir compte ni des
montagnes ni des vallées, ne parait guère réalisable en pratique. D'autre part, quoi qu'il
en soit de l'égalité des portions en kilomètres carrés, il est difficile d'admettre qu'au
point de vue du séjour et des ressources nécessaires à la vie, une bande de terrain située
dans le négéb puisse être comparée à une bande de terrain appartenant à la Galilée. A
moins que déjà l'on ne se meuve dans la perspective d'une terre plus ou moins complè-
tement renouvelée (cf. Ez., xr.vii, 1-12)!... Nous voisinons ici avec le domaine privi-
légié des apocaljpses.

(2) Ez., XXII, 26.


(3) Cf. Revue Biblique, 1918, p. 381-394.
(4) Le mot y^i~(P n'est pas appliqué à Yahweh dans le Deutéronome.
(5) Cf. Revue Biblique, 1918, p. 378-381.
(6) Ez., xxii [xvi; xx). — (7) Ez., xviii.
70 REVUE BIBLIQUE.

il se rapprochait tantôt du Code de l'alliance, tantôt du Code Sacer-


dotal. Puisque, dans la vision suprême, il s'occupe avant tout du
culte divin, c'est évidemment vers le Code Sacerdotal qu'il faut orien-
ter nos recherches. La sollicitude angoissée de la sainteté divine et
le caractèremême de cette sainteté suggéreraient déjà des rappro-
chements intéressants. Ils seront plus aisés encore lorsque nous
aurons prêté quelque attention au règlement liturgique du nouveau
Temple.
Lorsqu'en l'homme à l'aspect d'airain con-
effet, l'édifice est rebâti,

duit Ezéchiel à la porte orientale du parvis extérieur (1). Le voyant


va assister à là rentrée de Yahweh. La vision lui rappelle celle qu'il
avait eue en l'an 6. celle-là aussi qui avait marqué sa vocation au
ministère prophétique ci). Un bruit se fait entendre pareil à celui
des grandes eaux (3). La gloire de Yahweh, qui fait resplendir la
terre (i ,
pénètre dans le Temple par le chemin de la porte orien-
tale (5).Il s'agit ici de la porte du parvis extérieur, mais nul doute

que l'itinéraire se continue par la porte orientale du parvis intérieur.


Personne ne passera jamais plus par ces deux portes la première :

sera constamment fermée la seconde ne s'ouvrira qu'aux jours des


;

sabbats, des néoménies 7) et des solennités pour que, de la grande


cour, les laïques puissent voir les rites qui se dérouleront dans la
cour des prêtres. Ramené par l'Esprit dans le parvis intérieur (8i

Ezéchiel s'aperçoit que la gloire de Yahweh rempHt le Temple (9).


En même temps et pendant que l'homme à l'aspect d'airain demeure
à ses côtés, il entend ces paroles : « Fils de l'homme, c'est ici le

lieu de mon trône, le lieu où je poserai mes pieds, où j'habiterai au


milieu des enfants d'Israël à jamais » (10;. Puis, après avoir rappelé
les fautesdu passé, afin de ranimer et de perpétuer le sentiment de
confusion parmi les enfants d'Israël (11), Yahweh recommande au
prophète de leur enseigner avec soin tous les règlements de sa nou-
velle maison (12).
Le premier de ces règlements est celui de l'autel. L'autel existe
déjà (13 placé devant le vestibule du Temple, au milieu de la cour
,

antérieure, visible des trois portés; c'est la situation qu'il occupait


dans l'ancien édifice.
Ezéchiel prend occasion du règlement qui s'y rapporte pour en faire la descrip-

(1) Ez., XLiu, 1. — [2) Ez., XLUi, 3 : cf. Ez., i et viii-xi. — 3) Ez., \Liii, 2ii'/. — (4) Ez.,
xLin, 2'>. — (5) Ez., xuïi, 4. — (6) Ez., xliv, 1, 2.— (7) Ez., xlvi, 1, 2''. — (8) Ez.,
XLUI, 5*. — (9) Ez., XLiii, 5''. — (10) Ez., xun, <>, ~\ — (11) Ez., xuii, 7''-9«, 10'?, iV".
— (12) Ez., XLiii, 10% 11.
(1.3) Ez., XL, 47.
LWME JIIVE AU TEMPS DES PERSES. 71

tion (1). Il coudée sur une base haute d'une coudée. Il est
se dresse en retrait d'une
formé de mais inégaux, chaque bloc supérieur étant
trois blocs carrés superposés,

en retrait d'une coudée sur le bloc inférieur et plus liaut que lui le bloc supérieur :

est muni d'une « corne » à chaque angle. Des degrés placés à l'Orient permettent
de monter à cet autel. —
Sans insister davantage, disons que la forme de cet autel,
influencée peut-être par l'art babylonien, diffère de ce que consacrent les législations
et descriptions des autres livres de l'Ancien Testament. Aux autels décrits par le

Code de il ne devait pas y avoir de degrés ;2). Celui du tabernacle mosaï-


l'alliance
que était en bois, ne comportait pas d'étages et présentait diverses autres particu-
larités ,3). Au temple salomonien, 1' « autel d'airain » était carré, avec vingt coudées

de côté, et sa hauteur était de dix coudées (4); rien n'indique l'existence d'étages
en retrait les uns sur les autres.

Le règlement de l'autel concerne sa consécration et les rites qui s'y dérouleront


ensuite. —
Les cérémonies de la consécration sont longuement décrites (5 dans ;

le Code Sacerdotal, au contraire, elles ne sont indiquées qu'accidentellement, quasi


par allusions (6), notamment à propos de la consécration des prêtres (7), dont Ezé-

chiel ne parle pas. La comparaison des rites de dédicace donne lieu aux remarques
suivantes. De part et d'autre, ils se développent pendant sept jours (8). De part et
d'autre, le premier jour est marqué par le sacrifice d'un taureau pour le péché (9)-,
la chair en est brûlée en dehors du sanctuaire (10 . Mais — première différence
— tandis que dans la loi lévitique on se borne à mettre du sang avec le doigt sur
les cornes de l'autel, répandant le reste à la base (ir, l'onction avec le sang est
beaucoup plus développée dans Ézéchiel (12). En deuxième lieu, pour le sacrifice
pour le péché des six derniers jours, Ézéchiel prescrit un jeune bouc (13): la loi
lévitique, un taureau comme au premier jour (14 En troisième lieu, aux sacrifices .

pour le péché des sept jours, Ezéchiel ajoute l'holocauste d'un jeune taureau et d'un
béUer lô,, ce dont la loi lévitique ne parle pas. En quatrième lieu, Ezéchiel parle,
1 propos de l'holocauste, d'un assaisonnement de sel (16), que la loi lévitique ne
mentionne qu'au sujet des offrandes non sanglantes (17). En cinquième lieu enfin,
la législation lévitique une onction de l'autel avec
indique à plusieurs reprises
l'huile (18), ce dont Ézéchiel ne dit rien. —
du huitième jour, l'autel ser- A partir
vira à ses usages normaux on y offrira l'holocauste et, pour les autres sacrifices, il
;

V aura au moins l'aspersion du sang (19). —


Comme on le voit, les relations du pro-

(1) Ez., xLUi, 13-17. — (2) Ex., xx, 26. — (3) Ex., xxvu, 1, 2, 4-8. — (4 Au moins
d'après II Chron., iv, 1.

(5) Ez., xLiu, 19-26. — (6) Ex., xxix, ll-l'i, 36, 37; xxx, 28; XL, 10; Lev., vni. 11, 15:
Num., vu, 1. — (7) Ex., xxix, 1-37. — (8 Ez., xuii, 25, 26; Ex., xxix, 36, 37.

(9) Ez., xuii, 19 ; Ex., \xix, 36. Remarquer la similitude des expressions :

''~2~'J2
*1D

rN'Cn^ (Ez.. xLiii, 19); nN"i2n 1S (Ex., XXIX, 36 dans Ex., xxix, 14 on lit ; Xl~ rN'Cn,
( il est péciié ». en parlant du taureau]). Remarquer aussi, pour désigner la consécration
'Ue-mème, à cùté des formules seiiil)lables .nZ'En-PN ll^^l Ez., XLin, 26] et ""Din i

ra-iSiTS:; [Ex., XXIX, 37 : très légère différence de particules], des différences assez

saillantes ("1"^ InS^^ Inx lirrai [Ez., \uiu 26] et inx I['^^"pl [Ex., xxiv, 37;\ diffé-

rences qui d'ailleurs font ressortir la synonymie de certaines expressions.


(10) Ez., \Liu, 21: Ex., xxix, 14 (en dehors du camp). (11) Ex., xxix, 12; Lev., «ii, —
15. —
(12) Ez., XLiii, 20. —
(13) Ez., vLin, 22, 25. (14) Ex., xxix. 36. (ISi Ez., xuil, — —
:2;}-25. — (16) Ez., XLni,'24''«. — (17) Lct., ii, 13. — (18) Ex., x\l\. 36; xxx, 28; XL, 10;
Lev., vni, 11; Num., \ii, 1. — (19) Ez., xlhi, 18, 27.
72 KEVUE BIBLIQUE.

gramme d'Ezéchiel avec la législation lévitique ne sont pas si étroites en ce domaine


qu'elles excluent de notables différences.

Le culte de l'autel réclame des ministres. Ézéchiel s'en occupe


en un chapitre (1) dont les formules d'introduction (2) signalent
l'importance et qui tient, en effet, une place capitale dans le livre
entier.
Tout le monde n'est pas admis indistinctement à pénétrer dans les
parvis. Si Yahweh veille avec tant de soin à fixer l'attention du pro-
phète, c'est avant tout pour lui signaler un abus. La « maison de rébel-
lion » (3) — c'est la seule fois que l'on rencontre cette formule dans
les oracles postérieurs à la catastrophe de 587 — a laissé les étran-
gers, les incirconcis — incirconcis de chair et incirconeis de cœur —
entrer dans la demeure sainte (i Pour comprendre le vrai sens de
.

la censure, il est bon de noter qu'à ce moment le prophète est dans le


parvis intérieur (5). Le reproche vise ainsi l'introduction des étran-
gers dans cette cour; la suite l'indique avec précision. C'était d'ail-
leurs au moment où l'on offrait les mets sacrés, et ces étrangers
n'étaient pas seulement spectateurs des cérémonies saintes; ceux qui
avaient à pourvoir au service <lu sanctuaire s'en déchargeaient sur
eux (6). Profanation que cet abus et rupture de rallianco, c'est-à-
dire sans doute des règlements qui concernaient les étrangers; rien
de pareil ne se renouvellera à l'avenir (7). La portée de cette ordon-
nance Dans le passé les étrangers, captifs de guerre,
est facile à saisir.
esclaves, pouvaient prendre une certaine part au service du Temple.
Les descendants ^des Gabaonites qu'avait épargnés Josué coupaient le
bois et puisaient l'eau nécessaires au culte (8). Les Cariens ou Céré-
thiens et les coureurs du palais pouvaient, au temps de .loïada et
d'Athalie, pénétrer dans le Temple et y prendre la garde (9). Il faut
penser aussi à ces esclaves dont les descendants portent, à l'époque de
Néhémie et d'Esdras, les noms caractéristiques de Xathinéens (10) ou
de « fds des esclaves de Salomon » (11). Le reproche de Yahweh vient
ou bien de ce que, destinés d'abord aux fonctions les plus humbles,
ces étrangers avaient été abusivement associés aux plus saintes, ou
bien de ce que les idées concernant la hiérarchie avaient fait des

(!) Ez,, \uv, 4-31. — (2) Ez., xliv, 4. 5.

(3) Ez., \Liv, 6\ — (4) Ez., XLiv, 1: — (5) Ez., \uv, 4. — (6) Ez., xliv, :'•, 8. —
(7) Ez., XLIV, 7, 9. — (8) Jos., IX, 27. — (9) II Reg., xi, 4-8.

(10) Esdr., n, 43 (Nch., vu, 46 [Vulg. 47]); vin, 20. La forme "'Jin: est une forme ^
d'adjectif, analogue, quant à sa dérivation [cf. le participe passif du syriaque \vi^]
du participe passif iM2p ; les wV'inim sont proprement les « donnés ». '^.
"
(11) Esdr., II, 55 (Neh., vu, 57).

I
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 73

progrès sérieux, aboutissant à la condamnation de ce qui avait pu


d'abord paraître légitime. Les étrangers ne devaient pas pour autant
être exclus de toute participation aux Tel serait du rites sacrés.

moins le cas pour ceux qui séjourneraient à demeure au milieu des


fils d'Israël et auxquels Ézéchiel témoigne tant de faveur dans les

règlements concernant le partage du pays (1). Nul doute que. dans


la pensée du prophète, ils ne puissent offrir des sacritices et se mêler
au peuple dans la cour extérieure. C'est le parvis intérieur qui leur
est interdit.

Il Test pareillement aux laïques Israélites. Ceux-ci peuvent entrer


dans le parvis extérieur pour présenter leurs victimes et prendre
leurs repas sacrés : ils ont des cuisines et des chambres ad hoc (2).

Aux jours des grandes solennités, peut-être aussi des sabbats et


néoménies, ils y pénètrent par les portiques du Nord ou du
Sud —
sortant par l'entrée opposée pour voir, de la porte —
d'Orient, se développer les liturgies de la cour intérieure (3). Tous
les laïques seront assujettis à cette règle, tous, même le prince.

On a voulu dire que, dans cette \-ision suprême, le prince était dimi-
nué à l'avantage du clergé. La réflexion n'est pas juste. Dabord
il porte le même titre de iv'isV que dans les autres oracles de la
restauration terme peut-être intentionnellement sulistitué à celui
:

de roi qui indiquerait un pouvoir plus étendu et rappellerait les


mauvais pasteurs d'antan V S'il est vrai que le prince occupe au .

Temple une situation subordonnée, ce n'est pas que Ton entende


le faire dépendre purement et simplement d'une autre autorité;
c'est bien plutôt qu'on distingue, avec une précision peut-être in-
connue auparavant deux sphères, les deux ordres, civil et
5 , les
ecclésiastique. D'ailleurs, bien qu'exclu du parvis des prêtres, le
iiO'si' a une place d'honneur parmi les laïques. Aux jours de sabbat

et de néoménie. il peut se tenir, lorsqu'on offre le sacrifice, dans


le vestibule du portique oriental du parvis intérieur (6 on dirait. ;

il est vrai, qu'aux jours des grandes solennités il est davantage con-

fondu avec la multitude (7). Pour ses repas sacrés, il a sa table


à part dans le portique oriental du parvis extérieur (8;. Il est pareil-
lement objet d'égards particuliers quand il vient faire une offrande

(1) Ez., XLvn, 21-2.3; cf. Lev., xvu, 10, 12; Num., xv, 14.
(2) Ez., XL, 17-19; xLvi, 21-24. — fS) Ez., xlai, 9; cf. vers. 1. — (4) Ez.. xxxiv, 1-6.

(5)Les anciens rois avaient à l'occasion offert eux-mêmes, semble-t-il, des sacrifices
(I Sam., XIII, 9, 10; II Sam., m, 17, 18 ;cf. 1 Chron., xvi, 2, etc.): xxiv. 25 (cf. I Ctiron..
XXI, 26-30); I Reg., m, 4 (cf. II Chron., i, 2-6); etc.

(6) Ez., XLVI, 2. — (7) Ez., XLvi, 8, 10. — (8) Ez., xuv. .3.
74 REVUE BIBLIQUE.

spontanée, holocauste ou sacrifice d'actions de grâces (1). — De


telles attentions pour les chefs d'Israël, les codes deutéronomique et
sacerdotal ne disent mot.
Le parvis intérieur sera réservé au clergé, c'est-à-dire au corps
des lévites. Mais, à ce sujet même, une distinction capitale est établie.
D'une part, ceux qui, à titre de serviteurs, seront préposés aux
portes, chargés du service du Temple pour toute œuvre qu'il faudra

y faire, employés à égorger les victimes, sans cesse à la disposition


du peuple (2); ce seront les lévites proprement dits (3). D'autre
part, ceux qui s'approcheront de Yahweh pour faire son service à
lui, pour remplir les fonctions du
spécifiques sacerdoce, qui se
tiendront devant lui pour offrir la graisse et le sang, qui appro-
cheront des choses saintes dans les lieux très saints, qui, en parti-
culier s'approcheront — dans le Saint (4) — de la table de Yahweh
pour en faire le service, qui enfin garderont ses observances (5);
ce seront les prêtres proprement dits (6î.
Lévites et prêtres : ce sont en
deux dénominations de réalité
fonction. Les uns et les famille de
autres appartiendront à la
Lévi (7). Quant à la différence établie entre les deux ordres, on
l'explique par un motif tiré de l'histoire. I^es lévites proprement
dits sont les descendants de ceux qui, au temps de l'égarement, se
sont éloignés de Yahweh pour servir le peuple devant ses idoles
infâmes et faire tomber la maison d'Israël dans l'iniquité (8i. L'al-
lusion est claire après ce que nous avons dit de l'attitude d'Ezéchiel
:

par rapport aux hauts lieux, on comprend que c'est d'eux qu'il
s'agit à cet endroit les lévites sont les descendants des prêtres des
:

hauts lieux. La situation qui leur sera faite aura le caractère très
marqué d'un châtiment : la droite de Yahweh s'est levée sur eux (9) ;

ils porteront leur iniquité, la peine des abominations qu'ils auront


commises (10 Quant aux prêtres, ce sont les fils de Sadoc (11), descen-
.

dants d'une des grandes familles sacerdotales célèbres au temps de Da-


vid (12). Mais leur origine n'explique pas, à elle seule, leur privilège.
Ils seront récompensés de ce qu'au temps de l'égarement, ils auront

(1) Ez., XLM, 12.

(2) Ez., XLiv, 11, 14. — (3) Ez., \lviii, 12, 13 (Ez., xl, 45 ils sont appelés prêtres comme
les fils de Sadoc dont il est question aussitôt après [vers. 46]). — (4) Ez., xu, 21, 22. —
(5) Ez., XLiv, 13% 15, 16. — (6) Ez., xl, 46; XLII, 13, 14; XLIII, 19, 24; etc.
(7) Ez., xLiii, 19 (la formule « prêtres lévites » paraît, en eBet, s'appliquer à tout le
clergé, dans lequel on met ensuite à part les fils de Sadoc^. — (8) Ez., xliv, 10, 12". —
(9) Ez., XLIV, 12'^^. — (10) Ez., XLIV, 10\ 12^ï, iS^. — (11) Ez.. XLi?, 15": cf. xl, 46; XLUi.
19; XL VIII, 11. — (12) Cf. II Sam., vui, 17 ;i Chron., xviii, 16); xv, 24, 25: etc.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 75

gardé les observances du sanctuaire de Yahweh (1). Aux fonctions


que nous avons déjà mentionnées, ils en ajouteront d'autres. Ils
auront la charge de l'instruction du peuple et devront lui apprendre
à distinguer entre ce qui est saint et ce qui est profane, pur et
impur devoir pareillement consacré par la loi lévitique (3).
(2) :

'Ils seront juges, avec l'obligation de s'inspirer des décrets de Yahweh

dans leurs sentences {'*); on sait que le Deutéronome consacrait


déjà, chez les prêtres de .lérusalem, le droit de juger et de rece-
voir les appels. Mais, tandis qu'à côté des prêtres le Code découvert
en 622 reconnaissait des juges laïques (5 le programme d'Ézéchiel ,

parait faire de la judicature l'apanage du sacerdoce. Enhn c'est


aux prêtres d'assurer l'observation des rites des fêtes et la sancti-
lication du sabbat 6.
On sait que ce statut du sacerdoce lévitique futur est pris en très
particulière considération dans les théories des critiques touchant
l'histoire des institutions en Israël et la question du Pentateuque.
Si on de côté le problème chronologique
laisse dont l'étude est —
en dehors de notre sujet —
il n'est pas très difficile de discerner

la place qu'au point de vue logique ce statut occupe par rapport aux
codes du grand recueil législatif. Le Deutéronome ne distingue jamais
entre prêtres et lévites (7); il ne parle que de prêtres-lévites i^8),
de prêtres fils de Lévi (9j, Il n'emploie le terme de « lévite » qu'à
propos du lévite, généralement pauvre, qui « séjourne dans tes
portes '), c'est-à-dire dans les villes et villages du pays; c'est d'or-

dinaire pour le recommander à la charité de ses frères (10). C'est

aussi pour déclarer que dans tout le désir de son àme, il se décide
si,

à venir au sanctuaire central, il pourra faire le service de Yahweh


comme tous ses frères les fils de Lévi qui se tiennent là devant
Y'ahweh et, en même temps, avoir pour sa nourriture une portion

(1) Ez.. \i.iv, 15\ Il serait évidemment téméraire de vouloir prétendre que les désordres
<iui déshonoraient les hauts lieux n'aient pas trouvé accès au sanctuaire de Jérusalem,
même avec la connivence des prêtres (cf. II Reg., x\i, 10-18; \xi, 4-8; \\ui, 6, 7). Mais
il quand même certain que l'orthodoxie avait moins à se plaindre de l'attitude d'en-
est
semble du clergé hiérosolymitain que de celle des collèges «acerdotau\ des hauts lieux.
(2) Ez., xLiv, 23. —
\3j Lev., x, 8-11. (4) Ez., xuv, 24'. —
(5) Deut., xvil, 8-13: xix, —
17; XXI, 5. — (6) Ez., XLiv, 24''.

(7) En nombre de textes, les termes prêtre et prèlre-lcvite paraissent synonymes


(cf. Deut., xMi, 12 et 9; xviu, l et 3); les mêmes fonctions sont attribuées aux prêtres,
aux prêtres-lévites ou même aux lévites (cf., d'une part Deut., \ix. 17, et, de 1 autre, xvii,

9; d'une part, xvii, 18 [voir xxxi, 9] et, de l'autre, xxxi, 24-27;.


(8) Deut., XVII, 9, 18; xxiv, 8. — (9) Deut., xxi, 5.

(10) Deut., XII, 12\ 18», 19; XIV, 27, 29; xvi, 11, 14: xxvi, 11, 12, 13. On a noté plus
haut que Deut., xxxi, 25, il était question des Lévites en un sens plus large.
76 REVUE BIBLIQUE.

égale à la leur (1). Ce principe de l'égalité entre tous les fils de


Lévi devait, semble-t-il, inspirer la réforme de Josias. Néanmoins les
prêtres des hauts lieux, qui appartenaient bien à la famille de Lévi
mais qui sans doute n'avaient pas quitté leurs fonctions « selon tout le
désir de leur âme », furent bien reçus au Temple de Jérusalem (2 ;

mais, mangèrent des pains sans levain au milieu de leurs frères,


s'ils

ils ne furent pas admis à monter à l'autel de Yahweli (3). Une dis-
tinction de fait fut établie entre les membres de l'ancien clergé
hiérosolymitain et ceux de l'ancien clergé des hauts lieux. On dirait
que cette situation de fait est présente à l'esprit d'Ézéchiel et qu'il
veut l'ériger en principe en en apportant la justification. Dans la
loi lévitique, la distinction des prêtres et des lévites est à la base de
tous les règlements hiérarchiques (i). Elle est d'ailleurs fondée, non
sur un incident historique, mais sur la descendance généalogique :

les prêtres sont les descendants d'Aaron par Éléazar et Ithamar (5),
les lévites sont les autres membres de la tribu de Lévi (6i. D'autre
part, le code lévitique attribue une place fort importante au grand
prêtre, dont il n'est pas question au programme cultuel d'Ézéchiel.
Le seul fait d'appartenir à la famille de Sadoc ne suffira pas à
assurer aux prêtres — c'est d'eux surtout, sinon exclusivement, qu il

s'agit — l'entrée au parvis intérieur et l'accès aux fonctions saintes.


Il leur faudra en outre remphr certaines conditions, observer cer-
taines formalités.
Il en est d'abord qui out trait èi leur attitude générale dans la société. Dans
le soin de leur chevelure, ils devront s'abstenir des usages en vigueur chez les

païens : ni raser leurs tètes, ni laisser croître leurs cheveux sans les tondre [7 ^

La Loi de Sainteté renouvelle cette prescription, en la complétant par une mesure


concernant la barbe i8 ; puis elle étend l'une et l'autre à tous les Israélites (9).

— Les prêtres n'épouseront pas d'étrangères, mais seulement des jeunes filles Israé-
lites; ils ne prendront ni veuves — exception est faite toutefois pour les veuves
de prêtres —
femmes répudiées 10). D'après la Loi de Sainteté, il est interdit
, ni
au prêtre d'épouser une femme prostituée ou déshonorée, une femme répudiée (11)-,
au seul grand prêtre il est interdit de prendre une veuve 12;. — Les prêtres ne
doivent pas se souiller par le contact d'un cadavre humain : exception est faite

néanmoins pour la dépouille d'un père, d'une mère, d'un lils. d'une fille, d'un frère.
d'une sœur non mariée ;i3). Mais alors un rite de purification s'impose et, au bout
de sept jours, quand il veut officier dans le parvis intérieur, le prêtre doit offrir

(1) Deut., xvm, 6-8. — (2) Il Reg.. xxiii, 8. — (3) II Reg., xxm, 9. — (4) Ex., xxix.
1-37; XXXIX, 1-31: Lev., vni; ix ; XXI, 1-16; Num., m. iv; vin, 5-26; wii. 16-28 (Vulg.
1-13); xviii; XXXV, 1-8. — (5) Lev., i, .">; etc. (on notera que, d'après II Sam., vm, 17,
Sadoc descendait d'Achitob). — (6) Num., iv.

(7) Ez., XLiv, 20. — (8) Lev., xxi, 5*. — (9) Lev., xix, 27. — (10) Ez.. XLiv, 22. —
(11) Lev., XXI, 7. — (12) Lev., xxi, 14. — (13) Ez., xliv, 25.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 77

un sacrifice pour le péché 1). Mêmes règles et mêmes exceptions pour le prêtre
dans la Loi de Sainteté (2 , ;
mais, quand il s'agit du grand prêtre, aucune exception
n'est admise (3^. La Loi de Sainteté ne fixe pas la durée de l'état d'impureté con-
tracté par le prêtre; mais une autre section des lois lévitiques parle de sept jours (4).
Cette section renferme en outre des développements touchant la manière dont se con-
tracte l'impureté et les rites purificatoires (5). Ces derniers consistent surtout en
aspersions; il est d'ailleurs possible que, dans Ezéchiel, le sacrifice pour le péché
suppose l'état d'impureté disparu et ait pour objet de préluder
des à la reprise
fonctions. — Notons enfin laau prêtre de manger de tout animal
défense faite

mort ou déchiré (6). Cette prohibition figure pareillement dans la Loi de Sain-
teté (7). Bien plus cette loi déclare impure toute personne née dans le pays ou
étrangère qui mangera pareille nourriture (8 . Déjà d'ailleurs le Code de l'alliance
interdisait aux Israélites de manger la dépouille d'un animal qui avait été déchiré
par un autre animal (9).

A ces règlements généraux se rattachent ceux qui concernent les revenus des
prêtres. Ils n'auront point d'héritage en Israël (10). La portion qui leur est réservée
autour du Temple est trop petite pour entrer en ligne de compte (11); et il est
facile de constater la différence qui existe à cet égard entre le statut ézéchiélien

et les dispositions du Code Sacerdotal concernant La part


les villes lévitiques (12).

des prêtres sera Yahweh lui-même ,13), et le fils de Buzi parait se complaire à
reprendre cette formule du Deutéronome (14). Sans doute le ministère que ces
prêtres rempHront auprès de Yahweh devra suffire à contenter leur cœur. Mais
d'autre part. Yahweh mettra à leur disposition ses propres revenus : oblations,
victimes offertes pour le délit ou le péché, ce qui aura été voué par anathème (1-5 ,

prémices des premiers fruits de toutes sortes, toutes les olirandes, prémices des
pâtes et gruaus ^16). Ici encore les règlements d'Ézéchiel tiennent le milieu entre
ceux du Deutéronome et ceux des lois lévitiques. D'après le Deutéronome, qui ne
parle pas des sacrifices pour le péché et le délit, les prêtres devaient avoir l'épaule^
les mâchoires et l'estomac des victimes, gros et petit bétail, offertes par les fidèles,
autrement dit. des sacrifices pacifiques; ils devaient avoir les prémices du blé,
du vin nouveau, de l'huile, de la toison des brebis '17|. En revanche, les lois lévi-
tiques déterminent avec une grande précision les tributs que le dispositif d'Ézéchiel
se borne à énoncer (18).

(1) Ez., xLiv, 26, 27 (lire probablement, 2<y', au lieu de iP^ni2 "iinNl, « et après sa

pureté » [sa purification] : irN*2"i2 "iinx*!, « et après son impureté » [Syr. jLa ^îoo

vaI^^^1^v^^J).

(2) Lev., x\i, l'.i, 2. — (3) Lev., xxi, 11. — (4) Num., xix, 11 (il s'agit d'ailleurs de
l'impureté contractée par les Israélites en général). — (5) Num., xix, 11-22. — (6j Ez.,
XLiv, 31. — (7) Lev., xxu, 8. — (8) Lev., xvn, 15, 16. — (9) Ex., x\ii, 30 (Vulg. 31).
(10) Ez., XLIV, 28. — (II) Ez., XLV, 3, 4 ; xlviu, 9-12.
(12) Une ordonnance de la Loi de Sainteté (Lev., x\v, 32-34) suppose que les lévites ont
des villes, avec des cliamps de pâture situés tout alentour. Code On lit ailleurs dans le
Sacerdotal les dispositions concernant ces villes et banlieues (Num., Ce «lui xwv, l-S).

nempèche pas de lire aussi, dans le Code Sacerdotal comme dans Ézécbiel, qu'Aaron n'aura
pas de part dans le pays, que Yahweh sera son héritage (Num., xvni, 20).
(13) Ez., XLiv, 28. — (14) Deut., x, 9; xvui, 1, 2 (cf. Gen., xlix, 7). — (15) Ez., xliv, 29.
— (16) Ez., XLIV, 30. — (17) Deut., xvni, 1, 3, 4.

(18) Cf. Lev., u. 3, 10: VI, 9-11 (Vulg. 16-18); vu, 9, 10; Num., xvni, 9, pour l'obiation
78 REVUE BIBLIQUE.

Aux conditions ordinaires de sçiinteté dont nous venons de parler


les prêtres devront, au moment d'accomplir leurs fonctions, ajouter
diverses observances.
Quand ils franchiront les portes du parvis intérieur, ils se rendront dans les
chambres voisines pour dépouiller les vêtements de laine qu'ils porteraient sur
eux(l), afin de ne pas s'exposer à la sueur(2). Ils prendront des vêtements de lin.

mitres et caleçons (3). Mais ils les quitteront avec grand soin dans les chambres voi-
sines du Temple avant de reparaître au milieu du peuple autrement ils lui commu- ;

niqueraient leur sainteté (4), et l'on comprend qu'il s'agit d'une sainteté rituelle.

Dans les lois lévitiques, abstraction faite du costume du grand prêtre (5), on men-
tionne un plus grand nombre de vêtements sacerdotaux et la terminologie est légère-
ment différente C6)-
propos de souligner, au sujet du personnel du Temple
Est-il à
comme au sujet du territoire, cette gradation dans la sainteté à
mesure que Ton se rapproche de la divinité? Au plus loin, les laïques,
mais déjà séparés de la foule profane par les murs du parvis exté-
rieur et jusqu'à un certain point sanctifiés ;
plus près, dans le parvis
intérieur, mais à distance de l'autel, les lévites; puis, tout près de l'au-
tel, les prêtres. par leur appar-
Et ces derniers, uou seulement saints,
tenance à une famille sainte, dont l'attitude fut noble dans le passé,
mais encore sanctifiés par le revêtement des parures consacrées.
Il nous reste à parler en quelques mots du futur rituel. Dès que
l'on songe à le comparer aux documents du Pentateuque, deux
remarques s'imposent. — Il faut d'abord se souvenir que le Déutéro-
nome n"a rien d'un rituel; on n'y trouvera donc qu'à titre tout à fait

ou nnJD; — Lev., vi, 19, 22 (26, 29); vu, 6, 7; Num., win, 9, 10 pour les sacrifices pour

le péché ou pour le déht (DU^N ou riK'ûri): — Lev., \xvii, 21 et Num., xvui, 14 pour

l'anathème ou Din; — Nura., xviii, 12, 13, pour les prémices des premiers fruits ou

"ill^Sn n'iw'NT. — Lev., vil, 14, 32; Num., wiii, 11, 19, pour les sacrifices pacifiques,

ala'5ï7, et les offrandes ou niDIiri (Cf. Deut., xii, 6, 7, 11, 12,17 : etc.) ;
— Num., w. 2(i,

21 pour les prémices des pâtes ou riiD*''!".

(1) Ez., XLiv, 17''; cf. XL, iCy. —


E/., xuv, 18''. (3| Ez., xliv, 17% 18\
(2) (4) — — Ez.,
XLIV, 19; cf. \UI. 10-14. — xxvm, 2-39; xxxix, 2-26, 30, 31 Lev., Mn, 7-9.
(5) Ex., ;

(6) On parle à propos des prêtres (Ex., wviu, %0-43 xxxix, 27-29 Lev., vi, 3 [Vulg.
; ; 10] ;

viii, 13) : de tuniques (nirO; Ex., xwiii, 40; xxxix, 27; Lev., vm, i.j; "D, Lev., m.
3 [10]) de lin ("::, Lev., vi 3 [10], au lieu de DTlwS dans Ezéchiel: Ex., xxxix. 27
donne comme étoffe le '\à'é, peut-être le byssus ou le coton), de ceintures "ûj^N. Ex..
xxviii, 40 et Lev., vni, 13, sans désignation de l'étoffe; avec l'addition ITUTD UJU/*.

« byssus retors » dans Ex., xxxix, 29), de caleçons de lin ("3 ^DJDQ. Ex., xxvui, 42,

Lev., VI, 3 [10] au lieu de OTïTS IcaDD; dans Ex., xxxix, 28, l'UTD ttT'i:' ~nrî •id:3'2)

de 7nitres de lin {ï\TJ2^n. au lieu de "'"1X3, sans désignation d'étoffe, Ex., xxvm, 40;

Lev., VIII, 13; ttr^y ni"n;r::n ''>V2, dans Ex., xxxix, 28). — Sur l'ordre de quitter les
ornements dans le parvis intérieur, cf. Lev., vi, 4 (il).
L'A.Mb; JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 79

exceptionnel des textes parallèles aux règlements cultuels de la vision


suprême du fils de Buzi. Il n en faut pas pour autant conclure
que le législateur deutéronomique ne connaissait pas de tels règle-
ments; il y a, au contraire, tout lieu de penser qu'il eût pu multiplier
les références analogues à celle qu'il indique pour la purifica-
tion de la lèpre 1 Alors même que l'on fixerait au temps de l'exil
).

la composition du Code Sacerdotal, force serait de reconnaître que


ce document n'a pas été créé tout d'une pièce, mais qu'il a été
obtenu avant tout par la coordination de législations partielles,
déjà existantes auparavant, dont plusieurs reiuonteraieiit à des
époques notablement antérieures; la plupart des critiques indépen-
dants souscriraient à cette assertion. Il faut, en second lieu, —
souligner la différence des points de vue qu'adoptent la législa-
tion deutéronomique —
et auparavant celles de l'alliance (2) et

delà rénovation de l'alliance (3), —


d'une part, et, d'autre part, les
législations lévitiques, touchantles pratiques du culte. Le Deuté-

ronome se place surtout au point de vue des manifestations privées


ou familiales de la piété. C'est chaque Israélite, c'est chaque famille
qui, tantôt pour obéir à un précepte, tantôt par un mouvement spon-
tané ;i^, viennent au Temple accomplir les divers actes de religion
et, pour cette fin, réclamer le ministère des prêtres; même aux jours
des grandes panégyries, les actes religieux dont parle le Deutéronome
Liardent ce caractère privé (5). Les lois lévitiques ne méconnaissent
pas ces manifestations privées du culte (6(. Il n'en est pas moins vrai

qu'un autre point de vue attire davantage le législateur celui du :

culte officiel, que le clergé a charge de rendre à Dieu au nom du peuple


tout entier, des absents aussi bien que de ceux qui sont présents.
Le clergé apparaît perpétuellement dans le Code Sacerdotal en
fonction de représentant du peuple auprès de Yahweh, et c'est pour-
quoi un ser^-ice est organisé indépendamment de ce que chaque
fidèle ou chaque famille peuvent faire d'eux-mêmes. Or on peut
dire qu'à cet égard, le programme d'Ézéchiel tient une place inter-
médiaire entre celui du Deutéronome et celui des lois lévitiques.
Si, en effet, l'organisation cultuelle qu'il esquisse est dans l'esprit

de celle que consacre le Code Sacerdotal, nombreux sont les détails


et précisions qu'il ignore ou néglige.
Une telle organisation du culte suppose préalablement des revenus
fixes. Ce seront les fidèles qui, non contents de pourvoir aux mani-

(1) Deut., xm-. 8; cf. Lev., xiii-\iv. —(2) Ex., xx,22-xxiu, 19. — (3) Ex., xxxiv, 10-26
- (4) Deut., XII, 6, 7. Il, 12, 26-28: etc. — (5) Deut., xvi, 1-17. —(6) Lev.. x\ni. .38.
80 REVUE BIBLIQUE.

festations privées de leur dévotion, auront la charg-e d'entretenir le


clergé. Sur ce principe le programme ézéchiélien et le programme
du Code Sacerdotal sont tout à fait d'accord. Mais les modes d'exé-
cution sont entièrement différents. Dans Ézéchiel, le prince ou nâst
prend une importance particulière. C'est à lui. en elfet, que les
ici

tributs doivent aboutir (1), parce que c'est lui qui, au nom du peuple^
aura à pourvoir aux liturgies sacerdotales Sous sa forme actuelle, le
texte hébreu ne sig-nale cette intervention qu'à l'occasion des sabbats,
des néoménies et des fêtes, de toutes les solennités de la maison d'Is-
raël (2 mais le contexte et une heureuse variante des Septante nous
;

invitent à étendre cette contribution au sacrifice quotidien (3). Ni le


Code Sacerdotal, ni non plus le Deutéronome ou le Code de l'alliance
ne mentionnent ce rôle du chef de la nation; on le conçoit mieux d'ail-
leurs dans la perspective des temps messianiques que dans tout autre
contexte. Il n'en est pas moins vrai que, dans les temps passés, les
rois eurent souvent un rôle important dans l'entretien du temple
hiérosolymitain (4). D'après les lois lévitiques, c'est au clergé que
reviennent directement les dîmes, et les lévites voyagent dans le pays
pour les recueillir (5) ; de plus ces offrandes servent à l'entretien
des prêtres plutôt qu'au service de l'autel. Pour celui-ci on réclame
un impôt individuel égal pour temps d'Esdras, tous; tandis qu'au
il n'est que d'un tiers un demi-sicle. Chaque
de sicle i6 . la Loi l'élève à
Israélite le doit offrir en rançon pour son âme, comme un don levé
et une contribution pour Yahweh cet impôt sera employé au ser- ;

vice de la maison de Yahweh (7). La taxe prévue par Ézéchiel est


établie sur d'autres bases; elle est proportionnée au revenu d'un
chacun, elle porte sur des espèces déterminées et est bien inférieure
à la dime : 1/60 du froment et de l'orge, 1/100 de l'huile, 1/200
quand il s'agit des brebis (8).
Avec ces revenus, le nàsi' pourvoira aux sacrifices afin de faire
l'expiation pour Israël (9). En effet, tous les rites religieux revêtent
plus ou moins ce caractère expiatoire, dont les livres historiques

(1) Ez., XLV, 16. — (2) Ez., ALV, 17, 22-24, 25; \lm. 4-7.
(3) Ez., xLvi, 13-15. Au lieu de ni273/*71, « tu feras [Ezéchiel, ou le peuple] » l'holo-

causte (vers. 13) et l'oblation (vers. 14), le grec (noiriasi) a nil7îr% « il fera (le prince) ».

Au vers. 15, au lieu de lil*!?'', « ils feront », le grec (TtotriaeTe) a 1t?"n. Les leçons sont un
peu indécises.
(4) CL 1 Sam., xiu, 9, 10; II Sara., vi, 17, 18; I Reg., m, 4; viii, 62-64; xv, 15; etc.
(5) Num., xvin, 20-32; sur la manière dont les lévites recueillent la dime, cL Neh., \,
38'', 39 (Vulg. 37\ 38).
(6) Neh., X, 33 (Vulgate 32). — (7) Ex., xw, 11-16. — (8i Ez., xlv, 13-15.

(9) Ez., XLV, 17''.


LAME JUIVE AL' TEMPS DES PERSES. 81

ne parlent guère avant l'exil (1), mais qui est en rapport avec le
sentiment profond de confusion que, dans même après le pardon et
les temps messianiques, la conscience et le souvenir de son péché
doivent laisser en l'àme d'Israël (2). Les sacrifices mentionnés au
programme d'Ézéchiel sont Foblation ou minhàh i^3 l'holocauste :
,

ou 'ôlâh (4), les sacrifices dits pacifiques ou sHâmîm (5), la hbation


ou nésék' (6), le sacrifice pour le péché ou hattâV\Û' (7), le sacrifice
pour le délit ou 'cdâin (8i. De ces sacrifices, sous la forme qu'ils
revêtent ici, le Deutéronome ne mentionne que les holocaustes et
les De tous, en revanche, il est fréquemment question
s^laynîm (9).
dans 1; il est bon de noter
les lois lévitiques (10 que la ha(td[Y' (11)
et r V?.wm (12) sont mentionnés dans la Loi de Sainteté, Dans la loi
lévitique le /iésék^' consiste en une libation de vin (13); dans le
programme d'Ézéchiel, qui bannit du Temple l'usage du vin (14), il
s'agit probablement de la libation d'huile répandue sur la minhûh.
Ces sacrifices ont leurs places dans les diverses manifestations du
culte. Le calendrier liturgique d'Ézéchiel consacre :

— le sacrifice de chaque matin ou sacrifice perpétuel (tâinUP') (15). Dans la loi


lévitique, il y a un sacrifice chaque matin et chaque soir (16);
— le sabbat :17;. Ézéchiel a manifesté ailleurs sa profonde sympathie pour cette
institution (18; dont, en dehors du Décaloguei 19 et sans doute par un effet du hasard,
le Deutéronome ne parle pas. Les lois lévitiques — la Loi de Sainteté entre
autres (20} — y reviennent fréquemment (21} ;

(1) On sait que ces livres ne parlent pas des sacrilices proprement expiatoires TïH'Cfl
et D'éii. Toutefois, a propos de la restauration du culte au Temple sous Ezéchias, les
Chroniques (II Chron., xxix, 21, 23, 2i) signalent une riN'Cr; de sept boucs en vue défaire
expiation pour tout Israël.
(2) Ez., XVI, 54, 61, 63; xx. 43; xxxvi, 31, 32; etc. — (3) Ez., xui, 13; xliv, 29; xlv, 15,
17, 24, 25; XLVI, 5, 7, 11. — (4; Ez., 39; xlv, 15, 17, 23, 25; XLVi, 4,
xl, 6, 12, 13. —
(5) Ez., XLV, 15, 17; XL\i, 12.— (6) Ez., xlv, 17, 24, 25; xlvi, 5, 7, 11, 14. — (7) Ez., xl,
39; XLii, 13; XLIV, 29; XLV, 17,19, 22, 23, 25. — (8) Ez., xl, .39; XLU, 13; xliv, 29; xlvi,
20. — (9) Deut., XII, 6, 11, 27, etc. (le sacrifice pacifique est d'ordinaire désigné par le
terme général de HZ"). — fio) Cf. Lev., i-vu; etc. — (11} Lev.. xxiii, 19.

(12) Lev., XIX. 21, 22. On notera que la Loi de Sainteté parle d'ordinaire en termes
généraux des sacrifices faits par le feu (Lev., xxni, 8, 27, 36, 37); toutefois elle signale
avec précision l'holocauste ([ui doit accompagner l'offrande de là première gerbe (Lev., xxni,
12); elle insiste longtemps sur les sacrifices de la fête des Semaines (Lev., xxju, 17-20).
(13) Nura., xxviii, 7, 14, etc. — (14) Ez., xliv, 21.
(l.î) Ez., XLVI, 13-15. — (16) Ex., xxix, 38-42; cL Lev., vi, 2-6 [Vulg. 8-13]); Num.,
xxvin, 3-8. — (17) Ez., xlv, 17 ; xlvi, 1, 3-5. — (18) Ez., xx, 12, 13, 16, 20, 21, 24; etc.
— (19) Deut., V, 12-15.
(20) Lev.. \i\, 3, 30; xxiii, 3, 11, 15, 32, 38;
x\n, 8; \x\. 2, 4, 6; xwi, 2, 34, 35, 43.
Plusieurs de ces textes, qui ne concernont pas directement le sabbat hebdomadaire,
pré-
sentent cet intérêt (|uils adirment la relation étroite qui existe entre l'idée de sabbat
et
lidée de repos : il en est de même dans telle des références qui suivent.
(21) Ex., XVI, 23,25,26; xxxi, 13-17; xxxv, 2, 3 ; Lev., xvi, 31 ; Num., xv, 32-36; XXVIU, 9, 10.
RBVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 6
S2 RE\UE BIBLIQUE.

la néoménie (1), qui tient une si grande place dans l'histoire ancienne d'Is-

raël mais dont le Deutéronome ne parle pas. Les


(2),
lois lévitiques mentionnent
cette fête et en décrivent les rites fS) ;

les fêtes annuelles. L'année est divisée en deux parties, de telle sorte que l'on
consacre, avec l'adoption du nouveau calendrier qui fait commencer l'année au prin-
temps, le souvenir de l'ancien qui faisait commencer l'année agricole au septième
mois. On a ainsi :

— la fête néoménie du premier mois 4). Le rite caractéristique


expiatoire de la
consiste en ce que le prêtre prend du sang de la victime offerte pour le péché afin
d'en mettre sur les poteaux du Temple, sur les cornes de l'autel, sur les poteaux du
portique (ou des portiques) du parvis intérieur; ainsi le Temple est purifié des
:

souillures qui pourraient provenir des fautes d'erreur ou d'ignorance (5). Ni le Deu-
téronome Code Sacerdotal ne parlent de cette fête
ni le ;

— la fête néoménie du septième mois (6).


expiatoire de la Le Deutéronome —
n'en parle pas. Dans les lois lévitiques, même dans la Loi de Sainteté (7), la néo-
ménie du septième mois est marquée par des rites qui en rappellent l'importance
ancienne (8). Mais c'est le 10 de ce mois que prend place la grande fête des Expia-
tions (9) ;

— la fête du 14 du premier mois, fête de la Pàque et des Azymes; elle dure sept
jours (10);
— la fête du l-î du septième mois, qui dure pareillement sept jours (11 1.
Le Deutéronome, qui d'ailleurs ne marque pas de dates précises, mentionne les

trois grandes fêtes annuelles de la Pàque avec les Azymes (12), des Semaines (13)

le calendrier ézéchiélien ne signale pas cette fête, des Tabernacles (14); la pre- —
mière et la troisième de ces fêtes durent sept jours, comme dans Ezéchiel. Les lois
lévitiques — y compris la Loi de Sainteté gardent la fête des Semaines (15) et —
renferment des règlements précis concernant les fêtes du premier mois (10) et du
septième (17).
Au point de vue des rites observés dans ces solennités, qu'il suflise
d'établir la liste et le parallélisme suivants :

— Sacrifice quotidien : le matin seulement, holocauste d'un agneau, avec une


minhdh arrosée d'huile (18). — Loi de Sainteté aucun renseignement. Autre loi
:

sacerdotale deux holocaustes avec minhfih aiTOsée d'huile et libation de vin.
(1!>) :

l'un le matin, l'autre le soir (20); sans parler de la mlnhûh personnelle du grand

(1)E7.., XLV, 17; \LVi, 1'', (1, 7. — ('2) I Sam., \\,5, 18, 24, 27, 34; II Reg., iv,. 23 ; I Chron.,
xxni, 31; Il Chron., \ui, 1'!; wil, 3; Ara., >ni, 5; Os., v, 7; Is., i, 13; etc. —
(3)Nam., \, 10; xx\ui, 11-15,. — (4) Ez., \lv, 18. — (5) E/., xLV, 19, '->().

(6) Ez., \LV, 20. Il faut- lirç, avec le grec (èv tm ÉpôoïK.) 5xr,vl tiia tou javô;), '^'j^yCZ

yJinS "înxi, au lieu de U?~n2 nyi^k^S, qui ne donne pa-; un sens satisfaisant.

(7) — Num., xxix,


Lev., xxui, 24, 25. — Lev., wiii, 26-32; Nuin., xxix, 7-11:
(8) 1-6. (9)

Lev., XVI. — (10) Ez., xlv, 21-24. — (11) Ez., xlv, 25. — Deut., x\i, 1-8. — (13) Deut., (12)

XVI, 9-12. — (14) Deut., xvi, 13-15. — (15) Lev., \xni, 15-21; iNurn., \xvni, 26-31.

(16) Lev., \xui, 5-14; >'um.,xxAaii, 16-25; Ex., xu. — (17) Lev., win, 34-36, 39-43; Num..
XXIX, 12- .39.
(18) Ez., XLVI, 13-15.
(19) Sous ce tilre nous désignons la réglementation des sacrilices de Num., xwui-xxix.
(20) Num., xxvni, 3-8.
1. AME .ILIVE AL TEMPS DES PERSES. 83

prêtre 1). Au temps du roi Achaz 2), il n'était question que de l'holocauste du
matin et de la minh-'ik du soir, puis de l'holocauste et de la minh''ih du roi.
— Sabbat : holocaustes de six agneaux et d'un bélier, avec autant de luinhôth
arrosées d'huile (3). — La Loi de Sainteté ne parle que du repos et de l'assem-
blée 4 . — Autre loi sacerdotale holocaustes de deux agneaux avec niinJj.'lh
:

arrosée d'huile et libation de vin (5).

— Xéoménie : holocaustes d'un jeune taureau, de six agneaux, d'un bélier,


avec autant de minhotk arrosées d'huile 6 . — Loi de Sainteté aucune donnée :

touchant la néoménie. — Autre loi sacerdotale : holocaustes de deux taureaux, de


sept agneaux, d'un bélier, avec autant de minJjôth arrosées d'huile et des libations-,
en plus, sacrifice d'un bouc pour le péché (7).
— Néoménie du premier mois un taureau pour péché peut-être en plus : le (8J,

des communs aux autres néoménies,


sacrifices
— Fête du ]4 du premier mois Pâque Azymes). — Elle dure sept jours de et (9);
même d'après Deutéronorae Loi de Sainteté
le sacerdotale (12\
10) la 11) et l'autre loi
— La mention de Pâque dans Ezéchiel «renfermerait-elle une allusion
la » 13;
au rite caractéristique dont il est question en termes généraux dans le Deutéro-
norae Loi de Sainteté (15) et l'autre loi sacerdotale (^16), maïs sur lequel tel autre
(14", la

texte du même code (17 s'explique avec une grande précision?... Dans Ezéchiel, —
comme dans le Deutéronome, la Loi de Sainteté, l'autre loi sacerdotale (18), l'usage
des Azymes doit être observé sept jours durant. — Rien dans Ezéchiel d'une solen-
nité particulière pour le premier et le septième jours; le Deutéronome parle seule-
ment de l'assemblée du repos du septième jour (19); la Loi de Sainteté parle du
et
repos et de la convocation sainte du premier jour et du septième (20); de même
l'autre loi sacerdotale 21;. -^ Ezéchiel ne dit rien de la présentation de la première
gerbe dont parle la Loi de Sainteté ;22). Quant aux sacrifices, ils consistent, d'après —
Ezéchiel chacun des sept jours, en des holocaustes de sept taureaux et de sept
:

béliers, avec autant de minkôth arrosées d'huile; le premier jour, on a, en plus, le


sacrifice d'un taureau pour le péché, puis, chaque jour, le sacrifice d'un bouc (23).
Le Deutéronorae ne dit rien de ces sacrifices. En dehors de l'holocauste, de la
minlyih et de la libation qui accompagnent la présentation de la gerbe (24), la Loi de
Sainteté parle seulement en général des sacrifices des sept jours (25). L'autre loi
sacerdotale demande pour chaque jour des holocaustes de deux taureaux, de :

sept agneaux et d'un bélier avec minhùth et libations; en plus, le sacrifice d'un boue
pour le péché (26).
— Néoménie du septième mois comme à celle du premier mois (27). Le Deu-
: —
téronome n'en parle pas. —
Peut-être en souvenir de l'ancien début de l'année
agricole, cette néoménie revêt dans la Loi de Sainteté 28) une solennité particulière :

annoncée par le son du cor, elle est marquée par un repos solennel, une convocation

(1) Lev., n, 12-16 Vulg. 19-23). — (2) II Reg., xvi, 15. — (3) Ez., xlm, 4, 5. — (4) Lev.,
wiii, 3. — ,5) Num., \\\m, 9, 10. — (6) Ez., xlvi, (j, 7. — (7) Num., xxvni, 11-15. —
8) Ez., \Lv, 18. — 9) Ez., ïLV, 21'"^. — (10) Deut., \vi, 3. 4, 8. — (II) Lev., xxra, 4-14.
— (12) I\uin., \xvui, 17. — (13) Ez., — (14) Deut., xvi,
XLv, 21'. — (15) Lev., 2, 4''-7.
xxni, 5. — IH) Nuit)., wvm, 16. — — (18) Ez., xlv,
(17) Ex., sir. Deut., xvr, 21''; 3, 4»,
8^; wni, 6''; Num.,
Lev., xxvm, — (19) Deut., vvi, — (20) Lev., xxni,
17''. — 8'".
7, 8.
21) Num-, xxviir, 18, 25. — Lev., xxiu, 9-14. —
(22) Ez., xlv, 22-24. — (24) Lev.,
(23)
wni, 12, 13. 25) Lev. — , xxui, 8\ — (26) Num., wvni, 19-24. — Ez., xlv, 20. — (27)
,28) Lev., x\ui, 23-25.
84 REVUE BIBLIQUE.

sainte, des sacrifices. L'autre loi sacerdotale énumère ces sacriQces holocauste :

d'un taureau, de sept agneaux, d'un bélier, ^\qc minhàth et libations; bouc pour le
péché {{]. Oa est loin du programme ézéchiélien. — La législation du grand jour
des Expiations, le 10 du septième mois, est longuement développée dans la Loi de

Sainteté (2) et dans l'autre loi sacerdotale (3\


— Fête du 15 du septième mois. — Elle dure sept jours avec les mêmes rites que
celle delà semaine pascale (A). Le Deutéronome parle aussi de sept jours pour la fête
des Tabernacles, mais sans indiquer aucun spécial '.5\ Dans la Loi de Sain-
rite

teté 6), la fête dure pareillement sept jours mais avec un huitième jour de clô-
(7J,

ture (8), consacré, comme d'ailleurs le premier, par une convocation sainte et un
repos solennel (!)). — Ezéchiel ne dit rien des huttes de feuillage sur lesquelles
s'étend la Loi de Sainteté (10). — Pour les huit jours, la Loi de Sainteté parle en
général de sacrifices offerts par le feu (11). L'autre loi sacerdotale détaille ces sacri-
fices. Au lieu de l'holocauste de sept taureaux et sept béliers, avec un sacrifice pour
le péciié (un taureau le premier jour, un bouc chaque jour (12), on a. chacun des
sept jours, un holocauste de deux béliers, de quatorze agneaux, puis de treize,
douze, onze, dix, neuf, huit, sept taureaux — en diminuant chaque jour d'une unité
— avec les minhùth et libations correspondantes; le sacrifice d'un bouc pour le
péché (13); le huitième jour, avec le même sacrifice pour le péché, on a un holocauste
d'un taureau, de sept agneaux et d'im bélier 14).

Dernière remarque. Dans Ezéchiel, l'association de la minh'th arrosée d'huile


aux sacrifices est ainsi réglée : pour l'holocauste quotidien, 1 (5 d'épha de fleur de
farine avec 13 de hin d'huile (15); pour les jours de fête, un épha de farine avec le
taureau ou le bélier ofi"erts en holocauste, ce que le prince voudra avec l'agneau, un
hin d'huile par épha(lGi. — Dans la loi lévitique : pour les holocaustes quotidiens,
1, 10 d'épha de farine par agneau et 1 4 de hin d'huile, sans parler de la libation
d'I 4 de hin de vin \1); pour le sabbat, 2 10 d'épha de farine pétrie avec de l'huile
et la libation (18); pour la néoménie et les fêtes, 3 10 d'épha de farine pétrie à
l'huile et 1/2 hin de vin par taureau, ,! 10 d'épha et 13 de hin par bélier, 1/10
d'épha et 1/4 de vin par agneau (19,.
Quand l'autel sera érieé. que les sacrilices seront orizanisés (20) en
propitiation pour le peuple ValiAvch se montrera favorable à ses (*il),

lidèles (22). Comme il


beaucoup de prophéties messianiques
arrive en
— nous l'avons constaté à propos d'Ézéchiel lui-même (23), la —
forme la plus apparente des bénédictions est la prospérité accordée
au sol. Cette perspective se développe ici d'une manière toute par-

1) Num., x\i\, 2-(J. — (2) Lev., wiii. 2G-32. — (3j Num., xxix. 7-11 ; cf. Lev., xvi. —
(4j Ez., XL\, 25. — (5) Deut., xm, 13-15. — ((i) Lev., xxiii, 33-36 avec l'annexe des vers.
39-43. — (7) Lev., ïxiii, 34, 39% 41, 42. —
(8) Lev., xxni, 36'', 39''. — (9j Lev., xxiii, 35,
36''. 3!»'' (de même dans l'autre loi sacerdotale, cf. Num., xxix, 12% 35\ — (10) Lev., xxni,
40-43.-- (11; Lev., xxni, 36. — (12)Ez., xlv, 22-24.— (13) Num., xxix, 12-34. —(14) Num.,
XXIX, 35-38.
(15) Ez., xi.vi, 14. — (1(5) Ez., xlv, 24; xl\i, 5, 7, 11. —(17) Num., \x\ui, 5-7. —
(18) Num., xxviii, 9. —(19) Num., vvvui, 12, 13, 14,20, 21:xxix. 3, 4, 9, 14, 15, 18, 21,
24, 27, 30, 33. 37.
(20) Ez., XMii, 27''^ -(21) E/., xl\, 15''. — (22) Ez., xliii, 27''.i. — (23; Ez., xwvi, 8-15,
30, 33-38; etc.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 85

ticulière, mais qui met en relief la relation étroite de ces bénédictions


avec le Temple et la liturs^ie. Isaïe avait parlé (1) des « eaux de

Siloé qui coulent doucement ». Il faisait allusion à un petit cours


d'eau qui s'échappait de lesplanade du Moriah et dont il est question
dans la lettre du Pseudo-Aristée '2); c'est sans doute celui qui se
manifeste aujourd'hui à la fontaine de la Vierge. Or, au regard
d'Ézéchiel, cette source jaillit du seuil même du Temple, à l'Orient.

Ses eaux s'inclinent aussitôt à droite pour contourner l'autel des


holocaustes. Le prophète voit finalement le ruisseau sortir du parvis
extérieur par la porte orientale {3 Le ruisseau se dirige en efPet.

vers l'Orient, mais rapidement bout de quatre mille


il grossit; au
coudées, c'est un torrent qu'on ne peut traverser, des eaux à passer
à la nage (4). Sur les rives sont des arbres en grand nombre arbres :

fruitiers, dont le feuillag-e, bon pour guérir, ne flétrira jamais, dont


les fruits,bons à manger et renouvelés tous les mois, ne cesseront
])oint(5). Arrivé dans la dans la mer,
"râb^'àh, le torrent entre —
il s'agit de la mer Morte. —
pour en assainir les eaux ('G De fait, les .

eaux deviennent bonnes, la vie y abonde, des poissons de toutes sortes,


pareils à ceux de la Grande Mer, y pullulent les pécheurs s'établissent :

sur le rivage (7). Le sel quand même ne manque pas; il en reste


dans les lagunes et les mares qui ne sont pas assainies 8;. Telle est
l'efficacité des eaux sorties du sanctuaire (9). Les idées fondamen-
tales sont claires : mais, ainsi que nous lavons déjà remarqué plu-
sieurs fois, nous rencontrons en Ézéchiel des conceptions et des
images qui font présager la littérature apocalyptique.
, Mais revenons à ces comparaisons que nous avons établies dans le
domaine des législations cultuelles. Il est temps d'en tirer les conclu-
sions principales; elles présentent, on le sent, un très grand intérêt.
Nous avons souligné plus haut (10; la parfaite continuité qui se
remarque dans la révélation et le livre d'Ézéchiel; nous avons mon
tré, en particulier, que la vision suprême se rattachait par des liens

très étroits aux prophéties qui la précèdent. Un point de vue domine


tout le livre et il est suggéré par l'idée centrale du Deutéronome la :

prépondérance exclusive du sanctuaire de Jérusalem. C'est sous l'in-


fluence de cette idée et de ce point de vue que, dans la première phase
de son ministère, Ézéchiel a mis le culte des hauts lieux au premier

(1) Is., vui, 6.

(2) Lettre, ligne 89, dans la description de Jérusalem (lignes 83-120 .

'3) Ez., XLVii, 1, 2. — (4) Ez., xlvii, 3-5. — ^5) Ez., \i.vil, G, 7, 12. — (6) Ez., \i-Vii, 8.
— ^7) Ez., XLVII, 9, 10. — (8) Ez., xlmi, 11. — 9) Ez., m.mi, 12.
(lOi Vide sitp^ra, p. 63 sv.
86 REVUE BIBLIQUE.

rang des prévarications nationales. C'est sous la même influence que,


depuis 587, il a, à plusieurs reprises, attribué une place au sanctuaire
dans les perspectives de l'avenir. C'est sous la même influence que,
dans la vision suprême, il retrace, et le plan de la restauration du
Temple, et le programme du culte qu'on y rendra à Yahweh.
Mais, d'une part, le Deutéronome ne fournissait ni un pareil plan,
ni un pareil programme; d'autre part, le souci de la Loi, si sensible
dans les autres prophéties du fils de Buzi, ne devait pas Tabandon-
ner au moment où il allait lui-même écrire toute une législation. Il
allait d'instinct se tourner vers les codes divers qui pouvaient recueil-
lir les usages jadis en vigueur dans le sanctuaire liiérosolymitain et
dont, à plusieurs reprises déjà, nous avons senti l'influence en ses
oracles. C'est parmi ces ordonnances, que la révélation divine allait
l'amener, soit à faire son choix, soit à introduire des modihcations plus
ou moin^ importantes. De ces codes, nous possédons sans doute les
principaux, aujourd'hui groupés dans la législation sacerdotale (P)
du Pentateuque ; on sait que dans cette oeuvre immense, la Loi de
Sainteté (i) occupe une place tout à fait centrale.
Or comparaison du programme d'Ézéchiel avec ces recueils
la
aboutit d'abord à une conclusion d'ensemble on ne peut relcAer
:

entre eux de dépendances étroites. D'une part, les lois du Pentateuque


ne se sont pas imposées au fils de Buzi av€c une force et une autorité
telles qu'il les ait traitées comme la norme de sa pensée, ((u'il se soit
cru obligé de ne pas s'en écarter en son programme; nous l'avons,
en effet, constaté, les divergences de détail sont nombreuses. D'autre
part, aucune législation du Pentateuque ne trahit une influence e^-
clusive ou même prépondérante de la vision suprême d'Ézéchiel. Si
telle ou telle partie de ce vaste recueil a été écrite après la mission

du grand voyant de l'exil, le rédacteur ne s'est pas considéré comme


lié par ce qui, sans aucun doute, était pour lui une parole prophé-

tique cette parole lui aura paru viser une situation qui n'était pas
;

de la terre, que du moins l'on ne pouvait songer à réaliser dans le


second temple. Aussi les critiques sont-ils pour la plupart revenus de
l'opinion qui attribuait à Ézéchiel la rédaction de la Loi de Sainteté.
— C'est donc surtout de rapports généraux qu'il se peut agir.
Il est incontestable que le programme ézéchiélien présente de telles

affinités générales avec la Loi de Sainteté il se place logiquement entre


;

cette législation et celle du Deutéronome. La préoccupation de la


pureté du culte aboutit, en ce dernier recueil, à la loi de l'unité de

(I) Lev., xvii-^\M (avec xxmi comme appendice).


LAME JUIVE AU TEMPS DES PEHSES. 87

sanctuaire. Vision prophétique et Loi de Sainteté supposent ce principe


acquis. Mais, en même temps, le programme d'Ézéchiel vise à obtenir
la pureté du culte en mettant eu relief de toutes manières, par les

prescriptions concernant la reconstruction du Temple et l'organisation


du rituel, une idée de de la sainteté divines qui
la transcendance et
doit se traduire par une religion exempte de tout
ce qui est incom-
patible avec une telle perfection. Or, précisément cette idée de la
sainteté di^^ne est à la base de toute la Loi de Sainteté elle s'ex- ;

prime, à la façon d'un leit-motiv, à propos d'un grand nombre d'or-


donnances {!) : comme si le législateur voulait marquer que ces
observances sont le seul moyen de donner satisfaction aux exigences
du Dieu très parfait.
Ce qui est encore commun au programme prophétique et à la Loi
(le Sainteté, c'est une certaine modération dans les prescriptions

qui concernent les rites. 11 est d'ailleurs probable que, de part et


d autre, la raison de cette modération est la même prophète et légis- :

lateur savent qu'il y a d'autres codes plus complets auxquels on peut


recourir.
Que maintenant on résume l'impression produite par les compa-
si

raisons de détail, on aboutit à deux constatations d'abord, on relève :

une conformité assez constante du programme d'Ézéchicl avec la Loi


de Sainteté, mais une conformité qui ne va pas jusqu'à exclure toute
ditférence ensuite on remarque des divergences beaucoup plus
;

notables par rapport aux rituels proprement dits. De ces faits on peut
donner diverses explications. D'aucuns diront que la révélation divine,
dans l'esquisse d'un programme qui ne devait jamais être réalisé ici-
bas, a rendu le prophète indépendant des règlements même les plus
autorisés. Mais on peut dire aussi que, pendant la captivité et dans le
milieu chaldéen, subsistait toute une série de législations de détail con-
cernant le culte du vieux sanctuaire et qu'aucune d'elles n'avait encore
pris le dessus jusqu'à évincer les autres; dans cette hypothèse, les
traits de la vision suprême du fds de Buzi seraient empruntés, tantôt
à l'un, tantôt à l'autre de ces recueils. Le décret de la Commission
Biblique concernant le Pentateuque permet d'envisager qu'à l'époque
de l'exil des éditions très variées du rituel primitif étaient en circu-
lation et d'admettre cpie celle qui a prévalu est le fruit d'un impor-
tant travail de revision, de comparaison et de codification.

(1) Lev., MX, 2: XX. 8, 24'', 26; xxi, 8, 15, 23; XXII, 2, 9'', 16'', 32; etc. On trouve
d ailleurs, à propos d'autres ordonnances, des formules qui évoquent sensiblement la

même idée.
88 REVUE BIBLIQUE.

Et ceci nous amène à la réflexion qui doit clore ces considérations.


Nous avons dit que l'influence du Deutéronome avait contri-
ailleurs
bué à donner à de l'exil et des temps postérieurs ce carac-
la religion
tère très spécial que volontiers on désignerait par le terme de léga-
lisme, si ce terme n'était pris d'ordinaire en un sens péjoratif. Le
programme d'Ézéchiel nous révèle un milieu dans lequel le culte de
la Loi a fait un immense progrès; l'étude de la Loi, sa méditation, la
préoccupation de soumettre à son empire les restaurations futures
sont allées s'accentuant de jour en jour depuis la catastrophe de 587,
depuis que, sur les ruines de l'ancienne capitale et de l'ancien
peuple, on rêve de rétablir une capitale et un peuple entièrement
renouvelés. Nous aurons à revenir sur le vrai caractère de ce « léga-
lisme. » Mais qu'avec Ézéchiel le culte du rite n'ait pas altéré le sens
des exigences morales de Yah\veh, nous en avons la preuve dans ces
oracles que nous avons vus tout débordants de religion vraiment
spirituelle. Le programme changé à ces préoccupations.
final n'a rien
Malgré que son caractère même
de réglementation ne les appelle
guère, les réflexions morales n'en sont pas absentes. Notons cet avis
donné au prince après qu'on lui a attribué sa portion réservée et avant
qu'on parle des redevances qui lui sont attribuées pour l'entretien
du Temple : « Ainsi parle le Seigneur Yahweh : C'en est assez, princes
d'Israël! Plus de violences, ni de rapines I Faites droit et justice; ôtez
vos exactions de dessusmon peuple, dit le Seigneur Yahweh. Ayez des
balances justes, un épha juste et un bath juste (^1). » L'esprit pro-
phétique, on le voit, n'a pas subi de déviation, quoi qu'en disent
nombre de critiques indépendants; les circonstances ont pu changer,
mais, en s'y accommodant, les hommes de l'esprit n'ont rien sacrifié
de leurs principes.
Et c'est ainsi que, dans les oracles de Jércmie et les premiers ora-
cles qu'Ézéchiel a consacrés à la restauration, d'une part, dans la
vision suprême du fils de Buzi, d'autre part, nous voyons, parmi les
traits caractéristiques de l'âme juive, s'accentuer ceux qui seront à
jamais prépondérants l'espérance messianique et le culte de la Loi.
:

Nous aurons vite fait de signaler, dans la troisième partie de notre


travail, les modifications qu'y introduiront les vicissitudes de la
période même de la restauration.
[A suivre.)
J. TOL'ZARD.

(l)Ez., xLv, 9, 10; suivent (vers. 11, 12) quelques indications sur les valeurs respectives
des mesures.
NOUVELLES NOTES
SUR LE MANUSCRIT PALBIPSESTE DE JOB
HIEROSOLYMITANUS SANCTAE CRUCIS X. 3«) li

La guerre, qui ne favorise guère les entreprises scient itiques, m'a


fourni cependant une occasion de revoir pendant quelques heures,
au cours d'une permission à Jérusalem, le manuscrit palimpseste de
Job, dont j'avais déchiffré une partie au printemps de 1912 (2). Le
résultat de cet examen forme l'objet du présent article, où je me suis
décidé à publier de suite les textes récupérés, par crainte de ne pas
trouver avant plusieurs années le loisir de terminer un déchiffre-
ment, qu'il semble d'ailleurs possible de compléter.
La salle de travail de la Ribliothèque patriarcale prend jour par
des fenêtres grillées et grillagées sur une cour étroite où le soleil ne
pénètre guère, il en résulte que la difficulté de la lecture v est très
variable, pour les pages les plus effacées, suivant que le ciel est cou-
vert ou le soleil resplendissant. Après avoir eu en février-mars 1912
une lumière médiocre, j'ai été favorisé d'une pleine semaine de
journées radieuses, mais une bourrasque survenue à la fin de ma
permission a nui à la vérification des notes marginales, que j'avais
réservée pour mes dernières séances de travail. Il est probable qu'un
nouvel examen, dans l'éclatante lumière de l'été, permettrait l'iden-
tification et la lecture des derniers feuillets et la restitution de maint

(1) Cf. R. B. 1912 In manuso'it palimpseste de Job. p. 481 à 503


:
et une planche.
Les passages suivants doivent y être corrigés p. 493, note marginale de : la 1. 14 : aoy/r,-
Toi ; p. 498, f. 185. 1. 1 oLKiof] 'au lieu de av£or„ le tt parait certain'; p. 500. f. 187% 1. 5
H<7J-/a(jet; ; p. 502, f. 192, 1. 1 hi.o~j.

(2j La Bibliothèiiue du Patriarcat orthodoxe, fermée par suite de diverses circonstances,

m'a été ouverte grâce à une démarche auprès de MS"" Porphvrios, archevêque du Sinaï et
locum tenens en l'absence du Patriarche Damianos, faite par M. le Professeur Phocyli-
dis ([ue je prie d'agréer mes très vifs remerciments. Je remercie également l'ancien biblio-
thécaire de 1912. l'archimandrite Hippolyte Michaïlidis de son bon accueil et de son appui,
et les bibliothécaires actuels, archimandrite Photios loannidis et prêtre Clément Xénos,
des facilités qu'ils m'ont données pour l'accomplissement de mon travail.
00 REVUE BIBLIQUE.

détail dans les parties déjà déchiffrées (notes marginales, signes


divers, numéros de chapitres, etc.).
me suis appliqué, comme précédemment, à ne rien enregistrer
Je
comme certain qui n'ait été distinctement vu dans les pages éditées :

ci-dessous, les lettres dont la lecture n'est pas certaine, lors même
que l'espace occupé est garant de la leçon, sont marquées d'un point
au-dessous; lorsqu il va doute entre deux variantes, des points rem-
placent les lettres non lues, afin qu'il ne soit pas introduit dans le

texte édité, même avec le signe du doute, des leçons insuffisamment


fondées.

Le manusont actuel. —
L'étude du texte sous-jacent m'a conduit
à un examen assez minutieux de la structure du manuscrit actuel.
compose, dans sa reliure présente, de io cahiers, dont
Celui-ci se,
22 quaternions complets, deux cahiers de six feuillets et un de sept.
Cette analyse correspond à un système de signatures que l'on re-
trouve dans la marge inférieure des premier et dernier feuillets de
chaque cahier. Toutefois un feuillet, le quatorzième du manuscrit
actuel, a été déplacé accidentellement entre le temps où ces signatures
ont été apposées et celui où le manuscrit a élé paginé; sa véritahle
place est entre les feuillets 209 et 210, car il porte la signature /.s'

et doit aux feuillets 210-215, pour reconstituer avec eux


être joint
un quaternion amputé de son dernier feuillet (1 j.
Ce feuillet une fois rétabli en son lieu, le manuscrit comprend
21 quaternions, trois cahiers de sept feuillets, le premier, le troi-
sième et le vingt-cinquième, et un cahier de six feuillets, le
deuxième (2).
Papadopoulos-Kerarnens a noté dans son catalogue (3), que la
collection des lettres de S. Basile contenue dans le manuscrit de
Sainte-Croix, n" 3G. était mutilée au commencement et à la fin; mais
il n'a pas essayé de déterminer l'étendue des parties manquantes. Il

(1) L'iadicaliou sur la véritable place du f. 14 est coafirmée par le contenu de ce lolio,
la suite du texte est donnée par les mots : i'ho; àsr) Èy.-j&'sv) ||
(f. 210i tjjiîv èittsâvEi; de
la lettre à Sophrone, 'Otio)? rij^pava: r,!xà; qui porte dans le ins. le numéro 2<>0. cf. P. G.
;î2, 643-648. Le déplacement de ce feuillet et sa mise en place actuelle viennent sans doute
de ce qu'il est isolé comme le f. 7; le relieur a voulu composer un quaternion 7-14,
après avoir relié un ternlon 1-6.
(2) Il manque, comme il fallait s'y attendre, le premier téuillet du cahier 1 et le dernier
du cahier 25: je nai pas cherclié à déterminer si les cahiers 2 et 3 sont irréguliers ou
incomplets.
i3) 'lepOTOÀoti'.T'.xr, Bio>.io6r,y.r„ III. p. 83.
NOUVELLES NOTES SL'U LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. IH

est facile, cependant, de connaître ce qui manque au début du ma-


nuscrit, lorsqu'on a reconnu que le système de signatures le plus
apparent n'est pas original et qu'il reste au bas do certaines pages
les vestiges de sig"natures écrites par le copiste lui-même ou un de
ses contemporains. J'ai relevé, toujours aux derniers folios des
cahiers respectifs, les signatures entièrement conservées 7.,s', v.l . y.z'

7.:', aux ff. 161', 177', 185% 193', 201% et d'autres plus ou moins
vZ
rognées par le couteau d'un relieur y;' au f. 29% $'; au f. 97% : -,

'%:' au f. 121"^, %ô'] au f. 137\ Ces signatures prouvent qu'il manque


I

quatre cahiers au début du manuscrit actuel, soit 32 feuillets, parmi


lesquels se trouvaient probablement plusieurs débris de notre Job.
L'accident qui leur est arrivé nous aide aussi à comprendre comment
les beaux feuillets du manuscrit original ont été successivement
réduits aux dimensions actuelles.
Pour apprécier ce qui manque à la fin du manuscrit, après le 25^
[en réalité 29" «ahieri, il faudrait consulter les collections manus-
crites des lettres de S. Basile analogues à celle-ci; les derniers mots
au verso du f. 215'^ c Osbr y:zr/7.'j.iy.v z-rrr/^iv çy Aarojy.sOa appartiennent |1

à la lettre aux prêtres de Nicopolis -al è-'.TTcf/.zv-rEç r.y.Tv qui porte le


n<>269 (1).
Un mot encore pour une erreur de la [ipo7z'f.j\j.i-A-Ar, B'.-
rectifier '

cAio6r,y.ï; le manuscrit actuel ne compte pas 215 folios, comme la


:

pagination le donne à entendre, mais 195 seulement, car la série des


pages saute par erreur de i9 à 70.

Le manuscrit de Job. —
Papadopoulos-Kérameus a écrit que la plu-
part des feuillets du manuscrit actuel provenaient du manuscrit de
Job; il est vrai que le total des feuillets reconnus aujourd'hui dépasse
notablement celui indiqué en 1912 (60 (2) au lieu de i2), mais la
liste suivante doit être complète ou à très peu près 1, 3, V, 6, 7, IV, :

15i-187, 192-195, 197, 198, 200, 201, 203-208, 210-215.


La répartition en cahiers peut. être restituée comme suit :

1-Vl schéma établi en 1912 (3) sans changement

(1) p. G. 32, 893-897: les mots en (juestion se trouvent col. 89*;; c.


(2) Il resterait donc pour le manuscrit de S. Jean C'hrysostorae, dont des lambeaux ont
servi à l'établissement du manuscrit actuel, un joli groupe de 135 folios, à moins qu'il n'y
ait des débris d'un troisième manuscrit : certains feuillets ne ressemblent ni à ceux de
.lob, ni ù. ceux de S. Jean Chrysostome ; c'est ainsi que la feuille 202 -\- 209, par exemple,
mériterait d'être examinée de prés.
(3) HB., 1912, p. 483.
y2 UEVLE BIBLIQUE.

VII 205 * lOi- 16i IG7 201 * 206


. . * *
VIII 105 * * Igg
*
IX loi * 195 200 * 101 *

Entre 101 [des. xxi, 2) et le f. 211 inc. xxvii, 5), il y a une


le f.

lacune de 129 versets, qui doivent occuper environ 18 feuillets.


D'autre part, il y a entre le f. 211 (We.s. xxvn, 11) et le f. 214- [inc.

XXIX, 8), qui forment paire, un écart de 47 versets, soit 6 feuillets, ce


qui oblige à considérer ces deux feuillets comme les extrêmes d'un
quaternion, le douzième les fi". 213 et 212 étant les feuillets ex-
:

trêmes du quaternion suivant, on aboutit au schéma.


* *
*
XII 211 * * * 214
* *
XIII 213 * * * *
212
Le f. 157, qui contient xxxiii, 13-19 appartient au cahier xv.
Les folios 109xxxviii, YO-xxxix, 5) et 102 [\\., 17-25), sont les
feuilletsextrêmes d'un quaternion. Il y a entre le f. 212, le dernier
exactement placé, et le début du f. 109 un total de 229 versets, soit
environ 32 feuillets, c'est-;i-dire quatre quaternions, les feuillets en
question appartiennent donc au dix-huitième cahier :

* *
XVIII 169 * * * *
162
Enfin le feuillet 7 appartient à la deuxième moitié du cahier XIX,
qui était vraisemblablement le dernier.
Le manuscrit de Job se composait donc de 152 feuillets environ;
dont soixante conservés dans le manucrit de Sainte-Croix, se décom-
posant comme suit :

/.?<.s.-29 à savoir: 1, 0, 7, 154, 155, 100. 102. 103, 104. 167, 108,
172, 175, 178, 180, 183, 185, 187, 192, 19V, 195, 197, 198, 201, 205,
200, 211, 213, 214.
Identifit's : 7 soit : 157 = xxxiii, 13-19; 101 = xx, 24-xxi, 2; 105
= XVI, 8-13; 100 = XIX, 2-9; 109 = xxxviii, 40-xxxix, 5; 200 =
XX, 8-16; 212 des: xxxi. 16.
Restent à étudier : 24, qui sont groupés par paires de la faron
suivante : 3-4; 14 (isolé, cf. supra); 15r)-159; (157)-158; 170-177;
171-176, 173-17V, 179-184, 181-182, 180-193, 203-208, 204-207, 210-
215.

Je n'ajouterai rien ici, sur le texte ni sur les annotations margi-


nales, à ce qui a été dit dans mon article de 1912; ces sujets pou-
ront être traités plus à fond lorsque tous les feuillets du manuscrit
auront été déchiffrés.
Jérusalem, Is lO décemJire 191S.

Eucènc TissKRAXT.
NOUVELLES NOTES SUR LE MANUSCIUT PALIMPSESTE l>E JOH. 93

Post-scriplum. —
l'ii aurèt de six jours à Jérusalem, du 11 au
ir> mars 1919, ma
permis de revoir le palimpseste de .lob. Toutefois,
ayant été frustré inopiuément d'une séance de travail, sur laquelle je
comptais pour reviser mes lectures et rechercher s'il se trouvait dans
certaines marges des variantes hexaplaires, je préfère ue pas publier
les pages nouvellement déchitlrées, où subsistent plusieurs leçons
douteuses.
Deux feuillets, nouvellement identifiés et lus (f. ;î = xv, 27 v.y}.

ï-O'.TtZVf — 3i GâvaTCç et f. i = XVI, 12 y.ot.\ z-j y.-r; irsYscOy; Ïmz à'v ; ojcx-
v;ç — 18
•:t5:XauoOY;- :p2ç ztTTTcv -sTsîtai) complètent le cahier YII, dont
le schéma s'établit comme suit :

-205 \ in'i. 16'i- 167 201 3 20G


Les autres feuillets lus sont 165, 166 et 200, dont le contenu est
indiqué ci-dessus.
Ces nouveaux progrès dans le déchiffrement du manuscrit donnent,
avec les 8 feuillets du cahier VU, les deux derniers du cahier VI et
le premier du cahier VIII. une série de 11 feuillets — qui se sui-
vent, — donnant un texte continu de xiu, 18 à xvi, 13.

Jériisalcni-, le IG mars 1919.

E. T.
94 REVUE BIBLIQUE.

f. 203, Job, MV, :)-8

avTOv nuQ avru)


Eiç yoovov s6ov y.m ôv iht} Trapa crot i

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'j.r.o Hnj'x'aar.z- OaXaOOa
Tloxaaoi eQr]f.i(o6£vv£ç

ErjQUvdTjOOVTUL

''-Avoq 6s y.oiurjHsiç ov
il) liirj araOT?]

f. 194 Job, XIV, 18-21

Kai TTSToa naXuicoOrjosrai

ï. 205, 1. 11-12 o-j [i.y\ ix/.iTTO scripta sup. ras. 1". 194, 1. 3 iljy.;tj] ^ic pio SASavEV
1. 4 uSam] jS sup. ras.

'Fi. -Fi. : <?' opov ajToj èra^aç ; leclio aj-wLv] ceila vid. 'Fi. 5'. Alia unius lin.
notula in rag. sin. scripta est ad lin. 12.
.NOUVEIJ.es .notes sir le manuscrit P.VIJMPSESTE de job. 9:i

SX Tou TOTioi' avrrjç


^^ yliBov; sKvavhv vôaxa
Kai y.aTi:/.'Kiatv vôava VJiTia Ta :rapaX s) £ifj.[j.£va '

5 rov yioi-iaTOç rrjç yi^ç


ff-ro-j avôfpo; a7io),î'jîv-
Kai vnojiiovrjv (f.vov anco

Xeaaç
-^ iioaç avTov hç tsaoç -/.ai

M/EXO
10 K.ai ^nsorrjOaç avxio ro

TTOOOiOTTOV OOV

Kui s'iansaruArj

eéa.T -' IIoXXcji' (Jf ysvousi'ojv


Tapsa-j
^f^ y ro)i' viwr avzov
za. .
15 oi/C oiâsv

f. 19 i% Job, XIV, 21 -.vv, 3

ii«j^ Tf dkiyoi ysnoi'vaL


TTijJl a-j
ovx STiiOTaTai
-'-
Akk 1] ai Guoxsz uvTOv rjX

yrjoai'

o 'ii ds ipv/ri UVTOV en avroj


snsvHrjosi'.

XV '
YTtoXaêoJv û£ eXiï»a!^

ô QatixaviT/,!; XsY^'- tteoi yvo)


'
- AE Tiva aoa oorfoç anoy.Qi '^•'^-- "'^""'

10 aiv ôioosL ovrsastog


nvsvuaroc,

EuriXTjOsv as novor
yaavooç
'
ÈXey/iov fiS sv (irjnu
1.') oiv y.svoig

f. 16'i% Job, XV, 3-7

Ev Xoyoïç otç ov(hy


ocfsXoç

r. 194, 1. 6 punctum med. f. 164, I. 11 E),r,';ai' vid. palLiis quam >Ey|ï].

'Fi. <7' -Fi. : c' o'jTw; iipo-rooy.iav É/aTTo-^ àvoçi'j; àTroXÉTî-.;. Notae 3 linn. ad v. 19 et

c. lian. ad v. 20mg. dext. ad catenam vid. pertiiiere.


in 'Fi. 'Fi. ia'; cf. tes-

(imonium cod. Colbertini, a Moutefalcoaio editum, ia nota ad loc.) Notae nonnuUae in


ma. sin. ad catenam vid. pertinere.
9f, REVUE BIBLIQUE.
'
On y.ui 01 unsnOiriOO o- T^P ff- T.xrJr,xr,aui soSov '

ffoSor <7

5 ^vvsrSKSOM Ôs Qi^nara xat ava'.ô[r,v M(it"/r,Ta;

TOiuvtu srarvi y.i svavTiov [too 6-..

''
Ei'o/og Si QTiuaoïv arouu
roc oor
Kai ov Ôicy.QivaQ Qriuaru •'•*• £;î>î^lw y> wcr-rav

''
EisyBai 06 To 001' ovoua
y.ui jurj êyw
fa as yctkrj oov y.arauao rjvx:... w[
Tvorjos oov . . .
-

'
T/ ;'ao ,«?; nocoTOç uroç

f. IBi. Job, xv, 7-11

/-/ TTOO (iirojv snayr^q »'

^ H ovi'Tayaa y.v u/.i]y.ou.c, 6'

H Hç, (Tf acfiysro ooqia


[A^fftrpiov

'
5 '•'
Tt j'«o olÔuç. 01 y. oiôaui^v o[i.'.>'.av

/-/ Ti ov vorjostç ov/i y.ui

'" Kui yt nosoOvrr^; y.ai yn na t:o>u-/ûov.

toTipo^ '
Kuioz ir rjuir

1l> ngaoStreço; tov jio; oov


rif-iSQaiç
^' Oktyu iiiv 7jf.iaotrjOug iiis

/.luortyoooui
MsyaXojq vneQSallor
io rcoç \ù.uJ.ry/.aç,

f. IGT, Job, XV, 17-20

^' Avayyû.M ovv ooi ov et

u/.ovs

f. 1<>4', 1. 12 Y-jfiapTr.Tai; j vid. potius quam r,[i.xç,-r,y.xi. f. 167' editum repperies in


R. B., 1912, p. 503; ubi v. 16 ëav (sic) èooe/.-jy[i.i^/oq..., qui desideratur in textu, in mg.
addlius est. f. 167, 1.1-2 legendum vid. /y-j ôe (aoj aviojz ut in cod. A, sed utrum jj.o-^

scripturn sit iii tine lin. 1" aut post verbum axo-^s in lin. 2', minime distinximus.

'Fi. : b' -Fi. : t'. xal àvÉ5r,v â)|j,'!/Y]i7a; ivav-!a tw beôi; àvat'oriv in cod. Colb. et Nicetae
catena, cf. not. ad loc. -'Fi. : t'. ^Fi. ^Fi. : n'. Catena mg. sin. implef.
NOLVEÎ>LES NOTES SUR LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE Ktf,. 97

yl à H eoQuxu ui'uyys
j/aiTov £v TY) Xio aoi

5 ''^
^ ooffot. arrjyysikuy

Kai ovx sxQVxpai'

xato-jx yipv]r,(javTon£p'. nuTSçaç uvTdJV


T(ov 7raT£pw]v a-jTwv i
^'^AvTOiç jHOVOiç sâoHrj

n m
10 Kui ovu snrjXOsv uXko

y^vriç
-"'
/T«ç ^loç
. a .. £-j

ev ffQOvttot
/.iL: 3(piâ][io; sTwv Ett] âs aQiSfiTjTU âeôo
'

pj^ 1 2 lo jiitva ovvaOTT]

f. 201, Job, XV, 21-23

'-*
O Se ffo6oç avTOv at> toair

dvTOV
Orav âoyrj Tjâr] siçtjvsvs

odat xoTS rj^si r] xu


O TUOTQOff^ aVTOV
'^ 3Il] niOTSVSTCO UnOOTQU
ffrjvat. ano axorovç
EvTSVaXtai, yug Tjârj sic Tzçozav.rjizyz-Ar^ yap ît; (Aa
t. yaipav
^
/siçaç aiorjQOV '•

10 Kavaninxsi âs £iç £§« tojto yi'

tatixotvl
" Kai y.aTOixsxay.vai siçoivu yvipiv >eyei

Oiôsv Ô£ sv savTco on /lis

rst SIC TiTioua


15 Hj.iSQa oxoTsivr} orQo6ijasi avvoi'

f. 201% Job, XV, 24-27

'-'Avuyxïi ds xai ôkiif/iç


dvrov y.ars'^st

ilonsQ OTQUTTjyog nçioroava

J
o - '
Uvi riQxsv xsiQaç sruv

f. 201", \. 8 •/) vid. in ras. script.

'Fi, :
(j'. xal oùx rjpviiTavTO àno tfov itaTÉpwv aùtwv. ^Fi. o' 6'.
:
-'Fi.
REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XM. 7
98 REVUE BIBLIQUE.

TiOV XV
aaEv aivt
'
;r^ai<!... Erui'Ti as xv navjoxça
Tfayr,
Toçoç eTça/rjXittOsv
^* Edçuf.i£v as svavTiov
10 dvrov v6çsi
Er nayH vwtov uotti

êoç avTOv
"^'
On exaXvxpêv ro tiçoom
Tioy avTOv sv ortu
15 Tl aVTOV

i'. 206, Job, XV, 3i-xvi, 3

IJvQ âs xavoti oixovç

âwQoâsxTMv
^^ Kat sv yaOTQl XtjXpovrai auveXaêE [xai sxe


xevavw[c6£X£ç"
oovvaç
5 ^noGrjosTui es avrio
xsra
H 6t xoilia dvTOv vnoiasi
novov

YTToXaêcov Se iw6 'kv{^\

10 ~ Ax-qxoa TOiuvza noXka

IJaQuxXtjTOQSç xaxiov
navTSç
* Tl yaç /.ii] ra^iç sort, çrj

/Liaoïv nvç
15 H Tt naQSvo/Xi]Osi ooi

f. 20G\ Job, XVI, 3-7

OTi anoxQLvt]
^ Kat svM ôs xa6 vf-iaç XaXrjOM
El y s vnsxsixo ri xpv/^rj vf-nov
dvTi Tfjç s[.iriç yjv/tjç
5 '^
EiT svaXovfi.ui vf.av Xoyoïç
Ktv)]Oio âs xu6 v/iiiov

XSCpaXrjv
enepptoaa] av v^-oa ^
^

VI TW CTTO(Xa]Tl (XOJ ^ 6
£^^^ ^^ ÏO/VÇ SV TIO OTO

f. 206', 1. 10 [Ao-j vid. add. post verbum xei>ewv ut in cod. i<*

îAliam notam in mg. sin. fere evanidam légère nequivimus. 2pi, . «'. Aliae notae in
mg. dext. ^Fi. t'. Nota 2 linn. in mg. sin. ad lin. 11.
:
NOUVELLES NOTES SLR LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 99

(.tan iLiov

10 Kai xivrjOiv yatXsiov jliov ov

ff)SlûOf.iai ^-'- •::ovo;

"
Eav yaç XuXq^om ov/. aX
ytjOto TO TQuvjLta
Eav as /.m oidonijoio ri s

15 XUTTOV TQioêijGOf.iai

f. lo4\ Job, XIX, 15-19

svavTiov avxiov
^ * 'Ssçanovraq as /iwv èxaXsaa
y.ai ovy V7I tjxovoav iiov
^roiia es f.tov sÔsslto avxwv
"
5 ' Kai ixexsvov ttjv yv
vur/M (.iov

Kui TiQoosxaXovjni^v y.o

XaxEVMv i'iovç nuX


Xaxiâiov fiov

10 ' ^ 0< rff Siç rov uui)va /ut a


nsnravTO
Ozav avaOTW xax 8i.iirv

XaXovoiv
' ^ E6è£Xv'i,avxo ôs oi
f.is

15 etôovxtç fx£

f. 154, Job, XIX, 19-23

Km ovç rjyanwv STiaii;

oxrjOav fioi

-" Ev âeQfiaxi fcov soayitjOav

ai aagxsq f.iov

5 Ta ôe ooxa juov ev oâvvuiç


s/sxai
-' MF Eyyioaxs (.toi tXstjoaxs f.is

M (fiXoi sXsrjOaxé f.i£

f. 154', 1. 15 EiôovTc; vid. certum, pro iôôvte; (A : lôoreç). Cat. mg. dext. implet, nulla
reperjlur nota in mg. sin. f. 154. Nulla apparet nota in utroque mg.

1 Fi. : a '•
oùx èvôoWei ô tiôvoç (lou.
100 REVUE BIBLIQUE.

XsiÇ yUQ Y.V SGTIV 71 UlpU


10 f.i£vri f.iov

^^ /lia Tl 06 f.lS ÔlWXSTS UJO

7i£Q -/.ai xç
^710 as OUQXWV f.lOV OV/. Sf.1

nmXaods
15 -^ Tiç yaç av ôiorj yQU(fr}vai

f. 19o\ Job, x.\, l-o '

'
YiToXaêojv oe awcpap o tjLivato; Xéysi

- Ov/ ovTwç v7i£kaf.i6avov os

HVUL y.ui dvTsgsiv os ruvxa

Kai or/i ovnsvai /.caX

5 Xov 7] syu)
•*
TlaiôsLav svTQonrjç in(ov)
dxovoo/itai

Kui nva sy. rrjç ovrsosioç

UnOXQLVSTUl /ilOl

10 ''M-)] Tuvra syvioç ano


rov STi

A(f) ov STsOrj avoç snt


rr}ç yrjç

^ EvffiQoovi'rj yaç uosSmv


lo TiTOJua s^uioiov

1-. 1U5. Job, XX, 5-8

XuQf.iovïi as naçavo/Liiov

SOTIV UTKjùXsia

^Euv avaHri-eiç rov ovvov

Ta â(oQa avTOV
) H ds Svoia avTOv rsffOûp

aiprjrai
'
Oxav âoxrj rjârj sottj

Qi)(6ai

Tôt s sic tsXoç anoXsiTai


10 Oi as siâoTSç dvTov sçov
oiv nov aoTtv

f. 195% 1. 6 [lou vid. abbrev. 1.8 Twe-rîtoç] m; vitl. in sumina linea scripl.

1 Cat. mg. dext, implet.


NOUVELLES iNOTES SUR LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 101

^ i2a7tSQ svvnvioi' sxnsru

oBev ov /iir] {^vQsdrj

Enrtj as loansQ (paoua


\ o vvy.TSQivov

f. ;211, Job, xxvii, o-S

dv unodavw
Ov yuQ anaXXaS,(i) xriv a
itayiav f.iov

^ ^ly.aioovvrj as tiqogs/wv
r> 01' /.irj 7iQoa}f.iai

Ov yuQ Gvvoiâa èuavxM


uTona nçoBuç
'
Ov /Ltrjv as aXX et rjOav oi
s/Bqoi f.lOV

10 yinwXsta tôonsç tj xaraorgo


(fiT] rtov uosOojv
Kai 01 snaviora/LieroL jlioi (oa

nsQ 7] UTttoXsia xwv r

naçavo/Mor y.xdtx^ . .
[

15 ^Nai /Lirjv y.at yuç soriv sxi sXntç

f. 211^ Job, \xvn, 8-11

rj-i 7;)îov£XT]i'.- aosBsi on snsysi

IHrj TTSnoiOcoç eni xv h aga


acoSrjasvat
^ H TTjv âsrjoiv avTov ay.ov

5 orj 6ç
EjisXdovorjÇ as ultm
ui'uyy.rjç
' **
3Itj s/si Tiva TtaQQtiaïav
Ivavxiov avxov
10 H ncoç inLi(aXsaa/.isvov
dvxov siaaxovosrai
dvxov
' '
^AXXa ôr] avayysXoi v^av

XL saxiv èv /f'pt y.v


I o A sGxiv naou navxoy.ouxogi

^Nota 5 aut 6 linn. fere evanida in me. sin. ad lin. '2-5. -Fi. : ol /otno:'.
102 REVUE BIBLIQUE.

f. 214. Job, XXIX, 8-11

sxçvSrjaav 7
ITQëaSiTfii ds nûvTSZ snuv Trapi'7T[avTo '

^ Adooi èa snavaavro %oyo'i[-.zz-

5 kaXovvTEç
^axTvXov smOsvTSç
eni OTOuari avrojv
^" Oi de ay.ovoarTSç nèoi c-

fxov s/Liaxaçiaav (xa


10 Km yXwoaa avxitiv TOI
'/Movyyi avT(ov
ixoXXrjêTj
'
' On (JVC rixoîiasi' y.ca tua
y.uoiosv /Lia

!."> Oq.BaXfxoq as fis lâwv

Lî>\\\ Job. xxi\, 11-15

a^ay.Xirai'

^- /Jiaoiooa yao ntitj'/ov ay.

yaïQoq dvvaOTOv

Kou. OQffiavià (u ovy lurjo/av


o (jorjSoç a6orjHT]au
'•*
EvXoyia anoXXvusroi an a

fia aXSoi
^Toua âe x,t]Qaç svXoyrj

oav fia

10 ^^ zJiyaioavrriv ôs ài'âa
dvy.aiv

'Hfiffi(/.auiirjV ôa y.Qiiia

10 a âinXoiâi

' '
OffiHaXfioQ rifiTji' vvipXajv
15 710 vç âa /(uXcvt'

f. 214, 1. 2-3 £7:av3(7Tyi(7av (ut in cod. A.) probabilius vid. f. 214% 1. 1 v ult. in ras.
1. 10-11 svoeôuzïiv] £v et u in ras. e\ Eoeôot/.stv (lect. .cod. A) ut vid.

'Fi. T. -Fi. : &• lomor o'. iy/o/-:-;. Aliam in mi;. ilext. ad lin. 7 non legimus no-
tara.
.

NOUVELLES NOTES SLU LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 103

f. 2I3\ Job. XXIX, 16-19

^^ EyMr]fiijv 717JO aôvvariuv


XVcC
zfixrjv de ijv orx siÔsiv s'S.t aîv';

/viuoa
*"
^irsronl/u âe uiXu~
o uÔLy.iuv cAcyovr

Ey. Ôh usoov nw odovTOjv


uvTiuv aonayuu
s^sanaoa
Einov TjXixta uov yy]

10 çaasi

QansQ OTsXs/o; cfoivi

xoç noXvv yoovov

Si 0)0
'
w y.x. . . .

H (wǫ iiov dir^iov/.xai o-c .

15 ÊTTf vâarog

f. 213, Job, XXIX, 19-23

Kai ôooouç aiXiaHrjOsrai...

x(j) Sëçiouoj uov

-^ H ôo'ia fiov y.uirij iisr éuov

Km to Tozor uoi er XSiQi

5 TTOoeiosrai
-' IlosoSvTSooi ay.ovaavxiî;
1.101 71O0OSO/0V
EaiionriOuv de int X7] surj

jSoiXrj

10 -"- Eni as x(u èuco 07]f.iaxi ov.

nooosHevxo
Kai nsQi/uosig ayivovzo ono

xs avxotç sXuXovv
-•*
QansQ yrj âixl'wau noooôe
15 yof.i£rri i'sxor

'
f. 16-2\ Job, XL. i:-:il

y.ui yJMve; uyoov

t. 'il3. l. 1. Inter krJ. et sv in tine lin. elijieie nenueo.

N'otam 2 linn. non legi in mg. siu. ad lin. 1. Latena mg. dext. iinplet.
104 REVUE BIBLIQUE.
*^ Eav yerr^TUL 71Xrif.if.1vQa

ov fir] uiaSTjHt]

Usnoidev on ttçooxqovosi
loçâai'rjç sic to

OTOfia uviov
^^ Ev TW ocfÔaXuw aVTOV
esterai avxov

EvaxoX
10
-^ A'^siç as ÔQaxovTa si'

ayxiOTQio
nsQiBrjOsiç 6s rçoçOsav

TisQi çivu avxov

15 -' Kai siXrjOSiç xXoiov sr rw

f. 162, Job, XL, 21-2o

fivxTrjQi avrov
^sXuo as TQvn ....

-'^
yîaXrjOsi ôs aoi âsrjosiç iy.srt]

f 5 Qiaç fiaXaxcoç
-* OrjosTui fiSTU oov âia

8)]Xt]v

ylïjiprj ôs uvTOv d^oi^Xor

aiMvtov
10 '-'' Kai Sfinai^siQ avT . . .

/Jriosiç rff avxov (ôonsQ

15

f. 7, Job, xLii, 14-16

Tr^v as ôsvTSçav xaaiur

^otp.^o^
Ttji' as XQiX7]v afiaXfisi
'
Ç^-»""^^
aç xsçaç

f. 7, 1. a-jTOj valde dubium.

'Fi. ;a' g.

NOUVELLES NOTES SUR LE MANUSCRIT PAF.LMPSESTE DE JOB. lor

' •'
KuL ot'x svQsBriaav y.uTu t«ç icoO
O 6v/UTSQUÇ XCii TOVÇ VIOVÇ (tVTOV

BsXriovç avTiov sv r^
vn ovQuvov
Eâ(')xsv âe ïtofi ratç Hvyu
XQaoïv avrov xXrjçorofiiav
To 10 h' TOiç aâsXrfoiç avTwv
'" hirjoev de uof> /nsia zrjV
(^^
[XiO _

nXrjyrjv srrj ly.uror

s6âoftr]xovTa
y.îttai
TTscpx rot; Ta âs navra Çrj szt] âiaxo
/oiTTO'.;-
13 oia Tsoosçaxovru oxno

3
fol. T. Job, XLii, 16-17

Kai oiôsv txoO Tovç viovç


UVTOV
Kai TOVÇ vtovç riov viioi'

avrov TsraQrrjv ys
3 )'£«»'

^'
Kai arsXsvrrjOsi' tiofj

7içsa6vrSQ0ç xai nXrj


Qrjç t]iLiSQior

rsyçanrai as rruXiv uru


10 ori^osoOai avrov

MsB lôv a
Ovroç 6Qi.ir]V8veraL fx V/jç

ovQiay.riç (iiSXov
Ev i-isv yrj y.uvoiy.iDr r/j

lo avoir siài

1. 1 oioev] sic pro l'ôev. 1. 11 fort. aviTTr.Tiv o /.? lit in cod. A.

iScholion ad Num. xxvii, 8 vid. referre, cura liereditas apiid Hebraeos solis danda sit

filiabus, quae fratres minime habuerint; verbum àvTiXsyci valde dub. ; prima
in lin. notae
fort. To 7tpay[xa. ^jvjota ut in cod. Regio Montefalconii, cf. Fi. not. ad loc. •NuUa
vid. nota in utroque mg.
LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGENE
DANS LE DE PRINCIPIIS

Nous ne possédons plus, dans son ensemble, le texte original du


De Princifjiis d'Origène. Sauf des fragments, nombreux il est vrai
surtout pour les troisième et quatrième livres, le grand ouvrage du
docteur alexandrin ne nous est parvenu que dans une traduction
latine due à Rufin. Nous n'avons pas à nous demander ici ce que vaut
cette traduction :dès qu'elle parut, Rufin fut accusé d'y avoir trahi
la véritable pensée d'Origène. Aujourd'hui encore, la discussion n'est
pas définitivement close. Nous voudrions seulement étudier les cita-
tions bibliques contenues dans le De Principiis (1), et rechercher
comment elles ont été traitées par Rufin. Avons-nous quelque chance
de retrouver, sous un vêtement latin, le texte employé par le théo-
logien d'Alexandrie ou bien Rufin s'est- il servi d'une version latine
.^

toute faite qu'il aurait recopiée, au lieu de traduire directement les


passages scripturaires d'Origène (2) ?

I. — Histoire du texte.

Un problème préliminaire s'impose. Car l'œuvre de Rufin a une


histoire et nous avons d'abord à nous assurer autant que possible
que nous sommes bien en présence du texte qui est sorti de ses mains.
C'est en 398 que Rufin, sur la demande de son ami Macaire, entre-
prit la traduction du ^sp'- àpywv d'Origène (3). Les deux premiers livres

(1) Les citations d'Origène sont des Grieohischen christlichen


faites d'après l'édition
Schrifstteller pour VExhortatio ad Martyrium, Contra Gelsum, le De Oratione (t. I
le

et II, éd. par P. Koetschau), les Homélies sur Jérémie (t. III, éd. par E. Klostermanw),
le Commentaire sur saint Jean (t. IV, éd. par E. Prelsciien), et le De Principm (t. V,
éd. par P. Koetschau). Les autres ouvrages sont cités généralement d'après la Patrologie

grecque de Migne, quelquefois d'après l'édition de Lommatsch (désignée par Lo.).


(2) Selon Th. Mommsen, les citations scripturaires de l'Histoire Ecclésiastique d'Eusèbe
n'auraient pas été traduites par Rufin, mais celui-ci se serait servi de la version latine sur
laquelle il les aurait recopiées (Eusebius Kirchengeschicfite, liersg. Von E. Schwartz
und Th. Mommsen, 3'" Teil, Einleltung, S. CCLII).

(3) Praefatio Rufini 2; t. V, p. 4, 10 ss. Cf. P. Koetschau, Einleitung, t. V,


p. cxxviii s.
LES CITATIONS BIBLIQUES DORIGÈNE. 107

furent traduits d'abord, pendant le carême: les deux derniers le

furent un peu plus tard, et aussi avec un peu moins de rapidité. Mais
quelque temps auparavant, Rufin avait déjà publié une version
latine du premier livre de l'Apologie de Pamphile ce dernier :

ouvrage contient un très grand nombre de citations littérales du De


Principiis. Et, naturellement, lorsqu'il eut à faire passer en latin
l'œuvre complète d'Orig-ène, le traducteur se servit du travail déjà
fait, en reproduisant, chaque fois qu'il lui était possible, sa première
traduction [i). En six endroits seulement, on note des divergences nota-
bles. Mais y a de bien plus nombreuses différences de détail entre
il

les deux ne voulait pas modifier essentiellement sa


textes. Rufin, s'il
traduction, ne la reproduisait pourtant pas de manière servile; il
l'améliorait parfois, la corrigeait souvent; et les citations bibliques
n'ont pas échappé reWsion plus ou moins attentive. Les
à cette
exemples suivants permettront de s en rendre compte, et nous donne-
ront lieu de jeter un premier regard sur les méthodes de travail de
Rufin 2).

Gex. 49, iO(De Princ. iv, 1, 3: p. 297. 28) : Certissimum est defecisse principes'

ex Juda, sicut scriptum est. et duceni ex femoribus eius. usque([UO venif- ille cui
repositum est^ Constat ergo quia venit ille cui repositum est, in quo et exspectatio
gentium est*.

t. Principes : princeps Pa(^;M ,


principem Pa'G? .
-2. Venit : veniat Pa.
3. Repositum est repromissuni est Pa.
: 4. in quo — om. Pa.
est :

Pa abrège en omettant la fin de la citation, et traduit moins littéralement le grec


Ti à-o/.i''[j:svx xjTw. Il est à remarquer d'ailleurs que Rufin lui aussi abrège. Nous
avons par la Philoealie le texte grec de ce passage. Gen. 49. 10 est cité deux fois
dans l'original. Le latin ne le contient qu'une fois. Origène hésite entre tx à-o/.î-asvx
XJ7W et tî) à7:o/.cÏTai (id. p. 296. 6 ss. Cf. In Gen. hom. 17, 6; P. G. 12, 2-58 B).

Dt. 32, 21 {De princ. i\ 1, 4: p. 298, 21) Exacerbaverunt me


. : in simulacris
suis, et ego in zelo concitabo eos. in gente insipiente inritabo eos^
I. In gente eos —
om. Pa. Le texte grec est abrégé dans
: la traduction

du be principiis (p. 298, 6), mais Pa abrège encore davantage.

Ps. 71, 7-8 {De princ. iv. 1, -i; p. 299. 24 ss.) Orta est enim « in diebus eius ius-
:

titia et multitudo pacis' » permanens usque ad finem-, qui finis ablatio lunae appel-
lata est; et dominatur « a mari usque ad mare et a flumioe usque ad fines' terrae.
1. Pacis : om. Pa. 2. Ad finem : in finem Pa. 3. Fines -f- orbis Pa.
Le te.xte grec (id. p. 299, il ss.) lit pacis qu'omet Pa et porte seulement îrspâT'jv

Tïi? oJzouaÉvr,;. Rufin cst encore plus exact ici. La citation du Psaume n'est pas litté-
rale, mais l'allusion ne saurait être douteuse.

(1) Cf. P. KoETSCHAi, /. cit., p. LXXIII ss. L utilisation par Rulin dune précédente
traduction permet dans une certaine mesure d'expliquer la hâte avec laquelle il put
achcTer les deux premiers livres du De principiis.
':>) Les citations de l'Apologie sont indiquées par le sigle Pa.
.

108 REVUE BIBLIQUE.

Os. 3, 4 {De princ. iv, I. 3, p. 297, 9 et 25; : Per dies multos sedebunt filii Isra-
liel sine rege'. sine principe : non erit hostia- nec altaie, nec •
sacerdotium, nec '

responsa
1. Sine rege om Pa; 2. Non erit hostia nec est sacrificium Pa;
: :

3. Nec nec —
neque : —
neque Pa. La citation se retrouve deux fois dans la même
page. La seconde fois, Rufin ne traduit pas nec responsa. qui existe pourtant dans :

le grec.

Is. 4. 4 (De princ. ii, 10. 6: p. 180. 16) Abluet dominus sordes filiorum et filia-
:

runi Sion, et sanguinem expurgabit' e medio ipsoruni spiritu iudicii et spiritu


adustionis.
1.Expurgabit expugnabit. Pa (G* M' ""); expugnavit Pa (M*). La variante
:

de Pa est évidemment une erreur, qui pourrait provenir dun copiste. Un des ras.
de Pa, Ab a fait la correction expurgavit. Cf. Origène. in Jerem. hom. ii, 2 (t. II,

p. 18, 31 s.); in Luc. hom. 14 (lo. v, 134); in Luc. hom. 24 (lo. v, 179).

Is. 6, 2-3 [De princ. iv, 3, 14; p. 340, 14 duabus quidem operiunt faciem dei, :

duabus vero pedes, et duabus volant clamantes' ad invicera sibi etdicentes Sanctus, :

sanctus, sanctus, dominus sabaotb, pleiia est universa terra gloria tua.
1. Duabus volare eos et clamare Pa. Le style indirect est remplacé par
le style direct dans la nouvelle traduction de Rufin.

Is. 47, 14-15 {De princ. u. 5, 3; p. 136. 14) : Habes carbones ignis, sede' super
eos; ipsi erunt tibi adiutorio. Cf. De pr. ii, 10, 6; p. 180, 18, la même traduction,^
où hi remplace ipsi.

1. Sede : sedebis Pa. Le texte grec porte xyJiï'jy.i (Obigéne, C Cels.


V, 15, t. II, p. 16, 21; C. Cels. vi, 56, t. II, p. 127. 14). Cf. Origene, in Rom.
9, 23, P. G. 14, 1224 C Habes carbones ignis, sede super eos. hi erunt tibi ia adiu-
:

torium. Dans ce dernier passage, Origène ou son traducteur Rufin rapporte la cita-
tion à Jérémie. Saint Jérôme, in /.s. ad h. 1. lit sedebis, comme Pa.

Matth. 1, 23 ]>e princ. iv. 1, 5; p. 300, 16) Virgo enim in utero' concepit et :

peperit Emmanuhel, quod est interpretatum nobiscum deus. (Cf. Is. 7. 14, 13). -

1. In utero in ventre Pa. 2. Quod est interpretatum


: quod interpre- :

tatur Pa. La traduction comme Pa, abrège le texte grec (id. p. 300, 1 : -/.oà Its/.ev

uîbv xa\ TÔ ovoijLa aÙToy). Les deux variantes de la traduction complète se retrouvent
dans la Vulgate actuelle. Elles n'affectent d'ailleurs pas le sens.

Matth. 10, 8 = Mt:. 13. 9 (De princ. iv. 1, 2; p. 295, 24) : Apud praesides et
indices adducemini propter me in testimonium' ipsis et gentibus.

1. In testimonium : in testimoniis Pa (Ma). Le texte grec (id. p. 295, 10)


porte [lacTuv.ov au singulier comme le De princ.

JoAN. 21, 25 {De princ. ii, 6. 1 ; p. 140, 9) : Ne ipsum quidem mundum capere '

arbitrer libros qui scriberentur.


1. Capere :
+ posse Pa (Ga); + potest (ras) Pa (M). Le mot posse ne se
trouve pas àaui le texte de l'Evangile, et ne figure pas davantage dans les anciens
textes latins. Cf. D. Sabatier, Bibliorinn Sacrorum latinae versiones antiquae,
ad h. 1.
LES CITATIONS BIBLIOIES DOKIGÈNE. lO'.i
s

AcT. Ap. 1, 8 (De princ. i 3. 7; p. 59, 8) : Accipietis virtutem siiperveniente' in


vos spiritu sancto*.
1. superveniente : om Pa. 2. spiritu sancto : spiritus saacti Pa.
Saint Hilaire et Victorinus Afer lisent aussi à l'ablatif : spiritu Sancto; ce dernier
remplace le participe superveniente par adveniente, mais je ne connais pas d'exemple
de l'omission du mot dans les anciennes latines. Peut-être Rufin l'ayant omis par
mégarde dans sa première traduction l'a-t-il repris dans la seconde.

Rom. 2, 15-16 De princ. ii 10, 4; p. 17 8, 10) : Inter se cogitationibus accusan-


tibus ant etiam defendentibus in die quo' iudicabit Deus occulta hominum secunn-
dum evangelium meum per lesum Cluistum.
1. quo : cum Pa. Dans le Coin, in Si/mb. Ap. 34. P. L., 21, 372 A, RuGn
présente le même texte que dans la traduction du Be Princ.

Rom. 11, 33 '-D'' princ. iv 3, 14, p. 345. 13 : Allitudinem divinae' sapientiae


ac scientiae-.
1. divinae : divitiarum Pa 2. scientiae : - dei Pa.
Deux lignes plus loin (p. 345, 1. 15) le même texte se trouve répété plus complè-
tement et sans variantes o altitudo divitiarum sapientiae ac scientiae Dei. Après
:

avoir une première fois traduit par à peu près, selon son souvenir, Rufin en repre-
nant le texte du De principiis y laisse les variantes telles qu'Origène les avait intro-
duites.

Col. 1, 15-16-17 \Dc princ. ii 6, 1 ; p. 139, 18' Imago invisibilis dei. primoge-
:

nitus omnis creaturae... in ipso creata sunt omnia - visibilia et invisibilia, sive
'

troni, sive dominationes, sive principatus sive potestates omnia per ipsum et in ipso
:

creata sunt, et ipse est ante omnes, et omnia illi^ constant.


1. sunt : sint Pa. Le style indirect, introduit dans la phrase par la for-

mule : intuentes quod... primogeuitus omiiis creaturae dicatur. se poursuit à travers


la citation. Rufin aurait rétabli le style direct, qui est aussi la traduction exacte.
2. omnia — sive quae in caelis sive quae in terra sunt. Pa. Ces mots qui font
:

partie du te.xte sont connus d'Ofigène et ont été ailleurs traduits par Rufin. Cf. De
princ. ï 7, 1; p. 86, 15 quae in caelis sunt et quae in terra; ii, 9. 4: p. 167, 19
: :

quoniam in ipso et per ipsum creata sunt omnia, sive quae in caelo sunt, sive quae
in terra, visibilia et invisibilia. Avant d'admettre dans notre passage un oubli de
Rufin, il est plus facile de penser à une omission de la part du copiste qui a tran-
crit le manuscrit d'où dérive notre texte actuel. 3. illi in illo Pa (G). :

Illi est la forme à laquelle s'est arrêté Rufia; cf. De princ. tv 4. 3, p. 352, 5 ss. :

et omnia illi constant.

Un changements introduits par Rufin entre les deu.^ édi-


voit les
tions du même
texte. Sans doute tous ces changements ne provien-
nent pas de l'intention de corriger une traduction insuflisante.
Quelques-uns sont simplement l'eflet de variantes qui existaient déjà
dans les manuscrits que Rufin avait sous les yeux. Le texte grec
de l'Apologie de Pamphile ne reproduisait pas identiquement le
texte grec du De principiis, et nulle part les variantes ne s'introdui-
sent plus facilement que dans les citations bibliques parce que :
110 REVUE BIBLIQUE.

celles-ci font partied'un ensemble bien connu, on les reproduit de


mémoire, par à peu près, tout en croyant apporter les formules
exactes et traditionnelles. Cependant, le sens des divergences entre
Tapologie et la traduction complète d'Origène est trop net pour qu'il
ne soit pas permis de voir un efï'ort de Rufin pour améliorer son tra-
vail et en rendre les détails plus conformes au texte original.
Il est trop évident que nous n'avons pas entre les mains le manus-
crit autographe de Rutîn, ni même une copie fidèle de ce manus-
crit. A travers les siècles, le texte du De principiis s'est plus ou
moins altéré, et c'est la tâche des éditeurs de le reconstituer autant
que possible dans sa primitive pureté. Nous pouvons d'ailleurs faire
notre profit de ces vicissitudes, car les copistes qui, les uns après
les autres, ont transcrit l'œuvre de Rufin, ont modifié surtout les
pour les harmoniser avec leur Vulgate; et nous
citations bibliques,
pouvons presque, le long des âges, suivre ces déformations succes-
sives, plus ou moins nombreuses, plus ou moins substantielles, mais
toujours caractéristiques.
Suivant le dernier éditeur du De principiis^ M. Koetschau, tous les
manuscrits actuellement connus de la traduction de Rufin dérivent
d'un seul codex, qui se trouvait au monastère de Castellum Lucul-
lanum dès l'année 5ii, peut-être même dès la fin du v' siècle,
et qui à la fin du vi^ siècle vint au Mont Cassin, où il fut copié.
Ce précieux texte est perdu; de même sont perdus les codices du
Mont Cassin transcrits directement d'après lui. Nos textes se ramènent
assez facilement à deux familles a et v la seconde de ces familles :

est caractérisée par une importante lacune à la fin du chapitre iv


du premier livre et il n'est pas impossible que cette omission d'une
,

section suspecte du point de vue orthodoxe ait pour origine des scru-
pules dordLre théologique (1). La famille a, la meilleure, comprend
trois manuscrits un Atigiensis (Karlsruhe) du x'' siècle (A); un
:

Bambergensis (R), du xf siècle, et un Casinensis (C) du x*-xi' siècle :

ces deux derniers textes eux-mêmes dérivent d'un unique arché-


type (3.

Le copiste qui a transcrit le manuscrit était un homme instruit, fi

sans doute un moine du Mont Cassin, et les variantes cpi'il a intro-


duites témoignent peut-être de son érudition plus que de son exac-
titude scrupuleuse à reproduire son texte (2). En voici quelques
exemples, relatifs aux passages de la Rible.

(1) p. Koetschau, l. cit., p. xlvii.

(2) P. Koetschau, l. cit., p. u


LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGÈNE. 111

Ex. 19, 19 {De princ. m 1, 22; p. 239, 38) : Moyses loqiiebatur, deus autem res-
pondebat ei cura' voce.
1. cum : om. ^ qui suit ici le texte grec : inî-/.GÎvaTo otov?; («Y/., ih., 1. 12;.

Dt. 32, 21 De priiic. iv 1,4; p. 298, 2i; : Exacerbaverunt me ia simulacris suis,

et ego in zelo concitabo eos^, in gente insipiente irritabo eos.


1. eos : +
in non gente B. Le ms C est incomplet en cet endroit: l'addi-

tion a pour objet de se rapprocher du texte grec cité par Origène : -apatr.Xwaw aù-
-ojç Ir/ o'j/. è'OvHi remarquer d'ailleurs que la citation es*
(id. ib. 1. 6 ss.). Il faut
fortement abrégée par Rufin qui ne traduit pas le début aJTo- -apîtv.'oaàv i-' oj : ;j.c

6£w, de sorte que les trois mots propres à B ont toute chance d'appartenir au scribe
plutôt qu'à Rufin lui-même.

1 Sam. 15, ii {De princ. iv 2, 1; p. 307 23) : Poeniteor '


quod unxi Saul in
regem.
1 : poeniteor : penitet me, B. A la forme plus ou moins barbare, le copiste

substitue l'emploi de l'impersonnel avec le sujet à l'accusatif.

Is. 27, 1 {De princ. m 2, 1 ; p. 245, 24) : Gladiura dei insurgera super draconem,
serpentem perversum'.
1. perversum A-; tortuosum 3. Cf. De prinr. n ,s, 3 p. 157, 4) inducam
: : :

gladium sanctum super draconem, serpentem fugientera, super draconem serpentem


perversum, et interficiet eum. Saint Hilaire, in Psalm. 64, traduit également comme
Rufin super draconem, serpentem pravum. Mais saint Jérôme et les autres inter»
:

prêtes latins depuis Tertullien emploient le mot tortuosum ou torsum (Tert.,. Tor-
tuosum a aussi passé dans la Vulgate et rend mieux le sens de l'hébreu comme
celui du grec.

Is. 66, l'6 (17) {De princ. ii 10, 6; p. 180. 19) : Sanctiûcabit eos dominus in igné
ardenti ^
1. ardenti : ardente p

Matth. m, 3, 1 p. 257, 2) Regina austri surget in iudicio et


12, 42 (De princ. ;
:

condemnabit homines generationis huius, propter quod venit a finibus terrae,


audire sapientiam Salomonis, et ecce plus a Salomone* hic.
1. plus a Salomone ,3; plus quam Salomon A; plus Salomoue G M*.

Cf. id. ib., p. 256, 25 a quo Salomone plus esse quod docet-, id. ib., p. 256, 26
: :

et ecce plus <a> Salomone hic. Selon Koestchau aurait ici conservé la bonne |i

leçon, qui n'est pas celle de la Vulgate, mais qui est aussi plus rare.

Rom. 8, 20-21 {De princ. m, 5, 1; p. 271, 29 ss.) : Vanitati enim creatura


subiecta est non volens, sed propter eum qui subiecit in spe ;
quia et ipsa creatura
liberabitur a servitute corruptionis, in libertatem' gloriae filiorum dei.
1. in libertatem : in libertate |îG. Cette variante n'est pas accidentelle dans
[:, car on la retrouve dans une autre citation du même passsige {De princ. i, 7, 5;
p. 91, 13 ss.). De princ. ii, 9, 7 (p. 171, 19) plusieurs mss lisent : qui subiecit in spem
comme les codd. Amiat. et Fuld., mais la tradition de ? est ici partagée : C a l'accu-
satif, et B l'ablatif.

Rom. 9, 18 {De princ. m, 1, 21, p. 235, 24) : Ergo quem vult miseretur, et quem
vult indurat. Dices ergo mihi : quid adhuc queritur'?
112 REVUE BIBLIQUE.

1. queritur : conqueritur B''"^ C; coaquaeritur B*. Ailleurs {De princ. m, 1,


22; p. 240, 15 ss.) [î, d'accord avec les autres groupes sauf A et qui portent M
conquaeritur, lit de même conqueritur. Mais De princ. m, 1, 7, p. 206, 14), tous les
manuscrits traduisent : quid ergo adluic culpat ?

1 Cor. 7, 31 (De princ. i, 6, 4; p, 85, 1) : Transiet' enim habitus liuius mundi.


1. transiet Ay : transibit p.

1 Petr. 3, 18-21 (De princ. ii, 5, 3; p. 136, 4) : Quia Christus mortuus' qui-
dem carne A'ivificatus autem spiritu ; in quo pergens praedicavit his spiritibus, qui in

carcere tenebantur, qui increduli fuerunt aiiquando, cum exspectaret dei patientia-
in diebus Noe cum fabricaretur arca in qua pauci, id est octo animae salvae factae
sunt per aquani, quod et vos simili forma nunc baptisma salvos fecit.
1. mortuus : mortificatus |i, qui traduit beaucoup plus exactement le 'iavatcoOs'i; du
texte grec. 2. cum exspectaret Dei patientia B : exspectarent dei patientiam A;
exspectarent dei patientia a; exspectarent dei patientiam a. La leçon de fi, qui s'écarte
d'ailleurs de la Vulgate : quando exspectabant dei patientiam, a les plus grandes
chances d'être originale; en tout cas, elle coïncide avec le texte grec tel que le cite

ailleurs Origène, m Joan. vi, 35 (t. IV, p. 145, 14) : ots àr.z^ioiy}-:o î] to3 6îou [xaxpo-
6u[jiia. On peut rapprocher la citation du même passage faite par Rufln, Com. in
Syrnb. Apost., 28; P. L. 21, 364 A : quia Christus mortificatus carne, vivificatus
autem Spiritu, qui in ipso habitat, eis qui in carcere conclusi eraut, descendit
spiritibus praedicare, qui increduli fuere in diebus Noe.

Tous ces exemples nous donnent la même impression. Le scribe de


j3 a cherché à améliorer le texte biblique qu'il lisait; peut-ctre même
faudrait-il dire à le retrouver, en corrigeant les fautes du modèle
qu'il copiait en plusieurs cas, les variantes attestées par ^ sont
:

heureuses et se rapprochent du grec; d'autres fois, elles sont plus


insignifiantes, ou témoignent au plus quelques soucis d'humanisme.
Les codices du groupe v sont moins intéressants en certains cas :

ils conservent sans doute la leçon originale mais lorsqu'ils apportent ;

des corrections, leurs copistes ne font pas preuve d'un esprit aussi
éclairé. Au plus pourrait-on remarquer, dans les textes bibliques une
tendance plus marquée à se rapprocher de la Vulgate de saint Jérôme.

Gen. 2, 7 {De princ i, 3, 6; p. -58, 1) : Et insufflant in faciem eius spiramentum '

vitae et factus est horao in animam vivam.


1. spiramentum est la leron de a; les manuscrits du groupe y donnent les

uns : inspirainen ((j.), les autres inspirationem (a). La vg. hieronymienne traduit ^

spiraculum.

2 Macch. 7, 28 {De princ. H, 1, 5; p. 111, 16) : R^ogo te fili, respice ad caelum '

etterram et omnia- quae in eis sunt, et videns haec scito quia deus haec cum non
essent fecit.
1. ad caelum a : caelum y 2. omnia a : ad omnia y. Le texte grec, suivi
par les autorités anciennes et par notre Vulgate s'accorde avec les mss. « pour
mettre la préposition devant caelum.
.

\ES CITATIO.NS BIBLIQUES D'ORIGKNE. 113

Ps. 44, 1-3 {Ue princ. iv, 1, 5; p. 299, 18 ss.) Canticum pro diiecto... lingua eiiis :

calamus scribae velociter scribentis, decorus specie super ûlios horainum, qiioniam
efïiisa est gratia in labiis eius '

1. eius : luis y. Eius est conforme au texte grec : âv /cîXs^tv aùrov {id. ib.,

p. 299, 7). Tuis est daas la Vulgate. D'ailleurs ici Origène cite le psaume par voie
d'allusion. Lorsqu'il en donne le texte exact, il lit aussi h •/v.'wii aov; cf. in Joan.
I, 39, t. IV, p. 50, 1!) et 20).

20, 7 {De prinr. la, 1, 12; p. 214. 32) : Seduxisti nos Domine et seducti
sumus, tenuisti et potuisti
IJÉR. 1. potuisti Cy est
'.

conforme au texte grec {id. ib.. p. 214, 14) l&jvâTOr,:;


A et B lisent inexactement posuisti. La Vg porte : invaluisti.

Matth. 5, 39 (De princ. ni, 1, 6; p. 202, 17) : Ego autem dico vobis non '
resis-
tere malo.
l.non Y : nolite a. Ici encore la leçon de y est la meilleure, car le grec
porte (id. ib., p. 202, 5) : ;at) àvricn^va:. Cf. Origène, in Exod. hom. 10, 1 ; P. G. 12,
369 D Ego
: autem dico vobis non resistere malo.

Matth. 22. 11 ss. (De princ. ii, 5, 2; p. 134, 23 ss.) : lugrediens rex videre dis-
c'umbentes, qui fueraot invitati, videt quemdam non indutum' nuptialibus indumen-
tis. et ait ei : amice, quomodo introisti hue-, non habens indumentum nuptiale.'
Tune ait rainistris : ligantes ei pedes et manus. mittite eum foras in tenebras exte-
riores : ibi erit fletus et stridor dentium.
1. indutum a : vestitum y: de même la Vulgate. 2, introisti hue : iuic
intrasti y; de même la Vulgate. cf. Origène, Com. in Mfttth. wii, 24 : P. G. 13, 1-548 A.

Nous pouvons facilemeut nous contenter deces quelques exemples :

somme ne sont pas très caractéristiques d'une méthode ou


toute, ils

d'un état d'esprit et ne nous apportent pas de nouvelles lumières sur


la transmission manuscrite de la traduction du De princlpiis par Rufin.
On ne saurait en dire autant d'un dernier témoin qu'il nous reste
à interroger. A
l'appendice du huitième volume de l'édition béné-
dictine des œuvres de saint Augustin, col. i7/i8 et ss., on trouve en
effet un ouvrage intitulé : De Incarnatione Uerbi,ad Januarium libri
duo, collée li ex Origenis opère Periarchon, juxta versionem Ruffini.
Cet ouvrage n'a pas de prologue; les éditeurs ne l'ont pas préfacé,
et nous ne savons pas grand'chose sur son origine. D'autre part,
M. Koetschau n'a pu consulter les manuscrits qui le renferment, et
sauf un petit nombre de cas il est difficile de décider si les change-
ments introduits dans le tex:te sont le fait des scribes qui ont transcrit
les codices ou des éditeurs qui les ont infidèlement reproduits. Ce

qu'il a de sûr, c'est que les cliangements sont fréquents, et affectent


d'une manière spéciale les citations bibliques (1).

(1) P. KoET>cii\L, /. cit., p. \cvi s. L'.\nonyme ad Januarium est indiqué par le sigle
Jan.
r.EVlE BIBUQtE 1919. — N. S., T. XM. 8
114 REVUE BIBLIQUE.

Job. 8, 9b De in-inc. ii, 6, 7; p. 147, 6). Nonne umbra est vita nostra super
terram * ?.

1 . Nonne vita nostra umbra est super terram ? Jan.

Matth. 16, 27 {De princ. ii, (i, 3, p. 143, 8) : Qui venturus est in dei patris
gloria' cum sanctis angelis.
1. in gloria dei patris, Jan., peut-être avec une réminiscence de la finale du
cantique Gloria in excelsis ])eo.

Marc 10, 18 (= Le 18, 19) (De princ. i, 2, 13: p. 47, II) : Nemo bonus nisi unus
deus pater '.

1 . pater ; om Jan. qui se conforme à la Vulgate Origène lisait dans : le

grec jtaxrlp. Cf. m Joan. I, 3.5 (t. IV, p. 4.5, 11) oùSs't; àyaSbç d lù] Oîbç ô;:aT7]'p.
:

Le. 1, 35 (De princ. i 3, 2; p. .50, 1) : Spiritus Sanctus veniet super te*.


1. Superveniet in te : Jan., en accord avec la Vulgate. Il est vrai que
.De princ. ii 6, 7; p. 147, 3, Jan. lit comne les manuscrits : veniet super te.

JoAK. 8, 46 {Deprinc. ii 6, 4; p. 144, ii) : Quis vestrum me arguit de peccato?


Jan. omet toute la citation, avei- les mots qui l'introduisent : sed et ipse
dominus dicit.

JoATV. 10, is (De princ. i\ 4, 4; p. 353, 15) : jNemo toUit a me animam meam.
sed ego pono eam abs' me-. Poiestatem habeo ponendi eam^. et iterum potes-
tatem habeo adsumendi eam''.
1. abs me : a me Jan. 2. me -{- et iterum Jan. 3. eam animam : :

meam Jan. 4. et potestatem habeo iterum sumendi eam Jan. Ce nouvel ordre

est celui de notre Vulgate.

Joan. 16, 12-13; 14, 26 (15, 26) [De princ. i 3, 4: p. 53, 19) Adhuc multa :

habeo quae vobis dicam', sed non potestis illa modo capere; cum autem venerit
paracletus- spiritus sanctus, qui ex patre^ procedit, ille vos* docebit omnia, et com-
monebit vos omnia quae dixi vobis.
1. habeo quae vobis dicam : habeo vobis dicere Jan. 2. paracletus :

consolator Jan. (et ,) 3. ex pâtre : a pâtre Jan (et Vulgate). om. Jan. 4. vos

La citation est une mosaïque, dont les morceaux proviennent de 3 chapitres de


saint Jean.

1. Cor. 12, 3 {De princ. i 3, 2; p. 50, 2) : Nemo potest dicere dominum lesum'
nisi in spiritu sancto.
1. Dominum lesum ^cf. De princ. i 3, 7: p. 59, 6: ii 7, 4, p. 151, 19' :

Dominus lesus Jan. (et Vulgate).

2. Cor. 13, '^ {De princ. ii 6, 7; p. 146, 24) : Aut documentum' quaeritis eius

qui in me loquitur Christus.


1. Aut documentum : an doctrinam Jan. mss.

Gai.. 3, 3 (De princ. i 3, 4-, p. 52, 11) : Ciun coeperitis spiritu, nunc* came perfi-

cimini-.
1. nunc : om Jan 2. perficinciini : consummamini Jan (cf. Vg. consuiM-
memini).
[,ES CITATIONS BIBLlQrES IVORIGKNE. Ii5

Col. 2, 9 {De princ. ii 6, 4; p, 144. (î) : id quo inhabitat oranis pknitudo deitatis^
corporaliter.
1. deitatis : divinitatis Jan. (etVulgate). Deitatis se retrouve ap. Origène-
Rufin. in Gen. hnm. fi, .3: P. <',. 12, i!)7 c.

Le travail accompli dans tous ces cas est très évident. Lauteup
des extraits, ou l'un de ses copistes, ou peut-être même l'éditeur ne
s'est en aucune manière soucié de l'exactitude matérielle de s'a trans-
cription. s'est laissé ûuidé par sa mémoire plus que par sa vae,
Il

et au de reproduire les particularités des textes bibliques* qu'il


lieu
avait à transcrire, il a trop souvent harmonisé avec la Vulgate qu'il
avait dans l'esprit.
Avec le Z)e Incarnatione ad Januarumi, nous atteignons le dernier
terme des déformations successives qui aient été imposées au vénérable
texte d'Orig-ène. Après une première traduction plus ou moins ap-
proximative dans l'Apologie de ]*amphile. Rufin a repris son œuvre
pour l'améliorer lorsqu'il a entrepris de publier la version latine du
De principiis. par l'intermédiaire desquels nous est
Les copistes,
parvenue la version de Rutin, l'ont plus ou moins arrangée à leur
guise lorsqu'il s'agit des citations bibliques les uns ont voulu faire :

mieux que lui, et serrer de plus près l'original grec les autres, plus :

soucieux du sens que de la lettre, se sont contentés de reproduire les


textes, ou du moins certains certains d'entre eux. selon la forme de
la Vulgate qu'ils avaient présente à la mémoire. De ces revisions, de
ces corrections, il va sans dire que Rufin ne doit pas être rendu res-
ponsable. Sa mémoire est assez chargée déjà pour qu'on ne l'accuse
pas plus qu'il ne le mérite.

II. — L'oeuvre de Rufin.


Supposons que l'étude méthodique des manuscrits nous ait permis
de reconstituer aussi exactement que possible la traductioa de Ruôn.
Nous avons maintenant à nous demander comment a travaillé
Rufin et dans quelle mesure les citations bibli([ues de sa version
du De principii>: ont chance de reproduire le texte grec d'Origène.
D'une manière générale, Rufin n'nvait pas l'intention de traduire
littéralement l'œuvredu maître alexandrin. Il nous explifjue lui-
même sa manière défaire dans sa première préface: « Sicubi eiao
nos in libris eius alirjuid contra id inven'nniis, quod nb ipso in
ceteris locis, pie de trinitate fuorat dcfînitum, velut adidteratum
hoc et alienwn aut praetermisimiis aut secundum eam regulam
116 RKVUE BIBLIQUE.

protulinms, quam ab ipso fréquenter invenimm adfirmalam. Si

qua sane velut peritis iam et scieittibus loquens, dum brevller Iransirc

vult, obscuriiis protulit , nos, ut manifestior fieret locus. ea quae de ipsa


re in aliis eius libins legeramus adiecimus explanat'iom
apertius
studentes (1) ». Dans la préface aux deux derniers livres, Taveu est
encore plus clair s'il est possible « Sicut in prioribus libris fecimus,:

etiam in islis observavimus, ne ea, quae reliquis eius sententiis et


nostrae fidei contraria videbantur, interpretarer, sed velut inserta
ea ab aliis et adulterata praeterirem De creaturis vero rationabilibus, .

si quid novi di.risse risus est... neque in his libellis neque in su-
pei'ioribus praeterniisi, nisi si qua forte iam in superioribus dicta
repelere etiam in his posterioribus voluil et brevilatis gratia aliqua
ex his resecare commodiun duxi (2j ». Le IduI de Rufin est de faire
connaître au public latin l'œuvre d'Origène; il travaille en vulgari-
sateur, non en savant, et ne se croit pas obligé d'apporter, dans ses
méthodes, une exactitude scrupuleuse dont personne alors ne se
souciait, pas même saint Jérôme, qui fut cependant le plus ardent
de ses adversaires.
Grâce à la Philocalie, qui nous a conservé d'importants fragments
des deux derniers livres du De principits, nous pouvons exactement
nous rendre compte des imperfections ou des lacunes du travail de
Kufin. Nous constatons d'abord l'omission par le traducteur d'un
certain nombre de références bibliques qui existent dans loriginal.

Job. 40, 14 {De princ. m 6, 3-, p. 284, Tcstim.) : liât diabolos « principium
piasmatiouis Domini », ut « inludatur ei ab angelis •>, qui e.xordii amisere virtutem.
Cette citation nous est conservée par saint Jérôme. Ep. ad A vit. lO; P. /... 22.
1009. Elle fait partie d'un long passage sur l'apocatastase et les diverses transfor-

mations de l'univers. Rufin a omis tout le passage, et naturellement l'allusion

biblique qui y est contenue.

Lev. Il, 14 [De priw. IV o, 2: p. o2.j. 7 : tÔ (Jiàv aÀoYOv yur:;; laTÔ'êaOat à7:a-

YOpiudfXEVOt.

Il n'v a ici qu'une allusion. Ruiin, laisse de côté dans sa traduction deux lignes
du texte grec.

(1)
3: t. V, p. à, 11-18.
Pmefatio Rufini
(2) Ante Praefatio Rufini, t. V, j). 1S»4, 2-10. Cf. Ri uni ad Jleraclium J'cro-
lib. 111,

rutio in Explanationem Origenis super ep. ad Rom. P. C, 14, 1294 Ltiam n addere •

cliqua videor et cxplere quae desunt, aut brcviare quae longa sunl >. Rufim Apol. in
Hier. P. L., 21* 559; S. .lÉROME, ApoL. 1, 7; /'. /.., 23, 402; id.. I, S: P. L., 23,403.
I 21,

Sur méthodes
les de traduction de Ruiin. on peut encore voir la préface de W. H. v.\n de
Sainde Bakhuysen à l'édition du Dialogus De recta in Deum pde (G. C S., Leipzig 1901),
p. L\i ss., ou la préface de A. ENCELitiiEciix à lédition de la traduction des discours
de saint Grégoire de Nazianze (C. S. E. L., XLVI, Vienne 1910), p. WIII ss.
LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGÉNE. 117

Ps. 80, 14-1.5 [De princ. m 1, 6: p. 202, 1 et 1-4).

£• ô Xx6ç ;j.ou v/.ojaÉ [j.ou /.*. ic7pâT|X tat"; Si populus meus audisset me et Israhel

63'o?ç |AOj £'. l;:opHÛ9r,, èv tw [jiyiSev;. av xol»? si in viis meis amlulasset, in nihilum
âyOpoù; aùrwv £Ta-s;vcoj.it, /.ai iTt'i tou; utique inimicos eliis humiliassem.

La fin de manque dans Ruiin, mais elle manque aussi dans le meilleur
la citation

manuscrit de On peut, avec M. Koetschau loc. cit., p. cm) faire à ce


la Phiiocalie.

sujet deux hypothèses. Comme le ms B de la Phiiocalie présente de nombreuses


lacunes, il est inutile de supposer que pour la première fois complété
le texte a été

par les autres témoins du grec. Il est donc, dans son entier original: mais il a pu
être raccourci par eu aurait laissé tombé les derniers
Rulin, qui, par négligence
mots, ou bien abrégé par du cod. Lucullanus. M. Koetschau penche vers
le copiste

cette dernière solution, à laquelle je me rallierai aussi. Rufin aurait donc traduit
le texte complet; la lacune est à mettre sur le compte d'un scribe.

Matth. -3, 22 [De princ. IV 3, 4: p. 330, 7i : h;f<> ol li^t,) Oa^v oç =àv ôoy.^Orj tw
iosX'jw ajTou.

La citation manque dans le texte latin. Dans le grec, Matth. ô, 22 est immédiate-
ment suivi de Matth. 5, 34. Le début de cesdeux textes est le même; les deux cita-
tions latinescommençant également par ego autem, : l'omission peut être le fait du
Lucullanus. plutôt que celui de Rufin iKoetschai /. , cit., p. ciA ;
cL p. cwvii.

JOA^. 5, oli [De priiw. IV 3, -î ; p. 331, 3) : spîJvstTî z'x; -'paçaç.

Rufin n'a pas cette citation. D'ailleurs il a très fortement abrégé tout le passage
où elle se trouve, et les lignes 3-12 de la p. 331 du texte grec sont sans équivalent
dans le texte latin.

RoM. 2, 28-29 Dr princ. iv 3, 6: p. 332, 11 j : 6 h to) çavjpôi "ojôaî'o; jtt-.v ojoî t]

hi TÔJ œavspo) Iv rjxy/.X -=p'.TOjxrj' àXÀ' 6 Iv y.pû-Tfo îojBxïoç, y.oC'. -£ptTO[xrj xapôtà; 3v -vîû-
aaTi, où YpiaaaT:.

Rulin, ici encore supprime tout un passage, qui comporte la 2^^ moitié d'un para-
graphe et le paragraphe suivant (p. 332. 11-333, 28). Le passage fait d'ailleurs bien
partie du texte du De principiis et n'a pas été introduit en cet endroit par les excerp-
teurs de la Phiiocalie. La
beaucoup mieux assurée par le grec, et
suite des idées est
l'on ne voit à la suppression de Rufin d'autre motif que le désir d'abréger, ou peut-
être une manière de protester contre l'interprétation allégorique de la Bible qui se
donne ici libre carrière (Cf. Koetschau, /. p. civ). c
Rom. !», .3 De princ. ni 1, 19; p. 231. 10) : toS l-'-. -a'vTor/ Oîou.

Rufin traduit simplement : a Deo, ce qui supprime l'allusion scripturaire. Cette


allusion d'ailleurs est sans importance pour l'ensemble du texte.

Rom. 9, 8 [De princ. n 3, G (22); p. 332, 9) : oj ^àp Ta Ti/.va -f^ 7xç,y.o; -x\j-.% -i/.ict

-'•j Oeoîj.

Ces mots ne sont pas traduits par Rufin. Ils font, dans le grec, partie d'une série
de quatre citations : I Cor. 10, 18; Rom. 9, 8; Rom. 9, 6; Rom. 2. 28-29. La
deuxième et la quatrième sont omises quatrième est au début d'un passage laissé
: la
de côté. La deuxième est peut-être oubliée par mégarde, car elle commence comme
Ii8 , REVUE BIBLIQUE.
la suivante par une négation. Il n'est pas impossible que le Lucullanus soit respon-
sable de cet oubli.

Rom. 9, 8 (De princ. i\ 3, 8 (24), p. 334, 4) : même texte.


Rufm laisse de côté ce verset dans une série de citations. .Te ne puis expliquer
cette omission.

Rojvi. a, l(j iDeprinc. m 1, t!i, p. 233, 8 et !)) : où -oi OîXovio? oùo'ï xou Tpéx.ovToç,

Le grec cite deux fois ces paroles; Rufm omet les deux fois la citation.

HOM. n, 23 (De princ. iv 3. 4 (20), p, 330, 13,, : .'iàOr, gosi'aç Ô^ou.

DeuK lignes du grec qui se terminent par cette allusion scripturaire sont rendues
m latin par cette simple et expéditive formule ; et alla qiiam plurima.

I Cor. I, 26-29 {De princ. iv 1, 4; p. 298, 14 et 17;.

[îXlTiofxsv oùv tf,v /.X^CTtv yj[j.tov oTt où -oÀ- Videte enim vocationem vestram, fra-
Xol aofol y.arà aâ(:,/.a, où zoXXoi ojvaio't, tres,quoniamnon raulti sapientesinter VOS
où 7ioXXo\ £VYHV£t;- àXXà xà [jLwpà Tûij x6ap.oj secundum carnem, non multi potentes,
èJjeXcÇaTo 6 ©eoç, Yva /.atatT/ûvr, xoj; non multi nobiles, sed quae stulta sunt
fO(foÙ5, /.ai -f^ dy^^'^i ''^^ f* iiouGsv/jfiéva mundi clegit deus...
sÇeX^Çaxo ô ôeôç, /at xà [x-q ovca, "voç èxsîva et ea quae non sunt, Ut ea quae erant
Tài Trpo'rspov è'vxa xaTapyrJar, xa'i ij.>| xau- prius destrueret. Non ergo glorietur (car-
yrjarjiat oàp? èvwmov 6eou. nalis Israhel) ; ...non inquam glorietur
caro in conspectu dei.

Une partie de la citation est omise dans la traduction, sans doute à cause de
riiomœoteleuton. .le note tout de suite quelques divergence^ : videte pour rendre
pXé^tojxev; fratres est ajouté; de même inter vos.

G AL. -j, 8 (f)c princ. m, 1 .


7; p. 206, 2) : fj -itdtxovrj l/. toj /.xXouvioç y.oà vja è? v][uov.

Cette citation manque chez Rulln-, peut-être est-ce une négligence du traducteur.
Peiit-être ïaissi, Ruûn ne voulait-il pas interrompre par ce texte intermédiaire la
suite de la citatioq Rom. 9, 18-19 + Rom. 9, 20-21, qui se trouve brisée dans le

grec. Jl e&t possible d'ailleurs que l'omission soit seulement le fait du Lucullanus.
(liOKTSCHAU, /. cil., p. cwxii)-

L'examen de ces différents passages n'est pas défavorable à Ruûn.


Dans plusieurs cas, on ne peut pas affirmer que Tomission de cita-
tions scripturaires soit son fait. Elle peut même, avec plus de proba-
bilités, être attribuée au scribe qui a recopié le Lucullanus, ce
manuscrit hypothétique d'où dérivent tous nos textes actuels. 1) autres
fois, le grec n'a qu'une simple allusion. Hufin la laissé tomber, là

où elle n'était qu'un détail de style. Une ou deux fois seulement, les
Otnis-sious semblent intentionnelles et résultent d'une méthode de
traduction insuffisante; c'est le cas des deux passages, iv Jî. 5, p. 331,
3 §s., IV 3, 6, p. 33â, U ss., qui sont fortement abrégés dans la tra-
,,

LES crrATIONS BIBLIQUES DORIGÉNE. tlO

duction latine, sans que nous puissions d'êiilleurs comprendre les


motifs de ces omissions.
Sans doute, de cette première série de faits, nous n'avons pas
encorele droit de tirer de conclusion ferme, sinon celle-ci très géné-

rale Rufin a traduit toutes


: ou presque toutes —
les citations bibli- —
ques contenues dans le texte original du Deprincipiis.
N'en pas ajouté aussi de son propre fonds? On peut trouver
a-t-il
en effet dans la version de Rufin des citations ou des allusions qui
n'ont pas leur contre-partie dans le texte grec, tel que nous l'a con-
servé la Philocalie.

ExoD. 8, 28, 27: 10, 9, 11 {Deprinc. m, 1. 11; p. 212, 9 et 28j.

àXX' où [xaxpàv (î-otcvcîTE ; Tpiwv yxpTjaïpwv Non longe abeatis; iter tridui abibitis,.

-op£Ûc7c!jOc, xa\ tàç ^uvatxaç Oowv xaTaXcf- sed uxores vestras relinqiiite, et infantes
-i-E. vestros et pecora vestra.

Rufin ajoute au grec la fin de sa citation et infantes vestros et pecora vestra. On


:

remarquera que ce texte n'est pas emprunté littéralement aux Septante c'est une :

mosaïque dont les éléments sont empruntés à deux chapitres et à quatre versets de
l'Exode. La mention des enfants et des troupeaux vient, de Ex. 10, 9. Là où Origène
s'est permis quelque liberté vis-à-vis du texte sacré, Rufin suit cet exemple et rap-

pelle des détails nouveaux.

Ps. 7, 10 (De princ. m, i, 17: p. 226, 19) : scrutans corda et renés.


Cette allusion ne figure pas dans le texte grec qui parle simplement du Sauveur,,
sans épithète. Rufin paraphrase lorsqu'il dit : domini et mlvatori-< iiostri..., pro
eo quoi! scrutcais corda et Quelques lignes plus haut, Origène rappelait le
renés.
Dieu éternel : 5 twv xpu-Twv •^"iôyazT^ç, 6 stow; xà nivxa. îcp{v y^veosojç aùrôiv, et Rufin
traduisait exactenaent : deus qui oœultorum cognitor est, et novit xinircrsa antequam
Les derniers mots contiennent une allusion à Suz,,
fiant (p. 226, 1-2; et 225, 33-34).
42 d'après Théodotion. La mention de Dieu qui scrute les cœurs et les reins était
naturellement amenée par le contexte.

Ps. 32, 6 (Depi-inc.


i. 3, 7; p. 60, 4) Verbo domini caeli firmati sunt, et spiritii
:

oris eiusomnis virtus eorum.


Toute la phrase dans laquelle est contenue cette citation est tenue par Sghxitzer
comme une interpolation de Rufin. Cette phrase affirme en effet l'égalité des trois
personnes divines nihil in trinitatc mahix miniisve dicendum est) et le texte du
psaume est apporté comme preuve de cette égalité. Un passage du texte grec du
De principiis, cité par Justinien dans la lettre à Mennas et non traduit par Rufin
{De princ. i, 3, 5; p. 55. 4-5C. 8 —
localisation évidemment conjecturale), enseigne
au contraire formellement le subordinatianisme. Il y a contradiction entre les deux
affirmations; mais nous ne pouvons pas dire avec certitude quelle était la véritable
formule employée par Origène. Le passage que nous avons en grec ne nous est connu
que par Justinien, c'est-à-dire par un adversaire déclaré. Celui que nous avons en
latin ne nous est parvenu que par Rufin, qui cherchait à disculper Origène, mais qui
après tout était un honnête homme. La citation en particulier peut-être authentique
ici, comme elle l'est De princ. iv. 4, 3 (30), p. 352, 12, où le même verset est cité de
la même manière.
120 •

REVUE BIBLIQUE.
Ps. 85. 13 {De princ. iv, 3. 10 (26): p. 338. 9 : Et liberasti animam meam de
inferno inferiori.
Ce verset est cité à la fin de 3 lignes qui n'ont pas leur équivalent dans le texte
de la Philocalie. A la suite de Robixsox Philokalia, Introd.. p. xxxvii), Koet-
SCHAU (/. cit., p. civ s.) admet que ce passage n'est pas une interpolation de Rufin.
mais qu'il y a une lacune dans le texte grec. L'explication du Ps. 85, 13 est si
proprement origénienne, dit-il, que la possibilité de l'attribuer à Rufin doit être
regardée comme exclue. D'autre part, la suite des idées est beaucoup plus satis-
faisante dans le texte latin que dans le texte grec. Les excerpteurs de la Philocalie
auraient pu omettre trois lignes par négligence: — ou, plus vraisemblablement
encore, un copiste les aurait maladroitement laissées tomber. On peut noter dans la
citation de Rufin le comparatif inferiori. Le grec portait donc x7.t'.jtepoj, tandis que
les LXX lisent le superlatif zaTwTâTOj.

Matth. 5. 28 {De princ. iv, 3, 4 ;20 : p. 330, 24). Qui autem inspexerit mu-
lierem ad concupiscendam eam, iam moechatus est eam in corde suo.
La citation ne figure pas dans le texte grec. Elle fait partie d'une série de réfé-
rences bibliques : Ex. 20, 12 (cf. Eph. 6, 2-3; ; Ex. 20, 13-10: Matth. 5, 22; Matth.
5, 34: Thess. 5, 14 (cf. Rom. 14, 13). Rufin omet Matth. 5, 22 et introduit Matth.
5, 28 après Matth. 5, 34. L'allusion à Rom. 14, 13 est également omise par Rufin.

Matth. 7, 6 {De princ. m, 1. 17; p. 22G, 34) : ut non sanctum canibus mittatur'
nec' margaritae' iactentur 'ante porcos' quo 'conculcent cas pedibus', et insuper
conversi rumpant.
L'allusion évangélique se trouve seulement dans le texte de Rufin. mais l'ensemble
de la pensée est correctement rendu par cette traduction, à laquelle on ne doit

reprocher que son manque de littéralisme.

Matth. 10, 10 (T)c princ. iv 3, 3 (19); p. 327, 23 ss.). Sed et illud quomodo possi-
bile videtur observari, in his precipue locis, ubi acerrima hiems gelidis exasperatur
pruinis, ut neque duas tunicas, neque calciamenta habere quis debeat.
Tout ceci est ajouté par Rufin, au milieu d'une série d'exemples destinés à
montrer qu'il ne faut pas prendre à la lettre tous les préceptes évangéliques. il se
peut que Rufin ait traduit un passage qui aura disparu du texte actuel de la
Philocalie (cf. Roetschau, /. cit.. p. cxxxiii). Les mots gelidis exasperatur :

pruinis, qui comportent une réminiscence de Virgile, sont évidemment primitifs en


latin; ils ont pu, eux-mêmes, avoir leur équivalent en grec.

Matth. Il, 22 (De princ. m, 1, 17; p. 227, 21).

Udlai à'v âv aanxio xai andôw xaôrîixsvoi Olim h\ sacco et cinere iacentes paeni-
[i£T£vdr;aav èyYJç YîvoaÉvou tou aMTîjpo; twv tentiam egissent, si factae fuissent apud
bp!.(ii^ aù-rôjv. eos virtutes quae apud alios factae sunt.

Le latin continue par la suite de la citation évangélique un sens que le grec a


exprimé d'une manière très générale. Tandis que le Sauveur était sur les frontières
de Tyr, il pouvait y faire des miracles propres à exciter à la conversion.
Quelques lignes plus loin (I. 28), une nouvelle allusion à Matth. 11, 21 est faite
par Rufin qui traduit le simple mot grec ivcXTOTspov par la périphrase : Tolerabilius
erit eis in die iudicii. Ici l'allusion est déjà dans le texte original; la version latine,
la développe, la fixe et la précise.
I.ES CITATIONS BIBLIULES OORIGÈNE. 121

Matth. 24, 14 [De princ. iv, 1,2: p. 29-3. 25 Praedicabitur hoc evangelium in :

omnibus gentibus.
Ce texte manque dans la Philocalie. Mais il figure dans le latin de lApol. de
Pamphile et du De princ, au milieu d'une série de citations, entre Matth. 7, 22
=
Le. 13, 26i et Matth. 10, 18 (= Me. 13, 9 Koetschau, p. 295 not. ad h. 1. .

suppose une lacune du grec, ce qui est au moins aussi vraisemblable qu'une addi-
tion du latin. L'accord des deux témoins est une garantie en faveur de Rufîn.

.lOAN. I, 14 — Phil. 2, 7 De princ. i\ 2, 7 (14,; p. 319, 7 s., 24 s.

Ka\ TÎv;; ai aÏT-ai Toii ai/pi lai/.'o? à/Gp'.j- Quomodo verbum caro factum sit et

-t'vr,; aÙTÔv y.x-xîiîr/.i-toi:, /.ai nâvTr, av- qua de causa usque ad formam servi
Opio-ov àv3i)>T,3svai. susclpiendam venerit.

Les allusions scripturaires ne se trouvent que dans Rufin. Peut-être aura-t-il


hésité devant la traduction littérale de l'expression avOç'jnov l'.lr^tvtxi et aura-t-il
préféré la remplacer par des termes empruntés au >'ouveau Testament. Bien que
la fin du quatrième siècle ne soit pas encore l'époque des grandes controverses
christologiques. le bruit fait autour d'Apollinaire et de son enseignement in\-ite à
à une correction plus grande des formules.

AcT. Ap. 2, 4 De princ. 1, 17: p. 228, 13) m


prout spiritus dabit eloqui ei. :

Rien ne correspond en grec à cette allusion. Tout le passage d'ailleurs est très lar-
gement traduit d'après les idées beaucoup plus que d'après les mots Koetschai, ad
h. l. et p. cxxxin rapporte l'allusion biblique à 1 Cor., 12, 11 : '/ividens sin'/uUs

prout vult. Le rapprochement est beaucoup plus sensible avec Art. Ap. 2. 4 : proni
spriritus sanctus do.bat l'ioqui ilUs.

AcT. Al'. 9. 1.3 De prinr. m 2, -3: p. 2-33, 6) : etiam si Paulus llle sit de quo
dicitur : Cvas electionis est mihi iste . aut Petrus adversiim quem portae inferi non
praevalent.
Les mots entre crochets ne figurent pas dans nos manuscrits. Ils sont introduits
par Delabue dans son édition du Di principiis. peut-être d'après un manuscrit
actuellement disparu. Origène connaissait ce passage des Actes, et le citait comme il

est ici: cf. in Ep. ad Rom. ii, 14: /'. G.. 14, 916 A : et ipse vas electionis.

Rom. 3, 19 (De priiie. m, 1, 17; p. 229. lô; : ut vere omne os obstruatur.


L'allusion n'existe pas dans le texte grec de la Philocalie, mais la traduction rend
exactement le sens du passage.

Rom. 7, 18 {De princ. m, 1, 20; p. 23-3. 20-22 : ita ergo est et quod dicit apos-
tolus, quia virtutem quidem voluntatis a deo accepimus, nos autem abutimur voluu-
tate vel in bonis vel in malis desideriis
Le texte grec n'invoque pas l'autorité de l'apôtre pour affirmer que nous avons
reçu de Dieu le faire et le vouloir. La référence à Rom. 7, 18 est donnée p;ir

KOETSCHAU, p. cxxxiii Bvcc un point d'interrogation qui semble assez justifié.

Rom. 8, 19 De prinr. iir, 1, 23; p. 2 H, 28) : in revelatione vrevelationem, y)


filiorum dei.
Simple allusion qui n'a pas de parallèle dans le grec.
122 REVUE BIBLIQUE. .

Rom. 8, 35 [De princ. m. 1, 12: p. 215, 21) : quis nos separabit a caritate dei,
quae est in Christo lesu? tribulatio, an angustia, an famés, an nuditas, an periculum,
an gladiiis ?

Cette citation, et le contexte qui l'entoure n'ont pas leur équivalent en grec. L'en-
semble du passage d'ailleurs est plutôt paraplirasé que traduit. Roetschau, p. cxxxi\
se demande si les quelques lignes dont fait partie le texte de Rom. 8, 3-5 ne seraient
pas empruntées à un autre ouvrage d'Origène. Question insoluble.

Rom. 9, 17 {De princ. m, 1, 14: p. 220, 30} : ut per ipsum nomen suum nomina-
retur in uni versa terra (Cf. Ex. 9, 16).
L'allusion biblique est purement et simplement ajoutée au texte. Origène écrit :

£?ôwç z'o: Y.cà Tov oaoato ays:, et Rufin transpose : scit qua via etiam Pharaonem
adducere deberet, ut per ipsum nomen suum nominaretur etc..

I Cor. 15, 33 (De princ. m, 1, 5: p. 220. 31 1 : corrumpi mores bonos conloquiis


malis. Le grec porte : Iv. ôta^Tpo^^; irÀ -hç ysîpouç otatpiSîtç ly.y.pojojxévoj; tou asavov» xa't

£ÙaTa9oùç, wa-e ïîç àxoÀaofav aùrob; ixsTaSaXEîv. Il n'y a là aucune réminiscence


scripturaire. Rufin, sans modifier la pensée, y introduit une expression biblique.

Heb. 12, 6 {De prinr. m, i, 12; p. 215, 17) : quem enim diligit dominus, corripit
et castigat; flagellât omnem filium quem
autem recipit.

Cette citation amenée dans le même contexte où tout à l'heure nous avons trouvé
Rom. 8, 35 appelle les mêmes remarques. La
présence simultanée de deux frag-
ments scripturaires en un nous pousserait à croire que ce passage n'est
seul passage
pas l'œuvre d'un traducteur. Le grec serait-il alors incomplet? ou Rufin aurait-il
emprunté à un autre livre d'Origène ? Ou tout de même ces quelques lignes seraient-
elles de lui ?

Somme toute, il que Rutin a peu ajouté de


ressort de tout cela
citations bibliques de sa piopre initiative, si même il en a vraiment
ajouté. On lui doit plusieurs allusions, et cela est naturel de la part
d'un écrivain nourri de l'Écriture Sainte. A chaque instant, et sans
effort, les images bibliques, ou les formules bibliques se pressent

à la pensée de tous les Pères de l'Église, plus ou moins; elles se


pressent de même aujourd'hui dans l'esprit de tous ceux qui lisent
habituellement les saintes Écritures. Ou ne saurait en pareil cas
parler d'emprunts. Les critiques, qui scrutent à la loupe tous les
textesy font des découvertes merveilleuses peut-être étonneraient- ;

ils mêmes dont ils dissèquent ainsi la pensée. M. Koetschau,


ceux-là
dans ses admirables indices, signale plusieurs rapprochements de
détails entre Virgile et Rutin. En traduisant Origène, Rufin n'avait
cependant pas son Virgile sous les yeux, pour y chercher des expres-
sions et des tournures poétiques. Les mots venaient d'eux-mêmes sous
son calame, et ce sont les savants d'aujourd'hui qui en découvrent
l'origine première. Toutes les réminiscences bibliques du De princi-
piis latin ne sont pas d'Origène : Rufin en a introduit un certain
.

LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGÉNE. {%',

nombre dans sa traduction. C'est le travail du critique de chercher ii

dég'ager ces éléments adventices, s'il veut étudier exclusivement le

texte biblique d'Orieène. Mais il ne saurait reprocher à Rufin d'avoir


manqué à son devoir de traducteur en les introduisant.
Restent seulement trois ou quatre citations quil est plus difficile de
légitimer, ou d'expliquer; telles sont Ps. 85, 13; Rom. 8, 35; Héb. 12,
(). Nous avons vu, en examinant chacun de ces cas, que le latin était

peut-être plus complet que le grec et témoignait dun état meilleur


du texte d'Origène. Nous ne saurions en effet oublier que, pour pré-
cieuse qu'elle soit, la Philocalie n'est cependant qumi recueil
d'extraits elle est déjà un surtravail et constitue une adaptation de
;

l'œuvre authentique du maître d'Alexandrie. Rufin, qui avait sous


les yeux l'ouvrage même d'Origène, était dans des conditions bien plus
favorables cjue nous pour l'utiliser.

Aussi bien n'avons-nous jusqu'à présent envisagé que du dehors


en quelque sorte l'activité de Rufin. Il a omis certains passages ; il a
ajouté d'autres passages. Reste à savoir, ce qui est plus intéressant
encore, comment il a traité les textes bibliques qu'il a proprement
traduits
Autant qu'on en peut juger, ces textes cités par Origène, il les a
véritablement traduits à nouveau, sans se servir d'une version latine,
sur laquelle il aurait copié les passages dont il avait besoin et ;

sous le vêtement latin dont il les a recouverts, nous pouvons encore
reconnaître les mots mêmes employés à Alexandrie dans le texte
originaldu De principiis. De cette affirmation, nous pouvons apporter
un certain nombre de preuves.
Tout d'abord, plusieurs textes sont cités plusieurs fois au cours
du De principiis. Si Rufin avait eu recours à une édition latine de la
Bible,il l'aurait sans doute reproduite à chaque endroit de la même

manière. Or, nous constatons que ses traductions diffèrent l'une de


l'autre, même lorsque l'original grec est identique. Par exemple :

Ex. 25, 40 (t.c. De 'princ. iv, 2, 6 (13^ p. 316, 11) : r^oir^inç, -âvta v.7.-'x -ov tûhov
;

Rufin : De princ. m. 6. 8; p. 290, 4 IV, 2, fi 13^; p. 31(;, 27


vide ut facias omnia secundum formam faciès oninia secundum formam quae tibi

et similitudinem quae tibi ostensa est ostensa est in monte,


in monte.

La première traduction est remarquable par la juxtaposition de deux synonymes


entre lesquels on dirait qu'il y a une sorte d'hésitation. Rufin ne choisit pas, et met
les deu.x mots l'un à coté de l'autre. On peut ajouter que ni l'un ni l'autre des deux
124 REVUE BIBLIQUE.

vocables essayés par Piufin ne sont classiques dans les anciennes versions latines :

S. Hilaire, in Psalni. 14 dit secundum specieno ; la traduction d'Irénée, iv, 14 : iuxta


typum. Cf. D. Saiîatier, ad h. L

Ps. 101, 27,


De princ. l, 6, 4 p. 8.5, 2 ss.;
m, 5, 1 ; p. 271 , 22 ss.

et sicutamktuni mutabis eos, sicut ves- et sicut operton'um mutabis eos et niuta-
timentum mutabuntur. buntur.

La première traduction est plus exacte que la deuxième. Le fait à signaler ici

est l'emploi des deux mots : amictum et vestimentum.

ECCL. 1, 9, 10.

De pruic. i, 4, 5; p. 68, 4 SS. lit, 5, 3-, p. 273, 9 ss.

Quid est quod factura est.^" hoc ipsum Quid est quod factura est? ipsura quod
quod futurura est. Et quid est quod créa- futurum est. Et quid est quod creatum
tura est? hoc ipsura quod creandum est. est? Hoc ipsura quod creandum est. Et
Et nihil recens sub sole. Si quis quid lo- nihil est omnimo recens sub sole. Si qui
quetur et dicet ecce norum est hoc, iam
: ioquetur et dicet : eccc hoc novxtm est.
fuit id in saeculis. quae fuerunt ante nos. iara fuit id in saeculis quae fuerunt ante
nos.

Dans Jérôme traduit ainsi la preraière citation (F/;, ad Avit.


sa lettre à Avitus,
9; P. L., 22, 1067)Quid est quod fuit? ipsum quod erit. Et quid est quod factura
:

est? ipsum quod futurum est. Et non est omne novum sub sole, quod loquatur et
dicat ecce hoc novum est. Iara enira fuit in saeculis pristinis quae fuerunt ante
;

nos. La version de saint Jérôme est tout à fait différente de celles de Rufln, celles-ci
au contraire se rapprochent beaucoup l'une de l'autre; mais elles présentent assez
de variantes pour avoir été faites directement l'une et l'autre sur le texte grec.

EccL. 10,4.

De princ. m, 2, 1 : p. 24.3, 21. iit, 2. 4; p. 250, 29.

Si spiritus potestatem habentis ascen


derit super te, locum tuum ne dimittas ne relAnquas.
quoniam sanitas compescetpeccata multa.

Matth. o, 4.

T)eprinc. ii, 3, 7; p. 12-";. 17. il, 3, 7; p. 120, 10.

terra... quam raansueti et mites haere- Beati mansueti quia ipsi haevedilate
dilate percvpient. possidebuni terrara.

Cf. III, 6, 8; p. 289, 31 : terrae... mansueti haeiediiatem. capiant; — et ORIGÈ^E


in Psalm. hom ii, 4 (Lo., xii, 173) : beati raansueti quoniam ipsi jmsidebunt ter-
ram.

Rom. 9, 19-21.
.

[,tS CITATIONS BIBLIQUES DORIGKNE. 12o

Df'princ. m, 1,21 .'20) : III, 1,7; p. 20(), 15. m, 1, 7; p. 205,29 ss.


p. 235,24 ss.Ergo cui viilt Ergo cui vult miseretur et
miseretur et quem viilt quem vult indurat. Dices
indurat. Dices c/y/o mihi : itnque mihi : quid ergo
(juid adhiic querilur? vo- adhuc cuipat? voluntati
luntati enim eiiis quis ré- enim eius quis resistet?
siste!? Etcnitn rero. o ho- liomo tu quis es qui
mo. tu quis es qui contra contra respondeas deo?
respondeas DeoPnumquid numquid dicit fipmentum
dicit flgmeuturu ei qui se ei. qui se finxit : quid me
tÎDxit : quid me fecisti Fecisti sic? aut non habet
sic? aut noD habet potesta- potestatem figulus luti ex
teni figulus luti ex eadem eadem massa fcuerc iy/.n

massa faccrc aliud '/iiidcm al.iaclqaidem ad honorem.,


in honorem vas, aliud aliud autem ad contume-
nutem in contumeliam? liam ?

Le milieu de la citation est le même, mais au commencement et à la fin on a pu


remarquer de nombreuses variantes. Cf. la même citation, OiiioKxi;. //( Exod.,
hom. TV, 2; /'. G., 12, 318 C I).

1 Cor., 2, .s.

he piinc. m, 3,1: JIT, 3. 2: p. 25.S, 10. id, ib. p. 258, 10 ss.


p. 256. 8 Ss.

Sapientiam autem lo Sapientiam loquimur


(|uimur inter perfectos -.
inter perfectos, sapien-
sapientiam vero non tiam autem non huius
huius imrndi. neque prin saeculi neque principum
cipum huius mundi, qui huius.sftecu/t qui destruun-
destruuntur: sed loqui- tur
mur dei sapientiam in lacune
mysterio absconditam.
quam praedestinavit deus
ante saecula in gloriam
nostram. quam nemo prin- quam nemo principum
i-ipum huius mundi co- huius mundi cognovit. Si
gnovit. Si enim cognovis- enim cognovissent, num-
sent, nuraquam dominum dominum gloriaecnic'i- quam dominum inaienta-
mn irsfatis crucifixissent fixerunt. tis crucifixissent.

L'alternance de maiestatis et de gloriae est remarquable. Origène écrivait partout le

même mot oo;/,;. Cf. OiiuiKNE. inJercm. hom. 18; t. III, p. 1G2, 17; in Lam.
f'ragm. 107; t. III, p. 273, 2-1. Le début de ce texte est encore cité en grec et en
latio, T)e prinr. rv, 1, 7; p. 305. l et 13; De priur. iv, 2, 4: p. 312. 12 et 28. La
traduction de Rufin ne présente d'autres variantes que l'alternance des principum
huius mundi p. 305 et huius saeculi 312), alors que le seul mot aïw/ figure en
grec.

1 Cor. 10, 13.


126 REVUE BIBLIOUE.

Deprinc. m, 2, 3; p. 248, 29. Iir, 2, -4


; p. 252, 22.

Tenlatio vos non comprehendat uisi Tentatio non adprehendat nisi humana
hiimana.

Cf. Obigè^'e, iiiEp. ad Rom. vu, 12-, P. G. 14, 1133 A : non adprehendat.

2 CoB. 13, 3.

De princ. I praef. 1 -, Il, (i, 7; p. 146, 24 IV, 4, 2 (29) ; p. 35L11


p. S, 12

aut numquidprobamen- aut docwnenlum quae- Aut ecperimentum


tum quaeritis eius qui in ritis eius qui in me loqui- quaeritis eius qui in me
nie loquitur Christus ? tur Christus? loquitur Christus?

Ici nous n'avons pas moins de trois mots différents pour rendre un seul terme
grec.

Rom. 2, 4-5.

Deprinc. m, 1, 11-, p. 213, Il et 29 : an divitias bonitatis eius ac patientiae et

longanimitalis contemnis, ignorans quia benignitas dei ad paenitentiam te adducit?

La citation est précédée et suivie de considérations qui la commentent et où revien-


nent les mots du texte. Or le terme /ûTja-6TT)To; (p. 213. 11) est traduit par boni-
tatis (1. 29); /pïiaTOTr,-x (1. 6) par patientlam (I. 21); /crja-6-:Y)To; (p. 214, 9) par benig-
nitatis. De même [^.ajipoOjafa; (p. 213, 12) est traduit par longanimitalis (1. 30), mais
;Aa/poej;i.{av (id,, ('>) par mansuetudinem (I. 21).

Gal. 5, 17.

/)epî'/«C. 111,2,3; m, 4, 2; p. 265. 8 III, 4, 3 : p. 268, 6 III, 4. 4; p. 269,24


p. 248, 22
caro conaipisctt carnem repiignare pugnarc spiritum i.mpugnare ^u-Wxxt

adversum spiritum. adversum spiritum. adversum carnem. carnem.

111,4, 2; p. 265, 2 id.;p. 265. 19 III, 4, 4 ; p. 2()9. 7

— id. —
répugnât adver- caro adversum spi-
sum spiritum. ritum pugnat.
m, 4, 4; p. 269, 32 id. ; p. 266, 20 id. ; p. 269, 19

— id. — si caro répugnât, caro pugnat adver-


sum spiritum.

La même page 269 offre ainsi trois traductions du même terme grec.

Ei'H. 6, 12.
De princ. m, 2, 1 ; III, 2, 3; p. 248, 26 III, 2, 4; p. 252, 19
p. 246, 17

tuciamen esse sanctis conluctatio adversum certamen est adversus


non adversum carnem et carnem etsanguinem. principatus et potestates.
sangumem.
m, 2, 5; p. 254, 8 m, 2, 4; p. 252, 14 ss.

luctamen adversum non est nobis conlucta-


principatus. tio adiersus carnem.
LES CITAÏIONS BIBLIQUES DORKjKNE. 127

Cf. OBKiÈNE, in Gen. hom. î), 3; p. G- 12, 214 A luctamea est nobis non adver- :

sura carnem et sanguinem, sed adversum principatus et potestates et mundi huius


rectores.

Heb. 8, 5.
De princ. u.a, 7; m, 6, 8; p. 290,2 vi,2,G(13), p.317, iv,2,6 (13),p.31.S.
p. 147, 4 similitu- exemplario et um- '27 exeinplari et um- 33 caelestium eicem-
dini et umbrae de- brae des. cael. braedes. cael. plaribus et umbrae
serviunt caelestium. deserviunt.
I\, 3,12(24) ;p.341,

23 umbrae et exo.m-
plari des. cael.
Le texte grec est conservé pour deux de ces passages : p. 31.5, 1-3 et 317, 12; il

porte chaque fois : br.o^iî-([xa.-A y.x\ s/.îa.

Dans d autres nous nous sentons encore plus près du texte


cas,
grec, car pour même mot, Rufîn essaie de deux traductions
un seul et
différentes, comme s'il n'était pas satisfait, et laissait à son lecteur le
soin de décider lui-même.

Gen. 49, 1 [De princ. m, -5, 1; p. 271. 19) : Convenite ad me filii .Jacob, ut i\\\-

nnntiem vobis quid erit in novissimis diebus — ccl post novissimo^i dies.

Obigène, C. Cefs. vu, 7 (t. II, 1-59, 27) lit I-' ix/â-wv t-ov TjuLspôJv; cf. in Gen.
hom. XV, 9; XVII, 1 (Lo. viii, 20.5, 282) : in novissimis diebus. Le cod. Lugdunensis
et S. Augustin, C. Faust. 12, 42 ont également in novissimis diebus.

Lev. 16. 8 [De princ. m, 2, 1 ; p. 24.>. 3) : Sors una domino, et sors ima apo-
pompeo, id est tj^ansmiasori).

Job. 40, 20 {De princ. l, -5, -5; p. 77, 16 adduces autem in hamo draconem
aposlatam, id est refugam.

Sàp. Salom. {De princ. i, 2, -5; p. 33, 10) vapor est enim virtutis dei et
7, 2-5 s. :

clnoqqola, id cst manaf io gloriae omnipotentis purissima. Splendor est enim lucis
aeternae et spéculum immaculatum inoperationis dei et imago bonitatis eius.

Cf. De princ. i, 2, 9: I, 2, 12; p. 4.5, 10 id. p. 4-5, 19


p. 39, 14 ss.

Vapor est quidam vir-


tutis dei et ino-iÇiôia, id est

manatio omnipotentis
gloriae purissima, et splen-
dor lucis aeternae et spé-
culum immaculatum ino- spéculum immaculatum spéculum immaculatum
perotionis si.ve virtvti^ dei h'£^yfîai, id ext inopera- paternae cirfi'lis inope-
et imago bonitatis eius. tionis dei. rationis'jiie.

Cf. le texte grec de ce passage, in Joan. xui. 2.5 (t. IV, p. 249, 31); C. Ce/s.
VIII, 14 (t. H, p. 231, 13 . On voit ici toutes les étapes de la traduction. Le terme
128 REVUE BIBLIQUE.

grec d'abord simplemeot transcrit et expliqué par un mot latin: puis traduit par
deux mots entre lesquels le choix est laissé; enfin rendu par deux termes qui
s'ajoutent I'uq à l'autre. Si liufin s'était servi dune version toute faite, on ne com-
prendrait pas ces hésitations et ces variantes.

Hajî. 3, 3 (De "priNC. i. 3, 4: p. 53, 3 et 9.

h [xéao) ojo 'C<;vov yvoaOrîar, In medio duorum animalium vel dua-


non vitarum cognosceris.

Is. 10, 17 [De princ. iv. 4. G 33.; p. 3.>0, 24 : Et comedet sicut loenum vi.>/>-

id est materiain.

Matth. .5,4 \J)i- prinr. u. 3, i\\ p. 123, 10) : terra quam salvator in evangelio
mansnetis et mitibus repromittit.
Ici encore, deux termes différents traduisent un seul mot grec; ces deux termes
se retrouvent ii, 3, 7; p. 12-3, 17 : terra... qualn niansueti et mites haereditate
percipient. Mais ii, 3. 7, p. 126, 10 et iir. (i. 8, p. 289, 31 mansueti apparaît seul,
comme étant définitivement préféré.

Eph. I, 4 (De princ. ui, 5, 4; p. 274, d) : Qui elegit nos ante consfitutionem
mundi, et hic constitutionem mundi xc~Taf,olriv dixit, eodem sensu quo superius
interpretati sumus intellegendam.
Avant ce passage des Ephésiens, Oriiiène citait Matth. 24, 21 attribué par erreur
à l'évangile selon Jean, l'erreur vient-elle de Rufin.' oij constitidio traduisait déjà
xataSoXij. Cette traduction a une histoire, et Rufin s'en explique longuement dans
l'Apologie, I, 2.j; 1'. L., 21, 5G3 C : ^'on idipsum autem zxTaooÀr; quod constitutio
sonat. Unde et et rerum novitatem, et sicut
nos propter paupertatem linguae
quidam ait sermo latior et lingua felicior sit, conabimus non tam
quod graecorum et

verbo ex verbo transferre, quod impossibile est quam vim verbi quodam explicare
circuitu etc. —
Cf. Oaic.KNE, //( Maith. serm. 71 (Lo. i\, 378); .Iéuômk, //( £//. ad
Eplu's. I {P. L. 26, 547); Orici-xe. in Joan. xix. 22 (t. IV, p. 324, 17} explique
également le sens précis du mot xaTa6'//.r;. On est en présence d'un terme technique
en quelque sorte, d'où les explications d'Origène dans le commentaire sur saint
Jean. La traduction latine de ce terme présente des difficultés spéciales. Mais Rufin
se croirait-il obligé à tant de phrases s'il avait déjà une version latine couramment
admise, et s'il s'en servait pour rendre les citations de son texte?

PniL. I, 23 Jk-piiiir. I. 7. .j; p. 9:!. l.jj : optarem enim rcsohi. rcl redire, etes.se

cum Christo.
Plus loin {De princ ii. Il, .5; p. 188. 1;. un troisième terme apparaît seul : coartor
autem e duobus, desiderium habens dissn/cl et cum Christo esse.

Tons ces cas sont très remarquables, parce qu'on sent le travail

s'accomplir peu à peu avant d'arriver à sa perfection définitive.


il arrive que nous nous trouvons en présence d'un
Parfois encore,
passage deux fois cité, pour lequel le texte grec offre de légères

variantes, La version latine suit alors pas à pas ces variantes.


LES CITATIONS BIBLIOUES D'ORIGÉNE. 129

K/ECH. II, 19-20; Dr princ. m, 1, 7; ni, 1, lô, p. 221. (j

p. 20.5, 2

i;tho avTiôv Ta: l'.Ot'/a; 7.3(po;a; y.x'. iaoaÀto i^i/.ôj Ta; X'.Oivaç zaïoia; c.t' avztôv /.a", la-
7ap"/.;vaç, ori'o; îv toï; nqoorâyfj.aaC [xciu oaX'^i cap/.iva; ottoj; âv to?ç dixau'maal jxo'j

roosjwvTX'. za\ Ta or/.aTÔiuaTâ U.CJ -.ijXâja'OT:. irop^joivTai /.ai Ta rrooorccyuaTié 'j-oj z.'jkiij-

aw3'.v.

Auferara eorum lapidea corda et im- Auferam lapideum cor (d> cis, et im-
niittam eis carnea, ut in praeceptis meis mittam eis cor carneum, ut in i'isiifica-
incedant et iustitia^ meas çustodiant. tionihus meis incedant et praecep!ii mea
custodiant.

Dans un grand nombre de où le te.vte grec du De principils cas,


ne s'est pas conservé, et où une comparaison directe est impossible,
on retrouve cependant, sous les termes de Rufin les expressions
mêmes d'Origène. Pour s'en assurer, il suffit d'avoir recours aux
citations faites dans les livres d'Origène dont nous possédons encore
le texte original. Un tel examen pour être complet, supposerait une

étude d'ensemble des citations l)ibliques d'Origène; et nous devrons


ici nous contenter de quelques exemples.

Ps. 8. -1 [De princ. ii, 3, 6: p. 124, 14) : videbo caelos opéra digitorum tuorura.
Cf. Psalm 8; P.d.. 12. 1184 D
ORICÈXt: in ôti clvoyat toJ; oJoavou; ïi-;a Trriv :

oazT-iX'.ov jo-j. Jlbôme, Ep. 100. 7: P.L., 22. 840 Et dicitjs quod luos in gaeco non :

habeat. Verum est, sed in haebreo legitur Samacha. quod interpretatur caelos tuos

Ps. 103, 4 (De princ. ii S, 3; p. 1.56, 17) : qui facit angelos suos spiritus et
ministres suos ignem urenteni.
Cf. Origexe, in Psalm., 103; P. G.. 12, 1.561 A : 6 -o\o>i toJ; àvyiXoj; ^ùtc-j.

.Ikrôme, Ep., 106, 65 P.L , 22, 860) : qui facis angelos tuos spiritus. Pro quo
in graeco invenisse vos dicitis : ô -oi-ri/ toJ: àYyÉXojc aÙTOj, id est : qui facit angelos
suos.

Ps., 103, 29, 30 De princ. l. 3, 7; p. .58, 12 ; cf. O.sK.i.NE. m .Jo>n. \m. U


. IV, p. 247,23).

Ps. 148, -5 De princ. ii, 1, -5; p. 111, 22) : Ipse dixit et facta sunt ; ip.<!e mandavit
creata sunt.
Cf. OrigÉne, g. Ccfa. Il, 9 (t. I, p. 136. 9 : aiTo; i\-2... xù-'o; ï'ti-iD.7.-o: C. Ois.
[l, 60 t. II, p. 130, 20): id. Cependant, in .lonn., ii 14, t. IV, p. 71. ,5; : ô Oïô; i^.-i...

»£T£iXaTO.

I Prov. 2, .5 {De princ. i, 1, 9; p. 27, 8) : Sensum divinuni invenies.


Cf. De princ. iv, 4, 10 (37 s.; p. 364, 8) : .Sensum quoque divinum invenies.
(.'. Cfls. vil. 34 t. II, p. 18-5. 1.5) : aVjOr,:;;-/ Oiiav ùçr,:!v.z. Les LXX ont i-irvo^iv.

Prov. 8, 22 {De princ. i, 2, 1 : p. 28, -V. Cf. Oiuc.i-NE. in./oan. w, 39 (t. IV,
\. 381, 31).
UEVLE BIBLIQUE 1919. — N. S. , T. XVI. 9
130 REVUE BIBLIQUE.

Pbov. 8, 30 {Depriyic. i, 4, 4; p. (w, 11) : Sapientia cm 5tm^eT adgaudebot deus


orbe perfecto.
Cf. OriCtÈxe. in Joan. i, 9 (t. IV, p. 14, 20; : r, T.zoni/tt.-.vi.

Is., 66; 22 {Deprinc. iri. 5. 3; p. 273, (i] : Erit caelum novum et terra nova quae
ego faciam permanere in conspectu nieo. dicit dominus.
Saint Jérôme, traduisant ce passage, dans la lettre à Avitus 9, P.L., 22, I0(i7 lit

comme Rnfin dans le texte d'Origène [As'vstv et porte l'inGnitif permanere. Les mss
des LXX, nABQ lisent [i.bn: à l'indicatif.

Matth. 25, 29 (/Je princ. il, 11, 4 ; p. 187, 31) : Omni habenti dabitur et adicietur.
Cf. Origènk, in Joan. xxxii, 7 (t. IV, p. 436, 6) : -av-l Toi ï/ovii ôo6ï5as-at zaï
T.poi-z^r'^iizy.i. Cf. HaUTSCH, Op. cit., p. 77 S.

Me. 10, 18 [Deprinc. i, 2. 13 ;


p. 47, 11 : Nemo bonus nisi unus deus pater.
Cf. la même citation, sous la même forme avec Taddition députer, Deprinc. ii,5,
2: p. 133, 13; II, -5, 4, p. 138, 11. Orige>e, in Jorm. i, 35 {t. IV, p. 45, 11) cite
oOôsiç àyaôbç zl p, Oeo; 6 rair^p ; Cf. in Joan. M, 28 (t. IV, p. 156, 21 j; xwiii, 6
(t. IV, p. 395, 25). Le mot 7:aTrip ne se trouve pas affirmé ailleurs que dans Clément
d'Alexandrie et dans la version arménienne. Cf. E. Hautsch, Die Evangeliencitate
desOrigenes (tu xwn 2a. Leipzig, 1909): p. 112 s.

JoAX. 5, 19" {Th- princ. i, 2, (i : p. 35, 1 : Omnia quae fa cit pater, baec et fiiius
facit similiter.

Cf. Orioène, in Joan. xiii, 36 't .IV, p. 261, 23 : * y^/ ^^^'^ ~'^-7Î ''
"'^''^'ipî
-.tj-.x xvX
ô uîôs ôaofw; T.oiiî.

JoA>. 14, 23 {De princ. I, 1, 2; p. 17, 27) : Ego et pater veniemus et mansionem
apud eura faciemus.
Cf. OuiGÈNE, in .lerem. hom. a m, 1 (t. III, p. 55, 23 : ivô) zoà ô -a-rjo aou
iXz-j'JO'J.tOy. r.ooç (xÙtÔv y.x: aûvr^v nap" aùifo -otr,'j6;j-sfJa. (]f. HaltSCH, op. cit., p. 153 S.

Col. 3, 3 (Deprinc. ii, 6, 7; p. 146, 23 : Vita nostra abscondita est cum Christo
in deo.
Cf. OrigÈxe, in .Joan. xx, 39 (t. TV, p. 380. 30) : f^ rwir, fj^rov /.iv.^-jr.-nf. ajv tw
•/ptax(T) h Tw 0£w; in Matth. Com. XIl, 33; P. G., 13, 1057 A : f, Imt, y,;j.îov /.Éy.pj-Tat; in

Ep. od Hom. V, 10; P. G., 14, 1048 C : cum Christus manifestattis fuerit qui est vita
nostra abscondita in deo. Deprinc. iv, 4 (31> p. 354, 21, Koetschau lit la même
citation : vita vestra abscondita est cum Christo in deo. Les manuscrits de la classe a
ont nostra au lieu de vestra, c'est-à-dire la leçon habituelle d'Origène au lieu de la

leçon de la Vulgate. Nostra ne serait-il pas à rétablir dans le texte?

Rom. i, 1-4 {Deprinc. n, 4, 2 : p. 129. 12) : Paulus, servus lesu Christi, vocatus
apostolus, segregatus in evangelium dei, quod ante promiserat per prophetas suos
in scripturis sanctis de filio suo, qui factus est ei ex semine David secundum carnem
qui praedestinatus est fiiius dei in virtute secundum spiritum sanctilicationis ex resur-
rectione mortuorum lesu Christi domiui nostri.
Le plus-que-parfait promiserat, que porte le ras A. doit être préféré au parfait
'proinisit attesté par les mss Py : il est la leçon lue par Origène, in Ep. ad Hom. i, 4;
P. G. 14. 847 B. Mais Koetsghau accepte dans le texte la leçon qui pradestinatm
est. Les mss A et C lisent destinatus e.^f^ qui me semble meilleur. Oa lit en effet, in
LES CITATIONS BIBLIQUES DORICEXE. 131

Ep. ad Rom. i, 5; P. (/. 14, 8-19 À : observandum est enim quia non dicit : qui prae-
destinatus est filius dei iii virtute secunduni spirituin sanctificationis, sed qui desti-
natus est filius dei. Quamvis enim in latinis exemplaribus praedestinatus soleat

iaveniri, tanien secundum qiiod interpretationis veritas habet. destinatus scriptum


est, non praedestinatus. Cf. d'ailleurs Origè.ne, in Joan. \, 5, (t. iv. p. 176, 1) :

wpfaOr) yip -jib; Osou h ô-jvâ;j.i;.

Il serait très facile de multiplier tous ces exemples, et j'en ai


recueilli un grand nombre que je dois ici laisser de cùté. Il ressort
déjà avec une suffisante clarté de ceux qui viennent d'être cités que

f la

en
traduction de Kufin reproduit bien le texte biblique d'Origène et
est une version directe.
Au reste, il est possible de faire la contre-épreuve, et de mettre
les uns en face des autres les textes bibliques traduits par Rufin dans
le De principiis d'Origène. et les mêmes textes cités par Rufin dans
ses œuvres originales. Ici, sans contestation, Rufin devait se servir
de la version latine en usage dans son milieu; peut-être parfois citer
de mémoire, sans avoir un extrême souci de la littéralité. Ce qu'il y
a de siir, c'est que les deux séries de citations présentent de nom-
breuses variantes. Une comparaison complète est d'ailleurs difficile :

dune part, les œuvres originales de Rufin sont peu nombreuses,


celui-ci ayant été surtout un traducteur, ou un adaptateur d'au- — ;

tre part, nous n'avons pas encore de bonne édition de Rufin, et

nous sommes obligés de nous rapporter au texte publié dans la Patro-


logie de Migne, et qui est celui de Vallarsi. Voici cependant quelques
indications.

Ge!V. 49. 10.

Deprinc. iv, 1, 3: p. 290, 23. RuFix, De bened. patriar. i, Z\ P. L.


21, 303 B.

Non cessaturos principes ex luda neque Non deficiet princeps ex luda neque
duces ex femoribus eius, usquequo ve- dux de femore eius, usquequo veniant
niat ille cui repositum est, regnum scili- ea quae reposita sunt ;aut velut in aliis
cet, et usquequo veniat exspectatio gen- exemplaribus babetur : veniat cui reposi-
tium. tum est), et ipse est exspectatio gentium.

M.\L. ;], 3.

Deprinc. ii, 6. 10: p. 180. 20. Corn, in Syinb. Ap. 34; P. L. 21, 369
B. — 370 A.
Sedens dominus conflabit sicut aurum Ecce veniet domiuus omnipoteus et
et argentum populum suuni, conflabit et quis sustinebit diem adventus eius, aut
purgabit et fundel purgatos filios Inda. quis sustinebit aspectum eius? quia ipse
ingreditur sicut ignis conflatorii et sicut
berba lavantium, et sedebit conflaus et
purgans sicut argentum et sicut aurum.
.

132 UEVLE BIBIJOUE.

La citation de RuJin est beaucoup plus complète et beaucoup plus littérale. Même
dans les parties communes, il est facile de noter les diverirences des deux textes.

Lam. Jer. 4. 20.

De princ. ii, 6, 7: p. 14G, 12. Coin, in .<i/nil>. Ap. 19; P. L. 21. ;377 B.

.Spiritus vultus nostri Chiistus dominus. Spiritus vultus nostri Christus dominus,
cuius diximus quod in umbra eius vive- comprebensus est in corruptionibus no-
DKis in gentibus. stris, in quo diximils : sub umbra eius
Cf. Dr py/nc. iv. 3. lo 20 : p. :]44. 3. vivemus in seutibus.

Matth. 24. 27.


De princ. i. ô, -3: p. 77. 2. Coni in .<!/rnb. Ap. 34: P L., 21
371 C.

Sicut enim fulgur c .•nanmo caell ful- Sicut fulgur de Oriente resplendet usque
get usque 'jd ^^uriunum cacli. ita erit et in occidentem, ita erit adventus lîlii bo-
adventus (liii bominis. minis.

I Cor. 2. 10.

De princ. i. 3, 4 ; p. -33. Ki s. ApoL in Hier. i. 4 :/'./., 21, .344 A.

... Spiritus enim omnia scrutatur, etiam Et Spiritus sanctus est qui scrutatur
alla dei. etiam alta dei.
Cf. De princ. ii. î), .3 : p. IG!», 17.

I Cor. 15, 42-43.


De princ. m, 6, G; p. 2S.S. 30. Ap<d. in Hier, i, G; P. /.., 21. .34.5 C
Serainatur in corruptione. lesurget in Quia seminatur in corruptione, surget

incorruptione : seminatur in infirmitate. in incorruptione: semiuaturin ignominia.


resurget in virlutP: seminatur in ignobi- surget in gloria; seminatur corpus ani-
litate. resurget in gloria. male, surget corpus spiritale.
Cf. De princ. i, Praef. .3; p. 12, 5. Cf. Apol. in Hier, i, 7 ; P. L.. 21,-54fi B.
Apol. wl Anast. 4; P. L., 21, G2.5 B.
I Cor. 1.3, 31.
De princ. II, 10, 3; p. 17.5. 24. Com. in Sunib. Ap. 43; P. L., 21,
382 A.

O.nnes autem iramutabim'jr. Ecce mysterium vobis dico omnes :

quidem resurgemus, non omnes autem


immutabimur (sive ut in aliis exempla-
ribus invenimus omnes quidem dormi-
:

emus, non omnes autem immutabimur j.


I Cor. 1-3, .33.

De princ. ii, 3, 2; p. 1 1.3, 2. Com. in Si/ ml. A p. 4.5; P. I., 21. 384.

Necesse est autem corruptibile lioc in- Oportet enim corruptibile boc induere
duere incorruptionem et mortale boc in- incorruptionem et mortale lioo induere
duere immortalitatem. immortalitatem.
Cf. Apol. in Hier, t, 7: P. L.,, 21,
546 C.
II CoK. .5, 10.

De princ. m, 1, 21 : p. 237, 18. Com. in Sijmh. Ap. 34: P. L., 21,


372 A.
m:s citations bibliques dorigéne. 133

Omnes nos stare oportet aute tribunal Quia omnes nos stare oportet antt'

Cliristi, ut recipiat unusquisque nostrwn tribunal Christi ut recipiat unusquisque


per corpiis prout gessit, sive boiinm, sive propria corporis (ai. operis sui prout
malum. gessit. sive bona sive mala.

Phil. r. 23.
De pruic. I. 7, 5: p. !)3, 15. Apol. in Hier, i, 20: /'. A.. 21. -364 C.

Optarem euim rcsohi. vel redire (î Melius est reri-rti et esse cum Christo.
esse cnm Cliristo.

Cf. Di" jvinc. H. 11, ô; p. 18S, 1 :

desideriuni habens dissoloi et cuni Christo


esse.

Orioè.ve, in E.ccil. Iiorn. i. 4 P. (t.,

12, 301 B. desiderium habens dissolvi et


esse cura Christo.

1 Thess. 4. 17.

De princ. it, 1 1 . <> : p. ISD. 17. Coin, in Si/mb. Ap. 43; P. L., 21,
382 B.

Rapiemur in nubibus obviam Cliristo Simul cum iiiis rapiemur in nubibus


in aerem, et ita semper cuni domino obviam Christo in aéra, et ita semper
eriraus. cum domino erimus.

I Petr. 3. 18 s.

De priac. n. .5, 3; p. 13G. 1. Com. in Symb. Ap. 28; P. L., 21.


3G4 A.

Qiiia ChrisUis mortaas quidem carne, Quia Chrislus ///or/("^cr^f«s carne, \ivi-
vivillcatus autem spiritn; in qno pergens ficatus autem spiritu qui in ipso liabitat,
praedicavit his spiritibus. qui in carcere iis qui in carcere conclusi erant descen-
tcnehantur, qui incrediili fuerant ali- dit spiritibus praedieate qui increduli
(jujuio, eum exspectaret dei patientia fuere in diebus >'oe.
in diebus _\oe.

La comparaison des deu.ï séries sem])le décisive; et l'on ne com-


prendrait pas que Rufin, s'il se fût servi d'une version latine de la

Bible lorsqu'il traduisait Origène, n'eût pas adopté la même version


pour composer ses œuvres personnelles.
Il nous est maintenant permis de donner une conclusion générale

à ce long- et minutieu.x travail. Les citations bibliques du De prin-


cipiis ont étédirectement traduites par Hnfin sur le texte d'Origène;
et dans l'ensemble elles ont été traduites avec assez de soin pour que
l'on puisse reconstituer le texte même que citait le grand docteur
d'Alexandrie. Ceci n'est pas inditierent pour l'histoire de la Bible
gTecque, non seulement du Nouveau Testament, mais des Septante.
On sait qu'au début du iv' siècle Hésychius composa à Mexandrie
134 RETVXE BIBLIQUE.

une nouvelle recension des Septante (1;. On admet qu'Origène ne fit


jamais semblable travail, et, dans le domaine de la critique textuelle
se borna à rédiger ses formidables llexaples Ne trouve-t-on pas ''-2
.

cependant chez lui des leçons déjà proprement alexandrines? et


dès le m" siècle n'existait-il pas en Egypte une recension locale de la

Bible grecque? Un si grand nombre des œuvres d'Origène, surtout


dé ses commentaires ou de ses homélies scripturaires. qui nous
seraient si précieuses, n'existent plus quen latin dans des traductions
de Rufm, et il était utile d'examiner de près dans quelle mesure

nous pouvons nous fier à ces traductions, pour y retrouver non pas
seulement la pensée, mais les termes mêmes de la Bible origénienne.
Si Rufîn a bien traduit les citations du De principiisy celle de ses
publications qui lui a été le plus violemment reprochée, on a le
droit de lui faire plus facilement crédit lorsqu'on étudie ses autres
ouvrages 3;.

D'autre part, il n'est pas sans importance de rendre à Rufin


d'Aquilée la justice qui lui est due. Nous n'avons pas essayé d'exa-
miner ici de sa traduction du De principiis. Le travail
la valeur
d'ensemble a été par M. Koetschau qui examine en détail les
fait

relations entre les parties conservées du teste grec et la version la-


tine de Rufin. De cette comparaison résulte, comme on pouvait s y
attendre, un verdict assez sévère. Rufin, dont la connaissance du grec
était assez médiocre, paraphrase souvent au lieu de traduire; il
explique, abrège ou allonge à sa guise. U a fait trop rapidement,
sans assez de soin, une œuvre qui aurait dû être conduite avec mi-
nutie. Cependant, on ne saurait accuser Rufin de malhonnêteté. 11
a traduit Origène, ou il a cru le traduire, de son mieux. Ses adver-
saires, premier, ne l'ont pas ménagé
saint .lérome le peut-être :

ont-ils manqué vis-à-vis de lui d'impartialité. Nous ne pourrions, en


toute justice, comparer la traduction de Rufin avec les fragments
du De principiis que traduit saint Jérôme dans sa lettre à Avitus, ni

(1) Cf. II. B. Sn\ete, An introduction to l/ie old Testament in cjreeh, Cambridge, 1900,
p. 78 ss.
(2) Cf. H. B. SwETE, op. cit., p. 59 ss. ; B. Bakdemiewt.r, Gescldchte der althirchlichen
Literatur, II ' (Fribourg, 1903), p. 84 s.

(3) Ce qui esl dit dans ce paragraphe s'applique à bien plus forte raison au texte du
Nouveau Testament. Si Origène n'a pas fait pour le X. T. le travail de revision qu'il avait
accompli pour les LXX (cf. in Matth. XV, 14; P. C, 13, 1293;, il a souvent noté ou discuté
des leçons divergentes et surtout il a été amené à choisir dans ses commentaires ou ses
;

homélies un texte donné. Cf. E. jACQtiER, Le Xouveav Testament dans l Eglise chré-
tienne, 1. II (Paris 1913), p. 373 s.: E. Preuschen, Bibelcitatc bei Origenes, Zeitschrifi
fur die Xeu testamentlische Wissenschaft, 1903.
LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGENE. 135

même ;ivec les fragments que cite Justinien dans sa lettre à Mennas.
Des passages trop courts, isolés de leurs contextes, peuvent être in-
terprétés de toutes les façons. Saint Jérôme, comme Justinien étaient
pour Origène des accusateurs sans pitié. Ils oubliaient facilement les
déclarations du Docteur d'Alexandrie dans la préface du De principiis,
sa distinction fondamentale entre la prédication ecclésiastique, le
dogme qui doit être reçu par tout le monde, et les opinions libres

sur les passages discutés. Ils citaient sans atténuation des textes que
peut-être Origène commentait et expliquait en détail. Peut-être
M. Koetschau a-t-il trop volontiers suivi leur exemple en introduisant
parfois dans du De principiis, au milieu de la traduction de
le texte
Rufin, une phrase malsonnante empruntée à la lettre à Avitus, ou
aux anathématismes du cinquième concile œcuménique. Rufin faisait
le contraire, et adoucissait autant qu'il le pouvait la pensée d'Origène
pour la rendre acceptable à ses lecteurs latins en quoi il avait tort.
:

Il traduisait ce}>endant les passages bibliques sont exactement rendus;


:

ils sont bien à leur place, et sauf un nombre infime ne sont ni ajoutés
ni retranchés.
Cette constatation valait d'être faite. Il reste à souhaiter qu'un
historien reprenne de plus haut et de plus loin une étude d'en-
semble sur Rutin. Cet esprit médiocre, mais ce bon travailleur, mérite
bien la reconnaissance de ceux qui lui doivent de pouvoir lire encore,
si imparfaitement que ce soit, le De principiis d'Origène.

>«oveiiibre 1918.

Gustave Bardv.
MÉLANGES

UN EPISODE DUN EVANGILE SYRIAQUE ET LES CONTES DE L'LNDE

l.E SKRPEM INGRAT. — LKM ANÏ ROI ET JLT.E.

Il faut que nous nous acquittions aujourd'hui d'une vieille dette,


dont la libération de la Belgique nous permet enfin de faire parvenir
le nnontant à destination.
En 191 i. peu avant la guerre, notre excellent et distingué ami. le
R. P. Paul Peeters, Rollandiste, faisait paraître son curieux volume.
Les Évangiles aj)ocri/phes. — V Évangile de l'Enfance. Rédactions
syriaques, arabe et arméniennes, traduites et annotées iX)^ et, dans
V Introduction (p. vii), à propos d'un épisode des rédactions syria-
ques, il annonçait que nous donnerions à la Revue lUblique une
« note >', traitant de Tépisode en queslion.
Cette note, quelque peu développée, nous la publions au lendemain
de la victoire, et le R. P. Peeters va pouvoir la lire dans son Bruxelles
délivré.

Il y a une quarantaine d'années, le grand dictionnaire allemand


de théologie catholique, le Kirche7ilexikon, dit de Wetzer et Welte,
résumant ce que l'on savait alors de l'Apocryphe intitulé l'Évangile
de fEnfance du Sauveur, constatait qu'on ne connaissait cette pro-
duction hérétique que par un texte arabe, publié en 1(597 par H. Sike ;

il ajoutait qu'à en juger par certaines particularités de la langue, ce

texte arabe devait dériver d'un texte syriaque '2). Maintenant le fait

est certain : le texte syriaque a été découvert, en 1890, dans la Méso-

(1) Paris, A. Picard, 1914.


(2) Vol. I M880), col. 1074.
MÉLANGES. 137

potamie, à Alkùsli vil.iyet de Mossoul), par M. E. A. Wallis Budge, et

ce savant Ta publié, en 181)9, accompagné d'une traduction anglaise,


après l'avoir coUationné avec le texte d'un autre manuscrit syria<|ne,
appartenant à la Société Asiati([ue de Londres (1).

On possède donc actuellement, pour YÉvangile do l'Enfance, une


rédaction syro-arabe, que le R. P. Peeters a constituée, en notant
soigneusement, sur la traduction du texte arabe de Sike, les variantes

fournies par les deux manuscrits syriaques.


D'après le Kirchenlexikon, cet Évangile de l'Enfance a toujours
joui d'un grand crédit chez les nestoriens, en Syrie et aussi en Perse
et en Egypte. Et un que signale le P». P. Peeters, la condamna-
fait

tion qui a été portée contre cet Apocryphe par l'archevêque de Goa
<à la fin du xvi'^ siècle (condamnation sur laquelle nous reviendnmsj

montre que ce prétendu Évangile avait pénétré dès avant cette époque
dans l'Inde chez les chrétiens du Malabar.

Cest seulement dans deux manuscrits syriaques que se ren


les
contre l'épisode dont nous avons à nous occuper (-2 Si le Kirclu^n- i.

lexikon l'avait connu, il l'aurait rangé parmi les historiettes « dans


lesquelles l'imagination orientale se donne libre cours et va jusqu'à
l'absurde ». Mais notre épisode peut, du moins, être le point de départ
de recherches qui, pour notre part, ont été loin de ne nous avoir rien
appris.
Notons d'abord que, pour ce qu'on peut appeler son introduction,
le récitsyriaque a toute une partie commune avec l'arabe (p. 50) :

l'Enfant Jésus rassemble autour de lui les petits garçons du pays et


ils le font leur roi :

Ils étendirent leurs vêtements par terre, et Jésus s'assit dessus. Ils lui tressèrent
une couronne de ilaurs et la lui posèrent sur la tête en guise de diadème. Et ils se

placèrent autour de lui, à droite et à gauche, comme


des chambellans qui se tiennent
aux côtés du roi. Et quiconque passait par la route, les petits garrons l'attiraient de
force et lui disaient Venez, prosternez-vous devant le roi, et puis poursuivez
: o.

votre chemin ».

Vient ensuite 'pp. 51-53 , —


très longuement racontée dans l'arabe,
abrégée dans les deux manuscrits syriaques, —
l'histoire dun enfant,

Introduction du R. P. Peelers, p. v.
(1)
("et épisode n'existe ni dans l'arabe ni dans une rédaction arménienne, publiée
(2)
inlégralenient pour la première lois en 1898 {fntrocl.. p. wim, et dont le R. P. Peeters
donne la traduction.
138 IlEVUE BIBLIQUE.

mordu pat- un serpent, et qui, emporté par ses parents, est guéri par
le petit roi. auprès duquel il passe.
Dans un autre chapitre, qui suit immédiatement dans les deux
manuscrits syriaques et que ne donne pas larabe, tigure encore un
serpent, et il semblerait qu'une sorte d.'at(raciion a juxtaposé cette
seconde histoire de serpent à là première; mais, intercalée ou non
dans le récit primitif, elle est la seule des deux qui mérite d'être
examinée, en même temps que leur commune introduction,

Ua homme arriva de Jérusalem. Les enfants allèrent à Jiii et l'arrêtèrent en


disant : « Venez saluer notre roi ». Quand cet homme arriva, Jésus remarqua qu'un
serpent était enroulé autour de son cou, et tantôt le suffoquait, tantôt lâchait prise.
Jésus lui dit : « Depuis combien de temps ce serpent est-il à votre cou? » II hii dit :

« Depuis trois ans ». tombé sur vous? » L'homme dit


Jésus lui dit : n D'où est-il :

« Je lui ai fait une belle et bonne action, et il m'a rendu le mal ». Jésus lui dit :

« De quelle façon lui avez-vous fait le bien et vous a-t-il rendu le mal? » L'homme
dit : « Je l'ai trouvé en hiver, raidi de froid. Je le mis dans mon sein et, arrivé à
la maison, je le déposai dans une cruche de terre, dont je fermai l'ouverture. Et,
quand j'ouvris la cruche pour l'en retirer, l'été venu, il se jeta autour de mon cou
et s'y enroula. Il me tourmente, et je ne parviens pas à m'en délivrer ».

Jésus* dit : « Vous avez mal agi et lui avez fait tort, sans le savoir. Dieu a créé

le serpent dans la poussière, pour y vivre et avoir alternativement froid et chaud.


Que ne poussière, comme Dieu l'a créé? Mais vous
l'avez- vous laissé vivre dans la
l'avez enfermé dans une cruche, sans nourriture. Vous avez mal agi à
emporté et

son endroit ». Et .lésus dit au serpent « Descends de dessus cet homme et va-t'en :

vivre sur le sol ^k Et le serpent se détacha du cou de l'homme. Et cet homme dit :

u Eu vérité, vous êtes roi, le roi des rois, et tous les enchanteurs et tous les esprits

rebelles reconnaissent votre empire >-.

deux parties
Cette bizarre petite histoire peut se diviser en :


Un homme prend chez lui un serpent, raidi par le froid,
auquel il veut sauver la vie; le serpent se montre ingrat, non point,
sans doute, en tuant Thomme, mais en le tourmentant;

L'affaire se trouve portée devant lEnfant Jésus, jouant le rùle
de roi et de juge. Le petit roi donne tort à l'homme, tout en le
débarrassant du serpent.
y a là tine combinaison de deux thèmes folkloriques, le thème
Il

du Serpent ingrat et le thème de YEnfaiU roi et juge. Nous aurons à


prendre successivement ces deux thèmes et à en rechercher les
éléments d^ns l'épisode de l'Apocryphe syriaque.
MÉLANGES. 139

CHAPITRK I

Le Serpent i.\(iRAT.

In thème qui se rencontre fréquemment dans le folklore de l'Inde,

c'est le thème du Serpent sauvé, thème qui a deux branches :

r Le serpent se montre reconnaissant envers son bienfaiteur;


2" Le serpent se montre ingrat.
Naturellement, nous n'avons à nous occuper ici que du Serpent
ingrat. Nous en examinerons deux formes, qui se trouvent, l'une
et l'autre, dans les Fables de La Fontaine et qui, chose curieuse,
se réunissent en partie dans l'historiette syriaque.
L'étude de ces deux formes, bien distinctes, fera, dans le présent
travail, l'objet de deux Sections, que nous désignerons par les noms
de deux personnages, aussi peu historiques l'un que 1 autre, Esope
et celui que La Fontaine appelle < Pilpay, sage indien ••
1 .

SECTION A

L.\ bAlîLE ÉSOPIQUE.

Le commencement du Apocryphe syriaque, tout le monde


récit de l"

l'a reconnu c'est celui de la fable de La Fontaine Le Villageois et


:

le Serpent (livre V, fable xiii), laquelle, d'après La Fontaine lui-


même, est une fable ésopique (2). Serpent raidi par le froid (j-r:";
/.z'jzj ~t-r,\'z-x\ gela rigentem, dans Phèdre); paysan qui le trouve

et le réchauffe dans son sein Jzb 7.;A-bv îhi-.z- hi^'j.y:/Hv.z lï ïy.-J.'izz...\

simifjue fovit), voilà bien le syriaque; mais un dénouement tra-


gique termine brusquement la fable : dès que le serpent est réchaulfé,
il se jette sur l'homme, qu'il mord et fait périr.

Donc, ici, à la ditlérence du syriaque, pas de contestation à juger


entre les deux acteurs du petit drame, l'un étant immédiatement
supprimé. C'est la victime elle-même qui s'accuse et qui con-
damne sa folie : « J'ai ce que j'ai mérité : pourquoi ai-je eu com-
passion d'un méchant » [3)'l

(1) Avertissement de lauteur, en tt-le du Second Recueil de fables ', publié en 167.S

et comment ant par le livre VII.


(2) Fabulœ xsopic^c colleclx, éd. C. Halm (Leipzig, 1872), n°* 97 et 97*. — Phèdre,
lib. IX, fab. XVI. — L'éditeur des Fables de La Fontaine, dans Les Grands Ecrivains
de la France, M. Henri Régnier, donne, à ce sujet, bon nombre de renseignements.
3) Dansl'hedre, par »ne invraisemblance un peu trop forte, c'est le serpent lui-même
([ui fait une rcllexion analogue. In autre serpent lui ayant demande quelle était >< la cause
140 REVUE BIBLIQUE.

coiume dans le syriaque, un jui^ement, un vrai juiie-


Poui' avoir,
ment. rendu par un tiers entre riiomme et le serpent, il faut arriver
à la seconde forme du thème du Serpent ingrat, à celle de « Pilpay »,
dans laquelle, —
toujours comme dans le syriaque, l'homnie —
n'est pas tué, mais torturé par le serpent, qui s'enroule autour de
son cou. Et cet intermédiaire nous amènera au thème de V Enfant roi
et juge, que le syriaque adapte à ce thème du Serpent ingrat.

La seconde forme du thème du Serpent ingrat et le thème de Y En-


fant roi et juge sont incontestahlement indiens on le verrra. La :

forme dite « ésopique » le serait-elle également? Il n'y aurait là rien


d'impossible.
Mais, objeclera-t-on, l'Inde est un pays tropical, et ce serpent
raidi par le froid?... L Inde est aussi, on l'oublie trop, le pays de
l'Himalaya, ce « Séjour de la neige », comme le dit son nom (1).

Avant d'aller plus d un auteur de


loin, ouvrons un vieux livre,

la fin du xiv' siècle, la Simima Pr.edicantiuni, du Dominicain anglais


Jean de Bromiard, et voyons comment, d'après diverses sources,
est racontée notre fable (2j :

Un homme, creusant la terre en hiver, trouva un serpent, comme mort de froid


{quasi frifiore mortuuiin dans son trou {in cnmcvà sua. Pris de pitié, il le porta près
du feu et le réchauffa, ou. selon quelques livres (s'culi aliqui habent Uhri], il le

mit dans son sein pour le réchauffer.

Une fois réchauffé, le serpent mord l'homme, et à la plainte de


celui-ci il répond qu'il obéit à sa nature, laquelle ne connaît pas la

reconnaissance Sic natura docet, quœ grates solvere nescitj (3).

de son forfait » (causam facinoris), il répond : « C'est pour qu'on apprenne à ne pas
rendre service aux méciiants {?>'p. qnis discat prodesse improbis). « —
Quant à La Fon-
taine, il a changé du tout au tout dénouement
le ce n'est pas le serpent qui tue l'im-
:

prudent villageois ; c'est le villageois qui, à coups de hache, tue le serpent ranimé et
devenu agresseur. Et la fable finit par cette réllexion consolante sur les ingrats :

« .... qu'il n'en est point


(^)ui ne meure enfin misérahle ".

Dans une des Monoijraplties folkloriques, en cours de publication dans la Revue


(1)
des Tradilions populaires, nous avons étudié assez longuement celte question du froid
et de la neige dans l'Inde [Le Sanrj sur la neige, année, f915. pp. 16i et suiv.).

(2) Joannes de Bromiard, Summa Prccdicantium (éd. de Lyon. Iô27}, ('•. IlII. Grati-

tvdo, 17.

3) Dans sa Ballade WXVI, dont la source parait être la même que celle de lEjem-
plum de Bromiard, le poète Eustache Deschamps (mort en 1422) a aussi le paysan qui
<c cavait [creusait] terre » et qui trouve un serpent u ainsi que mort » KKuvres complètes,
Paris, 1878, I, p. 120).
.MI::L\>{GES. lil

Ce serpent, engourdi dans son trou pendant Tliiver, c'est, dans


Broniiard, —
ou plutôt dans la version de la fable reproduite par
le vieux Dominicain, —
un trait parfaitement observé des mœurs
des serpents, dans l'Inde comme d'ailleurs. xXous avons, à ce sujet,
l'avantage de pouvoir citer une autorité de premier ordre.
Consulté par nous, M. Louis Roule, professeur au Miisrinn cV His-
toire naturelle, a bien voulu nous donner d'intéressantes précisions :

« Les serpents, dans les pays tempérés et les régions montagneuses


des pays chauds, sont souvent des animaux hibernants. Beaucoup
deviennent inertes sous Faction du froid, même modéré, ne man-
gent point et ne se meuvent plus. Ils se pelotonnent sous un abri,
et attendent là le retour des jours tièdes. Si on les prend en cet état,
et si on les place dans un lieu chaud (au voisinage d'un feu de che-
minée, par exemple, ou d'un poêle), le résultat obtenu est semblable
à celui du retour de Tété; leur léthargie s'atténue, et ils redeviennent
capables de se mouvoir «.

Examinant, à notre demande, la fable de La Fontaine, et notam-


ment les vers qui montrent le Serpent
... Sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N'ayant pas à vivre un quart d'heure,

>L Moule continue ainsi : « La fable de La Fontaine exprime con-


venablement le fait, si on la dépouille des amplifications ([u'ellc

contient : sur la neige étendu, — en temps de neige, les serpents

sont déjà terrés, et incapables de sortir de leurs trous; —


nai/ant
pas à vivre un quart d'heure, — le phénomène d'engourdissement
par normal; seul un refroidissement prolongé et intense,
le froid est

qui serait causé par un accident, pourrait tuer l'individu. »


L'Inde, dit ensuite M. Boule, est riche en serpents. Le Catalogue
de Boulenger {Fauua ofBritis.li India. Reptilia and Batrachia, Lon-
dres, 1890) en mentionne 20 i espèces. Beaucoup d'entre elles habi-
tent les massifs montagneux, où la plupart, comme celles de notre
pays, subissent les alternatives saisonnières d'un engourdissement
passager et d'un retour à la vie active. »

Voilà ce que nousapprend un savant naturaliste.


S'il fallait traiter une fable comme un document histori([uc,

serait-ce se montrer trop pointilleux que de risquer, tout au moins à


l'occasion de la fable de Bromiard, cette réflexion, en apparence
142 REVUE BIBLIQUE.

paradoxale : réellement rendu service au serpent?


l/homme a-t-il —
A vrai dire, faire sortir trop tôt un serpent de son engourdissement
hibernal, c'est agir en imJ>écile. A un pareil imbécile le serpent
doit-il de la reconnaissance ?
Finalement, la solution que le syriaque donne de ce cas, est-elle
si mauvaise? il fallait le laisser tranquille.

Mais nous n'en avons pas fini avec lïnde.


Un djdtaka, — un de ces récits se rapportant aux faits et gestes

du Bodhisattva (c'est-à-dire du futur Bouddha, du Bouddha in fieri)^

dans ses innombrables existences successives, — est, lui aussi, une


histoire de serpent ingrat. Ce djdtaka est le 'i-:}" dans grandle recueil
canonique du bouddhisme du sud, rédigé en langue palï; nous on
devons une traduction, serrant le texte de plus près que la traduction
anglaise du recueil, à l'obligeance de notre ami tant regretté, le

grand indianiste Auguste Barth, membre de l'Institut.

Le Bodliisattva était jadis un ascète dans l'Himalaya et avait réuni autour de lui
cinq cents |
c'est le chiffre ordinaire pour dire un grand nombre] autres ascètes, ses
disciples. Un de ceux-ci était d'un caractère intraitable. Ayant trouvé un serpent, il

le recueillit, le logea dans un creux de bambou (1), le nourrit et le chérit comme


un fils. De là, le serpent reçut le nom de Veliika. « Petit Bambou » (2), et l'ascète

fut nommé Veiii/nipilà, « le Père de Petit Bambou ».

Le Bodhisattva, l'ayant appris, essaya de l'en dissuader : « il ne faut jamais se fier

à un serpent. — Mais je l'aime comme un fils; je ne saurais me passer de lui. —


Soit; mais sache qu'il t'en coûtera la vie. »

Quelque temps après, étant allé dans la forêt, avec les autres ascètes, et y étant
resté quelques jours, il voulut, au retour, donner sa nourriture au serpent, qui devait
avoir taira. « Viens, mon cher fils, viens manger: » Ce disant, il mit la main dans le
récipient. Le serpent, irrité d'avoir jeûné, le mordit, et l'ascète mourut.

Dans l'Apocryphe syriaque, riiomme, qui n'a mis qu'un instant —


le serpent « dans son sein » et n'a nullement essayé de le réchauffer,
— le dépose, en rentrant à la maison, dans une cruche de terre, et
c'est de cette cruche qu'il retire, l'été venu, l'animal ranimé par la
bonne saison, lequel aussitôt se jette sur lui et s'enroule autour de
son cou.
Le creux de l)ambou, c'est la cruche de terre du syriaque; mais

(1) Les segments creux du bambou, entre deux nœuds, servent de récipients pour divers
usages {Xote de M. Iktrtli).
(2) Velu, en pâli (sancrit venu), « bambou , avec le suiïixe ha, qui a souvent le sens
d'un diminutif (A', de M. Barlh).
MÉLxVNGES. 143

il y a plus ressemblant encore, et toujours dans l'Inde, témoin cer-


tain conte, recueilli par l'un des hommes qui connaissent le mieux le
folklore indien, notre ami M. W. Crooke. dans le district de Bijnour
(Provinces Nord-Ouest) (1). Là, un prince, forcé par son père de se
séparer d'un serpent, qu'il a apprivoisé et qu'il aime beaucoup,
prend « un pot, dans lequel il avait l'habitude de le tenir », et
l'emporte dans la jung-le, où il met le serpent en liberté. Dans ce
conte, le serpent se montre reconnaissant.

SECTION B

LA I AI?LE DE « PIL1»AY, SA(.K INDIKX ».

Nous arrivons à la seconde forme du thème du Serpent ingrat,


dans laquelle le serpent. —
ing-rat, ici, ])el et bien, enroule — >i

autour du cou de son bienfaiteur, tout comme le serpent de l'Apo-


cryphe. Et, en même temps, dans cette seconde forme, ce qui —
n'est pas insiirnifiant; car nous retrouvons, encore ici, l'Apocryphe,
— il y a un procès à juger entre l'homme et le serpent.

Ce thème, très intéressant, se rencontre dans une des fables que


La Fontaine déclare " devoir » à « Pilpay, sage indien » {loc. cit.),
la fable de V Homme et la Couleuvre (livre X, fable ii La traduction .

française que La Fontaine avait sous les yeux, peut se résumer


ainsi (2) :

Un homme, monté sur un chameau, traverse une forêt, dans laquelle un incendie
a été allumé par l'imprudence d'une caravane. Du milieu des flammes, une cou-
leuvre [un serpent venimeux, dans le texte original] le supplie de lui sauver la vie.
« Sans doute, se dit le voyageur, ces animaux sont les ennemis des hommes : mais

JSorth Indian Notes and Queries, janvier 18U6, n° 47:>.


(1)
L'ouvrage auquel La Fontaine a fait les emprunts, dont il parle dans son Areriissc-
(2)

ment, est intitulé Livre des Lumières ou la Conduite des Roijs. composé par le sage
Pilpaij, Indien, traduit en français par David Sahid d'Ispahan. A Paris, chez Siméon
Pirjet, IG-ki. C'est la traduction (faite, en réalité, par l'orientaliste Gaulmin) d'un livre
persan, qui a été traduit plus littéralement, en anglais, de nos jours, par Edward B. East-
wick, sous de Tiie Anvur-i Suhaili, or the Lighls of Canopns... (Hertford, 1854).
le titre
— Au sujet de la table de La Fontaine et de son original oriental, on trouvera un grand
nombre de notes, rapprochements, etc., dans le commentaire de M. Henri Régnier sur
l'Homme et la Couleuvre (édition mentionnée plus haut); dans les liemarqiies de
M. René Basset sur un conte berbère Contes populaires berbères, Paris, 1887, pp. 140-
144); dans la Bibliographie des auteurs arabes, de M. Victor Chauvin, fascicule II (Liège,
1897), pp. 120-121; dans l'antschatantra, de Théodore Benfey Leipzig, 18.VJ), Introduc-
tion, g 36; dans l'édition des Gesta Romanoruiii, de llermann Oesterle.\ (Berlin, 1872 1,

p. 741, notes sur le n° 174. —


Nous aurons aussi occasion de mettre a prolit nos recherches
personnelles.
14i. REVLiE BIBLIQUE.

aussi les bonnes actions sont très estimables, et quiconque sème la graioe des bonnes
œuvres, ne peut manquer de recueillir le IVuit des bénédictions. » Cette réflexion
faite, il prend un sac, et, l'ayant attacbé au bout de sa lance, il le tend à la cou-

leuvre, qui se jette aussitôt dedans. L'homme retire le sac et en fait sortir la cou-
leuvre, lui disant qu'elle peut aller où bon lui semble, pourvu qu'elle ne nuise
plus aux hommes, après en avoir reçu un si grand service.

Le serpent répond qu'il ne s'en ira pas de la sorlc et qu'auparavant


il veut « jeter sa rage sur riiomnie et sur son chameau ». Alors,
sms que le serpent mette à exécution sa menace, s'engage, entre
lui et son libérateur, un débat qui, on le verra, sera soumis à des
arbitres.
Il y a ici, dans cet arrangement persan d'un conte indien, une
lacune, qu'un conte, faisant partie d'un livre arabe, nous permet de
combler (1). Dans ce conte, dérivant évidemment de la même source
que le conte porsano-indien, et dont Tintrodiiction est toute sem-
blable (serpent au milieu du feu. appelant à son aide; sac an bout
d'une lance, etc.), le serpent délivré « s'enroule autour du cou de >^

son libérateur, et alors vient le débat.


La forme primitive ainsi rétablie, nous reprenons le résumé du
« Pilpay » de La Fontaine :

En réponse à la menace du serpent, l'homme lui demande « s'il est permis de


récompenser le bien par le mal ». Le serpent ayant répliqué que c'est là précisé-
ment ce que les hommes fout eux-mêmes tous les jours, la question est portée devant
des arbitres, une vache d'abord, puis un arbre; et tous les deux répondent qu'ils
savent, par expérience, combien les hommes reconnaissent mal un bienfait reçu.
Alors l'homme propose au serpent de « prendre pour juge le premier animal qu'ils
rencontreront ("2). »

Un renard, qui passe par là, est prié de mettre fin au dilVérend. L'homme lui ayant
raconté de quelle manière il a retiré le serpent des llammes, au moyen du sac, qu'il

exhibe, le renard déclare que cela est impossible. <; Si le serpent veut entrer dans
ca petit sac pour me convaincre, ajoute-t-il, j'aurai bientôt jugé votre affaire. — Très
volontiers, » dit le serpent, et, en même temps, il rentre dans le sac. Alors le re-

nard dit à l'homme : « Maintenant tu es maître de la vie de ton ennemi. »

L'homme aussitôt lie le sac et le frappe tant de Ibis contre une pierre, qu'il as-

somme le serpent.

Le serpent sauvé dans un de ces incendies de forêts qui, parait-il,


sont fréquents dans l'Inde, est, le plus souvent, dans le folklore

(1) Le conte en quesllon a été extrait par M. Aug. Cherbonneau d'un livre arabe, sans
nom d'auteur, dont le titre signifie Le Conteur (l'anecdolcs, ou Délassements des
esprits et des dmes [Journal Officiel, n" du 1" août 188ii).

(2) A propos de ces arbitres, feu l'abbé J. A. Dubois, missionnaire dans l'Inde, fait cette

remarque « ("est la coutume, parmi


: les Indiens qui se querellent, de prendre le premier
venu comme arbitre de leur différend. » [Le Pantclia-Tantra, Paris, 182G, p. :Ji2.J
MÉLANGES. U5
indien, un serpent qui se montre reconnaissant; mais nous n'avons
pas à nous engager ici dans l'étude de ce thème, du Serpent recon-
naissant, quelque curieux qu'il puisse être.
Dans « », un petit trait a été ajouté au thème général du
Pilpay
Serpent sauvé du feu, le « sac », que Thomme attache au bout de sa
lance et dans lequel se jette le serpent. (D'ordinaire, le serpent
s'enroule autour du bàfon que hii tend son libérateur.) On a remarqué
que ce sac prépare le dénouement, la ruse du renard, la délivrance

de l'homme et le châtiment du serpent ingrat. Tout, du reste, dans


le conte persano-indien, est parfaitement agencé, et l'intérêt qui
s'attache à l'homme,
menacé, va croissant jusqu'au salut imprévu
si

(ju'amène l'intervention du renard (1).

Dans cette l'homme et le serpent, on dirait que l'auteur


affaire entre
de l'Apocryphe La Fontaine se sont donné le mot pour prendre
et
parti en faveur du serpent contre l'homme; mais leurs arguments sont
tout différents. L'auteur de l'Apocryphe, quicombine Ésope avec '< >»

« Pilpay reproche à l'homme, on se le rappelle, d'avoir porté


», fait

préjudice au serpent, en troublant à son égard l'ordre de la nature.


La Fontaine, —
opérant seulement sur « Pilpay », fait de la fable —
du Serpenf* ingrat une fal)le de Y Homme ingrat. Il traite son original
indien comme il fait traiter le serpent par le « villageois » de son autre
fable, imitée d'Ésope : il lui coupe « queue » et « tète ». Plus de
renard; pas davantage d'incendie de forêt, auquel le serpent échappe,
grâce à l'homme. L'homme, chez La Fontaine, '< voit » un serpent,
et il veut tuer la méchante bête. Le serpent, bonnement, « se laisse
attraper » et, non moins bonnement, « mettre en un sac » ; car La
iontaine n'a pas supprimé le sac de « Pilpay », et l'homme s'en va,
promenant le serpent dans ce sac, d'arbitre en arbitre, de la vache au
bœuf, du bœuf à l'arbre, jusqu'à ce que... Mais n'anticipons pas.
Résolu de tuer le serpent, l'homme lui fait préalablement une
« harangue », laquelle va être le point de départ d'autres harangues,

en sens contraire au sien, faites par le serpent, puis par les divers

Le sac se retrouve dans un conle indien du Pantchtantra en langue tamoule. traduit


1)

par l'abbé Dubois [op.cit., p. 63), où un crocodile tient la place du serpent. Ce crocodile,

apprenant qu'un certain brahmane, qu'il rencontre, va faire le pèlerinage sacré du Gange,
le prie de \'\ transporter, parce que, dit-il, la rivière où il vit est souvent à sec. Le
braiimane, par compassion, l'y transporte « dans son sac de voyage {sic) ». Suit l'ingrati-
tude du crocodile; puis la vache et l'arbre (un manguier) arbitres, et enfin la ruse du
renard, qui fait rentrer le crocodile dans le sac.
RKVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 10
146 REVUE BIBLIQUE.

pour convaincre les humains d'ingratitude foncière. Finale-


arbitres,
ment l'homme, « voulant à toute force avoir cause gagnée » :

a Je suis bien bon. dit-il, d'écouter ces gens-là! »

Du sac et du serpent aussitôt il donna


Contre les murs, tant qu'il tua la béte.

Bref, de la fable indienne il ne reste, avec le sac. que les disser-

tations plus ou moins philosophiques, un assemblage de « pièces


d'éloquence, hors de leur place »,... hélasl oui, hors de leur place;
car ce sont des variations sur le thème de l'ingratitude, dans un récit
où personne, ni le serpent ni l'homme, n'a fait acte d'ingratitude, et
où tout l'édifice oratoire est bâti sur cette apostrophe « Symbole des :

ingrats,», lancée, on ne sait pourquoi, par l'homme au serpent, et


immédiatement renvoyée par celui-ci à son auteur :

« Le symbole des ingrats.

Ce n'est pas le serpent, c'est riionime ».

Dans La Fontaine, toute Y orientation de la fable est changée, et les


sympathies vont à ce pauvre serpent, si méchamment mis à mort par
l'homme, par le représentant de ce genre humain, convaincu d'ingra-
titude envers tous les êtres de la nature. —
Taine. qui le constate en
V applaudissant (1), morigène « Pilpay » à propos du « commen-
cement » de son récit (la compassion de l'homme à l'égard du
serpent, et l'ingratitude de celui-ci " Peut-on, dit-il gravement,
i.

plaindre la couleuvre et s'indigner de la tyrannie «le l'homme, quand


on a lu ce commencement? » Aussi, d'après ïaine, La Fontaine a-t-il
très bienfait de « retrancher le maladroit début du conteur indien »
[o'p. cit., p. 272). Ni critique, ni poète, ne paraissent avoir distingué,
dans la fable indienne, ce qui en est le motif générateur, cette étrange
charité des Hindous envers tout être vivant, qui inspire à riiomme,
dans « Pilpay », ses réflexions sur les mérites qu'on acquiert à sauver
la vie, même d'un serpent (âV

(1) La Fontaine et ses fables, p. 205.


'2) Une remarque accessoire peut être de quelque utilité. Le folklore hindou ]irésente,
à côté du thème du Serpent ingrat (ou plutôt, ainsi qu'on le verra, de l'Animal ingrat\
le thème de l'Homme ingrat; mais il sagil là d'une ingratitude véritable, de l'ingralitudc

d'un certain homme à l'égard d un autre homme, véritablement son bienfaiteur. Il ne s'agit
nullement des prétendus « bienfaits », dont la vache, dans La Fontaine, s'attribue le
mérite, « bienfaits « qui, de la part d'êtres comme les vaches ou les arbres, n'ont abso-
lument rien de libre et, par suite, n'ont le droit de réclamer aucune reconnaissance. On
peut citer, à ce sujet, le conte du Panlchalaatra, La reconnaissance des animant et
l ingratitude de l'homme Un paysan tire d'une fosse, dans laquelle ils sont tombés,
:

plusieurs animaux (dont un serpent) et entln un homme. Les animaux, chacun à sa


MÉLANGES. 147

["n certain nombre de contes indiens, tout en étant du type de


<( Pilpay » pour l'ensemble du récit,remplacent le serpent par d'autres
animaux sauvages (tigre, lion), pris au piège et délivrés par un pas-
sant. Le rôle du renard est joué parfois par un chacal, parfois (chez
les Laotiens) par un lièvre, animal regardé dans llndo-Chine comme
très rusé.
Le conte du Laos mérite que nous nous y arrêtions un instant fl)

Un tigre, s'étant couché sur le trou d'un serpent venimeux, est mordu et meurt
de sa blessure. Un ermite (bouddhiste), qui passe, hii rend la vie. Le tigre, aloi's
déclare que son droit de
de dévorer quiconque a osé entrer « sur son
tigre est

terrain », même pour du


Le bœuf, le dvichak (sorte de loup;, le singe,
lui faire bien.
le vautour, le génie gardien d'un certain arbre, donnent raison au tigre, les uns par

crainte, les autres par intérêt personnel ou par hostilité contre les hommes. Seul le
lièvre, consulté en dernier lieu, voit que le tigre « oublie les principes saints, qui
obligent à la reconnaissance envers un bienfaiteur ». Et il sauve l'ermite en faisant
par ruse, périr le tigre : il feint de ne pouvoir se bien rendre compte des faits,
que si l'on se transporte sur les lieux. Quand il y est, avec l'ermite et le tigre, il
invite ce dernier à se coucher de nouveau sur le trou du serpent. Le tigre le fait- il

est mordu et meurt. « O ermite, dit alors le lièvre, ne sais-tu pas que le ti^re e^t
ingrat de nature et féroce? Une autrefois, garde tes bienfaits pour de meilleures
gens. ')

Le conteur laotien ajoute « Cette sentence est juste. » Et il parait :

que ce conte a été inséré dans le livre des Lois laotiennes, qui le fait
suivre de cette note « Toutes les afiaires semblables doivent être
:

examinées et jugées de cette manière, qui est donnée en exemple. »


Ainsi, le vieux conte de l'Inde, dont La Fontaine et lauteur de
l'Apocryphe syriaque ont fait, chacun de son coté, une thèse soi-
disant philosophique, a été promu, dans llndo-Chine, à la dienité
de texte juridique.

lanière, témoignent au paysan leur reconnaissance


l'homme, par une accusation calom- ;

ieuse, le fait jeter en prison. Le serpent réussit à le délivrer.


Ce conte, foncièrement —
indou, a pénétré en Occident, etRlcliard Cipur de Lion aimait à le raconter 'voir, dans la
leviie des Traditions populaires de 1!)16. les pages (J3 el suivantes de notre travail Le
[joijau du serpent et l'Inde). >

Certains contes occidentauv, du type de « Pilpay >, accolent au dénouement ordinaire


tne dernière partie, oii Y Homme ingrat succède au Serpent ingrat Suppliant
:
le renard
le le sauver, lliomrae promis tout son poulailler en récompense. Quand le renard
lui a
présente pour recevoir le salain; convenu, l'homme lâche ses chiens contre son libéra-
Bur. Ce conte a été raconté par Mélanchthon à la la table de Lulher ^Régnier
op. cit
360). Un vestige de ce thème dans un conte berbère [R. Rasset, op. cit.,
p. 16^ peut
.

lire penser que cette dernière partie viendrait, elle aussi, de l'Orient.
Il) .\dhémard Leclère, Contes laotiens et Contes cambodgiens (Paris,
19031. p. 90
JW REVUE mBLIQIE.

Parmi les variantes de cette seconde forme du Serpent ingrat, il en


est certaines, où les arbitres se réduisent à un, celui qui sauve
riiomme. Cela est à noter: car cela nous rapproche du juge unique
de l'Apocryplie. Il eu est ainsi dans au curieux conte serl)e, recueilli

à Belgrade,

Là, c'est saint Sahbas qui sauve uu serpent du feu. eu lui tendant son bâton, et,

un instant après, le serpent est déjà enroulé autour du cou de son libérateur et

commence à l'étrangler. Sabbas se plaint d'une telle ingratitude, mais en vain. Un


renard venant à passer, Sabbas fait appel à lui. pour qu'il rende un jugement au

sujet de la conduite Le renard y consent; mais il demande qu'avant tout


du serpent.
le serpent lâche le cou de Sabbas et aille se mettre sur une pierre voisine, « afin que

lui. renard, puisse prononcer son jugement avec impartialité ». Le serpent l'ayant

fait, le renard dit à Sabbas de l'assommer à coups de bâton. Par reconnaissance,

Sabbas donne au renard sa bénédiction avec ces mots que nous ne nous chargeons
pas d'expliquer Dieu fasse que, nulle part, on ne puisse sans ta présence pro-
: <-

noncer un jugement » ;i'.

Même réduction des arbitres au seul renard, dans un livre du


moyen âge. écrit au commencement du xii" siècle par un juif d'Es-
pagne, converti au catholicisme en l'an 1106, Petrus Alfonsi (cest-à-
dire Pierre Tilleul] d'Alphonse, médecin d'Alphonse P' roi d'Aragon.
\^ Exnnplum VI de sa Disciplina clericalis (-ij donne notre fable,

mais transposée, si l'on peut parler ainsi, du chaud au froid :

Va serpent, dans une forêt, a été lié, tout de son long, à des troncs d'arbres par
des pâtres. Va passant le délie et le rcchoiiffe. A peine ranimé, le serpent se jette
sur l'homme et le serre à l'étouller. <>
Pourquoi me rends-tu le mal pour le bien?
dit l'homme. — .Te fais ce qui est de ma nature. » répond le serpent.
L'affaire est portée devant le renard. Celui-ci déclare ne pouvoir Juger, s'il n'a
pas sous les yeux l'état de choses, tel qu'il existait au moment où l'homme est inter-
venu. Le serpent est lié de nouveau, et alors le renard lui dit de se dégager, s'il le
peut.

La fable de la Discip/ina clericalis, avec son serpent lie, a été tra-


duite ou imitée en divers pays au moyen âge. On la retrouve notam-
ment dans les Gesta Romanorum, le grand recueil de contes et de

1) Archiv fiir slavisclie Pfiilologie, i (1876), p. 279. — Dans un autre conte serbe Wuk
Steplianowitsch, KaraJschitsch, Volksm;crchen der Serbe», BcrUn, 1854, n 3 \ le serpent, "

sauvé du feu par un berger, se montre reconnaissant.


(2 Édition d'Alphonse Hilka et Werner Sôderjelin (Heidelberg. 19ns p. 12. — La Dis-
ciplina clericalis (l'Instriiclion morale qui, d'après rexplication môme de l'auteur, ' rend
les clercs bien réglés », recldit clericum disciplinatum^ se compose en partie, comme le
dit la Préface, de fables arabes », araOicis et fabutis...
.MELANGES. 149

fables avec moral isations pieuses, rédigé vers l'an 1300, probablement
en Angleterre. La version des Gesta, très mauvaise, du reste, a ceci
de particulier, que le renard est remplacé par un philosophus, lequel
est également le seul arbitre (1).
Dans un conte roumain l'a le juge n'est pas un " philosophe »
,

anonyme. C'est devant Salomon lui-mèmo, devant le sage Salomon,


que se présente Ihorame qui, après avoir sauvé du feu un serpent,
ne peut se débarrasser de lingrat, enroulé autour de son cou.
Un vieux conte judéo-allemand est plus curieux encore. Il forme
le chapitre 144. d'un livre à l'usage des juifs allemands, imprimé à
Bàle en 1602 et portant le titre hébraïco-allemand de Maase Buch
{« Livre des Histoires ») (3),

Au temps du roi David, un vieillard trouve, en hiver, sur la route un serpent


presque gelé. « On doit avoir pitié de toutes les créatures de Dieu, » se dit-il, et il

ramasse le serpent, qu'il met dans son sein pour le réchaufTer. Quand le serpent
reprend ses sens, il s'enroule autour du vieillard et le serre à le faire mourir.
Suit la consultation des arbitres, qui sont ici un bœuf, puis un àne. Alors les con-
testants se présentent devant le roi David. lequel les renvoie sans rien décider.
Finalement, ils rencontrent le jeune Salomon (qui, daprès ce que le vieillard Fa
entendu dire à ses valets, lui paraît un garçon d'esprit). Et c'est le jeune homme
qui, avec l'autorisation de son père, tranche l'afTaire, en fournissant au vieillard
l'occasion d'assommer le serpent (4).

On voit que le trait du serpent raidi par le froid forme ésopique


du Serpent ingrat), en combinaison avec le trait du serpent enla-
çant son sauveur (seconde forme), n'est pas une particularité de l'A-
pocryphe syriaque, lequel a trouvé certainement (juelque part cette
combinaison toute faite.

(1) Gesta Romanorutn, édition Herinaim Oesterley (Berlin, 1872), n° 174.


(2) M. Gaster, Runianian Bird and Beast Stories Londres, 1915), n" CXII.
(3; Le texte de ce conte est reproduit dans Max Griinbaum, .Jiidischdeutsche Chresto-

malhie Leipzig, 1882;, \u 411.


(4) Un autre conte juif, dont nous devons la communication à l'obligeance de M. Israël

Lévi, professeur à l'École des Hautes Études, oH're une singulière combinaison du thème
du Serpent reconnaissant avec le thème du Serpent ingrat (manu.^crit du Midrascli
Tanlioaina, décrit par Buber dans son édition de cet ouvrage, p. 157) Un homme, por- :

tant un pot de lait, rencontre dans la campagne un serpent ijui gémit. Pourquoi gémis-
lu.'' — Parce que j'ai soif. Mu'as-tu donc dans la main ? Du lait. — —
Donne-m'en, et je te
montrerai un grand trésor, qui pourra l'enrichir. » L'homme donne du lait au serpent, et
celui-ci le mène à une grosse pierre sous cette pierre, l'homme découvre un trésor, qu'il
:

emporte chez lui.... Alors, brusquement, le serpent reconnaissant devient un serpent in-
grat, qui saute sur l'homme et s'enroule autour de son cou, en disant « .Te vais te faire
:

mourir, i)arce que tu as i>ris tout mon avoir. —


Viens avec moi, dit l'homme, devant le
tribunal de Salomon. « Etc.
liiO REVUE BIBLIQUE.

CHAPITRE II

l'enfant roi et juge.

du jeune Salomon, fils de roi, jugeant mieux que son


L'histoire
père une même
affaire, nous amène au petit cadi des Mille et une
Nuits de Galland, revisant, dans tin jeu avec ses petits camarades, un
jugement rendu par un vrai cadi (1).
Mais, dans le folklore oriental, ce n est pas seulement un petit juge
que nous avons à mettre en regard de l'Enfant Jésus de l'Apocryphe
syriaque le petit juge est parfois aussi un petit roi, prononçant un
:

arrêt 'du haut de son trône, le(|uel, en la circonstance, n'est pas


tout à fait imaginaire.
Dans l'Inde, au Bengale, il a été recueilli deux contes populaires,
présentant à peu près de même façon ce thème de YEnfant roi et
jugé (2) :

Des petits paires, en gardant leurs vaches, ont coutume de jouer au roi. Celui
qui est élu par ses camarades, a son vizir, son kotwal (préfet de police) et autres
officiers. Un jour, ces enfants voient passer un brahmane qui pleure et se lamente
Le petit roi se le fait amener et apprend de que, dans un procès d'une importance
lui

capitale, le râdjâ du pays lui a très injustement donné tort. Avec l'assentiment du
râdjà, le petit roi évoque l'affaire à son tribunal, et sa perspicacité et son ingéniosité
lui font rendre justice au brahmane (3).

(1)Ce conte arabe dAli Cogia, raconté à Galland par un certain Hanna, Maronite
d'Alep, venu à Paris en 1709, est résumé, à la date du 29 mai de cette même année, dans
le Journal manuscrit de Galland, conservé à la Bibliothèque Nationale.
(2) Lai Behari Dey, rollc-tales of Benr/al (Londres. 188:V, n" 12. G. H. — Daman I,

Bengali Folldore. Legends frotn Dinajpur, dans Indian Antiquary, Vol. I (1872),
p. 345.

(3) La manière ingénieuse dont le petit roi trancbe le procès, n'est pas sans rapport
avec la ruse du renard dans Quelques mots sur ce procès ne seront pas de
« Pilpay ».

trop Un brahmane très pauvre s'est expatrié pour chercher fortune, laissant à la maison
:

sa femme et sa mère. Peu après son départ, un mauvais génie, une sorte de démon, prend
la forme de l'absent et s'établit dans sa maison, en disant qu'il a trouvé en route de quoi

vivre. Quelques années se passent, et le%'rai brahmane revient. Conilit entre lui et l'occu-
pant, d'apparence identique; procès; jugement rendu par le râdjà en faveur de celui qui
est en possession, c'est-à-dire de l'intrus; désolation du brahmane. L'aft'aire étant portée
devant le petit roi, celui-ci, prenant un vase à étroite embouchure (ou un bambou creux),
décide que le vrai brahmane se reconnaîtra à ce qu'il pourra entrer dans ce vase (ou dans
ce bambou). Le brahmane se récrie en pleurant; le mauvais génie, changeant de forme
une nouvelle fois, s'empresse de faire ce que le petit roi exige. Aussitôt le petit roi ferme
l'oritice du vase (ou du bambou), et fait jeter au feu contenant et contenu.
Ce dénouement est, ce nous semble, apparenté au conte bien connu des Mille et une
Nuits, Le Pécheur et le Génie. Enfermé depuis des siècles dans un vase scellé, puis mis en
liberté par un pêcheur qui a ouvert le vase, le génie veut tuer son libérateur. Alors celui-ci
MELA^^GES. 151

Dans l'uii des deux contes bengalais (celui de feu Damant), deux
détails, dont le second surtout semblerait insignifiant, sont à relever :

le râdjà est Bliodj Ràdjfi, et le petit roi a le siège de sa soi-disant


royauté sur une "petite élévation de terrain. Or, ces deux détails met-
tent le conte oral indien en relation étroite avec la littérature sans-
crite, avec un conte formant le cadre du recueil la Sinhâsana-dvd-
Les Trente-deux Récits du Trône >;).
tririçikd (« [
j

Ce conte-cadre, dont l'écrivain hindoustani Afsos a donné un ré-


sumé, a pénétré, probablement par voie tibétaine, chez les Mongols,
avec une traduction fragmentaire du recueil sanscrit (1). Ici et là,

le râdjà est Rddjd Bhodja [Ard/i Bo7'dji, dans le et nous


mongol),
retrouvons les petits pâtres et leur petit roi, jugeant un procès, le
luéme dans le mongol que dans les deux contes oraux bengalais;
mais, — ce qui manquait dans ces derniers contes, — la perspicacité
quasi surhumaine du petit roi est expliquée. Tant qu il siège sur une
certaine éndnence, il décide de tout avec autorité et débrouille avec
aisance les affaires les plus difficiles. Mais, quand Râdjà Bhodja se le
fait amener, le petit roi s'intimide et se met à pleurer en vrai enfant.
Dès que, par ordre du râdjà, on le replace sur l'éminence, il reprend
toute son autorité. D'où le râdjà tire cette conclusion : « Il y a là ijn

effet, non de de l'enfant, mais du lieu où il est placé, » Et,


l'esprit
taisant creuser à cet endroit, Râdjà Bhodja rend à la lumière un
trône magnifique, que le dieu Indra a donné, plusieurs siècles aupa-
ravant, à l'illustre Râdjà Vikramàditya. Autour de ce trône sont ran-
gées trente-deux statuettes, et chaque que Râdjà Bhodja veut s'as-
fois

une des statuettes


seoir à la place occupée jadis par son prédécesseur,
l'arrête et, après lui avoir raconté une grande action du héros, lui
demande s'il a jamais rien fait de comparable (-2 ).

feint de croire que le génie n'a pu tenir dans un vase. Blessé par ce doute inju-
si petit

rieux, le génie rentre aussitôt dans le vase, que


pêcheur se hâte de fermer.
le La ruse —
du pécheur pendant de la
est le ruse du renard de « Pilpay », affectant de douter que le
serpent ait pu tenir dans un si petit sac... Ce n'est pas, du reste, la seule fois, il s'en
faut, que, dans ce monde si complexe du folklore, on ait à constater, entre des thèmes en
apparence bien différents, des aQînités aussi certaines qu'imprévues.
(1) Journal Asiatique, t. ill (1844) Histoire des rois de V Hindoustani, ... traduite du
:

levte hindoustani de Mir Cher-i Ali Afsos par l'abbé Bertrand, p. :554. [Afsos, écrivain
iiindou musulman, né à Delhi en 1754, mort à Calcutta en 1809]. —
B. Jiilg, Mongolisclie
M.vrchen... Geschichte des Ardschi-Bordschi Chan (Iimsbruck, 1868), p. 63 et suiv. —
Sur la littérature, toute d'importation, des Mongols, et l'action du bouddhisme tibétain,
on peut voir notre travail Les .)ioncjols et leur prétendu rôle dans la transmission
des contes indiens vers l'Occident européen (Revue des Traditions populaires, 1912),
pp. 339-341.
(2) Il ne sera peut-être pas sans intérêt de voir (pielle transformation, prosaïque el
utilitariste, le thème héroïque a subie dans un conte oral du district de Mirzipour, Inde du
132 REVUE BIBLIQUE.

lia été affirmé que le thème de l'Enfant roi et juge se rencontre


déjà dans une vieille légende perse, rapportée, au commencement
du v" siècle avant notre ère, par Hérodote, dont Cyrus est le petit
héros (I. cxiv et suiv.) : là^ Cyrus enfant, que Ion croit et qui lui-
même se croit fils d'un pâtre, est choisi pour roi, dans leurs jeux,
par les petits pâtres, ses compagnons: prend son v(Ae tout à fait il

au sérieux, attribue à chaque enfant un des emplois de sa cour, 1


exige de tous l'obéissance et fait châtier les récalcitrants.
Tel est le récit d'Hérodote. Des enfants qui jouent au roi, cela s'est
certainement vu plus d'une fois dans la vie réelle, et rien de caracté-
ristique ne rapproche vraiment la légende persedu thème de VEnfant
roi et juge. Ce amorce cet épisode, est absolument différent
(\\\ :

sévèrement fustigé pour rébellion, par ordre du petit roi, un de ses


compagnons, fils d'un grand personnage, va se plaindre à son père,
et cette histoire est le point de départ d'une suite d'incidents, qui
aboutissent à la découverte de l'origine véritablement royale du petit
Cyrus.
Danslégende perse, l'autorité de l'enfant roi ne se manifeste
la
pas en dehors de son petit monde. Il en est autrement dans les récits

que nous avons résumés. Ainsi, dans le conte indien que rellète le
livre mongol rHistoire d'Ardji-Bordji^ quiconque passe dans le voisi-

nage du petit roi, doit lui rendre hommage et se mettre à genoux


devant lui. De même, on a vu, dans l'Apocryphe, les enfants forcer
les passants à venir se prosterner devant « le roi -.

Cette autorité sur le monde extérieur est, en même temps, dans


l'Apocryphe, une puissance agissante et bienfaisante, puissance sur-
humaine, qui guérira de la morsure d'un serpent un enfant (jue ses
parents, entraînés par les petits garçons devant « le Seigneur Jésus,
faisant le personnage de roi «,, lui présentent mourant.
Ailleurs (et c'est le thème primitif) ce ne sera pas sa puissance que
manifestera l'Enfant-roi : il sera juge; il fera acte de perspicacité

dans un procès mal jugé par un tribunal officiel: il fera aussi acte
à' ingéniosité pour que le bon droit triomphe.

Nord ISorlh Indian Notes and



Qiicries, année 1893, n° 175, in fine Quatre frères font
:

interpréter le testament de leur père par le pelit roi, et ils la sagesse dont
admirent
il a fait preuve. Ils lui demandent qui lui a enseigné cette sagesse. L'enfant répond (jue,
sous l'endroit où il siège, est le trône, orné de pierres précieuses, qui appartenait jadis
au Mahàràdjîî Vikramàditya. Les quatre frères déterrent le trùne, et sa valeur en espèces
sonnantes leur permet de vivre princièrement (!).
MÉLANGES. 153

Dans les deux contes bengalais et dans le conte-cadre indien (Afsos,


Ardji Bordji)^ Têlre malfaisant (un démon), reconnu sous son appa-
rence humaine par Ja perspicacité du petit roi, est amené, par une
ruse ingénieuse do ce même enfant, à entrer dans un étroit récipient
et à se mettre ainsi à la merci de l'homme qui plaide contre
Le lui.

démon remplace ici cet autre être malfaisant, le serpent, que, dans
« Pilpay », la ruse du renard fait entrer (ou plutôt rentrer; dans le

sac, et l'enfant roi et juge remplace le renard, comme le remplaçait


le jeune Salomon dans le conte juif, où un serpent, un serpent ingrat,
plaide également contre un homme.
Et nous arrivons ainsi tout près dun dernier type de conte, produit
de la combinaison du thème de l'Enfant roi et juge avec le thème
complet du Serpent ingrat. Ce type de conte, prototype de Fépisode
de l'Apocryphe, nos explorations folkloriques ne nous .l'ont pas encore
fourni; mais la forme arrangée et simplifiée, sous laquelle il se pré-
sente dans l'Apocryphe, présuppose certainement la forme première
eu son intégrité.

CONCLUSION.

OÙ et quand s'est fait rarrangenieiit, la christiaiiisation telle quelle


du conte indien, et, en môme temps, l'insertion du récit ainsi fabriqué
parmi des récits, aussi peu chrétiens, du reste, et, de plus, parfaite-
ment ineptes? Aurait-ce été dans l'Inde même? Nous nous Tétions
demandé, et voici pourquoi.
Au commencement de ce travail, il a été dit un mot de la condam-
nation portée en 1.509, au synode de Diamper Malabar par l'arche- .

vêque de Goa contre des « livres syriaques », très répandus dans le


diocèse et remplis des erreurs des « hérétiques nestoriens » et d'autres
sectes (1).
Des livres nestoriens en langue syriaque, aw Malabar, sur la côte
occidentale de iHindoustan? avions-nous bien compris? Un des
savants les plus compétents en cette matière, M. l'abbé J.-B. Chabot,
Membre de llnstifut. a bien voulu nous éclairer à ce sujet, et voici
ce que nous avons appris.
Les premiers missionnaires latins qui, au moyen âge, allèrent
prêcher l'Évangile dans les pays baignés par la mer des Indes (Mala-

(1) La traduction latine de ce décret, primitivement rédigé en portugais, se trouve dans


la Concilioruvi Collectio de Mansi (nouvelle édition), t. XXXV (Paris, 1902), col. 1101
ot suiv.
154 REVUE BIBLIQUE.

bar, etc.), ne furent pas peu surpris de rencontrer des communautés


chrétiennes, de rite oriental, déjà établies dans ces contrées. Les
fondateurs de ces chrétientés étaient venus de la Mésopotamie, et des
documents authentiques nous montrent ces diverses Églises, au
vHi' siècle, placées sous 1 autorité du patriarche nestorien de Séleucie-
Gtésiphon, la grande ville du Tigre, en Babylonie. LÉglise syrienne
du Malabar a subsisté Jusqu'à nos jours.
Or, les missionnaires nestoriens syriens ont apporté avec eux, au
Malabar comme de la liturgie syrienne nestorienne,
ailleurs, l'usage
qui était celle de toutes les chrétientés de Mésopotamie et de Perse,
depuis le v" siècle. Actuellement encore, il y a des chrétientés au Mala-
bar, qui se servent de livres liturgiques en syriaque (très peu altéré).
Les livres dont parle le synode de Diamper étaient surtout à lusage
du clergé. Il devait y avoir peu de fidèles sachant le syriaque; mais
plusieurs de ces ouvrages devaient être traduits en langue vulgaire.

Cet Évangile de l'Enfance, signalé, au synode de Diamper, parmi


les livres « syriaques » nestoriens, répandus au Malabar à la tin du
xvi^ siècle, était quant à la langue, ce qu'il était au
donc resté,
moment de son importation dans l'Inde, c'est-à-dire écrit en syriaque.
Était-il resté absolument le même, quant à son texte primitif, et
serait-ce au Malabar que, dans ce texte, aurait été intercalé un thème
folklorique du pays, ce thème indien du Serpent infjrat, arrangé
à la chrétienne? Les chrétiens de Salsettc, près de Bombay, ne racon-
tent-ils pas, à l'heure actuelle, des contes foncièrement indiens (poly-
gamie comprise), où sont introduits (très accessoirement, il est vrai)
des éléments chrétiens, tels que l'assistance à la messe (1)?
Dans cette hypothèse, l'Apocryphe syriaque, arrivé au Malabar
avec les nestoriens, aurait, plus tard, —
augmenté d'un chapitre, —
repris le chemin du pays d'origine, c'est-à-dire de la Mésopotamie.
Allées et venues qui, après tout, n'ont rien en soi d'impossible.
D'autres difficultés sont plus sérieuses.
Et dabord. les nestoriens indigènes du Malabar auraient-ils pu
avoir jamais l'idée de manipuler, — en y intercalant n'importe quoi,
et surtout un arrangement de conte populaire du pays, — ce texte
écrit dans une langue liturgique qu'ils devaient considérer comme

(1) Voir, dans notre travail Le Lait de la mère et le Coffre floUanl {Revue des ques-
tions historiques. 1908), les pages .363-364: p. 13-14 du tiré à part.
MELANGES. lo5

sacrée? Du reste, auraient-ils été capables d"y ajouter une page en


bon syriaque ?
Mais une autre objection nous parait plus radicale. Ce qui a été
condamné au synode de Dianiper, ce ([ui avait cours dans les chré-
tientés du Malabar, était-ce bien la recension de l'Apocryphe
syriaque, dans laquelle, à une époque inconnue, a été insérée l'his-
toire indienne du Serpent ingrat?
De ce que le décret du synode ne mentionne point, parmi les
<(fables » relevées par lui dans l'Apocryphe condamné, cette histoire
du Serpent ingrat, nous ne prétendons rien conclure, le décret n'ayant
évidemment pas l'intention d'énumérer toutes les « fables » du livre,
lue remarque bien autrement importante, c'est cjue le décret en men-
tionne expressément une, c|ui présente l'Enfant Jésus comme « pre-
nant plaisir à des jeux mauvais et odieux » {qiwd lusibus praiis
odioqiœ dignis oblectaretur). Or, cette fable ne figure pas dans la
recension syriaque où a été intercalé le conte indien, mais dans une
tout autre recension syriaque, reflétée, nous dit le R. P. Peeters
(p. xLvi), par une version arménienne. Dans cette version (laquelle,
par parenthèse, n'a rien du Serpent ingrat, ni de Y Enfant roi et juge),
sont racontées [Ibid., p. âSi) les étranges espiègleries de l'Enfant
Jésus, qui s'amuse à rendre ses petits compagnons de jeux tantôt
sourds, tantôt aveugles, tantôt paralysés, pour les guérir subitement
ensuite, ou bien (pp. 257-258) qui casse leurs cruches, et ensuite,
quand pleurent, dans la crainte d'être châtiés par leurs parents
ils

ei\i rentrant à la maison, raccommode tout d'un mot.

p paraît donc certain que la recension syriaque de VÉvangile de


rEhJance, importée au Malabar et que le synode de Diamper avait
sous les yeux, était distincte de celle qui a été, dans ce travail, l'objet
de not^e examen, et rien ne peut faire supposer que cette dernière
recensioXait existé, elle aussi, sur la côte indienne.
Les choses étant ainsi, il nous semble que, dans cette question
de lintercalation, aous pouvons laisser en paix les nestoriens du
Malabar.

C'estdonc dans la patrie même du nestorianisme, —


dans cette
Mésopotamie où s'est formé le corps de l'Apocryphe, —
que doit
s'être faite lintercalation ou plutôt, pour préciser, la double inlei-
calation.
Nous disons : la double iutercalation. Une première intercalation.
156 REVUE BIBLIQUE.

en effet, a introduit dans le syro-arabe, on se le rappelle peut-être,


un thème indien, dont n'a pas trace cette autre recension syriaque
que reflète la version arménienne, le thème de V Enfant roi et juge ;

mais, dans le syro-arabe, l'Enfant Jésus joue seulement le rôle de


roi, exer<;ant sa puissance (une puissance surhumaine) à l'égard d'un
serpent et d'un enfant mordu par ce serpent. Cette intercalation en
préparait une autre, dans laquelle l'Enfant Jésus sera juge en même
temps que du thème du Serpent ingrat, combiné,
roi, l'intercalation

dans les deux manuscrits syriaques, avec Je premier thème, moins


écourté.
Les nestoriens ont parfaitement pu trouver en iMésopotamie cette
combinaison des deux thèmes indiens qu'ils ont arrangée. Ce n'est
pas d'aujourd'hui que les contes indiens ont pénétré dans cette
région de l'Asie, où, de notre temps, on en a recueilli bon nombre il).
Au VP siècle, un nestorien considérable, Bud Periodeutes (Bud le
" Visiteur » ecclésiastique), qui, dans ses tournées d'inspection des
chrétientés de la côte indienne, s'était rendu familier avec la langue
du pays, donnait, sous le titre de Calilagh et Damnag, une traduc-
tion syriaque du Pantehalantra, le célèbre recueil indien de contes
et fables (2).

(1) En 1884 el 1888, la Uibliolbèque Royale de Berlin a aciiuis, de l'orientaliste M. Ed.


Sachau. deux recueils manuscrits de contes populaires syria(|ues, échos du folklore indien,
comme les contes populaires de tant de pays. Ces recueils [Cod. Sachau 146 et 337)
ont été formés en Mésopotamie, le premier en 1880, le second vers la même époque, par
des indigènes, un prêtre et un diacre d'Alkôsh (vilayet de Mossoul), cet Alkosh où M. Budge
a découvert son vieux manuscrit de l'Apocryplie coïncidence qui n'est du reste, que
fortuite). Et il ne faut pas confondre ces deux recueils de contes vivants avec un autre
recueil {Cod. Sucliau 145), provenant de livres et notamment de ce Calilagh el
Damnag, dont il sera parlé plus loin. On trouvera des renseignements à ce sujet en tête
de la traduction allemande que M. Mark Lidzbarski a publiée de ces divers recueils
(Geschichten und Lieder ans den neu-aramœischcn Handschriflc.n der Kaniglichen
Bibliothelizu Berlin. Weimar, 189G).
un érudit bien connu, J. S. Assemani, publiait dans sa Bibliotheca
(2) .\u xviii' siècle,
Orienlalis (1719-1728), tome III, première partie, pp. 1-3(32, un Catalogue d'ouvrages
syriaques, dressé entre 1291 et 1318 par l'évêquc syrien Èbedjesu. Au chapitre eu, con-
sacré à Bud Periodeutes, nous lisons, dans la traduction latine d' Assemani : « Ipse qxio-
que inlerprelalus est ex Indigo sermoni: lihrum Calilagh et DamnagJi. « Les quelques
détails que nous avons donnés sur le traducteur syriaque sont extraits des iSotes d'Asse-
mani. On y lit, p. 219 « Bud, sive Buddas, Periodeutes, hoc est, presbyter circuitor
:

scu visitator... sub Ezechiele Patriarcha circa .\. Ch. ô70 vivebat Christianorum in :

l^erside linitimisque Indiarum regionibus curam gerens. llinc sermonera Indicum calluisse
dicitur, ex quo librum Calilagh et Damnagii syriace reddidit.... » Assemani affirme —
{p. 222) que Bud Periodeutes lit sa traduction syriaque peu après la première traduction
persane {projïme post primam persicam), c'est-à-dire après la traduction en pehlvi, faite
par Barzùi, médecin de Chosroi-s le Grand, roi de Perse de 53) à 579), traduction aujour-
d'hui perdue. Et Assemani ajoute que la traduction syriaque fut faite « sous le même Chos-
MÉLAiNjGES. 157

Restons donc en Mésopotamie. C'est là, selon toute apparence,


qu'à une époque lointaine est arrivée, sans doute avec d'autres contes

de l'Inde, cette variante du thème du Serpent ingrat, combiné avec


le thème de l'Enfant roi et juge, et c'est là que les hérétiques nes-
toriens ont pris cette production de la riche fantaisie indienne pour
la déformer et l'incorporer à ce tissu d'inepties, dont leur pauvre
imagination, prétendant suppléer au silence voulu et presque absolu
des vrais Evangiles sur les premières années de Jésus, ont fait leur
soi-disant Évangile de l'Enfance du Sauveur.
Vitry-Ie-Francois.

Emmanuel Gosgcix,
Correspondant de l'Inslitut.

Il

LES MVSÏÉUES U'ÉLELSIS ET LE CIIRISTIAMSME

Depuis tantôt une vingtaine d'années, on fait beaucoup de bruit


de la ressemblance du christianisme avec les mystères païens. Avec
sa netteté habituelle, M. Loisy a commencé par dire que nous pou-
vons discerner : « Comment l'Évang-ile doit sa fortune à ce qu'il s'est
opportunément transformé en mystère, tout en gardant en lui-même
du monothéisme juif et en se recomman-
la consistance qu'il tenait
dant de l'idéal moral que représentait la prédication de Jésus (1) ».
Puis enfin il a prononcé, plus nettement encore : « Tout bien consi-
déré, la religion nouvelle devait à la mystique païenne presque autant
qu'au judaïsme, et le monde païen put s'y reconnaître parce que son
esprit d'abord y était entré 2i. »

Nous avons dû indiquer les grandes lignes du nouveau système


dans une des leçons qui ont passé en revue « Le sens du christia- :

nisme d'après Verégèse allemande (3i. »


Naturellement ces quelques indications reposaient sur une étude

roës et, — il insiste. — « d'après la source indienne » et ([uidem ex fonte Indico sut'
eodem Chosror Persarum rege). — En 1876, M. G. Bickell publiait le texte et la traduction
allemande de la version syriaifue. retrouvée en t<S71 par feu Albert Sacin dans un monas-
tère clialdéen près de Mardin (vilayel de Diarbekii).

(1) Religions nationales eè cultes do mystères, dans la Revue d'hisloive et de litté-


rature religieuses. 1913, p. Ic.

(2) La Religion, p. 1.58.

(3) P. 269-305 : L école du synrrclis)ne judéo-paien.


lo8 REVUE BIBLIQUE.

plus détaillée. Et vraiment on s'est accoutumé à traiter ce sujet déli-


cat avec si peu de précision, tranchons le mot!— avec si peu de —
critique, à en juger par les termes courants employés dans les ency-
clopédies ou les ouvrages spéciaux, que nous avons regardé comme
un devoir de soumettre la discussion au contrôle des lecteurs de la
Revue. Parmi tant de religions à mystères, les mystères d'Eleusis et In
religion de Cybèle et d'Attis nous ont paru les plus propres à donner
une idée de la comparaison qu'on institue avec le christianisme. .

Et voici déjà qui est bien étrange Ce n'est pas dans les premiers,
!

plus nobles et estimés de l'élite de la Grèce, c'est dans ceux d'Attis,


généralement méprisés, qu'on a trouvé les rapports les plus étroits
avec notre religion!
Commençons par les mystères d'Eleusis. Nous n'avons pas la pré-
tention d'être complet pour les détails techniques; nous renvoyons
sur ces points aux bons auteurs (1).

I. LK MYTHE HOMÉRIQUE ET LES RITKS PRIMITI.-^s.

Nous avons la bonne fortune de posséder sur les mystères dÉleusis


un document ancien de la plus haute valeur.
L'hymne homérique à Déméter nous transporte à Eleusis. Cette
pièce remarquable n'est homérique qu'.au même titre que les autres
hvmnes qui portent ce nom, comme un reflet de l'ancienne manière
des aèdes. Mais elle doit être antérieure au vi'" siècle, car elle ne fait
aucune allusion au culte d'Athènes. On a beaucoup discuté sur son
caractère. Il semble qu'on soit d'accord aujourdhui pour y voir une
légende religieuse qu'on récitait au moment de la célébration des
mystères et qui expliquait leur origine; c'est un î^pbç "/.:70c. Les rites
étaient souvent compris comme une reproduction de ce qu'avaient
fait les dieux. A plus forte raison devait-il en être ainsi quand ces

rites avaient, plus que d'autres, le caractère d'une représentation.


La légende qu'on racontait dans ces circonstances n'était pas pré-

(1) Indications bibliographiques. P. Folt.art Itecherches sur l'origiae et lu nature


:

des mystères (VÉleusis, dans les Mémoires fie iJiistitni, Académ. des Inscr. et B.-L.
t. XXXV% IP p.. I99r,.

Les grands Mystères d l.leusis. Personnel. C< remanies, dans
les Mémoires..., t. XXXVII, 1904. —
Les Mystères d'Eleusis. Pari*. 1914. C'est cet
ouvrage que nous citons sans autre indication.
définilit' —
Loisy, Les Mystères d'Eleusis,
dans la lievue d'histoire et de littérature religieuses, 1913, p. 193-225. —
Les divers articles
du Dictionnaires des antiquités de Saglio, et de l'Encyclopédie de Paulj-Wissowa.
RoHDK, Psyché, 2« éd. —
CinuppE, Griechische Mythologie, sans ouif^v Lobeck, Aglao-
piiamus, Kœnigsberg, 1829, lib. I : Eleusinia.
xMÉLANGES. i;;9

cisémeiit l'exégèse des rites, censés connus ou qui ne devaient pas


l'être des profanes, mais elle expliquait pourquoi on rendait un culte
et une divinité. Nous y voyons, nous, non pas la cause
ce culte à
du rite, mais une sorte de traduction originale et poétique du rite,
([ui peut nous renseisner sur son ordonnance générale.

La fille de Déméter, Perséphone, cueillait des ileurs. Elle arracha


un narcisse; aussitôt la terre s'entr'ouvrit au champ mysien, et elle
lut enlevée par Aridoneus, fds de Kronos et dieu des enfers. Elle cria

au secours, mais nul ne Tentendit qu'Hécate et le Soleil, et enfin sa


mère, mais alors elle avait disparu. Déméter la chercha pendant
neuf jours, tenant dans ses mains des torches allumées, ne goûtant
ni l'ambroisie ni le nectar, et s'abstenant du bain.
Le dixième jour, Hécate, un flambeaii à la main, se présente à elle
et toutes deux vont trouver le Soleil qui révèle le rapt, accompli du
consentement de Zeus.
Indignée, Déméter quitte lOlympe. continue ses recherches et
arrive au pays de Kéléos qui était alors roi d'Eleusis. Le ca?ur plein
de tristesse, elle s'assied sur les bords de la route, près du puits
Parthénios, à l'ombre d'un olivier, ayant pris les traits d'une vieille
femme. Les filles de kéléos viennent au puits et l'engagent au service
(le leur mère, Métanire, non sans lui avoir montré les demeures

des principaux héros : le sage Triptolemos, Dioclès, Polyxenos,


Eumolpos La déesse entre chez Kéléos, et le thème
et Dolichos. de
la tristesse et du jeûne apparaît de nouveau (1). Mais la déesse est
déridée par une certaine lambè, qui joue le rôle d'une servante de
Métanire l'ingénieuse lambé à force de paroles plaisantes et
: de
facéties fit sourire et rire, consola la vénérable et sainte déesse, qui
se complut toujours à ses manières (2i.
Déméter consent alors à rompre le jeûne, et se fait préparer le
rycéon, boisson composée d'eau avec de la farine et du pouliot, sorte
de menthe sauvage, car il ne lui était pas permis de boire du vin (3).
Il n'est pas question d'autre aliment, mais la farine d'orge mêlée
.'i l'eau en faisait sans doute une sorte de soupe.
La déesse inspire assez de confiance à ses hôtes pour que Métanire
la charge d'élever son tils Démophon, l'enfant de sa vieillesse;

(1) àX>.' àyÉXaTTo;, â/îa7To; îÔT5fjo;'r,o£ -oTriXo; (v. 200).


(2) Trptv y' Ô"î ôy; x)c-jr;; aiv 'lâiiSy; xéov' cîô'Jta |
iroX/.à îtapaay.coTr-o-'j' i'oé-biio T^ôiviav,
à'i'vinv, I
[AEtofj^at v=),â(7a'. t£ xai T/aoY ff/=i v OvU.ov. | y; o(\ ol /.at ïni'.xa. (ieÔûttî^ov svaoîv ôpyaî;
>. 202-205).
(3) O'j Yàp OîîA'.TÔv ol ËçaT/.e | tiîvîiv oîvov Èv^Opôv avw;îo' i'p' ^'t:^: x3ti"jo(op \ ooCvai p-î^a-rav
-'.Éixev yÀrr/fovi Tîpeivr, (v. 207-209}.
160 REVUE BIBLIQUE.

elle sait, dit-elle, un préservatif infaillible contre tous les sortilèges.

Elle fait même beaucoup mieux : elle oint le nourrisson d'am-


broisie, souffle doucement sur lui, et, pour le rendre immortel, le
couche la nuit sur un foyer ardent. Elle leùt préservé de la vieillesse
et l'eût rendu immortel, si Métanire n'avait surpris le secret et n'avait,

dans son épouvante, adressé des reproches à la déesse. C'en est fait,
Démophon ne sera pas immortel, mais il jouira d'un honneur incor-
ruptible, parce qu'il est monté sur les genoux de la déesse et a
reposé sur son sein.
Pour que la colère de Déméter soit calmée, il faut qu'on lui bâtisse
un temple et un autel hors de la ville et des murs au-dessus du Cal-
lichoros, sur une colline élevée. Elle établira des mystères; on les
célébrera pour l'apaiser et se la rendre favorable (1).
La déesse alors se révèle, tout le palais est rempli de splendeur.
Puis elle disparaît, et les tilles de Métanire passent la nuit à l'apai-
ser (-2 . On biUit le temple et l'autel.

On que tout est fini, et que l'on a perdu de vue Perséphone.


dirait
Mais temple permettait à Déméter de demeurer loin de l'Olympe
le

sans cesser d'être déesse. De là elle peut exercer son pouvoir et elle
frappe la terre de stérilité. Le sol ne laisse pas sortir la semence,
retenue cachée par Déméter. En vain les l>œufs tiraient dans les
champs le soc recourbé de la charrue, en vain le froment blanc était
répandu sur la terre.
La race entière des hommes allait périr par la famine, les habi-
tants de l'Olympe n'auraient plus ni présents ni sacrifices. Zeus se
résout à calmer la déesse irritée, mais ni Iris, ni aucun des dieux
n'y réussit. Il faut qu'Hermès pénètre dans l'Iladès et décide Aido-
neus à se séparer de son épouse. Il y consent, mais après qu'elle a
mangé un pépin de grenade. Pour avoir pris ce léger aliment, elle
doit à l'Hadès le tiers de son existence. Elle pourra passer les deux
tiers de l'année auprès de sa mère dans l'nlympe en compagnie des

autres dieux. L'arrangement est conclu par l'intermédiaire de Rhéa,


mère de Déméter. Dès lors la fertilité est rendue aux campagnes. La
déesse enseigne à Triptolème, à Dioclès, à Eumolpe, à Kéléos, la ma-
nière d'exécuter les fonctions saintes et leur révèle à tous les mystères
vénérables, qu'il n'est permis ni de négliger, ni de scruter, ni de di-
vulguer, car ce serait une manière de sacrilège. « Heureux parmi

(1) à)"/' avE [Aoi vviôv TE [xéyav y.at Pwîaov ûtî' «ùtù) ]
XcuyovTtov 7:à; crjiio; -juat jc6).iv aîjtûtî

T£t-/o;, 1 Kat/./.'.-/6pou xaÔÛTiepÔEv, stcI 7rpo'J'-/ovTi xo/.wvô). | ôpy.a 5' aOtr; «"vwv ÛTioB'i^ffou.at, io; âv
ëTteixa I
s-Javï'w; ipôovTs; à(J.ôv vôov î>,â(7/.o'.(jO£ (v. 270-27i).

(2^ A'', [xsv T:avvj/_iai xuopr,v Oîov l/.âaxov-o (v. 292'.


MÉLANGES. 161

ceux qui vivent sur la terre, ceux qui les ont vus car celui qui n'est !

pas initié à ces choses saintes et n'y participe pas, n'aura jamais un
sort égal, après avoir disparu dans les vastes ténèbres (1) ».

Les deux déesses remontent dans l'Olympe, d'où elles envoient la


richesse à leurs adorateurs.
L'hymne à Déméter est empreint d'un vif patriotisme local. Il ne
place à Eleusis ni l'entrée ni la sortie de l'Hadès, mais Déméter y a
résidé personnellement et non pas par une sorte de délégation,
comme dans les autres temples. C'est là qu'elle a institué les mys-
tères dont elle a confié la garde aux principales familles du pays.
Athènes est ignorée (2).
Il nest pas dit un mot non plus de lacchos. On dirait bien que les
rites se présentent sous la forme la plus ancienne, sans faire aucune
part à la capitale.
Tel est le mythe; quel est le rite qu'il met en action et projette en
légende? Il ne sera peut-être pas impossible d'en retrouver les élé-

ments primitifs, si l'on tient compte de la situation qu'il suppose une :

calamité extraordinaire, réelle ou mythique, qui a arrêté net tout


lespoir de la moisson. Qu'elle ait été due à la sécheresse ou à la
maladie des céréales, il n'importe pas. Or cette situation est com-
plètement laissée dans l'ombre par les mythologues. Les uns parce
que leur explication naturaliste suppose le cours normal des choses,
les autres parce qu'ils supposent tout le rite emprunté. Pourtant rien
n'est plus clair dans l'hymne, et ce trait marque une haute antiquité.
Tandis que toute la tradition postérieure attribue à Déméter l'in-
vention des céréales et de l'agriculture, l'hymne suppose les cé-
réales connues et l'agriculture pratiquée. Seulement tout est com-
promis, la récolte n'aura pas lieu et la disette aura pour suite la
famine, si bien que le culte des dieux lui-même est menacé.
Or, en cas de calamité, on a recours au jeune, du moins selon les
traditions orientale et égyptienne, et c'est pour cela que le jeune,
inconnu aux cultes grecs, fait partie de celui de Déméter (3). Le
jeune, à son origine, est peut-être dirigé contre les démons. En
tout cas une calamité comme l'infécondité du sol est certainement

(i) oi'.kt,--- ôpYi^ixoTUVYiv 6' Upwv, y.al ÈTrî'çpaStv opyia itiau \


cTciAvà, zi t' ovum; iaù itaps-
UiA£v, oOte Tt-jÔéerOat, | où'x o^s'eiV (isya yàp Tt Ôjwv àyoç io-/àvci aù3r,v. | 6/oio;, o; -râô' ôttwtxîv
STtiyôovîwv àvôpwTTtov ] o; 6' àxe/r,; Upôiv, o; t' d£(jL(i.opo;, 0'j:ro6' ôjAOi'w; | aîcav ïyzi çOcfievo;
itsp \mo r.05pa> s-jpw£VTi (v. 474-482).
(2) Bauineister lit aîèv 'AOTiva-oiit au v. 2(j7 ; mais l'unique ms. porte èv à/'/ri/oiTi, qui
peut faire allusion à une joute rituelle.

(3) Aussi dans les Thesmophories.


REVCE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 11
162 REVUE BIBLIQUE.

due à leurs maléfices. Il faut les combattre, et cette nécessité expli-


que suffisamment la lustration du pays par des torches pendant des
nuits entières, et aussi le trait plus énigmatique des plaisanteries de
IamJ)é qui font sourire et rire la déesse. La lustration par le feu
des torches étant un rite très connu (1), nous n'insisterons que sur
le second point.
Les plaisanteries de lanibé sont certainement d'une nature obscène.
Nous les retrouverons plus loin quand son nom
aura été changé en
celui de Baubo. M. S. Reinach l'a très Inen dit (2) « Dans l'hymne
:

homérique à Déméter, cet épisode est atténué par l'esprit de discré-


tion et d'euphémisme qui caractérise toute cette httérature déjà
courtoise et savante: mais ce sont encore les boutfonneries non
spécifiées d'une femme (appelée lambé par Homère qui arrachent
un éclat de rire à la déesse. - Or les gestes obcènes sont un moyen
très puissant de détruire les maléfices. Ce qui est particulier ici, c'est
qu'ils excitent le rire : mais cela est encore une manière de mettre
en fuite les démons : ils ont ri, ils sont désarmés.
Cette explication très simple n'exclut pas celle qui a été indiquée
dans l'antiquité, d'après laquelle les gestes obcènes seraient un pro-
cédé de magie sympathique pour obtenir la fécondité de la terre. La
connexion a été entrevue par Diodore (3,.
Déméter s'étant unie à lasion. le récompensa en lui accordant le]
froment.
qu'il en soit, le rite que nous supposons comme primitif est àl
Quoi
la fois conforme à ce que suggère l'hymne et aux usages les plus
avérés de la superstition antique.
Mais on sait que les anciens ont cru de bonne heure que le rite]
reproduisait les scènes d'une histoire. Les Babyloniens imaginèrenti
qu'Ichtar, la déesse de l'amour, étant descendue aux enfers, les ani-
maux cessèrent de s'unir, les hommes eux-mêmes renoncèrent à l'a-j
niour. Il était* très naturel de supposer que les semences ne venaient
pas à maturité parce que la déesse de la fécondité, et spécialement
la déesse "de la fécondité des plantes cultivées, était descendue aux!
enfers. C'était même elle qu'on cherchait avec des torches, dans une!
nuit qui ressemblait aux ténèbres du monde souterrain. Pour être!
plus sûr de la trouver, on s'assupait le secours d'une autre déesse
qui aurait elle aussi intérêt à retrouver la disparue, et le rite des!

(1) Lnstrare iaedis: art. Lustration dans Saglio [Rovché-Leclercq).


[2] Cultes, mythes et religions, iv, p. 116.

(3) Dion. V, 49 : zaî AY;(jLY;Tpav (jlsv 'laditovoç èpaa&eïaav tôv xapivôv toO atto-j ô(i>pr|(7X76ai.^
MELANGES. 103

plaisanteries avait dès lors pour but de la rendre favorable et de la


dérider dans sa tristesse.
Il va sans dire que le rite, tout en supposant un fléau très grave
à l'origine, a pu être répété pour en éviter le retour, si bien qu'il
aura été regardé comme un rite normal pour assurer la fertilité
des champs et enfin pour la symboliser.
Nous n'avons i)arlé jusqu'ici que de ce qui parait être le centre
du mythe. Il contient un épisode accessoire, celui de Fenfant Démo-
phon qui met en scène Déméter comme nourrice, non plus comme
y.apziçspcç mais comme -/.cjpc-rpî.^ir. C'était sans doute aussi pour
préserver les enfants des maléfices, car la mortalité infantile est une
suite naturelle de la disette et de la famine. Mais aurait-on rappelé
cette qualité de la déesse si elle n'avait été
aussi en rapport avec
le privilège des mystères? entendu qu'ils ne préservaient
Il était
ni de la vieillesse ni de la mort. De même pour Démophon. Pourtant
celui qui avait été bercé dans les bras de Déméter pouvait compter
sur une prérogative inviolable. S'agit-il seulement de la g-loire? On
le croirait dans un autre contexte, mais, puisque les mystères assu-
rent une meilleure existence par de là le tombeau, l'épisode de
Démophon est probablement ici une manière d'insinuer leur privilège.
C'est ici la grande nouveauté des rites d'Eleusis, nouveauté qu'il
faut apprécier à sa valeur, sans cependant enfler la voix comme
M. Kern. Ce savant célèbre « l'évangile qui délivre l'homme du
monde du péché et de l'apparence, annoncé
ici pour la première

fois en pleine clarté 1 1 ». du tout ici question de péché,


Il n'est point
et le « monde de l'apparence » demeura sans doute plus cher aux

Hellènes, même à Eleusis, que l'existence des ombres même bienheu-


reuses après la mort. Tout ce que Déméter et Perséphone promet-
tent, c'est, sans aucune condition morale, la richesse en ce monde
et un sort plus confortable dans l'autre à ceux qui auront vu les fonc-

tions sacrées. Ce n'est pas l'immortalité qu'on leur promet. Tous les
survivance des ombres. Us savaient aussi
(irecs croyaient' alors à la
qu'on peut améliorer leur sort par des libations et des sacrifices. Ce
n'est donc pas sur ce point que porte l'innovation. Mais désormais une
vie heureuse après la mort sera garantie d'avance par les deux
déesses à ceux qui auront vu leurs mystères. Non pas sans doute que
lavue opère d'une façon magique. La phrase est conçue sur un fvpe
de parallélisme qui oppose la vue accordée aux initiés au sort de

(1)PALl.^-^^ issowA, Démêler, c. 2736. Le moiide de l'apparence rappelle l'orphisme et


le boudbisme; riea de semblable à Eleusis.
164 REVUE BIBLIQUE.

ceux qui ne sont pas initiés aux sacra. La vue n'est donc une garantie
que parce qu'on est associé au culte, participant aux sacra, assuré
de l'amitié des déesses. Or c'est là ce qu'aucun culte grec n'avait
promis. C'est en cela précisément que consiste la nouveauté. Mais,
qu'on le note bien, la religion ne cesse pas par cela d'être nationale
pour devenir individuelle. Les rites sont accordés à Eleusis et ne
pourront jamais être pratiqués que là. Tout ce que pourra faire
Athènes sera d'en attirer à elle une très minime partie. Le secret,
comme celui de presque tous les cultes particuliers, est confié aux
familles sacerdotales d'Eleusis. Ces familles seront réduites ou trans-
formées, il faudra toujours avoir recours à elles pour obtenir d'être
initié.

Rien de tout cela ne respire une religion universelle en esprit et


en vérité. C'est seulement l'apparition parmi les cultes grecs d'une
assurance de vie bienheureuse grâce à des rites accomplis d'avance,
institués par certaines divinités.
Le fait n'en a pas moins une immense inportance. Aussi a-t-on dû
se demander quelles étaient ces divinités, helléniques ou étrangères,
et, dans le cas où elles auraient été helléniques, si le principe nou-
veau du salut découlait de leur culte ou avait été emprunté ailleurs.
M. Foucart, l'homme de France qui connaît le mieux les mystères
d'Eleusis, attribue à Déméter une origine égyptienne, et, dans l'ou-
vrage qui résume ses travaux, les Mystères d'Eleusis (1), il a donné
une forme définitive à son système. C'est aussi la forme la plus
radicale. Déméter n'est autre qu'lsis, venue d'Egypte au temps de
la XVIIF dynastie, comme déesse de l'agriculture. Au xv° s. av.
J.-C, nouvelle influence des Égyptiens qui font connaître la déesse
comme présidant aux lois, surtout à celles du mariage; d'où la fête
des Thesmophories, venues d'Egypte. Au xi*" siècle, Isis-Déméter s'ad-
joint Dionysos, non pas le thébain, venu de Thrace, mais un Dionysos
attique qui n'est autre qu'Osiris. .Ius(ju'à ce moment le culte de
Déméter à Eleusis était surtout agraire : le vu" siècle fut marqué
par la révélation des mystères ayant trait à la vie future. Il fallait

bien distinguer nettement ce trait une époque relative-


et le fixer à

ment récente, puisqu'il ne s'est pas répandu dans le monde grec


comme de Déméter.
les autres fêtes
On estimera trop compliqué cet apport successif de
peut-être
notions égyptiennes qui découpent pour ainsi dire les divers aspects

(1) Paris, 1914. La iiiande autorilé de M. Foucart ou plutôt ses raisons ont entraîné
M. Lécrivain, art. Mystères dans le Dictionnaire de Saglio.
MELANGES. 165

dlsis et les reconstituent pour former, par une sorte de placage, la


personnalité de Déméter.
D'autant que cette déesse, qu'elle soit d'origine pélasgique ou
hellénique, se présente comme étant partout la même, sauf ce qui
regarde les mystères. Son nom est grec, et signifie soit la terre
mère (1 1. soit l'orge mère (2).

Cependant elle apparaît comme distincte soit de la terre soit des


céréales. Quoi qu'il en soit des origines les plus reculées et des con-
jectures de l'école anthropologique, quand elle apparaît comme
déesse, elle est la déesse qui donne en assurant
la fécondité h. la terre

la réussite des récoltes. Elle conduit le grain depuis la semence


jusqu'à la moisson. Et, par une analogie qui a séduit beaucoup de
peuples anciens, et spécialement les Grecs, elle est aussi la déesse de la
fécondité féminine, la déesse spéciale du sexe féminin. Elle est aussi
Thesmophore, c'est-à-dire régulatrice, législatrice, gardienne de
l'ordre. Mais cette idée n'est point étrangère aux précédentes, soit
que ces lois soient avant tout celles du mariage, soit qu'on ait
compris dès les temps l^s plus reculés que culture était synonyme
de civilisation par opposition à la vie nomade, incapable de consti-
tuer une cité. Déesse de la fécondité du sol, elle exerçait aussi un
certain empire sur le sous-sol, et à ce titre elle approchait du monde
souterrain; mais elle n'y est pas descendue pour régner sur les morts.
On admit partout dans le monde grec que son empire s'y exerçait
par sa fille, Coré, reconnue identique à Perséphone.
Et l'unité de ces divers aspects se retrouve, sans parler des mys-
tères, dans les fêtes de la déesse. Nous n'en dirons ici que ce qui met
en lumière sa physionomie. Ce sont en particulier les Haloa, quand
les travaux agricoles avaient pris fin, fête très joyeuse, tout à fait

> agricole,où le vin coulait en abondance. Il n'est donc pas étonnant


qu'on y échangeât des propos licencieux. Mais de plus on y façonnait
des gâteaux représentant les organes des deux sexes (3). 11 y avait
aussi des cérémonies secrètes, réservées aux femmes. C'est un trait
commun avec les Thesmophories qui étaient absolument une fête
féminine. On n'y admettait que les femmes mariées, et de bonne
réputation, et cependant on y voyait figurer les mêmes gâteaux et

(1) CeUe opinion des anciens est encore la plus répandue parmi les modernes Ar;[xr,xTi?

(2) Du Cretois orja; pour y.piOai Etijni. magn. 2t34, 12) ou de Sria; forme dorique pour
Σia{ sorte de blé, épeautre. Ar|W est une forme hypocoristique.
(3) Schol. de Lucien, édité d'abord tlans le Rhein. Mus. xxv, Dial. mer. vn, 4 : Trpôaxîi-
ta'. Sh Taï; 'cpazéî^air xai jxK/.axoùvTo; xaxa(TXî-jac(i.£va âu-çoTÉptov fsvàiv alôoTa.
166 REVUE BIBLIQUE.

les mêmes discours obscènes (a'.7y,c:Ac-;ia), qu'on n'eût pas tolérés


ailleurs, mais cju'on excusait alors comme faisant partie d'un rite (1).

11 est imposible de faire ressortir plus nettement le caractère ultra-


féminin de ou plutôt c'est l'aveu que l'orsane féminin de
la divinité,
la était en
génération quelque façon l'objet du culte (2).
Et cependant cette fête de la déesse législatrice suppose aussi le
mythe de Déméter et de Coré pour aboutir à des fins agricoles.
Le jeune rappelle celui de Déméter et des mystères. On jetait des
porcs dans un abime souterrain qui devait représenter l'entrée de
l'enfer (3), et Clément d'Alexandrie explique le sacrifice des porcs
comme un honneur rendu au porcher Eubouleus dont le troupeau
fut englouti sous la terre avec le char d'Hadès quand il enleva Persé-
phone '4;.
Quelques jours après, des femmes (àvTAr.Tpiai) descendaient dans
ces souterrains pour y chercher les débris des victimes on les consu- :

mait sur l'autel, et les cendres, mêlées aux semences, assuraient une
bonne récolte. C'est de nouveau la fertilité du sol unie à la fécon-
dité féminine, comme le scoliaste de Lucien l'a remarqué expressé-
ment (5).

Quels sont donc arguments qui permettraient ou plutôt qui obli-


les

geraient de regarder une divinité dont la physionomie est si une,


adoptée partons les (irecs, comme un doublet d'Isis?
Tout d'abord M. houcart nous dispose à admettre les rapports de
l'Egypte avec l'Argolide ou l'Attique à une très haute époque par
l'exposé de la découverte d'objets égyptiens à Mycènes, dans les tom-
beaux d'Eleusis et à l'Héraion d'Argos. Mais, à supposer que quelques-
uns de ces objets soient sortis d'Egypte à une époque aussi reculée
que la XYIII' dynastie, on ne saurait y voir la preuve que les marins
du Delta ont dès lors abordé aux rivages de la Grèce. L'influence de
l'Egypte sur la Crète s'est probablement exercée beaucoup plus tôt.
Or, les Cretois avaient l'empire de la mer, et ils ont pu être, avant
les Phéniciens, les intermédiaires entre l'Egypte et la Grèce.
M. Foucart fait état de la légende de Danaos. Hérodote ne dit-il pas
expressément que les filles de Danaos ont apporté d'Egypte les céré-

(1) Aristote, Polit. VII, 13315. H 17.

(2) C'est ce que Théodoret dit tout uniment [Therap. m, 84 dans V. C. lxxxiii. 889) :

TGV y.téva tov v-jvatx£Ïov (o-jtw oè to y-jvaixîtov ôvojAatïovai \j.ôùw)) év xoî; 6e<7;j.oçoptO'.; Tiapà
tôv T£TEA,£(7[Jl£V<l)V '(•^••ilXVf.Gl^ Tl|Xr,î àEtOÛjJLSVOV.

'3) Le scoliaste de Lucien, /. l.

(4; Protr. II, 17.

(5) L. l. eU (7iJv6ïitAa tt,; yevéctew; twv xapTttôv y.al tmv àv6pw7:a)v.


MÉLANGES. 167

monies secrètes de Déméter que les Grecs appellent Thesmopho-


ries (1)? Mais, d'après la légende, Danaos a abordé à Arsos. Faudra-
t-il donc faire de Héra. la déesse srecque par excellence, de l'Héra
d'Argos une Isis? M. Foucart ne recule pas devant cette conséquence,
assez compromettante pour sa thèse (2). Mais elle énerve d'avance
l'argument tiré des ressemblances entre Isis et Déméter, s'il faut
encore qu'Héra soit identifiée avec chacune des deux autres déesses.
Il est vrai qu'Hérodote a identifié Isis et Déméter ^3. Mais son
témoignage doit être examiné de près. Il est d'abord évident qu'il
ne vaut pas comme attestation historique de ce qui s'est passé quelques
raille ans avant lui. Et on ne saurait allég-uer une tradition unanime

des Grecs. Le marbre de Paros parle lùen du voyage de Danaos,


venu d'Egypte, mais il ne prétend pas que Déméter soit venue du
même endroit [ïj. Elle est seulement une étrangère à Eleusis, comme
pour l'hymne homérique, comme aussi pour Isocrate (5 La petite .

histoire evhémériste de Diodore a encore moins d'autorité qu'Héro-


dote '6j. Il est égyptisant avec frénésie. C'est Érechtée lui-même
qui est égyptien; il enseigne aux Grecs les mystères de Déméter;
les Eumolpides et les Kéryces pratiquent les rites des prêtres égyptiens

et des pastophores.
Les textes d'Hérodote ne sont donc point la preuve d'une tradition.
Ils n'en sont pas moins fort intéressants. Car cet observateur curieux,
et initié aux mystères, a pu constater des ressemblances entre les
cultes. vraiment, et en tenant compte de la discrétion qu'il
A-t-il
s impose, indiqué des points de contact?

fk Ce qui le rend un peu suspect, c'est sa manie d'identifier presque


tous les dieux grecs à ceux de l'Egypte (7). Si Apollon n'est pas Horus,
ni Athéné identique à Neith, ni Artémis à la déesse de Bubaste, que
penser de Déméter et d'Isis?
L'un des termes de la comparaison est assez connu, nous venons de
le dire, et Hérodote est convamcu comme les modernes que Déméter

1) HÉR. II, 171.


2) L. l., p. 87. '( Tantôt Héra, tantôt Déméter; mais, à mon avis, si les noms diffèrent,
il s'agit d'une même personne divine... qui ne peut être qulsis. »

(3) II, 59 : 'Ifft; Se ètt'; y.aTà TViv 'EA/ifivw/ -'ÀwaTav A/i(ir;Tr,p.

i'i) Inscr. graec, \ii, 5, n" 444. L'inscription, de l'an 263 av. J.-C, rattache l'arrivée
de Déméter à l'année qui est pour nous 140S av. J.-C, sous Érechtée : as' oC Ar,ur,-ïip

ài'./o[i£vr, Ei; 'AÔr,va; xapTtbv izi-j[~z-j(7]z^...


5) Isoc. Pan., 28.
(6) DiOD. I, 49.
:7) C'est un principe, il. 30 : Ixsôov ôà v.7.\ -âvTwv -à oOvôsAaTa twv ôstijv èl AtYÛ-TOj
èyr{rM Èç ttjV 'E/>à6a. Il ne s'agit pas des noms comme phonèmes, mais des concepts
divins comprenant les attributs des dieux et les cultes appropriés.
1C)8 REVUE BIBLIQUE.

était la déesse de l'agriculture et des céréales, puisqu'il parle du blé


comme fruit de Déméter, et même, dans un oracle poétique, Déméter
signifie le froment (1). Alors il parle en Grec. A-t-il regardé Isis

comme la déesse des céréales? Les modernes n'y manquent pas.


Mais, ce qui a frappé Hérodote, ce n'est point cet aspect d'Isis, qu'il
ne mentionne nulle part. Isis est, d'après lui, mais avec Osiris (2),
la divinité la plus g'énérale,ment reconnue des Égyptiens. Ce n'est
point la déesse des fêtes licencieuses, qui se célèbrent à Boubaste (3),
et qui n'ont rien à voir avec Isis. C'est la déesse des fêtes luguljres de
Bousiris (4), où tout le monde
Déméter se frappe, et, une fois
assimilée à Isis à cause de ces rites de lamentations, sûrement à
propos d'Osiris, Déméter devient sous sa plume une déesse de l'enferj
beaucoup plus que pour les Grecs (.'>). S'il a attribué une origine
égyptienne aux Thesmophories, c'est sans doute, sans parler de sa —
manie égyptisante —
à cause de leur caractère de tristesse.
Que l'on tieime compte de tous ces textes, et spécialement de la i
conviction d'Hérodote que les représentations des souffrances d'Osiris '

sont de véritables mystères (6), et l'on reconnaîtra que le type de


Déméter qu'il a trouvé conforme à celui d'Isis est précisément la
Déméter des mystères d'Eleusis. Cela a son importance, mais on n'en
peut rien déduire touchant les origines primitives de Déméter ni sur-
tout dire qu'Hérodote a vu dans Isis la déesse de l'agriculture qu'est
avant tout Déméter. C'est bien l'opinion de Diodore (7), mais dans

(1) û'ôfjiYixpo; xapTto; 1,193; iv, 198; cl. \ii, lil.

(2] II, 42 : toÛTO-j; oè ôuoio); ànavTe; çjSovTat.

(3) II, 60 La ressemblance entre ces f(5tes et celles de Déméter n'a donc pas la portée
que lui attribue M. Foucart. A Boubaste on tenait une foire avec des réjouissances qui!
sont obscènes, mais sans caractère religieux, et la déesse n'est pas Déméter. 11 s'agit'
donc d'une rencontre fortuite que nous ne voulons pas dissimuler; les femmes descendent
le iS'il dans des barques al' ôè -wOâ!^o-j<7i ^owaai tàç èv tv) ttôXi taÛTr, Y'-^^aixa;, al' oè èp-j

-/soviai, al' 8è àvaffOpovrat àvtCTT(i[i£vai... C'est bien le geste de Baubo.

(4j II, 61 : èv Se Bouirîpc tîÔai wç à'vâyoucri ty) "{iji ty;v ôpii^v. e'i'priTai TrpÔTspôv [xof (il, 40)1
TijTtTOvxat [.lèv
l'àp Sr, (ji£Tà Trjv 9u(T£y)v Trâvxeç xai îiSaai, [ji-jptàSiç xâpTa 7io>.).al àv9p(j'>7iwv' tovI
Se TÛTTTovTai, ou |xot Ôaiov Èatt "/iyEiv. le doit être à cause d'Osiris, qu'il ne veut ])as nooj
plus nommer ii, 132 ni ({uand il parle évidemment de ses mystères, ii, 171.

(5) II, 123 àp3(ifiY£T£iJ£tv ôà xwv y.âTw AîyjTiTioi )iyovai Ar/jXYjTpa xal Atov^cov. CL il, 122.

Rampsinite descend vivant dans l'Hadèset joue aux dès avec Déméter; il gagne et il perdl
tour à tour. Le goût du symbolisme naturaliste a amené M. Stein à dire que Rampsinitei
perd quand il sème et gagne quand il récolte. Mais Hérodote ne songe pas à la déesse du]
grain. Il brode sur un thème égyptien, l'enjeu demeurant indéterminé. CL Maspero,!
Études de iinjl/i. cl d'arcli. égyptiennes, m, p. 378 Satni descendit dans la tombe dej :

Noferképhlali... y joua le livre de Thot au cinquante-deux contre


« 11 la momie animée]
de Noferképhtah, puis il remonta vainqueur à la lumière ».
(6) II, 171.

(7) I, 14.
MÉI.ANGES. 169

une comparaison systématique où les traits d'Isis sont dessinés d'après


ceux de Déméter.
Il est vrai que les modernes, mieux informés que Diodore et qu'Hé-
rodote, peuvent reprendre la comparaison. M. Frazer dans (Ij voit

Isis une déesse grain, et iM. Foucart en fait une déesse de l'agricul-
ture.
Isis est une divinité multiforme, et il n'est pas impossible de trouver
dans les textes des allusions à son pouvoir sur les travaux des champs
et sur la sage organisation des humains. Mais ces textes sont loin
d'épuiser sa physionomie. Et quand Isis aurait été tout d'abord,
comme le pense iM. Maspero (2), la terre noiredu Delta, fécondée par
le limon du Nil, ce n'est pas sous cet aspect purement local quelle
a pu être transportée en Grèce. A défaut de preuve —
-
et elles font

absolument défaut, — on doit s'en tenir ce qui plus simple, à est le

l'origine — pélasgique ou grecc{ue — d'une divinité de l'agriculture,


adorée dans le territoire où les Grecs ont succédé à ceux qu'on a
longtemps nommés les Pélasges.
Ce point acquis, il est assez indifférent que Déméter soit venue du
sud de la Thessalie ou de Crète.
En faveur du sud de la Thessalie (3) on cite Callimaque qui y a
placé le mythe d'Erysichton. Mais M. Kern, qui tient pour cette opinion,
admet que Déméter a passé parla Crète. C'est là qu'elle est devenue
une déesse Éleusinie, qui a ensuite donné son nom à Eleusis, comme
Athéné à Athènes. On admet en effet volontiers aujourd'hui l'existence
en Crète dune grande déesse de la fécondité Eleutho, Eilythia, Eleu-
sinie. A côté de la déesse des montagnes, nous avons trouvé la trace,
d'après les fouilles de Knossos, d'une autre déesse qui rappelait le
type de Déméter (i), qu'une tradition disait fille de Rhée (5'.
Homère disait que Déméter s'était unie à lasion i6 sur un sol trois ,

fois labouré, et Hésiode ajoutait que ce fut en Crète (7). Le champ

trois fois labouré rappelle le nom de Triptolème [S, qui devint le

(1) Adonis, Attis, Osiris, p. 347 ss.

(2) Histoire... i, p. 132. — De fon côté .M. Eriiian a écrit : « Les renseignements nous
manquent sur la nature priinilive de la{La religion égyptienne, p. 32.)
déesse Isis >'.

(3) Le AÛTiov Tieoiov ou plaine de Aw; {hymne hom. 122); Callimaque, hymne XV.
(4) Lagrange, La Crète ancienne, p. 99.
(5) Claldien, De raptu Proserp.
(6) Odyss. V, 125 ss.
(7) Theog. 969 ss. Ar^jx-Zitrip p.àv FIàoùtov HyeivaTO, oïa Oîâwv, |
'iaaîw r|p(oï (iiyeïff' ÈpaTYÎ çi/ô-
Tr,Tt I
vsitô £vi xpiTOAU), Kpïinfi; sv Tttovt ôr.jiw.

M. Georges Nicole (art. Triptolème dans Sagi.io) reconnaît que c'était la pensée des
(8)
anciens, quoique lui-même préfère létymologie de toiôsiv « fouler » et d'un dérivé dà>i(o.
Triptolème serait k le Tritureur ».
170 REVUE BIBLIQUE.

principal héros d'Eleusis. La légende Cretoise offrait donc le souvenir


dune union sacrée, sur un sol labouré trois fois dans Tannée (1), afin
d'obtenir, par une sorte de magie sympathique, la fécondité de la
terre et de bonnes récoltes*. L'hymne homérique n'en parle pas, mais
nous retrouverons ce [ipl: và;x:ç agricole dans les mystères d'É-
leusis.
L'origine Cretoise a donc pour elle bien des vraisemblances.
Ainsi Déméter appartient par ses origines à une terre qui devint
pays grec. Elle n'est point Isis. Mais si Ton écarte l'opinion de
M. Foucart sous sa forme la plus aI)Solue, ne serait-il pas juste de
lui faire une part, réduite à l'institution des mystères? Car, si le
culte de Déméter s'est répandu dans tout le monde grec, les mystères
sont demeurés propres à Eleusis. Pourquoi ne sont-ils nés que là?
N'est-ce pas l'indice d'une origine étrangère? Et n'y a-t-il pas de
bonnes raisons de penser à l'Egypte? Cest, dit M. Foucart, une reli- <(

gion nouvelle. Et d'où peut-elle venir, sinon du pays qui, seul, entre
toutes les nations , attribue la souveraineté du monde inférieur
à un couple de dieux bons, qui seul, assure aux fidèles d'isis et
d'Osiris une vie réelle plus heureuse et plus durable que la vie
terrestre (2) ».

Le raccord paraît assez exact sur deux points. D'abord l'Egypte


est, par excellence, le pays des représentations liturgiques. La pompe

de ses cérémonies se reproduit encore sur les parois des grands


temples thébains. A côté des hauts faits des monarques, se placent
les gestes des dieux et leurs aventures au ciel, sur la terre et dans
les enfers. Et il est certain que la connaissance de ces gestes di-
vins, surtout de ceux d'Osiris, était absolument nécessaire au salut,

puisque toute âme devait suivre la même voie, passer par les mêmes
épreuves et arriver aux champs des bienheureux par les mêmes
moyens?
De plus ce secret était évidemment réservé aux serviteurs du dieu
des morts ou de son filsHorus. Les âmes n'étaient sauvées que si
elles avaient été les fidèles d'Osiris ou les suivants d'Horus (3).

N'est-ce pas précisément ce ([ui fait l'originalité des mystères


d'Eleusis? La vie bienheureuse y est accordée à ceux qui ont été
initiés aux mystères et qui ont vu les cérémonies.

(1) Pline, xviii, 24i, à propos des narcisses ^qui jouent le principal rôle parmi_
II. .V.,

les fleurs lors de l'enlèvement de Perséphone) namque et haec ter florent primot/ue
:

flore primam urationetn ostendunt, medio secundam, tertio novissimam.


(2) Op. laud., p. 89.
(3) Maspero, Histoire... I, p. 180.
'MELANGES. ITI

Mais ce sont là des rapprochements assez vasucs. Les précisions


font défaut.
M. Foucart parlait du couple égyptien. Or ce n'est point le mari
et la femme qui figurent dans les mystères, c'est la mère et la fille,
Déméter et Koré.
Le savant maître a cru, il est vrai, trouver à Eleusis Osiris à côté
d'Isis. Il y a souligné la présence, dès le v'^ siècle av. .l.-C, d'un
dieu et dune déesse qui sont demeurés innomés (11. C'est incon-
testablement l'un des plus intéressants résultats des fouilles. Quel-

ques-uns pensent que « le dieu et la déesse » sont Pluton et Persé-


phone. Mais M. Foucart a très solidement prouvé leur individualité
distincte (2), soit d'après les inscriptions, soit d'après les monuments
figurés. Et ce culte mystérieux se prolongea peut-être autant que
les mystères. Du moins il existait encore sous les Sévères (3 t. Ce
serait la première forme du culte étranger. Ensuite la déesse se
seraitdédoublée en Déméter et en Coré, tandis que le dieu était
devenu le Dionysos attique.
Mais c'est là une conjecture cjui ne s'appuie guère que sur d'autres
conjectures. Si l'hypothèse était exacte, on s'attendrait à ce que le
dieu et la déesse aient eu leur place dans les mystères. Mais M. Fou-
cart concède à M. Zielien (|u'il n'en est rien (i).

Il est difticile d'admettre que la déesse ait été remplacée par Déméter
et par Coré, se dédoublant sans cesser d'être elle-même. Si le dieu
est Osiris, il a dû être remplacé dans les mystères par Dionysos.
C'est bien que pense M. Foucart. Or, quoi qu'il en soit de la
ce
période athénienne, le culte de Dionysos est absolument étranger à
l'hymne homérique.
De sorte que le dieu et la déesse pourraient tout aussi bien être
d'anciennes divinités autochtones, innomées pour cela même ^^5), et
mises dans l'ombre par l'arrivée de Déméter et de Coré. auxquelles
seules les mystères étaient consacrés.
La représentation des drames sacrés à l'égyptienne a dû impres-

(1 '
Ordonnance sur les prémices Ditt. Syll. 20), où on les offre toiv 6eo'.v... toi t&'.uto/.e|io'.
v.a'. Tot ÔEo: y.a.'.-za: ôîat -/.ai toi EoooàO'..

(2) L. L, p. 90 ss. contre Dittenherger : Demn Plutona, Deam Proserpinam esse con-
xentimit editores.
(3) Inscription de Lacrateidés, l'^' s. ap. J.-C, 'E^' àpy. 1886, p. 19; C. 1. A. t. III, 1109
sous Hadrien: 'Ei' àpy. l'.iOO, p. "4 sous les Sévères.
(4) Op. laud., p. 207. '< M. Ziehen a fait observer avec raison que le dieu et la déesse,
qui tiennent une place dans la religion agricole d'Eleusis, ne paraissent pas avoir joué
un rôle dans les mystères. «

:5) Cf. HÉR., Il, 52.


172 REVUE BIBLIQUE.

sionner les Grecs. Mais la race qui a créé le drame avait-elle besoin
d'une impulsion étrangère pour être amenée à mimer les actes des
dieux (1)? On ne trouve pas qu'à Eleusis des tentatives de ce genre,
quoiqu'on ignore la date précise de leurs commencements. Nous
avons essayé de montrer comment les rites d'Eleusis ont pu prendre
naissance comme lustratoires et propitiatoires.
Le lien féodal entre le serviteur d'Osiris et le dieu des morts res-
semble à celui qui unissait Déméter à ses initiés. Mais il y a cette
différence que l'initié de Déméter est déjà assuré de son salut de
?on vivant, tandis que l'égyptien n'aurait aucune garantie si l'on
n'accomplissait sur sa momie les minutieuses cérémonies de l'ouver-
ture de la bouche.
Il est vrai que de son vivant déjà il s'informait, en apprenant par
cœur le livre des Morts, de ce qu'il aurait à dire dans l'autre monde
pour échapper aux embûches de ses ennemis, et, si M. Foucart avait
prouvé que les révélations d'Eleusis contenaient un semblable itiné-
raire, la dépendance des Grecs serait évidente. Mais ce point est loui
d'èlre établi, comme nous le verrons.
Nous sommes donc obligé de conclure que l'origine égyptienne
du rite des mystères n'est point prouvée. Hérodote a cru que les rites
égyptiens étaient de vrais mystères. Mais il semble qu'il se soit laissé
entraîner par des ressemblances plus extérieures que réelles, et les
mystères dont il parle sont ceux d'Osiris qui correspondent à ceux de
Dionysos-Zagreus, non à ceux de Déméter et de-Coré.

M. Loisy a regardé l'origine égyptienne des mystères comme (( tout


hypothétique »; en revanche, une influence des mystères de Dionysos
u n'a rien que de conforme aux vraisemblances et aux témoignages
de l'histoire ['2) ».

Mais ces témoignages de l'histoire ne sont guère que la tradition


qui fait d'Eumoipe un Thrace (3). Quel crédit peut-on accorder à
cette tradition, postérieure de quelques siècles à celle de l'hymne
qui range Eumolpe parmi les principaux d'Eleusis? Quant aux vrai-
semblances, il y a sans doute la foi des Thraces à l'immortalité. Mais
l'immortalité est supposée par les mystères d'Eleusis comme par tous
les cultes des morts, et on ne voit pas que les mystères de Dionysos
s'en soient préoccupés plus que les autres. Enfin, ce qui est décisif,

(1) Croiset, Hist. (le la litt. grecque, III, p. 24 : « Il est certain ([ue, dans plusieurs
sanctuaires helléniques, le culte local a donné lieu, dès la plus haute antiquité, à des
représentations sacrées, dont on ne saurait contester le caractère dramatique ».

(2) Loisv, loc. laud., p. 223.


(3) Pals., i, 38, 3.
MÉLANGES. 173

c'est que Dionysos n'appartient en aucune manière aux mystères


d'Eleusis, tels que l'hymne homérique les laisse supposer.
Il reste donc que les mystères sont sortis da culte de Dèméter et de
Coré. C'est aussi la voie la plus naturelle. L'union des déesses a pro-
duit ce résultat. Et voici comment on peut l'imaginer.
Déméter est une divinité du sous-sol, et que l'on peut donc nommer
tellurique ou chtonienne. C'est à ce titre que, d'après Hésiode, elle
s'est unie au Zeus Chtonios. Elle donne la fertilité du sol et elle est
donc bonne et bienfaisante. Mais elle n'est point la reine des Enfers.
Cette reine, c'est Perséphone, dont le pouvoir est souverain aux ré-
gions infernales, mais qui n'est que redoutable.
Et tel est ie problème qui s'est posé pour les Babyloniens et pour
les Égyptiens comme pour les (irecs. Comment fléchir la divinité qui
règne sur les morts? Chez les Babyloniens la question ne fut jamais
résolue. Personne n'eut sous la main la manière de s'assurer après la
mort une condition heureuse aux Enfers, sauf les héros extraordinaires,
comme aussi chez les Grecs; mais ils ne peuvent servir ni de règle,
ni d'exemples.
Chez les Égyptiens, on ht du dieu des morts un dieu bon, l'être
bon par excellence. Et, s'il n'agissait pas directement sur la terre, sa
femme Isis, qui y était restée, pourvoyait à tout pour assurer le salut
de leurs fidèles.
Chez les Grecs on eut l'accord de Déméter et de Coré. Déméter ne
devient pas une déesse des enfers, mais elle y prend de l'influence par
Coré. Et Coré cesse, au contact de cette bonne mère, d'être la déesse
presque haïssable, l'épouse du sinistre Hadès, elle s'adoucit, passe
auprès des autres dieux les deux tiers de son existence, et Hadès lui-
même devient Pluton, le dieu de la richesse.
Le dévot de Déméter et de Coré était donc assuré d'un sort heureux
dans l'autre monde. Le royaume de Coré ne pouvait pas être unique-
ment la région ténébreuse où les âmes traîneraient une existence
décolorée; il devait contenir une région parée de tous les charmes,
préparée pour le bonheur des siens. Pour cela il suffisait d'être initié
aux rites révélés par les deux déesses, et de contempler les cérémonies
qui reproduisaient le principal épisode de leur vie divine.
Bien des points restent obscurs.
Où s'est opérée l'union des deux déesses? Il semble que ce fut à
Eleusis, et d'excellents mythologues (i) admettent que tous les cultes
unis des deux déesses viennent de là. Coré est peut-être originaire

(1) Kern clans PAii.Y-Wissowa, Bloch dans Rosciihr, Leticon.


174 REVUE BIBLIQUE.

du Péloponèse. Quand on avait reconnu l'étroite union de la mère


et de on s'empressait de les associer dans les mêmes rites
la fille,
Mais nulle part on ne se crut autorisé à célébrer les mystères ailleurs
qu'à Eleusis.
N'est-ce point un indice que ces mystères, s'ils sont sortis assez na-
turellement du culte de la mère et de la fille, ont été cependant
organisés à Eleusis sous des influences étrangères qui ne se sont pas
fait sentir ailleurs? Et si l'influence des Égyptiens ne s'est pas exercée
directement, cette large part faite à la bonté chez les divinités in-
fernales, ce nionde ténébreux devenu en partie un pays de lumière,
ne sont-ils pas un reflet de leurs idées?
Les rapports des anciens Egyptiens avec l'Attique à une très haute
époque demeurent, malgré les indices accumulés par les fouilles,
une simple possibilité. Au contraire ils sont avérés en Crète, et
spécialement dans le domaine religieux et à. propos des morts. La
Crète est donc un pays naturellement désigné pour cette fusion des
idées (1). Uéméter a pu s'y préparer au rôle qu'elle devait jouer par
la suite, et déjà les anciens Cretois savaient que tout n'était pas
sombre et sans espérance dans le royaume des morts.

IL OllGAMSATION SACERDOTALK ET CÉRÉMOMES PRÉLIMINAIRES.

Lorsque Eleusis fut entrée complètement sous la domination d'A-


thènes, les mystères devinrent en quelque manière la chose de la
grande cité, sans cesser d'être propres à Eleusis. Il y eut une sorte
de compromis.
Les grands mystères ne furent célébrés qu'à Eleusis, mais Athènes
eut ses petits mystères et les déesses vinrent inviter le peuple à leurs
rites éleusiniens. Ce fut l'occasion de processions dans lesquelles la

cité d'Athéné excellait. D'ailleurs on ne peut douter qu'elle n'ait im-

primé à tout l'ensemble des cérémonies son goût parfait elles de- :

vinrent, grâce à elle, une merveille et une fête pour les yeux; la
beauté des chants fut sans doute à la hauteur de l'ordonnance sinqile
et harmonieuse des spectacles, exhibitions d'objets divins, ou danses
sacrées, et les cortègeseux-mêmes n'étaient pas la moins belle partie
de la fête. Tout contribuait à évoquer dans les âmes des émotions
religieuses et nationales, car on célébrait une des gloires d'Athènes,
la plus haute, celle qui la montrait l'intermédiaire choisie par Dé-
mêler pour unir le monde hellénique dans un sentiment religieux

(1) Lagrance, La Crète ancienne, p. 103 ss.


MÉLANGES. 175

plus pur avec des espérances certaines pour l'autre vie, et pour ré-
pandre dans le monde entier le bienfait de l'agriculture et la civilisa-
tion dont elle était l'inventrice (1 .

Car désormais c'était un dogme certain que Déméter avait enseigné


à Eleusis la connaissance des céréales et la manière de les amener à
maturité.

1. — Le personnel officiant.

La direction religieuse des mystères était contiée à deux familles,


censées toutes deux originaires d'Eleusis, les Eumolpides et les Ké-
ryces (-2), ou plutôt ce sont les deux familles, dépositaires par tradi-
tion des mystères, qui voulaient bien y admettre les Athéniens, à la
condition de rester maîtresses de l'admission des initiés.
Le sacerdoce est donc héréditaire, sa plus haute fonction étant à
vie. C'est un point qui rapproche le sacerdoce d'Eleusis des cultes
orientaux, mais seulement parce que les sacra d'une famille sont
devenus ceux d'une cité.En Grèce tel était le caractère des sacer-
doce& des vsvv;, et M. Foucart a très bien mis en lumière ce qui les
distingue de ceux des États. « En Attique, il n'y a pas de prêtres de
carrière. Tout citoyen, jouissant des droits politiques, peut être investi
d'un sacerdoce; de même les prêtresses. La charge est temporaire,
presque toujours annuelle. Elle n'exige ni instruction, ni préparation
spéciale... Le sacerdoce ne crée aucun lien entre le prêtre et la divi-
nité qu il sert en passant... L'année écoulée, il reprend sa vie ordi-
naire. N'ayant ni morale à prêcher, ni rien à enseigner sur la nature
(les dieux et leurs rapports avec les hommes, il n'exerce aucune
influence religieuse (3). » Au contraire, les j)rêtres des familles
s'intéressaient au culte de leur dieu qui était souvent censé l'ancêtre
de la gens ou ^svc; ; ils étaient ordinairement nommés à vie, et se
consacraient à leurs fonctions. Ceux des mystères prirent une impor-
tance considérable sans changer de caractère. Leurs fonctions étant
très absorbantes, ils étaient comme séparés de la vie laïque. Un

(1) IsocRATE, Panéy. 28 (Ar,(x.r,Tpo;) ôo-jCt,; owpîàç [oiTTà;] alTîcp (isyicr-ïi T-JY/.âvoootv oÔTat,

ToO; Tî xa,07to-J;, oî tov [xr, 6r,p'.woà); C'i'' '^î^à; 'xiv.o: veyova^i, xal tyjv Tc/.£t;^v, r,; ol [ASTaïXÔvTE;
Ttepî -£ Tf,; To-j pîov itlz-j-f,- y.a". to-j ffy(jL7ravxo; aiwvo; r,o:'o-Jî tàç £>,7t;ôa; iyo-ji'.'j. (29) oOtw;
r, 7:6)'.; Tr,(xtl)v où (xovov 6£05'.aw; à/,/.à y.al ^iXavGpwTtw; £a'/;£v, Mmz y.upta y£vo[i£vr, tocto-Jtwv

àYadûv oOx içOovriTc toT; à/./.o'.;, à>,/.' uv î'i.ixovi à-a(n [xcTéûwxEv.


(2) M. Foucart (/. /. y. 157; estime que
Kéryces étaient en réalité d'origine atiiénienne.
les
Dans tout ce qui regarde le sacerdoce, nous ne pouvions mieux faire que de mettre lar-
gement à profit l'ouvrage du savant maître.
(3) L. L. p. 224.
i76 REVUE BIBLIQUE.

indice singulier de leur consécration totale à un ministère qui atté-

nuait en eux la vie naturelle, c'est que les principaux, les hiéro-
phantes surtout (1), perdaient leur nom. Ils étaient censés le plonger
dans la mer, et dès le moment de leur consécration jusqu'à leur
mort, il était et il devint de plus en plus rigoureusement interdit
de le prononcer (2). Ce n'est pas le fait d'une seconde naissance,
puisque le nom reparaît après la mort, par exemple dans les inscrip-
tions (3) ; mais c'est bien l'indice qu'on cesse d'appartenir à la
société civile ordinaire.
N'est-ce pas ainsi qu'en entrant dans certains ordres religieux on
prend un nom nouveau? On pourrait penser que ce ne fut à l'ori-
gine qu'un usage de convenance, comme dans un régiment le colonel
est le colonel, et non M. In Tel; mais la disparition du nom dans
la mer indique bien un sens mystique.
Le hiérophante, qui était en quelque sorte le grand prêtre d'Eleusis,
était toujours de la famille des Eumolpides. Son nom indique qu'il
était chargé de faire voir les choses saintes qu'il était donné aux
mystes de voir. Il prononçait aussi les paroles qui accompagnaient
les représentations, et l'ancêtre Eumolpe, « à la voix harmonieuse »,
indiquait déjà par son nom cette prérogative qui supposait certaines
qualités de la voix. Magistrat en même temps que prêtre, c'est-à-dire
unissant la juridiction au caractère sacerdotal, il avait la surveillance
des fonctions sacrées et prononçait en certains cas d'après le droit non
écrit, d'accord avec les autres membres des familles sacerdotales.
Le hiérophante était certainement nommé à vie. Anciennement
il n'était point obligé à la continence, du moins perpétuelle, car une
abstinence de quelques jours faisait partie de plusieurs rites grecs et
doit avoir été observée à Eleusis (4). La dédicace d'une statue élevée
par sa femme à un hiérophante en charge prouve le mariage, du moins
jusqu'au 1" siècle av. J.-C. (5). Mais un texte de Pausanias suppose
que le hiérophante ne pouvait pas prendre femme (6). D'après
Hippolyte, dont nous retrouverons le texte, sa chasteté était assurée

(1) Oa peut dire autant des dadouques, mais seulement, semble-t-il, moins complète-
ment et plus tardivement.

(2) Ils devenaient anonymes ou plutôt hiéronymes, Llciiîn, Lexiplianes , 10.

(3> Inscription citée par M. Foucard, p. 173 : OuvojjLa 6' ôaTi; lyw V-^ ôi?eo, Osafioç âxsî'^ù

M-^aTiy.ô; w/^t' aywv si; àXa Tropj-jpsr^v. A)./, 'oTotv si; [^axâptov Ë/.Ôw xad (iôpaipiov r.jxap,

Ae^o-^CTiv TÔTE S/; nâ-ne; ôioi; (xÉ/.ojxa'..

(4) Épictiite, Diss. m, 21 : Où/ r,yv£-jxa: w; iy.îïvo; ;


(le hiérophante).
(5) Bullet. de corr. Iiellén., 1695, p. 128, cité par Foucart, /. l. p. 173.

(6) Pals, ii, 14, Par opposition aux mystères de Celées qui différaient en cela d'Eleusis
que le hiérophante n'était pas à vie, /.aijiCàvwv, ?;•; âOé/,15, xaî yv/aîxa.
t. ar l'emploi de la ciguë qui eu faisait
chirurgicale
ailleurs

Il est
que répète saint Jérôme (2) qui fait allusion
(1). C'est ce
à son impuissance 3), et Julien ('/n le compare en cela au
prêtre d'Attis l'archi galle.
donc très probable que
MÉLANGES.

le
un eunuque sans opération

culte athénien d'Eleusis a suivi


177

sur ce point la tendance à l'ascétisme qui alla en grandissant dans


le paganisme, plutôt sous rinlluence des religions orientales que du
christianisme, du moins en cela qu'on recourait à des pratiques
médicinales au lieu de s'adresser à la volonté pour conserver la
chasteté ;5).

Au hiérophante dadouque. Sou importance vient de


était associé le

dans l'administration des


ce qu'il représentait les Kéryces, et leur part
mystères. Mais sa fonction propre était beaucoup moins considérable
que celle du hiérophante. Il portait la double torche, emblème de
Coré. Ce rôle qui nous parait très secondaire était sans doute rehaussé
par l'idée qu'il figurait Déméter cherchant sa fille. Il était prêtre,
quoique moins confiné que le hiérophante dans son rôle sacerdotal.
Les femmes prenaient une part active aux initiations; une hiéro-
phantide eut l'honneur d'initier l'empereur Hadrien. Il faut distin-
guer ces hiérophantides de Déméter et de Coré de la prêtresse de
Déméter que nous verrons figurer dans les mystères, mais qui n'en
avait nullement la direction, qui n'appartenait même pas aux deux
familles des Eumolpides et des Kéryces. Elle avait néanmoins à Eleusis
une importance égale à celle du hiérophante, étant chargée du culte
de Déméter pour tout ce qui n'était pas l'initiation. Elle était mariée,
comme les hiérophantides l'étaient certainement. Nous aimerions à
avoir plus de renseignements sur une classe de prêtresses, vouées
au célibat, et formant une sorte de communauté religieuse. On les
nommait les Abeilles ((>).

Tout en respectant les privilèges héréditaires des Eumolpides et des


Kéryces, Athènes n'avait pas renoncé aux droits que l'État ancien

(1) Philos. V, 1.

(2) Adv. Jov. I, 49 : Uierop hantas qunquc Alhcniensium usque hodlc cicutae sorbi-
4ione castrari. et postqt/am in pontificatum fuerint allecti, viros esse desinere.
(3) Epist. cvxui ad Agerucli. i905j : Hierophanta apiid Athoias erircit virum, et
aeterna debilitate fît casius.
(4) Or. V, 173 C : Outw ôè xai r.xçià. 'A6r|Va(oi; ol tûv àppv",Twv «TiToaEvoc Travaysiç zlni. zocl ô

to-jT(i)v È?âp-/wv iepoqjàvTr,? àiiéffTpanxat Tiàirav T)f|v yivîffiv.

'5) C'est ce qui paraît de droit à Servius à la lin du iv° s. ap. J.-C. Il note sur Enéide
M. 661 sacerdotes casti dum vila manebat
accipiebant, : nam hi qui sacra maxima
renuntiabant omnibus rébus, nec ultra in his nisi numimim cura remanebat. Herbis
etiam quibusdam einasculabantur. C'est l'exception rarissime qui devient la règle,
(6) FOI'CAKT, l. l., p. 211 s.

IIEVLE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. J2


178 REVUE BIBLIQUE.

exerçait sur tous les sacerdoces. Les hiérophantes et les dadouques


eux-mêmes devaient rendre compte de leur administration. lancer
ou retirer la malédiction selon les intérêts de l'État; ils étaient à
l'occasion justiciables de ses tribunaux.
Ce fat un trait admirable de l'esprit religieux et du libéralisme
hellénique d'Athènes, comme le dit Isocrate (1), et, en même temps,
ce qu'il ne dit pas, une remarquable intuition politique, de contrain-
dre les familles dÉleusis à ouvrir l'initiation à tous les Grecs. Elles
y gagnaient en considération, puisque les mystères devenaient l'occa-
sion d'une trêve générale qu'elles étaient chargées d'annoncer, en
envoyant dans toute la Grèce leurs députés. Cette trêve précédait les
grands mystères et durait chaque fois cinquante-cinq
petits et les
jours.

2. — Les initiés.

comprenait trois degrés


L'initiation l'initiation aux petits mys- :

aux grands mystères et l'époptie.


tères, l'initiation
Ce point important résulte clairement d'un texte de Plutarque. Dê-
métrius voulut franchir tous les degrés d'un seul coup. Or entre les
petits mystères et les grands il y avait l'espace de plusieurs mois, et

l'époptie n'était concédée tout au plus qu'un an après les grands


mystères (2).
Il est cependant très vraisemblable que cette hiérarchie ne fut pas

tout d'abord constituée à dessein.


liSS petits mystères se célébraient à Agra, ou Agrai (au pluriel),
près d'Athènes, sur la rive gauche, c'est-à-dire au sud de l'Ilissus.
Le nom qui signitie « la chasse » indique le culte d'Artémis. Artémis
chasseresse était, en effet, la divinité du lieu (3!. Perséphoney pénétra
peut-être avant Déméter, à cause de ses affinités avec Artémis, et y
fut honorée avec sa mère, dans un temple dont parle Pausanias qui \

place à côté un sanctuaire de Triptolème ['%). \

Le culte des déesses y fut peut-être antérieur à l'union d'Eleusis à '

Athènes. Peut-être aussi les mystères y furent-ils comme une part

(1) Texte cité ci-dessus, l'ane.g, 28.

(2) Démétriiis voulait dès son arrivée eJ6ù; fi.jïi9r,vai -/.ai t/jv T£ÀeTr,v ârcadav à.Tzh xà>y [xi/.otôv I

â-/ptTwv ÈTionTixwv Ttapa/agiïv. To-jto 3è où 9£[A'.Tbv ^v oùoà yeyovôî upÔTspov, à)./.à Ta ;j.ix(ià
TO^ 'AvôscTTripiwvo; ètïaoîjvx-o, Ta Sa }j.îyilac. toû BoïjSpoiiiwvo;- è-côute-jov Sa ToO>,â-/iaTov àiio (

Tûv [j.=Yay'ov èvia-jTÔv Sia/îtTTOVTs: [DémétriuS, \XVl).


"

(3) Pals, i, 19, C Atagâcri oz tôv EiAKTUÔv /wp-ov "Aypat 7.a/oj[J.-vov /al vaô; 'Aypoiip»'
:

ÈCTlV 'ApTÉjJL'.So;.

4 i'ALlN. I, 14, 1-
MELANGES. 179

spéciale faite à la capitale dans l'ensemble des cérémonies, Mais, pour


éviter toute apparence de concurrence, on les regarda comme une
préparation aux grands mystères, un premier pas dans l'initiation.
Cette préparation était d'abord une purification préalable (1). Elle
s'accomplissait en partie par un bain dans lllissos (2 . Actuellement il

ne contient pas assez d'eau pour qu'on puisse s'y baigner tout entier,
mais il était aisé de disposer des bassins où cependant l'eau fût cou-
rante, et peut-être se contentait-on d'aspersions.
Mais si les Barbares avaient assez d'un bain pour se purifier, les
Grecs avaient recours à des lustrations plus puissantes. Clément d'A-
lexandrie le dit précisément à propos des petits mystères (3).
Nous ne savons comment s'opéraient les sup- ces y.aôapj'.a; on peut
poser conformes à ce qui se passait dans d'autres cas.

La préparation aux grands mystères consistait aussi dans un ensei-


gnement.
C'est déjà ce que suppose Socrate, quand il se moque doucement de
Calliclès, prétendant embrasser les conclusions sans se préoccuper d'y
arriver par l'analyse. Ce serait être initié aux grands mystères sans
passer par les petits, ce qui n'est pas permis [k).
De la même manière, Clément d'Alexandrie, dans le passage qu'on
vient de citer, distingue deux sortes de connaissances, Tune discur-
sive et l'autre intuitive; la première correspond aux petits mystères,
où l'on enseigne ce qui prépare aux autres, la seconde à l'époptie (.5).
Les Philosophoumena insinuent la même chose 'G .

L'enseignement portait donc sur les grands mystères eux-mêmes,


ou du moins expliquait ce qu'il était nécessaire de savoir pour y
assister avec fruit. Cependant on ne pouvait s'étendre sur ce point
sans affaiblir d'avance des spectacles, et sans les déflorer en
l'effet

quelque sorte. est donc probable cjue l'enseignement portait sur-


Il

tout sur la façon dont les mystes devaient se comporter et sur les dis-
positions où ils devaient être. On les mettait au courant de la distri-

(1) Schol. AristOI'II. Plut. 845 . zaz: xà ixiy.pà (oa-îç 7Tpo/.â6apat; y.al 77p&âyve-j'7'.; tcôv

(2) Poi.\ \EN, Stratar/. v, 17 : tov T/tat^ôv, o\, tov -/.a6aptjLV/ te/o-jO'. toT; È/.iTTOTt tv^c-r,-

ptotç.

(3) Cl-EM. Sfrotn. v, il (|j. 373 Stiihlin) : ojy. àTîîiy.ÔTto; âpa xal twv (i-juTYipi'tuv twv tzolç,'

"E/.).ricriv àpyô'. jj.îv ~ol y.aOâjiff'.a, xx8à~îp y.ai toïç Bapélâpoi; -zo Àovtoôv. {i£Tà xaôra o' ia~i ta.

|xi-/cpà (i,-ji7Tr,p'.a ôioacry.a/.îa; T'.vj. vTrô^îciv l/_ovi^ y.al npo— apxaxE-jyj; twv (leÀ/.ôvxwv.
(4) Gorgias. 497 C : îOoaii;.ojv zl, J) Kx) '/.'./.'> z'.c,, oz; t» [x^yi/a y.S'X-jrtix:, Tzp'vi -rà ayLix^i.
iyta 6' ojy. o>(iY(V 9î|a'.7ov ilva:.

(5) Voir le passade cité ci-tlessus. et cf. Slrom. i, l (p. 11 Stûhlin], ou Clément dis-
tingue la connaissance ordinaire et l' ÏTro-tix-r, bziay.x, il y a ixj'7-:r,r,'.7. xà tî^ô \j.j<m\piu)y.

(6) Phi.l. V, !>.


i

180 REVUE BIBLIQUE.

bution des lieux à Eleusis, on leur indiquait le nom des images, ce


qu'il fallait faire ou éviter, surtout la manière dont les purifications
devaient être conduites et les aliments dont on devait s'abstenir (1).

Si bien qu'avant môme d'avoir assisté aux grands mystères on en


savait assez pour ne pas poser des questions par trop naïves, comme
ces deux jeunes Acarnaniens qui périrent pour être entrés dans
l'enceinte sacrée sans avoir reçu cette première initiation (2).

3. — Les petits mystères.


Préparation aux grands mystères, les petits mystères avaient cepen-
dant leurs cérémonies propres, placées probablement après la puri-
tication et l'enseignement donnés aux mystes. Car c'étaient vraiment
des mystères. On imaginait qu'ils avaient été organisés en faveur
d'Héraclès, à une époque où les étrangers ne pouvaient être admis
aux grands mystères, pour donner au héros une compensation (3).
On les célébrait à la fin du mois d'x\nthestérion (février-mars) et
ils étaient, comme les grands, consacrés à Déméter et à Coré. Com-

prenaient-ils, eux aussi, une représentation des faits divins? Etienne


de Byzance le dit, et de Diony-
cette représentation serait Tbistoire
sos (^i.). Cela est, à première vue, assez étrange. Assurément l'histoire

du Dionysos thrace et thébain, les orgies des Ménades et des Bac-


chantes auraient été une étrange préparation au culte des deux déesses
dans les mystères d'Eleusis. M. Loisy a pensé à « un simulacre de la

passion de Dionysos, mais sans l'omophagie, et avec la résurrection


du dieu, qui serait le rite propre de la saison » (5). Alors ce Dionysos
serait Zagreus, et rien n'indique qu'il ait eu part aux mystères.
M. Foucart s'en tient au rôle de Dionysos et refuse absolument de faire
une conjecture quelconque. C'est sans doute le parti le plus prudent.
Il semble toutefois que Clément d'Alexandrie insinue quelque chose.

Et d'abord, dans sa pensée, les mystères d'Agra sont une des hontes

(1) Lir.ANas, Corinth., \>. 356.

(2) xwi, 14 Acarnanas duo iuvenes per Initiorum dies non initial
TiTE-LivE, L., :

'emplum Cereris imprudentes religionis causa ciim cetera turba ingressi sunt. Facile
cos sermo prodidit absurde quaedain percunctanles, deductique ad antisiites tenipli,
</uum palam esset per errorem ingressos, tanquam ob infundum scelus interfecti
sunt.
(3) SoiiOL. Aristoph. Plutus, 1014.
(4) 'Aypa xat "Aypai -/wpvov noo r^; ttôXew; iv <!> -à. (xizpà [i-jffxiQpta iTriTî),£ÎTa'. [i.î(Ar,[ia

TÛ)v Ttept TÔv Aiôvjaov. Dans ce texte [xiixoiia signifie une représentation de faits relatifs à

Dionysos.
(5) L. L, p. 196 noie 4.
MELANGES. 181

du paganisme, ce point est certain (1). Mais de plus il les rapproche


du culte phallique de Dionysos comme une spécialité de l'Attique,
rentrant cependant dans un thème général (2). Il s'agit de déterminer
la cause historique que le rite est censé reproduire. Clément raconte
donc la légende particulièrement dégoûtante des rapports de Dionysos
av^ec Prosymnos, remplacé après son décès par un phallos en hois de
figuier (3). On ne parviendrait pas à croire que le mythe soit ici
l'explication d'un rite de Lucien ne décrivait le rite
si le scholiaste
lui-même, en donnant cependant au personnage un autre nom (4).
Comme ces choses ne peuvent guère se dire, même en latin, on
trouvera en note les textes grecs. Ce qui parait assez significatif,
c'est que le Dionysos en question descend aux enfers, et que Clément
l'identifie même expressément avec le dieu des enfers, Hadès. Un

comprend donc qu'il ait été associé au culte de Perséphone. Clément


cite Halimous avec Agra. Or Arnobe a pensé que l'histoire deProsym-

nus était celle des mystères d'Halimous (5). Il n'y a aucune raison de
distinguer dans le texte de Clément aussi regardons-nous comme :

probable que le mystère de Dionysos représenté à Agra en l'honneur


de Déméter et de Coré était une descente de Dionysos aux enfers avec
accompagnement de rites phalliques.
Dionysos qui va chercher sa mère Sémélé (6) aux enfers et qui se

(1) Il n'est pas douteux (ju'il faille lire Aypa-. et non laya-., comme dans Potier et dans
Migne. Peut-être cette fausse lecture a-t-elle détourné l'attention de ce passage important.
(2) Protr. ir, 34 (p. 25 Stdhlin) à/là. ~à ijt,àv ètt'i "Ay^a [xvTtiîpia xal -à Èv 'A/.taoCvT'.
:

TTJç 'Attixï;ç 'A6y;vr|(7i 7tepiwpi(7Taf atTjfoc oè rfir\ xo(7[x,ixôv oî' te àywvs; xal ol qsaA/.o't ol Aiovûffw
s;itTe),ou(iîvoi, xaxôj; £7tiv£v£[xi(î[Ac'vot Le rapprochement entre Agra et Halimous,
tov o;'ov.

s'explique par la présence à Halimous d'un temple de Déméter Tliesmopiiore et de Coré


(Paus. i;31, 1).

(3) A la suite du texte cité : A'.ovuao; yàp xaTc>,6îïv d: "A-.ôoj Y'-y.^\i.v/oç viyvôîi -r,v 6o6v
CTttiTy.veïTai S' aÙTtô spâas'.v <^7t;>, Hpoo-jjjivo; T0ijvo|ia, o-jx à\i.i'j()i- 6 ok (Afrôô; oO xaXôî...
xai Sr, 07ti(T«/v£!Tat Ttaps^ï-.v aOxw, d àvaÇeûçoi... [Jiaôwv oTî^pev J7Tav?,/,6ev a-j6i;' oO xaTa).a(i-
^âvei t'ov Hp6(ïy(tvov (èteOvt^xei yôp)" à5oaio-j[A£vo; Tfô Epaatrj ô Aiôvjffo; èzzl lô uLvr,jji.3Ïov ôpuâ
xa; r^aci-/r-i7.. x/à5ov o-jv rj-jv.y];, w; et-^/eiv. £xt£jxwv àvop^i'o-^ [xopio-j Gy.f^ilzz'xi rpoTtov È3£!^£tai

T£ T(ï) x).âo(o.

(4) Lucien [de^dea sijria, 28}, a propos des deux phallos gigantesques de Hiérapolis, dit
que 5(70t ça).>.où; Atovjdw ÈyEt'pOjTtv, Èv toïci oaÀXoïci xal àvôpa; vj/'-vo-j; xatî^oudiv, ôte-j (xèv
z'.vExa Èyà> ojx ÈpÉM. Ce silence est exigé parce qu'il s'agit d'un mystère. Le scholiaste
complète : oOSe yàp ôffiov... Trjv ahîav ÈpEïv xivaioîtav AiovOto-j xa-cayopEÛtov, itctp' ôffov xat
ô ça/Xô; Toy irsTropVEUXÔTO; Kopûêou Atôvjirov vT:ôjAvrîu.a, ixktOôv toûxov aOtôi Aiôvuuov
ÈxTETixÔTa l£,a£>r,; ty;? u-T.Tpô; (ir;vjTpx. Sur les divers nonis de Prosymnos, cf. Roschf.r,
Lex. v° Prosymnos.
Arnobe, Adv. nationes, v, 28.
(5)
La participation de Dionysos aux petits mystères est confirmée par un vase de
(6)
Crimée cité par M. Pottier addition à l'article Élensinin. dans Saclio, fig. 2630) qui
représente l'initiation d'Héraclès aux mystères d'Agra. Le héros est reçu par les princi-
pales divinités du mythe éleusinien, Déméter, Coré avec sa torche. Près de Déméter un
J82 REVUE BIBLIQUE.

fait indiquer le chemin, était bien le type du myste qui se préparait


aux grandes révélations d'Éieusis (1).

i. — Les grands mystères.

Les grands mystères se célébraient au mois de Boédromion. On


peut distinguer dans l'ensemble des cérémonies deux parties.
Les deux déesses vont à Athènes dans leur temple de l'Éleusinion
pour mviter le peuple à leur rendre ses hommages et pour présider à
la purification dernière des mystes, puis elles reviennent à Eleusis.
Ces diverses fonctions avaient lieu du 14 au 20.
Du 20 au 23 avait lieu à Eleusis la célébration des mystères.
Il convenait que la cité
fit les premières démarches. Aussi le 13 Boé-

dromion éphèbes se rendaient à F^leusis, sous la direction de leur


les
cosmète. C'était une simple marche sans caractère religieux.
Le l'i, le hiérophante et ses ministres tiraient les objets sacrés de
leur chapelle et les déposaient dans des corbeilles dosier pour être
portés à Athènes sur des chars traînés par des bu'ufs. Les anciens
n'ont point dit en quoi consistaient ces objets sacrés (tepâ), mais il
n'est guère douteux qu'ils n'aient compris les images des deux déesses.
Car elles étaient censées venir en personne à Athènes (2). On peut
conjecturer avec vraisemblance que ces images étaient «m bois à
peine dégrossi, vénérables par leur antiquité (3).
Le cortège passait le pont du Céphise (4), s'arrêtait au bourg du
figuier sacré. La prêtresse d'Atiiéné, prévenue de son approche, ve-

petit dieu, tenant une corne d'abondance, est Ploutos plutôt que lacchos. On voit aussi
Triptolème et Dionysos, puis Aphrodite avec Éros à ses pieds... enfin une figure de femme
assise qui représente probablement les Grâces car selon Thémistius (Or. xx p. 288 éd.
:

Dindorf) « Aphrodite s'y montrait à côté du dadouque, et les Charités prenaient i)art à
;

l'initiation. «

(1) Clément l. l., « wùt'oç cï "Aiôy;; xaî Atôvjiroç, otew (JiaivovTat xa'i ),V|Vaï^o-jotv », oO ô'.à -:•/;/

IxéÔTîv ToC crtofiaTOi;... Tocroyrov ouov ôtà titîv sTroveiôtcî'îov r^; cnaù.^tixç, t£j/Oç)avx:av. Le dernier
mol est sans doute choisi comme une allusion aux mystères d'Agra, dirigés par le hiéro-
phante d'Eleusis.
(2) Hymne en l'honneur de Démétrio.s Poliorcète èvTa-jÔa [yàp Afj{j.-/]Tpa /.al]
: Avi(iriTpiov
àaa Ttapfiy' ô -/.atpô:. yr^ [lÈv Ta (7î(xvà Tf|Ç Kop*;; ji-jcTfjOta êp^E^' •>'0' TioirjO'ï)...
(3) M. Fonçait cite à l'appui Tertullien Apol. 10. Pcllas Altica et Ceres Rharia quae

sine effigie rudi pnlo et informi ligno prostat. Il faut cependant prévenir que les ms^.
dans cet endroit et ad nation, i, 12 lisent Pharia et non Rharia, pure conjecture qui n'est
même pas mentionnée dans l'édition de Vienne pour ad nationes.
(4) D'après M. Loisy
(/. l. p. 199), le cortège arrivé au pont du Céphise " ftait accueilli

par une t)ordée d'injures et de propos obscènes. » Celte opinion empruntée h M. Foucart
a été rétractée par lui, l. l. p. 334.
MÉLANGES. 183

liait à sa rencontre accompagnée d'un peuple nombreux. On se ren-


dait à rÉleusinion, où les déesses étaient installées.
Le 15 de Boédroniion, qui était naturellement le jour de la pleine
lune, avait lieu le rassemblement [x-yjpij.b:) des candidats à l'initiation
définitive, déjà préparés parles petits mystères. La réunion était pré-

sidée par le hiérophante assisté par le dadouque et le héros sacré. On


intimait solennellement (1) à ceux qui se présentaient qu'ils ne sauraient
être admis s'ils n'avaient les mains pures et l'intelligence du grec.
La première condition excluait les meurtriers (2), même ceux qui
n'auraient été coupables d'homicide que par imprudence ou qui au-
raient tué par accident. Les purifications ne mau(|uaient pas, même
pour ce cas, mais l'exclusion parut sans doute plus sûre, soit pour
éviter de contaminer les mystères, soit pour ne pas promettre trop
facilement aux meurtriers un sort heureux dans les enfers en com-
pagnie de leurs victimes, La formule rituelle parait avoir été réduite
à ce point (3), Aucune considération morale n'y entrait, et il n'était
point question dans les rites de la pureté de l'àme. Mais les exigences
de la morale se firent jour de bonne heure (it, et on laissa au hiéro-
phante une certaine latitude pour exclure ceux qui étaient suspects de
crimes énormes, spécialement contre la religion, comme la magie [ô .

()n en vint môme dans certains mystères à exiger une certaine per-

fection morale (6j, et vraisemblablement à exclure les chrétiens (7).


Mais Eleusis ne s'écarta pas de son antique formule (8), et ne se mon-

1) Formule de comédie, mais très approchée dans Aristophane (Ranae, 369 s.) : Toy-roi;

:'.vjj xaJOiç iTta-jow xaùOi; TÔ Tptxov (Aa), 'à-a-jow |


è^iiTTaorÔsci [/.Co-raïai -/opoï;.

2) IsocRATE, Panéff. 157 : E-Jsj.o>,7ttôat ôè (représentés par le hiérophante] xal Kïip..-/.ï;

représentés par le dadouque) èv iri xeIetq tôjv [x-j(7Tr,pt(ov oià t6 toOtwv (des Perses) [xTcro;

/.li Toï; a),Xo'.; papgàpoi; sïpyetrôai twv '.£pwv, wcitep toï; àvopo^ovoiç, Ttpoayopî'jO'ja'.v.
3) La formule o'ït'.; y.sïpa; KaOapo; xat çiwvr.v (jjvetô; dans Celse (Orig. c. Cels 149.) et
Tliéon de Smyrne sous la forme négative, eïpY£<T9ai TrpoayopeveTai olov lo'j; y.îïpaç jxô -xaQocoà;
:'•. çwvrjv à^-JvîTov î/ovts; cité par Foucart, l. l. p. 311).
t) Aristophane, dont le chœur des grenouilles représente les mystes d'Eleusis comme
i bien vu le scoliaste, pose comme condition la pureté de l'esprit ou de l'àme : o<7ti;

T:ipo; ToiôivÔE Àôywv, r, voiavi [ir, y.aOapîJét (fta/ia?, 355) qu'il explique moitié sérieuse-
intmt, moitié en plaisantant.
5) PiiiLosTRATF, Vie (l Apolloiiius, IV, 18. D'après Suétone {Nero, 3i), Néron s'exclut
i-mêine : Eteusinis sacris, quorum initiatione impii et scclcrati voce prœconis sum-
iventur, interesse non ausus est. C'était après meurtre de sa mère.
le

(6) Cas cités par Celse (l. l.) ôd-rt; àyvbç àTvô jtavTo; ixiaoo: zat ôrw r^ 'l-^/ji o'jcièv <rûvoi5£

y.azov... ÔTO) su xal ôiy.aîoj; ^zo'.u>-zy.:.

7) Lucien le dit des pseudo-mystères d'Alexandre d'Abonoticos (Pseudoniantis, 38). Il


-t piquant que, dans sa proclamation, où il excluait les chrétiens, il exigeait la foi : Et t:;
;o; y] yptTTtavb; r\-A.n y.x-.kiy.'iT^nz tùv ôpy'-w. ^fîvysxca, ol Ô£ tî t(7T3-jovTî; toi 9£(^ Te/eîoÔwaav
.'A 'ï àyali-^.

8- Pour Libanius la pureté des mains n'est plus <|u'un échantillon, avec celle de l'àme-,
184 REVLE BIBLIQUE.

tra jamais très exigeante. Tandis que les Thesmopliories excluaient


les femmes mal famées, on ne les repoussait par toujours des mys-
tères (1).
La s'econde condition exclut ceux qui ne parlaient pas grec. Sous
cette forme, c'est sans doute une extension de la règle qui excluait les
Barbares. On se réserva ainsi sous la domination romaine d'admettre
les Romains cultivés. M. Foucart entend autrement 9ojvy;v cuve-z:.
Poursuivant l'analogie avec l'Egypte, il y voit la possibilité pour le
myste de reproduire avec une voix juste les modulations des prières
qui le liaient à la divinité. Mais si la faculté de bien chanter était
nécessaire au hiérophante, la même raison n'existait pas pour les
mystes: il eût plutôt fallu exclure les sourds. D'ailleurs, on ne saurait
s'écarter de l'interprétation authentique fournie par Libanius (2).
Les esclaves n'étaient pas exclus; on en a la preuve parce qu'on fit

initier des esclaves publics afin qu'ils pussent sans profanation tra-
vailler dans l'enceinte sacrée (3). Mais il y avait dans ce cas une
raison grave, et la difficulté de prouver la thèse en dehors de ce cas
n'est-elle pas un indice que normalement les esclaves n'étaient pas
admis?
Quoi qu'il en soit, l'exclusion des Barbares montre dans quelles
limites on doit entendre la religion prétendue universelle qui fut
prêchée à Eleusis. Ce n'est pas là que Paul aurait enqirunté sa
formule il n'y a plus ni grec ni barbare.
:

Aussi bien il y avait à l'initiation de tout le monde une difficulté


pécuniaire. L'initiation coûtait au moins quinze drachmes ('i.), sans
parler des frais du voyage ou du séjour à Eleusis. Les droits payés
aux ministres sacrés étaient fort modérés (5).
L'intimation adressée aux candidats aux grands mystères n'écar-
tait donc que les meurtriers. Ceux qui persistaient à se présenter,

déjà purifiés par les petits mystères, avaient besoin d'une nouvelle
et plus complète purification. Le bain avait lieu cette fois dans la

il suit les idées qui opposent les mystères au christianisme, mais on reconnaît encore 1 an-
cienne t'onnule dans l'interprétation qu'il en donne [Corinth. or., 356, éd. Foerster. vi, 20) :

oJToi yàp xà t' a/j.7. y.aôapoïç ïlvai toîç [j.OaTat; sv xoivw 7tpoayopï-jO-j(Tiv, oiov ta; -/stfa;, viy
^^yjt'v, Tifjv swvriv 'EXAYiva; elvat.
(1) Dediosthène, Contra Naer. 21-23.
Texte cité à la note 7, page précédente.
(2)
FoucAKT, 1. ?.. p. 274.
(3)

(4) C'est la somme que paya le trésor des deux déesses, trente drachmes pour deux
esclaves publics (DiTTr.Ni5En(;i:r,, Syllor/e, 587, 1. 207] un particulier dépensait nécessaire-
:

ment bien davantage.


(5] Aux grands et aux petits mystères, le hiérophante recevait une obole (par jour?) de
chaque myste, etc. [Zichen, Leges graecornm sac.rae, p. 12 ss.j.
} MÉLANGES. 185

mer. Le 10 Boédroraion, consacré à cette cérémonie, portait à


cause de cela le nom de « les mystes à la mer » {x.Ky.zz [j.-Jz-x:) La 1

mer avait, en effet, un pouvoir de lustration plus


d après les Grecs,
considérable que l'eau douce. On
dans une sorte de marche
se rendait
rapide et sans ordre, dans la direction de Phalère ou du Pirée, en
conduisant les petits porcs qui devaient eux aussi être lavés il) avant
d'être sacrifiés. [1 seoable que le myste se revêtait alors de la nebris
ou peau de faon, rite qui indique une certaine influence de la reli-
g-ion de Dionysos i2).

Le bain purificateur n'avait évidemment pour les mystes aucun


caractère sacramentel. Personne ne songait à l'époque classique qu'il
eût le pouvoir de remettre les péchés. Il mettait simplement en état
d'aborder les choses sacrées. Et cependant TertuUien a dit : Ceinte

ludis Ajjollinaribus et. Eleusiniis tinguuntu/' idque se in regenera-


tioneiv et impunitatem periuoriorum suorum agere praesumunt (3).
Les mystes se croyaient régénérés, le bain devenait donc pour
eu.Y un baptême. Si c'était bien leur pensée, les idées religieuses
auraient donc changé, dans le sens chrétien, et probablement sous
l'influence du christianisme, préparée parles baptêmes juifs. Mais il
est plus probable que c'est TertuUien qui leur a prêté le concept
chrétien, avec l'emploi du mot régénération.
D'ailleurs, la purification par le bain était si peu définitive qu'on

y adjoignait le sacrifice purificatoire du porc, M. Loisy dit que le

porc « doit être là comme une \ictime de consécration... le petit


porc est une victime de communion » (4). Ce nest pas l'avis de
M. Foucart (5), auquel on doit donner raison. Car le sacrifice se
faisait très probablement le jour même de la course à la mer (6).

(1) I'llt. Phoc. xxvin MÔttYiV ôà Ào-jovra -/otpîScov Èv KavGâpo) >,i[X£vt y.f,-o: (j-jvi\'x?ji. Le
:

Kanlharos un des ports du Pirée, Schol. Akistoph., Fax. 145. M. Foucart exclut les
était
lacs Rheitoi (Lenormant Eleusinia, p. 566) par linscription CIA., iv, i, p. 66, 1, 35, qui
situe pris du Dionysion la porte r, à)ao3 éHsXajvoj'rtv oî [xOTTa.. Ce n'est pas le chemin
d'Eleusis mais de Phalère. On allait au Pirée plus éloigné en cas de nécessité.
(2) M. Foucart n en parle pas, mais cf. dans l'article Eleusinia {Saglio. p. 565), le relief

oii l'initié, tenant le porc, est revêtu de la nebris. et Aknobe, v, 39 Ceres... triticeas :

aUvlit frucjcs, nebridarum familiam pellicula cohonestarit hinnulae. On voit qu'Ar-


nobe attribue la nebris à Démêler, et l'on pourrait songer à une origine égyptienne {XcbrU,
dans Saolio), mais, pour les Grecs de répo([ue classique, la nebris ne pouvait se ratta-
cher qu'à Dionysos.
(3) De baptismo, V, éd. de Vienne.
(4) L. L, p. 200.
(5) L. (., p. 2!(4 s.

(6) M. Foucart (p. 31(ij argumente du texte de Pliilostrate [Vie d'Apollonius, iv, 17) qui
place les Épidauria (Xirà -tp6ppr,T:v tî xal Ispsïa Se-jpo. La 7iooppri<7Î; était l'intimation aux
profanes : hpeta o^Cpo doit être le norn du jour suivant qu'on nommait aussi à> aSc aJo-Tat.
186 REVUE BIBLIQUE.

Dès lors il faisait partie des cérémonies purificatoiies qui caracté-


risent les premiers jours. Clément d'Alexandrie nous a avertis à
propos des petits mystères que le bain ne suffit pas aux Grecs il y ;

faut d'autres /.xOâp^'.a. La purification par le porc précédait les


délibérations de l'assemblée publique d'Athènes (1;. A plus forte
raison les mystes devaient-ils être purifiés de la même façon. Mais,
comme l'initiation était personnelle, chacun immolait le petit porc
pour soi-même. Je ne sais où M. Foucart a pris qu'on brûlait les
victimes sur un autel improvisé pour cet usage et que les cendres
étaient dispersées ou enfouies dans le sol. On pouvait aussi bien les
jeter à la mer (2).
D'ailleurs on ne prétend pas nier le sacrifice des porcs offerts à
béméter et à (^oré ceux-là étaient des sacrifices propitiatoires dont
:

on pouvait manger quelque chose (3). Les mystes s'empressaient sans


doute d'en offrir à Eleusis; mais l'obligation n'était pas la même. Dans
ce cas il pouvait y avoir sacrifice de banquet en union avec les dieux,
selon les idées ordinaires. Mais rien n'autorise à dire avec M. Loisy
que aux Thesmophories d'Athènes, il (le porc) représente le grain
«

semé, l'esprit du grain, il est, en un sens, Coré descendu en terre, et

qui reviendra il est donc la victime désignée pour l'initiation aux


;

mystères de la Mère et de la fille du grain (4) ».


Le porc de l'initiation était, avons-nous dit. une victime purifica-
toire; son sang attirait les démons qui en étaient très friands, mais
en même temps il les éloignait du myste 5).

Ici les victimes! -


ou •> Mystes, à la mer ». Car les Kitidauiia connneiirai-'tit le 17 Boé-
ilromion. Les porcs étaient donc sacriliés le 16.

(1) Esciiine, contre Timartjue, 23, expliqué par le scholiasle : E:(7r,o-/£TÔ -rii; 6 Ityô-
!J.£vo; 7îîpiTT:ap/o; ô TTîotxaOai'poov tt,-/ £>ix).7]ffiav ctà yoipo-j èTiîffïa-'ixÉvo-j xal à'/.'/wv tivûv
xal rà •/.aôip'Tia Xaoùv k'ppiîtTîv v.z Tifjv 6à"/.aaffa/. Cf. Démoslh. Contra Conon. 39 tojç :

or,yzi; Toù; èx. tûv -/otpwv, oi; xaOaipovT'.v ôtav elffiÉvxi [liT/Mni T-Aliyo'noa;, OÙ dailleurs oi;
semble se rapporter aux porcs et non aux ôp-/st;.
(2) Plus facilement encore que dans le caà <le la histration de l'assemldée. jiuisqn'on était
au bord de la mer.
(3) Pendant le chdur des initiés qui sont en route pour Eleusis ou qui y sont arrivés.
Xanthias sent une odeur de porc rôti [Ranae, 337 s.). Mais il est d'ailleurs certain qu'on
immolait des porcs a Eleusis, .\ristopliane ne dit pas de quels porcs il est question. .Xan-
thias s'adresse à Coré . ù>z :^ôj ixoiM. Loisy {l. L.
-poaéirvjucri -/oipïtwv y.pîtiv. D'après
p. 200, note 5) u aux stations sur le chemin
l'allusion vise les sacrifices qui se célébraient
d'Athènes à Eleusis »; elle ne prouve donc rien pour le sacrifice antérieur aux Epidauries.
Mais elle peut être plus vague encore le scoliaste a pensé aux Thesmophories. ;

(4) L. l., p. 200 s.

(5) Schol. d'Eschine, l. t., ... o'.à toOtwv tov; à/.aOâpToo: ôaîjxovxç xal TiTrvs'jaaTaTà-oXXfltx'.;
Èv03("Aoyv-a Taî; oiavoi'aiî tûv àvOpwicwv... êXxwv ^rpà; Ta bju.a.-0L xal titT-zrj ino/u>pit,<i>^ tïjç âx-
7.>.-/;r7taç. Les termes ont quelque chose de moderne, mais la penséo est conforme à lan-
( ienne tradition.
MÉLANGES. 18T

Parmi les rites purificatoires figurait aussi l'usage du van mystique


secoué sur la tète de l'initié (1), qui pourrait l)ien être d'origine diony-
siaque (2).
Les mêmes rites n'étaient probablement pas nécessaires à tout le

monde. Olympiodore distingue les purifications faites en public et


un caractère plus secret (3). Sans doute les mystes
celles qui avaient
soumettaient leurs cas particuliers au mystagogue.
Les préambules à l'initiation avaient donc un caractère cathartique
très prononcé. Il est vraisemblable qu'il alla en augmentant, sous
l'influence plusou moins directe de lorphisme, et qu'il fut de plus
en plus intérieur et moral, sous l'influence du néo-platonisme. Mais
lors même cpi'il figura comme une rémission des péchés li), il
ne fut jamais confondu avec l'initiation elle-même, et surtout on
ne crut jamais être purifié par la vertu des déesses. Il fallait être
pur pour les aborder, on n'était pas pur par l'efficacité de leurs
aventures.
Le premier acte préliminaire à l'initiation était accompli. Un était,

semble-t-il, au 16 Boédromion. Ce qui suit répond à ce qu Olympio-


dore nommait les z-j-:-y.z-j.z.

Les 17 et 18 Boédromion étaient employés à la fête des Epidauria.


On sait maintenant d'après l'ouvrage d'Aristote sur la constitution
d'Athènes que durant ce temps les mystes restaient chez eux (5),
sans doute pour ne pas s'exposer à contracter des souillures. Les
déesses, présentes à Athènes, n'imitaient pas leur réclusion et ren-
daient visite à Asclèpios dans son temple (6).
Le 19 était le jour de lacchos. Sa statue, placée sur un char, était

censée conduire (7) le cortège solennel qui ramenait les déesses


chez elles. On franchissait ainsi les vingt kilomètres qui séparent
Eleusis d'Athènes, et comme on n'arrivait guère que le soir, l'arrivée

(i; Sagi.U) fig. 2634.


(2) Géoigiques
i, 166 mystica vanmcs lacchi. Servius : mystica autem lacchi ideo ait
:

juod Liberi patris sacra ad purgationem animœ pertinebant, et sic homines eius
^ysteriis purgabantur, sicut vannis frumenta purgantur.
(3) In Phaedon. c. xiir Lobech, p. 41) iv toîç Usoï; y)yoCvto aàv aï 7;âvôri[j.at xaQapçôtr,
:

fixa ÈTîl Taûrai; aï àTroppr,-ÔTîoa'. '\i.z-7. Ta-jta; ffucràTEi; xal Èitl TX'JTa'.; (X-.ir,(Tî!;. £v té>£i ô'

ÉSOTÎTEÏat.

(4) Iambi.. Myst. m, 10 à7to-/.a6ip<7£i; iv/ôiv y.aî /-jt:;; Tta/aiûv (XYiviai-wv.

(5) 'A6r,v. uoXtT. 56 : TtoiATtwv Èit'.txî/st-a'. l'archonte éponyrne, car cela ne regarde pas
le hiérophante) t^; te Xfô ' Any.l-fiTziôt v'.vvojjLîvr,; OTav oiy.o-^çw'H \tû(7-:x'..

(6) FOLCART, L t., p. 322.


(7) Voir plus bas les textes dWristophane. On disait aussi tôv "la/.yov i'i à'TTEo; 'EÀîjrrïvioc
:£{nt£'.v (Plut. Phoc. 28j et autres expressions analogues qui montrent bien que lacchos
ïsort de chez lut.
i88 REVUE BIBLIQUE.

avait lieu le vingt, les jours commeiK-aut au couclier du soleil; d'où


le nom donné à cette journée.
d'slv.iz

On peut imaginer pour ce cortège tout ce qu'Athènes savait faire


de plus brillant. La bataille de Salamine fut gagnée ce jour-là, et
non, pensait-on, sans une intervention surnaturelle obtenue par
les initiés (1). La fête n'en devint que plus chère aux Athéniens.
C'était une solennité aussi nationale que religieuse. La gaieté et une
certaine licence démocratique s'y donnaient libre carrière. Lorsqu'on
au pont du Céphise, de hardis compagnons saluaient de leurs
arrivait
sarcasmes les citoyens les plus en vue (2).
Des sacrifices et des stations pieuses retardaient la marche, qui
s'achevait à la lueur des torches. Mais quoique l'arrivée aux flambeaux
eût été déjà un triomphe pour lacchos, la fête se prolong-eait bien
avant dans la nuit : ce dieu en était à la fois le héros et le chorège.
Elle se passait en plein air, dans les prairies, près du puits de
Callichoros, demeuré en dehors du témenos. Avec les initiés se
trouvaient encore beaucoup de personnes qui les avaient accompagnés
d'Athènes ou qui étaient venues d'autres parties de la Grèce. On chan-
tait en formant des chœurs de danse. Ce n'était donc pas un drame

mystique du télesterion, et si lacchos était censé éclairer de sa torche


les groupes joyeux, il ne représentait pas du tout Déméter cherchant
sa fille.

Durant une de ces nuits de septembre qui sont en Attique, si claires


et encore tièdes, il est sur la terre limage du chorège
céleste qui
dirige le mouvement harmonieux des astres. C'est lui qui a amené
les mystes auprès des déesses, sans se fatiguer en route, et l'on pense
que ce dieu de la lumière contribuera à conduire aussi ses fidèles
dans les prairies bienheureuses, comme au port après la tempête (3).
La joie des mystes est nuancée du désir de pénétrer enfin les mystères :

on est à la veille des grandes révélations.


Les chœurs tragiques, et même celui d'Aristophane, donneront,
mieux que les détails érudits que nous avons passés sous silence,
l'impression religieuse qui dominait les âmes.
Sophocle fait dire aux vieillards thébains : « toi qui portes tant
de noms, toi la de Cadmus, rejeton de Zeus maître
parure de la fille

du tonnerre, dieu protecteur de l'illustre Italie, guide aux golfes


hospitaliers à tous les Grecs de la Déo d'Eleusis, ù Bacchus... ô toi,

(1) HÉR. vni, 65.

(2) C'est à quoi M. Foucart réduit les géphyrisraes (paroles de ponl), qui n'avaient
rien de ralo-xpo/oyca riluelle des Thesnaophoiies, d'après Hésychius, V Teçupiç.
(3) Cf. les textes qui vont être cités. Aristophane et le ]>éaa de Delphes.
MÉLANGES. 189

cliorège des astres flamboyants, qui diriges les modulations noc-


turnes, jeune de Zeus, apparais, ù prince, avec les Tliyades tes
fils

compagnes, qui toute la nuit célèbrent par les chœurs dé danses


lacchos l'ordonnateur (1). »
Euripide : « Jen rougirais pour le dieu que chantent nos hymnes,
si. près des sources de Callichoros, cet étranger^ fuvant le som-
meil contemplait durant la nuit les torches qui éclairent la fête du
vingt '2), lorsque Téther consteUé de Zeus mène le chœur, que la
lune entre en danse et les cinquante de Nérée, qui célèbrent filles

en chœur dans la mer et au rythme mouvant des fleuves intaris-


sables, la Coré à la couronne d'or et son auguste mère '3). »... \ris-
tophane est plus précis, sans être moins lyrique.
« lacchos, ô lacchos

viens vers les groupes sacrés conduire les chœurs sur cette prairie,
agitant autour de ta tête la couronne verdoyante et riche en fruits
du mvrte... Debout, agite dans tes mains les torches ardentes lac-
chos, ô lacchos astre lumineux de la cérémonie nocturne. La prairie
est embrasée... lacchos, toi qu'on honore, qui découvres les rythmes
les plus doux de la fête, accompagne-moi ici auprès de la déesse
et montre que tu n'es pas fatigué d'une longue course. lacchos qui
aimes les chœurs, sois mon compagnon et mon guide (4). »
Ainsi durant ce jour et durant la nuit, tout retentissait du nom
de lacchos. Mais il n'avait pas de temple à Eleusis, et il fallait
qu'on s'occupât de lui donner
l'hospitalité avant qu'il retournât à
Athènes i5i. Qu'était lacchos? J'aurais préféré ne pas aborder cette
question difficile, mais on ne saurait l'éviter car elle commande

une autre question très grave, celle de la part de Dionysos dans les
mystères d'Eleusis (6).
Car, au iv" et au v' siècle, lacchos était certainement identifié à
Bacchos-Dionysos. Les textes de Sophocle et d'Euripide 7) ne laissent

(Ij Anligone, 1115-1121; 1146-1152.


(2) Comme nous disons « la fête du ([uatorze » juillet;; x-zccoî; est un pluriel d'ampli-
li cation.
(3) Ion, 1074-1086.
(4) Ranae, 325-330; 340-344; 397-402.
(5) DiTTENB. Sijll. 650. Les épimélétes des mystères sont couionnés :
£7:£!i;>r,0raav c^
•/.al T?,; à).ao£ £>.â<7£>;^, /.ai t/;; 'EXïvaîvt toû 'laoxxovOU laaz/o-^} Otigoo-/?,;. Interprétation
«le M. Foucart.
(6) Cette part a été faite beaucoup plus considérable que de raison par
Lenoriiiant
(articles Eleusinia, Bacclnis, Ceres, dans Sagiio) en faisant de lacchos un vrai
Dionysos
A l'autre extrémité, M. rapprochement entre lacchos et le Dionysos
l'oucart nie tout
thébain, mais pour faire dans les mystères une place importante à un autre
Dionysos-
Osiris. Voir les articles lacchos dans Svr.i.io (/:'. Pottier) et dans Roscuer
(Hoefer)
(7) A ceux qui ont été cités ajouter Sni'u. fr. 874 6 pov/.îow; 'laxyo;.
190 REVUE BIBLIQUE.

aucun doute, et on ne saurait traiter les tragiques grecs comme des


scholiastes en quête de rapprochements érudits. Ils reflètent l'opinion
du temps. D'autre part le Dionysos d'Aristophane est évidemment
une autre personne que le lacchos qu'il entend invoquer par les
mystes.
Ce phénomène n'a rien d'extraordinaire. On ne s'étonnait pas
qu'un même dieu ait des aspects divers, ni que plusieurs dieux dis-
tincts participassent à la même divinité. Le syncrétisme et la diffé-

renciation se rencontraient également. D'où la difficulté de savoir si


lacchos est originairement un Bacchos-Dionysos, spécialisé pour être
lejeune compagnon de Déniéter. ou un génie éleusinien qui a été
confondu ensuite avec Bacchos-Dionysos.
Dans le premier cas, le nom serait formé comme celui de Bac-
chos, par un redoublement avec le digamma (1), et l'assimilation

à Dionysos serait toute naturelle.


Mais dans ce système on ne comprend pas comment lacchos n'a
pas eu d'attributs plus étendus, et la spécialisation à un rôle subor-
donné auprès de Déméter serait d'autant phis étrange que Dionysos,
dieu du vin, avait sa place marquée auprès de Déméter, déesse du
froment, lacchos ne se rencontre, semble-t-il, que dans des cas où
l'influence d'Eleusis est sensible. C'est donc un génie du cercle
éleusinien. M. Foucart (2) le regarde comme le dieu éponyme du cri
joyeux que poussaient les mystes sur la route d'Eleusis et durant la
fête nocturne. Cela est d'autant plus vraisemblable que le nom com-
mun a été employé assez longtemps (3).

Hérodote raconte (4) — et ce trait contribua sans doute à rehausser


la fêtedu vingt et à lui donner un élan national que l'Athénien —
Théocyde et le Lacédémonien Démarate se trouvant ensemble dans
la plaine de ïhria, ils aperçurent un nuage de poussière cju'on eût

dit soulevé par trente mille hommes. Théocyde qui connaissait les
mvstères crut reconnaître dans la voix qui retentissait au même temps
le iacchos mystique (5), et expliqua à Démarate que ce prodige an-

nonçait la défaite du grand roi à Salamine. « Car chaque année les


Athéniens célèbrent cette fête en l'honneur de la Mère et de la Fille,

(1) Ft'Faxyoç.

(2) Op. /., 110 ss.

(3) EuRip. Tr. 1229: fr. 589 [iSaiick). Cf. là/.y.a, sorte de danse à Sicyone. (.\thén. ij78 a)
et iay./o; porc. en Sicile (Athén., 98).
(4 vin, 65.
f5) y.xl ol î.aîv£TOa'. Tr,v owvtiV elvai tov [jl-j(ït'.zov
•.'ay.-/ov que M. Loisy (7. !.. p. 2u2)
traduit « le cri du mystique lacchos ». C'est une transposition comme celle de Plutarque
(Phoc. 28 i
/i/ov ?jÏ -/xt awvr^v... m: àvOptôirwv ô[/.oO TTO/Xtôv tov ;j.v;o-Tty.èv içayôvTiov ''.%y:/yi.
MÉI.ANGES. 191

et ils peuvent, et les autres (irecs aussi, se faire initier, et ils poussent
alors le iaccho^ ^1), semblable à la voix que tu entends ».
Il n'y a pas d'ailleurs de difficulté à rattacher Ix-A-^zq à la racine

([ui a donne ix'/r,. « cri ». et c'était l'opinion des anciens (2). Mais alors
il faudra dire avec M, Gruppe (3) que la nymphe océanide layr, qui
figure dans l'hymne homérique (i), est déjà une personnification des
cris qu'on poussait dans les mystères. Transformé en un jeune dieu,
ce iacclios aurait assez naturellement suivi Déméter à Athènes (5).
S'il n'est pas demeuré à Eleusis, le personnage d'un s'il y a fait
étranger, c'est qu'il y avait été supplanté par Triptolème. On com-
prend d'ailleurs assez aisément que les Athéniens le voyant auprès
de Déméter 1 aient pris pour une forme atténuée de Dionysos qui
était, d'après Pindare (6), le rAztlzz: de la déesse. Très naturellement
aussi on en fit le fils de Déméter — quelquefois même son époux —
et, plus souvent peut-être, le fils de Perséphone.
On ne le confondit jamais tout à fait avec le Dionysos thébain (7).
Une très bonno manière de l'unir à ce dieu tout en le distinguant
de lui. c'était d'en faire son fds. C'est ce qu'on trouve dans Nonnos (8),
dont le texte est intéressant parce qu'il distingue en même temps
lacchos de Zagreus, et les mystères aussi bien que les personnes.
Mais quoi cju'il en soit des origines dont nous ne prétendons pas
avoir dissipé l'obscurité, un fait est clair, c'est que la présence de
Dionysos aux mystères n'est relevée que dans son hypostase de lac-
chos. Incontestablement on parle de Dionysos à Eleusis, mais ce

(1) \'x.-A./6X,o-j(j'.. peut signifier crier


le iacchos ou crier lacchos. M. Foucart exagère

en (lisant 7. qu'au temps- des guerres médiques lacchos n'avait pas encore de
l., p. llu)
personnalité. Sopliocle avait, dit-on, quinze ans le jour de la bataille de Salaniine.
(2) Etym. M. 46'i : r.xoà Tr,v la-^r;v Tr,v £v raï; /ooEvat; ';:-/o[).i-/r,'/ ivj-in-i -r^v por,v
yivîTai ïa/o; Y.od TT/.îOvaTiJ.w coij x Xxy.yo:.
(3) Griech. Mijth., p. 50 note 12.
f4) V. 419.

(5) Pais., i, 2. i. Près de l'entrée d'Athènes en venant du Pirée vaôç ia-A \ri\xrr.aoz :

àyâ^aaTa oà a*jTr, te za'i f, Tiaî; /.al oàoa i/wv "lax-xo:. lacchos tenant une torche, c'est

tout ce «luon sait de ses représentations figurées: rien ne marque mieux son rôle. Il y
avait même dans cette région un 'lax./sïov Put. Arist. 27: Alciphron, ep., m, 59).
(6) Islhm., VII, 5.

(7) Akr. Anab, n, 16, 3 : xa'ià-îo xal 'A6/;vaïoi A'.ovjffov tôv Atb; xal KôpTi; aéoo-^ni'.,
a).),ov To'jTO'/ Aiôvyijov" xx'i o 'Iax/_o; 6 (X'jffT'.xôç toOtw toi AtovCcrw, oO^î T(o t)rioat(V), ÈTràÔETat.

(8) \L\iii, 962 ss. Les nymphes de Marathon élèvent la torche nocturne de l'Attique

en l'honneur du jeune lacchos « elles se le rendaient propice comme dieu en même


:

temps que le fils de Perséphone (Zagreus et le fils de Sémélé (le Dionysos thébain); elles
organisèrent des sacrifices à ranli(iue Lyéos et à Dionysos plus récent, et composèrent
un hymne nouveau pour lacchos venu le troisième : xal Tsmal; Tp'.crTriTiv èga/yî-jOriuav
'AOr;va'. xal "/.ovjv ô'i/'.riXzTtov àvîxpoOTa'/To TzrA'.-y.: Zayoéa x'JoaîvovT-; ôfaa l>po[x{cp xal
'lâ/-/M.
192 REVUE BIBLIQUE.

Dionysos est lacchos, réduit à son rôle de dieu illuminateur dans


les prairies d'Eleusis. C'est ce que fait entendre le péan de Philo-
damos du iv^s. av. J.-C, le texte le plus important en la matière (1) :

« Agitant une torche brillante dans la nuit avec des transports


inspirés, tu es venu aux rives fleuries d'Eleusis, Évoé, ô lobacchos,
ô lépéan, où toutes les tribus de la terre grecque entourant les
époptes initiés aux saintes fonctions te nomment le cher lacchos;
ainsi as-tu ouvert aux mortels un port serein après leurs travaux ».
Celui qui amenait les vivants auprès des déesses à Eleusis avait
aussi sans doute le pouvoir de les guider auprès d'elles dans l'autre
monde. Peut-être aussi le péan exprime- t-il la tradition qui faisait
à Dionysos une part dans la fondation de tous les mystères. C'est
ce qui résulte aussi du texte de Strabon (2), auquel nous voulons
donner toute sa force. Mais le même Strabon se garde bien de con-
fondre les mystères de Démèter et ceux de Dionysos. Dionysos, répé-
tons-le, ne figure à Eleusis qu'en lacchos, et ce lacchos n'est nommé
que comme le porte-torche, le dieu qui introduit les Athéniens auprès
des déesses et qui célèbre avec eux la veillée qui précède les grands
spectacles.

."). — Les Cé)'(')nomes. Disposition des lieiu.

On demeurait à Eleusis du 19 Boédromion au soir jusqu'au 23.


Nous avons déjà parlé de la première nuit, qui, selon l'usage athénien,
se nommait le 20. Il restait deux jours et deux nuits à passer à Eleusis.
Les jours étaient employés à diftérents sacrifices dont nous n'avons
pas à parler, et au repos. C'est durant les nuits que se célébraient
les mystères.
Quel était le programme? C'est ce qu'il est impossible de déterminer
avec certitude. Celui que M. Foucart donne comme le plus probable
est assez chargé (3). Il place dans la nuit du 21 deux cérémonies

(1) D'après Pauly-Wissowa, v, 10i3 : [NuJCTiyJas; oà -/''p' ti/Awv Siépija; Èvôsot; \aw ola\-
Tf.01? Ijjlo/.e; [j-u/oùç [ 'E).£]uaïvo; àv'[àv8£(jia)]8îtç. E-Joï m 'légxxy/ w 'I[£TCai]âv [k'fjvoç £v6'j
arrav 'E»,âôo; [y]aç à[(jLo' ÈjvvaÉxat; [(pî).iov] c7r[(57c]Tatr ôpyt'wv ôff[!'wv 'Jo(]/.)jov [^x.Àîîet ff]£"

êpOToïç uovwv (oi^[ac 5'ô(>](ioA<[aX-j7tov].


(2) \, 3, 10 : "laxyov te xai tbv Atdvyaov v.cù.r/ja', xal tov àpyy)YiTr,v xwv |j.y(yTï;pi'wv, rri;

Ayi[XYiTpo; 5aîfj.ova. àp/YivÉTr,; ne signifie pas seulement le conducteur de la procession;


une fois que Strabon a nommé lacchos Dionysos il le rehausse à la dignité d'initiateur
des mystères, selon les idées de son temps, mais il le remet à sa vraie place comme génie
du cycle de Déméter. Aussi distingue-t-il très bien ce qui est propre à Démêler o'.xz

[j-ÛTTai -/.al Saoo-jyoi -/al upoçâvrai, et le cortège de Dionysos.


(3)0/J. l., p. 357 ss.
MÉLANGES. 193

bien distinctes, le drame liturgique de Déméter et de Goré, puis


rinitiation du premier degré. Dans la nuitdu 22, le drame* liturgique
de Zeus et de Déméter, puis l'initiation du second degré ou époptie.
Les deux initiations étaient une descente des mystes aux enfers, et leur
arrivée au séjour des bienheureux. Elles différaient surtout en ceci que
l'époptie faisait une large place à Dionysos. iM. Loisy (1) n'admet pas
cette descente aux enfers, mais il distingue aussi le drame de la
légende de Goré et celui de l'union de Déméter avec Zeus, ce dernier
réservé aux époptes.
Tout le monde reconnaît d'ailleurs que le spectale se composait
de trois éléments : ce qu'on faisait {-.y. 5pw[j.£va), ce qu'on disait
(xàXsYÔt'-sva), ce qu'on montrait (xà cciy.v'j[;.£va).

Avant d'aller plus loin, il ne sera pas inutile de dire quelques


mots des lieux où se passaient les mystères.
Les fouilles exécutées à Eleusis ont eu, comme presque toujours,
des résultats très mais incomplets. Sur la colline
satisfaisants,
rocheuse qui domine la plaine et la mer, on a reconnu une vaste en-
ceinte, fermée de murs très élevés. G'est le téménos sacré. On y
pénétrait par deux séries de propylées. Geux de l'extérieur, datant
de l'époque romaine, avaient encore laissé au dehors le puits Galli-
choros. A main droite des anciens propylées, on apercevait le temple
de Pluton, placé devant une grotte assez profonde, et derrière cette
grotte, mais un peu à gauche, le temple de Déméter. Au centre de
l'ancien péribole, une grande salle rectangulaire de 08 mètres de
long sur 54 mètres de large était adossée à la colline. Du côté nord-
ouest, elle avait été évidée dans le roc; l'autre côté, par où l'on
entrait, avait été bâti pour que le sol fût partout à peu près égal. Ge
n'était ni un temple, ni un théâtre (2j. La forme, avec le portique
ajouté pour orner l'entrée principale, était plutôt celle d'un temple;
mais il n'y avait nulle part de cella pour servir d'habitation à un dieu.
Sur toutes les faces, huit rangs de gradins, en partie taillés dans le
roc, faisaient songer à un théâtre, ou plutôt à un hippodrome rec-
tangulaire; mais six rangées de sept colonnes rappelaient l'aspect
de la grande salle à colonnes des temples égyptiens. G'était certaine-
ment la salle où l'on célébrait les mystères, le télestérion; elle pou-
vait contenir sur ses gradins environ trois mille personnes.
Que s'y passait-il? La forêt de colonnes favorisait le développement
de processions, mais alors pourquoi les gradins? Et si les spectateurs

{\)L. l., p. 204 ss.


(2) Aussi Strabon dit simplement une enceinte mystique, à (ji.j(ttixô; ffoxo!;, qui pouvait
contenir la même foule qu'an théâtre (ix, 1, 12).

REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 13


194 REVUE BIBLIQUE.

étaient assis, que pouvaient-ils voir avec ces colonnes qui barraient la
A^ue de toute part? Peut-être y avait-il un second étage, où une scène
eût pu être disposée. Plutarque (1 parle bien de ce second étage,
mais il y place des colonnes. Et si ces colonnes ne formaient qu'un
portique, la salle d'en haut n'ayant pas de toit, si c'était la salle du
spectacle, pourquoi les gradins de la crypte .'
Deux choses cependant
sont certaines. La salle d'en bas ne comportait pas de crypte d'où l'on
eût pu faire surgir des personnages, comme d'une trappe ; ce point
est établi par les fouilles. D'autre part le texte de Plutarque qui
vient d'être cité indique, sûrement pour la, patrie supérieure, une
sorte de chapelle avec un lanterneau qui permettait d'éclairer les
objets placés dans cette chapelle. On peut songer à ces chapelles de
la Vierge où une ouverture placée au-dessus de la statue permet de
la mettre en pleine lumière. Cet anactoron (2) était probablement
élevé au-dessus des spectateurs.
Cette disposition des lieux «uggère la façon dont on procédait
pour montrer certains objets sacrés. Ils apparaissaient dans la lu-
mière, montrés par le hiérophante qui apparaissait avec eux (3). «
Mystes », dit la base de la statue d'un hiérophante, « vous me voyez
maintenant en plein jour, moi que vous avez vu paraître sortant de
lanactoron, dans les nuits lumineuses ».
Et c'était précisément l'ouverture de lanactoron qui répandait la
lumière dans la salle (4).

Ce point assuré nous pouvons conclure que la salle d'en haut n'était
pas sur le même dessin que celle d'en bas, car en bas il eût été im-
possible de voir de tous les gradins une chapelle ouverte. Le premier
étage était donc plutôt une salle de spectacle, la scène étant placée
un peu au-dessous de Lanactoron, quoique au-dessus des spectateurs.
Dans cette disposition on s'explique très bien comment un descendant
de Démétrius de Phalère osa faire placer un siège pour sa maîtresse
près de Lanactoron (5 .

10 û' Èv 'EXc'UO'îvi T£X£CTr,ptov r,p^aTO |ièv K6pot6o; oIxoôojaeîv xat toù:


(1) Pét'icl. XIII :

ïTt' £oâçû-j; "/.lova; è6r,-/.ïv oûtoç v.oli toïç ÈKiax-jAioi; iné^v^lv^' àTioOav^vTO; 6è toOto-j MeTaysvTiç

ô "Exinirioç to Stdiî^wjia xal toùç avto y.tovaç êTrÉ<rTVi(7£' rb S' oraïov (le lanterneau] èiti toO
àvaxTÔpou Sevox)?); ô Xo/.apyEÙ; ixopyipwore. L'ancien télestérion détruit par les Perses était
plus petit, mais avait les mêmes dispositions.
(2) On le nommait aussi
lAÉyapov ou [xàyapov, or un (lEyapov est -JTrepwov oty.ri[xa {Suidas).
""Q (AUffxai, t6t£ ja' eïôet' àvaxxdpo-j èv. Trpoçavévra vj^iv ê^ àpYevvaï;, vjv ôè fteÔTjiiiptov.
(3)
Inscription citée par M. Foucart, l. l., p. 408.

(4) Plut., De prof, in virt., 10 : ô S' èvièc vevoixevoç xat [XEya su; ISwv, olov àvaxTÔpwv
ovotyo(ic'vu>v.

(5) Fragm. hist. grœc. iv, 415 : 'E>.eu(7tv; -re (fj(iTrip:cùv ovttdv, I6y)x£v aùr^ Ôpôvov Trapà xô
âvâxTopov.
MELANGES. l9.-i

La salle d'en bas était donc une crypte, destinée à demeurei* obs-
cure — la décoration intérieure n"a jamais été achevée — et plus

propice à des processions ou à des exhibitions d'objets qu'à la repré-


sentation d'un drame. Ces objets pouvaient eux-mêmes circuler devant
les spectateurs assis sur les gradins.
Et en effet les textes font allusion à de véritables représentations —
que nous plaçons au premier étage, et à des apparitions plus ou —
moins effrayantes qui pouvaient être disposées dans la crypte et sans
doute aussi aune marche des mystes dans les ténèbres qui pouvait s'y
dérouler aisément. Et peut-être tout cela était-il réuni dans la même
nuit.

6. — Les représentations.

Clément d'Alexandrie n'hésite pas à employer le mot de drame


mystique, qui suppose bien une représentation. Ce drame est Fen-
lèv^ement de Coré, les courses errantes et le deuil de Déméter (1).
C'est aussi ce que dit Apulée (-2). La prière de Psyché à Cércs
'après une invocation générale fait allusion aux cistes sacrées des
mystères et ensuite à la légende sacrée couverte par le silence
d'Eleusis. C'est dire qu'elle y était représentée, avec la descente de
Proserpine aux enfers, son retour à la lumière et certaines autres
choses.
On aura remarqué l'affectation d'Apulée, de ne pas tout énumérer.
La réserve d'Isocrate était en apparence plus grande, puisqu'il se
contente de dire : nous montrons (les mystères) chaque année, mais
il indique assez clairement que le secret porte surtout sur les bien-
faits des anciens éleusiniens envers Déméter (3). C'était là ce que seuls
les initiés pouvaient entendre, sans doute parce que chacun connais-
sait, fût-ce par l'hymne homérique, la légende si célèbre de Déméter
et de lamzè-Baubo. Mais il était deux points que l'on était tenu de

(1) Protr. II, 12 : Ar,à) 6à /.al Kopr) opàjia rfiri ÈYSvéaÔYiv (i-jaTixôv, /.xi Tr)/ 7tA(ivr,v xai rr.v

âpuavrjv xal tô T.v/boç, 'Els-jd'ic ôaoo-j-/£t. Clément ne s'est pas assujetti à l'ordre des
faits.

Métamorph. vi Per ego te frugiferam tua7n dexteram istam deprecor, per laeti-
(2) :

ficas messium caerimonias, per tacita sécréta cistarum et per famulorum tuorum
draconum pinnata curricula, et glebae siculae sutcamina, et currum rapaccm et
terrain tenacem, et illuminarum Proserpinae nuptiarum demeacula, et luminosarum
jitiae inrentionum remeacula, et caetera quae silentio tegit Eleusinis Atticae sacra-
rium.
,3) Paneg. 28. Arifirîtpo;... Trpô; toùç npoyôvob; r;|jLûv êùiJievwç oiaTsôsioïiç ix xwv eùepYeatwv
a; oC/ o'covt' a>,),oiç r^ toî: [isyL-^rjfiÉvoi; àxoûeiv.
190 KEVUE BIBLIQUE.

garder secrets. Le premier, auquel l'hymne ne faisait pas allusion,


était l'accueil fait par Céléos à Déraéter, c'est-à-dire son union
avec la déesse.
Nous y reviendrons. Le second, un peu voilé dans l'hymne, était
celui des plaisanteries de lambé.Clément d'Alexandrie a levé le voile ;

le nom de lambé est seulement changé en celui de Baubo, plus


expressif et plus cru (1 ).

un épisode sur lequel il eût été plus agréable de passer rapi-


C'est
dement. Mais il se trouve que M. Foucart, revenant sur les conclusions
d'un de ses précédents mémoires (2), soutient aujourd'hui que Clé-
ment n'en a eu connaissance que par des vers orphiques et s'est
trompé en lui faisant une place dans les mystères (3). Et cependant
les découvertes archéologiques, aussi bien que les progrès de la
méthode comparative, ont contribué à expliquer ce point. Rien de
plus net pour mesurer le niveau moral des mystères d'Eleusis et la
valeur du témoignage des Pères.
L'intention de Clément est d'ailleurs évidente. S'il cite des vers
orphiques, c'est pour confirmer ce qu'il affirme touchant les mys-
tères, ce qui est précisément le secret du mystère Déméter refusant :

de boire, Baubo 'y.vy.-;-i'iXi-^yx -y. a-.oofa -/.y), i-tssty.vjsi r?î OstT)" r^ zï -ép-

Tze-ai -Y] '6'iiei r, A-/;w... r,'0£^ja tw Oîijj.aTi. tajT i'jii -y v.pùoiy. twv \()r-

va».)v [j.uarfjpia (4). Orphée —


Clément regarde comme l'initiateur
(jue

des mystères et l'auteur des vers —


n'est cité que comme un témoin

irrécusable, ?v' éyr^ç ;j.xpTJpa -f,: àvaiffyuvrâç tov [j.ua-aYwyiv :

r.yXz 5 r,£v lav.yiç ("/^if- "^ l-'-i'^ pir.-aG'/.t) "^itM^t Baucciç Jrb v.'S/-.z\z' r, z

kr^û CUV b/br^'ji {b)f)ty.. y.tizr,G vn 0'j;j.(o, zi:y.~z o aîiXcv xy^'cc. ivw -/uy.ï/ov

£V£y.£tTC.

Ces vers ne sont point aisés à traduire, d'autant que la traduction


qu'en donnait Arnobe semblait suggérer autre chose (6) :

Baubo « partem illam corporis... tum longïore ah incuria libéral,


facit siimere habitum jiuriorem et in speciem levigaj'i noiidum diiri

(1) D'après Hésjch. pajoo) signifiexoi),ia. Dans Hérondas (<I>t).i(xîovc7ai (vi) 19], xo/.xivov

pauêwva, une amulette composée d'étranjje façon.


signifie

(2) Mémoires de l'Instilut., t. XXXV,


2° partie (1896), Mémoire sur l'origine et la

nature des mustères d'Eleusis, p. 45.


(3) Les mystères d'Eleusis (1914), p. 466 et s., sans aucune allusion aux discussions dont
nous allons parler.
(4) Protr. II, 20.

(5) Èv6r|(7£ correction de Hermann pour [iziôr^fji, répétition intolérable. J'ai ajouté la pa-
renthèse, d'après Diels; elle est nécessaire pour le sens.
(G) Adv. naliones, v, 25, éd. de Vienne.
MÉLANGES. VM

al que hystriculi (1) pusionis » puis viennent les vers cVOrphée (2) :

sic effata simiil vestem contra.rit ah imo obiecit que ocidis formatas
inguinibus res : Qiias cava succutiens Baubo manu — nam puerilis
ollis vultus erat — plaudit, contrectat amice. tiim dea... etc.
Depuis longtemps on cherchait dans les monuments figurés le
secret de l'énigme. Plusieurs types ont été proposés, et il n'y a au-
cune raison d'écarter celui qu'indique M, Foucart, d'une femme se
retroussant, reproduit dans de nombreuses statuettes de l'époque pto-
lémaique, qu'on peut voir au 3Iusée du Caire.
y avait beaucoup plus dans le texte, et le geste pour obscène
Mais il

qu'il fût, n'était pas aussi expressif que les textes. Durant les fouilles
de Priène, on a découvert dans le temple de Déméter et Coré de
petites statuettes, hautes tout au plus de 0,15 centimètres, dont la
description est assez scabreuse (3). Tous les types sont au plus tard
du iv" s. av. J.-C. On a l'impression d'une tête placée sur des jambes,
mais semble plutôt que, dans l'intention des fabricants, c'est le ven-
il

tre qui est modelé en tête. Quelques-uns ajoutent que la draperie re-
troussée forme la chevelure (i), mais ce point ne parait pas clair.
Il serait décisif pour l'attribution de ces statuettes à Baubo 5 Mais .

les petits objets expliquent conmient Clément pouvait parler de lac-


chos, qui, est simplement un jeune garçon. Comme l'a
pour Arnobe
dit M. (6) Baubo,
Perdrizet pour dérider Déméter, s'était grimé le
: «

ventre, elle y avait dessiné la face de l'enfant lacchos; ainsi accom-


modée, elle avait exécuté la danse du ventre (7) devant Déméter; à
chacune de ses contorsions, la figure que Baubô s'était dessinée autour
du nombril, semblait rire (8i ».
En voilà assez et sans doute beaucoup trop sur cette histoire.
M. S. Beinach n'hésite pas à reconnaître dans l'épisode de Baubù un
rite transformé en mythe. « Le geste de Baubo, qui viole un des

tabous sur lesquels repose la société humaine, doit être expliqué

1) Ms. slriculi.
[2] V, 26.

(3) Figures 149-154 dans la publication allemande : Priene, Ergebnisse der Ausgra-
hungen und Untersucfiungen in den laltren 1895-1898. Berlin 1904. Les éditeurs con-
cluent à des objets employés dans le culte mystique de Déméter, du type de Baubo.
(4) S. Reinach, Cultes, mytlies et religions, iv, p. 116. s.

(5) Reconnue par M. Hermann Diels dans Poetarum philosophoriim fragmenta, p. 116.
(6) Bronzes grecs d'Egypte (1911), p. 32.

(7) Encore est-ce un euphémisme!

(8) On voit que M. Perdrizet, et avec raison, garde ici "laxyo; comme nom propre. D'a-

près M. Diels, suivi par M. S. Reinach [Rev. Arch. 1917, ii, y. 166) Ux-/o; est pour y.oîpo;
pudendtim muliebre, un porc (en Sicile) se dit ïax/o;. Mais il ne s'ensuit pas que {av./o;
ait eu le double sens de yoïpo;. Arnolie aura négligé le nom propre.
198 REVUE BIBLIQUE.

comme un acte magique, un exorcisme, destiné à mettre en fuite le


mauvais démon dont est possédée Déméter yli >k Nous serions tenté
de Jui donner raison. Il dit encore (2) « Les polémistes chrétiens des
:

premiers siècles se sont fort scandalisés de cette histoire, dont ils ont
fait un reproche sanerlant au paganisme, oubliant qu'il en est d'aussi

fâcheuses dans lAucien Testament et qu'une religion qui dure et se


transforme ne saurait être rendue responsable de quelques survi-
vances grossières d'un lointain passé ». Mais les histoire scabreuses
de l'Ancien Testament — il n'y a guère de comparable que celle des
filles de Loth — ne sont tout de même pas des rites maintenus dans la

pratique religieuse la plus vénérée. Les Pères de l'Église savaient très


bien que les païens donnaient à ces survivances grossières des inter-
prétations destinées à en atténuer la crudité mais ils reprochaient au ;

paganisme de conserver coûte que coûte ces répugnantes pratiques


qu'aucune glose ne rendait légitime, et cela dans leurs actes reli-
gieux les plus saints, plutôt que d'embrasser la religion où l'on ado-
rait Dieu en esprit et en vérité.
Quel était dailleurs le mode scénique de cette exhibition sau-
grenue, que je ne veux point décider. Peut-être après tout
c'est ce

Baubô nétait-elle représentée ({ue par un mannequin semblable aux


statuettesde Priène. Ce serait toujours justifier les reproches des
Pères qui interprétaientle culte de Déméter comme le culte du v-iiz.

Car, pour le dire avec M. Perdrizet « Les Baubo de Priène repré-


:

sentent la v.zùJ.x féminine, qui s'est animée, est devenue un être


vivant, une personne; elle a des pieds et des mains, elle tient des
attributs et elle marche; c'est la personnification de l'organe qui,
dans les mystères de la déesse xap-isipoç et v.zopz-pooo:. était présenté
comme essentiel: c'est la schématisation païenne du culte de la Ma-
ternité i3i. » Et cette explication va peut-être plus au fond du rite

que celle du rire rituel, qu'elle n'exclut pas. La Maternité est une
chose auguste ; c'était là cependant une singulière manière de l'ho-
norer. Et, dans cette hypothèse, le culte, qui n'aurait été d'abord
que maladroit et grossier, aurait évolué dans le sens de l'obscénité
pure et simple. Car il est douteux que les spectateurs d'Eleusis, si
émus qu'ils aient été d'impressions religieuses, aient répondu à l'exhi-
bition de Baubô, autrement que la déesse, c'est-à-dire par un brutal
éclat de rire (4).

(1) Cultes, etc., iv, p. 117.

(2) Op. l., p. 116..


(3) L. L
(4) C'est ainsi que Démét«r pouvait être invoquée par le chœur des Grenonilles comme
MÉLANGES. 199

Qu'on n'oppose pas le silence des auteurs profanes; c'est précisé-


ment sur que portait le secret.
ces points scabreux
La déesse déridée et remise de ses fatigues par la vertu du cycéon,
continuait sa marche errante à la recherche de sa fille. .Mais désor-
mais, comme nous le verrons, elle avait des g-uides. Il rrsidte d'un
passage intéressant de Stace que les mystes la suivaient dans sa
course en agitant des torches (1) Tuque, Actaea Ceres, ciirsu sem~
:

per anhelo Votivam taciti quassamiis lampada mystae.


Lorsque Perséphone était retrouvée, on rejetait les torches, deve-
nues inutiles. C'était un moment de joyeuse expansion, succédant
aux lamentations. Était-ce cependant, comme le dit Lactance 2i, la
fin de tout le rite?

Il remercier les gens d'Eleusis de leurs î)ons offices. Si


restait à
Ion prend très à la lettre les termes de Lactance, il faudra supposer
que cette partie était réservée à un autre drame. xMais on pourrait
l'entendre d'une seconde partie du rite, le reste se poursuivant la
même nuit, au premier étage du télestérion.
Nous sommes, en effet, porté à croire, avec M. Foucart, que les
cérémonies contenaient une course dans les enfers qui les conduisait
à im pays de la lumière, image de leurs futures destinées. C'est ce

qui semble résulter dun texte de Plutarque qui nous a été conservé
par Stobée. Le voici, d'après la traduction de M. Foucart : « L'àme,
au moment de la mort, éprouve la même impression que -ceux qui
sont initiés aux Grands Mystères. Le mot et la chose se ressemblent;
on dit tea£ut5v et TSAsTorOa'.. Ce sont dabord des courses au hasard,
de pénibles détours, des marches inquiétantes et sans terme à travers
les ténèbres. Puis,' avant la fin, la frayeur est au comble: le frisson,
le tremblement, la sueur froide, l'épouvante. Mais ensuite une lumière

merveilleuse s'otfre aux yeux, on passe dans des lieux purs et des
prairies où retentissent les voix et les danses: des paroles sacrées,
des apparitions divines inspirent un secret religieux. Alors l'homme,
dès lore parfait et initié, devenu libre et se promenant sans contrainte,
célèbre les Mystères, une couronne sur la tète; il vit avec les hommes
purs et saints; il voit sur la terre la foule de ceux qui ne sont pas
initiés et purifiés s'écraser et se presser dans le bourbier et les ténè-

la muse du poète comique : zal uo/./.à [xàv ys/.oiâ a' îIttsïv, Tîo/./.à oà TJiouôàia, /.%'. tt; ttj;
âopTr,; àccw; TîaiTX/Ta x.xl T/û'iav-jc vixr,cxvTa taivioOcÔat {Rauae, 389-393 >.

(1) Silv.. IV, \ni, V. 51.


LvcTANCE., Divin, instit. epil., 23
(2) His [d Isis) sacris etiam Cereris simile mys-
:

lerium est, in quo, facibus accensis, Prosei-pina reqviritur. et ea inventa, ritus


omnis graiulatione et taedarum iactatione fînitur.
200 REVUE BIBLIQUE.

bres et, par crainte de la mort, sattarder dans les maux, faute de
croire au bonheur de là-bas
» 1). M, Loisy pense que cette course

dans ténèbres correspondait simplement au mythe de Déméter,


les
cherchant sur la terre sa fille enlevée (2). Mais Plutarque a en vue
les mêmes lieux qu'Aristophane dans les Grenouilles.
D'autre part, je n'oserais dire, avec M. Foucart, que cette partie
du drame constituait l'initiation proprement dite, et qu'elle était
indépendante du drame de Déméter et de Coré. Pourquoi Déméter
n'aurait-elle pas guidé les mystes dans les enfers?
Quoi qu'il en soit, en outre de ces deux premièi'es représentations,
plus ou moins distinctes, il y avait en outre un autre drame mystique
dont le sujet était une hiérogamie de Déméter.
iM. Foucart et M. Loisy l'entendent ainsi, et font de cette hiéro-
gamie un spectacle réservé aux époptes. Pourtant il ne pouvait guère
avoir la même ampleur que toutes les scènes précédentes. C'est à
peine si cette hiérogamie pouvait durer le dixième du temps consacré
à la légende du rapt et du retour de Coré. J'incline donc à y voir la
fin du drame principal, mais il semble bien en effet qu'il ait été

réservé aux époptes.


Le mariage sacré est certain et Déméter était l'épouse. A qui s'unis-
sait-elle ?
D'après M. Foucart (3), à Zeus, et c'est bien ce qu'indique, avec
Clément d'Alexandrie, le scoliaste du Goryias (4) "EtôXsîto -a^z-a :

/.y). Ar,:^ y.y.'. Kipr, st', -.xj-r^^t \t.vt II/.ijtojv àp-iiTeiE, \•^^zl oï p-iYî'/';

ZeJç. Mais cette autorité est suspecte (5), car elle distingue comme
deux parties dan^ les mystères, l'une attribuée à Coré et l'autre à
Déméter, alors qu ils étaient communs aux deux déesses, Déméter
ayant le rôle principal même dans le rapt de Coré. La dualité que
suppose le scholiaste dérange toute l'économie attestée par les autres
auteurs. Et il est assez étrange que M. Foucart en fasse tant de cas,
en même temps qu'il récuse un autre scoliaste parfaitement d'accord
avec saint Grégoire de Nazianze, sous prétexte qu'ils dépendent de
l'orphisme. Mais l'orphisme étant ici l'écho de l'ancienne tradition

(1) Stob , Flor., t. IV, p. 107, éd. Meineke, dans Foucart, p. 393.
(2) Loc. L, p. 205, note 4.

(3) Op. L, p. 475 ss. et déjà dans les Recherches su?- lorigine et la nature des mys-
tères d'Eleusis, 1895, p. 48.
(4) Schol. ad Gorgiam, p. 497 c.

(5) An même endroit le scoliaste attribue à Eleusis la formule des initiés d'Attis. Il a
pu lire le mariage de Déméter avec Zeus dans Clément d'Alexandrie [Protr. II, 15 .

M. Loisy [l. L, p. 217) semble admettre une évolution de la tradition, le « conjoint dans
le mariage sacré ayant été originairement Céléos plutôt que Zeus ».
MÉLAiNGES. 201

dHomère grand courant qu'il faut se tenir.


et d'Hésiode, c'est à ce
D'après le thème primitif, Démêler ne s'est point unie à Zeus, mais
à un mortel, pour le remercier de lui avoir indiqué où était sa fille.
Voici les textes. Saint Grégoire de Nazianze « Ce n'est pas parmi :

nous qu'une Coré est enlevée et qu'une Déméter est errante, et qu'elle
met en scène des Céléos et des Triptolème et des serpents, et qu'elle
fait certaines choses et en souffre d'autres; car je rougis de produire
à la lumière l'initiation nocturne et de donner à une chose honteuse
le nom de mystère. Eleusis sait tout cela et ceux qui contemplent ces
choses qu'on tient sous silence, et avec raison (1). » Personne ne nie
que l'enlèvement de Coré et les courses de Déméter aient fait partie
du drame mystique? Pourquoi pas les rapports de Céléos et de Trip-
tolème avec Déméter.
Ces rapports sont caractérisés par le scholiaste d'Aristide. Déméter
s'est unie à Céléos, père de Triptolème, qui lui avaient fait connaître
le ravisseur, et leur avait donné en récompense le froment (-2 1. Le
scoliaste ne dit pas quand eut lieu l'union, mais il indique cjue ce fut
avant la révélation des céréales, et la récompense spéciale accordée
à Céléos, tandis que le froment était ordinairement lié au nom de
Triptolème. L'hymne orphique parle de l'union de Déméter avec
le fils de Dipsaulès, qui lui avait révélé le secret des noces de sa fdle.
Le fruit de l'union est Euboulos (3).

Or Euboulos ou Eubouleus est une forme de Plouton, et d'après


Hésiode. Plouton était né de Déméter et d'un mortel que la légende
Cretoise nommait lasion.
donc au mariage de Déméter avec un mortel que nous ap-
C'est
plic[uerons les textes relatifs à la hiérogamie. Ils faisaient partie du
drame unique des mystères, mais ils en étaient une des parties les
plus secrètes, et c'est pourquoi les auteurs chrétiens seuls en ont
parlé.
Ces textes dont M. Foucart et M. Loisy admettent l'autorité, mais
qu'ils entendent de l'union de Déméter avec Zeus, supposent qu'on
représentait réellement cette union par une rencontre du hiérophante
avec une prêtresse, qui était la prêtresse de Déméter. S. Astérius,

(1) Or. XXXIX : 0-j6î Kôpr) tic r,|ji?/ âoTtâ^E-ra-. zal Ar,[xriTr(p Tt/.avâTat zal KsXsoû; tivoc; è::-

EtTàyîi -/al Tpt7tTo),î'[j,o-j; zai opizovra; -/ai xà aàv Ttotït, xà. oï Kinyj.^...

(2) Schol. Aristid. p. 22 : 'E).6o-JO-a Sa îi: t/jv 'AT-i-cr,v -/.al napà Keaeo-j xai Tpt7tTo>i|J.o-./ tÔv
r,pxa7tr,y.ÔTa (iaôoùaa, (xi(76ôv a-JTot? àTroôiôwiri tt,; [XYivjaeo); tôv ffïtov, TTpwxov à6£'7|xw;
o-jyYEvOfjLsvr, Ke/.ew ~ij(> TpiTCto/.î'fxou itaxpt.

(3) Ilymn. orph., 41, v. 5-9 : Ihpcrîfôvî'.av, "Ha6î; t' v.; "A6r,v Ttpô; àyav^v âyvbv Traïoa
Avo-aûXow ôSrjyvjTYÏpa Xay.oÙTX, ar,vvTrip' àyûov )iKTptov -//Jovio-j Ato: âyvoO, E'joo'jàov rslao-a
6sov 6vr)Tri; ûtc' àvâyxr,;.
202 REVUE BIBLIQUE.

évêque d'Amasia, qui écrivait vers l'an 400 (1), n'était point du tout
un ennemi de la philosophie morale des païens; mais c'est préci-
sément au nom de la morale qu'il attaque le culte de Déméter et

de Goré, et spécialement les mystères d'Eleusis. C'est à ce propos


qu'ilnote d'infamie ce qui s'y passait (2) : « N'est-ce pas là qu'est ce
souterrain ténébreux, et ces augustes entretiens du hiérophante et
de la pré tresse, seul à seule? Les flambeaux ne sont-ils pas éteints,
et un peuple nombreux ou plutôt innombrable ne regarde-t-il pas
comme son salut ce qui se fait dans l'obscurité de la part de ces
deux personnes? »

Tertullien doute si peu de la réalité de cette représentation qu'il


en conclut à la réalité des aventures de Gérès-Déméter. Les récits
des poètes sont confirmés par les rites (3). L'expression un peu forte.
rapitur sacerdos, s'explique si la prêtresse était entraînée dans le
lieu souterrain (4) dont parle Astérios. Il convenait de lui faire une
certaine Adolence, quoiqu'elle représentât Déméter.
Que se passait-il entre le hiérophante et la prêtresse? En jetant
lin voile, Astérios suggère le pire, et les expressions indig-nées de
Clément d'Alexandrie (5) nous laissent la même impression. Il est
très probable qu'aux temps les plus anciens 1" union était réellement
consommée. Mais le rite parut trop grossier, et c'est probablement
pour éviter tout soupçon que le hiérophante dut se rendre incapable
d'exercer l'acte de la génération. C'est ce qu'insinue S. Hippolyte (6),

(1) 11 fait allusion de .Julien [P. G.. XL, ;<08) comme à un fait de son
;i l'apostasie
temps, 6 xa0' mais aussi à la disgrâce d'Eutrope (399 a|>. J.-C.,i; cf. Bre.tz,
vifià; piô;,

Sludien und Texte zu Aste7-ios vo7i Amasea, Leipzig, 1914. M. Bretz admet sans hésiter
lauthenticité de rèyKiôtiiov el; toù; âyîoy; [ii^Tj^oiz.
(2) P. G. t. XL, p. 324 « Oùx ix.îî tô xx-raSâo-tov -rà (7>toTîtv6v, xai al at\i\al toj
:

iîpoçâvTou Tupo; Tr,v lî'petav o-JvT-j/iai, jiovoy irpb? (Ji,6vr,v; Oùy^ al ).aji.uàÔ£û dêévvjVTai, xal
6 TToXùç xal àvapt'ÔiJLriTo; Syi|xo; rr,-/ (jWTYip;'av a'jTwv etvai voftiÇoyî-i tx èv tw ny.ôxi^ uapà rôiv

&-J0 7tpaTT6[Aîva ;

(3) Ad nationes,. ii, 7 : .Vo?! creditis poetis, cum de reîationibus eorum etiam sacra
f/uaedam disposueritis Y Cur rapitur sacerdos Cereris, si non laie Ceres passa est?
(4) On peut imaginer un lieu en contre-bas de la scène du premier étage, élevée elle-
même au-dessus du niveau de la salle.

(5) Protrept., u, 22.


(6) Philos., V, 8 (P. G., XVI, 3150] : -/.xbâTZiç, aÙTÔ: 6 lîpoqjdcvTïiç, où-/ à7ioy.£x.o}X[ji£vo; [xév,

ÔK 'AtTt;, Bùyfj\>yi(HLé\>oç 5e otà /.tovesou xal Tràaav à7Tï5pTK7[ji£vo": rr|V (rapxtXTiv yévEffiv.

vjXToç £v 'EXeudïvt ùnô ttoa/.w TTUpî zi).ù>\ là (icY<i).a xal âppïiTa [i-yatripia |îoà xal xî'xpaxï
/.î'ywv 'I=pôv Èrey.î Tzôt-nx xo-jpov (îpifjKi) Ppi(i6v, toutIo-tiv layyçiài tTXtJpôv. Le texte de Migne
conjecture Ttap7)Tï){i.Evo: au lieu de à7rripTi<j[iévo; (leçon des manuscrits), et c est la leçon
que suivent Foucart, Loisy, etc. (Reitzknstein, Poimandres, 93, à7nripxy)[xî'vo;). Mais c'est
remplacer par un truisme une remarque qui peut très bien s'entendre comme nous le
faisons dans le texte. Peut-être un médecin distinguerait-il entre impuissaace et infé-
condité.
MELANGES. 20:{

mais en notant que le prêtre elioisissait un procédé stérilisateur, la


la cig'uë, qui ne l'empêcliait pas de conserver l'intégrité de ses
organes, pour que la fiction ne parut pas trop déraisonnable. Ainsi
croyait-on sauver les convenances sans trop s'écarter de la tradition.
D'après Hippolyte, le hiérophante lui-même annonce, au milieu des
lumières, — les torches étaient sans doute allumées rapidement, —
le résultat de l'union, censée réellement accomplie : (( La sainte Brimo
a enfanté le sacré Brimos », paroles que l'écrivain chrétien inter-
prète : ' La forte a enfanté le fort ». Il entendait donc ces noms
comme des adjectifs, ce que prouve d'ailleurs la répétition du même
nom pour la mère et pour le fils. Brimos n'est connu que par ce pas-
sage, et Brimo n'est rapprochée de Déméter ou de Cérès que dans
un endroit de Clément d'Alexandrie 1), dont s'inspire Arnobe (2),
et qui n'est pas exempt de syncrétisme 3 1. .

Il n'y a donc pas à s'arrêter aux termes dont se sert Hippolyte.


h'après l'ancienne légende (V), qui s'était perpétuée (5 Déméter ,

enfantait Ploutos, et c'est bien Ploutos, non lacchos, qui est ce


jeune grarçon tenant une corne d'abondance sur le vase de Crimée
déjà cité qui représente les di\'inités d'Eleusis (6). Dans l'hymne ho-
mérique, les déesses promettent la richesse (zXsut;v) à leurs fidèles.
bonnes récoltes, que
C'est sans doute la richesse, c'est-à-dire de
leur promet tout d'abord le mariag'e sacré. A son origine la hiéro-
gamie n'était ordonnée qu'à la fin d'un fléau ou à l'heureux succès
de l'agriculture. Nous avons constaté que si l'hymne homérique sup-
posait la culture, la légende, dès le v" siècle, affirmait que Déméter
avait donné, c'est-à-dire révélé les céréales. Ce devait être le dernier
acte du drame. Et en effet, dans Hippolyte (T), on assigne comme
le point culminant de l'époptie. et en relation, semble-t-il, avec le
mariage sacré, l'ostension de de blé moissonné en silence. Le l'épi
naassénien qui parle prétend-il vraiment que ce spectacle ait été

(1) Protrept., u, 15.


(2) Arnobe, v, 20. 35.
(3) Théodoret identifie Brimo et Rhéa y P. G.. LXXXllI, 796).
(4) HÉs. T/iéog. 969-971.
(5) .\thé.N. XV, 50 : M>oyTOj ar.TÉ?' '0)uîx-;av àî:'ow Sr.\ir,-^x. Cf. Auistoph. Thesmop/i. x.
215: E'JX^oÔî Taïv ÔETaoïo'po'.v, tt) Ar;tnri-rp'. y.a: Tr, Kôpr, xa; -m IIaO'jtw y.xi ttj Ka>)iy£vE;a.

(6) Sacuo, art. Eleusinia, tig. 2630.

(7) Phil. V. 8, avant le passage cité plus haut : 'A6y;vaïo'. [x-joOvtî; 'EXc'jitvia, xal ètcioîix-

vjvtî; toï; èrtOTiTEÛovfft to iiiyx xat 6a'jtxa(7Tbv xxl Te),£tÔTaTov ètcoiîtixôv ixst (A-j(rcinpiov èv

<7to)7tri TâÔ£pio-fx.Évov aiy-'/yj. On


souvent compris que ré|ù était montré en silence. Ce
a
sens serait pas naturel, mais ne cadre pas avec la construction des mots. Le silence pen-
dant qu'on coupait l'épi était d autant plus impressionnant que les moissons étaient à
l'ordinaire plus bruyantes.
204 REVUE BIBLIQUE.

réservé aux époptes, aux initiés du troisième degré? Peut-être a-t-il


exagéré parce que lépi représente pour lui un mystère sublime,
celui de la lumière parfaite issue de Findéfinissable t On regardait .

naturellement comme la révélation suprême celle qui terminait le


spectacle. Mais quelque soit le sens qu'on ait cherché et trouvé dans
ce symbole, l'épi de blé était un épi de blé. don certes assez pré-
cieux pour que l'humanité gardât une éternelle reconnaissance à
ceux qui étaient censés l'avoir cultivé les premiers. Dans le drame,
l'épi était donné comme une récompense à Géléos et à Triptolème.
Cétait la base assurée du privilège d'Eleusis. Mais la libéralité du
peuple de l'Attique avait étendu ce bienfait à tous les hommes. Il ne
restait plus à Triptolème qu'à s'élancer sur son char emporté dans
l'air par des dragons, tenant à la main les épis qu'il va distribuer

partout. Claudien (2/ a noté ce trait, qui figure souvent sur les vases
peints. M. Foucart (3i conclut de cette publicité qu'il n'était pas repré-
senté dans les mystères. Mais autant vaudrait en exclure le rapt de
Perséphone. 11 faut toujours en revenir à la distinction des choses
que tout le monde savait et de celles qui devaient demeurer secrètes.
Le sens de l'épi de blé est demeuré secret lii.

(1) Suite du texte cité à la note précédente : 'O ôà nz%-/y, ojtô: iTf. /.%: Tia.ç.3. 'A'jr.vaîoi:

ô Tvapà Toù à-/aoay.-:rip{aTOj zoin-riÇi lùtioi [xifT-t. puis -/.rbinir, aC'h: ô Σpo;âv:r,: •/.. •:.'/).

cité plus haut.

(2) Je cite tout le passage qui montre l'empressement de la foule à entrer dans le téles-
terion brillamment éclairé. Enlèventent de Proserpine, i, 4 ss. :

gressus removete profani.


lam furor humanos nostro de pectore sensus
Expulil et totuin spirant praecordia Phoebum :

lam cernuntur trepidis delubra moveri


milii

Sedibus et claram dispergere iimina lucem


Adventum testata dei; iam magnus ab imis
Auditur fremitusterris templuiuque remugil
Cecropium sanctasque faces extollit Eleusis.
.\ngues Triptolemi strident....
Ecce procul ternis Hécate variata (iguris

Exoritur, levisque simul procedit lacchus


Crinali florens hedera....

Au T. 5 M. l-oucart lit culmina (au lieu de Umina et lentend de l'ouverture de Va-


nactoron.
(3) Op. h, p. 465.

(4) Quelques-uns pouvaient y voir un symbole de la vie transmise par la génération:


cf le 6£po; de Julien. Or. V. p. 168, àpropos d'Attis, et Tertuliien Ceterum tota in adytis :

divinitas, tota suspiria cpoptarum (dans .Migne tôt siparia portarum]. toium siyna-
:

culuni linguae simuîacrum membri virilis revelatur Adv. Valent. I, éd. de Vienne^.
D'autres ont dû penser à la renaissance dont le blé est le symbole. Cicéron {De leg. II, 63)
dit qu'anciennement en .\ttique on enterrait les morts, après quoi, frugibus obserebalur,
ut sinus et gremium quasi mati-is mortuo tribueretur, solum autem frugibus expiatum
MÉLANGES. 203

Nous n'avons pas rattaché à la représentation du drame mystique


deux paroles énigmatiques qui nous sont connues par Hippolyte (1) et
par Proclus ('2 D'après le commentateur païen de Platon, un des rites
.

Éleusiniens cocsistait à resarder le ciel en criant « Fais pleuvoir », :

et ensuite la terre en criant " Deviens grosse ». Si Ton procédait :

ainsi, la scène ne pouvait guère se passer dans le télestérion d'en bas


d'où l'on ne pouvait pas regarder le ciel. Aussi n'est-ce qu'avec
réserve que iM. Foucart opine que ces paroles accompagnaient la
liiérogamie. Si cette union était vraiment celle de Zeus et de Déméter.
les mystes en auraient pour ainsi dire révélé le sens, en l'appliquant
aux forces de la nature. Ce symbolisme n'était pas étranger à l'anti-
quité, comme le prouvent les vers célèbres de Virgile :

Ttim pater omnipotent fecundls imbribus Aether


Coniiigis in gremium laetae descendit (Z).

Mais M. Foucart serait le premier à exclure des rites d'Eleusis une


interprétation naturaliste.
Le plus simple est donc de regarder le rite en question comme un
rite de pluie, pratiqué à Eleusis, mais détaché des mystères. C'est
peut-être, comme l'a supposé F. Lenormant (i ;, celui des -'kt^'^j.z'/zolk.

D'après Athénée '5), le dernier jour des mystères à Eleusis se nommait


-/.r,;/;y:a. parce que ce joiir-là on remplissait deux vases qui portaient
ce nom, vases d'argile en forme de toupie; on les dressait l'un vers
l'orient, l'autre vers loccident, après quoi on les renversait en pro-
nonçant une parole mystique. Cette parole pourrait très bien être

T. — Le symbole de l'initiation.

Nous n'avons point encore parlé de la formule par où le myste attes-


tait sa participation aux mystères. Clément d'Alexandrie, qui l'a fait

m viris redderelur. Naturellement les anciens ont pu concevoir un autre symbolisme,-


analogue à celui des Égyptiens qui semaient du blé sur les sarcophages de sorte que le
gazon figurât un Osiris.
(Il l'hilos. V, 7 (P. G., 3138; : toOto (la génération du fils de l'homme du Verbe indéli-
nissable), ^rioîv (le naassénien) è-ttI to [xÉyx -/ai appr.rov 'E>.e-j(7ivîwv [ij<7Tr,pto v -jî, Kvï'.

(2) Procl. in Tim. 293 c : èv toî; 'E/.îjTtvio'.: Upsû î'-î {lÈv tôv où|;avôv àï;oS),£'i/xvTe; èooôiv.
'Jî, y.o.-%o'fvlia.'i~ti ck îi; Tr.v yr.v" x-jî.

(3) Géorg. ii, 325 s. ; cf. Put. De Is. 34.

(4) Eleusinia, p. .573.

(5) 49'j, 6 ; cV :^ (r.uipa, ôvo -)r,[i07_oa; 7;/,Y)çâ)5a-/T£;, Tr.v [ikv npo; àvxTO> à; tr.v oè rpo; ô-jCT'.v

àvKTTâflivo'., à-yaTp£-Ov'î'.v ir.ù i-^rj-m:, ^^Tid'. i (xvdT'.xr.v.


206 REVUE BIBLIQUE.

connaître, la nomme un rJvOo;j.3c. S'il faut traduire : « mot de passe »,

on aurait dû le réciter avant d'être admis au spectacle. Mais nous


avons vu qu'on n'exerçait pas de contrôle; et les termes eux-mêmes
semblent supposer qu ona déjà été associé au deuil de Déméter, qu'on
s est consolé avec elle. La formule était donc plutôt une sorte de pro-

fession de foi, résumant l'initiation commune, sinoû l'époptie, ou


plutôt énumérant les actes personnels du myste qui étaient sa part
dans l'initiation, conférée essentiellement par la vue des mystères (1).
Les termes de Clément sont « J'ai jeûné, j'ai bu le cycéon, j'ai
:

pris dans la boite et. après usage, j'ai déposé dans la corbeille, puis
de la corbeille dans la boite (2). »

Depuis Lobeck, on a remplacé <( après usage » par : « après avoir


goûté en supposant que la boite contenait un aliment solide, comme
»,

du pain. Bonne occasion de parler de pain bénit (3), ou de rappeler


la communion eucbaristique.
Mais Arnobe ne recommande pas la conjecture de Lobeck, et insi-
nue plus fortement encore que la formule a quelque chose d'inconve-
nant (4).

Quand on se défierait de la partialité des Pères de l'Église, ce n'est


point une raison pour corriger leurs textes ad usum Delphini. M. Die-
terich la compris (5i, et Tobjet mystérieux lui a paru être un pn-
dendum (6). M. Loisy songe lui aussi à des phallus ou à des ser-
pents (T) ayant la même signification; la corbeille aurait eu dans
cette hypothèse un sens symbolique. Mais il ne renonce pas pour
cela à l'idée de communion elle se double plutôt « La communion
: :

des inities à Déméter était signifiée et opérée par un double symbole,


celui de la participation au kykéon, breuvage mystique, sacré, divin,
nourriture d'immortels, et par le contact d'objets qui, simple figure

du mariage ne laissaient pas d'attester et d'effectuer l'union


sacré,
spirituelle de l'initié à la déesse du mystère (8). »

(1) C'est ce qui semble résulter du texte d' Arnobe cité plus bas.
(2) 'Evr,(TT£-jaa, Ittiov tôv x-jxôwva, e/.aêov Èx xiff-rj?, èpyaffdfjievo; à.'iitHi\yf\^ eî; xot/.aOov xai
Èx xa>ô6ou Eiç xiff-rr.v [Protr. II, 21). Lobeck cYYej(j(i|j.£vo;.

(3)Faunell, Cuits of Ihe Greek States, III, 187.


(4)Eleusiniorum vestrorum notae sunt origines turpes : produnt et antiquarum
elogia litterarum, ipsa denique symbola quae rogati sacrorum in acceptionibus re-
spondetis : « ieianavi atque ebibi cyceonem ex cista sumpsi et in calatbum misi accepi
: :

rursus, in cistulam transmisi » {Âdv. nation, v, 26).


(5) Eine Mitfiraslitnrgie, p. 125.
(6) Il a rappelé la xî^Tr,, èv -^ xô to-j Aiovl,i7o-.^ aiôoïov àiréxiiTo {Protr. n, 19).
(7) Les serpents sont suggérés par le texte de S. Grégoire de Nazianze, cité plus haul.
(8) L. l., p. 211. On lit encore, à la même page « La communion alimentaire et la com-
:

munion sexuelle tendent à se résoudre en communion morale aux sentiments de la déesse


MELANGES. 207

On peut seulement se demander ce que cette union avait de « spi-

rituel ». Toute religion, et à plus forte raison les mystères, avaient


pour but de lier les hommes une certaine
à la divinité, de parvenir à
union. L'idée d'Eleusis parait avoir été de réaliser l'umon dans les
sentiments, et, symboliquement, dans la chair. Ce n'est pas là que
s. Paul aurait été chercher son idée de l'Esprit.
Encore moins a-t-on le droit de parler d'une nourriture divine, d'une
communion ne faut pas même
qui s'assimilait les deux déesses (1). Il

prononcer le mot de sacrement, comme MM.


Lenormant et Foucart. F.
Cela n'aurait pas grand inconvénient si l'on entendait vaguement
par sacrement le signe sensible d'une idée religieuse, un simple sym-
bole. Ce serait toujours un abus de mots, car dans la controverse qui
s'est engagée sur les origines des sacrements chrétiens, nombre de

critiques admettent, ce que l'Église a toujours enseigné, que les


sacrements de saint Paul ont une énergie réelle et renferment une
vertu divine. Ce sont ces sacrements, c'est cette notion qu'il aurait
empruntée aux mystères. Et c'est cette énergie divine qui faisait évi-
demment défaut à Eleusis. Le myste déclare avoir accompli certains
rites faisant partie de l'ensemble des mystères. Ces mystères lui don-
nent une espérance; ils ne le font pas participer dès à présent, et

par l'esprit, à la vie divine.

ne nions pas l'importance de l'initiation dans la


D'ailleurs nous
vie d'un païen. Ce jour marquait dans sa vie. On avait coutume de
consacrer aux déesses les habits qu'on portait alors rli. Et on pour-
rait voir quelque chose d'analogue dans l'usage chrétien de porter
des vêtements blancs après le baptême.

IIL — Comment les mystères atteignaient leur but?

Il n'y a aucun doute sur le but des mystères. Il était déjà indiqué

dans l'hymne homérique rendre la vie plus douce et surtout assurer


:

une existence heureuse après la mort dans la compagnie des dieux.


Isocrate (3) et Cicéron (4) notent encore l'avantage temporel. Cepen-

et en gage de sa bienveillance. Les rites ne deviennent pas pour cela de purs signes; ils
restent les moyens sacramentels de l'union mystique à Déméter. » On ne sait sur quoi
sappuient ces nuances et ce processus évolutif. Vu temps de Julien l'Apostat, on croyait
très fermement à l'efâcaclté des rites.

(1) Jevons, cité par Fonçait, l. l., p. 380.


MÉLANTHE, Fr. Hist. graec. IV, 444; Tiâ^ptov iir: taî; Oeaïç àvuooyv xa'i rà; o-ToXii... èv
(2)

al; rOyotiv [ijr)6£vT£r. Ce ]Nh).âv6'.o;, historien alexandrin, avait écrit un llspl tûv èv

'EAe«<7ïvi fiuoTYiptoûv. Date incertaine (cf. Sisemihl, 1, p. 622}, mais avant le u' s. avant J.-C.

(3) Panég. 28, cité plus haut.

(4) Il excepte les mystères d'Eleusis de la suppression des rites nocturnes, De leg. n, 14 :
208 REVUE BIBLIQUE.

dant le point principal, et de beaucoup, était l'espérance d'échapper


au bourbier où se débattaient les autres âmes après la mort. Le
salut dépendait des mystères et de l'initiation aux mystères. Ce
point est clair pour tout le monde. Mais on se demande comment les
mystères avaient cette vertu et comment les initiés en devenaient
bénéficiaires.
Un est encore généralement d'accord sur ce point que ce n'était pas
par la révélation d'un enseignement réservé et plus élevé, soit de
l'ordre religieux, soit de l'ordre moral. C'était lopinion des rationa-
listes (1) et des symbolistes (-2) du début du xix° siècle, mais Lobeck (3)

a fait prévaloir l'opinion contraire. Son principal argument d'autorité


est emprunté à Aristote par le canal de Synésius « Aristote est :

d'avis que les initiés n'ont pas à apprendre quelque chose, mais à
éprouver des impressions auxquelles ils sont préparés (i). » Et en
effet dans l'acte de l'initié qui nous a paru plus semblable à une red-

ditio symboli qu'à un mot de passe, il n'y a pas de symbole de foi.


Ceux qui venaient aux mystères avaient la foi dans l'immortalité de
l'âme et dans la puissance et la bonté des deux déesses.
Comment les hiérophantes eussent-ils pu songer à leur donner des
idées plus hautes de la divinité? Ils ne pouvaient enseigner l'unité
de Dieu sans ruiner l'objet de leur culte. Toutes les explications
évhémeristes ou épicuriennes s'arrêtaient à la porte du sanctuaire (5),
Les initiés admettaient l'existence des dieux et leur action sur le

monde.

Alhenae hiae tum mitlta eximia ridentnr peperisse, tum nihil melius illis mysteriis,
quibus ex agresti iminanique vila exculti ad humanilatem et mitigati su)mis,...
neque solum cum laetitia vivendi rationem accepimus sed etiatn cum spe metiore
moriendi.
(1) Dupiis, L'origine de lotcs les cultes, t. IV. 369 : « La nature de l'àme humaine, son
origine, sa destination, ses rapports avec toute la nature, tout cela fut l'objet des leçons
que l'on donnait à l'initié. >>

(2) Sylvestre de Sacy, cité par Lobeck (p. 8) résumant l'opinion de Creuzer : « M. Creuzer
pense ([u'après avoir mis sous les yeux des initiés les représentations symboliques de la
cosmogonie et de l'origine des choses... l'on confiait aux époptes les vérités de l'existence
d'un dieu unique et éternel et de la destination de l'univers et de l'homme en particulier. »

(3) Aglaophanus, p. 6 ss.

(4) S^^ES., Dion. p. 48 k. 'ApicTOTE/Ti; àjioï xoù; T£T£À£arj.£vovi; oO [iaôsîv xi oîîv à'/.'/.à uaôeîv
-/.al 6iaT£6r;vai yîvoiJiEvoyç ôrjXovÔTi £7iiTï]ôetoj;. C'est bien la pensée de Dion Chrys. Or. XII,
33. Les spectacles étaient si beaux, si variés,que l'initié devait naturellement concevoir
une grande idée de leur sens, même sans aucune explication àpà ye tèv avopa tojtov [xtjôèv
:

^aOetv eIxôc Tî)


4''^X^
[;.r|ô '
ÛTiovoriffat xà YtyvofJLEva, w; [jL£Tà yvwixy); -/ac Ttapa^xcuv;; TipàiTSTat
(joyfjjxépac... jj-YiSevo: £?r,Y/,ToO jjlyjSè lp[ir)v£a); TiapôvTo;.

(5) Cicéron (De natur semble dire qu'il ne resterait rien des mystères
deor. i, 42)
d'Eleusis si l'on adoptait l'opinion de Prodicos de Céos qui, d'après Sextus Empiricus
[Adv. math, ix, 18), assimilait Déméter au pain.
MÉLANGES. 209

Faut-il en dire autant de l'exégèse stoïcienne et néoplatonicienne?


Le hiérophante pouvait-il dire décemment aux auditeurs soupirant
après la société des déesses, que [)éméter était la terre ou le grain
de blé? C'est lobjection de M. Foucart, qui peut-être ne tient pas
assez compte du sincère esprit apologétique des stoïciens. La terre et
le blé divinisés n'étaient pas pour eux des atomes distincts, mais une
vertu de lame du grand tout, et leur foi eût pu se contenter d'utie
union aux dieux qui eût été l'absorption de l'âme dans l'unité. Il était
inévitable qu'on expliquât ainsi les mystères (1. On les a fait béné-
ticier aussi des spéculations néo-platoniciennes, et l'ancienne foi y
trouva plus aisément son compte. Et. même sans professer un système
particulier, les apologistes du paganisme aimaient à relever la sagesse
profonde cachée dans les mystères, plus avancée chez les époptes,
suprême chez le hiérophante (2'.
Néanmoins ces explications furent toujours une chose du dehors,
une glose pour les curieux et les raisonneurs. Si elles avaient été
données dans les mystères par les ministres sacrés, elles auraient
dû être modifiées avec le temps. Et même à aucune époque elles
n'auraient pu être du goût de tout le monde. Or la fixité des rites
parait un fait certain. Elle ne se comprend que si les paroles n'étaient
point l'explication du rite, mais une partie nécessaire pour compléter
l'initiation, et peut-être spécialement secrète, ce qu il ne fallait pas
dire, -x xT.oppr-x S .

Si bien que celui qui aurait vu en songe les mystères, sans entendre
les paroles, pourrait révéler ce qu'il avait vu sans être coupable
de sacrilège. C'est du moins ce qui semble ressortir d'un texte de
Sopatros (i).
Il est tout naturel de concevoir ces paroles comme donnant plus
de clarté au spectacle, en désignant les images, en prêtant une
voix aux personnages du drame sacré. Ce qu'on admirait surtout,
c'était la beauté des formules, si bien adaptées aux actes et qui exci-
taient l'admiration : c'était à qui ferait le plus d'impression, d'après

(1) DiODORE, m, 62, 7: cf. Tert. Adv. Valent. I •


Sed naturae renerandum nomen
allegorica dispositio praetendens patrochiio couclue figurae sacrilegium obscurat et
convicium falsis simulacris accusât.
(2) ThÉODORET, p. g., CUV, p. 220 : tov Isposa/Tt/ôv >,o'vov oOy à7:avT£; taaT'.v, à).),' 6 uâv ito)y;
ôjAiÀo; ~x opujaîva ôîwsîî, oi oé vj r:poffaYOpî'j6u.îvo'. icpEt; tôv tûv ôpy-tov È7tiTî).oOG''. 6ec(i6v,
ô Oi lîposâvTYî; aôvo; oloe tûv y'-Y"'°!J'-ï'vmv tôv ),ôyov xatl oî; àv coxiixâ^r,, (i.T;vj£t. II s'agit
des mystères de Lainpsaque et d'atlénuer le scandale d une représentation de Priape.
(3) Reproche du pseudo-Lysias : ovto; y'xp èvoù; tt,v coir^'i uiu.o'jfj.evo; -rà \toà. ÈTrîôtîy.vvî

tôt; àu.vri'roi; xal îire Tr, swvt) -rà àîrôpprjra {h\ .

(4) Rhetores graeci, édit. W'alz. t. VIII, p. no s.

REVTE BIBLIQIE 1919. — N. S., T. XVI. 14


210 REVUE BIBLIQUE.

]e rhéteur Aristide (1), ce qu'on voyait ou ce qu'on entendait.


La plupart des critiques s'en tiennent là. M, Foucart a donné aux
paroles une importance spéciale, et pour ainsi dire technique: elles
auraient été comme un guide dans les régions infernales pour par-
venir aux bosquets des douteux que TÉg-yptien
initiés. Il n'est pas
devait connaître par le détail ce mystérieux itinéraire il devait ;

être instruit et armé des paroles qui devaient mettre en fuite les
monstres et triompher de tous les périls du chemin. Si les mystères
d'Éleu:>is sont apparentés par l'origine à ceux d'Egypte, nont-ils pas
été, eux une instruction secrète qui permettait aux mystes de
aussi,
sortir des enfers? La conséquence serait autorisée, mais le point
d'appui est précaire. C'est encore en dehors de la Grèce propre que
M. Foucart en a cherché un autre, dans les inscriptions dérouvertes
à Pétilia et à Thurii dans la Grande-Grèce 2. et à Éloutherna en
Crète (3).

par exemple une inscription de Pétilia, traduite par M. Fou-


Voici
cart Dans la demeure d'iladès, tu trouveras à gauche une source
: u

et près d'elle un cyprès blanc; garde-toi même d approcher de cette


source. Tu en trouveras une autre où coule l'onde fraîche qui vient
du lac de Mémoire; devant sont des gardiens. Leur dire .le suis :

l'enfant de la terre et du ciel étoile, mais mon origine est céleste:


sachez-le, vous aussi. Je suis dévoré (i) par la soif, qui me fait mou-
rir, mais donnez-moi sans retard l'onde fraîche qui coule du lac de

Mémoire. Et ils te donneront à boire de la source divine et désormais


tu régneras avec les autres héros. »
L'origine céleste indique l'Orphisme ; l'eau fraîche a peut-être sa
source au pays du Xil. Les autres inscriptions relèvent aussi de l'Or-
phisme. Que conclure pour Eleusis? Certes les initiés croyaient aussi
qu'ils avaient plus de chance que les autres d'échapper aux périls

de l'enfer. D'après Euripide, Héraclès même s'était fait initier


avant de tenter l'aventure, pour cela qu'il y avait réussi (5).
et c'est

Mais était-ce parce qu'il avait appris les mots de }>asse du chemin?
Le contexte indique seulement que c'était grâce à la protection de

(Ij Arist. Eleusin. \k 256 : xivi ô'à/.Àu) X''>?'W' ^, [XÛOtov 6a-^|i.aaTÔTîoat ç-r.jxai if -.(X/riÔTîdav r,

Tx ûpa)[ji£va [j.eî'Cm v'ry k'xTr>T,$iv îcye^J: ?, (J.à).)/jv eî; £ç;à[ii"A>ov xatsa-Tr) taTç àxoat; Ta ôpwîxâva.
(2) Elles sont environ du iv s. av. J.-C, dans les Inscript, gr. : Siciliae et Ilaliae, G38 ,

641; 170G; 1782; 1842.


(3) Bulletin de corresp. hellén.. 1893, p. 177.

(4) Ou plutôt « dévorée », aOri, c'est l'àme qui parle.


(5) Ta (jL-jcrrôvS' ôpyt' ii-ûyy\fj' tSwv [lier, fur., 613). Uiodore (iv, 25) dit de même ([u'avant
d'aller chercher Cerbère dans l'enfer. Hercule s'est fait initier à Eleusis, pensant que cela
serait utile pour ce combat,
MÉLANGES. 211

la déesse. L'auteur d'Axiochos (1) paraît ne faire allusion qu'à une


audace, à une confiance qui s'est allumée à Eleusis. C'est donc tou-
jours la contagion de confiance qui entre en jeu plutôt qu'une ins-
truction précise.
Incontestablement il y avait une sorte de géographie des régions
infernales; Aristophane dans les Grenouilles y fait allusion (2). Les
initiésy étaient introduits par les spectacles. C'est probablement,
comme M. Foucart l'a reconnu, d'après les mystères que Platon se
fait une idée des carrefours où l'àme pouvait être embarrassée (:i).

Mais elle se tirait d'afiaireau moyen d'un guide. D'après le philo-


sophe, ce guide lui était à cause de ses vertus. donné
Les mystères se flattaient sans doute de suppléer aux vertus par
l'assistance des déesses. Mais Platon ne laisse pas soupçonner la con-
naissance de formules spéciales.
La conjecture de M. Foucart, il faut l'avouer, ne manque pas de
vraisemblance. Elle rend compte des textes où l'on reconnaît la double
influence de l'Egypte et de lOrphisme. Mais rien ne prouve que ces
influences aient dominé à ce point à Eleusis; ce n'est toujours qu'une
conjecture.
Au surplus, les paroles n'étaient qu'une partie des cérémonies. Ces
cérémonies, dans leur ensemble, avaient-elles une influence directe sur
le salut des initiés? Il semble que Kohde ne lait pas cru, car il parait
assez soucieux d'écarter des mystères d'Eleusis l'union à la divinité,
principe de toute mystique. Les spectacles, à l'origine du moins,
n'étaient pas sym.boliques, ne contenaient aucun enseignement sur
les espérances qu'ils donnaient. Ils n'avaient non plus par eux-mêmes

aucune efficacité. D'où venait doue la confiance des mystes? Ils


avaient fait ce que les déesses exigeaient d'eux. La condition posée
par les déesses était remplie; à elles de tenir leur promesse (4j.
En excluant toute idée mystique, Kohde n'entendait sûrement pas
éliminer tout ce qui n'était pas pure vue de foi, fondée sur un contrat
juridique. L'espérance des initiés, leur dévotion, était exaltée par la

(l).To-J; TzgÇil 'Hpxy.Xî'a tî xai Aiôvjffo/ zaTtôvra; ôî; "A'.ôou npoTc'pov lôyo; âvOioe (H/r-
6f|Va:, zxi -rô Ôdiptro; tt,; èzcToï Tîopîîa; Tiapà tt,; 'E'/.vjafiioc^ ivoLÛrjxtj'Jx: (dans les Spuria de
Plalon, éd. Did., t. Il, p. 562).
(2) Ran. 137 ss. On trouve un grand lac, puis le bourbier des coupables, puis les bos-
quets de myrte des initiés, près de la porte de Pluton.
(3) Phédon, lvii : vijv 6' k'oi/.s ayîcrei; tî xai tteoioôo-j; jto/.Àà; àyc;v"à7:o rôiv ôciu)^/ tî y.x:

vo!iî{iwv -wv ÈvOxÔE Dans le Gorgias, i.xmx, il


Têy.[j.atpô[A£vo<; Xé^w. est aussi question de la
bifurcation des deux routes du bonheur ou du malheur. Mais c'est là que se tient le
jugement; après quoi l'àme était mise sut son cliemin.
f-i; Pst/Cll('\ I-, 278 ss.
212
-
REVUE BIBLIQUE.

beauté des spectacles, par l'impression qu'ils produisaient, par la


contagion de ferveur qui se communiquait aux fidèles, comme il
arrive toujours dans les manifestations religieuses d'une foule en-
thousiaste (1).

Mais y a loin de là à une opinion arrêtée sur l'efficacité intrin-


il

sèque des cérémonies. M. Loisy lui aussi insiste beaucoup sur la foi
des initiés. On voyait peu de choses, mais la foi suppléait à tout.
L'hypothèse de M. Foucart est écartée « La faveur des Déesses
:

était une garantie suffisante qui rendait superflue la connais-


sance préliminaire et détaillée du séjour souterrain. On était bien
réellement sauvé par la foi (2). » Pourtant M. Loisy, nous l'avons
vu, fait une part à la notion de sacrement, qu'il semble regarder
comme La croyance commune s'en tient à l'idée
antérieure : «

du sacrement qui vaut aux initiés le bénéfice des joies éternelles,


idée proprement religieuse, d'où se dégagera celle du salut par la
foi (3). »

C'est encore M. Foucart qui a essayé d'expliquer Faction efficace


des mystères, et il l'entend à la façon d'un sacrement, qui agit ex
opère operato. D'après ce maître, les spectacles d'Eleusis n'étaient
point une tragédie ordinaire, excitant la compassion ou la terreur.
Ils avaient une vertu propre. Mais comment le prouver? Il lui faut

encore recourir à FÉgypte. Pendant les fêtes d'Osiris à Abydos, les

prêtres représentaient des drames qui étaient de véritables combats


rituels, la lutte et le triomphe du Dieu bon. « En apparence, c'était

une représentation commémorative de la victoire du Dieu bon » sur (^

ses ennemis; en réalité, c'était une victoire effectivement renou-


velée Reproduire les actes divins « dans les conditions minutieu-
».

sement réglées par le rituel et à l'heure marquée par le calendrier,


c'était, au moment critique, les faire s'accomplir de nouveau dans

le ciel, avec toutes leurs conséquences favorables pour la terre (4). »

Ainsi en était-il à Eleusis.


Il faudrait, pour le croire, admettre non pas seulement une in-
fluence égyptienne sur les mystères d'Eleusis, mais une transforma-

(1) Un hasard me rappelle les beaux vers de Schiller :

Wo tausende anbeten und verehren.


l)awird die Gluth zur Flamme und belliigelt,
Sohwingt sich der Geist in aile Himniel auf [Maria Sluart).

(2) L. L, p. 220.
(3) Loc. L, p. 224.
(4) Op. laud., p. 493.
MELANGES. 213

tion, sur ce point particulier, de tout l'esprit de la religion grecque


en celui de la magie égyptienne. Et même si la Grèce, elle aussi,
avait commencé parmagie, l'opinion avait changé.
la
Distinguons, avec le savant maître, les mystères de l'enlèvement
de Coré et ceux de l'union sacrée. Dans les premiers, et ce sont les —
seuls qui aient rapport à l'immortalité bienheureuse, ceux qui sont
caractéristiques d'Eleusis, — on ne voit pas que les actes de Déméter
aient eu en vue l'utilité des hommes. En Egypte, tout défunt est un
Osiris, et l'on peut dire de l'homme ce qui est vrai du comme
dieu,
le dieu à son tour est assujetti à la mort aussi bien qu'un homme. En
(irèce, rien de semblable. Le mythe est une histoire divine, qui ne
concerne que les personnes divines. Les hommes qui ont rendu ser-
vice à la déesse en ont été récompensés, et il en sera de même des
mystes. .Mais absolument rien ne dépasse les termes de l'amitié et

de l'intimité. Regarder la « passion » de Déméter comme un événe-


ment salutaire au monde, qu'il importe de recommencer pour as-
surer le salut des mystes, c'est transporter dans les mystères une idée
chrétienne. Rohde connaissait trop bien la Grèce pour se rendre
coupable de cette confusion.
Toutefois il n'en est peut-être pas ainsi du mariage sacré. Il semble
qu'on en attendait un certain résultat, que ce symbole était efficace.

Et cela est dit assez clairement par saint Astérios, évêque d'Amasia,
contemporain de l'empereur Julien. Nous avons déjà vu son texte.
Rappelons les derniers mots « Les flambeaux ne sont-ils pas éteints
:

et une foule innombrable n'attend-elle pas son salut de ce qui se

passe dans l'obscurité entre les deux personnages (1)? »


On pourrait se demander si ce témoignage n'est pas l'indice d'une
évolution dans la conception des mystères? Je ne tenterai pas cette
recherche. D'après Gruppe (2), le sacré mariage avec le dieu est le
fond de tous les mystères grecs. Un acte de cette importance n'eût
pas été pratiqué comme rite religieux si on ne lui avait attribué une
grande efficacité. Mais cette efficacité n'a pas été la même dans tous
les temps. L'association de l'épi de blé au mariage nous a paru la

preuve qu'à l'origine on avait seulement en vue la fécondité de la


terre. Au temps
d'Astérios la pensée du salut était devenue la princi-
pale. L'acte ne changea pas, ni la foi en son efficacité. Ce fut l'idée du
salut qui changea. Nous connaissons la base de l'union mystique chez
les Grecs elle était symbolisée et même obtenue par l'union des sexes,
:

i; Trad. Foucart, p. 477.


(2) Griec/i. Mylh.. p. 48 ss.
214 REVUE HIBLIQUE.
Ci
réelle ou apparente. Et nous ne voulons pas nier que quelques âmes,^
peut-être sous l'impulsion d'une grâce divine, se soient élevées à la<)

notion d'une union des facullés supérieures avec la divinité. Ce devint


l'exégèse courante des néo-platoniciens. Probablement aussi Tidéel'
religieuse préservait certains symboles et certains actes du caractèrea
de polissonnerie qu'ils auraient pour des modernes. Chacun entendait
les choses à sa façon et la tendance constante paraît avoir été d'épurer
la grossièreté primitive. Mais les allégories étaient plus ridicules que
les mythes. Quoi qu'on fît, le fond demeurait le même, tel que Théo-
doret l'a noté avec beaucoup de précision « Les initiations et les :

cérémonies ont leurs objets susceptibles de symbolisme [ahiyij.xxa],


Eleusis le y.-iiç^ la Phallagogie le s^aasç. Quoi qu'il en soit, si Ton fait
abstraction du symbole, ce qui se passe au.v cérémonies excite les
spectateurs à toute sorte de dissolution (1). »

On a, il témoignage des Pères de l'Église.


est vrai, contesté le

M. Pottier, à propos de Baubo, ne veut admettre qu'avec beaucoup de


précautions « les textes d'adversaires déclarés du paganisme qui fai-
saient arme contre leurs ennemis de tous les récits plus ou moins
calomnieux qu'on répandait dans le monde chrétien sur les céré-
monies de la religion grecque; c'étaient des représailles naturelles
contre ceux qui accusaient les chrétiens d'immoler des enfants nou-
veau-nés. Savons-nous si la première de ces accusations n'était pas
aussi absurde que la seconde (2)? »
Il y a cependant cette diiierence que la calomnie païenne a été

directement relevée par les apologistes comme un non-sens absurde,


tandis que les païens n'ont défendu leurs rites que par l'allégorie ou
le silence. Ce n'est pas par les chrétiens, c'est j)ar Aristote que nous
connaissons la licence admise dans les rites, sous couleur de religion,
et il n'y a pas de raison de croire que les mystères d'Eleusis étaient

plus purs que lesThesmophories, dont le culte leur était si apparenté.


Les précautions sont toujours de mise, mais, dans le cas des au-
teurs chrétiens, il faudrait surtout les prendre contre leur tendance
à rapprocher les anciens cultes du christianisme, comme une imitation
du démon. Et peut-être Astérios a-t-il cédé lui aussi à cette ten-
dance en montrant la foule païenne attendant son salut d'un acte
rituel.
Quoi qu'il en soit, si ce rite était efficace en alliant d'une certaine

(1) Texte très intéressant, parce (|u'il oppose les théologiens, qui s'en tiennent à la tradi-

tion, et les philosophes qui font du zèle pour rendre les rites vénérables (P. C. LXXXIII,
993).
(2) Dict. de Saglio, t. II, p. 577.
MÉLANGES. 215

manière la nature divine à la nature humaine, ce serait dans Ihypo-


thèse que nous avons jugée la plus vraisemblable, où Déméter s'unis-
sait àun mortel. Car dans le cas de hiéroiiamie entre Déméter et Zeus,
on ne voit vraiment pas le moyen de s'élever plus haut que la fécon-
dité de la terre, des céréales et des animaux.
De toute façon il ne saurait être question d'une force divine com-
muniquée aux initiés pour pratiquer la vertu, et pour cette bonne
raison que la garantie olterte par les mystères suffisait, et suppléait
même à l'occasion à l'absence de vertu. C'est un point admis par
de leur salut d'une assurance
les critiques. Les initiés étaient certains
religieuse, sans qu'on exigeât d'eux une conversion ou une
vie nou-
velle. C'est une exagération de parler à ce sujet de grâce inamissible,
à la manière de Fr. Lenormant (1), puisqu'il n'y avait pas de grâce
reçue, mais il y avait du moins assurance contre les peines de l'en-
fer, ce qui n'allait pas sans ces « dangereuses conséquences morales,

qui portent si profondément atteinte à la responsabilité humaine et


à la justice de la rémunération dans l'autre vie ». On cite toujours
à cette occasion le mot plaisant de Diogène le brigand Patécion, :

initié, aurait-il donc dans l'autre vie un sort meilleur qu'Épaminon-

das, qui n'avait pas reçu l'initiation (2)?


Platon ne pouvait pas penser autrement. Il déplorait que beaucoup
d'hommes niassent l'existence des dieux, et que d'autres méconnussent
leur providence, mais les plus coupables étaient ceux qni croyaient
échappera un châtiment mérité par les sacrifices et les flatteries (3).
Le juste véritable était celui qui pratiquait la justice pour elle-même,
c'était le philosophe, placé au premier rang. Entre lui et le tyran
qui occupait la neuvième et dernière place, l'initié figurait à la cin-

quième (V).
Cependant il en coûtait sans doute au père de la mystique grecque
de condamner les mystères dont les spectacles lui paraissaient une
image imparfaite, il est vrai, mais une image, de la vision des
idées (5). Il imagina donc une sorte de conciliation. Avec une légère
ironie, à peine voilée, Platon fait dire aux initiateurs que l'enseigne-
ment bien compris des mystères ramène à la philosophie. D'après
ces sages " il y en a beaucoup qui portent la férule, mais peu sont
:

(1) Dict. de Saglio, II, p. 580.

(2) DiOG. Laeut. t. VI, 2, 39.

(3) Leg. !)48 B.

(i) Phaed. 24.S D.


(5) Phaed. 250.
G

21 REVUE lUBLIQUE.

de vrais Bacchus il). « Je pense, conclut le philosophe avec un sourire,


que ceux-là sont ceux qui ont pratiqué la vraie philosophie.
Par ce trait hardi de son génie, Platon transformait la purification
rituelle, qui n'avait rien à voir avec la pureté du cœur, en purifica-
tion de l'a me. On fortune de cette suggestion. Un
sait quelle fut la
commentateur de Platon une échelle des vertus graduée selon
établit
les rites de l'initiation (2). Les philosophes sympathiques au paga-
nisme ne manquèrent pas d'assigner aux mystères une valeur mo-
rale (3). Et nous ne prétendons nullement que le système de l'as-
surance contre le bourbier ait produit ses conséquences logiques,
défavorables aux bonnes mœurs. Il se peut même que le simple dessein
de nouer avec les dieux des relations plus étroites, de passer quelques
heures en leur présence, ait contribué à améliorer les Ames (4). Mais
cet heureux résultat n'était-il pas dû au bien qu'on disait des dieux
dans certaines écoles, plutôt qu'aux cérémonies et aux mythes? Denys
d'IIalicarnasse est très sévère pour les mystères (5), Plutarque assez
hostile (6), et, ce qui nous importe davantage, Philon, si disposé à
tirer parti, pour son apologie, de tous les éléments assimilables de
l'hellénisme « Il arrive souvent que parmi les honnêtes gens per-
:

sonne ne se fait initier, mais bien des brigands et des pirates, des
groupes de femmes dissolues et de mauvaise conduite, qui donnent
de l'argent aux initiateurs et aux hiérophantes (7). » Le dernier trait
est excessif. 11 nous éclaire sur l'opinion du monde juif, dont les
Apôtres sans doute faisaient partie.
On se demande en vain ce que saint Paul aurait demandé aux mys-
tères. L'aspiration vers le salut éternel? Mais où était-elle plus ardente
qu'au sein du judaïsme? Le judaïsme lui fournissait, à l'encontre des
mystères, la justification obtenue par les œuvres de la Loi. Il n'en
voulut pas. Est-ce donc parce qu'il préférait le salut obtenu par faveur
à la façon des mystères? Mais sa théorie du salut déborde de tous
côtés les éléments matériels qu'ils pouvaient contenir. Le salut vient
de la foi, en même temps que du baptême, parce que la foi et le

(1) Phacd. 69 C. Le proverbe se rapporte aux mystères de Dionysos; mais l'argument


est le même.
(2) Olympiodore, précisément sur le chap. xiii du Pliédon.
(3) Éi'icTKTE, III, 21. L'auteur de l'Axiochos suppose la coïncidence de l'initiation et de la

vertu. Les initiés ont seulement un rang d'honneur. Dans les Œuvres de Platon, éd.Didot,
t. II, p. 372 C et D.
(4) C'est ce que dit Diodore (v, 48) des mystères de Samothrace.
(5) Ant. Rom. II, 19.

(6) De Is. et Os. 25.

(7) M. II, 261.


MEf.ANGES. 217

])aptême s'appuient sur un


pour le salut des
fait divin, opéré
hommes, la Passion de Jésus-Christ. Cette Passion ne contenait pas
seulement une énergie qui purifiait du péché; elle renfermait l'Esprit
principe d'une vie nouvelle divine. Mais est-il nécessaire d'insister?
Toute comparaison serait une injure pour saint Paul, et l'on peut
comprendre les mystères d'Eleusis parmi ces actes d'idolâtrie qui
faisaient frémir son esprit quand il entra à Athènes (1). S'il a connu
ces mystères, il n'a pu les regarder que comme des éléments vides de
la grâce qu'il prêchait.

Jérusalem.
Fr. M.-.l. La (.RANGE.

III

LES " PRESBYTRES '


ASIATES DE SAINT IRÉNÉE

M. LaboLirt écrivait en 1898 que « la question des sources d'Irénée


est obscure et complexe (2) ». Depuis lors quelques-unes des obscu-
rités ont reçu des éclaircissements, bien que l'on n'ait pas fait de
découvertes notables. L'attention a été appelée sur l'importance de
la question, on en a pesé avec soin toutes les données et surtout —
c'est un moyen de faire des progrès —
l'on s'est abstenu plus soigneu-
sement d'affirmations impossibles à justifier. Il me semble voir, tou-
tefois, un léger lapsus sous la plume d'un historien généralement
très soucieux de l'exactitude. M. Tixeront émet dans son dernier
ouvrage la proposition suivante : « Outre Polycarpe, Iréuée men-
tionne souvent des « presbytres » asiates avec qui il avait conversé
et dont il rapporte les enseignements (3) ».

Mais où trouver dans les écrits de saint Irénée un texte, un seul, qui
autorise cette affirmation? L'unique endroit où Irénée parle de pres-
bytres d'Asie, dune manière explicite, est ce passage très connu
dans lequel donne à Notre-Seigneur entre quarante et cinquante
il

ans à l'époque de sa mort. « Tous les presbytres qui en Asie se sont


rencontrés avec Jean, le disciple du Seigneur,, attestent que Jean leur a
transmis cela (Vj ». Il est vrai qu'on rencontre ces mêmes presbytres

(1) Act. XVII, 16.


(2) R. n., 1898, p. 70.
(3) Précis de patrologie. Pari/, Gabalda, 1918, p. 98.

(4) Adv. Haer., II, 22, 5; Eusèbe, H. E., III, 23.


218 REVUE BIBLIQUE.

d'Asie dans quatre passages du cinquième livre y4f/^^ Haei\ f 1), oùsaini
Irénée rapporte, encore sur le témoignage de presbytres « disciples

des apôtres », de presbytres « ({ui ont vu Jean face à face », des


choses incroyables même pour les du règne du
croyants, à propos
millenium, etc. Mais Lightfoot a depuis longtemps fait remarquer
que saint Irénée ne cite pas ces presbytres comme s'il les eût inter-
viewés personnellement, qu'il parle de ce qu'ils « disent », ou de ce
qu'ils « attestent » comme s'il avait eu en main un recueil écrit de
leurs témoignages.
Ne faudrait-il pas y voir l'ouvrage de Papias?Il me semble que oui;
et c'est la manière de voir de la plupart de ceux qui se sont occupés ex

frofesso de la question. M. Lepin donne une liste de ces critiques i2).


Si l'on ne savait pas la peine que s'est donnée Papias pour trans-
mettre à la postérité les dires des presbyti'es et ce qu'il savait —
ou croyait sjivoir — d'après leur témoignage, Eusèbe ne nous
et si
avait pas dit que ce livre avait induit Irénée en erreur à propos du
règne millénaire du Christ, il faudrait conjecturer l'existence d'un
livre de ce genre, écrit par un homme des temjis anciens et dont les
rapports avec la première génération chrétienne étaient de nature à
en imposer à l'esprit traditionnel du grand adversaire du gnosticisme.
Le livre de Papias fournit l'explication toute naturelle des écarts
dirénée sur le millenium; il explique aussi, d'après une thèse très
ingénieuse de l'érudit qu'est Dom Chapman, l'étrange assertion sur
l'âge du pour l'enseignement des presby-
Christ. Irénée aurait pris
tres ce qui que spéculation mystique de l'homme des temps
n'était
anciens. Il aurait d'ailleurs mal compris Papias, en croyant que
l'évoque d'Hiérapolis attribuait à Notre-Seigneur plus de quarante
ans, quand il disait que le Sauveur avait « l'âge parfait (:i) ».
Que la source dont s'est servi Irénée soit le livre de Papias, c'est

une opinion qui admise par tous. M, Labourt, v. g., dans


n'est pas
sa recension de la Chronologie de Harnack (citée plus haut), trouve
qu'il est impossible d'admettre le raisonnement de Harnack, qui voit,
lui, dans l'ouvrage de Papias la source dont Irénée se serait servi

pour les cinq passages où sont cités les presbytres d'Asie. Si on


n'accepte pas qu'Irénée dépende de Papias il faut trouver une autre
explication des dires que l'évéque de Lyon prête aux anciens; en tout
cas on ne voit pas qu'il mentionne des presbytres asiates avec qui
il aurait conversé et qui lui auraient donné des renseignements d'une

(1) V, 5, 1; 30, 1; 33, 3; 3G, 1-2.


(2) L'origine du quatrième évangile, p. 52.
(3) Journal of T/ieological Studies, 1907, pp. r,<,)0-606: 1908, pp. 4:2-01.
MELANGES. 219

manière orale. On ne trouve rien, semble-t-il, qui justifie la phrase


de M. 'Fixeront que nous nous sommes permis de critiquer, même si
l'on tient compte de sa délinition des presbytres « Les hommes qui :

ont vécu entre les années 70-150 et qui ont pu converser avec les
apôtres ou leurs disciples immédiats » 1). A plus forte raison, on
ne devrait plus dire, comme un le fait couramment (2i, qu'Irénée
avait été l'auditeur d'autres disciples des apôtres que Polycarpe. Le
saint docteur lyonnais avait assez d'attaches avec les temps apos-
toliques sans qu'on lui en prête de nouvelles.

Un corollaire : si les presbytres asiates de saint Irénée sont les


presbytres de Papias, il n'est guère probable que dans le livre de
Papias le nom de « presbytres » désigne les apôtres, comme le sou-
tient encore M. Tixeront (3), d'accord cette fois avec M. Lepin (4).
Quand saint Irénée, qui avait le livre de Papias, l'entendait parler
des presbytres, il comprenait qu'il s'agissait de disciples des apôtres,
(l'est d'ailleurs l'interprétation la plus naturelle des paroles qui nous
restent de Papias. Il manière dont M. Tixeront
faudrait, d'après la
interprète le passage cité par Eusèbe, H. A'., III, 39, admettre que

Papias avait été le disciple de plusieurs apôtres, puisqu il prétend


confirmer la vérité de ses explications par ce qu'il avait entendu des
« presbytres », distinguant ensuite ce qu'il en avait appris directe-

ment de ce qui lui était venu par l'intermédiaire des disciples des
presbytres. C'est faire trop d'honneur à l'évêque d'Hiérapolis, bien
qu'Eusèbe n'ait pas prouvé qu'Irénée avait tort de l'appeler « l'audi-
teur » de l'apôtre .lean. L'autre manière d'entendre ce texte, encore —
qu'elle ne soit pas la plus simple, me parait être la seule légi- —
time. Les presbytres de Papias sont des disciples des apôtres. Dom
Chapman a également bien traité cette dernière question, dans son
livre sur le presbytre Jean, un livre consacré exclusivement à l'exé-
gèse du prologue de Papias et dont les arguments me paraissent
irréfutables (5).

Baltimore, janvier 1919.

W. s. Rkillv, s. s.
(1) Op. L, p. 37.

(2) Albert Dufourq. Saint Irénée-, dans « les Saints », p. 57, et tant d'autres.

(3) Op. L, p. 37.

(4) Op. t., p. 136.

[5] John the Presbyter and the fourth 6'o.çpe/, Oxford, Clarendon Press, 1911; cf. /{./?.,

1911, pp. 459 s.


220 RENTE BIBLIQUE.

TV

CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ DES VEKSIONS COPTES DE LA BIBLE

Dans son excellente Etude sur les Versions coptes de la Bible [Revue
Biblique, 1896-7 M. Hyvernat a traité les questions suivantes
, :

1" nombre des versions coptes; 2*" ce qui subsiste de ces versions;

3° ce qui en été publié: V" date probable des différentes versions;


5*^ leur nature et leur importance.

Depuis lors, beaucoup de fragments et même un nombre relative-


ment considérable de livres complets ou à peu près complets des
versions de la Moyenne et surtout de la Haute Egypte ont été
découverts et en partie édités. D'autre part, le dépouillement de
quelques fonds anciens a révélé une certaine quantité de fragments
qui avaient échappé à M. Hyvernat; enfin, parmi ceux qu'il a signalés
comme inédits, la plupart ont été publiés depuis.
Il ne sera donc pas inutile de refondre les listes données par
M. Hyvernat dans la troisième section de son Étude et de dresser un
catalogue aussi complet que possible des textes bibliques coptes
édités jusqu'à nos jours (1). Nous avons réparti ces textes en quatre
groupes principaux selon la classification commune des dialectes
coptes : I, Textes sabidiques; II, Textes bohairiques; III. Textes en
moyen égyptien; akhmimiques.
IV, Textes
Nous avons disposé nos listes de manière à ce que Ton puisse voir
d'un coup d'œil où se trouve tel fragment publié et par qui il a été
publié. Pour l'ordre des livres, chapitres et versets de l'Ancien Tes-
tament, nous nous sommes conformé à l'édition des Septante de
H. B. Sweete (Cambridge, 1909), et pour les chapitres et versets du
Nouveau Testament à l'édition de E. Nestlé [Novwn Testamentum
graecc et latifie, Stuttgart, 191 ''2). Pour l'Ancien Testament nous

(1) Nous n'avons pu consulter les publications suivantes : H. Mlnier, Catalogne Gmé-
rai du Musée du Caire, "S"' 9201-9304, Manuscrits Coptes, Le Caire, 1916, qui contient
25 textes bibliques, appartenant pour la plupart au Psautier et au Nouveau Testament;

Studi Religiosi (1906) qui contient Luc vu, 22-26 édité ])ar Pistelli; G. Maspero, /iïMdes
Égyptiennes, I, Paris, 1883. Cette dernière publication contient quelques textes de l'An-
Nouveau Testament dont nous avons emprunté la liste à A. Ciasca, Sacrorum
cien et du
Bibliorum fragmenta copto-sahidica Musei Borgiani, vol. I, pp. 8-10.
MELANGES. 221

avons conservé la division oi'dinaire des versets prose en deux parties


a et b; quant aux versets poétiques, nous les avons divisés en autant
de parties qu'ils ont de lignes dans l'édition de Sweete.
Comme beaucoup des textes bibliques coptes nous sont parvenus
dans un état mutilé ou incomplet, nous avons marqué d'un astérisque
tout verset incomplet, nu partie de verset incomplète, une partie
étant regardée comme incomplète quand un mot entier manque dans
le texte, qu'il ait été restitué ou non par l'éditeur. Par exemple :

'V indique que le verset 3 est incomplet dans ses deux parties. « et b;

3 a*b signifie que la partie a seulement est incomplète. Que si plu-


sieurs versets successifs sont incomplets, nous les avons cités entre
parenthèses pour indicjuer que lastériscjue se rapporte à toute la série;
par exemple, (7-15'* signifie que tous les versets de 7 à 15 sont
incomplets.
Nous a^"ons, pour chaque livre, réparti les textes en trois sections
A, B, et C, correspondant aux trois colonnes de l'Étude de M. Hyver-
nat. En général sous A on trouvera les textes de la Collection Borgia,
sous B ceux de la Bibliothèque Nationale de Paris, et sous C ceux
des autres collections.
Nous avons fait précéder lindication <le chaque fragment d un
premier sigle qui en général désigne la collection publique ou privée
à laquelle le fragment appartient. Pour les manuscrits encore non
ou numéro d'in-
catalogués ce sigie est suivi de la cote officielle
ventaire) de la Bibliothèque ou Musée toutes
que nous avonsles fois
pu obtenir cette cote. Pour les collections déjà cataloguées nous
nous sommes contenté de donner le numéro de catalogue.
Quant aux fragments de lAncienne Collection Borgia partagée
entre le fonds Borgia, à la Bibliothèque Vaticane jadis à la Propa-
gande) et la Bibliothècjue Nationale (jadis Musée Bourbonien) de
Naples, nous avons substitué au sigle de la collection la lettre Z. par
laquelle on désigne d'ordinaire tant la collection elle-même que le
Catalogue de Zoega, où tous ces fragments se trouvent réunis et clas-
sifiés. Le numéro qui suit cette lettre est celui du fragment dans ce
Catalogue.
Nous avons suivi une méthode analogue dans le cas de certains
autres fragments Manuscrits ou Ostraca^ appartenant à différentes
collections, mais c£ui ont été réunis et classifiés dans un seul et même
ouvrage.
Comme on le sait, des fragments, ayant appartenu au même ma-
nuscrit, se trouvent maintenant dispersés dans différentes biblio-
thèques d'Europe et d'Amérique; tel est, en particulier, le cas pour
222 REVUE BIBLIQUE.

les fragments provenant du Monastère Blanc, appelé aussi Deir Ânba


Schenouda, du nom de son fondateur, le fameux Chénouti. Pour
l'identification de ces fragments, nous avons suivi l'excellent ouvrage
de M^'^ Hebbelynck Les manuscrits coptes-sahidiqiies du Monastère
:

Blanc; Recherches sur les fragments complémenlaires de la Collection


Borgia; I, Fragments de l'Ancien Testament; IL Fragments du Nou-
veau Testament; Louvain, iOii-S, et nous avons indiqué l'identiti-
cation par le signe =
ajouté à la cote ou au numéro du catalogue;
par exemple, BMC 1 =: Z. 3*2 signifie que le manuscrit du British
Muséum (n" 1 du catalogue de W, E. Crum) appartient au même
manuscrit que le manuscrit 32 du catalogue de Zoega. Quand l'iden-
que probable, nous avons ajouté un point d'interro-
tification n'est
gation; par exemple, BMC 10 Z. 8 (?). ^
L'indication du fragment est suivie d'un second sigle, placé entre
parenthèses, qui se rapporte à l'ouvrage où le fragment a été
publié.
Dans chaque groupe les listes des fragments tant pour l'Ancien
que pour le Nouveau Testament seront précédées de l'explication des
sigles susmentionnés.

PREMIER GROUPE
TEXTES SAHIDIQUES

/. Ancien Testament.

Sir.LES DES COLLECTIONS

B. Laur. = Bibliothèque Laurentienne, Florence.


BMC r= British Muséum. Manuscrits catalogués par Crum.
(Voyez la liste suivante, Crum 1).

BM = British Muséum. Manuscrits acquis depuis la publica-

tion du catalogue de Crum.


BN =: Bibliothèque Nationale de l*aris. Nous donnons, quand
il est possible, le numéro d'inventaire: pour les nu-
méros des feuillets nous avons suivi L. Delaporte,
Catalogue sominaire des Manuscrits Coptes de la
Bibliothèque Nationale [Revue de l'Orient Chrétien,
Paris, 1909-1913).
. . \ ,

MELANGES. 22:^

Berl. BI BUAiothcque Impériale de Berlin.


Berl. MI Musée Impérial de Berlin.
Bodl. Bibliothèque Bodlêienne, Oxford.
CMEG Musée Ègi/ptien du Caire. Manuscrits catalogués par
Crum (Voyez la liste suivante, dura 3
CME Musée Égyptien du Caire.
GIF Institut Français du Caire.
Frcer Collection de M. Freer, Détroit. Micliisan. États-Unis
d'Amérique.
Gilmore Collection de John E. Gilmore, Angleterre.
Golen. Collection Golenischeff', Saint-Pétersbourg.
.IRG Bibliothèque John Bt/lands, Manchester. Manuscrits ca-
talogués par C/'?o;i (Voyez la liste suivante, Crum 2 .

Leyde Musée des. Antiquités des Pays-Bas à Leyde.


Nan. Collection Nani, Bibliothèque Marcienne. Venise.
t»arii. Collection de la Zouche,jadib à 7*rtr//rt/;n maintenant

déposée au British Muséum'


()G Ostraca Coptes de ditlérentes Collections catalogués par
Crum (Voyez la liste suivante. Gruni \\.
SEK Sammhmg Erzherzog Baiyier. A'ienne.
SPFK Sammlung Prinz Friederic/t Karl.
S.Petersb. Bibliothèque publique, Saint-Pétershourg
Tu p. BX Bibliothèque Nationale de Turin.
Tur. ME Musée Egyptien de Turin
T. Texts Fragments de différentes collections publiés par W. E.
Gruiu dans ses Thi'ological Terts Voyez la liste sui-
vante, Crum 5).
Rud. Citations contenues dans la grammaire publiée par
Tuki, et dont l'original, retrtjuvé par M. Hyvernat.
est maintenant à la Vaticane.
Collection Borgia. divisée entre la Propagande et la Bi-
bliothèque Nationale de Naples; nous citons les ma-
nuscrits d'après le catalogue de Zoega.

Sir.LES DES PUBLICATIONS.

Rm. E. Amklinkal, Fragments thcbains inédits de l'Ancien


Testament Becueil de Travaux relatifs à la philologie
i

et à l'archéologie égyptienne et assyrienne, VII, VIII,


IX, X\ Paris, 1886-1888.
224- REVUE BIBLIQUE.

Am. 2 =; E. A.MÉLiXEAD. The Sahidic Translation of the Book of


Job (Proceedings of the Society of Biblical Archaeo-
logy, IX. pp. 405-i75), Londres, 188T.
Bour. 1=1]. BocRiAXT, Bapport au ministre de ITnstruction pu-
loUque sur une mission dans laHaute Egypte rl88i-5
(Mémoires de la Mission archéologique française au
Caire, vol. I, pp. 367-i08), Paris. 1887.
Br. = A. E. Brooke, Sahidic Fragments of the (>ld Testament
The .Journal of Theological Studies, VIII, pp. 67-7i),
Oxford. 1906.
Bsc. = A. BsciAi, Liber Proverbiorum coptice fRevue Égypto-
logique, pp. 350-368). Paris, 1881.
II,

Badge 1 ^= E. A. ^YALLIS-BuDGE, Coptic Biblical Texts in the dialect


of Lpper Egypt, with ten plates, Londres. 1912.
Budge -2 =z E. A. Wallis-Budge, The earliest known Coptic Psalter
Upper Egypt, edited from the unique
in the dialect of
papyrus Codex Oriental .')000 in the British Muséum,
Londres, 1898.
Budge 3 = E. A. Wallis-Budge, Miscellaneous Coptic Texts in the
dialect of Lpper Egypt, Londres. 1915.
Budge V = E. A. VVallis-Bddge, Coptic Martyrdoms, etc. in the
dialect of Upper Egypt, Londres, 191V.
Budge 5 = E. A. Wallis-Budge, Coptic Homilies in the dialect of
Ipper Egypt, Londres. 1910.
Budge 6 = E. A. Wallis-Bidge. Coptic A[)ocrypha in the dialect of

Lpper Egypt, Londres, 1913.


Ceu. = Cii. Ceugxey, Quelques fragments coptes thébains inédits

de la Bibliothèque Nationale Becueilde Travaux, etc.,


^

IL pp. 9i-105i, Paris. 1881.


Ci. 1, 2 = A. Ci.\scA,SacrorumBibHoruiii Fragmenta copto-sahidica
Musei Borgiani iussu et suniptibus S. Congregationis
de Propaganda Fide édita, vol. I, IL Rome, 1885,
1889.
Crum 1 = W. E. Crim, Catalogue of the Coptic Manuscripts in the
British Muséum, Londres. 1905.
Crum 2 = W. E. Cri'M, Catalogue of the Coptic Manuscripts in the
collection of the John Rylands Library. Manchester,
1909.
<".rum 3 = \V. E. Crim, Coplic Monuments (Catalogue Général des
Antiquités égyptiennes du Musée du Caire, n''* 8001-
8741), Le Caire, 1902.
MELAiNGES.

Crum i = W. E. Crum, Coptic Ostraca froni the collections of the


Egypt Exploration Fund, the Cairo Muséum and others,
Londres, 190-2.

(Iriim 5 = W. E. Crum. Theological Texts from Coptic Papyri edited


with an appendix ujjon the Arabie and Coptic versions
of the life of Pachomius Anedocta Oxoniensia, Semitic
i

Séries, part XII , Oxford, 1913.


= A. Deiber, Fragments coptes inédits de Jérémie Revue
Biblique, nouvelle série, V, pp. ô.5i-566 Paris, 1908, ,

= L. Dieu, Nouveaux Fragments préhexaplaires du Livre de


Job Le Muséon. nouvelle série, XIII), Louvain. 1912.
= A. Erma> Bruchstiicke der oberagyptischen Uebersetzung'
,

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Gesellschaft der Wissenschaften und der G. A. Uni-
versitat zu Gottingen, GOttingen. 1880, n" 12 1, Got-
tingue, 1880.
Gas. ^= S. Gaselee, Notes on the Coptic Versions of the LXX (The
Journal of Theological Studies, XI, pp. 216-257),
Oxford. 1909-1910,
Gil. H. = J. E. Gilmore et P. Le Page Rexouf, Coptic Fragments
(Proceedings of the Society of Biblieal Archaeology,
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Guidi = Igxazio Guidi, Frammenti Copti, note I-VII i^Rendiconti
délia R. Accademia dei Lincei, III-IV), Rome, 1888.
Heb. = Ad. Hebbelyxck, Fragments inédits de la version sahidique
d'Isaïe (Le Muséon, nouvelle série, XIV), Louvain,
1913.
Hyv. 1 = H. Hyvernaï, Album de Paléographie Copte, Paris, 1888.
Krall = J. Krall, Aus einer koptische Klosterbibliothek (Mitthei-
lungen aus der Sammlung der Papyrus Erzherzog
Rainer, I, pp. 62-72; Il-III, pp. i3-73V, Ueber den
Achmimer Fund; ibid., II-III, p. 265 Vienne, 1887. ,

Lac. 1 = P. Lacau, Textes de l'Ancien Testament en copte sahi-


dique Recueil de Travaux, XXIII, pp. 103-12i), Paris,
1901.
Lac. 2 P. Lacau, Textes coptes en dialectes akhmimique et sahi-
dique '^Bulletin de ITnstitut fram-ais d'archéologie
orientale, VIII, pp. i3-81), Le Caire, 1911.
Lag. 1 =^ P. DE Lagarde, Psalterii Versio Mcmphitica e recogni-
tione Pauli de Lagarde. accedunt Psalterii thebani
liEVUE BIBLIOLE 1910. — N. S., T. XM. Ij
226 REVUE BIBLIQUE.

fragmenta parhamiana, Proverbiorum memphitico-


rum fragmenta berolinensia, Gottingue, 1875.
Lag. 2 := P. DE Lagarde, Aegyptiaca, Gottingue, 1883.
Lefort = Tm. Lefort, Homélie inédite du Pape Libère sur le jeûne
(Le Muséon, nouvelle série, X), Louvain, 1911.
Leip. 1 = J. Leipoldt et B. Violet, Ein sahidisches Bruchstuck des
vierten Esrabuches (Zeitschrift
fiU- Aegyptische Spra-

che und Alterthumskunde, XLI, pp. 137-liO), Lei-


pzig, 1904.
Leip. 2 r=i ,L Leipoldt, Sa'idische Texte (Aegyptische Lrkunden
aus den kônigl. Museen zu Berlin, Band I), Berlin,
190'k
Lemm 1,2,3,= 0. VON Lemm, Saiiidische Bibelfragmente I-Ii (Bulletin
de l'Académie Impériale des Sciences de Saint-Pé-
tersbourg, nouvelle série I (XXXIII) = Mélanges
Asiatiques X), St.-Pétersbourg, 1890; III (Ibid., cin-
quième série, t. XXV, n° i), St.-Pétersbourg, 1906.
Lemm 4. =. 0. von Lemm, Bruchstiicke der sahidischen Bibelûber-
setzung nach Ilandschriften der kaiserlichen ôlïent-
lichen Bibliothek zu St-Petersburg, Leipzig, 1885.
Masp. 1 = G. Maspero, Fragments de la version tliébaine de l'An-
cien Testament (Mémoires publiés par les membres de
la mission archéologique française au Caire, VI,
fascicule 1), Paris, 1892.
Masp. 2 = G. Maspero, Quelques fragments inédits de la version
thél)aine des Livres Saints (Maspero, Études égyp-
tiennes, I, fascicule 3), Paris, 1883.
Masp. 3 = G. Maspero, Notes sur différents points de grammaire et
d'iiistoire, >; 3 (Mélanges d'archéologie égyptienne
et assyrienne, I, fascicule 2), Paris, 1873.
Ming. = J. A. MiNGARELLi, Aegyptiorum Codicum Beliquiae, Ve-
netiis in Bibliotheca Naniana asservatae, Bologne,
1785.
Munier 1 = 11. Minier, Sur deu-v passages de la Genèse en copte
sahidique (Annales du Service des Antiquités, XII I,

Le Caire, 1913.
p. 187),
Munier 2=: H. Munier, Catalogue Général du Musée du Caire, n°^ 9201-
9-304, Manuscrits Coptes, Le Caire, 191 G.
Mûn. = F. MiiNTER, Spécimen versionum Danielis copticarum
nonum eius caput memphitice et sahidice exhibens,
Rome, 178G.
MÉLANGES. 227

PB = \V. Plevit. et P. A. A. BoESER,iMaiiusci'its coptes du Musée


des Antiquités des Pays-Bas à Leide, Leide, 1897.
PS = .1. H.Petermann et M. G. Schwartz, Pistis Sophia, opus
gnosticum Valentino adiudicatum e codice manuscripto
coptico londinensi descripsit et latine vertil M. (i.

Schwartz, edidit J. H. Petermann, Berlin, 1851.


Pey, = Bernardims Pevron. Psalterii copto-thebani Spécimen
quod omnium primum in lucem prodit continensprae-'
ter decem psalmorum fragmenta integros psalmos
duos et triginta ad fidem codicis Taurinensis cura et
criticis animadversionibus Bernardini Peyronis;
accedit Amadei Peyronis dissertatio posthuma de
nova copticae linguae orthographia a Schwartzio
V. cl. excogitata, Turin, 1875.
Kahlfs ^= A. Rahlfs, Die Berliner Handschrift des sahidisehen Psal-
ters (Abhandlungen der kôiiigl. Gesellschaft der Wis-
senschaften zu Gôttingen, Philologisch-historische
Klasse, Neue Folge, Band IV, n° ï), Berlin, 1901.
Ko. 1 = F. Rossi, Trascrizione con traduzione italiana dal copto
di due omelie di S. Giovanni Grisostomo con alcuni
capitoli deiProverbi di Salomone etc. (Memorie délia
K. Accademia délie Scienze di Torino, S. II, Tom. XL
= I Papiri Gopti del Museo Egizio di Torino tras-

critti e tradotti, Turin, 1883-1892, vol. II, fasci-


colo 2), Turin, 1889.
Ho. 2 = F. Rossi, Un nuovocodice copto dei Museo Kgizio di To-
rino, etc., Accademia dei Lincei, Anno CCXC,
(R.
Série S"", Memorie délia Classe di scienze morali sto-
riche e filologiche, vol. I, Parte V), Rome, 1893.
Sch. 1,2,3= J. Schleifer, Sahidische Bibelfragmente aus dem British
Muséum zu London, I, II (Sitzungsberichte der kai-
Akademie der Wissenschaften in Wien, philo-
serl.
sophisch-historische Klasse, 1= vol. 162, VI; II ^=
vol. 164, VI); Bruchstûcke der sahidisehen Bibelii-
bersetzung (ibid. vol. 170, I), Vienne, 1909, 1911,
1912.
Sey. = Seymour de Ricci, The Zouche Sahidic Exodus Fragment
(Ex. XVI, 6-XJX, 11) from the original manuscript.
(Proceedings of the Society of Biblical Archaeology,
XXVIII, pp. 5i-67 , Londres, 1906.
Stern. 1 := L. Stern, Zwei koptische Bibelfragmente (Zeitschrift fiir
228 REVUE BIBLIQUE.

Aegyptische Sprache etc., XXII, pp. 97-99), Leipzig,


188i.
Stem. 2 =: L. Stern, Koptische Inscliriften an alten Denkmàlern
(ibid., XXIII, pp. 96-102), Leipzig, 1885.

Tho. 1 = SiR Herbert Thompsox, A Coptic Palimpsest containing


Joshua, Judges, Ruth, Judith and Esther, in the Sahi-
dicdialect, Oxford, 1911.
Tho. -2 = SiR Herbert Thompsox. The Coptic Sahidic) Version of
certain books of the Old Testament from a papyrus in
the BritishMuséum, Oxford. 1908.
Tho. 3 = Sir Herbert Thompsox. The new Biblical Papyrus, a Sahi-
dic Version of Deuteronomy. Jonah, aud Acts of the
Apostles from MS Or. 759V of the British Muséum,
Notes and a Collation printed for private circulation.
;

Londres, 1913.
Tuki := Raph.\el Tiki, Budimenta linguae coptae sive aegyptia-
cae ad usum collegii urbani de Propaganda Fide,
Bome. 1778.
Wess. 1,2,3,4=:^ Carl Wessely. Griecliisclie imd Koptisclie Texte theo-
logischen Inhalts, I, II, III, IV (Studien zur Palaeo-
graphie und Papyruskunde IX, XI. XII, XV), Leipzig,
1909, 1911, 1912, 191V.
Wess. 5 = Cari. Wessely, Sahidisch-griechische Psalmenfragmente
(Sitzungsbericlîte dcr kaiser). Akademie der Wissen-
schaften in Wien: philosophisch-historische Klasse,
vol. 155, I), Vienne, 1907.
Win. 1 := K.O.NVinstedt, Sahidic Biblical Fragments in the Bodleian
Library Proceedings of the Society of Biblical Ar-
chaeology, XXV, pp. 317-325: XXVI, pp. 215-221;
XXVII, pp. 57-64), Londres, 1903-1905.
Win. 2 = E. 0. Wixstedt, Some unpublished sahidic fragments of
the Old Testament (The Journal of Theological Studies,
X), Oxford, 1909.
Wor. = W. H. WoRRELL, The Coptic Psalter in the Freer Collec-
tion (Lniversity of Mchigan Studies, Humanistic
Séries, vol. X; The Coptic Manuscripts in the Freer
Collection, part I), New York, 1916.
Zoega = G. Zoega, Catalogus Codicum Copticorum manu scriptorum
qui in Museo Borgiano Velitris adservantur, Bome,

1810.
MELANGES. 229

GENESE
230
mL^NGES. 231

^ BMC 1 = Z. 32 XIV, 17*, 18-20a* (Sclu 2)

M SER207 XV, 9-xvi, 8a* (Wess.. 4)


SER 208 XVIII, 7b-, 8-33 (fin) »

XIX, l-29a', 29b-34b*


SER209 XX, r, 2a*, 2b-3a', 3b-ls (tin) »

XXI, l',2a*, 2b-9a-


JRCI XXVI, 2r, 22*, 23*, 24- (Cruni 2)

BMC 4 = Z. 22 (?) XXIX, 6a*, 6b -7b*, Sa*, ya*, 9b- (Sch. 2)


10b*. 12a*, 12b -13b-,
15a*, 15b-17b*, 18a*
SER 216 XXXV, 18b-26a*, 26b -28b*, 29 (Wess. 4)
xxxvi, 1-9
CIF XL. 8a-, 8b-lla*, llb-14a*, 14b- (Munier I)

16b-, 17a-, 17b-19b-


XLI, 45-46, 47-, 48a-, 48b-53a-,
53b-54, 55-
SER 210 XLI. 5b*, 6-15a*, 15b-22a-, 22b- (Wess. 4)
23a
XI.VIII, 20a-, -20^22 (fin)
XLIX, l-5b-, 6-9c*, 9(i-10c-, lOd*,
ll-15b*
Bodl. (Hunt. 5) XI. Vin, l-19a' (Ennan)
SER 2f)C(i = Z. 32 Xl.IX, •20--28 (Wess. 1)

EXODE
A il)
Collection Bortiia

Z. 1 99 CA \ii, 1-14 (Ci. 1)


XV. 19b, 21-27 (fin)

xvi, 1-3
XVII, 1-7
XIX. 1-lla
Z. 4 XXVI, 24b-, 25-36a*
_ Z. 32 XXIX, l-9a

B
Bibliothèque Nationale^ Paris

BN 129' fol. 23 n, 13b*, 14ab-, I5-23b- (Masp. I)

BN m, 9*, lO-llb*, 12*, 13, 14* (Ci. 1)


BN(Katam.) = Z. 32 XVI, 27-36 (Masp. 1)

(I; Ces textes, excepté Wli, i" et xix, lll', ont été édités par Aiiiélineau (op. cit., Vil),
sans indication des Mss.
232 REVUE BIBLIQUE.

BN 129' fî. 24-39 = Z. 4 six, 24a*, 24b-25 (fin)

XX-XXIV
XXXI, 12- XXXIV, 32b*

C
A utiles collections

BMC 5 II, 24a* (Sch. 2)


SER26ab = Z.32 iv. 10-18b* (Wess. 1)

Berl. Ml frag. 813r. xv, llb% 12a\ 13*, 14b*, 15*, (Stern 1)
16*, 17*, 19'

Parh. 109= Z. 4 xvi, 6b-xix, lia (Sey.)


BMC 953 XIX, 10*, 11', 12, 13*, 14', 15*. hV iScli. 3)

LÉVITIQUE

A (1)

Collection Borgia

Z. 5 vu, 24b*. 25-28 (fin) (Ci. 1)

VIII, l-:)b-, G-llb*, 12.15b*, 10a*.


lf)b-19b*
Z. VIII, 19b*, 20 -IX, 6
z. IX, 7-17b*, 18a*, 19a*, 19b-21b*,
22*, 23a*, 23b-24 (fin)

X, l-7a*
X, 8b*, 9-xiii, 39a'
XIV, 8a*, 8b-29b*
XV, 25b*, 26- XIX, 16a'
XIX, 34a*, 34b-xx, 16a* »

xxiii, 5-12 »

XXVI. 15b*. 16.30


XXVII, 15a*, 15b-31a'

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BN 129' fol. 41 = Z. 5 VI, 5b*, 6-25a' (Masp. 1)

BN 129' ff. 42-49 = Z. 7 vi, 39a*, 39b-x


XI, 1-3, (4-7)*, 8-9b*, 13a', 13b-
17b*,18a*. 21a',21b-23b•
BN 129» fol. 49 Z. 7
---^--
XI, 24*, 25a* (Gas.j
BN 129^ ff. 50-53 =. Z. 8 xiii, 4a*, 4b-59b* Masp. 1;
BN 129' fol. 57 xvni, 13b-15, 10*, 17*, 21b-22a' (Gas.)

(1) Kditéa aussi par Amélineau (op. cit., Vlll) sans indication des Mss.
MELANGES. 233

B.\121»»ff.56,55,54=Z.8 .wiii. 30a*, 30b -XX. Ha* (Ma.sp. 1;

BN 129iff. 59-r.Or- Z. XXI, 5b*. 6-xxn, 9a* »

BN 129' fol. 65 XXII, 18*, 19-25b* (Br.)


BN 129' ff. 01-03 = Z. xxiii, 3a', 3b -XXV. 38b* (Masp. 1)

BN 129' fol. 66 XXVII. 20a*, 26b-27a-, 29a*, 29b-


30. a3b-34 (fin du livret

Autres collections

Berl. BI or. in-f. 1605 II, 3a*, 3b-8b*. 9a*. 9b -11, 12', (Lemm 3i
f. 2 = Z. 5 13a-. 13b-16b*
m, r, 2a', 2b-5b*
BMC 953 XIX, 4-5,6', 7* (Sch. 3)
BN (?) XXI. 17b-, 18-21b*. 22-24 (fini (Am. li

BN (?) XXII, 1-7. 8* »

SER 212 XXV, 6a*, 6b-8b-, 9ab*, 10-19b*, (Wes.s. 4)


20a-

NOMBRES

A (1)

Collection Borgia

Z. 6 I. 40a*, 40b-54a-,54b (fin) (Ci. 1)


II, l-23a*. 23b -m. lia*
Z. 7 IX, 6b-, 7-9a-, 9b, 10*, 11- 13b*.

14a*, 14b-10b'. 17a*, 17b-


19, 20*
XIII. 18a-. 18b-24a-, 24b-27b*,
28a-, 28b-32b'
XIV. 29a-,29b-30, 31*, 33a*, 33b-
35a', 37a*, 37b-39b-.
42a*, 42b-44b% 45a*
Z. 9 XVI. 14a*. 14b-29a, 43-.\vii. li!

(fini

xviii. l-9b', 21b*. 2-2--24a-. 24b-


.32 (fin)
XIX. la-b
Z. 99 CA XX, 1-13
XXI, 6a', 6b-9
Z. 9 XXIV, 13b*, 14-.XXV, 9
XXVII. 19a-, 19b-23 (fin)
x.xviii. l-13a*. 13b-19a'
Z. .\xxii, lia*. llb-23b', 24--.>9b-, 30-
42 (fin)

(1) Édités aussi par Amélinéau (op. ril.. vin . e\ce|)lo X\I. ti'. (i'-it. sans imlicalion des Mss
234 REVUE BIBLIQUE.

xxxiii, l-39a', 39b-5<i (fin)


XXXIV, l-7a*, 7lD-13b*

B
Bibliothèque Xationale, Paris

BN 1-201 fol. «J4- Z. 6 I, 9a*, 9b-41b* (Masp. 1)


BN 129' fol. 70r= Z. 7 i, 23b*, 24-41b* .

BN 129' fol. 69 ^ Z. 7 ii, 7a* (Gas.)


BN 129' ff. 71-72= Z. 7 ii. 7b -m, 13b* (Masp. \)
BN 129' fol. 74 m, 9-2.')a

BN 129' fol. 73 = Z. 7 m, 36-iv, 4b'


BN 129' fol. 75 IV, 23b*, 24.34b*
BN 129' ff. 76-79 = Z. 7 v, la*. Ib-vii, 12a*
BN XI, 8a-, 8b-23
BN 129' ff. 81-80 XI, 31a-, 3]b-32a*, .33a-, .33b

.35a-

XII, Ib*, 2-4a*. .')b*. 6-7. 8*, 9a*,


9b- 13b*, 14- 15-
XIII, la-.lb. 2-, 3-. 4', .5-12a-

BN -wi, 33b*. 34-3.5b*. ,36*, .38*

BN 129' fol. 82 = Z. 7 NViii, 9b*, 10*, IT, 13a*, 13b-16b-.


17a*, 17b-19, 20*, 21*
BN 129' fol. 83 Z. 7 xix, 20b-21a*, 21b-22b*
XX, la-,lb-10, ir. 12-, 13.14a-

BN 129' ff. 84-85 ^x. Ha", 17b-xxi, 12a*


BN 129' fol. 8C) = Z. 6 XXI, 32*, 33*, 34-35 (fin)
XXII, 1-16, 17-, 18*, 19-23b*
BN 129» ff. 87-88 xxiii, 24b*. 24c-26b*, 27, 28*, 29-

30 (fin)

XXIV, lab*, 2-8a*, 8b-10a-, 10b,


11-, 12-18c*, 19*, 20a*^
20b-21a-
BN 129' fol. 89 xxix, Sa', 8b-10, 12a*, 12b-i:îb*,
16b*, 17-18b*, 22a*, 22b-
*25a*

C
Antres collections

Eton Collège = Z. 7 n, 33a*,33b-37b*,38-41b*.42a*, (Scb. 3)


42b-45, 46*, 47-49 (fin)

V, lab*
vil, 12a*, 12b-37b*
BMC 7 - : Z. 8 {!) V, 8b*, 9-24b* (Sch. 2)
SER 13
236 REVUE BIBLIQUE.

Bibliothèque Nationale, Paris

Bi\ 1, l-23b* (Masp. li

BN r, 3a*, 3b-4, 5*, ô-Sa'

BN \W fol. 90 V, 1 b-14a*, 14b-15b-


BN (Katam.) = Z. 32 VII, Il -13a' »

BN 130-^ fol. 137 = Z. 4 XXI, T)*, G*, 7a*, 7b-9b*, 10-12b*, (Lemm 3)
13b% 14*, 15a-

BN (Katam.) = Z. 3-2 XXVI, 1517a*, 17b, 18', 19 (fin) (Masp. 1)

XXVII, 1

BN xxviii. 4*, 5a', 5b-7, 8*, 9-11. 12'

BN 129' ff.. 91-92 XXVIII, 59b*, 60 -XXIX, 11b' »

BN 129' fol. 93 XXXII, 14b*, 15-16a*, 17b*, 18, (Br.)


19*, 21a*, 21b.22a*, 24b-
25b*
BN 129' ff. 94-97 XXXII. 43c*, 43d-xxxiv, 8a (Masp. 1)

Autres collections : British Muséum (1)

BM or. 7594 i. 39-ii, 12a*, 12b-19b* (Biidge 1

IV, 48b*. 49 (fin)

v, 1-2, 3*, 4a*, 4b-6a*, 6b-10,


lia-, llb-21b*, 22-33
(fin)

\ I, l-5b'. 7-viii, 3a*


IX. 7b*, 8-lOb*, 11-29 (fin)
X. (complet)
XI, 1-xiii, 17b*
XIV, 17b*,. 18-28 (fin)
XV, l-2a*, 2b, 3*, 4*, 5a*, 5b-
7b*, 8ab*, 9*, lOab*,
llab*. 12ab*, V.i, 14*,

15*, 10-19a-, 19b, 20*,


21*. 22-23 (fin)

XVI, l-2b*, 3*, 4*, 5-7a*, 7b-9b-.


10*, lia*, llb-1.5a*, I5b
22 (fin)

XVII, la*. Ib-xviii, 4a*, 4b-5a%


5b-10a*
XIX, Ib*, 2, 3', 4-6b*, 7-11, 12*,
13- 14b*. 15-19b*, 20*,

21a*b (fin;

(\) Cf. sir Herbert Thompson (Tho. 3).


,

MELAÎNGES. 23:

XX, l-5b', 6a'


xxii, 3a% 3b-llb-, l-2-14a*, 14b-
16. 17% 18-30 (fin)

xxiii-xxvi. 10b*
XXVIII, (1-6)', (9-12)*, 14a*, 14b-
20b*, 21ab*, 22a*, 22b-
28, 29-, 30-36a-, 36b-
45a*, 45b-57a*, 57b-59a*,
59b-63a-, 63b-68b*
XXIX, la*, lb-7b*,8a*,8b-14, 15*,
16*, 17a*, 17b-21, 22*,
23a*, 23b-28a*, 28b, 29*
XXX, 1*, 2-5b*, 6, 7*, 8*, 9a',
9b-14, 15*, 16a*, 16b-
19a-, 19b-20b*
XXXI. la*, Ib-2a*, 2b-6b*, T
8a*b, 9*, 10a*, 12*, 13*,
14% 16b*, 17-19a*, 19b,
20*, 21a*, 21b-24b*, 25-

26a*, 26b -27b*, 28a*,


28b-30 (un)
XXXII, l-27a*, 27b-xxxiii, 18b*
xxxiii, 19-xxxiv (fin du livre)

BMC 5 I, 23b*, 24-30a (Scli. 2)

BMC 934 XXI, 8b*, 9-lOa*, 10b-15b*, 16a* (Sch. 3)


BMC 11 XXXII. 31-4311* (Sch. 1)

Vientie, Bodléienne, Leide

SER 27d = Z. 32
238 REVUE BIBLIQUE.

JOSUE

A
Collection Borgia{\)

Z. 99 CA V, 10-l-2a (Ci. I)

Z. 11 X. 39b*. 40- \r, 7b*


XIV, 1-1 la
XV, 7a*, 7b-54, 58-63 (fin)

xvi-xviii, Ib"
Z. Vi XXIV. 31a*b, 29, 30A, 32. 33,
33A, 33Ba

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BN I, 1-7 (Masp. 1)

BN 129' fol.. 98 vil, 3a*, 3b-5b*. Ga*, 6b-7b*,


8a*, 8b-13b*
BN(?) xviii, lab* (Am. I)

BN 129' fol. 99 = Z. 11 xix. 47b. 47A. 49-51b* (Ma.sp. 1)

xx-xxi. la*
BN 129'fol. 100:r=Z. U xxi, 27-40a- »

BN 129' fî. 101-102 ::Z. 11 XXIV. 13b*, 14-17b-. 18-30Aa*

C
Autres collections : Brilixh Muséum

BMC 12 i, l-ii, 14a- (Tho. 1)

m, 6b*, 7- vil, 9a*, 9b-26 (lin)


VIII, 1-12, 14-25,27 -IX, 33b*
X, 1-14, 16-25a, 36b*, 37-42
(fin)

XI, l-4a'. 4b-23 (tin;


XII, l-xn\ 8
\iv, 9% 10- XVII, 16b*
xviii. 7b'. 8-16b% 17-28 (Hn)
XIX, l-45b*, 46-50a*
XXI, 7b*, 845 (fin)

xxii, M4a*, 20a*,20b-34 (fin)

xxiii-xxiv (fin du livre)


BMC 5 1. l-5b* (Sch. 2)
BMC 13 XXIV, 2b*, 3- 11 a* .

(1) Édité aussi par Ainélineau (op. cit., vmj, à l'exception de xv-xvi, sans indication des Mss.
MÉLANGES. 23î>

Vienne. Saint-Pelersf)ou?^{/

SEK 214 II, 13-23a* (Wess. 4)


SER 215 IV, 23b*, 24-v. lOa'
SER 217 VIII, 20 -IX. Sa"
S. Petersb. (Dorn 623) xv, 7a', 7b-44. 4.jb-54, 58-63 (Lemm 4)
(fin)

\vi. 1-\V1I. Il)*

JUGES

A
(loUectio)i Borgia (1)

Z. 13 I, 10a% lOb-20 (Ci. 1)


Z. 14 I, 27a*. 27b -II, 17a* »

B
Bibliothèque Nationale, Paris

BN 1 29' ff. 103-109= Z. 14 iv, 16b*, 17-24 (fin) (Masp. 1)

V, l-3b*, 4a*. 4b-31 (fin)

VI. 1 -VII, 3a* - -

BN 129' fol. 110 : Z. 14 IX, 40b*, 41-55a


BN 129' fol. 109 : Z. 14 xi. 38b*, 39-40b-
\ii, 5a*, 5b-6b*
B\ 129' fol. 109= Z. 14 xii, 1*, 3* (Gas.)
BN 129'ff.lll-114=:Z.14 XIII. 7b*, 8a*, 8b-10. 11*, 12-14. (Masp. 1)
15*, 16-18, 19*, 20-25 (fin)

XIV (complet)
xv, la, lb*,2a*.2b-9b*. 10-llb*.
12-14a-

G
Autres collections : British Muséum

BMC 12 I, l-5a', 5b-17, 18*, I9ab*. (Tho. I

20a*, 20b-26a*. 2r)b-3(*.

(fin)

II. l-iii, 3a*. 3b-31 (fin)


i\ , 1-vii. la*, 7a*, 7b-14a'.
20a-. 20b-25 fin)

VIII, l-10b-.20-27a*
IX. 9a'. 9b-57 (fin)

vl) Édite aussi par Amélineau (op. cit., vin) sans indication des Mss.
2t0 REVUE BIBLIQUE.

x, l-6a*, 15- 18b*


XI, la*, lb-2b*, 3a*, 3b-35, 36*,
37a*b, 38*, 3940 (fin)

XII, 1-xvi, 18b*


XVII, 2a*, 2b-13 fini

XVIII, l-7a-, •22a*, 22b-31 ifini

XIX. l-7b*, Km*, lGb-30 (fin)

XX, l-15b-, 24-47a*


XXI, 7-14b-
BMC 14 = Z. 13 XII, 7b*, 8-.\iii, 6a* iLemm 3i

liMC 1.5 = Z. 13 XX, 16*, 17-25b*, 26, 28b* (Win. 2)

RITH

A
CoUeclion Ihtrgia (1)

Z. 1>9CA II. ll-14a (Ci. 1)

B
Bibliothèque Xalionale. Paris

l!.\ II, ll-14a (Masp. 1)

C
Autres collections: : Brilish Muséum, etc.

BMC 12 1, 4b*, 5-iv. 2b*, 10*, 11-22 (Tbo. 1)

(fin du livre)
SER III, 14b*, 15-I6a, ISa', 18b-iv, (Krall)
la*
T. Texts 1 IV, 5b*, 6*, 7', 8a'. 9a*l), 10* (Crum 5)

1 ROIS

A
Collecliou Boniid

Z. 15 VI, 11 - VII <Ci. 1)

vni, 2-x, .?b*

Z. 16 XVII, 33b*, 34-40. 43-51. 54


(fin)

xvui, 6-14
XIX, l-5a*

(I) Édile aussi par Amélineau op. cit., \\\\ sans indicalion des Mss.
MELANGES. 241

Z. 15 xxii, v^la*. 21b--23 (finj


xxni, 1-11. 13- 14a'
XXIV, 21a\ 21b-23 (fin)

XXV, 1-4, 5*, 6-8a-, 8b-20a-,


20b-22, 23*. 24a*. 24b-
28a*

BN 12'.>' fol. 116


'242 REVUE BIBLIQUE.

vii-xi, lia*
XI, 23a% 23b-27 fin)

xii-xv, 2a*
XVIII, l-12a*
xxi, 14a*, I4b-21
XXII, l-Ua*

B
Bibliothèque Nalionale, Paris

B.\ 1211' fol. 126= Z. 10 I, 1 11 (Masp. 1)

BN129'ff.l21-122=Z.15 i, l-ii, 10a

C
Autres collections

SER 218 IV. 12a\ 12b-v, H".a; (Wess. 4j

BMC ît^ vu, 12-13a (Sch. 2)


JRC 2 = Z. 15 XVII, lU-211 (tin) (Erman, Ci. 1)
BMC 937 — Z. 15 XX. lia'. llb-23b' (Lemm 3)

III ROIS

A
Collection Bari/ia

Z. 911 CA XIX, 9b-14 (Ci. 1)

H
Bibliothèque Nationale, Pans

BN(Katam ^ l :-}0 II, 5b*, 6-9b*, 10, 11', 12ab (Masp. 1)

111, Ha', 111>15 »

3X. 20b-21
X, 1-Oa
>^>^i- "ïb*, 8-15
BN 129' fol. 119
128-131 ^^"' 'a*, 7lD-8a*, 8b-12a*, 12b-
BN 129' ff".

15a", 15b-17a*, 17b-


18b*, 19ab-,20a-,20b-
22a*, 22b-25, 2»V, 27-
28b*, 29a*, 29b-34b*,
35a*, :î5b-3r)a'
MÉLANGES. 243

C
Autres collections

;MC 953 1, 32a-, 32b-37, :38-, 39-40 (ISch. 3;


MC 1 = Z. 3-.> VIII, 4l\ 4-J-44a-, 40b-, 47a-, (Sch. 2)
47h-48a-
•MC <.t54 XI \. 3-9a »

IV ROIS

B (1)

Bibliothèque Xationale, Paris

N H, l-8:i (Masp. 1)

X i.\, 2a-, -25-125-


.\129'ff. i:i4-i42=Z.14 \i, 13a-, 13b-21 (fin)
XII. 1 -XVI, 7b- »

;;\ostracon) xxv. 27a-, 27b, 28-. 29-305' iMasp. 3. Ci. ]

C
Autres collections

r.MC 19 II, 14a-, 14b-15a (Sch. 2)


SKR m. 25a-, 25b (Krall»
VI, 19ab-, 24a*, 24b-25a
>ER 219 V, 5a-, 5b-13a- (Wess. 4;
VI, 3-13b-

[A suivre

A. \a>chalde.

! Rien dans la collection Borgia.


CHRONIQUE

1. — U>E CHAPELLE BYZANTINE A BEIT EL-1)JEMAL.

Au cours de l'année dernière nous avions eu connaissance, par une


vague rumeur, dune découverte faite par les Pères Salésiens dans
leur établissement de Beit el-Djemâl. Favorisés aujourd'hui d'une
information plus précise, nous sommes à même de fournir quelques
renseignements à ce sujet, d'après des notes et des plans que Dom
M. Gisier a eu l'obligeance de nous communiquer. Cette documenta-
tion a pour base les indications et les relevés de M. Angelo Bormida,

R.'0 63

détail
de l'mscripîion
en mossiaue

FrdgmeJil de
coionneUe J 6àse
hexagonal».

-- 0,00 *

meires.

Fig. 1. —La chapelle byzantine de Iteit el-l>jemàl. Plan el détails.

le sympathique maître de musique, mort à Naplouse pendant la


guerre, à la suite des mauvais traitements dont il avait été l'objet de
la part des Turcs.
CHRONIQUE. 245

Les fouilles opérées en octobre 1916 et dans l'été de 1917 à l'une


des extrémités de la cour de amené au jour
l'Institut agricole ont
deux tombes d'un édifice byzantin. La découverte, con-
et les vestig-es
damnée à rester fragmentaire, ne laisse aucun espoir d'être complétée
un jour, puisque le sol même de l'édifice, du côté nord, a été sup-
primé par la création dune terrasse de jardin à un mètre et demi au-
dessous du pavement retrouvé dans la cour. On n'a donc pu explorer
que de la superficie recouverte jadis par une bâtisse que l'on
le tiers

suppose, avec assez de raison, avoir été une église. A l'est, la tranchée
creusée dans le roc pour recevoir les fondations, ainsi que l'extension
de la mosaïque blanche encore visible ne permettent pas de conclure
à l'existence d'une abside semi-circulaire (fîg. 1). On s'est arrêté à
l'hypothèse d'une exèdre rectangulaire, hypothèse que justifie à la
rigueur le plan de plusieurs chapelles byzantines de la Syrie. Ce
bèma à angles droits se trouvait exhaussé de 0'",36 au-dessus du niveau
général. En avant s'étendait la plate-forme de la solea dont le sol,
actuellement à sept centimètres plus bas que celui du bêma, devait
rtre primitivement recouvert de dalles en marbre. Du chœur ainsi
constitué on descendait dans la nef centrale par un degré de 0'",15
de hauteur. Au sud, c'était un gradin de O"",!?, recouvert de mo-
saïques blanches, qui donnait accès à la nef latérale. La répartition
en trois nefs est rendue en effet plausible par la présence de trois
bases appartenant à la colonnade du sud (1\ Aussi bien la nef méri-
dionale est-elle à peu près la seule portion de l'édifice qui puisse être
restaurée avec certitude. Une porte la terminait à l'occident, tandis
qu'à son extrémité orientale la pioche des fouilleurs a mis à découvert
une base de roc, de 0'",T5 de côté, taillée régulièrement, que l'on
regarde comme le vestige du pied d'un autel. Une lacune laissée
entre la mosaïque et cette base pour l'insertion d'un placage por-
terait à croire que le socle de l'autel était revêtu de marbre. Sa
position est celle de la table sainte du diaconicon. On serait tenté de
le mettre en relation avec les deux tombeaux A et B situés l'un à l'est,
l'autre à l'ouest de la base rocheuse en question. Mais, semble-t-il,
lintention de l'architecte a été d'utiliser une saillie du roc qui séparait
les deux installations funéraires fig. 2). Celle de l'est (A), exiguë, mal
taillée, avait jusqu au déblaiement son entrée masquée par la maçon-

nerie de l'angle absidal, et la mosaïque du pavé débordait même sur la


ligne de l'escalier. Un peu plus spacieux, le tombeau occidental pré-
sente des parois mieux dressées et crépies (B), Un pilier en pierres de

(1) Ces bases mesurent 0"',5'i de côté.


246 REVUE BIBLIOCE.

taille s'y trouve construit afin de consolider le roc sur lequel reposait
une colonne de Ce tombeau a son entrée dans l'une des
l'église.

annexes dont les fouilles ont révélé les traces au sud de l'édifice prin-
cipal. Cette première annexe (C) qui jouait probablement le rôle de

în £ l r e 5

Kig. Les cavernes lunéraires. l'ians et iou|ie-;.

sacristie, est pavée d'une mosaïque sans dessin, à 0™,3i- au-dessus du


niveau de l'église. A 0'",!'* plus haut, pavée de la même façon,
s'étend Tannexe occidentale (Dl qui pouvait contenir une cuve baptis-
male. L'eau était fournie par une vaste citerne occupant une partie
du sous-sol de cette salle ot de la nef méridionale de l'ég-lise où elle
a son ouverture encadrée dans la mosaïque. Le déblaiement de la
citerne n'a fourni jusqu'ici qu'un tronçon de colonnette sur base
hexagonale, perdu dans un amas de décombres cf. fie. i).
Si en juxtaposant les relevés de Beit el-Djemàl et le plan d'une
église du voisinage, celle à'Oitmm er-Roi)s, on essayait de mettre en
relief leui-s points de contact et de justifier une restauration accep-
table, ou réussirait également à faire ressortir leur dissemblance. Ici,

une abside en hémicycle, là une abside rectangulaire; ici. remplace-


ment de l'autel principal est soigneusement marqué, tandis que là
il n'en demeure aucune trace: ici, une bouche de citerne, nous
retrouvons là les arasements d'un autel secondaire. Rieu de moins
fondé que la restitution d'un double narthex à Beit el-l>jemâl. Cette
particularité a-t-elle jamais existé à Oumm er-Roùs? Il n'est pas
certain que les deux narthex dont on a constaté les fondations aient et»'
CHRONIQUE. 247

simultanés. Ils paraissent plutôt avoir existé successivement, car on


y relève les marques évidentes d'une restauration qui a réduit l'église
primitive à de moindres proportions (1 )

Beit el-Djemàl l'emporte sur sa voisine pour la richesse de la déco-


ration. Les mosaïques des bas-côtés, réparties en une série de pan-
neaux, sont encadrées d'une garniture de corolles à demi-épanouies.
Dans l'ensemble, le dessin est plus compliqué, le coloris plus chaud,
grâce aux combinaisons du vert, du rouge foncé et du jaune d'or.
L'eiitrelac simple du premier panneau se remarque pourtant, mais
isolé, au milieu du cho'ur d'Oumm er-Roûs. Il y a aussi un certain
rapprochement entre les mosaïques de la nef centrale de l'une et
l'autre églises, où le dessin et les tons sont d'une élégante simplicité.
L'inscription d'Oumm er-Roùs KYPOY-ICOANNOY 2 en dépit de sa
: .

concision, nous laisse au moins supposer que l'éghse était dédiée aux
célèbres martyrs égyptiens Cyr et Jean, dont nous possédons un éloge
prononcé par Sophrone. patriarche de- .Térusalem 3 Le fragment .

du texte qui occupait à Beit el-Djemàl un médaillon dans la mosaïque


(le ne peut pas nous rendre le même service. L'extré-
la nef centrale
mité de ces cinq lignes n'olfre aucun élément capable de justifier une
restauration quelconque. H est impossible d'en tirer ni une date ni
un nom propre. L'inscription, qui paraît avoir tenu dans sept lignes,
devait, suivant l'hypothèse la plus vraisemblable, faire mémoire du
fondateur de l'église, dont la sépulture se trouvait à proximité. L'élé-
ment... OYMG... nous ferait penser à un higoumène — HrOYMGNOY
— dont le nom serait précédé de l'épithète ordinaire GGOCGBeCTA-
TOY. Prétendre compléter ce texte si malheureusement tronqué, c'est
se livrer à un jeu de hasard stérile en résultat scientihque. La con-
servation de la mosaïque nous eût profité davantage. Quelque ingé-
nieuse qu'elle soit, la restitution proposée par les auteurs des fouilles
se heurtera naturellement à un scepticisme général. Elle n'aboutirait
à rien moins qu'à proclamer saint Etienne titulaire de ce sanctuaire :

A la gloire de Dieu et da Seigneur Etienne premier diacre /rt's illustre


martyr de Dieu. Libre au premier venu de bâtir avec ces maigres
restes un texte tout difïérent '
V).

;i; R. B., 1899, p. 452.


Ci.) Op. laud.. p. 454.
(.3j P. (;., ss. La vertu miraculeuse des saints martyrs était bien connue
LXXXVII, 3677
en Palestine. notable d Éleuthéropolis, Procope, accompaiiné de son serviteur Théodore,
Un
vint un jour chercher sa ;iuérison au sanctuaire des SS. Crr et .lean à Menouthis, pn-s
d'Alexandrie, où Sophrone lui-mt-me avait été guéri d'une maladie d'yeux. /'. (i.. LX.XXVII,
2620, 3666.
(4) Ce qui reste de cette inscription est représenté en détail dans la figure 1.
248 REVLE BIBLIQUE.

Ce fragment n'apporte donc rien de solide en faveur de lopinion


professée par quelques palestinolosues sur Tidentité de ce village et
de Caphargamala villa de Gamaliel où fut trouvé le corps de saint
Etienne en ilô. Si Téglise avait été érigée en l'honneur du tombeau
supposé la sépulture du protomartyr que partageaient aussi Gamaliel,
Xicodème et Abibas, Tarchitecte aurait disposé son plan de façon à
faire du tombeau le centre du sanctuaire, comme nous le voyons à
Niby Samoidl, pour ne citer qu'un cas bien connu. Le petit tombeau
oriental de Beit el-Djemàl ne peut entrer en ligne de compte puisqu'on
a jugé à propos de le combler avec de la luaronnerie. Quant au tom-
beau occidental, conservé par le constructeur de l'église, il ne répond
guère, ni comme dimensions, ni comme disposition, aux exigences de
la lettre du prêtre Lucien. Existant avant les travaux de construction
ce que l'on pourrait également affirmer de Ihypogée bien mieux
aménagé qui se trouve sous l'égiise d'Oumm er-Roûs), il avait dû être
réservé au fondateur, sinon à quelque bienfaiteur insigne de cette
église rurale.
Djemmala. localité de la région de Rentis. l'ancienne Arimathie,
possède des tombeaux plus dignes que cette grossière caverne de
représenter la sépulture de l'opulent Gamaiiel. et conserve à plus d'un
titre, le Capbargamala. Toutefois la
droit de succéder à l'antique
découverte de Beit el-Djemàl n'est pas dépourvue de tout intérêt. La
vénération de ce lieu s'est perpétuée à quelques mètres de là dans
rouély du cheikh hma în, dont la coupole est couronnée par la base
d'une colonnette en marbre blanc provenant des ruines qu on vient
•le décrire.

F. .M. Abel. ô. p.

IL — l'églisk dk getbsémam.

Une modification inespérée du statu quo fatidique a supprimé


l'enclave en manière de couloir où se localisait la Trahison de •

Judas », à l'angle sud-est du Jardin de Gethsémani. Le fragment de


la colonne traditionnelle a été reporté une douzaine de mètres plus
au nord et incorporé dans un mur neuf et rectiligne qui joint la
clôture du Jardin au rocher du « Sommeil des Apôtres (1) ». Le sanc-

(1) Voir le schéma topograpbique de Jérusalem nouvelle, p. 335, fig. 147 iv.
CHRONIQUE. 249

tuaire primitif de rAgonie se trouvait ainsi libéré de la malencon-


treuse servitude qui en avait jusqu'ici empêché l'investigation
complète.
Les RR. PP. Franciscains ont immédiatement repris le déblaiement
interrompu en 1906. Grâce à la parfaite bienveillance du R"* P. F.
Diotallevi, Custode actuel de Terre Sainte, la plus entière liberté

GETHSEMAN

Fig. 3. — Clievet de l'église apn-s les nouvelles fouilles.

nous est laissée pour suivre


le développement de la fouille. Il voudra

bien trouver ici l'hommage de notre vive gratitude. Tandis que les
travaux se poursuivent, prématuré de spéculer sur les infor-
il serait
mations complémentaires qui en résultent. Le but modeste de la pré-
sente note est seulement d'enregistrer quelques détails nouveaux
qui auront leur intérêt pour la connaissance plus approfondie du
vénérable sanctuaire. •

Le plus notable est sans contredit le dégagement intégral des trois


absides de la restauration médiévale (fig. 3).La grande abside conserve
encore une partie des élégantes assises de revêtement plaquées contre
la paroirocheuse de hauteur fort irrégulière et sommairement dressée
suivant la courbe de l'hémicycle. La petite abside septentrionale est
rasée presque au niveau du sol. Il en subsiste assez néanmoins pour
que son tracé demeure parfaitement net dans l'épais massif de ma-
çonnerie du chevet. On y discerne encore les vestiges d'un double
stuc. Le plus récent est un enduit de composition assez fruste, de
250 REVUE BIBLIQUE.

sable à gros grain et de calcaire pilé, qui s'efirite facilement. Il parait


avoir 6 à 7 millimètres de moyenne épaisseur et devait être couvert
de peintures. Dans les très minimes parties sauves on ne reconnaît
plus g-uère qu'un large bandeau rouge lie de vin. surmonté d'un filet
blanc et d'une ligne rouge brique foncé où paraissent s'attacher les

éléments d'un dessin multicolore. Ce crépissage recouvre un enduit


beaucoup plus fin et plus résistant, sans traces saisissables de peinture
dans les rares fragments qui ont pu être examinés.
Au centre de l'hémicycle le roc émerge du vieux dallage en forme
de saillie quadrangulaire analogue à celle connue déjà au milieu du
chœur dans la grande nef il» et seulement de proportions un peu
plus considérables, avec une grande cavité ovale au sommet. On se
souvient que, dès la seconde moitié du xii'' siècle, les relations des

pèlerins mentionnaient, dans la nouvelle église érigée sur le lieu de la


prière du Sauveur, trois rochers bruts en pavé du sanc- saillie sur le

tuaire pour localiser chacune des trois prières du Christ en agonie.


Le iroisième rocher, celui de l'abside méridionale, ne frappe pas
actuellement le regard: mais ne pourrait-il être représenté par l'es-
pèce de petite saillie à cupule laissée sans explication dans le gradin
rocheux qui accidente le sol de cet hémicycle? 11 est peu vraisembla-
ble que ces sailliesdu roc, inconnues de la tradition primitive, aient
existé dans la plus ancienne église à autel unique. Pour obtenir un
niveau uniforme, le roc avait dû être aplani au fond de cette nef
méridionale et une surface quadrangulaire avait même été un peu
plus ravalée, apparemment pour asseoir l'autel accessoire du diaconi-
con. L'existence de cette dépression condamnait l'architecte médié-
val à se départir d'une symétrie absolue pour situer son troisième
bloc rocheux commémoratif. Du moins cette hypothèse rendrait-elle
compte d'une particularité demeurée énigmatique dans l'agencement
de cette abside (2).
Le massif de maçonnerie interprété en 189'2 comme le cheA'et de
l'abside primitive et figuré comme tel dans Jérusalem nouvelle a
depuis longtemps disparu. En poussant jusqu'au roc le déblaiement
extérieur de l'abside médiévale, on a récemment mis à jour un tom-
beau antique dans l'axe précis de l'église. J'ignore si
situé presque
son exploration a fourni un in«iice quelconque de nature à en déter-
miner l'origine, qui n'est pas, dès l'abord, très claire. A première

(1) Voir Jerus. nourelle. lîg. 143 ; cf. p. 332 et 314.


(2) On concevrait moins facilement que l'excision ultérieure du bloc commémoratif. en
vue de son transfert dans un autre monument, ail été lorigine de la dépression rocheuse
actuelle dans cette petite abside.
CHRONIQUE. 251

vue, on soniierait volontiers à quelque sépulture chrétienne. Des


tombes byzantines assez nombreuses ont été découvertes naguère,
si je suis correctement informé, tout contre la paroi méridionale

et l'usage était assez courant, depuis les tempsbyzantins, d'abriter


pieusement des sé-
pultures privilégiées
aussi près que pos-
sible des murailles
d'un sanctuaire en
vénération. Tel ne fut
pas le cas de celle-ci,
du moins par rapport
à l'église médiérale.
Il est clair, en effet,

<{ue l'extrémité du
vieux sépulcre a été
coupée par les fon- Coupe,
dations de l'abside
du xii" siècle. Tn blo-
cage compact a été
substitué à la cloison
rocheuse dont la ré-

sistance fut jugée sans


doute insuffisante et
ts^ r.t'i'#4^4?i^'*^'/i* i;i^^^
qui d'ailleurs ne s'ali-

gnait pas exactement


> ieille tombe au (;lievel de l'e^lise.
autracé adopté (fig.4).
Divers indices sug-
gèrent, au surplus, que la tombe avait été déjà défoncée pour
l'aménagement de la première abside, au iV siècle. La cavité laté-
rale, qu'on pourrait d'abord prendre pour une sorte de petit esca-
lier d'accès —
d'ailleurs très insolite dans une sépulture de ce style
— révèle en fin de compte un caractère tout autre. On n'a jamais
,

eu l'intention de créer là un escalier. La paroi a été entaillée de


manière à fournir l'assiette stable d'un bloc de fondation ou d'un
conglomérat comblant la tombe de la quantité voulue pour inspirer
toute sécurité; mais on a laissé intacte la partie orientale du sépulcre
qui débordait l'alignement de l'abside projetée. D'où l'on peut inférer
que la tombe est vraisemblablement de basse époque juive et qu'elle
a été rencontrée accidentellement quand furent tracées les fon-
dations de la première basilique de l'Agonie.
252 REVUE BIBLIQUE.

A ce premier état du sanctuaire appartient évidemment un joli


socle de colonne orné de croix sur les faces, qui a été inséré à la
renverse dans redoublement de la muraille médiévale, à l'anule
le

sud-ouest. Quoique d'une modénature un peu différente, il évoque


assez bien le souvenir d'une base constantinienne au saint Sépul-
cre (1). La mesure absolument précise de ce socle est difficile à
prendre dans sa situation actuelle. La face extérieure, malheureuse-
ment très écornée, suggère un carré d'environ 0"',64 de côté, par
conséquent une colonne d'à peu près 0™,5i à la base. Or précisément
un tronçon de colonne noyé dans le blocage de la paroi septentrio-
nale présentait un diamètre de ()"',52 s adaptant bien à la colonne
impliquée, si le socle en question a bien appartenu à l'ordre intérieur
de l'église (2). On peut se demander, en effet, s'il n'aurait pas existé
devant l'église primitive un péristyle ou un atrium. La suite des
travaux renseignera probablement à ce sujet. Si mutilés qu'ils
soient les divers fragments que les fouilles ramènent au jour contri-
bueront certainement éclairer l'histoire du vénérable sancluaire.
;'i

IIL — NOUVELLES DE JÉRUSALEM.

Parmi les travaux que poursuit très activement, dans la Ville


Sainte, l'administration militaire anglaise, préoccupée d'améliorer
des conditions sanitaires par trop déplorables, il en est bien peu qui

n'intéressent pas plus ou moins directement l'archéologie autant que


l'hygiène publique. Le plus notable en ce sens est le nettoyage
méthodique de la Citadelle, près de la porte occidentale ou porte de
Jaffa.
Ce nom passablement emphatique désignait un assez vaste édifice
groupant quelques constructions relativement modernes avec de
splendides constructions médiévales et des éléments romains et juifs
de l'époque hérodienne. Le caractère monumental de plusieurs bases
de tours, où s'attachent persévéramment et à bon droit les noms
sonores de Phasaël et d'Hippicus, vestiges glorieux du palais d'Hérode,
impressionnait vivement les visiteurs. Transformée depuis des siècles
en caserne turque, la vénérable citadelle demeurait à peu près inac-
cessible. Quand on avait réussi, au prix de difficultés multiples, à s'en
faire ouvrir les portes dans l'espoir d'étudier de plus près ses trans-

it) Cf. Jérus. nouvelle, fig. 82, p. 129.


(2) Avec des données beaucoup moins claires j'avais inféré des colonnes de 0"'.t')2

[Jérus. nouv., p. 33i.)


CHRONIQUE. 253

formations structurales et de pénétrer mieux sa très longue histoire,


on errait avec la plus poignante déception dans un dédale sordide de
gourbis parasites, parmi des amas de détritus et d'innommables im-
mondices, d'où n'émergeaient plus guère de vestiges anciens. Ces
ignominieuses traces de loccupation turque étaient une offense à la
majesté du vieil édifice. Il y avait là surtout un foyer pestilentiel
absolument néfaste pour la ville.

M. le général Storrs n'a pas reculé devant la gigantesque tâche de


nettoyer ces écuries d'Augias, et le déblaiement se poursuit depuis
})lusieurs mois. On ne saurait rien imaginer de plus circonspect et de
plus avisé que la méthode avec laquelle il est pratiqué. Nulle hâte
imprudente^ surtout pas la plus minime démolition, fût-ce de masu-
res informes et parfaitement étrangères à tout élément ancien de
l'édifice. Environ un tiers du monument est déjà débarrassé des dé-

combres qui Tolfusquaient et laisse entrevoir maint détail remar-


quable de son ordonnance primitive.
Une extraordinaire profusion de fourneaux de pipes brisés, de tous
styles etde toutes dates, représente à peu près l'unique butin que la
plus attentive vigilance des surveillants de travaux ait pu extraire de
ces formidables môles de décombres —
symboles curieux des généra-
tions de bureaucrates et de potentats militaires turcs qui ont si long-
temps déshonoré l'antique palais d'Hérode. —
Mais il n'est pas besoin
de bibelots à cataloguer pour que le labeur en voie d'accomplissement
à la citadelle promette dès maintenant de précieuses informations
archéologiques. Il faut sincèrement féliciter l'autorité qui l'a ordonné
et les ingénieurs qui le dirigent et à qui devra revenir l'honneur d'en
e.xposer les résultats scientifiques.
Une amélioration déjà très notable de la voirie, abandonnée na-
guère au soleil secondé par les vents violents de la montagne et par
la légion inquiétante des un assainissement provisoire des
chiens,
bazars couverts, le nettoyage fondamental des échoppes du souq el-
Qattànîn transformées en ateliers pour la corporation des tisserands,
le dégagement progressif des vieux remparts, enfin l'approvisionne-

ment de en eau de source sont autant d'entreprises qui hono-


la ville
rent l'administration actuelle de Jérusalem.
La caserne turque installée à l'angle nord-ouest du Temple, sur le
site de l'antique Antonia, est aujourd'hui déserte et n'aura pas moins

que la Citadelle besoin d'un nettoyage fondamental. Nous avons mis


à profit cette heureuse solitude pour étudier l'intéressant édicule
médiéval où les Turcs vénéraient la tombe d'un santon kurde, cheikh
Djerbàs, et qu'une tradition chrétienne désigne sous le vocable de
254 REVUE BIBLIQUE.

« Chapelle du Couronnement d'épines ». Les relevés en seront pré-


sentés plus tard.
Et à propos de souvenirs de la Passion, il ne sera pas sans intérêt,
pour r histoire du Chemin de la Croix à Jérusalem, de signaler la
modification récente introduite dans la localisation des stations. La
2'' station, ou « Imposition de la croix », était située dans la rue du
Vieux en face d'un antique encadrement de grande porte
sérail,

depuis longtemps murée, vers l'angle nord-est de la caserne. Elle est


localisée aujourd'hui environ 75 mètres vers l'ouest dans la même
rue, devant la nouvelle église de la Flagellation, au bas des escaliers
de la caserne.

Jérusalem, mars 19i9.

F. H. VlNCKNT. 0. P.
RECENSIONS »)

Die Entstehung der neuen Testaments und die -wichtigsten Folgen der
neuen Schopfung, von AdoH" vou Harnack, 8° de vni-152 pp. Leipzig, Hinrichs,
1914.

La question du Canon du Nouveau Testament passe pour ennuyeuse. C'est aussi, à


Tordinaire. le type de ces discussions où l'érudition absorbe tout, où l'on cherche
en vain un principe directeur. A peine a-ton indiqué en quelques mots comment le
problème se pose, que commence la série des « témoignages ». Que pensait-on à
Rome, à Alexandrie, à Antioche, à Édesse. de tel ou tel livre, à telle ou telle époque?
Les textes se heurtent, ou s'harmonisent, sans qu'on comprenne comment on est ar-
rivé à l'unité. Avec son immense érudition. Zahn n'est pas parvenu à donner une
idée claire de la marche des choses. Peut-être est-ce parce qu'il est trop réfrac-
taire à l'influence de la tradition.

C'est le mérite de M. Harnack d'avoir renouvelé le sujet, d'en avoir fait un traité
vivant, parce qu'il est animé de la vie de l'Eglise. L'Écriture et la Tradition se dis-

putant pour ainsi dire et se partageant l'influence, c'est l'évolution de l'Église primi-
tive, son acheminement vers ce qu'elle n'a pas cessé d'être. Peu de textes, seule-
ment ceux qui représentent les courants d'un mouvement si fécond en conséquences.
Avant tout les discussions de principes, et plutôt que d'insister sur des débats vides
d'idées, une fois les idées mises en lumière, un coup d'œil sur les conséquences
qu'elles renfermaient et qui devaient se développer logiquement.
Cette manière, qu'on reconnaît déjà dans la discussion fort vive qui mit aux prises
Zahn et Harnack, domine le petit livre dans lequel le professeur de Berlin exprime
sans doute ses résultats définitifs. A juger par certains traits, c'est toujours le libéral
qui combat encore le conservateur d'Erlangen. IMais nous sommes habitués à trouver
de tout dans M. Harnack, l'excellent et le pire. Une étude très minutieuse ne serait
pas de trop pour faire le départ. Si seulement nous pouvions dissiper l'équivoque qui
gâte tout !

Hâtons-nous de dire que mot de Canon est évité, et avec raison, puisqu'il n'a
îe
son sens propre quau De plus le nombre précis des écrits enfermés dans
iv^ siècle.
le Nouveau Testament importe peu, puisque l'enquête de M. Harnack s'arrête au seuil

du iii« siècle, et qu'alors personne ne prétendait posséder un Nouveau Testament


rigoureusement fermé. Ce qui est en question, c'est l'existence même du Nouveau Tes-
tament. Désireux maintenant de ne point se poser en contradicteur de Zahn, Har-

(1) Le plus grand nombre des ouvrages indiqués dans les recensions et le builetin ont été
envoyés à Jérusalem en 1»14. L'Iioniiêteté exige qu'on en parle, même avec un retard c'était :

la guerre
.'
256 REVUE BIBLIQUE.

nack prétend qu'il n'y a pas entre eux une divergence d'un siècle, comme on le dit.

mais seulement de quelques années. Il est tout prêt à concéder qu'on lisait de bonne
heure dans les Églises les quatre évangiles et les treize épîtres pauliniennes, mais
cela ne suffit pas. La lecture publique dans le service divin des communautés n'est
pas une preuve que le Nouveau Testament avait la dignité de l'Ancien : or tout est
là. C'est vers l'an 170 au plus tôt que l'Église a eu conscience de posséder un Nou-
veau Testament, collection d'écrits inspirés comme ceux de l'Ancien.
Et c'est là ou une équivoque, ou bien une contradiction intime dans le
que git

système de Harnack. Veut-il dire que c'est seulement après 170 qu'apparaît le nom

de iNouveau Testament: qu'alors seulement les rouleaux, groupés dans une même
boîte, ont été regardés comme Faisant pendant à l'Ancien Testament qu'on a précisé ;

alors le principe qui permettait d'éliminer quelques ouvrages, plus ou moins admis
dans la lecture publique: que vers ce temps. l'Église romaine — et c'est ici la partie la

plus originale du système. — Rome


a fixé pour elle-même et pour toutes
l'Eglise de
les autres ce qu'elle entendait du Nouveau Testament? Il n'y aurait
par la collection

rien là qui puisse étonner un catholique. Tandis que M. Loisy 1 intitulait son (

livre I « La formation du Canon du Nouveau Testament >. M. Jacquier (2) consacre

une section à la « préparation 'i du Canon, et une autre section à la « formation du


Canon ». de l'an 170 à Tan 220 environ 3).

Mais ce n'est pas seulement cela que soutient M. Harnack. Il a des propositions
qui auraient donné à Luther plus que de la nausée : « Paul avec ses épîtres aurait
été en l'air, du strict point de vue traditionnel, » sans les Actes des Apôtres (p. 37).
C'est grâce à ce livre qu'il fut enfin installé dans le concept d'Apôtre, après quoi
ce n'était plus qu'une question de temps d'élever ses écrits à la hauteur d'écrits
ecclésiastiques (p. 42;. Quel papiste aurait osé écrire rien d'aussi monstrueux? Et
c'est bien la pensée du moderne professeur évangélique qu'avec la création par
l'Église, et vraisemblablement par l'Eglise romaine, du Nouveau Testament, il a passé
désormais pour écriture inspirée, une écriture, fille de l'Eglise, qui. pour un peu
aurait voulu aussitôt remplacer sa mère (p. 77;. Elle n'aurait guère réussi, si ce n'est
à la diète de \\ omis !

Et de quel droit, dans cette crise fameuse, Luther pouvait-il opposer la Parole de
Dieu à l'autorité de l'Eglise, si le Nouveau Testament, si S. Paul, n'avait été élevé
que tardivement à la hauteur de livre ecclésiastique? Mais nous ne sommes point
disposés à presser contre le protestantisme luthérien cette exagération du rôle de la
tradition dans l'Eglise, cette confusion du concept de la canonicité avec celui de
l'inspiration, et nous trouvons dans Harnack tout ce qu'il nous faut pour rétablir le
juste équilibre.
N'insistons pas, puisque la question est posée autrement, sur le concept d'inspira-
tion, ni sur celui d'Écriture, ni sur la façon dont est cité le N. T. On conçoit très
bien que le temps ait été nécessaire pour établir un nouveau Corpus en face de ce
Corpus qu'était l'A. T. Demandons-nous simplement, avec M, Harnack, quand l'Eglise

a eu conscience de posséder des écrits égaux ou même supérieurs à ceux-là comme


autorité régulatrice :'
Il faut répondre sans hésiter : Aussitôt que l'épitre aux Galates
a été admise dans l'Église. Harnack objecte que nul ne fait foi pour sa propre per-
sonne; il fallait à Paul l'autorité des Actes, longtemps oubliés, et qui forment après

(1) Histoire du Canon du Nouveau Testament 1891. ,

(2) Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, t. I; 1911.


(3) Voir surtout l'éUide décisive de Mi^' Batiffol sur La Canon du Nouveau, Testament, liB.
1903, p. 10--2r.; 220-233.
RECENSIONS. 237

Fan tôO le pont nécessaire entre l'Évangile et les Épîtres pauliniennes. Pourtant
c'est l'évidence même que la doctrine de Paul a prévalu dans toute l'Église, que la
controverse de principe entre Paul et les Judéo-chrétiens était terminée avant sa
mort, et, comme il triomphe fut dû à l'Épilre aux Galates
n'a pas prêché partout, ce
et à l'Epître aux Piomains. Les premiers chrétiens, surtout ceux qui venaient du
paganisme, avaient conscience d'appartenir à une religion nouvelle. Ils ont été con-
firmés par les épitres de Paul. Apparemment ces lettres qui déclaraient ahrogée l'an-
cienne alliance avaient au moins l'autorité des écrits de cette ancienne alliance.
Dans ses lettres Paul se donnait comme Apôtre, et on l'a tenu pour Apôtre. Or
c'est un des mérites de M. Harnack d'avoir reconnu pleine authenticité à la forma-
tion des disciples par Jésus. Une critique sceptique, dit-il. s'est permis de rejeter
comme une projection des faits ultérieurs tout ce qui pourrait s'expliquer de la
sorte. Elle a tort. Les Douze ont donc été choisis par Jésus, le texte de Luc 22, 29 s.

a toutes les garanties de l'histoire. — Il est seulement dommage qu'avant même de


tourner le feuillet, Harnack soutienne que Jésus n'a pu donner à ses disciples l'ordre
de prêcher l'évangile, puisqu'ils ne l'ont pas fait. La raison : « Nous ne savons pas
avec certitude si seulement l'un deux, sauf Pierre et Jean, ont fait des missions »

(p. 32 . — Mais nous ignorons tant de choses! I^es apôtres formés par Jésus sont
les héritiers de sa pensée, et le célèbre texte de Clément romain (i, 42) en fait aussi
les héritiers de son pouvoir. Comment n'aurait-on pas attribué à leurs écrits une
autorité égale à celle de l'A. T.? — Surtout lorsqu'ils reproduisaient les paroles du
Seigneur, du chef, du Sauveur, du Maître des fidèles ! Cela est dit en termes excel-
lents par Harnack. On disait : les Ecritures et le Seigneur, aî ypasal /.al ô y.jy.o;,

mais évidemment le Seigneur était l'autorité suprême. Et comment connaissait-on ses


paroles? Par l'Évangile. On en vint donc à dire « les Écritures et l'Évangile ». C'est
le germe du N. T., la cellule initiale iKeimzelle, p. 6). Quelle cellule que celle qui
comprenait l'Évangile et saint Paul! Et il ne servirait de rien de dire qu'on ait re-
gardé plutôt au contenu qu'à la formalité de l't^criture; ou n'arrivait au contenu qu'en
lisant l'écriture. D'ailleurs le terme d'écriture se trouve dans la IL' Pétri. Harnack
ne la citera pas (1), parce qii'il ne l'attribue pas à saint Pierre. Ce n'est pas une
raison. Elle parle clairement (3, 16 . On critique les épîtres de Paul; et qui échappe
à une certaine critique? Il en est de Paul comme « des autres
des points difficiles

écritures », w? /.al ta; Xo'.-à; que la II-' Pétri est de l'an 170? Nos
YP*'-?*-:- Serait-ce
auteurs ont certes cité ce texte important, mais ils avouent qu'il ne tranche pas la
question du nombre des lettres paulines, et c'est toujours sous cet angle que le Canon
est étudié. Mais M. Harnack se demande seulement quand le N. T. a été constitué
en principe (ideell), comme ayant une dignité égale à l'A. T. Nous disons que c'est
aussitôt que les chrétiens se sont avisés qu'ils étaient chrétiens, c'est-à-dire quand
ils ont demandé aux apôtres de leur dire, de vive voix ou par écrit, ce qu'il fallait
penser de l'ancienne loi elle-même.
(^
Nous pouvons maintenant analyser le Uvre de M. Harnack. Il se compose delà
réponse à cinq questions, et de l'exposé de onze résultats sur la du
constitution
N. T. Le tout est d'une clarté parfaite, ingénieux, suggestif.
Première question : Comment est-on arrivé à une seconde collection autorisée à
côté de l'A. T.? Car on pouvait être tenté de se contenter de ce dernier, ou de
l'enrichir, ou même de le rejeter.

C'est à cause de l'autorité souveraine des paroles de Jésus, parce qu'on voulait

(1) Elle paraît à la p. K, note I, mais pour II Pet. 3, i.

REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 17


258 REVUE BIBLIQUE.

connaître les actions du Christ, réalisant les prophéties, et de pins une nouvelle
alliancene devait-elle pas être écrite? —
Ce sont là, en effet, des raisons plausibles,
mais on regrette de ne pas rencontrer la raison décisive c'est que des écrits ont :

paru, en partie pour répondre aux désirs indiqués, en partie à cause d'autres cir-
constances, telles que les prétentions des judaïsants. Ces écrits se sont présentés
avec une autorité qui était, pour les premiers cliréticns, régulatrice. — C'est ce qui
rend inutile la question subsidiaire de M. Harnack : Puisqu'on devait aboutir à ce

N. T.. pourquoi pas tout de suite? La réponse de H., c'est que l'A. T. suffisait,

avec l'Église. C'est seulement au milieu du ii<= siècle tju'on a éprouvé le besoin d'op-
poser aux hérésies une barrière, une règle écrite. On pouvait le faire, car on avait
l'autorité pour cela. En effet ip. 1.5 : « tout cercle de chrétiens qui était rassemblé
au nom de Jésus-Christ et qui donnait une instruction ou prenait une décision
savait qu'il avait pour guide et assistance la force de notre Seigneur Jésus » (I Cor.
5, 4). La preuve est dans les formules : a Le Saint-Esprit et nous avons décidé »
(A.ct. 15, 28), ou « ce que nous avons dit. Dieu l'a dit par nous » (I Clem. ad Cor.
59), ou '< nous vous avons parlé ou écrit dans l'Esprit-Saint (I Clem. ad Cor. 63^;. »

Il faudrait seulement ajouter que dans ces textes il ne s'agit pas de l'autorité de
tout cercle de chrétiens, mais des chefs de la communauté, spécialement dans la
lettre de Clément qui met dans un jour si net la succession apostolique. Non,

l'Église primitive n'est pas l'Église des soviets. Mais ce n'est pas la question. Notons
bien plutôt cette position très juste : au deuxième siècle, on ne décide pas au sens
propre de trancher une question nouvelle : on constate (p. 18). On ne se croyait
donc nullement le pouvoir de donner le caractère sacré à des ouvrages qui en eussent
été dépourvus. On croyait donc posséder déjà des écrits de la nouvelle alliance au
moins égaux à ceux de l'ancienne. C'est ce que M. Zahn a cru pouvoir prouver par
saint Justin, et de fait Justin a parlé de « nos écrits » [Apol. r, 28). Mais il ne dit

pas « le N. T. ». Il le désire, concède Harnack, il en aurait besoin, mais il ne le

possède pas. Sans cela Tryphon, comme ïertullien a bien trouvé


il le citerait à

moyen de le faire une douzaine de fois dans sa lutte contre l'Eglise. M. Harnack —
a ce point particulièrement à cœur. Il y revient (p. 12 et p. 151) comme à un bon
argument, et c'est une étrange aberration. Car enfin Tryphon était juif, et le seul
moyen de le convaincre, c'était de lui montrer que les prophéties de sa Bible avaient
été réalisées dans les faits évangéliques. Lui citer Paul eut été l'inviter à rompre la
conversation.Le N. T. existait-il au moyen âge? On ne s'en douterait pas à lire le
Pugio Fidei de Raymond Martin. Quand Justin dit qu'on lisait dans le service divin
les memorabUia ou les prophéties, il met à tout le moins les évangiles sur le même

rang que les prophéties 'Apol. i, (57). Il n'ajoute pas, ce qui allait de soi, que les
prophéties étaient là, non pas comme faisant partie d'une Loi abrogée comme J'en-
seignait saint Paul, mais comme l'aurore de la lumière de Jésus-Christ.
Il est vrai que la lecture ne conduisait pas par elle-même à l'unité. Marcion y est

arrivé parce que, comme d'autres gnostiques, mais avec des notions plus arrêtées
et plus nettes, il tentait de se faire une arme du N. ï. contre l'Ancien, dont il ne
voulait plus. C'était, d'après H., faire de même, ne fut-ce
suggérer à l'Eglise de
que pour s'opposer à lui, Marcion, auteur d'une collection fixée.

Cela est presque plausible, et il est dans l'habitude de l'Église de déterminer sa


foien s'opposaut aux hérésies. Mais on constate en tout cas que l'Eglise n'avait nul-
lement à se préoccuper de maintenir ou de rehausser le caractère des Ecritures. Les
judéo-chrétiens n'étaient plus à craindre. Les hérésies qui menacent l'Église exaltent
outre mesure le N. T. Marcion, en éditant une collection, avait donné seulement un
RECENSIONS. •
259

exemple. Mais voici une nouvelle hérésie, qui ne prétend pas non plus attaquer les

écrits dictés par l'Esprit de Jésus. Elle prétend plutôt que le nombre n'en est pas

arrêté, que l'Esprit agit encore, et qu'il n'y a pas de raison pour qu'il n'agisse pas
toujours de la même façon. Cette fois nous sommes au point, et nous savons gré à
M. Harnack d'avoir si bien expliqué comment une église de tradition et d'autorité
ne pouvait s'accommoder de l'excitation montaniste. Il devenait urgent d'intervenir,
non pour posséder un corps d'écritures sacrées, mais pour préserver celles qu'on
possédait des intrusions étrangères. M. Ilarnack nous dit que la formation du N. T.
aboutit à ne conserver qu'un résidu. C'est fort exagéré; mais comment ne voit-il
pas que cette opération n'ajoute rien à l'autorité des Écritures du N. T., si ce n'est
de les placer plus clairement dans un rang à part et inaccessible? Cette distinction
faite, pourquoi ne pas dire avec M. Harnack que la détermination d'une clôture est

venue de la résistance au montanisme? On pourrait même concéder que l'examen


de ces doctrines, qui avaient quelque chose de sympathique, a mis plus en lumière
l'idée même de la clôture. Mais que cette idée existât déjà, c'est ce dont témoigne

Tertiillien lui-même Spiritum quidem dei etiam fidèles habent, sed non omnes
:

fidelex apostoli... proprie enim apos(x)li spiritum sanclum habent, qui plene habent
in opcribus prophetiae... non ex parte, qiiod ceteri (De exhort. 4. cité p. 26, note).
Le principe de la clôture a dû exister aussitôt qu'on a mis une différence entre les
écrits qui avaient une garantie apostolique el les autres. L'accord substantiel des
églises sur les livres du Canon prouve que ce fut de très bonne heure.
L'insistance de Paul à poser ensemble l'autorité de ses révélations et son titre
d'apôtre est une indication très claire dans ce sens.
Venons enfin à la deuxième question de M. Harnack : Pourquoi d'autres écrits à
côté des Evangiles, et pourquoi le N. T. fût-il partagé en « Évangile » et « Apôtre » ?

C'est ici que l'auteur aborde d'excellents éclaircissements — qui nous sont familiers
— sur l'autorité des Apôtres, formés par le Christ, et garants de son enseignement.
Que l'exemple de Marcion ait contribué à répandre la division du N. ï. en deux
parties, il se peut. Et il se peut aussi que les Pères de l'église catholique, Irénée et
le Tertullien catholique, aient été bien aises de s'appuyer sur les Actes des Apôtres,
que ce livre ait pris alors une grande notoriété. Mais que Paul ait été légitimé par
les Actes! que ce soit l'opinion de saint Irénée! Je ne sais où H. a tenté de le prou-
ver, mais comment cela s'accorderait-il avec le soin d'Irénée de légitimer Luc par
l'autorité des Apôtres, maxime Pauli (m, 14, 1)? — Cette fois encore, la meil-
leure réponse à la question posée, c'est que des écrits d'un ordre spécial existaient
dans l'Eglise, entourés de sa vénération. Les évangiles contenaient les paroles du
Seigneur, mais rapportées par des Apôtres ou par des disciples que l'ancienne église
avait crus aussi dii^nes de foi : les lettres qui émanaient des Apôtres ne pouvaient
avoir moins pour une raison semblable que les Actes
d'autorité. Et c'est sans doute
de Luc, auteur du troisième évangile, furent classés au même rang, avec les Épîtres,
les évangiles gardant un rang à part.

Troisième question : Pourquoi le N. T. contient-il quatre évangiles et non pas un


seul? — La réponse est excellente; c'est à cause de la tradition. On avait quatre
rédactions de l'évangile, attribuées à des hommes apostoliques, — reçues dans les
églises, — on n'en voulut perdre aucune. Développements intéressants sur les motifs
qui pouvaient pousser à l'unification, et qui n'ont pu faire réussir l'œuvre de Tatien.
Réserve pleine de tact sur l'opinion de M. von Soden attribuant à Tatien une énorme
influence en Occident.
Quatrième question : Pourquoi dans le N. T. y a-t-il un livre de Révélation, ou
260 REVUE BIBLIQUE.

une Apocalypse, et seulement une.!* — c'est à ce propos que H. essaie de montrer


comment le N. T. ne fut qu'un résidu. On sait que certaines citations du N. T. ne
causent pas un médiocre embarras à ceux qui en cherchent les sources. Mais si saint

Jude a cité Hénoch, ce n'est tout de même pas comme un livre de la nouvelle
alliance. La seule difficulté est tirée du Muratorianum. De ce
Ainsi des autres.
qu'il exclut énergiquement Hermas, H. conclut qu'Hermas faisait partie du N. T.

ou plutôt de ce qui allait le devenir. C'est trop dire. De plus, dans son texte actuel,
le Muratorianum reçoit l'Apocalypse de Pierre, mais il sait que d'autres ne la reçoi-

vent pas. ]\'entrons pas dans le maquis. Suggérons seulement que si l'Apocalypse
de Pierre avait eu à la fois l'antiquité et l'étiquette apostolique, elle serait difficile-

ment sortie du Canon. On compte qu'elle n'avait pas toujours été


a dû se rendre
reçue. Car elle a disparu, dit H., sans tambour ni trompette. Et voici H. antidote :

si les Apocalypses avaient été nombreuses avec tendance à former un groupe, on ne

les aurait pas exclues sans une révolution-, on ne peut prouver qu'on les lisait régu-

lièrement à l'Eglise (p. Gl). — Alors? Alors l'Apocalypse de saint Jean est demeurée
comme apostolique, — et sans doute aussi parce qu'aucune autre n'avait les mêmes
racines dans la tradition. La réaction contre le Montanisme n'a donc pas été aveu-
gle et n'a pas tout emporté.
La cinquième question provoque la réponse la plus originale, peut-être inattendue,
sûrement désagréable mémoire de Luther. Le N. T. est-il une création cons-
à la

ciente, et comment les églises sont-elles arrivées à un même {einheitlig) N. T.? Car
elles y sont arrivées entre 170 et 200. La clôture n'est pas absolue; tel ou tel livre

est encore incertain. Mais le choix est partout le même, la structure est la même
avec les Actes entre les évangiles et les épîtres paulines, les titres des ouvrages sont
les mêmes. Chacun de ces indices a sa valeur; les trois réunis prouvent une inten-
tion, un dessein conçu et exécuté. Mais où? L'Egypte est hors de cause, car son
N. T. était alors plus compréhensif. ses principes moins fermes.
Le mouvement semble partir d'Asie Mineure, où avait éclaté l'hérésie des Monta-
nistes, et, d'Éphèse Smyrne, en passant par Corinthe, il aboutit à Rome. Et
et de

voici qui est précieux : de l'Eglise montre que, sans faire tort à l'auto-
« L'histoire

nomie des communautés distinctes, la communauté romaine a possédé alors un


principat de fait sur ce domaine géographique » (p. 08). Sur quoi il faut noter —
que ce principat de fait, s'il n'eût été appuyé sur un droit, aurait eu peu de chances
de prévaloir; que le principat s'honore en ménageant les autonomies, mais ne peut
cependant s'exercer sans les limiter-, que, dans l'affaire de la Pâque. « la commu-
nauté romaine «, c'était son chef le pape Victor. Nous voyons bien aujourd'hui des
soviets exercer des principats de fait, mais il y a généralement quelqu'un derrière,
et aussi quelqu'un pour s'y opposer. Passons encore. — Cela posé, la décision aurait
pu être prise d'abord en Asie Mineure, mais la structure, le caractère apostolique et
catholique de la collection indiquent très probablement Rome. Enfin le triple critère

apostolique de la fin du ii" siècle, règle de foi, groupement d'écrits, succession apos-

tolique, découlent d'une seule conception, sont le reflet, l'expression de la convic-


tion propre, de l'attitude ecclésiastique de l'Église directrice fondée par Pierre et
Paul. Cette Église pouvait dire, et très probablement elle a dit : Voici quel est notre
N. T., qui doit être celui de tous!
Maintenant prenons garde aux exagérations! — L'Église de Rome a parlé, et nous
avons une partie de son jugement, et c'est le Muratorianum... — Il est difficile

d'aller jusque-là. Si l'Église romaine a donné une direction, ce qui est possible, ce

qui est probable, elle n'a sûrement pas rédigé un original exactement conforme au
RECENSIONS. '261

texte du Muratorionum. Car elle n"a pas coutume de se déjuger. Et si elle avait

jugé dans ces termes, tout en ne fermant pas complètement la porte, elle n'aurait
pas abouti au Canon de 408, même sous Tinfluence de saint Athanase et d'Alexan-
drie.

Le Nouveau Testament, ainsi créé par l'Église romaine, d'après un concept simple
et grand, se répandit partout, non sans amener dans la vie de l'Église de graves
conséquences.
Ces résultats forment la seconde partie du livre, et s'étendent jusqu'à la Réforme.
Il a plu à M. Harnack de déployer tout son esprit et ses connaissanoes si variées
dans une sorte d'exposé en onze points où il plaide successivement le pour et le
contre : les avantages et les inconvénients pour une église de posséder une écriture
ayant force de loi. De ce fait, de
l'Eglise a risqué se donner un maître, car « aussi-
tôt que le N. T. fut dans la forme romaine, on le considéra presque comme un
Livre tombé du ciel; l'Esprit-Saint Ta fait et l'a donné à l'Église » (p. 77). — Très
vulgaire équivoque entre les Livres et leur collection. — Subitement l'Église se
trouve transformée : « La substance, le contenu (Inhalt) doctrinal et littéral des
deux Testaments est le contenu de la Religion » (p. 82). — Et pourtant Luther a
tant reproché à l'Église d'avoir mis la Bible sous le boisseau! Nous ne suivrons pas
l'auteur dans cet élégant jeu de bascule :... le N. T. a assuré la conservation des
vingt-sept écrits — mais précipité la disparition d"es autres. Il a coupé court à la

prétention d'écrire des livres inspirés — mais il a développé les études d'exégèse. Il

a mis le verrou à l'inspiration — mais consacré l'autorité de l'inspiration fervente


des premiers jours. Il a arrêté la recherche, l'inquiétude religieuse, — mais empêché
la religion de devenir une pure philosophie. Il a rendu possibles les réformes et la
Réforme « et parce qu'elle doit reconnaître ce N. T., l'église évangélique du moins
doit reconnaître tout ce qui peut être puisé de ce livre pour sa correction » (p. 103).
Ainsi-soit-il! Mais l'église évangélique reviendra-t-elle à la foi du N. T.? A suivre
un de ses maîtres les plus écoutés, elle ne reconnaîtrait donc l'autorité du N. T.
qu'en reconnaissant d'abord à l'Église romaine le droit d'élever saint Paul à la

dignité d'écriture ecclésiastique, le seul chemin pour arriver au niveau de l'A. T.?
Nous ne le lui demandons pas...
Quoi qu'il en soit des réserves que l'on ne manquerait pas de faire, on ne saurait
lire ces dernières pages sans bénir Dieu d'avoir accompli ce miracle d'une Église oii

l'Ecriture et la Tradition concourent si heureusement, grâce à une autorité vivante,


à conserver aux croyants le Seigneur et les Apôtres.

I. Der Hebraerbrief. erkiàrt von Lie. Dr. Hans Windisch, Privatdozent an der
Universitàt Leipzig, in-8'' de iv, 122 pp. Tùbingen, iMohr, 1913. Dans le Handbuch

zum Neuen Testament, vi, m.


II. The Christology of the Epistle to the Hebrews, Including its Relation
to the Developing Christology of the Primitive Church, by Harris Lachlan Mac
Neill, Ph. D. Professor of New Testament Language and Literature, Brandon Col-
lège, Brandon, Manitoba, in 8" de 145 pp. (Chicago, 1914.

I. M. Windisch est peut-être le premier commentateur qui ait scindé en deux son
introduction. En tête ce qui conserve le nom d'introduction : la tradition ecclé-
siastique sur l'épître aux Hébreux (Hebr. -, le titre -oh:; 'ESpoHOj;; le manque d'une
adresse aux destinataires; la disposition de Hebr. En queue, c'est-à-dire après le

commentaire, les résultats, littéraires et théoiogiques : A) le caractère littéraire; l'au-


2&2 RKVUE BIBLIQUE.

teur-, la date: les destinataires; B) la relation de Hebr. avec Paul et la théologie pau-
linlenne; les rapports de Hebr. avec les évangiles : la trame hellénistique. On ne voit
pas très bien pourquoi Tauteur a inauguré cette nouvelle partition. Nous savons tous
que l'Introduction est essentiellement le résultat de l'analyse qu'est le commentaire.
On la compose la dernière et on la place au premier rang pour l'étudiant qui, lui. a

intérêt à commencer par la synthèse. Peut-être est-ce simplement que la collection


du Handbuch n'admet pas d'introductions un peu détaillées? C'était un défaut, et il
faudrait savoir gré à M. Windisch d'avoir tourné la consigne. Il est un de ceux qui
groupés, semble-t-il, autour de M. Wendland, se passionnent pour l'étude de la
littérature hellénistique, et il était donc particulièrement qualifié pour exposer le
côté littéraire de cette admirable épître, l'œuvre la plus grecque de toute la Bible
avec la Sagesse de Salomon.
L'œuvre aussi, pourrait-on ajouter, la plus énigmatique, tant son apparence exté-
rieure soulève déjà de problèmes. Le mieux serait assurément de s'entendre d'abord
sur le fond, c'est-à-dire sur le but et le thème général. Mais l'accord ne paraît pas
non M. Brassac, que l'on peut regarder comme résumant l'opinion
plus bien aisé.
commune, en deux parties. Tune do:^matique et l'autre pratique, et dé-
divise l'épître
clare que « la partie dogmatique a pour objet la supériorité du Christianisme sur le
Judaïsme (1). » Or le R. P. ïhien, S. J., avait déjà démontré {'2). que l'épître est « un
discours de consolation », ou plutôt « d'exhortation », qui poursuit toujours le
même but. C'était d'ailleurs l'idée de Kaulen (3). Mais d'après le R. P. Thien ce but
serait toujours d'empêcher des Judéo-Chrétiens, encore mal affermis dans la foi. de
retomber dans le judaïsme. C'est vers la fln que l'auteur de Hebr. exprime toute sa
pensée exeamus igilur ml eum extra castra (13. 13)
: « Une fois pour toutes, sé- :

parez-vous de la Synagogue. » Si nous en croyons M. Perdelwitz (4). jusqu'en 1836,


personne n'avait douté que Hebr. ait été adressée en effet à des Judéo-Chrétiens, et
en Palestine, et enfin à Jérusalem. Déjà M. Quentel ^5) avait mis en doute cette
théorie, et W. lui oppose des raisons qui, je l'avoue, me paraissent décisives. Selon
lui l'objet les préserver du danger
de lépitre est d'encourager des chrétiens, de
d'apostasie par cette pensée que Jésus est devenu notre grand prêtre céleste. L'épitre
est une « homélie (6), » et j'ajouterais volontiers un perpétuel Sursum corda. Il y est
beaucoup question de l'abrogation du sacerdoce et des sacrifices de la Loi, mais c'est,
si je ne me trompe, pour rehausser la dignité de Jésus, plutôt que pour raffermir

des âmes séduites par le judaïsme ou près de l'être. De même que. dans l'épître aux
Romains (7j, le sujet est la vertu du christianisme, l'abrogation de la Loi ne formant
que l'aspect négatif de la vie nouvelle, ainsi dans l'épître aux Hébreux, la foi et l'es-
pérance se portent vers le Christ, prêtre définitif, hostie ofi'erte pour le salut, et le
culte lévitique n'apparaît que comme l'ombre qui fait ressortir la lumière. Sortons
du crimp ne peut signifier sortons du judaïsme, où les destinataires n'étaient pas,
mais sortons par la pensée et le désir de ce monde périssable. M. Windisch cite un
passage parallèle de Philon {ï)e gig. -34 p. 270) : Ojt'o; xx't M'ojafj: Vzro tt;: t.xz.iil-

(1) Manuel Biblique. IV, 13« éd., p. t>i\.


(i) RB.
190-2, p. 74 ss.

(3) Einleitv.ng, 3' éd., p. 631.


[i)-Zeitschr. fii.r die neutest. Wiss. 1010, p. 111.
(5) RB. 1912, p. riO ss.
(•>)Expression déjà employée par M. Quentel.
;") Il lut un temps aussi ou presque tout le monde admettait que Rom. avait été adressée à
une église romaine judaisante. Cette opinion est complètement abandonnée. Un admet très bien
que Paul ail expliqué à des Gentils les rapports des deux religions.
RECENSIONS. 2h3

ooX^ç xai Toij owaaT'.zou Tiavrôç stoaTO-s'ooj T:JÎ;a: Tr)v Îtjzoù T/.r|VT)v. Cette idée était
familière aux premiers chrétiens : le monde n'était qu'un séjour de passage (Il Cieni. v,

1 . Mciis, s'il aucune des exhortations si variées de Hebr. ne décelé


en est ainsi, si

la crainte d'une chute ou d'une rechute dans le Judaïsme, il n'y a pas lieu de croire

que l'épître aux Hébreux ait été écrite à des Judéo-Chrétiens. Elle est dans le cas de
l'épître aux Romains. Elle fait allusion à la catéchèse des gentils (6, 1) et les pas-

sages où l'on voit une allusion à des Juifs de naissance (1. 1; 2, 16 s.-. 7, 17; 9, 15;
13, 12) ne sont pas plus décisifs que ceux qu'on a cités au même elTet dans Rom.
Seulement dans le cas de Hebr. il y a le titre, extérieur à l'ouvrage, mais connu de
Pantène, qui disait l'épître de Paul, comme de Tertullien. qui l'attribuait à Barnabe,
le litre qui figure dans les manuscrits les plus anciens. Il est bien difficile de rejeter
une pareille tradition. On a proposé de l'entendre au sens typique : les Hébreux sont
ceux qui passent en cherchant la patrie (1;, les chrétiens aspirant au ciel. AV. objecte
que c'est un peu cherché, que l'épître devrait faire allusion à ce titre symbolique :

n'est-ce pas le cas de 11. 14 de 13, 13? Si Rom. nomme les chrétiens le véritable
Israël, ne pouvaient-ils aussi être les véritables Hébreux? Quoi qu'il en soit, le doute
qui demeure sur l'origine du titre ne doit point faire négliger le résultat solide ob-
tenu. Il est confirmé par l'impossibilité de supposer qu'une épître telle que Hebr. ait

été adressée aux Judéo-Chrétiens de Jérusalem, n'importe quelle communauté de


l'empire, dit W. ne sachant à laquelle s'arrêter; une seule est exclue absolument, et
,

c'est Jérusalem. Outre qu'une épître écrite en grec y aurait rencontré un public res-
treint, on ne conçoit pas qu'on ait écrit à la communauté de s. Jacques dans ce
style, et enOn — c'est ce qui touche surtout \V ., — en supposant si tranquillement
résolue question des observances légales qui devait, plus qu'ailleurs, y passionner
la

les esprits. Jérusalem exclue, on ne connaît aucune autre chrétienté judéo-chrétienne,

et sans doute n'y en eut-il aucune assez considérable pour qu'on lui écrivît une telle

homélie. L'auteur aurait-il visé une partie seulement d'une communauté, les seuls
Judéo-Chrétiens? mais il eût dû le dire, car cela n'est pas naturel. S'adressait-il à
tous les Judéo-chrétiens dans l'Église? Non, car il a en vue une communauté parti-
culière (5, 11 s.; 6. 10; 10, 32-34: 13, 7-18 S. Tout concourt à éliminer la
23;.
portée qu'on serait tenté de donner an titre pour aiguiller autrement le but que l'au-
teur s'est proposé.
Cet auteur ne serait-il pas saint Paul? ^yindisch allègue 2, 3^ « qui suffirait à
l'exclure ». Et il est certain que l'argument n'est pas sans force, puisqu'il avait déjà
décidé QEcuménius et bien d'autres . « le salut, d'abord annoncé par le Seigneur, a
été confirmé pour nous par ceux qui ont entendu. » L'auteur n'est donc point un
des Douze; et Paul, si soucieux d'appuyer son autorité sur la révélation directe de
Jésus-Christ (Gai. 1. 1 s., Il s.} aurait-il tenu ce langage? Notons cependant que
l'auteur se donne, avec sa génération, comme un auditeur immédiat des Apôtres —
quoi qu'en dise W'., — et notons aussi qu'il parle ici des paroles prononcées par le

Seigneur, paroles décisives : Novissime, diebus istis locutus est nobis in Filio (1, 2),
et qui ne pouvaient avoir été transmises que par des témoins auriculaires. Notons
enfin que dans le texte cité (1, 2), l'auteur dit v,a'v, se range parmi ceux auxquels
le Fils a parlé, ce qui nous permettra de dire que su f,aà: est un terme très général,
dans lequel la personnalité de Paul pouvait être confondue avec celle de ses corres-

(i) SCHiELE. Harnack's ProbabiUa • concerning Ihe address and Ihc author of Ihe ep. to the
«

Hebrews, dans American journal of theology, IX (1905). 2iXl-308; cf. Gen. 14, 13 LXX "Aooaa 6 :

TtEpâTTi;; I Regn. 13, 7 LXX oî ôiaoaîvovTs; oi£6Y)(7av, Philos de migr. Abr., XX s. p. 439;
:

CXLI, p. 4o8.
264 REVUE BIBLIQUE.

pondants. A tout prendre, est vrai, il la phrase est plus naturelle sous la plume d'un
écrivain comme saint Luc (cf. Le. 1, 2), et nous ne sommes pas obligés de dire que
saint Paul a tenu la plume dans cette circonstance, ni même qu'il a dicté. La ques-
tion qui nous importe est de savoir s'il est vraiment l'auteur de Tépître, et M. Win-
disch n'a pas prouvé que la position théologique soit accorde un obstacle. D'abord il

que les points de contact sont nombreux et dans les choses importantes comme dans
le détail. N'insistons pas (1), et venons aux difficultés. Le point fondamental manque
dans Paul, à savoir que le (Christ par sa mort et par sou ascension est devenu notre
véritable grand prêtre. D'autre part les doctrines maîtresses de Paul manquent dans
Hebr. Aucune allusion n'y est faite à la doctrine de la justification, ni à l'union mys-
tique avec le Christ spirituel transfiguré, guère plus à la vie dans l'Esprit. A ces
lacunes W. mêlé des nuances disharmoniques. Hebr. attache moins d'impor-
a déjà
tance à la résurrection qu'à l'Ascension, le résultat de l'œuvre du Christ est moins
pour lui notre réconciliation avec Dieu que notre purification et notre perfection ;

Paul regarde l'Incarnation elle-même comme une manifestation de sa condescendance


(II Cor. 8, 9); d'après Hebr. c'est plutôt sa carrière mortelle; l'impeccabilité de
Jésus reçoit une sourdine par la tentation. Voici qui serait grave : la Loi n'est pas
une malédiction un dommage pour l'humanité, mais seulement un faible et im-
et

parfait préliminaire prophétique [Voraus sagnng) du véritable salut. Dans la des-


cription de la foi, Hebr. s'en tient au fondement de l'eschatologie de l'A. T. Enfin
Hebr. va quelques pas plus avant que Paul dans les conceptions hellénistiques.
C'est tout le résumé (pii nous est offert (p. 116 s.) et c'est peu.. Car enfin, un
auteur est-il obligé de se répéter? Est-il même tenu à voir toujours les choses exac-
tement sous le même angle? Il semble que tout ce bruit s'apaiserait aisément, si l'on

voulait considérer Hebr. comme le complément de Rom. Aux Romains Paul avait
parlé de la vie chrétienne, donc de la réconciliation avec Dieu, de la justification,
de la vie spirituelle en Jésus-Christ. Il n'excluait pas, tant s'en faut, les espérances
de l'au-delà, mais il paraissait tellement saisi de la grandeur incomparable "du don
divin, que la vie éternelle était déjà commencée; il avait parlé de l'abrogation de la

loi, mais non du culte ni des sacrifices, tout en les supposant remplacés par la vie

de l'Esprit. Maintenant c'est vers le ciel qu'il porte ses regards. Tout en marquant
fortement l'énormité de la faute à mépriser le salut déjà obtenu, il exhorte les
fidèles — qui ont été persécutés, et qui le sont encore — par la perspective du salut
céleste, et Jésus lui apparaît comme le grand prêtre qui a ouvert le ciel. Mais il a

ouvert le ciel par son sang, eu résistant lui aussi aux épreuves et à la tentation, et

c'est pourquoi sa carrière mortelle est proposée en exemple, et non pas seulement
l'Incarnation, point de départ de la grâce. Vraiment il ne paraît pas malaisé de con-
cilier ainsi les ditiérences décQulaut du choix d'un sujet différent, qui était comme
l'achèvement du premier dessein. Et où W. a-t-il vu que la Loi était une malédic-
tion? Elle exposait les transgresseurs à la malédiction (Gai. 3, 13), ce qui est bien
autre chose. Il nous a paru d'ailleurs que Rom. 7, 12 o [jiv vojjicç ayio;, xa! rj èvi^Xt)
àyia /.al Ô!/.a(a de nature à rassurer ceux qui auraient été mal impres-
xat àyaôr; était

sionnés par les expressions assez dures des Galates. Voudrait-on que Rom. et Gai.

ne lussent pas du même auteur? Restent du style, sur lesquelles


les difficultés

W. n'insiste pas (2), qui peuvent être résolues en supposant un rédacteur distinct.

(1) On lit, p. H7 : « Parmi les écrivains du N. T., c'est Paul qui est théologiquement le plus
près de Hebr. »

(-2) Voici comment il caractérise la manière de l'auteur « Hebr. n'est pas coniposé d'après
:

un plan pense d'avance jusque dans le détail, mais les pensées se sont présentées à l'auteur
RECENSIONS. 26o

D'ailleurs W. ne se permet pas de retrancher comme adventice le petit passage


final qui donne à l'homélie son cachet d'épître : or ce passage est assez fort pour
l'origine paulinienne. Autre point très bien vu Hebr. n'est pas la composition d'un
:

disciple, ce n'est pas, comme on l'a dit. du Deutéro-paulinisme. du paulinisme au


rabais. C'est l'œuvre d'un grand esprit, une œuvre originale. L'antiquité orientale a
nommé Paul, et l'Occident romain, quand il a parlé, n'a pas parlé autrement.
Chemin faisant, nous avons déjà désigné ceux qui, selon nous, sont les destina-
taires de l'épître, les Romains. AV. se refuse à deviner. Cependant les raisons pour

Rome sont fortes. Les mots 'AaTcâÇovxat Oixaç o\ knà i:î)ç '[raXi'aç (13, 24) ne sont
équivoques qu'en apparence. Sans doute ol àivb peut signifier : « ceux qui sont venus
d'Italie vous saluent », ou bien >' ceux qui sont en Italie vous saluent ». Mais il y a

le contexte. La traduction de \V. ; « les Italiens vous saluent » admise, Tauteur


a-t-il voulu dire que toutes les communautés d'Italie ou tous les chrétiens italiens
saluaient les destinataires? Mais pourquoi parlerait-il en leur nom? Le plus naturel
en pareil cas est que le salut communauté où est l'écrivain, ou de ceux
vienne de la

qui l'accompagnent et qui ont connu les destinataires. Donc ici ceux d'Italie qui :

sont avec moi vous saluent, vous qu'ils ont connus, vous qui êtes une communauté
d'Italie. Parmi ces communautés, Rome était au premier rang, et précisément Hebr.
fi connue avant 96 de Clément romain qui fait allusion dans 36, 2-5 à Hebr. 1,
été
3. 4. 7. 5. 18. Timothée était connu des Romains-, cf. Rom. 16, 23; Phil. 1, 1 2, ;

19; Col. 1, 1, et la persécution pourrait être celle de Néron. Tout cela séduit W.,
mais il s'étonne que Paul n'ait pas parlé des martyrs sanglants, si même il ne les
a pas exclus (12, 4). —
L'argument le frappe sans doute parce qu'il ne place Hebr.
que vers l'an 80. Mais si l'auteur avait écrit au moment où la persécution de Néron
était seulement menaçante? Et pour ce qui est de la date, chacun sait que Hebr.
parle des sacrifices au présent. Il est vrai que son croquis est plus scripturaire que
tracé d'après la réalité, et que le tabernacle, plutôt que le temple hérodien, sert de
base à sa démonstration. Mais eût-il passé sous silence la catastrophe de l'an 70? Il

faudrait, pour franchir la date fatale de cette année, des raisons très graves, qui
font défaut.
Peut-être, sans bien s'en rendre compte, W. a-t-il retardé la composition de Hebr.
pour donner temps d'apparaître au mythe du Christ, succédant à la vie du Jésus
le

de l'histoire. Cette considération nous permettrait de faire observer au contraire, ce


qu'a d'inouï le développement si rapide de la Christologie. Wiudisch paraît complè-
tement affranchi de toute foi chrétienne positive, ce qui ne l'empêche pas d'inter-
préter les textes plus correctement que d'autres, peut-être plus croyants. Il en est
quitte pour nommer mythe du Christ, ce que tel protestant n'oserait proclamer sa
règle de foi. D'ailleurs nous aurions à faire, même sur la simple exégèse, des obser-
vations qui exigeraient des développements trop longs. Notons seulement encore que
l'intérêt principal du commentaire est dans les' citations hellénistiques, spécialement
de Philon. Ce n'est pas que W. admette l'influence de Philon sur l'auteur de Hebr.,
qui n'a pas dû lire ses doctes traités. Et, à pro pos du Logos, il montre solidement
que la doctrine de Philon est trop flottante pour avoir inspiré la foi si ferme de Hebr.
Toutefois il croit devoir admettre que Philon ne répugnait pas à concevoir l'Incar-
nation de l'esprit divin. Mais le passage (1) destiné à prouver cette proposition ne

pendant qu'il écrivait, et il est seulement demeuré toujours Terme sur le but général de dé-
crire la perfection de l'œuvre du Christ comme grand prêtre • (p. 10). Ce jugement est sévère,
mais a-t-on ensuite le droit d'opposer la belle ordonnance de liebr. à la façon si)ontanée de Paul.'
'

(Ij Quis rer. div. haer. 274, p. 312.


266 REVUE BIBLIQUE.

parle que du humanisé dans un sens plus ou moins émanatiste, nullement d'une
vo-jç

Le Fils de Dieu a lui aussi suivi un dévelop-


véritable et exceptionnelle incarnation.
pement humain, mais il était Fils de Dieu: l'évolution dont parle Philon est celle
du juste de Platon.

IL — Je n'ai point lu de ligne à ligne le Commentaire de Wiadisch. et je ne puis


donc jurer qu'il n'ait jamais fait allusion aux religions à mystères. Cependant il en
est de ce point comme de l'examen de conscience; quand on a franchi sans en-
combre certains caps du Décalogue, on peut être tranquille. Aux mots de salut,
'

de perfection, d'illumination, silence sur les mystères. C'est bon signe. Et Win-
disch s'est gardé également de ces synthèses qui ressemblent un peu trop à de
l'alchimie. Avec M. Harris Lachlan Mac Neill, nous savons le secret de ces pré-
parations. « La christologie de l'épître aux Hébreux n'est pas strictement une
unité. C'est un composé formé dans l'atmosphère des religions à mystères par
l'union des vues de la primitive église chrétienne avec les vues alexandrines de l'au-
teur sur le Logos (1), la vue proprement paulinienne formant un troisième ordre,
mais subordonné » 'p. 143% Quant à la christologie Johannine, « elle présente for-
mellement une fusion de la Christologie de Paul, qui io.siste sur le divin et l'éternel
dans le Christ aux dépens de l'élément terrestre et historique, avec la christologie»
réactionnaire d'écrits tels que Hébreux et les évangiles synoptiques » (p. 141).
Les évangiles étant une réaction sont donc aussi une nous arrivons à fusion, et
Jésus. Personne n'ignorera désormais comment
divinité. Mais il il est parvenu à la

n'y est pas encore dans l'épître aux Hébreux. Tandis que Windisch parle couram-
ment de la divinité du Christ et de sa nature divine, M. Mac Neill éprouve plus
de scrupules et regarde les termes, trop forts selon lui, comme métaphoriques; au
fond c'est une « illusion d'optique ». Probablement rien ne serait sorti de toutes les
combinaisons imaginables, sans le précieux élément des religions à mystères. Depuis
quelque temps on nous oblige aussi à choisir Hermès trismégiste pour notre livre
de chevet. M. Mac >>eill ne semble pas avoir pris la peine de le consulter puisqu'il
se contente de renvois à l'ouvrage de M. Cumout sur les religions orientales dans
l'empire romain, et aux deux ouvrages de Reitzenstem, Poimandres et Die hellenis-
tischen Mysterien religionen. Là nous voyons figurer la sanctification, «Yiaaad;,
nécessaire pour approcher d'un lieu saint; elle porte « la marque des religions à
mystères » (p. 109), où sans doute on se déchaussait comme Moïse près du Buisson
ardent !

Le emprunt aux mystères, peut-être indirect, mais


salut, et le salut éternel, nouvel
nettement perceptible, d'autant que dans Hebr. le salut se mêle de connaissance.

« La vision de Dieu est salut », dit fort posément M. Mac Neill, et il cite 11, 27

et 12, 14! Le mot de connaissance ou de gnose évoquait à lui seul tout un monde

de mystères orientaux. Hebr. emploie ç'^jt^eiv qui « est le terme technique des cuites

orientaux » (p. 110). Technique? Dans quel sens? Renvoi à Reitzenstein, qui lui-
même cite Corp. Herm. i, 32, où çcoT'tlstv a le sens banal d'éclairer. L'auteur croit
savoir que dans les mystères, la foi est « intuitive et philosophique, plutôt que
personnelle et morale comme chez les Juifs » 'p. 111*. >'ous voulons bien l'en
croire, mais quand il ajoute : « La Foi voit le Dieu invisible » et qu'il cite pour

(1; Notez que Hebr. emploie douze fois le mot làyo; au sens de parole, discours, sans jamais
l'appliquer au Christ.
RECENSIONS. 267

cela Hebr. 11, 1; 11, 27, nous le prions de relire le texte qui dit justement le

contraire. On nous dispensera de continuer.

Die Entstehung der AVeisheit Salomos, Ein Beitrag zur Geschichte des
jiidischen Helleaismus, von Friedrich Focke, Dr. phil. ; in-S° de 132 pp. Giittingen,

Vandenhoeck et Ruprecht, 1913.

Les Biblistes professionnels ne doivent pas se plaindre qu'un thème comme celui
de l'origine du livre de la Sagesse soit abordé par un philologue de profession. Cela
peut avoir des avantages pour tous les livres de la Bible, mais surtout pour un ouvrage
qui le premier marque clairement le contact du judaïsme avec la culture grecque.
Le philologue indépendant s'écartera peut-être sans hésiter des opinions régnantes
dans la critique moderne. Peut-être sera-ce à son dam- peut-être sera-t-il ramené,
par une étude dégagée de préjugés, vers des opinions traditionnelles.
La brochure est divisée en deux parties, la première analytique, ou comme nous
dirions de critique littéraire, et c'est la plus importante. La seconde devrait être
un exposé doctrinal il est fort écourté.
:

L C'est au P. Houbigant qu'on fait remonter les tentatives de discerner deux


auteurs du livre de Sagesse. Les chapp. 1-9 seraient l'œuvre de Salomon, et par
la

conséquent auraient été écrits en hébreu. Le reste serait l'œuvre d'un Grec. La plu-
part des modernes qui distinguent deux auteurs — ou plus — dans la Sagesse, se

sont arrêtés à l'opinion d'Eichhorn qui met la barre de séparation après 11,1. C'est
encore l'opinion de M. Holmes, dans la grande édition de M. Charles (1). D'autres
font un petit livret à part de la digression sur les idoles (13, 1-15, 17). Et, pour
commencer par ce dernier point, il est certain que ces pages sur l'absurdité et les
origines de l'idolâtrie paraissent se distinguer aisément de reste. M. Focke y a re-
connu, lui aussi, une sorte de lieu commun de l'apologétique juive, qui pouvait être
traité séparément, mais qui est, dans la Sagesse, très adroitement lié à ce qui pré-
cède et à ce qui suit. donc l'œuvre du même auteur. Mais pourquoi les
Tout est
modernes font-ils commencer une section à 11, 2? M, Focke n'a pas de peine à
démontrer que le v. 11, 1 n'est point le dernier mot d'une partie. Il propose même,
et avec raison, de le terminer par deux points, et non par un point final; car le sujet

de 11, 2 est précisément indiqué dans 11,1 (a-JTwv). Et surtout le chap. 10 n'est

que commencement d'une longue série les manifestations de la Providence dans


le :

l'histoire d'Israël. Déjà au ch. 10 nous en sommes à l'Exode, les plaies d'Egypte

s'y rattachent naturellement. D'où vient donc, encore une fois, le scrupule de la
critique? C'est que la Sagesse ne paraît plus à partir de 11, 2, si ce n'est dans un
endroit douteux. Qu'à cela ne tienne! dit M. Focke. Il eût été fastidieux de répéter
sans cesse que c'est elle qui a tout fait. L'auteur le dit (11, 1), et c'est comme un
titre qui commande tout ce quit suit. — La réponse n'est pas mauvaise, nous aurons
lieu de la rappeler à F. Va-t-il conclure à l'unité? Non, car les chapitres 1-5 forment
bien, eux, un tout complet. C'est la première partie de la Sagesse, écrite en hébreu,
puis traduite du grec par l'auteur de la seconde partie. L'auteur hébreu écrivait eu
Palestine, sous le règne d'Alexandre Jannée .vers 88 avant Jésus-Christ,' ; le traducteur
étaitun Égyptien dont l'œuvre est postérieure de très peu.
Voyons les preuves. Ce sont les mêmes qu'invoquaient les critiques pour séparer
1-11, 1 du reste différences dans les conceptions et dans le style.
:

Premier argument dans 1, c'est-à-dire, une fois pour toutes, de 1 à 5 inclus, il


:

(1) The Apocrypha and pseudepigrapha of the Old Testament in english, Oxford, 1913.
268 REVUE BIBLIQUE.

n'y a pas de termes de philosophie grecque, et il n'y est question de la Sagesse que
deux fois (1, 4 et 3, 11). — Ne serait-ce pas que l'auteur a réservé l'éloge de la

Sagesse pour la partie centrale de son livre, puisqu'il n'en parle pas non plus de
11. 2 à la fln, sans que F. s'en étonne? Quant aux expressions philosophiques, on
ne peut guère demander mieux que -h ajvé/ov tx -avia (1). Je pa.sse çtXâv6p'jjj:ov
(1, 6! que F. déclare ajouté par l'auteur égyptien, et tant d'autres expressions dont
il naturellement honneur au traducteur.
ferait

Deuxième argument, dont les critiques antérieurs n'ont pas moius uséet abusé :

lesdeux manières difTérentes de se représenter Dieu. Le Dieu de I est transcendant


ou purement moral, le Dieu de II est national; le premier distingue les gens pieux
et les impies, le second préfère les Israélites aux autres. Mais F. aurait dû s'étonner
que le même critère réussît aussi bien à lui et ses adversaires. Qu'en est-il donc de
6-10? Dieu y est-il transcendant ou national? Et il faut dire à tous ces critiques, si

distingués qu'ils soient, que leur sens subjectif ne doit point trancher ici pour les an-
ciens. Qu'il n'y ait pas place dans leur esprit pour le concept d'un Dieu transcendant
qui ait fait d'Israël son peuple particulier, il est possible, et c'est ce que nous consta-
tons depuis Voltaire. Mais nous devons constater aussi que les .luifs contemporains
de Jésus unissaient tous ces deux idées. Et voici qui est plus étonnant. A l'argument
des modernes, F. en ajoute un autre. Le Dieu de I est un Dieu jaloux, qui juge avec
sévérité. Le Dieu de II est bon pour tout le monde : Iàee"; oï nav-a; 11. 23 s.

Mais alors oii est son nationalisme intransigeant? Et si II parle avec emphase de
la Toute-Puissance de Dieu, dont I ne souille mot, où est la transcendance de I?
Autre Dans I la rétribution est dans l'au-delà, dans II ici-bas. Mais
dififérence :

puisque dans II il s'agit du peuple d'Israël, comment parler de ses destinées dans
l'au-delà? Et dans I il est assez longuement parlé de la justice de Dieu en ce
monde, sur les pécheurs et sur leur race, et de sa bonté pour les justes (3, 10-4, 6).
C'est une considération secondaire, assurément, mais qui rattache l'auteur de I à la

tradition hébraïque et à la seconde partie de la Sagesse.

Ce n'est pas seulement le concept de Dieu qui diffère entre I et II. Chacun a son
eschatologie particulière. C'est un lieu commun de la « critique », de dire que
la Sagesse, sans distinction de parties, nie la résurrection. Ce n'est pas l'avis
de F. D'après lui, tandis que I croit en même
à un jugement particulier et à temps
un jugement général, qui comporte à tout h- moins la résurrection des justes (p. :33),
II n'envisage que l'immortalité de l'àme à la façon des Grecs, et sa félicité immé-

diate après la mort. On voit ici encore ce que cette critique a d'étrange. Car
aurait-on attendu la prédomiuance d'une idée grecque et non juive, de la part d'un
écrivain assez nationaliste pour confisquer Dieu au profit d'Israël? Le fait est que
l'eschatologie du livre de la Sagesse (2) n'est pas très précise, mais elle est partout
la même, retenant de la doctrine juive le jugement général, idée absolument étran-

gère aux Grecs, mais qui peut se concilier avec le jugement particulier. Qu'il
manque de clarté sur le sort de l'âme après la mort, on n'en sera pas étonné si l'on
songe aux controverses qui se sont prolongées jusque daus le moyen âge chrétien.
Nous savons bon gré à F. de ce qu'il avance sur la loi de l'auteur en la résurrec-
tion. Il nous suffit de noter qu'elle est en harmonie avec sa doctrine; il la suppose,
plutôt qu'il ne l'expose.

il) Cf. Ticpiï'ywv jtâvTa dans la littérature herniélique.


'•2j On voudra bien m'excuser de renvoyer à la R. B. 100" : Le livre de la Sagesse, sa doctrine
des fins dernières, p. 85 ss.
RECENSIONS. 269

F. s'est montré moins indépendant du préjugé à propos de la préexistence de


l'àme, qu'il trouve enseignée avec évidence dans le célèbre passage (8, 19 s.} :

^"u/%-£ EÀa/ov àyaÔT)?,

ijiaXXov Si dtyaOb; wv
rjXâov v.i; aôiaa ia-'avrov.

Je ne me lasserai pas de dire que cette ioterprétation est incorrecte. Ce qu'en-


seigne ici Salomou, ce n'est pas la préexistence, c'est la prééminence de l'àme.
Autrement l'auteur, auquel F. attribue presque du génie, se serait exprimé sotte-
ment. Personne ne dira : la Sagesse n'a qu'uu auteur, ou plutôt elle en a deux.
jjiaXXov Si ne peut introduire une idée absolument contraire à la précédente, mais
seulement une nuance qui rectifie. Salomon avait l'air de s'identifier avec le corps,
qui avait reçu une bonne âme; il est bien plutôt l'âme heureusement douée à
laquelle a été adapté un corps sans tare héréditaire. Rien n'oblige de comprendre
ici la priorité en faveur de l'âme d'une existence antécédente et conscieiite. Car
l'auteur n'aurait pas seulement enseigné une préexistence quelconque, mais la
préexistence d'âmes bonnes et d'âmes mauvaises, à la suite des élections du libre
arbitre. Quoi qu'on en dise, cette doctrine était étrangère au judaïsme. Et F. nous
dira plus loin : « L'auteur de la Sagesse ne s'est pas écarté consciemment de son
judaïsme de la largeur d'un pouce » (p. 94] !

Revenons à l'analyse littéraire.


F. ne conteste pas l'origine alexandrine de II. Mais I aurait été écrit en Palestine,
parce que les « juges de la terre », identifiés aux impies seraient les grands prêtres
sadducéens; or à Alexandrie, y avait des Juifs libres penseurs, ils ne pouvaient
s'il

songer à persécuter les observateurs fidèles de la Loi. Et en effet dans 2, 12, on


voit les impies mécontents qu'on leur reproche de violer la Loi : ce sont donc des
Israélites. Oq ne les accuse pas d'idolâtrie; leur scepticisme vis-à-vis des fins der-
nières ne dépasse pas la mesure de ce qu'on sait des Sadducéens. Tout cela est juste.
Ce qui paraît moins bien établi, c'est la réalité de la persécution. F. prend les
choses très à cœur. Il croit l'auteur saisi d'horreur et d'indignation, frémissant sous
le coup d'un massacre des gens pieux, c'est-à-dire des Pharisiens. Et c'est pour cela
qu'il remonte au temps d'Alexandre Jannée. demeuré célèbre pour sa haine des
Pharisiens. D'autres n'ont vu dans ces pages que le cliché de la persécution. Autre
exagération, mais moins éloignée de la vérité, car la Sagesse est très calme, elle
plane très haut au-dessus de tel ou tel événement. Aussi la seconde partie ne paraît
pas avoir été écrite sous l'impression d\m pogrome égyptien.
Il n'y a donc rien dans les idées qui oblige à attribuer I et II à deux auteurs
différents. Peut-on tirer cette conclusion de la dilTérence du style?
Dans I, il n'est pas question de Salomon; il apparaît dans II comme celui qui
parle. — Il est vrai, mais il disparait à partir du chap. 10.
La partie I est écrite en stiques parallèles: de 6, 1 à 12. 18, la même poésie
hébraïque domine, mais déjà apparaît la prose, qui règne seule de 12, 19-19. —
Qu'en conclure, si ce n'est que l'auteur a insensiblement changé de méthode? La
raison de Siegfried (I) est assez vraisemblable. Le thème de la Sagesse a été traité
à la façon des Proverbes, l'histoire en style historique.

(1) Die Apokryphen und Pseudepigraphen des A. T., I, p. 477.


270 REVUE BIBLIQUE.

L'alternative du nom divin, Oeéc ou xûptoç, xûpto; étant plus fréquent dans I, ne
prouve pas non plus graud'chose. Quant à l'emploi de certaines conjonctions ou des
particules, même d'après les tableaux de F., il prouverait plutôt l'unité. Elle
résulte d'ailleurs avec éclat de l'emploi des noms composés et de certaines acceptions
rares, qui se trouvent dans les deux parties, si bien que F. déclare nettement que,
dans sa forme actuelle, la Sagesse est l'œuvre d'une seule main. Mais il veut que
cette main soit, pour la partie 1, celle d'un traducteur, qui était l'auteur de la II-.
Y a-t-il donc des indications pour I d'un original hébreu? On sait quel est le pro-
cédé usité en pareil cas. Un passage qui n'a pas de sens en grec ne serait-il pas
le résultat d'une erreur du traducteur? Un mot hébreu équivoque est allégué, donne
la clef de l'énigme et fait foi d'un original hébreu. Avec un peu d'esprit on trouve
aisément des cas semblables. F. en propose trois. Nous ne les discuterons pas, parce
que cette méthode, toujours hasardeuse, n'a chance d'aboutir qu'avec une traduc-
tion littérale. \ qui fera-t-on croire que la partie I, avec ses expressions d'un grec
choisi, soit l'œuvre d'un traducteur qui aurait consenti à dire des choses absurdes
— car il faut qu'elles le soient — pour ne pas s'écarter du texte? En pareil cas
l'hypothèse d'une altération du texte est beaucoup plus probable. Pour prouver que
le passage n'a pas de sens, F. met en scène les copistes s'ingéniant à en trouver
un par des variantes; ils ont donc compris la difficulté. Alors pourquoi l'auteur ne
l'aurait-il pas sentie? Était-il plus esclave du texte qu'il avait à traduire que les
copistes de celui qu'ils avaient à copier? Non, on ne saurait le dire de celui qui
aurait su égaler sa traduction à son œuvre propre. Ce n'est peint là du grec de tra-

ducteur; du moins on n'en connaît pas de semblable (1).

Qu'il y ait des différences entre I et II, on ne le nie pas; mais nous ne
sommes pas acculés à une solution unique et forcée. Il suffit de supposer que l'au-
teur s'est de plus en plus affranchi de ses habitudes de style juives. Et d'autre part,
pourquoi l'auteur alexandrin aurait-il été plus nationaliste que le palestinien?
Pour fixer la date, F. s'appuie, avons-nous dit, sur le caractère palestinien de I.

La seconde partie aurait été écrite aussitôt après, lors de la persécution contre les
Juifs qui éclata au retour de Ptolemée VIII, Lathyre. Nous ne sentons pas dans II,

pas plus que dans L le fanatisme brûlant, l'émotion ardente qui permet à F. de
comparer la Sagesse à Hénoch. Et c'est pourquoi nous ne saurions y voir une menace
dirigée contre la populace égyptienne. Hénoch, oui, est un appel violent à la justice
de Dieu, dans presque toutes ses parties; mais quel contraste avec le sentiment
de miséricorde qui attendrit même les pages les plus nationalistes de la Sagesse !

II. Il nous sera plus aisé d'être d'accord avec M. Focke dans sa généralisation
que dans son analyse littéraire. Il insiste fort justement, et, à ce qu'il semble avec
l'opinion commune, sur le caractère assez vague de la culture grecque de l'auteur.
Celui-ci n'adhère à aucun système philosophique; il prend plutôt des termes qu'il

ne s'assimile des théories; ses réminiscences ne supposent pas une étude appro-
fondie : il est resté juif, quoique non pas juif encroûté, slochjùdisch (p. 90). — Mais
sa doctrine de la préexistence de l'âme si clairement, si nettement exprimée? —
F. sent la contradiction et essaye de s'en tirer. L'auteur en parlant d'abord selon
l'opiniondu judaïsme, se serait aperçu de sa distraction et l'aurait corrigée. Mais
qu'estdevenu ce don très remarquable, cette individualité qu'on est tenté de nom-
mer géniale pour la sûreté et l'habileté dans la mise en œuvre de la langue (p. 62)?

(1) Sans parler de 2, 12, emprunté aux LXX d'Isaïe 3, 10, emprunt que F. s'eflbrce en vain de
nier.
RECENSIONS. 271

Cette malencontreuse préexistence ne détonne pas moins dans la critique de F.


que dans la Sagesse elle-même. Car ce n'est pas lui qui écrirait comme M. Holmes :

The theolooy oftheBook ofWisdomis Alexandrine, a combination of Jewish religion


u-ith Greekiphilosophy fi).
Il pense bien plutôt que le judaïsme n'éprouvait nullement le besoin d'une com-
binaison semblable. Il était pour cela trop peu sensible aux charmes de la culture
grecque. Ce sont les académiciens modernes qui lui prêtent leur goût. Phiion seul a
essayé quelque chose de ce genre, mais il est demeuré isolé.

Aussi est-il fort imprudent de dire avec M. Bois (2) : « Pseudo-Salomon est par
excellence le représentant du philonisme avant Phiion ». Il n'y eut pas de philo-
nisme avant Phiion, c'est-à-dire qu'il n'y eut pas une école judéo-grecque qui
aurait préparé l'œuvre de Philoa. A la vérité on est mal informé sur le temps qui
l'a précédé. Mais on sait qu'il n'a exercé aucune influence sur ses compatriotes :

il est donc vraisemblable qu'il n'était pas la manifestation suprême, le couronne-


ment, d'une doctrine répandue. Et le décousu du système de Phiion indique plutôt
l'improvisation d'un esprit brillant, incapable de fondre ses inspirations dans un
ensemble, que l'élaboration méthodique opérée par un groupe studieux.
S'il en est ainsi, conclut ¥., il est vain de dater la Sagesse d'après ses rapports
avec Phiion. — Conclusion trop générale, car si la Sagesse n'a pas préparé Phiion,
-on peut constater qu'elle ne dépend pas de lui. Or, si individuelles qu'aient été les
tentatives de l'apologétique juive auprès des Grecs, il serait très étonnant que
la Sagesse, après Phiion, n'ait fait aucune allusion — pour ou contre — à son
Logos, à moins qu'elle ne soit pas originaire d'Egypte.
Car on peut se le demander! Quand on a coupé, comme F., tous les liens qui
la rattachaient à Phiion, n'a-t-on pas en même temps éliminé le principal argument
pour accepter cette origine? Les premiers chapitres visent des adversaires pales-
tiniens Siegfried l'avait admis, et Focke l'établit solidement. Les allusions au
:

culte des bêtes prouvent-ellesque s. Paul écrivait en Egypte? Il y a les descriptions


des plaies d'Egypte. Menacent-elles vraiment les Égyptiens? N'est-ce pas plutôt le
type de la persécution et du sort qui attend tous les persécuteurs? On nous dit
que l'auteur est d'Egypte, parce qu'il hait les Égyptiens plus que les Sodomites, et
l'on ajoute qu'il a voulu attirer les gentils par son apologie !

En somme, le seul argument sérieux pour l'Egypte, c'est que la Palestine ni


.lérusalem n'ont pu être le foyer d'une culture hellénique aussi remarquable. L'au-
teur de la Sagesse s'est donc formé en Egypte. Mais si. au rebours du petit-fils
de Jésus ben-Sirach, il est venu d'Egypte à Jérusalem et s'y est perfectionné dans
l'étude de la Sagesse hébraïque, bien des choses s'expliqueraient mieux, par exemple
ce qu'il dit du sud de la Mer morte (10. 7). si semblable à ce que dit Josèphe
{Bell. IV, VIII, 4, et Ant. I, xi, 4). A supposer que les deux écrivains ne dépendent
pas l'un de l'autre, ils dépendent sûrement d'une tradition commune palestinienne.
Le trait des fruits qui ne mûrissent pas — probablement la pomme de Sodome —
est des plus particuliers et caractéristique.

(1) l. p. 5-27. M. Holmes


Op. rendant d'ailleurs justice à l'ouvrage de M. Heimsch, Die griecli.
Phil. im B. der Weisheit, a cru devoir ajouter . Malheureusement l'auteur, un catholique
:

romain, semble s'être mis dans l'esprit de prouver que l'auteur du livre de la Sagesse n'a rien
enseigné qui fut en contradiction avec la foi héritée de ses pères » (p. 534^ Siegfried n'est pas
un catholique romain et il a écrit que l'auteur de la Sagesse ne se sent nullement gêné par son
judaïsme, comme le seront Phiion et Josèphe.
(2) Essai sur les origines de la Philosopliie JuUéo-Alexandrine, 1890.
272 REVUE BIBLIQUE.

Mais il est plus important de comparer la Sagesse à s. Paul. Focke a traité la

question dans un appendice.


Malheureusement sa conclusion n'est pas exprimée aussi nettement que dans
les autres cas. S'il veut dire simplement que s. Paul n'a emprunté à la Sagesse
aucun concept précis, qu'il ne s'en est pas servi pour établir sa doctrine, qu'il
ne lui a emprunté textuellement aucune comparaison, la thèse me paraît prou-
vée. Paul ne dépend pas de lauteur de la Sagesse. Mais F. semble dire en outre
que les ressemblances sont très éloignées et peuvent s'expliquer par une tradition
commune (p. 123), en d'autres termes que Paul n'a pas lu la Sagesse ou qu'elle
n'a laissé aucune trace dans son esprit. Alors c'est trop dire, car les expressions
semblables sont trop nombreuses pour que l'explication la plus naturelle ne soit pas
une réminiscence, qui d'ailleurs ne gênait en rien le libre essor de la pensée
de l'Apôtre.

Les légendes épiques, recherches sur la formation des chansons de geste, par
.Joseph Bkdikh, professeur au Collège de France. 4 vol. Paris, Champion, 1912.
Un livre sur les chansons de geste, annoncé dans la Revue biblique... La Bible
est-elle donc une chanson.' Non certes, mais on l'a dit, ou à peu près, et il n'est

pas sans intérêt pour nous de savoir les attaches d'une théorie exégétique avec une
grande théorie littéraire. Ce qui fait la fortune de certains systèmes en vogue,,
contre lesquels nous avons à lutter, c'est qu'ils font partie de systèmes plus vastes,
généralement admis. Si nous nous confinons dans nos études spéciales, nous ne
saurons jamais d'où partent les coups. Sortons-en une fois pour voir comment
disparait une opinion tellement assise qu'on ne la discutait même plus. Depuis
longtemps nous soutenons que les livres ne se font pas tout seuls (I). C'est un
plaisir de voir comment M. Bédier le prouve.
Au surplus, nous n'avons pas la prétention de porter un jugement sur l'admirable
eusemble de ses quatre volumes. Ce qui nous intéresse le plus, c'est la discussion
du problème des origines, examiné ex professa à propos de la Chanson de Roland (2).
Et s'il est une chanson qu'on puisse nommer à propos de la Bible, c'est bien ce
fier poème, si chrétien, si enllammé d'héroïsme français.

Renan a écrit « La plus belle chose du monde


: il voulait dire l'Evangile
>- — —
« est ainsi sortie d'une élaboration obscure et complètement populaire » 3). En

quoi il croyait bien donner ù la plus belle chose la plus noble origine, celle que
tout le monde savant d'alors attribuait à l'épopée nationale. M. Bédier n'a pas omis
de citer Renan parmi les plus fervents adeptes de la théorie de Herder et des frères
Grimm. « Le poète nest que l'écho harmonieux, je dirais presque le scribe qui
écrit sous la dictée du peuple, qui lui raconte de toutes parts ses beaux rêves.
Et comme toutes ces poésies primitives se ressemblent! Comparez, par exemple,
le chant des Eseualdunàc sur leur victoire à Roncevaux c'est absolument le can- :

tique de Débora, pour le dramatique, l'enthousiasme, », etc. (4). Ce serait tant pis
pour Débora, car le chant des Eseualdunàc n'est qu'une mauvaise plaisanterie
lancée par un certain Garay, « un obscur aventurier de lettres ». Que R^enan s'y
soit trompé, cela est excusable pour un jeune homme. W. Grimm était lui aussi

tombé dans le piège, n'exerçant sa critique que pour soupçonner une strophe d'être

(1) cf. par exemplela Méthode Idslorique, p. 17a.


(2) Tome p. 183-454.
III,

(3) Vie de Jésus, 13» éd., p. LVI.


(4) Cahiers de jeunesse, 1843-1846, Paris, 190G, p. 117 dans Bédier, m, p. 238.
RECENSIONS. 273

interpolée (1) ! L'erreur de tous deux, l'erreur de toute cette élite intellectuelle,

avait été de postuler pour les origines de l'épopée une cause mystérieuse, presque
mystique, et qui, dans le domaine bibli(jue, devait remplacer l'inspiration de l'Esprit-
Saint. Les textes des frères Grimm ne sont pas sans poésie, et l'on s'explique leur

séduction. Tout de même comment ne pas sonrire, quand on exige de nous de


croire à ces axiomes « La .poésie populaire ne procède pas de poètes individuels,
:

f que l'on puisse nommer par leur nom elle a jailli du peuple même ». « Cette
:

chanson, comme toute épopée, s'est composée involontairement ». « Comme tout


ce qu'il y a de bon dans la nature, la poésie naturelle et les chants populaires
surgissent doucement de la force silencieuse du Tout ». « Comoaent la chose s'est-
elle produite.^ Là-dessus s'étend le voile du mystère, et il nous faut croire au

mystère (2) ». Ou cherchait cependant, sinon à expliquer le mystère, du moins à


l'autoriser, en parlant des dons propres aux sociétés primitives. Cette force créatrice
du génie populaire ne s'est pas seulement manifestée avant l'histoire. Toute religion
naissante a en elle les mêmes énergies d'action spontanée. Il ne restait plus aux
exégètes qu'à doter la première communauté chrétienne de cette catégorie du
spontané pour aboutir au mythisme de Strauss. Et les deux critiques ont bien suivi
une marche parallèle. Naguère le mythisme exaspéré de M. W. B. Smith n'a vu
dans l'histoire de Jésus qu'un mythe du Dieu Sauveur (3); dès 1868, M. Steinthal
enseignait « que Roland n'est autre que le dieu suprême, Uodan, et que, s'il a
bien pu exister un certain Roland, celui qui fut tué en 778 dans un obscur combat
de guérilla, ce personnage fut glorieux avant que d'être né, sa gloire venant de ce
que son nom s'est confondu avec l'un des surnoms de VVodan, Hrôdso ou ilruod-
peràth; et encore, que, si Roland sonne de l'olifant à l'heure de mourir, c'est que
Wodan a un cor dont il sonnera au dernier jour du monde » (4).
Naturellement le gros des savants se préservait de ces fantaisies, et se préoc-
cupait de trouver un intermédiaire entre le peuple, dépositaire d'une épopée diffuse,
et le poème de 4000 lignes de la Chanson de Roland. On imaginait la poésie popu-
laire enregistrée d'une façon presque impersonnelle dans des cantilènes qui se
multipliaient et se perpétuaient jusqu'au jour où un poète les groupait, avec ce
minimum d'initiative personnelle qui peut appartenir à un « dernier rédacteur ».
Comme les cantilènes postulées avaient complètement disparu à l'état isolé, il restait
à les découvrir dans l'œuvre définitive (ô). Encore un travail que les exégètes con-
naissent bien, comme la question des sources. Elle se pose nécessairement, même
à propos des évangiles, mais a-t-on toujours manié la critique avec la sympathie
et le respect qu'imposaient ces textes divins.' Il faut entendre M. Bédier soutenir
les droits d'auteurs assurément moins graves, puisqu'ils ne dissimulent pas leui
qualité de poètes, c'est-à-dire d'inventeurs! « Combien ces chorizontes, s'attaquant à
des poèmes grecs, allemands, ou français, ont essayé au siècle dernier des tâches
aussi scabreuses, et, croyant empêtrer un auteur dans ses contradictions, n'ont fait
que s'empêtrer eux-mêmes dans leurs contre-sens! C'est qu'il est facile à un poète,

(i) BÉDiKU, (. f., p. -230, note -2.


(2) BÉDIEK, p. :220, -2-21. -2-2;}, -2-24.
(3) Cf. Le sens du rltristianisme, p. 31-2.
(4) BÉDIER, l. l-, p. 2li s., citant Das Epos dans la Zeitschrift fur Vôlkerpsychologie und
Sprachwissenschaft, t. V, p. 1.
(3) Pour que la ressemblance soit mieux constatée, rappelons, d'après M. Bédier, que l'illustre
G. Paris • a comparé le Carmen de proditioae Guenonis ;G), la Chronique de Turpin (Ti et
la
Chanson de Roland \K), et, a l'aide de ces textes, il a reconstruit une Chanson de Roland plus
archaïque, qu'il appelle RC, puis une autre, plus archaïque encore, qu'il appelle RT (L. l, •

p. 279 s.). Le critère d'antiquité était une plus grande simplicité. On a reconnu le Proto-Marc!
REVUE BIBLIQUE 1919. —
N. S.. T. XVI. 18
274 REVUE BIBLIQUE.

faisant un long récit, de se contredire, mais plus facile encore à un critique de se


persuader que le poète se contredit. Quand on croit remarquer dans une œuvre
une tare de ce genre, c'est de soi-même qu'il faut se méfier d'abord, non du
narrateur. Car y a toutes chances pour qu'un narrateur, même maladroit, ait
il

pénétré plus avant dans l'intelligence de ce qu'il conte, ait vécu plus intimement
avec les personnages qu'il met en scène, qu'un critique, même attentif (1). Loin
de triompher de la contradiction qu'on relève et d'en rechercher avidement d'autres,
il faut s'efforcer de la concilier, employer à cet effort toute sa prudence et toute sa

délicatesse, et ne se risquer enfin à taxer un poète d'incohérence que si l'on est


bien sûr d'avoir épuisé au préalable tous les moyens propres à le justifier (2) ».

Suit luie admirable analyse de la Chanson de Roland qui met dans un relief singulier
la profonde psychologie du poète, psychologie qui n'a sans doute pas eu conscience
d'elle-même, mais qui a su créer ces âmes également belles de Roland et d'Olivier

et donner même Ganelon une grandeur tragique. La sympathie de


au traître

M. Bédier n'est donc en somme que justice. Ne pouvons-nous pas exiger qu'on
traite s. Marc ou s. Luc avec la même pénétration, si l'on peut, ou du moins avec

les mêmes égards?


Il va sans dire que la question des sources ne se pose pas de la même façon
pour un poème et pour uu auteur comme s. Luc, par exemple, qui fait allusion à
ses devanciers et aux autorités qu'il a consultées. Cependant M. Bédier ne s'est pas
cru permis de tout attribuer à l'imagination créatrice d'un poète. Ce n'est pas dabs
un seul cerveau ni tout à coup que le petit épisode de Roncevaux en 778, s'est trans-
formé si complètement dans le poème des environs de l'an 1100. Les cantilènes
écartées, il fallait trouver un intermédiaire. Sans doute il y a la tradition, les tra-
ditions, ternie vague qui n'explique rien. M. Bédier s'est demandé quels étaient
les organes de cette tradition, quelles routes ils suivaient, dans quels gîtes ils

s'arrêtaient. Il a rencontré sur les routes allant de France en Espagne par Ronce-
vaux des croisés français et des pèlerins, et ces derniers surtout curieux d'observer
sur le chemin, ou plutôt de faire plusieurs pèlerinages d'un coup, de prier dans
un très grand nombre de sanctuaires, de vénérer des corps saints, de s'informer
des reliques et des gestes. Et en lisant cette el'florescence de toponymie carolin-
gienne, le v;il de Charles, la Croix de Charles, etc., il nous semblait être ramenés
à ces sanctuaires palestiniens où Ton a vénéré tant de reliques mises en houneur par
sainte Hélène. Seulement l'Orient n'a pas eu la verve créatrice de l'Occident, ses
légendes ne sont point devenues des épopées. Ce n'est pas que tout soit clair dans
la formation de la tradition relative à Roncevaux. Pourquoi, des trois personnages
cités par Einhart, Roland a-t-il été choisi pour porter le poids de tant de gloire?
Et s'il la partage, pourquoi est-ce avec Olivier, plutôt qu'avec Eggihard ou avec
Anselme, ses authentiques compagnons? L'éclat du nom de Roland n'est-il pas une
preuve que son corps reposait vraiment à Blaye, comme M. Bédier paraît disposé
à le croire? Ou son titre de Comte de la marche de Bretagne a-t-il excité l'imagi-
nation d'un Breton, car les Bretons ne cèdent qu'à contre-cœur S. Michel au
péril de mer Normandie? Le nom d'Olivier a-t-il une saveur bretonne?
(3) à la
Un ignorant des choses du moyen âge est peut-être excusable de poser des questions
qui sont sans doute peu pertinentes. En tout cas, un palestinien ne peut que suivre

(1) On se souviendra des protestations de llomiiiel et de Wiucliler en faveur de la tradition


qui sait Ijien ce qu'elle veut dire.
(-2) L. L. p. 399 s.

(3) Cité dans le poème.


RECENSIONS. 275

avec intérêt ces itinéraires de pèlerins. L'intervention des gardiens des sanctuaires
dans l'élaboration des légendes lui paraîtra incontestable. Mais ce ne sont sûrement
pas des clercs qui ont autorisé les déviations de la tradition, puisqu'ils avaient le
texte authentique eu mains, si ce n'est peut-être pour transformer les héros dont
ils gardaient ou croyaient garder les tombes en martyrs de la foi. Il faut, bon gré
mal gré, une marge inconnue aux caprices de la tradition orale, et c'est ici
laisser
que M. Bédier retrouve, cette fois à bon droit, le rôle du peuple.
Cela d'ailleurs n'a guère de portée pour la critique des évangiles. Mais ne pour-
rait-on pas retourner contre nous l'autorité de M. Bédier s'il s'agissait par exemple
de la Genèse? On serait tenté de comparer les autels près de Béthel ou d'Hébrou.

ou de Bersabée, faisant remonter leur origine à Abraham, à ces sanctuaires pré-


tendus carolingiens. On objecterait encore les paroles très nettes de M. Bédier sur
l'incapacité de la tradition à transmettre de l'histoire. Elles aussi méritent d'être
notées, comme la simple constatation d'un fait : « Depuis un siècle que s'amon-
cellent les recueils de traditions populaires récoltées en tous pays, s'il est un fait

d'observation bien vérifié, c'est celui-là. Qu'il s'agisse des « traditions orales » des
paysans de France ou de celles des sauvages d'Australie, que trouve-t-on dans ces
recueils? Des contes merveilleux, des contes à rire, des contes d'animaux, des
fables ethnogéniques ou cosmogoniques, etc. ; mais des traditions historiques, non
pas » (1). Cependant M. Bédier n'a pas été sans donner à cette loi la restriction

nécessaire : « Sauf le cas des légendes locales, quand le souvenir de tel homme,
de tel fait, un champ de bataille, à un monument, à une tombe, à un
s'attache à
culte, les plus grands événements de l'histoire, guerres, invasions, changements
de dynasties, ne laissent bientôt dans les mémoires qu'un informe résidu (2) .».
Mais ces monuments," ces tombes, ces cultes, c'est beaucoup, surtout dans un pays
où un monument, un tombeau se détachent dans le ciel bleu sur un horizon parfai-
tement net. en France, ni,M je pense, en Australie, il n'y a rien de comparable
aux ouélys de Palestine, qui donnent à chaque colline comme une personnalité. Les
confusions de la tradition y sont extrêmes, mais dans le cas d'un culte elles se
transmettent mieux. M. Bédier en appelle à notre ignorance : « sans papiers de
famille, nous ne saurions même plus dire les noms de nos quatre bisaïeuls (3) ».
Hélas! mais les Arabes se targuaient de savoir leur généalogie jusqu'au temps
les plus reculés. Vantardise, sans doute, mais enfm ils s'y appliquaient de toutes
leurs forces. Quand ou a écrit ses dépenses, on les oublie; tant qu'elles ne sont pas
inscrites dans un carnet, on en garde la mémoire. Les parents ne prennent aucun
souci de raconter l'histoire générale; ils savent qu'on l'apprend dans les classes.
Peut-être eut-on jadis le secret de suppléer d'avance, — si l'on peut dire — à
l'absence de l'écriture. Cela soit dit sans prétendre rien exagérer, et sans aucune
intention de polémique contre M. Bédier, qui s'est limité à son champ d'études.
Nous serions bien plutôt disposé à le remercier cordialement de la lumière qu'il
répand même sur le nôtre.

Jérusalem.
Fr. m. J. Lagbange.
(1) L. p. 26-
l., I

(2) L. L, p. 267.
(3) L. L, p. 268.
BULLETIN

Nouveau Testament. — On aurait attend a de M. H. Lietzmann un examen


plus complet, puisqu'il donnait son jugement sur l'édition de von Soden du Nouveau
Testament (1). Nous voyons bien qu'il n'admet pas l'existence des trois recensions
telles que Soden les distribue, et il donne des raisons pour K, et pour I, mais
n'aborde guère le cas de H. Ce n'est pas que sa critique manque de vigueur. Il
s'étonne de la méthode étrange qui présente par paquets des observations de détail
pour diirérencier les petits groupes des trois recensions, sans que leur existence
soit établie nulle part, la négligence qui met de côté S. Chrysostome et les Cappado-

ciens, la version syriaque peschitto et la version gothique, enlln les contradictions


entre les prolégomènes et l'exécution. De sorte que, même en faisant abstraction
de qualifications historiques, on ne peut pas dire que von Soden ait reconstitué
trois types anciens du texte. Comme c'est la base sur laquelle son texte est établi...,

heureusement il vaut mieux que les titres qu'on lui a forgés.

Une étude prolongée des du N. T., représentée par divers ouvrages et


textes
commentaires, autorisait M. Weiss à tracer un tableau d'ensemble des origines
J.

(ht Christianisme. En supposant l'ouvrage divisé en deux volumes, au premier


devait appartenir une description des idées religieuses et de la situation dans
laquelle .Jésus a annoncé l'Evangile, et surtout sa prédication. Ce volume était
renvoyé pour plus tard, et probablement il n'était pas aciievé quand M. J. Weiss
a été emporté prématurément (2). Il avait déjà donné au public les trois premiers
livres du second volume (3), dont la fin, moins considérable, était annoncée et a
peut-être déjà paru.
Nous avons donc sous les yeux : livre I^'", La communauté primitive; livre II, La
mission auprès des gentils et Paul missionnaire; livre III, Paul chrétien et

théologien. du concile de Jérusalem que c'est la ligne de partage des


M. AVeiss dit

eaux du livre des Actes. Il en est de même de son volume.


On sait quel mal se donne la critique pour tirer au clair ce qui s'est passé.
Comme il arrive souvent, on serait plus tranquille, et on se tiendrait pour mieux
informé, si l'on ne possédait qu'un procès- verbal. Mais il y a deux récits, celui des
Actes et celui de Paul dans l'épître aux Galates, et il faut les concilier. M. Weiss
y renonce carrément, pour les motifs connus. Paul ne parle pas des décrets imposés
aux gentils convertis, il ne les cite pas dans la P^ aux Corinthiens; Jacques les lui

yij 11. vo.N SoDL.N, Aiisijabc des Neue Testaments. Die drei He/ensionen, dans la '/.citxrlirifl

fur die neut. M'iss., 1914, j). 323-331.

(2) M. Joliannes Weiss était né le 13 déc. 1803 à Kiel.


(3) Bas Urchrislenlum, von D. Joliannes Weiss. Professor der Tlieoloyie, 1 Teii : 1 — 3 Uucii
seite 1-416. Gottingen, Vandenlioecket Rupreclit, 1914.
BULLETIN. 277

fait connaître, d'après lès Actes 21, 25, qui sont doue eu contradiction avec eux-
mêmes. — Et c'est ce deruier point, le plus étonnant, qui met en doute la valeur
de cette argumentation. Jacques pouvait très bien dire « nous avons », d'un décret
qu'il avait proposé et fait admettre; il pouvait rappeler à Paul que ce point était

réglé. Les deux autres arguments sont négatifs. Car M. Weiss a lui-même débar-
rassé le système de la conciliation de l'objection la plus grave. On traduit ordinai-
rement Gai. 2, 6 TrpoaavâÔîvTo « ils ne m'ont rien imposé ». Alors que penser du
:

décret? J. Weiss traduit ils n'ont rien eu à objecter en sens contraire (relativement
:

à àv£9É;j.T,v 2, 2) quand j'eus terminé ma relation, dirait Paul, les anciens Apôtres
:

ont reconnu l'action de Dieu il n'y avait rien dans leur doctrine qui leur indiquât
:

de s'opposer à ma méthode. C'est bien le sens qu'on osait à peine proposer de


peur de paraître se débarrasser d'une difficulté.

Mais en admettant un instant que l'exégèse n'ait pas encore trouvé une solution
suffisante, quelle est celle que J. W. tient en réserve? Elle ne propose pas, comme
M. Weber, que lépître aux Galates soit antérieure au concik^ mais il y aurait eu
deux conciles. Dans le premier, les choses se sont passées à peu près comme Paul
l'a raconté. A peu près, car il faut tenir compte de deux éléments. D'abord son
exposé suppose — quoi qu'on en ait dit — que les Galates étaient au courant.
L'Apôtre prétend seulement mettre les faits sous leur vrai jour par des allusions
qu'eux comprenaient, mais que nous ne saisissons pas très bien, ce quf nous expose
à voir les choses sous un jour faux. Et de plus cette mise au point est personnelle,
passionnée, et par conséquent suspecte d'exagération et de parti pris. Ces précau-
tions sont d'ailleurs article de luxe, ou scrupule de critique, car elles ne conduisent
à rien de précis. Il n'est pas question du tout de sacrifier l'épître aux Galates au
texte des Actes, car les Actes au sujet de ce premier concile ne disent que ce qui
est contenu dans Actes 15. 1-4, 12, c'est-à-dire qu'ils ne parlent que du début.
En d'autres termes, W. suppose que le récit des Actes se compose de deux sources,
dont chacune racontait un concile, et qui ont été fondues en uue seule teneur. Les
raisons de cette dissection? ,Te n'eu vois vraiment qu'une, c'est qu'au v. .5 com-
mence une seconde histoire. Ce n'est pas sérieux (1). Puisque les judaïsants de
Jérusalem sont allés relancer les missionnaires jusqu'à Antioche, il serait bien
étrange qu'ils n'aient pas soutenu leur opposition sur place. Il est très facile d'en-
lever le V, 12, mais cette violence arbitraire est la négation même de la critique.

J'ai déjà reconnu que Weiss. exposant les faits d'après PauL a donné
d'ailleurs
une explication très satisfaisante de l'épître aux Galates, surtout de 2. 7-10. Les
anciens Apôtres s'inclinent devant les faits, c'est-à-dire le succès de la mission chez
les gentils, confirmé par les grâces du Saint-Esprit, et ils n'ont aucune répugnance

à cela, car la question avait été précédemment résolue en fait (2). On traitait les

gentils convertis comme des frères, et on les croyait assurés du salut (p. 198). De
plus les anciens Apôtres furent parfaitement sincères, et Paul ne doute pas de leur
bonne foi. Enfin, et cela est à noter chez un critique aussi indépendant que J. W.,
on n'eut pas l'intention de partager absolument les domaines, d'exclure Paul des
pays juifs, ou Pierre du monde des gentils. On reconnut simplement l'unité de
l'œuvre de Dieu selon des voies différentes.

H) Même insuffisance de critérium pour distinguer deux sources dans le discours de saint
Etienne. Il eut dû ne rien dire qui ne se rapportât strictement à l'accusation de rejeter le
Temple. Comme si son zèle eût pu se taire au sujet de Jésus! d'autant que le vrai grief était là
et que tout dépendait de ce qu'on pensait do .lésus.
(2) On peut comparer Le xens du christianisme, p. 18-2. J'aurais volontiers cité M. Weiss à
l'appui, si j'avais alors connu son ouvrage.
278 REVUE BIBLIQUE.

L'exégèse de Weiss est moins ferme quand il s'agit de GaL 2, 2-6 ; aussi faut-il
reconnaître que la phrase est difficile. Sans se prononcer d'une façon trop tran-
chante, il préfère le texte que cette fois on peut bien dire occidental (1); il en
résulte que Paul a cédé, non pas sur les principes, mais sur le cas de Tite. ^t que

c'est justement pour cela que ses adversaires l'ont accusé d'inconséquence. Mais la
circoncision de Timothée suffit à expliquer ce grief, et doit-on faire tant de cas
d'une tradition manuscrite aussi étroite?
Quoi qu'il en soit de ce point, relativement secondaire, puisque ni les principes
ni la dignité morale de Paul ne sont en jeu, nous ne pouvons accepter la solution
de W. sur les deux conciles, même eu la prenant pour une manière de concilier les
textes entre eux. Si le premier concile avait rendu le décret sur les viandes étouffées,
immolées aux idoles, et sur le sang, l'incident dAntioche n'aurait pas été possible
(Gai. 2, 11-21), répète toujours une vieille objection, car les chrétiens l'auraient
observé, et il eût été possible de manger en commun. A cela répondu que la
on a

difficulté n'était pas entièrement résolue, puisque le concile n'imposait pas aux
gentils de s'abstenir des viandes impures. J. Weiss réplique : ce n'est pas la même
chdse. I^e Juif invité chez un chrétien voulait être eu sûreté sur Vorigine des
viandes, qu'il ne pouvait vérifier; quant à leur nature, elle se décelait sur la table,
et rien ne l'obligeait à manger des aliments prohibés (p. 236).

La réponse est ingénieuse, mais une maîtresse de maison n'accepterait pas volontiers
de réunir à la même table des personnes qui ne mangent pas les mêmes aliments.
L'incident d'Antioche eût donc dû naître même après le décret de Jérusalem. Au
contraire le système de Weiss suppose que les judaisants extrêmes, après avoir été
vaincus dans la première occasion, ont soulevé de nouveau à Jérusalem la question
de la circoncision, devant les mêmes personnes. Pierre et Jacques auraient dû leur
dire simplement que la question était tranchée parleur accord avec Paul, si sérieux,
si cordial, d'après Weiss. 11 pourrait nous répondre que la seconde source n'en
savait rien. Elle était donc bien mal informée! Et que le rédacteur des Actes ait
manqué à ce point de clairvoyance et de conscience! D'autant que, d'après W.,
Paul a eu le dessous dans l'incident d'Antioche. 11 donc conclure encore
faudrait
que c'est Pierre lui-même qui s'est corrigé. Rieu de plus honorable pour le prince
des Apôtres, mais c'est avouer que l'argumentation de Paul avait eu ses fruits. Et
enfin, puisque le décret rendu eu l'absence de Paul a existé, comment se fait-il qu'il
ait échappé à sa connaissance? Ne s'est-il trouvé personne pour s'en faire une arme
contre la liberté dont on jouissait dans ses communautés? On voit que la nouvelle
hypothèse ne supprime pas les difficultés; les fluctuations qu'elle suppose ne sont pas
plus vraisemblables que le développement marqué par la tradition, c'est-à-dire par
un auteur très sérieux qui pouvait connaître les faits.

D'autre part J. Weiss a raison de croire que les judaisants extrêmes n'ont pas
renoncé à leurs prétentions après le concile de Jérusalem. Mais au lieu de les sou-
mettre de nouveau aux Apôtres, poiu" essuyer un second échec, ils sont venus

agiter les communautés de Les adversaires de Paul ne sont point des


Galatie.
judéo-chrétiens modérés qui auraient conseillé d'obéir à la loi pour plus de perfection.
D'autre part, lorsque Weiss nomme Galates les habitants de Lystres et d'Antioche
de Pisidie, il ne tient pas assez compte de la nomenclature des inscriptions (2). C'est

(1) D' d'Iren. Tert. Vict. Ambrosiasler su])|)riment oT; r.jSi (2, 5). Soden ajoute syriaque pa-
lestinien; Weiss a suivi Zalin.
('Il L'inscriiHioii relative à Galiion n'est pas citée à propos de ce proconsul; sans doute est
elle réservée pour un chapitre de chronologie.
BULLETIN. 279

d'ailleurs le cachet de tout l'ouvrage. L'auteur a étudié à fond les textes du Nouveau
Testament, et leurs commentateurs. Mais on ne le voit pas assez soucieux de jeter les
veux sur le monde gréco-romain, institutions ou idées. Son œuvre est la plus remar-
quable peut-être d'une école en train de disparaître : la synthèse des textes d'après une
conception personnelle donnée. On se demande si les étudiants liront ce livre, qui
vient trop tard. ,T. Weiss est un novateur débordé par le flux toujours croissant des
comparaisons tirées de l'ambiance. Il lui arrive — rarement — de citer Norden et
Reitzenstein, c'est orienter ses lecteurs vers une nouvelle école. Pourtant on ne
saurait nier que cette intelligence du christianisme par lui-même peut servir de
contrepoids aux fantaisies de l'histoire des religions. Elle est fort éloignée de nos
croyances — et, disons-le aussi, de celles de Luther, quoique l'auteur se rattache à
la Réforme. L'épitre aux Galates contient « l'expression classique de l'Evangile,
telle que la Réforme l'a fait trioraplier. Elle renferme le sens propre non seulement
du christianisme, mais de la religion en général sous sa forme la plus haute et la

plus pure : Dieu ne s'ouvre pas à celui qui veut d'abord le conquérir par des œuvres
et des pratiques, par le culte et l'action morale, mais seulement à celui qui s'aban-
donne à lui, qui ouvre son cœur à son action, et qui agit en vertu de cette intimité
avec Dieu c'est l'essence de la foi, qui « opère dans la charité » (5, 6). Qu'il faille
:

commencer par là, personne ne le nie. et, dans un sens, c'est ainsi qu'il faut finir.
Mais la foi de Paul —
et même celle de Luther comprenait tout de même le nom —
de Jésus-Christ, et s'il ne faut pas conquérir d'abord Dieu par des œuvres, prétend-
on que les œuvres soient indiflérenles.^ Mais laissons nos théologiens sourire de cet
exposé un peu sommaire, et respectons l'évidente bonne volonté d'un homme qui a
si sincèrement appliqué ses forces à la parole de Dieu.

M. H. Latimer Jackson, du collège du Christ à Cambridge, avait publié précédem-


ment un ouvrage intitulé The four th. Gospel and some récent Germon Criticism. Plutôt
que de le marche suivie par sa pensée, il étu-
rééditer, ce qui ne convenait plus à la
die maintenant le problème du quatrième évangile
(1). Ce titre de problème convient

bien à sa manière qui pèse le pour et le contre "avec beaucoup de soin, une appa-
rence même de scrupule, et assurément un désir très sincère d'atteindre ou de ne
pas dépasser le juste point. Cependant si la forme est presque voisine de l'irrésolu-
tion, fort éloignée du ton tranchant de certains critiques, on ne saurait dissimuler
ici que les conclusions préférées ou du moins suggérées, sont assez radicales. De

Jean, fils de Zébédée, il ne saurait être question, pour bien des raisons, et pour un
motif qui dispenserait de tous les autres, car M. Jackson penche très délibérément
vers l'opinion du martyre du fils de Zébédéé. Si la tradition est en déroute sur ce
point, même si l'on n'associe pas Jean au martyre de son frère Jacques, on ne peut
plus lui faire crédit sur l'authenticité de l'Évangile. Il y a le disciple bien-aimé.

Mais si c'est un personnage réel, ce qui n'est pas certain, on ne sait pas si l'auteur
s'est désigné lui-même, ou s'il a été désigné ainsi par un autre qui aurait achevé son

anivre. Approuvons en passant quelque chose du scepticisme de M. Jackson. Si le


disciple bien-aimé n'est pas fils de Zébédée, on pourrait se dispenser de lui chercher
un autre état civil. En particulier J. aurait pu aussi s'épargner la peine de prouver
que l'auteur du quatrième Evangile n'est pas Judas Iscariote. Il parait que cela s'est

dit tout au long dans une Geschichle Jésus {Noack en 1876). On a cru dépister
encore Nathanaël, Lazare, le Jean de Act. 4, 5, le jeune homme de Me. 14, -51,

(1) The problem of the fourth Gospel, by H. I.aliir.er Jackson, D. D., 8" de xvi-170, pp. Cam-
bridge al llie Universily Press, 1918.
280 REVUE BIBLIQUE.

Aristion, le jeune riche (Me. 10, 17 et parai.). Taut il est vrai que la critique se dé-
lecte dans Finconnaissable Mais comment le disciple bien-aimé a-t-il pu recevoir ce
!

nom charmant d'un autre? C'est que M. Jackson se range assez nettement parmi
ceux qui n'attribuent pas le quatrième Evangile à un seul auteur. Et il ne se contente
pas d'éliminer la femme adultère, quelques lignes sur l'ange de la piscine et le
ch. 21. C'est toute une série de passages qui lui paraissent dénoter une autre pen-
sée, d'autres vues et une autre main que celles de l'auteur principal, le disciple
bien-aimé. Mais en somme M. J., car
cette analyse est secondaire dans la pensée de
elle ne le conduit pas à discerner des sources importantes, mais seulement une revi-

sion qu'il laisse dans le vague. Le gros du quatrième évangile demeure avec sa
valeur propre.
Le une comparaison avec les synoptiques. M. Jackson la pour-
sujet traité exigeait
suit en tenant compte de
la chronologie, de la scène du ministère, de la personne

de Jean-Baptiste, des miracles et des discours. Ce sont les loci communes du thème.
Le quatrième évangile a tort sur la date de l'expulsion des vendeurs, mais il aurait
raison sur celle du jour de la mort du Christ, etc. Les miracles sont envisagés par
l'évangile comme des signes, mais ne sont point des allégories inventées de toutes
pièces. L'auteur était un Juif, mais de culture hellénique. On ne peut le prendre en
défaut sur la topographie de la Palestine. — C'est quelque chose pour un Juif hel-
lénisé, habitant à Ephèse, Mais on devait ajouter, en pesant la difficulté d'obtenir
de la critique ce verdict d'absolution, que l'auteur de l'évangile connaissait parfai-
tement le pays. D'ailleurs oîi sont les preuves qu'il n'a pas été témoin oculaire?
Une manière difl'érente de présenter les faits, même une élaboration de la doctrine,
prouveraient-elles quoi que ce soit contre la réalité des choses? La culture grecque
de l'auteur n'est pas niable, mais il eût fallu énumérer distinctement les connais-
sances philosophiques si généreusement. Encore est-il que
qu'on lui attribue
M. Jackson ne le fait pas tributaire de Philon sur la doctrine du Logos.
Le quatrième évangile est de ces ouvrages qui ne passent pas. Quelle est encore
sa portée pour les âmes modernes? C'est le chapitre intitulé Alors et maintenant.
Le quatrième évangile a résolu la question de la personne de Jésus en confessant
sa divinité. Cette solution ne paraît plus acceptable à M. Jackson. Il rêve cependant
d'unir tous les chrétiens dans la résistance à la marée montante de l'incrédulité.
Mais qui a ouvert les digues à cette marée, si ce n'est ceux qui ont déchiré l'unité
de l'Eglise? Parce que l'évêque anglican Gore s'est opposé à la consécration épis-
copale du Docteur Hensley Henson, il a essayé de faire « de l'église anglicane —
la seule église catholique qui existe — un peculium de lui-même et de son parti (1) ».

« L'unique église catholique »... cela ne manque-t-il pas un peu de critique, si la

critique doit se soumettre aux faits? A moins qu'église catholique ne signifie indiflfé-

rence dogmatique... Mais qu'en auraient pensé les Pères de l'église catholique du
que penserait l'église anglicane elle-méoie de cette définition?
lie siècle, et

L'ouvrage présente un exposé très clair delà question Johannine. L'auteur a beau-
coup lu, surtout les ouvrages récents. Il ne semble pas qu'il ait tenu le moindre
compte de Renan. Le commentaire du P. Calmes est très souvent cité, et avec
sympathie.

M. le Docteur Hans Helmut Mayer, qui a écrit sur les l'pitres ixistorales (2). n'a

M) p. 136, noie o. d'après une lettre d'un ami de M. .lackson.


Ueber die Pastoralbriefc (UI
(-2: Tira. Tit.i, von D' Hans Helmut Mayf.r, 8^ de -89 pp. Gôt-
tingen, Vand. et Rup., 1013.
BULLETIN. 281

sans doute pas jugé digne dun critique de discuter la question de savoir si elles
n'émaneraient pas de Fauteur qu'elles prétendent avoir, c'est-à-dire de TApôtre
Paul. Apparemment c'est là une question jugée. Cependant il n'a pas négligé^ chemin
faisant, de fournir des raisons contre l'authenticité. L'examen porte sur huit points.
La langue des Pastorales est examinée avec soin, mais sans être comparée à celle
des autres épîtres pauliniennes, ce qui eût rendu cette étude beaucoup plus utile.
La « question de l'auteur » doit s'entendre ainsi les Pastorales n'ont-elles eu qu'un :

seul auteur? Elle est résolue affirmativement après examen des nuances qui pour-
raient suggérer deux personnalités distinctes. Suit lemorceau principal, l'examen
des ordinations ecclésiastiques sur la prière liturgique, les évêques et les diacres, etc.
M. Mayer n'a pas eu de peine à constater que les Pastorales n'exigent aucun régime
particulier d'ascétisme pour le salut oflert aux chrétiens. Mais il en tire cette con-
clusion, qui paraîtra surprenante, que les Pastorales sont postérieures aux Acta
Pauli. Polémique contre la deuxième captivité romaine de Paul qu'on a voulu voir

dans II Tim. Varia. Emploi des Pastorales dans la Didascalie syrienne..


L'ouvrage est surtout intéressant par les comparaisons avec les auteurs grecs con-
temporains et la discussion de quelques textes, y compris la critique textuelle. Il
n'apporte aucun argument nouveau important contre l'authenticité pauliuienne. La
question est toujours de savoir nous sommes assez informés sur le développement
si

des institutions et des hérésies d'une part, et sur la fin de la vie de Paul d'autre
part, pour être autorisés à regarder les Pastorales comme des écrits pseudonymes.
M. Mayer ne l'a pas montré. Certaines expressions ressemblent à celles de Paul, avec
moins d'énergie. Il dit : imitation. Pourquoi pas : répétition, avec le cachet moins
ferme qui est le propre des répétitions? D'ailleurs il le reconnaît : « Le style s'élève

de temps en temps à une force et uoe élévation telles qu'il nous rappelle celui de
Paul » (p. 2'j. Est-il plus vraisemblable qu'un écrivain sans autorité personnelle se
soit élevé à cette hauteur ou que Paul vieillissant ait donné ses avis à des disciples
avec moins de force? Pour tout dire, ou a produit des argumentations plus redou-
tables. Mais il est vrai que M. Mayer s'en tient à la chose jugée...

A propos du très distingué article dû R. P. Buzy {Revue Biblique, 1917, p. 184 ss.)
on nous a communiqué les réflexions suivantes sur l'interprétation de Luc 7, 47.
Deux systèmes sont vivement controversés; il faut choisir entre une application con-
séquente de la parabole et un verdict sur la situation, i; « Aussi je te déclare que ses
nombreux péchés lui ont été remis, et tu aurais du comprendre a l'amour qu'elle
le

vient de témoigner », ou. comme dit le R. P. Buzy faut que de très nombreux
: « Il

péchés lui aient été remis, puisqu'elle vient de témoigner un tel amour. » Le sens est,
dit-on, en parfaite harmonie avec la parabole : celui auquel il a été remis davantage,
aime davantage. Il est eu harmonie avec ce qui suit : celui auquel il est peu remis
aime peu. Il a donc une certaine probabilité. Mais d'autre part il n'est pas en harmo-
nie avec la situation réelle. Car il en résulte incontestablement, comme le concèdent
Pluramer, Zahn etc., que les témoignages d'amour de la pécheresse doivent être
regardés comme des témoignages de gratitude, qu'elle était déjà assurée de son par-
don, ce qui suppose encore que Jésus le lui avait déjà notifié. Or ces points enlè-
vent à la scène tout son caractère. L'humilité de la pécheresse, ses larmes, son atti-
tude sont d'une personne qui vient implorer son pardon, et ce qui est encore plus
.clair, il lui est accordé séance tenante, et par deux fois, v. 48 et v. 50. Il faut donc
choisir entre une application exacte de la parabole et une expression conforme à la
situation. Et même, si l'on veut pousser jusqu'au bout la rigidité de l'explication
282 REVUE BIBLIQUE.

parabolique, il faudrait conclure non pas directement que les péchés ont été par-
donnes, mais que les péchés, qui ont été pardonnes, étaient nombreux, ce que Simon
savait de reste. De plus, le mot 8ti signifie naturellement « parce que », et on est
obligé dans ce système de l'interpréter comme un signe : « tu aurais dû conclure
que de nombreux péchés lui sont pardonnes, puisque tu as pu voir qu'elle a beau-
coup aimé. » Jésus lui-même semblerait se guider dans sa déclaration d'après une
conjecture plausible.
'2) Il faut donc s'en tenir à l'ancienne explication, toujours soutenue par l'immense
majorité des catholiques. .Tésus déclare à Simon non pas que beaucoup de péchés
ont été pardonnes à la pécheresse, mais que ses péchés lui sont pardonnes, ces
fameux et nombreux péchés dont Simon se scandalisait (aî -oXXaî en rejet), parce
qu'elle abeaucoup aimé. Cette explication ne rentre pas dans le cadre précis de la
parabole, mais elle explique la conduite de la pécheresse tous ses actes, que Jésus a :

énumérés avec complaisance, étaient des actes d'amour. Mais ce qui importe davan-
tage, et qui est amené avec solennité, c'est la déclaration de Jésus que les péchés
sont remis, au tribunal de Dieu qui tient compte de l'amour si généreux dont avait
paru animée la pécheresse. Si elle a déjà tant aimé, elle aimera encore davantage,
conclusion exigée par la parabole, et qui sortait naturellement aussi de la situation.
Dans celte seconde manière on a coutume de regarder Xéyf.) aot comme une paren-
thèse, comme si le but de Jésus était précisément d'enseigner que le pardon vient de
la charité. Mais si cette doctrine catholique est en accord avec les termes du verset,
ces ternies doivent être expliqués par la situation historique, ou /apiv peut très bien
s'entendre de ce qui précède, non pas précisément de la parabole, mais des actes de
la pécheresse et du pharisien en tant qu'occasion du verdict qui va être prononcé,
comme dans la Vg. propter quod dico tibi, et non pas : si ses péchés lui sont remis,
c'est, je te le dis, parce qu'elle a beaucoup aimé. La déclaration porte sur la rémission
des péchés, et non point sur sa cause (contre Knah.). Le relatif ou lie à ce qui pré-
cède (comme dans TOUTOU 7'iptv Eph. 3. l)au lieu de se rapportera ce qui suit (comme
dans toiStou •/_apiv Tit. 1, 5). Zaho qui cite ou yaptv el'prjtai (Plat. Theaet. 208 D) et
yaptv ou [j-iX^M li^iiv (Plat. Rep. V, 4,51 A) reconnaît que l'analogie est toute superfi-
cielle. — àcpÉwvTat, Jésus déclare qu'actuellement les péchés sont remis. Ils ont pu
l'être avant que la pécheresse en soit assurée, donc avant le moment présent, et
l'espérance du pardon a dû faire grandir son amour, dans le sens de la parabole.
Mais le parfait n'oblige pas à considérer la rémission comme antérieure. Ce qui
importe, c'est la déclaration. L'aor. ri-^-x.Kr^'jc.M semble faire allusion à cette série de
démonstrations que Jésus vient de rappeler.
47'' est le point fort du système moderne. La preuve que Jésus n'a point perdu de
vue laparabole, c'est qu'il y revient « Celui auquel on a peu remis, aime peu ».
:

]\Iais alors il faudrait être conséquent, et voir dans ces mots une con6rmation ou une
contre-épreuve de ce qui précède. La preuve que beaucoup de péchés ont été par-
donnés à cette femme, c'est qu'elle a montré beaucoup d'amour, car on n'en témoi-
gne pas beaucoup, Jorsqu'on a reçu un petit pardon. De sorte que Jésus jugerait tou-
jours de la situation selon les conjectures de la sagesse humaine, et non point au
nom de Dieu, qui juge au fond. De plus la comparaison, poursuivie si minutieuse-
ment entre femme
Simon, n'aboutirait à rien par rapport à ce dernier. Or il
la et
semble bien que Jésus a pris dès le début du v. 47 l'attitude du prophète par la solen-
nité du ton et l'assurance d'un verdict qui étonnera les assistants. Et, après avoir pro-
noncé sur la pécheresse, il devait donner à ses remarques sur la conduite de Simon
leur conclusion : elle a beaucoup aimé, il aime peu, sans doute parce qu'il estime
BULLETIN. 283

qu'on ne lui a pas fait grande faveur. Il était de ceux qui comptaient sur leurs
œuvres. Cependant les termes demeurent généraux, par un scrupule de courtoisie,
et l'applicaliou personnelle est remise à Simon lui-même. Il conclura ce que sa
conscience lui dictera ou ce que sa clairvoyance imposera à sa conscience superbe.

On lit dans le Bulletin de Littérature ecclésiastique de Toulouse, avec la signature


du R. P. Cavallera (1) :

Une étude indépendante de la question m'avait amené aux mêmes conclusions


«

que le R. P Lagrange (Revue biblique, I9I7, p. 44.5 sq. et 1918, p. 255 sq.), sur
l'interprétation substantielle à donner à la seconde partie de cette lettre (2). Le
contexte, en particulier la Gnale concernant Isaïe, démontrent (sic) qu'il ne s'agit
plus de la traduction de Jérôme, mais des dispositions de ses adversaires On re-
marquera, en elfet, que les trois textes choisis visent tous les critiques auxquels
Jérôme a fait allusion immédiatement auparavant, à savoir la trop grande liberté de
mœurs qu'il a blâmée. Voilà pourquoi c'est « à son de trompe » plutôt que de
« cithare » qu'il leur crie : Lisez, si vous voulez : spe gaudentes tempori serrientes
(non à Vantiquitè, comme comprend le P. Lagrange '3;, mais à l'actualité, vous
asservissant au temps présent, aux circonstances), lisons-nous [sic) spe gaudentes
domino ser^ientes » etc. c( On le voit, toutes ces citations ont un but précis et con-
tinuent la polémique directe contre ceux que les critiques de Jérôme ont fâchés.
Il justifie celles-ci par le texte authentique de l'Ecriture, leur laissant la leçon
frelatée dont ils se prévalent (4) pour persévérer dans leur fausse direction.
L'emploi du subjonctif dans tout ce développement exclut plutôt la réalité d'une
traduction déjà existante des Epîtres de saint Paul, de la main de Jérôme. En tout
cas il n'y a rien là qui l'implique. Dès lors, le texte est à rayer de la controverse.
11 ne reste que la première partie de la lettre avec ses allusions très nettes à la

seule version des évangiles. On peut en conclure, — et c'est la seule conclusion que
je retiens, — que seuls les Évangiles, à ce moment-là (384), étaient revisés. »
Aucune adhésion ne pouvait nous être plus agréable que celle d'un spécialiste
aussi autorisé que le R. P. Cavallera, d'autant qu'elle est indépendante. Donc
vctus error abiit, mais c'était une erreur commune, pour laquelle IM. Mangenot a
pu citer récemment Griitzmacher et H. J. ^Yhite. Le R. P. Cavallera semble avoir
encore d'autres conclusions en vue; nous souhaitons vivement qu'il vienne encore
en aide aux biblistes sans attendre qu'ils aient fait des incursions sur son terrain.

Ancien Testament. — La petite brochure de M. Dakse sur la crise actuelle


de la critique de l'A. T. (5) a le caractère d'une conférence, mais on ne nous dit pas
où elle aurait été prononcée. C'est une charge à fond contre le système de Wellhau-
seii comme il dit, de l'Hexateuque. Le titre est
sur les origines du Pentateuque ou,
donc un peu trop large, car le système des sources ne domine pas tout l'A. T., à
moins qu'on n'en tire, avec Wellhausen, une théorie générale sur l'histoire du peu-
ple de Dieu. Mais M. Dakse pense avec raison que, sous cette forme, la théorie a
déjà échoué en face des découvertes faites en Orient. Il s'en prend donc surtout à

(1) 1918, p. 3Ht.


(2) A. Marcella.
(3) Le P. Lagraiïge avait laisse le choix : .. oi>[)ortunistes ou qui meUent l'antiquité au-dessus
de tout ", RB. 1917, p. 446.
(4) Ou plutôt que Jérôme imagine plaisamment lui opposer. qu'ils pourraient
Die gegenwârtige K?-isis in der ait test umentU chen Krilik, Ein Bericht von .loliannes Dakse.
i'6)

Planer in Freirachdorf (Weslerwakl), tJicssen, TOpelmann, 1914. *


284 REVUE BIBLIQUE.

la critique littéraire qui prétend reconnaître dans le Peutateuque des sources dis-
tinctes. Selon un peu partout un changement dans les idées. En
lui il se produit
Allemagne M. Gunkel propose des atténuations, M. Sellin se réserve, M. Gressmann
se demande si on est bien en droit de parler de Jahviste et d'Élohiste; déjà en
1908, M. Ivrâutlein (1) ne croyait pas que la langue suffit pour distinguer J et E;
MM. Redpath et Nestlé souhaiteraient qu'on fît plus de cas des Septante. En Hol-
lande, M. Eerdmans
(2; est entré en lice par de nombreux ouvrages, où il brûle ce
qu'il avaitd'abord adoré; d'autres hésitent; M. Troelstra admet l'authenticité du
Pentateuque, etc. L'Angleterre, qui s'est donnée tardivement aux sources, ne revient
pas encore : toutefois deux personnes en particulier soutiennent l'authenticité mo-
saïque dans les pays de langue anglaise. M. Wiener (3), homme de loi, en Angleterre,
et aux Etats-Unis M. Magonn, sanscritiste. Aucun catholique n'est nommé; appa-
remment ils ne comptent pas pour M. Dakse. Mais sa haine poursuit la critique
moderne jusque dans la personne de son premier initiateur, Astruc, dont le père
avait quitté le protestantisme pour se faire catholique, et qui ne valait pas mieux
que son père, n'étant pas plus sincère en médecine qu'en exégèse et en religion.
Ce ne sont là évidemment que des préambules pour préparer l'esprit du lecteur.
Allons aux arguments. Ils sont surtout négatifs. La critique littéraire ne peut s'exer-
cer solidement qu'après que la critique textuelle a fait son œuvre. 11 faut consulter
les Septante et le texte samaritain. — C'est l'évidence même, mais il ne faudrait pas
non plus refuser d'admettre une distinction de documents bien appuyée simplement
à cause d'une divergence dans les textes. La différence entre Élohim et lahvé peut
être atténuée en plusieurs cas par la critique textuelle. Elle est cependant fonda-
mentale, compare Ex. 3 et Gen. 4, 2G. Sait-on comment M. Dakse rétablit
si l'on

l'harmonie.^ Dans Gen. 4, 26'', le texte ne se rapporte pas à Euos, flls de Seth, mais
à toute la race de Caïn. « C'est dans le pays de Gain que l'on commença à invoquer
.lahvé. Cela est en parfait accord avec la donnée de l'Exode, d'après laquelle Moïse
a appris à connaître le nom de lahvé auprès des Kénites, chez Jéthro en Madian. »

Singulière apologie, qui ne sera pas du goiït de tout le monde !

C'est qu'en somme M. Dakse, si acharné contre la distinction des documents,


ne soutient nullement l'authenticité mosaïque du Pentateuque. Quoiqu'il évite de
le pour ne pas combattre un système qui fléchit, au moyen d'un système
dire,
suranné, il en revient à l'hypothèse des compléments. Et certes il y a lieu de recon-

naître des compléments dans le Pentateuque. D'aucuns ont même estimé que c'était
une manière de défendre Tauthenticité mosaïque, par exemple eu regardant comme
une addition tardive " les Cananéens étaient alors dans le pays. » Mais ce n'est
:

pas ainsi que l'entend Dakse. Et voici l'exemple qu'il donne de l'utilité de la cri-
tique textuelle pour sauvegarder l'unité du texte. On lit : « Abram traversa le pays
jusqu'au lieu nommé Sichem, jusqu'au chêne de More. Les Cananéens, etc. » (Gen.
12, 6). Lisez : « Et Abraham alla jusqu'au pays de Sichem, et au bois de Mamré,
mais Cananéens habitaient alors dans le pays. » Sichem est
les un homme, parce
que les LXX
ont Ss/^ij. et non i];x;;j.a, Mamré remplace More sur l'autorité de
Symmaque, du syriaque et de l'arabe, et c'est eux qui sont les Cananéens! N'insistez
pas sur le contexte, sur l'éloignement de Sichem par rapport à Mamré, près d'Hé-
bron; vous seriez suspect d'attachement à Wellhausen qui, avouons-le, n'a jamais
pousse aussi loin l'arbitraire.

a, RB., mon, p. iM.


(2)RB., 1908, p. .«i6; 1909. p. 131 ; 1910, p. 020 S. ; 1913, p. 144.
m RB., 1910, p. 618 s.
BULLETIN. 283

Dans d'autres cas, au contraire, M. Dakse admet des compléments, et spéciale-


ment il allègue que des titres postérieurs ont pu passer dans le texte. C'est possible,
mais il faut voir les cas. L'école documentaire partage Gen. 15, 1-6 entre E JE J,
c'est-à-dire que l'Élohiste et le Jahviste ont chacun deux passages. C'est trop, assu-
rément, et ily aurait beaucoup à
dire, dans le sens de M. Dakse, sur la distinction
mécanique des sources d'après l'emploi de lahvé ou d'Élohim par le texte massoré-
tique seul. Mais quel remède propose-t-il ? Le v. 1 est le titre du eh. 15; les versets
2 et 3 d'oii il faut retirer le nom dÉliézer (!] se rapportent au ch. 16, la naissance
dismaël. Le v. 4 a rapport au ch. 17. Les vv. .3 et C au chap. 22. N'est-ce pas —
plus arbitraire encore que la Bible de Paul Haupt, qui distribue ces six versets entre
E et J, quatre fragments à chacun?
Quel est donc enfin le résultat de cette critique? Les titres qui ont pénétré dans
le texte sont Fceuvre d'Esdras. Avant lui, le Deutéronome existait, dans l'esprit
duquel ont été ajoutés une série de réflexions en faveur de la communauté de l'exil.

Plus tôt encore un remaniement théocratique a bien pu donner naissance à des récits
qu'on regarde comme des doublets. Peut-être encore faut-il discerner une relouche
plus ancienne, qui correspondrait, ou peu s'en faut, avec ce que la critique nomme
J-. Que reste-t-il pour Moïse? « Une bonne partie de la Loi », mais D. ne saurait
dire si elle était pourvue d'introductions historiques. D'ailleurs il n'exclut pas des
morceaux plus anciens, même
que Moïse, qui auraient été remaniés.
Que conclure? que les beaux jours de l'école de Wellhausen sont passés, comme
la Revue le dit depuis longtemps, mais que l'authenticité mosaïque est loin de gagner
du terrain, même parmi les adversaires des sources, et qu'il serait sans doute à
propos que les catholiques abordassent la question sur le terrain où la critique s'est
placée récemment.

Le Commentaire de la Genèse, par M. Herbert E. Ryle ^1) suppose l'analyse des


documents faite pour la même collection, the Cambridge Bible for Schools and Col-
lèges, par M. Chapman, en 1911. M. Ryle accepte pleinement la conclusion que le

Pentateuque est une compilation qui suppose au moins quatre écrits distincts. Dans
la Genèse, il ne peut être question que de J E et P. « Comparé à J et à E, P est

toujours reconnaissable. Mais il est souvent impossible de déterminer si un passage a


été dérivé de J ou de E. » (p. xix . Cette proposition doit sans doute être entendue
avec cette restriction que dans bien des cas on ne sait si un passage appartient réel-
lement à P. On peut seulement dire qu'il existe une série parfaitement caractérisée
de passages qui sont du même auteur et qui forment une suite assez complète pour
qu'on ait le droit de les regarder comme un document distinct. Ces passages se
distinguent nettement d'autres récits, et ne sont pas des compléments, puisque dans
beaucoup de cas ces prétendus compléments n'ajoutent rien d'essentiel. Et ils sont trop
longs pour être des titres. Ce point suffit à établir le bien-fondé de la critique docu-
mentaire pour la Genèse. Quant à J et à E, il n'est que trop vrai, il est très malaisé
de les distinguer, et l'on aurait des chances d'établir l'existence d'une série de tradi-
tions supposant le nom de El, qui ne seraient par conséquent ni jahvistes, ni
élohistes au sens propre. Mais ce n'est pas le lieu d'entreprendre une longue et déli-
cate appréciation. On ec>time aussi que M. Ryle est trop docile à l'opinion naguère
régnante en Allemagne, que J appartient probablement au xi" siècle, et E au début
du viii<^ siècle av. J,-C.

(I) r/ie BooL of Genesis. in tlie Révisée! Version, with Introduction and notes, by Herbert
E. Ryle. U. D.Dean ol Westminster, sometime Bisliop of Exeter, and ol Winchester; in- 12 de
LXVIII-477 pp.
286 REVUE BIBLIQUE.

Sur le procédé de compilation, M. Ryle a une classification ingénieuse, en six

points. Quelquefois de longs extraits ont été transcrits presque littéralement comme
dans le cas du récit de la création (1, 1-2, 4^), la généalogie des Sethites (5). etc.
Quelquefois un document a été abrégé, ainsi la Cosmogonie de J (2, 4. 5), dont le

début est omis parce que le récit plus complet de P (1. 1-2, 4=') suffisait. Quelque-
fols des récits parallèles, mais pas nécessairement identiques, ont été retenus côte à
côte-, ainsi le chap. 27, de J et 28, 1-9 de P, la double explication des noms d'Issa-
char, Zabulon et Joseph (30, 16-24). Quelquefois, quand les récits étaient iden-
tiques dans les grandes lignes, le compilateur les a combinés, prenant tantôt dans
l'un et tantôt dans l'autre, par exemple dans les récits du Déluge. Quelquefois, des
changements ont été opérés par l'éditeur pour assurer l'harmonie et la continuité
des récits, ainsi dans 39, 1 le nom de Putiphar a été introduit pour harmoniser le
thème de J, où le maître de Joseph était un Égyptien innommé, avec E qui donnait
le nom de Putiphar. Quelquefois enfin des notes ou gloses, qui peuvent venir d'une

main tardive, ont été ajoutées dans le texte, comme dans 14, 2. 3. 7. 8: 20, 18:
37, 47: 35, G. 1!).

Si l'oQ trouve étrange cette façon de compiler des documents, on n'a qu'à ouvrir
le Diatessaron deTatien, tel que nous le possédons en arabe, pour y retrouver tous
ces divers procédés. La règle est l'insertion littérale, mais dans le récit de la tenta-
tion, par exemple, ni Mt. ni Le. ni même Me. ne sont extraits complètement; le
compilateur a mis souvent les récits parallèles côte à côte, mais il en a composé un
en prenant tantôt à l'un, tantôt à l'autre, comme dans ce même récit de la tentation,

et s'il a peu ajouté de son cru pour harmoniser les récits (l), ses omissions, com-
prenant deux généalogies de Jésus, ne sont pas médiocres, sans parler des petites
les

gloses de copistes qu'on peut trouver partout. Chacun sait d'ailleurs que l'œuvre de
Tatien, reconnue pour ce quelle est, a plus d'autorité, est plus voisine des évan
giles, que si Tatien avait composé librement un cinquième évangile.

Aussi M. Ryle n'a point vu dans la distinction des sources une raison pour nier
leur valeur historique. II réfute ceux qui ont voulu faire des patriarches soit des
personnifications de peuples, soit d'anciennes divinités, soit des emblèmes astraux.
Ce qui ne veut pas dire que les récits de la Genèse 12-50 aient le même caractère
que les aventures de David ou la révolte d'Absalom. Les patriarches sont des per-
sonnes qui ont existé, mais les faits, la poésie, le symbolisme se mêlent dans ce que
l'auteur en rapporte. Exception est faite pour le ch. 14, qui nous met en contact
avec les nations voisines, car Amraphel peut très bien être Hammourabi. — Cela soit
dit pour faire connaître les opinions de M. Ryle; il y aurait évidemment intérêt à
discuter ces points à fond.
L'obligation de commenter le texte anglais officiellement revisé oblige le com-
mentateur à préférer telle traduction contraire à son texte, par exemple pour Shiloh
(p. 431).Le commentaire, aussi soigné que s'il s'adressait à des maîtres, est réduit à
une forme qui le rend accessible à tout le monde du moins à l'âge heureux où —
l'on. peut lire sans ellort des caractères aussi fins... c'est bien une Bible for schools
and collèges!

Sur Vépître de Jérémie ont paru en même temps, en 1913, deux études que l'on
peut qualifier de réactionnaires dans un bon sens. M. Bail dans les Apocryphes de

(1) C'est par un artifice de traduction que Me. 6, 7 est concilié avec Mt. 10, 10 une verge :

mais pas de bâton. Mais l'addition de « Marie » dans le texte de Me. 14, S"* est exactement le
même casque pour Putiphar.
BULLETIN. 287

M. Charles, et M. ^yeigand Naumann. dans une brochure particulière (1), n'out pas
hésité à conclure à un original hébreu. Cette opinion n'était plus soutenue que par
des théologiens catholiques, dans l'intérêt, pensait-on, de rauthenticité. et seul
.Nestlé n'avait pas craint de leur prêter son appui. La question n'était-elle pas tran-
chée par l'accord de la critique, à laquelle Schiirer (2i avait donné son suflfrage :

« Le petit écrit est certainement un original grec »?

Dans son commentaire très soigné, M. Bail a relevé les sémitismes et les confu-
sions du traducteur qui rendent certaine l'origine hébraïque. M. Naumann a donné
quelques indications dans le même sens 3) et quelques observations sur le grec du
traducteur (4\ Mais le morceau principal de sa brochure est une étude de l'idolâtrie
décrite dans l'épître : images des dieux, prêtres, culte, impuissance des dieux. Plu-
sieurs critiques y reconnaissaient des cultes égyptiens, d'autres Tidolàtrie hellénique
si bien quon faisait descendre la composition jusqu'après la ruine de .Jérusalem (5;.
D'après M. ?saumann, qui a comparé au texte de l'épître les principales sources sur
la Babylonie, tout est babylonien et suppose une connaissance personnelle, qui est

même qualifiée d'autopsie. Tout — sauf les chats! — qui ont pu être ajoutés en
Egypte, car M. Naumann
doute de leur existence en Babylonie, et ils n'auraient pu
pénétrer dans les temples bien fermés. Mais n'y avait-il pas Ki de rats, er les rats

n'appelaient-ils pas les chats? De toute façon le cas n'est pas grave.
Mais alors pourquoi ne pas admettre l'authenticité? C'est, dit l'auteur, parce que
dans le Jéréraie authentique, le ch. 10, contient une prédication contre les idoles

et le ch. 29 une lettre. C'était inviter un écrivain de loisir à écrire une autre lettre
de Jérémie sur les idoles. —
Mais pourquoi Jérémie lui-même n'aurait-il pas écrit
une seconde lettre? Ln autre argument de M. Naumann suppose une ignorance assez
coquette de l'Ancien Testament. « La foi en ange (der Engelglaube qui s'exprime
au V. 6, est caractéristique pour le Judaïsme tardif, tandis qu'aux temps préexi-
liens elle ne joue aucun rôle » (p. 1). Suit un renvoi à Bousset. — On a vu mon
embarras pour traduire Engelglaube. S'agit-il d'un ou de plusieurs anges? Quoi qu'il

en soit, au v. 6 de l'épître, il est parlé de « mon ange ». l'ange du Seigneur, si

connu dans l'Exode, et même dans la Genèse. Ce qui est tardif dans le judaïsme,
c'est une angélologie développée. Si M. Naumann croit que l'ange de lahvé vient

d'une retouche des textes anciens, comme on l'a proposé dans cette Pvevue (6), il eût
fallu s'expliquer: en tout cas, si retouche ily a, elle est très ancienne.
Une difficulté plus grave, c'est le texte de v. 2 : « Vous resterez à Babylone de
nombreuses années un long temps, jusqu'à sept générations ». Si c'est Jérémie
et

qui a écrit cette ligne, a-t-il donc oublié les soixante-dix années prédites par lui
(29, 10 ? De prétendre que les générations ne représentent rien de fixe, ce n'est pas
une solution, car la phrase telle qu'elle est conçue indique un temps plus long que
soixante-dix années. Mais la difficulté n'est-elle pas la même si quelqu'un a mis
cette lettre sous le nom de Jérémie? Son premier soin eût dû être d'adopter la
même date que lui. Cependant nous estimons en somme plus vraisemblable que
quelqu'un ait voulu allonger le temps indiqué par Jérémie. Seulement, puisqu'il

s'agit d'une traduction, ne serait-ce pas le traducteur qui aurait ajouté : i'co; yEVîôjv

(1) Untersuchungen ûber den apocryphen Jeremiasbrief von Weigand Naisiann, Dr. phil. in
Giessen,8» de 33 pp. Giessen, Tôpelmann, 1013.
(2) Geschichte d. J. V.. i' éd., m, 407.
(31 Elles ont été notées aussi par Bail.

(4) Il parait en résulter que ce grec est d'une koiné ancienne.


(a> Cependant Scliiirer ne le dit que de Baruch (contre NaumannT.
(«) L'ange de Jahvé, 1903. p. -21-2 et s.
288 REVUE BIBLIQUE.

i-ia? Les sept générations à quarante ans l'une font 280 ans. qui nous amènent
en 306. si Ton part de 686 av. J.-C. C'est l'époque d'Alexandre, le moment où
une traduction grecque a pu paraître souhaitable. Tandis qu'on ne voit pas qu'à ce
moment le danger de l'idolâtrie babylonienne ait été plus grave pour les Juifs.
M. >'aumann concède que sous les Perses il y avait peu à craindre, mais il rappelle
la renaissance de l'idolâtrie babylonnienne après la chute de leur empire. Les Juifs
étaient-ils encore à ce moment exposés à la séduction? C'est au moment du triomphe
de Nabuchodonosor que le péril fut extrême. Une nouvelle difficulté, que M. jVau-
mann ne soulève pas, pourrait naître de l'appui même qu'il a donné à l'affirmation
de l'épître sur la nationalité de cette idolâtrie, car il va jusqu'à dire que l'auteur a
dû être témoin oculaire, et Jérémie n'est pas allé à Babylone. Mais il est dans notre
cas malaisé de distinguer une connaissance bien informée dune vue immédiate.

La thèse de doctorat de M. Schwab, prêtre du diocèse de Ratisbonne, a pour


J.

objet « la conception les saints Livres de FA. T. (1) »,


de la nefech dans objet
d'autant plus déUcat qu'il impose une comparaison de l'âme avec la notion encore
moins facile à discerner de l'esprit (roaaJi). Le grand nombre des travaux sur la
psychologie des Hébreux ne rendait pas la tâche plus aisée, tant les opinions sont
divergentes. Il y a cependant un accord général sur ce point qu'il n'existe pas de
psychologie dans l'A. T., si l'on entend par là une étude raisonnée de la nature de
l'âme et de ses facultés. Mais les modernes, eux, ne peuvent se dispenser de classer
les concepts, et leur travail consiste précisémentà se demander si les expressions

variées et spontanées qui mettent en jeu l'âme humaine supposent ou ne supposent


pas une certaine unité de vues, ou du moins un principe d'où s'est dégagé tout le
reste, car on sait assez que le peuple a sa logique et philosophe sans le savoir. Cette

unité qui évolue, M. Schwab la reconnaît dans la notion de la nefech. Originairement


c'est le souffle, donc le principe de la vie. donc la personne, etc. Elle avait donc
aussi sa consistance propre. Les Hébreux, qui croyaient à la survivance de l'être
humain, lui ont-ils donné dans cet état le nom de nefech? En d'autres termes, ont-
ils pensé que c'était la nefech qui survivait? C'est sur cette question que M. Schwab
s'est étendu le plus. Il l'a résolue par la négative, pour l'époque antérieure à l'hel-
lénisme, cela s'entend.
Et il semble bien que celte conclusion soit juste, quoiqu'il eût fallu expliquer
qu'il y avait dans cette ancienne psychologie rudimentaire comme une préparation
à l'idée de la survivance de l'âme. Les expressions des Psaumes (89, 49 -.94, 17. etc.)
Job 14, 22. forment déjà une transition. De plus nous savons que nbch^ évidemment
le même mot que nefech, signifie ce qui subsiste après la mort, dans l'inscription

de Panammou. Puisque ce concept a pris cette forme chez les Hébreux, qu'il

l'avait déjà chez des voisins, c'est un signe vraisemblable que l'ancienne conception
aurait abouti à ce point, même sans l'inOuence des Grecs (2).

(1) Der liffjriff der nefcs in den heiligen Schn'flen des Allen Testaments, ein Beitrag zur
altjùdisclien Religioiisgescliiclite, Inaugural-Dissertation... vorgelegt von Joliann SctinAB, 8° de
x-103 ])p. Borna-I.cipzig, Noske, d'il.'i.
{-2) A la p. rJO, l'auieur prétend que certains auteurs supposent comme une chose acquise et
qui s'entend de soi, que le nefech est ce qui survit et vit dans le royaume des morts. Natu-
rellement il s'agit de l'.\. T. En tête une citation du P. Lagrange « Le nom le plus remarquable:

donné à ce qui survit du mort est celui d'âme • (Éludes sur le rel. sém.. p. .{19.) M. Schwab a
du prendre une liclie et l'insérer sans plus penser au contexte car il ne s'agit là que du cas ;

de Panammou, présenté seulement comme ayant de l'importance pour la question engagée au


sujet de l'A. T. C'est cette importance que M. Schwab nie, se contentant de jeter un doute sur
l'interprétation de Panammou, sans en proposer une autre. D'ailleurs sur cette question contre-
BULLETIN. 289

M. Schwab est trop prudent pour lire dans les textes que la nefech
D'ailleurs
disparaît complètement à la mort; il se borne à constater que Ton n'en parle plus
lorsque la vie présente n'est plus dans la perspective. Les ombres étaient des
refa''im. L'auteur s'est abstenu de nous rien dire sur ces êtres mystérieux.
Une voie aussi droite —
conduisant, selon nous, à la survivance de la nefech —
n'est point le fait derouah. Elle est l'apanage des hommes, mais aussi des animaux
la

(contra le Diction, de Vigouroux, L p. 4.34^ elle est quelque chose de distinct de la;

nefech. de surajouté, de moins essentiel à la vie physique et cependant de plus


énergique, de plus une ro^iah qui est le souffle, mais aussi une l'iuah du
actif. 11 y a

monde, et c'est quelquefois comme un principe étranger. Ce n'est donc pas avec le
corps un troisième principe de l'être humain, pas de trichotomie. L'exposition de
Schwab n'est pas très claire, mais il faut convenir qu'on ne saurait à la fois être
net et exact en pareille matière. La philosophie, avec ses catégories, ne viendra

que plus tard. Elle apparaît, comme on sait, dans le livre de la Sagesse, mais de
loin, et sans qu'on puisse parfaitement préciser son influence. .T'avoue que la posi-
tion de M. Schwab me paraît embarrassée sur le thème de la préexistence de l'àme.
On dirait d'abord qu'il en veut à ceux qui n'ont pas su la reconnaître dans le
célèbre passage 8, 19.20. Il conclut en soulignant : « Ainsi donc ce passage a été
influencé par la doctrine platonico-philonienne de la préexistence de l'àme » 'p. 89,\
On se demande d'abord ce que Philon vient faire ici, et si l'auteur estime que ses
œuvres ont influé sur la Sagesse ? Et une conception platonico-philonienne de la

préexistence de l'âme est un étrange rébus. Ce beaucoup de dégager chacune


serait
des deux théories. Au surplus ce serait parfaitement inutile, car nous lisons p. 92'
qu'il ne s'agit pas du tout pour la Sagesse d'adopter la préexistence de l'àme
clairement, ni même obscurément, mais simplement de relever la supériorité de
l'àme : seulement elle l'a fait en des termes qui, chez les Grecs, signifient encore
autre chose. On concède la première partie (l.\ mais non la seconde, qui paraît peu
en harmonie avec la première. Il faut choisir !

Dans le Bessarione jauv.-juin 1918, p. 8-46i, une importante étude du P. A.


Vaccari, sur « Hésychius de Jérusalem et son Commentarins in Leviticum u. Les mots
latins ne sont point là au hasard : ce commentaire du Lévitique n'a été conservé
qu'en latin, et, parce que la Vulgate est reflétée dans ce latin, les critiques alle-
mands les plus autorisés refusaient cette œuvre à un prêtre de Jérusalem, écrivant
en grec dans la première moitié du \ -
siècle. Sans se laisser intimider par ces auto-
rités, invité par le doute de M^^ Batiffol (2) à scruter le problème, le R. P. Vaccari
a prouvé très solidement que le latin teinté de Vulgate représente la traduction des
Septante. Allant plus au fond, il a même reconnu que le texte grec était celui dAn-
tioche ou de Lucien. De plus Hésychius dans son commentaire sur Job, dans ses
gloses sur Isaïe publiées en partie par M-'"- Faulhaber, avait le même texte antio-
chien sous les yeux. Mais alors que devient la célèbre déclaration de saint Jérôme,
qui a servi de base à toutes les classifications des manuscrits des Septante.'
D'après le saint Docteur, les maîtres de Palestine s'attachaient au texte origénien.

versée que le P. I.agrange se bornait à signaler, .M. Schwab a raison d'interpréter le m/'eclt met
d'un mort quelcon(|ue. C'est le sens reçu de tous et fourni par le dictionnaire manuel de
•iesenius. Pour le sens de • personne ou de « moi •. même dans le ps. 16. m. cl". flB.. VM:,,
>.

p. 190.
(1) On peut voir RH.. 1!»07, p. 89. d'autant que l.agrange est cité pour un système du P. H. Wies-
mann, proposé eu 19I1 p. «K) :

2) La littérature grecque. 4' éd.. p. .3i>3.

REVUE BIBUQUE 1919. — N. S., T. XVI, 19


290 REVUE BIBl.lQLE.

Et saint Jérôme savait ce qu'il disait: mais quand il mourut, les temps étaient déjà
changés. Le R. P. Vaccari suppose que le texte d'Antioolie l'emporta peu ù peu par
l'influence des moines. Les principaux higoumènes des environs de Jérusalem étaient
en eftet des Cappadociens. Ils avaient apporté leurs manuscrits avec eux et conti-
nuaient à les lire dans
Cette explication n'a rien d'invraisemblable. Mais
la solitude.

ne faut-il pas tenir compte aussi des polémiques anti-origénistes, et plus encore de
l'autorité croissante du grand exégète d'Antioche, saint Jean Chrysostome? Le
P. Vaccari a très ingénieusement cité (p. 41 — en faveur du fait allégué par saint
Jérôme! — un texte qui. selon nous, expliquerait le chansiement. Un commentaire
d'Isaïe attribué à tort ou à raison à Chrysostome, contient dans le texte arménien à
propos de Is. 9, 6 : < L'édition de Lucien n'est donc pas mauvaise, et même elle est
meilleure et plus exacte que le texte des Palestiniens. » C'est que, fait à peine
croyable, Lucien contenait un complément ajouté d'après l'hébreu qui demeurait
absent de l'édition hexaplaire. Lucien devait l'emporter comme plus complet, dit le
P. Vaccari, à quoi il faut probablement ajouter : Comme plus semblable à. l'hébreu.
Ily aurait même lieu de se demander si telle ne fut pas la règle dHésychius, sinon
pour faire une traduction nouvelle, du moins pour choisir entre celles qui existaient
déjà. Par exemple le P. Vaccari cite les cas (p. 40) où le commentateur de Job
s'écarte du ms., A représentant pour ce livre la recension d'Antioche. Il se trouve
que ce sont en général les leçons du cod. B, mais qui devaient paraître plus con-
formes à l'hébreu. Hésychius dans son explication quoi qu'il en soit du texte armé- —
nien cité —
a très bien compris l'hébreu de Job 9, 12. Les amis de Job répandent de
la poussière ou de la cendre du fumier sur leur tête ils la jettent aussi « dans la ;

direction du ciel » ; ce que tel ou tel grec n'a cru pouvoir conserver qu'en ajoutant :

c( en regardant » vers le ciel.

A Jérusalem, au commencement du v^ siècle, on n'ignorait pas les travaux de


saint Jérôme, qui tendaient à la dépréciation des Septante. Les moines grecs n'en
étaient pas émus au point de douter de leur version. Mais ne se sont-ils pas souciés
d'adhérer aux leçons plus semblables à l'hébreu? Ce désir qui avait produit les
recensions hexaplaires où l'hébreu n'était point uni organiquement aux Septante,
et ensuite la recension de Lucien, où la fusion était plus complète, n'aurait-il point
inspiré la critique éclectique d'IFésychius? On n'ose soumettre cette conjecture au
R. P. Vaccari qui l'a sans doute éliminée tacitement.

une lourde tâche, de tracer eu trois conférences- un tableau, même réduit


C'était
à une esquisse, des Apocalypses juives et chrétiennes. Ces vues d'ensemble ont leur
avaûtage, et quand l'auteur est M. Burkitt, on est sûr qu'elles seront fécondes (1).
La première conférence traitait du thème de l'apologétique, la seconde du livre
d'Hénoch, la troisième comprenait les autres apocalypses juives et aussi l'apocaly-
ptique chrétienne. En détachant cette seconde partie pour eu faire un chapitre spé-
cial, l'auteur lui a enlevé son cachet de queue secondaire, sans lui attribuer beau-

coup d'importance, car que de l'Ascension d'Isaïe. Et en effet, après


il ne traite guère
le christianisme, si de saint Jean qui est toute pénétrée
l'on excepte l'Apocalypse
de la lumière de Jésus-Christ, ces sortes de productions ressemblent un peu aux
lueurs trompeuses qui se modtrent parfois à l'Orient après le coucher du soleil.
La question est de savoir si l'autre apocalypse, celle des Juifs, a été une aurore,

(1) Jewùh and Christian Apocalypses, by F. Grawlord Bihkitt, M. A., D. I)., The Sdnveich
Lectures 1913, 1.ondon, Published by the British Acadeiny, By Humplirey Milford, Oxford Iniver-
sity Press, 191t.
BULLETIN. 291

si elle a influé sur l'évangile, et c'est pour cela que M. Burkitt a insisté surtout sur
le livre d'Hénoch, antérieur à l'ère chrétienBe.
L'auteur nous dit d'abord que thème de l'apocalyptique juive est le dernier
le

jugement ;p. 2;, et royaume de Dieu en est Tidée


ensuite que le règne de Dieu ou le
centrale (1). — Ces deux expressions ne sont pas synonymes. Et en elFet. si le règne
de Dieu était l'idée centrale de l'Apocalyptique, pourquoi l'expression ne se lit-elle

jamais dans les Apocalypses, tandis qu'elle est si fréquente dans l'Évangile? Aussi
M. Burkitt lui-mêu>e beaucoup moins sur le règne de Dieu que sur le
a-t-il insisté
jugement, qui est plutôt thème des voyants. Comme il dit très bien en
en effet le

linissant (p. 49), ils sont convaincus que le jugement approche, et que Dieu ne
permettra pas que son peuple choisi périsse dans sa lutte contre la civilisation du
monde païen. Cette idée de la lutte contre l'hellénisme est mise très en relief par
M. Burkitt: sur le point spécial des fins dernières, il a élégamment comparé
( Hénoch » à Posidonius (il est fort à la mode!\ En présence d'une doctrine -cosmo-
polite, fusion de la pensée grecque avec le sentiment religieux de l'Orient, envahis-
sant tout, se servant même de la force, menaçant sa foi traditionnelle. le judaïsme
s'est ressaisi avec les Macchabées, il a exprimé son espoir invincible dans des livres
comme celui d'Hénoch. Pour être à la hauteur de l'envahisseur, il s'élève, lui aussi,
à des conceptions universelles, apprend à penser imperiaUi/. Mais tandis que la
il

philosophie gréco-orientale ne connaît d'autre jugement que celui des individus, le


.luif conçoit le jugement de Dieu comme de grandes assises qui mettront fin au

monde païen. On le voit, toujours le jugement I Et en effet, c'est par là surtout que
l'apocalyptique se distingue du paganisme transformé. Le point capital d'après
M. Burkitt, c'est que Posidonius n'admettait qu'un monde, tandis que les apoca-
lypses en comptaient deux (p. 32). Ce n'est pas tout à fait le joint, puisque, sous des
influences que M. Cumont dégage de plus en plus, les païens qui croyaient aux des-
tinées heureuses des âmes leur assignaient un séjour dans les régions astrales, ce
qui faisait bien deux mondes.
Or cette prédominance exclusive du jugement universel avait des conséquences
fâcheuses, qui ont entraîné l'apocalyptique en dehors des voies tracées par la révé-
lation. Qui jugement universel insinue jugement définitif, après quoi l'histoire est
dit

terminée, le monde commence, il n'en est pas de même du règne de Dieu,


second
dont les conditions dépendront du bon plaisir de Dieu et de la bonne volonté des
hommes. On peut donc parler de l'avènement du règne de Dieu sans rien changer
aux conditions de la vie. tandis qu'elles sont suspendues ou changées par le dernier
jugement. Autre conséquence. Qui fait appel au jugement en termes si passionnés,
ne songe apparemment guère à soi. et ne se sent pas coupable: il le sollicite contre
son adversaire, et ce doit être une condamnation. C'est bien le cas d' « Hénoch ».
qui se préoccupe assurément du bonheur des justes, mais qui fait consister en par-
tie ce bonheur à contempler les souffrances des méchants, sur lesquels il s'étend

avec complaisance (2). Et comme il est peu d'hommes qui osent appeler sur eux-
mêmes le jugenaent de Dieu, l'idée du salut individuel préoccupe peu « Hénoch et
ne reparaît qiie dans les apocalypses d'Esdras et de Baruch, fortement empreintes
d'esprit rabbinique. C'est en groupe qu'on se sent fort devant Dieu le groupe des :

The Kingdom of God... Ihal is the central idea ;p. 7).


(1)
Bousset (Die Religion des Judentums) a cité de nombreux passages (p. 3(;i ss.) qui prou-
(2)
vent la foi dn judaïsme de ce temps à la miséricorde de Dieu. C'est à peine si Hénoch est cité.
Dans la table des matières de la traduction Martin, il y a quatorze renvois au mot miséricorde,
mais sept fi>is c'est pour la réfuter: i.es passages sur la justice sont inooniparaWlement plus
nombreux.
292 REVUE BIBLIQUE.

voyants, ou dirait presque la secte, ce sont les justes dans Israël, et c'est le plus
souvent Israël lui-même, opposé aux païens. De sorte qu'au lieu d'appeler le règne
de Dieu, le salut par la pénitence, y compris les païens, la miséricorde et le pardon,
Hénoch ne parle guère que de jugement, de condamnation de tous les païens, et de
tortures.
Ce sont autant de déviations par rapport à l'Ancien Testament : que dire de
l'Evangile? Mais avant d'en venir à ce point, le plus grave assurément, il faut se
demander si cet esprit farouche d'exclusivisme national, de foi ardente dans le juge-
ment prochain et dans la condamnation du monde des gentils était l'état d'âme de
tout Israël? L'apocalyptique, ignorée il n'y a pas cent ans. n'est-elle pas devenue un
peu trop envahissante.'
Où sait qu'après la prise de .lérusalem par Titus, et définitivement après le catas-
trophe de Bar-Cochébas, le judaïsme s'est replié sur lui-même, a renohcé à l'espoir

du jugement prochain, et par conséquent à la littérature apocalyptique. M. Burkitt


a décrit admirablement ce mouvement de concentration, et a relevé la part qu'y a
prise Johanan-ben-Zakkaï. Ce rabbin, et ceux de plus en plus nombreux qui ont
constitué le noyau du judaïsme talmudique. auraient-ils réussi, si la majorité de la
nation n'avait été déjà, avant la ruine, préservée de rêves dangereux.' Ceux-là ont
compris que la lutte contre Rome étdit impossible, que les espoirs chimériques abou-
tissaient à la désillusion. Pourtant ils n'ont pas perdu leur foi dans la justice de
Dieu, ni désespéré de voir son règne s'établir parmi les hommes. Quel est donc le
sens exact de l'impulsion qu'ils ont donnée? Ils ont interdit les efforts nationaux et
révolutionnaires pour les remplacer par l'effort individuel de chacun par la pratique
de la Loi. En quoi ils demeuraient fidèles à la tradition et même à un certain esprit
d'abandon à Dieu qui n'était pas étranger à l'apocalyptique, et il n'y aurait rien à
leur reprocher si, dans l'intervalle, le salut ne leur avait été offert par Dieu en la per-
sonne de .Tésus.

Les lecteurs des apocalypses étaient-ils mieux disposés à le reconnaître? Cette


littérature a-t-elle préparé le terrain au christianisme? M. Burkitt ne le dit pas tout .

à fait. L'image dont il se sert est celle d'un fond de tableau formé par les livres
d'Hénoch, et qui permet de mieux comprendre les évangiles. Il va plus loin cepen-
dant, et jusqu'à regarder quelques paroles de Jésus comme un midrash, c'est-à-dire,
je pense, un développement exégétique de paroles et de conceptions qui se trouvent
dans « Hénoch ». Il fallait donner des exemples. M. Burkitt en a choisi deux. Le
premier est relatif à l'esprit impur qui revient au logis d'où il a été chassé (Mt.
12, 43-4Ô; Le. 11, 24-26). La comparaison n'a rien de fâcheux pour l'évangile,
mais le mot de midrash ne paraît pas applicable, car tout se réduit à des idées
communes sur les démons et sur leurs pérégrinations. C'est un fond de tableau
[backg round) commun, mais il appartient à toute la croyance juive. Dans un second
cas, M. Burkitt conclut même à une dépendance littéraire, c'est le jugement dans
saint Matthieu 25, 31-46; et dans les paraboles d'Hénoch v'LXII). Pour rapprocher
les points de comparaison, il faut d'abord adopter l'exégèse de certains critiques
modernes : dans Mt. les gentils seuls seraient jugés, et d'après leurs procédés envers
les disciples de .lésus; il faut aussi tenir peu de compte de l'esprit différent qui anime
les deux scènes. M. Burkitt reconnaît bien dans l'évangile une morale particulière,
mais il croit que la scène d'Hénoch lui a servi de cadre. La ressemblance n'est point
si étroite, et se borne à des traits généraux qu'on imagine facilement à propos d'un

jugement. L'hypothèse d'une imitation par Mt. n'est guère compatible avec la supé-
riorité littéraire que M. Burkitt lui reconnaît.
BULLETIN. 293

Jésus avait autre chose à l'aire que de commenter Hénoch. Les voies n'étaient pas
les mêmes. Si les voyants d'Apocalypse n'avaient voulu qu'annoncer l'intervention
prochaine de Dieu, son triomphe sur le paganisme, ils ne se seraient pas trompés.
Dieu allait agir, par Israël, mais non pas dans l'intérêt exclusif d'Israël et de ses
vengeances. Or c'est cette note qu'accentuent les apocalypses, et c'est contre quoi
.lésus dut réagir. L'évangile est dans un sens l'opposé exact de l'apocalyptique,
puisque le jugement dont il parle doit frapper Israël. Et si l'annonce du jugement
prochain était de nature à tenir les esprits en éveil, elle risquait de lancer des esprits
surexcités dans les aventures. A tout prendre les apocalypses anciennes étaient un
terrain moins favorable à l'évangile qu'aux Zélotes. Et c'est pourquoi les prudents
rabbins les ont mises à l'index.
Il eût été contraire au but de M. Burkitt de rechercher dans les apocalypses les
vues divergentes qui font conclure à la pluralité d'auteurs. S'il a raison d'admettre
l'unité d'Esdras et de Baruch. on ne saurait en dire autant d'Hénoch. La différence
ne lui a pas échappé, aussi il parle du livre ou des livres d'Hénoch, mais pour les

traiter ensuite comme une unité littéraire, ce qu'il est difficile d'admettre. Il lui

semble que les rois et les puissants des Paraboles d'Hénoch ne sont pas les princes
Asmonéens, mais les gentils [p. 37, note 1). C'est très bien vu; mais alors il n'y a
plus de raison de placer ce livre avant l'an 40 av. J.-C. Sur les douze Testaments,
l'auteuç a émis une hypothèse que je crois originale, et très heureuse. Après les
conquêtes des Asmonéens en des pays où les Israélites (idèles étaient peu nom-
breux, c'était une trouvaille de faire entendre la voix des Pères des douze tribus
pour grouper tous les Israélites dans un idéal commun, autour des Asmonéens,
figurés par Lévi (p. 36). Il n'est rien dit de l'antériorité d'Esdras IV ou de Baruch.
L'influence des Perses n'est pas exclue, mais la propriété des apocalypses de leurs
doctrines est revendiquée pour Israël, ce qui est incontestable. Enfin, pour montrer
qu'il n'avait pas procédé à sa brillante généralisation sans une étude minutieuse des
détails, — personne n'eût fait cette supposition à propos de M. Burkitt, il a groupé —
dans des appendices quelques observations tendant à prouver la supériorité du texte
grec de Gizeh sur l'éthiopien et les extraits de Georges le Syncelle, et examiné cer-
tains autres points relatifs au livre d'Hénoch. Le livre serait originaire de Palestine
et aurait été écrit en araméen plutôt qu'en hébreu.

Peuples voisins. — M. Pillet (1 a un tel talent d'exposer avec clarté et sim-


plicité les matières ardues de l'archéologie que le public, même le moins versé
dans la science de l'antique, aimera à le suivre dans sa description du palais de
Darius à Suze. Ayant participé à la direction des fouilles du tell de Chouch, il sait
initier le lecteur aux méthodes d'une exploration qui veut être fructueuse, comme
cellede M. Morgan. Architecte doublé d'un artiste, M. Pillet arrive également à
évoquer du milieu de ruines souvent informes le mirifique palais où se déroula
l'épisode d'Esther, avec sa riche décoration de briques émaillées et son agencement
mystérieux. « La scène du festin où la reine Vasthi refusa de paraître se serait
déroulée dans la salle du trône ou Apadâna, tandis que les repas intimes du roi,
de la reine et d'Aman auraient eu pour témoins les salles du palais; et cependant,
Mardochée traversant la Place d'Armes venait s'établir à l'ombre du porche du Sud,
à la recherche des nouvelles, Toreille attentive et l'œil mi-clos. » Ceux qui tiennent,
en mal de grandeur, à développer outre mesure l'ancienne Jérusalem, seront assez

(1) Le palais de Darius I" à Suse, %"= siècle avant J.-Ch. Simple notice par M. L. Pillet. archi-

tecte diplômé par le gouvernement, petit in-8°, 106 pp. Paris, Geutiiner, mai 191 1.
294 REVUE BIBLIQUE.

stupéfaits d'apprendre que la célèbre cité de Suze, (]ui faisait Tadrairation des
Grecs et que les Juifs avaient représentée, comme une merveille, sur la porte orien-
tale du Temple, que cette cité, dis-je, navait que 4.200 mètres de pourtour!
Grâce à rarchéologie, nous prenons avec les réalités anciennes un contact qu'une
littérature emphatique fait perdre plus d'une fois. Le petit livre, si élégamment
illustré, de M. Pillet, en fournit un exemple nouveau.

On que M. .foseph Déchelette avait commencé, en 1908, la publi-


se souvient
cation d'un Manuel d'aixhéologie jjrt'hixlorique, celtique et gallo-romaine, consacré
à étudier les « antiquités de la Gaule, depuis l'apparition de l'homme jusqu'à la
chute de l'empire romain ». En présentant, au fur et à mesure qu'ils paraissaient.
les volumes de cet admirable ouvrage, la Uevue a signalé combien ils touchaient

de près les recherches orientales et palestiniennes. La 3*= partie du tome II est


consacrée au Second lij/e du fer ou rpoque de La Tène '2i, du nom de la localité
suisse, sur le lac de Neuchâtel, où furent réalisées les « trouvailles particulière-
ment typiques » de cette nouvelle culture, qui fleurit depuis le vi'^ siècle environ
jusqu'à l'aurore de l'ère chrétienne et prépara l'Occident à l'établissement de la
domination romaine. Quoiqu'il ne puisse être question, du moins avec l'information
archéologique actuelle, de synchroniser les phases de la culture palestinienne avec
les périodes protohistoriques déflnies par M. D. dans les régions celtiques, le clas-

sement si méthodique et l'évolution si finement analysée de celles-ci seront d'un


grand secours pour déterminer mieux celles-là. Précieux déjà en ce qu'il fournit
une orientation nette et parfaitement sûre parmi l'amas des faits qui méritent d'être
pris en considération, le Manuel l'est plus encore par son impeccable critique,
par la puissance de pensée qui coordonne et domine cette énorme matière, par
l'ingéniosité des vues quand il s'agit d'animer l'aridité du détail technique et de faire
courir un souffle de vie dans ces pauvres choses mortes depuis tant de siècles. En
eompai-ant par exemple des fonds de cabanes ou se mêlent seulement, aux dépôts
de cendres et aux ossements d'animaux, quelques outils rudimentaires et des tes-
sons grossiers avec des aires d'habitations plus spacieuses, pourvues d'armes moins
élémentaires, d'un outillage plus perfectionné et de débris céramiques plus élé-

gants, M. D. saura mettre en évidence à quelle date la conquête romaine « fut


l'arrêt de mort d'une bourgade indigène » de la >'arbonnai-e p. 1008 ss.i. Contre
ceux qui allèguent l'aménagement des sépultures pour établir
les rites funéraires et

que les Celtes ne crurent jamais à lala mort n'étant consi-


survivance de lârae,
dérée chez eux que comme une simple prolongation de la vie terrestre dans la
<

demeure sépulcrale ù. il montre bien que même « chez les peuples classiques
l'évolution des conceptions religieuses ou philosophiques se rattachant à la survie
de humain ne modifia jamais essentiellement les coutumes primitives relatives
l'être

a l'ordonnance et à l'aménagement des sépultures » (p. 1013), En constatant que


dans nombre de sépultures celtiques le cadavre et son mobilier funéraire étaient
recouverts « non pas avec la terre provenant du déblai, mais avec une sorte de
terreau ^>. il .se demande « si Ton ne se proposait pas de procurer au mort une
terre fertile, par allusion aux riches contrées élyséennes qu'il allait habiter »
(p. 1031). Loin de mesurer « l'intérêt scientifique des trouvailles archéologiques...

(1) Voy. K.'B;, 100*, p. 03-2 9., à propos du tome I : Prè/nstoire : 19H, p. 135 à proiios de la
1'^' partie du t. II : Protohistoire: 1913, p. t!3ti, à i)ropos de a i" partie du t. II.
K-i:- In-8\ de la p. OM a la p. i<j92, lig. 38a-73«, cinq planches '«cartes et un tableau synop-
tique. Paris, Picard, lai't.
BULLETIN. 29:.

1UX dimensions des objets, non plus qu'à leur caractère artistique », il estime
que « les plus précieux documents sont encore ceux qui se rattachent au domaine
des idées morales » (1293). C'est pour essayer de pénétrer autant que possible les
conceptions religieuses et les superstitions populaires des Celtes primitifs qu'à
dt^faut de monuments plastiques et de scènes figurées il s'attache, en un remar-
quable chapitre, à l'étude des amulettes, talismans, pendeloques humbles objets :

à l'aide desquels il fera constater chez les Celtes de l'époque de La Tene un


mélange de croyances primitives et de spéculations religieuses d'ordre déjà plus
éleyé. La prédilection marquée des ornemanistes celtes pour certains motifs repro-

duits par groupes de trois dans le décor céramique, sur les armes, les bijoux ou la

décoration du mobilier donne de pénétrantes déductions sur » les pro-


lieu à

priétés mystiques que les Celtes, sous l'inlluence de superstitions importées du sud,
ont attribuées au nombre trois » (p. 1-527 ss.)-

On se détache avec peine de cet admirable livre. Il a paru vers le milieu de 1914
et, quelques mois plus tard. Déchelette trouvait une mort glorieuse en défendant
héroïquement la Patrie envahie, quelque part dans les plaines de Champagne. La
troisième partie de son œuvre, cette archéologie gallo-romaine dont les deux parties
antérieures n'étaient en quelque sorte qu'une préparation, ne devait pas tarder à
paraître. Le savant qui par ses travaux honorait la France s'est honoré pour jamais

lui-même en sacrifiant volontairement sa glorieuse tâche au devoir patriotique.

On devra à la collaboration de M. R. Gagnât et de ]M. V. Chapot un Manuel


il' archéologie romaine vivement désiré et dont le !=' volume : Les monuments,
Décoration des ntonwnenis. Sculpture (Ij, a paru en 1917, dans l'excellente collec-
tion des Manuels d'archéologie et d'histoire de l'art édités par la Ubrairie Picard.
Très dense, précis, logique dans sa distribution et limpide en sa forme, illustré
avec une large abondance et toute l'élégance que peut comporter un Manuel, celui-ci
n'omet rien de ce qui est de nature à éclairer l'évolution de l'art romain, mais
n'accorde rien au pédantisme d'une érudition dont ou sent que les deux auteurs
sont trop riches pour éprouver le besoin d'en faire étalage.
Le sujet était immense, puisque Tarchéologie romaine embrasse nécessairement
« tous les pays et tous les peuples sur lesquels Rome a étendu sa domination, et pen-
dant toute la durée de cette domination » (p. v), c'est-à-dire au cours d'une douzaine
de siècles. Si profonde qu'ait pu être l'empreinte de l'esprit latin sur les arts et les
industries de toutes les provinces que l'empire romain a successivement absorbées,
il est manifeste que l'assimilation n'a jamais été radicale au point de supprimer
toute leur vitaHté propre et d'abolir toutes les traditions locales, dans les concepts,
les formes et la technique. Il faut donc s'attendre à constater dans l'archéologie
romaine, en ses phases successives, des éléments nombreux qui déi'ivent de civi-
lisations tout autres, et la tâche est parfois assez délicate de discerner dans quelle
exacte mesure ils ont réagi sur la culture qui se les assimilait. Plus grande encore
est la difficulté de reconnaître l'apport étranger quand il s'agit non plus dun parti
structural nouveau, dun traitement particulier des matériaux, ou de quelque
modèle exploité sans grandes transformations, mais seulement des influences
que l'érudition technique et le goût de l'exotisme ont exercées sur les artistes
romains.
Les deux savants s'emploient dès l'abord à caractériser eu traits uénéraux les
fdéments et les influencfs disparates mis en œuvre dans ce < prodigieux amalgame »

(1) In-S" de xxvi-73:. pp. et 3" lig. ; Paris, Picard, 1917.


296 REVUE BIBLIQUE.

qu'est la civilisation romaine. Vieilles populations itaiiotes, Étrurie, Grèce, Orient


(Egypte et Asie) et régions d'Occident ont contribué à cet amalgame dans des pro-
portions diverses que déûnit, autant qu'elles peuvent l'être aujourd'hui, une
Introduction de tous points excellente. L'action de l'Orient en particulier — et
c'est par là que le Manuel nous intéresse le plus directement —y est mise en un
puissant relief. On insiste « sur les engouements qui surgirent, du jour où
Piome entra par elle-même en relations régulières avec le bassin oriental de la
Méditerranée » (p. xvii). Sans doute la Grèce et l'Egypte hellénistique fournirent
tour à tour aux artistes romains des thèmes et des formes innombrables. Mais,
observe-t-on avec beaucoup de finesse, « ce qui séduisit le plus les Romains dans
l'hellénisme, religion exceptée, c'est ce qui, dans son contenu, n'était pas grec. Les
affinités électives sont très reconnaissables-, la Rome conquérante se trouve en
accord de tendances avec ces ambitieuses dynasties d'Asie et d'Afrique; la somptuo-
sité l'impressionne, ainsi que le colossal « (p. xviij.
Ce que l'Introduction résume limpidement par les traits généraux, le détail de
l'ouvrage le fait ensuite toucher du doigt avec toute la précision désirable, dans
les monuments
et leur décoration. Si les chapitres consacrés aux édifices, de —
la maison tombe à la —
ont nécessairement un caractère plus technique, l'étude en
,

demeure néanmoins partout facile et attrayante 1}. L'intérêt est beaucoup plus
général dès qu'on aborde les arts plastiques et ornementaux. L'apport oriental est
spécialement bien défini quand il s'agit du panthéon romain, de l'évolution du
portrait en sculpture, ou des reliefs décoratifs, des scènes de mystères « héritage
de la Grèce, de l'Asie, de l'Egypte », que Rome a « amplifié, sous l'influence
du syncrétisme impérial si complaisant » (p. .381 , des symboles sépulcraux ou des
sujets de genre.
Un second volume traitera prochainement de la Pelnlure, de Mosdique et des
la

Instruments de la vie publique et privée. Ce sera le mérite de jMM. Cagnat et Cha-


pot d'avoir, par leur beau livre, facilité au public le moins spécialisé l'étude aupa-
ravant si délicate et si complexe de l'archéologie romaine.

Le 30 novembre 1916 M. le commandeur Rivoira lisait, devant l'Académie pon-


tificaleromaine d'archéologie, une dissertation intitulée église du Saint-Sépul- : V
cre à .fémsalem, publiée par la suite '2). Il déplore d'abord qu'il n'existe, sur
l'auguste sanctuaire, « aucun ouvrage de nature à en éclaircir les oriî^ines et les
vicissitudes jusqu'au xii'= siècle », d'après les documents historiques contrôlés
par une enquête architecturale et archéologique compétente, minutieuse, libre
surtout de préjugés. C'est sur ces principes ([u'il veut du moins, lui. esquisser les
grandes lignes du monument constantinien et ses transformations jusqu'après
les Croisades : à quoi neuf pages lui suffisent. Son schéma constantinien se compa-
rerait comme un squelette à la restauration proposée longtemps auparavant dans
Jérusalem nouvelle. /Pour les périodes suivantes, M. Rivoira se satisfait avec des
diagrammes d'Arculphe soupçonner ce qu'impliquent les
et de Truallard, sans
vestiges archéologiques. En manière de conclusion est formulé le vœu que quel-

(1)Bien rares sont les cas où serait prise en dcf;iut rinforniation merveilleusement érudile
ilu Manuel. Notons-en cej)endantun au passage. Dans » la liste des « arcs de triomphe », existant
encore en tout ou en partie, dont la date i^eut être fixée d'une façon certaine ou approxhnativc »
(p. 80 ss.) pourraient figurer ceux d'Aelia Capitolina, de l'époque d'Hadrien (cf. ViNCKNxet Auei.,
Jérusalem 'nouvelle, p. 24 ss., 71 ss., fig. (> ss., 42, etc. .

(i) La Cliiesa del Sanlo Sepolcro in G'erusnlenime, dans les Atti délia pontificia Arcadeviia
rom. d'Archeologia.
BULLETIN. 297

qu'un, en n'ayant garde « de passer sous silence la trace » que lui-même vient de
frayer, s'attelle au livre dont il a indiqué l'esprit.
Evidemment la longue monographie du Saint-Sépulcre dans Jf'nisalcm nowelle
ne réalise pas vœu de M. Rivoira, qui la passe tranquillement sous silence,
le

quoiqu'elle ait pu d'autant plus difficilement échapper à son érudition qu'il cite un
article complémentaire de cette monographie, sur Quelques repn'fientations anti-
ques du Saint-Sépulcre constantinien {{). Peut-être cependant l'utilisation de ce
livre eût-elle permis à M. Rivoira d'étolVer quelque peu sa maigre et peu originale
dissertation académique.

Il fallait un connaisseur de l'antiquité et un appréciateur délicat des questions


morales pour dépister l'origine de la formule célèbre — • et si actuelle : Quos vult
perdere Juppiter dementat, ou plutôt sous sa forme métrique (ïambique sénaire) :

Quem Juppiter vult perdere, dementat prius. M. S. Chabert (2) en trouve la pre-
mière trace dans ÏMarmoni/ de John Lightfoot, en 1647, en ces termes . Perdere
quos vult Deus, dementat, à propos de I Reg. xxii. 37. Son origine est-elle donc
biblique? Non.M. Chabert opine que Juppiter est ici plus ancien que Beus. Un
passage anonyme grec est sûrement l'original : "Orav ô' ô 07.(;j.œv àvop\ ^lopTjVTj
xaxdl I
-bv voyv £6XaJ*£ -pûTov. Un autre Anglais de Cambridge
le traduit ou le glose :

quem Jupiter une sorte de proverbe


vult perdere, dementat prius. C'était donc
courant dans ces milieux universitaires anglais. Mais pourquoi Lightfoot a-t-il
attribué à Dieu ce qui choquait si fort l'apologiste Athénagore (31 i^dans la noEjSsfa,
ch. xxYi, et non 23; Migne, VL col. 9-52 1? Ne serait-ce pas une conséquence des
exagérations protestantes sur la prédestination ?

Palestine. — A propos de la basilique de Bethléem. — M. Edm. >N"eigaud avait


publié, en 1911, un ouvrage sur la basilique de la Nativité sans lavoir jamais visitée.
Le moins qu'on pouvait dire d'un tel livre, au point de vue archéologique, est qu'il
n'était d'aucune pour l'intelligence du monument ;4). Ayant pu à diverses
utilité

reprises m'entretenir du sujet avec M. W., durant le séjour de (|uelques mois qu'il
fit en Palestine en 1912-1913. il ne m'était pas indifférent de constater, en revenant

à l'archéologie après quatre ans et demi de préoccupations tout autres, qu'il avait
eu, en 1915, le loisir d'écrire une monographie nouvelle sur L'église Constantin lenne
de la Nativité à Bethléem (5;. J'espérais y trouver d'autant plus d'intérêt qu'elle
s'annonçait comme une enquête réitérée et fondamentale sur l'édifice (G), en vue de
soumettre nos relevés au contrôle technique dont nous avons vivement manifesté le
désir.
La lecture minutieuse de ce factum impose la constatation décevante que le jeune
maître allemand est beaucoup moins apte à l'investigation archéologique loyale et
désintéressée qu'à la diatribe dépourvue de circonspection. Aussi me serais-je abs-
tenu même d'une stérile allusion, si ce batailleur n'avait prétendu découvrir, dans
les déductions et les relevés de Vincent, une série pas minime d'inexactitudes et de
contradictions stupéfiantes (7). dont je dois compte aux lecteurs de Bethléem.

(1)Dans R. B., 1913, p. 5-23 ss.; 1914, p. 9i ss.


(â)Revue des études anciennes, 1918, p. 141 ss.
(3)Dans son commentaire d'.4thénagore, Geffcken {Zwei griec/i. Apol.^ se contente de renvoyer
au scoliaste de Sophocle.
(4) Cf. Vi>(;kxt et .Vdf.i., Bclhléem, p. ïîl, n. -i.
(5) Die konstantinische Geijurtskivchc von Betlilehcm, dans la ZDPV., XXXVIII, 19l."i. pp. 89-l3,S.
(6) ...nach wiederholter grûndliclier Befragung des Baues... [op. c, p. 91).
l~) ...mit niclit wenigen Inriclitigkeiten und mit aufallenden Widerspriichen in don eigeuen
.\usfiihrungen und Zeichnungen {op. c. p. 92; cf. p. 1-35 .
298 REVLE BIBLIQUE.

Vovons d'abord les contradictions. Ou en allègue dans le texte et dans les dessins.
Celles du texte sont tapageusement constituées à l'aide de petits lambeaux de
phrases détachés ^de tout contexte et mis en bataille les uns contre les autres. Il
s'agit invariablement de cas ou j'émettais la possibilité de plusieurs hypothèses, sans
avoir à prendre un parti concret. Si M. W. ne s'est pas laissé aveugler par son acerbe
mauvaise humeur et s'il a vraiment cru trouver là des < contradictions » ruineuses,
il faut déplorer que cet ardent controversiste soit à peu près aussi gêné par la lecture

d'un raisonnement en français que par l'examen d'un détail archéologique.


Les « contradictions » dans les dessins pouvaient importer davantage. Le compte
en est assez vite fait : néant dans les seuls dessins essentiels, à savoir les relevés de
l'édifice actuel; deux — sauf erreur — dans les restaurations proposées :pl. X et

pi. XXII) de la basilique primitive. La pi. X couvrirait en terrasse le portique supé-


rieur de l'atrium, que la pi. XXII couvre d'un toit : d'autre part, la première des-
du portique de façade un entablement rectiligne; la seconde
sine à l'étage inférieur
montre une arcade dans cet entablement, pour l'harmoniser avec la hauteur d'en-
cadrement de la porte centrale. —
.le sacrifierais facilement ces restaurations aux

fantaisies de M. W., n'ayant jamais eu la prétention de reconstituer les épures du


maître d œuvres conslantinien et voulant seulement faciliter, au moyen de ces tracés
schématiques, l'intelligence de l'édifice primordial. Mais W. sera sans doute très
étonné d'apprendre que les divergences dont il s'offusque, dans ces schémas, ont été
voulues la première, pour ne pas prendre parti avec fermeté pour un procédé de
:

toiture à l'exclusion de l'autre, à l'étage supérieur de l'atrium: la seconde, pour


laisser voir avec plus de clarté les proportions et l'agencement proposés pour les
deux étages du portique, en supprimant, dans la pi. X, la coupe de l'étage inférieur
du portique de façade. De « telles contradictions « eussent pu être indéfiniment
multipliées sans infirmer un seul des arguments de faits produits contre le paradoxe
archéologique, cher à ^\ eigaud. de l'unité constantinienne.
Les inexactitudes » dans les relevés me tenaient beaucoup plus à cœur. Il en

échappe fatalement à l'investigation la plus consciencieuse sur un monument aussi


compliqué et je ne demandais qu'à corriger celles que M. W. allait bien vouloir me
montrer. Leur total se réduit à une seule ;i .f'ai présenté {liethléem, p. Ô3. fig. 14)
.

un Diagramme de démontage de la façade ancienne où l'œil sagace de M. AV.


<'

découvre que les portes ne sont pas symétriquement dessinées ^ZDPV. 191-5, p. 111 .

Je lui rends grâce de l'honneur qu'il a bien voulu faire à ce schéma, établi avec
quelques traits de crayon, sans nul souci d'échelle, pour concrétiser un raisonne-

ment. Le batailleur a seulement oublié de montrer en quoi V« erreur » du schéma


infirmait le raisonnement. Et il a oublié de même d'alléguer une seule autre
« inexactitude » concrète dans les seuls, mais fort nombreux grapinques où s'ex-

prime le monument actuel dont elle aurait pu fausser l'intelligence. M. W. semble


au conti'aire attribuer à nos relevés une confiance telle qu'il s'abstient de présenter
le plusmince graphique de son cru et leur emprunté tous les détails de son argu-
mentation (2;. Cà et là, toutefois, quand un détail difficile à escamoter ou à noyer

dans un verbiage creux le gène dans les plans, il pense pouvoir froidement l'éliminer
avec une petite sentence olympienne « ceci n'est pas établi avec une suffisante
:

(1) Je ne comprends pas exactement en quoi consiste l'erreur que M. w. ;p. 137J signale, sans
la préciser, dans un profil d'entablement {Bethléem, pi. XI, 3). C'eût été le cas de présenter un
graphique rectiflcatif.
{•2, Quiue à ne pas toujours
copier très exactement les chiffres inscrits sur nos plans^; par
exemple ,p. 108), où il copie 0"'..'î-2 x O'^M) ou notre pi. Vf porte —
correctement je espère 1

0'",3-2 X 0'",'i6.
BULLETIN. 290

exactitude (l. », affirme-t-il du placement de la muraille primitive rasée pour ins-


taller labside nord du transept cf. Bethléem, p. 76 ss., fig. 29 Et ccn prend une
.

nuance grotesque sous la plume de ce jeune raaitre en train de 'Kuitrùlfr un relevé


archéologique. Puisqu'il était en veine de contrôle, il laissait échapper là une belle

occasion de recourir au témoignage du monument lui-même. Rien ne hii était plus

simple que de constater si. oui ou non, mon placement de ce débris est correct;
s'il eût pu faire la preuve qu'il ne l'est pas, il s'épargnaitle pédantisme de sa res-

triction et le tracas d'une explication ridicule de ce fragment. Encore M. W. n'a-t-il

pas toujours la prudence de s'en tenir, devant ce qui le gêne, à une indiscrète mais
toujours facile mise eu doute. \ propos du mauvais raccord de cette partie haute
du transept avec la muraille primitive (,voy. Bethléem, p. 60 ss., lig. 19, 20 et pi. VIF
l'assembleur de nuages se lance dans un brouillamini de considérations pour conclure
à je ne sais quelle réparation d'un affaissement du mur ou d'une faille qui égaiera
les gens du métier 2 . Libre à Ce qui l'est moins, c'est d'essayer de pallier la
lui.

réalité en écrivant : « Par une comparaison attentive des ligures 19 et 20 [de Bethléem]
on découvrira facilement que, sur la figure 20, quelque retouche a été pratiquée dans
les joints pour une meilleure mise en évidence » iojt. c, p. 119, n. 1). Trop de

l-ersjjicacité cette fois! La figure 20 est une photographie qui donne à plus grande

échelle un détail de la photographie reproduite dans la fii:ure (O. L'une et l'autre sont
scrupuleusement indemnes de la plus minime retouche. Combien il était aisé au jeune
maître allemand de s'épargner la goujaterie de son imputation prétentieuse et de
me confondre en présentant une photographie de son cru, puisqu'il prétend avoir
interrogé avec tant de soin l'édifice! La pénétration stupéfiante de son coup d'œil.
qui lui a lait découvrir des retouches sur une des photographies de Bethléem, me laisse

rêveur sur les mauvais tours quelle .peut lui jouer, car elle s'exerce, sans doute
avec le même bonheur, sur le détail archéologique direct. M. W. laisse entrevoir

d'ailleurs, par sa gratuite découverte, avec quelle conscience il se permettrait, le


cas échéant, de traiter la documentation photographique dont il jongle assez volon-
tiers ;0 .

Le lecteur pensera évidemment qu'après sou acerbe critique des plans •ontra-
dictoirea et inexacts qu'il s'était d'abord donné la tâche de contrôler, le docte
Allemand ne pouvait manquer d'en présenter de sa façon. Qu'on se détrompe. Le
crayon et les instruments d'un relevé archéologique paraissent si peu famiUers à
cet intrépide batailleur, qu'il préférera p. 127 par exemple accumuler presque une
page d'un texte alourdi d'expressions techniques pour décrire des entablements que
deux simples profils eussent limpidement exprimés pour les lecteurs le moins spé-
cialisés. Pour traduire la basilique et éclairer sa controverse, le plan de Harvey

(1' Das ist nicht vollkoiumen genau festiiestellt:


... .. |i. ll'J .

,2 a d'ailleurs, à propos d'autres détails de structure ou d'oruementatiou, des naïvetés


11
plaisantes tel, par exemple, le passage (p. \-2~ s. ou il ferraille contre le remploi des entable-
:

ments des uefs dans le transept postérieur, en alléguant que le soffite des archilraves. sculpt.-
sur place » pour l'adapter aux entrecolonnements. exclut toute possibilité de déplacement des
colonnes. Ce sol'fite est sculpté sur des pièces de bois indépendantes du corps de 1 entablement,
•juelle dilficultc y avait-il à scier les pièces à la demande, pour les adapter avec précision aux
entrecolonnements nouveaux, beaucoup plus espacés.'
3 U ne peut guère y avoir, en ellet. qu'une jonglerie à l'usage des badauds à présenter —
pi. Il —
la pliot. d'une porte romaine de Ganawàt comme pendant de la porte de façade de
Bethléem —
dont la photographie minuscule est gravée à l'envers: ou encore à expliquer —
— pl. V —
les chapiteaux de Bethléem par deux chapiteaux de Damas et du Caire. Avec cette
même rigueur de rapprochements un autre maître <le <iermanie expliquait naguère certains
éléments décor du mvcènien par des nmiifs chinois...
300 REVUE BIBLIQUE.

— reproduit sans échelle et en proportions microscopiques — et six petites plio-

tographies lui suffisent.


A défaut de documentation graphique satisfaisante, aurait-il peut-être utilisé,

contre la démonstration archéologique à laquelle il s'en prend, un puissant arsenal


littéraire.' On le croirait d'abord, à voir la sereine assurance qu'il se donne, dès le

début, de ruiner toute la thèse de remaniement à l'aide d'un seul texte. On se


souvient que la retouche de l'ère justinienne a supprimé l'atrium, créé un narthex
et un transept. M. W. oppose triomphalement la strophe lyrique où S. Sophrone.
un siècle après la transformation alléguée, groupe encore « le divin quadruple por-
tique et la superbe triconque ». Or, à son sens, le rs-pâcîToov ne peut désigner que
l'atrium; de longues pages {op. c. pp. 92-97) d'une érudition facile prétendent le
démontrer et il s'y reprendra maintes fois, par la suite, pour énoncer qu'il ne
« saurait y avoir de doute » : puisque Sophrone pouvait encore associer atrium et
transept, c'est donc que l'un n'a pas été démoli au profit de l'autre. Le malheur,
pour la rigueur de cette déduction, est que ce bel et docte attirail laisse le problème
archéologique intact. M. W. n'a pas prouvé que — si xsTpâ^toov désigne plus com-
munément et par dérivation un atrium entouré de portiques — il désigne essentiel-
lement et étymologiquement cela, de telle sorte qu'il ne puisse jamais désigner
quatre rangées de colonnes constituant des portiques qui ne seraient pas nécessaire-
ment en bordure dun espace quadrangulaire voy. Brflilrcm. p. 130 s.). Si l'ardent
controversiste n'a pas cherché surtout à jeter de la poudre aux yeux et s'il est satisfait
lui-même de la valeur démonstrative de son apparat philologique, voudrait-il bien
expliquer s'il trouve parfaitement naturel que Sophrone, après s'être extasié sur le

divin TstpctCTToov -= atrium, se trouve tout à coup dans la superbe triconque =


transept, comme
s'il n'existait aucune nef dans cette « demeure sacrée » ? Quoi
qu'en M. W., on gardera donc, avec le P. Abel, l'impression que le mélode
ait

Sophrone a surtout cherché à faire de beaux vers et une strophe émouvante. Son
TcTpdiaToov exprimant très convenablement la « quadruble colonnade » des nefs, qui

l'émerveillent dès labord et l'acheminent normalement vers la Tpiy.oy/oç, on laissera


le bouillant Weigaud s'acharner à rendre sa pensée décousue, en prétendant lui

imposer une fausse précision technique. Ajoutons que ce fameux texte est d'ailleurs
Tunique argument littéraire produit et qu'il demeure impuissant à compenser l'ex-
trême pénurie de l'argumentation archéologique.
A l'appui de la restauration proposée de la basilique constantinienne de Bethléem,
j'avais allégué, en terminant, ses étroites analogies avec les basiliques constanti-
niennes du Saint-Sépulcre et de l'Éléona. Le jeune docteur allemand élimine d'un
mot le Saint-Sépulcre, pour lequel nous n'aurions pas jusqu'ici connaissance de
vestiges monumentaux ,1). Quant à l'Éléona, quelques phrases saugre-
subsistants
nues doivent que ses analogies avec Bethléem n'existent que dans
suffire à établir
les restaurations de Vincent. Les troupes germano-turques qui ont campé récemment

au Mont des Oliviers se sont chargées d'achever suffisamment la destruction de


l'Eléona pour qu'il ne me soit plus guère possible de rappeler M. W. au contrôle
des ruines. La basilique de Bethléem demeure heureusement intacte. Si Weigaud lui

trouve une parfaite unité structurale et si la docte revue qui accueille, comme
démonstration technique, ses maladroites élucubrations en est satisfaite, tant pis.
En dehors de certains écolâtres de Germanie, l'archéologie se traite avec des réa-

(1) Op. c, p. 132 et on veut bien citer en note Jérusalem, t. II, cli. v. Merci du peu! Voilà
encore un monument que M. W. fera l)ien d' l'interroger avec soin, avant de l'éliminer avec cette
désinvolture.
BLil.LETlN. 301

lités, pas avec des phrases s'évertuant à embrouiller les faits. Le monument de

Bethléem est toujours pour rendre témoignage, à qui voudra loyalement Tinter-

loger, contre les imprudentes divagations de M. "VVeigaud. [V^]

P.E. Fund, Quart. Slat. 1918. Janvier. Dr. Masterman —


Uijgicne et mala- :

dies en Palestine, aux temps modernes et bibliques : monographie très soignée


dont les chapitres se succèdent dans chaque n" de 1918. Ecrite par un spécialiste
qui a une longue expérience et une connaissance biblique
médicale en Palestine
approfondie, elle aux exégètes.
sera Baldensperger
fort utile L'immuable — :

Orient; les villes-sœurs Ramleh et Lydda. Miss E. Blyth .S'. —


Georges pour :

l'Angleterre! très bon résumé de la légende du saint. .T. Offord JSotes archéol. — :

sur dex antiquités juives; la route de l'Exode-, la propriété dans la Palestine antique
et en Egypte et l'année jubilaire; les Capitoles dans la Palestine romaine.

Avril. —
Masterman Hygiène... D. Mackenzie
:

Le port de Gaza et les :

fouilles en Philistie, reconnaissance archéologique à la recherche des sites à


fouiller en vue de localiser les villes philistines de Gaza, Ascalon, Achdod. —
T. Offord : Notes arch...: l'assassinat de Sennachérib; la Reine des cieux et son
culte en Israël. — E. Pilcher : Un ancien sceau hébreu de Jérusalem au nom de
Veqomiahou fds d'Ismael et datant vraisemblablement du v siècle.

Juillet. — Fondation et organisation de VListitut archéologique anglais à Jéru-


salem. —
Masterman Hygiène... Baldensperger
: —
L'immuable Orient; Hébron. :

— Lieut. Drake Une mosaïque grecque du vi" siècle à Oumm Djerur, plan d'une
:

chapelle byzantine et deux bonnes photographies de son pavement en mosaïque


découvtsrts pendant les opérations militaires au S. de Gaza. Rév. M. H. Segal — :

L'établissement de Mariasse à l'orient du .Jourdain. J. Offord Notes arch...; — :

Birédjik; Un récit de voyage au Sinaï en 1722; statue de Tirhakah décou-


EjîijcoV.wv.

verte par M. Reisner; Les alabarques judéo-alexandrins de Josèphe, à lire proba-


blement arabarques ; Termes coptes dans l'A. T.-, Chypre etMisraïm. Les princes —
des boulangers et des échansons. —
Macalister fait connaître une lettre d'un voya-^
geur anglais témoin oculaire de la révolte contre Ibrahim pacha, en 1834, à Jéru-
salem. On y retrouve le détail curieux de la prise de la ville par un passage sou-
terrain (cf. Jérusalem a)itique, p. 160), qui évoque le sinnor de Sion.
Octobre. —
Masterman Hggiène... Massey —
L'approvisionnement d'eau à
: :

Jérusalem. — J. Offord : Scarabées palestiniens. — Notes arch...; l'alphabet de la

Bible hébraïque; comment les cèdres étaient transportés; le nom égyptien du


Liban. — Les vicissitudes du peuple de Palestine prédites dans la prophétie de Noé.

Nécrologie. — Le R. P. Germer-Durand, religieux de l'Assomption, a été un


des plus anciens et des plus fidèles collaborateurs de la Rerur biblique. INé à Aimes
en 1846, fils d'un architecte distingué^ il était comme prédestiné à l'archéologie
gréco-romaine. Aussi est-ce à ses monuments qu'il s'intéressa le plus. Quand il vint
en Terre Sainte, au printemps de 1887, on ne songeait guère qu'aux antiquités
judaïques. Les grands explorateurs avaient surtout cherché les sites bibliques. Le
P. Germer sut reconnaître la trace des P.yzantins et des Romains. Nul n'a fait plus
que lui pour déterminer par les milliaires le réseau des voies romaines. Son Musée
de Notre-Dame de France fait le plus grand honneur à son tact de connaisseur. Ses
conférences avaient un succès d'autant plus franc qu'il exposait ses vues avec une
sorte de bonhomie et de désintéressement, non moins propres à lui attirer les sym-
pathies qu'une conviction plus affirmée.
302 REVUE BIBLIQUE.

Il ne répondit jamais aux aigreurs du beihun topoyraphiviim que par le sourire,

au point qu'on eût pu le croire inditîérent, alors qu'il était au contraire si passionné
pour la solution de nos petits problèmes! Mais il savait aussi qu'ils ne valent pas
Ja peine d'altérer la charité.
D'un abord aimable, poète à ses heures, le P. Germer possédait au plus haut
degré les dons d'un esprit aussi élevé que fin, et d'une âme très noble, animée de
la piété la plus cordiale et la plus communicative. sans apparence d'affectation. Il a

été rappelé a Dieu, le 28 septembre 1917.


L'École biblique a perdu en lui un appui et un ami.

IVous avons vu à Jérusalem M. C. R. Grégory, venu à pied du Sinaï, visiteur


infatigable de bibliothèques, travailleur acharné. ]\é en Amérique et d'origine fran-
çaise par ses ascendants paternels, il s'est engagé dans l'armée allemande — dont il

était le volontaire le plus âgé, — et a été tué à soixante-dix ans, le 9 avril 1917.
M. von Soden senior est mort en 1914, d'un accident, peu après avoir achevé sa
grande édition du N. T. grec.
Et comme si les principaux maîtres de la critique textuelle devaient tous dispa-
raître en même temps, ÏM. mort le 9 mars 1913, avant d'avoir
Eberhard Xestle est

pu enregistrer dans son édition les résultats de von Soden.


M. IVudolph B. Briinnow, professeur à Princeton University, est mort le 14 avril
1917.

M. Emmanuel Cosquin, auteur de l'intéressant article ci-dessus, a été enlevé


nopinément par la mort, au moment où il venait de reAoir les épreuves de son
article. D'une aménité et d'une modestie aussi réelles que sa science, il fut un des

premiers collaborateurs de la R. B, et il lui resta fidèle jusqu'à son dernier soupir.


De l'autre vie dans laquelle Dieu, nous l'espérons, aura déjà récompensé sa foi et
ses vertus, qu'il daigne agréer nos remerciements, nos regrets et nos prières.

CN. D. L. R.)
ÉCOLE BIBLIQUE ET ARCBÉOLOGIQLE
AU COUVENT DOMINICAIN DE SAINT-É TIENNE. A .lÉRUSALEIM

PROGRAMME DE L'ANNEE SCOLAIRE 1919-1920


(novembre à juillet)

Exégèse du N. T. — L'Évani^Ue selon saùtf Luc. — Mardi, à 10 h. m.

Questions d'Introduction et d'histoire biblique. — Jeudi, à 10 h. m.


R. P. Marie-Joseph Lagraxge,

Exégèse de TA. T. — Lt' III' livre des Hois. — Samedi, à 10 li. m.

L'histoire des Rois et l'Assyrie. — Mercredi, à 10 h. m.


R. P. Paul Dhorme.

Histoire des Juifs depuis les Macchabées jusqu'à la ruine de Jérusa-


lem. —Samedi, à 9 h. m.

R. P. Raphaë-i Savicxac.

Géographie de la Terre Sainte. — Lundi, à 10 h. m.

R. P. Bertrand CARRitiRE.

Topographie de Jérusalem. — Époque du N. T. — Vendredi, à 9 h. m.

R. P. M. Abel.

Archéologie biblique. — Le sanctuaire sémitique. — Vendredi, à lo h. m.

R. P. Hugues Vincent.

Archéologie orientale. — Léc/islation et usii{/e$ arabes en rapport avec la


Bible. — Lundi, à 9 h. m.

R. P. Antonin Jaussen.

Épigraphie hébraïque, nabatéenne et palmyrénienne. — Mercredi, à


y h. m.

R. P. Raphaël Savig.\ac.

Langue hébraïque. — Lundi et vendredi, à 4 h. 3, 4 s.

Pi. P. Bertrand Carrière.


Langue assyrienne. — -"
Vendredi, à 3 h. 14 s.

R. P. Paul Dhokmi:.

Langue syriaque. — Samedi, à 3 h. 1 '4.

R. P. Raphaël Savigxac.
I
Langue arabe. — Mardi et samedi, à 11 h. m.

h. P. Antonin Jaussen.

Langue grecque. - Grammaire du N. T. et des papj/rus. — Mercredi, à


3 h. 14 s.

Langue copte. — Lundi, à 3 h. 1


'4 s.


R. P. M. Abel.

Promenade archéologique, le mardi soir de chaque semaine.


Excursion de la journée entière, une fois par mois.
Les itinéraires et le pri.x des voyages seront réglés ultérieurement.
Le prix de la pension a dû être porté à deux cent cinquante francs par mois.

Le Gcrunt : J. Gabalda.

Typograiihie Firmin-I)i<lot et C'*". — l'aris.


SY^'THÈSE ANTIDONATISTE
DE SAINT AUGUSTIN

Dans la controverse entre Catholiques et Donatistes, deux principes


sont hors de cause, le principe de l'institution divine de l'Église, et
le il n'est qu'une Église de Dieu. Catholiques
principe de son unité :

et Donatistes, Parnienianus, sont sur ces deux articles égale-


Optât et

ment dans la ligne de saint Cyprien.


On se divise sur le point de savoir à quoi empiriquement se recon-
naît l'Église de Dieu. Tant qu'il s'agit d'hérétiques, l'Église se recon-
naît à sa foi, qui est la foi catholique, la foi prêchée parles apôtres
et conservée comme un dépôt intangible dans toutes les Églises.
S'agit-il de deux partis qui se réclament de la même foi catho-
lique, et c'est le cas en Afrique pour les Donatistes et leurs adver-

saires, comment décider entre eux où est l'Église de Dieu? Tel est
en effet le fond du débat. Saint Augustin l'exprime au mieux quand
il écrit à un évêque donatiste : « Quaei'itur iilrum vestra an nostra
sit Ecclesia Dei » (1).

Sans doute, on peut dire aux Donatistes Vous n'êtes pas l'Église :

de Dieu, parce que vous êtes hérétiques, du fait que vous niez la
validité du baptême de vos adversaires, et que vous les rebaptisez
quand ils se font Donatistes. Augustin n'a pas négligé cette considé-
ration, nous l'avons vu
nous le verrons encore. Il a cependant
et

estimé plus direct de faire au Donatisme un procès de schisme Vous :

n êtes pas l'Église de Dieu, parce que l'Église de Dieu est catholique,
et que vous êtes des dissidents cantonnés en Afrique. L'argument a

l'avantage d'être concret, et d'utiliser une notion populaire et tradi-


tionnelle, exprimée par le nom même de Catholica que porte l'Église.
Ce nom la désigne en la distinguant des hérétiques depuis le :

second siècle, depuis que des hérétiques se sont constitués en Églises

(1) Auc, Bpistul. i.xxxvn, 10. Cf. Epistul. xciii, 27. Contra lift. Petil. ii. i64.
Sermo xlvii, 19.
RKVUE RIBUQUE 1919. — N. S., T. XVI. 20
306 RKVUE BIBLIQUE.

à côté, la grande Église revendique pour sa foi le qualificatif de


catholique, et la grande Église a elle-même été aussitôt qualifiée de
catholique. Elle est catholique si éminemment que, en Afrique et à
Rome, on l'appelle tout court la Calholica (1). Qu'on fasse du mot
une épithète de l'Église ou le nom propre de l'Église, le mot a,
pour Augustin comme pour Optât, un sens constant, qui est son sens
concret : l'Église est catholique parce qu'elle s'étend à l'univers (2),

aussi visiblement que l'empire romain (3).


Augustin tire argument quelque part de ce que hérétiques et
schismatiques, lorsqu'ils parlent, non pas entre eux certes, mais avec
des étrangers, sont obligés d'appeler Catholica la Calholica, sous
peine de n'être pas compris eu refusant de parler comme l'univers (i).
Au début, les Donatistes avaient prétendu être catholiques en 313, :

le libellé de leurs griefs présenté au proconsul Anulinus à Carthage


est intitulé Libellus Ecclesiae catholicae criminum Caeciliani iraditus
a parte Maiorini (5). La prétention était une gageure qu'ils ne purent

(1) Cette appellation, dont TertuUien est un des premiers témoins [De praescr. 30), et
qui se retrouve dans le Miiratorianum, (19, est employée par le pape Cornélius écrivant à

saint Cyprien et par un des évêques du concile de Carthage de 256, sinon par saint Cyprien.
Je ne vois pas que saint Ambroise l'ait employée. Dom Roltmanner la retrouve dans une
loi de Constantin (321), dans une loi de Gratien (377), dans une loi d'Honorius (412).
En Espagne, Pacien en Gaule, Kaustus de Riez à Rome, l'Ambrosiaster, le pape
; ;

Innocent I"; se servent de Catholica comme de synonyme à Ecclesia calholica. En


Afrique, Optât s'en sert pareillement, et, autour d'Augustin, il en va de même. Mais
Augustin est le principal témoin du mot, puisque, au calcul de Roltmanner, il l'emploie
environ 240 fois. O. Rottmannkr, « Catholica », Revue bénédictine, 1900, p. 1-9.

Cf. Thésaurus linguae lalinae, au mol « Catholicus », t. III, p. G17.

(2) Ait.. Epistul. ni, 1 « Ipsa est enim Ecclesia catholica


: : unde xaôo/txf, graece ap-

pellatur, quod per totum orbein terrarura difiFunditur. »


(3) C. I. L. t. VllI, 7010 Hestitutori libertatis et conservatori terrarum orbis D. N.
:

Flavio Val. Constantino. 1179 —


Conditori adque amplificatori totius orbis romani...
:

D. N. Coitstantino. L'empire romain est adéquat à Yorbis déjà chez Terlullien, Apo-
loget. 30. —
Le concile de Rimini écrivant à Constance II (lettre lubente Deo)
énonce que le prince a reçu de Dieu le gouvernement de l'univers « ...pietas tua a Deo :

pâtre per Deum et D. N. lesuin Chrislum regeniJi orbis (potestatem) accepit ». Harduin,
t. 1, p. 715. Saint Ambroise disant que Constantinople attendait le retour de Théodose

pour assister à son triomphe, écrit « Exspectabal lolius orbis imperatorem slipatum
:

exercitu gallicano et totius orbis subnixum viribus. » De obilu Theodosii, 56. Ibid.
48 « ...clavus romani imperii qui lotum régit orbem... »
:

(4) De vera relig. 12 « Velint nolint enim, ipsi quoque haeretici et schismatum alumni,
:

quando non cum suis, sed cura extraneis loquuntur, Calholicam nihil aliud quam Catlio-
licam vocant. Non enim possunt intellegi nisi hoc eam noraine discernant quo ab universo
orbe nuncupatur. » Rapprocher Sermo xlm, 31.
(5) Ai3G. Epistul. Lxxxvni, 2. En 314, le donatisie Maximus qui soutient l'accusation
contre Félix, évéque d'Aplonge, déclare en prenant la parole : « Loquor. nomine seniorum
christiani populi catholicae legis. » Acla purgat. Feiicis, éd. d'Oplat de Ziwsa,
p. 198. Cf. D'autres exemples sont cités par Monceaux, t. IV, p. 169. Cf. Auc. Tractât.
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 307

tenir longtemps. A l'époque d'Augustin ils y ont renoncé. En 393,


la synodale de leur concile de Cabarsussa est adressée Sanctissiniis
fratribus atque collegis per universam Africam... constilutis, sed
et presbyteriset diaconis, imiversis plehibus, in veritate Euaagelii

nobiscum militantibus,... in Domino aeternam salutem (1). Ils se


réclament de la vérité de l'Évangile, du véritable Évangile, ils sont
Évangéliques Dès lors, le mot .catholique est pris par eux au sens
!

de fidélité à tous les préceptes divins, il est arbitrairement


dépouillé de sa signification reçue (2).
L'impuissance de la pars Donati, soit à répudier le nom catholique,
soit à le justifier, est un avantage dont les controversistes catho-
liques ont senti tout le prix. En 316 déjà, à Carthage, lors de la
mission des deux évêques Eunonius et Olympius, la discussion entre
les deux partis roule autour de la seule question de savoir où est la
Catholica, et la sentence finale des évêques prononce que la Catholica
est l'Église qui est répandue dans tout l'univers (3). Augustin à son
tour va faire valoir contre le Donatisme cette catholicité de fait qui

est le privilège de l'Église de Dieu, et qui n'est pas un accidentel


produit de l'histoire, mais un dessein indubitable de Dieu. La vérité
bénéficie de l'erreur, qui lui donne l'occasion de se dégager, de se
définir, de s'imposer on en a fait l'expérience avec le Novatianisme,
:

avec l'Arianisme le Donatisme donnera à la note catholique de


:

l'Église sa parfaite maturité (4).

L'Église de Dieu est une institution historique du Christ. Elle ne


date pas exactement de l'incarnation, car le Sauveur enfant n'avait

inédit, xxviii, 4 (éd. Morin, p. 112) : « (Haeretici) se ab ecclesia catholica sépara verunt,
et cotidie se séparant, et falso se catholicos vocant. )>

(1) Alg. Enari-. xxxvi, n, 20.


(2) « "Acutum autem aliquid libi
Epistul. xcm, 23 : videris dicere, cura Catholicae
noiîien non ex lotius orbis comniunione inlerprelaris, sed ex observalione praeceptorum
omnium divinorum atque omnium sacramentorum. »
(3) Paix constant., p. 296.

(4) Enarr. i.iv, 22 « Ex haerelicis asserta est Catiiolica, et ex bis qui maie sentiunt
:

probati sont qui bene sentiunt. Multa enim latebant in Scripturis, et cum praecisi essent
haeretici quaestionibus agitaverunt Ecclesiam Dei, aperta sunt quae latebant et intellecta
est voluntas Dei... Numquid enim perfecte de Trinitate tractatum est antequam oblatrarent
Ariani? Numquid perfecte de paenitenlia tractatum est anlequam obsisterent Novatiani?
Sic non perfecte de baptismale tractatum est antequam contradicerent foris positi Hebap-
tizatores. Nec de ipsa unitate Christi enucleate dicta erant quae dicta sunt, nisi postquam
separatio illa urgere coepit fratres infirmos... » Pareil thème. Ennrr. i,xvii, 39.
308 REVUE BIBLIQUE.

pas de disciples. On pourrait dire qu'elle commence avec la prédica-


tion de l'Évangile, au baptême du Christ au Jourdain on interpréte- :

rait dans ce seus le texte du psaume Dominabitui'... a flumine i^le


Jourdain) iisgiie ad terminos orbis terrae (P^. lxxi, 8i. L'Église cepen-
dant est fondée sur la foi : or la foi n'a été complète, definita, qu'avec
la résurrection du Christ. Cette foi est celle que prêche saint Pierre,
dès cette première prédication qui convertit les premiers milliers de
fidèles, le jour même de la Pentecôte ^i). Ce jour-là est celui où
l'Esprit-Saint prend possession visiblement des hommes que lie leur
commune foi et qui sont le commencement de l'Église visible.
Historiquement encore l'Église Reprenant un mot est apostolique.
de saint Paul, Augustin dira qu'elle une lettre des apôtres « Est est :

enim epistula apofitolorum, scripta non atramento, sed Spiritu Dei


vivi » (2). Choisis par le Sauveur et envoyés par lui, les apôtres ont
établi l'Église le monde a été converti par eux, les Églises fondées
:

par eux. Le miracle est manifeste de cette conversion du monde, car


les apôtres n'avaient aucune culture libéralcj ni grammaire, ni dia-
lectique, ni rhétorique ils étaient des pécheurs, une poignée de
:

pêcheurs, à qui le Christ ordonne de jeter leurs filets sur le monde,


et qui font une pêche miraculeuse, puisqu'ils prennent dans leurs
filets les philosophes même et les orateurs 3i. Envoyés comme des

nuées, leur prédication est tombée en une pluie bienfaisante, la


terre en a été enivrée, car à eux s'applique le texte du psaume T7s/-
tasti terrain et inebriasti eatn [Ps. lxiv, 10) >). lis sont les mon-
tagnes éternelles du texte Illuminans tu admirabiliter a montibus
aeternis [Ps. lxxv, 5) les hautes montagnes reçoivent les premières
:

la lumière du jour naissant, qui revêt ensuite toute la terre (5 Us .

sont les fondements de l'Église, p.rmamenta Ecclesiae, et pour cela


appelés du nom de colonnes (6).

(1) Civ. Dei, xvin, 54 (p. 359-361). Cf. In ep. loan. ii, 3. De Gen. ad. litt. imp. lib. 4.
— Nous laissons de côté l'investiture de saint Pierre par le Tu es Petrus, que nous re-
trouverons plus tard. — En tant qu'elle est nombre des rachetés,
l'Eglise date de la
le
passion du Sauveur. De Gen. contra Manich. Et ipse soporatus est dormitione
n, 37 : «

passionis, ut ei coniux Ecclesia formarelur... Formata est ergo ei coniux Ecclesia' de


latero eius. » Sej-mo cm, iv, G
. Fada est Ecclesia de lalere Domini dormientis
; in
cruce ».Le sang du Christ est le douaire (arrha) de son épouse. Enarr. cxxii, 5.
(2) Contra Fauslum, xv, 4 'p. 421). Allusion à II Cor. m. 2.
(3) Civ. Dei, xxii, 5 (p. 588) : « Ineruditos liberalibus disciplinis... » etc. Toute celle
page est classique. — Vojez encore Sermo L\xxvn, 12. Enarr. cxux, 14.

(4) Enarr. i.xiv, 14.


(5) Enarr. lxiv, 7 : « Tu illuminas, sed a montibus aeternis : primi magni montes
excipiunl lucem tuam, et a luce tua" quam suscipiunt montes vestilur et terra. ...Tani-
quam orientis luminis primordia exceperunt apostoli Rapprocher lxxxvi, 4.
».

(6) Epistul. CXI., 36. Allusion à Gai. ii, 9. — Ce qui n'empêchera pas Augustin de taire
SYNTHÈSE AMIDONATISTE DE SALNT AUGUSTIN. 309

|p^ Le texte Pro patribus tiiis natl siint tihi filii{Ps. xliv, 17) s'entend
des évêques, qui nous ont été donnés pour tenir la place des apôtres.
Les apôtres ont été envoyés, les apôtres ont prêché, ils sont nos pères,
leur foi est notre foi. xMais pouvaient-ils demeurer au milieu de
nous toujours? L'Église allait-elle être abandonnée, eux partis? Non,
car à la place des apôtres nous avons les évoques; à la place des
pères, les fils. L'Église appelle les évêques du nom de pères, mais
c'est elle qui les a enfantés, ils sont ses fils, elle les fait asseoir sur les
sièges des apôtres, et, comme son domaine s'étend à toute la terre,
elle fait des évêques les princes de toute la terre. Constitues eos prin-
cipes super omnem terram. Église, ne t'inquiète pas de ne plus voir
l'apôtre Pierre, ou l'apôtre Paul, ou les autres apôtres à qui tu dois
d'être : tes pères sont morts, mais des fils te sont nés, qui siègent à la
place des apôtres et prolongent leur paternité 1).

La succession apostolique, qui, nous aurons l'occasion d'y revenir,


fait la légitimité de l'épiscopat, prouve par surcroit l'identité de

l'Église inaugurée par le Christ, de l'Église propagée par les apôtres,


et de l'Église aujourd'hui répandue dans tout l'univers (2). Augustin
parle de cette propagation de la société chrétienne dans l'univers
comme d'un fait indéniable, et indéniable tout autant le fait que
cette propagation a eu pour point de départ les sièges apostoliques
et pour suite le^s évêques qui en sont issus par une succession
ininterrompue.
Mission divine des apôtres, légitimité des évêques, tout cela con-
sacré par le sang des martyrs. Le souvenir des persécutions que

du Christ le fondement de l'Église Enarr. ; CIII, ii, 5. — Il explique ailleurs que le Christ
est le fondement des fondements, comme il esl le saint des saints et le pasteur des pas-
teurs « Si fabricam cogites, Christus fundamentum fundamentorum ». Enarr. Lxxxn, 3.
:

Enarr. xliv, 32 « Genuerunt te apostoli ipsi missi sunt, ipsi praedicaverunt, ipsi
(1) : :

patres. Sed numquid nobiscura corporaliter semper esse potuerunt?... Ergo illorum
abscessu déserta est Ecclesia? Absit... Patres missi sunt apostoli, pro apostolis lilii nali
sunt tibi, constituti sunt episcopi... Ipsa Ecclesia patres illos appellat, ipsa illos genuit, et
ipsa illos constituit in sedibus patrum. Non ergo te putes desertam, quia non vides
Petrum, quia non vides Paulum, quia non vides illos per quos nafa es de proie tua tibi :

crevit paternitas... Haec est catholica Ecclesia filii eius constituti sunt principes super :

omnem terram, filii eius constituti sunt pro patribus. »

(2) Contra Faushnn, xxviii, 2 (p. 739) : « ...universa Ecclesia ab apostolicis sedibus
usque ad praesentes episcopos certa successione perducta ». Et encore : « ...non interrupta
série Icniporuin Ecclesia certa conexionis successione usque ad tempora ista... » Et
encore : « ...illa Ecclesia ab ipso Christo inchoata per apostolos provecta certa succes-
sionum série usque ad haec tempora, toto terrarum orbe dilatata... » Rapprocher xi, 2
(p. 315) : H Videbis in hac re quid Ecclesiae catholicae valeat aucloritas, quae ab ipsis
fundatissimis sedibus apostolorum usque ad hodiernum diem succedentium sibimet epis-
coporum série... finnalur. » — Cf. Episttil. ccxxxn, 3; Contra Crescon. m, 21; Contra
adv. leg. et proph. i, 39; etc.
3J0 REVUE BIBLIQUE.

l'Église a souffertes dans l'empire romain, du temps que lesempe-


reurs s'obstinaient à vouloir supprimer le nom chrétien, est un thème
familier de la prédication d'Augustin. Lç sang des martyrs a été une
semence semée dans le monde entier, et qui a levé en moisson, la
moisson de l'Église (1). Le Christ, dans son agonie au jardin des
Oliviers, a été inondé sur tout son corps d'une sueur de sang [Luc.
XXII, 44.) dans les persécutions, son corps, qui est l'Église, a été
:

inondé du sang des martyrs, pareillement (-2). L'Église a été la


vigne dont les rameaux qui ont couvert la terre n'ont été si vigou-
reux que parce qu'ils avaient été taillés, la vigne dont les rameaux
ont pullulé parce qu'elle avait été arrosée du sang fécond des mar-
tyrs (3). L'Église s'est, dans le sang des martyrs, revêtue comme
d'une gloire de pourpre, jusqu'à prévaloir sur ses persécuteurs, si

résolus et si puissants qu'ils fussent (4). Elle est venue à bout de


leurs assauts qu'elle a brisés, et sa force a consisté, non tant à résister,
qu'à supporter, « non resistendo, sed perferendo » (5).
Pour elle, le Christ a renouvelé le miracle de la tempête apaisée.
Il a dit : Que la mer se tranquillise, que la paix soit donnée aux
chrétiens. Car la mer était démontée et la barque ballottée « Navi- :

cula Ecclesia est, mare saeculiim est ». Le Sauveur a marché sur les
flots, oui, sur la crête des flots écumants. Qu'est-ce à dire? Les
empereurs se sont convertis et soumis au Christ (6). Augustin
n'est pas orateur à négliger l'antithèse de l'Église persécutée jadis
et maintenant maîtresse :

Crevit Ecclesia, crediderunt gaules. Victi siiut terrae principes sub nomiue Christi
ut essent victores in orbe terrarum. Posituni est collum eorum sub iugo Christi.
Persequebantur ante christianos propter idola, persequuntur idola propter Christum.

Enarr. .\xxix, 1
(1) « Sparsus est sanguis iustus, et illo sanguine, tamquam seinina-
:

tione per totum mundum facla, sejjes surrexit Ecclesiae ». Enarr. iviii, 5 « Efl'usus :

est inafinus et imillus niaityrum sanguis. quo effuso tamquatn seminata seges Ecclesiae
fertilius puUulavit et totum nuindura, sicut nunc conspiciinus, octupavil». £««/;•. CXVIII,
xxAU, 6. Sermo xxu, 4.

Enarr. xcai, 19. Rapproclier CXVIII, \xx, 5


(2) « Factura est, novimus, recolimus,
:

agnoscimus. Purpurata est universa terra sanguine martyrum.... ornatae sunt Ecclesiae
memoriis martyrum, insignita sunt tempora natalibus martyrum... Agnosciuius et gratias
agimus Domino Deo nostro ».
(3) De catech. rud. 44. Rapprocher Enarr. i.v, 3, la belle comparaison du pressoir :

« Tenetur in torculari corpus eius, id est Ecclesia eius... »


(4) De co«.semH euangel. i, 49. Sermo cxvi, 7 « Pullulent génies, nascatur : de
sanguine martyrum sponsa Domino purpurata. »
(5) De agone christiano, 13.
Enarr. xcn, 7.
(6) Cf. xcv, 12 : « Commotum est mare et plenitudo maris : omne
saeculum concitatum est adversos Ecclesiam, cum dilataretur et aedificaretur loto orbe
terrarum ».
SYNTHÈSE AN'TIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 311

Omnes confugiunt ad auxilium Ecciesiae, in omni pressura, in omni tribulatione


sua. Crevit illud granum sinapis, factum est maius super onania olera : veniunt
volatilia caeli, superbi saeculi, et requiescunt sub ramis eiiis.

Unde haec tanla pulchritudo.? De nescio qua radiée surrexit, et ista pulchritudo
in magna gloria est. Quaeramus radicem. Consputus est, huniiliatus est, flagellatus
est, crucifixas est, vulnerdtus est, contemptus est
ecce hic species non est, sed in :

Ergo ipsum describit sponsuni illum contemptum,


Ecclesia gloria radicis pollet.
inhonoratum, abiectum sed modo videre habetis arborera quae surrexit de isla
:

radiée et implevit orbem terrarum (t;.

Le monde romain, subjugué dans la personne de ses empereurs,


ne l'est pas moins dans celle de ses philosophes. Les Épicuriens et
deux grandes écoles de la pensée, ont
les Stoïciens, qui étaient les
duré jusqu'à l'époque chrétienne à l'heure présente on constate :

qu'ils se sont tus,et c'est à peine si dans les écoles de rhéteurs


on rappelle leurs opinions. Les controverses qui passionnaient les
gymnases des Grecs sont éteintes, si bien que, quand quelque secte
d'erreur veut maintenant lutter contre la vérité, c'est à savoir contre
l'Église du Christ, il faut quelle se couvre du nom chrétien pour
oser attaquer. Les philosophes de l'école platonicienne, corrigeant
dans leur doctrine les quelques articles que réprouve l'enseignement
chrétien, christiana disciplina, se sont pieusement assujettis au Christ,
l'unique roi vainqueur, et ont reconnu le Verbe de Dieu revêtu de
l'humanité i2 . Ces considérations, qui ne sont pas sans quelque
outrance oratoire, sont développées par Augustin, comme un argu-
ment apologétique, à un païen instruit, Dioscore, qui l'interroge.
que dans l'Église et par l'Église est constitué un
Elles vont à établir
enseignement dont l'autorité, la raison, l'éclat, n'a été atteint par
aucune école philosophique, pour le réconfort et la réforme du
genre humain (3^ C'est cela seul qui importe.
Quel état, et quel état! La victoire de l'Église est éclatante, com-
plète, et miiaculeuse, car tout que nous voyons arrivé, nous le lisons
prophétisé « Praevisa, praedicta. scripta sunt omnia ». Les temples
:

des idoles tombent en ruine, personne ne les réparant plus, ou ils


sont désaffectés les statues des faux dieux sont brisées, ou brûlées,
:

(1) Senno xliv, 2. Cf. Enarr. i.iv, 12 : « Attende salteiii gioriain cruels ipsius. Tarn in
fronte reguni crux illa fixa est cul iniraici insultaverunt. Eflectus probavit virtutem :

domuit orbein, non ferro, sed ligne ". Ibid. CI. ii. 5 : >< ...ut esset nostris temporlbus
Ecclesia in tanta gloria quam videinus, ut iarn régna quae persequebantur ipsa serviant
Domino. »

(2) Epistul. cxvm, 21.


(3; Ibid. 33 : «Itaque totum culraen aucloritatis lumenque rationis in illo uno salutari
nomine atque in una eius Ecclesia, recreando atque reformando huinaao generi coustitutura
est. »
312 REVUE BIBLIQUE.

ou recluses : les puissances du siècle, qui pour servir ces idoles per-
sécutèrent les chrétiens, ont été vaincues et subjuguées par leurs
victimes, et l'on voit aujourd'hui le chef de l'empire le plus noble
incliner son diadème au tombeau du pêcheur Pierre, « imperii
et prier

nobilissimi eminentissmmm culmen ad sepulcrum piscatoris Pelri


submisso diademate supj^licare » (1).
Un dernier aspect de la visibiHté de l'Église elle est le nombre (2). :

a Si ïiiultiludini credendiim est, qiiid copiosiits Ecclesia toto orbe


diffusa »? Augustin n'a pas résisté à la tentation de développer. Si,

dit-il, on doit croire aux riches, voyez que de riches dans les filets
de l'Église! Si on doit croire aux pauvres, combien de milliers de
pauvres Si on doit croire aux nobles, elle a quasi toute la noblesse.
!

Si on doit croire aux rois, ils lui sont soumis. Si on doit croire
aux plus éloquents, aux plus doctes, aux plus judicieux, voyez que
d'orateurs, que de gens compétents, que de philosophes! L'Église a
pris ainsi dans ses filets tout ce qui a une autorité, « intra relia sua
omne genus auctoritatis inclusit » (3). N'oublions pas cependant que
pareille considération est pour Augustin une concession à l'opinion.
Car sa foi préfère opposer l'infirmité des convertisseurs à la dignité
des convertis. Dieu n'a pas choisi des sénateurs pour premiers con-
vertis, mais des pêcheurs, « noluit prius eligere senaio?'es, sed pisca-
tores, magna artificis misericordia ». Car Dieu savait que s'il avait
pris d'abord un sénateur, ce sénateur aurait dit : J'ai été choisi
pour ma De même, le riche aurait dit J'ai été choisi pour
dignité. :

mon opulence. L'empereur J'ai été choisi pour ma puissance. L'ora-


:

teur J'ai été choisi pour mon éloquence. Le philosophe


: J'ai été :

choisi pour ma sagesse. Dieu s'est dit Les superbes attendront (4).
:

Dieu a voulu cette réussite historique de son Église, parce qu'il vou-
lait que son Église frappât en ce monde tous les regards, « ut nemi-

nem lateret ». L'Écriture parlant de la femme forte peut dire Mulie- :

rem fortem quis inveniet? De l'Église on dira : Qui ne la voit? Car


elle est à découvert, haute, brillante, glorieuse, et elle est cela dans
tout l'univers (5). Elle est la montagne qui a grandi jusqu'à couvrir

(1) 3. Enarr. xcvm, 14


Epishil. ccxxxu, « ...Regnum Caelestis (juale eral Cartiiagini!
:

Ubi nunc regnum Caelestis? » La « Céleste », identifiée avec Junon, est l'ancienne
est
Tanit Astarlé des Phéniciens, très en renom à Carthage.
(2) Enarr. XXX, u, 2 « Missis retibus, inultiplicala est Ecclesia, et capti sunl innu-
:

merabiles de quibus praedictum erat... Per pascha sic referciuntor ecclesiae, ut turbas
ipsorura parietum recuset angustia. »

(3) Sermo u, 4.
(4) Sermo lxxxvii, 12.
(.5) Sermo xxxvii, 2 « Ergo
: describatur, laudetur, commendetur, amanda ab omnibus
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 313

toute la surface de la terre (1). Elle est la cité bâtie sur la montagne
et dont Sauveur dit dans l'Évangile qu'elle ne peut être cachée
le :

nul ne la peut ignorer, abscondi non potest. Elle est la lumière pla-
cée sur le candélabre nul dans la maison ne peut n'être pas éclairé
:

par elle (2). Le texte scripturaire s'applique à elle, qui parle de Dieu
plantant sa tente au soleil « lam in sole, hoc est in manifestalione :

posmt tabernaculum suiwi quod est Ecclesia ipsius » (3). Il faut être
aveugle volontaire et brùlé du feu des concupiscences mauvaises,
pour ne pas voir le soleil (4).

N'y a-t-il pas des ombres à la lumière éclatante où Augustin nous


montre l'Église de son temps? Le vieux monde romain est-il converti
si unanimement que le ferait croire parfois l'éloquence d'Augustin 5)?
Non. et l'évêque d'Hippone lui-même nous découvre des réfractaires
qui, s'ils ont renoncé au culte des dieux romains, n'ont pas embrassé
le christianisme pour lequel ils ont un mépris exaspéré. Partout où ils

rencontrent un chrétien, ils l'insultent, ils le briment, ils le raillent,


ils le traitent de sot et de maladroit (6). Moins violents, d'autres
trahissent leur dédain par des mots comme celui-ci : Un tel est un
grand homme, un homme de bien, un lettré, un docte, mais pour-
quoi est-il chrétien (7) I Le christianisme est contredit dans ses articles
de foi fondamentaux par une incrédulité qui raisonne, qui conteste,
qui nie, qui raille (8). Il est contredit dans sa morale par des mœurs

nobis ut mater... Muliereni islam tara forlein quis non videt? Seil iam inventam, iain
eminentem, iam conspicuam, iam gloriosam, iam ornatam. iam lucidam, iam, ut cito
explicem, loto lerrarum orbe diffusam. >>

(1) Sermo xlv, 6-7. In loan. tract, iv, 4.

(2) Epistul. i.n, 1.

(3) De consensu euangel.


i, 46. Cf. Enarr. xvni, 6.

(4) Inep. loa. n, 2 « ...quam caecus qui tam magnum montem non
Enarr. lvu, 20. :

videt, qui contra lucernam in candélabre positam oculos claudil? » Enarr. CIII, m, 19 :

« Ista quando obscura eiat Ecclesia? Quando nondum apparebat, nondum eminebal, sedu-

cebantur homine&, et dicebatur Haec est Ecclesia, hic est Christus, ut sagittarent in
:

obscura luna rectos corde. Modo quam caecus est qui plena luna errât ! »

[h] Voyez G. Boissier, La fin du paganisme, t. II, p. 195-22.") : « Les adversaires du


christianisme. »

(6) Enarr. XXXIV, ii, 8 : « Ubicunque inveneri - christianum. soient insultare, exagi-
tare, irridere, vocare hebetem, insulsura, nullius cordis, nullius peritiae ».

(7) Enarr. xxxix, 26 : « Magnus vir, bonus vir, litteratus, doctus, sed quare chris-
lianus.' » Ibid. cxl, 17 : « Magnus vir ille, verbi gratia, Gaius Seius, magnus, doctus,
sapiens, sed quare chrislianus? Nam magna doctrina, et magnae litterae et magna,
sapientia ». Seraient-ce des propos tenus sur Augustin lui-même?
(8) Enarr. liv, 12. Epistul. ad. Rom. incfioat. expos. 1.5. De catech. rud. 11. — Au-
314 REVUE BIBLIQUE.

publiques qui ne se détachent ni du plaisir, ni du blasphème, ni de


la luxure le diable ne s'est pas fait chrétien, il ne peut plus sévir
:

contre l'Église, puisque la paix et la considération sont acquises à


l'Église, mais il s'embusque dans les passions des hommes, il démora-
lise par le scandale (1). Enfin le crédit du christianisme auprès des
empereurs lui vaut d'attirer dans ses églises des hypocrites (2).
La foi d'Augustin ne s'émeut pas de ces ombres. La résistance de ce
qui subsiste du vieux monde païen va en décroissant et finira par
s'éteindre. On dit Si tel noble était chrétien, personne ne resterait
:

païen. C'est possible, et les récalcitrants sont les murailles de la cité


incroyante et contredisante. Combien de temps ces murailles tien-
dront-elles? Nul ne peut le dire, mais patience, elles ne tiendront
pas toujours l'arche fait le tour des murs de Jéricho (3)! Les princes
:

chrétiens ont aplani la route et protègent la marche « Eat ergo :

Ecclesia, ambulet : fada est via, strata nostra ab imperatore munita


est » (4).
La Catholica déborde les frontières de l'Empire romain. Augustin
sait qu'elle a pénétré chez les Goths (5), chez les Perses, chez les
Indiens, et dans les autres nations barbares (6). Elle parviendra (si
ce n'est déjà fait) jusque chez aux extrémités
les Éthiopiens, qui sont
de la terre (7). Le Christ étend ses conquêtes bien au delà de celles
qu'a faites la puissance romaine des régions demeurées fermées à
:

ceux qui se battent le fer à la main, se sont ouvertes à qui n'a d'au-
tre arme que la croix (8).
Dieu appelle à l'Église tout ce qu'il a créé de terre « Qtd terrain :

vocavit, tantam vocavit quantam fabricavit », depuis le levant jusqu'au


couchant (9). La terre est, de toutes parts, environnée par l'Océan,

gustin note ailleurs que cette opposition doctrinaire est devenue très timide, devant le
succès grandissant de l'Église. />e cons. euangel. i, 10 et 13.
(1) Enarr. lxix, 2 : « ...Ecce fiant omnes
numquid et diabolus christianus
christiani,
erit?... Fremunt dentés impiorum adversus dignitalem Ecclesiae et pacem christianorum,
et, quia non habent quid agant saeviendo, sallando blasphemando luxuriando... lacérant
animas Christianorum. » Rapprocher EpisiuL cxi, 2 Attendunt quanta celeritate euan-
: <>

gelium praedicatur, et non attendunt quanta perversilate contemnitur. »


(2) Be doctr. chr. m, 45. Ambroise avait déjà signalé ce tléau fn psalm. CXVIIl, xx, 49.
:

(3) Enarr, uv, 13.

(4) Enarr. XXXIl, ji, lo.

(5) Civ. Dei, xviii, 52 (p. 356).


(6) De consensu euangel. i, 4y « ...ut longius (juain romani imperii iura tenduntur,
:

usque in Persas et Indos aliasque barbaras génies funiculos porrigat... » Rapprochez Epis-
iuL xciii, 23.
(7) Enarr. lxxi, 12.

(8) Enarr. xcv, 2. Epistul. cxcix, 47.

(9) Enarr. xlix, 3. Dans le {Brevissimus liber] de baplisrno, publié par Dom Wilmart,
SYNTHÈSE AiNTIDONATISïE DE SAINT AUGUSTIN. 315

qui la pénètre pour former la mer connue de nous (la Méditerranée)


que sillonnent nos navires TÉvan- : l'Océan lui-même a des lies, et

gile a été porté jusqu'à ces îles donc toute la terre créée que : c'est
Dieu a voulu conquérir à l'Église, quand il a prédit qu'elle dominerait
d'une mer à l'autre, Dominabitur a mari usque ad mare {Ps. lxxi, 8),
et que la prédication de rÉvangile serait portée jusqu'aux limites

de la terre (1). L'Église est l'assemblée des peuples et des nations,


l'assemblée du genre humain, congregatio generis humani (2). Le
psalmiste a dit : ^ finibus terrae ad te clamavi. Qui de nous a une
voix pareille? Ni toi, ni moi. ni personne, mais cela est vrai de l'Église,
dont la voix retentit dans la terre entière 3).
L'Église a mis la main sur bien des nations, elle ne les a pas
encore toutes {+ 1, elle les aura toutes : elle va croissant chaque jour,
et les nations quine sont pas encore converties, se convertiront, oui,
même Barbares au delà des frontières de l'empire romain (5).
les
Le Christ a annoncé {Mat. xxiv, 14) que l'Évangile devait être prêché
dans l'univers entier et à toutes les nations, et que la consommation
du monde ne viendrait qu'après que cette évangélisation totale serait
achevée : les nations qui restent à convertir (6), et auxquelles on

Revue bénédictine, 1912, p. 158, le de ses apôtres dans un bassin


Sauveur lave les pfeds
avant la cène : « Pelvis illa totus mundus
rotalum vas illius pelvis circuifus est est. et

orbis. Voyez G. Marinelli, La geografîa dei Padri délia Chiesa (18831. que je regrette
))

de ne pas avoir pu lire.


(1) Enarr. ixxi, 11 « Mari quippe iiiagno cingitur terra,
: qui vocatur Oceanus... »
Epistul. cxcix, 47 : « In universo orbe terrarum, quae tamquam omnium quodamraodo
maxima est iusuia, quia et ipsam cingit Oceanus, ad cuius littora in occidentalibus
partibus Ecclesiam pervenisse iaia novinius. »

(2) Enarr. vu, 7; lxv. 2; CIII, i, 3. Cf. In loan. tract, viu, 2 : « Atlendite univer-
sum orbem terrarum ordinatuin in ipsa humana republica... « Ibid. lxv, 1 « Haeo dilec-
lio... innovât gentes, et ex universo génère hiiniano quod dififunditur toto orbe terrarum
populum novum. »
facit et colligit
Enarr. cxi\, 7. Cf. Sermo cclii, 10
(3) « Per quatuor enim cardines perrexit Euan- :

gelium, quod in tempore dispensatur, et ipsa est catholica Ecclesia <|uae quatuor partes
orbis oblinnit. «Rapprocher Enarr. OUI, m, 2. In loa. tract, ix, 15. De consetisu euang.
l, 3.

(4) Epistul. CXCIX, 4(i : « Sunt apud nos, hoc est in Africa, barbarae innumerabiles
gentes. in quibus nondum esse praedicatum Euangelium ex iis qui ducuntur inde captivi,
et Romanoruin servitiis iam miscentur, cotidie nobis addiscere in promptu est... » Je
pense à des génies établies au sud du limes romain eu Afri(|ue. Voyez S. Gseil, Hist.
ancienne de l'Afrique du Nord, t. I (1914), p. 302.
[b). Enarr. xcv, 2. Cf. Epistul. cxerx, 48, oii Augustin marque que toutes les nations se

convertiront, mais non pour autant tous les hommes « Oiiines enim gentes promissae :

sunt, non omnes homines omnium gentium. »


(6) .\ugustin croyait que ces nations étaient très peu nombreuses, il le pense du moins

en 415, quand il écrit « Non desunt adhuc ultimae gentes, licet ut perhibetur paucissimae,
:

quibus hoc nondum fuerit praedicatuui ». De nat. et grat. 2. El ailleurs : « Quo per-
venit (Ecclesiaj.' Ad omnes gentes. Paucae remaaserunt, omaes tenebit ». In ep. loa, n, 2.
316 REVUE BIBLIQUE.

prêche chaque jour l'Évangile, sont une preuve que l'Église a encore
du temps devant elle et que les desseins de Dieu sur elle ne sont pas
encore accomplis (1), —
quoique, à vrai dire, le monde approche de
sa fin et que l'Église touche à la vieillesse, vieillesse bénie et destinée
en finir en joie (2).

Si loin qu^ recule l'extension de l'Église sur terre, son unité ne se


disloque pas : « Ecclesia unitatis orbis terrarum (3) », Chaque Église
locale a son individualité : à ces Églises s applique le texte du psaume
qui parle des filles des rois, Delectaverunt te filiae regiim {Ps. xliv,
10), car elles sont filles des rois, c'est-à-dire des apôtres. iMais, filles

des apôtres, elles portent le nom du Christ seul. Kome est fille des
rois, Carthage est fille des rois, des villes et des villes sont filles des
rois, toutes ensemble elles sont une seule reine, « ex o?nmbîis fit iina
quaedatn recjina [%) ». Nombreuses sont les Églises, une est l'Église :

nombreux les fidèles, une l'épouse du Christ


une (5), une la famille,
la plebs, une la brebis (6). L'Église est la tunique sans couture du
(jhrist, car cette tunique sans couture est une leçon d'unité, « m illa

veste imitas commendata est (7) ». Elle est le vêtement d'Aaron sanc-
par l'onction qui descend de
tifié la tête du grand prêtre jusqu'à la
frange de son vêtement (8).
L'orgueil humain a fait aux pieds de la tour de Babel la confusion
des langues : qui cherche l'unité de langue la retrouvera refaite par
le saint Esprit dans l'Église, où la foi donne à tous les cœurs le même
langage : « Volunt iinam linguam, veniant ad Ecclesiam, quia et in

(1) De agone chr. 31. Enarr. cxlvii, 19 : « lani totiiru corpus Christi loquitur omnium
linguis, et quibus nondum loquitur loquetur. Crescet enim Ecclesia donec occupet
omnes linguas. »
(2) Enarr. xxxvi, 4 « Dominus ipse in corpore suo quod est Ecclesia iunior fuit prirais
:

temporibus, et ecce iam senuit... Corpus auteni Christi quod est Ecclesia tamquam unus
quidam homo primo iunior fuit et ecce iam in fine saeculi est in senecta pingui... »
Rapprocher xci, 11, et cxxviii, 3.
(3) Enarr. xxxix, 20.

(4) Enarr. XLrv, 23.

(5) Enarr. lxiv, 14 « Multae Ecciesiae : et una Ecclesia multi


: fidèles et una sponsa
Christi sic raulta flumina et unus fluvius.
: » Rapprocher i.xvii, 11.
(6) Sermo cclxv, 7.

(7) Enarr. cvi, 14. Cf. In loa. tract, cxviii, 4.


(8) Contra lill. Pefil. n, 239 : « Agnosce oram veslimenti spiritalis... De hac ora vestis
per omnes gentes unilas Iota contexitur. Hac intravit capul in vestem, ut induerelur
Christus varietate orbis terrrarum. »
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 317

diversitate linguarum carnis una estlinguain fide cordis » (1). L'uni-


vers grâce à l'Église est devenu un chœur, et ce chœur du Christ
chante à l'unisson, de l'orient à l'occident (2). Car l'unité est une
unité de foi, d'espérance, de charité.

Antea gentes, multae gentes, modo una gens. Quare una gens? Quia una fldes,
quia una spes, quia una caritas, quia una expectatio... Patria caelestis est..., quisquis
autem iade clvis est in una gente Dei est. Et iiaec gens ab oriente in occideutem ab
aquilone et mari distenditur per quatuor partes totius orbis (3;.

L'unité est celle d'un édifice : ces nations qui viennent l'une après
l'autre dans l'Eglise, sont des pierres vivantes, des pierres saintes,
qui entrent dans la construction d'un édifice qui ne s'achèvera qu'avec
le monde : « Quam magna donms! (i). » La charité est ce qui lie
ces pierres les unes aux autres : « Domwn Domini non faciunt, nisi
quando caritale compaginantw (5). » La charité est la paix « Pax, :

vinculum sanctae societatis, compago spiritalis, aedificium de lapi-


dibus vivis », et cela n'est réalisé que dans la Catholica{Q).
En regard de cette unité dans la catholicité, les hérésies et les
schismes apparaissent comme des constructions de fortune élevées çà
et là, dans des coins, aux abords de l'édifice qui se bâtit en pleine

lumière, en attendant sa dédicace au jour de la dernière résurrec-


tion (7). Tout schisme, toute hérésie, en effet, est chose locale, pro-
vinciale, sinon chose de conventicules secrets et obscurs (8). Ceux
qui se sont séparés de l'unité, en combien de petites sectes se sont-ils

(1) Enarr. liv, 11. — In loa. tract, vi. 10. Serm. cclxvi, 2: cclxvii, 3; ccLxvin, 1;

CCLXIX, 1.

Enarr. cxlix, 7
(2) « Chorus Christi iam totus mundus est. Chorus Christi ab oriente
:

in occidentem consonat » L'unité du culte dans la Ca</io/tca devient une expression de


!

l'unité des âmes. Augustin insiste à maintes reprises sur celle unité dans la prière, les
jeûnes, les chants. Voyez Enarr. XXI, ii, 24; xLvni, 2; lxxv, 10; xcix, 12; cvi, 13;
cxxv, 9; CXLIX, 2. Serm. ccix, 1; ccx, 8. De vera relig. 5. Epistul. clxxxvii, 20-21.
(3) Enarr. lxxxv, 14. Cf. Enarr. xxxvu, 6 « Et nos : in corpore ipsius sumus, si tamen
fides nostra sincera sit in illo, et spes certa, et caritas accensa. » /« loa. tract, xxix, 6 :

« Credendo amare, credendo diligere, credendo in eura ire, et eius membris incorporari. »

(4) Sermo cxvi, 7.


(5) Sermo cccxxxvi, 1. Cf. Enarr. XXX, u, 1 : « Caritas compagem facit, compages
complectitur unitatem, unitas serval caritatem, caritas pervenit ad claritatem. » Enarr.
XXXIX, 16 ; « ...in Ecclesia catholica nihil babentes siinulationis, compaginati iunctura
unitatis. »

(6) Enarr. cxux, 2. Epistul. cxl, 43; cxlii, 1 et 2. — N'oublions pas que l'unité de
l'Église a pour armature l'autorité enseignante et disciplinaire des pasteurs, « quibas
populorura congregatio regenda commissa est ». Epistul. xxxvi, 32. Cf. Epistul. ccxxvm,
11. Civ. Dei, IX, 9. Serm. cxlvi, 1 et cccxl. Enarr. cixvi, 3; cvi, 7.

(7) Sermo clxiii, 3. Enarr. XXIX, ir. (>.


(cS) Quaesf. Pltong. I, 38.
318 REVUE BFBTJOUE.

divisés (1)! Toute hérésie est éphémère, semblable en cela aux tor-
rents d'hiver, débordants, retentissants, et bientôt à sec (2). Le Sabel-
lianisme n'existe plus, il était trop vieux pour une hérésie, il s'est peu
à peu vidé; l'Arianisme fait encore quelques mouvements, comme un
cadavre en putréfaction, ou du moins comme un homme qui n'a pas
encore rendu l'âme (3). Si on rencontre des hérétiques sur toute la
surface de la terre, aucune secte ne s'étend à toute la terre telle :

secte en Afrique, telle autre en Mésopotamie, telle autre en Egypte,


telle autre en Orient, aucune qui ne soit d'un pays, aucune qui ne soit
débordée par la Catholica, qui, elle, est partout, et partout travaille à
ramener les égarés, lesquels s ignorent les uns les autres, tandis
qu'elle les conniiît tous. Elle est la vigne qui a étendu ses branches
sur la terre entière : ils sont les rameaux coupés et morts (i). Malheur
à ceux qui sont ainsi retranchés de l'unité! malheur à ceux qui
haïssent l'unité (5) !

II

Mondiale et une dé fait (Gi, l'Église est telle parce que Dieu l'a

voulu, dessein de Dieu révélé par l'Ecriture. C'est le second point de


la synthèse antidonatiste d'Augustin.

Dans l'Ancien Testament, le Nouveau est contenu, mais caché dans :

le Nouveau, l'Ancien se manifeste (7). A titre de figure, ou de pro-

(1) Sermo iv, 34 : « Qui se dividunt ipsi Uabenl gladium divisionis et in gladio suo
nioriuntur et in gladio suo vivunt... Videte fratres mei, qui se ab unitate praeci-
illos,

derunt, in quot frusta praecisi sunt. » Aufiustin observe ailleurs que ces dissidents ont
entre eux cela seul de commun qu'ils ne veulent pas de l'unité. Sermo xlvii, 27 : « Dlssen-
tiunt inter se, contra unitateni oriines consentiunt. »

(2) Enarr. lvii, 16.

(3} In loa. tract, xl, 7.


(4) Serm. xlvi, 18, et cclu, 4.

(5) In loa. tract, x, 8 : « Si Christi unica Ecclesia est, et una est... Vae bis qui prae-
cidunturt nam illa intégra permanebit. » Ibid. xii, 10 : « Vae illis qui oderunt unitatem,4
et partes sibi faciunt in bominibus. » Rapprochez Sermo xlvii, 28 : « ...Gentiles pagani
qui remanserunt, non babentes quid dicant contra nomen Christi, dissensionem Chrlstia-
norum obiciunt. «

(6) Cette unité mondiale n'est pas affectée par le fait que l'on parle d'une Ecclesia
occidentalis ou d'une Ecclesia orientalis, expressions qui sont, au temps d'Augustin,
purement géographiques. Augustin pourra écrire contre les Pélagiens « (Orientis antistites) :

et ipsi utique christiani sunt, et utriusque partis terrarum fides ista una est, quia et
fides ista christiana est. » Contra Iulian. i, 14. L'unité ne sera pas davantage aft'ectée par
les diversités de rites et de pratiques. Ce point est traité ex professo par A. dans ses
Epistul. i.n et lv.

(7) De catech. rud. 8 : « In veteri Testamento est occultatio novi, in novo Testamento
est raanifestatlo veteris. » Enarr. lxxii, 1 « ...quo tempore novum Teslamentum
• occul-
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 3d0

phétie, ou de constamment parlé dans l'Écriture du Christ


fait, il est

et de de l'Église en tant qu'elle est destinée à tout l'uni-


l'Église,
vers, donc catholique. Pas une seule page peut-être des saints Livres
où ne retentisse ce double enseignement, le Christ, l'Église (1).
Les textes scripturaires qui annoncent la catholicité de l'Église
sont avant tout ceux oii le Christ ressuscité donne mission aux apôtres
de « prêcher en son nom dans toutes les nations, en commençant par
Jérusalem » [Luc. xxiv, 46-47), d'êtra ses « témoins à Jérusalem,
dans toute la Judée, la Samarie, et jusqu'à l'extrémité de la terre »
[Act. I, 8). Ces paroles du Seigneur
prononce avant son ascen- qu'il
sion au ciel, sont le testament de ses dernières volontés prévoyant :

les litiges que soulèveraient de- mauvais fils, il a tenu à ce que ses
volontés fussent incontestables (i2). Qu'on ne vienne donc pas nous
dire le Christ est ici, ou
: le Christ est là. Nous ne voulons entendre
:

que le Seigneur.

-Dicit unus ex uno angulo : Ecce liic est. Alius ex alio angulo : Non. sed ecce hic
est. Tu, Domine, die. Tu assere quam rederaisti, ostende quam dilexisti. Ad nuptias
tuas invitati sumus, ostende sponsam tuam, ne vota tua litigando turbemus...
Dicit discipulis suis, et non quaerentibus dicit... Hoc ab apostolis nondum quae-
rebatur, quia grex Cliristi nondum a latronibus dividebatiir : nos experti dolores
divisionis, studiose coagulum quaeramus unitatis. Apostoii quaerunt tempus iudicii.
et Dominus respondet locum Ecclesiae. Non respondit quod quaesierunt, sed nostros
praevidebat dolores.
Eritis, inquit, mihi testes in lerusalem. Parum est. Non pro hoc tantum prelium
dedisti, ut hoc solum emeres. In lerusalem, die adhuc : Et usque in fines terme...
Nerao mihi dical iam : Ecce hic est. Non, sed ecce hic. Sileat humana prae-
suraptio, audiatur divina praedicatio, teneatur vera promissio : In lerusalem... et'
usque in fines terrae. His dictis, nubes suscepit eum. Iam non opus erat ut aliquid
adderetur ne aliunde cogitaretur (3).

Cent fois Augustin reviendra à cette thèse, que le Christ ressuscité

tatum taraquam fructus Iq radice ». Rapprochez Senno ccc, 3 et Quaest. in Hept.


ibi erat

u, 73. Contra Faustvm, iv, 2.


(1) Enurr. clxvu, 16 « Ulud Moyses, hoc prophetae, et alia raulta milia, Quis numerat
:

testimonia de Ecclesia toto terrarum orbe diffusa? Quis numerat? Non sunt toi haereses
contra Ecclesiam, quoi sunt testimonia legis pro Ecclesia. Quae pagina non hoc sonat?
Quis versus non hoc loquitur? » Sermo xlvi, 33. In loa. tract, vi, 24. Civ. Dei, xvi, 2
(p. 127); xvn, 16 (p. 247). De catech. rud. 6. Contra Faustum, xvui, 7; xxii, 24.

(2) Ser^ino cclxv, 7.

(3) Ibid. 6. Voyez un développement analogue dans un sermon « de lecole de saint


Augustin )', Dom Morin, Revue bénédictine, 1912, p. 255
sur l'Ascension, publié p^r :

« Eritis mihi testes. Ubi tempora dicere noluit, loca tacere noluit... itoria! bibité;
ructate.Ecce in Jérusalem, ibi plantata est Ecclesia... Distendit palmites, et inplevit
universam terrara... » Itoria, le coup de l'étrier qu'on donne aux amis qu'on va
quitter.
320 RlîVUE BIBLIQUE.

a pris pour sujet de ses derniers enseignements l'Église (1), et que


le Christ ressuscité a destiné cette Église à toute la terre. Le Christ
a voulu donner à ses disciples la certitude de la réalité de son corps
ressuscité, et aussi fortement la certitude de l'institution et de la future
catholicité de son corps mystique : hérétique, il faut que tu croies
avec nous au Christ pour ta condamnation 2).
à l'Église, sinon tu crois
Dès avant sa passion cependant le Sauveur a annoncé son Église
et la catholicité de son Égliset Lorsque le Christ prédit que beaucoup
viendront de l'orient et de l'occident et prendront place, avec
Abraham, Isaac et Jacol), dans le royaume des cieiix {Mat. viii, 10-11),
il pense à son Église (3i. Le Sauveur n'identifie pas la Catholica
terrestre et visible avec le royaume des cieux, car ce royaume est
dans l'au-delà où sont Abraham, Isaac et Jacob. Les élus viendront
de l'orient et de l'occident, ils viendront de la Catholica répandue
sur toute la terre. —
Toutefois, la Catholicapeui être appelée royaume
de Dieu, d'abord parce qu'elle est formée pour la vie future et éter-
nelle C*); pour cette raison encore que les saints sont dans la Catho-
lica et que Dieu règne dans ses saints (5); pour cette raison enfin que
la Catholica est sur terre la cité de Dieu, par opposition à la cité
du La Catholica est donc le royaume de Dieu, non pas sans
diable.
phrase, comme
dit Harnack, mais improprement (6).

Le miracle de la Pentecôte est une première confirmation de la


catholicité de l'Église. Le saint Esprit, en effet, descendant sur les

(1| Sermo cclxv, 12 : « Glorificatus Doininus resurgendo, commendal Ecclesiam; glori-


ficatus ascendendo, commendal Ecclesiam ; Spirilum sanctum inittens de caelis, coin-
mendat Ecclesiam... >> Cf. Sermo cclxvii, 3. Enarr. xlix, 5; lvii, 6. Tractât, inédit.
XXXII, 11 (p. 153-154).
(2) Enarr. cxLvn, 18 : « ...Ecce resurrexit, ecce dixil : tam nullara habet dubitationein
Ecclesia Chi-isti et uxor Christi, quain nullam habet dubitationem corpus Chrisli demons-
tratum oculis, contrectatum manibus discipulorum... » Tout le développement est remar-
quable.-
(3) Sermo xlvi, 34 : « Ab oriente et occidente multi venient : ecce" Ecclesia Christi,
ecce grex Christi : lu vide, si ovis es. Non enim te lalet grex qui ubique est. Non habebis
quid respondeas iudici luo... non audivi ». Quaest. euang. i, 38
: Nescivi, non vidi, :

« Orienlis et occidentis nomlne lolum orbem voluit significare, per quem futura erat
Ecclesia, incipienle euangelio ab lerusalem... Convenienler enim Ecclesiam nunc fulgur
nominavit [Mat. xxiv, 27), quod maxime solet emicare de nubibus. »
(4) De sancta virginit. 24 « Quid aliud islis restai, nisi ut ipsum regnum caelorum ad
:

banc lemporalem vitam in qua nunc sumus asserant pertinere!"... Et quid hac assertione
furiosius? Nam elsi regnum caelorum aliquando Ecclesia eliam quae hoc tempore est
appellatur, ad hoc utique sic appellatur quia futurae vilae sempiternaeque colligitur. »

(5) Civ. Dei, xx, 9 (p. 450) : « El nunc Ecclesia regnum Christi est regnumque caelorum.
Régnant ilaque cum illo etiam nunc sancli eius, aliter quidem quam tune regnabunt; nec
tamen cum illo régnant zizania, quamvis in Ecclesia cum trilico crescant... »
(6) Reutek, p. 150-151. Harnack, Dogmeng., t. IIF, p. 137.
SVNTIIKSE ANTIDONAÏISTE DR SAINT AUGISTIX. 321

apôtres et les disciples assemblés eii une même maison, leur commu-

nique le don des langues. Est-ce à dire que chacun reçoit le don
d'une langue? Nullement, mais cliacun parle les langues de toutes
les nations. Voilà le miracle du don, et en même temps le symbole
de rimité catholique qui doit s'étendre à toute la terre :

Loquebatiir imus liomo linguis omnium gentium : imitas Ecclesiae in linguis oninium
gentium. Ecce et hic imitas Ecclesiae catliolicae commeudatur toto orbe diffusae (1).

La vision de saint Pierre à Joppé, cetle grande nappe descendant


du ciel attachée par les quatre coins et renfermant toutes les bêtes

de la terre {Acê. x, 9-16), est une révélalion symbolique de la


Catholica. L'Église est cette nappe, te. me aux quatre coins qui sont
les quatre parties de la terre entre lesquelles l'Église s'étend, les
(juatre vents du ciel d'où Dieu appelle les saints, les quatre points
cardinaux entre lesquels se propage la foi évangélique, et ces bêtes
sont les nations de la terre (2).

Manifestée en clair dans le Nouveau Testament, TÉgiise est annoncée


dans l'Ancien par des figures, d'abord. Figure annonciatrice de l'Église,
la captivité en Egypte dont Moïse libère les Hébreux, la Loi donnée
dans le désert, l'établissement du peuple de Dieu dans la terre
promise. Il du déluge et de l'arche, symbole de
faut en dire autant
l'Église et du salutAutant du paradis terrestre, autant
par l'Église.
de la cité de Siou, autant du Temple (3). Ne doutons pas que le
Cantique des Cantiques ne nous présente, sous le personnage de
l'épouse et de l'époux, l'Église et le Christ (4).
L'Église n'est pas reconnaissable dans l'Ancien Testament seule-
ment à des figures, elle est prophétisée expressément. Augustin
applique, en effet, à l'Église chrétienne toutes les promesses que
Dieu fait à son peuple d'une mission s'étendant à tous les peuples
de l'univers. Dieu promet à Abraham, en récompense de son obéis-
sance, que sa descendance se multipliera plus que les étoiles du ciel

(I; Sermo cclvxvui, 1. Cf. Serm. clxw. 3; cclxv, 12; cclxvi, 2. fn Ina. tract, xxxii,
7. Civ. Dei, xviii, 40.
(2) Sermo cxr.ix, 6. Même thème dans Scrmc cci.xvi, 6; Enarr. X\X, ii, .ï.

(3) Pour le détail, Specht, p. 9-19.


(4; Sermo xlvi, 35 : x Novimus cantica caulicorum, saiicta cantica, araaloria canlica,
sancti amoris, sanclae caritatis, sanctae dulcedinis... » Les Donatistes reconnaissent aussi
<|uc les deux protagonistes du Cantique sont l'Église et le Christ « Quod sponsa sponso :

dtcat, quod Ecclesia Christo dicat. nec nos dubitamus, nec illi ». Ibid. 36.
REVUE BIBUQUE 191f'. —
N. S., T. \vl. 21
322 REVUE BIBLIQUE.

ou que les sables de la mer, et qu'en elle seront bénies toutes les
nations de la terre, Beyiedicentur in semine luo omnes gentes terrai-
[Gen. XXII, 16) cette promesse est une prédiction du Christ, une
:

prédiction de la Catholica [i).

Les psaumes de David remplis de traits prophétiques quisont


annoncent le Christ et TÉglise les recueillir tous est impossible, :

tant ils abondent, « copia quam inopia magis impedior », En faire une
sélection n'est pas plus aisé, parce qu'ils tiennent à la trame de
chaque psaume et qu'il faut les prendre avec tout le psaume, si on no
veut pas altérer la si.^nification des versets que l'on cite. Mais les
psaumes ainsi interprétés, quelle lumière prophétique en jaillit '2)!
Augustio complu, avec une ingéniosité et une richesse sans
s'est

égale, à commenter les psaumes dans ses Enarrationes, et à retrou-


ver l'Église catholique dans tous les traits susceptibles d'une signifi-
cation universaliste. —
>e perdons pas de vue que, pour Augustin,
le psalmiste parle le plus souvent pour le Christ. Si le psalmiste

dit Bene /nintiavi iustiliam tiiam in Ecclesia magna iPs. xxxix,


:

10), ne pensons pas que cette parole de David soit de David, elle
est de David personnifiant le Christ. De quelle Église peut donc par-

ler le Christ et quelle Église peut-il qualifier de grande, sinon la


C<itholica i3)"? —
Dieu parle à David aussi, mais David est là encore
le Christ. Dieu lui dit : Tu es mon fils, demande, je te donnerai les
nati<ms en héritage et j'étendrai ton domaine jusqu'aux confins
de la terre, Dabo tibi gentes heredîtalem el possessionem tuam
terminas terrae [Ps. ii, 7-8). Qui ne reconnaîtra là une promesse
divine faite au Christ de l'entrée de toutes les nations dans son Église
etde l'extension de cette Église à l'univers (4)? David enlin parle —
pour l'Église, pour nous qui sommes l'Église 5). Quand il dit, par
exemple Siciit audivimus, ita et vidimus Ps. xlvh, 7^, c'est l'Église
: (

que nous devons entendre exprimant à Dieu sa reconnaissance :

O beata Ecclesia! quodam tempore audisti, quodam tempore vidisti. Audivit in


promissionihus. videt iiiexhibitionibus. Audhit iu prophetia. videt in Euangelio.
Omnia euiiii qiiae modo complentur antea prophetata siint. Erige oculos erao. et

(1) Enarr. XXX, ii, 9 : « Chrisluin figiirato, piaedicabat, Ecclesiam aperle praedicavit.
Ait eniia... » Cf. ihid. xxxix, 15.

(2) Civ. Dei, xvn, 15 (p. 247).


(3) Enarr. xxvix, 15 « Quam magna? Toto orl)e terrarum. Quam magna? In om-
:

nibus gentibus. Quare in onmibus gentibus? Quia semen est Abrahae in quo bene-
tlicenlor omnes gentes. Quare in omnibus gentibus? Quia in oranem terram exivit soaus
coruin. «

(4) De agone chrlstiano, 31.


(5) Enarr. cxxxvii, 1 c.xui, ; 3.
SYiNTHi.SE ANTIDOXATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 323

diffunde per miuidum vide iam hereditatem usque ad terrainos orbis terrae. Vide
:

iam impleri qiiod dictutn est Adovahant eum omnes re<jes terrae, omnes gentes
:

servient illi {Ps. l\xi, 11). Vide impletimi esse quod dictum est Exaltare super :

caelos, Deus, et super omnem terram gloriû tua [Ps. cvii, 0) ,1).

Le téaioignage prophétique que l'Écriture rend à TÉg-lise s'ap-


plique à tout ce que nous voyons l'Église faire sous le nom du Christ
dans l'univers, parce que tout cela a été prédit il y a des siècles 2i.

Comment un hérétique, comment uu Donutiste peut-il se dérober


à un argument scripturaire si irrésistible 3;?
Qu'un Donatiste illettré, né dans le schisme, iguore ce qu'est l'Église
et s'en tienne à la coutume cjuil a sucée avec le lait de sa nourrice,
cela s'entend. Mais qu'un Donatiste qui pratique quotidiennement
l'Écriture, qui la prêche, qui se trouve devant un texte connu, pris
au hasard, celui qui dit : Convertentur ad Dominum universi fines
terrae et adorabunt in conspectu eius iiniversae patriae cjenlium
Ps. xxi, -28). et pas l'unité de l'univers réalisée
qu'il n'y reconnaisse
par la Catholica, quelle cécité! Peut-on croire que les auteurs de
schismes et d'hérésies n'ont pas connu par l'Écriture que l'Église a été
prédite catholique? Non, on ne peut le croire, dit Augustin avec cha-
leur, car nous sommes tous chrétiens ou on nous appelle tous chré-
tiens, nous croyons donc tous au Christ sur la foi des prophètes or :

les prophètes ont prophétisé du Christ moins clairement que de


l'Église, « ofjscurius dixermif proplietae de Christo, quam de Eccle-
sia ». Ils prévoyaient en Esprit que le Christ serait moins contesté
que l'Église : sur ce qu'ils savaient qui serait davantage contesté, ils

ont prophétisé plus en droiture et plus en clair. Aussi peut-on


appliquer aux Donatistes le texte qui les convainc de mauvaise foi :

Qui videbant me, foras fugeriint a me xxx, 13), ils savaient par
[Ps.
l'Écriture ce qu'était l'Église, « cognrjverunt quid esset Ecclesia », et
ils lui ont tourné le dos (i).

(1) Enarr. \i.vii, 7. Cl'. Serm. xxii, 'i; \i.\ii, 19.

(2j De Oinnia quae nunc vides in Ecclesia Dei et 3ub Cliristi notniue
catech. nul. 53 : (

per totmn orbem terrarum geri, ante saecula iam praedicta sunt, et sicut ea legimus ita
et videmus, et inde aeelificaimir in lidem. »
(3) Enarr. liv, 20 « Quoinodo in haeresi
: remanebit ad tantarn evidentiam sanctae
C'atholicae, quani difFudit Deus per totum orbem terrarum, quam anfcequam diftunderet
l>ronùsit, praenuntiavit, sic exhibait ut promisit? » Voyez Sermo xi.vi, 35-40, la
vigoureuse discussion des deux textes prophétiques ;du Canti([ue des cantiques el
d'Habacuc) où les Donatistes pensent trouver au moyen de deux calembours une pré-
diction du schisme De même, Sermo cxxxvm, ;». Dans le Sermo xl\i, 3;!, Augustin
africain.
délie les Donatistes de produire un seul
mot de l'Écriture qui le? justifie Exeat : (

mihi una vox pro parte Donali. Quid inagnum est quod quaero ? »
(4) Enarr. XXX, ii. 8. Ibid. 9 o Et peiie ubique Christus aliquo involucro
:
sacramenti
324 REVLE BIBLIQUE.

Les Donatistes déclinent l'argument tiré des prophéties, en fai-

sant valoir que les prophéties qui annoncent l'Ég-lise et la catholicité


de l'Église sont véridiques et ont été accomplies, mais qu'elles n'ont
été accomplies qu un temps, et que l'Église n'a pas survécu à leur
accomplissement la Catholica a péri, il n'en subsiste plus qu'un
:

reste, Xd, pars Donati[\). Augustin pourrait se contenter, pour toute


réponse, de dénoncer l'énormité de la prétention des Donatistes à être
les seuls privilégiés de Dieu et la bonne odeur de Jésus Christ. Il ne
sest pas fait faute de les railler de ce pharisaïsme (2).
Une autre réponse, plus directe et plus doctrinale consiste à mon-
trer que les promesses faites par Dieu à l'Église, en tant qu'elle doit
être catholique, sont des promesses pour toujours. Vous nous dites
que cette cité maîtresse du monde périra. Nous vous répondons qu'il
est écrit Deus fundamt eam in aeternum [Ps. \lvi, 9). Pourquoi
:

craignez- vous que le firmament ne tombe (3 ? En quel texte trouvez-


vous énoncé que doive périr celle que tant de textes énoncent qu'elle
doit demeurer? < Peritura praedicta est tôt testimoniis mansura » (V)?
L'Église durera en ce monde jusqu'à la fin du siècle que l'ennemi :

sévisse, qu'il multiplie les scandales et les pièges, l'Église ne peut être
vaincue : « Non vincetur Ecclcsia,non ('radicahitur,nec cedet qii'ibus-

libet tentationibus, donec veniat Iniius saecitli finis » (5). A l'Église


s'applique la parole prophétique du psaume : Permanebit cum sole

(un symbolisme enveloppé) praedicatus est a prophetis, Ecclesia aoerte. » Cf. liv, 16;
i.\i, i;{; cxLVir, 16.

(1) De agone christiano, ;>1 : « Dlcunt iam isla orania fuisse coin])leta antequam essel
pars Donali, sed postea totam Ecclesiam périsse, et in sola Donati parte reliquias eius
remansisse contendunt. « Enarr. CI, ii, 8 « Dicunt Fuit et iam non est... Dicunl
: : :

Iinpletae sunt Scripturae, crediderunt omnes gentes, sed apostatavit et periit Ecclesia de
omnibus genlibus... Hoc dicunt qui in illa non sunt. » Ibid. XXI. ii, 24 et 28. Scnno
LXXXVIII, 21-2j!.

(2) Enarr. XXI, ii, 2 «Africa sola bene olet, tolus mundus putet! » Ibid. CI, it, 8
: « .

impudentem voceml ...Hanc vocem aboiiiinabilem, » etc. et tout ce véhément passage.


Autant cxLVii, ir>.

(3) Enarr. xlvii, 7. Ibid. ClII, ii, 5 : « Firmavil Ecclesiam super fundamentura Christum.
Nutabit Ecclesia fundamentum sed unde nutabit Christus?... Ubi sunt qui
si nutaverit :

dicunt périsse de mundo Ecclesiam, quando nec inclinari potest? » xc.ii, 8 « Domus :

Oomini forlis erit, per totum orbem terrarura eril; multi cadenl, sed domus illa stat;
muUi turbabuntur, sed domus illa non movebitur. Domum tuam decet sanctificatio,
Domine. Nnmquid parvo tempore? Absit. In longitudinem dierum. »
(4) Sermo xi vi, 33.

(5) Enarr. i.x, 6. Rapprodiez Enarr. LXX, ii, 4 et Expos, in Gai- 24. Augustin vise de
prétendues prédictions païennes qui vaticinent la fin du christianisme. Enarr. \l, i. Civ.
Dei, xvm, 54
SYNTHESE A.NTIDONATISÏE DE SAINT AL(;L">T1N. 325

(lwi, 5; : tant que le soleil se lèvera et se couchera, donc jusqu'au


dernier jour du monde, TÉgiise de Dieu ne manquera pas à la
terre 1).

Et il sera de nécessité de précepte, — pour ne pas parler encore de


nécessité de moyen, — d'appartenir à cette Catholica voulue de Dieu.
Aucun homme n'a le droit de dire : « J'adore Dieu dans ma cons-
cience, et je n'ai pas besoin de et d'aller à me mêler aux chrétiens
l'Église », parce que qu'un élément delà
la religion intérieure n'est
religion, et que la religion extérieure est aussi nécessaire qu'un vête-
ment de laine sur une tunique de lin (2). Gardons-nous de la péril-
leuse tentation d'orgueil qui nous pousserait à nous soustraire au
ministère de l'Église, quand l'apôtre Paul lui-même, converti pour-
tant par une divine et céleste voix, a été envoyé à un homme ul (^

sacramentel perciperet atque copularetur Ecclesiae ,31 ». Aucune grâce


de Dieu, si indubitable soit-elle, ne dispense celui à qui Dieu l'accorde
de recourir à l'Église et à son ministère 4.),

Posé précepte d'appartenir à l'Église, se séparer d'elle est un


le
crime. Des consciences sont en paix, parce qu'elles ignorent leur cas.
Combien d'hérétiques disent Nous suivons nos évèques, nous sommes :

leurs brebis, à eux de rendre compte de nous '^5). Le controversiste


catholique s'adressera donc de préférence aux mauvais bergers. S'il
s'agit des Donatistes, il leur dira Je ne vous impute pas des fautes :

qui ne sont pas les vôtres, pas même les fautes des vôtres, je ne
retiens que votre fait personnel, je vous accuse d'être sortis de l'Église :

votre péché est votre schisme (^6). Cai* le schisme est un péché, un
péché comme l'adultère, l'homicide ou l'apostasie, un mortiferum
peccatum (7). Il n'est pas de faute plus grave que le sacrilège du
schisme, assure .\ugustin, car il n'est pas de juste nécessité de briser
l'unité (8).

(1) Eiiarr. lx\i, 8.

2) Sermo \x\vii, 6 -. • Invenis alium dicenlein tilii ; SuflBcit inihi in ooiiscientia Deum
colère, Deum quid mihi opus est aut in ecclesiam
adorare : ire aut visibiliter misceri
chrislianis? Lineam vull habere sine tunica lanea. >

;3) De doctr. chr. \^xo\. G.

(4y Epislul. ccfcxv, 3. Sermo cxlix, 7. Quaest. in Hept. IV, xwin.


(5) Serm. \lvi, 21; xlvii,'26.
(6; Sermo xlvii, 17 : exltum autera tuum non abluis. Ego non
< Ipsum te iustum dicis,
dico libi Tu es polius
: Iraditor. Quod
Sed ideo nolo dicere, quia
si dicani, facile probo.
tui feceruni, non tu fecisti. Non tibi imputo facta aliéna, etiam luorum tuum factum :

attendo, quod foris es argue, exitum tuum arguo... x Cf. Epistul. \uu, 2.
iT) Serm. lVi, 12; lxxi, 7.

(S) Contra epist. Parmen. ii, 25 « Haec de Scripturis sant tis documenta proferimus,
:

ut appareat facile non esse quidquam gravius sacrilegio schismatis, quia praei idendae
unitatis iiulla est iusta nécessitas. »
320 REYUE BIBLIQUE.

lil

Les Donatistes contestent la validité des sacrements des Catholiques,


et avant tout de leur baptême, en vertu du principe qu'ils posent
que d'un sacrement dépend de la sainteté de qui ladmi-
la validité
nistre De baptismo soient dicere tune esse verum haplismum Christi
; «

cimi ah hominejnsto datur » (1% Augustin a fait la critique de cette


erreur, nous n'y reviendrons pas, mais à son tour il lui oppose ce
principe, que hors de l'Église, le saint Esprit est inopérant nul donc :

ne participe à la sanctification de l'Esprit que dans la Catholica.


Si Augustin établit ce principe, comme il se le propose, le Dona-
tisme sera convaincu de ne rien pouvoir pour le salut de ses fidèles.
C'est le troisième point de la synthèse andidonatisie d'Augustin.
Le Sauveur ne s'est pas borné à envoyer ses apôtres à la conquête
du monde, il leur a promis le saint Esprit, promesse qui
accom- s'est

plie le jour de la Pentecôte. En leurs personnes l'Église a donc reçu


le saint Esprit, et avec le saint Esprit le don des langues. Nous
savons comment le don des langues s'est perpétué, puisque devant
nous la Catholica parle les langues de tous les peuples. Le saint
Esprit s'est perpétué aussi bien.
Augustin va chercher à déterminer le rôle permanent de l'Esprit
dans l'Église.
Qu'est-ee que l'esprit en nous, l'esprit à quoi tient que nous'vivons,
l'esprit que nous appelons anima? Il anime tous nos membres : il

voit par les yeux, entend par les oreilles,


il il sent par les narines,
il parle par la langue, il opère par les mains, il marche par les pieds;
il est présent dans tous les membres pour qu'ils vivent, il donne vie
à tous et leur fonction propre à chacun. <' vilanx dat omnibus, officia
singulis ». La vie est commune, les fonctions diverses. Ainsi en
va-t-il chaque membre a son office, tous les
de l'Église de Dieu :

membres participent à une même vie, et ce que V anima est à notre


corps humain, le saint Esprit l'est au corps du Christ qu'est l'Église 2). i

Tant que nous vivons, tant que nous sommes en santé, nos membres
remplissent leur fonction respective. Si un membre soufire, tous les
membres compatissent. Parce qu'il est partie intégrante du corps,
le membre peut souÔVir, il ne peut pas expirer, « Quid est enim
exspirare nisi spiritum ami Itère? >^'
Qu'un membre vienne à être

(1) Epislul. LXXMX, 5.

(2) Sermo ccixvn, 4. Même théorie, Sermo ( clxviii, '}. In loa. Intel, xwi. 13. Enorr
LXIV, 7.
SYNTHÈSE xVNTIDO.NATlSTK \)E SAIM AUGUSTIN. 327

^ aiîipiité du corps, l'esprit le suivra-t-ii? On reconnaît le membre,


c'est un ou une main, ou un bras, ou une oreille; détaché
doigt,
du corps, it garde sa forme de membre, mais la vie lui manque,
« praeter corpus habet fonnam, sed non liabet vitam ». Ainsi en est-il

de riiomme qui est séparé de l'Église son baptême est celui de :

rÉgiise, son symbole est celui de l'Église, mais il n'a pas la vie,' If
saint Esprit (1).
Aux hérétiques, qui voudraient que l'Esprit fût un don immédiat,
Augustin oppose cet axiome que l'Esprit est un don auquel nous
participons dans i'Égiise, l'unique Ég-iise étant la Catholica (2). Aiott
le non-baptisé appartient par sa naissance à la masse de l'humanité
perdue : il est transféré par la grâce baptismale dans l'humanité
sauvée, il membre du corps du Christ, il entre dans la com-
devient
pago de ce corps comme dans la structure vivante du temple de
Dieu qu'est l'Église. Hors de cet édifice qui s'élève pour devenir
l'éternelle demeure de Dieu, toute vie d'homme est malheur et doit
être appelée mort plutôt que vie. Quiconque donc ne veut pas que
la colère de Dieu reste sur lui, ne doit pas être étranger à ce corps,
à ce temple, à cette cité, et celui-^là est étranger qui n'est pas rené
par le On n'excepte de cette condition que les martyrs
baptême (3).

qui ont souffert martyre avant d'avoir reçu le baptême, parce que
le

leur passion leur tient lieu de baptême (Y). Les catéchumènes ont
la foi, nous les appelons nos frères, ils sont sanctifiés par les rites
propres du catéchuménat, ils ont parfois une éminente charité ils :

ne sont pas pour autant incorporés au corps du Christ, l'entrée dans


le royaume des cieux ne saurait leur être assurée tant qu'ils n'ont
pas reçu le baptême (5). Hors de la Catholica l'Esprit ne vivifie

personne, hors de la Catholica pas de saint Esprit :

(1) Sermo cclxmii, 2. Rapprocher Serm. i.xxi, 32; cclxix, 3 et In loan. tract, xxvii, 6.
(2) Sermo i.xxi, 5.

(3) Epistul. cLxxxvir, 33.


(_4) Epistul. cci.xv, 4. Civ. Dei, xiii, 7. Sur ce point, aucune hésitation : voyez Cyprun.
Epistul. Lxxui, 22, et P.seudo-Cvprun. De rebapt. 14. Basil. De spirilu sancto, 36.
Ambuos. De obitu Valentiniani, 53.
(5) De bapt. iv, 28. De pecc. mer. ii, 42. In loa. tract, iv, 13; xiii, 7. La rigueur —
d'Augustin sur ce point est corrigée ailleurs, en ce qui concerne les adultes, par cette
considération que Dieu, en leur faisant la giàce de la foi, peut par cette foi les incorporer
au corps du Christ « In (|uibusdam tanta est (gratia fidei) ut iani corpori Christi
: et

saïuto Dei templo deputentur. » De dir. quaest. ad Simplicianum, I, quaest. ]i, 2.

Rapprocher De bapt. iv, 'iSi « ...invenio non tantuni passionein pro nomine Christi id
:

quod ex haptismo dcerat .posse supplere, sed etiam fidem conversionemque cordis, si forte
ad celebrandum mysterium haptismi in angustiis leniporuni succurri non potesl. « Et tel
est le cas du bon larron. —
Tel était mieux encore le cas du jeune Valentien II, assassiné
en 302 sans avoir encore étc baplisé, et du salut duquel saint Ambroise s'était porté
3:>8 REVUE BLBLIQUE.

Ecciesia catliolica sola corpus est Clirisli... Extra hoc corpus neininein viviJicat

Spiritnssanctus... Non habent itaque Spirituni sanctura qui sunt extra Ecelesiam (1;.

Ne parlons plus des non-baptisés, soit païens, soit juifs, qui sont
évidemment hors de l'Église dont ils n'ont pas franchi le seuil hors :

de l'Église sont en outre les baptisés qui par leur faute sont séparés
délie, les hérétiques, les schismatiques, les excommuniés.

L'hérésie consiste dans la négation formelle et obstinée d'une vérité M


dont la profession est, au jugement de l'Église, une condition de
limité. Une erreur n'est pas nécessairement une hérésie il faut, :

pour que l'erreur soit une hérésie, que l'erreur commise aille contre
la régula fidei, et comme la régula fidei n'est définie et expresse que
pour une part, on comprend qu il puisse être difficile parfois de
prononcer si telle erreur est ou n'est pas une hérésie *2). Le plus
sauvent, les hérésies se sont accusées elles-mêmes en défendant
ouvertement leur erreur contre l'autorité de l'Église qui la réprou-
vait, en se donnant une dénomination particulière, en faisant spon-
tanément sécession, sans laisser d'avoir parfois en tout le reste le
même culte que la Catholica i3). L'hérésie est alors collective et d'au-
tant mieux reconnaissable. Mais l'hérésie peut chercher « se dissi-
muler à l'intérieur du Catholicisme tel a été le cas du Priscillia- :

nisme (4). Enfin on devra, pour être juste, distinguer les hérétiques
de bonne foi et les autres. Celui qui défend son opinion, encore
qu'elle soit erronée et perverse, mais qui la défend sans s'y obstiner,
et qui cherche la vérité avec scrupule, prêt à se rendre à elle quand
il la connaîtra, celui-là, fut-il né dans l'hérésie, n'est pas à lenir pour

hérétique 5). On peut imaginer le cas d'un catholique, arrivant


à se former sur le Christ l'opniion de Photin et croyant de bonne

garant, dans son célèbre discours De obilu Valentinia ni Voyez 30, 51-53, 75). .\uguslin se
sera incliné devant le sentiment d .\mbrolse.
(1) Epislul. CLXxxv, 50. CL In loan. tract. \\\n, 7. Sermo lxxi, 28, 3o, 33.
("2) De haer. prooein. : « Quid ergo faciat hacreticuin, regulari quadam delinitione com-
l>rehendi, sicut ego exislimo, aut (iinnino non potest, aut ditricillime potest. >'

(3) De vera relig. 9.


(4) Contra mendacimn. 4, 9, il, 14.
(5) Epistul. xi.iii, 1 « Qui sententiam suam. quainvis falsam atque ]»erversam,
:
nulla
pertinaci animositate defendunt; praesertiin quara non audacia praesumptionis suae ])epe-
rerunt, sed a seductis atque in errorem lapsis parentibus acceperunt, quaenint aiilem
caula solliciludine veritatem, corrigi parati cura invenerint, nequaquarn ;-unl inler
haereticos deputandi. >
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AL'GI STIN. 329

foi que telle est la foi catholique : celui-là ne sera pas non plus
hérétique, à moins que, la doctrine cathohque authentique lui étant
présentée, il ne lui résiste et s'opiniàtre dans l'erreur qu'il s'est

peisuadée (1).
Le schisme est une sécession amenée dans une communauté par un
dissentiment : u Dlcitur sc/iisma esse recens congregationis ex aliqua
». Aucun schisme sans un dissenti-
sententiarum diversilate dissensio
ment préalable. Si le schisme persévère, il devient une hérésie :

Haeresis aulem schisma inveteratum » (*2). Les Donatistes voudraient


((

que le schisme fut une séparation survenue entre fidèles ayant la


même religion, les vacmes sacramenta, et rien qui les différencie in <f

christiana observatione » : le schisme serait une rupture sans dissen-


timent. Augustin n'a pas de peine à montrer que le schisme serait
alors un effet sans cause. Quand les Donatistes ne seraient pas héré-
tiques pour leur pratique de la réitération du baptême, ils le seraient
du fait de demeurer dans leur schisme invétéré : << Haerelici est/s, vei
qiiod in schismate inveterato permansistis » (3).
Entre l'hérésie et le schisme cette différence est évidente, que le

schisme se détache volontairement de la Catholica, tandis que l'hé-


résie en est éconduite d'autorité. Dans les deux cas, la suite est la
même : ni les hérétiques, ni les schismatiques. n'appartiennent plus
à la Catholica i). Ils sont les uns et les autres des branches coupées
delà vigne, ils sont retranchés de l'unité de l'Église '5). Par opposition
aux fils de l'épouse légitime, ils sont les enfants des concubines (6 .

Agar chassée avec Ismaël figure la répudiation de l'hérésie, du


schisme. Comme Sara, l'Église veut qu'on les chasse, qu'on les exclue
de l'héritage : « Et Ecclesia dicit : Eice haereses et fillos eariim^ non
enim heredes erunt haeretici cuni calhoUcis. » Ils ont le baptême, ils

sont donc de la semence d'Abraham, oui. mais ils n'ont droit à l'héri-

(1) De bapt. IV, 23 : « Isluni nondiiia haeretkum dico, nisi inanifeslala sibi doctrina
catholicae Hdei resistere maluerit, et illud quod tenebat elpgerit. »
(2) Contra Crescon. 11,9. —
Cresconius n'accepte pas la définition d'Augustin et ([ue tout
schisme dégénère nécessairement en hérésie. Cresconius dit ibid. 4) « Inter nos, quibus :

idem Christus iialus raortuus et resurgens, una religio, eadem sacramenta, nihil in chris-
tiana observatione diversum, schisma factum, non haeresis dicilur. Siquidem haeresis est
diversa sequentium secta : scbisma vero eadem sequentium separatio. »
(3) Contra Crescon. ii, 10.

(4) De fille et sijmb. 21. Civ. Dei, xmii, 51. Enarr. cwi, G. Serm. xlm, 37; ci.xxxi, 3 el

/>; CCLII, 4.

(5) De catccli. rud. ifi : ' ...de unitate Ecclesiae, velut putata vile, praecisos qui haere-
tici vel schismatici dicuntur... »Enarr. i.\\', 5; LXVIII, i, il.
(6) De patienlia, 25 ...filil concubinarum, quibus ludaei carnales et «chismatiti vel
haeretici comparantur. »
330 REVUE BIBLIQUE.

tage de la vie éternelle que s'ils retournent à l'Eg-lise catholique, d'où


leur superbe les a fait chasser (1).

L'excommunié de l'Eglise. Ne confondons pas


est lui aussi hors
lexcommunié avec L'excommunié est le catholique qui a
le pénitent.
été exclu de l'Eglise en vertu d'une condamnation prononcée par
révoque il n'est pas de peine plus grave (2).
: L'excommunié est
chassé de l'Eglise comme x\dam et Eve ont été chassés du paradis
terrestre (3). Il est, en dépit de son baptême, arraché « a compage
corporis », comme l'Évangile veut qu'on arrache le membre qui
scandalise {k).

La validité est incontestable des sacrements administrés par les


hérétiques, par lesschismatiques, s'ils les administrent dans la forme
qui est celle de l'Église. Les sacrements portés ainsi hors'^de l'Église,
restent les sacrements de l'Église, cela est vrai du baptême, cela est
vrai de l'ordination, cela est vrai de l'eucharistie :« Sacramenta

quae non mulastU^ sicut habelis, approbantur a nobis » (5). Mais


une fois rappelé le principe de la validité, Augustin introduit cette
restriction que les hérétiques et les schismatiques posent par leur
hérésie ou leur schisme un obstacle à l'efficacité du sacrement, en ce

(1) Seriiio iM ...Eodem verbo nasceris, eodem sacratnento, sed ad eaindeiii heredi-
: «

talein non pervenis, nisi ad Ecclesiam catholicain reversus fueris. Ex


vitae aeternae
semine Abraliae nasceris, sed (ilius ancillae loris propler superbiam. Rapprocher Amhuos.
In Luc. vu, 05 « Omnes baereticos et schismalicos
: a regno Uei et Ecclesia intellege
separatos. »

(2) Enarr. uv, 9 :excommunicernus, cuiii dilectione a nobis eliani


« ...casligenius,
separenius ». De Ipsa quae damnalio noniinatur, quam facil
corrept. et gratia. 4('> : >

episcopale iudiciuni, qua poena in Ecclesia nulla maior est... » Le pécheur notoire qui ne
se soumet pas à la pénitence, peut être excommunié. In loa. tract, xlvi, 8 Ecce nescio : <•

quis peccavit, graviter peccavit incrcpandus est, excoramunicandus est...


:
••

(3) De Gen. ad. litt. \i, 54 k ...tamquam excoinmunicatus :sicut etiam in hoc paradiso, :

id est Ecclesia, soient a sacramentis altaris visibilibus homines disciplina ecclesiasiica

removeri. «

(4; De /ide et op. 6. In loa. tract, xxvii, 6.


(5) Ëpistul. i.xxxMi, 9 : K ...ne forte cum vestram pravitatem corrigera volurnus, illis

mysteriis Christi quae in vestra pravitale depravala non sunt sacrilegam i'aciamus iniu-
riam. » xciii, 'i6 « Nobîscnm estis in baptismo, in symbolo, in ceteris domiuicis sacra-
:

mentis ; autem unitatis et vinculo pacis. in ipsa denique catholica Ecclesia,


in spiritu

nobiscum non eslis >. lxi, 2 « ...agnoscentes in els bona Dei, sive sanctum baptismurn,
:

sive benedictionem ordinationis, sive continentiae professionem, sive consignationem vir-


ginitatis, sive (idem Irinitalis, et si qua alla suiit quae omnia, etiamsi erant, niliil tamen:

proderant, quando caritas non erat. » Âugustiu naurait pas écrit comme .\mbroise {De
paenitenlia, I, 7) « Recte igitur hoc (le droit de lier et de délier) Ecclesia vindicat, quae
:

veros sacerdoles habet haeresis vindicare non potest, quae sacerdotes Dei jjon babet.
.-
>>

l>'ailleurs l'expression d'Arabroise ne doit pas être prise en rigueur.


SYNTIlliSE ANTIDONATISÏE DE SAINT AKirS^^IlN. 331

sens du moins que relticacité du sacrement est suspendue, parce que


la charité manque à celui qui le reçoit dans Ihérésie ou dans le
schisme, et la charité, c'est autant dire l'Esprit.
Ainsi, le baptême des hérétiques ou des schismatiques est valide,
mais le baptisé n'y reçoit pas le saint Esprit, tant qu'il reste étrans-er
à l'unité dans la charité, c'est-à-dire à l'unité de toutes les nations
dans la Catholica (1). Des schismatiques nous diront Que gagnerons- :

nous à nous rapprocher de vous, puisque vous reconnaissez que nous


avons le baptême du Christ? Nous leur répondrons Vous avez le :

baptême du Christ, venez à nous pour avoir en outre l'Esprit du


Christ (2). Vous avez le baptême, mais vous n'avez pas la charité, or
le baptême sans la charité ne vous sert de rien. Ne poussez pas les

hauts cris « Noli clamarc », celui-là n'a pas la charité qui divise
:

l'unité (3).
Le chrétien qui prend part à l'eucharistie hors de l'Église, c'est-à-
dire dans le schisme ou l'hérésie, ne bénéticie pas de la vertu de
l'eucharistie : loin même
que l'eucharistie lui soit profitable, elle lui
est nocive, étant sa condamnation :

Et sancta possunt obesse : in bonis eniip saneta ad salutem insunt, in malis ad


iudicium. Certe enim, novimus quid accipiaraus. et utique sanctum est
fratres,

quod aocipimus, et nemo dicit non esse sanctum. Et quid ait apostolus Qui uutem :

manducat et Mbit indigne, iudicium sibi manducat et bibit [I Cor. xi, 29). Non
ait quia illa res mala est, sed quia ille malus, maie accipiendo, ad iudicium accipit

bonura quod accipit i).

Hors de l'Église, pas de rémission des péchés, entendez la rémis-


sion des péchés mortifères commis par le baptisé après son baptême,

(1) Scrmo ccLxix, 2 : « ...recte intellegitur, ((uainvis ipso.s baptisrauiu CUristi liabere
faleamur, haerelicos non accipere vel schismalicos Spiritum sanctum, nisi dum compagini
adhaeserint unitatis per consortium caritatls. > Augustin, dans le contexte, s'applique à
justifier par des faits tirés des Actes des apôtres sa distinction de la réception du bap-
tême et de la réception de 1 Esprit. — On s'élonne qu'Augustin n'ait pas tenu compte que
Vobex qui suspend l'efficacité ne peut être que personnel. Il s'ensuit que le baptême,
administré par un Donatiste à un petit enfant, ne peut pas ne pas être eflicace. Augustin
est ailleurs amené à en convenir « ...parvulus, qui, etiain si fidem nondum babeat in
:

cogitatione, non ei tartien obicem contrariae cogilalionis opponit. unde sacramentum eius
salubriter percipit. » Epislut. xcvni, 10.

(2) Ibid. A et 4.
(3) In loa. tract. \i, \\ et 21. Cf. Enarr. Clll. i, 'J. — A. donne à sa pensée une pré-
cision absolue dans le De baptisino, m, 18 : « Si fit illic remissio debitorum per bap-
tismi sanctilatem, rursus débita redeunt per haeresis aut schismalis obstinationem. »

Ibid. I, 19; iv, 17. — Sur celte erreur d'A.. la reviviscence de péchés un i^|stant remis,

voyez Specht, p. 298.

(4) In loa. tract, vi. i:.. Cf. Cii\ Dei, xxi, 25.
332 REVUE BIBLIQUE.

rémissiou administrée normalement per clave^i Ecclesiae. L'Église


remet péchés
les parce qu'elle a reçu le saint Ksprit donc là où :

le saint Esprit manque, il n'y pas de rémission :

[la Ecclesia] remittimtur ipsa peccata, extra eatn qiiippe non remitluntur. Ipsa
uamque proprie Spiritura sanctum pignus accepit, sine quo non remittunlur ulla
peccata, ita ut quibiis remiltuntur consequantur vitam aeternam {\ .

Ces affirmations sont des réminiscences de saint Cyprien (2 .

Augustin repousse l'erreur de Cyprien sur l'invalidité des sacrements


des hérétiques, mais il retient les conséquences que Cyprien en
tirait, il les retient en vertu de la considération de Vobe.r que l'héré-
tique oppose par ses dispositions subjectives à l'eflicacité du sacre-
ment valide.
La prière même n'atteint Dieu sûrement que si elle monte de
l'intérieur de l'Église. Voce mea ad Dominuin riamavi, et erandivil
me de monte sancto suo [Ps. in, 5) la montagne t'aide donc à être
:

entendu. Si tu ne fais pas l'ascension de la montagne, tu pourras


crier, tu ne pourras pas être exaucé. Or quelle est celte montagne?
Est-elle reléguée dans quelque région écartée de la terre? Elle est au
contraire la pierre de la prophétie de Daniel qui a grandi, qui est
devenue une montagne, et qui a couvert toute la surface de la terre
{Dan. II, 34-35) (3). La maison de la prière est le temple Uuiconque :

prie hors du temple ne sera pas exaucé dans l'ordre du salut, alors
même qu'il le serait dans l'ordre des biens de ce monde que Dieu
ne refuse pas aux païens. Celui-là seul prie dans le temple, <{ui prie
dans la paix de l'Église, dans l'unité du corps du Christ, ce corps
du Christ qui est fait des croyants répandus dans l'univers entier (V).
D'un mot, quiconque est séparé de l'Église catholique, quelque
louable qu'il estime qu'est sa vie, a la colère de Dieu sur sa tcte et
n'aura pas la vie éternelle, pour le seul crime d'être en rupture avec

(1) Eiichlridion, l\v. Rapprocher Senno i.\\[, 20, 33.


(2) Cvi-niAN. l''pislul. L\\.
(3) Ënarr. .Même Ihème,' Enarr. xi.n. 4, et formule aussi rigoureuse
xlvii, 2. « Sanclus :

mons eius saacta Ecclesia eius... Quisquis praeter i.stum inontom orat, non sesc speret
exauiUri ad vitam aeternam. »
(4) Enarr. cxxx, l » ...ExauJiri ad vitam aeternam aliud est, ncc conceditur nisi ci
:

([ui in templo Dei orat. Hle autem in templo Dei orat, qui orat in ace Eccle.'-iae, in unitate
j

corporis Christl, quod corpus Christi constat ex rnultis credentibus in toto orbe ter-
rarum ». Augustin introduit donc ici une distinction Dieu accueille les prières des
:

païens, mais seulement dans l'ordre des biens temporels, pas du salut « Audivit te ad
:

temporalia, non le audit ad aelerna, nisi in monte sancto eius adoraveris. » Enarr,
xcviii, 14.
SV.NTHtSE ANTIDONATISTE OE SAINT AUGUSTIN. 333

]'unifé du Christ (1). Augustin trouve une justification de cette thèse


dans saint Paul disant Quand je livrerais mon corps aux flammes, :

si je n'ai pas la charité, cela ne me servira de rien {I Qp)\ xiii, 3).

Il en conclut que le martyre môme est impuissant à préserver de la

damnation un chrétien qui n'est pas de l'Église (2). Celui qui n'aime
pas l'unité de l'Église n'a pas la charité de Dieu : « Nofi liabent Dei
taritatem qui Ecclesiae non diligiint unilatem » Aimer l'Église (3 .

du que l'on possède l'Esprit saint et la mesure de


Christ est le signe
cet amour est la mesure de l'Esprit « Credaynus, fratres .-quantum :

quisque amat Ecclesiam Christi, tantum habet Spi?'itum saficlum (i). »

Appartenir à l'Église, à la Calholica, n'est donc pas seulement un


devoir ou nécessité de précepte, mais une condition du salut ou néces-
sité de moyen. Saint Cyprien a dit Hors de l'Église pas de salut. :

Augustin tient cette maxime pour incontestée « Salus, inquit :

{Cyprianus), extra Ecclesiam non est. Quis negat (ô)? » Et Ton


vient de voir tout le parti qu'il en tire contre le schisme donatiste.
maxime cependant appelle des atténuations.
Cette
compromet son salut qui est hérétique ou schismatique
Celui-là
sciemment, opiniâtrement. On peut appliquer à son cas ce que
dit Augustin d'un homme qui, pouvant se faire baptiser dans la
Calholica, préfère, par je ne sais quelle perversité desprit, être
baptisé dans le schisme : « Procul dubio perversus et iniquus est, et

(1 1 Kpistul. cxLi, 6.

(2) Epislul. CLxxni, 6 : < l-oiis ab Ecclesia constitulus et separalus a covnpage unitalis
et vinculo caritatis, aeterno supplicio punireris, etiarnsi pro Chrisli nomine vlvus incen-
dereris. » Augustin pense aux martyrs que les Donatisles se flattent d'avoir, martyrs qui
ont souft'erl persécution pour une autre cause que la justice. Epistul. xiiv, 4 et 7. Sermo
(Axxviii, 2. Ce qu'il dit du martyre, il le dit des miracles. In loa. tract, xiii, 17 : « Nemo
vobis fabulas vendat : et Pontius fecit miraculum, et Donatus oravit et respondit ei Deus
de caelo. Primo aut falluntur aut fallunt... Teneamus ergo unitatem, fratres mei : praeter
unitalem et qui facit miracula nihil est. »
(3 De bapt. m, 21. Epistul. lxi, 2 : « Quis vere dicit se habere Chrisli caritatem,
quando eius non amplectitur unitatem? »

(4) In loa. tract, xxxii, 8.

(b) De bapt. iv, 24. Sermo ad Caesareen. 6 :


< Extra Ecclesiam catholicam totum potest
(habere Emeritus) praeter salutem. Potest liabere honorem, potest habere sacramentum,
potest... fidem habere et praedicare, sed nusquam nisi in Ecclesia calholica salutem
poterit invenire. » Sermo ccoux, 8 Hic vera unitas est, extra quam necesse est in
:
•<

aeternum moriaris. » — Cette doctrine est


exprimée par le concile de Carlhage de septem-
bre 401 : : « qua salus christiana non potest obtineri ». Cod. can. Eccl.
...unitatis, sine

afric. can. 6'J. —


Rapprocher Ambros. In ps. XL, 28 k Unde coUigimus cavendum ne :

quis semé! per baptismum susceptus a Christo ex eius décidât corpore, hoc est excutiatur
ab Ecflesia ipsa est enim morlis ruina perpetuae.
:
>
33i REVUE BIBLIQUE.

tanto perniciosius quanlu scienlius. » Pcir contre, en cas de nécessité


extivme, un homme, qui serait catholique de cœur, pourrait recevoir
hors de l'unité catholique le baptême qu'il se proposait de recevoir

dans l'unité catholique, et, s'il venait à mourir aussitôt ce baptême


reçu, on devrait le tenir pour catholique, « non etim nisi catJiolicum
depulamus » (l). Augustin, nous lavons vu, accorde qu'un Donatiste,
qui est donatiste non de son fait, mais du fait de ses parents, qui
cherche la vérité avec sollicitude et prudence, qui est prêt à s'y rallier
quand il la découvrira, n'est pas à ranger parmi les hérétiques (2).
Ailleurs, dans un texte célèbre, Augustin suppose le cas de Catho-
liques injustement excommuniés, qui, pour la paix de l'Église, « pro

Ecclesiae pace «^ supportent patiemment cet affront immérité; il

suppose que rinjustice ne désarme pas qui les a chassés de l'Église et


qu'il leur faut mourir sans qu'on la leur ait rendue; il suppose qu'ils
ne forment pas de conventicules séparés et qu'ils continuent à défendre
persévéramment par leur témoignage la foi qu'ils savent être prêchée
dans la Catholica; et Augustin les tient pour des Catholiques. Il écrit :

« Hos coronat in occulta PcUer in occulto ridens ». VA il ajoute :

« Rarnm hoc videtur genus, secl tamen exempla noïi destini, immo
plura sunt quani crcdi potest » (3). Il peut donc se rencontrer des

excommuniés mourant hors de l'Église en règle avec Dieu.


Les catéchumènes ne sont pas de l'Église, puisqu'ils n'ont pas reçu
le baptême. Cependant, on peut supposer qu'un catéchumène, instruit
des vérités chrétiennes, croit déjà et bénéficie de la grâce de la foi :

Augustin l'accorde, au moins à titre d'exception, nous l'avons vu.


Les païens enfin. Personne, môme parmi les .luifs, écrit Augustin,
n'oserait prétendre qu'en dehors d'Israël nul n'a appartenu à Dieu,
n'a été de son peuple en un sens non charnel. On ne peut nier, en
effet, que quelques hommes se sont rencontrés dans d'autres nations

que la nation juive, qui ont été de de vrais Israélites et des citoyens
témoin Job,
la patrie céleste, « no7i terrena, sed caelesti societate ».
qui était iduméen. Cet exemple prouve que, en dehors du peuple
visible de Dieu, le peuple juif, des hommes ont vécu selon Dieu, ont
plu à Dieu, ont appartenu à la céleste Jérusalem, étant bien entendu

(1) De baptismo, i, 3. — Je ne fais pas entrer en ligne de compte les prédestinés qui
ne sont pas encore baptisés, ou les prédestinés qui ayant été baptisés sont dévoyés un
temps De corrept. 21 et 23. Ni les uns, ni les autres, dans l'hypothèse posée par
:

Augustin, ne seront sauvés sans l'Église. C'est de ces prédestinés qu'Augustin a élit ;

>< Secundum istam praescientiam Dei et praedestinationem, quam niullae oves forisl •

In loa. tract, xlv, 12.

(2) Epistul. xi-iu, 1.

(3) De vera relig. 11. Cf. De Ixipt. i. 20.


SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AlCUSTIN. 33r.

qu'à ces hommes aura été accordé par Dieu de conuaitrc le seul
médiateur de Dieu et des hommes, le Christ, pour que ce soit la
même foi qui conduise les prédestinés à Dieu (1). Augustin met la
Sibylle de Cumesau nomhre de ceux qui appartiennent à la cité de
<

Dieu », en considération du carmen où la Sibylle prophétise le juge-


ment dernier par le Christ lils de Dieu (-2). Le centurion Corneille
a été incorporé à l'Église par saint Pierre Augustin admet que, :

avant de recevoir le baptême, Corneille était déjà purifié d'une cer-


taine manière par les aumônes qu'il avait faites et que Dieu avait
acceptées « Huius eleemosynae acceptae
: mundaverant eiim ad
quemdam modum, rcslabat ut tamquam cibia mundus incorpora-
relur Ecclesiae, hoc est corpori Domini )) (3).

Augustin, peut-on dire, entrevoit la doctrine de Inme de l'Église (i),


cette âme à laquelle se rattachent les saints que Dieu sanctifie sans
quils appartiennent au corps visible de l'Église. Le champ d'action
de la grâce divine, en effet, ne- coïncide pas avec l'aire de la Calholica,
il déborde de toutes parts pour atteindre Thumanité entière. Car
la
Dieu, voulant le salut de tous les hommes, doit pouvoir préparer par
sa grâce la volonté de tous les hommes (5 Certes Augustin ne Fa pas 1.

nié, et la vingtième proposition condamnée de Quesnel n'est pas


augustinienne « Extra Ecclesiam nulla gratin conceditur ». Mais la
:

doctrine de l'àme de l'Église n'est pas une doctrine dans laquelle


pouvait se complaire le docteur qui, combattant le schisme dona-
tiste, a tant appuyé sur la nécessité de l'Église visible et de la com-

munia sacramentorum

IV

Taudis que les Catholiques professent que la véritable Église se


reconnaît à sa catholicité, les Donatistes veulent que le critérium de la
véritable Église soit la sainteté, pour pouvoir reprocher au catholi-
cisme de manquer à cette sainteté. L'obligation s'impose donc à
Augustin de revendiquer pour l'Église la sainteté et d'expHqucr

(1) Civ. Dci, wiii, 47 p. 34(j).

(2) Ibid. 23. .lob et la Sibylle sont, j'en ai peur, pour Aujiustin des exceptions raris-
simes. IN'ouliHons pas qu'Augustin professera, contre les Pélagiens, l'erreur que les païens
n'ont pas de vertus. Contra Iulian. iv, t6-25. KpistuL ccxvii, 10. Civ. Dei, xix, 25.

(3) Sermo cxi.ix, 7.

(4) Specut, p. 63. Mais (p. 39) Specht a tort de dire que le terme " âme de l'Eglise » est
augustinien.
(5) L. Capéran, Le problème du saint des infidèles (1912), p. 85-8'3.
H36 REVUE BIBLIQUE.

pourquoi le catholicisme n'est pas une pure société de saints. Ce sera


le quatrième point de sa synthèse antidonatiste.
L'Église est la sainte Église. Le symbole baptismal de Rome et de
Cartilage ne porte pas que l'Église est catholique, tandis qu'il porte

qu'elle est sainte :

Et in Spti'îtum sanctuin
sit nclam Ecclerilam,
rcmUsionem peccatorvm,
carnis resutrectionem.

Tel est le du symbole romain attesté par saint


texte ancien
Ambroise^ du symbole
et tel est celui africain attesté par saint Augus-
tin (1). La formule sanctam Ecclesiam catholicam est gallicane et a
pour premiers témoins Faustus de Riez et saint Césaire d'Arles (2).
Les Donatistes ont le même symbole que les Catholiques d'Afrique (3).
Le Verbe s'est incarné pour être le médiateur par lequel nous sommes
réconciliés à Dieu : sans rincarnatiou, pas de médiation [\). L'Église
du Christ,
est la collectivité des réconciliés, la famille des rachetés
« redempta familia domini Christi... » 5 Cette famille tient au .

Christ plus étroitement que les membres d'une fimillene tiennent au


père de famille elle tient au Christ comme les membres du corps
:

humain tiennent à la tête (6). Quand Saul, persécuteur de l'Église, est


arrêté par le Christ sur le chemin de Damas, le Christ ne lui reproche
pas de persécuter ceux qui sont sa famille, ses serviteurs, ses saints, ses
frères,il lui dit Quid me persequeris? C'est moi que tu persécutes,
:

car c'est sur mes membres que du Christ est une


tu sévis (7i. Corps
image, dont la valeur tient à ce qu'elle exprime en rigueur l'union
du Sauveur et de ses saints, son Église. Elle n'épuise pas cependant
la richesse de cette union.
Adam était la figure du nouvel Adam, forma futuri (Rom. v, 14 < :

l'Église a été tirée du côté du Seigneur dormant sur la croix, puisque


c'est du coté transpercé du Sauveur [loa. \i\. 3i) qu'ont coulé les

(1) Scrm. ccxni, 6-8, et (:c\i\, 10-12. De ficle et op. 14. De symb. 21. Enchiri-
/ide et
dion, XV. Tractât, inédit, i, 8 (éd. Momx, p. 6). — Même du symbole dans de
texte
symb. ad calech. 13 ^P. L., t. .\L, p. 668), attribué à l'évêque de Carlhage Quodvult-
deus (v siècle'.; Revue bénédictine, 1911, p. 157.— Pour saint Aiobroise, Hahn, Biblio-
thek der Symbole (1891], p. 36-37.
(2) BuRN, An introduction ta the creeds (1899), p. 240.

(3) Optât, m, 9 (p. 93i.


(4) Ser)no xlmi, 21.
(5) Cii'. Dei, i, 35 (p. 57). .Sermo cccxli, 4, 10, 11. Enurr. XC, ii, 1.-

(6) Epistul. cxLii, 1. Civ. Dei, xvii, 20 (p. 260).


(7) Serm. ccc.xlv, 4; cc.clxi, 14.
SVNÏIIL:SE ANTIDONATISTt: DE SAINT AUGLSIiN. 337

^acramenta Ecclesiae (1). L'union dn Christ et de l'Église pourra

être comparée à l'union d'Adam et d'Eve, dont il est écrit Erunt duo :

In carne una [Gen. ii, 21). Le Christ est l'époux, l'Église l'épouse, et les
deux ne sont qu'un (2). Les baptisés seront les enfants de cette union.
Tandis que Adam et Eve nous ont enfantés pour la mort, le Christ et
l'Église nous enfantent pour la vie éternelle ;îi. Eve a été par Adam
appelée Vie, parce qu'elle est la mère de tous les vivants ce nom :

prophétique annonçait le grand mystère de l'Église, notre mère spi-


rituelle, mère des vrais vivants (V), mère de l'unité (5 .•
Épouse du Christ, l'Église est aussi bien sa fiancée, puisque, péré-
grinant en ce monde, elle attend celui qui s'est promis à elle, celui
dont elle a reçu le gage, et c'est son sang, celui après lequel elle
peut soupirer avec confiance. Augustin ne veut pas qu'une vierge se
permette d'aimer son fiancé avant le jour où il l'épouse, sous prétexte
qu'il n'est pas chaste d'aimer celui dont on n'a pas la certitude qu'il
ne vous tournera pas le dos pour en épouser une autre. Augustin
parle ainsi pour légitimer l'amour de fiancée que l'Église voue au
Christ et qui ne sera pas dé<;u. Il s'élève pour parler de cet amour
à une véritable poésie mystique :

Donec veniat ad amplexus illos spiritales ubi secure perfruatur eo quem dilexit
et cui suspiravit in ista diutiirna peregrinatione, sponsa est : et accepit arrham
magnam, sangiiinem spoQsi. cui secura suspirat. >'ec illi dicitur Noli amare. :

quomodo dicitur aliquando virgini iam desponsatae et nondutn nuptae, et iuste


dicitur... quia... non castum (est) amare eum cui nescit an nubat... Quia vero nullus

alius est qui Christo praeponatur, secura amet ista et antequaai illi iungatur dniet. ;

et de loagiuquo suspiret et de longa peregrinatione. Solus ducet, quia solus talem


arrhara dédit (6,

En devenant la fiancée du Christ, l'Église a été aimée par lui et


purifiée par cet amour. L'Église, en effet, est tirée du genre humain :

elle était donc corrompue, et elle devenue pure. Le Christ l'a


est
faite pure et belle, belle de la beauté du Christ lui-même, la beauté
de la justice (7). L'Église est une créature que Dieu a tirée du péché,

(1) Sermo cccxxxvi, 5. Enarr. CIII, iv, 6; (wvi. 7. In loa. tract. c\x, 2. De Gen.
contra Man. ii, 37. Civ. Dei. xxn. 17.

(2) Serm. xci, 8; cccxli, 12. Enarr. XXX, i. CI, 'i ; i, 2.

(3) Serm. xxn, 10; cxxi, 4; ccxvi, 8; cccxi.iv, 2.


(4) De nupt. et concupisc. ii, 12. Enarr. csxvi, 8.
(5) Sermo cxcu, 2.

(6) Enarr. Sermo ccclxi, 19


cxxii, 5. Cf. « Venturus est spousus Ecclesiae ad
:
tra-
dendos aeternos amplexus... » Enarr. cxx, 9 « Sinistra élus, inquit {Cant. ii,
:
6), sub
capite meo. Sponsa dicit de sponso, de Chrislo Ecclesia in amplexu pietatis et caritalis. >

(7) Enarr. xliv, 3 « Etenim sponsa Ecclesia est,


: sponsus Christus... Assumpta est
KHVL'E BIBLIQl E 1919. — \. S., T. XVI. 22
;iJ8 REVUE BIBr.IQUE.

puisque l'Église c'est nous elle était une pécheresse, : il en a fait

une vierge, « meretricem invertit, virginem fecit (1) ».

L'Église est vierge et mère comme Marie. Mais, tandis que la virgi-
nité de Marie une virginité préservée, celle de lÉglise est une
est
virginité retrouvée, une virginité de cœur, de foi (2). La virginité de la
chair est la gloire du petit nombre : tous doivent avoir la virginité
de cœur, c'est-à-dire une foi sans défaillance (3). Va\ ce sens, l'Église
est vierge et compte des milliers de saints.
dans cette virginité elle
Vierge, elle enfante les baptisés, donc les membres du Christ, mater-
nité virginale qui parfait sa ressemblance avec Marie [k). Nouveaux
baptisés, vous êtes les fils nouveau-nés de la chaste mère, les fils
de la vierge mère, v< o novelli filil castae matris,... filii virgihis
matris » (5)

Les baptisés forment un peuple nouveau, qui peut sans orgueil


faire sienne la parole du psaume : Custodi animam meani, quoniam
sanctus sum 2).{Ps. lxxxv,
a reçu la grAce de la sainteté
(^ar il

en recevant la ,i;ràce du baptême et de la rémission des péchés. Le


baptême vous a sanctifiés, disait saint Paul (/ Co/'. vi, Jl), sanctificati
estis : si vous avez été sanctifiés, chacun de vous, fidèles, peut dire

qu'il est saint, ce ne sera pas de l'orgueil, mais de la gratitude, la


gratitude qui convient à tout meml^re du Christ, et vous feriez injure

à la tète dont vous êtes le corps, si vous ne connaissiez pas la sainteté

que vous tenez de votre chef :

Die Deo tuo : SancUis sum, quia sanctificasti me-, quia accepi, nou quia habui;
quia Ui dedisti, non quia ego merul...
[am vide ubi sis. et de capite tuo dignitatem cape (6).

Entre la tête et le corps, entre l'époux et l'épouse, il y a comme


unité de personne : ^ Unus in uno sumus » (7). Non qu'il faille prendre
à la lettre une pareille expression, puisque l'on ne saurait concevoir
entre le Christ et l'Église qu'une union dans l'ordre de la charité

Ecclesia ex génère humano... Gaudeat spoasa amata a Deo. Quando amala.-' Duin adliuc
foeda... Amata est foeda ne remaneret foeda... Evertit foeditateni, formavit pulchritu-
dinem... Summa et vera pulchritudo iustitia est. »

(1) Sermo ccxiii, 7. Tractât, inédit, i, 8 (éd. Mokiin, p. 6).

(2) Serin, cxci, 3; clxxxmii, 4.

(3) Enarr. cxlvii, 10. De sancta virginil. 2, 5, 6, 7, II. In loan. tract, viu, 8.

(4) Serm. cxcii, 2; cxcv, 2; (c.xni, 7.


(5) Sermo ccxxui, 1. Tractât, inédit, loc. cit.

((j) Enarr. lxxxv, 4. Cf. Sermo clxxiv, 9 : .( In parvulis natis et non<luni baplizatis
as^noscitur Adam : in parvulis natis et baptizatis et ob hoc renatis agnoscitur Christus. »

(7) Enarr. XXVI, u, 23. Cf. XXIX, u, 5; CI, i. 18; Cill, i, 2.


SYNTHESE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 330

et de la grâce Pareille union cependant suffit à vériiier entre le


(1 .

Christ et l'Eglise une communicatio idiomatum analogue à celle qui


se vérifie dans rincarnation entre la personne du Verbe et son huma-

nité. La légitimité de cet interchange était reconnue déjà par le


donatiste Tichonius, qui en faisait une règle d'interprétation de l'Écri-
ture, règle qu'Augustin lui emprunte (2), et qu'il appliquera tant
(le fois, notamment dans les EnmTationes in psalmos. Que le psal-

raiste. par exemple, écrive A finihus terrae ad te clamavi ciim ange-


:

retiir cor meum [P.s. lx, 3), on n'entendra pas de David ce cri et cette

angoisse, on ne Tentendra pas davantage du Verbe incarné, mais


on l'entendra de î'Église son corps mystique répandu jusqu'aux
confins de la terre. Toutefois, en étant les angoisses de l'Église, ces
angoisses seront celles du Christ, parce que le Christ est uni à son
Kgiise jusqu'à ne faire qu'un avec elle (3).
Il n'est donc pas de nom qui convienne mieux aux membres du

corps mystique du Christ, que le nom de saints non seulement, :

dans le langage courant, tout évêque est qualifié de sainf et de


sainteté, Sanclitas tua, mais Sanctitas tua est donné par Augustin
même à des prêtres, à des diacres, à des moines, à des vierges,
à des veuves. Augustin s'adressant à son peuple dans ses sermons lui
dit : Sanctitas vestra, aussi simplement que : Fratres mei.

Il est aisé de confondre les Donatistes par leur prétention à être


individuellement des saints et à constituer eux seuls la sainte Église
à l'exclusion de toute la Catholica. Mais la difficulté reste entière :

l'Église de Dieu est sainte^, et visiblement la Catholica ne l'est pas {\).

(1) Enarr. lv, 3. Sermo ccclxi, 14. Rapprocher In loa. tract, cvi, 2, sur la présence
spirituelle du Christ dans l'Église en ce monde.
(2) De doctr. chr. in, 44.
{^) Enarr. i.iv, 17 : ( Corpus Christi et unitas Christi in angore, in taedio, in raolestia,
in conturbatione exercitationis suae... Et ipse unus, non in une loco unus, sed a ûnibus
terrae clamât unus. » In lou. tract, xxt, 8 Ergo gratulemur et agamus gratias, non
: <

soluui nos christianos factos esse, sed Christum. Intellegitis, fratres? (Irntiam Dei super
nos capitis? Admiramini, gaudete, Ciiristus facti sumus. Si enim caput ille, nos membra,
totushomo ille et nos... Pleniludo ergo Christi caput et membra. Quid est caput et
membra? Christus et Ecclesia. » Cf. Sermo xl\, 5 et (.ccxi.i, 13. Enarr. cxxvii, 3. —
L'Eucharistie parfait et aussi représente l'unio^ des fidèles au Christ, le corps mystique du
Christ. Voyez Dorner, p. 263-270, et P. B. L'Eucharistie (1913), p. 426-428 et 451.
(4) .\ugustin n'ignore rien de l'édihcation ((u'inspirent les saints qui sont dans l'Église
de son temps et dont les vertus frappent tous les regards. De moribus Ecclesiae catho-
licae, I, 65-73; Contra Fanstum, v, 9; De sancta virginit. 37; Tractât, inédit, xmii, 2
(p. 70); etc. On ne peut cependant douter qu'Augustin ait été sévère pour les Catholiques :
340
lîEVLE 13IBL1QUE.

L'antinomie se pose entre la sainteté et la catholicité, entre le corps


mystique très saint quAugustin vient de décrire et la société empi-
rique qu'est la CathoUca. toto orbe diffusa, les fidèles qui, au moment
où il parle, forment l'auditoire de l'évêque d'Hipponc, et au delà
ceux qui sont dans la province, ceux qui sont de l'autre coté de la
mer ceux qui sont dans tout l'univers, car c'est nous, chétifs, qui

sommes la sainte Église 1 .

Augustin n'a jamais dissimulé linfirmité des fidèles de son temps


et de son Église. Il accorde aux Donatistes cette mineure dont ils font
si bruyamment état (2). En convertisseur qu'il est, il inclinerait

plutôt à majorer le nombre des pécheurs à convertir, il en voit les

é«^lises pleines : >< Perversae turbae corporaliter implcnt ecclesias » (3).

Il dénonce pis encore, car il montre les mauvais chétiens installés sans

o'ène dans l'Église, assistant avec les bons chrétiens aux saints
mystères, disant avec eux loraison dominicale, s'approchant de l'au-
tel comme eux, sans qu'il soit possible aux évèques de séparer des

bons chrétiens ceux pour qui il faut gémir et qui sont l'opprobre de
l'Église [\).
D'autre part, l'Église, corps mystique du Christ, est dans les saints :
« Mater Ecclesia quae in sanctis est... » ^5). Les saints constituent

l'És^lise « Omnes sancti quibus perficitur et completur Ecclesia.., » G)


:

Ce principe est si absolu, que quiconque est saint (par la grâce de


Dieu) appartient à l'Église de Dieu, ainsi les justes de l'Ancienne Loi
comme Abel ou les justes de la gentilité comme Job (7). Si bien que

il croit le nombre des saints est petit parmi eux, par contraste avec la multitude des
que
pécheurs Contra Fouslum, mu. 16; xx, 23. On sait qu'Augustin croit pareillement au
:

jielit nombre des élus. Exposit. in Gai.


24.

(1) Sermo ccxni, 7


Sancta Ecclesia nos sumus. Sed non sic dixi Nos, quasi ecce qui
: «^

hic sumus. qui me modo auditis. Quotquot hic suraus, Deo propitio, chrisliani fidèles in
hac ecclesia, id est in ista civilatc, quotquoi sunt in ista regione, quotquot sunt in ista
provincia, quotquot sunt et trans inare. quotquot sunt et in toto orbe terrarurn (quoniam
a solis ortu usque al occasum laudatur nomen
Domini) sic se habet Ecclesia catholica :

mater nostra vera, vera illius sponsi coniux. »

{2) Enarr. x, 1.

(3) De calech. rud.


il. Enarr. XX.\, u, C :
<c ...Istis itaque talibus cum sint plenae
ecclesiae... » Epislul. ad Rom. inchoat. expos. 18 : « Et talibus hominibus iam baptizatis

ecclesiae plenae sunt... » Voyez encore l.narr. vn, 9; xl, 8; xlvi, 5; ixi, 10; De fide rf

op. 1; In loa. tract, cxxii, 7.

(4) Enarr. m, 3. Voyez entre iden d'autres Sermo ccxxviii, 1, sur les
X\.\,
scandales que nouveau baptisé doit être averti qu'il découvrira dans l'Église quand
le

il y sera entré.

Sur les hypocrites qui sont ficlo cordr dans la Catholica, voyez Sermo
i.xxi, 32 et De doctr. chr. m. 45.

(5) Epislul. XCMU,


5.

(6) De agone chr. 11. Cf.


Sermo iv, 11 et 13. Enarr. xlmi, 1.
(7) ne bapl. i, 2't. Enarr.
CXVllI. xxix. 9: CXXVIII, 2. Civ. Dvi, xviii, 47 (p. 346).
SYNTHÈSE ANTIDONAÏISTE DE SALNT AUGUSTIN. 3*1

lÉgiise de Dieu ainsi conçue est aussi ancienne que riiumanité.


puisque Dieu n'a cessé de susciter des saints parmi les hommes :

Olim ex quo vocantur sancti, est Ecclesia ia terra. Aliquaudo in solo


est Ecclesia :

Abel Ecclesia erat, et expugnatus est a fratre raalo et perdito Gain. Aliquando in solo
Enoch Ecclesia erat. et translatus est ab iniquis. Aliquando in sola doiiio Xoe Eccle-
sia erat, et pertulit omnes qui diluvio perierunt, et sola arca natavit in fluctibus et
evasit ad siccuni. Aliquando in solo Abraham Ecclesia erat, et quanta pertulit ab
iniquis novimus... Coepit esse et in populo Israël Ecclesia : pertulit Pharaonem et

Aegyptios. Coepit et in ipsa Ecclesia id est in populo Israël numerus esse sancloruni :

Moyses et ceteri sancti pertulerunt iniquos ludaeos... Ideo ne... quisquam miraretur
in Ecclesia volens esse membrum bonum Ecclesiae, audiat et ipsam Ecclesiam
matrem suam dicentem sibi : Xoli mirari ad ista. fili, Saepe expugnaverimt mr a
ii'vcntute mea (1).

On n'accusera pas Augustin de se dérober devant l'antinomie, dont


il pose les deux termes avec une netteté parfaite L'Église par voca-
:

tion est sainte et en fait elle ne l'est pas. La solution de l'antinomie


ne sera pas moins nette.
L'Église, dont le nom même signifie appel ou convocation, se com-
pose de tous les hommes qui dans le temps ont reçu ou recevront l'ap-
pel do Dieu, et l'ont suivi ou le suivront (2). L'Église intégrale est
donc à la fois sur terre Sur terre, du lever au
et dans le ciel (3).

coucher du soleil, elle loue le nom du Seigneur, mais elle pérégrine,


peregrinatiir, le propre du peregri/ms étant d'être hors de sa patrie.
Dans le ciel, unie à Dieu pour jamais, elle n'a plus à craindre de
défaillance de ses membres. En comparaison de l'Église qui est dans
le ciel, qui s'y accroît tous les jours, qui finalement sera toute
l'Église, celle qui est sur terre, exposée et peinante, n'est qu'une
minime imxt, port i taie u la peregrina/is, encore qu'elle porte le grand
nom de Catkolica (i).

L'axiome Ecclesia in sanctis ei7 se vérifie adéquatement dans le ciel,


dans le royaume des cieux, dans l'éternité (5i. Les textes scripturaires

1) Ena r r. .(.\wia, 'l.

(2) Enarr. r.xxxi, 1: lxwii. 3. Epistul. ad lUnn. inrhoat. expos. 2. Eipos. epistul. od
Gai. 24.
(3) Enchiridion, lvi. Rapprocliez Epistul. ci.wxmi. 41 : >( Cum hubitatiouem eius cogitas,
unitatem cogita congregationeraque sanctorum, maxime ia caelis...,deinde in terra... »
'4) Sermo cccxu, 11 : Adiungitur ista Ecdosia qiiae nunc peregrina est illi caelesli
Kcclesiae ubi angelos cives habeinus,... et fituna Ecclesia civiles régis magni ». Epistvl.
\ci, 1 : « Unde supernae cuiusdam patriae. in cuius sancto amore... periclitamur et labo-
rainus, talem etiam teipsum civem habere vellernus, ut eius portiunculae in hac terra
peregrinanti nullura consulendi niodum linemque censeres. » (Cette lettre est adressée à
un païen de Calama, Nectarius;.
(5) En tant qu'elle est l'Église du ciel, elle compte les anges dans sa société. Enarr.
t.xxxvir, k. Cir. DeU xi, 9.
342 RE\UE BIBLIQUE.

qui parlent d\me Eglise sans tache et sans ride Epn. v. 25-27), doi-

vent s'entendre de l'Église g-lorieuse et parfaite du ciel, non de l'Église


pérégrinante et visible en ce monde 1).

L'axiome Ecclesia in sanctis est se vérifie dès ici-bas dans le nombre


des saints qui sont membres du corps mystique du
que Christ, saints
Dieu seul discerne, mais dont Augustin ne doute pas qu'ils ne soient
éminemment dans la Catholica, non dans la pars Donati.

Haec est Ecclesia sanctorum, Ecclesia friimentorum toto terrarum orbe diffuso-
rum. per agrurn Domini seminata, quod est hic mundus. ipso Domino exponente
cura de seminante diceret, quia homo seminavit boniitn semen in agro suo... \um-
quid in parte triticura. et in parte zizania? Per totiim triticum, et per totiim zizania.
Ager Domini mundus est, non Africa... Ergo Ecclesia sanctorum Ecclesia catholica.
Ecclesia sanctorum non est Ecclesia haereticorum.
Ecclesia sanctorum illa est quara praesignavit Deus antequam videretur. et exhi-
buit ut videretur. Ecclesia sanctorum erat antea in codicibus, modo in geutibus.
Ecclesia sanctorum antea tantummodo legebatur, nunc et legitur et videtur. Quando
solum legebatur, credebatur modo videtur et contradicitur! Laus eius in Ecclesia
:

sanctorum (2)!

« Ergo Ecclesia sanctorwn Ecclesia catholica ». Aug-ustin justifie


cette proposition par deux considérations. Premièrement, le divin
semeur a ensemencé de bon grain tout son champ, or son champ est
le monde, ce monde de la terre la parabole ne permet pas de dire :

qu'il ait ensemencé de bon grain seulement l'Afrique des Donatistes,


et livré le restedu monde au semeur de zizanie. La parabole donne
donc aux Donatistes. Secondement, l'Église a été prédite et pré-
tort
décrite par Dieu, et elle se, manifeste maintenant à tous les reg-ards :

elle se manifeste catholique. Dieu ayant annoncé qu'elle serait


catholique : on ne peut chercher en dehors de la Catholica l'Église
des saints qui a été annoncée de même par Dieu.
L'Église de ce monde ou Catholica sera donc éminemment lÉglise
des saints, mais elle ne le sera pas exclusivement. La Catholica, en
une société de saints mêlée de pécheurs les saints appar-
effet, est :

tiennent à la colombe sans fiel, mais en ce monde la colombe g'^émit

parmi les corbeaux (3). La Catholica est une « permixta Ecclesia »^


elle est le « corpus Christi mixtwn (4;. Elle est l'aire que le a an r,

(1/ Relriict. u, 18 « Uhirumque autein in lus libris [De baptismoj conmiemoravi


:

Ecclesiam non liabentem niaculara aut rugam, non sic accipiendum est quasi iam sit.
sed quae praeparatur ut sit, quando apparebil eliam gloriosa. » Même doctrine dans De
doclr. christ, i, 15, De virgin. 24. De continent. 25. Sermo clxxxi. 7.

(2) Enarr. cxux, 3. Rapprochez In loa. tract, vi, 8.

(3) In loa. tract, vi, 17.

(4) /n loa. tract, xxvii, Il : .< Modo enim corpus Christi mixtum est tan<|uam in arca.
SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. 343

n'a pas encore nettoyée et où paille et grain sont confondus pour un


temps, elle est le ne sera séparée du blé que
champ où la zizanie
par les moissonneurs au jour de la moisson deux images prises aux :

paraboles du Sauveur, et qui avaient servi déjà à saint Cyprien à


exprimer la même vérité {Epistul. lw, 3). Augustin les a adoptées
dès son premier écrit théologique, composé à Rome en 388, le De
moribus Ecclesiae catholicae (1). Elles reviennent inlassablement dans
sa controverse avec les Donatistes. Elles se complètent par d'autres
images bibliques l'arche, figure de l'^Église, abritait dans ses flancs
:

des colombes et des corbeaux le filet de la pèche miraculeuse :

ramène des poissons bons et des poissons mauvais le troupeau ne :

peut pas ne pas compter desbreliis et des boucs... L'Église mêlée est
rÉglise du temps « Area est Ecclesia liuius temporis, saepe diii/tius,
:

saepe dicimus, et paleam habet et frumentum » (2).

Saint Cyprien l'avait dit déjà, les bons chrétiens n'ont pas le droit
de prendre prétexte des mauvais chrétiens pour se retirer de l'Église
[loc. cit.). Augustin, fidèle à cette doctrine, la complète en montrant
que peut être mêlée de pécheurs sans qu'on ait à redouter
l'Église
que présence des pécheurs contamine les saints. Le traité Contra
la

epistulam Parmeniani, en iOO. a été composé par Augustin sur cette


unique et grave question (3), soulevée par les Donatistes. A les en
croire, en rompre avec les méchants pour n'être pas
effet, il faut
souillé Ion doit renoncer à l'unité pour préserver
parleurs péchés, et

sa sainteté individuelle, Non, répond Augustin, Dieu même permet


que méchants et bons soient mêlés dans l'Église du temps, et il en
sera ainsi jusqu'à la fin du monde, mais les méchants ne font tort aux
bons que si les bons acquiescent aux péchés des méchants.

Ne ascendat iii cor Dostruin impia et perniciosa praesumptio, qua existimemus nos
ab his esse separandos ut peccatis eorum non inquinemur, atque ita post nos trahere

sed novit Dominus qui sunt eius... Certi suraus, fratres, quia oinnes qiii sumus in corpoie
Domini... in hoc saeculo necesse liabemus usque in tinem inter malos vivere. Non inter
illos dico malos qui blasphémant Chrislum, rari enim iam inveniuntur qui lingua blas-
phémant, sed multi qui vita. ) De doct. christ, m, 45, Augustin rappelle que Tichonius
iivait accepté le principe de l'Eglise mêlée, qu'il appelait Doniini corpus bipartitum.
Augustin critique l'expression : « Poterat ista régula et sic appellari ut diceretur de pcr-
mixta Ecclesia. »
(t) De mor. Eccl. cath. '(S.

(2) Enarr. XXV, ii, 5. Rapprochez LXVII, 39 « Quam multi (Scripturarum sensus asserli
:

sunt) de calholica Ecclesia loto orbe dillusa, et de raalorura commixtione usque in linein
saeculi, quod bonis in sacramenlorum eius societale non obsint, adversus Donatistas et
Lutiferianos aliosque si qui sunt qui simili errore a veritate dissentiunt! » Voyez Specht,
p. 69-75.
(3) Retract, u, 1.7.
344 REVLE BIBLIQUE.

coneraur veluti mundos sanctosque discipulos ab imitatis conopage quasi a maloriim


consortio segregatos... Praenuotiatum est malos in Ecclesia permixtos bonis usque
ia fînem saeculi tempusque iudicii futuros, et nihil bonis in unitate ac participatione

sacranientori'.m qui eorum factis non consenserint obfuturos 1).

Nous (lirons donc que la Catholica est sainte dans les saints, autre- \
ment dit dans ceux de ses membres qui sont saints et que, à ce titre,
Dieu seul discerne (2). Mais nous dirons aussi que ces saints ont en
commun avec les pécheurs l'unité visible ou societas sacramentorum,
en entendant par sacramenta aussi bien la règle de foi que les sacre-
ments proprement dits.

D'une part, être de cette socielas sacramentonim est pour tout


croyant une obligation, et aussi bien une condition du salut. D'autre
part, nous sommes assurés de trouver toujours dans la Catholica des
sacrements valides et efficaces. Xous en sommes d'autant plus assu-
rés,que nous n'acceptons pas que la validité dépende de la sainteté du
ministre le baptême vaut, fùt-il administré par un homicide (3).
:

Car l'Esprit saint opère dans la Catholica et il fait ce qu'il fait même
par les mains de ministres, non seulement simples et ignorants, mais
indignes, damnables (i). Le ministre visible nest qu'un instrument :

le ministre véritable est le ministre invisible, le Christ, de qui seul


dépend la vertu du sacrement, le visibile ministoninn étant, dans
l'économie établie par le Christ, la condition de Vinvisibiiis yralia (.">).

Mais participer aux sacrements de la Catholica, y participer corpo-


rellenient. n'est pas pour autant la preuve qu'on soit spirituellement
membre du corps du Christ (6^. La societas sacramentorum est une
société extérieure qui ne préjuge pas du cœur de ses membres les :

bons sont, dans nos églises, séparésdes méchants par leurs sentiments,

(1) De fide et op. 1.

(2) Civ. Dei, \\, 7 (p. 442) : >< Occulluni esse voluit qui pertineanl ad parteui diaboli,
et qui non pertineant. Hoc quippe in saeculo isto prorsus lalet... «
(3) In loa. tract, v, 19 « Quod sacramenlum tam sanctura est, ut nec homicida minis-
:

trante polluatur. « Sermo lxxi, 37 « ... etiamisi per inalum clericum, sed tamen catho-
:

*
licum niinistrum, reprobum et fictuni... »

(4) L'p/stiil. \cvni, 5 « Spiritus ille sanctus (jui liabitat in sanctis, ex quibus una illa
;

columba deargentata carilalis igné conflatur. agit quod agit eliam per servitutem aliquando
non solum simpliciter ignorantium, verum etiara datnnabiliter indignorum. »
(5) Contra Crcacon. ii, 26 « Baptizant ergo, ([uantutn attinet ad visibile ministeriuin.
:

et boni et raaii : invisibiliter aulein per eos ille baptizat cuius est et invisibile baplisma
et invisibilis gralia. <> In loa. tract, vi, 8 : < Quomodo ergo cuni baptizat iionus et me-
lior, non ideo iste bonum accipit et ille melius,... sic et cuui baptizat malus ex aliqua
vel ignorantia Ecclesiac, vel tolerantia,... iilud quod datuin est unuin est, nec impar propter
irapares ministros, sed par et aequale propter Hic est qui baptizat [loa. i, 33) ».
(6) Contra litt. Petit, ii, 247. J)e bapt. ii, 26. Contra Crescon. ii, 26. Civ. Dei, i, 35;
XXI, 25. Quaest. evancj. n, 48. In loa. tract, xxvii. Il a. Enarr. xxsix, 12.
SY.MÎIKSE ANTIDONATISTE DE SAINT AKiLSTIN. 3't..

non par leur place (1). Dieu souiïre la présence des méchants dans
cette unité comme il a souffert .ludas à la cène, jusqu'à le communier
de première eucharistie en même temps que les autres apôtres (-2).
la
Tous les pécheurs ne sont d'ailleurs pas, tant s'en faut, assimilables à
Judas.
L'apôtre saint Jean a écrit : Si nous disons que nous n'avons pas de
péché, nous nous trompons nous-mêmes, la vérité n'est pas en nous
[I loa. 1, 8). Les saints mêmes pèchent chaque jour, mais leurs péchés
sont sans gravité, et il sufht pour les effacer chaque jour de la prière
quotidienne : Remettez-nous nos dettes. Toute l'Kglise dit chaque jour
à Dieu dans loraison dominicale Remettez-nous nos dettes, et Dieu :

les remet, en effet 3). Puis, il y a les pécheurs coupables de fautes


grièves, mais qui les reconnaissent et qui en font pénitence ils sont :

des membres infirmes dans le corps du Christ, ils sont guérissables, à


condition de n'être pas amputés :

Quicuraque autem in ctiritate ft'iguerit iufirmatur in corpore Clirisii. Sed potens


est ille qui iam exaltavit capiit nostrum, eliam infirma membra sauare, duni tamen
non nimia inipietate praecidantiir. sed haereant corpori donec sanentur (4).

Au delà, enfin, sont les pécheurs qui sont retranchés du corps du


Christ, entendez les pécheurs qui refusent d'être des pénitents.
Augustin le dit très clairement quand il dit : « Siint et paenitentes in
membris eiiis : non enini e.i clusi et separati mnt ah Eccle:<ia eiiis « (5).

Il dit de même Quidquid adliuc liaeret corpori non despe-


ailleurs :

ratae sanitatis est : qiiod autem praeciswn fuerit, nec ciirari, nec
sanari potest » (6). Encore est-ce trop dire, car des pécheurs qui ont
été retranchés de l'Église peuvent revenir à résipiscence, solliciter
fût-ce tardivement, fût-ce à l'heure de la mort, leur réconciliation, et
recouvrer ainsi ce qu'ils avaient perdu (7). Il n'y a de désespéré que
rimpénitence finale, qui est proprement le péché contre le saint
Ksprit,
Cependant l'Église ne retranche pas du corps du Christ tous les

(1) Enarr. viii, l; XXV, n, 10. Scnno iaxui, i : Dico sane caritati veslrae, et in
apsidis sunl frumenta, sunt zizania. •

('.>) Knarr. \, 6; XXXIV, i, 10. Epistul. \i.iu, 2;;. //( loa. tract, i., 10.

(3) Enchiridion i.xxi et tout le Sermo clwm.


(i) Sermo cxxvvii, l. Rapprocher De continent. 25. De doctr. clir. i. 15.
(5) Enarr. in ps. ci, i, '2.

^(i) Sermo cxxxvii, 1.

(7) De vera relig. 10 : <( Exclus! auteiu aut paenilendo redeunl. aut in nequitiam niale
liberi detluunt. » De mor. Eccl. catfi. i, 7G » (Juod aniiserant peccando. paenitemlo
:

récupérant.
346 REVLE BIBLIQUE.

pécheurs qui pour leurs fautes et pour leur endurcissement méritent


d'en être retranchés que de pécheurs, en effet, dont les fautes sont
:

secrètes, échappent à la juste rigueur de l'Église Ces pécheurs-là, I

leur vie durant, participent indûment aux sacrements et sont dans


l'unité de que par la mort (1). Si les
la Valliolica, ils n'en sont chassés I
appartiennent
saints, si les fidèles qui vraiment au Christ, sont les
ais imputrescibles de l'arche [Gen. vi, 14), les pécheurs sont les
ais pourris. Dieu nous préserve d'être ce membre pourri qui mérite
d'être amputé, et qui ne peut pas toujours l'être 2 .

Ces pécheurs, qui sont dans l'Église en tant quelle est societas
sacramentorwn, sans appartenir pour autant au corps mystique du
Christ, doivent être tolérés par nous. La discipline de l'Église ne doit
pas se relâcher, ni sa vigilance s'endormir, ni ses évêques se taire
et fermer les yeux, en présence des scandales. Mais, p(mr le reste,

il faut savoir souffrir les pécheurs. Nul de nous, en effet, ne sait ce

que sera demain le fidèle qui aujourd'hui est un pécheur « Homines :

ergo bonos iinitare, malos toléra, omnes ama » (3). L'Eglise fait
confiance à toutes les bonnes volontés et n'abandonne que les con-
tempteurs de ses soins. Elle est l'hôtellerie où le bon Samaritain
porte le blessé relevé (juasi mort sur le chemin, l'hôtellerie où se
refont les voyageurs en route vers réternelle patrie nous avons :

tous besoin de nous refaire dans l'hôtellerie i^V). Souffrons les pécheurs,
parce que peut-être nous avons été souffert nous-môme Si tu as :

toujours été bon, aie de la miséricorde; si tu as jadis été pécheur,


aie de la mémoire; et qui donc a toujours été bon (5)? Qui peut se
flatter de le rester jusqu'à la fin de sa vie (6)? Dans l'aire qn'est

l'Église du temps, le bon grain est exposé à devenir de la paille,


la paille peut devenir du bon grain des fidèles que l'on voyait :

persévérer défaillent et périssent, d'autres qui étaient mauvais se


convertissent et revivent la vie présente est pleine de ces tristesses
:

et de ces consolations, « Plena est vita haec siippliciis atque solatiis ».

(1) Serino ccxxiii, 2. Cf. l'.pistul. cxux, ;> : « Separaiilur iniilti ab Ecclesia, sed cum
moriuntur, qui taroen cum vivunt per sacramenlorurn cornmunionem unitatisque caUiolicae
videntur Ecclesiae copulati. »

(2) In loa. tract. \\\i, !] -.


« Non sit pulre inembrurn quod resecari mereatur. )> Cf.
In ep. loa. tract, m, 4 et 5. — La tliéologie ( alliolique n'a pas adopté le langage dAugus-
tin sur ce point. Voyez Hl'rter, Theol. dogmat. t. 1, n. 341-347.
(3) De catecli. rud. 55. Sernio xlvii, « : « Nec ideo ista dicimus, fiatres, ut corripiendi
dormiat diligentia... Disciplina exerceatur...
(4) Quaest. euangel. ii, U». Sermo cxxxi, c.

(5) Sermo xlvii, 6.

(6) Enarr. cxxi, 4.


SYNTHESE ANTIUONATISTE DE SAINT AUr.LSTIN. :]'tl

Que le bon grain se réjouisse en tremblant, quil ne cherche pas à


se dégager de la paille à laquelle il est mêlé dans l'aire, qu'il se
garde bien de vouloir sortir de Taire quand viendra celui qui a le :

van dans ses mains, le grain qui ne sera pas trouvé dans Taire ne
sera pas recueilli dans le grenier « Quod in area non invenerit ad :

horrcum non leimbit » il). N'entreprenons pas de séparer le blé et la


zizanie ce sera au jour de la moisson le rôle des anges, qui ne se
:

tromperont pas comme nous riscjuons de nous tromper « Nos homincH :

sumus, angeli messores sunt » (2). La Catholica vous dit (tardez- vous :

de renoncer à l'unité et de déchirer l'Église de Dieu, sous l'illusoire


prétexte de la purifier avant l'heure '3 .

Au jour du jugement s'accomplira la parole sur celui qui doit


venir vanner Taire, recueillir le grain dans le grenier, jeter la paille
dans le feu inextinguible. Les paraboles se vérifieront alors : la para-
bole du bons poissons ne sont séparés des mauvais que
filet, où les
la pèche finie et le filet tiré sur la grève; la parabole du froment
et de la zizanie, que le maître laisse pousser ensemble jusqu'à la
moisson; la parabole du festin des noces, où la colme est grande des
gens que Ton fait entrer, mais d'où sera jeté dehors Thomme qui
n'a pas le vêtement nuptial... Toutes ces comparaisons qui prouvent
que la Catholica est mêlée, prouvent pareillement que Dieu attend
son heure pour prononcer la séparation des pécheurs et des saints.
Noë a mis cent ans à construire Tarche Dieu prend le temps tfuil :

veut (i). Dieu est taciturne, mais il parlera « Taczii, numqu/d :

semper tacebo? » Dieu est longanime, mais parce qu'il voit et se


tait, parce qu'il voit et supporte, ne crois pas quïl soit indifférent,

inique (5\ Dieu veut sauver le monde d'abord par la miséricorde,


et ne le juger qu'ensuite « Venit saeculum salvare primo per mise-
:

ricordiam, et postea discutere per iiidiciwn » (6). La divine patience


doit nous être une leçon de patience « Aeternus est, tardât, longa- :

nimis est... lunge cor tiium aeternitati Dei » (7). Augustin est revenu
constamment à ce thème que la discrimination infaillible et définitive

(1) Sermo ccxui, 2. Même thème dans Enarr. X.W, ii, 5; cxi\, 9. Epistul. ccvni, ;> et 4.
(2) Sermo i.\xiii, 4.

(3) Enarr. cxix, 9 : « lustos vos dicitis. Sed si iusti essetis, inter paleam grana geine-
retis... Catholica dicit : Non est dimittenda unitas, non est praecidenda Ecclesia Dei. »

(4) Sermo cixlxi, 21 Ergo fratres, et modo aedilicatur arta, et


. « illi centum anni
tempora ista sunt... Christus Ueus propter nos hoino aedificat Ecclesiam illi anae fiin-
:

damentum se ipsum posuit cotidie ligaa : iniputrildlia intrant in anae compaginein. »


(5) Sermo xlyii, b.

(6) Sermo v, 1. Cf. Enarr. xlh, 4.

(7) Enarr. xci. 8.


348 KEVLE BIBLIQLE.

des saints et des pécheurs, qui sont provisoirement confondus dans la

Catholica comme le grain et la paille dans Taire, appartient à Dieu


seul : « Haec semper cantavimiis vobis, dit Augustin, et in nomine
Christi arbitramur quia haerent pectoribus ve.'itris » (1).

La tliéorie de l'Église, qui prend corps ainsi en opposition au puri-


tanisme illusoire des Donatistes (*2 est une conciliation de la foi
,

en la sainteté du corps mystique et du fait de la société mêlée qu'est


la Catholica visible. Les deux termes de lantinomie sont aussi anciens
que le christianisme, puisque de tout temps le chri.stianisme a été le
corps mystique du Christ décrit par saint Paul et la société des bap-
tisés. On ne peut donc pas dire, comme Reuter, que nous surprenons

dans la pensée propre d'Augustin une douille idée de l'Église, l'une


<( acatholique», sinon même « anticatholique », selon laquelle l'Église
est une pure communio sanctorum; l'autre catholique et même « vul-
g;irkatholisch », selon laquelle l'Église est une société hiérarchique
et une contmiinio sacramentorum (^3). Car d'abord concevoir l'Église
comme une société de saints n'est une conception anticatholique que
si on conçoit l'Église uniquement comme une société de saints.

D'autre part, concevoir l'Église comme une empirique societas sacni-


inentorum, et rien que cela, est une conception, non pas catholique,
mais acatholique. Les deux conceptions ne sont donc justes cju'à la
condition de n'être pas exclusives lune de l'autre. Puis, si ce dualisme
n'est pas nouveau, nous l'avons dit, la conciliation qu'Augustin en
fait n'est pas davantage nouvelle, puisque Cyprien la pratiquait aussi

bien, à l'encontre du puritanisme des Novatiens. Et, au fond, il n'y a


pas de catholicisme sans cette conciliation de la sanctification qui
est la fin et de la societassacramentorum qui est le moyen.
La liberté de Dieu reste absolue. Dieu a de ses prédestinés parmi
les ennemis actuels de l'Église. Au regard de la prescience divine,

beaucoup qui sont actuellement hors de l'Église lui appartiennent,


en tant qu'ils sont prédestinés (4 Ils sont hérétiques de nom, mais
.

Dieu sait qu'ils feront leur salut, et pour lui en puissance ils sont ce

(1) Sermo \, \.

Et cette théorie vaudra contre le pélagianisme


(2) «[ui se persuade que les justes sont
sans péché, et que l'Eglise, composée de justes, est « omnino sine macula et ruga «. De
liaer. 88. Df gest. Pelag. 27-28. Tout le Sermo rxxAxi.
(3) Relter, p. 250-251. Harnack, Dogmengcscfnchte, t. III', p. 147-151, abonde dans
le même sens. Loofs, Leitfaden, p. 377, à la suite de Dorner, p. 279-288, a mieux compris.
(4) Civ. Dei, i, 35 (p. 57).
SYNTHÈSE ANTinONATISTE l>E SAINT AUGUSTIN. 3i0

qu'ils seront.Us n'appartiennent pas à la Calliollca visible^ peut-être


ne avant de mourir Augustin du moins ne
lui feront-ils pas retour
le prévoit pas), ils appartiennent néanmoins à l'Église invisible des
saints (nous dirions à Fàme de l'Eglise j, à l'Église définitive des
:

prédestines, à réj)ouse sans tache et sans ride, à la colombe, au jardin


fermé, à la source scellée, au puits d'eau vive, au paradis planté
d'arbres couverts de fruits [\ .

Si l'avantage est inappréciable d'être dans la socintas sacramen-


torum, il ne saurait suffire au catholique d'avoir reçu le baptême,
et de ne tomber ni dans le schisme, ni dans l'hérésie, quitte à vivre
jusqu'à son dernier jour dans des désordres qu'il ne rachète pas,
pour se croire de ceux dont saint Paul dit qu'ils sont sauvés quasi
per itjnem (I Cor. m, 15) (2). L'incorporation à l'Église serait vaine
si elle n'était pas accompagnée de la foi, et si la foi était sans œuvres,

c'est-à-dire morte : nul ne peut se promettre la vie éternelle sans


cette foi vivante Xe nous faisons pas de notre nom de catholique
i].

un prétexte de présomption tremblons en pensant aux Juifs « Ter- : :

reamini quia videtis amputatos ramos nalurales ». Ne nous enor-


gueillissons pas à la face des hérétiques et des schismatiques, qui
sont eux aussi des rameaux coupés. vous tous qui êtes dans l'Église,
n'insultez pas ceux qui sont hors de l'Église, mais plutôt priez pour
qu'ilsy viennent vous rejoindre (V VA veillez sur votre propre persé- .

vérance, sinon sur votre propre conversion « Fratres dilectissimi, :

viscera Ecclesiae, pignora Ecclesiae, filii matris caeles:tis, audite cu)n


tempus est » '5).
Pierre Batufol.

(Ij De bapt. v, 3, 8 : la illa ineft'abili praescientia Dei. mulli ijui foris videntur inlus
sunt, et multi qui intus videntur foris sunt ». Ibid. i\ , 4, même doctrine. — Rapproclier
la lou. tract, xlv, 12 ; < Quam multae oves foris.' Quam mulli modo luxuriantur, casli
futuri; quam multi blasphémant Christum, credituri in Cliristum... Item quam mulli
intus laudant, blasphematuri ; casti sunt, fornicaturi... Non sunt oves. De praedestinalis
enim loquimur. »

(:i) Civ. Dei, \xi, 21 (p. .553}. Enchiridion, i.xvn.

(3) De fide et op. 49.


(4) Enarr. lxv, 5. Ibid. xcvii, 7. Sermo xi.vi, 14 et 2.'..

(5) Enarr. CIII, i, il.


LES TRADITIONS BABYLONIENNES
SLR LES ORIGINES

Sur le terrain assyriologique, comme sur beaucoup d'autres, la


guerre, dont nous venons seulement de saluer Tissue glorieuse, a
forcément occasionné un ralentissement d'activité. Des devoirs plus
impérieux que le déchiffrement des textes cunéiformes, ont enlevé
la plupart des assyriologues à leurs études favorites. Les publi-
cations et interprétations de documents ont été plus rares. Il était
difficile, pour les spécialistes eux-mêmes, de consacrer à ces docu-

ments la même attention que jadis et de les approfondir avec la


même ardeur ou la môme passion. Et pourtant, le chômage n'a pas
été général. Sans parler des revues qui, sur les deux continents,
ont continué de paraître malgré la guerre, un certain nombre
d'éditions de textes et de travaux scientifiques, commencés avant 1914,
ont pu être achevés durant ces dernières années. Les circonstances
ne nous ont pas encore permis de prendre contact avec les récentes
productions de l'assyriologic allemande. En France et en Angleterre,
nous n'avons pas vu signaler de découvertes sensationnelles dans
le domaine rehgieux" ou niythologi([ue, dont nous voulons nous
occuper spécialement ci-dessous. L'Amérique, par contre, nous a
fourni un certain nombre de textes nouveaux, qu'il est opportun
de revoir et d'étudier, à la suite des premiers éditeurs, afin d'en
apprécier la réelle portée. Ces textes proviennent, en grande majo-
rité, des fouilles entreprises par l'université de Pennsylvania sur le

site de l'ancienne ville de Nippour. Ils sont très rapidement livrés


à la connaissancedu monde savant, grâce à l'activité de la section
babylonienne du umsée de l'université. Sous le titre « University
of Pennsylvania, the Muséum, publications of the babylonian
section », une série de seize volumes ou parties de volumes in-Zi-
a pu voir le jour depuis 1911. Cette série ne fait pas double emploi

avec grandes éditions de textes et les divers traités, dont Ililpreclit


les

dirigeait la publication jusque vers 1913, sous le titre « The baby-


lonian expédition of the university of Pennsylvania ». Mais il semble
LES TRAItlTlONS BAI!VL().\1E.NNES SLR f.ES ORIGINES. Xôl

(jue les documents ont été mieux groupés et catalogués que précé-
demment. Parmi les volumes parus depuis 191 V^ il en est deux qui
ont retenu Tattention non seulement fies assyriologues, mais encore
(les exégètes de l'Ancien Testament le volume V, intitulé His torical :

<ind Grammatical (cxts par Arno Pœbel et le volume "X, intitulé


Epical andJifurgiùc: ir.i i - par Stephen Lanq-don. Le!'"|iVëHlf8ll'"lttlllHfS"w*"*

prenait un texte de toute première importance pour 1 histoire des


traditions religieuses en Chaldée. C'était un fragment d'une recension
sumérienne de la création et du déluge. M. Pœbel en a fait une
étude approfondie dans le vol. IV (fascicule 1, Historical texts) :

A netr création and déluge Quant à M. Langdon, il n'hésitait


text (1).

pas à intituler le 1" fascicule du vol. X Sumerian epic of Paradise, :

ihe fl'ood and the fall of man (2).


Création, paradis, déluge, chute de l'homme, ces eoseig-nes
pompeuses ont immédiatement excité la curiosité, provoqué la
recherche et déchaîné la polémique (3 On a nég-lig-é plus ou moins .

les autres documents, tous du plus haut intérêt, qui s'ajoutaient


à ceux que nous venons de mentionner par exemple les nouvelles :

listes de rois primitifs et les inscriptions des anciens rois dAgadé


étudiées par Pœbel (vol; IV, fasc. 1, Historical texts, p. 71 ss.), la
très instructive tablette de l'épopée de Gilgamès éditée par Lang-don
(vol. X, fasc. 3, Tlie epic of Gilgamish).
La meilleure façon d'apprécier et d'utiliser toute cette littérature
nouvelle, pas de la placer dans le cadre des traditions
n'est-elle
religieuses babyloniennes sur les origines? On nous permettra donc
de grouper, dans les pages qui suivent, les renseignements qui
nous sont fournis par les textes cunéiformes sur la création du monde
et de l'homme, le déluge, les dynasties mythiques ou légendaires,

bref sur les temps ténébreux qui ont précédé l'histoire proprement
dite. Si, pour les textes connus avant 1907, nous renvoyons, de

préférence, à l'interprétation qui a paru dans notre Choir de textes


religieux as.syro-baby Ioniens, c'est afin de n'avoir pas à rééditer une
bibliographie qui figure à côté de chaque morceau traduit dans cet
ouvrage, c'est surtout afin de nous corriger et de nous compléter,

(1) Voir Laouange, RB. 1916, p. 25».

(2) Ibid. p. 262 ss.


(3) RB. l'J16, p. 61.") ss.), de M. Jastrow junior (cf. BB. 1916,
Articles de Prince (cf.

p. 616 ss. et 1917, p.de Langdon cf. RB. 1917, p. :{14}, dWlbright, Sotne cruces
604 ss. ,

in the Langdon Epic, daoe Journat of the american oriental Society, xxxix, 2, avril
19!9, p. 65 ss., de Scheil (Comptes rendus de VAcadétnie des Inscriptions, 1915,
p. 526 ss.). Nous n'avons pas sous la main l'article de Fossey {Revue Critique, 1917,

p. 273 ss.), cité par Albright, en note de la p. 6.5.


3o2 REVUE r.IBLIQLE.

d'après les découvertes dont s'enrichissent constamment les études


assyriennes,

I. LES ORUilXKS DU MONUE.

La tradition classique des Babyloniens sur les orii;ines du monde


nous a été conservée par le grand « poème de la créatiou », en
sept tablettes de chacune environ 150 lignes (1. Suivant l'usage,
cette vaste composition littéraire était désignée simplement par les
mots du début enuma élu « lorsque on haut ». Ou remarquera
:

qu'il ne s'agit pas seulement d'une narration poétique, destinée à


garder aux générations le souvenir de ce qui advint à l'aurore des
âges. La récitation de tout le morceau, à certains jours et dans
certains sanctuaires, possédait une efficacité rituelle sur laquelle
insistaient tes '
prëscrïptîonâr H^^ Dans une tablèîlé ~n^-
babvlonienne (2 il est dit textuellement : Lorsqu'ils (les sacristains,
les psalniistes et les chantres auront fait cela, le client récitera du
commencement à la fin Celui qui comme le jour », « Lorsque en
<<

haut La fm du poème lui-même ne dissimule pas son carac-


(3; ».

tère utilitaire ,'*) Qu'on s'en souvienne, que l'ancien le fasse


: <'

connaître, que le sage et rintoUigent y réfléchissent ensemble!


(Jue le père le répète, ([u'il le fasse retenir à l'enfant! Que du
pasteur et du berger s'ouvrent les oreilles, qu'il se réjouisse pour
le seigneur des dieux, Mardouk, et que celui-ci) rende fertile son
pays et que lui-même (le pasteur soit en prospérité! » Le pasteur
est employé métaphoriquement pour signifier le roi (5). La récita-
tion et la méditation du texte rituel sont une source de bénédictions
pour sa personne et son pays. Mardouk sera, parmi les dieux,
celui qui répandra ces bénédictions. C est que, en réalité, tout le

poème est consacré à chanter S(^s exploits et à montrer comment


ila acquis le rang suprême parmi les autres divinités (6).vljes idées
mythologiques sur la naissance du monde et de l'humanité n'ont

{i) Transcription et traduction dans notre Choix de taies religieux assyro-baby Io-
niens (1907), p. 1 ss. Les travaux antérieurs sont cités, ibid., p. 2. Depuis lors, traduction
allemande (par Ungnad) dans Gkessmann, AltorienlaUsche Texte und Rilder zum A. T.,
1, p. 5 ss. transcription et traduction anglaise par Rogers, Cuneiform parallels io thc
;

o. T., p. 3 ss.

(2) Publiée par nous dans la Revue d Assyriologic, Vlll 1911», p. 41 ss.

(3) Ibid., p. 44, 1. 21 ss.


(i) Choix..., p. 81.
(5) Les mots rê'ii et ndqidu sont deux synonymes, qui ont ^^ouvent la signilicalion
métaphorique de « pasteur des peuples >.

(6) Cf. L.4.GRANGE, htudes siir les 7-eligious sémitiques t2« éd.), p. 377.
l.tS TRADITIONS BABYLONIENNES SLH LES ORIGINES. 353

été recueilliesque pour mettre en relief le rôle joué par le dieu do


Babylone dès les conimencemeuts. Les épisodes, racontés en grand
détail, convergent vers l'assemblée générale des dieux, où seront
proclamés les cinquante noms de Mardouk (Ij. Nulle part Tinten-
tiou du poète n'apparaît mieux que dans la description d'une pre-
mière réunion, où les dieux, convoqués sur la demande de Mardouk
lui-même, se dessaisissent, en sa faveur, des prérogatives de la
souveraineté, y compris celles du dieu suprême Anou (2) « Ton :

destin, ô Seigneur, qu'il soit le premier parmi les dieux (3 » i.

Kxaltation de Mardouk, à laquelle fait pendant l'exaltation d'Istar,


autre composition poétique, dont la troisième tablette a été publiée,
en 191V, par M. Thureau-Dangin (i). Ici encore, ce sont les dieux
qui demandent, pour la déesse, la souveraineté sur eux tous (5) :

« Que seule elle tienne les rênes du ciel et de la terre : qu'elle soit
nous » Mais, tandis que la déesse atteint
la plus puissante d'entre !

le rang suprême par son mariage avec Anou [Q), c'est en tant que
vengeur des dieux et vainqueur dans la lutte pour l'organisation
du monde que MardouJv supplantera Anou et les autres personnages
du panthéon babylonien. Il est extrêmement intéressant de cons-
tater que le rival de Mardouk, à savoir
le dieu Kingou, a été exalté,
comme Istar, par un mariage
Lorsque Tiamat lui donne la
(7).

direction de l'armée qu'elle a formée, elle lui dit Sois magnifié, : ((

ô toi mon unique époux! » Un texte astronomique, recomposé par


M. King, donne à Kingou le nom d'époux de Tiamat (8). De même
que dieux ont confié leur sort aux mains de Mardouk, Tiamat
les
confie le sien et celui de ses troupes aux mains de Kingou. Elle
restera dans les combattants, mais son mari sera le général en
chef (9).

Le nœud dej-'action épique sera constitué par le combat entre


Mardouk et le couple Kingou-Tiamat. Les récits de la tradition
l)5TjyluirîCnne sur l'origine des dieux et du monde ne seront narrés
que pour servir de prologue et d'épilogue à la victoire du dieu de

(1) Septième tablette {Choix de textes..., p. 66 ss.).


(2) Quatrième tablette [ibid., p. 42 ss.\
(3) Ibid., p. 'i3, 1. 21.

(4) Revue d Assyriologie, \i (1914), p. 141 ss.


(5' Ibid., p. 150.

(6) Ibid.
Choix de textes..., p. \9, etc..
(7)

(8) The sevea (ablets of création (1902 vol. I. \>. 209.


,

(9) Dans le mythe de Nergal et d'Éreskigal, le roi des enfers acquiert aussi sa royauté par

un mariage avec la Proserpine babylonienne cf. Ln religion assyro-babylonienne, p. 77.


:

REVCE BIBLIQUE 1919. —


N. S., T. XVI. 23
:j;vi REVUE BIBLIQUE,

Babylone. Sa lutte contre les puissances chaotiques forme la soudure


entre la théogonie et la cosmogonie. Nous verrons plus loin avec
quel luxe de détails cette lutte a été racontée et comment le sou-
venir en était gardé mième dans les représentations figurées.
Autour de cet épisode central vont s'agencer les épisodes que le
poète regarde comme secondaires et qui. pour nous, sout les plus
intéressants, à savoir des dieux et de leurs rivaux,
: la naissance
la création du monde
de l'homme, la rédemption des êtres qui
et
furent vaincus par Mardonk, l'apothéose du dieu vainqueur. Notre
poème n'a rien d'un traité technique. C'est une épopée dans le
geujfe du « Paradis perdu ou de la ^lessiade ». Mais le poète a
> «.

puisé dans les légendes courantes, astronomiques ou magiques,


populaires ou sacerdotales, pour en extraire les idées maîtresses
qui devaient rendre plausible ce merveilleux récit. Cest pourquoi
des traits s'en retrouvent chez les peuples qui furent en contaet
avec les Babyloniens, non seulement chez les IMbreux^ mais encore
chez les Grecs. Et le souvenir de ces récits sera si \T,vace que nous
en retrouverons un résumé Mêle dans les écrits de Bérose an
111^ siècle avant notre ère et dans cenx de Oamaaciiais au vi^ siècle
de notre ère.

\) La naissance des dieur.

Pour étrange que cela puisse paraître, c'est le texte de Damascius


qui nous donne la trame la meilleure pour reconstituer le tissu
primitif sur lequel sera l>rodéc la légende de .Mardouk (1). Nous
devons commencer par le traduire. Sa confrontation avec le début
de la première tablette du poème etiuma élis montrera que le
philosophe néo-platonicien a reçu ses renseig-nements d'une source
non contaminée :

« Parmi les barbares, les Babyloniens semblent, d'une part,


passer sous silence le seul principe de toutes choses et, d'autre part,
en imaginer deux Tauthé (TauOé) et Apasôn ('ATrajcôv), faisant
:

d'Apasôn l'homme de Tauthé et appelant celle-ci mère des dieux;


d'eux aurait été engendré un fils unique, Motimis (Mwoy.v; accusatif),
que je crois être le monde intelligible produit des deux principes.
D'eux aussi une seconde génération serait sortie Dachè Aa7r,v : i

accusatif) et Dachos (Aa^cv accusatif). Ensuite une troisième toujours

(1) Texte dans '.\jopîai /.ai /.Jasiç -zcl ':^fi^M^M\^&i^\ ^*P- ^^â, édil. Kopp 1826},
p. 384. Le passage eSt reprocRPR dansTtAGRANiîfi, Etnme^s ur les reUgions sémiti'/ues.
2' éd., p. 3v<). en note.
LES TI;AI»1TI0.Ns IIABYLOMEN.XES SL1\ l.tS ORIGINES. 35o

des mêmes : Kissarê {K:::zzzr,y accusatif et Assùros ("A:7S(o=;v accu-


satif,, desquels naissent les trois suivants : Anos 'Aviv accusatif et
lilinos- ('Iaa'.vcv accusatif! et Aos 'A:v accusatif,. Enfin d'Aos ['Xo'j
g-énitif) et de Daukê (Aajxr,; génitif} naît un tîls. Bêlos B-^Xcv accusatif
;
,

qu ils disent être le démiurge. »

Il est parfaitement vrai que les Babyloniens passent sous silence

le principe uni<:|ue de toutes choses. Leur récit de la création ne


débute pas, comme celui de la (ieuèse, par laflirmation solennelle :

Au commencem ent Dieut . cu'éa les cieux et la terre. » Un couple


initial, de qui nait d'abord un tils ; puis un secoud et un troisième
couples provenant aussi du couple initial; ensuite un€ triade issue
du troisième couple: enfin l'un des membres die cette triade avec
sa compagne donne le jour au démiurge [i Si Ion observe que .

Damascius, ou son informateur ,^ s'est co>nttplu à faire figurer le prin-


cipe femelle avant le principe mâle, tandis que le texte babvlonien
place le principe mâle en tête, et l'on tient compte de la faute
si

de copiste qui a lu Aa-/r,v et Aa-/:/ pour Aayr.v et Aa-/.cv, on a une


équivalence absolue entre le tableau généalogique de Damascius
et celui du poème de la création.

Première génération Ty.jhz A-a-ojv ^hxjv.: : Apsù-Miiminii-— — =


Tiamat. « Lorsqu'en haut le ciel n'était pas nommé et «fuen bas
la terre n'avait pas de nom. Apsà leur premier père. Mummu^
Tiamat qui les enfante tous, leurs eaux se confondaient en un, et
les haies n'étaient pas liées, ks roseliers nétciient pas aperçus (2). »
Il n'y a encore ni ciel, ni terre. Les terrains cultivables, circonscrits
par des haies, les terrains marécageuA:, où poussent les roseaux,, n'ont
pas encore fait leur apparition. La cosmogonie chaldèenne » spéci- •

fiera également que « aucun roseau n'avait poussé, aucun arb^e


n'était produit », et elle ajoutera
la totalité des pavs était : '<.

mer (3 >. Bérose dira qu'il y eut « un temps où tout était obscUiTité et
eau (V) ». Dajis Gea. i, 2, nous avans « les ténèbres au-dessus du Tehom
^= Tiamat, la mer primordiale) et l'esprit de Dieu planant. au-dessus

[Vj Choix de textes..., p. 2 ss.

(2) Ibid., p. 3, 1. 1 ss. Nous avons rectifié notre première trailuction .jui rendait apsù par
l'océan et faisait de restù une apposition apsu. Les trois personnages apsii, inummu
à
et tiamat, sont juxtaposés dés les premières lignes. Aussi nous ne pouvous plus voir dans
mum/iiu un (jualificatif de tiamat. Le texte de Damascius montre que le jfète, la mère et
lenfant apparaissent au début de la théogonie. A la 1. 6, le sens de jiparu « haie » semble
le plus probable (cf. Thlreai-Da>gin, Xouvelles fouilles de Telloh, p. 174, n. i).

(3) Choix de textes..., p. 82 ss.


i4} Tv/iabA: vr^n': ypovov, sv m to nii czôtoç -/.ai Oowp slvai (cf. Mui.le!',, Fragmenta histo-
ricorum Graecorum, vol. II, p. 497).
336 REVUE BIBLIQUE.

des eaux. » L'eau est le principe premier. Le couple primitif Apsn-


ïiamat représentera la personnification des deux grands réceptacles
cosmiques dont les eaux sont encore confondues; le premier-né
Miimmu aeva. l'eau elle-même. PourTiamat. l'identification est facile,
puisque son nom est purement et simplement le nom de la mer,
tidmtu, tâmtii, à l'état construit. Cependant les textes magiques
savent distinguer la mer et l'être qiii la personnifie (1) : « Que la

mer de Tiamat se repose avec toi » On purifie « par les


la vaste !

eaux pures du Tigre, de l'Euphrate; par les eaux de la mer de la vaste


Tiamat (2) ». Nous ignorons sous quelle forme on se représentait le
corps de ce principe femelle. Les diverses suppositions concernant
les figures de serpents ou de dragons, avec lesquelles on l'a souvent
confondue, ne sont pas confirmées par les textes (3i. Bérose, qui
puise toujours à d'excellentes sources, décrit successivement les
monstres bizarres qui grouillent dans l'obscurité et l'eau primitives,
en notant que les images de ces êtres fantastiques étaient représentées
dans le temple de Bel, mais il n'insiste pas sur les caractères exté-
rieurs de celle qui les commande i) « Sur eux tous commande :

une femme dont le nom est '0;j,ipwy.a (ou '0;j.c=/.ai, en chaldéen

©aXâxO, en grec ©iXa^aa. » Nous n'avons pas ici à revenir sur les noms
attribués par Bérose à Tiamat. 11 est clair que la lecture 0aXa-:O (due
du grec HâXaT-rai est une déformation quel-
peut-être à l'influence
conque du mot qui reproduisait Tiamat (probablement (è(X]}-t :

=
6AAAT0 0AMTE). Tout ce que nous apprend Bérose, c'est que
Tiamat est une femme et qu'elle doit marcher on tête des monstres
(lu Nous verrons qu'elle est, en eliet, celle qui enfantera
chaos.
ces monstres et les organisera en une véritable armée. La tradi-
tion mythologique ne s'y trompera pas. Dans la légende du roi de
Koutha, on nous décrit « des gens au corps d'oiseau-des-cavernes,
des hommes dont la face est celle d'un carbeau » et l'on ajoute :

(( Les dieux grands les ont créés et sur terre les dieux ont construit
leur ville, Tiamat les a allaités (5 . » Tiamat enfante ou allaite les

monstres. Aussi quand on voudra caractériser un être particulière-


ment odieux, on l'appellera « créature de Tiamat C) ». Tiamat est

[ijSiirpu V / VI, 1. 190, dans Zimmehx, Betlrage.... p. 3'(.

(2) Surpu vin, 67 [ibid... p. 45).


(3) Une critique très serrée des diverses lupothèses dans Jensi;n, Das Gilgames-Epos,
p. 60 ss.
(4) Texte dans Miiller, op. cit., p. 497.
(5) Jensen, Mijthen und Epen, p. 292-29.i : Kinc, The seven tablelx of Création, i,

p. 142-143.
(6) Epithète d'un roi d'Élam, dans Martin, Texfes religieux..., \. \k 49.
LKS TRADITIONS BABYLONIENNES SUR LES ORIGINES. 337

donc la mer. envisagée comme une puissance malfaisante et qui


doit être réduite par la force; son cortège est composé des monstres
marins qui avaient frappé l'imagination des anciens. Il n'y a pas une
Tiamat inférieure et une Tiamat supérieure (1) ces expressions sont :

simplement la forme poétique de la mer inférieure et de la mer


supérieure, qui signifient respectivement le Golfe Persique et la
Méditerranée.
Le mot hébreu ainr, qui avait pour sens précis la mer (]ui recou-
vrait le monde au début de la création Gen. i, 2; P^. civ, s'ap- ,

pliquait aussi à la nappe d'eau souterraine d'où jaillissent les


sources et les fleuves [Gen. \li\, -20; Deut. \x\nr, l-î . Deux
concepts avaient été fusionnés en un : celui de Tiamat et celui
à' Apsû. Les Babyloniens eux-mêmes ont parfois fait cette confusion.
Le héros du déluge reçoit pour consigne de déclarer qu'il ne mettra
plus sa face " sur le sol d'En-lil », mais qu'il descendra vers '<

Yapsù afin d'habiter avec son seigneur le dieu É-a ^^2;. Or, dans
•>

le mythe d'Adapa. celui-ci est en train de pêcher « au milieu de la


mer », lorsque le vent du sud le culbute et le fait plonger à la
maison de son maître, c'est-à-dire d'É-a (3 La comparaison de ces .

deux textes prouve bien que la mer, maison d'É-a, pouvait s'iden-
tifier avec Yapsù. De même que, chez les Grecs, le nom du fleuve

'Q/.Exvi;, l'Océan qui entoure la terre, avait fini par devenir un


nom poétique de la mer, de môme, chez les Babyloniens, Vaps/i,
dont nous allons voir l'identité avec l'Océan, pouvait s'employer
au lieu de tdmtu, la mer ». Une indication très précieuse pour
*

situerYapsù nous est fournie par un texte magique concernant les


sept utukku (génies) malfaisants Eux sept se trouvent à la source
: »'

de Yapsù \). » Or, on nous dit aussi qu" « ils ont été enfantés à la
montagne du coucher du soleil » et qu" ils ont grandi à la mon- <

tagne du lever du soleil .5). » D'autre part, un hymne au dieu-soleil,


Samas, débute ainsi « Samas, quand tu sors de la grande mon-
:

tagne, la montagne de la source (6). » Le mot employé pour « la


montag-ne de la source » est iad naqbi. Cette source, par excellence,

(1) Oa employait tàintu elhitiu mer supérieure » pour la Méditerranée, tûnitu saplilu
« mer inférieure ) pour le Golfe Persique. C'est ainsi qu'il faut entendre tiamhnn et/tum
u sapiltum dans' le texte >ï Anubanini 'cf. Tiiuri:al-Dan<;i\, Les Sumer
inscriptions de
et d'Alikad^ p. 247;.
(2) Choix de te.rles..., p. 105.

(3) Ibid., p. 155.


(4) TuoMPSON, The devils and ecil spirits, 1, p. 7»j-":, J. 3<> s.

(5) La relifjion assyro-hnbylonienne, p. 45.


'6l Ibid., p. 55.
3:j8 revue BIBLIOL'E.

est identique k naqah ajm, « source de Vapsà », qui se trouve loca-


lisée ainsi à lendroit où k «oleil se lève. C'est là que Gilgamès
arrive après aAoir voyag-é par tous les pays, franchi les montag-nes
difficiles, tTavei'S*' toutes les mers 1 . Le soleil part, le matin, de la
source de l'«/;s//. La nuit, pour revenir à son point de sdèpart, il

circule sur le fleuve apsû qui entoure la terre. En même temps,


Vapsù était le réservoir souterrain, analogue au u'~t de Gen. xlix.
25 et De^t. xxxiii. 13, «d'où s'échappaient les sources des fleirves et
des rivières (2 L'eau salutaire qui en découlait, spécialement
.

celle qu'on recueillait à Éridou. au confluent du Tigre et de TEu-


phrate, était d'un usage constant dans les aspersions rituelles et les
cérémonies magiques (3). Le dieu de la magie bienfaisante, É-a,
portait le titre de « roi de Vapsù 4 », la tradition rituelle s'nppelait
<f parole de Vapst) (ô) », l'incantation suprême « incantation de
lapsù (6) ». Enfin, il semfble que c'est dans V'ap^ti que croissait la
célèbre plante de vie ou dejoTirvence que GilgaTnès réussit à cueillir
uu ternie (7j. L'eaai de Vapsn était, de temps immé-
'de son voyage
morial, dans des récipients qu'on appelait ('•gaiement
recueillie
apsû, et dont 'F'nsage rappelle celui de la « mer dairain », ou
simplement la Mer » dans le vestibule du temple de Jérusalem H
<
.

Non seulement cette eau servait à la magie, mais encore à la di^i-


nation, rhydramanoie (9). C'est ce rôle qui détermina le nom le
plus ancien de 'Vapsa, son idéogramme ZU-AB (d'où abzu, apsv),
qui voulait dire maison de la sagesse », comme on le voit claire-
«

ment emprunté à une tablette magique (10)


daias le te\i;e suivant :

« 'Que É-a 'déli\Te, lui le roi de Yapsù, que Vapsii délivre, lui la

maisGOi 'de la sagesse, que Eridù délivre, que le temple de l'apsA


délivre t)e même qu'il y a identité entre le roi de Y apsû et le
1
>•

dieu E-a, il y a identité entre Vapsù et la maison de la sagesse », ".

bit nfniéqi qui ne fait que traduire l'idéogramme ZU-AB. Voilà

[\)Ch&ia; de textes..., f. 295 et 313.


(2)Nabuchodonosor II creuse les fondations des temples jusqu'à la surface tle Vapsn
(cf. Laxgdon. Neubabiilonische Konigsinsclniflen, p. 86, ir, 18; p. 106, ii, :i3;.

(3) Lu religion ass)jro-bab)jlonienne, p. 73, et passiui.


(4) Ibid.,'p. l'i.

(5) ScHKANK. Babiflo/msche Siihnriien, p. 16 s.


(6.) Ibid.,^. 21.
(7) Choix de textes.... p. 311 s. On coud aiss ait aussi » l'arbre sacrt- de Vapsii » (Gldea.
cyl. A, XXI, 22 : cf. RB., 1907, p. 273).
(8) Déjà dans les textes antérieurs à Sargon r.\ncien, on mentionne diverses espèces
d' ap su : cf.Fôrtsch, Milteilungen der vorderas. Gesellschaft, 1914, l, p. 130 ss.
'9) La religion assyro-boby Ionienne, p. 293 s.
(10) Surpun, li9 ss. (Zimmei'.n, op. cit., p. .s-9 .
LES TRADITIONS BABYLO.MENXES SLT; Î.ES ORIGINES. 3o9

pourquoi É-a portera le titre spécial de bel nîmegi « seig'neur de

la sagesse (1) ». Son temple, en sa ville à'Eridou « la bonne ville »,


sera bit aps'i «. maison de Yapsù », sorte de succursale de Vapsû qui
se trouve aux confins de la terre (-2).
Nous pouvons maintenant nous faire u»e idée des deux principes
premiers la iTîer -malfaisante, salée, génératrice de monstres, et
:

l'ocKÎan bienfaisant, doux, générateur de ^plantes magiques, four-


nissant les eaux rituelles et divinatoires, séjour du dieu de la sag'esse.
La confusion de ces deux principes est !€ chaos. Mais c'est d« ce
chaos que doivent sortir les dieux, car Apsû est leur père, zârn,
celui de qui provient 4a semence, et Tiamat est leur mère, .m.ual-
l'idat, celle qui les enfante. On peut comparer la tradition gi'ecque,
telle qu'elle se reflète dans Y Iliade xiv, 201; : "iJ-/.=Kviv te ôîwv ^évcaiv
K'j}. ;j.ï;TÉpa Tvjôjv. Rien de similaire dans les récits de Gen. r, 2 ss. et

II, i ss.

Le troisième personnage est le dieu Miimtnu. Damascius le déclare


fils unique àWpsi' et de Tiamat. Le récit babylonien ne signale pas
sa naissance, parce qu'il le suppose existant avant qu'aucun des
dieux ne fût créé. Et, en efîet, lorsque Apsà et Tiamat entreront en
lutte avec leur progéniture, c'est Mwnmu qui sera convoqué par
Apsû et qui lui servira de messager. Ajisô l'interpelle avec ten-
dresse : « Mummv,
messager qui réjouis mon cœur, allons! rendons-
nous vers Tiamat » La famille Aracrtov-Taj0£-Mwj;j.'.r. qui ouvre
3).

la série des générations divines dans le texte de Damascius, cor-


respond à la famille Aoç Aau/.r, — —
By;/.;;. qui fermera cette série.

Il est clair que M(.jj;j.f.ç (= Mummiù correspond à Br,Ao; Bêlu =


= Marduk), en ce sens qu'il est le dieu-fils. De même que Mardouk
aura les mêmes mère
caractères que son père É-a (=: Acç) et sa
Damkina (= Aau/,r,), de même Mummii appartient au même monde
que son père Aps^f et sa mère Tiamat. Il tient surtout de son père.
A bit'Apsi, temple du réservoir de l'eau bienfaisante et magique,
correspond blt-Mummu « maison de Mummu où habitent les -«

sages de Babylone f4). Qu'il s'agisse bien du dieu Mummu, c'est oe


que prouve l'écriture b/t-{ilu) Mummu qu on rencontre dans une
lettre assyrienne (.'>). Cette relation de Miwimu avec l'école des

(1) PassimdaLn% les inscriptions.


(2) Cf. La religion assyi-o-boby Ionienne, p. 74 s.
(3) Choix de textes.... p. 9.
(4) Nabonide, cyl. de Sippar, i, 33 cf. LaN(;don, Die neubabtjl. Kanigsmschriften
:

p. 256-257.

(5) Behkens, Assyrisch-babylonische /irief'e...,\). 7.


360 REVUE BIbUQLE.

sages explique pourquoi son nom peut être attribué au < seigneur
de la sagesse », ou à Mardouk usurpant les
c'est-à-dire à É-a,
épithètes d'É-a (1). Si l'on songe que E-a, dont le nom signifie
« maison de l'eau j), est, par excellence, le roi du monde aqueux,

on sera porté à rechercher si Miimmu n'est pas, comme Apsù et


Tiamat, un nom de l'eau. Nous proposons de voir dans Mwnmu un
simple développement emphatique de Mù « l'eau », développement
qui aurait pour analogie la transformation de kû c tien » en
kummu. Un autre va.(i\mummu, synonyme de rigmu voix, bruit », «.

appartiendrait à la racine dm, d'où l'hébreu ~a^~*2 vacarme, <'

trouble, etc. ». Les raisons de Jensen pour aboutir au sens de


(2)
<( forme, idée ne nous paraissent guère probantes i3 L influence
» .

du voTi-lç 7.i7[j,cç de Damascius apparaît trop dans les déductions de


cet auteur. Il faut remarquer que le philosophe néo-platonicien
donne Fidentification de Mzj'j.iç avec le monde « intelligible » ou
« intellectuel » comme étant de son cru : xj-:bv cï\j.7.'. tov v:Y;-:bv -/.ij;/:/

È7. "(jjv suoiv àp'/wv -jzapaYiiJ.îvcv.

Comme dans la doctrine de Thaïes de Milet, l'eau est à l'origine


des choses; mais cette eau est le mélange des deux principes et de
leur première émanation. C'est de ces deux principes que sortiront
les dieux.

Deuxième génération : .\x-/r, — -"^^y.:; = Lahuiii — Lahamu.


« Alors qu'aucun des dieux n'était produit, qu'aucun nom n'était
prononcé, aucun destin [^fixéj, des dieux furent créés... Lahmu et
Lahamii furent produits (V)... » De ces deux éléments, précédés
chacun du signe divin, le premier est le mâle, le second la femelle
(ordre inverse chez Damascius), comme on le voit par la grande
liste des divinités assyriennes, où Lah-ma et La-ha-ma correspon-

dent respectivement à Anu et à sa parèdre Anlum {'y La plus .

ancienne forme connue est La-ha-ma, dont Lah-ma n'est qu'un


dédoublement. Le cylindre A de Gù-de-a compare un objet du
temple au « La-ha-ma qui se tient dans ïapsà [G ". In texte

(1) Choix de textes..., p. 75, n. Contrairement à notre première hypotlit-se. nous id<în-
tilions les dififérents noms de Mummu.
(2) Le son même de mummu pourrait avoir donné lieu à une onomatopée, ]>our expri-
mer le bruit de l'eau mugissante.
(3) Mijthen und Epen, p. 302 s.

(4) Choix de textes..., p. 4-5.


(à) Cuneifonn texts..., xxiv, pi. i, 15.

(6) Thureal-Datvgin, Inscriptions de Sumer et d'Akkad, p. 169.


LES TKADITIONS 15 ABYLOMKiNNES SUR LES ORIt.INES. 301

sumérien, récemment publié par Langdon(l), établit une relation


analogue entre le La-lia-ma et Vapsù.
D'autre part, les passages similaires à celui de Gh-cU-a que nous
venons de citer, remplacent le la-ha-ma qui se tient dans Vaps/i

par dragon (usu) de Yapsii » et « le dieu serpent-pur {mus-


« le

azag) de Yapsù (2). « La première émanation du couple apsû-


tiamat représenterait donc des êtres divins à l'aspect de serpents.
Et, en effet, le mot La-ha-mu lui-même, qui ne fait que sémitiser
le sumérien la-ha-ma, s'emploiera pour une catégorie des monstres
qui suivent Tiamat (3) et formera groupe avec les ba^mu « serpents
de mer et les mtdruMù, monstres composites à tête de serpent,
»

dont on a retrouvé l'image en briques émaillées sur la porte d'Istar


à Babylone [\). Au lieu de ces masnissi/, ce sont deux la/tmu que
Nabonide place à droite et à gauche de la porte orientale du temple
qu'il rebâtit en l'honneur du dieu Sin à Harran (5). Dans les deux
cas, ce sont des taureaux sauvages qui complètent la représenta-
tion, en sorte qu'on peut reconnaître un rapport étroit entre les
musrussù et les lahmu. Le mot lahmu lui-même était devenu un
terme générique pour exprimer les monstres composites, dont les
Babyloniens peuplaient leur imagination et leurs sanctuaires. Ces
monstres sont minutieusement décrits, en même temps que les
dieux (6). Le premier en série est le lahmu de la mer (7). Il y a
analogie frappante entre sa description et l'image du mmniUn sur
les côtés de la porte d'istar.
Le couple Lahmn-Lahamu représente donc deux monstres marins,
à physionomie de serpents, issus de l'abîme primitif. Ce sont
des êtres bienfaisants. Ils se mettront du coté des dieux contre
Tiamat (8). On les place à l'entrée des temples pour qu'ils exercent
leur protection contre les ennemis (9). Dans la 8 tablptte de la
série d'incantations surpu. le dieu Lahmu est invoqué, parmi une
multitude d'autres divinités propices, pour délier les charmes 10 .

(1) Sumerian liturgical texts, p. 113, n. :{.

(2) Tburkai-Dangix, op. cit., p. 165 et 171.


(3) Choix de textes...,^. 17, etc..
['i) KoLDEWEv, Das WiederersteJiende Babylon, lig. 31 et 32.

(5) Langdon, Die neubabyl. Konigsinsclirl/'ten. p. 223.


(6) Thompson, The devils.... II, p. 147 ss.
(7) Ibid., p. 149.
(8) Choix de textes..., \>. 41 ss.

(9) Ils remplacent le sèdic et le Uimassu, les gardiens chargés d'einp-cher les démon-
hostiles d'entrer dans le temple : texte de Nabonide cité ci-dessus.
(10) Sliri)u \iii. 19 ZniMERX. op. cit., y. 42- i3).
362 REVUE BIBLIQUE.

Troisième génération : Kizzxzr^-XizMpzz ^= An-sar et Ki-sar.


« Les périodes s'augmentèrent..,, An-sar et Ki-sar furent créés en
pflus(lj... > De même que Lahmu et Lahamu, An-sar et Ki-sar
sont identifiés aTec Anu et Antum dan-s la grande liste des dieux
babyloniens (^j. Si noius voulons avoir une idée exacte de ce que
représentent le» noms à^ An-sar et de Ki-sar, il nous faut d'abord

déterminer ce que signifie l'élément commun sar. Or, le dieu


assyrien par excellence, Asur, usurpait, en tant que créateur, le

nom di An-sar et son temple, dans sa capitale, portait le titre


à E-sar-ra. C'était la reproduction d'une partie du monde qu'on
appelait également E-sar-ra ei qui avait été construite par Mardouk,
suivant la tradition babylonienne, par An-sar {^= Asour), suivant la
tradition assyrienne 3i. On n"a pas encore, à notre avis, déterminé
exactement la région représentée par YÉ-sar-ra, identifié successi-
vement a^'ec le ciel, la ferre, le monde (4). Primitivement l'idéo-
gramme sar représente le cercle (5), d'où ses valeurs symboliqu-ef^
de « totalité » et de nombre parfait (le sar = trapc; ^ 60 X 60 =
3600). La partie du monde correspondant
VÉ-sar-ra aura tm'e à
forme circulaire. Voici comment nous traduirons le passage qui en
fournit la description (6) : « Il (Mardouk) traversa les cieux, fran-
chit les espaces '7i et s'avança jusqu'à la surface de Yapsi) (8).

demeure du dieu É-a. Le seigneur mesura la structure de Yapsa, il

fonda un palais ég'al à lui, YÉ-sar-ra (le palais de VÉ-sar-ra qu'il a


construit est le (^iel), il fit habiter Anou, En-lil et É-a dans leurs
cités. » La construction de ce même palais par An-sar nous est

Choit de textes.... p. .). Le sens du mol adù est mieux rendu jiar « période
Il » ([ë&
par temps h moins précis. De même, il vaut mieux donner à rnbù sa signification
« litté-
rale « grandir, croître, s augmenter > ((ue celle de « s'écouler ".

(2) Cuneiform texts.... xxiv, pi. i, 8.

(3) Choix de textes..., p. 57 et 93.

(4) Ibid., p. 57, n. 144,

(5) Cf. Thureai -D,v!N(.o, Recherches sur l'origine de l écriture cunéiforme, 1, n"" 476
ei 489.
(6) Choir de textes..., p. 57.

(7) Le verbe hcùii a le sens de « franchir » une montagne. Ge sens est dérivé de la
signification originelle <( voir, considérer «.Le ])rocessus est le suivant : regarder un
ennemi, le dominer, et. en parlant d'un obstacle, le francliir : cf. les exemples recueillis
par Stieck, dans Bobyloniaca, II, p. 46 ss. Le mot asrâti, littéralement « les lieux •>.

nous semble avoir ici le sens plus vague d' « espaces ».

(8) L'expression mihrat apsi est la même que celle employée dans l'inscription de
Nabuchodonosor II, que nous avons citée à propos de l'apsù souterrain La^cdon. op. cit.,
p. 86). La traduction k il s'avança « pour ustamhir est plus littérale que « il se plaça
vis-à-vis ».
i
LES TRADITIONS BARYLOMENNES SUR LES ORIGINES. 3G3

conserviée daus malheureusement lacuneux (1 s II s'agit de


un récit
fonder une ville, à savoir Aéour, et un temple, qui ne peut être que
rÉ-sar-ra terrestre, dans la ville. « An-sar ouvrit sa bouche et dit;
il diti au dieu... an-dessus de Yapsu demeure d'Éa en face de
: ,

FÉ-sar-ra que j'ai bàti, moi,... au-dessous des espaces ^que j'ai] con-
solidés..., je ferai un temple, demeure de..., j'y fonderai sa ville... »
En comparant les deux descriptions, on s'aperçoit qu« les mots ont
été choisis à dessein. \.'E-mr-ra est localisé entre Vaps/'f et les
a!<?'àti, que nous avons traduit par « espaces » : ce sont les
« endroits » entre les cieux et la terre. Le palais, dont les dimen-
sions correspondent à Vapsù et où se trouvent les cités de la tnade
suprême, simplement le Ciel, mais la partie du ciel qui, à
n'est pas
l'horizon, s'appuie sur Yapsà. Sa forme circulaire lui a valu le nom
d'E-sar-ra « maison ronde » et il est très probable que le temple
d'Asour avait la même physionomie.
Le dieu An-sar, dieu de YÉ-mr-ra, n'est autre que la persoTinifica-
tion du « du ciel ». C'est par une interprétation théologique et
cercle
en traduisant brutalement sar par son sens de kissatii c totalité »
qu'on aboutit à en faire le dieu du monde céles'te. Si nous avons bien
analysé le nom dL'An-mi\ il est nécessaire que sa parèdre Ki-mr
exprime non pas c la totalité de la terre », mais la circonférence qui
entoure la terre. Or, nous relevons dans le cylindre A de Gù-de-a le
passage suivant (iv, 22) hahbar ki-sar-ra ma-ta-è que M. Tbureau-
:

Dangin tradnit(2) « Le soleil se leva de terre. « L'emploi de kï-mrra,


:

au lieu de la forme simple ki « la terre », se retrouve dans le passage


parallèle (vi, 19-20) : babhar ki-sm^nm monra-ta-è-a dingir-zu [dingir]
Nin-gié-zi-da babbar-drm ki-sa-7'a ,ina-ra-da-ra--la-r : (( Le soleil qui
se levait de terre, c est ton dieu Nin-gis-zi-da : comme le soleil il sort
de terre (3). » Il s'agit non ,pas simplement de « la terre », mais du
« cercle de la terr^ ». de l'endroit où apparaît
qu« le soleil (i). C'est là
se mêlent A/i2iar__ei__Ki-sai', l'horizon céleste et l'horizon terrestre^
Nous avons vu que le premier couple était complété par Mumnui,
fils et messager d'Apsii et de Tiamat. Le couple An-sar et Ki-sar est

complété par un messager, le dieu Ga-ga, auquel An-sar s'adressera


dans les mêmes termes c^w' Ajjsu k Mumynu 5). Il rst assez curieux

(1) Choix de textes..., p. 93.


(2j Inscriptions de Sianer el d' Akhad. p. l'ii.

(3) Ibid., p. 143.


(4) De même, dans cyl. A, \i, 3 {ibid., p. 118-14!»). le groupe nn-sar-ra représenterait
non pas « la totalité des deux ', mais u la circonlërence du ciel .

(5) Choir de textes.... p. 3i.


364 REVUK BIBl.IQUE.

que grande liste des dieux accompagne son nom d'une g-lose qui
la
le faitprononcer Art-/.*« (1). Les Babyloniens avaient une tendance à
remplacer la consonne k par un g (2). Il semble donc que la lecture
primitive était ka-ka, ce qui rend vraisemblable l'identification de ce
dieu avec le dieu Kakka, qui figure dans le nom d'un personnag'e du
pays de Hana(3). Or, il est assez remarquable que, parmi les dieux
composant l'armée levée contre Tiamat, le dieu Hani est présent aussi
bien que Gagra (i). Ce dieu Hani était certainement le dieu du pays
de Hana, qu'on écrivait aussi Hani et dont la capitale se trouvait sur
l'Euphrate, au sud de l'embouchure du Habur (5). Il existait donc
un rapport entre le dieu Ga-ga et le pays de Hani. C'est que, d'après

d'el-Amarna (6), il existait un pays de Ga-ga, voisin du pays


les lettres

de ïlani-galhat (nom générique de toute la région à laquelle- apparte-


nait le pays de Hani) (7). De même que le dieu Hani régnait sur
Hani-galhat., le dieu Ga-ga régnait sur le pays de Ga-ga. L'identifica-
tion de Hani-galhat avec la Mélitène permet de chercher le pays de
Ga-ga dans le voisinage de cette région (8 On a déjà proposé (9) de .

voir dans ce pays un prototype du nom de :i:, prince de iM^i [Ezech.

xxxviii et xxxix). En réalité, ;ii'2 correspond à mât Ga-ga, <( le pays


de Ga-ga », tandis que :ia est le dieu Ga-ga lui-même, dont le nom
est appliqué au prince du pays. La présence de cet étranger dans le
poème de la création ne doit pas trop nous surprendre. Quand on eut
confondu le dieu An-mr et le dieu Ahir, ce dernier put amener son
personnel avec lui. Or, on sait que les fondateurs de la ville à'Asur
furent des personnages du pays de Mitanni (10). Si l'oiï considère que
le nom de IJani-galbat s*employait pour signifier la population du
Mitanni, l'un des dieux de cette contrée, à savoir le dieu Ga-ga, put
s'introduire dans le panthéon assyrien. Lorsque Asour remplacera

Mardouk à la tête de l'armée qui marchera contre Tiamat, il aura


pour auxiliaires les dieux Ga-ga et Ua-ni, qui représenteront leurs

(1) Cuneiform texts..., XXIV. pi. i, 32.

(2 On disait (/asid pour kasid, gali pour liali, Ewjklu pour En/ndu. galunium ])our
halumum, masgan pour mashan, etc..
(3) Ungnad, dans Orientallslische Literattir-Zeitung, 191î, 151 s.
(4) Dans la description faite par Sennachérib Meissner-Rost, Die Hauinschrifte»
Sanheribs, taf. .XVI), 1. 27 et 28.
{h) Meyer, Geschichte des Altcrtums vl" éd.), i, 2, p. ôio s.

(*)) Knudtzon, El-Amarna Taffln, n" I, 1. 38.


(7) "Weber, ibid., p. 1015.
(8) Ibid.

(9) Cf. le dictionnaire de Gesenius-Buul, s. v. ;i"ia.

(10) Cf. Les origines babyloniennes, p. 50 s. {Conférences de Saint-Etienne, 1909-191U).


I.ES TRADITIONS BABYLONIEiNNES SIR l,ES ORIGINES. aOli

pays respectifs. On ne les verra que très rarement apparaître dans


la littérature magique il). D'ailleurs, la théologie
religieuse ou
babylonienne, qui identifiait An-sa/- avec Anu, identifia le messager
Ga-ga avec Xia-kibiir ou Il-abrat, qui était le messager àWnu
d'après la tradition (2).

Quatrième génération Av:; l/./.-.vcç A:r :Anu —


Enlil — = — —
Le, passage qui raconte la naissance de ces trois dieux est mal-
Kfi.

heureusement mutilé. On y voit pourtant apparaître Anu et Éa, ce


dernier sous forme idéographique NU-D IM-MUD, qui était le nom
la

d'Éa en tant que dieu de la création (3). Il n'y a aucune raison de


suspecter la fidélité de la tradition reproduite par Damascius. Le texte
l)abylonien présente Ami comme « leur fils », c'est-à-dire comme
le fils à'An-sar de Ki-mr, qui viennent d'être mentionnés. Dans la
et

suite du récit, Éa se rendra vev^An-sar, « le père qui l'a engendré [k] ».


Lorsque Mardouk fonde le palais de VÉ-mr-ra, il y fait habiter
« Aniu KnIiJ et Ea dans leurs cités ^^5) ». Ces trois dieux sont donc

[tarfaîteiuent associés. Ils sont les premières


grandes personnalités
du panthéui babylonien qui se détachent sur le fond nébuleux des
généraliniis primitives. Si nous avons dû procéder à une minutieuse
analyse pour pénétrer plus ou moins approximativement la nature
(les couples Apsû-Tiamat, Lahmu-Lahamu, An-mr et Ki-mr, nous

sommes dispensés de ce soin pour la triade Anu-Enlil-Éa. Chacun


de ces trois seigneurs du monde a son domaine nettement défini :

le ciel appartient à Anou. la terre à Enlil, l'apsou à Éa (6). Il faut

noter"q"îîe,' depuis le temps oîi l'eau primordiale constituait le seul

élément, il sest écoulé des périodes pendant lesquelles s'est dessiné


un principe de distinction. Une triple zone apparaît autour de ce
({ui sera la terre, à savoir le cercle du ciel {An-sar), le cercle de

la terre [Ki-iar], et le cercle de Yapsù qui a servi de modèle et de


mesure aux deux autres. Avant donc l'organisation des cieux et de la
terre, les trois dieux suprêmes ont chacun leur domaine circonscrit.
C'est à ces trois dieux qu'il appartenait d'organiser le monde et ce

(1, l,e dieu Ca-ga ligure dans une série de dieux étrangers {surpu vm, 1. 15 . Le dieu
/Aa-«i semble faire partie des dieux infernaux {surpuU, 1. 175).

(2) Sur Il-abrat messager d'Anou. Choix de textes..., p. 153. Identité avec Nin-xubur :'
Revue d'Assyriologie, XI, p. 148, I. 2:> avec Ga-ga, Cunciform tests..., X.XIV. pi. 20,
:

1. 21.

(3) Choir de textes..., p. 7.

(4) Ibid., p. 21.

(5) Ibid., p. r>7.

(6i La religion assijro-babijlonienne, p. 66 ss.


366 REVUE BIBLIQUE.

û'est que par une usurpation que Mardouk, grâce à l'influence ties
sacerdoces de Babylone, devint le seul démiurge. En ce qui concerne

la création de l'iiumanité, un texte, provenant de Nippour el récem-


meui édité par iM. Pœbol (1),. est déjà formel à cet égard. Ce texte,

rédigé en sumérien, attribue non seulement la création des « noirs


de tête » (c'est-à-dire « les humains »), mais encore celle des animaux
à An {= Ami), Kn-lil et E?i-ki[^= Éa), en, adjoigjaant à ce dernier
sa compagne Nin-har-sag Nous aurons l'occasion de revenir sur
.

cette tradition quand nous étudierons l'origine de Thonmie. En ce


moment, il s'agit de voir l'œuvre créatrice de la triade babylonienne
dès la formation du monde. Une sorte de prologue au grand ouvrage
sur l'astrologie chaldéenne (2) spécifie que les premiers créateurs
des astres sont bien nos trois dieux : « Lorsque les dieux grands,
Anou, Enlil et Eoki (:= Éa), en leur conseil, firent les figures, des
' -

cieux et de la terre, etc. »

Ces figures («^«^-«(J) des ei«ux et de la tei-rç; sont les constellations^


NSfi' seulement elles ont été faites parla triade suprême, c'est encore
à celle-ci qu'il appartient de les répartir entre le jour et la nuit.
Le beau poème sur l'exaltation d'istar, auquel nous avons déjà fait

allusion, insiste sur cette idée (3) : u Dans les éternels fondements
du ciel et de la ferre,, dans les immuables figures iusuràt) des dieux,
au commencemeut, Anou, Enlil et Éa ont fait des parts pour les :

deux dieux, l^s veilleurs du ciel et de la terre, qui ouvrent la porte


d'Anou, pour Sin et Samas il y eut deux parts égales, le jour et la
nuit; de la base au sommet du ciel ils ont fait connaître leurs mesures
du temps ». Nous verrons (|ue ce crand «l'uvre sera accaparé par
Mâi^ojlilwl^^aiiT remarquer ([ue Ve texte est originaice d'Érecli (V)
et a échappé ainsi aux remaniements des dévots de Alardouk. De

même, le texte de Pœbel, (^ui laissait à la triade la création des


n'émane pas de Babylone, mais de Nippour (5). L'école
êtres animés,
babylonienne s'est chargée de le rectifi.er dans le sens national. Mais,
même à Babylone, le souvenir de l'activité créatrice d'Anou, d'Enlil
et d'Éa, chacun dans sa sphère, survivait malgré tout. Dans un
rituel qui provient de Babylone, on lit le passage suivant 6) :

« Lorscpie Anou créa les cieux, que Éa (écrit NU-DIM-MUD comme

{l) Historical texts, p. 17. Cf. RB., 1916, p. 260.


(2) Texte en sumérieo, suivi d'une traduction assyrienne, dans Virolliomu, L'asti oloqie
Chaldéenne, Sin, i, 1.

(3) Revue d'Assyriologie, XI, p. 151.


(4) Ibid., p. 141 s.

{ô)PoEiEL,' Historical texts, p. 9.

(6) Weissbach, Babylonische Miszellen, p. 32 ss.


(.ES TRADITIONS BARYLOiNJeNNES SUR LES ORIGINES. 367

€i-dessus) créa lapsti sa demeure » ; suit la création, par Ea, des


matériaux et des dieux, ai^chitectes ou artisans, <|ui serviront à la
confection du monde. La terre avait été créée par Knlil. On l'appelait,
pour cette raison, brl métâùi « seigneur des pays, (l) », de même
f qu'Anou était « roi des cieux 2, et Éa « roi de Vai[3s^> (3) ». Sa
i ;>

demeure était le sol, qaqqaru, qu'on employait pour signifier « la


terre », par opposition aux cieux et hYa^sû (4). Quand le héros du
déluge va s'embarquer, il s'exprime en ces termes « Je ne mettrai :

j^lus ma face sur le sol t/aqqar) d'Enlil, mais je descendrai à Yapsù,

j'habiterai avec mon maître Éa (5) » Cest par une véritable abdication .

que les trois grands dieux déposeut leurs pouvoirs créateurs entre
les mains de Mardouk. Le dieu Éa. dont nous verrons l'action per-
sonnelle dans la création de l'humanité, gardera ses titres; de « créa-
teur de tout », « auteur des gens », « aiuteur de tout l'ensemble (6) »,
mais il donnera à Mardouk son propre nom « Que lui, comme moi, :

s'appelle Éa T) » Enlil cédera de même son titre de « seigneur des


( !

pays », précisément « parce qu'il a créé le ciel et fait la terre (8) ».


Enfin Anou, dont le verbe amène les êtres à l'existeaice, n'késite pas
à donner la même efficacité à la parole de MardouJv, qui expéri-
mentera, devant les dieux réunis, cette faculté de faire sortir les
choses du. néant ou de les y faire rentrer (9\
On voit, par ce qui précède, que la théogonie primitive pouvait
s'arrêter à la triade suprême. La naissance des autres dieux n'est
plus contée. Chaque culte local rattachait son dieu à l'un de ceux
cjii'on appelait « père des dieux », roi des Anunnaki (dieux de la

terre ou des I(/(gi \dieux du cieli. Même le dieu des enfers, Xergal,
était considéré comme lils d'Enlil 10). Les divinités astrales n'hési-
taient pas à s'affilier aussi à l'un ou à l'autre des coryphées du panthéon
babylonien. Le dieu-lune, Sin, sous ses noms d"EN-Zr ou de Nannar,

(1) La religion a&syro- babylonien ne, p. 11.


[2] HiNKE, .1 new boundary stone..., p. 53.

(3) La 7-eligion assijro-babylonienne, p. 74.


(4) Opposition entre le ciel {samàmu) et le sol (qaqqaru) dans les textes cités par .Mlss-
Araolt, HcindwarterOuch, p. 925.

(5) Choix de textes..., p. 105.

(6) Hi.N'KE, op. cit., p. 53. L'épithéte pdtù/u hal giniri n auteur de tout l'ensemble est
ai)pliquée à (ilu) Nin-igi-azag, c'est-à-dire Éa, dans une inscription de Sari:on (W wcRi-En-
ÂBEL, II, pi. 49, 3 B).
(7) Choix de textes..., p. 79.

(8) Ibid., p. 79.

(9) Ibid., p. 43 s.

(lOi Nergal est appelé " premier-né de .\a-nam-nir ». cest-à-dire d'En-lil dans Kmc.
Babylonian magie and sorcery, n" 27.
:i68 REVUE BIBLIQUE.

était invoqué par les plus anciens textes comme fils d'Enlil il]. La

planète Vénus, Istar du soir, était d'Anou (2). Comme étoile fille

du matin et sœur du dieu-soleil, Samas, elle était fille de Sin et,


par lui, se rattachait à Enlil (3). Quant à Éa, il donnerait le jour
au plus glorieux des dieux de Babylone et d'Assyrie, au dieu Mar-
douk.

(iin(|uième génération Acç — — Wrj^zz = Éa — Damkioa


: \y:r/:r,

— Bel 1^= Mardouk,. Nous arrivons enfin à celui qui sera démiurge. le

Son père — sur ce point


et tradition religieuse n'a jamais varié
la

— de Vapsù,
est le roi dieu Éa. Celui-ci avait pour déesse parèdre
le

Damkina, que Daniascius prononce Aaj/.r,, comme il prononçait Tauôî


pour Tiamat; car, chez les Babyloniens, les consonnes m et v:
s'interchangeaient. D'après une inscription à'Agiim-kakrime, Éa et
Damkina habitent le vaste apsu (V C'est là qu'ils donnent naissance .

à leur fils premier-né, Mardouk, qui s'appellera tantôt aplu rêUù


sa iilu)É-a « fils premier-né d'Éa », tantôt aplu rf'stù sa apsî « fils
premier-né de Y apsu (5) ». Nous n'insisterons pas sur les divers
caractères de ce dieu iMardouk ô;. Kt pourtant, il y aurait à recher-
cher son sens initial, pour expliquer le rôle qu'il jouera dans la
création. à déterminer le concept de
Quand nous avons cherché
Vapsà, nous avons constaté que sa source se trouvait à l'est, près

d'une montagne qu'on appelait la grande montagne, la montagne


de la source. L'inscription à! Agum-kakrime, qui est d'une théologie
très scrupuleuse, décerne à Mardouk, aussi bien qu'à Éa, le titre de
brl naqbi « seigneur de la source 7i ». Le lieu de la naissance de
Mardouk n'est pas Vapsù en général, mais la source de Vapsû. En
e'ê' point, se rencontrent la demeure d'Éa, la demeure d'Enlil, c'est-à-

dire la grande montagne, avec laquelle on l'identifiait (8) et où il

tenait en réserve les ouragans, les cyclones, le déluge (9); enfin, la


demeure d'Anou sur terre, à savoir « le fondement des cieux ». C'est
de ce point, où chaque année les dieux se rassemblent, dans la
chambre dul-azag, que le soleil se lève, tous les matins, pour dissiper

(1) Jastrow, Bie Religion Babyloniens vnd Assyriens, I, p. 230.



(2) La religion (lasyro-baby Ionienne, p. 85 ss.

(3) Ibid.
(M Keilinschriftliche Bibliothek, m. 1, p. 150-151.
(5) Citations dans Mcss-Arnolt, op. cit.-\}. 989,
s. v. restù.

(6) Cf. La religion assyro-babylonienne, p.


95 ss.
(7) Keilinschriftliche Bibliolheh, m, 1. p. 1.50-151.

(8) La religion assyro-babylonienne, p. 72.

(9) Git-de-a, cyl. A, xi, 20 ss. Cf. Déluge, 1. 97 ss.


LES TRADITIONS BABYLONIENNES SI M LES OKIGINES. 369

les ténèbres et traverser les cieux (1). Mardouk n'rtait pas le soleil.
La personnalité très accusée de Samas symbolisait l'astre du jour.
Mais le nom de Mardouk, AMAR-L't), voulait dire c rejeton du jour ».

Une des épithètes qui de préférence est celle de


lui est adressée
Lugal-dul-azag « roi du dul-azag (2) » ou encore, par un jeu de
mots sur son nom, Mdr-did-azag (lu Mdr-dù-kù) « enfant du dul-
azag (3) >K II existait donc un certain rapport entre le dieu Mardouk
et le soleil lovant. Or, le plus ancien des noms de Mardouk, à savoir
Asa(r]-n, estexpliqué par nu-ur-i-l'i = nt'n^-ilr « lumière des dieux (4) ».
C'est sous le titre lumière des dieux ses pères » que Mardouk
de «

est invoqué dans une inscription de Nabopolassar et dans une ins-


cription de Ncriglissar (5). Ses pères, ce sont les dieux des origines,
ceux qui se réunissent pour investir Mardouk du pouvoir de lutter
contre Tiamat « En tète de ses pères il prit place comme souverain (6)
: >

Ce sont eux qui applaudissent au triomphe « Ses pères le virent, :

ils se réjouirent, ils furent joyeux (7) ». Plus particulièrement son

père est le dieu Éa. Or, dans la litanie qui explique les cinquante
noms_de^Iardouk, le troisième nom est expliqué par « lumière du
père qui Ta engendré (8) ». Si Ton songe que l'épouse du dieu n'est
généralement qu'un dédoublement de son époux, on n'aura pas de
peine à retrouver la vraie nature de Mardouk dans le nom de sa
parèdre Sarpanitii u l'argentée », qui est aussi une déesse de la
lumière et peut prendre lépitbète de « dame de Vaps/i (9) », Le
temple qu'ils habitent tous deux s'appellera É-ud-dù maison du «.

l)eau jour (10) ».


Cette lumière, qui sort de Vapsi) ou du dul-azag, qui apparaît à
l'Orient pour éclairer non seulement les dieux, mais encore les

(1) Cf. sup.


(2) que Mardouk joue le rùlo de créateur dans la Cosmogonie chal-
C'est sous ce titre
dëenne [Choix de textes..., p. 84 ss.
(o) KiNG, Babylonian marjic..., n' '.K 31. Le mot sumérien fZ(// avait la valeur rf?/ et

l'adjectif a^ajf la valeur ku.

(4) C'est sous la forme Asari que Mardouk a|iparait dans les textes archaïques : cl.
FoKTscii, Mittheilungen der vorderas. Gesellcftaft, 191'(, t, p. 50 et p. 83. Lire nùr ih-
et non pas nùr NINI dans Meissner, Seltene ussyrische Idéogramme, n- 557.
f5) L\i\GDO\, Xeubabylonische Konigsinschriften, p. (30-61 et p. 214-215.
(6j Choix de textes..., p. 42-43. Le sens de maijaris est plutôt « en avant, en tête « que
« en présence ».

(7) Ibid., p. 56-57.

(8) Ibid., p. 68-69.


(9) C'est le sens de son équivalence idéojiiaphiqueNIX-ZU-AB,
(10) Lire du beau » au lieu de UL, dans le nom de temple K-UD-UL. Ce temple est
•<

liabité par Mardouk et Sarpanit cf. Ili:fi.\. Hijmnen mid Gebete an Marduk,
:
n" ïhv
1. 1 et 14.

REVUE BIlit.lQlE 1919. — N. S.. T. XM. 24


370 KKVLE BIBLIQUE.

hommes, c'est la lumière de Faurore (1;. Elle brille d'abord à l'hori-


zon, pour envahir bientôt le ciel et la terre. Elle sort de l'océan qui
entoure le monde et c'est ainsi que nous la décrit Homère : r,p'.-;i^n:y.

-xp' 'Qxîavoïo poioiv [Odijss., xxii, 197). L'apparition de l'aurore aux


confins du ciel a pour effet de faire disparaître les méchants dont la
nuit est le domaine. Dieu insiste sur ce point quand il dit à .I<»1)

(xxxviii, 12 ss.) : « As-tu, de ton temps, commandé au matin, as-tu


fait connaître sa place à l'aurore, elle qui saisit les franges de la terre
et en secoue les méchants? » C'est ainsi que Mardouk, dieu de lar
lumière du matin, sera celui qui par son regard renverse les<

forts (2) ». Son œil, par lequel il voit toutes choses (3 , c'est l'œil de
l'aurore qui dissipe les ombres de la nuit « Qu'elle la nuit) attende :

la lumière, mais en vain, et qu'elle ne voie pas les paupières de

l'aurore? » [Job, m, 9). En parlant du crocodile on dira : « Ses yeux


sont comme les paupières de l'aurore » [ihid. xli, lOi. Les Babylo-
niens distinguaient parfaitement la lumière qui brille le matin et qu'on
appelait UD-ZAL, uddazalli) « aube », « clarté •>, d'avec le jour lui-
même. Le début du jour n'était pas le moment où le soleil se lève.
Pour marquer qu'il commençait à faire clair, on disait Lorsque : <

brilla quelque chose du matin Y) » A ce moment, les êtres recom- '


.

mencent à exister. Le dieu de la lumière semble, chaque jour, les créer


de nouveau. L'expression banii u créer » (~;2, voulait dire aussi
« éclairer, briller » et l'on a souvent de la peine à reconnaître à
laquelle des deux significations on doit recourir. Le verbe apû (ns"')

« être brillant» avait comme causatif la double forme sûpù eïmtapn,


dont le sens était « rendre brillant » ou « faire exister, produire,
créer »

Rien d'étonnant si Mardouk, dieu de la lumière, est devenu le dieu


créateur, le démiurge. Chez les Hébreux, la création commence par
le : Fiat lu.r 1 Puisque, d'autre part, le poène babylonien fait abstrac-
tion de l'œuvre d'Anou, d'Enlil et d'Éa, nous trouverons Mardouk
en présence du chaos initial représenté par Tiamat, celle-ci étant la
mer surexcitée. La mer, qui a « la nuée pour son vêtement et la
nue pour ses langes (5) », est une puissance de ténèbres. Ses auxi-

(1) C'est peut-être une allusion à l'aurore ^r\Xj, 'Ji'i se retrouve dans l'un des noms de

Mardouk, Ishuru 'Meissner, op. cit., n° ô57). A côté de îièru (= inu?) " naatin », on
conservait le synonyme sehiru (Delitzsch, Ass. Handuorterbuch p. 635, s. v. sérii). La
,

forme ishuru aurait gardé la gutturale primitive.


(2) Hehn, op. cit.-, n° ïxv, 1. 12.
{2,)Ibid., L 19.
(4) Choix de textes..., p. 210-211 ; 216-217.
(5"j .Job, xxxviii, 9.
Lb'S TI'.AniTIONS BABYLONIENNES SLR LES ORIGINES. 371

liaires -x maudissent le jour(l », tout comme ceux qui sont prêts à


réveillei' Léviathan dans la malédiction de Job (iii, 8). La lutte entre
Mardouk et Tiamat pourrait être envisagée comme le triomphe de
la lumière sur la nuit. iMais nous verrons que, dans ce combat, Mar-
douk a pris la place du dieu Enlil, qui n'est pas seulement le dieu
du sol, mais aussi le dieu du vent, comme l'indique son nom (2).

C'est pourquoi Mardouk, avant même de percer son adversaire de


ses flèches, fera pénétrer en sa bouche << le vent mauvais » qui doit
la gonfler 3). C'est pourquoi aussi, dès qu'il se présente pour relever
le défi de Tiamat, Mardouk n'est pas appelé par son propre nom,
mais simplement par son titre de Bf'hi « Seigneur [ï) », qui était
la traduction courante du nom d'En-lil. Celui-ci a disparu de la scène.
Seuls Anou et Éa se sont présentés pour lutter : « J'ai envoyé Anou,
il n'a pas eu la force de l'aborder; Éa fut effrayé et retourna en
arrière (o). » Enlil, dieu de la force, dieu des armes, lui qui tient en
main Vabiibii (G), c'est-à-dire le déluge ou l'ouragan, Enlil était tout
désigné pour prendre la tête de l'armée qui marchera contre l'armée
de Tiamat. C'est Mardouk qui usurpe sa place, en même temps que
son nom. On voit combien était précise la source de Damascius, qui
présentele démiurge, fils d'Éa et de Damkina, sous son nom de

Br/;"/.;;, Bèlu « La faveur de Mardouk est le résultat


le Seigneur ».

d'une triple usurpation, dès du monde, et l'on pourra


les origines
lui chanter « Tu portes la dignité d'Anou iAn/Hu), la dignité d'Enlil
:

[Enlillùtu], la dignité d'Éa [NIN-IGI-AZAG-tu) il) ». Nous devons


donc oublier l'œuvre de la triade suprême, pour nous attacher à
celle de Bêl-Mardouk; nous n'aurons qu'à suivre son triomphe sur le
chaos et son organisation du monde.

[A suivre.)
P. DflORME.
Jérusalem. 22 juillet 1919.

(1) Choix de textes..., p. 15 etc..


(2) En-lil = bel sàri a seigneur du vent ;> ou bel zaqiqi « seigneur de l'ouragan ".

La belle description du dieu Bel insiste sur son caractère de vent et de tempête {Choix d<-
textes..., p. 347).

(3) Ibid., p. 53.

(4) Ibid., p. 29 ss.


(5) ^bid., p. 35.

6} La rvligian assyro-bab y Ionienne, p. 71.


(7) Hehn, op. cit., n" l, 1. 3.

/
RETOUCHES LUCIANIQUES
SUR QUELQUES TEXTCS DE LA VIEILLE VERSION LATINE
I et II SAMUEL).

Nul n'iiiiiore l'intéi'êt que présente pour la critique du texte grec


des LXX le vieux texte latin, c'est-à-dire la version antérieure à celle
de saint Jérôme. Cette version fut faite sur les LXX probablement
dès le II" siècle et elle représente une forme de ce texte, antérieure
à Origène et aux revisions du iv' siècle.
De là vient son importance i).
Au m*' siècle, Origène remania profondément le texte biblique
courant et notamment le coinplrla en introduisant sous astériques
des mots et des versets qu'il lisait dans l'Hébreu et que les LXX ne
comportaient pas.
Un demi-siècle plus tard, tandis que la recension d'Origène com-
mençait à se répandre grâce à l'édition qu en donnèrent Eusèbe et
Pamphyle, Lucien d'Antioche se livra à son tour à une correction
du texte des LXX; et vers la même époque, à Alexandrie, Hésychius
entreprit, lui aussi, de remanier son texte grec.
Pour ne rien dire de cette dernière revision qui nous est beaucoup
moins connue, les deux premières, au moins, celles d'Origène et de
Lucien apportaient au texte courant des changements notables et
elles eurent dans les milieux grecs un tel succès que nous ne possédons
pour ainsi dire plus de manuscrits grecs nous ayant conservé la
pliysionomie primitive des LXX ; tous présentent un texte grec plus
ou moins complété, corrigé, mélangé.
Retrouver ce texte grec antérieur au ui' siècle, c'est là un des
problèmes les plus délicats et les plus complexes que la critique
textuelle ait jamais eu à résoudre. Pour y arriver, on fait fonds

(1) II. Barclay Sweii;, Introduction lo tlic old Testament in Greek, Cambridge, 1H02,
pp. 'J2-93.
RETOUCHES F,UCIANIQUES. 373

notamment sur l'étude des versions anciennes, surtout sur la Vieille


Latine.
A priori on peut supposer que rOccident latin qui avait son texte
biblique très répandu bien avant le iv" siècle, et qui n'était sous
l'influence directe ni d'Antioche, ni d'Alexandrie a dû échapper aux
corrections que subirent les mss. grecs. Et, de fait, dans plusieurs
livres de l'AncienTestament où Ton a pu faire la comparaison, comme
pour les Prophètes et Job (1), on a constaté que les passages ajoutés
par Origène et mis par lui sous astériques ne se retrouvaient pas
dans la vieille version latine, celle-ci semble donc avoir conservé
son aspect original.
Mais, d'autre part, il de Lucien d'Antioche
existe entre la recension
et certains textes latins antérieurs à saint Jérôme de curieuses affi-
nités et des coïncidences multiples qui ont déjà été remarquées depuis
longtemps (2). On en relève même dans les citations de Pères du
m siècle, comme saint Cyprien, Tertullien, sur lesquels la recension
de. Lucien ne peut évidemment avoir eu aucune influence (3). Rahlfs
signale aussi certaines variantes des livres de Samuel où Lucien est

d'accord avec l'historien Josèphe [ï]. La seule explication plausible


du phénomène consiste à admettre que, dans ce cas, la recension
d'Antioche, bien que datant du iv^ siècle, a conservé d'anciennes
leçons qui se sont maintenues dans des textes latins africains et cela
bien que nous ne les trouvions plus dans nos plus anciens mss. grecs.
Cette hypothèse s'impose d'autant plus qu'elle nous est également
suggérée de façon indépendante par certains textes coptes. La version
copte-sahidique nous a, en efi'et, conservé pour le livre de Job, un
texte préhexaplaire qui doit refléter assez fidèlement la physio-
nomie du texte des LXX avant Origène. En supposant provisoirement
que le texte préhexaplaire des LXX nous ait été gardé relativement
pur dans la version sahidique de Job et en comparant cette dernière
avec la recension lucianique représentée parle cod. A, nous arrivons
à ce résultat que dans une quarantaine de cas, Lucien a conservé
une leçon ancienne qui ne se lit plus dans le texte vulgaire de Job,

(1) BuRKiTT, The Rules of Tijconius ^Texts and Sludies, tome III), Cambridge, 1895,
pp. cxvi svv. et The old Latin and the Ilala (Tests and Studies, tome IV). ainbridge, (

1896, pp. 8 et 32 svv.


(2) Blhkitt, The Rules of Ttjconius, loc. cit.

(3) P. Cai'ellic, Le texte du Psautier latin en Afrique [Collectanea Biblica Latina,


tome IV), Home, Pustet, 1913, p. 204.
(4) A. Raiii.fs, Luciam Rezension der Kônigsbiicher {Septuaginta-Studien. 3 Hefl',
G.Htingue, lOU, p. 92.
37i REVUE BIBLIQUE.

représenté par les mss. onciaux B. S et la masse des minuscules 1 .

Étant donné ce phénomène incontestable, on pourrait naturelle-


ment être encMn à considérer les leçons qui se lisent à la fois dans
des textes latins non hiéronymiens et dans la recension de Lucien
comme devant s'expliquer de la même façon, à savoir, qu elles déri-
veraient d'un archétype sTec actuellement perdu et qui aurait servi
de base à la version latine et à la revision de Lucien.
Mais cette explication cjui s'impose lorsqu'il s'agit de textes bien
repérés, comme sont les citations de saint (^ prien. devient beaucoup
plus hypothétique lorsque nous sommes en présence de textes de mss.
car d'autres hypothèses sont alors possibles : C'est que le texi;e latin
primitivement prélucianique ait été dans la suite revu d'après un
texte lucianiquo. ou bien plus simplement encenre que ce texte latin
bien quindépen-dant de saint Jérôme ne soit qu'une nouvelle traduc-

tion faiteau iv' siècle sur un ms. grec de la recension lucianique.


De plus, le résultat constaté pour un livre n'entraîne aucune
conclusion nécessaire pour le livre voisin. " Il est vraisemblable, dit
« M. Burkitt, que la bible bas-africaine, la bible de l'Afrique chré-

« tienne après le temps de saint Augustin, était chose composite

« revisée pour certains livres plus que pour d'autres et pour quel-

" ques-uns pas du tout. >

M. P. CapcUe. auquel nous empruntons cette citation, a constaté


que les Psaumes avaient subi vers 350 une revision assez profonde (2).
Cette revision s'est-elle étendue à d'autres livres et a-t-elle été faite
d'après les mêmes principes, c'est ce qu'il serait difficile de décider à
priori.
Il y a donc lieu d'examiner non seulement pour chaque livre de
l'Ancien Testament, mais aussi à propos de chaque ms. ou fragment
de la \ioille version latine cjuelles sont les conditions dans lesquelles
se présente le texte et quelle est l'explication la plus vraisemblable
des variantes qui s'y rencontrent.
C'est ce que nous proposons de faire pour quelques testes latins
des livres de Samuel en nous limitant à l'étude des leçons lucianiques
que nous y trouvons.

Nous doim.ons tout d'abord le relev»- des documents qui nous ont
conservé, pour ces livres, le texte de la version latine préhiérony-
mienne.

(1) Voir notre étude Le texte de Job du Codex Alexandrinv.s


: et ses principaux
témoins dans le Muséon. ir)12. pji. 223-27'i.
(2] Op. cit.. pp. 85 et 117-119.
RETOUCHES I.UCIAMQUES. 375

1. P. Sabatier, Bibliorum sacroruni Latinae versiones antiquae,


Paris, 1751, a rassemblé les citations des Pères latins et les textes de
manuscrits connus avant lui.

2. C. Vercellone, Variae lectiones Vidgalae Latinae, Home, i86i,


publie dans son tome II, à la fin de chaque chapitre, des extraits
considérables empruntés à la marge d'un ms. gothique de Saint-
Isidore de Léon en Espagne.
3. Les fragments de Quedlixbourg et de Magdebourg comprenant :

i Samuel, ch. ix, 1-8; ch. xv. 10-18. II Samuel, ch. ii. 29-iii 5. —
Les deux premiers furent publiés par Schum, Theologische Studien
und Cintiken, 1876, pp. 123 sv. et tous les trois par Weissbrodt, Index
Lectionuni Bruïubergensis, 1887, p. 11 sv. Ils appartiennent vraisem-
blablement au même ms.
\. Veteris anlehieronymianae versionis H Regnorwn cap. X,
libri

J8-XI, f 7 et cap. XIV, 17-30 fragmenta Vindobonensia (éd. Haupt),


Vienne, 1877.
."). .ht. Belsheim, Palimpscstus Vindobonensk, Christiania, 1885.
Ce palimpseste contient pour les livres de Samuel :

1 Sam. ch. i, li — n, —
15; ch. m. 10 iv. 18: ch. vi, 3 — vi, 15;
ch. IX, 21. 13; ch. xiv, 12-3i.
XI,
11 Sam. ch. iv, 10 — 25; cb. x, 13 —
v, xi, 18; ch, xiii, 13 — xiv, \\

ch. XVII, 12 — 9 xviii, (1 .

Parmi les citations parfois très abondantes de Pères et d'écrivains


latins qui ont utilisé la version latine préhiéronymienne, il est pro-

fondément regrettable que nous n'ayons, pour les livres de Samuel,


presque rien de S, Gyprien, car le texte qu'il cite est généralement
ferme, bien cohérent et il est probable que cétait le texte courant à

Carthage vers le milieu du iir siècle. C'eût été le point de départ tout
indiqué pour une étude comparative. De plus, les quelques versets
qui nous sont parvenus ne sont pas parmi les plus caractéristiques.
Les citations de Tertullien ne sont pas plus nombreuses et sont
beaucoup plus libres ; et nous devons descendre jusqu'à S. Augustin et
Lucifer de Cagliaripour trouver des points d'appui un peu consistants.

(1) Cf. p. CORSSEN, Bericht iiber die lateinisc/ien Bibelubevsetzuncjen dans le Jahres-

bericht iiber die Fortschritte der\classisc/ien Altertumswissenschaff, 1899, pp. 42-43.


376 lŒVUE BIBLIQUE.

Les copieux extraits de la Vieille Latine que nous lisons dans les
œuvres de Lucifer de Cagliari méritent de retenir particulièrement
notre attention.
Relégué en Orient par l'empereur Constance, il lui adressa durant
son exil (35G 361) toute une série d'écrits où il cite abondamment
les livres de Samuel et des Rois, et on peut relever dans ces citations
de nombreux points de contact avec Lucien.
Rahifs a examiné cinq séries de citations des Rois puisées dans les
divers ouvrages de Lucifer et conclut son analyse en disant Lucifer : <'

bertihrt sich in allen fûnf zitaten mit L. und nur die Stiirke der Beriili-
rung- ist in den einzelnen Fallen verschieden » (L).
Le savant critique se demande si nous avons en l'occurrence, chez
Lucifer, un texte lucianique avant la lettre, antérieur à la re vision de
l'illustre martyr et estime que cela n'est pas du tout certain, mais
qu'au contraire le texte de Lucifer peut avoir été retouché et corrigé
d'après Lucien. En effet, dit-il, les relations étaient actives entre les
différentes provinces de l'empire, Lucifer écrivait à peu près 4-5 ans
après la mort de Lucien dont l'œuvre avait du reste pu entrer en
circulation déjà de son vivant. Il aurait également pu faire remar-
quer que Lucifer avait pu subir d'autant plus facilement l'influence
de la recension d'Antiochc qu'il avait passé plusieurs années dans
l'Asie Mineure où cette recension avait supplanté laocien texte.
Nous estimons avoir pour les citations de Samuel des raisons déci-
sives de considérer le texte de Lucifer non comme primitif mais
comme remanié d'après Lucien.
Voici tout d'abord la liste des principales leçons lucianiques qu'on
lit dans les œuvres de Tèvêque de Cagliari, nous verrons ensuite
quelle conclusion s'en dégage (2).

(1) Op. cit., p. 151 suiv.

(2) Nous citons Lucifer d'après le texte de l'édition de G. Hartel dans le Corpus de
Vienne, t. XIV.
Pour retrouver les passages des divers traités auxquels sont empruntés <es textes, il

sufflra de consulter l'index des citations bibliques qui se trouve à la fin du t. XIV.
pp. 334-335.
Le texte grec qui suit immédiatement le lalin est la leçon lucianique que nous retrou-

vons dans le groupe de minuscules bien connu 19, 82, 93, 108 de l'apparatus criticus
de Holmes et Parsons; parfois ces leçons sont appuyées par Théodoret ou Cbrysostome.
Après le trait, on a le texte de la masse des mss. autres que le groupe lucianique, nous
désignons cette autre forme de texte par le sigle G.
RETOUCHES LUCIAMQUES. 377

I Samuel. Ch. II. 28. tribubus] = -fuÀwv 19. 82, 93, 108. — axr)::Tpo)v G.
ibkl. et nunc non est sic] = xa: vjv ou/ ojt'oc 19. 82, 93. 108, 158, Théodorer
(nisi ouTw). — ora. ou-/_ out'ocG.
30. qui spernit me ad nihilum redigetur] oi H;oj9£vojvT:tc [ah £^ouOsvwOr,7ov:at 19,

93, 108, Théodore!, 82 (nisi — — ^^ojOsvwv


s?ouo-:v ) o ;j.£ aT'.;j.'.)ôr)asTa'. G.
31. et ecce] = /.a-, tôou 82, 93, 108, 247. — om. G. zaï

33. superaverit multitiido] = reo'.utj^uov ::Xr,Goc 19 (nisi -Ep'.cî£jij.a), 82 (nisi —


Oouc), 93, 108, 158. — 7:£p;aazuwv om. zÀr]6oc G.
34. ambo giadio virorum] =^ a[j.'fOTcpo'. £v pou^sisc avoçoy/. xi, 19, 64, 82, 93 nisi

-ri poui.) 108. — om. £V poasa-.a au5pwv G.


Ch. IV, 5. ubi sedebal chenibim] = ou zT.iy.y.hr." -.% /y.o-jwj. 19 (nisi — Pt]ix), 82,

93, 108. — zaôïiujvou y^6pou6t[jL G.


Ch. V, 10. misistis] = rr.z<zT:akY.7.zt 19, 93, 108. — a-aarpsia-ri G.
11. reducatur] — a.T.oAxzcl.3-r^'M 19. 82,93, 108; a-oxa-raJT/ivai (sic) -50; a-o/aTa-
<JTa6r]Toj 29, 71, 158, 2-45-, /.aTaaTaSriVai 246. — y.aOtaaT'o G.
12. usque ad coelum] := jwc tou oupavoo 82. 93, 108. — îictov oupavovG.
Ch. XV. 1. vocem verbi domini] = Tr|C ^wvr.c tou p>]aaToc, Kuptou 19,82, 93, 108.

Tr)c (fwvrjc Tojv Xoywv Kup-.ou 76, 106, 120, 134; vocsm verborum domini : Origène
— Tr,C otovr,C xuptou G.
2. domious omnipolens] =: zupioc jzavTo/.paT'op 19, 82, 93 'nisi — /px-roe), lOS. —
xuptoc SaoK'oG G; dominas virtutum Origène. :

3. Amalec] =
AaaÂrjx 82, 93, 108. ÂpaXrjz 4- /.%'. l£p'.;j. G. —
ibid. aliqiiid] =
ouOsv 19, 82, 93, 108, 158. om. ouOîv G. —
6. qnoniam] =
s-eiBt) 19, 82, 93, 108. xai G. —
8. popuhim ejus] =
-ov Xaov auTOu 19, 82, 93, 108. -rov Àaov — -|- xa- hp'.fj. G.
11. Slatiiit] = ZQV(\'Zi 82, 93, 108. 123. — STr]pr,7ï G. — rfuXaÇs 52, 64. 92, 121,
144, 247.
23. pro quibus] = avO'ojv 19, 82, 93, 108. Théodoret. — oti G.
ibid. ne règnes] xou aY) pastXsjsiv 19, 82, 93, 108, Théodoret. -- -ou ;j.ïi
etvSt

^ajtXax G.
Ch. XVI, 1. expelio] (bis) = aT:wc7aa'. 19, 82. 93, 108. — s^ouôsvwza G.
ibid. filiis Jesse] (bis) = uioïc G.
haaat 82, 108. — u-oïc autou

Ch. XVIII, 28. Adjecit Saul] =


TrpoasÔHTo SaouX 19 (nisi o i:.), 55, 82, 93. 108.

om. SaouX G.
Ch. xi\, 5. manibus suis] Taie /.epaiv 82, 93, 108. — Tr, -/='.pi G. —
9. et ecce David] =
xat wou Aauio 19, 82, 93. 108, 247. om. tôou G. —
10. (percutere lancea David) et percussit] = xai E-ataÇsv 19, 93 (uisi t-v-
TaÇai), 108. om. — xai îîtaxaÇsv G.
ibid. declinavit] =: e^sxXtvsv 19, 82, 93, 108. — a.T^i<3-f\ G.
Ch. XXII, 18. mortificavit ipse] = £0av3«rw7:v auTOC 93. sO autouc 19, 108. — 0111.

auxoc G.
ibid. et occidit illa die] = xai a:î£XT£tv£V £v ir, r,a£pa £X£t>;rj 82, 93, 108, 158 et 19

nisi £v £x. vr\ r^ij.. — om. xat a;:£z:£tv£v G.


Ch. XXIV, 3. virorum electorum] = avS'prov e/.X.-ztwv 71, 82, 93, 108, 123, 158. —
avoptov exX£XTOuc G.
ibid. 3. Ante faciem venationis cervorum] = xaTx ;ipo<Tco7tov tt,c 0»)pac x^v
cXaçoJv 19, 82, 93, 108; sic nisi £Xaxwv-f-a5t;j. 158 et £Xa-.pa)v SaÔ££[i 242. — zt.:

TtpoawTCOV Saôoa£ia G.
5. quae placita sunt] = to apEiTov 19, 82. 93. 108. (Ihrysoslome. — wc ayaOov G.
378 REVUE BIBLIQUE.

9. post Saulj := o-'.z'ji IlaouX 93, 108. 158 Chrysostome. — ojiitw a-jtoj G.
15. dixit] = £t7t£ 82. 93, 108. — st-e-f-SaouÀ G.
Ch. XXVI, 2. desertum opacum, = 3pr|[j.ov ty^v ax/y-oor^ .36, 82, 93, 108, 1.58. 246, 19-

misi ayiAujOT)). — î,''itJ-'>'' Z'.-f G.


6. in castris ad Saul ^ s:c -r,v -ap£a|;oÀr;v rpoc ilaouX 82, 93. 108, Théodoret.
— Tzpoc !£. etCT. -ap. G.
1-1. quis es tu, qui vocas me, quid est ipro qui s) es t(u)?)] = t-.c h au o xaÀwv

|j.£ T'.c £1 C7J 19, 82, 93 (nisi (jltJ, 108. — om. rtc st au 2d'' G.
16. non est bonuin] = ou/. ayaOov 19. 44, 82, 108. — /.at ou/, ay. G.
ibid. qui non custodistis] c. ;«, çu'J.aaaovTcC 19, 82, 93, 108, 245, Théodoret. —
01 wuÀaajovTEC G.
ibid. dominum regeni vestrumj = tov xuptov u|xwv -ov [îaa-.Xsa 19, 93, 108, Théo-
doret. — t. pa<j'.À. T. xup. u[x. G.
ibid. vide ubi est lancea] = ;3; -ou jaTt to oopu 19, 82, 93, 108. — to; ôr, 70
oopu G.
ibid. et lentis aquae^ = za; o oa/oc tou uSsctoc 19, 82, 93. 108. — addit -ou saTi G.
18. adjecit David; = z\.t.i Aau;o 19, 82, 93, 108, 119. 242. — om. Aauio G.
ibid. malitiaj = /.a/.ia 19, 82, 93, 108, Théodoret. — aot/.ï)[jia G.
20. puliceni unum] r^- iuXXov sva 19, 82, 93, 108. — Au/rjv [xo'j G.
21. iu te jam] = as i-.i .52, 82, 92, 93, 108, 123, 236. 247. — om. ext G.
24. abripiat' = ôza-aaa; 19, 82, 93, 108. — c/.snacia: G.

Examen de quelques variantes.


1) Gh. V, 9''. Et percussit viros civitatis a minimo usqiie ad maxi-
mum, et ebullivit illis mures in sedibus, et fecerunt sibi Gethaei
sedes peUicias.
Voici le texte de G. : \\y.<. zT.y.-:y.ze t:jC avspac Tr,c rcXsoiC x-o [j.vApc-j

so)C y.sYocAC'J y. ai zr. y.~ y.zzv yj^uC eiC ~y.C zzpxC auTtov y.y.'. cTTOir^^av c
Vtbyioi îa'JTCiC copaC.
Lucien présente une leçon sensiblement dillerente :

Kx'. zizy-y^z. tc'jC y.')zpy.C -:r,C ttgaewC az: [i.'.y.po'j cwC [j.t'^yXzj S'.C taC

7. 'J t l C [J.JZC .

19, 82, 93, 108, omettent tous la répétition : y,xt sTraTarsv auTijC et

à l'exception de 108. ils ajoutent le complément ypjiyc v.y. s^ipa^av


cv auTi'.C [i.'jtC (19 :=: )rpu(7aC y.x', î^expajav £v auxatC [j.'jxiCi.

Gomme Lucien, Lucifer omet la répétition /.ai szaTaçsv au-:cjc. il

ajoute le même complément /.xi tzt^p7.'7y'/ sv auxotc [ajec (sauf/;e/-


/?cm5 pour -/puîiac).

Seulement, l'addition de ce complément se fait trop tôt, au lieu de


suivre la proposition et fecerunt sibi Getliaei sedes, elle la précède.
Et ce déplacement nous fournit déjà un indice que le texte de
Lucifer a été ici retravaillé.
2) Augustin cite plusieurs versets de I Sam. ch. ii. que nous retrou-
lŒTOLCHKS LLCIAXIOUES. 379

vons égalemont chez Lucifer: nous reproduisons ces passages en


regard l'un de l'autre.

l Samuel : Lucifer. Augustin (i).

Cil. II, 27. — Et venit homo Dei et Et venit home Dei ad Heli, et dixit :

dixit : haec dicit dominas : haec dixit dominus : Revelans revelatus


mauifeste ostendi me ad sum ad domum patris tui cum essent iu
domum patris tui terra Aegypti servi in domo Pharaoni*.
28. — ex omni- Et elegi domum patris tui ex omnibus
bus tribubus Israël mihi in sceptris Israël mihi sacerdotio fungi, ut
sacerdotium ut ascenderent ascenderent ad altare meum. et incen-
ad sacriûcium meum et derent incensum. et portarent ephod. Et
incendereat incensum et tol- dedi domui patris tui omnia quae sunt
lerent Epliod. Et dedi in iiïnis llliorum Israël, in escam.
domo patris tui omnia fru-
menta filiorum Israël in
escam.
29. — Et tu quare respexisti in Et ut quid respexisti in incensum
incensum meum ac sacrifi- meum, et in sacrificium meum impu-
cium meum improbo oculo denti oculo : et glorificasti filios tuos
et honorificasti filios tuos super me. ])enedicere primitias omnis
plus quam me ut benediceres sacrificii in Israël rn conspectu meo ?

eos a primordio in omuibus


sacrificiis Israël coram me?
30. — Propter hoc haec dicit Propter hoc haec dicit Dominus Deus
dominus Israël : Dixi. domus Israël : Dixi. domus tua et douius patris
tua et domus patris tui tui transibunt coram me usque in aeter-
transiet coram me usque in num.
aeternum et nunc non est

sic

Dicit dominus : INequaquam Et nunc dicit Dominus : Nequaquam.


mibi, «on sic erit a me quo- sed gloriantes me glorificabo et qui sper-
niam qui honorificant me nit me, spernetur.
honorificabo eos et qui sper-
nit me, ad nihilum redige-
tur.
31. — Et ecce dies veuiuut et Ecce dies veniunt, et exterminabo
disperdam semen tuum et semen tuum et semen domus patris tui.
semen [ j patris tui.
32. — Et non erit tibi senex iu Et non erit tibi senior in domo mea
domo mea omnibus diebus. omnibus diebus.
33. — Et virum disperdam tibi Et virum extermiuabo tibi ab altari
a sacrario meo ut deflciaut meo ut deficiaut oculi ejus et defluat
oculi ejus et defluet auima anima ejus, et omnis qui superaverit

(1) Nous citons Augustin d'après P. Sabatiei;, Bibliorum sucrorum lalinae vej'siones
antiquae. Comme les citations sont disposées, dans cet ouvrage, d'après l'ordre des
cbapitres et des versets, il est très aisé de les retrouver et nous nous dispensons de
donner chaque fois une référence superflue.
380 REVUE BIBLIQUE.

Lucifer. Avgu-lin.

ejus, et omnis quae siipera- domus tuae decidet in gladio virorum.


verit mulfitudo e domo tua
decidet in gladio virorum-
34. — Et hoc signum quod
tibi Et hoc tibi signuni quod veniet super
veniet super duos filios tuos duos filios tuos hos Ophni et Phinees :

hos Ofni et Finees, ia uno una die niorientur anibo.


die niorientur ambo gladio
virorm.

Un fait qui saute aux yeux, c'est Tabsence dans la citation d'Augustin
des six leçons lucianiques que nous lisons dans Lucifer.

Ch. II, 28. — tribubus] = çuÀwv Lucien; r^ Aug. = G. scejjtris j/.r,zTpwv

30. — non = oux Lucien: om. Aug


est sic] G. out'oc et

Ibidem. Ad nihilum redigetur] = Lu<v,cn; £^ojO£vwOr,aov:ai ?

246; spemetur Aug. =


ïÇouOevwOïjasrai G. aT-.ijLcoOTjffSTat

31. — Et ^
=: Lucien;
ecce] /.a; Aug. == om.
tôou G. ora. et xa;

33. — superavent multitudo\ = -soiiasjov = Lvcien; r.\rfioc

om. mullitudo Aug. = om. G. jt>r,6oc

34. — Ambo gladio virorum] Lucien;


:=-- afjiooTepo'. 3v poiiçaia avopo)/

om. gladio rirorum Aug. = om. G. sv ooji-ja-.a avopojv

Au verset 30, le texte hébreu '-^


-^''-'n r!"!n*~Dx: npi" était traduit
par le G. Kxi vuv '^r,z: -/.jp'.cC ;xr,5ay.wC i[j.z:.

Les mss. lucianiques portent : Ky.<. vjv cjy cjtwc, i^r,Gi. v.jpioç. \j.r,cy.[M<)C

îjj.ci ce qui représente une double traduction de i^ ,-i^'Sri.

Trois autres mss. grecs Qï, 92. J Vi dont les deux premiers sont
certainement hexaplaires lisent de leur côté : Ka-. vjv :;-/;a'. y.jp-.cc,

\j:r,ca\).i,iC t'^.oi, ojy sjtojC ; ils intercalent le doublet, mais au lieu de


mettre zr/ oj-coc avant •j.r^zy.aMC fj.z'., ils le placent après.
Or chez Lucifer nous trouvons la traduction des itEix additions,
celle de Lucien et celle du groupe de mss. hexaplaires: nous y lisons
en ell'et :

Et nunc non est sic (Lucien), dicit Dominus : Nequaquam mihi-


non sic erit a me (mss. hexaplaires).
La retouche du texte de Lucifer est donc ici manifeste (1 .

(1) Le texte de Lucifer paraît ici remanié à la fois d'après Lucien et directement d'a-
près les llexaples.
Comme la recen>ion lucianiqiio était elle-même fortement influencée par les Hexaples
voir plus loin page 15 — la correction hexaplaire faite par Origène aura donc eu sur le

vieux texte latin une action médiate par l'intermédiaire de la recension d'Anlioelie.
Le vieux texte latin a-t-il parfois été corrigé directement d'après la recension hexa-
plaire et est-il vis-à-vis d'elle en dépendance immédiate? La leçon du v. 30 le laisse
supposer.
Mais c'est là une question délicate qu(> nous ne pomons élucider pour le moment.
lŒTOLCHES LUCIAMQLKS. 381

De plus, malgré des divergences notables entre les textes d'Augus-


tin et de Lucifer, il ne semble pas qu'ils proviennent de deux traduc-
tions faites directement sur le Grec de façon indépendante; il existe
assez de points de contact dans le vocabulaire et de symétrie dans la
construction pour admettre raisonnablement que nous sommes en
présence de deux recensions qui ont un fonds commun.
Gela étant donné, j'estime que les leçons de Lucifer :

:33. — superaverit] mullitudo =


-f- Li ciex,
34. — Ambo- -h gladio virorum = Lucien,
ne sont pas primitives mais ont été ajoutées d'après le texte de
Lucien.
En effet, ces additions complètent le sens et on ne comprend pas
qu'un reviseur les ait supprimées s'il les lisait déjà dans sa version,
tandis que l'on comprend très bien que la lecture de la recension
grecque de Lucien où ces compléments se trouvaient ajoutés, ait
suggéré à un correcteur latin lidée de les introduire aussi dans son
texte.
La comparaison des passages parallèles de Lucifer et d'Augustin
pour le ch. ii, 27 svv. nous fournit, me semble-t-il, la preuve irréfra-
gable que l'élément lucianique que l'on rencontre dans les citations
de l'évèque sarde a été en partie au moins intercalé dans un texte
plus ancien de la vieille version latine.

Du texte de Lucifer il convient de rapprocher celui des versets


correspondants du fragment de Quedlin bourg.

Lucifer. Quedlinbour;/.

l Sam. ch. xv, 10. — Et factum est ver- Et factum est verbum donaini ad Samuel
bura Domini ad Sa- dicens : paenitet me qiioniam constitui
muhelem dicens Saul legera quoniam a versus est a me
paenitet me quod et verba meanon s^rti^tY. Et constristatus
constituerim regem est Sarauliel et clamavit ad dominum
Saul, quoniam aver- tota nocte et ante lucem Samuhel abiit

sus est a me et verba in obviara.

mea non statuit. Et


'
constristatus est Sa-
muhel et clamavit ad
Deum tota nocte et

antelucem etSamuhel
abiit in obviam Israël.
13. — Et venit Samuhel Et venit Samuel ad Saul et ecce Saul
ad Saul et ecce Saul offerebat holocaustum domino initia
otVerebatholocaustum praedarum quae adtulit Amalech et
e\"
382 REVUE BIBLIQUE.

domino et initia prae- pervenit Samuhel ad Saul et dixit ei

dai'um quae attulit ex Saul : benedictus tu domino, statuât


Amalec. Et peivenit omnia quae locutus est dominus.
Samuhel ad Saul et
dixit illi Saul : bene-
dictns es tu domino,
statut omoia quae
locutus est dominas.
14. — Et dixit Samuhel : Et dixit Samuhel : et quae est vox
et quae est vox liujus hujus gregis in auribus meis et vox boum
gregis in auribus nieis quam ego audio ?

et vox boum quam


ego audio?
15. — Et dixit Saul : de Et dixit Saul : ex Aœalech adluh ea
Amalec adtuli ea quae quae praedavit populus optima gregis et
praedavit populus boum immolentur domino deo tuo; reli-

optima gregis et boum qua autem disperdidi et exterminavi.


ut immolentur do-
mino deo tuo régi;
reliqua autem disper-
didi et exterminavi.
10. — Et dixit Samuhel Et dixit Samuel ad Saul : Expecta et
ad Saul (l) : indico tibi quae locutus est dominus ad
me nocte. Et dixit « Saul : loquere.
Et Samuel ad Saul
dixit :

— Nonne minimus Noune minimus eras tu in conspectu


eras in conspectu dux tuo dux spectorum(sic),de tribu Istrahel
sceptrorum de tribu et misit te dominus in regem super

Israël, et unxit te do- Istrahel et misit...


mhius in regem ^uper
Israël et immisit te...

Il est difficile de rencoatrer une concordance plus étroite ; on


relèvera notamment des deux côtés la présence de la leçon lucia-
nique au v. 10 staluit. = tz-r^zz Lucien.
Pour les versets 13-17, le texte lucianique présente deux variantes
remarquables.
v. 15. — T(.)v 7:c'.;j.v'.o)v = 82, 93, 108, 123, 158. — :oj ttoi.xviij = G.
V. 17. — ^-/.s-Tpcj ,j£V',a;xiv -.r^Q, e.Kxy^iz-0-zspûLC ï/uÀ-^jC toj Ijpar,A = 19,
^2, 93, 108, Théodoret. — om. 3£via;ji.iv -:y;c zAayiazozepxC G.
Ces leçons sont négligées par nos deux textes qui ici sont conformes
à G. '

(1) Lucifer cite en un seul bloc les versets 13-28, l'omission du v. 16'' est due 1res
vraisemblablement à l'homoeoteleulon dixit Samuel ad Saul. :
RETOUCHES LUCIAMQLE.s. 38.3

II

CODEX LEGIOXEXSIS.

Un document important pour la connaissance du vieux texte latin


de l'Ancien Testament est le ms. de Saint-Isidore de Léon en Espagne.
Le texte du nis. est celui de la Vulgate. mais les marges contiennent
de copieux extraits d'une version ancienne.
Ces notes marginales des livres de Samuel ont été publiées par
Vercellone en 186i; celui-ci avait très bien remarqué le rapport
étroit des textes marginaux du coder legionensix avec le g-roupe des
mss. 19, 82. 03. 108.
Voici notamment ce qu'il en dit, tome II, p. ioO : « Fere omnes
« veteris hujus latinae interpretationis quae a recepto
lectiones.
« alexandrinae versionis textu recedunt. consentientes habent hol-
« mesianos codices 19, 82, 93, 108, quorum primus est chigianus
« alter coislinianus, tertius musaei britannici, postremus vaticanus;
'c atque unum idemque àv-ri'Y.cascv ad singularcm quamdam recen-
*' sionem spectans, repraesentant.
(( Immo quotiescumque quatuor horum codicum lectio a reliquis
« graecis dissentit, quod fréquenter contingit, illorum vestigia presse
« sequitur noster interpres, eisque omnibus adhaeret.
Le phénomène est incontestable et personne ne doute que ces
leçons ne présentent un caractère lucianique fortement accusé.
Mais on peut à ce sujet se poser deux questions :

1" Ces variantes marginales sont-elles extraites d'une ancienne ver'


sion latine ou sont-ce simplement des traductions faites directement
du Grec et juxtaposées au texte de la Vulgate de notre ms. sans avoir
jamais fait partie d'un texte latin complet et en usage. La seconde
hypothèse est suggérée par Biu-kitt (1).
2" Même si ce sont des extraits d'une ancienne version latine,
com-
ment expliquer les nombreux lucianismes qu'on y rencontre? Sont-ce
des leçons dérivant d'un ancien texte semblable à celui qui aurait
servi de base à Lucien ou simplement des retouches, des corrections
faites après Lucien, inspirées par sa rc vision et apportées .1 un texte
latin préexistant qui primitivement ne les comportait pas?
Rahlfs qui a relevé le même fait des lucianismes des notes margi-

(1) Cf. The Old Latin and The Itala, p. 9.


384 Kl-VLE BIBLIQUE.

nales du Cad. legionends pour les deux livres des Rois rejette l'opi-

nion de Vercellone et de Driver qui font remonter ces variantes


jusqu'au premier traducteur latin et est plutôt disposé à y voir des
remaniements postérieurs à Lucien (1).
Xous croyons que pour les variantes des livres de Samuel il n'y a
pas lieu d'hésiter et que la plupart de ces coïncidences avec Lucien
sont des remaniements tardifs d'un texte latin préexistant.

A, V Ces notes n'ont pas été traduites directement du Grec, car dans
plusieurs passages où la comparaison est possible, nous conslatons
que ces leçons marginales correspondent trop exactement au texte
que nous retrouvons dans d'autres témoins de la vieille version latine
de l'A. T.

CoD. Legioxensis (2). Llcifer.

Ch. II, 10. — >'on glorietur sapiens in Non glorietur sapiens in sapientia sua.
sapientiasua. et non glorietur neque glorietur potens in virtute sua.
fortis in virtute sua. et non neque glorietur dives in divitiis suis; sed
glorietur dives la divitiis suis : in hoc glorietur qui gloriatur, scire et

sed in hoc glorietur qui glo- iotelligere Deum et facere judicium et


riatur, iotelligcre et cogoos- justitiam lu medio terrae.
cere Domioum et facere judi-
cium et justitiam in medio
terrae.

CoD. Lecionensis. QUEDLIXBOURG.


Cl). IX, 2. — Nequelongior super hurae- Neque longior super humeros ejus
ros ejus super totam terram. super totam terram.

Coi). Legionensis. AUdUSTIX.


Cil. XIII, 13. — Quoniam non servasti Quoniam non servasti mandatum
raandatum meum, quod meum, quod raandavit tibi dominus :

niandavit dominus
libi queniadmodum nunc paraverat dominus
queniadmodum nunc para- regnum tuum usque in aeternuQi super
verat doniious regnum Israël.
tuum usque in aeternum
super Israël.
14. — Sed nunc reeuuni tuum Et nunc re^nuai tuum non stabit tibi,

(1) Cf. A. Rahi.fs, Lucia?is Rezension der Konigsbilcher, p. 159-160 et Driver, Note
on the Hebremo text of the hoohs of Samuel, Oxford, 1913, p. i.xxvi.
Driver donne quelques spécimens de variantes lucianiques de la Vieille Lallne qu'il
emprunte au Legionensis, au l'alimpsestus Vindobonemis (J'ind-) et au fragment publié
par Haupt [Vind ;.
(2) Nous cilons le texte du Cad. Legionensis d'après Vekcello.ne, \ariae lectioncs
ulgata e Latinae, etc. ad locum.
HETOLCIIES LLCIANIQUES. 38t

non stabit : et quaeret domi- et quaeret dominus sibi hominem secun-


nas sibi hominem secundum dum cor suum et mandabit ei dominus
cor suum et mandabit illi esse in principem super populuni suum.
dominus esse in principeni
super popuhmi suum.

Coi). Legioxensis. Llcifer.

Ch. w. 2. — Haec dicit dominus omnl- Hnec dicit dominus omnipotem : nunc
polf-ns : Nunc defendam quae defendam quae fecit Amalec tibi Israël,

fecit Amaleclî huie [?) Israël :
quemadmodum obviavit tibi in via...
quemadmodiim obviavit tibi

in via...
3. — >on concupisces ex illius Et non concupisces ex illis aliquid, sed
aliquid sed exterminabis illum exterminabis illum et anathematizabis
et anathematizabis illum. illum.

Ibid. Ibid.

22. — Et eoce dicto obedientia Et ecce dicto audientia melior est


melior est quam saerificium et quam sacriflcium et oboedientia quam
obedientia quam adipes arie- adipes arietum.
tuni.
23. — Quoniam peccatum abomi- Quoniam peccatum abominatio est.
natio est tibi, dolores et gemi- dolores et gemitus ad te adduxisti. pro
tus ad te adducentiir,23ro qui- quihns nullius momenti fecisti verbum
bus nullius momenti fecisti domini, nullius momenti te faciet domi-
verbum domini, et faciet do- nus ne règnes.
minus ne règnes in Israël.

CoD. Legionensis. Madgebourg.


11 Sam. oh. ii, 29. — Et abierunt per Et abierunt totam praetenturam et

totam praetenturam, et ve- venerunt in castra Madian.


neruDt in castra Madian.
30. — Et Joab reversus est de post Et Joab reversus est de post Abenner.
Abner.

Il serait difficile de nier e^u'il y ait dans ces» diverses citations un


fonds de te.\te commun que reproduisent dune part le CocL
Legionensis et de l'autre, divers témoins de la version préhiéro-
n y mien ne.
Sans doute on constate parfois des divergences plus sensibles,
des écarts plus grands, mais nous pouvons aisément les^ expliquer
soit par des libertés ou des distractions de copistes, soit] par un

remaniement systématique dont nous allons parler.


Il est vrai encore que ces ressendjlances sont moins étroites entre
les Cod. Legionensis et les versets correspondants du Paliinpsestu^
Vindobonensis édité par Belsheim,
REVLE BIBLIQUE lOlU. — N. S., T. \VÎ, 25
386 HEVIE BIBLIQUE.

Peut-être celui-ci rcprcscnte-t-il une autre recension. Mais les


similitudes que nous avons signalées avec les autres témoins du vieux
texte latin suffisent pour nous permettre d'écarter définitivement
l'hypothèse de Burkitt et de conclure que pour les livres de Samuel
les leçons du Cod. Legionensis ne sont pas des traductions faites
directement sur le Grec mais sont des extraits d'une version anté-
rieurement en usage.
Je fais cependant des réserves pour les variantes qui constituent
des doublets et sont introduites après les premières sous la rubrique :

Alias. Celles-ci pourraient fort bien n'être que des traductions


directes d'un texte grec que le glossateur avait sous les yeux (1 s
B.La comparaison avec les mêmes témoins nous permet de cons-
tater que le Cod. Legioneiisis a un certain nombre de leçons lucia-
niques qui lui sont propres et qu'on ne retrouve pas dans l'ancien
type de texte latin dont pourtant il dépend.
Voici quelques rapprochements qui paraissent suggestifs.

Con. Legionensis.

A) ch. II, 30. — Et quia pro uihilo habebaut me, ad nihiluin redigenlur.
31. — Et ecce dies veniunt disperdam seiuen tuum semen domus
et et

patris tui.
32. — Et attendit fideliter manens in omnibus quibus henefacit Israël :

et non erit senex in domo lua.


Et non erit tibi senex in domo mea omnibus diebus.

Si l'on rapproche ces versets de ceux de Lucifer et d'Augustin que


nous avons transcrits à la page 8, on remarquera que le Legionensis
est plus près de Lucifer que d'Augustin. Il n'a de commun avec ce
dernier que le mot domus, omis par Lucifer. Tandis que d'autre part,
il lit avec Lucifer disperdam (Aug exterminabo), senex (Aug.
: : :

senior) ainsi deux leçons lucianiques ad nihihim redigenlur


que les

et et (ecce). Lucifer n'avait repris au v. 30 qu'une partie de la leçon


lucianique sïouOsvwÔYjirov-a', qu'il adapte à son texte en la mettant au
:

(1) Voici par exemple ce que nous lisons dans la marge du Cod. Legionensis :

II Sam. ch. xi, v, 1. In tempore in que exierunt rcges.


ALIAS ADUiTUR ad pugnum. :

Dormivit cum ea et haec erat dimissa.


Ibid. V. 4.
ALIAS et haec erat abluta.
:

Nous retrouvons l'addition du v. i ad pugnam dans : la version Slave (cf. Holmes'


Parsons).
Quant à la seconde variante ablula pour dimissa, c'est la traduction exacte de la
leçon lucianique ),£).oy(x£v/i qu'un premier scribe avait mal lue XsXj.aevr). (G au lieu de
aeXo-j[J.£vïi a aYiaî;o|J.£vr)).
IIEÏOUCIIES LUCIAiNIQUES. 387

singulier : ad nihilum redigetur : le Legioiiensis reprend la leçon


entière qu'il laisse au pluriel.
En plus de Lucifer et d'Augustin, il intercale au début du verset 32
une longue addition, traduction d'un texte grec que nous ne lisons
que dans le groupe lucianiquc 19, 82, 93, 108, Théodoret, 55, et le
cod. Alexandrinus.
Voici ce texte dans la teneur qu'il a chez Théodoret :

Ka-. t-i'^'Kzàz.i 'Apy-yMj)\j.y. :7 sv t.j.'jV/ z\C y.';y.^-x)v. tov Ijpa-/;/.. y.a'. ij/,

ia~yi TzpzG^i'j-TfC TajaC -yC r,\).izy.C ty toj zv/m zfj.


Les mss. 19, 55, 82, 93, 108 placent cette addition après le v. 31;
le cod. A, 247 et Théodoret après le v. 32.
Nous dans Procope de Gaza cité par F. Field (1
lisons -/.y. ir.i^Xvlr^ ) :

y.py-y'.b)\}.y T; ç,r^-zv T,a-îz'.'-y.'..


vawv.
Nous sommes probablement ici devant une addition hexaplaire
reprise par Lucien; ce procédé d'emprunter parfois ses corrections
aux Hexaples est en effet une des caractéristiques de sa recension au
moins dans certains livres (2).
Par conséquent, si parmi plusieurs textes de la Vieille Latine, l'un
d'eux a une leçon hexaplaire qui fait défaut dans les autres, nous
sommes fondés à regarder le texte complet comme ayant subi un
remaniement.

Cod. Legionensis.

B) ch. ir, o3. — Et viriun disperdaiu tibi a sacrario nieo et faciam ut deficianl
oculi ejus et distillet anima ejus; et omnis qui superest de domo tua
décidât in gladio virorum.

En continuant la comparaison avec les mêmes témoins, on remar-


quera :

a) que le Legiotiensis s'accorde avec Lucifer dans la leçon disper- :

dam tibi a sacrario meo:


b qu'avec Augustin il omet l'addition lucianique niultitudo :

après superest ;

c) qu'il est d'autre part seul à ajouter et faciam avant ul deficiant.


Cette addition ne se lit dansle Grec que dans quelques minuscules

parmi lesquels se trouve le groupe lucianique, 19, 82, 93. v/Xt\%tv)'] +-


r.zvr^fjM 44-, 74, 106, 120, 134; zcir^jw syJvsi-j-.v 19, 82; ttoi-^tw v/Xvkiv*
^3, 245.

(1) Hexaplonim qiiae supersunl fragmenta, Oxford, 1875. Ad locum.


Origenis
(2) Cf. Der Text des Septuaginta-Psalters, p. 231 et L. Dieu
A. Rahlfs :
Le : texte
de Job du Codex Alexandrmus, dans le Miiséon 1912, cli. m.
388 REVUE BIBLIQUE.

CoD. Legionensis. Lucifer.

C ch. IV, 18. — Cecidit de sella snpi- Cecidit supinus de sella juxta portam,
nus juxta porlam; et et contribulatum est dorsum ejus, et
contribulatum est doisum mortuus est, quoniam senex erat et gra-
ejus,et mortuus est •. vis liorao.

quoniam senex erat et


gravis vir et honori/icus.

Et ipse judicavit Israël Et ipse judicabat Israël viginti annis.


XX annis.

— Et honorificus = /.a; svooÇoc 19, 55, 82, 93, 108. — om. G.

COD. LEGIONEXSIS. Lucifer.

D) ch. XV, 17. — Nonne minimus eras Nonne minimus eras in conspectu dux
in conspectu tuo. dux sceptrorum de tribu Israël, et unxit te
sceptrorum Benjamin dominus in regem.
de minima tribu Israël
et unxit te dominus in
resem

QUEDLIXBOURG.

iNonne minimus eras tu in conspectu


tuo dux spectorum (sic) de tribu Istrael
et unxit te dominus in regem.

G. = axr):i-pou '^u)./,C lapar.X] v/. ';/'.r,ztpo'j Bîviaijiiv Tr,c îÀaytaTOTepaC ^J'Krfi toj lapar,).
— 93, 108; fere sic xi, 19 et 82.

Dans ces deux cas C ) et D ) le Legionensis intercale donc une addition


lucianique dans des textes qui primitivement ne la comportaient pas.

COD. Legioxensis. AUGUSTIX.

E) ch. XXI, 13 — Et immutavit vul- Et mutavit vultum suum coram ipsis

tum suum coram ipsis et affectabat et tympanizabat ad ostia


in illa die et affectabat civitatis, et ferebatur in manibus suis et
et tympanizabat ad ostia procidebat ad ostia portae.
civitatis. et ferebatur in Ailleurs Augustin cite ce verset à peu
manibus suis et proci- près dans ta même teneur sauf quelques
debat ad ostia portae omissions :

civitatis.

(Alias = Et immuta- (Immutavit vultura suum [ ] et affec-


RETOUCHES IXCIAMQLES. -.m

vit faciera suam corain tabat et tympanizabat et cadebat ad ostia


ipso Achis rege : et civitatis et [ ;^
ad ostia portae et sali-

simulate egit in die illa, vae etc.)

et tympana feriebat
ostiatim per civitatem,
et differebalur in raani-
bus suis et irruebat in
januas portae vel et
cecidit ad ostia civitatis.)
Et salivae ejus decur- Et salivae ejus decurrebant, super
rebant in barbara ejus. barbani ejus.

Les textes du Legionensis et d'Augustin sont certainement appa-


rentés; nous y lisons de plus de part et d'autre la leçon lucianique
coram ipsis (svojztov ajTO)v 19, 82, 93, 108; G =
£vo)7:iov ajTou).

que le
D'ailleurs le texte parallèle Legionensis amène sous la rubrique :

Alias, nous offre un bel exemple des divergences plus considérables


que doivent fatalement présenter deux versions indépendantes. —
Mais nous relevons dans le Legionensis un doublet ou leçon agglo-
mérée.
En effet, G lit cznr-rsv ez-, -olC Oupac Tr,c ~-j\r,Q,. Au lieu de ^tua^c,

quelques mss. minuscules parmi lesquels le groupe lucianique lisent


x:X£o)C.
Le Legionensis fond les deux leçons et nous donne ad ostia portae
CIVITATIS.
Or ces leçons agglomérées sont, comme on le sait, un des indices
lesplus clairs d'un remaniement de texte.

CoD. Legionensis. Lucifer.

F) Ch. xxii, 18. — Et in obviani vade... Couverte te in obviam sacerdotibus


domini...
Trecentosquinquagintay'wo?,, ïrecentos quinque viros et omnes
onines portantes epbod. portantes ephod.
19. Et in Nombam civitatem In Nonban civitatem sacerdotum occi-
sacerdotum percussit in ore dit in ore gladii a viro usque ad nutrien-
gladii a viro usque ad mulie- tem.
rem et ab infante usque ad
lactantein.

G. = ipiaxoa'.ojc xai Tivt-i avopac] TptaxoaioJC nsvTr/.ovTx avèpac 82. 93, 108 et 19
sauf inversion des mots.

CoD. Legionensis. Lucifer.

O) Cil. xxiv, 3. —Et abiit quaerere Da- Et abiit quaerere David et viros ejus
vid et viros ejus secundum ante faciem venationis cervorum.
faciem hestiae cervorum.
390 REVL'E BIBLIQUE.

4. Et venit ad grèges paslo- Et venit ad grèges ovimn quae erant


rumovium quae erant super ad viam, et erat ibi spekmca, et introivit
via; et erat ibi spelunca. et Saul ad sellam.
introivit Saul praeparare
se.

Tous deux ont ici la leçon lucianique -.r^c fir,py.c t(.)v sXasojv 19, 82,
93, 108 (G =
1y.ocv.ij). Mais la leçon est comprise et traduite de façon

difïérente. Ceci laisse plutôt supposer que cette leron a été intercalée
de paît et d'autre de façon indépendante dans le texte latin préexis-
tant.

Ces faits étant posés la conclusion se dégage tout naturellement.


Augustin et plus spécialement Lucifer et le ms. de Qucdlinbourg ont
un de celui du Codex Legionensis. Celui-ci contient
texte très voisin
des leçons lucianiques que les premiers ne lisaient pas, une de ces
leçons est un agglomérat, donc le Legionensis a remanié et revisé un
texte préexistant.
Car il ne serait pas compréhensible qu'Augustin, Lucifer et le scribe
de Qucdlinbourg aient expurgé leur texte d'un certain nombre de
lerons anciennes que le Legionensis et Lucien auraient conservées,
d autant plus que ces leçons n'offraient rien de choquant pour le
sens qu'au contraire elles complètent souvent, tandis que l'on s'ex-
plique très bien qu'un correcteur latin qui lisait dans des niss. grecs

très en vogue des leçons qui manquaient dans l'ancien texte latin ait
été amené à compléter celui-ci.
Nous pouvons donc relever dans les vieux textes latins des livres de
Samuel une retouche double degré.
;i

Le te.xte latin antérieur à Lucifer, a été remanié, vu que nous


relevons dans les citations de Lucifer des variantes lucianiques qui
ne sont pas primitives mais ont été intercalées dans l'ancien texte.
D'autre part, le texte de Lucifer est notablement moins lucianiso
que celui des notes marginales du Codex Legionensis.
Quelques-unes de ces leçons qui se lisent à la fois dans Lucien et les
vieux textes latins peuvent sans doute être primitives et dériver d'un
archétype commun, mais les faits que nous avons relevés montrent
cependant combien il faut être réservé et prudent, et se défier des
préliicianismes !

Le principal fragment de ms. que nous ayons pour les livres de


Samuel est le Palimpsesltis Vindobonemis édité par Belsheim. Celui-
UliTOUCHES LUCIÂNIQUES. 391

ci ne s'est nullement occupé des relations que ce texte latin pouvait


présenter vis-à-vis des mss. grecs; il s'est simplement borné à en

donner la transcription. Et même au simple point de vue paléogra-


pliique, cette édition laisse, paraît-il, beaucoup à désirer.
Généralement, le texte du Viîid. est d'accord avec G; cependant,
maintes fois, surtout dans le IP livre de Samuel il se rencontre avec
la recension lucianique. Voici le relevé de ces variantes où la concor-
dance avec Lucien est suffisamment certaine.

I Sam. ch. i. 18. invealat] = s-jooi. 19. 74. 82, 93, lOG, 108, 120. 134. — suoav G.
19. SUrrexeruut] =r ofôpisav-îC 93, 108. 82 (oisi opOp-.aavTOC) — opôpiirojaiG.
ibid. adoraverimt] = -poaExuvTioav 19. 82, 93, 108. — G.
-poaxuvoua-.

ibi-i. abierimt] = c-op£jOT,cjav 19, 82, 93, 108, 247. — -opïuovtai G.


20. dicens] = X£yoj3x29. 44. 74.8-2. 93, lOG, 108, 120. 134. — /.a-. ïi-3v

oit G.
ibid. doQiino deo sabaot omuipoteatCj = li-jy.ou ^aSawO Oeoj -x^-o/.ox-

-opoc 82. 93. 108. y.-j;-. 6:. ffa,3. et om. racvTOx-paTopoe G. — Kjp-.oj 75'.ox'o6

-avtoxca-opoc sed om. ÔcOj 4-1. 74, 106, 120, 134.


Cli. II, 12. et nescientesl = /.ai oux siôoisc 82. 93. 123. — om. /.ai G.
Ch. ni, 10. et bis] = /.a- ô;c 19, 82, 93. 108. — /.ai a-aÇ G.
13. faciam viadicta (m ] ^ i/.o-./.r.dw 19. 108. 247. — e/.ôi/.oj G.
17. noli abscoadere a me verbum et {pro ex?) omnibus verbis quae
dicta suât ad aures tuas] = ;j.r) or, /.pji7]C an' saoj ex jmcvtwv -ioi Xov'-JV

Twv XaXT)9£vi:o)v ev to'.c wat aou 19. 108; sic 93 'uisi om. twv Xoywv — om.
cXKavtwv usque ad finem G.
ibid. si absconderis a me] = aa-/ /.pul/rjc a::' b^lo-j 19, 93. 108. — addit hic
-j- prjiAa £/. 7C3CVTWV tojv Âoywv Ttoy XaXïiOcVTiov ooi £V Toic loai aou G.
Ch. IV, 2. commiserunt = TJvsSaXov
et declinavit] /.ai s/.Xtvs 19, 82 (nisi ojvs-
(îaXXov), 93, 108. — om. ajvsSaXov G.
3. percussit] — sOpajJsv 19, 82, 93. 108. — E—aïasv G.
4. ubi sedebat ia chenibim] = oj iKz7.aQr-.o -.% /£po'j6'.;jL 82, 93. 108, 19
(nisi /cpo'jSrijjL^. — /.aOriaEVOU yspo'joifx, G.
Ch. VI, 3. pro tormento donum] := •^r.z^ Tr,c îa^avou ô'opa 19, 44, 82. 93, 106.
108, 1-58. — tr.c ^aaavoj et om. owpa G.
14. Stetit] = E3Tr) 19, 82. 93, 108. — siir.aav G.
/6<V/. circa lapidera] := Jiapa X-.eov 82, 93. 108, 1-58, 236, 242. 245 — -ap'
aut/; (auTiriv) Ài&ov G.
Ch. IX. 21. etcognatio mea minima est omnibus cognationibus cognatio benja-
min] = xat t; jwaTp'.a jxûj oXi^oix») Tcapa iroaaC watpiac Tou BEviaij.iv 19,
108. 82 (nisi j-ec -aTac tac TOcip'.ac), 93 (nisi B«'.viajitv), Théodoret (nisi

zapa -aaac). — /-a: -rfi ©vÀt.c Tr,c hÀx/icttt^c e, oXou a/.r,nTpoj j^Evtaa-.v G.
23. et dixi] = Ka: v.-vt 19, 82, 93. 108, 247 (nisi ivzi). — r.v s-.-a G.
27. in loco summo] = Eie a/pov 19. 82, 93. — Eté aEooc G.
Ch. X, 2. invenies] = £upr,(Tîcc 82, 93. 108. := Kai êupïjasic G.
ibid. finibusj = tocc op.oïc 19, -Se, 82, 93, 108, 246. — t'o opiw 71.
158. T'o OOE'. G.
392 REVLE BIBLIQUE.

ibid. SoUicitus est] [Jiïpttxva t!J, 82, 93, 108; ^povT-.rei 55, 50, 216. —
cSa'j'îXî'jjaTO G.
3. ïhabor alectae] = -r,c ivli/.-r^ç, 19. 82, 93; v/j.ty.-.r^c l<t8 — Ôap'.o Cl.

Oapwp -rfi î/.À£XTï,c 246.


18. manu omnium] = /='-poC na<;')V 19, 108; /s'fwv raswv 82, 93. —
ITacov om. /nooC G.
21. adduxit] = npoTAjyayj 82, 93, 108. — rpojayojG-. G.
22. hic] = £v9aos 82, 93; £VTau6a xi, 108. — om. G.
23. excurrit Samuel^ = s^paa: Xaaour,X 29, 55, 8i, 93, 108, 247. —
om. Sa[jLO'jr,À G.
Ch. XI, 3. et si] = x.at eav 19. 82. 93, 108, 123, 247. — cm. y.ri G.
4. collem] = pouvov 19, 82, 93, 108. — Tapaa G.
7. decidlt] = £n£a=v 19, 108; 82;
ererzjasv 93. — G.
z-i-Z'3%^ ir.r^^vi
omnem]
10. =
zotv 82, 93, 108. — om. -av G.
Ch. XIV, 22. Bethom (p/o Bethoron = PatOwptov 82, 93, 108. — Pa[jLwOG.
.?]]

ibid. Israël] = I^paTiX 19, 82, 93, 108. — toc Àaoc G.


34. — occidite] = acpaÇ£T£ 19, 82, 108. — acpaJ:£To. G.
II Sara. ch. iv, 12 'in sepnlchrum Abenner filii Ner) in chebron 2°j == ev /£.3pojv
2'5 29, 64. 82, 93, 119, 244, 245. — om. totum G. j.

Ch. V, 6. rex] = PaotXeuo 82, 93, 108. — Aajio G.


7. Sion dicens] = Sfov Xeywv 82, 93. 108. — om. X£yojv G.
11. parietum] = Totyou 82. 93: TOt/ou XiOtov 108; XiOtov to;/ou 98, 247.
— Xtôwv om. Toiyoj G.
13. XVII {pi'O XIII?) filiorum] = t£/.va .\av.o oe/.a Toia 19, 56, 82, 93.
108, 158 (nisi /.a-, tpia), 246. — om. totiim G.
20. eos] = auTouc 93, 108. — touc aÀXoçjÀouc G.
24. in pugnam] = eic tov toXeiacv 19, 82, 93, 108. — -poc a-jTouc G.
Ch. X. vl3. (a facie ejus) Syrusj = i:u3oc 82, 93, 108. — om. G.
14. Syrus) Sjpoc 82, 93, 108. — Sjoix G. (Cette variante revient
plusieurs fois dans ce chapitre; le Yind. reste d'accord arec Lucien
pour lire Syru^ au lieu de ïjpia G.
15. viderunt filii Aramon quoniam Syrus prostatus est] et8ov o<. utoi

A[jLijLwv 0-'. Supoc £T:Ta.(j£v = 19. 82, 93 nisi om. o-.i, 108 (nisi om. 0'.

— £iO£ SuGta OTi £r:-aia£v G.


17. chalama] XaXaap.a 19, 108; XaaXajia 82; /aXa[Jix 93. — .XiXafiG.
18. septingentos équités] £7tra/.oaiouC i--£ac 19. 82, 93. 108. — er-a/.oata
apixata G.
ibid. peditumj avSpwv -^^wv 19,82. 93; avopiov 7:£tovTwv 108. — inn£ojv G.
19. qui convenerunt] ot 7utAnop£jo;A£voi 19, 82, 93, 108, 158. — 01 ÔouXoi G.
ibid. disposuerunt testamentum cum Israël et servierunt Israeli tribus]
Kai oieOevto û'.a6rjxr,v \xitOL laparjX /.ai £OouX£jov x<m lupar^X 82, 93, 108, 19
(nisi ôuQeto). — /.ai ïiuTO|j.oXT)aav [xz-zt IjpaTjX vjxi eSouXeujoîv aurotc G.
Ch. XI, 3. Ela] HXa 82, 93. — EXta.'i G.
4. iota] XEXou|j.£vri 19, 82. 93, 108. — aY'.aro[i£VT, G.
5. concepi ego] ouvEtXrjxa Eyw 19, 82, 93, 108. — Ey^ £'.;j.'. £V yaîtpi £-/_(0 G.
7. Recte est Joab et recte est populus et recte est exercitus belli
Et uyiaivEi IcoK^ /.on si uyiaivEt Xaoc "/.ai ei ^ytaivEt toXeiaoc 19, 82; fere
sic 93 et 108. — £tC Etpr^vr-jV l'oa^ xai eiC Etpyjvyjv tou Xqtoj xai sic £ipr;vr,v

TOU noXsjjLOU G.
RETOUCHES LUCJANIQIES. 393

Ibid. Et dixit Urias oinnes rectae sunt Ka-. tir.v^ JYia'.vc'. 19, 71. 82,

93, 108. — om. totiim G.


8. protectores] t'ov -ap£OTr,/.0T'.r/ 19, 82. 93. 108; 3/. T'ov r.ix;.. 243. —
apa-.c G.
9. cum omnibus] [j-z-ch -xvtwv 19, 82, 93, 108. — om. -aviwv G.
11. juro per vitam animae tuae] [xa t/.v Zwr,v Trjc '^j/rjc ^oj 19, 82,

108, 93 (absque Tr,c). — Zrj r, ij/ï, 30J G.


13. inebriatus est] î|jL£0j78ri 19, 82, 93, 108. — sjjLsOjcjev aurov G.
IC. cum obsidit] £v tw -ïpt/.a6r,o6ai 93. 108: fere sic 19 et 82. — sv

X'o '^'jÀaaiciv G.
ifttV/. locum pessimumj totov -ov -ovojv-ra 82, 108. — om. tov novouvra

G.
17. secundum praeceptum] /.a-ca tov Xovov 19, 82, 93. 108. — e/. -tov

oovÀwv G.
Ch. xiir, 24. ad servum suum] Tipoc tov oojàov auTOj 19, 82, 93, 108 (nisi

ôouXov aou). — iiExa to'j oouXby ao-j G.


25. cogérât eura Abessalon] xaTejBtaÇîTo xjtov ATieaaaXwv 93, 108, 82
(nisi A^cjaX'oji.). — eliiaixTO autov et Olïl. A.SîaaaXwji. G.
26. mecum] u.eT'sjiou 82, 93. 108. — a£6V,awv G.
28. ego enim] on v(o> 19, 74, 82, 93, 108. — on oj/i syio G.
32 filii régis occisi sunl] oi uiot tou ,3a(riÀ£ojc T39vY,xa(jt 19, 82, 108. 93
(absque oi]. — -ojc jtojc toj ^a^iX^ojc EOavaTwaev.
i6(V/. in ira enim est at Abessalon] on sv opyr, y,-/ aurco A^£ac;aX'o;x 19,

93, 108, 82 ;nisi APîaaX'.ou.). — o~i î-i OToaaTOC A,3£aaaX'.);j. rjV -/.îiiiemoc G.
Cil. XVII, 12. turbaviinus eura et inruimus super eum] e/.^7.ix[ir]m\i.zv auTov

82, 93, 108, 19 (nisi :/.9a;j.pr,aw(j.£v). — -ap£a3aXou[iîv £?;' a'JTOv G.


13. adterrent] ::poaa?ojat 82, 93, 108, 19 (nisi npoaau?.;. — Xr,'io/T«'. G.
«6?v/. funes adversus civitatem illam] = ^-/otvia £::i t/.v -oXt/ 3/.£ivr;v

19, 82, 93, 108. — Tzpoc Tr,v tcoXiv sxëtvrjV a/oivia G.


i6<V/. et extrahent illam] = xa; crttanaaovTat auTTjv 19, 82, 93, 108. —
xa: o-jpoj|j.£v a'jT/"// G.
ibUl. inveoiatur tumulus] £jp£Or, exei cjjaToo^r,] 19, 82, 108; £jp£6// £/.£•-

jxrjOc Xi6oc 93. — xaTxÀ£içOr; £X£i [x.r,0£ XiOoc G.


14. Acbitophel (2°) et consilium Abessalon] toj Xynooû. tt,v aYa8r,v xat

-Y,v iojÀriv T/jV A^sa^jaXwv 19, 108; sic 82 et 93 (nisi om. t/;/ 3°). —
om. /a: T/jV 3ojXy|V xr|V A j:aaaÀoj;j. G.
16. noiile proQcisci] ur, -opsuoj 19, 82, 93, 108. — [J-r] auX-.aOr.c G.
ibid. ad occidentem] /.a-a ôuîaac, 82, 93, 108, 19 (uisi ojtjiwvi. — sv

ApafJojO G.
ibid. transiens transi] ôtaSatvov o:x}rfii -x jôaia 19, 82, P3. 108. —
oiapatv'ov -j-jutov G.

t6/d. absorbeatur rex et omnis populus] xaTa-o6r) o paa.ÀEyc x.a: ::ac

Xaoc 19, 82, 93, 108. — zaTaj::/; XI, 29. 119, 1.58, 245, \

Ka-:ft-£ijr, G et omnes,
xaTa7;atr,a£i 106, 242, 44 inisi — TTjar,',

-{- JaaiXsa xa: zavxa tov Xaov.


19. cannamj ptnov 19, 93. 108; p£:-ov 82. — c;:ixaXu|jL{Aa G.
super os] £-: toj «JxoaaTOC 19, 82, 93, 108. — £-' -podWTtov G.
20. viris] -poc touc avôpac 82, 93. 108. — auTOïC G.
394
'
REVUE BIBLIQLE.

ibid. festinanter transierunt] ot£r,Xu6aa: cjnsjooviic 19, y2, i»o, 108. —


:;apr|XGav om. c77ï£'JÔovt£C G.
22. donec luceat niane dies] ewc 5ucpauc>: to -pojt «2, 108, !>3 nisi
OtE^tOdî), £WC XO-J CpOiTOC TOU TipCOt G.
24. in castra] etc 7:ape[jLJ5oXac 19, 82, 93, 108. — sic Mavaia G.
2ô. flljus Abieter Israeli] uioc IsOep tou lopariXirou 82, 93, 108 (nisi

lapaï,).'.-r,c;. — uioc avopoc, xai ovoaa auTto lîôsp o IapaïiXitY,c G.


28. vitulos saginatOS] ^;3il7.^vx aoa/apia 82, 93, 158, 19 ,Disi 7xXaO;va\
108 (nisi yaXa-.vai. — sa:iw9 ^owv G.

Cil. XVIII, 2. tripartitimi fecit.] î-oiiav^m 82, 93, 108. 19 nisi sTp'.aeuTEi.
— a7:£3"c;Xe G.
ibid. rex Davit] o [JacriÀsuc 82, 93, 108. — G.
A.rjiJ

3. dLxit populus] £i-£v Xaoc 82, 93, 108. — si-av G.


ibid. non slabit in nobis cor] ou a-r^itzxi jv yjj*tv /.apoia 19, 82 (nisi >,

x.ap.), 93, 108. — ou ôr^aouaiv £cp' ï,[xac zapoiav G.


ibid. et nunc separentur de nobis X mille] /.ai vuv a!r)aip£6r,a£Tai £5

Yijjiwv y, yr, OEx.a yiXiao; 82, 93, 108, Théodoret; 19 et 245 fere. — ^u wc
rjij.£iC 0£za /^iXiaÔîC G.
6. campum] lo -£oiov 19, 82, 93, 108. — tov ôoujaov G.
8. gladius et omet la traduction de £v tw Xaoj om. £v xw Xaoj 19, 82,

93. 108, 158, 247. — vi toj Xa'.) r, |Jix/aipa G.

Les leçons lueianiques an Palimp.se s tus Fmc^. sont, on le voit, assez


nombreuses et nous devons ici encore nous poser les mêmes ques-

tions que nous avons eu à résoudre tantôt, à savoir Ces variantes :

sont-elles des parties originales du texte primitif de la vieille version


latine, ont-elles été empruntées à la revision grecque d'Antioche et

insérées dans l'ancien texte latin, ou bien le texte entier du Vind. ne


serait-il qu'une nouvelle traduction faite sur la correction de Lucien?
Nous écartons tout d'abord cette dernière hypothèse; car si ce
texte latin du Vind. avait été traduit directement sur le Grec de
Lucien on ne s'expRquerait pas comment dans la grande majorité de
ses leçons il s'en serait écarté pour se rapprocher du type G que nous
trouvons dans la masse des mss. minuscules, avec lesquels il est plus
souvent en accord.
De plus nous avons plusieurs raisons de considérer certains lucia-
nismes du Vind. comme des retouches.
1. —
Si nous rapprochons les versets que nous lisons à la fois dans
Lucifer et le Vind. nous y relevons d'assez nombreux écarts mais
cependant des ressemblances suffisantes pour rendre invraisemblable
l'hypothèse d'une complète indépendance des deux textes.

Lucifer. Vind.

I Sam. Cb. m, il, —


Et dixit dominas Et dixit dominus ad Samuel : ecce ego
ad Samubel ecce ego : verba niea facio in Isiael et omnes
RETOUCHES LUCIANfQUES. 39o

l'acio verba mea in Israël, audientes ea veulent (pro tinnient.^).

et oninis qui audierit ea, ambae aures ejus.


tinnient utraeqiie aures
ejus.
12. — In illo die quo In die illo quo suscitabo super Eli
suscitabo super Heli omnia quae locutus sum de domo ejus.
omnia qnae locutus suûi et incipiam et perficiarâ.
in domo ejus et consum-
mabo
13. — quae praedixi ci. Et praedixi ei quia ego facUan vindicta
Quoniam ego ulciscor (sic) de domo ejus usque in aeternum
in domo ejus usque in propter injustitias filiorum quas ipse sci-

aeternum propter ioi- vit quoniam maledicebant dominum filii

quitates lîliorum ejus ejus et non corripiebat eos.


quas ego scio, quoniam
contemnentes dominum
mala locnti sunt filii ejus.
et non monuit eos neqiie
castigavit.
14. —
Et nunc sic jura vi Et ideo sic juravi domui Eli, non enim
domui Heli si propitia- dimiltetur iniquitas domui Eli in incenso
bitur iniquitas in domo et sacrificiis usque in aeternum.
Heli in incenso aut in
sacrificiis in sempiter-
num.
Ch. III, 21. — Heli senex erat Et erat Eli senex valde et fili ejus
valde et filii ejus euntes abientes abierunt. Erant enim mali-
(sic)

abierant, et erat nialigna ena via corum coram domino.


via corum coram do-
mino.
Et factum est in die- Et factura est in diebus iilis et (ut?)
bus illis. et conveneruut congregarentur alienigenae ad pugnam
alienigenae in puiinam adversus Israël.
ad Israël.

Ch. IV. 2. — Et inclinavit pugna Et declinavit pugna et victus est vir


et cecidit vir Israël coram Israël ab alienigenis et vulneratus est et
alienigenis, et vulnerati exercitus in campo quatuor milia homi-
sunt in acie in canipo num.
quattuor niillia honii-
niim.
3. — Et venit populus Et venit populus in castra et dixerunt
in castra et dixerunt majores natu in Israël : quare pe/'cwssjï 7ios

majores natu Israël : dominus hodie coram alienigenis? Toila


propter quid dcficcrc mus arcam dei nostri ex Selon et exeat in
fecit nos hodie dorjiinus medio nostrum et liberabit nos de manu
coram alienigenis? Tol- inimicorum nostrorura.
lamus igitur arcam do-
mini dei nostri ex Selon,
et exeat in niedio nos-
396 REVUE BIBLIQUE.

ti'imi et liberabit nos


de manibiis inimicorum
uostrorum.
4. —
Et misit populus Et misit populus ad Selon et sustule-
ad Selon et sustulerunt runt inde arcam domini ubi sedebat ix
inde arcam domini ahi se- chérubin. Et ambo filii Helie cum arca
dcbat cheruiiin. Et ambo Dei ibant Ophne et Phinees.
fliii Heli cum arca Dei
ibant, Ofni et Finees.
Ch. IV, 10. — Expugnaverimt Et expugnaverunt. et defecerunt viri
illos, et defecit vir Israël Israël a conspectu alienigenarum. Et fu-
a conspectu alienige- git unusquisque in tabernaculum suum.
narum, et fugit unus- Et facta est plaga magna valde et ceci-
quisquein tabernaculum derunt ex Israël XXX millia virorum.
suuna. Et lacta est plaga
magna valde et cecide-
runt ex Israël trigiota
milia viroriim.
11. Et arca Dei capla Et arca dei sublatd est et ambo filii

est et ambo filii Heli Eli mortui sunt.


mortui sunt.
Ch. IV, 16. Et vir properaus ac- Qui venit bomo properans intravit ad
cessit ad Heli dixitqiie Heli et dixit illi : Ego sum qui veni de
ei : Ego sum qui veiii castris et ego fugi de acie bodie et dixit
de castris fiigiens de Eli : Qiiid factum est fili.

proelio bodie et dixit


Heli : Qui sermo factus
est filiole.'
17. Et respondit vir et Kt respondit puer et dixit : Fugit vir
dixit : Fugit vir Israël hrael a facie alienigenarum et facta est
a facie alienigenarum, plaga magna in populum et ambo filii

et facta est plaga magna tui mortui sunt et arca Dei capta est.

in populo, et ambo filii

tui mortui sunt, et arca


Dei capta est.

18. — Et lactum est Kt factum est cum memoratus est de


cum audissel, arca Dei arca Dei cecidit supinus contra portani et

capta est, cecidit supinus contritum est dorsum ejus et mortuus est
de sella juxta portai» et quia bomo senex et gravis...
contribulatura etdorsum
ejus, et mortuus est,
quoniam senex erat et
gravis bomo, et ipse
judicabat in Israël vi-

ginti annis.

Pour ces versets communs à Lucifer et au Vind. la recension de


Lucien oflVe nombre de variante.s caractéristiques que nous ne lisons
RETOUCHES I.L CIANIQUES. 397

pas dans nos deux textes ialins. Xous ue relevons guère comme
lucianisme commun à Lucifer et au Vind. que ch. iv, i : l'In sedebat
chérubin [in chérubin : Vind. qui semble traduire : :j v/.y.hr-z

-y. yspcji'i'.y. de Lucien. Le Vind. est seul à lire, ch. ni. 13 : faciam
l' indicta : v/.l'./.r,-:^ = Lucien) — Ulciscor = v/.1<.-/.m G.
De plus, le pprcussit nos du Viiid. ch. iv, 3 traduit mieux sOpaj^sv
Lucien) que e-txuîv G.
Cela ramèoe donc à deux les lucianismes propres au Vi7id. et cette
constatation nous suggère à nouveau l'hypothèse d'un remanieaient
d'après la recension de Lucien de l'ancien texte latin dont dépendent
à la fois et Lucifer et le ]'ind.

2. — Si nous examinons ces leçons en elles-mêmes, nous faisons


aisément les constatations suivantes.

a I Saïu. ch. i\, 27 io loco sunmio (= ;ic a/.pov = L) = Hi'pz — l'.c [xi^oc G.
Ch. X, 2. m fi7iibus C= ='' "'>'C op'.o-.c = L] répond mieii.x à : S"m2 que
l'i Tto ocei = G.
II Sam. ch. iv, 12. in chebron 2*'(£v = L) est
/.a.'jpcov omis par G bien qu'on
le Use dans l'Hébreu. — Lucien l'ajoute.
Ch. X. 19. disposuerunt testamentum (ouôavTo oia9rjxr,v = L) est une
meilleure traduction de T2"'w,*1 que r)jTo;jLoÀrjaav rj.£Ta loçar.X = G.
Ch. wiir, 6. campum '-.o tîîc.ov = L = nTUJn — tov opujAov = G.

b) Plusieurs mots hébreux simplement transcrits en Grec par G


sont traduits par le Vi?id. et par Lucien.

I Sam. ch. r. 20. sabaot omnipotente aaSa-iO -avTo/saTosoc = L) — sx^aojô G.


Ch. X, 3. Thobor alectae (v/lv/.-r,c = L^ Mais au lieu de i*i2n Lucien a
lu ici et traduit T:ri2 — Thabor G.
Ch. XI, 4. Collera (^ojvov = L) — Tapaa G. yz;.
II Sam. ch. xvii, 16. ad occidentem {lix-x oj(i;j.ac =z L) = :v ApxiwO G. T)V~2'J

ibid. 24. in castra [v.c -ap=,u.f;oXac = L) — £v Mavata G. C'^jûa.


ibid. 28. vitldos saginatOS [yxl^^lryx ^loiyxy.oi. = L) —
7açw9 ^otov
G. ^p2 mstt».

Cl II Sam. ch. x. 15. Viderunt filii Ammon quoniam Syrus pros-


tratus est (eic:/ ;-. j'.c. A[ji.;j.tov t->. ; 2^j;:c s-Ta-.-z/ = L) ressemble trop
dans sa teneur au v. 14 pour que nous n'y soupçonnions pas une
adaptation d'après ce texte parallèle ; au v, IV nous lisons en effet :

Kx', o: j'.S'. A;j.y.o)v stcav ct'. zis-jy-'' - — jccf.

d) On observe une tendance marquée à ajouter ou bien un com-


plément ou une réponse attendue.
398 REVUE BIBLIQUE.

I Sam. ch. vi, 3. donum (owpa = L).

II Sam. ch. xi, 7. Et dixit Vrias omnes rectae (sic) sunt (xat s'.r.i^ uyiaivji = L).
ou un sujet qui éclaircit le sens.

I Sam. ch. x, 23. excurrit Samuel (£opa;j.£ iIxaoj/,x := L).


II Sam. ch. xiii, 25. cogérât eum Abessalon '^/.aTH^ta^ya-to auxov A^ÊoaaXoifi = L).
ch. xviii;^3. dixit populus (ei-ïv o Xaoc = L).

ou toute autre addition qui rend la phrase plus explicite, et inten-

sifie l'expression :

1 Sam. ch. xi, 10. oinnem ne se lit pas dans G.


II Sam. ch. v, 13. xvii (xiii?) filiorum: seul L fait ce total.
— 24. in purjnam (ac tov ;:oÀE[j.ov L) au lieu de r.ooC a-j-ojC. =
Ch. X, 19. qui convenerunt (oi ivaTiopî-jotjLsvoi au lieu de oi oouXo-..
Ch. XI, 9. Omnibus ne se lit pas dans G.
— 16. pessimum « id. »

Ch. XVII, 20. vi/is upoc Touc avopac) au lieu de au-co-.c.

Ch. XVIII, 2. tvipartitum fecit i-c-y.izi-jiî = L) est mieux adapté au


contexte que a:îïaT£tX=.

e) Deux répétitions choquantes sont écartées.

II Sam. ch. v. Le mot aÀXosuXojc revient quatre fois au cours des versets 19 et

20, la troisième fois le Vind. et Lucien remplacent le substantif par


le pronom i-os (aurouc}.

Ch. XI, 17. G lit : y.7.'. s-Eoav -./. toj Xaou s/. T')V oojXwv.
Le Vind. et Lucien remplacent s/, twv SouXwv par secundum proecep-
tum ixaTa tov àoyov) ce qui au point de vue stylistique est évidem-
ment plus satisfaisant.

f) Plusieurs leçons rétablissent la concordance des temps ou des


personnes des verbes que G perd de vue.

I Sam. ch. i, 19. surrexerwit... adoniverunl... "biemnt... (opOp-.^avTEC... -po-


aE/.jvfiaav... ETîopEuôrjiav. L'aoriste est préférable ici au présent histo-
rique vu que dans les phrases qui précèdent et qui suivent tous les
verbes sont au passé.
Ch. III, 13. faciam vindicta{m) (czô'./.riaw = L) venant après les futurs
ap^oaa; xai ir.ii t\r,i<Mdu verset précédent est tout indiqué au lieu de
c/.3i/.oj. C'est du reste un futur que l'on attend après avr;vv£X/.a,
Ch. XIV, 33. aipaÇsTw {v/.olitoc) sr.i tojtoj (Gj étant suivi immédiatement de
xat ov ar) a[i.apTr|-£, le Vi7id. et Lucien l'ont remplacé par le pluriel
occidite = açai^ETs.

Or, ces quelques particularités que nous relevons dans les leçons
RETOUCHES LUCIANIQLES. 399

qui sont communes au


Vind. et à lAicien, ont précisément été signa-
lées dans d'autres livres comme caractérisant la recension lucianique
et en constituant les notes distinctives. Corrections d'après l'Hébreu,
traduction de termes hébreux que G n'avait fait que transcrire, rema-
niements d'après les passages parallèles, compléments ajoutés, éclair-
cissements apportés au sens, corrections stylistiques, tout cela c'est
du travail propre aux correcteurs d'Antioche (1); et si nous retrou-
vons ces caractères dans les leçons du Vind., c'est pour nous un
nouveau motif de considérer ces dernières non comme des lucia-
nismes avant la lettre, mais plutôt comme des retouches ultérieures
opérées sur un texte plus ancien.

3. —Enfin un argument qui nous permet de trancher catégorique-


ment la question, c'est la présence dans le Vitid. de plusieurs dou-
blets où l'on retrouve la leçon lucianique simplement juxtaposée à
celle qu'elle aurait dû remplacer et qui continue de se lire à coté
d'elle.
a) I Sam. ch. x, .'î. G lit : imc -r,c zpjcc H-Amo.
Lucien lit : cO)C -.r^c spucc ty;c £/.Xs/.ty;c.

Or nous trouvons dans le Vind. : ad arborem tjiabor alectae.


Rem. Nous avons signalé qu'un ms. minuscule 2V6 a le doublet. :

Mais ce fait n'infirme en rien notre argument; que le Vind. ait lui-
même constitué son texte aggloméré ou l'ait déjà emprunté au 246,
la leçon composite trahit une retouche.
b H Sam. ch. xvii, 1*2. G lit : £yp(.);j.3v aj-cv tv.tl /.y.'. -y.zt[j.cyMZ'j\j.t^f

ir. a'JT:v.

Lucien cjpo);x£v y^-z-i t/.v. v.a', £7.6x;j.cy;7:;aev xjt^v. Le Vind.


lit :

porte invcnerimus illum et turbavimus (bimus?) eum et


:

. IXRUEMUS SCPER El M.
Il est difficile de désirer un cas plus décisif.

c) ch. XVIIT, 2. G lit : /.ai si-ev Aaueio.


Lucien lit : /.a-, s'.xsv o ^x^Cki-jc.

Le Vind. : Et dixit rex Davit.

(1) Voir A. Raiilfs, Lucians Rezension '0, 53-55.


Rahlfs signale notaniinenl l'habitude de Lucien do traduire en grec des termes et
expressions hébraïques que G
que transcrire. n'avait fait
Dans la liste qu'il donne aux pages 24i»-250 nous relevons les leçons suivantes que nous
retrouvons dans nos textes de Samuel (Voir plus haut page 26).
II Reg. ch. xi\, V. 15, ch. x\, v. 16 fiigl L jtavTo/.paTwp oder xopoc aïs Ûbersetzunfi —
von lapawO hinzu.
Ch. XXV, V. 5. Dl^l"! ïvApaPwO] xarx ovjij.ac.
400 REVUE BIBLIQUE.

C'est plus qu'il n'en faut pour nous autoriser à conclure sans hési-
ter que le texte du Vind. a grecque
été retouché d'après la recension
de Lucien.

IV

In quatrième document dont il convient de dire un mot est le frag-


ment édité par Haupt. Il ne comprend que deux feuillets, mais une
partie assez notable de son texte se retrouve dans les témoins étudiés
plus haut. Voici d'abord ceux qui lui sont communs avec le Viîid.

Frag. de Haupt. VliND.

II Sam. cil. X, 19. Et viderunt omnes Et viderunt omnes reges qui convene-
reges, qui convenenott ad Adra- runt cum Adrazar, quoniam occiderunt
zarem ,
quoniam caeciderunt conspectum
(sic) in Israël et disposuerunt
coram Israël, et disposiœrunt testamentum cum Israël, et servierunt
testamentum coram li^rael, et Israeli tribus. Et timuerunt Syri libe-

servierunt Israël, et timuerunt... rare fllios Ammon.


fllios AmmoD
Ch. XI, 1. Et fact[um est]... [anjno ver- Et factura est in vertenti anno, in
tente... tempojre... reges... et tempore profectionis regum et misit
naisit David Joab et pueros David Joab et pueros ejus in omnem
suos et omneni Israhel, et Israël cum eo et interruerunt filios

exterminavit filios Ammon. et Ammon, et obsiderunt Rabba. Et David


consederunt in Saliabaa. Et habitabat in Hierusalera.
David liabitabat in Hierusalera.
2. Et factura est //; co tempore Et ad vesperara surrexit Davit de
ad vesperum et e.\surre.\it David cubiculo suo et ambulavit in porticum
de cubiculo suo et inambulabat domus regiae et vidit mulierem lavan-
super tectum domus (suae re-] tem per porticum. Et mulier illa erat
gi[ae] et vidit mu lierem]... speciosa valde.
solario domus suae. Etmu[lier]...
bona specie v[aldej.
3. Misit David et... sivit mu- Et misit Davit et inquiesivit mulierem.
lierem et dijxit : nonne liae[c est Et dixit non haec est Bersabee
: filia

Bersa]baee filia IleUi... Urie Ela uxor Uriae cetbaei...


Cetthaei...
.}. Et intravit [domumj suam Et intravit in dora 3 sua et concepit
et concep[itJ... et mi[sit et mm- mulier. Et misit et nuntavit Davit et

tialvit D[avi]d et d[ixit] : con- dixit : concepi ego.


cepi ego.
7. Et respon[dit] : omnia... Et dixit Urias : Omnes rectae sunt.
9... liabantregi...Uriasdormire Et dormivit Urias in portam domus régis
[ante porjtam domus rcLgiae cum omnibus servis régis domini sui et

cu]m omnibus pu[eris domi]n non descendit in domum suam.


sui et non [descejndit in domum
[suam].
RETOUCHES LUCIAMQUES. 401

10. Et reiiiintia[verun]t régi Et nuntiaverunt Davit dicentes. Non


dicentes : [^fon deisceadit Urias descendit Urias...
etc..
1 1. [Arjca domini et Israhel inha- Â.roa domini et Israël et Jndas habi-
bitant in [tabern]Hcru]lis... et tant in tabernaculis et dominas meus
servi domini [mei] David in facie Joab et servi domini mei in faciem campi
[ cjonquiescimt. requiescunt.
13. Et bibit corani David et Et bibit coram David et inebriatus est
inebriatus est et exivit vesperae. et David misit.
16. Et factimi est cuni obsi- Et factum est cum ob^idit Joab civi-
deret Joab... civitatem, dédit tatem Amonae, misit Uriam in locum
U[ria]ni in locum pessimum ubi pessiniuin ubi sciebat quia viri fortes
sciebat quoniam viri fortes erant.
erant.
17. Et exieruDt tueri {pro viri?) Et exierunt viri civitatis et pugnave-
civitat[is et pu]2;nabant cum Joab runt cum Joab Joab de populo
et caecidit
[et] caecidit Uri[as] cetth[eus]. seciinduin praeceptuin Davit et mortuus
est Urias hetaeus.

Les variantes lucianiques que nous avons soulignées sont pour ces
[uelques versets relativement abondantes.
La plupart se retrouvent dans les deux documents.
Le Vind. n'en a aucune qui lui soit propre.
Le fragment de Haupt en a deux qui ne se lisent pas dans le Vind. :

V. 2 : m eo iempore] ev -m y.a'.po) = 19, 82, 93, 158, Chrysost. —


ïm. G.
V. 16 : dédit] zow/.s 19, 82, 93, 108. — sOr/z.cv G.
Au verset 2, le fragment Haupt lit ad vesperum comme l,e Vind. ce
|ui correspond exactement à r.ç>zc sjzspav de G.
Au lieu de r.ozc, tar.ipyy. 19, 82, 93, 108 et Chrysostome portent £v

•/.aipo) rf,C OE'.Ar^C.

Selon toute vraisemblance nous avons de nouveau dans le fragment


le Haupt une fusion des deux leçons grecques.
Ineo tempore (v> tw y.acpo) =: L) -h ad vesperum (-pcc sr^rspav G). (1).
Ce qui fournirait la preuve que les leçons lucianiques de ce docu-
ment n'ont pas d'autre origine que celles du Vind. Ce sont également
des retouches tardives.
Le Legionensis cite le même verset 2 dans une forme très voisine
de celle du fragment Haupt.

(1) Le doublet n'apparaît pas ici aussi clairement que dans les cas précédents, mais il
nous semble que si le latin avait voulu traduire vrfi Ziù.rfi qui suit îv t(o x.aipw il aurait
plutôt employé le génitif; la construction ad vesperum rappelle la forme Trpoc caTcspav (G).
D'autre part in eo tempore représente manifestement tm zaïpo) de Lucien. sv
Le correcteur qui emprunte à Lucien sv tw zatpw aura naturellement omis de traduiro
T/ic SeO.Yic. ce qui eut constitué une répétition trop llagrante de ad vesperum.

REVIE BIBIIOIE 1919. N. S., T. XVI.— 26


402 REVUE BIBLIQUE.

^
Halpt. Légion.

Ch. XI, 2. [Et factum est] in eo Icnq^ure in eodem fempore ad vesperum et sur- i

ad vesperum et exsurrexit David rexit David de cubiculo suo, et ainbu-


de cubiculo suo et inambulabat lavit super tectum domus suae regiae.
super tectum doinu[s suae re-j

g;i[ae].

De part et d'autre, nous retrouvons le même doublet in eodem :

tempore ad vesperum, ce qui ne peut que confirmer notre opinion sur


le caractère secondaire des lucianismes de nos vieux textes latins.

Si l'on tientcompte des ressemblances incontestables que présen-


tent les quatre documents c^ue nous avons examinés, Jesquelles por-
tent sur le vocabulaire, l'agencement des phrases, de même que sur
un certain nomln'e de lucianismes qui leur sont communs, et si Ion
se rappelle, d'autre part, que malgré cette parenté et cet accord, des
divergences très sensibles se font jour, notamment que ces textes ont
4eurs lucianismes particuliers, il me semble qu'une hypothèse qui
expliquerait bien ces faits serait la suivante :

Les vieux textes latins de Lucifer, du Vind.^ du fragment de Haupt,


d'abord relativement purs de leçons syriennes auront d'abord été
légèrement retouchés d'après le texte grec établi par Lucien et reçu
à Antioche et à Constantinople.
Les copistes transcrivaient leurs textes assez librement et ne se
gênaient pas pour y introduire des modifications; ils conservaient
certaines retouches lucianiques qu'ils trouvaient dans leur archétype,
et y en ajoutaient de nouvelles qu'ils allaient puiser à la même source
d'où dérivaient les premières, c'est-à-dire dans des mss. grecs de la
reccnsion de Lucien.
Nous expliquons très bien ainsi que les textes de Lucifer et dû
Legiouensis malgré leur parenté évidente comprennent de façon
dili'é rente une même leçon grecque : ty;c Or,pac twv sXasojv.

On pourrait facilement relever nombre de leçons lucianiques dans


les autres mss. et citations des Pères que l'on trouve dans Sabatier :

Pseudo-speculum, Augustin, Jérôme, Vêtus Irenaei Interpretalio, mss.


de Corbie et de St-Germain eic, mais les textes fournis par ces sour-
ces sont moins copieux, moins étendus, et un premier examen ne nous
a pas révélé d'indice particulier sur la question à l'étude de laquellte
nous nous sommes limité dans cet article, à savoir Quelle pourrait :
UETOUCHES LUCIANIQUES. 403

être l'origîne de la plupart des le(;ons lucianiques que nous relevons


dans les vieux textes latins des livres de Samuel?
Les documents que nous avons étudiés nous fournissent, du reste,
des indications largement suffisantes que nous pouvons résumer
comme suit :

1° Pour de Samuel, nous n'avons pas de preuve de l'exis-


les livres

tence de plusieurs versions latines anciennes faites sur


le Grec de façon

indépendante. Les divergences que Ion relève entre les divers


témoins examinés s'expliquent beaucoup mieux dans l'hypothèse du
remaniement d'un texte primitif commun qui réapparaît souvent.
2" La plupart des lucianismes que nous lisons dans Lucifer de

Cagliari, le Legionensis, le Vind., le fragment de Haupt, ne sont pas


des leçons primitives du vieux texte latin, mais y ont été insérées.
S"' Cette revision du vieux texte latin se sera très probablement
opérée par apports successifs de leçons empruntées au texte grec d-e
Lucien alors en vogue.

L. Dieu.

Louvain.
SAINT PAUL FUT-IL CAPTIF A EPHESE
PENDANT SON THOISIÈME VOYAGE APOSTOLlQrE?

Dans un passage célèbre de la seconde rpitie aax Corinthiens saint


Paul nous apprend en prison
qu'il a été plusieurs fois
èv ouXay.aiç :

Tcepicao-réptoç (xi, 23; que le comparatif garde sa valeur


cfr. vi, 5). Soit

naturelle et exprime une comparaison entre l'Apôtre et ses adver-


saires, soit qu'il dénote simplement la fréquence et la dureté de ses
captivités — comme J-spSaAXivTtoç et zoAAa/.i; qui suivent, — toujours
est-il que saint Paul a subi plusieurs fois les rudes épreuves de la
prison antique. A la fin du premier siècle, saint Clément de Rome
sait que l'Apôtre a été sept fois (li dans les fers i—iv^ç zta[).y. :

scpéffaç {Rom., v, 6). Le récit des Actes nous renseigne sur quelques

unes de ces captivités un emprisonnement de quelques jours à P/n-


:

lippes (xvi, 22-39), une détention assez courte à Jérusalem (xxii, 30-
xxiii, 22) suivie d'une captivité de deux ans à Césarée de Palestine

(xxiii, 23-xxvi); enfin, après la traversée mouvementée de Césarée à


Rome, une captivité de deux ans à Rome Le dernier
(xxviii, 16-30 .

chapitre des Actes rapproché des Épitres Pastorales nous permet de


conclure avec certitude à une seconde captivité romaine couronnée
par le martyre.
Y a-t-il trace d'autres captivités dans les sources qui nous rensei-
gnent sur la vie de saint Paul? Parmi ses épitres, cinq ont été écrites
en prison Eph. (m, 1); Col. (iv, 18); Phil. (i, 7); Philém. (9);
:

II Tim.iv, 8, 16 etc.). Les discussions sur la date et lieu de compo-


sition de ces lettres n'ont jamais été entièrement closes; cependant,
jusqu'en ces derniers temps, on plaçait généralement les quatre
premières pendant la première captivité romaine quelques cri- —
tiques toutefois préféraient Césarée pour le lieu de composition

(1) Les essais lentes par Zi:li.eii {Theologische Jahrbucher, 1848, p. &30) et Bi.vss

{Neue Kirckliche Zeitschrift, 1895. p. 721) pour retrouver dans les Actes et les Épitres
ces « sept captivités « n'ont convaincu personne. Voir Ziim, Elnleitung I, p. 447.
SAIiNT PAlf. FL'T-ir. CAPTIF A ÉPHFSE? 405

des lettres aux Ephésiens, Colossiens, Philéiuon et la seconde à —


Timothée était et est encore unanimement datée de la dernière cap-
tivité romaine par les auteurs qui admettent les deux captivités ro-

maines et l'authenticité de Fépitre. Toutefois, dans ces dernières


années, un mouvement se dessine en faveur d'une captivité éphé-
sienne, pendant le long séjour que fit l'Apôtre dans cette ville au
cours de son troisième voyage {Act., xviii, 23-\ixi.
Ce serait à Éphèse que saint Paul captif aurait écrit, d'après les
uns, la lettre aux Philippiens, d'après d'autres, les trois lettres aux
Ephésiens, aux Colossiens et à Philémon ou même toutes les quatre.
Nous voudrions examiner ici brièvement les arguments qu'on ap-
porte pour établir que saint Paul fut captif à Éphèse lors du troisième
voyage apostolique (1).

La tradition, dit-on, a gardé le souvenir de, la captivité d'Éphèse.

(1) Quelques indications bibliograpliiques ne seront pas inutiles. — Déjà Pierre Lombard.
Lanfranc et Érasme admettaient la captivité d'Ephése et attribuaient à cette période de
la vie de saint Paul la composition de l'épitre aux. Colossiens. 11 n'est pas difficile de
trouver l'origine de cette opinion. Elle dérive évidemment des anciens prologues très
répandus au moyen âge et qui doivent être d'origine marcionite. Ces prologues afBrmaient.
à propos de la lettre aux Colossiens, la captivité éphésienne et la composition de cette
épitre durant cette détention. Nous en parlerons plus loin. Ce n'est qu'en ces derniers
temps que cette opinion a été ressuscitée, et actuellement, il faut bien le dire, elle jouit
dune vogue croissante. Pour être complet il faudrait commencer par signaler les études (? )
révolutionnaires de tl. Lisco : Vincula Sanctorinn. ilin Bellrag ziir Er/cldrung der
(refangenschaftsbriefe des AposMs Paulus, Voir Revue. 1901,
Berlin, Schneider, 1900. —
p. 30.5-307 — et Rojiia
Peregrina. Ein Veberblick ueber die Enlwicldung des Chrislen-
tums in den ersten Jahrhunderten. Ib. id. 1W»1. —
Le port d'Ephèse s'appelait Rome :

c'est là que prêchèrent Paul et Pierre et Jean, et Clément et Ignace!!! Mais il vaut —
mieux ne mentionner que les auteurs qui suivent la méthode ordinaire de démonstration
historique et dont on peut suivre, critiquer, réfuter les conclusions d'après les règles
rerues entre historiens.
Le premier critique qui a préconisé une captivité éphésienne pour la solution de cer-
taines difficultés au sujet des épîtrcs de la captivité est A. Deissma>n (Licht vom Osten
(!• Mobr, 1908, p. 165, et Paulus, ib., 1911, p. 11 et 149). M. Deissmann n'a
éd.) Tiibingen,
pas fait valoir ses raisons, mais la suggestion fut reprise et défendue par B. W. Robinson
[An Ephesian imprisonment of Paul, Journal of Bibtical Lilerature, 1911,' p. 181-188),
qui place à Éphèse la composition des trois épitres aux Colossiens, aux Ephésiens, à Phi-
lémon, peut-être aussi la lettre aux Philippiens, mais il est beaucoup moins afBrmatif
pour cette dernière. Nous ne connaissons cette étude que par un résumé de V Expository
Times, t. XXII, p. 148-150.
D'autres auteurs nient carrément la provenance éphésienne du groupe des trois lettres de
mais l'affirment non moins énergiquement pour l'épître aux Philippiens •
la captivité,

A. Albertz, Ueber die Abfassung des Philipperbriefes des Paulus zu Ephesus, Studien
und Kritiken, 1910, 551-594; M. Goglei., La date et le lieu de composition de l'épitre
aux Philippiens, Rfvue de l'Histoire des Religions, 1913. p. 330-342; K. Lvke, The cri-
406 REVUE BIBLIQUE.

Dans son De Daniele (l), composé vers tî0*2, saint Hippolyte


traité
de Rome rapporte, pour illustrer le miracle de Daniel dans la fosse
aux lions, que « Paul ayant été condamné aux bétes, un lion lâclié
contre lui tomba à ses pieds et le lécha ». Et Nicéphore Galliste,
historien byzantin du xw** siècle, relate dans son Histoire Ecclésias-
tique, un passag-e d'un écrit qu'il appelle -ri; llajAou zcptioojç [les Pé-
régrinations de Paul), passage qui renferme l'attestation d'un empri-
sonnement à Éphèse et le récit d'un combat contre les bêtes sauvages
où Paul fut miraculeusement sauvé. Ces IlEpiocc'. OaùXcu sont, selon
toute vraisemblance, les Actes Apocryphes de Paul, composés en Asie
(la province romaine) vers le milieu ou peu après le milieu du

II" siècle (2). A cette date on croyait donc dans la région dÉphèse à

un emprisonnement de l'Apôtre en cette ville, et l'on montre encore


aujourd'hui, en cette antique cité, les ruines de la « çuAaxr; » de l'A-
pôtre (3). D'après les archéologues compétents ces ruines n'ont toute-

lical Problems of the Epistle'to the Philippians, Kxpositor, June, 1914, p, 481-'i9.{. En
réponse à cette étude voir Gérard Ball, The hpistle lu the. Philippians : a Reply, Expo-
sitor, August 1914. —
A cette date fatale cessent nos informatioos bibliographiques!
(1) Die Griechischen C'hristlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderle. Hii--
POLVT. Kommentar zum Bûche Daniel... herausgegeben von G. N. Boîhwetsch, Leipzig.
Hinrichs, 1897. In Dan. m, 29.
(2) L'excellente édition de cet apocryphe précédée d'une longue introduction par
L. VouAux [Les Actes de Paul et ses lettres apocryphes dans la collection de J. Bousqlet
et E. Amann Les Apocryphes du Nouveau Testament). Paris, Letouzey, 1913) nous dis-
pensent d'autres détails sur cette œuvre. On pourra y trouver tacilement des renseigne-
ments très complets. Voici le texte tel nu'il est traduit par Vouaux : « Ceux qui ont

arrangé les pérégrinations de Paul ont raconté qu'il avait souffert et en même temps fait
un très grand nombre d'autres choses, mais en particulier ceci, quand il élait à Éplièse :

le gouverneur Jérôme affirmait que Paul s'exprimait selon la vérité, et que lui-même trou-
vait du bien à ce qu'il disait, mais que le" moment n était pas opportun pour de tels dis-
cours. Quant au peuple de la ville, en fureur, il entoura les pieds de I*aul d'une puis-
sante entrave de fer et l'enferma en prison, en attendant qu'il fût exposé en proie aux
lions. Eubule et .\rtémille, femmes d'Éphésiens illustres, instruites par lui, vinrent pen-
dant la nuit et lui demandèrent la grâce du divin baptême. Alors, par la force divine, des
anges, porteurs de lances, illuminant les ténèbres de la nuit de l'éclat de la lumière qui
^tait en eux, Paul fut délivré de ses liens de fer; il les fit chrétiennes par le saint bap-
tême, sur le bord de la mer où ils étaient parvenus; puis, sans qu'aucun des surveillants
de la prison s'en aperçût, il reprit ses liens et attendit d'être jeté en proie aux lions. Un
lion d'une taille énorme et d'une force irrésistible fut lâché contre lui, mais traversant en
courant le stade, il vint se coucher à ses pieds. Beaucoup d'autres bêtes féroces furent
lâchées; il ne fut permis à aucune de toucher au corps du saint, dressé comraeune colonne
dans la prière. Après cela, une grêle excessivement violente s'abattant, très compacte, avee
un grand bruit, broya les têtes de beaucoup d'hommes, non moins que des hôtes, et même
un des premiers gréions déchira l'oreille de Jérôme; aussi celui-ci, avec ses gens, venant
au Dieu de Paul, reçut-il le baptême sauveur. Quant au lion, il s'enfuit dans les mon-
tagnes. » P. 25-26.
Voir la vignette du commentaire de Direlils sur l'Épîtreaux Éphésiens dans le
(3) Haml-
buch de H. Lietzmann, Tùbingen, Mohr. 1912, p. 95.
SAINT PAUL FUT-ll, <:APTIF A ÉPHÉSE? 407

lois jamais fait partie dune prison; elles n'en attestent pas moins la
persistance et la force de la tradition sur la captivité éphésienne.
,1e ne saurais dire à quelle époque la légende de la tour s'est créée.
!l vraisemblable que cette légende doive son origine à la
est très
vogue des Actes de Paul. Tout porte à croire que l'information d'Hip-
polyte dérive aussi de ces Actes. La question se réduit donc à exa-
miner la valeur historique de ce témoignage (1).
^ M. Robinson raisonne comme suit. Dans les Actes de Paul les détails
locaux (the local détails) sont généralement historiques; le fait
qu'une captivité éphésienne n'est pas mentionnée dans les Actes ou
les Épitres augmente, plutôt qu'elle ne diminue, la valeur de cette
attestation. Il y avait en effet assez de captivités dans la vie de l'Apô-
tre pour qu'on fût dispensé d'en imaginer. Ces considérations paraî-

tront cependant beaucoup moins solides, quand on songe que I Cor.,


XV, 32 V. /.axà avÔpo)-;v ïhr,ç^\o\}Àyr^'ja ht 'E'fî'o-w pouvait facilement sug-
gérer une captivité éphésienne. Ne serait-ce pas de ce verset que
l'auteur des Actes de Paul a tiré le plus grand parti? Tout le récit
de Xicéphore Calliste tourne autour de ce point central : le combat
avec les animaux sauvages. Les autres détails surajoutés sont dans le

goût du légendaire : miracles, attraction exercée par Paul sur les


dames illustres. Certains traits sont tout à fait improbables l'atti- :

tude du gouverneur Jérôme, la manière si singulière dont les


miracles se font dans ce récit.
Tout porte à croire que le presbytre d'Asie, l'auteur de l'apocryphe,
: aura mis en œuvre / Cor.., xv, 32; il n'est pas certain qu'il ait puisé
à une tradition historique directe sur la captivité éphésienne. Somme
toute, on ne peut se baser en aucune façon sur les Actes de Pmii])ouT
affirmer la captivité éphésienne (2;.

Nous arrivons à un autre témoignage tout aussi ancien, sinon plus


ancien : les prologues bibliques de huit épitres pauliniennes. Dom
D. de Bruyne (3 1 a prouvé leur caractère marcionite et par consé-

(1) Il serait possible toutelois de reconnaître à la tradition sur la captivité d'Éphèse

une valeur historique sans devoir placer cette captivité pendant le séjour de trois ans qu'y
fit l'Apôtre. En eti'el, certains indices de II Tim. (p. ex. i, 15) pourraient suggérer un em-

Sprisonnement de saint Paul à Éphèse tout à la fin de sa vie, immédiatement avant la


Ideuxième captivité romaine. C'est l'hypothèse proposée notamment parle Père Lemonnyer,
^^pt'tres de saint Paul, t. II, p. 175, 182. Mais nous sommes ici en pleine conjecture et nous
ne saurions nous étendre sur la situation historique supposée par les Épitres Pastorales.
(2), Ce jugement concorde avec celui de L. Vouaux, o. c, p. 113 svv. sur la valeur his-

torique de l'apocryphe.
(3) Prologues bibliques d'origine marcionite. Bévue bénédictine, 1907, p. 1-1(3. Les

arguments du savant bénédictin sont si forts qu'on s'est rallié à cette brillante démonstra-
tion. Nous citons le texte d'après l'édilion des Prologues qui y est ajoutée.
408 REVUE BIBLIQUE.

quent leur très haute antiquité. On peut les dater du milieu du second
siècle;on ne dépassera pas le commencement du troisième. Voici le
texte du prologue de Fépitrc aux Golossiens. V

« Colossenses et hi siciU Laodicemes sunt Asiani. Et ipsi praevejiti erant apsendo-,


« (ipostolis nec arf hos accessit ipse rtpostolus sed et hos per epistulam recorrigit :

« audierant enim verbum ab Archippo qui et ministerium in eosqccepit. Ergo apos-


« lolufi jain ligntus scribit eis ab Epheso. »

i.e témoignage est formel. Ligatus ne peut être pris au figuré dans
le sens de Act., xx. 22; alligatus ego spiritu. Il est évident qu'il
s'agit d'une captivité réelle. Mais l'on ne doit pas s'exagérer la portée
ni la valeur historique de ce témoignage. Voici la preuve. L'épître à
Philémon dans le prologue de cette épître, a
fut écrite, est-il dit
Roma de carccre. Or s'il est une chose certaine, c'est que l'épitre à
Philémon et l'épitre aux Golossiens furent composées dans les mêmes
circonstances et expédiées par le même courrier. Tychicjue portait
Tune {Col., i\\ T-9); Onésime, son compagnon de voyage, portait
l'autre [Col., iv. 7-9; cfr P/iilem., 11). Le marcionite qui a composé
ces prologues, par le seul fait qu'il donne à ces deux lettres des cir-
constances de composition diverses, montre qu'il ne possède pas de
renseignements de bonne source. Il se trompe encore en faisant com-
poser If Cor. à Troas, alors que d'après ii, 13, Paul avait déjà quitté
Troas et passé en Macédoine. Très probablement il se trompe aussi
pour de composition des épitresaux Thessaloniciens. Quoi qu'il
le lieu

en soit de ce dernier point, l'erreur du marcionite pour les deux pré-


cédents est évidente. Nous devons faire remarquer encore que l'au-
teur marcionite se trompe totalement sur le but de plusieurs épîtres
(le saint Paul : toutes d'après lui seraient écrites contre les erreurs
Judaïsantes. C'est r(( Antithèse Marcionite » beaucoup plus que
l'étude attentive des données fournies par le texte même des lettres
qui a dicté le jugement sur le but des épitres. Il est difficile toute-
fois d'indiquer l'origine de cette opinion sur le lieu de composition
de fépître aux Golossiens. Peut-être est-ce le voisinage de Golossesprès
de la grande ville d'Éphèse et le long séjour de Paul dans la capitale
fameuse de l'Asie qui a déterminé l'auteur du prologue à risquer
sa conjecture. Ge n'est certes pas plusqu'une conjecture, ¥.n tout cas,
les erreurs dans lesquelles l'auteur des prologues est tombé doivent

nous mettre sur nos gardes pour ne point accepter trop facilement les
solutions qu'il propose. Il n'y a donc rien de décisif en faveur d'une
captivité à Éphèse, ni dans les Actes apocryphes de Paul, ni dans les
prologues marcionites.
SAINT* PAUL FUT-ll. CAPTIF A EPlltSE? 409

Nous airivons à une nouvelle série d'arguments. Certains textes


des épitres pauliniennes sont souvent allégués en faveur d'une capti-
vité éphésienne. \.es plus importants viennent de la première épitre
aux Corinthiens, écrite, comme l'on sait, d'Éphèse pendant la troi-
sième mission. En premier on apporte le
lieu, texte que nous avons
déjà cité il Cor., xv, 3'2) sur le combat contre « les bêtes sauvages »
à Éphèse, qui supposerait, dit-on, un emprisonnement de l'Apôtre.
Mais la question se pose s'il faut prendre ce texte au sens littéral, ou
bien lui donner un sens métaphorique. Il y a des motifs sérieux pour
cette dernière interprétation. Tout dabord, la situation juridique de
Paul, citoyen romain, ne comportait pas la possibilité d'une con-
damnation aux bêtes. Et Paul n'était pas homme à renoncer à ses
droits l'histoire de Philippes (Act., xvi, 37) de .Jérusalem (Acf., xxii,
:

25-29) et son appel à l'Empereur ib., xxv, 11-12) nous sont un sur
garant de la conduite que l'Apôtre aurait tenue dans l'éventualité
d'une telle condamnation. Et l'auteur des Actes n'aurait pas manqué
de relater sa protestation ni l'atiitude illégale de l'autorité négligeant
les droits du citoyen romain, toutes choses que saint Luc n'aurait pu
ignorer. On ne résout pas toutes les difficultés en admettant avec
K. Lake que l'Apôtre n'a peut-être pas su prouver son caractère de
citoyen romain devant les magistrats d'Éphèse (1). Un autre argu-
ment, non moins solide, bien qui! soit négatif lui aussi, est tiré du
silence des épitres pauliniennes sur cette condamnation. On ne con-
çoit guère comment l'Apôtre, énumérant plus tard {H Cor., xi, 23
toutes les souffrances endurées dans la prédication de l'Évangile, eût
pu omettre un fait d'une telle importance et qui aurait été comme
la grande épreuve de sa vie apostolique jusqu'alors. D'ailleurs le
V. 31 y.aO' r.y.Épav à-cOvY;7/,(o montre que l'Apôtre, dans ce contexte,
abandonne le sens propre, pour se servir d'une métaphore d'ailleurs
facilement intelligible. C'est donc au sens métaphorique qu'il faudra
prendre la Hr,p'.o'^.7.yiy. ['2). Sur cette condamnation aux bêtes, ou, en

(1) Expûsitor, .luin 1914. p. 49U-491.

(2) S. Ignace se sert également de cette métaphore, tmit en l'expliquant clairement :

'ÀTtô S-jpîa; u^î/.p'- 'Pw[i-/:; 6r,pio[ia-/û) oià yv^: y.al Oa/iacr,;. .. ôîS^jjlevo; ôéxa /Eo-âpôot;, 5 Èttiv
(TTpariwTixQv TàYtxx Ron:., v, 1. On pourrait citer d'autres exemples où cette expression est
employée au sen>; métaphorique. La plupart des commentateurs se prononcent en faveur
de cette interprétation. Pour ne citer que les modernes, nommons le P. Cornelv, V. Uose
E. Belser, Robinson-Plvmmer, Schmiedei., Bachmanx, IIeinrici, Lietzmxnn, etc. Il n'y a
guère que W. Boisset (dans J. "VSeiss, Die Scliriflen des neiien Testaments, Gottingen,
Vandenhoeck, 1908, p. 881 qui défend l'interprétation littérale.
410 REVUE BIBUQUE.

d'autres mots, sur la nature de cette épreuve


si dure, nous ne possé-

dons aucun renseignement précis. On reconnaitra toutefois que la


métaphore ne conviendrait guère pour exprimer une captivité de
quelque durée, mais qu'elle paraît désigner une persécution très
violente et très courte (1). L'aoriste indique la lin de, cette épreuve
extraordinaire alors que d'après les v. 30''-31 les dangers graves sub-
sistent toujours.
M. Goguel, suivant M. Albertz, allègue encore I Cor., xvi, 9. Ceci
n'estfranchement pas convaincant. Que Paul ait eu des adversaires,
et beaucoup d'adversaires à Éphèse, nous le savions, même sans le
témoignage de I Cor. Il en avait partout. Mais il ne s'ensuit pas cju'il
y avait été mis en prison. La phrase lapidaire dans laquelle il
exprime les conditions de son apostolat à Éphèse ^jjpa -;y.p ;xc'. àv£o)v£v
•j-svâX-r, y.xl bnpyr,^, j:v-:'//.£i;j.£vs'. r.oWci ne fait absolument pas son-
'^•^''-

ger à une captivité. Elle suggère plutôt une lutte de pensées, la


grande lutte du christianisme naissant contre toutes les préventions,
toutes les forces hostiles réunies.
Il reste deux arguments à examiner tirés d'autres épitres du troi-

sième voyage, écrites peu de temps après le séjour d'Éplièse, et dans


lesquelles, au jugement de plusieurs auteurs, Deissmann et Albertz
notamment, un emprisonnement à Éphèse serait indiqué. C'est d'abord

la ILaux Corinthiens qui parle ii, 8-10, d'une épreuve (OXî-V.;) extraor-
dinaire endurée en Asie /.aO' JxspcsÀYjv ii-ïp oyvajx'.v
: èoapr/Jr.tjLsv,

w(7TS Iça7:cp-/;0^v3(i r,\j.y.^ y.x: -cj Zçf : " son poids (de cette tribulation)
était fort au-dessus de nos forces, tellement que nous désespérions
même de conserver la vie Ce danger pressant ne peut pas avoir
».

été la ^r,pioyjx'/J.x d'Éphèse. Car dans la première épilre l'Apôtre avait


déjà mentionné cette dure épreuve; il n'en aurait certes pas reparlé
ici sous la formule « nous ne voulons pas vous laisser ignorer ».

(1) M. L\KE croit l€> arguments (|ue nous avons indiqués par des con-
pouvoir atléiuier
sidérations très subtiles : condamnation aux bètes n'aurait pas été prononcée, elle
la
fiurait été envisagée simplement comme possible, et par conséquent une arrestation et
une incarcération sont présupposés. « t'nless 1 am quite wrong, the exact meaning of
the phrase in Corinthians is not that he did ligbt with beasts, but Ihat there ^vas a pos-
sibility of bis doing so. It is obscure; but à witb the aorist indicative often implies an
unlulfilled condition. But ligliting with beasts is in anj' case not a possibility unless the
lighter has first been arresled and is in prison, and if the possibility existed it must imply
the iraprisonment of Paul. {Edpositor, 1. c, p. 492). Sans examiner ici la question gram-
<>

maticale suscitée par ces paroles, il me semble que le contexte exclut absolument cette
interprétation. Ce n'est point de possibilités (|ue parle saint Paul dans ce contexte après :

les vv. 30-31 la mention d'une épreuve possible, mais non réelle, serait presque une plai-
santerie. Il paraîtra évident, je pense, que, voulant prouver la résurrection des justes par
ies souffrances qu'ils endurent, Paul doit parler de souffrances réelles.
SAl.NÏ PAUL FUT-IL CAPTIF A ÉPIIÉSE? 411

D'ailleurs la grande de // Cor. ne parait pas complètement


('-preuve
terminée (v. 10). On a essayé de toutes manières de déterminer la nature
de la OXîd/iç /.xO' û-spcsXr.v. Les hypothèses les plus diverses ont été
proposées (1 ). Il nous suffit de faire remarquer que l'hypothèse d'une
captivité très dure n'a rien qui la recommande particulièrement.
Bien au contraire, elle semble exclue par l'ensemble de la desciiption.
A notre point de vue, il est donc superflu de nous étendre plus lon-
guement sur l'interprétation de ce verset.
On allègue enfin Rom., xvi, 7 et même, mais plus discrètement,
Rom., XVI, ^\. Dans premier passage saint Paul présente ses salu-
le
tations à Andronicus et Junias ses « parents ou compatriotes (ctuyysveT;
et co-prisonniers... >; dans le second il salue Prisca et Aquilas...

« qui, pour sauver sa vie, ont exposé leur tête ». Seulement, ce der-

nier texte est manifestement trop vague, car rien ne prouve que le
danger encouru par lApôtre ait été doublé d'un emprisonnement et
il faudrait de plus pouvoir établir que le fait en question s'est passé

à Éphèse. Cette dernière remarque vaut aussi pour le premier texte.


Pour que l'argument porte, il faudrait pouvoir démontrer que
Rom. XVI est la conclusion d'une édition de i'épitre destinée à l'église
d'Éphèse (2). Or, cette démonstration, en toute rigueur du terme,
n'est pas possible. La question posée par les variantes de Rom., i, 7
et les différentes conclusions de 1 épitre dans les manuscrits et chez
les anciens écrivains ecclésiastiques est d'ailleurs beaucoup frop com-
pliquée pour être examinée ici à fond. Avant I'épitre aux Romains
saint Paul avait subi déjà plusieurs captivités [II Cor., vi, 5). Andro-
nicus et Junias, dont nous ne connaissons les noms que par
Rom., XVI, 7, dont la patrie et le domicile nous sont inconnus on —
sait que c'étaient des ïjyyîvsîç de l'Apôtre, des parents, des compa-

triotes,... Tarsiens? —
peuvent avoir habité en bien des endroits et
avoir été associés au sort de leur concitoyen ou parent illustre en plus
d'une ville. Ce serait en vain qu'on voudrait en savoir plus. Et la
seule conclusion terme à tirer de tous ces textes, c'est qu'ils ne prouvent
pas la captivité de l' Apôtre à Éphèse dans le cours de son troisième
voyage apostolique.

(1) On peut ea trouver quelques-unes dans le commentaire de Heinrici (collection de


Meyer) a. h. 1. et dans J. Belser, Der ziveite Brief des Apostels Paulus an die Korin-
ther, Freiburg in Brisgau, Herder, 19lu.

(2) Cette hypothèse, insinuée par Schulz, développée par Renan, a trouvé d assez nom-
breux partisans on en trouvera la liste dans l'Introduction du Commentaire de Sanday-
:

Ucadlam {International critlcal commcntanj). On y verra aussi les principau\ argu-


ments de cette hypothèse.
412 .
REVUE BIBLIQUE.

Jusqu'ici nous n'avons trouvé, ni ciiez les anciens auteurs chrétiens,


ni dans les épîtres de saint Paul, à l'exception des lettres de la capti-
vité, aucun argument solide en faveur d'une détention de l'Âpôtre à
Ephèse pendant le séjour de trois ans qu'il y fit au cours de son troi-
sième voyage apostolique. Il nous reste à examiner le récit des Actes
touchant le séjour d'Éphèse {Act., xvui. 23-xix et le discours de
Milet [ib., xx, 18-35/ ainsi que les quatre épitres de la captivité.
Inutile de dire que nous n'y trouverons aucun témoignage direct. Nous
commencerons par l'examen de ces derniers documents. La question
qui se pose est celle de savoir si ces lettres supposent une captivité
rphésienne ou du moins s'expliquent mieux dans cette hypothèse. H
faudra voir ensuite si la narration des Actes est favorable ou défavo-
rable à un emprisonnement d'Éphèse.
Les lettres de la captivité se partagent très naturellement en deux
groupes d'un côté, les lettres aux Éphésiens. aux Colossiens. à Phi-
:

lémon; de l'autre c«Mé, la lettre aux Philippiens reste isolée. Cette


division, basée sur de multiples raisons, n'étant pas contestée, il est
inutile d'insister.
Examinons d'abord si la lettre aux Philippiens suppose une capti-
vitééphésienne ou du moins se comprend beaucoup mieux dans cette
hypothèse. C'est, avons-nous dit, l'opinion d'Albertz, Coguel, Lake ;

les autres partisans de la captivitééphésienne y placent seulement les


trois autres épîtres de la captivité; pour eux, la lettre aux Philippiens
daterait de la captivité romaine.
Les arguments qu'on prétend tirer de la lettre aux Philippiens en
faveur d'une captivité éphésienne sont tous indirects et basés sur des
comparaisons délicates. C'est assez dire leur caractère imprécis et
flottant. Au fond ils se réduisent à la constatation de notables diver-
gences entre la lettre aux Philippiens d'une part et le groupe des trois
autres lettres de la captivité : divergences de style et de vocabulaire,
de situation et de préoccupations (1). Il faut cependant noter que

(1) Halpt {Eiiileilung zu den Gefangenschaflsbriefen, Gottingen, Vandenhœck und


Ruprecht, 1897, p. 74-75 a beaucoup insisté sur ces divergences il les a expliquées en
: (

plaçant la cooiposition du groupe des trois lettres à Césarée, celle aux Philippiens à
Rome. Il n'a pas spécifié. Mais on peut lui opposer que le style et les idées de l'épitre
aux Philippiens se rapprochent des lettres du troisième voyage et qu'il devient par con-
séquent assez difficile, pour quelqu'un (jui n'admet pas la mobilité du style de saint Paul,
de placer entre les grandes épilres et la lettre aux Philippiens les trois autres lettres de
la captivité.
SAINT l'Alïï. FLT-II. CAITIF A EPHKSE?* 413

toutes ces raisons, à les supposer valables, militeraient presque autant


en faveur de Césarée, où Paul fut certainement captif de 58 à 60,
qu'en faveur d'Éphèse, puisqu'elles tendent surtout à établir un
plus long espace de temps entre les lettres en question et n'indiquent
rien sur le lieu de composition lui-même. Il y a encore certains rap-

prochements qu'on relève entre la lettre aux Philippiens et les lettres


aux Corinthiens et aux P»omains, surtout avec la / Cor. écrite pendant
le séjour d'Éphèse (1). Encore ces rapprochements, ou du moins les

analogies entre Rom. et Philip, seraient tout aussi favorables à


la captivité césaréenne comme date de composition pour l'épître
aux Philippiens, l'épitre aux Romains ayant été écrite vers la fin du
troisième voyage apostolique, peu de temps avant la captivité de
Césarée.
Si le but de cet article était de rechercher le temps et le lieu de
composition des épitres de la captivité, nous ne pourrions nous dis-
penser d'étudier minutieusement les rapprochements de style et
d'idées par lesquels on prétend dater et fixer ces lettres dans la car-
rière simou\ementée du grand Apôtre. Mais même alors devrions-
nous nous prémunir contre le danger de vouloir trouver un dévelop-
pement trop uniforrhe dans un esprit aussi original que saint Paul.
Si l'on observe des notables diftérences de style dans les divers
groupes d'épitres — il est sans doute superflu de spécifier, — il n'est
pas moins certain que dans les lettres d'un même groupe il y a des
divergences analogues. La lettre à Philémon a été écrite vers la
même époque que les épitres aux Colossiens et aux Éphésiens, mais
quelle différence de style, de ton entre ces diverses compositions d'un
même auteur. On signale même dans les parties d'une même lettre
de très notables variations. La // Cor. peut ici servir d'exemple : les

chap. x-xiii tranchent nettement sur ce qui précède, et l'on sait à


quelle hypothèse, pour nous superflue, cette différence de style et de
ton a donné lieu. On constate également entre la partie morale et la
partie dogmatique de plusieurs lettres de très grandes différences de
Nous avons heureusement de la main de saint Paul un assez
style.

grand nombre de lettres, et des lettres d'un genre si difi'érent, —


même parmi les lettres d'une authenticité incontestée, qu'on ne —
saurait douter de la mobilité du style de l'Apcjtre. Il faut lire sur ce
sujet les belles pages de l'introduction du commentaire de Sanday-

(1) Les rapprocluMnents lexicographiques et stylistiques entre Hom. et Pliil. ont été le

mieux exposés par Lilhitoot dans son commentaire Philippians, p. 4.3 svv. il en : a
conclu à l'antériorilé de Philip, par rapport aux trois lettres. Ai.bertz et Goouei. 1. c.

insistent surtout sur les rapprochements avec la première aux ('orinlhiens.


414 REVUE BIBLIQUE.

Headlam sur lÉpitrc aux Romains 1) résumées comme suit par le

P. Prat (2) : <.< Ces variations peuvent tenir au sujet traité, au temps
et aux circonstances, aux scribes recueillant la dictée de l'Apôtre, à
d'auti-es causes encore; mais la raison principale est à chercher dans
le tempérament nerveux et impressionnable de l'auteur, comme aussi

dans le caractère plastique de sa langue, étrangère aux préceptes des


rhéteurs et ouverte à toutes les influences du dehors. »

Nous sommes dès lors fondé à ne pas recevoir la conclusion qui de


certains rapprochements stylistiques entre P/nl. et Rom. I et // Cor.
voudrait rapporter la composition de Phil. au cours du troisième
vovage, à fortiori dater cette lettre du séjour d'Éplièse. Il faudrait
des coïncidences réelles autrement frappantes. On signale à ce pro-
pos le voyage de Timothée annoncé Phil. ii, 19, entrepris / Co7\, iv, 17,
,

col. XVI, 10. M. Goguel en conclut à l'antériorité de Phil. par rapport


à / Cor. et comme cette dernière lettre est datée d'Éphèse il serait
tout naturel d'y placer aussi la première. Mais ce qu'il oublie de
prouver, et ce qui serait cependant capital en l'occurrence, c'est qu'il
s'agit de part et d'autre du même voyage de Timothée. Or à moins
qu'on n'admette de par ailleurs la composition de Phil. à Éphèse,
rien ne prouva cette identité. Il est évidemment possible que Timo-
thée ait été envoyé d'Éphèse Corinthe, au cours de la troisième
i\

mission, et quelques années plus tard, de Rome ou de Césarée à


Philippes. Les voyages des premiers missionnaires chrétiens formés à
la grande école de Paul, n'étaient pas si rares et il ne faut pas, par
des identifications hâtives, essayer d'en diminuer le nombre.
M. Goguel insiste également sur l'absence, dans la lettre aux Phi-
lippiens, de toute allusion aux judaisants ou de toute polémique anti-
judaïsante, ce qui de nouveau le conduit à dater cette épître d'avant
la période des grandes luttes ou des grandes lettres, soit du com-
mencement dti séjour d'Éphèse (3). Il y a ici plus d'un point d'in-

terrogation à placer. Tout d'abord, peut que la polémique anti-


il se
judaisante ait commencé bien plus tôt que le séjour d'Éphèse et il
n'est pas impossible que la lettre aux Galates ne date du second
voyage apostolique de façon à ce que la solution de M. Goguel ne

(1) A critical and eregetical Commentary to tke Epistle to the Romans, Edinburgh.
Clark, 1902 (fifth édition), p. Liv-Lïn.
(2) LaThéologie de saint Paul, 1 vol. Paris, Beauchesne, 1908, p. 103.
(3) Nous jugeons inutile de rapporter les considérations de M. Gogielsui- la facilité des
relations entre Éphése et Philippes et d'autres renaarques générales sur la situation de
l'Apôtre au momeat où la lettre aux Philippiens fut écrite. Il est manifeste qu'elles ne
renferment pas un argument en faveur de la captivité d'Éphèse.
.

SAINT PAU. FUT-IL CAPTIK A ÉPHÉSE? 41-;

conviendrait pas. Ensuite, il n'est pas certain que dans Tépitre aux

l*hilippiens il n'y pas trace de judaïsants. Les adversaires du cha-


ait

pitre m peuvent très bien être des judaïsants, comme le pensent un


grand nomJjre de critiques et de commentateurs, et la manière dont
lApotre leur oppose ses titres rappelle la polémique de // Cor., xi
et confirme cette opinion. D'où ne faudrait cependant pas conclure
il

que Phil. et // Cor. même époque, comme


auraient été écrites vers la
le fait Alberz. Car on ne voit pas pourquoi l'Apôtre ne pourrait, à
de plus longs intervalles, écrire contre les mêmes adversaires des
attaques qui se ressemblent beaucoup. Il n'y a donc aucun profit pour
rintelligence de l'épître aux Philippiens à placer sa composition au
temps du long séjour d'Éphèse et, par suite, à y supposer un empri-
sonnement de l'Apùtre. Il y aurait de plus, dans cette hypothèse, de
nombreuses difficultés qui ne tarderaient pas à surgir. Non seulement
il faut alors trouver à Éphèse le -pa-.Tojpîiv où « les liens de l'Apôtre

en Christ se sont fait connaître » (i, 13), et les chrétiens « de la

maison de César » (iv, 22). De plus, si l'on place la lettre aux Philip-
piens au début du séjour d'Ephèse de fa ton à la rapprocher consi-
dérablement de la fondation de 1 Église de Philippes, il sera impos-
sible de faire concorder cette opinion avec iv, 10; si Ion retarde
(juelque peu la composition de PJiil. la conciliation sera encore très
difficile

S'il faut donc renoncer à trouver dans l'épitre aux Philippiens un


argument indirect pour la captivité éphésienne, en est-il de même
du groupe des trois autres épîtres de la captivité? Nous rencontrons
ici les affirmations de M. Deissmann et les arguments de B. W. Robin-

son qui prétendent trouver dans ces épitres des indices en faveur
d'une origine éphésienne et par conséquent d'un emprisonnement à
Éphèse. M. Deissmann n'ayant à notre connaissance pas encore exposé
ses raisons, nous nous bornons à examiner les arguments donnés par
B. W. Robinson. Il en fournit trois.

Le premier est évidemment non avenu. D'après Robinson {Col., iv


10) le coprisonnier de Paul, Aristarque, est sans doute le même cme
celui qui fut arrêté àÉphèse lors de la révolte des orfèvres (Act. xix
29). C'est là par conséquent qu'il aura été compagnon de captivité de
saint Paul. Il faut répondre que nous n'en savons rien le texte des ;

Actes n'insinue pas un emprisoimement proprement dit pour Aris-


tarque, mais plutôt une arrestation momentanée wpiJLïjaiv te é;j.58uaa- :

sbv cl; tb ôixTpcv, -jvap-â-avTî-: Vylz^t y.x: 'Xz'—xzyzw Mjty.eoova;. Mais


nous savons qu' Aristarque s est embarqué avec Paul captif de Césarée
pour Rome, et peut-être le seul fait de ce voyage avec l'Apôtre captif
416 REVUE BIBLIQUE.

mérite-t-il pour le fidèle compagnon le titre de zu-iai'/j^miM-cq (1). Si

cette interprétation paraît insuffisante, rien n'emp«'^che d'admettre


qu'il ait librement partagé la captivité de son maitre à Rome en habi-
tant la maison que Paul avait louée — c'est l'opinion proposée par
Zabn — ou, si l'on tient absolument à une captivité en toute rigueur
de termes, l'on peut tout aussi facilement admettre un emprisonne-
ment d'Aristarque soit à Rome, soit même à Césarée, qu'à Éphèse.
Un deuxième argument, que les voyages de l'esclave fugitif,
c'est

Onésime, que suppose la lettre à Philémon, sont décidément trop


longs et trop difficiles dans l'opinion qui regarde cette lettre comme
écrite de Rome. Un esclave s'enfuit de Colosses à Rome pour échap-
per aux poursuites de son maître! Et Paul le renvoie à Philémon, de
Rome à Colosses! Kt l'on ajoute, en troisième lieu, que Philêm., 22
serait vraiment trop fort, si c'est écrit de Rome. S'imagine-t-on, en
effet, saint Paul, en prison à Borne, donnant ordre, à Colosses, de lui

préparer un logement? Tout cela se comprendrait beaucoup mieux


d'Éphèse, la capitale de l'Asie, à huit journées de marche de Colosses.
— Je ne saurais, pour ma part, attacher une grande importance à
ces considérations. Le v, 22 est manifestement un bon mot tel qu'on
en écrit entre amis et dont il ne faut pas trop presser les ternies. Il
est en tout cas absolument hors de saison d'invoquer Rom., w, 28
contre l'origine romaine de Philém., 22, comme si saint Paul, après
être arrivé à Rome et y avoir obtenu la liberté, navait plus qu'une
idée, un voyage en Espagne. Et qui sait, si depuis la composition de
la lettre aux Romains, les projets de l'Apôtre étaient restés les mornes?
Quant à la vraisemblance de la fuite d'un esclave d'Asie à Rome, on
aurait tort de la révoquer en doute. Comme toutes les grandes capi-
tales, Rome était l'asile favori de tous ceux qui désiraient échapper
aux dangers d'une impitoyable répression. S'il y avait à Rome une
police de fugitivarii qui était chargée de la recherche d'esclaves en
fuite, c'est que le cas n'était apparemment pas rare. Et pourquoi Oné

sime n'aurait-il pas pu atteindre la capitale d»> l'Empire où vivaient


tant d'étrangers, même des contrées les plus lointaines? Et, pour tout
dire, si les arguments que nous examinons étaient réellement probants
contre Rome, ils ne prouveraient rien pour Éphèse. Car il serait éga-
lement possible de dater les trois lettres de la captivité de Césarée,
ce qui éviterait en bonne partie les inconvénients dérivés de la trop

(1) Il y a ici toutefois des difricultés : car Philém., 23, c'est Épapliras qui est « concap-
tivus » et Aristarque est rangé parmi les coopérateurs de l'Apôtre. La raison de ce clian-
geraent est difficile à indiquer.
SAINT PAUL FUT-II. CAl'ÏIF A ÉPIIKSE? il7

grande distance entre Colosses et Home. Seulement, répétons-le, ces


inconvénients ne sont pas aussi considérables qu'on se plaît bien à le
dire.

Jusqu'ici, nous n'avons donc pas trouvé d'argument solide en fa-


I veur dune captivité de saint Paul à
Épbèse au cours du long séjour
qu'y fit l'Apôtre pendant sa troisième mission. Ni la tradition an-
cienne, ni les arguments directs ou indirects tirés des épitresne nous
autorisent à affirmer la. réalité de cette captivité. Toutefois, comme
nous ignorons beaucoup de choses sur la carrière du grand Apôtre,
il se pourrait que cette captivité fût réelle, encore qu'<(n ne la puisse

prouver, et qu'une ou plusieurs des quatre épitres fussent écrites


alors.L'examen des sources qui nous renseignent sur le séjour éphé-
sien de saint Paul permettra peut-être de répondre avec plus de
fermeté à la question que nous placions en titre à cet article. C'est ici
que nous rencontrons le récit des Actes (xviii, 23-\ix^ ainsi que le
discours de Milet (/6., La question qui se pose est de
xx, 18-3-3).

en se basant uniquement sur le silence des Actes,


savoir, si l'on peut,
nier une captivité de quelque durée de l'Apôtre à Éphèse.
On ne peut répondre à cette question qu'en étudiant très soigneuse-
ment la manière dont saint Luc envisage l'histoire de son maître
dans le cadre de son livre. Tout d'abord, il serait absurde de con-
céder que Luc ait pu ignorer cet emprisonnement. Il était avec
rx\pôtre à la fin du troisième voyage à partir de Philippes jusqu'à
Jérusalem, en exceptant le court trajet de Troas à Asson, comme le
montre Act., xx, 4-35. Il est impossible de s'imaginer que le séjour
d'Éphèse au début de ce voyage n'ait jamais fait l'objet d'une con-
versation détaillée entre l'Apôtre et le disciple. Si donc saint Luc ne
rapporte pas la captivité de son maître à Éphèse, c'est qu'elle devait
être horsdu plan et du but qu'il s'était proposé, ou bien qu'elle lui
étaitinconnue, ce qui revient à dire qu'elle n'avait jamais eu lieu.
Laquelle de ces deux alternatives est la plus probable?
Pour nous c'est la seconde. Saint Luc relève avec soin tous les rap-
ports de son maître avec les autorités romaines ou locales dans l'île ;

de Chypre, devant le proconsul Sergius Paulus (xiii, 6-12), à Phi-


lippes (xvi, 20-39), à Thessalonique (xvii, G sv.), à Corinthe xvm
ik svv.), à Éphèse (xix, 31 svv.), à Jérusalem ^xxi, 27 svv.), à Césarée
(xxiii, 33 svv.) et à Rome (xxviii, 16). Il serait dès lors à tout le
moins grandenient improbable qu'un oubli de l'auteur soit cause de
PEVLE BIBIIOLE ISl'J. — N. S., T. XM. 27
418 HKVUE BIBLIQUE.

romission de la captivité à Éphèse. Il semble bien qu'on soit en


droit de conclure du silence des Actes contre le fait même de cette
captivité. L'argument du silence paraît bien être positif en ce cas.
Le discours de Milet confirme sing"ulièrement cette opinion : des
passages comme Act., xx, 21 et 33, où l'Apôtre. rappelle ses prédica-
tions, nuit et jour, pendant trois ans, et ses durs et pénibles travaux
pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses compagnons, se concilie-
raient difficilement avec l'hypothèse d'une captivité éphésienne de
quelque durée.
Nous sommes donc en droit de conclure que l'opinion d'un em-
prisonnement de saint Paul à Ephèse durant son troisième voyage
apostolique n'a pas de fondement suffisamment solide, se heurte à de
graves difficultés et doit par conséquent être abandonnée (1).

Louvain, janvier 1915..

H. COPPIETERS.

(1) Même en admettant la caplivilé éphésienne de saint Paul, on n'aurait rien gagné
pour fixer le lieu de composition et la date des lettres de la captivité. Il est certain,
d'abord, qu'on ne pourrait placer pendant cet emprisonnement la i omposition des trois
épîtres expédiées simultanément, savoir les lettres aux Éphésiens, aux Colossiens et à
l'iiilémon. En eftét, ces lettres nous donnent assez de renseignements sur compa-
les

gnons de l'Apôtre au moment de leur composition. Timothée {Col., i. 1; Philem., 1), Luc
(Co/.. IV, 14; Philem., l'i\ .Uistarque [CoL.iv. 10; Philem., 2'i], Épaphras (Co/., iv, 12;
Philem.. Tychique {Eph., vi, 21; Col., iv, 7), Dénias [Col., iv, 14; Philem., 24), Marc
2'A),

[Col., IV, 10: Philem., 24 et Jésus le Juste {Col., iv, 11) sont avec lui. «ir, il nous semble
impossible d'admettre un séjour de saint Luc à Éphè.se pendant les trois ans que l'Apôtre
y demeura. Le récit des Actes parait l'exclure clairement. Saint Luc, en elTet, abandonne
la première personne au cours du récit des événements survenus à Philippe pendant le

second voyage {Act., xvi. 17), pour la reprendre {Act., xx, 5) à la fin du troisième voyage
quand saint Paul quitte la Macédoine pour passer en Asie. Dans la description des événe-
ments d'Éphèse, au début de la troisième mission, il n'y a aucune trace de la présence de
saint Luc et tout est raconté à la troisième personne (/Ici., xix, 1-40). Ce n'est pas ainsi
([u'aurait procédé l'auteur des Actes s'il avait été à Éphèse au moment des événements
qu'il raconte. Et quant a Marc, ce que nous savons sur sa carrière rend un séjour à
Kphèse, au début de la troisième mission, très peu probable. Ce n'est donc pas à Épiiése
([u'on pourrait placer la composition de ces trois épîtres. —
La lettre aux Philippiens. ne
nous renseignant que sur la présence de Tiraotiiée auprès de l'Apôtre captif {Phil., i, Ij,
pourrait de ce chef être datée d'Éphèse; mais d'autres passages, comme nous l'avons vu,
rendent cette solution très peu probable, sinon impossible. 11 reste donc que l'hypothèse
de la captivité éphésienne ne répond pas au but pour lequel on l'a patronnée, savoir pour
fixer avec plus de vraisemblance la date et le lieu de composition des épîtres de la cap-
tivité.
MÉLANGES

ATTIS ET LE CHRISTLVMSME

Attis, son mythe, son culte, ses mystères, ont été souvent rappro-
chés de Jésus-Christ et du christianisme (1). C'est, dit-on, un type de
Iheu souit'rant, mort et ressuscité; ses tidèles espéraient le salut en
sunissant à ses soutt'rances et à sa résurrection. Les tauroboles étaient
une initiation semblaJjle au baptême, qui purifiait le pécheur par la
vertu du sang-, et la ressemblance était telle que le taurobolié était
lui aussi né à une vie nouvelle et éternelle, /// aeternum renatus.
L'initié devait en effet mourir aVant d'être complètement admis aux
mystères, après quoi on lui faisait goûter du lait, et cela rappelle
la parole de saint Pierre :
<f
Comme des enfants nouvellement nés,
désirez ardemment le pur lait spirituel » \\ Pet. ii, 2i. Enfin on était
initié par la communion du pain et du vin.
Et il faut avouer que
si ces traits étaient exacts, fixant au premier

siècle physionomie d'une religion répandue dans


de notre ère la

l'empire romain, la question se poserait sérieusement dune influence


possible sur la pensée de saint Paul.
Mais une méthode critique tant soit peu soigneuse exige qu'on
distingue d'abord la religion d" Attis et ses mystères des explications
qui en ont été données par les différentes écoles d'exégèse, ensuite
qu'on soit très attentif aux changements qui ont pu se produire avec
le temps dans ces interprétations.
Tout le monde est d'accord sur le principe. On ne regarde plus les
rites comme une reproduction de faits anciens ou plutôt mythiques.

(1) On souvent 11. IlEPorsc, Atlis seine


citera M
ijthen und sein Kult, Giessen, 1903 ;

A. LoisY. Cybèle et Attis. dans la Revue d histoire et de littérature religieuse, 1913;


1". CuMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain, cli. m
L'Asie Mineure,
;

et aussi l'article Attis (avec le siip[ilément) dans l'Encyclopédie de Pauly-Wissowa. Cet

article était écrit quand noas avons eu connaissance de l'ouvrage de M. Henri Graillot,
Le Culte de Cybèle mère des Dieux à Rome et dans l'Empire romain, in-S" de 600 pages:
Paris. 1912,
420 IIKVUE BIBLIQUE.

C'est souvent le mythe qui a


été iiiiai^iné d'après les rites. Pour-
tant, en bien rare qu'on procède avec rigueur. Très sou-
fait, il est

vent, et peut-être surtout à propos d'Attis, les critiques modernes


concluent d'une explication ancienne à Icxistence d'un rite. Procédé
qui serait irréprochable si tous ces exégètes anciens étaient d'accord,
mais qui devient arbitraire si l'on donne la préférence à une seule
explication et peut-être à la moins ancienne. On ne nie pas d'ailleurs
ici que des explications très accréditées aient pu transformer en partie
le rite. Mais à tout prendre, étant donné le caractère très conservateur
des rites, c'est du rite qu'il faut partir, tel qu'il est décrit dans les
textes les plus anciens, et si les explications plus récentes ne cadrent
pas, il faudra supposer ou qu'elles ont contaminé le rite, ou même
qu'elles lui attribuent des conceptions nouvelles.
Le personnage d'Attis implique une difticulté spéciale, car il* est
représenté tantôt comme mort, tantôt comme privé violemment de sa
virilité. Selon qu'on regarde l'un de ces traits comme primitif, l'autre
comme physionomie du dieu et de son culte prend
ajouté, toute la
un aspect diûérent. M. Hepding et M. Cumont sont à peu près d'ac-
cord pour mettre au début le thème de la mort. Quand les l^hrygiens
entendaient la tempête faire rage dans les montagnes, ils imagi-
naient la Mère des Dieux sur un char traîné par des lions, entourée
de ses Corybantes, pleurant son amant. Attis était le dieu principal du
pays, associé à la Mère comme divinité masculine avant l'arrivée des
Phrygiens. C'était, d'après M. (Cumont, l'arbre fétiche qui perd ses
feuilles à l'automne et reverdit au printemps. Les Phrygiens, venus
de Thrace. donnèrent à ce dieu le caractère de Dionysos Sabazios,
leur dieu national.Au temps d'Hérodote, d'après M. Hepding. les
Galles ne pratiquaient pas encore la castration, qui fut empruntée aux
Sémites. Dès lors l'ancien grand dieu devient le pâle et équivoque
jeune homme, ministre de la Mère. Mais il a pris de Sabazios le carac-
tère d'un dieu des esprits, qui donne l'immortalité à ses fidèles. De
l'ancien culte de la végétation printanière a subsisté l'idée dune
résurrection. Il s'unit à la déesse par le mariage sacré. M. Loisy a
même écrit : « Car tout ce sang répandu ne l'était pas pour rien...

C'est le sang qui féconde et qui vivifie, surtout un certain sang.


Agdistis, la Mère, la terre en sont avides, et de ce sang, et des i)ar-
ties génitales de l'homme, Agdistis, la Mère et la terre feront sourdre
la vie, la concevront, la produiront » (1).
Dans ce système, la mutilation n'est pour ainsi dire qu'un épisode,

(1) Cijbèle et AUis, p. 297.


MELANGES. 42i

ou. par un étrange renversement, elle est iaterprétée comme un


thème de fécondation. Attis est un dieu dont la passion donne la vie,
dont la résurrection est un saee de salut.
Je ne suis pas éloigné de penser qu'on néglige ainsi le thème fon-
damental des rites, tel du moins quil nous est connu jusqu'au ii^ siè-
cle de notre ère. Ce qu'on prend pour le principal, le thème de la
mort, me parait étranger au rite propre d'Attis et même au mythe
primitif. Nous serons conduit à l'expliquer, soit par une contamina-
tion avec Adonis, soit par les exigences de l'exégèse évhémériste qui
ne pouvait aboutir à 1" apothéose d'Attis sans passer par la mort.
Nous ne nous arrêterons pas sur le grand dieu Attis, antérieur aux
Phrygiens, doiit absolument rien ne prouve l'existence, ni sur l'in-
tluence spiritualiste de Sabazios, qui n'est qu'une conjecture. Nous
[»renons Attis. tel qu'il apparaît dans l'histoire, comme serviteur,
ministre de la déesse, habitant son temple, après s'être voué à son
service par une consécratiou sanglante.
Prenant les rites pour point de départ, nous passerons en revue les
explications qu'en ont données le mythe et l'exégèse ; les mystères et les
tauroboles nous fourniront quelques indications sur la suite des idées.

I. Les fêtes et lks rites.

Les Phrygiens avaient pour divinité suprême une déesse que les
Grecs ont nommée Cybèle (KAr,\r,) ou Cybebe '
Kjor.or^), et qu'ils ont
grande déesse de la Crète. C'était avec raison,
identifiée avec flhéa, la
car Cybele était la reine de la montagne, comme Rhéa, dont le
nom même semble indiquer l'attribut il). Une empreinte d'argile de
Cnossos, qui doit remonter au deuxième millénaire avant J.-C, la
représente dans une attitude dominatrice, debout, au sommet dune
montagne, flanquée de deux lions 1^*2). Les lions sont constamment
l'attribut de Cybèle, et la déesse" d'Hiérapolis, syrienne dont le culte
a été contaminé par celui des Phrygiens ou des Hétéens, est aussi
une déesse aux lions.
L'exégèse stoïcienne a considéré cette Mère des dieux comme une
personnification de la terre féconde, contresens qui a encore droit
de cité dans la science moderne. Cybèle, — à l'origine, quoi et qu'il
en soit des confusions du syncrétisme, — n'avait rien d'une Déméter.
Ce n'était point la personnification ^car les peuples anciens ne con-

[\) peir,. "oeir,, opeir^, fi la montagnarde » (Rapp, art. Cybele, dans Roscher, Lexicon).
(2j Lacrangf:, La Crète ancienne, p. ôO et 67; cf. p. 98 pour le caractère de la déesse.
i22 REVUE BIBLIQUE.

naissaient pas la théorie mais la reine dun pays de


stoïcienne ,

montagnes où peuplé de bêtes sauvages


la végétation est luxuriante,
dont la plus illustre était le lion. Son culte avait, lui aussi, quelque
chose de sauvage. Ou la céléljrait en frappant sur les tambours et
on heurtant les cymbales, dans des courses échevelées. Les critiques
disent volontiers que le caractère des Phrygiens les portait à ces
transports religieux (1 touchant au délire. Il est possible. Pourtant
,

on voit encore aujourd'hui, dans certaines grandes villes de l'Orient


ou de l'Afrique, des processions conduites par quelques hommes aux
cheveux épars, roulant des yeux égarés, hurlant, faisant le plus
affreux vacarme avec des cymbales, pendant que le tambour de son
rythme enragé les accompagne et les excite. Ils brandissent des armes
aiguës dont ils font mine de se frapper, dont ils se frappent en
effet, et qu'ils passent dune gencive à l'autre en traversant la bouche.
Qui les a vus doit avoir une idée des Corybantes.
Mais Cybèle exigeait de ses plus fervents adorateurs un sacrifice
plus durable que de se taillader les bras pour en faire jaillir du sang.
Ses prêtres avaient renoncé à leur virilité par une opération san-
glante, qu'ils accomplissaient sur eux-mêmes dans un transport
d'exaltation religieuse. Après cela ils étaient irrévocablement con-
sacrés à la déesse, soit comme prêtres, soit comme attachés au culte
de très près. La déesse babylonienne (2j et la déesse syrienne (3),
surtout à Hiérapolis, de Syrie (4), ont connu ce sacerdoce dégradé.
Cependant rien n'oblige à dire coutume de Phrygie dépendante
la
des anciens usages babyloniens, d'autant quelle y a un caractère
propre et qu'elle a donné au culte un cachet particulier. Comment
une coutume étrangère sporadique aurait-elle été si parfaitement
adaptée au tempérament national des Phrygiens?
Dans une grande civilisation urbaine et impériale comme celle de
Babylone, le rôle des eunuques était de veiller sur le harem du
monarque et de servir la favorite. Il est probable que les eunuques
des temples étaient censés avoir le même emploi auprès de la déesse.
On devenait eunuque par autorité publique. En Phrygie l'exaltation
personnelle semble avoir joué le principal rôle. Le Galle n'était pas
un employé quelconque du temple. L'Archigalle était môme le sou-
verain pontife du culte. On pensait donc que la Mère n'agréait pas

(1) Et ils citent Montan et ses deux prophétesses, venus de Phrygie, types d'illuminés.
(2) Études sur les religions sémitiques, 2' éd., p. 241.
(3) Eod. loc, p. 130.
(4)De dea Syria, 32. Mais on sait combien le culte de Hiérapolis de Syrie représente
mal une pure religion sémitique Les Galles doivent bien plutôt lui venir de la Mère.
MELANGES. 42:5

lautres prêtres. L'opération étant l'n'uvre du candidat avait le carac-


;ère d'un acte d'amour envers la Mère, prouvait à un degré extrême
le désir de lui être agréable, de renoncer à quelque chose de très

précieux pour être à elle, et pour lui ressembler davantage. La déesse,


'tant femme, mère des dieux, ne voulait à son service que ceux qui
s'étaient rendus autant que possible semblables à elle, qui ne pou-
vaient plus avoir d'autre famille parmi les hommes, qui lui étaient
corps et àme dédiés.
Ces idées sont certainement celles des anciens, nous allons le voir,
et elles ne manquent pas de logique. Mais ce qui serait absolu-
ment contraire à la logique, et même au plus simple bon sens, ce
serait de regarder l'union du pauvre Galle avec la déesse comme un
mariage. Cette aberration hante les imaginations de quelques savants
modernes 1) : les Anciens n'ont point commis ce contresens. Et quand
ils auraient introduit le (ialle dans la chambre à coucher de la déesse,
cela ne dépassait pas le rôle deseunuques royaux. La Mère exigeait
que son ne fût à personne; à cette condition elle le faisait
fidèle
pénétrer dans son intimité, mais dans la mesure qui était désormais
irrévocablement marquée par le sang.
Que si la mutilation volontaire était censée contribuer à la fécon-
dité dans l'intérêt du groupe social, c'était à la manière des restric-
tions et des sacrifices chez les peuples primitifs. Quelques-uns se
privent ou sont privés afin que le grand nombre jouisse du bien
entrevu et^ désiré sans exciter la jalousie des dieux qui ont eu leur
part.
" Telle est, croyons-nous, la tradition constante du rite, et par con-
séquent c'est de là qu'est sorti le mythe le plus ancien, qu'on retrou-
vera toujours en dépit des mélanges déroutants du syncrétisme.
Rappelons, avant de démêler ces fils embrouillés, cjue le culte de la
Mère phrygienne a été établi solennellement à Kome en 2i)ï av. J.-C,
parle transport delà pierre noire de Pessinonte qui la représentait.
Pendant plus de deux siècles, il demeura un culte étranger, desservi
par les seuls prêtres Phrygiens. Ce n'est ([ue sous Claude, vraisem-
blablement (2), que les citoyens romains purent y être affiliés. Désor-

(1) M. Frazer mérne une convenance spéciale a mettre des eunuques en contact
voit
avec les déesses fécondes Thèse féminine deities required to receive froin their maie
:

ministers, who personated the divine lovers, the means of discharging their heneficent
lunctions ; they had themselves to be irapregnated by the life-giving energy before they
could transmit it to the world (Adonis, Atds, Osiris. p. 224). —
Tout de môme!
(!) Ilepiiing, Cumont, etc., d'après Lydis, De mensibns, iv, 59 tt, rpô 5£xa(tiâ; Ka).£v6âiv
:

'h.T.où.iijyi oÉvopov -i--^; uapà ràiv oîvôposopwv i^ipîTo i' -<•> lIa/aT:w Le Paialin). Tr,v Zï
iopTr,v KXa-jO'.o; 6 [iacOeù; /.aT£7TY;<7aTo.
i

424 REVUE BIBLIQUE.

mais ce fut le sanctuaire de Rome <|ui doima le ton à tous ceux du


monde romain, et, si l'on tient compte de l'esprit très conservateur _
des Romains, surtout en matière liturgique, on reconnaîtra que les I
pratiques romaines nous sont un plus sûr garant des antiques tradi- i
tions phrygiennes que les renseignements puisés par les auteurs i
grecs et romains à des sources demeurées inconnues, quoiqu'ils
|
alfectent de recourir à la «source la plus pure, celle de Pessinonte. i

Or le rite romain des fêtes de Cybèle et d'Attis est relativement bien


connu par l'accord des indications du calendrier philocalien (1 (en )

354 ap. J.-C.) et de Lydus (2).


La fête battait son plein du W
au V" des Calendes d'avril, donc du
22 au 27 mars, à l'équinoxe de printemps, mais elle était précédée,
le 15 mars, d'une cérémonie que Pliilocalus désigne par canna intrat.

L'entrée du roseau ne peut guère être conçue que comme une pro-
cession au cours de laquelle des hommes et des femmes portent des
roseaux en guise de palmes. Et en effet il existait des congrégations
de cannophores, hommes (3j et femmes (4). Il est très malaisé d'ex—
pliquer ce rite. M. Cumont pense qu'il reproduit la légende de l'expo-
sition et de l'invention du jeune Attis aux bords du fleuve Gallos. A
cette explication, M. Loisy objecte que le rite doit être bien plutôt
l'origine du mythe. Le principe est incontestable, mais il peut souf-
frir des exceptions. Un trait du rite a pu être introduit eu souvenir du
mythe, et ce doit être le cas s'il s'agit d'un rite relativement récent et
limité. Or, M. Cumont n'a trouvé de cannophores qu'en Italie, et

seulement depuis Marc-Aurèle. Nous savons par Lydus que la can-


nophorie n'était que l'accompagnement du sacrifice d'un taureau. On
concevrait aisément que, pour accompagner la victime, les fidèles

d'Attis aient porté à la procession des roseaux plutôt qu'autre chose


en souvenir des roseaux du fleuve phrygien Gallos, dont le nom rap-
pelait à tout le moins celui des (ialles.

Le mythe, qu'on croyait reproduire, donnait au roseau une impor-


tance spéciale. D'ailleurs en Phrygie et sur les bords du fleuve, il

1) Extrait du catalogue se rapportanl au culte de Cybèle :

Idib. (maitii) Canna intrat.


XI Kal. apr. Arbor intrat.
IX — Sanguen.
VIII — Hilaria.
VII — Requietio.
V — Lavatio.
(2) loannis Laurentii Lydi, Liber de mensibus, éd. R. Wuensch, Lips. 1898; iv, 49.
(3) CIL, V, 5840; XIV, 116 SS.
(4) CIL, IX, 2480 canoforarum cf. Cumont, dans Pauly-Wissowa, v° Cannopttori.
;
MÉLANGES. 425

était assez naturel de coupei' des roseaux pour faire une procession,
comme à Jérusalem de couper des rameaux d'olivier, et l'usage tra-

ditionnel a pu se transporter à Rome.


M. Loisy préfère supposer que les roseaux sont un être divin, et
que le rite un rito de mort, le meurtre du dieu à fin
du 15 mars est

de renaissance, parallèle au rite du pin coupé qui est Attis (1). Nous
retrouverons le pin. Notons seulement que les roseaux doivent être
rangés parmi les végétaux oîi l'influence du printemps se fait le
moins sentir. On les coupe pour s'en servir, on ne les coupe pas pour
les faire renaître.

le catalogue philocalien n'en ait rien dit, le 15 mars était


Quoique
en marqué par le sacrifice d'un taureau de six ans, « pour les
effet

champs des montagnes » (2). Ces montagnes rappellent bien le carac-


tère primitif de la Mère. Les champs ne sont peut-être nommés qu'en
vertu de Fusage romain de sacrifier pour la fertilité des champs. La
présence de l'Archigalle. et des cannophores donne une grande solen-
nité Cumont y reconnaît un taurobole, et nous
à ce sacrifice. M.
voyons, en effet, sous Marc-Aurèle, les cannophores participer à un

Taurobole (3). Quoi qu'il en soit, le sacrifice dim taureau primait de


toute manière le simple acte non liturgique de couper des roseaux
pour les porter en procession. Le taureau était consacré à Cybèle, et
une victime toute désignée pour les sacrifices otferts à la déesse.
Le calendrier emploie la même formule pour l'arbre que pour le
roseau, arbor mtrat, le 22 mars. Mais cette fois c'est bien l'arbre qui
est l'objet principal du rite. Va pin est porté par les dendrophores
dans le sanctuaire du Palatin (4). Nous avons déjà dit que l'institu-
tion de cette fêle est attribuée par Lydus à l'empereur Claude, mais
il est vraisemblable qu'il ne fit que lui donner une autorisation impé-

rialede plus grande publicité.


Le pin est l'arbre des montagnes, il est tout naturel qu'il ait été

consacré à la Mère, déesse des montagnes. Cette fois encore le rite

consiste à couper le pin et à le porter pour en faire hommage à la


déesse. Les dendrophores étaient des corporations d'artisans, qui
avaient pris ce nom de porteurs d'arbre pour se mettre sons le patro-
nage de la déesse.

(1) Cybèle et Atlis, dans la Revue d liistoire et de lUl. religieuse, 1913, p. 292.

(2) Lydus, iv, 49 : hpâieuov Se xat Taùpov i\ivr\ ûnèp to)v èv roï; ôpsTiv àypwv, /jYO'jjxévov

Toù àpxiepsw; /.al t«v xavr^oopcov tr;: MiQTpô;. Il faut, d'après ce que nous avons vu, lire

y.avvotpôpwv.

(3) CIL, xi\, iu.

(4) Lydus, \s, 59, texte cité plus haut.


426 REVUE BIBIJOUE.

On sait quel fut, un peu partout dans le monde, mais surtout dans
le monde sémitique, le lien, qui allait jusqu'à une sorte d'identiti-
cation de la déesse avec un arbre qui la représentait. On ne con-
cevait point de lieu sacré sans un arbre. Un arbre, ou un tronc
d'arbre ébranché était laccompagnement nécessaire de la pierre
sacrée (1). Rien de plus primitif.
Dans les sanctuaires sémitiques, il était de règle que la déesse
s'associât un dieu. Nous serions portés à regarder la pierre comme
l'habitation du dieu, larbre comme celle de la déesse. Mais dans des
cas très nombreux le symbole de la déesse était au contraire la pierre
conique. Très authentiquement Cybèleétait représentée par une
pierre. Il donc naturel d'attribuer l'arbre à un compagnon de la
était

déesse. C'était Attis. Le pin était donc Attis, plus ou moins, suivant
qu'on se représentait comme plus ou moins intime la relation du dieu
avec l'arbre. L'aventure d'Attis, l'émasculation du clergé phrygien,
purent contribuer à appeler l'attention sur le fait de couper l'arbre.
Peut-être même cet acte devint-il religieux, spécialement dans ce
culte (2). Mais ce n'est pas une raison pour le faire passer au premier
.rang. Et coupe de l'arbre comme l'imitation du
quand on regarda la
mythe, ce fut l'émasculation d'Attis et non point sa mort qu'elle fut
censée représenter. Il est vrai, comme le dit M. Loisy, que « le tronc
du pin était entouré de bandelettes c<jmme un cadavre » 3), mais
on croyait imiter la Mère qui avait enveloppé des habits d'Attis non
point son corps, mais « le débris » de sa mutilation. On ornait
l'arbre de violettes; elles étaient nées de son sang. Assurément ce
rite nous parait étrange, et nous trouverions plus naturel qu'on

ensevelît un homme qu'un pareil objet mais nous verrons ce qu'il ;

en faut penser à propos des vires. Plus le pin était censé représenter
Attis, plus le rite du pin a dû être compris comme une imitation

de son histoire, l'introduction d'Attis, désormais arbre desséché (4),


dans l'intimité de la déesse.. Aussi attachait-on au pin la houlette
et la flûte du berger Attis en même temps cjue les tympanons et les

cymbales de la déesse.
Lorsqu'Arnobe nous montre l'arbre devenu une divinité dans le
sanctuaire de la Mère (5), il ne le regarde pas comme le symbole

(1) Cf. Vincent, Canaan, p. 144 ss.


(2) M. Loisy non sans vraisemblance, au culte d'Attis ce <iue dit Firmiciis
attribue,
Maternus, xxvi, 4 arborem suam diabolvs consecrans inlempesta nocte arietem in
:

caesae arboris f'acit radicibus immolari.


(3) Loisv, l. L, p. 293. ,

(4) Isaïe, LVi, 3 : « Que l'eunuque ne dise pas " Je suis un arbre sec ».
:

(5) Arn., V, 17 : Cnr ad uUimuin pinus ip.sa paulo ante in dnmis inertissiniuiii
MELANGES. 427

dun cadavre. Et cependant il n'est pas non plus ressuscité, puisqu'il


demeure desséché. C'est bien le symbole de leunuque, et comment
a-t-on pu songer à en faire le symbole de la résurrection?
D'autant qu'après avoir été conservé pendant un an, il était brûlé,
comme nous l'apprend Firmicus (li. Puisqu'on goûte les compa-
raisons avec nos usages, on peut rappeler ici les rameaux incinérés
pour ser\dr à la cérémonie des Cendres, et remplacés le dimanche
des Rameaux.
Aussi bien aucun rite joyeux ne se rapporte à l'arbre. Cela serait
tout à fait étrange si l'arbre indiquait ou suggérait le réveil de la
végétation. Et pourtant rien de plus certain, puisque Firmicus Mater-
nus y a vu une anomalie inconciliable avec sa propre explication.
D'après lui en eflPet, on commémore la mort dAttis, lequel représente

les grains qui meurent pour renaître. Mais la fête d'Attis se célébrant

au printemps, elle devrait plutôt commémorer la renaissance. Alors

pourquoi les rites sont-ils exclusivement des rites de deuil à propos


d'Attis? Firmicus se le demande, et il ne trouve pas, et l'explication
stoïcienne ne peut pas trouver. Mais c'est très simple si le rite de
l'arbre est censé représenter et imiter le mythe dAttis. Car l'émas-
culation. quoique accomplie dans l'ivresse religieuse, n'en est pas
moins un événement que Cybèle humanisée est censée
fort triste,
tivoir regretté, et qui n'a sa compensation que dans le privilège du
Galle, désormais attaché irrévocablement à la Mère.
Il est superflu de noter que le pin, arbre toujours vert, serait mal

choisi pour indiquer la mort et la renaissance des plantes au même


titre que les céréales qui pourrissent avant de sermer. Tout au plus

la fête du printemps suggérait-elle le réveil de la végétation après


son sommeil. Il est des combinaisons que les savants font dans leurs
cabinets sans sourciller, et qui ne seraient jamais venues à la pensée
de ceux qui sont en contact avec la nature.
Tn des rites de la fête était nommé par les Latins caatum ou castus
et doit répondre à ce que Julien appelle x-;yziy.: /.x'.cz: (2).
Dans l'Église catholique, il y a des jours de jeûne qui sont en même
temps des jours d'abstinence, cette abstinence ayant la même raison
que le jeûne, c'est-à-dire la mortification et la pénitence.
Mais chez les anciens —
païens ou même juifs, l'abstinence était —
nutans lignum mox ut aliquod praesens (itque augustissimum taaneii deum matris .

constituatur in sedihus ?

(1) De err., xxvu, 2 : et illa a lia ligna, (luae dixi, similis /lanima consutnil
.Serf :

nain etiam post annum istorum lignorum rogum Jlauuna deposcHur.


(2) Or. V, i:: A.
428 R&VUE BIBLIQUE.

ordinairement le fait d'un interdit qui frappait certains aliments

regardés ou comme impurs ou du moins comme inconciliables avec


un certain degré de sainteté légale. Dès lors il serait logique de con-
clure à une abstinence perpétuelle. Et c'était bien, semble-t-il, le cas
des prêtres, de la Mère des dieux. Saint Jérôme ne veut point pour
Laeta déjeunes longs et excessifs, qui ne sont tolérables que pour les
prêtres d'Isis et de Cybèle, parce que, sabstiennent de pain pour
s'ils

ne pas souiller les dons de Cérès, ils ne s'interdisent pas les faisans et
les tourterelles 1). A Jovinien qui prétend que les chrétiens ne doi-
vent pas pratiquer l'abstinence pour ne pas imiter la superstition des
dévots à la Mère et à Isis (2), Jérôme répond que si la virginité qui
vient du diable ne saurait faire méconnaître les mérites de la vraie
virginité, de même le Castum d'Isis et de Cybèle, et l'abstinence per-
pétuelle de certains mets n'établit pas un préjugé contre les vrais
jeûnes, d'autant plus que si les dévots de ces divinités s'abstiennent
de pain, ils se gorgent de viandes (3). D'après ce texte l'abstinence
était perpétuelle.
D'autre part, le philosophe Proclus affectait de s'associer au Castimi
des Phrygiens chaque mois li , sans doute parce qu'il voulait partici-
per à leur rite sans s'y donner tout à fait.

Et c'est toujours à propos de la fête du printemps que l'on parle du


tastus. Il semble donc cju'à ce moment, et en règle à ce moment seu-
lement, les fidèles s'associaient aux abstinences des Galles. Parler à
propos d'eux de s'abstenir des rapports sexuels normaux eût été une
ironie; mais on pouvait exiger que les fidèles s'associassent librement
à leur abstinence obligée, ce qui était d'ailleurs fréquemment la pré-
paration exigée à certaines actions saintes. Le nom de castus serait
venu de là, et ensuite aurait été employé surtout de l'abstinence de
certains aliments.
La distinction des aliments nous est connue par Julien (5i : les
viandes étaient permises, sauf le porc et les colombes, mais non les
graines, c'est-à-dire les céréales. Les légumes n'étaient point inter-
dits, mais bien les racines, comme les raves; parmi les fruits étaient

(1) Lettre CM\, 10.


(2) Adv. Ji>v. II. 5.

(3) 7. Cf. Tekt. de ieiunio adversus psyehicos, 10. Celle fois encore un
Adv. Jov. u,
jeûne rigoureux était Tenu de Plirygie avec Montan sed bene quod tti noslris xeropha-
:

fjiis blaspheinias ingerens casto Jsidis et Cybeles eas adaequas. Admitto testimoninlem

com parai ionein.


(i Marinus, Vita Procli, Xi\ rà; ok MïiTÇ({3axà; 7iaf>à 'PwfJiatoi;... /.aaTîta; éxâiTou
-.

(j.r(VÔ; ^lY^-""'^-

(5) Or. V, 174 A ss. Cf. Grlppe. Grieeh. Myth., 1545, note.
MÉF.ANGES. 429

permises les ligues, interdites les grenades et les pommes; le poisson


était interdit.
Si comme nous
le croyons Fabstinence de la lete n'est qu'une par-

ticipation à une règle de vie perpétuelle, il ne faut pas chercher dans


les rites allant du 22 au 2i mars la raison de cette abstinence.
Ceux qui pensent au contraire que l'abstinence n'a jamais été que
temporaire pour tout le monde en vue de la grande fête cherchent à
l'expliquer par les circonstances du rite. Encore faut-il que l'explica-
tion ne soit pas trop subtile, et qu'elle rende vraiment raison des
spécialités de l'abstinence.
D'après M. Loisy, « on s'abstient des produits de la végétation parce
que le dieu de la végétation est en état de mort depuis que les
roseaux ou le pin sacré sont coupés, et que le monde végétal participe
à l'état du dieu. Attis a été identifié avec l'épi moissonné (1) ». Mais —
nous verrons qu' Attis n'était l'épi que par une confusion avec les mys-
tères d'Eleusis, et s'abstenir des céréales parce que le dieu de la végé-
tation est censé mort, n'est point une idée très naturelle. Les céréales
qui relèvent de l'agriculture n'ont rien à faire avec le pin et les
roseaux. Et les légumes n'étaient pas interdits.
Les céréales paraissent bien avoir été spécialement exclues, mais
ce n'était pas pour éviter de consommer le dieu qui ne représentait
pas le« céréales, ni vivantes, ni mortes. Et puisque tout le culte de
Cybèle et d'Attis suppose les montagnes et la végétation des mon-
tagnes, ne serait-il pas plus simple de dire que cette abstinence pro-
longeait les anciens usages du sacerdoce phrygien, avant la pratique
de l'agriculture? On peut aussi se souvenir qu'il s'agit des fidèles de
la grande Mère, ennemie des rapports sexuels, d'une abstinence qui
s'estnommée Castum, et que, selon le mot de la comédie, sine Cerere
et Baccho friget Venus.
Le philosophe Salluste (2) est le seul qui parle dun jeune, posté-
térieur à la coupe de l'arbre, f{ui elle-même est précédée par l'absti-
nence. On serait tenté de donner de ce jeûne une explication extrê-
mement naturelle. La coupe de l'arbre représente la mutilation,
dont Salluste ne veut pas parler. Or cette mutilation était une opéra-
tion grave. Comme toute opération de ce genre elle devait être suivie
d'une diète rigoureuse, exigée par la fièvre inévitable en pareil cas.
Oa ne manquera pas de sourire d'une interprétation aussi banale.
'

(1) L. l. p. 29G.

(2) Fragin. Philos, gvaçc. m, p. 33 : -/.al TtpwTov ij.èv xotl aOTOl r.ziôi-.tc il oùpavoù xat tyj
vûayT) ç-jvôvi;; i-i xaTr,-f£i(x âffjxàv i7;to-j te /xi xf,; xXat); Tia^îiaî xai d-jTiapd; tpo??,; àite/&.
(isôa... cira oivopo'j to(ji«( xat viQffTîîa,..
430 REV.UE BIBLIQUE.

Peut-être vaut-elle des conjectures modernes aussi quintessenciées


que Texégèse de Julien ou de Salluste.
On peut noter dans ce sens que Catulle place lui aussi l'abstinence
de Cérès (1), par où il entend toute nourriture, après la mutilation e1
le premier emportement de l'enthousiasme des Galles. Cette digres-

sion sur Tabstinence des Galles nous a (Éloignés de la fête du 24 mars.


J'emprunte la description de ce qui se passait ce jour-là à
M. Gumont : « Les Galles, mêlant leurs ululations suraiguës au son
aigre des flûtes, se flagellaient, s'entaillaient les chairs, et les néo-
phytes, arrivés au comble de la frénésie, accomplissaient, insensibles
àladouleur, à Taide d'une pierre tranchante, lesacrifice suprême i2) ».
Si, comme il est assez assuré, le rite a précédé le mythe, le rite

n'avait pour cause ni la castration, ni la mort d'Attis, mais simple-


ment le recrutement des prêtres et des hiérodules de la déesse. Il est

d'ailleurs certain que si quelques-uns mouraient de leurs l)lessures,


le but normal de l'opération n'était pas de tuer les candidats, mais
d'en faire des eunuques. Lorsque le mythe naquif, il ne devait donc
comprendre que la mutilation et nullement la mort d'Attis. Et quand
on s'imaginait de bonne foi reproduire les scènes de la légende
d'Attis, on ne pensa d'abord qu'à sa castration, nullement à sa mort,
car elle l'aurait empêché de devenir le familier de la déesse ce qui
est précisément le but dn rite et le sens du mythe primitif. C'est

donc, selon nous, tomber dans un contresens que de regarder l'effu-


sion du sang comme des libations pour apaiser les mânes d'Attis (3),
ou le sang des parties génitales, ces parties génitales elles-mêmes,
conmie un élément qui féconde et qui vivifie. C'est plutôt le con-
traire qui est vrai. Le sang est versé en l'honneur de la iMère, selon
un rite primitif très répandu de propitiation et d'expiation. Dans
le cas particulier, si le sacrifice va jusqu'à la castration, ce n'est

point pour représenter une mort, ni pour tuer celui qui va devenir
Attis; c'est plutôt dans l'intérêt du peuple, désormais plus assuré
de se multiplier, c'est pour donner au mutilé le privilège du sacer-
doce, en échange de l'énergie vitale à laquelle il a renoncé. C'est
le débris qui est bien mort et qui n'est plus à même de donner la vie

à personne. On ne le met pas en terre pour la féconder, mais on


l'enterre avec honneur, parce qu'il a été otiert et consacré à la déesse.

Gomme l'a très bien dit M. Loisy, la consécration des prêtres

(1) Voir plus bas.


(2) Les religions orientales... T éd., p. 80.

(3) MM. Cuniont. Hepding.


MELANGES. 43J

représente un type d "initiation parfaite (1). Seulement il faut en


conclure qu'il n'y avait pas d'abord d'autre mystère que celui-là.
C'étaitbien la représentation de la passion d'Attis, pour parler comme
les modernes, et de sa consécration irrévocable à la Mère. Si Julien
a distingué les rites mystiques et secrets et ceux qui pouvaient être
révélés à tous (2), les premiers faisaient, comme les autres, partie
de la grande cérémonie du printemps. L'empereur a seulement
éprouvé quelque embarras à les nommer, tant ils prêtaient à rire
aux chrétiens, et les mystes n'en parlaient sans doute qu'avec quelque
discrétion. Peut-être aussi telle ou telle pratique est-elle demeurée
secrète. Mais nous connaissons une partie de ces rites, et M. Loisy les
a fort bien mis en lumière, en les décrivant en leur temps, c'est-à-
dire à propos de la fête du sang.
Le scrupule de .luliense comprend, car le rite qu'il refuse de
nommer est bien le plus étrange et le plus répugnant de cette scène
répugnante. Avant de pratiquer l'excision des parties génitales, le
futur Galle les consacrait à Gybèle; il les lui offrait après. C'est
ce que nous apprend Prudence, après avoir décrit les premières
entailles pratiquées sur les bras 3).

La Passion de saint Sympliorien contient le même détail (i), et


nous apprend que l'ofïrande était faite matériellement à la déesse :

on lançait le débris contre sa statue qui était donc teinte de sang. Le


rite est nettement expiatoire et propitiatoire au plus haut degré (5).

Après quoi on se préoccupait de donner une sépulture à ces vires,


comme les nomme la Passion. >ous retrouverons ce trait dans le
mythe, où nous verrons le soin que prenait la Mère de parfumer, de
revêtir et de couvrir de terre les vires d'Attis. Les Galles portaient
eux-mêmes les leurs dans une sorte d'hypogée, columbarium d'un

(1) L. L., p. 3r2.


(2) Julien parle déjà avec mystère de la cérémoaie du troisième jour Or., v, 168, D) -.

-fi ~^-''-~r, oï -iii-ii-xi TQ Ispbv xal à-6çpr,T0v Oépo; tov 0îoj FàX/oy. La métaphore de la
moisson coupée ne serait-elle pas empruntée au culte d'Adonis?
Après avoir expliqué l'arbre coupé rà XotTrà, Ta [lï-i ôiâ -roy: av-yrizoù: /.ai zp-^yio-^:
:

Oî<7[XO'j;. Ta oï xal prihf^-^OLi nia: ûyv!x;xi/0'.r {Or., v, 16!i).

(3) Perist., X, I0t;6 ss. Àst hic metenda dedicat genilalia, Numen reciso mitigans

ab iiujuine : Offert pudendum semivir donum deae : Illam révulsa masculini ger-
minis Vena elfluenti pnscit auctam sanguine.
(\) Citée par Hepdlng, p. 72 lu cuius (idoli) sacris excisas corporum vires castrati
:

adolescentes infaustae imagini exultantes illidunt, et exsecrandum facinus pro grandi


sacri/(Cio ducitls.
5) Arnohe, v, 21 Accedens (Attijsi mocrens et summissus ad matrem et (anquam
:

ipse sententia condemnavisset se sua. in gremiuin proicit [et iacit] hos (testiculoS;
pius.
432 REVUE BIRLIOLT.

genre spécial, qui formait peiit-tHre la crypte du sanctuaire 1 •

Cet hypogée est nommé mot « Chambres


OaAiy.a.. On a traduit ce :

nuptiales », et l'on s'est empressé d'en conclure à un rite nuptial.


« On peut croire », dit M, Loisy, « que les initiés eux-mêmes pas-

saient dans ces chambres la nuit sacrée du '2Ï au '25 mars. C'était
la nuit de leurs tristes noces avec la grande Mère, dont sans doute
ils étaient censés partager la couche (2 ». Tristes noces, en eflet, et

que le réalisme des anciens n'aurait pas imaginées. Les auteurs chré-
tiens se sont moqués de l'affection stérile de Cybèle pour son amant.
C'était leur droit, puisque Cybèle avait aimé Attis. Mais il ne pouvait
venir à l'idée de personne de les unir et de parler des fruits de leur
union. C'est pourtant ce qu'on imagine, lorsqu'on regarde les cires

comme unies à la terre pour la rendre féconde. Le sang versé, passe


encore I ou la pratique semblable à celle d'Onan 4).
de Jupiter (3),
iMais le débris traité comme un mort, lavé, oint, enveloppé d'un linge,

déposé dans un « caveau » Car tel est bien le sens de OaXiy.a'.. !

Qa/ÂiJ.r, n'a pas tout à fait le sens de ()y.\y.ij.z:. Euripide emploie pré-

cisément by.'hi\).y.'. dans le sens de tombeau i5). comprenant des niches


ou des couches sépulcrales.
On s'explique d'ailleurs, dans cette logique étrange, les honneurs
rendus à un objet consacré à la déesse, sacrifié en son honneur,
dont elle avait accepté l'hommage, et qui était comme une person-
nilication d'Attis lui-même. C'e.st ainsi «ju'Attis était censé pénétrer
dans l'antre de la déesse (6), et, loi'squ'il eût été assimilé au Soleil,
descendre pour remonter (7). Rien n'était plus propre que ce rite

funéraire à faire croire qu'on pleurait la mort d'Attis, et c'est ainsi


sûrement que le thème primitif s'est altéré. En aucun cas le mythe
ne suppose un rite nuptial, du moins pour l'époque historique. Et
quand les primitifs avaient en vue la fécondation, ils pratiquaient le

(1) Scholion sur Nicaadke, Alexipharmacon : Aoêpivr,: Oa>7.ua.- tôtto; Uooi iir.oyiUA,

àvay,îi(A£vot t^ 'Péa oitovi èktïiji.vôu.îvo'. ri (ir.ô-a zaT3T:6îvTO, o: -îû "Attsi xa'; '.r, Pc'a

>a-pîyovT£ç. (Hepoing, p. 9).

(2) L. l., p. 299.


(3) Ain., V, 5 voluptatem
: in lapident fudit victus.
{4j Gen., xxxvm, 9.
(5jSuppl., 980.
(6) Texte de Julien déjà cité (168 c) : /.yjàn: zai à^avîTixol xal a'. oO'ïei: at xaxà -'•

avTpov. o-jffiç est le coucher du soleil.


(7) Macrobe, Sat., praecipuam aiilem solis in his caerimoniis vcrli
I. \\i, 10 :

rationem hiftc etiavi quod ritu eorum catabasi finiia simulationeque


polest colligi,
luctus peracta celebratur laetitiae exordium a. d. octavum Kalendas aprilis. Quem
diem Hilaria appellant, quo primutn tempore sol diem longiorem nocte protendil.
— Naturellement la descente d'.\ttis aux enfers!
MÉLA?JGES. 433

principe que le semblable opère le semblable. Distinguons une fois

(le plus le bon sens du peuple — primitif ou civilisé — et les com-


))inaisons savantes, à coup de textes et d'étymologies.
Aussitôt après le jour du sang, et le jour de léquinoxe du prin-
temps, on célébrait les Hilai^ia de la Mère des dieux. C'est surtout à
propos de cette fête que l'imagination des critiques modernes s'est
donné libre carrière. C'est afiiî d'en faire la résurrection d'Attis que
M. Hepding a supposé qu'on ensevelissait le dieu sous des espèces
quelconques. Ce ne pouvait être le pin. qui demeurait dans le sanc-
tuaire, et après l'avoir décrit comme le simulacre d'un mort enve-
loppé de bandelettes, iM. Hepding a dû vaguement supposer une autre
cérémonie qu'il ne décrit pas autrement (1). Après quoi on pourra
parler de laparousie. de l'épiphanie, de la résurrection d'Attis, c'est-à-
dire gloser un rite ancien en termes chrétiens.
Tout cela n'est pas moins certain pour M. Loisy Attis ressuscitait : <'

le 25 mars, le jour de « la joie Hilaria...X\x matin. Ton annonçait>> :

la résurrection du dieu, et la douleur faisait place à la joie (2!. »


M. Cumont i3) a du moins noté qu'un seul texte lui parait exprimer
clairement la résurrection d'Attis, c'est celui où Firmicus Maternus
traite des mystères phrygiens.
Il s'agit donc de l'exégèse des anciens, et nous la discuterons bien-
tôt. Notons seulement que jamais nommée la
la fête des Hilaria n'est
fête d'Attis, mais toujours celle de la Mère (i), jusqu'au vi" siècle,
dans le texte de Damascius sur lequel nous reviendrons aussi.
La vérité c'est que les renseignements positifs sur les rites nous font
défaut, ou qu'on ne veut pas les entendre. Nous savons seulement que
c'était un jour de fête, où l'on se croyait tout permis (5/; où l'on fai-
sait bonne chère (6), où l'on portait des couronnes (7\ et, si l'on veut
trouver un trait particulier à la Mère des dieux, il faudra y ajouter

lestambourins et les flûtes qui résonnaient toujours joyeusement à


son occasion. C'est donc une véritable caricature dans le style noble

(Il p. 160. L'arbitraire de la conjecture n'est pas dissimulé : Wir werden daher wohl
auch l'iir diesen Tag — le jour du sang — irgend eine Cérémonie anzuselzen haben, die
die Bestattung des toten Gotles darstellte.
(2) Loc. laud., p. 308.

(3) dans Pauly-'Wissowa,


Attis c. 2249.
(4) Par exemple dans Lampr. Alex. Sev. 37, le texte dit Hilariis matris deum. et
M. Loisy traduit « La résurrection d'Attis était devenue grande l'ète
: ;\ Rome, et l'on ra-
conte que le sobre Alexandre Sévère mangeait du faisan ce jour-là. »
(5) Flav. Vopiscls, vit. Aurel. I, 1 Hilaribus, quibus omnia lesta
: et fieri debere sci-
mus et dici...

(<)) Voir le texte de Lampride cité ci-dessus.

(7) Salluste, l. l.

REVtE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 28


434 REVUE BIBLIQUE.

que de décrire l'aurore des Hilaria comme M. llepding : « L'horreur


de la nuit était bien propre à exciter encore l'imagination des
croyants et à monter leur enthousiasme, de sorte que, quand eniin
l'heure était venue où le Grand prêtre, « rempli du dieu » annonçait
la nouvelle désirée ; « est revenu da royaume des morts,
Attis
réjouissez- vous de sa présence », tous se sentaient proches du dieu
ressuscité, et le saluaient dune acclamation sauvage après avoir
pleuré sa mort par de sauvages lamentations (1) ». Sans doute, dans
son enfance, comme le docteur Faust, M. Hepdinga eu le cœur tou-
ché par le joyeux message, " Le Christ est ressuscité »: mais il n'eût
pas dû prêter ces sentiments aux fidèles d' Attis.
M. Gumont mieux dans la noie antique en parlant de banquets
était

et de mascarades, mais il n'a pu le faire (ju'en empruntant des traits à

la fête du 27 mars. Et peut-être est-il juste, en ell'et, de donner le nom


à' Hilaria à toute la fête de Cybèle, du 25 au 27, sans attacher trop
d'importance à la requietio du calendrier philocalien. C'était bien le
sens de ceux qui représentaient le bain de Cybèle comme le terme de
sa douleur (2).
Nous ne parlons donc pas du 26, qui était un jour de repos,
requietio avant la grande solennité du 27. Si lensemble des rites
avait eu pour objet la mort et la résurrection dAttis, le point cul-
minant eût été atteint le jour de la résurrection, et la requietio eût
été sûrement mieux placée entre la mort et la résurrection. Mais en
réalité la grande fête est celle de la iMèrc, le 27 mars, fête à laquelle
Attis n'a aucune part spéciale, et c'est de celle-là, non du 25 mars,
jour des Hilaria d'après le calendrier philocalien, que les auteurs
latins ont parlé très souvent (3).

On plaçait sur simulacre de la déesse venue de Pessi-


un char le

nonte fameuse pierre noire. Devant le char on exhibait les plus


(4), la
précieuses œuvres dart (5), La procession, que les plus nobles se fai-

(1) Hei'dinc, p. 166.


(2) Arrien, Tact.. .'J3, 'l -.
xai to /o-.^Tpov 6' r, 'Ps'a. à^ 'ou toù TtévOov; X^iysi. Staci
Silv. V, 1, 223 s. : Halo gemitus Almone Cybebe ponit. Vaxer. Flacc. Argon, vm. 239 :

Mygdonios planctus sacer abluit Alnio.


(3) Julien célébra ceUe fête d'après Aminien Maicellin xxiii, 3, 7 ubi ante diein sex- :

tum Kal. quo Romae Matri deorum pompae celebrantur antiales, carpentum quo vehi-
liir simulacrum Altnonis undis ablui perhibetur. Il y a là une sorte de tradition impé-

riale; aussi la fête que célébrait Alexandre Sévère et qu'on qualifie de résurrection
d'Attis, était probablement la même.

(4) M. Cuinont (et après lui M. Loisy) parle de la statue d'argent de Cybèle, je ne sais
d'après quelle autorité. Prudence, Peristeph. x, 156 parle expressément de la pierre
noire.

(5) HÉRODIEN, I, 10.


MELANGES. 435

saientua honneur de suivre pieds nus (1), se déroulait jusqu'à l'Almo,


du Tibre, où le char (2) et la déesse elle-même étaient
petit affluent
lavés (3 Puis on revenait au Palatin (4). Ce jour-là il était permis de
.

se masquer et de se déguiser (5;; c'est le prototype antique du carna-


val romain.
Les Romains croyaient remémorer l'arrivée de la Mère, le bain
quelle avait pris dans l'Almo et qui lui avait fait oublier les fleuves
de Phrygie (6). Mais on peut se demander si l'usage d'une fête à cette
époque, d'un carnaval de Féquinoxe, n'était pas plus ancien que
l'arrivée de la Mère. Il était aisé de faire coïncider les fêtes (7 Dans .

cette hypothèse il ne faudrait pas attacher trop d'importance à la


date printanière pour fixer le sens du rite. Ce serait plutôt la date
choisie qui aurait mêlé à la fête de consécration des Galles l'idée de
renaissance indissolublement liée au printemps. Mais il se peut aussi
que la consécration des Galles ait été fixée dès l'origine à l'équinoxe
de printemps, date très convenable pour une divinité qui n'était pas
sans attaches avec la végétation.
Quant au but de la fête aux temps les plus reculés, les critiques
hésitent entre un
de purification après l'union de la déesse avec
rite
Attis célébrant les noces de son Epiphanie (8), et un rite pour deman-
der la pluie (9). Il serait assez étrange qu'on demandât la pluie au
printemps, au moment où l'on salue avec transport les premiers
rayons du soleil.

Dans le cas d'un bain de purification après l'union sexuelle, ce bain


eût été personnel à la déesse, comme le racontent divers mythes
grecs, et Attis, même après son Epiphanie, pour parler comme
M. Hepding, était toujours un Attis, attaché indissolublement à la
déesse, mais incapable de l'obliger à des purifications.
Ici nous avons affaire à un rite de purification de tous les sacra. On
sait aujourd'hui qu'à Babylone le bain des statues dans le fleuve était
un rite de purification très habituel. Les statues et autres objets con-
sacrés aux dieux n'étaient pas la divinité elle-même^ et devaient être

(l)-PRUr>. /. /.

(2) Martivl, m, 47 : Phrygiutnqiie 3/airis Almo qua lavât fen^iim.


_ (3) SiL. It. vin, 3G3 : tepidoque fovent Almone Cybelen : de même Lie. i, 600.
(4) Vopisc. Aurel. t, que je rattache à la fête de la procession.
(5) HÉRODIEN, I, 10.

I (6) Stage, Silv.


1, 222 est locus
v, quaque Italo geviitxis Almone Cybele ponii
:

yt Idaeos iam non reminiscilur amnis; cf. Ov. Fast. iv, lors de l'arrivée de Cybèle :

llmonis Dominant sacraque tarit aquis.


(7) La déesse était arrivée le 4 avril 204.

(8) Hepdinc, p. 2IG, cf. Frazer, p. 234.


(9) LoiBY, p. 310.
436 REVUE BIBLIQUE.

purifiés comme les hommes pour être dignes d'appartenir aux dieux.
Après la fête du sacrifice des Galles, on célébrait donc une fête de
dédicace qui avait pris à Rome Je caractère d'une translation. Cy])è]e
a désormais les prêtres qui lui conviennent; sa statue est purifiée et
trône dans son sanctuaire. Tout est en ordre pour une année.

Appendice sur l'ancien rite grec d'Attis.

Les fêtes d'Attis dont nous avons parlé sont celles du rite phrygo-
romain, qui se répandirent dans tout l'empire, mais très peu en pays
grec. On ne signale son culte à cùté de celui de la Mère qu'à Dymé
et à Patras. où Pompée et Auguste avaient installé des colons étran-
gers (1). Les Grecs ont eu, semble-t-il. une aversion spéciale pour
l'Attis mutilé.
On n'en que plus étonné do retrouver son culte, et même en
est

Attique, à une époque relativement ancienne. Démosthène, comme


on sait, a reproché à Eschine d'avoir joué un rôle dans des mystères
vulgaires, empreints de charlatanisme, où sa mère fonctionnait moins
en prêtresse qu'en sorcière (2). Mais le texte de Démosthène n'était
déjà pas compris des scoliastes, et il ne semble pas que les critiques
modernes aient été plus heureux. Non moins énigmatique est un
texte de la moyenne comédie « Je te châtierai, toi et ton Attis (3). »:

Il ne fait pas non plus grand cas d'Attis.

Au contraire, une inscription du Pirée de 217/-216 av. J.-C. décerne


une couronne à la prêtresse Krateia entre autres choses pour avoir
dressé une couche pour les deux fêtes d'Attis (i). M. Foucart, plus
réservé d'ordinaire, s'est laissé entraîner par le préjugé de la résur-
rection d'Attis à interpréter la couche comme une couche funéraire,

CuMONT, article Altis, dans Pauly-Wissowa, citant Pals., mi, 17, ri; 20, 2.
(1)
Démostliène parle de ces mystères étrangers avec le mépris d'un homme d'État
(2)

athénien très cultivé, mais c'étaient bien déjà les mystères, destinés à une si grande
ditFusion, avec des prétentions religieuses, comme le prouvent les mots des initiés,
Ëç-jyov xa/ôv, sùoov «ixeivov... et avec tout l'attirail sauvage qui causait sans doute la
répugnance des gens polis èv Sa -raîc yjixÉpa'.; -ov; za>o'j; O'.â«7oj; i-^wi oià -rwv ôôwv xoù;
:

îiTTEipavwjiévouc T(^ (xapà6o) /.ai tî) Àeûxifi, xoi? ôçet; toù; Tcapsîa; ôÀt'êwv xaî ÙTtèp x^; xeça/Ti;
aîwpwv y.al Potov « eùoî ffa6oï » xat ÈTtopxo'Jtxevoç « 'jyiç à.^zrr^z a-ty); vt); »...* Les SCOliastes
et lexicographes ne semblent pas avoir vu ici l'Attis phrygien. Anecd. Bekk., p. 202 :

At-y); vri;, to (xev -jr,; ^lô;, tô 6è otTT;; 6îô; laêi^to:. Souvent on met ûr.; en relation avec
la pluie, c'est le Zeus de la pluie, etc. Cf. Lokecr, Aglaophamos, p. 1041 ss. et Grlppe,
Griech. Myth., p. t428. M. Graillot (p. 358) est tenté d'identifler Hyès-Altis à Hyagnis,
père de Marsyas.
(3) Théopompe dans les Kx-r]"/:5E: : xo/à^oua; t' r/ô) za-. tov <7ov "Attiv, cité par Hepding,
p, 6.

(4) CIA, II, 622 : ï'y-oùyrsî oÈ xai y.).;'vr,v £t: àjj.îÔTïoa ri '.\TTiÔ£ia.
MELANGES. 4:n

et les deux fêtes comme celles de la mort


de la résurrection i^l et .

Mais dresser un lit est l'expression consacrée pour offrir un repas


sacré; c'est le lectisternium. D'ailleurs « les deux fêtes d'Attis ",
caractérisées chacune par un repas sacré, ne peuvent être la fête de
la mort et de la résurrection à moins de supposer entre la mort et
la résurrection un très long intervalle, ce qui ne serait pas le cas des
fêtes d'Attis, telles que les critiques les interprètent. On serait plutôt
tenté de rapprocher de ces deux Attidées le texte de Plutarque sur les
fêtes phrygiennes du dieu qui dormait l'hiver et se réveillait l'été (2).
Dans ce cas, les fêtes lugubres devaient avoir lieu à l'automne,
et les fêtes joyeuses au printemps; or on sait qu'on pleurait Attis

à l'équinoxe de mars! D'ailleurs Plutarque ne nomme pas Attis.


Aurait-il confondu Attis- et Adonis? Ce fut un cas fréquent chez
les Grecs anciens. Hermesianax (iv" siècle) cité par Pausanias, faisait
bien d'Attis un infécond de naissance, mais qui aurait été tué par
un sanglier (3). L'histoire que conte Hérodote d'Atys, fils de Crésus,
tué par Adreste i"< la chasse du sanglier, suppose la même légende.
Gruppe
Et nulle part Hérodote ne parle de la mutilation des Galles. MM.
et Hepding en concluent que ce rite n'existait pas encore, et que le
mythe le plus ancien d'Attis est celui d'un jeune dieu tué. Cependant
le trait du sanglier est trop caractéristique pour avoir été primitif

dans les deux légendes. Et si les Galles ont emprunté les mutilations
aux Sémites, comment se fait-il que le culte du sémite Adonis n'en
ait pas de trace, et quelles soient si importantes dans celui du dieu

phrygien ?

H est plus légitime de conclure que les anciens Grecs n'ont pas
connu le culte propre d'Attis, ou qu'ils ne l'ont adopté qu'en le
réduisant à n'être plus qu'un doublet d'Adonis.
Quoi qu'il en nous n'avons pas à nous arrêter sur cette époque
soit,

obscure, puisque le culte d'Attis qui est entré en contact avec le


christianisme n'est pas l'ancien culte grec, mais le culte impérial
phrygo-romain. il'est à celui-là que nous devons revenir pour suivre
l'impression qu'il laissait h ses exégètes, créateurs de mythes par
leurs explications, et trop souvent interprètes des rites d'après les
idées qu'ils se faisaient du mythe. Cet effet en retour était d'autant

plus inévitable que, d'après la croyance générale, le rite n'était que


la reproduction du mythe.

(1) Les mystères d'Eleusis, p. 136.


xaôeûôeiv, hiyy^z ô'
(2) De Is. et Os. lxix 4>pÛY£; 5à tôv Osôv rA6\iv/o: /s'.iiwvo;
: ÈYprjyo-
pévai, TOtè uàv y.xT£-jva!7(ji.o-j;, totè 5' àvîyî'o<i£i; jîay.-/cOovTî; a'jTW TE).oyTt.

(3) Pavs., vu, 17, g 9-12.


438 REVUE BIBLIQUE.

II. Les mythes et l'exégèse.

Tandis que le mythe est né, plus ou moins spontanément, du rite

et du culte, des images et de l'imagination, l'exégèse cherche l'ex-


plication raisonnée des rites et du mythe pour les raiiiener à un
système religieux ou philosophique.
Or il est impossible que le système nait pas influé sur Tintelligence
du mythe. L'évhémériste radical, qui regardait les dieux, même
Zeus, cojume de simples mortels, morts et enterrés sans plus, rame-
nait tout à des histoires de mort, banales et rationalisées. Ceux qui
ménageaient l'apothéose entre l'état humain du héros et le dieu
devaient nécessairement la retrouver dans les légendes dans la :

langue des chrétiens cela devait se nommer résurrection, une fausse


résurrection. Les stoïciens, comme on sait, voyaient dans le mythe
le cours de la nature symbolisé par des histoires, spécialement par

Thistoire du soleil. Pour les néo-platoniciens, les faits des mythes


étaient le symbole des idées.
Or il nous semble acquis que de toutes ces exégèses, seule celle
des gnostiques et des chi*étiens a parlé de la résurrection d'Attis,
interprétant ainsi le postulat païen de Tapothéose, nécessaire pour
établir la divinité de celui qui, d'après les, évhéméristes et les chré-
tiens, avait d'abord été un homme. Ce postulat n'existait même pas
pour l'exégèse symbolique, stoïcienne et néo-platonicienne, qui regar-
dait Attis comme un dieu éternel. Et en fait il n'avait même pas
pris place dans le mythe.
Si bien que nous croyons pouvoir affirmer que le mythe d'Attis fut
toujours dans ses grandes lignes ce qu'il fut dès le début, un mythe
de consécration, nullement de mort et de résurrection.
Attis fut toujours le familier de la Mère, mais ce qui est plus
remarquable encore, ses familiers, les Galles sont des Attis. Sans doute
d'autres prêtres ont porté le nom de leur dieu; on en cite des
exemples, mais pas aussi nombreux que dans le cas d'Attis. M. Hepding
a bien mis ce fait eu lumière, au point d'admettre que le grand
prêtre portait régulièrement le nom d'Attis (1). Dans une petite pièce
de Dioscorides, un pauvre mutilé se nomme « lepur Atys, chambrier
de Cybèle (2) ».

Cette identification va si loin, que, d'après le même savant, lorsque

(1) L. l., p. 126.

(2) Anth. Pal., VI, 220 àyvô; "Atj:, K-^êéXvîç OaXatiyjTtôXo?.


MÉLANGES. 439

Catulle parle d'Attis, moins en vue le dieu que l'aventure parti-


il a
culière d'un Galle. Quoi qu'il en soit, il est étrange que M. Hepding
ait mis de coté le témoignage de Catulle, sous prétexte que M. von
NYilamowitz y a soupçonné une imitation de Gallimaque. Catulle suit
de près les fêtes romaines, et, précisément parce que son mythe
est encore enveloppé dans le rite, il nous fait connaître, mieux que
personne, le sens qu'on donnait au rite c'était un pur rite de con-
:

sécration.
Nous insisterons d'autant plus sur ce texte 1) qu'on a affecté d'en
faire peu de cas.
A peine Attis a-t-il pénétré dans la forêt phrygienne qu'il est saisi
d'un transport furieux; égaré il se coupe les pondéra avec une pierre
aiguë, puis prend le tympanon, tua, mater, initia, c'est-à-dire l'objet
par lequel on est initié aux mystères de Cybèle. Dès lors il ne figure
plus dans le poème qu'au féminin; il a vraiment pris la nature
féminine, ce qui exclut toute idée d'union avec Cybèle, terre féconde !

devenue ainsi la directrice des Galles. Elles les engage, eux


Attis est
qui ont émasculé leur corps en haine de Vénus, à réjouir la déesse
en courant vers elle :

Hilarnte erae citatis erroribus anitnum (y. 18).

Il est impossible que cet HUarate ne soit pas une allusion aux
Hilaria (2). Les beaux vers qui suivent nous donnent donc une idée
d^s Hilaria :

Thiasus repente linguis trepidantibus ululât,


Leva tympanum reniugit, cava c\ mbaJa recrepant,
Viridena citus adit Idani properante pede chorus.
Furibunda simul anhelans vaga vadit, animam agens.
Comitata tympano Attis per opaca neraora dux etc. 28-32).

On voit qu'il n'est pas question d'un Attis expirant à la suite de sa


blessure : les Hilaria fêtent Cybèle, satisfaite de l'effusion du sang.
On arrive enfin à la demeure de la déesse. C'est alors, seulement que
les Galles sont épuisés et s'endorment :

Itaque ut domuni Cybebes tetigere lassulae,


Nimio e labore somnum capiunt sine Cerere.
Piger bis labante langore oculos sopor operlt :

Abit iu quiète molli rabidus furor animi (3-5-38).

(t) Catulle, eil. Baehrens-Schulze. L\m.


(2) Et cela est d'autant plus à retenir pour le sens des Hilaria que ce terme est d'abord
latin, conservé tel quel par les Grecs.
440 REVUE BIBLIQUE.

On a reconnu le jeûne, avec l'abstinence du pain; la requietio est


indiquée par lassulae... in quiète molli. Quand Attis se réveille, rendu
à la raison, il regrette son erreur :

Ibi maria vasta viseiis lacrlmantibus oculis,


Patriam allocuta maestast ita voce miseriter (48 s.).

Il se le dit avec tristosse, il est devenu le serviteur, la servante de


Cybèle :

Ego nunc deum miiiistra et Cj/beles famula ferar? (68).

Aussitôt Cybèle se présente menaçante et son lion contraint Attis à


rentrer dans le bois :

Ihi semper omne vitae spathim famula fuit (90).

Désormais Attis ne quittera plus le service de la Mère. Telle était


aussi la conclusion du rite. En ce qui regarde Attis, c'est un rite qui
est lugubre jusqu'à la fin. C'est que, pour l'àme païenne, rien ne
pouvait compenser le sacrifice de cette continence obligatoire. Chacun
sortait de la lète du sang en disant à Cybèle comme Catulle :

Procul a mea tuos sit furor omnis, era, dorao;


Alios âge incitâtes, alios âge rabidos ''92 s.\

La tradition romaine se maintiendra jusqu à la fin. Le drame n'est


pas la mort et la résurrection d'Attis, mais l'émasculation d' Attis qui
permet à la déesse de prendre ou de reprendre possession de lui. Peu
im})orte que l'opération soit faite par Attis ou par la Mère, à la suite
d'une infidélité ou non. La situation physique d'Attis est parfaitement
nette, et il serait fastidieux de répéter ici cette même épithète qui
constituait son état civil. C'était cela qu'on représentait sur la scène,
comme la mort d'Hercule sur le bûcher (1).
Le service d'Attis, dans le mythe primitif, ne supposait pas la mort
ni l'apothéose. H suffisait qu'Attis, puni ou repentant, revienne auprès
de la déesse. C'est ce que dit Ovide (2) et aussi le chrétien Minucius
Félix (3), et plus tard encore saint Augustin fV).

(1) Teut. ad nat. i, 10 : vidimus saepe caslratum Altin deum a Pessinunle, et qui
vivus cremabatur, Herculem indueral.
(2) Fastes, v, 225J s. Hune sua templa txieii, Et dixit : « semper
siln servari roluit,
fac puer esse velis > . Il lui-même de son infidélité les Galles ne font que l'imiter
se punit ;

243 s. venit m exemplum furor hic, mollesque ministri


caedunt iactatis vilia membru comis.
11 n'est point question comme dit M. Ilepding.
de blessure mortelle,
(3) Octavius, XXII, 4 : Cybelae Dinduma pudet dicere, qux adulterum suum... exse-
cuit, ut deum scilicel faceret eunuclnnn. Propter hanc fabulain Galli eam et semiviri
sui corporis supplicio colunt.
(4) De civ. VI, \'H, 3. La distinction est très nette entre Adonis tué et Attis abscisus.
MÉLANGES. •441

du iv siècle, soucieux de conserver les rites


Les iiéo-platoniciens
tout en leur donnant un sens profond, n'envisageaient point les choses
autrement. Salluste le philosophe, ami de .lulien, reconnaît dans la
lég-ende d'Attis un mythe mixte, de ceux qui sont propres aux initia-
tions. Gybèle aimait Attis, couché auprès du fleuve Gallos; elle lui
donna son propre bonnet astral, et voulait le garder auprès d'elle,
il s'éprend d'une nymphe et quitte la Mère des dieux. Elle le rend
fou, il coupe ses Yiv.y.x qu'il laisse à la nymphe et revient auprès de

la déesse (1).
Les explications fort alambiquées de .lulien s'attaquent au même
mythe. Il n'est point question de la mort, mais de l'excision (2 On .

pleure Attis lorsqu il fuit, couche dans


lorsqu'il se cache, disparait, se
l'antre (3). Puis le son de la trompette nous rappelle que nous devons
nous tourner vers l'I/nité. de même que la déesse a ramené Attis et le
garde auprès d'elle V).
Lucien qui, en vrai grec, sest moqué d'Attis (5), suppose constam-
ment qu'il a survéru à la castration. Il est le fondateur du culte de
Cybèle-Rhéa (6).
Cependant mort devait pénétrer assez naturellement,
l'idée de la

si Attis était aussi et dès l'origine un génie de la végétation,


assez semblable a Adonis. Les primitifs, observateurs de la nature,
avaient distingué ce qui caractérisait les deux génies. L'un, le génie
de la végétation perpétuelle des pins et des roseaux, s'endormait
pour se réveiller au printemps: l'autre, le génie des céréales, mou-
rait pour renaître. Porphyre conserva très finement cette nuance,

s'en tenant lui aussi au fait de la mutilation (7). Mais d'autres con-
fondirent. Attis dut aussi passer pour mort, et le rite lugubre de
sa castration conduisait à la même exégèse, racontée comme une
histoire."

Et en effet c'est le cas des deux légendes recueillies par Pausa-

;l; Fragm. phil. graec. iii, 33.

(2) Or. V, 168 k Kxi ÈTTavâyïTai r:a>t/ èîti rr.v >[r,T£f a TÔiv Oewv [i£Tà fr,v è-/iTO(i.r,v.

13) Or. V, 168 C aura; to-j êaTi/sw: "Att-.ooî al Opr,vo'J|JLiva'. tÉ(o; ç-jvac xai xpû'i/£'.; /.a;

àsavtTfiol xaî ai 8-j<7£i; al y.aTà -o avTOOv.

;4) -E. l, 111 èïravâvei koo; éa-jrriv r, 6£o; àr7[i£'vw;. iiàz/ov oï îy^zi nao' i'x-j'zr,.

5 De sacrif. vu, Cybèle promène >ur un cliar traîné par des lions, son Attis. qui ne
peu! plus lui servir à rien.
(6) De dea sijriâ, xv.
(7) Dans Eosèbe, Praep. evangel. m, 11, \'l : "X-.-.'.z tï /.ai 'Aowvt; rr, tôjv /.ap-wv tWvi

I àva^oyi'a npoOT^xovTêç. 'AX)' ô


çtyovTjaai ôiappeovTuv, évOev xal tt,v
(ièv "Atti;
twv
tmv xatà to êap irpo?aivo|A£vwv à^Uui'^ xal
alSotcov àiroxoitv aOTtô npoiavÉÔEffav,
twv
jit)
Ttplv -.t'i.z-

çOaidvrto/
y.apzwv
è>.8eîv Twv xap7C«5v si; ttv Tirîptj.aT'.zr.v t£>.£;'w'7'.v. ô Ô£ "Aow>^'.; -.r\<i t£)e;(o-/
442 REVUE BIBLIQUE.

nias (1). D'après la première, n«»us l'avons vu, Attis a été tué par un
sanglier envoyé par Zeus. Le trait est évidemment emprunté à l'his-
toire d'Adonis. Mais comme la mort remplace ici la castration vio-
lente et qu Attis est par détiiiition un eunuque, on disait qu'il était né
tel. Et c'est avant sa mort qu'il était le prêtre de la Mère, chez les
Lydiens (2). Point de résurrection.
D'après une autre légende, Attis sémascule et en meurt; il ne

resssuscite pascependant et tout ce que peut faire Zeus, c'est de pré-


server son corps de la corruption (3i. Mais le rôle du Galle qui n'en
meurt pas est tenu dans cette légende par Agdestis, où l'on voit un
double de Cybèle, mais où l'on peut voir aussi bien un double
d'Attis, du moins en ce qu'il en conserve le trait essentiel. C'est cette
légende qu'Arnobe a reproduite tout au long. Il prétend l'avoir
empruntée surtout à Timothée, théologien de marque (V), mais il
allègue vaguement d'autres sources. On y saisit aisément les éléments
primitifs du mythe; ce sont précisément ceux qui sont en rapport
avec le rite. Il est clair que la mort d'Attis n'en fait point nécessaire-
ment partie; quant à sa résurrection elle est exclue expressément.
Voici le résumé de cette étrange histoire.
Il existe en Phrygie un rocher nommé Agdus, d'où ont été tirées

les pierres jetées par Deucalion après le déluge pour renouveler


l'humanité. D'une de ces pierres naquit la grande Mère. Jupiter vou-
lut la séduire, mais n'y parvenant pas, "dut se contenter de la pierre.
Cette pierre conçoit et enfante Agdestis, androgyne. Son audace irrite
les dieux. L'artifice de Liber (Hacchus ou le vin) parvient à le réduire-
Agdestis s'étant enivré, Liber lui attache les genitalia à la plante des
pieds au moyen d'un cordon.
en sursaut et se mutile
Il se réveille
ainsi lui-même. De son sang nait un oranger \h). Nana, fille du roi
Sangarios met une orange dans son sein, et donne le jour à Attis, qui
devient l'ami d'Agdestis. Midas, roi dePessinonte, veut l'arracher à ce
commerce infâme en le mariant à sa fille la, la violette. Agdestis
survient et rend tous les convives furieux. Attis sémascule sous un
pin et consacre le débris à Agdestis. Il meurt. Et voici ce qu'il y n

(1) Paus. vu, wii, 9.

(2) Kat Ayôoïç ôpyta ètéaei Mr,Tpô;.


(3) L. l. VII, xvii, 12 : xal oi Tiaoà Aïo; e-jpETO |xr,T£ nrinii^u.'. -: AtTr, to'j cïwfjiaTo: [j.t,-i

TVJ/.Eo-Oai.

(4) ÂRNOBE, V, 5 ss. Ce Timothée es! l'Athénien qui organisa à Alexandrie .sous Ptolé-
inée I" le culte de Sarapis.
(5) Voilà donc le thème de fécondation, si cher aux modernes. On voit comhien elle est
indirecte. Un certain pouvoir fécondateur existe dans le sang au moment où il coule; cesl
une suppléance pour leunuque, privé de fécondité.
MELANGES. 443

d'étonnant. La Mrre des dieux ne prend aucun soin de son cadavre.


Ellene s'occupe que du débris de sa mutilation, qu'elle enveloppe de
SL l'habit du défunt et recouvre de terre, non sans l'avoir lavé et
" embaumé il). La violette naît du sang- d'Attis; on en orne l'arbre,

ladonne la sépulture à Attis et se tue, et cette fois la Mère intervient


pour l'enterrer à son toui'. Elle emporte le pin dans son antre et gémit
avec Agdestis. Ce dernier demande à Jupiter de ressusciter Attis :

tout ce qu'il peut obtenir c'est que, pour éviter la putréfaction, les
cheveux croissent toujours et que le petit doigt soit toujours en mou-
vement. Agdestis organise le culte d'Attis à Pessinonte il va sans dire :

cju'il ne contiendra rien de joyeux Arnobe revient à plaisir sur ces


I

répugnants détails pour convaincre les païens de leur incongruité. Il


résulte de ces reproches indignés que le pin représente Attis, qui,
étant mort, ne peut être personnellement au service de la déesse. Mais
ceci est l'explication d' Arnobe. Le rite ne se rapporte guère qu'au
débris. On voit assez clairement qu'il est enseveli en terre et repré-
senté auprès de Cybèle par le pin ['2). Cette double situation est
V^ quelque chose comme la tombe et le cénotaphe placé au-dessus, l'at-
testation et le monument du sacrifice accompli. Le pin est orné des
violettes qui sont nées du sang d'Attis, il est, comme Arnobe le dit
très bien : miserabilis tealimoniumque fortunae (3).
Il n'est peut-être pas inutile d'ajouter que lorsqu'Arnobe parle du
mythe sans être sous l'influence d'une tradition particulière, il en
parle comme tout le monde dans la tradition romaine. Attis, en dépit
de l'opération, demeure auprès de la déesse (i).
Dans la légende qu'Arnobe dit avoir empruntée à Timothéé, l'évhé-
mérisme s'était donné libre carrière il était cependant mêlé à bien ;

des traits mythologi({ues. Dans Diodore, l'histoire de Cybèle et d'Attis


n'est plus que l'aventure toute humaine de deux amants. Attis est tué

^1) H y a une lacune dans le texte, mais cf. 14, sur lequel u»us reviendrons.
(2) V, 14 : errjone deum mater genUalia
cum /luoribus ipsa per se mae-
illa desecta
rem sonctù manibus. ipsa divinis contrcctacit av.
officiosa sedulitate collegit, ipsa
sustulit flagitiosi opcris instrumenta foedique, abscondenda etiam mandavit terrae,
ac ne nuda in gremio diljluerent scilicet soli, priusquum veste lelaret ac tegerct,
lavit utique, batsamis atqiie unrit? Ce passage complète ce qui était ditdans le récit du
mythe (v, 7) or dans cet endroit, Arnobe ajoutait inde natuin et ortum est mine etiam
: :

sacras velarier et coronarier pinos. Le pin représente donc le débris avant de représen-
ter Attis.
(3) V, 16.

(4) nonne illum Attin Phnjgem abscisum et spoliatum vivo magnae tnatris in
I, 41 :

adytisdeum propitium, deum sanctiim Gallorum conclamatione testamini? — iv, 29 :

matrimonium magna cuius tennerit Mater, quidnam spei. quid rotuptatis specioso
ab Attide conceperit...
4i4 REVUE BIBLIQUE.

et privé de sépulture: Cybèle le cherche en pleurant. Pas de mutila-


tion, mais pas trace non plus de résurrection. Le culte est une simple
lamentation pour la passion du jeune homme dont on veut apaiser
les màaes, irritées du refus de sépulture (1). Et si l'histoire n'a aucune
portée, la caractéristique purement douloureuse du rite relatif à
Attis concorde bien avec toutes les autres données.
D'ailleurs, n'oublions pas que dans la lutte religieuse de l'anti-
quité, les systèmes plus ou moins évhéméristes étaient ceux des ratio-
nalistes plus ou moins ennemis des religions. Ce nest point leur
opinion qui faisait foi chez les fidèles d'Attis, et c'est la foi de ces der-
niers qui nous importe.
Quand Attis n'est pas le jeune berger, le bel adolescent (2), c'est un
dieu tout-puissant qui trône auprès de Cybèle (3). On l'a spécialement
assimilé au dieu Men i
i), très honoré en Asie Mineure et dont le
croissant lunaire est l'attribut. 11 est spécialement le Très-Haut (5).

M. Cumont a reconnu dans ce terme d'Hypsistos l'appellation qu'on


employait pour désigner le Dieu d'Israël, Il eût pu ajouter que la
seconde épithète, « qui contient et maintient tout » se trouve dans

le livre de la Sagesse, en parlant de l'Esprit du Seigneur (6). L'ins-


cription est de 370, M. Cumont ne juge pas improbable une action du
monothéisme Israélite sur les mystères de la Grande Mère (7) ; ne
peut-on pas en dire^iutant du christianisme?
Quoi qu'il en soit, les adorateurs de ce dieu, devenu très grand,
ne devaient point croire facilement qu'il fût mort. Les explications
stoïciennes avaient pour but d'éliminer ce que le mythe avait de
choquant. Si Attis était le symbole de la fleur, le coulage de la fleur

(1) DiOD. 111, ."i9 : iiiÔTtcf. TO'J; <ï>pûya: ôtà tov ypôvov r,iavi(T(i£vo-j çoû CMp-aTo; sïôfoXov xara-
TXEvâTai TO'j |j.eipay.îo-j, Trpô: (J>
6pr]vovvTa; zxXi oîzEiat: TtjJLat; toû TràOo-j; èçrAâixSTÔa'. Trjv toO
Trapavojir/Jivio; (jl-^viv.

(2) P/injx puer... faite spectabilis. puer speciosus, pulcher adolescens, puer forma-
sissimus, almus amans [Thés.].
(3) CIL., VI, 512 •
Dis magnis Matri Deum et Attidi <&ïi 376); 502 : Diis omnipolenli-
bus M. D. et Atti (en 383).

(4) CIL,, VI, 409 : Matri Deum... et Attidi menotyranno invicto (en 374); cf. 5<iS ei(

319. Le dieu Men était couramment Mr,v TÛpawo;.


(5) 'AtTcI 8' •j'I/io-TO) xaî <7-jv[£yo]vTt xo iiàv tw iràucv xatpoïç 6e(AE[pwTe]pa itavta çûovTt
[Insc. graec. xiv, 1018, ou CIL,, vi, 509; dans le texte latin on voit que l'a'uteur de la dédi-
cace est un pater sacrorum dei invicti Mithrae.
(6) Tô (7uv£/_ov Ta rivra fSa|). i, 7); dans Hermès trismégiste, ap. Suidas, toû TEptÉj^ov-ro;^
"ctvta.

(7) Rel. or. p. 94. Sur tout ce syncrétisme, cf. Graillot, p. 208-222, qui attribue beau-
coup k l'intlilence du culte de Millira pour introduire dans la religion d'Attis des idées mo-
rales : elles n'y seraient dom pas très anciennes, et c'est bien ce que nous dirons.
MÉLANGES. 44o

seulement la mutilation (1). Si Âttis était le soleil (2), son


signifiait
obscurcissement momentané aboutissait au glorieux triomphe de
ï l'équinoxe de printemps, mais le dieu n'avait jamais succombé (3).
Pour les néo-platoniciens, Attis était un démiurge, subordonné à
Cybèle, la source du Tout, naturellement immortel.
Les fidèles d'Attis, adorateur dun grand dieu, n'avaient donc
même pas besoin de l'apothéose, ressource employée pour les demi-
dieux anciens et pour les empereurs, hommes authentiques. Leur
pasteur était, quand ils l'adoraient, le pasteur des astres.
Que si quelques-uns ont admis une apothéose, elle demeurait dans
un certain vagué, et il est étrange que les modernes n'aient pas
compris combien scabreux était l'expédient dune résurrection. Car
Attis, même lorsqu'il est un très grand dieu, a toujours ses attributs

primitifs, et le sculpteur a même pris soin de faire comprendre ce


qui lui manquera toujours. Les représentations figurées ne changent
guère plus que les rites. Or si les prêtres égyptiens suivaient une
certaine logique en faisant commencer la résurrection d'Osiris par
Torgane qui transmet la tie, ceux de Phrygie auraient assurément
manqué de tact en attribuant à Zeus ou à la Mère une résurrection
aussi incomplète.
Au contraire, à voir les choses du dehors et au risque de tomber
dans une confusion que les modernes ne savent pas toujours éviter (4),
les exégètes gnostiques ou chrétiens ont pu songer à la résurrection
corporelle, et c'est précisément chez eux, et chez eux seuls, qu'il en
est question pour Attis.

Au livre v° des Philosophoumena, Hippolyte expose les mystères


d'Attis d'après un gnostique naassénien. Tout d'abord il interprète
le mythe en supposant qu'il n'a d'autre objet que la castration, dans
le but de ramener Attis près de la déesse.
Nous sommes dans le grand courant normal de la tradition, quoi
qu'il en soit de la glose qui s'y adapte. Si la Mère des dieux a mutilé

(1) Très bien compris par saint Augustin, de civ. Dei, vu, 25 Porphytius Alijn flores
:

significare perhibuit; et ideo abscisum, quia /los decidit anle fructum. Non ergo
ipsum hominem, vel quasi hominem, qui vocatus est Aiys, sed virilia dus flori
comparaverunt.
{i'i Arnobe, I, 42; Carm. contra pag. 109. Attiii castratum subito praedicere soltnt.
;3) Macrobe, Sat., i, 21, 9 praecipuara autera solis in his caerimoniis verti rationem
;

hinc etiam potest colligi, quod ritu eorum catabasi finita siraulationeque luctus peracta
«•elebratur laetitiae exordium, a. d. octavum Kalendas .\prilis. quem dleni Hilaria appelr
lant, quo primum tempore sol diem longiorem nocte protendil. La catabasis n'est pas

l'ensevelissement du dieu, mais la descente du débris dans l'hypogée de la Mère.


i; .\insi M. Hepding qui parle de la résurrection de l'unie p. 202 note)!
446 REVUE BIBLIQIE.

celui quelle aimait, c'est la nature bienheureuse des choses supra-


mondiales et éternelles qui appelle auprès d'elle la vertu mâle de
lame (1). Attis lui-même quitte les parties basses et matérielles de la
création pour passer à la substance éternelle, où il n'y a ni féminin
ni masculin (2). Les Naasséniens prétendaient que c'était précisément
ce qu'avait voulu dire l'épître aux Romains (i, ^0--2G).

Puis celui qui les représente cherche le sens profond d'un hymne
en l'honneur d'Attis, chanté, paraît-il, au théâtre, quoiqu'il contint
de grands mystères (3) :

« Fils de Kronos, ou du bienheureux Zeus, ou de la grande Rhéa,

salut, triste débris de Rhéa, Attis. Les Assyriens te nomment le trois


fois désirable .\donis, mais TÉgypte te nomme Osiris, les Grecs la
corne céleste de Mèn, la sagesse, ceux de Samothrace l'auguste
Adamna, les Hémoniens Corybante, et les Phrygiens tantôt Papas,
tantôt mort, ou dieu, ou le stérile, ou berger, ou épi vert moissonné,
ou le joueur de flûte enfanté par l'amandier fécond (4) ».

C'est assez complet comme syncrétisme, et quoique le poète attri-


bue ici l'épi vert aux Phrygiens, le commentateur naassénien a
reconnu dans 1 epi un rite d'Eleusis, prétendant seulement qu'il avait
été emprunté par les Athéniens aux Phrygiens (5). C'est le contraire
qui est vrai, et on ne peut faire état, à propos du culte normal
d'Attis,d'un trait qui est emprunté à Eleusis, et qui conviendrait
mieux en tout cas à Adonis ou à Osiris.
Mais ce qui nous intéresse le jjIus ici, c'est qu' Attis est successive-
ment mort et dieu. Comment se fait le passage? Par la résurrection,
d'après le gnosti([ue mais s'il comprend les choses ainsi, c'est qu'il
;

entremêle son explication de textes bibliques, surtout du Nouveau


Testament, sans parler des concepts platoniciens.
Voici le passage, qui ne manque pas de saveur : « Les Phrygiens
le nomment aussi mort, car il est enseveli comme dans
dans le corps
un tombeau. C'est, dit-il, ce qui est dit Vous êtes des sépulcres
: «

blanchis, remplis, dit-il, au dedans d'os de morts » (cf. Mt. xxiii, 27),
parce que l'homme n'est pas vivant en vous. Et encore, dit-il « Les :

morts sortiront des tombeaux » (cf. iMt. xxvii, 52 s.), c'est-à-dire des
corps matériels les spirituels qui seront nés de nouveau, non les

(1) P. G., XVI, c. 3130.


(2) L. l., c. 3131.
(3) Ce qui étonne, c'est que le commentaire précède le poème.
(4) L. L, c. 3155.
(5) L. L, c. 3149. AÉyouffi ok aÙTÔv, ar\(ji,
4>pÛY£ç xal x^ospôv ordtx'jv rsÔcpiafievov (ou,
dans l'invocation àtir.QÉvra), xal (JiêTà To-i? «l>p-jYai; 'A6ïjvaîot îJ.-jovvTe; 'Elvjai'nv. x. -. À.
MELANGES. 447

dit-il, la résurrection qui se fait par la porte des


cliarnels. C'est,
cieux (1); ceux qui n'entreront pas par cette porte demeureront
morts. Les mêmes Phrygiens, dit-il. le nomment encore dieu par
conversion. Car, dit-il, il devient Dieu, lorsqu'étant ressuscité des
morts il entre au ciel par cette porte. « Et Paul l'Apôtre connaissait
cette porte, etc. (1). "

Ce développement n'est pas autre chose, semble-t-il, que Texégèse


gnostique du mythe d'Attis. Encore faut-il noter que le naassénien
ne s'appuie ni sur le rite, ni même sur le mythe, mais sur une invo-
cation syncrétiste, où Attis était qualifié à la fois de mort et de dieu.
Âttis étaitmort, nous l'avons vu. dans les légendes de Pausanias et
d'Arnobe, qui ne se préoccupaient pas d'expliquer comment de mort
il devenu dieu. La résurrection était même niée expressément.
était
Elle est, pour un gnostique, le moyen le plus naturel d'expliquer le
changement, sans qu'on voie clairement d'ailleurs si la résurrection
dont il parle n'est pas purement spirituelle.
M. Hepding n'ignorait pas ces textes, mais il ne s'y est pas arrêté,
sans doute parce qu'ils respirent trop ouvertement un syncrétisme de
mauvais aloi. Toutes les fois qu' Attis ressuscite, c'est grâce à Firmicus
iMaternus.
Un mot de ce témoin. Converti au christianisme, le mathématicien
Firmicus Maternus adressait, entre 3V0 et 350, aux empereurs Cons-
tance et Constant son ouvrage De errore profanarum religionwn.
Son but était d'obtenir la destruction des temples et du paganisme,
étant avéré que le paganisme et spécialement par les mystères, n'est
qu'une imitation diabolique Omnia symbola profanae religionis per
:

ordinem suggeraniur, ut probemtis nequissimmn hostem generis


humani de sanctis haec venerandisque prophetarwn oraculis ad
contaminata furoris sui scelera transtulisse (xxi, 1) ou encore ?// aput :

omnes constet divinae dispositioms legem perversa diaboli esse imita-


tione corruptam (xxii, 1). Peu nous importerait son explication, s'il

récitait correctement les rites; mais on voit clairement, surtout à


propos du culte d'Attis, (juil se propose moins de les décrire que
d'opposer l'évhémérisrae aux apologies stoïciennes.
Excluons d'abord un texte, peut-être le plus intéressant du recueil,
mais qui ne regarde pas Attis. Il faut le montrer clairement, puisque
M. Hepding', tout en exprimant son doute, fait état du texte pour gloser
la résurrection d'Attis :

1) La vraie porte de Jo., \, 9, dont il vient dètre question.


.

448 KEVUE BIBLIQUE.

Nocte quadani simulacrum in lectica supinum ponitur et per numéros digestis


fletibus plangiturdeinde cum se ficta lamentatione sattaverint, lumen iofertur
: :

tune a sacerdote omnium qui flebant fauces ungucntur. quibus perunctis sacerdos
hoc lento murmuro susurrât :

0ac.p=t-:£ (JLjfftai zoxi Ôsoj a;5a)3jx.£voj.


ïaTa; yào r,tj.îv h. -dvwv 3coTr;c:a (l).

Le dieu sauvé mais sûrement Osiris. En effet, à partir


n'est pas Attis
du chap. xviii, l'apologiste expose tous les sf/??ibola des mystères. Les
mystes d Attis paraissent dès le début du ch. xvni; d'autres suivent,
et le ch. XXII se rapporte au dieu égyptien commo le prouve le détail
de la lumière, qui rappelle l'exhortation qiiaere exordium lucis, à
propos d'Osiris (2). Cette statue qu'on apporte dans une litière et dont
on rassemble les membres gisants et sans doute épars (3) représente
beaucoup mieux Osiris qu'Altis, comme M. Loisy l'a très bien vu.
Il reste que Firmicus Maternus a employé le terme technique de

résurrection. Mais ce n'est pas dans une description du culte, c'est dans
une argumentation où il a tout brouillé. La thèse païenne, celle qu'il
s'appliquait à réfuter, c'était l'explication stoïcienne naturaliste, et

non pas celle de Porphyre, qui savait distinguer Attis la fleur, d'Adonis
le grain, mais celle qui expliquait le deuil d'Attis de la semence jetée
en terre, sa mutilation de la moisson, et sa vie récupérée de la re-
naissance des semences. On voit s'il était possible d'aboutir à un
ordre rituel quelconque avec ce thème! Cybèle était la terre comme
toujours (V) a)/iare terram voliint fnige<, Attin rero hoc ipsiim
:

rolunt esse quod ex frugibiis nascitur, poenam aiitem quarti sustïnuii


hoc volunt esse, quod falce messor maturis frugibus facit : mortem
ipsius dicunf, quod semina collecta conduntur, vitam nirsus, quod
iacta se?ninct annuis vicibus recondunlur (5).
Naturellement il était facile de railler l'explication alambiquée de
faits si simples, et surtout, puisque la fête du deuil avait lieu au

printemps, de mettre en contradiction le rite et l'exégèse tU gratias :

pro renaiis frugibus agas xdulas, ut gaudeas plangis (6)...


Aussi bien Firmicus insiste constamment sur les rites de deuil, car
il veut prouver que ces rites ne sont ])as en l'honneur des céréales.

(1) XXI, 1.

(2) II, 9.

(3) xxu, 3.

(4) m, 2.
(5) Reconduntur est la leron du ms., M. Hepding lit redduniur; l'éditeur Halm avait
songé à renascuntur
(6) m, 3. Le sens n'est pas : tu hurles pour rendre grâce ensuite, mais tu hurles |>our
témoigner ta reconnaissance, ce qui est absurde.
MÉLAiNGES. 449

mais rappellent le deuil d'un mortel. Le mythe qu'il adopte n'est pas
celui des païens, de Minucius Félix, d'après laquelle
mais la version
Gybèle elle-même vengée du mépris de son amant. Mais tandis
s'est

que Minucius n'attribuait à Gybèle que la mutilation (1), Firmicus


s'exprime d'une manière équivoque, qui permet d'attribuer à Gybèle
la mort d'Attis.
Voici enfin le texte important :

Phryges, qui Pessinunta incolunt circa Galli flumiois ripas, terrae ceterorum
elepaentorum tribuunt principatum et hanc volunt omnium esse matrem. deinde ut
et ipsi annuum sibi sacrorum ordinem facerent, mulieris divitis ac reginae suae
aniorem, quae fastus ainati adulescentis tyrannice voluit ulcisci, cum luctibus
annuis consecrariint, et ut satis iratae mulieri facerent aut ut paenitenti solacium
quaererent, quem paulo ante sepelierant revixisse iactarunt, et cum mulieris animus
ex impatientia nimii amoris arderet, mortuo aduiescenti templa fecerunt (2).

Il est parfaitement clair que Firmicus ne raconte pas la suite des


fêtes,mais l'origine des rites. Armé de l'évhémérisme le plus radical,
il dénonce la fraude des prêtres qui donnent pour ressuscité celui
qu'ils venaient précisément d'ensevelir, afin de justifier l'érection de
temples à Attis. Le mot de résurrection vient naturellement sous la
plume du chrétien, mais ce ne sont pas les prêtres d'Attis qui lui
ont conté cette histoire qui démolissait leur dieu. Au surplus, que
l'idée de la résurrection ait pénétré au iv*^ siècle dans les sanctuaires
d'Attis, il est possible; c'était une des solutions à proposer pour expli-
quer le deuil de l'homme et le culte du dieu. Cependant nous ne
l'avons pas rencontrée chez les auteurs païens auxquels elle était

naturellement antipathique. Et l'on veut que le culte d'Attis ressuscité

ait contribué au i"' siècle de notre ère à rendre croyable la résurrec-


tion de Jésus !

Avec Firmicus Maternus, on cite en faveur de la résurrection d'Attis


un texte de Damascios, dans la vie d'Isidore, au début du vi* siècle (3).
D'après l'analyse de Photius, on dirait qu'en cet endroit Damascios
parlait pour son compte. Étant à Hiérapolis de Phrygie, il avait voulu
descendre avec le philosophe Doros dans une grotte souterraine em-
poisonnée de gaz méphitiques, dont seuls les initiés n'avaient rien à
craindre. L'entreprise réussit. Après quoi l'auteur (ou Isidore?) eut
un songe il lui sembla qu'il était devenu Attis et que la Mère des
:

(1) Octav. XXII, 4; (le même saint Paulin de Nole, Carm. xxxii, 80 s. et Fulgence,
Mitol. m, 5. Textes cités par Hepding.
(2) m, 1.

Les extraits de Photius (Bibliothèque] ont été édités séparément, par exemple dans
(3) la
collection Didot des auteurs grecs, après les œuvres de Diogène Laërce, p. 119 ss.
REVUE lilBLIOUE 1919. N. S., T. XVI. — 29
450 REVUE BIBLIQUE.

dieux avait célébré pour lui la fête nommée Hilaria : u ce qui


que nous avions été sauvés de l'Hadès » (1). Si l'Hadès est,
signifiait
comme il est probable, ce gouffre dangereux, on ne voit pas qu'il
faille haut de la résurrection ni du pouvoir d'Attis de sauver
parler si

ses fidèles de l'enfer. Le rite d'Attis contenait une descente dans le


sanctuaire ou l'hypogée de la Mère; elle était suivie des Hilaria. Ces
Hilaria, après le redoutable péril courii, exprimaient bien la joie
d'y avoir échappé. Qu'on note le passé; il n'est point question des

espérances que donne la foi. Et enfin nous sommes au vf siècle, et


il s'agit d'un saint laïc, et c'est bien le cas de dire avec Firmicus qde
cette hagiographie ne va pas sans contrefaçon.

III. Les mystères et les Tauroboles.

L'acte insensé des Galles était un sacrifice, qui aboutissait à la mort


et à l'enterrement du principe générateur. Mais plus sévère était le
sacrifice, plus grand devait être l'avantage religieux, plus séduisante
lapensée d'y être associé sans l'accomplir personnellement. Il y eut
donc des mystes d'Attis, et puisqu'il plait à certains critiques de
nommer les Galles des moines mendiants, nous dirons qu'il y eut un
tiers ordre.
I. La formule qui exprimait ce que devait faire le simple fidèle
pour y entrer a été conservée par Clément d'Alexandrie et par Firmi-
cus Maternus. Elle est plus complète dans Clément « J'ai mangé du :

tympanon, j'ai bu de la cymbale, j'ai porté le kernos, j'ai pénétré

dans la chambre nuptiale » (2). Ce que l'apologiste, bien renseigné,


regarde comme une chose ridicule et saugrenue.

Firmicus Maternus (xviii) : m quodani ternplo, ut in inlerioribus


partibus homo )noritu?'us possit admitli, dicit : « de tympano mandu-
cavi, de cymbalo bibi et religionis sécréta perdidici », qiiod graeco
sermone dicitur : èx TU[i.7iâvcu Psôpwxa, èy. xutj.ôâXou ';:é-wy.a, ^i^(Q-'icx.
Iji.Jc7Tr,ç "Attîwç. Le texte de Clément est évidemment préférable. Si
Firmicus en a remplacé la seconde moitié par des mots vagues qui ne

(1) AéyEt 8' ô oyyyP*^^^'' '•*' a'Jtô; ts xal Awpo; 6 çi/ôaoço;, Otiô 7tpo6u|x{ai; èxvtxriOivTsç

xaxeSïidâv te xaî àicaOei; xaxwv àvÉériTav. Aévet oè ô cr-jyypapEu;, ôxi t6t£ xr\ McpanôAst èyxa-
ÔE'jSTjffcrç èôôxouv ôvap ô 'A-ririç yaveirôai, xat iiot ÈmTeXsïffÔai Ttapà -îfiC, \yf\içoi -zd/ Oewv Tf|V to)v

'Dapitov xaAûvfxÉvwv éopTrjV ôitep èSriXou -TiV i% aSo-j yeyovjîav r||iwv irwtïipt'av. Ainsi la fêle
est comme une consécration d'Attis par la Mère!
(2) Cohort. ad Gentes, i, 2; cf. P. G., VIH, C. 76 : Ta aû|j.êo>a xyjç [iut.ctew; TajTr,ç, éx
TtepiouCTi'a; TcapaTeÔévia, oTô' o-ri xivriaei yéltà'za, xàv (X-?) ysXàTai êitsiaiv û(iïv, ôià toùc èXéy-

3(oui;* 'Ex T-jjiuâvoy Içayov, êx xu[i.6à>,ou ëitiov* èxepvo<p6pifi<Ta' ûtto tov Ttaoràv Otcéôuov. TaOra
oùx wêpi; ta (TÛ[i.6o)ia; où x^^^^ 't* [i-jffxripta;
MELANGES. 4îil

sont pas les mêmes en latin et en grec, c'est pent-être parce que,
mettant mot de passe dans la bouche d'un myste au moment de
le

pénétrer dans l'intérieur du temple, il ne pouvait plus lui faire dire :

« j'ai pénétré dans la chambre nuptiale ». Il serait peu critique de

bloquer les deux textes. Firmicus introduit une idée spéciale avec
moriturus. Ce mot est remplacé par introitunis dans l'édition de
Vienne. C'est plus naturel, mais trop naturel, et Dieterich (1) a eu
sans doute raison d'interpréter ce moriturus d'une mort mystique (2).
Nous avons vu que d'après Salluste, les mystes buvaient du lait
comme étant nés de nouveau. Us étaient donc censés morts aupara-
vant. Peut-être aussi, Firmicus pensait-il en chrétien à la mort spiri-
tuelle qu'encourait tout initié à ces mystères du démon : moriturus
serait parallèle àvitam semper fugias, morlem requiras (3). Quoi qu'il
en ne vaut que pour son époque, et si ce début a obligé
soit, le texte

à modifier le texte de Clément, c'est pour faire place à une concep-


tion nouvelle. Clément, plus ancien, informé plus directement, et plus
complet, doit être préféré.
La première moitié de sa formule (i) fait allusion à un repas sacré.
On pourrait penser à une sorte decantilène des « moines mendiants » :

« je vis du tympanon, je bois grâce à ma cymbale », mais ce sens ne

concorderait pas avec les aoristes de Clément qui indiquent une


seule circonstance, un fait passé. Il s'agit non seulement d'un repas
sacré, comme les anciens en ont tant pratiqué, mais d'un repas d'ini-
tiation. On le prenait sur le tympanon, en buvant à la cymbale, légè-
rement creusée.
Mais est-ce une raison pour le comparer à l'Eucharistie?
Pour M. Hepding, la chose est aisée : Abercios qui connaît l'ali-

ment du pain et du vin est un initié d'Attis! Ce n'est point le lieu de


discuter cette aberration.
avoue que nous ne connaissons pas le menu, mais il
M. Loisy (5)
insinue nettement et fortement que l'aliment et la boisson étaient le
pain et le vin. Les arguments? —
F^irmicus, en reprochant sa faute au
myste, lui dit : « C'est un autre aliment qui donne le salut et la vie...

(1) Eine Milhrasliturgie, p. 103.


(2) On l'a retrouvée aussi dans les mystères Apul. Metam. xi, 23
d'isis, Accessi
:
confi-
nium mortis et calcato Proserpinae limine per omnia vectus elementa remeavi.
(3) iii, 3.

(4) Le scoliaste de Platon (Gorgias 497 c) a entendu la formule des mystères d'Eleusis.
C'est une erreur. Mais il est assez probable que la formule d'Eleusis a servi de modèle
aux mystes d'Attis.

(5) L. L, p. 314.
452 REVUE BIBLIQUE.

Recherche le pain du Christ, le breuvage du Christ. » iMais on —


avouera que les mots « un autre aliment » suggèrent un contraste
aussi bien qu'une analogie, et que le reproche se justifie, quels
qu'aient été Taliment et la boisson.
Seconde raison Les produits du sol sont un don d'A.ttis, sont, en
:

un sens, Attis même qui, dans sa liturgie, était qualifié « épi moissonné
vert », de même que Firmicus l'assimile au grain moissonné, et
Porphyre aux fleurs du printemps. —
Mais nous avons déjà vu qu'At-
tis dans la liturgie mais dans une invocation
n'est pas l'épi vert
chantée au théâtre, cantilène du syncrétisme le plus extravagant;
l'explication stoïcienne de Firmicus est assez isolée, et ne concorde
pas avec celle de Porphyre.
Troisième raison. Il ne faut pas oublier qu'on s'abstenait de pain et
de vin pendant le jeûne de mars et que « sans doute la participation
au pain et au vin devait avoir une signification particulière dans les
cérémonies des Hilaria, le jour de la résurrection d'Attis; qu'elle
marquait et opérait la communion à Attis vivant » Quoi qu'il en soit
. —
de la résurrection d'Attis, nous attendons toujours la preuve qu'on
consommait du pain et du vin solennellement le jour des Hilaria.
Est-ce parce qu'on s'en privait auparavant, comme nous faisons pour
les œufs de Pàque? Mais nous avons établi, semble-t-il, que, outre le
jeûne de mars, les Galles pratiquaient une abstinence perpétuelle de
certains aliments, parmi lesquels en premier lieu le pain. 11 n'y a
donc aucune raison de croire qu'on initiât les mystes à leur culte par
un repas de pain. M. Loisy ne veut pas « considérer comme certain
que le symbolisme des rites phrygiens était aussi nettement conçu et
exprimé que celui des rites chrétiens ». Il faut lui savoir gré de cette
modération. Mais c'est encore beaucoup trop de dire « qu'il existait :

donc une véritable analogie entre le repas mystique d'Attis et la cène


du Christ, et que l'une pouvait être aussi bien que l'autre commé-
morative d'une passion ». La commémoration de la passion, nous
la connaissons déjà et nous allons la retrouver. Quant au repas avec le
tympanon et la cymbale, il se réfère beaucoup plus directement à
Cybele qu'à Attis. Et est-il bien sûr que nous ne sachions pas en quoi
il consistait? Salluste, après avoir parlé de l'arbre coupé et du jeûne

dépasse encore la discrétion de Julien et passe sous silence la scène


du sang. Mais il dit « on se nourrit de lait, comme si l'on venait de
:

naître, puis viennent des réjouissances et des couronnes, et comme


un retour vers les dieux (1) ». Le breuvage rituel était donc un breu-

(1) Fragm. phil. graec. JII, 33.


MELANGES. 453

vage de lait. Et ce n'est point une innovation tardive. Ovide (1) a


interrogé sur le festin sacré offert à la déesse. Il se composait de lait

et d'herbes. Et l'on perpétuait cette modeste réfection, qui étonne le


poète, en souvenir des temps primitifs; explication vraisemblable et
d'accord avec le caractère conservateur des rites.

N'est-il pas très naturel de conclure que c'étaient des herbes qu'on
mangeait sur et du lait qu'on buvait dans la cymbale?
le tympanon,
au repas de la déesse, s'initier à son culte, selon les
C'était participer
idées normales de l'antiquité. Il est vrai que cela ne va pas jusqu'au
caractère sacramentel, ni surtout jusqu'à l'idée de consommer le
dieu..., et que cela n'a aucun rapport avec sa « Passion »..., mais il
faut prendre les choses comme elles sont, au risque de ne pas les

trouver semblables aux sacrements du christianisme.


Quant à l'idée de renaissance, proposée par Salluste, elle est en
contradiction avec l'opinion officielle d'Ovide. Nous avons là un pré-
cieux indice des changements opérés dans le sens donné aux mystères.
Après le repas sacré, investissant pour ainsi dire par le tympanon
et la cymbale, Clément place la keniophorie, c'est-à-dire l'action de
porter solennellement le kenios. Le kernos était un vase de terre
sur lequel étaient appliqués un grand nombre de kotyliskoi, ou
vases plus petits. On le portait sur la tête. Dans les mystères d'Eleusis
il était destiné à contenir un gâteau de fruits, probablement dans la

partie centrale, et, dans les petits godets, des échantillons des prin-
cipaux produits du sol, miel, huile, vin, lait, froment, orge, sauge,
pavot, pois, lentilles, etc. (2).
Mais un scoliaste, à propos du culte de Rhéa ou de la Mère, définit
le kernos comme un cratère mystique on l'on plaçait des lampes (3).
Rien de plus naturel que de supposer de petites lampes placées dans
les godets, l'intérieur du vase étant réservé pour un autre objet (4).
Dans le culte de la Mère etd'Attis, comme dans les mystères d'Eleusis,
le kernos était porté et sûrement sur la tête. On connaît des kemo-

(1) Fastes, iv, 367 ss.


« Non herbosum », dixi, « posuisse morelum In dominae mensis an sua causa
ptidet
subest? » « Lacté mero veteres usi memorantur et herhis, Sponle sua si quas terra fere-
bat », ait. « Candidus elisae miscetur caseus herbue, Cocjnoscat priscos ut dea prisca
cibos. »
(2) Article kenios. par L. Colve, Dictionnaire des antiquités, d'après le texte d'Athénée,
XI, p. 476 /' et 478 c et les découvertes archéologiques.

(3) Schol. de Nicandre, Alexiph., 217 : xepvoipôpo;' V) xoù; xpaTïjpaç çspouaa îépEia.
xÉpvouç ^aTc Toùc jX'^TTixoyç xpatr.pa;, È9' wv Xu^^vojç Ti0£a<Ttv.

(4) Il y avait ordinairement à Eleusis un couvercle percé de trous, ce qui pourrait


suggérer que l'intérieur lui-même contenait un objet brûlant. Mais comment l'aurait-on
porté sur la tête?
454 REVUE BIBLIQUE.

'phores par la littérature. D'après Nicandre de Colophon, une kerno-


phore est la personne qui a le soin du sanctuaire et de l'autel de
Rhéa (1). Une épigrarame de TAntholog-ie fait de /.épvaç, pour kerno-
phore le synonyme de Galle (2).
Les inscriptions font connaître aussi deux kernophores femmes (3).
Que contenait le kernos du culte d'Attis? Nous ne pourrons le
déterminer qu'après avoir parlé du taurobole. Pour ne point ouvrir
une trop longue parenthèse, disons dès maintenant que l'objet porté
en si grande cérémonie était très probablement le débris de la mutir
lation des hommes ou des taureaux.
Le dernier terme de la formule de Clément se comprend aisément :

y-b Tbv -ajTcv Jzéc'jiv, « j'ai pénétré dans la chambre nuptiale ».


Mais l'initié ne peut prétendre plus que le Galle. Il est introduit dans
le cnbiculum (i) de la déesse, non pas pour partager sa couche,
mais pour y jouer le rôle de l'eunuque a cuhkulo, il est maître de
chambre (5), dans l'ordre religieux s'entend, et avec tous les privi-
lèges qu'un fidèle serviteur de la divinité peut attendre d'elle. Des
imaginations malsaines sont allées beaucoup plus loin. On en pensera
ce qu'on voudra, pourvu qu'on ne mette pas en avant le symbolisme
de la fécondité.
IL L'initiation devait naturellement accompagner la grande fête
du printemps. Les termes de Salluste sur les « nouveau-nés » sont
enchâssés dans les rites de la fête publique. Rien de plus naturel
d'ailleurs, que de conférer l'initiation au moment des fêtes princi-
pales. Tel est le Raptéme à Pâques.
Mais quoi était le rapport du taurobole- avec les fêtes et avec L'ini-
tiation? La question est plus délicate.
semble bien qu'au iv' siècle le rite du taurobole ait été regardé
Il

comme un rite d'initiation, un baptême sanglant.


C'est, à vrai dire, l'effet que produit la description si souvent citée
de Prudence, et où l'on s'accorde aujourd'hui à bon droit à recon-
naître un taurobole. On la trouvera en note fO). .le cite ici le résumé

(1) Nicandre, Alexiph., 217 : r, ôtj x£fvo;pôpo; l^axopo; |ia)[iî(7Tpia 'PesV,;.

(2) Anfh., VII, 709. Si J'étais né à SarJes : zépvaç yjv ti; âv rj paxÉXa:.
(3) CIL. II. 179 : malri,.. Ideae Phrii(ine) Fl{nvia) Tyche cernopkorla.) . et CIL. x, 1803
Heriae Victorinae <c> aernophoro M. Herlus Valerianus filiae dulcissimae.
(4) CIL., X, 6423.
(5) C'est tout ce que signifie Anthoi. Pal., vi, 220, 3 : 'Ayvô; "Attj;, KjoûXt); 6a).a-

(j.y)7t6>,o;.

(6) Sumrnus sacerdos nempe sub terrain scrobe


Acta in profundum consecrandus mergitur,
Mire [lire mitra) infulatus, festa vittis tempora
MÉLANGES. 433

qu'en donne M. Espérandieu « Le front paré d'une mitre et d'une


:

couronne une robe de soie qui était rabattue jusqu'à


d'or, portant
i la ceinture, et laissait ainsi toute la partie supérieure du corps à
découvert, la personne qui devait recevoir le taurobole entrait dans
une fosse recouverte d'un plancher percé de trous. On amenait
ensuite le taureau sur ce plancher, et on le sacrifiait en lui enfon-
çant, dans la poitrine, un long couteau, d'une forme particulière.
Le sang qui sortait se répandait sur le plancher et, de là, dans la
fosse où il coulait sur le dévot qui s'en imprégnait tout le corps.
On peut se demander si la haine du poète pour les païens ne lui a
pas fait exagérer l'avidité avec laquelle le taurobolié devait recevoir

Nectens, corona tum repexus aurea,


Cinctu gabino sericam fultus togam.
Tabulis superne strata texunt pulpita,
Rimosa rari pegmatis compagibus :

ScinduQt subiode, vel terebrant aream,


Crebroque lignum perforant acumine,
Pateat minutis ut frequens hiatibus.
Hue taurus ingens fronte torva, et hispida,
Sertis revinctus aut per arraos floreis,
Aut impeditus cornibusdeducitur :

Nec non et auro frons coruscat hostiae,


Setasque fulgor bractealis reficit.
Hic, ut statula est imniolanda bellua,
Pectus sacrato dividunt venabulo,
Eructât amplum vulnus undarn sanguinis
Ferventis, inque texla pontis subditi
Fundit vaporum Uumen, et late aestuat.
Tum per fréquentes mille rimarum vias,
lUapsus imber, tabidurn rorem pluit,
Defossus intus quem sacerdos excipit,
Guttas ad omnes turpe subiectans caput,
Et veste,et omni putrefactus corpore.
Quin os supinat, obvias offert gênas,
Supponit aures, labra, nares ubiicit,
Oculos et ipsos perluit liquoribus :

Nec iam palalo parcit, et linguam rigat,


Donec cruorem totus alrum combibat.
Postquam cadaver sanguine egesto rigens
Compage ab illa tlainines retraxerint,
Procedit inde ponlifex, visu horridus,
Ostentat udurn verticem, barbam gravem,
Vittas madentes, atque amictus ebrios
Hune inquinatum talibus contagiis,
fabo recentis sordidum piaculi,
Oranes salutant atque adorant eminus :

Vilis quod illum sanguis, et bos mortuus


Foedis latentem sub cavernis laverlnt.
[Perist., X, 1010-1050).
456 REVUE BIBLIQUE.

ce sang brûlant sur la tête, le front penché en arrière, les narines


dilatées, la bouche grande ouverte. Lorsque le taureau était mort,
et, sans doute, après le sacrifice concomitant d'un bélier, le taurobolié
sortait de la fosse (1). »

M. Espérandieu n'a pas hésité à appliquer à un taurobolié quel-


conque la description de Prudence. Retenons que le poète parle du
grand prêtre, qui est probablement l'Arcliigalle. Ce dernier avait
droit par son rang à des hommages spéciaux. M. Loisy le reconnaît :

« Il n'est pas sûr qu'on adorât de même tout taurobolié sortant du


bain sanglant ». Mais ce mot à' adorer qui exagère le sens du latin
adorare, « rendre hommage en se prosternant )i, ne lui parait pas
trop fort, même pour un myste ordinaire, car le rite « est celui par
lequel le candidat à l'initiation est identifié au dieu mourant et
ressuscitant... ilmort avec Attis, il est Attis mort; mais le sang
est

du taureau sang divin d'Agdistis et d'Attis, ce sang qui jadis


est le
fit sortir de la terre et l'amandier et les violettes, l'amandier qui
portait le germe du nouvel Attis: ce sang régénère l'homme qui git
dans cette tombe; il lui communique la vie d'Attis, il le fait renaître

Attis (2) ».
M. Cumont distingue deux époques. Primitivement, en répandant
sur sa personne le sang du taureau égorgé, « l'officiant croyait trans-
fuser dans ses membres la force de la bête redoutable ». Puis, sous
l'influence du mazdéisme, « qui fait d'un taureau mythique l'auteur
de la création et de la résurrection, la vieille pratique sauvage prit
une signification plus spirituelle ». Le sang, principe de vie, fut censé
communiquer une renaissance soit temporaire, soit même éternelle
de Tàme. La descente dans la fosse est conçue comme une inhuma-
«

tion, une mélopée funèbre accompagne l'enterrement du vieil homme


qui meurt. Puis lorsque, grâce à l'aspersion sanglante, il est revenu
purifié de tous ses crimes à une vie nouvelle, on le regarde comme
semblable à un dieu, et la foule l'adore respectueusement de loin (3) »,
On le voit, M. Cumont a eu soin de faire une place, quoique secon-
daire, au concept principal du rite, la rémission des péchés, et il est
trop bien informé pour faire du taureau un Attis, communiquant la
vie divine à l'initié devenu Attis.
La rémission des péchés est en efi'et le seul point qu'indique Pru-

(1) Dictionnaire des antiquités, au mot Taurobole.


(2) i. l., p. 323, cf. p. 324 : « La régénération par un Sâng divin, qui n'est qu'une
métaphore dans l'économie des rites chrétiens, était ici une réalité -'.

v3) Bel. orient., p. 102 s. — Ce vieil homme, cette vie nouvelle rappellent-ils vraiment
le mazdéisme plus (jue le christianisme?
MÉLANGES. 4S7

dence on rendait des hommages au tauroboiié, c'est qu'on le


(1). Si
regardait comme lavé, c'est-à-dire de ses fautes. Rien de plus, et
c'était bien quelque chose, car cela conduisait en effet à l'idée d'une
vie nouvelle. iMais rien ne fait supposer que ce soit par la vertu divine
d'Attis. Il y a bien dans le rite une idée mystique elle est commune :

à toute l'antiquité, et l'épître aux Hébreux lui a donné une formule


saisissante : Sans effusion de sang, il n'est pas de rémission (2). Plus
ily a de sang répandu, et mieux ce sang est appliqué au coupable,
plus il est sûr du pardon, tel est le principe évident du taurobole.

Mais la vertu du sang est de laver, par effusion, non de régénérer


par mode de potion. Ce point est souvent méconnu parce qu'on ne
serre pas d'assez près le texte de Prudence.
M. Cumont « il humecte sa langue de sang noir et le boit
traduit :

avidement Du coup nous sommes transportés dans une scène


(3) ».

où l'on boit le sang, —


si Ton ne mange la chair crue pour —
s'assimiler la vertu d'une bête. On admettra ensuite avec W. Robertson
Smith que la victime est en même temps le dieu, et voilà un festin
qui ressemble au rite eucharistique; on nous dira que le sang bu
communique la vertu d'Attis. Mais c'est s'écarter en même temps et
du baptême sanglant, et du texte. La langue est arrosée, parce —
qu'il faut que le sang coule sur toutes les parties du corps, comme —
les yeux et le palais. Mais ce n'est pas la bouche qui boit tout le
sang; c'est le tauroboiié tout entier qui absorbe le sang (4) ; il pénètre
par tous les pores. Par conséquent ce que le poète a en vue par cette
métaphore un peu forte, c'est l'aspersion du sang. Nous ne nions
pas que le sang puisse être employé à un rite d'union (5), de consé-
cration, et c'est bien le cas lorsque les vires étaient jetées dans le

(1) C'est aussi le butmarqué par lauteur du Carmen contra paganos, qu'on croit

dirigé contre Nicomaque Flavien (consul en 394). Voici ce qu'il dit du taurobole :

quis tibi taurobolus vestem mutare suasit,


inflatus dives subito modicus ut esses.
Obsitus et pannis, modica stipe factus epaeta,
Sub terram raissus, poUutus sanguine tauri,

Sordidus, iufectus, vestes servare cruentas,


vivere cum speras viginti mundus in annis?

éd. de Mommsen
dans Hermès, 4, p. 350-363, vers 57 ss., cité dan? Rosch. Lex. mtjth..
Il, 2, Dans cette description, conforme pour le rite à cell de Prudence, on voit
C. 2915.
que le grand seigneur devait, pour recevoir le taurobole, se mettre dans la tenue d'un
mendiant, comtne les accusés chargés de crimes.
(2) Heb., n, 22.
(3) Rel. orient., p. 100.

(4) Donec cruorem totus atrum combibat. Noter totus et non totum.
(5) Études sur les religions sémitiques, 2' éd., p. 260; Hér., m, 8.
458 REVUE BIBLIQUE.

sein de la Mère, mais quand le sang de la victime, au lieu d'être


porté sur l'autel est répandu sur l'offrant, c'est le rite expiatoire
qui est exprimé, et c'est ce qu'ont compris
donc les anciens. Laissons

au taurobole son caractère propre. Si on veut le rapprocher d'un


sacrement chrétien, c'est au baptême seulement qu'il faut le compa-
rer, au lieu de confondre les deux notions si distinctes d'aspersion
expiatoire et de banquet d'union.
Il est vrai que le baptême chrétien est un rite d'union (1). Le fidèle

est incorporé au Christ, il meurt avec lui et ressuscite avec lui. Mais
le sang" n'est pas versé dans le baptême. Ce qui purifie le fidèle,

c'est le sang versé par le Christ; il ne peut en recevoir l'application


s'il n'est uni au Christ. Uni au Christ mort et ressuscité, il commence

vraiment une vie nouvelle dont il a le principe en lui, l'Esprit du


Christ. Dans le taurobole la victime est présente et le sang est versé.
Il n'est pas question d'union mystique avec la passion d'Attis. Et l'on

n'a vraiment pas le droit de regarder le taureau comme un être


divin, du moins dans le culte d'Attis (2>.
Car, même si l'on accordait, contre toute raison, que le taureau
soit à la fois victime et divinité, il n'a aucun titre à être confondu
avec Attis. Il n'est pas consacré à Attis, mais à la déesse. Et enfin
au moment où le taurobole fait rage, Attis n'est point une victime
une divinité puissante, associée à la déesse, qui
offerte à Cybèle, c'est
a droit, comme un sacrifice. Et cela est si vrai que, le tauro-
elle, à

bole ne pouvant lui être offert, même par concomitance, du moins


d'une façon normale, on a voulu lui offrir à lui un sacrifice parti-
culier, le criobole.
Le criobole n'est presque jamais mentionné seul (3). Il n'apparaît,
dans le culte de la Mère et d'Attis, qu'après le taurobole (4), et, quand
les deux sacrifices sont mentionnés, il est au second rang, comme
Attis lui-même. M. Cumont en a conclu que le criobole était secon-
daire, n'ayant été ajouté que pour faire place à Attis à côté de la
Mère; quoi qu'il en soit, Attis n'était donc pas représenté, ni incarné
dans le taureau. Le sang du taureau n'étant point un sang divin,
ni spécialement le sang d'Attis, il resterait à trouver ce sens dans
le criobole. Mais ce serait avouer que le rite d'union est étranger

(1) Rom., VI, 1 ss.

(2) Il en serait autrement dans certains cultes de Dionysos.


(3) Exceptions, citées par Cumont, dans Pauly-Wissowa, art. Criobolium, CIL, vui,
8203; IX, 1538; xiv, 41.
(4) D'après M. Cumont (1. I.) la première mention e.st de 228 ap. J.-C. ; CIL, ix,
1538.
MÉLANGES. 459

au taurobole, le sacrifice principal, et de quel droit l'attribuer au rite

j secondaire ?
Il est donc très arbitraire et même contraire au sens avéré des rites
de voir dans le taurobole l'union à Attis mort et ressuscité. Et nous
pouvons bien rappeler ici le peu de crédit qu'on doit faire, du moins
pour les deux ou trois premiers siècles, au dogme de la mort et de
la résurrection d'Attis. Si l'on note encore que la mystique de M. Loisy
est moins une exégèse du rite que du mythe sous une forme spéciale,

la plus compliquée mais non pas la plus connue, on sera porté à


croire que les idées des initiés étaient plus simples, et, surtout au
début de l'empire, moins semblables au symbolisme chrétien.
Est-il même aussi certain que M. Loisy le dit si volontiers, que le

taurobole soit essentiellement, et dès les origines, un rite d'initia-


tion (1)?
J'ai déjà concédé qu il a pris ce caractère, mais il semble bien
qu'il ne soit pas primitif.
Le taurobole n'était, en efl'et, à l'origine qu'une manière spéciale
de sacrifier le taureau, quelle-que soit la divinité, à laquelle allait le
sacrifice. C'est ce que M. Cumont a prouvé. En fournissant l'étymo-
logie la plus naturelle du mot, il a indiqué en même temps quel était
le taurobole primitif. Rien de plus public, et qui s'éloigne davantage

de l'idée que nous nous faisons d'une initiation personnelle aux mys-
tères « Suivant une coutume répandue à l'époque primitive dans
:

tout l'Orient, les seigneurs d'Anatolie se plaisaient très anciennement


à poursuivre et à prendre au lasso les buffles sauvages, qu'ils sacri-
fiaient ensuite aux dieux... Peu à peu la rudesse de ce rite primitif
s'atténua, et il se réduisit à n'être plus qu'un simple jeu de cirque.
On se contentait à l'époque alexandrine d'organiser dans l'arène une
corrida, où l'on s'emparait de la victime destinée au sacrifice. C'est
là le sens propre des mots taurobole, criobole (TaupcSôXiov, /.pto6ôXiov),

restés longtemps énigmatiques. Ils désignaient l'action d'atteindre


un taureau, un bélier à l'aide d'une arme de jet, probablement la
lanière d'un lasso. Cet acte lui-même finit sans doute, sous l'empire
romain, par se réduire à un simple simulacre, mais on continua
toujours à se servir, pour frapper la bête, d'une arme de vénerie,
dun épieu sacré (2) ».
S'il y a dans ces lignes une part de conjecture, elle est limitée à la

(1) « Le taurobole est en soi un rite privé, d'objet personnel, et il appartient aux rites
de l'initiation » [l. L, p. 311).
(2) Rel. orient., p. 101 s.
460 REVUE BIBLIQUE.

nature de l'arme de jet. iMais le fait de la chasse imitée a été emprunté


par M. Cumont à une inscription de Pergame (1) du temps d'Attale III
et qui est la première à contenir le mot de criobole (xpic6iXiov). Des
jeunes gens s'emparaient du bélier qui était ensuite sacrifié (2). Il est
d'ailleurs probable que ce criobole a fait partie des mystères des
Cabires, mentionnés au début du texte.
Le taurobole ne paraît à Pergame que longtemps après; toutefois
l'inscription qui le mentionne est encore la première à en parler.
Cette inscription, malheureusement très mutilée, contient la liste
des personnes qui se sont cotisées pour offrir des sacrifices (3). Le
nom du taurobole paraît deux fois, et aussi le sacrifice d'un taureau.
L'inscription faisant vraisemblablement partie du Trajaneum, les
éditeurs ont pensé que ces cotisations avaient en vue les fêtes traja-
niennes. On a supposé que le taurobole était consacré à la grande
Mère (4), mais les lacunes de l'inscription ne se prêtent pas à linser-
tion de son nom. Attis est demeuré jusqu'à présent inconnu à Pergame.
Et, quoi qu'il en soit de la divinité à laquelle a été offert le taurobole,
il se présente ici comme tout autre sacrifice et offert par cotisation,
sans que personne soit appelé à en bénéficier comme d'un rite d'ini-

tiation ou d'un baptême sanglant.


M. Cumont a même essayé de prouver que le taurobole avait été
d'abord propre à Ma, la déesse sanguinaire de la Cappa-
la déesse

doce que les Romains ont assimilée à Bellone, et qu'il n'a fait partie
du culte de la Mère qu'au ii" siècle après J.-C. Cette partie de sa
thèse paraît moins solide. Peut-être le taurobole a-t-il été pratiqué
en l'honneur de Ma parce qu'on l'identifiait plus ou moins avec la
grande Mère des dieux. C'est du moins ainsi que je comprends les
textes allégués par M. Cumont. Il résulte de deux inscriptions
latines (5) dont l'une a été mise au jour en 1887 à Kastel près de

(1) Découverte après la publication des lascriptions de Pergame, et publiée par


M. Schrôder, Athen. Mlth., 1903 p. 152 ss. cf. Cumont, Revue archéologique, 1905
;

A, p. 29.
(2) tûv véwv aùioO xal xaXXteprjôÉvToç (Insc. 1. 27).
y.paTTiÔévTO? ûtio
Die Inschriften von Pergamon, Berlin, 1895; n° 554. Les éditeurs ont montré que
(3)
cette inscription est antérieure à celle de l'an 134, la plus ancienne alors connue, car elle
est du temps de C. Aulus Iulius Quadratus, après l'an 105, mais sûrement avant 134,
car ce personnage (déjà Arvale en 72) n'a pas dû vivre jusqu'à cette époque.
(4) La grande Mère avait passé ou séjourné à Pergame en se rendant à Rome, mais
son culte ou diminua considérablement, ou se transforma, car c'est elle probablement
qui est désignée comme la Mère Reine cf. n"' 481-484 et n" 334 (n« siècle ap. J.-Cl
: :

leKoûvôo; ix-jo-ry); MTi[T]pb; pa(T[i>.]ïiaç.

(5) Cu'MONT, Le taurobole et le culte de Bellone, dans la Revue d'hut. et de litl. rel.,
1901, p. 98 ss.
MÉLANGES. 461

Mayence que les dévots de Bellone ont fait un sacrifice en l'honneur


de la maison divine le 24 mars (224 ap. J.-C.) et qu'ils ont rétabli leur
petite colline vaticane. Or le 24 mars est précisément le jour du sang
dans le culte de la Mère, et ces collines vaticanes étaient des tertres
élevés à l'imitation du Vatican de Rome, le principal foyer des tauro-
boles romains. Et si Etienne de Byzance parle du taureau immolé à
Ma, c'est comme identique à Rhéa qui est Cybèle (1).
Mais si Bellone ou Ma est plutôt l'emprunteuse, le fait même de
l'emprunt prouve que le taurobole n'était pas à l'origine un rite d'ini-
tiation, car on n'eût pas emprunté un rite essentiel d'initiation. Sur
ce point la démonstration de M. Cumont conserve donc sa valeur.
Bellone ne fut pas la seule à recevoir des tauroboles. Sans parler de
laMinerve de Bérécynthe (2) à Bénévent le premier taurobole connu
par une inscription latine, en l'an 134 ap. J.-C, a été administré sur
l'ordre de la Vénus Caelestis (3).
Cependant M. Cumont doit avoir raison de nier que le taurobole ait
été usité dans le culte de Mithra du moins on n'en a aucune preuve (4).
;

En fait, il était pratiqué, sous l'Empire, avec le criobole, en l'honneur


de la Mère des dieux et d'Attis. et cette quasi-appropriation indique
assez bien que le taurobole était une tradition propre à ce culte. Mais
ce n'est point une raison pour y voir un rite d'initiation.
Ce qui prouve plutôt le contraire, même sous l'Empire, c'est qu'il
était offert pour l'empereur et la famille impériale. C'est même ce qui
est attesté le plus souvent. Or il n'est pas naturel qu'un rite aussi
personnel que l'initiation ait été accompli très solennellement en
faveur du souverain, non seulement avec le concours des prêtres,
mais dans des cérémonies qui intéressaient toute une cité.
A cela, M. Loisy répond qu'il y avait deux sortes de tauroboles,
les privés et les publics. Et quant à prétendre que le taurobole public

(1) Steph. Byz. sub v° MiTTavpa i/.x'/v.-o oè xal f, 'Pia Ma xa't ta^ço: xjty) lôySTO napà
AûSot;.
(2) CIL, IX, 1538 à Béaévent, en 228; cf. ix, 1539, 154u et 1541. On serait porté à assi-
miler cette Minerva Berecinti ou Paracentra grande Mère. Mais une identification
à la
complète est exclue parce que dans les quatre cas Attis est nommé le premier, et parce
que la Mère des dieux est nommée dans le corps de l'inscription n°' 1538 et 1540 comme
une personne différente.
3) CIL, X, 1595 ecitium (pour aegitium, sacrifice d'une chèvre.' crioiïole.') iaurobolium
:

Veneris Caelestae et pantelium, Herennia Fortunata, imperio deae, per Ti. Claudium
Felicem sacerdotem, iterata est.
(4) Des deux inscriptions citées par M. Espérandieu, art. Taurobole dans le Dictionnaire

de Saglio, l'une CIL, vi, 509 est expressément dédiée dans le grec à la Mère des dieux et à
Attis, l'autre CIL, vi, 736 est fausse. Dessau revendique dubitativement pour Mithra ses

numéros 4158 et 4159 (CIL, v, 6961 et 6962), mais sans donner de raisons.
462 REVUE BIBLIQUE.

en faveur de l'empereur a été le plus ancien, « autant vaudrait soute-


nir que les fidèles de Gorinthe ont commencé par se faire baptiser
dans l'intérêt de leurs parents défunts, et qu'ils ont trouvé ensuite
opportun de recevoir le baptême pour leur propre salut (1) ». Mais
cetargument suppose toujours ce qui est en question, et que M. Loisy
répète sans le prouver, « que le taurobole et le criobole sont essen-
tiellement des rites d'initiation (2) », et le sort de la dévotion de cer-
tains fidèles de Gorinthe suggère plutôt le contraire. Ges fidèles, ini-
tiés au christianisme par le baptême, avaient imaginé de se faire
baptiser pour leurs morts (3). Idée bizarre et qui n'eut aucun succès,
précisément parce que l'initiation est une chose personnelle qui ne
vaut que pour celui qui se fait initier. Au contraire la Messe, qui est
un véritable sacrifice, est applicable aux vivants et aux morts. Si l'on
applique si fréquemment le taurobole à l'empereur, c'est comme
sacrifice, un sacrifice relativement coûteux, et dont la vertu expiatoire
était considérable.
Enfin, de même que les autres sacrifices, il était offert à la suite

d'un vœu ou parce que la déesse le demandait. L'initiation était,


au contraire, plutôt spontanée. Le candidat était pressé de se soumettre
aux épreuves par son intérêt. Il pouvait se croire invité par la divi-
nité, mais on ne voit pas figurer dans les initiations, comme dans les
sacrifices, la formule ex-voto (4), ex imperio Matris (5), iussu ipsius (6)
(de la Mère), ex vaticinatione archigalli (7).

Le taurobole que nous serions le plus porté à regarder comme un


rite d'initiation, celui qui suivait la scène sanglante du 24 mars, était
un taurobole oifert solennellement pour le salut de l'empereur. On
croit le savoirpar Tertulhen (8) qui se moque de l'archigalle, igno-
rant, le 2i mars 180, que Marc-Aurèle était déjà mort depuis le 17.
Évidemment la même erreur pourrait être le fait d'un évêque chré-

(1) Loc. L, p. 319.

(2) Loc. l., p. 320.

(3) I Cor. XV, 29.


(4) CIL, XIII, 175'4, à Lyon, cela dura plusieurs jours, en 197.

(5) CIL, XIII, 1751, à Lyon en 160.

(6) CIL, XII, 4321.


(7) CIL, vni, 8203, etc.
(8) Apol. XXV cum Marco Aurelio apud Sirmium reipublicae exempto die decimo
:

sexto Kalendarum aprilium, ArchigaUus ille sanctissimus, die nono Kalend. earum-
dem, quo sanyuinem impurum, lacertos quoque castrando libabat, pro salute impera-
toris Marci iam intercepH solita aeque iinperia mandavil. Ces derniers mots doivent
s'entendre il donne quand même
: les ordres accoutunaés au nom de la déesse, en lui

laissant l'honneur et la responsabilité, comme le prouve la suite non ante Cybele :

cognovii...
MÉLANGES. 463

tien priant pour la santé de quelqu'un dont il ignore la mort. Si


l'ironie de l'apologiste a sa raison d'être, c'est sans doute parce que
l'archigalle avait rendu un oracle demandant le taurobole au nom de
la déesse, ex vaticinatione archigalli.
Officiellement, le taurobole est un sacrifice très solennel qui a seu-
lement en propre un caractère expiatoire très prononcé, le seul qu'in-
diquent les inscriptions anciennes il est ; très invraisemblable qu'un
rite d'initiation personnelle ait été normalement pratiqué dans
l'intérêt public, et à la suite de cotisations (1), exactement comme
à Pergame.
Mais il serait au contraire assez naturel qu'un sacrifice de cette
sorte soit devenu le signe qu'on s'adonne à un culte, qu'on s'affilie à
son clergé, qu'on se fait le dévot d'une divinité, et si ce culte est un
culte étranger auquel on n'est pas rattaché par sa naissance, qui a
des pratiques secrètes, on regardera sans doute le sacrifice comme
une initiation. C'est bien, semble-t-il, ce qui est arrivé pour le tau-
robole (2).
Dans les inscriptions les plus anciennes, le verbe employé indique
un sacrifice : movit (xiv, 2790 , cdehrarunt (xii, 4321); d'ordinaire
c'est facere, fecit, fecerunt, factum, dans les inscriptions du second
siècle. Ce n'est qu'au m" siècle qu'on voit ceux qui ont offert le sacri-
fice le recevoir eux-mêmes (3). En 2il, on rencontre l'expression
tauropolium accepit.
Le changement est intéressant à constater à Lectoure, qui a fourni
tant d'inscriptions tauroboliques (i).Une première série se place soit
en 176, soit aux environs de cette année; une deuxième série en 2il
et aux environs. Dans la première série on emploie fecit, quand même
il s'agit de tauroboles particuliers. A partir de 2il, c'est accepit ordi-

(1) CIL, XII, 4321 : Matfi deum tauroboUum iussu ipsiiis ex stipe conlata celebrarunt
publiée Narbon.
(2) La distinction dont il vue par Gaston Boissier, La religion
est ici question a été
romaine d'Auguste aux Antonins, 1. Parlant de la fin du iv siècle, Paul
I, p. 368, note
Allard [Julien l'Apostat, l, p. 32 s.), cité et approuvé par Hepding, s'exprime ainsi « A :

cette époque, il n'est plus question de tauroboles oiferts, dans un but patriotique, pour le
salut des empereurs et de leur famille, comme on en rencontre aux siècles précédents : la

pensée de purification individuelle, l'espoir du salut de l'âme, paraissent seuls dans les

inscri])tioDS de la dernière période du paganisme. »

(3) CIL, vui, 8203^ à Milève, pour Alexandre Sévère et la maison divine : ... [taurobo-
lium et]... criobolium fecerunt et ipsi suscef^erunt...

(4) xui, 504, le prem.ier cas à Lectoure, 505-509 en 176 ou environ; fecit. Le n" 510 est
de 239; nous retrouverons à propos des vires; 511 fecit pour Gordien, en 241; à partir
le

du a" 512-519, en 241, accepit ou même acceperunt. 520 a fecit, mais est probablement
de 176; 523, 524 f., sans date; 522 et 525 sont relatifs aux vires. 521, acceperunt, sans
date.
464 REVUE BIBLIQUE.

nairement, fecit étant cependant encore employé pour un taurobole


offert par Vordo municipal pour Gordien. Peut-être faut-il noter que
dans la première série le monument représente une tète de bœuf et
une tête de bélier, tandis que la seconde série, si elle n'a pas complè-
tement renoncé au bucrâne, emploie de préférence la burette [guttus)
et la paiera. Dans même
sens que accepit, on trouve, en 305, tau-
le

robolium percepi ou taurobolium criobol. caerno perceptum en


(1),
319 (2), oxipercepto taurobolio, en 370, 376, 383, 390 (3).
Gela n'empêche pas qu'on ne trouve encore fecit, ou perfecto au
iv" siècle, l'expression étant traditionnelle en matière de sacrifices;

maison arrive enfin à une expression barbare, employée parce qu'elle


exprimait énergiquement l'action du taurobole sur qui le reçoit. Un
est taui'obolialîis (i) et tauroboliata (5), et spécialement tauroboliatus
Matris deum (G), taurobolié de la Mère des dieux (7).
Il y a là incontestablement un lien très personnel entre la Mère et
celui qui a reçu le taurobole. Aussi les tauroboles furent-ils nommés
des mystères (8); c'est une sorte d'initiation taurine (9), et le prêtre
qui conférait le taurobole était un tràdens, un initiateur, agissant au
nom de toute la confrérie, dendrophores et simples fidèles des deux
sexes (10).
même temps un rite plus
Rite plus intime, le taurobole devenait en
puissant. Puisqu'on le célébrait chaque année pour l'empereur, ce
que Tertullien semble indiquer pour le temps de Marc-Aurèle, c'est
donc que son efficacité ne durait que pour une année liturgique, du
24 mars au 24 mars.

(1) VI, 497.


(2) VI, 508.
(3) VI, 509, 504, 501, 503.
(4) L'expression est employée par Lainpride pour Élagabale [Vita vu), mais il a sans
doute employé le langage de son temps, et il écrivait vers 325; cf. vi, 1179 Prétextât, vers
390.

(5) VI, 1779-1780. Pauline, femme de Prétextât.


(6) Dessau, 1264, Kamenius mort en 385.
(7) Et non point d'Attis.
(8) CIL, VI, 509, en 370, dans la partie grecque :

XploêoÀO-J T£),£T>)Ç^[V £Tl T]aUpoê6XoU,


[xuaTtTiôÀoç Te),eTwv [Upwv à]v£8r|xaT0 pûjxov.

(9) VI, 1779 au dos, 25 s.

le leste cunctis imbxioi- mysteriis,


lu Dindy menés Atteosque antistilem
teletis honoras taureis consojs plus.
(10) Tradentibus Rannio Salvio eq. r. poiitifice et Claudio Fauslo sacerdotibus una
cum universis dendroforis et sacratis utriusque sexus. Deuxième inscription de Mak-
tar, du temps de Probus [Bulletin arch. 1891, p. 529).
MÉr.ANGES. 465

L'inscription latine la plus ancienne, colle de 13V à la Vénus


Céleste, est précisément le souvenir d'un taurobole réitéré, mais on
ne dit pas après quel temps (1).
En 376, l'inscription de Faventinus exprime le vœu qu'il vive
encore vingt ans, pour immoler de nouvelles victimes, c'est-à-dire
renouveler le taurobole et le criobole (2). Et en 390 Volusianus
se;nble avoir de fait renouvelé son taurobole après vingt ans (3). Le
sens de cette rénovation est clairement marqué dans un vers déjà cité
du Carmen contra paganos; il y est parlé de la pureté assurée pour
vingt ans :

Viverc cuin sperafi riginti mandua in annos (4).

Cependant une autre inscription, une seule (5), mais qui est citée
souvent comme si elle avait toujours été la loi du taurobole, donne le
taurobolié comme m aetermun renatus. C'est Aedesius, qui, en 376,
avait déjà accompli une longue carrière. L'expression in aeternum
peut signifiera à jamais », c'est-à-dire que le dédicant n'aurait plus
besoin de taurobole. Était-ce parce qu'il n'espérait pas vivre encore
vingt années? on penserait plutôt que les cérémonies avaient été
telles qu'il n'y avait plus lieu d'y revenir. Ou bien était-ce un troi-
sième taurobole qui aurait été regardé comme définitif? Mais le mot
de ré-Aïa^ws suggère un autre sens. C'est l'expression employée par les
chrétiens pour le baptême, contenue déjà dans l'évangile de S. Jean
III, 5). A ce moment on peut qualifier le taurobole de baptême san-
glant. Mais l'inscription se place treize ans après la mort de Julien
l'Apostat. 11 que l'empereur a voulu effacer les
est très vraisemblable
traces de son baptême en recourant au taurobole. S. Grégoire de
Xazianze l'insinue assez clairement (6). Le mot de renatus semble
donc ici —
quoi qu'il en soit des mystères d'Isis avoir été emprunté —
au christianisme. Et alors le sens de in aeternum devient clair par :

le taurobole Aedesius s'est assuré l'immortalité ; l'idée est chrétienne,

(1) X, 1596 iterala est. A moins qu'on ne lise lauroboli vi... iterata est, auquel cas c'est
Herennia qui aurait été renouvelée par le taurobole; mais que faire de ecilium et de pan-
teliu[m]'i

(2) VI, 50i : Vota Faoentiiius bis déni suscipit orbis. Ut maclet repelens aurata
fi'onte bicornes.
(3) VI, 512 -.ilerato, viginli annis expletis (awobolii sui, arain constituit et consecra-
vU. L'inscription vi, 502, de 383 ne précise pas le temps : laurobolio criobolioqne repelito.
(4) Vers 63.

(5) CIL, VI, 736 est une lalsilication; il reste donc vi. 510.

(6) Or. contra lui. IV, 52 : xxi xà (ièv TipÛTov aùtM Tôiv To).[j.r][iàtwv w; ol toïç àTro^^ritoi;

i/.v.^o-j xï),>,o)iti!^ô[AîV0'... ai'jxaTt [/.èv oox ô'^îu tb XouTpôv àTiopp-jTTTSTat, tr) xa6' :?i[i.â; TîAîtûffei
Tr|V xe/,îcw(Tiv ToO (i,û(Tou; àvTiTiOec'ç (cité par Allard, op. cit., ii, 219).
REVUE BIRLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 30
406 REVUE BIBLIQUE.

comme les mots; c'est une transposition au taurobole des effets du


baptême, et selon les termes de S. Grégoire deNazianze, une initia-

tion souillée opposée à Tinitiation chrétienne.


A cette époque tous les cultes, et les mystères surtout, font bloc
contre le christianisme. Aedesius était Père des Pères de Mithra, hié-
rophante des HécateSj archibucolus de Bacchus (1).
Le meilleur moyen de vaincre la religion du Christ, c'était de lui
emprunter quelques-unes de ses idées. Nous savons que Julien Ta fait.
Ce n'est donc pas ici qu'il faut chercher l'esprit primitif du tauro-
bole, non plus que dans l'inscription d'Hermogène, en 37V, qui
s'adresse à la et à Attis, comme « aux
mère des dieux, à Hermès
dieux gardiens de son àme
de son esprit (2) », S'il a pensé à ses
et

destinées éternelles, le nom d'Hermès ajouté, par une exception sans


doute unique, à ceux de la Mère et d'Attis, indiquerait que ces der-
niers n'y suflisaient pas; il un dieu chargé de conduire les âmes
fallait

comme Hermès, xxn psychopompe, ce qu'Attis et Cybèle n'ont jamais


été.

On a prétendu cependant que le taurobolié étant né de nouveau, le


jour de son taurobole un jour de naissance, un natalicium,
était

comme les chrétiens nommaient le jour du martyre (3), et Texpression

ne doit pas avoir été empruntée au christianisme, puisque, pour les


chrétiens, le dies natalis n'était pas le jour du baptême, mais celui de
l'entrée au ciel. Et, en effet, une des deux inscriptions qui portent le
mot de natalicium à propos du taurobole est datée, par les éditeurs
du Corpus, de la fin du ii" siècle. Elle est ainsi conçue :

il/(atri) »/(eum) sacrum). Val. Avita aram tauroboli sut natalici

redcliti d. d., sacerdote Docyrico Valeriano, arc[h]igallo Piiblicio


Mystico (4).
Mais le sens est-il bien qu Avita regardait le taurobole comme uu
natalicium? Il est plus naturel de joindre sui à natalici qu'à tauro-
boli. Elle parle donc du taurobole offert, par le ministère de Tarchi-
galle, au jour de sa naissance (5), probablement à la suite d'un vœu

(1) Même accumulation d initiations avec les plus hauts lilres de la l'ait de Prélexlat
(IV, Kamenius (Dessai', 12f)4).
1779} et de
(2) CIL, VI, 499 Mairi deum magnae Idaee sumniae parenti, Hcnnae et Allidi
:

Menolyranno inviclo, Clodius Hermogenianus... taurobolio criobolioque perfecto... diis


animae siiae mentisque cuslodibus.
(3) Martyre de saint Polycarpe, dans Eusébe, Jt. E. iv, 15, 44 : tv-.v toC [j.aptvpîov aOrov
fjjjiÉpav ^viih't.w).

(4) 11 Suppl. 52(10; Dessau, 4156.


C est l'opinion de l'éditeur, Iliibner; Momrnsen pensait au jour anniversaire du
(.">)

taurobole ou vingt ans aprt'S. M. Hepdinjj; (p. 198^ (|ui jiarle du natalicium tauriboli sui
ne s'est pas préoccupé de reconstruire la ]ihrase bâtir l'autel du jour de naissance!
:
MELANGES. 467

[redditi), ensuite de quoi, selon Tusage, elle éleva un autel. L'autre


inscription dit seulement Nalalici virib. Valer. lullina et lui.
:

Sancla (1).
L'autel serait consacré aux forces mystiques du natallcium, c'est-à-
dire du taurobole qui serait un natallcium. Encore une expression
fort obscure. Les dédicaces aux vires sont assez nombreuses. Ordinaire-
ment il s'agit des vertus des eaux, de Neptune ou des nymphes (2;.
On ne trouve pas viribus taurobolii, qui serait la transition nécessaire
pour accepter lïdentité de taurobolium et de nataliciuin, mais seule-
ment :

Viribus aeterni taurobolio (3),

formule dans laquelle aeterni paraît être une épithète remplaçant


un nom divin. Mais ce ne peut être le cas de natalicium. Ce terme a
une relation nécessaire non seulement à la naissance, mais au «jour «
de la naissance. Le sens le plus naturel ici serait : aux vires du
sacrifice ofïert au jour de la naissance. Ce jour de la naissance est-il
celui de la naissance naturelle ou mystique? Les cas innombrables
de sacrifices ofierts au jour de la naissance tranchent la question
dans le sens naturel.
Beaucoup plus important que le sens de natalicium est celui du
mot vires. Nous arrivons ainsi au point le plus étrange du sacrifice
taurobolique, la consécration et l'enterrement des vires.
La consécration est déjà quelque chose de bien étrang-e. Si la victime
représentait le dieu comme on le prétend, comment se fait-il que les
vires soient consacrées? Ilsemble, d'après la teneur des deux inscrip-
tions qui en parlent (i), que, par là, celui qui dédie Tautel s'applique
spécialement la vertu du sacrifice en prenant possession des vires;
elles sont consacrées, comme l'autel l'est en pareil cas, par certaines
cérémonies qui accompagnent l'inhumation, embaumement, mise
dans un linceul, etc.
Car le terme de conditae marque bien une inhumation; il est
employé à Die (5), quand l'enterrement se fit sur le terrain même où

(1) CIL, xm, 573.


(2) CIL, V, 4285; d'un côté Nepluno r. s. l. m.; de l'autre côté : Viribus; cf. v, 1964,
56i8, 5798, 8247, 8248; xi, lt62 Nyniphis et \iribus Augiistis ; ix, 3351.
(3) V, 6961 et 6962 : Viribus aeterni taurobolio Sempronia Eulocia; dans le second
cas P. Ulaltius Priscus.
(4) CIL, xin, 525, à Lectoure : Vialor Sablai fil. vires tauri, fjuo proprie per tauro-
Jolium pub. facl. fecerat, consacravit. D'après 1 éditeur, Hirschfeld, proprie est en
jppositioa avec publice factum. La même formule au n" 522, le dédiant est Severus fils
le luUius.

I (5) Le taurobole — sans parler des autres victimes — exigea trois taureaux ; il y eut
468 REVUE BIBLIQUE.

avait eu lieu le taurobole. Dans un autre cas, les vires sont trans-

portées [vires tramtulit), du lieu du sacrifice au lieu de l'inhumation,


et, s'il faut en croire Dessau, du Vatican de Rome, siège principal du
culte de la Mère, jusqu'à Lyon en Gaule (1). Il semble cependant que
les cités où fleurissait le culte de la Mère tenaient à avoir leur petite
colline sacrée qu'on nommait un Vatican (2). Il n'y en avait pas moius
translation, et cette translation, comme aussi toute l'inhumation, avait
pour acte préalable la prise de possession des vires par celui qui
devait élever l'autel.
Cet acte est mentionné seul dans premier détenteur des un cas où le

vires est nommé par son nom


ou taureau? La : Eutychès (3). Homme
date du 2'i. mars fut probablement, du moins à Rome, celle d'un
taurobole pour Tempère ur, mais c'était bien plus certainement le
dies sanguinis, le jour où les Galles s'émasculaient. Si l'on songe qu'à
Iliérapolis (i) le Galle jetait « le débris « dans une maison, tenue dès
lors de lui fournir un vêtement, on sera amené à conclure que Valeria
Geniina a reçu de cette manière les vires du Galle Eutychès et non

point d'un taureau.


En même temps nous sommes éclairés sur la nature de ces vires.
Si l'on rapproche de ces textes celui que nous avons cité, à propos
du rite des Galles, d'après la passion de saint Symphorien, il faudra
conclure que les vires sont les organes de la génération. Celui qui
recevait les vires d'un taureau leur donnait une sépulture honorable,
consacrait un autel au-dessus, absolument comme les vires des Galles
étaient déposées dans la crypte de la Mère.
M. Jullian a objecté (5) : u Quelque idée qu'on se forme de la liberté
d'allures qui régnait dans répugne de croire à
les cultes anciens, il

l'existence d'autels élevés publiquement, par des femmes, aux testi-


cules d'un taureau. » Le mot vires aurait primitivement désigné »- les
forces régénératrices qui se trouvent dans le sang du taureau, et que

trois dé'lianls, pour le salut de trois personnes augustes, par le ministère des prêtres de
trois cités. A la lin de l'inscription : Loco vires conditae, puis la date, 30 sept. 245. —
CIL. XII, 1567.
(1) CIL, xui, 1751 : vires excepit et a. Vaticano transtuUt, ara et hucranium suo
inpendio consacravit... en 160.
(2) CuMONT, Revue d'histoire et de littér. relig. 1901.

(3) CIL, xin, 510 : S. M. d. Val. Gemina vires escepit Euti/clielis Vllll Kal. April.
sacerdote Iraiano Nundinio, d. n. Gordiatio et Aviola cos. (en 239). La même personne
recul un taurobole du même prêtre, le 8 déc. 241.
(4) Lucien, De dea Syria, 51.
(5) Textes d'après M. Espérandieu, tirés de Inscriptions roma,ines de Bordeaux,
I, p. 35, par M. Jullian.

I
MELAiNGES. 460

le baptême a, en quelque sorte, versées sur le fidèle -^ puis aurait fini

par prendre un sens concret et par s'appliquer au sang. Mais le sang,


quand il en est question (1), est un terme noble pour désigner les
vi?'es, comme dans la légende d'Attis. C'est toujours de sang spécial
qu'il serait question, et c'est toujours aussi répugnant. Cette répu-
gnance n'est-elle pas la même quand il s'agit d'un homme? Et
pourtant le texte de Lucien est là. Le sens concret et .spécifique des
vires est tout à fait certain. Si ce mot a un sens mystique moins
pris
abominable, c'est ensuite de la spiritualisation du culte; si l'évolu-
tion s'est produite, c'est dans le sens opposé à celui que suggère
M. Jullian.
Le sentiment qu'éprouve le savant français et qui lui fait honneur,
les chrétiens ont dû l'éprouver. Qu'avaient-ils à extraire de ce
fumier? ne contint jamais de perles. Tout au plus chercha-t-on
il

à lui donner meilleure façon.


Il est beaucoup moins aisé de dire si les vires avaient un rapport

avec le kernos. Le kernos jouait un rôle dans le taurôbole.


Une inscription de Rome, en 319, parle d'un taurôbole -criobole
caerno perception (2). M. Cumont a supposé très ingénieusement qu'il
s'agissait d'un taurôbole reçu au moyen d'un crible laissant dégoutter
le sang (3). Mais cette mal compte des deux
interprétation rend
inscriptions de Maktar :cernorum crioboli et
perfectis ritae [sic) sacris
tauroholl \k). Les cérémonies des kernoi sont ici distinctes du taurô-
bole et du criobole. Mais peut-être est-ce parce que les sacrifices,
offerts l'un pour Dioctétien et Maximien, l'autre pour Probus, n'a-
vaient leur effet pour le dédiant que par la cérémonie des kernoi?
En tout cas, rien n'indique que cette cérémonie ait été antérieure au
taurôbole. On ne peut pas oublier non plus que le rite du kernos
était une kernophorie, c'est-à-dire une procession, les kernoi sur la
tète.

Serait-ce donc enfin que les vires étaient placées dans les kernoi?
C'est ce qu'ont pensé MM. Hepding et Loisy. Cette hypothèse, très
vraisemblable, le^ serait tout à fait, s'il était avéré que porter sur la
tête une partie de l'animal sacrifié c'était pour ainsi dire recevoir un

(1) Insc. graec. xiv, 1020; il y a deux dédiants :

opyia ffuvpc'^avTE 0£aï ua(x(ATÎTOfi 'Pciirii

y.ptoêôXûu TîXcxri; xal TaupoooXdio çepÎŒTri;


arjiaai [ijiy-inQ'/.oi; Pwixbv vTrepTlOsTav.

(2) CIL, VI, 508.


(3) fier, (rhist. et de lilt. rel., 1901, p. 96, noie 3.
(4) Dessau, 4142 et Bulletin arch. 1891, p. 529.
470 REVUE BIBLIQUE.

bain de sang (1). De la sorte nous obtiendrions une évolution assez


naturelle dans le rite du taurobole.
Au début, pour l'empereur, par une cité, ou
lorsqu'il était offert
une province, on ne voit pas que personne ait été qualifié pour le
recevoir, sinon l'archig-alle. La solennité aurait-elle été la même si un
particulier avait été inondé de sang aux lieu et place du prêtre? Il est
vraisemblable que l'ofFrant fut d'abord associé au sacrifice seulement
en recueillant les vires, qu'il portait respectueusement au lieu de
l'inhumation. L'inscription de Milève parle de personnages qui firent
le taurobole et le reçurent eux-mêmes (2). Ces derniers mots sont

comme l'expression d'un privilège. Quand on offrait le taurobole


pour soi, on devait naturellement le recevoir sur soi; ce qui n'em-
pêchait pas la cérémonie des vires portées dans le Jiernos.
Et comme le taurobole était coûteux, on ne refusa pas sans doute
les avantages de l'initiation à ceux qui étaient admis seulement à
porter les vires, et nous aurions ainsi l'explication du terme de Clément
d'Alexandrie « j'ai porté le kernos », comme d'un moment impor-
:

tant de l'initiation.
Toutefois, n'oublions pas que Valeria Gemina avait reçu les vires
d'Eutychès, qui était sans doute un homme. Rien n'empêchait de les
mettre dans le kernos, et ce rite est peut-être le plus ancien des deux.
L'initiation était ainsi plus directe. Par la castration, le Galle se con-
sacrait à la Mère. Le candidat qui obtenait la faveur d'en porter le
débris, les vires, dans le kernos, était lui aussi, par communication
des privilèges, consacré au service de la Mère, initié à ses mystères.
Le taurobole, qui fut à l'origine un sacrifice, ne devint probablement
un rite d'initiation que quand les vires du taureau remplacèrent les
vires des Galles, dont le sacrifice n'était pas si aisé à obtenir.

IV. Le cultk et les mystères de la Mère et d'Attis


DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DESTINÉES d'oUTRE-TOMBE.

Greuzer avait imaginé une explication symbolique très élevée des


rites du paganisme. Les sacerdoces en auraient possédé le secret.
Vraiment, quand il s'agit des mystères, on dirait que la critique
moderne retourne à cette explication surannée. En réalité, la religion

(1) M. Cuiuont {Rev. arch., 1905 A, 29, note 3) cile M. Kohlbach, dans Berlin. Phil.
Woch., 1904, p. 1230, à propos des mystères des Cabires Die Einfiihrung in die Myste-
:

rien des Kabirencultes leitete ein Widderopfer eiu. Der Adept selzte sich den Widderkopf
auf das Haupl iind nahni se die symbolische Widderblutlaufe.
(2) CIL, viii, 8203 : fecerunt et ipsi susceperunl.
MÉLANGES. 4'i

de Cybèle nous parait, au premier siècle de notre ère, une des plus
grossières et des plus sauvages,dénuée de tout élément spirituel.
Comment donc une religion à mystères? Simplement parce
était-ce
que c'était, à Rome
surtout, une religion étrangère. Tandis que les
religions de l'État avaient leurs rites officiels et dominaient tous les
actes de la cité, celle-là demeurait dans l'ombre. Ouand il fut per-
mis aux Romains de s'y affilier, s'y affilia qui voulut, mais sans
doute à la condition de ne point profaner les rites par ses indiscrétions.
Les mystères par excellence, ceux d'Eleusis, fournirent sans doute, en
cela du moins, un principe aux religions plus ou moins obligées à la
réserve, dans des milieux étrangers.
Pourtant, si la religion d'Attis ne possédait aucun élément moral ou
religieux d'une haute allure, elle ne pouvait se soustraire ni à ce
qu'exigeait le concept même de religion, ni au mouvement qui entraî-
nait les esprits. Par définition, une religion attend le salut des divi-
nités qu'elle adore, et à mesure que les perspectives du salut se trans-
portaient davantage dans l'au-delà, toute religion devait élever ses
prétentions à conférer des privilèges pour l'immortalité.
Le principe est simple; il est très malaisé déjuger quels ressorts
chaque religion faisait agir, et quelle fut l'action du temps, c'est-à-

dire des autres religions et de lapensée philosophique.


C'est dès les origines babyloniennes, au vi'^ siècle av. .J.-C, que
M. Gruppe voit dans la castration des Galles une idée mystique, déli-
vrer l'àme des liens de la matière, l'aifranchir de la sujétion des
instincts charnels ,1). M. Loisy a répondu excellemment qu'on a pu
l'entendre ainsi à une épocfue très tardive, aux temps chrétiens :

« Mais le contraire serait plutôt à supposer pour ce qui regarde


Babylone, où l'on dirait plutôt que la surexcitation maladive des
satisfaite dans l'institution des hiérodules
instincts charnels se soit
eunuques (2 . »

Comment donc des idées spirituelles ont-elles pénétré dans cet


étrange sacerdoce?
M. Cuniont voyant, comme Gruppe, dans la castration une aspiration
ardente à délivrer l'àme des liens de la matière, imagine une action
des penseurs grecs dès l'époque des Ptolémées : « Ces penseurs réus-
sirent sans doute à faire admettre par les prêtres mêmes de Pessi-
nonte beaucoup de spéculations fort étrangères au vieux naturalisme
anatolique 3\ Mais c'est là une pure hypothèse. On n'a aucun
'

(1) GuLCPE, Griecli. Myllt., |i. 1544.


'2) Loisv, /. /., p. 307.

(3) Rel. orient., p. 77.


472 IIEVUE BIBLIQUE.

indice que les spéculations des métragyrtes, — ce monachisme men-


diant! — se soient élevées plus haut que le désir de remplir leur
besace, du moins jusqu'au ii'' siècle ap. J.-C. (1).
M. Loisy ne refuse pas de recourir à des influences étrangères,
pourvu que le christianisme n'en fasse pas partie : « Quand et com-
ment l'idée d'immortalité bienheureuse auprès des dieux se fit-elle

jour dans ce culte barbare entre tous, on ne saurait le dire. On doit


compter sans doute, pour les anciens temps, avec les influences de
la ïhrace et des idées qui s'attachaient au culte de Dionysos Sabazios,
plus tard avec les influences helléniques et perses. L'évolution de
l'ancien culte de Pessinonte en économie de salut devait être réalisée,
dans la mesure oîi elle s'est accomplie, avant le commencement de
lèrc chrétienne (2). »

Mieux eût valu s'en tenir à la première phrase, qui exprimait si

nettement qu'on ne possède aucune donnée sur cette évolution avant


le christianisme.

M. Foucart, qui connaît mieux que personne les mystères d'Eleusis


a tenu à marquer la différence qui les distingue de ceux de la Mère.
Dans la religion de cette dernière, « y- eut-il des mystères? sans
aucun doute, si l'on entend par là des cérémonies secrètes auxquelles
on n'était admis qu'après l'accomplissement de certains rites... Des
mystères de ce genre ont existé dans un grand nombre de cultes ».
Mais les vrais mystères, ceux dont il y a lieu de parler à propos du

christianisme, sont ceux dans lesquels celui qui s'acquitte des obli-
«

gations prescrites acquiert des droits certains à une condition privilégiée


dans l'autre monde ». De pareils mystères ne peuvent être anciens
dans le culte de Cybèle qui n'est point comme Déméter et Coré une
déesse qui eût un empire quelconque sur les régions infernales. « Si
on a cru en découvrir des traces dans le culte de l'époque impériale,
ce sont, je crois, des nouveautés qu'adoptèrent les cultes orientaux
pour recruter des adhérents (.'3;. » Et. M. Foucart ajoute en termes très
précis « Mais toutes ces nouveautés n'appartiennent pas à la concep-
:

tion primitive du culte de Cybèle et d'Attis; elles n'en sont pas sor-
ties par le développement de la donnée première (4). »

C'est cependant ce que l'on prétend, et l'on en donne des raisons


de convenance, ou tirées des monuments ou des textes.
Les raisons intrinsèques sont des raisonnements comme ceux de

(1) Se'rappeler le cas qu'en faisaient non seulement Lucien, mais Apulée.
(2) Loisy, l. l., p. 326.

(3) Les mystères d'Eleusis, p. 137.


4) L. L, p. 138.
MÉLANGES. 473

S. Paul sur la résurrection du Christ. Le fondement de notre espé-


rance en la résurrection, c'est que nous croyons au Christ ressuscité :

nous mourons et nous ressuscitons en lui par le baptême.


De même et avant S. Paul raisonnaient les dévots d'Attis « Ici :

comme ailleurs, la participation à Tépreuve d'un dieu mort et res-


suscité s'est trouvée, avec le temps, fournir un appui à la foi de l'im-
mortalité (1). » Cependant la castration étant un rite de consécration
sacerdotale, « c'est par un autre rite que les initiés au mystère par-
ticipent à lamort d'Attis en vue d'être assodiés à son immortalité (2) ».
Nous avons vu le détail de cette foi à propos du taurobole. Mais alors
il faudra prouver que le taurobole représente la mort d'Attis et sa

résurrection et non pas l'expiation. Il faudra prouver que le tauro-


bole fut de bonne heure offert en vue de l'au-delà. Or tous les textes,
jusqu'au rv' siècle, ne parlent que du salut {pro sainte) de l'empereur.
Il serait trop étroit d'entendre salus de la bonne santé, mais personne

ne pensait non plus au salut dans le sens chrétien. On demandait


pour l'empereur, comme pour les anciens Pharaons, santé, vie, force,
règne prospère et victoire sur les ennemis. Le culte de la Mère était
un culte national, et la castration des Galles elle-même avait en vue
le bien public (3i.

Celui qui recevait le taurobolepour son compte avait-il un autre


but que son salut dans le même sens (4)? C'est ce que nous ne savons
pas avant le quatrième siècle.
Aussi bien exagère-t-on beaucoup, nous l'avons déjà dit, et l'idée
qu'Attis était le type de la résurrection, et le rapport d'Attis avec le
taurobole. C'est le criobole qui lui était dédié. Et il ne faudrait même
pas juger de l'importance dAttis d'après quelques textes tardifs. On
peut se demander si avant l'époque impériale Attis était adoré avec
Cybèle. Il était inséparable d'elle dans le mythe, mais comme un
jeune homme
qui lui était consacré. Lectoure qui a fourni tant d'ins-
criptions tauroboliques ne le nomme jamais. On le rencontre à peine
dans des volumes entiers d'inscriptions latines (ô'i, sans parler de son
absence presque absolue des recueils grecs.

(l)LoiSY, /. ;., p. 307.

(2) Même endroit.


(3) AuG. De civ. \ji, 25 : ut vero isla magna deonuii mater etiam Romanis templis
caslratos intulit, atque istam saevitiam moremque servavit; crédita vires adiuvare
Romanoruin exsecando virorum.
virilia
(4) CIL, ui, 763 : Alti. futyches archidendropk{orus) pro salute sua
C. Antonius
posuit. L'aulel n'est pis donné comme laurobolii|ue, mais il s'aj^il d'AUis, et de la pavl
(l'un dendrophore, vers le règne de Dioclélien.
(5) Vol. m, \m, i\, \.
474 RKVUE BIBLIQUE.

Quand on lit l'ouvrage de Hepding, on peut être frappé de limpor-


tance dWttis. Mais son culte ne représente pas le dixième des
hommages rendus évidemment qu'on aurait
à la Mère. C'est d'elle
tout d'abord attendu le salut d'outre-tombe. Mais aucun texte ne dit
qu'elle ait tiré Attis des enfers. Quand on parle an m" siècle de la
résurrection d'Attis, c'est un naassénien qui s'inspire d'idées chré-
tienoes, ou c'est, au iv' siècle, parce (ju on le compare à la végétation
et aux céréales. Nulle part la destinée du tidèle n'est comparée à la
sienne. Nulle part son action n'est censée avoir eu la moindre efficacité
pour le salut éternel de ses adorateurs. Il y a bien à rétléchir avant
d'expliquer la religion de Cybèle d'après saint Paul à la façon du
naassénien d'Hippolyte.
Tout ce que nous avons dit des rites et des mystères montre qu'il
faut déformer résolument les uns et les autres pour en une aspi-
faire
ration à l'immortalité, sinon dans ce sens très général que toute
religion sert au salut, tel qu'on l'entend. Et les destinées personnelles
d'Attis n'y étaient pour rien.
Venons aux monuments. Ce sont uniquement les Attis dits funé-
raires, car la Mère qui finalement fut censée symboliser la Terre n'est
pas représentée comme ayant un pouvoir aux enfers.
En Macédoine, où il y a peu de traces du culte de la Mère, M. Per-
drizet a découvert, à Amphipolis, des centaines de figurines de terre
cuite où il a reconnu des Attis. Il les décrit ainsi (1) « Le type est :

d'un berger imberbe, vêtu à la phrygienne, dans diverses attitudes


et avec divers attributs le personnage est tantôt assis ou endormi sur
:

un rocher, tantôt debout et appuyé à un arbre; il tient d'une main


le lagobolon et de l'autre la syrinx ou un agneau. Il a l'air pensif et
mélancolique, la figure a quelque chose de féminin; quelques repré-
sentations sont tournées en charge et ont l'aspect de caricatures du
type Sur quoi M. Perdrizet ajoute
». « Attis, personnification des
:

forces de la nature qui s'éveillent au printemps, pour s'endormir


ensuite dans la mort de l'hiver, était particulièrement désigné pour
devenir une divinité funéraire, présidant à la résurrection comme à
la mort. »
Oui, mais à la condition sans doute qu'on crût à la résurrection. Où
ces Macédoniens auraient-ils pris la foi à la résurrection? Et alors jDour-
quoi Attis est-il si mélancolique, quand il n'est pas tourné en carica-
ture? N'est-il pas plutôt le symbole du chagrin que de l'espérance?

(1) Bulletin de correspond, hellén. XIX (1895), p. 334. Ce volume est à peu près introu-
vable. J'emprunte. la citation à Roscmer, Lex. art. Meter, c. 2906 s.
MELANGES. 475

M. Cumont a noté de plus, et jusqu'en Germanie, ces pierres


tombales « décorées de figures de jeunes gens en costume oriental,
tristement appuyés sur un bâton noueux (1) ». 11 avait presque hésité
à y reconnaître des Altis (2). Mais enfin, si ce sont des Attis, en quoi
leur tristesse est-elle symbole de résurrection? Il faudrait alors simple-
ment constater que la sculpture est d'accord avec la littérature qui
n'a jamais connu qu'un Attis pleuré. Il était assez désigné pour
représenter le deuil des parents inconsolables.
Il est vrai que les idées d'immortalité qui se maintenaient ou se
développaient dans paganisme pouvaient trouver leur expression
le

jointe à celle de la douleur. M. Cumont a noté un cas où l'espérance


de l'immortalité accompagne la figure d'Attis (3). Mais outre que
c'est une négation de la résurrection, le corps demeurant séparé de

l'àme, qu'est-ce qu'un cas, probablement très tardif, si on se reporte


par la pensée aux inscriptions des catacombes?
Les bergers funéraires sont donc bien des Attis, mais des Attis
funéraires. Rien de plus.
Si la pensée d'outre-tombe a été associée à la figure de la Mère, ce
n'est pas sous les traits d'Attis, mais sous ceux d'Hermès (i), divinité

psychopompe, qui conduit les âmes au ciel. Mais l'addition d'Hermès


est plutôt la preuve que ni Attis, ni Cybèle n'étaient qualifiés pour
s'occuper des âmes, comme nous l'avons déjà dit à propos d'Hermo-
ge nia nus (5).

Quant aux textes, M. Gruppe a reconnu qu'ils ne sont point en eux-


mêmes pleinement convaincants pour faire voir dans les mystères
de Cybèle la délivrance de l'Hadès. Et en eli'et il n'y en a aucun,
parmi les anciens, qui puisse passer pour une indication claire dans
ce sens.
L'amie de Properce décrit les Champs-Elysées comme un lieu en-
chanteur, où un souffle heureux caresse les roses, où l'on entend le
son harmonieux de la lyre, les tympanons de Cybèle et les plectres

(1; Rel. orient., p. UO.


(2) Textes et motii(7nen(!i figures... Mithra, II, p. 438 « Ces Attis funéraires, quoique
;

ne portant jamais de llambeau, se rapprochent des dadophores par leur immobilité et par
leur nombre on les trouve en efl'et souvent par paires, un do chaque côté de la pierre
:

lumulaire. «

(3 CIL, ui, 6384 près Je Salone. Au temps de Dioclétien(?). Le Corpus n'indique aucune
date. iam l rhrimis, miscri
Parcite soliq{uc) parentes.... Corpus liabcnt cineres;
aniinam sacer abstulit aer.
(4) bas-relief d'Ouchak, Rev. des études anciennes, 1906, p. 185, cité par M. Cumont
(Rel. orient., p. 330).
(5) Cf. plus haut à propos de CIL, vi, 199.
476 REVUE BIBLIQUE.

lydiens des chanteurs qui portent la mitre (1) . Tout naturellement les

Galles allaient en paradis; prêtres d'Attis, ils rejoignaient leur dieu,


mais devaient-ils leur salut au mérite de sa passion? Les autres textes
ne disent rien de plus (2).
Je ne veux pas citer contre les pauvres Galles les pages infamantes
d'Apulée, mais on peut bien rappeler que le mythologue africain, si
curieux des mystères dlsis, ne parait pas avoir soupçonné que le
culte de la grande Mère contint rien de semblable. Jalousie de secte?
Mais Lucienne parle pas non plus de semblables prétentions, même
pour s'en moquer.
Ce qu'on peut citer, c'est l'expression natalicinm dont on a déjà
parlé, si rare dans le culte de la Mère, si ancienne dans le chris-

tianisme. C'est aussi l'unique cas du m aetermim renatus.


On a cité souvent aussi comme preuve de l'élévation morale des
initiés l'inscription d'Hermogène « aux dieux gardiens de son âme et
de son esprit (3) » ; elle est de 374, sous Gratien.
On a douté si, d'après les textes de saint Augustin, les Galles

promettaient en efiet la vie éternelle (4), et s'ils avaient l'audace de


faire d'une vie infâme la condition d'une vie bienheureuse (5). Il faut
cependant répondre que oui, et le saint docteur considère seulement
leur prétention comme insensée.
Prudence est plus affirmatif. Il a pu décrire le taurobole sans dire
que c'était une garantie pour l'autre vie, et de fait ce n'en était pas
une, puisqu'il fallait le renouveler tous les vingt ans. Mais le sacrifice

des Galles sur leur personne avait plus d efficacité quand ils se tailla-
daient les bras :

Coelum meretur vulnerum crudelilas (6).

(l)Prop. 7, 61 ss. Mulcet iibi Ehjsias aura beata rosas, Qua numerosa
V, /ides,
quaque aéra rulunda Cybebes Milralisque sonant Lydia plectra cfioris.
{'2) Hepding a cité C[L, vi. 10098 qui est l'inscription funéraire d'un phrygien ou d'un
dévot d'Attis, mais sans aucune mention des espérances doutre-lombe Qui coiilis Cybeien:

et qui Phryga plangilis AUin, dum vacat et tacita Dinduma nocte silent, llele meos ciiieres...
L'inscription pourrait être du i^' siècle finissant. De la même époque CIL, vi, 2l.î21. Le
défunt a été reçu parmi les dieux, grâce à Venus Nam me .«ancla Venus sedes non nosse
:

silentum iussit et in caeli lucida templa tulit. Reçu parmi les dieux, il y rencontrera Cybèle
|

et Attis (suppléé avec raison par Buecheler), mais parmi tant d'autres.

(3) CIL, VI, 499. Celle où Hermès parait entre la Mère et Attis, peut-être comme patron
du dédiant, Hermogenianus ; il élève un autel taurobolique diis animae sxiae mentisque
custodibus.
(4) AiG. De cir. vu, lympanum, turres, Galli, iaclalio insuna membrorum,
24, 2 :

crepitus cymbalorum, leonum vitam cuiquam pollicentur aeternamY


confictio
(5) De civ. VII, 25 Uis ne diis selectis quisquam consecrandus est, ut post morlem
:

vivat béate, quibus consecratus anle mortein honesle non potest vivere, tain foedis
superstitionibus subditas et invuundis daemonibus obligatur.
(6i Perist. x, 1065.
MÉLANGES. 477

Et ce trait nous paraît parfaitement juste. Les espérances ancien-


nement entretenues dans le culte de Cybèle étaient fondées sur l'éner-
gie de l'expiation, et non point sur l'union mystique et sacramentelle
à la passion et à la résurrection d'Attis.
Ainsi la religion de la Mère était devenue, elle aussi, une religion
de mystère dans le sens que ce mot avait pris au iv^ siècle « Toute :

initiation, dirait Salluste le philosophe, a coutume de nous rattacher


au monde et aux dieux » (1). Les mystères d'Attis étaient rattachés au
cosmos par les explications naturalistes, à Dieu par Salluste lui-même
qui les entendait comme la chute de l'âme tombée du ciel et son
retour vers les dieux.
Nul doute que ces idées n'aient pénétré le culte phrygien par l'am-
biance gréco-romaine. iMais si l'on admet volontiers la possibilité de
ces influences, pourquoi exclure le christianisme? M. Ciimont a dit
nettement : « Une religion aussi accessible que celle-ci aux actions
extérieures devait nécessairement subir l'influence du christia-
nisme (2). » Et il a indiqué non moins justement le point de contact.
Ce n'était pas l'idée d'un dieu sauveur par sa passion, étrangère au
culte de Cybèle, mais le thème plus général de l'expiation.
C'est une gageure de voir dans les mystères de Cybèle une union
en vue de la fécondation; ils ofTrent bien plutôt l'image de l'expiation
sanglante pour apaiser les dieux et gagner leur faveur. Cette idée,
très générale dans l'antiquité, a trouvé son foyer principal dans le
culte de la iMère.
paru évident à tous ceux qui ont assisté au (lies san-
C'est ce qui a
guinis ou qui en ont entendu parler (3 1.

Or ce dies sanguinis était fixé à l'équinoxe de printemps, et coïn-


cidait presque avec la commémoraison de la passion du Christ. Nous
savons que les initiés d'Attis ont essayé d'en tirer parti pour leur
controverse avec les chrétiens (4).

Fragm. phil. graec. III, 33 intioii xal iràaa te/.stt, Tipôi; tov •/.6ff(J.ov fi[xâ; y.al Tipb; toù;
(1) :

, Oîoùç cruvâTTTStv i^élei.


(2) Rel. orient., p. 106.
(3) Gruppe a cité Ovide, Fastes, IV, 221,244; SÉ^. Âg. 88G ss., Val. Fi.ac. viii, 239 ss.;

Stace, Théb. xii, 226; Tert. adv, Marc. i. 13; Aunobe, v. 17; Prld, Perist. x, 1061,1083;
Pailin de Nole, XIX, 87.
CuMONT, La polémique de l'Ambrosiasier contre les païens, dans la Revue d'Iiist.
(4)

et de litl. rel. 1903, p. 417 ss.


L'Ambrosiasier est l'auteur des Quaestiones veteris et novi Testamenti, qui figurent
après les œuvres de S. .Vmbroise, P. L., XX.XV, c. 2206 ss. Voici le principal passage
(c. 2279) Et quia in primo mense, in quo aequinoctium habent Romani, sicut et nos ea
:

ipsa observatio ab his custodilur, ita ut etiam per sanguinem dicant expiationem fieri,
sicut et nos per crucem Iiac versulia paganos delinet in errore ul putent veritatem
-.
478 REVUE BIBLIQUE.

L'antériorité de leurs usages ne faisait pas de doute ; ils préten-


daient que les chrétiens étaient les imitateurs. Ceux-ci répondaient
que les démoos, prévoyant la passion du Christ, en avaient imaginé
une sorte de parodie, destinée à empêcher les âmes daller à la reli-

gion nouvelle.
Peu de chrétiens voudraient aujourd'hui soutenir ce système. Mais
la controverse prouve que des deux côtés on était disposé à accentuer
la ressemblance entre les rites. Les initiés d'Attis avaient avantage à
s'emparer d'expressions chrétiennes, et ils pouvaient s'imaginer
qu'elles rendaient bien leurs antiques usages. Rien de plus naturel
dans cette voie que de comparer le taurobole à un baptême qui efîace
les péchés, et qui par conséquent donne, comme le baptême, une nou-
velle naissance, et une naissance qui vaut pour l'éternité (1).
Les deux doctrines d'expiation et de rémission des péchés se sont
rencontrées sur une expression d'origine chrétienne, mais il y avait
entre elles une différence. Les initiés d'Attis avaient porté à l'extrême
le principe ancien de la vertu du sang pour expier, et maintenu pour
l'homme la nécessité de verser son propre sang, celui des animaux
ne conférant qu'une initiation laïque. Mais leur doctrine n'avait pas
fait un pas, même au contact du christianisme elle ne fit aucun pas,
vers l'idée que le cjiristianisme avait proclamée de premier jet, que
le sang du Fils de Diea dispensait du sang des victimes (2). Plus la
dévotion des initiés augmente, plus le saug des taureaux et des béliers
coule à flots. Comment donc peut-on prétendre que la passion d'Attis

noslram imitationem potius videri quam veritatem, quasi per aemulationem supers-
titione quadaininventam ; iiec enim verum esse passe, aiunt, quod postea inveniuni.
(Ij S. Augustin, comme S. Justin, a accepté l'origine diabolique des cultes comme une

singerie antécédente du christianisme. Justin, si curieux de tous les exemples où il Torait


une ressemblance, se contentait de parler de ceux qui se mutilaient zl; /.'.vatcîav et qui
offrent les mystères à la Mère des dieux [Apolog. i, 27).
(2) \i.g. in lohannis ev. [P. Z,., XXXV, c. 1440) :Ergo nescio quid simile imitatus est
quidam spirilus, ut sanguine simulacrum suutn emi vellet, quia noverat pretioso san-
guine quandocumqne redimendum esse genus huinanum. Ainsi on acquiert par le sang
l'idole qui représente le démon. Est-ce une allusion au galle qui jetait ses vires à la statue

de la déesse?

Mais à côté de l'hypothèse de l'origiae démoniaque des cultes, Augustin constate un fait
qui était de notoriété publique, c'est que les cultes païens essayaient d'attirer à eux par
des emprunts faits au christianisme : l'sque adeo... ut illi ipsi qui seducant per ligatu-
ras, per praecantaliones, per machina m enta inimici, misceant praecantalionibus suis
nomen Christi. Et c'est dans ce sens qu'il rapporte le mot d'un prêtre d'Attis qui essayait
de donner à son dieu un faux air de christianisme usque adeo ut ego noverim aliquo
:

tempore illius Pileati sacerdolem solere dicere : et ipse Pilleatus christianus est. Ut
quid hoc, fratres, nisi quia aliter non possunt seduci Christiani? — Il était certes
moins audacieux de dire : le taurobole produit les effets du baptême, c'est un baptême
sanglant. Et c'est la définition tardive qu'on en donne aujourd hui !
MELANGES. 479

avait eu quelque efficacité pour le salut de ses fidèles et qu'il suffisait


d'y participer par la foi? Et comment Paul aurait-il été chercher dans
ces temples la notion du Dieu sauveur? Si l'on se rappelle que jus-
qu'au temps de Claude le culte d'Attis, à peu près inconnu en pays
hellénisés, n'était à Rome qu'un culte étranger, simple objet d'éton-
nement pour ses rites bizarres, et peu estimé, ou conclura que la
question d'une influence sur l'esprit de S. Paul ne se pose même pas.
Peut-être eût pu y apprendre, s'il l'eût ignorée, la vertu oxniatoire
il

du sang. Mais n'était-ce pas une doctrine fondamentale de l'Ancien


Testament? Et il proclame au lendemain de la résurrection que le
sacrifice du Christ rendait les autres inutiles : ce que les sectateurs
d'Attis ne soupçonnèrent jamais pour leur dieu. Tout ce qu'ils purent
faire, ce fut de comparer le taurobole à une renaissance, à quoi con-
tribua peut-être aussi l'usage du au banquet sacré. Mais on ne
lait

voit pas qu'ils comparer leur repas à la cène


aient été tentés de
eucharistique. Et quoique de très grands personnages, déjà initiés
aux principaux mystères, aient affecté de ne pas dédaigner ceux-
là, les conceptions plus ou moins élevées qu'ils cherchaient à y verser

ne pouvaient dissimuler l'odieux du mythe et du rite. Je ne puis


résister au désir de citer l'admirable tableau où M. Cumont dessine ce
contraste :

« Nulle part la discordance entre les tendances moralisantes des


théologiens et l'impudicité cruelle de la tradition n'est aussi écla-
tante. Un dieu dont on prétend faire le maître auguste de l'univers
était le héros pitoyable et abject d'une obscène aventure d'amour;
le taurobole qui cherche à satisfaire les aspirations les plus élevées
de l'homme vers la purification spirituelle et l'immortalité, appa-
raît comme une douche de sang qui fait songer à quelque orgie

de cannibales. Les lettrés et les sénateurs qui participaient à ses


mystères, y voyaient officier des eunuques maquillés, à qui on repro-
chait des mœurs infAmes et qui se livraient à des danses étour-
dissantes (1) » etc..
Mais quand commencèrent pour relever ce culte frappé
les efforts

de déchéance morale, efforts fatalement impuissants? Nous croyons


avoir montré que ce fut seulement quand, après Claude, il se fut répandu
dans l'Empire. Auparavant rien n'autorise à y voir des mystères des-
tinés à assurer l'immortalité bienheureuse, comme ceux d'Eleusis, et

cette espérance ne fut jamais fondée sur la Passion d'un dieu que le

fidèle pût s'approprier par la foi.

(1) Rel. orient., p. 108.


480 REVUE BIBLIQUE.

On s'étonne vraiment que M. Loisy ait pu écrire : « La régénération


par un sang divin, qui n'est qu'une métaphore dans l'économie des
rites chrétiens était ici une réalité... Mais ce serait aller contre toute
vraisenib lance que de faire emprunter à la métaphore chrétienne
l'interprétation donnée au taurobole dans les mystères d'Attis. C'est
bien plutôt la métaphore chrétienne et l'idée de la régénération dans
le sang du Christ qui procèdent de rites comme le taurobole et des
idées qui s'attachaient à ces rites (1). »

Personne ne prétend que l'idée d'expiation ait été empruntée par les
initiés d'Attis au mystère chrétien. Mais on n'y voit nulle part une
régénération par un sang divin. Et si le terme de renaissance n'y
parait que tardivement, il est assez naturel de l'expliquer par l'in-

lluence du christianisme qui l'emploie dès Jes premiers jours parce


qu'il découle de son dogme.
Quant aux rites comme le taurobole qui ont pu donner quelque
idée de la purification dans le sang du Christ, l'Ancien Testament les
connaissait et les pratiquait. Le tout était de comprendre qu'ils n'a-
vaient plus raison d'être quand on pouvait, par la loi, s'approprier la
Passion du Christ. Et le simple énoncé de ce dogme paulinien, si spi-
rituel et si pur, dissipe ce relent d'abattoir et de mauvais lieu que
ileurent les mystères de la Mère et du l)erger.

Fr. M.-.L Lagraxge.


Jérusalem.

(1] /.. l., p. 324 S.

II

LA SÉPULTURE DE SAINT JACQUES LE MINEUR

La première mention de la sépulture de Jacques le Juste, dit le


frère du Seigneur, et considéré comme le premier évêque de Jérusa-
lem (1), est celle du fameux récit extrait par Eusèbe {H. E. ii, 23) des
Mémoires d'Hégésippe rédigés vers 180. Comme le tombeau primitif
du saint se trouvait en connexion étroite avec le lieu de son martyre,
il s'impose de remonter au début de cet épisode dramatique.

Jaloux de l'influence du « Juste » et exaspérés des conversions nom-

Ci)La question de savoir si ce Jacques est identique au fils d'Alphée (cf. Lagrange,
S. Marc, p. 78 ss.) n'entre pas dans notre sujet.
MhXANGES. 481

breuses qu'il opère parmi les .luifs, les Scribes et les Pharisiens
l'invitent à dissuader lepeuple de croire à la qualité messianique de
Jésus, le sentiment de leur impuissance les portant à faire appel à
l'autorité de Jacques pour détruire ce qu'il a édifié lui-même. Celui-ci
devra donc parler dans ce but aux Juifs et aux gentils que la fête de
Pâque amènera en foule au Temple de Jérusalem, et, afin d'être
mieux entendu, il est convenu que l'apôtre se tiendra sur le pinacle
de l'enceinte sacrée [hiéron], c'est-à-dire sur le faîte d'un des por-
tiques crénelés qui bordaient l'esplanade de la maison de Dieu (1).
L'expression employée ici par l'historien est identique à celle des
Évangiles dans le récit de la tentation qui nous représente Jésus
transporté sur le pinacle du
hiéroii, ïr\ -z zxtpù-y.z^^ -o'j '.-zoXt (2), d'où
Satan l'engage à se jeter en bas afin de prouver qu'il est le Fils
de Dieu. Le moment venu, les Scribes et les Pharisiens placent
S. Jacques à l'endroit indiqué, quoique le narrateur varie sa formule.
Le frère du Seigneur est conduit au pinacle du Temple [naos], èz- -l
rrTEpjYiov -zoxi vasj (3). Si nous admettions dans l'occurrence la stricte
ierminologie de Josèphe, nous devrions penser au fronton du pylône
ou au faite (à-/.pa)r(^pi;v) hérissé de pointes de métal qui couronnait le
non plus à quelque point particulier de l'enceinte. Il est
sanctuaire et
cependant des auteurs qui, malgré les observations des scoliastes,
n'ont pas toujours fait la distinction entre hiéron et naos, ce qui se
présente dans le cas d'Hégésippe, et l'usage chrétien a bien pu
appliquer terme de naos au péribole du lieu sacré, à l'imitation
le

du laiin qui emploie indifféremment templum pour traduire hiéron


et naos, ou du syriaque dont le mot pourtant si spécifique de haïklo'
désigne aussi bien le territoire saint avec ses parvis, ses portiques,
son enceinte, que l'édifice fermé composé du Saint et du Saint des
Saints.
Au mention des gentils dans l'auditoire de Jacques
surplus, la

suppose un endroit où ceux-ci avaient la faculté d'accéder. Or les

(1) St?,6'. ovv £7:1 To TTepJytov -oj Upoj, traduit par Rufin : asce?ide itaque in excelsutn
locum pinnx templi. Dans les LXX, wTôpûyiov équivaut à ''^22, le bord (d'un vête-

ment, etc..) et à nvp, l'extrémité. Il a pour répondant en latin dans le domaine de l'ar-

(liitecture, pinna, pinnaculum, « le faîte d'un édifice, le créneau ». Le sens étymologique


en grec et en latin, comme en hébreu =]Û2, est celui d'aile, qui se prête, comme le re-
marque Photius, ad Amphiloc, xxiv, 8, à de multiples interprétations.
(2) Mt., IV, 6, sxiper pinnaculuyn templi; Le, iv, 9, super pinnam templi.
(3) Traduit par Rufin : super pinnam templi. .\ propos de S. Jacques, S. Épiphane
Hxr. i.xxvtii, 14) et André de Crète (IFspl tov [itoj xal [xapr^piou toj àyioj... 'lazwoou)
Pap.-Kerameus, 'Ava/.îxxa îîpoffo).. (jTayjo).., i, p. 12, emploient l'expression îîTsp-JY'.ov toù
kpo-j.
REVIE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 31
482 REVUE BIBIJQUE.

parvis intérieurs leur étaient interdits sous peine de mort, à plus forte
raison les abords immédiats du sanctuaire. Conjecturer que le saint,
monté sur le pylône du Temple, se faisait eutendre de toute l'esplanade
porterait atteinte à la Araisemblance de l'histoire.
Du haut de la terrasse où ses ennemis l'ont juché, Jacques confesse
le retour du Christ sur les nuées. Sa voix forte parvient aux oreilles
des auditeurs dont un grand nombre répond par « Hosanna au fils :

de David ! » Outrés de dépit, les Pharisiens escaladent la hauteur


d'où le Juste a parlé et le précipitent en bas (1). C'est le signal de la
lapidation concertée entre eux. Jacques respire encore, et, agenouillé,
prie pour ses bourreaux. Mais il est bientôt accablé de pierres et un
foulon l'achève avec le battoir, instrument de son métier.
Telles sont lesgrandes lignes du récit qu'à travers les siècles les
historiens se transmettront les uns aux autres. La variante des Reco-
gnitiones sera loin d'obtenir autant de succès, même après que le
faux Abdias l'aura insérée dans sa compilation, comme un épisode
du ministère agité du frère du Seigneur. C'est du haut de certains
degrés du Temple, ou peut-être de l'autel, d'où il instruisait la mul-
titude que, suivant le pseudo-Clément, l'évêque aurait été précipité
par son ennemi Saul de Tarse. Laissé pour mort, tandis qu'une
sanglante bagarre éclatait entre ses auditeurs, Jacques réussit à
réchapper et continua à administrer son église (2). La mention du
pinacle fait aussi défaut dans le Synavaire éthiopien S. Jacques assis :

sur son siège explique la divinité de Jésus à des Juifs qui espéraient
l'entendre dire qu'il était son frère. Leur déception tourne en fureur.
« Ils le firent descendre de son siège et le flagellèrent fort. Ln d'entre

eux arriva avec un bois de lavoir; il lui frappa la tète avec ce bois:
saint Jacques rendit son âme... Quand il fut mort, on l'enterra à côté
du sanctuaire (3i. » Si nous revenons à la narration d'Hégésippe qui
offre des garanties de véracité plus sérieuses que ces diverses élucu-
brations, nous voyons quelle se termine par l'ensevelissement du
martyr au lieu même de sa mort, près du Temple, tr.\ tm tî-w Trxpi tw

(l) Cf. André de Crète, /. L, àvaéâvTs; o-jv £;:• to îr-reoûyiov toC iepoû xaT£oa>,ov avTÔv.
Ménologe de Basile., P. G-, 117, 121 : êppi'I/av â-6 toO à/.poj toO îepoj, 429 : ôi->j roû
hpoj y.âT(i), Les Act. mythol. Apost. publiés par A. S. Lewis, f. 150'', placent Jacques

JkX^^'' Js. V . ce qui équivaut à è-l tô à/.pôv toù Upoù (toû vaoO;. Passio sancti Jacobi
du cod. hagiogr. 144 de Chartres [Anal. Bolland., VIIT, p. 137) Tune ascendenies ad eum :

pharisaei... praecipitaverunt eum ex alto. Le saint avait été placé supra pinnam templi.
{2) Lib. I, 70, P. G., 1, 1245 ille ininiicus homo Jacobum aggressus, de summis gra-
:

dibus prœcipitem dédit. Migne, Diction, des Apocryphes, 277 ss. « Jacques eut un pied
brisé par cette chute et depuis il boita beaucoup. »

(3) L GuDi, P. 0., vu, 349, au 18 haraleh = 25 juillet.


MÉLAiNGES. 483

vaw. L'auteur se sert encore ici du mot naos, mais il est évident qu'il
ne peut être question de Vœdes sacra, du sanctuaire, comme l'ont
interprété les notices byzantines faussement attribuées à Dorothée de
Tyr (1). On conçoit difficilement une sépulture dans les parvis, sur
l'esplanade sacrée. Ésséchiel (xliii, 9) proclame assez hautement que
même les cadavres royaux ne souilleront plus le lieu saint.
Nous devons donc laisser encore ici à naos une large acception
et localiser le supplice comme la sépulture à proximité de l'enceinte,

mais à l'extérieur, sur la pente de Ja montagne ou « sous les murs


du Temple » suivant l'expression heureuse des Actes mythologiques
des Apôtres, à condition que l'on interprète haikal comme nous
l'avons fait de naos (2).
La pensée se porte naturellement vers cette partie méridionale
du péribole dont Josèphe nous trace une terrifiante peinture
[Ayitiq., xv, 11, 5). A la profondeur du ravin qui, à elle seule,

donnait déjà le vertige, s'ajoutait la hauteur d'un portique immense


au point que de ses terrasses crénelées l'œil arrivait à peine à mesurer
l'abîme. L'angle sud-est de ce péribole, décrit plus tard par le Pèlerin
de Bordeaux comme l'angle d'une tour très élevée, dominait
rOphel, cette protubérance de la colline basse que les anciens rois
avaient fortifiée. Or, parmi les qualificatifs que la dévotion populaire
accordait à Jacques, il en était un qui, grécisé en Oblias ou Obliam,
signifiait le « rempart du peuple (3j ». La locution sémitique cachée
sous ce vocable ne serait autre que 'ophel ha-'am, nom symbolique
issu dans le milieu judéo-chrétien dune allusion au lieu où le Juste
était enseveli. La réalisation des prophéties que le chroniqueur
rappelle à propos de ce titre se bornerait à une adaptation assez
lâche à'Isaie, xxxii, li et de Mic/iée, iv, 8, sur i'ophel de la fille de
Sion et la tour de garde. Dans son éloge de S. Jacques, André de
Crète (720), qui se réclame d'Hégésippe et de Clément d'Alexandrie,
dit qu'on l'enterra en un endroit appelé Kalos, près du temple de
Dieu (4). Cette indication topographique évoque un lieu agréable

(Ij LiPsiLS, Die apocr. AposteUjesch. und Apostelleg., H-, p. 248, Cod. Vindob. hist.
gr. 40 : i-/.o:\xT,^ri xal èxeï ÈTâfr) âv tw vaiô TtXïjdîov rwv lEpitov. Lat. :
iv avTfj t-^ 'lôfio^ffa/riu-

'apidibus ibi a Judœis adobrnlus occubuit atque in templo prope allure sepultus est.
2 F. 151 b. , LC-/J' .ILoi. O'O:-' y3^. S. JÉRÔME, De liris inl., eu : juxta
{'inplum ubi et prsecipilaïus fuerat, sepultus est.

(3) 'QgXîa:, ô èutiv 'E)'/.r,vt(7Tl TiEpio/r, toO )aoj, traduit par Rutin, quod est interpréta-
lum înunimentutn populi. Voir
: la note 97 de Noël Valois, P. G., 20, 193 et H. Vincent,
Jérusalem Antique, p. 195.
(4) Papad.-Kekamecs, Analecta, I, p. 12 : Kal '/aSo'vTc; aJTov êSa-l/av s'v to-u x5t).oj[iévt|)

Ka).(T), r./.r,7iov to-j vaoù toO (-)eo-j.


484 KEVUE BIBLIQUE

et suppose un original sémitique tel que No'am ou Naim ou d'autres


termes analogues dont on ne retrouve aucune trace ni sur le sol ni
dans la tradition. En accentuant Kx/ao, on aboutirait à la conjecture
fragile d'un site nommé « câble ou cordeau » que pourrait seule
étayer l'iiypothèse d'une interprétation à'Oôlias autre que celle qu'on
vient d'émettre. Certains (1), en effet, ont tiré ce nom de la racine
hzu « lier », en rejetant comme fantaisiste l'exégèse ô âctiv 'EWr^via-l

T.zoïz'/q Toj Aaoj. En tant que la condition de nazir le rattachait


particulièrement à Dieu et grâce à son ascèse extraordinaire, le
frère du Seigneur avait mérité le surnom de ntSzin à savoir « Jahveh
est mon lien, ma corde », et Ton rappelle à cette occasion les noms
symboliques des deux bâtons du pasteur de Zacharie xi, 7 dont
l'un s'appelle « bonté » {xakKoq, WJ2) et l'autre « liaison » (ayo(vi7iJ,2,

iSin). Mais, quels que soient les rapports entre la narration d'Hégé-
sippe et les textes prophétiques, tout cela offre peu de secours dans
la question de la sépulture du premier évêque de Jérusalem.
L'endroit était marqué par une stèle dont Hégésippe, 120 ans
après les événements, mentionne l'existence à proximité de l'enceinte
du Temple (2). La stèle aurait donc passé indemne les bouleverse-
ments de la ville sous Titus et Hadrien pour disparaître dans le cours
du iir siècle traversé par de sanglantes persécutions. Ce monument
funéraire, quel qu'il fût, jouit d'une grande notoriété, écrit S. Jérôme,
jusqu'au siège de Titus et même jusqu'à celui d'Hadrien (3). Cette
date ultime semblerait indiquer que la mention de la stèle aurait
été empruntée par l'auteur des Mémoires à une source judéo-
chrétienne restreinte à la période où Jérusalem avait à sa tête des
évoques venus de la Circoncision, période que termine la fondation
d'Aelia. La réflexion mise au compte de cette source, on serait porté
à conclure avec assez de vraisemlîlance que la construction de la
colonie romaine en 135 fut fatale au monument de S. Jacques et

amena chez les évoques et les fidèles incii'concis d'origine qui vinrent

se fixer à Jérusalem l'oubli de la sépulture du frère du Seigneur.


Le pinacle du Temple, en 333, ne rappelle plus au Pèlerin de
Bordeaux que l'épisode de la tentation du Seigneur. Rufin, après
avoir traduit ce qui concerne la sépulture de S. Jacques [ac sepultus

(1) Cl'. LiPsiLS, op. L, p. 240.

(2) Kal ÊTi a-JTO-j yi


(7Tiq),rî jjiîvEt jiapà Tcï) vaô).

(.3) De Viris inlustribiis, P. L., 23, 613Juxta templum ubi et pr.ccipitaius fiierat,
:

sepultus est, Titulum usque ad obsidionem Titi, cl uUlmam Hadriani, notissimum


habuit.
MELANGES. ^ 48d

/// loco prope templwn , passe sous silence la mention de la


eodem
stèle preuve qu'elle n'existait plus de son temps 1).
:

Mais alors s'était déjà fait jour, comme nous allons le constater,
une tradition locale qui s'opposait à la tradition littéraire dépendante
d'Hégésippe. Pour les concilier, nous devrions supposer qu'au
moment de la disparition du mémorial de l'Ophel, le corps de
S. Jacques fut transféré en un lieu plus sûr et moins exposé à

l'amoncellement des décombres, dans un tombeau, comme on le


prétendra, qu'il s'était préparé lui-même. A vrai dire, nous n'avons
aucun indice de cette translation. A quoi bon d'ailleurs, puisque
la nouvelle sépulture sera authenti(|uée par une révélation céleste?
Le point de départ de cette nouvelle tradition est une de ces ioven-
tions classiques de corps saints opérées à la suite de songes mysté-
rieux. Le récit nous en est fourni par un manuscrit hagiographique
de la bibliothèque de Chartres du x*" siècle, sous une forme latine
assez barbare (2). Mais, à la lumière des témoins de la même
tradition que produit l'époque byzantine, nous n'hésitons pas à
placer à la base de ce texte un original grec aujourd'hui perdu ou
enfoui obscurément dans la poudre de queh^ue bibliothèque. Depuis
sa publication dans les Analecta BoUandiana en 1889, ce récit ne
paraît pas avoir beaucoup attiré Tattention, et pourtant il a dans
l'histoiredu culte du premier évèque de Jérusalem l'importance de
la lettre du prêtre Lucien dans la renaissance du culte du premier
martyr saint Etienne. Voici la traduction de ce document qui exige
désormais la considération des historiens de la Ville sainte :

APPARITION DES SAINTS JACQUES, APÔTRE


ET PREMIER DES ARCHEVÊQUES, SIMÉON ET ZACHARIE, PRÊTRES.

Sous le consulat de Sergius et de Nigrinianus et le gouvernement du très glorieux


empereur des Romaius Constance Auguste (3), Cyrille étant chef du sacerdoce de la

(1) C'est ce (lui ressort également de la notice de S. Jérôme qui ne iaan(iue pas de
signaler le titulus d'Absalom, qui usque hodie permanet m
dedecus et testimonium
parricidse. Anecd. Maredsol. III, in. ps. xv, p. 12.
(2) Cod. sign. n. 125. En tête du codex on lit cette note du x' siècle : Hic est liber

sancli Pétri Carnotensis cenolni, fratres caritatlve de suis caritatibus emerunt


quem
a quodam Longobardo monacho. Analecta BoUandiana, VIII. 1889, pp. 123 s.
(3) Le texte porte Consulibus et Flavi^i et Sergii atque Netriniani, gloriosissitno

procurante Romanorum provincUtm Constnntino Augusto. L'erreur Constantino pour


Constantio est facilement explicable et se présente fréquemment sous la plume des co-
pistes. Flavix, qui est inutile, provient d'un Flavio, probablement accolé à Sergio. Le
nom de Nig7-inia7ius est estropié par notre docuineht. Le Chronicon Pnschalc, P. G., 92.
729, place sous ce consulat l'apparition de la croix entre le mont des Oliviers et le Gol-
486 REVUE BIBLIQUE.

cité il arriva un événement aussi admirable que surprenant. Entre le


de Jérusalem,
saintmont des Oliviers et le pinacle du Temple se trouvait une grotte fort spacieuse
dans laquelle un homme vénérable très pieux et très doux, nommé Epiphane. répan-
dait jour et nuit des prières devant Dieu pour la rémission de ses péchés. Sans cesse
enfermé dans la grotte, il jeûnait et demandait à Dieu d'avoir pitié de lui et d'accor-
der la tranquillité au reste de son existence. Or, un jour, étant pris de sommeil, il

vit le saint de Dieu, Jacques, debout, qui lui adressait ces paroles : « Courage. I-lpi-

phane, et sois rassuré, car tu as trouvé grâce devant Dieu et tes péchés te sont remis.
Mais lève-toi, entre dans la ville et présente-toi en personne à l'évêque de la cité.

Tu lui diras de venir creuser ici et y a si longtemps que nous


de nous enlever; il

sommes cachés sous terre et livrés à l'oubh, depuis que nous avons comparu devant
le prince des prêtres Afin que tu saches à qui tu as affaire, je suis Jacques, frère
!

du Seigneur; les autres qui sont avec moi sont le prêtre Siméon et Zacharie. »
Tandis que le saint parlait, Epiphane s'assoupit, se demandant quelle était cette
vision. « C'est une révélation redoutable, pensait-il, qui m'arrive cette nuit et je ne
sais trop comment la prendre. Le démon doit me tenter pour que je sorte de ma

cellule et que je perde ainsi ma récompense. » Ces réflexions le tourmentaient très


amèrement : « Ce fantôme n'est peut-être qu'une illusion séductrice. Depuis tant
d'années qu'un pécheur tel que moi habite cette caverne, le saint de Dieu, Jacques,
ne m'est jamais apparu, et maintenant, comment cela s'est fait, je l'ignore. » Ceci dit, il

se tint coi montrer ce qu'il en était au juste de


dans sa cellule priant Dieu de lui

cette révélation. La nuit venue, Epiphane s'étant endormi, voici que S. Jacques lui
apparut de nouveau « Epiphane, lui disait-il, je te le dis et te le répète, lève-toi,
:

entre dans la ville et engage l'évêque de la cité, comme je te l'ai déjà dit, à venir
creuser ici pour nous enlever de cet endroit. C'est pour la seconde fois. Ne te laisse

pas aller au doute ni à l'idée que ce sont là imaginations ou illusions des démons.
Ce que je dis, c'est la vérité dont je fus le héraut. » Telles furent les paroles du
saint, et, en Epiphane se disait en lui-même « En vérité il y a
se levant, le matin, :

là non une illusion de l'imagination, mais une vision de Dieu, et S. Jacques m'est

bien apparu. Je vais aller tout de suite chez l'évêque pour lui transmettre toutes les
injonctions du saint de Dieu. »
Sur ces réflexions, il sortit de sa cellule et s'introduisant auprès de l'évêque Cyrille,
il lui fit part des ordres du saint de Dieu. Au récit de ce vieillard qui lui était incon-
nu et à la vue de son accoutreiïient composé d'un sac et d'un très vieux manteau,
l'évêque crut avoir affaire à un imposteur qui venait lui conter de fausses visions en
vue d'extorquer une aumône. Aussi lui répondit-il en lui glissant quelque argent :

« Nous n'avons jamais entendu dire que Jacques ait été enseveli en cet endroit ri j;

je ne pas ce que tu me chantes, c'est pour avoir une occasion de sortir de ta


sais

celluleque tu inventes de pareilles histoires. » Sur ces mots, il congédia le vieillard


qui regagna sa retraite en versant des larmes amères, navré de la réponse épiscopale.
Mais S. Jacques, lui apparaissant de nouveau pendant son sommeil, lui dit « Epiphane, :

je connais les dispositions de l'évêque qui n'a pas cru à ta parole. Lève-toi donc, et
va à Eleuthéropolis, tu y trouveras quelqu'un que j'aurai averti (2), Paul, le pre-

golha au sujet de Iat[uelle S. Cyrille écrivit à Constance {(«(àttov) Ltpyio-j xal Kiypiviavoû,
:

KwvoTavxio; AûyojTToi; (aôvo; PatriXeOtov zt>.. L'invention de S. Jacques se met donc en


351, première année du pontificat de S. Cyrille.
(1) Dans le texte Neqiie audivimus Jacobum hic sepultum alkiibi.
:

(2) Texte : etibide me invenies docente ad Paulum. Peut-être faut-il lire : et ibidem
inverties me ducente ?...
MÉLANGES. 487

mier notable de la cité. Fais-lui part de toutes les recommandations que je t'ai déjà
faites. » A son lever, Épiphane prit son bâton et descendit à Éleuthéropolis. Durant

son sommeil, Paul, le premier notable de la ville, avait eu une apparition de S. Jacques
qui lui avait dit : « Celui que je te montre venant à toi, reçois-le dans ta maison, et
tout ce qu'il te dira exécute-le an plus tôt et sans traîner. » et il lui avait montré en
songe Epiphane comme en plein jour. Paul, à son réveil, raconta tout à sa femme
qui rendit grcàces à Dieu, et, le matin venu, donna l'ordre à ses serviteurs de recevoir

le moine qu'ils verraient se diriger ici, sans avoir à l'annoncer. Les sernteurs furent
fidèles à la consigne. Voici qu'Épiphane arrivait, sous la conduite du saint, jusqu'aux
aires de Paul (1). Aussitôt aperçu, ceux-ci l'accueillirent et l'introduisirent chez leur
maître qui s'écria en le voyant : « C'est celui que j'ai vu cette nuit! » Et Paul de
raconter sa vision à Epiphane. Et, de son côté. Epiphane de à Paul communiquer
les injonctionsdu saint. Paul, enchanté, entoura le moine de toutes sortes d'atten-
tions, et mandant le serviteur chargé de l'intendance de la maison, nommé Anastase,
il lui donna un vase d'argent de quarante livres « Va le vendre, dit-il; tu emploieras
:

la somme à fouiller (2} le lieu que t'indiquera ce vieillard et tu trouveras le corps des
saints. Fais-moi signe alors pour que j'aille les adorer, » et ce disant, il l'envoya avec
le vieillard.
Ils arrivèrent à Jérusalem. Dès qu'ils eurent atteint les abords de la grotte, Épi-

phane montra l'endroit à Anastase. Celui-ci, embauchant un bon nombre d'ouvriers,


y pratiqua des fouilles jusqu'à ce qu'il eut découvert les corps, qui s'y trouvaient

déposés, des saints Jacques, Zacharie et Siméon. Il alla annoncer le fait à l'évêque
de la cité. L'évêque descendit avec joie, enleva les corps des saints le premier décembre
et les ayant enfermés dans un coffre il les déposa dans le lieu qui est appelé mont
Sion. Aussitôt du tonnerre, des éclairs et de violentes averses, de sorte que tout
il fit

le monde glorifiait Dieu de ce qui s'était passé. Sans retard Paul fut avertie Éleuthé-

ropolis. Étant monté, il bâtit une maison près de la grotte où les saints avaient reposé
jusque-là. Une fois la maison achevée 1^3), il déposa les corps des saints là même sous
l'autel, le 2.5 mai, pour la gloire de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit qui vit et règne
maintenant et toujours et dans les siècles infinis des siècles. Amen.

Quels que soient le degré de créance que l'on accorde à ce docu-


ment et l'idée que Ton se fasse de la psychologie des personnages mis
en scène, on est amené à reconnaître dans ce récit, que l'on serait
tenté d'écarter s'il était complètement isolé, un résidu historique qui
a sa place marquée dans les sources de l'hagiographie hiérosolymi-
taine. Compte rendu sous une forme conventionnelle d'un événement
récent ou composition littéraire destinée à justifier une situation de
fait, le récit nous apprend que l'un des moines installés dans une des

grottes funéraires de la rampe orientale du Cédron y a trouvé trois

1 ! Nous pensons que usque adreas Pauli est une mauvaise lecture de usque ad areas
Pau IL
.2) Nous avons corrigé l'inconipréhensible venumda et pretio eodem loco quod... en
venumda et pretio fode locum.
;'3) Cette maison « domas » ne peut être qu'un oratoire, O'xo; sO/.Tr.p'.o;. comme lin-
dique la présence de l'autel.
488 REVUE BIBLIQUE.

squelettes que l'on a pris et présentés comme les restes de Jacques,


frère du Seigneur, des prêtres Zacharie et Siméon. Grâce à la généro-
sité d'un notable d'Éleuthéropolis, nommé Paul, une chapelle fut
bâtie à proximité de la grotte où s'était effectuée la découverte. Le
1" décembre 351, Cyrille, évêque de Jérusalem, dépose ces reliques
dans l'église de la Sainte-Sion, où elles sont laissées jusqu'à l'achève-
ment des travaux. On les transfère ilnalement, le 25 mai 352, dans
le sanctuaire élevé par le noble Paul où elles deviennent l'objet de

la vénération de l'église de Jérusalem et des pèlerins.


Avant de poursuivre l'histoire du culte de S. Jacques le Mineur
dans la vallée de Josaphat, nous devons au lecteur quelques éclair-
cissements sur les deux personnages dont l'apôtre est censé partager
la sépulture, Zacharie et Siméon. D'après une tradition chrétienne
déjà enregistrée par Origène, le prêtre Zacharie, père de S. Jean-
Baptiste, aurait été tué par les Juifs entre le temple et l'autel pour
avoir introduit Marie dans le lieu réservé aux vierges consacrées au
service de Dieu et soutenu la conservation de sa virginité malgré son
enfantement (1). Origène dit qu'il aurait été égorgé par le glaive,
mais Hippolyte de Thèbes raconte le meurtre d'une autre façon. Un
an après le baptême de Jésus, Zacharie fut lapidé, pendant que,
suivant l'usage, il remplissait les fonctions sacerdotales. Achevé d un
coup reçu à la tempe, il fut ensuite trainé sur le parvis et précipité
dans la vallée de Josaphat (2). Ce Zacharie avait pour père Barachie
et pour frère Aggée, grand-père maternel de Jacques, frère du Sei-
gneur (3). A l'origine de cette légende que le Protévangile de Jacques
présente sous une forme difïérente se trouve un « Apocryphe de
Zacharie » qui peut remonter au ii'' siècle, mais que l'on ne possède
plus (4). S. Jérôme connaît ces rêveries d'apocryphes et les méprise
avec la même facilité qu'on met à les avancer (5. Ces combinaisons
ne sont guère qu'une transposition chrétienne de l'épisode de Zacharie
fils du prêtre Joïada, que les Juifs lapidèrent, sur l'ordre de Joas,

(1) Cf. J. Chapman, Zacharias, slain between the Temple and the Allnr. The Journal

of theological studies, XIII, p. 398. Grégoire de Nysse se fait l'écho de cette même tradi-
tion, Cramer, Catenx Gncc. pair, in Luc, xi, 50.
(2) Edit. DiERAMP, II, p. 2, : ev Toi yàp lepareÛEiv aÙTÔv xarà xh s'xo; XiÔo&oArjCravTe; aOtov
xat xpoTaçîcravTEç àTTÉXTSivxv, xat (yjpavTe; £xpÉ|j.vYi(Tav aùxôv sic Tr,v xotXâôa toû 'IwaaçaT.
(3) Toujours daprès la source de la Chronique d'Hippolyte de Thèbes, op. /., p. 7 s.

4) Ch. Michel, Evangiles Apocryphes, I, pp. 47-49. Protév. de Jacques, XXIII s.

(5) In Mat., 1. IV, c. xxiii, 35, 36 Alii Zachariam patrem Joannis intelUgt volunt. ex
:

quibusdam apocryphorum somniis approbantes, qiiud propterea occisus sit quia Sal-
tiatoris prgedicarit advenHm. Hoc quia de Scripturis non habet auctoritatem, eadem
facilitate contemnitur, qua probatnr.
MÉLANGES. 489

dans de la maison du Seigneur (Il Chron. xxiv, 21), et dont


le parvis
la mort fut suivie d'un gros échec pour le royaume de Juda. Ce
meurtre en un tel lieu frappa longtemps les imaginations. L'apos-
trophe de Jésus aux Pharisiens (1) contribua à en perpétuer la
mémoire dans le monde chrétien. Le sang de Zacharie répandu entre
le Temple et l'Autel, les fidèles croyaient en retrouver les traces sur
du sanctuaire longtemps après sa ruine. Il est vrai que
l'esplanade
beaucoup pensaient au père du Précurseur, mais enfin c'était « le
sang de Zacharie » dont le Sauveur avait parlé et cela suffisait.
L'auteur de l'Apocryphe de Zacharie, TertuUien, le Pèlerin de Bor-
deaux, les guides que S. Jérôme qualihe de simpliciores fratres, tous
phénomène qui relève du folk-lore des
se sont faits les témoins de ce
pierres sanglantes, selon la remarque avisée du solitaire de Beth-
léem (2 Il importe aussi de noter que la mention du meurtre de
.

Zacharie dans les évangiles se trouve dans un contexte qui fait allu-
sion aux tombeaux que les Juifs du siècle hérodien élevaient aux
prophètes et aux ornements dont ils décoraient les mémoires des
justes. Parmi les monuments, expiatoires en quelque sorte, de la
vallée du Cédron sur lesquels l'enceinte sacrée projette son ombre au
déclin du jour, il pouvait s'en trouver un dédié à la victime de
Joas, dont les Juifs voulaient détourner la malédiction qu'ils sen-
taient toujours planer sur leurs têtes. A l'imprécation de Zacharie
mourant « Que Jahveh voie et fasse justice! » les Babbins donnaient
:

pour commentaire le massacre de plus de 80.000 prêtres et le sac


de Jérusalem par Nabuzardan. De même les premiers chrétiens
regardaient la prise de la ville par Titus comme le châtiment de la
lapidation de Jacques, frère du Seigneur. Les renseignements de la
Vie des prophètes attribuée à saint Épiphane ne sont pas d'une préci-
sion suffisante pour permettre une identification des mausolées
qui se dressent dans le voisinage du Temple. Zacharie, le prophète,
aurait été enseveli près d'Aggée, lequel avait sa sépulture à proximité
ou en face du tombeau des prêtres. Ce tombeau des prêtres, d'après

[i] Mt., xxiii, 35; Le, w, 51. et. l'excellent article de J. Chapman cité plus haut.
L'habitude de lire ou d'écrire Zacharie fils de Barachie
ic à propos du prophète a intro-
>>

duit u Barachie » au lieu de « Joïada dans le texte de Mt. Une confusion née d'une
formule stéréotypée se produit aussi chez de nombreux pèlerins à propos de Jacques fils
de Zébédée qu'ils appellent jiar habitude 'li/.tcSo; 'AcEX^ôecOî sans parler des Latins qui
ne sont pas indemnes d'une erreur analogue.
;2) lu Mat. 1. IV, c. xxm : Simpliciores fratres inter ruinas templi et attaris, sive in
portarum exitibus, qu;(^Siloam ducunt, rubra saxa monstrantes, Zachariœ sanguine
putant esse polluta. Non condcmnamus errorem. qui de odio Jndxorum, et fidei
pietate descendit. P. L., 26, 174. Cf. Jérusalem, t. II, p. K!, note 4.
490 REVUE BIBLIQUE.

la notice concernant Isaïe, se trouvait au nord du tombeau des rois,

sur la colline d'Ophel, semble-t-il. Quant à Zacharie, de Joiada, fils

que pseudo-Épiphane fait aussi père de S. Jean-Baptiste, on l'au-


le

rait enterré dans Tenceinte même du Temple, près du sanctuaire (1).


Le peu qu'il est permis de tirer de ces textes est que le souvenir de
la sépulture du prêtre Zacharie auquel les chrétiens d'Orient substi-
tuent, dès le II' siècle, le prêtre Zacharie, père du Précurseur, per-
sistait encore à l'époque constantinienne aux abords de la coUine du

sanctuaire juif, mais sans fixation précise.


On peut en dire autant du Siméon du récit de V Apparition. Sans
doute dans la pensée de l'auteur il s'agit du vieillard Siméon de
Luc II, 26 qui, d'après l'Apocryphe de Zacharie utilisé par le rédac-
teur du Protévangile, aurait succédé à Zacharie comme prêtre, et
que l'Évangile de Nicodème élève même à la dignité de grand
prêtre (2). Mais la mémoire de ce vieillard a bien pu se superposer à
celle de Simon fils d'Onias [Sim'ân ben-Yôhânan) dont Ben-Sirach
[Eccli., l) loue le sacerdoce fécond.
Nous nous trouvons en définitive en face d'un procédé historique qui
a consisté à revêtir des personnages de l'Évangile des préi*ogatives de
personnages appartenant à l'Ancien Testament surtout quand la simi-
litude des noms s'y prêtait. L'opération eu était d'autant plus facile
que ceux-là entraient comme leurs homonymes d'antan dans le cycle
des traditions du Temple. La similitude des noms entraînait l'identité
des fonctions, de la mort et du tombeau, l'n prêtre devenait grand
prêtre, et l'on trouvait diverses raisons pour le faire périr de mort
violente en conformité avec un événement très connu de l'époque
antérieure. Le même travail se trahit dans le portrait sacerdotal
qu'Hégésippe trace de Jacques le Juste et dans les généalogies ten-
dancieuses d'Hippolyte de Thèbes. Toutefois les traditions juives rela-
tives aux sépulcres des grands prêtres les plus fameux semblent s'être
perdues après Hadrien. La christianisation dont elles furent l'objet ne
les empêcha pas de se dissoudre en quelques souvenirs flottants au
hasard dans la vallée de Josaphat. Par suite de la disparition du cippe
qui en marquait l'emplacement, la mémoire de la sépulture de Jacques
subit le même sort. On sait seulement parles livres qu'elle se trouvait
I

(1) P. G.,43, 397. 412, 413, 418, 420, 426. Sur l'invention de Zacharie le prophète (qui
se double du prêtre) aux environs d'Éleuthéropolis, voir Sozomène, ix, 17. C'est la genèse
d'un sanctuaire fameux.
(2) Tisc.nE.\D0RF, Evangelia Apocnjplia, pp. 48, 389. La Vie des prophètes du pseudo-

Epiphane place sa sépulture près (du tombeau) des prêtres Iu;jlecôv 6 îspîO;. .. 'Azéôavs
:

ôsxa'i ÈTiçr, uXtitiov tcôv hpswv, nç,z(7o-i-r,;. P. G., 43, 413.


MELANGES. 491

aux abords du Temple. Ce sera le résultat de riiiventioii de notre


moine Épiphane d'arrêter sur un point qui demeurera fixe pendant
de longs siècles les tombeaux de Jacques, frère du Seigneur, des
prêtres Zacharie et Siméon devenus sous l'influence des productions
apocryphes, l'un, le Zacharie père de S. Jean-Baptiste, l'autre, le
Aieillard Siméon surnommé Théodochos, pour avoir tenu entre ses
bras le Christ de Dieu.

La fondation de Paul d'Éleuthéropolis une fois admise sur la foi du


document de Chartres, la réflexion de S. Jérôme dans le De Viris
inlustribiis composé en 392 se comprend aisément. La tradition litté-
raire lui interdit de recevoir la tradition locale déjà implantée de son
temps et dont l'origine n'est autre que le fait narré dans l'Apparition
à l'ermite Epiphane. La stèle ou fitiilus qu'il tient d'Hégésippe devait
se trouver sur la pente occidentale du Cédron, du côté du Temple.
Or ce que l'on montre actuellement comme le tombeau de S. Jacques
est situé au mont des Oliviers, par conséquent sur la rampe orientale
du Cédron. Il y a donc désaccord avec l'histoire primitive il y a donc :

erreur dans cette nouvelle localisation. Quelques-uns des nôtres «

(c'est une façon de désigner les moinesi ont pensé que Jacques était

enterré au mont des Oliviers, mais leur opinion est fausse 1]. » Par
le mont des Oliviers, S. Jérôme comme ses contemporains entend

non seulement le djebel et-Toiir, mais aussi le djebel bdten el-Haivà,


c'est-à-dire tout le massif que le Cédron ou la vallée de Josaphat
sépare de la chaîne de collines où s'étageaient tant les quartiers anciens
que les quartiers nouveaux de la ville de Jérusalem (2). Malgré
l'embarras de la construction syntactique. le texte de V Appari-
tion met les choses au point la grotte se trouvait entre le pinacle
:

du Temple que représente l'angle sud-est du Haram et le mont


des Oliviers proprement dit (3). Le proximité du Temple existait

[\) P. L., 23. 615 : u Quidam e nostris in monte Oliveti eum putaverunt conditum
sed falsa eonim opinio est.

[2] Cf. Onomaslicon (Klostermann), p. 119 Coelas, id est vatlis. Josafat inter Jéru-
:

salem etmontent Oliveti., p. 175 CMmarrus. id est torrens, Cédron... inter montera
:

Oliveti et Jérusalem. Nulle mention du mons Offensionis.


(3) Anal. Bolland,, VIII, ]>. 123 Prx média enim montis sancti Oliveti et pinnx
: <

templi spelunca antrum sistebat maxima in qua infra vir... Epiplianius nomine die
ac nocte preces ad Deum fundebat... » Prae medio pourrait être, à notre avis, la tra-
duction de àvà(X£(Tov. Quant à spelunca antrum sistebat maxima on le traduirait litté-
ralement un antre constituait une très grande caverne
>c en tenant compte de la désin-
>

volture du traducteur ou du copiste à l'endroit de la grammaire. Il est manifeste par le


contexte que leruiite occupait la grotte funéraire dans laquelle furent découverts les sar-
cophages, ou plutôt les trois ossuaires qui donm-rent lieu à cette tradition.
492 REVUE BIBLIQUE.

encore, mais comprise avec moins de rigueur que dans la tradition


littéraire.
Dans le domaine des reliques et des traditions, les siinpliciores fra-
tres ont toujours fini par avoir le dessus, étant donné leur nombre et
l'affinité de leur esprit avec les mœurs religieuses du peuple. Au lieu
d'entraver l'essor de leur imagination et la liberté de leurs inventions,
les protestations de l'histoire ne font guère que les exciter davantage.
De la chapelle de Paul, les rehques ne tardèrent pas à se répandre dans
la chrétienté byzantine et, comme d'habitude, Gonstantinople se tailla
la part du lion. Dès il5, des restes de Zacharie, père du Précurseur,
et de Joseph, fils de Jacob, furent apportées à la capitale de l'Orient
et déposées dans la Grande Église par le patriarche Atticus et Moïse,
évêque de Tortose fl). Mais sous Justin H (505-578) Gonstantinople
voulut avoir une réplique du sanctuaire hiérosolymitain de S. Jacques
le Mineur le surpassant sans doute en ampleur et en richesse. Près du
Tombeau de la Vierge à Chalcopratées, le basileus érigea l'église
Saint-Jacques où l'on conserva les reliques des saints hmocents, de
S, Siméon le Théodochos, de Zacharie et de Jacques, frère du Sei-
gneur. On y vénérait aussi les corps des saintes Myrophores et la
chevelure du Précurseur (-2). Le Protévangile et la chronique d'Hip-
polyte de Thèbes nous apprennent que tous ces personnages appar-
tiennent à la même parenté ou font partie de la Nous même histoire.
constatons également que le quartier de Chalcopratées uvait mis à
contribution spécialement les sanctuaires de la Vallée de Josaphat.
Les pèlerins du vi' siècle ne manquent pas de visiter celui de
S. Jacques. Après avoir mentionné sa mort à la pinna Templi, Théo-
dosius (530) rappelle que son corps fut déposé au mont des Oliviers.
« S. Jacques lui-même, ajoute-t-il, et S. Zacharie et S. Siméon sont
placés dans un même monument commémoratif, monument que
S.Jacques lui-même fabriqua et où après avoir déposé le corps des
deux autres, il ordonna qu'on l'ensevelit lui-même » (3). Cette memorui

(1) Clironicoa J'aschale, 298" Olympiade. P. G., 92, 787.


(2) G. CoDiNLS, De Aedificiis C. P., l'.G., 157, 594 ïôv àytov : 'lâ/woov tov 7:>r,T:ov

a-JTr,; 6 aOto; Jiao'O.cù; àvrjyEi^ev, èvôa î'.Ttv vi cyopoïç >.î!'l/ava twv âyiiov vr,-t(ov xai to-j x^io-j
X'jjiïwv To-j ôsoSo/ou, Toù 'Korj-:fr\-z''i-j Za/apîo-j x«t 'laxwêo-j tovj àSs/.soÔéo-j. La présence de la
chevelure de S. Jean-Baptiste porte à croire qu'il s'agit ici de Zacharie. père de ce dernier
etnon du prophète, erreur explicable chez Codinus.
Gever, Itin. Uieros., p. 142 Sanctus Jacobus, quem Dominus manu sua episco-
'3; :

pum oïdinavit post ascensum Domini de pinna templi prxcipitatus est et nihil et
nocuit, sed fullo eum de vecte, in quo res porlare consueverat (Cf. le texte Dorothée-
Hippolyte publié par Lagarde. Const. ap. 283, Lipsius, II-, p. 248, note 3 nx-âl'x; tm :

Eû>.to, (ic6' o'j koi'jxxZz Ta •.jxàxia) occidit et positus est in monte Oliveti. Ipse sanctus
Jacobus et sanctus Zacharias et sanctus Symeon in una memoria posi'i sunt, quatn
MELANGES. 493

avec sa triple sépulture connue aussi de Grég-oire de Tours (f 594) (1)


nous ramène naturellement ù l'invention des trois corps opérée par le
caloyer Épiphane et à la chapelle de Paul d'Éleuthéropolis.
Lors de la prise de Jérusalem par les Perses, les habitants éperdus
cherchèrent un refuge non seulement dans les basilicpies de la
ville mais encore dans les grottes, les citernes, les tombeaux de la
banlieue. Le vainqueur les y poursuivit et en tua un assez grand
nombre à la source de Siloé, au défilé de S. Jacques, et au défilé de
S. Cyriaque (2). Le sanctuaire du frère du Seigneur survécut à la
catastrophe, car nous le retrouvons en exercice dans la période sar-
rasine.
Parmi les couvents situés du coté de Siloé la liste d'Anastase d'Ar-
ménie place celui des Saharouniens appelé Karavank (couvent du
Rocher) sous le vocable du frère du Seigneur qui fut caché par la
roche (3). Il est assez probable que ce couvent soit identique à la
grotte du vieillard Épiphane, sans préjuger de l'appartenance réelle
aux Arméniens, du moins pour cette période. Il parait alors être tombé
plutôt aux mains des Géorgiens. En tout, cas, c'est le rituel géorgien
du viii'' siècle qui corrobore le plus solidement le récit de la fonda-
tion conservé par le document de Chartres, et cet accord est tout en
faveur de l'origine hiérosolymitaine de ce récit. Au 25 mai, nous
avons comme rubrique : « A F oratoire de Paula, (mémoire) de l'apôtre
Jacques, frère du Seigneur ». Sainte Paule, ni aucune autre Paula,
n'a rien à voir, comme on l'a cru, dans ce sanctuaire que S. Jérôme
répudiait. Ce nest d'ailleurs pas la seule erreur dans la transcription
des noms propres qui ait échappé au traducteur géorgien, ainsi que
nous l'avons noté dans un compte rendu précédent. Le texte grec
devait avoir ici : 'Ev rw sj/.TYjpuo lIaJA:j. à l'oratoire de Paul, à savoir
de Paul d'Éleuthéropolis. Qu'on se souvienne en effet que ce fut le
25 mai, après l'achèvement de sa chapelle, que Paul y déposa, sous
l'autel, les ossements de Jacques et de ses deux compagnons. L'office
de ce jour comportait la lecture du passage de l'épître aux Galates

memoriam ipse sanclus Jacobus fahricavil, corpora eorum ipse ibi recondidit et se
cum eis prxcipit poni.
ibi

{!) Miraculorum lib. I, c. 27, P. L., 71, 728 : de pinnatempli privcipitatus, alliditur,
effiisoque fullonis fuste cerebro, spiritum reddidit, sepultnsqiie est in monte Oliveti,
in inemoria, quant sibi ipse prius fabricaverat, ei in qua Zachaviam ac Simeonem
sepelierat.
i'2) Antiochos Stratégios, "A/wri; tt;; 'leoo-j'7y.'/r,'j. (éd. Calliste;, p. '»8 : iv tm g-tîvw toO
ày:'oj 'laxwêoj. Le texte arabe porte : u dans la maison de S. .lacques ». S. Cyriaque,
d'après le Commemoratoriinn, parait appartenir aussi à la vallée de Josapliat.
[3) Arcliices de l Orient Latin, II, B, p. 396.
494 REVUE BIBLIQUE.

OÙ voyage à Jérusalem et sa visite à Jacques,


saint Paul raconte son
frère du Seigneur, que la lecture de la péricope de Mat th.
ainsi
(xxiii, 34 ss.), à laquelle appartient la mention du sang de Zacharie

versé entre le Temple et F Autel. La même correction s'impose à la


rubrique du 1*' décembre. Au lieu de « A l'oratoire de Saida », :

nous lirons « A l'oratoire de Paul, (mémoire) de l'apôtre Jacques,


:

de Siméon et du jirêtre Zacharie. » Tout l'office est du 25 mai (1).


Or, en se reportant au document de Chartres, on remarquera que
c'est du 1" décembre que sont datés l'invention des trois saints et
leur transfert provisoire à la Sainte-Sion. Le martyrologe égyptien
arabe traduit par Gratia Simonius marque aussi au 1"' décembre la
translation des corps de Jacques, Siméon et Zacharie (2). Ces fêtes
étaient particulières à Jérusalem ; les autres églises faisaient mémoire
de ces saints à des dates différentes (3). Les moines latins qui vivaient
à Jérusalem célébraient le l"mai
de S. Jacques. C'est ce que
la fête

l'on peut inférer d'une Passio sancti Jacobi contenue dans un manus-
crit du x'' siècle de la bibliothèque de Chartres et dont la conclusion

rappelle que les gens ensevelirent avec beaucoup d'honneurs Jacques


près du Temple; en ce lieu sa sainte passion est célébrée jusqu'à
« et

ce jour (4) ». Il est vrai que cette réflexion, indépendante de la date


latine, peut s'appliquer aux fêtes signalées par le rituel géorgien.
De plus, la proximité du Temple n'est pas entendue avec la rigueur
des historiens. Au ix® siècle, un prêtre gardait encore le sanctuaire
de S. Jacques (5).
Le monastère de S. Jacques faisait partie de cette laure originale
où chaque reclus ou recluse s'était créé un nid dans les grottes

(1) Kekelidze, Jerousalimskii Kanonar, pp. 114, 144. Archim. Calliste, '\zyj'j'jt.\,\t.:-

Tixôv Kavovdtpiov, (Jérusalem, 1914), pp. «2-94, 119 s. Le 18 mai, il se fait encore mémoire
de l'apôtre Jacques, de Siméon et du prêtre Zacharie. Après avoir pris connaissance du
récit de VApparitioti, il nous est impossible de maintenir l'interprétation que, sous
l'influence des éditeurs, nous avions adoptée, RB., 1914, p. 460, n. 33.
(2) Acta SS., 1" mai, p. 28. Ce martyrologe doit dépendre d'une source palestinienne.
1'' mai proviendrait, d'aprcs Tili.emont, Mémoires... I, p. 380, de
(3) La fête latine du

la dédicace d'une église de Rome dédiée aux SS. Philippe et Jacques, apôtres. Le mar-
tyrologe hiéionymien [Anal. Bolland., II, p. 17) met la passion de S. Jacques, le 25 mars.
Les Orientaux en font généralement le 23 octobre, date provenant peut-être de la dédi-
cace de l'église de CP consacrée au frère du Seigneur. La fête du 28 décembre commémore
la consécration épiscopale de Jacques dont le trône, au temps d'Eusèbe, était conservé à

G., 117, 121, 429. P. 0., x, .36, 64, 69, 98, 109, 235, 257.
la Sainte-Sion. P.
Anal. Bolland., VIII, p. 137
(4) Populi autem cum omni honore sepelierunt eum
:

ibijuxta templum, credentes in Christum filium Dei vivi : in quo loco colilur sancta
passio ejus usque in hodiermim diem.
(5) Commémorât, de Casis Dei, Tobler-Molinier, p. 302 In valle Josaphat... in :

Sancto Leontio presbyter I, in Sancto Jacoko I... in Sancto Quiriaco 1...


MÉLANGES. 495

funéraires de l'antique nécropole de Jérusalem, La vie érémitique si

florissante dans
de Josaphat à l'époque byzantine reprit,
la vallée
au xii*" siècle, un nouvel essor grâce à la domination franque, après
avoir subi sous le règne des califes une forte diminution qui n'était
pas allée jusqu'à une complète suppression, car Mouqaddasi signale

encore, en 985, dans cette vallée, des jardins, des vignes, des églises,
des cellules d'anachorètes et des tombeaux (1), description qui reste
vraie dans ses grandes lignes. Seulement les ermitages ne sont plus
que des alvéoles vides et contre l'escarpement des grottes dites « des
Vierges » s'est accroché le village arabe de Selwàn ou Siloé. Au
vi*^ siècle, Théodosius était frappé de l'existence singulière ,de ces
moniales sur qui les portes du monastère s'étaient refermées pour
jamais et qui trouvaient leur sépulture à l'intérieur de cette clôture
éternelle, probablement dans quelque ancien hypogée dissimulé der-
rière une façade sommairement bâtie (2). Elles étaient une centaine,
selon une relation postérieure, et un stylite les dirigeait à travers une
lucarne (3). Les grottes « des Vierges » se peuplèrent, au xii" siècle,

d'anachorètes arméniens, jacobites et grecs (ceux-ci en moins grand


nombre), vivant sous la mouvance de l'abbé de Notre-Dame de Josa-
phat (4). C'est ce que le plan de Cambrai représente avec l'indication
de Vicus heremitarum à la suite de la « Main d'Absalom », qui est
dominée elle-même par l'église du Tombeau de la Vierge (5).
La « Main d'Absalom » n'avait pas échappé non plus à l'invasion
monastique. Phocas y vit, en 11Y7, un reclus ibère qui, suivant ses

(1)Glvle Stravge, Palesfine under the Moslems, p. 219.


(2)Gever, Itin. HierosoL, p. 143 A pinna templi subtus monasterium est de castas,
:

et quando aliqua earum de sxculo transierit, ibi intus in monasterio ipso deponitur.
et a quo illuc intraverint, usque dum vivunt, inde non exeunt... nam semper clausae
sutit...

(3) KoïKYLiDÈs et PiiocYLiDES, 'Ap/aîa... ôôoiTtoptxa, p. 433; Épiphane l'Hagiopolite :

Kai eU tôv a-JTÔv TÔTtov elcrlv ézatôv ËY/.XstiïTai xt),. Près de là est la tourelle, fjiâyyavov,
pierre contre laquelle fut tué Jacques Adelphothéos. Ce (jLâyyavov n'est autre que le Tom-
beau dit d'Absalom où plus tard Poggibonsi {Libro d'Oltramare, p. 162) placera le mar-
tyre de S. Jacques e gittarolo per lo muro del tempio, e si andù rotolone, infino al luogo
:

a Manus Assalonis.
(4) PhocaS ('Apj^aïa... ôoo'.tt., p. 451) : Kai ij-STà Ta-jia iaiX (jl£y*1 ô/6o;, ei; civ Tî-/vriTà
S'.ocsopa •ff^o'i'xc^. (7-iî/.ata, à Tâv TrapÔiviov TïpoffayopEÛovTai, £Î; à xaToixoùdiv ô/.t'yoi [jièv

dpôôSo^ot, tcXecove; 5è 'ApaÉvio-. xa't 'laxwêï-rai (x.ova-/o:'. Perdiccas [eod. op., p. 467), après
avoir parlé du lieu qui reçut le frère du Seigneur, mentionne encore au-dessus de Siloé
dix retraites abritant dis vierges : /a't ôÉxa çpovTi-rr^pia Tiapôî'vwv liapiôixwv. Theodorici
libellus, Sepulchntm vero Josaphat in vallis ipsius medio quadrato opère in
p. 7 :

modum pyramidis est erectum, circa quod habitacula servitorum Dei seu reclu-
sorum plurima insunt, qux omnia sub cura abbatis beatse Mariée constiluta sunt...
(5) ZDPV., XIV, pi. 4. La Citez... § 24 En Val de Josaflfas avoit herrnites et rendus :

assés tout contreval...


496 REVUE BIBLIQUE.

expressions, travaillait à son propre salut; mais il se garde de se


prononcer sur l'attribution de ce monument, unique en son genre 1 ).
Il le désigne d'après le surnom populaire en vogue chez les Ortho-

doxes du temps, par 6 Kzjy.cj[j.z:, le Coqiiemar. Les soldats du Déta-


chement français en Palestine ont trouvé mieux que cette assimilation
à une marmite de forme indéterminée en appelant ce tombeau « la
bouteille de Bénédictine ». Sépulcre d'Isaïe au iv^ siècle, Tour ou
Tombeau de Josaphat dans la suite, Tombeau d'Absalom* pour les
érudits du moyen âge et les guides des temps modernes, ce monu-
ment si connu est d'un grand secours pour la localisation précise du
sanctuaire de S. Jacques, frère du Seigneur.
Dans l'organisation du Haram es-Serîf opérée par le chapitre et
les chevaliers du Temple une large part fut faite aux souvenirs que

la première histoire chrétienne rattachait au sanctuaire des ,luifs.


A l'angle sud-est de l'enceinte on montrait la maison du juste
Siméon transformée en une église où, disait-on, le vieillard
reposait, et dont la crypte contenait le berceau de .Tésus. La jolie

coupole plantée à l'entrée orientale de la mosquée d'Omar, et que


les musulmans appellent le Dùme de la chaîne était dédiée à
S. .Jacques comme l'indiquait une double inscription latine rythmée.

On prétendait que de l'apùtre y avaient été transférés


les restes

de sa première sépulture de la vallée de Josaphat (2). L'annonce


de la naissance de S. Jean-Baptiste et le meurtre de Zacharie
avaient également retrouvé leur localisation. Ces tentatives toute-
fois, de réussir à effacer la mémoire des trois saints de la
loin
vallée du Cédron, n'aboutirent qu'à une de ces doubles localisa-
tions dont le xii" siècle nous otl're plus d'un exemple.
Tandis que se faisaient jour les traditions artificielles du Templum
Domini, la fondation de Paul d'Éleuthéropolis devenait l'objet

(1) 'Apyata... 66o(ic., p. 451. D'après Nàsir-i-Kliusrau (Le Strance, op. /.. p. 219), ce

monument son admiration, lors de son voyage en 1047, était appelé par les
qui excite
indigènes Maison de Pharaon, d'après une tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos
jours où les Arabes nomment encore Tantour FirûUma ce que les Juifs du moyen âge
regardaient déjà comme la Main d'Absalom. Be>jamin de Tldkle, Jeir. Quart. Review,
1904, p. 137.
(2) TiiÉODORic (Tobler), p. 42, 50. Jean de Wurtzbolrc (Tobleri, p. 124, décrit la coupole
comme oratoire de S. Jacques, sans faire allusion à la sépulture, parce qu'il reste fidèle à
la tradition byzantine, tandis que Théodoric, partisan de la localisation du Haram,
passe sous silence le souvenir de S. Jacques dans sa description de la vallée de Josaphat.
Anonyme VII (Tobler), p. 102. On considérait aussi cette chapelle comme le lieu du mar-
tyre. La Citez, g 13 : Devers solel levant, tenant al Moustier del Temple, a une Capele
de monsigneur saint Jake le Meneur. Pour ce est illuec celle capele k'il 1 fu martyriés,
quant li Juif le ieterent de deseure le Temple aval.
MÉLANGES. 49:

de réparations et d'embellissements, probablement sous Tinspira-


tion et la direction de l'abbaye de Notre-Dame de Josaphat. Suivant
l'opinion communément
rerue par l'église d'Occident, S. Jacques
est dit d'Alphéo. Une belle chapelle lui est consacrée près de
fils

la pyramide du roi Josaphat et quatre vers latins témoignent que


jadis il fut enseveli en cet endroit :

Vr§ent Alphxi naluin sine leije Judxl


Causa necis fit ei nomeii amorque Dei.
Alphœi nains de tomplo pra'cipilafus
Hue fuit al la tas et dévote lumuJctus (l).

Les partisans de la tradition byzantine ajoutent néanmoins que


le corps .de l'apùtre a été transporté à Constantinoplo, faisant
allusion sans doute à la translation effectuée sous Justin II, au
cours du vi*" siècle. Plusieurs joignent à la mention du frère du
Seigneur la mention de Siméon et de Zacharie, qu'ils distinguent

du père de S. Jean-Baptiste. Citons entre autres le Continuateur


de Guillaume de Tyr Prèz du Val de Josaplias avoit une esglyse
: <.<

où sainz Zachariez li prophètes et sainz Symeon li Vielz et sainz


Jaques li evesques furent enseveli (*2 . »

La reprise de possession du Haram par les musulmans en 1187


ne pouvait qu'être favorable au maintien de la tradition du Cédron,
alors même que la laure se vidait de ses habitants. Ce sont les siècles
postérieurs aux Croisades qui fournissent les détails les plus abon-
dants sur la situation exacte
de S. Jacques. De du sanctuaire
l'arche qui enjambe le lit du toirent près du Tombeau d'Absalom,
le pèlerin du xiv siècle gravit une montée d'une centaine de pas et

trouve un certain nombre de cellules où des hommes firent péni-


tence. Ces casa)7irnfi supposent donc des liabitations adossées au
rocher dont l'escarpe termine par une brusque verticale le pied du
mont des Oliviers à partir du Tantour Firà oun. Des cavités régu-
lières dans lesquelles étaient engagées les poutrelles de la charpente
sont d'ailleurs encore visibles. A deux pas à droite des constructions,
notre pèlerin apercevait un monolithe à couronnement pyramidal

(Ij J. de WïiitTZBOi ri:., p. 167. AnoiNvmi; H, (Tlieodorici libel.). p. 12j : Infra vallem
Josaphat sunt aqu.r Siloe. Ibi etiam, ubi reclusi habitant, est capella in honore sancti
Jacobi.Hig. Dami-i. Khitrowo), p. 2'i. De situ... (De Vogiié, Les Églises de T. S.,
i

p. In valle .Josaphat tradunt sepultum fuisse beatnm Jacobum, et inde transla-


427 :

tum Constantinapolim. Cf. Riant., E ruvix sacrœ constantinop., II, p. 211-217, 224.
(2) Micfii;i.ANT-RvY.v\rD, Itinér. français,p. 1G9. Anonymc VH, p, 104 Juxta qnem :

locum est sepulchrmn Josaphat rerjis, per qu»m dieihir rallis Josaphat. Et ibi est
ecclesia, ubi Jacobus et sanctus Siineon scnex et Zacharias fuerunt sepulli.
REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 32

I
498 REVUE BIBLIQUE.

qui passait pour le tombeau de saint Jacques ou, plus générale-


ment, pour celui de Zactiarie, fils de Barachie, entendons le prêtre
tué entre le Temple et l'Autel. Le monument était enserré dans
une église à deux plans superposés, mais déjà bien elTondrée. On
distinguait cependant encore parmi les ruines de la chapelle infé-
rieure une conque absidale en forme de four (1). Le monolithe
avait donc été encadré de murailles qui achevaient la clôture
ébauchée par les parois rocheuses entre lesquelles il se dresse
encore. L'édifice s'avançait vers la vallée pour dégager autant que
possible le monument qui représente à notre avis la memoria du
vi° siècle où avaient été déposés les corps de Jacques, Siméon et
Zacharie. Ârculfe apporte un appui à cette déduction, en dépit
des lacunes de sa mémoire ou de l'incompréhension de son* auditeur,
Adamnanus. A la suite de la tour de Josaphat, l'évèque gaulois a
remarqué une maison de pierre, isolée du mont des Oliviers où l'on
montrait deux sépulcres taillés dans le roc, l'un du vieillard
Siméon, l'autre de Joseph le Juste, époux de Marie (2). Jacques le
Juste serait plus en conformité avec l'ensemble des témoignages
contemporains, bien qu'il demeure possible qu'on ait retrouvé un
Joseph dans les caveaux voisins. Au-dessus s'élevait un étage recou-
vrant le monolithe auquel on réserve aujourd'hui le titre de tom-
beau de Zacharie, lui procurant cet état de conservation et ces
teintes jeunes que nous lui connaissons. Sans pousser plus loin
l'agencement de ce sanctuaire que ne le permettent la documentation
qui nous est accessible et la destruction radicale de ces bâtisses, il est

aisé de retrouver dans ces ruines les derniers vestiges de la fonda-


tion de Paul d'Eleuthéropolis.
De on avait accès à une habitation toute taillée dans
cette église
le que l'on appelait la maison des apôtres Philippe et Jacques
roc
ou mieux la retraite où, d'après une anecdote de l'évangile selon
les Hébreux divulguée par saint Jérôme, Jacques s'était renfermé

quand il eut fait le vœu de ne rien boire ni manger avant d'avoir


vu Jésus ressuscité et où Jésus, lui apparaissant le jour de Pâques,
le bénit et l'exhorta à rompre un jeûne qui n'avait plus d'objet 3 .

(1) NiccoLO cla PoGGiBONsi, Lihro d'Oltramare, c. lxjli, p. 163 s. Jacôues de Vkhone.
ROL., III, p. 199 s. dont les descriptions sont confirmées par Jkan Poloner (Tobler),
p. 237. Louis de Rocuecholakï, ROL., I, p. 240 s. 'Ap^oita... ôSotirop., p. 513, n" •".?.,

p. 540, n" 19. Greffin-Affacuit, Relation de T. s., p. lo8 s.

(2) Geyer, Jtinera HierosoL, p. \>Ai.


(3) De Vins inluAt., II. P. L., 23, »ill. D'après le même évangile, Jacques était le jeune
homme au suaire de l'épisode de l'arrestation à Getlisémani (Me. xiv, 51, 52). En raison
MEf.ANGES. 499

Cette grotte est Télégant tombeau à façade dorique cju'une inscrip-


tion hébraïque gravée sur l'architrave attribue à la famille sacer-
dotale des Benê-Hézir. Parmi les noms que le marquis de Vogué
a relevés dans ce texte figure un Siméon, fils de Joseph (1). Qu'à
l'intérieur d'une chambre sépulcrale
inviolée on ait découvert au
IV® siècle une en ndri, portant gravés à la pointe
série d'ossuaires
des noms tels que Jacob, Siméon, Zacharie, Joseph, etc., c'est une
hypothèse plausible, car des trouvailles analogues ont encore lieu
au xx^ siècle (2). Que les ossements de Jacques, frère du Seigneur,
aient été secrètement transportés dans cette cachette aux jours
troublés d'Hadrien, c'est encore une supposition qui peut être émise.
Mais à s'égarer dans le champ des suppositions on quitte le domaine
de l'histoire. Ce que nous sommes plus à même d'affirmer est que
la grotte funéraire des Benê-Hézir, appelée couramment de nos
jours tombeau de S. Jacques, représente l'ermitage du vieil Épi-
phane, le héros du document de Chartres, et l'endroit où le diligent
Anastase opéra des fouilles couronnées de succès. La vénération
de la mémoire du premier évêque de Jérusalem ne s'éloignait pas
beaucoup du lieu de son martyre et du tertre sur lequel ses
ouailles avaient planté une humble stèle; passée d'un bord à
l'autre de la vallée de Josaphat, elle demeurait toujours en défi-
nitive à l'ombre de cet angle de l'enceinte sacrée dont l'appareil
formidable évoque dans notre esprit, après tant de siècles, la fameuse
pinna Templi.
Fr. iM. Abel, 0. P.

de ce fait,on imagina que sa maison était à proximité du jardin, ou, tout au moins, dans
la vallée du Cédron.
fl) Le Temple de Jérusalem, p. 4:>.
(2; Cf. RB., 1913, p. 262 ss.
B

îiOO KEVUE BIBLIQUE.

III

NOTE ADDITIONNELLE SUR LE MANLSCKIT PALIMPSESTE DE .10

IIIEROSOLYMITAXUS SANCTAE CRUCIS N. 36 (1)

que le 27 juin 1919, trop tard pour en


Je n'ai eu connaissance
tenir compte dans mon dernier article sur le palimpseste de Job

étudié à Jérusalem en 1912, 1918 et 1919. une publication parue en


Allemagne sur le même manuscrit dans le cours de 191.5 (2).

Le professeur Rahlfs, qui dirige la Septuaginta-Unternehmen de


l'université de Gôttingen, avait signalé à la fin de 1913 au Docteur
Martin Flashar, sur le point de visiter Jérusalem, l'intérêt qu'il y
aurait à poursuivre le déchili'rement du manuscrit dont j'avais com-
mencé la publication. Le D. Flashar ayant pu travailler à la Biblio-
thèque du Patriarcat grec du 9 au 24 février 1914, y vérifia d'abord
les leoons d'un palimpseste de l'Ecclésiastique, fonds du S. Sépulcre
n°2, déchiffré jadis par M. Rendel Harris {'3). Il s'essaya ensuite au
manuscrit de Job. Son impression fut que je m'étais arrêté dans ma
lecture de 1912, parce qu'ayant épuisé les pages lisibles. A grand
renfort de sulfure d'ammonium il réussit toutefois à déchiffrer quelque
chose, étant d'ailleurs novice dans la lecture des palimpsestes (4).

UB., 1912, p. 4S1-503 et 1919, p. 89-105. Ce manuscrit porte le n" 40(i dans la liste
(1)

dressée par Rahlfs A. Raulks, Verzeichnis der Griechischen Hamhcliriflen des Alten
:

Testaments, MitteUungen des Septuaginta-l nternehmen der hgl. Gesellschaft der


Wissenschaften s» Gôttingen, tome II, Berlin, 1914, p: 83.
(2) MitteUungen des
Septuaginta-L'nternehmens..., i, 1, Kleine MUtcilungen (tus dem
Septuaginta-Cnternehmen \oa X. Rahlfs. Berlin, 1915, tirage à part des .Vor/^-ù/i^f» roH
der hgl. Gesellschaft der }Vissenschaflen zu Goltingen. PJiilologische hlo.sse, 1915,
p. 404-434. /. Palimpseste-Fragmente des Sirach vnd Job aus Jérusalem nach
der
Entziffenmg von Martin Flashar, p. 388 [404]-404 [420] b) loh- fragmente, p. .^98 [414]-
.

404 [420].
(3) Biblical Fragments from Moimt Sinai, Londres, 1890, p. 11-14. Ce ms. de l'Ecclé-
siastique est désigné par Ralilfs sous le n" 929, tandis que le texte supérieur (Octateuque
et Prophètes en minuscule du ix.° siècle i est appelé • u - par Brooke et Mac Lean et 407
par Rahlfs.
(4) P. 389 [405 c( Bei diesen (die von Eug. ïisserant noch nicht gelesenen Blatter) aber
mehrlen sich die schon beim Sirach-Pallnipseste oft nicht geringen Schwierigkeiten in

einer Weise, dass die Lesung dieser Ilandschrift 'zu einer fast lloffnungslosen Arbeit

wïirde. Flashar selbst berichtet dariiber von der Schrlft war vielfach kaum eine Spur zu
sehen. Ich war infolgedessen last ausschliesslich darauf angewiesen mit Schwefelammo-
nium zu Aber auch das versagt an vielen Stellen, namlich wenn die jiingere
arbeiten.
Es ist ausserdem ein so zeitraubendes Verfahren, dass
Schrift genau iiber den alten liegt.
nian slundenlanc an einer einzigeaZeilen sitzt.' « Flashar expose aussi les difllcultés qu'il a
MliLANGES. -iOl

Martin Flasliar, (£ui servait au '-*.'


régiment de la Garde prussienne,
ayant été tué au cours d'une patrouille sur le front français à la fin
de 19U, le professeur Rahlfs, ne quid pereat, a pris le soin de publier
son déchiflrenient. Il s'est acquitté de cette tâche délicate aussi
parfaitement que possible, interprétant avec compétence les notes
imparfaites laissées par Flashar, sachant à l'occasion placer un point
d'interrogation en face des lectures ou des restitutions douteuses.
Flashar a déchiffré sept feuillets et demi, à savoir le recto du f. 167,
dont je n'avais eu le temps de lire que le verso, deux des feuillets

dont j'avais publié l'identification en 1912, 195 et 205, et cinq autres


feuillets, 3, t, 16V, 200 et 206. J'ai publié dans le dernier numéro
de la Revue quatre feuillets et demi des sept et demi lus par Flashar,
16i, 167% 195, 205, 206, et j'ai conservé sans les publier mes déchif-
frements des ff. 3, \ et 200, me réservant de vérifier sur l'original
quelques lectures dont je ne suis pas certain (1).
Les déchifïrements de Flashar n'étant pas toujours en concordance
avec les miens, il nie semble utile de publier de suite la présente
note, où j'examinerai successivement les deux groupes de feuillets;
j'aurai soin de distinguer les points qui me paraissent acquis et ceux
pour lesquels un recours à l'original est nécessaire.

i*') Feuillets publiés dans H. IL 1919, p. 9i-IOo.

F. 205'', 1. 8 -= Job, XIV, 10. Fl. note « Schwerlich stand am Scluss


der Zeile cj/.. auf keinem Falle ein t ». Ma copie ne présente aucune
hésitation sur la lecture de cjxe|t'..

F. 164, 1. 6 = XV, 19. Fl. v^oj-s-.? (2) avec la note < suv.e-.ç (B) steht
sicher nicht da; aber auch die Lesart 7j vc-rj^stç (A) schwerlich. Auf
das z folgt ein Buchstabe, der j oder : oder i sein kônnte. » Rahlfs
suggère jj v:;:-.;, leçon tolérable du ms. 254 de Holmes-Parsons, dont
l'accord avec notre palimpseste est assez fréquent. Ayant des doutes
en ce point sur une série de huit lettres, je ne saurais me prononcer.
L. 12 = XV, 11. Fl. lit Y;[^,aprr,y.3:ç sans aucun signe de doute. Je
n'ai proposé de lire r,î^.apTr,7a; qu'après un examen prolongé et après

éprouvées dans l'identiGcation de cinq nouveau v feuillels, n'ayant à la Bibliothèque du


Patriarcat grec qu'un premier volume très endommagé de la concordance des LXX de
Trommius. On s'étonnera qu'il n'ait pu trouver :i l'Institut allemand de Jérusalem la con-
ordance de Hatch et Reilpath. Il est surprenant aussi qu'il n'ait pas lu d'abord tous les
feuillets dont j'avais publié en 1912 l'identification.
(1) Cf. R. B., 1919, p. 93, post-scriptum en date du 1»; mars 1919.
(2) Dans les citations du texte publié par Rahlfs, les demi-crochets ^ j encadrent les
lettres dont la lecture n'est pas certaine, les crochets [ j
les passages que Fl. n'a pu lire.
1

502 REVUE BIBLIQUE.

considéraiion de l'autre leçon. J'ai d'ailleurs noté les cinq dernières


lettres comme peu claires.
de cette ligne
F. 167.La mise en place des lig-nes lues est erronée Ralilfs a noté :

deux lignes non lues en tête, à cause du stique précédent que le


scribe avait omis, mais qui a été ajouté en très petits caractères,
peut-être de première main, à l'angle inférieur droit du verso, sous
la forme, eav (sic) £fi5[cA'JY[;.svcç y.y.\ a/.a6apT0ç av/;s] ;nvo)v ac', v.totç ',73:

TTCTO)] (1). Plus bas, Rahlfs n'a noté qu'une ligne non lue avant -la

ligne 12 alors qu'il y en a deux, et s'étonne, n'ayant pas de place


pour loger la deuxième partie du v. 19, de voir les mots r, yt, occuper
seuls la ligne 10. La deuxième partie de xv, 17 est éditée A 0^5 ^zzx/.y.

iavx7£X(A)oi a:'.] il faut couper A It izzx/.y. avaY^s] ao) aou


:

L. 12-13. =: XV, 20. FI. a lu lia; = ,i'.;; a^sfiLiov svj'i spîvT'.si: je main-
tiensma lecture de sv ^povT'.oi à la 1. 13; aïs^wv de 1. 12 m'est resté
complètement indéchilïrable,
F. 200, 1. 3. = XV, 35. Fi. r;7^-z'. 'kr,[j/jz\~.y.'.: lire Xr/^ivTa-,, la place
ne permettant pas de restituer \j..

L. 8 = XV, 35. FI. co>,;v sans aucun signe de doute; j'ai la zsvcv.

qui est la leçon de A, et ma copie ne porte aucun signe d'hésitation.


Comme la leçon co"a:v est celle du texte de Swete, je suppose que Fl.

a écrit ce mot sous l'influence de la Bible imprimée qu'il avait sous


les yeux.
L. 10 = XVI. 1 . Fl. n'a pas noté l'initiale dans l'ziAa.'iwv

L, 12 := XVI, 2. Fl. annote « Von T.y:t-iz ist nichts zu sehen ». J'ai

distingué nettement les trois dernières lettres de ce mot, mais dans


une ligne qui suit 7.b(/.(.)v. L'édition de Rahlfs manpie k lignes non
lues entre oc, uvar et 2oX:v (= r.o^/ov)^ alors qu'il n'y on a que trois.
Fl. n'a pas lu zavTîc, parce qu'une ligne lui a échappé.
F. 206', 1. 3. = XVI, 4. Fl. note « Der Anfang ist sehr uusiclier ».

Ceci provient sans doute de ce qu'il n'a pas soupçonné la présence


d'une initiale et a cherché à retrouver les traces d'une lettre de
dimensions normales.
L. 10-11 = XVI, 6. Fl. Xs'."a£(.)v
I
:j zz'.70[j.y.'.. J'ai vu clairement sj

à la fin de la ligne 10, mais si distant du - de /.-.vyjt'.v, dernière lettre


lue avec une complète certitude, que j'ai proposé de lire -/eiaîo)/ :

F. 195'. Fl. a laissé un blanc au sommet de la page ce blanc est :

de quatre lignes dans l'édition avec un seul mot -xuxx à la fin de


1. k. Mais ce mot devrait être à la fin de la 1. 3. Fl. avait proposé de

(1) R.B., Wit', p. 96. j


MÉLANGES. o03

lire à la fin de la ligne précédente c:s s'.va-. /.a-.; Ralilfs a bien vu


qu'une même ligne ne pouvait contenir Or/, z-j-m: u-s/.^y.cavsv je
î'.vai v.x'.; en fait, les deux derniers mots sont au début de la ligne

suivante. De plus. Ralilfs n'ayant pas eu le manuscrit sous les yeux


ne pouvait imaginer que la formule VT.z'/.y.ôuvf zi gmzxz z 'j.v.iyxzz
XsYî', est contenue dans la première ii^e seule; ceci est possible es,

raison de Tétroitesse du petit caractère droit qui sert pour les


reprises entre les discours. Avant la ligne 12, une seule iigne est
laissée en blanc, il en faut deux qui contiennent la première partie
de XX, 4.

L. XX,
i = 2. FI. c-'jv'.c TS:; je maintiens ^jv'.svx'..

L. 6 ^= XX, 3. Fl. 5VTp:rY;ç tjcu. qui est la leçon de A; j'ai vu


quelque chose que j'ai interprété comme la ligature onciale de ;j,oj;

il faudrait recourir à l'original, comme pour le cas suivant.


L. 8. Fl. 7JVE7S0K 7:j leçon de A. .J'ai noté que les deux dernières
lettres de i-xi-.z-mz paraissent écrites au-dessus de la ligne et très
petites. Il est possible que Fl. grâce au réactif, ait vu clairement ces
deux dernières lettres et le pronom -:j.

F. 195, 1. 2 = XX. 5, FL, omet ett'.v devant y.r,Muv.y. et note « Auf


das a am Schluss scheint noch ein 7 zu folgen. »

L. 12-13 = XX. 8. Fl. £y.7:e|Ta70£v : j'ai coupé s/.-£Ta|70£v: un recours


à l'oriorinal
'O' serait nécessaire.

2" Feuillets dont ma transcription est inédite.

V . i. 1. i = XIV, 12. Fl. v/. Tcjj jTTvcj; à lire iz jzvij.

L. 7-8 = XIV, 13. Fl. r.y:j rr^ ,|tx',; j'ai transcrit -y:j\rr-.y.<. et n'ai aucun
indice d'hésitation sur ma copie.
L. 15 = XIV, \\. Fl. \r,z\j.v)iù\ stoç où Rahlfs annote « Flashar
setzt hinter eo); keine Punkte; raan soUte aber eigentlich erwarten,
dass die Zeile noch nicht mit ew; schloss. » J'ai lu Yzct^.svtoaa' èwç x»

F. i^', 1. 1-2. Deux lignes en blanc, j'ai lu : 7Evo);j.a'. |


Y.\-.y. v.y'/.tsuz

F. 3,1. 1-2, XV, 27. Au lieu de zE2'.7-cy.'.cv |


t-i, j'ai sur ma cc^pie

E7:'.-To;j.'.ov i\-'. avec annotation « à vérifier >>. Fl. lit ensuite to)v !ji.r,p wv
aj-cjj. J'ai annoté ma copie comme suit : il ne semble pas possible
que ce soit to)v ixr^pwv : on lirait plutôt -x. (la troisième lettre étant une
lettre étroite) ; après ;;, peut-être un e : une lettre étroite ou un a après

p. Comme j'ai lu assez distinctement les deux premières lettres de


o04 REVUE BIBLIQLE.

y.-j-zj. OÙ j'ai même noté un esprit, je considère twv ;rr,:o)v comme très
douteux jusqu'à nouvel examen, sans avoir d'ailleurs aucune leçon
en vue.
F. :r. l. 5 =z XV, 31. FI. KL5vaj j'ai Ka-vx. ;

L. 10-11 = XV, 33. FI. o)7-£p|''s;j.~sa;; ma copie porte ^o—tz 5;j.lça;.

F. 200% 1.1-2 = x\, 9. FI. OsOaAy.:.:...; lire : OsO//.;;.;: -xot-iXvlv, |

7.7.', cj ::pC70"r;7c'..

L. 3-i = XX, 9. Fl. Ky.'. zjv.i-'. -pz7-/:r,zi:\ xj-z-j z -zt.z: 3:'jt:v Ij/.ît». ;

j'ai, également sans marque d'hésitation : Ka-. su T.pz'fzr,7i'. x-j-.c/ : -r:]

-;ç xj-z-j. La divergence est telle qu'il faut recourir à l'original.


L. 5-6 = XX, 10. Fl. ïsuçujtcjr y.j-zj ; >.e 1
^a-.îav y;tt:vsç : ma copie
porte : Tcj; Oïsjç xjtcj hl^ziT/ |
r,-:T:v£;. leçon de .V qui me paraît

certaine.
L. 7-8 = XX, 10. Fl. note au sujet de la ligne 8 : - Am Anfang
scheint ein à zu stehen; das wïirde auf die Lesart •lir,'Kuzr,7ZJ7Vf (A) liin-
deuten; mehr ist nicht zu erkenneti. Rahlfs ajoute avec raison :

« Aber dann wûrde in Z. 7 um A-, zt yv.zi: -xj-z-j gestanden haben, und


das scheint mirza wenig. » J'ai lu A-, zï yv.zt: y.-j-.z-j •br^/.y.\zr,'::zj':v/ zrx/y;.

L. 13 = XX, 12. Fl. Eavj $yXj/,j;v9ï; ; lire EYAjy.avOY;.


F. 200, 1. 2-3 =z XX, 13. Fl. 7.a-.|,cj •/.: j'ai lu :r/. à la fin de la 1. 2,

et annoté : z surmonté d'un très gros esprit.


L. 12"= XX, 15 Fl. iv. •/.:-, A '.y.;: la leçon est certaine, jai noté un
esprit sur ï/..

L. 15 = XX, 10. Ligne en blanc annotée « Am Schluss von Z. lô

steht vielleicht Or//.xT£'.iv » :


j ai lu sanâ hésitation 0u;;.:: zi zpy.y.z'/-u)'/

Or,A3:7£'.£V.

de cette note pour ajouter quelques corrections et anno-


Je profite
tations à mon
article précédent, dont les épreuves ont été corrigées
dans d'assez mauvaises conditions au milieu des déplacements de la
démobilisation.
Plusieurs notes marginales, dont je n'avais pas saisi le sens et que
j'avais reproduites comme pouvant contenir des variantes hexaplaires,
doivent être rayées comme appartenant à la chaîne :

F. 19i,l. 13-15, marge gauche, scliolion de .lulien d'Halicarnasse :

s'y.acTOç
I
'{xp iauj-ro) àX/,' z'j\y. xkkm 'Cf,.

F. 201, 1. 10-12, marge droite, et f. 20r. 1. 4-5, marge gauche,


scholia de Polvchronius.
.MÉf.ANGES. 50:i

V. 20r, 1. »]-8, marge gauche, scholioû d'Olympiodore.


F. 213", 1. 1-2, marge droite, scholion d'Evagre -.cj-o : \iA-éz/ -cbr
Tvjç I
x-zp'.zy.i7:~Mq à-oçaivojy.e'vcjç /.-/.'. y.z-ray.C'.vcvTar.

L'examen du ms. Val. gr. 750 et de diverses amiotations hexa-


plaires relevées par M^' G, Mercati dans des manuscrits de l'Ambro-
sienne m'ont permis de contrôler d'autres notes marginales.
La note cj yap jj -x^r-r^-M 9:62V de xv, i est attribuée à Symmaque
dans Vat. gr. 7.50 et un ms. ambrosien.
La note suivante, qui se rapporte à la deuxième partie du même
verset, présente dans le relevé de M^"^ Mercati les variantes avaicr.v et
ivav-T'.cv au lieu de avesr.v, cvavT'.a du Colbertinus et de la chaîne de

Nicéphore Field; suivis par Vat. gr. 750.


Au V. 5, où j'ai restitué -;'/Mz-y.^/ on pourrait aussi bien restituer
7-o\j.x, qu'attestent certaines autorités.
Au f. 167, 1. 12-13, la note de la marge droite doit être ij.y.-\xKO'j\-:x<.,

leçon de Théodotion d'après Vat. gr. 7,jO. La note relative au même


verset, qui se trouve dans la marge gauche, présente la variante
dans Vat.gr. 7.50 et un ms. ambrosien.
•-/;jpoXi

An f. 213% 1, 5-6. marge droite, la note incomplètement lue doit


être sAEY-"'' -- Vat. gr. 750 om.i [j.i-y. -r,: v:77'.zr y.:j -rr,py.(jv.'f (Sym-
maque), rattachée dans Fi. au v. 18.
La note du f. 7, 1. l'i.-15, marge gauche, qui se trouve aussi dans
\'at. gr. 7.50, se rapporte à la dernière section du livre.

Eugène Tisser ant.


Rome, le 30 juin 1919.

IV

UNE ÉPÉE D'HONNEUR OFFERTE A CORBULON

M. J. E. Spaiïord, de la Colonie américaine à .Jérusalem, voudra bien


trouver ici d'une vive gratitude pour sa parfaite et
l'expression
sympathique obligeance en communiquant à la Revue ce remarquable
document. Suivant les indications quil a su adroitement recueillir,
le site de trouvaille serait quelque part dans la région de Damas:

<^r, malgré l'imprécision fatale du renseignement provisoire, on verra

I
5U(; KEVL'E BIBLIQUE.

qu'il y a lieu depour exact jusqu'à plus ample informé.


le tenir
Il s'agit dune superbe lame en
fer, plate, épaisse d'à peu près

quatre millimètres à la base, large en moyenne de neuf centimètres


et longue de 0™,61'i-, la soie d'emmanchement non comprise. Cette
soie, mince et courte, ne présente plus qu'une seule perforation;

l'irrégularité relative de la tranche à l'extrémité actuelle et l'indice


assez clair d'une autre perforation obliquement placée par rapport à
la première font probablement la preuve qu'il y avait, à l'origine, au
moins trois rivets, disposés en triangle régulier sur cette soie un peu
plus longue. L'accident qui l'a brisée, de très vieille date, Ta aussi
coudée sensiblement. Même ainsi reconstitué, cet emmanchement
demeure bien faible pour une lame aussi lourde. La pointe en est
aussi assez mousse; et, malgré l'oxydation, il est facile de constater,
grâce à un état de conservation ne laissant presque rien à désirer, que
le double tranchant ne fut jamais très eflilé. Pas assez pratique pour

une réelle arme de combat, cette lame est néanmoins une arme
évidente. Les spécialistes sauront tout de suite y discerner une dériva-
tion peu ti'ansformée de l'épée de La ïène et de llallstatt, dont les
prototypes en bronze sont fort archaïques en Europe (1 et qui se
perpétua fort tard, en Gaule surtout, malgré des inconvénients plus
nomljrcuxque ses avantages. On n'est d'ailleurs pas réduit aux seules
ressources de l'archéologie comparative pour dater cette pièce, puis-
qu'elle se présente sous une forme très bien connue dans l'armement
romain celle du parazo?iiu?n, avec les éléments d'une détermination
:

chronologique tout Si fait stricte. Si l'exécution un peu fruste, et plus


encore le style composite, d'abord étrange, des reliefs qui ornent le
plat de l'arme sur un côté sont de nature à piquer la curiosité plus
peut-être qu'à la satisfaire,la précision du texte va aussi loin qu'on

pouvait le rêver. Car un joli texte s'étale en deux longues lignes sur
le revers de notre lame. Il n'est que de prendre le temps de résoudre

sa lecture, un tant soit peu ardue, pour n'ignorer plus rien de


l'origine et de la nature de cette épéc.
La difficulté naît, en premier lieu, de l'oxydation, qui a notable-
ment empâté certains creux de ces lettres, détachées en relief sur un
fond légèrement ravalé. Çà et là un petit écrasement accidentel
atténue le champlevé. Enfin quelques ligatures passablement auda-
cieuses, des abréviations peu familières, deux lettres omises et l'inad-
vertance ou la célérité du graveur qui ne s'est pas fait faute de
nuancer curieusement les mêmes caractères compliquent à première

(1) Voir J.DÉciîEiETTE, Manuel d'arc-hèol. celtique..., II, ii, p. 723 ss. ; II, m. p. 1100 ss.
Am

'///,y

^.

L'ÉPÉi; IiE CORBLLON.


(Cliché de la Colonie anu-rlcaine et croquis direct du revers.)
308 REVUE BIBLIQUE.

vue le déchiffrement, sans jamais dérouter la lecture. Sauf bévue de


ma part, on lira donc :

I- — NEROCLAVDIVSCAESARAVG GEM/JC IMP PONT MX • • • •


TRIB-POT-XI-COS-IIII- IMPVIIII-PATP-
II. — GN DOMITIOGRBVLorJLEG AVG^PROPR T AVRELIO
• • • •

FVLVOLEG •
A/G •
LEG •
III • GAL •

Nero Claudiiis Caesar Augiustus) Ge\ r]manic{iis) Imp[€i'ator)^Pont-


[ifex] m\a\x{imus) , tribuiiicia potestate XI, cons[ul) Jllf, 'nnp{erator)
VIIII, pat{er p[atriae). — [C]n(eio) Domitio Corbuloni, Icgiato) Aug-
[iisti) pro priaetore) [et] Tiito') Aurelio Fulvo, lerpato Aug[tisti),
Leg{io) III Gal{lica).

Il n'y a pas la moindre trace de R dans Germanicus. —E et :M, l'un et Tautre fort
clairs, se suivent avec l'intervalle normal sans ombre de ligature. Dans le 4'' sigie, au
contraire, on croit bien discerner la fusion des trois lettres AM. — L'A. dans
maximus, est probablement aussi indiqué en lii:ature avec M. — On attendrait sur
XI la barre horizontale qui accompagne tous les autres chiffres. La répétition du
titre iinperator s'explique peut-être par le fait que le graveur l'ayant inséré plus ou

moins machinalement au début du protocole devait le faire reparaître pour préciser


le chiffre de la salutation impériale. —
Les variations que présentent les G et C dans
la première ligne autorisent à restituer un C au début de la seconde, malgré la
graphie aussi nette que possible. Le premier —
de Corbuloni est réduit à la valeur
d'un point assez minuscule, de façon à s'insérer dans les extrémités du C repliées
avec exagération; la physionomie du groupe est ainsi presque celle d'un grand O.
L' I final, fondu avec la haste de N, la dépasse peut-être un peu dans le haut, sans
qu'on l'ose affirmer. —
Les deux premières lettres de FV/"o sont tellement liées
qu'il faut chercher avec minutie les éléments de dissociation et, au bout du compte,

la conservation moins parfaite justement en ce point obligerait à laisser la lecture

en suspens si elle n'était facile à éclairer par ailleurs.

11 de rapppeler à personne que ce texte reproduit trait


n'est besoin
pour deux inscriptions du (^orpus provenant de Ziàta près de
trait
Kharpout, en Haute Arménie. A part l'omission de U dans Germaniciis
et de la barre sur le chiffre XI, on retrouve dans ces deux textes,
transcrits au Corpus: (1), toutes les particularités qui caractérisent
celui de l'épée; FVLVO seulement y est beaucoup plus net; pour le
du document nouveau fera éliminer les variantes que
reste, la clarté
l'éditeur enregistrait chez les divers copistes des deux anciens.
Ceux-ci étaient gravés sur deux bases monumentales, hautes de
1™,50, larges de 0"\95. Il était fort naturel de les mettre en relation

(1) CIL, 111, n" 6741 s.; .Suppl. !, p. 1232.


MÉLANGES. S09

avec quelque édifice destiné moins peut-être à protéger la frontière


romaine en «es lointains parages quà servir de trophée à la puissance
de l'Empire vainqueur dans cette formidable lutte contre les Parthes
qui avait eu l'Arménie pour théâtre principal et pour enjeu, pendant
plus de dix ans. Avec une non moindre précision, et non sans une
évocation autrement émouvante, l'épée est aussi un trophée de la
grande guerre d'Arménie. Les données du protocole impérial en fixent
la date entre le 10 décembre Ci et le 9 décembre 6'*, limites extrêmes
de la onzième puissance tribunice de Néron (1). Son quatrième
consulat et sa neuvième salutation impériale coïncident correctement
avec cette même période. Il n'est donc plus malaisé d'entrevoir à
quelle occasion cette épée fut offerte à l'héroïque légat Corbulon.
Tout le monde a en mémoire les récits, diversement détaillés mais
absolument concordants, que Tacite et Dion Gassius nous ont laissés
de cette guerre laborieuse et féconde en vicissitudes (2). Cneius
Domitius Corbulon y domine tout et fait grande figure d'homme de
guerre, d'homme politique et de parfait homme de bien (3). Après
avoir quelque temps compromis l'honneur des armes romaines en
divisant le commandement des troupes entre Corbulon et l'incapable
Caesennius Paetus, Néron, bien inspiré, le confie tout entier à l'expé-
rience et au loyalisme éprouvés de Corbulon. Les pouvoirs extraor-
dinaires dont il l'investit datent apparemment du printemps de 63;
ils n'allaient pas tarder à être justifiés par la plus valeureuse et adroite
conduite. Pour marcher avec une plus prudente circonspection, le
légat réorganise en hâte son armée. Peu confiant dans la quatrième
et la douzième légion, décimées par les combats antérieurs et compo-

sées de troupes que le souvenir des revers ne pouvait que rendre


médiocres, Corbulon les dépêche en Syrie, pour y remplacer dans
leurs cantonnements les légions sixième et troisième qu'il appelle
à lui. l'une et l'autre aux effectifs complets et particulièrement
entraînés campagne avec ces nouveaux contingents
(4). Il entre en
que son prestige enthousiasme. En peu de mois l'Arménie entière est
réduite à merci; la terreur du nom romain fait tout trembler et les
Parthes n'attendent même point d'être acculés à la détresse pour
implorer la paix. Dans une entrevue à Rhandéïa, au milieu d'un
cérémonial habilement réglé par le légat romain pour frapper l'ima-

(1) Sur ce compiit des puissances tribunices de Néron, voir Goyau, Chronologie de
l'empire romain, p. 119, et Gagnât, Cours d'épigr. latine, 3* éd., p. 183.

(2) Tacite, Annales, XIII-XV passiin; Dion Cas., lxii, 19 ss.

(3) Voir le portrait e>;quissé de lui par Dion Cassius (lxii. 19. éd. Boissevain, III, 57 s.).

(4) Tacite, Ann.. XV, 20. éd. Orelli, I, 281.


510 * REVl'E BIBLIQUE.

g-ination des Parthes, le jeune Tiridate, imprudemment créé roi


d'Arménie par son frère Vologèse deux ans plus tôt, renonce provi-
soirement à son titre et dépose son éphémère couronne sur un autel
que domine l'effigie impériale; il ne recouvrera son diadème et son
pouvoir que si l'empereur juge à propos de les lui rendre. L'empereur
est solennellement acclamé. La guerre d'Arménie s'achève en un
complet triomphe, dont toute la pompe sera discrètement réservée à
Néron vers qui le légat expédie Tiridate avec une suite considérable
et de nombreux otages (1).
On touchait tout au plus à l'automne de 63 ;
le succès avait donc
été aussi rapide que décisif. Les troupes, tières d'un chef qu'elles
aimaient, durent mêler ardemment sonnom aux acclamations
impériales dans l'ivresse du triomphe. Comme bien l'on pense, la
vaillante « légion in'' (rauloise »» lui devait savoir gré de l'avoir
spécialement choisie pour faire partie de la campagne, et de 1 avoir
conduite à la victoire en lui fournissant l'occasion do rudes pi-ouesses
et de formidables coups d'épée. Si, comme il nest point téméraire de
le penser, la légion, qui avait choisi pour emblème un taureau, devait
son surnom à la nationalité de ses effectifs, comment s'étonner de la
gratitude touchante de ces soldats gaulois pour les chefs qui les ont
fait participer à ce qui demeure pour eux la fête des fêtes : les aven-
tures et la bataille? Leur ovation reconnaissante s'adresse à leur chef
immédiat légionnaire Titus Aurelius Fulvo; mais elle paraît
: le légat

aller surtout au légat impérial Corbulon. Et ces soldats épris de leur


métier pouvaient-ils présenter à leurs chefs un symbole mieux appro-
prié, plus expressif aussi de leur dévoûment enthousiaste que cette
puissante épée de fer, ornée au mieux de ce qu'avaient su réaliser les
armuriers de la légion?
Il faudrait détailler maintenant l'aspect artistique de cette arme et
en commenter les reliefs. Je m'avoue pleinement incompétent pour
une tâche qui doit ressortir aux spécialistes. De brèves remarques
suffiront du reste à guider dans l'étude de l'excellente photographie.
Toutes ces représentations, exécutées en champlevè, d'un ciseau
rapide, sûr, mais un peu sec. ne sont guère que des silhouettes. Les
rares détails indiqués par le graveur sont aujourd'hui atténués à tel
point par l'oxydation qu'on ose à peine se donner l'assurance de les
discerner. Le premier sujet, vers la base de la lame, est un personnage
en pied, debout de face et vêtu à mi-corps. On ne distingue aucun
trait du visage encadré dans une opulente chevelure et coiffé d'une

(I) Dion ( a>., LXII, 23 — p. 61; Tacite, Ann., XV, 2S — p. 282.


MELANGES. oll

sorte de tinre. Le bras gauche levé semble tenir un objet indéter-


minable, tandis que le bras droit se replie sur la liampe d'une lance,
ou plutôt dim immense sceptre. On croirait assez volontiers recon-
naître un bouclier gigantesque dressé contre le personnage; et, dans
ce point de vue, on serait enclin à le considérer comme une figure
passablement conventionnelle de l'empereur haranguant les troupes
après la victoire, par analogie avec d'autres exemples plus clairs.

A rencontre de hypothèse spontanée viennent pourtant divers


cette
détails de la représentation, si sommaire qu'elle soif l'espèce de :

diadème fermé, le costume qui ressemble vraiment par trop peu à la


cuirasse et au manteau de l'empereur. Et ce qui a quelque peu l'allure
d'un bouclier ne serait-il point une manière d'appui, ou la systéma-
tisation de la montagne d'Arménie où vient de se dérouler la guerre?
L'n« figure divine emblématique ne serait évidemment pas hors de
situation; je la crois moins bien justifiée, au bout du compte, que
l'hypothèse de voir en ce personnage le prétendant au trône d'Armé-
nie, ce Tiridate qui fut l'occasion de la terrible guerre. Le jeune
souverain parthe aurait pu être ainsi figuré au moment le plus
solennel de l'entrevue à nhandéïa, quand il arrive au pied de l'autel
poiir sacrifier aux divinités de Rome, jurer loyale soumission à son
vainqueur et mettre sa couronne devant l'effigie impériale.
Le médaillon rond placé au-dessous est particulièrement oxydé. On
y attendrait un sujet tel que l'emblème de la légion, ou quelque génie
tutélaire, peut-être limage de l'empereur. Et tout ce qu'on peut
discerner s'adapte mal à de telles hypothèses. On a, sous certains
aspects, l'impression d'une tète couronnée ou casquée, ou d'un em-
blème divin qui pourrait représenter, aux pieds du monarque vaincu,
son dieu national impuissant à le secourir.

Le reste est beaucoup plus clair. Au regi.stre central un cavalier


parthe fuit en un galop effréné, poursuivi, à courte distance, pcu^ un
cavalier romain dont la taille exiguë est un contraste voulu avec la

massivité colossale de son destrier avec un contingent


du Parthe et :

minime de troupes montées mais d'une souplesse extrême et d'une


bravoure sans défaillances, Corbulon a mis en dt'route les masses
pourtant légendairement redoutai>les de la cavalerie parthe. Aux
si

trousses ducavalier ennemi, faisant pendant au cavalier romain, un


lionceau à gueule rugissante et à queue relevée s'acharne aussi à la
poursuite du fuyard; il a déjà quelque chose du lion héraldique
de la Perse moderne, mais on sait qu'il a de qui tenir parmi les
r lions de formes variées sur les bas-reliefs antiques en ces contrées
orientales.
312 REVUE BIBLIQL'E.

Et c est bien d'un bas-relief assyro-babylonien qu'on dirait copiée la


scène suivante deux fantassins parthes défilant les mains basses
:

pour symboliser rarmée rendant les armes aux généraux romains.


Faut-il reconnaître Corbulon et Fulvo dans les deux silhouettes de
haute allure qui reçoivent la soumission des vaincus? Les deux
antilopes effarées du registre inférieur concrétiseraient au mieux h»
marche foudroyante des Romains par la steppe déserte entre la Syrie
et l'Euphrate, et un fantassin parthe, fièrement campé à peu près de
face en un dernier panneau, indique par sa prestance et sa puissante
armure à quel ennemi formidable on avait dû se mesurer après la
traversée laborieuse du désert. Ciselée en quelque sorte sur le champ
de bataille, au lendemain de la victoire, l'épée que la légion gauloise
voulait présenter à ses chefs portait ainsi l'empreinte vibrante de tout
ce qui pouvait caractériser la campagne. Date, nature, caractère sont
donc admirablement précis et cohérents dans ce document archéolo-
gique précieux. On n'a même pas trop de difficulté à imaginer par
quelle voie il a pu nous arriver.
En vrai Romain des anciens jours, le légat Corbulon n'était pas
homme à s'éprendre des honneurs les plus légitimes et du faste d'un
bruyant triomphe. Satisfait d'avoir rempli avec fidélité et succès son
mandat, il parait avoir repris un rang effacé. L'épée honorifique ayant
été offerte au légat légionnaire Fulvo en même temps qu'à lui, on ^c
persuade aisément qu'il l'ait abandonnée à Fulvo; ou plutôt, n'était-il
d'un général avisé de laisser Tarme aux mains des légionnaires comme
un trophée de leur bravoure et de leur fidélité? Conservée jalousement
parmi les objets précieux de la légion, elle perpétuerait la mémoire
des périls affrontés eu commun et du triomphe qui avait uni un jour
Cncius Domilius Corbulon, Titus Aurelius Fulvo et la légion iii'^ Gau-
loise. Les troupes ayant été dispersées, la légion reprit sans doute ses
cantonnements en Syrie puisque, sous Othon, elle passe de là en
Mésie. Renvoyée de nouveau eu Syrie, après sa participation aux discor-
des civiles pour la succession impériale, elle subit des vicissitudes
assez mouvementées. Au iv' siècle, la Notifia DignitatiDU f 1) la montre
toujours fixée en cette province et campée à Danaba on Damascène.
Ainsi devient parfaitement naturel le site un peu vaguement allégué
comme provenance de l'épée honorifique. Déposée peut-être dans la
tombe de Fulvo, ou soustraite par un hasard quelconque à la légion
qui la conservait, elle parvient aujourd'hui jusqu'à nous, apportant

(1) Orient XXXII, 31^ éd. Sceçk, p. G7 s. L'histoire de la légion est résinnéo par M. Caijnat
dans son arlicle L'agio du Diction, des anliq. gr, et roiit., III, 108o.
MÉLANGES. • ol3

la confirmation précise des faits liistoriques narrés par Tacite et Dion


Cassiiis.

Et n'évoque-t-elle pas de façon particulièrement émouvante le

tragique épilogue de la guerre d'Arménie et de l'histoire de Corbulon?

Néron voyageait en Grèce durant l'année 67. Jaloux probablement de


la gloire militaire de son ancien légat et de l'estime universelle dont

il jouissait, le sinistre et impérial histrion le mande en hâte, avec les

pkis captieuses cajoleries. Corbulon, sans défiance, débarque au port


de Cenchrées, pour y trouver l'ordre de s'ôter la vie sans paraître
devant Néron. « Bien mérité »! s'écria-t-il, en se passant lui-même
son épée au travers du corps (1).

Jérusalem.

L. H. VmcENT, 0. P.

CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ DES VERSIONS COPTES DE LA BIBLE

[Suite]

PSAUMES

A
Collection Borgia

,Z. 99 CA ir, 2 (Ci. 2)

V, 4ab*
17 vir, 17b*, 18-i.\. Ub*
.xri, 4-6 »

XIV (complet) »

XV, llc-xvi, 7b, 8a* »

XVI. 11 -12a «

XVII, 18ab, 49ab


XX, 3-7b*. 8ab' »

XXI, 2, 8b-9, 17-21


XXII, l-3b. 4ab-. 5

(1) Dion, qui a raconté cette (in tragique (LXIlf, 17 —


p. 80 s), n'avait mis qu'une

Lmbre à son portrait si élogieux de Corbulon (LXII, 19) Sur un point seulement le héros
:

ivait déçu des espérances unanimes à savoir en conservant jusqu'au bout sa fidélité
:

loyale à Néron. -
UEVUE BIBLIQUE 1919. — N. S , T. XVI. 33
314 , REVUE BIBLIQUE.

Z. 18 XXVIII. 7-11 (fin) (Ci. 2;

Z. W C'A
Z. l.S

Z. 99 C'A
Z. 18
Z. 94
Z. 99 C'A

Z. 18

Z.
MÉLANGES. RIS

z.
.

516 REVUE BIBLIQUE.

Vienne

SER K. 1231-1238 en, lab*, 2-4b*, 5 0, 7*. 10b, (Wess. 5)


11-14. 15a*b. 16a*. 18b-,
19-22 (fin)
cm. r, 3-5a*, 5b-9a-, 12-lG,
17ab% 20b -25, 26ab%
27a*, 29-35a*
civ, l-8a*, 10b*, 11-17. 18*

20b-27, 30b-38. 39ab*.


40*, 41a*, 41b-45 (fini

cv, l-4a-, 5c -13a', 15-22,


23ab', 25 34, 35ab*, 38-
•43, 44ab*, 46b*, 47-48
(fin)

cvii, 1-4, 5ab*, 6a*, 6b-13b,


14*

cviii-CL\, 3a*
ex, lOo*
CXI-CXH
cxiii, 1-12, 13b, 14a, 134a, (i

15acb, 10-26 (fin)

cxiv, l-cxv,8,9a, 10a, 9b, 10b


cxix, l-6b*, 7 (fin)

cxx, l-5b*, 6*, T, 8-

cxxi, lab*, 2*, 4a*. 4b-6, 7*,

8a*b, 9* *

exxii, l-2a*, 2c*, 2d-4 (fin)


cxxni, 1, (2-8)'

cxxiv. l-2a*. 2b, 3'. 4ab- . .V

cxxv. la*

Freer

Freer Copt. MS 1 vi, 5a*, 8b' i Wor.


VII, Ib*. 2a*, 4b*, 5*, 7c*, 8*,

10bc*,lla*,13b,14*,15*
VIII, 3b*, 6b*, 7a*, 10*
IX, r, 4b*, 5*, 8*, 11b*,
12a*, 15*, 16*, 17a*, 19*,
20*, 22*, 23-, 2Da*b-c ,

26ab*c, 28a*b, 29*.


31b*, 32, 33-, 35bc*,
36*, 38ab*, 39*
X, 2ab*c*, 3a*, 4c*d*, 5. 6'.
7b*
XI, l-3a*, 4b, 5*, Oa*

XH. 4b*. 5, 6a *b*


MÉLANGES. 317

XIII. l-2a*,'.3b*cd*e*fk. 4ab*,


5a*, 6a*b, 7abc*
XIV, la'b, '2, 3*. 4abc*, ôab'
XV, la'b, 2, 3*, 4a*b*c*d, 5,

6a* , 7b. Sab*, 9abc'.


10b*, 11
XVI. la.V2a*,î2b-4b*. 5*, <>.

7a*bc*,8a*, 8b-10,ir,
12ab*, 13-, 14a*b-cdef.
15*

xvii. la', lb-2b*, 3a*b'. 3c-


6b%7a*,7b-8c%9a*,9b-
ilb*,12*, 13-15a*, 15b.
16a*b*. 16c-18b*, 18c',
19*, 20-21d*, •22ab',

23a'b, 24-25, 26-. -27-

28b', 29*. 30a*. 30b-


33b*, 34a*, 34b-36, :3S-

40b*, 41a*, 41b-43b-,


44a*. 44b-4G, 47*, 48-
50a* , 50b-51 (fin

XVIII, l-2b*, 3-6a*, 6b*, 6c -8a*,


8b-9, 10*, 11- 13b*,
14a*b*. 14C-15 (fin)
XIX, 1, 2b-5a*, 6a-, 6b-7, 8b-
10 (fin)

xx. l,3-5a-, 6-9a-. lOa*. 10b-


l'2a, 13-14 (fin)

XXI. 1. 2'. 3-5b*, 6b-8, 9*,

10-12, 13b-15, 16a'b',


16c-18b', 19a*. 20-231)*
24a*, 24b-25c*. 26a*.
26b-28b*, 29-300*. 31b*,
32 (fin)

xMi, l-3b*,3c-5a*,5b*,5c-6i;fin)
xxiii, r, •2-4b*, 4c -7c*. 8a*.
8b-10b*
XXIV, 1-3, 4', 5-7a*, 7b-10a*.
10b-13b*, 14-16b*. 17-

20b*. 21-22 (fin)


XXV, l--2a*, 2b-5b*, 6b*, 7-9.
10*, lia*, llb-12(fin)
xxvi, lab*. 24a*, 4b-5b*, 5c'.
6a', 6b-8c', 9b-llb',
12a*, 12b-14b'
xxvii, l-3a*, 3c-Db*, 6a*, Ob-
8b', 9a*, 9b (fin)

\ XXVIII, I-2b*. 3a', 3b-5, 6*, 7-


9b*. 10*, 11 (finj

*
518 REVUE BIBLIQUE.

xxi.x, l-2a-, 3-6a-, 6c-, 6d-9b%


lOa'b', lOc-12, 13*
xxx, I-Sd'. 4a% 4b-6, 7*. 8-9.

10-, ll-13a-, 13b-16b',


17a% 17b-20a', 20b-21,
22*. 23-24c% 25a-, 25b
(fin)

XXXI, l-2b-, 3b-5c*. 5d', (wb",


8-9, 10*, 11 (fin)
xxxii. l-2a*, 2b-5b*, 6a*, 6b-
9b*, 10-12b*, 13 16a*.
16b- 19b*. 20-22 (fin)
xxxm. la*, lb-4, 5*, 6-8b*. 9-
llb-,r2*,13-15b-, 16a-,
]6b-19a*, 19b-22b*, 23*
xxxiv. l-3b*. 4-6a*, 6b-8c*, 9a*,
9b-llb*, 12a*, 12b- 13,
14*, 15-17b*, 17c-19b*,
20*. 21-23, 24*, 25-
27a*, •27b*, 27c-28 (fin)
XXXV, l-2b*, 3*, 4-5, 6*, 7-8b*,
9a*,9b-llb*,l2*,13(fin)
XXXVI, 1, 2*, 3-5b', 6a\ 6b-8b*,
9-1 Ib-, 12a', 12b-14d*,
15*, 16*, 17-18b*, 19b-,

20-22a*,22b-25b-,25c*,
26-28C*, 28d-30, 3\\
32-34C*, 35*, 36-37.
38*. 39a*, 39b-40 (fin)
XXX vu, 1, 2*. 3-5b*, 6b*, 7-9b*.
10*, ll-13b*, 13c-15b-,
16*,17-19a*,20a*,20b-
21, 22-, 23 (fin)
xxxviu, l-2c*, 3a*, 3b-5b, 6b',
6c-7c*, 8a-,9',10-12b'.
12c-, 13a-,13b-14(fin)
xxxix, lab', 2a*, 2b-4b, .5a", 5b-
7a*, 7c*,8-10b', Uab",
lie- 13a*, 13b-c-, 13d
15b', 16b-, 17-18a
XL, la', lb-2,3-, 4', 5-7a', 7c-

10a*,lla',llb-12, 14a*
xLi, la*, lb-3b*, 4', 5-6a*,
6c',7-8b*, 9b',10,ir,
12 (fin)
xLii, r, 2a', 2bc, 3', 4, 5"

XLiii, la', lb-2, 4a', 4b-5, 6',


7*,8-9b',10b*,lla*,llb-
13b*,15*,16-17a*,l b*,
.

MELANGES. 519

19--20b',21b*,22a;22b-
24a-, 25b-, 26-27 (fini
XLiv, hib',2b'c* 3abc',Da',
.

5b-6a\ 0c',7b*,8abt\
10a'. lOb-lla-, ISa".
13b-14b-, 16b-, I7-18a'
•XLv, Ib-, 2-3a-, 4b-, 5-6a, 8b-,

9-lOa, 11b-, 12 (fini


-XLvi, 3b-, 4-5. 8b-10a*
XLvii, 2a-, 2b-3c*, 7b-, 8-9b-,
lia-. llb-12a*, UW
14c-15b-
XLviii. 3a-, 3b-4b-, 7a*, 7b-8a-.
llb-.llc-12a-.14-15a-,
16a-, 16b- 17b-. lOb".
20-21 a-
\Li\, Ib-, 2-3a, 5b-6b*, 8a, 9-
10a-, 12b*, 13- 14a-,
16b-. 16C-17, 20a-.
20b-21c-, 23b*
L, 4a-, 4b-5a, 7a*, 7b-8b".
9b-, lO-Ua*, 13b* 14',
17-, 18a-. 20b*, 2V
Li, 2b-, 3-4b*, 7c*. 8-9a-.
10b-. Uab-
Lii. 2c*, 3-4a*, 6'
LUI, 2b-. 3'

Berlin

Berl. MI P. 3259 i. (2-5)* (Rahlfs)


II, (2c -8a)*
III, (2-5)'

IV, \2c-4)', 5b-

V, (3-6a)*, (llb-13)-
VI, (3b-4a -, 4b-6b-, 7ab-c-.
(8-1 la)-
vil, (1-8)*. 11*. 12ab, 13a-.
13b-14b-. (15-18)-
VIII. r. 4b*, 5*. 6-7b*. 8-, 9",
10*

IX, r.2*, 3-, (6b-7)*, 8-9a-,


9b -10., il -14)-, 16b-,
17-.18a-,18b-I9a-,19b-
20a*,20b,(21-24a)*.26*,
27-28a*. 28b, 29*, 30*,
31a-,32-,33-,34a*,35d-,
36*, 37a*, 38-39 (fin)

\, r. 2-, 3-, 5b', 6*, 7a*,


7b (fin)
o20 REVUE BIBLIQUE.

XI. 1, 2% 3\ 4*, 5*, 7bV.


8% 9ab*
XII, 1, (2-6;'

xiii, Id*, 2", 3a'b-, 3cde,


3 (f-k)*, 4\ 5*, rxi*

XIV. r. 2a*b, 3-. 4*, 5abV


XV. 1*. 2*, 4b*c*d% 5a*b, 6*.

7ab% (8-11)*
XVI. 1-, 2% 3a*b. 4', 5, 7',

8*. 9a*b, 10*, 13b-.


14a*b*cd*, 15-
XVII. r,2*,3*, 5b*. 6a-,6b-7b-,
7cd*. 8a*bc'. i9-12;',

14a-, 14b-17b-, 18ab*,


19*, 20b-, 2Ib-c*d-,-
23*, 24-25b-. 26ab-,
27ab', (28-31)*. 33b*,
:34a*, 34b 35a-, 35b 37.
38*, 39ab*, 40a*,
44a*bc*, 45-47, 48ab*,
49ab*c-, 50a*
XVIII, 3a"b, 4*, 5-6c*, 7ab'c-,

,
8*. 9*. ir, 12a-b, 13'.

14*, 15-

MX. la, 2', 3*. 6*, 7ab'c, 8*,


9- 10b*

XX, 2*, 3*, 4a*, (3*. 7a 'b, {H-


lla,)*, (12- 14a)*
XXI, 2b*, 3", 4ab*. 5-<), (7-11)',

M-,15',16abc*,17ab*c',
(I8-22)*,24b'c',25-,2(>
27b*, (270-30)*
XXII, lab', 2ab*, 3. 4a*bc', 5',
6*

XXIII, 3*, 4', 5*. 0-7a*, 7b', 8',


9'

XXIV, Ib*, 2*, 3a*b, 4', 5ab'c*,^


6ab*, 7*,8*, 12*, 13ab*,'
14, 15*, 16ab', 17ab*,
19', 20*, 21*

XXV, 2", 3.*, 4ab*, 5ab', 6, (7-


11a)*
XXVI, la'b, (2-5a)*, 6c*, 7*, 8',

9abc*d*, 10*. ir.


12b'c*. 13', 14a
x.w II, 2', 3ab', 3c-4c', 4d', 5u'b,

6*, (7b-9a)*

xxviii, Ib'c*, 2', 3a'b, (3c-6)*, 8*


9*, 11b*
r

MÉLANGES. y21

.\.\i\. lab', 2-3b', 4ab", 5ab*,


•5ab-c-, llb% 12*, 13-

.\.\.\. 1. (Sh-U}\
2ab-, 3', 4a*,
ir, 17b-, 18ab-, 19,
20a-bcd, 21'
xxxi. (i-4a,.-, 5a-, 8*, 9', 10", 11
xxxii. r. 7a-, 7b-8a-, 8b-9a*
9bl0a*,10bc*,ir,12a-[
17b-, 18a-, 18b- 19a* ^
19b-20b*, 21-, 22*
XXXIII. lab*, 6b-7a-, 7b-8, 9',
10*, llab-, I7b-, 18a-,
(18b--23a)*
x.\xi\ . 4b*, Sa*, 5b-7a-, 7b-8a'.
8b*c,9ab*,14b-,15a'bc.
16a'b, 17*, 18-. 19a-,
25a*b, 26-,27a-b-.27c-
28b'
-xxxv, (6b-ll/
xxxvi, 3bc*, 4ab*, 5a. (5b-9a)'
(14-18)*. 24a*, 24b-25'
26*,27,28ab*. 33-,34-,
35a*b, 36*, 37-, 38a-
XXXVII. 3*, 4*, 5*, 6-7b*, 8*. 9a-.

13c-19ar, 23-
XXXVIII, lab', 2a-bc-, 3', 4ab\',
5-, (8b-13|-

XXXIX, 4bc-, 5', iy, 7a'bc'. 8",

i 12-15)
XL, la, lb-6 -, 12-, 13-, 14'

XLi, I, 2-, 3-, 6b-, 6c-7b-'


(7c- 11/
XLii, il-5a)-
xLiii. (2b-9)-, (12b-20)', 23-,
24a-b,25-,26a*,26b-27
(fin)

XLiv. r, 2-, 3', (5-12ai-. 14b',

15a*, 15b-16b-. 17', 18*


XLV, la', (lb-4r. Ob', 7*, 8a'b,
i9-12j-
XLVi. r, 2a-, 5a'b, 0-. 7', 8'.

9ab*. 10-
XLVii, la'b. 2', 3'. 4a'. 7-14
xLviii, 2b, 3-, 4-, 5-, 6a*, 6b-7b-,

^8-11)-, (13-20a)*
XLix. (1-7)*, (10-18)*, 22b-, •23'

L, r, 2*, 3*, 5*, 6-, (9b 12 '.


14-, 15a-, 19b-, 20, 21'

Li, a-5j*, (9b-ll)-


o22 REVUE BIBLIQUE.
LU. la'b. 2*, 3a'
LUI, (2-5;*
Liv, 4*, 5*. 6a". 15b*, 16'. 17a',
24*
LV, 1*, 9b*, 10"
LVi, 4b*c"^ 5'
Lvii, y*

Lvm, (3b-6)-, 12c-, IS*. 14*


Lix, 2-, 3*. 4*, :iec-14)-
Lx, 1*. 8*, 9*
Lxi, r, 7b*, 8*, 9*

Lxii, 3*, 4a*, 5*, 6*

LXiii, (2-5)*, 11b-

Lxiv, r, 2a*, (7-lOa)*


Lxv, lb-.2*,3-,4*, (10b-13a>*.
20-

Lxvi. r,2*
Lxvii. 1*. 2-, 3*, (9-1 Ij*. 17b*,
18*, 19*, 25b*, 26-29b-,

30ab*, 31*, a4ab-,


35ab*. 36abc'
Lxviii. (l-4a)-, «y, 7*. 8-9b*, (UV-
13)*, li3c-. 16, 17-.

18a*, 18b-19b*, 20",


21-, 23b*, 24a*, 24b-
26. 27*, 28ab-, 29'.

33b*, 34*.35a'b.36a-b-
c, 37a*b
Lxix. l-2a*. 2b-3b*, 6*
Lxx. l-3c', 4-. 5*, (8-12)*,
13ab-. 14a', 17b*, 18*,
19ab-, 20, 21*, 22*
Lxxi. Ibc", 2', 3*. 4. 5*, 6*, 7*,
8a*. llb*, 12a*b. 13.

14a'b.l5a*b*c,16a*bc*.
17*. 19b-, 20
Lxxii, 1, 2'. 3a-b. 4-. 5". 6*.
10-, ll-13a*, 13b, (14-
17)*, 22*, 23a*, 23b-
24, (25-28)*
Lxxiii. 2b*c-, 3a*. 3b4b*, (5-8a)*,
11-, 12ab*, 13a*b, (14-

18)*, 21-, •22ab*, 23*

Lxxn . I-2a*, 2b, 3", 7*, 8b-9b-.


10-, ir
Lxxv. 1*. 6a-, 6b-7b-, 8a*b, 9",
10'. IV
Lxxvi. 1*. 2*. 3ah-, 3c-5a-. 5b-
6a-,6b,7-, 8-,13-14b-,
MÉLANGES. 323

15a-b, 16a-b, 17', 21-


L.wvH. labc*, 2*, 3% 4ab*, 5*.

8b*c% Sd-lOb*, llab-,


12ab', 13-, 14*, (18b-
23)*. 28b*. 29-30b*, 31-

32, 3:r,34*.3sd•,3Se-
40a•, 40b-42, 43*, 44-,
49c*, 50a'bc*, 51ab*,
52 -53a*, 53b -54b*,
60a*b, or. 62ab*, 63*,
64ab', Oô', &y, r>7a*,
71b*c*, 72*
LX.Wiii, 1, 2*, 3*. Sb'c", 9ab'c*,
lOabc*, 11*
Lxxi.x, lb*,2ab*,2c-4b*,5ab*,6*,
7*, 11*, 12a, (12b-17a)*
Lxxx. l-4b*, 5-6b*, 6c*, 7a*,
10b*, llab'c, 12*, 13-
14a*, 14b, 15*, 16*
Lxxxi. 4a*, 4b-5a*, 5b-6b*,7*, 8*
Lxxxii. lab*. 2% 7*, 8*,9a*b, (10-

13r. 19*
Lxxxiii. l-2a. 3ab*. 4ab*c*. 5a*.
9b*, 10a*b, ir, 12-.
13*

Lxxxiv, r
Lxxxv. 9b*. 9c-10a*, lOb-llb*.
12ab*, 13*, 14*, 17b*c*
Lxxxvi, lab*, 2a*b, 3*, 4*. 5*

Lxxxvii, Ib*, 2-3a*, 3b-5a*, 5b, 6*,

7a*, 10c, (11-16)*


Lxxxviii. 2', 3a*, 3b-4, 5*, 6*, 7a*,
(llb-18a)*, 22a*, 23*,

24-26, 27a'b,(28-30a)*,
34*, 35*, 36a* b, 37ab*.
38*, 39*, 40*, 45*, 46-
47b*, 48*, 49*
Lxxxix, Ib*, 2ab', 3ab*, (4-6a)*,

lOcd*, ll-1.3a, 14u-h.


15*, 10a*

.\c, 2a*b, 3a*b,4abc*, (5-7a)',


12', 13a*, 13b-15a*,
lobe', 16'
.\ci. r, (7-12)*
xcii, la*bc*d', 2-3b', 4', 5*
xciii, 4b*, 5', 6a, (6b-Ila)',
15b', 16a*b, 17a, (17b-
21)'

xciv, 2b*, 3', 4a'b, (5-8b)"


524 KEVL'E BIBLIQLK.

xcv, r,2a'b,3ab\5'.''»*. lOc*.


11, 12*, 13-
xcvr, r,6b*,'?-8b,9b*a*,10ab'u-,
Ha*
xcvii, 3*, 4, (5-8a)*
xcviii, 4*, 5-6b*, 6c', 7*, 8a*

xcix, 3b*c*, 4ab*, 5a'b


c, lab', 2*, r, 8*

CI, r, 2*, 7b*, 8-%*, (10-


13a)*,18*,19,(20-24a}*,
28b*, 29a*b
cil. lab*.2*,3-,4*. 10-, lla*b,
12a*b, 13-, 14*. 15-,

20b*, 20c-22c*
cm, r. 2*. 7b', 8a, (8b-13)*,

18a*, 18b-19. (20-23)'.


28b*, 29a', 29b -30b*,
31', 32*

civ, (3-8a)*, 14b-. Ib', 16',

17a, (I7b-20a)*, (26-


31a)*, 37b*. (38-42a)*
cv, (3b-7)*, (14-18/, (24-29a)-
c.XLiv, 12b*, 13a*b, (14-17)*, 21c*
c.XLV. r, (2-6)', 9c*, 10*

cxLvi, la". lb-2b*, 3a*b. 4a'..V.


6a*. 10b', 11
cxLVii. la. (lb-5)*
- cxLViii. lb*c', 2-3b', 4ab*, 5'. 6'.
11b*. 12ab-. 13-, 14*
cxLix. 1*, 2*. 8'. 9
CL, lab', 2ab'. 3', 4*
(CLi), Id*. 2ab\ (3-7)*

<lolleclion!< diverses

SER 228 I, l-2a* Wess. 4)


SER KG 9910, 99<i7'' CG m, 1-4, 5a*, 5b-6b', 7a-, 7b-9 (Wess. 5)
(fin)

IV. l-3a
Golen V. 10a-. lob-lib-.llcd-. 12- (Leinm 3)
13a-, 13b
VI, l-3b*,4-6b- »

SER 2-22 M, r, 2*, 3'. 4ab'. ô-(îa',6b- (Wess. 4)

11 (fin)
SER KG 99-24 CG vi, 1', 10*. 11* (Wess. ô)
SER 222 VII, 1. 2', 3b*, 7abc*, Sa'b, (Wess. 4)
9a-bcM0a*bc*, ll-12a*,
12b-14a*,14b-17a-,17b',
18ab*
MÉLANGES.
BMC 367 vu, 2-7, 12-17 (PS)
Leide 43 vu. 7c-9a, 12a (PB)
SER KG9934+9*J47CG ix. 22b-, 23a-b. 24*. 25a-b', (^^'ess. 5)
32b-, 33a-b. 34*. 35an)'
SER •222 IX. 25b*. 26a*c, 27', 28*, (Wess. 4)
29abc*, 30a-c, Slab'.
32a- b. M\ .35 36b-. 37-
39b-
X. 1-. 2a*be*. 3-, 4a*bc*d.
5", 6ab'. 7a-b
XI. 1. 2-. 3ab-, 4ab-. .">*.
6;r
SER 177 XIV. 1-3. 4*. 5ab-c*
(We.ss. 3)
SER 17S XV. 8-11 (fini
>>

SER KG 9872 CG XVII, 51b-xviii. Ctc'


i We.ss. 5)
SER 28 XXI, 2a
(Wess. 1)
SER 71» XXIII, 6-10 (fin)
(Wess. 2)
BMC 367 XXIV, (complet)
(PS)
SER KG 9915 CG XXIV. (6-9a)*, (15b-19|-. 2<»b-
Wess. 5)
SER KG CG
9917 XXV, (l-4a)-, 12-
SER KG 9927 CG xxT. 5b*, 6a'b, 7-8, 9*. 10;i-

SER KG 99ry2 CG XXVII. r, 2', 3*, 4a-


SER l>907-72 CG xxviir, r. 2b-, 3", 4a-b. .5-9)-,

11b-
T. Texts 2 xxviii. s-
(Crum 5)
BMC 367 XXIX. 2-4. llb-12
(PS)
SER 9907-72 CG XXIX, 24, 5ab-. 6abc-d-.i7-ll i'
(Wess. 5^^

BMC 367 XXX, 2-19


(PS)
SER 9^*07-72 CG XXX, (2b-9)*
(Wess. 5)
XXX. (11-16)*, 17a-, 17b-18b-,
19*, 20-, 21a-bc. 22*.
23*, 24*, 25 (fin)

Bodl. copt. g. 3 XXX. 7,8*. llb-c-d-, 12*, 13*.


Win. 1

14b*, 15b-16c-,î7-,18a*.
20b*c*d-. 21', 22a-. 23-.
^a*
BMC 367 XXXI. 1
(PS)
SER 9907-72 CG XXXI, 1-2. 3*. 4*
(Wess. 5)
SER 179 XXXII, 5b- 11
(Wess. 3)
BN xxxiii, 12a', 12b-16
vBour. 1)
BMC 367 XXXIV, (complet) (PS)
Leide 46 xxxiv. 13- 14a
(PB)
BN XXXIV, 19-22, 27-.30 (Masp. 2
BN XXXV, 1-2 >

SER 259 XXXVI, 5b*. 6ab-, 7a'b-c, 8a-b. (Wess. 4i


9a-, 9b-llb*,(12-19a'.
19b-21a,21b*. 22'. 23-.
24a-
SKR 259 xx.wi. (28c-31a)-. (37b~40a)- (Wess. 4'
XXXVI, 31b-. 32-. 33*. 39b*. 40
526 REVUE BIBLIQUE.

SER 9907-72 CG XXXVI, (12-15)*, 16a*b, 17a*h, 18. (Wess. 5)


19*, 20*, 21*, 23b*, (24-

27)*, 28a*b*cde*, 29ab-.


30a b*, 31% 32a*
xxxvii. 1.3a*, 13b-16b*, 17a*. 17b-
21b*, 22', 23*
SER KG 9871 CG xxxvii, 21*, 22*, 23*
xxxviri, la*b, (2-7)*
BN xxxviri, 2-9, 12-14 (Masp. 2)
BMC 367 xxxix, 2-4 (PS)-
BN xxxix, 1-3. 6 11, 15-17 (Masp. 2)
Leide 43 xxxix, Ubcd (PB)
SER 9907-7-2 CG XXXIX, 16*, 17'. 18- (Wess. 5)
BN XL, 1-4, 7-12 (Masp. 2)
BN XLI, 1-9 i>

SER K9855-7 CG XLiii, 13b', 14-20, 21*, 22*, 23-, (Wess. 5)


24a*, 24b-27 (fin)
SER 224 XLiii, 18b*, 19-27 (fin) (Wess.
Freer copt. frng. 1 XLiii, 25b*, 26a*, 26b-27 (fin)
XLiv, l-3c*, 4', 5-.Sb*

SER 224 xLiv, l-4a*


SER K9855-7 CG XLiv, l-8b*, 8c'. 9'. 10a-, 10b-
14b'
Leide 43 XLIV, 3
BN XLiv, 1.3-18
BN XLV, .3-10
Freer copt. frag. 1 XLVi, Ib*, 2-, .3a*b, 4', 5-7, 8*
SER 165 XLvi, 7-9
SER 9907-72 CG XLvii, 5*, 6a*. 6b-7b-. 8a*b, 9',

lOab*, Uab*, l-2-13a*.

13b, 14*
Leide 43 XLVii, 5b-6a, 9a, 15
Leide 49 xLvir, 14*, 15
SER 9907-72 CG XLVIII, (3-11)*
SER 257 CG XLviii, 15c*, (16-20a)*
Leide 49 XLVIII, 15a', 15b-16a*
Golen. = Z. 21 XLix, 14b-L, 13a
SER 9907-72 CG L, l-2b', 3', 4', .5'. 6-13b-
BMC 367 L, 3-4a, 5b, 6bc
T. Texts 2 L, 9*, 10', 11*
BN L, 9
BMC 367 Li, 3-11 (fin)
SER 225 Li", 3-5b*
SER 9907-72 CG LU, 3b*, 4*, 5a*, 5b-7
LUI, l-4b*, 5ab*c*
Liv, 22*, 23b*, 24*
Lv. 3b-5, 6*, 7ab*, 8*. 9',
10', ll-l'2b', 1.3*. 14*
Berl. MI 178 Lxi. 8-13 (fin)
528 REVUE BIBLIQUE.

BN
SER 165
T. Texts 2
BM or. 702«J
SER 83 CG
BMC 367
SER 17CG
Tiir. ME

SER 182
Leide 44
BMC 367
SER 180
OC 513
SER K9858
Gilmore
Leide 44
SER 259

SER K9864-7

SER 259
MÉLANGES. 529

SER 175 cxviii, 102-106 (We.ss. 3)


Bodl. copt. g. 3 cxviii, (118-123)* (Win. 1)
SER 259 cxviii, (129b-133)\ (142-146a)* (Wess. 4)
Golen. = Z. 20 cxviii, 152-176 (fin) (Lemm 2)
BMC 367 cxix, 1-7 (fin) (PS)
Golen. = Z. 20 cxix, la' (Lemm 2)
BN 68 cxxi, l-4a (Ceu.)
SER 176 cxxiv, 1-4 (Wess. 3)
SPFK cxxviii, 8a* (Stern 2)
BMC 367 cxxix, 1-8 (fin) (PS)
SER K9855-7 cxxxiv. 7-21 'fin) (Wess. 5)
SER 259 cxxxiv, 19', 20', 21* (Wess. 4)
SER 259 cxxxîv, 15', 16-19a*, 19b-21a-.
21b
SER K9855-7 cxxxv, l-15b', 16-17b' (Wess. 5)
SER cxxxv, 1-2, 4, 7-16 (Krall)
SER 250 cxxxv, 5',6ab%7-10, ir. 12-, KV (Wess. 4)
cxxxv, 16*, 17a*, 17b-21b-
cxxxv, 26*
cxxxvi, 2*, 3a*, 3b-4, 5*, 6*

cxxxvi, 8', 9*

cxxxvi, 11-, 12-, 13', 14-16

cxxxvii, le*, 2ab"c', 3-4b*, 5ab",


6, 7a*b'
cxxxvii, 7*, 8'

cxxxviii, 2*, 3-8a, 8b*, Oa'b, 10'


cxxxviii, 1, 10b*, lia*, llb-12b'

cxxxviii, 13*. 14a*. 22b-, 23'


Leide 45 CXL, 2*
(PB)
SER 259 CXL, 10b'
(Wess. 4)
CXLI, l-5b', 5c*d*, 6*, 7abc*d, 8
SER cxLi, 2-5a*, 8 (fin)
(Krall)
SER cxLir, lab*, lc-3, 8ab
SER 259 cxLii, lab*, lc-3, (4-7b)*,7c-8c*,
(Wess. 4)
8d
cxLii, 9', 10'
cxLii, (10b-12b)', 12c
SER 169 cxLiii, 5-12 (Wess. 3)
SER 259 cxLiir, 5b*, 6*, 7a*b' (Wess. 4)
cxLiii, 7b*c*, 8*, 0*
SER 19 cxLiii, 8b', 9-13, 14ab*c*, 15' (Wess. 1)
SER K9855-7 cxLiv, 1-5, 6a*b*c, 7*, 14c-19b', (Wess. 5)
20a'b, 21a*b*
SER 19 cxLiv. 1*, 2a*b,3-10b*, 11', 12*, (Wess. 1)
13*.

SER 169 CXLIV, 1-8 (Wess. 3)


SER 259 CXLIV, 6*, 15*. 16' (Wess. 4)
CXLIV, 13b*, 14', 15a', 3', 4' 5*
Berl. MI 167 cxLvii, 6a'b, T, 8ab*, 9 (Leip.
REVUE BIBLIQUE 1919 — N. S., T. XVI. 34
330 REVUE BIBLIQUE.

BN 68 cxLviiL 1-14 (fin) (Ceu.)


BM or. 6781 cxLViii, l-13b (Budge 3)
Berl. MI 167 CXLViii, l-2b\ 3a'. 3b-5c', 6-8 (Leip. 2)
B.\ 68 cxLix, 1-9 (fin) (Ceu.)
Berl. BI or. in oct. 409 cxlix, l-3a' (Lemm 3)
BN 68 CL, 1-6 (fin) (Ceu.)
Berl. Ml 179 cl, 5a*, 5b-6 (Leip. 2)

Citations

Rud. I, 5a (Tuki) p. 569


n, 9 p. 209
IV, 3b p. 326
VII, 10a p. 170
vni, 2a, 5a, 6a pp. 50, 219, 590
IX, 2a, 17b pp. 50, 170
XII, 2a. 3c, 6b pp. 51, 344, 162
xin, 7c p. 212
XIV, 5c p. 567
XV, 1 p. 51
XVI, la, 14d pp. 51, 177
XVII, 2 p. 52
X XX, 2a p. 52
XXI, 9, 10b pp. 169, 59
XXII, 5a p. 271
XXIII. 5a, lObc pp. 71, 85
XXV, 4a, 4b pp. 488, 614
XXVI, 2a, 3a. 3b pp. 328, 106, 71
XXVI, 4b, 12bc pp. 200, 154
XX VII. la, lab pp. 477. 52
xxviii, 10a p. 121
XXX, 2a, 9a pp. 53, 488
xxxii, 4a p. 86
XXXIII, 8, 20, 22a, 21b, 23b pp. 86,93, 614,616
XLii, la, 5a pp. 53, 227
XLiii, 2a p. 54
XLix. la, 3a pp. 87, 566
Liv, 2a, J3a p. 54, 78
LVi, 2ab p. 476
LViii, 4c, 8-9a pp. 527, 149
Lix, 12 p. 566
Lx, 2, 3a pp. 55, 324
LXii, 2, 3-5a, 9a pp. 56, 579, 287
Lxiv, 11b p. 175
Lxv, 18 ^ p. 513
Lxvii, 2a p. 166
Lxxiij 18. 28bc pp. 328. 124
Lxxiii, 1,3a. 9, 10 pp.56.156,566,344
Lxxiii, 19, 21a, 23a p. 513
MÉLANGES.

[A suivre.)
CHROÎVIOXIE

LE SANCTUAIRE JLIF D AÏX DOl\>.

Vers le milieu de septembre 1018, les batteries germano-turques


établies sur la rive orientale du Jourdain, à la tête du pont dV/-
Ghôranyeli, fouillaient de leurs projectiles les pentes orientales du
massif judéen et les passes escarpées qui donnent accès à la plaine
de Jéricho. L'énergique offensive du général Allenby se dessinait et
l'aile droite de l'armée britannique envahissant le Ghôr bloquait les

passages du Jourdain pour prévenir une attaque de flanc. Un obus


éclatant sur la berge de l'ouâdy Nou'eïmeh, quelque peu en aval
d"y4m Douq, écorna le sommet d'un petit tertre projeté en manière
de bastion dans un méandre du ruisseau. La brutale coupure fit
apparaître, à faible profondeur sous la surface, un pavement de
mosaïque d'excellente conservation. Ln régiment australien qui venait
de prendre position à proximité eut la curiosité d'élargir l'entaille
etmit au jour en peu de temps plusieurs mètres carrés de ce pave-
ment splendide, où s'étalaient, avec une inscription en caractères
hébreux archaïsants, les combinaisons élégantes dun décor géomé-
trique et zoomorphique. L'heure n'était guère propice à une fouille
archéologique et la trouvaille fut abandonnée sous la protection
peu efficace de quelques ronces en fil de fer. Il m'est demeuré impos-
sible de préciser par qui et avec quelle exactitude fut enregistrée la
découverte et l'inscription divulguée, toutefois avec une extrême
réserve sur sa teneur.
Dans le courant de mai dernier, l'administration militaire anglaise
faisait exécuter à travers la Palestine une enquête technique soi-
gneuse, dans le but de contrôler tous les vestiges archéologiques de
quelque intérêt, préparant ainsi les voies à une organisation rationnelle
d'un Service des Antiquités, dès qu'aura été réglé le statut politique
définitif de la contrée. Les deux distingués spécialistes à qui avait
été confiée cette laborieuse et délicate tâche, M. le capitaine Eugelbach
et M. le lieutenant Mackay, retrouvèrent la mosaïque d'^Aïn Doiiq et
CHRONIQUE. o33

complétèrent les mesures de protection. Malheureusement, dans ces


longs mois d'intervalle, le précieux monumentn'avait pas été sans
se détériorer. La malencontreuse brèche de l'obus germano-turc
s'était élargie et l'inscription, spécialement compromise par sa situa-

tion tout au bord de la coupure, menaçait de se désagréger. Le


capitaine Engelbach se hâta d'en exécuter une copie très attentive.
Mais les deux savants inspecteurs, plus spéciaUsés dans l'archéologie
égyptienne que dans celle de Palestine, eurent le libéralisme par-
faitement courtois d'associer l'École à leur étude. Un relevé minutieux
de ce qui sul)siste de la remarquable inscription s'imposait en hâte.
Sans égard pour l'exercice peu confortable d'un relevé de mosaïque
en rase campagne dans la fournaise du Ghôr, quand la canicule y
bat son plein, M. le lieutenant Mackay a bien voulu nous ofifrir
d'étudier sur place l'inscription hébraïque en sa compagnie. De
bonne heure, au matin du 2 juin, son audacieuse camionnette Ford
nous déposait, le P. Lagrange et moi, à deux pas du petit tertre
dans l'ouâdy NoiCelmeh. Le savant officier nous fit en quelques
instants reconnaître la physonomie du site, indiqua son plan de
déblaiement dès que la saison sera opportune et déjà le labeur était
commencé autour de l'inscription.
Le nettoyage exigeait les plus circonspectes précautions. Il ne
pouvait être question d'y employer d'outil tant soit peu lourd et

tout fut accompli à la main et à la brosse. Voici enfin le curieux texte


étincelant dans la lumineuse splendeur de ce midi de juin, après
avoir jalousement conservé son secret pendant tant de siècles, blotti
sous son manteau de décombres. Il n'est que temps, hélas! de
chercher à pénétrer son mystère. Ébréchée déjà sur plusieurs côtés,
la belle inscription menace de s'etfriter, comme si la plate-forme de
ciment, disloquée sous le choc de l'obus, n'était plus un appui suffi-
sant pour sa débile vétusté. Tandis que M. Mackay tente des photo-
graphies, deux copies indépendantes sont prises que nous coUation-
nons ensuite presque cube par cube, nous efforçant de fixer, surtout
devant les brèches, la plus minutieuse forme d'une haste, d'enregis-
trer le moindre vestige d'une lettre emportée et discutant la trace
d'une lettre ou le mouvement d'un apex suggérés par l'allure des
cu])es blancs qui l'encadraient. L'accord obtenu partout avec le
maximum de sécurité réalisable, il ne restait plus qu'à reprendre
une copie définitive et à exécuter un calque très appliqué tâche :

beaucoup moins simple en l'occurence qu'elle ne le paraîtrait en


théorie, mais où la dextérité fort scrupuleuse de M. le lieutenant
Mackay s'est révélée tout à fait précieuse.
534 REVUE BIBLIQUE.

Ce labeur accompli et dans l'état présent de la fouille il ne pouvait


être question d'aborder un relevé d'ensemble de la mosaïque. Ce
travail ne saurait être fructueusement entrepris qu'après un déblaie-
ment intégral qui est déjà envisagé, mais requiert une saison plus
propice et les moyens appropriés. Le reste du temps dont nous
disposions fut donc consacré au* détail d'une enquête qui permettrait
du moins de présenter l'inscription dans son contexte archéologique
et de donner du monument un aperçu général préalable. Car les
savants inspecteurs anglais ont eu l'amabilité de laisser le document
épigraphique à la disposition de la Revue, avec un libéralisme qui
les honore et dont nos lecteurs leur sauront gré tout comme nous.
La note actuelle n'est donc qu'une présentation provisoire de cette
remarquable découverte qu'il y a grand intérêt à livrer sans retard
à l'examen autorisé des savants (1).

1. Le 3I0NUMEXT ET LA MOSAÏQUE.

Pour des motifs faciles à comprendre, on s'abstiendra d'en spéci-


fier le site avec plus de précision qu'il n'a été fait plus haut. La
plate-forme qui termine le petit tertre dessine sommairement un
ovale dont le grand axe, du Nord au Sud, aurait de 25 à 30 mètres
de développement et l'axe transversal, Est-Ouest, environ une ving-
taine. L'accès normal est de l'Est, par une rampe à peine sensible.
En abordant la crête par l'extrémité Sud-Est, où la fouille sommaire
attire spontanément les pas, on observe au premier coup d'œil les
vestiges d'une entrée que précédaient quelques degrés d'un escalier
assez fruste (fîg. 1). Au N. le déblaiement s'est interrompu presque
juste à cette porte, tandis qu'on peut voir sur plusieurs mètres au
S. les arasements d'un mur dont les assises ont depuis beau temps
disparu. Au delà l'éboulement a déjà entraîné sur la pente du ravin
non seulement les fondations de l'enceinte, mais une certaine surface
du pavement intérieur.
A l'intérieur, en effet, le sol disparaissait partout sous une mosaïque
dont la disposition aide dès maintenant à saisir quelque peu la
répartition de l'édifice ruiné. Quand on a franchi la porte, on se
trouve dans une zone développée longitudinalement du N. au S.»

(1) Il semble qu'elle ait été déjà signalée à M. Clennont-Ganneau, qui en aurait fait
l'objetd'une communication à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, si j'ai bien
compris naguère la très laconique indication d'un compte rendu de séance publié par
le Journal des Débats. Je regrette que les conditions actuellement imposées à nos rela-
tions avec la France ne me laissent aucun espoir de pouvoir être documenté, d'ici long-
temps, sur la teneur de cette communication. [Voir ci-dessous.]
CHRONIQUE. o3o

Fig. 1. - La mosaïque d"Aîn Douq. Scbéma d'ensemble.


536 REVUE BIBLIQUE.

que couvre une mosaïque à fond blanc où se détachent, en lignes


simples et à couleurs claires, quelques combinaisons géométriques :

carrés, losanges, etc. (1). A 3™, 11 de l'entrée, une rangée de bases


en maçonnerie s'aligne du N. au S. parallèlement au mur extérieur.
Trois sont actuellement visibles. Les deux premières, en comptant
du S., sont sensiblement quadrangulaires, avec 0'^,.59 de côté. La
troisième, d'égale largeur, est notablement plus longue et mesure
0™,94 en ce sens. Toutes sont construites en moellons épannelés,
hautes uniformément d'environ 25 centimètres, avec une petite cavité
ronde de quelques centimètres de profondeur et un moyen diamètre
de Leur écartement, sans être d'ailleurs rigoureusement égal,
C'^jOD.
est de 2™, 50 en chiffre rond. Il s'agit manifestement d'une série de
supports. Leur faible élévation et leur structure feraient dabord
songer aux appuis de quelque clôture assez légère, montants de
grille, ou pilastres de balustrade. Tout bien considéré, il y a cepen-
dant là plutôt les appuis d'une colonnade; les montants d'un simple
grillage n'eussent pas exigé d'aussi larges supports, tandis qu'une
balustrade,à laquelle ils pourraient à la rigueur s'adapter, eût
impliqué une plinthe courante dont la continuité de la mosaïque
blanche ne laisse saisir aucune trace. On conçoit aisément au con-
traire, sur ces socles carrés, des bases de mêmes dimensions, soli-
dement scellées, destinées à porter des colonnes de 0™,50 de moyen
diamètre, plutôt que des pilastres quadrangulaires.
La mosaïque blanche à figures géométriques simples se développe
entre ces socles jusqu'à leur alignement intérieur, où commence une
décoration d'un tout autre style. Un large encadrement s'allonge à
quelques centimètres en avant de la rangée de socles, vers l'Ouest,
sur toute l'étendue actuellement déblayée du Nord au Sud. Il se
compose d'abord d'une enfilade de bouquets stylisés, aux couleurs
fraîches et harmonieuses, et ensuite d'une opulente double tresse
qu'encadrent deux rangées de postes noires sur le côté extérieur,
blanches sur le côté intérieur. Le panneau ainsi bordé répond bien
à cette somptuosité. Il développe à nouveau un réseau de figures
géométriques, mais, cette fois plus savamment compliqué, surtout
beaucoup plus orné. Le fond est constitué par un quinconce de cir-

(1) On voudra bien ne pas chercher dans la figure 1 la représentation exacte de cette
composition sobre et élégante. Ce diagranuue, établi sur quelques rapides mesures et
tracé à vue, sans essayer le laborieux nettoyage nécessaire pour enregistrer avec préci-

sion le dessin du mosaïste, n'a d'autre prétention que de donner, avec une approximation
telle quelle, l'ordonnance iiénérale de 'l'édifice et de sa décoration^ en attendant le relevé
précis qui suivra le déblaiement complet.
CHRONIQUE. 537

conférences et de losanges. Les intervalles sont occupés par des poly-


gones allongés, ou plus exactement des espèces de barillets entrelacés,
dont le recoupement détermine une série de médaillons heptago-

naux. Le tracé de chaque figure comporte des motifs ornementaux


variés où lentrelac domine. Dans le champ des médaillons circulaires
et heptagonaux le mosaïste a logé une grande variété de sujets
animés. Les médaillons mis à jour naguère ont, naturellement, beau-
coup souffert et c'eût été en compromettre irrémédiablement les der-
niers vestiges que de risquer un nettoyage suffisant pour les dessiner
tout de suite avec exactitude. Pour autant que nous ayons pu en
saisir la physionomie sous la couche de poussière qui les estompe et
malgré les dégradations qu'ils ont subies, ces petits sujets sont d'une
exécution remarquable de sentiment et de vie'; une silhouette de
lièvre effaré paraît bondir parmi de hautes herbes, un faisan avan-
tageux s'est campé avec indolence au sommet d'un arbuste, un timide
chacal semble aux aguets de quelque péril menaçant: le reste à
l'avenant. Ce qu'il y aurait peut-être d'un peu lourd et de surchargé
dans le décor géométrique des figures où ils s'encadrent est effacé
par l'animation, la verve et le naturel de ces petits tableaux et
l'ensemble donne une saisissante impression de somptuosité et de
goût, égalée par un assez petit nombre d'autres mosaïques palesti-
niennes.
L'artiste qui a dessiné ce panneau et le mosaïste qui l'a exécuté
ont su tirer le meilleur parti des tonalités que mettait à leur disposi-
du pays précisément dans la région
tion la riche variété des pierres
voisine, autour de la mer Morte
noir mat ou lustré à reflets bleutés,
:

brèche verte à multiples nuances, calcaires marmoriformes passant


par toutes les dégradations du rouge ardent au blanc très pur; ces
éléments mis en œuyre avec un sens affiné des valeurs de tons et de
leurs réactions mutuelles quand ils sont juxtaposés dans un dessin
ont produit une composition admirablement nuancée, harmonieuse
et d'un puissant effet décoratif. Mais il n'y aura lieu d'en approfondir

l'examen que le jour où le déblaiement méthodique en aura restitué


l'intégrité et qu'un relevé compétent aura fait pleine justice aux
cartons du vieux mosaïste.

2. LlXSCRIPTION HÉBRÉO-ARAMÉENNE.

Le réel intérêt de la mosaïque en elle-même le cède à l'intérêt


du texte épigraphique (fig. 2) étalé à son extrémité méridionale,
dans une situation que définit sufiisamment le schéma de la figure 1.
538 REVUE BIBLIQUE.

/>

IMliianiM'MMiWMiMwawMiwiBwran'ilit l'i nitinm m i i ri mn i iinii*' iniif — rawirrrriiMi «i m ri


i inii im «^mmumm

INSCRIPTION DU SAMCTUAIRL JUIF B'J^JM DOUGl'.


CHRONIQUE. b39

En raison de son importance, comme aussi des difficultés que peut


ofiFrir son interprétation, il n'a pas été jugé oiseux de décrire plus

haut comment il a été relevé. La reproduction qu'on a sous les yeux


est une réduction du calque dessinée avec le contrôle des copies.
Le texte s'encadrait naguère entre deux représentations animées :

à droite un personnage qu'on peut supposer en pied, face au specta-


teur; à gauche un lion passant, qui semble marcher vers cet homme,
ou plutôt qui s'arrête sous l'injonction fascinatrice de sa main droite.
L'homme a disparu sans laisser d'autre vestige que son bras droit
relevé, nu et orné d'un bracelet à incrustations. Le modelé et la
carnation rouge de ce bras dont la main même a été détruite révèlent
seuls désormais la présence du personnage qu'il eût été si attrayant
de pouvoir étudier en son entier. Le lion, aux proportions quelque
peu exagérées comparativement au bras de l'homme, est d'une tonalité
bleuâtre et jaune habilement nuancée avec des teintes rouges dans
les musculatures et il se détache puissamment sur le fond blanc (1).
Un double filet noir bleuté délimitait le champ occupé par ce sujet.
Le mosaïste a résolu avec beaucoup de souplesse et de virtuosité
la difficulté de réaliser avec de petits cubes aux arêtes rigides les
lettresmouvementées d'un alphabet hébreu archaïsant, où beaucoup
de formes arrondies se mêlent aux hastes rectilignes, où les lettres
se contournent, s'inclinent, se compliquent d'apices variés et parfois
de ligatures. Il a été moins heureux dans la distribution de son
texte; en cherchant à rendre plus distinctes ses diverses parties,
il a crééun morcellement en groupes inégaux, avec çà et là des
entassements de lignes néfastes à la physionomie esthétique. En
plusieurs endroits l'intention a été manifeste de séparer les mots,
qui s'accolent au contraire très étroitement ailleurs. Si la plupart
des lettres ont un galbe assez constant et nettement caractérisé,
d'autres, et l en particulier, présentent de déconcertantes variations.
"i

iMainte autre anomalie de même nature sera relevée parles spécialistes.


Il dégage l'impression que le mosaïste ignorait vraisemblable-
s'en
ment la langue de l'inscription. Il a seulement fait au mieux des
exigences de son art pour interpréter sans déformation et avec le
maximum d'élégance réalisable la graphie ardue d'un texte dont il
ne connaissait sans doute que la teneur générale.
A part quelques incertitudes résultant des cassures et de l'ambi-

fl] Le défaut de temps et surtout la crainte de coinproniettre davantage, pour le


moment, la conservation de cette figure ont fait abandonner le nettoyage qu'eût exigé
un relevé précis. Le dessin n'enregistre donc que la silhouette de ce lion.
540 REVUE BIBLIQUE.

guïté usuelle de certaines lettres en cet alphabet, le déchiffrement


ne souffre pas grande difficulté. On propose de lire provisoirement :

irh iid[-]
CHRO.MQUE. 541

L. 2, —
'j'^>:'';''2, lecture claire grâce à la prodigalité des maires lectionis
et à la
forme finale du second ^. On notera la triple nuance du i, qui ne paraît cepen-
dant douteux en aucune des syllabes. —
La lettre suivante ne peut guère être
qu'un E, car elle est trop largement bouclée et sa haste inférieure trop nettement
recourbée pour qu'on la considère comme un i copulatif dont la présence serait
pourtant assez attendue. A la suite un \ malgré son galbe différent des trois pré-
cédents et la possibilité d'y voir un 1 en le comparant à celui qui doit s'imposer

dans le nom propre -^^> évident à la 1. suivante. .Après maintes combinaisons


superflues à détailler puisque aucune ne s'impose, pr. n::r£ pour en:''-: est le nom
proposé faute de mieux, non sans une hésitation très consciente des difficultés
auxquelles se heurtera cette lecture. Si 3 et d sont assez sûrs, le dernier caractère,
intéressé par la cassure qui a du lion, ne l'est nullement.
fait disparaître le mufle
C'est néanmoins un n qui rendrait mieux compte de ces deux débris de hastes
le
verticales, parallèles et égales. La métathèse pourrait être imputée à quelque inad-
vertance du mosaïste copiant sans les comprendre les lettres écrites sur son carton (1\
si tant est que l'orthographe aramaïsée du vieux vocable hébreu n'ait pas été
pratiquement influencée par des articulations courantes dont certaines transcriptions
grecques, dans Josèphe par exemple, ont gardé la trace telles. O-.^ihr^ç à côté de :

«PtvEr); et <I>'.v££ç {Ant. jud. IV 6, li>, éd. Niese, §§ 152, 15-1, etc.; v, 10, 1, 11, 2,
Mese, §§ 338 s., 354, 360;, Otvaiar,; (vill, 1, 3, Niese, § 11), ou Oavv^a;, ^avvhr.ç,
«I>»5va(jo;, a>avaao; etc. [Guerre..., IV, 3, 8, Niese, § 155; cf. Ant.,
xx, 10, 1, Niese,
§ 227). finsah, pour Pinehas ou Phinehas, serait donc à considérer comme un
double nom complétant la spécification de Benjamin (2 dont l'ascendance est ,

fournie à la 1. 3 sous une forme matériellement limpide qui malheureusement ne


l'éclaircit pas beaucoup pour nous. Il est dit en effet fils de « José y, abréviation

fort commune pour « Joseph », vocable porté par trop de Juifs de tout rang, à
toutes les époques, pour qu'il laisse reconnaître d'emblée l'identité historique du
personnage en cause. Le double nom n'étant usuel que dans le cas d'un appellatif
sémitique à côté d'un nom grec, au lieu du nom hébreu zr\i>Z accolé au •j**2':'2
tout aussi nettement hébreu, on attendrait évidemment beaucoup plutôt un quali-
ficatif, un gentilice ou un surnom. Les savants résoudront aisément sans doute
ce qui demeure pour moi une petite énigme (3). Le fait toutefois qu'une seule filiation

son déchiffrement et de son interprétation. Pour ue rien enlever à l'intérêt de cette inter-
prétation, qu'on lira en son temps, je m'abstiens de toute modification à la forme primi-
tive de mes notes. Je signalerai seulement en son lieu le cas évident où ma lecture hési-
tante de Phinéès, à la fin de la 1. 2, est à remplacer par la lecture certaine nrj"!E de
l'éminent maître, que je remercie pour sa bienveillance. — 31 juillet. — V.].
(1) On alignerait sans trop de peine des exemples de telles méprises en des inscrip-
tions beaucoup plus monumentales. Il suffira d'en emprunter un seul, fort caractéristique,
à un texte assez analogue au nôtre. Dans l'inscr. gravée sur le linteau de la principale
synagogue de Kefr Bir'im, l'artiste a écrit w*'i"""*2 pour 1"'w"''*2 « ses œuvres )>!
(2) Les déformations de ce nom dans la littérature talmudique sont très suggestives

pour justifier l'hypothèse nn-S-rni'S. Par inadvertance ou avec intention, p*2^j2


est en eiiet devenu, prétendent les savants juifs, Minyamin. Penimin, Polimo. Cf. Jew.
Encycl. m, 26, s. v" Benjamin.
3 [Elle est résolue de la façon la plus satisfaisante par la lecture de M. Clermont-
Ganneau : ri2;"'E := ND;"^E, *^'6c substitution de " à x dans l'état emphatique, ainsi que
l'offrira plus loin ""irx, 1. 6. Bien que le ^ comme seconde lettre ne soit pas très normal,
il est impliqué par l'évidence d'une expression qui n'aurait pas dû m'échapper. Pamàsà
542 REVUE BIBLIQUE.

est indiquée, comme aussi la formule "fw" au sing., au lieu de "i^Tij";, rendent plus
vraisemblable qu'il s'agit bien d'un seul et unique personnage ainsi mis en vedette,
apparemment parce que son rôle a été prépondérant, ou que sa situation le distin-
guait entre tous dans l'événement que l'inscription entend commémorer. Lui men-
tionné, le texte va s'y reprendre à frais nouveaux pour faire mémoire de ceux qui
sont intervenus avec lui.

L. 4. —
La restitution du T est sûre. Les deux de "ji'iijl sont encore d'un "i

galbe nouveau et c'est probablement par quelque inconsciente influence des formes
arrondies de ces et du 3 précédent que le mosaïste a donné un peu la même
*i

allure au "i, qu'il trace plus, correctement d'ordinaire avec deux hastes sensiblement
perpendiculaires; il manifeste même la tendance à incliner quelque peu vers la

droite la haste verticale inférieure pour distinguer le ~ du T plus ou moins inQéchi


en sens contraire. — VQ Sj « tous et chacun de.... quiconque », concept collectif
justifiant le partie, pi. 'j'i'i'i^'î.

L. 5. — Le relatif 1, suggéré par le sens, répond à l'espace disponible d'après

la restitution impliquée à la 1. antérieure. — p"nna payt. ithpa. exprimant l'idée


d' « adhérer, s'attacher à ..., s'associer avec ... )>; cette dernière nuance parait
spécialement en situation; le siny. s'explique comme distributif après il rz hz.
— nn'' auparf. plus vraisemblablement qu'à Yimparf. défectif pour 2.1''''.

L. 6. — Le vestige de lettre initiale fait supposer ~ ou "i; on a opté pour 1 et

quoiqu'il y ait possibilité, dans la justification de la 1., de le faire précéder de la


préformante % on adopte plus volontiers, ici encore, le parf. ^TTl, écrit defective,
que Yimparf. imv Le sens fondamental de ^Tn « s'émouvoir, s'agiter, se mettre
en mouvement », par extension « spon-
se glorifier, s'enorgueillir » s'adapte assez

tanément au contexte; on énumère ceux qui ont donné leur adhésion à l'entreprise,
ceux qui y ont coopéré' par des largesses, ceux qui ont fourni la collaboration de
leurs mains, qui ont peiné à la tâche. —
':ir\2 peut être contracté de la prépos.

i"in2 « en relation avec » et du pro7i. dém. 717 « celui-ci » écrit défectivement,


ou représenter plus simplement le démonstr. yin précédé de la pn'pos. 2 « pour ».
Le sens revient finalement au même et détermine niTHp mriN, répondant précis
de l'hébr. 'ùJMp Q^'pU, « pour ce lieu saint ».

Le n final au lieu de *s dans mnN à l'état emphatique est une particularité


usuelle dans l'araméen palestinien biblique et talmudique. Cette orthographe sem-
blerait même se retrouver précisément avec les deux variantes niDN et Nirix dans
les papyrus judéo-araméens d'Éléphantine (Sayce-Cowlev, Aram. pap... B 2 et
E 19), si le sens même de l'expression ne soulevait ici une difficulté qui sera
discutée plus loin.
L. 7. —
On ne saurait hésiter en effet à restituer un p devant les vestiges fort
clairs du l au début de cette 1.; l'expression reparaît identique 1. 10. — p est pris
pour une orthographe defective de Vél. cstr. pi. 1J2 « fils de ..., gens de ... »
déterminé par un subst., tournure qui aboutit à une sorte d'adjectif; 2,1" ['']J2
« fils d'or =
gens fortunés, riches ». Peut-être même: 2 tout simplement au singulier,
puisqu'il ne s'agit pas de filiation mais d'un simple idiotisme.
L. 8. — Le terme suivant de l'énumération est rendu obscur par la cassure
du début de ligne. Sans détailler toutes les possibilités envisagées, la restitution
Ti2D correspond le moins mal aux débris de la première lettre conservée et à

est en effet une sorte de titre consacré désignant l'administrateur, le curateur d'une
communauté juive ; sens excellent et on ne peut mieux en situation ici. — 31 juillet. — V.J.
CHROiMQUE. 543

l'espace disponible. 1*12^2, apocope de Nm:2î2, attesté d'ailleurs sous cette forme
brève dans les Targunis (1), n'a pas seulement le sens de « supplication, mais aussi
celui d' « inclination, bienveillance, amitié ». Ces « fils de sympathie », ou « amis n
sont discernés des gens riches qui ont patronné l'entreprise. Un parallélisme étroit
appellerait mieux, en cette situation, l'idée de pauvreté, par opposition à 2m p,
ou de collaboration personnelle répondant au terme ZM*! (ou 2ml) comme
l'idée

im p répond à in*' de la première partie de l'énumération. Les spécialistes


sauront trouver un terme meilleur que 1T272 pour rendre à l'inscription son rythme
précis. Car ce balancement rythmique à trois termes saute aux yeux aux trois
:

catégories de personnages collectivement commémorés — ceux qui ont accordé


leur patronage, ceux qui ont fait des dons, ceux qui ont pris
part à la tâche
d'exécution — font pendant formules qualificatives, ou simplement déter-
les trois
minatives : riches, collaborateurs bénévoles et —
d'un mot assez ample pour
n'omettre certainement personne — HDpa Sd p « gens de toute condition »,
collaborateurs de toute manière.
Avec ces derniers mots s'achève le second groupe de l'inscription. Pour bien
marquer que l'allure du texte va changer dans les lignes suivantes, le mosaïste
entend se ménager à nouveau un petit intervalle. Gêné par l'exiguïté de l'espace
qui lui reste sous peine de déborder son cadre et de rompre l'harmonie de sa
composition, il en est réduit à diminuer les lettres de cette 1. 8 et à les tasser aussi
étroitement que possible sous la ligne précédente.
L. 9. —
En son état actuel, cette 1., endommagée au milieu et probablement
au début, échappe à toute lecture certaine. Il faut souhaiter que le moindre boirt
de copie ou de fac-similé, antérieur à la cassure, puisse être mis en circulation et
fixer le choix entre les multiples hypothèses qui s'offrent pour combler cette malen-
contreuse lacune. L'idée générale est transparente après la mention du personnage :

prépondérant qu'il fallait mention globale de tous ceux qui


mettre en vedette et la
ont participé d'une manière ou de l'autre à l'entreprise, on va formuler le vœu que
soient récompensées divinement ces modalités diverses de collaboration à l'exécu-
tion du lieu saint. Dans cette perspective c'est donc le nom divin qui serait assez
attendu au début de la 1. et on suppléerait, quoique avec une juste hésitation.
nf'^N], qu'on ferait suivre d'une forme verbale à Vimparf. J avoue ne pouvoir
aboutir à aucune construction qui harmonise une rac. .S'"£ aux conditions requises (2).
Il semblera évidemment trop hasardeux d'attribuer au nom divin tout le groupe

initial N^i, complété en xinf'^N], et. emphatique d'un plur. de majesté correspon-

dant à l'hébr. '?nSN. Dans l'étroite lacune, au bout de laquelle on discerne proba-
blement un ": final plutôt que la seconde haste d'un n ou d'un n, se logerait alors
la restitution "jfn"'], aboutissant à la tournure acceptable vaille que vaille « Que :

Dieu accorde leur part », pour « leur accorde une participation ». Non moins
insolite serait une exclamation, relativement facile à adapter, il est vrai, dans les
lacunes, qui donnerait à peu près "'n \[Th ."î]ni "[S] « combien belle pour eux
:

leur part »! L'analogie de l'inscription en mosaïques de Cana. dont il sera question


plus loin, suggère beaucoup plus simplement, au début de la I., la formule ^-D,
suivie de ]inS « que soit pour eux ». Je ne sais trop que faire de I'k indubitable
:

entre les groupes infn] et ^[inS], car l'espace disponible laisse fort peu de jeu.

(1) Cf. LÉvv, Chald. Wnrlerb., s. v».

(2) La plus séduisante, ""n '[[''ajN"' r\\^i(\, que Dieu affermisse leur îwssession, ne
se justice pas suffisamment.
544 REVUE BIBLIQUE.

C'est sous toute réserve et en envisageant la possibilité d'une orthographe défective


]K pour "j'iN, à l'instar de p
pour ija, que je propose la particule optative "\v
utinam. Ces tentatives et d'autres analogues, inutiles à détailler, supposent une
lacune au début de la I. en la justifiant sur les lignes précédentes, oii manque
manifestement partout une lettre.

L. 11. — La formule "j^N, blottie sous le texte, accuse nettement le caractère


religieux du souhait exprimé dans les 11. 9-10.

3. Date et nature du monument.

L'inscription serait claire à souhait sur l'époque de son origine le


jour où quelque maître en histoire juive réussirait à déterminer
l'identité historique du personnage dont elle prétendait éterniser la
mémoire. La tentation est évidemment très forte de chercher à
discerner, dans la lignée considérable des rabbis qui ont illustré le
nom de nov, lequel fut l'ancêtre de notre Benjamin. N'ayant pas
réussi par cette voie, je me bornerai à réunir les indices qui autorisent
une détermination extrinsèque approximative de date.
Il a été noté déjà ci-dessus que la langue du texte, malgré la forme

hébraïque des caractères, était nettement aramaïsante. Chacun sait


que cette particularité est conforme à un usage courant, désormais
bien attesté en Palestine, à tout le moins depuis le second siècle
avant notre ère. Indépendamment de la documentation littéraire qui
l'atteste, on possède à ce sujet le témoignage très net de documents

épigraphiques assez humbles pour la plupart, mais dont la liste com-


mence à s'allonger, depuis les courtes épigraphes de la « limite de
Gézer », du rocher (['"Arar/ el-Emir ou du sarcophage d'Hélène d'Adia-
bène et de la série incessamment enrichie des ossuaires, jusqu'aux ins-
criptions plus monumentales de divers hypogées autour de Jérusalem
et surtout des fameuses synagogues de (îalilée (1). Peut-être même
trouvera-t-on que la saveur aramaïsante du texte à^'Aïn Douq est
plus franche que celle d'aucun autre de ses congénères et évoquerait
assez bien l'araméen biblique de certaines sections de Daniel et
d'Esdras. Mais ceci résulte surtout du fait qu'au lieu d'avoir affaire
à une épitaphe plus ou moins développée, à quelque simple liste
généalogique ou à l'indication laconique d'un élément d'architecture,
nous sommes en présence d'un texte relativement étendu, d'allure

(1) A ces éléments de comparaison facilement accessibles dans les recueils de textes et
les manuels d'épigraphie sémitique pourrait s'ajouter la série des amulettes judéo-ara-
méennes, malheureusement fort difficiles à dater pour la plupart. Telle pièce de cette série.,
par exemple l'amulette d"Amwàs [R. B., 1908, p. 382), présente cependant certaines analogies
paléographiques utiles à signaler.
CHRONIQUE. 545

un peu plus emphatique et occasionné par l'érection d'un édifice de


nature spéciale. Celui même
auquel il se compare le plus spontané-
ment, dans la mosaïque liébraïque de Kefr Kenna » publiée
fameuse «

naguère et si magistralement interprétée par M. Clermont-Ganneau (1),


lui demeure inférieur par le caractère de sa composition, comme
aussi par l'élégance de son exécution. Au lieu des formes souples et
nuancées que le mosaïste d^Aïn Douq a su conserver aux lettres'
hébraïques, celui de Gana leur donne un galbe rigide et empâté,
dépourvu de toute physionomie esthétique et passablement néfaste à
la clarté des lettres mêmes qu'il s'attache à discerner avec la plus
scrupuleuse conscience par leurs petits crochets spécifiques. D'ail-
leurs, l'inscription en mosaïque galiléenne, non plus, ne porte
elle

aucune date explicite et toute la pénétrante sagacité du maître qui la


publiait n'a pu faire pleine lumière sur son origine, peut-être aussi
tardive que la seconde moitié du iv^ siècle, si on admet la très ingé-
nieuse conjecture de M. Clermont-Ganneau sur la nature chrétienne du
monument, en tous cas pas antérieure aux « premiers siècles de notre
ère (vraisemblablement ii^ et m'') » (-2). Loin que ce document puisse

être d'ungrand secours pour éclairer le nouveau texte similaire, il se


pourrait qu'il en reçoive au contraire quelques précisions exégétiques.
Après une comparaison patiemment instituée de notre texte avec
tout ce qui m'est accessible de la famille épigraphique indiquée tout
à l'heure, il me semble
que ses liens de parenté technique sont le plus
étroits — mais en vérité
très étroits —
avec les deux inscriptions les
plus monumentales de tout le groupe l'inscription gravée sur le:

linteau de la grande synagogue à Kefr Bir'im et surtout celle de la


famille sacerdotale des « Benè Khézir », sur l'un des grands tombeaux
de la vallée du Cédron, quoique la langue de l'une et de l'ai^tre soit

beaucoup moins aramaïsante. Au point de vue paléographique, et


compte tenu de très minimes nuances, fatales entre des caractères
obtenus par un alignement expert de petits cubes de pierre ou tracés
par le ciseau d',un sculpteur adroit, le texte de la mosaïque a nette-
ment la même physionomie que celui du linteau de la synagogue
galiléenne. Avec l'inscription des Benê Khézir la parenté graphique
éclate davantage encore (3) : le mouvement de ^^< avec son crochet

(1) Recueil d'archéol. orientale, IV, pp. 345-360 et p. 372 s., pi. II. Voir aussi l'inscr.
hébr. de Séphoris dans R. P. Viaud, Nazareth..., p. 179 ss.

(2) Cl.-Ganneau, op. L, p. 350, cf. 347.

(3) On serait enclin à l'hypothèse d'un alphabet calligraphique courant, très bien fixé,
interprété à peu près dans le mtMne temps par un sculpteur probablement juif à Jérusalem
et par un mosaïste étranger mais très artiste dans le monument d"Aïa Douq.
RKVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XM. 35
546 REVUE BIBLIQUE.

oblique et son ample ouverture en triangle, la boucle supérieure du


2 et sa haste horizontale inférieure très développée, souvent liée à
une galbe généralement anguleux, l'inclinaison et
lettre suivante, le
l'exiguïté mieux discerné du • qu'à Kefr Bir'hn, l'allure du S dont
du i

la haste supérieure, hardiment projetée au-dessus de la ligne, se


boucle un peu de court au niveau moyen des autres lettres, la forme
finale du la nuance entre i et - sont autant de traits saillants d'une
"t,

similitude qui permettrait d'interchanger chacune de ces lettres dans


les deux inscriptions. Le rapprochement se poursuit dans de plus
minutieuses particularités. Le détail n'en serait fructueux qu'à la
condition de mettre sous les yeux du lecteur des fac-similés précis.
Une telle discussion n'a pas ici sa place et le moindre coup d'œil sur
quelqu'une des reproductions qui ont depuis longtemps vulgarisé les
inscriptionsdes Bené Khézir et de la synagogue de Kefi'Bir'im
permettra d'apprécier le bien-fondé de l'analogie paléographique
alléguée. Dès qu'on se remet en mémoire la constante évolution
graphique de l'hébreu, la conséquence de cette analogie saute aux
yeux pour qu'ils aient en commun tant de traits caractéristiques, il
:

faut que leur exécution soit plus ou moins sensiblement contempo-


raine par où l'on entendra que leur origine n'est pas séparée par un
;

intervalle plus long qu'un demi-siècle au maximum.


Laissons maintenant de côté l'inscription de la synagogue galiléenne,
moins étroitement apparentée à notre texte que celle de l'hypogée du
Cédron, plus difficile aussi à dater avec une relative précision. Il n'y
a plus à refaire aujourd'hui la démonstration, fournie naguère par le
maître le plus qualifié, M. de Vogué, que l'inscription funéraire des
Benê Khézir a été gravée « vers l'époque de Jésus-Christ », dans la
période hérodienne, ou vers la de la période hasmonéenne (1). On
fin

voit de suite quepaléographiquement similaire à'' Ain


l'inscription
Douq ne saurait dès lors être d'une époque plus basse que la pre-
mière moitié du i"*^ siècle de notre ère (2) et pourrait sans aucune
invraisemblance être remontée d'un siècle plus haut, en pleine époque
hasmonéenne. Même aussi largement approximative, cette détermi-
nation de date augmente l'intérêt du texte. Reste à considérer main-

(1) Voir De VogiJé, Le Temple


de Jérusalem, pp. 45-47. L'excellente argumentation de
M. de Vogué a passé, sous une forme plus ou moins résumée ou inutilement nuancée dans
les manuels cf. Lidzbarski, Handbuch der nordsem. Epigr., p. 117 Cooke, North-Semitic
;
;

Insc7\, p. 341 s. Chwolson, Corpus inscr. hebr., col. 64 ss. Bibliographie détaillée dans
;

DussAUD, Les monuments palestiniens et judaïques du Louvre, p. 54 s.


(2) Cette même limite chronologique inférieure est suggérée par la similitude paléogra-
phique avec l'épitaphe juive du sarcophage d'Hélène d'Adiabène, qui doit avoir été gravée
entre 6C et 70 de notre ère.
CHRONIQUE. 547

tenant si par quelque autre voie, quoique plus détournée, on


n'aboutirait pas à serrer de plus près cette date.
L'inscription est tracée dans lepavement somptueux d'un édifice
qu'elle ne mentionne par aucun nom précis, mais auquel elle attri-
bue la détermination remarquable de « lieu saint », par une formule
biblique consacrée nurnp nTit<, ne laissant pas que de piquer vive-
:

ment la curiosité. Un édifice ne saurait jamais être un accident


fortuit, surgissant du sol à telle ou telle minute et dont on puisse
déplacer l'origine sur un coup de dés. Il suppose du temps et implique
un ensemble de circonstances qui ne sont pas indifféremment réalisées
eu n'importe quelle décade d'un siècle. Que put donc bien être le
« lieu saint », ou « le sanctuaire », qu'ornait la mosaïque à inscription

d"Aïn Douq?
On penserait de suite à une synagogue, impliquant en ce lieu
l'existence d'une agglomération juive. A proximité immédiate du site
depuis longtemps reconnu comme ou
celui de la forteresse de Ao'r/.

AaYwv par d'assez sinistres événements au cours des


(l), illustrée

luttes intestines dans la période hasmonéenne, un monument de cette


nature serait facile à concevoir. La situation àla fois bien en évidence
et cependant tout à proximité du ruisseau réalise au mieux les deux
conditions essentielles requises pour l'emplacement d'une syna-
gogue (2). Mais le nom assez invariable de la synagogue était noj^n nn
en hébreu (3) et snt^iJD ou KrTdiiDin sous la forme araméenne. Tout
au plus pourrait-on attendre quelque transcription aramaïsée des
appellations grecques -po^^j'/r^, r.po^vjy-r,p'.s'f ou cra^^x'^'-v. L'inten-
:

tion très marquée de mettre bien en relief ici le « lieu saint )>,
équivalent stéréotypé du ^J^'!p mpa biblique [ï), ne saurait être
fortuite et doit donc être envisagée de plus près.
Le P. Lagrange a défini naguère le mp
aipa hébreu « un endroit :

saint dans l'enceinte sacrée elle-même », et l'enceinte sacrée en


général, dans tous les cultes sémitiques « un terrain réservé à la
:

divinité (5) », Cette emprise divine sur quelque partie du sol


particulièrement déterminée pouvait résulter d'un choix divin mani-

(1) Voir par exemple Séjourné, RB., 1895, p. 611 ; van Kasteren, RB., 1897, pp. 99-104.
Le nom moderne paraît bien s'articuler (^j-* ij/^' ^^^'^ "" 'I^f ^^ P^"* communément
sans article.
(2) Voir Fretté, RB., 1892, p. 137; SchUrer, Gesch. des jiid. Volkes, II*, pp. 517 ss.,
ou les articles « synagogues » dans les diverses encyclopédies récentes.
(3) DMSn n^l;
Peut-être aussi cf. D. Kaufmann, Rev. îles et. juives, XIII, 1886, p. 57.
(4) Cf. Ex. 29, 31; Lév. 6, 9, 19 s.; 7, 6; 10, 13: 16, 24; 24, 9; Ez. 42, 13; Eccl.
8, 10.
(5) Études sur les relig. sémitiq.-, p. 183, n. 3 et p. 185.
us REVUE BIBLIQUE.

festé de façon explicite : ainsi dans la vision de Jacob à Béthel (Gen.


XXVIII, 16 ss.), de Moïse à l'Horeb [Ex. m), ou celle de David recevant
l'ordre d'ériger un sanctuaire sur l'aire d'Oman (// Sam., xxiv
17 ss.); en d'autres cas son origine échappe et la sainteté du lieu s'est
imposée par quelque phénomène qui a frappé les imaginations, ou
s'est accréditée à la suite d'événements qui avaient une haute portée

religieuse.
Un cycle fort développé de légendes toujours vivantes dans la

contrée atteste précisément que la région d'Ain Donc garde encore


l'empreinte de ces antiques « lieux saints ». 11 y a de belles années
déjà l'investigation de M. Clermont-Ganneau. si finement en éveil
sur tout ce qui peut contribuer à éclairer le passé palestinien,
s'attachait à colliger ce folklore souvent trop négligé (1). A travers
les déformations, les superfétations et les évidentes puérilités dont
la copieuse légende de \Imdm Aly ' s'est encombrée, le maître avait
su dégager tous les traits essentiels de la personnalité de Josué et
les plus mémorables épisodes qui avaient marqué l'entrée des
Israélites dans la Terre Promise : capture miraculeuse de Jéricho,
merveilleuse extermination des rois de Canaan grâce au concours du
soleil qui revient sur l'horizonpour fournir à Josué le temps d'ache-
ver sa victoire, maint autre détail où transparaissent, malgré
et
leur enchevêtrement, les récits du livre de Josué, voire même d'autres
éléments de l'histoire biblique. Naturellement la légende complexe
ne Hotte pas dans l'air; elle est rivée au sol par mainte désignation
toponymique digne d'un examen attentif le jour où l'on en voudrait
tirer tout le profit ([u'cUe comporte. Une seule de ces localisations
folkloriques sera retenue pour le moment, car elle est en quelque
manière le nœud de toute la légende et qu'elle s'applique préci-
sément aux abords du point très déterminé qui nous intéresse.
Quand on a franchi, en suivant la vieille voie romaine de Jéricho
vers le Nord, le coude de l'ouâdy Nou'eïmeh qui s'infléchit vers le
Jourdain, on entre sur une sorte de plateau d'où émergent très
faiblement quelques tertres sans importance et que couvrent çà et
là des débris dénués à peu près de tout caractère, indices manifestes
cependant de quelque agglomération antique. La région est appelée :

Ard maqâm el-Imchn Aly, « territoire du sanctuaire de l'Imâm 'Aly »,


'

et, par une abréviation beaucoup plus commune Ard cl- Maqâm. :

Dans toute la contrée en effet, el-Maqâm, le sanctuaire » par excel-


<(

lence, c'est le lieu saint où l'Imâm 'Aly a voulu reposer après que

(1) Archaeological Researches, II, 20-26, 40 ss.


CHRONIQUE. 549

s'y furent accomplis, par la protection divine, les plus glorieux


événements de sa vie. Son minable et légendaire tombeau participe
à la traditionnelle sainteté de l'endroit et le Maqàm conserve toujours
les prérogatives d'un lieu sacré et d'un asyle. Malheur à qui oserait
seulement convoiter temporairement abandonnés à sa
les objets
protection! Le territoire, on pourrait presque dire leharam en son
sens primordial de région sacrée sans qu'elle implique une enceinte
la délimitant strictement, se développe au long de l'on. Nou'ehneh

jusqu'au mamelon du « Muezzin Ebeldl (1) », à la hauteur à'Aïn


Doiiq.
Le faisceau de légendes complexes dont on vient de résumer les
principaux éléments et qui authentiquent la sainteté de ce coin de
sol aux yeux de la population contemporaine pourrait n'être que le
développement capricieux et accidentel de quelque vénération supers-
titieuse éclose d'un contresens topographique, ou créée de toutes
pièces depuis la domination musulmane, ainsi qu'on en trouverait
d'autres exemples à travers la Palestine. Il est facile de constater
néanmoins que les réminiscences de Josué et de l'histoire biblique
en ce lieu ne sont pas nées d'hier et qu'ici, comme à propos
d'Abraham aux environs d'Hébron, de Samson en Philistie et de tant
d'autres, le folklore musulman de nos jours a de qui tenir.
M. Clermont-Ganneau groupait déjà naguère quelques indices de
nature à relier cette légende contemporaine à la croyance du moyen
âge et à d'intéressantes traditions monastiques des temps byzantins.
Il avait même très finement entrevu la relation probable entre le

moderne Maqâm de l'Imàm Aly =


Josué et le mpD dont l'ange qui
préside aux armées célestes proclamait la sainteté dans la vision
de Josué (2). Nous possédons apparemment aujourd'hui le chaînon
intermédiaire qui faisait alors défaut pour donner consistance à son
intuitive suggestion.
Lorsqu'en 1897 fut découverte la Carte-mosaïque de Màdaba,
grande fut la surprise d'y constater, sous forme de localisations
soigneusement distinguées, un double groupe Ébal-Garizim (3).
Le mosaïste s'était donné la tâche laborieuse d'atténuer cette criante
antinomie en introduisant dans les noms de vagues nuances ortho-

(1) JjLjÎ A^y tîst une orthographe du Survey rendant iniparfaiteinent l'articulation

locale : avec ulif prosthélique et non avec l'article.


'Belàl,

(2) Jos. 5, 15. Voir Cl.-Gaîvneau, Arch. Res., II, 47 et dans le Survey of West. Palest.
Spécial Papers, p. 328.
(3) Cf. Lagrange, RB., 1897, p. 170 s. et pi.
530 REVUE BIBLIQUE.

graphiques. D'une part TOYP rOOBHA et TOYP TAPIZIN, largement


étalés au sud de NEAnOAIC =
Naplouse et isolés par la mention de
Sychar discerné de Sychem et du Puits de Jacob, représentaient on
ne peut plus nettement les sites séculaires de la tradition samaritaine.
D'autre part, FEBAA et fÀRIZEINI, tassés l'un près de l'autre, loin
vers l'Orient et tout au bord de la chaîne montagneuse dominant
la vallée du Jourdain devant la « fontaine d'Elisée », déposaient
clairement en faveur dune tradition toute différente. V Onomasticon
d'Eusèbe était demeuré jusqu'alors le témoin le plus explicite de
cette localisation issue manifestement dune spéculation docte, sinon
tendancieuse, sur les données bibliques relatives aux deux fameuses
montagnes [i). Ce caractère de réaction savante ressortait des expres-
sions d'Eusèbe qui, après avoir enregistré la tradition samaritaine
de Naplouse, jconcluait : « ils îles Samaritains) se trompent, car les
montagnes qu'ils indiquent sont trop distantes entre elles^our qu'on
puisse entendre de l'une à l'autre ceux qui y pousseraient des
clameurs (2) ». Dans le même sens il faisait ressortir ailleurs la
relation établie par l'Écriture entre cesdeux montagnes et Galgala,
dont la situation à proximité de Jéricho, dans la vallée du Jourdain,
ne saurait être contestée. Et saint Jérôme d'ajouter, avec son énergie
coutumière « les Samaritains errent donc quand ils prétendent
:

montrer les monts Garizim et Ébal près de Néapolis, puisque l'Écri-


ture atteste qu'ils sont proches de Galgal ». En disciples zélés,
Épiphane (3) et Procope de Gaza (i) font de la surenchère sur YOno-
masticon pour vitupérer les localisations samaritaines, trop peu
respectueuses de 1 Écriture.
Ce n'est pas ici le lieu de reprendre de fond la discussion délicate
de toute cette exégèse. Un seul fait nous intéresse pour le monaent :

Eusèbe pas l'auteur responsable de lu docte interprétation


n'était
dont il se faisait l'écho. Elle avait cours de son temps et attachait les
noms célèbres de Fapusiv et FecxX à deux montagnes dont il ne
garantit nullement l'authenticité, mais qui répondraient bien aux exi-
gences bibliques : Asy^'^ti 7:apay.£î(70a', t'^ Upi^^w cçir^ sJc •/.a-à Tupôawrcv
i/>/.r,Ao)v y.al -'/.r^niz-f (ov tb jaèv eivai PapiLSiv, -zZï FscâA. *' On dit que près

(1) Deul. 11, 29; 27, 4, 12 s.; Jos. 8, 30, 33; Ju(j. 9, 7.
(2) Onom., s. v° TaigiX, éd. Klosterman, p. 64.
£a|j.ap£ÏTat ôè ?Tef.a osixvûo'jcriv ^à t^ "Siol tioXïi 7iapaxct[xeva, (7q)a),).ô|Ji.£vot, ôti ôr, u/.eîfftov
ôiEffTYjxaaiv àXXioXwv ûw' aÙTÛv Seixvûtieva, «b; (xr, 50va(T6at à'ûrÇt.uyi àxoOeiv toùç éxaTspwOev
Poûvraç. Cf. S. V roXyw),.
(3) PG. 41, col. 225 et 43, col. 352 s.

(4) PG. 87a, col. 905. Je dois au P. .\bel l'indication de ces textes.
CHRONIQUE. 531

de Jéricho se trouvent deux montagnes se faisant vis-à-vis et proche


Tune de l'autre ; lune d'elles serait le Garizira, l'autre l'Ébal. » Cet on-
dit, qu'il enregistre avec une évidente complaisance, dégage en tous
cas sa propre autorité et reporte antérieurement à son temps le souci
de cette détermination topographique \\ On ne voit pas qu'elle ait .

préoccupé Origène. Par où avait-elle donc pénétré si fortement dans


la tradition locale dès les premiers siècles de notre ère? Si Ton songe
qu'avant Eusèbe et S. Jérôme, surtout avant Origène, le souci de telles
recherches avait bien peu préoccupé les chrétiens, attentifs surtout
à connaître et à conserver la trace des pas du Divin Maître, on est fata-
lement ramené à l'époque juive.
Dans l'étroite mesure où elle m'est directement accessible en
dehors de l'historien Josèphe, la littérature juive archaïque ne
semble pas d'abord faire beaucoup de lumière sur le sujet. En pré-
sence des passages bibliques où se posait le problème, Josèphe
glisse, comme à son ordinaire, sur les difficultés intrinsèques et se
borne à relater la tradition des Samaritains, qu'on supposerait dès
lors avoir été, de son temps, en possession incontestée ^2). Il peut y
avoir là un indice à retenir, pour vague qu'il doive nécessairement
demeurer. On ne perdra pas de vue, en effet, que les Antiquités
judaïques écrites à Rome, tard dans le i" siècle, ne visent guère à
nous éclaircir la géographie des récits bibliques analysés surtout dans
une perspective apologétique. Tout au plus imaginerait-on que si,
dès le temps où l'historien vivait en Palestine, avait existé une locali-
sation de l'Ébal et du Garizim assez ferme pour s'imposer, dans la
région de Jéricho, à l'eucontre de celle de Xaplouse-Sichem, il y
aurait fait une allusion quelconque. Mais une tentative de cette
nature pouvait s'être produite dès lors sans qu'elle ait réussi à s'im-

planter avec assez de consistance et surtout avec assez de popularité


pour mettre en échec l'antique tradition courante dont Josèphe
demeurait l'écho.
On saisit au contraire chez les docteurs du Talmud la trace des

discussions provoquées de bonne heure par ce difficile problème. Tel


passage du traité Sôtah par exemple, dans le Talmud de Jérusalem,
qui énumère les sections bibliques devant toujours être récitées en

(1) Sur le caractère précaire des informations que V Onomasticon introduit par les rubri-
ques H on montre », ou « on dit », il faut toujours s'en tenir aux remarques très motivées
du P. La(;range, A la recherche des sites bibli<jues, dans Conférences de Saint-
Étienne. V.ni. pp. 13-17.
(2) Àiitiq. iV, 8, 44, éd. Niese, g 305 s., où les noms sont déformés en TpiÇeiv et po-jAT).
V, 1, 19, Niese, g 69, avec les orthographes meilleures Tapiîleî et 'H6^Xo;.
552 REVUE BIBLIQUE.

« langue sainte » (hébreu) par opposition aux autres dialectes usuels


— « araméen, syrien » et probablement grec après avoir men- — ,

tionné « la série de bénédictions et malédictions (aux monts Ébal et


Garizim, Deutéron. xi, 29) (1) » institue la discussion laborieuse qui
doit fixer « les dispositions géographiques des emplacements en
question (2) ». Et tout de suite l'on voit se dresser, à l'encontre
de la tradition bien assise (3) « qui désigne le mont Garizim et le
mont Ébal du Jourdain), où habitent les Cuthéens (Samari-
^loin
tains) », l'avis contraire et fermement motivé de R. Éléazar qui
affirme « ce ne saurait être là ni le mont Garizim, ni le mont
:

Ebal des Cuthéens », en faisant ressortir les indications deutéro-


nomiques relation immédiate avec le Jourdain qu'on vient de
:

franchir, situation « dans le pays des Cananéens », et « en face de


Guilgal ». A son gré, « les Israélites —
qui n'ont pas encore bougé
de place après le passage du Jourdain érigèrent deux monti- —
cules artificiels, auxquels ils donnèrent ces deux noms », Garizim et
Ébal.
Assurément l'occasion eût été on ne peut plus propice de préciser
la discussion en indiquant sur quel point de la vallée du Jourdain
auraient été érigés ces deux tertres. Ces rabbis palestiniens, dont le

zèle s'enflammait contre les « savants... Cuthéens qui se tiennent à la

lettre... sans admettre les explications orales », les accusant d'avoir


« falsifié [leur] rouleau de la loi », auraient-ils donc négligé de
signaler le groupe authentique Garizim-Ébal s'ils l'eussent explici-
tement connu dans la région de Jéricho?
Leur discussion se produisait apparemment vers le début du second
siècle de notre ère et il suffit d'avoir constaté leur opposition résolue
à la fameuse tradition samaritaine et leur persuasion que les saintes
(( montagnes » étaient dans la vallée du Jourdain, en relation plus ou
moins immédiate avec Guilgal et Jéricho. On est en droit d'en inférer
d'abord que leur opinion, n'eùt-elle aucun site déterminé, ni aucun
monument pour appui, devait fonder la tradition rivale qu'enregis-
trera plus tard VOnoinasticon. On en déduira aussi qu'à d'autres
époques plus anciennes d'autres maîtres en Israël ont pu spéculer de
même sorte sur les données bibliques et conclure plus pratiquement

(1) Jér. Sôtah, vn, 2; trad. Schwab, p. 298.


(2) L. L, l 3. Schwab, p. 300.
(3) Sans se perdre dans la nuit des temps, et quoi qu'il en soit des localisations géné-
rales Ébal, Garizim et tout le cycle, on sait aujourd'hui que le sanctuaire samaritain du
Garizim a dtl être érigé dans le dernier quart du v siècle « probablement... peu avant
411 » (LAnR4.N0K, UB., 1908, p. 346).
CHRONIQUE. HnS

que rabbi Éléazar. Serait-ce enfin par une détermination de son cru
ou de pur hasard que le mosaïste de Mâdaba aurait localisé son doublet
onomastique Tzcy'/.-Tyip'Zivf^ entre Archélaïset Jéricho, si Von-dit relaté
par Eusèbe avait flotté en l'air, sans aucune attache avec le sol? Si
cette localisation eût été ainsi pratiquée à la cantonade, on peut se
demander si le mosaïste n'eût pas trouvé le biais de mentionner les
saintes montagnes en relation plus immédiate avec FaAYxXa, en s'ins-
pirant toujours de sa source, Eusèbe, au lieu de s'imposer la com-
plication d'entasser les deux noms de part et d'autre de la fontaine
d'Elisée. Mais ici interviennent très opportunément la mosaïque juive
des environs à' Win Douq et son inscription.
Bien que nous n'en puissions dès maintenant préciser minutieu-
sement le site, la localisation générale indiquée permet de saisir
l'évidente relation de notre monument avec l'Ébal-Garizim de la
tradition subsidiaire qui vient d'être examinée. Pour la mieux conce-
voir, on voudra bien se remettre en mémoire que, depuis le retour
de l'Exil, une communauté juive avait repris possession de Jéricho
et de la contrée environnante. Les « gens de Jéricho » collaborèrent
libéralement à la restauration du Temple, au témoignage de Néh.
III, 2 et leur loyalisme religieux tout à fait bon teint a été attesté
par de humbles, mais suggestives trouvailles, au cours des
très
récentes fouilles du tertre à'' Ain es-Soiiltdn (1). Sous l'influence de
causes diverses, l'hellénisme pénétra de bonne heure au sein des
communautés qui ne pouvaient manquer de prospérer en cette
plantureuse contrée, « région divine », ainsi que proclamait un

dicton complaisamment enregistré par l'admiration enthousiaste de


Josèphe (2). Peut-être cette hellénisation, qui s'harmonisait au mieux
avec la richesse et le bien-être de ces communautés privilégiées
n"alla-t-elle point sans quelque fléchissement dans la ferveur reli-
gieuse. On a l'impression qu'à travers les grands jours de l'insur-
rection macchabéenne, et surtout durant les sanglantes discordes
de la période hasmonéenne, la population de ce district fortuné se
confina le plus possible en son isolement. Presque dès le début de la
conquête romaine sous Pompée, semble bien s'être désintéressée
elle

de plus en plus des agitations de Jérusalem et sous Tadministration

(1) Cf. RB., t909, p. 275 ss. et 1910, p. 412 s., à propos des anses d'amphores estam-
pillées au chiffre divin r\> et IHV
(2) Guerre, iv, 8, 3, éd. Niese, g 469 : 6eïov... tb x^piov. Sur le caractère de la religion
juive et l'inQuence de Ihellcnisrae en particulier, à partir du second siècle, voir Lagrange,
Le Messianisme..., pp. 52-57.
554 REVUE BIBLIQUE.

de Gabinius elle se fit attribuer une sorte d'autonomie politique, pro-


bablement dès l'année 57-56 avant notre ère (1).
Jéricho n'en conservait pas moins son caractère essentiellement
juif. Il semble même que la ville ait été une sorte de cité sacer-

dotale, d'esprit particulièrement avancé, sinon toujours parfaitement


à l'abri de reproche; d'aucuns ont pu estimer que l'expression « le
peuple de Jéricho » aurait désigné communément les prêtres, surtout
quand il s'agissait de faire peser sur ce peuple des imputations trop
justifiées d'exactions ou d'avarice (2). Une anecdote du Talmud de
Jérusalem fera connaître, dans le courant du second siècle après notre
ère, une « école de Beth Gadya sise dans Jéricho » et que paraissent
avoir illustrée des lumières de science et de piété, « Hillel l'ancien »
en particulier (3). Quelles quaicot été ses tendances séparatistes et
sa relative indifférence aux âpres compétitions de l'ère hasmonéenne,
la communauté du district de Jéricho ne devait certainement
juive
pas se soustraire à la surexcitation du sentiment religieux et du
sentiment national qu'avaient causée les victoires des Macchabées (4).
Elle participait, à coup sûr, à la haine invétérée de la nation entière
contre ces Samaritains pervers, honnis à l'égal des Gentils et maudits
plus que tous, en raison de séculaires rancunes, La littérature apo-
calyptique, si florissante dès le second siècle av. J.-C., célèbre comme
un triomphe du Lévitisme les succès guerriers de Jean Hyrcan contre
les Samaritains et leur faux sanctuaire du Garizim, en 129, et vingt ans
plus tard, vers 110, l'anéantissement de Samarie-Sychem « dite cité
des sots (5) ». L'occasion était trop belle de compléter l'anéantissement
des Samaritains en cherchant à s'approprier jusqu'aux souvenirs de
l'histoire nationale qu'ils avaient usurpés et qu'ils prétendaient détenir
dans temple impie de leur Garizim de contrebande (C). S'il est
le

une époque propice aux spéculations savantes qui, au nom même


de l'Écriture, transplanteront de Samarie en terre juive le théâtre
des glorieux événements auxquels sont liés les noms d'Ébal, de
Garizim, peut-être même de Silo, c'est bien ce dernier siècle avant
notre ère où l'Apocalyptique reconstitue l'image idéale d'ivne Pales-
tine théocratique, pays de délices au sein duquel est placé le trône

(1) JosÈPHE, Aiit.. XIV, 5, 4, Niese, g 91; Guerre..., i, 8, 5, Niese, g 170.

(2) Celte opinion est attribuée à Buchler dans la Jewish Encyclop., s. V Jéricho.
(3) J., Sofah, IX, 12 et 16, tr. Schwab, p. 338 et p. 344.
(4) Voir la peinture de cette évolution du Judaïsme dans LAfiRANCE, Le Messianisme

chez les Juifs, pp. 66 ss.


(5) Cf. Lagrange, op. l., p. 72.

(6) èv tût... TapiÇsiv (Teffuxo^avTYiiiévto; xaXojjiéva)..., comme dira plus tard Épiphane
(P. G., 41, c. 225).
CHRONIQUE. 55b

rie Dieu fl ), tandis que le rabbinisme naissant va s'acharner à en


justifier les prérogatives par des décisions exégétiques complétant
l'Ecriture.
Telles périodes de tranquillité prospère et de progrès de la culture
hellénistique dans la région de Jéricho, le règne d'Aristobule par
exemple, si éphémère qu'il ait été (lOi-103 av. J.-C), ou mieux encore
la domination d'Alexandra (76-67), s'offriraient assez propices à la
création du « sanctuaire » â'Ain Douq (2). Ni le caractère de la
mosaïque, ni la paléographie de l'inscription ne répugneraient à
s'encadrer dans l'une ou l'autre de ces dates. Il est pourtant une
autre époque vers laquelle convergent avec une plus solide vraisem-
blance tous les indices déduits ou à déduire encore du monument :

c'est le milieu à peu près du long règne d'Hérode le Grand.


Après une douzaine d'années de formidables troubles et de luîtes
incessantes, l'Iduméen est enfin le maître incontesté d'un pouvoir
que nul compétiteur n'est plus en mesure de lui disputer et que
la faveur des Romains lui garantit. Pendant plus de dix ans Hérode
va pouvoir s'absorber dans des entreprises fastueuses qui couvriront
le royaume de temples, de forteresses et de palais, mais surtout
de la série Complète des édifices municipaux que requérait en chaque
ville une vie publique de plus en plus imprégnée d'hellénisme et

d'éléments romains basiliques, thermes et toute la variété des


:

monuments appropriés aux divers genres de sports et de spectacles.


Non sans susciter dès le principe une assez vive défiance, ni sans
froisser amèrement les susceptibilités orthodoxes, ila manifesté tout
d'abord son dessein de consacrer au dieu national ses premières
munificences en restituant au Temple trop humble de la restauration
post-exilienne sa primitive splendeur. Mais il s'emploie ensuite avec
non moins d'activité et d'aussi amples largesses à l'érection de
luxueux et très profanes édifices et non content d'embellir à la grecque
les villes existantes, il restaure avec splendeur des villes ruinées et
en fait surgir de nouvelles. Cette activité créatrice s'exerce notam-
ment dans la vallée du Jourdain. Jéricho est reconstruite à frais
nouveaux sur un plan plus vaste et dans un site plus spacieux que
celui de l'étroite cité primitive relevée aux jours de Néhémie (3).
Une forteresse dominant la passe qui descend au massif judéeii vers

(1) Cf. Lagrange, Le Messianisme..., p. 80 s.

(2) On me permettra de rappeler que cette expression est adoptée par une approxima-
tion commode et suffisante, sans aucune intention de lier ce sanctuaire h la localisation
de l'antique forteresse Aojx-Aaytôv et de sa bourgade.
(3) Cf. HB., 1910, p. 417 et le diagramme de localisation.
556 REVLE BIBLIQUE. •

la nouvelle ville est créée en même temps et reçoit le nom de Cypros,


en souvenir de la mère du monarque. A la mémoire de son frère
Phasaël il fonde la ville de Phasaélis, presque au pied de la vieille
forteresse hasmonéenne d'Alexandreion Sartabeh restaurée elle- =
même avec opulence Dans cette phase éLblouissante, qui paraîtrait
(1).

tenir des contes de fées si les attestations explicites de Josèphe n'étaient


corroborées en chaque site par des indices demeurés très clairs
malgré leur délabrement, le monument d' ..4m Douq et sa mosaïque
somptueuse mais dinspiration artistique où rien n'eût dénoté l'inter-

vention juive sans l'inscription trouve son explication la plus natu-


relle et presque spontanée.
On vu comment, dans la période immédiatement antérieure,
a
un heureux concours de circonstances politiques et religieuses avait
provoqué et rendu facile un transfert onomastique des saintes mon-
tagnes Ébal et Garizim en cette région groupement topographique :

justifié par une exégèse sûre d'elle-même et qui entraînait la recons-


titution du sanctuaire de la manifestation divine à Josué lors de
l'entrée au pays de Canaan. A n'envisager que des indices extrin-
sèques, l'inscription hébréo-araméenne tracée dans le pavement de
mosaïque s'était révélée avec les plus solides vraisemblances comme
pouvant dater des derniers temps hasmonéens, ou de l'époque héro-
dienne. Kestait à découvrir le moment propice à cette installation
monumentale et restait aussi à trouver la raison de l'apparente anti-
nomie existant entre un document religieux juif aussi nettement
spécifié que notre texte et le caiactèie profane, voire même païen
aux regards de l'orthodoxie juive, de la décoration qui l'accom-
pagne. En effet, nulle encore parmi les synagogues antiques déjà
connues en assez grand nombre, surtout en Galilée, ne paraissait
avoir eu de pavement en mosaïques. Impressionné par l'observation
de Sir Charles Wilson que ces synagogues étaient invariablement
pavées en dalles de calcaire blanc (2 , M. Clermont-Ganneau (3),

(1) Voir SÉJOURNÉ, RB., 1895, pp. 613 ss Abel, RB., 1913, pp. 227 ss.
;

(2) Wilson, Synago(jues of Galilée, dans le vol. Spécial Papers du Survey of


W. Pal., p. 296.
(3) Recueil..., IV, 351. En discutant, par la suite, la très line mais
fragile hypothèse

d'un édifice chrétien bâti par un juif converti, M. Clermont-Ganneau n'a pas manqué
de faire (p. 358) les plus justes réserves sur la nature chrétienne de « l'édifice primitif »
dont on lui signalait les ruines comme celles d'une vaste église. Rien en effet, dans l'état

présent des fouilles, n'autorise cette conjecture. Jusqu'à plus ample informé, on aura
donc tout bonnement l'impression d'une synagogue quelconque, antérieure à toute véné-
ration chrétienne de ce site. La "1212 « bain lustral » si ingénieusement interprétée
par le maître désignerait quelque dispositif pour les purifications rituelles dans le genre
de ce que nous a fait connaître la synagogue de Délos; voir RB., 1914, pp. 525 s., 531.
CHRONIQUE. 357

inclinait naguère à en déduire une sorte de « règle générale », qui


parait avoir influencé son interprétation du monument décoré par la
mosaïque à inscription hébraïque de Cana. Et si les pavements de
simple mosaïque, même dépourvue de tout ornement comme celle-là,
eussent été prohibés des synagogues, à plus forte raison n'eussent-ils
pas été de mise dans un « sanctuaire », surtout quand des représen-
tations zoomorphiques s'y étalaient avec prodigalité.
Laissons pour ce qu'elle pouvait valoir en son temps la remarque
au sujet des dallages dans les synagogues 1 On n'était plus trop ému, .

en principe, par la présence de représentations animées dans la déco-


ration de ces édifices, depuis que de multiples et très soigneuses
observations en avaient enregistré des exemples indubitables dans
l'ornementation sculpturale qu'un exemple particulièrement impres-
et
sionnant, la mosaïque célèbre de la synagogue de Hammam Lif en
Tunisie, pouvait être allégué à rencontre du vieil et trop rigide axiome
de Finterdiction absolue des figures dans l'art juif (2). Il demeurait
néanmoins que le cas de la mosaïque synagogale africaine, certaine-
ment pas antérieure aux premiers siècles chrétiens, reflétait beau-
coup plus une tradition artistique romaine qu'une inspiration juive
A proprement parler, encore que des symboles juifs assez explicites
s'y mêlent à des figures toutes plus on moins susceptibles d'un

symbolisme orthodoxe tel quel. Et c'était bien aussi de l'influence


romaine que relevait manifestement toute la physionomie artistique
— s'il n'y a pas trop d'emphase en cette expression des sj-na- —
gogues galiléennes, dont aucune ne pouvait avec certitude être datée
plus haut que le second siècle de notre ère. Si profonde se révèle

(1) Probablement compromise déjà par les mosaïques à inscriptions hébraïques de Cana
et de Séphoris.
(2) Je n'ai pas sous la main la Rev. archéologique des années 1883 et 1884 où a été
publiée intégralement la belle découverte de Hammùm Lif; mais diverses publications
ultérieures, tellesla monographie de D. Kvufmann, Rev.
que et. juives, XIII, 1886

pp. 46-61 avec une bonne planche, les notes de S. Reinach, ibid., pp. 217-223, ou la
description de P. Monceaux, Rev. et. j., XLEV, 1902, pp. 11-13, permettent de se faire
une idée correcte du monument. On ne doute plus aujourd'hui qu'il s'agisse d'une syna-
gogue juive, malgré les nombreuses représentations animées, voire même un buste humain,
qui figurent dans le pavement. Voir la bibliographie dans ScniiRER, Geschichte des J. V..
II*, pp. 510 n. 28, 517, n. 58, 521 s.; cf. 65 s. M. D. Kaufmnan aurait même affirmé {Jew.
Quart. Rev., IX, 1897, p. 255 que le lion en particulier aurait été « admis à toutes les
époques dans synagogues juives ». Schùrer, à qui cette citation est empruntée, obser-
les

vait (II *, p. que cet usage serait « dilhcilement valable en Judée au temps da
622, n. 70)
Christ ». La mosaïque d' \Un Douq parait bien ruiner sa restriction. Le Targ. de Jérus.
sur Lév. 26, 1, cité dans le diction, de Lévy (II, 155 s. v^ Ti"OD) autorise clairement \e»
figures dans des pavements historiés, même au Temple. Voir d'ailleurs l'article Art, dans
Jew. Eneyclop., II, 141 ss.
558 , REVTJE BIBLIQUE.

en effet le plus souvent cette empreinte romaine, que divers savants


en ont conclu à l'exécution par des artistes romains (1).
Quand le moment sera venu de discuter de façon plus approfondie
et surtout plus positive la délicate question de 1' « art juif », il y
aura lieu de discerner ce que de telles appréciations pouvaient avoir
d'excessif. Il demeure, en tout état de cause, que la mosaïque d' 'Aïn
Douq, où n'intervenaient plus seulement des représentations animées
plus ou moins indifférentes, quoique multipliées à profusion, mais,
une fois au moins, la figure humaine spécialement prohibée parles
prescriptions religieuses du judaïsme, offrait une incontestable anti-
nomie avec rinscription qui atteste la nature sacrée du monument.
L'antinomie disparait dès qu'on a situé l'origine de ce monument
à l'époque précise où nous a conduit cette enquête quelque peu
fastidieuse par son indispensable mais très aride minutie. En ce der-
nier quart du siècle qui a précédé notre ère, c'est-à-dire entre les

années 25-15 pour adopter une date concrète, la situation politique


et morale des communautés juives de la Vallée du Jourdain s'har-
monise aux conditions artistiques le plus aptes à rendre un compte
exact du monument qui nous occupe. Ce que les Juifs de la région
di^Aïn Doiiq ont en vue, c'est un édifice consacrant, à leurs yeux^
le site sanctifié par de solennelles manifestations divines, aux jours
lointains de la Conquête. Des circonstances inespérées rendent cette
création facile puisque les récentes victoires hasmonéennes ont fait
disparaître les Samaritains usurpateurs. Dans ce milieu depuis long-
temps imbu de culture hellénistique et déjà familiarisé avec la civi-
lisation romaine qui en dérive, la plus chatouilleuse orthodoxie
n'exclut nullement l'adoption de concepts esthétiques et l'emploi de
formules artistiques dont le judaïsme lui-même demeurait jusqu'alors
dépourvu et qui sont, après tout, bien inoffensifs.
Et voici que précisément à l'heure où s'élabore le projet du sanc-
tuaire, l'activité fastueuse d'Hérode a couvert la contrée d'une véritable
armée d'architectes, de constructeurs et d'artistes variés qui incarnent

(1) Voir par exemple Kitcbener, Synagogues of Galilée, dans QS., 1878, p. 128, ou le
vol. Spécial Papers...,p. 304 « It seems... alraost a certainty that... thèse synagogues...
:

were built by Roman labour... The Jews themselves... were unable to perform work
of this sort, and by using Roman workmen obtained rauch finer results than... they
would themselves hâve been capable of ». On trouvera des remarques analogues, quoique
sous une forme plus correctement nuancée, dans Renan, Mission de Phe'nicie, pp. 761 ss,
765, 786 etc. Naguère encore MM. Thiersch et Hoischer [Mitteilungen der deut. Orient-
GeseUschaft, n" 23, 1904, pp. 17 ss.) attribuaient l'ensemble des synagogues de Galilée
à l'époque romaine probablement postérieure à l'an 200. Je n'ai pu encore me procurer le
grand ouvrage que MM. Kohi et Watzinger ont publié pendant la guerre sur ces synagogues.
CHRONIQUE. 559

les meilleures tradilions techniques de l'hellcnisme et du goût romain.

Rien de plus naturel que de faire appel à leur compétence pour


réaliser le monument projeté. Trop
peu d'éléments nous sont actuelle-
ment connus de en lui-même pour autoriser une induction
l'édifice
plus approfondie; mais dès qu'on se représente le pavement confié à
quelque mosaïste hérodien, sa conception devient limpide et ne détone
plus avec le langage juif de l'inscription votive qu'il a reçu mission
d'insérer dans son œuvre. Sans se préoccuper le moins du monde
si l'édifice à décorer est sacré ou profane, l'artiste compose, au
mieux de sa compétence et des règles de son art, un carton qui
satisfait ses clients par sa somptuosité et sa parfaite élégance et il
l'exécute dans ce « lieu saint » du judaïsme tout comme il l'eût exécuté

pour Hérode en quelque temple à la gloire de César, dans un palais,


dans un théâtre, ou dans les galeries de quelque riche villa, en n'im-
porte quel site du monde romain contemporain. Or si la composition
décorative qu'il a réalisée ne comporte ainsi aucune intention de
symbolisme méticuleux qu'on devrait rechercher avec une sollicitude
laborieuse, si elle offre des analogies indéniables avec des mosaïques
historiées d'époques très diverses et beaucoup plus tardives (1), c'est
pourtant au cycle « augustéen » du classement technique des spécia-
listes (2) et, —
pour rester plus strictement dans le domaine de
Palestine —
au cycle hérodien, dans là mesure restreinte où l'on
,

peut dès aujourd'hui parler de mosaïques hérodiennes, qu'elle se


rattache de la façon la plus satisfaisante. Je ne lui connais pas, en
effet, de meilleure analogie de style et d'exécution que deux pavements

découverts à Jérusalem l'un, qui était en relation avec la tour


:

Pséphina —
sans que l'on puisse songer à quelque jeu de mots
onomastique —
a malheureusement disparu presque aussitôt après sa
découverte et il n'en subsiste qu'un fragment d'estampage colorié, dû
au zèle archéologique du regretté P. Germer-Durand; l'autre, plus
considérable et par malchance redevenu également inaccessible, a
été trouvé précisément dans la région où se développa le palais
d'Hérode et la Revue (3) a fait connaître du moins quelques-uns des
fragments qui avaient pu être examinés. Si difficile que soit en géné-

(1) Par exemple, au point de vue du style et de la composition ornementale, avec la


mosaïque à inscription arménienne du mont des Oliviers (cf. Cl.-Ganneau, Arch. Res, I,
329 ss. et pi. Vincent et Abel, Jérusalem, II, pi. xliii), ou avec celle de l'Élianée
;

à Mâdaba [RB. 1897, p. 652), de la fin du v s.


(2) Cf. Gauckler, art. Musivum opus, dans le Diction, des anliq. gr. et rom. de Darera-

berg et Saglio, III, 2096.

(3) Vestiges hérodiens, dans RB., 1910, pp. 418-420 et pi.


560 REVUE BIBLIQUE.

rai ladétermination chronologique d'une composition décorative en


mosaïques (1), le pavement d"^m Doiiq présente donc des particula-
rités qui autorisent son attribution à cette même époque hérodienne
où nous reportait, par une suggestion plus ferme, la paléographie de
l'inscription et dans laquelle s'expliquent de manière si satisfaisante
l'origine et la raison d'être du sanctuaire juif.

Car c'est bien d'un « sanctuaire » qu'il s'agit, et non d'un lieu de
culte usuel, synagogue ou de quelque nom qu'on désigne. Ce que les
le

Juifs du temps vénéraient en cet endroit, c'était la fameuse manifesta-


tion divine à Josué en ce 'c/ip D'pc (2) dont le maqdm contemporain

(1) Voir à ce sujet les remarques de M. Gauckleh, op. L, \k 2089 s.; cf. A. Blanchet,
Étude sur la décoration des édif. de la Gaule romaine... La Mosaïque, pp. 119-132.
(2) Jos., 5, 13-15. L'araméeu mn»S*, mieux orlliograpbié KIDX, répondant strictement à

l'hébr. mpQ et l'idée ou de sanctuaire étant mise en évidence par


de « lieu de culte »

l'inscription d"Arn Douq, le P. Lagrange me fait observer que celte donnée nouvelle
paraîtrait de nature à rappeler l'attention sur deux passages demeurés obscurs dans les
papyrus judéo-araméens d'Élépbantine. Il est question en etïet, dans le Pap. B, 1. 2 s.
{Aramaic Papyri... éd. by Sayce, Cowi.ey, etc.), de « Dargman fils de Kharchin ^QTin
NFlT'i 2*^2 mrN ^"î
», que les savants éditeurs ont traduit : « le Khorazmien du temple
du feu qui est à Yeb la forteresse », en rapprochant hypolhétiquement mriN* du terme
persan analogue qui signifie « le feu ». Dans le Pap. E, 19, intervient le témoignage d'un
« Barbarî fils de Dargi tSDD N'^riN *!"
», interprété comme « l'orfèvre du temple du feu ».
Le P. Lagrange a noté dès le premier moment {RB., 1907, p. 259, n. 6 et 263, n. 1) que
'

la tournure Kharchin le Khorazmien de B, 2 suggérait de lire également un ethnique


dans E, 19 : Dargî le Caspien "lEDD, au lieu de l'orfèvre, "lED^, dont la relation avec le

« temple du feu » n'est pas très linipidement introduite par la particule ''"î.
Caspiens et
Khorazmiens d'Élépbantine, qui qualifient des personnages aux noms d'excellente physio-
nomie perse, pouvaient fort bien être originaires d'une même localité de Athra tombée
pour nous dans l'oubli, car elle serai-t manifestement sans lien possible avec Axpai =
Hatra dans la Basse Mésopotamie, mais d'où serait dérivé le vocable d' Athropatène ou
d'Athrapatène usité dans les sources hellénistiques et (jui pourrait même n'être pas sans
quelque attache avec le nom "IlSHriN du Pap. B, 9. L'interprétation du P. Lagrange se
renforce du lait ([ue les listes de témoins, dans les documents d'Élépbantine, paraissent
bien, réserve faitedu "iSOD qui détermine doux noms dans E, 18 s., ne mentionner nulle
part la profession des témoins, tandis que nous y trouvons au moins un cas évident de
détermination ethnique, ce N"" ;23. babylonien si bien en situation après le nom "IIUTIH,
dans B, 19. Comme on ne voit, d'autre part, aucune possibilité de ramener ''D'nn à quel-
que désignation professionnelle telle que l'exigerait l'analogie avec 1SD3 entendu au sens
d'« orfèvre « — the silversmith —
fin ne pouvant comporter aucune
, la racine araméenne
formation de cette nature, il faut donc apparemment conserver les ethniques Khoraz- :

mien, Caspien, Babylonien. Il reste néanmoins que les formules « Khorazmien de :

Athra » et « Caspien de Athra » — comme nous pourrions dire « grec de Salonique, ou


bulgare de Salonique » — ne sont apparemment pas limpides avec le relatif 1" devant
niDN, qui semblerait d'ailleurs recevoir ensuite une localisation « dans Yeb la place
^ forte ». C'est sans doute ce qui a suggéré à Lidzbarski, dans B, 2 : « le Khorazmien dont
le quartier — mnx avec le suflf. — est à Yeb », interprétation diflîcile à justifier. Staerk
est encore plus énigmalique avec sa lecture "in.S* désignant je ne sais quoi. En se rej^la-
CHRONIQUE. 561

perpétue fidèlement jusqu'à nous le souvenir à peine déformé. Autour


de leur nouveau « lieu saint », rrciip -inx, les Juifs empressés à
s'attribuer les dépouilles samaritaines vont grouper avec un zèle érudit
les souvenirs du Garizim et de J'Ébal. Et de même que les Samaritains
suivant en cela une tendance religieuse assez constante dans les milieux
les plus divers, avaient groupé autour de leurs saintes montagnes le
plus grand nombre possible de commémoraisons glorieuses, leurs
héritiers se donnèrent sans doute la tâche de refaire à leur profit une
exégèse analogue et reconstituèrent ainsi à proximité de la \ allée du
Jourdain, avec leur sanctuaire pour centre, le même cycle qu'on
appellerait volontiers topol/itrique, en utilisant une expression
heureuse de M. Clermont-Ganneau (1).
Par malheur pour cette docte et pieuse reconstitution, elle se pro-
duisait au déclin de l'autonomie juive. Le « lieu saint » était à peine
achevé et les nouvelles localisations accréditées que le royaume allait
retomber dans la plus sombre et désastreuse anarchie, en attendant
le jour prochain où la nation juive elle-même s'abimerait tout entière
dans la catastrophe qui eut pour épilogue la ruine de Jérusalem et la
défmitive mainmise des Romains sur la Judée. La splendeur du sanc-
tuaire à'^Aïn Douq fut donc des plus éphémères, puisqu'elle ne se
prolongea pas beaucoup au delà d'une génération. Mais si le monu-
ment devait sombrer dans la tourmente de l'an 70, le savant assem-
blage de souvenirs qu'il concrétisait demeura figé parmi ses ruines.
Quoique le cycle samaritain, rival plus heureux, ait pu se reconstituer
assez tôt, il ne devait réussir que graduellement à supplanter le cycle
juif.Dans lespècede renaissance juive palestinienne du second siècle,
la compétition parait bien avoir atteintune particulière âpreté, puis-
que la littérature talmudico-midrachique à laquelle nous avons fait
plus haut quelques emprunts va jusqu'à inculper les Samaritains de
falsification intentionnelle de l'Écriture. Toutefois, si rien ne s'oppo-

çant dans la perspective de Sayce-Cowley, le sens pur et simple de « sanctuaire, lieu de


culte » pour ninx s'harmoniserait parfaitement à la localisation qui suit. L'expression ne
serait plus qu'une variante de N"|13N (E, 14; J, 6), variante dont on ne s'étonnerait pas
outre mesure, puisque d'autres documents d'Éléphantine — les Papyrus Sachau qui—
décrivent cette N~!1JN, la nomment aussi : NnzTO T\*^1 (cf. B.B., 1908, face p. 325,
docum. I, nuances de désignations suffisamment
6, 7, 9, etc.; Il, 7, 9, 11, etc.; III, 3) :

expliquées par la nature même du temple des Juifs d'Éléphantine tel que le P. Lagrange
proposait naguère de le concevoir [R. B., 1908, pp. 337 ss.). La solution de l'énigme est
donc, en fin de compte, laissée à de plus habiles; mais la donnée nouvelle fournie par
l'inscription d"Aln Douq sur le sens concret de ""inx pourrait bien ne pas demeurer
sans valeur.
(1) Recueil, d'arch. or. V, p. 334.
REVUE BIBLIQUE 1919. — N. S., T. XVI. 36
^62 REVUE BIBLIQUE.

sait dans les écoles juives de Palestine, spécialement en celle que


nous connaissons à Jéricho, à la reprise de ces joutes topographiques,
riieure n'était plus d'aucune sorte favorahle à la restauration d'édifices
juifsayant un caractère particulièrement religieux. Le cycle samari-
tain devait donc finir par l'emporter et par s'imposer de nouveau à
l'adoption de ses compétiteurs eux-mêmes. Mais le cycle de Jéricho ne
pouvait être radicalement effacé. Il avait donné le caractère de « lieu
saint » à un site très déterminé de la Vallée et sa « tradition » survivait
nettement jusqu'aux temps byzantins, grâce aux attestations del'O^io-
masticon et de la Carte mosaïque de Mâdaba (1). La tradition juive
plus ou moins précise a pu se perpétuer jusqu'assez avant dans la
période byzantine puisque l'hagiographie monastique au moins aussi
tardive que le vi® siècle signalera comment les anachorètes de la laure
de Ac'jxa avaient maille à partir avec les Juifs d'une bourgade voisine
appelée Noôpôv (2). Depuis l'inauguration de l'ère musulmane en

(1) que cette dernière source est alléguée de façon explicite,


C'est très intentionnellement
au lieu dans la série des simples dérivés de Y Onomaslicon en matière de
d'être rangée
topographie sacrée, S. Épiphane par exemple, ou Procope de Gaza (cf. ci-dessus). Tout en
accentuant comme il convenait la relation étroite qu'on ne saurait nier entre le mosaïste
de Mâdaba et Eusébe, dès le premier moment de la découverte le P. Lagrange a mis
soigneusement en relief l'autorité souvent indépendante de la Carte (voir RB. 1897,
pp. 181 ss.), dont les attestations revêtent en maint endroit un caractère d'évidente
originalité. L'artiste puisait donc ses renseignements à d'autres sources que le seul Onomas-
Ucon. M. Clermont-Ganneau a très finement établi qu'en un cas au moins, à propos du
fameux BYitofjLafaea :?) xal MatojiJia;, il « n'a fait que suivre... une variation intentionnelle
de la tradition locale de Mâdeba » {Recueil..., IV, p. 341). On sera donc assez enclin à
admettre, avec M. A. Biichler (Revue des études juives, XLII, 1901, p. 128), (jue le mosa'ïste
a connu « aussi la tradition rabbinique », non plus seulement, par l'intermédiaire d'Eusébe,
une tradition momentanée et depuis longtemps évanouie, mais une tradition survivante
de son temps parmi les cercles juifs de la contrée et qui a pu lui fournir ses localisations
explicites de l'Ébal et du Garizim palestiniens, localisations indéterminées dans l'Onomas-
ticon. Le cas du AwSexaXtôov accolé à raXya)va n'est pas moins suggestif dans le même sens,
ainsi que l'a montré M. "W. Bacheu, Jewish Quart. Review, XIII, 1900-1, p. 322 s.

(2) Voir les citations groupées


par van Kasteuen, RB., 1897, pp. 102 ss. et déjà par
Clermont-Ganneau, Arch. Res., II, 21 s. Il n'avait pas échappé au maître français que si
le nom de la vieille forteresse macchabéenne de Awx a pu se déplacer, ou se scinder entre
le mont de la Quarantaine et V'Ain Douq contemporain, la bourgade juive de Nospôv,

héritière évidente de NoopâO de XOnomasticon et de Na'arah biblique (Jos.. 16, 7:


I Chron., 7, 28), devait être cherchée à proximité assez immédiate d"Am Douq [Arcli.

Res., II, 22). En conformité avec cette vue très juste, quand on reprendra d'ensemble
l'examen de la question lopographique, il y aura lieu de serrer de plus près les coordonnées
de la Bible de Josèphe et de l'hagiographie chrétienne tendant à situer l'antique ""iV-,
riche en eau, dans la région ou de considérables ruines d'installations hydrauliques attestent
l'utilisation des eaux copieuses de Douq et de Nou*ei7neh. La dissertation récente de
M. le prof. Guthe [ZDPV., XXXVIII, 1915, pp. 41-49) est loin d'avoir résolu ce petit
problème topographique, et beaucoup moins encore les spéculations mythologiques du
prof. S. Krauss [ibid., 1916, pp. 94-97 sur ce Na'arah.
CHRONIQUE. 563

Palestine et la disparition de toute agglomération juive au\ abords de


Jéricho, le cycle des traditions bibliques allait se transformer, les
souvenirs du Nouveau Testament s'imposant plus que tous les autres
à la sollicitude des pèlerins. Les autres néanmoins n'avaient pas
disparu sans retour et l'antique < lieu saint » gardait ses titres à la
vénération dans la mémoire tenace comme dans la piété fidèle du
« peuple de la terre » et l'intérêt est très réel d'avoir pu ressaisir son
existence (1).
Car si les notes qu'on vient de lire interprètent avec quelque fonde-
ment la mosaïque et son curieux texte, sans s'être laissé duper par des
vraisemblances fallacieuses, on voit toute la portée du monument
révélé de manière fortuite par le canon germano-turc.
Quand on examine l'étroite surface actuellement connue et l'allure
du pavement décoratif par rapport aux éléments de structure, on est
conduit à imaginer un développement de la pièce principale au moins
double de ce qui est déjà déblayé. L'espoir serait-il absolument
chimérique de quelque autre composition iconographique, sinon
même de quelque inscription complémentaire faisant pendant à ce
que nous avons sous les yeux à l'extrémité méridionale de l'édifice?
Sans vouloir glisser imprudemment dans une divination captieuse,
'

je me bornerai à remercier de nouveau les distingués officiers anglais


dont le libéralisme aimable nous a valu la connaissance provisoire de
ce remarquable monument. Leur compétence technique réalisera
probablement bientôt le déblaiement intégral attendu avec la plus
légitime curiosité.
Fr. H. Vlxcext, 0. P.
Jérusalem, lô juin I!)19.

(I) Peut-être même se demandera-t-on si certaine légende d'inscription sur une longue
pierre avec un corps Iiuinain dans des caisses dorées, enregistrée naguère par M. Clermont-
Ganneau [Arch. Res., Il, 23) dans la région du Maqàm, ne serait pas quelque réminiscence
déformée de linscription en mosaïques et du sujet dans lequel elle était encadrée.
RECENSIONS

The Book of Deuteronomy iu the Revised Version with Introduction and notes
by sir George Adam Smith, Principal and Vice-Cliancellor, University d'Aber-
deen, etc.; in-16 de cxxii-396 pp. Cambridge, at tlie University Press, 1918.

C'est une preuve de grande activité biblique qu'une collection destinée aux écoles

et aux collèges soit entre les mains de savants du premier rang. Si M. G. A. Smitb
a étudié le Deutéronome dans l'esprit du regretté Driver, son œuvre n'en est pas

moins parfaitement originale, et les questions sont traitées à fond, de telle sorte que
plus d'un professeur aurait peine à y pénétrer. Celle de l'unité du Deutéronome est
entrée dans une nouvelle phase. Le livre lui-même se présente comme composé de
plusieurs parties. Après un titre, le premier discours servant d'introduction aux

lois (1, 6-4, 40) subdivisé en partie historique (1, G- 3, 29) et exhortation (4, 1-40),
suivi d'un fragment sur les cités d'asile. Après un second titre (4, 44-49), le second
discours d'introduction, divisé en Prologue (5), et exhortation (6-11), comprenant
une revue historique (9, 7^-10, 11). Un troisième tilre (12, 1) précède les lois, ou
corps du Deutéronome, le colleclaneum du R. P. de Huramelauer (12-26). Viennent
enfin les discours de conclusion (27-30), et les derniers jours et discours de Moïse,
avec les deux poèmes (31-34).
Sur ces bases, on disputait il y a quelques années de l'unité entre ces diverses
parties. Pour la fin (31-34), on était, et on est encore d'accord qu'elle n'appartient
pas à la même plume. Quant au reste, et sous réserve de quelques gloses ou notes
d'éditeurs subséquents, les uns n'admettaient qu'un auteur, d'autres deux, d'autres
trois: un bon nombre de critiques pensaient que le Deutéronome, c'esl-à-dire le
corps des lois, avait été enrichi d'une première, puis d'une seconde introduction.
Pour M. Smith la question ne se pose plus de la sorte. Il a admirablement dépeint
le caractère du Deutéronome, constamment oratoire, constamment passionné pour

la loi, dont il inculque l'observance, animé, connue nul autre livre de l'Ancien

Testament, du sentiment de l'amour de Dieu, amour de Dieu envers Israël, amour


qu'Israël doit avoir pour son Dieu. Et cet esprit s'exprime dans une langue parfaite-
ment une, de sorte qu'il est impossible de détacher de l'ensemble l'une ou l'autre
des deux introductions.
Cependant les doutes sur l'unité demeurent. Aucune partie considérable ne peut
être détachée des autres, mais c'est toute la trame qui présente, dit-on, des nuances
divergentes. Il y aurait jusqu'à cinq indices dans ce sens. Et il est sûr que s'ils
étaient convergents, c'est-à-dire que s'ils donnaient tous les cinq à certains passages

une note caractérisée, on ne pourrait méconnaître plusieurs éléments distincts. Mais


ce n'est pas ce que prétend M. Smith. Une première raison de faire deux classes
de passages, c'est que Mo'ise parle tantôt à la génération qui a assisté à l'Exode,
RECEiNSIOXS. 565

tantôt à une génération censée nouvelle. Mais ce peut être un effet de rhétorique, et
ilne juge pas à propos d'insister. En second lieu, il note que chaque discours préli-
minaire se divise en partie historique et en exhortation, avec cette particularité que
le premier discours parle des événements plus récents, le second de ce qui s'est

passé à l'Horeb. Cet arrangement est assez déconcertant pour nos habitudes, mais
qu'en déduire? Qu'il y ait de plus des doublets dans les lois, cela indiquerait plutôt
des compléments que des éditions différentes. Le quatrième indice contre l'unité est
le plus important. Tantôt Moïse s'adresse aux Israélites au pluriel, tantôt au peuple
au singulier. Mais M. Smith sait très bien que ce passage n'a rien d'extraordinaire
en hébreu, qu'il peut s'expliquer par différentes raisons, et finalement il n'ose con-
clure àdeux auteurs dont l'un emploierait le pluriel et l'autre le singulier, quoique
dans certains cas on puisse voir là l'indice d'un changement de main. Le cinquième
argument, la présence d'additions, serait plutôt une explication différente des diver-
gences notées. Si bien qu'enfin M. Smith aboutit à une solution très mitigée. Le Deu-
téronome (1-30) serait une compilation de différentes éditions, mais qui pourraient
être du même auteur, et il faut renoncer à définir exactement les limites et le con-
tenu de ces éditions séparées. C'est ainsi que M. Blass a distingué deux éditions des
Actes des Apôtres, émanant toutes deux de saint Luc. Seulement il a eu l'imprudence
de rééditer lui-même la première, et chacun a pu constater l'arbitraire d'une pareille
restitution. Après l'analyse diligente de M. Smith, il ne reste qu'à considérer le
Deutéronome comme l'œuvre d'un seul auteur, sauf, encore une fois, les additions
qu'il a pu recevoir au cours des âges.
Les dernières études ne l'ont donc que mettre davantage en relief la personnalité,
si l'on peut dire, de ce livre admirable, dont le style est si original et le sentiment si

coramunicatif. Selon l'usage reçu, M. Smith le compare à J (Jahviste) et à E (Elohiste),


qui contenaient eux aussi de l'histoire et de la législation. Mais il faut convenir que
la distinction entre J et E est loin d'être certaine. Tout ce qu'un critique est autorisé

à faire, c'est une comparaison avec ce qu'on nomme P, le Code sacerdotal, compre-
nant dans cette vue H (le code de sainteté), et les autres éléments de TExode, du
Lévitique et des Nombres, ou si l'on veut JE. Cette comparaison s'impose à tout le

monde, surtout en ce qui regarde les codes de loi, puisque dans le texte sacré lui-
même ils se présentent dans un état distinct. Si les changements avec le Code
de l'alliance (Ex. 20, 23-23, 19) supposaient un très long laps de temps, une évolu-
tion considérable, on ne pourrait pas dire que les deux codes ont le même auteur.
C'est bien ainsi que raisonne M. Smith, mais il faut bien convenir que ce raisonne-
ment n'a aucune portée dans le système des critiques qui font naître J et E au ix"
ou au Mil*" siècle. On nous dit par exemple que dans le Deutéronome la législation
permet de prendre l'intérêt de l'argent à l'étranger (15 3; 23, 20), qu'elle interdit de
déplacer les bornes (19, 14;, qu'elle fait allusion au roi ^17, 14-20) et au prophète
(18, 9-22), avec une administration détaillée de la justice (16, 18-20; 17, 8-13 oh!
bien rudimentaire!), que tout cela suppose qu'on est établi dans la terre promise...
mais n'y était-on pas au au viii« siècle, et à l'époque plus tardive où l'on a
ix** et
réuni J et E? Notre argument, on le voit, n'est purement que ad hominem. Mais ce
serait beaucoup de réduire à peu de choses l'évolution entre JE et D. Car nous
aurions recours ensuite à un autre argument, encore ad hominem, mais avec un
appui sur les réalités. Voici qu'aujourd'hui on est d'accord sur la pérennité de la

législation; un peuple ancien ne changeait pas ses lois ni en bloc ni soudain. Et


d'autre part, les « critiques » parlent volontiers du séjour des tribus dans le pays
de Canaan avant même que quelques-unes soient descendues en Egypte. Mais alors
566 REVUE BIBLIQUE.

pourquoi leurs coutumes n'auraient-elles pas prévu les rapports avec les étrangers,
les bornes des champs, en un mot ce qui est relatif à l'agriculture? Cela ad
hominem.
D'ailleurs on peut raisonner d'après la tradition comme dans l'hypothèse de la
critique. La tradition ne représente pas les Israélitescomme de purs nomades,
surtout à leur sortie d'Egypte, où ils s'étaient forcément vus en contact avec des
civilisés. 11 n'y donc aucune raison de ne pas regarder le Code de l'alliance comme
a
aussi ancien que Moïse, et si le Deutéronome ne marque pas, dans ses parties propres
et essentielles, une évolution considérable de la législation, on ne saurait l'assigner

à une date récente pour cela seulement qu'il prévoit que les Israélites pourraient

avoir un roi et qu'ils auraient un ou des prophètes dans le genre de Moïse lui-même
(Os. 13, 14).
Mais il y, comme on sait, le gros obstacle de l'unité d'autel, prescrite par D, au
lieu de du Code de l'Alliance. Encore est-il que dans D cette unité regarde
la liberté

l'avenir. M. Smith est un modéré. Il écrit « Dans toute l'histoire d'Israël, il n'est
:

rien de plus certain que ce point l'unité d'Israël a dû commencer par une unité
:

religieuse et Moïse a été son médiateur » (p. cx.iii). Mais alors Moïse a dû com-
prendre l'importance de l'unité d'autel pour tout Israël, et pourquoi ne l'aurait-il
pas décrétée pour un avenir, abandonné d'ailleurs à la Providence de Dieu? Car les
termes sont très vagues : « au lieu que lahweh votre Dieu, choisira parmi toutes vos
tribuspour y mettre son nom et en faire sa demeure » (Dt. 12, 5 et passim). Au
lieude dire avec M. Smith que « la loi deutéronomique de l'unique autel n'était pas
prophétique mais expérimentale » (p. cix), je dirais plutôt que c'était une prophétie,
une loi prophétique, dont l'exécution devait être « le fruit d'une expérience graduelle,
mais à la fin si convaincante qu'elle remplaça la bonne foi avec laquelle les chefs
d'Israël bâtissaient des autels et y sacrifiaient, conformément à l'ancienne loi de
l'Exode 21, 24, par un sentiment plus fort des dangers que cette liberté faisait
courir aux éléments spirituels de la religion d'Israël » {p. cix). L'autel du Temple
de Jérusalem avait été bâti sur l'ordre du prophète Gad (Il Sam. 24. 18), mais,
sans parler des lieux consacrés par la présence des patriarches, on pouvait penser
que Samuel n'avait pas sacrifié en divers lieux sans une autorisation divine. C'est
seulement après la ruine du royaume du nord, lorsque Jérusalem eut été miracu-
leusement protégée, que le choix de Dieu parut avec évidence. Nous ne contestons
nullement cette expérience graduelle, mais si, sous Josias, en 621, elle devint une
loi absolue, c'est parce qu'elle avait été prédite dans un texte fort ancien, oîi parlait
Moïse, et qui répondait exactement au rôle de iMoïse et à ce qui dut être sa pensée.
Assurément les simples vraisemblances historiques n'excluent pas que quelqu'un
se soit fait alors l'interprète de cette pensée, mais enfin le Deutéronome fut
reçu comme l'œuvre de Moïse. Y a-t-il des raisons décisives de lui en refuser la

paternité ?

Eu remontant depuis le temps de la découverte sous Josias II Reg. 22), on a

proposé pour le temps de la composition les premières années du règne du prince.


Mais cette date esi trop tardive d'après M. Smith. Personne alors n'a douté de
l'antiquité du livre, et rien dans le récit des Rois, encore moins dans le livre lui-
même, ne permet de soupçonner une fraude. D'ailleurs une fraude eût été impos-
sible sans le concours d'Helcias, grand prêtre aurait sûrement rédigé autrement
et le
le chapitre des lévites. Remonterons-nous avec Driver jusqu'au temps de Manassé ?
Mais D aurait-il respiré ce calme et cette confiance, sans aucune allusion aux persé-
cutions de ce temps désastreux? Le temps d'Ézéchias fut favorable à la littérature,
RECENSIOiNS. o67

mais le Deutéionome ne renferme aucun indice spécial relatif à cette époque. Donc
M. Smith se contente d'une approximation Le Deutéronome : a composé après
été
Ézéchias (725 av. J.-C), mais avant Josias. « La critique moderne n'a aucun verre,
de télescope ou de microscope, pour préciser plus exactement » (p. cvi). C'est à se
demander si ses verres lui permettent d'indiquer le siècle. L'hypothèse^ de la fraude

est brutale, mais va droit au but. Tandis que si D. avait peut-être une centaine
d'années lors de sa découverte, a-t-on le droit de lui refuser un siècle ou deux de

plus, et peut-être cinqou six? On le fixe au vif siècle parce qu'il suppose la prédi-
cation des prophètes, mais certaines omissions sont plus caractéristiques que la
prédication courante et fort ancienne des attributs de lahvé. Le D. ne le nomme
pas « Saint », ce que font Osée et Isaïe. L'interdiction de la consultation des morts
(18, 11 s.) est dans Isaïe (8, 9 s.), mais Saûl avait-il été bien inspiré en consultant
la pythonisse d'Eador? Le culte de l'armée des cieux (Dt. 4, 19: 17, 3) date surtout
d'Achaz (II Reg. 23, 12), et le rite de passer les enfants au feu (Dt. 12, 31: 18,
9 s.) battait son plein à cette Reg. 16, 3; 17, 17). Il faut concéder ces
époque (II

points. Mais la loi contre Amaleq (25, 17-19) convient si peu au vii« siècle que des
critiques plus radicaux y voient une haggada récente. D'ailleurs M. Smith reconnaît
que l'auteur s'est bien mis à la place de Moïse. Il n'insiste pas, comme on l'a fait, sur
la désignation de la Palestine orientale comme étant au delà du Jourdain, parce que
ces passages (1, 1. .5: 4, 46 s. 49: 3. 8-, 4, 41) peuvent être secondaires, tandis que

dans 3, 20. 11, 30 l'au-delà du Jourdain est bien la Palestine occidentale. Mais
2-5;

cette méthode ne peut-elle pas être appliquée dans d'autres cas encore?
>'e pourrait-on pas voir une preuve de l'antiquité du Deutéronome dans la façon
dont il traite des prêtres-lévites? D'après M. Mangeoot « Dans le Deutéronome au :

contraire, le lévite, c'est le membre de la tribu de Lévi. sans détermination ulté-


rieure et sans aucune notion d'infériorité ] le prêtre, c'est le lévite en tant qu'investi
du droit à l'exercice des fonctions saintes » {Dictionnaire... de M. Vigowoux, t. IV,
e. 204). De son côté M. van Hoonacker déclarait : « Il n'y a pas à discuter la réalité
patente de ce fait : dans les parties deutéronomiques de l'Hexateuque, le nom de
prêtres n'est pas exclusivement réservé à une portion spéciale de la tribu lévitique »

{Le sacerdoce Irvitique dans la loi et dans l'histoire, p. 174). J'avoue d'ailleurs que
ces formules me satisfont plus que celle de M. Smith : « Pour le Deutéronome tous
les hommes de la tribu de Lévi sont prêtres » (1) (p. xxiii). même en ajoutant.

(1) M. Smith s'appuie surtout sur Dl. 18, Les prêtres lévites, toute la tribu de Lévi
l ss. «

n'aura pas de part ni d'héritage avec Israël; les sacrifices passés au feu [luJx]
ils mangeront
de lalivé et son héritage. 2 Et il n'y aura pas pour lui d'héritage, etc. ». Or il faut noter que
l'incise « toute la tribu de Lévi • ne signiûe pas « qui sont toute la tribu de Lévi », mais
:

« même toute la tribu de Lévi », ce que concède M. Smith en traduisant « ecen ail the tribe of

Levi »; et il faut entendre « ni d'uue manière générale toute la tribu de Lévi », de même que
15, 21 « Si l'animal est boiteux ou s'il a un défaut quelconque • ou 16, -21 « tu ne planteras ni
:

achéra, ni un bois (juelconque ». Donc ni les prêtres lévites, ni personne de la tribu, n'a d'autre
part que le Seigneur. On objecte que le texte parle ensuite des sacrifices, qui sont donc la
part de tous les lévites, lesc|uels sont dune tous prêtres. Oui, mais M. Smith note avec raison
que ny?K est du style de P; c'est donc une addition postérieure. Gomment peut-on s'en servir
pour déduire la pensée de I).' De plus, comment P aurait-il eu la pensée de remanier un texte
pour lui faire dire expressément que tous les lévites sont i)rêlres? Dans le texte primitif de D.
<m disait seulement ici que lahve est la jiart de tous les lévites; rien à conclure pour leur
caractère sacerdotal. Après la revision de P, il faut lire le texte comme les LXX, car jamais
n^nj ne signifie les sacrifices qui sont la part de lahvé. Le texte était donc mnl V^x
DT^DN* In^ni "/-otptwfjiaTa K-jpîoy ô x).y5poc a-JTwv, çâyovTat aOïà, cf. Ez. 44, -29. Dans la pensée
du dernier rédacteur, cela s'entendait des i>rétres; la phrase suivante (v. 2 qui est au singulier
reprend ce qui regarde toute la tribu de I,évi. Pour qu'il n'y ait pas de doute eu ce qui regarde
o68 REVUE BIBLIQUE.

comme il le fait ailleurs, prêtres de jure, à moins de l'entendre seulement dans ce


sens qn'on devait prendre les prêtres parmi eux. Car il est impossible de supposer

que les sanctuaires n'aient pas été administrés par des familles sacerdotales, jalouses
de leurs privilèges. Les lévites qui n'avaient pas pu mettre la main sur un sanc-
tuaire devaient être nettement distincts des prêtres qui y offraient des sacrifices.
Dans ce cas-là, ils constituaient bien en fait un ordre inférieur parmi les prêtres-
lévites. Tout cela, avouons-le, a au premier abord un fort relent de schisme. Mais
les catholiques qui ont admis avec M. Vigouroux que la loi d'unité n'est devenue
obligatoire qu'assez tard, ne peuvent s'étonner de rencontrer des prêtres dans les
sanctuaires qui passaient pour légitimes, et rien n'oblige à croire qu'ils devaient
être de la race d'Aaron, ce qui eût rehaussé £es sanctuaires au détriment de celui de
l'arche et ensuite de Jérusalem. Le Deutéronome ne nie pas le privilège d'Aaron,

mais il est très logique en ne s'en occupant pas, puisqu'il ne prévoit l'unité que
dans l'avenir. 11 lui suffisait d'obliger les prêtres de son sanctuaire unique à recevoir
tous les lévites, au titrede serviteurs du culte de lahvé, mais dans des termes
vagues à dessein et qui ne parlent pas des sacrifices (Dt. 18, 7).
Mais si D eût été l'œuvre d'un groupe prophético-sacerdotal décidé à faire pré-
valoir le sanctuah'e de Jérusalem, ce groupe se serait-il contenté d'insister sur la
nécessité pour les prêtres d'appartenir à la tribu de Lévi? Aurait-il laissé dans
l'ombre le lieu du sanctuaire unique? n'aurait-il rien dit des droits de son sacerdoce?
M. Smith a bien raison d'estimer qu'une semblable législation ne pouvait émaner du
grand prêtre Heicias. On peut en dire autant des représentants du sanctuaire de
Jérusalem cent ans plus tôt. Et encore faudrait-il expliquer comment l'ardente pré-
dication du Deutéronome en faveur de la loi a dû son expression à une coalition
des prêtres et des prophètes, car le livre découvert a été découvert par Heicias,
On voit que tout n'est pas net dans le système des critiques. Malheureusement
les exégètes catholiques ne se décident pas Le R. P. de Huramelauer
à traiter ce sujet.

se plaignait naguère qu'aucun commentaire catholique compétent n'avait paru depuis


deux cents ans, lorsque, eu 1901, il consacrait au Deutéronome un volume du
Cursus Scripturae sacrae. Son système, on s'en souvient, consistait à attribuer à
Samuel le corps de lois (12, 1 —
25, 15}, tandis qu'il laissait à Moïse ce qu'il
nommait le Pentalogue ou les cinc] lois (6, l 7, 11) avec un préambule (5i, une—
exhortation (7, 12 —
11, 32) et une sanction (28); encore toute cette partie pour-
rait-elle, dans son texte actuel, être l'œuvre de Samuel, l'ancien texte ayant peut-être
été perdu (p. 119;. Ce système entièremement nouveau, sorti tout entier de l'esprit
ingénieux de son auteur, ne pouvait satisfaire ni l'esprit traditionnel, ni l'esprit cri-
tique. On ne saurait nier que cet esprit critique ait comme une nouvelle
créé
tradition, résultat d'un effort collectif, qui jouit d'une grande autorité dans les
écoles. ]M. Smith la représente sous son aspect le plus tempéré et le plus respec-
tueux. Si l'on voulait la prendre à partie de très près, il faudrait non pas une recen-
sion, mais un commentaire, et un commentaire de tout le Pentateuque.

Fr. M.-J. Lagrange.


Jérusalem.

la partdans les sacrifices, les prêtres seuls sont nommés au v. 3. Qu'un texte remanié ne soit
pas parfaitement limpide, cela est assez naturel; mais 11 n'est pas permis, après avoir distingué
deux rédactions, de raisonner du sens de la première en tenant compte de la seconde.
RECENSIONS. 569

The Book of Judges. with introduction and notes (ajoutez des cartes et des
illustrations tirées des monuments., edited bv the Rev. C. F. Rlrney, D. Litt.
Oriel professer of the interprétation of Holy Seripture in the University of Ox-
ford, etc., in-S" de cxxviii-528 pp. Rivingtons, London, 1918. Prix net 21 */(. —

On peut le dire sans injustice : nous ne possédions en aucune langue un commen-


taire du livre des Juges aussi riche, aussi développé dans le sens des comparaisons

avec le monde une méthode philologique parfaitement


oriental, le tout contrôlé par
sûre. Des notes additionnelles mettent au courant sur une foule de pro- le lecteur

blèmes, l'informant assez soigneusement pour qu'il puisse se former une opinion, —
à tout le moins pour qu'il se rende compte de l'immensité du champ ouvert par les

études, et qu'il faut avoir parcouru pour comprendre le texte sacré. Cette justice
rendue à l'auteur, à propos d'un ouvrage si nettement supérieur à la moyenne des
productions exégétiques, nous sera permis d'indiquer quelques réserves.
il

La critique textuelle est d'un maître. Peu de livres de l'A. T. donnent plus d'oc-
casions de s'exercer au tact critique. Deux recensions grecques fort différentes sont
une difficulté de plus, en même temps qu'une ressource. Et le cantique (le Débora.
si beau, offre encore tant d'énigmes! Je profite de l'occasion pour rétracter la tra-
duction que j'ai donnée de 5, 21 « a foulé les cadavres des forts », reposant sur
une restitution invraisemblable et qui n'était proposée dans le commentaire qu'en
second lieu (encore avec ^£2 et non v^^-r;, qui serait bien un barbarisme, comme
dit M. Burney" . Mais je ne voudrais pas introduire dans cette ardente poésie les vers

« restaurés » : « Que ceux qui chevauchent sur des ânesses brillantes le repassent
(revieiv it), que ceux qui cheminent le rappellent à leur pensée. Ecoutez les jeunes
filles rire auprès du puits » iv. 10 De même au v. 9 « Venez, chefs
s.). : », est bien
prosaïque et de quel droit remplace-t-il « Mou cœur va aux nobles d'Israël »?
M. Burney suit volontiers M.
suggéré de vive voix des correc-
Bail, qui lui a même
tions. Elles sont toujours rationnelles, mais trop prodiguées. Mettre des mots cou-
rants à la place de mots rares et résoudre un style trop concis en style de prose, ce
n'est pas améliorer la situation mieux vaudrait dire non liquet. Je 'rangerais encore
:

dans cette catégorie :Ruben


est extrêmement divisé en factions », au lieu de
«

« Sur les rives de Ruben » (v.


1-5 , que M. Burney ne trouve pas aussi bien en

situation. Mais les hésitations attribuées à Ruben par le cantique ne supposent pas
nécessairement des factions. C'est plutôt de la paresse qu'on lui reproche. Et de
quel droit introduire « la reine » au v. 30.' Mais si la part de la conjecture est trop
large, M. Burney sait aussi maintenir les droits du texte en s'appuyant sur les

découvertes de l'épigraphie. On connaît maintenant les inscriptions de Panamraou,


de Kalamou, de Zakir; mais combien d'exégètes savent s'en servir? Et cependant a
ceux qui rajeunissent le cantiqne à cause de quelques formes araméenncs, il était

opportun d'opposer ces monuments authentiques où se révèle une langue oscillant


parfois entre le cananéen et l'araméen.
Assez déterminé, comme on voit, dans la critique textuelle, M. Burney l'est

encore plus dans la critique littéraire. Certes je pense toujours qu'on peut voir dans
lesJuges des marques d'une double rédaction ancienne (J et E\ d'un remaniement
deutéronomique et de passages plus récents dépendant de P. M. Burney attribue
des passages à D-, E-, H {Hotiness, loi de sainteté), plusieurs autres combinaisons,
comme K^-, et une source innomée pour les chapitres 20 et 21. De la sorte il

réduit le texte en petits fragments, jusqu'à reconnaître quatre coupures toutes d'un
570 REYUE BIBLIQUE.

caractère secondaire dans un seul verset (10, 6). Or si ces passages ont un caractère
secondaire, il est naturellement plus difQcile de les distinguer. Quant à la distinction

de E et de J, par exemple dans l'histoire de Gédéon, je suis lieureux de constater


qu'après quinze ans et d'après une étude absolument indépendante et très soignée,
M. Burney aboutit aux mêmes résultats. Il tire souvent un grand parti de E-, sub-
E que je ne saurais pour ma part tenir pour très caractérisée.
division de
Il ne m'a même pas été possible de retrouver J dans les chapp. 17 et 18.
M. Burney admet un double récit ancien (J et E) et maintient sa solution dans les

Addenda (p. xx) contrede M. Bewer (The composition of Judges,


les objections

Chapp. 17, 18 dans The American Journal of Semitic langunges (1913-14), p. 261-
283). La thèse de l'unité a été reprise encore par M. H. Segal {The text of Judges
xvii-xviii dans Journal of the Manchester egyptian and Oriental Society, 1916-
1917, 38-48), lequel ne semble pas se douter que ses arguments ne sont pas tous
nouveaux. Dans l'histoire de Samson, M. Burney attribue le chap. 13 à J- et les

chapitres 14-16 à J'. Cette notation est d'autant plus étrange que le distingué cri-
tique ne reconnaît pas dans 14-16 « la grâce littéraire et le 6ni qui distingue les
plus belles parties de J et de E » )p. 337). Qu'est donc ce J, s'il est distinct de .T'

et de J- aussi bien que de JE, et. s'il est le même que J- dans l'histoire de Samson,
comment appliquer ce critérium aux autres histoires? Enfm je demeure sceptique
sur la part attribuée à J dans le ch. 19, et je ne serais pas aisément convaincu par
une analyse comme celle-ci : « [E] Et l'homme se leva pour partir, [J] lui et sa

concubine et son serviteur, [E] et son beau-père [J] le père de la jeune femme, [E]
lui dit : [J] Voici que le jour penche vers son coucher, je vous prie, passez ici la

nuit » (19, 9 ss.j, etc. Aussi bien, d'après M. Burney il u'y a en somme qu'un récit
ancien dans cet épisode; mais tandis qu'avec Moore il l'attribue à J, je pense toujours
qu'il est de E. Les raisons qui font pencher M. B. pour J sont les ressemblances
avec l'histoire de Lot, mais précisément dans des passages de la Genèse que j'attribue
à E... Les deux opinions sont donc logiques, mais ce n'est pas le lieu de reprendre
ici ce gros problème. Quant à l'ensemble du récit ancien dans 20, 21, il doit être
de la même main que l'histoire des Dauites (17-18), c'est-à-dire de E. Dans le récit
du M. Burney attribue encore de nombreux passages à J, et n'hésite
siège de Gibéa,
pas à attribuer les gros chiffres à un document ancien.
La critique historique ouvre un horizon plus étendu. Informé comme il l'est,
M. B. devait recourir à toutes les ressources nouvelles pour étudier la période des
Juges du dehors. Et c'est bien à ce point qu'il a consacré le paragraphe le plus
important de son introduction.
Avouons-le franchement avec lui, le gain positif est presque nul. Le livre des Juges
ne met nulle part Israël en lutte avec l'Egypte ni avec l'Assyrie, et l'histoire de ces
deux pays montre qu'en effet leur influence en Palestine, leurs tentatives pour la con-
quérir ont subi alors un temps d'arrêt. C'est un résultat très favorable à la tradition,
mais une con(irmation plutôt négative. Tous les renseignements positifs sont relatifs
à l'époque antérieure; néanmoins M. Burney lésa dépouillés soigneusement et avec
raison, puisque toute période historique dépend de celle qui la précède, et que cela
est surtout vrai de la prise de possession du pays de Canaan par les tribus d'Israël,
tenue par la tradition. pour un retour au pays des patriarches. On sait que la critique
moderne s'est beaucoup exercée sur ces ancêtres d'Israël. Quelques-uns les regardent
comme d'anciens dieux déchus, d'autres comme une personniûcation des clans
d'Israël.
M. Burney fait une part au premier système, car d'après lui Gad, Aser et même
RECENSIONS. 571

Dan sont des noms divins. Que Gad soit le nom de la Fortune, il n'y a pas à le nier,
mais la tribu de Gad a-t-elle regardé son ancêtre comme un dieu? C'est autre chose.
De même que pour Aser. dépend du sens qu'on donne aux petites histoires de
cela
la Genèse ,'30. 9 ss.): or scabreux de lire entre les lignes ce que
il est toujours
l'auteur u'a sûrement pas voulu dire. Quant à Dan, il serait le soleil, parce que le
Soleil est le juge par excellence; argument assez précaire. D'ailleurs, ce. que
xM. Burney cherche surtout dans les histoires des patriarches, c'est l'histoire des
clans d'Israël, non point dans le dessein de trouver la Bible en défaut, encore moins
de Taccuser de mensouiie, mais parce qu'il estime retrouver son véritable sens,
moyennant lequel elle concorderait avec les renseignements épigraphiques. Il est

trop sage pour traiter l'histoire des patriarches comme une histoire chiffrée dont
tous les détails auraient un sens cryptographique relatif aux aventures des tribus,
cependant nous croyons qu'il fait encore beaucoup trop large la part de l'interpré-
tation : les détails de la vie de famille sont à prendre pour ce
Regarder qu'ils sont.

Rébecca comme une tribu araméenne, c'est attribuer aux femmes plus d'importance
que ne faisaient les Sémites. 11 est vrai que. parmi les tribus citées par les généalo-
gistes arabes, quelques-unes ont pour souche un nom féminin; mais M. Nœldeke
lui-même a pensé (ZDMG, 1886, p. Ifi9), qu'il n'y en a probablement pas une d'his-
torique, et que ce féminin représente, au moins dans certains cas, un collectif expri-
mant une action de la tribu, selon le génie particulier de l'arabe qu'on ne peut pas
aisément appliquer à l'hébreu. Ce qui est certain, c'est que si la Bible emploie
indifféremment le même nom pour un homme et pour une tribu, elle ne généalogise
pas par les femmes, et que les noms des femmes des patriarches ne sont jamais des
noms de Mais puisque nous ne pouvons aborder cette question délicate, cette
tribus.
réserve de principe une fois faite, indiquons les points d'accord que M. Burney
trouve entre les renseignements épigraphiques et la tradition hébraïque telle qu'il
l'entend.
Les Habirou sont les Hébreux, mais dans un sens très large, celui de nomades
araméens.^Ces^ premiers Araméens qui pénètrent en Palestine sont groupés autour
^u nom d'Abraham, personne réelle ou conception idéale, vers les temps de Ham-
mourabi. Le séjour d'Abraham en Egypte peut correspondre à l'entrée en Egypte
"^"(ï'un clan araméen au temps des Hycsos. C'est après l'expulsion des Hycsos, et vers
l'an 14.3-5 que des tribus araméennes de même origine se sont installées en Egypte.
Les Égyptiens étant alors les maîtres de la Syrie devaient tolérer facilement cette
pénétration. Quel rapport avaient ces tribus avec celles qui ont conquis plus tard
Canaan? Le clan araméen d'Abraham était retourné en pays araméen, où il avait
fusionné avec le clan Rébecca; puis avec les clans des femmes de Jacob.
L'ensemble portait alors le nom de Jacob, et il se trouve précisément qu'un
scarabée du temps des Hycsos porte le nom du capitaine Jacob-el, et que Touth-
mes III se vante d'avoir conquis le pays ou la ville de Jacob-el. Rentré en Pales-
tine, Jacob y prend le nom d'Israël, et précisément Minephtah se vantera d'avoir
détruit Israël. Cette coïncidence frappe M. Burney. Il ne s'étonne pas non plus que
Séti L'"" ait donné tant d'importance à Aser, parce que cet Aser avant la lettre se
trouverait situé où fut plus lard l'Aser biblique. Une partie de ces tribus, déjà forte-
ment installées en Canaan, serait descendue en Egypte. C'est sûrement la maison
de Joseph, peut-être aussi Siméon, Lévi. et même une partie de Juda. L'Exode eut
lieu sous Minephtah. Juda pénétra dans Canaan par le sud, et la maison de Joseph
par Jéricho.
On estimera sans doute que l'avantage de rattacher la tradition hébraïque à quel-
072 REVUE BIBLIQUE.

ques indications de l'histoire des peuples voisins ne vaut pas les sacriflces qu'on
impose de la sorte à cette tradition. Est-ce bien la tribu d'Aser qui sous Séti I" et
sous Ramsès II était si puissante?
M. Sethe {OLZ, 190-5 col. 78 citant GoU. gel. Anzeigen, 1904], a pensé que ce
prétendu Aser était Assur, et Ed. Meyer regarde Aser comme le nom primitif d'Assur
(Gesch. 2« éd. 1, ii, p. .538). L'hypothèse de IMax Millier serait à peine plausible si

l'Exode avait eu lieu sous la XVIII<^ dynastie. Mais s'explique-t-on l'essor extraor-
dinaire d'une tribu araméenne contiguë à la Phénicie, sa déchéance aussi complète
que rapide, les Israélites la reconnaissant pour apparentée, mais lui construisant
une généalogie modeste à cause de ses infortunes? N'est-il pas plus vraisemblable
que la tribu, venant avec les autres, n'a jamais eu des destinées prospères parce
qu'elle s'est heurtée aux villes puissantes de la côte? La tradition interprétée à la
lettre a moins de difûcultés que l'hypothèse. A faire fond sur l'identification de
M. Millier on s'écarterait moins de la vraisemblance en supposant que la tribu a
pris dans le pays son nom d'Aser {Steuernagel}. Et il en est de même des destinées

de Juda. La tradition hébraïque nous dit bien haut ses attaches avec le sud de la
Palestine. Tout porte à croire qu'elle a entrepris d'y pénétrer par le Negeb. Mais
c'est aussi ce que la tradition afflrme expressément. Seulement elle ajoute que la
tentative a échoué (Num. 14, -44 s.}. Le plus sage est de l'en croire sur cette
défaite retentissante d'Israël.
D'ailleurs M. Burney lui donne les meilleures armes en plaidant l'ancienneté de
l'écriture.Les belles inscriptions de Mésa, de Panammou, etc., ne remontent pas au
delà du IX' siècle. Mais cette apparition de l'alphabet sur tant de points a derrière
elle un long usage, et l'existence des tablettes cunéiformes d'el-Amarna n'est point
une preuve que l'on ne savait pas écrire autrement la langue de Canaan, d'autant qu'à
Boghaz-Keùi l'écriture hétéeune et l'écriture cunéiforme sont contemporaines.
Par une série de déductions ingénieuses. M. Burney voit même dans l'écriture cunéi-
forme des lettres du pays de Canaan l'indice de l'existence de l'alphabet. C'est
parce qu'ils étaient habitués à une écriture syllabique, que les scribes, et peut-être
même le secrétaire du roi d'Egypte pour la Palestine, évitaient idéogrammes et
les
multipliaient les signes simples. Au début, en eflet, l'alphabet fut conçu comme une
écriture de syllabes ouvertes, avec une voyelle libre. De fil en aiguille, M. Burney
en vient à l'origine de l'alphabet qu'il rattache suméro-accadienne.
à l'écriture
Celte fois encore il nous semble que l'influence de M. Bail n'a pas" été heureuse,
car l'hypothèse est tout à fait en l'air. Il est plus solide de constater que le pays
de Canaan était un pays d'écriture (cf. RB. 1899, 481, 1901, 318); ne lit-on pas
dans le papyrus Golénichefl" que le roi des Zakkari à Dor faisait vers l'an 1114
av. J.-C. d'importantes commandes de papyrus? Or le papyrus, en Palestine, était
condamné à la destruction. Tout cela est très bien déduit en même temps quingé-
nieux. Mais ce serait enrichir une bonne thèse d'un mauvais argument que d'ap-
porter encore comme preuve positive les caractères relevés dans les fouilles de
'Pell-Mutesellim ou de Tell-el-Hesy. D'après le P. Vincent ils ne datent guère que
du huitième siècle.
Les questions religieuses ne sont point oubliées. Dans l'histoire de Samson,
M. B. reconnaît des traces d'un ancien mythe solaire, mais qui n'étaient plus com-
prises de l'auteurquand il écrivait. C'est avouer que la conjecture joue ici un grand
rôle.En revanche, nous ne voyons pas comment on pourrait nier le ciilte d'un dieu
Yaou au pays d'Amourrou, En l'identifiant au dieu d'Israël, le Rév. Burney fait
des réserves théologiqnes. Connu avant Moïse, le nom divin a pris avec lui un sens
RECENSIONS. 573

nouveau avec une révélation morale et spirituelle. Cela sauvegarde bien des choses.
Néanmoins il nous paraît très prématuré d'admettre une déesse féminine réelle
Ya-tou, qui aurait été la compagne de Yuou. Il faut se défier des surprises de l'écri-
ture cunéiforme. Et de regarder mni comme cette forme féminine, c'est une fantaisie
qu'il eût fallu laisser à M. Sayce (1).
La question de l'éphod est discutée à propos de l'éphod de Gédéon ; M. Burney
n'y voit pas une idole.
Et que dire de tant d'autres notes, chronologiques, géographiques, etc.?
On retrouve la même abondance d'informations, la même érudition aussi étendue
que précise dans les trois Scluveick Lectures que M. Burney a données sur l'établis-
sement d'Israël en Canaan (2). Elles ont naturellement pour base le commentaire
des Juges que l'auteur était en train de faire imprimer-, il le dit très loyalement
dans sa préface. Mais pu dans les lectures insister encore davantage sur les
il a
antécédents de la conquête de Canaan, spécialement sur le livre de la Genèse. Et il
va de soi que nous aurions à faire les mêmes réserves sur des combinaisons et des
conjectures que d'ailleurs l'auteur ne propose que comme des suggestions, plutôt
que comme des résultats acquis. Mais les auditeurs et les lecteurs observent-ils
cette sorte de nuance?
Fr. M.-J. LagraxCiE.
Jérusalem.

Codex Melphicten sis rescriptus. Ezechielis Fragmenta graeca edidit et com-


mentario critico instruxit P. Albertus Vaccari S. J. in pontiflcio instituto
biblico professor. In-8° de iv-61 pp. et 3 pi.; Rome, 1918. — 4 fr.

Le séminaire épiscopal de Molfetta (Fouille) possède un manuscrit incomplet de


l'abrégé grec du commentaire sur le Cantique des cantiques composé par Philon,
évêque de Carpasia. Ce volume, copié en deux fois aux xi-xiii« siècles, probablement
par des scribes de l'Italie méridionale, se trouvait aux xvii^ et xviii'^ siècles chez
les Théatins de Naples; il devint ensuite propriété de Joseph Marie Giovene, archi-
prêtre de Molfetta, et, à sa mort (1837), passa au Séminaire de la même ville. C'est
tout ce que l'on sait de son histoire.
Or, quinze feuillets de ce manuscrit sont palimpsestes et il ne semble pas que
rien, avant le présent travail, ait été publié à leur sujet. Le P. Vaccari a reconnu

(i) On voit qu'une riuestioii, qui paraissait relativement simple il y a i|uelques années, de-

vient {ilus obscure à mesure <|ue les documents se multiplient. Voici une nouvelle explication
de M. Kœnis [Zeitschrifl far die altest. Wissenschafl, 1915, p. 4,"> Ja-u uuil Jahu)
: Ja-u est :

bien devenu un nom divin, mais c'est le pronom » un quelconque », pris dans le sens de
« Lui », et <|ui a pu représenter la divinité. On s'expliquerait ainsi que l'indication d'un nom
divin fait défaut le plus souvent dans l'écriture cunéiforme. Ce Jn-u n'a rien à faire directement
avec le Tétragrammae, niH'' qui est chez les Hébreux la forme la plus ancienne du nom divin,
abrégé ensuite dans les noms propres et dans l'usage populaire. Cependant M. Kœuig ajoute ;

• Mais si l'on suppose ([ue les Hébreux antérieurs à Moïse ont connu cet exposant (c'est-à-dire
cette manière de caractériser la divinité par Ja-u au sens de Lui) et qu'on le regarde comme le
jilus ancien fondement du Tétragramme. on donne d'après moi satisfaction à tout ce que
nous pouvons savoir de la tradition » \\). 47).
(2) Israel's Setllemcnt in Canaan, The biblical tradition and ils Hiatorical Background, by
tlie Rev. C. F. Burney, D; Lill. etc., The Schweicli-J.ectures, 1917, in-S" de x-104 pp. avec 6 cartes,
London, British Academy, 1918.
374 REVUE BIBLIQUE.

que douze de ces feuillets, écrits en une belle onciale droite du vi® siècle (1 repré- ,

sentent,une fois dépliés, cinq feuillets et deux demi-feuillets d'un manuscrit des
prophètes, analogue, par sa disposition au Zuqninensis''K Les fragments conservés
contiennent Ézéchiel, 4, 9-5. 12; 21. 6. 7. 9-17 (lacune en 14-15); 28, 25-29, 19:
39. 8-lS; 40, 13-25.
L'état général du manuscrit devait être assez mauvais lorsqu'il a été mis en pièces
et son parchemin lavé pour le remploi; l'encre du m" siècle avait déjà corrodé le
parchemin à un point tel que le copiste de Philon a du plusieurs fois couper des mots
en raison des trous (2). C'est probablement à cause cette circonstance que les
feuillets ont été utilisés de préférence dans un manuscrit de petit format, et deux

d'entre eux comme feuillets simples. Quoi qu'il en soit, les marges primitives ont été
sérieusement réduites, et les dimensions anciennes ne peuvent être précisées: l'écri-

ture, disposée surdeux colonnes de 26 lignes chacune, couvre un espace de 210 mm.
sur un peu plus de 160, entre-colonnement compris.
Le P. V. a essayé de reconstituer le schéma du manuscrit primitif, c'est-à-dire de
déterminer la place des feuillets conseryés dans les cahiers auxquels ils apparte-
naient; c'est une tentative bien audacieuse, ét;mt donné le petit nombre des feuillets

restant et cette circonstance qu'ils ont été. avant le remploi, séparés les uns des
autres. La reconstitution du cahier II est peu probable. La règle posée par Grégory
pour la composition des cahiers, — suivant laquelle les feuilles de parchemin doivent
être disposées de telle façon que le livre présente toujours en face l'une de l'autre
deux pages analogues côté du poil ou côté de la chair), a pu être observée sans —
que ce cahier un quinion. L'argumentation du P. V. suppose que le folio 1-2
ait été

et le folio 3-4, qui se suivent, ont formé paire dans le manuscrit primitif, mais ce

n'est aucunement prouvé: bien plus, le fait que ces deux feuillets ont été réutilisés,
l'un comme feuille double, l'autre comme feuillet simple, alors qu'il y avait encore

de la matière à copier, suggère qu'ils étaient dans un état de conservation assez


difl'érent. et non qu'ils auraient été détachés l'un de l'autre seulement en vue du
remploi (3). Un schéma faisant commencer Ézéchiel à la première page d'un cahier
serait préférable, et la position des feuillets 7-S et 0-10 au milieu du cahier VIII n'y
contredirait pas (4).
L'écriture est l'objet d'une description minutieuse, lettre par lettre; les trois

planches, qui sont d'une bonne exécution, complètent parfaitement au point de vue
paléographique la documentation du lecteur (5). Mais l'auteur ne semble pas avoir

U Aucune date u'est expressément proposée dans le texte, mais les rass. auxquels est com-
paré leMelphiclensis sont du vi" siècle, on peut y voir l'indication du sentiment de l'auteur.
(-2) Voir plusieurs cas sur la planche lit, notamment les coupures Xapaxxii [ ]
pa à la 1. 17
du -2i<
f. (pagination du ms.- actuel), et xe/.ap[ [xe/wv à la 1. 10 du f. 29'.
(3) L'autre feuillet ancien usé comme feuillet simple dans le ms. actuel est isolé, les quatre
autres feuillets forment deux paires.
(4) Voir ce qui est dit à propos de Z" dans Codex Zw/ninensis rescriptus V. T. Rome mil.
)). Lxxxii et ihid., note l. Au cas du Sarravianus allégué en cet endroit, il serait facile d'ajouter

d'autres mss.. p. ex. le Washingtonensis 'anciennement un Octateuque, ou au moins un


Hexateuque), où pour faire commencer les livres en belle page, le scribe a laissé des pages
blanches, Sandeiss. The 0. T. Mss. in Ihe Freer Collection (University of Michigan, Humanistic
Séries, VIII part I. p. <;.
i,

(5i Le P. V. écrit p. it; <• fragmenta).... magnam similitudinem gerunt cum Zuqninensi vi... »

Ceci peut être dit de l'apparence généraledu manuscrit, mais serait faux au pnjnt de vue de
l'écriture dans Z" les traits horizontaux sont extrêmement tenus et les liastes elles-mêmes,
:

plus minces que dans le Melphiclensis ; les apices de A, 11, T, au lieu d'être formés par un
trait du calame sont réduits à un point, centré sur la ligne qu'ils terminent, comme si le
scribe avait redressé son calame pour en imprimer la pointe dans le parchemin.
RECENSIONS. o75

été très heureux dans les observations qu'il a groupées sous le titre Signa
lectionis (1). Frappé de la présence dans son manuscrit d'un signe, semblable par sa
forme à un esprit rude, ou à un accent grave, écrit de première main sur certaines
voyelles sans qu'une règle évidente ait présidé à sa distribution, il propose d'y recon-
naitieun si-gne spécial, destiné à séparer les syllabes entre elles, et l'intitule divisor
syllabarum (2). Le P. V. n'a pas pris garde que le divisor syllabarum, auquel il
fait allusion, n'est pas écrit sur des voyelles dans les onciaux cités, mais bien entre
les lettres, et presque toujours après des consonnes.
Voici d'ailleurs l'analyse des cas où le P. V. a reconnu la présence du signe en
question :

1° Dans 165 cas sur 180, l'explication est infiniment simple chaque fois que le :

signe est sur la voyelle initiale du mot, il n'est autre que l'esprit. Le scribe ne
connaît qu'une forme d'esprit, conformément à la plus ancienne tradition, et il s'en
sert indifféremment pour indiquer l'esprit rude et l'esprit faible (.3). Aux 150 cas
indiqués dans la table du P. V. sous la rubrique initio vocis, il convient d'ajouter
les 9 in diphtongis et les (3 citations du mot JtE, écrit j-.e ou Ou.
2" Il s'agit encore d'esprit dans le cas de stcjfjxYrjV, ainsi qu'il arrive souvent dans
les mots composés, dont la deuxième partie commence par une voyelle (4 .

Dans 13 cas où il se trouve sur la dernière voyelle dun groupe de deux ou trois

voyelles, le signe en question joue le rôle de oi-xio-cç, celle-ci pouvant afl'ecter la


forme d'un petit trait horizontal au lieu du double point, qui a subsista dans notre
tréma. Dans plusieurs de ces cas on pourrait également proposer de reconnaître un
accent.
4° Dans 5 autres cas, il s'agit de l'accent, placé correctement : -ri, a-jT-^ç, oôjvxt;,
6uiJ.oi6YlTl, S-Taji-TiVOV.

Un dernier cas (-5) reste sans explication, c'est xay.ov\ (sic) de 4, 12, mais ce mot

est une erreur pour laquelle aucune explication n"a été proposée, dans un verset où
le Melphictensis a deux leçons dépourvues de sens, et pour lesquelles il est seul /.ai :

evzpuotav xaxovt oaYîaat ajTa £v ^oXotTO'.; voain xotisoj au lieu de B /.a\ £v/.cj^;'av y.p:Otvov :

œdÉvî'jai a-jTx iv PoX6(-:o'.; zd-pou.


Un autre signe, qui affecte, tantôt la forme d'un point rond ou carré, tantôt celle
d'une apostrophe, a été également interprété dune façon défectueuse. Le P. V. n'y
a vu qu'un signe de ponctuation, le point en haut (écrit soit en haut soit au
miUeu
de la hauteur des lettres), dont il nous
commuta, cola, verba ipsa in
dit : « dividit

hac proportione respective 4 8 2 »; il y a, en réahté, deux signes distincts, le


: :

point, qui est censé diviser d'après le sens, et l'apostrophe, qui, dans les manuscrits
onciaux, signale la fin de certains mots, et à laquelle conviendrait alors le terme
ci-dessus nommé de diiisor syllabarum (6).

1) p. 13- IN.
{2) Figura simile est spiritui aspero, prouti scribitur in recenlioribiis codicibus et in librls
impressis; at longe alio muiiere fungitur. Invenitur enim in niedio vocabulo et (|uidein pluries
extra sedem accentus. Quare nec cum spiritu nec cum accentu confundendum est. A doctis
viris non inepte vocatum est divisor syllabarum, eo quod ad syllabas distinguendas invectum
sit. Occurrit in multis codd. saec. vi, quanquam non ubique eadem ligura gaudet... >
(3i Cette confusion est normale dans les mss. onciaux.

{i) Cf. V. Gahdtualsex. Griechische Palaeographie, -2" éd. tome II, Leipzig, 1913, p. 383 s. Éditions

de mss. onciaux, passim, cf. col. 104-16.S dans la préface par C. Wessely a l'édition phototypique
du Dioscuride de Vienne.
(;>) La différence entre le total de mes chiffres 185 et celui du P. Y. ~180 vient sans doute =
de ce qu'un accent a été casse au cours du tirage et man(|iie dans mon exem[)laire.
(6) L'apostrophe est souvent réduite à un point (E. >I. Thompson, .4/( Introduction lo greek

and latin Palaeograplnj, Oxford l!M->, p. a-i). De même le point peut ressembler plus ou moins à
.

576 REVUE BIBLIOUE.

L'apostrophe, nous disent les manuels de paléographie, s'écrit après les mots
terminés par /., y., ?, -i, quelquefois p, après les noms étrangers, et principalement
après ceux qui n'ont pas une terminaison grecque (1). Il est donc normal d'écrire, con-

formément à cette règle : tl^ (4, 16} ^~ (5. 4; 29. 16; 39, 9.11.13) la/.wg' (28.
26) vxÊouyooovoaop' (29, 18.19) ywy' (39, 11) y,£tp' (29, -7) peut être aussi atyjTtTOj'

(29, 2) atyuntov' (29, 6).


L'apostrophe est encore destinée à attirer l'attention dansayyoç W oirpaxtvov (4, 9)
et dans [x' = 40 (29, 11). 11 s'agit au contraire de divisor syllabarum entre plusieurs
voyelles dans sv nop-.' avaxauisi; (5. 2) sy'jj' cTuayco (29, 8) u'WSr,' en (29, 15) (2),
Les cas où il s'agit du point en haut restent de beaucoup les plus nombreux et
l'on reconnaîtra volontiers que le scribe n'a pas très intelligemment distribué sa ponc-
tuation ; manquant d'une doctrine bien certaine sur le sujet, il a pensé ue pas se
hasarder trop en ponctuant devant xx-', cela lui est arrivé 76 fois (3)
L'édition du texte suit l'exposé paléographique, de la p. 24 à la p. 37. L'auteur
semble y avoir mis le plus grand soin et beaucoup de prudence la comparaison du :

texte imprimé avec la planche I m'a donné l'impression que parfois le signe du
doute aurait pu être omis, ainsi en 4. 9, col. 1, 1. 5, il me semble que je vois nette-
ment ToYç à la fin de la ligne, ainsi qu'à la ligne 1 1 le koppa. Je crois aussi discerner
quelques si[/na lectionis qui ne sont pas enregistrés : col. 1, 1. 9 rjixspx;; 1. 12 uSwp'
iv; 1. 22 £tv'; col. 2, 1. 5 aurwv /.a:. Ailleurs je n'ai relevé qu'une leçon suspecte y.[^'.]

f.(v) Ez. 5, 6, p. 26, col. 2, 1,4. L'abréviation de /.at et l'écriture proposée pour sv,

qui seraient normales en (in de ligne sont tout à fait insolites au milieu d'une
ligne (4).
Enfin l'auteur a étudié la nature de texte et s'est donné la peine, pour mieux
documenter le lecteur, de rassembler les principales variantes du texte hébreu, des
manuscrits grecs et des versions anciennes d'Ézéchiel. Sa conclusion est que le

Metphietensis représente un texte ancien apparenté de près à celui des grands


oDciaux A
Le manuscrit ne contient pas de variante importante, sauf une ou
et B.
deux erreurs; donc de valeur, jusqu'à nouvel ordre, que comme témoin, mais
il n'a
en raison de son antiquité, son témoignage est intéressant. Ceci fera peut-être
regretter que, en vue de serrer de plus près sa parenté avec A, B, Q, l'éditeur n'ait
pas institué une comparaison spéciale avec ces mss., dans laquelle il aurait tenu
compte de certaines minuties qu'il a dédaignées, telles que nr,/ojv-rr,7cojv, aiÀKaaioô-
atÀajjLixwv. Ces détails, qui ne compteot pas en exégèse, sont importauts lorsqu'il s'agit

d'établir la parenté de diverses autorités.


Une faute d'impression est à relever p. -58, 1. 22 : lire oî/.x-m au lieu de svoc-

xa-cco.

Eugène Tissebaxt.
Rome, le 22 juin 1919.

une apostrophe; dans le ms. il semble que ces deux signes s'équivalent et que l'on trouverait
pour chacun d'eux la double signilication.
(1) Thompson. Ibid.
(2) Cf. s. sur les divers usages de l'apostrophe.
V. G\iiDTiiALSEN, op. cit., p. 397
(3) Il rechercher ici une explication pour tous les cas où se trouve le
n'y a pas d'intérêt à
point en haut; des deux cas cites par le P. V. et ()ui n'ont pas été discutés ci-dessus, l'un
YY)' [îta] ôouprj (2i», 14) requerrait l'exameu du manuscrit, car le point peut être la trace de la

lettre qui suit yri, l'autre [xktOo;' oux, auquel il serait facile de trouver des répondants dans
des mss. de bonne époque, est abusif.
(4) L'auteur donne d'ailleurs t~ comme douteux.
RECENSIONS. .•;:7

Publications of the Princeton Univkbsitv Arch. Exp. to Syria. —


Divis. II : Ancie.nt Architecture; sect. A : South Sijria: part. V : Hauvdn
Plainand Djebel Haurdn; part. VI, Sî', par M. C. Butler. Gr. in-4«. pp. 297-402,
fig. 268 à 3.51, pi. XIX à XXVIII. — Divis. III : Greek and Latin Inscr. ;

sect. A, V; pp. 271-372, par MM. E. Littmann, D. Magie jr. et D. R. Stuart.


Divis. II : Ancient Architecture; sect. B : North. Syria; part. Y : The Djebel
Halakah, par M. C. Butler. Gr. in-4«, pp. 211-260, fig. 218 à 278, pi. XX à XXII.
— Divis. III : Greek and Latin Inscr.: sect. B, V, pp. 13-5 à 168, par W. K.
Preotice. Brill, Leyde. 1914-1916.

La guerre n'a pas empêché M. C. Butler et ses collaljoraleurs de poursuivre lué-


thodiquemeot la publication des résultats de l'expédition archéologique américaine
dont nous avons tenu nos lecteurs au courant depuis une dizaine d'années ,R.B.
1908, p. 592 ss.;' 1910, p. 28-5 ss., 600 ss. : 1912, p. 296 ss. . Le premier fascicule
indiqué comprend la description de 35 localités de la plaine et de la montagne du
Haurdn que plusieurs explorateurs nous avaient fait connaître en partie et qui se
sont trouvées plus d'une fois sur l'itinéraire des caravanes de l'École biblique.

Le second fascicule forme une monographie détaillée du haut lieu de Sceia, la ruine
actuelle de Si', dont le regretté marquis de Vogué avait mis en relief toute l'im-
portance. Au mérite de réunir en un corpus monumental les dé- et épigraphique
couvertes antérieures, la publication américaine joint l'avantage de fournir des plans
et des relevés nouveaux, de précieuses photographies de détail, d'ingénieuses res-
taurations, un ample exposé de la matière, quelques testes inédits ou améliorés.
Dans le fascicule consacré au Djebel Halaqah, région située entre Cheikh Barakât
et la voieromaine d'AutiÔche à Alep. on trouvera un assez grand nombre de mo-
numents et d'inscriptions publiés pour la première fois.
Le préhistorique, offrant à peine de l'architecture, n'a pas attiré l'attention spéciale
des explorateurs, qui se sont bornés à reproduire le mur en gros blocs arrondis de
Sa'adeh, au pays de Basan. Mais les temples ont été traités avec beaucoup de soin.
M. Butler n'a pas craint de reprendre en détail l'étude du Tychaeon de Sanamén,
œuvre remarquable, en plus grande conformité avec la renaissance classique du
ii*= siècle que n'importe quel monument de l'architecture contemporaine à Rome.
La nouvelle restauration de ce sanctuaire païen, établie sur les constatations du
voyage de 1909, marque un progrès réel par rapport au travail de M. Cummings
publié dans V American Journal of Archaeology 1909, p. 417), avec les notes et la
documentation de M. Butler. Elle permet de se rendre compte combien diffère du
Tych<con, et comme plan et comme décoration, le temple distyle in antis de Hebràn
dans montagpe des Druses.
la

Ce non plus que l'exploration s'est arrêtée aux édifices si souvent


n'est pas en vain
visités de Qanawât. La découverte de deux colonnes par M. Barnes dans les ruines

du temple de Zeus a fourni l'occasion de dre^ er un plan complet, et l'on peut dire
définitif, de ce monument et d'y reconnaître tous les éléuieuts qui en font comme
le prototype d'une des grandes branches de l'architecture chrétienne : sanctuaire
flanqué de deux chambres latérales, naos divisé en trois nefs par une double colon-
nade, couverture de dalles en basalte posée sur une série d'arcs transversaux. Les
relevés du temenos de Deir Smêdj ne sont pas pour nous d'un moindre intérêt.
C'est déjà l'atrium de la basilique chrétienne avec son enceinte et sa colonnade
quadrangulaires. Nous y retrouvons même à l'intersection des galeries ces piliers
d'angle à double colonne, avec des dimensions à peu près pareilles, qui sont ;m
REVUE BIBLIQUE 1919. — \. S., T. XVI. ^1
iTs RtVUE BIBLIQUE.

transept de la basilique de la >fativité à Bethléem, après avoir appartenu à l'atriunv


coustantinien, suivant une conclusion du P. Vincent, pleinement corroborée par
ranalogie du temenos en question 1\ Les portes pratiquées après, coup dans la
paroi nord de cette enceinte sont également à remarquer. La nécessité s'en lit sentir
quand on voulut établir une communication entre la grande cour à colonnes et un
bâtiment rectangulaire contigu affecté au culte chrétien. L'architecte du Saint-
Sépulcre ne procéda pas autrement dans la création des grandes baies de la façade
constantinienne. En terminant sa description du temple de Ba'al ^amin à Sî', qu'il
jugeait apte à donner une idée assez exacte du dernier temple de Jérusalem, le
marquis de Vogiié faisait des vœux pour que de nouveaux explorateurs pussent

achever les fouilles commencées et compléter les informations fournies par ce curieux

monument. L'expédition de Princeton n'a pas eu les loisirs ni les moyens puissants
exigés par une entreprise de ce genre pour répondre pleinement au désir de l'il-

lustre maître français. Mais il faut reconnaître que son passage a été fécond en
résultats appréciables. L'exploitation des ruines par les Druses du voisinage, tout
en faisant disparaître des vestiges encore visibles en 1862, a conduit les savants
américains à des constatations nouvelles, au remaniement du plan du sanctuaire de
Ba'al Samîn, à la découverte de deux autres temples jusque-là inconnus, dont l'un
est dédié à Dhousara et le second, d'un caractère plus nabatéen, demeure anonyme.
à la restauration enfin de la porte nabatéenne (début du i'^"" sièclei et de la porte
romaine, baies monumentales donnant accès aux deux parvis extérieurs. Pour
couronner cet ensemble, la trouvaille de l'inscription concernant la déesse qui per-
sonnifiait ce haut lieu au sommet aplani : Sssia -/.ol-'x y^v Aùpavc?T.v isTr.x.jîa {Seeic

dominunl la terre ifn Heur nui), suivie de ces mots nabatéens : TJ'Ti! "T N'n*2"'j; NT
(Ceci est l'image de ^'>e"i) ['2).

Les témoins du paganisme sont moins abondants dans la Haute-Syrie qu'à travers
rAuraoitide, tandis que les vestiges chrétiens s'y rencontrent à chaque pas. L'un
des plus importants du Djebel Halaqah est, sans contredit, la ruine dite Qasr el-
Benàt dont les relevés réussissent à donner une idée exacte d'un grand établissement
monastique au tournant du iv au v siècle. Son église devait être vraiment remar-
quable si l'on en juge par ce qui reste debout. L'architecte, dont la sépulture a été
retrouvée à proximité, s'était déjà fait la main en élevant quelques basiliques dans
les environs. Là il se révèle, outre technicien consommé, esprit original et génie
indépendant. Il n'a pas échappé M. Butler que ce Marcien Cyrus puisqu'il faut
à

l'appeler par son noun. fut. comme tous les créateurs, plagié un siècle et plus par
des compétences moindres. La particularité à noter dans l'église de TelTAdeh est
que, sans avoir eu de coupole, son vaisseau présente une largeur un peu supérieure
à sa longueur. Il une certaine analogie entre cet édifice et le Tychicon de
existe

Sanamên ,'3). L'église de Nimreh sur les pentes nord du Djebel Hauràn soulève
également la question des rapports entre l'œuvre chrétienne et l'architecture du
paganisme, à cause de sa similitude avec la basilique païenne de Chaqqà que M. de

BelhUmn. Le sancttiaire de la Nalivité, pp. !)l, 'M>. \û. XI, coupe des demi-colonnes accou-
(1)
plées jointes à un pilier.
(-2) M. LiUmann a déjà lait remarquer dans le Florilerjium de M. Vogué, que "''";i/* en ara-

nicen signifiait un espace nivelé, correspondant à rj îôpà TrXaxeïa ou à :^ TrXàuoç UpaTixr, des
textes épigraphiques. Ge texte appartenait au soubassement d'une statue représentant Si'.
'3) Le rapprocliemeut du Tycha;on et de plusieurs petites églises de Syrie a déjà fait l'objet
d'un article très suggestif de M. Butler dans la Revue Arcnéologiquc, iv série, t. VIII, d!>OG,
p. 't\'à.
RKCEISSIONS. oig

Vogué qualifiait de monument du plus grand intérêt dans lequel on a su réaliser un


programme assez étendu à laidede la seule combinaison d'arcs et de dalles. Les nefs
latérales out une galerie supérieure qui repète la disposition de la galerie d'en bas.
Les photographies, les dessins et les plans d'Iuibitations notables telles que la

villa de Djemarrin à une lieue à peine de Bosra, ou l'on trouve un curieux emploi
de l'œil-de-bœuf. le palais de Inkhil, la maison de Flavios Seos à el-Haiyât. tout un
quartier de Busàn. sans compter la forteresse romaine de ed-Diyâteh, la tour à
échauguette de Kfellusîn. montrent bien que la savante équipe n'a négligé ni l'ar-
chitecture civile ni la militaire. L'art funéraire a aussi sa part dans oette étude. Au
mausolée de 'Atamàa. qui est une mauière de petit temple, déjà publié par Schu-
macher, viennent s'ajouter les tombes circulaires du Kh. el-Kbizzin et de Si', sortes
de tourelles bâties en blocs assez frustes à l'extérieur, mais soigneusement appa-
reillés au dedans, ainsi que le podium triangulaire de Si' destiné à porter trois

sarcophages, un peu comme nos tombeaux à piédestal du moyen Age.


Eu fait de sculpture, le butin de l'expédition est assez assorti. Comme pièces prin-
cipales nous avons remarqué le sarcophage richement décoré de Mou'arribeh. le
plus beau du Hauràn. qui reproduit à peu près les motifs du mausolée de 'Atamàn;
le buste de Ba'al èamin dont la tête environnée de rayons attirait les regards de
(•eux qui allaient franchir le seuil du parvis intérieur du temple de Si'; une repré-
sentation classique de Mithra et du taureau sur un relief de basalte trouvée dans
les ruines de ce même temple; une tête d'Arabe
du turban (ii«-iii>^ siècle coiffé
relevée à el-Kefr, tête de vétéran devenu fellah, intéressante à comparer avec la
statue à coiffure nomade photographiée à Hereibeh par les PP. Jaussen et Savi-
gnac il); les le flanc rocheux d'un ravin à Qàtourah
bustes funéraires sculptés sur
en Haute-Syrie Le temps n'a pas permis aux explorateurs de prendre l'excellent
2).
relief du chandelier à sept branches de Xawà, tout à fait pareil à celui de l'Arc de

triomphe de Titus.
Si l'on a la curiosité de parcourir les inscriptions on retrouvera cette population
mélangée dans laquelle l'élément arabe semble dominer, surtout dans le Hauràn.
comme il ressort des noms sémitiques plus ou moins habilement habdiés a la
grecque Aziz, Asad. Taim.
: Abdallah, Aude. Ouardé, Hanouu. Garm'el.
Nàsir, etc. Une dédicace inédite sur un linteau de Sanamên date de la .5' année
de l'empereur Claude 4-3 ap. J.-C. ; c'est la plus ancienne inscription portant le
nom d'un césar romain trouvée à l'est de l'Anti-Liban. Une construction a été
élevée, nous dit un te.xte de 'Ormàn, ^i-t. 7r,v ?-/ ;j.aXoj-:xv tou Ilip-oj, après la
rcptivit'' du Perse, c'est-à-dire, après l'incursion des Perses. S'appuvant sur la
basse grécité, les éditeurs préfèrent cette ti-aduetion : « bâtie avec le produit des
dépouilles ou des captifs pris aux Perses », qui me parait un peu trop recherchée.
L'épitaphe du vétéran Valerius RomuUus, nous ramène à l'année 310; son nom
semble se retrouver sur une brique militaire découverte en Dacie. Ce qui autorise
ce rapprochement, c'est la mention même, sur l'épitaphe. de l'enrôlement de ce soldat
en Pannonie Supérieure. Très instructive aussi au point de vue du grec populaire
de Syrie la lecture de ces textes. Ici, on lit -.saoov, r,;a'îov pour îitooov, eçooov. ail-
leurs Br,o;, Xp'.Tcr,, ^josôt. ikott^, ;j.îvo:, xr,. exemples qui montrent que n'avait pas r,

encore le son i, mais qu'il était regardé comme équivalent de ;, conclusion qui se
tire aussi des papyrus où il y o de fréquentes contusions entre i. /„ z-.. L'équivalence

(Il Mission archéol. ea Arabie, 11, pi. XXVllI. Cl. R.li.. X^MK p. :m.
,2 A comparer aussi avec les reliels de la nécropole de Hereibeh, Pi..B.. I'hh». p. :,->.).
580 REVUE BIBLIUUE.

de. iç-io; dans les finales des noms propres notées dans d'autres inscriptions de
Palestine et de Syrie se retrouve naturellement à travers ce nouvel apport à
répigraphie gréco-orientale (1).

F.-M. Abel. C). p.

Keltische invloeden op het Nieu>ve Testament, door F. C. -M. Boendeus


(Haarlem. — Tlœol. Tijdschnft, 1919, bl. 137-1-14.

prouver que l'épître aux Galates ? subi des influences celtiques, ou


Si l'on pouvait
auraitdu même coup prouvé que les destinataires de cette épître sont bien les Galates
proprement dits, c'est-à-dire du Nord, et non ceux du Sud de la province romaine
de la Galatie.
L'absence de ces indices ethniqueslut un des arguments principaux de Ramsay

pour conclure, contre toute la tradition ancienne, à la Galatie méridionale. Les lec-
teurs savent que, dans son nouveau commentaire aux Galates, le P. Lagrange s'esl
fait le défenseur convaincu de la Galatie du Nord (2).
M. Boenders croit découvrir cette influence des mœurs celtiques au ch. 4 de
l'épître aux Galates. Presque tout ce chapitre est consacré aux rapports juridiques

entre père et enfants, et des enfants entre eux.


Or d'après Gains, juriste romain du ii"^ siècle avant .L-C, c'est précisément sous
ce rapport que les Galates se distinguent de la plupart des autres peu[)les. Nec ttn-

Galatarum gentem credere in potestate parenlum liberos.esse.


praeterit, écrit Gains (3),
Comme le remarque aussi le P. Lagrange « les Galates pratiquaient la patria potestax
non à la grecque, mais comme les Romains, et à la gauloise (4) ». Les Galates recon-
naissaient aux parents un pouvoir absolu sur les enfants, qui durait pendant toute la
vie du père.
Quels sont donc les knixpôr.oi et oîxov6;j.oi dont il s'agit au chap. 4 des Galates? Ce
ne peuvent pas être les tutores et caralores du droit juridique romain ni grec, répond
M. Boenders, car on devrait dans ce cas supposer que le père est mort. Or le
raisonnement de saint Paul suppose le père vivant; le père en effet est Dieu.
Si nous nous référons au contraire aux mœurs des Gaulois et des Irlandais, qui
sont de la même race que nos Galates-Celtes, nous constatons que les fils sont

élevés en dehors de la maison paternelle, qu'ils restent sous tutelle jusqu'à l'âge
militaire.

A propos des Gaulois César écrit : //; reliquis vitae inalitntis hoc ferc ab reliquis

differunt qiiod suos liberos nisi cum adoleverunt, ut munus militiac smiinere possint,

palam ad se adiré non patiuntur, fdiumqne puerili aetate in pablico in conspecln


patris asmtere turpe dicunt (5). —
Voilà bien le peuple guerrier des Gaules.
En Irlande le père avait coutume de confier ses enfants à des éducateurs étrangers,
qui étaient habituellement des Druides. Le tils s'appelait dans cet état de tutelle

mac foesma = fils de protection, tout comme l'esclave et toutes les autres personnes
se trouvant in alicnn potestate.
Si nous supposons, continue M. Boenders, que les Galates pratiquaient ces mêmes

(1) EueieSiç,A"J{)ri>,ii;, ra-jôïVTi;. Cf. R.B., I8!»3, p. -ÎOS; 1901, p. .'^80; 190r;, p. 250; 1910, p. «o7.

(2) Colleclion Études Bibliques: Épître aux Galales pp. lxxmv, 170, (1918) cfr. p. xiii et sv.
(3) Institutiones, i, ri').
(-4) Op. laud. p. 97.
(5) De bello Gallico, vi, 18, 3.
RECENSIONS. 581

coutumes eu eommuii avec leurs frères de race, les Gaulois et les Irlandais, tout

devient clair dans l'Épître aux Gai. 4, 1-7. Et en effet dans l'état de tutelle, dont
nous avons parlé, le fils ne diffère en rien de l'esclave, le fils reste dans la maisou
du tuteur jusqu'au jour fi.xé par son père (Gai. 4, 1-2 .

Il est utile de lire ici l'application de saint Paul : « Ainsi de nous, lorsque nous
étions enfants, nous étions en servitude sous les élémentsdu monde. Mais quand le
temps fut révolu. Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sous
la dépendance

d'une Loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la dépendance d'une Loi. afin que
nous reçussions l'adoption. Et [la preuve) que vous êtes des fils, Dieu a envoyé
l'Esprit de son Fils dans vos cœurs, criant : « Abba ! Père ! » Don c tu n'es plus
esclave, mais fils; et si tu es fils, tu es aussi héritier grâce à Dieu. » (Gai. 4, 3-7;
trad. P. Lafjvaagc.)
Résumons en un mot le raisonnement de M. Boenders : la comparaison de
l'Apôtre suppose que les enfants sont placés sous tutelle du vivant même du père,
or cela n'arrive que d'après le droit familial et les mœurs des Celtes: d'après le
droit romain et grec, au contraire, les tuteurs n'entrent en scène qu'après la mort

du père; donc, seules les idées celtiques donnent ici une explication naturelle de lii

comparaison de saint Paul (D.


Nous concédons volontiers que les habitudes celliciues invoquées fournissent un
type très exact à la doctrine pauline de notre adoption après les siècles d'esclavage
ou de \ous voudrions seulement nous permettre deux remarques. Première-
tutelle.

ment, raisonnement de saint Paul suppose une simple comparaison, une espèce
le

de parabole, où tous les détails n'exigent pas nécessairement une application comme
dans l'allégorie : toute comparaison cloche. Or dans notre cas saint Paul ne considère
formellement que les temps passés de tutelle, et le passage à l'état, je dirais, cons-
cient de filiation et à l'exercice de ses droits par la Rédemption. Ce point particulier
de la mort ou de la vie du père est en dehors de la question. Si l'on pouvait prouver
que un point formel du raisonnement de l'apôtre, alors on devrait recourir
c'est là
aux mœurs celtiques: mais cela ne se prouve pas. Le raisonnement de M. Boenders
nous semble donc pécher par la base. —
.Secondement, même en supposant que
le point particulier de la vie ou de la mort du père doive entrer en ligne de considé-

ration, « le passage (en question) de l'épître aux Galates... est conforme aux usages
des Romains au temps où saint Paul l'a écrite », c'est M. Cuq lui-même, la plus
grande autorité sur la matière, qui l'affirme et le prouve dans une lettre écrite
au P. Lagrange. Ces deux propositions sont exactes, continue M. Cuq 1' L'impu-
( :

bère suijuris est maître de son patrimoine; mais il ne peut exercer ses droits sans
Vauctoritas de son tuteur. 2' Le père, en nommant un tuteur à son fils impubère,
peut fixer la durée de la tutelle 2". » Il est plus probable a priori que saint Paul se
réfère aux coutumes plus connues du droit gréco-romain, qu'aux mœurs particulières
d'une peuplade étrangère, à moins de prouver d'une manière péremptoire que le

droit romain est inapplicable dans le cas et que par conséquent la coutume celtique
s'impose; or. nous le répétons, cela n'a pas été fait.
Dans la même étude très condensée et pleine d'érudition, M. Boenders allègue
encore quelques autres parallèles supposés entre l'épître aux Galates et les coutumes
des Circassiens. qui, d'après Rarasay, rappellent sous beaucoup d'aspects les Gau-
lois. En particulier le passage de l'état de tutelle à l'admission dans la maisou

1) Loco cit. p. lU : Ik gel«'Ol dat alleen liet Keltische redit en de Keltische zedeii hier eeii
ongedwongen verklaring gcxen san Paulus" vcigelijking.
(-2) Ejjitre aux Gai., p. OT.
582 REVUE BIBLIQUE.

paternelle moyennant un simulacre de combat d'oii le pupille sort victorieux, serait

d'après Boenders l'image de notre adoptionmoyennant la mort de Jésus. Fils de


Dieu. Ceci nous semble vraiment cherché un peu loin; car la doctrine chrétienne
de notre adoption par la rédemption est trop générale dans les écrits du JN. T.
et eu particulier dans les lettres de saint Paul; nous la retrouvons déjà dans la
première épître aux Thessaloniciens 1, 10, 5, 10, elle sera surtout développée dans
l'épître aux Ephésieus. M. Boenders, il est vrai, ne prétend pas que saint Paul ait
puisé dans ces coutumes celtiques lu doctrine de la rédemption. Mais même la
terminologie pauline ne nous semble pas rappeler le combat du pupille, dont nous
avons parlé : dans le cas des Circassiens, c'est la défaite des lils majeurs qui est la
condition de l'entrée du pupille dans la maison paternelle, le pupille sort victorieux
du combat; tandis que notre cidoption comme lils de Dieu est, d'après saint Paul, la
récompense de la victoire du Christ qui nous a rachetés; ici c'est le Christ qui est
victorieux, qui nous a arrachés aux éléments du monde.

Fr. J.-M. Vostk, O. p.


Rome, Collège Angélique.

r
Réphaïm. — Avant la guerre, M. Paul Karge a fait uu séjour de trois ans
(1909-1911) eu Terre Sainte où il s'est occupé des monuments qui se rapportent
à la préhistoire du pays. Les résultats de ses études viennent de paraître dans un
ample volume qui a pour titre Rephcim, la Civilisatiun prchistorique de la Pales-
:

tine et (le la Plu'mcie^ Études d'Archéologie et d'Histoire des religions. L'ouvrage


contient plus de 700 pages et est enrichi de (il illustrations.
Dans une courte introduction l'auteur constate que les monuments préhistoriques
de la Palestine, même ceux qui sont à fleur du sol et partant plus faciles à étudier,
n'ont pas reçu jusqu'ici toute l'attention qu'ils méritent. A part quelques rares
exceptions, les ouvrages qui traitent d'archéologie palestinienne les signalent à peine.
Pourtant les civilisations présémites ont une grande importance, surtout [)ôur les^

étudiants de l'A. T... On sait, en ellet, que les Israélites ont beaucoup appris de
leurs devanciers en Terre Promise et que ceux-ci à leur tour ont été les héritiers
des populations préhistoriques. « Nous savons maintenant >, écrit M. karge. « que
la Palestine et la Phénicie possédaient à la lin de l'époque préhistorique une culture
assez développée où l'on trouve déjà tout ce qu'on a l'habitude de considérer connue
l'apport cananéen à la civilisation générale. » (p. 2). L'ouvrage de M. Karge a
pour but d'attirer davantage ratteution sur ces matières (<V/,j. L'auteur reconnaît
que les données recueillies jusqu'ici ne sont pas suflisantes pour qu'on puisse essayer
une synthèse délinitive sur le sujet. En attendant des découvertes ultérieures, il

désire oUrir au lecteur une vue d'ensemble des éléments acquis et proposer une
synthèse provisoire (//v.j. Voici le contenu de son livre fort intéressant.
Après un chapitre où l'on trouve un recueil des passages de l'A. T. qui ont un
rapport avec les Ages de la pierre et une indication sommaire des travaux plus
récents qui touchent à son sujet tpp. MO}, et un second qui traite de la première
apparition de l'homme en Palestine avec les conditions géologiques qu'elle présup-
pose (pp. 16-o7), l'auteur passe en revue les restes de la civilisation paléolithique
aux chapitres ii-iii (pp. 37-114). Les six chapitres qui suivent sont consacrés à
l'époque de la pierre polie. Ch. v : Caractère général de l'époque avec liste des
stations néolithiques se trouvant en Palestine et en Phénicie. Ch. vi : Groupement des
RECENSIONS. o83

•établissements primitifs avec les déductions qui eu découlent. Ch, vu La


: civilisation

néolithique d'après les résultats des fouilles de Gézer, Jéricho, Megiddo. Ch. \iii :

La plus ancienne céramique. Ch. ix : Description des cavernes, des dolmens et des
autres monuments méjialithiques à l'ouest du lac de Génésareth et à Kurun Hattin.
Le ch. X 'de 3.30 pages!, traite des dolmens dans la Palestine orientale et occiden-
tale; de leur origine, développement, signification religieuse et de ceux qui les ont
construits. Plusieurs tables complètent le volume et en facilitent l'usage.
Dans un ouvrage qlii vise surtout à recueillir des données acquises on ne s'attend
pas à trouver de l'inédit. Le volume, pourtant, de M. Rarge en contient. On doit
même dire que l'auteur a commencé sa publication dans l'intention de faire part

au public de ses découvertes personnelles en Terre Sainte. Ces découvertes sont


au nombre de deux, un atelier du paléolithique postérieur (aurignacien) dans une

caverne du Ouady'Ayun près de Dibl en Galilée et une nécropole mégalithique


ou champ de dolmens également en Galilée, à Khirbet Keraziye. La description
de l'atelier et de son mobilier remplit 17 pages (9.5-112)-, celle des dolmens 12 pages
308-320). semble d'une richesse exceptionnelle et M. Karge, tout en
L'atelier
retirant quelques spécimens pour son musée privé, a eu soin de ne pas déranger
l'ordre des couches (p. 96). On ne peut que le féliciter de cette prudente considé-
ration des intérêts de la science. En effet, cet ordre pourra être un facteur impor-
tant dans la détermination ultérieure de la chronologie préhistorique.
Ce n'est pas le moment de porter un jugement sur l'archéologie de M. Karge
dans Revue bibliqve. D'ailleurs, celui à qui cela appartiendrait de droit est encore
la

absent au service de la patrie. Cependant ou peut dire que les conclusions de


l'auteur ne laissent pas d'être fort intéressantes. D'une comparaison un peu hâtive
avec le chapitre que le R. P. Vincent consacre au même sujet en son Canaan d'après
les FoiùlleH Rcccntes (Gabalda, 1907) on a l'impression que M. Karge ne s'éloigne

pas notablement de son prédécesseur dans ses conclusions principales. Autant dire
que le jugement porté sur le volume par les éditeurs de la société Gôrres est exagéré.
Us écrivent « Par cet ouvrage l'histoire ancienne de la Palestine est mise sur des
:

Ijases entièrement nouvelles ». C'est trop dire. On ne trouve guère du nouveau

dans ce volume que les découvertes déjà signalées et on ne voit pas en quoi
celles-là sont capables de changer les bases reçues de la préhistoire palestinienne.
Pour être tout à fait juste il faut ajouter que nous ne trouvons point chez M. Karge
une semblable prétention. Il se contente d'exprimer le vœu auquel nous nous
associons volontiers que son ouvrage attire un plus grand nombre d'étudiants à
:

ce genre de recherches. Dans le travail de M. Karge ils trouveront un excellent


guide puisqu'il réunit en peu de pages une multitude de renseignements qui ne se»
trouvent que dispersés en un grand nombre de traités spéciaux. La bibliographie
judicieusement choisie permettra au lecteur de poursuivre ces études, dont l'intérêt
pour l'exégèse de l'A. T. est si évident.
V. RowAX, O. P.
Fribonrg (Suisse), octobre 1918.
BULLETIN

Textes. — M. le Professeur Henry A. Sanders. de runiversité de iMichigan,


a achevé de publier les rass. acquis par M. Freer en Egypte, il y a une dizaine
d'années (cf. Hh. 1913. -547 ss. . Cette rapidité fait honneur à son activité, d'autant
qu'elle n'a pas nui à l'excellence de la publication. Et c'est bien rapidité qu'il faut
dire, quand on se rend compte de l'état déplorable ou se trouvaient les parchemins,
et des soins infinis qu'il a fallu prendre pour dégager chaque feuille et ensuite pour
lire des lettres très effacées.
Le manuscrit du psautier d se compose de deux parties. La plus ancienne, que
M. Sanders date du v siècle, et de préférence de la première moitié de ce siècle,
se termine au Ps. 142. Cet ancien manuscrit ayant été privé de ses derniers cahiers
à une époque difficile à déterminer, vers le x" siècle, plutôt que de copier à nouveau
le reste, on a complété le Psautier au moyen d'un ras., écrit probablement au

Mil" siècle près du mont Sinaï. Les sigles des deux mss. sont A et A'/. M. Sanders
donne de chacun une description soignée, y compris les particularités d'écriture et
de langue. Le ms. A lui paraît se rattacher pour la qualité du texte moins aux
anciens mss. de Bible entière qu'aux psautiers, dont il est le plus ancien exemple.
la

Il nombreuses leçons qui ne se trouvent dans aucun ms. grec, et


a d'ailleurs de
dont 83 ont de l'importance. Sur ce nombre deux seulement trouvent ua appui dans
le texte massorétique. Plus nombreuses encore sont les leçons qu'on ne retrouve

que rarement ailleurs. La conclusion c'est que ce ms. donne un très bon tableau du
psautier chrétien primitif. Le m?. \" a les mêmes caractéristiques, mais moins
accusées.
Malheureusement il n'a pas été possible de recouvrer tout le texte. M. Sanders
a encadré ce qui reste dans le texte de Swete. excepté lorsque l'espace manquant
paraissait suggérer une variante. Les variantes de Swete sont indiquées au bas des
pages. Quelques beaux fac-similés donnent une idée des mss.
Le dernier ras. édité est un fragment des épîtres de saint Paul (2). C'était le moins
bien conservé des quatre. A l'origine, joint au ms. des quatre évangiles, il formait
avec lui un Nouveau Testament complet, sauf l'Apocalypse. Actuellement il com-
mence à I Cor. 10, 29 et contient quelques parcelles de toutes les autres épîtres de
Paul. L'épître aux Hébreux suit la seconde aux Thessaloiiiciens. Le ms., désigné
par la lettre L a été écrit en Egypte au vr* siècle. D'après M. Sanders il appartient

The old Testament manuscripls in t/ie Freer collection. Part II The Washinglon manus-
(1)
cript ol Uie Psalms, by Henry A. .'^A^•DF.r.s, university of Micliipan. In^", pp. vin -t- 105-357; New
York, The Macraillan Companj-, loi". Prix —
2 dollars net. :

(-2) Vol. IX. Part II. The Washinfiton fragments tuf thc Epistles
of Paul... In^" pp. vu, 249-315.
— Prix . 1 dollar 23 net.
'
'<•
BULLETIN. 585

à la famille Alexandrine. et il en représente le type beaucoup plus purement que le


Vaticanus et le Suuiiticus. c'est-à-dire qu'il ne contient pas de leçons « occidentales ».
Les deux grands mss. perdraient donc (juelque chose de leur autorité, du moins
pour ce qui regarde le texte de Paul. Malheureusement l'éditeur ne nous met pas
à même de raisonner cette conclusion, car le point serait de savoir si B et N ne font
pas ainsi preuve de neutralité : pour que leur autorité soit diminuée, il faudrait établir
que les leçons « occidentales » qu'ils out en commun sont des retouches. Le texte
encadré dans celui de Westcott-llort, dont les variations sont indiquées
de'chiffré est

au bas des pages. Fac-similés. —


Faute d'impression dans I Cor. 14, 12 o7ooo;j.r,v. :

Nouveau Testament. — Le R. P. Pope, O. P. a donné le second volume de


ce qui serait intitulé chez nous « Introduction » à l'étude exégétique de la Bible. Ce
volume a rapport aux évangiles 1 . Il comprend une introduction historique et

géographique, des notions sur le canon et la critique textuelle (manuscrits et ver-


sions), une présentation de chacun des évangiles, etc., une harmonie et une chrono-
logie. Le tout estbeaucoup de soin, et S. Érainence le cardinal
traité avec
Gasquet a daigné exprimer dans une préface tout ce que les étudiants catholiques
devront à la compétence et à la diligence du P. Pope. Mais enfin ce n'est pas
l'usage, entre dominicains, de .«e louer, et nous demandons plutôt au P. Pope de
lui soumettre nos difficultés en ce qui regarde la critique textuelle. Vraiment il est

un peu décourageant, et, à le lire, il semblerait que les critiques se livrent à un


travail de Pénélope, avec cette différence cependant que ce sont des adversaires qui
détruiraient d'un revers de main un travail assidu et prolongé. Les causes déses-
pérées trouveront toujours des avocats; elles n'en sont pas moins mauvaises. Voici
par exemple que le P. Pope fait état des attaques d'un paléographe, mais d'un
paléographe étranger jusqu'ici aux études bibliques. M. Clark. Il cite son paradoxe
avec complaisance, et ajoute froidement : « Il est clair qu'une conclusion comme
celle-là tranche à la racine toutes les théories précédentes, soit celles de Westcott
et Hort, soit celles de von Soden <>
(p. 150 . Eh bien non, il ne suffit pas d'un caprice
de dilettante pour détruire des travaux sérieux et consciencieux. Bien des questions
demeurent insolubles, mais il y a des choses jugées par la critique, sur lesijuelles elle
ne reviendra sûrement pas. et ce sont ces points qu'il faut taire connaître aux étu-
diants. Tout d'abord il y a les faits constatés. En gros, les mss. du N. ï. et les

versions se rangent en diverses familles. Il est clair que le Vaticanus (B) et le Sinaiti-

cus (N) forment un groupe distinct des textes que tout le monde qualifie d'antio-

chiens, l'ancien lextvs r'^ceptus. et des textes qu'il ne faudrait plus nommer occiden-
taux, quoique Westcott et Hort aient conservé ce nom dont ils savaient l'inexactitude,
et que Gregory n'hésite pas à qualifier de retouchés {ubevarbeiteter Text). On dira
que ce nom préjuge la question. Elle est en elfet jugée pour tous ceux qui sont mis
au pied du mur, c'est-à-dire qui ont à éditer un Nouveau Test-mient grec. Les
exégètes amateurs ou friands de nouveautés iront longtemps encore chercher des
leçons dans l'ensemble des textes retouchés. Mais aucun éditeur n'a osé les prendre
pour guides. Et la raison en est simple. Ces textes, — ce sont surtout les textes latins

anciens et les mss. syriens de Cureton et de Mrs. Lewis — ont bien un trait commun,
le sans-géne vis-à-vis de l'original et ils se rencontrent assez souvent: mais enfin

4) The catkoUc student's Aid.f > lo tlie xludy of llte liible. hy Hugli Popf. 0. P., S. T. M.,
I). Late prnfessor of ncnv Testament exegesis in tlie coUegio angelico, Rome. Willi préface
S. Scr.
!)> Cardinal Gisuukt, O. .''. P. Vol. II, The Xcw TcsUimcnt The liospels^. In-16 do xiv-WS pp.
^vashhourne. r.ondon, t9IS.
•j8G REVUE BIBLIQUE.

on ne saurait en tirer uu texte qui soit celui de tous. A ceux qui se contenteraient
d'une raison d'autorité, assurément valable puisqu'il faut bien s'en rapporter eu
pareille matière à ceux qui pratiquent les mss.. nous dirions (]ue l'accord de von
Soden — malgré sa méthode détestable — avec Tischendorf et AN estcott-Hort est

d'autant plus frappant qu'il a construit d'après un système tout différent et que ses
explications ne sont pas les mêmes. Soden attribue les ressemblances fâcheuses à
l'influence de Tatien. L'explication nous paraît fausse; mais ce n'est pas l'explica-
tion quila décidé quant au caractère inférieur du texte retouché. Il est juste de
dire comme on connaît les saints, on les honore. Il est moins prudent de prononcer
:

avec La Fontaine Le juge prétendait, qu'à tort et à (ravcrs, on ne saurait faillir


:

condamnant un ipeners. Mais enfin quand on a pris les mss. Sjrcur. et Syrsin. si

souvent en flagrant délit d'arrangements, omissions, additions, changements arbi-


traires, quand on a suivi de chapitre en chapitre les perfectionnements de style

introduits par le Codex Bezae (1), quand on sait bon gré à saint Jérôme d'avoir rap-
proché l'ancienne latine d'Europe des meilleurs mss. de lui connus, on éprouve
une défiance bien justifiée envers cette tradition, si ancienne qu'elle soit. Et lorsqu'on

constate encore la négligence de Clément d'Alexandrie, par exemple, dans des


citations souvent faites de mémoire, on n'est pas disposé à faire bénéficier le texte

retouché de l'autorité des Pères de l'Eglise. peut y avoir des exceptions, et ce Il

sont précisément quelques cas exceptionnels qui ont rehaussé l'autorité de cet ancien
texte, disons de ces anciennes versions. Mais si l'on parcourt les textes d'un bout à
l'autre, encore une fois leur infériorité n'est pas douteuse.
Cette question tranchée, et elle doit être présentée comme tranchée aux étudiants;
on pourra se livier aux conjectures sur l'origine des faits, opposer la polygénie qui
attribue les mêmes elïets aux mêmes causes, au monogenisme qui recherche une
autorité positive agissant partout, ïatien, par exemple.
Le recenseur opine qu'on doit unir les deux explications, étant d'ailleurs bien
entendu que le sans-gêne était inspiré par bon motif d'avoir un texte plus com-
le

plet, plus clair, exempt de écrit. Dire que le sens importe plus
difficultés, mieux
que la lettre, c'est naturellement un non-sens pour le critique moderne; car qui
prétendrait améliorer le sens en sacrifiant la lettre? Mais des traducteurs poursui-
vaient le sens comme ils pouvaient, et une fois que le doute planait sur les textes, il

leur paraissait naturel de préférer les plus clairs et les plus coulants. Mais nous avons
décidé de ne pas confondre la constatation du fait et son explication. L'essentiel est
de fermer la porte à ceux qui préteudent reviser une chose jugée dans l'ensemble
sous prétexte (\\iff-\e condamné n'a pas toujours eu tort. Et il en est de même de
l'autre cause engagée entre B avec N et le gros des mss. antiochiens. Le P. Pope a
l'impression que Westcott et Hort font une pétition de principe (p. 144). Le tort de
ces savants a été de ne pas s'expliquer assez. H eût fallu un apparat continuel et
une série de notes pour prouver le bien-fondé de leur choix. C'est à létude qu'on
s'aperçoit de leur tact. Quand le ms. B a fourni maintes fois des preuves palpables
de sa supériorité, on est incliné à donner raison quand les choses sont moins
lui

claires. Au premier abord il semble que von Soden l'ait dépouillé (lui et son cama-
rade n) de son caractère de neutral, que nous traduirions volontiers par primitif.
Mais la réaction en faveur du texte reçu se réduit à peu de choses. Le recenseur

(1) Le p. Pope parait peu sympathique à la latiiiisaiion de ce nis., si bien établie pur M. Uendei
Barris et acceptée par M. von Soden. Et voici que M^"^ Mercati étahlit, d'après ses caractères
comme ms., son origine latine On the non grcek origin ol ihe Codex Ikzae {Tlie Jovin. of thcol.
:

studies, April lOl'*;. •


1{UT,LETL\. 'i^'

estime qu'en eUet le goût de W H pour B les a eutraînés trop loin. Uue lois ou
l'autre ils ont eu tort de le soutenir contre la presque unanimité des témoins. Il est

cependant certain que dans l'ensemble Soden est venu joindre son suffrage à celui
de Tischendorf et de W II contre le texte reçu. La cause a été jugée de la même
manière. Que si von Soden représente cependant une légère réaction en faveur des
textes S3Tiens, c'est le plus souvent en préférant des leçons plus coulantes, plus
correctes, et s'il fallait deux éditions, von Soden obtiendrait-il la
choisir entre les
majorité des suffrages, même
en Allemagne? Le suffrage de Gregory, que le P. Pope
ne nomme pas, en faveur des savants anglais, est bien notable de la part d'un critique
qui s'est fait tuer à soixaute-dix ans dans l'armée allemande. L'opposition du Dean
Burgon n'a plus qu'un intérêt rétrospectif. Le Textus receptus est certainement un
texte « amélioré », c'est-à-dire éloigné de la pureté primitive, et comme la tradition

antiochienne est beaucoup plus ferme que celle du texte dit occidental, on a conclu,

on doit conclure à une revision. Le silence de l'histoire sur ce fait n'est pas une
raison pour le nier.
Autre point certain. La version syriaque Peschitta est par rapport à la version
contenue dans les mss. Cureton et Lewis ce qu'est la Vulgate hiéronymienne par
rapport à l'ancienne latine d'Europe. Il est beaucoup moins sur qu'elle soit l'œuvre
de Rabboula, évêque d'Édesse i412-435'. dont la date paraît bien tardive. Et l'on
discutera longtemps encore sur l'antériorité de Tatien ou de la version syrsin.-cur.
Ainsi nous continuerons à distinguer les points solidement établis des hypothèses
qui s'y greffent ou qui prétendent les expliquer.
Dirons-nous encore que le P. Pope nous paraît trop réservé aussi sur les résultats
obtenus dans la critique littéraire des Évangiles? Mais il faudrait entrer dans une
discussion qu'il a voulu éviter, non sans sagesse, dans un manuel. Et vraiment les
étudiants auront assez à faire pour se pénétrer de ses leçons, et il les aura bien
préparés pour aborder d'autres problèmes.

Les Études ''langéliques i^] de M. l'abbé Many sont surtout relatives à l'enfance
du Sauveur. Ce sont des tableaux plutôt que des enquêtes, mais placés dans le cadre
de l'histoire. M?"^ Gauthier a .marqué dans sa préface " qu'elles sont remplies d'une
onction et d'une poésie qui éveillent de bien douces émotions ». Si bien qu'on serait
tenté de donner à ces « études » le nom de Méditations, mais de méditations qui
reposent sur une exégèse sérieuse. Sans discuter, et regardant donc ce point
comme acquis, M. Many distingue Marie-Madeleine de la pécheresse de Luc, et ne
dit pas un mot qui permette de voir en elle 3Iarie de Béthanie. \ous voilà bien loin
de M. Paillon.
Dans un appendice, M. Many étudie d'un peu plus près la date de la naissance
de Jésus-Christ. 11 conclut pour l'an 749 de Rome, et il n'y a rien à objecter à la

conclusion, quoique les arguments ne soient pas tous de même valeur. Qu'Hérode
soit mort au printemps de 750, c'est un point si généralement admis qu'on s'étonne

de lire qu'il « a échappe à la diligence d'un grand nombre d'auteurs » (p. 280
.si .

Ne serait-ce pas que M. Many ne lit guère certains auteurs récents? On s'en dou-
terait d'après ses citations ordinaires. 11 date les années de Tibère de sa puissance
tribunitienoe, conjecture sans fondement. Et s'il a très bien compris que Macrobe
{Sat. II, 4) a mêlé le cas d'Antipater, fils d'Hérode. à celui des Innocents qu'il

(1) Victor Many, île la compagni»" de Saint-Sulpir.e. Etudes l'-vamjéUqitrK.


:>rofaoe de s. (;.
"Af Gai TiiiF.n, évè<|ue auxiliaire de Moutrcal, in-S" /) de 316 piu, Montréal, Ai bour et Dupont.
1»I8.
S88 REVUE BIBLIQUE.

connaît par saint Mattlûeii. il ne lui est vraiment pas permis de tirer argumeut de
cette confusion pour fixer la date du massacre. Par ailleurs il est d'une bonne
critique de regarder comme « une hypothèse gratuite » la complicité d'Antipater
dans ce fait, d'après le P. Patrizzi.

11 n'est pas très aisé de se rendre compte de la méthode suivie par M. Ejarque
dans sa brochure sur la « Fraction du pain (1 ». Une première section est consacrée
à la fractiondu pain chez les exégètes, une deuxième passe en revue les auteurs
noa catholiques, enfin la troisième section revient sur le Nouveau Testament et la
tradition chrétienne primitive. On ne peut qu'approuver l'auteur de voir dans la

fraction du pain la manière la plus ancienne de désigner le rite sacramentel de


l'Eucharistie. D'ailleurs il se garde de voir l'Eucharistie partout où l'on rompt le

pain, et quoiqu'il voie plus probablement un sacrement dans la scène d'Emmaiis.


il ne veut point en argumenter. Même il nous paraît un peu trop sceptique au sujet
(le la fresque de la Capella urecu publiée par M^'' Wilpert. Entre ceux qui y recon-
naissent l'Eucharistie et M. Liell qui ne l'y voit pas, M. Ejarque semble ne pas se
décider. Même il a l'air de ranger M«'^ Batift'ol parmi les opposants. Mais M""" BatilTol

a seulement fait des réserves (RB. 1898, 305) sur un argument relatif à la date. Il

ne lui semble pas que la fresque doive se traduire expressément fractio panis, mais
simplement Eucharistie au moment de la fraction du pain [L'Eachnrhtie, 5 éd.,
p. 18*)). M. Ejarque cite plusieurs auteurs allemands et beaucoup de grec; mais
combien mal a-l-il été servi par les imprimeurs! Ce serait à renoncer non seulement
à l'accentuation, mais même au grec. La multiplication des sigles S. J. après certains
noms, à l'exclusion d'autres analogues, et accompagnés des épithètes de sahio,
oruditisùno, célèbre, cclehrrr'uuo, a quelque chose d'assez puéril.

Ancien Testament. - Le R. P. G. Orfali, des Frères Mineurs, a pris l.'/irche

d'alliance (2) pour sujet de sa thèse de doctorat en théologie. L'ouvrage est divisé en
trois chapitres d'inégale importance description de larche, histoire de l'arche, :

importance de l'arche d'alliance, nationale et religieuse. Ce dernier chapitre n'est


guère qu'un appendiiie. Le nombre des illustrations, une vingtaine, marque la part
que l'auteur entendait faire aux découvertes archéologiques, sur lesquels il est très
bien informé, mais qui ne peut être que secondaire par rapport aux textes bibliques.
Le P. Orfali n'a point voulia entrer dans la question de la composition du Penta-
teuque dont il admet l'origine mosa'ique. Cependant il n'est pas fâché d'argumenter
ad liomincm, ou, comme il dit. e.t- concp.vsi.s-. dans l'hypothèse des critiques, pour
établir contre eux l'antiquité de l'arche,
il parle d'un fempus denterono- et même
micum (p. 19i par ou temps de Josias où le Deuléronome
il entend sans doute le

a exercé une si grande iniluence. En somme l'existence de l'arche au temps de Moïse

est moins attaquée que la présence des tables du Décalogue dans l'arche. On a voulu

y mettre tout excepté cela-, le P. Orfali montre l'arbitraire de ces conjectures.


Sur ce point il a rencontré l'autorité de Heb. 9, 4, qui semble placer dans l'arche
elle-même le vase de manne et la verge d'Aaron, contrairement au texte de I Reg.

(1) La « Fraccion dcl pan • en los jirinieros temiios del Ciistianismo, por D. Uamon Ejahole,
Pbro, Doclor en Sagrada Teologia y profesor de Sagrada Escritura por el Pont, instituto l)iblico
(aujourd'hui Professeur d'Écriture Sainte au séminaire conciliaire de Tortosa (ïarragona*. In-8
de 101 pp.. narccloiia. Estableciemento Tipogràfico de Mariano Galvc, 1!M6.
(-2) De Arca foedcris, Dissertatio arcliaeologlco-liistorica Veteris Testament! delineationibus
cinata pro gradu doctoratus in facultate theologlca Friburgcnsi oblinendo, a P. C.audentio Oiuxi i

0. F. M. exarala, in-S» de \illl pp.; Paris. Picard. 1918.


BULLETLX. S89

9, S et II Pcir. 5, 10.* On a supposé que l'épître aux Hôbreux aurait voulu décrire
précisément la situation au temps du désert, situation qui aurait été changée plus
tard, et cette solution agrée au K. P. parce qu'elle pruf se concilier avec Nura.
17, 23 et Ex. 16, 33. Pourtant " en face du témoignage « (Nura. 17, 25 et non 23'
ne peut signifier « dans l'arche », et il serait bien étrange que l'épître au.x Hébreux
se soit préoccupée de dire exactement ce qu'il y avait dans l'arche à une époque
donnée, d'autant qu'elle parle du culte ancien non pas tel qu'on le pratiquait réelle-
ment à telle ou telle période, mais selon sa portée scripturaire d'ordonnance ancienne.
Pour cela il lui suffisait de classer les objets selon un ordre de sainteté et elle Ta fait
avec une approximation suffisante. A propos des Chérubins, le P. Orfali discute les
diflerentes solutions assyriennes. Il n'a pas mentionné la plus vraisemblable, les
Ka-ri-ba-u-li retrouvés par le P. SclieTTa' côte'' des la-ina-az-Z'i-a-ti {Textes élamfti'S-
sémitiques, If, p. 167 , non plus que rétymologie la plus naturelle de koràbu, en
assyrien « protéger, être sémitique du nom
favorable ». D'ailleurs l'origine
n'emporte pas une traduction plastique assyrienne à propos de l'arche. Le P. Orfali
pouvait donc mettre en relief les analogies égyptiennes, et il se pourrait très bien que
les Chérubins de l'arche aient été en effet des figures d'hommes avec des ailes,

comme celles qu'on voit aux coffres égyptiens. C'est l'expression de l'auteur : qaoles
apud Aeguptios <:onspicimiis ip. 44 ,
quoiqu'il tienne à ajouter que ce n'était pas une
reproduction pure et simple. Il voit en effet un grave inconvénient à ce que ces
images aient été empruntées à un culte idolàtrique, quoiqu'il ajoute aussitôt, avec
saint Chrysostome, que des emprunts matériels n'empêchent pas un sens plus relevé.
Le R. P. Orfali rencontre sur son chemin la question de l'écriture au temps de

Mo'iseet se prononce avec fermeté contre le système de M. Naville, tout en donnant


les arguments qui suggèrent l'antiquité de l'alphabet.
L'histoire de l'arche est surtout celle de ses déplacements. Cadès est identifié avec
"Ain Qadis, à quoi nous souscrivons volontiers, pourvu qu'on n'en fasse pas une
oasis « deliciis aifluens '> fp. 65). Dans la terre de Canaan la question se complique :

l'arche était-elle présente chaque fois qu'on offrait un sacrifice? Pour éviter de la
faire voyager, >L Poels Le sanctuaire de Kariath-Ieorim, Louvain, 1894; avait
imaginé de fondre plusieurs sanctuaires en un seul. Le P. Orfali se tient sagement
en garde contre une simplification qui eût causé tant de bouleversements sur le
terrain. A propos de iMaspha, il ne cite pas l'identification assez vraisemblable avec
Tell-Nasbeh. Mais du moins il tient >ob, Maspha. Gibe'ah, Gibe on et même Gibea
pour des lieux distincts. Il lui faut donc conclure que les sacrifices pouvaient être
offerts en divers lieux, parce que la loi du Deutéronome ne s'appliquait pas avant
la construction du Temple, et que si elles'appliquait, on pouvait s'en dispenser.
Quant à celle du Lévitique (17, 3 s.), il a pensé sans doute qu'elle n'était applicable
qu'au désert. C'est l'explication de M. Vigouroux. TJne dernière difficulté vient du
texte de II Macch. 2, 1-8, sur le sort futur de l'arche. D'après le P. Orfali, l'auteur
du fivre donnerait ces mots comme extraits des écrits de Jérémie. En réalité l'auteur
sacré laisse la parole à la lettre des Juifs sans garantir leurs appréciations littérai-

res. — Encore une critique. Le R. P. aurait dû donner la traduction du texte


hébreu (Ex. 25, 10-22) qui sert de base à sa description; à cette occasion il aurait
justifié le texte qu'il substitue au massorétique pour le v. 22, ou plutôt il eût senti

-qu'il n'y avait rien à changer.

Lorsque deux événements se ressemblent beaucoup, ou e>i toujours tenté de


regarder l'un comme le doublet de l'autre. Antiochos III le Grand pille le temple
;i90 REVUE BIBIJOLE.

de Bel en Éiymaïde en 187; les indigènes fondent sur lui et le Tnassacrent. Eu 164.
Antiocbos IV Épipiianès entreprend de piller en Eiymaïde le temple d'A.rtémis: il

échoue, et pendant sa retraite il meurt misérablement à Tabai. Dans son Histoire des
Séleucides, M. Bouehé-Leolercq n'a pas résisté à la tentation de regarder la seconde
histoire comme surchargée au moyen de la première. Et les auteurs responsables
de cette erreur historique seraient les chroniqueurs juifs, en particulier les auteurs
des deux premiers livres des Macchabées... c< Rencontrant le nom dWntiochos mêlé
I diverses histoires de sacrilèges punis, de l'aveu même des païens, par une mort
prématurée, [les Juifsj y ont reconnu à première vue et sans s'informer davantage,
non pas Antiochos le Grand, qui avait été leur bienfaiteur, mais leur tyran abhorré,
l'Impie par excellence. Antiochos Épiphane frappé par lahveh. Ils ont été ainsi
amenés à lui imputer, outre ses propres crimes, le méfait de son père ». « L'opi- —
nion, une fois Gxée et répandue dans le monde par les Juifs, a pris peu à peu la
valeur des assertions qui n'ont pas été réfutées à temps (D... y
M. Maurice Holleaux a examiné ce système. Il est bien éloigné de se scandaliser
de la critique radicale d'une tradition reçue, et il n'est certes pas apologiste des
Livres Saints, puisquil entend procéder abstraction faite des « fantasmagories » des
écrivains Israélites. Il se tient sur le terrain de l'histoire profane, il se sert de ses
témoignages pour établir solidement la réalité des deux faits 2). Il n'en aboutit pas
moins à ceci, que les deux premiers livres des Macchabées « semblent apporter à la

tradition profane une conlirmation qui. bien qu'indirecte, n'est pas négligeable »

'p. 96). C'est avancer en même


temps que les historiens juifs n'ont pas imaginé les
circonstances de la mort d'Antiochos Épiphanès pour satisfaire leurs préjugés.
Bien plus, M. Holleaux retourne avec beaucoup d'esprit l'argument de M. Bouché-
Leclerq. Il fallait ([u"un persécuteur mourût de la mort des persécnteurs... Soit!
Mais pour un Juif il fallait donc que la main du Dieu d'Israël apparût, punissant
le sacrilège commis contre son temple. Or « l'attentat dirigé contre les dieux de la
Perse ne sert de rien dans le drame édiûant composé par les chroniqueurs d'Israël...

et, de plus, ce hors-d'œuvre ne laisse pas d'être assez fâcheux... Il a tort de faire

naître quelque doute sur l'origine du châtiment divin dont Épiphanès est la victime.

Est-ce bien lahveh qui l'a puni? JNe serait-ce pas, d'aventure, ce faux dieu pour
lequel, comme dit saint Jérôme, les barbares professaient une vénération singu-
lière?... Aussi n'est-il pas croyable que les chroniqueurs juifs aient emprunté à la

biographie d'Antiochos III, pour le transporter dans cell.e de son fils, ce qu'ils
relatent de la conduite de celui-ci en Eiymaïde ou en Perse. On n'imagine pas qu'ils
se soient donné la peine d'être si sottement maladroits. Si l'outrage fait à la divinité
du pays barbare dans leur
a place récit, je n'en puis trouver d'autre raison, sinon
qu'il avait place auparavant dans la biographie authentique d'Épiphanès. L'événe-
ment était connu, célèbre, solidement attesté; c'est pourquoi l'on ne pouvait se
dispenser d'en foire mention ", etc. (/. /., p. 96 ss.).

Les livres des Macchabées ne sont que pour I Macch. 6 et II Macch. 9.


cités ici

.\ssez souvent (même Scliurer I, on regarde II Macch. 1, 13-16, comme


p. 212 n. 8)

un autre récit de la mort d'Antiochos Epiphanès, en contradiction avec l'histoire et


même avec le ch. 9 du même livre. M. Holleaux nous dit dans une note (p. 80,
n. 1) que cet endroit regarde Antiochos VII Sidétés. On regrette qu'il n'ait pas
exposé ses raisons de suivre IXiese sur ce point. D'autres (par exemple Kuabenbauen

(1) Histoire des Séleucides. I. -J^S-^ai; iî!)--2l»8; .WO-305.


('2) Revue des études anciennes, t. xyiTI, avril-juin l'JlO, p. 77-102. Études d'histoire hellé-
nistique, UI La mort d'Antiochos IV Épiphanrs.
BULLETIN. . 391

ont remarquer que ce passage est extrait d'une lettre des Juifs, citée dans un
Fait

livre inspire,mais qui n'est pas pour cela revêtue de l'inerrance attachée à l'inspi-
ration. Car il est vraiment impossible de résoudre la difficulté comme le Manuel
biblique, par la supposition que les Juifs parlaient d'Antiochos le Grand.

Consacré évèque et nommé Eminence l'archevêque de Compos-


auxiliaire de son
telle, Ms' don Ramiro Fernandez Valbuena pas pour autant renoncé à ses n'a
travaux d'érudition. Une traduction espagnole de l'Orpheus de M. Salomon Reinach
lui a inspiré la pensée de doter l'Espagne d'un ouvrage sur la ReU<jion et les. reli-

ijions, et tome P' a paru (1). On sait qu'en France les savants catholiques se
déjà le

sont partagé le travail; M?"^ Valbuena n'a pas hésité à assumer seul une aussi lourde
tache. D'ailleurs il ne se donne point comme spécialiste dans tant de sphères, et il
indique soigneusement ses autorités. Les travaux de l'École biblique de Jérusalem
sont constamment en bonne place: c'est une consolation pour nous de penser qu'ils
n'ont pas été sans quelque utilité pour un théologien aussi traditionnel. Dans le
premier volume, trois livres : La religion primitive, les religions chamites, les reli-

gions sémitiques. Ne pouvant ici suivre l'illustre auteur dans le détail de son expo-
sition, nous nous arrêterons à cette partition elle-même. Quel avantage y a-t-il à
mettre sous la même rubrique la religion du pays de Canaan et celle des Égyptiens?
Il est évident pour tout le monde que les Ba'al et les Astartés ressortissent à la

même religion que Bel et Ichtar, qui appartiennent d'après M='' Valbuena aux
religions sémitiques. C'est-à-dire qu'il faudrait s'occuper des religions sémitiques
sans prétendre savoir de quelle souche étaient issus leurs adhérents. Les religions
sémitiques ne sont pas celles qu'ont professées les descendants d'un homme nommé
Sera, mais celles qui régnaient dans un groupement de peuples parlant des langues
apparentées. Il y a dans un certain rayon des langues semblables, des religions
semblables, des usages semblables. Les langues sont dites sémitiques, les habitants
sont nommés Sémites, comme les Français et les Espagnols peuvent d'une certaine
manière être nommés latins, par la langue et par la profession de la religion catho-
lique romaine. Ce sont les Français et les îiSpagnols qui sont responsables de certains
usages religieux, quoi qu'il en soit des races qui ont occupé les deux pays. Or on ne

voit pas que yW


Valbuena ait seulement essayé de tracer les traits des religions
cananéennes en tant que distinctes des religions sémitiques. Même il en vient à
dire que primitivement les Sémites et les Chamites ne formaient qu'un seul peuple
(p. 219;. Alors pourquoi attacher tant d'importance à la descendance de Chara ou
de Sem.^ Il est bien clair que M^'' Valbuena oscille ici entre la connaissance qu'il a
des faits anciens et une terminologie qu'il croit devoir maintenir comme tradition-
nelle. Esprit très ouvert, armé d'une lecture considérable, infatigable annotateur,
le docte évêque sera sans doute regardé en Espagne comme un progressiste. Il l'est

eu mais avec de singuliers retours de sévérité, par exemple à l'égard de


effet,

Mo'" Le Roy. L'ouvrage de l'évêque d'Alinda sur La reluiiou des primilifs a certes

été mis très à proQt, et cependant il lui est reproché assez durement de partager
les vues de M. S. Reinach sur les peuples primitifs, car « il admet avec le Juif que
c'est parmi les sauvages que doit se chercher et se rencontrer la religion primitive,
ce qui est réellement trop fort et nullement conforme ni aux enseignements catho-
liques, ni à la science historique » (p. Gl). Ms'' Le Roy est même formellement

(1) La religion a traoés de los siglos. esluilio liislorico cmiiparatico de la religioiies de la


luunaniilad por D. Kaniiijo Pbrn.vnokz V,u.i!1'en.\, Oliispo titalar de Escilio... t. I, iu-S» de xxi-
5ia pp.; .Madrid. V. Suàvez, 1018.
:;n REVUE BIBLIQUE.

accusé de se placer sur le terrain des adversaires de la loi, contrairement aux


préceptes des Papes Léon XLII et Pie X. Gageons qu'on fera à M?'' Valbuena pour
sa manière de parler des Sémites les mêmes objections. Personne ne soutient que
les sauvages sont le fidèle exemplaire des premiers hommes, en particulier parce
qu'on ne connaît guère ces derniers. Il est certain qu'ils ont beaucoup évolué dans
le sens de la complication, spécialement les toténiistes; mais il est clair aussi qu'ils

ne se sont pas développés dans l'ordre du savoir-, c'est pourquoi on les nomme
primitifs. Quant à la révélation primitive, comment fut-elle conservée après la

chute d'Adam? C'est ce que Trop souvent Ms"" Valbuena lui


la Bible ne dit pas.
fait enseigner ce qu'elle n'a pas affirmé, par exemple que Lamech fut le premier

bigame, «t il serait difficile de prouver que « la religion primitive a persévéré en


Jacob dans toute sa pureté monothéiste » (p. 105). L'auteur voit partout flotter la

révélation primitive dans les religions polythéistes et il a tracé, en particulier de la

religion des anciens Arabes, un tableau beaucoup trop flatte. Mais, encore une fois,

jl ne serait pas équitable de chercher des chicanes de détail à un ouvrage si forte-


ment conçu et si magistralement exécuté.

Langues. — On dirait que le R. P. Ubach avait prévu que l'hébreu allait

devenir une langue vivante, admise par le gouvernement français du moins à —


Alexandrie d'Egypte —
pour les épreuves du baccalauréat. Sa grammaire hrbrai-
que (1; se- révèle de plus en plus, dans sa seconde partie, comme le manuel d'un
enseignement pratique. Manifestement il compte sur les explications du professeur,
sans quoi il n'aurait pas laissé l'élève dans le doute sur le caractère d-ss temps en
hébreu. Qu'il n'existe en hébreu aucun tempus proprie dictum, c'est-à-dire que les

temps n'y sont pas conçus comme en grec, cela suppose donc qu'il y a quand même
des temps construits sur un autre type, et ajouter Seiisu>: sempcr ex contextu inres-
tif/ari débet, c'est renoncer à faire office de grammairien sur ce point délicat. Si

bien qu'il n'est proposé aucune distinction de l'usage copulalif du waiv et de son
usage dit consécutif, et que l'exemple donné d'une proposition copulative est en
réalité une proposition consécutive ^p. 73 Au surplus on peut se demander si .

l'hébreu moderne sera en état de maintenir cette nuance délicate, qui distinguait
autrefois l'hébreu des autres langues sémitiques. Acceptons donc le plan d'une
grammaire pratique. Les étudiants sauront bon gré au R. P. d'avoir colligé pour
eux ces séries et d'avoir énoncé l'essentiel des règles de la syntaxe clairement et
exactement (2).

M. Liudemann avait composé un Florilegium, ou choix de morceaux tirés de


l'Ancien Testament. Il y a joint depuis un lexique (3) hebreu-latin-allemand qui

(1) Legisne Thoram? —


vol. H. Syntaxim breviler perlraclans. Praxim ordine logico chici-
dans, in-S" de xvi-HO pp. Au Montserrat, liU9. cf. RB. 1!U8, p. o'Jiî s. —
(2) Le système des listes posait une question pour les verbes C'.mcaves. Le R. P. écrit 2"1T

qu'il traduit liligavil, V'I iudicavil, etc. traduisant ainsi l'infinitif par le parfait; il eùl mieux

valu mettre l'infinitif en latin, comme dans le cas de riT2 etc. C~N (p. !)3) est plutôt ru/us

<iue rubiiit, d'autant que l'infinitif n'existe pas en hébreu biblique. Comme l'auteur renvoie
constamment à la Bible, on se demande où il a pris D''7''rî "ittJiN (p. 3). La Bible n'emploie

jamais ces deux mots, et avec "iTw. ^*111rf, '• > a toujours l'article .levant D'iSTI- — P- '"'' '• ^^

lire n^M au lieu de NQ". On sait d'ailleurs combien il est difficile d'aboutir à un hcbreu
ponctue très correct, et il faut féliciter le R. P. du résultat qu'il a obtenu.
(3) Florilegii hebraici lexicon quo illius vocal)ula latine et ijeriîianioe versa conlineutur,
BULLETIN. 593

sera fort utile aux lecteurs du Florilège. Mais coniprendroDt-ils que. le même mot
'anah puisse signifier respondit etc. eipassiis est? Pourquoi ne pas distinguer deux
racines?

Nouvelles Revues. —
Il existe aux États-Unis depuis longtemps une American

Oriental Society. Eu 191 7 on y a fondé une nouvelle société du même genre, The
Society of Oriental Research, avec un organe spécial (1). Le Recteur de la Société est
le Rev. Professeur Samuel A. B. Mercer. Les membres sont recrutés parmi les

sommités de l'orientalisme en Amérique, en Angleterre, en France et en Allemagne.


Voici le sommaire du premier volume de la Revue Sumerian lu, dove, and nam, :

swallow (Paul Haupt); « Emperor w-Worship in Egypt (Mercer); Syllabar in


the Metropolitan Muséum (Stephen Langdon The Atiaphora of Our Lord in tlie
;

Ethiopie Lilurgy (Mercer); Hebrew az =


Ethiopie eiiza (Haupt); Sumerian
morals (Mercer); Babylouian Patriotic Sayings (John A. Maynard) The Disease ;

of king Teumman of Elam (Haupt); Syriac si fui, lip, and sâwpâ, end (Haupt);
Reviews.
Le même Rev. Samuel A. B. Mercer est à la tête d'une nouvelle revue, Angli-
can theological Revieiv (2). L'église épiscopalienne d'Amérique, consciente de sa
vitalité, a voulu avoir un organe théologique à elle, et cependant elle a préféré le
nom d'Anglican à celui d'Episcopal. Elle se rattache ainsi très ouvertement « à
cette partie et à ce type de la chrétienté dont le centre peut être dit à Cantorbéry ».
Les questions bibliques seront naturellement souvent abordées.
Voici le sommaire du premier numéro. The problem of Evil in the Présent State
of the World (Dickinson S. Miller); Morals of Israël, I. Pre-prophetic Morals
(Mercer); Troeltsch es. Ritschl A study in Epochs (Leicester C. Lewis);
: A New
Testament Bibliography for 1914 to 1917 Inclusive (Frederick G. Grant); Critieal
Notes (John A. Maynard). Reviews. Notes and Comments.

Addenda et notanda. — On me presse de répondre à l'article de la Civiltà


catlolica, Venticinque antii dopo Vcnciclica « Providentissimus » (15 fév. et 1" mars
1919), où je suis assez vivement pris à partie comme fauteur, on dirait bien, prin-

cipal, de ce que l'auteur nomme l'école large en exégèse. Mais l'équité exige d'abord
que cet article soit complété. Cuiqne sumn.
Dans le n'^ du 21 février 1903, la Civilià publiait un article intitulé i{i66ïa t'</ « alta

critica ». Sou but était de distinguer jusqu'où s'étendent les droits de la critique,
et par conséquent ses devoirs, car, sous l'impulsion des Lettres apostoliques Vigi-
lantiae, l'auteur poussait résolument les catholiques à l'emploi de la critique. Il va
sans dire que le principe catholique était maintenu :
— Ogni qualvolta un testo
ispirato afferma alcuna cosa circa l'autore od altra cosa simlle di questo o quel
libro ispirato, la sua testimonianza dev' essere ricevuta indubitamente per vera

edidii Dr Hubertus Lim)i:m\nn, professor iii symuasin (rium Rcsuin Coloiiieiisi, iii-8'^' de 82 pp.
Fribourg-en-Brisgau, llerder, 1914.
yi) Journal nf llw Socicli/ i>f OriciUal Research, Ediled l)y Samuel A. U. iMEiieiiK Professor in
llie Western Theological Seiuinaiy, Chicago. —
The Society of Oriental Research, 273S Washing
ton Boulevard, Chicago, Illinois.
(-2) Edited by Samuel A. \i. MracKR and Leicester C. f,Ewis, l'rofessors in the Western Theolo-
gical seminary. Chicago, iii Collaboration with Représentative Scholars throughout the Cliurch,
vol. 1, niay 191S number, I. l'iiblished by the Columbia Iniversity Press, Columbia Universily,
New York. Trimestriel, quatre dollars.
REVUE lUULIQUF. 1919. — N. S., T. \VI. .38
594 REVUE BIBLIQUE.

(p. 399). Mais ce principe était accompagné de restrictions : il fallait qu'il fût
certain que le texte est authentique; de plus : che il testo sia fuor d'ogni dubbio
inspirato, ed è bene notare subito che non si tengono per ispirati i titoli dei sacri
libri, tanto greci che ebraici, enfin —
che certamente non abbia luogo alcuna
:

pseudonimia. Suit un examen de la doctrine des plus grands docteurs. Tutti ripu-
tavano che la questione intorno gli autori dei libri sacri fosse non teologica, ma
storica; dovesse quindi definirsi secondo i canoni délia storia e délia critica. Appli-
cations : Wè gli antichi Padri si sentivano comechessia impediti da questa tradizione
cristiana. Come pel simpliee motivo délia proprietà dello stile dubitavano di Salo-
mone, quale autore délia Sopienza, cosi dubitavano, precipuamente per tal ragione,
se S. Paolo fosse autore dell' Epistola agli Ebrei. Il quai fatto è per noi argomento
certissimo, ch'essi tenevano quella tradizione non già per divina od apostolica, ma
per luiiana soltanto. Tutti sentiamo intimamente che cosi è e dev' essere (p- 400).
Qui sont ces tutti? Toute la rédaction? Tous les exégètes de la Compagnie? Il doit

y avoir là quelque exagération. Autres questions qui doivent être remises agli

studiosi periti nella critica e nella storia : .. 1) La questione, se uno scritto, accolto

nel canone come un libro solo, sia di un solo o di lùu autori; ad esempio se il
Pentateuco, come ora l'abbiamo, contenga tùttavia il ludicium régis che dice si esservi
stato inserito da Samuele (I Savi. 10, 25) La questione, se lo scritto, dato nel
2). 2)

canone come un libro solo, non si componga invece di due ben distinti; ad esempio,

se quanto corre sotto il nome d'isaia, non siano inve,ro duc libri, detti poscia Pro-
toisaia e Deuteroisaia, etc. (p. 407)... Tutti questi problemi sono per se medesimi
storici e non teologici. Saranno teologici e storici insieme solo nel caso, già indicato
pin sopra, che cioè quaiche testo genuino ed ispirato lo allermi apertamente (p. 408).
De plus, pour accorder la Bible e la rosidetia alla critica, il faut : Soiogliersi pron-
tamente délia stima esagerata délie tradizioni giudaiche, propria non dei cattolici,
ma dei vecchi protestanti. Par exemple Chiedi a S. Girolamo, se
: la forma présente

dei Pentateuco debba con miglior diritto a Mosè autore, overo ad Esdra
attribuirsi

compilatore e dira :
— Non euro. Chiedi a S. Gregorio Nazianzeno intorno al tempo
in cui furono scritti i Salmi, ed affermera Non se ne occupa punto Jo Spirito Sanfo.
:

dottore noxtro (p. 412).

La même Civiltà avait mis hors de cause les expressions qui pourraient paraître
inexactes en matière scientifique {Tradizione e progressa neWEsegesi. La Bibbia e le

scienze; 16 août 1902). Après avoir traité la question dès jours de la création, qu'on
peut qualifier en effet de scientifique, plutôt que d'historique, l'auteur ajoute : Cosi
anche per il diluvio, per il quadro etnografico dei Genesi, per la confusione délie
lingue : cosi quasi tutti gli esegeti contemporanei convengono che il cataclisma non

ha avuto il suo raggio di azione in tutta la superficie délia terra, che l'elenco dei
popoli enuraerati al capitolo X dei Genesi non comprende tutta l'umana famiglia,
che la confusione délia torre babelica non si estese a tutti gli uomini allora viventi,

insomma che la parola tutti, in questi luoghi e altri simili, deve intendersi d'una
universalité relativa, determinata dalla conoscenza attuale dello scritlore ispi-

rato (1) (p. 427). Assurément les exemples choisis sont peu compromettants. On
évite de dire que ce tutti, qui n'en est pas un, pourrait s'appliquer aux hommes au
temps du déluge. Enfin le principe est posé de raisonner pour l'histoire comme
pour les sciences, Cosi, parce que telles étaient les connaissances de l'auteur

inspiré.

(1) CVst moi qui souligne.


BULLETIN. 595

A cette époque, la Civillà était si persuadée de la nécessité d'une méthode nou-


velle, qu'elle écrivait encore (7 mars 1903, Il vecchio Testamento
e la crltica odierna,
après avoir énuméré les progrés accomplis de nos jours ïale studio e taie discus- :

sione del testo non la fecero ne potevano larla i Padri i più de' quali anzi né anco
ebbero in inano il testo priiuigenio dell' antico Testamento ne pure la potevano ;

tare i primi esegeti cattolici clie liorirono ne' prinii tempi dopo la Riforma, la
maggior parte de' quali si puô dire con verità clie illustrarono i libri sacri di annota-
zioni anzichè di commentarii seguiti, ma degli apici critici nessuno ebbe conos-
cenza (1) (p. 584). Et ces apici ne se réduisent pas à la critique textuelle : Corne
anche uella scienza biblica una più esatta osscrvazione
nelle altre scienze positive,
dei faiti ha condotto ad una più esalta cognizione delV argomento (2). Quel fatti
s'aggirano intorno alla forma esterna de' libri sacri, non escono dal campo critico
e storico, non entrauo in question! di fede e di costumi ma forse che par via délia :

forma esteriore non si manifesta il senso interno e il carattere proprio délie cose ?
Sicchè il melodo critico non puo altro che promuovere l'intelligenza de' libri sacri.
Che se linora in questo génère faticarono soprattutto scritori non cattolici, etc.
(p. 585). Aussi l'auteur ne s'étonne-t-il pas de la méthode employée par M. Scerbo
{Il vecchio Testamento e la critica odierna, 1902) Venendo alla seconda maniera
:

di critica, cioè la storica, il ch. autore a ragione non condanna principii, ma gli i

abusi. Per es. egli (p. 12 ss.) è persuaso che red- il testo del Genesi dall' autore o
datore ispirato tu composto in base a due documenti... In particolare, col confronto
délia versione Greca, dimostra che furono intrecciate due narrazioni dello stesso
fatto Gen. 43, (3) 1-7 (Vulg. 47).
Enfin la Civiltà laissait paraître que le dictionnaire de M. Vigourou.v lui paraissait
un peu arriéré. Elle le défendait charitablement, parce un diction- que tel doit être
naire, et à cause du degré de préparation du public catholique Che la sollecitudine :

per la tradizione non tempérasse talvolla le esigenze délia critica, era difficile ad
evitare, atteso il grado di preparazioae del pubblico cattolico (6 juin 1903, p. 581).
Aussi l'auteur de l'article Judith a-t-il sagement agi en n'abandonnant pas résolu-
ment rh'storicité, d'autant qu'il s'est gardé dal far credere che fino ad ora si sia
trovata una soluzione soddisfacente (p. 581).
J'avoue que le zèle de la Civiltà pour
la critique nouvelle ne va pas plus loin

que cette date d'août 1903. Mais la Civiltà de 1919 qui donne des échantillons du
P. Lagrange aurait pu en trouver d'aussi savoureux dans un livre du R. P. de
Hummelauer. il est vrai, son opuscule Exegctisches zuv Inspirationsfrage
Elle cite,
qui a exposé in modo
più sistematico la théorie des genres littéraires elaborata e
perfezionata dalla Revue biblique e dal suo direttore (p. 285j, mais ne convenait-il
pas de réfuter cette théorie d'après celui qui en a fourni l'exposé le plus systéma-
tique? D'autant que les premiers linéaments du système du R. P. de Hummelauer,
et spécialement sa contribution propre, destinée à perfectionner, même après la
Revue biblique, la théorie des genres littéraires, se trouvent — dans la Civiltà
du 17 janv. 1903! Je
cattolica fais allusion à sa théorie du raidrach qu'il définit ;

un génère letterario di forma storica, anzi con fondamento storico, ma composto


coir intente principale d'insegnare (p. 221). Il est vrai que le seul type du genre

(1) Temps que l'on nomme aujourd'hui « l'âge d'or de l'exégèse catholique », ce qui peut
être vrai pai- comparaison.
(2) Souligné par l'auleur.

C3) Il doit y avoir une faute d'impression pour ce ciiiffre. Sur cet exemple, cf. RB. 1898, p. ir,.
596 REVUE BIBLIQUE.

cité est le livre des Jubilés, qui n'est point canonique, mais l'intention de l'auteur
n'était-elle pas de nous avertir qu'il y a dans la Bible quelque chose de semblable et
qu'on doit interpréter de la même manière? D'autant qu'il conclut : Ghi poi vuol
formarsi un sicuro giudizio intorno al génère di verità dei singoli documenti del
Vecchio Testamento, tenga anzitutto bene a mente, che egli dovrà pensare, parlare,
giudicare, corne pensava, parlava, giudicava un antico Ebreo (p. 221).
Nous apprenons ainsi que la Cirillà, résolue en 1902-1903 à faire son évolution
dans le sens de la critique, avait confié ce soin au R. P. de Hummelauer, au
moment où il avait déjà publié son commentaire du Deutéronome (1901) avec l'in-
troduction sur le Pentateuque, si ferme contre l'authenticité mosaïque au sens
propre, au moment où il mettait au net les idées qui ont paru en 1904 sous le titre
Exegetisches zur Inspirationsfraye (i), {Biblische Studien, IX, iv) qu'on pourrait
peut-être traduire : conceptions exégétiques utiles dans la question de l'inspiration.
Dans l'Avant-propos, l'auteur déclarait que sa brochure « ne contient aucune con-
cession au rationalisme; elle tire des conséquences des lois immuables de la con-
naissance du style, des conséquences de l'encycliéfue P/ovidentmimus, des consé-
quences de la doctrine de l'antiquité chrétienne » (p. vu). On ne se charge pas ici

de prouver tout cela. La CivUtà de 1919 eût dégagé sa responsabilité en le prouvant


ou en avouant qu'elle aussi s'était trompée.
Sur le R. P. de Hummelauer il n'y a pas lieu d'insister. Mais il est un autre nom
que la Civillà de 1919 ne prononce pas, un nom universellement respecté dans les

annales de l'exégèse la plus conservatrice, et que le P. Lagrange eût été flatté de


voir figurer à côté du sien. C'est le nom du R. P. Knabenbauer. Voici une citation
un peu longue, mais qui contient à la fois la théorie des opinions populaires et des
citations plus ou moins du second livre des Macchabées.
implicites. C'est à propos
Ex quo numéros quos in 2 Mach. legimus hauserit, nescimus; pro
fonte lason istos
plerisque popularis quaedam tradilio assumi poterit, rumor quidam vagus de tôt
et tôt millibus; auctor vero noster secundura suum consilium (2, 28. 29j accuratam
rerura singularum perscrutationem relinquit historiographo, sibi attribuit studium
sequendi normas epitomes facieudae. .. Referunt scil. quid eius aetalis honiines de
iis certaminibus crediderint. Neque enim tali narrandi modo ullo pacto quidquam
depgatur sanae notioni iuspirationis. Nam sicut Deus velle potest, et rêvera voluit,
ut per auctorem inspiratum litteris consignarentur mores, opiniones et sententiae
hominum variarum aetatum, ita vi inspirationis minime expectandum est, ut defectus
scientiae humanae et lacunae superna revelatione tollantur, nisi agatur de rébus
fidei et morum vel de veritate historica, quam auctor intendit et in qua innititur

doctrina quam vult exponere (Duo lihri Machabacorum, 1907, p. 59 s.). Voici encore
un cas précis. Ce n'est pas celui de l'opinion que Judas et les Juifs pourraient avoir
des Romains ou de leur propre parenté avec les Spartiates, car on voit, dans le

texte même que c'étaient des opinions. Mais dans I Mach. 1, 7, l'auteur, en son
nom propre, dit qu'Alexandre a partagé son empire de son vivant. Or si itaque :

erat opinio pervulgata Alexandrum reguum divisisse inter duces, sacer auctor eam
referre poterat sine ullius erroris culpa vel suspicione (p. 29).
Ce qui est vrai de l'abréviateur de Jason, de l'auteur du premier livre des
Machabées peut se dire à plus forte raison des deux lettres des Juifs qui précèdent le
second livre. S'ils ne racontent pas exactement la mort d'Aotiochus Épiphane, c'est

(1) Lt qui ont été en partie mises en œuvre dans le coumientaire des l'aralipoméues (1903,
cl. p. 323 et passim).
BULLETIN. :)07

cependant bien de lui qu'ils parlaient, dumraodo concédas ludaeis primo de ipso
mortis eius génère falsura esse runiorem allatum (p. 285). C'est bien un des cas oîi

il faut dire : iNemo postulabit ab auctore sacro, ut eiusmodi opiniones refutet,


corrigat vel eas ut partira falsas partira exaggeratas traducat. Undenam id praestare

posset? (p. 29). De même la seconde lettre, avec son espérance du retour de l'arche
qu'elle prétend appuyer sur des écrits de Jérémie (II Mach. 2, 4), montre seule-
ment combien peu ils avaient compris les oracles des Prophètes (p. 298). La Civiltà
nous répondra peut-être que cette opinion du P. Knabeubauer est irréprochable du
point de vue de l'inspiration, puisque ces lettres sont citées comme l'œuvre des
Juifs par l'auteur sacré qui n'en prend pas la responsabilité. Est-on bien sur que
cette opinion large soit sans conséquence? Car si les lettres ne sont pas authentiques,
pourquoi l'auteur sacré les reproduit-il comme si elles l'étaient? Et si elles sont
authentiques, les hagiographes étaient-ils souvent dans une condition plus favorable
pour écrire l'histoire que lorsqu'ils possédaient de pareils documents, émanant
officiellement de la communauté? Nemo postulabit... undenam id praestare
posset?
le R. P. Christian Pesch, un théolo-
Sans prétendre être complet, citons encore
gien, et dans uu gros livre spécial de Inspiratione Sacrae Scripturae. Il expose
:

assez longuement les opinions du P. Lagrange, ajoutant Vestigiis Patris Lagrange :

ingreditur fere F, Prat (p. 358), mais cela ne paraît pas être un blâme dans sa
bouche, car il déclare nettement : Quia parabola potest esse fieta, patet etiam
fictas narrationes posse inspirari (1), Si hoc valet de brevioribus narrationibus,
potest etiam valerede longloribiis... Brevitas vel longitudo non videtur ratione inspi-
rationis constituere essentialem dillerentiam, modo res ne ita proponatur, ut homines
in errorem nkgessario (2) inducautur, putantes se teneri obiigatione habendi pro
historicis, quae historica non sunt. Tota veritas talis libri consisteret in declaratione
veritatis religiosae, cui singulae partes et ornatus narrationis ut média fini subor-
diuarentur et servirent. Possibilitate taliuni narrationum inspiratarura concessa,
ex ipso conceptu iuspiratioais discerni nequit, utrum in Scriptura sint libri, qui sub
specie historica sint narrationes fictae, necne. Récentes quidam Catholici volunt
taies esse e. g. libros ludilh et Tobiae, qui non référant res historiée gestas, sed
sint sub externa forma historica Ex iuspirationis
libri prophetici et didactici.
dogmate haec opinio refutari nequit, sed quaeritur, quoraodo se habeat ad testi-
monia Scripturae et traditionis » (p. 503). Et le R. P. met en note la décision de la
Commission biblique du 23 juin 1905, (/e narrationibus specietenus tantum historicis,
que sans doute il ne regardait pas comme contraire à sa doctrine. Il est vrai que le

P. Pesch se montre beaucoup plus strict quand il parle de la Genèse; encore est-il
qu'une fausse étymologie peut avoir pénétré dans la Bible par la tradition populaire
Cp. 551), et dans toute cette discussion il suppose toujours que l'auteur sacré a
entendu affirmer les faits. Mais la Revue biblique n'a jamais omis cette distinction.
Posons donc encore une fois le principe : Scriptores inspiratos nihil affirmasse ut
verum, quod faisum sit-, nihil negasse ut falsum, quod verum sit. Aussitôt le R. P.
ajoute : cum hoc principio non pugnat. quod non semper constat, quid scriptor
voluerit affirmare, et quod interdum dubium est, ubi sint fines inter res affirmatas
et formas locutiouum (p. 552). Et qu'il n'ait pas hésité à pousser assez loin cette
possibilité d'éuouciatious non affirmées, c'est ce que prouve une dernière citation :

(1) Souligne par l'auteur.


(2) C'est moi qui souligne.
598 REVUE BIBLIQUE.

Potest etiani auctor inspiratus habere opiniones falsas; immo potest accidere. ut
ex eius loquendi modo conjici possit, quas opiniones veras vel falsas in mente liabeat.
Sed quamdiu ea. quae cogitât, verbis non affirmât, tamdiu sunt eius privati conceptus,
nullo modo Dei dicta.
Je m'abstiendrai de citer le R. P. Prat, puisque la Chiltù de 1919 le prend à partie,
mais je ne puis omettre le R. P. Brucker. qu'on regardait volontiers en France
comme le représentant du plus extrême conservatisme, d'après le R. P. Pesch (1).
En 1903, année fatidique, il se montrait très courtois envers le P. Lagrange. A
propos de son « intéressante étude sur Vhmoceiice et le Péché, » il ne faisait qu'une
réserve : « Je crois qu'il donne à l'allégorie beaucoup plus que ne permet je ne —
dis pas la tradition, qui laisse vraiment beaucoup de liberté en cette matière, mais
la signification naturelle des textes (2). » Il ajoutait : « Les livres de Ruth, de Judith,
d'Esther, de Tobie sont-ils proprement et strictement historiques dans l'intention de
lenrs auteurs? C'est là un problème ou plutôt quatre problèmes, souvent débattus,
mais qui, selon toute apparence, ne seront jamais définitivement tranchés. Il n'est
nullement nécessaire qu'ils le soient... Il résulte de ces conditions qu'on ne doit
pas demander à ces livres une rigoureuse vérité historique, dont vraisemblablement
leurs auteurs ne se sont jamais préoccupés » {Etudes, 20 janv. 1903).
Encore une fois, Cuiqve suum.
Les attaques ouvertes de la Civiltà et aussi ses insinuations contre la Revue
biblique ont trait d'abord à l'enseignement de Léon XIII. On reproche au P. Lagrange
d'avoir mal interprété une phrase de l'Encyclique Pvovidenlissimus : haec ipsn deinde
ad cognalas discipliiws, ad historiam praesertim, iuvabit transfcrri. Je lui donnais
un sens déterminé par le contexte antécédent, où il est question de la manière de
résoudre les oppositions prétendues entre la Bible et les sciences naturelles, et je
concluais que le même critérium devait s'appliquer à l'histoire. Outre ce contexte
antécédent, je faisais cas, peut-être trop de cas, d'un rapprochement avec quelques
expressions du R. P. Cornely, auquel on attribuait alors une grande part dans la

rédaction de TEncyclique. Au surplus je n'étais pas seul de mon avis, et le Cardinal


Satolli, alors préfet de la S. Congrégation des Etudes, daigna ra'écrire île 5 mars
1905) : « Quant à votre interprétation de la pensée de Léon XIII dans son Encyclique,
je la crois, autant que je puis en juger, exacte. » Mais il se peut eu elTet que la
petite phrase ait une portée plus générale, et serve de transition, s'appliquant moins
à une solution particulière qu'à tout le régime de la défense relativement aux
objections.
.Mais s'il y a doute sur ce poinr, comme je le pense maintenant, si même je me

suis trompé, ce qui n'aurait rien de surprenant, nul ne peut méconnaître l'esprit
qui animait Léon XIII au moment où il écrivit les lettres Vii/iluntiae. La Cirillà de
19!9, oubliant avec quel entrain elle a suivi cette impulsion en 1902 et en 1903,
insinue, mais clairement, que le grand Pontife avait voulu nous désigner en dénon-
çant le « pericolose temerità » « di quegli scrittori cattolici che, col pretesto specioso
di strappare agli avversari délia parola rivelata certi argomenti stimati irrefutabili
contro la veracità dei sacri libri, se li facevano proprii, lavorando cosi con le stesse
loro mani ad aprire la breccia in quelle mura délia santa ciltà che dovevano difen-
dere ». En efifet la Civiltà ajoute : E facile scorgere sotio il trasparente vélo di
queste parole a chi voglia alludere il sapiente Pontifice (290). Transparent, certes,

(i)Zur neueaten Gescliichte der Katlt. Inspirationslehre, Frib. i90i, p. 44.


(2) Et en effet le P. Lagrange ne parlait guère d'allégorie.
BULLETIN. 599

ce voile l'est assez pour qui lit la Civiltà, après que le nom du P. Lagrange a été
cité six fois, et toujours en mauvaise part. C'est plus loin qu'il sera question ex
professa de M. Loisy, et la Cviltà néglige de dire que ses nombreux pseudonymes,
sans parler de quelques noms authentiques, donnaient l'impression d'une école
nombreuse et active. Il serait bien étonnant que le Saint-Père n'ait pas aussi songé

à eux. Mais a-t-il vrain^nt compris la Revue biblu^ue dans cette condamnation
sévère? S'il en était ainsi, comment juger sa conduite lorsqu'il instituait la Commis-
sion biblique, dans le sein de laquelle il faisait entrer le Père Lagrange et d'autres
représentants de ce que la CivUlà nomme Técole large? Est-ce que lui aussi tra-
vaillait de ses mains à ouvrir la brèche dans les murs de la Cité sainte que plus
que personne, certes, il devait défendre?
Léon XIII a fait plus. Il a voulu appeler à Rome la Revue biblique et son directeur,
auquel il entendait laisser la direction de la Revue, qui devenait l'organe de la

Commission biblique. Les Révérends Pères Delattre, Schiftini, Murillo, Fonck, etc.
m'ont attaqué avec la passion que leur inspirait leur zèle. Livres et brochures sont
demeurés sans réponse. J'ai gardé le silence assez longtemps pour qu'il me soit
permis de me défendre contre une nouvelle agression, qui ne ressasse que d'anciens
griefs.Cependant je n'aborde qu'avec émotion et en tremblant l'auguste mémoire
du grand Pontife, le souvenir vénéré du savant et pieux Cardinal RampoUa. Je ne
dirai que le nécessaire. Je n'avais pas recherché la faveur j'avoue qu'elle me causait ;

quelque appréhension. Je demandai à Léon XIII de rentrer à Jérusalem. Il me


paraissait dur de détacher du sol de la Terre Sainte la Revue biblique qui y trouvait
sa sève, de sacrifier l'Ecole de Jérusalem au nouvel Institut romain. Je hasardais
quelques objections. Le Cardinal Rampolla daigna me répondre qu'elles n'étaient
pas agréées. Il ajoutait : « Du reste, il ne faut pas craindre des conséquences funestes,
soit pour la revue, soit pour l'Ecole de Jérusalem, soit pour votre Ordre. Dans toute
celte question le S. -Siège n'a d'autre intention, sinon de vous donner à vous et
à votre Ordre un gage de sa bienveillance et de son estime. Quant à ce qui regarde
l'Institut de Hautes Etudes Bibliques, il est évident que Votre Paternité n'est pas au
courant des faits en détail. Je puis vous assurer d'avance que ^'otre Paternité sera
pleinement satisfaite dès qu'elle sera saisie des mesures prises à cet égard par le

S. -Père « (Lettre du 22 juin 1903).


On voit que le Cardinal Rampolla n'était pas prophète... Mais si l'avenir lui
échappait, comme à tout le monde, du moins la situation alors était claire; il n'y
avait pas de voile, ni épais, ni transparent.
Serait-ce que depuis ce temps les décisions de la Commission biblique ont con-
damné l'interprétation qui fait grand cas des genres littéraires, qui ne traite pas
comme de l'histoire pure tout ce qui se présente avec l'apparence de l'histoire?
A-t-elle absolument fermé la voie, ou a-t-elle exigé qu'on n'y entrât qu'avec une
extrême prudence? La Civiltà nous dit que la Commission a condamné cette opinion
nella sua gênerai itù. Eh, sans doute! Mais avons-nous demandé que cette interpré-
tation soit appliquée en principe à tous les livres de la Bible? Il nous suffit qu'elle

puisse être proposée dans tel cas particulier, non pas par dilettantisme, cela va
sans dire, mais avec des raisons sérieuses. Or c'est bien ce qu'accorde la Commis-
sion. Relisons encore sou texte : Négative, excepto tamen casu, non facile nec
temere admiltendo, in quo, Ecclesiae sensu non refraganle, eiusque salvo iudicio,
solidis argumenlis probetur Hagiographum voluisse non vcram et proprie dictam
historiam tradere, sed, sub specie et forma historiae, parabolam, allegoriau), uel
sensum aliquem a proprie littéral! seu historica verborum significatione remotum
(300 REVUE BIBLIQUE.

propouere (23 juin li>05). Ce qu'il y a de nouveau ici, c'est suB specie et forma
HisTORiAE, et c'est aussi qu'après la parabole et l'allégorie la Commission ajoute un
smmm aliquem qui ouvre la porte aux qualifications de la critique. Qu'il ne faille
admettre ce sens nec facile nec temere, c'est-à-dire ni aisément ni à la légère, c'est
une règle que doit s'imposer à lui-même tout exégète soucieux de son devoir, c'était
la norme même de la Revue biblique. Cela ne veut pas dire assurément que les
raisons qu'elle estimait graves le fussent aux yeux de tous.
Il faut en dire autant des citations implicites. Sur ce point aussi la Ciriltà met en
avant le nom du P. Lagrange, qui ne l'a pas touché c.c professa, car les passages
cités de la Revue {\) se rapportent plutôt aux sources combinées. C'est donc le
P. Prat qui supporte le poids de la discussion, mais il n'était pas sans doute derrière
le voile transparent, car on a soin de reconnaître qu'il a condamné d'avance les

excès auxquels on pourrait se porter en appliquant son système. La Civiltà qui fait
ici montre de connaissances dialectiques est bien obligée de confesser que la Com-
mission biblique admet qu'on ait recours aux citations implicites, naturellement
sous certaines conditions. L'article tient à dire que la doctrine du P. Prat se
distingue profondément de celle de la Commission, parce que la Commission traite
la question de possibilité, sans rien affirmer du fait. Mais est-ce là une divergence

de doctrine .3 Demande-l-on Commission de résoudre la question de fait? Elle


à la
indique ce qu'il est licite de faire aux exégètes de travailler.
;

C'est tout ce que j'avais à note.r.


Laissons la Civiltà triompher. Son triomphe est plus glorieux qu'on ne pourrait
le croire à première vue. Elle triomphe de la Itcme biblique (2), mais aussi d'elle-
même, ce qui a toujours passé pour le plus difficile.

Fr. . M.-J. LaCtBANge.


Jérusalem.

Palestine. —
Erratum. A propos de la basilique de Belhlrem, la Revue a rendu
compte ci-dessus (pp. 297-301) d'une monographie de guerre. Ces pages écrites à
Jérusalem et imprimées à Paris ont dû, par suite des circonstances fâcheuses, être
Une déplorable coquille typographique a défi-
publiées sans correction d'épreuves.
guré avec persévérance, d'un bout à l'autre de ces notes, le nom de l'archéologue
allemand, auteur de la monographie analysée. Ou voudra bien substituer le nom
de M. Weigand à la fatidique coquille Weigaud. [V.]

P.E.Fund, Quart Stat., 1919. —Janvier. — Cap. F.W. Stephen, du Génie royal:
Notes sur l' approvisio)inement de Jéricsalem en eau; mémoire technique sur la capta-

(1) 1805, p. 52; 18%, p. 507 ss. ; 18'J7, p. 370 ss.


(2) Je lui donne volontiers raison sur un lapsus
((u'elle a relevé dans la Mcthode historique
(p. "204;. En
citant le I*. île Uuininelauer j'aurais tlù ajouter excella anima, et placer la note sous
le iiarajjraphe |>réccMlent. Voilà la consci|ucnce d'une lichc mal prise. D'ailleurs cela n'a aucune
importance |)our l'argunicnlation, et il est coniii|ue qu'on m'impute, d'avoir attenté à la répu-
tation de l'illustre jésuite belge, Bonfrère. L'hallucination prêtée par le K. 1'. de Hummelauer a son
confrère s'applique dans les deux cas. Néanmoins je lui devais une réparation, c'est fait. A mon
tour de demander à l'auteur de l'article si ce n'est pas une enormité d'écrire que l'école fondée,
par Lamennais eut après lui pour chef de Bonald, énuméré avec Bautain et Bonetty (p. 278, note).
On sait (jue Lamennais naquit en 178-2 et de Bonald en 1734; La législation primitive du vicomte
de Bonald parut en 180-2; L'essai sur l'indifférence commença de paraître en 1817. Bonald et
Lamennais, chefs de la même école! Après cela on peut mettre tout le monde derrière le voile
transparent.
BULLETIN. 601

tioD des sources d"A//o»6 et Tinstallation du canal réalisée avec une admirable
célérité au lendemain de l'occupation anglaise. —Dr. Masterman Hygiène et mala- :

dies en Palestine, aux tempu modernes et biblitjnes, fin. — J. Offord : iVb/es arch-o-
logiques sur des anti'iuiti-s juives; nouvelle lumière sur la guerre juive sous Hadrien -.

la moutagoe trône de Jahvé. —


M. Flinders Pétrie Scarabées palestiniens, rejette
l'hypothèse de M. Weill sur l'origine palestinienne de certains scarabées des Hyksos.
lus Aura. Il les estime nettement égyptiens et les lit Du-ne-ra, où il voit une épi-
thèle au lieu d'un nom « don de Rà ». :

Avril. — R. P. Waggett : Bethléem; excellent résumé du problème que soulève


la basilique de là Nativité. On s'étonne de constater dans cet article qu'il soit néces-
saire, en Angleterre, de justifier la suppression si opportune de l'horrible mur para-
site qui défigurait l'intérieur Dr. iMasterman Une visite aux
du monument. — :

châteaux ruinés des chevaliers teutoniques, qala'at Qourein et qala'at Djeddin en


Haute-Galilée. H. Brindley — Silhouette graphique d'un bateau à Beit Ujebrln,
:

sur un éclat de calcaire dans les ruines hellénistiques de Marésa; c'est l'occasion
d'érudites notes techniques, mais il y a lieu de craindre que la pièce ne soit de date
beaucoup plus récente. — Reproduction d'un art. anonyme {Times du ô février 1919)
sur les projets de restauration de Jérusalem. — J. OtTord : Une inscription nabatéenne
concernant Philippe (II) tétrarque de Hauranitide ; il s'agit d'un texte nabatéen trouvé
par la Mission américaine de Princeton University dans les ruines de Si'a. Ce

Philippe II, fils d'Hérode par Cléopàtre la hiérosolymitaine, était marié à Salomé la

fille d'Hérodiade. 11 gouverna de Gaulanitide de 4 av. J.-C. à 33 ap.


la tétrarchie

j.-C. — J. OfTord : Notes arch...; Sanaballat dans Josèphe et dans les papyrus d'Élé-
phantlne.

Juillet. — Vincent :
— Dr. Masterman Une
Améliorations anglaises à Jérusalem. :

fête juive; l'anniversaire de — P. Baldensperger


Siméon ben Yokhai, à Meiroun. J. :

L'immuable Orient notes d'histoire naturelle. —


(suite); Offord On=^Anu, Hélio- J. :

polis dans une inscription sémitique gilgals masséboth de Palestine. —et les et

J. Offord : Notes arch...; le mot usité pour Satrape.

Le « rapport concis sur l'avance de YEgyptian Expeditionary Force sous le

commandement du général Sir Edm. Allenby, de juillet 1917 à octobre 1918 (1) »

s'intitulerait tout aussi bien <> Conquête » ou « Libération de la Palestine et de la

Syrie au cours de la Grande Guerre ». On saura gré au Grand Quartier Général


anglais d'avoir réalisé sans délai cette excellente publication, où sont mis à profit

les documents officiels marche des événements et l'expé-


de nature à fixer la

rience de tout le personnel engagé dans l'exécution de cette campagne mémo-


rable. On se proposait surtout de procurer aux membres du corps expéditionnaire
le meilleur souvenir de leur activité et de leur participation à cette difficile et

glorieuse tâche. L'œuvre ainsi réalisée avec beaucoup de précision, de tact et de


justice n'intéressera pas seulement ceux que préoccupent les opérations militaires.
Historiens et biblistes seront heureux de trouver, en ce compte rendu succinct des
opérations si brillamment conduites par le général Allenby contre les forces ger-
mano-turques, maint éclaircissement imprévu sur les épisodes obscurs d'autres

(1) .-1 brief Record of the Advance of Egyplian Expeditionary Force under the Command of
General Sir Edinund H. U. Allexby..., july 1917 lo october 1018. Grand in-i" de 113 pp. avec
36 cartes accompagnées de légendes détaillées. Cairo, (iovernement Press, 19U>.
602 REVUE BIBLIQUE.

guerres dont ce pays fut le théâtre depuis toujours. L'encerclement de Jérusalem


par des colonnes débouchant à la fois de la vallée de Souyàr, de la trouée de Bâb

el-Onàd et Liftn et des passes de Bethoron montre bien la marche imposée par la
nature à toute armée assaillante, puisque ce sont pratiquement les routes suivies par
les envahisseurs Philistins aux premiers temps du royaume Israélite, par les troupes
de Sennachérib aux jours d'Ezéchias et par les armées syriennes à l'époque des
Macchabées. Le premier contact entre un officier général anglais et les parlemen-
taires abrités derrière deux « tremulous white (lags », sur la colline de Llftà, au
matin du 9 décembre 1917, évoque l'écrasement des Philistins par David en ce
même haut lieu de Baal Perasim oii l'orgueilleux envahisseur abandonna jusqu'à
ses » dieux » dans la soudaineté de sa déroute (II Sam. 5). Ily a une grandeur
émouvante dans les lignes très sobres qui racontent la libération de Jérusalem et
l'etfond rement d'une domination oppressive et odieuse dont l'ambitieux appui ger-
manique avait trop longtemps retardé la ruine. On saura trouver en certaine manœu-
vre géniale qui devait, eu septembre 1918, assurer si radicalement la victoire défi-
nitive du général Allenby, quelque réplique d'opération hardie qui sauva naguère
d'un désastre immiuent une armée croisée en marche le long de la côte, près des
rives de V'Aoudjeh. Cinquante-six cartes limpides concrétisent à souhait et font
vibrer chaque phrase laconique du compte reudu. On y suit vraiment au jour le
jour et presque pas à pas la marche de l'armée libératrice.

M. Ephraïm Roubinovitch, ancien assistant de botanique à l'Université de Lau-


sanne est un fervent — ou dirait volontiers un dévot de la dore 'palestinienne,
dont il étudie les échantillons sur place, suivant la vie des plantes par tous les
temps, avant de les rassembler dans ses herbiers, arrangés pour leur laisser le
plus possible leur physionomie.M. R. a commence d'associer le public à ses tra-
vaux par un petit lexique, comprenant 234 noms hébreux et latins, et quand cela
est possible le nom arabe vulgaire (1). Il ne fait qu'un du plu?,-! nSï^n et du

''pOynn:u;i;y, qui serait le Narcissus TazzelUi. Dans le Gant 2, (e/70 ^los Cdmpi 1

et lilium convallium). ni l'hébreu ni les Septante n'ont la copule et; cependant l'ap-
position n'impose pas l'identité absolue ; la comparaison porte sur une fleur, ou
plutôt sur deux: la seconde revient plus d'ime fois, tandis qui! n'est plus question
de la première dans le cantique. Il faut souhaiter que M. Roubinovitch développe ses
affirmations en dissertations sur les points importants, et expose même ses doutes,
car telmot, par exemple dardar est omis dans le Lexique, parce que l'auteur ne
lui connaît pas d'équivalent moderne.

La Ri'vuen'di pu signaler en son temps la mort de Sir Charles M. Watsou, surveiiue


pendant la guerre. Elle tient à rendre un dernier hommage à sa mémoire. Savant
distingué, M. le colonel Watson appartenait à cette génération militaire éminente
des Wilson, des VVarreii et des Kitchener, qui, après avoir réalisé naguère le Survey
de absorbés par de hautes fonctions politiques ne devaient pourtant pas
la Palestine,

cesser de prendre intérêt au développement des recherches scientifiques en ce pays.


Son nom est revenu maintes fois dans les pages de cette Revue que Sir Ch. AValson
honorait d'une bienveillane sympathie.

(l) Dictionnaire lalin-arabe-hébreii des piaules de la Palestine, par Epliraïm


KoumNovncu,
Fascicule I, in-8" de "2G pp. —
Publié par les processeurs des écoles hébraïques à Jérusalem.
Il n'y a en français que le titre.
BULLETIN. 603

Correspondance.

Monsieur le Directeur.

L'étude du R. P. Allô sur l'auteur de l'Apocalypse renferme un grand nombre


d'observations fort justes et fort utiles, et je me sens d'accord avec votre savant
collaborateur sur bien des points. Il y en a cependant quelques-uns sur lesquels je

prends la liberté d'attirer son attention et celle de vos lecteurs.


Je trouve dabord qu'il concède trop facilement à certains critiques que « l'auteur
de l'Apocalypse s'est servi de la croyance populaire au retour de Néron dans les

chap. XIII et xvii » (p. ,368). et, d'autre part, qu'il a tort de penser que ces deux
chapitres « n'ont pas une valeur bien déterminante dans la question » de l'antiquité,
sinon du livre entier, du moins de la portion du livre à laquelle ils appartiennent.
Je me Oatte. en effet, d'avoir démontré depuis longtemps que l'hypothèse du
retour de Xéron (dans l'Apocalypse^ repose sur une série de contresens exégétiques.
Ces deux chapitres ont évidemment pour but de décrire l'Empire romaiu. le premier
dans le passé et le présent, le second dans l'avenir, un avenir prochain.
Tout le monde reconnaît que les sept tètes de la première Béte représentent les

sept premiers empereurs. Mais faut-il commencer la série avec Jules César ou avec
Auguste? Les partisans de l'hypothèse du retour de Néron veulent que l'on com-
mence avec Auguste. Ils ont leurs raisons pour cela! Mais il s'agit de savoir si cette
opinion s'accorde avec la description qui est faite de ces divers empereurs.
H est dit du premier let non du cinquième) que cette tète fut égorgée [el mise) ({

mort, que par là le monstre, l'empire romain, rerut une blessure terrible, que
cependant sa blessure fut cuèrie et qu'il devint encore plus puissant qu'il n'était
auparavant (xiii. 3 et 4V De quoi s'agit-il là.' De la mort de Néron et de sa résur-
rection future (!), suivie d'un retour, à la suite duquel l'Empire redeviendrait encore
plus puissant qu'il n'était? Comment, en présence du texte, a-t-on jamais pu avoir
une pareille pensée? La blessure guérie (1 n'est pas celle de la tète ixssaXr,) c'est-à-
dire celle d'un des sept empereurs, mais celle du monstre (9t,c;ov\ c'est-à dire celle
de l'Empire. La prétendue résurrection de Néron n'a absolument rien de commun
avec une ^«lle description. Et d'ailleurs, a-t-on l'habitude de commencer une descrip-
tion par la hn et de passer immédiatement à celle de l'avenir ? Qui ne sent que la

tête égorgée ne peut représenter que le premier empereur 'en tout cas l'un des pre-
miers), c'est-à-dire Jules César?
Par son-assassinat l'Empire reçut une blessure; cependant elle fut guérie par l'a-
vènement d'Auguste, sous le règne duquel il devint plus glorieux et plus puissant
encore qu'il n'était sous son vrai fondateur.
Telle est l'explication que j'ai donnée de ce passage il y a bientôt quarante ans
(1880). Vingt ans après, Clemen la donnée aussi, mais sans prononcer mon nom
.M. :

« La tète frappée à mort \. 3\ a-t-il écrit dans la Zcit^rhrift fur A. T. Uche —


Wissenschaft, 1901, p. 110, ne peut guère se rapporter à Néron..., encore moins à
Caius (Caligula)..., mais plutôt, surtout si l'on prend ;i;aj, comme dans vi, 1, pour
un nombre ordinal, à César, le premier empereur, dont le meurtre mit en effet en
question la durée de l'empire tout entier » (2). Dans le même article M. Clemen cite

(11 'H n).T)Y/'i aCtoO. v. .'î


et 1-2. Cf. aussi v. 14.
(2) v. Revue de tfiéologie, de Montauban, 1904, p. -iU.
(i(i4 REVUE BlBLinUE.

bien des auteurs, même il ne cite ni mes Études sur l'Apo-


Sabatier et Schoen, mais
cali/pse (1884), ni celles sur Apocalypse (1895), ni aucun des articles des
Daniel et l'

Revues de théologie de Lausanne (1880 et 1888 et de Montauban (1883. 1895. 1898)


où cette interprétation avait été exposée ou défendue contre certaines objections. A
qui l'avait-il donc empruntée? car il ne prétend pas l'avoir trouvée lui-même.
Or, s'il faut compter les empereurs à partir de Jules César, il en résulte que les

cinq premiers, qui sont déjà tombés, d'après xvii, 10, sont : J. César. Auguste, Tibère.
Caligula et Claude, et que le sixième, qui existe encore, d'après le même passage,
c'est Néron! L'auteur de cette portion du livre écrivait donc avant la mort de Néron
et après la persécution de l'an 64, à laquelle il fait si souvent allusion ailleurs.
iMais il n'en résulte pas nécessairement que le livre tout entier ait été écrit à la

même époque. Qui ne sait que plusieurs livres apocalyptiques, celui d'Hénok en
particulier.se composent de plusieurs éléments d'origines et d'époques différentes.?
Pourquoi n'eu serait-il pas de même de l'Apocalypse de Jean? Pourquoi le dernier
auteur ou le dernier rédacteur de l'ouvrage n'aurait-il pas combiné en un seul
deux (peut-être même
livres du même genre, mais d'époques et peut-être
trois)

aussi d'auteurs différents? La rédaction d'un de ces livres, celui ,de Jean, celui
auquel appartiennent les sept petites épltres. peut fort bien dater du règne de Domi-
tien, comme le dit Irénée. Cela n'empêche nullement les chapitres xiii. xvii et
quelques autres fragments d'être d'une époque antérieure '1).

2. Je me demande aussi pourquoi i\t. Allô dit que, « suivant la tradition. Pierre
et Paul subirent le martyre en l'an non 64? Puisque
67 » (p. 369). Pourquoi 67, et
Clément de Rome mentionne leur martyre (§ 5) la grande multitude avant celui de
d'clus qui fut rassemblée avec eux (§ C) et qui est évidemment celle des martyrs de
l'an 64. qu'est-ce qui autorise à penser que la mort des deux apôtres (ou de l'un des
deux) n'eut lieu que trois ans après ?
C'est sans doute la question des épîtres pastorales qui a engagé un si grand nom-
bre de critiques à repousser jusque-là la mort de Paul (et celle de Pierre). Mais une
telle nécessité ne résulte nullement du contenu de ces trois épîtres, dont je ne vois
aucun motif sérieux de mettre l'authenticité eu doute. C'est ce que j'ai essayé de

montrer, il n'y a pas bien longtemps, dans la Reçue de théologie de Montauban (1913),
en traitant des dernières épltres de saint Paul pendant et après sa captivité.
Paul retourna bien à Rome, puisqu'il y subit le martyre, mais non comme prison-
nier. La seconde épitre à Timothée, qui est antérieure à la première, date de la pre-
mière et unique captivité de l'apôtre à Rome. On peut en voir les raisons dans l'étude
dont je viens d'indiquer le titre (2).

3. Je me demande comment des exégètes, des grammairiens peuvent se per-


enfin
suader que du prologue du quatrième évangile parlent du Loyos (3). Il
les v. 10-13

a été question du Logos aux v. 1-4; il en sera question de nouveau aux v. 14-18. Mais
entre les v. 4 et 10, il n'est parlé que de la lumière {neutre en grec) et des ténèbres
{féminin)^ puis de Jean-Baptiste, puis de nouveau de la lumière neutre). Alors pour-
quoi les pronoms masculins des v. 10-12 se rapporteraient -ils au Logos et pourquoi
le verbe il vint (v. 11) aurait-il le Logos pour sujet? D'autant plus que ce même

verbe vient d'être employé (v. 7) en parlant de Jean-Baptiste! De quel droit, avec

(1) V. Les origines de l'Apocalypse, 1888, ou les Études sur Daniel et l'Apoc. éd. complétée'
1908, par Ch. Bkcston. '

(•2) Sur le même


sujet v. aussi Revue de théologie, de Montauban, 1911, p. 266-7.'4.

(3) V. p. 3.-i9.
CHRONIQUE. . 603

quelle vraisemblance enlève-ton tout cela au personnage qui vient d'être men-
tionné (v. 6 et 7,, pour le transporter au Z-ogos c'est-à dire à la Raison divine, dont

il n'a plus été question depuis le v. 4?


J'ai exposé cela plus en détail dans la Revue de théologie de Montauban (!9ll.
p. 337), dans un article qui a pour titre De <iuehjues textes relatifs à Jean-Baptiste et
non à J.-C. et ailleurs. Mais il me semble que ce que je viens d'écrire sur ce point
devrait suffire à montrer l'impossibilité de l'interprétation ordinaire.
Veuillez agréer, etc.

Ch. Bruston,
Doyen honoraire de l'Université de Toulouse.

.Montauljan. 4 lévrier 1fH8.


TABLE DES MATIÈRES

ANNÉE 1919

N"' 1 et 2. — Janvier et Avril.

Pages.

I. L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES (suite). — J. Touzard ô

II. NOUVELLES NOTES SUR LE MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB : Hiero-


solymilanus Sanctae Crucis, n. 36. — E. Tisserant H9

III. LES CITATIONS BIBLIQUES D'ORIGÈNE DANS LE De prmcipiis. —


G. Bardy Itr.

IV. MÉLANGES. —1" Un (''pisode d'un Évangile syriaque et les coûtes de l'Inde.

Le serpent ingrat. L'enfant roi et juge, E. Cosquin. 2" Les mjs- —


tères d'Eleusis et le christianisme, R. P. Lagrange. 3° Les • Pres- —
bytres » asiates de saint Irénée, W. S. Reilly. —
Ce qui a été publié
des versions coptes do la Bible, A. "Vaschalde loti

V. CHRONIQUE. — Une chapelle byzantine à Beit el-Djemal, R. P. F. M. Abel.


— L'Église de Gethsémani. — Nouvelles de Jérusalem, R. P. L. H. Vin-
cent ,'11

VI. RECENSIONS. —
Adolf von Ilarnack, Die Entslehung der neuen Teslamenls
und die tvichiigsten Fnlgen der neuen Sckopfung. —
Dr. Hans \\'indisch,
Der Hebraerbrief. —
H. L. Mac Neill. The Chrisiology of the Epislle
lu Ihe Hebreivs. — F. Focke, Die Eatstehung der Weisheit Salornos. —
J. Bédier, Les légendes épiques (R. P. Lagrange) 255

Vil. BULLETIN. — Nouveau Testament.— Ancien Testament. — Peuples voisins.


— Palestine. — Nécrologie -270

N^^ 3 et 4. — Juillet et Octobre.

l. SYNTHÈSE ANTIDONATISTE DE SAINT AUGUSTIN. — M?' Batiffol 305

II. LES TRADITIONS BABYLONIENNES SUR LES ORIGINES. - R. P. Dhorme. 350

IIL RETOUCHES LUCIANIQUES SUR QUELQUES TEXTES DE LA VIEILLE VER-


SION LATINE II Samuel). — L. Dieu
(1 l't
372
;

006 TABLE DES MATIÉKIiS.


PttgOf.

IV. SAINT PAUL FUT-IL CAPTIF A ÉPHÈSE PENDANT SON TROISIÈME


VOYAGE APOSTOLIQUE? — H. Goppieters I(i4

V. MÉLANGES. — 1° R. P. Lagrange.
Attis et le christianisme, La — 2°

sépulture de S. Jacques Mineur, R. P. F. M. AbeL


le 3° Noie —
additionnelle sur le manuscrit palimpseste de Job Hierosolymitanus :

Sanctœ Cruels, n. 30, E. Tisserant. —


4° Une épée d'honneur offerte à

Corbulon, R. P. L. H. Vincent. —
5° Ce qui a été publié des versions

coptes de la Bible, A. Vaschalde (suite) -. 419

VI. CHRONIQUE. — Le sanctuaire juif d'Aïn Douq, R. P. L. H. Vincent... 532

VII. RECENSIONS. — G. A. Smith, r/ic Bank i>f l)eiilerunoii,y. — C. F. Burney,


The Book of Judges (R. P. Lagrangej. —
P. Albertus Vaccari, Codex
Melphictensis rescriptus (E. Tisserant). — Publications Of the Prince-
ton Univcrnly Arch. Exp. fo Syrla. — Divis. II : Ancient Architeclvre
sect. A : V
South. Syria; part.Haurân Plain and Djebel Haurân;
:

part. VI, par M. C. Butler.


Si', Divis. III— Greek and Latin Inscr.;
:

sect. A, V; par MM. E. Littmann, D. Magie jr. et D. R. Stuart. —


Divis. II Ancient Architecture, sect. B
: iXorth. Syria; part. V
: The :

Djebel Halakah, par M. C. Butler. Divis. 111 —Greek and Latin hiscr.;
:

sect. B, V, par W. K. Prentice (F. M. Abel). F. C. M. Boenders, —


Keltische invloeden op het Nieuioe Testament (J. M. Vosté). Paul Karge, —
Réphaïm (V. Ro'wan) 564

VIII. BULLETIN. — Textes. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. —


Langues. —
Nouvelles Revues. — Addenda et notanda. — Palestine. —
Correspondance oHi

Le Gérant : J. Gabalda.

TyPOC.RAPHIE FIRMIN-DIDOT TT C"^. — PARIS.


TABLES GÉNÉRALES
DU VOLUME XVI (nouvelle série)

1919

TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS

Ai.LO (R. P.). L'aut'^ur de l'Apocalypse. 603

Ball. Epistle of Jeremy. The apoci'... of 0. T. in english, I. 286


Béuier. Les légendes épiques. 272
boenders. Keltische invloeden op het N. T. 580
BLiiKiïï Crawford. Jewish and Christian Apocalypses. Schweich
Lect, 1913. 290
Blrnev. The Book of Judges. 569

Blti.er. Public, of the Princeton Univ. Arch. Exp. to Syria.


Div. 11 Ancien Architecture, sect. A, p. v Hau-
: :

rân Plain and Djebel Hauràn; p. vi Si''. Sect. B, :

p. V :The Djebel Halakah.


Div. m Greek and Latin Inscr. sect. A, v, by Litt-
:

mann, Magie jr, Stuart; sect. B, v, by Prentice. 577

Cagxat et Chapot. Manuel d'archéologie romaine, 1. 295


Cavallera. Notes... Bulletin de littér. ecclés. 1918, p. 319. 283
CHABERT. Quos vult perdere Juppiter dementat. 297

Dahse. Die gegenwârtige Krisis in der aittest. Kritik. 283


déchelette. Manuel d'archéol. préhist. 11, o' p. Second âge du Fer. 294

Ejarque. La Fraccion del pan. 588

FOCKE. Die Entstehung der Weisheit Salomos. 267

Harnack. Die Entstehung der N. T. und die vvichtigsten Fol-


gen der neuen Schopfung. 255
holleaux. La mort d'Antiochos IV Epiphanès. R. E. A., 191G. 590

Jackson Latimer. The problem of the fourth Gospel. 279

Karce. Rephaïm. 582

LiETZMANS. H. von Soden, Ausgabe des N. T. Die 3 Rezensionen.


ZNW., 1914. 276
LlNLEMANN. Florilegii hebraici lexicon. 592
LiTTMANN. Voir Bltler.

Mac Neili.. The Christology of the Epistle lo the Ilebrews. 261


Magie jr. Voir BiTLEH.
Maxv V. Études évangéliques. 587

Mayer Helmut. Uebcr die Pastoralbriefe. 280


TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES,

Naumann Weigand. Untersucli. iiber den apocr. Jeremiasbrief. 287

Orfali (R. p.). De Arca foederis. 588

PiLLET. Le palais de Darius I" à Suse. 293


Pope (R. P.). The catholic student's « Aids » to the study of the
Bible. 585
PRENTICE. Voir Bltleiî.

RiVOIRA. La Chiesa del Santo Sepolcro in Gcrusalemme. 296


roubinovitch. Dictionnaire latin- arabe-hébreu des plantes de la
Palestine. 602
Ryle. The Book of Genesis. 285

Sanders (H. A.). The Old Testament mss. in the Freer collection. 584
The Washington fragments of the Epistles of Paul. 585
Schwab (J.). Der Begriff der nefes iii den heil. Sclir. des A. T. 288
Smith (G. A.)- The Book of Deuteronomy. 564
Stuart. Voir Butler.

Ubach (R. P.). Legisne Thoram? IL Syntaxim brev. pertractans. 592

Yaccari (R. P.). Esichio di Gcrus. e il suo Comment, in Leviticum ». 289


Codex Melphictensis rescriptus. 573
Valbuena (I\1«')- La religion a Iravrs de los siglos. 591

Weigand (E.). Die Konstantinische Geburtskirche von Bethlehem. 297


Weiss (J.). Das Urchristentura. 276
WlNDlSGH (IL). Der llebraerbrief. 261

Anglican theological Revievv. 593


Civilta cattolica 1903 et 1919. 593
Egyptian Expeditionary Force. 601
P. E. Fund, Quart. Stat. janvier-octobre 1918. 301
janvier-juillet 1919. 000
The Society of Oriental Research. 593

TABLE ALPHABÉTIQUE
DES MATIERES PRINCIPALES.

Abarim, vallée d', 58. Ajjsù, .355, 357 s.

Abstinence dans le culte de Cybèle, 128. Arche d'alliance, son histoire, 588.
Agonie, église de 1', 218-252.' Archéologie préhistorique, -iiH, 582; —
'Aïn-Douq, sanctuaire juif, 532-503. romaine, 295; —
païenne et chrétienne
Ame juive aux temps des Perses, 5 ss." en Syrie, 578.
Ansar, 302. Ard el-5Iaqâm près d'Aïn Douq. 518.
Antiochus IV, sa mort, 590. . Asur, 362.
Antum, 300, 302. Attis et le christianisme, 419 ss.; — sa
Anu, 353, 36i), 362, 365 s. mort, 441; — sa prétendue résurrection,
Apocalypse, xiii et xvii, 003; — a]ioc. 133, 417; — sa castration, 439. sym- —
juives, 201-293. bolisé par le pin, 426, 443; — ses repré-
Apologie de Pamphile par Origène et cita- sentations, 474; — ses mystères, 477;

lions bibliques, 107 s. — ses fêtes, 12 1 ss.
TABLE Ar.PHABÉTIOUE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Augustin S., synthèse antidonatiste, Damkina, 368.


305 ss.; — son texte latin de Samuel, Darius son palais à Suse, 293.
V'\
379-389. Débora. cantique, 569.
Autel dans Ézécliiel, 70 ss. E»e incarnatione Verbi de Rufin, 113.
Azeka, G. Déméter, étymol., 165; origine crétois'^,
169; — mythe de, 158-161.
Babylonien, concept de lorigine du
De principiis d'Origène et citât, bibl.,
monde, 302; — théogonie, 351. 106 ss.
Baubo, 162, 196 s.
Deutéronome, composition, doctrine et
Beit el-Djemàl, chapelle byzantine, 214-
date, 564-568.
248.
Dionysos dans les mystères d'Eleusis, 181,
Bel, Bèlu, 359, 3(i8.
190.
Benjamin fils de José, 540.
Donatisme, concept de la catholicité, 307.
Brinio, 203.
Douq ('Ain), sanctuaire juif, 532 ss.
Bri'innow, nécrologie, 302.
Byzantine, chapelle de B. el-Djemàl, 244 ss.
Éa, 357, 3.59, 365, 368.

Campagne d'AUenby en Palestine, 602. Ébal-Garizim, double localisation, .519 ss«


Canon du N. T., 257; — d'après Harnack, École biblique, reprise des travaux, en
tête.
255 ss.

Caphargamala, 248. Édomites. hostiles aux Juifs. 41.

Castration des Phrygiens, 422, 130.


Église, dans l'Écriture, 319; — fondation,
Catliolicité de l'Église, 306. 308; — développement et catholicité,

Cercle de la terre et du ciel chez les Ba- 310 ss.; — unité, 316; — sainteté, 335 s.

byloniens, 362 ss.


Egypte, d'après Ézéchiel, 15; — son
10,

Chaldéens et le siège de .Jérusalem. 15. innuence dans les mystères grecs, 16(3-

174.
Chaudière d'Ézéchiel, 8.
Chemin de la-croix, modifié, 254. Eleusis, lieu sacré, 193-195; — mj'^stères,

Citadelle de Jérusalem déblayée, 252 s. 157, 164; — représentations, 19.5-205.

Citations bibliques d'Origène, 106 ss.; cf.


Enfance de Jésus, 137, 15.5, 587.

Augustin, Lucifer. Enfant roi et juge, 1.50 ss.

Civiltà cattolica, ses palinodies, 593 ss.


Eulil, 365 s.

Code sacerdotal et Ézéchiel, 86 ss.


Épée d'honneur à Corbulon, 505 ss.
Codex —
Ilierosol. S. Crucis n° 36, 89, Éphèse, prétendue captivité de S. Paul à,

500; — Legionensis, 383; — Meiphic- 104 ss.

tensis, 573.
Épitre de Jérémie, 287 s.

Concile de Jérusalem, 278. Épîtres de S. Paul, circonstances de com-

Conquête du pays de Canaan, .571; — de position, 404; — fragments collection


la Palestine, 602.
Freer, 584; — pastorales, 281; aux —
Coptes, versions de la Bible, 220-2 13 513- Hébreux, 262-266.
;

.531.
Esarra, 362 s.

Corbulon, épée d'honneur, 5n5 ss.


Eschatologie dans Ézéchiel, ,52 ss.

Coré, 173. Esprit-Saint et l'Église, 327.

Cosquin, nécrologie, 302. Etienne S., son prétendu tombeau, 247.


Ci'iobole, 458 ss.
Eucharistie et repas de Cybèle. 4.52.

Critique textuelle de l'A. T., 283; — du Eunuques dans le culte de Cybèle, 122,

N. T., 585. -m.


Cryptographie dans la Bible, 26 et note 1.
Évangile de l'Enfance. 136, 155; — évan-
Cybèle, culte, 421; — et le salut, 471 ss.
giles et le livre d'IIénoch, 292.

Cyr et Jean, leur culte en Palestine, Exégèse, genres littéraires. 593 ss.
247.
Exilés, action de Dieu envers les, 38, 42.
Cyrus d'après la légende, 152.
Ézéchiel, fragm. grecsdu c. Melphicten-
Dadouquès, 177. sis, .573; —
analyse de xxxin, 36 s.; —
Damasclus et les origines babyloniennes, symbolisme, 8; —
son action dans l'exil,
354. 60; — sa notion de la providence, 16-
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

49 ;
_ et le Code sacerdotal, 86 ss. ;
— et Jérôme S., sens de la lettre à Marceila,
la Loi de Sainteté, 86 ss.: — et le Temple, 283; — ad Avitum, 116, 124, 130; —
62-67; — et l'Egypte, 10, 15; — et Tyr, lettre cvi, 129.
17. Jérusalem, renouvelée après la captivité,

— 30 s.; —
centre du culte juif, 85; —
Fêtes juives dans

Ézéchiel, 82-84;
concile apostolique, 278; inscription —
d'Eleusis, 192; de Cybèle et d'Attis, des Benê-Khézir, 499, 515; — -Sépul-
S.
421 ss.
cre vaguement étudié, 296; — église de
Fils d'homme dans Ézéchiel, 49.
Gethsémani, 248-252; — tombeau au
Flore palestinienne, 602. chevet de cette église, 251 chapolle ;

Foucart identifie Déméter et Isis, 161-167.
médiévale à l'Antonia, 253 s.; sépul- —
Fractio panis, 588.
ture de S. Jacques le Mineur, 482-499;
Fulvo, légat romain, 508 ss.
— tombeau de Zacharie, ibid. laure ;

Gaga, 363 s. de la vallée de Josaphat, 495; trans- —
Galates, adoption et tutelle chez les, 580 s.
fert de la 2' station du chemin de la

Genèse, sources de la, 285 s. croix, 254; — nettoyage de la Citadelle,

Germer-Durand R. P., nécrologie, 301. 252 s.

Gethsémani, chevet de l'église, 249. Jésuites de « l'école large », .595 ss.

Gilgamès, 358. Jésus enfant d'après la légende, 137, 1.55.

Gog identique à Gaga, 364; et iMagog, — Jeûne dans le culte de Cybèle, 161.
55 ss.
Job, fragments du palimpseste Hieros.

Grégory, R. G., nécrologie, 302. S. Crucis n° 36 : des ch. xiv, xv, xvi,
XIX, XX, xxvii, XXIX, XL, XLii, 94-105; —
Hani, Hanigalbat, 364. note additionnelle, .500-505.
Harnack et le canon du N. T. 2.55 ss. Josué, son souvenir dans la vallée du
Haupt, fragm. de II Sam. latin, 4fX). Jourdain, 518.
Hébraïque, langue, 592. Jour de Jahveh, 25, 57.
Hébreux, ép. aux, 262 ss. Juda, restauration de, 28 s.

Hénoch, livre d', 291. Judaïsants d'après Galat., 277.


llézychius de Jérusalem, comment, sur le Jugement universel dans les apocal. juives,
Lévitique, 289 s. 291 ; dans les Évangiles, 293.
Hiérophantes, 175-177, 182, 202. Juges, livre des, commenté par Burney,
Hymne de Déméter, analysé, 158 ss. 569.
Juppiter, quos vult, etc., 297.
lacchos à Eleusis, 187-192.
lambé, plaisanteries de, 159, 162. Kingou, 353.
Initiation aux mystères d'Eleusis, 178-182, Kisar, 362.
193; — ses symboles, 205 ss.; au culte Kouch, 55.
de Cybèle, 4.50, 454 ss.

Inscription, des Benê-Khézir, 499, 545; — Lachis, 6.

hébréo-araméenne d"Aïn Douq, 537 ss.;


Lahmu et Lahamu, 360 s.
— grecque d'Oumm er-Hou.s, 247; — L;m3nlations analysées, 19-23.
Légendes épiques, 272 ss.
grecque de Beit el-Djemàl, 244, 247.
Legio 111 Gallica, 508-510.
Irénée S. et les presbytres asiates, 217 ss.
Lettre du R"" P. Theissling au T. R. P. La-
Isis, ses rapports avec Déméter, 161-109.
grange, en tête.
Israël, sa restauration, 27, 44
Istar, exaltation d', 353, 366.
s.
Lévites dans Deutéronome, 567; — dans
Ézéchiel, 74 ss.

Jacques S. frère du Seigneur, apparition, Lévitique, comment. d'Hézychius, 289.

485; — martyre et sépulture, 481 ss. Loi de sainteté, 76-87.


Jahveh et les païens, 52-60; — jour de, Loisy et les mystères païens, 157, 420,

25, 57. 432, 451 ss.


Jean, évangile de, d'après Jackson, 279. Luc vil, 47, expliqué, 281.
Jérémie, son épitre, 287 s.; — sa captivité, Lucianiques, retouches de l'Ancienne La-
13 s. tine, 372 ss.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Lucien, son texte reçu en Palestine, 290. Philocalie d'Origène et cit. bibl., 116 ss.

Lucifer de Cagiiari, citât, de l'Ancienne Pin dans le culte de Cj'bèle, 425.


Latine, 376, 390, 394 ss. Ploutos enfanté par Déméter, 203.
Préhistoire, 294, 582.
Magog, 55; — mât Gaga, 364. Presbytres asiates et S. Irénée, 217.
Manuscrits, De principiis de Rufm,
tlu Prêtres dans Ézéchiel, 74-78; voir Lévites.
110; — de l'Évangile de l'Enfance du Providence dans Ézéchiel, 46-49.
Sauveur, 136 ss.; — de la coll. Freer, Psaumes, édition Sanders, 584,
584; voir Codex. Put, 55.
Mardouk, 352 s., 359, 366, 368-371,
Mer d'airain, 358. Règne de Dieu dans les Évangiles, 291.
iNIonuments de l'archéologie romaine, 295, Religions sémitiques, .591.

— syrienne, 377; voir archéologie, Jéru- Résurrection et mythe d'Attis, 446 ss.,

salem. 4.50.

Mosaïque, avec inscription juive à 'Aïn Rituel du Code Sacerdotal et celui d'Ézé-
Douq, 538 s.; fragment byzantin à chiel, 79 ss.
B. el-Djemâl, 244. Rome, son rôle dans la formation du canon
Mummu, 3.55, 359. du N. T., 256, 260; destinataire de —
Mystères d'Eleusis, origine, 173 s. ;
— l'ép. aux Hébreux, 265.

petits, 180; grands, 182;— but, 207- — Roseau dans le culte de Cybèle, 424.
217; — et le christianisme, 266. Rouah, concept de la, 289.
Mythe de Déméter, 158-161 ;
— de Cybole Rufin et le De principiis, 106, 11.5, 134.
et d'Attis, 438 ss. Ruisseau du Temple dans Ézéchiel, 85.

Nabuchodonosor et Jérusalem, 6, 11. Sacerdoce, juif dans Ézéchiel, 74-78; —


Nasi dans Ézéchiel, 73; attributions, — d'ÉIeusis, 175-178; de Cybèle, 430 s. —
80. Sacrifices dans Ézéchiel, 71, 81 ss.

Nephes, concept de la, 288 s.


Sagesse, livre de la, unité, origine, doc-

Nestlé, nécrologie, 302. trine, 267-272, 289.


Sahidiques, textes de l'A. T. publiés, 222-
Orient, son influence sur l'art romain, 243.
206. Sainteté de Dieu dans Ézéchiel, 46, 66; —
Origène, citations bibliques dans le De légale, 69, 72, 76, 78; — de l'Église,
principiis, l'Apologie de Pamphile, la 335 s.

Philocalie, 106 ss., 116 ss. Salomon dans la légende, 149, 153.
Origines du monde selon les Babyloniens, Samuel, 1 et 11, passages retouchés d'après
352 ss. ;

de l'àme juive, 5 ss. Lucien, 377 ss.

Ossements desséchés dans Ézéchiel, 43 s. Sédécias, 6.

Oumm er-Roùs, mosaïque avec inscrip- Sépulcre S., d'après Rivoira, 296.
tion, 247. Serpent ingrat, conte populaire, 1-39 ss.
Siméon, vieillard, son tombeau, 485, 490.
Païens abattus par Jahveh, 52-60. Soden von H., nécrologie, 302.
Palimpseste de Job, Hieros. S. Crucis n. 36, Sodome dans Ézéchiel, 50 s.
89-105, 500-505; —
Vindobonensis, texte Sources de la Genèse et du Pentateuque,
latin de Samuel, odO s.
283 ss.
Papias, 218 s.
Suse, palais de Darius 1", 293.
Pasteur, attribut de Jahveh, 38. Synagogues, leur décoration, 545 s 557.
,

Pastorales, épîtres, 281.


Syrie, architecture ancienne, 577 ss.
Paul S., Pérégrinations, 406; — préten-
due captivité à Éphèse, 404-418; — et Taurobole, 454 ss.

les m}stères, 216 s. ; — et le de la


livre Taxe dans Ézéchiel, 80 s.
cultuelle
Sagesse, 272; — et l'ép. aux Hébreux, Tchom et Tiamat, 355, 3.57.
263 s.; — son
et les Pastorales, 281; — Terre Sainte dans Ézéchiel, 67 s.
entrée dans canon, 256 s. le Temple de Salomon comparé à celui d'Ézé-
Personnel du Temple dans Ézéchiel, 72-75. chieL 65 ss.; sa reconstruction, 62-67.

TABLE DES INSCRIPTIONS.


Textes, coptes publiés, 220-243, 513-531; Tyr d|ans É/.échiel, 17.
— latins des citations de Riifin, 131-133; Unité de sanctuaire dans —
— d'après von Soden, 276; voir Codex, de l'Église, 316, 325.
le Dt., .556:

manuscrits, palimpseste.
Thesmophories, 165. Versions, coptes de la Bible, 220 ss., 513
Tiamat, 353-357. ss. ;
— ancienne v. latine, 372 ss.

Tombeaux; à Gethsémani, 249, 251 ;


— à
Watson Sir Ch.. nécrologie, 602.
B. el-Djemàl, 244 ss. ; voir Jacques,
Siméon, Zacharie. Zacharie, tombeau à Jérusalem, 485,
Traditions populaires, 274 s. 488 ss.

TABLE DES INSCRIPTIONS

INSCniPTIONS GltECQUES. II. — INSCRIPTION HEBREO-ARAMEENNE.


Kùpo;- 'Iioavvri; n. pi 247 n. pr. 540
1''D''J*>3
^yoyjievo; titre
noTi n. pr. —
HDJID titre 541, n. 3.
ntj''lp mriN t. technique 540

ERRATA

p. 37, erreur de pagination, à changer avec 11. Suppléer le chiiïre à la p. i]

P. 90, 1. 27. lire Kerameus au lieu de Kerarnens.


P. 106, n. 1, I. 2, lire Schriftsteller — Sciirifstteller.
P. — ambulasset.
XpÛTtTlT).

Ttp'V.

(77x600).

— spriritus.
— atwv.
— OTtoppoîa.
— àitoppôix.
— xaTa6oAriv.
— a-jTwv.
— ôixaTÛixara.
— gaeco.
— pradestinatus.
— xpûou
— (7)v.

— eelui.
— Foucard.
— Aïoov,
TABLE DES INSCRIPTIONS. VI

P. 195, n. 2. 1.5, lire filiae au lieu de fitiae.

— 1. 29, — lambé — lamzé.


P. 211, 1. 16, — double — double.
P. 248, 1. 8, — Xéby — Niby.
P. 251, 1. 13, — médiévale — médiérale.
P. 253, 1. 41, — Derbàs — Djerbàs.
P. 262, 1. 34, — mèiue — même.
P. 267, I. 41, — eu grec — du grec.
P. 272, 1. 42, — certain — certain.
P. 283, ss. lire partout Dahse — Dakse
P. 296, 1. 41, — Zuallard — Truallard.
P. 297 — 301, lire Weigand
partout — Weigaud.
P. 299, n. 3, lire Qanawàt — Ganawàt.
P. 3(J0, 1. 28, — quadruple — quadruble.
P. 415, 1. 15, — îtpaiTWpiov — itpaiTwpiov.
P. 417, 1. 24, — Assos — Asson.
P. 566, 1. 13, - il y a — il y.
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REVUE Biblique.
1919.

V. 28
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