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L
’école est habitée par deux visées contradictoires : une visée culturelle et
générale, qui concerne la transmission du patrimoine culturel commun, et
une visée sociale, plutôt adaptatrice et utilitariste, qui s’intéresse aux
besoins sociaux et individuels. La première visée est par nécessité détachée des
contingences quotidiennes et exige une certaine « hauteur » de pensée, une certaine
permanence atemporelle. Elle a largement dominé, et domine encore, l’enseignement.
La deuxième caractérise l’enseignement à finalité professionnelle, mais gagne du
terrain dans les formations générales. Cette deuxième visée est ancrée dans les réalités
et les contraintes de la société et tente une adéquation difficile entre des besoins futurs
de la société et les programmes en cours. L’école, dans ce cas, cherche une intégration
sociale aussi parfaite que possible. La didactique contemporaine des langues vivantes
(tout au long du 20ème siècle) s’est démarquée de la visée culturelle en s’inscrivant
dans une visée sociale explicite. Il est intéressant de noter que cette position lui a valu
à différentes époques (méthode directe, méthode audiovisuelle, méthode
communicative) de sévères critiques à cause justement de son parti pris
« utilitariste ». On peut observer aujourd’hui que l’extension des zones d’éducation
« difficiles » et « prioritaires » conduit peu à peu l’enseignement à envisager plus
franchement la deuxième visée au détriment de la première. Les réactions fortes
contre l’évolution de l’enseignement du français (ne plus accorder à la dissertation le
statut d’activité reine de la didactique du français) s’inscrit sans nul doute dans ce
contexte et ce mouvement.
L’apparition et le développement de la notion de « compétence » sont une des
conséquences des repositionnements des finalités éducatives. Il est donc nécessaire de
cerner, de comprendre ce concept, qui, il faut bien le dire, reste encore flou et soulève
logiquement méfiance et controverse. Cette notion nous situe a priori plutôt dans le
cadre de la visée sociale. Ainsi, la place, l’importance, la valeur de la notion de
« compétence » dépendra de l’affichage des finalités éducatives. Il paraît logique que
l’enseignement technologique / professionnel fasse plus écho à la notion de
compétence que l’enseignement général. On fait ainsi un grand usage de termes
comme : référentiel de compétences, compétences transversales, compétences
professionnelles. L’analyse des besoins de formation ne peut s’envisager qu’en
référence aux « pratiques sociales », c’est-à-dire aux métiers, aux différents emplois
et aux compétences qui les caractérisent. La notion chomskienne de « compétence »
est familière aux linguistes et aux didacticiens. Mais, s’agit-il de la même chose ? La
didactique communicative, qui s’est inscrite dans une optique franchement
« pragmatique » de l’enseignement des langues, s’appuie sur le concept de
« compétence de communication ». On sait, d’autre part, qu’elle a aussi fermement
fait le pari des pratiques sociales au détriment de la visée culturelle classique. La
notion de « compétence » est donc aujourd’hui au cœur des préoccupations et
questionne ouvertement les pratiques éducatives.
L’objectif de notre réflexion est d’apporter un peu de lumière, d’exposer cette notion
assez mal comprise en didactique des langues. Je propose pour commencer de voir
comment la linguistique et la didactique travaillent à leur manière le concept de
compétence. Le concept de compétence est-il définitivement « bloqué » par la
définiton chomskienne ? Qu’entend-on aujourd’hui par « compétence de
communication » ? Je m’intéresserai ensuite à quelques exemples de transposition
didactique à l’école. Il me semble que ce travail d’adaptation, qui se déroule
aujourd’hui, se fait à deux niveaux. Au niveau institutionnel, l’entrée de la notion de
compétence s’observe dans l’effort « pragmatique » qui se cache derrière la priorité
accordée à la compétence de communication, que je décrirais comme l’adéquation
nécessaire aux pratiques langagières en milieu natif ; le travail important de
redéfinition des activités pédagogiques, dans le cadre de l’approche cognitive, nous
offre aussi un éclairage complémentaire, en particulier en ce qui concerne la
« composante stratégique » ou compétence méthodologique. L’introduction d’une
évaluation diagnostique en classe de seconde, centrée sur les processus cognitifs, est
significative à cet égard. Il est normal que ces divers tâtonnements apportent
confusion des étiquettes et des définitions, c’est un travail encore inachevé. Sur le
terrain pédagogique, il est important de voir comment ce nouveau paradigme
pragmatique se développe. Comment envisage-t-on la compétence ? De manière plus
provocatrice on peut se demander si la classe de langues est en mesure d’offrir des
conditions d’apprentissage suffisantes pour devenir compétent en langue.
Composante grammaticale
Composante sociolinguistique
Composante discursive
Composante stratégique
Conversationnelle
Discursive Sociolinguistique
Stratégique
Linguistique Socioculturelle
Composante
linguistique
Composante
sociolinguistique
Composante
pragmatique
En résumé :
La notion de compétence relève d’une théorie de l’action humaine. Elle est
dynamique, variable, en devenir, composite. De manière schématique, on peut
distinguer ce qui relève du pragmatique et qui fournit tout un ensemble de procédures
d’ordre conversationnel, discursif et social, susceptibles d’être opérationnalisées, ce
qui relève du linguistique et qui concerne plus particulièrement l’articulation du
système linguistique. L’action langagière en situation est la mise en œuvre simultanée
de toutes les composantes, la composante stratégique jouant alors un rôle clé à la fois
au niveau de la résolution de problèmes et au niveau de l’enrichissement du répertoire
de connaissances et de règles d’action. La distinction compétence / performance perd
alors de sa pertinence, aussi bien en linguistique pragmatique qu’en didactique des
langues. L’activité dialogique est posée comme fondatrice, l’objectif premier de
l’apprentissage étant d’acquérir un savoir-faire procédural / fonctionnel indispensable
à la mise en œuvre des savoirs déclaratifs et procéduraux. C’est la condition
nécessaire pour que la compétence de communication soit présentée dans une vision
dynamique, avec des interactivités variables entre les composantes, mais aussi avec
des variations de maîtrise pour un même individu et entre les individus apprenant une
langue étrangère. C’est à cette condition que les fondements cognitif et acquisitionnel
de la compétence de communication pourront être pris en compte.
D. Bailly (1998) relève la confusion qui règne dans ce travail entre capacité,
compétence et savoir-faire. Il est en effet bien dommage qu’un document officiel, qui
s’inscrit dans une démarche de réforme, contribue à obscurcir une question déjà bien
délicate. On peut lire :
« L’évaluation de la manière dont les élèves savent utiliser les connaissances
acquises et les savoir-faire indispensables pour réussir au lycée porte ici sur
trois des quatre composantes de la communication : compréhension de l’oral,
compréhension de l’écrit et expression écrite. Chacune de ces grandes capacités
a été analysée et l’inventaire des compétences qui les composent a été dressé.
Chaque compétence a elle-même été traduite en termes de composantes
évaluées. … La compétence linguistique sous-tend chacune des quatre capacités
de base. (Evaluation à l’entrée en seconde générale et technologique. 1998) »
On se situe bien sur le terrain du savoir-faire, de la compétence effective de l’élève
(comment il se débrouille), mais on semble ignorer les différentes positions en
linguistique et didactique qui ont permis de mieux cerner la notion de compétence de
communication. Cette présentation confond activités langagières (interaction,
compréhension, production, médiation), compétence de communication et opérations
cognitives mises en œuvre dans la résolution de problèmes. D. Bailly (1998) propose
de distinguer deux types d’opérations cognitives : les opérations cognitives
transversales ou méthodologiques (le terme capacité est également approprié) et des
opérations cognitives spécifiques au traitement des langues. On a du mal à
comprendre pourquoi les « 4 skills » deviennent ici des capacités. On peut relever
aussi que dans la présentation fonctionnelle de la grammaire, le terme savoir-faire est
utilisé pour désigner les actes de langage. Ce brouillage terminologique n’est pas
anodin, il fait apparaître les hésitations, les difficultés à modifier de manière
cohérente un système bien établi. On en arrive ainsi à noyer les aspects pragmatiques
caractéristiques de la compétence de communication. Il semble donc urgent d’afficher
clairement et de manière cohérente la dimension pragmatique de la compétence de
communication.
Conclusion
Au terme de ce parcours imparfait, quelques points forts semblent se détacher. Les
recherches théoriques ne sont pas encore parvenues à un corps stable de savoirs. La
première difficulté qui reste à résoudre concerne l’articulation linguistique /
pragmatique. On voit bien que sur le terrain pédagogique l’entrée linguistique
demeure dominante, l’aspect pragmatique relève plutôt du décor plus ou moins
nécessaire. Une entrée franchement pragmatique aura des conséquences importantes
en terme d’organisation de la classe et donc de moyens à attribuer. La résistance au
changement que l’on observe est largement due à la difficulté d’assurer une formation
continue à tous. L’utilisation des disciplines non linguistiques pour développer
l’aspect pragmatique est une bonne chose en soi. Elle peut aussi justifier l’incapacité à
rénover la pédagogie de la classe de langue en opposant ceux qui auront pour mission
de se centrer sur le montage de la langue et ceux qui pourront la mettre en œuvre de
manière naturelle. La deuxième difficulté concerne la coupure entre l’objectif
pragmatique qui caractérise de manière générale le collège et l’objectif culturel du
lycée. La place accordée au document écrit au lycée, malgré un traitement « audio-
oral, semble être néfaste au développement de l’approche dialogique. Tant que l’on
n’accordera pas à l’aspect conversationnel une place de choix, tant que l’on se
contentera de présenter de l’écrit oralisé ou du dialogue didactisé en classe de langue,
on se condamnera à proposer une langue scolaire artificielle très éloignée des
caractéristiques de la langue parlée.
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