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1 TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

2
3 AFFAIRE N° ICTR-98-41-T LE PROCUREUR
4 CHAMBRE I C.
5 THÉONESTE BAGOSORA
6 GRATIEN KABILIGI
7 ALOYS NTABAKUZE
8 ANATOLE NSENGIYUMVA
9
10 PROCÈS
11 Lundi 24 octobre 2005
12 9 h 50
13
14 Devant les Juges :
15 Erik Møse, Président
16 Jai Ram Reddy (absent)
17 Sergei A. Egorov
18
19 Pour le Greffe :
20 Marianne Ben Salimo
21 Edward E. Matemanga
22
23 Pour le Bureau du Procureur :
24 Barbara Mulvaney
25 Drew White
26 Christine Graham
27 Rashid Rashid
28
29 Pour la défense de Théoneste Bagosora :
30 Me Raphaël Constant
31 Me Allison Turner
32
33 Pour la défense de Gratien Kabiligi (absent) :
34 Me Paul Skolnik
35 Me Frédéric Hivon
36
37 Pour la défense d’Aloys Ntabakuze :
38 Me Peter Erlinder
39 Me André Tremblay
40
41 Pour la défense d’Anatole Nsengiyumva :
42 Me Kennedy Ogetto
43 Me Gershom Otachi Bw’Omanwa
44
45 Sténotypistes officielles :
46 Joëlle Dahan
47 Laure Ketchemen
48
49
1 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 TABLE DES MATIÈRES


2 PRÉSENTATION DES MOYENS DE PREUVE À DÉCHARGE
3

4 TÉMOIN THÉONESTE BAGOSORA


5 Interrogatoire principal de la Défense de Théoneste Bagosora, par Me Constant
6 .........................................................................................................................2
7

8 PIÈCES À CONVICTION
9 Pour la Défense de Théoneste Bagosora :
10 D. B 197.........................................................................................................12
11 D. B 198 A et B..............................................................................................25
12 D. B 199 A et B..............................................................................................33
13 D. B 200 A, B et C..........................................................................................40
14 D. B 201 — sous scellés.................................................................................46
15 D. B 202 — sous scellés.................................................................................49
16 D. B 203 — sous scellés.................................................................................49
17 D. B 204 A et B et C.......................................................................................55
18 D. B 205.........................................................................................................58
19 D. B 206.........................................................................................................59
20 D. B 207.........................................................................................................73
21 D. B 208.........................................................................................................73
22 D. B 209 A et B..............................................................................................89
23 D. B 210.........................................................................................................89
24

25 EXTRAIT SOUS SCELLÉS


26 Extrait............................................................................................................45
27

28
29

2 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page i


3 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 (Début de l’audience : 9 h 50)

3 M. LE PRÉSIDENT :
4 Bonjour. Nous commençons avec un certain retard ce matin, en raison de
5 la cérémonie pour les Nations Unies. Nous allons siéger conformément à
6 l’Article 15 bis du Règlement de procédure et de preuve, car le Juge
7 Reddy ne se sent pas très bien aujourd’hui. Nous pensons qu’il devrait
8 nous revenir très bientôt.
9

10 La Défense de Kabiligi ?
11 Me SKOLNIK :
12 Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur le Juge Egorov, chers
13 Confrères. Je voulais juste aviser la Chambre que mon client, le général
14 Kabiligi, n’est pas présent aujourd’hui. Et je voudrais, Monsieur le
15 Président, que vous exprimiez tous nos espoirs de prompt rétablissement
16 au Juge Reddy, Monsieur le Président.
17 M. LE PRÉSIDENT :
18 Merci beaucoup. Je prends note.
19

20 Aujourd’hui, nous avons la déposition du colonel Bagosora. Est-ce que


21 l’Accusé pourrait s’asseoir dans le box des témoins ?
22

23 (Monsieur Théoneste Bagosora prend place dans le box des témoins)


24

25 Bonjour Colonel.
26 M. BAGOSORA :
27 Bonjour, Monsieur le Président.
28 M. LE PRÉSIDENT :
29 Vous devez dire la vérité, et le Greffier d’audience va maintenant vous
30 faire prêter serment. Veuillez vous lever.
31

32 (Assermentation de Théoneste Bagosora)


33

34 Merci. Y a-t-il un document que nous ayons devant nous ?


35 Me CONSTANT :
36 Non, Monsieur le Président, parce que je pense que la Chambre possède

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1 tous les éléments sur l’identité, la profession de mon client, à travers


2 l’Acte d’accusation. Donc, je n’ai pas estimé utile de présenter une fiche.
3

4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Très bien. Si nécessaire, nous pourrons toujours poser des questions
6 supplémentaires au cours de l’interrogatoire principal et même le contre-
7 interrogatoire.
8

9 Vous allez maintenant être interrogé par votre Conseil de la défense,


10 Maître Constant.
11

12 Maître Constant, vous avez la parole.


13 Me CONSTANT :
14 Merci, Monsieur le Président.
15

16 Je me joins à mon confrère Skolnik pour souhaiter mes vœux de prompt


17 rétablissement à Monsieur Reddy.
18

19 Bonjour, Colonel.
20 M. BAGOSORA :
21 Bonjour, Maître.

23 INTERROGATOIRE PRINCIPAL
24 PAR Me CONSTANT :
25 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre depuis quand vous êtes
26 détenu dans les locaux de la prison des Nations Unies ?
27 M. BAGOSORA :
28 R. Mon mandat est d’août 1996, mais je suis ici, à l’UNDF, depuis janvier
29 1993...
30 Q. Et est-ce que... oui ?
31 R. 97... 97.
32 Q. Et est-ce que vous pouvez préciser à la Chambre, préalablement à votre
33 arrivée ici...
34 M. LE PRÉSIDENT :
35 Il est important de... d’avoir une bonne méthodologie de travail dès le
36 départ. Les interprètes ont déjà commencé à se plaindre que les pauses

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1 entre les questions et les réponses n’étaient pas observées, ce qui arrive
2 souvent lorsque vous parlez tous les deux la même langue. Donc,
3 n’oubliez pas de marquer les pauses.
4 Me CONSTANT :
5 Oui, Monsieur le Président. Et éventuellement, je conseille de me
6 rappeler à l’ordre quand il y a lieu.
7 Q. Est-ce que vous pouvez préciser ou rappeler à la Chambre,
8 préalablement à votre arrivée ici à l’UNDF, quand avez-vous été arrêté ?
9 R. J’ai été arrêté au Cameroun en mars 1996.
10 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre pourquoi vous avez
11 décidé de témoigner dans votre procès ?
12 R. Oui, j’ai... Tout d’abord, je précise que je n’étais pas tenu à témoigner.
13 Ensuite, j’ai décidé de témoigner parce qu’il y a plusieurs contrevérités
14 portées à mon égard et propagées par plusieurs personnes mal
15 intentionnées pour me discréditer. J’ai donc choisi cette tribune pour
16 démentir, pour protester... pour protester contre ces accusations
17 mensongères par cette tribune de ce Tribunal.
18

19 Par exemple... — je parle des contrevérités — par exemple, on m’a


20 qualifié et on continue de me qualifier de cerveau des massacres
21 consécutifs à l’attentat contre l’avion présidentiel du 6 avril 1994. On sait
22 déjà, et très bien, que tous les experts de... du dossier rwandais, y
23 compris ceux du Procureur, disent que... qualifient cet attentat comme
24 l’élément déclencheur du drame rwandais. D’autre part, aujourd’hui, il
25 est de notoriété publique que c’est le général Paul Kagame, Président du
26 Rwanda actuel, qui est responsable de cet attentat. Alors, force est de
27 constater... force est de constater que le TPIR n’a encore rien fait,
28 jusqu’aujourd’hui, de concret pour arrêter et juger ce criminel avéré.
29 Force est de constater également que c’est regrettable que le TPIR se
30 comporte comme le Tribunal du vainqueur. En effet, il s’acharne à juger
31 les Hutus vaincus d’une guerre qu’ils n’ont pas déclenchée, et il courtise
32 les criminels tutsis vainqueurs d’une guerre qu’ils ont eux-mêmes
33 préparée, exécutée et gagnée au prix de plusieurs pertes humaines et
34 matérielles que tout le monde connaît et dont on m’accuse.
35

36 Alors, maintenant, je suis venu ici pour m’expliquer, avec l’espoir que

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1 d’ici la fin de mon procès, le Tribunal pénal international pour le Rwanda


2 aura changé de politique, pour que je puisse bénéficier d’une justice
3 digne de ce nom. D’ores et déjà, je réfute la thèse selon laquelle je suis
4 le cerveau du génocide, auquel je ne crois pas du tout. J’affirme devant
5 la Chambre que j’ai assumé mes responsabilités en tant que directeur de
6 cabinet du Ministère de la défense dont le Ministre était en mission à
7 l’étranger. J’affirme que j’ai agi dans les limites prescrites par la loi et le
8 règlement militaire.
9

10 J’affirme aussi que j’ai fait mon devoir dans les limites de mes
11 possibilités et que je n’ai... je n’ai pas été lâche face à mes
12 responsabilités.
13

14 Alors, maintenant, je suis ici pour dire la vérité, toute la vérité, rien que
15 la vérité pour que l’histoire sache, pour que la justice soit rendue en
16 connaissance de cause, tout au moins à mon sujet. C’était tout ce que je
17 voulais dire à ce sujet.
18 Q. Colonel, avant qu’on en arrive aux faits...
19 R. Pardon, Maître. Je voudrais demander, si c’est possible, qu’on me donne
20 quelques feuilles de papier vierges pour mes éventuelles notes, et cette
21 demande est valable pour la durée de mon témoignage — des feuilles
22 vierges, si c’est possible.
23

24 (Le greffier d’audience s’exécute)


25

26 M. LE PRÉSIDENT :
27 Très bien.
28 Me CONSTANT :
29 En attendant...
30 R. Merci.
31 Q. Colonel, en attendant que nous en arrivions aux faits que vous avez
32 évoqués, à savoir ce que l’on vous reproche dans l’Acte d’accusation,
33 mais en relation aussi avec l’Acte d’accusation, est-ce que vous estimez
34 utile que l’on parle de votre vie avant les faits du 6 avril 1994 ? Et dans
35 ce cas, pourquoi ?
36 R. Absolument, oui, parce que je pense que la Chambre doit bien connaître

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1 celui qu’elle est en train de juger. Il est nécessaire qu’on sache


2 comment... comment j’ai grandi, comment j’ai été éduqué et comment je
3 suis arrivé à ce qu’on m’appelle le cerveau du génocide, pour voir si
4 c’est accidentel ou bien c’est une affaire avérée depuis des années.
5 Donc, c’est nécessaire que je puisse me présenter totalement.
6 Q. D’accord. Est-ce que, dans ce cadre, vous pouvez préciser à la Chambre
7 quand et où vous êtes né ?
8 R. Je suis né dans la commune Giciye le 16 août 1941.
9 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
10 La pause, Maître Constant.
11 Me CONSTANT :
12 Q. Est-ce bien la... Votre commune dont vous avez donné le nom, Giciye,
13 fait-elle partie de ce qu’on appelle communément le Bushiru ?
14 R. Le Bushiru, c’est la région ancienne, traditionnelle. Parce que le Bushiru
15 était composé de deux communes : La commune Giciye et la commune
16 Karago. Mais le Bushiru, disons, c’est l’entité régionale.
17 M. LE PRÉSIDENT :
18 Est-ce que nous l’avons sur la liste des noms propres, Maître Constant ?
19 Sinon, est-ce qu’on pourrait l’épeler, s’il vous plaît, Giciye ?
20 Me CONSTANT :
21 Q. Colonel, je vous propose d’épeler, parce qu’elle n’est pas sur ma liste des
22 noms propres.
23 R. G-I-C-I-Y-E
24 Q. Colonel, est-ce que vous pouvez préciser qui sont vos père et mère ?
25 R. Mon père s’appelle Bagirubwiko Mathias, alias Bagirimana.
26 Me CONSTANT :
27 Bagirubwiko est le numéro 10 sur la liste. Et Bagirimana, c’est le numéro
28 9.
29 Q. Pourquoi votre père portait un « alias » ?
30 R. Bon, c’est un nom qu’il a pris... C’était un instituteur depuis les années
31 30, et il a fait ce travail pendant 50 ans — de 37 à 87. Alors, suite à la
32 durée de ce travail et à la réussite dans ce métier d’enseigner, la
33 population l’a surnommé Bagirimana — Mwalimu Bagirimana.
34 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre ce que signifie « Mwalimu
35 Bagirimana » ?
36 R. « Mwalimu » ça veut dire, tout au moins à son niveau, c’était

12 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 5


13 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 « instituteur émérite ». « Bagirimana », ça veut dire « le chanceux ».


2 Q. Est-ce que vous pouvez préciser à la Chambre où votre père a exercé sa
3 profession d’instituteur ?
4 R. Il a commencé une école primaire à Mulinga, dans la commune Giciye, il
5 a enseigné là-bas jusqu’à 1968. Ensuite, il a changé et... de commune, il
6 est allé s’installer dans la commune Karago en 1968, et il a continué à
7 enseigner à l’école Bukinanyana jusqu’en 1987.
8 Q. « Bukinanyana », c’est : B-U-K-I-N-A-N-Y-A-N-A.
9

10 Est-ce que votre père, mis à part sa profession d’instituteur, avait


11 d’autres activités sociales ou politiques, et dans ce cas-là, lesquelles ?
12 R. En 1953, au moment où la Belgique préparait le Rwanda à une
13 autonomie interne, elle a instauré des élections au niveau de la base,
14 donc au niveau de la sous-chefferie, à ce moment-là — qu’on peut
15 comparer avec communes —, et des chefferies, pour élire des conseillers
16 de ces chefferies et les conseillers des sous-chefferies. Et mon père a
17 élu... a été élu à double reprise de 1953 jusqu’à 1959.
18 Q. Vous voulez dire jusqu’au moment donné où la révolution de 1959 a eu
19 lieu ?
20 R. Oui, la révolution de 1959 l’a trouvé en fonction de conseiller de
21 chefferie.
22 Q. Est-ce que vous pouvez préciser de quelle chefferie votre père a été
23 conseiller ?
24 R. Chefferie du Bushiru.
25 Q. Est-ce que vous pouvez préciser qui dirigeait la chefferie du Bushiru ?
26 R. Jusqu’à 1957, c’était le chef Nyangezi. Mais après sa mort, il a été
27 remplacé par son neveu Monsieur Cyngabwoba.
28 Q. Est-ce que vous pouvez épeler les deux noms que vous venez de
29 donner ?
30 R. « Nyangezi » : N-Y-N-G-E-Z-I (sic), « Nyangezi ». « Cyngabwoba » : C-Y-N-
31 G-A-B-W-O-B-A.
32 Q. Quelle était l’ethnie de ces deux personnalités dont vous venez de
33 donner les noms ?
34 R. Ils étaient tutsis. Ici, peut-être, je peux préciser que pour être conseiller
35 de chefferie, il fallait d’abord être élu à la base dans la sous-chefferie où
36 le sous-chef s’appelait Rupiya.

14 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 6


15 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me CONSTANT :
2 « Rupiya », c’est le numéro 134 de la liste.
3 Q. Vous pouvez préciser le prénom de Monsieur Rupiya ?
4 R. Straton.
5 Q. Et Monsieur Rupiya, il était de quelle ethnie ?
6 R. Il était tutsi aussi.
7 Q. Est-ce que le chef et le sous-chef étaient élus aussi ?
8 R. Non, ils étaient désignés.
9 M. LE PRÉSIDENT :
10 Assurons-nous que nous avons bien distribué la liste des noms propres
11 aux interprètes. Est-ce que vous avez un nombre suffisamment de
12 copies ?
13

14 Les sténographes n’ont pas non plus reçu cette liste, apparemment. Est-
15 ce que vous pouvez le faire immédiatement ? C’est la pratique usuelle.
16 Très bien, nous allons continuer.
17 Q. Alors, qui choisissait ces conseillers ? Est-ce que c’étaient des gens
18 choisis ou nommés par le chef ou le sous-chef ? Comment est-ce que ça
19 se passait ?
20 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
21 Micro pour le témoin.
22 R. En 1953, c’était la première fois que l’autorité de tutelle organisait des
23 élections à la base,
24 au niveau sous-chefferies, et c’étaient des élections directes à ce niveau-
25 là, pour les conseillers
26 de sous-chefferies. Mais au niveau des conseillers de chefferies, ce sont
27 les conseillers de sous-chefferies qui choisissaient entre les conseillers
28 de chefferies, à un niveau supérieur.
29 M. LE PRÉSIDENT :
30 Q. Mais il s’agissait donc d’un système d’élections, et donc, la personne
31 était choisie parmi les personnes élues ?
32 R. Oui, pour être conseillers au niveau de chefferies, ils devaient d’abord
33 être élus au niveau de la
34 sous-chefferie comme conseillers, et les conseillers une fois de... sous-
35 chefferie une fois en place,
36 ils élisaient celui qui allait les représenter au niveau de la chefferie.

16 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 7


17 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me CONSTANT :
2 Q. Une précision, Colonel : J’ai bien compris que les conseillers de la sous-
3 chefferie étaient élus et qu’eux-mêmes, ils élisaient les conseillers de la
4 chefferie. Ma question est la suivante : Le sous-chef qui dirigeait la sous-
5 chefferie et le chef qui dirigeait la chefferie peut... étaient-ils issus
6 d’élections ?
7 R. Non, ils étaient nommés par l’administration coloniale.
8 Q. Vous nous avez indiqué que le chef... enfin, les deux chefs que vous avez
9 cités et le sous-chef étaient tutsis ?
10 R. Oui.
11 Q. Est-ce que ceci correspondait au fait que la majorité des gens qui
12 habitaient dans la sous-chefferie de votre père ou la chefferie en
13 question étaient majoritairement Tutsis ?
14 R. Pas du tout, puisque ma sous-chefferie n’avait presque pas de Tutsis. Et
15 même le Tutsi qui était venu diriger là-bas, il avait été nommé... il était
16 venu des autres régions, je crois, du Sud... du Sud ou du Centre, parce
17 que dans ma région, il n’y avait pas de Tutsis avant son arrivée ; il n’y
18 avait que des Bagogwe qui vivaient dans la forêt de Gishwati.
19 Q. Et pourquoi, alors qu’il n’y avait pratiquement pas de Tutsis dans la
20 chefferie et la sous-chefferie, est-ce qu’il y a une explication à ce que le
21 chef et le sous-chef étaient tutsis ?
22 R. Bon, c’est historique. Dans les années 1930, l’administration coloniale
23 belge a décidé d’assurer... disons, le commandement sur la tutelle par la
24 voie... la voie indirecte. C’est-à-dire qu’ils ont privilégié de travailler avec
25 les Tutsis qu’ils ont trouvés en place avec l’autorité, et ils l’ont renforcée,
26 et ils ont démis les chefs des régions nordiques où il n’y avait que des
27 Hutus. Donc, jusqu’en 1930, les régions à prédominance hutue du Nord
28 et de l’Ouest étaient commandées par le roi ou le roitelet, selon les cas.
29 Et à partir de 1930, la Belgique a décidé de travailler uniquement avec
30 des Tutsis, et il a démis tous les chefs hutus et les sous-chefs.
31 Q. Votre père était de quelle ethnie ?
32 R. Il était de l’ethnie hutue.
33 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre la signification du terme,
34 dans la société rwandaise, du « clan » ?
35 R. Au Rwanda, il y avait plusieurs clans. L’explication, peut-être, je ne peux
36 pas l’avoir, mais nous avions les clan des Abasindi, le clan des

18 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 8


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1 Abagesera, le clan des Abega, le clan des Abasinga. Disons, c’est une
2 grande famille très nombreuse dont il est difficile de savoir quand elle a
3 commencé à exister. Je ne peux pas vous dire plus. C’est une grande
4 famille, tel qu’on dit les Habsbourg. Puis, on ne sait pas exactement à
5 partir de quand ces clans ont commencé. C’est une subdivision des
6 grandes familles dans la société rwandaise.
7 Q. Est-ce que vous pouvez préciser quel était le clan de votre père ?
8 R. Le clan de mon père ? Il était du clan des Abasindi.
9 Q. A-B-A-S-I-N-D-I ; c’est bien ça ?
10 R. Oui.
11 Q. Il y a...
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Le problème, c’est qu’il y a eu aussi mention de trois autres clans. Est-ce
14 que vous pourriez nous aider avec ceux-là, pour que nous soyons sûrs de
15 ce qui est porté au procès-verbal, pour que les choses soient claires ?
16 R. J’ai parlé de Abega — A-B-E-G-A ; j’ai parlé de Abasinga — A-B-A-S-I-N-G-
17 A.
18 Me CONSTANT :
19 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser quand votre père est décédé ?
20 R. Il est décédé le 5 mai 1994.
21 Q. Il est donc décédé en pleine... pendant les... la période dramatique qu’à
22 connue le Rwanda d’avril à juillet 94 ?
23 R. Exactement.
24 Q. Est-ce que la cause de son décès est naturelle ou non ?
25 R. Je pense qu’il était bien portant, ça doit être une crise cardiaque suite à
26 ces événements qui l’ont surpris ; il est tombé dans le « chaos », il est
27 passé.
28 Q. Avez-vous pu assister à son enterrement ?
29 R. Oui.
30 Q. Vous pouvez d’ores et déjà préciser à quelle date et où ?
31 R. À son décès, donc le 5, je me suis rendu donc dans la commune Karago
32 où il vivait, en hélicoptère
33 — le 5 ; les funérailles ont eu lieu le 6. Je suis resté là-bas jusqu’au 10
34 pour le deuil, très limité, en fonction des circonstances du moment. Puis,
35 je suis retourné à Kigali.
36 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser qui était votre mère ?

20 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 9


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1 R. Ma mère s’appelait Ntibayazi Anastasie.


2 Me CONSTANT :
3 C’est le numéro 110 sur la liste.
4 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser qu’est-ce qu’elle a eu comme
5 activité professionnelle, si elle en a eu une ?
6 R. Non, elle était une femme au foyer.
7 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser : Est-ce qu’elle était du même clan
8 que votre père ?
9 R. Non, elle était... elle était du clan Abagesera ba Abasaso.
10 Q. Est-ce que vous pouvez...
11

12 « Abagesera », c’est : A-B-A-G-E-S-E-R-A. Plus loin, « ba », B-A, et


13 « Abaso » (sic) : A-B-A-S-A-S-O. D’accord.
14 Elle était originaire aussi du Bushiru ou non ?
15 R. Oui, elle était originaire du Bushiru.
16 Me CONSTANT :
17 Je vais vous présenter un document par l’intermédiaire de Monsieur
18 Matemanga, en précisant aux parties que c’est normalement la pièce n°
19 1 dans le classeur qui a été remis ce matin.
20

21 Monsieur le Président, sous le contrôle du Procureur, éventuellement,


22 pour gagner du temps, il n’est pas possible de remettre un classeur sur
23 le bureau du témoin pour qu’il puisse accéder aux pièces au fur et à
24 mesure ou on préfère que je les lui donne ?
25 M. LE PRÉSIDENT :
26 Oui, ça permettrait de gagner du temps.
27 M. WHITE :
28 Le Procureur note que le témoin a une... un jeu de documents en sa
29 possession et qu’il pourrait revoir ces documents tout au long de son
30 témoignage ; ça pourrait, à ce moment-là, orienter ses réponses. Si mon
31 éminent confrère souhaite procéder de la sorte, nous aurons
32 certainement des commentaires à faire.
33 M. LE PRÉSIDENT :
34 La question qui se pose maintenant est de savoir si vous voulez
35 conserver votre méthode de travail, Maître Constant, après avoir
36 entendu les commentaires du Procureur ?

22 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 10


23 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me CONSTANT :
2 Monsieur le Président, je propose un gain de temps, mais étant donné
3 que le temps n’est pas l’élément principal pour le Procureur, nous allons
4 laisser la méthode la plus simple.
5 Q. Colonel, avez-vous ce document ?
6 R. Oui, je l’ai.
7 Q. Est-ce que vous pouvez expliquer de quoi il s’agit ?
8 R. Ce document représente mon arbre généalogique, c’est-à-dire les
9 parents, ascendants et descendants, du côté paternel et du côté
10 maternel.
11 Q. Au-dessus du nom de votre père et de votre mère, il y a toute une série
12 de noms que je ne vais pas citer, mais est-ce que vous pouvez indiquer
13 c’est quoi ? C’est le père ? Le grand-père ?
14 R. Si vous partez d’en bas, de mon nom, ceci signifie que je suis fils de
15 Bagirubwiko Mathias, et que Bagirubwiko Mathias est le fils de Sibiguri,
16 et ainsi de suite. Du côté... À droite, du côté de ma mère, Ntibayazi
17 Anastasie, ça veut dire qu’elle est fille de Gahanda, de Kibiribiri, ainsi de
18 suite.
19 Q. Du côté de votre père, il y a... on remonte à 12 personnes, donc à 12
20 générations ; et du côté de votre mère, on en remonte à huit. Comment
21 êtes-vous en état de pouvoir fonder que ceci correspond à la réalité ?
22 R. La réalité est qu’on apprend aux enfants la lignée patrilinéaire — la
23 lignée patrilinéaire ; alors que la lignée maternelle, elle est facultative,
24 c’est-à-dire c’est pour cela que je connais quelques... je connais un peu
25 moins du côté de ma mère, parce que je n’ai pas pu aller plus loin. Mais
26 c’est que ma mère me disait que leur famille... donc il y a le clan
27 Abagesera, mais que la famille, la grande famille d’où elle sortait,
28 s’appelait Abasaso. Ça veut dire que c’est la subdivision du clan
29 Abagesera. Ça veut dire que dans le clan Abagesera, vous avez encore
30 plusieurs sous-familles. Alors, j’ai... Elle m’a dit ça, elle m’a appris ça à
31 partir, donc, de la sous-famille qui la concernait. C’est pour cela que je
32 m’arrête là, Abasaso, la famille où elle est... appartenait. Alors que du
33 côté de mon père, ça va plus loin, parce que leur famille, disons, la sous-
34 famille, si vous voulez, ce clan...
35 M. LE PRÉSIDENT :
36 Bien. Je ne pense pas que cela soit très difficile à comprendre. Mais,

24 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 11


25 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Maître Constant, je présume que vous voulez en venir… quelque chose,


2 et c’est la raison pour laquelle nous avons besoin de savoir tout cela.
3 Pourquoi ne pas reprendre les rênes.
4 Me CONSTANT :
5 Monsieur le Président, celui qui a les rênes, c’est mon client, ce n’est pas
6 moi.
7 Q. Est-ce que, Colonel, dans la société rwandaise, ces éléments de
8 descendance ou plus exactement d’ascendance ont une importance
9 dans les relations entre les gens ?
10 R. Oui, ça a encore une importance capitale, puisque les noms rwandais...
11 Chacun a son propre nom, qu’on prend quand l’enfant naît ; on lui donne
12 son nom. On ne lui donne pas le nom de son père comme dans les pays
13 occidentaux, mais son identification, c’est son arbre généalogique.
14 Normalement, quand vous alliez quelque part où on ne vous connaissait
15 pas, vous étiez tenu de dire... donner le nom de votre père et de votre
16 grand-père au moins. Comme ça, vous avez votre nom, vous avez le nom
17 de votre père et le nom de votre grand-père ; comme ça, on sait vous
18 identifier, savoir que cet homme-là est tel et pas l’autre. Donc, ça faisait
19 aussi partie de l’identification.
20 Q. O.K.
21 R. Et pour les rites... et pour les rites, on rendait hommage aux ancêtres.
22 Pour rendre les hommages, évidemment, il faut les connaître. Dans les
23 églises catholiques, on a la litanie des saints, on connaît leurs noms ; de
24 même dans les familles, on était tenu de retenir, disons, la généalogie la
25 plus intéressante pour ces rites.
26 Q. Pour rentrer dans un aspect qui est lié au dossier, il y a un témoin qui est
27 venu ici — son code est « XBM », et nous allons garder seulement son
28 code pour sa protection… Et pour le besoin du procès-verbal, il a
29 témoigné le 14 et le 15 juillet 2005 (sic). Pour fonder la crédibilité de ce
30 qu’il disait, il s’est prétendu votre cousin ; est-ce que vous voyez de quoi
31 je parle ?
32 R. Oui.
33 Q. Est-ce que l’individu en question dont nous ne pouvons pas donner le
34 nom était ou non votre cousin ?
35 R. Je me souviens de... de ce qu’il a déclaré devant la Chambre. Il n’a pas
36 pu connaître ni mon père ni ma mère, il n’a jamais dit qu’il était arrivé

26 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 12


27 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 chez moi...
2 M. LE PRÉSIDENT :
3 Je présume que dans la version française, vous avez parlé du 14 et 15
4 juillet 2004 et non pas 2005 ?
5 Me CONSTANT :
6 En tout cas, c’est 2003, Monsieur le Président. Je ne « m’en » souviens
7 pas de ce que j’ai dit, mais la réalité c’est 2003. C’est 14 et 15 juillet
8 2003.
9 M. LE PRÉSIDENT :
10 Très bien. Je crois que cela a un peu plus de sens. Merci.
11 R. Bon. Si je donne mon arbre généalogique, c’est pour permettre à la
12 Chambre de comparer mon arbre généalogique avec celui de ce
13 Monsieur, comme ça, on pourra savoir à quel niveau nous avons des
14 relations de parenté.
15 Me CONSTANT :
16 Q. Mais ce que je vous demande, Colonel : Est-ce que le Rwandais — pas
17 seulement ceux de l’élite, mais n’importe quel Rwandais — est capable
18 de pouvoir connaître, comme vous, vos ascendants... ses ascendants —
19 pardon ?
20 R. C’est-à-dire, avec ce qu’on appelle la civilisation occidentale, on a
21 abandonné les rites traditionnels. Et avec ça, on a perdu l’élément qui
22 justifiait justement de retenir toute la généalogie. Moi, je suis... Par
23 exemple, moi, mon grand-père... mon père était catholique, mais mon
24 grand-père était païen ; il faisait ses rites — j’ai vécu là-bas. De même,
25 mon grand-père du côté maternel, Gahanda, il n’était pas... il n’était
26 pas... il n’était pas... il n’avait pas de religion occidentale ; il avait sa
27 religion, on appelait ça « païen » mais, en fait, ce n’était pas ça. Ils
28 avaient leur religion traditionnelle, je crois de Ryagombe. Ils faisaient
29 leurs rites, et j’ai vécu là-bas quand j’étais encore à l’école primaire ; j’ai
30 pu justement apprendre ça à ce moment-là. Mais mes enfants, par
31 exemple, aujourd’hui, eux, ils ne savent pas. Mes enfants, ils ne savent
32 pas, sauf si je leur donne un document pour dire : Voilà votre arbre
33 généalogique. Moi, j’ai eu l’occasion de le savoir quand j’étais encore
34 jeune, chez mes grands-parents.
35 Q. Vous avez donné le nom d’un rite, est-ce que vous pouvez épeler ?
36 R. Rite Ryagombe. J’épelle : R-Y-A-G-O-M-B-E.

28 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 13


29 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Pour en terminer sur le témoin XBM, est-ce que ça vous paraît crédible
2 qu’il puisse prétendre être votre cousin sans qu’il puisse connaître vos
3 parents ?
4 R. Mais non, il a inventé ça. De toute façon, si je donne ceci, le Tribunal,
5 avec le service du Procureur ou avec d’autres services, peuvent aller
6 dans la région, parce que ce que je dis ici... je peux indiquer la région, il y
7 a encore des vieux, des gens de mon âge, et plusieurs qui sont là, si
8 vous leur demandez ça, ils vont dire. De même, chez cette personne-là
9 qui a dit qu’il ne connaît pas l’arbre généalogique de ses parents, il n’a
10 pas dit… Donc, en fait, il n’a pas pu s’identifier. S’il n’a pas pu
11 s’identifier, moi aussi, je ne peux pas savoir si on a une relation de
12 parenté.
13 Q. Pour aborder un aspect, nous y reviendrons plus en détail, mais dès à
14 présent, puisqu’il s’agit de liens familiaux, aviez-vous ou non un lien de
15 parenté avec la famille du Président Habyarimana ou la famille de son
16 épouse... épouse, Agathe Kanziga ?
17 R. Non, moi, étant du clan Abasindi et Habyarimana Juvénal étant du clan
18 Abungura...
19 Me CONSTANT :
20 « Abungura », c’est le numéro 2 sur la liste.
21 Q. C’est bien : A-B-U-N-G-U-R-A ; c’est bien ça ?
22 R. Son épouse, Agathe Kanziga, étant du clan Abagesera b’abahenda.
23 Me CONSTANT :
24 A-B-A-G-E-S-E-R-A, « B-’-A-B-A-H-E-N-D-A ; c’est le numéro 1 sur la liste.
25 Q. Excusez-moi, vous pouvez continuer, Colonel.
26 R. Justement, je donne mon arbre généalogique. Pour que les gens soient
27 cousins, il faut au moins avoir un grand-père commun, il faut en avoir un.
28 Si elle est du clan Abungura et que je suis du clan Abasindi, c’est pas
29 possible.
30

31 D’autre part, si Madame Habyarimana Agathe est du clan Abagesera, de


32 la grande famille Abahenda, alors que ma mère, bien sûr du même clan,
33 mais de la grande famille... de la famille Abasaso, s’ils ont des relations,
34 ils peuvent les avoir après la neuvième génération, pas avant. C’est ce
35 que ça veut dire. À ce niveau-là, je ne pourrais pas vous dire. Après la
36 neuvième génération, dire que j’ai des relations avec quelqu’un, ce serait

30 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 14


31 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 difficile.
2 M. LE PRÉSIDENT :
3 Q. Laissant de côté cela, est-ce que vous avez rencontré « XBM » à une
4 réunion de famille ou à une réunion de clan ?
5 R. Il a avoué lui-même qu’il n’est jamais arrivé chez moi. Je l’ai vu pour la
6 première fois ici, dans ce Tribunal.
7 Q. Donc, vous ne l’aviez jamais vu avant qu’il comparaisse devant cette
8 Chambre ?
9 R. Jamais. Jamais.
10 Me CONSTANT :
11 Q. Donc, pour terminer sur la... les deux familles présidentielles, vous
12 indiquez qu’il n’y a pas de lien de parenté direct avec vous ?
13 R. Avec Madame Habyarimana, ce qui est... ce qui pourrait être possible,
14 c’est qu’ils sont... ma mère et elle, elles sont du clan Abagesera. La
15 possibilité qu’il y ait un lien de parenté, c’est après la neuvième
16 génération, pas en deçà. Alors, là, c’est pas vérifiable.
17 Q. Mais on fait état de vos liens avec la famille présidentielle, fondés entre
18 autres sur une solidarité familiale ou sur une solidarité régionale. Est-ce
19 que vous avez un commentaire dessus ?
20 R. Mais le Président Habyarimana Juvénal est du Bushiru. Son épouse,
21 Agathe Kanziga, est du Bushiru. Moi aussi, je suis de la même région.
22 Nos parents se connaissaient ; je les connais depuis longtemps, quand
23 j’étais encore jeune. Je peux même dire que la famille Habyarimana était
24 amie « à » la mienne.
25 Q. Parfait. Je voudrais... Nous y retournerons, sur vos liens avec la famille
26 Habyarimana.
27

28 Monsieur le Président, pour des raisons pratiques, nous déposons les


29 pièces une par une ou nous allons faire une séance à la fin pour
30 s’occuper de tout le dépôt des pièces ? J’essaie de gagner du temps.
31 M. LE PRÉSIDENT :
32 À la lumière de la longueur de cette déposition, je crois que c’est mieux
33 d’y aller étape par étape. Donc, commençons par celle-ci.
34

35 Donc, quelle est la première cote, Monsieur Matemanga ?


36 M. MATEMANGA :

32 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 15


33 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 « D. B 195... 97 ».
2 Me CONSTANT :
3 Je crois que mon confrère Drew White voulait parler ?
4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Je crois qu’en fait, ça a été annulé, étant donné la réponse que j’ai
6 donnée.
7

8 (Admission de la pièce à conviction D. B 197)


9

10

11 Me CONSTANT :
12 Parfait.
13 Q. Colonel Bagosora, est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre
14 combien de frères et de sœurs vous aviez ?
15 R. J’avais un frère et quatre sœurs.
16 M. LE PRÉSIDENT :
17 Maître Constant, cela signifie que vous avez terminé la première section
18 dans votre jeu de documents ?
19 Me CONSTANT :
20 Monsieur le Président, vous parlez par rapport au plan que j’ai
21 communiqué à la Chambre ?
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Oui.
24 Me CONSTANT :
25 J’ai fini avec les parents de... Nous aurons l’occasion d’y revenir très
26 rapidement à un autre moment donné, quand on parlera de 1959, mais
27 directement dans la présentation des parents, j’en ai terminé.
28 M. LE PRÉSIDENT :
29 Parce que c’était en fait ma question suivante : Donc, vous allez revenir
30 là-dessus ?
31

32 Donc, j’ai une question, Colonel.


33 Q. Vous avez déclaré que votre parent — le Hutu — était conseiller dans
34 cette localité où il y avait des chefs et des sous-chefs tutsis ?
35 R. Oui.
36 Q. Quelle était la situation générale au cours de cette colonisation belge

34 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 16


35 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 lorsque les Belges devaient prendre des Tutsis et les mettre au niveau de
2 la hiérarchie ? Mais qu’est-ce qui se passait un peu en dessous ? Est-ce
3 qu’en général, le conseiller ou la personne élue était hutu ?
4 R. Je vous dis qu’au Bushiru — je parle du Bushiru que je connais, ailleurs,
5 je ne sais pas comment ça se passait —, dans notre sous-chefferie, le
6 sous-chef qui est venu dont j’ai parlé, Straton Rupiya, il est venu avec
7 trois membres de sa famille pour l’accompagner. Avant son arrivée, il n’y
8 avait pas de Tutsis.
9 Q. Donc, votre réponse, c’est... c’est que vous ne savez pas comment ça se
10 passait dans les autres localités ?
11 R. Les autres localités du Rwanda, je ne sais pas.
12 M. LE JUGE EGOROV :
13 Q. « Le » colonel Bagosora, est-ce que vous pouvez nous dire quelle était
14 l’activité de votre grand-père ?
15 R. Activité ?
16 Q. Donc, en fait, son activité, sa position sociale. Vos grands-pères, en fait ?
17 M. LE PRÉSIDENT :
18 « Activité professionnelle. »
19 R. Ils étaient des paysans agriculteurs, éleveurs.
20 M. LE JUGE EGOROV :
21 Je vous remercie.
22 Me CONSTANT :
23 Q. Une petite précision quand même. J’ai oublié de vous poser la question :
24 Q. Quand votre mère est décédée ?
25 R. Elle était décédée en février 1983, le 22.
26 Q. Nous retournerons donc, comme je l’ai dit, sur la question à travers la
27 révolution de 59, sur le statut de votre père au sein de la société
28 rwandaise.
29

30 Vous nous avez indiqué que vous avez eu un frère et quatre sœurs, et
31 vous avez employé le passé.
32 R. Oui.
33 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi vous avez employé le
34 passé pour dire que vous avez eu... que vous aviez un frère et quatre
35 sœurs ?
36 R. Le frère que j’avais a été assassiné le 15 février 1999 à Yaoundé. Alors,

36 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 17


37 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 j’ai eu... J’ai une sœur qui a été assassinée à Bruxelles l’année suivante,
2 le 16 décembre de l’an 2000. Et puis, la troisième a été assassinée par le
3 FPR à Gisenyi en 1995, quand elle est rentrée de son exil. Donc, il me
4 reste deux sœurs, une qui est en prison à Kigali et une autre exilée en
5 Europe. C’est ça qui me reste.
6 Q. O.K. Je vais vous demander quelques détails supplémentaires, surtout
7 concernant vos frères et sœurs qui ont disparu ou qui sont en prison. Est-
8 ce que vous êtes l’aîné, Colonel ?
9 R. Oui.
10 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire qui est l’enfant suivant, après vous ?
11 R. C’est ma sœur Astérie Ntiliyaga.
12 Me CONSTANT :
13 Il s’agit du numéro 112 sur la liste.
14 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser est-ce que c’est celle qui est en
15 exil, c’est celle qui a été assassinée ?
16 R. Astérie Ntiliyaga, c’est celle qui est en prison à Kigali depuis 1996.
17 Q. Est-ce qu’à votre connaissance, elle a été jugée ?
18 R. Non, jusqu’à maintenant, elle n’est pas jugée ; elle est en prison avec
19 ses deux fils depuis 1996 et elle attend encore son jugement. Et selon
20 mes informations, quand... elle n’a pas encore de dossier établi, donc le
21 jugement et (inaudible) attendu.
22 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer...
23 M. LE PRÉSIDENT :
24 Malheureusement, l’orthographe de ce nom... c’est-à-dire le nom de la
25 personne à Kigali, est-ce que vous pouvez épeler son nom ?
26 R. J’épelle « Ntiliyaga » : N-T-I-L-I-Y-A-G-A ; Astérie.
27 Me CONSTANT :
28 Attendez.
29

30 Excusez-moi, Monsieur le Président...


31 M. LE PRÉSIDENT :
32 Non, le nom. Nous avons le nom, c’est 112, mais mon impression, c’est
33 que vous avez également mentionné un lieu.
34 R. Mais j’ai parlé de la prison de Kigali.
35 M. LE PRÉSIDENT :
36 Mais vous n’avez pas donné de nom ? Parce que c’est le flou qui existe

38 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 18


39 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 dans le procès-verbal.
2 R. Ah ! Oui, j’ai parlé... J’ai dit qu’elle était en prison avec ses deux fils. Elle
3 a deux fils en prison avec elle.
4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Très bien.
6 Me CONSTANT :
7 Q. Est-ce que vous pouvez préciser ce que votre soeur, en tout cas celle-ci,
8 faisait avant 1994 ?
9 R. Elle était une femme au foyer, mais responsable d’une cellule dans le
10 cadre du parti MRND.
11 Q. Est-ce que vous pouvez préciser si elle était mariée ou non ?
12 R. Elle était mariée... Elle était mariée, oui.
13 Q. Vous connaissez le nom de son mari ?
14 R. Il s’appelle Télesphore... Son nom m’échappe un peu.
15 Q. Mais en tout cas, le prénom, c’est Télesphore.
16 R. Télesphore, oui.
17 Q. C’est ça. Si vous le retrouvez, vous allez nous le dire.
18 R. Oui.
19 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire qu’est-ce qui est... où est ce monsieur
20 actuellement, votre beau-frère ?
21 R. Il a été tué par le FPR en avril 1994.
22 Q. Comment êtes-vous au courant de cette information ?
23 R. J’étais encore à Kigali. Il a été tué à Kabuga, dans une localité à 20
24 kilomètres de Kigali. Et sa femme a fui chez moi, donc... Elle m’a dit :
25 « Mon mari a été tué », donc j’ai été au courant.
26 Me CONSTANT :
27 O.K. « Kabuga », c’est : K-A-B-U-G-A.
28 Q. Est-ce que vous savez ce qu’on reproche à votre sœur pour qu’elle soit
29 en prison depuis 96 ?
30 R. Le nom me revient, c’est Télesphore Nsekambabaye.
31 Me CONSTANT :
32 C’est le numéro 101 de la liste.
33 Q. Je vous demandais donc : Est-ce que vous savez ce que l’on reproche à
34 votre sœur, Astérie Ntiliyaga, qui est en prison depuis près de 10 ans à
35 Kigali ?
36 R. Mais elle ne m’a pas dit, mais des nouvelles que j’ai pu obtenir par des

40 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 19


41 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 personnes interposées, on l’accuse de ce que je lui ai donné des armes


2 qu’elle a distribuées à la population.
3 Q. Et est-ce que vous savez si elle a un dossier et qu’elle a un avocat ?
4 R. Non, elle n’a pas d’avocat.
5 Q. Bien. Et est-ce que vous savez s’il y a un dossier pénal en cours, à part le
6 fait qu’elle soit en prison ?
7 R. Mais la situation judiciaire au Rwanda est connue, avec 100 000
8 personnes en prison, avec toute la bonne volonté, mon Dieu, je ne sais
9 pas comment ils peuvent avoir des dossiers établis. Elle fait partie de ce
10 groupe-là des... des gens qui n’ont pas de dossier, mais qui sont en
11 prison. Sans l’espoir, certainement, sauf amnistie, je ne vois pas
12 comment, même avec la bonne volonté, ils peuvent juger 100 000
13 personnes dans un délai raisonnable. Je ne parle pas seulement de ma
14 sœur, mais je parle de tout le monde.
15 Q. Après Astérie, quel est le suivant de la fratrie de votre famille ?
16 R. C’est Musabe Pasteur.
17 Q. Vous nous avez dit qu’il a été assassiné ?
18 R. Oui.
19 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser dans quelles conditions, à votre
20 connaissance ?
21 R. Sa femme et ses enfants étaient déjà partis chercher refuge en Europe,
22 et il est resté à Yaoundé parce que ma famille, mes enfants n’avaient pas
23 encore pu... pas trouvé refuge dans un pays plus sûr. Alors que j’étais en
24 prison, il a pensé que c’était mieux de régler d’abord cette question
25 d’évacuer tout ce monde-là. Et quand tout le monde venait de partir et
26 qu’il venait aussi de faire les bagages pour aller en Europe, il a été
27 assassiné, quatre jours avant. Il avait déjà acheté les tickets, les quoi... il
28 a été assassiné quatre jours avant son départ pour l’Europe.
29 Me CONSTANT :
30 Je voudrais vous présenter un certain nombre de documents. Je précise à
31 la Chambre qu’il s’agit des documents mis sous le numéro 2.
32

33 Monsieur Matemanga, avec l’autorisation de Monsieur le Président, est-


34 ce que vous pouvez présenter ces documents à... au colonel Bagosora ?
35

36 (Le greffier d’audience s’exécute)

42 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 20


43 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 Q. Est-ce que vous connaissez ces documents, Colonel Bagosora ?


3 R. Oui.
4 Q. Est-ce que vous pouvez sommairement nous présenter chacun d’eux ?
5 R. Il y a un document qui est intitulé « communiqué n° 48/99 ». C’est un
6 communiqué qui a été élaboré par le Centre de lutte contre l’impunité et
7 l’injustice au Rwanda, qui se trouve à Bruxelles. Alors, en résumé, il parle
8 de l’assassinat de mon petit frère Musabe Pasteur.
9 Q. Et vous pouvez nous dire, le deuxième document, rapidement, de quoi il
10 s’agit, avant que nous puissions indiquer leur contenu ?
11 R. Le deuxième document intitulé « Assassinat de Pasteur Musabe à
12 Yaoundé », en fait, disons, le... le journal ivoirien Le Jour a repris le
13 communiqué de Bruxelles et l’a fait passer dans son journal.
14 Q. O.K. Donc, du point de vue du contenu, c’est le même document...
15 R. C’est la même chose.
16 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre si vous savez qui dirige et
17 quelle est l’activité du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au
18 Rwanda ?
19 R. C’est Monsieur Matata. Il fait souvent des interventions sur... sur la radio,
20 dans les presses. Il est connu.
21 Q. Est-ce que vous savez si Monsieur Matata est déjà intervenu devant le
22 Tribunal pénal international pour le Rwanda ?
23 R. Je ne me rappelle pas.
24 Q. Est-ce que vous savez si l’activité de ce Centre vise... Est-ce que vous
25 connaissez les activités de ce Centre — pardon ?
26 R. Bon, comme je ne suis pas membre de ce Centre, qui est né d’ailleurs
27 quand j’étais déjà en prison, sauf voir qu’il y a des rapports d’enquête
28 qu’ils font sur les événements du Rwanda et qu’ils les dénoncent... c’est
29 ça que je peux dire... fait des enquêtes sur ce qui s’est passé au Rwanda.
30 Avant... Même maintenant, ils continuent à faire des enquêtes et les
31 publient pour dénoncer l’arbitraire.
32 Q. O.K. Une question : Est-ce qu’à votre connaissance, ce Centre de lutte
33 est, pour employer une formule particulière, est négationniste ? Est-ce
34 qu’il nie l’existence du génocide au Rwanda ?
35 R. Mais moi aussi, je ne crois pas au génocide.
36 Q. Ce n’est pas ça que je vous demande, Colonel. Je ne vous demande pas

44 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 21


45 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 vos sentiments à vous, je vous demande la position de ce Centre.


2 R. Moi, ce ne sont pas les sentiments, parce que jusqu’aujourd’hui où nous
3 avons été ici, il n’y a pas encore de preuve de la planification du
4 génocide. Les gens... La plupart des gens raisonnables admettent qu’il y
5 a eu des massacres, des massacres excessifs, dont il faut trouver une
6 explication. Donc, je pense bien que ce Centre de lutte contre l’impunité,
7 il tient ce même raisonnement, à ce que j’ai pu lire à travers les
8 documents et les communiqués que j’ai pu lire de leur part.
9 Q. D’accord.
10 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
11 Maître, s’il vous plaît, les sténographes nous font signe par rapport à la
12 pause.
13

14 M. LE PRÉSIDENT :
15 Q. Il s’ensuit que votre frère était le directeur de... BACAR ?
16 R. Oui, il était directeur général d’une banque appelée BACAR : Banque
17 africaine continentale du Rwanda.
18 Me CONSTANT :
19 Excusez-moi...
20 M. LE PRÉSIDENT :
21 Q. À quelle période a-t-il occupé ces fonctions ? Est-ce que vous pouvez
22 nous dire ?
23 R. Depuis les années 80 jusqu’à 1994.
24 M. LE PRÉSIDENT :
25 Et Maître Constant, vous avez fait allusion à un terme technique par
26 rapport à ce Centre contre l’impunité, et ce terme technique est... était
27 inintelligible, tout au moins en anglais. Est-ce que vous pouvez nous
28 aider ?
29 Me CONSTANT :
30 Je pense que j’ai fait allusion au terme « négationniste », c’est de ça que
31 vous parlez, Monsieur le Président ? Je n’en ai aucune idée comment ça
32 se traduit en anglais. Selon les anglophones qui m’entourent,
33 apparemment c’est « le » même... chose.
34 M. LE PRÉSIDENT :
35 Tout au moins, il faut qu’on le suive clairement. C’est le même mot, et
36 maintenant, tout va bien.

46 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 22


47 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Je vous remercie.
2 Me CONSTANT :
3 Merci, Monsieur le Président.
4 Q. Colonel, je voudrais que vous preniez le premier document. Et vous
5 voyez qu’il y a un premier paragraphe : « Les motifs de son assassinat
6 sont divers. » Est-ce que vous le voyez ?
7 R. Quel paragraphe ?
8 Q. Vous avez un titre au milieu de la première page : « Les motifs de son
9 assassinat sont divers. »
10 Est-ce que vous voyez ça ?
11 R. Non.
12 Q. Vous êtes avec ce document-là ?
13 R. Ah ! Oui, je vois.
14 Q. D’accord. Je voudrais que vous nous lisiez le petit « a ».
15 R. « Monsieur Musabe avait commencé à rassembler des documents et des
16 témoignages sur la tragédie rwandaise et venait d’achever le manuscrit
17 d’un livre sur la tragédie rwandaise. Ses assassins auraient voulu en
18 empêcher la publication. »
19 Q. Est-ce qu’à votre connaissance, il était exact que des faits qui sont
20 contenus dans ce paragraphe étaient exacts ou non ?
21 R. C’est exact. Mais ce dont je ne suis pas certain, c’est de dire... Ils ont
22 utilisé le conditionnel eux aussi pour dire « que » s’ils voulaient en
23 empêcher la publication ; ça c’est une spéculation. Mais le livre, j’en ai
24 une copie aujourd’hui ici, et il est très critique sur son analyse de la
25 situation pour les événements de 1994.
26 Q. Est-ce que vous savez si, oui ou non, lors de son assassinat, il y aurait eu
27 la commission de vol de documents ou non ?
28 R. Tous les documents, en fait... Étant le seul frère que j’avais à Yaoundé,
29 que j’étais en prison, tous les documents que j’avais et tous les
30 documents qu’il avait rassemblés, tout, y compris même le projet de son
31 livre, tout a été enlevé par les assassins.
32 Q. Est-ce qu’à votre connaissance, il y avait des documents en relation avec
33 la préparation de votre défense ?
34 R. Absolument oui.
35 Q. De 96, date de votre arrestation, à 99, date de son assassinat, est-ce que
36 vous aviez des contacts directs ou indirects avec votre frère ?

48 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 23


49 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Des contacts téléphoniques.


2 Q. Est-ce que vous avez une idée des documents qu’il aurait pu rassembler
3 et qui auraient disparu ?
4 R. C’est lui, en fait, qui était mon enquêteur dans le dossier. Il m’avait
5 cherché un autre enquêteur, mais en fait, c’était lui qui faisait tout le
6 travail. Ça veut dire que tous les documents qui ont été rassemblés
7 jusqu’à son assassinat « sont » disparus. Nous avons dû recommencer à
8 nouveau.
9 Q. Est-ce que vous savez si, oui ou non, des documents qu’il avait pu
10 rassembler ont pu être retrouvés après ?
11 R. Seul le livre dont je vous ai parlé, il avait envoyé un exemplaire à son
12 ami en Belgique ; c’est à partir de là que j’ai pu avoir une copie.
13 Q. D’accord. Je voudrais que, toujours dans le même paragraphe, on en
14 arrive au petit « b » et que vous puissiez le lire pour moi — en tout cas,
15 pour la Chambre.
16 R. Le petit « b » : « Monsieur Musabe était le petit frère du colonel
17 Bagosora... Théoneste Bagosora impliqué dans le génocide rwandais. Ne
18 pouvant atteindre son grand frère détenu par le Tribunal... le Tribunal
19 international d’Arusha, les commanditaires de cet assassinat auraient
20 voulu se venger sur un autre membre de la famille, comme cela arrive
21 fréquemment au Rwanda. »
22 Q. Nous sommes bien d’accord que dans le communiqué, on emploi le
23 terme de « génocide rwandais », ce que vous venez de lire ?
24 R. Oui.
25 Q. Donc, l’on peut penser que le Centre en question ne remet pas en cause
26 la question du génocide, le concernant ?
27 R. Oui, à la lecture de ce paragraphe, oui.
28 Q. Est-ce que, selon vous, l’assassinat de votre frère est en relation avec ce
29 que dit le paragraphe que vous venez de lire, à savoir la parenté qu’il
30 avait avec vous ?
31 R. Oui, mais ce n’est pas la seule hypothèse.
32 Q. Est-ce que vous pouvez aller à la fin de cette page et nous lire le titre du
33 paragraphe suivant ?
34 R. « Les commandos... » ?
35 Q. Oui.
36 R. « Les commandos de la mort du FPR ont déjà fait plusieurs victimes à

50 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 24


51 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 l’étranger. Le Centre a dénoncé à maintes reprises l’envoi par Kigali


2 d’escadrons de la mort attachés à l’External security office — ESO —,
3 aux fins de traquer... trop critique à l’égard du régime rwandais. »
4

5 Bon, alors, il fait des... rappelons, entre autres, il donne la litanie...


6 Q. Je vous propose de ne pas lire le reste. Mais rapidement, est-ce que vous
7 connaissez Monsieur Sendashonga — S-E-N-D-A-S-H-O-N-G-A ?
8 R. Oui, je l’ai connu.
9 Q. D’accord. Est-ce que vous savez s’il vit ou s’il est mort ?
10 R. Il a été assassiné à Nairobi.
11 Q. Est-ce que... Est-ce que vous connaissez le colonel Lizinde — L-I-Z-I-N-D-
12 E?
13 R. Parfaitement, oui.
14 Q. Est-ce que vous savez ce qu’il est devenu.
15 R. Il a été assassiné à Nairobi.
16 Q. Est-ce que vous connaissez un nommé Obed Sebutuma — S-E-B-U-T-A-M-
17 A?
18 R. Non.
19 Q. Est-ce que vous connaissez un député qu’on appelait Safari — S-A-F-A-R-
20 I?
21 R. Oui.
22 Q. Est-ce que vous savez ce qu’il est devenu ?
23 R. Non.
24 Q. Est-ce que vous connaissez un nommé Habimana alias Kingi ?
25 R. Non.
26 Q. D’accord. La thèse que soutient le Centre, c’est qu’on peut rapprocher la
27 mort de votre frère de l’assassinat de ces autres personnalités qui
28 auraient été tuées par des envoyés de Kigali. Vous avez dit tout à l’heure
29 que c’est une hypothèse, mais qu’il peut y en avoir d’autres. Est-ce que
30 vous pouvez exposer votre point de vue rapidement sur cette question ?
31 R. Je dis que c’est une hypothèse fort probable, mais je n’ai pas de preuve.
32 Q. Est-ce que vous savez s’il y a eu une enquête ou non à propos de
33 l’assassinat de votre frère ?
34 R. L’enquête a commencé, par le Gouvernement camerounais. Après,
35 l’enquête a stoppé. En ce moment-là, j’avais un enquêteur qui se
36 trouvait au Cameroun, qui s’appelait Jean-Baptiste Zikama. Je « l’ai »

52 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 25


53 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 téléphoné pour demander où en était l’enquête, il m’a dit qu’il a


2 demandé aux autorités qui lui ont dit que l’enquête a été stoppée parce
3 qu’il y a des hautes autorités qui... qui ont interdit, donc, l’avancement
4 de cette enquête ; c’était par téléphone. Et l’enquête, effectivement, n’a
5 pas été poursuivie. Je ne peux pas savoir exactement la cause.
6 Q. Est-ce que vous pouvez épeler, parce que je ne l’ai pas... vous avez parlé
7 d’un enquêteur. Je pense que vous avez employé, d’ailleurs, un mot qui
8 résumait son nom et qui n’était pas son nom
9 R. Oui.
10 Q. Est-ce que vous pouvez l’épeler ?
11 R. Z-I-K-A-M-A-B-A-H-A-R-I, Jean-Baptiste.
12 Q. Colonel, est-ce que, de tout ce que vous nous dites, cela signifie que cinq
13 ans après... même plus que cinq ans, plus de six ans après, l’on ne
14 connaît pas le nom et les conditions exactes de l’assassinat de votre
15 frère ?
16 R. Non, parce qu’il était le dernier de... des membres de ma famille qui
17 restait au Cameroun. Après lui, plus personne ne pouvait suivre le
18 dossier.
19 Q. D’accord. Le Président a commencé à vous poser des questions au sujet
20 de Monsieur Musabe Pasteur — donc votre frère —, et étant donné que
21 nous aurons l’occasion d’y revenir, je voudrais quand même apporter
22 avec vous quelques éléments. Vous avez dit qu’il était directeur général
23 d’une banque, la BACAR ; c’est bien ça ?
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que vous pouvez me dire quels étaient le poids et l’importance de
26 cette banque dans la société rwandaise ?
27 R. Elle était une des principales banques commerciales à Kigali.
28 Q. Est-ce que, suite aux événements qu’a connus le Rwanda, votre frère est
29 resté en juillet 94 au Rwanda ou bien il y a eu une autre alternative ?
30 R. Non, il a fui le Rwanda en juillet 1994.
31 Q. Est-ce que — et ceci est en relation directe avec notre dossier... Vous
32 avez un témoin de l’accusation, « ATY », qui a témoigné le 27 et le 28
33 septembre 2004, mais il y en a aussi d’autres qui soutiennent que vous
34 avez eu l’occasion d’arrêter, d’ordonner l’arrestation de votre frère et
35 d’une fiancée qu’il avait, sur le motif qu’il avait l’intention de se marier
36 avec une Tutsie. Et ceci vise à présenter le caractère ethniciste que vous

54 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 26


55 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 auriez dès cette époque. Est-ce que vous pouvez vous exprimer sur ce
2 point ?
3 R. Ceux-là qui disent cela donnent une mauvaise version de ce qui s’est
4 passé. Effectivement, mon petit frère était fiancé à une jeune fille
5 appelée Jeanne Habarugira.
6 Me CONSTANT :
7 Excusez-moi, c’est le numéro 41 de la liste. Vous pouvez continuer.
8

9 Vous pouvez continuer, Colonel.


10 R. Bon, je précise donc que les Habarugira, ils sont de Gitarama, ce sont
11 des Hutus. Les Habarugira, la fille, Jeanne Habarugira, et son père et son
12 grand-père sont des Hutus. C’est une famille hutue de Gitarama.
13

14 Alors, maintenant, vient la question de savoir pourquoi les fiançailles


15 n’ont pas abouti. Je crois que ça, c’est une autre question. Il y a la
16 question de dire qu’il y a un Tutsi qu’on ne voulait pas dans la famille,
17 c’est faux, parce que Jeanne Habarugira était hutue et son père hutu de
18 Gitarama. Et je précise que ma femme aussi est de Gitarama. Bon. Ça,
19 c’est un fait.
20

21 L’autre fait est qu’effectivement, les fiançailles de mon petit frère ont
22 échoué, mais pour d’autres raisons. Cette fille a été arrêtée par le
23 Service central de renseignements. Mais il se faisait effectivement que
24 j’avais déconseillé à mon petit frère de… de ne pas se marier avec cette
25 fille parce que le grand frère de cette fille était qualifié par le Service de
26 renseignements comme agent de la CIA. Vous voyez. Moi, j’étais officier
27 de l’armée rwandaise, et mettre dans mon dossier un agent de la CIA,
28 tout au moins un agent que le Gouvernement, à l’époque, qualifiait de
29 membre de la CIA, j’ai dit à mon petit frère : « Mais il y a d’autres filles, il
30 y a plusieurs filles que tu peux... il ne faut pas m’encombrer avec ce
31 dossier de son grand frère, Jean-Baptiste Habarugira, qui s’était réfugié
32 à Kampala. » Il était à Kampala, il était journaliste connu, il était un
33 grand journaliste à Kigali
34 — Jean-Baptiste Habarugira. Donc, alors, mon petit frère a été d’accord, il
35 a changé, mais pendant que nous étions en train de finaliser ce dossier,
36 le Service central de renseignements a arrêté la fille. Alors, mon petit

56 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 27


57 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 frère m’a... bien que ses fiançailles étaient, disons, cassées, il gardait
2 encore une amitié tout à fait normale avec la fille. Il a pensé que c’était
3 moi qui avais comploté contre, disons, son amie. Voilà.
4

5 Donc, Jeanne Habarugira, c’est vérifiable. Il y a les Habarugira, donc le


6 Jean-Baptiste Habarugira qui était journaliste du Rwanda, il est connu. Il
7 est mort à Kampala. Pareil, Idi Amin l’a découvert aussi, probablement, il
8 l’a fait tuer. Et puis, les Habarugira travaillaient... il y avait un certain
9 Habarugira Joseph qui travaillait aussi à OCIR, je crois que... Donc, tout le
10 monde des Habarugira sont hutus, donc ce sont les fiançailles entre
11 Hutus qui ont été cassées.
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Q. Oui, et cette dame, elle avait une mère hutue aussi ?
14 R. Je ne sais pas. Dans tous les cas, je précise : Ma femme — elle viendra ici
15 témoigner —, elle s’appelait Isabelle Uzanyinzoga. Son père est hutu de
16 Gitarama, mais sa mère est tutsie. Ensuite, mon petit frère Musabe
17 Pasteur, quand il s’est marié, cette fois-ci, quand il a pris une autre
18 fiancée, il a pris une Tutsie de Butare. Sa femme Josiane Gatungo, elle
19 était à Bruxelles, c’est une Tutsie de Butare. Vous avez pu voir dans ce
20 communiqué, on parle du grand frère de cette femme-là, Célestin
21 Sebulikoko qui est tutsi ; c’est marqué dessus. Donc, la nouvelle femme
22 de mon petit frère est « un » Tutsi, même aujourd’hui. Donc, le problème
23 de considération ethnique, c’est pas ça qui a motivé que ces fiançailles
24 ont cassé.
25 Me CONSTANT :
26 Q. Quelques précisions, Colonel... Quelques précisions, Colonel, sur ce que
27 vous venez de dire. Vous rejetez donc l’accusation que la rupture entre
28 Madame Jeanne Habarugira et votre petit frère a des causes ethniques ?
29 R. Pas du tout, puisque les deux étaient hutus. Et la fille et Musabe étaient
30 des Hutus et que, par après, Musabe s’est marié avec une Tutsie qui a un
31 père tutsi et une maman tutsie. Donc ça ne tient pas debout.
32 Q. Est-ce que vous pouvez rappeler le nom de la femme de votre frère ?
33 R. Josiane Gatungo. « Gatungo » : G-A-T-U-N-G-O.
34 Me CONSTANT :
35 C’est le nom 39 sur la liste.
36 Q. Bon. Et vous avez parlé d’une autre personne qui est le frère de Madame

58 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 28


59 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Josiane Gatungo ; est-ce que vous pouvez rappeler son nom ?


2 R. Célestin Sebulikoko. J’épelle :...
3 Me CONSTANT :
4 N’ayez crainte. C’est le numéro 146 sur la liste des noms et des
5 appellations.
6 Q. Ce Monsieur Célestin Sebulikoko… Est-ce que vous pouvez revenir au
7 communiqué que vous avez, Monsieur... Colonel ?
8 R. Oui.
9 Q. Et je voudrais que vous regardiez à la première page, dans le premier
10 paragraphe : Est-ce que l’on parle de ce Monsieur ? Et quand vous aurez
11 son nom, est-ce que vous pouvez lire la phrase le concernant ?
12 R. Oui, je l’ai.
13 Q. Je vous en prie.
14 R. « Monsieur Célestin Sebulikoko, Tutsi, s’est réfugié durant les
15 événements de 1994 dans la zone de Byumba, contrôlée par le Front
16 Patriotique Rwandais. Il y a été tué par les militaires du FPR. »
17 Q. Parfait.
18 M. LE PRÉSIDENT :
19 Maître Constant, ce que nous avons ici, c’est que vous lisez le premier
20 paragraphe à la première page ; c’est bien ce que vous avez dit ? Et est-
21 ce que vous parlez du communiqué 48/99 ?
22 Me CONSTANT :
23 Oui, Monsieur le Président. Quand je parle du premier paragraphe, c’est
24 dans la première partie, entre le titre « Rwanda, assassinat de Monsieur
25 Pasteur Musabe à Yaoundé », et le deuxième titre « Les motifs de son
26 assassinat ». Et le nom Sebulikoko vient à la septième ligne... à « l’avant-
27 septième » dernière ligne du paragraphe en question.
28 Q. Est-ce que vous confirmez donc que Monsieur Sebulikoko était bien un
29 Tutsi ?
30 R. Oui.
31 Q. Est-ce que vous le connaissiez ?
32 R. Mais le beau-frère de mon petit frère, c’est moi qui ai organisé les
33 fiançailles, c’est moi qui ai tout fait. Bien sûr !
34 Q. Donc, si je comprends bien, vous ne vous êtes pas opposé au mariage de
35 votre frère avec Madame Josiane Gatungo qui était tutsie ?
36 R. Pas du tout ! Et même Célestin Sebulikoko, c’était un ami intime à moi.

60 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 29


61 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Qu’est-ce que vous entendez par « mon ami intime » ?


2 R. Mis à part qu’il était le beau-frère de mon petit frère, nous avions des
3 relations particulières entre nous deux.
4 Q. Vous aviez, dans vos fréquentations, un Tutsi ?
5 R. Vous dites ?
6 Q. Je pose une question. Je sais qu’elle est provocatrice, mais étant donné
7 ce qu’on a écrit sur vous et ce qui est dans l’Acte d’accusation, je vous
8 demande : Est-ce que vous aviez un ami intime qui pouvait être tutsi ?
9 R. Absolument oui.
10 Q. Est-ce que vous pouvez nous confirmer ou non que cette personne a été
11 assassinée en 94 ?
12 R. Oui.
13 Q. Et est-ce que vous connaissez les conditions de son assassinat ?
14 R. Il vivait à Kigali en 1994. Le 6 avril, lors de l’attentat contre l’avion du
15 Président Habyarimana, il vivait dans le quartier Kacyiru, près de l’hôtel
16 Méridien. Quand le FPR a attaqué, ce fut, en fait, la zone qui est tombée
17 la première — c’est Kacyiru et Remera — entre les mains du FPR. Donc, il
18 est tombé immédiatement après l’attaque du FPR du 7, dans l’après-
19 midi, il est tombé dans la zone du FPR. Mais aussi, comme il avait un
20 gendre membre du FPR... dans les combats du FPR, il croyait que...
21 — un gendre tutsi, bien entendu, qui était militaire du FPR — il croyait
22 que cela allait suffire pour qu’il soit protégé par le FPR, et il est parti avec
23 les gens que le FPR conduisait à Mulindi. Arrivé là-bas, il a été identifié
24 comme... Je dis ce que j’ai appris ultérieurement : Qu’il a été identifié
25 comme… oui, un Tutsi, mais un Tutsi traître. Parce que ce Sebulikoko, je
26 le sais, était membre du MRND et, de surcroît, il était beau-frère de
27 Musabe et en liaison avec Bagosora. Il a été assassiné pour ces raisons.
28 M. LE PRÉSIDENT :
29 Q. Quelle était la position de ce Monsieur dans la société — Monsieur
30 Sebulikoko ?
31 R. Sebulikoko, c’était un entrepreneur ; il construisait des maisons et il avait
32 des magasins de matériel de construction. Il était bien connu à Kigali.
33 Q. Donc, il était dans les affaires, dans le secteur privé ?
34 R. Oui.
35 Q. Et son niveau au... en ce qui concerne le MRND ?
36 R. Il était membre du MRND, mais il n’était pas dans le comité central du

62 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 30


63 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 parti. Il était membre du MRND, mais connu comme tel.


2

3 Me CONSTANT :
4 Nous y retournerons, mais en attendant, que Monsieur Matemanga
5 distribue ces deux pièces qui sont... ce qui correspond à la pièce 3 sur la
6 liste des documents.
7 M. LE PRÉSIDENT :
8 Alors, vous voulez maintenant verser ces deux documents en preuve ?
9 Me CONSTANT :
10 Oui, Monsieur le Président, on peut les verser en preuve dès à présent. Je
11 continue sur Monsieur Pasteur, mais on peut déposer... Mais je pense
12 qu’on peut faire un seul document avec, parce que c’est le même
13 document, sinon qu’il y a un communiqué ; c’est le même communiqué
14 qui a paru dans un journal ivoirien, Monsieur le Président.
15 M. LE PRÉSIDENT :
16 Oui. Alors, est-ce que vous voulez commencer avec le communiqué
17 48/99 qui sera « D. B 198 » ?
18 Et est-ce que vous voulez aussi cet extrait de journal ?
19 Me CONSTANT :
20 Ce que je propose, Monsieur le Président, c’est que le communiqué fasse
21 « D. B 198 A » et l’article du journal fasse « 198 B » .
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Très bien. Pas de problème, je pense.
24

25 (Admission des pièces à conviction D. B 198 A et B)

27 Me CONSTANT :
28 Monsieur le Président, avec votre autorisation, je souhaiterais qu’on
29 distribue les deux pièces qui sont sur le numéro 3 de ma liste. Qu’on
30 « la » remette au témoin.
31 Q. En attendant, Colonel Bagosora, est-ce que vous voulez dire qu’à travers
32 le cas de Monsieur Célestin Sebulikoko, nous avons un Tutsi qui aurait été
33 assassiné par le FPR du fait de son engagement politique au sein du
34 MRND ?
35 R. Oui.
36 Q. Est-ce que c’est le seul cas que vous connaissez ou bien il y en a

64 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 31


65 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 d’autres ?
2 R. Il doit y en avoir d’autres, puisque quand nous fuyiions le pays, il y a des
3 Tutsis qui ont fui avec nous et dont les membres de la famille ont été
4 décimés. Je parle par exemple de Monsieur Kamana. Monsieur Kamana,
5 je ne sais pas dans quel pays il se trouve actuellement, il a fui avec nous.
6 C’est un Tutsi, avec sa famille. Mais le reste de sa famille dans la
7 commune a été décimé. Monsieur Kamana… Je n’ai pas le prénom en
8 tête, mais nous étions en ensemble à Goma en juillet 94.
9 Me CONSTANT :
10 « Kamana », c’est : K-A-M-A-N-A.
11 Q. Et vous voulez dire qu’après, sa famille a été décimée ? Vous voulez
12 dire...
13 R. Ceux qui n’ont pas fui... Ceux qui n’ont pas pu fuir avec lui. Il est de
14 Gitarama.
15 Q. Et quand vous dites qu’elle a été décimée, elle a été décimée, mais par
16 qui, sa famille ?
17 R. Mais je n’étais pas là. De toute façon, lui, s’il a fui, c’est qu’il avait peur
18 du FPR et qu’il nous disait que sa famille a été décimée. J’en ai déduit
19 que c’étaient les gens qu’il a fuis.
20 Q. Mais une précision : Quand sa famille a été décimée, c’est avant ou
21 après la victoire du FPR en juillet 94 ?
22 R. C’est après, quand nous étions à Goma, et... Parce que la frontière Zaïre,
23 aujourd’hui Congo, il n’y avait pas de frontière naturelle, sauf sur la
24 partie du lac Kivu. Donc, nous avons fui, mais il y avait des gens qui
25 retournaient au Rwanda, revenaient, etc. Ils revenaient, ils disaient :
26 « Voilà, maintenant on a détruit votre maison ; votre famille qui est
27 restée, elle a été massacrée.» C’est comme ça que je l’ai appris de lui,
28 c’est lui qui me l’a dit. On se fréquentait à Goma.
29 Q. Est-ce que vous pouvez, Colonel, nous indiquer qu’est-ce que vous avez
30 dans votre main, en prenant un document après l’autre ?
31 M. LE PRÉSIDENT :
32 Oui, « D. B 198 A », Maître Constant...
33 Juste au-dessus de la phrase qui concerne Sebulikoko, il y a une
34 référence à un coaccusé au Cameroun, transféré au TPIR. Est-ce que ce
35 renseignement est exact ?
36 Me CONSTANT :

66 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 32


67 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Vous parlez de la phrase en parlant de Pasteur Musabe : « Il avait été


2 emprisonné au Cameroun le 29 mars 96 parmi les 12 Rwandais
3 présumés génocidaires. Il a été libéré suite à une décision rendue en
4 date du 21 février 97 par une justice camerounaise, tandis que quatre de
5 ses anciens codétenus étaient transférés au Tribunal. » ? C’est ça,
6 Monsieur le Président ?
7 M. LE PRÉSIDENT :
8 Oui, tout à fait. Alors, parmi ces quatre codétenus, il ne peut pas y avoir
9 eu votre client parce que ça, ça eu lieu plus tôt, n’est-ce pas ?
10 Me CONTANT :
11 Je propose que mon client réponde, Monsieur le Président.
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Oui.
14 R. Les quatre détenus, c’est moi, Nahimana, Nsengiyumva... Qui encore ?
15 Ces quatre (inaudible). Et Ntagerura.
16 M. LE PRÉSIDENT :
17 Je vous remercie.
18 Me CONSTANT :
19 Pendant qu’on y est, deux petites précisions à la suite de ce que vous a
20 sollicité le Président comme question.
21 Q. Donc, votre frère a été arrêté, c’est bien ça, en même temps que vous ?
22 R. J’ai été arrêté une semaine avant que... Parce que j’ai été arrêté sur
23 mandat international du Gouvernement belge, du Royaume de Belgique
24 sur l’affaire des Casques bleus. Eux, ils ont été arrêtés sur le mandat
25 international du Gouvernement de Kigali, sur lequel je figurais
26 également. Donc, ils m’ont rejoint en prison une semaine plus tard à
27 Yaoundé.
28 Q. O.K. Et par la suite, votre frère a été libéré ; vous savez au bout de
29 combien de temps environ ?
30 R. Nous avons quitté, je crois, le 23 janvier 1997. Je l’ai laissé en prison à
31 Yaoundé. Quelques mois plus tard, dans le cours de la même année, il a
32 été relâché.
33 Q. À votre connaissance, est-ce que votre frère Pasteur Musabe était
34 poursuivi par le Procureur du TPIR ?
35 R. Mais le Procureur du TPIR, il est passé pour examiner les dossiers. Et
36 c’est à partir du moment où le TPIR n’était pas intéressé par le dossier de

68 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 33


69 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Musabe que le Gouvernement camerounais a décidé de le libérer, parce


2 qu’il ne voulait pas l’extrader au Rwanda sans dossier. Le Gouvernement
3 rwandais avait demandé l’extradition des Rwandais arrêtés, mais n’avait
4 présenté aucun dossier à charge. Alors, le Gouvernement camerounais...
5 Le TPIR n’étant pas intéressé par le dossier de mon petit frère, le
6 Gouvernement camerounais n’ayant pas les éléments nécessaires pour
7 le juger, pour l’extrader, il l’a relâché.
8 Q. Une question précise : Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui, en étant
9 dans le cas de votre frère,
10 à savoir arrêtées à la même période que vous, mais pour lesquelles le
11 Procureur n’a pas eu... — du TPIR — n’a pas souhaité poursuivre, et qui
12 ont été libérées ? Est-ce que vous pouvez donner des exemples, si cela
13 existe ?
14 R. On était 12... On était 12 en prison. Il y a quatre qui sont venus
15 directement en janvier 1997, il en est resté huit. Ultérieurement, on a
16 pris d’autres, le TPIR s’est intéressé à d’autres cas. Barayagwiza et
17 Semanza sont venus ici, à Arusha. Alors, il y a d’autres. Il y a mon petit
18 frère, évidemment, qui est resté là-bas, mais il y a un certain Butera —
19 Butera Jean-Baptiste —, il y a aussi un certain Augustin...
20 Q. Colonel, excusez-moi de vous interrompre. Ma question vise à savoir :
21 Est-ce que, parmi les gens qui ont été arrêtés en même temps et libérés
22 parce que le Procureur du TPIR ne s’y est pas intéressé, est-ce que vous
23 pouvez nous dire s’il y avait un haut militaire… de haut rang ?
24 R. Un militaire ?
25 Q. Oui.
26 R. Non... Ah, oui ! Oui, je m’en souviens, le colonel Muberuka ; le colonel
27 Muberuka Félicien, qui était avec nous.
28 Q. O.K. Vous pouvez d’ores et déjà préciser à la Chambre quelle fonction
29 occupait le colonel Félicien Muberuka le 6 avril 1994 ?
30 R. Le 6 avril 1994, il était le commandant du camp de Kanombe, en même
31 temps commandant opérationnel de la ville de Kigali.
32 Q. D’accord. Très rapidement, ça signifie quoi, être commandant
33 opérationnel de la ville de Kigali ?
34 R. Ça veut dire que toutes les unités qui étaient stationnées dans la ville de
35 Kigali dépendaient de lui d’une manière opérationnelle.
36 Q. Est-ce que vous savez si Pasteur Musabe, votre frère, et Félicien

70 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 34


71 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Muberuka ont été entendus par des représentants du Bureau du


2 Procureur ?
3 R. Pour mon petit frère, Musabe Pasteur, non ; mais pour Muberuka, ils sont
4 passés... ils sont passés le voir, nous étions encore là-bas. On l’appelait,
5 il les voyait, il revenait, il nous disait qu’il vient de rencontrer ces gens-là,
6 sans autre précision.
7 Q. Est-ce que vous avez eu connaissance des déclarations que Félicien
8 Muberuka aurait « fait » aux enquêteurs du Procureur à cette période ?
9 R. Non.
10 Q. Est-ce que vous savez si votre équipe de défense les a demandées ?
11 R. Mon équipe de défense m’a dit « qu’il » les a demandées, mais elle ne
12 m’a jamais dit qu’elle les a obtenues.
13 Q. D’accord. Excusez-moi. Est-ce que vous avez l’article, toujours, du
14 journal ivoirien ?
15 R. On m’a... On me l’a enlevé.
16 Q. Je... Juste une question. Je voudrais que vous regardiez à la cinquième
17 colonne, en bas...
18

19 (Le greffier d’audience remet le document à Monsieur Bagosora)


20

21 ...ce qui est indiqué.


22

23 (Monsieur Bagosora examine le document)

25 R. Ah… Attendez…
26 Q. Vous avez... ?
27 R. À la signature de Matata ?
28 Q. Non, je parle... Oui, absolument, après la signature de Matata, le petit
29 encadré qu’il y a.
30 R. Le petit encadré, oui, je vois.
31 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui est indiqué là ?
32 R. « Pasteur Musabe était un des principaux témoins dans le dossier de
33 André Ntagerura, ancien Ministre des transports et communications
34 actuellement détenu à Arusha, en Tanzanie. Son dossier est défendu par
35 l’avocat ivoirien Maître Fakhy... Fadi... Konate, qui a plaidé... »
36 M. LE PRÉSIDENT :

72 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 35


73 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 On n’a pas besoin du reste, je crois, Maître Constant.


2 Me CONSTANT :
3 On est d’accord. Excusez-moi, Monsieur le Président, de ne pas avoir
4 été... (inaudible), j’étais retenu par autre chose.
5 Q. Est-ce que, simplement, vous confirmez si, oui ou non, votre frère avait
6 l’intention de témoigner ?
7 R. Oui.
8 Q. Est-ce qu’à votre connaissance, il y a d’autres personnes qui devaient
9 témoigner dans des procès devant cette juridiction et qui ont été
10 assassinées avant ?
11 R. Il doit y en avoir, parce que Monsieur Sendashonga avait aussi accepté
12 de témoigner.
13 Q. Je vous propose de remettre ce document, Colonel, et de vous replonger
14 dans les deux documents que je vous ai distribués tout à l’heure, et que
15 vous puissiez me préciser : Le premier document, de quoi il s’agit ?
16 R. Lequel des deux ?
17 Q. Vous choisissez, je vous en prie.
18 R. Il y a le passeport.
19 Q. D’accord. Alors, est-ce que vous pouvez nous dire de quel passeport il
20 s’agit ?
21 R. C’est un passeport délivré par la République rwandaise qui est délivré à
22 Gatungo Josiane.
23 Q. Je vais vous demander un petit exercice parce que nous avons un
24 problème technique, et c’est pour ça que je produis l’original : C’est que
25 la photocopie du passeport est de très mauvaise qualité à cause du fait
26 que le nom qui apparaît dans la page du passeport soit... ait bavé,
27 comme on dit… l’encre ait bavé. Donc, je voudrais que vous alliez à la
28 page où se trouve une photo de ce passeport.
29 R. Je vois.
30 Q. D’accord. Et je voudrais que vous lisiez précisément le nom qui est
31 indiqué en face du titulaire.
32 R. Le nom du titulaire, c’est Gatungo Josiane.
33 Q. Est-ce que vous pouvez rappeler ou indiquer à la Chambre qui est
34 Gatungo Josiane ?
35 R. C’est la femme de mon petit frère Musabe Pasteur.
36 Q. Est-ce que vous confirmez ou vous infirmez que la photo qui se trouve

74 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 36


75 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 sur cette même page est celle de votre belle-sœur ?


2 R. Absolument oui.
3 Q. Je voudrais que vous alliez à la page suivante. Vous tournez la page,
4 c’est-à-dire celle qui commence par « Le présent passeport a été délivré
5 sur présentation... », etc. Est-ce que vous y êtes ? La page 4.
6 R. Oui, je crois oui, je vois, je vois, oui.
7 Q. Et je voudrais que vous indiquiez… Sur cette page, qu’est-ce qui est
8 indiqué ?
9 R. La... « Le passeport a été délivré sur présentation de la carte d’identité
10 n° 27/180 délivrée à Karago, Gisenyi, le 16 août 1988. » Avec l’ancien...
11 « PPM », mais je ne sais pas exactement ce que c’est.
12 Q. Est-ce que vous pouvez continuer ?
13 R. Alors en dessous, il y a « noms et prénoms des enfants », des enfants
14 donc accompagnant le titulaire. Vous avez Musabe Yvette, qui est née le
15 8 octobre 1986, et Musabe Égide qui est né le 15 mars 1989.
16 Q. D’accord. Est-ce que vous connaissez ces deux enfants ?
17 R. Absolument oui.
18 Q. D’accord. Je voudrais que vous passiez au document suivant et que vous
19 nous précisiez de quoi il s’agit.
20 R. Ici, c’est un document délivré par le Royaume de Belgique de
21 l’arrondissement administratif de Bruxelles capitale, ville Bruxelles. Alors,
22 ça donne la composition de ménage de Gatungo Josiane.
23 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous préciser quand ce document a
24 été délivré ?
25 R. Attendez. Il a été délivré à Bruxelles le 9 mai 2005.
26 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous dire, concernant cette
27 composition de famille, qu’est-ce qu’on dit de la première personne ?
28 R. Gatungo Josiane, née le 23 juin 1962 à Ntyazo, Butare, Rwanda.
29 Q. Est-ce que nous sommes d’accord, Colonel, qu’il s’agit de la même
30 personne dont le nom est sur le passeport ?
31 R. Oui.
32 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez indiquer comment... la profession de
33 cette personne ?
34 R. C’est une infirmière.
35 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez, après la profession, nous indiquer ce
36 qui est indiqué ?

76 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 37


77 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. C’était... Elle est veuve depuis le 15 février 1999 au Cameroun, de


2 Musabe Pasteur.
3 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
4 Maître, en fait, c’est pas vous, c’est surtout le témoin qui n’observe pas
5 la pause, parce que c’est quand il intervient que les sténographes
6 semblent se plaindre.
7 Me CONSTANT :
8 Colonel, je vous propose de collaborer avec les sténographes qui ont
9 quelques difficultés — et la balayeuse — à vous suivre. Donc, c’est que
10 vous parlez plus lentement.
11 R. O.K.
12 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
13 Excusez-nous, Maître, ce n’est pas le débit, c’est qu’il intervient
14 immédiatement après votre question.
15 M. LE PRÉSIDENT :
16 L’autre difficulté, maintenant, c’est : Pourquoi nous faisons tout ça ?
17 Me CONSTANT :
18 N’ayez crainte, Monsieur le Président, nous allons y arriver.
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Bientôt ?
21 Me CONSTANT:
22 Absolument. Deux questions encore et on y arrive, Monsieur le Président.
23 Q. Je voudrais que vous précisiez quelle est, à part Madame Josiane
24 Gatungo, la composition de la famille qui est indiquée dans ce
25 document ?
26 R. Il y a, au numéro 2, Musabe Yvette et, au numéro 3, Musabe Égide.
27 Q. D’accord. Bon, pour satisfaire Monsieur le Président : Il y a un témoin
28 qu’on appelle « BJ » qui a témoigné devant cette Chambre le 15 avril de
29 cette année... non, le 15 avril 2004 ; et ce témoin a donné des éléments
30 permettant de comprendre, selon elle, comment, en gros, elle avait été
31 capable de connaître votre voix. Est-ce que vous vous souvenez de quoi
32 je parle ?
33 R. Oui.
34 Q. D’accord. Et ce témoin a prétendu être... avoir été présent à une fête qui
35 s’était tenue chez votre frère ; est-ce que vous vous souvenez ?
36 R. Je m’en souviens.

78 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 38


79 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. D’accord. À la page 57 du script du jour déjà cité, à la ligne 3, elle


2 soutient que cette fête était faite pour donner le nom de l’enfant avant le
3 baptême.
4 R. Oui.
5 Q. Est-ce que vous pouvez expliquer à la Chambre c’est quoi cette fête ?
6 R. Une fête... Au Rwanda, on donne le nom à l’enfant qui naît dans les huit
7 jours... le huitième jour, sauf s’il y a des raisons particulières telles que la
8 maladie, qui empêchent... C’est une fête familiale très importante. Le
9 huitième jour, on donne le nom à l’enfant qui est né.
10 Q. Est-ce que vous pouvez nous indiquer ça signifie quoi « on donne le nom
11 à l’enfant » ? Et qu’est-ce que ça signifie par rapport au baptême
12 catholique ?
13 R. Dans le temps, au Rwanda, on devait faire baptiser les enfants dans les
14 huit jours. Mais avec l’évolution du temps, c’était pas toujours le cas.
15 Mais pour donner le nom, là, c’était strict, dans les huit jours ; le
16 huitième jour, il faut donner le nom à l’enfant.
17 Q. Une question pour nous éclairer : Le nom catholique ou un nom
18 rwandais ?
19 R. Un nom rwandais.
20 Q. Pourquoi ?
21 R. Mais en général, on donne le nom... on donne tous les noms qu’on veut
22 donner par... d’ailleurs, tout le monde participe à cette cérémonie, celui
23 qui a un nom, il le donne. Des fois, ce sont les noms des participants qui
24 ne sont pas nécessairement le parent qui (inaudible). Donc, c’est une
25 cérémonie où on vient donner le nom à l’enfant et chacun donne le nom.
26 C’est une cérémonie, bon. Et même le nom, disons, de baptême sur
27 lequel il sera baptisé, il est donné à ce moment-là ; on lui donne le nom,
28 le nom, disons, indigène, et puis, on lui donne le nom...
29 M. LE PRÉSIDENT :
30 Maître Constant, est-ce que ce que vous voulez avoir, c’est, en fait, la
31 date de naissance des deux enfants ? Vous essayez de comparer cela à
32 la déposition ? Est-ce cela ?
33 Me CONSTANT :
34 Oui, Monsieur le Président.
35 M. LE PRÉSIDENT :
36 Essayez, en fait, d’aider votre client à y arriver. Donc, essayons d’arriver

80 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 39


81 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 à ce point maintenant, essayez de nous aider, Maître Constant.


2 Me CONSTANT :
3 Je vais surtout essayer d’aider la Chambre parce que mon client, je
4 pense qu’il n’a pas besoin d’aide.
5 Q. La thèse qui était exposée par le témoin BJ : Elle a dit qu’il y avait une
6 fête chez votre frère à la fin de l’année 93, et quand on lui a posé une
7 question, à savoir la page 58, la ligne 7, je lui ai demandé : « Le nouveau
8 né dont était... dont on donnait le prénom était qui ? », elle a dit : « Le
9 nouveau né était le fils de la personne dont vous avez marqué le nom. »
10

11 Donc, ma question est celle-ci, Témoin : Est-ce qu’en fin 93, il y a eu une
12 fête pour donner le nom chez votre frère, Pasteur Musabe, pour un
13 enfant à lui qui venait de naître et où vous seriez intervenu ?
14 R. Musabe Pasteur n’a eu que les deux enfants là-bas que vous voyez. Le
15 premier, il est né... la date de naissance, vous la voyez, c’était en 86 ; et
16 le dernier, c’était en 89. Alors, voyez-vous, en 93, six ans plus tard, ce
17 n’est pas possible qu’on aille donner le nom à une personne qui a déjà
18 six ans.
19 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez affirmer que vous n’avez pas eu un
20 neveu qui est né en 93 et qui serait décédé ?
21 R. Pas du tout. Il n’a eu que deux enfants, c’est vérifiable. Sa femme est là,
22 les deux enfants sont là, sont grands. En 93, ils étaient déjà grands, ils
23 connaissaient les gens. C’est vérifiable, il n’a eu que deux enfants.
24 Me CONSTANT :
25 Monsieur le Président, je peux passer à autre chose. On peut déposer ces
26 deux pièces. Je propose de déposer les originaux — j’ai l’autorisation du
27 propriétaire.
28 M. LE PRÉSIDENT :
29 Très bien. La proposition, c’est de verser en preuve l’original du
30 passeport comme première pièce.
31 Et ce document qui... en fait, la dernière page, je crois, c’est le deuxième
32 document.
33

34 Vous voulez que ce soit le même numéro pour faciliter les choses ?
35 Me CONSTANT :
36 Oui, Monsieur le Président. C’est deux documents différents : Il y a un

82 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 40


83 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 passeport, il y a une fiche familiale. Mais il n’y a pas de problème qu’on


2 les mette sous le même numéro.
3 M. LE PRÉSIDENT :
4 Oui, Monsieur Matemanga ?
5 M. MATEMANGA :
6 « D. B 199 ».
7 M. LE PRÉSIDENT:
8 « A » pour l’original du passeport et « B » pour cette composition de
9 ménage, ce qui a été délivré en Belgique le 9 mai 2005.
10

11 Mme MULVANEY :
12 Monsieur le Président, on n’a pas d’objection, mais on ne comprend pas
13 la légitimité de ces documents.
14 M. LE PRÉSIDENT :
15 Nous en prenons bonne note.
16 Me CONSTANT :
17 La traduction m’a dit « légitimité ». C’est « légitimité » ou « légalité » ?
18 Je n’ai pas très bien compris la non-objection de mon confrère.
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Le mot anglais, c’était « légitimité ».
21

22 (Admission des pièces à conviction D. B 199 A et B)


23

24 Me CONSTANT:
25 Nous plaiderons, donc, Monsieur le Président, je ne vais pas y retourner.
26 Q. Colonel, est-ce que vous pouvez... — puisque nous aurons l’occasion de
27 reparler de votre frère Pasteur Musabe — mais en l’immédiat, nous parler
28 du troisième membre de votre famille, de la fratrie ?
29 R. C’est ma deuxième sœur, Régine Uwamariya.
30 Me CONSTANT :
31 C’est le numéro 158 sur la liste.
32 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’elle est devenue ?
33 R. Elle a été assassinée en Belgique, en décembre 2000.
34 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser quelle était son activité avant 96...
35 avant 94, au Rwanda ?
36 R. Elle était chef du personnel dans le projet qu’on appelait GBK.

84 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 41


85 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Est-ce que vous pouvez préciser c’est quoi, le projet GBK ?


2 R. C’est une abréviation qui dit, je crois « Gishwati »… bon, non, je ne vois
3 pas exactement, mais...
4 Q. Bon, c’est... si vous ne savez pas, de toute façon...
5 R. Je donne l’abréviation, c’est : GBK. Seulement, je n’ai pas la... c’est une
6 abréviation.
7 Q. O.K. Est-ce que vous pouvez nous indiquer ce qui est arrivé à votre sœur
8 ou ce qu’elle est actuellement ?
9 R. Je viens de dire qu’elle a été assassinée à Bruxelles en décembre 2000.
10 Q. Est-ce que vous connaissez les raisons de son assassinat ?
11 R. Non.
12 Me CONSTANT :
13 Monsieur Matemanga, est-ce que, sous l’autorisation de la Chambre,
14 vous pouvez présenter un ensemble de documents à mon client ? Il
15 s’agit des pièces 4, 5, 6 qui sont indiquées...
16 (Le greffier d’audience s’exécute)
17

18 Q. Colonel, en attendant, est-ce qu’aujourd’hui, c’est-à-dire plus de quatre


19 ans après son assassinat, est-ce que l’on connaît les causes et les
20 assassins de votre sœur ?
21 R. Non.
22 Q. D’accord. Vous avez devant vous un certain nombre de documents. Est-
23 ce que vous pouvez nous dire de quoi il s’agit ?
24 R. Je peux commencer par n’importe lequel ?
25 Q. Je vous en prie.
26 R. Il y a un extrait du journal... je vois pas le titre... le nom du... Bon, l’article
27 commence par : « Maman a disparu. »
28 Q. Est-ce que vous pouvez dire, dans l’encadré qui se trouve en bas... — si
29 vous voyez, là —, est-ce que vous pouvez indiquer de quoi il s’agit ?
30 R. Là où se trouve la photo ?
31 Q. Non. Il y a un encadré au milieu de l’article...
32 R. Attendez voir.
33 Q. ... qui commence par : « Le nom. »
34 R. Oui. « Le nom de Bagosora est associé aux massacres des paras
35 belges. »
36 Q. D’accord. La photo qui se trouve dessus, vous pouvez l’identifier ?

86 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 42


87 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Oui, c’est bien Régine, ma sœur.


2 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous indiquer qu’en est-il des autres
3 documents ?
4 R. Il y a la lettre adressée à « Monsieur Jean Coumans, juge d’instruction,
5 Palais de Justice à Bruxelles. »
6 Q. C’est une lettre qui a été écrite par qui, Monsieur ?
7 R. C’est une lettre qui a été écrite par le... par... faut voir en dernière page :
8 Par Monsieur Gilles Vanderbeck qui était avocat de la famille de ma sœur.
9 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez rapidement nous dire ce qu’il y a dans
10 cette lettre ?
11 R. En résumé, il dit que la thèse de dire que ma sœur était morte d’une
12 mort naturelle, que ce n’était pas vrai, qu’il s’agissait bien d’un
13 assassinat. Et il demandait à ce qu’une enquête soit ouverte et
14 poursuivie.
15 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser ce qu’était le troisième document
16 et, rapidement, son contenu ?
17 R. Le troisième document, c’est ma lettre que j’ai écrite au même juge
18 d’instruction, Monsieur Jean Coumans.
19 Q. Et qu’est-ce que vous dites dans cette lettre, brièvement ?
20 R. Je venais d’avoir la copie de... Je venais d’avoir la copie de l’avocat de
21 Régine. Et quand j’ai lu et que j’ai vu qu’en fait, la thèse d’une mort
22 naturelle était écartée et que c’était un assassinat, j’ai pensé que je
23 devais fournir certaines informations pour les verser au dossier, parce
24 que c’était le deuxième assassinat dans ma famille. Après une année, il y
25 a mon petit frère qui travaillait dans mon dossier ;
26 il y a aussi ma sœur qui venait d’être assassinée. Avant de partir en
27 Europe, elle m’avait rendu visite ici, à l’UNDF. Elle était aussi mon
28 témoin. Alors, j’ai commencé à me poser des questions de savoir s’il n’y
29 avait pas des gens qui étaient en train d’assassiner mes frères, mes
30 sœurs, parce qu’ils peuvent m’aider dans le procès. Et c’est ainsi que j’ai
31 rassemblé... j’ai rassemblé les éléments que j’avais sur moi pour les
32 verser au dossier pour que le juge d’instruction puisse aussi les tenir en
33 considération avec les autres éléments qu’il pourrait trouver pour
34 l’enquête.
35 Q. O.K. En conclusion sur ce point, vous confirmez qu’à ce jour, il y a deux
36 de vos frères et sœurs qui ont été assassinés sans qu’on ne sache

88 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 43


89 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 comment et par qui ?


2 R. Oui.
3 Q. Est-ce que vous pouvez préciser sur quel thème Régine devait témoigner
4 dans votre procès ?
5 R. Vous avez pu voir évidemment le Procureur, peut-être qu’il a trouvé que
6 ce n’était pas vrai, il n’a pas amené les témoins, mais le 7, on disait que
7 j’avais été à Rambura — le 7 avril 1994 —, que j’avais fait des réunions à
8 Rambura suite auxquelles les prêtres de Rambura, les coopérants... les
9 coopérants belges au collège de Kibihekane avaient été tués, et ils ne
10 disaient pas que c’est moi qui les ai tués, mais ils voulaient m’associer à
11 ces réunions que j’avais tenues le 7 avril. Le Procureur n’a pas amené
12 ces témoins. Mais aussi en Belgique — puisque je vous dis que j’ai été
13 arrêté sur le mandat belge aussi —, j’avais aussi un dossier, et le dossier
14 est encore là certainement. Une partie a été versée ici dans le dossier
15 TPIR, mais il est resté un autre dossier spécialement sur la mort des
16 coopérants belges qui étaient à Kibihekane. Donc, pour moi c’était... elle
17 était... Régine était pour moi un témoin d’alibi pour le 7 avril, au sujet
18 des massacres des trois prêtres de Rambura et des trois coopérants
19 belges qui enseignaient au collège Kibihekane.
20 Me CONSTANT :
21 O.K. Le nom du collège que vous avez donné, c’est : K-I-B-I-H-E-K-A-N-E ;
22 c’est bien ça ?
23 R. Oui, oui.
24 Q. D’accord. Pour bien préciser les choses, Colonel, et pour que la Chambre
25 saisisse, parce que vous avez dit beaucoup de choses, là : Vous dites
26 qu’à un moment donné, le Procureur a communiqué des déclarations de
27 témoins ; c’est bien ça ?
28 R. Oui.
29 Q. Et ces déclarations vous impliquaient dans quoi ?
30 R. Que j’avais tenu une réunion le 7 avril 1994, à Kibihekane.
31 Q. D’accord. Et qu’est-ce qui se serait passé d’autre le 7 avril 1994, au
32 collège de Kibihekane ?
33 R. Ce qui s’est passé là-bas, c’est l’assassinat des trois coopérants.
34 Q. Donc, vous voulez dire que... donc, et vous dites que votre sœur Régine
35 devait témoigner sur ce point ?
36 R. Particulièrement.

90 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 44


91 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Et finalement, ces témoins du Procureur, vous dites ?


2 R. Les témoins du Procureur ne sont pas venus à charge à ce sujet.
3 Q. Et vous reliez cela à l’assassinat de votre sœur ?
4 R. Pas nécessairement. Je dis moi, ce qui m’a un peu inquiété — parce que
5 je n’étais pas le seul réfugié en Europe ou en Afrique —, avoir deux
6 assassinats successifs, l’un après l’autre, ça m’a posé des problèmes. Il
7 fallait pouvoir le justifier, pourquoi ces gens sont assassinés, parce que
8 tous les réfugiés ne sont pas assassinés. Et puis, peut-être pour Musabe,
9 parce que c’était quand même un homme d’une certaine stature, où je
10 pouvais dire qu’il était connu par le FPR, qu’il était connu, qu’il pouvait
11 avoir d’autres haines lui appartenant ou bien qu’ils savaient que c’est
12 l’homme sur qui je comptais, mais pour ma sœur Régine qui venait de
13 fuir le Rwanda, elle venait de passer là-bas, elle a fait deux, trois ans
14 sans être tuée par le FPR, je me suis posé la question de savoir si c’est
15 d’abord le FPR qui a laissé la femme partir, qui aurait encore mobilisé les
16 gens pour aller la tuer là-bas alors qu’ils pouvaient l’avoir tuée avant au
17 Rwanda. En fait, j’ai commencé à me poser des questions à ce sujet. Et
18 c’est pour cela que j’écris, je fais toute les hypothèses. Je dis... mais bon,
19 de toute façon, c’est l’enquêteur, c’est le Procureur qui doit faire ces
20 investigations. J’ai voulu donner les informations qui étaient à ma
21 disposition.
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Maître Constant, cet épisode du 7, il n’est pas mentionné dans l’Acte
24 d’accusation, n’est-ce pas ?
25 Me CONSTANT :
26 Monsieur le Président, je ne sais plus ce qui est mentionné ou non,
27 puisque le Procureur a une thèse qui consiste à dire que tous les
28 massacres qui ont eu lieu au Rwanda sont de la responsabilité de
29 Bagosora. Je précise quand même qu’il y a dans l’Acte d’accusation — je
30 peux chercher l’article —, la thèse du Procureur que Bagosora a appelé,
31 à Gisenyi, le Coaccusé Anatole Nsengiyumva pour pouvoir déclencher
32 des assassinats. Mais si la Chambre veut, je peux produire les... les
33 déclarations du Procureur, communiquées par le Procureur, concernant
34 ces assassinats en particulier.
35

36 Mais pour dire les choses, j’ai pratiquement terminé, Monsieur le

92 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 45


93 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Président, sur ce point.


2 M. LE PRÉSIDENT :
3 Oui. Mais voyez-vous, c’est juste une tentative pour essayer de
4 comprendre. Dans votre plan, vous faites référence au 6.49 dans l’Acte
5 d’accusation ; est-ce que vous faites le lien avec les frères et soeurs ?
6 Parce que je me demandais si c’était le paragraphe pertinent par rapport
7 à ce que nous entendons maintenant, mais apparemment non, ça
8 semble être un point différent. C’est différent, n’est-ce pas ?
9 Me CONSTANT:
10 « 6.49 », c’est en relation avec « BJ » , Monsieur le Président.
11 M. LE PRÉSIDENT :
12 Exactement. Donc, il s’agit d’un point différent. Donc, nous avons besoin
13 de comprendre de quoi nous parlons ici. Alors, cet Acte d’accusation est
14 en date du 12 août 99. Et c’est la raison pour laquelle je me demande si
15 cet épisode spécifique qui, selon ce que nous venons d’entendre,
16 pourrait soulever certaines questions, s’il était nécessaire... s’il figure
17 dans l’Acte d’accusation. Et donc, je ne sais pas si ça fait partie de la
18 thèse du Procureur.
19 M. WHITE :
20 Le Procureur ne pense pas que cela se retrouve dans l’une ou l’autre des
21 formes de l’Acte d’accusation depuis 96.
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Bien. Alors, que reste-t-il ?
24

25 Vous avez fait référence à une déclaration de témoin ; ça, je l’ai entendu.
26 Me CONSTANT :
27 Monsieur le Président, je m’explique, sans être trop long. Il faut bien
28 comprendre qu’avant que ce procès ait commencé, nous avons eu la
29 communication d’environ 800 déclarations dont 120 parlaient de
30 Bagosora. Et nous avons des témoins qui disaient des choses sur
31 Bagosora : Qu’il était l’amant de la Présidente, qu’il a organisé l’attentat,
32 qu’il a tué telle personne, qu’il était à tel endroit, qu’il était à tel autre
33 endroit. Et moi, ce que je veux simplement établir, c’est qu’aujourd’hui,
34 là, dans le cas précis, il y avait un témoin sur des choses que disait le
35 Procureur dans... à travers un certain nombre de témoins. Certes, ce
36 n’est pas venu aujourd’hui, depuis... parmi les 82 témoins du Procureur,

94 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 46


95 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 mais il me paraît important que la Chambre sache qu’il y avait des


2 choses affirmées par des témoins rencontrés par le Bureau du Procureur,
3 qui « n’a » même pas été assez crédible pour venir en audience. C’est ça
4 que je veux établir, Monsieur le Président. Mais j’ai terminé sur ce point.
5 On peut passer à autre chose.
6 M. LE PRÉSIDENT :
7 Oui, ce n’est pas uniquement la question du temps passé, mais de la
8 compréhension pendant tout cet exercice. Et je présume que ce que
9 vous voulez dire ici, c’est que des témoins ont disparu de façon violente
10 et que ces témoins auraient pu déposer à décharge de votre client. Et il
11 semble maintenant qu’en ce qui concerne ce point particulier, il n’y ait
12 pas de problème, parce qu’en fait, il n’y a pas de déposition sur cet
13 événement spécifique. Donc, cela n’a pas vraiment joué de rôle en la
14 présente affaire. Est-ce qu’il y a quelque chose qui reste encore au
15 niveau de ce point ?
16 Me CONSTANT :
17 Monsieur le Président, il n’y a rien directement, puisque le Procureur n’a
18 pas amené ses témoins sur ce point comme sur d’autres points, mais il
19 m’apparaît important que la Chambre soit au courant des conditions
20 dans lesquelles cette dame a été assassinée. Même si mon client a la...
21 l’honnêteté de dire qu’il se pose la question et qu’il n’accuse personne.
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Très bien. Cela me semble équitable. Alors, les circonstances derrière la
24 mort de sa sœur... nous n’avons rien cité au niveau du deuxième
25 document, mais je crois comprendre que ce qui se passe ici, c’est que
26 Maître Vanderbeck fait des commentaires sur les résultats de l’autopsie
27 et il conteste, en fait, ces résultats. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
28 Me CONSTANT :
29 Ce que je veux dire, Monsieur le Président, ce que je veux établir, c’est
30 que les conditions de la mort de la sœur de mon client ont été assez
31 suspectes pour qu’il y ait une enquête criminelle, un juge d’ instruction
32 de désigné, et que mon client a écrit aussi à ce juge d’instruction. Et ce
33 que je veux faire valoir auprès de la Chambre, ici, c’est qu’il y a deux
34 frère et sœur de mon client qui ont été assassinés et que, juqu’à présent,
35 on n’a pas retrouvé les assassins. Je pense que c’est un élément
36 d’appréciation pour la Chambre de la situation rwandaise.

96 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 47


97 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 Donc, je propose de poser une dernière question à mon client sur les
3 documents, Monsieur le Président, et éventuellement de déposer... de
4 passer à un autre membre de la famille.
5 M. LE PRÉSIDENT :
6 Oui. Mais est-ce qu’il est inconstesté dans ce dossier que la sœur ait été
7 assassinée ? Parce que vous ne nous avez pas montré dans quelle partie
8 du document on voit les conclusions du médecin légiste. Est-ce que vous
9 pouvez nous aider à mieux comprendre ce deuxième document que nous
10 n’avons pas vraiment abordé ?
11 Me CONTANT :
12 Monsieur le Président, il y a des moments donnés où vous me dites
13 d’aller vite, il y a d’autres moments donnés où vous voulez que je rentre
14 dans les détails. Je suis prêt à rentrer dans les détails et à les affronter.
15

16 Mais pour en finir, il faut savoir que jusqu’à présent, ce dossier


17 d’instruction, qui a commencé il y a près de cinq ans, n’est pas terminé.
18 Et que la famille de Bagosora a, malheureusement, l’inconvénient d’être
19 face à une justice qui n’est pas très diligente. Mais si vous voulez,
20 Monsieur le Président, je rentre dans les détails.
21 M. LE PRÉSIDENT :
22 Très bien. Parce qu’il y a un manque de clarté.
23

24 Alors, vous aviez une autre question ?


25 Me CONSTANT :
26 Q. Témoin, est-ce que vous pouvez reprendre l’article « Maman a
27 disparu » ? Vous l’avez ?
28 R. Oui.
29 Q. Est-ce que vous pouvez lire et, s’il y a lieu, commenter, dans la
30 deuxième colonne, le deuxième paragraphe qui commence par : « Venue
31 en Belgique » ?
32

33 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
34 Votre micro, Monsieur le Témoin.
35 R. « Venue en Belgique à la fin des massacres, Régine s’est installée à
36 Molenbeek. Selon certaines sources, son mari et d’autres membres de sa

98 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 48


99 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 famille ont été assassinés. Régine aurait reçu elle aussi des menaces de
2 mort du FPR. »
3 Me CONSTANT :
4 Q. Est-ce que vous confirmez ce point ?
5 R. Oui,
6 Q. Deuxièmement, concernant le débat posé par Monsieur le Président sur
7 les conditions de la mort de votre soeur, est-ce que vous pouvez prendre
8 la lettre de mon confrère Vanderbeck et aller à la page 3 ?
9 R. Oui.
10 Q. Est-ce que vous avez une lettre... une page qui commence par « La
11 réponse proximus » ?
12 R. Oui.
13 Q. O.K., d’accord. Je voudrais que vous lisiez le cinquième... Il y a un
14 moment donné, au troisième paragraphe, c’est marqué
15 « cinquièmement », est-ce que vous pouvez lire cette partie ?
16 R. Oui, je vois. « Je note que dans ce rapport d’autopsie de Madame
17 Uwamariya, daté du 17 décembre 2000, le docteur Sepui... Sepulchre
18 signale la découverte de la présence dans la cavité buccale,
19 apparemment d’ouate d’aspect noirâtre ; ouate remise au représentant
20 de la police judiciaire présent sur place. »
21 Q. D’accord. Est-ce que vous étiez au courant de cette information ?
22 R. J’ai été au courant quand j’ai reçu cette copie.
23 Q. D’accord. Est-ce que, dans votre connaissance de cette lettre, est-ce que
24 vous pouvez résumer quelle est la démarche de mon confrère
25 Vanderbeck ? Qu’est-ce qu’il... Pourquoi il critique le juge d’instruction ?
26 R. Il dit qu’il n’a pas tenu compte de tous les éléments pour conclure que ce
27 n’était pas... que c’était une mort naturelle.
28 Q. Et est-ce qu’il formule des souhaits particuliers dans ce courrier ?
29 R. J’ai lu ça, oui. Il a demandé... Il a demandé ça, mais je ne vois pas où ça
30 se trouve. J’ai lu ça il y a longtemps.
31 Q. D’accord. Éventuellement, passez à la page 4 pour qu’on rentre dans des
32 précisions.
33 M. LE PRÉSIDENT :
34 Non, c’est bon, c’est bon. Mais je pense maintenant que nous avons une
35 idée de ce dont il retourne. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus pour
36 l’instant, Maître Constant.

100 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 49


101 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 Est-ce qu’il y a autre chose avant que nous ne versions ces trois
3 documents en preuve, si c’est bien ce que vous souhaitez ?
4 Me CONSTANT :
5 Une simple chose pour terminer.
6 Q. Est-ce que vous pouvez dire ce qu’est devenu le mari de Régine ?
7 R. Il a été assassiné par le FPR au Rwanda.
8 Me CONSTANT :
9 Nous pouvons déposer... Il faut reprendre ?
10

11 Je reprends ma question :
12 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer ce qu’est devenu le frère... le mari de
13 Régine au Rwanda ?
14 R. Monsieur Kabera Justin, son mari, a été assassiné par le FPR en 1996, au
15 Rwanda.
16 Me CONSTANT :
17 « Kabera » ; c’est K-A-B-E-R-A ; c’est bien ça ?
18 R. (Signe affirmatif)
19 Me CONSTANT :
20 Monsieur le Président, nous pouvons déposer les pièces éventuellement
21 sous une seule cote, comme le souhaite la Chambre, ou les trois cotes
22 différentes.
23 M. LE PRÉSIDENT :
24 Bien. Monsieur Matemanga, A, B, C...
25

26 L’article de journal, c’est juste un extrait, Maître Constant ? Mais je


27 présume que cela suffit en ce qui vous concerne, parce que la copie que
28 nous avons, ce n’est pas la copie complète de l’article.
29 Me CONSTANT :
30 Malheureusement, je n’ai pas la copie complète, non plus, Monsieur le
31 Président. C’est une télécopie qu’on m’avait envoyée. Je n’ai pas la copie
32 complète, il manque des morceaux.
33 M. LE PRÉSIDENT :
34 Très bien.
35 Me CONSTANT :
36 Mais ce que je voulais établir, c’est que c’était un fait public que cette

102 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 50


103 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 dame avait disparu.


2 M. LE PRÉSIDENT :
3 Oui. Monsieur Matemanga ?
4 M. MATEMANGA :
5 « D. B 200 ».
6 M. LE PRÉSIDENT :
7 « A », « B » et « C ». Article de journal, « A » ; la lettre du... de l’avocat,
8 « B » ; et « C » pour la lettre de Bagosora.
9

10 (Admission des pièces à conviction D. B 200 A, B et C)


11 Me CONSTANT :
12 Q. Colonel, est-ce que vous pouvez me dire si...
13 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
14 Votre micro, Maître.
15 Me CONSTANT :
16 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire, concernant la personne suivante...
17 votre petite sœur Régine, c’est laquelle ?
18 R. La suivante, c’est Léocadie Uwamariya.
19 Me CONSTANT :
20 C’est le numéro 159 sur la liste.
21 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer quel est le sort actuel de votre sœur
22 Léocadie ?
23 R. Elle est réfugiée en Europe et son mari se trouve en prison au Rwanda.
24 Q. D’accord. Vous pouvez préciser quel est le nom de son mari ?
25 R. Nyagasaza Mathias.
26 Me CONSTANT :
27 C’est le numéro... bon... 115 — pardon.
28 Q. O.K. Il est en prison depuis quand ?
29 R. Bon. Depuis l’an 2002, 2000... autour de là. À un certain moment, le
30 Gouvernement rwandais a appelé... il était réfugié à Nairobi, il était en
31 train de faire les démarches pour rejoindre sa femme en Europe, entre-
32 temps, le Gouvernement rwandais a appelé les réfugiés pour une
33 conférence de réconciliation nationale à Kigali, et il s’y est rendu. À
34 l’issue de la conférence, on l’a arrêté, on l’a mis en prison.
35 Q. Vous pouvez préciser où il est en prison ?
36 R. Oui. Pour la dernière information que j’aie, il était en prison à Gisenyi.

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105 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. D’accord. Est-ce qu’à votre connaissance, il a fait l’objet d’un procès ?


2 R. Il est passé devant le... le tribunal Gacaca, mais qui n’a pas encore
3 statué.
4 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre si, à votre connaissance,
5 le Bureau du Procureur a approché Monsieur Mathias Nyagasaza ?
6 R. Je ne peux pas l’affirmer, mais j’ai entendu dire que le Procureur aurait
7 pris des contacts avec lui.
8 Q. D’accord. Je voudrais que vous m’indiquiez le nom de la dernière de vos
9 sœurs et sa situation actuelle.
10 R. Elle s’appelle Nzayisenga Spéciosa.
11 Me CONSTANT :
12 Alors, c’est le numéro 122 de la liste.
13 Q. Et qu’est-ce... quelle est sa situation ?
14 R. Elle a été assassinée début 1995 à Gisenyi quand elle rentrait de son exil
15 au Zaïre, avec son enfant qu’elle avait au dos.
16 Q. Quel âge avait votre neveu quand il a été assassiné ?
17 R. C’était un bébé. Disons 2, 3 ans.
18 Q. Est-ce que vous savez pourquoi elle est rentrée au Rwanda ?
19 R. J’étais réfugié à Gisenyi, « ils » vivaient à Goma, alors qu’elle vivait dans
20 le camp des réfugiés de Kibumba, plus au nord de Goma. Et puis, un
21 beau jour, elle a pris la décision... Elle était déjà veuve. Et un jour, elle a
22 pris la décision de rentrer, croyant qu’une pauvre femme veuve, sans
23 niveau politique, elle croyait qu’elle pouvait retourner dans ses biens et y
24 vivre. Elle avait une maison à Gisenyi, en ville. C’était à quelques
25 kilomètres de Goma. Elle a pensé qu’elle… puisqu’elle était, disons, d’un
26 niveau social très bas, qu’elle n’avait pas fait de politique et qu’elle était
27 veuve, qu’elle pouvait rentrer vivre dans sa maison. Elle arrive là-bas,
28 elle a été arrêtée et tuée avec son enfant.
29 Q. Elle a été tuée par qui, selon vous ?
30 R. Par le FPR. On l’a tuée quand j’étais encore à Goma, j’ai su parce qu’il y
31 avait des gens qui allaient à Gisenyi qui disaient « votre soeur a été
32 tuée ».
33 Q. Vous dites qu’elle n’avait aucune activité politique ?
34 R. Bon, elle était... elle était dans le parti unique MRND, elle était un
35 militant, comme tout le monde était membre de ce parti. C’est tout.
36 Q. Et de 91 à 94, pendant l’époque du multipartisme, elle avait des activités

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107 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 politiques ?
2 R. Pas du tout.
3 Q. Et est-ce que vous savez la raison pour laquelle elle a été assassinée ?
4 R. Parce que c’était ma sœur, tout simplement.
5 Q. Est-ce que, même si la question peut vous faire sourire, vous pouvez
6 nous dire si, à votre connaissance, il y a eu l’ouverture des informations
7 au Rwanda pour connaître les causes de son assassinat et le nom de ses
8 assassins ?
9 R. Les assassins, ils vont faire quelle enquête pour savoir qui a assassiné ?
10 Non !
11 Q. Il faut bien comprendre, Monsieur... Colonel, que le régime rwandais est
12 présenté comme un régime parfaitement normal avec lequel le Procureur
13 collabore régulièrement. Donc, je vous demande : On a assassiné
14 quelqu’un en 95 ; est-ce qu’il y a eu l’ouverture d’une information et la
15 recherche des assassins ?
16 R. On ne peut pas parler d’un régime... Vous voyez, vous connaissez le
17 major Cyiza, il « est » disparu. Il y a plusieurs personnes qui ont disparu.
18 Ils disparaissent ! Et vous me parlez d’un régime...
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Écoutez, la question était : Savez-vous si des enquêtes ont été menées ?
21 Essayez de limiter votre réponse à cette question. Quelle est votre
22 réponse ?
23 Me CONSTANT :
24 Merci, Monsieur le Président. Je soutiens la requête du Président.
25 R. Je ne suis pas au courant.
26

27 Me CONSTANT :
28 Q. Si je fais un bilan, sur cinq frère et sœurs, vous en avez trois assassinés,
29 une qui est prison et une qui est en exil ; c’est bien cela ?
30 R. C’est exact.
31 Q. D’accord. Dans la présentation qu’on a faite, Colonel, des membres
32 — nous y retournerons — de l’Akazu, les gens du Bushiru, on dit que ce
33 sont des gens qui vivaient entre eux, qui se mariaient entre eux. Est-ce
34 que vous pouvez préciser avec qui vous vous êtes marié, à quelle
35 époque ?
36 R. Je me suis marié avec Isabelle Uzanyinzoga, le 10 septembre 1966.

108 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 53


109 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me CONSTANT :
2 C’est le numéro 161 de la liste.
3 Q. Vous vous êtes marié où ?
4 R. À Gitarama, à la paroisse Kanyanza.
5 Me CONSTANT :
6 « Kanyanza », c’est : K-A-N-Y-A-N-S... Z-A.
7 Q. Est-ce que vous pouvez préciser la tendance de votre épouse ?
8 R. Mon beau-père est hutu. Ma belle-mère est tutsie.
9 Q. Est-ce que vous pouvez préciser le nom de votre beau-frère... de votre
10 beau-père — pardon ?
11 R. Ugirashebuja Denis.
12 Me CONSTANT :
13 C’est le numéro 157.
14 Q. Est-ce que vous pouvez dire ce qu’il est devenu ?
15 R. Il est mort d’une mort naturelle.
16 Q. Je vous propose, pour des raisons que nous exposerons, de ne pas
17 donner publiquement ici le nom de votre belle-mère. Est-ce que vous
18 êtes d’accord avec cela ?
19 R. Oui.
20 Q. Est-ce que vous pouvez écrire sur une feuille de papier le nom de votre
21 belle-mère et son prénom ?
22

23 (Théoneste Bagosora s’exécute)


24

25 Témoin, vous confirmez que la dame dont vous avez écrit le nom est
26 tutsie ?
27 R. Oui.
28 Q. Il y a un témoin qui est venu ici, « ATY » — dont j’ai déjà donné les
29 références du passage devant cette Chambre —, le 27 et le 28
30 septembre 2004, qui, entre autres incriminations à votre encontre, a
31 soutenu que quand son époux, qui était originaire du Bushiru, a voulu se
32 marier avec elle qui était une Tutsie qui n’était pas du Bushiru, que vous
33 auriez fait une démarche avec un tiers… — dont je ne vais pas donner le
34 nom en public parce que c’est un prochain témoin devant cette
35 Chambre, mais quelqu’un qui avait occupé des fonctions administratives
36 au Rwanda —, que vous auriez fait une démarche auprès de la famille de

110 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 54


111 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 ce témoin ATY pour empêcher le mariage. Est-ce que vous vous


2 souvenez de cela ?
3 R. Le témoignage ici, oui.
4 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la raison pour laquelle
5 vous vous mariez, vous, avec quelqu’un de Gitarama qui est à moitié
6 d’ascendance tutsie, et que dans le même temps, vous auriez fait une
7 démarche visant à empêcher une autre personne du Bushiru de se
8 marier avec quelqu’un qui n’était pas du Bushiru ?
9 R. C’est un non-sens ! Je ne peux pas aller conseiller quelqu’un de faire
10 quelque chose que je n’ai pas fait, il ne me croirait pas. Et puis, le mari
11 de « ATY », je n’avais aucune relation de parenté ni d’amitié avec lui.
12 Q. D’accord.
13 R. Et puis, je saisis cette même occasion pour dire que mon petit frère
14 Musabe s’est marié avec une Tutsie de Butare, plus au sud du pays ;
15 donc, vous avez mon petit frère qui a une Tutsie, vous m’avez moi-même
16 qui a une femme dont les parents, un est hutu et l’autre est tutsi ; à ce
17 niveau-là, vous comprenez bien que... j’ai des beaux-frères, des belles-
18 sœurs tutsis ; moi-même, mon petit frère aussi, nous sommes en plein
19 d’une famille mixte, comment est-ce que, moi, je pouvais penser
20 empêcher un étranger d’aller marier la femme qu’il voulait ? Non, je dis
21 non.
22 Me CONSTANT :
23 Excusez-moi. Pardon, Monsieur le Président.
24 M. LE PRÉSIDENT :
25 On prend bonne note. Il y a un flou dans le transcript par rapport à cette
26 personne dont on avait vu le nom sur un bout de papier. Il y a une
27 déclaration dans le transcript selon laquelle elle était entièrement tutsie,
28 et il y a une autre déclaration selon laquelle elle était moitié hutue,
29 moitié tutsie. Donc, en fait, je suis dans le brouillard.
30 R. J’éclaire la situation. C’est ma femme qui est moitié hutue moitié tutsie.
31 C’est ma femme. Sa mère, donc ma belle-mère, est tutsie complètement.
32 Mon beau-père est hutu complètement. Donc, c’est ma femme, Isabelle,
33 qui est moitié tutsie, moitié hutue.
34 M. LE PRÉSIDENT :
35 C’était très utile. Je vous remercie.
36 Me CONSTANT :

112 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 55


113 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Non, mais... Colonel, je reviens sur ce que venait de dire le témoin ATY.
2 Nous n’allons pas
3 — n’oublions pas que nous sommes en audience publique — citer le nom
4 de son mari, mais vous confirmez ici que vous n’aviez... aviez-vous ou
5 non un lien de parenté avec le mari de « ATY » ?
6 R. Pas du tout. Aucun.
7 Q. Est-ce qu’à chaque fois qu’une personnalité du Bushiru devait ou non se
8 marier, est-ce que vous deviez vous en mêler ?
9 R. Mais comprenez, le Bushiru c’était, dans le temps, un royaume, c’était
10 grand. Prenez, disons, une province, comment est-ce que, pratiquement,
11 on peut s’occuper de ces histoires-là, et dans quel intérêt ? Mais ce que
12 je vous dis, c’est qu’au Bushiru, il y avait des gens qui étaient mariés aux
13 Tutsis. Je ne donne pas des exemples, mais j’en ai beaucoup. Donc, aussi
14 [Sur ordre du Président, l’intervention suivante a été extraite de la
15 transcription et produite sous scellés], non, non. Si le mari de « ATY »
16 voulait se marier avec une Tutsie, il n’était... il n’était pas la première
17 personne au Bushiru qui se mariait avec une Tutsie. Il y avait d’autres qui
18 avaient précédé, et plus âgés.
19 Q. Excusez-moi, Témoin. Excusez-moi, Colonel.
20

21 Monsieur le Président, je pense que vous devez prendre une décision au


22 niveau du script.
23 M. LE PRÉSIDENT :
24 Très bien. C’était utile. Nous allons le rayer dans le transcript en français.
25 Et nous allons placer cela sous scellés. Et on va couper le système vidéo,
26 à ce niveau. Mais en ce qui concerne la version anglaise, il n’est pas
27 nécessaire de changer quoi que ce soit.
28 Me CONSTANT :
29 Parfait.
30 Q. Colonel, je vous demande de faire attention quand vous vous exprimez.
31 Mais je voudrais revenir : Le Bushiru, c’est combien de personnes au
32 début des années 90, approximativement ?
33 R. Une commune peut compter jusqu’à 60 000 hommes. Il y a deux
34 communes dedans, disons
35 120 000 hommes.
36 Q. Excusez-moi, quand vous dites « 120 000 hommes », vous ne comptez

114 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 56


115 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 pas les femmes ou bien c’est 120 000 habitants ?


2 R. Électeurs. Parce que ce sont les chiffres… ce sont les chiffres des
3 élections que j’ai en tête
4 — electeurs.
5 Q. O.K. Il y a une certaine présentation du Bushiru qui consiste à dire que
6 c’était les forces vives de ce qu’on a appelé l’Akazu, donc, cela
7 signifierait c’est les 120 000 personnes dont vous nous parlez qui
8 formaient l’Akazu ?
9 R. Ce terme Akazu, en fait, quand j’étais encore dans le Bushiru, on
10 n’utilisait pas ce terme. Ce terme, j’ai commencé à l’écouter, euh...
11 depuis 1992, lors du multipartisme. Avant, on ne parlait pas d’Akazu
12 dans le Bushiru, ni à Kigali, d’ailleurs. Là, je ne sais pas ce que vous me
13 demandez.
14 Q. Nous y retournerons. Donc, pour terminer, vous contestez ou non ce qu’a
15 dit le témoin ATY à propos de ce point ?
16 R. Absolument oui.
17 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous dire, en 94, où est... où était
18 votre belle-mère ?
19 R. En 94, en avril, avril-juillet, elle se trouvait à Gitarama, chez elle.
20 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser, après juillet, où est-elle allée, où
21 est-elle restée ?
22 R. Comme son mari était mort quelques années plus tôt, elle a fui avec ma
23 famille. D’abord, au... d’abord, au Zaïre, ensuite au Cameroun.
24 Q. Pourquoi vous ne l’avez pas tuée, puisqu’elle était tutsie ?
25 R. Mon Dieu. Je suis très embarrassé, c’est comme si vous disiez que
26 j’étais... que j’ai tué les Tutsis. Je... Votre belle-mère, vous la tuez ! Je ne
27 peux pas.
28 Q. Je vous rappelle que la thèse de l’Accusation, c’est que vous êtes, en
29 gros, un des principaux responsables de l’assassinat systématique des
30 Tutsis et qu’à partir d’une certaine date, selon le témoin expert Des
31 Forges de l’Accusation, vous avez mis en place un projet d’exterminer
32 tous les Tutsis du Rwanda, donc c’est dans ce cadre que je vous pose
33 cette question.
34 R. Mais cela n’est pas vrai. Cela n’est pas vrai. Peut-être je peux donner des
35 explications à ce sujet. Vous parlez de ma belle-mère, moi, à Kigali,
36 d’avril-juillet, j’avais un chauffeur tutsi, qui est aujourd’hui à Kigali, n’est-

116 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 57


117 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 ce pas. J’avais des officiers tutsis dans le cabinet du Ministre. Je peux


2 donner des noms qui sont encore vivants, j’ai fui avec eux. Par exemple,
3 un certain lieutenant Murasira ; il était lieutenant — Murasira ; mais
4 aujourd’hui, il est officier supérieur à Kigali. Nous avons fui ensemble.
5 Q. Colonel. Colonel. Les sténos ne peuvent pas suivre, alors allez plus
6 lentement, et pendant que vous y êtes, donnez-nous le prénom du
7 lieutenant dont vous avez parlé.
8 R. Albert.
9 Me CONSTANT :
10 C’est le numéro 84.
11 Q. Est-ce que vous pouvez continuer ? Je vous en prie.
12 R. Je vous dis que... Je vous dis que j’avais un chauffeur tutsi ; je vous dis
13 que dans le cabinet où je travaillais, j’avais des Tutsis, nous avons fui
14 ensemble jusqu’au Zaïre. Quand la situation s’est compliquée, que moi,
15 je devais me déplacer vers le Cameroun, lui, il a préféré rentrer.
16 Aujourd’hui, c’est un officier supérieur à Kigali et il vit. C’est un exemple,
17 c’est parce que je travaillais avec lui au cabinet. Il y a d’autres Tutsis.
18 Q. Vous avez parlé d’un chauffeur tutsi, est-ce que vous pouvez marquer
19 son nom ou son prénom ou les deux sur une feuille de papier pour des
20 raisons de sécurité évidentes ?
21

22 (Théoneste Bagosora s’exécute)


23

24 Est-ce...
25 M. LE PRÉSIDENT :
26 Monsieur Matemanga, ce document précédent, avec la belle-mère du
27 témoin, ce sera ?
28 M. MATEMANGA :
29 « D. B 201 ».
30 M. LE PRÉSIDENT :
31 Sous scellés.
32

33 (Admission de la pièce à conviction D. B. 201 — sous scellés)


34 (Le greffier d’audience montre la feuilles aux parties)
35

36 Me CONSTANT :

118 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 58


119 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Je voudrais savoir, pendant qu’on montre ce document aux parties, est-


2 ce que le chauffeur dont vous nous parlez est celui dont a parlé le
3 témoin LMG ?
4 R. Exactement.
5 Q. Et il a été avec vous de la période d’avril à juillet 94 ; c’est bien ça ?
6 R. Oui.
7 Me CONSTANT :
8 O.K. Je voudrais vous poser une question sur la famille de votre épouse.
9

10 Monsieur le Président, on peut déposer cette pièce-là, éventuellement,


11 en attendant. D’accord.
12

13 Q. Donc, comme vous l’avez dit, elle viendra, mais je voudrais savoir : Est-
14 ce que vous pouvez nous dire qui étaient des proches de la famille de
15 votre femme, des gens qui ont compté dans sa vie et dans votre vie,
16 donc ?
17 R. Mais elle avait cinq frères. Peut-être… Peut-être certains étaient morts,
18 ou bien ceux que je connais, c’est… cinq frères. Et des quatre frères…
19 cinq frères, quatre avaient des femmes tutsies.
20 Q. O.K. Est-ce que vous pouvez citer un frère en particulier ou vous avez
21 l’intention de citer tous ?
22 R. Je peux donner les prénoms.
23 Q. D’accord. Je vous en prie. Vous donnez des prénoms pour des raisons de
24 sécurité ?
25 R. Oui, oui.
26 Q. Parce que ces gens-là se situent où actuellement ?
27 R. Bon, de toute façon, certains sont morts, d’autres sont… sont à Kigali,
28 d’autres sont à l’étranger. Pour leur sécurité, je préfère utiliser les
29 prénoms.
30 Q. D’accord. Je vous en prie.
31 R. L’aîné de la famille s’appelait Fidèle ; le suivant Évariste ; le troisième
32 Désiré ; le quatrième Isaac ;
33 le cinquième, j’ai le nom, mais je n’ai pas le prénom.
34 Q. D’accord.
35 R. Mais, de toute façon, il est mort, donc je peux parler de lui. Il s’appelle
36 Filimbi.

120 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 59


121 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Je ne crois pas que j’aie ce nom. Est-ce que vous pouvez épeler ?
2 R. F-I-L-I-M-B-I.
3 Q. D’accord. Est-ce que… À part ces frères sur lesquels nous reviendrons
4 avec, bien entendu, (inaudible)… le témoin…
5 R. Mais elle avait aussi des sœurs, bien entendu.
6 Q. Oui. Est-ce que vous pouvez nous indiquer si… dans la famille, est-ce
7 qu’il y avait d’autres personnes importantes, dans la famille de votre
8 épouse ?
9 R. Il y avait un « beau-parent » qui était député dans les années 70, qui
10 était député et secrétaire du parti MDR-PARMEHUTU à Gitarama.
11 Q. Vous pouvez nous indiquer son nom ?
12 R. Gérard Muvunankiko. J’épelle ?
13 Q. Vous pouvez ne pas épeler parce que je crois avoir son nom ; c’est le
14 numéro 87 de la liste.
15 Vous dites que vous aviez donc comme proches... Non, excusez-moi.
16 C’est un « beau-parent » à vous, c’est bien ça, Monsieur Gérard…
17 R. Oui.
18 Q. … Muvunankiko ?
19 R. Oui, oui.
20 Q. Et quel était son lien de parenté avec votre femme ?
21 R. C’était l’oncle paternel de ma femme.
22 Q. Vous dites qu’il a été député ; c’est bien ça ?
23 R. Oui, député. C’est dans l’ancien régime, c’est dans le régime Kayibanda,
24 avant le coup d’État de 73.
25 Q. Est-ce que vous pouvez préciser ou rappeler à la Chambre… Le parti que
26 vous avez cité, le MDR-PARMEHUTU, était un parti essentiellement
27 implanté où dans le Rwanda ?
28 R. Le MDR-PARMEHUTU, c’était un parti finalement qui était unique. Depuis
29 les années 65, c’était...
30 Il était devenu de fait un parti unique parce que les élections qui se sont
31 passées à cette date, c’est le MDR-PARMEHUTU qui les a remportées sur
32 toute l’étendue du territoire rwandais. Et initialement, il était beaucoup
33 plus implanté à Gitarama, à Ruhengeri, Gisenyi, initialement. Puis, il a
34 gagné du terrain au fur et à mesure dans les autres… dans les autres
35 préfectures.
36 Q. D’accord. O.K. Comment expliquez-vous que vous, qui en tout cas êtes

122 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 60


123 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 présenté comme quelqu’un du Bushiru, lié au Nord, vous liez votre sort à
2 une famille qui est du centre du pays, alors que l’on dit que vous… que
3 les Hutus du Nord méprisent ceux du Centre et du Sud ?
4 R. Vous savez, cela, politiquement, ça n’a pas de sens, parce que depuis la
5 création des partis politiques dans les années... fin des années 50 — je
6 parle de 58, 59 —, ma région natale Giseny, la… les adhérents étaient
7 beaucoup plus du parti MDR-PARMEHUTU. Et mon père, il était du parti
8 MDR-PARMEHUTU. Les choses ont changé après le coup d’État.
9

10 Avant le coup d’État, je dirais que le... la préfecture de Ruhengeri, de


11 Gisenyi, chez moi, de Gitarama, et d’autres préfectures, étaient dans le
12 parti MDR-PARMEHUTU. Il n’y avait pas d’autres partis, en fait, ils avaient
13 disparu. Donc, au niveau politique… Au niveau politique, moi aussi
14 j’étais, en ce moment-là, très proche du MDR-PARMEHUTU.
15 Q. Pour en revenir sur votre épouse, est-ce que vous pouvez nous dire les
16 emplois qu’elle a occupés ?
17 R. Vous parlez de qui ?
18 Q. De votre épouse.
19 R. Je voudrais parler des derniers… des derniers, parce qu’avant… je ne
20 peux pas savoir où elle travaillait avant, avant qu’on ne se marie.
21 Ensuite, j’aimerais bien parler des... Elle était secrétaire à Air Rwanda ;
22 c’est une société nationale de… aérienne. C’est là où elle a travaillé en
23 tant que secrétaire ; elle changeait de bureau, mais elle a travaillé…
24 c’est là où elle travaillait.
25 Q. Avant de revenir sur votre famille, est-ce que vous pouvez indiquer
26 combien d’enfant vous avez eus ?
27 R. J’en ai eu huit, mais il y en a un qui est décédé accidentellement
28 Q. D’accord. Je vais vous présenter une liste et vous allez nous confirmer,
29 sans rentrer dans les détails, pour d’éventuelles raisons de sécurité.
30 Cette liste comporte des prénoms, des professions et des pays. C’est la
31 pièce 7. Je vais vous la présenter et vous allez me faire savoir : Est-ce
32 qu’elle correspond à la réalité ?
33 R. C’est exact.
34 Me CONSTANT :
35 D’accord.
36

124 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 61


125 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Monsieur le Président, je souhaiterais déposer cette pièce et qu’elle soit


2 placée sous scellés. Ainsi que, d’ailleurs, les deux dernières autres
3 pièces, c’est-à-dire le nom et le prénom du chauffeur et de la belle-mère.
4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Très bien. Nous avons versé le document qui a trait à la belle-mère.
6 Maintenant, on va traiter du document du chauffeur, « D. B 202 » …
7 « 202 » sous scellés.
8

9 (Admission de la pièce à conviction D. B 202 — sous scellés)


10

11 Puis, la liste des enfants devient…


12 M. MATEMANGA :
13 «D. B 203 ».
14 M. LE PRÉSIDENT :
15 Sous scellés.
16

17 (Admission de la pièce à conviction D. B 203 — sous scellés)

19 Me CONSTANT :
20 Monsieur le Président, il est une heure moins cinq. Qu’est-ce que je fais ?
21 Je continue ? Parce que je passe, là… J’ai fini avec la famille ; je passe à
22 l’éducation. Donc, qu’est-ce que la Chambre souhaite faire ?
23 M. LE PRÉSIDENT :
24 Votre suggestion implicite est très sage. Donc nous allons prendre notre
25 pause maintenant et nous nous retrouvons à 14 h 30.
26 L’audience est levée.
27

28 (Suspension de l’audience : 13 heures)


29

30 (Pages 1 à 50 prises et transcrites par Joëlle Dahan, s.o)


31

32

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126 JOËLLE DAHAN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 62


127 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

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129 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 (Reprise de l'audience : 14 h 30)


2

3 M. LE PRÉSIDENT :
4 Maître Constant, vous avez la parole.
5 Me CONSTANT :
6 Merci, Monsieur le Président. Bon après-midi.
7 Q. Colonel, je voudrais que vous indiquiez à la Chambre : Où avez-vous eu...
8

10 C'est bon ? D'accord, excusez-moi.


11

12 Que vous indiquiez à la Chambre où vous avez fait vos études ?


13 M. BAGOSORA :
14 R. J'ai fait mon école primaire à la paroisse de Rambura, au Bushiru. J'ai fait
15 mes études secondaires au petit séminaire de Nyundo. J'ai fait mon école
16 militaire à Kigali. Et j'ai fait l'école supérieure de guerre à Paris.
17 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer les conditions dans lesquelles, lors de
18 votre éducation, vous avez été mis en contact ou non avec le problème
19 ethnique ?
20 R. Comme je... J'ai eu l'occasion de dire que, dans notre région, il n'y avait
21 pas, pratiquement, de Tutsis, il y avait juste ceux-là, qui n'étaient pas
22 nombreux, qui étaient venus du centre sud du pays pour venir
23 administrer. Et j'ai précisé que dans notre sous-chefferie, à l'époque, il y
24 avait le sous-chef et sa famille et trois membres proches de... proches
25 parents qui l'avaient accompagné. Sinon, il y avait des Bagogwe. Des
26 Tutsis Bagogwe, ce sont des gens qui vivaient... donc des éleveurs
27 nomades, qui vivaient dans la forêt de Gishwati.
28

29 Alors, pour répondre à votre question, j'ai commencé à connaître qu'il y


30 avait une certaine différence entre Hutus et Tutsis quand j'étais en
31 cinquième primaire, mais pas avant.
32 Q. Excusez-moi, est-ce que vous pouvez épeller la forêt que vous avez
33 indiquée ou habitaient les Bagogwe ? Parce que je ne l'ai pas sur ma
34 liste ?
35 R. J'épelle : G-I-S-H-W-T-I (sic).
36 Q. Il n'y a pas un « A » entre le « W » et le « T » ?

130 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 51


131 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. « Gishwati » : W-A-T-I (sic).


2 Q. Merci. Ce que vous avez rencontrés dans votre cinquième année
3 primaire, sur le plan ethnique et dans votre éducation, c'était quoi
4 exactement ?
5 R. Déjà, à ma cinquième année, il y avait un livre intitulé Inganji Kalinga ;
6 Inganji Kalinga, c'est un livre qui a été écrit par Monsieur l'abbé Alexis
7 Kagame. Et c'est lui qui parlait donc, disons, de l'histoire du Rwanda, et
8 qui... qui, entre autres, parlait des légendes qui justifient la supériorité
9 des Tutsis envers les Hutus.
10 Me CONSTANT :
11 « Inganji Kalinga », c'est le nom 47, sauf qu'il y a une faute, c'est :
12 K-A-L-I-N-G-A — pour le deuxième mot.
13 Q. Et les légendes dont vous parlez, elles étaient de quelle nature ? Est-ce
14 que vous pouvez nous donner un exemple ?
15 R. Ces légendes ont été reprises, je crois, Guichaoua, ou... il y a d'autres qui
16 en ont parlé : Il y a la légende du don du lait. Le don du lait où Dieu,
17 Imana, a confié du lait à Gatutsi et à Gahutu et à Gatwa ; et que le Tutsi,
18 lui, il a pu faire toute la nuit en gardant… que jusqu'au matin, son bol de
19 lait était toujours intact, tandis que le... Seul le Gatutsi qui a réussi, donc,
20 à tenir le coup jusqu'au matin ; tandis que Gahutu, la nuit, s'est endormi
21 et le pot c'est renversé, il en est resté la moitié ; et puis, le Gatwa, lui, il
22 en a bu, il a vidé le pot. Ceci pour 'est pour dire que, donc, que le Tutsi,
23 lui, il remplit sa mission convenablement et que le Hutu le fait à moitié,
24 et que Gatwa, en tout cas, il ne faut pas compter sur lui du tout. C'est en
25 fait plus ou moins ça. Alors, Imana, le lendemain, il est arrivé, il a trouvé
26 que Gatutsi avait encore son pot de lait plein, que Gahutu n'en avait que
27 la moitié et que Gatwa avait son pot vide, et Dieu Imana a dit : « Alors,
28 vous Gatutsi, je vous donne le pouvoir de dominer les deux autres. »
29 C'est la légende. Et cette légende-là, j'ai été au courant de ça en
30 cinquième primaire.
31 Q. Je vais faire distribuer... Je vais vous faire remettre des documents avec
32 l'autorisation du Président. Il s'agit, pour la liste des documents remis, du
33 numéro 8. Mais ce que je voudrais savoir, Colonel, c'est que quand on
34 vous apprenait ces légendes, on vous apprenait ces légendes pour nous
35 dire qu'elles n'étaient pas vraies ou pour vous dire qu'elles étaient vraies
36 ou pour expliquer autre chose ?

132 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 52


133 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Quand j'ai lu le livre de Kagame ultérieurement, quand j'étais adulte, lui,


2 il en fait une analyse. Mais en ce moment-là, pour nous autres, on nous
3 apprenait seulement les légendes. Les analyses qu'il fait ici dedans, on
4 ne nous les apprenait pas, parce que Kagame, ici, il dit que ces légendes
5 ont été inventées, certainement par les Tutsis, pour justifier leur
6 supériorité envers les Hutus et les Twas. Mais à notre époque, on nous
7 apprenait seulement les légendes. Prenait, comme ça, que Dieu a dit que
8 c'est le Tutsi qui doit dominer les deux autres, on ne nous explique pas
9 pourquoi, c'est mais comme ça. Mais en cinquième primaire, j'avais déjà
10 une certaine ouverture ; à la maison, je n'avais jamais entendu parler de
11 ce que le Mututsi était supérieur au Muhutu, j'étais un peu surpris, et
12 c'est petit à petit, ultérieurement, que j'ai pu comprendre que le
13 problème était réel.
14 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer quel âge vous aviez,
15 approximativement, en cinquième primaire ?
16 R. Autour de 14 ans.
17 Q. Est-ce que vous avez les documents devant vous ?
18 R. Oui.
19 Q. Il y a un premier document qui est la photocopie d'un ouvrage, est-ce
20 que vous pouvez indiquer à la Chambre de quoi il s'agit ?
21 R. Celui qui est en anglais, ou bien c'est la traduction ? Non. Il y a Inganji
22 Kalinga ici ? Oui ?
23 Q. Est-ce que vous pouvez dire de quoi il s'agit à la Chambre ?
24 R. Ça, c'est un extrait du livre de padri Alexis Kagame, qui a écrit un livre,
25 justement, intitulé Inganji Kalinga ; ça veut dire le succès de... le succès
26 du tambour royal qui portait son nom : Kalinga.
27 Q. Et l'extrait, c'est bien « la » page, 63, 64, 65 ; c'est bien ça ?
28 R. 63, 64, 60… Exactement.
29 Q. Normalement, vous avez des traductions en français et en anglais.
30 R. Oui
31 Q. D'accord. Mais puisque vous êtes... vous avez la chance de parler le
32 kinyarwanda, ce qui n'est pas le cas de la grande majorité de la salle,
33 est-ce que vous pouvez nous indiquer où se trouve la référence à la
34 légende dont vous venez de parler, concernant le pot au lait ?
35 R. Au paragraphe 11.
36 M. LE PRÉSIDENT :

134 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 53


135 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Pourquoi est-ce que ce point est important pour notre cause ?


2 Me CONSTANT :
3 Ce point importe à notre cause, Monsieur le Président : La thèse de
4 l'Accusation, c'est le point 1.1 dans l'Acte d'accusation, à savoir que les
5 affrontements ethniques auraient commencé en 1959. Nous, nous
6 soutenons que la domination des Hutus n'a pas commencé en 1959,
7 mais est postérieure à cette date. Et nous entendons démontrer que
8 l'Accusé, entre autres, mais comme tous les Rwandais, quand ils étaient
9 jeunes, ils ont appris que les Tutsis étaient supérieurs, et que nous nous
10 permettons de penser, nous, que c'est une conception qui explique les
11 crises qu'il y a eues dans le Rwanda.
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 En d'autres termes, vous voulez dire que les Tutsis dominaient les Hutus
14 avant 1959 ; c'est cela ?
15 Me CONSTANT :
16 Je veux dire que la thèse de l'Accusation, à savoir que les problème entre
17 Hutus et Tutsis sont survenus à partir de 1959, ce qu'a longuement
18 développé Madame Des Forges dans sa thèse historique qu'elle a
19 présentée devant la troisième Chambre, et que nous avons contestée
20 lors du contre-interrogatoire, n'est pas fondée.
21 M. LE PRÉSIDENT :
22 Q. Très bien. Donc, nous sommes en 1955, vous aviez 15 ans... vous
23 aviez 14 ans et vous êtes né en 1941 ; c'est cela ?
24

25 Donc, nous sommes en 1955 — où il est en cinquième année — et c'est à


26 cette époque que vous avez lu ce livre pour la première fois ?
27 R. Oui, Monsieur le Président.
28 M. LE PRÉSIDENT :
29 Très bien. Que voulez-vous faire de cet ouvrage, Maître Constant ? Et très
30 brièvement, s'il vous plaît.
31 Me CONSTANT :
32 J'ai encore un certain nombre de questions à poser à mon client à ce
33 propos, avec la permission de la Chambre.
34 M. LE PRÉSIDENT :
35 La première question étant… ?
36 Me CONSTANT :

136 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 54


137 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre, Colonel : Est-ce que dans
2 cet ouvrage, il y a la légende qui explique comment les Hutus sont nés ?
3 Comment on est devenu Hutu ? Et dans ce
4 cas-là, est-ce que vous pouvez lire la partie qui nous concerne en nous
5 indiquant où elle est ?
6 R. En kinyarwanda ou en français ?
7 Q. Comme vous le souhaitez, je pense qu'il y a des traducteurs
8 kinyarwanda. Mais si vous nous dites la partie, vous pouvez la lire en
9 français, si vous souhaitez traduire directement, ou en kinyarwanda,
10 comme vous souhaitez.
11 R. Ça se trouve dans le paragraphe 10.
12 Q. Dites-nous ce qu'on explique concernant cela ?
13 R. Vous avez donc l'histoire... Bon, vous avez Gahima, Kakama et Katiru...
14 Kayiru qui étaient des frères, et ils avaient une soeur. À un certain
15 moment, il fallait qu'ils puissent se marier, chercher... trouver une
16 femme. Il y a alors Kakama qui propose de « marier » sa soeur ; la
17 proposition est retenue. Kayiru, lui, il a refusé ce type de mariage, de
18 « marier », donc, sa soeur, Kacyiru, il s'est cherché une femme dans
19 d'autres familles qu'il avait trouvées sur place. C'est ainsi que ses frères
20 l'ont traité comme un paria et qu'il est devenu un Hutu.
21 Q. Et ça aussi, vous l'avez appris quand vous « été » à l'école, cette
22 conception de la naissance du Hutu ?
23 R. Oui.
24 Q. Vous avez indiqué que vous êtes rentré...
25

26 Monsieur le Président, je continue, hein, mais si...


27

28 Vous avez indiqué que vous êtes rentré, par ailleurs, à… au petit collège
29 de Nyundo ; c'est bien ça ?
30 R. Oui.
31 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer dans quelles conditions vous êtes rentré
32 dans ce collège ?
33 R. Disons, ce n'est pas un collège, c’était un petit séminaire qui éduquait
34 les candidats prêtres. C'est une école ecclésiastique qui appartenait à
35 l'évêque de Nyundo pour former les candidats prêtres.
36 Q. Et il fallait remplir des conditions pour pouvoir rentrer dans cet... ce petit

138 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 55


139 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 séminaire ?
2 R. Oui, bien sûr. Une des conditions pour rentrer dans cette école, il fallait
3 avoir des parents chrétiens et puis être retenu par le curé de la paroisse,
4 parce que c'est le curé de la paroisse qui choisissait, dans sa paroisse,
5 les élèves qu'il envoyait au petit séminaire comme candidats prêtres.
6 Q. Et est-ce que dans ce cadre du choix, il y avait des éléments sur une
7 base ethnique ?
8 R. Comme dans notre région, il n'y avait pas beaucoup de Tutsis, en tout
9 cas, le curé, c'était un élément déterminant, c'est lui qui devait... c'était
10 certainement subjectif, il avait d'autres conditions, je ne sais pas, mais
11 c'est le curé qui choisissait les enfants. Mais ce que j'ai pu savoir, c'est
12 qu'il privilégiait les enfants des parents chrétiens.
13 Q. Est-ce que vous connaissiez à cette époque une école qu'on appelait le
14 groupe scolaire d'Astrida ?
15 R. Oui.
16 Q. Est-ce que vous pouvez préciser à la Chambre : Ça venait... Elle était où
17 et qu'est-ce qu'elle faisait ?
18 R. Astrida, ça veut dire... dans le temps, c'est Butare qui... Astrida, c'est la
19 ville de Butare. Astrida, ça veut dire Butare — au sud.
20 Q. Et cette école était une école de quelle nature ?
21 R. C'est une école que l'administration belge sur place à Butare pour former
22 ses assistants dans tous les domaines — domaine administratif, domaine
23 technique, notamment l'agronomie, la santé et l'administration publique.
24 Q. Est-ce que vous auriez pu aspirer à rentrer dans une telle école ?
25 R. Pratiquement, non. C'était une école réservée, puisque l'administration
26 belge avait choisi d'administrer le pays dans cette période avec les Tutsis
27 qu'elle avait trouvés en place. C'est une école, pratiquement, des Tutsis.
28 Me CONSTANT :
29 Je vais faire distribuer un document, c'est le document 9, avec
30 l'autorisation de Monsieur Matemanga… avec l'autorisation de Monsieur
31 le Président.
32

33 Entre-temps, Monsieur le Président, je propose de déposer l'ouvrage du


34 Padre... l'extrait du Padre Alexis Kagame.
35 M. LE PRÉSIDENT :
36 Monsieur Matemanga, ce sera la D. B... ?

140 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 56


141 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 M. MATEMANGA :
2 « 204. »
3 M. LE PRÉSIDENT :
4 « A » pour le kinyarwanda, « B » pour la version française, « C » pour la
5 version anglaise.
6

7 (Admission de la pièce à conviction D. B 204 A, B et C)


8

9 Me CONSTANT :
10 Est-ce que Monsieur Matemanga peut distribuer la pièce ?
11

12 (Le greffier d'audience s'exécute)


13 Me CONSTANT :
14 Q. Vous avez le document, Colonel ?
15 R. Oui.
16 Q. D'accord. Est-ce que vous connaissez cet ouvrage ?
17 R. Je l'ai lu dans ces jours.
18 Q. D'accord. Est-ce que vous pouvez… dans l'extrait qui est à la page 25 ?
19 R. La page 25, oui, je suis là.
20 Q. Est-ce que vous voyez qu'il y a une figure 1, diagramme ?
21 R. Tableau 1 ?
22 Q. Oui. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre de quoi il s'agit ?
23 R. C'est une représentation ethnique aux divers organes du pays en 1959.
24 Q. Excusez-moi, vous vous trompez, vous êtes à la page 24, je vous parle
25 de la page 25.
26 R. Ah, oui ! À droite, oui, je vois les... je vois... Oui, je vois. Figure 1 :
27 « Pourcentage de Tutsis au groupe scolaire d'Astrida pour la période de
28 1932 à 1958. »
29 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer quel pourcentage approximatif qu’il y a
30 à l'époque où vous auriez pu rentrer dans un tel groupe scolaire,
31 c'est-à-dire dans les années 50 ?
32 R. Dans les années 50, la proportion des Tutsis à cette école, c'était 87 %.
33 Q. Vous êtes sorti du petit séminaire de Nyundo avec un diplôme ?
34 R. Avec un certificat.
35 Q. Et par la suite, vous nous avez parlé d'une école d'officiers. Vous pouvez
36 préciser de quoi il s'agit ?

142 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 57


143 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. C'est une école d'officiers de Kigali qui a été créée en 1960, qui a changé
2 de nom quelques années après et s'est appelée École supérieure
3 militaire.
4 Q. Elle se trouvait dans les mêmes locaux que ceux « dont » nous aurons
5 l'occasion de voir… ?
6 R. C'est dans les mêmes locaux et c'est seulement le nom qui a changé.
7 Q. Et vous êtes resté dans cette école combien de temps ?
8 R. À peu près deux ans.
9 Q. Et en vue de l'obtention de quel diplôme ?
10 R. C'est une licence en sciences sociales et militaires.
11 Q. Et à quoi donnait droit cette licence ?
12 R. Comme à l'armée, on n'avait pas besoin de diplôme... de diplôme
13 particulier pour travailler, c'est...
14 ça donnait à la sortie de l'école, on était promu sous-lieutenant.
15 Q. Donc à la sortie de cette école, en 1964, vous êtes devenu
16 sous-lieutenant ; c'est ça ?
17 R. Oui, oui.
18 Q. Est-ce que vous pouvez préciser, dans la hiérarchie des grades au sein
19 de l'armée, sous-lieutenant, ça signifie quoi ?
20 R. C'est le grade le plus petit, et... dans les hiérarchies militaires dans le
21 cadre des officiers.
22 Q. Donc, dès 1964, vous étiez officier de l'armée rwandaise ?
23 R. Oui.
24 Q. C'est un choix de votre part ?
25 R. Oui.
26 Q. Est-ce que vous pouvez-vous nous dire brièvement pourquoi vous avez
27 choisi cette carrière en 1962 ?
28 R. Il y a plusieurs concours de circonstances, parce qu'il y a d'abord la
29 révolution de 1959 ; il y a les indépendances des pays africains dans les
30 années 60 ; il se fait que le Rwanda étant un pays qui était sous tutelle, il
31 n'avait pas droit de former sa propre armée et, en vue de
32 l'indépendance, la colonisation… le pouvoir de tutelle belge a commencé
33 à former les militaires rwandais. Donc, je suis allé à... je suis allé à
34 l'armée pour... en vue de défendre, donc, les réformes démocratiques de
35 la révolution de 1959 et de protéger la République contre les
36 envahisseurs qui venaient de se créer

144 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 58


145 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 — et je parle des Inyenzi.


2 Me CONSTANT :
3 Je vais faire distribuer un document avec l'autorisation du Président.
4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Avez-vous l'intention de faire quelque chose de particulier de ce
6 document, la page 25, notamment ?
7 Me CONSTANT :
8 Je vais déposer de manière groupée, parce qu'il y a trois diagrammes
9 que j'ai à discuter dans l'extrait, Monsieur le Président. Donc, je vais
10 pouvoir les déposer tout à l'heure. Sauf, si vous voulez, on peut le
11 déposer tout de suite, comme vous souhaitez.
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Vous allez revenir à ce document ; c'est cela ?
14 Me CONSTANT :
15 Oui, Monsieur le Président.
16 Q. Vous avez le document en question, Colonel ?
17 R. Oui, je l'ai.
18 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer de quoi il s'agit ?
19 R. C'est un diplôme de l'École supérieure militaire — mon diplôme.
20 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer pourquoi il porte l'année de janvier 83 ?
21 R. Les diplômes ont été rédigés ultérieurement, parce que la loi qui délivrait
22 les diplômes à l'École des officiers n'était pas encore là. Au moment où
23 nous étions à l'école, on nous donnait des certificats qui portaient notre
24 mention de réussite, et c'est ultérieurement, quand la loi sur l'École
25 supérieure militaire a été décrétée qu'on a rempli les formulaires de
26 diplôme pour ceux qui avaient passé avant avec succès. C'est pour cela
27 que vous allez voir que... vous allez voir « 1er juin 1967, dont photocopie
28 annexée. » Ça veut dire que la photocopie annexée, c'était le certificat à
29 la sortie, en 64, qu'on m'a donné. Et comme il n'y avait pas de loi
30 délivrant des diplômes au titre académique, une fois la loi sortie, on a...
31 on a délivré les diplômes en bonne et due forme, en prenant soin de
32 signaler qu'ils annexaient donc dans le dossier original, on avait aussi le
33 certificat de sortie avant.
34 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser : Nous avons eu des témoins qui
35 ont parlé de promotion concernant l'École supérieure militaire. Est-ce
36 que vous avez fait partie d'une promotion ?

146 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 59


147 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. J'appartiens à la 3e promotion de l'école des officiers de Kigali.


2 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire : Il y avait combien de personnes dans
3 votre promotion ?
4 R. Nous étions 12.
5 Q. Et les 12 sont, après, rentrées dans l'armée ?
6 R. Nous étions 12 à l'école, à la sortie nous étions 10 et… mais aujourd'hui,
7 je ne sais pas combien il en reste.
8 Me CONSTANT :
9 Q. D’accord, vous nous avez fait état...
10

11 Monsieur le Président, si on veut, on peut déposer cette pièce.


12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Voulez-vous le faire, Maître Constant ?
14 Me CONSTANT :
15 Oui, Monsieur le Président, je veux le faire.
16 M. LE PRÉSIDENT :
17 Très bien. Cet extrait d'un ouvrage de Gacusi et Muze, j’imagine que
18 nous sommes d'accord que le pourcentage « 87 », à la page 25,
19 concerne effectivement 1947, 1948. En 1950, le pourcentage était plutôt
20 de 86, et dans les années 50, le pourcentage est tombé à 78— 77. C'est
21 ce que nous voyons sur le diagramme.
22

23 Vous voulez déposer ce document. Et ce sera…


24 M. MATEMANGA :
25 « D. B 205. »
26

27 (Admission de la pièce à conviction D. B 205)


28

29 Me CONSTANT :
30 Vous parlez du diplôme ?
31 M. LE PRÉSIDENT :
32 Non, je parlais de l'ouvrage. Passons au diplôme, maintenant.
33

34 Le diplôme, ça sera, Monsieur Matemanga… ?


35 M. MATEMANGA :
36 « D. B 206. »

148 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 60


149 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 (Admission de la pièce à conviction D. B 206)


2

3 M. LE PRÉSIDENT :
4 Q Je vois que vous avez eu votre diplôme avec mention, Colonel ?
5 R. Oui.
6 L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
7 Le microphone du Colonel était débranché lorsqu’il a répondu au
8 Président.
9 R. J'ai dit « Oui ».
10 Me CONSTANT :
11 Le numéro du diplôme, c’est « 266 » ; c’est ça, « 206 » ?
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 C'est exact.
14 Me CONSTANT :
15 Donc, l'extrait de l'ouvrage, c'est « 205 » ?
16 M. LE PRÉSIDENT :
17 C'est exact aussi.
18 Me CONSTANT :
19 Q. Concernant la formation que vous avez eue par la suite, vous avez parlé
20 d'une école française ?
21 R. Oui.
22 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire de quoi il s'agit ?
23 R. J'ai suivi l'École supérieure de guerre interarmées à Paris. Je dis : École
24 supérieure de guerre interarmées à Paris, parce qu'il y en avait quatre :
25 Une pour l'armée de l'air, une pour l'armée de terre, une pour la marine
26 et la quatrième École supérieure de guerre interarmées dans… dans
27 laquelle les trois autres écoles pouvaient... pouvaient partager certains
28 cours.
29 Q. Et qu’est-ce que vous avez… Dans quelles conditions vous êtes allé…
30 allé faire cette formation à Paris ? Et à quelle période ?
31 R. J'ai été désigné par le Ministre de la défense qui, à ce moment, était chef
32 d'état-major et Président de la République, le général Habyarimana
33 Juvénal. Et c'était en août 1980.
34 Q. Et à quoi servait cette formation ?
35 R. La formation des écoles de guerre, dans tous les pays, c'est pour donner
36 une formation pour les officiers supérieurs pour commander des grandes

150 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 61


151 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 unités à partir du bataillon… ou régiment, selon les pays.


2 Q. Mais quelle était l’utilité au regard de la réalité de l'armée rwandaise,
3 que vous alliez faire une formation au début des années 80 ?
4 R. L'École d’officiers de Kigali, devenue École supérieure militaire, elle
5 donnait une formation militaire pour commander un peloton, au départ,
6 et pour donner des stages aux officiers subalternes pour commander une
7 compagnie, et pas au-delà. Alors que pour commander des unités
8 supérieures
9 — bataillons, régiments, brigades, divisions —, il fallait des compétences
10 plus étendues.
11 Me CONSTANT :
12 Je vais demander à ce qu'on puisse distribuer des documents au témoin,
13 avec l'autorisation du Président. Et je voudrais simplement, Colonel,
14 quand vous les aurez en votre possession, que vous disiez de quoi il
15 s'agit pour qu'on puisse les déposer, s'il y a lieu.
16 M. LE PRÉSIDENT :
17 Q. Lorsque vous avez eu votre diplôme en 64, Colonel Bagosora, quelle était
18 la composition ethnique des 10 qui ont fait partie de votre promotion ?
19 R. Il n'y avait pas de Tutsis, tout comme il n'y avait pas les gens du Sud.
20 Me CONSTANT :
21 Q. En liaison avec cette question, pourquoi… quelle explication avez-vous
22 qu'il n'y avait pas de Tutsis et pas de gens du Sud ?
23 R. Pour commencer, l'École d’officiers, comme l’École supérieure militaire
24 ensuite, on y entrait volontairement et sur concours. Si vous ne venez
25 pas et que vous ne passez pas l'examen d'entrée, vous ne pouvez pas
26 entrer. Pour les gens du Sud, à cette période-là, ils n’y venaient pas pour
27 une raison principale : Parce que le Gouvernement était dominé par les
28 gens du Centre sud, et ils avaient les bourses étrangères, les bonnes
29 bourses — en Occident, notamment. Et les gens du Sud qui avaient le
30 Gouvernement, qui dominaient le Gouvernement, ils prenaient leurs
31 enfants, ils les envoyaient plutôt à l'étranger que de les amener dans
32 une école qui commençait, qui n’avait pas de renommée. Donc, c’est
33 pour cette raison que les Hutus du Centre sud ne sont pas venus
34 nombreux ; au début ils vont venir un peu plus tard, à partir de la
35 quatrième, 5e promotion, quand ils commencent à voir que ça fait… que
36 c’est un métier comme tant d’autres.

152 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 62


153 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 Pour les Tutsis, pour notre promotion, il n'y en avait pas. Mais dans la
3 première, ils étaient cinq, mais il y avait un Tutsi qui s’appelle Ruhasya
4 Épimaque, qui est à Kigali aujourd’hui. Ils ne venaient pas nombreux… Ils
5 ne venaient pas nombreux aussi pour cette bonne raison que la
6 révolution de 1959 avait créé un climat qui n’était pas… qui n’était pas
7 très attrayant pour eux pour venir à l'armée. Donc ,on ne les empêchait
8 pas de venir, mais ils n'étaient pas très intéressés à venir. C’est ça que je
9 peux dire.
10 Q. Une question pour que l’on puisse situer bien le problème : Dans les
11 années 50, dans le début des années 60, quelle est la proportion de
12 Tutsis qu'il y a au Rwanda par rapport à la population totale ?
13 R. Dans les années 60 ?
14 Q. 50 et puis 60 — les deux.
15 R. On disait 15 %, 14 % contre 85 %, parce que les Twas faisaient
16 probablement 1 %, disons, même moins.
17 Q. Vous avez trois documents dans vos mains, Colonel...
18

19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Pouvez-vous donner l'orthographe de ce nom, ligne 15:11:32, Maître
21 Constant, c'est-à-dire le seul Tutsi qui avait eu un diplôme, étant donné
22 qu'on a mentionné son nom ?
23 R. J'épelle « Ruhasya » : R-S-H-Y-A… Je recommence, j’ai fais gaffe : R-U-H-A-
24 S-Y-A. Épimaque… Épimaque. Il est de la 1e promotion.
25 M. LE PRÉSIDENT :
26 Oui. Évoquez à présent le document, Maître. Par quel document
27 voulez-vous commencer, Maître Constant ?
28 Me CONSTANT :
29 Q. Je voudrais préciser que dans la liste des documents 11, 12, 13… Est-ce
30 que vous pouvez, s’il vous plaît, nous dire, un à un, de quels documents
31 il s'agit ?
32 R. Il y a un qui est le brevet d'études militaires supérieures ; c’est un brevet
33 qu’on donnait à celui qui réussissait la formation dispensée dans cette
34 école.
35 Q. D'accord. Est-ce que vous pouvez voir le suivant ?
36 R. Le suivant, il s'agit du cours supérieur interarmées ; c’est un cours qu’on

154 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 63


155 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 suivait pendant six mois pour les quatre écoles de guerre — l'armée de
2 l'air, l'armée de terre et la marine — pour étudier en travaillant
3 ensemble, d'aborder les problèmes tactiques, stratégiques des
4 opérations au niveau interarmées ensemble. Alors, les quatre écoles de
5 guerre qui se trouvaient à Paris, à ce niveau-là, ils faisaient six mois
6 ensemble et ils avaient une formation spécialisée pour les préparer à
7 travailler ensemble, à faire travailler les gens ensemble de la marine, de
8 l'armée de l'air et de l'armée de terre ensemble.
9 Q. Excusez-moi, Colonel, mais je voudrais dire… au niveau de la
10 sténographie en français — et entre autres, à « 15:44:44 », mais
11 apparemment sans doute plus avant — que « interarmées » n'a rien à
12 voir avec « Interahamwe ». On n’est pas encore arrivé aux…
13 R. Non, non, non. Vous avez « interarmées »… Interarmées, ça veut dire
14 « entre plusieurs armées », c'est-à-dire l'armée de terre, l'armée de l'air
15 et la marine. Donc, c’est une formation qui « enseigne » les… les
16 stagiaires provenant des trois armées. Et c’est un cours approprié pour
17 leur apprendre « de » travailler ensemble.
18 Me CONSTANT :
19 Excusez-moi, c'est la même erreur à « 15:06:02 ». Bon, d’accord…
20

21 Apparemment, j’ai un problème parce que… Vous devez avoir une


22 troisième feuille…
23 R. Oui.
24 Q. … mais malheureusement, elle ne semble pas être dans les classeurs
25 pour les autres, donc nous n’allons pas pouvoir en parler, ou tout au
26 moins la déposer. Mais est-ce que vous pouvez dire rapidement quand
27 même de quoi il s'agit ?
28 R. Le troisième document, c'est un… c’est un certificat d'auditeur militaire à
29 l'Institut des hautes études de défense nationale. Ici, à ce niveau, après
30 les écoles de guerre, il y a une formation aussi où les militaires et les
31 civils — notamment, en France, ceux qui viennent de l'ENA ou ceux qui
32 sont dans les hautes administrations —, ils suivent ensemble ce cours
33 qui se situe au niveau stratégique le plus élevé de la politique. Et c’est
34 un stage que j'ai suivi après avoir terminé l'École de guerre quelques
35 mois après.
36 Q. Est-ce que vous pouvez nous indiquer les périodes de temps, pour les

156 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 64


157 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 besoins du procès-verbal, qui couvrent cette formation en France dans


2 les différentes écoles que vous nous avez dites ?
3 R. Pour l’École supérieure de guerre interarmées, il va d'août... de… du 1er
4 septembre 80 au 31 décembre 1981. Le cours supérieur interarmées, il
5 était suivi parallèlement dans la dernière phase, c'est-à-dire il y avait des
6 programmes, dans la dernière phase donc de la formation, les derniers
7 six mois ; c’est un cours qui était suivi parallèlement avec d'autres cours,
8 mais qui était programmé sur six mois, et il durait six mois exactement.
9 Et nous l'avons commencé… Celui-ci, nous l'avons commencé, je crois,
10 en août 80, pour le terminer en décembre 80… en août 81 pour le
11 terminer en décembre 81. Tandis que pour la section internationale à
12 l’Institut des hautes études que j'ai suivie, je l'ai « fait »… moi... je n'ai
13 pas les dates avec moi, mais ça a duré deux mois : Avril, mai 1982.
14 Q. Une question : Pourquoi faites-vous cette formation 15 ans après être
15 sorti de l'École d'officiers de Kigali ?
16 R. Pour… Pour aller suivre une formation comme celle-ci, il fallait être
17 retenu par le commandement de l'armée rwandaise. C’est à ce moment-
18 là que j'ai été désigné. J’avais demandé, en 1972, de suivre l'École de
19 guerre belge où nous avions déjà des stagiaires ; je n’ai pas été retenu.
20 J’ai attendu. Mais finalement, en 1980, je ne sais pas si on a répondu à
21 ma… à ma demande de ce temps-là, mais est-il vrai qu'à ce moment-là,
22 on m'a désigné. Et je suis parti, huit ans plus tard.
23 Me CONSTANT :
24 Je voudrais que l'on vous présente la pièce D. B 65. Ou éventuellement,
25 je peux simplifier la chose parce que je l’ai devant moi, donc je peux la
26 faire remettre à mon client, à l'appréciation du Président.
27

28 Entre-temps, Monsieur le Président, on peut déposer les deux… les deux


29 brevets, étant précisé que l’attestation d’auditeur à l’Institut des Hautes
30 études de défense nationale, je la produirai par la suite.
31 M. LE PRÉSIDENT :
32 Vous commencez par lequel ? « D-A-I-V-A-T… V-E-T (sic) » ?
33

34 Monsieur Matemanga ?
35 M. MATEMANGA :
36 « D. B 207. »

158 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 65


159 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 M. WHITE :
2 Monsieur le Président, tous ces documents ont déjà été versés en preuve
3 sous la cote D. B 65.
4 M. LE PRÉSIDENT :
5 Si c'est le cas, nous n'avons pas besoin de verser à nouveau ces pièces.
6

7 « D. B 65 »… du 11 décembre 1981, tout comme le brevet.


8 Me CONSTANT :
9 Je pensais que lorsque j’avais contre-interrogé le général Dallaire… que
10 je n’avais communiqué que les feuilles de notes, Monsieur le Président.
11 Mais s’il y a les deux diplômes…
12 M. LE PRÉSIDENT :
13 Le « D. B 65 », comme le dit Monsieur White, contient le brevet — B-R-E-
14 V-E-T — daté du 11 décembre 1981. Ensuite, il y a le document daté
15 du 11 décembre également, un document qui concerne les cours
16 supérieurs interarmées. Et il y a la feuille de notes
17 — F-E-U-I-L-L-E ; D-E ; N-O-T-E-S. Et, finalement, le document du
18 7 mai 1992 concernant les études supérieures. Donc tous les documents
19 sont là, dans cette pièce.
20 Me CONSTANT :
21 O.K. Est-ce qu'on peut remettre la feuille de notes, donc, qui est un
22 extrait de la « D. B 65 », au colonel Bagosora ?
23

24 (Le greffier d'audience s'exécute)

26 M. LE PRÉSIDENT :
27 Q. En 1981, vous aviez le grade de major ?
28 R. Oui.
29 Q. Est-ce que cela était normal ?
30 R. Oui.
31 Q. Est-ce que cela était conforme à l'évolution normale, si vous comparez
32 aux autres 10 les… aux 10 autres ? Est-ce qu'ils étaient au même niveau
33 que vous ou bien est-ce que vous étiez en avance ?
34 R. Sur ma promotion… pour ma promotion au grade de commandant,
35 j'avais subi un retard de six mois. Mais par la suite… J'étais en retard de
36 six mois par rapport aux autres de ma promotion, seulement.

160 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 66


161 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me CONSTANT :
2 Q. Vous avez le document qu'on appelle « Attestation de fin de stage et
3 feuille de notes » ?
4 R. Oui.
5 Q. D’accord. La deuxième page — j'espère — de l'attestation… de
6 l’appréciation de fin de stage… est-ce que vous avez un paragraphe
7 qu'on appelle « Synthèse de la personnalité » ?
8 R. Là où il est marqué « Appréciation d’ensemble » ou bien… Oui, je vois,
9 oui.
10 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez nous donner lecture de ce passage, s'il
11 vous plaît ?
12 R. « Officier au caractère calme et sérieux, qui a suivi avec beaucoup
13 d'attention l'enseignement dispensé au Cours supérieur interarmées.
14 Assidu et appliqué en tous domaines. A fourni un travail de qualité lors
15 des différents exercices, montrant ainsi à l’occasion d’exposés oraux
16 dont il avait la charge un esprit ouvert et perspicace. »
17 Q. Je voudrais que vous précisiez à la Chambre : Vous étiez le
18 « combienième » officier de l'armée rwandaise à aller faire une formation
19 en France ?
20 R. J'étais le premier.
21 Q. Auparavant, dans quel lieu les formations se faisaient ?
22 R. En Belgique.
23 Q. Est-ce que vous pensez que ce que vous venez de nous lire correspond à
24 quelque chose qui n'a pas de signification, ou bien c'est quelque chose
25 qui est… a une appréciation réelle, si vous pouvez répondre à cette
26 question ?
27 R. Là, je serais subjectif, parce que ce sont mes professeurs qui ont vu
28 comment j'étais. Je crois bien… Je pense que c'est vrai, mais ce sont eux
29 qui ont fait cette appréciation.
30 Q. Est-ce que l'on peut avoir, selon vous, une idée de ce que peut signifier,
31 pour un général de division — puisque c'est le signataire de ce
32 document — ce que signifie un cadre… un esprit ouvert ?
33 R. Ça veut dire… c’est… il est ouvert à tous les problèmes. Parce que vous
34 devez… Pour comprendre cette synthèse de la personnalité, il faut
35 remonter plus haut pour voir ce qui a été coté.
36

162 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 67


163 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Vous avez, plus haut, donc, « Qualités intrinsèques et comportant… et


2 comportement observés au cours supérieur interarmées ». C’est la
3 synthèse de tout ça. Vous avez l’esprit d'analyse, méthode, vous avez la
4 capacité de synthèse, l’imagination créatrice, jugement, réalisme,
5 culture générale. Et je vous fais remarquer que… Bon, le « 16 », c’est la
6 moyenne, c'est la note moyenne du groupe. Alors que le « B », c’est là
7 où j'étais supérieur par rapport au groupe. Donc ma note était dans le
8 groupe, je n’étais pas en dessous de la moyenne du groupe. Par contre,
9 j'avais des points au-dessus de la moyenne du groupe, dans la colonne
10 « B ». Et là, vous allez remarquer « ouverture d'esprit », vous allez aussi
11 remarquer les relations sociales, vous allez aussi remarquer la
12 présentation. Donc, c’est par rapport… c’est par rapport à ces trois
13 chapitres que, dans la synthèse, il a marqué ça : « Esprit ouvert et
14 perspicace. »
15 Me CONSTANT :
16 Merci. Je voudrais vous présenter deux documents qui sont les
17 documents 14 et 15, et je voudrais avoir votre opinion dessus.
18

19 (Le greffier d’audience remet les documents à Monsieur Bagosora)


20

21 Q. Ma première question est que vous puissiez nous indiquer si vous


22 connaissez ces documents.
23 R. Oui, ces documents, je les connais, c'est moi qui les ai élaborés.
24 Q. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre de quoi il s'agit ?
25 R. Je commence par celui qui a les diagrammes dessinés. Vous trouvez la
26 division et les unités... pardon, donc, le document qui est intitulé :
27 « Unités échelonnées au sein d'une division d'infanterie et formation
28 requise pour commander à chaque échelon. » Et puis, sur l'autre
29 document, vous y trouvez le schéma classique des chapitres donnait
30 l’ordre des opérations militaires.
31 Q. Est-ce que l'on peut revenir au premier document et que vous nous
32 expliquiez ce que ça signifie ?
33 R. Ce que j'ai voulu dire par ce tableau, je voulais montrer que l'École
34 Supérieure militaire, « il » forme le candidat officier à commander un
35 peloton. Et une fois officier, après un stage, l'École Supérieure militaire
36 donnait la formation pour commander une compagnie. Au niveau plus

164 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 68


165 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 élevé d'École supérieure de guerre, lui, il est destiné aux officiers


2 supérieurs, des jeunes officiers supérieurs qui sont candidats à
3 commander des unités supérieures à partir du bataillon ou régiment. Et
4 donc, l'École Supérieure de guerre est destinée à donner une formation
5 aux jeunes officiers supérieurs — je parle du commandant et du major —
6 à être aptes à commander un bataillon... — je parle à la sortie — à
7 commander un bataillon, à être chef de bureau — des bureaux 1, 2, 3 et
8 4 — dans une brigade et à pouvoir travailler dans les bureaux de la
9 division. Et pour... J'ai parlé de divisions, c'est un cas d'école que j'ai pris,
10 mais pour nous mettre sur le terrain au Rwanda, au niveau de la division,
11 mettez l'état-major de l'armée rwandaise ; et au niveau de la brigade,
12 mettez le commandement opérationnel du secteur opérationnel, alors,
13 vous avez les bataillons, pour que je puisse me faire comprendre.
14 M. LE PRÉSIDENT :
15 Maître Constant, les réponses que donnent le colonel Bagosora sont trop
16 longues. Quels sont les points qui vous intéressent particulièrement ?
17 Est-ce que le point important, notamment les noms de personnes à
18 chaque niveau, est-ce que c'est ça le point important, le point saillant de
19 toutes ces questions ?
20 Me CONSTANT :
21 Non, Monsieur le Président. Ce qui est important, c'est ce qu'il vient de
22 dire, à savoir qu'il commence à expliquer comment de d'état-major de
23 l'armée rwandaise à la section... — parce qu'il a dit… il y a un schéma
24 théorique qu'il faut appliquer à l'exemple rwandais — comment
25 fonctionne le commandement.
26 M. LE PRÉSIDENT :
27 Oui, mais essayez de structurer tout cet exercice-là un petit peu. Aidez le
28 témoin, s'il vous plaît.
29 Me CONSTANT :
30 Q. Colonel, est-ce que vous voulez expliquer comment des ordres, selon la
31 formation que vous avez reçue, puissent partir du haut, donc de ce qui
32 est marqué « division » — et que vous dites qui « équivalerait » à
33 l'état-major dans le cadre de l'armée rwandaise —, jusqu'en bas, à la
34 section. Comment les ordres sont transmis ?
35 R. (Intervention inaudible : Microphone fermé)
36 Q. Votre micro.

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167 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Au niveau de la division, les ordres se donnent comment ? D'abord, ils se


2 donnent par écrit. Ils se donnent par écrit. À ce niveau-là, les ordres se
3 donnent par écrit. Même quand on fait une réunion de concertation,
4 après, il y a des ordres écrits, à ce niveau-là. Il n'y a pas d'ordres verbaux
5 au niveau de la division comme au niveau de l'état-major de l'armée
6 rwandaise. Les ordres qu'on donne à ce niveau-là sont écrits. Alors, le
7 commandant de division, lui, donne ses ordres à ses commandants de
8 brigade. Il donne ses ordres par écrit à ses commandants de brigade et
9 quand il veut les voir, il les convoque dans son quartier général, dans son
10 centre d'opération, et il donne des ordres seulement à ses commandants
11 de brigade, pas en-deçà. Le commandant de brigade, lui, à son tour, lui
12 aussi, il donne des ordres écrits. Il peut convoquer les commandants de
13 bataillons dans son centre d'opération, les ordres à donner peuvent être
14 discutés, mais fin des fins, « cet » ordre-là doit être écrit. Vous
15 comprenez bien qu'à ce niveau-là, il faut qu'on puisse avoir des traces
16 des ordres donnés pour le contrôle et la vérification, à ce niveau-là. Le
17 commandant de brigade, donc, donne seulement des ordres à ses
18 commandants de bataillons. Pour dire qu'il ne descend jamais à la
19 compagnie. Le commandant de bataillon, lui, il a deux possibilités : Il
20 appelle ses commandants de compagnie, il leur donne des ordres, ils
21 prennent des notes, tout comme il peut « faire » des ordres et leur
22 transmettre des ordres écrits. Et si à ce niveau-là, le commandant de
23 bataillon aussi a la latitude, la possibilité, de donner des ordres
24 directement — à ce moment-là, c'est oral — à tout son bataillon. Mais ce
25 sont des cas exceptionnels en opération.
26

27 Donc, le commandant de brigade donne seulement des ordres à ses


28 commandants de bataillon, il ne va jamais en dessous. Le commandant
29 de bataillon, lui, donc, il donne des ordres à ses commandants de
30 compagnie et, occasionnellement, il peut réunir tout son bataillon. Une
31 fois arrivé à la compagnie, le commandant de compagnie donne des
32 ordres à son chef... À ses chefs de pelotons verbalement, oralement ;
33 c'est souvent oralement. Occasionnellement, il peut écrire, mais c'est
34 plutôt oral. Il peut... Il a aussi la possibilité d'appeler toute la compagnie
35 et de donner des ordres verbaux, oraux. Le chef de peloton, lui, il donne
36 des ordres à ses hommes, oralement, verbalement ; seulement, il a la

168 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 70


169 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 possibilité de donner les ordres, d'appeler les chefs de sections, leur


2 donner des ordres ou bien de rassembler tout le peloton, les chefs de
3 sections et leurs hommes ensemble, et donner des ordres à ce niveau.
4 Le chef de section, lui, il donne des ordres à toute sa section, et c'est
5 oral.
6

7 Ici, je voudrais donc souligner que la hiérarchie militaire, vous ne sortez


8 jamais... Dans la hiérarchie militaire, les ordres se donnent directement
9 au grand subordonné immédiat, jamais... On ne saute jamais d'échelon.
10 C'est l'exercice que je voulais présenter.
11 Q. Est-ce que, Colonel, pour les besoins de votre explication, vous pouvez
12 marquer en face de
13 « division » l'équivalent qu'il y aurait dans l'armée rwandaise ?
14 R. Oui, je dirais : « État-major de l'armée rwandaise. Parce que les effectifs,
15 effectivement, de l'armée rwandaise en 1990, c'était à peu près ça, 10
16 000 hommes.
17 Q. Vous pouvez marquer sur l'exemplaire que vous avez cela ?
18 R. Je mets « État-major de l'armée rwandaise ».
19 Q. Et en face de la « brigade », vous pouvez marquer l'équivalent que vous
20 nous avez dit qu'on retrouverait dans l'armée rwandaise ?
21 R. Je mets « Le commandement du secteur opérationnel ».
22 Q. De votre point de vue de ce que vous avez exposé, vous dites que du
23 niveau état-major au niveau commandant opérationnel, les ordres ne
24 peuvent être qu'écrits ?
25 R. Ils sont écrits.
26 Q. Quand vous dites qu'ils sont écrits, ça peut être de quelle nature ?
27 R. Ça peut être un télégramme, ça peut être une lettre, mais bien que ce
28 soit... il faut un document de référence des ordres qui ont été donnés.
29 C'est souvent des télégrammes qu'on utilise, mais pour une opération de
30 grande envergure qui a motivé des préparations spéciales, c'est écrit sur
31 plusieurs papiers, sinon, par un télégramme, pour aller vite.
32 Q. Et vous dites, pour les ordres qui vont de ce que vous appelez le
33 commandant opérationnel au niveau du bataillon ?
34 R. Ce sont des ordres écrits aussi.
35 Q. Vous excluez la possibilité d'ordres oraux ?
36 R. Le commandant de brigade peut appeler un commandant de bataillon

170 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 71


171 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 pour lui donner des ordres oraux, mais en opération sur le terrain, il ne
2 pourra pas l'avoir. Parce que, entre un bataillon qui est déployé... parce
3 que, entre un bataillon et le commandement OPS ou le centre
4 d'opération du commandant de brigade, il y a des kilomètres.
5 Cependant, il peut appeler un commandant de bataillon dans son
6 quartier général pour lui donner des ordres ; et souvent, il l'appelle pour
7 le consulter, pour qu'on étudie un problème ensemble. Et souvent, le
8 commandant de bataillon, il obtiendra ultérieurement, « dans » la suite,
9 un document qui précise les ordres qu'on lui a donnés verbalement.
10 Q. Donc, même s'il y a des ordres oraux, il y a une confirmation écrite, si je
11 comprends bien ?
12 R. En principe, oui.
13 Q. Est-ce qu’on peut donner un ordre à partir de la division — donc ce que
14 vous dites être l'état-major — directement au bataillon ?
15 R. Non. Mais à l'armée rwandaise... À l'armée rwandaise, comme il y avait
16 des unités qu'on appelait autonomes, c'est-à-dire qui ne dépendent pas
17 du commandement OPS, qui ne sont pas incorporées, ou bien qui sont
18 dans le commandement OPS, mais qui sont aussi autonomes, qui
19 dépendent directement de l'état-major... Ici, je donne un exemple :
20 Comme le bataillon paracommando ; comme le bataillon de
21 reconnaissance ; ces unités-là étaient autonomes et dépendaient
22 directement de l'état-major. Le… L'état-major pouvait... peut s'adresser
23 directement à ces unités, il s'agit des unités autonomes.
24 Q. Et dans ce cadre, les ordres sont faits sous quelle forme ?
25 R. L'état-major donne des ordres par écrit, toujours, par message ou par
26 lettre.
27 Q. Quelle est la cause de l'obsession de faire, au niveau de la direction, des
28 messages et des ordres écrits ? C'est fondé sur quoi, dans une armée ?
29 R. Normalement, dans les commandements militaires — d'ailleurs dans
30 toutes les sociétés de
31 niveaux —, avant de donner des ordres, vous les discutez... vous les
32 discutez, vous appelez les intéressés, vous les discutez, vous « faites »
33 les ordres après. Vous êtes sûr que les ordres que vous donnez, d'abord,
34 ont été compris, et quand vous les donnez, vous êtes sûr que vous leur
35 donnez des ordres convenables, qu'ils vont exécuter ensuite. Et ils auront
36 un élément de référence pour l'exécution de la mission, mais vous aussi,

172 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 72


173 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 vous aurez un élément de référence pour les contrôler. Parce que


2 commander, c'est contrôler. On dit que verba volant. Donc, les mots,
3 vous pouvez toujours raconter... Ça s'en va. S'il n'y a pas de trace, vous
4 ne pourrez jamais apprécier si l'ordre qui a été donné a été exécuté
5 convenablement.
6 Q. D'accord. Colonel, un des problèmes que nous avons dans cette cause,
7 c'est qu'une thèse sous-tendue de l'Accusation est qu’en fin de compte,
8 tout cela est bien beau et bien théorique, mais que ça ne marchait pas
9 dans l'armée rwandaise. Ainsi, par exemple, au chapitre 4.4 de l'Acte
10 d'accusation, on explique que c'est au regard du contexte régionaliste de
11 l’exercice du pouvoir au Rwanda, au regard des convictions politiques,
12 que c'est ce qui déterminait qui pouvait donner les ordres. Et dans votre
13 cas particulier, l'on estime que vous, vous pouviez donner des ordres
14 directement à des gens hors cette hiérarchie. Est-ce que vous pouvez
15 nous donner votre avis sur cette conception que développe l'Accusation
16 de l'organisation militaire de l'armée rwandaise ?
17 R. Mais c'est archi-faux et c'est inconvenable ! Tous les officiers qui se
18 trouvent dans cette organisation ont fait la même école, ils sont passés
19 par le même moule. Et puis, l'armée rwandaise est une... avait une
20 tradition, une tradition qui vient d'une armée... d'une armée belge qui
21 est quand même une grande tradition, et qui a accompagné le
22 développement de notre armée jusque dans les années 70. On était
23 ensemble, en tant que des cadres coopérants qui nous aidaient. Donc,
24 une armée qui a une telle tradition, une armée où vous avez tous les
25 officiers qui ont fait la même formation, s'il y a un irrégulier qui passe à
26 côté pour appliquer des ordres, des choses qu'ils n'ont pas appris,
27 personne ne va accepter. Personne ne va accepter, d'autant plus que le
28 contournement de la hiérarchie, en fait, c'est punissable même par les
29 règlements de discipline. Je veux dire que personne... Même si on avait
30 l'intention de le faire, les officiers à ce niveau-là sont tellement formés
31 dans ce sens que je viens d'expliquer que vous n'aurez personne pour
32 vous suivre dans cet errement. Pour moi, donc, c'est archi-faux.
33 Q. Une précision, pour que la Chambre suive bien : Vous avez parlé de
34 l'ancienneté de la coopération de l'armée belge avec l'armée rwandaise.
35 R. Oui.
36 Q. Est-ce que vous pouvez préciser si, en 94, il y avait encore des officiers

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175 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 belges coopérants au sein de l'armée rwandaise ?


2 R. Oui, au niveau du commandement à l'état-major, chez le G3, il y avait un
3 colonel. Au niveau des formations des unités commandos, il y avait des
4 instructeurs commandos à Bigogwe. Au niveau des services de santé à
5 Kanombe, on avait des médecins qui traitaient… par là. Donc, il y avait
6 encore des Belges dans l'armée rwandaise jusqu'en 1994.
7 Q. Qu'on soit très précis, Colonel, parce que c'est un élément quant même
8 important : Vous dites que l'on retrouverait des coopérants et des
9 officiers belges au niveau de l'état-major ?
10 R. Oui, il y avait un colonel conseiller du G3 de l'armée rwandaise. Et je
11 connais même le nom, c'est le colonel Baudouin.
12 Me CONSTANT :
13 Merci. C'est : B-A-U-D-O-U-I-N.
14 Q. Est-ce que vous pouvez préciser. Vous avez dit : « Au centre d'instruction
15 de Bigogwe, il y avait des Belges » ?
16 R. Il y avait des Belges, je crois, six.
17 Q. Excusez, je n'ai pas bien entendu ce que vous avez voulu dire.
18 R. Le nombre. Je dis qu'il étaient au nombre de six environ — nombre de
19 six.
20 Q. Est-ce que nous voulons bien parler du centre d'instruction dont
21 l'Accusation soutient, à travers un certain nombre de témoins, qu'il était
22 un centre d'entraînement des Interahamwe ou des miliciens ?
23 R. C'est bien cet endroit.
24 Q. Et vous maintenez qu'il y avait des officiers belges sur place ?
25 R. Il y en avait. Ils ont quitté... Ils ont quitté après, je crois, le 7 ou le 8. Ils
26 ont quitté au moment où les troupes belges sont venues évacuer les
27 ressortissants belges. Ça doit être entre le 8 et le 14.Je ne connais pas la
28 date, mais c'est dans cette période-là.
29 Q. Pour retourner à votre schéma, est-ce que vous soutenez ou non qu'au
30 niveau de la transmission des ordres, que les gens qui se trouvaient dans
31 l'armée rwandaise ne cédaient pas à d'autres considérations que les
32 enseignements techniques qu'ils avaient reçus dans les écoles
33 occidentales ?
34 R. Absolument. Même dans le règlement de discipline, vous avez... On vous
35 a dit que celui qui a le pouvoir du... les pouvoirs disciplinaires, c'est... à
36 chaque niveau, c'est le commandant d'unité. Il n'y a pas de

176 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 74


177 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 contournement, c'est la fonction : C'est le commandant d'unité, à chaque


2 niveau, ou le chef. Il n'y a pas des gens à côté qui disent, parce qu'ils ont
3 des relations particulières, qu'ils ont des pouvoirs.
4 Q. Je vais vous poser une question plus précise : Est-ce que vous vous
5 souvenez qu'à un moment donné, il y avait un Procureur, de l'autre côté
6 de la barre — qui, de mémoire, s'appelait Monsieur Ossogo, qui n'est plus
7 resté longtemps avec nous —, mais un jour, lors d'une plaidoirie, qui
8 avait longuement expliqué que tout ce qu'on disait n'avait rien à voir
9 avec les armées africaines qui, elles, ne répondaient pas aux
10 mêmes contingences que le schéma théorique que vous décrivez.
11 Qu'est-ce que vous pensez de cette affirmation ?
12 R. Je ne sais pas de quelle nationalité il est, mais c'est vraiment des propos
13 racistes, c'est dénigrant. Il serait ici, je le lui dirais.
14 Q. Je voudrais qu'on en arrive au deuxième schéma qui vous a été... que
15 vous avez dit avoir présenté. Et je voudrais que vous nous expliquiez de
16 quoi il s'agit et qu'est-ce que vous avez voulu faire à travers ce
17 document ?
18 R. Ce document que j'intitule « Le schéma classique des chapitres des
19 ordres d'opérations militaires », c'était quel ordre on donne aux armées,
20 un ordre d'opération. À chaque niveau, je dis à la section, quand le
21 commandant de section donne son ordre, il se réfère aux cinq chapitres,
22 à son niveau déjà. Le chef de peloton, quand il donne ses ordres
23 d'opérations militaires, dans les manuels de tactiques, à ce niveau-là, ce
24 sont les mêmes chapitre qui sont repris. Ces mêmes chapitres sont
25 repris... Quand on donne un ordre d'opération, ce sont les chapitres qui
26 sont abordés. Bien sûr, ça devient plus grand, plus développé ; plus vous
27 montez d'échelon, plus... ça sera plus développé. Mais les chapitres ne
28 changent pas, sont les mêmes, et cela est valable pour toutes les
29 armées classiques du monde.
30

31 Et si je pouvais vous... Si on me permettait de vous expliquer lesquels


32 chapitres, c'est pas long, un donneur d'ordre d'opération, il comprend,
33 celui qui donne l'ordre d'opération, il faut qu'il donne la mission, il faut
34 qu'il donne la situation ennemie, selon les informations sur l'ennemi, il
35 faut qu'il donne la situation amie, selon les informations amies, dans
36 quelle ambiance la mission va s'exécuter. Alors, il faut parler maintenant,

178 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 75


179 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 rien que dans le corps du sujet, il faut parler de l'exécution de la


2 mission ; là, vous avez les… (inaudible) sur la manoeuvre, les différentes
3 séquences de l'opération, et enfin, vous abordez le côté, disons,
4 logistique et les transmissions, les moyens de liaisons. C'est donc les
5 cinq chapitres qu'on apprend aux chefs de pelotons, que le commandant
6 de compagnie, les commandants de bataillons, les commandants de
7 brigades, les commandants de divisions, les chefs d’armées, qu'ils
8 utilisent pour donner leurs ordres. Donc, c'est... Ce sont des éléments qui
9 ne changent pas dans un ordre militaire.
10 Q. Une question : Ça fonctionnait aussi dans l'armée rwandaise ?
11 R. Absolument, oui, le chef de peloton, il utilisait ça. Le chef de... le
12 commandant de compagnie, il utilisait ça ; le commandant de bataillon,
13 de même. À tous les niveaux. C'est le schéma pour donner un ordre. Tout
14 le monde le « savent » par coeur.
15 Q. Nous avons abordé ce chapitre, mais excusez-moi de...
16 L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
17 Maître, pouvez-vous observer une pause ? Vous allez trop vite pour les
18 sténotypistes, s'il vous plaît.
19 Me CONSTANT :
20 Excusez-moi.
21 Q. Je vais vous poser une question bien concrète. Vous savez que, dans
22 notre dossier, il est question d'ordre de tuer ? Est-ce que vous voulez
23 dire, par rapport au schéma tel que vous le présentez que, hors d'un
24 contexte d'explications tel que vous le définit (sic) dans ces cinq points, il
25 n'est pas possible de donner un ordre à un militaire ?
26 R. Si vous étiez en train de commander un meurtre, ça, c'est... Ce n'est pas
27 militaire, ça ; un meurtre, ce n'est pas une opération militaire ; pas du
28 tout !
29 Q. Mais pour qu'un commandant donne un ordre à ses hommes, qu'il soit au
30 niveau du peloton, de la section, de la compagnie ou du bataillon —, de
31 tuer un ennemi, il va l'expliciter par un ordre simple ou bien il est obligé
32 de rentrer dans le cadre de ce que vous dites là ?
33 R. Mais de toute façon, toute mission se cadre. Vous donnez la mission de
34 dire : « Vous allez tuer tel » ; bon, admettons. Est-ce que la situation
35 ennemie... Donc, il faut donner l'environnement où vous allez trouver cet
36 ennemi. Est-ce que cet ennemi, il est protégé ? Est-ce qu'il a des alliés ?

180 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 76


181 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Est-ce qu'il est facile de le trouver ? Est-ce qu’on va utiliser tel, tel, tel ? Il
2 faut connaître, donc, la situation ennemie de cet individu que vous
3 voulez attaquer. Mais en tous les cas, même pour des bandits, ils doivent
4 connaître le milieu où ils vont, l'ambiance où ils vont jouer le meurtre.
5 Donc la situation ennemie : Savoir dans quelles circonstances, dans quel
6 milieu ils vont évoluer ; il faut qu'ils sachent, la situation ennemie,
7 comment elle se présente. Alors, si vous donnez un ordre à quelqu'un
8 pour, par exemple... je dis, pour venir tuer quelqu'un ici, dans la salle,
9 vous lui donnez des ordres étant en bas.
10

11 Je ne dis pas qui il doit tuer, mais on doit lui dire au moins que la salle est
12 sécurisée, qu'il y a des… (inaudible) qu'il y a beaucoup de monde, qu'il y
13 a autant d'hommes, que s'il doit s'y rendre seul, il risque de se faire
14 capturer avant qu'il ne termine sa mission. Il doit connaître
15 l'environnement ennemi tout comme il doit voir l'environnement ami. Il
16 dit : « Bon, de toute façon, ils sont nombreux là-dedans, mais à l'intérieur
17 de la salle, nous avons des complices, autant... qui veulent nous aider à
18 exécuter la mission » ; c'est la situation amie.
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Oui, c'était une exemple très intéressant, bien sûr.
21

22 Mais Maître Constant, est-ce que vous pouvez limiter tout cet exercice ?
23 Q. À votre avis, Colonel Bagosora, est-ce que la situation générale que vous
24 décriviez, que ce soit en relation avec le schéma et en relation avec le
25 modèle, s'applique également à la période d'avril à juillet 1994 et
26 s'applique à l'armée rwandaise ?
27 R. Ça s'applique à l'armée rwandaise pour combattre le FPR. Mais ce que je
28 voulais quand même ajouter sur ce schéma, c'est que quand vous avez
29 donné l'ordre de l'opération, une fois l'opération terminée, on fait
30 l'évaluation. Alors, l'évaluation va porter sur les mêmes chapitres : La
31 mission, situation ennemie, situation amie, exécution de la mission, les
32 appuis logistiques. Après, alors, vous voyez les enseignements :
33 Qu'est-ce que vous tirez de cette opération comme enseignement ? Et
34 après, quand vous avez recensé les enseignements, vous faites des
35 recommandations pour les opérations ultérieures. C'est ça que je voulais
36 dire.

182 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 77


183 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 M. LE PRÉSIDENT :
2 Oui. Maintenant, nous avons suivi cette réponse disant que cette
3 situation s'applique aux opérations contre le FPR. C'est ce qu'il a dit.
4

5 Est-ce que vous voulez suivre dans cette direction, Maître Constant ?
6 Me CONSTANT :
7 Oui, Monsieur le Président. Parce que je rappelle quand même… Je ne
8 vais pas citer tous les Actes d'accusation, mais on a dit que mon client a
9 donné un certain nombre d'ordres. Donc, je voudrais terminer sur ce
10 point.
11 Q. Vous êtes mis en cause, dans la nuit du 6 au 7 — sur laquelle nous
12 reviendrons après plus en détail — d'avoir donné un certain nombre
13 d'ordres. Ce que je veux savoir : Est-ce que les ordres qu'on dit que vous
14 auriez donnés, est-ce qu'ils peuvent sortir ou non de ce cadre, étant
15 acquis que vous êtes militaire et que les ordres qu'on nous dit que vous
16 auriez donnés auraient été donnés à des militaires, en tout cas en
17 partie ?
18 R. Pour commencer, je dois dire que le 6 avril, je n'étais pas militaire, j'étais
19 un officier de réserve. Oui. Donc, je n'avais pas le cachet militaire, j'étais
20 plutôt civil, le 6 avril. Ensuite, les ordres dont on parle, je ne les connais
21 pas, quitte à me donner un exemple.
22 Q. Concrètement, l'on dit qu'à un moment donné, vous appelez, par
23 exemple, à Gisenyi pour donner l'ordre de commencer des massacres.
24 R. Bon. Puisque je me trouve au Ministère de la défense, si l'ordre avait été
25 donné, il doit y avoir un document, un télégramme, par exemple. Parce
26 qu'à partir du MINADEF, (inaudible)… état-major de l'armée, tel que je
27 viens de vous l'expliquer, descendre jusqu'au commandant opérationnel
28 de Gisenyi, à partir du MINADEF, c'est inconcevable. Le commandant
29 opérationnel de Gisenyi doit demander des explications à son
30 état-major : Pourquoi cette fois-ci, c'est le Ministère qui se mêle de nos
31 affaires ? Ils ont le droit de poser la question.
32 Me CONSTANT :
33 Monsieur le Président, je voudrais déposer ces deux pièces, mais je
34 voudrais qu'on dépose les pièces qui sont aux mains de Monsieur
35 Bagosora, puisqu'il a fait des mentions manuscrites.
36

184 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 78


185 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 (Le greffier d'audience récupère les documents des mains de Monsieur


2 Bagosora)
3

4 Colonel, je voudrais passer... Excusez-moi, j'attends...


5 M. LE PRÉSIDENT :
6 Quelle sera la cote de la pièce suivante ?
7 M. MATEMANGA :
8 « D. B. 207. »
9 M. LE PRÉSIDENT :
10 Et « D. B 208 ». Voilà donc les deux pièces.
11

12 (Admission des pièces à conviction D. B 207 et D. B 208)

14 Q. Vous estimez donc que lors des événements d'avril à juillet 1994, les
15 instructions... les instructions écrites qui ont été données ont été
16 suivies ?
17 Me CONSTANT :
18 Q. Bon, je voudrais que l'on revienne en arrière, sur la question de la
19 révolution de 59. Est-ce que vous pouvez préciser à la Chambre : En
20 1959, que faisiez-vous ?
21 R. En 1959, j'étais... je faisais mes études secondaire au petit séminaire de
22 Nyundo.
23 Q. Vous étiez en quelle classe, particulièrement ?
24 R. Peut-être... Attendez. J'étais en quatrième latine. J'ai fait les humanités
25 gréco-latines.
26 Q. Est-ce que vous pouvez-vous nous dire si vous avez participé à ce qu'on
27 appelle la révolution de 1959 ?
28 R. Pas du tout.
29 Q. Est-ce que vous pouvez nous préciser si votre père a participé à la
30 révolution de 1959 ?
31 R. Non plus. Pour la simple raison que, en fait, il faisait partie dans l'ancien
32 régime ; il était la deuxième personnalité dans la sous-chefferie. Dans
33 notre sous-chefferie, il était conseiller de chefferie, il était donc de
34 l'ancien régime.
35 Q. Donc, si je comprends bien, il n'y a pas eu de participation directe ni de
36 vous ni de votre père dans les événements qui ont marqué cette

186 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 79


187 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 période ? Est-ce que, à vos yeux, comme le dit l'Acte d'accusation, 1959,
2 c'est le début de l'affrontement... : « C'est le début d'une période
3 d'affrontements ethniques entre Hutus et Tutsis au Rwanda ? »
4 R. Je n'ai pas bien saisi la question.
5 Q. Votre Acte d'accusation commence : « La révolution de 1959 marque le
6 début d'une période d'affrontements ethniques entre les Hutus et les
7 Tutsis au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont
8 immédiatement suivi des centaines de morts chez les Tutsis et l'exode de
9 milliers d'entre eux. » Je voudrais savoir : Quelle est la perception que
10 vous aviez ou... et que vous auriez aujourd'hui de ce qui s'est passé en
11 1959 ?
12 R. Les affrontements interethniques au Rwanda n'ont pas commencé en
13 1959. Je vous donne un exemple...
14 M. LE PRÉSIDENT :
15 Faisons attention avec le maniement des mots ici. Vous faites référence
16 au paragraphe 1.1, Maître Constant ? L'intitulé, c'est « Les conflits
17 ethniques » — « ethnics crashes » en anglais, « affrontements
18 ethniques » en français ; c'est bien de ce passage dont nous parlons
19 maintenant ?
20 Me CONSTANT :
21 Oui, Monsieur le Président, c'est la première phrase de tout l'Acte
22 d'accusation.
23 M. LE PRÉSIDENT :
24 C'est cela. Mais pour gagner du temps, est-ce qu'il y a des... est-ce qu'il y
25 a des disputes quant au fait qu'il y a eu des tensions avant 1959 ? Parce
26 que vos précédentes questions ont donné l'impression que l'Acte
27 d'accusation remet cela en question. Je serais surpris. Est-ce que le
28 Procureur estimait qu'il n'y avait pas de tensions ethniques avant 59 ?
29 M. WHITE :
30 Oui, Monsieur le Président, c'est cela. Je crois qu'on fait une distinction ici
31 entre le contenu ou sens des Articles. Et l'Acte d'accusation parle
32 « d'une » période d'affrontements, alors que mon collègue parle de « la »
33 période d'affrontements.
34 M. LE PRÉSIDENT :
35 Est-ce que nous ne sommes pas en train d'ouvrir la porte à différentes
36 interprétations ? Est-ce que nous avons besoin d'ouvrir un débat sur

188 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 80


189 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 cette période d'avant 59 ? Je ne pense pas. Tout au moins, il faudrait que


2 nous soyons précis sur l'objet de ce que nous évoquons.
3

4 Maître Constant.
5 Me CONSTANT :
6 Monsieur le Président, je n'ai peut-être pas suivi le même procès, mais
7 un des grands objets du débats quand Madame Des Forges est venue,
8 qui a été le seul témoin expert du Procureur en histoire qui s’est
9 prononcé, c'est que sa thèse, avant l'arrivée des colons, les Tutsis et les
10 Hutus sont heureux, ils vivent ensemble, ils sont gentils, et que ce sont
11 les méchants Belges qui ont fait tout cela se créer, et que même par la
12 suite, c'est les Belges qui provoquent, et que les Hutus remettent en
13 cause la domination des Tutsis. C'est la lecture de l'histoire que j'ai. Et
14 j'ai longuement contre-interrogé Madame Des Forges sur des textes et
15 des thèses historiques, entre autres, de Monsieur… (Inaudible) qui
16 s'opposait à sa thèse. Donc, je pense que les mots ont un sens, comme
17 ont dit : La révolution de 59 marque le début d'une période
18 d'affrontements ; ça signifie qu'avant, il n'y avait pas d'affrontements et
19 je conteste cette thèse.
20

21 Mais, Monsieur le Président, si vous ne voulez pas qu’on parle d’avant


22 59, je ne parle pas d’avant 59, donc je propose que l'on parle que de 59,
23 si vous le souhaitez. Donc, c'est ce que j'ai demandé à mon client :
24 Comment il perçoit 59 ?
25 Me SKOLNIK :
26 Monsieur le Président, je voudrais ajouter un mot à ce qui vient d'être dit,
27 parce que cela a une incidence sur toutes les équipes de la défense. Pour
28 la période précédant 59, c'est une période importante. Et si vous voulez
29 limiter l’intervention de Maître Constant pour qu’il n’évoque pas cette
30 période, il faudrait, à ce moment, ignorer le témoignage de Des Forges à
31 ce sujet. Je vous remercie.
32 M. LE PRÉSIDENT :
33 J'ai évoqué cette question parce que nous ne pouvons pas passer
34 beaucoup de temps sur des questions qui ne font pas l'objet d'une
35 objection. Et vous avez entendu le Procureur qui a fait une observation
36 sur la sémantique.

190 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 81


191 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Me SKOLNIK :
2 Monsieur le Président, la déclaration du Procureur est très ambiguë. Cela
3 ne signifie pas qu'ils sont en train de déconsidérer la déposition de
4 Madame Des Forges. Et je pense que dans les conclusions, à la fin du
5 procès, nous ne pouvons pas… nous pouvons peut-être revenir sur cette
6 question.
7 Il faudrait que nous passions à autre chose.
8 M. LE PRÉSIDENT :
9 C'est mon point de vue également.
10

11 Je ne voudrais pas vous empêcher de le faire, mais je voudrais que vous


12 remettiez tout cela en contexte, pour que nous puissions passer du
13 temps sur ce qui semble essentiel pour votre cause. Avec cela présent à
14 l'esprit, pouvons-nous continuer, Maître Constant ?
15 Me CONSTANT :
16 Je suis prêt à continuer, Monsieur le Président, il n’y a pas de problème.
17 Je ne veux pas plaider trop pour qu’on ait pas l’impression que je mette
18 des mots dans la bouche de mon client, mais vous noterez que toujours
19 pour le chapitre 1.1 que j'ai lu, non seulement il y a l'affirmation du
20 début, mais il y a aussi la présentation d'une suite avec laquelle nous ne
21 sommes pas d'accord.
22

23 Bon. Alors, je vais tenir compte de vos observations, Monsieur le


24 Président.
25

26 Ce que je voudrais, c'est déjà que l'on revienne à la pièce 9 — dont


27 j'avoue très sincèrement que j'ai complètement oublié si elle a déjà été
28 déposée ou non. C'est le livre de Gaguzi. En tout cas, j'ai un nouvel
29 exemplaire à remettre à mon client. Et j'indique que c'est la page... La
30 pièce 9, donc.
31 Q. Et je voudrais, Colonel, que vous arriviez à la page 24.
32 M. LE PRÉSIDENT :
33 Oui, « Gakuzi et… Modeste » — 205.
34 Me CONSTANT :
35 Q. Vous avez ce document, Colonel ?
36 M. LE PRÉSIDENT :

192 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 82


193 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Nous l'avons dans le dossier.


2 Me CONSTANT :
3 Q. Je voudrais que vous puissiez nous indiquer ce qui est contenu dans le
4 tableau 1.
5 R. Vous avez un tableau qui représente… représentation ethnique aux
6 divers organes du pouvoir en 1959. Là vous avez… Dans la première
7 colonne, vous avez donc les subdivisions de l'administration territoriale,
8 les différents chefs, les différents responsables ; à ces niveaux-là, vous
9 avez les Tutsis, vous avez la proportion, vous avez les Hutus, vous avez
10 leur proportion, vous avez le total, et puis l'indice de disparité.
11 Q. Je vous propose non pas de faire l'ensemble des éléments, mais
12 qu'éventuellement, vous puissiez nous indiquer, pour les chefs et les
13 sous-chefs, quelle était la situation ?
14 R. Pour les chefs… Pour les chefs, ils étaient 81, et la proportion était de
15 98,8. Il y avait un seul chef, mais pas au Rwanda, au Burundi — parce
16 que ce rapport, il concerne aussi bien le Rwanda que le Burundi, à mon
17 sens. Ça veut dire qu'au Rwanda, il n'y a est pas de chef. Les Hutus… Au
18 Rwanda, en fait, comme il n'y avait pas de chef… et le total, ça vous fait
19 82 ; donc sur 82 chefs, les Tutsis sont 81… Oui.
20

21 L'indice de disparité, je n'ai pas compris ce que ça veut dire.


22 Q. Et vous pouvez nous dire la répartition concernant les sous-chefs ?
23 R. Pour les sous-chefs, vous avez 1 050 sous-chefs tutsis, ce qui représente
24 95, 5 %. Vous avez
25 50 Hutus, ce qui représente 4, 5 %, sur un total de 1 100.
26 Q. Dans ce cadre, est-ce que vous pouvez nous dire comment ont
27 commencé les événements de 1959 qui vont aboutir à la révolution de
28 1959 ?
29 R. Je n'ai pas bien saisi la question.
30 Q. Ce que je vous demande, c'est que… : De votre souvenir de ce qui s'est
31 passé en 1959, qu'est-ce que vous « avez » des événements qui se sont
32 déroulés ?
33 R. Mais les événements de 59, pour parler d’eux, il faut parler du manifeste
34 des Bahutus de mars 1957 ; où ces Bahutus revendiquaient le partage
35 du pouvoir avec les Tutsis, demandaient l’égalité des citoyens. Et vous
36 avez la… la lettre des dignitaires de la cour royale de mai, je crois, 1958 ;

194 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 83


195 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 la réponse, c'est que les Tutsis n’ont rien à partager avec les Hutus, que
2 les Hutus devaient se contenter du servage « auquel » ils étaient acculés
3 depuis des siècles. En fait, c'est… c’est le refus même du partage du
4 pouvoir qui a provoqué la situation de 1959. Voilà.
5 Q. Est-ce qu’à votre sens, ce refus du partage du pouvoir, on va retrouver
6 cet aspect en 1994 ?
7 R. Absolument oui. Parce que le FPR, après avoir remarqué que, par la voie
8 des urnes, il n'aura pas tout le pouvoir… Cela s'était vérifié après les
9 élections régionales dans la zone de Byumba et de Ruhengeri en
10 septembre 1993 —, ils avaient échoué lamentablement, alors que c’était
11 la zone qui était pratiquement sous leur contrôle. Et c’est pour cela que
12 par la suite, ils feront tout pour empêcher la mise en application des
13 Accords d'Arusha, où ils ne pouvaient pas obtenir le pouvoir tel qu'ils
14 l'ont obtenu maintenant. Donc, la catastrophe de 1994 est une
15 conséquence, également, du refus du partage du pouvoir.
16 Me CONSTANT :
17 Je voudrais qu'on vous distribue deux documents, c'est le document 16
18 et 17, sous le contrôle du Président.
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Oui. Pour revenir à cette question que j'ai posée ce matin, si nous
21 examinons la liste, Maître Constant, voyez-vous, nous avons là une
22 division des différentes fonctions et les pourcentages à différents
23 niveaux, et j'imagine que le père du colonel Bagosora serait... ferait
24 partie du numéro 6, « Conseil territorial Rwanda » ; est-ce exact ?
25 Me CONSTANT :
26 Je pense que le colonel Bagosora est bien placé pour vous répondre,
27 Monsieur le Président.
28 L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
29 Micro, Colonel.
30 M. LE PRÉSIDENT :
31 Q. Est-ce que c'est une interprétation exacte de ce tableau ? Parce que
32 votre père n'était pas un conseiller supérieur, mais il relevait du conseil
33 territorial, donc il faisait partie du numéro 6, ici, n’est-ce pas ?
34 R. C'était plus bas. Il était dans les auxiliaires, dernier échelon. Parce que
35 les conseillers de chefferies, ils ne faisaient pas partie de la hiérarchie ;
36 les conseillers de… c'était plus bas. C’est au numéro 8, ou disons, si on

196 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 84


197 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 donne promotion, on pouvait être au numéro 7, effectivement. Je doute,


2 parce que ce n'est pas bien marqué ici, on ne nommait pas les
3 conseillers de chefferies. Je ne vois pas. Ça peut être au numéro 6 ou
4 numéro 7.
5 Q. Mais si nous prenons le numéro 8, le pourcentage était de 70 pour les
6 Tutsis et 30 pour les Hutus ; c'est ce que nous voyons aux numéros 8
7 et 7 ?
8 R. Plus vous descendez dans la population, plus la proportion des Hutus
9 montait.
10 M. LE PRÉSIDENT :
11 Oui, bien entendu. Merci.
12

13 Quel est le prochain document que vous voulez évoquer ou la prochaine


14 question, Maître Constant ?
15 Me CONSTANT :
16 C'est les pièces 16 et 17.
17 Q. Vous les avez, Colonel ? Vous devez avoir deux extraits de livres...
18 R. Oui, j'en ai deux.
19 Me CONSTANT :
20 Monsieur le Président, je pourrais procéder aux vérifications nécessaires,
21 mais je pense qu'au niveau du conseil territorial, ça ne doit pas être le
22 regroupement de tous les conseillers de chefferies. Je ne pense pas.
23 R. Ils devaient être plus nombreux.
24 Me CONSTANT :
25 Parce que vu le nombre de sous-chefferies qu'il y avait — 1 050 — je ne
26 pense pas que le conseil territorial n’aurait que 125 membres.
27 Q. Alors, si j'ai bien compris, Colonel, votre père était membre d’un conseil
28 de sous-chefferie ; c'est bien ça ?
29 R. De chefferie... De la chefferie.
30

31 Me CONSTANT :
32 Monsieur le Président, n'ayez crainte, il y aura un… avant la fin de ce
33 procès, un expert en histoire qui pourra répondre à toutes nos questions
34 sur ce point.
35 Q. Colonel, est-ce que vous pouvez regarder ces deux pièces et nous dire si
36 vous les connaissez et de quoi il s'agit?

198 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 85


199 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Le livre de Overdulve, je l'ai et je l’ai lu.


2 Q. D’accord. Le premier document qui commence par la page 98, de quoi
3 s'agit-il ?
4 R. Ici, il s'agit de ce qui est noté « Note sur l’aspect social du problème
5 racial indigène au Rwanda ». C'est le manifeste des Bahutus dont je vous
6 ai parlé.
7 Q. Je voudrais, sans trop nous appesantir, que vous puissiez nous dire…
8 Dans ce document, est-ce que vous pouvez aller à la fin, c'est-à-dire à la
9 page 111, et nous indiquer qui sont les signataires de ce document ?
10 R. Je les vois.
11 Q. Est-ce que vous pouvez nous indiquer si ces noms vous disent quelque
12 chose ?
13 R. Certains d'entre eux, je les ai connus.
14 Q. Pouvez-vous nous préciser qui ?
15 R. Maximilien Nyonzima, c'est un politicien de Gitarama. Grégoire
16 Kayibanda, c'est le Président de la première République. Claver Ndahayo,
17 c'est aussi un politicien de Gitarama. Isidore Nzeyimana, c'est un
18 politicien de Butare. Calliote Mulindavi, c'est un politicien de Gitarama et
19 qui fut Ministre de la garde nationale dans les années 60. Godefroy
20 Sintama, c’est un politicien de Gitarama. Sylvestre Munyanbonira, je ne
21 le connais pas. Joseph Sibomana, je ne le connais pas. Joseph
22 Habyarimana alias Gitera, c'est un politicien de Butare.
23 Q. Vous avez appelé ça « Manifeste des Bahutus », mais le titre qui y est
24 marqué, c'est… à la page 98, c’est « Note sur l'aspect social du problème
25 racial indigène au Rwanda. »
26 R. Oui, c'est le même texte qui a porté ce nom. Plus tard, c'était Le
27 manifeste des Bahutus. Mais c’est le même… C’est le même texte.
28 Q. Et pourquoi ça s'est appelé « Manifeste des Bahutus » ?
29 R. Vous voyez, un peu plus haut, sur la même page 98, on lit : « Voici le
30 texte intégral du manifeste des Bahutus, tel qu'il est apparu dans le livre
31 de Nkundabagenzi, Rwanda politique, les dossiers de… etc. »
32 Q. Mais vous ne répondez pas à ma question. Ça, j'ai bien compris
33 qu’aujourd’hui, ça s'appelle le manifeste des Bahutus. Ce que je ne
34 comprends pas, c’est qu’au début, ça ne s’appelait pas comme ça, et
35 pourquoi, par la suite, on l’a appelé comme ça.
36 R. Je crois que c'est à partir de ce Nkundabagenzi qui a écrit ce livre, et qu'à

200 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 86


201 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 partir de cela, il se référait sur le livre en Nkundabagenzi doit avoir


2 lui-même qualifié ce texte de Manifeste des Bahutus ; c'est à mon avis,
3 je n'ai pas de...
4 Q. Pour les sténotypistes, Nkundabagenzi, c’est : N-K-U-N-D-A-B-A-G-E-N-Z-I.
5 Est-ce que…
6 M. LE PRÉSIDENT :
7 Et de manière plus générale, il y a de nombreux noms qui ont été
8 énumérés, très rapidement, les sténotypistes vont trouver ces références
9 à la page 111 dans ce livre rédigé par Overdulve. Ce n'est pas très
10 difficile à retrouver ; ça sera la page 111.
11

12 Question suivante.
13 Me CONSTANT :
14 Moi, c'est toujours dans la perspective de ce que dit le Procureur dans
15 son Acte d’accusation, à savoir que 1959, c'est le début d'une période
16 d'affrontements. Est-ce que, dans ce document, il y a des éléments qui
17 permettent de penser que les Bahutus souhaitent l'affrontement avec les
18 Tutsis ?
19 R. Non, ils ne souhaitent pas l'affrontement, ils souhaitent l’égalité de droits
20 en tant que citoyens rwandais.
21 Q. Est-ce que vous pouvez aller à la page 101 de ce document ?
22 R. Je suis là.
23 Q. Vous avez vu le titre du paragraphe 2 ?
24 R. « En quoi consiste le problème racial indigène ? »
25 R. Est-ce que vous pouvez indiquer à la Chambre quels sont les problèmes
26 que posent rapidement les signataires dans ce document ?
27 R. Oui, il y a le monopole politique tel que nous l’avons sur le tableau ; c'est
28 le problème n° 1. Le monopole économique et social qui était lié au
29 travail ; il y a le travail. Et puis à ce moment-là,
30 il y avait le problème du clientélisme où, si vous étiez chef, sous-chef
31 — je peux le voir, mon père en a bénéficié un peu aussi à son niveau —,
32 vous pouvez avoir une main d'oeuvre gratuite pour travailler chez vous.
33

34 Voilà. Donc il y a le monopole économique et social.


35

36 Point n° 2 : Le monopole culturel. Le monopole culturel, en fait… La cour

202 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 87


203 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 royale voulait imposer son idéologie, cette idéologie de… disons de… de
2 supériorité ; donc, d'avoir une population catégorisée, les Tutsis devant,
3 les Hutus quelque part au milieu, et les Twas en dernière catégorie. Alors,
4 le monopole culturel, et puis…
5

6 Et je crois que les grands sujets qui ont été traités sur cela — monopole
7 culturel, monopole socioéconomique, monopole politique — sont les
8 grands points qui se trouvent dans ce document.
9 Q. Est-ce que vous pouvez nous indiquer quelles étaient les principales
10 revendications de ces signataires de ce qu'on a appelé « Le manifeste
11 Bahutu » ?
12 R. C'est l’égalité des droits. En résumé, c’est ça.
13 Q. Est-ce que vous pouvez aller à la page 104 ?
14 R. J'y suis.
15 Q. Bien. Premièrement, est-ce que vous pouvez indiquer de quoi il s'agit ?
16 R. La suppression des corvées.
17 Q. Est-ce que c'est en relation avec ce que vous disiez tout à l'heure ?
18 R. C’est ça. Les Hutus faisaient les corvées pour travailler pour rien chez
19 leurs maîtres tutsis ou ceux qui ont été, disons, cooptés dans leur… dans
20 leur commandement, comme mon père.
21 Q. Vous indiquez bien que votre père lui-même a bénéficié de…
22 R. Dans une certaine mesure, oui, parce que je voyais les… quelques gens
23 qui venaient travailler pour rien.
24 Q. D’accord. Le deuxième point ?
25 R. C'est la reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle.
26 Q. Ça portait sur quoi, cet aspect ?
27 R. C'est-à-dire que les terres, au Rwanda, appartenaient disons au pouvoir,
28 évidemment dominé par les Tutsis, d’où… Les Tutsis avaient droit de faire
29 paître leurs vaches, leurs troupeaux dans les propriétés, dans les champs
30 des Hutus. Le Hutu avait droit de cultiver la… son champ ; après la
31 récolte, il n'avait plus droit d’y mettre les pieds. Ce sont les vaches des
32 Tutsis qui devaient paître jusqu'à ce que le Hutu revienne à la saison… à
33 la saison, disons, des cultures. Ils voulaient que…
34 Ils voulaient que chacun ait sa propriété, que le Tutsi, s'il a des vaches,
35 qu’il ait son champ, qu'il ait sa ferme, qu’il ait son pré pour élever ses
36 vaches, et que le Muhutu aussi ait sa propriété où il peut élever ses

204 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 88


205 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 troupeaux et cultiver sans que le Tutsi vienne y faire paître ses vaches.
2 C’est bien ça.
3 Q. Pour terminer, est-ce que vous pouvez aller à la page 105 qui est à côté
4 et nous dire le cinquième point des revendications ?
5 R. C'est la liberté d'expression.
6 Q. Parce que les Hutus n'avaient pas de liberté d'expression à ce
7 moment-là ?
8 R. Ah, non ! Il fallait vous exprimer. Normalement, la… le système
9 d’ubuhake, vous devez apprendre à deviner ce que le patron veut et
10 parler dans ce sens.
11 Q. Est-ce que vous confirmez ou vous infirmez que dans ce document
12 de 57, il n’y a pas d’appel à tuer les Tutsis ou d’appel à ce que les Tutsis
13 quittent le Rwanda, comme on semble le comprendre à la lecture du
14 chapitre 1.1 de l'Acte d'accusation ?
15 R. Pas du tout. Ils demandent seulement le partage du pouvoir, l'égalité des
16 droits. C’est une demande, et une demande assez polie.
17 Q. Est-ce que nous pouvons arriver au document suivant que je vous ai
18 distribué ?
19 R. Je suis là.
20 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ?
21 R. Ici, je vois...
22 M. LE PRÉSIDENT :
23 Sommes-nous en train d'exploiter l'ouvrage Lugan ou est-ce qu’il s’agit
24 du deuxième extrait de l’ouvrage de Overdulve ?
25 Me CONSTANT :
26 C'est le deuxième extrait, Monsieur le Président. Je ne suis pas encore
27 passé à Lugan.
28 Q. Est-ce que vous avez ce document, Colonel ?
29 R. Je l’ai.
30 Q. Est-ce que vous pouvez me dire de quoi il s'agit ?
31 R. Il s'agit de... Je vais lire pour… « Voici le détail historique du règne des
32 Banyiginya au Rwanda ».
33 Q. Non, excusez-moi, nous sommes à la page 115. Je ne sais pas où vous
34 êtes…
35 R. Page 115 ? Est-ce que je l’ai ? Je ne l’ai pas eue.
36 Q. Bon, je vais vous donner mon exemplaire parce qu’apparemment, il y a

206 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 89


207 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 un problème de photocopie.
2 M. LE PRÉSIDENT :
3 Très bien. Assurez-vous que nous avons également tous un exemplaire
4 de la page 115, parce que notre document commence avec la page 116.
5

6 Quelle est la question, Maître ?


7 Me CONSTANT :
8 Je souhaiterais que mon… mon client identifie le document.
9 R. Le document est intitulé « Écrit des Baragu Bakuru b’Ibwami du
10 17 mai 1958 ».
11 Q. Est-ce que vous pourriez, premièrement, épeler le nom que vous avez
12 donné ?
13 R. « Bagaragu », j’épelle : BAGARAGU. « Bakuru » : B-A-K-U-R-U.
14 « B’ibwami » : B’I-B-W-M-I (sic).
15 Q. Est-ce que vous pouvez dire de quoi il s'agit ou de qui il s'agit ?
16 R. Ici, il s'agit des… des… de l’écrit des grands dignitaires de la cour royale
17 à cette époque.
18 Q. D’accord. Est-ce que vous pouvez, à ce moment-là, aller à la page
19 suivante et nous dire l'essentiel de ce qu’il y aurait dans ce document, et
20 éventuellement si vous souhaitez lire un extrait ?
21 R. Comme ce livre, je l’ai… Ils répondent, en fait… Ils répondent au
22 manifeste des Bahutus. Et je peux vous lire un passage qui m'a frappé,
23 c’est à la page... — je ne vois pas de pagination ici... — page 117,
24 premier paragraphe où ça commence par :
25

26 « Or, les relations entre nous, Batutsis, et eux, Bahutus, ont été de tout
27 temps, jusqu'à présent, basées sur le servage. Il n'y a donc, entre eux et
28 nous, aucun fondement de fraternité. En effet, quelle relation existe
29 entre Batutsis, Bahutus et Batwas ? Les Bahutus prétendent que
30 Batutsis, Bahutus, Batwas sont fils de Kanyarwanda, leur père commun.
31 (Inaudible)… avec qui Kanyarwanda les a engendrés ? Quel est le nom de
32 leur mère et de quelle famille elle est ? »
33

34 Ici, en fait, c'est un refus de partage.


35 Q. Une question, Colonel : Est-ce que vous pouvez nous dire : L’évocation
36 de Kanyaranda, tout cela, c’est en référence aussi avec des légendes ?

208 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 90


209 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 R. Bon… Disons, c’est l’ancêtre commun des Tutsis dans l'arbre


2 généalogique tel que je l'ai donné, et ils l’ont… qui va jusqu'à
3 Kanyarwanda.
4 Q. Est-ce que vous avez souvenir de ces deux documents en 1959, quand
5 vous étiez au petit séminaire de Nyundo ? Est-ce qu’on en a parlé ?
6 R. Oui, mais c’était pas dans le livre, c’étaient des… des feuilles… Donc,
7 c'était sous forme soit de lettres… c’était pas un livre comme ça.
8 Q. O.K. Mais ce que je veux savoir, c’est que ça a fait l'objet des débats au
9 sein de votre école ou non ?
10 R. On n'a pas discuté de ces documents, mais nous les avons lus. On les a
11 lus.
12 Me CONSTANT :
13 Monsieur le Président, ce que je propose, c’est que mon client…
14 Monsieur Matemanga récupère le document pour faire la copie de la
15 page 115, parce que je n’ai pas d’autres exemplaires devant moi, pour
16 qu’on puisse produire le document.
17 Q. Ce que je deux savoir, c'est : Entre ces documents que nous avons vus,
18 celui de 57 que vous avez dit être le manifeste des Bahutus, et mai 58,
19 celui-ci… Je voudrais savoir : Est-ce que, selon vous, ces conseillers du
20 Roi exprimaient la position de tous les Tutsis ? D'une majorité tutsie ?
21 D’une minorité tutsie ? Qu’est-ce qu’ils exprimaient exactement ?
22 R. Mais c’est la… C’est le haut commandement de la hiérarchie des Tutsis.
23 Les abagaragirwa, c’est au plus haut échelon de la classe des Tutsis.
24 Donc, ça reflétait l'idéologie, ça reflétait les idées des Tutsis, ça reflétait
25 ce que le commandement tutsi voulait, parce que n’oublions pas tous les
26 Tutsis n’ont pas bénéficié tel que… Il y avait des petits Tutsis qui se
27 perdaient finalement dans la classe des Hutus, à un certain moment. Je
28 parle donc des Tutsis au niveau du commandement de la direction du
29 pays. Ceci exprime la politique… la politique du pouvoir en place à ce
30 moment-là, qui est dominé par les Tutsis.
31 Q. Mais, Colonel, est-ce que vous pouvez expliquer comment on en arrive,
32 entre la position du manifeste, le refus des conseillers du roi et la
33 violence… Qu’est-ce qui se passe ? Comment naît cette violence ?
34 R. Vous avez les Bahutus qui continuent à revendiquer leurs droits ; vous
35 avez les Tutsis qui se braquent, qui nous refusent… qui refusent
36 catégoriquement de partager. Vous vous rendez compte… à un certain

210 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 91


211 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 moment, il y a des tensions. Et dans le conseil supérieur du pays où il n’y


2 avait que quelques Hutus, disons, la bagarre a été ouverte au point que
3 même le mwami Rudahiwa, à l'époque, a dû intervenir au cours de la
4 réunion pour dire : « Le problème Hutus/Tutsis n'existe pas. Ceux qui
5 veulent le soulever, ce sont les ennemis de l'unité nationale. Il faut les
6 combattre par tous les moyens. »
7 Q. Je vais remettre un document et vous allez nous dire… Est-ce que vous le
8 connaissez ? Est-ce que ça correspond à quelque chose ?
9 M. LE PRÉSIDENT :
10 Pouvez-vous revenir à la ligne 16:46:48, Maître Constant, s'il vous plaît ?
11 Regardez la réponse, les trois premières lignes. Je pense qu'également
12 en français, nous n'avons pas obtenu ces informations. Est-ce que vous
13 pouvez nous donner ces noms, s'il vous plaît ? Ce n'était pas
14 compréhensible du tout.
15 Me CONSTANT :
16 C'était pas un nom, Monsieur le Président, c'était une question. Je
17 demandais comment nous étions arrivés du manifeste des Bahutus… du
18 refus des conseillers, à la violence.
19 M. LE PRÉSIDENT :
20 Oui, peut-être qu'on doit avoir des versions différentes.
21 Q. Monsieur le Témoin, en réponse à une question, vous avez dit que c'était
22 le haut commandement des… de la hiérarchie tutsie. Vous avez donné le
23 nom… des noms en kinyarwanda, qui commencent avec « BAG ». Est-ce
24 que vous pouvez reprendre ce nom très long, parce que nous l’avons
25 perdu. Pouvez-vous l’épeler, s’il vous plaît ? Je ne sais pas si c'est
26 important, mais il faut quand même qu’on puisse lire correctement les
27 transcripts. Allez-y, s'il vous plaît.
28 R. J'avais parlé des abagaragu b’ibwami.
29 M. LE PRÉSIDENT :
30 C'est celui-là. Bien. Maintenant, aidez-nous avec cette expression, s'il
31 vous plaît.
32 R. Pour les… pour la traduire ou bien pour donner l'épellation ?
33 M. LE PRÉSIDENT :
34 Commençons avec l'épellation.
35 R. B-A-G-A-L-A-G-U (sic)… Vous espacez, B-’-I-B-W-A-M-I. En français, ce sont
36 les grands dignitaires de la cour royale.

212 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 92


213 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 M. LE PRÉSIDENT :
2 Ensuite, les interprètes ont attiré notre attention sur votre réponse très
3 longue.
4 Q. Est-ce que vous avez donné des noms également dans cette réponse ?
5 R. Dans la réponse, j'ai donné le nom du mwami… du mwami Rudahiwa : R-
6 U-D-A-H-I-W-A.
7 M. LE PRÉSIDENT :
8 Je vous remercie.
9 L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
10 Le micro du Président.
11

12 À présent, maintenant… Vous voulez passer maintenant à l’ouvrage de


13 Lugan, je crois, Maître ?
14 Me CONSTANT :
15 Je vais poser deux questions parce que j’ai lu le… le « script », et c’est
16 vrai que ça n’a pas l’air compréhensible avant. Je vais répéter deux
17 questions.
18 Q. La première question, Colonel : Nous avons cette déclaration de mai 58 ;
19 je voudrais savoir : Est-ce qu’elle représentait l’avis des Tutsis, de la
20 majorité des Tutsis ou d'une minorité des Tutsis ? Comment était-elle
21 perçue ? Et à quoi correspondait-elle ?
22 R. Ceci représentait, je vous ai dit, l'idéologie de tout tutsi. Dire que le Tutsi
23 n'a rien à partager avec le Hutu, c'était l'idéologie générale de tout tutsi.
24 Q. Deuxième question : Comment en arrive-t-on du manifeste de 57 des
25 Bahutus à ce refus, au phénomène de la violence ? Pourquoi arrive-t-on
26 au phénomène de la violence ?
27 R. Bon. J'avais un problème.
28 Q. Vous voulez de l'eau ? Vous ne vous sentez pas bien ?
29 R. Un peu d'eau, mais de l'eau chaude.
30

31 Le problème, c'est que les Hutus ont continué à demander l’égalité, le


32 partage. Les Tutsis, eux aussi, ils ont refusé. Mais bien entendu, il y a un
33 élément… il y a un élément qui… dont nous n'avons pas parlé, c’est le
34 pouvoir de tutelle qui est en place....
35

36 (Le greffier donne de l’eau boire au témoin)

214 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 93


215 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 Merci.
3

4 … le pouvoir de tutelle qui veut aussi, pendant cette période, introduire


5 des réformes démocratiques. Donc, depuis les années 50, quand je vous
6 ai parlé des élections de 1953, ces élections sont organisées par la
7 tutelle belge, n’est-ce pas ? Alors, l'administration coloniale voulait faire
8 des réformes dans le même sen que les revendications des Hutus ; ce
9 qui fait que… donc que les Hutus, leurs revendications, à un certain
10 moment, ont été soutenues par l'administration coloniale. Alors, au
11 moment où les Tutsis voient que l'administration coloniale se « coalise »,
12 dans une certaine manière, avec leurs sujets, ils prennent l'initiative
13 d’utiliser la terreur pour faire taire les Tutsis qui parlent. Et c’est à cette
14 occasion que le seul sous-chef hutu du… de Gitarama fut agressé. Et la
15 révolution commence par ce coup ; peut-être qu’il n’était programmé,
16 mais ce coup de frapper, d'agresser le seul sous-chef hutu qui se trouvait
17 à Gitarama s’appelle Mbonyumutwa… J’épelle, peut-être ?
18 Q. Non, je pense que ce n’est pas la peine, je dois l’avoir.
19 R. Très bien.
20 Q. C’est le « 72 » de la liste. Allez-y.
21 R. Les Tutsis commencent donc à agresser les Hutus pour les terroriser,
22 pour les empêcher de parler, de s'exprimer. Ils frappent ce sous-chef
23 hutu, la population locale se soulève. Je ne pense pas que c'était
24 programmé, mais la jacquerie commence ; ça prend une colline, ça
25 prend une autre, ça dépasse la frontière de la… du territoire de
26 Gitarama, ça arrive à Ruhengeri, ça arrive à Gisenyi ; finalement, c’est la
27 jacquerie partout dans le Rwanda.
28

29 Mais au même moment que les Hutus, donc, s'attaquaient… Ils ne


30 s'attaquaient pas à tout Tutsi, je précise. À ce moment-là, ils
31 s'attaquaient à ceux qui avaient des places politiques dans
32 l'administration : Des sous-chefs, des chefs. La population, à ce
33 moment-là, ne fut pas concernée
34 — il faut préciser ça.
35 Me CONSTANT :
36 D’accord. Je voudrais que Monsieur Matemanga remette un document à

216 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 94


217 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 mon client pendant que je continue à lui poser des questions.


2

3 (Le greffier d’audience s’exécute)


4

5 Q. Est-ce que vous voulez dire par là que l'origine de la violence qui se
6 manifeste en 59 ne vient pas des Hutus, mais des Tutsis ?
7 R. Ce sont les Tutsis qui ont… qui ont attaqué les premiers en attaquant le
8 seul sous-chef hutu qui se trouvait à Gitarama.
9 Q. Est-ce que vous faites un parallèle entre ça et ce qu'on va connaître
10 quelques années plus tard ?
11 R. Je peux dire que chaque fois que… Par exemple, chaque fois que les
12 Inyenzi attaquaient dans une région, il y avait chaque fois des
13 représailles sur les Tutsis qui vivaient dans la région, malheureusement,
14 mais c'était comme ça.
15 Q. Vous avez le document sur vous… près de vous, là ?
16 R. Oui, je l'ai.
17 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire de quoi il s'agit ?
18 R. C'est un extrait du livre de Bernard Lugan sur l'histoire du Rwanda de la
19 préhistoire à nos jours.
20 Q. Apparemment, vous avez fait tout à l'heure référence à un élément qui
21 est dans l'extrait qui est produit à la page 354 ; est-ce que vous le
22 confirmez ?
23 R. Vous dites ?
24 M. LE PRÉSIDENT :
25 De quelle page s'agit-il ? J'espère qu'on a la même… « 354 » (sic) et
26 « 355 » (sic).
27 R. Oui, j'ai ça.
28 Q. D’accord. Vous avez fait référence à un événement qui aurait eu lieu…
29 R. Oui.
30 Me CONSTANT
31 Q. Est-ce que vous pouvez nous… le situer de manière précise ? Et par la
32 suite...
33

34 Je dis que c'est « 364 » et « 365 » et pas « 354 » et « 355 ». Je faisais


35 cette précision au regard de la sténographie.
36

218 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 95


219 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Je voudrais que vous précisiez l’événement et que vous me « dites » :


2 Est-ce qu’il y a une référence dans le livre de Monsieur Lugan ?
3 R. Il y a la citation… Je peux… Au milieu, ça commence par « C’est pourquoi
4 le mwami Mutara… » Mwami Mutara, le nom que j’ai donné, c'est le nom
5 de… le nom de famille, Rudahigwa. Sinon, le nom du roi, c'est Mutara.
6

7 « Le mwami Mutara Rudahigwa assista à tous les débats de la 15e


8 session du conseil supérieur du pays qui se déroula le 9 juin 1958. À
9 l’issue des travaux, il fit la déclaration suivante… » Je ne sais pas si je
10 peux la lire ?
11 Q. Allez-y, je vous en prie. En tout cas, moi, je n’y vois pas d’inconvénient.
12 R. « Je ne crois pas me tromper en déclarant que… »
13 Q. Mais allez lentement.
14 R. « Je ne crois pas… »
15 M. LE PRÉSIDENT :
16 Pourquoi devons-nous lire tout cela ? Vous allez verser le document en
17 preuve, nous l’aurons en français.
18

19 Expliquez, Maître Constant, pourquoi.


20 Me CONSTANT :
21 Monsieur le Président, parce que c’est dans cette… ces déclarations que
22 le roi déclare qu'il refuse de prendre en compte des revendications des
23 Hutus et « qu’il va — et c’est la dernière phrase — en coûter cher à
24 quiconque s’insurge contre ce qui va se passer ».
25

26 Qu’il soit clair que la position de la Défense, c’est de dire que la violence
27 n'est jamais venue des Hutus, que ce soit en 59, que ce soit en 1990.
28 C’est ça que je veux fonder, Monsieur le Président,.
29 M. LE PRÉSIDENT :
30 Très bien. Cela est inscrit au procès-verbal. Nous n’avons pas besoin d’en
31 donner lecture. Continuez.
32 Me CONSTANT :
33 Monsieur le Président, est-ce que vous permettez quand même que mon
34 client lise le dernier paragraphe de cette citation, parce que c'est « elle »
35 qui fonde, d'après moi, essentiellement notre thèse d'autant plus qu'il
36 n'y a que deux Juges, et que l'absent n'est pas francophone.

220 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 96


221 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 M. LE PRÉSIDENT :
2 je me demande si cette déclaration de 1958 peut être utile pour votre
3 thèse. Mais donnez la lecture. Qu'est-ce que voulez lire, maintenant,
4 pour en terminer ?
5 Me CONSTANT :
6 Monsieur le Président, je pense que... Je veux préciser les points parce
7 que je ne veux pas qu'il y ait de malentendu entre nous. La thèse du
8 Procureur est de dire que 59, c'est le début des massacres du Tutsi, c'est
9 la thèse qu'il soutient, c'est le fondement, à savoir que les Hutus, ce sont
10 des êtres violents, qui ne passent leur temps qu'a tuer les Tutsis quand
11 les Tutsis veulent. Je veux établir à partir de documents que ce n'est pas
12 le cas. Donc ce n'est pas pour le plaisir de le faire, c'est la réalité, Je vais
13 demain venir avec tout le script de Madame Des Forges, ça a été toute
14 sa thèse, c'est la thèse de l'Accusation, Monsieur le Président. La seule
15 chose que je veux que mon client puisse lire, c'est le dernier extrait de la
16 citation, parce vous noterez que même dans le premier, il y a tout le
17 fondement de la position actuelle de Kigali, qui consiste à dire il n'y a pas
18 de division, tout le monde est égal, puisque tout le monde est égal, il n'y
19 a pas d'ethnie, il n'y a pas de Tutsis. Tout le monde est beau, tout le
20 monde il est gentil et c'est comme cela qu'on explique qu'il y en a une
21 qui domine l'autre. Donc, simplement, ce que je veux, c'est que mon
22 client au moins lise les deux dernières lignes de la citation du roi Mutara,
23 avec votre permission, Monsieur le Président.
24 M. LE PRÉSIDENT :
25 Oui, vous l'avez déjà. Le problème que j'ai maintenant, c'est que vous
26 pourriez toujours l'évoquer lors de vos conclusions, à fin, c'est juste un
27 problème de temps. Et si nous voulons avoir de si longs débats, je ne
28 sais pas, il faudrait que nous puissions gagner du temps. Est-ce que vous
29 pouvez faire faire lire le plus rapidement possible par Monsieur Bagosora
30 pour que nous en terminions avec cette série questions ? Que
31 voulez-vous qu'il lise, Maître Constant ?
32 Me CONSTANT :
33 Monsieur Bagosora, est-ce que vous pouvez lire pour moi le dernier
34 paragraphe qui commence par « Il » ?
35 R. « Il en coûtera cher à quiconque qui s'insurge contre le Rwanda ou
36 cherche sa désunion. »

222 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 97


223 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 Q. Est-ce que les événements de 59 ont suivi cela ?


2 R. Oui.
3 Q. Est-ce que vous confirmez donc que la violence, qui a commencé à
4 l'utiliser ?
5 R. C'est les Tutsis qui ont attaqué les premiers le sous-chef hutu...
6 (inaudible) dont je vous ai parlé à Gitarama.
7 Q. Est-ce que vous pouvez-vous nous dire : La centaine des morts chez les
8 Tutsis dont fait état l'Acte d'accusation et l'exode de milliers d'entre eux
9 intervient à votre connaissance à quel moment donné ?
10 R. Dans les années 60.
11 Q. Suite à ce qui se passe en 59 sur le plan politique, qu'est-ce qui
12 intervient au Rwanda ?
13 R. Il y a les élections de juin, des élections de base dans les communes et
14 dans les sous-chefferies. C'était encore des sous-chefferies et des
15 chefferies. Il intervient des élections au niveau donc de la base en juin
16 1960.
17 Q. Et quel est le résultat de ces élections ?
18 R. Les résultats sont tels que c'est le MDR-Parmehutu qui râfle le plus de
19 voix, suivi, je crois, du parti APROSOMA, ensuite du parti UNAR qui était
20 de... pour les Tutsis.
21 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire : UNAR signifie quoi ?
22 R. C'était le parti royal qui signifiait Union nationale rwandaise.
23 Q. Est-ce que vous pouvez-vous nous dire ce qui intervient après ces
24 élections ?
25 R. Après ces élections, il y a ce qu'on a appellé le coup d'État de Gitarama
26 de janvier 1961.
27 Q. C'est-à-dire ?
28 R. C'est-à-dire que les élus... les élus de toutes les communes du Rwanda,
29 des chefferies... des sous-chefferies en ce moment-là, je dis, ont été
30 convoqués par le Gouvernement intérimaire, en ce moment-là, il y avait
31 un Gouvernement intérimaire qui était dirigé par Monsieur Kambanda
32 Grégoire, ils ont convoqué tous les conseillers et tous les bourgmestres,
33 disons, je ne sais pas comment on les appelait à ce moment-là, le mot
34 m'échappe, ils se sont réunis à Gitarama et en congrès, à ce niveau-là,
35 ils ont déposé la royauté.
36 Q. Et qu'est-ce qui s'est suivi après ? Est-ce que cette expression

224 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 98


225 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 démocratique a été acceptée par la royauté ?


2 R. Non, non, non. Le parti UNAR et les autres partis tutsis, ils ont réclamé
3 jusqu'au Conseil de sécurité, et il y a eu des élections au référendum du
4 25 septembre 1961 sur les deux questions... sur la monarchie, si le
5 peuple rwandais veut la monarchie ou s'il veut la République et, en
6 même temps, je croyais qu'il y a eu des élections législatives, des
7 députés. Les résultats de ces élections ont donné... ont rejeté la
8 monarchie et ces élections furent gagnées par le MDR Parmehutu, je
9 crois, à plus de 75 %.
10 Q. Une question : Ces élections, dont celle qui a rejeté la monarchi, est-ce
11 qu'elles se sont faites dans des conditions démocratiques, sous contrôle
12 international puisque vous avez parlé du Conseil de sécurité ?
13 R. Oui, c'était supervisé par l'ONU. Je me rappelle, moi personnellement,
14 que j'étais l'interprète d'un nommé Dorsainville de Haïti. J'étais... Il
15 était... Il supervisait les élections dans la préfecture de Gisenyi et comme
16 c'était pendant les vacances, il avait besoin d'un interprète, et c'est moi
17 qu'on a pris pour jouer l'interprète, Dorsainville de Haïti, pour dire
18 qu'ailleurs aussi, il devait y en avoir.
19 Q. Dorsainville, c'est : DORSAINVILLE. C'est pour qu'il n'y ait pas de
20 malentendu : Quand vous parlez d'Haïti, vous parlez du pays qu'on
21 appelle Haïti ?
22 R. Oui.
23 Q. H-A-Ï-T-I.
24

25 Est-ce que la monarchie a accepté cette décision prise sous contrôle


26 international de manière démocratique ?
27 R. Non, c'est à partir de là que les attaques d'Inyenzi vont se multiplier.
28 Q. Une question avant qu'on en arrive aux attaques d'Inyenzi : Le roi, il va
29 rester ? Que va-t-il faire et une partie des Tutsis ?
30 R. En ce moment-là, il y en encore l'administration territoriale, donc il y
31 avait un Gouvernement intérimaire. C'était avant l'indépendance.
32 L'administration coloniale belge lui a trouvé un refuge quelque part dans
33 un autre pays, on ne sait pas où.
34 Q. Mais il est parti parce qu'il voulait partir ou bien il est parti parce qu'il a
35 été chassé ?
36 R. C'est l'administration belge qui s'est occupée de lui. Je ne peux pas vous

226 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 99


227 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 dire.
2 Me CONSTANT :
3 Je peux en terminer là, Monsieur le Président, parce que je suis arrivé à
4 un point, mais je peux commencer un autre point, pour dire à la
5 Chambre, j'ai fini toute la partie vie personnelle.
6

7 Oui, Monsieur le Président, il faut que je dépose les extraits d'Overdulve,


8 on peut les déposer en un seul mot et celui de Hourigan, Monsieur le
9 Président.
10 M. LE PRÉSIDENT :
11 Monsieur Matemanga, nous allons commencer parle livre d'Overdulve. Il
12 y a deux extraits, est-ce que vous voulez les considérer comme un seul
13 document ? Donc, il faut veiller à ce que nous ayons toutes les pages
14 pertinentes pour cet extrait d'Overdulve, et ce sera la pièce D. B 209.
15

16 (Admission de la pièce à conviction D. B 209)


17

18 Et il y a ce bref extrait du livre d’Hourigan, « D. B 210 ».


19

20 (Admission de la pièce à conviction B. B 210)


21

22 Vous en avez maintenant terminé avec la section concernant la vie


23 pratique. C'est le premier chapitre. Demain, vous commencerez par la
24 vie sociale ?
25 Me CONSTANT :
26 Oui, Monsieur le Président, c'est le deuxième chapitre. Je pense que
27 demain, nous pourrons arriver à la fin de la troisième partie.
28

29 Monsieur le Président, il se pose le problème de mes contacts avec


30 Bagosora. Est-ce qu'une décision a été prise ?
31 M. LE PRÉSIDENT :
32 La situation demeure la même. Un collège de deux juges ne peut pas
33 remettre en question ce qui a été décidé par un collège de trois juges,
34 mais nous pourrions revenir à la question.
35

36 Pour le moment, la situation demeure celle qui a été arrêtée vendredi.

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229 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

2 L'audience est suspendue. Nous reprenons demain à 8 h 45.


3

4 (Levée de l'audience : 17 h 15)


5

6 (Pages 51 à 89 prises et transcrites par Laure Ketchemen, s.o.)


7

230 LAURE KETCHEMEN, S.O. - TPIR - CHAMBRE I - page 101


231 BAGOSORA ET AL. LUNDI 24 OCTOBRE 2005

1 SERMENT D’OFFICE

3 Nous, sténotypistes officielles, en service au Tribunal pénal international pour


4 le Rwanda, certifions, sous notre serment d’office, que les pages qui précèdent
5 ont été prises au moyen de la sténotypie et transcrites par ordinateur, et que
6 ces pages contiennent la transcription fidèle et exacte des notes recueillies au
7 mieux de notre compréhension.

9 ET NOUS AVONS SIGNÉ :

10

11

12

13 ________________ ________________
14 Laure Ketchemen Joëlle Dahan

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