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La crise de Mai 68 en France 1

João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

LLa crise de
Mai 68 en France
35 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

LLa crise de
Mai 68 en France

SÉRIE
EDIÇÃO DO INSTITUTO POLITÉCNICO DE BRAGANÇA
4 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Título: La crise de Mai 68 en France


Autor: João Sérgio de Pina Carvalho Sousa
Edição: Instituto Politécnico de Bragança · 1999
5301-854 Bragança · Portugal
Tel. (073) 30 15 70 · 30 32 00 · Fax (073) 32 54 05 · http://www.ipb.pt
Execução: Serviços de Imagem do Instituto Politécnico de Bragança
(grafismo, Atilano Suarez; paginação, Isabel Simões;
montagem, Maria de Jesus; impressão, António Cruz,
acabamento, Isaura Magalhães)
Tiragem: 500 exemplares
Depósito legal nº 136084/99
ISBN 972-745-054-7
Aceite para publicação em 1993
La crise de Mai 68 en France 5
Índice
I · Les conditions générales de la décade _________________ 11
II · La culture “Jeune” ________________________________ 19
III · La situation Française ____________________________ 23
IV · La suite des évènements ___________________________ 29
V · Les grandes etapes ________________________________ 41
VI · Les explications __________________________________ 43
Annexe 1
Discours du General de Gaulle le 30 de Mai 1968 ________ 47
Annexe 2
Liste des sigles utilisées dans le texte ___________________ 49
Bibliographie sommaire _______________________________ 51
Sources video _______________________________________ 54
35 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

LLa crise de
Mai 68 en France

Resumo
O objectivo deste trabalho é de enquadrar a crise de 68 em
França no seu contexto épocal, genérico e especificamente francês.
Analisam-se assim resumidamente os principais acontecimentos políticos
da década, bem com é feita uma panorâmica da principal produção
intelectual relevante. Em seguida a uma breve descrição da sucessão dos
acontecimentos procede-se a uma análise dos diversos tipos de
explicações fornecidas para justificar os factos ocorridos.

Résumé
L’objectif de ce travail est de delimiter le contexte de l’époque
de la crise de 68 en France, soit sur le plan général soit sur le plan
spécifiquement français. Nous analysons ainsi de forme résumée les
principaux évènements politiques de la décade, bien comme la production
intellectuelle pertinante. Après un brève description de la suite de
évènements nous procédons à une analyse des plusieurs types
d'explications données à propos de ce phénomène.

SÉRIE

EDIÇÃO DO INSTITUTO POLITÉCNICO DE BRAGANÇA · 1999


10 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Abstract
The goal of this paper is to provide an epochal setting for the
events of 68 in France, both on the general level and on the specifically
french level. The main political events of the decade are thus briefly
reviewed, as well as the more relevant intellectaul production is looked
into. Following a brief description of the events an analysis is made of
the most common kinds of explanations given to justify the facts.
La crise de Mai 68 en France 11

I · Les conditions générales


de la décade
Décade charnière du XXe siècle, celle des années 60 verra plus
de changements — soit sur le niveau des conditions materielles de la vie
quotidienne, soit, et surtout, au niveau des mentalités — qu’aucune
autre de notre époque.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale que, presque
partout en Europe, la production et les revenus augmentent de façon à
peu près continue. Le Plan Marshall — de son non réel Programme de
Récupération Européenne (European Recovery Program), — qui a
hérité son non de celui de son fondateur, le sécretaire d’Etat du
gouvernement des E. U. A. George Catlett Marshall —destiné à apporter
une aide économique et technique à 16 des pays européens les plus
ravagés par la guerre injecta, entre 1948 et 1952, environ 13 000 millions
de Dollars dans l’économie européenne, desquels près de 3 000 millions
en France1.
Forte de ce support matériel, l'Europe se structure au sortir de
la guerre en plusieurs organisations économiques comme l'OECE, crée

1 Les chiffres exacts sont de 12 992,5 millions de dollars (auxquels s’ajoutèrent plus
1 139,6 millions de dollars en prêts) pour la totalité et de 2 629,8 pour la France
(seul le Royaume Uni obtiendra des crédits plus élevés — 3 165,8 millions de
dollars. Vide Nouschi, Marc — O Século XX, Instituto Piaget, Lisboa, 1996, pp.
302 à 305
12 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

en 1948 (qui deviendra l'OCDE en 1960 par l'adésion des Etats-Unis, du


Canada et finalement du Japon), la CECA en 1951 ou l'EFTA, apparue
en 59, pour essayer de concurrencer la fondation de la CEE, le 25 Mars
1957.
L'économie européene subit de ce fait un bouleversement de
marque: le secteur primaire, jusqu'alors dominant, entre en nette régres-
sion, laissant la place aux secteurs secondaire et tertiaire et même à l'ap-
parition d'un secteur quaternaire (enseignement, administration,
investigation, …]. Le déplacement massif de ruraux vers la ville, avec
tous les dépaisements qu'il provoque, est un des phénomènes clef de
cette période. Les indicateurs de bien-être matériel, accompagnant ces
changements, connaissent une croissance spéctaculaire — habitation,
voiture, appareils eléctro-ménagers ne sont plus un luxe mais deviennent
des denrées à portée de tous (ou de presque tous).
Allant de pair avec cette amélioration des conditions matériel-
les de vie, les années qui suivent la fin de la guerre sont aussi marquées
par l’augmentation du taux brut de la natalité. En France, celui-ci
passera de 14,6‰ en 1938 à 20‰ en 1945, tendance qui se mantiendra
à peu près constante jusqu’au début de la décade de soixante-dix,
présentant des valeurs moyens de 17/18‰. De même, le taux brut de
mortalité est en pleine régression, d’un maximum de entre 16/17‰ —
qui atteint son sommet à l’époque de la guerre — il est tombé à environ
11‰ dans les annés 50/60. 2 Ce phénomène, que l’on appelera plus tard
le “baby boom”3, est à l’origine des générations qui atteindront leur
vingtième année dans la décade de 60.
Aussi, dans presque tous les pays occidentaux, le nombre
d’années d’instruction — et le nombre de personnes afféctées par ces
mesures — augmente de façon presque continue. Vers le milieu des
annés 60, pour ne citer que quelques examples, 84% des enfants entre
5 et 11 ans étaient scolarisés en Allemagne, tandis que ce pourcentage
s’élevait à 90% au Royaume Uni, à 94% en France, 96% au Japon et
atteignait les 100% aus États Unis4. En France l’éducation primaire est
obligatoire depuis 1882 et devenue obligatoire jusqu’à 14 ans en 1936.
La loi de 1959 la portait (en principe, du moins) jusqu’à 16 ans et on
estime que près de 40% des étudiants poursuivent leurs études au-delá
de cette âge obligatoire5. En Angleterre, l’Educational Act de 1944 avait
consacré l’éducation secondaire pour tous et, completé par les réformes

2 Ces indicateurs de prospérité connaissent cependant un léger infléchissement dès


les années 65/67. La productivité du capital et la natalité entrent dans une légère
baisse, tandis que le chômage est en hausse. En France, le nombre de chômeurs
duplique entre 66 et 68, atteignant 37 000, la moitié desquels âgés de moins 25 ans.
Vide Duby, George, Histoire de France — de 1852 à nos Jours, Paris, Larousse,
1988, pp. 308 et suivantes
3 Au pied de la lettre, explosion des bébés. Aux jeunes gens appartenant à cette
génération on donnera souvent le sobriquet de «Baby-boomers».
4 Varney, John — A Educação no Mundo Moderno, Lisboa, Presença, s.d., pp. 30,31
5 Varney, John — op. cit., pág. 148
La crise de Mai 68 en France 13

de 1951, elévait, en théorie du moins, la scolarité jusqu’à l’âge de 15 ans.


Aux États-Unis (et en Allemagne aussi) — vu le caractère fédéral de la
législation — ce type de bornes n’est pas si facile à établir mais les
donnés existantes indiquent que la presque totalité des individus de 17/
18 ans étaient scolarisés et environ 41% des 18/21 ans suivaient des
cours universitaires6. Au Portugal l’enseignement primaire était devenu
obligatoire et gratuit en 1911 — les six annés d’intruction obligatoire ne
seront atteintes qu’en 1978. Mesure de l’importance accordée par le
politique au culturel est la création, le 16 Novembre 1945, de l’Unesco.
Ce ne sont seulement pas les habitudes intellectuelles et les
conditions économiques qui changent, la structure de la famille et du
mariage, elle aussi, est en train de changer. En effet, au mariage
socialement et économiquement endogène, prédominant jusqu’à ce
moment — ayant surtout comme bout de permettre la réproduction des
groupes sociaux constitués — se substitue un mariage que l’on pourrait
décrire comme “culturel”. La fréquentation chaque fois plus élargie de
l’enseignement (mésuré soit en nombre d’annés soit de personnes) et
surtout un pourcentage chaque fois plus importants de femmes qui
accède aux grades les plus hauts du système éducatif, explique que les
gens se marient de plus en plus en plus par une commune appartenance
à un certain milieu culturel qu’en raison de la similitude économique ou
sociale traditionnelle.
Paradoxalement, peut-être, cette amélioration des conditions
de vie se traduira par un “mal de vivre”, qui sera une des plus importantes
causes de tous les troubles qui traverseront ces années, “à la fois
tragiques et exaltantes”. Nous sommes près de ce que Raymond Aron
nommera, 10 ans plus tard, la “faillite sociale du succès économique”7.
Dès les premières années de la décade que la contestation au
status quo, qui auparavant était dominée par les classes ouvrières,
devient, grâce à cette amélioration nette des conditions de vie, plus
idéologique8 qu’économique. De ce fait elle cesse d’être le privilège des
dépossédés pour en devenir un des intellectuels, issus des classes
moyennes et supérieures. On comprend donc aisément qu’une grande
partie des convulsions sociales de l’époque aient été provoquées par les
étudiants, surtout universitaires.

6 Varney, John — op. cit., pág. 133


7 Vide Público Magazine, Especial Maio 68 nº 2, 9.5.93, pág. XXI
8 Le mot est ici pris dans son double sens de “systéme d’idées constituant un corps
de doctrine philosophique et conditionnant le comportement individuel ou colectif”,
Larousse, 1991 et dans le sens althusserien plus particulier de “relation imaginaire
des individus à leurs conditions réelles d’existance” — Althusser, Louis, “Ideology
and Ideological State Apparatuses” in Storey, John (Ed.) Cultural Theory and
Popular Culture, London, Harvestes Wheotshecp, 1994, pp. 151 à 162. Pour une
discussion plus approfondie sur les plusieurs sens attribués aux mots “idéologie”,
“idéologique” voir Camargo Heck, Marina, — “The ideological dimension of
media messages” in Hall, Stuart el al. (Eds.) Culture, Media, Language, London,
Routledge, 1996, pp. 122 à 127
14 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Signe avant-courreur des troubles universitaires de la deuxième


moitié de cette décade fut l’agitation des étudiants nord-américains qui,
dès 1964, protestaient contre la guerre du Vietnam au campus de
l’Université de Berkley. D’ici, la contestation se répandit non seulement
à tous les États-Unis comme au monde entier.
L’année la plus importante de la contestation étudiante fût,
sans aucun doute, celle de 68: aux États-Unis des bâtiments de l’Univer-
sité de Columbia sont occupés par les étudiants; en Espagne des
accrochages entre étudiants et police menent à la fermeture de l’Univer-
sité le premier Novembre; au Brésil, entre Avril et Novembre, de
violentes émeutes opposent forces de l’ordre et étudiants, surtout à São
Paulo et Rio de Janeiro9; au Canada, les étudiants saisissent les bâti-
ments de l’Université le 15 Novembre; le 15 Avril, en Italie, l’Université
de Milan est occupée; au Méxique une sanglante rébéllion étudiante
aura lieu entre Juin et Novembre — ayant comme journées les plus
violentes le 18 Septembre et le 2 Octobre — provoquant une soixantaine
de morts, selon les chiffres officiels. Ni le tiers-monde ni le monde
communiste n’échappent à cette vague de violence: le Sénégal, le 29
Avril; l’Egypte, du 20 au 28 Novembre; la Pologne, entre le 8 et le 14
Septembre; la Jugoslavie le 3 Juin, tous connaissent pendant cette année
de graves troubles. Même le traditionellement rangé Japon se trouvera,
le 21 Juin, aux prises avec des émeutes étudiantes10.
Ce n’est pas seulement chez les étudiants de la seconde moitié
de la décade que l’agitation couve. Dès son début que la politique
internationale offre des événements capables de susciter la participation
— au moins intellectuelle — de la nouvelle génération. La décade
précedente dejà, s’était terminée par un événement pour certains pro-
phétique: la prise du pouvoir à Cuba par la guérrille pro-comuniste de
Fidel Castro, qui devient le Premier-Ministre le 16 Fèvrier suivant. Les
évènements qui suivent reprennent d’une façon extremement résumée
le climat de la “guerre froide”11 que l’on vit à cette époque.
Le 1e Avril 1960 l’A.N.C.12 est interdit en Afrique du Sud. Un
mois après, le 1e Mai les déjà tendues relations soviéto-américaines se
compliquent encore par la déstruction d’un avion U2 américain par les
russes (suivie par la destruction d’un autre avion le 1e Juilet) et le 27 Juin
les soviétiques abandonnent la conférence de Genève sur le désarme-

9 Ces deux villes seront pendant cette période le lieu privilégié des actions violentes
du groupe révolutionnaire de Carlos Marighela.
10 Au Portugal, il faudra attendre l’année de 69 pour que la révolte étudiante se
déclenche.
11 La période dite de la “guerre froide” est généralement comprise comme la période
de confrontations non militaires (du moins directes) entre les blocs occidental et
soviétique. Elle aura son début “officiel” en 1947, avec la prise du pouvoir par les
partis communistes en Pologne et en Hongrie et ne verra la fin qu’avec la chute du
mur de Berlin,le 19 Novembre 1989.
12 Pour la signification des sigles utilisées voir l’annexe 2.
La crise de Mai 68 en France 15

ment. Le 11 Juillet Moïsé Tchombé proclame l’indépendance du


Katanga, ancienne province du Congo, donnant le signal de départ à l’un
des conflits les plus sanglants de la décade. Le jour suivant la France se
débarrassera da la plupart des derniers vestiges de son empire colonial
en accordant l’indépendance au Daomé, Haut-Volta, Côte d’Ivoire,
Tchad, Afrique Centrale et Congo. Dans le domaine de la “société du
spectacle”13, la suite de débats télévisés entre Nixon et Kennedy —
entrainant l’éléction de celui-ci le 8 Novembre — lors de la campagne
pour la présidence des États-Unis démontrera sans ambages le rôle du
petit écran en tant qu’informateur/formateur de l’opinion publique.
Le 3 janvier 1961, à la suite de la révolution castriste, les États-
Unis rompent les relations diplomatiques avec Cuba. Le 17 Avril une
tentative de débarquement de réfugiés cubains — assistés par les nord-
américains — se soldera par une défaite humiliante, et par un des échecs
les plus cuisants de la politique étrangère de John Fitzegerald Kennedy.
Au Portugal, le capitaine Henrique Galvão prend, le 22 Janvier, posses-
sion du bateau «Santa Maria», en ouvrant une crise qui ébranle sérieu-
sement le gouvernement portugais. Le 4 Février les premiers attentats
contre l’Empire Colonial Portugais ont lieu à Angola et, à partir du 14
mars tout l’Empire s´élève contre la métropole, se lançant dans une
guerre qui durera plus de 13 ans. En Algérie, une partie de l’armée
française se révolte contre la politique d’auto-détermination du Général
de Gaulle (porté à la Présidence à la suite du coup d’état de 1958, de
Gaulle était censé incarner le point de vue des militaires qui refusaient
d’accorder l’indépendance à l’Algérie). La rébellion sera sévèrement
matée mais laissera de profondes plaies. Le 17 Août, portant au comble
le conflit couvé entre Est et Ouest, l’Allemagne de l’Est commence la
construction du mur de Berlin. Pour toutefois quitter l’année sur une
note d’optimisme signalons que Yuri Gagarin devient, le 12 Avril, le
premier homme dans l’espace.
Le 13 Juillet 1962 l’Algérie devient — à la suite des accords
d’Évian — un pays indépendant, légalisant ainsi le gouvernement
provisoire crée le 18 mars. Le 22 Août l’O.A.S., organise un tentative
d’assassinat contre de Gaulle, inaugurant un longue série d’attentats sur
le territoire de la France. Finalement, le 24 octobre, la décision russe
d’installer un base de missiles à Cuba lancera le monde dans une crise
qui le portera au bord d’un conflit soviéto-américain déclaré, lequel ne
se terminera que le 2 Novembre par l’abandon de ce project.
En mars 1963 l’Angleterre sera ébranlée par le scandale
Profumo, ministre britanique de la défense obligé à démissioner en
raison de la liason de sa maîtresse avec un agent soviétique. Le 20 Juin,
pour essayer de parer à l’éventualité de nouveaux conflits comme le
survenu à la fin de l’année précédente, une ligne téléphonique directe
entre Washington et Moscou sera installée. Elle deviendra fameuse sous

13 Nous reprenons ici le titre de l’ouvrage de Guy Débord publié en 1967 qui,
ensemble avec les autre membres de l’Internationale Situationiste (voir note
23)aura une influence assez grande sur la jeunesse française de l’époque.
16 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

le non de “Téléphone Rouge”. Le même mois, le 31, le Pape Jean XXIII


meurt, étant remplacé par Paul VI. Pendant le printemps, de violentes
grèves de mineurs avaient secoué la France. Aux États-Unis, le mois
d’Août sera marqué par le début de nombreuses manifestations pacifi-
ques prônant l’égalité de droits civiques pour la population noire.
L’opposition des secteurs blancs radicaux, surtout dans le Sud, provo-
quera de sanglantes confrontations. Le 22 Novembre le président
Kennedy, un enthousiaste de l’égalité, est assassiné à Dallas. Sa mort ne
sera jamais expliquée de façon absolument convaincante.
Le début de l’année de 1964 est marqué par la croissance de
la tension entre Chine (qui fait exploser sa première bombe atomique le
16 Août) et Union Soviétique. Ce progressif éloignement aura une
importance énorme pour la gauche européenne. Dorénavant le fossé
idéologique n’existera plus seulement entre la gauche et la droite mais
aussi, et de façon très nette, entre les diverses tendances de la gauche.
Le 12 Juin Nelson Mandela est jugé et condamné en Afrique du Sud par
actes de sabotage. Ce même mois, aux États-Unis, le “Civil Rights Act”
est signé, mettant officiellement fin à la ségrégation raciale dans les
bâtiments publiques, l’école et l’embauche. En Août la guerre de
sécession katangaise commence. Les mercenaires francophones (fran-
çais et belges surtout) y jouèrent un rôle extrêmement important.
Le 21 Février 1965 Malcolm Little, mieux connu sous le non
de Malcolm X, leader des “Black Muslims” — les Musulmans Noirs,
groupe radical opposé aux principes de la résistance pacifique de
Marthin Luther King— est assassiné, pendant que la lutte pour
l’acceptation pleine et réelle des droits civiques des noirs bat son plein.
Cette même année Huey Newton et Bobby Seale fondent les “Black
Panthers”, groupe noir “d’auto-défense” tandis que de graves émeutes
raciales éclatent à Watts (Los Angeles). Le 8 Juin les troupes américaines
reçoivent la permission d’entrer en combat au Vietnam, abandonnant
ainsi la position théorique de conseillers qu’ils détenaient depuis 1961.
À la suite de la position prise par Paris sur cette intervention, le Vietnam
du Sud coupe ses relations diplomatiques avec la France le 24 Juin.
Camilo Torres, prêtre colombien qui avait joint la guérilla
marxiste, est abattu par l’armée le 15 Février 1966. Il deviendra, avec
Fidel Castro et Ernesto “Che” Guevara, un des héros emblématiques de
l’aventure révolutionnaire Sud-Américaine. En Chine la “Révolution
Culturelle” qui avait débuté l’année précédente menace de devenir une
véritable guerre civile entre les factions Maoistes et non-Maoistes. La
France, poursuivant la politique gaullienne d’indépendance face aux
grandes puissances retire ses forces militaires de la N.A.T.O. Aux États-
Unis on commence à parler de “Black Power” et de “Woman’s Lib”.
L’intervention violente des minorités qui réclament leurs droits est à
l’ordre du jour dans la société américaine. Ce n’est que le 26 Juin de cette
année que le canton suisse de Bâle octroie aux femmes le droit de vote.
1967, Février le 5, Anastásio Somoza devient le Président du
Nicaragua, pendant que la guérilla sud-américaine est à son point le plus
violent. En Chine, les conflits entre l’armée régulière et les Gardes
La crise de Mai 68 en France 17

Rouges sont à leur comble et l’armée reprend le contrôle de la capitale


le 11 Février. Les divergences entre la Chine et l’Union Soviétique sont
de plus en plus graves. En Grèce, un coup d’État dirigé par le colonel
George Papadoupolos met fin à une fragile démocratie et instaure la
“dictature des colonels” comme on l’appelera par la suite. Une coalition
de pays arabes, menée par l’Egypte, se lance contre Israel le 5 Juin. La
“Guerre des Six Jours” se terminera par une humiliante défaite des
nations arabes. En Afrique, pendant que la guerre de sécession katangaise
prend fin en Août, une autre — non moins sanglante — a commencé le
7 Juillet: celle de l’indépendance du Biafra qui avait déclaré son
indépendance le 30 Mai. Aux États-Unis la lute pour l’égalité des droits
se poursuit. Cassius Clay — qui changera son nom pour devenir
Mohamed Ali — champion du monde de boxe est appelé à l’armée où
il refusera de prêter serment au drapeau américain. Il en sera condamné
à une peine de prison. Entre Juin et Juillet de violentes émeutes raciales
ont lieu à Newark et Detroit et, finalement, les athlètes nord-américains
noirs décident, le 23 Novembre, de boycotter les Jeux Olympiques pour
protester contre la discrimination. En Alemagne, le 2 Juin, un étudiant
est tué par la police lors d’une manifestation contre la visite du Sha
d’Iran. De Gaulle avait provoqué un grave incident diplomatique en
déclarant, lors de sa visite au Canada “Vive le Québec libre”. En Bolivie,
"Che" Guevara était mort dans des circonstances, à l'époque, pas
suffisamment éclairées.
L’année de 1968 s’annonce violente dès son commencement.
Le 29 Janvier le Vietcong lance une attaque qui prendra l’armée
américaine par surprise — bien que le but de porter une défaite définitive
aux troupes du Nord ne fut pas atteint, celle qui devient connue sous le
non de offensive du Thet fut décisive pour miner la confiance publique
américaine d’une victoire au Vietnam. L’opinion publique est désor-
mais contre la guerre. Le 11 Avril Rudi Dutsncke, dirigéant étudiant
allemand, est victime d’un attentat, dont il viendra à mourrir. En Chine,
les “Comités Révolutionnaires” ont maté la Révolution Culturelle.
Alexandre Dubcek, devenu secrétaire-général du Parti Communiste de
Tchécoslovaquie en Mars se lance dans une politique de libéralisation,
tandis qu’en Pologne les ouvriers des usines de Nowa Huta entrent en
grève, solidaires avec les étudiants de Cracovie. Ce “Printemps de
Prague” se terminera par l’entré des blindés soviétiques en Tchécoslo-
vaquie le 20 Août. Martin Luther King, l’apôtre de la non-violence, Prix
Nobel de la Paix en 64, est assassiné à Menphis (Tenesse). Des émeutes
éclatent presque partout dans les États-Unis et près de cent villes sont
mises à sac. Plus de 50 000 soldats entre armée régulière et Garde
Nationale ont été nécessaires pour dominer la rébellion. L’assassinat de
Robert Kennedy le 6 Juin et, entre le 26 et le 29 Août, les émeutes lors
de la Convention du Parti Démocratique à Chicago seront le point
culminant de l’escalade da la violence en Amérique du Nord.
18 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa
La crise de Mai 68 en France 19

II · La culture “Jeune”
Ces années assistent à un véritable bouleversement d’ordre
sociologique. Pour la première fois une classe sociale sera définie non
plus par ses origines ou par ses revenus mais par des limites d’âge. La
sociologie d’origine anglo-saxonique se penche depuis longtemps sur
ces problèmes, des travaux tels que The Teenage Consumer (M. Abrams,
1959) ou The Adolescent Society (A. Coleman, 1961) se livrant à une
analyse de cette évolution. En France, le philosophe et sociologue Edgar
Morin rend compte de ce nouveau état de choses dans un article publié
dans Le Monde en 1963, où il parle du phénomène “yè-yè”.
En conséquence du “baby-boom” de la fin des années 40 le
nombre de jeunes gens a considérablement grandi en Europe et en
France où, en 1968, les moins de vingt ans représentent 34% du total de
la population, ce qui correspond au chiffre le plus élevé depuis le
commencement du siècle14. En outre, ils se posent pour la première fois
en classe acquérante. L’apparition d’une nouvelle couche de jeunes
ouvriers spécialisés (la France à l’époque connaissait d’ailleurs presque
la pleine embauche: sur un population active de 20,6 millions de
personnes 20,2 avaint un travail), jouissant de salaires relativement

14 Duby, George, Histoire de France — de 1852 à nos Jours, Paris, Larousse, 1988,
p. 309.
20 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

élévés et l’institution, vers cette époque, de “l’argent de poche” sont


quelques une des explications de cette éclosion de la jeunesse avec un
pouvoir acquéreur propre. Des organisations de jeunesse, extrêmement
politisées se forment. Aux États-Unis Jerry Rubin et Abbie Hoffman
créent, fin 1967, le “Youth International Party”, les “Provos” hollandais
organisés par Rolph Stolk et Roel van Dujn ou les anarchistes allemands
de Rudi Völler et Rudi Dutscke les ayant précédés en Europe de peu
d’années. Un peu partout la jeunesse s’affirme donc non seulement en
tant que tranche d’âge, avec des droits et des nécessités propres mais,
aussi et surtout, en tant que classe sociale. “N’ayez point de confiance
en quiconque ait plus de 30 ans” sera leur slogan commun.
Un autre phénomène capital de la décade est l’apparition
d’une production culturelle spécifiquement destinée aux classes jeunes
(tranches comprises entre les 15 et les 25 ans), et très souvent mise au
point aussi par des jeunes. Le film et la chanson en seront les éléments
privilégiés. C’est dans le contexte de cette nouvelle production que de
nombreux tabous tomberont, notamment en ce qui a trait à la sexualité,
le nu intégral apparaissant pour la première fois. Henri Mendras, dans
La Sagesse et le Désordre15, parlera à ce propos de “l’expression des
valeurs hédonistes”. Déjà en 1956 le Pape Pie XII avait déclaré légitime
le plaisir physique dans le couple et, cinq ans plus tard l’invention de la
pilule contraceptive contribue pour dissocier la notion de sexualité de
celle de procréation, permettant ainsi l’apparition à large échelle de ces
mêmes “valeurs hédonistes”. Le rejet des anciennes valeurs basées sur
le devoir débouche sur de nouvelles valeurs basées sur le plaisir. Les
situationistes on très bien vu ce nouveau état de choses en remarquant
que “une semaine de six jours de congé ne marquerait pas un
«déséquilibre» entre le futile et le sérieux mais un changement de nature
du futile et du sérieux”16. Les “Flower Children” et les communautés
hippies qui surgissent en Californie seront les exemples pratiques les
plus parfaits de cette nouvelle forme de penser.
La musique joue un rôle prépondérant dans l’éducation des
adolescents, le bas prix des 45 tours et des chaînes “Hi-Fi” étant
étroitement liés a ce phénomène. L’apparition de la cassette audio,
présentée au public le 1e Mai 1966, vient permettre copies et enregistre-
ments sonores de raisonnable qualité et très bon marché.
En 1964 Bob Dylan, qui très rapidement deviendra un des
"gourous" de la nouvelle génération , lance un disque à tous titres
prophétique: The Times they are A’Changing, auquel beaucoup d’autres
se suivront, entre lesquels Blonde on Blonde — considéré comme un des
trois disques rock les meilleurs de tous les temps — mérite une place

15 Cité par Winock, Michel in La Fièvre Hexagonale, Paris, Calman-Lévy, 1987, p.


360.
16 Jorn, Asger, “Os situacionistas e a automação” in Henriques, Júlio (Ed.) Antologia
Internacional Situacionista, Lisboa, Antígona, 1998, pp. 28 à 33. Italiques dans
l’original.
La crise de Mai 68 en France 21

spéciale. Beaucoup ont été les groupes et les disques ayant exercé une
influence sur la jeunesse du temps mais The Beatles Sgt. Pepper’s
Lonely Hearts Club Band ou The Doors Strange Days, tous les deux
sortis en 1967 ne sauraient être oubliés. Une des premières opéras-rock,
et peut-être la plus fameuse de toutes, Hair, vient pour la première fois
à la scène sur Broadway le 29 Avril 1968. Cette même année un chanteur
folk américain, Country Joe McDonald, attaque violemment la guerres
du Vietnam dans I-Feel-Like-I’m-Fixin’-to-Die Rag, une de ces
chansons17 et Janis Joplin stigmatise les angoisses de l’époque en
chantant dans Me and Bobby McGee. “Freedom’s just another word for
nothing left to lose”. Jim Morrison, Bob Dylan, Joan Baez, Donovan ou
John Lennon, pour n’en citer que quelques uns deviennent dans
l’expression de Laurent Joffrin “des baladins promus maîtres à penser”18.
N’empèche le pessimisme de l’expression, il est indéniable que la
musique des annés 60 s’est affirmée comme une réfléxion sur les grands
problèmes de son temps et exerça une réelle influence intellectuelle, et
très souvent politique, sur ses auditeurs.
En France, ces prophètes se nomment Johnny Hallyday,
Sylvie Vartan, Richard Anthony, Françoise Hardy, Sheila, Claude
François ou Antoine. Ce dernier, dans des vers depuis devenus célèbres,
donnera, peut-être sans le faire exprès, un des leit-motiv de la révolte de
sa génération. “Ma mère m’a dit: «Antoine va t’faire couper les
ch’veux»/J’ai répondu «Maman dans vingt ans si tu veux»”.
Le Cinéma aussi exerce une grande influence sur les jeunes et,
en France s’affirme le mouvement connu sous le nom de “Nouvelle
Vague”, issu du groupe de la revue Cahiers du Cinema. Ses grands
apôtres seront Alain Resnais — L’Année Dernière à Marienbad (61) et
Je t’aime, je t’aime (68) — Jean-Luc Godard — La Femme Mariée (64),
Pierrot le Fou et Alphaville (65) ou Masculin, Féminin (66) — et
François Truffaut — Farenheit 451 (66) et Baisers Volés (68). Hors de
la France, et poursuivant une tendance de refus aux grandes productions
américaines, quelques metteurs-en-scène et quelques films méritent
d’être évoqués par le rôle de véritables objets de culte intellectuel dont
ils ont joui — ainsi, la plupart de la production dite du Néoréalisme
Italien, tels Rocco i suo Fratelli (60), La Notte (62) ou La Dolce Vitta
(62) œuvres respectivement de Luchino Visconti, Michaelangelo Anto-
nioni et Federico Fellini. D’autres esthétiques ont, elles aussi, été
énormément influentes dans l’esprit des nouvelles générations tout
comme l’humour noir de Dr. Strangelove de Stanley Kubrick (64), le
libertairianisme de Blow Up (65) ou The Graduate (67) respectivement

17 1, 2, 3, what are we fighting for


Don’t ask me I don’t give a damm
Next stop is Vietnam
And it’s 5, 6, 7, open up the pearly gates
Well it ain’t no time to wonder why
Whoppe, we’ll all gonna die
18 Joffrin, Laurent, Mai 68 — Histoire des Evénements, Paris, Seuil, 1988, p. 34.
22 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

mis en scène par Antonioni et Mike Nichols ou la violence débridée de


Bonnie and Clyde (67). Finalement, l’année même de 68 offre, en outre
Flesh et Trash annonçant l’anti-esthétisme underground de Andy
Warhol, le chef-d’œuvre de la fiction scientifique qui est 2001, A Space
Odissey de Stanley Kubrick ainsi que If ... de Lindsay Anderson, vision
onirique de la rébellion étudiante.
Du point de vue théoretique quelques livres ont exercé une
influence assez grande sur l’époque. Sans parler des grands théoriciens
politiques tels Trotsky, Mao, Marx, Engels, Lenine, pour n’en citer en
vrac que quelques uns, d’autres ouvrages et d’autres mouvements
excitent l’imagination. Tout d’abord la recherche sociologique et la
méthode structuraliste de Claude Lévi-Strauss, ensuite les travaux de
Marshall Mcluhan, essentiellement Yhe Guttemberg Galaxy (1962) et
To an Understanding of Media (1964), sur la théorie de la communication,
ou l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, Prix Nobel de la littérature en
1964 — que d’ailleurs il refuse —, qui deviendra une des doctrines
philosophiques les plus influentes de la décade. Les analyses des
doctrines marxistes, nottament celles de Louis Althusser — Pour Marx
(65), Lire le Capital (65), — de Herbert Marcuse — Eros et Civilisation
(1955), L’Homme Unidimensionel (1964) et de Antoni Gramsci ont
aussi joui à lépoque d’un énorme prestige et influence sur les penseurs
contemporains. Œuvre clef de la contestation fût le Manuel de Savoir
Vivre à l’Usage des Jeunes Générations, véritable manifeste du mouve-
ment International Situationniste de Raoul Vaneigem, publié en 1967,
anné qui voit encore l’apparition d’une autre importe production du
situationisme: La Société du Spectacle de Guy Debord.
La littérature de fiction, bien que jouant un rôle nettement
moins important nous présente aussi un certain nombre d’œuvres assez
influentes. Le mouvement connu sous le non de Théâtre de l’Absurde,
autour d’auteurs tels que Samuel Beckett ou Jean Annouilh et dont
Eugène Ionesco devient Le Grand Satrape, détruit tout le schéma
communicatif traditionnel. Ses pièces, telles que Rhinocéros ou la
Cantatrice Chauve, exercent une forte influence sur la littérature
contemporaine. D’autres ouvrages, Catch 22 de Joseph Heller (61) Une
Journée dans la Vie d’Ivan Denisovitch de Alexander Soljenitsin (63),
A Clockwork Orange (63)19 par Anthony Burgess, Le Chat et la Souris
de Gunther Grass ou Condamnation à Mort par Louis Aragon — toutes
les deux en 1965 — et L’Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar en 68,
jouent un rôle certain dans le panorama intellectuel de l’époque.
À cet ensemble de produits culturels mis à la portée de la
jeunesse il ne faut pas oublier d’ajouter la mode. La façon de s’habiller,
marquant à la fois le rejet actif de l’intégration dans un groupe et le désir
actif d'intégration dans un autre groupe va jouer un rôle déterminant
dans la constitution de la jeunesse en tant que groupe.
Tous les ingrédients sont prêts pour la grande confrontation.

19 Dont Stanley Kubrick fera un «Cult Movie» dix ans plus tard.
La crise de Mai 68 en France 23

III · La situation Française


Bien que le berceau de la contestation juvenile se situe aux
États-Unis, c’est cependant la France qui devient le symbole de la
révolution étudiante. Dès le 15 Janvier 1968 que les étudiants se
manifestent à la Faculté de Lettres de Nanterre20, contestant le surpeu-
plement des Universités, les méthodes périmées d’enseignement, et le
contrôle bureaucratique et centralisée de l’État sur tout l’enseignement
supérieur. En effet, l’Université française est bouleversée par de graves
troubles: le nombre d’élèves est passé de 136,7 milliers en 1949/50 à
231,1 milliers dix ans après, pour monter à un chiffre proche des 250
milliers en 1963/64. En 1968, 508,1 milliers de personnes sont imma-
triculées dans l’ensemble des Universités françaises. Cette même an-
née, près de 15% de ceux qui ont célébré leur dix-huitième anniversaire
ont passé leur baccalauréat. Pour pouvoir intégrer cette constante
augmentation des chiffres l’espace physique de l’Université s’élargit.
Le Gouvernement augmente les Universités existantes et en construit
des nouvelles. Le corps enseignant, lui aussi, se gonfle de façon très
rapide: le nombre d’enseignants (assistants, maîtres-assistants et char-

20 Nouvelle Université, crée en 1964 dans la banlieue de Paris. Offrant des cours
surtout liés aux sciences de l'homme, elle avait rapidement passé de 1 500 élèves
lors de son inauguration à 15 000 quatre ans plus tard. Comme toutes les universités
françaises elle était sévèrement surpeuplée.
24 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

gés de travaux pratiques) a pratiquement triplé entre 1960 et 1968. Pour


6 257 professeurs l’Université compte 16 256 assistants et maîtres-
assistants21 Ceux-ci sont, de par leur âge et leur éducation, très souvent
plus proches des étudiants que de leurs collègues plus âgés.
Cette croissance des structures n’est cependant pas suffisante,
que ce soit du point de vue des structures humaines —il n’y a qu’un
professeur pour chaque centaine d’étudiants —, que ce soit du point de
vue des structures physiques — les Universités nouvelles sont très
souvent des bâtiments isolés ou les élèves se trouvent amassés les uns
sur les autres — que ce soit encore du point de vue des règlements qui
se montrent tout à fait désuets et incapables de répondre aux nouveaux
besoins.
La réorganisation des structures administratives, elle non
plus, n’accompagne aucunement cette brusque croissance. L’ancien
doyen élu et ses deux assesseurs (assistés d’un secrétariat) ne sont plus
capables de coordonner efficacement le système. Ainsi, la restructura-
tion proposée en 1966 par le Ministre de l’Éducation Fouchet ne plaît
ni aux étudiants ni aux Universités22. Trop contraignante dans sa
définition de cycles, filières et examens elle ôte aux écoles leur autonomie
sans pour autant permettre aux étudiants plus de liberté dans le choix, ou
l’organisation, de leurs cours et licences. En outre, le gouvernement du
Gén. de Gaulle est suspecté de vouloir introduire des critères de
sélection très rigides pour l’entrée et l’évaluation dans l’enseignement
supérieur ce qui, logiquement, déplaît à tous les étudiants.
Ce malaise généralisé donne ses premiers fruits à Antony en
1965, quand des étudiants se manifestent, contestant surtout les règle-
ments des Résidences Universitaires, jugés trop contraignants. Des
incidents similaires se reproduisent à Strasbourg, où des sympathisants
de l’Internationale Situationniste23 occupent les locaux de l’Association
Générale des Étudiants. Cette même année, sentant que son pouvoir sur
la jeunesse se perd le P.C.F. dissout la U.E.C. Cette dissolution se
soldera par l’apparition de trois mouvements dissidents: la U.J.C. ml.;
la J.C.R. et le C.L.E.R.

21 Prost, Antoine, «1968: Mort et naissance de l’Université Française» in Vingtième


Siècle Revue d’Histoire, nº 23 Juillet/Septembre 1989, pp. 56 à 70.
22 Loi du 22 mars 1966, prévoyant deux cycles à l’enseignement supérieur.
23 Organisation revolutionnaire crée en 1957, et auto-dissoute en 1972, par des
mouvements d’“artistes en rupture avec l’art”, pratiquant une critique radicale de
toute forme de pouvoir institué. Certaines œuvres de l’Intenationale Situationiste
comme le Traité de Savoir Vive à l’usage des Jeunes Générations de Raoul
Vaneighen, La Société du Spectecle, de Guy Débord ou De la Misére en Milieu
Etdiant, jouèrent un rôle important dans le déclench ement de la crise.
La direction de l’I.S. reniera d’ailleurs toute participation dans cet évènement. Voir
“Os nossos objectivos e os nossos métodos no escândalo de Estrabusgo” in
Henrique, Júlio (Ed.) — Antologia Internacional Situacionista, op.cit, pp. 237 à
252
La crise de Mai 68 en France 25

Le problème des Résidences Universitaires reparaîtra dès le


mois d’Avril 1967 et de nouveaux troubles ont lieu. La protestation
contre le régime de ségregation entre garçons et filles est un leit-motif
de la contestation étudiante.
En Octobre de cette année les C.A.L., dirigés par Michel
Recamati et regroupant les Radicaux et la Nouvelle Gauche, seront
crées tandis que l’Université de Nanterre entre en grève entre le 12 et le
17. En Décembre c’est au tour de l’Université de Paris de décréter la
grève aux cours à cause de problèmes ayant trait à la Sécurité Sociale.
Si la situation des universités est en mesure de provoquer des
arrières-pensées, il n'en est pas moins certain que. politique et
économiquement, la France se resaisit encore de la perte de son empire
colonial (L'Indochine avait été abandonnée en 54, l'Algérie en 62 et une
intervention franco-britanique en Egypte en 56 s'était soldé par une
retraite humiliante).
Il ne saurait pas être oublié que de la fin de la guerre jusqu'en
environ 1964 l'économie française est une économie de base étatique —
ce n'est aprés cette periode que le processus de privatisation économique
s'accéllère. Les quatre plans de modernisation et équipement qui se
succèdent entre 46 et 65 ont pour but de structurer la réorganisation de
l'économie nationale — le cinquième , 1966/70 (depuis le 4e qu'ils
avaient pris le non de plan de developpement écomique et social), est
celui de la libéralisation. Après une courte période de reconstruction qui
peut grosso modo se situer entre 45 et 51, la croissance du PNB français
se poursuit presque sans arrêt jusqu'en 1969 à des rythmes de jusqu'à 7%
l'année, époque de prospérité interrompue cependant par de crises
inflationistes dont les plus graves sont celles de 52 et 63. Cette croissance
n'est pas tout à fait équilibrée: le logement, les services et le bâtiment et
travaux publiques en sont les privilégiés, face à une agriculture qui, bien
que présentant une croissance réelle de environ 3%par an perd, entre 46
et 68, près de deux millions de salariés, c'est-à-dire, presque la moitié de
la force de travail qu'elle employait au lendemain de la guerre.
L'industrie, bien que connaissant un essor repectable, surtout
en ce qui a trait aux industries d'équipement, n'accompagne pas toujours
la poussé européenne. Traditionalement un conglomérat de petites
industries (à l'exception de quelques grands groupes surtout dans les
domaines chimiques et énergétiques) le tissu industriel français connaît
après 1958 un processus accéleré de concentrations. Les petits
établissements (jusqu'à 20 salariés) sont en pleine régréssion, les grands
établissements (plus de 1000 salariés) sont encores relativement peut
nombreux, et on assiste à un rapide développement des structures de
taille moyenne (entre 200 et 500 salariés). On assiste surtout à une
concentration financière des ressources industrielles sur les mains de
quelques groupes économiques importants (environ 500 pour les années
58/65).
L'expansion de l'industrie, et surtout du secteur des services,
ensemble avec la régression de l'emploi agricole, ont provoqué une
désertification de la campagne, à un tel point que le Ve plan était obligé
26 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

de prévoir la création de "métropoles régionales d'équilibre" pour


contrer à la prépondérance des grandes métropoles, surtout Paris. A ce
panorama s'ajoutent de profondes assimetries de développement avec
des régions hautement industrialisés comme les régions de Paris, Lyon
ou Strasbourg et d'autres de très faible développement comme la basse
Normandie, le Poitou ou le Limousin. Dans les campagnes, la
"paysannerie" tipique est en train de disparaître pour donner la place à
une nouvelle classe de salariés agricoles beaucoup plus proches des
ouvriers industriels urbains que de leurs racines traditionelles.
Bien que la situation économique et financière ait retrouvé un
équilibre vers 65 la croissance ininterrompue semble être definitivement
enrayée. Si l'inflation est la compagne à peu près inévitable de la
croissance rapide, elle se traduit aussi par une dévalorisation du franc
pour assurer la compétitivité des marchandises françaises face à la
concurrence étrangère. Cette inflation se reflète surtout sur les deteneurs
de rendements fixes, c'est-à-dire, essentiellement sur les salariés. Il est
peut-être intéressant de regarder le tissu de l'emploi français en 68: sur
un total de 15 millions de salariés 7,7 millions étaient des ouvriers, 2,9
millions des employés, 600 000 des salariés agricoles, 1,2 millions du
personnel de service, 2 millions des cadres moyens, 850 000 des cadres
supérieurs et 500 000 des techniciens.
En même temps, de profondes transformations sociales
s'opérent. Un mouvement sindacaliste qui s'est endormi après une
période d'agréssivité entre 54 et 58 reprend l'offensive vers 1963 et de
nouvelles exigences voyent le jour. Cependant, la journée de travail qui
se situe encore autour des 42 heures, venant compenser les congés payés
de trois (1956) et finalement quatre semaines(1964), reste une des plus
élevées de toute l'Europe industrialisée.
Les mutations subies dans le corps social inpliquente une
confusion des barrières de classe traditionellles, les frontières entre la
"bourgeoisie" et la classe moyenne" devenant de plus en plus floues et
difficiles à définir, tout comme celles entre la "classe moyenne" et les
"classes ouvrières". Une donnée curieuse c'est le fait que malgré
l'inégable amélioration généralisée des conditions de vie. L'écart entre
les différentes couches socio-professionelles n'a pratiquement pas changé
des années 50 à la fin de la décade de 60 et, bien que situation générale
se soit sans aucun doute améliorée, la sociéte française reste une sociéte
de profondes inéqualités. Si c'est un fait que les que les données
statistiques ne soient pas toujours faciles à obtenir, on peut considérer
que si 1,1% des ménages français jouissaient dans les années 60 d'un
revenu supérieur á 100 00 francs par an 27% survivainet avec moins de
4 000 anuels, malgré le fait que des mécanismes sociaux de rédistribution
de la richesse commencent à être mis au point, surtout à partir de 1962.24
Du point de vue politique le faible régime issu de la constitution

24 Duby, Georges, Op. Cit, pp. 348 et suivantes.


La crise de Mai 68 en France 27

de 46 — la IVe République — se prolongera de crise en crise, celles


provoquées par les conflits coloniaux n'étant pas des moindres, jusqu'au
moment ou le coup d'êtat militaire de 58 porte le général de Gaulle au
pouvoir.Caractérisée par une prépondérance des forces de gauche, la
IVe République présente cependant des tendances intéressantes: si le
PCF se maintient le parti le plus important de la période avec quelques
5 millions de voix à peu près stables, déjà le Parti Socialiste perd pendant
la durée près d'un million de voix (il tombe de 4,5 millions en 46 à
3,2millions en 56), tendance qui est partagée par le MRP, voix qui sont
surtout gagnés par les poujadistes, modérés et partis de droite25. Un trop
grand nombre de partis, plus soucieux de leur intêrets éléctoraux que de
la chose publique, qui a d'ailleurs valu à la IVe République, caractérisée
par une instabilité ministerielle constante, le sobriquet de “République
des partis” cause un discrédit toujours croissant dans la vie politique. La
République gaullienne, la Ve, aura comme tâche principale de rétablir la
confiance des citoyens dans les organismes de l'Etat.
Au contraire de la précedente, la Ve République se définit par
une croissance de l'importance du Président de la République, qui
devient élu au suffrage universel après le referendum de 1962, et par un
gain de pouvoirs du gouvernement (la figure du Président du Conceil est
remplacée par celle d'un Premier Ministre) face à l'Assemblée. L'équilibre
entre éxecutif et législatif, qui avait été une des causes de la faiblese de
la IVe République se dissout au profit de l'executif. Si le parti gaulliste
est la plus grande force polique de la décade communistes et socialistes
représent ensemble près de la moitié de l'électorat. Marquée par la forte
personalité du Général Charles de Gaulle la première décade de la Ve
République sera, au niveau interne, surtout caractérisée par une
compétente conduite des affaires courrantes, ayant comme réflèxe la
sensation de prospérité de l'époque.
Si les conditions internes sont celles d'un prospérité certaine,
la comparaison avec les autres nations européenes, surtout avec ses
congenéres de la CEE ne tourne cependant pas toujours à l'avantage de
la France.

25 Duby, Georges, Op. Cit, p. 505.


28 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa
La crise de Mai 68 en France 29

IV · La suite des evènements


Ce n'est certainement pas par hasard que la source de tous les
conflits à venir se trouve à Nanterre, Faculté de Sciences humaines où
s'essayent les nouveaux cours de sociologie et psychologie, de par leur
vocatiom même, tournés vers l'analyse de la société et des comporte-
ments humains.
Ce sont, plus précisement, les incidents survenus le 15 Janvier
1968 qui constituent le point de départ de cette trouble année. François
Missoffe, Ministre de la Jeunesse et des Sports, était venu ce jour-là
inaugurer la piscine du campus de Nanterre. Il y est critiqué par Daniel
Cohn-Bendit — dont le rôle dans la suite des évènements sera
prépondérant — de, lors de son “rapport sur les jeunes d'aujourd'hui”
avoir ignoré les problèmes sexuels de la jeuness. Dans une repartie,
depuis devenue célèbre, le ministre l’invite à régler les siens par un
plongeon dans la piscine.
Un mois plus tard, le 14 Février — date depuis devenue
symbolique — nombre d'incidents et grèves ont lieu dans plusieurs
villes, surtout à Nantes. Le gouvernement fait sa première concession et
les visites dans les dortoirs de filles sont autorisées, par le Ministre de
Éducation, jusqu’à 23 heures. À partir de ce moment il est difficile de
tracer avec exactitude tous les chocs et accrocs entre police et manifes-
tants tant ils furent nombreux mais il est possible de rendre, dans ses
lignes les plus générales, la suite des événement qui culmineront le 31
Mai.
30 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Après quelques semaines relativement pacifiques la violence


est relancé le 18 Mars. Lors d’une manifestation contre la guerre du
Vietnam26, à Paris, pendant que les manifestants jettent des bombes sur
des établissements américains la police intervient et effectue cinq
arrestations, dont une sur les lieux et quatre à domicile, le soir. Une autre
arrestation a lieu le matin du 22. Ce jour même une manifestation menée
par Daniel Cohn-Bendit — dit “Danny le Rouge” non seulement à cause
de ses idées politiques, mais aussi à cause de la couleur de ses cheveux
— se déroule à Nanterre, exigeant la libération des détenus. Après de
nombreux colloques, la tour administrative de l’Université sera occupée
le soir en acte symbolique de protestation. De cette manifestation sortira
le groupe dit des “Enragés” constitué par Cohn-Bendit, Alain Krivine —
dirigéant des J.C.R. — Marc Kravets, Jean-Louis Peninou et Michel
Recamati, le plus jeune du groupe n’ayant que 17 ans, alors que l’âge
moyenne des autres est d'environ 23 ans. Ils seront rejoints quelques
jours plus tard par Alain Geismar, dirigeant du S.N.E. Sup.
En raison de la multiplication des incidents Pierre Grappin, le
Doyen de Nanterre — qui compte quelques 12 000 étudiants —, décide
la suspension des cours jusqu’au 1e Avril, en attendant que les choses se
calment d’elles mêmes.
Autour de ce “Groupe des Enragés” un mouvement à peu près
spontané se crée. Il prendra le non de la date de son origine —
Mouvement du 22 Mars. L’U.J.C. ml, le C.A.L., les Trotskystes du
J.C.R.(liés à la IVe Internationale), le M.A.U., l’U.N.E.F.de Jacques
Sauvageot et le S.N.E. Sup. y adhérent rapidement. Il est intéressant
remarquer que le P.C.F., en tant que parti, ne leur donnera jamais son
adhésion.
Le rôle du Parti Communiste pendant le déroulement des
incidents serait d’ailleurs intéressant d’étudier. À plusieurs reprises
L’HUMANITÉ, journal du P.C.F,. et la C.G.T. ont protesté contre “les
initiatives des aventuriers gauchistes”. Pierre Juquin, député commu-
niste qui, le 26 Avril, envisageait de prononcer une conférence intitulée
“Les Solutions des Communistes face à la Crise de l’Université” sera
empêché d’adresser la parole aux étudiants de Nanterre aux cris de
“Juquin, Judas”. Quelques jours après, Georges Marchais — secrétaire-
général du P.C.F. — parlera de “l’anarchiste allemand” en faisant
réference à Cohn-Bendit27. Louis Aragon, poète, résistant et commu-
niste, lors d’une tentative d’appui à l’action étudiante, le 9 Mai, sera

26 La France ayant déjà abandonné la plus grande partie de son ancien empire sa
politique coloniale propre est difficilement criticable. La position officielle du
gouvernement français est toutefois beaucoup plus proche des thèses nord-
américaines que des vietnamiennes. En outre la guerre du Viet-Nam est vue à
l’époque comme un symbole de l’ “opression capitaliste” et non pas comme un
problème ayant trait à la seule politique américaine ou vietnamienne
27 Celui-ci ne s’en froissera d’ailleurs pas, vu qu’il se definira lui-même quelques
jours plus tard comme «juif et allemand»
La crise de Mai 68 en France 31

insté de se justifier sur son passé et empéché de parler à la Sorbonne sur


l’accusation de “T’as du sang sur tes cheveux blancs”.
Jean-Paul Sartre dira à propos de ces positions que “les
communistes ont peur de la révolution” et, après les faits, complétera ses
propos en affirmant que “Le PC s’est trouvé ainsi dans une situation de
complicité objective avec de Gaulle: ils se rendaient mutuellement
service en réclamant tous deux des élections. [...] de Gaulle avait tout
intérêt à présenter les communistes comme les principaux instigateurs
de la révolte puisqu’ils se présentaient en adversaires «loyaux», décidés
à respecter les règles du jeu”28.
Le 3 Avril, les cours à peine repris, des mesures de sélection
pour l’entrée à l’Université sont annoncées, entraînant le violent rejet
des organisations d’étudiants. Le 21, lors d’une réunion de l’U.N.E.F.
pour décider de la substitution de son président démissionnaire, Michel
Perraud, des conflits éclatent entre étudiants droitistes et gauchistes.
Une semaine après ces conflits reprennent toute leur brutalité lorsqu’un
groupe d’étudiants gauchiste s’attaque à une exposition de soutien au
Vietnam du Sud et se trouve en proie à de violentes démêlées avec le
groupe droitiste “Occident”. Le 27 Daniel Cohn-Bendit est arrêté, mais
la peur de nouvelles émeutes étudiantes le fait relâcher le soir même.
L’opinion publique n’en parait pas pour autant inquiète et, ce
mois-ci, les sondages donnent 61% de “satisfaits” avec le gouvernement
gaullien conte seulement 31% de “mécontents”. Le malaise clairement
ressenti par certaines couches de la société est loin de faire l’unanimité.
Après une période de calme relatif correspondant aux vacan-
ces de Pâques qui — contrairement aux espoirs officiels — n’ont pas
suffi à calmer les passions, les émeutes reprennent de plus belle. Le 2
Mai, pendant une nouvelle manifestation à Nanterre, le Doyen Grappin
déclare à nouveau la suspension des cours. Le jour suivant, à la suite de
l’attitude du Doyen de la Sorbonne, Pierre Roche, qui — en face de la
menace de boycotte — avait contre-menacé de faire réaliser les exa-
mens sous protection policière, les étudiants de Paris et Nanterre se
réunissent à la Sorbonne et exhibent un film sur la vie de “Che” Guevara,
ce qui avait d’ailleurs été interdit par les autorités universitaires.
Le Doyen fait appeler les C.R.S. pour évacuer la Sorbonne et
plusieurs étudiants sont arrêtés. Cette maladresse de Pierre Roche va
provoquer une vague de sympathies vers les contestataires et être à
l’origine d’une adhésion massive d’étudiants (et même d’enseignants)
jusqu’à ce moment restés en marge du conflit. L’U.N.E.F. et le S.N.E.
Sup. déclarent la grève illimitée. Le schéma “Provocation-Répression-
Solidarité” qui avait donné ses épreuves à Nanterre, fourni à nouveau
d’excellents résultats. Aussi à partir de cette date les chocs avec
“Occident” deviennent de plus en plus violents.
La condamnation de 13 des manifestants arrêtés le 3 provoque

28 Cité par Winock, Michel in La Fièvre Hexagonale, Paris, Calman-Lévy, 1987, p.


366.
32 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

de nouvelles manifestations au Quartier Latin pendant la journée du 5


Mai. Le lendemain Cohn-Bendit et sept autres étudiants ont été convo-
qués en Conseil de Discipline à la Sorbonne. Des intellectuels aussi
respectés que Paul Ricœur, Henri Lefebvre et Alain Touraine se posent
en leur défenseurs et les accusés s’en sortiront avec des reproches mais
sans aucune punition réelle.
Prévoyant la possibilité d’altérations à l’ordre publique Mau-
rice Grimaud, le Préfet de Police, avait posé 1 500 gendarmes autour de
la Sorbonne. En effet, la décision de faire dégager l’Université pour que
le conseil puisse procéder normalement provoque, surtout à Saint
Germain des Prés, de véritables batailles rangées entre police et mani-
festants. Les accrochages se poursuivent jusqu’à onze heures du soir
ayant comme bilan 805 blessés29. L'époque des grandes confrontations
violentes débute.
Le sept, près de 30 000 étudiants se manifestent à travers Paris.
À partir de ce jour-ci l’état-majeur des manifestants, rue Monsieur le
Prince, fonctionnant dans les locaux du S.N.E. Sup., entre en liaison
directe et permanente avec la préfecture de police. Il la gardera pendant
six mois. Les positions des manifestants, qui refusent tout compromis
avec les autorités provoquera de graves heurts entre l’U.N.E.F. et la
C.F.D.T., pourtant assez proches politiquement. À ce moment un
sondage de l’I.F.O.P. démontre que les étudiants ont la sympathie de
61% des Parisiens et ne reçoivent que 16% d’opinions critiques. Le
sentiment généralisé semble être que “il faut que jeunessse se passe".
Le 9 Louis Aragon vient, lors d’un “meeting” place de la Sorbonne, leur
apporter son appui publique. Lors qu’on lui demande de se justifier sur
son appui au régime staliniste il refuse de la faire et est empéché de
parler.
Les premières barricades s’élèvent à Paris et l’agitation se
répand à la grande majorité des villes universitaires (surtout Strasbourg,
Nantes, Rennes et Toulouse). Grand nombre des étudiants belges,
espagnols et italiens résidant en France30 adhérent au mouvement et les
allemands envoyent même un contingent, qui est d’ailleurs empêché
d’entrer en France par la police.
Le 10, vers six heures du soir, un nouvelle manifestation
reprend les exigences précédentes: libération des étudiants détenus;
réouverture de la Sorbonne et recul de la police. Quatre heures de
conversations entre le Recteur Chalin, le Doyen Roche et Alain Geismar
commencent. Pierre Roche se décide à faire des concessions, mais c’est
déjà trop tard. La construction de barricades a déjà commencé. Le
Doyen a accepté de recevoir une délégation d’étudiants, pourvu que

29 Selon la police seulement 481, dont 279 étudiants.


30 Les étudiants portugais occuperont la Maison du Portugal de la Fondation
Gulbenkian le 22 Mars pour se rétirer en Juin. Vide Sousa Dias, Ana “Dez
Portugueses no Maio de 68, in in O Público, Especial Maio 68, 16/05/93,
pp.XXXIV a XIL
La crise de Mai 68 en France 33

Cohn-Bendit n’en fasse pas partie. C’est cette exigence qui fournit le
prétexte pour le déclenchement des hostilités. À partir de deux heures
du matin entre 20 000 et 25 000 étudiant se heurtent, rue Gay-Lussac,
à la police. La construction de barricades — démontrant la plupart du
temps un sens stratégique assez pauvre, mais investies d’une énorme
sigification symbolique, le rapport avec les journées épiques de la
Commune de Paris n’étant pas loin, — se porsuit pendant toute la nuit.
Les efforts de la police pour les réduire se soldent en général par des
échecs et les dernières ne seront dégagés que vers 6 heures du matin.
Bien que provoquant des centaines de blessés (près de 400), autour de
500 arrestations et plus de deux centaines de véhicules détruits, la
violence de la nuit — la Nuit des Barricades — ne causera point de
morts31. Par la suite les facultés de Sciences Politiques et Médecine,
pourtant réputées conservatrices, se joignent au mouvement. L’agitation
se répand en province et à Nantes 3 000 étudiants bloquent le trafic
ferroviaire. La répression policière, somme toute assez contenue32,
provoque cependant la sympathie de la plupart des français.
De l’Université l’agitation se répand aux milieux ouvriers et
les grandes centrales syndicales, C.G.T. et C.F.D.T., aussi bien que la
F.E.N., convoquent des manifestations pour le 13. Dans les conversa-
tions entre celles-ci et les organisations étudiantes le malaise s’installe
du fait que les syndicats, pas plus que les autorités universitaires, ne
veulent pas de Cohn-Bendit, devenu trop populaire et ombrageux. Les
dirigéants étudiants étaient, en outre, jugés trop peu disposés au com-
promis par les dirigéant syndicaux. Les relations entre les deux grands
groupes contestataires ne furent, ni au sommet ni à la base, jamais
faciles.
Le lendemain de la Nuit des Barricades, le Premier Ministre
Georges Pompidou retourne d’Afghanistan, où il était parti en voyage
officiel le 2, et décide de prendre les affaires en main. Le gouvernement
est près — contre l’avis du Président de la République — à céder sans
conditions aux exigences des manifestants: il est cependant trop tard.
La manifestation convoquée par l’ensemble des organisations
étudiantes et centrales syndicales à lieu, comme prévu, le 13 et parvient
à réunir près de 800 000 participants — entre travailleurs et étudiants (un
million selon les organisateures, 300 000 selon les informations de la
police), scandé par des mots d’ordre tels que “Ce n’est/ qu’un début/
continuons le/ combat”. Dirigée par Alain Geismar elle traverse Paris de
la République à Denfert-Rochereau aux cris de “10 ans, ça suffit!”. La
date est, en effet, symbolique. Le régime gaullien commémore ce jour-

31 Le chiffre total de morts pendant cette période est, donnée la spéctacularité de la


violence, d’ailleurs étonnement bas. Seulement deux: un étudiant et un commissaire
de police.
32 On estime que la plus grande partie des abus d’autorité furent commis par la police
municipale, peu habituée à se heurter à ce type de manifestations. Les C.R.S.
auraient peut-être agi avec plus d’efficacité et moins de brutalité.
34 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

ci le dixième anniversaire de la prise du pouvoir par le Général. La


Sorbonne est occupé, “délivrée” comme on a dit, pacifiquement et
deviendra le véritable siège de la palabre, où les “meetings” se poursui-
vront sans arrêt, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Malgré les
malentendus cités, cette journée du 13 Mai est ainsi le grand jour de
l’unité de la contestation — les différences qui opposeront bientôt
étudiants et travailleurs sont encore absentes ou dissimulés.
C’est l’époque du grand délire verbal, où le mot est roi. On
discute à ne plus s’écouter. Raymond Aron parlera même du “marathon
de palabres” et Michel de Sertau dira: “En Mai dernier on a pris la parole
comme on a pris la Bastille en 1789”. Un des slogans du Mai est, à ce
propos, terriblement clair: “Assez d’actes, des mots”. De ces slogans qui
ont ponctué Mai 68 il y en a qui sont restés pour toujours non seulement
dans la mémoire des français mais qui parviennent même à entrer dans
la mémoire collective universelle. “L’imagination au pouvoir”, “Prenez
vos désirs pour des réalités”, “Cours Camarade, le Vieux Monde est
derrière toi!”, “La Vie est ailleurs”, “Plus je fais la Révolution plus j’ai
envie de faire l’amour. Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la
Révolution”, “Déculottez vos phrases pour être à la hauteurs des sans-
culottes”, “La Liberté est le crime qui contient tous les autres. Elle est
notre arme absolue”, “Nous sommes tous des indésirables”, pour n’en
citer que quelques uns, sont autant de phrases qui ont, pour toujours,
entré dans l’histoire. Qu’elles soient criés pendant les manifestations ou
écrits sur les murs, elles on rythmé tout ce mois. Aucune, peut-être, n’est
parvenue à détrôner la poésie de celle-ci, écrite par un main inconnue
pendant la Nuit des Barricades et qui rend parfaitement compte de
l’esprit du temps: “Sous les pavés, la plage”.
Cette fragile unité ne va cependant pas faire long feu. Malgré
tous les efforts déployés, surtout par les étudiants, ceux-ci et les
travailleurs vont suivre des chemins de plus en plus séparées. En effet,
leurs intérêts sont tout à fait différents, si non carrément divergents. Si
le but des étudiants est de renverser les structures de la société industrielle
du type habituellement décrit comme celui des démocraties bourgeoises,
celui des travailleurs est, à quelques exceptions près, celui d’accéder à
une plus grande quantité (et qualité) de biens de consommation. Si les
uns désirent transformer la société les autres ne désirent que la
redistribution de la richesse. Le but des syndicats ouvriers ne fut à aucun
moment le renversement du pouvoir, ou la collectivisation des moyens
de production, mais simplement l’obtention de privilèges de type
classique (augmentation des salaires, diminution des heures de travail,
extension des congés payés, … ). On a, à ce propos, parlé de “coefficient
de frustration” — comme l’insatisfaction des couches sociales les
moins favorisées souffrant de se voir au sein d’une société de
consommation, la plupart des produits de laquelle lui sont
économiquement interdits. C’est probablement cette confusion
“technique” sur le concept de ce qui est la “Révolution” qui explique
l’éloignement des structures du P.C.F. de la dynamique du mouvement.
Il est vraiment remarquable que le Président de la République
ait choisi cette période particulièrement troublée pour partir en visite
La crise de Mai 68 en France 35

d’État en Roumanie, où il restera du 14 au 18, laissant le Premier


Ministre en charge de la gestion de la crise. Avant de partir le Général
fait pourtant savoir qu’il adressera le pays, après son retour, le 24. Dans
un discours prononcé le jour même du départ de de Gaulle, Georges
Pompidou fait des événements l’analyse suivante: “Je ne vois de
précédent dans notre Histoire qu’en cette période désespérée du XVIe
siècle, où s’effondrent les structures du Moyen Âge et où déjà les
étudiants se révoltaient en Sorbonne. À ce stade ce n’est pas, croyez-
moi, le gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la
France. C’est notre civilisation même”33. Ce choix de mots ne laisse
aucun doute sur la gravité qu’il accorde à la situation.
Les structures syndicales classiques sont dépassés par les
ouvriers et cette journée du 14 est celle de la déclaration spontanée de
la grève générale. Craignant de perdre leur influence sur les milieux
ouvriers, qui penchent de plus en plus pour l’extrême gauche, même les
syndicats contrôlés par le P.C.F. se voient forcés d’adhérer à la grève.
À Nantes, Sud-Aviation sera la première usine à être occupée par les
travailleurs, dominés par les F.O. d’André Bergeron.
Le lendemain, le 15, le théâtre de l’Odéon est occupé par les
étudiants et se transforme dans le deuxième grand forum de la palabre.
Les usines Renault entrent en grève. Des accrochages, plus ou moins
importants, continuent de se produire entre manifestants et police un peu
partout.
Le 16 Mai c’est au tour le l’E.D.F. d’adhérer à la grève.
Geismar et Cohn-Bendit participent dans un débat télédiffusé avec des
éléments du gouvernement Pompidou. La manœuvre, qui consistait à
tourner les étudiants publiquement en ridicule, échoue tout à fait et c’est
le gouvernement qui est tourné en dérision. Le lendemain, le Premier
Ministre mettra discrètement en place les dispositifs lui permettant de
rappeler les réservistes de l’armée en cas de nécessité.
La S.N.C.F. entre en grève le 17 et le nombre de grévistes
atteint les deux millions. Le jour suivant ce sera aux P.T.T. de joindre
la grève. Les communications sont presque totalement coupées. Les
trois grandes centrales syndicales C.G.T., C.F.D.T. et F.O. se rencon-
trent pour essayer de décider de stratégies communes. Le 22 près de neuf
millions de travailleurs sont en grève dans tout le pays, brisant de forme
ahurissante tous les précédents records (3 millions en 1936). La grève
atteint même les milieux ruraux, pourtant réputés les plus conserva-
teurs. La France est paralysée.
Ce même jour du 17, tandis que Cohn-Bendit est interviewé
pour le NOUVEL OBERVATEUR, Jean-Paul Sartre visite la Sorbonne
pour apporter son soutient aux manifestants. Son prestige de philosophe,
son refus du prix Nobel de la litérature en 1964 et l’éloignement qu’il
avait pris par rapport aux positions du Parti Communiste Soviétique, lui
accordent un récéption chaloureuse de la part des manifestants.

33 Joffrin, Laurent, Mai 68 — Histoire des Evénements, Paris, Seuil, 1988, p. 164.
36 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

De cette croissance incroyablement rapide du mouvement lui


vient sa faiblesse. Non seulement l’entente entre intellectuels et tra-
vailleurs s’est avérée plus difficile à réaliser qu’éscompté mais aussi des
scissions commencent à apparaître entre les dirigeants étudiants, surtout
au niveau des idées politiques — les divergences entre “jusqu’au
boutistes” et pragmatiques, qui entendent surtout consolider les posi-
tions déjà prises, étant de plus en marquées. D’autre part les relations
entre marxistes-leninistes, trotskystes, maoistes, guevaristes, anarchis-
tes, situationistes et d’autres sont loins d’être paisibles. Le plus impor-
tant le mouvement devient, le plus difficile il est à contrôler.
Les centrales syndicales commencent à prendre peur de
l’influence des étudiants sur les milieux ouvriers. En effet, les revendi-
cations classiques des classes salariées — rémunérations plus élevées,
réduction des heures de travail ou meilleures conditions de sécurité
sociale — commencent en certains cas à se doubler de revendications
plus politisées, du type “contrôle de la hiérarchie au sein de l’entreprise”
entre autres. Malgré tous ces accrocs les relations entre U.N.E.F. et
C.F.D.T, vu leur affiliation politique similaire, bien que souvent assez
tendues, resteront toutefois, presque toujours, assez cordiales. Les
autres relations entre organisations étudiantes et syndicats ouvriers
seront rapidement condamnées à disparaître.
Le 22 Mai une ordre d’interdition de séjour est lancée contre
Daniel Cohn-Bendit, qui était parti le 18 pour se reposer en Allemagne34.
Pendant la nuit du 22 au 23 de violentes manifestations de solidarité
éclatent, aux cris de “Cohn-Bendit à Paris”, “Nous sommes tous des
Juifs Allemands” ou “C.R.S./S.S.” — bien que sitôt désavouées par la
C.G.T —, aggravant encore les déjà tendues relations entre étudiants et
syndicats. Des rumeurs sur la prise de l’Hôtel de Ville se répandent. La
violence n’est plus contrôlable.
Dans l’Assemblée de la République, bien que le gouverne-
ment n’ait qu’un très léger avantage sur l’opposition parlementaire —
celle-ci est divisé entre communistes, gauche non-communiste et cen-
tristes — une motion de censure, qui avait commencé à être discuté le
jour précédent contre le gouvernement présidé par Georges Pompidou
ne recueille que 233 voix contre les 244 nécessaires.
Le même jour la C.G.T. et la C.F.D.T. exigent des négocia-
tions communes et la F.O. déclare, elle-aussi, être prête à s’asseoir avec
les répresentants du patronat. Le Premier Ministre charge Jacques
Chirac, à l’époque Secrétaire d’État, de conduire les négociations, ce qui
mènera à une première rencontre de représentants des syndicats et da la
C.N.P.F. samedi le 25, sur les locaux du Ministère du Travail, rue de
Grenelle. Les denommées discussion de Varennes seront leur contrepart
en ce qui a trait à les revendications des salariés agricoles.
La veille, comme prévu, de Gaulle avait fait sa première

34 Cette ordre ne sera levée que dix ans plus tard par Valéry Giscard d’Estaing, alors
Président de la République.
La crise de Mai 68 en France 37

communication publique sur la crise. Dans une allocution télévisée, en


même temps qu’il se dit favorable à “la réforme oui, la chienlit non” le
Président de la République annonce la réalisation d’un référendum sur
la participation53 et la régionalisation, à avoir lieu le 16 Juin. Sa menace
de démission en cas de non-acceptation ne semble plus avoir d’effet sur
les français.
Cette même nuit une nouvelle Nuit des Barricades se déroule
au Quartier Latin, dans la rue de Lyon, à la Bastille et la Nation. Une
tentative de mettre le feu à la Bourse échouera. Les manifestations
dépassent cette fois largement les limites physiques de la Rive Gauche,
où jusqu’à ce jour elles s’étaient confinées, et commencent à effrayer les
bourgeois parisiens. De violentes confrontations se produisent dans
presque toutes les villes de la France. Cette fois les accrochages entre
police et manifestants provoqueront deux morts, un à Paris et l’autre à
Lyon. Ce seront les seules victimes mortelles directement attribuables
à la violence de ce mois.
Le lendemain du discours de de Gaulle l’O.R.T.F. entre en
grève et, du 26 au 31, Nantes vit une véritable commune.
Le 27, après 25 heures de négociations entre patrons et
syndicats, des accords — qui passeront à l’Histoire sous le non des
“Accords de Grenelle” — consacrant d’importantes concessions sont
signés. Le S.M.I.G. est élevé de 2,22 à 3 Frs. l’heure, les salaires sont
augmentés entre 7 et 10%, la semaine de travail souffre un réduction de
une à deux heures selon les cas, la Sécurité Sociale, les retraites et les
allocations sont améliorées, la formation professionnelle devient finan-
cée par les entreprises et la garantie est obtenue du payement de 50% des
jours de grève. Le gouvernement se compromet à élaborer un projet de
loi sur le droit syndical et satisfaction est obtenue en ce qui concerne la
représentation et les droits syndicaux dans les entreprises. Malgré toutes
ces concessions les syndicats se refusent à garantir le paisible retour au
travail, prétextant qu’il leur faut d’abord consulter les bases, position
qui en dit long sur le manque de confiance qu’ils ont dans leur influence.
Les accords sont immédiatement rejetés par les ouvriers de
Renault —sur l’exigéance, entre autres, du payement complet des jours
de grève — et qui réclament le pouvoir populaire. Ils sont bientôt suivis
dans cette attitude par ceux de Citroën et Sud-Aviation, entre beaucoup
d’autres. Le gouvernement, le patronat et même les syndicats sont tout
à fait pris au dépourvu par ce retournement de l’affaire.
Ce même jour toute hypothèse d’unité de la gauche est
définitivement brisée. C.F.D.T. et U.N.E.F. organisent un meeting au
Stade Charletty qui réunit entre 30 et 40 000 personnes, comptant avec
la discrète présence de Pierre Mendès France36 et celle, plus voyante,

35 «Une participation plus étendue de chacun à la marche et aux résultats de l’activité


qui le concerne directement”.
36 Ancien Président du conceil, deputé radical-socialiste, (1954/55) jouissant du
prestige d’avoir mis fin à la guerre d’Indochine.
38 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

d’André Barjonet, un dissident du P.C.F., qui déclare sans ambages.


“Aujourd’hui la révolution est possible. Mais il faut s’organiser vite,
très vite”. C.G.T. et P.C.F. ont vite fait de désavouer cette position. Pour
eux la seule forme de changer le régime c’est par la voie du vote. Entre
dirigeants étudiants et ouvriers les désaccords sont de plus en plus
graves.
L’opinion publique prend décidément peur et ce 27 les sonda-
ges montrent un renversement des positions et une chute nette de la
popularité des manifestants. La course aux bancs et l’accaparement sont
les conséquences directes de cette panique. La crainte de la guerre civile
est présente dans l’imagination de beaucoup de Français et des Comités
de Défense de la République se forment, à peu près spontanément,
composés pour la plupart par d’anciens gaullistes de droite.
Le 28 Mai François Mitterrand — poursuivant le duel qui
l’oppose à Mendès France34 pour le contrôle de la gauche — annonce
l’intention de poser sa candidature aux prochaines élections présiden-
tielles et, dans la très probable hypothèse d’une défaite gaullienne lors
du référendum annoncé, propose pour le 17 Juin la formation d’un
“gouvernement provisoire de gestion” présidé par lui ou par Mendès
France, lequel se déclare près à accepter “les responsabilités qui
pourraient lui être confiés par toute la gauche réunie”. Une réunion entre
Miterrand et des responsables du P.C.F. — qui n’entend pas se laisser
éloigner du pouvoir — pour essayer de trouver une position commune
de toute la gauche, qui a lieu ce jour même, n’aboutira à aucun résultat
pratique, mais de gigantesques manifestations sont convoquées par la
C.G.T. pour le lendemain.
Alain Peyrefitte, Ministre de l’Éducation Nationale, démis-
sionne en face des pressions et, bravant l’interdiction de séjour, Cohn-
Bendit retourne à Paris, couvrant le gouvernement et la police de
ridicule.
Le 29, en fin de matinée, de Gaulle quitte Paris pour sa
résidence privée à Colombey. À 17 heures on apprend qu’il n’y est pas
encore arrivé. En cours d’après-midi la radio annonce sa disparition
provoquant la panique dans la France gaulliste. D’énormes manifesta-
tions sont organisées par la C.G.T. dans toute la France. Le P.C.F. qui,
jusqu’à ce moment s’est toujours maintenu dans la plus stricte légalité,
a eu, peut-être, sa première et seule tentation révolutionnaire. En effet,
la grève des P.T.T. — contrôlés par la C.G.T. — permet de couper
pendant quelques instants les communications internes du gouvernement
et la centrale téléphonique de la C.F.D.T. La menace de la part du
gouvernement de considérer l’action comme révolutionnaire, en prenant
les mesures de crise qui s’imposeraient, et la possibilité de l’intervention
du service d’ordre de la C.F.D.T. ramènent le calme.
Le soir, après des rencontres entre Mendès France, Mitterrand
et les représentants de la gauche parlementaire, l’ancien Président du
Conseil déclare qu’il est prêt à prendre le pouvoir et annonce la création
d’un gouvernement provisoire de gauche. Cette proclamation tombe
La crise de Mai 68 en France 39

cependant dans le vide, vu que la radio annonce le retour du Président


de la République.
Plusieurs questions ont été posées au fil des années sur les
mouvements et attitudes du Général de Gaulle pendant cette journée.
D’après les témoignages, il ne reste aujourd’hui aucun doute que le
Président a pris la décision de partir secrètement à Baden-Baden, en
Allemagne, pour des conversations avec le Général Massu qui le rassure
sur la fidélité de l’armée. Ses intentions, avant et pendant cette rencon-
tre, ne peuvent être que le fait de spéculations.
De Gaulle, qui rentre donc à Paris le soir du 29 au 30, se laisse
convaincre par le Premier Ministre à dissoudre le Parlement et annonce
qu’il s’adressera publiquement au pays par la radio à 16 heures 30.
Pendant une allocution de quatre minutes et demi37, il annonce la
dissolution de l’Assemblée Nationale, l’annulation du référendum et la
convocation de nouvelles élections. Georges Pompidou est maintenu à
la tête d’un Gouvernement remanié. Ce même jour un manifestation
gigantesque de ses partisans, préparée à tout hasard depuis le 28,
rassemble entre 18 et 21 heures, environ un million de personnes38.
Bien que l’annonce des élections fût fortement contesté par les
étudiants — “voter, c’est mourir un peu”, diront-ils — et par quelques
éléments syndicaux extrémistes, le peuple français dans son immense
majorité fête le retour de l’ordre. Le dernier jour du mois de Mai verra
la répétition de gigantesques manifestations d’appui à de Gaulle par
toute la France. Le soir le Président de la République signe le décret
portant le S.M.I.G. à 3 Frs. (les accords de Grenelle seront plus tard
étendus aux travailleurs agricoles). Dès la première journée de Juin que
les grèves, peu à peu, se terminent. Le travail reprend progressivement
et la France rentre pacifiquement dans l’ordre39. La chambardement de
Mai est terminé, mais ses répercussions se feront noter pendant tout le
reste de l’année.
En effet, les grèves dans des secteurs aussi importants que
l’E.D.F., S.N.C.F., R.A.T.P., P.T.T., Sidérurgie et Charbonnages ne
prendront fin qu’entre le 5 et le 6 Juin et les usines Renault ne
reprendront le travail que le 17. Le théâtre de l’Odéon n’est abandonné
que le 14 Juin, la Sorbonne ne sera effectivement evacuée par les C.R.S.
que deux jours après et la Faculté de Médecine restera entre les mains
des étudiants jusqu’au 16 Juillet. Nanterre sera occupée par la police à
la suite d’une grève aux cours le 24 Novembre. S’il est facilement
possible de trouver des exemples de manutention de situations d’excep-
tion pratiquement jusqu’à la fin de l’année, il ne reste aucun doute que
l’élan du mouvement est brisé avec le discours du 30 mai et que’à partir
de la seconde semaine de Juin la situation est devenue pratiquement

37 En annexe, le texte complet de ce discours.


38 Environ 300 000 selon la Préfecture de Police
39 La contestation étudiante, dans ses formes les plus virulentes, prendra aussi
d’ailleurs fin, presque partout dans le monde, vers la fin de cette décade,
40 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

normale. À ce moment on ne dénombre plus que 150 000 grévistes dans


toute la France.
Les rencontres entre police et manifestants iront, toutefois,
provoquer encore trois morts, ce qui portera le chiffre total de victimes
mortelles à cinq: deux étudiants, deux ouvriers et un commissaire de
police.
Les élections qui ont lieu le 23 et le 30 Juin donneront une nette
majorité aux gaullistes qui remporteront 358 sièges sur 485. Ils empor-
tent un gain de 7,8% par rapport aux éléction de 67 (ce qui correspond
à 1 540 000 voix), plus de 46% des votes exprimés, atteignant ainsi leur
plus haute votation jamais et gagnant 97 sièges. L’ensemble de la
gauche P.C.F., P.S.U., F.G.D.S.) obtient près de 41% des voix. Les
centristes qui ne remportent que 1 200 000 voix, correspondant à 10,3%
des votes sont , avec le P.C.F. qui perd environ un million de voix, les
grands perdants40.
Georges Pompidou est remplacé par Couve de Murville à la
présidence du nouveau gouvernement le 10 Juillet. La loi Edgar Faure
— Loi d’Orientation de l’Enseignement Supérieur qui “remodèle le
Système Universitaire Français sur les principes d’autonomie, de par-
ticipation et d’interdisciplinarité” — est finalement promulguée le 7
Novembre. Les anciennes facultés font place à des unités d’enseignement
et de recherche, regroupés dans des universités. Les étudiants sont
appelés à la cogestion des établissements d’enseignement et le contrôle
continu se répand, remplaçant de plus en plus les examens classiques.
L’intervention politique recevait droit de cité dans l’institution
universitaire. À Paris, la vielle Sorbonne est découpée et de nouveaux
établissement tels que Vincennes, Dauphine ou Villetaneuse ouvrent
leurs portes. Cette loi, bien que représentant une réforme radicale du
système éducatif français n’était pas pour autant une panacée à tous ses
problèmes. Les paroles de Charles de Gaulle selon lequel “les français
ne font jamais de réforme qu’à l’occasion d’une révolution” deviennent
tragiquement prophétiques.
Le 31 Décembre, lors de son allocution de fin d’année, le
Président de la République dira “ ... portons donc en terre ferme les
diables qui nous ont tourmenté pendant l’année qui s’achève”.

40 Duby, George, Histoire de France — de 1852 à nos Jours, Paris, Larousse, 1988,
p. 404
La crise de Mai 68 en France 41

V · Les grandes etapes


Il est possible, à partir de ce qui a été dit plus haut, de diviser
la succession des événements de ce mois de Mai en trois étapes de
caractéristiques assez distinctes et qui correspondent à trois moments
facilement repérables dans le déroulement de la crise:
• la première étape, jusqu’au 13 Mai, est celle de la crise
exclusivement étudiante. Les revendications étudiantes ne
sont pas prise trop au sérieux par la généralité de
l’“establishment” et l’étât d’esprit le plus commum vis-à-vis
des manifestants semble être un peu le “il faut que jeunesse
se passe”. Cependant, la sensation que l’on vit une période
d’exception commence, peu à peu, à gagner l’ensemble de la
population. C’est l’époque où la France tout entière vit le
délire de la fête et le “déni du quotidien”. La maladresse de
l’action de la police pendant la Nuit des Barricades, et dans
plusieurs autres occasions, a poussé la popularité des mani-
festants au maximum;
• la deuxième étape, du 14 au 24, Mai est celle de la crise
sociale. L’entré en scène des ouvriers, l’expansion des
mouvements grévistes à la presque totalité du territoire
français dégrise les indécis et éloigne becaup des sympathisants
du mouvement. Les positions se durcissent et la neutralité
n’est plus possible. Dorénavant il faut être pour ou contre. La
contestation idéologique du régime, charactéristique de la
42 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

première période, se double d’une contestation de type reven-


dicatif classique, exacerbée toutefois par l’extraordinaire
climat d’effervescence sociale que l’on vit à l’époque. La
France bourgeoise commence à prendre peur;
• la troisième étape, la dernière, se joue du 25 au 30, et est celle
de la crise politique. L’apparente incapacité du pouvoir à
résoudre les conflits provoquera de la part de l’appareil
politique une multiplicité de réactions, plus ou moins préci-
pitées et apeurées. Le remplacement du régime est envisagée
et les manœuvres se multiplient, soit par la gauche classique
qui rêve de s’emparer légalement du pouvoir, soit par la
droite qui rêve de le conserver. La réaction déterminée de de
Gaulle, le 30, mettra fin à toutes ces spéculations et la France
rentrera dans la normalité.
Si le parti gaullien remporte une victoire notable, De Gaulle,
lui-même, jouira d’ailleurs peu de sa victoire électorale de Juin 68. Il
démissionnera le 23 Avril de l’année suivante, par la suite de l’échec du
référendum sur la régionalisation qui lui accorde 53% de Non. Il
renonce à ses fonctions dans une déclaration très brève39, étant provisoi-
rement remplacé par Alain Poher, Président du Sénat. Aux élections
pour la Présidence Georges Pompidou, son ancien Premier-Ministre,
remportera la victoire.

39 «Je cesse d’exercer les fonctions de Président de la République. Cette décision


prend effet aujourd’hui à midi.» C. de Gaulle
La crise de Mai 68 en France 43

VI · Les explications
Le phénomène de 68 est loin d’être expliqué d’un façon tout
à fait satisfaisante, la plupart des commentateurs ne parvenant même pas
à se mettre d’accord sur la nature de ce qui se passa — révolution,
soulèvement populaire ou autre type de convulsion sociale. Philippe
Bénéton et Jean Touchard font, en l’étudiant dans la Revue Française
de Science Politique de Juin 197040, une recension de huit types
d’interprétations, qui semblent reprendre d’une façon très complète
l’emsemble des reflèxions faites à partir des donnés disponibles. À
celles-là nous avons joint une dernière, issue de la réflexion de Jean
Baudrillard — d’ailleurs enseignant à Nanterre à l’époque — dans son
œuvre Simulacres et Simulations:. Elles sont les suivantes:
1 - «Une entreprise de subversion» — Explication du phéno-
mène par le complot d’origines extérieures. Bien que ce soit
une thèse surtout soutenue par la droite, une certaine partie de
la gauche y souscrit aussi. Elle est surtout appuyée par la
simultanéité des conflits étudiants un peu partout dans le

40 Cité par Winock, Michel in La Fièvre Hexagonale, Paris, Calman-Lévy, 1987, pp.
362 et suivantes.
44 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

monde. Des États-Unis à l’Union Soviétique, en passant par


Israël, presque touts les intérêts s’y trouvèrent inculpés. Son
grand point faible est la totale absence d’épreuves, autres que
tout à fait circonstancielles à son appui;
2- «Une crise de l’Université» — Explication qui se passe
d’autres commentaires, vu le déroulement des événements.
La crise académique serait la seule explication, le reste
s’agirait de simple contagion. Le grand point faible de ce type
d’explication est qu’il laisse de côté la violence de la contes-
tation ouvrière — un simple phénomène de contagion ne
saurait être aussi radical:
3- «Un accès de fièvre, une révolte de la jeunesse» — Thèse
qui met l’accent sur le phénomène démographique, les nou-
velles formes de communication, le désespoir de la jeunesse,
soutenue, entre autres, par Raymond Aron. Les défenseurs de
ce type d’explication entendent, en général, voir le mouve-
ment comme une simple extension des grandes lignes qui ont
donné forme à la première phase (jusqu’au 13 mai);
4- «Une révolte spirituelle, une crise de civilisation» —
Interprétation lyrique de rébellion contre “la société répres-
sive et absurde” (Maurice Clavel), “l’américanisme” (Jean-
Marie Domenach), la “civilisation sans âme” (Jacques Mari-
tain). C’est aussi la thèse soutenue par un large secteur
gaulliste et pompidolien. Si c’est vrai que c’est par trop
réducteur de définir le mouvement comme une simple “ré-
volte spirituelle” ce n’est pas moins vrai qu’il marqua un
sommet d’une crise civilisationnelle, vu que c’est toute une
façon de vivre qui est contestée et non seulement la position
de telle ou autre couche de la société dans un type accepté, de
plus ou moins bonne volonté, de societé;
5- «Un conflit de classe, un mouvement social de type nou-
veau» — Explication des incidents par une lutte nouvelle
“contre des appareils d’intégration, de manipulation et d’agres-
sion” (Alain Touraine). À la lutte contre le capitalisme aurait
fait place la lutte contre la technologie. Il est cependant
intéressant de remarquer que le désir de la plus grande partie
de ouvriers était précisément une plus grande intégration
dans la société de consommation;
6- «Un conflit social de type traditionnel» — Thèse officielle
du Parti Communiste Français. De par trop réductioniste
cette thèse se passe de commentaires. Elle semble n'être
posée que pour justifier la position communiste pendent cette
période. Comme les deux suivantes elle ignore un partie trop
importante des données;
7- «Une simple crise politique» — Explication qui concentre
toute la responsabilité sur les têtes du Président de la Répu-
blique et du Premier Ministre. Cette thèse ignore non seule-
La crise de Mai 68 en France 45

ment les causes du mouvement comme l’inabilité de la


gauche traditionelle à gérer la crise;
8 - «Un enchaînement de circonstances» — Thèse du hasard,
tout simplement.
9 - Thèse de l’implosion — proposée par Jean Baudrillard.
Selon ce philosophe, les évènements de mai marqueraient la
dissolution finale du système capitaliste d’enseignement, la
mort de l’Université traditionelle. Elle ignore les facteurs
externes à la rébéllion étudiante.
En conclusion, on pourrait dire, que plusieurs facteurs ont
joué dans l’éclosion de la crise et qu’ils ont mis en place entre eux un
système de relations extremement complèxe. Une énumération exhaus-
tive de tous les facteurs en jeu serait impossible (et probablement d’un
intéret très réduit) mais les plus importants nous semblent être de trois
ordres distinctes.
Tout d’abord, un problème que l’on pourrait nommer de type
sociologique: il ya en ces annèes un mécontement assez général et diffus
avec toute la structure civilisationnelle de la société industrialisée.
Parvenus à un point de la civilisation industrielle où la plupart des
besoins materiels étaient comblés, les gens se sont mis à la recherche de
“quelque chose d’autre”, quelque chose qu’on ne savait pas exactement
ce que c’était mais dont on ressentait le besoin. Peut-être la clef se
trouverait-elle dans ce renversement de la nature des relations entre
travail et les loisirs remaquée par Asger Jorn et les situationistes. C’est
la diffusion de ce malaise généralisé qui explique la complaisance avec
laquelle les manifestants ont été vus les premiers temps.
Ensuite, une raison d’orde proprement académique — une
faillite du système d’enseignement à prendre en main des nombres
rapidement croissants d’élèves et à s’adapter au concept d’un enseigne-
ment universitaire de masses. L’Université se montrait non seulement
incapable de faire face à la quantité toujours plus grande d’élèves qui s’y
présentaient comme elle se montrait incable de fournir un enseignement
adéquat aux circontances.
Une raison, enfin, de type purement social — un sentiment de
révolte des ouvriers français qui malgré la presque absence de chomage
étaient, somme toute, des plus défavorisés dans l’ensemble des pays
industrialisés.
Quoi qu’il en soit, il est impossible de nier que les évènements
de 68 ont eu une influence radicale dans la société française, dont
aujourd’hui encore on ressent les remous.
46 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa
La crise de Mai 68 en France 47

Annexe 1
Discours du General de Gaulle le 30 de Mai 1968
«Français, Françaises, étant le détenteur de la légitimité
nationale et républicaine, j’ai envisagé depuis vingt-quatre heures
toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la
maintenir. J’ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes je
ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple. Je le remplirai. Je ne
changerai pas le Premier Ministre, dont la valeur, la solidité, la loyauté,
méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui
paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. Je dissous
aujourd’hui l’Assemblée Nationale. J’ai proposé au pays un référendum
qui donnait aux citoyens l’occasion de se prescrire une réforme pro-
fonde de notre économie et de notre Université, en même temps que de
dire s’ils me gardaient leur confiance ou non, par la seule voie accepta-
ble, celle de la démocratie.
Je constate que la situation actuelle empêche matériellement
qu’il y soit procédé. C’est pourquoi j’en diffère la date. Quant aux
élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la
Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout
entier, en l’empêchant de s’exprimer en même temps que l’on empêche
de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche aux étudiants d’étudier,
les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens,
ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercés par de
48 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

groupes organisés de longue main en conséquence et par un parti qui est


une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux á cet égard.
Si donc la situation de force se maintient, je devrais, pour
maintenir la République, prendre, conformément à la Constitution
d’autres voies que le scrutin immédiat du pays. En tout cas, partout et
tout de suite, il faut que s’organise l’action civique. Cela doit se faire
pour aider le gouvernement d’abord, puis localement les préfets deve-
nus ou redevenus commissaires de la République dans leur tâche qui
consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à
empêcher la subversion. À tout moment et à tout lieu.
La France, en effet, est menacée de dictature, on veut la
contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir
national, lequel pouvoir serait alors évidemment essentiellement celui
du vainqueur, c’est-à-dire, celui du communisme totalitaire.
Naturellement, on le colorerait pour commencer d’une appa-
rence trompeuse en utilisant l’ambition ou la haine de politiciens au
rencard. Après quoi ces personnages ne pèseraient pas plus que leur
poids, qui ne serait pas lourd. Eh bien, Non! La République n’abdiquera
pas, le peuple se ressaisira. Le progrès, l’indépendance et la paix
l’emporteront, avec la liberté. Vive la France, Vive la République.»
La crise de Mai 68 en France 49

Annexe 2
Liste des Sigles Utilisées dans le Texte

A.N.C. — African National Congress, mouvement intégrationiste,


fondé en 1912 et dirigé par Nelson Mandela depuis 1950.
C.A.L — Comités d’Action Lycéenne
C.E.C.A. — Communauté Européènne du Charbon et de l'Acier, crée en
1951, réunissant la France, La République Fédérale d'Allemagne,
le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Italie.
C.E.E. — Communauté Economique Europ´ènne, crée par le traité de
Rome, le 25 Mars 1957 qui élargit les limites géographiques de
la E.C.A. à la Belgique.
C.F.D.T. — Confédération Française Démocratique du Travail, proche
du P.S.U., crée en 1964 et comptant environ 600 000 éffectifs.
C.G.T. — Confédération Générale du Travail, liée au P.C.F., qui
compte entre 1,5 et 2 millions de affiliès.
C.L.E.R. — Comité de Liaison des Étudiants Révolutionnaires, repré-
sentant la faction Trotskyste.
C.N.P.F. — Conseil National du Patronat Français, fondée en 1946.
C.R.S. — Compagnies Républicaines de Sécurité qui, en France, jouent
le rôle de police de choc.
50 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

E.D.F. — Electricité de France


E.F.T.A. — European Free Trade Association, crée en 1959, groupant
le Royaume Uni, Le Portugal, la Norvège, la Suède le DenMark
et l'Autriche (après la Finlande), pour concurrencer la C.E.E.
F.E.N. — Fédération de l’Éducation Nationale, avec 400 000 adhérents.
F.E.R. — Fédération des Étudiants Révolutionnaires, non pris par le
C.L.E.R. en Mai 68.
F.G.D.S. — Fédération Générale des Syndicats
F.O. — Force Ouvrière, qui compte près d'un demi million d'éffectifs.
I.F.O.P. — Institut Français de l’Opinion Publique
J.C.R. — Jeunesse Communiste Révolutionnaire, mouvement issu de la
dissolution de l’Union des Etudiants Communistes.
M.A.U. — Mouvement d’Action Universitaire (tendance marxiste)
M.R.P. — Mouvement Républicain Populaire, crée en 1944, de tendance
démochrate-Chrétienne.
N.A.T.O. — North Atlantic Treaty Organisation
O.A.S. — Organisation de l’Armée Secrete, groupe paramilitaire crée
en Janvier 1961, s’opposant à l’indépendance de l’Algérie.
Liquidée en Algérie en Juin 1962, l’organisation poursuivra ses
activités en France métropolitaine, pendant qulques annés encore.
O.C.D.E. — Organosation pour la Coopération et le Dévoloppement
Ecominque réultant de l'adhésion à l'O.E.C.E. des Etats Unis, du
Canadá et du Japon.
O.E.C.E. —Organization Européènne pour la Coopération Economique,
crée en194, groupant19 Etats Européens
O.R.T.F. — Organisation de Radio et Télévision Française
P.C.F. — Parti Communiste Français, crée en 1920.
P.S.U. — Parti Socialiste Unifié, crée en 1960, dissout 1989
P.T.T. — Postes, Télégraphes et Téléphones
R.A.T.P. — Réseau Autonome des Transports Parisiens
S.M.I.G. — Salaire Minimum Industriel Général
S.N.C.F. — Société Nationale des Chemins de Fer
S.N.E. Sup. — Syndicat National de l’Enseignement Supérieur
U.E.C. — Union des Étudiants Communistes
U.J.C. ml. — Union des Jeunesses Communistes marxistes-leninistes
U.N.E.F. Union Nationale des Étudiants de France, proche de la
Nouvelle Gauche
La crise de Mai 68 en France 51

Bibliographie sommaire
Althusser, Louis — “Ideology and Ideological State Apparatuses”, in
Storey, John (Ed.) Cultural Theory and Popular Culture; A
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Althusser, Louis et ali. — Lire le Capital, Paris, Quadrige/PUF, 1996
Baudrillard, Jean — Simulacros e Simulação, Lisboa, Relógio de Água,
1991
Baker, Marion — “A Dialogical Approach to Ideology” in Storey, John
(Ed.) Cultural Theory and Popular Culture; A Reader, London,
Harvester Wheatsheaf, 1994
Bouguereau, Jean-Marcel — “Vingt Ans après la haine de Mai n’est pas
Morte” in L’Evénement du Jeudi, 14 au 20 Avril 1988, pp. 68 à
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Camargo Heck, Marina, — “The ideological dimension of media
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52 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Cohen, Phil — “Subcultural Conflict and Working-Class Community”


in Hall, Stuart et al. (Eds.) Culture, Media, Language, London,
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Simon & Goodwin, Andrew (Eds.), On Record — Pop, Rock and
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1996 (1979)
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L’Evénement du Jeudi, 14 au 20 Avril 1988, pp. 64 à 66
Marcuse, Herbert — L’Homme Unidimensionel, Paris, Les Editions de
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S. Paulo, Escriba, 1974
Morrow, Lance — “1968, the Year that Shaped a Generation” in Time,
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La crise de Mai 68 en France 53

Narodetzki, Jean.Franklin — Mai 68 à l'Usage des mois de 20 ans,


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Nouschi, Marc — O Século XX, Instituto Piaget, Lisboa, 1996
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Feira, 20/05/1968)
Sousa Dias, Ana “Dez Portugueses no Maio de 68, in O Público,
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1960/1971, Lisboa, Círculo de Leitores 1990
Winock, Michel — La Fièvre Hexagonale, Paris, Calman-Lévy, 1987
54 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

Sources

Video
De Gaulle ou l’Éternel Défi, Le Souverain de la République, s.a, s.d.
De Winter, Stephen et Cohn-Bendit, Daniel, La Révolution 20 ans
Après, 1988
Klein, William — Grands Soirs, Petits Matins, Films Paris New York,
s.d.
La crise de Mai 68 en France 55

SÉRIE

INSTITUTO POLITÉCNICO DE BRAGANÇA

Títulos publicados:

1- A agricultura nos distritos de Bragança e Vila Real


Francisco José Terroso Cepeda – 1985

2- Política económica francesa


Francisco José Terroso Cepeda – 1985

3- A educação e o ensino no 1º quartel do século XX


José Rodrigues Monteiro e Maria Helena Lopes Fernandes –
1985
4- Trás-os-Montes nos finais do século XVIII: alguns
aspectos económico-sociais
José Manuel Amado Mendes – 1985

5- O pensamento económico de Lord Keynes


Francisco José Terroso Cepeda – 1986

6- O conceito de educação na obra do Abade de Baçal


José Rodrigues Monteiro – 1986
7- Temas diversos – economia e desenvolvimento regional
Joaquim Lima Pereira – 1987

8- Estudo de melhoramento do prado de aveia


Tjarda de Koe – 1988

9- Flora e vegetação da bacia superior do rio Sabor no


Parque Natural de Montesinho
Tjarda de Koe – 1988
10 - Estudo do apuramento e enriquecimento de um pré-
concentrado de estanho tungsténio
Arnaldo Manuel da Silva Lopes dos Santos – 1988

11 - Sondas de neutrões e de raios Gama


Tomás d'Aquino Freitas Rosa de Figueiredo – 1988

12 - A descontinuidade entre a escrita e a oralidade na


aprendizagem
Raul Iturra – 1989
13 - Absorção química em borbulhadores gás-líquido
João Alberto Sobrinho Teixeira – 1990
56 João Sérgio de Pina Carvalho Sousa

14 - Financiamento do ensino superior no Brasil – reflexões


sobre fontes alternativas de recursos
Victor Meyer Jr. – 1991

15 - Liberalidade régia em Portugal nos finais da idade média


Vitor Fernando Silva Simões Alves – 1991

16 - Educação e loucura
José Manuel Rodrigues Alves – 1991
17 - Emigrantes regressados e desenvolvimento no Nordeste
Interior Português
Francisco José Terroso Cepeda – 1991

18 - Dispersão em escoamento gás-líquido


João Alberto Sobrinho Teixeira – 1991

19 - O regime térmico de um luvissolo na Quinta de Santa


Apolónia
Tomás d'Aquino F. R. de Figueiredo - 1993
20 - Conferências em nutrição animal
Carlos Alberto Sequeira - 1993

21 - Bref aperçu de l’histoire de France – des origines à la fin


du IIe empire
João Sérgio de Pina Carvalho Sousa – 1994

22 - Preparação, realização e análise / avaliação do ensino em


Educação Física no Primeiro Ciclo do Ensino Básico
João do Nascimento Quina – 1994
23 - A pragmática narrativa e o confronto de estéticas
em Contos de Eça de Queirós
Henriqueta Maria de Almeida Gonçalves – 1994

24 - “Jesus” de Miguel Torga: análise e proposta didáctica


Maria da Assunção Fernandes Morais Monteiro – 1994

25 - Caracterização e classificação etnológica dos ovinos


churros portugueses
Alfredo Jorge Costa Teixeira – 1994
26 · Hidrogeologia de dois importantes aquíferos (Cova de
Lua, Sabariz) do maciço polimetamórfico de Bragança
Luís Filipe Pires Fernandes – 1996
La crise de Mai 68 en France 57

27 · Micorrização in vitro de plantas micropropagadas de


castanheiro (Castanea sativa Mill)
Anabela Martins – 1997

28 · Emigração portuguesa: um fenómeno estrutural


Francisco José Terroso Cepeda – 1995

29 · Lameiros de Trás-os-Montes: perspectivas de futuro para


estas pastagens de montanha
Jaime Maldonado Pires; Pedro Aguiar Pinto; Nuno Tavares
Moreira – 1994
30 · A satisfação / insatisfação docente
Francisco Cordeiro Alves – 1994

31 · O subsistema pecuário de bovinicultura na área do


Parque Natural de Montesinho
Jaime Maldonado Pires; Nuno Tavares Moreira – 1995

32 · A terra e a mudança – reprodução social e património


fundiário na Terra Fria Transmontana
Orlando Afonso Rodrigues – 1998
33 · Desenvolvimento motor: indicadores bioculturais e
somáticos do rendimento motor de crianças de 5/6 anos
Vítor Pires Lopes – 1998

34 · Estudo da influência do conhecimento prévio de alunos


portugueses na compreensão de um texto em língua
inglesa
Francisco Mário da Rocha – 1998

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